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Introduction

1 - Le noyau des phobies


1. Histoire du florilège phobique

2. Clinique(s) de la phobie

3. Visages de la phobie

2 - Classifications
1. Les classifications psychiatriques

2. Classifications psychanalytiques

3 - Théories générales de la phobie


1. Les conceptions freudiennes

2. Les conceptions postfreudiennes

3. Les conceptions comportementales

4. Les conceptions cognitivo-comportementales

4 - Analyse de certaines classes de phobies


1. La phobie chez l'enfant

2. Les phobies spécifiques

3. L'agoraphobie

4. Les phobies sociales, l'anxiété sociale


Conclusion : Angoisse, peur, phobie

Bibliographie
© Armand Colin, 2009
978-2-200-24522-1
Dans la même collection
ANAUT M., La résilience, 2e éd.
BARTHÉLÉMY S. et BILHERAN A., Le délire
BÉNONY C. et GOLSE B., Psychopathologie du bébé
BÉNONY H., L'examen psychologique et clinique de l'adolescent
BÉNONY H., Le développement de l'enfant et ses psychopathologies
BILHERAN A., Le harcèlement moral
BLANCHET A. et TROGNON A., La psychologie des groupes, 2e éd.
BRÉJARD V., BONNET A., L'hyperactivité chez l'enfant
BOURGUIGNON O., La déontologie des psychologues
CHARRIER P. et HIRSCHELMANN-AMBROSI A., Les états limites
CORDIER F. et GAONAC'H D., Apprentissage et mémoire
DELAROCHE P., L'adolescence. Enjeux cliniques et thérapeutiques
FERNANDEZ L. et LETOURMY F ., Le tabagisme. De l'initiation au sevrage
GIFFARD M. et MORAL M., Coaching d'équipe
GRAZIANI P. et SWENDSEN J., Le stress
GRAZIANI P., Anxiété et troubles anxieux
GUENICHE K., Psychopathologie de l'enfant, 2e éd.
HAOUZIR S. et BERNOUSSI A., Les schizophrénies
HARDY-BAYLÉ M.-C., Le diagnostic en psychiatrie
HARRATI S., VAVASSORI D., VILLERBU L. M., Délinquance et violence
MICHEL A., Les troubles de l'identité sexuée
MORAL M. et ANGEL P., Coaching, 2e éd.
MORAL M. et HENRICHFREISE S., Coaching d'organisation
PEDINIELLI J.-L. et BERNOUSSI A., Les états dépressifs
PEDINIELLI J.-L. et BERTAGNE P., Les névroses
PEDINIELLI J.-L. et FERNANDEZ L., L'observation clinique et l'étude de cas
PEDINIELLI J.-L. et GIMENEZ G., Les psychoses de l'adulte, 2e éd.
PEDINIELLI J.-L., Introduction à la psychologie clinique, 2e éd.
PIRLOT G. et PEDINIELLI J.-L., Les perversions sexuelles et narcissiques, 2e
éd.
TARDIF C. et GEPNER B., L'autisme, 2e éd.
VANIER A., Éléments d'introduction à la psychanalyse
Conception de maquette intérieure : Atelier Didier Thimonier
Internet : http ://www.armand-colin.com
Introduction
Les phobies sont à l'honneur : chacun a peur de quelque chose et l'angoisse
est le lot commun de la société postmoderne. Les phobies, ces « peurs d'un
objet ou d'une situation », représentent une forme particulière de « l'économie
de l'angoisse », réponses quasi automatiques mais pourtant symptômes
extrêmement subtils, tant par les composantes qu'elles mettent en œuvre que
par leurs formes et leurs conséquences. En grec ancien, phobos c'est la peur,
la crainte, mais, surtout, une figure mythologique. Dans Homère, on retrouve
aux côtés d'Ariès, dieu grec de la Guerre, deux écuyers « Deimos » (la
terreur) et « Phobos » (la crainte). L'astronomie a suivi cette voie en
nommant les deux satellites de la planète Mars (dieu romain de la Guerre),
Phobos et Déimos. Cette curieuse opposition préfigure celle que feront des
psychiatres comme Donald Klein entre phobie et panique.
La phobie est une réalité clinique, une forme de trouble anxieux souvent
désignée comme « une peur persistante, injustifiée, irrationnelle d'un objet
(ex. un animal), d'une situation (ex. la foule) ou d'une activité (par ex. parler
en public) qui déclenchent, lorsque le sujet y est confronté, une poussée
d'angoisse paroxystique. Il cherche à éviter ces objets, situations, activités et
conséquemment la terreur (panique) qu'ils engendrent ». La phobie a de
multiples formes, parfois très spécifiques (peur de tel type d'oiseau par
exemple), que les auteurs ont tenté de regrouper dans de grandes catégories :
agoraphobie, phobies simples ou spécifiques, phobies sociales… Elle
n'épargne d'ailleurs pas les grands hommes : Darwin et sa phobie des
serpents, Freud et sa « sidéro-dromophobie » (voyages en train).
La phobie, pourtant ensemble de pensées et de mécanismes complexes, est
souvent considérée comme un symptôme (au sens médical comme au sens
psychanalytique), c'est-à-dire qu'elle peut apparaître de manière isolée ou
bien comme un élément d'une maladie ou d'une organisation pathologique.
Elle n'impliquerait évidemment pas la même chose selon qu'elle est, par
exemple, un symptôme coexistant avec une organisation hystérique, ou un
des éléments d'une névrose phobique ou bien un trouble isolé. Étudier la
phobie nécessite alors que soit explicitée, non seulement son architecture,
mais aussi la place qu'elle occupe dans un trouble plus général (perspective
structurale) ou les liens qu'elle entretient avec d'autres troubles (comorbidité).
Or il n'en va pas de même de considérer qu'une phobie exprime le retour du
refoulé et de dire qu'il existe une comorbidité avec l'alcoolisme, par exemple,
ce dernier servant à lutter contre l'angoisse en cas de rencontre avec le
stimulus.
Les différentes conceptions de la psychopathologie et de la psychiatrie ont
proposé des théories de la phobie en utilisant leurs logiques qui n'aboutissent
pas aux mêmes conclusions. Pour certaines, l'important est la phobie en elle-
même, pour d'autres elle exprime quelque chose qui est, en quelque sorte, son
déterminant : pour la psychanalyse, la phobie est une formation de
l'Inconscient, pour les théories comportementales elle est produite par
conditionnement. Il s'ensuit que les thérapeutiques divergent totalement :
écouter un sujet dont la phobie disparaîtra à l'issue de son interrogation sur
son désir, la guérison venant de surcroît comme le dit Freud, n'a rien de
commun avec une thérapie cognitive et/ou comportementale de traitement du
symptôme et des traits de personnalité qui l'accompagnent. Entre les théories,
la notion est la même, mais représente-t-elle le même phénomène ?
Nous présenterons ici les différentes conceptions de la phobie, mais nous
pensons qu'au-delà de différences radicales entre les écoles, il faut se
représenter la phobie comme une conséquence de l'angoisse non élaborable,
non verbalisable, une angoisse sans nom, psychiquement destructrice à
laquelle elle apporte une tentative de solution – certes pathologique en la
canalisant sur un objet, une situation, représentables, verbalisables,
implicitement maîtrisables. Mais elle est secondairement productrice de
pensées, de comportements, d'investissements qui provoquent à leur tour des
inhibitions, enfermements, relations de captation… Elle est bien, à ce titre,
une tentative manquée de guérison et une économie qui limite les
investissements, le travail psychique, plus qu'elle ne s'ouvre à l'extérieur.
Nous défendons en outre l'idée que, au-delà de sa genèse psychologique
voire de ses substrats biologiques, la phobie est, comme la dépression, une
« pathologie actuelle » et « une maladie de société ». Non seulement elle
retranche l'individu des rapports aux autres – qui finissent par se limiter à
l'objet contra-phobique, aux proches et aux soignants – mais surtout, elle
reflète bien le drame de l'homme de la société postmoderne, toujours menacé,
en rupture entre ses identifications, doté d'une individualité qui lui rend les
choix et les décisions difficiles. L'angoisse surmoïque semble être dépassée
par l'angoisse narcissique, celle de ne pas savoir qui l'on est, où l'on est et
avec qui l'on est. Alors que notre société postmoderne prône l'individualité et
le libéral, elle rend les individus de plus en plus dépendants, toujours sous le
regard – réel ou virtuel – d'une autorité anonyme : les individus, expropriés
de leur corps et de leur subjectivité, sont le support, considérés comme
responsables – y compris au sens juridique – d'actes quotidiens qui échappent
à leur contrôle (multiples « assujettissements » aux règlements, requêtes,
injonctions dans lesquels le sujet n'a aucun choix mais subit les
conséquences). Mais la « question sociale » de la phobie invite à réfléchir sur
les multiples phobies collectives que la société a engendrées (phobie de ce
qui est différent : l'étranger, l'autre sexe, l'autre genre, l'autre orientation
sexuelle…) qui apparaissent comme des réponses à la défaillance des
symboles, sorte de point d'ancrage pour éviter le trou, le vertige, le mal-être
engendré par la corruption des symboles sociaux et culturels. De plus en plus
de relations aux objets matériels, de communications virtuelles, de moins en
moins « d'humain » (au sens de ce qui est du registre de l'homme et non du
matériel) engagent la souffrance vers l'agoraphobie, la phobie simple et la
phobie sociale : la peur des autres, de la foule, de l'espace et des objets.
1

Le noyau des phobies

1. Histoire du florilège phobique

Si le terme « phobie » remonte à l'Antiquité, son usage pour désigner une


entité pathologique et « l'invention » de celle-ci remontent au XIXe siècle.
Comme souvent en psychiatrie, le phénomène était décrit ici ou là, mais le
concept n'apparaissait pas et le trouble n'était pas isolé des autres. On
retrouve ainsi des cas s'apparentant aux phobies chez Hippocrate, Burton
(1621), Camus (1769), mais c'est à la fin du XIXe siècle que l'on isole
certaines formes particulières : l'agoraphobie de Westphal (1871), la
claustrophobie de Ball (1879), l'éreutophobie de Pitres et Régis (1896). On
retrouve aussi chez Benedict, chez Griesinger, chez Legrand du Saulle
(1878), des cas de la peur des espaces.
L'évolution du concept de « phobie » passe d'abord par sa différenciation
d'avec les manifestations délirantes décrites à l'époque (« manie sans délire »,
« folie lucide », « monomanie »…), puis par la distinction des obsessions, par
l'usage isolé (et non plus comme radical dans des termes comme agoraphobie
ou claustrophobie) du mot « phobie » (vers 1880), et, enfin, plus proche de
nous, le dégagement dans certaines conceptions psychiatriques de la
« névrose phobique » ou de « la phobie » (au singulier cette fois) comme
paradigme psychopathologique, notamment en psychanalyse [cf. la
distinction de Birraux (1994) entre phobie-structure et phobie-symptôme]. Le
discours psychopathologique est ainsi passé de la description de formes
cliniques à la production d'une théorie élaborée d'un processus – « la phobie »
– radicalement différent, tant du point de vue descriptif que
psychopathologique, de l'obsession (idée qui s'impose au sujet et dont il
reconnaît le caractère pathologique) et du délire (croyance en une idée
erronée, en opposition avec la réalité ou l'évidence). Le débat entre théories
psychanalytiques et théories cognitives et/ou comportementales des phobies
ne remet pas en cause cette unité, même si ces dernières s'attachent à décrire
de nombreuses formes cliniques de phobies.
Au XIXe siècle les premières théories des phobies restent dépendantes des
conceptions traditionnelles de la dégénérescence mentale, de la
« constitution » soutenant son apparition, de la nervosité, de l'hyperémotivité.
Beard, le créateur de la « neurasthénie », évoque l'anxiété diffuse, généralisée
et fait une distinction entre les pantophobies (peur de tout) et les
monophobies. Avec Freud (1895), avec Janet (1903), les phobies prennent
leurs spécificités, à la fois dans leur description et dans leur interprétation.
Freud développe une théorie de la phobie fondée sur le modèle de la
névrose [conflit – refoulement – déplacement de l'angoisse sur une
représentation (phobogène) – évitement]. Si, en 1895, les phobies
apparaissaient comme des manifestations de la névrose d'angoisse (névrose
actuelle), la thèse de la phobie comme « hystérie d'angoisse » devient
rapidement dominante.

Par « hystérie d'angoisse » (terme dû à Stekel), il faut entendre une névrose de transfert dont
le noyau est la phobie et qui fonctionne comme l'hystérie de conversion : le refoulement sépare
la représentation refoulée et l'affect qui est libéré sous forme d'angoisse, elle-même
secondairement liée à une autre représentation (phobie). Ce modèle qui met en avant l'angoisse
de castration est nettement perceptible dans le cas du petit Hans (1909), puis dans l'homme aux
loups (1918) et remanié dans la seconde topique avec l'analyse proposée dans Inhibition,
symptôme et angoisse (1926). Les successeurs de Freud s'orienteront dans la même direction :
– la phobie répond au mécanisme de la névrose de transfert (A. Freud, M. Sperling) ;
– discussion sur la nature de l'angoisse (angoisse de castration ou retour d'angoisses
archaïques, angoisse liée aux pulsions prégénitales avec une défense primitive par la projection
(M. Klein), résurgence de l'angoisse du 8e mois ou des terreurs nocturnes pour les auteurs
américains) ;
– mise en évidence de la fonction défensive de la phobie qui localise l'angoisse ;
– discussion autour de l'unité diagnostique de la phobie (Greenson, Brenner), ce qui revient à
se demander s'il existe une structure phobique et non pas des phobies coexistant avec n'importe
quelle organisation pathologique. Le séminaire de Lacan sur les relations d'objet (1956-1957),
viendra, d'une manière très originale, fournir une autre représentation, celle de la phobie comme
« plaque tournante ».

Janet, dans Les obsessions et la psychasthénie (1903), décrit des phobies. Il


propose de les classer en quatre groupes dont trois se retrouvent dans le
DSM : phobies des fonctions corporelles, en fait phobie de perdre une
fonction corporelle (marcher, parler, voir, écrire), phobies des objets
(contact), phobies des situations physiques (espace, vide) et phobies des
situations sociales (éreutophobie, situations sociales), phobie des idées (être
enterré vivant, émettre un blasphème). Pour Janet, dans sa conception
hiérarchisée du psychisme, la cause (étiologie) de la phobie est à chercher
dans la baisse de la tension psychologique (phénomène supérieur) qui laisse
apparaître des phénomènes psychiques inférieurs et qui se traduit par une
« inquiétude excitante » et des « agitations émotionnelles forcées à forme
systématique ». La phobie permet une dérivation de l'action que le
relâchement psychique ne permettait pas : elle est une agitation caractérisée
par une inadaptation à la réalité. Certaines de ses conceptions sont reprises
par les travaux actuels, notamment sur l'anxiété sociale.
Watson, l'inventeur du béhaviorisme, et Rayner réussissent en 1920 la
création expérimentale d'une phobie chez le petit Albert (11 mois) : en
associant un bruit angoissant à la présentation de son animal favori, ils
déclenchent des réactions de peur à la vue du jouet. L'idée d'un apprentissage
de la phobie est née et constitue le point de départ des conceptions
comportementales puis cognitives de la phobie qui demeurent le modèle de
référence à partir duquel se constitueront les théories des autres troubles.
D'emblée la position de Watson est totalement différente de celle de Freud.
L'évolution des théories de la phobie dépend en grande partie des
conceptions de l'angoisse ou de l'anxiété (phénomène physiologique ou
psychologique), de l'opposition entre le paradigme de l'apprentissage et celui
de l'Inconscient, mais aussi de la description de multiples formes de phobies
et de leur statut particulier. Ainsi les travaux sur l'agoraphobie (peur des
espaces) renouvellent, à partir des années 1970 (Marks), les points de vue
théoriques, notamment à cause de la découverte des « attaques de panique »
(Donald Klein) qui sont une autre forme de troubles anxieux. Les travaux
vont, pendant cinquante ans, se centrer sur de multiples classes de phobies :
agoraphobie, phobies simples, phobies sociales, phobies scolaires,
dysmorphophobies… en leur appliquant des conceptions béhavioristes ou
analytiques. Mais à partir des années soixante, apparaissent des débats qui
tentent de scinder l'agoraphobie des autres phobies. Pour Donald Klein,
pharmacologue, il existe un lien entre « panique » (crise d'angoisse) et
agoraphobie, la panique étant à l'origine de l'agoraphobie, de l'évitement et
des dépressions secondaires. Il oppose l'anxiété anticipatoire (anxiété
généralisée) et l'anxiété aiguë (avec accès d'angoisse comme le trouble
panique) qui serait plus liée à des phénomènes biologiques et sensibles aux
antidépresseurs. Marks, théoricien des phobies, notamment des phobies
sociales, n'est pas d'accord sur le lien entre panique et agoraphobie formulé
par Klein. Pour lui, il existerait une agoraphobie primaire sans panique. Pour
spécialisé que soit ce débat, il exprime très directement le conflit entre le
réductionnisme biologique représenté par Donald Klein et le point de vue
psychologique comportementaliste de Marks. En effet si l'agoraphobie est un
trouble lié aux attaques de panique, elles-mêmes sensibles aux
antidépresseurs, des conclusions rapides pourraient en être tirées sur
l'étiologie biologique de l'angoisse, des phobies et la détermination du
psychique par le biologique.
Où en sommes-nous maintenant ? La psychanalyse, avec ses différents
paradigmes (lacaniens, kleiniens, Ego-Psychology…), fait de la phobie un
symptôme de l'angoisse qu'elle permet de lier, de limiter. Ainsi son sort est-il
associé aux conceptions de l'angoisse en psychanalyse, à sa fonction
structurante. Mais le statut de la phobie dépend aussi de celui du symptôme :
elle dit quelque chose du passé, du conflit, du désir, de la rencontre avec la
castration. À ce titre, elle occupe une place particulière et la psychanalyse ne
se fixe pas pour objectif de guérir la phobie, mais d'aider le sujet à
comprendre son sens et, peut-être, à dire autrement. Pour Freud, « la guérison
vient de surcroît à l'analyse » : elle ne se décrète pas.
À cette perspective psychanalytique plus ancienne, s'opposent les
conceptions biologiques de l'angoisse et les conceptions cognitivo-
comportementales qui voient dans la phobie un comportement appris,
maintenu par des renforcements. L'anxiété génère des attitudes, des schémas
de pensées qui produisent et maintiennent la phobie qui limite l'existence de
la personne. Ce courant est actuellement très développé et en conflit majeur
avec le paradigme psychanalytique.

2. Clinique(s) de la phobie

Même si le terme désigne des situations très diverses, même si le choix de


la « peur » comme vecteur dominant de ces troubles peut être discuté sur le
plan psychopathologique à cause de son aspect excessif, « sur-inclusif » et de
sa dimension systématique, toutes les phobies présentent des caractéristiques
communes :

Peur excessive d'un objet ou d'une situation avant la confrontation (l'objet et la situation sont
donc « imaginés » ; ex. : si je pense à une araignée, je ressens des manifestations de peur même
si je n'en vois pas devant moi). Il s'agit de phénomènes d'anticipation.
Clinique : Fred, 24 ans, nous dit : « je panique devant le sang, le mien, celui des autres, les
piqûres, les prises de sang… tout ça. Rien que de le dire et d'y penser je me sens mal. Quand on
doit m'en faire une, j'ai peur de tomber dans les pommes, je m'évanouis à chaque fois. Alors je
fais l'impossible pour éviter tout ça… j'y pense des jours avant… j'ai peur, je n'en dors pas et, à
chaque fois, syncope… ».
Réaction d'angoisse massive en cas de confrontation. Utilisation de l'évitement ou de la fuite
(ex. : j'évite les lieux où il y a des araignées ou bien, si j'en vois une, crise d'angoisse et fuite.
Pour éviter à temps, je me focalise sur tous les signaux de danger et j'interprète négativement les
situations).
Clinique : Fred : « je ne regarde pas les émissions médicales, les informations sur les
guerres, les films de guerre ou d'horreur… sinon je tourne de l'œil. Je fais un détour pour ne pas
passer devant les hôpitaux et les cliniques et je fais attention aux magazines… le blanc, je crois
voir une blouse blanche ».
Après la rencontre ou l'évitement, présence de souvenirs des éléments angoissants, de
sentiments de dévalorisation, de honte, d'idée de vulnérabilité pour les prochaines rencontres.
Clinique : Fred : « j'ai failli m'évanouir au repas de famille quand ils ont commencé à
raconter leurs opérations et les accouchements… j'ai l'air d'une andouille avec mes 100 kg...
mais c'est comme ça, j'ai horreur de ça mais je repense aux fois où je suis parti avant une prise
de sang… à l'impossibilité de rendre visite aux gens hospitalisés et je me dis que je suis un gros
nul… mais ça ne change rien ».

La phobie est une peur persistante, injustifiée, irrationnelle, d'un objet,


d'une situation ou d'une activité qui déclenchent, en cas de confrontation, une
poussée d'angoisse : telle est la définition que nous avons donnée en
introduction. Les mots changent d'un auteur à l'autre, mais la description reste
identique. Dans les phobies, l'angoisse n'apparaît que lorsque le sujet est mis
en présence – concrète ou imaginaire – de l'objet dit « phobogène » ou
« phobique ». La plupart des auteurs s'accordent sur le fait que la phobie est
associée à des conduites d'évitement, de fuite devant l'objet et à des conduites
de réassurance (utilisation de quelqu'un comme « objet contraphobique » par
exemple). Dans certains cas, le phobique utilise la confrontation (fuite en
avant) avec une hyperactivité, voire l'affrontement délibéré avec une attitude
de défi. Cette conduite peut alterner avec l'évitement dans une suite de
rapprochements et de distanciations par rapport à l'objet ou à la situation
phobogène.

Valérie se plaint de ressentir une « terreur folle » lorsqu'elle est confrontée à un serpent, qu'il
s'agisse de l'animal réel ou de sa représentation visuelle (films, dessins…). Le mot même
déclenche chez elle une situation d'angoisse. Lors d'une promenade, elle pense avoir aperçu une
couleuvre qui a traversé le chemin. Elle est restée tétanisée, immobile. Mais comme d'autres
phobiques elle ne peut s'empêcher de regarder certaines images où apparaissent des serpents ;
elle se décrit comme dégoûtée, angoissée, tétanisée et… fascinée.
Anh a peur en avion et affronte le voyage grâce à une dose légère de tranquillisant, pourtant
elle se sent poussée à regarder par le hublot, attirée par le vide… à la fois effrayant et fascinant.
Les analystes évoqueront l'ambivalence à propos de cette fascination-répulsion.

2.1. La panique

La plupart des phobies ont été précédées par la survenue – isolée ou en


présence de l'objet – d'une crise d'angoisse, d'une « attaque de panique ».
Précisément, c'est le resurgissement de cette attaque que redoute le sujet
confronté à l'objet phobogène ; c'est d'elle, de cette panique, que la phobie le
protège. Les manifestations « objectives » de cette angoisse – inaugurale ou
expérimentée lors de la rencontre avec l'objet – ont été maintes fois décrites :
sensations de crainte ou de malaise intenses, dans lesquels sont survenus de
façon brutale des palpitations, des battements de cœur ou une accélération du
rythme cardiaque, une forte transpiration, des tremblements ou secousses
musculaires, une sensation de « souffle coupé » ou une impression
d'étouffement, une sensation d'étranglement, une douleur ou une gêne
thoracique, des nausées ou une gêne abdominale, des sensations de vertige,
d'instabilité, de tête vide ou une impression d'évanouissement, une
déréalisation (sentiment d'irréalité) ou une dépersonnalisation (être détaché
de soi), la peur de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou, la peur de
mourir, des paresthésies, des frissons ou des bouffées de chaleur. Cette
description recoupe les critères du DSM-IV.
L'analyse de la subjectivité, du vécu, de l'expérience, de la victime est
moins fréquemment fournie. Les mots de nos patients sont évocateurs du
vécu corporel, de la perte de l'unité de soi, de la solitude : « c'est comme un
malaise, mon cœur bat bizarrement, je le sens qui s'emporte, il tape dans la
poitrine… je tremble, j'ai à la fois si chaud et si froid, mes bras, mes jambes
sont lourdes… la vie et le sang semblent quitter mon corps… j'ai la tête qui
tourne, l'impression que le sol se dérobe sous moi, je vais tomber dans un
trou, dans le vide, ou m'évanouir… je tiens à peine debout… je n'ai jamais
rien connu d'aussi fort et brutal, je sens mon corps se raidir, j'ai très peur, je
ne comprends pas ce qui m'arrive ».
La perte de l'unité de soi est évoquée : « il me vient des idées bizarres, des
images désagréables », « et si je devenais fou… si je me mettais à crier,
paniquer, hurler devant les autres, si je me mettais à supplier qu'on me laisse
sortir… j'ai la conviction que je vais mourir ou devenir fou… tout m'échappe,
je suis en train de perdre le contrôle de moi-même ; et si c'était grave, et si ça
n'allait pas s'arrêter ? » Souvent la déréalisation, la dépersonnalisation
ressenties expriment « l'impression que ce qui arrive est irréel, que je suis le
témoin extérieur de ce qui m'arrive, comme sorti de moi-même, comme
regardant, dédoublé en quelque sorte ».
Le sentiment de solitude est souvent mentionné, avec, parfois, ses
paradoxes (« je me sens désespérément seul, moi qui ai peur de la foule »).
Comme le dit Assoun : « Tout dans la panique est en place de la scène
primitive phobique : il y a bien affect de peur envahissante, sentiment d'un
danger accompagné d'une épreuve d'intense solitude et de sauve-qui-peut.
Qu'il soit seul pendant l'attaque ou au contraire cerné par une foule, le sujet,
en ce moment, est au creux de la plus intense solitude. Comme s'il était passé,
tout à coup, sur une autre scène » (2005, p. 27). Envahie par la frayeur, au
bord de la destruction de soi-même, en proie à une solitude ressentie tant
comme abandon que comme confrontation à soi-même, telle est l'expérience
douloureuse que la phobie tente de maintenir à l'écart au prix de l'élection
d'un objet ou d'une situation au rang de menace angoissante. Demi-victoire
certes, mais la frayeur est évitée.

2.2. La phobie

_ L'angoisse devenue peur. La phobie exprime très directement cette


frayeur, cette panique incompréhensible, mais en lui donnant une forme, un
contenu. Si la panique, terme construit à partir du dieu Pan (dieu des bergers
dont la vue déclenchait une mortelle frayeur, dieu libidineux dont la vue était
synonyme de mort), est bien ce dont la phobie protège, alors la rencontre
avec l'objet ou la situation deviennent la cause d'une peur insoutenable mais
assignable à quelque chose. Si l'angoisse est une « peur sans objet », la
phobie est une angoisse localisée dans un objet, une situation : « avant avec
mes paniques je ne savais pas de quoi j'avais peur. Maintenant je le sais… De
la foule, des lieux, des gens. Tant que je n'y suis pas, tant que je n'y pense
pas, ça va… Le tout est de ne pas y penser… Du coup plus de télé, de films à
la maison… Les livres c'est moins angoissant, c'est moi qui invente le monde,
pas lui qui se précipite sur moi par l'image » disait un jeune patient dont
l'angoisse n'avait pas altéré la clairvoyance.
Mais cet apparent équilibre ne va pas de soi : dans l'idéal le sujet aurait
réussi à déplacer sa frayeur, son angoisse sur un objet qu'il suffit de ne pas
rencontrer pour vivre dans la quiétude. Mais l'angoisse semble têtue, à moins
que ce ne soit le sujet : pour s'en protéger, il la « cherche » : surveillance de
l'environnement, interprétation systématique, édification de scènes
angoissantes, fascination.
_ Un regard, un mot… et la peur. En effet, en dehors de toute présence de
l'objet ou de la situation, le sujet focalise son attention sur tout ce qui peut
être en relation avec la phobie : il passe en revue l'entourage à la recherche de
ce qui peut être angoissant, repère très vite ce qui peut être dangereux,
s'alarme immédiatement devant des éléments ambigus en se laissant déborder
par la peur. Les dimensions émotionnelle et imaginaire se rejoignent dans la
production de scénarios catastrophes, de scènes dangereuses mettant en
présence le sujet et tout ce qui peut découler de la situation, la peur
submergeant le drame. Parfois, fait hautement significatif, ce n'est ni la
rencontre visuelle avec l'objet phobogène, ni même son image
(représentations, figurations internes ou externes) mais le mot (le signifiant)
qui déclenche l'angoisse : comme un adolescent à la recherche des mots
sexuels dans un livre, le phobique est à l'affût des « mots de la phobie », les
redoutant et les cherchant tout à la fois : le symbolique est alors le
déterminant de la conduite phobique. Enfin, le vertige de la frayeur se
soutient de cette double fonction du regard : vigilance et fascination. Bien
que la vue de l'objet suscite la frayeur, le phobique ne peut s'empêcher de
guetter son apparition, d'un regard toujours plus vigilant et ne peut
s'empêcher de le regarder : captivation, délectation angoissée, fascination…
L'objet, la situation redoutés attirent.
_ Éviter et anticiper. Évidemment, ce qui caractérise le phobique ce sont
les stratégies d'évitement qui permettent de prévenir, d'éviter la confrontation
avec l'objet ou la situation redoutés. Il peut s'agir de comportements concrets
(conduites de détour, éviter tous lieux où l'objet pourrait se manifester) mais
aussi d'évitements plus subtils (d'images, de mots, de pensées, de regarder, de
lire, de réfléchir). Parfois, la confrontation est possible avec la présence d'un
« objet contra-phobique » qui, comme un fétiche, limite l'irruption de
l'angoisse… mais risque fort de rendre le sujet dépendant de lui. Ces
évitements s'accompagnent de pensées, de rationalisations et,
paradoxalement, renforcent la peur en maintenant une sorte de dépendance
anxieuse à ces conduits, à ces objets contra-phobiques.
_ La peur de la peur. La phobie s'accompagne aussi de phénomènes
psychologiques plus constants qui ne se manifestent pas seulement lorsque la
situation ou l'objet redoutés risquent d'être rencontrés. Le sujet phobique
connaît une forme d'angoisse caractérisée par la « crainte d'avoir peur » qu'il
faut comprendre comme une crainte de la survenue d'un état de panique,
d'une frayeur, d'un effroi. Dans le même mouvement, le fait d'être angoissé
suscite de la honte comme si quelque chose de dégradant s'y exprimait sous le
regard des autres. Le monde extérieur, la nature, la société, les autres sont
dangereux, menaçants, générateurs de multiples scénarios dramatiques, le
sujet se sent impuissant, inefficace, dépourvu de toute confiance, ne pouvant
se fier à rien.

2.3. Conclusion

Les phobies se caractérisent par ce lien particulier établi entre un objet, une
situation ou une activité et la peur qu'ils engendrent. On a ainsi de multiples
possibilités de phobies que, au gré de l'histoire, on classera en catégories
distinctes à partir d'un opérateur : par exemple phobies simples, agoraphobie,
phobie sociale, ou bien phobies de situations, d'objets, d'animaux, phobies
sociales. Mais certaines réalités cliniques dont l'appellation comporte le mot
« phobie » (comme dysmorphophobie, phobie d'impulsion, impulsion
phobique) sont généralement classées dans d'autres groupes cliniques.
_ Une solution qui tourne à l'échec. En apparence tout paraît simple :
l'angoisse se focalise sur un objet ou une situation, ce qui laisse au sujet la
possibilité de vivre à condition de ne pas rencontrer l'objet ou la situation
angoissants et d'éviter la frayeur redoutée. En outre, des événements de vie,
souvent anciens, permettent de comprendre le lien entre l'angoisse et l'objet.
Pourtant, l'économie de l'angoisse est imparfaite : avant la confrontation le
sujet anticipe par des représentations ou des scénarios (augmentation de la
peur anticipée et du sentiment de vulnérabilité), pendant la confrontation, il
se focalise sur tous les indices de danger, réalise une lecture partiale du
monde extérieur et de ses sensations (il augmente donc la peur), après la
confrontation, il se remémore les éléments angoissants ou dévalorisants (ce
qui provoque honte, maintien du sentiment de dévalorisation et de
vulnérabilité) et appréhende la confrontation à l'objet phobogène.
En outre, sur le plan conceptuel, la nature des objets et des situations
diffère tellement qu'il est possible de s'interroger sur « l'unité » des phobies,
tant d'un point de vue expérientiel que psychopathologique. Les phobies
sociales, par exemple, sont-elles une peur des situations sociales ou du regard
de l'autre auquel est prêtée, de manière projective, une multiplicité de sens,
parfois contradictoires ? L'agoraphobie est-elle si proche des phobies simples
alors qu'elle entraîne une crainte de la perte d'identité ? Les phobies
historiquement déterminées (cf. le petit Hans) sont-elles comparables aux
phobies dépourvues de sens pour le sujet et, apparemment, déconnectées de
son histoire (phobies apprises) ?

3. Visages de la phobie

Le radical « phobie » est associé à de nombreuses situations cliniques, qu'il


s'agisse de l'usage médical (hydrophobie, photophobie…) ou de l'usage
psychopathologique (claustrophobie, agoraphobie…). On parle aussi de
« phobie de… » (hauteurs, sang…). Stanley Hall, au début du XXe siècle, en
avait dénombré 132 ! Mais on retrouve encore le phénomène sans que le
terme « phobie » apparaisse clairement (ex. : « peur pathologique »). À
l'inverse, il arrive que l'on retrouve le terme dans les locutions (« personnalité
phobique », « phobo-obsessionnelle ») qui désignent des réalités cliniques
plus vastes que la phobie. En revanche, certaines locutions comportant
« phobie » désignent des états qui n'appartiennent pas réellement au groupe
des phobies, soit parce qu'il s'agit d'états délirants (sitiophobie), soit parce
qu'il s'agit d'un usage métaphorique soulignant la peur et le rejet inspiré par
une situation : homophobie, xénophobie, lesbophobie…

3.1. Description des différentes phobies

Pratiquement tous les objets et les situations peuvent devenir supports


d'angoisse, ce qui a entraîné l'édification de classifications plus ou moins
heureuses fondées sur l'apparence et non sur les processus. On évoque ainsi
l'agoraphobie (peur des espaces mais aussi de la foule), la claustrophobie
(peur d'être enfermé), la phobie des maladies (nosophobie), l'éreutophobie
(peur de rougir), la pantophobie (peurs multiples), les phobies simples ou
spécifiques (objets ou situations clairement circonscrits comme les animaux,
le sang…), la cheimophobie (peur des orages), la cynophobie (peur des
chiens), l'arachnophobie (peur des araignées), l'hématophobie (peur du sang),
l'allourophobie (peur des chats), l'astrapéphobie (peur des éclairs), la
bronthémophobie (peur du tonnerre)… ! En détaillant, on peut rencontrer des
phobies d'animaux (serpents insectes, oiseaux, chiens, chats, requins…), des
phénomènes naturels, des orages, du tonnerre, des hauteurs (acrophobie), de
la profondeur, du noir, de l'eau, des transports (auto, avion, bateau, train…),
des tunnels, des ponts, des ascenseurs, du sang, des injections, des procédures
médicales, des accidents. Il y a encore les phobies liées à des situations
collectives ou interpersonnelles : peur de rougir (éreuthophobie), phobie de
parler et de se produire en public, phobie d'être regardé par les autres, de
manger ou de boire en public, d'écrire devant les autres, d'utiliser les toilettes
lorsque la présence du sujet y est connue. Le DSM-III avait même inventé la
catégorie « phobies sexuelles » (peur de ne pas pouvoir parvenir à une
réalisation sexuelle en présence d'un partenaire et de se disqualifier aux yeux
de ce dernier).
On imagine sans peine que la liste n'est pas limitative et qu'en outre,
plusieurs termes désignent la même réalité clinique selon qu'on met l'accent
sur tel ou tel aspect (par ex. la peur de parler en public est aussi la peur d'être
regardé, de rougir ou d'échouer…). Actuellement on distingue trois registres :
l'agoraphobie, les phobies simples ou spécifiques et les phobies sociales.

3.2. Usages complémentaires

Personnalité phobique ?

Au-delà des phobies, considérées comme des troubles limités, on retrouve


chez certains auteurs français l'idée d'une personnalité « phobique »
caractérisée par un retrait dans les relations interpersonnelles, des difficultés à
s'impliquer dans les liens affectifs, des craintes d'être exposé à la honte, au
jugement des autres. Le trait dominant de ce type de personnalité serait donc
l'inhibition à laquelle s'associeraient l'émotivité, la timidité, l'effacement
réservé, la crainte de la sexualité, l'évitement du contact avec autrui alors que
le désir d'un tel contact existe, la difficulté à aller vers les autres étant vécue
douloureusement. Cependant l'individualisation d'une personnalité phobique
faisant partie des personnalités pathologiques a été contestée (une telle classe
a été englobée dans le diagnostic de personnalité évitante des CIM-10, DSM-
III et IV qui met l'accent sur le retrait social et le sentiment de ne pas être à la
hauteur). La personnalité évitante se caractérise par une inhibition sociale,
des sentiments de ne pas être à la hauteur et d'hypersensibilité au jugement
négatif d'autrui :
– le sujet évite les activités sociales professionnelles qui impliquent des
contacts importants avec autrui, par crainte d'être critiqué, désapprouvé ou
rejeté ;
– réticence à s'impliquer avec autrui à moins d'être certain d'être aimé ;
– il est réservé dans les relations intimes par crainte d'être exposé à la
honte ou au ridicule ;
– il craint d'être critiqué ou rejeté dans les situations sociales ;
– il est inhibé dans les situations interpersonnelles nouvelles à cause d'un
sentiment de ne pas être à la hauteur ;
– il se perçoit comme socialement incompétent, sans attrait ou inférieur
aux autres ;
– il est particulièrement réticent à prendre des risques personnels ou
s'engager dans de nouvelles activités par crainte d'éprouver de l'embarras.
Elle concernerait 0,5 % à 1 % de la population générale et 10 % de la
population qui consulte.

M.D. est un étudiant de troisième cycle, âgé de 32 ans et célibataire, qui se présente à la
consultation parce qu'il se sent dans une impasse, tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie
amoureuse. Cela fait plusieurs années qu'il n'arrive pas à terminer sa thèse. Il a accumulé des
milliers de fiches. M.D. souffre d'une timidité maladive. Il a beaucoup de mal à entamer des
conversations avec des inconnus par crainte de dire une bêtise. Quand il est invité à une soirée, il
trouve généralement une excuse pour ne pas y aller. S'il se hasarde malgré tout à sortir, il se sent
mal à l'aise et gêné et il est sûr de rougir en permanence (éreutophobie). Il se sent habituellement
tellement anxieux et submergé par ces sentiments qu'il part avant d'avoir eu la possibilité de
parler à quelqu'un. Il a l'impression après cela d'être un idiot et est encore moins enclin à
accepter une prochaine invitation. Il est arrivé occasionnellement que M.D. ait une brève liaison
avec une femme, généralement quelqu'un qui lui avait été présenté par une connaissance
commune. Ces relations amoureuses finissent habituellement mal. Ses amies sont étonnées par sa
timidité sexuelle et se rendent compte qu'elles doivent prendre l'initiative. M.D. devient
généralement très embarrassé, il craint que sa performance ne soit pas à la hauteur et souffre
souvent d'éjaculation précoce.
M.D. est l'aîné de trois enfants dans une famille de la classe moyenne modeste. Sa mère
l'aimait comme la prunelle de ses yeux et le patient sentait qu'elle avait pour lui des ambitions
très élevées, voire hors de portée. Son père, par contre, est un homme très pieux, humble et
modeste dont les expressions favorites sont « personne n'a de raison d'être fier de soi » et « c'est
dégoûtant de faire ses propres éloges ». Malgré un ressentiment envers son père, M.D. est très
attaché à ses deux parents et à la chambre où il a toujours vécu. Il vit toujours chez ses parents et
passe une bonne partie de son temps libre avec eux.
Il semble que M.D. était un enfant assez agressif, espiègle et vigoureux jusqu'à ce que son
père le surprenne en train de déshabiller la petite fille des voisins et de jouer avec son voisin
quand il avait 5 ans. M.D. reçut une raclée mémorable et eut droit à un sermon mortifiant infligé
par le prêtre local. Plusieurs mois de rigoureux exercices de religion et d'autodiscipline lui
firent perdre son audace et son effronterie, il devint de plus en plus timide et fut déclaré guéri de
ses péchés. Il a toujours été évitant et est resté en deçà de ses possibilités depuis.
M.D. est intelligent et fin psychologiquement. Il dit spontanément que sa timidité et sa crainte
de la critique proviennent de la vigilance avec laquelle ses deux parents surveillaient son
comportement. Lorsque le psychiatre lui demande quelles conséquences cela a sur ses
performances sexuelles, il rit et dit : « J'ai toujours l'impression que mon père est en train de
regarder. » Il relate alors un rêve où il fait l'amour avec une femme sur la banquette arrière d'un
taxi jusqu'à ce que le chauffeur de taxi l'interrompe et prenne sa place dans les rapports sexuels.
Le patient est contraint de passer sur le siège avant et de regarder la scène d'amour dans le
rétroviseur. Il mentionne en passant que la femme est beaucoup plus âgée et pas vraiment belle.
(Tiré du DSM-IV, Cas cliniques, p. 279).
Névrose phobique ?

Le terme a été d'un usage courant (H. Ey, A. Hesnard, F. Perrier…) en


France, dans la période pré DSM-III. Il est sans doute moins fréquent
maintenant, mais il recouvre des réalités intéressantes, mêlant des
considérations sémiologiques et psychopathologiques. Poser le diagnostic de
névrose phobique nécessitait, d'une part, que les symptômes soient liés à un
processus névrotique et, d'autre part, que les phobies constituent le mode
d'expression privilégié de la souffrance névrotique. La première condition
renvoyait à la théorie psychanalytique et supposait l'existence de conflits
inconscients, entre désirs contradictoires ou entre désirs et interdits, conflits
dont les symptômes phobiques constitueraient une expression symbolique. La
deuxième condition supposait que les symptômes caractéristiques des autres
névroses structurées, hystérique ou obsessionnelle, soient au second plan. Le
tableau se compose donc de la présence prévalente (au premier plan) de
phobie(s), intégrée(s) à l'histoire et à l'organisation de la personnalité du sujet
et de traits de la personnalité phobique. Certaines formes de phobies, telle
que l'agoraphobie, se prêtaient moins que d'autres à un tel éclairage
psychanalytique et méritaient d'être classées dans la catégorie plus large des
états anxieux névrotiques ; dans ces cas, les symptômes ne peuvent être
considérés comme ayant une valeur symbolique mais représentent plutôt une
complication. On retrouvait ainsi l'opposition freudienne entre névrose de
transfert (l'hystérie d'angoisse pour les phobies) et névrose actuelle (pour les
phobies sans dimension symbolique).

Usages ambigus

Le terme « phobie » apparaît aussi dans d'autres formules, mais les


phénomènes qu'il désigne ne sont pas considérés comme appartenant à la
classe des phobies ; il s'agit d'un usage reposant plus sur des analogies de
formes que sur des identités de processus. La « phobie d'impulsion », la
« phobie scolaire », la « dysmorphophobie », la « sitiophobie »… sont des
exemples de cet usage : il y a bien peur d'un objet ou d'une situation mais les
mécanismes semblent différents.
La phobie d'impulsion ou impulsion phobique est littéralement la peur de
faire un acte « impulsif » c'est-à-dire non réfléchi, et dont la prise de
conscience ne viendrait qu'après le geste, contrairement à la compulsion où il
y a lutte. Pierre, par exemple, ne peut aller sur un balcon parce qu'il a peur
d'être poussé (impulsion) à se jeter dans le vide, représentation qui lui fait
peur (phobie) et qui le poursuit (obsession) ; il évite donc soigneusement
toutes les résidences (la sienne, celles des amies, les hôtels) dans lesquelles il
y a un balcon ou, plus généralement, les lieux élevés où il n'est pas protégé
par une vitre. Son trouble est intégré à une organisation obsessionnelle et est
apparu à l'adolescence alors qu'il a été témoin d'une tentative de suicide par
défenestration d'une femme dans l'immeuble d'en face. On retrouve ces
véritables obsessions dans les troubles obsessionnels mais aussi les états-
limites, les psychoses débutantes. Sur le plan psychopathologique, on ne peut
manquer de s'interroger sur le rapport entre le thème de cette obsession et le
désir du sujet : ce qui est craint serait-il ce qui est désiré (le sujet a-t-il peur
d'avoir envie de…) ? Notre séparation pédagogique doit toutefois être
tempérée par le fait que plusieurs exemples célèbres pris par des analystes
sont des phobies d'impulsion (le cas de F. Perrier, celui d'Aulagnier, Emmy
von N. de Freud…).

Une jeune femme qui travaille dans l'immobilier pénètre dans un appartement pour faire l'état
des lieux. L'appartement se trouve au 5e étage et une fenêtre est ouverte. Cette jeune femme a
peur du vide. Elle s'approche de la fenêtre et est alors saisie par l'angoisse de se jeter par cette
fenêtre. Il y a chez elle à la fois une « phobie du vide » préexistante et une phobie de l'impulsion
(phobie d'impulsion, impulsion phobique) à se jeter par la fenêtre, ce qui la terrorise. Mais à
d'autres moments, cette jeune femme est fascinée par la hauteur, même saisie d'un vertige, elle
jouit de cette position dans le vide, « moment d'angoisse et d'éternité », dit-elle. Elle n'a pas
d'idées suicidaires et paraît plus sujette aux mécanismes hystériques qu'à toutes autres formes de
pathologie.

La « phobie scolaire » semble désigner des situations de refus scolaire à


l'origine desquelles on postule une peur de l'école. Le terme suscite des
critiques. Il semble que cette situation clinique réelle puisse correspondre
aussi bien à une angoisse de séparation qu'à une anxiété liée au contexte
scolaire. Le DSM-IV la cite dans les manifestations de l'angoisse de
séparation, mais elle peut revêtir plusieurs formes (principalement sociales) et
avoir de multiples déterminants anxieux (agoraphobie ou phobies
spécifiques). Pour les comportementalistes, certains stimuli anxiogènes
comme la panique devant un devoir, la peur de la maîtresse, d'avoir des
reproches, de ne pas finir à temps… peuvent aussi être présents. L'anxiété
sociale est déterminante dans le refus scolaire : l'enfant qui éprouve de
l'anxiété face à des situations sociales de l'école (parler à des adultes ou
devant les autres, rougir, tomber devant tout le monde, se salir, être l'objet de
moqueries) peut utiliser une attitude d'évitement qui se généralise à toutes les
situations d'apprentissage. Des enfants souffrant de phobie scolaire peuvent
ainsi présenter de vraies difficultés d'apprentissage : dyslexie, dyscalculie,
dysorthographie. Enfin, les manifestations dépressives peuvent provoquer
une phobie scolaire ou la compliquer. Pour la psychanalyse, elle doit être
interprétée à partir de ce que symbolisent l'école, l'apprentissage, la relation
aux autres, à l'autorité, à l'effort : la névrose infantile est réactualisée par
l'école qui donne aux désirs, interdits et conflits de nouvelles représentations.
Plus que la réalité du phénomène clinique, c'est la disparité des mécanismes
qui limite la portée du terme « phobie scolaire ».
La dysmorphophobie ou « peur d'une dysmorphie corporelle », désigne la
préoccupation concernant un déficit imaginaire ou démesuré de l'apparence
physique. Si un léger défaut physique est apparent, la préoccupation est
manifestement démesurée. Le terme utilisé en 1891 par Morselli a d'abord
désigné un trouble du registre névrotique, puis il a fait l'objet de nombreux
développements (Kraepelin, Janet…) pour désigner une forme d'hypocondrie
et des troubles psychotiques. L'opposition « peur »-« certitude » est, sur le
plan psychopathologique, féconde. Il existerait une parenté de certaines
formes avec l'anxiété sociale mais le trouble est plus complexe. Il n'est
toutefois pas considéré comme psychotique.

Sally est une jeune femme de 23 ans qui accepte avec réticence d'aller voir un psychiatre
puisqu'elle pense ne pas en avoir besoin : « Mon véritable problème, dit-elle, ce sont ces
affreuses rides qui me barrent le front. » Elle montre alors du doigt les lignes que laissent les
froncements de sourcils, au-dessus de son nez ; le psychiatre, quant à lui, ne les trouve pas plus
prononcées que chez d'autres personnes de l'âge de Sally. « C'est affreux, n'est-ce pas ? Bien sûr,
je n'ai pas à être la plus belle fille du monde, mais je ne veux pas non plus être défigurée ! »
« C'est terrible. Tout le monde le remarque. Cela me fait paraître si vieille. Je ne suis pas sûre
que Joe trouve cela repoussant. Je ne sais pas ce que je ferais s'il me quittait. J'ai bien essayé de
bien me maquiller pour les dissimuler, mais ce n'est pas possible de cacher quelque chose
comme ça ! » Sa préoccupation pour son apparence n'a pas de répercussion sur sa vie
professionnelle, mais elle s'est mise à éviter les situations où elle peut rencontrer du monde,
parce qu'elle ne veut pas qu'on remarque ce défaut. Sally reconnaît que cela la rend malheureuse,
sans pour autant se sentir réellement déprimée. Pour le psychiatre, elle semble normale sauf la
préoccupation pour ce défaut physique, la croyance n'est pas pour autant délirante puisqu'elle
admet elle-même qu'elle donne à ce défaut une importance exagérée, elle évite des situations
sociales (mais ce n'est pas phobique) et il n'existe aucune anomalie physique ou une anomalie
bénigne. Il s'agit bien d'une dysmorphophobie (DSM III-R., Cas cliniques, p. 140).

Enfin, on connaît des usages métaphoriques : « sitiophobie » (peur d'être


empoisonné retrouvée chez les psychotiques), « autodysosmophobie »
(crainte obsédante d'être malodorant, d'exhaler des odeurs nauséabondes qui
importunent l'entourage), « dermatophobie » (peur d'atteintes cutanées
comme dans le syndrome d'Ekbom). Ces peurs sont souvent des
manifestations délirantes (Barthélemy Bilheran, 2007) ou prédélirantes.

3.3. Ne pas confondre

La phobie possède, du fait de la prévalence de l'angoisse, des parentés avec


d'autres troubles anxieux et, en tant que mode de relation aux objets, des
proximités avec certains phénomènes.

Formes d'angoisse

Il est classique de distinguer l'angoisse, la peur et l'effroi (ou panique).


L'angoisse (nous ne la différencions pas ici de l'anxiété) est définie comme
un sentiment pénible d'attente, une peur sans objet, la crainte d'un danger
imprécis, indéterminé. L'effroi – terme qui a préludé celui de « panique » –
est un état émotionnel provoqué par des dangers concrets et immédiats
auxquels le sujet est confronté brutalement et qui l'envahissent, « danger
auquel on n'était pas préparé par un état d'angoisse préalable » disait Freud.
Lorsque l'angoisse trouve un objet elle devient « peur », état lié à la
perception d'un danger présent. La phobie est donc une peur et l'on ne saurait
en parler s'il n'y a pas à la fois angoisse et objet support de celle-ci.

Distinctions avec les « troubles anxieux »


Bien que l'angoisse soit la caractéristique principale des phobies, celle-ci
est radicalement différente des autres manifestations de ce type que le DSM-
IV a répertoriées sous le terme « Troubles anxieux ». La phobie doit être ainsi
distinguée d'une attaque de panique (crise d'angoisse avec manifestations
physiques et psychiques), d'un état de stress (reviviscence anxieuse d'un
traumatisme), d'un trouble obsessionnel compulsif, d'une anxiété (ou
angoisse) de séparation, d'une idée délirante (croyance erronée en décalage
avec ce que montre la réalité).
Il reste que, dans la clinique psychiatrique, certaines peurs persistantes qui
semblent s'apparenter aux phobies sont en fait très différentes. On retrouve
aussi des conduites rappelant l'agoraphobie ou les phobies sociales dans les
délires chroniques ou les schizophrénies : isolement, opposition, négativisme,
repli sur soi… rationalisés en peur des espaces, peur du regard, peur de
parler… Il ne s'agit plus alors de phobies. En effet, dans les troubles
psychotiques, le type d'angoisse, la nature des objets ne revêtent pas la même
signification que dans les névroses. Parler de phobies, dans la schizophrénie
notamment, correspond souvent à un usage descriptif, le trouble possédant
d'autres significations (phobie des contacts sous-tendue par des idées
délirantes d'intrusion ou de persécution par exemple). De même est-il difficile
de faire la distinction entre nosophobie (peur des maladies), idées délirantes
de contamination et hypocondrie (certitude – anxieuse – d'être malade). Toute
peur d'un objet ou d'une situation ne peut donc être assimilée à une phobie.

Associations

Les phobies peuvent apparaître isolément, mais chez de nombreux patients


elles s'associent à d'autres troubles, qu'ils jouent un rôle dans leur genèse ou
bien qu'ils en soient la conséquence. Il existe une forte comorbidité entre les
phobies et les autres troubles anxieux, la personnalité évitante, mais aussi les
troubles de l'humeur. De même, on rencontre une association entre phobies et
utilisation de substances (alcool, tranquillisants, toxiques…) avec des
conséquences comme l'abus, la dépendance. Les phobies sont aussi
susceptibles d'entraîner de multiples handicaps (difficultés dans la vie
familiale, professionnelle, les loisirs), générer des problèmes sociaux et
financiers et un sentiment de déplaisir persistant ; le recours à des produits
anxiolytiques (licites ou interdits) ou euphorisants est une éventualité.
2

Classifications
Les discours psychiatriques (descriptifs) et psychopathologiques
(interprétatifs) proposent des classifications différentes qui ont évolué du fait
des modifications des principes directeurs de ces taxinomies.

1. Les classifications psychiatriques

1.1. Le DSM

Le DSM-IV-TR, classification syndromique fondée sur la sémiologie et les


associations de troubles, distingue les phobies à partir de leur objet en les
regroupant en 3 catégories : l'agoraphobie, les phobies spécifiques et la
phobie sociale (« Trouble anxiété sociale »). Il isole ainsi l'agoraphobie
comme un trouble spécifique susceptible de se combiner avec le trouble
panique (série de crises d'angoisse, d'effroi) ; l'agoraphobie « pure » n'est
donc pas un diagnostic répertorié puisqu'une agoraphobie peut soit
accompagner un « Trouble panique » (diagnostic : « Trouble panique avec
agoraphobie »), soit apparaître isolément (diagnostic : « Agoraphobie sans
antécédent de trouble panique »). Ce choix est curieux puisque l'agoraphobie
« pure » n'existe pas et qu'elle est référée à l'absence du trouble panique,
démarche logique pour le moins curieuse qui fait du « Trouble panique » un
pivot essentiel. Ce mode de classification n'a pas varié depuis la création du
DSM-III (1980).
L'agoraphobie (peur des endroits ou des situations d'où il serait difficile de
s'échapper ou de trouver du secours en cas d'attaque de panique), seule ou
accompagnant un trouble panique, aurait une prévalence sur la vie entière de
2 à 4 %.
La phobie spécifique (auparavant phobie simple) est spécifiée en plusieurs
types : animal (ex. : animaux, insectes), environnement naturel (ex. : orages,
eau, hauteur…), sang (injection, accident), situationnel (ex. : transports,
tunnels…), autre type (ex. : vomir, contracter une maladie…). La prévalence
sur la vie entière serait de 7 à 11 % et la prévalence ponctuelle serait de 4 à
8 %.
La phobie sociale (trouble anxiété sociale) ne comporte qu'une seule
spécification : « type généralisé » (lorsque les peurs concernent la plupart des
situations sociales). La prévalence sur la vie entière serait de 3 à 13 %.

Résumé des éventualités pour le DSM :


– phobie spécifique (auparavant phobie simple),
– phobie sociale (trouble anxiété sociale),
– trouble panique avec agoraphobie,
– agoraphobie sans antécédent de trouble panique.

1.2. CIM-10

Dans sa rubrique « Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de


stress et troubles somatoformes », la CIM-10 prévoit une classe « Troubles
anxieux phobiques » qui se répartit entre :
agoraphobie subdivisée en agoraphobie sans antécédent de trouble
panique, et trouble panique avec agoraphobie ;
– phobies sociales (il est précisé anthropophobie et névrose sociale) ;
– phobies spécifiques (isolées) parmi lesquelles on retrouve l'acrophobie
(peur des hauteurs), la claustrophobie, la phobie des animaux, les phobies
simples ;
– autres troubles anxieux phobiques.
N.B. La dysmorphophobie et la nosophobie (peur des maladies) ne sont pas
classées parmi les phobies mais dans l'hypocondrie.
2. Classifications psychanalytiques

La pensée psychanalytique produit des classifications qui ne se fondent pas


sur l'apparence (comme le font les nosographies syndromiques de type CIM
ou DSM) mais sur les processus. À une époque « préanalytique », Freud,
dans deux textes de 1895 (Obsessions et phobies, Neurasthénie et névrose
d'angoisse), parle des phobies liées à la névrose obsessionnelle, voire à
l'hystérie, puis semble leur opposer deux types de phobies : les « phobies
communes » (peur de ce que tout le monde craint) et les « phobies
d'occasion » (agoraphobie et autres phobies de la locomotion, peurs qui
n'inspirent rien à l'homme sain). Elles sont distinguées entre elles par le fait
que leurs mécanismes sont différents, ce que la suite de la pensée analytique
ratifiera. Plusieurs cas d'hystérie rapportés par Freud présentent des phobies,
ainsi que des patients obsessionnels. Les phobies suivent alors le mécanisme
classique des névroses de transfert : origine sexuelle, effet du refoulement,
dimension symbolique, l'« hystérie d'angoisse » en étant la forme la plus
évidente. Mais à côté de ces phobies, il en cite d'autres, répondant aux
mécanismes des névroses actuelles dans lesquelles l'affect d'angoisse « ne
provient pas d'une représentation refoulée ». Cette seconde catégorie de
phobies ne fera pas l'objet de développements psychanalytiques importants.
En prenant comme critères le mécanisme (refoulement), le sens, le rapport
au passé, notamment à la névrose infantile et l'efficacité de la psychanalyse
dans l'analyse (et la disparition du symptôme phobique), on peut donc
opposer ces deux classes de phobies – même si Freud ne l'a pas fait
explicitement :
– phobies « actuelles » (pas de sens, pas de relation avec l'enfance, pas de
refoulement) ;
– phobies « névrotiques » (au sens de « névrose de transfert ») de l'hystérie
ou de la névrose obsessionnelle, qui sont liées au refoulement œdipien,
prennent leurs racines dans l'enfance, ont un sens et seraient accessibles à
l'analyse.
Toutefois, dans la plupart des travaux analytiques, il sera seulement fait
mention de la dimension « névrotique » et les auteurs utiliseront les grandes
catégories descriptives pour qualifier les phobies lorsque la clinique ou la
théorie amène à en parler : on rencontrera ainsi des références à
l'agoraphobie, à la phobie scolaire, aux phobies de situation… à côté de
réflexions inspirées de la conception fondatrice de l'hystérie d'angoisse.
3

Théories générales de la phobie


La phobie, catégorie générale se déclinant en différents types, a fait l'objet
de théories qui se répartissent actuellement en deux versants principaux : les
théories cognitivo-comportementales et les théories analytiques, le pluriel
rendant compte des différences de conceptions internes à chacun de ces
paradigmes. Mais évidemment, la phobie étant un événement symptomatique
déplaisant et handicapant, elle peut être prise dans les communications
familiales (théories éco-systémiques), l'expérience vécue (théories
phénoménologiques ou existentielles ou humanistes), même si ces
paradigmes ne donnent pas de théories de la phobie.

1. Les conceptions freudiennes

Les conceptions de Freud sur la phobie sont étroitement dépendantes de


l'évolution de ses deux théories de l'angoisse (1895 puis 1926) jalonnées par
de nombreuses mentions dans plusieurs textes : Le Refoulement (1915),
Leçons d'introduction à la psychanalyse (1916-1917), Inhibition, symptôme
et angoisse (1926), Nouvelles Conférences sur la psychanalyse (1932)…
(pour une étude de ces théories de l'angoisse, lire Laplanche, 2006 et Assoun,
2006). Angoisse (Angst) et peur (Furcht) ne sont pas équivalentes :
l'angoisse, sensation déplaisante devient « peur » quand elle trouve un objet
auquel elle se fixe. Ces deux théories freudiennes de l'angoisse semblent
s'opposer. Dans la première (à partir de 1895), c'est le refoulement d'une
représentation qui provoque l'angoisse, alors que la seconde (1926) soutient
que la menace pour le moi engendre l'angoisse qui provoque le refoulement,
contradiction apparente qui implique une modification de la théorie
freudienne de la phobie.
En effet, la conception originaire de la phobie, contemporaine de la mise
en place de la première théorie de l'angoisse, en fait un symptôme proche de
ceux que Freud décrit dans l'hystérie. Bien que toutes les phobies ne soient
pas hystériques, et que le « paradigme de l'hystérie » soit impuissant à rendre
compte de chacune, dans la phobie le désir sexuel, souvent œdipien, est
refoulé et l'angoisse déplacée sur un objet extérieur (objet phobique). Le sujet
est protégé de l'angoisse à condition de ne pas rencontrer l'objet. La
« problématique objet-fétiche vs objet-tabou » est proche. Dans la seconde
conception de la phobie, qui a servi de base à la plupart des conceptions
kleiniennes, postkleiniennes ou de la psychologie du moi, la phobie est en
lien avec des angoisses préœdipiennes. Freud place alors l'angoisse (qui est
un affect suscité par le moi en réaction au danger) à l'origine de la phobie.
Celle-ci apparaît ainsi comme le masque et le signe de la présence d'un
danger (pulsionnel ou réel).

1.1. Avant Hans

Même si la thèse de la phobie « symptôme de l'hystérie d'angoisse » est


celle de la première théorie de l'angoisse, même si Freud est fidèle à une
conception de l'étiologie sexuelle des phobies avec un refoulement de la
représentation et un déplacement de l'affect sur un objet, la lecture de ses
premiers textes montre ses hésitations. À côté de ce modèle principal, on voit
poindre d'autres idées pour d'autres phobies : phobies « actuelles » sans
étiologie sexuelle fantasmatique, phobies comme crainte de la répétition d'un
traumatisme antérieur.

Phobie de la maternité

La première mention de la phobie par Freud se trouve en 1892 dans Un cas


de guérison hypnotique avec des remarques sur l'apparition de symptômes
hystériques par la « contre-volonté ». La phobie présentée est une sorte de
« phobie de la maternité », formulation plus métaphorique que sémiologique,
mais il s'agit d'une mère qui ne peut pas – à cause de son angoisse – nourrir
son nouveau-né. D'emblée, la phobie est conçue par Freud – le Freud
préfreudien pourrait-on dire puisque sa théorie n'existe pas encore – comme
un symptôme hystérique et un conflit de représentations. Il estime que la
patiente n'est peut-être pas consciente de sa crainte de mener à bien ce dont
elle a envie (nourrir l'enfant) et qu'elle en est empêchée par elle-même sans
qu'elle puisse savoir d'où provient cette « contre-volonté ». « L'hystérique se
comporte ici autrement, elle n'est peut-être pas consciente de sa crainte, elle a
le ferme projet de mener à bien l'allaitement et s'y met sans hésiter. Mais
alors elle se comporte comme si elle avait la volonté de ne nourrir en aucun
cas l'enfant, et cette volonté provoque chez elle tous les symptômes subjectifs
qu'une simulatrice invoquerait pour se soustraire à l'allaitement : l'absence
d'appétit, l'aversion devant la nourriture, les douleurs lors de la mise au sein »
(p. 38). Mais à côté de cette théorie de la phobie hystérique, Freud mentionne
l'existence des « phobies variées des neurasthéniques ». Or, il oppose trait
pour trait les mécanismes de la neurasthénie et ceux de l'hystérie, ce qui
laisse entendre qu'il pourrait y avoir une différence majeure entre les phobies
hystériques et les autres… et qu'il y en a bien d'autres.

La phobie de l'envie d'uriner

Dans Les Psychonévroses de défense (1894), il cite deux cas de phobie,


dont l'un est plutôt une « phobie d'impulsion » puisque la patiente craint, à la
vue d'un couteau aiguisé, d'en frapper son enfant. Le sous-titre de l'article est
d'ailleurs fort révélateur : « Essai d'une théorie psychologique de l'hystérie
acquise de nombreuses phobies et obsessions et de certaines psychoses
hallucinatoires ». Freud développe un modèle psychopathologique qui, pour
certains processus, rapproche phobies, obsessions et troubles psychotiques.
Dans tous ces troubles, des représentations insupportables sont exclues et
forment un « groupe psychique séparé », prémisse de ce qu'il appellera les
« représentations inconscientes », leur affect étant attaché à d'autres
représentations, après refoulement.
Un cas de phobie vient étayer son argumentation. Une jeune fille était
hantée par la crainte de succomber à l'envie d'uriner « depuis le jour où un
besoin de cette sorte l'avait véritablement obligée à abandonner une salle de
concert pendant la représentation » (p. 10). L'envie d'uriner, condition de la
sortie de la salle, semblait avoir été provoquée par une situation particulière :
« dans la salle de concert, un monsieur qui ne lui était pas indifférent avait
pris place non loin d'elle. Elle commença à penser à lui et à s'imaginer qu'elle
était sa femme, assise à ses côtés » (ibid.) et cette rêverie sentimentale
déclencha chez elle un plaisir génital, une sensation sexuelle voluptueuse qui
« se termina par une légère envie d'uriner ».
En termes plus conformes à la pensée ultérieure de Freud, un fantasme
sexuel produisit l'équivalent d'un orgasme masturbatoire se terminant par une
envie d'uriner. Le fantasme et cette envie d'uriner constituent la
représentation à l'origine de la phobie qui est apparue parce que le fantasme
sexuel entrait en contradiction avec le moi. En effet, Freud nous précise que
cette jeune fille était à la fois très prude, avait horreur de tout ce qui était
sexuel et « si hyperesthésique que les rêveries érotiques, qu'elle se permettait
volontiers, provoquaient à chaque fois cette sensation voluptueuse ». Le
conflit entre les interdits et le désir érotique, notamment la sensation
physique, déclenche de l'angoisse qui se déplace sur la crainte d'uriner,
substitut de la sensation physique plaisante et interdite. Une fois le lien entre
peur et « envie d'uriner » établi, la phobie se développe avec des conduites
d'évitement et d'anticipation : « Cette phobie l'avait peu à peu rendue
complètement incapable de tout plaisir et de toute relation sociale. Elle ne se
sentait bien que lorsqu'elle savait être à la proximité des cabinets où elle
pouvait se rendre discrètement » (ibid.).

Le schéma freudien – « désir vs interdit » → angoisse → déplacement sur un objet ou une


situation (en lien de substitution avec le désir originaire) → « évitement et anticipation » – paraît
parfaitement opérant.

Pourtant, à la lumière des travaux ultérieurs, plusieurs points attirent


l'attention. D'abord, le moment de l'apparition de la phobie est particulier
dans la mesure où il confronte la patiente à l'homme « réel ». Jusqu'alors, la
jeune fille fantasmait et avait cette sensation voluptueuse (associée à – ou
interprétée comme – l'envie d'uriner) sans conséquences phobiques. La
phobie éclate au moment où apparaît l'homme réel à la fois désiré et
menaçant : la présence, le regard, le « c'est possible » déclenchent l'angoisse
qui, d'habitude, semble ne pas apparaître. C'est la présence, la seule présence
de cet homme qui déclenche l'angoisse de la peur d'uriner alors que
lorsqu'elle fantasme seule, la situation est maîtrisée. Et la fuite aux toilettes
est aussi une fuite devant cet homme qu'elle voit et ne fait pas qu'imaginer.
Ensuite, l'omniprésence du regard, du scopique dans cette phobie est
frappante. La crainte d'être vue allant aux toilettes, le regard porté sur
l'homme sont à mettre au crédit de la phobie sociale avec son cortège de mise
en danger par le regard d'autrui (cf. supra). Enfin, cette sensation d'envie
d'uriner – qui accompagne l'orgasme – est surdéterminée : plaisir génital
confondu avec un plaisir mictionnel conforme aux théories sexuelles
infantiles, reste de la jouissance phallique, symbole de l'irrépressible de la
sexualité menaçante, incontrôlable.
Dans cet article, Freud développe ainsi la thèse désormais classique du
caractère inconciliable de certaines représentations, notamment sexuelles,
avec le reste du moi. Le modèle demeure celui de l'hystérie, mais apparaît
l'idée que, dans certaines phobies, on ne retrouve pas de représentation
refoulée : « Le groupe des phobies typiques, dont l'agoraphobie est le
prototype, ne se laisse pas ramener au mécanisme psychique décrit ci-dessus ;
au contraire, le mécanisme de l'agoraphobie diffère par un point décisif de
celui des obsessions véritables et des phobies qui sont réductibles à celles-ci.
On ne trouve pas ici de représentation refoulée dont l'affect d'angoisse aurait
été séparé. L'angoisse de ces phobies a une autre origine » (p. 11). La position
de Freud peut alors être résumée en trois axes :
– l'axe principal (qui sera maintenu pendant la durée de la première théorie
de l'angoisse) ;
– une représentation (idée, souvenir, image, pensée…) intolérable est
accompagnée d'un affect (sentiment) pénible (l'angoisse) ;
– la représentation est refoulée et l'affect d'angoisse est « transposé »
(déplacé) sur un objet qui devient l'objet phobique.
Freud remarque déjà que la phobie, comparée à l'hystérie de conversion,
n'apporte pas un bien grand soulagement : « En s'engageant, pour la défense,
dans la voie de la transposition de l'affect le moi se procure un avantage
beaucoup plus mince que dans la conversion hystérique de l'excitation
psychique en innervation somatique. L'affect dont le moi a souffert demeure
sans changement et sans atténuation après comme avant, la seule différence
étant que la représentation inconciliable est maintenue dans les dessous et
exclue du souvenir. Ici encore, les représentations refoulées forment le noyau
d'un second groupe psychique qui, me semble-t-il, est accessible même sans
l'aide de l'hypnose » (p. 9).
L'agoraphobie provient d'une autre source d'angoisse et on ne retrouve pas
de représentation refoulée. Cette position ne sera pas maintenue longtemps
par Freud qui verra dans l'agoraphobie le rôle de la pulsion sexuelle :
fantasmes de prostitution, active ou passive.
Toutes les phobies ne correspondent pas à ces deux axes puisque, dans le
texte, il fait référence à la psychasthénie de Janet et à la neurasthénie, comme
s'il pouvait exister pour lui des phobies non hystériques.

Les phobies (année 1895)

Malgré ces contributions, le texte de 1895 (Obsessions et phobies)


inaugure la pensée freudienne, complété par celui portant sur la névrose
d'angoisse et la neurasthénie (Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénie
un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose d'angoisse »,
1895), mais apparaîtront d'autres mentions dans la correspondance et
différents textes (Études sur l'hystérie, Interprétation des rêves…).
Dans Obsessions et phobies (1895), Freud étudie encore les phobies et les
obsessions selon un processus commun tout en maintenant leurs différences
cliniques. Les phobies sont thématisées et étudiées pour elles-mêmes.
Curieusement, dans ce texte, Freud met surtout l'accent sur l'absence de
représentation à retrouver, contrairement à ce qui se produit dans les
obsessions (qui sont des idées ou des images qui s'imposent au sujet, qui
l'assiègent – obsidiere en latin signifie « mettre le siège » – et dont il
reconnaît le caractère pathologique). Le mécanisme des phobies est différent
de celui des obsessions : « ce n'est plus le règne de la substitution » (p. 41), ce
que nous pouvons traduire par le fait que, dans la phobie, une idée n'est pas
mise à la place d'une autre, insupportable. Bien plus, l'analyse ne permet pas
de retrouver une idée inconciliable avec le moi. Freud est en retrait sur ses
conceptions antérieures puisqu'il met l'accent sur l'état émotionnel et pas du
tout sur la représentation : dans la phobie « on ne dévoile plus par l'analyse
psychique une idée inconciliable, substituée. On ne trouve jamais autre chose
que l'état émotif, anxieux qui, par une sorte d'élection, a fait ressortir toutes
les idées propres à devenir l'objet d'une phobie » (p. 43). Pour expliciter son
propos, il prend l'exemple de l'agoraphobie que dans le texte de 1894, il
considérait comme différente. Et sa conception de l'agoraphobie préfigure la
seconde théorie de l'angoisse. L'agoraphobie apparaît comme la crainte de la
répétition d'une attaque d'angoisse (dirait-on aujourd'hui « attaque de
panique » ?), thèse finalement très moderne : « Dans le cas de l'agoraphobie,
etc., on rencontre souvent le souvenir d'une attaque d'angoisse, et en vérité ce
que redoute le malade c'est l'événement d'une telle attaque dans les conditions
spéciales où il croit ne pouvoir y échapper » (p. 45).
La proposition de Freud invite à penser la phobie comme une crainte de la
reproduction d'une détresse (« attaque d'angoisse ») jointe à l'impuissance
(« croit ne pouvoir y échapper »). Cette idée de l'existence d'un « état émotif,
anxieux » de la reproduction, de l'absence de souvenirs autres que l'attaque
d'angoisse, ou de représentations, mène Freud sur un chemin qui lui permet
de distinguer « névrose anxieuse » et « neurasthénie » (qui correspond à une
conception dominante à son époque). Il maintient que « les phobies font
partie de la névrose anxieuse » (p. 45) qu'il considère comme d'origine
sexuelle mais d'une manière particulière puisqu'il s'agit plus du somatique
que de la dimension psychique, fantasmatique, représentée de la sexualité.
« La névrose anxieuse est d'origine sexuelle, elle aussi, autant que je puis
voir, mais elle ne se rattache pas à des idées tirées de la vie sexuelle : elle n'a
pas de mécanisme psychique, à vrai dire. Son étiologie spécifique est
l'accumulation de la tension génésique, provoquée par l'abstinence ou
l'irritation génésique frustrée (pour donner une formule générale pour l'effet
du coït interrompu, de l'impuissance relative du mari, des excitations sans
satisfaction des fiancés, de l'abstinence forcée, etc.) » (p. 45).
Il décrit ainsi une « névrose actuelle » par opposition aux « névroses de
transfert ». Dans les premières, le symptôme n'est pas rattaché aux
représentations de l'enfance, dans les secondes, le symptôme est en relation
avec les représentations refoulées et possède un sens accessible par la
psychanalyse. La distinction entre « névrose d'angoisse » (névrose actuelle) et
« hystérie d'angoisse » (névrose de transfert) pose bien la question des
différentes formes d'étiologie des phobies.
Dans le texte Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain
complexe symptomatique sous le nom de « névrose d'angoisse » paru en
1895, Freud maintient la thèse des deux types de phobies : celles de la
« névrose d'angoisse » (névrose actuelle) et celles des autres névroses dans
lesquelles la phobie provient d'une représentation refoulée à laquelle se
substitue la représentation phobique, par ailleurs analysable et dotée de sens.
La différence entre hystérie et névrose d'angoisse tient à ce que « l'excitation,
dont le déplacement est la manifestation de la névrose, est purement
somatique (excitation sexuelle somatique) dans la névrose d'angoisse, tandis
que, dans l'hystérie, elle est psychique (provoquée par un conflit) » (p. 38).
Ces deux textes de 1895, tout en affirmant le mécanisme de la phobie,
laissent encore la possibilité de plusieurs étiologies des phobies. Mais cette
position est ambiguë car elle coexiste avec une autre faisant de la phobie un
symptôme de l'hystérie, c'est-à-dire l'effet d'une représentation sexuelle
conflictuelle refoulée par le moi. Cette dualité n'est pas sans intérêt
puisqu'elle préfigure le débat entre les phobies « simples symptômes sans
détermination inconsciente » et les phobies « symptômes névrotiques
renvoyant à l'enfance et dotées d'un sens inconscient ». Bien sûr, les travaux
psychanalytiques ultérieurs ne retiendront que cette seconde voie conforme à
l'expérience analytique, mais le clivage entre les conceptions
comportementales et psychanalytiques de la phobie existe déjà chez Freud,
mais entre névroses actuelles et névroses de transfert et non pas entre sens
inconscient et théorie de l'apprentissage. Persistera la conception
« hystérique » qui mettra la phobie en rapport avec la représentation, la
substitution et le déplacement de l'angoisse.

« L'hystérisation des phobies »

Bien que certains textes datent d'avant 1895, ils montrent déjà la « logique
hystérique des phobies » à l'œuvre. Il est vrai qu'il s'agit de patientes
clairement hystériques et non pas de patients présentant uniquement des
phobies.

Mme Emmy von N… et ses phobies traumatiques

Le cas « Mme Emmy von N… » se trouve dans les Études sur l'hystérie
publiées en 1895 mais l'histoire racontée par Freud commence en 1889, à une
époque où il pratiquait encore l'hypnose. Cette patiente de 40 ans présentait
de multiples troubles hystériques sévères : délires, hallucinations avec une
activité mentale intacte, modifications de la personnalité, troubles de la
mémoire (amnésie lacunaire), bégaiement, claquement de langue,
somnambulisme, insensibilité des extrémités, crampes à la nuque,
contractures, douleurs, troubles somatiques, hyper-expressivité, quelques
conversions, modifications de l'humeur, troubles de la conscience (que le
DSM appelle désormais « dissociation »), troubles de la volonté (aboulie)
et… phobies. L'histoire est particulièrement riche tant dans l'expression des
symptômes que dans les événements de l'existence, voire le contexte de
l'époque. Un de ses troubles révèle bien l'intensité et la profondeur de sa
souffrance : « Ses phrases sont parfaitement cohérentes et dénotent de toute
évidence une intelligence et une culture peu ordinaires. Il semble d'autant
plus étrange de la voir s'interrompre toutes les deux minutes, l'expression de
son visage exprimant à cet instant la terreur et le dégoût. Les doigts crispés,
recroquevillés, elle fait un geste du bras comme pour me repousser en
s'écriant d'une voix angoissée : « Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Ne me
touchez pas ! » Sans doute est-elle sous l'impression de quelque effrayante
vision itérative et se sert-elle de cette formule pour parer l'intrusion de cet
élément étranger » (Études sur l'hystérie, p. 35).
Freud s'oppose, à propos des phobies, aux conceptions de l'École française
de psychiatrie qui en faisait des stigmates de la dégénérescence nerveuse
(thèse organiciste) et insiste sur leur dimension traumatique, c'est-à-dire qu'il
estime qu'elles proviennent d'événements difficiles ayant suscité de
l'angoisse. L'origine de la phobie ne doit pas être cherchée dans une catégorie
générale de « phobies primaires des hommes » (de l'humanité) mais bien dans
l'histoire des individus et dans leur incapacité à se débarrasser des émotions
produites.
Parmi les terreurs de Mme Emmy von N…, Freud identifie des phobies des
animaux qu'il peut rattacher à des souvenirs, qui ne sont souvent accessibles
que par l'hypnose – et donc inconscients –, souvenirs traumatiques et dont
certains possèdent une connotation sexuelle. En outre, l'origine de certaines
phobies est associée à une conversion hystérique qui semble ne pas avoir été
suffisante pour orienter l'affect vers les « voies somatiques ». Freud
considérait en effet que, dans l'hystérie, la conversion est un mécanisme qui
permet de se débarrasser de la représentation douloureuse (refoulement) et de
l'affect désagréable qui est transformé en manifestations somatiques (cf. le
cas Dora). Or ici, les représentations traumatiques sont bien refoulées, mais
l'affect d'angoisse demeure.
La peur des crapauds, présente chez la plupart des individus, a été chez elle
renforcée par l'attitude de son frère qui lui lança à la tête un crapaud crevé, ce
qui déclencha un premier accès de contracture hystérique. Lorsque Freud lui
demande l'origine de sa tendance à s'effrayer : « D'abord de l'époque où
j'avais 5 ans et où mes frères et sœurs me lançaient très souvent à la tête des
bêtes mortes ; c'est alors que je me trouvai mal pour la première fois, avec
accompagnement de convulsions. Mais ma tante déclara que c'était horrible et
qu'on ne devait pas avoir de tels accès. Alors ils ont cessé. Ensuite à 7 ans,
quand je me suis trouvée, sans m'y attendre, devant le cercueil de ma sœur,
puis à 8 ans, quand mon frère revêtu de linges blancs jouait au fantôme pour
me faire peur ; à 9 ans, quand je vis ma tante dans son cercueil et que, tout à
coup, son menton se décrocha » (p. 39). La non-préparation, la surprise,
l'absence d'anticipations déterminantes dans la survenue de ces peurs
préfigurent l'opposition entre « effroi » et « peur » (d'un objet) que Freud
développera dans Au-delà du principe de plaisir (1920). La phobie des
chauves-souris se rattachait à un souvenir d'un de ces animaux qui s'était
laissé enfermer dans l'armoire du cabinet de toilette. Elle s'était alors
précipitée nue hors de la pièce.
La phobie des orages est associée à un souvenir désagréable : « Un jour,
les chevaux attelés à la voiture dans laquelle se trouvaient les enfants
s'emballèrent ; une autre fois, je traversais la forêt en voiture avec les enfants
pendant un orage. La foudre tomba sur un arbre, juste devant les chevaux ;
les animaux eurent peur et je pensai : “Surtout reste bien tranquille sans quoi
tu effrayeras davantage encore les chevaux par tes cris et le cocher ne pourra
plus les retenir.” C'est à partir de ce jour que ça a commencé. » Lorsqu'elle
parle de ce qui a commencé c'est le bégaiement qu'elle évoque. Ce « trouble
spasmodique » (l'idée de spasme est évocatrice) du langage se manifestait
dans toutes les situations où elle était anxieuse ; cette véritable conversion
hystérique avait pour effet de rendre incompréhensibles ses propos et, en
conséquence, de ne pas être entendue lorsqu'elle pouvait évoquer ses
émotions. De multiples scènes traumatiques sont associées à ce bégaiement :
agression par son frère, rencontre avec la folie, surprise d'un regard fixé sur
elle…
La peur (phobie ?) « de voir se produire soudain un fait épouvantable et
inattendu » provient du souvenir (« terrible impression ») de la mort subite de
son mari qu'elle croyait en bonne santé.
La phobie des inconnus « puis de toute l'humanité » était en relation avec
les très graves conflits avec sa belle-famille qui l'amenaient à penser que
toute personne étrangère était un « agent » de cette famille.
La peur des asiles d'aliénés et des fous provenait des descriptions que lui
en avait faites, assez stupidement, une domestique alors qu'elle était une
enfant crédule, mais aussi de nombreuses situations de confrontations avec
des malades mentaux, dans sa famille comme à l'extérieur. Freud précise
d'ailleurs ce qu'il reprendra dans L'Inquiétante étrangeté (1919) : cette crainte
de la folie est présente chez tout névrosé dans le souci de « ne pas succomber
lui-même à cette maladie » (Freud, 1895, p. 68). La phobie est donc aussi
générée par l'angoisse de rencontrer chez d'autres ce que l'on pressent en soi,
ce que l'on craint pour soi, peut-être aussi ce qu'on a connu un jour.
La peur « de trouver quelqu'un derrière elle » est en lien avec des
expériences traumatisantes de sa jeunesse ou plus tardives : personne
inconnue se glissant dans sa chambre (avec un élément érotique).
La phobie « d'être enterrée vivante » est reliée à la mort de son mari ; elle
croyait en effet qu'il n'était pas mort au moment où l'on emportait son
cadavre. Mais s'agit-il vraiment d'une phobie ?
Freud explique l'état de la patiente à partir de deux éléments : la non-
liquidation des affects et le retour de souvenirs qui ravivent l'état affectif
douloureux. En premier lieu, les affects pénibles qui ont été suscités par les
événements traumatiques n'ont pas été liquidés (exprimés) : mauvaise
humeur, chagrin à la mort de son mari, rancune (liée aux réelles persécutions
par la famille), la peur (multiples événements angoissants), le dégoût (repas
avalés par contrainte)… En second lieu, l'activité mnémonique (le souvenir)
« est chez elle très poussée et fait resurgir, dans la conscience, bribes par
bribes, tantôt spontanément, tantôt par l'effet d'une excitation nouvelle et
ravivante (…) les traumatismes avec l'état affectif qui les accompagnait » (p.
71), idée proche de sa formule « l'hystérique souffre de réminiscences ». La
question de ce qui deviendra « le retour du refoulé » est ainsi posée. Les
phobies apparaissent liées à ce double mécanisme de non-liquidation de
l'affect et de réactivation par les éléments de la vie quotidienne. La phobie
semble opérer une généralisation de l'angoisse à tout ce qui peut rappeler le
ou les traumatismes.
Un autre élément frappe Freud. Il souligne, en reprenant la vie de cette
patiente, qui fait face à de nombreuses obligations, la « rétention de grandes
quantités d'excitation » (p. 80). Or cette répression de l'excitation, cette
surdité aux désirs, n'est pas sans conséquences. Son apparente réserve
témoigne d'une lutte contre des désirs inacceptables : « La patiente montrait
dans tout son comportement, mais sans affectation ni pruderie, la plus grande
décence. Cependant, quand je me rappelle avec quelle réserve elle m'avait
raconté, pendant l'hypnose, la petite aventure de sa femme de chambre à
l'hôtel, j'en viens à soupçonner que cette femme d'un tempérament violent, si
capable d'éprouver des sentiments passionnés, avait dû mener une lutte serrée
pour vaincre ses besoins sexuels et s'épuiser psychiquement beaucoup à
l'époque en essayant d'étouffer cet instinct, le plus puissant de tous » (p. 80-
81).
Chez Mme Emmy von N…, Freud perçoit la dimension sexuelle comme
un élément dont la défaite, sous l'effet des contraintes morales, entraîne la
« rétention de grandes quantités d'excitation », contexte favorable aux
troubles hystériques. Les phobies – hystériques – apparaissent produites par
des traumatismes dont l'affect n'a pas été abréagi et que les situations de la
vie quotidienne viennent rappeler. La phobie est ainsi une protection contre la
répétition des traumatismes – réels – et de leur charge affective. La sexualité
est bien présente dans la pensée de Freud, mais il n'envisage pas, dans ce
texte, la question du désir sexuel et du fantasme.

Emma et le traumatisme sexuel infantile

Le cas Emma évoqué par Freud dans l'« Esquisse de la psychologie


scientifique » (1895, inNaissance de la psychanalyse) instaure une entrée du
sexuel infantile dans la conception de la phobie. La théorie reste fidèle à la
thèse du trauma et le cas est présenté comme une « obsession hystérique », la
distinction entre phobie et obsession étant assez lâche. Cliniquement, la
phobie est assez particulière : Emma ne peut rentrer seule dans les magasins.
Elle a peur que les vendeurs se moquent de sa toilette, mais la compagnie
d'un jeune enfant lui permet d'y pénétrer. Freud interprète la phobie comme
un effet du télescopage après coup du fantasme et de l'événement antérieur,
effet qui témoigne du débordement actuel du moi et de la fragilité des
défenses. Ce cas fournit quelques éléments originaux qui témoignent de la
modification de la pensée de Freud. Il est en effet associé à la conception
« bi-phasique » de la névrose (Pedinielli Bertagne, 2004) : un premier trauma
sexuel infantile, qui n'a que peu d'effet apparent mais reste fixé, puis un
second temps traumatique postérieur (adolescence) qui fait prendre sens au
premier et déclenche l'apparition des symptômes. Cette observation introduit
aussi la question du désir sexuel de l'hystérique et de son rôle dans
l'apparition du symptôme.
Premier souvenir. Emma ne peut pas entrer seule dans une boutique : mais
elle peut y pénétrer si elle est accompagnée, même d'un jeune enfant. Ses
premières associations mettent en cause un souvenir : elle était alors âgée de
12 ans et, en rentrant dans une boutique, elle aperçut les deux vendeurs qui
riaient (elle se souvient de l'un d'eux). Elle avait été prise de panique et était
sortie précipitamment. Elle avait l'idée « que les deux hommes s'étaient
moqués de sa toilette et que l'un avait exercé sur elle une attraction sexuelle »
(Freud, Naissance de la psychanalyse, p. 364). L'attraction sexuelle est un
point essentiel de l'évolution de Freud. Il considère toutefois que les éléments
donnés ne permettent pas d'expliquer cet état. Un second souvenir, plus
ancien, apparaît, mais Emma précise que ce souvenir n'était nullement
présent lors de la scène que nous venons d'évoquer (quand elle avait 12 ans).
Deuxième souvenir. Lorsqu'elle avait 8 ans, elle était entrée deux fois dans
une boutique de friandises et le marchand avait porté la main, à travers sa
robe, sur ses organes génitaux. « Malgré ce premier incident, elle était
retournée dans la boutique, puis cessa d'y aller. Par la suite, elle se reprocha
d'être revenue chez ce marchand, comme si elle avait voulu provoquer un
nouvel attentat. Et de fait, la “mauvaise conscience » qui la tourmentait
pouvait bien dériver de cet incident” (p. 365). Si l'on compare les éléments
que retient Freud avec ceux mentionnés dans le cas Emmy von N…, il est
frappant de voir apparaître, à côté du traumatisme, la question des désirs
sexuels chez le futur phobique, ainsi que la question du reproche.
– Le rire – lien entre les deux scènes. Comme toujours à l'époque, Freud
cherche le « lien associatif » entre les deux scènes et il découvre, avec l'aide
de la patiente, que c'est le « rire ». Il est, en d'autres termes, le trait commun
qui déclenche l'angoisse (le rire des deux commis de la scène de ses 12 ans
lui rappelait le sourire grimaçant qui avait accompagné le geste sexuel du
boutiquier quand elle avait 8 ans). Pour Freud : « Les deux vendeurs rient
dans la boutique et ce rire rappelle (inconsciemment) le souvenir du
marchand. » Freud isole encore un autre point commun, un autre lien, entre
les deux scènes : dans les deux cas la patiente n'était pas accompagnée.
– La sexualité « après coup ». Une des particularités du cas Emma réside
en ce que le sens sexuel de la première scène n'est reconnu que plus tard, lors
de la seconde. « Elle se souvenait de l'attouchement pratiqué par le marchand.
Mais depuis elle avait atteint la puberté. Le souvenir déclenche une poussée
sexuelle (qui n'eut pas été possible au moment de l'incident) et qui se mue en
angoisse. Une crainte la saisit, elle a peur que les commis ne répètent
l'attentat et s'enfuit » (p. 365). Ainsi c'est la découverte que la première scène
était sexuelle – et n'y avait-elle, d'une certaine façon, participé ? – qui produit
cet effet d'angoisse et organise la phobie. Quant aux vêtements (« sa
toilette »), ils sont l'élément conscient qui surnage et qui, pour Freud, n'a pas
d'intérêt alors que les autres chaînons inconscients qui touchent à la sexualité
sont de première importance. C'est bien le souvenir inconscient (scène
d'attouchement) qui, réveillé par le rire des commis, suscite un affect que
l'incident originaire n'avait pas déclenché. La puberté a permis de comprendre
autrement les faits de l'enfance et de déclencher cet état de sidération, plus
proche de l'effroi que de l'angoisse organisée.
– Un cas typique ? Ce cas nous présente un tableau typique de
refoulement hystérique. Nous ne manquons jamais de découvrir qu'un
souvenir refoulé ne s'est transformé qu'après coup en traumatisme (p. 366).
Le schéma freudien des phobies trouve ici toute sa force : un souvenir est
refoulé mais l'événement est à la fois source d'ambivalence (déplaisir mais
Emma retourne chez le boutiquier) et ne possède pas encore de signification
sexuelle. La reproduction d'une scène ayant des points communs avec ce
premier événement confère à son souvenir une dimension sexuelle
incompatible avec le moi et déclenche l'angoisse qui se fixe sur un des
aspects de la situation par déplacement (du sexuel, Emma passe à l'angoisse
d'aller seule dans la boutique). La phobie s'installe : la boutique, situation à
éviter, représente l'angoisse devant la sexualité à la fois intrusive et désirée,
devant le souvenir à la fois craint et désiré.
– La théorie freudienne… inédite de la phobie. La particularité de ce texte
réside dans son aspect inédit. Manuscrit adressé à Fliess dans le cadre de leur
correspondance scientifique, il ne fera pas l'objet de publication et de
diffusion, ni à cette époque ni du vivant de Freud. Pourtant, on y retrouve la
plupart des éléments qui vont permettre à Freud « d'inventer » la
psychanalyse, à savoir le passage d'une conception de l'agression sexuelle
réelle à la dimension du désir et du fantasme, les troubles dépendant de deux
conditions : « 1) d'une décharge sexuelle liée non point à un incident réel
mais à un souvenir ; 2) d'une décharge sexuelle trop précoce » (p. 367). La
sexualité du futur hystérique se révèle déterminante dans l'apparition du
symptôme, puisque le refoulement porte non seulement sur le souvenir de
scènes douloureuses mais aussi sur les représentations qui accompagnent ce
que le sujet a ressenti (les affects). Si les représentations sont bien refoulées,
les affects, ne pouvant se décharger, sont transformés en angoisse et déplacés
sur d'autres représentations.
– La voie vers la phobie. L'aventure d'Emma conduisant à la phobie peut
donc être interprétée selon un schéma tenant compte de la succession des
événements :
– Scène I : Emma, 8 ans, est victime d'attouchements de la part d'un
boutiquier au « sourire grimaçant ». L'attouchement est réalisé à travers ses
« vêtements », terme qui reviendra dans le discours sur sa phobie. Elle ne
comprend pas le sens sexuel de ce geste. Elle retourne chez ce boutiquier une
fois. Dans la construction freudienne, il pourrait s'agir d'une « décharge
sexuelle trop précoce » mais qui ne sera comprise qu'après. Le souvenir de
l'événement est oublié (refoulé) et reste présent dans l'inconscient.
– Scène II : Emma, 12 ans, se rend dans une boutique. Deux commis, dont
l'un lui plaît, la regardent et rient. Elle a un accès d'angoisse et s'enfuit en
pensant qu'ils se moquent de « sa toilette » (de ses vêtements). Le rire des
commis, associé à l'attirance sexuelle, réactive le souvenir de la scène I qui
prend alors sa connotation sexuelle (au sens de génital) après coup et
déclenche l'angoisse ; le refoulement du souvenir est maintenu. L'angoisse est
la résultante du conflit entre le désir – alors révélé – et le moi, de la
culpabilité, de la décharge sexuelle. Tous les éléments liant les deux
souvenirs déplaisants sont refoulés ; seule reste visible la question des
vêtements : elle ne peut aller seule dans une boutique parce qu'elle a peur que
l'on se moque de sa toilette. Les représentations sexuelles sont refoulées, les
affects transformés en angoisse et déplacés sur les boutiques ; un objet
contra-phobique apparaît (être avec quelqu'un, même un petit enfant).
Question épineuse d'ailleurs que ce petit enfant qui, cité pour montrer
l'irrationnel de la situation, la nécessité de ne pas être seule, n'en questionne
pas moins la partie d'elle-même qu'il en vient à représenter : cet enfant, ne
serait-ce pas elle, accompagnée dans les boutiques et non laissée seule face
aux agressions ?

Le rôle du fantasme – Le « manuscrit M », le cas Dora

Dans un texte, une fois encore document inédit, intitulé Manuscrit M.


Structure de l'hystérie datant du 25 mai 1897, Freud s'avance encore plus loin
sur cette voie. Il énonce en effet que « tous les symptômes d'angoisse
(phobies) dérivent ainsi de fantasmes » (Naissance de la psychanalyse, p.
181). Les phobies sont provoquées par le refoulement de fantasmes. Il
introduit encore la notion de « roman », plus complexe que le fantasme et
évoque son rôle dans l'agoraphobie. « L'agoraphobie semble liée à un roman
de prostitution se rattachant aussi à ce roman familial. Une femme qui refuse
de sortir seule témoigne ainsi de l'infidélité de sa mère » (p. 182).
Ce saisissant raccourci relie certaines phobies aux fantasmes et souvenirs
refoulés mais aussi à des constructions plus complexes, « romans » associés
entre eux. Il fait ainsi dépendre l'agoraphobie du roman « œdipien » (roman
familial) qui sert à rendre sa propre famille illégitime, puisque l'enfant se
croit issu d'autres parents, et du roman de prostitution dans lequel s'expriment
à la fois l'agressivité pour le parent et le désir sexuel, thème qu'il reprendra à
propos du fantasme de prostitution du sujet lui-même dans l'agoraphobie.
Le « cas Dora » (1905), cas exemplaire d'une jeune fille hystérique,
mentionne la question des phobies dans un sens éloigné de la définition
habituelle de ce trouble puisqu'il s'agit de « l'horreur des hommes » chez une
adolescente victime d'une tentative de séduction par un homme mûr qui
s'avère être, de surcroît, le mari de la maîtresse du père de Dora ! Sans revenir
sur le détail de ces troubles relations familiales et extra-familiales, rappelons
que Dora est au courant – voire complice – de la relation entre son père et sa
maîtresse (Mme K.) et que M. K., s'il accepte son « infortune » et la
tromperie de sa femme, semble bien désireux de se rapprocher de la fille
(Dora) de son rival (le père de Dora) : la femme en échange de la fille semble
être un compromis tacite entre les deux hommes sur un mode traditionnel de
« l'échange des femmes » dans certaines « sociétés primaires ». Une
déclaration de M. K, suivie d'un démenti devant les autres qu'elle ressent
comme un affront faisant suite à une tentative de l'embrasser sur la bouche
quelques mois auparavant et déclenchant un « dégoût intense », semblent
avoir contribué à ses troubles actuels ; dégoût, sensation de pression sur la
poitrine, horreur des hommes, mais aussi dyspnée, aphonie, toux nerveuse,
évanouissement, dépression, menace de suicide.
Bien que « l'horreur des hommes » soit liée aux relations avec M. K. et ne
corresponde pas strictement à une phobie, Freud prend ce modèle pour
l'expliquer en affirmant : « l'horreur des hommes susceptibles de se trouver
en état d'excitation sexuelle reproduit le mécanisme d'une phobie, et cela pour
se prémunir contre une nouvelle répétition de la perception refoulée » (Dora,
1905, p. 20). La phobie apparaît ainsi comme une protection contre une
représentation refoulée parce que traumatique. Toute l'ambiguïté se trouve
dans les raisons de ce « trauma ». La première idée est la dimension agressive
de la sexualité masculine représentée par l'attitude de M. K. La seconde tient
au rapport entre une fantasmatique présexuelle présente chez Dora et
l'irruption de la génitalité que réveille l'attitude de M. K. Enfin, la question
centrale est celle de l'attirance indéniable de Dora pour la sexualité qui la
trouble et l'angoisse. L'interprétation de Freud reste ainsi dans la droite ligne
de sa première théorie de l'angoisse et des phobies.

L'interprétation des rêves

Dans ce texte fondamental (1900), Freud fait plusieurs références à la


phobie qu'il continue à envisager à partir de l'hystérie et de ses mécanismes :
la phobie représente une solution au conflit, au refoulement et correspond au
mécanisme du symptôme (condensation, compromis, protection contre
l'angoisse). Dans le chapitre VII de ce texte, il maintient en effet quelques
principes de base que nous avons rencontrés dans les textes précédents.
Un phénomène psychique qui provoque de l'angoisse peut « être cependant
l'accomplissement du désir » (ibid., p. 493). La phobie, localisation de
l'angoisse, fixation à un objet, pourrait-elle représenter un accomplissement
de désir ? Peut-on dire que s'il y a phobie, il y a désir ?
Dans la névrose, le système inconscient auquel appartiennent le désir, les
souvenirs refoulés… est en contradiction avec le système préconscient et le
symptôme représente un compromis qui met fin à ce conflit. La phobie est
donc un compromis entre les deux systèmes.
La phobie, en tant que symptôme, ménage une porte de sortie à
l'inconscient (en lui permettant de déverser son excitation) et assure au
préconscient, au moi, une domination partielle sur l'inconscient.
Le symptôme phobique permet d'empêcher le développement de
l'angoisse. Et Freud donne alors l'exemple de l'agoraphobie. « À ce point de
vue, une phobie hystérique ou une agoraphobie sont particulièrement
instructives. Lorsqu'un névropathe ne peut traverser seul une rue, nous disons
avec raison que ce n'est qu'un symptôme. Essayons de réduire ce symptôme
en l'obligeant à l'acte qu'il croit impossible. Il aura une crise d'angoisse dans
la rue qui a été le point de départ de l'agoraphobie. Nous apprenons ainsi que
ce symptôme s'est constitué pour empêcher le développement de l'angoisse.
La phobie est comme une forteresse-frontière pour l'angoisse » (p. 494).
Deux observations de patientes sont présentées dans le texte. L'une
concerne une phobie assez éloignée de la définition qu'on en fait
actuellement. Cette jeune fille avait au début de sa maladie une profonde
aversion pour sa mère, ne supportant pas qu'elle s'approche d'elle. Puis, au
cours de l'amélioration de son état, elle développe des « phobies
hystériques ». Parmi celles-ci, l'une a trait à sa mère : « idée qu'il aurait pu
arriver quelque chose à sa mère » (p. 226). Cette crainte, qui ressemble plus à
une obsession idéative qu'à une phobie, entraînait un comportement
particulier : elle se précipitait vers la maison pour s'assurer que sa mère vivait
encore. Freud estime que le vœu inconscient agressif contre la mère (désir de
mort) est alors transformé par le phénomène de défense en « souci démesuré
au sujet de sa mère » (p. 207). La phobie correspond donc à un compromis
entre les désirs inconscients et le moi. Toutefois, dans le rêve d'une autre
agoraphobe et dans celui d'un patient claustrophobe, il n'y a pas de rapport
mentionné par Freud entre le rêve et le symptôme, comme si le matériel
œdipien fourni par le rêve n'était pas utilisé pour une analyse de la phobie.
Conclusion du premier modèle des phobies

Freud, dans cette période, a posé la distinction entre la peur et l'angoisse.


L'angoisse (Angst) est dans une relation particulière à l'attente : elle est peur
de quelque chose d'incertain, de non déterminé. Quand il y a un objet :
l'angoisse devient peur (Furcht). Mais ce dont il est question, c'est plus de la
phobie et ses mécanismes que des phobies en général ou du sujet de la phobie
(qu'il développera dans Hans).
Malgré quelques incertitudes, la phobie est pensée à partir du modèle de
l'hystérie et du conflit intrapsychique. Une motion pulsionnelle insupportable
(liée à des représentations généralement de nature sexuelle) provoque de
l'angoisse à cause de sa contradiction avec le moi ; la représentation est
refoulée (rejetée dans l'inconscient) par la censure ; l'angoisse est déplacée
sur un objet de substitution dont on se protège : l'angoisse est toujours là mais
elle est mieux contrôlée et localisée à un objet ou à une situation. Freud
donne ainsi des exemples montrant que l'objet ou la situation de la phobie se
substituent à une/des représentation(s) angoissante(s). Graduellement, il
apparaît que l'angoisse de castration est le moteur principal de l'apparition de
la phobie : la « bêtise » (nom donné par le patient à sa phobie) du petit Hans
est un effet de l'angoisse de castration.
Toutefois, dans certains textes, la proximité phobie-hystérie est moins
présente. Freud laisse entrevoir la possibilité que des phobies ne soient pas
hystériques et correspondent au mécanisme des névroses actuelles, ou encore
que la « lecture œdipienne » de la phobie ne soit pas suffisante et que d'autres
processus plus archaïques puissent être en jeu dans certaines phobies. C'est la
voie que choisira l'école kleinienne.

1.2. La phobie du petit Hans

« La bêtise »

L'histoire d'Herbert Graf, surnommé par Freud « le petit Hans », est


originale dans la mesure où le père, disciple de Freud, conduit le travail et ce,
d'une manière parfaitement spontanée et hors cadre, Freud n'intervenant que
comme figure extérieure. Le petit Hans le rencontre une seule fois, mais le
père rédige au jour le jour l'observation qu'il adresse scrupuleusement et
ponctuellement à Freud et Hans connaît l'existence du « Professeur ». Freud
est en quelque sorte un « superviseur » dont l'ombre plane sur la relation
père-fils et sur l'évolution de cette « cure à ciel ouvert ».
– Être mordu par un cheval. Hans est un enfant gai, agréable, fin, un esprit
aigu et pénétrant, mais, un jour, à la suite d'une crise d'angoisse dans la rue, il
développe une crainte (phobie) des chevaux (« J'avais peur qu'un cheval ne
me morde »). Tout se passe, se noue, se dénoue, entre le 7 janvier et le 2 mai
1908 et nous suivons, à travers les notes quotidiennes et précises du père, les
mouvements imaginaires, les discours, le poids des mots de la phobie (« la
bêtise », die Dummheit). Hans met en scène les déterminants de sa phobie
singulière à travers lesquels Freud reconnaît le rôle des conflits liés à la
découverte de la différence des sexes, à l'angoisse de castration, à
l'attachement exclusif à la mère, à la rivalité avec le père, à l'opposition entre
affection et agressivité pour le père.
– Pénis et naissance. La phobie a été précédée par plusieurs événements
marquants. D'abord, Hans est, à partir de 3 ans, très préoccupé par le pénis
(qu'il nomme « fait-pipi ») des êtres (le sien, celui de ses parents, celui des
animaux, notamment des chevaux ; il s'attend à ce que sa mère ait un pénis
comme un cheval !). La naissance de sa sœur Anna, alors qu'il a 3 ans et
demi, réactive cette interrogation ainsi que la préoccupation sur la naissance
des enfants. Il est d'ailleurs admiratif et intéressé par les autres enfants qu'il
appelle « mes » enfants. La sexualité, la différence des sexes, la naissance
sont alors des préoccupations essentielles.
– Jouer au cheval. Alors qu'il est en vacances à Gmunden (il a 4 ans et
demi), plusieurs faits surviennent qui, après coup, joueront un rôle essentiel
dans la phobie. Il s'attache à une petite fille, mais surtout il joue au cheval
avec les autres enfants : il est souvent le cheval (animal au grand pénis, il
aperçoit un cheval qui mord…). Plus tard, au moment où débute la phobie, il
attribue l'origine de celle-ci à cette époque en répondant à une question de
son père, à propos de ce jeu où il était le cheval : « Parce qu'ils disaient tout le
temps : à cause du cheval (il accentue à cause). Et alors c'est peut-être parce
qu'ils ont parlé ainsi : à cause du cheval, que j'ai attrapé la bêtise » (le 9 avril
1908, Freud, p. 132). Tout l'intérêt de l'analyse freudienne porte sur la
proximité du mot prononcé wegen (à cause) avec Wägen (voiture, signifiant
essentiel du discours ultérieur de Hans fasciné par les « voitures chargées »).
À cette époque, il lui arrive aussi de faire des rêves angoissants (départ de la
mère) : à chaque fois sa mère le prend dans le lit.
– Angoisse flottante. Au début de janvier 1908 (il a 4 ans et 9 mois)
commence une période marquée par l'angoisse « flottante », période
préphobique, d'« incubation », caractérisée par un rêve d'angoisse et une crise
d'angoisse. Le rêve est semblable à ceux de l'été précédent. Il se lève, en
larmes, et dit à sa mère : « J'ai cru que tu étais partie et que je n'aurais plus de
maman pour faire câlin avec moi » (p. 106). Puis le 7 janvier, lors d'une
promenade avec la bonne, il pleure dans la rue, demande à rentrer à la maison
et pleure de nouveau, veut « faire câlin » avec sa mère. Pour l'instant, aucun
objet phobique n'apparaît ; Hans est confronté au surgissement de l'angoisse,
de la panique, sans représentation précise ; seul l'affect d'angoisse est présent.
– Peur, fuite, assignation du cheval. Le lendemain, sa mère l'amène en
promenade à un endroit où il aime aller (Schönbrunn) : il a peur d'y aller,
pleure, semble avoir peur dans la rue, manifeste de la crainte à la vue d'un
cheval et, au retour, il finit, après une lutte intérieure, par dire à sa mère :
« J'avais peur qu'un cheval ne me morde. » La phobie fait son apparition
organisée autour des mots : « cheval » (objet phobique), « peur » et
« mordre ». Dès lors, le père, sous la direction de Freud, parle avec son fils,
fait raconter les souvenirs, favorise les associations, et permet que se dise ce
qui n'est pas clairement formulable par Hans. Rapidement, les préoccupations
sexuelles de Hans, mais aussi les multiples liens du symptôme, se font jour :
le cheval et son grand « fait-pipi » ne sont pas les seuls éléments d'un
imaginaire interrogeant la castration, la naissance, le rôle du père et la
séparation d'avec la mère… entre autres. Les conversations entre Hans et son
père tournent principalement autour de l'existence d'un pénis chez tous les
êtres (animaux comme le cheval, la girafe, et humains comme sa sœur et sa
mère) et la question de savoir si le « fait-pipi » tient bien, s'il est bien
enraciné. Dans le même temps, il tente chaque matin de venir dans le lit de
ses parents, rejouant la question œdipienne : le père le chasse, mais la mère se
laisse souvent fléchir.
– La girafe chiffonnée. Le 28 mars, il se lève la nuit et vient dans leur lit.
Le lendemain, pressé de questions par son père, il dit : « Il y avait dans la
chambre une grande girafe et une girafe chiffonnée, et la grande a crié que je
lui avais enlevé la chiffonnée. Alors elle a cessé de crier, et alors je me suis
assis sur la girafe chiffonnée » (p. 116). Pour Hans, ce n'est pas un rêve, mais
quelque chose qu'il a pensé (rêve ou fantasme ?). Il représente le couple
parental : la grande girafe est le père et la chiffonnée, la mère. Rêve œdipien,
s'il en est, d'autant que Hans avait, bien avant sa phobie, été préoccupé par la
girafe et son fait-pipi qu'il avait dessiné (p. 99-100).
– Le « professeur », oracle. Freud rencontre enfin Hans et son père.
Plusieurs éléments ressortent de la rencontre. En premier lieu, Freud désigne
le cheval comme un substitut du père, ce qui signifie que Hans a peur de son
père : il note que Hans est gêné parce que les chevaux ont sur les yeux et le
noir autour de la bouche, élément qu'il associe à la moustache du père. En
second lieu, il intervient en situant Hans, la phobie, le père – et lui – dans une
dimension mythique par la fameuse phrase : « et je lui révélai alors qu'il avait
peur de son père justement parce qu'il aimait tellement sa mère. Il devait, en
effet, penser que son père lui en voulait de cela, mais ce n'était pas vrai, son
père l'aimait tout de même, il pouvait sans aucune crainte tout lui avouer.
Bien avant qu'il ne vînt au monde, j'avais déjà su qu'un petit Hans naîtrait un
jour qui aimerait tellement sa mère qu'il serait par suite forcé d'avoir peur de
son père, et je l'avais annoncé à son père » (p. 120) : Œdipe révélé à l'enfant,
pourrait-on dire. Enfin, les rapports entre Hans et son père apparaissent à
Freud sous un jour nouveau, Hans reproche – à tort – à son père de l'avoir
battu, ce dernier évoque en revanche « un coup de tête » que lui aurait donné
Hans ; intéressant décalage entre le père réel, plutôt gentil, et un père
imaginaire, effrayant, terrible, menaçant, que s'invente Hans conformément
au mythe œdipien. Hans chercherait-il à se construire un père redoutable
comme le laisse penser Laplanche ?
– De phobie en philie. Déjà avant la rencontre avec Freud était apparue une
transformation à propos des chevaux : la peur s'était muée en jeu et en
compulsion à les regarder : « Il faut que je regarde les chevaux et alors j'ai
peur. » Mais la phobie s'améliore. D'autres thèmes apparaissent concernant
l'amour pour le père (qui rentre en conflit avec l'amour pour la mère, révélant
l'ambivalence, la dimension négative de l'Œdipe) : « Pourquoi m'as-tu dit que
j'aime maman et que c'est pour ça que j'ai peur, quand c'est toi que j'aime ? »
Pour Freud : « Il donne à entendre qu'en lui l'amour pour son père est en
conflit avec l'hostilité contre ce dernier à cause de son rôle de rival auprès de
la mère, et il reproche à son père de ne pas avoir jusque-là attiré son attention
sur ce jeu de forces qui devait se résoudre en angoisse » (p. 121). Assez
logiquement, Hans associe, dans son discours, son père au cheval : « Papa, ne
t'en va pas au galop » : la phobie a comme envers la philie (goût pour).
– Peurdupère, peurpourle père. Si la peur du père – représenté dans la
phobie par le cheval – provient de l'hostilité œdipienne contre le père, elle
s'accompagne d'un amour (courant tendre) pour le père que Hans craint
fantasmatiquement de détruire. Freud nous le signale : « Cette partie de
l'angoisse liée au père a deux composantes : la peur du père et la peur pour le
père. La première dérive de son hostilité contre son père, la seconde du
conflit de la tendresse – ici exagérée par réaction – avec l'hostilité » (p. 122).
– Peur des chevaux qui tombent, le charivari avec les pieds. Hans va
mieux, et son discours change. Il a maintenant (5 avril) peur que les chevaux
tombent quand la voiture tourne. Il commence à être fasciné par les « voitures
chargées », il joue au cheval dans la chambre… et brave le père. Ses
associations le portent vers le souvenir d'un cheval d'omnibus qui était tombé
et faisait du bruit (« charivari ») et vers le jeu du cheval à Gmunden, lieu où il
a « attrapé la bêtise ».
– L'analité : faire « loumf ». Le terme, néologisme, désigne pour Hans,
l'excrément. Les associations sur le charivari touchent à la question de la
défécation. Lorsqu'il est en colère ou doit faire « loumf », il fait du charivari.
La question de la défécation est aussi importante parce qu'il y a un lien entre
les représentations : les mots employés rapprochent les chevaux gros et
lourds, les voitures chargées, le charivari, la grossesse et l'excrément. Les
relations entre naissance et défécation sont fortement inscrites dans la
fantasmatique infantile. Pour Freud, « la peur de la défécation, la peur des
voitures lourdement chargées est donc équivalente à la peur d'un ventre
lourdement chargé » (p. 138). Les théories sexuelles infantiles ne sont pas
loin, Freud les perçoit. En revanche, il ne développe pas le rapport entre le
charivari et l'acte sexuel : le bruit, les mouvements…
– Le plombier, le grand perçoir… et la castration ? Hans dit : « J'ai
pensé : “Je suis dans la baignoire, alors le plombier arrive et la dévisse. Il
prend alors un grand perçoir et me l'enfonce dans le ventre” » (p. 138). Que
ce fantasme évoque la castration est probable, mais il tient aussi son
importance d'un autre fantasme (celui du 2 mai, soit 21 jours après le
premier) qui coïncide avec l'amélioration de son état et la disparition de la
phobie. Hans dit : « J'ai pensé : “Le plombier est venu et m'a d'abord enlevé
le derrière, avec des tenailles, et alors il m'en a donné un autre. Et puis, il a
fait la même chose avec mon fait-pipi” » (p. 163). Le père interprète en
termes de fait-pipi et de derrière plus grand « comme ceux de papa ». Hans
confirme en disant : « Et j'aimerais aussi avoir une moustache comme toi et
aussi des poils comme toi. » Ce second fantasme est généralement interprété
en termes de dépassement de l'angoisse de castration : ce qui a été perdu est
restitué par le père, modèle même de ce qu'est la dimension structurante de la
castration.
– La naissance. La question de la naissance, ébauchée à propos des
voitures lourdement chargées, s'associe maintenant au thème de la « caisse de
la cigogne » qui apporte les enfants (comme la petite sœur à propos de
laquelle il exprime des désirs agressifs). Il demeure fasciné par les voitures de
déménagement qu'il veut aller voir dans la maison d'en face (l'association
voiture/caisse de la cigogne/femme enceinte est-elle pertinente ?).
– « Mes enfants » et le « fait-pipi » des filles. Hans est préoccupé par le
désir d'avoir des enfants. Le 22 avril, il joue toute la matinée avec une
poupée, « Grete ». Il a introduit un canif, puis il a déchiré l'entrejambe afin de
faire passer la lame à travers et il a dit à la bonne en lui montrant l'entrejambe
de la poupée : « Regarde, voilà son fait-pipi ! » (p. 152). À la suite des
associations du père et des réponses de Hans, Freud estime qu'il parle de la
naissance et de l'incapacité de ses parents à lui donner des éclaircissements
sur celle-ci. Son jeu avec la poupée peut être traduit par une analogie, c'est
comme s'il leur disait : « Voyez, voilà comme je me figure qu'a lieu une
naissance » (p. 154). Il veut une petite fille mais ne comprend pas pourquoi il
ne peut pas en avoir. Il finit par saisir que les enfants se développent dans le
ventre de leur mère et qu'ensuite ils sont douloureusement poussés dehors…
comme un « loumf ». À la suite de cette compréhension de la naissance, son
état s'améliore.
– Le coup de tête au père et les enfants. Le 26 avril, il donne un coup de
tête dans le ventre du père ; il fait alors référence à l'agneau qui ne donnait
pas de coups de tête et au bélier de Gmunden qui était plus violent. Mais cette
opposition, cette rivalité avec le père, n'est pas le seul élément important.
Hans est angoissé par le rôle du père dans la conception : « Papa, quand je
serai marié je n'en aurai un que si je veux, quand je serai marié avec maman,
et si je ne veux pas de bébé, le bon Dieu ne voudra pas non plus, quand je
serai marié » (p. 159). Il exprime de nombreux fantasmes concernant « ses »
enfants (poupées). Il en arrive à dire « maintenant je suis le papa » : dans ses
fantasmes il se marie avec sa mère et le père devient grand-père. Mais, en
même temps apparaissent des éléments identificatoires : « J'aimerais aussi
avoir une moustache comme toi et aussi des poils comme toi ». La résolution
du conflit entre agressivité et amour pour le père entraîne-t-elle
l'identification ? Maintenant, il n'a plus peur et se risque dehors. À la suite
des explications sur la naissance, de l'aménagement du conflit entre amour et
haine, du dépassement de l'angoisse de castration (perdre quelque chose mais
aussi être réduit à être l'objet du père, le symptôme disparaît… de surcroît à
l'analyse).
– Retour du plombier. Le 1er mai, Hans veut que le père écrive au
Professeur évoquant ses enfants imaginaires, l'analité et son rôle de père.
« Ce matin, j'étais avec tous mes enfants aux W.-C. D'abord j'ai fait loumf et
pipi et ils regardaient. Alors je les ai assis sur le siège et ils ont fait pipi et
loumf, et je leur ai essuyé le derrière avec du papier. Sais-tu pourquoi ? Parce
que j'aimerais tant avoir des enfants ; alors je ferai tant pour eux, je les
conduirai aux W.-C., et je leur nettoierai le derrière, enfin tout ce qu'on fait
aux enfants » (p. 162). L'après-midi, pour la première fois, il se risque au
Stadtpark, auparavant interdit par la phobie qui a désormais disparu. Le
lendemain apparaît ce fameux fantasme du « fait-pipi » retiré, remis,
fantasme de castration et de résolution œdipienne selon la lecture freudienne.

Mots et situations essentielles

L'histoire de Hans paraît banale depuis que, grâce à lui, à Freud et à


quelques autres patients, on a admis après Sophocle la question de l'Œdipe.
Mais, ce qui n'est pas banal, ce sont les mots employés par Hans, mots qui
dessinent un théâtre intérieur original, un drame aux multiples ramifications.
Précisément, la clinique consiste à rester au plus près du discours du patient.
Ce n'est pas de « phobie » dont parle Hans mais de « bêtise ». La bêtise c'est
d'abord la peur que le cheval « ne » le morde. Ce « ne » explétif qu'ont
restitué les traducteurs français n'est pas une erreur : Hans est apeuré et
fasciné, partagé même (quel est le pire : que le cheval – représentant du père
– le morde ou qu'il ne le morde pas ?). Bien sûr, en langage savant, Hans
présente une phobie des animaux et une agoraphobie, mais pour lui, la
« bêtise » comporte deux formulations successives : le cheval qui pourrait
mordre, puis le cheval qui pourrait tomber. Or les situations sont liées à
d'autres, les mots ont, à chaque fois, plusieurs sens : beissen c'est mordre et
démanger, « tomber dans un tournant » rappelle un souvenir de chute d'un
cheval d'omnibus, donnée par Hans comme à l'origine de son état, mais aussi
le jeu du cheval à Gmunden qu'il place aussi comme lieu du début de la
phobie. Le cheval évoque le père (redouté, aimé…), le jeu avec les enfants de
Gmunden (wegen), la question de la paternité, mais il est aussi lié à la mère
par cette relation avec les voitures (Wägen), l'enfantement, l'accouchement…
Chacune des images, chacun des mots (signifiants au sens d'image acoustique
de Ferdinand de Saussure) impliquent d'autres sens et dessinent une
organisation particulière.

Interprétation freudienne de la phobie

Lorsque Freud reprend l'histoire de Hans, il retrouve un chemin qu'il


connaît – trop ? – bien. Avant l'apparition de la phobie du cheval, il y a eu des
crises d'angoisse (attaques de panique) sans objet phobique. Elles se repèrent
dans le rêve d'angoisse (du mois de janvier « pendant que je dormais, j'ai cru
que tu étais partie et que je n'avais plus de maman pour faire câlin avec
moi ») et dans la promenade du 7 janvier au cours de laquelle il a peur, veut
rentrer et « faire câlin » avec sa mère. Puis la phobie apparaît avec ses
remaniements et son double système de protection (« château », « donjon »
phobique : ne pas sortir ou être en compagnie de sa mère).
Le trouble est, pour Freud, d'origine sexuelle et œdipienne et il correspond
bien à ce que, précédemment, il a défini sous le terme d'« hystérie
d'angoisse », névrose dont le symptôme principal est, rappelons-le, la phobie,
et dans laquelle l'angoisse, contrairement à ce qui se passe dans l'hystérie de
conversion, n'est pas convertie en innervation somatique (conversion) mais
déplacée sur un objet. Le conflit œdipien est refoulé, les affects transformés
en angoisse, la phobie canalise l'angoisse. Freud estime donc :
– que l'angoisse est de la libido inassouvie, transformée et refoulée (le désir
interdit s'est transformé en angoisse) ;
– que l'angoisse est impossible à reconvertir en un autre affect ;
– que l'angoisse se fixe secondairement à un objet qui possède des liens
avec celui qui est impliqué dans le conflit originaire (cheval et père).
Cette thèse qui fait dépendre l'angoisse du refoulement, sera remise en
cause, principalement dans le texte de 1926 (Inhibition, symptôme et
angoisse). Elle sera laissée de côté par la plupart des constructions
kleiniennes, postkleiniennes, ou de l'Ego Psychology (Anna Freud et ses
élèves).

1.3. L'homme aux loups (1918)

L'analyse de l'homme aux loups (névrose infantile comportant une


phobie… des loups étendue à d'autres animaux), l'évolution de la théorie de
l'angoisse ont amené Freud à remanier sa conception originaire de la phobie.
Dans cette histoire de malade, Freud repère une scène de séduction passive
ayant fait l'objet d'un refoulement, et prenant son sens après coup. Ces effets
témoignent de la dimension traumatique de l'origine de la phobie et rappellent
sur ce point les premières thèses de Freud. Toutefois, le rêve des loups est à
l'origine d'une phobie des loups dont Freud donne une interprétation
extrêmement intéressante et originale mettant en rapport l'angoisse phobique
avec le refoulement d'un désir œdipien passif envers le père.
– Un rêve d'angoisse. Vers 3 ou 4 ans, la date est imprécise et fluctuante, le
petit Sergueï fait un cauchemar : « J'ai rêvé qu'il faisait nuit et que j'étais
couché dans mon lit. (Mon lit avait les pieds tournés vers la fenêtre ; devant
la fenêtre il y avait une rangée de vieux noyers. Je sais avoir rêvé cela l'hiver
et la nuit.) Tout à coup la fenêtre s'ouvre d'elle-même et, à ma grande terreur,
je vois que, sur le grand noyer en face de la fenêtre, plusieurs loups blancs
sont assis. Il y en avait six ou sept. Les loups étaient tout blancs et
ressemblaient plutôt à des renards ou à des chiens de berger, car ils avaient de
grandes queues comme les renards et leurs oreilles étaient dressées comme
chez les chiens quand ceux-ci sont attentifs à quelque chose. En proie à une
grande terreur, évidemment d'être mangé par les loups, je criai et je
m'éveillai. Ma bonne accourut auprès de mon lit afin de voir ce qui m'était
arrivé » (p. 342).
– Désir passif pour le père. Comme toujours, ce rêve a été précédé
d'événements marquants que Freud retrouve dans le discours du patient : la
séduction sexuelle passive par la sœur plus âgée, les références à la castration
dans le discours de la bonne (Nania), la lecture des contes mettant en scène
les loups et la dévoration. Mais surtout, comme le (re)construira l'analyse, le
rêve évoque le souvenir d'une « scène primitive » (observation par l'enfant de
la sexualité des parents) plus ancienne. Pour Freud, la question est celle du
désir passif œdipien : « Parmi les désirs formateurs du rêve, le plus puissant
devrait être le désir de la satisfaction sexuelle qu'il aspirait alors à obtenir de
son père. La force de ce désir rendit possible la reviviscence des traces
mnémoniques, depuis longtemps oubliées, d'une scène susceptible de lui
montrer à quoi ressemblait la satisfaction sexuelle par le père – et le résultat
en fut terreur, épouvante devant la réalisation de ce désir, refoulement de
l'aspiration qui s'était manifestée par ce désir, fuite devant le père et refuge
cherché auprès de la bonne plus inoffensive » (p. 348).
L'angoisse suscitée par ce désir, son refoulement, sont à l'origine de la
phobie. Pour Freud, l'angoisse « était une répudiation du désir d'être satisfait
sexuellement par le père, désir qui lui avait inspiré le rêve » (p. 357). La peur
d'être mangé par le loup, expression de cette angoisse, n'était qu'une
transposition « du désir de servir au coït du père, c'est-à-dire d'être satisfait à
la façon de sa mère. Son dernier objectif sexuel, l'attitude passive envers le
père, avait succombé au refoulement, et la peur du père avait pris sa place
sous la forme de la phobie des loups » (ibid.).
– Rêve et angoisse (p. 357). « Le rêve se termine par de l'angoisse,
angoisse qui ne se calma pas avant qu'il n'eût eu sa Nania auprès de lui. Il
fuyait ainsi son père pour aller à elle. L'angoisse était une répudiation du
désir d'être satisfait sexuellement par le père, désir qui lui avait inspiré le
rêve. L'expression de cette angoisse, la peur d'être mangé par le loup, n'était
qu'une transposition – régressive, comme nous allons l'apprendre – du désir
de servir au coït du père, c'est-à-dire d'être satisfait à la façon de sa mère. Son
dernier objectif sexuel, l'attitude passive envers le père, avait succombé au
refoulement, et la peur du père avait pris sa place sous la forme de la phobie
des loups. »
Bien que chez l'homme aux loups, il n'y ait pas eu de crise d'angoisse mais
d'emblée la phobie qui se manifestera de manière différente dans sa vie et se
liera à d'autres troubles, l'interprétation fait de la phobie la conséquence de
l'angoisse issue du refoulement d'un désir œdipien. Toutefois, chez ce patient,
dont l'ambivalence pour les substituts paternels domina la vie, si l'angoisse
est bien comme chez Hans une angoisse de castration, la question est ici celle
de l'attrait horrifié d'une « passivation » devant le père. Après le refoulement,
la motion tendre envers le père a disparu de la conscience : le père n'est plus
ni objet de la libido ni de l'angoisse : le loup, désormais, joue ce rôle ;
l'angoisse du loup vient à la place de la revendication d'amour adressée au
père.

1.4. Inhibition, symptôme et angoisse (1926)

À la suite des transformations de la théorie de l'angoisse, Freud reprend la


question de la phobie. L'angoisse n'est plus (seulement) de la libido
transformée mais un signal de danger pour le moi. Si, aupara- vant, le
refoulement produisait l'angoisse, maintenant c'est l'angoisse qui produit le
refoulement. Ce changement théorique ne modifie pas radicalement le
mécanisme de la phobie, mais simplement sa cause. Freud place à l'origine de
la phobie l'angoisse, « affect produit par le moi en réaction au danger » (p.
50), le danger étant représenté par la castration.
« J'ai prêté jadis à la phobie le caractère d'une projection, en ce qu'elle
remplace un danger pulsionnel intérieur par un danger perceptif extérieur.
L'avantage de cette substitution est que l'on peut se défendre contre le danger
extérieur en le fuyant et en évitant de le percevoir, tandis que la fuite ne sert à
rien contre le danger qui vient de l'intérieur. Cette remarque n'est pas fausse,
mais elle ne va pas au fond des choses, car la revendication pulsionnelle n'est
pas en elle-même un danger, bien au contraire, elle n'en est un que parce
qu'elle entraîne un véritable danger extérieur, celui de la castration. Donc
dans le cas de phobie, on n'a, au fond, que la substitution extérieure à un autre
danger extérieur (castration)… La seule différence avec l'angoisse devant un
danger réel, telle que le moi la manifeste normalement dans des situations de
danger, est que le contenu de l'angoisse demeure inconscient et ne devient
conscient que sous un aspect déformé » (Inhibition, symptôme et angoisse, p.
49).
Qu'il s'agisse de la phobie des animaux ou de l'agoraphobie (dans laquelle
le danger est pulsionnel : céder à ses convoitises érotiques, ce qui
impliquerait le danger de la castration), ou encore de la phobie de la solitude,
c'est bien l'angoisse de castration (angoisse devant le danger de castration lié
à la subversion de l'interdit) qui est au point de départ de l'angoisse alors
déplacée sur un objet ou une situation extérieurs que l'on peut fuir. C'est donc
le danger provoqué par le désir que permet de fuir la phobie.
Mais dans l'appendice de ce même texte, Freud ouvre une voie plus
systématique. Il considère en effet qu'une situation de détresse vécue – qu'il
nomme « traumatique » – est à l'origine de l'angoisse qui représente
désormais un signal d'alarme pour le moi. « L'angoisse, réaction originaire à
la détresse dans le traumatisme, est reproduite ensuite dans la situation de
danger comme signal d'alarme. Le moi, qui a vécu passivement le
traumatisme, en répète maintenant de façon active une reproduction atténuée,
dans l'espoir de pouvoir en diriger le cours à sa guise » (p. 96). Si l'angoisse
est la reproduction du traumatisme, si elle est un signal d'alarme pour le moi,
si elle déclenche la mise en place de défenses, la phobie est à la fois le
masque et le signe de l'irruption d'un danger (pulsionnel ou réel) pour la
personne.

1.5. Contradiction, unification du modèle

La modification de la théorie de l'angoisse, modification qui semble


radicale mais qui apparaît graduellement entre 1915 et 1924, retentit sur la
conception de la phobie qui est un mode particulier du traitement de
l'angoisse par le sujet. Son mécanisme ne change pas entre les deux théories
de l'angoisse : la phobie est toujours une localisation, une représentation, de
l'angoisse devenue une (simple) « peur » dont on tente d'éviter l'objet. En
revanche, la nature et l'origine de l'angoisse changent et, de ce fait, ce que
représente la phobie. De l'angoisse produite par le désir sous ses différentes
formes on passe, dans la dernière théorie de l'angoisse, à une angoisse plus
générale, reproduction d'un traumatisme. Il s'agit toujours de l'angoisse de
castration mais la nouvelle voie freudienne ouvre la question de l'archaïque et
de la nature préœdipienne de certaines phobies.

2. Les conceptions postfreudiennes

Les successeurs de Freud ont suivi des voies différentes qui tiennent à
leurs théories spécifiques de l'angoisse et à leurs conceptions de l'organisation
psychique (psychologie du moi ou théorie de la constitution précoce du
monde interne ou théorie du sujet de l'Inconscient). Curieusement, on
retrouve aussi dans les différences entre les modèles de la phobie le clivage
freudien entre première et seconde théories de l'angoisse : le refoulement
produit l'angoisse (première théorie, 1895) ou l'angoisse est un signal pour le
moi qui met en place le refoulement (deuxième théorie, 1926).

2.1. Melanie Klein

Melanie Klein envisage la phobie à partir des processus qui se développent


au début de la vie psychique (angoisses primitives, projection, défense…) et
qui rendent les manifestations phobiques structurantes dans le
développement, à l'instar de ce qui se produit pour d'autres phénomènes
rappelant la pathologie qui sont des moments nécessaires et organisationnels
du développement (cf. par exemple le sadisme, le masochisme de l'enfant, la
position dépressive). Ainsi l'angoisse de l'étranger décrite par Spitz (angoisse
du 8e mois) est, pour Klein, une phobie, usage métaphorique du terme mais
rapprochement assez saisissant. Ces phobies des premiers mois sont produites
par l'angoisse de persécution qui perturbe les relations avec la mère
intériorisée et la mère extérieure. Mais ces phobies transitoires, ce
fonctionnement phobique, éléments essentiels de l'organisation du psychisme,
ne doivent pas être confondus avec les phobies structurées, douloureuses,
inhibantes et persistantes qui représentent une pathologie invalidante.
Pour Melanie Klein – qui s'appuie sur sa conception du développement
précoce du monde interne – les pulsions prégénitales suscitent de l'angoisse
dont l'enfant se protège par une défense primitive, la projection, qui sert de
base à la constitution de la phobie, notamment lorsque réapparaît une
composante agressive. À l'origine des phobies, elle place un danger interne
lié à la crainte des instincts destructeurs et des parents introjectés contre
lesquels se rebelle l'enfant. L'angoisse originaire apparaît ainsi sous l'effet de
l'accroissement du sadisme contre l'objet et se manifeste à propos des objets
internes ou des objets externes. L'intensité des éprouvés d'angoisse trouve un
relatif apaisement dans le travail de représentation. Elle accorde une grande
importance aux fantasmes de dévoration (reliés au sadisme oral) dans la
constitution des phobies, ce qui reprend l'idée de Freud, mais elle ne donne
pas d'importance à la dimension sexuelle.
Bien que le terme « projection » convienne au mécanisme de la phobie
proposé par M. Klein, il est renouvelé par l'apparition du concept
d'« identification projective » (1952) qui désigne le mécanisme de défense
par lequel le psychisme essaie de se débarrasser d'une tension ou d'une
représentation intolérable en la localisant à l'intérieur d'un objet pour le
contrôler, le détruire… Chaque phobie peut être considérée comme un cas
particulier d'identification projective constituant une mise en forme
d'angoisses originaires schizo-paranoïdes de morcellement. Le moi projette
des parties clivées de lui-même (mauvaises) dans les objets extérieurs. Mais
le fantasme de pénétration totale dans l'autre pour le contrôler entraîne une
angoisse inverse de persécution comme la claustrophobie et les autres
phobies communes.
La phobie représente donc une solution « économique » à l'angoisse
suscitée par les conflits pulsionnels, plus particulièrement par un sadisme
violent (agressivité contre les parents) sur fond de destructivité génératrice
d'une angoisse persécutive. Elle donne une représentation à cette angoisse et
en localise l'origine à l'extérieur de l'enfant. L'importance de l'angoisse,
l'intensité des conflits, l'absence de défenses efficaces peuvent générer, à
partir de ces réactions « normales » du développement de l'enfant, des
phobies structurées dans l'enfance ou, en cas de conflits majeurs, le recours à
ce mode de traitement de l'angoisse et la création de phobies à l'adolescence
ou à l'âge adulte.

2.2. Anna Freud

Contrairement à Melanie Klein, Anna Freud fonde sa théorie sur le


développement du moi, mais la même ambiguïté est perceptible : elle parle à
la fois des phobies inhérentes au développement et des phobies structurées.
Elle évoque ainsi la « vraie phobie » (full-blown phobia) qui associe
symbolisation, condensation et projection (ou externalisation) dont le
mécanisme correspond à celui de la névrose et permet au Moi de se défendre
contre l'angoisse provoquée par la frustration. Le processus de la phobie
repose sur plusieurs conditions.
Il faut que le psychisme ait atteint un certain degré de maturation pour que
la phobie puisse se développer.
Avant cette maturation, l'enfant éprouve des « peurs archaïques » qui
renvoient à des états de terreur, de panique, de détresse et de désorganisation,
états différents de l'angoisse de castration.
Pour lutter contre l'angoisse, l'enfant développe une activité de rêverie,
mais la situation est fragile, remise en cause par un événement du monde
extérieur. Avec la différenciation progressive de la structure de la
personnalité, le déplacement sur les objets permet à l'activité psychique d'être
moins envahie par l'angoisse.
L'enfant recourt à l'externalisation de la source du danger pour contrôler
cette panique.
Pour rendre l'externalisation possible, il utilise la condensation (qui
précède l'externalisation) : les angoisses sont comprimées en un symbole qui
englobe et représente les différents dangers (préœdipiens et œdipiens). S'il n'y
pas de condensation, alors l'angoisse reste flottante. Par « condensation », elle
entend le regroupement d'une charge d'intensité jusque-là diffuse sur un seul
élément qui va focaliser cette angoisse.
Il est à noter qu'Anna Freud ne parle pas de projection, se distinguant ainsi
des concepts kleiniens et notamment de celui « d'identification projective ».

2.3. Les travaux américains

Fenichel reprend en 1944 la position freudienne sur les névroses qui sont le
résultat de conflits entre les désirs sexuels infantiles et la peur du danger liée
à ces désirs dans l'Inconscient. Le symptôme apparaît comme une forme de
résolution du conflit, un compromis entre désirs et peurs. La phobie se
constitue ainsi comme la substitution de l'angoisse à l'excitation, opération
qui déclenche l'évitement. Pour lui, la situation phobogène peut représenter
une motion agressive, évoquer une frustration précoce, ou encore rappeler
une punition inconsciemment redoutée.
En revanche, Greenson (1959) considère que les événements rencontrés
provoquent l'éveil de désirs spécifiques dans le Ça. Il en résulte une
intensification des conflits et un affaiblissement des capacités défensives.
Cette situation est génératrice d'une irruption d'angoisse à laquelle le sujet
réagit par la phobie dont l'origine est tant sexuelle qu'agressive.
De ces deux conceptions fondées sur le modèle de la seconde topique et
dans le prolongement du texte freudien Inhibition, symptôme et angoisse, se
distingue la théorie de Lewin (1952) qui se réfère à la première topique. Par
référence avec le rêve, il avance que la phobie est le « contenu manifeste »,
qu'elle représente une sorte de mémoire. Les phobies ne servent pas
uniquement d'alerte, mais elles reproduisent aussi des événements des
premières années.

2.4. Annie Birraux

La pensée originale d'Annie Birraux sur les phobies a marqué un


renouvellement des conceptions classiques. Sa position présente les mêmes
caractéristiques que celles de Melanie Klein et d'Anna Freud dans la mesure
où elle considère que la phobie répète, dans la pathologie, une forme de
fonctionnement originaire structurant du psychisme (ce qu'elle nomme
« structure phobique »). Le fonctionnement phobique est constitutif de la
différenciation moi-objet et de la notion d'altérité. Pour autant, elle ne
considère pas la phobie invalidante (qu'elle nomme « phobie-symptôme »)
comme négligeable. Elle lui accorde un rôle essentiel lorsque la pensée ne
peut plus utiliser ses défenses propres : situations de risque d'effondrement
narcissique, de menaces imaginaires pour le moi. Elle défend le moi contre
l'angoisse narcissique de perte d'identité par la création de l'objet phobogène
et de l'angoisse contra-phobique.

La « structure phobique », c'est-à-dire l'organisation originaire du Moi,


existe chez tous les sujets. Annie Birraux (1994) reprend les textes de Freud
(Pulsions et destins des pulsions, 1915, La Négation, 1925…) qui reposent la
question d'un Moi originaire (Ur-Ich) constitué à partir de la projection. La
phobie, phénomène projectif qui dérive vers l'extérieur l'angoisse perturbant
la pensée et contre laquelle l'enfant est démuni, est donc la répétition d'une
problématique située aux origines du sujet psychique où le moi s'édifie sur la
dialectique externe/interne et pulsion/défense. Elle avance ainsi que la phobie
est une structure originaire de la pensée, « structure déjà là » dont le
processus d'adolescence réactualise la nécessité fonctionnelle : son
expression témoignera de la capacité du sujet à éprouver ultérieurement le
travail pubertaire et ses éventuels achoppements. La phobie de l'adolescent
répète dans le langage de la génitalité une problématique aux origines du
sujet psychique, où le moi s'édifie sur la dialectique interne/externe induite
par le conflit « pulsions/défense » (p. 19).
La phobie a donc une double utilité : elle restaure le moi défaillant en
créant sur la scène externe l'objet narcissique qui se dérobe et, simultanément,
elle désigne l'objet sur lequel se condenseront les représentations
persécutrices dans un déplacement qui permettra de maintenir une
homéostasie interne tolérable. La fonction de la phobie est donc de réduire la
tension interne du psychisme confronté aux objets persécuteurs. Cet élément
constitue la partie économique de la thèse d'Annie Birraux.
Qu'il s'agisse de la « structure phobique » originaire ou de la phobie-
symptôme, elle est une tentative pour trouver des représentants psychiques à
la vie pulsionnelle dangereuse, elle transforme l'angoisse en peur qui peut
alors être traitée comme une menace externe. La phobie est donc une
tentative d'élaboration d'un conflit interne.
La position d'Annie Birraux peut être résumée ainsi :
– Une défaillance narcissique (effondrement) existe du fait des pulsions, de
la séduction ou du trauma. Elle entraîne des angoisses primitives que le
psychisme ne peut traiter puisqu'elles ne se lient pas aux représentations.
– La projection amène la constitution d'un objet phobique extérieur qui
fournit une représentation et rend possible la mise en place de mécanismes de
défense.
– « La phobie apparaît ainsi dans toute son utilité comme une procédure
qui permet au sujet de traiter l'angoisse en la rationalisant : raison de la
déraison, elle donne à l'angoisse un objet et la circonscrit dans l'espace et
dans le temps : il s'agit d'une mesure qui recrée les conditions de la peur –
c'est-à-dire d'une désubjectivation – et, en même temps, se donne les moyens
(le temps) de l'élaborer » (p. 15).
– L'apparition de la phobie-symptôme trouve sa cause dans les différentes
menaces d'effondrement, mais son cours dépend de la force du moi, de la
capacité à négocier avec les objets persécuteurs internes et du rapport entre
investissement du moi (narcissisme) et investissement des objets. Mais elle
est toujours une tentative d'élaboration d'un conflit, de mise en sens et de
représentation, un essai pour maintenir un sentiment de continuité et
d'existence. On retrouve dans cette thèse la confusion entre le moi et le sujet
que la perspective lacanienne n'a cessé de contester.

2.5. Lacan

Lacan pose la question de la phobie à partir d'une relecture très précise du


texte de Freud, reprenant même le plan de la Vienne de l'époque pour suivre
les pas d'Hans et de son père. Cette (re)lecture prend place dans son
Séminaire sur la relation d'objet (1956-1957) au cours duquel il avance la
thèse de l'identification de Hans au phallus maternel. À l'aide de la triade
initiale – la mère, l'enfant et le phallus, triade au sein de laquelle le père doit
intervenir – il pose que la phobie supplée à la carence du père réel, qui devrait
intervenir pour permettre à l'enfant de ne pas rester asservi, assujetti, au désir
de sa mère : la phobie est « mode de solution de ce problème difficile
introduit par les relations de l'enfant et de la mère ». À plusieurs reprises, il
reviendra sur le thème de la phobie au cours de ses séminaires (en 1964, 1969
et 1974) en s'interrogeant même sur l'existence d'une « structure phobique »
(comme l'hystérie et la névrose obsessionnelle) pour répondre par la négative,
qualifiant la phobie de « plaque tournante » : « On ne peut pas y voir une
entité clinique, écrit-il, mais plutôt une plaque tournante, quelque chose qui
doit être élucidé dans ses rapports avec ce à quoi elle vire le plus
communément, à savoir les deux grands ordres de la névrose, l'hystérie et
l'obsession, mais aussi bien la jonction qu'elle réalise avec la perversion » (Le
Séminaire XVI, D'un autre à l'Autre, 1968-1969).
_ Détresse, angoisse et peur. La conception lacanienne de l'angoisse
(distincte de la peur) est, à l'époque du commentaire de Hans, originale
puisque l'angoisse « surgit dans cette relation évanescente chaque fois que le
sujet est, si insensiblement que ce soit, décollé de son existence (…) bref,
l'angoisse est corrélative du moment où le sujet est suspendu entre un temps
où il ne sait plus où il est, vers un temps où il va être quelque chose où il ne
pourra plus jamais se retrouver – c'est cela l'angoisse » (p. 261).
Plus conceptuellement, elle apparaît juste avant que le sujet reconnaisse
qu'il n'a de place nulle part, quand il ne sait pas de quel désir il est l'objet de
la part de l'Autre, avant que l'état de détresse (Hiflosigkeit) ne risque de
surgir. La peur, en revanche, concerne toujours quelque chose de nommable,
de réel même si les objets gardent en eux la trace de l'angoisse. Cette
opposition (détresse-angoisse-peur) marque une continuité et les niveaux de
représentation du phénomène : la phobie trouve un objet imaginaire à
l'angoisse qui, d'une certaine manière, protège du surgissement de la détresse.
La phobie est une peur, c'est la peur qui protège de l'angoisse elle-même.
Chez Hans on connaît cette période d'angoisse « flottante » à laquelle succède
la peur du cheval. Mais il y a d'autres déterminants à cette situation.
_ La question du phallus. La lecture que Lacan fait du cas de Hans est
étroitement liée à sa conception du phallus (objet leurrant du désir) et de
l'Œdipe. C'est bien la question d'être le phallus supposé combler la mère qui
constitue l'origine de la « solution phobique ».
Dans un premier temps, à la sortie du stade du miroir, l'enfant demeure
dans une relation étroite, presque fusionnelle, à la mère. Il cherche à la
combler, à être tout pour elle, à être ce qu'elle désire. Il s'identifie ainsi à ce
qu'il suppose être l'objet du désir maternel : le désir de l'enfant se fait alors le
désir du désir de la mère qui est supposé se porter sur un objet manquant à la
mère, à savoir le phallus. Il devient l'objet qui est supposé manquer à la mère.
La question de l'enfant est alors : être ou ne pas être le phallus.
Dans un second temps, le père intervient comme tiers interdicteur. Il
représente, aux yeux de l'enfant, un objet possible du désir de la mère et il
rentre en rivalité avec lui. L'enfant est mis en demeure de remettre en
question son identification au phallus, et de renoncer à être l'objet du désir de
la mère. À la place de la question d'être le phallus qui satisfait la mère,
question qui gouverne le vécu par l'enfant de son propre désir, s'introduit la
dialectique de l'avoir (le phallus) – ou pas – qui gouverne le désir de la mère.
En même temps le père apparaît comme le détenteur de la loi. Cette loi
marque le déclin de l'Œdipe et confronte l'enfant à la castration. Atteint dans
sa certitude d'être lui-même l'objet phallique désiré par la mère, l'enfant est
maintenant contraint, par la fonction paternelle, d'accepter, non seulement de
ne pas être le phallus, mais encore de ne pas l'avoir – comme la mère dont il
se rend compte qu'elle le désire ailleurs, du côté du père, là où il devient donc
possible de l'avoir… en s'identifiant au père.
Le troisième temps correspond au déclin de l'Œdipe. Le sujet se rend
compte que c'est le père qui détient réellement le pouvoir de satisfaire le désir
de la mère ; il lui faut renoncer à ce pouvoir qu'il voudrait détenir et que le
père possède déjà. Il lui reste la possibilité de s'identifier au père, de vouloir
être ce père dont il n'a pu prendre la place. Le père est investi de l'attribut
phallique et il faut qu'il en fasse la preuve. Le phallus est réinstauré comme
objet du désir de la mère et n'est plus confondu avec l'enfant. Le phallus peut
être désiré. C'est le temps de la symbolisation de la loi. Le garçon cherche à
avoir le phallus, la fille se situe dans la position de ne l'avoir pas.
_ Hans et l'angoisse : la néantisation. La question qui va perturber Hans
et engendrer de l'angoisse est produite par la relation avec la mère que Lacan
qualifie d'« inassouvie » et l'incapacité du père à occuper sa place de père.
L'angoisse apparaît lorsque Hans s'aperçoit qu'il ne peut pas remplir la
fonction que la mère semble lui assigner. Si, jusqu'alors, il avait vécu dans la
certitude d'être ce qui comblait la mère, il se perçoit désormais comme
insuffisant, comme « néant ». L'angoisse provient ainsi de ce qu'il conçoit
qu'il n'est rien au regard de ce que la mère attend. Elle est liée à la
constatation d'un décalage entre ce pour quoi il est aimé par sa mère et ce
qu'il peut donner (puisque la mère le voit – en tant qu'enfant – comme un
substitut de l'objet de son désir). La naissance de la petite sœur, l'insuffisance
de son pénis réel au regard de ce que semble, pour lui, désirer la mère
ratifient ce sentiment de n'être plus rien.
_ Peur contre angoisse. La phobie apparaît dans ce contexte où Hans est
en proie à la néantisation, au sentiment d'être rejeté du monde maternel, à la
crainte d'une mère dévorante. La phobie (« cheval d'angoisse ») n'est pas de
l'angoisse mais de la peur : « la phobie n'est pas l'angoisse qui est quelque
chose qui est sans objet (…) Les chevaux sortent de l'angoisse, mais ce qu'ils
portent c'est la peur » (op. cit. p. 245). La formule de Lacan revient à dire que
la peur est un « avant-poste » contre l'angoisse : l'objet de la phobie est « une
arme à l'avant-poste contre la menace de disparition » (ibid.), arme à double
tranchant susceptible de se retourner contre le sujet lui-même.
_ Pourquoi le cheval ? L'apparition du cheval comme « objet phobique »
est, pour Lacan, liée à plusieurs choses. La condition permettant la phobie est
représentée par une angoisse liée à la faillite de la relation avec la mère et au
fait que le père ne joue pas son rôle symbolique. L'angoisse est précipitée par
deux éléments. D'une part, lorsque Hans essaie de séduire sa mère, elle lui
apprend que c'est interdit et Hans constate que son organe (pénis) est limité.
D'autre part, la petite Anna prend une place importante dans l'intérêt de la
mère. Quant au père, il demeure un fils (de sa propre mère) et il ne tient pas
la place assignée par le mythe d'Œdipe, place dans laquelle Hans tente de le
remettre.
Le thème de la phobie (peur que le cheval morde) est étroitement associé à
ce que vit Hans. En lui-même le cheval n'a pas une importance majeure, il est
pour Lacan un signifiant propre à représenter de multiples choses. L'angoisse,
à l'origine, n'a pas de rapport avec les chevaux mais elle a été secondairement
déplacée sur eux. Le cheval est un signifiant qui servira de support à toute
une série de transferts, de permutations, comme nous l'avons noté dans
l'analyse des mots de Hans sur sa phobie. Lacan estime qu'il ne faut pas
chercher du côté du signifié et des ressemblances entre le cheval et certains
thèmes mythologiques (contrairement à Jones qui finit par trouver que tout
est dans tout). Lacan n'est pas non plus convaincu que le cheval ne représente
que le père : il peut représenter tout ce qui menace Hans, y compris la mère,
le phallus imaginaire de la mère « qui ouvre la porte à l'attaque, à la
morsure » (op. cit., p. 341).
Mais le cheval n'est pas anodin. D'une part, il est lié à un événement de
l'histoire de Hans que celui-ci reconnaît lorsqu'il dit qu'il a attrapé la
« bêtise » à Gmunden. Pour Lacan : « Le cheval, avant d'être un cheval, est
un élément qui lie et coordonne, et c'est précisément dans cette fonction de
médiation que nous le retrouvons » (p. 316). Or ce qu'il lie est étroitement lié
à une opération de glissement du sens que Lacan nomme une opération
métonymique. Lorsque les enfants jouaient au cheval, Hans étant le cheval, ils
criaient tout le temps « c'est à cause du cheval » (wegen dem Pferd). Pour
Lacan : « à la naissance de la phobie, au point même où elle surgit, nous nous
trouvons devant le processus typique de la métonymie, c'est-à-dire devant le
passage du poids du sens, ou plus exactement de l'interrogation que comporte
le présent propos, d'un point de la ligne textuelle au point qui suit » (ibid., p.
317). Wegen est transféré au terme qui vient juste ensuite, dem Pferd.
Le cheval, véritable « figure héraldique » (« blason de la phobie »), est
propre à représenter plusieurs choses, d'autant que la phobie est diffuse : le
cheval, la voiture, les chevaux qui tombent, les chevaux qui mordent, les
voitures chargées ou pas… Ce que Hans semble craindre dans sa relation à sa
mère – inassouvie, dangereuse, dévorante – est répété dans la phobie qui
« dit » toutes ces situations. Le cheval qui mord semble dire : puisque je ne
peux plus satisfaire en rien ma mère, elle va se satisfaire comme moi je le
fais, elle va me mordre « comme moi je me mords, puisque c'est mon dernier
recours, quand je ne suis pas sûr de son amour » (p. 359). Le cheval qui
tombe semble dire « je tombe très exactement comme moi, petit Hans, je suis
laissé tombé pour autant qu'on en a plus que pour Anna » (ibid.). Comme tout
symptôme, la phobie reflète aussi l'ambivalence du désir du sujet : la morsure
est autant désirée que crainte, la chute peut être aussi désirée par lui que celle
d'Anna par exemple.
_ Effets de la phobie. La phobie a pour particularité de créer une division
dans le monde, un intérieur et un extérieur, une série de seuils dans l'espace
qui donnent à certains lieux, à certaines rencontres une place particulière.
Parmi eux, le cheval dont la fonction est de créer un de ces seuils qui
structurent le monde. À la suite de la rencontre avec certains signifiants le
cheval se met à ponctuer le monde extérieur de signaux. « Freud, plus tard,
parlant de la phobie du petit Hans, parlera de la fonction de signal du
cheval » (307). Le monde est restructuré par ces signaux, le marquant de
limites.
_ Lacan et Freud. Lacan met donc l'accent sur le rapport de Hans au désir
maternel et à la défaillance du père. Il se distingue de la lettre du texte de
Freud mais interprète aussi les interventions de Freud lorsqu'il donne des
orientations au père de Hans. Lacan résume la position de Freud à deux axes.
D'abord Freud conseille au père de dire à Hans que la phobie est liée à son
désir d'approcher sa mère, et que c'est parce qu'il s'occupe de son fait-pipi que
le cheval veut le mordre. Ensuite, Freud, par rapport à l'objet caché qu'est le
pénis de la mère de Hans, agit comme s'il retirait ce désir en ôtant l'objet de la
satisfaction et comme s'il conseillait au père de dire que ce pénis n'existe pas
(ibid., p. 280). Cette double intervention, remarque Lacan, a un effet
paradoxal, celui d'une sollicitation. « Au moment même où le père lui dit que
le cheval n'est là qu'un substitut effrayant de quelque chose dont il n'a pas à
se faire un monde, l'enfant, qui jusque-là avait peur des chevaux, est obligé,
dit-il, de les regarder » (ibid., p. 281). L'intervention pacifiante de Freud
entraîne une transformation du symptôme et le glissement du cheval aux
voitures – lourdement chargées.

2.6. Conclusion

Lacan a une pensée originale mais qui ne remet pas en cause la logique de
la phobie telle que Freud l'a dégagée, voie que ses élèves ont suivie. Pourtant,
il existe, au-delà d'un accord sur le mécanisme de la phobie, de notables
différences sur le statut de l'angoisse en cause dans la phobie : angoisse
œdipienne pour Freud, angoisses archaïques, préœdipiennes pour les
successeurs kleiniens ou de l'Ego Psychology, angoisses liées au désir de
l'Autre pour Lacan. P.-L. Assoun ira plus loin en insistant sur le double
aspect de l'angoisse, reprenant Freud et Lacan. « Au cœur obscur de la
phobie, on trouve cette peur des peurs, celle d'être “bouffé”, en fait d'être
coïté par cette archaïque divinité paternelle et/ou par le “crocodile” maternel.
Le combat phobique met “en avant-poste” cet objet révulsif avec lequel il
livre un combat… d'arrière-garde » (Assoun, 2005, p. 52).
Il reste que cette transformation par le « vecteur de la phobie » de
l'angoisse en peur n'est pas une simple opération économique, représentative
ou défensive. La peur n'a pas simplement comme effet de donner un objet à
l'angoisse. Si la terreur, l'angoisse – pourtant plus organisée – effacent
l'individu et le sujet, lui retirant la réaction consciente et l'attitude libre, la
peur garde en elle le germe de l'action dans la mesure où elle n'annule pas le
sujet qui la ressent. Le corps qui ressent la peur exprime son individualité.

3. Les conceptions comportementales

La phobie a sans doute été, à la suite de l'expérience de Watson (1920), le


premier trouble qui a fait l'objet d'une conception comportementale. Ce
symptôme est une réponse apprise par un conditionnement répondant (de
type pavlovien) ou opérant (type Skinner), l'anxiété est déclenchée par un
événement, ou bien elle était déjà présente comme une disposition, un trait, et
s'associe secondairement à un stimulus qui deviendra par conditionnement
l'objet phobogène : il déclenchera désormais de l'angoisse comme s'il
s'agissait d'un danger réel. Le schéma le plus simple consiste à considérer
qu'un stimulus inconditionnel suscitant de l'anxiété est associé à un stimulus
neutre (comme un animal, un bruit) qui sera stocké en mémoire et possédera
désormais la capacité d'opérer comme un signal de danger en l'absence du
stimulus inconditionnel (c'est-à-dire de tout danger « réel »).
Malgré son aspect simple et pertinent, ce modèle ne permet pas de rendre
compte de la richesse des mécanismes de la phobie, comportement plus
complexe que la salivation du chien de Pavlov ! La variante utilisant le
comportement « opérant » (fondé sur les conséquences de l'action) n'a pas
non plus permis de résoudre certaines difficultés, de même que la tentative
pour associer les deux : phobie déclenchée par un traumatisme
(conditionnement répondant) puis maintenue par l'évitement qui fait diminuer
l'angoisse, renforcement positif qui entraîne le maintien du comportement
phobique (conditionnement opérant). Pourtant ces modèles sont heuristiques
et pédagogiques, rendant plus facile la représentation théorique globale du
mécanisme de la phobie.
Plusieurs questions « simples » se posent à toute analyse de la phobie :
– d'où vient l'angoisse ;
– comment se fait le passage de cette angoisse à la situation/objet
phobique ;
– comment le comportement phobique s'établit-il ;
– quels facteurs de personnalité, de contexte, quelles composantes
psychologiques interviennent et à quel niveau ;
– comment la phobie se maintient-elle ?
En outre, une théorie générale de l'anxiété est évidemment nécessaire à
toute théorie de la phobie (cf. Graziani).
Les modèles comportementaux de la phobie reposent sur les invariants
suivants
– – traumatisme → anxiété massive.
– – lien entre cette anxiété et un stimulus neutre (ex : animal, lieu…) qui devient l'objet
phobogène (générateur d'angoisse en cas de présence réelle, voire imaginaire). Le
conditionnement peut être répondant, opérant ou vicariant ( modeling ) ou une combinaison des
trois ;
– – renforcement possible du lien par la répétition ;
– – conduites d'évitement entraînant une réduction de l'anxiété ;
– – renforcement des conduites d'évitement (soit parce qu'elles permettent de fuir le stimulus
aversif, soit parce qu'elles rendent possible l'obtention d'une sensation de sécurité) et,
corrélativement, de la phobie ;
– – augmentation « paradoxale » de l'intolérance aux situations anxieuses qui, de ce fait,
s'accroissent ;
– – maintien de la phobie.

3.1. Le conditionnement

Pour Eysenck, l'anxiété provient d'un traumatisme : un seul événement


traumatique ou une série d'événements marquants provoquent des réactions
fortes du système nerveux autonome, notamment de l'angoisse. Un stimulus,
auparavant neutre, s'associe au stimulus qui avait donné lieu aux réactions
émotionnelles traumatiques. Désormais, le stimulus auparavant neutre produit
la réaction d'angoisse. Le schéma est assez simple et correspond presque à
l'expérience de Pavlov : un événement déclenche l'anxiété et la proximité
spatiale ou temporelle avec un objet transforme celui-ci en signal de danger
que le sujet tentera d'éviter. Mais cette interprétation est insuffisante car toute
situation de traumatisme ne déclenche pas une phobie et celle-ci n'est pas
toujours précédée par un traumatisme.
Il est aussi possible d'expliquer comment la phobie se construit, à partir
non seulement du traumatisme, mais de ce que l'évitement entraîne. En
s'appuyant sur la théorie de Mowrer (« théorie des deux facteurs »), Eysenck
explique la persistance de l'anxiété et des comportements d'évitement
concomitants en mettant l'accent sur le soulagement obtenu par la fuite ou
l'évitement. Les sujets apprennent à éviter les situations menaçantes, ce qui
favorise à court terme une réduction de l'anxiété, mais augmente l'importance
de celle-ci : plus le sujet évite l'anxiété, plus il est vulnérable et plus elle
augmente, impliquant un recours plus fréquent à l'évitement. En revanche, la
confrontation au danger (c'est-à-dire l'inverse de la stratégie du phobique)
amènerait une extinction de l'anxiété. Le phobique essaierait sans s'en rendre
compte de se débarrasser rapidement de l'angoisse ce qui entraînerait un effet
inverse. C'est la thèse du « renforcement négatif par l'évitement » dans la
phobie.

3.2. Le modèle de Gray

Il représente une tentative pour localiser le substrat anatomique,


physiologique et biochimique des obsessions, phobies, états d'anxiété dans un
système hippocampo-septal de l'inhibition comportementale dont la fonction
serait de filtrer les stimuli pour voir s'ils concordent avec ce que le sujet
attend. En cas de concordance entre stimuli attendus et stimuli perçus ou de
dysrégulation du système à cause de perturbations physiologiques ou
biochimiques, le sujet va soit inhiber l'action (phobie) soit se lancer dans des
vérifications sans fin (obsessions-compulsions), soit déclencher une crise
d'angoisse (attaque de panique). La possibilité de prédire et de contrôler les
stimuli possède un effet réducteur sur l'angoisse : se débarrasser d'un signal
de danger revient à acquérir un signal de sécurité. Le maintien du
comportement phobique est lié à la recherche d'un signal de sécurité qui a
acquis, par conditionnement classique, cette propriété. Finalement, la
recherche et l'obtention d'une situation de sécurité (secure) auprès d'un objet
contra-phobique, d'un élément de protection, renforcent le comportement
phobique : ce n'est plus d'échapper à la situation angoissante qui produit
l'apprentissage de la phobie mais bien de trouver des éléments de sécurité,
des soulagements qui entretiennent le lien phobique entre une angoisse et un
objet banal (stimulus neutre, conditionnel).
Ce modèle repose sur une théorie particulière de l'angoisse (bio-
psychologique) fondée sur les recherches sur l'animal et sur les
benzodiazépines. Pour Gray, le névrosisme, la disposition anxieuse (anxiété-
trait), reposerait sur une sensibilité élevée à renforcer les événements
comportant un danger, et l'introversion représenterait une sensibilité accrue
aux signaux de punition plutôt qu'aux signaux de récompense. Les signaux de
punition et d'absence de récompense déclenchent le système d'inhibition
comportementale (système signalant un danger) qui augmente l'éveil,
l'attention et l'inhibition du comportement habituel : l'anxiété est l'émotion
qui accompagne cette activation. Ce système d'inhibition peut aussi être
déclenché par des stimuli nouveaux qui provoquent des réactions de peur.
Gray considère l'anxiété comme un état qui « influence » les réponses
comportementales face aux stimuli qui signalent soit une punition soit
l'absence de récompense.
Pour intéressante que soit cette thèse, elle pose deux problèmes. L'homme
est-il un animal ou bien le langage introduit-il une différence non négligeable
pour les activités complexes ? D'autre part, ce modèle général de tous les
troubles anxieux est purement spéculatif et non prédictif. Son utilité en
clinique est assez faible.

3.3. L'apprentissage social

Des auteurs comme Bandura ont tenté de montrer que la phobie pouvait
reposer sur l'observation du comportement des autres (apprentissage à partir
de modèles, modeling). Les phobies seraient apprises à partir des attitudes des
parents (transmission familiale de certaines phobies spécifiques ou sociales)
mais aussi à partir des modèles proposés par la culture et le discours social.
Toutefois, une distinction entre « peurs » – qui peuvent bien correspondre
aux mécanismes proposés par Bandura – et réelles phobies s'impose, ces
dernières paraissant difficilement explicables par l'apprentissage social. Une
fois encore la distinction entre peur banale et phobie est difficile à faire.
La phobie n'est peut-être pas un comportement aussi mécanique et isolé
que ne le laissent penser ces conceptions : la question de la présence
excessive de l'anxiété chez les patients phobiques (type de personnalité,
anxiété-trait), des mécanismes d'adaptation (coping, défenses), des éléments
d'évaluation des situations (processus cognitifs)… sont essentiels.

4. Les conceptions cognitivo-comportementales


Ce modèle, plus psychologique que le précédent, fait référence aux
schémas cognitifs (pensées ou images acquises au cours d'expériences
traumatiques préalables). Dans les phobies, comme dans les attaques de
panique et l'anxiété généralisée, le stress active des « schèmes cognitifs ». Il
existerait ainsi des monologues intérieurs à thèmes de mise en danger de la
personne ; la phobie serait un cas particulier d'issue de certains de ces
« schèmes ».

Invariants des conceptions cognitives de la phobie


– Prédisposition : type de personnalité, intolérance aux sensations physiques.
– Événements traumatisants (graves ou microtraumatismes répétés : humiliations…) et/ou
imitation de comportements familiaux ( modeling ) et/ou excès de messages éducatifs
insécurisants.
– Situation stressante → Réponse anxieuse (lien peur excessive – objet ou situation).
– Facteurs renforçateurs de la phobie : anticipation, rétrécissement focal de l'attention dirigée
sur la source perçue de danger, hypervigilance, focalisation sur les causes de peur (scanner
l'environnement, attention sélective), constructions de scénarios catastrophe (confusion entre
probable et certain), schèmes cognitifs (inférence arbitraire, erreurs d'interprétation…),
sentiments de dévalorisation et de vulnérabilité, évitements (entraînant une augmentation de
l'anxiété).
Schéma de la phobie :
– Avant la confrontation : anticipation (scénario catastrophe) → augmentation de la peur
anticipée et du sentiment de vulnérabilité.
– Pendant la confrontation : focalisation sur les signaux de danger et interprétations erronées
→ augmentation de la peur, diminution des capacités adaptatives à la situation.
Les théories cognitives applicables à la phobie sont issues des conceptions des schèmes
cognitifs (Beck) et de certaines théories de l'angoisse (Lazarus, Kelly).

4.1. Lazarus et le modèle interactionnel

Lazarus n'a pas, à proprement parler, édifié de conceptions de la phobie


mais sa théorie de l'angoisse est déterminante dans les théories cognitivo-
comportementales (Graziani, 2003). Le doute, l'indécision et l'incertitude, la
menace existentielle (dans l'anxiété-trait notamment) sont des caractéristiques
de l'anxiété. Les décisions du sujet anxieux s'accompagnent d'incertitude qui
concerne ce qui est en train de se passer et les moyens pour le modifier. Dans
l'anxiété pathologique, la personne est menacée par son propre sentiment
d'infériorité ou d'insuffisance. L'anxiété est une émotion provoquée par la
perception d'une non-congruence avec le but que la personne s'était fixé. Elle
est ainsi considérée comme le signal d'une perte de sens et d'un décalage
entre les attentes de la personne et la réalité.

4.2. Kelly et les constructions personnelles

Pour Kelly, l'être humain est un constructeur de sens qui produit une
organisation de la connaissance qui s'enrichit à mesure que le sujet interagit
avec son environnement. L'adaptation implique de modifier les constructions
non pertinentes c'est-à-dire de transformer le sens antérieur en intégrant de
nouvelles informations. L'anxiété serait provoquée par le constat que les
événements auxquels l'individu est confronté sont en dehors du domaine de
pertinence de son système de constructions. L'anxiété, fondée sur les
expériences de souffrance, de perplexité et d'absence de clarté, serait
provoquée par le constat d'inadéquation des constructions personnelles pour
faire face à la situation présente problématique. La peur émane de la
perception d'un changement imminent des structures centrales inadaptées
pour l'intégration d'informations nouvelles.

4.3. Beck et les schémas cognitifs

Beck reprend le modèle de Lazarus et les constructions personnelles de


Kelly. Les phénomènes anxieux sont le résultat d'un processus actif, continu,
comportant « des analyses, des interprétations et des évaluations successives
de la situation externe, de ses risques, des coûts et des avantages d'une
réponse particulière » (Graziani, 2003). La nocivité d'un stimulus vient de
l'analyse et de l'interprétation qu'en fait le sujet et des schémas cognitifs
particuliers qui permettent leur existence et leur donnent une forme
pathologique dans les troubles anxieux. Ces schémas sont des structures
inconscientes, des ensembles de représentations et de mécanismes qui gèrent
les différentes étapes du traitement de l'information (filtrage des informations
nouvelles, organisation et mode de rappel des informations stockées en
mémoire, classer, interpréter, évaluer et donner une signification à
l'événement, planification et gestion des actions). L'anxiété repose sur une
articulation de quatre facteurs complexes :
– physiologique : éveil du système autonome pour préparer la fuite ou la
défense contre le danger perçu ;
– comportemental : mobilisation pour fuir et se défendre contre le danger
perçu ;
– affectif/cognitif : sentiment de peur et d'appréhension ;
– cognitif comprenant :
_ symptômes sensori-perceptuels, sentiments d'irréalité, d'hypervigilance et
conscience envers soi,
_ difficultés à penser, de concentration, perte du contrôle de la pensée,
difficultés à raisonner,
_ symptômes conceptuels (schèmes cognitifs proprement dits) : distorsions
cognitives, croyances associées à la peur, images effroyables et pensées
automatiques fréquentes. Ces éléments sont le résultat d'un traitement de
l'information particulier qui constitue le cœur du modèle cognitif de l'anxiété.
L'anxiété entraîne une perte du contrôle intentionnel sur le processus de
pensée. La rencontre du « stresseur » amène la dégradation de l'organisation
cognitive (mise en cause des capacités de concentration, de remémoration, de
raisonnement et du contrôle des impulsions). Les anxieux perdent leurs
capacités d'observation objective de leurs « pensées automatiques » qui
permettraient de les ajuster à la réalité. Les cognitions sont si intenses qu'ils
ont des difficultés pour les « neutraliser » et pour déplacer leur attention sur
d'autres pensées. Parmi les moyens de lutter contre ces pensées, certains
individus mettent en place des comportements comme la fuite et l'évitement.
Il est aussi possible que l'échec des fonctions du processus secondaire soit
imputable à la contamination de l'organisation cognitive par les schémas
idiosyncratiques et hyperactifs et la fatigue mentale (épuisement des
ressources qui rechargent en énergie les schémas du processus secondaire).
Le schéma global reposerait sur une situation perçue de manière négative
qui déclencherait des émotions entraînant des pensées, des sensations qui
renforcent l'émotion et se renforcent. Il s'ensuivrait une crise croissante
provoquant une faible estime de soi, une appréhension et une anticipation
négative.

4.4. Conclusion générale sur la phobie. Thérapeutique(s) ?

Il est indéniable que sous le terme de « phobie » on place, selon les


paradigmes, des phénomènes cliniques parfois différents, même si le centre
reste identique. Il est aussi évident que les théories des mécanismes de la
phobie sont distinctes et parfois opposées, ce qui n'est pas sans retentissement
sur les méthodes de prise en charge des patients. La psychanalyse considère
que la phobie, en tant que symptôme (c'est-à-dire en tant que formations de
l'Inconscient comme le rêve, le lapsus), a un sens et une fonction. Elle
représente en effet une solution, quelquefois très pathologique, ou
inversement, structurante, à un conflit et possède une légitimité. La guérison
de la phobie ne saurait être un but en soi d'une cure analytique. L'hypothèse –
parfois (mais pas toujours) validée par la clinique – est que la disparition de
la phobie risque d'entraîner une modification préjudiciable de l'équilibre
précaire ou bien priver le sujet d'une voie d'expression efficace. Le risque est
alors que la phobie disparaisse puis, à l'instar du symptôme hystérique,
réapparaisse ultérieurement ou encore que, privé de ce recours, de cette voie
d'expression, le sujet ait recours à d'autres symptômes ou troubles plus
contraignants encore, voire que la disparition de la phobie, château fort alors
démantelé, laisse la place à l'irruption de troubles beaucoup plus sévères.
Le cas de phobie cité par Piera Aulagnier (1975) souligne ce risque. La
patiente présentait une phobie d'impulsion : « chaque fois qu'elle est dans la
rue elle craint d'être obligée de se déshabiller et de se montrer nue » (p. 254).
Cette phobie est très invalidante puisque la patiente refuse de sortir seule : sa
phobie ne disparaît que lorsqu'elle est accompagnée. Or rapidement,
Aulagnier se rend compte que cette phobie est associée à une « théorie
délirante primaire » qui assigne à la femme le rôle procréateur sans
intervention du sperme. Cette « théorie délirante primaire » ne s'accompagne
d'aucuns signes ni d'aucuns autres processus psychotiques. On imagine ce
que pourrait produire la disparition de la phobie.
Enfin, la question psychanalytique, telle du moins qu'elle est systématisée
par Lacan, pose bien la question de la nécessité du symptôme. Il représente
en effet une invention singulière, une solution qui possède une fonction de
prothèse et évite au sujet une forme de « dérapage ». Il conviendrait donc de
ne pas se fixer comme but l'éradication du symptôme. Cependant, la
conception du symptôme (ou sinthome dans la dernière partie de l'œuvre de
Lacan) n'est pas celle de la médecine. Ce n'est pas du « trouble » dont parle
Lacan, mais de ce qui fait symptôme pour le sujet et correspond à une
formation de l'inconscient. Ainsi, toute phobie n'est pas un symptôme,
d'autant que, nous l'avons vu, Freud hésite parfois entre la conception
« hystérique » et la conception « actuelle » (névrose actuelle) de la phobie.
Pour les théories cognitivo-comportementales, les phobies sont des
troubles qui perturbent l'existence des sujets et dont la disparition peut
constituer un objectif thérapeutique défini, explicité et planifié. En ce sens,
ces théories se situent dans une perspective médicale : diagnostic, pronostic,
traitement. Dans ce cadre, en complément d'un traitement tranquillisant et/ou
antidépresseur, les approches cognitivo-comportementales développent leurs
techniques originales, d'ailleurs fortement recommandées par l'OMS pour le
traitement de phobies. Ces techniques se développent selon certains
principes.
Elles accordent une priorité au travail sur les symptômes et sur l'adaptation
à l'environnement et non pas aux éléments du passé centrés sur le seul
individu.
Le thérapeute n'hésite pas à adopter un style directif, à donner des
informations, des conseils et à faire pratiquer des exercices pendant ou en
dehors des séances.
Le but de la thérapie est que le patient puisse retrouver une autonomie et
affronter ce qui lui fait peur.
Les phobies sont maintenues par des contre-attitudes (évitement,
amplification des peurs…) alors que le patient dispose de moyens
d'autoguérison que les Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC) vont
développer.
La démarche thérapeutique repose d'abord sur l'évaluation des troubles à
l'aide d'échelles d'auto et/ou d'hétérévaluation. Il en existe de très
nombreuses, certaines générales, d'autres spécifiques à une phobie
particulière : Questionnaire des peurs (Marks Mathews), Échelle d'évaluation
des phobies, attaques de panique et anxiété généralisée de Cottraux, Test
comportemental d'évitement (Marks), Questionnaire de cognitions
agoraphobiques (Chambless)…
Le schéma thérapeutique repose sur deux techniques principales :
l'exposition (se confronter à ce qui fait peur) et la restructuration cognitive
(critique et modification des schémas de pensée). À ces deux techniques
s'ajoutent des éléments secondaires mais utiles comme la relaxation, le
contrôle respiratoire, l'affirmation de soi (par des jeux de rôle pour apprendre
à exprimer ce que l'on ressent).
L'exposition permet de « désensibiliser » la personne en la confrontant à
des situations phobogènes d'une manière croissante. Cette confrontation doit
être longue, le patient se concentrant sur la situation anxiogène en utilisant le
moins possible de stratégies de distraction de l'attention. Plusieurs types
d'exposition sont proposés : en imagination, par imagerie virtuelle,
intéroceptives (déclencher les sensations physiques génératrices de la peur
pour apprendre à les maîtriser), expositions situationnelles (in vivo :
confronter directement le patient à ce qui lui fait peur).
– La modification des pensées automatiques (cognitions) passe par une
phase d'auto-observation (repérer ces pensées), puis par une réflexion sur la
pertinence et la logique des cognitions, voire de certains raisonnements et,
enfin, par la vérification de la fiabilité et de la pertinence de ces pensées.
Les conceptions analytiques et cognitives apparaissent ainsi très différentes
dans leurs représentations théoriques de la maladie et de l'approche
thérapeutique. Même si des points de rencontre, des analogies, peuvent être
retrouvés, ces deux perspectives vont en sens opposé. Si l'on adjoint à cette
différence la place qu'occupe le « transfert » (moteur de la cure) dans les
conceptions de la psychanalyse, les positions sont inconciliables.
4

Analyse de certaines classes de phobies


Si la phobie correspond à un schéma global, les grandes classes de phobies
utilisent aussi des mécanismes spécifiques. Les phobies infantiles, par leur
banalité, posent la question de la séparation entre phobie pathologique et
phobie banale accompagnant le développement. L'agoraphobie évoque la
question du rapport à l'espace mais aussi de la relation aux autres, à la
solitude et à la confrontation à soi-même. La phobie sociale ne peut être
comprise sans référence à ce qui fonde le lien social et à la question du regard
de l'autre.

1. La phobie chez l'enfant

Les phobies de l'enfant (Guéniche, 2007) posent un problème intéressant


puisqu'elles sont extrêmement fréquentes, accompagnent le développement,
mais peuvent aussi représenter des symptômes sérieux entraînant une
limitation de la vie de l'enfant et témoignant de la présence d'une organisation
pathologique structurée. La plupart des cas exemplaires de phobies donnés
par la psychanalyse sont des enfants : Hans, Arpad, Sergeï…

1.1. Cliniques des phobies

La psychanalyse distingue les peurs « archaïques » (comme l'angoisse du


8e mois, la peur devant l'étranger, les craintes de destruction, d'abandon…) et
les phobies « vraies » apparaissant à la période œdipienne (vers 3 ou 4 ans) et
correspondant à un déplacement de l'angoisse, à sa liaison avec un objet :
l'angoisse devient une peur, parfois structurante, parfois réduisant l'univers de
l'enfant (pathologie).
Les peurs de certains objets ou situations sont très fréquentes chez les
enfants mais le degré de gêne et de souffrance est souvent insuffisant pour
porter un diagnostic de phobie, au sens d'un trouble invalidant, douloureux et
fixe. Toutefois, la reconnaissance est d'autant plus difficile que l'anxiété de
l'enfant ne s'exprime pas forcément par la verbalisation de l'angoisse mais
surtout, selon l'âge, par des pleurs, des crises de colère, des réactions de
sidération ou d'agrippement de la personne proche. Ils verbalisent assez peu
une souffrance liée à la crainte d'objets ou de situations. D'ailleurs, les
phobies d'animaux, du noir, des bruits forts, des autres éléments de
l'environnement sont fréquentes mais transitoires.
Il semble bien qu'il faille différencier les peurs de l'enfance des phobies au
sens pathologique du terme. Les premières sont transitoires et gênent peu la
vie de l'enfant, les secondes sont durables, intenses, inhibent le comportement
de l'enfant et servent de pivot à l'édification d'autres comportements
pathologiques : anticipation, généralisation de la phobie, objet contra-
phobique rendu prisonnier de la situation, bénéfices secondaires aliénants…
Toutefois, ces peurs de l'enfant ne sont pas dénuées de sens et, sur le plan
clinique, il est parfois aisé de repérer une surdétermination qui laisse place à
une éventuelle névrotisation : la peur de l'enfance peut servir de
« complaisance » et être utilisée par la névrose infantile au même titre qu'un
trouble somatique réel peut servir de « complaisance somatique » à la
conversion hystérique (Pedinielli, Bertagne, 2002). Nous sommes alors dans
le registre du processus de l'hystérie d'angoisse, une peur banale devenant le
symptôme de l'enfant, chargé de sens, les motions inconscientes trouvant là,
dans la phobie, une voie d'accès.

Eva avait, dans l'enfance, plusieurs phobies banales : peur du noir, peur du vide et surtout
peur de l'eau. Cette dernière a persisté à l'âge adulte sans, toutefois, revêtir un caractère
suffisamment important pour permettre de porter un diagnostic de « phobie » au sens du DSM.
Or cette peur est surdéterminée, et s'est constituée par étapes et elle agence des signifiants
particuliers. 1) À l'âge de 3 ans, Eva avait failli, alors qu'elle était à la mer, se noyer emportée par
un rouleau. Sa mère l'avait rattrapée in extremis en la prenant par sa queue-de-cheval. 2) Son
enfance a été marquée par la répétition des « plaisanteries » de sa sœur aînée qui, régulièrement,
prenait plaisir à lui plonger la tête sous l'eau, taquineries qui revêtaient une dimension d'angoisse
avec évitement : Eva regardait autour d'elle avant de rentrer dans l'eau, de façon à surveiller sa
sœur et à éviter ces brimades qui l'angoissaient. Comme les parents promettent un canoë aux
deux enfants, à condition qu'elles obtiennent leur « brevet de 50 mètres », Eva est obligée
d'apprendre à nager à la piscine et, dans le même mouvement, les brimades cessent. 3) Eva, à ce
moment, a 8 ans ; elle apprend à nager avec un « maître-nageur » ami du père. À l'occasion d'un
cours, alors qu'elle est dans l'eau, encore malhabile, les deux amis (le père et le maître-nageur)
discutent, ne la regardent pas et relâchent leur surveillance. Elle sait désormais nager et pourrait
se débrouiller seule, mais voyant qu'ils ne la surveillent pas – qu'ils ne la regardent pas – elle
« panique » et se met rapidement à « boire la tasse ». On s'en aperçoit, on la remonte sur la berge
et, pour la rassurer, on lui dit que la ceinture flottante qu'elle porte sur elle pour nager est
insuffisante pour la porter, qu'elle arrive à flotter par elle-même, à avancer, et qu'elle sait donc
nager : nouvelle panique. Le cours suivant, elle s'enferme dans les W.-C. et, profondément
angoissée, refuse d'aller dans la piscine, qui devient phobogène. Elle n'y retournera plus. Mais
ses parents l'emmènent toujours en vacances au bord de la mer et, là, elle est attirée par les
enfants qui nagent. Petit à petit, elle se laisse aller à rentrer dans l'eau… et elle se rend compte
qu'elle sait nager. Quelques longs mois après, elle décide de passer le fameux « brevet »,
l'obtient… mais elle n'aura pas le canoë parce que la mère a peur des risques du bateau et… de
l'eau (elle ne sait pas vraiment nager et ne se risque pas là où elle n'a pas pied). Adulte, Eva a
toujours peur de l'eau, mais elle réussit à dépasser sa peur, sauf si le fond est sombre et/ou la mer
est agitée. Deux épisodes réactivent la phobie : un courant l'entraîne loin de la plage avec une
adolescente qui commence à avoir très peur et à se débattre ; une autre fois, nageant avec masque
et tuba, alors qu'elle est fascinée par les fonds marins, elle a une attaque de panique en
remarquant la profondeur et la couleur sombre du fond. Dans sa vie, elle a toujours été tentée de
faire de la plongée ou de l'observation sous-marine, très
attirée par les fonds, notamment tropicaux, mais elle a toujours été mal à l'aise. La
profondeur, qui confine à la question de la peur du vide, se conjugue à la peur du noir : quand la
mer est sombre, que pourrait-il sortir des abysses ? Curieusement, dit-elle, elle n'a jamais fait de
rêves ou de cauchemars qui concernent l'eau.

1.2. Psychopathologie des phobies de l'enfant

Deux niveaux doivent être distingués : les phobies qui accompagnent le


développement et les phobies symptômes d'une pathologie installée. Chez
l'enfant, l'apparition de certaines phobies « banales » fait partie du
développement maturant normal (cf. A. Birraux). Elles sont précédées par les
premières tentatives du psychisme pour distinguer ses objets d'investissement
(premières tentatives de distinction entre bon et mauvais objet). Le mauvais
objet est projeté au-dehors et entraîne des conduites d'évitement et de
préservation d'un bon objet interne. À cet égard, la peur de l'étranger
représente la première constitution d'une phobie « normale » puisque
l'étranger est le lieu de la peur : elle serait un phénomène qui évoque le
rapport avec les objets primaires. Au cours du développement, sous l'effet de
la confrontation à la séparation, puis à la castration, la phobie prend différents
sens, mais constitue toujours une représentation et une localisation de
l'angoisse. Jeammet parle ainsi de « travail phobique » pour en montrer les
aspects positifs de mise en représentation et de protection. Par la phobie,
l'angoisse devient figurable : « le travail phobique » facilite le développement
de mécanismes de déplacement qui permettent d'avoir peur d'une situation
qui expose l'enfant à ses désirs en les déplaçant sur des représentations
éloignées de l'originaire.
En revanche, les phobies liées à la pathologie se constituent comme un
obstacle au développement, comme une organisation fixe, autonome, qui
limite l'accès à la résolution du conflit. Cette phobie, que nous retrouvons
chez Hans par exemple, est en effet une « solution » à l'apparition d'une
angoisse difficile à supporter, angoisse générée par un conflit insoluble en
lien avec les images parentales : père fantasmatiquement castrateur, mère
inassouvie et dévorante… Selon le schéma que nous avons développé
précédemment, au point de départ se situe l'attaque inaugurale de panique qui
signe une mortification, un vécu d'être coincé, passivé, soumis, que
« l'enfant-poule » de H. Deutsch révèle clairement. Sa phobie des poules
provient d'un souvenir traumatisant, d'un jeu dans lequel il était accroupi
alors que son frère se jetait sur son dos en criant : « Je suis le coq et toi tu es
la poule ». Dans les larmes, la rage, le futur phobique, sans doute conscient
de cette irréductible passivation, féminisation, cria : « Mais je ne veux pas
être une poule ». Faut-il entendre « être ta poule », « je veux être autre
chose », « je ne veux pas être réduit à ça »… ? L'expérience traumatisante le
confrontant à l'homosexualité, au retour de la castration dans le réel,
déclenche cette panique qui se transforme en phobie lorsque le sujet
commence à avoir peur des poules de la ferme où il vit et à les éviter. La
panique liée à la passivation s'est transformée en angoisse – qui est une forme
d'activité – puis la phobie constituée représente une réaction contre cette
horreur de la passivation originaire.

2. Les phobies spécifiques

2.1. Définition

Ce terme, ou celui de « phobies simples », désigne le « noyau » des


phobies, l'agoraphobie et les phobies sociales étant des formes particulières
nécessitant des interprétations spécifiques, notamment du fait qu'elles
concernent non pas un objet matériel précis mais des situations (difficiles à
objectiver) et qu'elles intègrent toutes deux une dimension sociale apparente.
Une part de la théorie générale des phobies présentée ci-dessus concerne
donc surtout ce type de phobies.
Pour le DSM-IV, le trouble « phobie spécifique » (auparavant phobie
simple) implique une peur marquée et persistante d'objets ou de situations
objectivement visibles et circonscrits. En cas de confrontation (réelle ou
imaginaire), il y a « presque invariablement une réponse anxieuse
immédiate ». Cette peur est reconnue comme excessive ou irraisonnable par
la personne avec évitement, ce qui entraîne des conséquences négatives sur la
vie quotidienne et professionnelle. Ces phobies sont de plusieurs types :
animal, environnement naturel (orage, hauteur, eau…), sang – injection –
accident, situationnel (transports publics, tunnels, ponts, ascenseurs, voyage
aérien, conduire une voiture ou les endroits clos), situations pouvant conduire
à un étouffement, faire vomir, contracter une maladie, « phobie de l'espace »,
peur des bruits forts et des personnages déguisés (chez les enfants). Les plus
fréquentes seraient les phobies des hauteurs, des araignées, des souris, des
insectes. Elles peuvent être accompagnées d'autres troubles anxieux, de
troubles de l'humeur, d'utilisation de substances (alcool, tranquillisants…).
Seulement 12 à 30 % des patients atteints chercheraient de l'aide auprès
des services médicaux. Ces phobies varient avec la culture, notamment pour
les thèmes comme les esprits, la magie. Deux fois plus d'hommes que de
femmes seraient atteints, mais il y a des variations selon le type de phobie.
Ces phobies débutent souvent dans l'enfance, plus précocement chez les
femmes que chez les hommes. Les facteurs prédisposants sont les
événements traumatiques, les attaques de panique, l'observation d'autres
personnes subissant un traumatisme, certaines transmissions d'informations.
Le risque est plus grand quand il existe déjà des phobies dans la famille
(phobies à caractère familial).
Le diagnostic différentiel doit être réalisé avec les autres phobies et les
autres troubles anxieux (dont le PTSD – stress post-traumatique – et les
TOC), avec l'anxiété de séparation, l'hypocondrie (où il y a présence ou
absence de conviction de maladie), avec l'anorexie mentale (on ne parle pas
de phobie si le trouble est uniquement lié à la nourriture), et avec la
schizophrénie (idées délirantes).
Ces phobies simples sont innombrables, tout objet pouvant devenir
phobogène. Les multiples formes décrites pas Stanley Hall sont là pour en
témoigner.

2.2. Psychopathologie

Lecture psychanalytique

La psychanalyse s'est surtout intéressée à ces phobies spécifiques, ce qui


explique que leur interprétation constitue en fait le modèle général de la
phobie. Les phobies des animaux, notamment, ont constitué le thème central
des premières théories psychanalytiques : le petit Hans, l'homme aux loups,
Arpad le petit homme-coq de Ferenczi, l'enfant-poule de H. Deutsch… Mais
qu'il s'agisse de phobies des animaux ou des autres phobies d'objet, voire de
situations, le schéma est semblable, même si les auteurs divergent sur
l'origine et le sens : l'objet de la phobie cristallise l'angoisse en l'associant à
une représentation et permet de la réduire en évitant l'objet. L'angoisse
flottante apparue à la suite d'un conflit (dont la nature varie selon les auteurs)
est secondairement déplacée sur un objet qui est évité et/ou affronté à l'aide
d'un objet contraphobique.
Une des questions posées par la psychanalyse est celle de ce que représente
l'objet phobique. Elle comporte deux niveaux : la clinique du cas où il s'agit
de comprendre ce qu'évoque cet objet pour le sujet concerné, et la
construction théorique qui tente de fournir un statut général de l'objet dans la
phobie. La clinique est soumise au discours du sujet, à ce qu'il laisse entrevoir
de son désir et de son histoire : ce faisant, l'objet phobique apparaît non
seulement comme un objet réel mais aussi comme une représentation
(Vorstellung) et un signifiant. L'analyse du petit Hans a montré que l'objet de
la phobie – le cheval – pouvait évoluer (tomber, mordre, être attelé… puis les
voitures lourdement chargées). À ce titre, la phobie originelle (peur du cheval
et de sa morsure) se transforme et en vient à représenter d'autres éléments. Si
le choix du cheval est lié à l'histoire de Hans (wegen dem Pferd) et au père, il
est aussi un symbole d'autre chose. L'objet n'a donc pas de sens en lui-même
et peut être pris dans de nombreuses associations qui le placent comme un
nœud dans un écheveau. Cet objet est aussi nettement inséré dans l'histoire de
l'individu et, à ce titre, il est associé à des expériences marquantes qui
condensent des significations différentes : trauma, déplaisir, angoisse,
dévalorisation, perte du sens… Ainsi Arpad, le petit homme-coq de Ferenczi,
est-il fasciné par les poulets mais il a très peur des poulets vivants. Le
souvenir fait apparaître une scène où il avait eu le sexe mordu par un coq.
Mais chez lui comme chez certains phobiques, la zoophobie débouche sur
une idéalisation ultérieure de l'objet : il vénère le coq… Le fétiche et le totem
ne sont pas si éloignés de l'objet phobique. Ce petit phobique révèle, dans sa
phobie des coqs (craints et idéalisés), les deux aspects du totémisme que
Freud avait évoqué dans Totem et tabou : l'identification avec l'animal
totémique et l'ambivalence.
Celui que Freud a surnommé « l'homme aux loups » ne présente pas une
phobie unique : à certains moments, ce sont les lions qui l'inquiètent et il
développe aussi une « phobie du papillon ». Ce papillon présente des
caractéristiques précises : des « ailes rayées de jaune, terminées en pointe ».
L'enfant, alors qu'il poursuit ce papillon, est saisi d'une terrible angoisse
lorsqu'il se pose sur une fleur : la crainte apparaît alors que le papillon est
immobile et l'angoisse naît du mouvement de ses ailes sur la fleur. Les
sollicitations de Freud amènent l'homme aux loups à produire des
associations et à retrouver des souvenirs qui ont trait à l'acte sexuel, à son
éveil sexuel d'enfant (avec Grouscha). Le papillon est ainsi pris dans une
analogie avec la situation sexuelle désirée et inquiétante.
La question plus théorique du statut de l'objet dans la phobie est à ramener
à ce qui provoque l'angoisse à l'origine et à ce dont protège la phobie. En
suivant les théories de l'angoisse et leurs évolutions, il est logique de
considérer que la première angoisse est celle de la séparation, de retrouver un
autre visage que celui, attendu, de la mère. Certains auteurs comme Denis,
ont ainsi considéré que l'angoisse du 8e mois (angoisse devant le visage de
l'étranger, angoisse de séparation) était la première phobie. Dans nombre de
travaux analytiques post-freudiens, l'objet phobique représente cette angoisse
de séparation ou de néantisation liée à la perte de soi par l'absence de la mère
ou l'apparition de ce qui n'est pas elle. Mais il y a un deuxième niveau de
l'angoisse qui concerne cette fois la castration. C'est cette voie que Freud a
développée. Et la question du père y est centrale comme le montrent les
histoires de Hans et de l'homme aux rats. Plus précisé- ment, deux aspects de
la phobie apparaissent : ce qui génère l'angoisse de castration et la nature de
l'objet phobique.
Les cas de Freud semblent montrer que si le père fait peur, ce n'est pas tant
la crainte de sa vengeance que l'on trouve dans la phobie, que le risque d'être
soumis par le père. La « passivation » envers le père (être l'objet asservi du
père) comporte un attrait horrifiant, une sollicitation. Freud l'avait mentionné
dans Hans : la représentation de la dévoration par le père est « l'expression
dégradée par régression d'une motion tendre passive, qui représente le désir
d'être aimé par le père comme objet au sens de l'érotisme génital ». L'élément
déterminant qui provoque l'angoisse de castration à l'origine de la phobie est
donc ce sursaut contre cette identification passive. Pour Freud, être dévoré
par le loup, être mordu par le cheval expriment la crainte de la castration qu'il
faut comprendre comme une angoisse d'être dévoré, détruit, asservi. Chronos
– qui dévore ses enfants – est le personnage mythique de cette crainte. La
dévoration que Freud met au compte du père désigne, pour Lacan, la mère
vorace, comme celle du petit Hans : « à mère inassouvie, fils phobique » dit
Lacan pour désigner ce mouvement de Hans d'abord candidat à la fonction
d'être le phallus de la mère, puis rejeté et réduit à une néantisation. L'animal
phobique est alors « une incarnation monstrueuse mais potentiellement
symbolisable de l'angoisse de castration » (Assoun, 2005, p. 79).

Analyse cognitivo-comportementale

Ici encore les phobies simples ou spécifiques ont servi le premier des
éléments à la construction théorique de la phobie, tels que nous les avons
présentés plus haut. De multiples éléments ont été évoqués. Seligman (1971),
notamment, sépare les phobies en deux classes : les phobies préparées et les
phobies non préparées. Une prédisposition génétique facilite l'apprentissage
des premières qui correspondent à des craintes qui ont ou ont eu une fonction
protectrice pour l'espèce. La deuxième classe correspond à des craintes de
situations ne représentant aucun danger pour l'homme. Très curieusement
cette position n'est pas éloignée de ce que Freud évoquait dans ses premiers
textes. L'interprétation des phobies spécifiques fait appel 1) à l'existence
d'une anxiété (souvent anxiété-trait) qui entraîne des modifications des
perceptions et s'associe à des schémas cognitifs ; 2) à l'insuffisance des
mécanismes de coping pour lutter contre l'angoisse ; 3) au rôle des
événements antérieurs et de l'entourage ; 4) au renforcement du lien entre
objet et anxiété (c'est-à-dire la phobie en tant que telle). Le « choix » de
l'objet ou de la situation phobogène est déterminé par la rencontre entre une
angoisse intense et le futur objet de la phobie (animal, sang, situation…), la
phobie se constituant par le renforcement comme dans un cercle vicieux :
l'angoisse se focalise sur l'objet puis se renforce par l'évitement de cet objet.

L'anxiété et ses effets

Les effets de l'anxiété ne sont pas des causes directes de la phobie mais ils
contribuent à la rendre possible ; ils constituent un terrain favorable. On a
ainsi remarqué (Cottraux Mollard) que l'anticipation anxieuse et le souci
d'organisation des situations (tous deux véritables traits de personnalité)
contribuaient à rendre certains événements plus anxiogènes et à initier ou
maintenir la phobie. Il en va de même de l'attention sélective et de
l'hypervigilance évoquées par Rachman (1998). L'anticipation des peurs se
manifeste par l'utilisation d'une « attention sélective » (recherche de stimuli
qui indiquent la présence d'une menace) qui entraîne un rétrécissement focal
de l'attention dirigée sur le danger et accompagné par une négligence des
autres stimuli. L'hypervigilance s'active quand les anxieux se confrontent à
une situation nouvelle. Ils l'explorent jusqu'à ce qu'un signal de danger soit
détecté, puis ils focalisent leur attention intensément sur la menace
potentielle : les objets menaçants apparaissent plus nets, plus saillants et aussi
plus imposants.
Les souvenirs d'expériences, issues de l'enfance, de l'impossibilité de
contrôler les situations angoissantes restent en mémoire (mémoire à long
terme). Ces expériences précoces d'absence de contrôle augmentent la
probabilité que le sujet, confronté à des situations similaires, les évalue de la
même façon. Les situations stressantes précoces peuvent donc avoir une
importance disproportionnée et fragilisent à long terme la capacité de faire
face aux situations inquiétantes. L'anxiété-état, réactionnelle à la
confrontation stressante, devient peu à peu anxiété-trait (personnalité
anxieuse) qui sera toujours présente même hors des situations dangereuses.
La multiplication des confrontations à des situations dangereuses (par
exemple séparations, conflits… dans l'enfance) facilite ce passage de
l'anxiété-état à l'anxiété-trait. Celle-ci, flottante, vague, persistante, indéfinie,
est une condition prédisposante à la phobie dans la mesure où elle est un
amplificateur (Endler, 1997).

Les événements antérieurs et l'entourage

Chorpita et Barlow (1998) soulignent l'importance de certaines expériences


précoces incontrôlables et imprévisibles. Les traces de ces confrontations
difficiles, d'absence de contrôle sont stockées en mémoire à long terme. Elles
influencent la perception de la situation actuelle et accroissent le risque que le
sujet se perçoive comme incapable de faire face aux confrontations, aux
situations difficiles. Ces expériences répétées peuvent provoquer une
hypervigilance, une attention sélective et augmenter les risques d'anxiété
chronique ou d'états émotionnels négatifs similaires à ceux ressentis pendant
ces expériences. En outre, un nombre élevé d'expériences précoces
d'événements incontrôlables peut conduire les sujets à évaluer et à traiter les
situations comme hors de leur propre contrôle.
Outre ces situations de confrontations incontrôlables générant de
l'angoisse, voire les traumatismes de l'enfance, les circonstances éducatives
jouent aussi un rôle non négligeable dans l'apparition de l'anxiété et la genèse
des phobies. L'anxiété, les phobies simples se transmettent aisément dans la
famille et dans l'éducation. Le rôle de l'apprentissage social, du modeling, a
été, nous l'avons vu, affirmé par Bandura : la présence d'une phobie simple
chez les parents est un facteur favorisant l'apparition du même trouble chez
les enfants. Une analyse semblable peut être faite pour l'anxiété et sa gestion
par les parents. Il existe non seulement des parents anxieux qui rendent
particulièrement insecure l'enfant en lui transmettant leurs attentes du pire,
leurs craintes, mais les principes d'éducation peuvent aussi constituer un
terrain favorable. Prévenir l'enfant est une chose, lui répéter des principes qui
entraînent un sentiment de menace constant et ubiquitaire en est une autre,
beaucoup plus anxiogène. Susciter le raisonnement de l'enfant et
l'appréciation des risques est sans doute préférable à la production – par des
conséquences dramatiques, des menaces mentionnées sans explications – d'un
sentiment diffus et généralisé d'univers menaçant. De manière plus générale,
certains messages éducatifs (« attention aux sorcières ») suscitent des
représentations angoissantes du monde extérieur. De même certains contes
pour enfants ou les messages éducatifs liés à certaines cultures (« l'étranger
veut nous détruire ») entraînent-ils une perception du monde extérieur, de la
nouveauté, comme des dangers potentiels.
Ces facteurs ne suffisent évidemment pas à provoquer les phobies, mais ils
constituent un terrain favorisant et, joints à d'autres facteurs, ils sont des
conditions prédisposantes : une anxiété-trait associée à une hypervigilance et
à une attention sélective chez un sujet « surchargé » de principes éducatifs
non sécurisants par des parents eux-mêmes anxieux ou phobiques et
rencontrant des situations difficiles dans l'enfance représentent une suite de
facteurs favorables à l'apparition d'une phobie.

Les mécanismes de coping inefficients

Depuis les travaux de Lazarus, qui reprennent la notion psychanalytique de


mécanismes de défense, mais avec une conception cognitive, on considère
que, pour lutter contre le stress, les individus utilisent des moyens
psychologiques et comportementaux appelés coping (mécanismes adaptatifs
proche des mécanismes de défense) (Graziani Swendsen, 2005). Les patients
anxieux utiliseraient un coping centré sur l'émotion puisqu'ils amplifieraient
la menace perçue, interprétant mal l'activation provoquée par les situations et
produisant des inférences arbitraires concernant les conséquences de la
situation stressante. Les styles de coping sont importants parce qu'ils
influencent à leur tour les niveaux d'anxiété avant et pendant la confrontation
à un stresseur (Lazarus et Folkman, 1984). Les anxieux observent et gèrent
leurs réactions psychologiques plutôt que de se focaliser sur le problème, ce
qui correspond à une stratégie dysfonctionnelle.
Avant même que la phobie se développe, le sujet anxieux utilise déjà un
coping fondé sur l'évitement ou la fuite qui ne fait que renforcer l'anxiété.
L'utilisation des stratégies d'évitement entraîne une surévaluation du danger ;
la possibilité qu'une personne s'oriente vers un comportement d'évitement
dépend de l'anticipation de la peur provoquée par la rencontre avec l'objet ou
la situation ou de l'exagération de la prédiction (Rachman, 1998). Autrement
dit, l'anxieux évite les situations, ce qui entraîne la majoration et la
cristallisation de l'angoisse sur un objet ou une situation (phobie) qui vont
être, à nouveau, affectés d'un évitement qui, à son tour, augmentera
l'angoisse. Secondairement, l'attitude d'anticipation anxieuse,
d'hypervigilance aboutit à ce que le phobique cherche le stimulus phobique
qu'il redoute, même là où il n'est pas.

Conclusion

Les modèles cognitifs de l'anxiété montrent que plus qu'un état émotionnel,
l'anxiété doit être vue comme un mode de traitement de l'information et que,
par conséquent, elle influence l'attribution de la qualité anxiogène aux
transactions. Dans l'anxiété pathologique, il n'existe pas un seul mode général
de traitement, mais également des modes spécifiques, parmi lesquels se
trouvent les phobies simples.

3. L'agoraphobie

3.1. Histoire

Originairement (chez Griesinger puis Benedict au XIXe siècle), le terme


désigne le « vertige des places ». Westphal, en 1872, en fait la description
clinique en mentionnant des attaques d'angoisse lorsque la personne se
retrouve dans un espace étendu. Le terme est forgé à partir du mot grec qui
désigne la place publique (agora). En 1878, Legrand du Saulle évoque
l'agoraphobie comme la « peur des espaces » : « État névropathique très
particulier, caractérisé par une angoisse, une impression vive et même une
véritable terreur, se produisant subitement en présence d'un espace donné.
C'est une émotion comme en présence d'un danger, d'un vide, d'un précipice,
etc. Un malade commence par avoir des coliques dans la rue… La pensée
d'être abandonné dans ce vide le glace d'effroi et la conviction d'une
assistance, quelle qu'elle soit, l'apaise sans effort. Point de peur sans le vide,
point de calme sans l'apparence d'un semblant de protection. Cette phobie est
fréquente et se présente sous bien des formes, tantôt le malade redoute les
espaces vides à la campagne, tantôt il craint les places et les rues de la ville,
tantôt il a peur de la rue elle-même, tantôt il redoute la foule qui remplit ou
qui peut remplir la rue, ou les sergents de ville qui peuvent l'arrêter par
erreur, ou les voitures ou les chiens ou n'importe quoi. »
Janet (1909) reprend cette description en considérant qu'il s'agit de phobies
d'actes : « C'est toujours le trouble de l'action qui reste invariable et
fondamental, et les angoisses s'y ajoutent comme un phénomène secondaire
résultant d'une dérivation » (p. 140). Freud cite, dès le début de son œuvre,
des cas d'agoraphobie. Il en fait même l'un des deux groupes de phobies
(1895) lorsqu'il oppose celles en rapport avec les menaces physiologiques
communes et celles en rapport avec la locomotion (agoraphobie). D'emblée,
sa conception fait appel à l'origine sexuelle. Ses successeurs (pour une revue
de la littérature, voir Compton, 1997) limiteront l'hypothèse d'une étiologie
sexuelle et élargiront la question vers le rôle d'une désorganisation du moi.
Les théories comportementales puis cognitives, les théories biologiques de
Donald Klein sur les attaques de panique (qui aboutissent, dans un second
temps, à l'agoraphobie) seront à l'origine à la fois de sa définition élargie
retrouvée dans le DSM-IV et du renouvellement des conceptions.
Le DSM-IV lie le trouble aux attaques de panique et étend la définition de
l'agoraphobie pour en faire « l'anxiété liée au fait de se trouver dans des
endroits ou des situations dont il pourrait être difficile (ou gênant) de
s'échapper ou dans lesquelles on ne pourrait trouver aucun secours en cas de
survenue d'une attaque de panique ou des symptômes de type panique
(crainte du vertige ou de la diarrhée soudaine). Exemple de situations : se
trouver seul en dehors de chez soi, être dans une foule ou dans une file
d'attente, sur un pont, dans un autobus, un train, une voiture ». Cette anxiété
conduit à un évitement des situations. Deux éventualités cliniques sont
retenues : trouble panique avec agoraphobie (95 %) et agoraphobie sans
antécédent de trouble panique (5 %). L'agoraphobie doit être distinguée des
« craintes réalistes » (fondées) comme celles liées à un état somatique.
3.2. Clinique

L'agoraphobe redoute certainement les espaces, mais la crise d'angoisse et


l'absence de possibilité d'être rassuré sont plus prépondérantes. C'est
généralement de la survenue d'une crise d'angoisse que l'agoraphobe a peur :
sorte de peur de la peur. Il a surtout peur d'être « sans secours », de ne
« pouvoir fuir », mais il est aussi dominé par des sensations physiques
inquiétantes qui vont se transformer en – ou être interprétées comme – de
l'angoisse. En fait, l'agoraphobie porte à la fois sur ces situations et sur les
sensations physiques qui risquent de devenir menaçantes. Elles font l'objet
d'évitements.
Les manifestations physiques de la crise d'angoisse, de la panique, que
craignent la plupart des agoraphobes, ont été présentées plus haut (« La
panique », p. 17). Pour prévenir le retour de cette panique, les agoraphobes
évitent les situations qui la rendraient possible. Ils décrivent ainsi les
multiples facettes de cette phobie : peur de la conduite automobile, peur
d'aller dans les grands magasins, peur de la solitude, peur de la foule, peur de
s'éloigner de son domicile, d'aller au restaurant, peur des ascenseurs, de
l'enfermement, peur des ponts et des tunnels, des transports en commun, peur
des espaces découverts. Lorsque l'agoraphobie s'associe à des attaques de
panique, on retrouve une surinterprétation anxieuse des phénomènes
somatiques.

Trouble panique et agoraphobie


M.-A., un comptable au chômage âgé de 28 ans, est de plus en plus invalidé par des attaques
de panique, une agoraphobie et des préoccupations pour sa santé physique, au point qu'il ne peut
plus supporter d'être seul et qu'il ne peut pas sortir sans être accompagné. Il avait déjà ressenti
par intermittence des symptômes similaires pendant plusieurs années mais le tableau s'est
aggravé, il y a trois mois quand son amie l'a soudain quitté à cause de sa « passivité ». Il a peur
de devenir fou et de commencer une schizophrénie. Il passe maintenant presque tout son temps
chez ses parents, où il se comporte et est traité en invalide.
Le patient est fils unique ; ses parents approchaient de la quarantaine quand il est né et
pensaient auparavant qu'ils n'auraient jamais d'enfants. M.-A. présentait une anxiété de
séparation considérable dans la première enfance et ne pouvait pas être laissé avec des baby-
sitters. Il a été, plus tard, un enfant timide sujet à de nombreuses maladies mineures et se sentait
beaucoup plus à l'aise avec des adultes qu'avec des camarades du même âge, chahuteurs et
turbulents. Il se montra un peu réticent à aller à l'école en cours préparatoire et en première année
de cours moyen et n'a jamais voulu essayer d'aller en colonie de vacances. Il a étudié dans une
université et une école de commerce près de chez lui, ce qui lui permettait de continuer à vivre
chez ses parents. Il commença ensuite à travailler dans l'entreprise de son père. Il souhaitait sortir
avec des filles, mais était habituellement trop timide pour faire le premier pas et avait besoin que
sa mère lui serve d'intermédiaire. (…)
M.-A. se sent anormal et inférieur. Il s'attend à être critiqué par les autres et est sensible au
rejet. Il est également très critique d'autrui et se sent constamment déçu. Il a eu des amis proches
dans le passé mais se sent maintenant trop gêné pour les contacter. Il est incapable de rester seul
ou de sortir sans être accompagné. Il craint d'avoir une attaque de panique seul dehors sans
possibilité d'être aidé. (Extrait du DSM-IV, Cas cliniques , p. 148-149.)

Certains cas (5 %) d'agoraphobie n'ont pas antécédents d'attaques de


panique. Le trouble peut survenir après une perte ou un événement mettant en
péril le sentiment de sécurité.

Kevin, cadre de banque âgé de 35 ans, se plaint d'être déprimé depuis huit mois, parce qu'il a
peur d'uriner sur lui – « de me faire pipi dessus » – en public. Cela ne lui est jamais arrivé, et
lorsqu'il est en sécurité chez lui, l'idée lui paraît totalement « folle et déraisonnable », voire
irréaliste. Toutefois, dès qu'il quitte sa maison, cette peur devient « obsessionnelle » : il prend
alors des précautions afin d'éviter « l'accident ». Il porte constamment des couches, ne voyage
jamais à pied, fait ses courses par Internet, ne sort que pour travailler (à 200 m de chez lui),
limite sa consommation de boissons et d'aliments diurétiques. Lorsqu'il est dehors, il ressent une
angoisse intolérable, faite de multiples sensations physiques (qu'il interprète comme des débuts
de miction ou de malaise cardiaque), il pense que les autres le regardent et voient « le paquet que
forment les couches » ; il porte des tenues qui dissimulent cette partie de sa personne, ce qui, à
certaines périodes ou dans certains lieux, le rend « grotesque ». Il revient à plusieurs reprises sur
sa peur de se retrouver dans une situation à laquelle il lui serait impossible d'échapper en cas de
survenue de ce symptôme gênant.
Trois semaines avant la consultation, son angoisse anticipatrice a été telle qu'il a dû rester
chez lui. Il n'a pas été énurétique pendant l'enfance mais avait de grandes difficultés à aller à
l'école – à cause de la séparation d'avec ses parents… et des moqueries des autres. Il a toujours
été très anxieux, ayant beaucoup de mal à assumer les séparations. Il a présenté des épisodes de
crainte de la maladie (cancer). Il a eu une liaison assez longue mais ses inhibitions sexuelles
(éjaculation précoce) ont abouti à une rupture. L'agoraphobie est apparue quelques semaines plus
tard. Il dit avoir toujours été quelqu'un d'angoissé et d'inquiet, que sa famille considérait comme
trop réservé, aboulique et perfectionniste.

3.3. Psychopathologie
Le concept d'agoraphobie a évolué de la peur des espaces à la peur de
certaines situations, pour englober maintenant la crainte de devoir faire face à
l'angoisse sans aide. « L'agora » devient ainsi secondaire à ce qui constitue le
cœur de cette phobie : « être sans secours » face au surgissement de la
panique. Curieusement, l'agoraphobie se rapproche pour une part des phobies
sociales, puisqu'elle donne aux autres un rôle particulier (sentiment de
solitude au milieu des autres) et pour une autre part des surinterprétations des
phénomènes somatiques.
Les premières conceptions freudiennes mettaient l'agoraphobie en rapport
avec le refoulement de composantes sexuelles, notamment de fantasmes ou
de « romans ». Freud évoque ainsi le refoulement de la compulsion à la
prostitution (Manuscrit M. du 25 mai 1897). La genèse de l'agoraphobie se
situe dans la logique de sa première conception de l'angoisse : le désir sexuel
est refoulé, provoque l'angoisse. Le lieu et la situation deviennent les marques
du conflit puisque le danger pulsionnel émanant du dedans revient comme
affect de peur du dehors, l'objet contraphobique est une protection contre la
tentation. Avec la seconde théorie de l'angoisse, le statut de l'agoraphobie est
reprécisé dans une logique de l'angoisse comme signal de danger et répétition
d'un traumatisme : pour s'épargner la répétition de la première attaque
d'angoisse, l'agoraphobe « crée donc le symptôme d'angoisse de la rue que
l'on peut appeler aussi une inhibition, une limitation de fonction du moi »
(Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, p. 42). L'agoraphobie défend le
sujet contre la panique. La métaphore d'architecture militaire est parlante :
« forteresse frontière », « avant-poste », « château ».
Cette dimension d'angoisse des espaces, de l'extérieur, évoque ce que
Lacan dit à propos de Hans. Par la phobie, le monde devient ponctué de
signaux d'alarme. La phobie « met précisément au premier plan la fonction
d'un intérieur et d'un extérieur. Jusque-là l'enfant était en somme dans
l'intérieur de sa mère, il vient d'en être rejeté, ou de s'en imaginer rejeté, il est
dans l'angoisse, et le voilà qui, à l'aide de la phobie, instaure un nouvel ordre
de l'intérieur et de l'extérieur, une série de seuils qui se mettent à structurer le
monde » (Lacan, p. 246).
Mais un autre aspect est présent dans l'agoraphobie : ce curieux rapport à la
solitude ; l'agoraphobe se présente comme un enfant désarmé, isolé, en
rupture avec sa maturité sociale. Le sujet est à la fois noyé dans la foule et
solitaire (au sens d'être sans relation). Mais comme le fait remarquer Assoun,
il n'est pas uniquement sans relation à d'autres gens, seul au monde, il est
entouré de multiples visages inconnus : « peut-être une composante de
l'agoraphobie est-elle ce sentiment d'être cerné de toutes parts par un visage
de la personne étrangère, celle qui vient à la place de l'objet attendu. Cela la
replace dans l'atmosphère du cauchemar ou du rêve traumatique » (p. 60). En
outre, l'agoraphobe est aussi seul avec lui-même et au cœur de ce sentiment
phobique il y a carence relationnelle, la rencontre du sujet avec lui-même,
comme s'il était encombré de lui-même, laissé face à sa propre altérité.
Les conceptions cognitivistes mettent en avant des modes de pensée
particuliers reposant sur « la peur de la peur » et l'anticipation catastrophique
dans les situations sociales, physiques et psychologiques. Les pensées
catastrophiques entraînent une boucle cyclique dysfonctionnelle d'anxiété et
de panique. La peur de la peur (en fait peur de la réapparition de la panique)
conduit à l'évitement des situations. Les pensées subjectives agoraphobiques
catastrophiques apparaissent dans des contextes qui associent d'autres
caractéristiques qui interagissent avec les cognitions du sujet : une sensibilité
à la séparation (anxiété de séparation), une vulnérabilité familiale à l'anxiété
(avec modeling ou apprentissage par imitation), une faiblesse de l'affirmation
de soi (assertivité), une difficulté à nommer les causes des sensations
inconfortables, des niveaux élevés d'anxiété sociale, des relations de
dépendance et de domination par les autres, une insatisfaction dans les
relations avec l'entourage, une tendance à l'évitement des conflits.
Pour ces praticiens des TCC, l'approche thérapeutique peut être fondée sur
deux niveaux : la thérapie des attaques de panique et celle de l'agoraphobie
proprement dite. En préalable, l'analyse fonctionnelle de l'agoraphobie
permet de préciser les conditions de déclenchement et de maintien de
l'évitement (moment, fréquence, intensité, résultats obtenus sur les proches et
l'environnement social), le type de relations (dépendance/indépendance), les
comportements moteurs et verbaux résultants de l'anxiété, les pensées,
images mentales et schémas qui s'y rattachent, notamment les croyances
irrationnelles et les autoverbalisations négatives. La thérapie proposée peut
être l'exposition in vivo, toujours difficile et dont les résultats sont incertains.
Les interventions sur les schémas s'avèrent efficaces.
Les attaques de panique sont, depuis les travaux de D. Klein, considérées
comme accessibles aux antidépresseurs. Mais les approches cognitives
(André) ont aussi proposé une méthode reposant, pour le patient, sur
plusieurs principes : accepter la dimension psychologique du trouble panique,
repérer les premiers signes de l'angoisse, comprendre comment la peur
fonctionne (ce qui permet de ne pas faire augmenter la panique par son
propre affolement), apprendre des techniques de contrôle respiratoire (pour
limiter l'hyperventilation), rester dans la situation pour ne pas cautionner le
danger, casser la spirale panique, se débarrasser du traumatisme : exposition
en imagination (repenser à ce qui s'est produit, dans le détail, pour attribuer la
peur à ce qui lui revient), provoquer soi-même les symptômes physiques,
reconquérir le territoire, se confronter.

4. Les phobies sociales, l'anxiété sociale

La phobie sociale est aussi nommée par les Anglo-Saxons (DSM-IV)


« trouble anxiété sociale ». Il s'agit d'une peur marquée et persistante des
situations sociales ou de performance dans lesquelles un sentiment de gêne
peut survenir et elle entraîne des comportements d'évitement : peur de rougir
(éreutophobie), peur de parler en public, peur de boire, de manger, d'écrire en
public. Le phénomène est nettement plus intense et handicapant que le trac, la
timidité ou l'anxiété de performance.

4.1. Présentation

Le premier cas a été décrit en Allemagne par Casper en 1846 : le patient


avait une peur maladive du rougissement, accompagnée de manifestations
dépressives. La phobie était apparue lorsque, à 13 ans, il s'était senti rougir
devant des camarades qui se moquaient de lui à propos d'une jeune fille. Il dit
que, par la suite, il avait compris que c'était en lui seul qu'il puisait la cause
de son symptôme. Le souvenir et la rencontre d'un regard particulier des
hommes suffisait à lui faire monter le sang aux joues et à provoquer de
l'angoisse. Cette première description met déjà en scène la sexualité et le
regard (être regardé). En 1902, Pitres et Régis traduisent le cas de Casper et
s'appuient sur lui pour développer le concept d'éreutophobie. Mais d'autres
termes sont employés : rougeur essentielle (rubor essentialis), érythème
hyperhémique idiopathique (Eulenburg), obsession de la rougeur émotive,
érythémophobie, phobie de la rougeur, érythrophobie.
Claparède, en 1902, en fournit une belle description clinique :
« L'éreutophobe est un individu, souvent névropathe ou plus ou moins timide
et possédant presque toujours quelque tare héréditaire, qui a présenté, dès son
enfance, une disposition à rougir fréquemment ; il rougit quand vient une
visite ; il rougit à l'école, même s'il est innocent, lorsque le maître recherche
un coupable… Mais, à cette époque, la rougeur est supportable ; au fur et à
mesure qu'il grandit, elle l'est moins. Et cette trop grande émotivité – si elle
ne disparaît pas à la puberté – l'inquiète, puis l'agace et finit par l'obséder
complètement. Il n'ose plus se montrer en public, ni même sortir dans la rue.
S'il s'agit d'une femme, elle n'ose plus rester en présence d'un homme, de peur
que sa rougeur intempestive ne soit l'occasion de propos malveillants sur son
compte ; s'il s'agit d'un homme, il fuira les femmes. Comme cependant les
nécessités de la vie obligent l'éreutophobe à ne pas vivre absolument isolé, il
va inventer certains stratagèmes pour masquer son infirmité. Au restaurant, il
se plongera dans la lecture d'un journal pour qu'on n'aperçoive pas son
visage ; dans la rue il se dissimulera sous son parapluie… » (cité par Janet
dans Les Névroses).
Janet mentionne en 1903 dans Les Obsessions et la psychasthénie et en
1912 dans Les Névroses, la peur de rougir. Il la classe parmi les phobies
déterminées par la perception d'une situation sociale et par les sentiments
auxquels cette situation donne naissance. Marks en 1970 parle de social
phobia et le DSM-III, en 1980, consacrera le terme. Les travaux cliniques
réalisés depuis montreront sa fréquence et certaines de ses caractéristiques.
Le DSM-IV-TR révèle ainsi un lien avec la culture et l'éducation puisque,
dans certaines cultures (Japon, Corée), ces phobies peuvent développer une
peur persistante et excessive d'offenser les autres dans les situations sociales :
crainte extrême que le fait de rougir, de regarder quelqu'un dans les yeux ou
que sa propre odeur corporelle soit une offense pour les autres. Chez les
enfants, le trouble peut s'accompagner de pleurs, d'accès de colère, de
réactions de figement ou d'agrippement, d'inhibition des interactions pouvant
aller jusqu'au mutisme. Il est plus fréquent chez les femmes que les hommes
et concernerait 3 à 13 % (selon les études de prévalence sur la vie entière) de
la population. Le symptôme le plus fréquent serait la peur de parler en public.
Le trouble débuterait entre 10 et 20 ans, quelquefois à la suite d'une
expérience stressante ou humiliante. Le DSM-IV évoque une forme clinique
« Type généralisé » lorsque les peurs concernent la plupart des situations
sociales.
Les phobies sociales sont souvent associées à d'autres troubles, ce qui
complique la prise en charge. On cite une comorbidité avec les troubles
dépressifs graves (37 % des cas), les états de stress posttraumatiques (16 %),
la dysthymie (15 %), la dépendance à l'alcool (24 %), le trouble panique
(11 %), l'anxiété généralisée (13 %), l'agoraphobie (23 %), les phobies
simples (38 %).

4.2. Clinique

Les sujets sont préoccupés par leur gêne, craignent que les autres les
jugent, les trouvent anxieux, « dérangés » ou stupides. Ils craignent qu'on
remarque le tremblement de leurs mains ou de la voix, de passer pour
quelqu'un d'incapable de s'exprimer. Ils éprouvent presque toujours des
symptômes anxieux dans la situation sociale redoutée ; dans les cas sévères,
ces symptômes correspondent à ceux d'une attaque de panique. Il peut exister
un cercle de rétroaction : anticipation-cognition anxieuse-mauvaise
performance-gêne et augmentation.

DSM-IV Cas clinique : une femme sans existence véritable


Mlle R. a 34 ans et est célibataire. Elle vient consulter parce qu'elle a du mal à faire face à
l'existence depuis le décès de sa mère il y a trois mois. Elle a toujours habité chez ses parents et
elle avait été particulièrement proche de sa mère depuis que celle-ci était devenue veuve, il y a
vingt ans. Mlle R. a toujours été très timide et a perpétuellement redouté d'être jugée avec
sévérité, ridiculisée ou embarrassée dans les relations
sociales. Elle dépendait pour cette raison de sa mère qui prenait en main ses affaires et
organisait pour elle sa vie sociale. Sa mère s'est toujours occupée de la gestion de la maison et
des relations avec les artisans, elle aidait Mlle R. à choisir ses vêtements et organisait ses
vacances. Mlle R. ne sort pas avec des amis et est habituellement trop timide pour aller à des
fêtes ou pour sortir avec des personnes que les relations de sa mère voudraient lui présenter. Elle
n'a jamais connu aucune relation amoureuse. Mlle R. a une amie proche qu'elle fréquente depuis
l'école primaire et qu'elle décrit comme une personne qui lui ressemble beaucoup. Elles passent
le week-end à acheter des livres d'occasion et à aller au cinéma ensemble. Hormis cette amie, sa
vie sociale était centrée, jusqu'à ce qu'elle se retrouve orpheline il y a trois mois, sur les amies de
sa mère qui venaient régulièrement jouer aux cartes. Elle a fait ses études à l'université locale et
s'est spécialisée comme bibliothécaire documentaliste. Après la remise de son diplôme, elle a
obtenu un emploi de bibliothécaire municipale par l'entremise de relations de sa mère. Elle dit
qu'elle n'est pas du tout contente de son travail actuel mais qu'elle est incapable d'affronter des
entretiens d'embauche pour chercher autre chose. Le diagnostic porté est « phobie sociale, type
généralisé » avec une « personnalité évitante » (p. 154).

Les phobies sociales articulent quatre éléments :


– des manifestations somatiques d'anxiété en situation pouvant aller jusqu'à
la panique ;
– une charge émotionnelle élevée entretenue par les anticipations
anxieuses, l'angoisse violente au moment de la confrontation et un sentiment
de honte, d'échec après la confrontation ;
– des cognitions particulières : souci de donner une image favorable de soi
aux autres et crainte d'évaluation négative, manière dévalorisante ou
menaçante de percevoir le contact ;
– des conduites d'évitement ou de recherche de contrôle.
Plusieurs peurs se conjuguent au gré des phobies sociales :
– la peur d'échouer (qui se manifeste dans les situations de performance
comme les examens, la communication, la prise de parole en public) ;
– la peur de se dévoiler (dans les situations d'interaction comme les
discussions, les rencontres informelles, les occasions de parler de soi, ne pas
connaître les codes sociaux d'un milieu différent du sien…) ;
– la peur de s'affirmer (donner son avis, demander, refuser, exprimer et
recevoir des critiques, avoir un avis différent, devoir demander quelque
chose, parler à une personne inconnue ou au statut social plus élevé que le
sien…) ;
– la peur d'être observé (regard des autres, être le point de mire de
l'attention des autres, arriver en retard dans une réunion, un groupe,
commettre un impair, agir sous le regard des autres).
Les peurs du phobique sont sous-tendues par des schèmes de pensée, des
principes qui placent d'emblée le sujet en position de faiblesse : les autres
l'observent et le jugent dans toutes les situations, ce jugement est critique,
sévère et perspicace (il repérerait immédiatement le problème), il aura des
conséquences négatives pour la personne (moquerie, agression, mise à
l'écart…). On a pu ainsi dégager des schémas, des croyances comme « on ne
peut pas m'aimer », « si les autres font ma connaissance, alors ils ne
m'aimeront pas », « on va me juger et me rejeter », « je suis bête et
ennuyeux, », « je dois me montrer sous un bon jour », « on ne doit pas voir
que je suis anxieux ». Wells et Clark ont ainsi distingué trois groupes de
croyances dysfonctionnelles : envers soi-même, les pensées des autres sur soi
et des croyances projectives.
Le phobique social est pris dans un système d'entretien de son état : la
situation entraîne des émotions qui activent des pensées, luttes, sensations qui
renforcent l'émotion et déclenchent la crise d'angoisse, amènent une faible
estime de soi conditionnant une appréhension et une anticipation négatives.

Louise, 24 ans : « J'arrive dans une pièce, je sens qu'on me regarde, pas très positivement, j'ai
l'air gauche, godiche… en tout cas si je ne le suis pas, je le deviens rapidement… je n'arrive pas
à penser qu'ils sont indifférents… je suis sûre qu'ils guettent mon moindre impair pour se foutre
de ma poire… Je sens que la peur qui était là ne fait que croître… dès que quelqu'un m'adresse la
parole je me raidis, je sens que j'ai chaud, je dois être écarlate… je vois sur son visage qu'il pense
“mais quelle gourde”. Je cherche un visage rassurant mais je n'en trouve pas… j'ai l'impression
que tout le monde m'est hostile… je panique de plus en plus et je pars… Après je m'en veux ; je
me dis que je suis nulle. J'ai honte et je me dis que ce n'est plus la peine d'aller me coller dans
des situations pareilles ».

4.3. Psychopathologie

Interprétations psychanalytiques

La psychanalyse ne s'est pas beaucoup intéressée aux « phobies sociales ».


Freud, au cours de la séance du 3 février 1909 de la Société psychanalytique
de Vienne consacrée à un « cas de rougissement compulsionnel », évoque
cependant plusieurs faits cliniques tout en rapprochant l'éreutophobie de
l'hystérie d'angoisse : le patient a honte pour des raisons inconscientes
(sexuelles : honte de la masturbation, du savoir sexuel…), un conflit naît
entre la honte et la rage, et l'identification (« ils ont des attaques en se mettant
à la place d'autrui », p. 142). Assoun dira ainsi de l'éreutophobe qu'« il se
conçoit comme le témoin compromettant de la jouissance éhontée de l'autre »
(p. 95). On mesure combien deux éléments se conjuguent dans ces phobies :
le « social » et le regard, les deux se conjuguant dans l'idée du « regard
mortifiant de l'autre ». Ce rapport au regard, même s'il est clairement mis en
évidence dans les phobies sociales, se retrouve dans toutes les phobies. Le
phobique se sent regardé par l'objet, plus encore quand il est animé (animaux,
autres…) ; le regard le menace.
– Le regard des autres c'est le sien. Il nous faut d'abord repartir de ces
croyances déraisonnables – encore que lucides quant à l'agressivité entre les
individus – qui animent le phobique social : les autres voient tout, savent tout
et en usent au détriment de lui, sorte de « toute-puissance de l'autre », comme
un « délire de référence » mais sans idées délirantes. Pourtant, ce jugement
que le phobique attribue à l'autre pourrait n'être qu'une manifestation de ce
qu'il pense, de ce qu'il voit de lui : le regard des autres serait alors le sien, par
une forme de projection originale. Le phobique n'est d'ailleurs pas
entièrement dupe puisqu'il ne lit dans le regard des autres que ce qu'il pense –
pour une part – de lui. Mais qui parle dans ces discours intimes en « écho »
(ils vont découvrir que… d'ailleurs ils ont raison… je suis comme ça…) ? Le
rôle des idéaux du moi est déterminant dans ce rabaissement de soi. Encore
faut-il préciser que le surmoi, comme l'idéal du moi et le moi idéal, y ont leur
place, spécifique, chez chaque individu et dans la représentation théorique de
la phobie sociale.
– Grosse voix du surmoi ou regard sidérant ? Sans doute, la logique
freudienne de l'interdit demeure un point déterminant en invoquant la
question du désir et de l'interdit. Le « tu n'es pas capable… » pourrait bien
être aussi un « tu n'as pas le droit de… », dans la droite ligne de la première
conception freudienne de la phobie : ce dont se protège le sujet, c'est de son
désir. Les autres sont les supports et les témoins de son désir. Dans leur
regard, il lit bien ce que ce serait d'aller vers les autres : réalisation de désir et
transgression – parler c'est séduire –, rougir de honte c'est être percé à jour
dans ses vœux les plus secrets. Le jeu du désir et du surmoi n'est pas absent
de certaines phobies sociales, les sujets révélant combien ils aimeraient aller
vers les autres et la place qu'occupent ces autres dans le fantasme. Nous
serions assez en phase avec la conception freudienne originaire de
l'agoraphobie : angoisse du fantasme de prostitution. Une fois encore
l'agoraphobie est aussi une phobie sociale, du moins pour certains de ses
mécanismes. L'hypothèse freudienne de « l'hystérie d'angoisse » (l'objet
phobique représente l'objet désiré) va d'ailleurs dans ce sens de la logique
désir – interdit – angoisse – symptôme comme condensation.
– Illusion des idéaux et modèles. Mais il n'est pas sûr que le rôle du surmoi
suffise à rendre compte de tous les aspects de la phobie sociale. Interdit mais
aussi défaillance, le « tu ne dois pas » du surmoi s'associe au « tu es
incapable » suscité par le décalage entre ce qu'est le sujet et ses idéaux
auxquels il demeure aliéné. Chez le sujet phobique social, nous ne sommes
pas loin du discours du mélancolique, à ceci près que l'on se situe plus du
côté de soi que de l'objet, plus du côté de la honte que de la culpabilité, plus
dans l'externalisation que dans l'incorporation. Ce jugement définitivement
humiliant porté sur soi est bien du ressort d'une instance critique, d'un « tu
n'es pas capable… » soufflé par les idéaux du moi et identifié aux discours
parentaux. Puis les autres deviennent les porteurs de ce jugement, sorte de
confirmation des intériorisations du discours parental. Cette curieuse
« hypocondrie de l'incapacité sociale », entendue comme souci constant et
certitude de l'inefficience, est bien le signe d'un mouvement critique d'une
partie du moi contre une autre.
– La honte. Le rapport avec la honte est évocateur, le terme étant souvent
employé par les patients mais aussi par Freud dans son inter- prétation du cas
d'éreutophobie et dans le cas de Hans qui, avant l'apparition de la phobie,
lorsqu'il s'enhardit rougit alors qu'au restaurant, il se sent observé pendant
qu'il courtise une petite fille. La honte est souvent distinguée de la culpabilité
qui est référée au surmoi et suppose une forme d'intériorisation alors que la
honte est considérée comme un effet de l'idéal du moi. La honte est
engendrée par le défaut ou l'échec – « devant témoins » (Goldberg, 1977) –
par l'insuffisance du moi dans ses rapports avec l'idéal du moi (le but, le
modèle, imposé par l'idéal du moi n'est pas atteint). La honte ressentie dans
les situations sociales tiendrait précisément à ce double phénomène d'être
« parfaitement lisible » par le regard des autres et d'être en échec. Si l'on
distingue l'idéal du moi (symbolique) et le moi idéal (imaginaire, double
narcissique) on peut concevoir que la honte apparaisse dès lors qu'il y a perte
du soutien de l'idéal du moi (instance structurante) et perte de la cohésion
imaginaire avec le moi idéal leurrant projection de la toute-puissance
infantile, mais aussi de ce que véhiculent les stéréotypes culturels.
– L'homme sans qualité. On retrouve ainsi, à propos de ces phobies et de
l'univers social qu'elles circonscrivent, cette double détermination sexuelle et
narcissique où se mêlent faute, certitude d'être vu, insuffisance. En reprenant
les théories d'Ehrenberg (2000) sur l'évolution historique des pathologies
mentales – de la névrose (qui tend à disparaître) vers la dépression (qui
devient ubiquitaire) – la phobie sociale est, par certains de ses aspects, plus
proche de la dépression car il s'agit d'une insuffisance par rapport aux autres
et de la difficulté à « être soi »… avec les autres. Si la névrose s'inscrit dans
la suite interdit-culpabilité et la dépression dans le « tout est possible et
immaîtrisable », le vertige qui saisit le phobique social est bien celui de
l'individu « insuffisant » par rapport à ce que sollicite la société dont la norme
n'est plus fondée sur l'interdit, la discipline, mais la responsabilité, la
performance et la communication.
– Le regard. Les discours des phobiques insistent, comme les théories, sur
le fait « d'être vu », « regardé ». Il est classique, à propos du regard, de se
référer à Sartre et à l'exemple de la personne qui regarde une scène à travers
le trou d'une serrure. Pendant qu'il observe, il n'est plus qu'un regard. La
surprise surgit lorsqu'il entend un bruit – signe de présence – qui le fait
apparaître à lui-même et le laisse en proie à la honte de se sentir jugé et vu
comme un « voyeur ». C'est le moment de surgissement du regard qui me
laisse objet avant de me ressaisir de ma propre conscience comme conscience
irréfléchie et désaliénée d'autrui (pour Sartre) – ou avant de ressaisir ma
position de sujet désirant désaliéné du désir de l'Autre (chez Lacan, 1964). Ce
moment de surgissement – qui me fait objet – est provoqué par le regard
« supposé » par un bruit de pas, le mouvement d'une porte… Je m'apparais
dans cette scène seulement parce que je me suppose surpris par le désir de
l'Autre : la honte naît seulement par rapport au désir supposé de l'Autre.
L'éreutophobe, paradigme du phobique social, ne serait-il pas ce sujet
désirant, surpris par le regard de l'Autre ?
Cette situation de l'angoisse du « être vu » (dont témoigne le rougissement)
apparaît comme une sorte « d'envers de l'exhibitionnisme ». Phobie et philie
sont ici encore dans un rapport étroit et contradictoire. Si, comme le dit Lacan
(1958), l'exhibitionniste montre ce qu'il a à l'autre qui ne l'a pas « pour le
plonger en même temps dans la honte de ce qui lui manque » (1956-1957, p.
272), pouvons-nous penser que le phobique saisit dans le regard de l'autre son
propre manque ?

Conclusion : expression de l'angoisse sociale ?

Comme le rappelle P.-L. Assoun (2006), on retrouve chez Freud la notion


d'« angoisse sociale » développée à partir de l'angoisse de castration (Freud,
1926). Cette angoisse est une des conséquences du meurtre du père comme
fondement de la culture tel qu'il est évoqué dans Totem et Tabou. L'angoisse
sociale apparaît comme un « reproche » et une limite apportée à la tentation
de répéter le meurtre. Cette angoisse se manifeste notamment dans les
situations sociales, d'interaction qu'il s'agisse de l'école ou de l'activité
professionnelle. La phobie sociale est, en même temps, l'objectivation de
cette angoisse et le reflet d'une nouvelle forme du lien social, véritable
« société phobique » (Assoun, 2006). La phobie sociale est à la fois
symptôme du malaise dans la civilisation et le signe de ce que représente la
figure du social (héritière de la dimension paternelle) : instance protectrice
dont il attend protection et trouve une menace affolante.

Approches comportementale et cognitive

Le modèle du conditionnement établit une relation entre un événement


aversif et une situation sociale : la phobie sociale s'acquiert par
autorenforcement. Le modèle de l'apprentissage social repose sur l'idée de
l'observation par l'enfant des comportements des autres (parents, personnes
familières qu'il érige en modèles et qu'il imite). Les réponses assertives des
proches (celles où la personne sait, dans les relations sociales, exprimer ses
comportements, définir ce qu'il veut, attend, dans le respect de ses droits et de
ceux des autres, s'affirmer…) ne sont pas présentes dans l'entourage du futur
phobique social. L'apprentissage social peut, au contraire, amener l'enfant-
observateur à acquérir un mode de fonctionnement mal adapté lorsqu'il
apprend des réactions de peur, d'inhibition comportementale, des réactions
inefficaces ou d'évitement et même des conduites comme la soumission. Il en
ressort un manque d'affirmation de soi, de compétences sociales et des
réactions à la fois inadaptées et génératrices d'anxiété.
De même, pour certains « modèles psychosociaux », la phobie sociale
pourrait être « préparée » par un mode de pensée reposant, par exemple, sur
la perception des groupes sociaux en fonction des hiérarchies
« dominants/dominés ». Deux systèmes régissent l'individu (mécanismes de
lutte contre la peur et mécanismes de sécurité). La phobie sociale résulterait
d'un défaut d'activation des deux systèmes : le système de défense serait trop
activé alors que le système de sécurité, lui, serait désactivé. Les anxieux
auraient tendance à percevoir les autres comme hostiles et tenteraient de
lutter contre cette évaluation négative en adoptant un comportement de
soumission ou par l'évitement de toute relation. Le phobique social s'est créé
une gamme de pensées négatives en décalage avec la situation sociale
« objective ». Ces modèles « psychosociaux » sont susceptibles de lier la
phobie sociale à l'éducation (culturelle et/ou familiale), l'efficacité
personnelle perçue, la vulnérabilité, les attentes et les attributions sociales.
Les modèles cognitifs reposent sur l'existence de nombreuses distorsions
cognitives repérées chez les phobiques sociaux. Ils détermineraient les
interprétations – erronées – des situations d'interaction et les réponses
inappropriées, elles-mêmes initiant des distorsions ; celles-ci s'accompagnent
des multiples autoverbalisations négatives citées précédemment. Le noyau de
la phobie sociale serait le fort désir de donner une impression favorable de
soi-même aux autres et le sentiment angoissant de ne pouvoir y parvenir : les
phobies sociales sont ainsi liées à des croyances dysfonctionnelles qui
amènent à prévoir un rejet des autres. Ces croyances concernant autrui
s'ajoutent à des erreurs d'autoévaluation (les autres sont très attentifs et
concernés par le sujet phobique, les gens peuvent lire ses émotions, ils
rejettent rapidement ceux qu'ils considèrent comme inaptes…). Les
confrontations sociales sont perçues comme des défis et constituent un
danger. Selon A.-T. Beck, quand les sujets phobiques entrent dans une
situation sociale nouvelle, exigeante ou importante, le traitement cognitif
anxieux s'active et le sujet commence à ressentir les signaux anxieux comme
les palpitations, les tremblements, les rougissements, les troubles
respiratoires… Ces sensations corporelles intrusives interfèrent avec la
capacité à traiter les informations ordinaires des rencontres sociales, ce qui
amène le déclenchement de pensées et d'autoévaluations négatives. Les
sensations sont interprétées par les phobiques comme des preuves qu'ils sont
des sujets inadéquats, bizarres et inacceptables. Quand ils commencent à être
anxieux, ils ont tendance à se comporter d'une manière inamicale ce qui, de
ce fait, provoque un comportement similaire de la part des gens avec lesquels
ils sont et confirme leurs peurs.
Les croyances portant sur leur incompétence ou leur inadéquation,
accompagnées de traits de personnalité prédisposant à l'anxiété, constituent
une forme de vulnérabilité cognitive qui fait augmenter l'hypervigilance
quand le sujet entre dans une situation sociale et entraîne un processus global
d'analyse suivi d'une intensification, focalisation, de l'attention sur les
éléments qui sont en accord avec les croyances. Une part importante de
l'attention des phobiques sociaux se focalise sur leurs sensations internes (et
leur signification, incluant si leur état émotionnel est visible aux yeux des
autres). En outre, il est probable qu'ils font l'expérience des distorsions
perceptives, particulièrement pour ce qui concerne les émotions qu'ils
observent chez les autres.
Ce modèle postule donc que les phobiques sociaux interprètent mal leurs
sensations internes et les utilisent pour construire et/ou alimenter une
représentation négative d'eux-mêmes qu'ils considèrent aussi comme le reflet
de ce que les autres observent. Cette orientation de leur mode attentionnel
augmente la conscience des sensations anxieuses ; le phobique social confond
un sentiment d'humiliation avec le fait d'être réellement humilié, un sentiment
de perte de contrôle avec le fait d'être observé sans contrôle et un sentiment
d'anxiété avec le fait d'être observé comme clairement anxieux par les autres.
La thérapie consiste à apprendre au patient une « meilleure gestion » des
comportements, des émotions et des systèmes de pensée dans les relations
humaines. Elle porte à la fois sur les situations angoissantes et sur
l'affirmation de soi (qui permet d'agir dans son intérêt, de défendre son point
de vue, d'exprimer ses sentiments et d'exercer ses droits). Le thérapeute
aidera la personne à isoler les situations sociales provocatrices, les émotions
pénibles et les monologues intérieurs (pensées automatiques). Ensuite il
contribuera à les discuter en utilisant une technique qui consiste à poser la
question en termes d'alternatives ou encore d'avantages ou de conséquences
négatives. Enfin il aidera le phobique à se poser la question du sens de sa
peur des autres.
Conclusion : Angoisse, peur, phobie
Les phobies sont des « peurs excessives et injustifiées », organisation
psychique qui semble produite par un lien entre une trop grande angoisse et
sa localisation externe à l'individu, sa représentation, sa figuration par un
objet extérieur, réel, nommable. Le mécanisme de la phobie est toujours le
même, répondant à une sorte d'automatisme qui dérive l'angoisse hors de soi,
la nomme en la faisant devenir une « peur », la localise et permet la mise en
place de stratégies de contrôle. Mais si la phobie est bien une « économie de
l'angoisse », elle ne peut manquer de susciter un déplacement du problème
conceptuel et clinique : d'où vient l'angoisse et pourquoi fait-elle l'objet d'un
tel traitement ?
Certes, dès la fin du XIXe, les psychopathologues avaient repéré le paradoxe
d'une société dans laquelle les raisons objectives de la peur diminuaient et qui
assistait à l'explosion des phobies. Tout devenait objet de peur et les dizaines
de noms utilisés pour désigner des phobies diverses et particulièrement
originales ne sont pas le reflet du seul zèle clinicoïde (préfigurant le Knock de
Jules Romain) des psychiatres de l'époque : les peurs étaient bien au rendez-
vous. La particularité de cette époque est révélée par Freud dans Malaise
dans la civilisation (1930) : sans doute l'avancée de la société et de la
technique permet-elle de conjurer certains malheurs chroniques des époques
précédentes (faim, misère, maladie…) Mais il semble que cette nouvelle ère
substitue aux peurs « réalistes », « actualisées » une dimension de malaise –
reflet d'une angoisse – sans représentation fixe ni figuration précise. Au
moment où la « peur devant un danger réel » devrait reculer, l'angoisse monte
et dans le même mouvement les peurs irrationnelles se développent… à
mesure que le sacré perd du terrain.
Les auteurs (Stanley Hall, James) qui s'étonnent de cette éclosion des
phobies avaient sans doute perçu ce paradoxe que la peur protège de
l'angoisse, que le sacré (Totem et tabou) rassure plus que la science, que le
réel menaçant est préférable à la vacuité de représentations de l'angoisse et
que la société qui protège et exige développe la menace imprécise et les
représentations (phobies) transitoires permettant de faire face à une angoisse
que cette société produit : de la première angoisse (celle du 8e mois)
jusqu'aux formes ultérieures en rapport avec le désir de l'Autre et la castration
les phobies apportent une forme de réification de la question du manque-à-
être.
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