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Introduction
2. Clinique(s) de la phobie
3. Visages de la phobie
2 - Classifications
1. Les classifications psychiatriques
2. Classifications psychanalytiques
3. L'agoraphobie
Bibliographie
© Armand Colin, 2009
978-2-200-24522-1
Dans la même collection
ANAUT M., La résilience, 2e éd.
BARTHÉLÉMY S. et BILHERAN A., Le délire
BÉNONY C. et GOLSE B., Psychopathologie du bébé
BÉNONY H., L'examen psychologique et clinique de l'adolescent
BÉNONY H., Le développement de l'enfant et ses psychopathologies
BILHERAN A., Le harcèlement moral
BLANCHET A. et TROGNON A., La psychologie des groupes, 2e éd.
BRÉJARD V., BONNET A., L'hyperactivité chez l'enfant
BOURGUIGNON O., La déontologie des psychologues
CHARRIER P. et HIRSCHELMANN-AMBROSI A., Les états limites
CORDIER F. et GAONAC'H D., Apprentissage et mémoire
DELAROCHE P., L'adolescence. Enjeux cliniques et thérapeutiques
FERNANDEZ L. et LETOURMY F ., Le tabagisme. De l'initiation au sevrage
GIFFARD M. et MORAL M., Coaching d'équipe
GRAZIANI P. et SWENDSEN J., Le stress
GRAZIANI P., Anxiété et troubles anxieux
GUENICHE K., Psychopathologie de l'enfant, 2e éd.
HAOUZIR S. et BERNOUSSI A., Les schizophrénies
HARDY-BAYLÉ M.-C., Le diagnostic en psychiatrie
HARRATI S., VAVASSORI D., VILLERBU L. M., Délinquance et violence
MICHEL A., Les troubles de l'identité sexuée
MORAL M. et ANGEL P., Coaching, 2e éd.
MORAL M. et HENRICHFREISE S., Coaching d'organisation
PEDINIELLI J.-L. et BERNOUSSI A., Les états dépressifs
PEDINIELLI J.-L. et BERTAGNE P., Les névroses
PEDINIELLI J.-L. et FERNANDEZ L., L'observation clinique et l'étude de cas
PEDINIELLI J.-L. et GIMENEZ G., Les psychoses de l'adulte, 2e éd.
PEDINIELLI J.-L., Introduction à la psychologie clinique, 2e éd.
PIRLOT G. et PEDINIELLI J.-L., Les perversions sexuelles et narcissiques, 2e
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TARDIF C. et GEPNER B., L'autisme, 2e éd.
VANIER A., Éléments d'introduction à la psychanalyse
Conception de maquette intérieure : Atelier Didier Thimonier
Internet : http ://www.armand-colin.com
Introduction
Les phobies sont à l'honneur : chacun a peur de quelque chose et l'angoisse
est le lot commun de la société postmoderne. Les phobies, ces « peurs d'un
objet ou d'une situation », représentent une forme particulière de « l'économie
de l'angoisse », réponses quasi automatiques mais pourtant symptômes
extrêmement subtils, tant par les composantes qu'elles mettent en œuvre que
par leurs formes et leurs conséquences. En grec ancien, phobos c'est la peur,
la crainte, mais, surtout, une figure mythologique. Dans Homère, on retrouve
aux côtés d'Ariès, dieu grec de la Guerre, deux écuyers « Deimos » (la
terreur) et « Phobos » (la crainte). L'astronomie a suivi cette voie en
nommant les deux satellites de la planète Mars (dieu romain de la Guerre),
Phobos et Déimos. Cette curieuse opposition préfigure celle que feront des
psychiatres comme Donald Klein entre phobie et panique.
La phobie est une réalité clinique, une forme de trouble anxieux souvent
désignée comme « une peur persistante, injustifiée, irrationnelle d'un objet
(ex. un animal), d'une situation (ex. la foule) ou d'une activité (par ex. parler
en public) qui déclenchent, lorsque le sujet y est confronté, une poussée
d'angoisse paroxystique. Il cherche à éviter ces objets, situations, activités et
conséquemment la terreur (panique) qu'ils engendrent ». La phobie a de
multiples formes, parfois très spécifiques (peur de tel type d'oiseau par
exemple), que les auteurs ont tenté de regrouper dans de grandes catégories :
agoraphobie, phobies simples ou spécifiques, phobies sociales… Elle
n'épargne d'ailleurs pas les grands hommes : Darwin et sa phobie des
serpents, Freud et sa « sidéro-dromophobie » (voyages en train).
La phobie, pourtant ensemble de pensées et de mécanismes complexes, est
souvent considérée comme un symptôme (au sens médical comme au sens
psychanalytique), c'est-à-dire qu'elle peut apparaître de manière isolée ou
bien comme un élément d'une maladie ou d'une organisation pathologique.
Elle n'impliquerait évidemment pas la même chose selon qu'elle est, par
exemple, un symptôme coexistant avec une organisation hystérique, ou un
des éléments d'une névrose phobique ou bien un trouble isolé. Étudier la
phobie nécessite alors que soit explicitée, non seulement son architecture,
mais aussi la place qu'elle occupe dans un trouble plus général (perspective
structurale) ou les liens qu'elle entretient avec d'autres troubles (comorbidité).
Or il n'en va pas de même de considérer qu'une phobie exprime le retour du
refoulé et de dire qu'il existe une comorbidité avec l'alcoolisme, par exemple,
ce dernier servant à lutter contre l'angoisse en cas de rencontre avec le
stimulus.
Les différentes conceptions de la psychopathologie et de la psychiatrie ont
proposé des théories de la phobie en utilisant leurs logiques qui n'aboutissent
pas aux mêmes conclusions. Pour certaines, l'important est la phobie en elle-
même, pour d'autres elle exprime quelque chose qui est, en quelque sorte, son
déterminant : pour la psychanalyse, la phobie est une formation de
l'Inconscient, pour les théories comportementales elle est produite par
conditionnement. Il s'ensuit que les thérapeutiques divergent totalement :
écouter un sujet dont la phobie disparaîtra à l'issue de son interrogation sur
son désir, la guérison venant de surcroît comme le dit Freud, n'a rien de
commun avec une thérapie cognitive et/ou comportementale de traitement du
symptôme et des traits de personnalité qui l'accompagnent. Entre les théories,
la notion est la même, mais représente-t-elle le même phénomène ?
Nous présenterons ici les différentes conceptions de la phobie, mais nous
pensons qu'au-delà de différences radicales entre les écoles, il faut se
représenter la phobie comme une conséquence de l'angoisse non élaborable,
non verbalisable, une angoisse sans nom, psychiquement destructrice à
laquelle elle apporte une tentative de solution – certes pathologique en la
canalisant sur un objet, une situation, représentables, verbalisables,
implicitement maîtrisables. Mais elle est secondairement productrice de
pensées, de comportements, d'investissements qui provoquent à leur tour des
inhibitions, enfermements, relations de captation… Elle est bien, à ce titre,
une tentative manquée de guérison et une économie qui limite les
investissements, le travail psychique, plus qu'elle ne s'ouvre à l'extérieur.
Nous défendons en outre l'idée que, au-delà de sa genèse psychologique
voire de ses substrats biologiques, la phobie est, comme la dépression, une
« pathologie actuelle » et « une maladie de société ». Non seulement elle
retranche l'individu des rapports aux autres – qui finissent par se limiter à
l'objet contra-phobique, aux proches et aux soignants – mais surtout, elle
reflète bien le drame de l'homme de la société postmoderne, toujours menacé,
en rupture entre ses identifications, doté d'une individualité qui lui rend les
choix et les décisions difficiles. L'angoisse surmoïque semble être dépassée
par l'angoisse narcissique, celle de ne pas savoir qui l'on est, où l'on est et
avec qui l'on est. Alors que notre société postmoderne prône l'individualité et
le libéral, elle rend les individus de plus en plus dépendants, toujours sous le
regard – réel ou virtuel – d'une autorité anonyme : les individus, expropriés
de leur corps et de leur subjectivité, sont le support, considérés comme
responsables – y compris au sens juridique – d'actes quotidiens qui échappent
à leur contrôle (multiples « assujettissements » aux règlements, requêtes,
injonctions dans lesquels le sujet n'a aucun choix mais subit les
conséquences). Mais la « question sociale » de la phobie invite à réfléchir sur
les multiples phobies collectives que la société a engendrées (phobie de ce
qui est différent : l'étranger, l'autre sexe, l'autre genre, l'autre orientation
sexuelle…) qui apparaissent comme des réponses à la défaillance des
symboles, sorte de point d'ancrage pour éviter le trou, le vertige, le mal-être
engendré par la corruption des symboles sociaux et culturels. De plus en plus
de relations aux objets matériels, de communications virtuelles, de moins en
moins « d'humain » (au sens de ce qui est du registre de l'homme et non du
matériel) engagent la souffrance vers l'agoraphobie, la phobie simple et la
phobie sociale : la peur des autres, de la foule, de l'espace et des objets.
1
Par « hystérie d'angoisse » (terme dû à Stekel), il faut entendre une névrose de transfert dont
le noyau est la phobie et qui fonctionne comme l'hystérie de conversion : le refoulement sépare
la représentation refoulée et l'affect qui est libéré sous forme d'angoisse, elle-même
secondairement liée à une autre représentation (phobie). Ce modèle qui met en avant l'angoisse
de castration est nettement perceptible dans le cas du petit Hans (1909), puis dans l'homme aux
loups (1918) et remanié dans la seconde topique avec l'analyse proposée dans Inhibition,
symptôme et angoisse (1926). Les successeurs de Freud s'orienteront dans la même direction :
– la phobie répond au mécanisme de la névrose de transfert (A. Freud, M. Sperling) ;
– discussion sur la nature de l'angoisse (angoisse de castration ou retour d'angoisses
archaïques, angoisse liée aux pulsions prégénitales avec une défense primitive par la projection
(M. Klein), résurgence de l'angoisse du 8e mois ou des terreurs nocturnes pour les auteurs
américains) ;
– mise en évidence de la fonction défensive de la phobie qui localise l'angoisse ;
– discussion autour de l'unité diagnostique de la phobie (Greenson, Brenner), ce qui revient à
se demander s'il existe une structure phobique et non pas des phobies coexistant avec n'importe
quelle organisation pathologique. Le séminaire de Lacan sur les relations d'objet (1956-1957),
viendra, d'une manière très originale, fournir une autre représentation, celle de la phobie comme
« plaque tournante ».
2. Clinique(s) de la phobie
Peur excessive d'un objet ou d'une situation avant la confrontation (l'objet et la situation sont
donc « imaginés » ; ex. : si je pense à une araignée, je ressens des manifestations de peur même
si je n'en vois pas devant moi). Il s'agit de phénomènes d'anticipation.
Clinique : Fred, 24 ans, nous dit : « je panique devant le sang, le mien, celui des autres, les
piqûres, les prises de sang… tout ça. Rien que de le dire et d'y penser je me sens mal. Quand on
doit m'en faire une, j'ai peur de tomber dans les pommes, je m'évanouis à chaque fois. Alors je
fais l'impossible pour éviter tout ça… j'y pense des jours avant… j'ai peur, je n'en dors pas et, à
chaque fois, syncope… ».
Réaction d'angoisse massive en cas de confrontation. Utilisation de l'évitement ou de la fuite
(ex. : j'évite les lieux où il y a des araignées ou bien, si j'en vois une, crise d'angoisse et fuite.
Pour éviter à temps, je me focalise sur tous les signaux de danger et j'interprète négativement les
situations).
Clinique : Fred : « je ne regarde pas les émissions médicales, les informations sur les
guerres, les films de guerre ou d'horreur… sinon je tourne de l'œil. Je fais un détour pour ne pas
passer devant les hôpitaux et les cliniques et je fais attention aux magazines… le blanc, je crois
voir une blouse blanche ».
Après la rencontre ou l'évitement, présence de souvenirs des éléments angoissants, de
sentiments de dévalorisation, de honte, d'idée de vulnérabilité pour les prochaines rencontres.
Clinique : Fred : « j'ai failli m'évanouir au repas de famille quand ils ont commencé à
raconter leurs opérations et les accouchements… j'ai l'air d'une andouille avec mes 100 kg...
mais c'est comme ça, j'ai horreur de ça mais je repense aux fois où je suis parti avant une prise
de sang… à l'impossibilité de rendre visite aux gens hospitalisés et je me dis que je suis un gros
nul… mais ça ne change rien ».
Valérie se plaint de ressentir une « terreur folle » lorsqu'elle est confrontée à un serpent, qu'il
s'agisse de l'animal réel ou de sa représentation visuelle (films, dessins…). Le mot même
déclenche chez elle une situation d'angoisse. Lors d'une promenade, elle pense avoir aperçu une
couleuvre qui a traversé le chemin. Elle est restée tétanisée, immobile. Mais comme d'autres
phobiques elle ne peut s'empêcher de regarder certaines images où apparaissent des serpents ;
elle se décrit comme dégoûtée, angoissée, tétanisée et… fascinée.
Anh a peur en avion et affronte le voyage grâce à une dose légère de tranquillisant, pourtant
elle se sent poussée à regarder par le hublot, attirée par le vide… à la fois effrayant et fascinant.
Les analystes évoqueront l'ambivalence à propos de cette fascination-répulsion.
2.1. La panique
2.2. La phobie
2.3. Conclusion
Les phobies se caractérisent par ce lien particulier établi entre un objet, une
situation ou une activité et la peur qu'ils engendrent. On a ainsi de multiples
possibilités de phobies que, au gré de l'histoire, on classera en catégories
distinctes à partir d'un opérateur : par exemple phobies simples, agoraphobie,
phobie sociale, ou bien phobies de situations, d'objets, d'animaux, phobies
sociales. Mais certaines réalités cliniques dont l'appellation comporte le mot
« phobie » (comme dysmorphophobie, phobie d'impulsion, impulsion
phobique) sont généralement classées dans d'autres groupes cliniques.
_ Une solution qui tourne à l'échec. En apparence tout paraît simple :
l'angoisse se focalise sur un objet ou une situation, ce qui laisse au sujet la
possibilité de vivre à condition de ne pas rencontrer l'objet ou la situation
angoissants et d'éviter la frayeur redoutée. En outre, des événements de vie,
souvent anciens, permettent de comprendre le lien entre l'angoisse et l'objet.
Pourtant, l'économie de l'angoisse est imparfaite : avant la confrontation le
sujet anticipe par des représentations ou des scénarios (augmentation de la
peur anticipée et du sentiment de vulnérabilité), pendant la confrontation, il
se focalise sur tous les indices de danger, réalise une lecture partiale du
monde extérieur et de ses sensations (il augmente donc la peur), après la
confrontation, il se remémore les éléments angoissants ou dévalorisants (ce
qui provoque honte, maintien du sentiment de dévalorisation et de
vulnérabilité) et appréhende la confrontation à l'objet phobogène.
En outre, sur le plan conceptuel, la nature des objets et des situations
diffère tellement qu'il est possible de s'interroger sur « l'unité » des phobies,
tant d'un point de vue expérientiel que psychopathologique. Les phobies
sociales, par exemple, sont-elles une peur des situations sociales ou du regard
de l'autre auquel est prêtée, de manière projective, une multiplicité de sens,
parfois contradictoires ? L'agoraphobie est-elle si proche des phobies simples
alors qu'elle entraîne une crainte de la perte d'identité ? Les phobies
historiquement déterminées (cf. le petit Hans) sont-elles comparables aux
phobies dépourvues de sens pour le sujet et, apparemment, déconnectées de
son histoire (phobies apprises) ?
3. Visages de la phobie
Personnalité phobique ?
M.D. est un étudiant de troisième cycle, âgé de 32 ans et célibataire, qui se présente à la
consultation parce qu'il se sent dans une impasse, tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie
amoureuse. Cela fait plusieurs années qu'il n'arrive pas à terminer sa thèse. Il a accumulé des
milliers de fiches. M.D. souffre d'une timidité maladive. Il a beaucoup de mal à entamer des
conversations avec des inconnus par crainte de dire une bêtise. Quand il est invité à une soirée, il
trouve généralement une excuse pour ne pas y aller. S'il se hasarde malgré tout à sortir, il se sent
mal à l'aise et gêné et il est sûr de rougir en permanence (éreutophobie). Il se sent habituellement
tellement anxieux et submergé par ces sentiments qu'il part avant d'avoir eu la possibilité de
parler à quelqu'un. Il a l'impression après cela d'être un idiot et est encore moins enclin à
accepter une prochaine invitation. Il est arrivé occasionnellement que M.D. ait une brève liaison
avec une femme, généralement quelqu'un qui lui avait été présenté par une connaissance
commune. Ces relations amoureuses finissent habituellement mal. Ses amies sont étonnées par sa
timidité sexuelle et se rendent compte qu'elles doivent prendre l'initiative. M.D. devient
généralement très embarrassé, il craint que sa performance ne soit pas à la hauteur et souffre
souvent d'éjaculation précoce.
M.D. est l'aîné de trois enfants dans une famille de la classe moyenne modeste. Sa mère
l'aimait comme la prunelle de ses yeux et le patient sentait qu'elle avait pour lui des ambitions
très élevées, voire hors de portée. Son père, par contre, est un homme très pieux, humble et
modeste dont les expressions favorites sont « personne n'a de raison d'être fier de soi » et « c'est
dégoûtant de faire ses propres éloges ». Malgré un ressentiment envers son père, M.D. est très
attaché à ses deux parents et à la chambre où il a toujours vécu. Il vit toujours chez ses parents et
passe une bonne partie de son temps libre avec eux.
Il semble que M.D. était un enfant assez agressif, espiègle et vigoureux jusqu'à ce que son
père le surprenne en train de déshabiller la petite fille des voisins et de jouer avec son voisin
quand il avait 5 ans. M.D. reçut une raclée mémorable et eut droit à un sermon mortifiant infligé
par le prêtre local. Plusieurs mois de rigoureux exercices de religion et d'autodiscipline lui
firent perdre son audace et son effronterie, il devint de plus en plus timide et fut déclaré guéri de
ses péchés. Il a toujours été évitant et est resté en deçà de ses possibilités depuis.
M.D. est intelligent et fin psychologiquement. Il dit spontanément que sa timidité et sa crainte
de la critique proviennent de la vigilance avec laquelle ses deux parents surveillaient son
comportement. Lorsque le psychiatre lui demande quelles conséquences cela a sur ses
performances sexuelles, il rit et dit : « J'ai toujours l'impression que mon père est en train de
regarder. » Il relate alors un rêve où il fait l'amour avec une femme sur la banquette arrière d'un
taxi jusqu'à ce que le chauffeur de taxi l'interrompe et prenne sa place dans les rapports sexuels.
Le patient est contraint de passer sur le siège avant et de regarder la scène d'amour dans le
rétroviseur. Il mentionne en passant que la femme est beaucoup plus âgée et pas vraiment belle.
(Tiré du DSM-IV, Cas cliniques, p. 279).
Névrose phobique ?
Usages ambigus
Une jeune femme qui travaille dans l'immobilier pénètre dans un appartement pour faire l'état
des lieux. L'appartement se trouve au 5e étage et une fenêtre est ouverte. Cette jeune femme a
peur du vide. Elle s'approche de la fenêtre et est alors saisie par l'angoisse de se jeter par cette
fenêtre. Il y a chez elle à la fois une « phobie du vide » préexistante et une phobie de l'impulsion
(phobie d'impulsion, impulsion phobique) à se jeter par la fenêtre, ce qui la terrorise. Mais à
d'autres moments, cette jeune femme est fascinée par la hauteur, même saisie d'un vertige, elle
jouit de cette position dans le vide, « moment d'angoisse et d'éternité », dit-elle. Elle n'a pas
d'idées suicidaires et paraît plus sujette aux mécanismes hystériques qu'à toutes autres formes de
pathologie.
Sally est une jeune femme de 23 ans qui accepte avec réticence d'aller voir un psychiatre
puisqu'elle pense ne pas en avoir besoin : « Mon véritable problème, dit-elle, ce sont ces
affreuses rides qui me barrent le front. » Elle montre alors du doigt les lignes que laissent les
froncements de sourcils, au-dessus de son nez ; le psychiatre, quant à lui, ne les trouve pas plus
prononcées que chez d'autres personnes de l'âge de Sally. « C'est affreux, n'est-ce pas ? Bien sûr,
je n'ai pas à être la plus belle fille du monde, mais je ne veux pas non plus être défigurée ! »
« C'est terrible. Tout le monde le remarque. Cela me fait paraître si vieille. Je ne suis pas sûre
que Joe trouve cela repoussant. Je ne sais pas ce que je ferais s'il me quittait. J'ai bien essayé de
bien me maquiller pour les dissimuler, mais ce n'est pas possible de cacher quelque chose
comme ça ! » Sa préoccupation pour son apparence n'a pas de répercussion sur sa vie
professionnelle, mais elle s'est mise à éviter les situations où elle peut rencontrer du monde,
parce qu'elle ne veut pas qu'on remarque ce défaut. Sally reconnaît que cela la rend malheureuse,
sans pour autant se sentir réellement déprimée. Pour le psychiatre, elle semble normale sauf la
préoccupation pour ce défaut physique, la croyance n'est pas pour autant délirante puisqu'elle
admet elle-même qu'elle donne à ce défaut une importance exagérée, elle évite des situations
sociales (mais ce n'est pas phobique) et il n'existe aucune anomalie physique ou une anomalie
bénigne. Il s'agit bien d'une dysmorphophobie (DSM III-R., Cas cliniques, p. 140).
Formes d'angoisse
Associations
Classifications
Les discours psychiatriques (descriptifs) et psychopathologiques
(interprétatifs) proposent des classifications différentes qui ont évolué du fait
des modifications des principes directeurs de ces taxinomies.
1.1. Le DSM
1.2. CIM-10
Phobie de la maternité
Bien que certains textes datent d'avant 1895, ils montrent déjà la « logique
hystérique des phobies » à l'œuvre. Il est vrai qu'il s'agit de patientes
clairement hystériques et non pas de patients présentant uniquement des
phobies.
Le cas « Mme Emmy von N… » se trouve dans les Études sur l'hystérie
publiées en 1895 mais l'histoire racontée par Freud commence en 1889, à une
époque où il pratiquait encore l'hypnose. Cette patiente de 40 ans présentait
de multiples troubles hystériques sévères : délires, hallucinations avec une
activité mentale intacte, modifications de la personnalité, troubles de la
mémoire (amnésie lacunaire), bégaiement, claquement de langue,
somnambulisme, insensibilité des extrémités, crampes à la nuque,
contractures, douleurs, troubles somatiques, hyper-expressivité, quelques
conversions, modifications de l'humeur, troubles de la conscience (que le
DSM appelle désormais « dissociation »), troubles de la volonté (aboulie)
et… phobies. L'histoire est particulièrement riche tant dans l'expression des
symptômes que dans les événements de l'existence, voire le contexte de
l'époque. Un de ses troubles révèle bien l'intensité et la profondeur de sa
souffrance : « Ses phrases sont parfaitement cohérentes et dénotent de toute
évidence une intelligence et une culture peu ordinaires. Il semble d'autant
plus étrange de la voir s'interrompre toutes les deux minutes, l'expression de
son visage exprimant à cet instant la terreur et le dégoût. Les doigts crispés,
recroquevillés, elle fait un geste du bras comme pour me repousser en
s'écriant d'une voix angoissée : « Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Ne me
touchez pas ! » Sans doute est-elle sous l'impression de quelque effrayante
vision itérative et se sert-elle de cette formule pour parer l'intrusion de cet
élément étranger » (Études sur l'hystérie, p. 35).
Freud s'oppose, à propos des phobies, aux conceptions de l'École française
de psychiatrie qui en faisait des stigmates de la dégénérescence nerveuse
(thèse organiciste) et insiste sur leur dimension traumatique, c'est-à-dire qu'il
estime qu'elles proviennent d'événements difficiles ayant suscité de
l'angoisse. L'origine de la phobie ne doit pas être cherchée dans une catégorie
générale de « phobies primaires des hommes » (de l'humanité) mais bien dans
l'histoire des individus et dans leur incapacité à se débarrasser des émotions
produites.
Parmi les terreurs de Mme Emmy von N…, Freud identifie des phobies des
animaux qu'il peut rattacher à des souvenirs, qui ne sont souvent accessibles
que par l'hypnose – et donc inconscients –, souvenirs traumatiques et dont
certains possèdent une connotation sexuelle. En outre, l'origine de certaines
phobies est associée à une conversion hystérique qui semble ne pas avoir été
suffisante pour orienter l'affect vers les « voies somatiques ». Freud
considérait en effet que, dans l'hystérie, la conversion est un mécanisme qui
permet de se débarrasser de la représentation douloureuse (refoulement) et de
l'affect désagréable qui est transformé en manifestations somatiques (cf. le
cas Dora). Or ici, les représentations traumatiques sont bien refoulées, mais
l'affect d'angoisse demeure.
La peur des crapauds, présente chez la plupart des individus, a été chez elle
renforcée par l'attitude de son frère qui lui lança à la tête un crapaud crevé, ce
qui déclencha un premier accès de contracture hystérique. Lorsque Freud lui
demande l'origine de sa tendance à s'effrayer : « D'abord de l'époque où
j'avais 5 ans et où mes frères et sœurs me lançaient très souvent à la tête des
bêtes mortes ; c'est alors que je me trouvai mal pour la première fois, avec
accompagnement de convulsions. Mais ma tante déclara que c'était horrible et
qu'on ne devait pas avoir de tels accès. Alors ils ont cessé. Ensuite à 7 ans,
quand je me suis trouvée, sans m'y attendre, devant le cercueil de ma sœur,
puis à 8 ans, quand mon frère revêtu de linges blancs jouait au fantôme pour
me faire peur ; à 9 ans, quand je vis ma tante dans son cercueil et que, tout à
coup, son menton se décrocha » (p. 39). La non-préparation, la surprise,
l'absence d'anticipations déterminantes dans la survenue de ces peurs
préfigurent l'opposition entre « effroi » et « peur » (d'un objet) que Freud
développera dans Au-delà du principe de plaisir (1920). La phobie des
chauves-souris se rattachait à un souvenir d'un de ces animaux qui s'était
laissé enfermer dans l'armoire du cabinet de toilette. Elle s'était alors
précipitée nue hors de la pièce.
La phobie des orages est associée à un souvenir désagréable : « Un jour,
les chevaux attelés à la voiture dans laquelle se trouvaient les enfants
s'emballèrent ; une autre fois, je traversais la forêt en voiture avec les enfants
pendant un orage. La foudre tomba sur un arbre, juste devant les chevaux ;
les animaux eurent peur et je pensai : “Surtout reste bien tranquille sans quoi
tu effrayeras davantage encore les chevaux par tes cris et le cocher ne pourra
plus les retenir.” C'est à partir de ce jour que ça a commencé. » Lorsqu'elle
parle de ce qui a commencé c'est le bégaiement qu'elle évoque. Ce « trouble
spasmodique » (l'idée de spasme est évocatrice) du langage se manifestait
dans toutes les situations où elle était anxieuse ; cette véritable conversion
hystérique avait pour effet de rendre incompréhensibles ses propos et, en
conséquence, de ne pas être entendue lorsqu'elle pouvait évoquer ses
émotions. De multiples scènes traumatiques sont associées à ce bégaiement :
agression par son frère, rencontre avec la folie, surprise d'un regard fixé sur
elle…
La peur (phobie ?) « de voir se produire soudain un fait épouvantable et
inattendu » provient du souvenir (« terrible impression ») de la mort subite de
son mari qu'elle croyait en bonne santé.
La phobie des inconnus « puis de toute l'humanité » était en relation avec
les très graves conflits avec sa belle-famille qui l'amenaient à penser que
toute personne étrangère était un « agent » de cette famille.
La peur des asiles d'aliénés et des fous provenait des descriptions que lui
en avait faites, assez stupidement, une domestique alors qu'elle était une
enfant crédule, mais aussi de nombreuses situations de confrontations avec
des malades mentaux, dans sa famille comme à l'extérieur. Freud précise
d'ailleurs ce qu'il reprendra dans L'Inquiétante étrangeté (1919) : cette crainte
de la folie est présente chez tout névrosé dans le souci de « ne pas succomber
lui-même à cette maladie » (Freud, 1895, p. 68). La phobie est donc aussi
générée par l'angoisse de rencontrer chez d'autres ce que l'on pressent en soi,
ce que l'on craint pour soi, peut-être aussi ce qu'on a connu un jour.
La peur « de trouver quelqu'un derrière elle » est en lien avec des
expériences traumatisantes de sa jeunesse ou plus tardives : personne
inconnue se glissant dans sa chambre (avec un élément érotique).
La phobie « d'être enterrée vivante » est reliée à la mort de son mari ; elle
croyait en effet qu'il n'était pas mort au moment où l'on emportait son
cadavre. Mais s'agit-il vraiment d'une phobie ?
Freud explique l'état de la patiente à partir de deux éléments : la non-
liquidation des affects et le retour de souvenirs qui ravivent l'état affectif
douloureux. En premier lieu, les affects pénibles qui ont été suscités par les
événements traumatiques n'ont pas été liquidés (exprimés) : mauvaise
humeur, chagrin à la mort de son mari, rancune (liée aux réelles persécutions
par la famille), la peur (multiples événements angoissants), le dégoût (repas
avalés par contrainte)… En second lieu, l'activité mnémonique (le souvenir)
« est chez elle très poussée et fait resurgir, dans la conscience, bribes par
bribes, tantôt spontanément, tantôt par l'effet d'une excitation nouvelle et
ravivante (…) les traumatismes avec l'état affectif qui les accompagnait » (p.
71), idée proche de sa formule « l'hystérique souffre de réminiscences ». La
question de ce qui deviendra « le retour du refoulé » est ainsi posée. Les
phobies apparaissent liées à ce double mécanisme de non-liquidation de
l'affect et de réactivation par les éléments de la vie quotidienne. La phobie
semble opérer une généralisation de l'angoisse à tout ce qui peut rappeler le
ou les traumatismes.
Un autre élément frappe Freud. Il souligne, en reprenant la vie de cette
patiente, qui fait face à de nombreuses obligations, la « rétention de grandes
quantités d'excitation » (p. 80). Or cette répression de l'excitation, cette
surdité aux désirs, n'est pas sans conséquences. Son apparente réserve
témoigne d'une lutte contre des désirs inacceptables : « La patiente montrait
dans tout son comportement, mais sans affectation ni pruderie, la plus grande
décence. Cependant, quand je me rappelle avec quelle réserve elle m'avait
raconté, pendant l'hypnose, la petite aventure de sa femme de chambre à
l'hôtel, j'en viens à soupçonner que cette femme d'un tempérament violent, si
capable d'éprouver des sentiments passionnés, avait dû mener une lutte serrée
pour vaincre ses besoins sexuels et s'épuiser psychiquement beaucoup à
l'époque en essayant d'étouffer cet instinct, le plus puissant de tous » (p. 80-
81).
Chez Mme Emmy von N…, Freud perçoit la dimension sexuelle comme
un élément dont la défaite, sous l'effet des contraintes morales, entraîne la
« rétention de grandes quantités d'excitation », contexte favorable aux
troubles hystériques. Les phobies – hystériques – apparaissent produites par
des traumatismes dont l'affect n'a pas été abréagi et que les situations de la
vie quotidienne viennent rappeler. La phobie est ainsi une protection contre la
répétition des traumatismes – réels – et de leur charge affective. La sexualité
est bien présente dans la pensée de Freud, mais il n'envisage pas, dans ce
texte, la question du désir sexuel et du fantasme.
« La bêtise »
Les successeurs de Freud ont suivi des voies différentes qui tiennent à
leurs théories spécifiques de l'angoisse et à leurs conceptions de l'organisation
psychique (psychologie du moi ou théorie de la constitution précoce du
monde interne ou théorie du sujet de l'Inconscient). Curieusement, on
retrouve aussi dans les différences entre les modèles de la phobie le clivage
freudien entre première et seconde théories de l'angoisse : le refoulement
produit l'angoisse (première théorie, 1895) ou l'angoisse est un signal pour le
moi qui met en place le refoulement (deuxième théorie, 1926).
Fenichel reprend en 1944 la position freudienne sur les névroses qui sont le
résultat de conflits entre les désirs sexuels infantiles et la peur du danger liée
à ces désirs dans l'Inconscient. Le symptôme apparaît comme une forme de
résolution du conflit, un compromis entre désirs et peurs. La phobie se
constitue ainsi comme la substitution de l'angoisse à l'excitation, opération
qui déclenche l'évitement. Pour lui, la situation phobogène peut représenter
une motion agressive, évoquer une frustration précoce, ou encore rappeler
une punition inconsciemment redoutée.
En revanche, Greenson (1959) considère que les événements rencontrés
provoquent l'éveil de désirs spécifiques dans le Ça. Il en résulte une
intensification des conflits et un affaiblissement des capacités défensives.
Cette situation est génératrice d'une irruption d'angoisse à laquelle le sujet
réagit par la phobie dont l'origine est tant sexuelle qu'agressive.
De ces deux conceptions fondées sur le modèle de la seconde topique et
dans le prolongement du texte freudien Inhibition, symptôme et angoisse, se
distingue la théorie de Lewin (1952) qui se réfère à la première topique. Par
référence avec le rêve, il avance que la phobie est le « contenu manifeste »,
qu'elle représente une sorte de mémoire. Les phobies ne servent pas
uniquement d'alerte, mais elles reproduisent aussi des événements des
premières années.
2.5. Lacan
2.6. Conclusion
Lacan a une pensée originale mais qui ne remet pas en cause la logique de
la phobie telle que Freud l'a dégagée, voie que ses élèves ont suivie. Pourtant,
il existe, au-delà d'un accord sur le mécanisme de la phobie, de notables
différences sur le statut de l'angoisse en cause dans la phobie : angoisse
œdipienne pour Freud, angoisses archaïques, préœdipiennes pour les
successeurs kleiniens ou de l'Ego Psychology, angoisses liées au désir de
l'Autre pour Lacan. P.-L. Assoun ira plus loin en insistant sur le double
aspect de l'angoisse, reprenant Freud et Lacan. « Au cœur obscur de la
phobie, on trouve cette peur des peurs, celle d'être “bouffé”, en fait d'être
coïté par cette archaïque divinité paternelle et/ou par le “crocodile” maternel.
Le combat phobique met “en avant-poste” cet objet révulsif avec lequel il
livre un combat… d'arrière-garde » (Assoun, 2005, p. 52).
Il reste que cette transformation par le « vecteur de la phobie » de
l'angoisse en peur n'est pas une simple opération économique, représentative
ou défensive. La peur n'a pas simplement comme effet de donner un objet à
l'angoisse. Si la terreur, l'angoisse – pourtant plus organisée – effacent
l'individu et le sujet, lui retirant la réaction consciente et l'attitude libre, la
peur garde en elle le germe de l'action dans la mesure où elle n'annule pas le
sujet qui la ressent. Le corps qui ressent la peur exprime son individualité.
3.1. Le conditionnement
Des auteurs comme Bandura ont tenté de montrer que la phobie pouvait
reposer sur l'observation du comportement des autres (apprentissage à partir
de modèles, modeling). Les phobies seraient apprises à partir des attitudes des
parents (transmission familiale de certaines phobies spécifiques ou sociales)
mais aussi à partir des modèles proposés par la culture et le discours social.
Toutefois, une distinction entre « peurs » – qui peuvent bien correspondre
aux mécanismes proposés par Bandura – et réelles phobies s'impose, ces
dernières paraissant difficilement explicables par l'apprentissage social. Une
fois encore la distinction entre peur banale et phobie est difficile à faire.
La phobie n'est peut-être pas un comportement aussi mécanique et isolé
que ne le laissent penser ces conceptions : la question de la présence
excessive de l'anxiété chez les patients phobiques (type de personnalité,
anxiété-trait), des mécanismes d'adaptation (coping, défenses), des éléments
d'évaluation des situations (processus cognitifs)… sont essentiels.
Pour Kelly, l'être humain est un constructeur de sens qui produit une
organisation de la connaissance qui s'enrichit à mesure que le sujet interagit
avec son environnement. L'adaptation implique de modifier les constructions
non pertinentes c'est-à-dire de transformer le sens antérieur en intégrant de
nouvelles informations. L'anxiété serait provoquée par le constat que les
événements auxquels l'individu est confronté sont en dehors du domaine de
pertinence de son système de constructions. L'anxiété, fondée sur les
expériences de souffrance, de perplexité et d'absence de clarté, serait
provoquée par le constat d'inadéquation des constructions personnelles pour
faire face à la situation présente problématique. La peur émane de la
perception d'un changement imminent des structures centrales inadaptées
pour l'intégration d'informations nouvelles.
Eva avait, dans l'enfance, plusieurs phobies banales : peur du noir, peur du vide et surtout
peur de l'eau. Cette dernière a persisté à l'âge adulte sans, toutefois, revêtir un caractère
suffisamment important pour permettre de porter un diagnostic de « phobie » au sens du DSM.
Or cette peur est surdéterminée, et s'est constituée par étapes et elle agence des signifiants
particuliers. 1) À l'âge de 3 ans, Eva avait failli, alors qu'elle était à la mer, se noyer emportée par
un rouleau. Sa mère l'avait rattrapée in extremis en la prenant par sa queue-de-cheval. 2) Son
enfance a été marquée par la répétition des « plaisanteries » de sa sœur aînée qui, régulièrement,
prenait plaisir à lui plonger la tête sous l'eau, taquineries qui revêtaient une dimension d'angoisse
avec évitement : Eva regardait autour d'elle avant de rentrer dans l'eau, de façon à surveiller sa
sœur et à éviter ces brimades qui l'angoissaient. Comme les parents promettent un canoë aux
deux enfants, à condition qu'elles obtiennent leur « brevet de 50 mètres », Eva est obligée
d'apprendre à nager à la piscine et, dans le même mouvement, les brimades cessent. 3) Eva, à ce
moment, a 8 ans ; elle apprend à nager avec un « maître-nageur » ami du père. À l'occasion d'un
cours, alors qu'elle est dans l'eau, encore malhabile, les deux amis (le père et le maître-nageur)
discutent, ne la regardent pas et relâchent leur surveillance. Elle sait désormais nager et pourrait
se débrouiller seule, mais voyant qu'ils ne la surveillent pas – qu'ils ne la regardent pas – elle
« panique » et se met rapidement à « boire la tasse ». On s'en aperçoit, on la remonte sur la berge
et, pour la rassurer, on lui dit que la ceinture flottante qu'elle porte sur elle pour nager est
insuffisante pour la porter, qu'elle arrive à flotter par elle-même, à avancer, et qu'elle sait donc
nager : nouvelle panique. Le cours suivant, elle s'enferme dans les W.-C. et, profondément
angoissée, refuse d'aller dans la piscine, qui devient phobogène. Elle n'y retournera plus. Mais
ses parents l'emmènent toujours en vacances au bord de la mer et, là, elle est attirée par les
enfants qui nagent. Petit à petit, elle se laisse aller à rentrer dans l'eau… et elle se rend compte
qu'elle sait nager. Quelques longs mois après, elle décide de passer le fameux « brevet »,
l'obtient… mais elle n'aura pas le canoë parce que la mère a peur des risques du bateau et… de
l'eau (elle ne sait pas vraiment nager et ne se risque pas là où elle n'a pas pied). Adulte, Eva a
toujours peur de l'eau, mais elle réussit à dépasser sa peur, sauf si le fond est sombre et/ou la mer
est agitée. Deux épisodes réactivent la phobie : un courant l'entraîne loin de la plage avec une
adolescente qui commence à avoir très peur et à se débattre ; une autre fois, nageant avec masque
et tuba, alors qu'elle est fascinée par les fonds marins, elle a une attaque de panique en
remarquant la profondeur et la couleur sombre du fond. Dans sa vie, elle a toujours été tentée de
faire de la plongée ou de l'observation sous-marine, très
attirée par les fonds, notamment tropicaux, mais elle a toujours été mal à l'aise. La
profondeur, qui confine à la question de la peur du vide, se conjugue à la peur du noir : quand la
mer est sombre, que pourrait-il sortir des abysses ? Curieusement, dit-elle, elle n'a jamais fait de
rêves ou de cauchemars qui concernent l'eau.
2.1. Définition
2.2. Psychopathologie
Lecture psychanalytique
Analyse cognitivo-comportementale
Ici encore les phobies simples ou spécifiques ont servi le premier des
éléments à la construction théorique de la phobie, tels que nous les avons
présentés plus haut. De multiples éléments ont été évoqués. Seligman (1971),
notamment, sépare les phobies en deux classes : les phobies préparées et les
phobies non préparées. Une prédisposition génétique facilite l'apprentissage
des premières qui correspondent à des craintes qui ont ou ont eu une fonction
protectrice pour l'espèce. La deuxième classe correspond à des craintes de
situations ne représentant aucun danger pour l'homme. Très curieusement
cette position n'est pas éloignée de ce que Freud évoquait dans ses premiers
textes. L'interprétation des phobies spécifiques fait appel 1) à l'existence
d'une anxiété (souvent anxiété-trait) qui entraîne des modifications des
perceptions et s'associe à des schémas cognitifs ; 2) à l'insuffisance des
mécanismes de coping pour lutter contre l'angoisse ; 3) au rôle des
événements antérieurs et de l'entourage ; 4) au renforcement du lien entre
objet et anxiété (c'est-à-dire la phobie en tant que telle). Le « choix » de
l'objet ou de la situation phobogène est déterminé par la rencontre entre une
angoisse intense et le futur objet de la phobie (animal, sang, situation…), la
phobie se constituant par le renforcement comme dans un cercle vicieux :
l'angoisse se focalise sur l'objet puis se renforce par l'évitement de cet objet.
Les effets de l'anxiété ne sont pas des causes directes de la phobie mais ils
contribuent à la rendre possible ; ils constituent un terrain favorable. On a
ainsi remarqué (Cottraux Mollard) que l'anticipation anxieuse et le souci
d'organisation des situations (tous deux véritables traits de personnalité)
contribuaient à rendre certains événements plus anxiogènes et à initier ou
maintenir la phobie. Il en va de même de l'attention sélective et de
l'hypervigilance évoquées par Rachman (1998). L'anticipation des peurs se
manifeste par l'utilisation d'une « attention sélective » (recherche de stimuli
qui indiquent la présence d'une menace) qui entraîne un rétrécissement focal
de l'attention dirigée sur le danger et accompagné par une négligence des
autres stimuli. L'hypervigilance s'active quand les anxieux se confrontent à
une situation nouvelle. Ils l'explorent jusqu'à ce qu'un signal de danger soit
détecté, puis ils focalisent leur attention intensément sur la menace
potentielle : les objets menaçants apparaissent plus nets, plus saillants et aussi
plus imposants.
Les souvenirs d'expériences, issues de l'enfance, de l'impossibilité de
contrôler les situations angoissantes restent en mémoire (mémoire à long
terme). Ces expériences précoces d'absence de contrôle augmentent la
probabilité que le sujet, confronté à des situations similaires, les évalue de la
même façon. Les situations stressantes précoces peuvent donc avoir une
importance disproportionnée et fragilisent à long terme la capacité de faire
face aux situations inquiétantes. L'anxiété-état, réactionnelle à la
confrontation stressante, devient peu à peu anxiété-trait (personnalité
anxieuse) qui sera toujours présente même hors des situations dangereuses.
La multiplication des confrontations à des situations dangereuses (par
exemple séparations, conflits… dans l'enfance) facilite ce passage de
l'anxiété-état à l'anxiété-trait. Celle-ci, flottante, vague, persistante, indéfinie,
est une condition prédisposante à la phobie dans la mesure où elle est un
amplificateur (Endler, 1997).
Conclusion
Les modèles cognitifs de l'anxiété montrent que plus qu'un état émotionnel,
l'anxiété doit être vue comme un mode de traitement de l'information et que,
par conséquent, elle influence l'attribution de la qualité anxiogène aux
transactions. Dans l'anxiété pathologique, il n'existe pas un seul mode général
de traitement, mais également des modes spécifiques, parmi lesquels se
trouvent les phobies simples.
3. L'agoraphobie
3.1. Histoire
Kevin, cadre de banque âgé de 35 ans, se plaint d'être déprimé depuis huit mois, parce qu'il a
peur d'uriner sur lui – « de me faire pipi dessus » – en public. Cela ne lui est jamais arrivé, et
lorsqu'il est en sécurité chez lui, l'idée lui paraît totalement « folle et déraisonnable », voire
irréaliste. Toutefois, dès qu'il quitte sa maison, cette peur devient « obsessionnelle » : il prend
alors des précautions afin d'éviter « l'accident ». Il porte constamment des couches, ne voyage
jamais à pied, fait ses courses par Internet, ne sort que pour travailler (à 200 m de chez lui),
limite sa consommation de boissons et d'aliments diurétiques. Lorsqu'il est dehors, il ressent une
angoisse intolérable, faite de multiples sensations physiques (qu'il interprète comme des débuts
de miction ou de malaise cardiaque), il pense que les autres le regardent et voient « le paquet que
forment les couches » ; il porte des tenues qui dissimulent cette partie de sa personne, ce qui, à
certaines périodes ou dans certains lieux, le rend « grotesque ». Il revient à plusieurs reprises sur
sa peur de se retrouver dans une situation à laquelle il lui serait impossible d'échapper en cas de
survenue de ce symptôme gênant.
Trois semaines avant la consultation, son angoisse anticipatrice a été telle qu'il a dû rester
chez lui. Il n'a pas été énurétique pendant l'enfance mais avait de grandes difficultés à aller à
l'école – à cause de la séparation d'avec ses parents… et des moqueries des autres. Il a toujours
été très anxieux, ayant beaucoup de mal à assumer les séparations. Il a présenté des épisodes de
crainte de la maladie (cancer). Il a eu une liaison assez longue mais ses inhibitions sexuelles
(éjaculation précoce) ont abouti à une rupture. L'agoraphobie est apparue quelques semaines plus
tard. Il dit avoir toujours été quelqu'un d'angoissé et d'inquiet, que sa famille considérait comme
trop réservé, aboulique et perfectionniste.
3.3. Psychopathologie
Le concept d'agoraphobie a évolué de la peur des espaces à la peur de
certaines situations, pour englober maintenant la crainte de devoir faire face à
l'angoisse sans aide. « L'agora » devient ainsi secondaire à ce qui constitue le
cœur de cette phobie : « être sans secours » face au surgissement de la
panique. Curieusement, l'agoraphobie se rapproche pour une part des phobies
sociales, puisqu'elle donne aux autres un rôle particulier (sentiment de
solitude au milieu des autres) et pour une autre part des surinterprétations des
phénomènes somatiques.
Les premières conceptions freudiennes mettaient l'agoraphobie en rapport
avec le refoulement de composantes sexuelles, notamment de fantasmes ou
de « romans ». Freud évoque ainsi le refoulement de la compulsion à la
prostitution (Manuscrit M. du 25 mai 1897). La genèse de l'agoraphobie se
situe dans la logique de sa première conception de l'angoisse : le désir sexuel
est refoulé, provoque l'angoisse. Le lieu et la situation deviennent les marques
du conflit puisque le danger pulsionnel émanant du dedans revient comme
affect de peur du dehors, l'objet contraphobique est une protection contre la
tentation. Avec la seconde théorie de l'angoisse, le statut de l'agoraphobie est
reprécisé dans une logique de l'angoisse comme signal de danger et répétition
d'un traumatisme : pour s'épargner la répétition de la première attaque
d'angoisse, l'agoraphobe « crée donc le symptôme d'angoisse de la rue que
l'on peut appeler aussi une inhibition, une limitation de fonction du moi »
(Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, p. 42). L'agoraphobie défend le
sujet contre la panique. La métaphore d'architecture militaire est parlante :
« forteresse frontière », « avant-poste », « château ».
Cette dimension d'angoisse des espaces, de l'extérieur, évoque ce que
Lacan dit à propos de Hans. Par la phobie, le monde devient ponctué de
signaux d'alarme. La phobie « met précisément au premier plan la fonction
d'un intérieur et d'un extérieur. Jusque-là l'enfant était en somme dans
l'intérieur de sa mère, il vient d'en être rejeté, ou de s'en imaginer rejeté, il est
dans l'angoisse, et le voilà qui, à l'aide de la phobie, instaure un nouvel ordre
de l'intérieur et de l'extérieur, une série de seuils qui se mettent à structurer le
monde » (Lacan, p. 246).
Mais un autre aspect est présent dans l'agoraphobie : ce curieux rapport à la
solitude ; l'agoraphobe se présente comme un enfant désarmé, isolé, en
rupture avec sa maturité sociale. Le sujet est à la fois noyé dans la foule et
solitaire (au sens d'être sans relation). Mais comme le fait remarquer Assoun,
il n'est pas uniquement sans relation à d'autres gens, seul au monde, il est
entouré de multiples visages inconnus : « peut-être une composante de
l'agoraphobie est-elle ce sentiment d'être cerné de toutes parts par un visage
de la personne étrangère, celle qui vient à la place de l'objet attendu. Cela la
replace dans l'atmosphère du cauchemar ou du rêve traumatique » (p. 60). En
outre, l'agoraphobe est aussi seul avec lui-même et au cœur de ce sentiment
phobique il y a carence relationnelle, la rencontre du sujet avec lui-même,
comme s'il était encombré de lui-même, laissé face à sa propre altérité.
Les conceptions cognitivistes mettent en avant des modes de pensée
particuliers reposant sur « la peur de la peur » et l'anticipation catastrophique
dans les situations sociales, physiques et psychologiques. Les pensées
catastrophiques entraînent une boucle cyclique dysfonctionnelle d'anxiété et
de panique. La peur de la peur (en fait peur de la réapparition de la panique)
conduit à l'évitement des situations. Les pensées subjectives agoraphobiques
catastrophiques apparaissent dans des contextes qui associent d'autres
caractéristiques qui interagissent avec les cognitions du sujet : une sensibilité
à la séparation (anxiété de séparation), une vulnérabilité familiale à l'anxiété
(avec modeling ou apprentissage par imitation), une faiblesse de l'affirmation
de soi (assertivité), une difficulté à nommer les causes des sensations
inconfortables, des niveaux élevés d'anxiété sociale, des relations de
dépendance et de domination par les autres, une insatisfaction dans les
relations avec l'entourage, une tendance à l'évitement des conflits.
Pour ces praticiens des TCC, l'approche thérapeutique peut être fondée sur
deux niveaux : la thérapie des attaques de panique et celle de l'agoraphobie
proprement dite. En préalable, l'analyse fonctionnelle de l'agoraphobie
permet de préciser les conditions de déclenchement et de maintien de
l'évitement (moment, fréquence, intensité, résultats obtenus sur les proches et
l'environnement social), le type de relations (dépendance/indépendance), les
comportements moteurs et verbaux résultants de l'anxiété, les pensées,
images mentales et schémas qui s'y rattachent, notamment les croyances
irrationnelles et les autoverbalisations négatives. La thérapie proposée peut
être l'exposition in vivo, toujours difficile et dont les résultats sont incertains.
Les interventions sur les schémas s'avèrent efficaces.
Les attaques de panique sont, depuis les travaux de D. Klein, considérées
comme accessibles aux antidépresseurs. Mais les approches cognitives
(André) ont aussi proposé une méthode reposant, pour le patient, sur
plusieurs principes : accepter la dimension psychologique du trouble panique,
repérer les premiers signes de l'angoisse, comprendre comment la peur
fonctionne (ce qui permet de ne pas faire augmenter la panique par son
propre affolement), apprendre des techniques de contrôle respiratoire (pour
limiter l'hyperventilation), rester dans la situation pour ne pas cautionner le
danger, casser la spirale panique, se débarrasser du traumatisme : exposition
en imagination (repenser à ce qui s'est produit, dans le détail, pour attribuer la
peur à ce qui lui revient), provoquer soi-même les symptômes physiques,
reconquérir le territoire, se confronter.
4.1. Présentation
4.2. Clinique
Les sujets sont préoccupés par leur gêne, craignent que les autres les
jugent, les trouvent anxieux, « dérangés » ou stupides. Ils craignent qu'on
remarque le tremblement de leurs mains ou de la voix, de passer pour
quelqu'un d'incapable de s'exprimer. Ils éprouvent presque toujours des
symptômes anxieux dans la situation sociale redoutée ; dans les cas sévères,
ces symptômes correspondent à ceux d'une attaque de panique. Il peut exister
un cercle de rétroaction : anticipation-cognition anxieuse-mauvaise
performance-gêne et augmentation.
Louise, 24 ans : « J'arrive dans une pièce, je sens qu'on me regarde, pas très positivement, j'ai
l'air gauche, godiche… en tout cas si je ne le suis pas, je le deviens rapidement… je n'arrive pas
à penser qu'ils sont indifférents… je suis sûre qu'ils guettent mon moindre impair pour se foutre
de ma poire… Je sens que la peur qui était là ne fait que croître… dès que quelqu'un m'adresse la
parole je me raidis, je sens que j'ai chaud, je dois être écarlate… je vois sur son visage qu'il pense
“mais quelle gourde”. Je cherche un visage rassurant mais je n'en trouve pas… j'ai l'impression
que tout le monde m'est hostile… je panique de plus en plus et je pars… Après je m'en veux ; je
me dis que je suis nulle. J'ai honte et je me dis que ce n'est plus la peine d'aller me coller dans
des situations pareilles ».
4.3. Psychopathologie
Interprétations psychanalytiques