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N° 27. Collection sous la direction de Christian Hérisson, Jacques Pelissier et Lucien Simon
Handicap et famille
Approche
neurosystémique
et lésions cérébrales
sous la direction de
J.-M. Mazaux, J.-M. Destaillats,
C. Belio et J. Pélissier
avec la collaboration de
A. Bellmann, M. Beracochea, F. Beuret-Blanquart, R. Bristol,
J.-M. Caire, M.-C. Cazals, C. Croisiaux, F. De Reuck, C. Delleci,
M. Dulaurens, R. Edragas, M. Gemieux, L. Jameau, A. Jean-Etienne,
R. Katara, M. Koleck, K. Laurent, C. Le Blanc-Decupère, J.-L. Le Guiet,
C. Leroux, S. Lozes-Boudillon, M. Mauvillain, K. Merceron, S. Molcard,
J.-P. Mugnier, B. Pelegris, A. Prouteau, P. René-Corail, M.-P. de Sèze,
E. Sorita, P. Sureau, L. Ulric, C. Vignes, P. Vuadens, L. Wiart
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de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement
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dans les établissements d’enseignement, provoque une baisse brutale des achats
de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres
nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée.
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Toute approche nouvelle pose la lancinante question des preuves de son efficacité, et
des critères retenus pour l’évaluer. La circularité des relations entre les patients, les
familles et les institutions de soin ne rend pas ici la tâche aisée, car ce sont ces relations
précisément qui sont améliorées par l’approche neurosystémique, et qu’il faudrait
savoir évaluer. Or la plupart des outils habituels sont centrés sur le statut fonctionnel
ou psychosocial, ou la qualité de la vie du patient lui-même et/ou de ses proches, ou le
management des équipes de soin, et non sur les relations entre ces entités. On trouvera
ici d’une part des exemples d’évolutions des fonctionnements institutionnels, qui
témoignent d’un changement des représentations du soin par les professionnels, et de
leur capacité à changer concrètement leur organisation, d’autre part des exemples
de l’impact sur des familles et des patients (dont on rappelle qu’ils sont des membres
de celles-ci). Malgré les difficultés méthodologiques, deux études de groupe, l’une en
pratique hospitalière, l’autre en pratique ambulatoire, sont en faveur d’un effet positif
de l’approche neurosystémique. Elles sont complétées dans plusieurs chapitres par des
rapports de cas cliniques, qui apportent un autre éclairage. Comme souvent en neuro
psychologie après lésion cérébrale, ces études de cas isolés permettre de mieux saisir la
démarche suivie que les études de groupe. La situation reste un peu paradoxale : l’ob-
servation quotidienne ne laisse aucun doute sur l’efficacité de la méthode, mais les
recherches doivent être poursuivies pour trouver des critères de jugement plus adaptés
et apporter des preuves scientifiques supplémentaires.
La répartition des références bibliographiques posait enfin le problème du risque de
redondance. Nous avons choisi de présenter certains chapitres sans référence, et de
concentrer celles-ci sur d’autres, auxquels le lecteur pourra aisément se référer.
Nous souhaitons que cet ouvrage apporte au clinicien MPR des pistes nouvelles de
réflexion pour améliorer d’une part le fonctionnement et le bien-être moral des équipes
de professionnels, d’autre part la qualité de la vie des personnes soignées et de leurs
familles, et remercions tous ceux et celles qui ont contribué à sa réalisation.
« Handicap et famille » a été l’un des thèmes discutés lors des XXXIXes Entretiens
de Médecine Physique et de Réadaptation, à Montpellier, le 4 mars 2011.
Coordinateurs : J.-M. Mazaux, J.-M. Destaillats, C. Belio, J. Pélissier.
Liminaires
Chaque être humain, pour se construire, a besoin d’appartenir : à une famille, un cou-
ple, des groupes de sa classe d’âge, de professionnels, etc. Ces différents liens d’apparte-
nance participent à la coconstruction de notre identité même si, selon les différents
stades de notre évolution, tous ne revêtent pas la même importance. Ainsi, de tous les
liens que nous tissons au fil de notre vie, celui établi avec notre mère ou son substitut
dans les premières semaines de notre existence, est vital comme ne le seront par la suite
plus aucunes autres relations. En effet, jusqu’à l’âge de 2 ans, la survie du nourrisson,
dépend de la capacité de sa mère ou de sa figure d’attachement à répondre à ses besoins
essentiels, de sa capacité à deviner, à comprendre ce qui lui est nécessaire pour se déve-
lopper correctement et devenir un être sociable, un être capable de rentrer en relation
avec les autres. Pour cette raison, la mère, elle-même dédiée prioritairement à son
enfant, a besoin de la présence d’un tiers, le père, son compagnon, un parent ou encore
sa propre mère, tiers qui à son tour prendra soin d’elle durant cette période [1].
Fonder un couple avec la perspective de fonder ensuite une famille sont des étapes
importantes qui contribuent à donner un sentiment de plénitude, à donner du sens à
son existence. Pour se sentir pleinement soi-même, il faut au moins être deux, que le
deuxième soit un homme, une femme ou une idée, une cause pour laquelle on s’engage.
Sans projet existentiel, l’être humain est confronté au vide. Dans cette perspective, le
couple, la famille, doivent permettre la réalisation de ce projet qui donne un sens à une
vie. Pour certains, le projet est ambitieux : réaliser une œuvre importante, se sentir
reconnu de tous ; pour d’autres, il peut sembler plus modeste : bien élever ses enfants et
leur permettre de devenir des adultes responsables. En réalité, il est dans les deux cas
essentiel : mener à bien son existence [3].
qu’il s’agisse d’un handicap consécutif à un accident de la voie publique par exemple,
a toujours un impact psychotraumatique. En effet, le projet existentiel que l’on avait
pour soi-même si l’on est la victime, comme parent pour son enfant, ou pour son cou-
ple, est remis en cause de façon irréversible par cet événement. Il y a un avant et un
après tout comme, pour nos parents ou nos grands-parents, il y eut avant et après la
guerre.
Face à ces situations, plusieurs aspects sont importants à prendre à compte par les psy-
chothérapeutes amenés à rencontrer les parents lorsqu’il leur est fait part du terrible
verdict.
Il convient tout d’abord ne rien faire ! Il ne s’agit pas en réalité de rester inactif ou
indifférent, mais de se garder, dans un élan compassionnel et réparateur, de vou-
loir organiser la famille. Évidemment, il n’est pas question ici des aides techniques
mais des aides relationnelles. Il est nécessaire en effet de laisser à chacun le temps
d’intégrer cette information, dont la réalité concernant les enfants n’est pas tou-
jours immédiatement palpable, de l’assimiler comme une donnée nouvelle et défi-
nitive. Si les thérapeutes doivent se tenir à disposition pour écouter des parents
envahis par le chagrin ou/et la colère qu’engendre un sentiment d’injustice, ils
doivent se garder de tirer des conclusions définitives, c’est-à-dire de penser que
l’état émotionnel d’un parent à ce stade augure de ce que deviendra sa relation
avec l’enfant.
Deux exemples illustreront cette première proposition.
Le premier est emprunté au livre remarquable d’Anna Maria Sorrentino, L’enfant défi-
cient [4]. Nous en reproduisons un premier extrait avec l’autorisation des éditions
Fabert.
Je me souviens de la réaction extrêmement violente d’une femme d’âge mûr à
l’annonce, lors de sa troisième grossesse, de la trisomie 21 de sa fille. Le per-
sonnel de la maternité, après avoir fait part de ses « soupçons » à la femme
hospitalisée, essaya d’impliquer le père dans la gestion de la crise que celle-ci
avait déclenchée. Je reçus en consultation le monsieur, triste et effrayé par la
nouvelle inattendue, tandis que sa femme était encore à l’hôpital. Il s’agissait
d’une famille modeste. Tous deux avaient accepté cette grossesse inopinée
naturellement, comme un fait de la vie, sans mettre en œuvre des processus
de contrôle tels que l’amniocentèse. Ils s’étaient limités à une prophylaxie
correcte qui n’avait mis en évidence aucun problème. Le pauvre homme,
déconcerté, avait l’impression que son épouse avait sombré dans la folie. Elle
refusait d’emmener le nouveau-né, qui se portait plutôt bien, à la maison.
Elle ne voulait pas l’allaiter, l’enfant en effet était nourri artificiellement, et
déclarait qu’elle disparaîtrait s’il essayait de lui imposer la présence de la
petite. Le mari, honteux des réactions de sa femme qui, jusque-là, s’était tou-
jours montrée fort raisonnable et sur laquelle il s’était sans cesse appuyé, ne
savait que faire.
La dame refusait toute consultation ; pour elle, sa fille était morte et elle ne
voulait en parler avec personne. Sa seule envie était de regagner la maison. Je
demandai au mari bouleversé si les proches avaient été prévenus. Il me
répondit que sa belle-mère, en dépit de son âge, s’était proposée pour s’occu-
per de l’enfant, mais sa femme restait intraitable. Si la petite intégrait la
famille, elle partirait. La violence de la réaction me fit espérer qu’il s’agisse
d’un feu de paille. Aussi, je suggérai de laisser la petite encore quelques jours
à l’hôpital, dans un climat plus tranquille que celui qui s’était installé à la
L’annonce du handicap 3
continua ses visites durant une semaine, devenant de plus en plus tonique
et expressive et, finalement, demanda de l’argent à son mari pour habiller
une fille qui ne pouvait pas être ramenée à la maison toute nue. En pleu-
rant, son mari lui donna ce qu’elle demandait. Il n’y eut pas de commentai-
res et la petite intégra la famille. Trois mois plus tard, dans le centre de
rééducation où je travaillais, je reçus la visite d’une personne avec une fille
trisomique gracieuse et bien pomponnée dans les bras. Elle se présenta
comme celle « qui avait abandonné sa fille ». Lors d’autres rencontres, elle
m’expliqua le processus mental qu’elle avait traversé. Elle avait dû aban-
donner la petite à l’intérieur d’elle-même, avant de découvrir la liberté de la
reprendre. Elle ne supportait pas de se sentir obligée de se charger d’un
autre lourd fardeau. Me montrant la petite, elle riait, en disant que, finale-
ment, elle n’était pas si lourde.
L’exemple suivant va dans le même sens et intègre l’évolution dans le temps de la rela-
tion entre le (les) parent(s) et son (leur) enfant.
Julien, âgé de 13 ans, m’est adressé par son orthophoniste. En effet, celui-ci est
convaincu que les troubles du langage qu’il présente, un important bégaiement, sont
uniquement d’origine psychologique. Quelque chose l’angoisse, est source d’un stress
important au point qu’il ne cesse de buter sur les mots. L’origine de cette angoisse
massive, lors du premier entretien familial, n’est pas difficile à identifier. Sa mère a eu
d’un premier mariage une fille décédée à l’âge de 12 ans d’une leucémie. De plus, à la
même époque, elle a perdu une nièce sensiblement du même âge, renversée sur un
passage piéton par un chauffard. Son couple précédent n’avait pu résister à autant
d’épreuves. Julien est donc issu de son deuxième mariage. Mais, depuis sa naissance,
elle redoute les catastrophes, sursaute dès qu’elle entend la sirène stridente des pom-
piers, panique si son fils, de retour de l’école, a cinq minutes de retard… Ce n’est
qu’après une demi-heure d’entretien que nous apprenons l’existence d’un frère aîné de
Julien, Anthony, atteint d’une trisomie 21. Comme nous émettons l’hypothèse que
l’annonce de ce handicap dût représenter à l’époque une épreuve supplémentaire le
père nous fait la réponse suivante :
— Lorsque les médecins nous ont dit ce qu’il en était, je leur ai demandé de le tuer !
— Tu as demandé que les médecins tuent Anthony ! intervient Julien, stupéfait.
— Eh bien oui, pour moi c’était une vie inutile dans un monde qui ne leur donne pas
de place !
— Mais ce n’est pas possible !
Une larme coule sur la joue de Julien.
— Tu t’entends bien avec lui, vous jouez au foot tous les deux !
— Bien sûr. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas ton frère. Mais, à sa naissance, j’ai
demandé aux docteurs de lui faire une piqûre.
La mère de Julien regarde son mari furieuse, l’air de dire : « Ce n’est pas déjà assez com-
pliqué comme ça, il faut que tu en rajoutes ! Quelle idée de lui dire cela ! »
— Et les docteurs, qu’ont-ils dit ?
— Ils m’ont expliqué qu’ils n’avaient pas le droit, ce à quoi j’ai répondu que je pouvais
très bien le faire moi-même, qu’il suffisait qu’ils me donnent le produit, mais là aussi,
ils ont refusé.
Julien pleure. Un silence pesant s’installe, le temps pour moi de trouver une issue à cet
échange. Puis, me tournant vers Julien :
— Tu sais, j’imagine que ce que ton père vient de dire est incompréhensible pour toi.
Comment comprendre qu’un père qui aime son fils, qui fait des choses avec lui, ait pu
L’annonce du handicap 5
un jour avoir envie de le tuer ? Une chose est certaine : ni moi ni personne, c’est-à-dire
aucun parent, ne peut savoir à l’avance comment il réagirait s’il était confronté à une
telle épreuve. Ce qui est sûr, c’est que ton père a eu la chance de tomber sur des méde-
cins qui ont bien fait leur travail en lui disant que c’était interdit, en l’empêchant de le
faire. Mais personne n’a le droit de porter le moindre jugement sur ton père parce que
personne ne peut savoir à l’avance comment il ferait face à cette épreuve. Quelle qu’ait
pu être la réaction de ton père à l’époque, ça ne l’empêche pas d’aimer ton frère
aujourd’hui. Peut-être même qu’il t’arrive à toi aussi d’être en colère contre Anthony, de
le trouver pénible quand il veut toujours être avec toi et tes copains ? Peut-être qu’il t’est
arrivé de penser que tu aurais préféré ne pas avoir de frère plutôt qu’un frère comme lui.
C’est normal. Pour autant, ça ne veut pas dire que tu ne l’aimes pas et que tu ne serais
pas malheureux s’il lui arrivait quelque chose.
Le père, après ce commentaire, se contenta de prononcer un seul mot : « Merci. »
Lors de la séance suivante, les troubles de Julien avaient disparu, comme si tout à coup
la parole était rendue possible dès lors que les pensées même les plus noires étaient
autorisées sans être pour autant révélatrices d’une quelconque monstruosité [2].
Ces deux exemples montrent bien que le temps de l’annonce du diagnostic et le senti-
ment de stupéfaction voire de sidération qu’il entraîne, n’ont rien à voir avec le temps
de l’attachement, de la même façon que tous les coups de foudre ne donnent pas tou-
jours naissance à des histoires d’amour.
L’instrumentalisation du handicap
Il est des cas où, contrairement aux deux exemples précédents, la présence d’un enfant
handicapé va remplir une fonction au sein des relations familiales. Là encore deux
exemples nous permettront d’éclairer ce point.
Monsieur et madame D. nous sont adressés dans le cadre d’une injonction thérapeu-
tique suite à un signalement au procureur pour suspicion de maltraitance. En effet,
si la cause du décès de leurs deux enfants aînés à l’âge de 1 et 2 ans est connue, une
maladie neurodégénérative – les enfants étaient nés « avec des trous dans le cerveau »
– c’est la réaction des parents qui paraît suspecte et font craindre au personnel médi-
cal que les enfants aient été victimes de mauvais traitements. En effet, pas plus le père
que la mère n’ont exprimé la moindre tristesse lors des décès des enfants comme si ils
n’en étaient nullement affectés. De plus, leur troisième enfant, atteint de la même
maladie, est en pouponnière et les parents là encore ne semblent pas éprouver la
moindre tristesse. Plusieurs explications peuvent sans doute être données pour
tenter de comprendre l’attitude des parents. La première, à nos yeux évidente, est
que pour se protéger de la souffrance, les parents sachant que l’espérance de vie de
leurs enfants ne dépasse pas 2 ans, ne tissent aucun lien d’attachement avec eux.
Cependant, cette explication, pour valable qu’elle soit, n’est pas suffisante. En effet,
à l’occasion de la troisième grossesse, lors du diagnostic anténatal rendu possible par
les progrès de l’imagerie médicale, les parents ne se montrèrent pas accablés et refu-
sèrent d’envisager une interruption thérapeutique de grossesse. L’explication de leur
choix ainsi que de leur attitude face à de telles épreuves nous est donnée lorsque nous
les interrogeons sur leurs familles d’origine. Monsieur D., d’origine indienne, a choisi
de se marier avec madame D., française de souche, contre l’avis de sa famille. Celle-ci,
pour se venger d’une telle trahison, fit appel à un religieux qui leur jeta le sort suivant :
tous leurs enfants, jusqu’au cinquième, mourraient dans d’atroces souffrances !
Ainsi, pour conjurer ce mauvais sort, monsieur et madame D. se dépêchaient de
6 J.-P. Mugnier
concevoir ces cinq enfants qu’ils savaient condamnés d’avance pour enfin mettre au
monde un sixième enfant qui, lui, serait sain !
Le deuxième exemple, à nouveau emprunté à Anna Maria Sorrentino, montre cette fois
l’instrumentalisation de l’enfant et de sa maladie au sein de la famille nucléaire.
Alessandro est le troisième enfant d’une famille aisée. Ses deux sœurs aînées
sont déjà à l’école supérieure et font de leur mieux pour obtenir des résultats
brillants dans les études et dans le sport. Leur père en est fier, même s’il les
regarde grandir avec tristesse, en songeant au moment où elles s’éloigneront
de la famille.
Les époux Viola n’ont jamais souhaité avoir un garçon. Par conséquent,
quand Alessandro est né, trop tard et « par erreur », tous l’ont considéré
comme une entrave plutôt qu’une consolation. Sa mère, en particulier, l’a
ressenti comme un poids limitant son autonomie. L’enfant reste donc, pen-
dant ses premières années, en marge de la famille, confié à une vielle tante
veuve qui habite avec eux.
Les parents se préoccupent presque exclusivement de leurs filles et, de ce fait,
la vieille tante peut gâter tranquillement Alessandro, en lui accordant tou-
jours plus qu’il ne faut, jusqu’à en faire un enfant gros, paresseux et calme,
peu sociable et encore moins engagé dans le travail scolaire. Les époux Viola
désapprouvent les méthodes de la tante mais ils n’ont ni le courage ni l’envie
de se saisir de la vie d’Alessandro pour l’orienter différemment. Ce dernier est
tellement peu considéré que sa chambre est utilisée comme débarras pour y
entasser les choses désormais inutiles.
À l’âge de 7 ans, pendant une maladie exanthématique, Alessandro fait une
crise d’épilepsie violente. Les examens d’usage débouchent sur la prescrip-
tion d’une thérapie antiépileptique qui, pour pouvoir être dosée, requiert
l’observation attentive des réactions du sujet. La frayeur provoquée par la
crise, un certain sentiment de culpabilité et la nécessité de contrôler l’évolu-
tion clinique, entraînent des changements profonds au sein de la famille
d’Alessandro. La vieille tante, littéralement terrorisée, s’installe en marge de
la vie de l’enfant. La mère, partie depuis peu à la retraite, la remplace et impli-
que dans l’assistance au malade sa fille aînée, Elvira, âgée de 17 ans. Cette
dernière, qui traverse une période de déception due à des difficultés avec ses
camarades, accepte de passer davantage de temps à la maison. Les modestes
résultats scolaires de l’enfant deviennent motif d’appréhension pour les
parents et pour son enseignant qui les interprète désormais comme le signe
d’une lésion cérébrale. La mère, stimulée par l’enseignant qui demande un
suivi particulier, commence à s’occuper des devoirs d’Alessandro en lui
consacrant tout son temps libre. Le jeune garçon est ravi de l’attention qu’on
lui accorde et fait parfois semblant de ne pas comprendre, pour que sa mère
et sa sœur s’affairent autour de lui ; il n’en revient pas du fait d’avoir pu quit-
ter les habits misérables de « Cendrillon » pour revêtir ceux du petit prince.
Trop entouré, l’enfant perd progressivement toute autonomie et arrive à pro-
duire un travail seulement s’il est suivi individuellement. Ses devoirs devien-
nent le principal sujet de discussions entre sa mère, son enseignant et celui de
soutien scolaire qui lui a été attribué. Ces problèmes, le dosage de ses médica-
ments, sont évoqués, dans les conversations familiales bien plus fréquem-
ment que les bons résultats d’Elvira à l’école ou les coupes gagnées au tennis
par Sonia, son autre sœur. Tout cela ne semble pas réussir à Alessandro qui
L’annonce du handicap 7
Réflexions conclusives
À partir de ces différents exemples, il est possible d’avancer quelques réflexions, quel-
ques questions afin d’envisager la nature de l’aide qu’il convient de proposer à la famille.
Tout d’abord il est important de se renseigner sur la composition de la famille, savoir
qui vit sous le même toit, quelles sont les personnes ressources potentielles… Ensuite, il
convient d’évaluer la demande d’aide : qui est le plus préoccupé ou le plus impliqué
dans la prise en charge de la personne handicapée, quel est le point de vue de chacun
des parents sur la « conduite à tenir » avec le sujet handicapé ? Y a-t-il des frères et sœurs,
8 J.-P. Mugnier
présentent-ils un malaise, une souffrance liée au handicap d’un des leurs ? Comment le
réseau social, les amis, l’école mais aussi les familles d’origine réagissent-elles face au
handicap ? Un dernier point enfin, qui s’avère souvent essentiel : quel impact la réédu-
cation aura-t-elle sur l’organisation familiale. En effet, bien souvent, ce qui pour les
soignants apparaît comme le devoir naturel d’un parent, d’un frère ou d’une sœur –
faire preuve de solidarité à l’égard d’un être que le destin n’a pas épargné – est souvent
synonyme de renoncement à soi-même.
Un tel renoncement peut être à l’origine d’une souffrance psychique importante mais
souvent inavouable et donner naissance à des processus relationnels intrafamiliaux qui
à leur tour créeront d’autres souffrances.
Références
1. Attili G. Attaccamento e costruzione zvoluzionstica della mente. Milano : Raffaello Cortina Editore ;
2007.
2. Fiat E. Grandeurs et misères des hommes, petit traité de dignité. Paris : Larousse ; 2010.
3. Mugnier JP. Les stratégies de l’indifférence. 5e éd. Paris : Fabert ; 2008.
4. Sorrentino A. L’enfant déficient. Paris : Fabert ; 2007.
La famille face à la lésion cérébrale
F. Beuret-Blanquart1, J.-L. Le Guiet2, J.-M. Mazaux3
1. CRMPR Les Herbiers, 76230 Bois-Guillaume.
2. Centre mutualiste de rééducation Kerpape, B.P. 78, 56275 Lorient.
3. EA 4136 Handicap et système nerveux, université Victor-Segalen Bordeaux 2,
33076 Bordeaux cedex.
Les familles sont organisées comme des systèmes basés sur le sentiment d’apparte-
nance et la solidarité, dont le but est l’éducation et le bonheur des enfants. Ses
membres en partagent une représentation commune, le modèle, ou mythe familial.
Chaque famille a son propre modèle et ses règles de fonctionnement qui condition-
nent la coévolution des individus qui les composent. Tout événement, en particu-
lier dramatique comme un traumatisme crânien, va avoir une influence sur
l’ensemble, provoquant une crise que le système familial va essayer de résoudre avec
ses propres ressources. Les règles qui régissaient la famille sont remises en question
plus particulièrement du fait des séquelles cognitives et comportementales. Ces
séquelles en elles-mêmes et l’incertitude quant à leur évolution déstabilisent le sys-
tème. L’anxiété, la dépression, la fatigue, le déni et la colère en sont les manifesta-
tions les plus courantes. Les divers sous-systèmes qui composent la famille,
notamment le couple, les parents, les grands-parents et la fratrie, réagissent chacun
de façon spécifique. Les professionnels, qui constituent un système d’inclusion,
peuvent involontairement ajouter à la souffrance des familles. La crise va avoir un
puissant impact sur les liens qui existent à l’intérieur de la famille et sur leur évolu-
tion au fil du temps. La prise en compte de ces phénomènes est indispensable à la
construction du projet de réadaptation et réinsertion des personnes victimes de
lésion cérébrale.
« Ce n’est pas une généalogie génétique, juridique, ni biologique, mais une
généalogie de la parole qui fait que l’on nomme quelqu’un son fils. »
J. Pohier
La famille est, avec le patient lui-même, le premier et principal interlocuteur du pro-
jet de soin MPR (médecine physique et réadaptation). On ne devrait d’ailleurs pas
dire le patient et la famille, comme s’il s’agissait de deux entités distinctes, puisque le
patient est dans la famille, il est l’un des éléments du système familial. Prendre en
compte les dysfonctionnements familiaux qui résultent de la maladie est donc une
dimension fondamentale du projet de réadaptation et réinsertion. Et, parmi les affec-
tions sources de handicap, la lésion cérébrale est peut-être celle qui perturbe le plus
la famille, du fait des déficiences cognitives et des modifications des émotions et du
comportement qu’elle entraîne. Les troubles cognitifs déroutent, les modifications
des émotions et du comportement dérangent. La famille dysfonctionne face à l’at-
teinte du cerveau.
10 F. Beuret-Blanquart, J.-L. Le Guiet, J.-M. Mazaux
Le système familial
La famille, « ensemble des personnes ayant des liens de parenté », est un puissant sys-
tème (du grec systema, ensemble organisé) d’appartenance dont le but est l’éducation et
le bonheur des enfants. Dans les systèmes d’appartenance, la relation du sujet au sys-
tème repose sur la solidarité et le partage d’un ensemble de références et de valeurs
communes aux membres du système. L’intégration au groupe est formalisée par des
rituels bien spécifiques. Le sujet s’en trouve valorisé, reconnu et accepté dans sa singu-
larité, son caractère unique. Le système vise à préserver de la banalisation, à construire
l’identité et favoriser l’épanouissement de ses membres. Malgré l’adage « on choisit ses
amis, on ne choisit pas sa famille » chanté par Maxime Le Forestier, on s’aperçoit aisé-
ment que l’organisation de la famille répond bien à ces critères. Ses membres en parta-
gent une représentation commune, c’est le modèle, le mythe familial. Les rituels
d’appartenance familiaux : naissances, baptêmes, anniversaires, repas de famille, obsè-
ques d’un membre sont autant d’occasions de manifester sa solidarité et son adhésion
au mythe familial. Si l’appartenance fonde ainsi l’identité, l’identité fonde aussi l’ap-
partenance, il existe entre ces entités une récursivité qui se traduit pour chacun des
membres en termes de liens, et en termes de coconstruction de l’évolution de ces liens
dans le temps. De sorte qu’un programme de soin MPR proposé aux patients trauma-
tisés crâniens ne peut avoir l’ambition d’aider à la reconstruction de l’identité, s’il ne
s’articule pas avec un travail auprès du groupe d’appartenance familial.
Le système familial assure une coévolution des membres qui le constituent. Cette orga-
nisation a une fonction structurante interne, un ordre relationnel qui crée une stabilité
et une prévisibilité dont bénéficient tous ses membres. C’est cet ordre relationnel, cette
stabilité et cette prévisibilité que vient rompre le traumatisme crânien.
comportementaux qui restent les plus difficiles à supporter [21]. Dans les situations les
plus graves où le patient reste en état végétatif ou paucirelationnel, les familles (sou-
vent les parents) peuvent réagir par une abnégation et se consacrer exclusivement à leur
enfant, laissant de côté leur vie de couple et leur vie sociale [8].
Familles et professionnels
À la différence des systèmes d’appartenance, il existe des systèmes dits d’inclusion, où
les relations entre les éléments et le système reposent sur un axiome de sélection selon
un critère donné. Le système d’inclusion vise à imposer un ordre, une nosologie, à divi-
ser le réel en catégories. Dans ce type de système, la relation est imposée au sujet, il n’est
pas visé personnellement, mais il n’y a pas de solidarité ni d’engagement intime, il y a
donc une réification de l’élément dans sa relation à l’ensemble dans lequel il est inclus.
L’Armée à l’époque du service militaire obligatoire, l’Éducation nationale (classement
par âge et niveaux d’apprentissage), l’Hôpital (classement par symptôme et maladie), la
Sécurité sociale (classement par numéro d’identification) sont des systèmes d’inclu-
sion. Et, même si certaines équipes de rééducation aiment à penser qu’elles fonction-
nent « comme une grande famille », on démontre facilement que la ressemblance n’est
qu’apparente, et qu’en fait un groupe de professionnels salariés d’une institution fonc-
tionne comme un système d’inclusion. Ce type d’organisation est important à considé-
rer dans le soin MPR, car les systèmes d’appartenance ont des difficultés à fonctionner
lorsqu’ils confrontés à des systèmes d’inclusion, et réciproquement. À la détresse géné-
rée dans la famille par la lésion cérébrale vont donc s’ajouter d’autres difficultés liées
à la rencontre de deux systèmes d’organisation et de logique différentes.
Certaines familles se plaignent donc de difficultés relationnelles avec les équipes de
rééducation. La compétence professionnelle et technique de celles-ci est rarement mise
en cause, mais de multiples situations du quotidien sont sources de tensions, de malen-
tendus voire de conflits : horaires de visite et d’appels téléphoniques, difficulté ou
impossibilité d’assister aux séances de rééducation, information trop lente des résul-
tats d’examens biologiques ou d’imagerie, manque de concertation et association aux
décisions concernant leur proche, manque de disponibilité du personnel et des
12 F. Beuret-Blanquart, J.-L. Le Guiet, J.-M. Mazaux
édecins pour écouter la souffrance des familles, leurs inquiétudes. La réserve pru-
m
dente des médecins ou l’honnête aveu d’ignorance vis-à-vis du pronostic final est une
autre cause de souffrance des familles, c’est le célèbre : « On ne nous a rien dit. »
Les relations des familles avec les professionnels s’espacent aveu le temps, entraînant
un sentiment d’abandon à la fin de la période de rééducation en hôpital ou en centre.
Le rôle du milieu associatif est à ce niveau irremplaçable.
Le sous-système conjugal
Par rapport aux autres sous-systèmes, le couple n’est pas déterminé par le lignage (la
parenté). Il se crée à partir d’une rencontre ; il est le rapprochement de deux trajets de vie,
l’aboutissement d’un choix qui peut être remis en question à tout moment, contraire-
ment à la famille dont le lien ne peut être dissous. À notre époque, on ne choisit peut-être
pas sa famille, mais on choisit son couple ; le lien est libre, se fondant sur l’amour et non
sur le devoir. Le couple partage et fusionne et, même si ses sentiments vont évoluer, il se
projette dans l’avenir et dans la durée ; il va construire son histoire personnelle, connue de
lui seul. Dans cette relation, chacun garde cependant son autonomie et préserve sa liberté
individuelle. Le couple peut être un système indépendant s’il n’a pas d’enfants. Il devient
un sous-système du système familial qu’il a construit lorsqu’il en a.
Les liens qui unissent le couple sont profondément modifiés par le traumatisme crâ-
nien ou d’autres lésions cérébrales. Les troubles comportementaux et cognitifs font
que le conjoint ne reconnait plus le partenaire qu’il avait choisi. Le lien amoureux qui
unissait le couple est mis à mal et le fonctionnement du couple va être ébranlé, parfois
inversé. Les épouses sont davantage victimes de détresse psychologique que les mères
[9,11,12,14,18]. Elles sont particulièrement touchées car elles sont souvent les aidants
principaux ; elles ressentent des sentiments de perte, d’ambiguïté par rapport au
divorce, de frustration, de sensation d’injustice, d’ennui. L’intimité et les relations
sexuelles sont perturbées. Par rapport aux autres sous-systèmes familiaux, les épouses
et compagnes sont les plus exposées à la dépression. Cependant, il semble que les divor-
ces ne soient pas plus fréquents [13]. Étudiant une série de 977 sujets victimes d’un
traumatisme crânien modéré à sévère, Arango-Lasprilla [2] met en évidence un taux de
divorce de 15 % dans les 2 années suivant le traumatisme ; le jeune âge, le caractère vio-
lent du traumatisme et l’atteinte modérée sont des facteurs prédictifs de divorce. Les
La famille face à la lésion cérébrale 13
Le sous-système parental
Il se distingue du précédent par le rôle parental de protection et d’éducation des enfants
qui est en dehors du lien conjugal. Ce rôle parental n’est pas seulement individuel ; il
existe en effet une coresponsabilité avec l’autre parent. Le sous-système parental va évo-
luer au fur et à mesure que l’enfant grandit.
Lors de l’accident, le rôle parental est très rapidement perturbé, les enfants repérant
très vite les séquelles du parent traumatisé crânien. L’autre parent va tout d’abord
essayer de protéger son conjoint et lui laisser sa place, mais il va rapidement se sentir
seul pour prendre les décisions éducatives qu’il partageait auparavant. Les troubles que
présente le conjoint traumatisé crânien le rendent indifférent ou lui font prendre des
positions non adaptées, parfois agressives en tous cas souvent imprévisibles et incom-
préhensibles. Le conjoint non traumatisé crânien se trouve dans une situation difficile,
voulant ménager son conjoint sans pouvoir cautionner son attitude indifférente, illo-
gique voire violente. Le conjoint traumatisé crânien peut vivre cela de façon doulou-
reuse, et y réagir par une attitude agressive. Il est bien sûr important de préserver chez
l’enfant l’image parentale en essayant de lui expliquer le rôle que la lésion cérébrale
peut jouer dans l’attitude de son parent.
Les parents semblent davantage perturbés par les troubles cognitifs que par les trou-
bles du comportement [1,12,21]. Les pères sont dans la fatigue et la colère, les mères
dans la tristesse et la résignation [18]. Les parents d’enfants jeunes ont une plus grande
détresse si leur enfant a un faible niveau scolaire, peu ou pas d’amis, ne sait pas contrô-
ler sa colère ou est apathique [19]. Les attitudes éducatives sont changées : lorsque le
traumatisme crânien survient chez le jeune enfant, Yeates [24] observe une plus grande
permissivité et moins d’autorité envers les enfants qui ont eu un traumatisme crânien
sévère par rapport à ceux qui ont eu un traumatisme crânien léger ou modéré ou ceux
qui ont eu un traumatisme orthopédique.
possible, l’enfant va s’engager dans des stratégies de transformation [8]. Ces stra-
tégies sont individuelles et peuvent revêtir différentes formes. L’enfant peut se
replier sur lui-même et souffrir sans l’exprimer. Il peut aller chercher un soutien
en dehors de sa famille. Il peut s’éloigner et vivre en dehors du foyer. Il va se déve-
lopper seul, cherchant à se protéger mais souffrant de carences d’identification
et de construction de la personnalité. Ces troubles vont être d’autant plus impor-
tants que l’enfant est jeune au moment de l’accident.
Le sous-système fratrie
Le sous-système fratrie est une entité à part entière qui ne peut se réduire au lien
parental [20]. Certes, le lien fraternel se construit à partir du sous-système parental
(dimension intergénérationnelle) mais il a son autonomie et fonctionne au moins par-
tiellement en dehors du regard des parents (dimension intragénérationnelle). Chaque
fratrie a sa dynamique propre. Elle va subir les événements et se réorganiser (renforce-
ment du lien, séparation, rejet, violence…). Des rivalités antérieures peuvent être exacer-
bées ou le lien peut au contraire être renforcé. Les frères et sœurs d’un jeune traumatisé
crânien se sentent souvent mis de côté « victimes oubliées ». L’impact de la situation
peut être négatif ou positif pour leur évolution [5].
Conclusion
Ainsi, sous les yeux des professionnels ou à leur insu, mais toujours en interaction avec
ceux-ci, des changements de rôle et des jeux relationnels complexes vont se produire au
La famille face à la lésion cérébrale 15
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La souffrance et les attentes
des familles
M.-C. Cazals1
1. UNAFTC, 32, rue de la Colonie, 75013 Paris.
Chaque famille, quand elle existe, est unique. Chaque blessé est unique. Chaque trajec-
toire de vie est unique. Cependant, les familles souhaiteraient être informées dès le
début sur l’état de leur blessé, qu’on leur formule des incertitudes de pronostic sans
briser l’élan vital qui les porte, qu’on les accompagne avec leur blessé, qu’on les écoute,
qu’on leur distille une information adaptée, mesurée et progressive. Lors du retour à
domicile, elles souhaiteraient être guidées par un service d’accompagnement, elles sou-
haiteraient trouver des structures « d’accueil temporaire » pour souffler quand cela est
nécessaire. Elles souhaiteraient un réel dialogue avec les professionnels, établir avec eux
des relations de confiance et de respect mutuel. Elles souhaiteraient que soient respec-
tées leurs souffrances sous quelque forme que ce soit. Elles souhaiteraient être asso-
ciées aux décisions quant à l’avenir et au projet de vie de leur blessé. Elles souhaiteraient
la constitution, sur tout le territoire, de véritables réseaux et filières coordonnés qui
permettraient d’assurer le suivi sur le long terme des blessés, évitant les ruptures de
prise en charge, la multiplication des consultations, bilans et rendez-vous, démarches
administratives. Elles souhaiteraient une prise en charge du traumatisé crânien qui
serait globale, holistique et pragmatique. Mais cette théorie très séduisante n’est pas
toujours mise en pratique faute de moyens et de volonté. Et dans les AFTC, nous voyons
encore arriver des familles qui n’ont pas ou peu reçu d’informations sur le traumatisme
crânien et ses séquelles, qui n’ont pas été prises en charge correctement, auxquelles n’a
pas été proposé de réel suivi de leur blessé sur le long terme. C’est tout un accompagne-
ment de la famille qu’il s’agit de mettre en place, à la fois pour l’aider à mieux compren-
dre ce qui se passe pour elle et pour son proche, ainsi que pour faciliter un détachement
par rapport à une souffrance envahissante qui vient entraver les possibilités d’épa-
nouissement des uns et des autres et entraver le travail des professionnels. Mais c’est
aussi parallèlement tout un programme d’accompagnement des cérébrolésés qu’il faut
proposer à la famille : scolarité adaptée, séjours de vacances, accueil temporaire, héber-
gement, logement supervisé, SAMSAH, MAS, ESAT, FAM, emploi adapté, etc., avec des
passerelles aménagées entre ces différentes prises en charge.
L’action concertée entre les différents acteurs que sont les pouvoirs publics, les établis-
sements et services, les professionnels, les AFTC, les blessés et leurs familles à l’intérieur
de réseaux et de filières coordonnés constitue la condition fondamentale pour que les
personnes victimes d’un traumatisme crânien puissent élaborer un nouveau projet de
vie réaliste, et pour que leurs familles puissent se détacher de leur souffrance et vivre
pourtant.
Que dire des attentes de toutes les familles que nous côtoyons dans les associations de
familles de traumatisés crâniens et cérébrolésés (AFTC) ? Que dire de leur souffrance et
La souffrance et les attentes des familles 17
Le choc
L’annonce de l’accident et du coma qui s’ensuit plongent d’emblée la famille dans un
état de choc terrible. Deux questions l’oppressent : va-t-il vivre ? Quand va-t-il se
réveiller ? Une autre question : comment va-t-il se réveiller ?, viendra bien plus tard.
n le jour se lève, que va-t-on faire aujourd’hui, demain avec notre blessé ? Et tous
s’ajoutent l’assistance et la surveillance du blessé, avec toutes les notions de devoir qui
accompagnent cette tâche pour la famille et les sentiments de dépendance et de frustra-
tion qu’elles entraînent chez le blessé.
Une réelle difficulté complique encore la situation : quel comportement adopter face à
des attitudes qui dérangent et déroutent, telles que la perte de motivation, la perte
d’intérêt aux choses de la vie, la passivité, l’intolérance aux frustrations, l’instabilité, la
désinhibition, la perte de contrôle de soi, le défaut d’autocensure, l’agressivité, la len-
teur, la difficulté de communiquer ou la mémoire défaillante ? N’ayant pas toujours de
réponse concrète de la part des professionnels, la famille peut se sentir démunie. Elle a
quelquefois le sentiment que les problèmes s’accumulent sans résolution aucune, elle
s’isole car personne ne semble la comprendre. Et lorsque, à l’association, nous rencon-
trons ces familles pour la première fois, nous avons le sentiment d’être une bouée de
sauvetage à laquelle elles vont s’accrocher désespérément pour essayer de surnager au
milieu d’un océan hostile.
20 M.-C. Cazals
jamais non plus ce qu’il faut ? Comment savoir ce que le traumatisé crânien attend, où
en est-il, quant à son élaboration personnelle, à quel moment de son travail de deuil en
est-il lui même ? Le peut-il ? Comment le savoir ? Le sait-il lui-même ?
Conclusion
Les personnes victimes de lésions cérébrales acquises et leurs familles ont besoin de
soutien et de conseils pendant toute leur existence. La famille ne peut pas rester dura-
blement seule à assumer l’accompagnement d’un de ses membres cérébrolésé. Elle ne
22 M.-C. Cazals
souhaite pas d’ailleurs que les institutions la remplacent complètement dans ce rôle
mais plutôt que la charge des responsabilités soit partagée entre elles, la collectivité et
les professionnels. Évidemment, la seule façon efficace d’aider les familles est :
n d’une part, de la décharger d’un fardeau qui ne peut pas être assumé dans la
durée, d’un assujettissement constant et souvent total à leur blessé, en créant
des logements supervisés, des GEM, des SAMSAH, des FAM, des MAS, des
CAJ, des ESAT, des scolarités adaptées, des loisirs adaptés surtout pour les
plus lourdement handicapés ;
n d’autre part, d’organiser de véritables filières de soins, de rééducation, de réa-
L’évolution des connaissances a fait apparaître le handicap comme une contrainte rela-
tionnelle douloureuse imposée à tous les membres du système familial. Les épistémo-
logies coperniciennes et de la complexité proposent une compréhension des difficultés.
La théorie dite des trois portes, individuelle, familiale et institutionnelle, permet de
rendre compte de la complexité des interactions en jeu. L’approche neurosystémique
propose cette construction où la rencontre des dimensions cognitive et systémique
ouvre vers l’élaboration du sens avec la famille. La connaissance des difficultés cogniti-
ves est centrale et permet un travail d’empathie avec les membres de la famille. Ce tra-
vail neurosystémique s’appuie sur la Théorie de l’esprit. Il tend vers une micro-
anthropologie du lien qui vise à situer les membres de la famille dans leur histoire et
leur parcours de vie, en soulignant les dimensions éthiques de leurs choix.
La genèse de la neurosystémique
Nouvelles pratiques, nouveaux métiers, nouvelles épistémologies
La médecine physique et de réadaptation a évolué, dans ses modalités pratiques d’ac-
compagnement des blessures cérébrales, de façon extrêmement notable au cours des
trois dernières décennies. Ceci a été sous-tendu par le développement de nouvelles
connaissances [51], issues de la neuropsychologie en particulier, qui rendaient
compte du comportement sous un jour totalement autre que celui des schémas clas-
siques psychodynamiques, et qui amenaient à complexifier la vision que l’on avait
des phénomènes observés à la suite de blessures cérébrales. L’orthophonie, avec les
troubles du langage et leur prise en charge, a été la première grande porte ouverte sur
ce fonctionnement cognitif, et au cours des années se sont construits des outils et des
modèles qui ont permis de prendre en compte l’étendue des conséquences lésionnel-
les traumatiques. La relation, la communication, l’interaction des patients avec
l’entourage soignant ou familial pouvaient être comprises de façon notablement dif-
férente [57]. L’orthophonie, si elle ouvrait sur la communication et donc sur la rela-
tion, a été intégrée dans le concept beaucoup plus large du fonctionnement cognitif
général telle que la neuropsychologie cognitive a permis de le découvrir. Dès lors, la
mise en perspective des difficultés que rencontraient les patients avec leur expression
comportementale et relationnelle, prenait une dimension heuristique tout à fait
fondamentale.
Dans la conception de l’être humain, nous avions quitté les schémas du xixe siècle,
reposant comme dans les théories freudiennes sur les concepts d’énergie. Ces schémas
24 J.-M. Destaillats et al.
qu’elle voulait faire pour son existence et son projet de vie, des compétences qui étaient
les siennes malgré les séquelles. Il était alors impossible de rentrer dans des protocoles de
prise en charge, des procédures stéréotypées et avec l’ergothérapie, la neuropsychologie
cognitive allait s’ouvrir vers l’extérieur des lieux d’évaluation, et tenter d’appréhender
et de comprendre le fonctionnement de la cognition dans le contexte.
Dans ce même mouvement qui, du langage, avait ouvert vers la communication, et de
la communication vers la relation, les équipes de soins se sont confrontées aux attentes
et aux souffrances des familles dès lors que le retour à l’état antérieur semblait impos-
sible malgré les avancées du soin [31,32,50]. Cette rencontre entre la blessure cérébrale,
la cognition de la personne blessée, l’environnement dans lequel elle évolue, obligeait
les différents professionnels à quitter un paradigme réductionniste, centré sur l’isole-
ment de la lésion, de ses déficiences, pour s’orienter vers un paradigme beaucoup plus
écologique ou systémique où la complexité des aspects multifactoriels, les dimensions
humaines et relationnelles structuraient peu à peu, de façon inverse les processus de
l’accompagnement et du soin [1,9,10].
solution qui rendait compte de ce qu’il observait. Si les étoiles bougeaient, c’est que la terre
était au centre de l’univers et donc que le mouvement des astres se déterminait par rapport
à celui d’un point immobile placé au centre de l’univers, la terre. Cette théorie scientifique
correspondait en tout aux dogmes religieux de la création qu’avait voulue Dieu.
Une douzaine de siècles plus tard, Nicolas Copernic proposait, avec Galilée, une autre
théorie pour rendre compte de ce mouvement. La terre n’était plus au centre de l’uni-
vers ou du système solaire. Le mouvement de chaque planète était influencé par les
unes et les autres, et toutes s’organisaient de manière coordonnée dans un mouvement
où le soleil était au centre et non plus la terre. Chacun des mouvements des planètes
avait une influence sur les autres, et le soleil lui-même n’était pas immobile. Il venait de
décrire ce que l’on appela le système solaire. Nous étions passés d’une pensée géocen-
trée à une pensée héliocentrée.
Troubles du comportement
dans les traumatismes crâniens
Définitions
Les troubles du comportement font partie des tableaux cliniques des traumatismes
crâniens, et perdurent à moyen et long terme [8,24,25,34,48]. Leur présence et leur
intensité compliquent la prise en charge. Ils interfèrent notamment avec l’implication
active des patients dans les soins, et les relations que ces derniers entretiennent avec les
équipes soignantes. Ils constituent également un frein dans le processus de réinsertion
Neurosystémique : théories et pratiques 27
Éclairage neuropsychologique
La neuropsychologie apporte, depuis une vingtaine d’années, des éléments cruciaux
dans l’éclairage des troubles du comportement. Dans cette perspective, le « trouble du
comportement » est la traduction comportementale des troubles cognitifs et émotion-
nels provoqués par les lésions cérébrales. Les plus classiques sont les troubles du com-
portement décrits dans les syndromes frontaux ou, plus récemment, dysexécutifs. Dans
ces syndromes, les troubles du contrôle cognitif ont de multiples conséquences. Sur le
plan cognitif, ils s’expriment au travers notamment des troubles de la planification
(incapacité à organiser des séquences d’actions dans le temps) ou de la flexibilité men-
tale (incapacité à alterner entre deux tâches). Ces troubles entraînent une désorganisa-
tion importante dans la vie quotidienne, réduisant considérablement l’autonomie des
sujets, et augmentant la charge de travail pour les proches. Toujours sur le versant
cognitif, on peut noter des troubles métacognitifs (capacités à penser son propre fonc-
tionnement cognitif et celui d’autrui). Ces troubles induisent des difficultés dans la
prise de conscience des séquelles du traumatisme crânien, et constituent un frein
28 J.-M. Destaillats et al.
important dans la prise en charge. Sur le plan émotionnel, les troubles du contrôle
cognitif entraînent une difficulté à moduler le comportement émotionnel, induisant
ainsi la labilité émotionnelle. Sur le plan comportemental, ou des conduites, les trou-
bles de l’inhibition des fluctuations émotionnelles peuvent entraîner une impulsivité,
ou des accès de colère ou d’agressivité.
Parallèlement, certaines lésions du système limbique induisent des troubles de la moti-
vation. Ces troubles, regroupés sous le terme de syndromes athymhormiques, sont
caractérisés par une perte de l’élan vital, de l’intérêt et de l’affectivité. Sur le plan com-
portemental, ils s’expriment par une certaine apathie, une indifférence affective, un
comportement pseudodépressif. De plus, des troubles massifs de l’initiative condui-
sent à une grande dépendance du sujet vis-à-vis de l’environnement familial, qui doit
être à l’origine de la plupart des activités pour qu’elles soient menées.
Plus récemment, des troubles cognitifs plus sophistiqués ont été mis à jour chez les
traumatisés crâniens. Ainsi, les troubles de la cognition sociale (c’est-à-dire l’ensemble
des processus qui sous-tendent les relations interpersonnelles) sont également associés
à des troubles du comportement. En effet, les difficultés des sujets à traiter l’informa-
tion émotionnelle conduisent les sujets à méconnaître ou mésinterpréter les intentions
ou les émotions d’autrui (Théorie de l’esprit). Ces troubles ont pour conséquence des
difficultés de compréhension et de communication entre le sujet et ses proches, et peu-
vent créer des situations de malentendu ou de gêne dans de nombreuses situations
sociales. Ce qui peut apparaître comme de l’indifférence ou de la froideur affective peut
être en réalité le résultat d’une difficulté à traiter les signaux émotionnels provenant
d’autrui. Plus généralement, les troubles de la théorie de l’esprit se traduisent par la
prépondérance de points de vue et d’attitudes égocentrés. Cette incapacité à adopter
une perspective différente, celle d’autrui, peut également conduire les sujets à ne plus
pouvoir nuancer leurs propres désirs en fonction des normes sociales. L’intolérance à la
frustration, l’incapacité à différer la satisfaction de ses propres besoins sont autant de
conséquences possibles de ces troubles cognitifs de haut rang.
Ces mêmes difficultés relationnelles peuvent également provenir de l’incapacité à trai-
ter ses propres états émotionnels. Ainsi, l’alexithymie (littéralement : difficulté de lec-
ture de ses propres émotions) conduit le sujet, par méconnaissance de ses émotions, à
agir de manière inappropriée en situation. L’inadéquation affective, trouble du com-
portement fréquemment rapporté dans les traumatismes crâniens, peut donc avoir
pour origine une absence ou une pauvreté des informations émotionnelles disponibles
pour le système cognitif, que ces informations concernent autrui ou soi-même.
L’anosodiaphorie (insensibilité affective) peut constituer un autre exemple de consé-
quence comportementale induite par ces difficultés cognitives spécifiques.
Finalement, les répercussions cognitives des lésions cérébrales conduisent le patient à
ne plus savoir faire (planification), ne plus savoir comment faire (élaboration de straté-
gies orientées vers un but, métacognition), mais également à ne plus savoir comment
réagir face aux événements ou aux sollicitations implicites des proches (troubles de la
cognition sociale).
Neurosystémique et soin
L’approche mise en œuvre associe la prise en compte des dimensions neurologiques
lésionnelles, cognitives, avec les théories de la communication et les théories systémiques
qui prennent en compte l’entourage familial mais aussi l’entourage institutionnel des
patients, à savoir les équipes de soin [1,14,20,31,32,33,36,37,50,56]. L’aspect polysémique
du trouble du comportement renvoie à une complexité très supérieure à la définition
simplificatrice de « trouble » que représente le phénomène pour le patient, les équipes et
l’entourage. Dans notre consultation, telle qu’elle est recommandée par la circulaire
DHOS du 18 juin 2004 et qui réunit le patient et sa famille, peuvent exister deux abords.
L’abord du patient, comme tout abord individuel, ouvre sur le réductionnisme analyti-
que, puis l’abord de la famille et des équipes de soin, du couple, de l’entourage ouvre
sur la systémique ou la science des systèmes [11]. Ce sont des épistémologies qui orien-
tent différemment le regard, construisent de façon non équivalente l’action de l’inter-
venant et sa compréhension de ce qui est observé à cette occasion. Le travail consiste
donc à étendre et complexifier notre regard, dans un processus de compréhension préa-
lable à tout traitement, pour associer l’impact émotionnel, relationnel, comportemen-
tal des lésions et des séquelles cognitives avec les rétroactions des équipes soignantes et
de la famille qui y sont confrontées.
Il s’y surajoute la dimension de l’histoire du lien et de la relation que le patient peut
entretenir avec ses proches, et dans laquelle les comportements sont décodés tout
autrement par les protagonistes de cette relation, en faisant référence à leur parcours
personnel, individuel et collectif. C’est dans la méthodologie mise en œuvre dans cette
pratique, que nous allons essayer d’entrer un peu plus avant.
sous-tendent. En effet, il est très rare que le patient cérébrolésé, du fait de l’anosogno-
sie, fasse lui-même une demande pour ce type de difficulté, dont il aurait suffisamment
conscience pour vouloir s’engager dans un processus thérapeutique personnel. C’est
ainsi que la plupart des demandes de soin qui concernent des difficultés comporte-
mentales, s’effectuent par des tiers. Ces tiers sont la famille ou les équipes soignantes.
Ceci se traduit généralement par des demandes d’avis auprès de spécialistes, médecins
MPR, neurologues, psychiatres, qui peuvent être à l’origine d’un essai de prise en charge
thérapeutique pluridisciplinaire de ces troubles.
Les soignants confrontés à cette demande doivent rester très attentifs au contexte dans
lequel elle s’inscrit [37]. Par exemple, le médecin pourrait voir les choses au travers des
éléments du dossier qu’il connaît, à savoir l’aspect lésionnel et les conséquences cogni-
tives, alors que l’aide-soignant lui aurait des informations issues de la famille qui les
engageront différemment dans la compréhension du trouble tel qu’il est observé. Cette
multiplicité des avis peut être prise en compte dans une réunion d’équipe. On voit bien
là l’utilité d’intégrer une lecture plurifactorielle dans différents niveaux de pertinence
pour construire ensuite l’action thérapeutique. Le paradigme systémique s’oppose au
paradigme réductionniste. Le paradigme réductionniste est unicausal, monofactoriel,
unidimensionnel. Le paradigme systémique est multicausal, plurifactoriel, pluridi-
mensionnel. Dès lors, il nous a semblé utile d’avoir, pour respecter ces aspects comple-
xes du comportement, une approche que nous avons appelée neurosystémique.
La porte individuelle
C’est la porte qui place le patient au centre du regard et de la recherche des informa-
tions pour l’explication et la compréhension de ce qui l’agit. Dans la porte individuelle,
doivent se retrouver toutes les informations et hypothèses qui concernent ce qui peut
être rapporté du trouble du comportement à la personne du patient. C’est ici que dans
l’évaluation individuelle du patient, se trouve explicare. Expliquer, issu du latin expli-
care, sous-entend le fait de déplier, de « creuser » pour mettre à jour des causes internes
aux troubles du comportement. Dans le cas de patients cérébrolésés, la porte indivi-
duelle explore trois dimensions.
Neurosystémique : théories et pratiques 31
La porte familiale
Dans la consultation Handicap et Famille, nous essayons de passer du trouble lésionnel
au trouble familial en réalisant une microanthropologie du lien. Les fondements théori-
ques sont basés bien entendu sur une épistémologie de réalisme phénoménologique.
32 J.-M. Destaillats et al.
Nous faisons donc le choix d’une méthodologie constructiviste pour un travail sur cette
micro anthropologie du lien [27,28,29].
Devant cette porte, il convient d’essayer de formuler des hypothèses sur ce que le trou-
ble du comportement peut signifier d’une difficulté familiale. Les indications qui
nous sont adressées dans la consultation servent de support aux hypothèses familia-
les. Ces indications concernent régulièrement les souffrances des patients et les souf-
frances des familles, mais aussi les troubles du comportement, les conflits familiaux,
les conflits entre institutions et patients, et les conflits entre familles et institutions.
Ces deux derniers conflits seront abordés dans l’hypothèse institutionnelle. Parmi nos
objectifs face à ces demandes, l’information sur les troubles, l’évaluation systémique
des difficultés et le suivi systémique familial, voire la thérapie familiale systémique,
nous conduisent à porter un regard sur les conséquences du trouble du comporte-
ment sur la famille, mais aussi sur la dynamique en cours dans la famille qui peut
expliquer les troubles du comportement.
Comme exprimé dans un chapitre précédent, le système familial [5,14,16,19,22,37]
organise une coévolution des individus qui le constituent, et a une fonction structu-
rante interne qui se confond avec son existence même. Chacun s’attend ainsi aux
comportements relationnels des membres de la famille, où chaque situation a déjà
été vécue plusieurs fois et a fait émerger une certaine régularité des réactions des uns
et des autres. Ceci crée une modélisation, qui assure un ordre relationnel qui lui-
même crée une stabilité, une prévisibilité dont bénéficient ses membres. Cette prévi-
sibilité facilite les échanges et la communication. En fait, ce qui fait la famille, c’est
l’idée de la famille. Cette évolution collective et individuelle des membres de la
famille, en coconstruction au fil du temps, fait apparaître chez chacun d’entre eux
une représentation du fonctionnement de la famille et de la relation. C’est ce que
nous appelons le modèle. Chaque famille est unique et originale, et par conséquent a
sa propre idée de la famille, son propre modèle. Le traumatisme crânien vient pertur-
ber cette organisation du système, ses représentations partagées, il met en crise le
modèle. Les hypothèses de la porte familiale partent à la recherche du modèle passé
et actuel et de leurs conséquences sur la famille.
La porte institutionnelle
Un des protagonistes le plus souvent méconnu et oublié des troubles du comporte-
ment est l’équipe. Or l’équipe et l’institution jouent un rôle dans les troubles du com-
portement qu’il convient d’évaluer. En systémique [50], cette hypothèse est basée sur le
fait que l’observateur n’est pas extérieur à l’objet qu’il observe. Il faut donc l’intégrer
dans la définition et la constitution des problèmes. C’est ce que la systémique appelle
le tiers inclus. Dès lors que nous sommes confrontés en tant que membres d’une insti-
tution à un trouble du comportement, nous ne pouvons évacuer le fait que nous y
sommes peut-être pour quelque chose, et qu’il convient d’analyser notre place dans sa
survenue. Dans la porte institutionnelle, une des hypothèses qui peut être explorée
pour le patient comme pour la famille, est celle de la crise hétéro référentielle [9,14]. On
doit ainsi penser l’institution comme un facteur de handicap. En effet, l’institution est
tout autant dans le handicap du patient et de sa famille, que dans leur solution. Elle
peut être à l’origine de la survenue de la difficulté comportementale des patients, soit
par son attitude avec le patient, soit par sa relation avec la famille dont une des réper-
cussions observable sera le comportement du patient. Les hypothèses qui en découlent
imposeront des ajustements de la part de l’équipe qui contribueront au traitement du
trouble.
Neurosystémique : théories et pratiques 33
peuvent sous tendre le trouble. Dans le service MPR du CHU de Bordeaux, nous
avons construit au cours des années une approche neurosystémique intégrée. Elle
s’appuie dans un premier niveau, sur une diffusion de cette épistémologie par des
formations aux soignants du service, de l’aide-soignante et l’infirmière aux rééduca-
teurs et aux médecins. Dans un deuxième niveau cette approche structure les réu-
nions d’équipe centrées sur le travail clinique en ouvrant les questionnements sur les
trois portes. Au troisième niveau de complexité, des thérapeutes neurosystémiciens,
membres de l’équipe, mènent une action d’accompagnement systémique de la réédu-
cation auprès du patient et de sa famille, mais aussi de l’équipe, les aidant à dépasser
par eux-mêmes les difficultés. En dernier lieu, quand la difficulté entraîne trop de
souffrance, une consultation handicap et famille leur est proposée. L’évaluation qui
y est réalisée (pluridisciplinaire, associant des intervenants de l’équipe des premiers,
deuxièmes et troisièmes niveaux neurosystémiques avec des intervenants extérieurs
pour croiser les regards et enrichir les hypothèses) nourrira en retour les trois précé-
dents niveaux et les soins de rééducation. Ceci est illustré et développé plus loin dans
cet ouvrage.
Le message dont le symptôme serait porteur nous informe tout autant sur le porteur
du symptôme que sur le système qui lui donne un sens. Il convient donc d’interroger
longuement la famille sur le sens qu’elle donne aux troubles du comportement, car il y
a là des éléments de réponse qui ouvrent sur la souffrance des familles. Cette souffrance
peut renvoyer à l’apparition brutale de la maladie, proximité avec la mort d’un de ses
membres. Ceci réactive chez tous les autres le souvenir de cette période, qui reste tou-
jours un traumatisme à l’œuvre, et que peut ré-acutiser le trouble du comportement du
patient.
Le symptôme renvoie aussi à des souffrances antérieures précédant la survenue de la
maladie. Selon les théories de la communication [56], le trouble du comportement est
essentiellement une communication car il est impossible de ne pas communiquer, le
comportement n’ayant pas de contraire. L’intervenant systémique face à ces « troubles »
sera donc attentif aux comportements de tous les membres de la famille, qui sont
autant de messages qui se surajoutent à ce qui est exprimé verbalement. Les troubles du
comportement n’étant pas seulement une erreur, ils méritent une attention toute par-
ticulière, car ils ont une valeur de métacommunication sur les relations familiales.
Dans la compréhension thérapeutique du message que porte le symptôme quel qu’il
soit, il ne faut pas oublier la double dimension des actes. En effet, l’être humain ne fait
pas uniquement les choses « parce que », il les fait aussi « afin de ». Cette finalité téléo-
logique est à la fois individuelle et systémique, car le patient n’est pas en dehors de la
famille, tout comme tous les autres membres de ce groupe d’appartenance. Les com-
munications s’inscrivent, de surcroît, dans l’histoire de la relation. Cette relation influe
donc sur le sens des messages et sur la façon dont ils peuvent être compris. Il existe
toujours une différence de compréhension entre les membres de la famille et les théra-
peutes intervenant autour des troubles du comportement. Elle se fonde sur le fait que
la famille possède l’histoire de la relation, car ses membres en ont été les protagonistes.
La différence vient aussi du fait qu’ils étaient acteurs dans leurs communications de
l’évolution et de la transformation de leurs relations.
36 J.-M. Destaillats et al.
Dans la dimension relationnelle familiale, le « afin de » s’appelle aussi le projet. Chacun
des membres de la famille, en construisant ces relations, avait un projet intime indivi-
duel, et un projet systémique familial. Chacun d’entre nous est confronté à ce qui l’en-
gage pour lui-même dans la relation, et ce qui l’engage pour l’autre ou les autres. Cela
ouvre sur une dimension morale personnelle où se traitent, dans le secret du for inté-
rieur, les dimensions de la responsabilité, de la culpabilité, de l’éthique relationnelle.
histoire les prédispose, comme chacun d’entre nous, à penser l’intentionnalité du trou-
ble comme inscrite dans une grille de lecture affective et relationnelle. La force du lien
d’appartenance donne avant tout une lecture morale à ce qui se passe et ouvre donc sur
les notions de culpabilité personnelle qui décodent le trouble du comportement comme
un grief, un reproche, une accusation, une provocation.
L’information au niveau institutionnel
Les équipes ne sont pas très différentes des familles lorsqu’elles sont confrontées aux
troubles du comportement. Le renouvellement assez régulier du personnel des équipes
fait qu’une information sur les séquelles lésionnelles et neuropsychologiques reste tou-
jours importante à apporter. Par ailleurs, la lourdeur du travail de rééducation et de
l’accueil de la souffrance diminue le seuil de tolérance à tout ce qui vient entraver le
travail quotidien, et complexifie ou alourdit ce dernier. Dès lors, une des réponses les
plus faciles et la plus acceptable à un premier niveau de lecture, est la psychiatrisation
du trouble. Ceci disqualifie le contenu de ce comportement en le rattachant à une aber-
ration, une anomalie, qui justifieraient que le patient ne soit plus dans le service. Dès
lors, toute la prise en charge systémique de l’équipe devient au premier plan, car il
convient de préserver sa dimension de système thérapeutique, et non pas de laisser
émerger en elle un système d’exclusion. Arriver à redonner un sens clinique important
à chacun des acteurs du soin au niveau de l’observation du trouble du comportement
et son décodage est un moyen d’avoir un impact thérapeutique sur le trouble du com-
portement. Les synthèses permettent d’extraire les réactions affectives compréhensi-
bles des soignants de la dynamique projective, qui retombent aussi sur la famille dont
le patient est membre. On évite ainsi, de façon préventive, à l’équipe de s’engager dans
la crise hétéroréférentielle que nous décrirons plus bas.
s’attachera donc ici à traiter les hypothèses issues de la porte familiale. Cette crise
autoréférentielle peut rendre compte des troubles du comportement que l’on
observe à travers l’abord individuel du patient. Celui-ci peut ainsi montrer comment
la crise familiale est particulièrement intense et se manifeste chez le patient par des
perturbations émotionnelles et comportementales. Le doute sur le devenir de cha-
cun des membres à l’intérieur du système est lié à la remise en cause pour chacun
d’entre eux des règles relationnelles (aussi bien dans les contenus que dans les for-
mes de la relation) qui les unissent. Il en découle une souffrance individuelle et col-
lective, touchant chaque personne et chacun de leurs sous-systèmes d’appartenance.
La lésion cérébrale attaque le lien du fait du risque vital encouru par le blessé et
menace de le faire disparaître ainsi que tout ce qu’il apporte aux protagonistes du
système. Elle menace ensuite, et durablement (par la transformation liée aux séquel-
les cognitives comportementales), les équilibres antérieurs et les projets (individuels
et collectifs) de chacun.
L’incertitude pour tous est, pour longtemps, accrue car l’évolution et la récupération
sur plusieurs mois et plusieurs années réalimentent le « compte-épargne espoir » d’un
retour à l’état antérieur. Le retour à l’état antérieur serait la solution qui permettrait de
supprimer le problème dans une causalité linéaire familiale : « Rendez-nous-le comme
avant et ainsi nous n’aurons plus de problème, tout pourra continuer comme nous
l’avions prévu auparavant. » Dans le même temps, la permanence durable des déficits et
l’impact des séquelles sur la relation rappellent à chacun des membres que le système
est devenu différent aux yeux de tous les protagonistes. Il y a donc un conflit cognitif
entre deux représentations, celle issue du passé et celle rencontrée dans le présent, aux-
quelles se surajoute un grand flou sur le devenir familial. Le compte épargne espoir
reflète la tendance à la stabilité de tout ordre symbolique. Les séquelles apportent la
dimension du désordre, de la nécessaire transformation de cet ancien modèle. C’est une
façon positive de rappeler que les modèles se transforment par des crises. De cette ten-
sion portée sur le modèle du système, naît la confusion, le doute, la souffrance de ses
membres. La crise familiale trahit la peur engendrée par cette plus grande complexité et
cette plus grande incertitude. Quand la carte ne correspond plus au territoire, tout le
monde se sent fragilisé, perdu ou désorienté.
La crise que traverse la famille à l’occasion du drame du traumatisme crânien est aussi
un doute sur sa compétence. Dans cette situation où elle se sent dépassée, la famille
demande de l’aide et une intervention à un tiers supposé savoir. En systémique, l’inter-
venant doit donc laisser de côté sa pseudocompétence et découvrir le savoir spécifique
de chaque famille face aux catastrophes. Si la difficulté à se transformer entraîne trop
de souffrances, le système rencontre une incapacité interne qui peut se transformer en
handicap pour la famille. Il faut alors lui proposer une aide thérapeutique pour éviter
que le traumatisme crânien ne produise un handicap familial. L’intervenant doit donc
rencontrer la famille au travers de questions les concernant, même si la famille lui en
pose beaucoup, comme si lui détenait la solution. C’est pour respecter la famille et sa
compétence que l’intervenant entre dans ce questionnement. Les questions entraînent
la famille dans un processus de résolution de la crise par une transformation de leur
modèle. Au travers de la rencontre avec l’intervenant, le système familial redécouvre sa
propre compétence. Cette confiance dans leur compétence est un des objectifs théra-
peutiques du soin systémique.
La crise hétéroréférentielle
La crise hétéroréférentielle est un autre objectif de soin systémique. Le traitement de
cette crise est la conséquence des hypothèses de la porte institutionnelle. Il répondra en
Neurosystémique : théories et pratiques 39
outre à l’ambition de ne pas accroître les difficultés de la famille. Lorsque des conflits
entre patients et institution, et/ou entre familles et institution nous sont adressés, ils
traduisent toujours l’existence d’une crise hétéroréférentielle.
Cette crise, venue de l’extérieur, contribue au doute la famille et de ses membres (dont
le patient), par rapport à leur modèle, car elle est induite par la confrontation de leur
groupe d’appartenance avec des institutions soignantes, qui sont des groupes d’inclu-
sion, qui tendent à la réification du sujet. C’est ainsi qu’on considèrera en institution
qu’on s’occupe de traumatisés crâniens, de cérébrolésés, et beaucoup moins de person-
nes ou, en tout cas, insuffisamment aux yeux de certaines familles ou de certains
patients. Il peut y avoir aussi une disqualification de la famille dans ses actes et son
modèle spécifique par l’institution et les soignants, ce qui accroît les doutes de la
famille et la souffrance qui découle du sentiment de son incompétence face à la crise
qu’elle traverse. C’est ainsi que lorsqu’on déclare aux membres de la famille qu’ils ne
font pas bien, qu’ils ne savent pas s’y prendre, ou que nous avons l’air d’avoir beaucoup
de réponses qu’eux-mêmes ignorent sur les façons de faire et de procéder avec leur
patient, on aggrave chez eux le sentiment de brouillage des cartes.
La crise hétéroréférentielle vient aussi du fait que nous pouvons avoir des attitudes de
certitudes soignantes face aux familles, qui peuvent dissimuler nos doutes quant à
l’évolution, à la solution des troubles. Certaines familles peuvent les concevoir comme
une offense et une blessure dévalorisante, qui fera rentrer la confrontation entre le sys-
tème soignant et le système familial dans les disqualifications réciproques qui pren-
nent la forme du « jeu de la patate chaude ». Au sein de l’équipe, chaque acteur de
l’institution se trouve mis en tension par les demandes des familles ou leur insatisfac-
tion face aux résultats du soin. Dès lors, le « jeu de la patate chaude » pour le soignant
devient la tentative d’évacuation du doute que fait peser sur nos modèles théoriques,
nos compétences et notre toute-puissance, leur confrontation à nos limites et à la souf-
france des patients et des familles. Le jeu de la patate chaude est le signe pathognomo-
nique que l’équipe est dans une crise hétéroréférentielle. L’intervenant engagé dans ce
processus doit donc prendre en compte sa place et celle de l’institution dans la construc-
tion de chaque difficulté que rencontre le patient pour ne pas accroître le sentiment
erroné d’incompétence sur son devenir qu’a la famille. Ainsi, on ne contribuera pas à la
souffrance déjà présente dans la famille qui vit une crise autoréférentielle, en les enga-
geant dans cette crise hétéroréférentielle que nous venons de décrire.
L’aspect très positif et dynamique du traitement systémique de la crise hétéro référen-
tielle est lié au fait que sa solution repose toujours sur nous et sur notre capacité à nous
changer dans notre façon de faire pour nous adapter aux patients aux familles et à leurs
difficultés. Si les lésions ne se modifient pas, si la famille est dans l’incapacité de chan-
ger, sommes-nous vraiment bloqués par les troubles du comportement ? Quel nouveau
système d’alliance thérapeutique pouvons-nous tenter de créer ?
dans l’institution, sous une forme métaphorique, l’ensemble des événements auxquel-
les il est confronté dans sa famille, et qu’il ne peut pas cognitivement élaborer.
Malheureusement, cette mise en scène provoque souvent la crise hétéroréférentielle
entre le patient et l’équipe. En cela, le trouble du comportement est porteur d’un mes-
sage dont le patient peut ignorer le sens, mais dont la pertinence ne doit pas être mise
en cause à priori. Le patient lui-même est le vecteur de ce message à l’intérieur de l’ins-
titution où il est soigné, et bien souvent nous avons pu constater cette porosité entre
les dynamiques familiales telles qu’elles sont perturbées, et la crise que les patients peu-
vent induire dans les institutions où ils sont accueillis. Ils sont les acteurs, par leurs
troubles du comportement, d’un questionnement qui devrait alerter les thérapeutes.
Dans ce traitement neurosystémique, l’abord ne minimisera pas plus l’importance des
traitements qu’il n’exagèrera la causalité lésionnelle du comportement. La mise en
place d’un traitement médicamenteux ne doit pas stigmatiser et « désigner » le patient,
mais bien au contraire lui permettre de contribuer à la sortie de crise de la famille. C’est
sous cet angle que la médication doit lui être présentée. Nous utilisons souvent des
formules systémiques de ce type : « Je vais prescrire à vos parents un traitement pour
soulager leur souffrance, et c’est vous qui allez le prendre de manière à les aider à aller
mieux. » On souligne ainsi la solidarité du patient qui se soigne, la pertinence de son
trouble qui a permis de faire constater la souffrance de la famille qu’il exprime en par-
tie, autant qu’il est le signe d’un dysfonctionnement cérébral. Il ne faut jamais oublier
le double sens du symptôme. Il a pour mission à la fois de stabiliser et d’éteindre la crise
en provoquant une focalisation sur le patient [14,37,38,39,52], et d’autre part il est là
pour dénoncer la crise et induire la nécessaire transformation de la famille et de son
modèle qui sont bloqués par la souffrance de tous. Les médicaments, s’ils ont une place
importante dans l’abord neurosystémique, doivent la prendre en étant à leur tour vec-
teurs de relation. Ils permettent alors, au-delà de l’aspect réductionniste, d’être un puis-
sant levier de changement et de transformation du système, pour peu que leurs
prescriptions soient plus rattachées à leur fonction pour le système qu’à la psychiatri-
sation du patient. Le trouble du comportement apparaît donc comme la puissante
carte systémique du patient qui pose la question de confiance au système : peut-il se
transformer ? Cette carte systémique fait du patient un cothérapeute de sa famille, l’en-
gageant dans la transformation indispensable du modèle et relançant la question de la
dynamique du parcours de la famille dans l’existence.
à tour de rôle à chacun des membres de la famille pour que celui-ci parle de lui-même.
Il procède préférentiellement par un questionnement dit circulaire. C’est ainsi qu’il
demandera à la mère ce qu’elle pense de ce que peut vivre, ou se représente, ou conce-
voir tel ou tel autre membre de la famille ou le système lui-même. La réponse qu’elle
donne entraîne une clarification de la façon dont elle perçoit les différents protagonis-
tes de la famille et la famille elle-même. Ceci provoque simultanément chez tous les
membres une confrontation avec leur propre représentation de ce qu’il croyait être la
relation perçue par leur mère.
Ce questionnement circulaire mené par l’intervenant est la preuve de l’engagement
dans la construction de la relation. Il contribue par sa curiosité et par son intérêt réel
pour la difficulté, à faire émerger les représentations des uns et des autres, mais il
apporte aussi les siennes, et c’est un autre point très important des entretiens systémi-
ques. Il formule ses propres représentations désignant en quoi elles construisent ses
questionnements auprès de tous les membres de la famille. On comprend donc ainsi
qu’il s’agit d’un travail qui pose la confrontation des représentations des uns et des
autres comme base et support du travail mené ensemble. C’est là encore une autre dif-
férence notable avec d’autres approches : il ne s’agit pas de travailler sur les inconscients
individuels des protagonistes ni sur des démarches psychodynamiques, qui sont diffi-
ciles à aborder collectivement pour ceux qui sont destinataires des questions, car elles
ne préservent pas leur intimité ou leur stratégie relationnelle [15]. Au contraire, ces
questionnements leur laissent le choix de répondre, en présence des autres, à leur posi-
tionnement familial, à la façon dont ils l’organisent.
En cela, le travail systémique est plus proche des mathématiques que de la psychologie.
Les mathématiques s’intéressent aux relations entre les nombres, ce qui est un travail
systémique, et non pas à la valeur intrinsèque des nombres, ce qui serait plutôt un tra-
vail psychanalytique. Le handicap y est abordé à travers ses conséquences pour le groupe
familial, c’est-à-dire à travers la façon dont chacun et l’ensemble résolvent la question
qui leur est posée individuellement et collectivement par ce phénomène. Ceci revient à
dire que dans l’approche neurosystémique l’intervenant ne s’adosse sur aucun savoir
préexistant à la rencontre et évite de rentrer dans des représentations de compétence
particulière sur les personnes. Il prend garde à ne pas de tomber dans les représenta-
tions ordinaires des médecins, des psychiatres, des psychologues tels qu’ils sont perçus
par la population, à savoir comme des gens qui auraient un savoir du fait de leurs étu-
des sur les personnes qu’ils rencontrent avant que ces mêmes personnes aient pris
conscience d’une réelle connaissance d’eux-mêmes. Parés de ces attributs de toute-puis-
sance, il y a fort peu de chance que l’intervenant neurosystémicien puisse authentique-
ment rencontrer le système familial, car ce savoir éteindrait le questionnement qui
construit la rencontre systémique.
C’est pourquoi les questions de l’intervenant restent des hypothèses sur ce que pour-
raient vivre les gens, individuellement et collectivement, et ne sont pas des affirma-
tions sur leur vécu propre. Cela revient à dire : « Voilà comment je vous vois et
comment je vous perçois », et non pas : « Voilà ce que vous êtes. » En cela, ils respec-
tent le fait que l’observateur est intégré dans la construction de l’observation, qu’il
tient compte du tiers inclus de la relation, et qu’il aura sa part de responsabilité dans
ce qui en découlera. Il n’est point ici question de défenses de la famille dans lesquelles
nous n’aurions rien à voir. Donc ces représentations sont des hypothèses que l’inter-
venant confronte au filtre de chacun des membres de la famille, à leur positionne-
ment, à leurs réponses, à leurs critiques. Et les réponses des uns et des autres
construisent de nouvelles représentations collectives et personnelles. Ce qu’on pour-
rait résumer ainsi : « Voilà ce que je crois percevoir ou comment je vous perçois, voilà
les questions qui me sont venues à l’esprit. » Face à ces formulations, chacun se
Neurosystémique : théories et pratiques 43
demande : « pourquoi nous voit-il comme ça, sommes-nous réellement comme ça, et
au fait comment sommes-nous ? »
La réflexivité de ces questions individuelles et familiales fait que s’ils rentrent dans
ces questionnements, les membres de la famille ont déjà commencé à changer. C’est
un des impacts de ces entretiens sur la transformation du modèle qui les organise. Ce
processus se poursuit d’entretien en entretien. Les réponses que chacun donnera
pour lui-même et le système l’engageront dans une transformation et une adapta-
tion, le détachant du modèle antérieur, et réintroduisant la dynamique du temps, de
l’auto-éco-organisation, de l’autorégulation et de la finalité qui sont les conditions
de la survie du système. Ce travail présente toutes les analogies avec la Théorie de
l’esprit [12,13,17,18]. Le souci d’envisager le monde du point de vue de l’autre – que
ce soit celui du système familial, du patient ou des thérapeutes –, l’attribution d’in-
tentions et de pensées à autrui et l’empathie sont au centre de l’approche neurosysté-
mique à travers la décentration du point de vue. Bien fréquemment, les patients ont
cette difficulté de flexibilité mentale, de décentration du point de vue avec un repli
sur des points de vue autocentrés. Les membres de la famille, du fait de leur souf-
france, de leur usure, peuvent à la suite de carences adaptatives créées du fait de la
loyauté au système, se retrouver dans des difficultés identiques pour envisager le
point de vue du patient ou des intervenants extérieurs. Ceci touche aussi les équipes
qui, par l’épuisement et la fatigue, se replient sur des processus identiques centrés sur
l’institution.
Le questionnement neurosystémique en lien avec la Théorie de l’esprit amorce la dyna-
mique relationnelle à autrui, l’acceptation de la différence comme support de la repré-
sentation et de la relation, et joue le rôle d’une orthèse cognitive face à la déficience
fonctionnelle d’empathie liée à la souffrance de tous. En ceci, l’approche neurosystémi-
que intègre les déficits cognitifs non seulement du patient mais aussi ceux de la cogni-
tion fonctionnelle des êtres humains, dans la compréhension des difficultés que
rencontrent les personnes des groupes familiaux et du système de soin et des systèmes
eux-mêmes. La neuropsychologie, permettant d’évaluer les difficultés cognitives et
leurs conséquences relationnelles et fonctionnelles en termes d’impact dans la vie quo-
tidienne, sert de support à l’empathie qui construit les hypothèses de l’intervenant sur
ce que peuvent vivre les membres de la famille. Ce faisant, le travail systémique permet
à la famille d’envisager que ce qu’ils vivent n’est ni aberrant, ni fou, car une personne
étrangère peut le concevoir et le partager dans une représentation qui crée une proxi-
mité de vécu. Ainsi, les membres de la famille se détachent de l’isolement de leur
éprouvé, de la culpabilité de ce qu’ils peuvent ressentir, puisque c’est imaginable par
d’autres et que cela ne fait pas d’eux des monstres ou des aberrations affectives. Le sen-
timent de se reconnaître dans les hypothèses formulées à haute voix par l’intervenant
neurosystémique hors de tout jugement moral, renforce le lien d’affiliation thérapeuti-
que pour le système familial, qui se sent reconnu dans ce qu’il traverse. La différence ou
la similitude des représentations entre tous les protagonistes crée une dynamique de
réflexion sur le lien et les positionnements, et ouvre l’attention et l’écoute de tous au
point de vue de chacun. Il émergera de tout cela une construction systémique nouvelle
du lien familial.
« Souvent la cause morale de l’aliénation existe au sein de la famille et prend
sa source dans des chagrins, des dissensions domestiques, des revers de for-
tune, etc. Souvent la première secousse donnée aux facultés intellectuelles et
morales a eu lieu dans la propre maison de l’aliéné, au milieu de ses connais-
sances, de ses parents, de ses amis »
Esquirol, 1805
44 J.-M. Destaillats et al.
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17. Decety J. Une anatomie de l’empathie. Revue de psychiatrie, sciences humaines et neurosciences 2005 ; 316-24.
18. Decety J, Ickes W. The social neuroscience of empathy. Cambridge : MIT Press ; 2009.
19. Delage M. La résilience familiale. Paris : Odile Jacob ; 2008.
20. Destaillats JM, Belio C. L’abord systémique du handicap : plaidoyer pour la prise en compte de la dimen-
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Médical ; 1999. p. 148-56.
21. Esquirol JE. Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation men-
tale. Thèse de médecine, 1805.
22. Dupuy JP. Pour un catastrophisme éclairé. Paris : Seuil ; 2004.
Neurosystémique : théories et pratiques 45
possible de son état antérieur. Les patients pour lesquels l’autonomie physique, psychi-
que et sociale se révèle dégradée après évaluation pluridisciplinaire sont en situation de
handicap isolé ou associé. La survenue du handicap ramène les équipes, la famille et le
patient à une réalité complexe nécessitant de changer d’approche (de paradigme).
L’accompagnement thérapeutique des patients lourdement handicapés prenant en
compte le seul point de vue des équipes nous a rapidement paru insuffisant. La néces-
sité d’impliquer la famille dans le système de soin s’est, de cette manière, imposée à
nous. Pour améliorer l’accompagnement de ces situations souvent complexes et pour
favoriser la qualité du retour à domicile des personnes en situation de handicap,
l’approche neurosystémique nous est vite apparue pertinente.
L’originalité de notre travail est liée au contexte d’intervention de l’EMPCS au CHU en
MCO et au « profil » des patients rencontrés : patients souvent âgés et polypathologi-
ques dont le polyhandicap est renforcé par le handicap social et environnemental.
D’une approche médicoéconomique relative à la sortie problématique et à l’accompa-
gnement de la famille d’une personne handicapée, notre pratique a évolué vers une
approche systémique, grâce aux outils conceptuels que nous avons créés. La famille, en
interface entre le patient et l’équipe, devient un interlocuteur privilégié dans notre
dynamique d’accompagnement du patient.
Intervention de I’EMPCS
Figure 5.2. Graduation des sorties.
avec les équipes, les personnes soignées et leurs familles, et à nous repositionner vis-à-
vis d’eux. Notre pratique se résumait à organiser une sortie de « qualité » à savoir respec-
tueuse de l’éthique des soins dans la confrontation avec le projet de vie des patients, les
attentes des familles et des équipes de soins. Le cas de madame S. traduit cette appro-
che de notre équipe mobile (UMS).
Situation clinique
Il s’agissait d’une patiente âgée de 69 ans, madame S., présentant un handicap moteur.
Sept jours après son admission au CHU de Fort-de-France, madame S. nous était
signalée pour une demande d’évaluation dans le cadre d’un retour à domicile jugé
Approche neurosystémique du handicap 49
problématique : « Madame S. vit seule et a été hospitalisée suite à une chute ayant
occasionné une fracture du bassin non réductible. Elle est sortante à la fin de la
semaine. » À h24, le recueil des données nécessaires à l’évaluation et à l’analyse de la
situation médicosociale de la patiente était réalisé par l’UMS. Madame S. est veuve et
mère d’une fille unique qui réside en métropole. Elle est « rentrée au pays » depuis
8 ans. À l’hôpital, les transferts lit/fauteuil sont très difficiles. À l’occasion de ces
transferts, elle manifeste une grande angoisse face à l’éventualité d’une nouvelle
chute. Cette crainte presque phobique complique la tâche des soignants et pour eux,
madame S. relève plutôt d’une « rééducation » au domicile.
Sa situation sociale est celle d’une assurée sans CMU-C avec un délai de carence de
6 mois imposé par sa mutuelle du fait d’une adhésion récente. Elle vit seule en loge-
ment HLM (F2 au deuxième étage, immeuble sans ascenseur). Ses revenus mensuels
sont de 580,97 € (pension vieillesse). Elle a un frère et une sœur qui résident tous les
deux en Martinique et ne bénéficie avant son hospitalisation d’aucune aide à domicile.
Elle avait perdu tout contact avec sa fille depuis son arrivée en Martinique et était en
rupture de lien avec sa famille, exceptée une cousine présentée comme son unique réfé-
rente. Cette personne refuse de s’investir davantage, et devant l’insistance de l’équipe,
menace de « démissionner » et de ramener les clés de la maison de madame S. ainsi que
tous les documents administratifs en sa possession. Madame S. n’avait, par ailleurs,
aucune relation de voisinage. À ce stade de l’évaluation de la situation, l’UMS fait le
constat de la pauvreté de son réseau relationnel. Madame S. manifeste l’envie de retour-
ner vivre à son domicile. Son projet paraît naturel et logique. Cependant la dimension
sociofamiliale très déficitaire représente un écueil majeur.
Notre objectif de travail est donc d’essayer de restaurer des conditions de vie décentes
au domicile, s’appuyant sur un réseau social, professionnel et familial solide permet-
tant un soutien au domicile (réseau d’entraide, réseau professionnel et réseau d’alerte).
En effet, l’objectif n’est pas tant celui d’un retour au domicile dans des conditions envi-
ronnementales et matérielles correctes (ce qui est relativement simple à obtenir) mais
plutôt d’essayer d’activer un réseau social stable et d’avoir un référent familial fiable
pouvant servir de relais. Ce qui nous importe n’est pas la sortie mais… l’après ! Nous
aimerions que l’éthique du soin apportée à la personne soit compatible avec les impé-
ratifs institutionnels (libérer un lit « bloqué ») mais aussi avec des impératifs sociétaux :
un meilleur entourage à l’extérieur permettra d’éviter/limiter les réhospitalisations.
Les relations avec sa fille qui vit en métropole sont « distantes » et, par ailleurs, madame S.
ne veut pas changer ses rapports avec son frère et sa sœur ! À ce stade, la question qui se
pose à l’équipe est d’essayer de comprendre la difficulté de relation qui unit (ou désunit)
cette famille et de chercher des leviers pour faire évoluer la complexité de cette situation.
Le « plan d’action » comporte à court et moyen terme :
L’histoire a montré que les recherches initiées pour retrouver sa fille n’ont pas abouti,
le frère ne s’est pas manifesté et la cousine n’a accepté de lui prêter son soutien que
provisoirement.
L’analyse du cas de madame S. est celui d’un nombre croissant de patients en situation
de handicap de tous âges, de toutes catégories socioprofessionnelles confrontés à la
difficulté de sortie du monde hospitalier (tableau 5.1 et figure 5.3). Leur équilibre est
déjà fragile avant la survenue de l’accident ou de la pathologie mais c’est aussi parfois
tout simplement le vieillissement qui peu à peu érode les capacités d’adaptation du
sujet. La difficulté est alors essentiellement d’ordre social et est à prendre en compte
autant dans les motifs d’hospitalisation que dans la préparation de la sortie et le
maintien à domicile du patient. Le passage de la « pathologie » au « handicap » nous
renvoie à la limite de nos moyens : matériels, humains autant que financiers. Nous
sommes tenus à la fois à un engagement éthique vis-à-vis du patient et de sa famille et
responsable vis-à-vis de nos institutions.
Dans ce contexte de travail lié aux sorties problématiques, nous devons faire la part
des choses entre : les facteurs inhérents au sujet (niveau de dépendance, isolement
social), ceux liés à l’environnement architectural proche (inaccessibilité, inadaptabilité
Tableau 5.1.
Évolution du nombre de patients complexes dans leur dimension
médicosociale sur les trois dernières années.
Années 2007 2008 2009
Nombres 94 99 146
Analyse quantitative
Nombre de patients suivis en sortie problématique 146
Nombre de nouveaux signalements 98
Nombre de suivis sociaux 102
Nombre de visites au chevet du patient 131
Nombre d’entretiens systémiques 119
Nombre de staffs de coordination sociale interservices 106
Nombre d’entretiens familles par téléphone 160
Nombre de patients suivis en soins de suite et réadaptation 48
Nombre de visites à domicile 26
Approche neurosystémique du handicap 51
Habitat insalubre
Habitat insécurisé
Habitat inadapté à I’handicap
Habitat négligé
18 %
8%
11 %
5%
Abandon famille
3% 10 %
Enfants peu investis
Climat familial conflictuel
Enfants expatriés 2% Troubles géronto psychologiques
Troubles cognitifs
Addiction
26 % 10 %
5%
1% 10 %
Figure 5.3. Évolution du nombre de patients complexes dans leur dimension médicosociale
sur les trois dernières années.
Psy & Addict : unités de psychiatrie et d’addictologie ; EVASAN :
évacuations sanitaires vers la métropole.
institutionnelle. Des moyens humains et matériels nous ont été attribués avec la créa-
tion d’une équipe mobile pluridisciplinaire de coordination des sorties (EMPCS).
Nos points faibles et limites restaient :
l’hospitalisation. Il est cependant évident qu’il ne peut pas être reproché aux
équipes chargées d’un soin technique de remplir leur mission… technique. Mais
le point de vue « technicocentré » permet mal la prise en compte de la dimension
handicap. C’est donc ce point de vue qui devrait encore évoluer ;
n la difficulté à « visualiser », pendant la période d’hospitalisation, la dimension
sociale du handicap.
n staffs médicosociaux ;
n réunions de synthèse autour des situations problématiques ;
n entretiens familiaux incluant le patient et ses proches.
L’apport du génogramme
Le génogramme permet de faire une lecture transgénérationnelle de l’histoire de la
famille. Il procure des informations pertinentes sur chaque élément du système fami-
lial, sur les liens qui les unissent et qui les rattachent à leurs ascendants, descendants et
collatéraux. La famille est un ensemble « d’éléments » en interaction passée, présente et
à venir. La famille est un tout indissociable en ce sens qu’elle est autant l’histoire du
passé que les difficultés du présent et de l’avenir par l’intermédiaire du projet. Par son
exploitation, il nous avait été possible de procéder à une évaluation à la fois des diffi-
cultés et du contexte ; à une analyse relativement fine de l’origine du problème, des
différentes expériences traumatisantes du système familial. Nous avions pu mettre en
évidence des conflits relationnels très profonds constituant de véritables sources d’obs-
tacle à la sortie de l’hôpital du patient.
Approche neurosystémique du handicap 53
Dans tous les cas, cet outil nous a offert une lecture à la fois :
et leurs relations (les non-dits, les secrets, les échecs, les contrats familiaux
conscients et inconscients, les croyances, les loyautés familiales…).
Tout est porteur d’information : les silences, les « trous de mémoire », les attitudes, les
regards échangés, l’intonation… Ce qui se transmet n’est, en effet, pas forcément visible
mais toujours très lisible pour l’observateur attentif. Le génogramme a aussi favorisé
l’élaboration des hypothèses familiales et individuelles qui nous permettent de mieux
appréhender la genèse logique du problème. Ce travail « d’hypothétisation » fournit la
trame de l’entretien systémique.
Patient
Famille
EMPCS
Institution
Madame Y. ne partage pas notre avis et reste persuadée qu’il ne peut y avoir de vie pour
elle hors de cette maison. De son point de vue, sa sécurité présente et les risques à venir
ne sont rien face à ce qu’elle pense perdre de son histoire en ne vivant plus dans sa mai-
son. Si nous devons aider cette dame à faire le deuil de sa vie passée et admettre que son
état de dépendance nécessite une aide, tout nous indique qu’il faut d’abord s’intéresser
à cette maison et à leur histoire. La clé réside dans son histoire et non dans sa sécurité.
La sécurité est le problème des équipes mais son histoire est son problème, et c’est donc
à son problème que nous devons nous intéresser.
Notre hypothèse est qu’il faut qu’elle puisse déposer son histoire de vie et raconter ses
deuils, fardeau, souvenirs pour s’en détacher en la confiant et ainsi se détacher de la
« maison-histoire ». Elle a toujours eu dans sa famille un rôle de support familial de
pivot. Si la maison est vendue, elle ne continuera plus son rôle de pivot en rassemblant
ses frères et sœurs. Raconter son histoire, c’est la transmettre à un témoin, vendre la
maison c’est transmettre l’héritage à la famille. Nous comprendrons peu à peu le blo-
cage du lien entre elle et sa fratrie (qui souhaitait vendre cette maison). La vendre aurait
été pour elle « une trahison de l’histoire familiale ». Elle voit donc frère et sœurs comme
des « traîtres ». L’aider à raconter les vengeances, les « mesquineries », les querelles, mais
aussi les souvenirs heureux, l’histoire des fastes passés de sa famille, sa grande origina-
lité, les destins extraordinaires de certains membres, la disparition de son père et la
« journée nationale de deuil » pour ses obsèques donne un poids une épaisseur tou-
chante à l’histoire de madame Y. Elle dit s’être toujours « sacrifiée » pour les autres
(père, mère, frère, sœurs, neveux et nièce), pour l’honneur et le respect de la famille. Peu
à peu, en se racontant, elle accepte de ne plus être « bloquée » par la maison et le ser-
ment fait à son père pour « reprendre le cours de la vie qui lui reste ». Elle n’est plus une
vieille dame « polypathologique » mais une survivante du passé qui l’a enfermée et dans
lequel elle s’est enfermée.
Au fil de nos différents entretiens avec madame Y. et sa famille (frère, sœurs, nièces),
nous avons pu les accompagner dans la précision d’un projet commun de placement en
institution avec la vente de la maison familiale et le transfert vers un refuge de ses ani-
maux de compagnie. Une visite à domicile, au préalable, avait été réalisée par notre
équipe, en présence de la patiente et de sa sœur. Ce travail commun a débouché sur un
projet d’admission en foyer logement avec réalisation d’une visite de pré-admission
accompagnée de notre équipe. Cette visite constituait alors un moment fort de l’ac-
compagnement, auquel nous tenions beaucoup et qui était un passage de relais mais
surtout la formalisation des liens d’un réseau professionnel. Dans cette situation,
l’équipe et l’ergothérapeute ont fait le tissage, le maillage du réseau professionnel.
Depuis 2 ans, cette patiente suivie à distance par l’EMPCS en relation constante avec la
famille a été réhospitalisée à une seule reprise pour un épisode aigu urologique avec
une rééducation brève en centre. Après quoi, elle est revenue vivre dans son foyer
logement.
Ce cas illustre le changement de paradigme au sein de notre équipe. Nous avons d’une
part mené l’entretien en pluridisciplinarité avec la méthodologie de l’approche systé-
mique permettant un temps d’expression aux familles et, d’autre part, élaboré nos
hypothèses en équipe.
Les entretiens systémiques ont fait émerger les conflits relationnels, les secrets, les non-
dits, des souffrances qui ne nous ont pas laissé indifférents. Cela a permis un travail
facilitant la remise en route des liens sociaux et familiaux. Nous sommes restés dans
une approche humaine impliquant toutes les ressources de la personne et de la famille
tant psychologique, biologique, sociale, affective que spirituelle et culturelle. La démar-
che systémique nous a fait réintégrer une dimension éthique que nos organisations
56 P. René-Corail et al.
nous font parfois un peu oublier dans nos pratiques. Dans la phase initiale de l’hospi-
talisation, l’accueil des personnes en situation de handicap ou atteintes de maladie
grave doit prendre en compte et préserver le lien et la solidarité familiale (par exemple
dans la recherche d’un référent familial). La coordination des filières de soin doit être
précoce et comporter une nécessaire collaboration et échange des compétences. La sor-
tie de l’hôpital n’est pas le seul objectif (même si c’est celui des services demandeurs).
Notre engagement auprès des familles se manifeste par un suivi à long terme grâce au
Réseau Handicap. Ainsi la filière que nous constituons peu à peu avec tous les partenai-
res permet : une intervention précoce au cours de l’hospitalisation en MCO, en soins de
suite de réadaptation (SSR), et plus tard au domicile par la coordination des profes-
sionnels libéraux via le Réseau Handicap. Les familles se sentent soutenues et « épau-
lées » par l’équipe et le réseau, qui sont eux-mêmes enrichis par l’implication et le
support des familles. Pour cela, la collaboration des réseaux de santé dans leur mission
de coordination de soins et de maintien à domicile est incontournable dans la prise en
charge des maladies chroniques invalidantes.
Conclusion
L’équipe mobile pluridisciplinaire de coordination des sorties du CHU de Fort-de-
France est une création de notre institution réalisée pour accompagner principalement
les équipes de soin du court séjour dans la prise en charge médicosociale des personnes
souvent polypathologiques jeunes ou âgées. Notre démarche s’est enrichie d’une for-
mation à l’approche systémique qui a transformé nos pratiques par un changement de
paradigme pour une dimension plus éthique de l’accompagnement de ces personnes.
Notre travail d’équipe pluridisciplinaire vise essentiellement à prendre en compte et à
dynamiser le lien social pour éviter l’exclusion et la mort sociale des personnes en situa-
tion de handicap, et à les accompagner sur du long terme par l’intermédiaire du Réseau
Handicap participant ainsi depuis notre place institutionnelle au projet de vie.
Un exemple de suivi des traumatisés
crâniens sévères et de leurs familles :
la Clinique romande de réadaptation
(Suvacare)
P. Vuadens1, A. Bellmann1
1. Clinique romande de réadaptation, 90 avenue Grand-Champsec, 1951 Sion, Suisse.
La survenue d’un traumatisme crânien sévère chez un membre d’une famille déstabilise
toujours le système familial et provoque éventuellement des peurs et inquiétudes.
Celles-ci sont source de conflits et d’altérations des rapports entre l’équipe soignante,
le patient et/ou sa famille. La Clinique romande de réadaptation veille dès la phase
aiguë à intégrer la prise en charge des familles dans le projet thérapeutique de chaque
victime d’un traumatisme crânien. Actuellement cette organisation, basée sur une
approche neurosystémique, tente d’élargir cet accompagnement à long terme aussi
bien pour les patients vivant en institution qu’à domicile. Dans ce but, un réseau spé-
cialisé dans la prise en charge des victimes d’un traumatisme crânien et de leurs familles
est en train de se mettre en place dans le canton du Valais.
Lors du mardi qui suit l’admission du patient a lieu un premier colloque pour établir
le projet thérapeutique, afin que le patient puisse entrer dans la phase de réadaptation
et de réinsertion. Les objectifs définis selon la CIF sont sélectionnés lors de ce colloque.
Pour chacun des traitements proposés, il faut pouvoir en justifier le choix et le but, et
en mesurer l’efficacité sur la base d’échelles et de tests validés sur le modèle CIF.
L’infirmière référente, le médecin, le psychiatre, l’assistante sociale et les thérapeutes
qui s’occupent du patient participent à ce colloque. Ainsi, si l’un de ces professionnels
estime ou ressent une souffrance du patient, de la famille ou de l’équipe, il a la possibi-
lité de demander la mise en route d’une approche neurosystémique. Cette possibilité
est valable durant tout le séjour du patient.
Le séjour est ponctué de colloques hebdomadaires réunissant l’ensemble des théra-
peutes, afin de mettre en commun les évaluations du patient et de réajuster les objec-
tifs et les modalités des soins en fonction de l’évolution. La famille et l’entourage sont
régulièrement informés de la progression du blessé, de façon à préparer la vie posthos-
pitalière et à éviter des décalages délétères. Elle est considérée à la fois comme acteur
mais souvent aussi comme sujet de soins, du fait de la souffrance qui découle pour
chacun d’entre eux du drame qu’ils traversent. Avec l’accord du patient, la famille peut
soit être associée aux colloques, soit bénéficier d’une restitution régulière.
Dans les situations complexes ou lorsqu’on prévoit que le séjour de réadaptation
neurologique sera long, nous nommons dès l’admission deux référents du patient
(un soignant et un thérapeute) pour faciliter la communication avec le patient et sa
famille. Afin d’assurer une compréhension globale de la situation de la famille par
une approche neurosystémique, ils établissent le lien entre l’équipe multidiscipli-
naire, le patient et sa famille par des contacts réguliers avec eux et en se tenant à leur
disposition. Les rencontres vont assurer la cohérence des objectifs du séjour et du
projet thérapeutique, et vont permettre de connaître le fonctionnement antérieur du
patient (mode de vie, intérêts, loisirs, goûts, préférences alimentaires, projets, vie
sociale, professionnelle, familiale, principaux traits de caractère, attitude face à la
maladie/au handicap), d’évaluer les personnes-ressources, et de recueillir les informa-
tions pour la rédaction du génogramme. On va demander à la famille sur qui ils pen-
sent pouvoir s’appuyer lorsqu’ils ont besoin de soutien, et s’ils souhaitent avoir des
contacts avec le référent.
L’organisation de la consultation Handicap/famille se base sur une approche neuro-
systémique. Une partie du personnel du service de réadaptation neurologique a été
formé à une telle approche par le Pr J.-M. Mazaux et ses collaborateurs du CHU de
Bordeaux. En se basant sur ce concept, toute dysfonction du patient, des relations
familiales, ou de l’équipe soignante est signalée lors du colloque multidisciplinaire
afin qu’une analyse de la situation soit effectuée par les deux référents du patient. Les
résultats de cette première évaluation sont transmis avec un génogramme aux respon-
sables de la consultation Handicap/famille. Ces derniers vont émettre des hypothèses,
qui seront vérifiées par les référents et l’équipe afin qu’une attitude thérapeutique soit
définie. Cette attitude peut déboucher sur un entretien systémique, qui sera mené par
un psychiatre. Les résultats de cet entretien ou des modifications des attitudes théra-
peutiques sont consignés dans le projet thérapeutique du patient et sont réévalués
chaque semaine.
Ainsi, à tout moment de l’évolution du patient lors de son séjour dans le service de
réadaptation neurologique, une approche neurosystémique peut être entreprise ou
réactivée (figure 6.1). Le traitement vise à activer un processus dans lequel la famille
pourra s’observer, expérimenter, changer, et susciter la crise en respectant la crainte du
changement [1].
60 P. Vuadens, A. Bellmann
Si problème ou dysfonction
au niveau de :
Colloque
1er entretien
Handicap/
Équipe pluri.
génogramme2
famille3
Famille
patient
NOTES
Hypothèses et
proposition d’attitudes 1. cf procédure ‘Fonction
par le gr. Handicap/ Nomination de référent du patient’ NER_dfn_003
famille 2 référents (si
pas déjà fait)1 2. cf procédure ‘Fonction de
référent du patient’ NER_dfn_003
Colloque
3. Groupe composé d’un psychiatre,
Multidisciplinaire
d’un médecin, du/des référents,
et Spécialiste neurosystémique
Besoin d’un entretien
neuro-systémique ? 4. Entretien réalisé selon description
non Information par le référent de La procédure handicap/famille
oui non
Entretien neuro-
systémique4 sur la Application par l’équipe
base des conclusions pluridisciplinaire des
du colloque handicap- propositions d’attitudes
famille
oui
Amélioration ?
Légende
Conclusion
Tout TCC sévère laisse persister inévitablement des séquelles à la fois cognitives et phy-
siques. Les modifications cognitivocomportementales sont généralement les plus han-
dicapantes et sont la cause des difficultés de réinsertion sociale et professionnelles des
TCC. Livré à lui-même, le patient est souvent confronté à des difficultés qui ne sont pas
toujours perçues par l’entourage ou les gens qu’il côtoie dans la vie de tous les jours. Ses
oublis, ses troubles attentionnels, sa fatigue, son irritabilité, son manque d’empathie
ou d’émotions, lui attirent au fil du temps des animosités et créent des conflits qui
peuvent aboutir à la rupture familiale ou socioprofessionnelle. De plus la population
en général est mal informée des conséquences et des séquelles d’un TCC sévère. Cette
méconnaissance ne facilite pas la cohabitation avec les victimes de traumatismes crâ-
niens, surtout dans le monde professionnel. Face à ces difficultés de réinsertion, un
accompagnement et un suivi des TCC sont primordiaux et de nombreux pays ont
déjà mis sur pieds de telles structures (programmes UEROS en France, Headway en
Angleterre, par exemple). En se basant sur ces différents modèles d’accompagnement
des patients et de leurs familles, la Clinique romande, en collaboration avec la
Fondation Valais de Cœur, espère offrir un programme d’intégration socioprofession-
nel optimal à tous les traumatisés crâniens valaisans et ceci depuis la phase aiguë. Tout
au long de ce parcours de réinsertion, la famille est elle aussi accompagnée et soutenue
non seulement pour faire face à sa souffrance mais aussi pour l’aider à accepter de
poursuivre son chemin avec un traumatisé crânien, personne qui n’est plus tout à fait
celle qu’elle avait aimée. C’est dans ce travail d’acceptation que la Clinique romande de
réadaptation soutient chaque famille de traumatisé crânien en s’appuyant sur une
approche neurosystémique et un réseau spécialisé dans la prise en charge et l’accompa-
gnement des victimes d’un TCC sévère et de leur famille.
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4. www.crftc.org.
Intérêt de l’approche neurosystémique
dans l’accompagnement à long terme
d’adultes cérébrolésés : expérience
menée à La Braise
C. Croisiaux1, F. De Reuck1, C. Le Blanc-Decupère1, R. Katara1
1. Centre La Braise, 165, rue de Neerpede, 1070 Bruxelles, Belgique.
L’histoire de La Braise
Dans les années 1980, il n’existe rien à Bruxelles pour offrir une prise en charge spécifi-
que aux personnes qui gardent des séquelles sévères à la suite de lésions cérébrales
acquises non évolutives (traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral, anoxie…). À
l’issue de la période d’hospitalisation et de rééducation, la personne cérébrolésée
retourne à son domicile, aidée par sa famille et éventuellement certains intervenants
tels que kinésithérapeute, orthophoniste, aide ménagère… ou est orientée vers une ins-
titution non spécifique : maison de repos, institution psychiatrique ou structure pour
personnes présentant une déficience mentale. Un constat est posé : la personne céré-
brolésée n’y trouve pas sa place et l’équipe, non spécialisée dans la lésion cérébrale
acquise, est souvent démunie, en difficulté.
En 1987, des personnes se rassemblent pour créer La Braise et apporter une réponse à
la problématique de la prise en charge à long terme de ces personnes. En 1995, le centre
de jour La Braise ouvre ses portes. Il accueille une trentaine de personnes et axe son
travail sur l’épanouissement personnel et la réinsertion familiale et sociale, tout en pri-
vilégiant la qualité de la vie. En 1996, un Service de transport s’organise car la plupart
des candidats n’ont pas l’autonomie suffisante pour assurer leurs déplacements. En
1998, La Braise crée un service d’accompagnement qui va compléter le travail de la prise
en charge de jour. Ce service aide la personne à gérer son quotidien au niveau de ses
Intérêt de l’approche neurosystémique dans l’accompagnement à long terme 65
charge se base sur une évaluation des capacités, des séquelles mais aussi des besoins, des
aspirations, des ressources présentes autour de la personne. Cette évaluation doit égale-
ment prendre en compte l’histoire de vie de la personne et, notamment, le moment de
survenue de la lésion cérébrale. Les patients font souvent état de situations de vie très
conflictuelles peu de temps avant l’accident : deuil récent, conflits conjugaux avec évo-
cation de séparation ou divorce, stress professionnel, levée d’un « secret de famille » por-
tant notamment sur la filiation ou les origines du patient, double vie, choix de vie
impossibles… Connaître le contexte qui a précédé l’accident est essentiel, pour combler
les « trous » dans l’histoire du patient et adapter nos modes d’intervention.
Au travers de groupes d’échanges et de paroles mais aussi d’activités métacognitives, la per-
sonne acquiert des notions importantes concernant sa déficience. En devenant experte de
sa déficience, elle est mieux armée pour la gérer, la vivre au quotidien et évoluer. Par cette
expertise, elle devient capable d’informer/former son entourage, notamment sur les aspects
invisibles de son handicap. Une des spécificités de l’accompagnement à long terme est l’ap-
proche écologique qui consiste à proposer d’expérimenter de nombreuses situations de la
vie réelle. Ainsi, chacun se fait une idée plus objective de ses capacités et des nouveaux choix
de vie possibles. Accompagnée dans la recherche d’activités valorisantes, de loisirs, voire
dans la reprise d’une activité professionnelle, la personne cérébrolésée peut trouver de nou-
velles sources de satisfaction et de réalisation. Souvent éloignées des projets antérieurs, ces
pistes nécessitent de prendre en compte les limitations cognitives, la fatigue, la douleur, les
difficultés comportementales. Trop d’adultes cérébrolésés souffrent de solitude voire d’ex-
clusion sociale, avec ce qu’elles entraînent comme conséquences dramatiques.
L’accompagnement se doit donc de prendre également en compte le travail de maintien
ou de reconstruction des liens sociaux afin de permettre une plus grande participation
sociale.
L’accompagnement à long terme s’appuie sur un travail en réseau, qu’il s’agisse de pro-
fessionnels qui interviennent avant La Braise (structures hospitalières et de rééduca-
tion), en même temps (avocats, médecins experts, centres de soins à domicile, mutuelles,
maisons de retraite, lieux de loisirs, de stages, de bénévolats) ou après (services d’ac-
compagnement, structures de santé mentale, maisons médicales, aides paramédicales).
Ce travail en réseau est indispensable afin d’assurer la cohérence autour du projet de
vie. Il permet de compenser certains troubles cognitifs (mémoire, organisation, initia-
tive.). Le réseau pourra soutenir la personne tout au long de son parcours.
Conclusion
L’approche neurosystémique nous éclaire sur comment accompagner. Elle nous apprend
à prendre du recul, à nous appuyer sur les ressources de chacun et à rester humbles face
à la complexité des situations. Ce recul, cette ouverture à toutes les ressources disponi-
bles et cette humilité nous permettent souvent de découvrir l’inattendu. Accompagner,
c’est accepter de se laisser surprendre, d’avancer en terrain inconnu, de prendre des che-
mins de traverse, d’évoluer au rythme du patient et de ses proches, d’oublier nos certitu-
des et de permettre la créativité. Accompagner, c’est mettre tout en œuvre pour permettre
l’émergence du projet de vie du patient dans le respect de chaque partenaire concerné.
Références
1. La Braise. Le handicap invisible : quelques pistes pour y faire face au quotidien. Bruxelles ; 2005. www.
labraise.org.
2. La Braise. Être parent quand la lésion cérébrale ébranle l’équilibre familial. Bruxelles ; 2007. www.labraise.org.
Handicap et distorsion du lien
J.-M. Destaillats1,2,3, K. Merceron2, C. Belio2,3, E. Sorita2,3,
P. Sureau3, B. Pelegris3, J.-M. Mazaux2,3
1. Centre hospitalier de Jonzac, 17500 Jonzac.
2. Université Victor-Segalen Bordeaux 2, 33076 Bordeaux.
3. Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, 33076 Bordeaux.
liale. Le retrait se traduira aussi par un défaut d’engagement du système vis-à-vis des
autres membres, et par un défaut d’engagement de chacun vis-à-vis de lui-même et de
ses besoins.
Ces deux derniers points servent à sortir chacun des membres de la sidération person-
nelle, pour réengager la dynamique systémique familiale vers une transformation et un
dépassement de la difficulté. Par la réactivation des processus de l’attachement et par
l’impératif de solidarité, le sentiment de dette enclenchera la démarche du contre-don
[2]. Ceci se manifestera, au sein de la famille, par l’implication affective, émotionnelle,
et pragmatique des membres pour suppléer au handicap. Dans cette phase, la réactiva-
tion des mécanismes de l’attachement et de la solidarité familiale sont la dynamique
nécessaire pour que le processus de transformation puisse se réenclencher par les trois
phases suivantes. Ils permettent ainsi que tous sortent de l’engloutissement et de la
submersion émotionnelle et traumatique dans laquelle la survenue de la maladie les a
plongés.
La phase recouvrante
Conséquence de la précédente, elle aide les membres de la famille à recouvrir toutes les
attentes personnelles, tous les passifs relationnels du passé, comme la vague recouvre
tout ce qui faisait aspérité sur le rivage. Ce faisant, elle engage les membres de la famille
dans l’oblativité, c’est-à-dire le don sans espoir de retour, puis dans le don avec une
attente non exprimée de contre don, et, plus tard, quand les séquelles laisseront l’im-
pression que le retour n’est pas possible, les membres s’engageront dans l’abnégation,
c’est-à-dire qu’ils donneront en sachant qu’ils ne retrouveront pas en retour ce qu’ils y
ont investi. Toutefois ils acceptent de le faire au profit du patient car les dynamiques de
la solidarité et de l’attachement les animent. La finalité systémique de cette phase
recouvrante est celle du « compte épargne espoir » d’une préservation maximale du
modèle antérieur. Ce recouvrement est une tentative d’annulation des changements
introduits par la pathologie et les séquelles. La dynamique de cette phase recouvrante
est la crainte pour tous de l’incertitude face à l’avenir qu’amènent le désordre et l’in-
connu provoqués par la pathologie.
La phase découvrante
Elle découvre, comme lorsque la vague se retire et laisse de nouveau apparaître sur
le sable ce que l’eau recouvrait, mais le fait en ayant déplacé et creusé toutes les
aspérités. Elle traduit le reflux des attentes de tous les membres de la famille, l’échec
de la préservation du modèle antérieur, la découverte de l’inexorabilité des trou-
bles, de la nécessité pour le système de changer. Elle s’accompagne aussi pour tous
les membres de la famille de la découverte chez chacun d’entre eux de ce qu’ils ont
laissé dans cette démarche, des blessures qu’ils y ont reçu, des carences qu’ils y ont
constitué, des manques qu’ils ont creusé, du prix de leurs renoncements. De plus,
ils commencent à en mesurer les impacts douloureux sur leur présent et sur leur
futur. Face à ce constat, ils évoluent activement vers la phase suivante qui est la
phase révélante.
La phase révélante
C’est une phase de confrontation à sa conscience personnelle, au regard des proches, à
l’éthique de la relation. Le système de son côté découvre soit sa résilience familiale [16],
soit la distorsion du lien dans laquelle il est entré [19,12,44]. Dans cette phase, chaque
membre verra pour lui-même la façon dont il a fait ses choix face à la vulnérabilité du
patient et face à la vulnérabilité d’autrui, car d’autres membres de la famille sortent de
ces différentes phases porteurs de fragilités nouvelles. Parfois, enfin, c’est aussi la
découverte d’un apaisement individuel et familial, d’une réconciliation avec le par-
cours de vie et l’existence [16].
Handicap et distorsion du lien 75
Le sous-système couple
Ainsi que nous le disions, ce sous-système est vraiment central dans l’organisation de la
vie familiale. Le couple est le fruit d’une rencontre, et cette rencontre est aussi un abou-
tissement d’une histoire, de trajets individuels dans des familles d’origine [11]. Bien
évidemment, le traumatisme crânien fragilise énormément le couple. À l’inverse des
sous-systèmes familiaux, le couple est le seul qui est basé sur l’engagement libre réci-
proque et le désir, et non pas prioritairement sur le devoir. La différence essentielle
vient du fait qu’un couple peut être dissous, mais qu’on ne peut pas dissoudre une
famille. Le lien de couple est profondément modifié par les séquelles cognitives et com-
portementales, car le partenaire conjoint est devenu très différent de celui qui avait été
épousé. De même les projections dans l’avenir que l’on faisait pour son couple, même
si elles sont toujours marquées du sceau de l’incertitude due à la transformation des
sentiments et de l’attachement sont considérablement accrues. Va-t-on rester avec une
personne à laquelle nous lie tout le passé, toute la fidélité à notre engagement, mais
dans laquelle nous ne retrouvons plus ce qui nourrissait le lien et lui permettait de
durer et de se transformer au fil du temps. Des séquelles apportent la dimension de la
dépendance, de la charge, du fardeau, et induisent un profond déséquilibre dans les
échanges dans ce qui est perçu comme ayant été donné, et ayant été reçu. De cette
Handicap et distorsion du lien 77
tenir compte des incapacités du conjoint, et bien souvent ils ont le sentiment d’être des
parents isolés. Plus généralement, la gravité des séquelles cognitives, empêche les
patients de gérer de façon appropriée les dimensions financières, administratives et
légales qui concernent la vie familiale. Ils relèvent des mesures de protection des inca-
pables majeurs. Il est fondamental que cela soit reconnu et entériné légalement, même
si cela représente une perte de statut d’adulte. Le contraire entraînerait beaucoup d’in-
convénients graves : déni familial des séquelles et incapacités, surveillance et mise sous
contrôle vécu comme une emprise des décisions faisant le lit de conflits relationnels
étendus, mise en danger des équilibres financiers, disqualification par les erreurs etc.
Bien évidemment, tout cela aura des conséquences sur la pérennité du couple.
Affect, attachement, indifférence et passivité
Le lien parental est un lien empli de toute la charge affective du lien filial. Les attentes
des enfants restent inchangées car ce sont des besoins. Ils doivent se construire quelque
soit leur âge, en s’appuyant sur une relation privilégiée avec chacun des parents, et sur
celle qu’ils ont avec le binôme éducatif parental. Les séquelles qui entraînent le repli,
l’indifférence, la passivité, donnent aux enfants l’impression d’un détachement affectif,
d’un désintérêt de la part du patient atteint, et cette difficulté déséquilibre totalement
la perception que peuvent avoir les enfants d’eux-mêmes et de leurs parents. Ils ont
l’impression de ne pas être aimés, de ne pas compter, et construisent de ce fait des bles-
sures narcissiques, des dévalorisations personnelles qui recouvrent tous leurs espoirs et
leurs attentes déçues. Le manque d’empathie est particulièrement douloureux pour
celui qui vient avec un élan amoureux, qui d’ordinaire est compris, accepté et reçu.
Dans nombre de cas de replis passifs et d’indifférence cognitive, les enfants souffrent
dans la construction de leur personnalité de ce déséquilibre dans la relation et, suivant
l’âge de survenue du traumatisme pour le parent et pour l’enfant, de difficultés d’iden-
tification et de construction personnelle qui influeront à leur tour sur leur façon de se
structurer ultérieurement en tant que couple et parents.
Lien et mémoire
Les séquelles mnésiques sont particulièrement préjudiciables à la construction du lien qui
ne se ressource plus que sur ce qui est affectivement transmis et perçu dans l’instant ainsi
que sur les souvenirs anciens du passé, de l’histoire, de la relation. Les processus de remé-
moration d’événements passés sont relativement préservés dans les traumatismes crâniens
graves. En revanche, la construction de la relation depuis le traumatisme crânien chez des
patients ayant des troubles mnésiques entraîne le fait que dans la relation, ni les enfants ni
le parent sain ne peuvent faire référence aux événements agréables et aux conflits pour les
faire évoluer. À chaque fois, la mémoire déficiente annule ces remaniements nécessaires et
indispensables au dépassement des difficultés relationnelles mais aussi à l’amplification
du lien d’attachement dans une connaissance partagée qui ressource chacun des protago-
nistes et les réengage dans le lien et la relation future [30,43]. En se remémorant les bons
moments, on ouvre l’avenir à l’attente d’autres moments et le fait de le vivre de façon par-
tagée renforce le sentiment d’appartenance. Le lien filial, le lien de couple, le lien familial
fonctionnent ainsi et les séquelles mnésiques dans la mémoire de fixation entravent ce
processus qui se trouve donc fragilisé et moins opérant pour solidifier les relations interin-
dividuelles avec le parent concerné par le traumatisme crânien.
lectuelles de son âge. Tout le jeu des difficultés autour des devoirs sert à valider l’autorité
ou les connaissances des adultes. Dans cette comparaison, une émulation, une admira-
tion, une compétition, une rivalité se font jour et structurent les constructions identi-
taires de l’enfant et son rapport au monde au travers de la pulsion épistémophilique.
Les relations vont donc être modifiées par les difficultés cognitives du parent qui peut
y perdre du respect de la part de l’enfant. Il faut être attentif au fait que les exercices
rééducatifs pratiqués au domicile prennent des sens tout particuliers d’échec scolaire
pour les enfants ou leur servent à comparer le niveau de leur parent avec le leur. Le
parent blessé peut y rencontrer un vécu d’humiliation sous les yeux de ses enfants et
entrer dans des comportements agressifs.
Le retrait et le stand-by
Dans la phase initiale, lorsque le pronostic vital est en jeu, que le risque de perte du
parent est au centre des préoccupations de tous les membres de la famille, les enfants
adoptent une attitude de retrait et sont parfois volontairement mis à distance par le
parent sain, de manière à les protéger un peu de cette phase douloureuse extrêmement
angoissante. Cette phase de retrait reprise à son compte par l’enfant a pour objectif de
maintenir un statu quo symbolique, sans entraver le travail du parent sain. Dans ce
retrait, l’accaparement du parent sain pour le parent blessé, les fait gérer davantage
seuls leurs angoisses. À ce niveau-là, le sous-système fratrie tente de pallier aux besoins
individuels des membres de la fratrie mais, les autres sous-systèmes grands-parents
sont souvent plus sollicités. Cette phase est plus ou moins longue et s’installe jusqu’au
retour au domicile après la phase de rééducation.
n L’effacement : chacun des membres essaie de ne pas apparaître avec ses attentes.
Cela concerne surtout les enfants.
n L’abnégation : les attentes sont reconnues mais repoussées au service du système
ou du patient.
84 J.-M. Destaillats et al.
La révolte
Elle suit la phase précédente et est une tentative de désengagement de la solidarité
familiale de manière à préserver ce qui peut l’être encore pour soi-même. Elle est un
puissant accélérateur de la transformation du modèle mais peut aussi signifier l’action
d’un sous-système qui se trouve menacé dans le nouvel équilibre.
La vengeance
Lorsque les dysfonctionnements familiaux ont été importants essentiellement dans les
familles marquées par les séquelles à type de violences hétéro agressives des comporte-
ments en retour peuvent émerger. Ils argumentent leur justification autour de la souf-
france subie, de la position de victime. Très souvent, il y a une surinterprétation du
comportement du patient dans une intentionnalité maltraitante qui induit une mal-
traitance de rétorsion. Les vécus d’abandon, d’humiliation, d’instigation peuvent tou-
cher le conjoint sain et très fréquemment les enfants. Il est important de noter que les
enfants ont des reproches, des griefs qui ne concernent pas que le parent victime. Le
parent sain se voit reprocher son défaut vis-à-vis des attentes des enfants qui peuvent
s’estimer dupés de s’être engagés pour le seconder dans un projet de soutien qui les
délaissait. La vengeance est un signe de handicap familial qui induit une crise encore
plus grave. Il peut exister alors une guerre entre les sous-systèmes signant une famille
dysfonctionnante. Ce sont très souvent des familles que nous voyons référées par des
tiers alertés par un des membres de la famille.
L’acceptation
C’est la dernière phase de la transformation. Elle peut faire suite à celle du renonce-
ment ou survenir au décours des phases plus douloureuses un temps de la découverte
des carences systémiques. La transformation du système dans sa structuration la plus
profonde, à savoir les rôles parentaux, est achevée. C’est le temps des séquelles recon-
nues par tous comme définitives. C’est le temps où l’on accepte de ne pas avoir eu les
parents qu’on aurait aimé avoir et d’avoir les parents qu’on aura eus. Il est important
de souligner que cela concerne les deux parents qui ne sont pas exempts de griefs.
Un engagement légal
La vulnérabilité et la loi
Dans l’approche neurosystémique (comme dans tout travail avec la maltraitance), l’en-
gagement de l’intervenant ne peut exister qu’adossé à une loi qui contraint la distor-
sion du lien pour l’envisager au-delà des considérations éthiques et morales que l’on
peut aborder avec les familles. Ces considérations morales ne sont pas suffisantes à
elles seules pour modifier les comportements déviants. La loi en apportant la limite des
sanctions encourues, contraint les déviants à un impératif de choix et de changements.
Le nouveau code pénal de 1994 est très clair à ce sujet. Le code pénal ne connaît pas les
personnes handicapées. Juridiquement, le statut de personne handicapée et la notion
de handicap n’existent pas d’un point de vue pénal. Le seul statut dont il est fait men-
tion est celui de « personnes vulnérables ». Le nouveau code pénal a réaffirmé l’objectif
ancien de la justice dont la mission à été de tous temps, de protéger les plus faibles et,
pour cela, ce nouveau code pénal a ajouté aux les mineurs de 7–8 puis 15 ans, de nou-
velles catégories de personnes. Pour désigner ces nouvelles catégories, le code pénal
emploie deux expressions : celle de vulnérabilité et celle de personne qui n’est pas en
mesure de se protéger. Cette volonté de protection du législateur se traduit par trois
séries de dispositifs : les possibilités de protection particulière qui font l’objet d’obliga-
tion de signalement, les incriminations spécifiques, et une aggravation des peines plus
générales lorsque la victime est une personne vulnérable. Nous sommes tout à fait dans
ce cas avec les personnes handicapées et toute violence à leur endroit, toute mal-
traitance, est pénalement sanctionnée par des peines plus lourdes que si ces mal-
traitances étaient pratiquées sur des personnes non vulnérables. La vulnérabilité de la
victime est un élément constitutif de l’infraction, ainsi que le précise l’article 223-3 du
code pénal.
Ces différentes maltraitances sont nommées et précisées. Il s’agit du délaissement dans
un lieu quelconque d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de
son âge, de son état physique ou psychique. L’article 225-12-1 parle lui du recours à la
prostitution de personnes qui présentent une particulière vulnérabilité. Les violences,
elles, sont nommées dans l’article 222-14 concernant les violences habituelles sur
mineurs de 15 ans, sur une personne « dont la particulière vulnérabilité due à son âge,
Handicap et distorsion du lien 89
Le rappel de la loi
Toutes ces données sont importantes pour ôter des soignants le sentiment erroné et
pourtant classique d’intrusivité ou d’illégitimité de certaines de leurs questions
visant à aborder le recueil d’informations concernant les distorsions du lien. Il nous
arrive régulièrement de donner une information aux familles, un rappel à la loi, de
manière à faire savoir que nous sommes des interlocuteurs adossés à une loi qui
s’applique aussi aux familles, aux soignants et aux citoyens, dans le cas de mal-
traitances issues de la distorsion du lien dans des familles ou les équipes. Ce rappel
à la loi leur propose un impératif de choix et de responsabilité quant à leurs actes.
C’est aussi un moyen de les engager dans un changement en ramenant le tiers qui
est la loi, car une fois que la famille est rentrée dans la distorsion du lien et la mal-
traitance, elle pourrait tenter d’éviter le changement, en rompant le contact avec les
90 J.-M. Destaillats et al.
intervenants et en s’engageant plus avant dans soit le repli sur elle-même, soit l’ex-
clusion et la bouc-émissarisation du patient. Dans ces conditions, toute rupture du
contact est aussi nommée comme étant un signal d’alerte supplémentaire qui nous
rapprochera de l’obligation de signalement qui est la nôtre. La même fermeté intran-
sigeante, car on ne transige pas avec la loi, s’applique au discours que l’on doit tenir
aux équipes, face aux risques d’épuisement professionnel qui les menace, tant du
fait de leur confrontation au handicap, que des conditions institutionnelles incon-
fortables dans lesquelles ils sont souvent amenés à travailler. Si toutes ces difficultés
sont compréhensibles, elles ne doivent en aucun cas justifier la perte de la bien-
traitance qui est au centre du soin.
L’engagement éthique
Les rapports entre l’approche neurosystémique et la théorie de l’esprit [8,15], l’alliance
thérapeutique du patient et de sa famille [10,48], les hypothèses de l’intervenant enga-
gent la famille autour des sujets de maltraitance dans une réflexion éthique visant à
penser le monde depuis le point de vue de la personne devenue vulnérable du fait du
handicap [28–30,42,46]. Nous les engageons aussi à mesurer, par une information sur
les troubles, la vulnérabilité neurologique et cognitive que construit la maladie. Nous
les questionnons sur les actes et les choix de chacun autour des problèmes qui concer-
nent le patient. Cela les conduit à s’ouvrir sur la différence de l’autre, sur le monde
pensé depuis le patient porteur du handicap, sur un questionnement humain à propos
des choix et de la responsabilité [1,3,13,14,37,38,46,47]. Au-delà de leur choix dans le
présent, le questionnement partagé explicite leur rôle dans la construction de leur his-
toire Ils sont responsables du sens qui en découlera dans le futur, pour eux-mêmes et la
suite de l’histoire familiale, du fait de la transmission des valeurs de respect ou de per-
pétuation de la distorsion.
bien plus sur l’acceptation de la différence que sur la seule similitude entre les êtres
[2,3,28–30,42,43]. En effet, la distorsion du lien dans les relations se saisit souvent de la
différence et de la vulnérabilité pour en faire des supports de l’exclusion et la bouc-
émissarisation [19,20].
« C’est toujours nous qui formulons les questions à poser à la Nature. C’est
nous qui sans relâche essayons de poser ces questions, de manière à obtenir
un oui ou un non ferme. Car la Nature ne donne de raison que si on l’en
presse. Enfin c’est encore nous qui décidons, après un examen minutieux, de
la réponse à donner à la question posée à la Nature. Le vieil idéal scientifique
de l’épistème, l’idéal d’une connaissance absolument certaine et démontra-
ble, s’est révélé être une idole. Ce n’est que dans nos expériences subjectives
de conviction dans notre confiance personnelle que nous pourrions être
absolument certains. »
Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, p. 268 [37]
Références
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colère. Paris : PUF ; 2007. Vol. 3 : La perte, tristesse et dépression. Paris : PUF ; 2002.
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34. Mugnier JP. L’identité virtuelle. Paris : ESF ; 1993.
Handicap et distorsion du lien 93
Des dysfonctionnements relationnels, des tensions et/ou des conflits entre profes-
sionnels et familles surviennent quotidiennement dans un service hospitalier de
médecine physique et réadaptation. La formation neurosystémique de plusieurs mem-
bres de l’équipe conduit au repérage et au traitement de la plupart de ces difficultés en
réunions de synthèse et entretiens entre professionnels et familles, en présence du
patient concerné. Dans certaines situations, une rencontre dans le cadre de la consul-
tation Handicap et Famille est proposée. Ce chapitre présente l’organisation de cette
consultation et se propose de répondre aux questions suivantes : qui sont les familles
rencontrées ? Pour quelles difficultés ? Comment s’organise l’articulation entre les
équipes des étages d’hospitalisation et la consultation ? Une étude de cas illustre ce
dernier aspect.
pas su, ou voulu, ou pu le reconnaître. » Le début de ce parcours des familles dans les
institutions du soin peut être particulièrement traumatisant. Les ressentiments qui s’y
construisent alimentent la complexité confuse des sentiments et des mécanismes qui
seront ensuite contributifs des attentes parfois revendicatives des familles vis-à-vis des
soignants. Celles-ci s’exprimeront notamment sous la forme d’une désignation du han-
dicap ou de la maladie du proche comme une source de problème et de tensions dans
le fonctionnement familial qu’il faut que les soignants règlent puisqu’ils ont tout pris
en main depuis le début. Ne pas répondre à cette attente sera alors vécu comme une
trahison et un abandon. C’est cette problématique qui nous a amenés à créer une
consultation spécifique.
Ainsi, depuis un peu plus de 20 ans, le service de MPR du CHU de Bordeaux propose
aux patients et aux familles confrontés au handicap et à ses conséquences sur l’équili-
bre familial, le recours à une consultation spécialisée : la consultation Handicap et
Famille (CHF). Même si une part importante de son activité concerne des patients exté-
rieurs, cette consultation est intégrée au service et apporte soutien et éclairage chaque
fois que les équipes soignantes en expriment le besoin.
n d’abord parce que nous sommes particulièrement attentifs, au cours des entre-
tiens, aux comportements observés qui sont pour nous une source d’information
équivalente au langage verbal, que ces comportements ne pourraient être décrits
que de manière approximative par les notes que prendrait l’intervenant et que la
meilleure manière de ne rien oublier de ce que nous voyons est de l’enregistrer ;
ceci libère aussi l’intervenant d’une prise de notes fastidieuse pendant l’entretien
et qui pourrait être dérangeante pour la famille ;
n ensuite parce que cela nous permet de revoir, à distance, les entretiens réalisés
n à l’intervenant de ne pas être le seul témoin de ce qui se dit au cours des entre-
tiens : il peut, quand il le désire, interrompre l’entretien et rejoindre le cothéra-
peute dans la salle de supervision pour échanger avec lui sur ce qui vient de se
dire ;
n au cothérapeute qui n’est pas en relation directe avec les familles, de réfléchir et
d’élaborer des hypothèses qu’il pourra faire confirmer par les réponses aux ques-
tions de l’intervenant dans la suite de l’entretien. Il peut, lui aussi, interrompre
l’entretien quand il le juge utile, pour dialoguer et faire part au thérapeute de ses
suggestions, questions, ou informations.
Tous les membres de la famille qui le souhaitent sont invités à participer, ce sont eux
qui décident qui viendra à l’entretien. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter :
seulement ou les enfants seuls, avec toujours en fin d’entretien une restitution-
conclusion devant tous les participants réunis.
S’il s’agit d’un patient hospitalisé, un membre de l’équipe soignante (infirmier, méde-
cin ou rééducateur) assiste à la consultation chaque fois que c’est possible, et de façon
systématique lorsque la demande de consultation émane de l’équipe soignante.
À l’issue de la consultation, intervenant et cothérapeutes échangent leurs impressions,
une ligne d’action est déterminée ; un compte rendu est rédigé par l’intervenant, qui
reprend les principaux thèmes abordés, les changements éventuels de propos ou d’atti-
tudes, les hypothèses de travail qui pourront être abordées lors d’un prochain entre-
tien. Le compte rendu est classé dans le dossier du patient si celui-ci est hospitalisé, ou
commenté dans le courrier adressé au médecin traitant et/ou au correspondant dans le
cas contraire. Parmi les autres éléments du dossier CHF, nous conservons les enregis-
trements vidéo (DVD) des entretiens considérés comme faisant partie du dossier médi-
cal, les différents courriers, l’autorisation de filmer, les notes prises par le cothérapeute,
l’anamnèse du patient et le génogramme (annexe 2), représentation schématique qui
permet de visualiser rapidement la structure de la famille. La consultation nécessite
donc un temps important de secrétariat (prises de rendez-vous et coordination d’inter-
locuteurs multiples, organisation matérielle des salles, archivage).
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 97
Tableau 9.1.
Caractéristiques des personnes rencontrées à la consultation Handicap
et Famille en 1999–2000 et 2008–2009.
1999–2000 2008–2009
N personnes 166 89
Hommes, femmes 67,5 %, 32,5 % 64 %, 36 %
Origine :
service 23 (14 %) 35 (39,3 %)
UEROS 99 (60 %) 28 (31,5 %)
extérieur 30 (18 %) 26 (29,2 %)
non précisée 14 (8 %) –
Pathologie :
traumatismes crâniens 112 (67,5 %) 36 (40,4 %)
AVC, autre L. cérébrale 33 (20 %) 31 (34,8 %)
autre : 21 (12,5 %) 22 (24,7 %)
Entretiens :
N total 445 234
par patient, moyenne 3,4 2,6
extrêmes 1–12 1–8
Outre les étiologies et l’activité globale, nous avons aussi cherché à déterminer quels étaient
les symptômes du « patient désigné » qui motivaient le plus souvent le recours à la consul-
tation. Nous parlons ici de « patient désigné », en tant que celui qui porte le symptôme
pour lequel la consultation est demandée. Il est « désigné » par le reste de la famille comme
étant le responsable du problème, celui qu’il faut soigner pour que tous les problèmes
soient résolus, y compris (et surtout) les problèmes des autres membres de la famille. Les
entretiens familiaux nous montrent que ce n’est bien souvent pas aussi simple que cela et
que l’origine du problème est plutôt répartie entre les différents membres du groupe fami-
lial. La pathologie du patient désigné est ainsi, pour nous, le symptôme qui nous permet
de rencontrer la famille, et non le problème que nous allons essayer de résoudre.
Nous avons étudié un échantillon de 47 patients traumatisés crâniens du programme
UEROS (35 hommes et 12 femmes, moyenne d’âge 29,4 ans, délai moyen à l’accident
6 ans 4 mois, au moins 2 entretiens familiaux, moyenne 3,4). Nous avons utilisé une
méthode qualitative d’analyse de contenu, par sélection de mots clés correspondant aux
termes les plus souvent utilisés dans les comptes rendus des entretiens. Nous avons aussi
confronté ces mots-clés aux résultats aux tests neuropsychologiques des patients dési-
gnés. Les mots clés les plus fréquemment retrouvés furent : troubles du comportement,
troubles cognitifs, dépression, anosognosie. L’attente ou la demande d’un changement
de comportement et/ou de relation était également souvent retrouvée dans les verbatim
des entretiens. Nous avons aussi essayé d’évaluer dans quelle mesure les symptômes du
patient désigné étaient reliés ou non au contexte familial, notamment au sexe du patient
désigné et de quelle nature étaient ces liens. À l’exception des troubles cognitifs, les symp-
tômes différaient selon le sexe du patient désigné : l’anosognosie et surtout les troubles
du comportement étaient beaucoup plus mal tolérés par les familles de traumatisés crâ-
niens homme : l’association troubles cognitifs-troubles du comportement était retrouvée
dans les comptes rendus d’entretiens de plus d’une famille de traumatisé crânien homme
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 99
sur deux, contre 25 % environ dans les entretiens de familles de femmes traumatisées
crâniennes (figure 9.1). La dépression était le symptôme principal dans les entretiens des
familles de femmes traumatisées crâniennes et ne concernait pas seulement la patiente
elle-même mais aussi son entourage (parents, enfants, conjoint). L’échantillon concer-
nant exclusivement des familles de patients participant au programme UEROS, nous
avons aussi regardé si la demande de changement que formulent souvent les familles
était ou non en lien avec la perspective d’une reprise d’activité professionnelle (figure 9.2) :
la situation, devenue très difficile à supporter pour ces familles de cérébrolésés qui vivent
avec le handicap depuis si longtemps (plus de 6 ans en moyenne), pourrait s’améliorer
avec la perspective d’une reprise professionnelle. Les résultats ont montré que le mot-clé
« demande de changement » était retrouvé dans 8 entretiens de familles de femmes trau-
matisées crâniennes sur 10, contre moins de 1 entretien sur 2 dans les familles de trauma-
tisé crânien homme. En revanche, ces dernières familles attendaient (espéraient) fortement
90
80 83,3
80
70 75
50
Hommes
40 45,7 Femmes
30 31,4
20 25 25
10
0
Tb. cog. Tb. comp. Anos. D entr. D test
Figure 9.1. Répartition en pourcentages des mots clés en fonction du sexe du patient désigné.
Tb cog : troubles cognitifs ; Tb comp : troubles du comportement ; Anos : anososgnosie ; D entr :
mots clés retrouvés dans les entretiens ; D test : résultat de tests psychométriques du patient désigné.
90
80
83,3
70
60
50 D de chgt
40 48,6 Act. prof
45,7
30
33,3
20
10
0
H F
Figure 9.2. Relations attente d’un changement (D de chgt) et reprise d’une activité
professionnelle (Act prof) dans les comptes rendus d’entretiens.
100 P. Sureau et al.
que le changement surviendrait avec la reprise d’une activité, ce qui n’était pas le cas des
familles de femmes traumatisées crâniennes. D’autres facteurs tels que l’âge, le contexte
culturel et peut-être ethnique, la place dans la famille et la fratrie, la profession, le pronos-
tic de l’affection du patient désigné et ce qu’en savent les familles interviennent probable-
ment aussi, et mériteront d’être considérés dans une étude ultérieure.
de l’équipe en une seule fois, ce qui leur permet de mieux identifier les places et rôles de
chacun dans cette équipe et de mieux comprendre le fonctionnement institutionnel
(groupe d’inclusion) qui diffère du leur (groupe d’appartenance).
Les rencontres familiales se font sur la base de critères variables mais habituellement nous
les proposons quand nous avons des raisons de penser que la famille est dans une situa-
tion de grande souffrance devant le handicap de leur parent, ou bien quand des signes de
dysfonctionnements familiaux importants nous sont donnés à voir et qui ont ou peuvent
avoir des conséquences sur le déroulement de la prise en charge de rééducation (compor-
tement violent, consommation excessive d’alcool chez le patient ou au sein de sa famille).
Les Réunions Rencontres Familles débutent généralement par un résumé de l’anamnèse
du patient, les résultats de bilans divers (médicaux, paramédicaux) et les objectifs princi-
paux que l’équipe se propose d’atteindre. Ces objectifs sont proposés à la famille et sont
donc « à discuter » avec elle, ce qui est particulièrement important pour deux raisons prin-
cipales : d’abord, les patients et leurs familles se sentent impliqués, et le sont réellement,
car ils peuvent exprimer leur avis quant à ces objectifs, et ils ne s’en privent généralement
pas ! Ensuite parce que c’est un moyen de dire à ces familles que la prise en charge de
rééducation/réadaptation est un travail très largement interdisciplinaire où il n’est pas
possible de séparer le travail des infirmières et des aides soignantes, de ce que font les
rééducateurs. Les patients et les familles entendent par exemple que « inciter le patient
hémiplégique à utiliser son bras paralysé lors de la toilette » est un acte de rééducation, et
la suite logique de la prise en charge technique réalisée en salle de rééducation.
Outre le fait d’expliciter à la famille le fonctionnement de l’équipe et la place de chacun
dans le processus de réadaptation, ces rencontres ont aussi pour objectif de permettre
à la famille d’exprimer ses craintes, ses interrogations quant à l’avenir proche, de poser
des questions autour de son propre rôle de « rééducateur ». Actuellement, le temps dis-
ponible pour ces rencontres ne permet pas à toutes les familles d’arriver à ce niveau
d’expression, mais elles peuvent déjà repérer à quels membres de l’équipe elles vont
pouvoir s’adresser pour parler de tel ou tel sujet. C’est l’occasion pour elles de créer une
alliance avec cette équipe qu’elle ne connait pas mais à qui elle doit cependant confier
pendant un temps un de ses parents… Cette coopération famille-institution est impor-
tante et permet probablement de désamorcer un certain nombre de conflits en relation
avec une mauvaise communication entre ces deux protagonistes. Il existe autour de
cette pratique institutionnelle, récente quant à sa forme mais ancienne dans nos têtes,
beaucoup de questions et d’améliorations à apporter. Si pour l’instant, ces rencontres
n’ont lieu qu’à l’initiative de l’équipe, il serait souhaitable qu’elles puissent l’être aussi
à l’initiative des patients et des familles elles-mêmes. Une réflexion est donc engagée
pour réaliser une plaquette d’information qui serait distribuée dès l’entrée du patient,
à sa famille, de sorte qu’ils sachent le plus tôt possible qu’ils peuvent eux aussi être à
l’initiative de ces rencontres. Depuis janvier 2009, le nombre de Réunions Rencontres
Familles est de 1 à 3 par semaine. En fonction des familles reçues et de ce qui est échangé
au cours de ces rencontres, deux cas de figure peuvent se présenter :
n soit les problèmes qui ont motivé cette réunion y trouvent une issue favorable et
la prise en charge se poursuit ; dans ce cas, une seconde réunion est prévue quel-
ques semaines plus tard pour revenir sur les difficultés initiales et poursuivre le
travail de collaboration entre la famille, le patient et l’équipe ;
n soit les difficultés sont trop importantes pour n’être gérées qu’à ce niveau, et une
Dans tous les cas, sensibiliser les membres de l’équipe soignante à l’approche neurosysté-
mique du handicap a permis une évolution importante dans nos pratiques à plusieurs
niveaux différents. D’abord les membres de l’équipe ont appris à ne pas se limiter à la sim-
ple dimension rééducative centrée sur le patient uniquement, dans leur abord des situa-
tions de handicap. Cela a permis de laisser la place à l’émergence d’autres problématiques
que rencontrent les familles, problématiques qui peuvent parfois nous sembler éloignée
du soin technique, mais qui y sont en fait étroitement liée du simple fait que ce sont des
difficultés que les familles ont à gérer au quotidien. L’approche neurosystémique s’avère
être, pour les soignants, une façon intéressante d’aider les familles à faire le lien entre la
situation clinique de leur parent handicapé et les dysfonctionnements relationnels qui
apparaissent à l’occasion de la survenue de la maladie (et qui ne sont la conséquence directe
de la maladie !). Ce fut le cas dans la situation d’O., présentée ci-après, et qui illustre bien
l’efficacité d’une collaboration entre l’équipe soignante de proximité et la CHF.
Situation clinique
O. a 24 ans, elle est ouvrière agricole, mais aimerait faire des études commerciales. Elle
nous est adressée par le service de neurochirurgie pour rééducation d’une hémiparésie
droite et d’une sévère aphasie consécutives à la rupture d’un anévrisme sylvien gauche.
Très vite, l’équipe perçoit que des difficultés familiales vont survenir. Très volubile, la mère
d’O. occupe le devant de la scène. Elle nous explique toute l’angoisse que l’accident vascu-
laire de sa fille et le séjour en neurochirurgie lui ont causé, ses interrogations vis-à-vis de
l’avenir, des séquelles possibles, de la possibilité de continuer des études malgré l’aphasie.
Elle explique aussi qu’O. vit depuis quelque temps avec P., son amoureux, qui a une très
mauvaise influence sur elle, il l’entraîne dans l’alcool, l’a initiée à l’héroïne, etc. Le père
de P. ne serait d’ailleurs pas très fréquentable lui non plus. P. est discret dans le service,
mais très présent, il soutient O., demande à assister aux rééducations orthophoniques.
L’équipe recueille des informations complémentaires : O. a un frère de 14 ans, Q., elle ne
voit plus son père depuis l’âge de 11 ans (annexe 2). La mère est très réticente à parler du
père, et d’une façon plus générale, à parler de la dynamique familiale. L’équipe perçoit
des tensions, des avis divergents. O. reste cependant motivée pour la rééducation. Le
père téléphone à plusieurs reprises pour prendre de ses nouvelles, O. exprime que cela lui
fait plaisir. Ce qui déplaît à la mère. L’équipe est partagée sur ces appels téléphoniques.
O. retrouvant rapidement son autonomie, les permissions de fin de semaine vont repré-
senter la ligne d’affrontement. Chez sa mère, ou chez P. ? Au cours des Réunions
Rencontres Familles, malgré l’aphasie, O. exprime qu’elle voudrait aller avec P., mais elle
est ambivalente et hésite à contrarier sa mère. La curatelle demandée du fait de la sévérité
de l’aphasie va probablement être confiée par le juge à celle-ci. Tergiversations. O. multi-
plie les marques d’affection envers sa mère, mais aussi envers P.
On décide alors d’une consultation Handicap et Famille, à laquelle participent O., sa mère
et sa grand-mère, son jeune frère Q., P., deux infirmières et l’orthophoniste. La première
consultation est un entretien exploratoire qui nous permet de recueillir d’autres informa-
tions que celles transmises par l’équipe soignante et qui ne constituent qu’une partie des
éléments « problématiques ». Ce premier entretien exploratoire nous est indispensable
pour savoir comment la famille elle-même « définit le problème », ou comment elle est
d’accord ou pas avec l’équipe pour dire qu’il y a un problème. Nous faisons part aux mem-
bres présents de l’inquiétude de l’équipe par rapport au projet de sortie d’O., et nous sou-
haitons donc avoir leur avis, connaître leurs projets à eux et leur vision de la situation.
Pour la mère d’O., cela paraît assez simple : il faut que « tout soit en place, qu’elle soit
autonome, donc il faut plus de rééducation ». Nous pouvons nous étonner de cette
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 103
En guise de conclusion
L’histoire d’O. est d’une grande banalité. Combien de situations identiques se produi-
sent chaque jour dans un service hospitalier de MPR ? Banales, mais aussi banalisées.
Y fait-on seulement attention ? En fait, on y fait attention trop tard, lorsqu’elles
deviennent gênantes, parce qu’elles divisent les soignants, créent des conflits interpro-
fessionnels, des tensions, du burn-out, ou parce qu’elles diminuent la motivation
pour la rééducation, contrarient les projets de réinsertion, retardent… la sortie du ser-
vice ! La plupart des soignants s’efforcent d’oublier, d’autres malades arrivent, il faut
s’en occuper. Les familles, elles, s’en souviendront. Une lecture neurosystémique des
difficultés relationnelles dans la triangulation patient-famille-institution pourrait
permettre de désamorcer certaines de ces situations de crise. L’existence d’un lieu de
rencontre spécifique, extérieur aux unités de soin mais fonctionnant en étroite syner-
gie avec elles, paraît intéressante, en permettant de prendre de la distance et d’éviter la
confusion des rôles.
n que je peux à tout moment retirer mon accord concernant cet enregistrement ;
n que son accès est réservé au personnel de santé lié par le secret professionnel.
61 54
Le père La mère
24
O Q
P
Pour réaliser le génogramme, nous utilisons des symboles qui sont toujours les
mêmes :
n le carré (£) représente un homme ;
n le trait pointillé représente un lien non officiel (union libre, maîtresse, amant) ;
Nous y associons les prénoms, les âges, les dates d’union ou de séparation.
Le patient désigné est représenté par un symbole (£ ou ™) en gras.
Neurosystémique et maladie
d’Alzheimer
J.-M. Caire1, M. Dulaurens2
1. Institut d’ergothérapie, centre hospitalier universitaire de Bordeaux, 33076 Bordeaux cedex.
2. Centre hospitalier de Jonzac, 17500 Jonzac.
Dans la maladie d’Alzheimer, la vie quotidienne est compromise aussi bien pour la
personne malade que pour l’entourage familial, entraînant des désorganisations majeu-
res. L’équilibre familial altéré entraîne un réajustement des rôles et une redistribution
des tâches dans la famille. L’approche neurosystémique pourrait-elle être utile dans ces
situations ? Nous rapportons ici une étude exploratoire qualitative de l’impact d’une
consultation systémique auprès d’une famille dont un membre était atteint de la mala-
die d’Alzheimer suivie pendant 10 mois. Les entretiens ont permis de reconsidérer plu-
sieurs problèmes qui devenaient insupportables pour le patient et les membres de sa
famille, en coconstruisant une solution acceptable pour tous. La famille a su trouver les
éléments pour élaborer une stratégie qui permette de considérer la situation avec un
peu plus de sérénité. Les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer et les aidants
n’ont pas seulement besoin de comprendre la cause des symptômes, mais aussi de res-
taurer une continuité là où le traumatisme fait rupture, c’est-à-dire « d’intégrer la mala-
die dans une trajectoire de vie ».
l’on peut rattacher aux troubles de la relation avec l’autre. La crise apparaît souvent à
une période où les modes relationnels sont rodés depuis des années de vie commune et
imprégnés d’affectivité. La société se doit d’offrir des solutions qui relèvent de l’aspect
médical mais aussi de l’aspect social, psychologique voire philosophique et éthique
[21]. Cependant le rapport reste préférentiellement tourné vers l’aspect maladie. Le
troisième plan Alzheimer 2008–2012 prend en considération les malades et les person-
nes de leur entourage. Les travaux préalables animés par le Pr Ménard insistent sur la
nécessité d’une prise en charge globale des malades et des aidants familiaux pour amé-
liorer leur qualité de vie, ainsi que sur une meilleure organisation favorable à la coordi-
nation des services.
Ici encore, les troubles de la relation avec l’autre sont uniquement considérés comme
une conséquence de la maladie ne prenant pas en compte la trajectoire familiale avant
l’apparition de la démence. Face à cette maladie, le défi reste de taille lorsqu’il va s’agir
de donner du sens à cette épreuve qui porte atteinte à l’image que nous avons de la
personne, à nos désirs, nos besoins de relation et à notre idée de la qualité de vie et de la
santé. La démence peut être considérée comme une pathologie individuelle, familiale et
collective [28].
La pathologie individuelle est comme un naufrage sénile [29]. En reprenant cette
métaphore, le bateau peut couler pour plusieurs raisons. Bien entendu, le naufrage
peut être le résultat d’une coque vermoulue, trouée de part en part, la mémoire s’en-
vole, la reconnaissance est fluctuante, c’est l’approche médicale de la maladie
d’Alzheimer. Mais la personne peut aussi couler avec une coque peu entamée mais
avec une mer trop forte, un contexte peu favorable. De même, une coque très dégra-
dée peut se stabiliser sur une mer calme. Comme le souligne J. Maisondieu, la per-
sonne atteinte de maladie d’Alzheimer se trouve dans la double contrainte de
demander de l’aide tout en ayant peur de l’avenir, de la dégradation et de résister à ces
sollicitations. La personne démente ne trouve plus sa place dans sa vie, elle se recro-
queville au fond de la cale. Vulnérable, elle a recours à des stratégies défensives telles
que la régression, la routinisation sur quelques activités limitées dans l’espace et le
temps, l’installation d’un ordre fixe et rigide dans tout ce qui fait partie de l’univers
proche et familier [5]. La vulnérabilité n’est pas seulement celle qui est quotidienne-
ment occasionnée par les déficits, elle est aussi en relation avec ce qui fait l’humain et
notre place dans la société. La maladie d’Alzheimer n’est ni l’affaire d’une personne,
ni celle de deux, mais bien celle de tout un système familial [11]. Les aidants sont
repérés comme une population à risque aussi bien au niveau de leur santé physique
que mentale [33]. La plupart des programmes pour les aidants et toutes les lois se
focalisent sur l’aide du conjoint en imaginant qu’en épaulant l’aidant, il serait possi-
ble d’éviter que la maladie d’Alzheimer ait des répercussions sur l’ensemble des
membres de la famille. Pourtant la structure familiale est l’objet d’une cruelle désor-
ganisation dans les modes de relations qu’elle a établi antérieurement. Les engage-
ments de responsabilités, les codes de la relation intrafamiliale, les fragilisations
narcissiques et la gestion de sentiments de culpabilité et de honte parfois, dispersent
la relative et souvent apparente homogénéité du tissu familial [20]. Les aidants sont
parfois en difficulté pour gérer leur investissement relationnel envers les personnes
âgées dans la durée et dans l’intensité. Les sensibilités des uns et des autres sont
mobilisées et sollicitent des émotions des deux cotés. Les fragilités réciproques
peuvent être vécues en miroir et contribuer à provoquer des souffrances, mais aussi
des complicités apaisantes et réductrices d’angoisse. Cependant, les conditions de ces
collaborations ne sont pas toujours requises pour optimiser le partenariat des accom-
pagnants familiaux et institutionnels.
108 J.-M. Caire, M. Dulaurens
La relation avec une personne atteinte de maladie d’Alzheimer ne trouble pas unique-
ment les familles, mais aussi les équipes de soins. Les personnes démentes nous inter-
pellent dans leur étrangeté, ils perturbent la bonne marche de l’institution, ils ne sont
pas conformes à ce que l’on pourrait attendre d’eux, ils ne comprennent pas ce que l’on
attend d’eux. Ils peuvent s’élever contre le soin, contre leurs proches, contre eux-mêmes.
Faire le pari de la rencontre, c’est prendre le risque de l’altérité. Imaginer que l’autre qui
est « Alzheimer » et qui perd la tête est différent de moi est plutôt rassurant… L’imaginer
en possible futur est pour moi beaucoup plus difficile. Lorsque les professionnels sont
appelés à l’aide, ce n’est pas seulement pour apporter un conseil, un soutien, mais aussi
pour permettre au plus vite un retour à un état antérieur, un non-changement. Dans le
cas de la maladie d’Alzheimer, l’action des professionnels ne permet pas un équilibre
semblable à celui d’avant et cette constatation est vécue par les aidants comme un
échec. Le piège est bien de faire toujours plus de la même chose, entraînant une esca-
lade de demandes pour « réparer » la situation actuelle. Ce cercle vicieux amène l’épui-
sement des aidants et des équipes. La confrontation à une maladie particulièrement
éprouvante, la difficulté, voire l’impossibilité de constater des progrès, nous met à mal
au quotidien, au point d’en oublier la personne en face, son identité, son histoire, ses
proches. Le pari de la rencontre prend du temps pour connaître l’autre, et le reconnaî-
tre. Ce pari est exigeant puisqu’il nous impose une remise en question et un change-
ment dans nos pratiques.
La pathologie Alzheimer est collective. En effet, les médias couvrent de plus en plus ce
phénomène cristallisant les angoisses, les peurs et modifiant les représentations socia-
les. Les personnes directement concernées par cette maladie restent discrètes, cachées.
La maladie ne devient publique que lorsque son expression visible trouble la famille et
les interactions sociales. Le problème des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer
et des proches n’est pas tant la maladie en elle-même, que le regard et les réactions du
reste de l’entourage et de la société dans son ensemble [19]. La représentation de l’incu-
rabilité tend à faire disparaître le sujet pensant pour lui donner uniquement le statut
de dément. Cependant cette charge représentationnelle tend depuis quelques années à
se modifier grâce aux nombreux témoignages des associations, des familles qui témoi-
gnent ouvertement de leurs parcours.
L’approche neurosystémique
Il existe de nombreuses thérapeutiques non médicamenteuses pour aider la personne
atteinte de maladie d’Alzheimer et sa famille [1]. Cependant la revue de la littérature ne
présente que peu d’interventions auprès de l’ensemble des protagonistes inclus dans
cette crise liée à la maladie. L’approche neurosystémique met le système familial au
centre du projet thérapeutique. La notion d’interactions dysfonctionnelles en thérapie
familiale remet en cause le monopole de la maladie dans la compréhension des trou-
bles et des conséquences de ceux-ci sur le quotidien. Dans la thérapie systémique il n’y
a pas un thérapeute neutre observant objectivement la réalité existant dans la famille,
mais un thérapeute et une famille qui se rencontrent, chacun avec leurs représenta-
tions (leurs modèles) pour essayer de « faire évoluer la perception que ces deux entités
ont de la situation » [6]. Le thérapeute fait partie du système, et lorsqu’il vit quelque
chose d’intense avec la personne atteinte de maladie d’Alzheimer et sa famille, il peut
exister ce qu’Elkaïm appelle la résonance [17,18]. L’observateur interagit avec le sys-
tème familial et cette subjectivité peut être un outil qui permet d’analyser le vécu du
thérapeute par rapport à la situation, au système mis en place par la famille. « Cette
situation de résonance pourrait ressembler à celle de quelqu’un qui nage le crawl, dont
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 109
la tête va sous l’eau puis sur l’eau. C’est-à-dire que nous sommes des êtres qui à la fois
sont pris dans ce vécu, ce vécu qui nous fait nous mettre au diapason des constructions
du monde des autres, et puis qui en sortons ; nous analysons ce vécu et nous requérons
de la flexibilité avant de replonger » [17].
L’école de Palo Alto envisage la famille comme un « système ouvert », c’est-à-dire
autre chose que la somme des individus qui la composent et qui sont en interrela-
tions constantes [30]. Chaque individu est lui-même un sous-système, un élément du
système familial. Le thérapeute systémicien concentre ses efforts sur les communica-
tions entre les sous-systèmes, son objectif étant de les améliorer au bénéfice de la
famille toute entière [39]. Un autre aspect est primordial pour les thérapeutes fami-
liaux, c’est l’espace temps [2,15,25]. « Les traces du chemin passé, les pas des uns et
des autres dans ce chemin, sont ignorés de la plupart des soignants et thérapeutes, et
pourtant, ils sont l’un des déterminants très importants de la façon dont la relation
va continuer à se construire » [16]. Une famille, c’est l’histoire de la transformation de
ses projets et de ceux de ses membres au fil de l’existence. Le projet de vie est lié au
mythe familial, aux représentations que chacun peut avoir de la situation en lien avec
le système d’appartenance [6]. Le projet de vie se trouve à un niveau épistémologique,
représentationnel. Dans la construction de ce projet, les professionnels sont totale-
ment incompétents, c’est la famille qui a la connaissance de sa réalité et qui est com-
pétente pour son problème. Elle possède la capacité à modifier ses représentations, à
remettre en question le fonctionnement familial qui cristallise la situation, et à effec-
tuer les changements nécessaires pour activer le processus qui autorise les autosolu-
tions des familles [2]. La crise est directement liée au changement dans la démarche
systémique. Alors que la crise est souvent vécue par les professionnels comme dange-
reuse, elle reste nécessaire pour que s’opère un changement. Bien entendu, dans cette
période, les tensions sont tellement exacerbées qu’il faut donner aux familles les
moyens de calmer le tumulte qui risquerait de devenir un mode de relation entre
l’aidé, les aidants et les professionnels.
Étude exploratoire
Objectif et méthodes
« La monographie est considérée comme l’étude du singulier et du particulier » [4].
L’objectif de la présente étude était de déterminer en quoi la thérapie familiale peut être
un champ d’exploration pour que chacun des acteurs apprennent pour engager un
changement en fonction des réalités vécues au quotidien par la personne atteinte de
maladie d’Alzheimer et par sa famille [7].
Parmi les méthodes de recherche qualitative en socioanthropologie, nous avons
choisi l’observation participative [22] et l’entretien compréhensif [26]. Cette approche
impulse une rencontre sociale qui prend la forme d’une interaction ordinaire dans la
vie quotidienne et un encouragement continu à l’expression spontanée des différents
acteurs.
La recherche a été menée au Centre hospitalier de Jonzac, dans une unité d’entretiens
systémiques mise en place depuis 2001 dans le service de psychiatrie du Dr Destaillats,
qui est à l’origine de cette consultation. L’équipe est constituée de deux psychologues
et deux ergothérapeutes, formés à la thérapie familiale. Ces professionnels sont en lien
direct avec la consultation Handicap et Famille du CHU de Bordeaux qui a une longue
expérience des consultations familiales auprès des personnes cérébrolésées [16].
L’organisation de la consultation était identique à celle qui a été décrite dans les chapi-
tres précédents : le thérapeute est dans la salle d’entretien avec la famille, et un cothérapeute
110 J.-M. Caire, M. Dulaurens
regarde l’entretien dans une autre pièce par l’intermédiaire d’une caméra vidéo. Les
entretiens sont enregistrés et retranscrits le plus fidèlement possible, car des allers
retours sont effectués entre les observations et propos des personnes interrogées, et les
modèles théoriques. Pour cette étude, nous avons croisé les entretiens auprès des théra-
peutes familiaux, auprès de l’équipe de soins pluridisciplinaire (médecins, ergothéra-
peute, psychologue, infirmiers, assistante sociale), et les entretiens systémiques auprès
de la famille suivie pendant une période de 10 mois.
Situation clinique
L’analyse de la demande de la famille
Monsieur B. est âgé de 77 ans. Il est marié et a eu deux enfants. Il est le dernier d’une
fratrie de 6 enfants avec 1 sœur et 4 frères, tous décédés dont le dernier il y a 3 ans. Il a
suivi une scolarité jusqu’à l’âge de 13 ans puis a travaillé en usine pendant 17 ans. Il a
ouvert un commerce d’alimentation avec son épouse. Il est en retraite depuis 1989. Le
couple vit dans une maison dont il est propriétaire. Il a des revenus suffisants selon le
bilan social. En 2005, leur fille est décédée de complications du diabète. Cet épisode
constitue une épreuve douloureuse intense au niveau émotionnel pour le couple.
Monsieur B. est soigné en affection longue durée (ALD).
Depuis 2 ans, il manifeste des difficultés cognitives qui sont couplées depuis quelques
temps à des hallucinations visuelles. Il se plaint depuis longtemps d’oublis, de manque
du mot. Un premier examen en neuropsychologie début 2008 met en évidence des
troubles cognitifs importants concernant la compréhension orale, la mémoire de tra-
vail, la mémoire épisodique et le fonctionnement exécutif. Le compte rendu de consul-
tation multidisciplinaire de la mémoire du 16 juin 2009 relate une dégradation
supplémentaire et rapide de la cognition et du comportement avec un Mini Mental
State Evaluation (MMSE) à 11/30 allant dans le sens d’un syndrome démentiel sans
réellement poser le diagnostic de pathologie d’Alzheimer. Les performances de mon-
sieur B. semblent également fluctuer dans le temps et l’ensemble de ces difficultés a des
répercussions significatives en vie quotidienne. Des troubles du comportement et une
labilité émotionnelle sont également présents, laissant suggérer que l’altération du
fonctionnement s’étend sur de nombreux domaines du quotidien.
Il reste donc un doute vis-à-vis de l’origine des troubles, ce qui peut amener chez
monsieur B. et chez les proches une anxiété et/ou des manifestations dépressives
[34]. Les conséquences des troubles sur l’équilibre familial sont notées dès le premier
compte rendu neuropsychologique en 2008 soulignant que « la dépendance envers
une aide extérieure, rôle actuellement occupé par sa femme, se fait de plus en plus
grande. Il est important de rester attentif au risque d’épuisement de celle-ci et de lui
permettre un relais extérieur quand elle parviendra à en faire la demande ». L’examen
au domicile fait par l’ergothérapeute en février 2009 montre qu’il existe un réel déca-
lage entre les observations faites par madame B., ce que verbalise monsieur B., et
l’observation des professionnels. En mise en situation au domicile, nous constatons
des difficultés dans les tâches dites instrumentales comme lire l’heure, utiliser le télé-
phone, ouvrir et fermer un robinet. Monsieur et madame B. minimisent les erreurs
faites lors de la toilette et de l’habillage, relativisant l’impact sur le quotidien. Son
épouse semble être dans un « paradoxe de l’aide » [32] qui consiste bien à demander
de l’aide aux professionnels pour être soulagée du fardeau qu’elle porte [28], mais elle
a du mal à ne pas pouvoir tout gérer. La proposition de la consultation multidiscipli-
naire de la mémoire s’oriente vers des interventions thérapeutiques rééducatives tel-
les que la kinésithérapie pour limiter le risque de chute, et l’orthophonie pour débuter
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 111
perte du rôle social est très prégnante dans le couple, entraînant une angoisse quoti-
dienne lisible dans les entretiens. La personne atteinte de maladie d’Alzheimer redoute
que toutes les décisions soient prises en dehors d’elle, une sorte de mort sociale avant
l’heure. Pour monsieur B., cette crainte s’exprime surtout dans les premier et deuxième
entretiens, lorsque nous abordons la notion de sauvegarde de justice. Dès que nous
abordons avec lui la question de l’argent et de la gestion du budget, il perd son contrôle
et ne trouve plus ses mots pour exprimer son désaccord. Il ne comprend pas tout, mais
il sent qu’il est dépossédé d’un rôle qu’il avait auparavant. Son épouse se sent accusée
d’être dépensière, son mari affirme son statut de chef de famille dans une sorte de
révolte vis-à-vis de la situation pensant que la famille lui cache quelque chose. Il se sent
pris au piège, manipulé, sans saisir pourquoi on veut le déposséder ? Alors que madame
B. pensait résoudre le problème en demandant au fils de gérer le budget familial sans
en parler à son mari.
Le thérapeute invite chaque membre de la famille à exprimer comment il voit la rela-
tion entre deux autres membres autour de la question de la gestion de l’argent. Par une
circulation de la parole [36], il confirme la position de monsieur B. en l’incluant dans
une discussion qui le dépassait et montre implicitement à tous sa capacité à se recon-
necter de façon cohérente. Progressivement, monsieur B. reparle de la mort de sa fille et
explique ses craintes sur l’héritage qu’il se doit de transmettre à son petit-fils. Le théra-
peute poursuit son rôle de « traducteur » entre l’épouse, le fils et le mari. Il fait décrire
les tensions dans le couple, les liens blessés, mis à l’épreuve. L’épouse et le fils décou-
vrent le lien que peut faire monsieur B. entre la gestion du budget et la transmission des
biens. La verbalisation sur le couple amène le fils à parler de lui, à identifier sa difficulté
à accepter sa position « d’arbitre ». Le fils se trouve dans une contrainte de loyauté vis-
à-vis de son père et de sa mère. Cette circularité oblige chaque protagoniste à se définir
selon sa responsabilité et ses émotions. La solution qui est choisie en définitive est de
formuler ensemble la demande écrite de sauvegarde (y compris monsieur B.) dans un
lieu calme et connu (la maison familiale), entourés de professionnels spécialisés qui
peuvent faciliter la parole et l’écriture (l’assistante sociale, l’ergothérapeute). Cependant,
jusqu’à ce jour, le couple n’a toujours pas envoyé la lettre et a trouvé un moyen satisfai-
sant pour tous de gérer le budget ensemble tout en acceptant l’aide ponctuelle de l’as-
sistante sociale.
à traduire ses valeurs dans les actes mais c’est aussi l’aider à conserver le plus longtemps
possible la faculté de vivre conformément à ses propres valeurs en considérant aussi la
question de l’hétéronomie, c’est-à-dire la question des aidants et de la famille.
Pour monsieur B., l’évolution est assez rapide, il a perdu beaucoup de facultés cogniti-
ves. Il souffre de prosopagnosie, et de troubles du comportement avec des hallucina-
tions. Nous avons pu constater au cours des séances l’écart entre la connaissance des
troubles par madame B. et ses réactions émotionnelles. Comment peut-elle différencier
la part de la maladie et la part de la « responsabilité » de son mari ? Voit-elle son mari
seulement comme une personne démente, ou peut-elle saisir encore les moments de
présence de celui-ci ? Comment donner des moyens à la famille de comprendre un peu
moins douloureusement les écarts de comportement de monsieur B. ? La prosopagno-
sie est marquante dans l’histoire pathologique de la famille B. Les périodes de non
reconnaissance sont de plus en plus fréquentes. Il existe une difficulté à comprendre que
monsieur B. puisse parfois se tromper entre sa femme et la sœur de celle-ci qu’il ne voit
quasiment jamais. Madame B. a pu exprimer que pour elle la démence est un fait inac-
ceptable. Cette maladie est forcément évolutive dans le temps et quelle que soit la solu-
tion, elle sera inopérante à terme, ce qui double ce sentiment d’inutilité, d’échec ou de
culpabilité. Madame B. a réussi à trouver une stratégie pour éviter l’affrontement avec
son mari lorsqu’il ne la reconnaît pas. Elle fait le tour de la maison et puis revoyant son
mari, elle dit : « Tu vois, je suis là, tu me cherchais ? », il dit alors : « Ah, te voilà… » Cette
attitude peut être comprise comme une perte d’identité pour madame B. Cependant
elle trouve plusieurs avantages à réagir de cette manière. Le premier est le calme rela-
tif induit par ce comportement d’évitement. Le deuxième est que son mari est plus
attentif et conciliant avec l’autre personne imaginaire. Cette stratégie semble correspon-
dre à madame B. Elle a su puiser dans les différentes rencontres auprès des équipes de
soins, du psychologue et des consultations de thérapie familiale, les éléments pour
construire une stratégie qui lui permette de considérer la situation avec un peu plus de
sérénité.
apparaît [31]. La certitude de madame B. de devoir faire tout ensemble s’avère être une
impasse relationnelle. En se racontant mutuellement leur histoire commune par des
mots pour madame B., par des gestes pour monsieur B., une nouvelle forme de contrat
semble voir le jour dans le couple. Une évolution est notable dans les entretiens indivi-
duels avec la psychologue et dans les entretiens systémiques.
Le problème de sécurité s’installe progressivement dans le discours de madame B. Elle
reconnaît que cette situation prend beaucoup de temps, ce qui rend le quotidien diffi-
cilement supportable. Elle fait un retour sur les mois passés où elle « contrôlait tout »,
où elle avait peur. Cette insécurité envahit la maison, montrant madame B. totalement
dépassée par les événements et par l’évolution de la maladie. Le thérapeute familial lors
d’un entretien nomme la déception de madame B., la déception de ne pas être « à la
hauteur » selon elle, de ne pas pouvoir revenir comme avant. Pour ces familles, le che-
min est long pour devenir comme après…
Pour comprendre l’enracinement de cette déception, le thérapeute va chercher dans
l’espace transgénérationnel de la famille. Il explore la famille ascendante pour entendre
que la sœur de madame B. est atteinte de maladie d’Alzheimer. Cette dame n’a pu être
maintenue chez elle, madame B. a dû prendre la décision de la maison de retraite. Le
thérapeute utilise l’argument de « l’amour plus fort que la maladie » et souligne la
nécessité d’être en forme pour faire vivre le couple, l’épuisement étant le partenaire de
la maladie. Progressivement, elle accepte les soins de l’infirmière de secteur, puis la
proposition de l’hôpital de jour et d’une aide ménagère. Aujourd’hui se repose la ques-
tion de la « bonne mauvaise solution », comme la nomme Darnaud [9,11], la solution
du placement dans une maison de retraite spécialisée. Madame B. ne peut imaginer ce
qu’elle nomme « un abandon ».
À l’issue de la période concernée par cette étude, on observe que l’un des objectifs de
l’aidant principal était d’être aidé à reconstruire un espace pour lui sans subir la
contrainte de la culpabilité. À la fin des 6 mois, la question d’une aide pour l’épouse
est posée par elle-même comme un moyen de rester forte pour maintenir le couple face
à la maladie. La conclusion du rapport du 5 mars 2010 relate les prises de décision
de la famille et en particulier de madame B. pour maintenir une qualité de vie familiale
acceptable pour tous. « La famille B. a suivi cinq consultations de thérapie familiale…,
l’épouse voit régulièrement la psychologue du service en individuel et prend un traite-
ment pour réguler son humeur. Depuis, elle se sent plus calme et pense que cela
influence l’état de son mari qu’elle dit moins agressif. Il existe une stabilité dans le
couple avec une perception de la réalité de madame B. et une capacité d’organisa-
tion favorisant l’activité au quotidien de monsieur B. Il garde des périodes de non-
reconnaissance et des troubles instrumentaux importants limitant sa participation
sociale. Un réseau d’amis et de famille proche semble s’organiser pour soulager
madame B. Elle est moins résistante à l’idée d’accueillir des aides au domicile et évoque
l’intérêt de prendre des moments pour elle. »
Perspectives
Avec cette rencontre d’une famille singulière, nous avons pu entrevoir la complexité de
la maladie d’Alzheimer, l’importance des éléments contextuels dans sa perception et
dans son expression. La prise en compte de l’angoisse de mort pose la problématique
non pas uniquement sur le versant de la pathologie, mais aussi sur la considération de
l’effet dévastateur sur le sujet atteint de maladie d’Alzheimer et sur la famille. La per-
sonne démente est ici considérée comme un sujet avec son histoire, sa trajectoire de vie
et sa finitude. Cette maladie s’inscrit dans le temps qui passe, elle a un impact majeur
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 115
sur l’entourage familial et les aidants qu’ils soient formels ou informels. Nous sommes
en présence non pas uniquement d’un handicap individuel, mais aussi d’un handicap
familial [3].
Les travaux de T. Darnaud nous ont permis d’entrevoir une modélisation de la crise
familiale dans le contexte de la maladie d’Alzheimer. Il y a toujours une différence de
compréhension entre les membres de la famille et les thérapeutes intervenants. Cette
différence se fonde sur le fait que la famille possède la connaissance de l’histoire de la
relation, car ils en ont été les protagonistes. L’analyse des entretiens de la thérapie fami-
liale souligne que les interactions familiales font appel aux facteurs contextuels et s’ins-
crivent dans une coconstruction qui passe par la compréhension de la place et l’identité
de chacun. Pour favoriser la rencontre, la principale caractéristique du cadre de la
consultation familiale semble bien être d’assurer une sécurité de base pour la famille.
Ce lieu offre un temps et un espace de passage, un espace transitionnel où se joue une
succession d’entre-deux : entre le dedans et le dehors de la famille, entre intra et inter
psychique, entre l’avant-crise et l’après-crise [14].
P. Guillaumot parle d’éthique relationnelle et interroge la famille et le malade dans sa
relation avec le monde pour analyser les facteurs de tolérance et d’intolérance pour
chacun (y compris pour les professionnels de santé) [23]. L’une des missions du théra-
peute et du cothérapeute dans l’approche systémique est de laisser les familles expéri-
menter leurs propres solutions et d’activer le processus qui les autorise [2]. Les familles
ont des compétences mais ne savent pas tout, elles ont besoin que l’on crée un contexte
favorable pour qu’elles perçoivent la situation autrement, et qu’elles puissent transpo-
ser dans leur quotidien des solutions plus acceptables pour maintenir un équilibre
favorable. La circularité, bien connue en systémique, a eu un impact dans la compré-
hension de situations quotidiennes en permettant la reconnaissance de l’émotion de
l’autre dans son expression verbale. Elle explicite la perception du relationnel dans la
famille pour chacun des participants. Les entretiens ont permis de considérer ensem-
ble la question de la perte d’autonomie et de la contrainte en coconstruisant une solu-
tion acceptable pour tous. La famille a su trouver les éléments pour élaborer une
stratégie qui permette de considérer la situation avec un peu plus de sérénité.
Les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer et les aidants n’ont pas seulement
besoin de comprendre la cause des symptômes de façon intellectuelle, mais aussi de
restaurer une continuité là où le traumatisme fait rupture [37], c’est-à-dire « d’intégrer
la maladie dans une trajectoire de vie » [24].
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La consultation Handicap et famille
en pratique hospitalière :
étude exploratoire
M. Koleck1, M. Mauvillain2, C. Leroux1, M. Beracochea1,
L. Wiart3, J.-M. Mazaux3
1. Laboratoire de psychologie « Santé et qualité de vie » EA4139,
université Victor-Segalen Bordeaux 2, 33076 Bordeaux cedex.
2. Centre hospitalier de Jonzac, 17500 Jonzac.
3. EA4136 « Handicap et système nerveux », université Victor-Segalen
Bordeaux 2, 33076 Bordeaux cedex.
La consultation Handicap et Famille (CHF) est une unité d’entretiens systémiques qui
accueille principalement des familles de patients cérébrolésés. La CHF propose au
patient et à sa famille de l’aider à se réorganiser après la crise que génèrent les consé-
quences du handicap. L’objectif de cette étude est de décrire les caractéristiques psycho-
logiques et familiales de la population rencontrée à la CHF et d’évaluer l’impact de la
prise en charge proposée sur les difficultés psychologiques et relationnelles du patient
et de ses proches. Nous avons évalué l’état anxiodépressif, le sentiment de colère, le
bien-être, le fonctionnement familial et le sentiment de détresse (ou fardeau) chez
78 membres de 44 familles participant à la CHF pour troubles du comportement du
parent cérébrolésé avant le 1er entretien et après le 4e et à 1 an. Les résultats ont été com-
parés à ceux d’un groupe contrôle constitué de 7 familles consultant un médecin MPR
(médecine physique et réadaptation) hospitalier également pour troubles du compor-
tement. Dans le groupe CHF, les familles expriment un sentiment de colère et une
perception de l’adaptabilité et de la cohésion de la famille significativement différents
de ceux des familles non prises en charge. Les premiers résultats chez les familles sui-
vies à la CHF montrent des modifications significatives du sentiment de colère et de
l’adaptabilité de la famille perçue. Les autres variables : état anxiodépressif, sentiment
de bien-être, de détresse, d’adaptabilité et de cohésion de la représentation d’une famille
idéale vont dans le sens d’une amélioration, qui reste non significative du fait de la
taille du groupe étudié. Ces résultats encourageants confirment l’intérêt d’une consul-
tation systémique au sein d’un service hospitalier de médecine physique et de réadap-
tation, mais soulignent aussi les difficultés méthodologiques rencontrées dans ce type
d’étude, notamment au niveau du recrutement et du choix des critères de jugement.
Introduction
La lésion cérébrale constitue un traumatisme physique et psychosocial important. Ses
répercussions sur la vie du patient et de ses proches sont considérables : les relations
familiales sont totalement bouleversées par ce traumatisme. La famille doit faire face
à une réorganisation de son fonctionnement qui peut produire des symptômes
118 M. Koleck et al.
Matériel et méthode
Population
Deux groupes de sujets ont été constitués :
dans une phase préparatoire à cette étude [14]. La version de cette échelle desti-
née aux adultes est constituée de 5 items évaluant la perception générale du
bien-être, des relations amicales, du bien-être psychologique, de la sexualité et de
la vie de famille. Les réponses se font sur une échelle ordinale en 8 points (de
« très mauvaises » à « très bonnes »). Sa consistance interne, mesurée sur l’ensem-
ble des réponses des sujets adultes ayant participé à l’étude, est tout à fait satis-
faisante (alpha de Cronbach = 0,81). Pour les enfants, cette échelle se compose
d’un seul item concernant le sentiment de bien-être général éprouvé par l’enfant
à la maison. La réponse se fait sur une échelle ordinale en 5 points. Pour faciliter
la compréhension, l’échelle de réponse est illustrée par des visages.
n Le fonctionnement familial a été évalué par la Family Adaptability and Cohesion
Evaluation Scale (FACES III [16], validation française de Tubiana-Rufi et al. [21] ).
C’est un outil d’administration simple qui comporte deux séries de 20 items : la
première série concerne la famille perçue et la deuxième la famille idéale. Le fonc-
tionnement familial est évalué à travers deux dimensions : la cohésion et l’adapta-
bilité familiales. La cohésion familiale correspond aux liens, aux attaches
émotionnelles et aux sentiments entre les différents membres de la famille, ainsi
qu’au degré d’autonomie de chaque individu dans le système familial. L’adaptabilité
familiale concerne la possibilité qu’a la famille de modifier ses règles de vie (disci-
pline, rapports d’autorité…) dans une situation particulière (stress, maladie…).
n Le sentiment de détresse des proches a été évalué à l’aide du Zarit Burden Interview
(ZBI [23], validation française de Hébert et al. [7,8]). Cet outil a été élaboré pour
mesurer le degré d’épuisement ou d’usure psychologique des aidants familiaux. Il
est composé de 22 items s’intéressant à la charge matérielle et affective que repré-
sente le patient pour ses proches. Cet outil n’a pas été administré aux patients.
Procédure
L’étude comprend trois phases de recueil de données :
Résultats
Comparaison des deux groupes (CHF vs contrôles) à T1
Dans le groupe CHF, 44 patients et 78 membres de la famille ont complété le protocole
à T1. Les 44 patients (28 hommes et 16 femmes) sont âgés de 13 à 70 ans (m = 40,1 ; SD
= 15,7). Il s’agit essentiellement de patients ayant subi un traumatisme crânien (n = 26)
ou un accident vasculaire cérébral (n = 11). Les autres pathologies concernées sont la
sclérose en plaques (n = 4), une tumeur cérébrale (n = 1), une encéphalite (n = 1) et une
maladie de Parkinson (n = 1). Soixante-dix-huit membres de la famille ont répondu au
protocole proposé. Il s’agit de 26 conjoints (6 hommes et 20 femmes, âgés de 29 à
72 ans), de 22 parents (8 hommes et 14 femmes, âgés de 39 à 71 ans), de 21 enfants
(11 hommes et 10 femmes, âgés de 3 à 31 ans) et de 9 frères et sœurs (5 hommes et
4 femmes, âgés de 13 à 38 ans). Au niveau des processus psychologiques évalués, on
constate que les patients comme les proches rapportent des états émotionnels néga-
tifs (tableau 11.1) : 69 % des patients et 79 % des membres de la famille présentent une
symptomatologie anxieuse et 52 % des patients et 43 % des membres de la famille une
symptomatologie dépressive. On peut également noter que, lorsqu’elles arrivent à la
consultation, les familles de patients cérébrolésés sont en épuisement : 40 % des pro-
ches présentent un sentiment de détresse léger, 31 % modéré et 11 % sévère. Quatorze
familles (n = 33) n’ont participé qu’à une ou deux consultations et n’ont donc pas pu
compléter l’intégralité du protocole. Il s’agit majoritairement de familles dans lesquel-
les le patient est un homme (n = 11/14). Pour les différentes variables psychologiques
évaluées à T1, on n’observe aucune différence significative entre ces 14 familles et les
30 qui poursuivent la prise en charge (n = 89).
Le groupe contrôle est constitué de 7 familles (n = 16). Les 7 patients (4 hommes et
3 femmes) sont âgés de 17 à 85 ans (m = 49,7 ans, SD = 25,9) et ont tous subi un trau-
matisme crânien. Les membres de la famille sont surtout des conjoints (1 homme et
3 femmes) et des parents (1 homme et 3 femmes). Une sœur et un enfant (1 homme)
ont également participé.
Les patients du groupe contrôle étant tous des traumatisés crâniens, nous avons com-
paré, par des analyses de variance, ce groupe uniquement aux familles CHF dont le
La consultation Handicap et famille en pratique hospitalière : étude exploratoire 121
Tableau 11.1.
Scores moyens et écarts-types des différentes variables évaluées à T1 dans les deux groupes.
Groupe CHF Groupe contrôle
Population totale TBI TBI
HADS
Symptomatologie anxieuse 10,77 (4,58) 10,75 (4,57) 10,00 (3,95)
Symptomatologie 7,66 (4,43) 7,40 (4,32) 8,00 (3,92)
dépressive
STAXI-2
Niveau global de colère 25,00 (10,25) 24,81 (8,80) 19,53 (9,54)*
Sentiment de colère actuel 9,90 (4,17) 10,13 (3,95) 7,07 (3,81)**
Expression verbale 8,17 (3,85) 8,08 (3,52) 6,56 (3,46)
Expression physique 6,86 (3,25) 6,62 (2,37) 5,87 (2,73)
Mauvillain
Bien-être 22,26 (7,86) 23,69 (7,42) 27,96 (6,30)
FACES III
Cohésion/famille perçue 32,63 (7,69) 32,98 (7,20) 38,57 (7,35)**
Cohésion/famille idéale 38,49 (7,85) 38,47 (7,45) 38,50 (7,15)
Adaptabilité/famille perçue 24,12 (5,75) 24,98 (5,66) 30,00 (7,25)*
Adaptabilité/famille idéale 29,91 (7,61) 30,73 (7,91) 30,00 (7,63)
ZBI
Sentiment de détresse 35,35 (16,74) 34,98 (17,71) 21,78 (18,68)
TBI : Familles de patients traumatisés crâniens ; HADS : Hospital Anxiety and Depression Scale ; STAXI-2 :
State-Trait Anger Expression Inventory-2 ; FACES III : Family Adaptability and Cohesion Evaluation Scale ;
ZBI : Zarit Burden Interview.
* p < 0,05 ; ** p < 0,01.
patient souffrait d’un traumatisme crânien. Les principales différences entre ces deux
groupes se situent au niveau du sentiment de colère et de la cohésion de la famille. Les
familles CHF présentent ainsi un niveau global de colère significativement supérieur à
celles du groupe contrôle (F = 4,14 ; p < 0,05). Cette différence concerne surtout le sen-
timent de colère actuel (F = 7,31 ; p < 0,01), l’expression verbale et l’expression physique
de la colère étant très proches dans les deux groupes. La cohésion et l’adaptabilité
familiales du groupe CHF sont significativement inférieures à celle du groupe contrôle
(respectivement F = 7,25 ; p < 0,01 et F = 6,76 ; p < 0,05) mais uniquement pour la per-
ception de la famille réelle. Il n’y a pas de différence au niveau de la famille idéale. Le
sentiment de détresse rapporté par les proches du groupe CHF est plus important que
celui du groupe contrôle (F = 4,02 ; p = 0,051) tandis que leur sentiment de bien-être est
plus faible (F = 3,73 ; p = 0,057). On n’observe pas de différence significative entre les
deux groupes pour la symptomatologie dépressive et anxieuse.
Discussion
Les résultats obtenus nous permettent de présenter un état des lieux des caractéristi-
ques psychologiques et familiales des familles qui participent à la CHF. Les patients
cérébrolésés et leurs proches qui sont accueillis dans le cadre de cette consultation font
état, en grande majorité, d’une détresse émotionnelle importante. On observe que, si la
Tableau 11.2.
Scores moyens et écarts-types des variables évaluées à T1 et à T2 dans le groupe CHF.
T1 T2
HADS
Symptomatologie anxieuse 11,67 (4,84) 9,79 (4,51)
Symptomatologie dépressive 8,62 (4,67) 7,21 (4,81)
STAXI-2
Niveau global de colère 26,26 (10,05) 22,70 (6,71)*
Sentiment de colère actuel 10,96 (4,04) 8,74 (3,02)**
Expression verbale 8,12 (3,66) 7,71 (3,04)
Expression physique 7,21 (3,01) 6,08 (1,64)*
Mauvillain
Bien-être 20,60 (5,49) 23,08 (8,38)
FACES III
Cohésion/famille perçue 33,20 (8,19) 32,40 (8,07)
Cohésion/famille idéale 42,14 (6,63) 42,33 (4,29)
Adaptabilité/famille perçue 26,48 (4,30) 24,71 (5,47)*
Adaptabilité/famille idéale 31,67 (7,26) 32,33 (6,44)
ZBI
Sentiment de détresse 39,23 (16,31) 34,38 (9,38)
HADS : Hospital Anxiety and Depression Scale ; STAXI-2 : State-Trait Anger Expression Inventory-2 ; FACES
III : Family Adaptability and Cohesion Evaluation Scale ; ZBI : Zarit Burden Interview.
* p < 0,05 ; ** p < 0,01.
La consultation Handicap et famille en pratique hospitalière : étude exploratoire 123
plupart des patients montrent une symptomatologie anxieuse et dépressive, c’est aussi
le cas des proches. Plus des trois quarts d’entre eux présentent un cas douteux ou avéré
d’état anxieux lors de la première consultation et près de la moitié un cas douteux ou
avéré de symptomatologie dépressive. Les familles confrontées au handicap d’un de
leur membre rapportent également un sentiment de détresse préoccupant : plus des
trois quarts des membres de la famille présentent un degré plus ou moins important
d’épuisement ou d’usure psychologique lié à la charge que représente l’accompagne-
ment au quotidien de leur proche. On retrouve donc, dans les familles participant à la
CHF, les caractéristiques déjà identifiées dans la littérature concernant les patients
cérébrolésés et leur entourage.
Les premiers résultats concernant l’impact de la prise en charge réalisée par la CHF
sont encourageants puisqu’ils vont dans le sens d’une amélioration du bien-être du
patient cérébrolésé et de sa famille. La participation à la CHF permet notamment d’at-
ténuer le sentiment de colère des patients et de leurs proches et l’expression physique
de celle-ci. La CHF modifie également en partie le fonctionnement familial. Le senti-
ment d’adaptabilité de la famille diminue légèrement entre la première et la quatrième
consultation : la famille semble donc moins encline à modifier ses règles de vie face à
une situation particulière. Pour l’ensemble des autres critères évalués (symptomatolo-
gie anxieuse et dépressive, bien-être, sentiment de détresse exprimé par les proches du
patient), on observe des changements positifs entre T1 et T2. Ceux-ci ne sont pas signi-
ficatifs sans doute en raison du trop petit nombre de familles ayant complété la
deuxième phase de l’étude à ce jour. Cette étude se poursuit donc actuellement au
niveau des réévaluations des familles du groupe CHF à la fois à T2 et à T3.
Évaluer objectivement l’efficacité d’une prise en charge semble incontournable à
l’heure actuelle. Pour être qualifié de scientifique, le travail du psychothérapeute doit
être soumis à une démarche évaluative. Mais cette démarche rencontre de grandes
difficultés dans le domaine que nous étudions ici. Les biais et limites sont nombreux.
En premier lieu, nous avons été confrontés à des difficultés liées à la constitution de
groupes comparables en situation de pratique quotidienne. En effet, le recrutement
des familles du groupe CHF a été relativement long en raison du mode de fonctionne-
ment de la consultation (une seule après-midi par semaine). Le recrutement des
familles du groupe contrôle a lui aussi été difficile et leur suivi (T2 et T3) quasiment
impossible. Ces familles sont celles qui ont rencontré un médecin MPR dans les mêmes
conditions que le groupe CHF, mais qui n’ont pas pu ou ont refusé de participer à la
CHF. Or nous ne connaissons pas les vraies raisons de ce refus qui peuvent être très
différentes selon les familles (éloignement géographique, refus catégorique de la prise
en charge…). La constitution du groupe contrôle peut donc constituer un des biais
possibles de cette étude.
De la même façon, on peut s’interroger sur les motifs pour lesquels plusieurs familles
du groupe CHF se sont arrêtées après une ou deux consultations. S’il est possible que
l’arrêt soit synonyme de « rétablissement », on peut aussi envisager le fait que ces
familles ont cessé de consulter parce qu’elles n’étaient pas satisfaites de la prise en
charge proposée. Nous ne disposons malheureusement pas de données suffisantes
pour répondre à cette interrogation. La méthodologie mise en place dans le cadre de
cette étude comporte d’autres limites. Par exemple, le choix de réévaluer les familles
lors de la quatrième consultation est peut-être contestable : malgré une moyenne de
quatre entretiens, chaque famille évolue différemment au cours de la CHF. Il pour-
rait donc s’avérer plus pertinent de proposer une évaluation après la dernière consul-
tation, qui n’est pas toujours la quatrième, mais parfois la sixième voire la dixième
séance.
124 M. Koleck et al.
En ce qui concerne les outils d’évaluation que nous avons retenus, ils paraissent adap-
tés dans l’ensemble : les mesures obtenues par les questionnaires semblent être en
adéquation avec les propos rapportés par les familles lors des consultations. Mais les
résultats correspondant à l’évolution du fonctionnement familial semblent décevants.
C’est probablement cette variable qui est à la fois la plus importante et la plus com-
plexe à analyser. L’outil choisi (FACES III), dont nous n’avons pas encore exploité tou-
tes les possibilités, n’est peut-être pas le plus adapté à cette situation. Quant au ZBI,
qui permet d’évaluer le sentiment de détresse de la famille confrontée au handicap
d’un de ses membres, il aurait sans doute mérité d’être adapté à la population d’aidants
de personnes handicapées afin d’obtenir des résultats plus fins.
Enfin, il est important d’évoquer les spécificités liées au modèle systémique qui doivent
être prises en compte dans la démarche évaluative. Un travail qualitatif impliquant
les différentes personnes intervenant autour du patient et de sa famille permettrait
d’appréhender plus finement les bénéfices que peut apporter un suivi familial de ce
type.
Conclusion
Malgré d’importantes difficultés méthodologiques, l’analyse de l’évolution des familles
participant à la CHF confirme de manière objective l’intérêt d’une consultation systé-
mique au sein d’un service hospitalier de médecine physique et de réadaptation. Les
données de la littérature et les premiers résultats que nous avons obtenus montrent à
quel point les familles de patients cérébrolésés sont impliquées et concernées par les
conséquences du traumatisme crânien. Ce type de consultation semble donc être l’un
des principaux services auxquels doivent pouvoir accéder les familles confrontées au
handicap d’un de leurs membres. Les recherches doivent se poursuivre pour trouver
des indicateurs fiables et sensibles permettant d’étudier de façon plus précise ce type
de psychothérapie familiale.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des thérapeutes de la consultation Handicap et Famille,
notre secrétaire, L. Jameau, C. Le Gall et B. Quintard pour leur participation à l’étude.
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Psychothérapie neurosystémique :
résultats en pratique ambulatoire
L. Wiart1
1. Cabinet de médecine physique et de réadaptation, 55, rue Eugène-Jacquet,
33000 Bordeaux ; Réseau UEROS Aquitaine, hôpital Pellegrin, centre hospitalier
universitaire de Bordeaux, 33076 Bordeaux.
Matériel et méthodes
Nous avons inclus de façon consécutive tous les patients adressés à notre cabinet de
2004 à 2008 par le service d’accompagnement à domicile spécialisé SAMSAH TC géré
par l’association ADAPT de Bordeaux pour un suivi psychologique.
Les entretiens ont été menés par l’auteur selon les principes exposés dans les chapitres
précédents de cet ouvrage. L’analyse a été effectuée rétrospectivement en octobre 2009
en évaluant les symptômes en début de prise en charge, et avec un recul d’au moins 1 an
par rapport au début des troubles. Les symptômes ont été classés selon les critères du
DSM IV en deux catégories : troubles psychoaffectifs (anxiété, dépression, bipolarité,
psychose) et troubles du comportement (agressivité, désinhibition, apathie, addic-
tions). Le résultat de la prise en charge a été classé pour chaque cas en quatre catégories
en fonction de l’évolution des symptômes initiaux :
Pour chaque échec une analyse détaillée du cas a été effectuée à la recherche de facteurs
de causalité. Une analyse qualitative et quantitative univariée ainsi qu’une recherche de
corrélations ont été effectuées avec les tests non paramétriques du Chi2 de Pearson, de
Kruskal-Wallis et de Wilcoxon (logiciel SPSS 9.0).
Résultats
Patients
Quarante-sept patients ont été inclus dans l’étude (tableau 12.1) : 35 hommes (74 %) et
12 femmes (26 %), d’âge moyen : 33,4 ans. Ces patients ont été suivis de 2004 à 2008, et
tous victimes d’un traumatisme crânien grave datant de 11 ans en moyenne, avec un
score de Glasgow initial moyen de 6,5. Au moment de l’étude, le handicap était jugé
sévère (Glasgow Outcome Scale [GOS] 3) dans 23 % des cas et léger à modéré (GOS
1 et 2) dans 77 % des cas. Les patients sont célibataires dans 83 % des cas et en couple
128 L. Wiart
Tableau 12.1.
Population étudiée.
Sexe* H : 35 (74 %), F : 12 (26 %)
Âge moyen 33,4 ans ET : 9,1
Score Glasgow initial moyen 6,5 ET : 0,7
Délai post TC moyen 11,1 ans ET : 7,5
Antécédent de maltraitance infantile 27 (57 %)
(humiliations, violence, abus sexuels)
Glasgow Outcome Scale GOS 1 : 13 (27,7 %)
GOS 2 : 23 (48,9 %)
GOS 3 : 11 (23,4 %)
Lieu de vie Individuel : 21 (44,7 %)
Collectif : 21 (44,7 %)
Familial : 5 (10,6 %)
Statut marital Célibataire : 39 (83 %)
Couple : 17 (17 %)
Situation professionnelle Sans emploi : 29 (61,7 %)
Emploi adapté : 13 (27,7 %)
Formation : 3 (6,4 %)
Emploi ordinaire : 2 (4,3 %)
Traitements psychotropes initialisés 28 (59,6 %)
Répartition des traitements psychotropes Antidépresseurs : 42 %
Anxiolytiques : 15 %
Thymorégulateurs : 15 %
Antipsychotiques : 8 %
H : hommes ; F : femmes ; ET : écart-type, TC : traumatisme crânien.
dans 17 % des cas. Ils n’exercent pas d’activité professionnelle dans 61 % des cas, tra-
vaillent en secteur protégé dans 27 % des cas, sont en formation dans 6 % des cas et en
milieu ordinaire dans 4 % des cas. Le lieu de vie est un logement individuel dans 44 %
des cas, un logement collectif dans 44 % des cas et un logement dans la famille d’origine
dans 12 % des cas. Soixante pour cent des patients prennent des traitements psychotro-
pes : dans 42 % des cas des antidépresseurs, dans 15 % des cas des anxiolytiques, dans 15 %
des cas des thymorégulateurs et dans 8 % des cas des antipsychotiques.
En ce qui concerne les motifs de consultation, 46 patients (98 %) présentent au moins
un trouble psychologique et 37 (79 %) un trouble du comportement, les deux troubles
étant associés dans 38 cas (81 %). Les troubles dépressifs : 29 cas (61 %) et anxieux :
24 cas (51 %) sont les plus fréquents, alors que les troubles bipolaires : 9 cas (19 %) et
psychotiques : 3 cas (6 %) sont rares. Les troubles du comportement sont répartis de
façon homogène : inhibition 20 cas (42 %), agressivité 15 cas (32 %), désinhibition
13 cas (27 %), addiction 12 cas (25 %) [figure 12.1]. Dans les antécédents, on relève dans
57 % des cas des traumatismes infantiles graves : carences éducatives et affectives, humi-
liations, maltraitances ou abus sexuels.
Prise en charge
La durée moyenne de suivi psychothérapique est de 1,1 an, avec un recul moyen par
rapport au début de la prise en charge de 2,2 ans (tableau 12.2). Durant la période de
Psychothérapie neurosystémique : résultats en pratique ambulatoire 129
29
30
24
25
19 Avant suivi
20
NS
16 Après suivi
15
20 S
S
p < 0.001
p < 0.001
15
N patients,
Test de 15 13 11
11 NS 11
Wilcoxon 9 12
S NS
9
S
8 p < 0.001 NS
9 p < 0.01
NS 8
10
3 2
5
NS
1
0
Dépression Anxiété Bipolarité Psychose Aucun Inhibition Agressivité Désinhibition Addiction Aucun
Troubles psycho-affectifs Troubles du comportement
Figure 12.1. Évolution des principaux symptômes étudiés avant et après prise en charge.
Tableau 12.2.
Caractéristiques du suivi psychothérapique.
Durée moyenne du suivi 13,5 mois ET : 10,2
Recul moyen après la fin du suivi 2,2 ans
Nombre moyen entretiens individuels 9,8 ET : 7,8
Nombre moyen entretiens familiaux 1 ET : 1,4
Tableau 12.3.
Résultat global de la prise en charge.
Très bon (disparition des symptômes) 6 12,8 %
Bon (disparition d’au moins un symptôme) 18 38,3 %
Moyen (amélioration d’au moins un symptôme) 10 21,3 %
Mauvais (pas d’amélioration ou perdu de vue) 13 27,7 %
Tableau 12.4.
Corrélations statistiques entre variables indépendantes et résultat global.
Tests Valeur du paramètre p
Sexe Pe 7,7 0,06 NS
Âge moyen KW 4,3 0,2 NS
Score Glasgow initial KW 4,5 0,2 NS
Délai post TC KW 0,4 0,9 NS
Antécédent maltraitance Pe 5,5 0,1 NS
Glasgow Outcome Scale* Pe 13,4 0,04
Lieu de vie Pe 5,7 0,5 NS
Situation affective Pe 0,1 0,9 NS
Situation professionnelle Pe 5,2 0,8 NS
Durée du suivi KW 10,3 0,02
Traitements Pe 2,9 0,4 NS
Nombre entretiens individuels KW 13,3 0,004
Nombre entretiens familiaux KW 0,5 0,9 NS
KW : test de Kruskal Wallis ; Pe : Chi 2 de Pearson
* GOS 3 : meilleur résultat.
Tableau 12.5.
Principales causes d’échec.
Anosognosie 5 38 %
Absence de motivation du patient 4 30 %
Réticence familiale au suivi 2 16 %
Refus de sevrage alcoolique 2 16 %
Total 13
sujets améliorés, soit respectivement : 5 consultations contre 9,8 dans le groupe amé-
lioré, et 6,7 mois de suivi contre 13,5 mois dans le groupe amélioré. Les principales
causes d’échec (tableau 12.5) sont l’anosognosie dans 38 % des cas, et le défaut de moti-
vation du patient dans 30 % des cas. Les échecs surviennent la plupart du temps de
façon très précoce, parfois dès la première consultation, le patient prenant conscience
du travail qui va être proposé et le refusant en raison de l’anosognosie, d’une méfiance
ou de l’absence délibérée de volonté de changement. Les deux autres causes d’échec
sont la réticence familiale au suivi dans 2 cas et l’intensité de l’addiction avec un refus
catégorique de sevrage alcoolique dans 2 cas.
Psychothérapie neurosystémique : résultats en pratique ambulatoire 131
Discussion
La prise en charge psychologique des traumatisés crâniens est encore dominée pour des
raisons probablement culturelles par l’approche psychanalytique en France [19,38-40]
et par l’approche cognitivocomportementaliste dans les pays anglo-saxons [7,13,24,26].
Les deux techniques ont démontré un intérêt et une efficacité dans le cadre d’études
cliniques ou d’analyses de cas en secteur institutionnel. Depuis peu, la thérapie fami-
liale [11,27-31] et plus précisément la psychothérapie familiale systémique [19] est
recommandée en complément de la psychothérapie individuelle. Bien que théorisée et
mise en pratique depuis plus de 20 ans par notre équipe [14-16], la prise en charge neu-
rosystémique familiale n’avait pas fait l’objet d’étude clinique publiée jusqu’à présent.
En outre, alors qu’une majorité de patients sont suivis après leur sortie des institutions
par des psychiatres ou des psychologues libéraux, nous ne disposions d’aucune donnée
de la littérature sur leur résultat. Il s’agit donc, à notre connaissance, du premier travail
sur le suivi psychologique selon l’approche neurosystémique d’une série de patients
traumatisés crâniens en secteur ambulatoire.
Même s’il faut les interpréter avec une certaine prudence compte tenu de l’aspect rétros-
pectif de l’étude et de l’absence de groupe témoin, ces premiers résultats apportent un
certain nombre de données intéressantes.
En premier lieu, il faut souligner la bonne faisabilité de cette prise en charge comme en
témoigne le taux relativement modeste de perdus de vue (28 %) et le grand nombre
d’entretiens réalisés par patient : 11 (dont au moins un entretien familial) sur une
période de 13,5 mois en moyenne. On aurait pu craindre une médiocre compliance
dans cette population, compte tenu des troubles cognitifs et comportementaux. Ce
résultat peut s’expliquer par une bonne collaboration avec l’équipe du SAMSAH qui
réalise un travail de soutien et d’accompagnement important et par une bonne adapta-
tion de la technique d’entretien neurosystémique à ce type de patients. En effet, l’aspect
semi directif des entretiens et leur durée (45 à 60 minutes), les thèmes abordés (handi-
cap, vie affective, antécédents traumatiques, famille, sexualité…), ainsi que la prise en
compte des troubles cognitifs par le thérapeute sont, selon de nombreux témoignages
spontanés, très appréciés. Les troubles cognitifs ne sont pas un obstacle majeur à la
prise en charge à condition de bien les avoir identifiés et de les prendre en compte dans
les entretiens.
Il faut noter ensuite le bon résultat global de l’étude avec une amélioration des troubles
dans 73 % des cas, corrélée au nombre d’entretiens. Ceci plaide en faveur d’une certaine
efficacité de la thérapie même s’il faut tenir compte de l’effet bénéfique de la prise en
charge sociale du patient et du traitement médicamenteux durant la période de suivi. Il
existe probablement un effet synergique de ces prises en charges parallèles, comme
l’avait déjà retrouvé Soo [46] dans sa revue de la littérature concernant les TCC. Les
meilleurs résultats sont obtenus chez les patients les plus handicapés, classés GOS 3
(handicap sévère) par rapport aux patients classés GOS 2 (handicap modéré), les
patients les plus handicapés ayant souvent un moindre niveau de conscience du handi-
cap et des attentes moins grandes.
Sur le plan qualitatif, l’amélioration concerne plus particulièrement les troubles
dépressifs, anxieux et agressifs. Ces constatations ont a déjà été rapportées par
d’autres auteurs [7-9,48] dans le cadre de prises en charge cognitivocomportementales
ou plus récemment à la suite de séances musicothérapie [23,47]. Cette dernière appro-
che de type sensoriel paraît intéressante et fait évoquer d’autres techniques à média-
tion corporelle telles que l’hypnose ou l’EMDR que nous utilisons régulièrement,
mais qui n’ont pas encore fait l’objet d’étude spécifique chez le traumatisé crânien.
132 L. Wiart
Conclusion
Les résultats de notre étude, à interpréter avec les précautions méthodologiques d’usage,
sont incontestablement positifs, retrouvant une bonne participation des patients, une
amélioration de l’état psychologique dans deux tiers des cas, corrélée à la durée du suivi
et au nombre d’entretiens, concernant l’anxiété, la dépression et l’agressivité, alors que
l’apathie, la désinhibition et les addictions n’ont pas été améliorées. Même s’il reste des
points à améliorer, tels que les taux d’échec et de perdus de vue, l’approche neurosysté-
mique individuelle nous semble bien adaptée à l’accompagnement psychologique des
patients traumatisés crâniens en secteur ambulatoire. Des travaux complémentaires
avec groupe témoin sont à l’étude pour mieux valider cette hypothèse.
Remerciements
À J.-M. Mazaux pour ses conseils méthodologiques, l’analyse statistique et son soutien,
à E. Richer et à son équipe du SAMSAH TC pour leur confiance et notre riche collabo-
ration, à J.-M. Destaillats pour ses conseils théoriques et sa formation à la neurosysté-
mique, à J.-P. Mugnier pour sa patiente formation à la thérapie systémique.
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