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Handicap et famille

Chez le même éditeur

Dans la collection « Problèmes en Médecine de Rééducation » :


Dystrophinopathies de l’enfant et de l’adulte, Imagerie cérébrale fonctionnelle et rééducation.
2010, 168 p. 2006, 168 p.
Rééducation post réanimation, 2010, 152 p. Coagulation, thrombose et médecine physique.
Rééducation et syndrome cérébelleux, 2010, 120 p. 2005, 128 p.
Neuro-orthopédie des membres après cérébrolé- Les mouvements anormaux. 2004, 200 p.
sion grave. 2009, 232 p. La sclérose en plaques. 2003, 192 p.
Handicap moteur et addiction à l’alcool. 2009, 144 p. Maladie coronarienne et réadaptation. 2003, 120 p.
Rééducation instrumentalisée après cérébrolésion Préhension et hémiplégie vasculaire. 2002, 168 p.
vasculaire. 2008, 184 p. Infections nosocomiales et médecine physique
Éveil de coma et états limites. 2008, 176 p. et de réadaptation. 2002, 208 p.
Prise en charge des traumatisés cranio-encéphali- Les dysarthries. 2001, 304 p.
ques. 2007, 248 p. Diabètes et médecine physique. 2001, 160 p.
Cancer du sein traité et médecine de rééducation. La spasticité. 2001, 264 p.
2007, 168 p. Aphasie. 2000, 254 p.
Blessés médullaires et innovations thérapeutiques. Douleur et médecine physique et de réadaptation.
2006, 176 p. 2000, 432 p.

Dans la collection « Pathologie locomotrice et médecine orthopédique » :


Fatigue musculaire, 2010, 264 p. Os, activité physique et ostéoporose. 2005,
Épaule neurologique et médecine de rééducation. 168 p.
2009, 176 p. Muscle traumatique et mécanique. 2005, 192 p.
Exercice musculaire excentrique. 2009, 208 p. L’arthrose du genou. 2004, 184 p.
Renforcement musculaire et reprogrammation Hémophilie et médecine de rééducation. 2004,
motrice. 2008, 176 p. 176 p.
Coiffe des rotateurs opérée et rééducation. 2008, Pathologie de l’articulation temporomandibu-
208 p. laire. 2003, 128 p.
Instabilité de l’épaule et médecine de rééducation. Information du patient et lombalgie commune.
2007, 224 p. 2003, 112 p.
Spondylolisthésis de l’enfant à l’adulte. 2007, 172 p. Pathologie mécanique de la jonction cervico-­
Arthrose de l’épaule, prothèse et médecine de occipitale. 2002, 128 p.
­rééducation. 2006, 168 p. Isocinétisme et rachis. 2001, 144 p.
Le coude microtraumatique. 2006, 256 p. Le coude traumatique de l’enfant. 2001, 216 p.
Innovations thérapeutiques et hémiplégie vascu- La maladie luxante de la hanche de l’enfant et
laire. 2005, 144 p. l’adolescent. 2000, 363 p.

Dans la collection « Médecine de réadaptation et pathologies professionnelles » :


Cervicoscapulalgies professionnelles, 2010, 124 p. Santé mentale, appareil locomoteur et patho­
Pied, chaussage et pathologies professionnelles. logies professionnelles. 2005, 184 p.
2009, 144 p. Muscles et pathologies professionnelles. 2004, 156 p.
Coude et pathologies professionnelles. 2008, Ceinture scapulaire et pathologies professionnel-
136 p. les. 2003, 144 p.
Neuropathies et pathologies professionnelles. Rachis lombaire et pathologies professionnelles.
2007, 176 p. 2002, 144 p.
Vieillissement des salariés et troubles musculo- Membres supérieurs et pathologies professionnel-
squelettiques. 2006, 136 p. les. 2001, 179 p.

Dans la collection « Rencontres en rééducation » :


Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité, Autisme et communication. 2004, 144 p.
2010, 84 p. Les dysphasies. 2003, 184 p.
Les surdités de l’enfant. 2009, 96 p. Aides techniques et matériel d’assistance en géria-
Trisomie 21, communication et insertion. 2008, 112 p. trie. 2002, 256 p.
Aphasie, aphasiques. 2007, 344 p. Les dyslexies. 2002, 160 p.
Fonctions exécutives et rééducation. 2006, 136 p. Robotique, domotique et handicap. 2001, 128 p.
Les dyspraxies de l’enfant. 2005, 144 p. Conduite automobile et handicap. 2000, 214 p.
Rencontres en rééducation

N° 27.  Collection sous la direction de Christian Hérisson, Jacques Pelissier et Lucien Simon

Handicap et famille
Approche
neurosystémique
et lésions cérébrales
sous la direction de
J.-M. Mazaux, J.-M. Destaillats,
C. Belio et J. Pélissier
avec la collaboration de
A. Bellmann, M. Beracochea, F. Beuret-Blanquart, R. Bristol,
J.-M. Caire, M.-C. Cazals, C. Croisiaux, F. De Reuck, C. Delleci,
M. Dulaurens, R. Edragas, M. Gemieux, L. Jameau, A. Jean-Etienne,
R. Katara, M. Koleck, K. Laurent, C. Le Blanc-Decupère, J.-L. Le Guiet,
C. Leroux, S. Lozes-Boudillon, M. Mauvillain, K. Merceron, S. Molcard,
J.-P. Mugnier, B. Pelegris, A. Prouteau, P. René-Corail, M.-P. de Sèze,
E. Sorita, P. Sureau, L. Ulric, C. Vignes, P. Vuadens, L. Wiart
Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir
de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement
massif du « photo-copillage ». Cette pratique qui s’est généralisée, notamment
dans les établissements d’enseignement, provoque une baisse brutale des achats
de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres
nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que
le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d’autorisation de photoco-
pier doivent être adressées à l’éditeur ou au Centre français d’exploitation du
droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.

Ouvrage dirigé par :


Jean-Michel Mazaux
Service de rééducation neurologique, hôpital Pellegrin Tastet Girard,
33076 Bordeaux
Jean-Marc Destaillats
Centre hospitalier, 17500 Jonzac ; Centre hospitalier universitaire,
33076 Bordeaux ; Université Victor Segalen Bordeaux 2, 33076 Bordeaux
Christian Belio
EA 4136 Handicap et système nerveux, université Victor Segalen Bordeaux
2, 33076 Bordeaux cedex
Jacques Pélissier
Professeur des Universités, praticien hospitalier. Chef du service MPR,
CHU Carémeau, 30029 Nîmes cedex 4

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour
tous pays.
Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce
soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est
­illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions
strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective
et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information
de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de
la propriété intellectuelle).

© 2011, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés


ISBN : 978-2-294-71414-6

Elsevier Masson SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex


www.elsevier-masson.fr
Avant-propos
« Qu’on ne s’étonne pas de me voir, contrairement à nos habitudes, mettre
toujours en parallèle l’état morbide du malade et les préoccupations de son
entourage. Ces deux termes sont solidaires et on aurait une notion erronée
de la maladie en bornant l’examen au malade.
Du moment qu’il intervient un élément moral dont l’existence est ici
hors de doute, le milieu où vit le malade exerce une influence qu’il serait
également regrettable d’omettre ou de méconnaître. »
C. Lasègue, 1873.

Élargir le regard pour prendre en compte l’environnement, en particulier la famille,


dans le projet thérapeutique… Il n’est pas besoin d’une longue réflexion pour admet-
tre que ce principe systémique s’adapte spécialement bien à notre discipline MPR et
trouve des résonances singulières dans le cadre de la classification internationale du
fonctionnement, de la santé et du handicap, qui accorde un rôle déterminant à l’envi-
ronnement et aux facteurs contextuels dans les restrictions de la participation.
L’approche systémique trouve ainsi très naturellement sa place dans les dispositifs et
procédures MPR, mais va peut-être un peu plus loin en questionnant le rôle du fonc-
tionnement familial dans la survenue ou l’entretien de certaines déficiences compor-
tementales et relationnelles. En ce sens, la réflexion de Lasègue garde toute son
actualité, c’est un signe ! Un autre principe systémique, considérer la finalité tout
autant que la causalité dans un raisonnement circulaire, conduit à nuancer – et par-
fois à remettre en question – nos modes de raisonnement habituels, imprégnés du
rationalisme du chevalier Descartes. Nous proposons enfin le concept d’approche
neurosystémique pour souligner que la prise en compte des difficultés spécifiques
aux personnes cérébrolésées, notamment les troubles cognitifs, de la conscience de soi
et de la communication, n’est pas un obstacle pour le raisonnement systémique, et en
représente au contraire l’un des meilleurs champs d’application, apportant une voie
de résolution à des crises qui mettent en échec, ou au moins en difficulté, les appro-
ches psychologiques habituelles.
Cet ouvrage est le résultat d’une construction collective. Nous l’avons conçu pour
répondre au souci d’information des collègues, comme on se doit de le faire chaque
fois qu’une approche nouvelle, une innovation technique ou scientifique paraît utile
et efficace pour améliorer le soin MPR. Mais nous l’avons aussi conçu avec l’amicale
complicité de nos amis des EMPR comme un hommage aux collègues et équipes qui
nous ont accordé leur confiance. Il nous a fallu faire des choix pour présenter seule-
ment quelques expériences représentatives, mais celles-ci auraient pu tout aussi bien
venir des équipes d’Albi, Arrens, Bagnères-de-Bigorre, Berck, Bruges, Dijon, Évreux,
Garches, La Rochelle, Lausanne, Le Carbet, Le Mans, Le Tampon, Lille, Lyon, Mont-
de-Marsan, Mulhouse, Roullet-Saint-Estèphe, Saint-André de l’Eure, Saint-Jean-de-
Luz, Sancellemoz, Tessé, Tours La Membrolle ou Virazeil. Que toutes et tous soient
remerciés ici.


Toute approche nouvelle pose la lancinante question des preuves de son efficacité, et
des critères retenus pour l’évaluer. La circularité des relations entre les patients, les
familles et les institutions de soin ne rend pas ici la tâche aisée, car ce sont ces relations
précisément qui sont améliorées par l’approche neurosystémique, et qu’il faudrait
savoir évaluer. Or la plupart des outils habituels sont centrés sur le statut fonctionnel
ou psychosocial, ou la qualité de la vie du patient lui-même et/ou de ses proches, ou le
management des équipes de soin, et non sur les relations entre ces entités. On trouvera
ici d’une part des exemples d’évolutions des fonctionnements institutionnels, qui
témoignent d’un changement des représentations du soin par les professionnels, et de
leur capacité à changer concrètement leur organisation, d’autre part des exemples
de l’impact sur des familles et des patients (dont on rappelle qu’ils sont des membres
de celles-ci). Malgré les difficultés méthodologiques, deux études de groupe, l’une en
pratique hospitalière, l’autre en pratique ambulatoire, sont en faveur d’un effet positif
de l’approche neurosystémique. Elles sont complétées dans plusieurs chapitres par des
rapports de cas cliniques, qui apportent un autre éclairage. Comme souvent en neuro­
psychologie après lésion cérébrale, ces études de cas isolés permettre de mieux saisir la
démarche suivie que les études de groupe. La situation reste un peu paradoxale : l’ob-
servation quotidienne ne laisse aucun doute sur l’efficacité de la méthode, mais les
recherches doivent être poursuivies pour trouver des critères de jugement plus adaptés
et apporter des preuves scientifiques supplémentaires.
La répartition des références bibliographiques posait enfin le problème du risque de
redondance. Nous avons choisi de présenter certains chapitres sans référence, et de
concentrer celles-ci sur d’autres, auxquels le lecteur pourra aisément se référer.
Nous souhaitons que cet ouvrage apporte au clinicien MPR des pistes nouvelles de
réflexion pour améliorer d’une part le fonctionnement et le bien-être moral des équipes
de professionnels, d’autre part la qualité de la vie des personnes soignées et de leurs
familles, et remercions tous ceux et celles qui ont contribué à sa réalisation.

J.-M. Mazaux, J.-M. Destaillats, C. Belio, J. Pélissier

« Handicap et famille » a été l’un des thèmes discutés lors des XXXIXes Entretiens
de Médecine Physique et de Réadaptation, à Montpellier, le 4 mars 2011.
Coordinateurs : J.-M. Mazaux, J.-M. Destaillats, C. Belio, J. Pélissier.

Cet ouvrage est une publication de l’association « Entretiens de Rééducation et


Réadaptation Fonctionnelle (ERRF) » Montpellier.
Abréviations

ADAPT Association pour l’adaptation des diminués physiques au travail


AFTC associations de familles de traumatisés crâniens et cérébrolésés
AGAF Association gérontologique d’aide aux familles
ALD affection longue durée
APA allocation personnalisée d’autonomie
CAJ Centre d’accueil de jour
CCAS Centre communal d’action sociale
CHF consultation Handicap et Famille
CIF classification internationale de fonctionnement de l’OMS
CRR Clinique romande de réadaptation à Sion
EMDR Eye movement desensitization and reprocessing
EMPCS équipe mobile pluridisciplinaire de coordination des sorties
ESAT établissement et service d’aide par le travail
FACES Family Adaptability and Cohesion Evaluation Scale
FAM foyer d’accueil médicalisé et d’aide par le travail
GEM groupe d’entraide mutuelle
GOS Glasgow Outcome Scale
HADS Anxiety and Depression Scale
IDE Infirmier diplômé d’État
IGAS Inspection générale des affaires sociales
INAMI Institut national d’assurance maladie-invalidité
IPT Intégration pour tous
ISCDC Inventaire du syndrome dysexécutif comportemental
ISPC Iowa Scale of Personality Change
MAS Maison d’accueil spécialisée
MCO médecine chirurgie obstétrique
MMSE Mini Mental State Evaluation
MPR médecine physique et réadaptation
P3I Plan d’intervention individualisé interdisciplinaire
PMSI Programme de médicalisation des systèmes d’information
SAMSAH Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés
SSR soins de suite de réadaptation
STAXI State-Trait Anger Expression Inventory
T2A tarification à l’activité
TCC traumatisme craniocérébral
UEROS Unité d’évaluation et réorientation socio-professionnelle
UMS unité mobile sortie
UNAFTC Union nationale des Associations de famille de traumatisés crâniens
et de cérébro-lésés
ZBI Zarit Burden Interview
L’annonce du handicap
J.-P. Mugnier1
1. Institut d’études systémiques, 39, rue Bobillot, 75013 Paris.

L’annonce du handicap scande le temps de la famille en un avant et un après. Dans cet


article nous rappelons l’importance pour les psychothérapeutes de rester tout d’abord
attentifs aux capacités de la famille à trouver des ressources en elle-même et autour
d’elle pour faire face et s’adapter à cette épreuve. En effet la souffrance n’empêche pas
nécessairement les membres du groupe familial de faire évoluer les relations de façon
satisfaisante. Ensuite nous décrivons comment le handicap de l’enfant, et donc l’enfant
lui-même, peut être instrumentalisé lorsque préexistaient au sein de la famille des
conflits anciens non résolus. Plusieurs exemples cliniques illustrent ces réflexions.

Liminaires
Chaque être humain, pour se construire, a besoin d’appartenir : à une famille, un cou-
ple, des groupes de sa classe d’âge, de professionnels, etc. Ces différents liens d’apparte-
nance participent à la coconstruction de notre identité même si, selon les différents
stades de notre évolution, tous ne revêtent pas la même importance. Ainsi, de tous les
liens que nous tissons au fil de notre vie, celui établi avec notre mère ou son substitut
dans les premières semaines de notre existence, est vital comme ne le seront par la suite
plus aucunes autres relations. En effet, jusqu’à l’âge de 2 ans, la survie du nourrisson,
dépend de la capacité de sa mère ou de sa figure d’attachement à répondre à ses besoins
essentiels, de sa capacité à deviner, à comprendre ce qui lui est nécessaire pour se déve-
lopper correctement et devenir un être sociable, un être capable de rentrer en relation
avec les autres. Pour cette raison, la mère, elle-même dédiée prioritairement à son
enfant, a besoin de la présence d’un tiers, le père, son compagnon, un parent ou encore
sa propre mère, tiers qui à son tour prendra soin d’elle durant cette période [1].
Fonder un couple avec la perspective de fonder ensuite une famille sont des étapes
importantes qui contribuent à donner un sentiment de plénitude, à donner du sens à
son existence. Pour se sentir pleinement soi-même, il faut au moins être deux, que le
deuxième soit un homme, une femme ou une idée, une cause pour laquelle on s’engage.
Sans projet existentiel, l’être humain est confronté au vide. Dans cette perspective, le
couple, la famille, doivent permettre la réalisation de ce projet qui donne un sens à une
vie. Pour certains, le projet est ambitieux : réaliser une œuvre importante, se sentir
reconnu de tous ; pour d’autres, il peut sembler plus modeste : bien élever ses enfants et
leur permettre de devenir des adultes responsables. En réalité, il est dans les deux cas
essentiel : mener à bien son existence [3].

L’annonce du diagnostic dans la famille


L’annonce du diagnostic du handicap dans une famille, qu’il intervienne à la nais-
sance de l’enfant, dans les semaines suivantes ou les premières années de sa vie, ou
2 J.-P. Mugnier

qu’il s’agisse d’un handicap consécutif à un accident de la voie publique par exemple,
a toujours un impact psychotraumatique. En effet, le projet existentiel que l’on avait
pour soi-même si l’on est la victime, comme parent pour son enfant, ou pour son cou-
ple, est remis en cause de façon irréversible par cet événement. Il y a un avant et un
après tout comme, pour nos parents ou nos grands-parents, il y eut avant et après la
guerre.
Face à ces situations, plusieurs aspects sont importants à prendre à compte par les psy-
chothérapeutes amenés à rencontrer les parents lorsqu’il leur est fait part du terrible
verdict.
Il convient tout d’abord ne rien faire ! Il ne s’agit pas en réalité de rester inactif ou
indifférent, mais de se garder, dans un élan compassionnel et réparateur, de vou-
loir organiser la famille. Évidemment, il n’est pas question ici des aides techniques
mais des aides relationnelles. Il est nécessaire en effet de laisser à chacun le temps
d’intégrer cette information, dont la réalité concernant les enfants n’est pas tou-
jours immédiatement palpable, de l’assimiler comme une donnée nouvelle et défi-
nitive. Si les thérapeutes doivent se tenir à disposition pour écouter des parents
envahis par le chagrin ou/et la colère qu’engendre un sentiment d’injustice, ils
doivent se garder de tirer des conclusions définitives, c’est-à-dire de penser que
l’état émotionnel d’un parent à ce stade augure de ce que deviendra sa relation
avec l’enfant.
Deux exemples illustreront cette première proposition.
Le premier est emprunté au livre remarquable d’Anna Maria Sorrentino, L’enfant défi-
cient [4]. Nous en reproduisons un premier extrait avec l’autorisation des éditions
Fabert.
Je me souviens de la réaction extrêmement violente d’une femme d’âge mûr à
l’annonce, lors de sa troisième grossesse, de la trisomie 21 de sa fille. Le per-
sonnel de la maternité, après avoir fait part de ses « soupçons » à la femme
hospitalisée, essaya d’impliquer le père dans la gestion de la crise que celle-ci
avait déclenchée. Je reçus en consultation le monsieur, triste et effrayé par la
nouvelle inattendue, tandis que sa femme était encore à l’hôpital. Il s’agissait
d’une famille modeste. Tous deux avaient accepté cette grossesse inopinée
naturellement, comme un fait de la vie, sans mettre en œuvre des processus
de contrôle tels que l’amniocentèse. Ils s’étaient limités à une prophylaxie
correcte qui n’avait mis en évidence aucun problème. Le pauvre homme,
déconcerté, avait l’impression que son épouse avait sombré dans la folie. Elle
refusait d’emmener le nouveau-né, qui se portait plutôt bien, à la maison.
Elle ne voulait pas l’allaiter, l’enfant en effet était nourri artificiellement, et
déclarait qu’elle disparaîtrait s’il essayait de lui imposer la présence de la
petite. Le mari, honteux des réactions de sa femme qui, jusque-là, s’était tou-
jours montrée fort raisonnable et sur laquelle il s’était sans cesse appuyé, ne
savait que faire.
La dame refusait toute consultation ; pour elle, sa fille était morte et elle ne
voulait en parler avec personne. Sa seule envie était de regagner la maison. Je
demandai au mari bouleversé si les proches avaient été prévenus. Il me
répondit que sa belle-mère, en dépit de son âge, s’était proposée pour s’occu-
per de l’enfant, mais sa femme restait intraitable. Si la petite intégrait la
famille, elle partirait. La violence de la réaction me fit espérer qu’il s’agisse
d’un feu de paille. Aussi, je suggérai de laisser la petite encore quelques jours
à l’hôpital, dans un climat plus tranquille que celui qui s’était installé à la
L’annonce du handicap 3

maison, et de faire venir la belle-mère pour qu’elle s’occupe de sa fille avec


une attitude prompte et silencieuse.
La vieille dame, au caractère doux et taciturne, me fut amenée par son gen-
dre. Tous deux paraissaient en transe. D’après eux, la femme avait été le
pilier de la famille, non seulement nucléaire, mais aussi d’origine depuis que
son père, migrant, était décédé encore jeune lors d’un accident de travail.
Régulièrement, elle s’était chargée de résoudre les problèmes concernant ses
frères et avait toujours soutenu sa mère « comme un homme ».
Je commençais à imaginer que cette pauvre femme, ayant déjà beaucoup
donné, considérait cette nouvelle épreuve injuste et sans solution. En effet, il
n’y a pas grand-chose à faire contre un dommage chromosomique. On ne
peut pas se battre, mais seulement accepter la situation.
Je leur conseillai à tous les deux de ramener la dame à la maison sans la petite
et de la laisser tranquille. Les autres enfants furent envoyés quelques jours
chez une tante, sous prétexte de la fatigue de leur mère. Nous convînmes éga-
lement de lui accorder une semaine avant de prendre une décision. Je souli-
gnai l’importance de ne pas revenir sur ce qui était en train de se passer pour
ne pas lui donner, compte tenu de son caractère orgueilleux, l’impression
qu’on essayait de lui forcer la main. Elle devait arriver, seule, à surmonter son
traumatisme et à opérer des choix.
Dans la maison silencieuse et vide des enfants, la dame s’apaisa. Détachée et
déprimée, elle s’alimentait très peu, errait d’une pièce à l’autre ou restait
assise, des heures durant, en regardant devant elle. Le soutien pharmacologi-
que qui lui avait été prescrit ne paraissait produire aucun effet. Le troisième
jour, elle alluma un feu dans la cheminée et y jeta toute la layette qu’elle-
même avait tendrement préparée.
La grand-mère, angoissée, me décrivit la scène au téléphone et me demanda
conseil. Je lui suggérai de rester en silence à côté de sa fille pour l’inviter à
s’épancher. Le triste rite terminé, la femme se mit au lit et commença à
pleurer doucement. Jusque-là, il n’y avait pas eu de larmes, seulement des
cris. Elle pleura durant des heures puis, complètement vidée, dormit long-
temps. Deux jours plus tard, au lever, elle paraissait hagarde, comme
convalescente puis, à la fin de la semaine, elle recommença à s’acquitter de
quelques tâches ménagères et s’inquiéta du fait que les enfants n’étaient
pas encore retournés à l’école. Il fut très difficile pour le mari, pendant
cette phase, de ne pas la questionner sur ses intentions par rapport à la
petite. Je dus le faire réfléchir sur le fait qu’ayant toujours confié tout le
pouvoir décisionnel à sa femme, il ne pouvait pas changer d’attitude dans
un moment pareil.
Les enfants rentrèrent à la maison, après avoir été informés par le père au
sujet de leur sœur, et comprirent que ce n’était pas le moment de poser
trop de questions. Pour eux, la petite était à l’hôpital car la maman n’était
pas, pour l’instant, en mesure de s’en occuper. La semaine suivante, la
femme fut vue, le nez collé à la vitre de la nurserie, regardant le nouveau-
né. Elle ne posa pas de questions et le personnel, instruit, fit comme si de
rien n’était.
Au bout de trois jours de ces visites silencieuses, elle demanda la permis-
sion de prendre sa fille dans ses bras et lui tint un long discours dans un
dialecte obscur. Le personnel fit de son mieux pour la laisser tranquille. Elle
4 J.-P. Mugnier

continua ses visites durant une semaine, devenant de plus en plus tonique
et expressive et, finalement, demanda de l’argent à son mari pour habiller
une fille qui ne pouvait pas être ramenée à la maison toute nue. En pleu-
rant, son mari lui donna ce qu’elle demandait. Il n’y eut pas de commentai-
res et la petite intégra la famille. Trois mois plus tard, dans le centre de
rééducation où je travaillais, je reçus la visite d’une personne avec une fille
trisomique gracieuse et bien pomponnée dans les bras. Elle se présenta
comme celle « qui avait abandonné sa fille ». Lors d’autres rencontres, elle
m’expliqua le processus mental qu’elle avait traversé. Elle avait dû aban-
donner la petite à l’intérieur d’elle-même, avant de découvrir la liberté de la
reprendre. Elle ne supportait pas de se sentir obligée de se charger d’un
autre lourd fardeau. Me montrant la petite, elle riait, en disant que, finale-
ment, elle n’était pas si lourde.
L’exemple suivant va dans le même sens et intègre l’évolution dans le temps de la rela-
tion entre le (les) parent(s) et son (leur) enfant.
Julien, âgé de 13 ans, m’est adressé par son orthophoniste. En effet, celui-ci est
convaincu que les troubles du langage qu’il présente, un important bégaiement, sont
uniquement d’origine psychologique. Quelque chose l’angoisse, est source d’un stress
important au point qu’il ne cesse de buter sur les mots. L’origine de cette angoisse
massive, lors du premier entretien familial, n’est pas difficile à identifier. Sa mère a eu
d’un premier mariage une fille décédée à l’âge de 12 ans d’une leucémie. De plus, à la
même époque, elle a perdu une nièce sensiblement du même âge, renversée sur un
passage piéton par un chauffard. Son couple précédent n’avait pu résister à autant
d’épreuves. Julien est donc issu de son deuxième mariage. Mais, depuis sa naissance,
elle redoute les catastrophes, sursaute dès qu’elle entend la sirène stridente des pom-
piers, panique si son fils, de retour de l’école, a cinq minutes de retard… Ce n’est
qu’après une demi-heure d’entretien que nous apprenons l’existence d’un frère aîné de
Julien, Anthony, atteint d’une trisomie 21. Comme nous émettons l’hypothèse que
l’annonce de ce handicap dût représenter à l’époque une épreuve supplémentaire le
père nous fait la réponse suivante :
— Lorsque les médecins nous ont dit ce qu’il en était, je leur ai demandé de le tuer !
— Tu as demandé que les médecins tuent Anthony ! intervient Julien, stupéfait.
— Eh bien oui, pour moi c’était une vie inutile dans un monde qui ne leur donne pas
de place !
— Mais ce n’est pas possible !
Une larme coule sur la joue de Julien.
— Tu t’entends bien avec lui, vous jouez au foot tous les deux !
— Bien sûr. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas ton frère. Mais, à sa naissance, j’ai
demandé aux docteurs de lui faire une piqûre.
La mère de Julien regarde son mari furieuse, l’air de dire : « Ce n’est pas déjà assez com-
pliqué comme ça, il faut que tu en rajoutes ! Quelle idée de lui dire cela ! »
— Et les docteurs, qu’ont-ils dit ?
— Ils m’ont expliqué qu’ils n’avaient pas le droit, ce à quoi j’ai répondu que je pouvais
très bien le faire moi-même, qu’il suffisait qu’ils me donnent le produit, mais là aussi,
ils ont refusé.
Julien pleure. Un silence pesant s’installe, le temps pour moi de trouver une issue à cet
échange. Puis, me tournant vers Julien :
— Tu sais, j’imagine que ce que ton père vient de dire est incompréhensible pour toi.
Comment comprendre qu’un père qui aime son fils, qui fait des choses avec lui, ait pu
L’annonce du handicap 5

un jour avoir envie de le tuer ? Une chose est certaine : ni moi ni personne, c’est-à-dire
aucun parent, ne peut savoir à l’avance comment il réagirait s’il était confronté à une
telle épreuve. Ce qui est sûr, c’est que ton père a eu la chance de tomber sur des méde-
cins qui ont bien fait leur travail en lui disant que c’était interdit, en l’empêchant de le
faire. Mais personne n’a le droit de porter le moindre jugement sur ton père parce que
personne ne peut savoir à l’avance comment il ferait face à cette épreuve. Quelle qu’ait
pu être la réaction de ton père à l’époque, ça ne l’empêche pas d’aimer ton frère
aujourd’hui. Peut-être même qu’il t’arrive à toi aussi d’être en colère contre Anthony, de
le trouver pénible quand il veut toujours être avec toi et tes copains ? Peut-être qu’il t’est
arrivé de penser que tu aurais préféré ne pas avoir de frère plutôt qu’un frère comme lui.
C’est normal. Pour autant, ça ne veut pas dire que tu ne l’aimes pas et que tu ne serais
pas malheureux s’il lui arrivait quelque chose.
Le père, après ce commentaire, se contenta de prononcer un seul mot : « Merci. »
Lors de la séance suivante, les troubles de Julien avaient disparu, comme si tout à coup
la parole était rendue possible dès lors que les pensées même les plus noires étaient
autorisées sans être pour autant révélatrices d’une quelconque monstruosité [2].
Ces deux exemples montrent bien que le temps de l’annonce du diagnostic et le senti-
ment de stupéfaction voire de sidération qu’il entraîne, n’ont rien à voir avec le temps
de l’attachement, de la même façon que tous les coups de foudre ne donnent pas tou-
jours naissance à des histoires d’amour.

L’instrumentalisation du handicap
Il est des cas où, contrairement aux deux exemples précédents, la présence d’un enfant
handicapé va remplir une fonction au sein des relations familiales. Là encore deux
exemples nous permettront d’éclairer ce point.
Monsieur et madame D. nous sont adressés dans le cadre d’une injonction thérapeu-
tique suite à un signalement au procureur pour suspicion de maltraitance. En effet,
si la cause du décès de leurs deux enfants aînés à l’âge de 1 et 2 ans est connue, une
maladie neurodégénérative – les enfants étaient nés « avec des trous dans le cerveau »
– c’est la réaction des parents qui paraît suspecte et font craindre au personnel médi-
cal que les enfants aient été victimes de mauvais traitements. En effet, pas plus le père
que la mère n’ont exprimé la moindre tristesse lors des décès des enfants comme si ils
n’en étaient nullement affectés. De plus, leur troisième enfant, atteint de la même
maladie, est en pouponnière et les parents là encore ne semblent pas éprouver la
moindre tristesse. Plusieurs explications peuvent sans doute être données pour
tenter de comprendre l’attitude des parents. La première, à nos yeux évidente, est
que pour se protéger de la souffrance, les parents sachant que l’espérance de vie de
leurs enfants ne dépasse pas 2 ans, ne tissent aucun lien d’attachement avec eux.
Cependant, cette explication, pour valable qu’elle soit, n’est pas suffisante. En effet,
à l’occasion de la troisième grossesse, lors du diagnostic anténatal rendu possible par
les progrès de l’imagerie médicale, les parents ne se montrèrent pas accablés et refu-
sèrent d’envisager une interruption thérapeutique de grossesse. L’explication de leur
choix ainsi que de leur attitude face à de telles épreuves nous est donnée lorsque nous
les interrogeons sur leurs familles d’origine. Monsieur D., d’origine indienne, a choisi
de se marier avec madame D., française de souche, contre l’avis de sa famille. Celle-ci,
pour se venger d’une telle trahison, fit appel à un religieux qui leur jeta le sort suivant :
tous leurs enfants, jusqu’au cinquième, mourraient dans d’atroces souffrances !
Ainsi, pour conjurer ce mauvais sort, monsieur et madame D. se dépêchaient de
6 J.-P. Mugnier

concevoir ces cinq enfants qu’ils savaient condamnés d’avance pour enfin mettre au
monde un sixième enfant qui, lui, serait sain !
Le deuxième exemple, à nouveau emprunté à Anna Maria Sorrentino, montre cette fois
l’instrumentalisation de l’enfant et de sa maladie au sein de la famille nucléaire.
Alessandro est le troisième enfant d’une famille aisée. Ses deux sœurs aînées
sont déjà à l’école supérieure et font de leur mieux pour obtenir des résultats
brillants dans les études et dans le sport. Leur père en est fier, même s’il les
regarde grandir avec tristesse, en songeant au moment où elles s’éloigneront
de la famille.
Les époux Viola n’ont jamais souhaité avoir un garçon. Par conséquent,
quand Alessandro est né, trop tard et « par erreur », tous l’ont considéré
comme une entrave plutôt qu’une consolation. Sa mère, en particulier, l’a
ressenti comme un poids limitant son autonomie. L’enfant reste donc, pen-
dant ses premières années, en marge de la famille, confié à une vielle tante
veuve qui habite avec eux.
Les parents se préoccupent presque exclusivement de leurs filles et, de ce fait,
la vieille tante peut gâter tranquillement Alessandro, en lui accordant tou-
jours plus qu’il ne faut, jusqu’à en faire un enfant gros, paresseux et calme,
peu sociable et encore moins engagé dans le travail scolaire. Les époux Viola
désapprouvent les méthodes de la tante mais ils n’ont ni le courage ni l’envie
de se saisir de la vie d’Alessandro pour l’orienter différemment. Ce dernier est
tellement peu considéré que sa chambre est utilisée comme débarras pour y
entasser les choses désormais inutiles.
À l’âge de 7 ans, pendant une maladie exanthématique, Alessandro fait une
crise d’épilepsie violente. Les examens d’usage débouchent sur la prescrip-
tion d’une thérapie antiépileptique qui, pour pouvoir être dosée, requiert
l’observation attentive des réactions du sujet. La frayeur provoquée par la
crise, un certain sentiment de culpabilité et la nécessité de contrôler l’évolu-
tion clinique, entraînent des changements profonds au sein de la famille
d’Alessandro. La vieille tante, littéralement terrorisée, s’installe en marge de
la vie de l’enfant. La mère, partie depuis peu à la retraite, la remplace et impli-
que dans l’assistance au malade sa fille aînée, Elvira, âgée de 17 ans. Cette
dernière, qui traverse une période de déception due à des difficultés avec ses
camarades, accepte de passer davantage de temps à la maison. Les modestes
résultats scolaires de l’enfant deviennent motif d’appréhension pour les
parents et pour son enseignant qui les interprète désormais comme le signe
d’une lésion cérébrale. La mère, stimulée par l’enseignant qui demande un
suivi particulier, commence à s’occuper des devoirs d’Alessandro en lui
consacrant tout son temps libre. Le jeune garçon est ravi de l’attention qu’on
lui accorde et fait parfois semblant de ne pas comprendre, pour que sa mère
et sa sœur s’affairent autour de lui ; il n’en revient pas du fait d’avoir pu quit-
ter les habits misérables de « Cendrillon » pour revêtir ceux du petit prince.
Trop entouré, l’enfant perd progressivement toute autonomie et arrive à pro-
duire un travail seulement s’il est suivi individuellement. Ses devoirs devien-
nent le principal sujet de discussions entre sa mère, son enseignant et celui de
soutien scolaire qui lui a été attribué. Ces problèmes, le dosage de ses médica-
ments, sont évoqués, dans les conversations familiales bien plus fréquem-
ment que les bons résultats d’Elvira à l’école ou les coupes gagnées au tennis
par Sonia, son autre sœur. Tout cela ne semble pas réussir à Alessandro qui
L’annonce du handicap 7

devient de plus en plus plaintif, exigeant et insatisfait, mais on l’excuse et ses


troubles sont mis sur le compte de l’épilepsie.
Le neurologue essaye néanmoins de minimiser les problèmes de l’enfant et de
modérer l’appréhension de ses parents : les crises ne se sont pas répétées, les
EEG paraissent à peine altérés. Ce qui déconcerte le médecin est l’attitude des
deux adultes qui, au début de la maladie, montraient une certaine indiffé-
rence et qui paraissent, maintenant, complètement impliqués. Il ne sait pas
s’il doit s’en réjouir car les époux Viola donnent l’impression de lutter contre
l’idée que leur fils puisse guérir. En effet, chaque tentative d’espacer les
contrôles cliniques ou de réduire les dosages pharmacologiques se heurte à
une forte résistance.
Alessandro, de son côté, fait tout ce qu’il peut pour se montrer plus malade
qu’il ne l’est en réalité. Sa nervosité, devenue insupportable, vise surtout ses
sœurs. Le neurologue qui considère le comportement du jeune garçon comme
le fruit de conflits intrapsychiques, pense que cela exprime la jalousie de l’en-
fant à l’égard des succès de ses sœurs et demande aux parents d’encourager et
soutenir Alessandro, frustré par ses difficultés scolaires et la modestie de ses
performances.
Si le praticien avait observé la situation de plus près, il aurait, peut-être, refor-
mulé ses hypothèses. En effet, les jeunes filles ne mènent pas une vie de privi-
légiées. Depuis que Alessandro est devenu l’élément central de la famille, leur
travail scolaire est peu apprécié et leur liberté assez réduite. Elvira, qui a un
petit copain, doit batailler ferme avec sa mère pour pouvoir sortir pendant le
week-end car « on ne peut pas laisser Alessandro tout seul à la maison comme
un chien ». Les désirs de ce dernier ont désormais force de loi. La maladie du
garçon est utilisée par ses parents pour ralentir la croissance et l’émancipa-
tion de leur fille aînée. Alessandro se rend à peine compte de cela et, de toute
façon, n’en a cure ; il remarque seulement que son « rang » dans la famille a
augmenté énormément. Il peut faire tout ce qu’il veut et, si quelqu’un s’y
oppose, il lui suffit de se prendre la tête entre les mains, en montrant fatigue
ou douleur, pour obtenir ce qu’il désire. Le handicap, tel un paravent, a
caché derrière lui plusieurs stratégies de contrôle. Il a permis aux différents
« joueurs » de ne pas déclarer ouvertement leurs intentions. Le désir
­d’Alessandro d’être pris en considération, le désir des époux Viola de retarder
l’émancipation de leurs filles, la crainte initiale d’Elvira face à ses problèmes
de socialisation et de croissance, le probable besoin inexprimé de la mère
d’avoir un rôle maintenant que les filles ont grandi, tout cela a donné pro-
gressivement à la maladie une importance stratégique au sein de cette
famille.

Réflexions conclusives
À partir de ces différents exemples, il est possible d’avancer quelques réflexions, quel-
ques questions afin d’envisager la nature de l’aide qu’il convient de proposer à la famille.
Tout d’abord il est important de se renseigner sur la composition de la famille, savoir
qui vit sous le même toit, quelles sont les personnes ressources potentielles… Ensuite, il
convient d’évaluer la demande d’aide : qui est le plus préoccupé ou le plus impliqué
dans la prise en charge de la personne handicapée, quel est le point de vue de chacun
des parents sur la « conduite à tenir » avec le sujet handicapé ? Y a-t-il des frères et sœurs,
8 J.-P. Mugnier

présentent-ils un malaise, une souffrance liée au handicap d’un des leurs ? Comment le
réseau social, les amis, l’école mais aussi les familles d’origine réagissent-elles face au
handicap ? Un dernier point enfin, qui s’avère souvent essentiel : quel impact la réédu-
cation aura-t-elle sur l’organisation familiale. En effet, bien souvent, ce qui pour les
soignants apparaît comme le devoir naturel d’un parent, d’un frère ou d’une sœur –
faire preuve de solidarité à l’égard d’un être que le destin n’a pas épargné – est souvent
synonyme de renoncement à soi-même.
Un tel renoncement peut être à l’origine d’une souffrance psychique importante mais
souvent inavouable et donner naissance à des processus relationnels intrafamiliaux qui
à leur tour créeront d’autres souffrances.

Références
1. Attili G. Attaccamento e costruzione zvoluzionstica della mente. Milano : Raffaello Cortina Editore ;
2007.
2. Fiat E. Grandeurs et misères des hommes, petit traité de dignité. Paris : Larousse ; 2010.
3. Mugnier JP. Les stratégies de l’indifférence. 5e éd. Paris : Fabert ; 2008.
4. Sorrentino A. L’enfant déficient. Paris : Fabert ; 2007.
La famille face à la lésion cérébrale
F. Beuret-Blanquart1, J.-L. Le Guiet2, J.-M. Mazaux3
1. CRMPR Les Herbiers, 76230 Bois-Guillaume.
2. Centre mutualiste de rééducation Kerpape, B.P. 78, 56275 Lorient.
3. EA 4136 Handicap et système nerveux, université Victor-Segalen Bordeaux 2,
33076 Bordeaux cedex.

Les familles sont organisées comme des systèmes basés sur le sentiment d’apparte-
nance et la solidarité, dont le but est l’éducation et le bonheur des enfants. Ses
membres en partagent une représentation commune, le modèle, ou mythe familial.
Chaque famille a son propre modèle et ses règles de fonctionnement qui condition-
nent la coévolution des individus qui les composent. Tout événement, en particu-
lier dramatique comme un traumatisme crânien, va avoir une influence sur
l’ensemble, provoquant une crise que le système familial va essayer de résoudre avec
ses propres ressources. Les règles qui régissaient la famille sont remises en question
plus particulièrement du fait des séquelles cognitives et comportementales. Ces
séquelles en elles-mêmes et l’incertitude quant à leur évolution déstabilisent le sys-
tème. L’anxiété, la dépression, la fatigue, le déni et la colère en sont les manifesta-
tions les plus courantes. Les divers sous-systèmes qui composent la famille,
notamment le couple, les parents, les grands-parents et la fratrie, réagissent chacun
de façon spécifique. Les professionnels, qui constituent un système d’inclusion,
peuvent involontairement ajouter à la souffrance des familles. La crise va avoir un
puissant impact sur les liens qui existent à l’intérieur de la famille et sur leur évolu-
tion au fil du temps. La prise en compte de ces phénomènes est indispensable à la
construction du projet de réadaptation et réinsertion des personnes victimes de
lésion cérébrale.
« Ce n’est pas une généalogie génétique, juridique, ni biologique, mais une
généalogie de la parole qui fait que l’on nomme quelqu’un son fils. »
J. Pohier
La famille est, avec le patient lui-même, le premier et principal interlocuteur du pro-
jet de soin MPR (médecine physique et réadaptation). On ne devrait d’ailleurs pas
dire le patient et la famille, comme s’il s’agissait de deux entités distinctes, puisque le
patient est dans la famille, il est l’un des éléments du système familial. Prendre en
compte les dysfonctionnements familiaux qui résultent de la maladie est donc une
dimension fondamentale du projet de réadaptation et réinsertion. Et, parmi les affec-
tions sources de handicap, la lésion cérébrale est peut-être celle qui perturbe le plus
la famille, du fait des déficiences cognitives et des modifications des émotions et du
comportement qu’elle entraîne. Les troubles cognitifs déroutent, les modifications
des émotions et du comportement dérangent. La famille dysfonctionne face à l’at-
teinte du cerveau.
10 F. Beuret-Blanquart, J.-L. Le Guiet, J.-M. Mazaux

Le système familial
La famille, « ensemble des personnes ayant des liens de parenté », est un puissant sys-
tème (du grec systema, ensemble organisé) d’appartenance dont le but est l’éducation et
le bonheur des enfants. Dans les systèmes d’appartenance, la relation du sujet au sys-
tème repose sur la solidarité et le partage d’un ensemble de références et de valeurs
communes aux membres du système. L’intégration au groupe est formalisée par des
rituels bien spécifiques. Le sujet s’en trouve valorisé, reconnu et accepté dans sa singu-
larité, son caractère unique. Le système vise à préserver de la banalisation, à construire
l’identité et favoriser l’épanouissement de ses membres. Malgré l’adage « on choisit ses
amis, on ne choisit pas sa famille » chanté par Maxime Le Forestier, on s’aperçoit aisé-
ment que l’organisation de la famille répond bien à ces critères. Ses membres en parta-
gent une représentation commune, c’est le modèle, le mythe familial. Les rituels
d’appartenance familiaux : naissances, baptêmes, anniversaires, repas de famille, obsè-
ques d’un membre sont autant d’occasions de manifester sa solidarité et son adhésion
au mythe familial. Si l’appartenance fonde ainsi l’identité, l’identité fonde aussi l’ap-
partenance, il existe entre ces entités une récursivité qui se traduit pour chacun des
membres en termes de liens, et en termes de coconstruction de l’évolution de ces liens
dans le temps. De sorte qu’un programme de soin MPR proposé aux patients trauma-
tisés crâniens ne peut avoir l’ambition d’aider à la reconstruction de l’identité, s’il ne
s’articule pas avec un travail auprès du groupe d’appartenance familial.
Le système familial assure une coévolution des membres qui le constituent. Cette orga-
nisation a une fonction structurante interne, un ordre relationnel qui crée une stabilité
et une prévisibilité dont bénéficient tous ses membres. C’est cet ordre relationnel, cette
stabilité et cette prévisibilité que vient rompre le traumatisme crânien.

La détresse des familles face à la survenue


d’un traumatisme crânien
La souffrance des familles
Trente à 50 % des proches d’un patient traumatisé crânien ressentent une profonde
détresse [11,12,16]. La souffrance des proches se traduit par de l’anxiété, de la dépres-
sion, du stress chronique, un sentiment d’épuisement, de solitude, parfois de colère ou
de déni [6]. Dépression et anxiété, ainsi qu’altération de la qualité de vie sont souvent
au premier plan [17]. Selon les études citées par Destaillats [6], la prévalence de la
dépression va de 25 à 39 % en fonction des séries et du délai par rapport au trauma-
tisme crânien. La colère et la fatigue seraient plus fréquentes chez les hommes [18]. La
colère est souvent en rapport avec l’incompréhension des troubles cognitifs et compor-
tementaux et parfois la dénégation de ces troubles (« il ne fait pas d’efforts »). Les pro-
ches ont une conscience des troubles plus importante que celle des patients, même à
distance du traumatisme, et ce décalage dans la perception des troubles augmente la
souffrance des familles [17]. Des facteurs psychodynamiques interviendraient aussi :
réduction ou faible efficacité des processus psychologiques d’ajustement à la situation
(coping), non-achèvement des processus de deuil, rupture dans la continuité de l’His-
toire de la personne. Plus qu’avec les troubles comportementaux eux-mêmes, le niveau
d’insatisfaction des proches serait corrélé avec le niveau de participation à la vie
sociale comme le montre l’étude de Winstanley [23] faite chez 134 sujets. La détresse
familiale augmente avec le temps [6,9,10], parallèlement à l’isolement social et à la sur-
venue de conflits. Dix à 15 ans après le traumatisme, ce sont les troubles cognitifs et
La famille face à la lésion cérébrale 11

comportementaux qui restent les plus difficiles à supporter [21]. Dans les situations les
plus graves où le patient reste en état végétatif ou paucirelationnel, les familles (sou-
vent les parents) peuvent réagir par une abnégation et se consacrer exclusivement à leur
enfant, laissant de côté leur vie de couple et leur vie sociale [8].

Les facteurs influençant la détresse des familles


Plus que la sévérité du traumatisme initial [21,22], ce sont les séquelles du traumatisme
crânien et leur type qui vont être déterminants. Les séquelles cognitives et comporte-
mentales et les changements de style relationnel sont habituellement plus difficiles à
supporter pour les familles que les séquelles physiques. L’anosognosie, la rigidité com-
portementale, l’apathie, la lenteur, le manque de contrôle, la labilité de l’humeur, l’irri-
tabilité, les troubles mnésiques sont, parmi les plaintes des proches, celles qui reviennent
le plus souvent. La dépression des proches est plus fréquente dans ces situations
[11,12].
Les relations et la vie sociale sont perturbées. Redoutant la survenue de comportements
inadaptés voire offensants pour des personnes rencontrées, redoutant aussi le regard
(et parfois les propos) réprobateur ou disqualifiant, les familles réduisent les sorties, les
activités sociales avec leur proche traumatisé crânien. Elles se sentent isolées, prisonniè-
res [14]. D’autres facteurs interviennent, notamment les contraintes financières, qui
s’accroissent avec le temps, la complexité des démarches administratives et juridiques
(notamment quand il existe une dimension médicolégale) et la réduction des loisirs et
du temps libre pour soi (restrictions de la participation au sens de la CIF).

Familles et professionnels
À la différence des systèmes d’appartenance, il existe des systèmes dits d’inclusion, où
les relations entre les éléments et le système reposent sur un axiome de sélection selon
un critère donné. Le système d’inclusion vise à imposer un ordre, une nosologie, à divi-
ser le réel en catégories. Dans ce type de système, la relation est imposée au sujet, il n’est
pas visé personnellement, mais il n’y a pas de solidarité ni d’engagement intime, il y a
donc une réification de l’élément dans sa relation à l’ensemble dans lequel il est inclus.
L’Armée à l’époque du service militaire obligatoire, l’Éducation nationale (classement
par âge et niveaux d’apprentissage), l’Hôpital (classement par symptôme et maladie), la
Sécurité sociale (classement par numéro d’identification) sont des systèmes d’inclu-
sion. Et, même si certaines équipes de rééducation aiment à penser qu’elles fonction-
nent « comme une grande famille », on démontre facilement que la ressemblance n’est
qu’apparente, et qu’en fait un groupe de professionnels salariés d’une institution fonc-
tionne comme un système d’inclusion. Ce type d’organisation est important à considé-
rer dans le soin MPR, car les systèmes d’appartenance ont des difficultés à fonctionner
lorsqu’ils confrontés à des systèmes d’inclusion, et réciproquement. À la détresse géné-
rée dans la famille par la lésion cérébrale vont donc s’ajouter d’autres difficultés liées
à la rencontre de deux systèmes d’organisation et de logique différentes.
Certaines familles se plaignent donc de difficultés relationnelles avec les équipes de
rééducation. La compétence professionnelle et technique de celles-ci est rarement mise
en cause, mais de multiples situations du quotidien sont sources de tensions, de malen-
tendus voire de conflits : horaires de visite et d’appels téléphoniques, difficulté ou
impossibilité d’assister aux séances de rééducation, information trop lente des résul-
tats d’examens biologiques ou d’imagerie, manque de concertation et association aux
décisions concernant leur proche, manque de disponibilité du personnel et des
12 F. Beuret-Blanquart, J.-L. Le Guiet, J.-M. Mazaux

­ édecins pour écouter la souffrance des familles, leurs inquiétudes. La réserve pru-
m
dente des médecins ou l’honnête aveu d’ignorance vis-à-vis du pronostic final est une
autre cause de souffrance des familles, c’est le célèbre : « On ne nous a rien dit. »
Les relations des familles avec les professionnels s’espacent aveu le temps, entraînant
un sentiment d’abandon à la fin de la période de rééducation en hôpital ou en centre.
Le rôle du milieu associatif est à ce niveau irremplaçable.

Les sous-systèmes familiaux


Tous les membres de la famille ne vont pas réagir de la même façon. Car la famille est
aussi un système complexe au sens étymologique du terme (du latin cum, signifiant
« avec » et plexus signifiant « nœuds »), caractérisé par de nombreuses interactions entre
les éléments et les sous-systèmes qui le composent, et doté d’une dynamique propre. Au
sein du système familial coexistent plusieurs sous-systèmes qui se définissent selon les
générations et les rôles de chacun [3]. Le couple constitue le noyau de la famille, sa
finalité est la fonction parentale. Ce rôle parental est le pivot autour duquel vont
s’articuler les différents sous-systèmes : fratrie, grands-parents, « belles-familles ».
L’organisation des rôles et des fonctions et les modalités d’échanges interpersonnels
dépendent de l’histoire, des liens et des conflits qui existaient parfois de façon latente.
Chaque sous-système est affecté en lui-même, mais aussi au regard des liens qui l’unis-
sent aux autres. De sorte que la souffrance et la détresse des familles confrontées au
traumatisme crânien vont se manifester relativement au fonctionnement de la famille
et aux rapports qui existent entre les différents sous-systèmes qui la composent.

Le sous-système conjugal
Par rapport aux autres sous-systèmes, le couple n’est pas déterminé par le lignage (la
parenté). Il se crée à partir d’une rencontre ; il est le rapprochement de deux trajets de vie,
l’aboutissement d’un choix qui peut être remis en question à tout moment, contraire-
ment à la famille dont le lien ne peut être dissous. À notre époque, on ne choisit peut-être
pas sa famille, mais on choisit son couple ; le lien est libre, se fondant sur l’amour et non
sur le devoir. Le couple partage et fusionne et, même si ses sentiments vont évoluer, il se
projette dans l’avenir et dans la durée ; il va construire son histoire personnelle, connue de
lui seul. Dans cette relation, chacun garde cependant son autonomie et préserve sa liberté
individuelle. Le couple peut être un système indépendant s’il n’a pas d’enfants. Il devient
un sous-système du système familial qu’il a construit lorsqu’il en a.
Les liens qui unissent le couple sont profondément modifiés par le traumatisme crâ-
nien ou d’autres lésions cérébrales. Les troubles comportementaux et cognitifs font
que le conjoint ne reconnait plus le partenaire qu’il avait choisi. Le lien amoureux qui
unissait le couple est mis à mal et le fonctionnement du couple va être ébranlé, parfois
inversé. Les épouses sont davantage victimes de détresse psychologique que les mères
[9,11,12,14,18]. Elles sont particulièrement touchées car elles sont souvent les aidants
principaux ; elles ressentent des sentiments de perte, d’ambiguïté par rapport au
divorce, de frustration, de sensation d’injustice, d’ennui. L’intimité et les relations
sexuelles sont perturbées. Par rapport aux autres sous-systèmes familiaux, les épouses
et compagnes sont les plus exposées à la dépression. Cependant, il semble que les divor-
ces ne soient pas plus fréquents [13]. Étudiant une série de 977 sujets victimes d’un
traumatisme crânien modéré à sévère, Arango-Lasprilla [2] met en évidence un taux de
divorce de 15 % dans les 2 années suivant le traumatisme ; le jeune âge, le caractère vio-
lent du traumatisme et l’atteinte modérée sont des facteurs prédictifs de divorce. Les
La famille face à la lésion cérébrale 13

épouses éprouvent peut-être un sentiment de devoir vis-à-vis de leur époux du fait de


l’importance des séquelles. Pour Mauss-Clum [15], les épouses se sentent prisonnières
(42 %), se sentant mariées mais sans avoir un mari (42 %), ou encore ayant l’impression
d’être mariée à un étranger (32 %).
L’histoire personnelle du couple va déterminer la façon dont la relation va évoluer après
le traumatisme crânien. Le lien qui unit le couple peut se consolider mais il peut aussi
se rompre. Les soignants sont dans l’ignorance de cette évolution. Dans ce chemine-
ment, le rôle des autres sous-systèmes (enfants, parents) est loin d’être neutre, exerçant
des pressions tant vers le maintien que vers la rupture.

Le sous-système parental
Il se distingue du précédent par le rôle parental de protection et d’éducation des enfants
qui est en dehors du lien conjugal. Ce rôle parental n’est pas seulement individuel ; il
existe en effet une coresponsabilité avec l’autre parent. Le sous-système parental va évo-
luer au fur et à mesure que l’enfant grandit.
Lors de l’accident, le rôle parental est très rapidement perturbé, les enfants repérant
très vite les séquelles du parent traumatisé crânien. L’autre parent va tout d’abord
essayer de protéger son conjoint et lui laisser sa place, mais il va rapidement se sentir
seul pour prendre les décisions éducatives qu’il partageait auparavant. Les troubles que
présente le conjoint traumatisé crânien le rendent indifférent ou lui font prendre des
positions non adaptées, parfois agressives en tous cas souvent imprévisibles et incom-
préhensibles. Le conjoint non traumatisé crânien se trouve dans une situation difficile,
voulant ménager son conjoint sans pouvoir cautionner son attitude indifférente, illo-
gique voire violente. Le conjoint traumatisé crânien peut vivre cela de façon doulou-
reuse, et y réagir par une attitude agressive. Il est bien sûr important de préserver chez
l’enfant l’image parentale en essayant de lui expliquer le rôle que la lésion cérébrale
peut jouer dans l’attitude de son parent.
Les parents semblent davantage perturbés par les troubles cognitifs que par les trou-
bles du comportement [1,12,21]. Les pères sont dans la fatigue et la colère, les mères
dans la tristesse et la résignation [18]. Les parents d’enfants jeunes ont une plus grande
détresse si leur enfant a un faible niveau scolaire, peu ou pas d’amis, ne sait pas contrô-
ler sa colère ou est apathique [19]. Les attitudes éducatives sont changées : lorsque le
traumatisme crânien survient chez le jeune enfant, Yeates [24] observe une plus grande
permissivité et moins d’autorité envers les enfants qui ont eu un traumatisme crânien
sévère par rapport à ceux qui ont eu un traumatisme crânien léger ou modéré ou ceux
qui ont eu un traumatisme orthopédique.

Le sous-système des grands-parents


Les grands-parents ont été les parents d’un enfant devenu adulte qui présente un trau-
matisme crânien. Souvent, ils redeviennent parents et se posent en protecteurs face à
un conjoint qui, à leurs yeux, a une emprise sur celui qui est pour eux toujours leur
enfant. Dans le cas où le couple éclate, les grands-parents reprennent complètement
leur rôle de parent, alors qu’ils n’ont plus toutes les aptitudes éducatives (âge, perte
d’autorité) et doivent faire face au vieillissement. Cependant, la relation qu’ils avaient
eue avec leur enfant leur permet souvent d’obtenir des résultats comportementaux dif-
férents. Les parents se sentent souvent plus engagés que le conjoint. Vis-à-vis de leurs
petits-enfants, l’attitude peut être ambivalente : protection mais aussi souhait que
ceux-ci prennent leur relais auprès de leur parent.
14 F. Beuret-Blanquart, J.-L. Le Guiet, J.-M. Mazaux

Le sous-système des enfants


Peu de travaux étudient l’impact du traumatisme crânien d’un parent sur les enfants.
Une étude chez quatre enfants dont le père a été victime d’un traumatisme crânien
montre que les enfants présentent des troubles comportementaux et affectifs [4] : iso-
lement social, peur de la désintégration familiale et violence. En fait, les enfants vont
être impliqués à différents niveaux en fonction du temps.

n À la phase initiale où, sous le choc de l’annonce de l’accident, la préoccupation


est principalement celle du pronostic vital, l’enfant est souvent mis à l’écart, pro-
tégé et/ou passant au second plan. À ce stade, il gère son angoisse seul ; il est
souvent soutenu (ou pour le moins pris en charge) par ses grands-parents ; il
peut trouver une aide au sein de sa fratrie. Cette phase peut se prolonger pen-
dant toute la période de rééducation, jusqu’au retour à la maison.
n Lors des retours à domicile en fin de semaine et surtout au retour définitif du

parent traumatisé crânien, l’enfant va prendre conscience de la transformation


de son parent et du déséquilibre dans le couple parental. Il va tenter de retrouver
le fonctionnement parental antérieur en s’efforçant d’obtenir de son parent
traumatisé crânien les comportements antérieurs. Dans cette tentative, il va,
dans une attitude qui peut être vue comme provocatrice, essayer de stimuler son
parent traumatisé crânien. Dans le même temps, il va souvent être raisonnable
pour ne pas ajouter du souci à ses parents et cette attitude peut aller jusqu’à
prendre une attitude de parent, s’occupant du parent traumatisé crânien et pro-
tégeant son parent sain et ses frères et sœurs.
n Lorsqu’il va prendre conscience du fait que le retour à l’état antérieur n’est pas

possible, l’enfant va s’engager dans des stratégies de transformation [8]. Ces stra-
tégies sont individuelles et peuvent revêtir différentes formes. L’enfant peut se
replier sur lui-même et souffrir sans l’exprimer. Il peut aller chercher un soutien
en dehors de sa famille. Il peut s’éloigner et vivre en dehors du foyer. Il va se déve-
lopper seul, cherchant à se protéger mais souffrant de carences d’identification
et de construction de la personnalité. Ces troubles vont être d’autant plus impor-
tants que l’enfant est jeune au moment de l’accident.

Le sous-système fratrie
Le sous-système fratrie est une entité à part entière qui ne peut se réduire au lien
parental [20]. Certes, le lien fraternel se construit à partir du sous-système parental
(dimension intergénérationnelle) mais il a son autonomie et fonctionne au moins par-
tiellement en dehors du regard des parents (dimension intragénérationnelle). Chaque
fratrie a sa dynamique propre. Elle va subir les événements et se réorganiser (renforce-
ment du lien, séparation, rejet, violence…). Des rivalités antérieures peuvent être exacer-
bées ou le lien peut au contraire être renforcé. Les frères et sœurs d’un jeune traumatisé
crânien se sentent souvent mis de côté « victimes oubliées ». L’impact de la situation
peut être négatif ou positif pour leur évolution [5].

Conclusion
Ainsi, sous les yeux des professionnels ou à leur insu, mais toujours en interaction avec
ceux-ci, des changements de rôle et des jeux relationnels complexes vont se produire au
La famille face à la lésion cérébrale 15

sein de la famille. Le système familial évoluera et sortira transformé de cette crise. La


prise en compte de ces phénomènes est indispensable à la construction du projet de
réadaptation et réinsertion des personnes victimes de lésion cérébrale.

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La souffrance et les attentes
des familles
M.-C. Cazals1
1. UNAFTC, 32, rue de la Colonie, 75013 Paris.

Chaque famille, quand elle existe, est unique. Chaque blessé est unique. Chaque trajec-
toire de vie est unique. Cependant, les familles souhaiteraient être informées dès le
début sur l’état de leur blessé, qu’on leur formule des incertitudes de pronostic sans
briser l’élan vital qui les porte, qu’on les accompagne avec leur blessé, qu’on les écoute,
qu’on leur distille une information adaptée, mesurée et progressive. Lors du retour à
domicile, elles souhaiteraient être guidées par un service d’accompagnement, elles sou-
haiteraient trouver des structures « d’accueil temporaire » pour souffler quand cela est
nécessaire. Elles souhaiteraient un réel dialogue avec les professionnels, établir avec eux
des relations de confiance et de respect mutuel. Elles souhaiteraient que soient respec-
tées leurs souffrances sous quelque forme que ce soit. Elles souhaiteraient être asso-
ciées aux décisions quant à l’avenir et au projet de vie de leur blessé. Elles souhaiteraient
la constitution, sur tout le territoire, de véritables réseaux et filières coordonnés qui
permettraient d’assurer le suivi sur le long terme des blessés, évitant les ruptures de
prise en charge, la multiplication des consultations, bilans et rendez-vous, démarches
administratives. Elles souhaiteraient une prise en charge du traumatisé crânien qui
serait globale, holistique et pragmatique. Mais cette théorie très séduisante n’est pas
toujours mise en pratique faute de moyens et de volonté. Et dans les AFTC, nous voyons
encore arriver des familles qui n’ont pas ou peu reçu d’informations sur le traumatisme
crânien et ses séquelles, qui n’ont pas été prises en charge correctement, auxquelles n’a
pas été proposé de réel suivi de leur blessé sur le long terme. C’est tout un accompagne-
ment de la famille qu’il s’agit de mettre en place, à la fois pour l’aider à mieux compren-
dre ce qui se passe pour elle et pour son proche, ainsi que pour faciliter un détachement
par rapport à une souffrance envahissante qui vient entraver les possibilités d’épa-
nouissement des uns et des autres et entraver le travail des professionnels. Mais c’est
aussi parallèlement tout un programme d’accompagnement des cérébrolésés qu’il faut
proposer à la famille : scolarité adaptée, séjours de vacances, accueil temporaire, héber-
gement, logement supervisé, SAMSAH, MAS, ESAT, FAM, emploi adapté, etc., avec des
passerelles aménagées entre ces différentes prises en charge.
L’action concertée entre les différents acteurs que sont les pouvoirs publics, les établis-
sements et services, les professionnels, les AFTC, les blessés et leurs familles à l’intérieur
de réseaux et de filières coordonnés constitue la condition fondamentale pour que les
personnes victimes d’un traumatisme crânien puissent élaborer un nouveau projet de
vie réaliste, et pour que leurs familles puissent se détacher de leur souffrance et vivre
pourtant.
Que dire des attentes de toutes les familles que nous côtoyons dans les associations de
familles de traumatisés crâniens et cérébrolésés (AFTC) ? Que dire de leur souffrance et
La souffrance et les attentes des familles 17

de leurs attentes si différentes selon la proximité ou l’éloignement de la date de l’acci-


dent ? Selon leur capacité à appréhender les difficultés ? Selon leur histoire ?
Et puis, de quelles familles parle-t-on ?
La famille surprotectrice, la famille abandonnique, la famille éclatée, la famille soudée, la
famille monoparentale, la tribu, la famille dépassée, la famille anéantie, la famille avide de
comprendre, d’apprendre et d’être à l’écoute, la famille qui vit dans le déni, la famille intel-
lectuelle, la famille terrienne, la famille active, la famille passive, la famille contemplative
qui laisse faire le temps, la famille qui observe et analyse, la famille qui fonce, la famille qui
s’investit trop, parfois pas assez, la famille qui veut tout assumer seule. On parle de toutes
ces familles, mais je n’ai pas la prétention de représenter toutes les familles.
Le traumatisme crânien entraîne un handicap spécifique qui nécessite une approche
spécifique. Chaque lésion est unique. Chaque blessé est unique. Chaque trajectoire de
vie est unique. Chaque famille est unique et aura donc une prise de conscience, des
attentes et des besoins spécifiques, ainsi qu’une souffrance qui lui sera propre. Les
bénévoles des AFTC mais aussi les professionnels des établissements et services doivent
avoir toujours à l’esprit ce postulat, afin de pouvoir accompagner chaque blessé et leur
famille dans une histoire singulière.

Le traumatisme crânien : quand l’accident survient


Cela n’arrive pas qu’aux autres, vous ne pensiez jamais que cela pourrait se produire un
jour. Mais, voilà, c’est arrivé. Quelqu’un de votre famille ou de votre entourage vient de
subir un accident de la voie publique ou de la vie Il est question d’un choc à la tête, d’un
traumatisme crânien, de lésions au cerveau. Rares sont les personnes qui sont prépa-
rées à faire face à une telle situation. Cet accident vous brise au moment où vous vous
y attendez le moins. Vous projetiez un voyage, l’achat d’une voiture, avoir un autre
enfant, redécorer votre appartement, changer de travail… D’une minute à l’autre tout
bascule, c’est le choc, l’effroyable douleur, l’irréparable. Vous ne le savez pas mais vous
le sentez, rien ne sera plus jamais comme avant. C’est le 19 mars 1988 que je suis deve-
nue famille de traumatisé crânien à la suite d’un accident de la voie publique dont fut
victime mon fils Vincent, alors âgé de 6 ans. (Un petit garçon merveilleux qui est une
partie de ma vie.) Oui, Vincent fut un des 3000 cas de traumatisme crânien grave de
l’année 1988.
J’ai été présidente de l’AFTC Languedoc-Roussillon pendant 10 ans, je suis vice-prési-
dente de l’UNAFTC depuis 12 ans, bénévole au service des traumatisés crâniens et de
leurs familles par militantisme. Je suis là aujourd’hui pour représenter ces familles et
leurs blessés que nous recevons dans les 51 AFTC départementales ou régionales et avec
lesquelles nous partageons douleurs, souffrances, angoisses, attentes, désespoir mais
quelquefois aussi espoir, joies, entraide et soutien.

Le choc
L’annonce de l’accident et du coma qui s’ensuit plongent d’emblée la famille dans un
état de choc terrible. Deux questions l’oppressent : va-t-il vivre ? Quand va-t-il se
réveiller ? Une autre question : comment va-t-il se réveiller ?, viendra bien plus tard.

Le coma et l’éveil, une formidable période d’espoir


Le coma représente paradoxalement une formidable période d’espoir pour l’entourage
du blessé mais aussi une interminable période d’attente et l’apprentissage de la patience.
18 M.-C. Cazals

Le retour au domicile, période d’euphorie


Après l’accident, l’hospitalisation, la rééducation, la famille souhaite ardemment le
retour au domicile du blessé, le blessé l’attendant lui-même avec beaucoup d’impa-
tience. Inconsciente, non avertie, n’écoutant pas, n’entendant pas, ne recevant pas le
discours des équipes soignantes, la famille est persuadée qu’elle seule saura, par la force
de son amour, aider, sécuriser et stimuler le blessé pour lui permettre de se réinsérer, de
redevenir celui qu’il était avant l’accident. Elle mobilise toute son énergie pour un
sprint final, alors que c’est un marathon qui l’attend… De toute façon, celles qui sou-
haiteraient une solution d’aide ou d’accompagnement ne la trouvent pas toujours. La
famille vit alors une formidable période d’euphorie et d’harmonie qu’implique tou-
jours le retour du blessé à domicile. C’est une période de récupération d’un certain
nombre de fonctions intellectuelles, motrices, sensorielles, toujours fêtée et source de
bonheur.

La prise de conscience, période critique source de souffrance


Pourtant, à partir d’un certain temps, les choses vont devenir nettement plus dif-
ficiles et/ou même se détériorer sérieusement. Le moment critique se situera au
stade où les progrès du traumatisé crânien se ralentissent ou plutôt celui où la
famille perçoit ce ralentissement et sent qu’il lui faut faire le deuil d’un rétablisse-
ment complet. La famille découvre les limites de ses possibilités. Il lui faut se rési-
gner à admettre que même si des progrès lents sont encore possibles sur de longues
années, le blessé gardera sans doute toujours des séquelles sérieuses qui compro-
mettront sa réinsertion sociale, scolaire ou professionnelle, et que sa personnalité
restera profondément altérée. Ce moment se situe le plus souvent 2 ans après l’ac-
cident, quelquefois plus, à une période où la famille n’est pas toujours soutenue
par les professionnels. C’est la phase la plus critique pour la famille et la plus dan-
gereuse pour son équilibre. Cette prise de conscience peut provoquer le désespoir,
l’agressivité envers les professionnels, parfois l’abandon du blessé, en tout cas une
baisse d’énergie de la famille. À partir de là, toutes sortes de relations vont se
détériorer.

Les relations au sein de la famille


Le traumatisme crânien est déroutant pour l’entourage. Angoisse, détresse et désarroi
conduisent les membres de la famille à adopter des attitudes très diverses où peuvent
se mêler le déni, l’espoir, l’ambivalence des sentiments face à une crise existentielle
dont la signification est différente selon qu’il s’agit de son conjoint, de son fils ou de
sa fille, de son frère ou de sa sœur, de son père ou de sa mère.

Les relations entre les deux parents et la fratrie


(si le traumatisé crânien est un enfant)
Il n’y a pas nécessairement coïncidence entre le moment de la prise de conscience,
­l’appréciation des conséquences pratiques et des choix qu’il convient de faire et cela
entraîne souvent des tensions. Le divorce des parents après que leur enfant a subi un
traumatisme crânien n’est pas rare. Les frères et sœurs, s’il y en a, ressentent le désarroi
de leurs parents, ils se sentent en marge ou exclus de cette famille où tout tourne autour
du blessé. Suite à cela, ils peuvent se protéger par des attitudes ou des comportements
déviants allant de la passivité à la mise en danger.
La souffrance et les attentes des familles 19

Les relations avec le conjoint et les enfants


(si le traumatisé crânien est un conjoint)
Si le traumatisé crânien était marié, le conjoint aura l’impression d’avoir perdu la per-
sonne qu’il avait choisie et de se retrouver dans l’intimité d’un étranger. Il aura les plus
grandes difficultés avec ses beaux-parents qui se sentent à nouveau responsables de
leur enfant même si celui-ci a 30 ou 40 ans. Il faudra alors aménager une nouvelle dis-
tribution des rôles. Dans la majorité des cas, le couple ne tient pas plus de quelques
années après l’accident et les enfants risquent d’être perturbés le reste de leur vie. Les
liens de filiation et de fraternité connaîtront des crises, mais en général ils résistent
mieux que les précédents à cette altération de la personnalité du traumatisé crânien.
Après tout, lors de sa naissance, ses parents l’avaient accueilli comme il était sans avoir
pu choisir la couleur de ses yeux.

Le traumatisé crânien, cet être ni tout à fait le même


ni tout à fait un autre
La survenue de l’accident implique le plus souvent une redistribution des rôles et de la
place de chacun. Un nouveau partage des tâches et des responsabilités s’impose pour
pallier les conséquences des troubles apparus chez un membre du groupe familial,
troubles face auxquels la famille se sent terriblement démunie. La famille doit appren-
dre à vivre avec la nouvelle personne qu’est devenue le blessé, c’est-à-dire qu’elle doit
renoncer à une partie des projets qu’elle avait formés avec et pour le blessé (études,
situation, voyages, avenir…). Elle se trouve confrontée à un contexte difficile qui affecte
de nombreux aspects de son existence : psychologique, matériel et familial.
Aux difficultés pratiques :

n existe-t-il un médecin compétent pour assurer le suivi médical ?


n existe-t-il un service de soins à domicile ?
n comment et où assurer la réinsertion scolaire ou professionnelle ?

n comment préserver l’avenir matériel du blessé ?

n le jour se lève, que va-t-on faire aujourd’hui, demain avec notre blessé ? Et tous

les autres jours…

s’ajoutent l’assistance et la surveillance du blessé, avec toutes les notions de devoir qui
accompagnent cette tâche pour la famille et les sentiments de dépendance et de frustra-
tion qu’elles entraînent chez le blessé.
Une réelle difficulté complique encore la situation : quel comportement adopter face à
des attitudes qui dérangent et déroutent, telles que la perte de motivation, la perte
d’intérêt aux choses de la vie, la passivité, l’intolérance aux frustrations, l’instabilité, la
désinhibition, la perte de contrôle de soi, le défaut d’autocensure, l’agressivité, la len-
teur, la difficulté de communiquer ou la mémoire défaillante ? N’ayant pas toujours de
réponse concrète de la part des professionnels, la famille peut se sentir démunie. Elle a
quelquefois le sentiment que les problèmes s’accumulent sans résolution aucune, elle
s’isole car personne ne semble la comprendre. Et lorsque, à l’association, nous rencon-
trons ces familles pour la première fois, nous avons le sentiment d’être une bouée de
sauvetage à laquelle elles vont s’accrocher désespérément pour essayer de surnager au
milieu d’un océan hostile.
20 M.-C. Cazals

Heureusement ces situations évoluent : sous la pression conjointe de l’UNAFTC, de


France Traumatisme Crânien, de professionnels et grâce à l’écoute des pouvoirs
publics, nous avons obtenu la création des UEROS, de FAM, CAJ, MAS, SAMSAH,
d’ESAT, de services de suite, de scolarité adaptée. Mais l’offre est encore inégalement
répartie sur le territoire et peu adaptée aux handicaps les plus lourds, pour faire face
à la demande et éviter dans certains cas les ruptures de prise en charge si préjudiciables
à l’évolution du traumatisé crânien et à l’équilibre de la famille.
Il faut vivre au jour le jour avec un traumatisé crânien pour comprendre ce que cela signi-
fie. Ceux qui n’ont pas fait cette expérience n’imaginent pas, ne savent pas, ne connais-
sent pas, ne peuvent pas parler de ce qu’il est impossible de décrire avec des mots.

Familles, traumatisés crâniens, professionnels,


interactions et attentes : le constat
La famille confrontée aux séquelles des lésions cérébrales acquises
Il est certain que la survenue inattendue d’un accident quel qu’il soit conduisant à un
traumatisme crânien bouleverse à plus ou moins long terme les rôles au sein de la
famille. La souffrance psychologique peut littéralement faire imploser le groupe. Le
traumatisé crânien, dont la personnalité a été modifiée, est devenu un étranger à la
maison. À la difficulté du quotidien s’ajoute l’angoisse du lendemain.
Faute d’établissements de proximité adaptés, de service de suivi, dans l’attente de pla-
cement ou encore lors de rupture dans la prise en charge (sortie UEROS par exemple),
bien des familles ont dû accueillir ou récupérer chez elles leur blessé pour un temps
plus ou moins long. Or la cellule familiale est en pleine évolution (familles monoparen-
tales, séparation des parents, distension des relations internes frères/sœurs, enfants/
parents, etc.). Les familles vieillissent et ne pourront assurer sur le long terme la prise
en charge de leur blessé.
Les spécificités de la lésion cérébrale acquise. Les lésions cérébrales acquises entraînent
des incapacités physiques mais surtout neuropsychologiques multiples et diverses,
c’est-à-dire des incapacités qui touchent des facultés propres à l’homme (les fonctions
cognitives). Les lésions et leurs déficiences surviennent dans un contexte sociofamilial
et professionnel. L’âge, la scolarité, la formation professionnelle, l’équilibre psycho­
affectif antérieur, la situation familiale, la profession, les circonstances et le vécu de la
lésion constituent autant de facteurs conditionnant le pronostic de réadaptation et de
réinsertion du traumatisé crânien. Le pronostic de réinsertion à long terme est impos-
sible à déterminer de façon précoce. Il dépend à la fois des lésions initiales, de la qualité
de la rééducation et de la réadaptation, de l’accompagnement proposé à la famille, des
modalités réactionnelles de celle-ci, des thérapeutiques d’attente face à cette longue
évolutivité et des solutions proposées pour un nouveau projet de vie pouvant lui-même
être évolutif dans le temps.
Que faire avec ce blessé au futur incertain ? Humainement, comment se passer d’illu-
sions ? Il va récupérer, ça va aller, il pourra encore faire ceci ou cela, tout n’est pas perdu
et de nous acharner jusqu’à ce que le résultat soit atteint et d’exposer du même coup le
traumatisé crânien aux risques cuisants d’un nouvel échec.
Tout est chamboulé, plus rien n’est simple, qui est qui ? Pour qui ? Pourquoi ? Renoncer ?
Se battre ? Comment guérir de cette nostalgie, de ce mouvement qui vous ramène sans
cesse vers cet hier disparu ? Qui est donc cet enfant, ce mari, cette femme, ce parent ?
N’était-il pas inclus dans mon propre projet de vie ? À quelle place l’impliquer désor-
mais ? Comment le solliciter, comment le lui dire ? Comment gérer les « comme si » ?
Comment vivre avec cette culpabilité d’en faire trop, pas assez, jamais comme il faut,
La souffrance et les attentes des familles 21

jamais non plus ce qu’il faut ? Comment savoir ce que le traumatisé crânien attend, où
en est-il, quant à son élaboration personnelle, à quel moment de son travail de deuil en
est-il lui même ? Le peut-il ? Comment le savoir ? Le sait-il lui-même ?

Les attentes vis-à-vis des professionnels


Chaque famille, quand elle existe, est unique. Chaque blessé est unique. Chaque trajec-
toire de vie est unique. Cependant les familles, dans une immense majorité, souhaite-
raient être informées dès le début sur l’état de leur blessé, qu’on leur formule des
incertitudes de pronostic sans briser l’élan vital qui les porte, qu’on les accompagne
avec leur blessé, qu’on les écoute, qu’on leur distille une information adaptée, mesurée
et progressive. Lors du retour à domicile, elles souhaiteraient être préparées, aidées,
guidées par un service d’accompagnement, elles souhaiteraient trouver des structures
relais « d’accueil temporaire » pour souffler quand cela est nécessaire, ce qui implique
plus de souplesse de la part de nos administrations. Elles souhaiteraient un réel dialo-
gue avec les professionnels, établir avec eux des relations de confiance, d’aide, d’écoute
et de respect mutuel. Elles souhaiteraient que soient respectées et tolérées leur souf-
france sous quelle forme que ce soit (y compris l’agressivité envers l’équipe). Elles sou-
haiteraient, quand cela est possible, être associées aux décisions quant à l’avenir et au
projet de vie de leur blessé. Elles souhaiteraient la constitution sur tout le territoire de
véritables réseaux et filières coordonnés spécifiques aux traumatisés crâniens qui per-
mettraient d’assurer le suivi sur le long terme des blessés, évitant les ruptures de prise
en charge (si préjudiciables à la réadaptation), la multiplication des consultations,
bilans et rendez-vous, démarches administratives. Elles souhaiteraient une prise en
charge optimale du traumatisé crânien qui serait globale, holistique et pragmatique.
Mais cette théorie très séduisante n’est pas toujours mise en pratique faute de moyens
et de volonté. Et, dans les AFTC, nous voyons encore arriver des familles qui n’ont pas
ou peu reçu d’informations sur le traumatisme crânien et ses séquelles, qui n’ont pas
été prises en charge correctement et auxquelles n’a pas été proposé de réel suivi de leur
blessé sur le long terme. C’est vrai pour les adultes, c’est vrai pour les enfants. C’est tout
un accompagnement de la famille qu’il s’agit de mettre en place à la fois pour l’aider à
mieux comprendre ce qui se passe pour elle, pour son proche et pour faciliter un déta-
chement par rapport à une souffrance envahissante qui vient entraver les possibilités
d’épanouissement des uns et des autres et entraver le travail des professionnels. Mais
c’est aussi parallèlement tout un programme d’accompagnement des cérébrolésés
qu’il faut proposer à la famille : scolarité adaptée, séjours de vacances, accueil tempo-
raire, hébergement, logement supervisé, SAMSAH, MAS, ESAT, FAM, emploi adapté,
etc. avec des passerelles aménagées entre ces différentes prises en charge.
L’action concertée entre les différents acteurs que sont les pouvoirs publics, les établis-
sements et services médicosociaux, les professionnels, les AFTC et les familles à l’inté-
rieur de réseaux et de filières coordonnés, constitue la condition fondamentale pour
que les personnes victimes d’un traumatisme crânien puissent reconstruire une iden-
tité et élaborer un nouveau projet de vie réaliste, tout en sachant que nous serons tou-
jours confrontés à des limites, à des échecs.

Conclusion
Les personnes victimes de lésions cérébrales acquises et leurs familles ont besoin de
soutien et de conseils pendant toute leur existence. La famille ne peut pas rester dura-
blement seule à assumer l’accompagnement d’un de ses membres cérébrolésé. Elle ne
22 M.-C. Cazals

souhaite pas d’ailleurs que les institutions la remplacent complètement dans ce rôle
mais plutôt que la charge des responsabilités soit partagée entre elles, la collectivité et
les professionnels. Évidemment, la seule façon efficace d’aider les familles est :

n d’une part, de la décharger d’un fardeau qui ne peut pas être assumé dans la
durée, d’un assujettissement constant et souvent total à leur blessé, en créant
des logements supervisés, des GEM, des SAMSAH, des FAM, des MAS, des
CAJ, des ESAT, des scolarités adaptées, des loisirs adaptés surtout pour les
plus lourdement handicapés ;
n d’autre part, d’organiser de véritables filières de soins, de rééducation, de réa-

daptation, réinsertion cohérentes avec continuité de la prise en charge sur le


long terme (toute la vie du traumatisé crânien) afin d’éviter les ruptures et les
phénomènes d’isolement et de régression. Depuis le rapport de l’IGAS, la circu-
laire ministérielle de 1996, la circulaire du 18 juin 2004 nous avons pu constater
une évolution. Il y a eu une prise en compte de la spécificité du handicap cogni-
tif, des réponses en établissements, services, hébergement. Cependant il reste
beaucoup à faire pour que la prise en charge des traumatisés crâniens et de leurs
familles s’améliore, pour que les familles trouvent leur place dans le réseau, pour
que de véritables filières de suivi soient organisées, pour que les familles soient
mieux informées et les professionnels mieux formés. Un plan d’action national
pour les blessés traumatisés crâniens et médullaire est annoncé pour 2011, sera-
t-il à la hauteur de nos espérances.

Il reste tant à faire pour combattre l’ignorance et la méconnaissance du trauma-


tisme crânien, ce handicap singulier, et pour que les familles puissent le reconnaître
et « faire avec » !

« Demain ne sera plus comme hier. »


« Il sera nouveau et il dépendra de nous. »
« Il est moins à découvrir qu’à inventer. »
Gaston Berger

Pour aller plus loin


Leurent-Deschodt B. Vivre malgré tout. Paris : Presses de la renaissance ; 2007.
www.presses-renaissance.com
UNAFTC. Vivre avec un traumatisme crânien : paroles de familles, paroles de blessés. Paris : Éditions UNAFTC ;
2006.
Résurgences, revue de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens depuis 1989, avec
une parution semestrielle. Cette publication propose des articles de fond sur les problèmes qui touchent
au traumatisme crânien. Il s’agit de textes, d’ordre médical, juridique… qui sont écrits par des profession-
nels, mais avec le souci d’être compris par les familles de blessés. C’est aussi le lieu où les associations de
familles (AFTC) départementales ou régionales peuvent relater leurs activités et leurs initiatives. De
même, les établissements et services spécialisés dans l’accueil des traumatisés crâniens peuvent y exposer
leurs travaux et leurs projets. Enfin, une rubrique de la revue accueille des témoignages de blessés ou de
membres de leur famille. C’est donc à la fois un outil de partage d’expériences et de communication. Tous
les numéros sont disponibles à l’UNAFTC, 32, rue de la Colonie, 75013 Paris. Tél. : 01 53 80 66, secreta-
riat@traumacranien.org, www.traumacranien.org.
Neurosystémique : théories et pratiques
J.-M. Destaillats1,2,3, A. Prouteau1, 2, C. Belio2,3, B. Pelegris3,
E. Sorita2,3, P. Sureau3, J.-M. Mazaux2,3
1. Centre hospitalier de Jonzac, 17500 Jonzac.
2. Université Victor-Segalen Bordeaux 2, 33076 Bordeaux.
3. Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, 33076 Bordeaux.

L’évolution des connaissances a fait apparaître le handicap comme une contrainte rela-
tionnelle douloureuse imposée à tous les membres du système familial. Les épistémo-
logies coperniciennes et de la complexité proposent une compréhension des difficultés.
La théorie dite des trois portes, individuelle, familiale et institutionnelle, permet de
rendre compte de la complexité des interactions en jeu. L’approche neurosystémique
propose cette construction où la rencontre des dimensions cognitive et systémique
ouvre vers l’élaboration du sens avec la famille. La connaissance des difficultés cogniti-
ves est centrale et permet un travail d’empathie avec les membres de la famille. Ce tra-
vail neurosystémique s’appuie sur la Théorie de l’esprit. Il tend vers une micro-
anthropologie du lien qui vise à situer les membres de la famille dans leur histoire et
leur parcours de vie, en soulignant les dimensions éthiques de leurs choix.

La genèse de la neurosystémique
Nouvelles pratiques, nouveaux métiers, nouvelles épistémologies
La médecine physique et de réadaptation a évolué, dans ses modalités pratiques d’ac-
compagnement des blessures cérébrales, de façon extrêmement notable au cours des
trois dernières décennies. Ceci a été sous-tendu par le développement de nouvelles
connaissances [51], issues de la neuropsychologie en particulier, qui rendaient
compte du comportement sous un jour totalement autre que celui des schémas clas-
siques psychodynamiques, et qui amenaient à complexifier la vision que l’on avait
des phénomènes observés à la suite de blessures cérébrales. L’orthophonie, avec les
troubles du langage et leur prise en charge, a été la première grande porte ouverte sur
ce fonctionnement cognitif, et au cours des années se sont construits des outils et des
modèles qui ont permis de prendre en compte l’étendue des conséquences lésionnel-
les traumatiques. La relation, la communication, l’interaction des patients avec
­l’entourage soignant ou familial pouvaient être comprises de façon notablement dif-
férente [57]. L’orthophonie, si elle ouvrait sur la communication et donc sur la rela-
tion, a été intégrée dans le concept beaucoup plus large du fonctionnement cognitif
général telle que la neuropsychologie cognitive a permis de le découvrir. Dès lors, la
mise en perspective des difficultés que rencontraient les patients avec leur expression
comportementale et relationnelle, prenait une dimension heuristique tout à fait
fondamentale.
Dans la conception de l’être humain, nous avions quitté les schémas du xixe siècle,
reposant comme dans les théories freudiennes sur les concepts d’énergie. Ces schémas
24 J.-M. Destaillats et al.

se rattachaient à l’épistémologie en cours dans les sciences de l’époque qui construi-


saient le progrès scientifique autour des bases de la thermodynamique. On peut ainsi
considérer que les topiques freudiennes renvoyaient au mécanisme de la machine
hydraulique à vapeur, telle la locomotive de ces temps, avec ses forces, son énergie, ses
pressions, ses vases d’expansion, ses voies d’évacuation, et l’on retrouvait l’énergie libi-
dinale, les pulsions, les déplacements, les conversions, les symptômes, comme étant en
rapport avec une énergie qui devenait problématique. Les xxe et xxie siècles ont amené
une conception radicalement différente, située à un tout autre niveau logique. Le cer-
veau devenait non plus une machine uniquement centrée sur l’énergie, mais un lieu
où se traitaient les informations. Tout le monde comprend bien qu’il existe des diffé-
rences fondamentales entre les concepts d’énergie et ceux d’information. La façon
dont le cerveau traitait les informations fut amenée par les avancées épistémologiques
des sciences cybernétiques de l’époque posées par Norbert Wiener et John Von
Neumann [49,53,54]. Dès lors, les hommes essayant de construire des machines char-
gées de traiter l’information de manière structurée et ordonnée, hiérarchisée (dites
machines computationnelles ou plus tard intelligentes), rencontraient la question de
la comparaison entre le cerveau dont ils s’étaient servis pour fabriquer ces machines,
et la façon dont ces machines se trouvaient structurées [2,3,4,54]. Ce que ces machines
renvoyaient en miroir sur le fonctionnement de leur propre cerveau à leurs créateurs
ouvrait des questions sur la construction de l’intelligence [53]. Les computers ou ordi-
nateurs, dans une fonction réflexive obligeaient les humains qui les avaient créés à se
questionner sur la façon dont eux-mêmes fonctionnaient [2,40,49]. Les hommes
n’étaient dès lors plus extérieurs à ce qu’ils observaient, puisqu’ils avaient contribué à
le créer. On retrouve ici l’engagement de l’observateur, une des bases du fonctionne-
ment des entretiens familiaux systémiques que nous développerons plus loin dans
l’ouvrage [6,7,27,28,40,41,42,43].

L’activité, la cognition et l’environnement


L’étape suivante allait être celle de l’analyse du rapport entre la cognition et l’environne-
ment. L’ergothérapie, à partir des années 1970 en France, avait eu toute la pertinence et
l’intelligence de se poser la question de la fonctionnalité dans les environnements pro-
pres des patients, de la motricité, du langage, et de l’activité. Ainsi, elle ouvrait la réédu-
cation sur les questions beaucoup plus téléologiques du rapport entre l’homme et
l’environnement. S’imposait alors, dans les services de soin, une vision détachée de la
lésion pour s’intéresser très précocement à la façon dont un individu cérébrolésé allait
pouvoir continuer de fonctionner dans un environnement extérieur à celui de l’hôpital
où toutes les disciplines jusqu’à présent étaient grandement cantonnées dans leur exer-
cice, leur évaluation et leur travail de rééducation. Avec les médecins de rééducation,
l’ergothérapie allait entraîner toutes les équipes vers la question du retour au domicile
et la reprise d’une vie hors de la structure hospitalière malgré les séquelles qui perdu-
raient après la rééducation. L’épistémologie du rapport homme-environnement était au
centre de la discipline, et, avec les années, elle est devenue au centre de la préoccupation
de toutes les équipes de soins en rééducation. La discipline a progressivement changé de
nom, s’est appelée rééducation et réadaptation fonctionnelle, avant de prendre la termi-
nologie plus actuelle de médecine physique et réadaptation, montrant bien la césure
entre deux phases, l’une centrée sur une vision très corporelle, et l’autre ouvrant sur le
projet d’une personne spécifique confrontée dans un contexte spécifique aux consé-
quences de ces lésions. C’est ainsi que, quittant la lésion et l’approche topographique
cérébrale, le centre d’intérêt se déplaçait vers la personne dans son contexte, et sur l’usage
Neurosystémique : théories et pratiques 25

qu’elle voulait faire pour son existence et son projet de vie, des compétences qui étaient
les siennes malgré les séquelles. Il était alors impossible de rentrer dans des protocoles de
prise en charge, des procédures stéréotypées et avec l’ergothérapie, la neuropsychologie
cognitive allait s’ouvrir vers l’extérieur des lieux d’évaluation, et tenter d’appréhender
et de comprendre le fonctionnement de la cognition dans le contexte.
Dans ce même mouvement qui, du langage, avait ouvert vers la communication, et de
la communication vers la relation, les équipes de soins se sont confrontées aux attentes
et aux souffrances des familles dès lors que le retour à l’état antérieur semblait impos-
sible malgré les avancées du soin [31,32,50]. Cette rencontre entre la blessure cérébrale,
la cognition de la personne blessée, l’environnement dans lequel elle évolue, obligeait
les différents professionnels à quitter un paradigme réductionniste, centré sur l’isole-
ment de la lésion, de ses déficiences, pour s’orienter vers un paradigme beaucoup plus
écologique ou systémique où la complexité des aspects multifactoriels, les dimensions
humaines et relationnelles structuraient peu à peu, de façon inverse les processus de
l’accompagnement et du soin [1,9,10].

Le monde du soin et la vie dans le monde


Les institutions étant entre autres construites sur des principes centrés sur elles-
mêmes, un certain nombre de professionnels en leur sein se trouvaient plus directe-
ment assignés à être confrontés aux questions venant de l’extérieur de l’institution
hospitalière ou des centres de réadaptation (médecins, ergothérapeutes, assistantes
sociales). Cela est dû au fait que les épistémologies qui ont structuré ces diverses pro-
fessions sont systémiques. Le paradigme réductionniste a construit l’hôpital et les
centres de rééducation comme des lieux de réparation par la technicité [50]. Les méde-
cins et le corps infirmier majoritaire puis la kinésithérapie ont vu leur pratique struc-
turée par cette épistémologie avec ses corollaires de standardisation et de protocoles
de soins. Toutefois, les médecins avaient dans leur épistémologie à la fois une dimen-
sion réductionniste mais aussi une dimension écologique. Le terme ancien de méde-
cins de famille le souligne, tout comme le serment d’Hippocrate qui indique très
clairement leur action au centre de la structure relationnelle familiale, tant pour la
compréhension des troubles que pour le soin. Ils ont su répondre, à travers la spécia-
lité de réadaptation, à l’exigence de questionnements qui n’étaient plus centrés sur
l’institution [21].
Comme leur modèle épistémologique les y prédisposait aussi, les ergothérapeutes et les
neuropsychologues, professions d’apparition plus récente dans l’univers hospitalier et
universitaire, se sont très rapidement rejoints pour connecter dans leurs préoccupa-
tions, l’environnement, l’activité, la cognition. Leur collaboration a profondément
dynamisé les modalités de prise en compte des conséquences des lésions cérébrales. Il
existait clairement alors une tentative de compréhension construite dans la conjonc-
tion des points de vue pluridisciplinaires, où l’action et la pensée n’étaient plus clivées,
mais s’inscrivaient dans une circularité ouvrant sur le contexte et donc sur l’infini de la
complexité. C’est cela que nous avons appelé l’approche neurosystémique, dont nous
développerons d’autres aspects un peu plus loin [9,10,35,36].

Le ciel, les astronomes et le soin


Les astronomes
Vers le iiie siècle de notre ère, Ptolémée, philosophe, mathématicien et géomètre grec,
contemplant le firmament, s’interrogeait sur le mouvement des étoiles et proposa une
26 J.-M. Destaillats et al.

solution qui rendait compte de ce qu’il observait. Si les étoiles bougeaient, c’est que la terre
était au centre de l’univers et donc que le mouvement des astres se déterminait par rapport
à celui d’un point immobile placé au centre de l’univers, la terre. Cette théorie scientifique
correspondait en tout aux dogmes religieux de la création qu’avait voulue Dieu.
Une douzaine de siècles plus tard, Nicolas Copernic proposait, avec Galilée, une autre
théorie pour rendre compte de ce mouvement. La terre n’était plus au centre de l’uni-
vers ou du système solaire. Le mouvement de chaque planète était influencé par les
unes et les autres, et toutes s’organisaient de manière coordonnée dans un mouvement
où le soleil était au centre et non plus la terre. Chacun des mouvements des planètes
avait une influence sur les autres, et le soleil lui-même n’était pas immobile. Il venait de
décrire ce que l’on appela le système solaire. Nous étions passés d’une pensée géocen-
trée à une pensée héliocentrée.

Ptolémée, Copernic, la MPR et la contemplation du firmament


Il s’est passé un peu quelque chose du même ordre au niveau de la compréhension des
soins à fournir aux patients traumatisés crâniens. Selon une vision ptoléméenne, la
première époque de la discipline a été de mettre le patient au centre du soin, tout
comme si la terre était au centre de l’univers. Puisque la terre était la plus importante,
il fallait donc s’en occuper, puisque tout se déterminait par rapport à elle. Il s’agissait
donc de ce centrer au mieux sur le patient en considérant que les autres planètes de la
constellation familiale étaient secondaires et reliées à lui dans un lien géo centré. Si un
météorite tombait sur la planète terre et provoquait un traumatisme crânien plané-
taire, il convenait de s’occuper en priorité de la planète terre considérant comme secon-
daire les répercussions sur les autres planètes. Dans la révolution copernicienne de la
pensée, ce même météorite tombant sur la planète terre qui n’est plus au centre du
système, pouvait provoquer beaucoup de dégâts sur cette planète terre, mais entraînait
des répercussions importantes sur toutes les autres planètes du système, qui en retour
allaient aussi avoir des répercussions sur la planète terre déjà touchée précédemment
par le météorite. L’analogie que nous posons ici a pour ambition de nous ouvrir, en
tant qu’acteurs du soin en MPR (médecine physique et réadaptation), sur notre posi-
tion ptoléméenne ou copernicienne de contemplateurs du firmament. Que savons-
nous de ces planètes familiales et de leur système ? Que connaissons-nous de leur
organisation, de leur histoire, de leur évolution, des règles qui les régissent, des réper-
cussions sur les autres planètes, et des perturbations en retour qui en découleront ?
Ceci place les soignants de MPR dans la position d’observateurs engagés qui, suivant
l’option ptoléméenne ou copernicienne qu’ils adopteront, construiront la réalité qu’ils
observeront et les conséquences de leurs actions qui en découleront. L’approche neuro-
systémique nous situe, face aux étoiles comme aux patients, dans une perspective réso-
lument copernicienne [9,10,25].

Troubles du comportement
dans les traumatismes crâniens
Définitions
Les troubles du comportement font partie des tableaux cliniques des traumatismes
crâniens, et perdurent à moyen et long terme [8,24,25,34,48]. Leur présence et leur
intensité compliquent la prise en charge. Ils interfèrent notamment avec l’implication
active des patients dans les soins, et les relations que ces derniers entretiennent avec les
équipes soignantes. Ils constituent également un frein dans le processus de réinsertion
Neurosystémique : théories et pratiques 27

psychosociale, tant au niveau du retour au travail que des relations interpersonnelles.


Ces troubles du comportement altèrent considérablement la qualité de vie des patients
et de leurs familles à long terme [26]. Ils déstabilisent les relations des patients avec
leurs proches. Le « changement de personnalité », décrit dans le traumatisme crânien,
désigne également ces troubles, autres que cognitifs ou physiques, qui touchent le sujet
traumatisé crânien dans son identité personnelle, sociale et familiale.
Le comportement peut être globalement défini comme l’ensemble des réactions, objec-
tivement observables, d’un sujet par rapport à un stimulus ou un environnement. Il
existe, à destination des sujets cérébrolésés, des outils d’évaluation des troubles du
comportement. On peut citer l’échelle d’Iowa (Iowa Scale of Personality Change [ISPC])
et l’échelle du GREFEX (Inventaire du syndrome dysexécutif comportemental [ISCDC],
GREFEX, 2008) [23]. Ces outils recensent un grand nombre de troubles du comporte-
ment, dont nous listerons quelques exemples ci-après. On peut comprendre pourquoi,
dans la littérature, les troubles du comportement sont également désignés comme des
changements de personnalité. En effet, la personnalité recouvre les modalités relation-
nelles d’un sujet, sa façon de se percevoir dans le monde qui l’entoure et de se penser
dans son environnement. Elle comprend donc les modalités de réaction du sujet quant
aux événements de la vie quotidienne ou interpersonnels. Dans les traumatismes crâ-
niens, la qualité de la réactivité émotionnelle peut ainsi être bouleversée, et constituer
une modification drastique du style prémorbide. Les troubles du comportement décrits
dans la littérature comprennent à la fois les réactions aiguës (agressivité, colère), les
conduites plus générales (hypersexualité, religiosité), et les conduites émotionnelles.
On peut ainsi relever, faisant suite au traumatisme crânien : agitation, manie, dépres-
sion, impulsivité (tendance à agir sans réfléchir au préalable, mais aussi recherches de
sensations fortes et d’expériences nouvelles), agressivité, comportements « explosifs »
(accès de colère, violence verbale et physique), passivité et apathie (troubles de l’initia-
tive), éparpillement dans la vie quotidienne, manque de motivation, dépendance à l’en-
vironnement, froideur sociale, absence ou excès de réactions émotionnelles, etc.
Malgré une description de plus en plus détaillée de ces troubles, certaines questions
restent en suspens. Comment les comprendre ? Comment les conceptualiser ? Comment
les traiter ? En parallèle à ces questions théoriques, l’enjeu clinique est celui du retour
que l’on peut faire aux patients et à leurs proches sur leurs caractéristiques, leur étiolo-
gie et leurs possibilités d’évolution.

Éclairage neuropsychologique
La neuropsychologie apporte, depuis une vingtaine d’années, des éléments cruciaux
dans l’éclairage des troubles du comportement. Dans cette perspective, le « trouble du
comportement » est la traduction comportementale des troubles cognitifs et émotion-
nels provoqués par les lésions cérébrales. Les plus classiques sont les troubles du com-
portement décrits dans les syndromes frontaux ou, plus récemment, dysexécutifs. Dans
ces syndromes, les troubles du contrôle cognitif ont de multiples conséquences. Sur le
plan cognitif, ils s’expriment au travers notamment des troubles de la planification
(incapacité à organiser des séquences d’actions dans le temps) ou de la flexibilité men-
tale (incapacité à alterner entre deux tâches). Ces troubles entraînent une désorganisa-
tion importante dans la vie quotidienne, réduisant considérablement l’autonomie des
sujets, et augmentant la charge de travail pour les proches. Toujours sur le versant
cognitif, on peut noter des troubles métacognitifs (capacités à penser son propre fonc-
tionnement cognitif et celui d’autrui). Ces troubles induisent des difficultés dans la
prise de conscience des séquelles du traumatisme crânien, et constituent un frein
28 J.-M. Destaillats et al.

important dans la prise en charge. Sur le plan émotionnel, les troubles du contrôle
cognitif entraînent une difficulté à moduler le comportement émotionnel, induisant
ainsi la labilité émotionnelle. Sur le plan comportemental, ou des conduites, les trou-
bles de l’inhibition des fluctuations émotionnelles peuvent entraîner une impulsivité,
ou des accès de colère ou d’agressivité.
Parallèlement, certaines lésions du système limbique induisent des troubles de la moti-
vation. Ces troubles, regroupés sous le terme de syndromes athymhormiques, sont
caractérisés par une perte de l’élan vital, de l’intérêt et de l’affectivité. Sur le plan com-
portemental, ils s’expriment par une certaine apathie, une indifférence affective, un
comportement pseudodépressif. De plus, des troubles massifs de l’initiative condui-
sent à une grande dépendance du sujet vis-à-vis de l’environnement familial, qui doit
être à l’origine de la plupart des activités pour qu’elles soient menées.
Plus récemment, des troubles cognitifs plus sophistiqués ont été mis à jour chez les
traumatisés crâniens. Ainsi, les troubles de la cognition sociale (c’est-à-dire l’ensemble
des processus qui sous-tendent les relations interpersonnelles) sont également associés
à des troubles du comportement. En effet, les difficultés des sujets à traiter l’informa-
tion émotionnelle conduisent les sujets à méconnaître ou mésinterpréter les intentions
ou les émotions d’autrui (Théorie de l’esprit). Ces troubles ont pour conséquence des
difficultés de compréhension et de communication entre le sujet et ses proches, et peu-
vent créer des situations de malentendu ou de gêne dans de nombreuses situations
sociales. Ce qui peut apparaître comme de l’indifférence ou de la froideur affective peut
être en réalité le résultat d’une difficulté à traiter les signaux émotionnels provenant
d’autrui. Plus généralement, les troubles de la théorie de l’esprit se traduisent par la
prépondérance de points de vue et d’attitudes égocentrés. Cette incapacité à adopter
une perspective différente, celle d’autrui, peut également conduire les sujets à ne plus
pouvoir nuancer leurs propres désirs en fonction des normes sociales. L’intolérance à la
frustration, l’incapacité à différer la satisfaction de ses propres besoins sont autant de
conséquences possibles de ces troubles cognitifs de haut rang.
Ces mêmes difficultés relationnelles peuvent également provenir de l’incapacité à trai-
ter ses propres états émotionnels. Ainsi, l’alexithymie (littéralement : difficulté de lec-
ture de ses propres émotions) conduit le sujet, par méconnaissance de ses émotions, à
agir de manière inappropriée en situation. L’inadéquation affective, trouble du com-
portement fréquemment rapporté dans les traumatismes crâniens, peut donc avoir
pour origine une absence ou une pauvreté des informations émotionnelles disponibles
pour le système cognitif, que ces informations concernent autrui ou soi-même.
L’anosodiaphorie (insensibilité affective) peut constituer un autre exemple de consé-
quence comportementale induite par ces difficultés cognitives spécifiques.
Finalement, les répercussions cognitives des lésions cérébrales conduisent le patient à
ne plus savoir faire (planification), ne plus savoir comment faire (élaboration de straté-
gies orientées vers un but, métacognition), mais également à ne plus savoir comment
réagir face aux événements ou aux sollicitations implicites des proches (troubles de la
cognition sociale).

Troubles du comportement et troubles cognitifs :


des relations dynamiques
Si les troubles du comportement et de la personnalité peuvent avoir en premier lieu
une origine cognitive, ils peuvent également être compris comme une tentative du sys-
tème psychique de s’adapter aux difficultés émotionnelles et sociales provoqués par les
lésions. L’irritabilité, l’intolérance à la frustration, mais également l’apathie, la manie,
Neurosystémique : théories et pratiques 29

la dépression sont autant d’essais par un système saturé et en difficulté, de s’adapter et


de donner du sens aux malaises perçus dans certaines situations sociales. Ils renvoient
également aux difficultés à se penser comme un être différent.
Ce travail d’acceptation d’une nouvelle identité, et du handicap, est en retour freiné par
la présence de difficultés cognitives, notamment métacognitives et de cognition sociale.
Les troubles cognitifs interfèrent donc avec le réaménagement, personnel et familial,
que nécessitent le traumatisme crânien et ses séquelles diverses. Ainsi, les troubles de la
mémoire perturbent la dynamique d’évolution des sujets. Ces derniers peuvent avoir
des difficultés à fixer ce qui se passe lors d’événements familiaux significatifs, en consul-
tation ou en séance de thérapie, et à s’en souvenir d’une fois sur l’autre. De même les
troubles de la cognition sociale (Théorie de l’esprit, empathie) et les troubles métaco-
gnitifs (conscience des difficultés, perception des progrès, lecture de ses propres émo-
tions) s’expriment par le biais de l’incapacité des sujets à s’extraire d’une position
égocentrée, et à comprendre le point de vue et l’état affectif de ses proches. Par consé-
quent, certaines informations, d’habitude perçues et comprises implicitement, doivent
être explicitées pour être prises en compte par le sujet.

Neurosystémique et soin
L’approche mise en œuvre associe la prise en compte des dimensions neurologiques
lésionnelles, cognitives, avec les théories de la communication et les théories systémiques
qui prennent en compte l’entourage familial mais aussi l’entourage institutionnel des
patients, à savoir les équipes de soin [1,14,20,31,32,33,36,37,50,56]. L’aspect polysémique
du trouble du comportement renvoie à une complexité très supérieure à la définition
simplificatrice de « trouble » que représente le phénomène pour le patient, les équipes et
l’entourage. Dans notre consultation, telle qu’elle est recommandée par la circulaire
DHOS du 18 juin 2004 et qui réunit le patient et sa famille, peuvent exister deux abords.
L’abord du patient, comme tout abord individuel, ouvre sur le réductionnisme analyti-
que, puis l’abord de la famille et des équipes de soin, du couple, de l’entourage ouvre
sur la systémique ou la science des systèmes [11]. Ce sont des épistémologies qui orien-
tent différemment le regard, construisent de façon non équivalente l’action de l’inter-
venant et sa compréhension de ce qui est observé à cette occasion. Le travail consiste
donc à étendre et complexifier notre regard, dans un processus de compréhension préa-
lable à tout traitement, pour associer l’impact émotionnel, relationnel, comportemen-
tal des lésions et des séquelles cognitives avec les rétroactions des équipes soignantes et
de la famille qui y sont confrontées.
Il s’y surajoute la dimension de l’histoire du lien et de la relation que le patient peut
entretenir avec ses proches, et dans laquelle les comportements sont décodés tout
autrement par les protagonistes de cette relation, en faisant référence à leur parcours
personnel, individuel et collectif. C’est dans la méthodologie mise en œuvre dans cette
pratique, que nous allons essayer d’entrer un peu plus avant.

L’évaluation systémique du trouble du comportement :


cum prehendere et explicare
Les principes généraux et le contexte
Dans l’analyse systémique des troubles du comportement et leur évaluation, il est très
important, comme dans une métaphore de la photographie, d’agrandir la focale pour
élargir le champ du regard [33]. C’est ce que sous-tend cum prehendere en latin. On doit
« prendre avec » tout ce qui va autour du phénomène trouble du comportement. Le but
de cette démarche est d’embrasser dans l’évaluation tous les différents aspects qui le
30 J.-M. Destaillats et al.

sous-tendent. En effet, il est très rare que le patient cérébrolésé, du fait de l’anosogno-
sie, fasse lui-même une demande pour ce type de difficulté, dont il aurait suffisamment
conscience pour vouloir s’engager dans un processus thérapeutique personnel. C’est
ainsi que la plupart des demandes de soin qui concernent des difficultés comporte-
mentales, s’effectuent par des tiers. Ces tiers sont la famille ou les équipes soignantes.
Ceci se traduit généralement par des demandes d’avis auprès de spécialistes, médecins
MPR, neurologues, psychiatres, qui peuvent être à l’origine d’un essai de prise en charge
thérapeutique pluridisciplinaire de ces troubles.
Les soignants confrontés à cette demande doivent rester très attentifs au contexte dans
lequel elle s’inscrit [37]. Par exemple, le médecin pourrait voir les choses au travers des
éléments du dossier qu’il connaît, à savoir l’aspect lésionnel et les conséquences cogni-
tives, alors que l’aide-soignant lui aurait des informations issues de la famille qui les
engageront différemment dans la compréhension du trouble tel qu’il est observé. Cette
multiplicité des avis peut être prise en compte dans une réunion d’équipe. On voit bien
là l’utilité d’intégrer une lecture plurifactorielle dans différents niveaux de pertinence
pour construire ensuite l’action thérapeutique. Le paradigme systémique s’oppose au
paradigme réductionniste. Le paradigme réductionniste est unicausal, monofactoriel,
unidimensionnel. Le paradigme systémique est multicausal, plurifactoriel, pluridi-
mensionnel. Dès lors, il nous a semblé utile d’avoir, pour respecter ces aspects comple-
xes du comportement, une approche que nous avons appelée neurosystémique.

La théorie des trois portes


L’intervenant doit pour cela construire un travail de réflexion qui prend la forme de ce
que nous appelons la théorie des trois portes. Ce travail repose sur une recherche d’in-
formations dans trois directions et trois niveaux logiques différents. L’ambition de
cette démarche est de tenter une décentration du point de vue de l’intervenant de
manière à percevoir la difficulté depuis le point de vue de la famille, de l’institution ou
du patient. Ces tentatives, dans notre méthodologie, portent le nom d’hypothèses qui
sont confrontées à la falsification [40,41]. C’est par des questions lors de la recherche
d’informations que se vérifient ou s’infirment les hypothèses. Elles essaient de rendre
compte de l’explication du comportement ou de la compréhension des processus rela-
tionnels dans lequel il s’inscrit. Puisque la demande associe le patient, la famille et
l’institution, il convient de faire des hypothèses qui permettront d’entamer ensuite une
démarche thérapeutique dans chacune des directions ainsi relevées. Il existe pour nous,
une porte institutionnelle, une porte individuelle, et une porte familiale qui ouvrent
sur des chemins thérapeutiques que nous développerons ultérieurement. L’avantage à
nos yeux de cette théorie des trois portes est d’organiser la réflexion, d’offrir une
méthode d’investigation et d’évaluation ouverte sur chaque contexte.

La porte individuelle
C’est la porte qui place le patient au centre du regard et de la recherche des informa-
tions pour l’explication et la compréhension de ce qui l’agit. Dans la porte individuelle,
doivent se retrouver toutes les informations et hypothèses qui concernent ce qui peut
être rapporté du trouble du comportement à la personne du patient. C’est ici que dans
l’évaluation individuelle du patient, se trouve explicare. Expliquer, issu du latin expli-
care, sous-entend le fait de déplier, de « creuser » pour mettre à jour des causes internes
aux troubles du comportement. Dans le cas de patients cérébrolésés, la porte indivi-
duelle explore trois dimensions.
Neurosystémique : théories et pratiques 31

La dimension neurologique et séquellaire


Il n’est pas pour but de développer ici cette dimension fondamentale. L’ensemble des
troubles du comportement s’inscrit dans l’existence de lésions cérébrales qui ponc-
tuent de façon nouvelle l’évolution de la personne. Dès lors, l’impact de ces lésions sur
le comportement ne peut être ni sous-estimé, ni négligé. Les notions cliniques de pro-
fondeur du coma, de durée du coma, de topographie lésionnelle, d’images (scanner,
IRM et autres) nous informent sur la gravité des lésions et la puissance des dérègle-
ments qu’elles peuvent entraîner. Ceci peut aussi servir de support à la compréhension
de ce qu’a pu vivre d’une part le patient, mais aussi son entourage confronté à une telle
proximité avec la mort, dont rend compte la gravité du tableau initial.
La dimension neuropsychologique
Il est devenu maintenant très clair pour tous, ainsi que nous le présentions plus haut,
que les perturbations des fonctions cognitives rendent aussi compte des erreurs d’ap-
préciation par le patient lui-même des situations complexes auxquelles il est confronté
et des limitations que lui imposent les séquelles et les altérations de son système de
traitement de l’information. Dès lors, tous les comportements en terme d’inhibition,
de lenteur, de passivité, d’absence d’initiative, d’indifférence apparente ou à l’inverse
d’explosion avec troubles de l’humeur, auto- et hétéroagressivité, colères brusques et
inappropriées, irritabilité, violence, renvoient à des dysfonctionnements cognitifs spé-
cifiques, à un dyscontrôle des émotions, à une non pertinence de l’analyse de la situa-
tion. C’est à ce titre là que lorsque nous recevons dans la consultation les familles, leurs
patients ont au préalable réalisé un bilan neuropsychologique complet afin de mieux
connaître ces dimensions et se représenter les difficultés que cela entraîne pour eux.

Le parcours de vie antérieur


Il est très important de recueillir auprès du patient un récit de son parcours de vie anté-
rieur, pour autant qu’il peut en faire état, de manière à repérer dans ce récit quels ont
été les éléments douloureux, marquants, structurants, qui peuvent orienter vers une
idée de la personnalité antérieure, telle qu’elle peut être perçue au travers de ses choix
de vie, de l’orientation qu’il a donnée à son existence, et des motivations qui s’y ratta-
chent. Toutes les dimensions relationnelles d’engagement et de rupture affective, de
carence, de perte, peuvent témoigner d’un niveau de souffrance individuel dont l’exis-
tence peut prendre la forme de troubles du comportement qui les expriment. Le patient,
dans la dimension individuelle, est aussi inscrit dans une dimension systémique. Le
patient n’est pas en dehors de la famille. Dans ce lien entre l’identité et l’appartenance,
se construisent les répercussions sur le système familial de ces troubles, tout autant que
les répercussions sur le patient des dynamiques familiales en cours. Cette circularité
renvoie à la boucle récursive entre l’identité et l’appartenance [11]. Cette évaluation du
récit de vie individuel ouvre donc sur la compréhension des processus d’individuation,
d’identification et d’identité qui étaient à l’œuvre auparavant et qui vont être à nou-
veau sollicités à travers le parcours de rééducation et de réadaptation du patient céré-
brolésé. On trouve là toute une source de réminiscences, de résurgences, de
réactualisations d’épisodes du passé, avec les conflits qui s’y rattachent.

La porte familiale
Dans la consultation Handicap et Famille, nous essayons de passer du trouble lésionnel
au trouble familial en réalisant une microanthropologie du lien. Les fondements théori-
ques sont basés bien entendu sur une épistémologie de réalisme phénoménologique.
32 J.-M. Destaillats et al.

Nous faisons donc le choix d’une méthodologie constructiviste pour un travail sur cette
micro anthropologie du lien [27,28,29].
Devant cette porte, il convient d’essayer de formuler des hypothèses sur ce que le trou-
ble du comportement peut signifier d’une difficulté familiale. Les indications qui
nous sont adressées dans la consultation servent de support aux hypothèses familia-
les. Ces indications concernent régulièrement les souffrances des patients et les souf-
frances des familles, mais aussi les troubles du comportement, les conflits familiaux,
les conflits entre institutions et patients, et les conflits entre familles et institutions.
Ces deux derniers conflits seront abordés dans l’hypothèse institutionnelle. Parmi nos
objectifs face à ces demandes, l’information sur les troubles, l’évaluation systémique
des difficultés et le suivi systémique familial, voire la thérapie familiale systémique,
nous conduisent à porter un regard sur les conséquences du trouble du comporte-
ment sur la famille, mais aussi sur la dynamique en cours dans la famille qui peut
expliquer les troubles du comportement.
Comme exprimé dans un chapitre précédent, le système familial [5,14,16,19,22,37]
organise une coévolution des individus qui le constituent, et a une fonction structu-
rante interne qui se confond avec son existence même. Chacun s’attend ainsi aux
comportements relationnels des membres de la famille, où chaque situation a déjà
été vécue plusieurs fois et a fait émerger une certaine régularité des réactions des uns
et des autres. Ceci crée une modélisation, qui assure un ordre relationnel qui lui-
même crée une stabilité, une prévisibilité dont bénéficient ses membres. Cette prévi-
sibilité facilite les échanges et la communication. En fait, ce qui fait la famille, c’est
l’idée de la famille. Cette évolution collective et individuelle des membres de la
famille, en coconstruction au fil du temps, fait apparaître chez chacun d’entre eux
une représentation du fonctionnement de la famille et de la relation. C’est ce que
nous appelons le modèle. Chaque famille est unique et originale, et par conséquent a
sa propre idée de la famille, son propre modèle. Le traumatisme crânien vient pertur-
ber cette organisation du système, ses représentations partagées, il met en crise le
modèle. Les hypothèses de la porte familiale partent à la recherche du modèle passé
et actuel et de leurs conséquences sur la famille.

La porte institutionnelle
Un des protagonistes le plus souvent méconnu et oublié des troubles du comporte-
ment est l’équipe. Or l’équipe et l’institution jouent un rôle dans les troubles du com-
portement qu’il convient d’évaluer. En systémique [50], cette hypothèse est basée sur le
fait que l’observateur n’est pas extérieur à l’objet qu’il observe. Il faut donc l’intégrer
dans la définition et la constitution des problèmes. C’est ce que la systémique appelle
le tiers inclus. Dès lors que nous sommes confrontés en tant que membres d’une insti-
tution à un trouble du comportement, nous ne pouvons évacuer le fait que nous y
sommes peut-être pour quelque chose, et qu’il convient d’analyser notre place dans sa
survenue. Dans la porte institutionnelle, une des hypothèses qui peut être explorée
pour le patient comme pour la famille, est celle de la crise hétéro référentielle [9,14]. On
doit ainsi penser l’institution comme un facteur de handicap. En effet, l’institution est
tout autant dans le handicap du patient et de sa famille, que dans leur solution. Elle
peut être à l’origine de la survenue de la difficulté comportementale des patients, soit
par son attitude avec le patient, soit par sa relation avec la famille dont une des réper-
cussions observable sera le comportement du patient. Les hypothèses qui en découlent
imposeront des ajustements de la part de l’équipe qui contribueront au traitement du
trouble.
Neurosystémique : théories et pratiques 33

Le traitement : du symptôme au sens


Les fondements
L’hypothèse intégrative métasystémique
Au terme de l’évaluation par la théorie des trois portes nous tentons d’inscrire le trou-
ble du comportement dans le contexte de la demande. Ce contexte met en relation trois
dimensions différentes : le système institutionnel, la dimension individuelle et le sys-
tème familial. Ce contexte est métasystémique, un système de systèmes. C’est cette
complexité qui rend compte de la polysémie du trouble du comportement. Les hypo-
thèses formulées pour évaluer comment la famille, l’institution et le patient concou-
rent à l’apparition du trouble du comportement s’articulent dans une hypothèse
intégrative, qui doit être cohérente avec chacun des niveaux de pertinence émergeant
du recueil d’informations passant par les trois portes.
Il existe une porosité, une perméabilité, entre la famille et l’équipe, liée au fait que le
patient, situé entre les deux, rejoue dans chacun des contextes les difficultés qu’il
éprouve dans l’une et l’autre, ainsi qu’à l’intérieur de lui-même.
Le symptôme trouble du comportement est l’expression de tout ceci. Il est une repré-
sentation, de type théâtral et non pas iconique [27,28,30], de la réalité perçue par le
patient. Cette réalité, pour lui et son entourage, ouvre sur l’histoire passée et sur la
poursuite de cette histoire. Elle prend donc un sens qui pourrait échapper à l’équipe si
l’intervenant systémique ne s’en préoccupait pas comme étant fondamentale pour la
compréhension du trouble.

La position d’allié thérapeutique


Une des caractéristiques de l’épistémologie systémique découle du « tiers inclus ».
Comme l’observateur est dans ce qu’il observe, il ne peut prétendre à la neutralité,
même bienveillante. Bien au contraire, la notion systémique d’engagement est au cen-
tre du positionnement du thérapeute. Cet engagement est aussi une démarche de
construction du sens à l’intérieur de la relation.
Avec le patient
L’allié thérapeutique doit établir avec le patient une réelle alliance, basée non pas sur la
seule technicité rééducative dont il est porteur, mais aussi sur la relation qui sert de
support aux soins qu’on va leur proposer. Cette relation implique un abord respec-
tueux de la personne qui est en face de nous et de son histoire, et impose de ne pas se
limiter à une réification du patient, où il se résumerait dans la séquelle et le déficit que
l’on prend en charge. Tous ces éléments apporteront perspective, profondeur et épais-
seur à la rencontre que nous faisons avec ces blessés. Ils nous apparaîtront dès lors
comme des êtres humains en proie à la souffrance et à la menace que la maladie fait
peser sur eux et leur parcours de vie. C’est là que se bâtit un effet psychothérapeutique
avéré de la rééducation, qui ne passe pas par la psychothérapie.
Avec l’équipe et la famille
L’intervenant systémique dans cette position d’allié thérapeutique devra au niveau de
l’équipe, comme au niveau de la famille, tendre à ouvrir la compréhension des prota-
gonistes sur le sens des troubles du comportement afin d’éviter que ceux-ci ne ser-
vent de support aux processus de bouc-émissarisation qui sont toujours à l’œuvre
dans les équipes et les familles confrontées à la violence, à l’incompréhension ou à la
confusion. Dans ces deux systèmes l’intervenant doit être le porteur d’interrogations
qui décentrent le point de vue, pour faire entendre les différentes dimensions qui
34 J.-M. Destaillats et al.

peuvent sous tendre le trouble. Dans le service MPR du CHU de Bordeaux, nous
avons construit au cours des années une approche neurosystémique intégrée. Elle
s’appuie dans un premier niveau, sur une diffusion de cette épistémologie par des
formations aux soignants du service, de l’aide-soignante et l’infirmière aux rééduca-
teurs et aux médecins. Dans un deuxième niveau cette approche structure les réu-
nions d’équipe centrées sur le travail clinique en ouvrant les questionnements sur les
trois portes. Au troisième niveau de complexité, des thérapeutes neurosystémiciens,
membres de l’équipe, mènent une action d’accompagnement systémique de la réédu-
cation auprès du patient et de sa famille, mais aussi de l’équipe, les aidant à dépasser
par eux-mêmes les difficultés. En dernier lieu, quand la difficulté entraîne trop de
souffrance, une consultation handicap et famille leur est proposée. L’évaluation qui
y est réalisée (pluridisciplinaire, associant des intervenants de l’équipe des premiers,
deuxièmes et troisièmes niveaux neurosystémiques avec des intervenants extérieurs
pour croiser les regards et enrichir les hypothèses) nourrira en retour les trois précé-
dents niveaux et les soins de rééducation. Ceci est illustré et développé plus loin dans
cet ouvrage.

De l’allié thérapeutique à l’alliance thérapeutique avec la famille


L’ambition de l’allié thérapeutique est d’arriver à être au côté du patient pour la com-
préhension des difficultés qu’il peut rencontrer ou manifester, aussi bien dans l’insti-
tution qu’au sein de la famille. Donc pour être allié du système, c’est-à-dire être allié
de tous individuellement et d’aucun en particulier, l’allié thérapeutique a pour ambi-
tion de créer une alliance thérapeutique systémique. Cette alliance ne sera réellement
thérapeutique que si l’évolution et la transformation de la famille au cours du soin et
de la thérapie, se font dans le respect des besoins d’évolution du patient. L’intervenant
doit donc être engagé pour éviter que le système ne se stabilise au bénéfice de tous,
sauf du patient, dont les possibilités d’évolution pourraient être bloquées dans l’inté-
rêt de l’équilibre familial. Si cette solution d’équilibre est tout à fait compréhensible
du point de vue du système lui-même, du fait de la loyauté à l’alliance thérapeutique
avec le patient, l’intervenant doit remettre en cause cet équilibre par son questionne-
ment, car l’enjeu est double. D’une part, il ne faut pas amputer l’avenir du patient
d’une amélioration de la qualité de vie que lui vaudrait la poursuite de son évolution
clinique et de ses capacités adaptatives. D’autre part, l’équilibre se faisant au détri-
ment du plus vulnérable, il doit être questionné dans un engagement d’éthique rela-
tionnelle, tant pour l’intervenant que pour la famille et ses membres. Les troubles du
comportement peuvent représenter une étape plus ou moins longue conduisant vers
une meilleure adaptation des patients par une prise en charge de leurs difficultés.
Toutefois, certains troubles génèrent une telle souffrance [31,32] que le système peut
avoir la tentation de s’équilibrer à un moindre degré de performance du patient pour
le bénéfice des autres. Or, la position d’allié thérapeutique nous impose de l’éviter, car
cela correspond à une autre modalité de la bouc-émissarisation du patient, même si la
souffrance de ses proches est tout à fait compréhensible et ne doit pas être sous-
estimée. Passer à l’alliance thérapeutique équivaut à faire en sorte que toute la famille
soit consciente de l’enjeu que cela représente pour le patient et pour elle-même car il
s’agit d’un risque de distorsion du lien. L’autre enjeu, dans l’intérêt de la famille, est de
lui éviter la culpabilité que représente pour elle le sentiment de s’être beaucoup plus
protégée qu’elle n’a protégé le patient. Toutes les familles sont très sensibles à cette
dimension, pour peu qu’on la leur expose ainsi, car cela respecte tout autant le patient
que chacun des membres de leur système et les renvoie à l’idée de leur famille, à leur
modèle, à leur éthique et leurs valeurs [53].
Neurosystémique : théories et pratiques 35

Une microanthropologie du lien


Une famille, c’est l’histoire de la transformation de ses projets et de ses membres au fil
de l’existence. Cette histoire ne s’arrête pas avec la survenue de lésions cérébrales, bien
au contraire la lésion rend chacun beaucoup plus conscient de l’enjeu de la continuité
de leur histoire et de leurs projets. L’avenir est pesamment chargé d’incertitudes inquié-
tantes. Leurs attentes auprès des équipes reflètent leur hésitation sur la direction à
prendre face à l’avenir et sur les conséquences relationnelles qui en découleront. Ils
mesurent l’inflexion donnée par la maladie sur leur trajectoire de vie à tous. Le projet
des intervenants familiaux est d’aider ces familles à se transformer en utilisant leurs
compétences à le faire et en respectant leur auto-éco-adaptation. « Le but n’est pas de
les aider à redevenir comme avant, mais de les aider à devenir comme après » [5].
Le symptôme trouble du comportement est envisagé à travers une grille de lecture rela-
tionnelle [14,33,37]. Dès lors, le symptôme est essentiellement un message. Ceci suscite
trois questions :

n le symptôme montre quoi ?


n il le montre à qui dans la famille, et selon quelles règles ?
n et avec quels résultats ?

Le message dont le symptôme serait porteur nous informe tout autant sur le porteur
du symptôme que sur le système qui lui donne un sens. Il convient donc d’interroger
longuement la famille sur le sens qu’elle donne aux troubles du comportement, car il y
a là des éléments de réponse qui ouvrent sur la souffrance des familles. Cette souffrance
peut renvoyer à l’apparition brutale de la maladie, proximité avec la mort d’un de ses
membres. Ceci réactive chez tous les autres le souvenir de cette période, qui reste tou-
jours un traumatisme à l’œuvre, et que peut ré-acutiser le trouble du comportement du
patient.
Le symptôme renvoie aussi à des souffrances antérieures précédant la survenue de la
maladie. Selon les théories de la communication [56], le trouble du comportement est
essentiellement une communication car il est impossible de ne pas communiquer, le
comportement n’ayant pas de contraire. L’intervenant systémique face à ces « troubles »
sera donc attentif aux comportements de tous les membres de la famille, qui sont
autant de messages qui se surajoutent à ce qui est exprimé verbalement. Les troubles du
comportement n’étant pas seulement une erreur, ils méritent une attention toute par-
ticulière, car ils ont une valeur de métacommunication sur les relations familiales.
Dans la compréhension thérapeutique du message que porte le symptôme quel qu’il
soit, il ne faut pas oublier la double dimension des actes. En effet, l’être humain ne fait
pas uniquement les choses « parce que », il les fait aussi « afin de ». Cette finalité téléo-
logique est à la fois individuelle et systémique, car le patient n’est pas en dehors de la
famille, tout comme tous les autres membres de ce groupe d’appartenance. Les com-
munications s’inscrivent, de surcroît, dans l’histoire de la relation. Cette relation influe
donc sur le sens des messages et sur la façon dont ils peuvent être compris. Il existe
toujours une différence de compréhension entre les membres de la famille et les théra-
peutes intervenant autour des troubles du comportement. Elle se fonde sur le fait que
la famille possède l’histoire de la relation, car ses membres en ont été les protagonistes.
La différence vient aussi du fait qu’ils étaient acteurs dans leurs communications de
l’évolution et de la transformation de leurs relations.
36 J.-M. Destaillats et al.

Dans la dimension relationnelle familiale, le « afin de » s’appelle aussi le projet. Chacun
des membres de la famille, en construisant ces relations, avait un projet intime indivi-
duel, et un projet systémique familial. Chacun d’entre nous est confronté à ce qui l’en-
gage pour lui-même dans la relation, et ce qui l’engage pour l’autre ou les autres. Cela
ouvre sur une dimension morale personnelle où se traitent, dans le secret du for inté-
rieur, les dimensions de la responsabilité, de la culpabilité, de l’éthique relationnelle.

Les historiens et les cartographes : le traitement


métasystémique des troubles du comportement
Les cartographes : la carte et le territoire
L’information sur les troubles
Comme nous l’avons tous constaté, il y a une différence entre la carte et le territoire car
tous les éléments du territoire ne figurent pas sur la carte, mais la congruence d’un
certain nombre d’entre eux, hautement significatifs, permet à chacun de se repérer.
Dans le cadre des troubles du comportement, il n’y a plus cette congruence et cela pro-
voque un profond désarroi et une incompréhension partagée. L’information sur les
troubles doit être la première étape du traitement. Elle doit être pratiquée systémati-
quement car elle est à la fois thérapeutique et très informative sur la façon dont les
interlocuteurs s’en saisissent. En effet, face à la carte relationnelle normative, le trouble
du comportement apporte une dimension d’incompréhension qui touche tous les
protagonistes.
L’information au niveau individuel
On se doit de rendre compte au patient des résultats des bilans neuropsychologiques
même si l’anosognosie, très fréquente dans certaines pathologies, limite la portée éclai-
rante de cette information. Mais le support qu’apportent les bilans neuropsychologi-
ques et lésionnels permet d’introduire une distinction très importante. Nous avons
créé un artifice de discours qui sert à éviter la stigmatisation du patient. Nous séparons
la personne du patient, de la lésion et l’expression de ce qu’il a à dire, de la forme que
lui donne cette lésion. C’est ainsi que le patient est présenté comme victime ou otage de
sa lésion et entravé par celle-ci dans l’expression adéquate de ses émotions. Notre but
est d’éviter la bouc-émissarisation que peut entraîner le trouble du comportement
lorsqu’il s’accompagne de violences verbales ou physiques, ou, au contraire, d’une
apparente indifférence aux attentes des autres. Le fait de dissocier ainsi les choses a
pour but d’éviter la causalité linéaire excessive qui ne ramènerait qu’à la lésion l’ensem-
ble de l’expression des troubles du comportement, alors que ceux-ci contiennent une
valeur de communication sur la relation.

L’information au niveau familial


Le fait de dispenser une information sur une cartographie neuropsychologique ou
lésionnelle face à une famille qui a perdu sa carte relationnelle permet très souvent de
constater que cette information n’est pas suffisante. Notre discours scientifique n’ayant
pas d’effet sur la souffrance des gens qui y sont confrontés dans l’immédiat, entraîne la
persistance pendant de longs mois d’une lecture émotionnelle des liens, créatrice d’un
malentendu relationnel où les erreurs cognitives de la famille sont aussi importantes.
La famille a tendance à penser que les troubles du comportement sont plutôt une
absence de solidarité, une offense, un manque d’amour, une ingratitude des patients
vis-à-vis de leur famille. Il se passera beaucoup de temps avant qu’ils accordent une
place à la dimension de l’erreur cognitive et de l’impact lésionnel, car l’ensemble de leur
Neurosystémique : théories et pratiques 37

histoire les prédispose, comme chacun d’entre nous, à penser l’intentionnalité du trou-
ble comme inscrite dans une grille de lecture affective et relationnelle. La force du lien
d’appartenance donne avant tout une lecture morale à ce qui se passe et ouvre donc sur
les notions de culpabilité personnelle qui décodent le trouble du comportement comme
un grief, un reproche, une accusation, une provocation.
L’information au niveau institutionnel
Les équipes ne sont pas très différentes des familles lorsqu’elles sont confrontées aux
troubles du comportement. Le renouvellement assez régulier du personnel des équipes
fait qu’une information sur les séquelles lésionnelles et neuropsychologiques reste tou-
jours importante à apporter. Par ailleurs, la lourdeur du travail de rééducation et de
l’accueil de la souffrance diminue le seuil de tolérance à tout ce qui vient entraver le
travail quotidien, et complexifie ou alourdit ce dernier. Dès lors, une des réponses les
plus faciles et la plus acceptable à un premier niveau de lecture, est la psychiatrisation
du trouble. Ceci disqualifie le contenu de ce comportement en le rattachant à une aber-
ration, une anomalie, qui justifieraient que le patient ne soit plus dans le service. Dès
lors, toute la prise en charge systémique de l’équipe devient au premier plan, car il
convient de préserver sa dimension de système thérapeutique, et non pas de laisser
émerger en elle un système d’exclusion. Arriver à redonner un sens clinique important
à chacun des acteurs du soin au niveau de l’observation du trouble du comportement
et son décodage est un moyen d’avoir un impact thérapeutique sur le trouble du com-
portement. Les synthèses permettent d’extraire les réactions affectives compréhensi-
bles des soignants de la dynamique projective, qui retombent aussi sur la famille dont
le patient est membre. On évite ainsi, de façon préventive, à l’équipe de s’engager dans
la crise hétéroréférentielle que nous décrirons plus bas.

Le brouillage des cartes familiales


Nous pourrions comparer à un brouillage de cartes la difficulté des familles confron-
tées par la lésion cérébrale à une situation totalement nouvelle et incompréhensible
pour eux. Ce brouillage leur donne le sentiment d’avoir perdu leur chemin entre eux,
car la carte sur laquelle ils se basaient pour évoluer ensemble se trouve radicalement
modifiée par l’irruption de la maladie et des troubles du comportement. Pour pouvoir
traiter cela, il faut effectivement mesurer ce que vit la famille.
En effet, la famille, qui est le meilleur moyen qu’a trouvé l’humanité au fil des millénai-
res pour faire face à l’évolution stochastique de l’existence, est un système à finalité
prédéterminée complexe. Cette complexité fait référence aux travaux d’Edgar Morin
[35,36] pour qui on peut dire qu’un système complexe est créateur d’imprévisible. En
cela, si la finalité éducative de la famille est prédéterminée, son devenir est imprévisible.
Or la famille se trouve démunie face à cette catastrophe, car l’apparition brutale de la
lésion cérébrale constitue un facteur de déstabilisation très important. La famille ren-
tre dans deux crises, dites auto- et hétéroréférentielle [14,37].
La crise autoréférentielle
La famille perd toutes ses références personnelles, en particulier celles basées sur le
mode relationnel qui constitue l’armature de la stabilité à l’intérieur du système
familial. Le trouble du comportement consécutif à l’apparition brutale de la mala-
die entraîne un vécu de perte de contrôle du système sur son histoire par la mise en
doute du modèle de la relation. La lésion cérébrale bouleverse la tentative de stabi-
lité que constitue l’évolution du système familial et, peu à peu, l’avenir des membres
semble mis en difficulté par la mise en doute du modèle de la relation. Le traitement
38 J.-M. Destaillats et al.

s’attachera donc ici à traiter les hypothèses issues de la porte familiale. Cette crise
autoréférentielle peut rendre compte des troubles du comportement que l’on
observe à travers l’abord individuel du patient. Celui-ci peut ainsi montrer comment
la crise familiale est particulièrement intense et se manifeste chez le patient par des
perturbations émotionnelles et comportementales. Le doute sur le devenir de cha-
cun des membres à l’intérieur du système est lié à la remise en cause pour chacun
d’entre eux des règles relationnelles (aussi bien dans les contenus que dans les for-
mes de la relation) qui les unissent. Il en découle une souffrance individuelle et col-
lective, touchant chaque personne et chacun de leurs sous-systèmes d’appartenance.
La lésion cérébrale attaque le lien du fait du risque vital encouru par le blessé et
menace de le faire disparaître ainsi que tout ce qu’il apporte aux protagonistes du
système. Elle menace ensuite, et durablement (par la transformation liée aux séquel-
les cognitives comportementales), les équilibres antérieurs et les projets (individuels
et collectifs) de chacun.
L’incertitude pour tous est, pour longtemps, accrue car l’évolution et la récupération
sur plusieurs mois et plusieurs années réalimentent le « compte-épargne espoir » d’un
retour à l’état antérieur. Le retour à l’état antérieur serait la solution qui permettrait de
supprimer le problème dans une causalité linéaire familiale : « Rendez-nous-le comme
avant et ainsi nous n’aurons plus de problème, tout pourra continuer comme nous
l’avions prévu auparavant. » Dans le même temps, la permanence durable des déficits et
l’impact des séquelles sur la relation rappellent à chacun des membres que le système
est devenu différent aux yeux de tous les protagonistes. Il y a donc un conflit cognitif
entre deux représentations, celle issue du passé et celle rencontrée dans le présent, aux-
quelles se surajoute un grand flou sur le devenir familial. Le compte épargne espoir
reflète la tendance à la stabilité de tout ordre symbolique. Les séquelles apportent la
dimension du désordre, de la nécessaire transformation de cet ancien modèle. C’est une
façon positive de rappeler que les modèles se transforment par des crises. De cette ten-
sion portée sur le modèle du système, naît la confusion, le doute, la souffrance de ses
membres. La crise familiale trahit la peur engendrée par cette plus grande complexité et
cette plus grande incertitude. Quand la carte ne correspond plus au territoire, tout le
monde se sent fragilisé, perdu ou désorienté.
La crise que traverse la famille à l’occasion du drame du traumatisme crânien est aussi
un doute sur sa compétence. Dans cette situation où elle se sent dépassée, la famille
demande de l’aide et une intervention à un tiers supposé savoir. En systémique, l’inter-
venant doit donc laisser de côté sa pseudocompétence et découvrir le savoir spécifique
de chaque famille face aux catastrophes. Si la difficulté à se transformer entraîne trop
de souffrances, le système rencontre une incapacité interne qui peut se transformer en
handicap pour la famille. Il faut alors lui proposer une aide thérapeutique pour éviter
que le traumatisme crânien ne produise un handicap familial. L’intervenant doit donc
rencontrer la famille au travers de questions les concernant, même si la famille lui en
pose beaucoup, comme si lui détenait la solution. C’est pour respecter la famille et sa
compétence que l’intervenant entre dans ce questionnement. Les questions entraînent
la famille dans un processus de résolution de la crise par une transformation de leur
modèle. Au travers de la rencontre avec l’intervenant, le système familial redécouvre sa
propre compétence. Cette confiance dans leur compétence est un des objectifs théra-
peutiques du soin systémique.

La crise hétéroréférentielle
La crise hétéroréférentielle est un autre objectif de soin systémique. Le traitement de
cette crise est la conséquence des hypothèses de la porte institutionnelle. Il répondra en
Neurosystémique : théories et pratiques 39

outre à l’ambition de ne pas accroître les difficultés de la famille. Lorsque des conflits
entre patients et institution, et/ou entre familles et institution nous sont adressés, ils
traduisent toujours l’existence d’une crise hétéroréférentielle.
Cette crise, venue de l’extérieur, contribue au doute la famille et de ses membres (dont
le patient), par rapport à leur modèle, car elle est induite par la confrontation de leur
groupe d’appartenance avec des institutions soignantes, qui sont des groupes d’inclu-
sion, qui tendent à la réification du sujet. C’est ainsi qu’on considèrera en institution
qu’on s’occupe de traumatisés crâniens, de cérébrolésés, et beaucoup moins de person-
nes ou, en tout cas, insuffisamment aux yeux de certaines familles ou de certains
patients. Il peut y avoir aussi une disqualification de la famille dans ses actes et son
modèle spécifique par l’institution et les soignants, ce qui accroît les doutes de la
famille et la souffrance qui découle du sentiment de son incompétence face à la crise
qu’elle traverse. C’est ainsi que lorsqu’on déclare aux membres de la famille qu’ils ne
font pas bien, qu’ils ne savent pas s’y prendre, ou que nous avons l’air d’avoir beaucoup
de réponses qu’eux-mêmes ignorent sur les façons de faire et de procéder avec leur
patient, on aggrave chez eux le sentiment de brouillage des cartes.
La crise hétéroréférentielle vient aussi du fait que nous pouvons avoir des attitudes de
certitudes soignantes face aux familles, qui peuvent dissimuler nos doutes quant à
l’évolution, à la solution des troubles. Certaines familles peuvent les concevoir comme
une offense et une blessure dévalorisante, qui fera rentrer la confrontation entre le sys-
tème soignant et le système familial dans les disqualifications réciproques qui pren-
nent la forme du « jeu de la patate chaude ». Au sein de l’équipe, chaque acteur de
l’institution se trouve mis en tension par les demandes des familles ou leur insatisfac-
tion face aux résultats du soin. Dès lors, le « jeu de la patate chaude » pour le soignant
devient la tentative d’évacuation du doute que fait peser sur nos modèles théoriques,
nos compétences et notre toute-puissance, leur confrontation à nos limites et à la souf-
france des patients et des familles. Le jeu de la patate chaude est le signe pathognomo-
nique que l’équipe est dans une crise hétéroréférentielle. L’intervenant engagé dans ce
processus doit donc prendre en compte sa place et celle de l’institution dans la construc-
tion de chaque difficulté que rencontre le patient pour ne pas accroître le sentiment
erroné d’incompétence sur son devenir qu’a la famille. Ainsi, on ne contribuera pas à la
souffrance déjà présente dans la famille qui vit une crise autoréférentielle, en les enga-
geant dans cette crise hétéroréférentielle que nous venons de décrire.
L’aspect très positif et dynamique du traitement systémique de la crise hétéro référen-
tielle est lié au fait que sa solution repose toujours sur nous et sur notre capacité à nous
changer dans notre façon de faire pour nous adapter aux patients aux familles et à leurs
difficultés. Si les lésions ne se modifient pas, si la famille est dans l’incapacité de chan-
ger, sommes-nous vraiment bloqués par les troubles du comportement ? Quel nouveau
système d’alliance thérapeutique pouvons-nous tenter de créer ?

La carte systémique du patient


Le brouillage de la carte du patient est lié à l’existence des lésions cérébrales et des
séquelles cognitives qui en découlent. L’abord neurosystémique du traitement du trou-
ble du comportement ne doit pas omettre cette dimension individuelle où la carte de
représentation du monde pour le patient est altérée, transformée et modifiée. La pro-
position de soin spécifique neuropsychologique ou médicamenteux doit s’inscrire dans
cette dimension méta systémique. Le patient est fréquemment hostile à la prise de
médicaments ou, du fait de son anosognosie, réfractaire aux propositions de prise en
charge neuropsychologique. Toutefois, il reste extrêmement perméable aux émotions
qui circulent autour de lui dans la famille ou dans l’institution. Bien souvent, il rejoue
40 J.-M. Destaillats et al.

dans l’institution, sous une forme métaphorique, l’ensemble des événements auxquel-
les il est confronté dans sa famille, et qu’il ne peut pas cognitivement élaborer.
Malheureusement, cette mise en scène provoque souvent la crise hétéroréférentielle
entre le patient et l’équipe. En cela, le trouble du comportement est porteur d’un mes-
sage dont le patient peut ignorer le sens, mais dont la pertinence ne doit pas être mise
en cause à priori. Le patient lui-même est le vecteur de ce message à l’intérieur de l’ins-
titution où il est soigné, et bien souvent nous avons pu constater cette porosité entre
les dynamiques familiales telles qu’elles sont perturbées, et la crise que les patients peu-
vent induire dans les institutions où ils sont accueillis. Ils sont les acteurs, par leurs
troubles du comportement, d’un questionnement qui devrait alerter les thérapeutes.
Dans ce traitement neurosystémique, l’abord ne minimisera pas plus l’importance des
traitements qu’il n’exagèrera la causalité lésionnelle du comportement. La mise en
place d’un traitement médicamenteux ne doit pas stigmatiser et « désigner » le patient,
mais bien au contraire lui permettre de contribuer à la sortie de crise de la famille. C’est
sous cet angle que la médication doit lui être présentée. Nous utilisons souvent des
formules systémiques de ce type : « Je vais prescrire à vos parents un traitement pour
soulager leur souffrance, et c’est vous qui allez le prendre de manière à les aider à aller
mieux. » On souligne ainsi la solidarité du patient qui se soigne, la pertinence de son
trouble qui a permis de faire constater la souffrance de la famille qu’il exprime en par-
tie, autant qu’il est le signe d’un dysfonctionnement cérébral. Il ne faut jamais oublier
le double sens du symptôme. Il a pour mission à la fois de stabiliser et d’éteindre la crise
en provoquant une focalisation sur le patient [14,37,38,39,52], et d’autre part il est là
pour dénoncer la crise et induire la nécessaire transformation de la famille et de son
modèle qui sont bloqués par la souffrance de tous. Les médicaments, s’ils ont une place
importante dans l’abord neurosystémique, doivent la prendre en étant à leur tour vec-
teurs de relation. Ils permettent alors, au-delà de l’aspect réductionniste, d’être un puis-
sant levier de changement et de transformation du système, pour peu que leurs
prescriptions soient plus rattachées à leur fonction pour le système qu’à la psychiatri-
sation du patient. Le trouble du comportement apparaît donc comme la puissante
carte systémique du patient qui pose la question de confiance au système : peut-il se
transformer ? Cette carte systémique fait du patient un cothérapeute de sa famille, l’en-
gageant dans la transformation indispensable du modèle et relançant la question de la
dynamique du parcours de la famille dans l’existence.

Les historiens et la microanthropologie du lien


L’abord de la famille permet de rentrer aussi dans l’histoire du parcours de vie de ses
membres, dans la représentation qu’ils se faisaient de leur trajectoire passée, présente,
dans les questions sur la trajectoire future. En effet, dans le présent de la famille se
rejoignent toutes les questions issues du passé et toutes celles issues du futur. Dans les
questions issues du passé, il y a la source de toutes les attentes satisfaites ou frustrées,
la mémoire de tous les conflits, des dettes affectives, des renoncements, des trahisons,
des épreuves, des blessures de la vie et des sentiments qu’ils ont eus à connaître indivi-
duellement et collectivement. Il y a l’histoire du lien telle que tous ont contribué à le
construire, à le faire évoluer. Il y a l’histoire du lien, qui laisse chacun face aux questions
de la responsabilité personnelle, de la culpabilité individuelle, qu’ils peuvent avoir déve-
loppé les uns par rapport aux autres. Dans les questions issues du futur, il y a le poids
de l’histoire du lien sur tous les projets individuels et collectifs dans le système. En
examinant la situation à partir du trouble du comportement, on accèdera progressive-
ment au sens caché de ce symptôme, mais aussi au sens contenu dans la crise familiale.
En effet, si le système vit, dans la lésion cérébrale et dans les troubles du comportement,
Neurosystémique : théories et pratiques 41

un sentiment accru de perte de contrôle sur son histoire, le trouble du comportement


peut induire cette crise dans le système, tout autant qu’il peut en être le reflet. Dès lors,
le trouble du comportement sera beaucoup moins référé à la lésion qu’à une crise qui
peut avoir commencé bien avant la survenue de la maladie. Les membres de la famille,
tout comme les soignants, peuvent rencontrer autour de la pathologie du traumatisme
crânien la question du sens de l’accident.
Pour la famille, la façon dont ils auront négocié cette étape catastrophique de leur exis-
tence construira du sens [43,44,45,46,47]. Ainsi, le sens contiendra, selon les choix et les
actes de chacun, davantage ou moins de souffrance collective ou individuelle, comme
c’était déjà le cas pour l’histoire passée du lien. Le processus de construction du sens se
fait donc dans la souffrance des choix personnels de chacun des membres de la famille
à laquelle se surajoute à la souffrance liée à la transformation du modèle. De la façon
dont chacun répondra pour lui-même et pour les autres à ces questions, s’écrira pour
tous la suite de l’histoire du système et le sens qui en émergera.
« En faisant le récit d’une histoire dont je ne suis pas l’auteur quant à l’ori-
gine, je m’en fais le coauteur quant au sens. »
P. Ricœur
Le symptôme et le symbole
Au cours de l’approche neurosystémique, le symptôme peut apparaître comme une ten-
tative de symbolisation d’une souffrance familiale et individuelle, qui véhicule beau-
coup plus que la lésion elle-même ou le trouble neuropsychologique. Il se trouve enrichi
de toute la complexité de l’histoire des relations familiales et personnelles. Le traitement
neurosystémique a pour but de redonner à ce symptôme une capacité de communica-
tion et de message, où la souffrance familiale est aussi exprimée de manière codée, en
dehors des dimensions tout à fait réelles neurologiques et neuropsychologiques. Cette
souffrance n’est pas seulement une souffrance qui commence avec l’événement trauma-
tique de l’apparition de la pathologie. L’apparition de la pathologie a le pouvoir destruc-
teur de réactiver toute la souffrance contenue dans les liens construits au fil du temps.
La lésion cérébrale et les troubles neuropsychologiques rendent très mystérieuses et
interrogatives ces dimensions relationnelles, et confrontent davantage chacun des mem-
bres du système aux questions de la solidarité, de l’engagement, de la souffrance, des
sentiments et du lien. Le symptôme peut ainsi devenir porteur de sens pour chacun des
membres de la famille, alors que souvent la lésion interdit au patient la capacité d’avoir
accès à sa complexité. Le traitement consiste, pour l’intervenant systémique, à donner
accès aux membres de la famille à cette coconstruction d’un sens, issu de leur histoire
[45,46,47]. Cette microanthropologie du lien tente de tisser dans l’alliance thérapeuti-
que un sens qui transforme pour les membres de la famille le symptôme en symbole.
Ceci passe par une forme d’interaction qui tisse la trame du récit qu’ils construisent, car
le cheminement narratif de leur parcours a des effets thérapeutiques.

Approche neurosystémique et Théorie de l’esprit


Les entretiens systémiques sont organisés selon plusieurs modalités d’interactions
codifiées dans les théories de la pragmatique et de la logique de la communication de
l’école de Palo Alto [9,10,56]. Le premier point est que l’intervenant est engagé dans
l’interaction, à l’inverse des théories psychanalytiques où la neutralité bienveillante
constitue un autre mode d’abord de la parole. La différence essentielle de cet engage-
ment tient au fait qu’il s’agit d’un groupe familial qui est face à l’intervenant et non
d’une personne seule. Pour faire ce travail, l’intervenant doit éviter d’adresser la parole
42 J.-M. Destaillats et al.

à tour de rôle à chacun des membres de la famille pour que celui-ci parle de lui-même.
Il procède préférentiellement par un questionnement dit circulaire. C’est ainsi qu’il
demandera à la mère ce qu’elle pense de ce que peut vivre, ou se représente, ou conce-
voir tel ou tel autre membre de la famille ou le système lui-même. La réponse qu’elle
donne entraîne une clarification de la façon dont elle perçoit les différents protagonis-
tes de la famille et la famille elle-même. Ceci provoque simultanément chez tous les
membres une confrontation avec leur propre représentation de ce qu’il croyait être la
relation perçue par leur mère.
Ce questionnement circulaire mené par l’intervenant est la preuve de l’engagement
dans la construction de la relation. Il contribue par sa curiosité et par son intérêt réel
pour la difficulté, à faire émerger les représentations des uns et des autres, mais il
apporte aussi les siennes, et c’est un autre point très important des entretiens systémi-
ques. Il formule ses propres représentations désignant en quoi elles construisent ses
questionnements auprès de tous les membres de la famille. On comprend donc ainsi
qu’il s’agit d’un travail qui pose la confrontation des représentations des uns et des
autres comme base et support du travail mené ensemble. C’est là encore une autre dif-
férence notable avec d’autres approches : il ne s’agit pas de travailler sur les inconscients
individuels des protagonistes ni sur des démarches psychodynamiques, qui sont diffi-
ciles à aborder collectivement pour ceux qui sont destinataires des questions, car elles
ne préservent pas leur intimité ou leur stratégie relationnelle [15]. Au contraire, ces
questionnements leur laissent le choix de répondre, en présence des autres, à leur posi-
tionnement familial, à la façon dont ils l’organisent.
En cela, le travail systémique est plus proche des mathématiques que de la psychologie.
Les mathématiques s’intéressent aux relations entre les nombres, ce qui est un travail
systémique, et non pas à la valeur intrinsèque des nombres, ce qui serait plutôt un tra-
vail psychanalytique. Le handicap y est abordé à travers ses conséquences pour le groupe
familial, c’est-à-dire à travers la façon dont chacun et l’ensemble résolvent la question
qui leur est posée individuellement et collectivement par ce phénomène. Ceci revient à
dire que dans l’approche neurosystémique l’intervenant ne s’adosse sur aucun savoir
préexistant à la rencontre et évite de rentrer dans des représentations de compétence
particulière sur les personnes. Il prend garde à ne pas de tomber dans les représenta-
tions ordinaires des médecins, des psychiatres, des psychologues tels qu’ils sont perçus
par la population, à savoir comme des gens qui auraient un savoir du fait de leurs étu-
des sur les personnes qu’ils rencontrent avant que ces mêmes personnes aient pris
conscience d’une réelle connaissance d’eux-mêmes. Parés de ces attributs de toute-puis-
sance, il y a fort peu de chance que l’intervenant neurosystémicien puisse authentique-
ment rencontrer le système familial, car ce savoir éteindrait le questionnement qui
construit la rencontre systémique.
C’est pourquoi les questions de l’intervenant restent des hypothèses sur ce que pour-
raient vivre les gens, individuellement et collectivement, et ne sont pas des affirma-
tions sur leur vécu propre. Cela revient à dire : « Voilà comment je vous vois et
comment je vous perçois », et non pas : « Voilà ce que vous êtes. » En cela, ils respec-
tent le fait que l’observateur est intégré dans la construction de l’observation, qu’il
tient compte du tiers inclus de la relation, et qu’il aura sa part de responsabilité dans
ce qui en découlera. Il n’est point ici question de défenses de la famille dans lesquelles
nous n’aurions rien à voir. Donc ces représentations sont des hypothèses que l’inter-
venant confronte au filtre de chacun des membres de la famille, à leur positionne-
ment, à leurs réponses, à leurs critiques. Et les réponses des uns et des autres
construisent de nouvelles représentations collectives et personnelles. Ce qu’on pour-
rait résumer ainsi : « Voilà ce que je crois percevoir ou comment je vous perçois, voilà
les questions qui me sont venues à l’esprit. » Face à ces formulations, chacun se
Neurosystémique : théories et pratiques 43

demande : « pourquoi nous voit-il comme ça, sommes-nous réellement comme ça, et
au fait comment sommes-nous ? »
La réflexivité de ces questions individuelles et familiales fait que s’ils rentrent dans
ces questionnements, les membres de la famille ont déjà commencé à changer. C’est
un des impacts de ces entretiens sur la transformation du modèle qui les organise. Ce
processus se poursuit d’entretien en entretien. Les réponses que chacun donnera
pour lui-même et le système l’engageront dans une transformation et une adapta-
tion, le détachant du modèle antérieur, et réintroduisant la dynamique du temps, de
l’auto-éco-organisation, de l’autorégulation et de la finalité qui sont les conditions
de la survie du système. Ce travail présente toutes les analogies avec la Théorie de
l’esprit [12,13,17,18]. Le souci d’envisager le monde du point de vue de l’autre – que
ce soit celui du système familial, du patient ou des thérapeutes –, l’attribution d’in-
tentions et de pensées à autrui et l’empathie sont au centre de l’approche neurosysté-
mique à travers la décentration du point de vue. Bien fréquemment, les patients ont
cette difficulté de flexibilité mentale, de décentration du point de vue avec un repli
sur des points de vue autocentrés. Les membres de la famille, du fait de leur souf-
france, de leur usure, peuvent à la suite de carences adaptatives créées du fait de la
loyauté au système, se retrouver dans des difficultés identiques pour envisager le
point de vue du patient ou des intervenants extérieurs. Ceci touche aussi les équipes
qui, par l’épuisement et la fatigue, se replient sur des processus identiques centrés sur
l’institution.
Le questionnement neurosystémique en lien avec la Théorie de l’esprit amorce la dyna-
mique relationnelle à autrui, l’acceptation de la différence comme support de la repré-
sentation et de la relation, et joue le rôle d’une orthèse cognitive face à la déficience
fonctionnelle d’empathie liée à la souffrance de tous. En ceci, l’approche neurosystémi-
que intègre les déficits cognitifs non seulement du patient mais aussi ceux de la cogni-
tion fonctionnelle des êtres humains, dans la compréhension des difficultés que
rencontrent les personnes des groupes familiaux et du système de soin et des systèmes
eux-mêmes. La neuropsychologie, permettant d’évaluer les difficultés cognitives et
leurs conséquences relationnelles et fonctionnelles en termes d’impact dans la vie quo-
tidienne, sert de support à l’empathie qui construit les hypothèses de l’intervenant sur
ce que peuvent vivre les membres de la famille. Ce faisant, le travail systémique permet
à la famille d’envisager que ce qu’ils vivent n’est ni aberrant, ni fou, car une personne
étrangère peut le concevoir et le partager dans une représentation qui crée une proxi-
mité de vécu. Ainsi, les membres de la famille se détachent de l’isolement de leur
éprouvé, de la culpabilité de ce qu’ils peuvent ressentir, puisque c’est imaginable par
d’autres et que cela ne fait pas d’eux des monstres ou des aberrations affectives. Le sen-
timent de se reconnaître dans les hypothèses formulées à haute voix par l’intervenant
neurosystémique hors de tout jugement moral, renforce le lien d’affiliation thérapeuti-
que pour le système familial, qui se sent reconnu dans ce qu’il traverse. La différence ou
la similitude des représentations entre tous les protagonistes crée une dynamique de
réflexion sur le lien et les positionnements, et ouvre l’attention et l’écoute de tous au
point de vue de chacun. Il émergera de tout cela une construction systémique nouvelle
du lien familial.
« Souvent la cause morale de l’aliénation existe au sein de la famille et prend
sa source dans des chagrins, des dissensions domestiques, des revers de for-
tune, etc. Souvent la première secousse donnée aux facultés intellectuelles et
morales a eu lieu dans la propre maison de l’aliéné, au milieu de ses connais-
sances, de ses parents, de ses amis »
Esquirol, 1805
44 J.-M. Destaillats et al.

Conclusion : les hommes sont des spectateurs


de symptômes et des créateurs de symboles
On raconte que, dans les vastes immensités des relations humaines, un monstre cruel
et tyrannique, la sphinge, dont un des autres noms serait la pathologie, semait la déso-
lation parmi les hommes. Elle en faisait des prisonniers et les assujettissait à la souf-
france. Cependant, ses victimes humaines ne se résignaient jamais à un sort aussi
injuste, même si elles comprenaient parfois à la suite de quels événements et comment
elles s’étaient fait capturer. Elles criaient leur détresse pour qu’on leur porte secours et
la sphinge s’efforçait de les réduire au silence. Alors, elles envoyaient des messages cryp-
tés, que l’on nomme aussi symptômes, espérant que d’autres humains les liraient. Ceux
qui voulaient les délivrer rencontraient sur leur chemin la sphinge qui, comme toutes
les sphinges, aimait à procéder par énigmes. Si l’énigme était résolue, la sphinge dispa-
raissait et les prisonniers recouvraient leur liberté et leur autonomie, même s’ils en
gardaient souvent des séquelles. Dans le cas inverse, elle frappait de surdité et de cécité
ceux qui tentaient cette entreprise, les laissant prisonniers de leurs nouvelles
infirmités.
Une des énigmes qui nous est parvenue est la suivante :
« Qu’est-ce qui cherche son sens dans le même temps sur trois chemins ?
(neurologique, cognitif, relationnel) »
« Qui passe par trois portes ?
(individuelle, familiale, institutionnelle) »
« Qui pourtant ne fait qu’un au-delà ? »
On raconte qu’une des réponses à cette énigme serait le soin.
On dit aussi qu’avant de disparaître, dans un soupir, les derniers mots de la sphinge
pourraient avoir été : « Il faut prendre soin du sens, pour donner du sens au soin. »

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Approche neurosystémique du
handicap : expérience d’une équipe
transdisciplinaire en MCO au CHU
de Fort-de-France
P. René-Corail1, M. Gemieux1, C. Belio2, S. Molcard1, R. Bristol1,
L. Ulric3, R. Edragas1, A. Jean-Etienne1, J.-M. Mazaux2
1. Réseau Handicap, 45, bd Amilcar Cabral - Cluny, 97200 Fort-de-France.
2. EA 4136 Handicap et système nerveux, université
Victor-Segalen Bordeaux 2, 33076 Bordeaux.
3. Réseau Handicap Martinique.

Notre équipe pluridisciplinaire a utilisé l’approche « neurosystémique  » pour réaliser


un accompagnement précoce autant des personnes en situation de handicap, des
familles que des équipes de soins en service de court séjour. Cet accompagnement pré-
coce requiert une coordination entre l’équipe du court séjour (MCO) concernée,
l’équipe mobile pluridisciplinaire de coordination des sorties (EMPCS) et le Réseau
Handicap (RAPH 972). Pour illustrer notre pratique de l’entretien avec les familles dans
la période d’hospitalisation, nous présenterons deux cas cliniques. En effet, il est impor-
tant que les premières rencontres aient lieu alors même que le patient est encore hospi-
talisé. Ce contexte particulier réunit à la fois le patient, sa famille et les représentants
des différentes équipes impliquées dans cet accompagnement. Pour optimiser nos
actions et faire le lien entre les différents partenaires, nous avons créé un protocole
« transversal » au sein du CHU. Ce protocole prend en compte l’entrée et la sortie « pro-
blématique » des personnes handicapées hospitalisées. Si la question de l’entrée en hos-
pitalisation est souvent liée à la présence d’une pathologie, celle de la sortie d’un service
pour ces patients handicapés est toujours reliée à la question du projet de vie. Nous
avons reçu en 2007 une formation à l’approche neurosystémique du handicap. Notre
expérience des 148 patients de l’année 2009 prend en compte les acquis de cette forma-
tion. Nous avons évolué vers plus d’éthique des soins en parvenant à accompagner la
reconstruction du projet de vie des patients à la sortie du monde hospitalier, par une
réadaptation et une réinsertion au domicile réussie tout en prenant en compte égale-
ment la réalité médicoéconomique de l’institution.

La modélisation de l’« approche neurosystémique » de patients en perte d’autonomie


en services de médecine chirurgie obstétrique (MCO) en fait l’outil incontournable que
notre équipe mobile pluridisciplinaire de coordination des sorties (EMPCS) utilise au
quotidien. En effet, notre pratique transdisciplinaire a changé de paradigme au fil du
temps avec un recentrage sur la famille et le patient en situation de handicap hospita-
lisé en MCO.
Classiquement, un patient est hospitalisé en MCO pour la prise en charge d’une
ou plusieurs pathologies dans le but de restaurer un niveau de santé le plus proche
Approche neurosystémique du handicap 47

possible de son état antérieur. Les patients pour lesquels l’autonomie physique, psychi-
que et sociale se révèle dégradée après évaluation pluridisciplinaire sont en situation de
handicap isolé ou associé. La survenue du handicap ramène les équipes, la famille et le
patient à une réalité complexe nécessitant de changer d’approche (de paradigme).
L’accompagnement thérapeutique des patients lourdement handicapés prenant en
compte le seul point de vue des équipes nous a rapidement paru insuffisant. La néces-
sité d’impliquer la famille dans le système de soin s’est, de cette manière, imposée à
nous. Pour améliorer l’accompagnement de ces situations souvent complexes et pour
favoriser la qualité du retour à domicile des personnes en situation de handicap,
l’approche neurosystémique nous est vite apparue pertinente.
L’originalité de notre travail est liée au contexte d’intervention de l’EMPCS au CHU en
MCO et au « profil » des patients rencontrés : patients souvent âgés et polypathologi-
ques dont le polyhandicap est renforcé par le handicap social et environnemental.
D’une approche médicoéconomique relative à la sortie problématique et à l’accompa-
gnement de la famille d’une personne handicapée, notre pratique a évolué vers une
approche systémique, grâce aux outils conceptuels que nous avons créés. La famille, en
interface entre le patient et l’équipe, devient un interlocuteur privilégié dans notre
dynamique d’accompagnement du patient.

De l’accompagnement de la personne en sortie


problématique du monde hospitalier à l’approche
globale et l’accompagnement systémique du patient
et de sa famille
La continuité et la permanence des soins des personnes en situation de précarité dans
notre contexte économique et social dégradé avec un taux de chômage élevé, deux fois
plus de ménages pauvres qu’au niveau national, et une forte proportion d’allocataires
de minima sociaux et de bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle
Complémentaire (CMU-C) sont le défi de l’hôpital public. De l’évaluation clinique au
programme de soins, il faut principalement tenir compte du projet de vie de la per-
sonne et de sa réalité environnementale car, même sous la contrainte de la tarification
à l’activité (T2A), cette dimension sociale et éthique doit quand même prendre le pas
dans nos institutions. Historiquement, l’unité mobile sortie (UMS) était chargée de
l’amélioration de la qualité de la sortie des patients hospitalisés en MCO. L’évaluation
en équipe multidisciplinaire composée d’un médecin, d’un cadre supérieur de santé,
d’un cadre socioéducatif en mission spécifique a mis en relief une catégorie de « patients
bloqueurs ». À cette étape, l’institution était dans une approche médicoéconomique
forte, prenant en considération les contraintes nouvelles liées à la T2A et à la durée
moyenne de séjour.
Pour sensibiliser les équipes de soins au repérage des difficultés probables liées à la sortie
des patients, l’UMS a élaboré des outils, dont la fiche « SOS Sortie », représentant un
véritable « clignotant d’alerte », outil phare utilisé dès l’entrée du patient (figure 5.1).
Nous avons été confrontés, à d’autres difficultés : celles liées aux dysfonctionnements
institutionnels au moment de l’accueil des personnes en situation de handicap acquis
(ou révélé en cours d’hospitalisation) et plus particulièrement celle liée à l’annonce de
la « mauvaise nouvelle », à la fois de la maladie et du handicap par les équipes de MCO.
Cette annonce, qui est un « passage obligé », permet de s’appuyer sur le principe de
réalité. Il représente pour nous un préalable à toute approche du patient et de sa famille.
C’est donc l’analyse des situations rencontrées qui nous a amenés à redéfinir la notion
même de « sortie problématique » (figure 5.2), à développer une approche différente
48 P. René-Corail et al.

Fiche SOS Sortie


Étiquette du séjour du patient
CHU
Fort de France
S.O.S. SORTIE 6-2
À remplir dès l’entrée du patient
No UF au Nom du service :
LES CLIGNOTANTS D’ALERTE DES SORTIES PROBLÉMATIQUES
Personne en perte d’autonomie vivant seule
Personne en perte d’autonomie vivant seule avec une personne âgée
Absence de visite
Absence au défaut de référent familial
Pas de couverture sociale
Personne âgée en familie d’accueil ou en maison de retraite avant hospitalisation
Famille hors du département
Étranger venu se faire soigner au CHU
Personne en perte d’autonomie brutale
Personne démente au à comportement addictif
Personne ayant des escarres constituées avant l’hospitalisation
Personne en perte d’autonomie vivant en immeuble, sans ascenseur
Logement insalubre
Sans domicile fixe
Évaluation faite le................................ Nom du soignant................................
POUR CES SITUATIONS, IL CONVIENT DE (*) : DATES Nom du soignant
1. Prévenir sans délai l’Assistante Sociale du service de soins OUI NON
2. Alerter le médecin référent du service OUI NON
3. Le cadre organise un entretien équipe / famille OUI NON
4. En cas d’échec des mesures précédentes, prévenir l’Equipe Mobile de coordination des
Sorties au 05 96 55 35 58 ou 05 96 55 97 39 OUI NON
PATIENT NON CONCERNE
(*) renvoi à une transmission ciblée

Figure 5.1. Fiche SOS Sortie élaborée par l’UMS.

GRADUATION DES SORTIES


Sortie Standard
DMS non prolongée
Situation résolue en faisant appel aux ressources
patient-famille
Pas d’intervention de I’EMPCS
Sortie Difficile
DMS allongée de 24 à 48 h
Utilisation ressources patient-famille-service
Pas d’intervention de I’EMPCS
Sortie Problématique
DMS allongée de plus de 48 h
Situation complexe (médicale-sociale-familiale-
environnementale)

Intervention de I’EMPCS
Figure 5.2. Graduation des sorties.

avec les équipes, les personnes soignées et leurs familles, et à nous repositionner vis-à-
vis d’eux. Notre pratique se résumait à organiser une sortie de « qualité » à savoir respec-
tueuse de l’éthique des soins dans la confrontation avec le projet de vie des patients, les
attentes des familles et des équipes de soins. Le cas de madame S. traduit cette appro-
che de notre équipe mobile (UMS).

Situation clinique
Il s’agissait d’une patiente âgée de 69 ans, madame S., présentant un handicap moteur.
Sept jours après son admission au CHU de Fort-de-France, madame S. nous était
signalée pour une demande d’évaluation dans le cadre d’un retour à domicile jugé
Approche neurosystémique du handicap 49

problématique : « Madame S. vit seule et a été hospitalisée suite à une chute ayant
occasionné une fracture du bassin non réductible. Elle est sortante à la fin de la
semaine. » À h24, le recueil des données nécessaires à l’évaluation et à l’analyse de la
situation médicosociale de la patiente était réalisé par l’UMS. Madame S. est veuve et
mère d’une fille unique qui réside en métropole. Elle est « rentrée au pays » depuis
8  ans. À l’hôpital, les transferts lit/fauteuil sont très difficiles. À l’occasion de ces
transferts, elle manifeste une grande angoisse face à l’éventualité d’une nouvelle
chute. Cette crainte presque phobique complique la tâche des soignants et pour eux,
madame S. relève plutôt d’une « rééducation » au domicile.
Sa situation sociale est celle d’une assurée sans CMU-C avec un délai de carence de
6 mois imposé par sa mutuelle du fait d’une adhésion récente. Elle vit seule en loge-
ment HLM (F2 au deuxième étage, immeuble sans ascenseur). Ses revenus mensuels
sont de 580,97 € (pension vieillesse). Elle a un frère et une sœur qui résident tous les
deux en Martinique et ne bénéficie avant son hospitalisation d’aucune aide à domicile.
Elle avait perdu tout contact avec sa fille depuis son arrivée en Martinique et était en
rupture de lien avec sa famille, exceptée une cousine présentée comme son unique réfé-
rente. Cette personne refuse de s’investir davantage, et devant l’insistance de l’équipe,
menace de « démissionner » et de ramener les clés de la maison de madame S. ainsi que
tous les documents administratifs en sa possession. Madame S. n’avait, par ailleurs,
aucune relation de voisinage. À ce stade de l’évaluation de la situation, l’UMS fait le
constat de la pauvreté de son réseau relationnel. Madame S. manifeste l’envie de retour-
ner vivre à son domicile. Son projet paraît naturel et logique. Cependant la dimension
sociofamiliale très déficitaire représente un écueil majeur.
Notre objectif de travail est donc d’essayer de restaurer des conditions de vie décentes
au domicile, s’appuyant sur un réseau social, professionnel et familial solide permet-
tant un soutien au domicile (réseau d’entraide, réseau professionnel et réseau d’alerte).
En effet, l’objectif n’est pas tant celui d’un retour au domicile dans des conditions envi-
ronnementales et matérielles correctes (ce qui est relativement simple à obtenir) mais
plutôt d’essayer d’activer un réseau social stable et d’avoir un référent familial fiable
pouvant servir de relais. Ce qui nous importe n’est pas la sortie mais… l’après ! Nous
aimerions que l’éthique du soin apportée à la personne soit compatible avec les impé-
ratifs institutionnels (libérer un lit « bloqué ») mais aussi avec des impératifs sociétaux :
un meilleur entourage à l’extérieur permettra d’éviter/limiter les réhospitalisations.
Les relations avec sa fille qui vit en métropole sont « distantes » et, par ailleurs, madame S.
ne veut pas changer ses rapports avec son frère et sa sœur ! À ce stade, la question qui se
pose à l’équipe est d’essayer de comprendre la difficulté de relation qui unit (ou désunit)
cette famille et de chercher des leviers pour faire évoluer la complexité de cette situation.
Le « plan d’action » comporte à court et moyen terme :

n la demande d’une CMU-C instruite auprès de la caisse générale de sécurité


sociale ;
n la recherche de référents, grâce à la collaboration :

– des assistantes de service social de la DISSES et du CCAS de sa commune de


résidence,
– de son médecin traitant
– de la police nationale afin de retrouver sa fille ;
50 P. René-Corail et al.

n la mise en place d’aides humaines et techniques, avec :


– un service d’aide ménagère dès sa sortie de l’hôpital assuré transitoirement
par l’AGAF (Association gérontologique d’aide aux familles) dans l’attente de
l’aboutissement de la demande d’allocation personnalisée d’autonomie (APA)
instruite en urgence ;
– une téléassistance et un portage de repas ;
n une prescription de kinésithérapie d’entretien et de « stimulation » dans la per­

spective du maintien de l’autonomie de vie à domicile.


n l’évaluation et la prise en compte du réseau familial si cela s’avère possible ;

n le contact avec les services de proximité pour un éventuel projet de placement en

institution si le soutien du réseau social et familial ne peut être obtenu.

L’histoire a montré que les recherches initiées pour retrouver sa fille n’ont pas abouti,
le frère ne s’est pas manifesté et la cousine n’a accepté de lui prêter son soutien que
provisoirement.
L’analyse du cas de madame S. est celui d’un nombre croissant de patients en situation
de handicap de tous âges, de toutes catégories socioprofessionnelles confrontés à la
difficulté de sortie du monde hospitalier (tableau 5.1 et figure 5.3). Leur équilibre est
déjà fragile avant la survenue de l’accident ou de la pathologie mais c’est aussi parfois
tout simplement le vieillissement qui peu à peu érode les capacités d’adaptation du
sujet. La difficulté est alors essentiellement d’ordre social et est à prendre en compte
autant dans les motifs d’hospitalisation que dans la préparation de la sortie et le
maintien à domicile du patient. Le passage de la « pathologie » au « handicap » nous
renvoie à la limite de nos moyens : matériels, humains autant que financiers. Nous
sommes tenus à la fois à un engagement éthique vis-à-vis du patient et de sa famille et
responsable vis-à-vis de nos institutions.
Dans ce contexte de travail lié aux sorties problématiques, nous devons faire la part
des choses entre : les facteurs inhérents au sujet (niveau de dépendance, isolement
social), ceux liés à l’environnement architectural proche (inaccessibilité, ­inadaptabilité

Tableau 5.1.
Évolution du nombre de patients complexes dans leur dimension
médicosociale sur les trois dernières années.
Années 2007 2008 2009
Nombres 94 99 146
Analyse quantitative
Nombre de patients suivis en sortie problématique 146
Nombre de nouveaux signalements 98
Nombre de suivis sociaux 102
Nombre de visites au chevet du patient 131
Nombre d’entretiens systémiques 119
Nombre de staffs de coordination sociale interservices 106
Nombre d’entretiens familles par téléphone 160
Nombre de patients suivis en soins de suite et réadaptation 48
Nombre de visites à domicile 26
Approche neurosystémique du handicap 51

Habitat insalubre
Habitat insécurisé
Habitat inadapté à I’handicap
Habitat négligé
18 %
8%
11 %
5%
Abandon famille
3% 10 %
Enfants peu investis
Climat familial conflictuel
Enfants expatriés 2% Troubles géronto psychologiques
Troubles cognitifs
Addiction

26 % 10 %
5%
1% 10 %

Logement EVASAN Addiction


Psy. & Addict Cellule de crise fév.09 Appréhens handicap
Logement-Patho.Psy. Famille Mque aide humaine & techniq
Mque aide humaine Étrangé en situat irrégul. Orientation SSR
Rapatriement

Figure 5.3. Évolution du nombre de patients complexes dans leur dimension médicosociale
sur les trois dernières années.
Psy & Addict : unités de psychiatrie et d’addictologie ; EVASAN :
évacuations sanitaires vers la métropole.

du logement) ; à l’environnement urbain (aménagements voiries commerces, mobilier


urbain et services proposés par la collectivité) et enfin la carence du secteur médicoso-
cial dans le département. À cela se rajoute un défaut de collaboration entre les diffé-
rents partenaires concernés (la famille, l’institution). Ce défaut de collaboration est en
fait une méconnaissance relative des valeurs, besoins et objectifs de ces deux partenai-
res réunis par le patient, à savoir la famille (père, mère, fratrie, enfants) et l’institution.
La nature des liens qui unissent patient/famille et institution est fondamentalement
différente.
La mise en place de notre démarche visant l’amélioration du service rendu à la popula-
tion en facilitant la fluidité du processus de soin. De l’hospitalisation à la sortie, nous
avons favorisé l’émergence d’une approche humaniste centrée sur l’interaction patient/
famille/institution. Depuis, l’intégration des familles de manière précoce dans le pro-
cessus de soins en vue de préparer la sortie avec eux est une priorité.
Tous les patients ne posent pas problème, mais une coordination est souvent néces-
saire auprès des équipes. Nous pouvons ainsi dire que nos points forts sont la collabo-
ration avec les services de soins et le signalement précoce qu’ils peuvent être en mesure
de faire ; signalement dans les 24 heures au cours desquelles nous pratiquons la visite
au chevet et transmettons nos conclusions à un membre de l’équipe (médecin, IDE ou
cadre de santé).
De cela, découlent les actions d’accompagnement de l’équipe médicale et de l’équipe de
soins (permettant d’appréhender contraintes et ressources environnementales) facili-
tant l’annonce en équipe pluridisciplinaire du handicap (ou du pronostic grave) et de
ses conséquences en termes d’orientation sur la base du consentement éclairé de ce
dernier et de sa famille.
Ces interventions, en améliorant la rapidité de la circulation de l’information, en
clarifiant la communication entre les partenaires et en adoptant une attitude huma-
niste créent un espace d’écoute et permettent à l’équipe d’obtenir une reconnaissance
52 P. René-Corail et al.

institutionnelle. Des moyens humains et matériels nous ont été attribués avec la créa-
tion d’une équipe mobile pluridisciplinaire de coordination des sorties (EMPCS).
Nos points faibles et limites restaient :

n l’absence de réunions de type consultation Handicap et Famille (thérapeute,


co-thérapeute et équipement vidéo) ;
n le manque d’espaces de rencontre entre les équipes et les familles organisés ;

n la focalisation des équipes sur l’acte de soin médical ou chirurgical à l’origine de

l’hospitalisation. Il est cependant évident qu’il ne peut pas être reproché aux
équipes chargées d’un soin technique de remplir leur mission… technique. Mais
le point de vue « technicocentré » permet mal la prise en compte de la dimension
handicap. C’est donc ce point de vue qui devrait encore évoluer ;
n la difficulté à « visualiser », pendant la période d’hospitalisation, la dimension

sociale du handicap.

Notre cheminement s’est appuyé sur l’approche systémique du handicap. La formation


systémique en équipe pluridisciplinaire nous a permis de mieux prendre conscience de
nos limites. L’analyse de nos pratiques qui a accompagné la formation théorique nous
a ensuite conduit à élaborer des outils spécifiques de coordination :

n staffs médicosociaux ;
n réunions de synthèse autour des situations problématiques ;
n entretiens familiaux incluant le patient et ses proches.

Les apports de la formation approche systémique


du handicap dans notre pratique quotidienne
Cette formation a été mise en place initialement pour toute l’équipe du service MPR
dans le cadre d’une collaboration historique (25 ans) entre les services de MPR (méde-
cine physique et réadaptation) des CHU de Bordeaux et de Fort-de-France. Nous avons
intégré la méthodologie sous-jacente à l’approche systémique et utilisons régulière-
ment des outils tels que le génogramme.

L’apport du génogramme
Le génogramme permet de faire une lecture transgénérationnelle de l’histoire de la
famille. Il procure des informations pertinentes sur chaque élément du système fami-
lial, sur les liens qui les unissent et qui les rattachent à leurs ascendants, descendants et
collatéraux. La famille est un ensemble « d’éléments » en interaction passée, présente et
à venir. La famille est un tout indissociable en ce sens qu’elle est autant l’histoire du
passé que les difficultés du présent et de l’avenir par l’intermédiaire du projet. Par son
exploitation, il nous avait été possible de procéder à une évaluation à la fois des diffi-
cultés et du contexte ; à une analyse relativement fine de l’origine du problème, des
différentes expériences traumatisantes du système familial. Nous avions pu mettre en
évidence des conflits relationnels très profonds constituant de véritables sources d’obs-
tacle à la sortie de l’hôpital du patient.
Approche neurosystémique du handicap 53

Dans tous les cas, cet outil nous a offert une lecture à la fois :

n des éléments manifestes de la situation (l’ordre des générations, la place de cha-


cun, l’histoire qui se raconte, les faits réels, l’état civil, les événements historiques
et culturels…) ;
n des éléments sous jacents de la situation se dissimulant derrière les personnages

et leurs relations (les non-dits, les secrets, les échecs, les contrats familiaux
conscients et inconscients, les croyances, les loyautés familiales…).

Tout est porteur d’information : les silences, les « trous de mémoire », les attitudes, les
regards échangés, l’intonation… Ce qui se transmet n’est, en effet, pas forcément visible
mais toujours très lisible pour l’observateur attentif. Le génogramme a aussi favorisé
l’élaboration des hypothèses familiales et individuelles qui nous permettent de mieux
appréhender la genèse logique du problème. Ce travail « d’hypothétisation » fournit la
trame de l’entretien systémique.

L’apport de l’entretien systémique


Cette démarche pluridisciplinaire est fondamentale, elle permet l’analyse globale de la
situation. Il s’agit d’une approche centrée sur les relations qui unissent les trois acteurs
du système que sont le patient, sa famille et l’institution. Au-delà du patient, notre
regard se porte sur son système d’appartenance (sa famille) et son fonctionnement. Il
n’est pas nouveau de dire que la problématique représentée par la situation de handi-
cap est forcément liée au problème présent.
L’accompagnement peut s’avérer lourd et complexe parce qu’il s’agit de pratiquer une
autre approche du handicap dans une structure de soin (l’hôpital) qui ne s’est pas
constituée sur le paradigme systémique mais au contraire sur un paradigme réduction-
niste centré sur la pathologie. Notre ambition dans la démarche systémique est de
maintenir le patient au cœur de son système et acteur de son projet. Il nous arrive, dans
les cas de grand isolement social, avec l’adhésion du patient, d’encourager l’implication
des amis voire des voisins proches qui deviennent alors des supports d’entraide mais
surtout des témoins d’alerte en cas de nouvelle difficulté.
Dans notre expérience, nous avons constaté que la culture insulaire est proche d’une
culture communautariste et que nos actions « réveillent » cet aspect de la culture
antillaise. L’entretien systémique, tel que nous le concevons en EMPCS, favorise l’éla-
boration d’un projet à la fois de soins et de sortie et permet d’éveiller la capacité
d’adaptation des familles et d’un réseau social à la nouvelle situation médicosociale
du « patient ».
Quoique faisant partie de l’institution, notre zone d’intervention se situe aux frontiè-
res des trois dimensions : patient, famille, institution (figure 5.4).

L’apport des hypothèses


Les hypothèses sont le fil directeur des entretiens que nous réalisons. Nous les construi-
sons à toutes les étapes de l’accompagnement du patient et de sa famille, en coordina-
tion avec les équipes de soin.
Chaque nouvelle action, chaque pas réalisé dans ce projet d’accompagnement nous
obligent à ajuster sans cesse nos hypothèses de travail. Elles sont infirmées ou confir-
mées et donc toujours renouvelées.
54 P. René-Corail et al.

Patient

Famille
EMPCS

Institution

Figure 5.4. Zone d’intervention de l’EMPCS.

Nous avons dû adapter cette méthodologie liée à l’approche systémique du handicap,


aux missions de notre équipe en MCO qui sont l’amélioration de la qualité de la sortie
et des conditions pour un soutien à domicile réussi, en anticipant les difficultés à venir
et en limitant ainsi le risque de ré-hospitalisation. L’étude de cas suivante peut être
l’illustration de ce que nous essayons de construire.
Situation clinique
Madame Y. est âgée de 68 ans. Elle nous est signalée pour un retour à domicile jugé
problématique par l’équipe des soins. Son état de santé était celui d’une personne
âgée, obèse et polypathologique en perte d’autonomie du fait d’hospitalisations à
répétition concourant à un alitement prolongé (3 mois d’hospitalisation après une
embolie pulmonaire [motif d’entrée]) avec un syndrome de « régression motrice ».
Cette patiente, fonctionnaire à la retraite depuis 3 ans et divorcée sans enfant, vivait
seule et autonome à son domicile, sans aucune aide humaine, au moment de son
hospitalisation. Elle occupait à titre gracieux une grande villa familiale (F6) en indi-
vision construite sur deux niveaux mais en état d’insalubrité total. Madame Y. perce-
vait un avantage vieillesse d’un montant relativement modeste. Sa fratrie (un frère et
deux sœurs) résidait en Martinique. Madame Y. était la cadette d’une famille de qua-
tre enfants en rupture de lien avec son frère et sa deuxième sœur. Le contact n’était
maintenu qu’avec sa sœur cadette. Madame Y. n’avait comme toute compagnie à l’in-
térieur de sa maison que sept animaux domestiques : trois chats et quatre chiens. Elle
ne bénéficiait, par ailleurs, d’aucune relation de voisinage. À ce stade de l’évaluation
de la situation, nous constations la pauvreté du réseau relationnel de la patiente, la
fragilité de son état de santé et pratiquement un syndrome de Diogène. Le projet de
vie de la patiente était de retourner vivre dans sa maison familiale avec ses animaux.
Cette maison construite par son père avait pour elle une valeur affective forte. C’est
pour elle le vestige de sa vie passée et d’une histoire familiale complexe et émotion-
nellement lourde.
L’évaluation multidisciplinaire initiale (un bilan neuropsychologique, un bilan d’auto-
nomie en ergothérapie et en kinésithérapie, une consultation du médecin rééducateur)
montre de notre point de vue l’impossibilité de revenir vivre seule en toute sécurité.
Approche neurosystémique du handicap 55

Madame Y. ne partage pas notre avis et reste persuadée qu’il ne peut y avoir de vie pour
elle hors de cette maison. De son point de vue, sa sécurité présente et les risques à venir
ne sont rien face à ce qu’elle pense perdre de son histoire en ne vivant plus dans sa mai-
son. Si nous devons aider cette dame à faire le deuil de sa vie passée et admettre que son
état de dépendance nécessite une aide, tout nous indique qu’il faut d’abord s’intéresser
à cette maison et à leur histoire. La clé réside dans son histoire et non dans sa sécurité.
La sécurité est le problème des équipes mais son histoire est son problème, et c’est donc
à son problème que nous devons nous intéresser.
Notre hypothèse est qu’il faut qu’elle puisse déposer son histoire de vie et raconter ses
deuils, fardeau, souvenirs pour s’en détacher en la confiant et ainsi se détacher de la
« maison-histoire ». Elle a toujours eu dans sa famille un rôle de support familial de
pivot. Si la maison est vendue, elle ne continuera plus son rôle de pivot en rassemblant
ses frères et sœurs. Raconter son histoire, c’est la transmettre à un témoin, vendre la
maison c’est transmettre l’héritage à la famille. Nous comprendrons peu à peu le blo-
cage du lien entre elle et sa fratrie (qui souhaitait vendre cette maison). La vendre aurait
été pour elle « une trahison de l’histoire familiale ». Elle voit donc frère et sœurs comme
des « traîtres ». L’aider à raconter les vengeances, les « mesquineries », les querelles, mais
aussi les souvenirs heureux, l’histoire des fastes passés de sa famille, sa grande origina-
lité, les destins extraordinaires de certains membres, la disparition de son père et la
« journée nationale de deuil » pour ses obsèques donne un poids une épaisseur tou-
chante à l’histoire de madame Y. Elle dit s’être toujours « sacrifiée » pour les autres
(père, mère, frère, sœurs, neveux et nièce), pour l’honneur et le respect de la famille. Peu
à peu, en se racontant, elle accepte de ne plus être « bloquée » par la maison et le ser-
ment fait à son père pour « reprendre le cours de la vie qui lui reste ». Elle n’est plus une
vieille dame « polypathologique » mais une survivante du passé qui l’a enfermée et dans
lequel elle s’est enfermée.
Au fil de nos différents entretiens avec madame Y. et sa famille (frère, sœurs, nièces),
nous avons pu les accompagner dans la précision d’un projet commun de placement en
institution avec la vente de la maison familiale et le transfert vers un refuge de ses ani-
maux de compagnie. Une visite à domicile, au préalable, avait été réalisée par notre
équipe, en présence de la patiente et de sa sœur. Ce travail commun a débouché sur un
projet d’admission en foyer logement avec réalisation d’une visite de pré-admission
accompagnée de notre équipe. Cette visite constituait alors un moment fort de l’ac-
compagnement, auquel nous tenions beaucoup et qui était un passage de relais mais
surtout la formalisation des liens d’un réseau professionnel. Dans cette situation,
l’équipe et l’ergothérapeute ont fait le tissage, le maillage du réseau professionnel.
Depuis 2 ans, cette patiente suivie à distance par l’EMPCS en relation constante avec la
famille a été réhospitalisée à une seule reprise pour un épisode aigu urologique avec
une rééducation brève en centre. Après quoi, elle est revenue vivre dans son foyer
logement.
Ce cas illustre le changement de paradigme au sein de notre équipe. Nous avons d’une
part mené l’entretien en pluridisciplinarité avec la méthodologie de l’approche systé-
mique permettant un temps d’expression aux familles et, d’autre part, élaboré nos
hypothèses en équipe.
Les entretiens systémiques ont fait émerger les conflits relationnels, les secrets, les non-
dits, des souffrances qui ne nous ont pas laissé indifférents. Cela a permis un travail
facilitant la remise en route des liens sociaux et familiaux. Nous sommes restés dans
une approche humaine impliquant toutes les ressources de la personne et de la famille
tant psychologique, biologique, sociale, affective que spirituelle et culturelle. La démar-
che systémique nous a fait réintégrer une dimension éthique que nos organisations
56 P. René-Corail et al.

nous font parfois un peu oublier dans nos pratiques. Dans la phase initiale de l’hospi-
talisation, l’accueil des personnes en situation de handicap ou atteintes de maladie
grave doit prendre en compte et préserver le lien et la solidarité familiale (par exemple
dans la recherche d’un référent familial). La coordination des filières de soin doit être
précoce et comporter une nécessaire collaboration et échange des compétences. La sor-
tie de l’hôpital n’est pas le seul objectif (même si c’est celui des services demandeurs).
Notre engagement auprès des familles se manifeste par un suivi à long terme grâce au
Réseau Handicap. Ainsi la filière que nous constituons peu à peu avec tous les partenai-
res permet : une intervention précoce au cours de l’hospitalisation en MCO, en soins de
suite de réadaptation (SSR), et plus tard au domicile par la coordination des profes-
sionnels libéraux via le Réseau Handicap. Les familles se sentent soutenues et « épau-
lées » par l’équipe et le réseau, qui sont eux-mêmes enrichis par l’implication et le
support des familles. Pour cela, la collaboration des réseaux de santé dans leur mission
de coordination de soins et de maintien à domicile est incontournable dans la prise en
charge des maladies chroniques invalidantes.

Conclusion
L’équipe mobile pluridisciplinaire de coordination des sorties du CHU de Fort-de-
France est une création de notre institution réalisée pour accompagner principalement
les équipes de soin du court séjour dans la prise en charge médicosociale des personnes
souvent polypathologiques jeunes ou âgées. Notre démarche s’est enrichie d’une for-
mation à l’approche systémique qui a transformé nos pratiques par un changement de
paradigme pour une dimension plus éthique de l’accompagnement de ces personnes.
Notre travail d’équipe pluridisciplinaire vise essentiellement à prendre en compte et à
dynamiser le lien social pour éviter l’exclusion et la mort sociale des personnes en situa-
tion de handicap, et à les accompagner sur du long terme par l’intermédiaire du Réseau
Handicap participant ainsi depuis notre place institutionnelle au projet de vie.
Un exemple de suivi des traumatisés
crâniens sévères et de leurs familles :
la Clinique romande de réadaptation
(Suvacare)
P. Vuadens1, A. Bellmann1
1. Clinique romande de réadaptation, 90 avenue Grand-Champsec, 1951 Sion, Suisse.

La survenue d’un traumatisme crânien sévère chez un membre d’une famille déstabilise
toujours le système familial et provoque éventuellement des peurs et inquiétudes.
Celles-ci sont source de conflits et d’altérations des rapports entre l’équipe soignante,
le patient et/ou sa famille. La Clinique romande de réadaptation veille dès la phase
aiguë à intégrer la prise en charge des familles dans le projet thérapeutique de chaque
victime d’un traumatisme crânien. Actuellement cette organisation, basée sur une
approche neurosystémique, tente d’élargir cet accompagnement à long terme aussi
bien pour les patients vivant en institution qu’à domicile. Dans ce but, un réseau spé-
cialisé dans la prise en charge des victimes d’un traumatisme crânien et de leurs familles
est en train de se mettre en place dans le canton du Valais.

Comme dans la majorité des pays européens, le traumatisme crâniocérébral (TCC)


demeure la principale cause de mortalité et de handicap chez le jeune en Suisse. Par
exemple, en 2007, 1814 victimes d’un traumatisme crânien ont été prises en charge par
les assurances accidents suisses. Ceci implique des coûts énormes pour notre service de
la santé publique puisque pour cette petite population, environ 231 000 000 CHF ont
été dépensés pour assurer le financement de leurs traitements, le versement de leurs
salaires ou la capitalisation de leurs rentes d’invalidité. Le canton du Valais, situé dans
les Alpes valaisannes, n’échappe pas à cette règle. Cette région montagneuse recensait à
la fin 2009 307 392, habitants dont 62 794 résidants permanents étrangers (20,4 %),
avec un taux de chômage de 3,6 %. Trente-cinq pour cent des résidants étrangers sont
de nationalité portugaise et travaillent dans le domaine agricole ou du bâtiment.
Chaque année, environ 40 personnes sont victimes dans ce canton d’un traumatisme
crânien sévère, dont la majorité va être traitée à la Clinique romande de réadaptation à
Sion (CRR). Cette clinique dispose d’un service en réadaptation en neurologie et en
paraplégie de 48 lits, qui accueille des patients de toute la Suisse romande et italienne.
Elle est attenante à l’hôpital cantonal de Sion, qui dispose notamment de soins inten-
sifs et d’un service de neurochirurgie et de neurologie. La diversité de notre population
soulève de nombreux problèmes psychosociaux qui ont nécessité au fil des années la
mise en place de différentes filières de prise en charge de ces patients et de leur famille,
lorsque cette dernière vit en Suisse. Une des principales difficultés avec cette popula-
tion étrangère est la langue. Chaque année, la Clinique romande dépense pour les pres-
tations des interprètes environ 45 000 CHF.
58 P. Vuadens, A. Bellmann

Prise en charge initiale des traumatisés crâniens


sévères et de leur famille
L’hôpital cantonal de Sion étant le seul à disposer en Valais d’un service de neurochi-
rurgie, la grande majorité des TCC sévères vont y être pris en charge avec une approche
multidisciplinaire, grâce aux synergies entre l’hôpital de Sion et la CRR. Ainsi le projet
de rééducation est établi en collaboration avec les neurorééducateurs et les patients
bénéficieront d’une prise en charge de rééducation précoce pour prévenir toute compli-
cation secondaire. Cela représente 78 TCC sévères entre juin 2007 et décembre 2009,
dont 18 sont décédés durant l’année post-traumatique. Déjà à ce stade, le neuroréédu-
cateur intervient dans les décisions concernant la poursuite des mesures de réanima-
tion. Sur la base de l’étendue et la sévérité des lésions cérébrales démontrées
radiologiquement, la profondeur du coma et l’existence de signes d’éveil, un colloque
est mis en place dans les 15 jours qui suivent l’accident pour décider de la poursuite ou
non des mesures de survie. Lorsque la situation est jugée désespérée, le patient est géné-
ralement extubé en laissant la nature poursuivre son œuvre. Dès que la situation est
jugée stable médicalement, le patient est transféré le plus rapidement possible vers la
Clinique romande pour réadaptation neurologique. Durant cette première phase, les
familles ou les proches des patients sont soumis à un stress important. Souvent ballot-
tées entre les avis divergents ou les informations parcellaires des médecins de soin d’ur-
gence, soumises à un pronostic incertain ou réservé, les familles souffrent et se révoltent
contre la médecine souvent impuissante à mieux faire. Ce stress se retrouve à peu près
chez 50 % des proches des patients, selon les données de l’étude suisse PEBITA [2].
Dans ces situations, les familles ou un de leurs membres peut bénéficier d’un soutien
psychologique s’il le souhaite mais le plus souvent il sera dirigé vers son médecin trai-
tant ou un psychiatre proche de chez lui.

Prise en charge des traumatisés crâniens sévères


et de leur famille à la clinique romande
de réadaptation
Tout TCC grave bénéficie d’une prise en charge dans le service de réadaptation en neu-
rologie, soit en unité d’éveil soit dans l’unité d’hospitalisation complète.
Ce service assure les traitements et les thérapies pour limiter les handicaps physiques,
cognitifs et comportementaux en tenant compte des facteurs environnementaux,
selon la CIF. Son rôle est aussi de préparer le retour du patient dans sa famille et dans
le monde socioprofessionnel. La prise en charge de réadaptation et de réinsertion
débute dès l’admission du patient et s’articule selon les processus et procédures mises
en place par le groupe TCC. Elle se base notamment sur les recommandations de prise
en charge de l’Anaes française [3].
Dès l’arrivée du patient dans le service, l’équipe élabore un projet thérapeutique per-
sonnalisé et multidisciplinaire. Lorsque la famille ou un de ses membres est présent, un
premier entretien est prévu avec le médecin et une infirmière, pour établir une anam-
nèse familiale, socioprofessionnelle, découvrir les passions, hobbies, habitudes de vie
du patient. Les objectifs principaux et le déroulement du séjour leur sont expliqués.
Nous essayons de les rassurer, de répondre à des questions d’avenir qui semblent impor-
tantes pour la famille. Cette dernière est aussi informée que nous mettons à leur dispo-
sition un soutien psychologique avec l’aide d’un psychiatre et de psychologues et
l’analyse de la situation selon une approche neurosystémique.
Un exemple de suivi des traumatisés crâniens sévères 59

Lors du mardi qui suit l’admission du patient a lieu un premier colloque pour établir
le projet thérapeutique, afin que le patient puisse entrer dans la phase de réadaptation
et de réinsertion. Les objectifs définis selon la CIF sont sélectionnés lors de ce colloque.
Pour chacun des traitements proposés, il faut pouvoir en justifier le choix et le but, et
en mesurer l’efficacité sur la base d’échelles et de tests validés sur le modèle CIF.
L’infirmière référente, le médecin, le psychiatre, l’assistante sociale et les thérapeutes
qui s’occupent du patient participent à ce colloque. Ainsi, si l’un de ces professionnels
estime ou ressent une souffrance du patient, de la famille ou de l’équipe, il a la possibi-
lité de demander la mise en route d’une approche neurosystémique. Cette possibilité
est valable durant tout le séjour du patient.
Le séjour est ponctué de colloques hebdomadaires réunissant l’ensemble des théra-
peutes, afin de mettre en commun les évaluations du patient et de réajuster les objec-
tifs et les modalités des soins en fonction de l’évolution. La famille et l’entourage sont
régulièrement informés de la progression du blessé, de façon à préparer la vie posthos-
pitalière et à éviter des décalages délétères. Elle est considérée à la fois comme acteur
mais souvent aussi comme sujet de soins, du fait de la souffrance qui découle pour
chacun d’entre eux du drame qu’ils traversent. Avec l’accord du patient, la famille peut
soit être associée aux colloques, soit bénéficier d’une restitution régulière.
Dans les situations complexes ou lorsqu’on prévoit que le séjour de réadaptation
neurologique sera long, nous nommons dès l’admission deux référents du patient
(un soignant et un thérapeute) pour faciliter la communication avec le patient et sa
famille. Afin d’assurer une compréhension globale de la situation de la famille par
une approche neurosystémique, ils établissent le lien entre l’équipe multidiscipli-
naire, le patient et sa famille par des contacts réguliers avec eux et en se tenant à leur
disposition. Les rencontres vont assurer la cohérence des objectifs du séjour et du
projet thérapeutique, et vont permettre de connaître le fonctionnement antérieur du
patient (mode de vie, intérêts, loisirs, goûts, préférences alimentaires, projets, vie
sociale, professionnelle, familiale, principaux traits de caractère, attitude face à la
maladie/au handicap), d’évaluer les personnes-ressources, et de recueillir les informa-
tions pour la rédaction du génogramme. On va demander à la famille sur qui ils pen-
sent pouvoir s’appuyer lorsqu’ils ont besoin de soutien, et s’ils souhaitent avoir des
contacts avec le référent.
L’organisation de la consultation Handicap/famille se base sur une approche neuro-
systémique. Une partie du personnel du service de réadaptation neurologique a été
formé à une telle approche par le Pr J.-M. Mazaux et ses collaborateurs du CHU de
Bordeaux. En se basant sur ce concept, toute dysfonction du patient, des relations
familiales, ou de l’équipe soignante est signalée lors du colloque multidisciplinaire
afin qu’une analyse de la situation soit effectuée par les deux référents du patient. Les
résultats de cette première évaluation sont transmis avec un génogramme aux respon-
sables de la consultation Handicap/famille. Ces derniers vont émettre des hypothèses,
qui seront vérifiées par les référents et l’équipe afin qu’une attitude thérapeutique soit
définie. Cette attitude peut déboucher sur un entretien systémique, qui sera mené par
un psychiatre. Les résultats de cet entretien ou des modifications des attitudes théra-
peutiques sont consignés dans le projet thérapeutique du patient et sont réévalués
chaque semaine.
Ainsi, à tout moment de l’évolution du patient lors de son séjour dans le service de
réadaptation neurologique, une approche neurosystémique peut être entreprise ou
réactivée (figure 6.1). Le traitement vise à activer un processus dans lequel la famille
pourra s’observer, expérimenter, changer, et susciter la crise en respectant la crainte du
changement [1].
60 P. Vuadens, A. Bellmann

Si problème ou dysfonction
au niveau de :

Colloque
1er entretien
Handicap/

Équipe pluri.
génogramme2
famille3

Famille

patient
NOTES

Hypothèses et
proposition d’attitudes 1. cf procédure ‘Fonction
par le gr. Handicap/ Nomination de référent du patient’ NER_dfn_003
famille 2 référents (si
pas déjà fait)1 2. cf procédure ‘Fonction de
référent du patient’ NER_dfn_003
Colloque
3. Groupe composé d’un psychiatre,
Multidisciplinaire
d’un médecin, du/des référents,
et Spécialiste neurosystémique
Besoin d’un entretien
neuro-systémique ? 4. Entretien réalisé selon description
non Information par le référent de La procédure handicap/famille

oui non

Entretien neuro-
systémique4 sur la Application par l’équipe
base des conclusions pluridisciplinaire des
du colloque handicap- propositions d’attitudes
famille

oui

Amélioration ?

Légende

Groupe handicap-famille Référents Équipe pluridisciplinaire

Figure 6.1. Procédure handicap/familles.

Suivi à long terme des patients traumatisés crâniens


et de leur famille
La prise en charge comporte également l’accompagnement au long cours du patient et
de son entourage, en s’appuyant sur les associations qui offrent un accueil et un accom-
pagnement médical, social et professionnel : Centre médicosocial, Fondation EMERA,
association des traumatisés crâniens (Fragile), association Intégration pour tous (IPT),
Association Pro Infirmi, etc. La prise en charge favorise le développement d’un nou-
veau projet de vie qui intègre l’entourage familial, la vie à domicile, le travail, les loisirs.
Le suivi des traumatisés crâniens après leur séjour de réadaptation neurologique est en
effet un élément majeur de leur réinsertion sociale et professionnelle. Il a pour but de
prévenir et d’éviter les ruptures de prise en charge, de soutenir l’entourage, de prévenir
la désocialisation du patient.
Actuellement, en Valais, les neurorééducateurs, les psychiatres et les neuropsycholo-
gues de la CRR avec l’aide des infirmières de santé publique se coordonnent pour
assurer le suivi des patients après leur sortie du centre de rééducation, même si ceux-ci
ont déjà été dirigés vers les aides et associations qui leur sont devenues nécessaires. La
CRR se veut la garante de la continuité de cette prise en charge, en veillant notamment
à l’organisation du suivi médical et à l’effectivité du réseau médicosocial externe. Ce
Un exemple de suivi des traumatisés crâniens sévères 61

suivi implique généralement une consultation multidisciplinaire trimestrielle, si pos-


sible en présence d’un membre de la famille ou d’un soignant. Elle a pour but de refaire
le point de la situation, de fixer les objectifs de la poursuite de la rééducation et d’éva-
luer la capacité de travail ou des possibilités ou non de débuter une réinsertion
professionnelle.
Sur le plan médical, les consultations de suivi à moyen-long terme assurent la cohé-
rence médicale du parcours du patient en liaison avec le médecin traitant. Sur le plan
psychique, des consultations de suivi à court, moyen et long termes, peuvent être
proposées au patient et à son entourage. Ces consultations peuvent s’inscrire dans
une approche neurosystémique. Lorsque la famille ne peut être présente à cette
consultation, un contact téléphonique est établi par la neuropsychologue. Ceci per-
met de mieux évaluer les troubles comportementaux des patients et de leurs réper-
cussions sociales et familiales. En cas de problèmes ou de souffrances, la famille ou
un de ses membres peut aussi être pris en charge par nos psychiatres ou bénéficier
d’une approche neurosystémique. Cependant en raison de l’éloignement géographi-
que d’un grand nombre de familles des patients, celles-ci sont le plus souvent orien-
tées vers un psychiatre ou une structure psychiatrique proche de leur domicile. Il en
va de même des enfants, pour lesquels, nous informons aussi l’Office de protection
de la jeunesse lorsque ceci s’avère nécessaire. Malgré ce suivi régulier et multidiscipli-
naire, un grand nombre de familles et de nos patients ressentent un sentiment
d’abandon, avec une qualité de vie diminuée, tout particulièrement pour les proches.
Au vu de cette situation à domicile encore considérée comme peu satisfaisante, nous
sommes en train de modifier nos modalités de suivi à long terme du patient et de son
entourage. Notre objectif principal est de prévenir les complications et de suivre les
blessés aussi longtemps que nécessaire, éventuellement tout au long de leur vie, à la
fois sur le plan médical, familial et socioprofessionnel en prenant en compte les pos-
sibilités juridiques de réparation. Il nous paraît donc indispensable de mettre en
place toutes les modalités de prise en charge qui jalonneront le parcours du patient
et seront pour lui-même, pour sa famille et pour les professionnels de santé, autant
de points de repère.
La nouvelle organisation de la prise en charge prévoit de proposer au patient un réfé-
rent dès sa sortie de la Clinique romande, qui assurera un accompagnement personna-
lisé du patient, de sa famille et de son entourage. Le référent sera à même, par
l’intermédiaire du réseau, de les adresser au bon interlocuteur, au moment opportun.
Le référent sera un éducateur ou une infirmière en santé publique ayant une compé-
tence dans la prise en charge des traumatisés crâniens. Un carnet de suivi tel qu’il a été
conçu par le groupe « Traumatisés crâniens Île-de-France » permettra le recueil des
informations concernant l’histoire médicale du patient et constituera un outil de com-
munication entre le patient, sa famille et les professionnels [4].

Programme futur de la Clinique romande


de réadaptation en collaboration avec
la Fondation Valais de Cœur
Afin d’assurer la phase de transition du patient cérébrolésé entre le centre de neuro-
rééducation et la société, le Foyer Valais de Cœur, dédié à ce type de patients, va ouvrir
ses portes en 2011 à Sion. Sa mission sera de préparer les patients à regagner leur
domicile, à réintégrer leur vie sociale et professionnelle en collaboration avec le service
de réadaptation en neurologie de la Clinique romande. L’enjeu de cette collaboration
est d’éviter le sentiment d’abandon des patients et de leurs proches après la sortie des
62 P. Vuadens, A. Bellmann

centres de réadaptation neurologique, moment charnière où la coordination et la


communication entre les différents prestataires deviennent essentielles. Une entente
efficace supposant un partage des informations, la création d’un réseau avec une infir-
mière de santé publique de liaison entre la Fondation Valais de cœur, la Clinique
romande, le patient et sa famille devrait contribuer à améliorer la communication et
la réinsertion socioprofessionnelles des cérébrolésés. En effet, en réunissant les diffé-
rents intervenants spécialisés dans la prise en charge de ces patients, un colloque mul-
tidisciplinaire, s’inscrivant dans un projet de vie cohérent et réaliste, permettra
d’aborder les problèmes rencontrés par le patient et son entourage familial, social ou
professionnel. Ce réseau spécialisé dans la prise en charge des TCC offrira un suivi
ambulatoire, régulier ou prêt à intervenir en cas de problème. Il devra être à même de
répondre aux besoins des patients, de leurs familles, de leur entourage, des services
médicosociaux et de l’employeur. Il travaillera en collaboration avec les associations
déjà existantes et œuvrant dans ce domaine (SUVA, AI, Fragile, EMERA, IPT). Le
réseau spécialisé se composera d’un médecin spécialiste en réadaptation neurologi-
que, d’une infirmière en santé publique, d’une neuropsychologue, du référent du
patient. Seront à disposition : un psychiatre et une psychologue, un kinésithérapeute,
un ergothérapeute, un maître socioprofessionnel, un spécialiste en orthopédie techni-
que, un bottier orthopédiste.
Lorsque le patient TCC quittera le service de réadaptation neurologique pour rejoin-
dre définitivement son domicile en ayant accepté d’être suivi régulièrement par le
réseau spécialisé, l’infirmière de santé publique maintiendra régulièrement des
contacts téléphoniques ou visitera le patient et sa famille pour s’assurer que tout va
bien (encadré 6.1). En cas de problème, l’infirmière en santé publique devra intervenir
immédiatement (dans les 24 heures au maximum) pour répondre à la demande et
mettre sur pied des rendez-vous pour résoudre le problème grâce à l’intervention d’un
ou des membres du réseau spécialisé ou d’une association. Un colloque mensuel sera
prévu avec les membres du réseau au cours duquel une revue des patients sera faite sur
dossier pour s’assurer du bon déroulement du suivi. En cas de problème important, le
patient et/ou sa famille pourra être présent pour discuter avec l’équipe spécialisée. Le
patient sera informé et acceptera de participer au colloque et en cas de problèmes
cognitifs, le colloque sera adapté à ses difficultés. Les proches ou le représentant légal
seront aussi présents s’ils influencent le projet, en accord avec le patient. Les spécialis-
tes du réseau auront réuni toutes les informations avant la rencontre avec le patient,
et auront préparé des objectifs et/ou des missions à mettre en place avec la collabora-
tion du patient ou de sa famille. Le patient et/ou son entourage pourront compléter
les informations, soumettre leurs questions et formuler leurs attentes respectives. Les
objectifs seront explicités clairement au patient et à son entourage en s’assurant qu’ils
sont bien compris. Les dysfonctionnements familiaux seront gérés avec tact et le
recours à un psychiatre ou à un entretien neurosystémique pourra être organisé. Du
point de vue professionnel, la présence de l’employeur et/ou des représentants des
assurances AI et/ou SUVA sera aussi planifiée si nécessaire. L’invitation du médecin
traitant se fera d’office et il sera tenu informé s’il ne peut pas participer au colloque.
Enfin, chaque 3 mois, puis 6 mois en cas d’évolution favorable, le patient sera revu à
dates fixes par le neurologue spécialisé en réadaptation neurologique. Ce contrôle sera
précédé d’un bilan neuropsychologique si nécessaire et aura pour but de répondre aux
questions du médecin traitant, des assurances, tout particulièrement en ce qui
concerne les aspects professionnels. Pour répondre à ces questions, le médecin s’ap-
puiera sur les informations qui seront recueillies et transmises par le référent avant ou
au moment du contrôle.
Un exemple de suivi des traumatisés crâniens sévères 63

Encadré 6.1  Domaines à évaluer et exemples d’indications


au colloque de réseau.
n Le souhait du patient :
– ambivalence du patient face au projet ;
– projet irréaliste, mauvaise appréciation de la situation des risques, anosogno-
sie : la personne surestime ses capacités à réaliser des actes indispensables à
son maintien à domicile, au travail.
n Les problèmes médicaux

n Les problèmes fonctionnels physiques

n Les problèmes fonctionnels cognitifs

n Les problèmes comportementaux

n Les problèmes affectifs

n Les problèmes familiaux, sociaux et professionnels

Adapté de La Revue médicale de la Suisse romande 2000 ; 120 : 893–6.

Conclusion
Tout TCC sévère laisse persister inévitablement des séquelles à la fois cognitives et phy-
siques. Les modifications cognitivocomportementales sont généralement les plus han-
dicapantes et sont la cause des difficultés de réinsertion sociale et professionnelles des
TCC. Livré à lui-même, le patient est souvent confronté à des difficultés qui ne sont pas
toujours perçues par l’entourage ou les gens qu’il côtoie dans la vie de tous les jours. Ses
oublis, ses troubles attentionnels, sa fatigue, son irritabilité, son manque d’empathie
ou d’émotions, lui attirent au fil du temps des animosités et créent des conflits qui
peuvent aboutir à la rupture familiale ou socioprofessionnelle. De plus la population
en général est mal informée des conséquences et des séquelles d’un TCC sévère. Cette
méconnaissance ne facilite pas la cohabitation avec les victimes de traumatismes crâ-
niens, surtout dans le monde professionnel. Face à ces difficultés de réinsertion, un
accompagnement et un suivi des TCC sont primordiaux et de nombreux pays ont
déjà mis sur pieds de telles structures (programmes UEROS en France, Headway en
Angleterre, par exemple). En se basant sur ces différents modèles d’accompagnement
des patients et de leurs familles, la Clinique romande, en collaboration avec la
Fondation Valais de Cœur, espère offrir un programme d’intégration socioprofession-
nel optimal à tous les traumatisés crâniens valaisans et ceci depuis la phase aiguë. Tout
au long de ce parcours de réinsertion, la famille est elle aussi accompagnée et soutenue
non seulement pour faire face à sa souffrance mais aussi pour l’aider à accepter de
poursuivre son chemin avec un traumatisé crânien, personne qui n’est plus tout à fait
celle qu’elle avait aimée. C’est dans ce travail d’acceptation que la Clinique romande de
réadaptation soutient chaque famille de traumatisé crânien en s’appuyant sur une
approche neurosystémique et un réseau spécialisé dans la prise en charge et l’accompa-
gnement des victimes d’un TCC sévère et de leur famille.

Références
  1. Ausloos G. La compétence des familles. Ramonville-Saint-Agne : Erès ; 2005.
  2. Pielmaier L, Walder B, Rebetez M, Maercker A. Posttraumatic stress symptoms of relatives in the first
weeks after severe traumatic brain injury. Brain Injury [submitted].
  3. www.anaes.fr.
  4. www.crftc.org.
Intérêt de l’approche neurosystémique
dans l’accompagnement à long terme
d’adultes cérébrolésés : expérience
menée à La Braise
C. Croisiaux1, F. De Reuck1, C. Le Blanc-Decupère1, R. Katara1
1. Centre La Braise, 165, rue de Neerpede, 1070 Bruxelles, Belgique.

Depuis sa création en 1987, l’institution La Braise a toujours cherché à améliorer sa prise


en charge des personnes cérébrolésées en développant et en intégrant les diverses structu-
res fonctionnelles et techniques nécessaires à la réadaptation et la réinsertion sociale de ces
personnes. Aujourd’hui, la souplesse d’articulation entre ces structures permet d’offrir des
solutions créatives et un accompagnement s’adaptant, dans la mesure du possible, aux
attentes et aux besoins de chaque adulte. L’accompagnement à long terme s’appuie sur la
richesse d’un travail en équipe multidisciplinaire, faisant largement appel à des techniques
écologiques, prenant en compte la dynamique de l’histoire familiale de la personne, et
prolongé par une organisation en réseau. Dans ce contexte, le partenariat entre proches,
personnes cérébrolésées et professionnels apparaît comme un triangle incontournable.
L’approche neurosystémique conduit les professionnels à mieux communiquer entre
intervenants des diverses structures, à se concerter, à se remettre en question, à mieux
repérer et prendre compte des événements de vie douloureux et/ou d’obscurs secrets de
famille qui interfèrent avec le parcours de réinsertion des personnes prises en charge.

L’histoire de La Braise
Dans les années 1980, il n’existe rien à Bruxelles pour offrir une prise en charge spécifi-
que aux personnes qui gardent des séquelles sévères à la suite de lésions cérébrales
acquises non évolutives (traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral, anoxie…). À
l’issue de la période d’hospitalisation et de rééducation, la personne cérébrolésée
retourne à son domicile, aidée par sa famille et éventuellement certains intervenants
tels que kinésithérapeute, orthophoniste, aide ménagère… ou est orientée vers une ins-
titution non spécifique : maison de repos, institution psychiatrique ou structure pour
personnes présentant une déficience mentale. Un constat est posé : la personne céré-
brolésée n’y trouve pas sa place et l’équipe, non spécialisée dans la lésion cérébrale
acquise, est souvent démunie, en difficulté.
En 1987, des personnes se rassemblent pour créer La Braise et apporter une réponse à
la problématique de la prise en charge à long terme de ces personnes. En 1995, le centre
de jour La Braise ouvre ses portes. Il accueille une trentaine de personnes et axe son
travail sur l’épanouissement personnel et la réinsertion familiale et sociale, tout en pri-
vilégiant la qualité de la vie. En 1996, un Service de transport s’organise car la plupart
des candidats n’ont pas l’autonomie suffisante pour assurer leurs déplacements. En
1998, La Braise crée un service d’accompagnement qui va compléter le travail de la prise
en charge de jour. Ce service aide la personne à gérer son quotidien au niveau de ses
Intérêt de l’approche neurosystémique dans l’accompagnement à long terme 65

repas, de l’entretien de son domicile, de la gestion de sa santé, des démarches adminis-


tratives, de la recherche d’activités valorisantes ou de loisirs. Le service d’accompagne-
ment suit en moyenne 40 adultes. Il dispose également d’appartements de transition
permettant d’évaluer les capacités de la personne à vivre seule tout en mettant en place
les moyens de compensation humains et techniques nécessaires.
Dès les premiers mois de fonctionnement, l’équipe du centre de jour constate que cer-
tains patients pris en charge ont encore un net potentiel d’évolution et gagneraient à être
davantage stimulés, notamment sur le plan de la réadaptation cognitive et comporte-
mentale. Des négociations s’engagent avec l’INAMI (Institut national d’assurance mala-
die-invalidité correspondant à la sécurité sociale française) qui, jusqu’alors, finance au
maximum 2 ans de rééducation après un accident cérébral. L’INAMI accepte d’accorder
jusqu’à 3 ans de réadaptation supplémentaires à des personnes cérébrolésées présentant
un potentiel suffisant d’évolution vers une réinsertion familiale, sociale et si possible pro-
fessionnelle. Cet accord permet la création en 2002 du centre de jour de réadaptation
cognitive qui accueille en moyenne 10 adultes. En 2005, un centre ressources se met au
service des personnes cérébrolésées, de leurs proches, des professionnels concernés et du
grand public. Ce centre vise à mieux faire connaître la lésion cérébrale acquise, via la
publication de brochures et par le biais de formations à destination des familles et de
différents intervenants (sociaux, médicaux, juridiques) [1,2]. Il mène également certaines
études spécifiques et contribue à la prévention. Le service répit s’ouvre en mai 2009. Il
offre aux proches de personnes cérébrolésées en situation de grande dépendance des pos-
sibilités de répit, soit par la présence rassurante d’un accompagnateur au domicile, soit
en proposant, pour le patient, une activité extérieure, voire un séjour de vacances. Enfin,
La Braise espère prochainement la construction d’un centre d’hébergement destiné aux
adultes cérébrolésés. Faute de financement, ce projet est en attente depuis 2003.
Ces différentes structures s’articulent entre elles et s’insèrent dans la filière de soins. La
souplesse de cette articulation permet d’offrir des solutions créatives et un accompagne-
ment s’adaptant, dans la mesure du possible, aux attentes et aux besoins de chaque adulte.

Quand le futur se construit sur un présent ébranlé


et un passe idéalisé
L’accident cérébral, par son caractère brutal, soudain, entraîne une fracture dans le proces-
sus de construction d’un projet de vie, à la différence du handicap congénital. Il y a rupture
entre passé-présent-futur. Les séquelles persistantes entraînent une restriction des choix de
la personne, qui devra revoir ses projets initiaux, abandonner ceux qui sont devenus irréalis-
tes. Un travail de deuil est nécessaire à différents niveaux : capacités, relations familiales,
sociales, travail, loisirs… Pour les proches également, la vie bascule. Ils doivent s’adapter aux
nouvelles contraintes liées au handicap acquis. La reconstruction du projet de vie peut pas-
ser par de nombreuses remises en question notamment liées au temps psychologique
d’intégration du handicap. La personne et ses proches évoluent chacun à leur rythme.
Les professionnels accompagnent la personne cérébrolésée et ses proches dans le travail
de deuil et dans la réflexion quant aux projets à venir. Cet accompagnement exige créa-
tivité et adaptation à la personne, à son entourage et à leurs évolutions. Face à tous ces
changements, les professionnels restent garants d’un cadre structurant et cohérent.

L’accompagnement à long terme


L’accompagnement à long terme s’appuie sur la richesse d’un travail en équipe multidis-
ciplinaire, où le rôle de chacun est défini. La cohérence autour du projet est indispensa-
ble. Elle se construit notamment à partir des décisions prises en équipe. Toute prise en
66 C. Croisiaux et al.

charge se base sur une évaluation des capacités, des séquelles mais aussi des besoins, des
aspirations, des ressources présentes autour de la personne. Cette évaluation doit égale-
ment prendre en compte l’histoire de vie de la personne et, notamment, le moment de
survenue de la lésion cérébrale. Les patients font souvent état de situations de vie très
conflictuelles peu de temps avant l’accident : deuil récent, conflits conjugaux avec évo-
cation de séparation ou divorce, stress professionnel, levée d’un « secret de famille » por-
tant notamment sur la filiation ou les origines du patient, double vie, choix de vie
impossibles… Connaître le contexte qui a précédé l’accident est essentiel, pour combler
les « trous » dans l’histoire du patient et adapter nos modes d’intervention.
Au travers de groupes d’échanges et de paroles mais aussi d’activités métacognitives, la per-
sonne acquiert des notions importantes concernant sa déficience. En devenant experte de
sa déficience, elle est mieux armée pour la gérer, la vivre au quotidien et évoluer. Par cette
expertise, elle devient capable d’informer/former son entourage, notamment sur les aspects
invisibles de son handicap. Une des spécificités de l’accompagnement à long terme est l’ap-
proche écologique qui consiste à proposer d’expérimenter de nombreuses situations de la
vie réelle. Ainsi, chacun se fait une idée plus objective de ses capacités et des nouveaux choix
de vie possibles. Accompagnée dans la recherche d’activités valorisantes, de loisirs, voire
dans la reprise d’une activité professionnelle, la personne cérébrolésée peut trouver de nou-
velles sources de satisfaction et de réalisation. Souvent éloignées des projets antérieurs, ces
pistes nécessitent de prendre en compte les limitations cognitives, la fatigue, la douleur, les
difficultés comportementales. Trop d’adultes cérébrolésés souffrent de solitude voire d’ex-
clusion sociale, avec ce qu’elles entraînent comme conséquences dramatiques.
L’accompagnement se doit donc de prendre également en compte le travail de maintien
ou de reconstruction des liens sociaux afin de permettre une plus grande participation
sociale.
L’accompagnement à long terme s’appuie sur un travail en réseau, qu’il s’agisse de pro-
fessionnels qui interviennent avant La Braise (structures hospitalières et de rééduca-
tion), en même temps (avocats, médecins experts, centres de soins à domicile, mutuelles,
maisons de retraite, lieux de loisirs, de stages, de bénévolats) ou après (services d’ac-
compagnement, structures de santé mentale, maisons médicales, aides paramédicales).
Ce travail en réseau est indispensable afin d’assurer la cohérence autour du projet de
vie. Il permet de compenser certains troubles cognitifs (mémoire, organisation, initia-
tive.). Le réseau pourra soutenir la personne tout au long de son parcours.

Un triangle incontournable : le partenariat proches,


personnes cérébrolésées, professionnels
Dès la phase d’admission, les proches sont impliqués dans le travail de réadaptation et
de réinsertion. Ils s’engagent aux côtés du patient en signant eux aussi le contrat péda-
gogique et le règlement d’ordre intérieur. Ensuite, ils participent régulièrement à des
bilans de famille auxquels assistent la personne cérébrolésée, ses proches, le référent,
l’assistante sociale et la direction. Ces bilans de famille sont organisés à l’initiative de
l’équipe mais peuvent aussi être demandés par la famille ou la personne elle-même. Ils
ont pour objectif de faire le point sur l’évolution de la personne cérébrolésée à La Braise
et en famille, et d’aborder éventuellement certaines situations critiques. Un autre objec-
tif est de coordonner le rôle de chacun aux différentes étapes du projet de vie. Les infor-
mations apportées par la famille concernant la vie avant l’accident, le parcours avant
l’admission et la vie au quotidien sont fondamentales.
En dehors des bilans, des contacts, notamment téléphoniques, avec les familles ont
toute leur importance.
Intérêt de l’approche neurosystémique dans l’accompagnement à long terme 67

Apports de l’approche neurosystémique


Le terme d’approche neurosystémique fait ici référence à la démarche qui intègre la
complexité des systèmes tout en s’appuyant sur les données cliniques de la neurologie,
indispensables au vu de la population qui nous occupe.

L’articulation et la transmission de l’information


entre les différentes structures de La Braise
Auparavant, notre mode de fonctionnement entre les structures était plus cloisonné.
L’approche neurosystémique nous a convaincus de la nécessité de réfléchir à la manière
dont s’organise la communication et la transmission d’informations entre les structures et
les professionnels, tant au niveau organisationnel qu’au niveau clinique. Cette clarifica-
tion permet à chaque professionnel de se situer dans l’ensemble du système de La Braise,
de mieux percevoir comment les différentes structures s’articulent et de s’engager en
connaissance de cause. Les tâches et responsabilités sont plus efficacement déléguées.
Au niveau organisationnel, nous avons mis en place une réunion structurelle trimes-
trielle réunissant les coordinateurs de chaque structure pour échanger les informations
et favoriser le bon fonctionnement au quotidien. Nous avons également réfléchi à notre
manière de transmettre les informations cliniques : que transmettre ? À qui ? À quel
moment ? Qui transmet et comment ?
Cette réflexion s’est centrée sur des moments clés de l’accompagnement à long terme :
le passage d’un patient d’une structure à une autre, la prise en charge simultanée du
même patient par deux structures ou la réorientation d’un patient vers une autre insti-
tution ou un autre service. La transmission d’informations pertinentes à la construc-
tion du projet permet aux professionnels de poursuivre le travail de l’équipe précédente
avec le patient, sa famille, son réseau. Pour les personnes suivies simultanément par
deux structures de La Braise, nous organisons les bilans en présence de représentants
de chaque équipe. C’est ensemble que le projet se dit et se construit. Lors du passage
d’un patient d’une structure à une autre, une présentation est faite à la nouvelle équipe
par le référent en charge du patient. Ces échanges permettent de maintenir la cohé-
rence autour du projet dans le respect du travail effectué en amont. Le patient est ras-
suré de sentir qu’il reste LUI aux différentes étapes de l’accompagnement.

La remise en question des professionnels


Notre inscription dans un travail sur le long terme nous impose un questionnement
régulier sur notre relation au patient et à ses proches. En effet, nous pouvons nous instal-
ler dans une routine, ne plus être suffisamment vigilants face à de nouvelles demandes.
Avec le temps, le lien pourrait se transformer insidieusement en relation plus affective que
professionnelle, amenant le risque de nous croire indispensables aux yeux du patient.
L’approche neurosystémique nous a amenés à réfléchir à certains de nos réflexes pro-
fessionnels. Croire que nous savons ce qui est bon ou non pour le patient peut nous
conférer un sentiment de toute puissance et rendre le patient dépendant de nous.
Oser dire notre impuissance face à certaines situations, oser lâcher prise, éviter l’« adop-
tion » du patient, respecter les stratégies mises en place par les proches ou une autre
équipe pour faire face à la situation de handicap sont autant d’éléments essentiels à la
construction d’un projet de vie.
Nous nous sommes également questionnés sur notre façon de nous engager. Nous
engager en restant loyal vis-à-vis du patient, de ses proches et de nos collègues. Nous
engager en assumant nos responsabilités. Nous engager en nous appuyant sur le cadre
68 C. Croisiaux et al.

institutionnel garant de la construction du projet. La prise en charge à long terme à


La Braise s’appuie notamment sur le travail en groupe. La personne accidentée se
retrouve au quotidien en relation avec d’autres qu’elle n’aurait pas été amenée à rencon-
trer sans l’accident. Ce groupe a un effet thérapeutique certain. Mais des modifications
de comportement peuvent y apparaître, parfois incompréhensibles aux yeux de l’équipe.
L’institution devient alors la scène où s’expriment et se rejouent des situations de vie
antérieures que nous ignorons et dont nous devenons spectateurs et protagonistes à
notre insu. L’approche neurosystémique permet de remettre ces événements en perspec-
tive, non pas dans un lien direct de cause à effet, mais dans une dynamique d’interac-
tions entre patients et professionnels au sein du groupe. Nos réflexions sur des
situations cliniques nous ont amenés à approfondir certains thèmes comme l’alcoo-
lisme, la toxicomanie, la maltraitance, les abus… qui parfois se greffent sur la lésion
cérébrale. L’approche neurosystémique nous aide à prendre en compte cette complexité.
Nous travaillons davantage par hypothèses, dans une logique plus ouverte et plus créa-
tive. Nous apprenons à regarder, observer (le verbal et le non verbal), à lever le voile sur
certaines de nos taches aveugles.

Réflexions sur le travail avec les proches à La Braise


Les entretiens familiaux ont pris une orientation plus systémique en intégrant pleine-
ment l’histoire de vie de la famille. Nous avons réfléchi à préciser les rôles, places et atten-
tes de chacun des partenaires autour du projet : coconstruction avec la personne, ses
proches, son réseau, l’institution au sein de ce réseau. L’approche neurosystémique nous a
permis de réfléchir à notre position face aux « secrets » que nous confient certains patients.
En effet, la disponibilité de l’équipe à aborder des sujets délicats voire tabous amène des
révélations de maltraitance, de situations d’abus, de conduites addictives, de comporte-
ments à risque et de parcours de vie chaotiques antérieurs à l’accident. La révélation d’un
secret familial libère le patient d’un poids certain. Néanmoins, cette révélation peut ébran-
ler les relations entre patient, proches et institution et remettre en question la poursuite de
la prise en charge et la mise en place du projet. Elle peut mettre le patient dans un conflit
psychique, « se taire ou parler ». Quoi qu’il fasse, il a le sentiment de se trahir ou de trahir
ses proches avec lesquels le lien de dépendance s’est accentué du fait de l’accident.
Ces différentes situations cliniques nous amènent à nous interroger sur la manière
d’accompagner ces révélations pour poursuivre la collaboration autour de la construc-
tion du projet de vie.

Conclusion
L’approche neurosystémique nous éclaire sur comment accompagner. Elle nous apprend
à prendre du recul, à nous appuyer sur les ressources de chacun et à rester humbles face
à la complexité des situations. Ce recul, cette ouverture à toutes les ressources disponi-
bles et cette humilité nous permettent souvent de découvrir l’inattendu. Accompagner,
c’est accepter de se laisser surprendre, d’avancer en terrain inconnu, de prendre des che-
mins de traverse, d’évoluer au rythme du patient et de ses proches, d’oublier nos certitu-
des et de permettre la créativité. Accompagner, c’est mettre tout en œuvre pour permettre
l’émergence du projet de vie du patient dans le respect de chaque partenaire concerné.

Références
1. La Braise. Le handicap invisible : quelques pistes pour y faire face au quotidien. Bruxelles ; 2005. www.
labraise.org.
2. La Braise. Être parent quand la lésion cérébrale ébranle l’équilibre familial. Bruxelles ; 2007. www.labraise.org.
Handicap et distorsion du lien
J.-M. Destaillats1,2,3, K. Merceron2, C. Belio2,3, E. Sorita2,3,
P. Sureau3, B. Pelegris3, J.-M. Mazaux2,3
1. Centre hospitalier de Jonzac, 17500 Jonzac.
2. Université Victor-Segalen Bordeaux 2, 33076 Bordeaux.
3. Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, 33076 Bordeaux.

Le handicap affecte selon plusieurs modes d’impact le parcours relationnel et histori-


que du patient et de sa famille. Leur quotidien est fortement transformé par le poids
des limitations d’activité et de la restriction de participation qui perturbent l’organisa-
tion fonctionnelle familiale. Tous les membres sont aspirés par le système dans une
tentative de maintien de l’autonomie de la famille, dans l’espoir d’un retour vers leur
modèle antérieur mais aussi pour compenser le risque de handicap familial. Cela génère
des transformations adaptatives créatrices de carences individuelles pour chacun. Le
handicap crée une vulnérabilité relationnelle qui expose le patient à l’instrumentalisa-
tion de la dissymétrie relationnelle. Au sein de la famille, la souffrance des protagonis-
tes peut les engager dans un risque de maltraitance qui se construit autour de la
distorsion du lien que le handicap au long cours fait apparaître. Le rôle de l’intervenant
neurosystémique est, grâce à son savoir sur la cognition, d’envisager avec empathie les
difficultés qu’ils rencontrent et de parler de ce risque de maltraitance afin de le prévenir
ou de la dévoiler. Dans cette démarche, un adossement à la loi est incontournable.
L’engagement de l’intervenant neurosystémique à l’occasion du handicap offre à la
famille un questionnement sur l’éthique dans la construction de leur lien familial.

La survenue d’une lésion cérébrale acquise modifie de façon considérable le parcours


familial du patient qui en est atteint. Ce parcours est parfois menacé par une transfor-
mation de la nature des relations.
L’ensemble des conséquences cognitives et comportementales de ses lésions entraînera
au sein de chaque famille, en fonction de la place de la personne qui est en est atteinte,
des tensions relationnelles et des nécessités de réorganisation qui affecteront chacun
des membres individuellement et le système dans son ensemble.
Ces observations que nous avons effectuées au cours des consultations handicap
et famille depuis une trentaine d’années nous ont montré un certain nombre de
points de passage communs aux familles, au travers de questions qui se posent
régulièrement à elles, que nous allons essayer de décrire. Mais les parcours qui en
découlent sont uniques, rendant compte d’une irréductible originalité de chaque
histoire familiale.

Comment le handicap pèse sur le lien


Par les limitations d’activité
Le handicap va peser sur le lien familial dans toute la complexité de ses interactions au
travers des limitations d’activité.
70 J.-M. Destaillats et al.

L’impact de la maladie du patient sur les activités motrices, fonctionnelles, cognitives


ou psychiques affecte son mode de compétence individuel. Au sein de la famille, cette
compétence de chacun des membres est le support de la compétence du système,
garante de l’autonomie familiale et de sa liberté adaptative face aux problèmes de l’exis-
tence [4]. En s’appuyant sur les compétences de chacun de ses membres, la famille
accroît son pouvoir afin de faire face à l’évolution « catastrophique » de l’existence,
c’est-à-dire à l’imprévisibilité de la vie imposant à tous des changements adaptatifs. La
perte de compétence d’un de ses membres affecte directement cette dimension d’adap-
tabilité familiale mais oblige les autres membres de la famille à pallier les limitations
d’activité du patient modifiant l’organisation interne des relations, des fonctions et des
rôles de chacun. Bien évidemment, les limitations d’activité cognitive entraîneront, en
fonction de leur nature, une modification du regard porté sur l’efficience du support
fourni par le patient blessé à la solidarité familiale.

Par les restrictions de participation


Nous voulons dire par là, au sens de la CIF, que les difficultés dans le rapport du patient
avec l’environnement, qui sont les conséquences des limitations d’activité affectent le
mode de performance du patient.
Ainsi, les membres de la famille découvriront qu’ils sont aspirés dans la compensation
des conséquences des limitations d’activités et des restrictions de participation du
patient, qui touchent les champs de la vie relationnelle, affective mais aussi les activités
de leur vie quotidienne. Cette restriction liée au handicap a, de ce fait, un impact et des
conséquences systémiques.

Par les effets sur l’autonomie et l’engagement individuel et familial


Le patient s’engageant moins ou de façon moins performante, les autres membres
devront s’engager d’avantage pour compenser cela au niveau de la vie intra familiale et
par rapport au contact avec l’extérieur. Cela créera une dynamique nouvelle, faite de
difficultés supplémentaires pour tous. Elle construira pour chacun un vécu doulou-
reux de transformation par rapport à l’état antérieur. La famille en concevra une perte
par rapport à sa vie antérieure. Il s’agit une perte de participation sociale, avec l’appari-
tion de stratégies d’évitement devant la difficulté mais aussi des vécus d’empêchement
du fait de l’inertie générée par le handicap restreignant l’ouverture de la famille vers
l’extérieur [20]. Nous ne développerons pas ici l’impact profond des représenta-
tions sociétales du handicap qui font l’objet d’une recherche à paraître de l’un d’entre
nous sur ce sujet. Le handicap ramènera vers l’intérieur de la famille, l’ensemble des
efforts chargés de le compenser et retirera de ce fait la participation des autres membres
à la vie extérieure et sociale [13,14]. Cette dynamique familiale contrainte par le handi-
cap détourne le système d’une de ses compétences. Chaque famille à pour but une fina-
lité éducative permettant l’insertion de ses enfants dans la société. Le handicap pèsera
sur ce but, en interdisant ou réduisant certains investissements extérieurs, en ramenant
les exigences du système vers un surinvestissement interne, pour lui permettre de faire
face, et, ceci, au détriment de son ouverture indispensable au succès son projet éducatif.
Ceci se traduira donc pour le système par le risque d’une perte d’autonomie et d’enga-
gement vis-à-vis de l’extérieur, une menace autarcique et autistique du repliement. En
cela, au delà de la demande de réparation faite auprès des soignants, on peut aussi
concevoir cette forte demande auprès des équipes, comme une tentative du système
d’éviter le repli et la fermeture sur un handicap organisateur tyrannique de la vie fami-
Handicap et distorsion du lien 71

liale. Le retrait se traduira aussi par un défaut d’engagement du système vis-à-vis des
autres membres, et par un défaut d’engagement de chacun vis-à-vis de lui-même et de
ses besoins.

Par la dimension des séquelles


Une difficulté que doit affronter la famille peut être classiquement envisagée par ses
membres comme une phase intermédiaire et transitoire, dans laquelle il suffit de
faire preuve d’obstination, d’endurance et de solidarité pour espérer un retour à l’état
antérieur. La lésion cérébrale acquise, la maladie, constituent pour tous les membres
une zone d’inconnu et d’impensé qui ne se révèlera que dans la découverte progres-
sive de ses conséquences concrètes au quotidien. Au fur et à mesure que cette prise de
conscience se fait pour tous par la connaissance et l’éprouvé des troubles, pour les
proches du patient, s’active l’espoir de pouvoir contrecarrer cela par des actions tech-
niques. Ces attentes sont les espoirs portés sur les équipes soignantes, mais, au sein
de la famille, elles se traduisent par leur équivalent dans la construction du lien que
sont les engagements relationnels, dont ils espèrent qu’ils feront rétrocéder les
difficultés.
Peu à peu cependant, se construit le vécu d’inexorabilité porté par les séquelles, qui
sont là pour s’inscrire dans la durée, la permanence et la répétition. Tous les efforts
affectifs et relationnels engagés s’avèreront vains vis-à-vis de l’ambition de faire dis-
paraître la nouvelle difficulté. Après une phase d’escalade contre les troubles, l’usure,
le renoncement prendront peu à peu la place de cette lutte. Ils se retrouveront dans
leur quotidien avec le poids des conséquences des limitations d’activité et des restric-
tions de participation et un vécu de fardeau et d’inexorabilité produira ses effets des-
tructeurs sur tous les membres qui s’étaient engagés dans ce combat contre les
séquelles. La répétition à l’identique des difficultés, l’absence de leur disparition se
conjugueront avec la crainte de voir leur vécu douloureux et épuisant devenir perma-
nent. Il s’y ajoute une crainte de l’aggravation qui, elle, reste toujours possible et qui
augmente au fur et à mesure que s’amenuisent les forces et ressources d’énergie vitale
des proches. La permanence des séquelles pèse puissamment sur les liens qu’elle
transforme. Elle s’oppose aux efforts de préservation du lien tel qu’il était aupara-
vant. Aux yeux de tous les proches du patient impliqués dans cette lutte engagée avec
l’espoir de la guérison, les séquelles se montrent comme invaincues et invincibles en
dépit de tout ce qui était entrepris, alors qu’à l’opposé le vécu des proches est marqué
par la labilité, la fluctuation, l’effritement, la diminution, la perte de leur énergie et
de leur forces.

Par son impact, au-delà du patient, sur le système familial


La maladie et les séquelles ne touchent pas uniquement le patient, mais affectent de
façon copernicienne tout son entourage relationnel, son système d’appartenance et les
systèmes d’inclusion auxquels il a recours [7,17]. C’est ainsi que le handicap aspirera
dans des stratégies compensatoires tel ou tel membre de la famille au détriment des
liens qu’il entretient avec les autres. Alors chacun s’engagera, y laissera des forces et des
espoirs, des attentes pour soi-même et découvrira ses propres limites, l’échec de son
engagement, l’insuffisance de l’appel aux émotions et aux sentiments pour changer les
choses dans le sens d’une restauration de l’état antérieur. L’aspect stéréotypé de la répé-
tition des lésions frontales, ­l’aspect imprévisible et explosif des « burst », la permanence
de l’oubli à mesure, des difficultés d’initiative qui imposent toujours l’incitation de
72 J.-M. Destaillats et al.

l’action par l’extérieur, l’apparente indifférence aux émotions liées à l’inexpressivité


qu’entraînent certaines lésions frontales, le repli égocentrique du fait de la difficulté
de décentrer son point de vue, l’entêtement apparent par la perte de flexibilité mentale
que subissent les patients, construiront les interprétations puis les représentations
de trahison, d’absence de réciprocité de l’effort consenti, d’absence de reconnaissance
de l’engagement, qui sont autant de blessures infligées aux personnes et autant de ten-
sions portant sur le lien. Chacun y rencontrera les doubles liens entre la loyauté au
système familial et l’intérêt personnel et parfois la révolte et la colère contre ce système
ou un de ses membres ponctuera leur évolution. Ainsi, de multiples façons, le handicap
mettra en tension le lien familial de chacun avec tous et, par conséquent, de chacun
avec lui-même, affectant l’identité et l’appartenance [7].

Par son impact sur les relations


Nous avons vu comment le système contraint plus ou moins chacun en étant lui-même
contraint à s’adapter au handicap. Tous en sortent intimement affectés à des degrés
divers. Un autre élément pourtant, est fondamental dans la transformation de la rela-
tion intra familiale. La maladie et ses séquelles laissent le patient, face aux autres, dans
une dissymétrie relationnelle qui l’expose à la façon dont autrui se saisira de cette ques-
tion de la vulnérabilité qui devenue la sienne. La nature de la relation a d’ores et déjà
changé. Toute la dimension de la relation dissymétrique, au-delà du lien affectif même
positif, s’ouvre sur celle de l’emprise et du rapport de force. Chacun d’entre nous sait
qu’on se protège avec tous contre les intrusions de l’autre et contre ses empiètements.
De fait, le handicap crée une dissymétrie dans les aptitudes à interagir et à se défendre
dans son intimité et son identité au cours de cette interaction. L’instrumentalisation
éventuelle de la dissymétrie relationnelle s’inscrira dans le parcours de vie antérieur et
dans la façon dont est construit le lien, individuellement et collectivement, entre les
différents protagonistes [12,34,35,44]. Ceci pèsera donc sur la relation familiale où,
chacun sous le regard de l’autre, se définira par la façon dont il se saisit de la question
de la vulnérabilité au sein de la relation et au cours des processus de construction du
lien [28, 29,42].

Comment se distord le lien


Par l’impact sur les modèles familiaux
Les limitations d’activité, la restriction de participation ont un impact sur les organisa-
tions du quotidien, aspirant dans leur compensation, à des degrés et des places divers,
les différents protagonistes familiaux. Par modèle, nous entendons la représentation du
fonctionnement de la famille dans ses valeurs et son fonctionnement [10,36]. Le système
fait émerger le modèle au cours du temps, par la coexistence au long cours de ses mem-
bres. Ce modèle a structuré leurs interactions, leurs attentes et leurs représentations du
futur, leur sécurité et leurs certitudes construites à partir des expériences du passé. Ce
modèle intègre l’histoire et le changement. Mais le handicap crée une distance très
importante et imprévue entre ces représentations issues du passé et le fonctionnement
tel qu’il émerge avec la découverte des séquelles. La coexistence dont nous parlons est
une coconstruction de liens. La maladie est un protagoniste étranger et un intrus qui
met en crise ce modèle préexistant et l’oblige à se transformer, alors que chacun des
acteurs de la transformation, confronté à la maladie d’un des membres, ignore ce qui est
bénéfique à priori pour la famille. Le handicap constitue dans le système un ajout qu’on
ne peut se représenté, qui est construit, soit par rapport au vécu de permanence et
Handicap et distorsion du lien 73

d’inexorabilité, soit par rapport à celui d’imprévisibilité et de non prédictibilité qu’amè-


nent les séquelles. Celles-ci se présentent comme des facteurs s’inscrivant dans l’avenir
de la famille et agissent par leur impact sur les protagonistes familiaux de la relation.

Par une vague en quatre temps


Les membres de la famille sont personnellement touchés à travers quatre périodes succes-
sives, qui s’enchainent à des vitesses propres à chacun des membres, et qui peuvent donc
coexister transitoirement au sein d’une même famille. Cet état familial complexe est le
reflet des vitesses d’évolutions individuelles qui ne sont pas synchrones. Dans un chemi-
nement temporel spécifique, où ils passeront par ces phases à leurs rythmes propres, ils
transformeront leurs représentations vis-à-vis du handicap et du futur de la famille.
Ces quatre phases sont la phase submergeante, la phase recouvrante, la phase décou-
vrante et la phase révélante. Nous allons tenter de les décrire brièvement.
La phase submergeante
Elle est la première à survenir et fait suite à l’apparition de la maladie. Elle suscite des
réactions systémiques basées sur trois phénomènes.

n La réaction de catastrophe systémique à l’intrusion de la proximité avec la mort


d’un des membres de la famille est véritable maelström émotionnel, qui affecte
chacun, bien au-delà de ses possibilités de coping individuel, car il ne bénéficie
plus du support systémique familial sécurisant. En effet le système lui-même est
profondément et brutalement désorganisé et est poussé dans des fonctionne-
ments d’équilibre extrême [4,14,18,19].
n La réactivation des mécanismes de l’attachement chez chacun des membres : la

menace que représente la peur de la perte d’un proche et l’injustice de la maladie


questionnent chacun dans le lien affectif qui les lie avec la personne blessée.
Selon leur place dans la famille, ils ont été des protagonistes particuliers de l’éta-
blissement d’un lien original. Des mécanismes d’attachement spécifiques [9]
ont construit ce lien dans sa sécurité ou sa fragilité. Toute dynamique d’attache-
ment n’est pas un processus linéaire qui laisse chacun indemne de doutes et de
souffrances. Ces époques passées sont réactualisées par la maladie et la menace
de perte et réentraînent chacun des membres de la famille dans un questionne-
ment portant à la fois sur l’interaction ouverte à l’autre et sur une réflexitivité
autocentrée. Ils se voient fonctionner de nouveau dans leur processus d’attache-
ment. Par ces mécanismes ils tentent parfois aussi de réparer pour eux-mêmes
les échecs et souffrances issues des périodes d’attachement précoce qui les ont
construits.
n L’impératif de la solidarité familiale : la maladie suscite cette réaction systémi-

que familiale de réactivation des mécanismes de l’appartenance. Il y a un lien


très fort entre l’identité et l’appartenance dans les familles ainsi que nous le rap-
pelions précédemment. Chaque famille valorise la construction de l’identité de
ses membres dans un processus d’individuation- différenciation qui s’élabore
par une boucle récursive avec l’appartenance familiale. Pour l’oblativité de cette
valorisation des membres du groupe d’appartenance, la famille exige en retour
une loyauté sous la forme d’une solidarité systémique : « Après tout ce qu’on a
fait pour toi… »
74 J.-M. Destaillats et al.

Ces deux derniers points servent à sortir chacun des membres de la sidération person-
nelle, pour réengager la dynamique systémique familiale vers une transformation et un
dépassement de la difficulté. Par la réactivation des processus de l’attachement et par
l’impératif de solidarité, le sentiment de dette enclenchera la démarche du contre-don
[2]. Ceci se manifestera, au sein de la famille, par l’implication affective, émotionnelle,
et pragmatique des membres pour suppléer au handicap. Dans cette phase, la réactiva-
tion des mécanismes de l’attachement et de la solidarité familiale sont la dynamique
nécessaire pour que le processus de transformation puisse se réenclencher par les trois
phases suivantes. Ils permettent ainsi que tous sortent de l’engloutissement et de la
submersion émotionnelle et traumatique dans laquelle la survenue de la maladie les a
plongés.
La phase recouvrante
Conséquence de la précédente, elle aide les membres de la famille à recouvrir toutes les
attentes personnelles, tous les passifs relationnels du passé, comme la vague recouvre
tout ce qui faisait aspérité sur le rivage. Ce faisant, elle engage les membres de la famille
dans l’oblativité, c’est-à-dire le don sans espoir de retour, puis dans le don avec une
attente non exprimée de contre don, et, plus tard, quand les séquelles laisseront l’im-
pression que le retour n’est pas possible, les membres s’engageront dans l’abnégation,
c’est-à-dire qu’ils donneront en sachant qu’ils ne retrouveront pas en retour ce qu’ils y
ont investi. Toutefois ils acceptent de le faire au profit du patient car les dynamiques de
la solidarité et de l’attachement les animent. La finalité systémique de cette phase
recouvrante est celle du « compte épargne espoir » d’une préservation maximale du
modèle antérieur. Ce recouvrement est une tentative d’annulation des changements
introduits par la pathologie et les séquelles. La dynamique de cette phase recouvrante
est la crainte pour tous de l’incertitude face à l’avenir qu’amènent le désordre et l’in-
connu provoqués par la pathologie.

La phase découvrante
Elle découvre, comme lorsque la vague se retire et laisse de nouveau apparaître sur
le sable ce que l’eau recouvrait, mais le fait en ayant déplacé et creusé toutes les
aspérités. Elle traduit le reflux des attentes de tous les membres de la famille, l’échec
de la préservation du modèle antérieur, la découverte de l’inexorabilité des trou-
bles, de la nécessité pour le système de changer. Elle s’accompagne aussi pour tous
les membres de la famille de la découverte chez chacun d’entre eux de ce qu’ils ont
laissé dans cette démarche, des blessures qu’ils y ont reçu, des carences qu’ils y ont
constitué, des manques qu’ils ont creusé, du prix de leurs renoncements. De plus,
ils commencent à en mesurer les impacts douloureux sur leur présent et sur leur
futur. Face à ce constat, ils évoluent activement vers la phase suivante qui est la
phase révélante.

La phase révélante
C’est une phase de confrontation à sa conscience personnelle, au regard des proches, à
l’éthique de la relation. Le système de son côté découvre soit sa résilience familiale [16],
soit la distorsion du lien dans laquelle il est entré [19,12,44]. Dans cette phase, chaque
membre verra pour lui-même la façon dont il a fait ses choix face à la vulnérabilité du
patient et face à la vulnérabilité d’autrui, car d’autres membres de la famille sortent de
ces différentes phases porteurs de fragilités nouvelles. Parfois, enfin, c’est aussi la
découverte d’un apaisement individuel et familial, d’une réconciliation avec le par-
cours de vie et l’existence [16].
Handicap et distorsion du lien 75

Le choc de la vague et de l’intervenant neurosystémique


Un constat s’impose avec les années. Les rencontres effectuées dans la consultation
handicap et famille nous ont montré certaines difficultés pour l’action que les soi-
gnants entreprennent auprès d’elles.

n Dans la phase submergeante, il y a peu de place pour que la parole, informative


sur l’avenir ou à visée thérapeutique, soit investie par la famille qui ne recherche
que de l’espoir, de l’air, car ils sont étouffés par la violence du choc.
n Dans la phase recouvrante, il en est de même car les processus d’idéalisation du

blessé ne permettent ni l’expression des conflits du passé, sources de culpabilité


ni l’acceptation de l’annonce des difficultés séquellaires pour le futur, avec tou-
tes leurs conséquences relationnelles. Les familles attendent essentiellement des
intervenants l’alimentation de leur c espoir de voir leur modèle préservé et le
retour à l’état antérieur conforté. Elles garderont toutefois, selon la disponibilité
accordée à leur écoute par les équipes, un sentiment plus ou moins marqué de
respect ou de confort liés à l’accueil de leur angoisse. Cette écoute n’aura aucun
effet préventif sur leur souffrance future qui sera liée à la découverte des difficul-
tés dans les deux phases suivantes. La trace cicatricielle de ces efforts vains, que
l’on doit pourtant faire pour les en informer, est la fameuse formule « Mais on
ne nous avait rien dit… ! » En cela il est fondamental, au cours de nos rencontres
avec les familles durant ces phases de leur tenir ce discours malgré leur souf-
france, leur évitement ou leur hostilité et notre crainte d’approcher et d’accroître
leur souffrance. On se doit d’évoquer avec loyauté mais tact, les difficultés
séquellaires prévisibles même si elles n’entendent pas l’information sur les trou-
bles qui leur est donnée. Grâce à cela ils sauront, même s’ils ne peuvent pas savoir
qu’ils savent. Plus tard, dans les phases découvrante et révélante, ils pourront
enfin savoir qu’ils savaient mais qu’alors, ils ne pouvaient pas savoir qu’ils
savaient durant ces deux phases. Ainsi cette évocation les inscrit dans leur évolu-
tion, réintroduit le temps qui avance dans leur temps suspendu par le système et
ses membres, afin de bloquer l’événement inacceptable [41,43]. Les intervenants,
par cette évocation du futur, s’inscriront à l’opposé de la tentative de la famille
de retour vers le passé. En agissant de la sorte, nous construisons une alliance
loyale avec le système qui doit évoluer pour survivre en se transformant.
n Nous construisons ainsi les possibilités d’un travail systémique futur dans les

deux phases découvrante et révélante, où les familles et leurs membres ouvriront


les yeux sur les difficultés, les vivront et donc les reconnaîtront. Dès lors, ils
accepteront peut être de risquer d’en parler, puisque nous avions pris ce même
risque avec eux, par loyauté et respect, quand ils n’étaient pas prêts à l’entendre.
Ainsi ils pourront à leur tour, éviter de penser que nous ne sommes pas prêts à
les entendre, puisque nous avions ces difficultés en tête, face à eux, bien plus tôt.
Nous resynchronisons nos deux temps dans cette période. Leur présent rejoint
le futur que nous annoncions et évoquions [24–27,29,30,43]. Les phases décou-
vrante et révélante sont les phases où le travail thérapeutique peut se construire
avec l’efficacité la plus grande. Commencé dans la phase découvrante, où les
membres du système ressentent les difficultés collectives et individuelles, ce tra-
vail fera la tentative d’une action soignante préventive voire curative face à la
distorsion du lien et un passage de la phase découvrante vers la phase révélante.
76 J.-M. Destaillats et al.

Complexité systémique familiale et sauvegarde


du modèle
Pour illustrer une part de la complexité de la rencontre d’un rôle familial et d’une
pathologie cérébrale, nous allons en évoquer les effets, au sein du système sur la place
parentale, par exemple.

Le centre du système de systèmes qu’est la famille


Dans une famille, le rôle parental est un rôle qui paraît central dans le fonctionne-
ment du système familial. Toutefois, le système familial est un système complexe qui
intègre en son sein plusieurs sous-systèmes. Ces différents sous-systèmes s’articulent
autour de la fonctionnalité parentale et sont constitués du couple, de la fratrie, des
grands-parents, des familles d’origine des conjoints. Il apparaît que la place réellement
centrale est occupée par la dimension du couple qui, elle, distribue toutes les autres
organisations relationnelles dans le sein de la famille. Être père ou mère n’existe qu’à
travers la place que ces fonctions ont prises dans le couple et le projet de couple. Le
projet de couple a été à l’origine du projet parental, qui a ensuite conduit à l’existence
d’une famille. Un regard anthropologique un peu plus large pourrait aussi montrer
que le couple est le meilleur moyen qu’a trouvé la famille pour faire une autre famille.
Ainsi, lors de la survenue d’un traumatisme crânien grave, chacun des sous-systèmes
va être affecté dans la distribution des fonctions et des rôles, ainsi que la construction
de l’histoire et des liens. La question de la place du père ou de la mère après un trau-
matisme crânien, par exemple, est totalement dépendante de l’histoire du couple, de
son présent et de son devenir. Dans cette histoire, les attentes des familles d’origine et
les conflits qui ont pu exister, jouent le rôle d’un levier puissant. C’est tout ce qui fait
que la famille est un système complexe et que le couple est le plus petit des systèmes
complexes. L’autre puissant facteur organisateur de la distribution des rôles et des
fonctions est celui de la nature des séquelles durables qui font suite au traumatisme
crânien. Ces séquelles les plus déstabilisantes sont les séquelles cognitives et les séquel-
les comportementales.

Le sous-système couple
Ainsi que nous le disions, ce sous-système est vraiment central dans l’organisation de la
vie familiale. Le couple est le fruit d’une rencontre, et cette rencontre est aussi un abou-
tissement d’une histoire, de trajets individuels dans des familles d’origine [11]. Bien
évidemment, le traumatisme crânien fragilise énormément le couple. À l’inverse des
sous-systèmes familiaux, le couple est le seul qui est basé sur l’engagement libre réci-
proque et le désir, et non pas prioritairement sur le devoir. La différence essentielle
vient du fait qu’un couple peut être dissous, mais qu’on ne peut pas dissoudre une
famille. Le lien de couple est profondément modifié par les séquelles cognitives et com-
portementales, car le partenaire conjoint est devenu très différent de celui qui avait été
épousé. De même les projections dans l’avenir que l’on faisait pour son couple, même
si elles sont toujours marquées du sceau de l’incertitude due à la transformation des
sentiments et de l’attachement sont considérablement accrues. Va-t-on rester avec une
personne à laquelle nous lie tout le passé, toute la fidélité à notre engagement, mais
dans laquelle nous ne retrouvons plus ce qui nourrissait le lien et lui permettait de
durer et de se transformer au fil du temps. Des séquelles apportent la dimension de la
dépendance, de la charge, du fardeau, et induisent un profond déséquilibre dans les
échanges dans ce qui est perçu comme ayant été donné, et ayant été reçu. De cette
Handicap et distorsion du lien 77

grande indécidabilité, de cette transformation radicale de la nature du lien amoureux


qui classiquement est à l’origine du couple, vont naître les difficultés des équilibres de
pouvoir à l’intérieur du couple. En effet, un couple est aussi un rapport de pouvoir et
d’autonomie de chacun des protagonistes de la relation. Bien sûr, il existe des notions,
comme l’échange et le partage, mais aussi la nécessité de se préserver des empiètements
d’autrui, du pouvoir et de l’emprise que l’autre peut être enclin à engager. Dans ce rap-
port de pouvoir, se construit la défense d’une liberté et d’une intimité individuelles qui
ne peuvent pas être englouties dans la dimension du couple. Cela traduit la défense de
la place de l’individu dans un système d’appartenance ayant pour but de le valoriser,
d’enrichir et de développer ses membres. Bien souvent, du fait des incapacités liées aux
séquelles, il y a une modification très importante de ce rapport de pouvoir et de cette
liberté d’un des deux partenaires du couple victime d’un traumatisme crânien grave.
Un couple c’est aussi une histoire toute particulière, où la relation est un cheminement,
et dans cette relation, chaque pas que l’on fait compte. Les traces du chemin passé, les
pas des uns et des autres dans ce chemin, sont ignorés de la plupart des soignants et
thérapeutes, et pourtant sont un des déterminants très importants de la façon dont la
relation va continuer à se construire. Il ne faut pas oublier que le couple se construit
aussi, dans ce qu’il a de visible, sous le regard des autres sous-systèmes, les parents des
familles d’origine et les enfants issus du couple. Ce sont des facteurs de pression extrê-
mement importants sur la construction de la suite de la relation et du lien.

Rôle parental et nature des séquelles


Incapacités et responsabilité
Un des rôles des parents est de protéger, de guider, d’organiser l’éducation, la crois-
sance et l’insertion des enfants. Les incapacités, d’une façon très générale, vont altérer
cette fonction parentale, et le patient victime du traumatisme crânien va être progres-
sivement repéré comme dysfonctionnant, peu fiable dans les domaines de décision qui
sont ordinairement ceux des parents. Le rôle des parents dans une famille est définit à
la fois par le positionnement individuel de chacun d’entre eux, mais aussi par le fait que
chacun est individuellement garant du rôle de l’autre. L’existence d’une anosognosie
rend extrêmement compliquée pour le patient la notion d’être garant de son propre
rôle et de sa propre responsabilité vis-à-vis des difficultés que peuvent rencontrer les
enfants. La difficulté de décentration du point de vue, le manque de flexibilité mentale,
entravent énormément l’indispensable attitude d’ouverture, de compréhension,
d’adaptation que les parents doivent avoir par rapport aux besoins de l’enfant. Tout
cela fera qu’aux yeux du partenaire sain du couple, le conjoint ne devient plus aussi
fiable qu’il l’était auparavant, et que la délégation réciproque qu’il y a dans la corespon-
sabilité se trouve altérée et modifiée par les séquelles. Dès lors, le parent sain va consi-
dérer qu’il est le seul à prendre les décisions, même si pendant un premier temps il
essaie de laisser une place à son conjoint devenu si différent. Le parent sain aura la per-
ception qu’il porte seul la charge des décisions difficiles, des conflits à résoudre avec les
enfants dans la mission éducative, voire même aura l’impression qu’il a une personne
supplémentaire en charge qui ne fait plus le partenaire à égalité, et le soutien dont il
avait besoin. La charge parentale est tellement ardue et génératrice de doutes et de
questionnements, qu’il est important de pouvoir se ressourcer auprès de son conjoint
dans les questionnements que ne manquent jamais de poser les enfants, surtout au
moment de l’adolescence. N’ayant plus cet espace de réflexion et de partage commun,
le sentiment de lourdeur et d’épuisement va être accru par cette mission parentale por-
tée presque exclusivement par le parent sain. La responsabilité du parent sain est de
78 J.-M. Destaillats et al.

tenir compte des incapacités du conjoint, et bien souvent ils ont le sentiment d’être des
parents isolés. Plus généralement, la gravité des séquelles cognitives, empêche les
patients de gérer de façon appropriée les dimensions financières, administratives et
légales qui concernent la vie familiale. Ils relèvent des mesures de protection des inca-
pables majeurs. Il est fondamental que cela soit reconnu et entériné légalement, même
si cela représente une perte de statut d’adulte. Le contraire entraînerait beaucoup d’in-
convénients graves : déni familial des séquelles et incapacités, surveillance et mise sous
contrôle vécu comme une emprise des décisions faisant le lit de conflits relationnels
étendus, mise en danger des équilibres financiers, disqualification par les erreurs etc.
Bien évidemment, tout cela aura des conséquences sur la pérennité du couple.
Affect, attachement, indifférence et passivité
Le lien parental est un lien empli de toute la charge affective du lien filial. Les attentes
des enfants restent inchangées car ce sont des besoins. Ils doivent se construire quelque
soit leur âge, en s’appuyant sur une relation privilégiée avec chacun des parents, et sur
celle qu’ils ont avec le binôme éducatif parental. Les séquelles qui entraînent le repli,
l’indifférence, la passivité, donnent aux enfants l’impression d’un détachement affectif,
d’un désintérêt de la part du patient atteint, et cette difficulté déséquilibre totalement
la perception que peuvent avoir les enfants d’eux-mêmes et de leurs parents. Ils ont
l’impression de ne pas être aimés, de ne pas compter, et construisent de ce fait des bles-
sures narcissiques, des dévalorisations personnelles qui recouvrent tous leurs espoirs et
leurs attentes déçues. Le manque d’empathie est particulièrement douloureux pour
celui qui vient avec un élan amoureux, qui d’ordinaire est compris, accepté et reçu.
Dans nombre de cas de replis passifs et d’indifférence cognitive, les enfants souffrent
dans la construction de leur personnalité de ce déséquilibre dans la relation et, suivant
l’âge de survenue du traumatisme pour le parent et pour l’enfant, de difficultés d’iden-
tification et de construction personnelle qui influeront à leur tour sur leur façon de se
structurer ultérieurement en tant que couple et parents.

Lien et mémoire
Les séquelles mnésiques sont particulièrement préjudiciables à la construction du lien qui
ne se ressource plus que sur ce qui est affectivement transmis et perçu dans l’instant ainsi
que sur les souvenirs anciens du passé, de l’histoire, de la relation. Les processus de remé-
moration d’événements passés sont relativement préservés dans les traumatismes crâniens
graves. En revanche, la construction de la relation depuis le traumatisme crânien chez des
patients ayant des troubles mnésiques entraîne le fait que dans la relation, ni les enfants ni
le parent sain ne peuvent faire référence aux événements agréables et aux conflits pour les
faire évoluer. À chaque fois, la mémoire déficiente annule ces remaniements nécessaires et
indispensables au dépassement des difficultés relationnelles mais aussi à l’amplification
du lien d’attachement dans une connaissance partagée qui ressource chacun des protago-
nistes et les réengage dans le lien et la relation future [30,43]. En se remémorant les bons
moments, on ouvre l’avenir à l’attente d’autres moments et le fait de le vivre de façon par-
tagée renforce le sentiment d’appartenance. Le lien filial, le lien de couple, le lien familial
fonctionnent ainsi et les séquelles mnésiques dans la mémoire de fixation entravent ce
processus qui se trouve donc fragilisé et moins opérant pour solidifier les relations interin-
dividuelles avec le parent concerné par le traumatisme crânien.

Difficultés cognitives et scolarité


Une grande part du lien filioparental s’inscrit dans la dimension éducative des appren-
tissages solaires. L’enfant trouve chez le parent, un moyen de dépasser les limites intel-
Handicap et distorsion du lien 79

lectuelles de son âge. Tout le jeu des difficultés autour des devoirs sert à valider l’autorité
ou les connaissances des adultes. Dans cette comparaison, une émulation, une admira-
tion, une compétition, une rivalité se font jour et structurent les constructions identi-
taires de l’enfant et son rapport au monde au travers de la pulsion épistémophilique.
Les relations vont donc être modifiées par les difficultés cognitives du parent qui peut
y perdre du respect de la part de l’enfant. Il faut être attentif au fait que les exercices
rééducatifs pratiqués au domicile prennent des sens tout particuliers d’échec scolaire
pour les enfants ou leur servent à comparer le niveau de leur parent avec le leur. Le
parent blessé peut y rencontrer un vécu d’humiliation sous les yeux de ses enfants et
entrer dans des comportements agressifs.

Troubles du comportement, violences et lien


Nous rentrons là dans un des aspects les plus douloureux de ce qu’une famille peut
traverser à la suite d’un traumatisme crânien grave dans les séquelles comportemen-
tales d’hétéroagressivité, d’impulsivité et de violences. Les enfants sont confrontés à
des comportements inhabituels du parent blessé comme dans les autres séquelles
précédemment citées, mais celles-ci sont beaucoup plus effrayantes, inquiétantes,
traumatisantes et sources de douleurs. Le parent devient imprévisible, incompréhen-
sible, comme si tous les sentiments qui nous unissaient à lui n’existaient plus. Il n’y
a plus de pondération par le lien affectif de manière aussi sécurisante qu’elle pouvait
exister auparavant. En effet, les enfants peuvent supporter d’être punis par les parents
car ils ne doutent pas du lien d’amour qu’ils ont pour eux et que ces derniers éprou-
vent pour leurs enfants. Dans ces cas-là, très souvent, ce lien d’amour est mis en doute :
rien de ce qu’ils font n’interrompt le processus de manière suffisamment efficace
pour qu’ils soient rassurés. Dès lors, la peur, la crainte, l’appréhension, la survenue de
nouveaux épisodes hétéroagressifs infiltrent la relation et faussent le jeu relationnel
habituel.
De grands déséquilibres personnels chez les enfants naissent de ce type de rapport et
l’attachement et l’identification sont gravement perturbés. Les difficultés de remémo-
ration citées plus haut, de même que le manque de flexibilité mentale, ainsi que l’inca-
pacité d’agir sur l’impulsivité et la désinhibition, l’inefficacité globale du feed-back et
du rétrocontrôle, rendent sans espoir l’idée que la relation peut être modifiée par un
investissement affectif authentique, qu’il n’y a pas de résultat et que l’amour ne soigne
pas les séquelles ni ne les fait disparaître. Tout cela constitue progressivement une
ambiance de carences inscrite dans la maltraitance verbale, physique qui interroge
beaucoup le couple, les enfants et la famille sur la possibilité de maintenir un lien his-
torique avec le parent si celui-ci devient dysfonctionnant au point de mettre en danger
le développement des enfants [12,19–21,34,35]. Bien souvent, le conjoint sain est placé
devant un choix douloureux entre les nécessités d’évolution du parent victime d’un
traumatisme crânien et les nécessités de développement et de croissance des enfants au
sein d’une famille équilibrante. Ces séquelles sont parmi les plus destructrices du lien
parental, familial et de couple.
Par ailleurs, ces troubles du comportement sont aussi souvent une tentative inappro-
priée de reprendre un rôle ou une place dans lesquels le patient essaie de se réinscrire,
sans en avoir les moyens cognitifs. Dans cette tentative il vivra des sentiments de
perte de pouvoir, d’humiliation, de déconsidération qui généreront chez lui de la
frustration, de la colère, elle-même faisant le lit de nouveaux troubles du comporte-
ment. De très nombreux exemples cliniques nous ont amenés à être particulièrement
vigilants sur ces processus de dysfonctionnements variés qui conduisent parfois
notre équipe à des signalements dans le but de protéger les enfants. Parfois la défense
80 J.-M. Destaillats et al.

du lien de couple malgré les dysfonctionnements parentaux, se fait en prenant en


otage les enfants dans ce projet « je voulais conserver un père à ces enfants… ». Bien
évidemment, on peut se demander quel père est conservé à ces derniers. En effet, un
autre effet néfaste doit être signalé sur ce point : la psychiatrisation des troubles du
comportement nous semble une erreur car c’est rajouter un problème au problème.
Non seulement le parent n’est plus le même qu’avant pour les enfants mais en outre,
il est étiqueté dans son comportement comme ayant des troubles d’origine psychia-
trique, ce qui le rend encore plus incompréhensible et inquiétant. Comment s’adap-
ter au fait d’être l’enfant d’un père ou d’une mère traumatisé crânien et qui de plus
est traité comme étant fou ? Ce sont deux difficultés d’identification et d’attache-
ment extrêmement complexes à gérer. Très souvent dans la consultation, nous
essayons de préserver dans la tête de l’enfant la représentation d’un clivage entre « la
lésion qui parle » et ce que pourrait dire le père ou la mère s’il n’était pas prisonnier
d’un cerveau qui dysfonctionne. Arriver à différencier l’image du parent et celle de la
lésion est un artifice de représentation qui a un effet de rationalisation rassurante
pour les enfants mais ne suffit pas à compenser les dégâts causés par les déborde-
ments comportementaux et la souffrance qu’ils entraînent.

Le sous-système des grands-parents


Le problème d’un enfant adulte marié, devenu traumatisé crânien se pose en termes
parentaux pour les grands-parents. En effet, ils sont tout à fait conscients que si le cou-
ple, qui était le système d’insertion de leur enfant hors de la famille d’origine venait à
exploser du fait du traumatisme crânien, la cellule familiale d’origine du conjoint vic-
time de traumatisme redeviendrait la nouvelle insertion. Dès lors, à l’intérieur de cette
famille, les grands-parents se revoient confier une mission de protection et ils oscillent
entre plusieurs difficultés.

Le couple et les familles d’origine


Tout le monde sait très bien qu’il existe un tabou de l’intrusion chez les parents et
beaux-parents d’un couple vis-à-vis de ce couple de leurs enfants. Le couple a besoin de
se défaire des liens filiaux de manière à dégager un espace propre qui sera celui de la
relation d’amour dans le couple. Or, le déséquilibre des pouvoirs et de liberté dont nous
parlions précédemment apparaît souvent aux yeux des parents d’origine comme une
perte de liberté et de respect pour leur enfant au sein du couple. Dès lors, leur mission
parentale se trouve réactivée par le devoir de protection et de défense de l’intérêt de leur
enfant. Ils se parentifient de nouveau un peu plus.

Les enjeux pour la famille d’origine


Reprendre son métier d’éducateur
Le couple n’est pas un lien obligatoire et si le conjoint sain venait à prendre la décision
de se séparer, les grands-parents savent bien que la question des incapacités de leur
enfant les obligerait à remettre leur tablier de parents car la mission éducative et pro-
tectrice serait à reprendre. En effet, ils auraient à refaire à un âge où ils ne sont plus
dans les mêmes aptitudes ni le même âge, un projet d’insertion, de protection, dans
l’existence pour leur enfant adulte handicapé. Ils ont cependant moins de force que
pendant l’enfance de ce dernier ; de fait, ils ont perdu de l’autorité. Il ne s’agit pas de
plus de la même fonction éducative. Elle se base toutefois sur les vestiges demeurant
chez le parent traumatisé crânien des positions enfantines qu’il a conservé, le respect
pour ses propres parents.
Handicap et distorsion du lien 81

L’insertion du patient handicapé, le vieillissement et la mort


La question de l’insertion pour les grands-parents devient d’autant plus importante
que celle de la mort se pose dans leur tête de manière croissante au fur et à mesure du
temps, dépassant les espoirs de contrôle et de maîtrise qu’ils avaient initialement. En
effet, ce lien parental fait qu’ils sont plus engagés qu’une épouse. Ce lien parental
contient en lui le besoin d’évoluer encore, mais le parcours a déjà été fait dans le passé.
Le parent traumatisé crânien a été un enfant qui a quitté le milieu familial et a pris à
son tour une place parentale. Dès lors qu’il la perd, il reprend une place d’enfant et les
grands-parents vont tenter de maintenir le lien de cet adulte avec ses propres enfants
tout en vivant le fait qu’il ne peut pas l’exercer pleinement sans leur aide.
La protection des petits-enfants
Parfois, dans la tentative de ce lien, il y a l’espoir que les petits enfants prendront la
suite. Toutefois ce n’est pas sans ambivalence car ils souhaitent protéger leurs petits
enfants. Aussi l’idée de « tenir le plus longtemps possible » est-elle mal comprise par les
soignants qui la qualifient de possessivité ou de lien fusionnel.
La protection des autres enfants
En dernier lieu, ces grands-parents sont confrontés à des questions douloureuses pour
leur famille d’origine. Plus ils avancent en âge, plus la question du devenir de leur
enfant handicapé traumatisé crânien amènera la question de la solidarité de la fratrie
d’origine qui est sollicitée selon les mêmes termes de solidarité et d’engagement vis-
à-vis de leur frère ou sœur qu’eux-mêmes l’avaient été en tant que grands-parents repré-
sentatifs. S’ils venaient à disparaître, est-ce que la fratrie prendrait en charge la sécurité
et l’insertion de ce membre de la famille ?

Le sous-système des enfants face au traumatisme familial


Les enfants vont se sentir impliqués à différents niveaux au fur et à mesure du temps.
C’est ainsi que l’on peut observer des phases successives de leur évolution face au trau-
matisme crânien grave d’un des parents.

Le retrait et le stand-by
Dans la phase initiale, lorsque le pronostic vital est en jeu, que le risque de perte du
parent est au centre des préoccupations de tous les membres de la famille, les enfants
adoptent une attitude de retrait et sont parfois volontairement mis à distance par le
parent sain, de manière à les protéger un peu de cette phase douloureuse extrêmement
angoissante. Cette phase de retrait reprise à son compte par l’enfant a pour objectif de
maintenir un statu quo symbolique, sans entraver le travail du parent sain. Dans ce
retrait, l’accaparement du parent sain pour le parent blessé, les fait gérer davantage
seuls leurs angoisses. À ce niveau-là, le sous-système fratrie tente de pallier aux besoins
individuels des membres de la fratrie mais, les autres sous-systèmes grands-parents
sont souvent plus sollicités. Cette phase est plus ou moins longue et s’installe jusqu’au
retour au domicile après la phase de rééducation.

La tentative de préservation et le statu quo


Lors du retour au domicile du parent déficient, les enfants vont tenter de préserver et
défendre l’ordre symbolique antérieur dans lequel ils étaient inscrits, dans lequel leur
espace psychique était en train de se construire avant l’accident. Ils vont essayer de
retrouver les mêmes repères mais la transformation du parent victime est telle qu’ils ne
retrouvent plus les marques de leur relation.
82 J.-M. Destaillats et al.

Les stratégies de restauration


Cette stratégie vise un double objectif, tenter de restaurer le rôle parental, tenter de
préserver le fonctionnement familial. Les enfants vont réagir à la perte de fiabilité du
parent par des attitudes d’hyper maturité en devenant très raisonnables pour éviter
d’ajouter du souci et une charge au parent sain dans un premier temps, tout en ne
renonçant pas à faire réapparaître chez le parent victime les comportements antérieurs.
Dès lors les attitudes qui sont souvent qualifiées de provocation recouvrent l’idée de
stimulation de manière à tester le nouveau parent et essayer d’obtenir de lui les com-
portements antérieurs. De la souffrance née de cette perte de sécurité et d’insouciance
de l’enfance, se créera un déficit d’enfance. Le processus d’hypermaturité pourra alors
s’accroître et entrer dans celui de parentification qui touche souvent l’enfant qui appro-
che de l’adolescence et qui va servir d’intermédiaire entre le parent sain, qui est obligé
de délaisser une partie de ces missions éducatives pour pouvoir s’occuper du parent
déficient, et les autres membres de la fratrie. Cette parentification d’un des enfants est
la deuxième forme de l’engagement de ces enfants dans la tentative de restauration et
de maintien de l’équilibre familial.
Les stratégies de transformation
Les différentes tentatives de retour à l’état antérieur ayant été vouées à l’échec, les
enfants tentent de s’engager dans une évolution plus personnelle. Beaucoup de confi-
gurations sont alors possibles mais la parentification d’un des enfants dégage un espace
d’évolution pour les autres, et cet enfant parentifié pourra entrer lui aussi dans une
phase de transformation en développant des stratégies plus individuelles et en quittant
la stratégie familiale d’équilibre. Ces attitudes représentent une gradation entre un
désinvestissement de l’engagement dans le système familial et un investissement des
stratégies personnelles. Les différents aspects que prennent les comportements et les
attitudes des enfants à cette époque sont les suivants.
Le repli
L’enfant se replie sur lui-même, sa souffrance va le carencer. Il n’en parle que peu et va
chercher à l’extérieur du système familial d’éventuels moyens de résilience ou de soutien.
L’éloignement
Un certain nombre d’enfants, voyant que les choses sont difficiles, s’engagent dans des
demandes d’éloignement (internat ou autre) qui les préservent d’une ambiance familiale
où l’étendue des séquelles accapare beaucoup le parent sain. Ils trouvent un cadre éduca-
tif extérieur qui les protège avec lequel ils essaient de retrouver un équilibre personnel.
L’individuation
Progressivement les enfants n’attendent plus de la solidarité dans la famille, une solu-
tion importante pour eux. Ils développent seuls des stratégies d’adaptation pour pour-
suivre leur parcours et leur développement. Ce sont les enfants qui échappent un peu
au parent sain et peuvent rencontrer ensuite des difficultés à l’extérieur de la famille.
Le passage du repli à l’éloignement puis à l’individuation peut se faire dans des formes
de provocation qui sont là pour porter la colère et la révolte contre la situation. Elles
signifient aussi la tentative d’accroître les possibilités de détachement et de désengage-
ment des dynamiques systémiques prioritaires. Les enfants se réengagent sur des dyna-
miques plus personnelles, visant à traiter et à atténuer les souffrances liées à la carence
qui s’installe pour eux au cours du temps. Cette carence est d’autant plus importante
que les enfants sont petits lors de la survenue de l’accident. Ces carences portent sur les
difficultés d’identification, de protection, de sécurité affective, c’est-à-dire de construc-
Handicap et distorsion du lien 83

tion de la personnalité. Les périodes de développement de la petite enfance, de l’en-


fance, de la préadolescence et de l’adolescence sont affectées diversement, mais doivent
toutes être interrogées, quant à l’impact des carences sur le vécu actuel de l’enfant et sur
leurs conséquences à long terme. Ce déficit d’enfance marquera la construction des
nouveaux liens qu’ils établiront lors de la construction de leur propre dynamique de
couple et familiale. Ils se révèleront dans la sphère de l’intime où se nouent les attache-
ments affectifs et dans la construction des liens de couple et de famille. Le futur lien
filioparental contiendra, à partir du moment où ils seront devenus parents, la trace de
ce déficit porté sur leur propre parcours. Dans le cadre des consultations, nous nous
attachons à voir seuls les enfants, pour leur ouvrir un espace de verbalisation qui défend
leur place et leurs besoins dans le système.

Les stratégies familiales adaptatives créatrices


de carences individuelles
La mobilisation générale
Dès la survenue du traumatisme commence une première phase où le système mobilise
ses éléments pour la défense du territoire familial. Il exigera de chacun des sous-systè-
mes et de chacun des membres des sous-systèmes un certain nombre de comporte-
ments et d’attitudes adaptatives.
La solidarité
Autour de la solidarité qui émerge dans la survenue d’une catastrophe, chacun com-
mence un parcours où il met de côté ses priorités personnelles et ses attentes de manière
à traiter la survenue d’une angoisse de mort généralisée qui est une angoisse de perte
pour les membres de la famille du fait de la confrontation de l’un des leurs avec la
proximité de la mort. C’est sur la base de cette solidarité qui est un processus commun
à tous les sous-systèmes que chaque personne va construire des positionnements indi-
viduels qui passeront par les autres étapes que nous allons décrire.
L’oblativité
C’est le temps du don où le don est effectif, basé sur la générosité, fait de manière à
compenser la souffrance générée par le traumatisme du système et la menace portée sur
le lien affectif avec le patient victime. Il n’y a pas d’arrières pensées ni d’attentes spécifi-
ques de réciprocité dans cette étape.
L’engagement
Il s’agit d’un acte volontaire, d’une forme particulière de l’oblativité et du don, où l’on
accepte de se mettre au service d’un « projet d’intérim », c’est-à-dire de permettre au
système de continuer à fonctionner dans l’attente du retour du parent. Cela concerne
chacun des sous-systèmes et prend plusieurs formes qui vont creuser la dette et faire au
fur et à mesure du temps émerger des comportements qui seront potentiellement créa-
teurs de carences profondes.

n L’effacement : chacun des membres essaie de ne pas apparaître avec ses attentes.
Cela concerne surtout les enfants.
n L’abnégation : les attentes sont reconnues mais repoussées au service du système

ou du patient.
84 J.-M. Destaillats et al.

n La cothérapie : chacun essaie de se mobiliser pour favoriser le retour à l’état anté-


rieur et le système familial fait que chacun se positionne par rapport au handi-
cap et aux séquelles comme étant l’objectif principal des efforts. Il faut faire
disparaître tout ce qui gênerait le retour à l’état antérieur et chacun s’y engage à
sa façon en fonction de ses moyens et de sa compréhension. Très souvent, le
contact avec les équipes de soins est un moyen de prendre de l’information sur
un domaine que l’on ne connaît pas, de manière à pouvoir transposer au sein de
la famille les stratégies rééducatives, alors même que ces stratégies ont été aban-
données pour des stratégies réadaptatives dans les institutions, quand le temps
des séquelles est arrivé.

Nous ne nous baignerons jamais deux fois dans le même fleuve


Le renoncement
Il inaugure une nouvelle étape, différente de celle de l’abnégation. Toutes les attentes
non dites et vécues sont toujours présentes, mais on sait qu’elles ne seront jamais com-
pensées et que ce don est devenu une forme de perte qui a créé des vides, des manques,
des carences individuelles. C’est une étape importance qui annonce le processus de
transformation du système et le changement du modèle. Le modèle passé est aban-
donné car inadéquat pour le futur. On a conscience que tout ce que l’on a investi pour
le défendre est irrémédiablement perdu et ne sera pas retrouvé. Toutefois la phase du
renoncement est celle aussi qui précède la phase de l’acceptation, c’est-à-dire que la
transformation du modèle a été intégrée comme définitive et le projet du retour à l’état
antérieur est abandonné.
Le temps de la découverte des carences systémiques
L’abandon du modèle ne signifie pas l’absence de crise. Cela ne veut pas dire la fin de la
souffrance car émerge la réorganisation des règles, des rôles, ce qui construit de nouvel-
les formes de relations, de perceptions de l’autre dans les sous-systèmes et dans la
famille. Les secousses de cette réorganisation passent dans la fratrie, dans le couple,
chez les grands-parents. Ces secousses prennent quatre formes.
La perte
Le constat de la transformation est aussi celui de la non-réciprocité. Ce qui avait été un
don devient une perte. Ce dont on s’est passé pour soi-même au bénéfice du système
devient un manque qui fait défaut dans le présent. On craint son impact sur l’évolution
personnelle à venir. C’est vécu comme un appauvrissement, un renoncement irrespec-
tueux à soi. C’est aussi la phase de l’épuisement, du « burn-out », la phase où l’on décou-
vre que tous les investissements de l’étape précédente ne seront pas payés de retour.
C’est la phase où l’on mesure l’importance de la déstabilisation vécue individuellement
et collectivement. Ceci prépare l’étape suivante.
La colère
Elle est très souvent le signe pour celui qui en est porteur que le constat de perte est
douloureux. C’est un double mouvement : colère contre soi, colère contre les autres. De
nombreux comportements sont rapportés par les membres de la famille mais les plus
préoccupants concernent ceux qui sont tournés contre le patient. Le conjoint, les
enfants, les grands parents vivent et expriment à des époques variées ce sentiment.
Handicap et distorsion du lien 85

La révolte
Elle suit la phase précédente et est une tentative de désengagement de la solidarité
familiale de manière à préserver ce qui peut l’être encore pour soi-même. Elle est un
puissant accélérateur de la transformation du modèle mais peut aussi signifier l’action
d’un sous-système qui se trouve menacé dans le nouvel équilibre.
La vengeance
Lorsque les dysfonctionnements familiaux ont été importants essentiellement dans les
familles marquées par les séquelles à type de violences hétéro agressives des comporte-
ments en retour peuvent émerger. Ils argumentent leur justification autour de la souf-
france subie, de la position de victime. Très souvent, il y a une surinterprétation du
comportement du patient dans une intentionnalité maltraitante qui induit une mal-
traitance de rétorsion. Les vécus d’abandon, d’humiliation, d’instigation peuvent tou-
cher le conjoint sain et très fréquemment les enfants. Il est important de noter que les
enfants ont des reproches, des griefs qui ne concernent pas que le parent victime. Le
parent sain se voit reprocher son défaut vis-à-vis des attentes des enfants qui peuvent
s’estimer dupés de s’être engagés pour le seconder dans un projet de soutien qui les
délaissait. La vengeance est un signe de handicap familial qui induit une crise encore
plus grave. Il peut exister alors une guerre entre les sous-systèmes signant une famille
dysfonctionnante. Ce sont très souvent des familles que nous voyons référées par des
tiers alertés par un des membres de la famille.
L’acceptation
C’est la dernière phase de la transformation. Elle peut faire suite à celle du renonce-
ment ou survenir au décours des phases plus douloureuses un temps de la découverte
des carences systémiques. La transformation du système dans sa structuration la plus
profonde, à savoir les rôles parentaux, est achevée. C’est le temps des séquelles recon-
nues par tous comme définitives. C’est le temps où l’on accepte de ne pas avoir eu les
parents qu’on aurait aimé avoir et d’avoir les parents qu’on aura eus. Il est important
de souligner que cela concerne les deux parents qui ne sont pas exempts de griefs.

Le coût systémique du changement


Le système familial s’appuie sur un sous-système pour permettre la transformation.
Dans le temps des séquelles, durant la phase révélante, un ou plusieurs des sous-systè-
mes paiera un prix plus lourd que les autres pour le nouvel équilibre. Ce sous-système
peut tenter d’essayer d’éviter cela. Par exemple les grands-parents se parentifient à nou-
veau, les enfants « adultifiés » se parentifient aussi, le couple disparaît, il ne reste plus
que la fonction familiale de l’adulte sain. Le couple subit sans doute la transformation
la plus profonde et la plus radicale ainsi que la plus définitive. Il est le plus fragilisé. Il
peut être une coquille vide dans sa dimension intime de couple n’existant que pour
l’apparence des enfants et du reste de la famille. Le patient y trouve très souvent une
source de dysfonctionnement personnel visant à restaurer un fonctionnement du
passé. Dans cette phase des choix, la hiérarchie des sous-systèmes apparaît : « on doit
protéger les enfants… », « il faut qu’ils poursuivent leur vie… », etc. Chacun se retrouve
mis dans une dialectique entre les choix individuels et les choix systémiques et l’idée de
se préserver apparaît plus forte. Cette phase extrêmement douloureuse va se poursuivre
au fur et à mesure du temps, chacun des membres du système étant dans ses choix
tiraillé entre le désir de protéger le sous-système qui paie le prix le plus lourd et la néces-
sité de poursuivre sa propre évolution pour ne pas rentrer dans une crise permanente
individuelle ou des sous-systèmes.
86 J.-M. Destaillats et al.

Les critères cliniques du risque de maltraitance


par distorsion du lien
Le premier critère de risque : le handicap organisateur relationnel
Il apparaît lorsque le handicap devient l’organisateur relationnel du système au détri-
ment des besoins propres des autres membres de la famille. Les carences personnelles
qui en découlent sont repérables par des symptômes et verbalisations spontanées à
propos de l’usure, de l’épuisement, du burn-out, du fardeau, de la dépression, du senti-
ment d’isolement, de l’absence de secours, et de l’impression que nul ne pourra rien
faire et qu’il n’y a pas d’autre solution que de continuer cette organisation autour du
handicap. La demande quérulente de réparation du préjudice subi, au delà de sa dimen-
sion légale et légitime, est aussi un signe pathognomonique de cette distorsion. La
famille y vit un besoin d’évacuation de l’agressivité générée par la colère face à l’aléa où
il faut trouver un coupable Elle se replie de façon offensive sur un niveau de violence et
de vengeance plus que de réparation légale [23].

Le deuxième critère : la réification


Il apparaît dans la relation avec le patient où il est, dans le discours comme dans les
actes, réifié considéré comme une chose. Sa personne disparaît devant une définition
par rapport à la pathologie. On ne parle plus de lui autrement que comme un malade.
Cette réification se repère par des comportements familiaux avec les équipes soignan-
tes, il est l’objet des discussions qui le concernent et non plus l’acteur décisionnaire
de sa vie aux yeux des membres de la famille, voire des équipes. Il peut même devenir
une monnaie d’échange avec les services, et peut être aussi instrumentalisé dans un
conflit avec les institutions. Dans le « jeu de la patate chaude », la famille évacue sa
souffrance dans une escalade symétrique avec les soignants leur reprochant un vécu
de disqualification.

Le troisième critère : la maîtrise et l’emprise


Un signe d’alerte supplémentaire est la constatation qu’il peut exister une tentative de
maîtrise et d’emprise par un tiers, sur tout ce qui concerne le patient. C’est un complé-
ment de la réification. Ce tiers peut être familial ou concerner les équipes soignantes.
On rentre là dans un niveau de maltraitance qui est souvent dénoncé dans les prises en
charge. Au sein de la famille, une personne devient le seul interlocuteur de pouvoir
concernant tous les projets qui concernent le patient. La même dynamique menace le
fonctionnement de certains acteurs des équipes.

Le quatrième critère : le projet de rééducation sans fin


C’est celui du maintien, longtemps après l’acquisition de la maladie, d’un projet de
retour à l’état antérieur du patient et du modèle, projet de rééducation au très long
cours pour la victime. C’est le signe d’une impossibilité à changer, à accepter une trans-
formation un refus du « plus rien ne sera comme avant ».

Le cinquième critère : la honte de la lourdeur des séquelles


Lorsqu’elles se manifestent surtout au niveau comportement, les séquelles cognitives
et comportementales peuvent causer à la famille des difficultés soit du fait de la désin-
hibition ou au contraire de la passivité, soit du fait des troubles de la cognition sociale
Handicap et distorsion du lien 87

du patient, soit du fait de la restriction de participation du patient et de sa famille par


autostigmatisation et honte. L’apparition de la honte est un signe particulièrement
inquiétant qui doit attirer l’attention sur la souffrance familiale, car il souligne une
culpabilité destructrice de l’estime de soi. Elle peut engager celui qui en souffre dans la
maltraitance, n’ayant plus rien à craindre de remords supplémentaires. Au moyen
d’une tentative d’externalisation, de projection, de partage punitif de la souffrance il se
ressent victime du patient ce qui l’autoriserait à devenir un bourreau/justicier de celui
apparemment par qui le malheur arrive [2,12,20,34,35].

Le sixième critère : le repli et l’isolement familial


Le repli familial et d’isolement se font par un vécu de honte du handicap vis-à-vis des
autres, que ce soit la société ou la famille proche. Il y a bien entendu une articulation
entre les troubles du comportement et des situations gênantes relationnelles vis-à-vis
des proches ou lors des sorties dans les lieux publics [22]. Les situations de mal-
traitance pourraient se développer loin de tout regard extérieur. Ce repli est un ren-
fermement des protagonistes sur la souffrance intra familiale propice à la déviance
relationnelle.

Le septième critère : la bouc-émissarisation


C’est sans doute le plus important et le plus inquiétant. Il s’agit de la bouc-émissarisa-
tion du patient [20]. Il apparaît comme le responsable aux yeux de la famille ou des
équipes de toute la difficulté que rencontrent les systèmes, le malheur vient par lui,
pour tous, Ce processus de désignation, qui fait partie de la violence fondamentale des
sociétés et des organisations humaines [19], se manifeste souvent par la construction
d’un sens psychiatrique face au comportement et aux attitudes du patient. Ceci signifie
qu’il est devenu pour tous complètement étranger aux liens du système et traduit l’illu-
sion que la solution qui construirait l’équilibre et l’apaisement de la crise passerait par
l’exclusion, la stigmatisation et la désignation du patient en bouc émissaire.

Le huitième critère : le parcours de vie antérieur


Ce parcours est particulièrement important à connaître pour les intervenants, car
même si l’histoire commence pour nous dans notre rencontre avec la famille par l’ap-
parition de la maladie, il nous est arrivé fréquemment de trouver des distorsions du
lien pré existantes à la pathologie [12,34,35,37,38]. Cette dernière efface aux yeux des
intervenants l’antériorité des dysfonctionnements. En effet, le handicap n’est pas la
seule cause de distorsion du lien dans les organisations familiales. Les épreuves de la
vie font remonter pour tous dans le système toutes les questions issues du passé. Dans
le passé, il y a la source de toutes les attentes satisfaites ou frustrées, la mémoire de
tous les conflits, de toutes les dettes affectives et de tous les renoncements, des trahi-
sons, des épreuves et des blessures de la vie et des sentiments. Il y a l’histoire du lien
telle que tous ont contribué à le construire et à le faire évoluer, et qui laisse chacun face
aux questions de la responsabilité, de la culpabilité par rapport aux relations et aux
actes passés. Mais il arrive parfois que certaines familles aient déjà été marquées par
un passé de violence et de maltraitance qui se dévoile après la survenue du trauma-
tisme cérébral. Si l’accident ponctue ce parcours de maltraitance initialement inconnu
des professionnels, sa découverte fait de la pathologie un événement de dévoilement
qui peut ouvrir vers d’autres virtualités d’évolution pour la famille du fait de l’inter-
vention de ces soignants.
88 J.-M. Destaillats et al.

Le travail neurosystémique face à la distorsion du lien


Il est bien évident que ces difficultés, quand elles se révèlent, ont un pouvoir dissuasif
très fort sur les actions des intervenants qui y sont confrontés. Tous les soignants per-
çoivent plus ou moins confusément cette distorsion et ont tendance à s’en éloigner du
fait de sa complexité et de son impact aversif. Il n’est pas éthiquement possible pour-
tant de détourner de ces problématiques qui nous inscrivent par ailleurs dans une obli-
gation d’éthique du soin qui est rappelée dans le concept de bientraitance et de
l’inscription légale qui a pour but de sanctionner et punir les phénomènes de mal-
traitance. Comme nous le disions, il est classique dans l’approche neurosystémique de
poser l’engagement de l’intervenant comme postulat de son intervention. Un question-
nement ayant le souci d’évaluer le risque de maltraitance ou de dévoiler sa réalité
concrète doit toujours être envisagé et posé dans sa tête et dans les entretiens. Selon les
cas de figure, le but de ce travail sur la distorsion du lien est soit préventif, afin d’éviter
que n’apparaissent les maltraitances, soit de protection de la personne vulnérable, afin
de pouvoir tenter un traitement familial de la maltraitance. Pour cela, plusieurs points
sont nécessaires et incontournables pour aborder cette action.

Un engagement légal
La vulnérabilité et la loi
Dans l’approche neurosystémique (comme dans tout travail avec la maltraitance), l’en-
gagement de l’intervenant ne peut exister qu’adossé à une loi qui contraint la distor-
sion du lien pour l’envisager au-delà des considérations éthiques et morales que l’on
peut aborder avec les familles. Ces considérations morales ne sont pas suffisantes à
elles seules pour modifier les comportements déviants. La loi en apportant la limite des
sanctions encourues, contraint les déviants à un impératif de choix et de changements.
Le nouveau code pénal de 1994 est très clair à ce sujet. Le code pénal ne connaît pas les
personnes handicapées. Juridiquement, le statut de personne handicapée et la notion
de handicap n’existent pas d’un point de vue pénal. Le seul statut dont il est fait men-
tion est celui de « personnes vulnérables ». Le nouveau code pénal a réaffirmé l’objectif
ancien de la justice dont la mission à été de tous temps, de protéger les plus faibles et,
pour cela, ce nouveau code pénal a ajouté aux les mineurs de 7–8 puis 15 ans, de nou-
velles catégories de personnes. Pour désigner ces nouvelles catégories, le code pénal
emploie deux expressions : celle de vulnérabilité et celle de personne qui n’est pas en
mesure de se protéger. Cette volonté de protection du législateur se traduit par trois
séries de dispositifs : les possibilités de protection particulière qui font l’objet d’obliga-
tion de signalement, les incriminations spécifiques, et une aggravation des peines plus
générales lorsque la victime est une personne vulnérable. Nous sommes tout à fait dans
ce cas avec les personnes handicapées et toute violence à leur endroit, toute mal-
traitance, est pénalement sanctionnée par des peines plus lourdes que si ces mal-
traitances étaient pratiquées sur des personnes non vulnérables. La vulnérabilité de la
victime est un élément constitutif de l’infraction, ainsi que le précise l’article 223-3 du
code pénal.
Ces différentes maltraitances sont nommées et précisées. Il s’agit du délaissement dans
un lieu quelconque d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de
son âge, de son état physique ou psychique. L’article 225-12-1 parle lui du recours à la
prostitution de personnes qui présentent une particulière vulnérabilité. Les violences,
elles, sont nommées dans l’article 222-14 concernant les violences habituelles sur
mineurs de 15 ans, sur une personne « dont la particulière vulnérabilité due à son âge,
Handicap et distorsion du lien 89

due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, ou à un


état de grossesse est apparente, est connue de leur auteur ». Les articles 222-3, 221-4,
222-8, 222-24, 222-10, 225-7, 222-29, 222-30, 222-13, parlent de la vulnérabilité de la
victime comme circonstance aggravante de l’infraction. Il faut noter que le principe de
l’aggravation des peines s’applique également lorsque l’infraction ne concerne pas l’in-
tégrité physique de la personne mais des atteintes à ses biens. Il en est ainsi pour le vol,
l’extorsion et l’escroquerie. Concernant les personnes accueillies dans un établisse-
ment, la notion d’abus d’autorité constitue soit un élément constitutif de l’infraction,
soit un élément d’aggravation de la peine.
Le signalement
Nous voudrions aussi attirer l’attention de tous les professionnels sur les obligations
face à la maltraitance constatée. « Lorsqu’un médecin discerne qu’une personne près de
laquelle il est appelé est victime de sévices, de privations, il doit mettre en œuvre les
moyens les plus adéquats pour la protéger, en faisant preuve de prudence et de circon­
spection. S’il s’agit d’un mineur de 15 ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure
de se protéger en raison de son âge, de son état physique ou psychique, il doit, sauf
circonstances particulières, qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciai-
res, médicales ou administratives » (article 44, décret 95-1000 du 6 septembre 1995 du
code de déontologie médicale).
La levée du secret médical et le signalement posent les limites du secret professionnel :
« Le fait pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements
ou d’atteintes sexuelles infligées à un mineur de 15 ans ou une personne qui n’était pas
en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une
déficience physique, psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les
autorités judiciaires ou administratives est puni de 3 ans de prison et de 35 000 €
d’amendes » (article 434-3 du code pénal).
L’article 226-13 qui garantit le secret « n’est pas applicable dans les cas où la loi impose
ou autorise la levée du secret. En outre, il n’est pas applicable à celui qui informe les
autorités judicaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris
lorsqu’il s’agit d’atteintes ou de mutilations sexuelles dont il a eu connaissance et qui
ont été infligées à un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en
raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Le signalement aux
autorités compétentes est effectué dans les conditions prévues au présent article, ne
peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire » (article 226-14 du code pénal). Les
sanctions du non-signalement se trouvent dans les articles 223-6, 434-1 et 434-3 du
code pénal.

Le rappel de la loi
Toutes ces données sont importantes pour ôter des soignants le sentiment erroné et
pourtant classique d’intrusivité ou d’illégitimité de certaines de leurs questions
visant à aborder le recueil d’informations concernant les distorsions du lien. Il nous
arrive régulièrement de donner une information aux familles, un rappel à la loi, de
manière à faire savoir que nous sommes des interlocuteurs adossés à une loi qui
s’applique aussi aux familles, aux soignants et aux citoyens, dans le cas de mal-
traitances issues de la distorsion du lien dans des familles ou les équipes. Ce rappel
à la loi leur propose un impératif de choix et de responsabilité quant à leurs actes.
C’est aussi un moyen de les engager dans un changement en ramenant le tiers qui
est la loi, car une fois que la famille est rentrée dans la distorsion du lien et la mal-
traitance, elle pourrait tenter d’éviter le changement, en rompant le contact avec les
90 J.-M. Destaillats et al.

intervenants et en s’engageant plus avant dans soit le repli sur elle-même, soit l’ex-
clusion et la bouc-émissarisation du patient. Dans ces conditions, toute rupture du
contact est aussi nommée comme étant un signal d’alerte supplémentaire qui nous
rapprochera de l’obligation de signalement qui est la nôtre. La même fermeté intran-
sigeante, car on ne transige pas avec la loi, s’applique au discours que l’on doit tenir
aux équipes, face aux risques d’épuisement professionnel qui les menace, tant du
fait de leur confrontation au handicap, que des conditions institutionnelles incon-
fortables dans lesquelles ils sont souvent amenés à travailler. Si toutes ces difficultés
sont compréhensibles, elles ne doivent en aucun cas justifier la perte de la bien-
traitance qui est au centre du soin.

Séquelles cognitives, comportementales et maltraitance


En dernier lieu, et c’est un point plus complexe, certains troubles du comportement du
patient sont des actes qui relèvent de la qualification d’agression physique et de mal-
traitance. Même si l’imputabilité de sa responsabilité totale ne peut lui être faite, le
danger qui menace plus faible que lui à l’intérieur de la famille est réel et ceux ci ne
doivent pas être sacrifiés à l’expression pathologique et anormale de la lésion. Il n’en
reste pas moins qu’il convient de rechercher aussi en quoi ces troubles ne sont pas l’ex-
pression d’un parcours passé de victime de la maltraitance qu’ils actualisent, remettent
en scène et en perspective. Ils peuvent être aussi les éléments du dévoilement d’une
distorsion du lien qui préexistait avant la pathologie.

L’engagement auprès du patient


C’est ce que nous avons appelé précédemment la position d’allié thérapeutique. On y
retrouve les notions de responsabilité pour autrui. Elle doit avoir pour ambition de le
rencontrer au-delà de la pathologie dans sa dignité de personne, en tenant compte de
la dissymétrie du lien à laquelle il est exposé dans sa famille et dans l’institution. En
cela, l’approche neurosystémique nous aide par la représentation de ses difficultés
cognitives, à tenter de nous approcher le plus possible de son niveau de compréhen-
sion. Un des points les plus importants à nos yeux est de lui permettre l’expression de
ces vécus, des ces éprouvés, de ses sentiments d’injustice, d’humiliation, ou même de
maltraitance. Le dévoilement de la maltraitance ne peut se faire que dans une rela-
tion de confiance et il est facilité par le fait que la victime perçoit clairement, ou peut
faire le pari, que l’interlocuteur a pu penser qu’il pouvait être exposé à ces difficultés.
Lorsque cela est, soit perçu parce que le patient en a les moyens, soit explicité par
l’intervenant, le recueil de sa parole doit se traduire par un engagement clair et sans
hésitation de l’intervenant qui manifestera ainsi sa loyauté au patient et son respect
de la loi qui prend ici une fonction contenante et protectrice. Dès lors, nous devons
expliciter que nous ne pouvons être d’accord avec ce qu’il subit, que des procédures
légales vont être immédiatement engagées et que tout ceci sera parlé avec lui et sa
famille. À un niveau très basique de la relation avec le patient dans une institution, il
est très important que tous les soignants ne rencontrent pas la famille hors de la
présence du patient, de manière à garantir à ce dernier la certitude d’une alliance qui
ne se fera pas dans son dos. Toute discussion le concernant doit être faite avec lui, de
manière à montrer à la famille que des limitations d’activité n’affectent pas l’intégrité
de sa personne au sens moral et éthique de la relation. Cette attitude, qui doit être
constante et régulière, est le degré minimum du respect de la personne et un des fon-
damentaux de la bientraitance. Une telle attitude protège contre une distorsion du
lien agie par les soignants.
Handicap et distorsion du lien 91

L’engagement auprès du système familial


Il se manifeste par le même degré de loyauté vis-à-vis de la famille. Nous parlerons avec
eux de la maltraitance si nous la constatons, des conséquences qui en découleront, en
insistant sur le fait que nous agissons ainsi car nous envisageons qu’il existe pour eux
une autre virtualité de fonctionnement bien plus respectueuse d’eux-mêmes et du
patient. Cependant, il ne s’agit pas d’entrer dans une position de séduction et de toute-
puissance où nous leur donnerions crédit que la distorsion s’arrêterait parce que nous
en aurions parlé. La mise en acte légale de notre positionnement leur est aussi commu-
niquée et nous avons l’habitude de leur dire ce que nous ferons, de leur lire ce que nous
avons écrit dans le signalement quand nous le faisons, de manière à ne pas être pris en
otage de l’espoir d’un changement sans qu’il se produise pour autant. Ceci a pour but
de protéger le patient et la famille contre la perpétuation sans risque des différentes
conséquences de la distorsion du lien en termes de maltraitances.

L’engagement éthique
Les rapports entre l’approche neurosystémique et la théorie de l’esprit [8,15], l’alliance
thérapeutique du patient et de sa famille [10,48], les hypothèses de l’intervenant enga-
gent la famille autour des sujets de maltraitance dans une réflexion éthique visant à
penser le monde depuis le point de vue de la personne devenue vulnérable du fait du
handicap [28–30,42,46]. Nous les engageons aussi à mesurer, par une information sur
les troubles, la vulnérabilité neurologique et cognitive que construit la maladie. Nous
les questionnons sur les actes et les choix de chacun autour des problèmes qui concer-
nent le patient. Cela les conduit à s’ouvrir sur la différence de l’autre, sur le monde
pensé depuis le patient porteur du handicap, sur un questionnement humain à propos
des choix et de la responsabilité [1,3,13,14,37,38,46,47]. Au-delà de leur choix dans le
présent, le questionnement partagé explicite leur rôle dans la construction de leur his-
toire Ils sont responsables du sens qui en découlera dans le futur, pour eux-mêmes et la
suite de l’histoire familiale, du fait de la transmission des valeurs de respect ou de per-
pétuation de la distorsion.

Conclusion : l’être humain, la relation et le lien


Les hommes ont choisi de se nommer eux-mêmes les êtres humains. Le mot humain
vient du latin humare qui signifie enterrer. Ainsi donc, nous sommes ceux qui s’appel-
lent les êtres humains parce qu’ils ont choisi d’enterrer leurs morts. Par ce geste symbo-
lique constitutif de l’humanité, nous avons mis en scène la relation et le lien avec nos
disparus, signifiant que la relation se poursuivait au-delà même de la mort, au nom de
tout ce qui nous avait unis à eux. L’être humain a été capable de placer sa relation avec
un autre être humain qui n’était plus vivant, sous ce signe de la responsabilité pour
autrui, affirmant la dignité et le respect qu’on lui devait. Le handicap et la dissymétrie
relationnelle qui en découle posent les mêmes questions éthiques aujourd’hui, et ces
questions sont l’occasion d’une nouvelle avancée dans le long processus de construc-
tion des relations entre les hommes. Les êtres humains sont capables de témoigner du
respect vis-à-vis des morts qui sont devenus différents d’eux. Ils devraient pouvoir mar-
quer une ambition de ce même respect pour des êtres vivants devenus différents ou
étant nés différents du fait de la maladie ou du handicap. Au-delà de ce handicap qui
pose une question sur la différence liée à la pathologie, c’est tout le rapport à autrui
dans son originalité qui se construit. Le respect témoigné à la personne handicapée
n’est que la prémisse du respect que l’on devrait à tout être humain. Il doit se fonder
92 J.-M. Destaillats et al.

bien plus sur l’acceptation de la différence que sur la seule similitude entre les êtres
[2,3,28–30,42,43]. En effet, la distorsion du lien dans les relations se saisit souvent de la
différence et de la vulnérabilité pour en faire des supports de l’exclusion et la bouc-
émissarisation [19,20].
« C’est toujours nous qui formulons les questions à poser à la Nature. C’est
nous qui sans relâche essayons de poser ces questions, de manière à obtenir
un oui ou un non ferme. Car la Nature ne donne de raison que si on l’en
presse. Enfin c’est encore nous qui décidons, après un examen minutieux, de
la réponse à donner à la question posée à la Nature. Le vieil idéal scientifique
de l’épistème, l’idéal d’une connaissance absolument certaine et démontra-
ble, s’est révélé être une idole. Ce n’est que dans nos expériences subjectives
de conviction dans notre confiance personnelle que nous pourrions être
absolument certains. »
Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, p. 268 [37]

Références
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Handicap et distorsion du lien 93

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Approche neurosystémique intégrée
en service hospitalier de médecine
physique et réadaptation :
la consultation Handicap et Famille
du CHU de Bordeaux
P. Sureau1, E. Sorita1, C. Vignes1, M.-P. de Sèze1, C. Delleci1,
K. Laurent1, B. Pelegris1, S. Lozes-Boudillon1, L. Jameau1,
J.-M. Destaillats1, J.-M. Mazaux1
1. Service de médecine physique et de réadaptation, pôle de neurosciences cliniques,
hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, 33076 Bordeaux cedex.

Des dysfonctionnements relationnels, des tensions et/ou des conflits entre profes-
sionnels et familles surviennent quotidiennement dans un service hospitalier de
médecine physique et réadaptation. La formation neurosystémique de plusieurs mem-
bres de l’équipe conduit au repérage et au traitement de la plupart de ces difficultés en
réunions de synthèse et entretiens entre professionnels et familles, en présence du
patient concerné. Dans certaines situations, une rencontre dans le cadre de la consul-
tation Handicap et Famille est proposée. Ce chapitre présente l’organisation de cette
consultation et se propose de répondre aux questions suivantes : qui sont les familles
rencontrées ? Pour quelles difficultés ? Comment s’organise l’articulation entre les
équipes des étages d’hospitalisation et la consultation ? Une étude de cas illustre ce
dernier aspect.

Le fonctionnement des hôpitaux et centres de rééducation modernes génère de la souf-


france chez les personnes soignées et leurs familles. Dans les pathologies neurologiques
notamment, la phase dite post-aiguë, au cours de laquelle le patient est transféré de
réanimation, neurologie ou neurochirurgie en unité de médecine physique et réadapta-
tion (MPR) à l’issue de soins très techniques est une période spécialement difficile et
douloureuse, où l’espoir de la récupération s’associe à la crainte de séquelles invalidan-
tes. La complexité des règlements et des usages hospitaliers accroit le désarroi des
familles, qui ont le sentiment d’être incomprises, pas assez écoutées et mal informées.
C’est le célèbre : « on ne nous a rien dit ». La sortie du service vers le domicile est un
autre moment particulièrement anxiogène pour les familles. Les professionnels souf-
frent, eux aussi. La réduction du temps de soin relationnel au profit du soin technique
et des procédures administratives met en tension les professionnels, les culpabilise,
génère un sentiment de non-reconnaissance et peut conduire au syndrome de burn-
out. La souffrance des uns et des autres peut être consciente et explicite, ou s’exprimer
par de l’irritation, de la colère, des malentendus, des conflits. « Il a été agressif envers
moi » ou « ils ont tenu des propos très agressifs » devrait être lu : « Ils souffrent, et je n’ai
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 95

pas su, ou voulu, ou pu le reconnaître. » Le début de ce parcours des familles dans les
institutions du soin peut être particulièrement traumatisant. Les ressentiments qui s’y
construisent alimentent la complexité confuse des sentiments et des mécanismes qui
seront ensuite contributifs des attentes parfois revendicatives des familles vis-à-vis des
soignants. Celles-ci s’exprimeront notamment sous la forme d’une désignation du han-
dicap ou de la maladie du proche comme une source de problème et de tensions dans
le fonctionnement familial qu’il faut que les soignants règlent puisqu’ils ont tout pris
en main depuis le début. Ne pas répondre à cette attente sera alors vécu comme une
trahison et un abandon. C’est cette problématique qui nous a amenés à créer une
consultation spécifique.
Ainsi, depuis un peu plus de 20 ans, le service de MPR du CHU de Bordeaux propose
aux patients et aux familles confrontés au handicap et à ses conséquences sur l’équili-
bre familial, le recours à une consultation spécialisée : la consultation Handicap et
Famille (CHF). Même si une part importante de son activité concerne des patients exté-
rieurs, cette consultation est intégrée au service et apporte soutien et éclairage chaque
fois que les équipes soignantes en expriment le besoin.

L’organisation pratique de la consultation


Sous la responsabilité médicale de J.-M. Destaillats, médecin MPR et psychiatre, des
entretiens avec les familles sont réalisés par des professionnels hospitaliers formés à
la thérapie familiale systémique (deux médecins, deux psychologues et quatre ergo-
thérapeutes). Depuis les premières consultations familiales en 1989, nous rencon-
trons en moyenne quatre familles par semaine. La consultation a lieu le mercredi
après-midi, ce qui permet de recevoir aussi les enfants, qui ont souvent beaucoup
d’interrogations autour de la situation de handicap et enrichissent ces entretiens de
leurs observations généralement très pertinentes. Le patient est sous statut d’hospi-
talisation de jour, avec un code PMSI spécifique. Les familles sont rencontrées en
présence du patient concerné, dans une première salle reliée par vidéo à une
deuxième, dite salle de supervision. Après explicitation des buts et méthodes de tra-
vail de la consultation, l’entretien est enregistré en vidéo, pour deux raisons princi-
pales :

n d’abord parce que nous sommes particulièrement attentifs, au cours des entre-
tiens, aux comportements observés qui sont pour nous une source d’information
équivalente au langage verbal, que ces comportements ne pourraient être décrits
que de manière approximative par les notes que prendrait l’intervenant et que la
meilleure manière de ne rien oublier de ce que nous voyons est de l’enregistrer ;
ceci libère aussi l’intervenant d’une prise de notes fastidieuse pendant l’entretien
et qui pourrait être dérangeante pour la famille ;
n ensuite parce que cela nous permet de revoir, à distance, les entretiens réalisés

(parfois plusieurs mois ou plusieurs années après) et de continuer de travailler


sur le contenu de ces entretiens, même en l’absence de la famille rencontrée.

Conformément à la loi Informatique et liberté, chaque entretien fait l’objet au préala-


ble d’une demande écrite d’autorisation de filmer (annexe 1) que chaque participant
majeur lit et signe avant le début de l’entretien et que nous conservons dans le dossier.
96 P. Sureau et al.

Dans le cas où le patient bénéficie d’une mesure de protection juridique, l’autorisation


du tuteur est demandée.
L’entretien dure une heure en moyenne et mobilise au moins deux thérapeutes : un
intervenant direct assisté d’un ou plusieurs cothérapeutes en charge de prendre des
notes et de réfléchir au sens de l’entretien qui se déroule dans la pièce voisine. Ce fonc-
tionnement permet :

n à l’intervenant de ne pas être le seul témoin de ce qui se dit au cours des entre-
tiens : il peut, quand il le désire, interrompre l’entretien et rejoindre le cothéra-
peute dans la salle de supervision pour échanger avec lui sur ce qui vient de se
dire ;
n au cothérapeute qui n’est pas en relation directe avec les familles, de réfléchir et

d’élaborer des hypothèses qu’il pourra faire confirmer par les réponses aux ques-
tions de l’intervenant dans la suite de l’entretien. Il peut, lui aussi, interrompre
l’entretien quand il le juge utile, pour dialoguer et faire part au thérapeute de ses
suggestions, questions, ou informations.

Tous les membres de la famille qui le souhaitent sont invités à participer, ce sont eux
qui décident qui viendra à l’entretien. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter :

n soit nous voyons tout le monde simultanément, à toutes les sessions ;


n soit nous proposons d’un entretien sur l’autre de ne plus travailler qu’avec le
couple ou la famille ou les membres de l’institution, en fonction de l’évolution
de la demande initiale (une demande familiale peut s’avérer ne concerner que le
couple parental, une demande conjointe d’une institution et d’une famille peut
nous amener à ne travailler qu’avec l’institution, etc.) ;
n soit au cours d’un entretien, nous recevons d’abord la famille, puis le couple

seulement ou les enfants seuls, avec toujours en fin d’entretien une restitution-
conclusion devant tous les participants réunis.

S’il s’agit d’un patient hospitalisé, un membre de l’équipe soignante (infirmier, méde-
cin ou rééducateur) assiste à la consultation chaque fois que c’est possible, et de façon
systématique lorsque la demande de consultation émane de l’équipe soignante.
À l’issue de la consultation, intervenant et cothérapeutes échangent leurs impressions,
une ligne d’action est déterminée ; un compte rendu est rédigé par l’intervenant, qui
reprend les principaux thèmes abordés, les changements éventuels de propos ou d’atti-
tudes, les hypothèses de travail qui pourront être abordées lors d’un prochain entre-
tien. Le compte rendu est classé dans le dossier du patient si celui-ci est hospitalisé, ou
commenté dans le courrier adressé au médecin traitant et/ou au correspondant dans le
cas contraire. Parmi les autres éléments du dossier CHF, nous conservons les enregis-
trements vidéo (DVD) des entretiens considérés comme faisant partie du dossier médi-
cal, les différents courriers, l’autorisation de filmer, les notes prises par le cothérapeute,
l’anamnèse du patient et le génogramme (annexe 2), représentation schématique qui
permet de visualiser rapidement la structure de la famille. La consultation nécessite
donc un temps important de secrétariat (prises de rendez-vous et coordination d’inter-
locuteurs multiples, organisation matérielle des salles, archivage).
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 97

Les familles rencontrées, les pathologies


et les motifs de consultation
Trois sources principales de recrutement peuvent être identifiées :

n nous recevons des personnes de notre propre institution, le service de MPR du


CHU de Bordeaux, qui accueille des patients victimes d’atteintes neurologiques
récentes, transférées des unités de neurologie (unité neurovasculaire notam-
ment), neurochirurgie et réanimation du CHU, à la demande des médecins ou
de l’équipe soignante lorsqu’un avis extérieur ou, en tout cas différent, mérite
d’être sollicité ;
n nous recevons aussi des patients participant au programme de réinsertion

UEROS Aquitaine qui présentent de graves difficultés familiales nécessitant un


suivi,
n d’autres familles sont adressées par des centres de rééducation locaux ou régio-

naux, par des associations médicosociales de proximité qui connaissent la spé-


cificité de notre travail auprès des familles, et plus accessoirement par d’autres
services hospitaliers, des médecins traitants ou des associations d’usagers
(UNAFTC).

L’activité de la consultation reste donc centrée sur les dysfonctionnements relationnels


familiaux en relation avec des troubles du comportement des patients cérébrolésés. Il
s’agit essentiellement de patients traumatisés crâniens et d’accidents vasculaires céré-
braux, plus rarement encéphalite, syndrome de Korsakoff, tumeur cérébrale, anoxie, ou
handicaps chroniques de l’adulte tels que SLA, myopathie de Steinert, tétraplégie, sclé-
rose en plaques, cancer, pathologies psychiatriques : névrose hystérique ou phobique,
syndrome postcommotionnel, plaintes diverses. L’activité s’est cependant diversifiée
au fil des ans, et la comparaison des personnes rencontrées en 1999–2000 et 2008–2009
montre que si les pathologies des patients restent globalement les mêmes, les modifi-
cations du comportement ne sont plus le seul motif de consultation. De nombreux
consultants viennent maintenant pour d’autres problèmes : conflits famille/institu-
tion, troubles des conduites sociales, demandes de couples, difficultés dans la construc-
tion de projets individuels UEROS, conséquences familiales d’addictions (tableau 9.1).
La comparaison de ces deux périodes d’activité montre aussi que le nombre de consul-
tations est en diminution du fait des actions de formation internes et locorégionales
que nous avons menées : par exemple, lors de la création du réseau UEROS Aquitaine,
nous avions proposé de recevoir toutes les familles des personnes engagés dans cette
filière de réinsertion, pour ajouter une dimension familiale à l’évaluation multidiscipli-
naire (cognitive, sociale et professionnelle) proposée. Mais progressivement les théra-
peutes du programme UEROS se sont formés à la neurosystémique, et font désormais
eux-mêmes les entretiens d’évaluation, ils nous adressent actuellement seulement les
familles qui relèvent d’une indication de suivi familial prolongé. Nous avons de même
formé les équipes des principaux centres de rééducation de Gironde et de plusieurs
établissements d’Aquitaine et des régions adjacentes, qui sont devenues autonomes vis-
à-vis de la consultation. Il y a eu aussi transfert d’une partie de l’activité dans la prati-
que courante de notre propre service (voir plus bas, Réunions Rencontres Familles).
Une autre explication est certainement à relier à la diminution importante de l’inci-
dence des traumatismes crâniens en Aquitaine au cours de ces dernières années.
98 P. Sureau et al.

Tableau 9.1.
Caractéristiques des personnes rencontrées à la consultation Handicap
et Famille en 1999–2000 et 2008–2009.
1999–2000 2008–2009
N personnes 166 89
Hommes, femmes 67,5 %, 32,5 % 64 %, 36 %
Origine :
service 23 (14 %) 35 (39,3 %)
UEROS 99 (60 %) 28 (31,5 %)
extérieur 30 (18 %) 26 (29,2 %)
non précisée 14 (8 %) –
Pathologie :
traumatismes crâniens 112 (67,5 %) 36 (40,4 %)
AVC, autre L. cérébrale 33 (20 %) 31 (34,8 %)
autre : 21 (12,5 %) 22 (24,7 %)
Entretiens :
N total 445 234
par patient, moyenne 3,4 2,6
extrêmes 1–12 1–8

Outre les étiologies et l’activité globale, nous avons aussi cherché à déterminer quels étaient
les symptômes du « patient désigné » qui motivaient le plus souvent le recours à la consul-
tation. Nous parlons ici de « patient désigné », en tant que celui qui porte le symptôme
pour lequel la consultation est demandée. Il est « désigné » par le reste de la famille comme
étant le responsable du problème, celui qu’il faut soigner pour que tous les problèmes
soient résolus, y compris (et surtout) les problèmes des autres membres de la famille. Les
entretiens familiaux nous montrent que ce n’est bien souvent pas aussi simple que cela et
que l’origine du problème est plutôt répartie entre les différents membres du groupe fami-
lial. La pathologie du patient désigné est ainsi, pour nous, le symptôme qui nous permet
de rencontrer la famille, et non le problème que nous allons essayer de résoudre.
Nous avons étudié un échantillon de 47 patients traumatisés crâniens du programme
UEROS (35 hommes et 12 femmes, moyenne d’âge 29,4 ans, délai moyen à l’accident
6  ans 4 mois, au moins 2 entretiens familiaux, moyenne 3,4). Nous avons utilisé une
méthode qualitative d’analyse de contenu, par sélection de mots clés correspondant aux
termes les plus souvent utilisés dans les comptes rendus des entretiens. Nous avons aussi
confronté ces mots-clés aux résultats aux tests neuropsychologiques des patients dési-
gnés. Les mots clés les plus fréquemment retrouvés furent : troubles du comportement,
troubles cognitifs, dépression, anosognosie. L’attente ou la demande d’un changement
de comportement et/ou de relation était également souvent retrouvée dans les verbatim
des entretiens. Nous avons aussi essayé d’évaluer dans quelle mesure les symptômes du
patient désigné étaient reliés ou non au contexte familial, notamment au sexe du patient
désigné et de quelle nature étaient ces liens. À l’exception des troubles cognitifs, les symp-
tômes différaient selon le sexe du patient désigné : l’anosognosie et surtout les troubles
du comportement étaient beaucoup plus mal tolérés par les familles de traumatisés crâ-
niens homme : l’association troubles ­cognitifs-troubles du ­comportement était retrouvée
dans les comptes rendus d’entretiens de plus d’une famille de traumatisé crânien homme
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 99

sur deux, contre 25 % environ dans les entretiens de familles de femmes traumatisées
crâniennes (figure 9.1). La dépression était le symptôme principal dans les entretiens des
familles de femmes traumatisées crâniennes et ne concernait pas seulement la patiente
elle-même mais aussi son entourage (parents, enfants, conjoint). L’échantillon concer-
nant exclusivement des familles de patients participant au programme UEROS, nous
avons aussi regardé si la demande de changement que formulent souvent les familles
était ou non en lien avec la perspective d’une reprise d’activité professionnelle (figure 9.2) :
la situation, devenue très difficile à supporter pour ces familles de cérébrolésés qui vivent
avec le handicap depuis si longtemps (plus de 6 ans en moyenne), pourrait s’améliorer
avec la perspective d’une reprise professionnelle. Les résultats ont montré que le mot-clé
« demande de changement » était retrouvé dans 8 entretiens de familles de femmes trau-
matisées crâniennes sur 10, contre moins de 1 entretien sur 2 dans les familles de trauma-
tisé crânien homme. En revanche, ces dernières familles attendaient (espéraient) fortement

90
80 83,3
80
70 75

60 62,8 68,6 66,6

50
Hommes
40 45,7 Femmes
30 31,4
20 25 25

10
0
Tb. cog. Tb. comp. Anos. D entr. D test
Figure 9.1. Répartition en pourcentages des mots clés en fonction du sexe du patient désigné.
Tb cog : troubles cognitifs ; Tb comp : troubles du comportement ; Anos : anososgnosie ; D entr :
mots clés retrouvés dans les entretiens ; D test : résultat de tests psychométriques du patient désigné.

90
80
83,3
70
60
50 D de chgt
40 48,6 Act. prof
45,7
30
33,3
20
10
0
H F
Figure 9.2. Relations attente d’un changement (D de chgt) et reprise d’une activité
professionnelle (Act prof) dans les comptes rendus d’entretiens.
100 P. Sureau et al.

que le changement surviendrait avec la reprise d’une activité, ce qui n’était pas le cas des
familles de femmes traumatisées crâniennes. D’autres facteurs tels que l’âge, le contexte
culturel et peut-être ethnique, la place dans la famille et la fratrie, la profession, le pronos-
tic de l’affection du patient désigné et ce qu’en savent les familles interviennent probable-
ment aussi, et mériteront d’être considérés dans une étude ultérieure.

Les Réunions Rencontres Familles


Plusieurs professionnels du service de MPR ont suivi une formation neurosystémique.
En effet, l’activité de la consultation familiale au sein du service et le fait que les profes-
sionnels du services aient été amenés à y participer ponctuellement pour des familles
qu’ils suivaient, ont eu un important effet de sensibilisation et de réflexion autour de
l’accueil et de l’écoute des familles dans le fonctionnement quotidien du service, comme
cela s’est passé pour l’UEROS. Il n’a pas été possible, du fait des limites techniques de
la formation continue et des changements fréquents d’affectation des personnels hos-
pitaliers, de former tous les membres de l’équipe soignante et de rééducation, mais il y
a suffisamment de personnes sensibilisées au sujet pour que les dysfonctionnements
relationnels, les tensions et/ou les conflits entre professionnels, patients et familles qui
surviennent dans le service soient abordés sous l’angle neurosystémique.
Ainsi, à partir de 2000, nous avons proposé aux familles de patients hospitalisés dans le
service de les rencontrer en présence de plusieurs membres de l’équipe. À l’initiative du
cadre infirmier et de l’ergothérapeute qui partageaient (et partagent encore !) les mêmes
idées d’un fonctionnement interdisciplinaire où chaque membre de l’équipe peut avoir
des choses pertinentes à dire, ces rencontres avaient pour objectif de proposer au patient
et à ses proches un temps identifié pour aborder ensemble des sujets difficiles, notam-
ment la fin d’hospitalisation, qui n’est pas toujours synonyme de retour facile au domi-
cile. Ces rencontres n’avaient alors rien de systématique et n’étaient proposées que
lorsque des difficultés importantes commençaient à apparaître au cours de la prise en
charge ou qu’il nous apparaissait nécessaire de « faire le point » sur l’état d’avancement
de la prise en charge. Nous les avons aussi considérées comme différentes de l’approche
maintenant assez usuelle dite du Plan d’intervention individualisé interdisciplinaire
(P3I) dans la mesure où il ne s’agissait pas d’établir un contrat ou d’élaborer un projet de
soin, mais d’être plutôt dans un espace d’échange et d’écoute mutuelle.
Plus récemment (2008), ces rencontres avec les familles au sein du service ont vu leur
forme évoluer, car les membres de l’équipe soignante et les rééducateurs ressentaient la
nécessité de mieux rencontrer ensembles les familles de patients hospitalisés, en un
même lieu et pour aborder des sujets qu’ils abordaient jusqu’alors séparément. Ces
« Réunions Rencontres Familles » peuvent être proposées dès la troisième semaine d’hos-
pitalisation, de manière à ce que les différents professionnels aient pu suffisamment
avancer dans leur prise en charge et disposent d’informations à partager avec les familles.
Les lundis et mardis sont les journées habituellement dédiées à ces rencontres qui durent
environ une heure. Nous ne recevons jamais la famille sans le patient car même si celui-
ci est aphasique ou confus, il est d’une grande importance que nous lui donnions les
moyens de comprendre que nous ne parlerons pas de lui hors de sa présence. Les rencon-
tres mettent donc en présence le patient et son entourage familial, un membre de
l’équipe médicale, la cadre de santé-infirmière, une infirmière et une aide-soignante et
les rééducateurs. On pourrait objecter que cela fait beaucoup de blouses blanches face à
la famille, ce qui pourrait donner à ces rencontres un air de tribunal où la famille ­pourrait
être impressionnée et risquerait de ne pas s’exprimer tout à fait librement. Il s’avère en
fait que les familles expriment plutôt leur satisfaction de pouvoir rencontrer l’ensemble
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 101

de l’équipe en une seule fois, ce qui leur permet de mieux identifier les places et rôles de
chacun dans cette équipe et de mieux comprendre le fonctionnement institutionnel
(groupe d’inclusion) qui diffère du leur (groupe d’appartenance).
Les rencontres familiales se font sur la base de critères variables mais habituellement nous
les proposons quand nous avons des raisons de penser que la famille est dans une situa-
tion de grande souffrance devant le handicap de leur parent, ou bien quand des signes de
dysfonctionnements familiaux importants nous sont donnés à voir et qui ont ou peuvent
avoir des conséquences sur le déroulement de la prise en charge de rééducation (compor-
tement violent, consommation excessive d’alcool chez le patient ou au sein de sa famille).
Les Réunions Rencontres Familles débutent généralement par un résumé de l’anamnèse
du patient, les résultats de bilans divers (médicaux, paramédicaux) et les objectifs princi-
paux que l’équipe se propose d’atteindre. Ces objectifs sont proposés à la famille et sont
donc « à discuter » avec elle, ce qui est particulièrement important pour deux raisons prin-
cipales : d’abord, les patients et leurs familles se sentent impliqués, et le sont réellement,
car ils peuvent exprimer leur avis quant à ces objectifs, et ils ne s’en privent généralement
pas ! Ensuite parce que c’est un moyen de dire à ces familles que la prise en charge de
rééducation/réadaptation est un travail très largement interdisciplinaire où il n’est pas
possible de séparer le travail des infirmières et des aides soignantes, de ce que font les
rééducateurs. Les patients et les familles entendent par exemple que « inciter le patient
hémiplégique à utiliser son bras paralysé lors de la toilette » est un acte de rééducation, et
la suite logique de la prise en charge technique réalisée en salle de rééducation.
Outre le fait d’expliciter à la famille le fonctionnement de l’équipe et la place de chacun
dans le processus de réadaptation, ces rencontres ont aussi pour objectif de permettre
à la famille d’exprimer ses craintes, ses interrogations quant à l’avenir proche, de poser
des questions autour de son propre rôle de « rééducateur ». Actuellement, le temps dis-
ponible pour ces rencontres ne permet pas à toutes les familles d’arriver à ce niveau
d’expression, mais elles peuvent déjà repérer à quels membres de l’équipe elles vont
pouvoir s’adresser pour parler de tel ou tel sujet. C’est l’occasion pour elles de créer une
alliance avec cette équipe qu’elle ne connait pas mais à qui elle doit cependant confier
pendant un temps un de ses parents… Cette coopération famille-institution est impor-
tante et permet probablement de désamorcer un certain nombre de conflits en relation
avec une mauvaise communication entre ces deux protagonistes. Il existe autour de
cette pratique institutionnelle, récente quant à sa forme mais ancienne dans nos têtes,
beaucoup de questions et d’améliorations à apporter. Si pour l’instant, ces rencontres
n’ont lieu qu’à l’initiative de l’équipe, il serait souhaitable qu’elles puissent l’être aussi
à l’initiative des patients et des familles elles-mêmes. Une réflexion est donc engagée
pour réaliser une plaquette d’information qui serait distribuée dès l’entrée du patient,
à sa famille, de sorte qu’ils sachent le plus tôt possible qu’ils peuvent eux aussi être à
l’initiative de ces rencontres. Depuis janvier 2009, le nombre de Réunions Rencontres
Familles est de 1 à 3 par semaine. En fonction des familles reçues et de ce qui est échangé
au cours de ces rencontres, deux cas de figure peuvent se présenter :

n soit les problèmes qui ont motivé cette réunion y trouvent une issue favorable et
la prise en charge se poursuit ; dans ce cas, une seconde réunion est prévue quel-
ques semaines plus tard pour revenir sur les difficultés initiales et poursuivre le
travail de collaboration entre la famille, le patient et l’équipe ;
n soit les difficultés sont trop importantes pour n’être gérées qu’à ce niveau, et une

Consultation Handicap et Famille est alors proposée.


102 P. Sureau et al.

Dans tous les cas, sensibiliser les membres de l’équipe soignante à l’approche neurosysté-
mique du handicap a permis une évolution importante dans nos pratiques à plusieurs
niveaux différents. D’abord les membres de l’équipe ont appris à ne pas se limiter à la sim-
ple dimension rééducative centrée sur le patient uniquement, dans leur abord des situa-
tions de handicap. Cela a permis de laisser la place à l’émergence d’autres problématiques
que rencontrent les familles, problématiques qui peuvent parfois nous sembler éloignée
du soin technique, mais qui y sont en fait étroitement liée du simple fait que ce sont des
difficultés que les familles ont à gérer au quotidien. L’approche neurosystémique s’avère
être, pour les soignants, une façon intéressante d’aider les familles à faire le lien entre la
situation clinique de leur parent handicapé et les dysfonctionnements relationnels qui
apparaissent à l’occasion de la survenue de la maladie (et qui ne sont la conséquence directe
de la maladie !). Ce fut le cas dans la situation d’O., présentée ci-après, et qui illustre bien
l’efficacité d’une collaboration entre l’équipe soignante de proximité et la CHF.

Situation clinique
O. a 24 ans, elle est ouvrière agricole, mais aimerait faire des études commerciales. Elle
nous est adressée par le service de neurochirurgie pour rééducation d’une hémiparésie
droite et d’une sévère aphasie consécutives à la rupture d’un anévrisme sylvien gauche.
Très vite, l’équipe perçoit que des difficultés familiales vont survenir. Très volubile, la mère
d’O. occupe le devant de la scène. Elle nous explique toute l’angoisse que l’accident vascu-
laire de sa fille et le séjour en neurochirurgie lui ont causé, ses interrogations vis-à-vis de
l’avenir, des séquelles possibles, de la possibilité de continuer des études malgré l’aphasie.
Elle explique aussi qu’O. vit depuis quelque temps avec P., son amoureux, qui a une très
mauvaise influence sur elle, il l’entraîne dans l’alcool, l’a initiée à l’héroïne, etc. Le père
de P. ne serait d’ailleurs pas très fréquentable lui non plus. P. est discret dans le service,
mais très présent, il soutient O., demande à assister aux rééducations orthophoniques.
L’équipe recueille des informations complémentaires : O. a un frère de 14 ans, Q., elle ne
voit plus son père depuis l’âge de 11 ans (annexe 2). La mère est très réticente à parler du
père, et d’une façon plus générale, à parler de la dynamique familiale. L’équipe perçoit
des tensions, des avis divergents. O. reste cependant motivée pour la rééducation. Le
père téléphone à plusieurs reprises pour prendre de ses nouvelles, O. exprime que cela lui
fait plaisir. Ce qui déplaît à la mère. L’équipe est partagée sur ces appels téléphoniques.
O. retrouvant rapidement son autonomie, les permissions de fin de semaine vont repré-
senter la ligne d’affrontement. Chez sa mère, ou chez P. ? Au cours des Réunions
Rencontres Familles, malgré l’aphasie, O. exprime qu’elle voudrait aller avec P., mais elle
est ambivalente et hésite à contrarier sa mère. La curatelle demandée du fait de la sévérité
de l’aphasie va probablement être confiée par le juge à celle-ci. Tergiversations. O. multi-
plie les marques d’affection envers sa mère, mais aussi envers P.
On décide alors d’une consultation Handicap et Famille, à laquelle participent O., sa mère
et sa grand-mère, son jeune frère Q., P., deux infirmières et l’orthophoniste. La première
consultation est un entretien exploratoire qui nous permet de recueillir d’autres informa-
tions que celles transmises par l’équipe soignante et qui ne constituent qu’une partie des
éléments « problématiques ». Ce premier entretien exploratoire nous est indispensable
pour savoir comment la famille elle-même « définit le problème », ou comment elle est
d’accord ou pas avec l’équipe pour dire qu’il y a un problème. Nous faisons part aux mem-
bres présents de l’inquiétude de l’équipe par rapport au projet de sortie d’O., et nous sou-
haitons donc avoir leur avis, connaître leurs projets à eux et leur vision de la situation.
Pour la mère d’O., cela paraît assez simple : il faut que « tout soit en place, qu’elle soit
autonome, donc il faut plus de rééducation ». Nous pouvons nous étonner de cette
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 103

vision linéaire de la situation, mais nous le comprenons différemment quand nous


apprenons au cours de ce même entretien que la mère est elle aussi porteuse d’un ané-
vrisme, et qu’elle a subi deux ruptures d’anévrismes et cinq embolisations. Et il lui reste
un anévrisme, non opérable celui-là. Ce qui n’est alors pas tout à fait la même histoire,
car si la mère semble ne garder aucune séquelle de ces deux ruptures d’anévrisme, alors
comment pourrait-il en être autrement pour sa fille O. ?
P., lui, l’ami de O., semble avoir une autre perception de cette réalité et paraît plus
conscient des troubles de O., de la possibilité de séquelles invalidantes pour elle (l’apha-
sie en particulier), mais cela ne l’effraie pas et il dit même que cela a « renforcé notre
couple, on s’aime plus fort qu’avant ». La fin de ce premier entretien est marquée par
une intervention forte du frère de O., qui nous expliquera comment les « non-dits »
dans cette famille lui sont insupportables. Il exprime sa colère vis-à-vis de sa mère à
grand renfort de larmes et finit par quitter la salle. O. est affectée par cet événement et
son ami P. semble analogiquement partager l’avis du frère d’O.
Nous leur proposons de les revoir pour un autre entretien au cours duquel nous pour-
suivrons notre exploration de leur fonctionnement familial, et nous accorderons plus de
temps à O. et P. Ce deuxième entretien a lieu 1 mois plus tard, avec les mêmes partici-
pants auxquels le père de O. s’est joint. O. ne l’avait pas revu depuis 13 ans et les retrou-
vailles viennent d’avoir lieu quelques minutes avant le début de l’entretien. C’est dans ce
contexte particulier que nous poursuivons notre travail de questionnement qui n’a
d’autre objectif que de tenter de les aider à redonner du sens à une existence perturbée
par la survenue de la maladie et du handicap. Les parents sont assez réfractaires à l’idée
de devoir parler de leur vie passée, car, disent-ils, c’est personnel et ils ne voient pas l’uti-
lité de reparler de tout cela qui leur semble sans rapport avec la situation de O.
Nous ne les obligeons évidemment pas à nous « raconter leur vie », ce qui pourrait effec-
tivement passer pour une curiosité malsaine. Nous leur expliquons seulement la néces-
sité pour nous de comprendre le contexte de vie au sein duquel O. a évolué pour essayer
de mieux comprendre les tensions qui semblent les animer en ce moment et faire les
meilleurs projets possibles pour la santé et l’équilibre de O. au moment où elle a besoin
du soutien de tous. Le père de O. nous explique son départ, les conflits autour de sa sépa-
ration d’avec la mère de O. et sa conviction qu’elle empêchait O. de recontacter son père.
C’est avec beaucoup de larmes qu’il nous dira combien il trouve son attitude stupide,
combien il s’en veut de n’avoir pas été là pour sa fille. Il nous confiera même que son
aveuglement et sa colère à l’égard de son ex-femme prenaient une importance telle qu’il a
même pensé, quand il a appris la maladie de O., qu’il s’agissait encore d’une manœuvre
de son ex-femme… Il affirme qu’il est là maintenant, qu’il a pu reparler sans hostilité avec
la mère d’O. et qu’il compte bien désormais soutenir O. du mieux qu’il pourra.
O. et P., que nous voyons seuls tous les deux, nous expliquent qu’ils comptent bien
continuer leur vie à deux (comme ils l’avaient commencée avant la maladie). Concernant
la drogue et l’alcool, ils en parlent de façon bien moins catastrophique que la descrip-
tion que nous en a fait la mère de O. Bien sûr, la survenue de la maladie leur a fait peur
à tous, et P. ne peut s’empêcher de faire un lien étroit entre l’essai de prise d’héroïne et
la rupture d’anévrisme 2 jours plus tard… Pour eux, il est clair qu’ils ont mis fin à toute
consommation de produit stupéfiant. Leurs préoccupations concernent désormais
l’avenir et les craintes qu’ils ont. P. redemande une protection juridique pour O., et ils
insistent tous les deux pour qu’un représentant légal soit nommé hors de la famille.
Nous essayons alors de les inciter à ne pas poursuivre dans cette voie dangereuse qu’est
la disqualification réciproque (de la mère par P., de P. par la mère, du père par la mère,
etc.). Ils doivent au contraire porter leurs efforts sur une clarification et cette clarifica-
tion doit se faire à plusieurs niveaux.
104 P. Sureau et al.

Au niveau médicolégal, O. relève d’une mesure de protection juridique du fait de la


sévérité de son aphasie, et le juge décidera de l’attribuer à qui il voudra, sur la base des
arguments qui lui seront présentés. Concernant le projet de sortie, ils ont convenus
ensemble qu’O. habiterait chez sa mère la semaine et passerait le week-end avec P. Il ne
nous appartient pas de décider cela. Il s’agit ici d’une décision familiale à laquelle nous
ne pouvons (ni ne voulons) nous opposer. Nous pouvons comprendre que cela ne plaise
pas à O. ni à P. Mais ils doivent régler cela entre eux et ni les médecins, ni l’équipe soi-
gnante n’utiliseront d’arguments cliniques pour modifier cette décision. Nous propo-
sons de continuer à les recevoir pour les accompagner dans ce long et difficile parcours
qui doit les amener à la concrétisation d’un projet cohérent pour O. et pour sa famille.
Cet accompagnement que nous leur proposons n’est pas une proposition de solutions
pour eux, car il n’existe pas de décisions familiales qui viennent de l’extérieur de la
famille. Notre travail est de les aider à (re)trouver une compétence familiale que la
maladie n’a fait qu’affaiblir, sans la supprimer.

En guise de conclusion
L’histoire d’O. est d’une grande banalité. Combien de situations identiques se produi-
sent chaque jour dans un service hospitalier de MPR ? Banales, mais aussi banalisées.
Y fait-on seulement attention ? En fait, on y fait attention trop tard, lorsqu’elles
deviennent gênantes, parce qu’elles divisent les soignants, créent des conflits interpro-
fessionnels, des tensions, du burn-out, ou parce qu’elles diminuent la motivation
pour la rééducation, contrarient les projets de réinsertion, retardent… la sortie du ser-
vice ! La plupart des soignants s’efforcent d’oublier, d’autres malades arrivent, il faut
s’en occuper. Les familles, elles, s’en souviendront. Une lecture neurosystémique des
difficultés relationnelles dans la triangulation patient-famille-institution pourrait
permettre de désamorcer certaines de ces situations de crise. L’existence d’un lieu de
rencontre spécifique, extérieur aux unités de soin mais fonctionnant en étroite syner-
gie avec elles, paraît intéressante, en permettant de prendre de la distance et d’éviter la
confusion des rôles.

Annexe I  Autorisation d’enregistrement vidéo


CHU Pellegrin – Hôpital TASTET-GIRARD
Service de médecine physique et de réadaptation
Unité d’entretiens systémiques
Consultation Handicap et Famille
Dans le respect de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers
et aux libertés, notamment les articles de 32 à 40 concernant les droits d’accès et de
rectification
Je soussigné (nom, prénom) …………………………………………………….
Certifie avoir été informé(e) :
n que cet entretien est enregistré ;

n qu’il sert de base au travail que vous effectuez avec nous ;

n que je peux à tout moment retirer mon accord concernant cet enregistrement ;

n que son accès est réservé au personnel de santé lié par le secret professionnel.

Dans ces conditions, j’autorise l’enregistrement.


À Bordeaux, lu et approuvé
Date Signatures
Approche neurosystémique intégrée en service hospitalier 105

Annexe 2  Le génogramme, une carte de la famille


Le génogramme est un des outils que nous utilisons régulièrement dans notre travail
avec les familles que nous rencontrons. Nous l’utilisons maintenant aussi avec les
patients que nous prenons en charge au quotidien car il nous aide à comprendre le
contexte familial des patients, ce qui va bien dans le sens de notre pratique holistique
de l’ergothérapie.

61 54
Le père La mère

24
O Q
P

Pour réaliser le génogramme, nous utilisons des symboles qui sont toujours les
mêmes :
n le carré (£) représente un homme ;

n le rond (™) représente une femme ;

n le trait plein représente un lien officiel (mariage, filiation) ;

n le trait pointillé représente un lien non officiel (union libre, maîtresse, amant) ;

n le trait plein ou pointillé barré représente une rupture.

Nous y associons les prénoms, les âges, les dates d’union ou de séparation.
Le patient désigné est représenté par un symbole (£ ou ™) en gras.
Neurosystémique et maladie
d’Alzheimer
J.-M. Caire1, M. Dulaurens2
1. Institut d’ergothérapie, centre hospitalier universitaire de Bordeaux, 33076 Bordeaux cedex.
2. Centre hospitalier de Jonzac, 17500 Jonzac.

Dans la maladie d’Alzheimer, la vie quotidienne est compromise aussi bien pour la
personne malade que pour l’entourage familial, entraînant des désorganisations majeu-
res. L’équilibre familial altéré entraîne un réajustement des rôles et une redistribution
des tâches dans la famille. L’approche neurosystémique pourrait-elle être utile dans ces
situations ? Nous rapportons ici une étude exploratoire qualitative de l’impact d’une
consultation systémique auprès d’une famille dont un membre était atteint de la mala-
die d’Alzheimer suivie pendant 10 mois. Les entretiens ont permis de reconsidérer plu-
sieurs problèmes qui devenaient insupportables pour le patient et les membres de sa
famille, en coconstruisant une solution acceptable pour tous. La famille a su trouver les
éléments pour élaborer une stratégie qui permette de considérer la situation avec un
peu plus de sérénité. Les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer et les aidants
n’ont pas seulement besoin de comprendre la cause des symptômes, mais aussi de res-
taurer une continuité là où le traumatisme fait rupture, c’est-à-dire « d’intégrer la mala-
die dans une trajectoire de vie ».

La maladie d’Alzheimer est aujourd’hui une des premières préoccupations de santé


publique à l’échelon mondial. En France, le nombre de personnes souffrant de
démence sénile est estimé à environ 860 000 personnes [12]. Avec le temps, la vie quo-
tidienne est compromise aussi bien pour la personne atteinte de maladie d’Alzheimer
que pour l’entourage familial entraînant des désorganisations majeures. La démence
dans ses débuts a des effets insidieux souvent invisibles sur le fonctionnement cogni-
tif, comportemental et relationnel. L’évolution de la maladie diminue progressive-
ment l’autonomie du patient et entraîne un accroissement du rôle des aidants
familiaux [8]. Plus de 70 % des aidants passent plus de six heures par jour à prendre
en charge le malade [13]. Les familles nous montrent combien reconstruire une nou-
velle réalité qui intègre la maladie d’Alzheimer est un processus difficile mais indis-
pensable pour un apaisement au sein même de la famille et pour la personne atteinte
de maladie d’Alzheimer elle-même. Comment pouvons-nous aider les familles et les
personnes atteintes de maladie d’Alzheimer dans ce cheminement d’accommodation
face à une réalité mouvante ? Nous abordons là une question éthique au sens d’Éric
Fiat, c’est-à-dire une démarche qui nous impose de trouver les moyens pour rendre le
tragique moins tragique [18].

Vers une lecture alternative


de la maladie d’Alzheimer
Le rapport de J.-F. Girard et A. Canestri sur la maladie d’Alzheimer en septembre 2000
souligne la difficulté de faire la part entre ce qui vient de la maladie organique et ce que
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 107

l’on peut rattacher aux troubles de la relation avec l’autre. La crise apparaît souvent à
une période où les modes relationnels sont rodés depuis des années de vie commune et
imprégnés d’affectivité. La société se doit d’offrir des solutions qui relèvent de l’aspect
médical mais aussi de l’aspect social, psychologique voire philosophique et éthique
[21]. Cependant le rapport reste préférentiellement tourné vers l’aspect maladie. Le
troisième plan Alzheimer 2008–2012 prend en considération les malades et les person-
nes de leur entourage. Les travaux préalables animés par le Pr Ménard insistent sur la
nécessité d’une prise en charge globale des malades et des aidants familiaux pour amé-
liorer leur qualité de vie, ainsi que sur une meilleure organisation favorable à la coordi-
nation des services.
Ici encore, les troubles de la relation avec l’autre sont uniquement considérés comme
une conséquence de la maladie ne prenant pas en compte la trajectoire familiale avant
l’apparition de la démence. Face à cette maladie, le défi reste de taille lorsqu’il va s’agir
de donner du sens à cette épreuve qui porte atteinte à l’image que nous avons de la
personne, à nos désirs, nos besoins de relation et à notre idée de la qualité de vie et de la
santé. La démence peut être considérée comme une pathologie individuelle, familiale et
collective [28].
La pathologie individuelle est comme un naufrage sénile [29]. En reprenant cette
métaphore, le bateau peut couler pour plusieurs raisons. Bien entendu, le naufrage
peut être le résultat d’une coque vermoulue, trouée de part en part, la mémoire s’en-
vole, la reconnaissance est fluctuante, c’est l’approche médicale de la maladie
d’Alzheimer. Mais la personne peut aussi couler avec une coque peu entamée mais
avec une mer trop forte, un contexte peu favorable. De même, une coque très dégra-
dée peut se stabiliser sur une mer calme. Comme le souligne J. Maisondieu, la per-
sonne atteinte de maladie d’Alzheimer se trouve dans la double contrainte de
demander de l’aide tout en ayant peur de l’avenir, de la dégradation et de résister à ces
sollicitations. La personne démente ne trouve plus sa place dans sa vie, elle se recro-
queville au fond de la cale. Vulnérable, elle a recours à des stratégies défensives telles
que la régression, la routinisation sur quelques activités limitées dans l’espace et le
temps, l’installation d’un ordre fixe et rigide dans tout ce qui fait partie de l’univers
proche et familier [5]. La vulnérabilité n’est pas seulement celle qui est quotidienne-
ment occasionnée par les déficits, elle est aussi en relation avec ce qui fait l’humain et
notre place dans la société. La maladie d’Alzheimer n’est ni l’affaire d’une personne,
ni celle de deux, mais bien celle de tout un système familial [11]. Les aidants sont
repérés comme une population à risque aussi bien au niveau de leur santé physique
que mentale [33]. La plupart des programmes pour les aidants et toutes les lois se
focalisent sur l’aide du conjoint en imaginant qu’en épaulant l’aidant, il serait possi-
ble d’éviter que la maladie d’Alzheimer ait des répercussions sur l’ensemble des
membres de la famille. Pourtant la structure familiale est l’objet d’une cruelle désor-
ganisation dans les modes de relations qu’elle a établi antérieurement. Les engage-
ments de responsabilités, les codes de la relation intrafamiliale, les fragilisations
narcissiques et la gestion de sentiments de culpabilité et de honte parfois, dispersent
la relative et souvent apparente homogénéité du tissu familial [20]. Les aidants sont
parfois en difficulté pour gérer leur investissement relationnel envers les personnes
âgées dans la durée et dans l’intensité. Les sensibilités des uns et des autres sont
mobilisées et sollicitent des émotions des deux cotés. Les fragilités réciproques
peuvent être vécues en miroir et contribuer à provoquer des souffrances, mais aussi
des complicités apaisantes et réductrices d’angoisse. Cependant, les conditions de ces
collaborations ne sont pas toujours requises pour optimiser le partenariat des accom-
pagnants familiaux et institutionnels.
108 J.-M. Caire, M. Dulaurens

La relation avec une personne atteinte de maladie d’Alzheimer ne trouble pas unique-
ment les familles, mais aussi les équipes de soins. Les personnes démentes nous inter-
pellent dans leur étrangeté, ils perturbent la bonne marche de l’institution, ils ne sont
pas conformes à ce que l’on pourrait attendre d’eux, ils ne comprennent pas ce que l’on
attend d’eux. Ils peuvent s’élever contre le soin, contre leurs proches, contre eux-mêmes.
Faire le pari de la rencontre, c’est prendre le risque de l’altérité. Imaginer que l’autre qui
est « Alzheimer » et qui perd la tête est différent de moi est plutôt rassurant… L’imaginer
en possible futur est pour moi beaucoup plus difficile. Lorsque les professionnels sont
appelés à l’aide, ce n’est pas seulement pour apporter un conseil, un soutien, mais aussi
pour permettre au plus vite un retour à un état antérieur, un non-changement. Dans le
cas de la maladie d’Alzheimer, l’action des professionnels ne permet pas un équilibre
semblable à celui d’avant et cette constatation est vécue par les aidants comme un
échec. Le piège est bien de faire toujours plus de la même chose, entraînant une esca-
lade de demandes pour « réparer » la situation actuelle. Ce cercle vicieux amène l’épui-
sement des aidants et des équipes. La confrontation à une maladie particulièrement
éprouvante, la difficulté, voire l’impossibilité de constater des progrès, nous met à mal
au quotidien, au point d’en oublier la personne en face, son identité, son histoire, ses
proches. Le pari de la rencontre prend du temps pour connaître l’autre, et le reconnaî-
tre. Ce pari est exigeant puisqu’il nous impose une remise en question et un change-
ment dans nos pratiques.
La pathologie Alzheimer est collective. En effet, les médias couvrent de plus en plus ce
phénomène cristallisant les angoisses, les peurs et modifiant les représentations socia-
les. Les personnes directement concernées par cette maladie restent discrètes, cachées.
La maladie ne devient publique que lorsque son expression visible trouble la famille et
les interactions sociales. Le problème des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer
et des proches n’est pas tant la maladie en elle-même, que le regard et les réactions du
reste de l’entourage et de la société dans son ensemble [19]. La représentation de l’incu-
rabilité tend à faire disparaître le sujet pensant pour lui donner uniquement le statut
de dément. Cependant cette charge représentationnelle tend depuis quelques années à
se modifier grâce aux nombreux témoignages des associations, des familles qui témoi-
gnent ouvertement de leurs parcours.

L’approche neurosystémique
Il existe de nombreuses thérapeutiques non médicamenteuses pour aider la personne
atteinte de maladie d’Alzheimer et sa famille [1]. Cependant la revue de la littérature ne
présente que peu d’interventions auprès de l’ensemble des protagonistes inclus dans
cette crise liée à la maladie. L’approche neurosystémique met le système familial au
centre du projet thérapeutique. La notion d’interactions dysfonctionnelles en thérapie
familiale remet en cause le monopole de la maladie dans la compréhension des trou-
bles et des conséquences de ceux-ci sur le quotidien. Dans la thérapie systémique il n’y
a pas un thérapeute neutre observant objectivement la réalité existant dans la famille,
mais un thérapeute et une famille qui se rencontrent, chacun avec leurs représenta-
tions (leurs modèles) pour essayer de « faire évoluer la perception que ces deux entités
ont de la situation » [6]. Le thérapeute fait partie du système, et lorsqu’il vit quelque
chose d’intense avec la personne atteinte de maladie d’Alzheimer et sa famille, il peut
exister ce qu’Elkaïm appelle la résonance [17,18]. L’observateur interagit avec le sys-
tème familial et cette subjectivité peut être un outil qui permet d’analyser le vécu du
thérapeute par rapport à la situation, au système mis en place par la famille. « Cette
situation de résonance pourrait ressembler à celle de quelqu’un qui nage le crawl, dont
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 109

la tête va sous l’eau puis sur l’eau. C’est-à-dire que nous sommes des êtres qui à la fois
sont pris dans ce vécu, ce vécu qui nous fait nous mettre au diapason des constructions
du monde des autres, et puis qui en sortons ; nous analysons ce vécu et nous requérons
de la flexibilité avant de replonger » [17].
L’école de Palo Alto envisage la famille comme un « système ouvert », c’est-à-dire
autre chose que la somme des individus qui la composent et qui sont en interrela-
tions constantes [30]. Chaque individu est lui-même un sous-système, un élément du
système familial. Le thérapeute systémicien concentre ses efforts sur les communica-
tions entre les sous-systèmes, son objectif étant de les améliorer au bénéfice de la
famille toute entière [39]. Un autre aspect est primordial pour les thérapeutes fami-
liaux, c’est l’espace temps [2,15,25]. « Les traces du chemin passé, les pas des uns et
des autres dans ce chemin, sont ignorés de la plupart des soignants et thérapeutes, et
pourtant, ils sont l’un des déterminants très importants de la façon dont la relation
va continuer à se construire » [16]. Une famille, c’est l’histoire de la transformation de
ses projets et de ceux de ses membres au fil de l’existence. Le projet de vie est lié au
mythe familial, aux représentations que chacun peut avoir de la situation en lien avec
le système d’appartenance [6]. Le projet de vie se trouve à un niveau épistémologique,
représentationnel. Dans la construction de ce projet, les professionnels sont totale-
ment incompétents, c’est la famille qui a la connaissance de sa réalité et qui est com-
pétente pour son problème. Elle possède la capacité à modifier ses représentations, à
remettre en question le fonctionnement familial qui cristallise la situation, et à effec-
tuer les changements nécessaires pour activer le processus qui autorise les autosolu-
tions des familles [2]. La crise est directement liée au changement dans la démarche
systémique. Alors que la crise est souvent vécue par les professionnels comme dange-
reuse, elle reste nécessaire pour que s’opère un changement. Bien entendu, dans cette
période, les tensions sont tellement exacerbées qu’il faut donner aux familles les
moyens de calmer le tumulte qui risquerait de devenir un mode de relation entre
l’aidé, les aidants et les professionnels.

Étude exploratoire
Objectif et méthodes
« La monographie est considérée comme l’étude du singulier et du particulier » [4].
L’objectif de la présente étude était de déterminer en quoi la thérapie familiale peut être
un champ d’exploration pour que chacun des acteurs apprennent pour engager un
changement en fonction des réalités vécues au quotidien par la personne atteinte de
maladie d’Alzheimer et par sa famille [7].
Parmi les méthodes de recherche qualitative en socioanthropologie, nous avons
choisi l’observation participative [22] et l’entretien compréhensif [26]. Cette approche
impulse une rencontre sociale qui prend la forme d’une interaction ordinaire dans la
vie quotidienne et un encouragement continu à l’expression spontanée des différents
acteurs.
La recherche a été menée au Centre hospitalier de Jonzac, dans une unité d’entretiens
systémiques mise en place depuis 2001 dans le service de psychiatrie du Dr Destaillats,
qui est à l’origine de cette consultation. L’équipe est constituée de deux psychologues
et deux ergothérapeutes, formés à la thérapie familiale. Ces professionnels sont en lien
direct avec la consultation Handicap et Famille du CHU de Bordeaux qui a une longue
expérience des consultations familiales auprès des personnes cérébrolésées [16].
L’organisation de la consultation était identique à celle qui a été décrite dans les chapi-
tres précédents : le thérapeute est dans la salle d’entretien avec la famille, et un ­cothérapeute
110 J.-M. Caire, M. Dulaurens

regarde l’entretien dans une autre pièce par l’intermédiaire d’une caméra vidéo. Les
entretiens sont enregistrés et retranscrits le plus fidèlement possible, car des allers
retours sont effectués entre les observations et propos des personnes interrogées, et les
modèles théoriques. Pour cette étude, nous avons croisé les entretiens auprès des théra-
peutes familiaux, auprès de l’équipe de soins pluridisciplinaire (médecins, ergothéra-
peute, psychologue, infirmiers, assistante sociale), et les entretiens systémiques auprès
de la famille suivie pendant une période de 10 mois.

Situation clinique
L’analyse de la demande de la famille
Monsieur B. est âgé de 77 ans. Il est marié et a eu deux enfants. Il est le dernier d’une
fratrie de 6 enfants avec 1 sœur et 4 frères, tous décédés dont le dernier il y a 3 ans. Il a
suivi une scolarité jusqu’à l’âge de 13 ans puis a travaillé en usine pendant 17 ans. Il a
ouvert un commerce d’alimentation avec son épouse. Il est en retraite depuis 1989. Le
couple vit dans une maison dont il est propriétaire. Il a des revenus suffisants selon le
bilan social. En 2005, leur fille est décédée de complications du diabète. Cet épisode
constitue une épreuve douloureuse intense au niveau émotionnel pour le couple.
Monsieur B. est soigné en affection longue durée (ALD).
Depuis 2 ans, il manifeste des difficultés cognitives qui sont couplées depuis quelques
temps à des hallucinations visuelles. Il se plaint depuis longtemps d’oublis, de manque
du mot. Un premier examen en neuropsychologie début 2008 met en évidence des
troubles cognitifs importants concernant la compréhension orale, la mémoire de tra-
vail, la mémoire épisodique et le fonctionnement exécutif. Le compte rendu de consul-
tation multidisciplinaire de la mémoire du 16 juin 2009 relate une dégradation
supplémentaire et rapide de la cognition et du comportement avec un Mini Mental
State Evaluation (MMSE) à 11/30 allant dans le sens d’un syndrome démentiel sans
réellement poser le diagnostic de pathologie d’Alzheimer. Les performances de mon-
sieur B. semblent également fluctuer dans le temps et l’ensemble de ces difficultés a des
répercussions significatives en vie quotidienne. Des troubles du comportement et une
labilité émotionnelle sont également présents, laissant suggérer que l’altération du
fonctionnement s’étend sur de nombreux domaines du quotidien.
Il reste donc un doute vis-à-vis de l’origine des troubles, ce qui peut amener chez
monsieur B. et chez les proches une anxiété et/ou des manifestations dépressives
[34]. Les conséquences des troubles sur l’équilibre familial sont notées dès le premier
compte rendu neuropsychologique en 2008 soulignant que « la dépendance envers
une aide extérieure, rôle actuellement occupé par sa femme, se fait de plus en plus
grande. Il est important de rester attentif au risque d’épuisement de celle-ci et de lui
permettre un relais extérieur quand elle parviendra à en faire la demande ». L’examen
au domicile fait par l’ergothérapeute en février 2009 montre qu’il existe un réel déca-
lage entre les observations faites par madame B., ce que verbalise monsieur B., et
l’observation des professionnels. En mise en situation au domicile, nous constatons
des difficultés dans les tâches dites instrumentales comme lire l’heure, utiliser le télé-
phone, ouvrir et fermer un robinet. Monsieur et madame B. minimisent les erreurs
faites lors de la toilette et de l’habillage, relativisant l’impact sur le quotidien. Son
épouse semble être dans un « paradoxe de l’aide » [32] qui consiste bien à demander
de l’aide aux professionnels pour être soulagée du fardeau qu’elle porte [28], mais elle
a du mal à ne pas pouvoir tout gérer. La proposition de la consultation multidiscipli-
naire de la mémoire s’oriente vers des interventions thérapeutiques rééducatives tel-
les que la kinésithérapie pour limiter le risque de chute, et l’orthophonie pour débuter
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 111

une rééducation du langage verbal. Une ergothérapeute intervient ponctuellement à


domicile pour évaluer l’équilibre environnemental pour la famille dans son projet de
maintien à domicile (entretiens, mises en situation, propositions d’aménagement).
La proposition pour l’épouse est de suivre des séances individuelles auprès d’une psy-
chologue. Pour monsieur B., une hospitalisation de jour a été envisagée avec madame
B., mais celle-ci refuse toutes ces aides à l’époque de la mise en place d’un suivi par la
consultation Handicap et Famille.
La première séance neurosystémique a été mise en place au moment de l’annonce du
diagnostic, en lien avec l’équipe de la consultation multidisciplinaire de la mémoire et
les intervenants à domicile. Les trois problèmes soulevés par la famille B. ont été l’auto-
nomie de monsieur B. et la question de la contrainte, la différenciation entre la maladie
et la personne au quotidien et la réticence de l’épouse à recourir aux services d’aide.

La rencontre du contexte thérapeutique et du contexte coutumier


de la famille B
Le contexte thérapeutique met en rapport les protagonistes et permet d’observer les
interactions, les déformations de communication, les malentendus… Nous sommes
témoins actifs de la manière dont la famille se raconte aussi bien avec le thérapeute
qu’entre eux. Le contexte inscrit l’observation dans l’« ici et le maintenant » [35]. Chacun
s’engage devant l’autre. Les thérapeutes s’engagent à respecter l’intimité familiale, à ne
pas divulguer les images vidéo et à ne les utiliser que dans une perspective de soins et
de réflexion par rapport à une situation complexe que nous présente la famille. La
famille permet le travail à partir de séquences filmées et prend le risque de se mon-
trer en situation de vulnérabilité. Le contexte thérapeutique est aussi implicite dans
le sens où la construction du cadre induit des conduites et des règles. Par exemple,
avec la famille B., le thérapeute s’engage dans une forme de contrat en expliquant
que, pour lui, l’intérêt est de comprendre comment cette maladie transforme le cou-
ple mais ne le fait pas disparaître. Il inclut d’emblée la famille comme partenaire de
la transformation en annonçant le contrat du changement qui oblige à changer
52 ans de fonctionnement familial.
Dans l’approche systémique, il existe un réel souci d’adaptation du message vis-à-vis
des rapports en présence pour favoriser l’alliance thérapeutique. Cette connotation
positive tend à créer une ambiance de « bienveillance » entre la personne, ses proches
et les thérapeutes. Ainsi, nous cherchons à connaître et faire connaître explicitement
le contexte : connaître dans quel contexte ont lieu les transactions entre partici-
pants, et de quel contexte elles dérivent [36]. Nous interrogeons la situation pour
qu’elle prenne sens pour nous comme pour les familles : Qui demande quoi ?
Pourquoi ? Et à qui ? Dans notre situation, la famille est d’origine ouvrière et accorde
une grande importance à la valeur du travail que l’on gagne à la sueur de son front.
La famille B. a toujours travaillé dur pour gagner ce qu’ils ont aujourd’hui s’ap-
puyant sur une solidarité sans faille. Monsieur B. est fier d’avoir pu créer un maga-
sin d’alimentation. La volonté semble donc avoir un pouvoir de changement
important dans cette famille. L’épouse se doit de rester auprès de son mari pour
faire vaincre le couple, mais elle s’épuise à tout faire pour que rien ne change, elle
fait « toujours plus de la même chose » [27] en espérant sauver le couple. Mais la
maladie envahit le quotidien.

L’autonomie de Monsieur B. et la question de la contrainte


Dans cette famille, il existe une forme de règle implicite où les décisions doivent passer
par le chef de famille assurant ainsi l’équilibre familial et la sécurité. La crainte de la
112 J.-M. Caire, M. Dulaurens

perte du rôle social est très prégnante dans le couple, entraînant une angoisse quoti-
dienne lisible dans les entretiens. La personne atteinte de maladie d’Alzheimer redoute
que toutes les décisions soient prises en dehors d’elle, une sorte de mort sociale avant
l’heure. Pour monsieur B., cette crainte s’exprime surtout dans les premier et deuxième
entretiens, lorsque nous abordons la notion de sauvegarde de justice. Dès que nous
abordons avec lui la question de l’argent et de la gestion du budget, il perd son contrôle
et ne trouve plus ses mots pour exprimer son désaccord. Il ne comprend pas tout, mais
il sent qu’il est dépossédé d’un rôle qu’il avait auparavant. Son épouse se sent accusée
d’être dépensière, son mari affirme son statut de chef de famille dans une sorte de
révolte vis-à-vis de la situation pensant que la famille lui cache quelque chose. Il se sent
pris au piège, manipulé, sans saisir pourquoi on veut le déposséder ? Alors que madame
B. pensait résoudre le problème en demandant au fils de gérer le budget familial sans
en parler à son mari.
Le thérapeute invite chaque membre de la famille à exprimer comment il voit la rela-
tion entre deux autres membres autour de la question de la gestion de l’argent. Par une
circulation de la parole [36], il confirme la position de monsieur B. en l’incluant dans
une discussion qui le dépassait et montre implicitement à tous sa capacité à se recon-
necter de façon cohérente. Progressivement, monsieur B. reparle de la mort de sa fille et
explique ses craintes sur l’héritage qu’il se doit de transmettre à son petit-fils. Le théra-
peute poursuit son rôle de « traducteur » entre l’épouse, le fils et le mari. Il fait décrire
les tensions dans le couple, les liens blessés, mis à l’épreuve. L’épouse et le fils décou-
vrent le lien que peut faire monsieur B. entre la gestion du budget et la transmission des
biens. La verbalisation sur le couple amène le fils à parler de lui, à identifier sa difficulté
à accepter sa position « d’arbitre ». Le fils se trouve dans une contrainte de loyauté vis-
à-vis de son père et de sa mère. Cette circularité oblige chaque protagoniste à se définir
selon sa responsabilité et ses émotions. La solution qui est choisie en définitive est de
formuler ensemble la demande écrite de sauvegarde (y compris monsieur B.) dans un
lieu calme et connu (la maison familiale), entourés de professionnels spécialisés qui
peuvent faciliter la parole et l’écriture (l’assistante sociale, l’ergothérapeute). Cependant,
jusqu’à ce jour, le couple n’a toujours pas envoyé la lettre et a trouvé un moyen satisfai-
sant pour tous de gérer le budget ensemble tout en acceptant l’aide ponctuelle de l’as-
sistante sociale.

La différenciation entre la maladie et la personne au quotidien


La « non-connaissance » des conséquences des troubles dans le quotidien peut entraî-
ner des dysfonctionnements relationnels. La maladie d’Alzheimer est une maladie
dégénérative et donc l’adaptation aux troubles est remise en question au fur et à mesure
de la détérioration, qu’elle soit cognitive, physique ou comportementale. Au quotidien
la communication se complexifie au fur et à mesure de l’avancée de la maladie. Les
proches et les aidants doivent être soutenus dans cette démarche. Tous les guides de
bonnes pratiques relatives à la maladie d’Alzheimer disent que l’aide aux aidants a
pour but de favoriser l’autonomie des personnes âgées. Alors, selon la définition de
l’autonomie (être régi par ses propres lois), est-il possible de dire que la personne
atteinte de maladie d’Alzheimer est régie par ses propres lois lorsque ce sont les autres
qui les édictent ? Pourquoi les professionnels que nous sommes n’osent-ils pas parler
d’hétéronomie, car c’est bien de cela qu’il s’agit [10] ? Aider l’aidant « passe par la ren-
contre humaniste d’où peut naître une relation aidante pour un aidant, un patient, un
­système familial » [10]. La maladie d’Alzheimer fragilise non seulement l’autonomie
décisionnelle mais aussi exécutive (engagement dans une action). Renforcer l’autono-
mie de la personne atteinte de maladie d’Alzheimer peut consister à l’aider à formuler,
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 113

à traduire ses valeurs dans les actes mais c’est aussi l’aider à conserver le plus longtemps
possible la faculté de vivre conformément à ses propres valeurs en considérant aussi la
question de l’hétéronomie, c’est-à-dire la question des aidants et de la famille.
Pour monsieur B., l’évolution est assez rapide, il a perdu beaucoup de facultés cogniti-
ves. Il souffre de prosopagnosie, et de troubles du comportement avec des hallucina-
tions. Nous avons pu constater au cours des séances l’écart entre la connaissance des
troubles par madame B. et ses réactions émotionnelles. Comment peut-elle différencier
la part de la maladie et la part de la « responsabilité » de son mari ? Voit-elle son mari
seulement comme une personne démente, ou peut-elle saisir encore les moments de
présence de celui-ci ? Comment donner des moyens à la famille de comprendre un peu
moins douloureusement les écarts de comportement de monsieur B. ? La prosopagno-
sie est marquante dans l’histoire pathologique de la famille B. Les périodes de non
reconnaissance sont de plus en plus fréquentes. Il existe une difficulté à comprendre que
monsieur B. puisse parfois se tromper entre sa femme et la sœur de celle-ci qu’il ne voit
quasiment jamais. Madame B. a pu exprimer que pour elle la démence est un fait inac-
ceptable. Cette maladie est forcément évolutive dans le temps et quelle que soit la solu-
tion, elle sera inopérante à terme, ce qui double ce sentiment d’inutilité, d’échec ou de
culpabilité. Madame B. a réussi à trouver une stratégie pour éviter l’affrontement avec
son mari lorsqu’il ne la reconnaît pas. Elle fait le tour de la maison et puis revoyant son
mari, elle dit : « Tu vois, je suis là, tu me cherchais ? », il dit alors : « Ah, te voilà… » Cette
attitude peut être comprise comme une perte d’identité pour madame B. Cependant
elle trouve plusieurs avantages à réagir de cette manière. Le premier est le calme rela-
tif induit par ce comportement d’évitement. Le deuxième est que son mari est plus
attentif et conciliant avec l’autre personne imaginaire. Cette stratégie semble correspon-
dre à madame B. Elle a su puiser dans les différentes rencontres auprès des équipes de
soins, du psychologue et des consultations de thérapie familiale, les éléments pour
construire une stratégie qui lui permette de considérer la situation avec un peu plus de
sérénité.

La réticence de l’épouse à recourir aux services d’aide


Le système familial est « dans l’agir » [11]. Madame B. témoigne sa souffrance dans un
activisme forcené tourné vers la maladie de son mari. Les stratégies qu’elle peut mettre en
place sont mises à mal par l’évolution des troubles du comportement. Progressivement, il
existe une perte de ses propres activités comme une forme « d’aliénation occupationnelle ».
Être contraint de faire des activités uniquement dans le registre de l’obligation peut affec-
ter profondément les relations sociales jusqu’à l’isolement et le repli [38]. Lors de la
première rencontre, elle minimise le poids du quotidien sans pouvoir masquer sa
détresse, sa colère et son stress. Cependant, elle n’envisage pas d’aide ou de présence à
domicile, et encore moins une solution qu’elle imaginerait définitive : la maison de
retraite. La perspective d’une telle solution semble la mettre dans une culpabilité insuppor-
table. L’un des objectifs pour madame B est de l’aider à reconstruire un espace pour elle sans
subir la contrainte de la culpabilité, le sentiment d’abandon vis-à-vis de son mari et de
l’image du couple.
Au fur et à mesure des entretiens, la loyauté dans le couple est abordée avec le théra-
peute. Les loyautés horizontales s’établissent au fur et à mesure des nouvelles relations,
entre frères et sœurs, avec des amis, un conjoint… Chacun se trouve en position d’éga-
lité, la relation se caractérise par des droits et des obligations réciproques. Il s’agit ici de
relations symétriques. Dans la réalité de la vie, les loyautés verticales et horizontales
sont confrontées entre elles et provoquent des conflits. Ceci amène à chaque fois à la
recherche d’un nouvel équilibre, faute de quoi le système dysfonctionne et le symptôme
114 J.-M. Caire, M. Dulaurens

apparaît [31]. La certitude de madame B. de devoir faire tout ensemble s’avère être une
impasse relationnelle. En se racontant mutuellement leur histoire commune par des
mots pour madame B., par des gestes pour monsieur B., une nouvelle forme de contrat
semble voir le jour dans le couple. Une évolution est notable dans les entretiens indivi-
duels avec la psychologue et dans les entretiens systémiques.
Le problème de sécurité s’installe progressivement dans le discours de madame B. Elle
reconnaît que cette situation prend beaucoup de temps, ce qui rend le quotidien diffi-
cilement supportable. Elle fait un retour sur les mois passés où elle « contrôlait tout »,
où elle avait peur. Cette insécurité envahit la maison, montrant madame B. totalement
dépassée par les événements et par l’évolution de la maladie. Le thérapeute familial lors
d’un entretien nomme la déception de madame B., la déception de ne pas être « à la
hauteur » selon elle, de ne pas pouvoir revenir comme avant. Pour ces familles, le che-
min est long pour devenir comme après…
Pour comprendre l’enracinement de cette déception, le thérapeute va chercher dans
l’espace transgénérationnel de la famille. Il explore la famille ascendante pour entendre
que la sœur de madame B. est atteinte de maladie d’Alzheimer. Cette dame n’a pu être
maintenue chez elle, madame B. a dû prendre la décision de la maison de retraite. Le
thérapeute utilise l’argument de « l’amour plus fort que la maladie » et souligne la
nécessité d’être en forme pour faire vivre le couple, l’épuisement étant le partenaire de
la maladie. Progressivement, elle accepte les soins de l’infirmière de secteur, puis la
proposition de l’hôpital de jour et d’une aide ménagère. Aujourd’hui se repose la ques-
tion de la « bonne mauvaise solution », comme la nomme Darnaud [9,11], la solution
du placement dans une maison de retraite spécialisée. Madame B. ne peut imaginer ce
qu’elle nomme « un abandon ».
À l’issue de la période concernée par cette étude, on observe que l’un des objectifs de
l’aidant principal était d’être aidé à reconstruire un espace pour lui sans subir la
contrainte de la culpabilité. À la fin des 6 mois, la question d’une aide pour l’épouse
est posée par elle-même comme un moyen de rester forte pour maintenir le couple face
à la maladie. La conclusion du rapport du 5 mars 2010 relate les prises de décision
de la famille et en particulier de madame B. pour maintenir une qualité de vie familiale
acceptable pour tous. « La famille B. a suivi cinq consultations de thérapie familiale…,
l’épouse voit régulièrement la psychologue du service en individuel et prend un traite-
ment pour réguler son humeur. Depuis, elle se sent plus calme et pense que cela
influence l’état de son mari qu’elle dit moins agressif. Il existe une stabilité dans le
­couple avec une perception de la réalité de madame B. et une capacité d’organisa-
tion favorisant l’activité au quotidien de monsieur B. Il garde des périodes de non-
reconnaissance et des troubles instrumentaux importants limitant sa participation
sociale. Un réseau d’amis et de famille proche semble s’organiser pour soulager
madame B. Elle est moins résistante à l’idée d’accueillir des aides au domicile et évoque
l’intérêt de prendre des moments pour elle. »

Perspectives
Avec cette rencontre d’une famille singulière, nous avons pu entrevoir la complexité de
la maladie d’Alzheimer, l’importance des éléments contextuels dans sa perception et
dans son expression. La prise en compte de l’angoisse de mort pose la problématique
non pas uniquement sur le versant de la pathologie, mais aussi sur la considération de
l’effet dévastateur sur le sujet atteint de maladie d’Alzheimer et sur la famille. La per-
sonne démente est ici considérée comme un sujet avec son histoire, sa trajectoire de vie
et sa finitude. Cette maladie s’inscrit dans le temps qui passe, elle a un impact majeur
Neurosystémique et maladie d’Alzheimer 115

sur l’entourage familial et les aidants qu’ils soient formels ou informels. Nous sommes
en présence non pas uniquement d’un handicap individuel, mais aussi d’un handicap
familial [3].
Les travaux de T. Darnaud nous ont permis d’entrevoir une modélisation de la crise
familiale dans le contexte de la maladie d’Alzheimer. Il y a toujours une différence de
compréhension entre les membres de la famille et les thérapeutes intervenants. Cette
différence se fonde sur le fait que la famille possède la connaissance de l’histoire de la
relation, car ils en ont été les protagonistes. L’analyse des entretiens de la thérapie fami-
liale souligne que les interactions familiales font appel aux facteurs contextuels et s’ins-
crivent dans une coconstruction qui passe par la compréhension de la place et l’identité
de chacun. Pour favoriser la rencontre, la principale caractéristique du cadre de la
consultation familiale semble bien être d’assurer une sécurité de base pour la famille.
Ce lieu offre un temps et un espace de passage, un espace transitionnel où se joue une
succession d’entre-deux : entre le dedans et le dehors de la famille, entre intra et inter
psychique, entre l’avant-crise et l’après-crise [14].
P. Guillaumot parle d’éthique relationnelle et interroge la famille et le malade dans sa
relation avec le monde pour analyser les facteurs de tolérance et d’intolérance pour
chacun (y compris pour les professionnels de santé) [23]. L’une des missions du théra-
peute et du cothérapeute dans l’approche systémique est de laisser les familles expéri-
menter leurs propres solutions et d’activer le processus qui les autorise [2]. Les familles
ont des compétences mais ne savent pas tout, elles ont besoin que l’on crée un contexte
favorable pour qu’elles perçoivent la situation autrement, et qu’elles puissent transpo-
ser dans leur quotidien des solutions plus acceptables pour maintenir un équilibre
favorable. La circularité, bien connue en systémique, a eu un impact dans la compré-
hension de situations quotidiennes en permettant la reconnaissance de l’émotion de
l’autre dans son expression verbale. Elle explicite la perception du relationnel dans la
famille pour chacun des participants. Les entretiens ont permis de considérer ensem-
ble la question de la perte d’autonomie et de la contrainte en coconstruisant une solu-
tion acceptable pour tous. La famille a su trouver les éléments pour élaborer une
stratégie qui permette de considérer la situation avec un peu plus de sérénité.
Les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer et les aidants n’ont pas seulement
besoin de comprendre la cause des symptômes de façon intellectuelle, mais aussi de
restaurer une continuité là où le traumatisme fait rupture [37], c’est-à-dire « d’intégrer
la maladie dans une trajectoire de vie » [24].

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L. Wiart3, J.-M. Mazaux3
1. Laboratoire de psychologie « Santé et qualité de vie » EA4139,
université Victor-Segalen Bordeaux 2, 33076 Bordeaux cedex.
2. Centre hospitalier de Jonzac, 17500 Jonzac.
3. EA4136 « Handicap et système nerveux », université Victor-Segalen
Bordeaux 2, 33076 Bordeaux cedex.

La consultation Handicap et Famille (CHF) est une unité d’entretiens systémiques qui
accueille principalement des familles de patients cérébrolésés. La CHF propose au
patient et à sa famille de l’aider à se réorganiser après la crise que génèrent les consé-
quences du handicap. L’objectif de cette étude est de décrire les caractéristiques psycho-
logiques et familiales de la population rencontrée à la CHF et d’évaluer l’impact de la
prise en charge proposée sur les difficultés psychologiques et relationnelles du patient
et de ses proches. Nous avons évalué l’état anxiodépressif, le sentiment de colère, le
bien-être, le fonctionnement familial et le sentiment de détresse (ou fardeau) chez
78 membres de 44 familles participant à la CHF pour troubles du comportement du
parent cérébrolésé avant le 1er entretien et après le 4e et à 1 an. Les résultats ont été com-
parés à ceux d’un groupe contrôle constitué de 7 familles consultant un médecin MPR
(médecine physique et réadaptation) hospitalier également pour troubles du compor-
tement. Dans le groupe CHF, les familles expriment un sentiment de colère et une
perception de l’adaptabilité et de la cohésion de la famille significativement différents
de ceux des familles non prises en charge. Les premiers résultats chez les familles sui-
vies à la CHF montrent des modifications significatives du sentiment de colère et de
l’adaptabilité de la famille perçue. Les autres variables : état anxiodépressif, sentiment
de bien-être, de détresse, d’adaptabilité et de cohésion de la représentation d’une famille
idéale vont dans le sens d’une amélioration, qui reste non significative du fait de la
taille du groupe étudié. Ces résultats encourageants confirment l’intérêt d’une consul-
tation systémique au sein d’un service hospitalier de médecine physique et de réadap-
tation, mais soulignent aussi les difficultés méthodologiques rencontrées dans ce type
d’étude, notamment au niveau du recrutement et du choix des critères de jugement.

Introduction
La lésion cérébrale constitue un traumatisme physique et psychosocial important. Ses
répercussions sur la vie du patient et de ses proches sont considérables : les relations
familiales sont totalement bouleversées par ce traumatisme. La famille doit faire face
à une réorganisation de son fonctionnement qui peut produire des symptômes
118 M. Koleck et al.

­ sychopathologiques chez certains de ses membres et influencer le processus de réa-


p
daptation du patient.
La consultation Handicap et Famille (CHF) du CHU de Bordeaux décrite dans les
chapitres précédents de cet ouvrage assure un suivi, un soutien et une aide à la réadap-
tation du patient et de sa famille. Les thérapeutes de la CHF constatent globalement
une amélioration de l’état émotionnel des personnes suivies et des relations au sein de
la famille à l’issue de la prise en charge, mais jusqu’à présent, aucune mesure objective
de ces changements n’a été réalisée. Or les préoccupations de la médecine fondée sur
les preuves ont conduit au cours de ces dernières années les cliniciens et les chercheurs
à mener une réflexion quant à leurs pratiques et à démontrer l’impact de la prise en
charge qu’ils proposent sur un éventuel processus de changement. C’est ce que nous
avons souhaité faire pour la Consultation handicap et famille. Pour procéder à une
telle évaluation, il convient d’identifier les critères permettant d’apprécier l’évolution
de l’état psychologique du patient mais également, dans le cas de la CHF, de celui des
membres de la famille participant à la thérapie. Parmi les répercussions de la lésion
cérébrale sur le patient et la famille, la littérature met en avant des états émotionnels
négatifs, tels que des états anxiodépressifs importants ou des sentiments de colère
marqués [2,5,6,9,11,13,17,18]. Le sentiment de bien-être et la qualité de la vie du
patient et de son entourage sont souvent dégradés [1,10,20]. Les familles qui ont en
charge un proche qu’elles ne reconnaissent plus tout à fait et dont les symptômes
entraînent toutes sortes de difficultés dans la vie quotidienne peuvent avoir le senti-
ment que leur proche constitue un fardeau [2,4,11,13,15,18,22] ; elles sont alors victi-
mes d’une usure à la fois physique et psychologique. L’anxiété, la dépression, le
bien-être, le sentiment de fardeau et la réorganisation des rôles familiaux représentent
ainsi des indicateurs dont l’évolution pourrait permettre une évaluation objective de
l’action thérapeutique de la CHF.
L’objectif de ce chapitre est double. Il s’agit, d’une part, de décrire certaines caractéris-
tiques psychologiques et familiales de la population rencontrée à la CHF et, d’autre
part, d’évaluer l’impact de la prise en charge proposée sur les difficultés psychologiques
et relationnelles des membres de la famille, y compris l’individu porteur du handicap.

Matériel et méthode
Population
Deux groupes de sujets ont été constitués :

n le groupe CHF : ce groupe comprend des patients cérébrolésés et leurs familles


rencontrés consécutivement à la consultation hospitalière pour troubles du
comportement et/ou conflits familiaux et qui ont accepté de participer à la CHF.
Les familles pour lesquelles d’autres problématiques plus prégnantes que le
­handicap sont apparues aux cours des consultations ont été exclues de l’étude.
Le groupe CHF se compose, à l’inclusion dans l’étude, de 44 familles (n = 122) :
44 patients et 78 membres de la famille ;
n le groupe contrôle : ce groupe est composé de familles ayant également consulté

pour troubles du comportement, mais n’ayant pas participé à la CHF (refus


après explication du fonctionnement de la consultation, éloignement géogra-
phique, incompatibilité des horaires, etc.). Le groupe contrôle est constitué de
7 familles (n = 16) : 7 patients et 9 membres de la famille.
La consultation Handicap et famille en pratique hospitalière : étude exploratoire 119

Critères et outils d’évaluation

n La symptomatologie anxieuse et la symptomatologie dépressive ont été mesu-


rées à l’aide de l’Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS [24], validation
française de Lépine et al. [12]). Cette échelle permet d’évaluer rapidement le
niveau actuel de la symptomatologie dépressive et anxieuse du sujet en élimi-
nant les symptômes somatiques : 7 items concernent l’état anxieux et 7 items
l’état dépressif. L’HADS présente des qualités psychométriques très satisfaisan-
tes et elle est particulièrement sensible au changement.
n Le sentiment de colère a été évalué par l’échelle de colère-état du State-Trait

Anger Expression Inventory-2 (STAXI-2 [19], validation française de Borteyrou


et al. [3]). Elle permet d’appréhender trois dimensions distinctes : le sentiment
de colère actuel éprouvé par le sujet (5 items), l’expression verbale de la colère
(5  items) et l’expression physique de la colère (5 items). Cet outil présente de
bonnes qualités psychométriques.
n Le bien-être a été mesuré à l’aide d’une échelle courte, élaborée par M. Mauvillain

dans une phase préparatoire à cette étude [14]. La version de cette échelle desti-
née aux adultes est constituée de 5 items évaluant la perception générale du
bien-être, des relations amicales, du bien-être psychologique, de la sexualité et de
la vie de famille. Les réponses se font sur une échelle ordinale en 8 points (de
« très mauvaises » à « très bonnes »). Sa consistance interne, mesurée sur l’ensem-
ble des réponses des sujets adultes ayant participé à l’étude, est tout à fait satis-
faisante (alpha de Cronbach = 0,81). Pour les enfants, cette échelle se compose
d’un seul item concernant le sentiment de bien-être général éprouvé par l’enfant
à la maison. La réponse se fait sur une échelle ordinale en 5 points. Pour faciliter
la compréhension, l’échelle de réponse est illustrée par des visages.
n Le fonctionnement familial a été évalué par la Family Adaptability and Cohesion

Evaluation Scale (FACES III [16], validation française de Tubiana-Rufi et al. [21] ).
C’est un outil d’administration simple qui comporte deux séries de 20 items : la
première série concerne la famille perçue et la deuxième la famille idéale. Le fonc-
tionnement familial est évalué à travers deux dimensions : la cohésion et l’adapta-
bilité familiales. La cohésion familiale correspond aux liens, aux attaches
émotionnelles et aux sentiments entre les différents membres de la famille, ainsi
qu’au degré d’autonomie de chaque individu dans le système familial. L’adaptabilité
familiale concerne la possibilité qu’a la famille de modifier ses règles de vie (disci-
pline, rapports d’autorité…) dans une situation particulière (stress, maladie…).
n Le sentiment de détresse des proches a été évalué à l’aide du Zarit Burden Interview

(ZBI [23], validation française de Hébert et al. [7,8]). Cet outil a été élaboré pour
mesurer le degré d’épuisement ou d’usure psychologique des aidants familiaux. Il
est composé de 22 items s’intéressant à la charge matérielle et affective que repré-
sente le patient pour ses proches. Cet outil n’a pas été administré aux patients.

Procédure
L’étude comprend trois phases de recueil de données :

n T1 : la première rencontre avec le patient et sa famille a lieu juste avant la pre-


mière consultation ;
120 M. Koleck et al.

n T2 : la deuxième rencontre a lieu après la quatrième consultation. Ce critère de


quatre consultations a été choisi en concertation avec l’équipe de la CHF à
­partir du constat que la prise en charge des familles comprend en moyenne
quatre séances ;
n T3 : la troisième rencontre a lieu 1 an après.

À chacune de ces phases, au cours d’une rencontre avec un psychologue ou un médecin,


le patient et la famille répondent à un protocole constitué de l’ensemble des échelles
présentées ci-dessus. À T1, différents éléments, tels que le génogramme, des données
sociobiographiques et médicales ont également été recueillis.
Les variables ont été décrites par leurs moyennes et écarts-types. Les comparaisons
entre groupes et l’évolution des variables mesurées ont été étudiées par tests paramétri-
ques : test t et analyse de variance (logiciel SPSS 9.0). Nous ne présentons ici que les
données concernant les deux premières phases de l’étude, en raison du nombre insuffi-
sant de familles ayant répondu en T3. En effet, à l’heure actuelle, seules quatre familles
ont complété l’intégralité du protocole.

Résultats
Comparaison des deux groupes (CHF vs contrôles) à T1
Dans le groupe CHF, 44 patients et 78 membres de la famille ont complété le protocole
à T1. Les 44 patients (28 hommes et 16 femmes) sont âgés de 13 à 70 ans (m = 40,1 ; SD
= 15,7). Il s’agit essentiellement de patients ayant subi un traumatisme crânien (n = 26)
ou un accident vasculaire cérébral (n = 11). Les autres pathologies concernées sont la
sclérose en plaques (n = 4), une tumeur cérébrale (n = 1), une encéphalite (n = 1) et une
maladie de Parkinson (n = 1). Soixante-dix-huit membres de la famille ont répondu au
protocole proposé. Il s’agit de 26 conjoints (6 hommes et 20 femmes, âgés de 29 à
72 ans), de 22 parents (8 hommes et 14 femmes, âgés de 39 à 71 ans), de 21 enfants
(11 hommes et 10 femmes, âgés de 3 à 31 ans) et de 9 frères et sœurs (5 hommes et
4 femmes, âgés de 13 à 38 ans). Au niveau des processus psychologiques évalués, on
constate que les patients comme les proches rapportent des états émotionnels néga-
tifs (tableau 11.1) : 69 % des patients et 79 % des membres de la famille présentent une
symptomatologie anxieuse et 52 % des patients et 43 % des membres de la famille une
symptomatologie dépressive. On peut également noter que, lorsqu’elles arrivent à la
consultation, les familles de patients cérébrolésés sont en épuisement : 40 % des pro-
ches présentent un sentiment de détresse léger, 31 % modéré et 11 % sévère. Quatorze
familles (n = 33) n’ont participé qu’à une ou deux consultations et n’ont donc pas pu
compléter l’intégralité du protocole. Il s’agit majoritairement de familles dans lesquel-
les le patient est un homme (n = 11/14). Pour les différentes variables psychologiques
évaluées à T1, on n’observe aucune différence significative entre ces 14 familles et les
30 qui poursuivent la prise en charge (n = 89).
Le groupe contrôle est constitué de 7 familles (n = 16). Les 7 patients (4 hommes et
3 femmes) sont âgés de 17 à 85 ans (m = 49,7 ans, SD = 25,9) et ont tous subi un trau-
matisme crânien. Les membres de la famille sont surtout des conjoints (1 homme et
3 femmes) et des parents (1 homme et 3 femmes). Une sœur et un enfant (1 homme)
ont également participé.
Les patients du groupe contrôle étant tous des traumatisés crâniens, nous avons com-
paré, par des analyses de variance, ce groupe uniquement aux familles CHF dont le
La consultation Handicap et famille en pratique hospitalière : étude exploratoire 121

Tableau 11.1.
Scores moyens et écarts-types des différentes variables évaluées à T1 dans les deux groupes.
Groupe CHF Groupe contrôle
Population totale TBI TBI
HADS
Symptomatologie anxieuse 10,77 (4,58) 10,75 (4,57) 10,00 (3,95)
Symptomatologie 7,66 (4,43) 7,40 (4,32) 8,00 (3,92)
dépressive
STAXI-2
Niveau global de colère 25,00 (10,25) 24,81 (8,80) 19,53 (9,54)*
Sentiment de colère actuel 9,90 (4,17) 10,13 (3,95) 7,07 (3,81)**
Expression verbale 8,17 (3,85) 8,08 (3,52) 6,56 (3,46)
Expression physique 6,86 (3,25) 6,62 (2,37) 5,87 (2,73)
Mauvillain
Bien-être 22,26 (7,86) 23,69 (7,42) 27,96 (6,30)
FACES III
Cohésion/famille perçue 32,63 (7,69) 32,98 (7,20) 38,57 (7,35)**
Cohésion/famille idéale 38,49 (7,85) 38,47 (7,45) 38,50 (7,15)
Adaptabilité/famille perçue 24,12 (5,75) 24,98 (5,66) 30,00 (7,25)*
Adaptabilité/famille idéale 29,91 (7,61) 30,73 (7,91) 30,00 (7,63)
ZBI
Sentiment de détresse 35,35 (16,74) 34,98 (17,71) 21,78 (18,68)
TBI : Familles de patients traumatisés crâniens ; HADS : Hospital Anxiety and Depression Scale ; STAXI-2 :
State-Trait Anger Expression Inventory-2 ; FACES III : Family Adaptability and Cohesion Evaluation Scale ;
ZBI : Zarit Burden Interview.
* p < 0,05 ; **  p < 0,01.

patient souffrait d’un traumatisme crânien. Les principales différences entre ces deux
groupes se situent au niveau du sentiment de colère et de la cohésion de la famille. Les
familles CHF présentent ainsi un niveau global de colère significativement supérieur à
celles du groupe contrôle (F = 4,14 ; p < 0,05). Cette différence concerne surtout le sen-
timent de colère actuel (F = 7,31 ; p < 0,01), l’expression verbale et l’expression physique
de la colère étant très proches dans les deux groupes. La cohésion et l’adaptabilité
familiales du groupe CHF sont significativement inférieures à celle du groupe contrôle
(respectivement F = 7,25 ; p < 0,01 et F = 6,76 ; p < 0,05) mais uniquement pour la per-
ception de la famille réelle. Il n’y a pas de différence au niveau de la famille idéale. Le
sentiment de détresse rapporté par les proches du groupe CHF est plus important que
celui du groupe contrôle (F = 4,02 ; p = 0,051) tandis que leur sentiment de bien-être est
plus faible (F = 3,73 ; p = 0,057). On n’observe pas de différence significative entre les
deux groupes pour la symptomatologie dépressive et anxieuse.

Évolution du groupe traité (groupe CHF) entre T1 et T2


À T2, le groupe CHF se compose actuellement de 10 familles. Les 10 patients (5 hom-
mes et 5 femmes) sont majoritairement des traumatisés crâniens (n = 7). Les autres
pathologies sont 2 accidents vasculaires cérébraux et 1 tumeur cérébrale. Parmi les
122 M. Koleck et al.

14 membres de la famille qui ont répondu, on trouve 6 conjoints (1 homme et 5 fem-


mes), 5 parents (3 mères et 2 pères), 2 frères ou sœurs et un enfant. Nous avons comparé
les données recueillies à T1 et à T2 à l’aide de tests t pour échantillons appariés. On
observe qu’entre la première et la quatrième consultation (tableau 11.2), le niveau global
de colère (t = 0,18 ; p < 0,05), le sentiment de colère actuel (t = 3,07 ; p < 0,01) et l’expres-
sion physique de la colère (t = 2,10 ; p < 0,05) diminuent de manière significative. L’état
anxieux a également tendance à s’améliorer entre les deux mesures (t = 1,84 ; p = 0,07). La
symptomatologie dépressive diminue entre T1 et T2 tandis que le sentiment de bien-
être augmente mais ces changements ne sont pas significatifs. Le sentiment de détresse,
exprimé par les membres de la famille par rapport à la charge que représente leur proche
porteur d’un handicap, diminue entre la première et la quatrième consultation mais, là
non plus, l’amélioration n’est pas significative. Les résultats concernant le fonctionne-
ment familial montrent une légère diminution de l’adaptabilité de la famille perçue
(t = 2,09 ; p < 0,05), mais aucun changement dans l’adaptabilité familiale idéale ou la
cohésion de la famille.

Discussion
Les résultats obtenus nous permettent de présenter un état des lieux des caractéristi-
ques psychologiques et familiales des familles qui participent à la CHF. Les patients
cérébrolésés et leurs proches qui sont accueillis dans le cadre de cette consultation font
état, en grande majorité, d’une détresse émotionnelle importante. On observe que, si la

Tableau 11.2.
Scores moyens et écarts-types des variables évaluées à T1 et à T2 dans le groupe CHF.
T1 T2
HADS
Symptomatologie anxieuse 11,67 (4,84) 9,79 (4,51)
Symptomatologie dépressive 8,62 (4,67) 7,21 (4,81)
STAXI-2
Niveau global de colère 26,26 (10,05) 22,70 (6,71)*
Sentiment de colère actuel 10,96 (4,04) 8,74 (3,02)**
Expression verbale 8,12 (3,66) 7,71 (3,04)
Expression physique 7,21 (3,01) 6,08 (1,64)*
Mauvillain
Bien-être 20,60 (5,49) 23,08 (8,38)
FACES III
Cohésion/famille perçue 33,20 (8,19) 32,40 (8,07)
Cohésion/famille idéale 42,14 (6,63) 42,33 (4,29)
Adaptabilité/famille perçue 26,48 (4,30) 24,71 (5,47)*
Adaptabilité/famille idéale 31,67 (7,26) 32,33 (6,44)
ZBI
Sentiment de détresse 39,23 (16,31) 34,38 (9,38)
HADS : Hospital Anxiety and Depression Scale ; STAXI-2 : State-Trait Anger Expression Inventory-2 ; FACES
III : Family Adaptability and Cohesion Evaluation Scale ; ZBI : Zarit Burden Interview.
* p < 0,05 ; **  p < 0,01.
La consultation Handicap et famille en pratique hospitalière : étude exploratoire 123

plupart des patients montrent une symptomatologie anxieuse et dépressive, c’est aussi
le cas des proches. Plus des trois quarts d’entre eux présentent un cas douteux ou avéré
d’état anxieux lors de la première consultation et près de la moitié un cas douteux ou
avéré de symptomatologie dépressive. Les familles confrontées au handicap d’un de
leur membre rapportent également un sentiment de détresse préoccupant : plus des
trois quarts des membres de la famille présentent un degré plus ou moins important
d’épuisement ou d’usure psychologique lié à la charge que représente l’accompagne-
ment au quotidien de leur proche. On retrouve donc, dans les familles participant à la
CHF, les caractéristiques déjà identifiées dans la littérature concernant les patients
cérébrolésés et leur entourage.
Les premiers résultats concernant l’impact de la prise en charge réalisée par la CHF
sont encourageants puisqu’ils vont dans le sens d’une amélioration du bien-être du
patient cérébrolésé et de sa famille. La participation à la CHF permet notamment d’at-
ténuer le sentiment de colère des patients et de leurs proches et l’expression physique
de celle-ci. La CHF modifie également en partie le fonctionnement familial. Le senti-
ment d’adaptabilité de la famille diminue légèrement entre la première et la quatrième
consultation : la famille semble donc moins encline à modifier ses règles de vie face à
une situation particulière. Pour l’ensemble des autres critères évalués (symptomatolo-
gie anxieuse et dépressive, bien-être, sentiment de détresse exprimé par les proches du
patient), on observe des changements positifs entre T1 et T2. Ceux-ci ne sont pas signi-
ficatifs sans doute en raison du trop petit nombre de familles ayant complété la
deuxième phase de l’étude à ce jour. Cette étude se poursuit donc actuellement au
niveau des réévaluations des familles du groupe CHF à la fois à T2 et à T3.
Évaluer objectivement l’efficacité d’une prise en charge semble incontournable à
l’heure actuelle. Pour être qualifié de scientifique, le travail du psychothérapeute doit
être soumis à une démarche évaluative. Mais cette démarche rencontre de grandes
difficultés dans le domaine que nous étudions ici. Les biais et limites sont nombreux.
En premier lieu, nous avons été confrontés à des difficultés liées à la constitution de
groupes comparables en situation de pratique quotidienne. En effet, le recrutement
des familles du groupe CHF a été relativement long en raison du mode de fonctionne-
ment de la consultation (une seule après-midi par semaine). Le recrutement des
familles du groupe contrôle a lui aussi été difficile et leur suivi (T2 et T3) quasiment
impossible. Ces familles sont celles qui ont rencontré un médecin MPR dans les mêmes
conditions que le groupe CHF, mais qui n’ont pas pu ou ont refusé de participer à la
CHF. Or nous ne connaissons pas les vraies raisons de ce refus qui peuvent être très
différentes selon les familles (éloignement géographique, refus catégorique de la prise
en charge…). La constitution du groupe contrôle peut donc constituer un des biais
possibles de cette étude.
De la même façon, on peut s’interroger sur les motifs pour lesquels plusieurs familles
du groupe CHF se sont arrêtées après une ou deux consultations. S’il est possible que
l’arrêt soit synonyme de « rétablissement », on peut aussi envisager le fait que ces
familles ont cessé de consulter parce qu’elles n’étaient pas satisfaites de la prise en
charge proposée. Nous ne disposons malheureusement pas de données suffisantes
pour répondre à cette interrogation. La méthodologie mise en place dans le cadre de
cette étude comporte d’autres limites. Par exemple, le choix de réévaluer les familles
lors de la quatrième consultation est peut-être contestable : malgré une moyenne de
quatre entretiens, chaque famille évolue différemment au cours de la CHF. Il pour-
rait donc s’avérer plus pertinent de proposer une évaluation après la dernière consul-
tation, qui n’est pas toujours la quatrième, mais parfois la sixième voire la dixième
séance.
124 M. Koleck et al.

En ce qui concerne les outils d’évaluation que nous avons retenus, ils paraissent adap-
tés dans l’ensemble : les mesures obtenues par les questionnaires semblent être en
adéquation avec les propos rapportés par les familles lors des consultations. Mais les
résultats correspondant à l’évolution du fonctionnement familial semblent décevants.
C’est probablement cette variable qui est à la fois la plus importante et la plus com-
plexe à analyser. L’outil choisi (FACES III), dont nous n’avons pas encore exploité tou-
tes les possibilités, n’est peut-être pas le plus adapté à cette situation. Quant au ZBI,
qui permet d’évaluer le sentiment de détresse de la famille confrontée au handicap
d’un de ses membres, il aurait sans doute mérité d’être adapté à la population d’aidants
de personnes handicapées afin d’obtenir des résultats plus fins.
Enfin, il est important d’évoquer les spécificités liées au modèle systémique qui doivent
être prises en compte dans la démarche évaluative. Un travail qualitatif impliquant
les différentes personnes intervenant autour du patient et de sa famille permettrait
­d’appréhender plus finement les bénéfices que peut apporter un suivi familial de ce
type.

Conclusion
Malgré d’importantes difficultés méthodologiques, l’analyse de l’évolution des familles
participant à la CHF confirme de manière objective l’intérêt d’une consultation systé-
mique au sein d’un service hospitalier de médecine physique et de réadaptation. Les
données de la littérature et les premiers résultats que nous avons obtenus montrent à
quel point les familles de patients cérébrolésés sont impliquées et concernées par les
conséquences du traumatisme crânien. Ce type de consultation semble donc être l’un
des principaux services auxquels doivent pouvoir accéder les familles confrontées au
handicap d’un de leurs membres. Les recherches doivent se poursuivre pour trouver
des indicateurs fiables et sensibles permettant d’étudier de façon plus précise ce type
de psychothérapie familiale.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des thérapeutes de la consultation Handicap et Famille,
notre secrétaire, L. Jameau, C. Le Gall et B. Quintard pour leur participation à l’étude.

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Psychothérapie neurosystémique :
résultats en pratique ambulatoire
L. Wiart1
1. Cabinet de médecine physique et de réadaptation, 55, rue Eugène-Jacquet,
33000 Bordeaux ; Réseau UEROS Aquitaine, hôpital Pellegrin, centre hospitalier
universitaire de Bordeaux, 33076 Bordeaux.

Le suivi psychothérapique des traumatisés crâniens en secteur de ville est un sujet


complexe, mal connu, voire controversé. Nous présentons une expérience de suivi
psychologique neurosystémique en secteur de ville en collaboration avec un service
d’accompagnement pour traumatisés crâniens. Tous les patients traumatisés crâ-
niens adressés de 2004 à 2008 ont été inclus. L’analyse a porté sur la présence de
troubles psychoaffectifs (dépression, anxiété, bipolarité, psychose) ou de troubles
comportementaux (agressivité, apathie, désinhibition, addiction), selon les critères
du DSM IV, 1 an au minimum après le début de la prise en charge. Les résultats ont
été classés en : très bons (disparition des troubles), bons (disparition d’au moins un
trouble), moyens (amélioration d’au moins un trouble), mauvais (pas d’améliora-
tion ou perdu de vue). L’analyse statistique a été effectuée en mode univarié par tests
non paramétriques. Quarante-sept patients ont été inclus : 35 hommes et 12 fem-
mes, âgés de 33 ans en moyenne. Le traumatisme datait en moyenne de 11 ans, avec
un score de Glasgow initial de 6,5, un score de handicap GOS à 3 dans 11 cas (23 %),
à 2 dans 23 cas (48 %) et à 1 dans 13 cas (27 %). La durée moyenne de suivi a été de
1,1 an, avec un recul moyen de 2,2 ans. Les résultats ont été très bons dans 6 cas
(13 %), bons dans 18 cas (38 %), moyens dans 10 cas (21 %) et mauvais dans 13 cas
(27 %). Il existe une amélioration significative globale des troubles psychoaffectifs
(p < 0,001), en particulier de l’anxiété (p < 0,001), de la dépression (p < 0,001) et de
l’agressivité (p < 0,01). Il  n’existe pas d’amélioration significative des troubles du
comportement, de la bipolarité, de la psychose, de l’apathie, de la désinhibition ou
de l’addiction. Au total, il s’agit de la première étude consacrée à la prise en charge
psychologique neurosystémique des traumatisés crâniens en secteur de ville. La fai-
sabilité est bonne, 72 % des patients ayant suivi la thérapie. Le résultat global est
satisfaisant avec une amélioration dans 73 % des cas, portant surtout sur l’anxiété la
dépression et l’agressivité.

Les troubles psychologiques ou neuropsychiatriques (affectifs et comportementaux) des


traumatisés crâniens graves représentent l’un des problèmes majeurs à la phase séquel-
laire, touchant 50 à 70 % d’entre eux [12,35,42] avec de graves conséquences sur la vie
personnelle, familiale et socioprofessionnelle [4,21,34,41,51]. À 1 an de l’accident, 40 %
d’entre eux présentent plus de deux symptômes psychiatriques [50]. Leur prise en charge
psychothérapique qu’elle soit de type psychodynamique individuelle [22,33,38,40], cogni­
tivocomportementale individuelle ou de groupe [2,7,8,13,17,24,26,36,45,46,48,51,52,53],
ou holistique [9,32,37] est recommandée par la plupart des auteurs [3,19,39,49], à condi-
Psychothérapie neurosystémique : résultats en pratique ambulatoire 127

tion d’adapter la technique aux troubles spécifiques du traumatisé crânien [1,5,20,25].


Depuis peu l’intérêt se porte aussi sur la prise en charge des familles et des aidants qui
sont maintenant inclus dans des programmes d’information et de soutien
[10,11,27,28,29,30,31,44], qui peuvent sous-estimer parfois la complexité des situations.
L’approche neurosystémique familiale développée par Destaillats et col [14,15,16] et
reprise par d’autres auteurs [6,30] permet un abord de la complexité de ces difficultés
selon trois dimensions : individuelle, institutionnelle et familiale. La technique d’entre-
tiens semi dirigés basée sur des hypothèses systémiques paraît particulièrement bien
adaptée à la situation de ces patients et de leur entourage. Après plusieurs années de
formation et de travail au sein de la consultation Handicap et Famille du CHU de
Bordeaux, nous avons souhaité étendre cette pratique à l’accompagnement individuel
de patients traumatisés crâniens en secteur ambulatoire. Nous présentons ici les résul-
tats d’une évaluation préliminaire sur les 5 premières années d’activité.

Matériel et méthodes
Nous avons inclus de façon consécutive tous les patients adressés à notre cabinet de
2004 à 2008 par le service d’accompagnement à domicile spécialisé SAMSAH TC géré
par l’association ADAPT de Bordeaux pour un suivi psychologique.
Les entretiens ont été menés par l’auteur selon les principes exposés dans les chapitres
précédents de cet ouvrage. L’analyse a été effectuée rétrospectivement en octobre 2009
en évaluant les symptômes en début de prise en charge, et avec un recul d’au moins 1 an
par rapport au début des troubles. Les symptômes ont été classés selon les critères du
DSM IV en deux catégories : troubles psychoaffectifs (anxiété, dépression, bipolarité,
psychose) et troubles du comportement (agressivité, désinhibition, apathie, addic-
tions). Le résultat de la prise en charge a été classé pour chaque cas en quatre catégories
en fonction de l’évolution des symptômes initiaux :

n mauvais : pas d’amélioration des symptômes ou patient perdu de vue ;


n moyen : amélioration d’au moins un symptôme ;
n bon : disparition d’au moins un symptôme ;

n très bon : disparition de tous les symptômes.

Pour chaque échec une analyse détaillée du cas a été effectuée à la recherche de facteurs
de causalité. Une analyse qualitative et quantitative univariée ainsi qu’une recherche de
corrélations ont été effectuées avec les tests non paramétriques du Chi2 de Pearson, de
Kruskal-Wallis et de Wilcoxon (logiciel SPSS 9.0).

Résultats
Patients
Quarante-sept patients ont été inclus dans l’étude (tableau 12.1) : 35 hommes (74 %) et
12 femmes (26 %), d’âge moyen : 33,4 ans. Ces patients ont été suivis de 2004 à 2008, et
tous victimes d’un traumatisme crânien grave datant de 11 ans en moyenne, avec un
score de Glasgow initial moyen de 6,5. Au moment de l’étude, le handicap était jugé
sévère (Glasgow Outcome Scale [GOS] 3) dans 23 % des cas et léger à modéré (GOS
1 et 2) dans 77 % des cas. Les patients sont célibataires dans 83 % des cas et en couple
128 L. Wiart

Tableau 12.1.
Population étudiée.
Sexe* H : 35 (74 %), F : 12 (26 %)
Âge moyen 33,4 ans ET : 9,1
Score Glasgow initial moyen 6,5 ET : 0,7
Délai post TC moyen 11,1 ans ET : 7,5
Antécédent de maltraitance infantile 27 (57 %)
(humiliations, violence, abus sexuels)
Glasgow Outcome Scale GOS 1 : 13 (27,7 %)
GOS 2 : 23 (48,9 %)
GOS 3 : 11 (23,4 %)
Lieu de vie Individuel : 21 (44,7 %)
Collectif : 21 (44,7 %)
Familial : 5 (10,6 %)
Statut marital Célibataire : 39 (83 %)
Couple : 17 (17 %)
Situation professionnelle Sans emploi : 29 (61,7 %)
Emploi adapté : 13 (27,7 %)
Formation : 3 (6,4 %)
Emploi ordinaire : 2 (4,3 %)
Traitements psychotropes initialisés 28 (59,6 %)
Répartition des traitements psychotropes Antidépresseurs : 42 %
Anxiolytiques : 15 %
Thymorégulateurs : 15 %
Antipsychotiques : 8 %
H : hommes ; F : femmes ; ET : écart-type, TC : traumatisme crânien.

dans 17 % des cas. Ils n’exercent pas d’activité professionnelle dans 61 % des cas, tra-
vaillent en secteur protégé dans 27 % des cas, sont en formation dans 6 % des cas et en
milieu ordinaire dans 4 % des cas. Le lieu de vie est un logement individuel dans 44 %
des cas, un logement collectif dans 44 % des cas et un logement dans la famille d’origine
dans 12 % des cas. Soixante pour cent des patients prennent des traitements psychotro-
pes : dans 42 % des cas des antidépresseurs, dans 15 % des cas des anxiolytiques, dans 15 %
des cas des thymorégulateurs et dans 8 % des cas des antipsychotiques.
En ce qui concerne les motifs de consultation, 46 patients (98 %) présentent au moins
un trouble psychologique et 37 (79 %) un trouble du comportement, les deux troubles
étant associés dans 38 cas (81 %). Les troubles dépressifs : 29 cas (61 %) et anxieux :
24 cas (51 %) sont les plus fréquents, alors que les troubles bipolaires : 9 cas (19 %) et
psychotiques : 3 cas (6 %) sont rares. Les troubles du comportement sont répartis de
façon homogène : inhibition 20 cas (42 %), agressivité 15 cas (32 %), désinhibition
13 cas (27 %), addiction 12 cas (25 %) [figure 12.1]. Dans les antécédents, on relève dans
57 % des cas des traumatismes infantiles graves : carences éducatives et affectives, humi-
liations, maltraitances ou abus sexuels.

Prise en charge
La durée moyenne de suivi psychothérapique est de 1,1 an, avec un recul moyen par
rapport au début de la prise en charge de 2,2 ans (tableau 12.2). Durant la période de
Psychothérapie neurosystémique : résultats en pratique ambulatoire 129

29
30

24
25

19 Avant suivi
20
NS
16 Après suivi
15
20 S
S
p < 0.001
p < 0.001
15
N patients,
Test de 15 13 11
11 NS 11
Wilcoxon 9 12
S NS
9
S
8 p < 0.001 NS
9 p < 0.01
NS 8
10

3 2
5
NS
1

0
Dépression Anxiété Bipolarité Psychose Aucun Inhibition Agressivité Désinhibition Addiction Aucun
Troubles psycho-affectifs Troubles du comportement
Figure 12.1. Évolution des principaux symptômes étudiés avant et après prise en charge.

Tableau 12.2.
Caractéristiques du suivi psychothérapique.
Durée moyenne du suivi 13,5 mois ET : 10,2
Recul moyen après la fin du suivi 2,2 ans
Nombre moyen entretiens individuels 9,8 ET : 7,8
Nombre moyen entretiens familiaux 1 ET : 1,4

suivi, les patients ont bénéficié de 9,8 consultations individuelles en moyenne et de


1 consultation avec un ou des membres de la famille.
Le résultat global est bon ou très bon dans 50 % des cas, moyen dans 21 % des cas et
mauvais dans 27 % des cas (tableau 12.3). Il est significativement corrélé à la durée du
suivi (p < 0,05), au nombre d’entretiens individuels (p < 0,01) ainsi qu’à la sévérité du
handicap GOS 3 (p < 0,05) (tableau 12.4). On note après la prise en charge une amélio-
ration significative des troubles psychoaffectifs qui disparaissent totalement chez
10 patients (p < 0,01) alors que les troubles du comportement ne disparaissent com-
plètement que dans 1 cas. Parmi les troubles psychoaffectifs, ce sont avant tout la
dépression et l’anxiété qui sont améliorées de façon significative (p < 0,001), disparais-
sant respectivement dans 14 cas (48 %) et dans 8 cas (33 %), les troubles bipolaires et
psychotiques n’étant pas améliorés de façon significative. Parmi les troubles du com-
portement, seule l’agressivité est significativement améliorée (p < 0,01) dans 6 cas
(40 %), l’inhibition, la désinhibition et les addictions demeurant inchangées.
Lorsqu’on analyse les cas d’échec, on observe que la durée moyenne de suivi et le nom-
bre de consultations sont environ la moitié de la moyenne de ces paramètres chez les
130 L. Wiart

Tableau 12.3.
Résultat global de la prise en charge.
Très bon (disparition des symptômes) 6 12,8 %
Bon (disparition d’au moins un symptôme) 18 38,3 %
Moyen (amélioration d’au moins un symptôme) 10 21,3 %
Mauvais (pas d’amélioration ou perdu de vue) 13 27,7 %

Tableau 12.4.
Corrélations statistiques entre variables indépendantes et résultat global.
Tests Valeur du paramètre p
Sexe Pe 7,7 0,06 NS
Âge moyen KW 4,3 0,2 NS
Score Glasgow initial KW 4,5 0,2 NS
Délai post TC KW 0,4 0,9 NS
Antécédent maltraitance Pe 5,5 0,1 NS
Glasgow Outcome Scale* Pe 13,4 0,04
Lieu de vie Pe 5,7 0,5 NS
Situation affective Pe 0,1 0,9 NS
Situation professionnelle Pe 5,2 0,8 NS
Durée du suivi KW 10,3 0,02
Traitements Pe 2,9 0,4 NS
Nombre entretiens individuels KW 13,3 0,004
Nombre entretiens familiaux KW 0,5 0,9 NS
KW : test de Kruskal Wallis ; Pe : Chi 2 de Pearson
* GOS 3 : meilleur résultat.

Tableau 12.5.
Principales causes d’échec.
Anosognosie 5 38 %
Absence de motivation du patient 4 30 %
Réticence familiale au suivi 2 16 %
Refus de sevrage alcoolique 2 16 %
Total 13

sujets améliorés, soit respectivement : 5 consultations contre 9,8 dans le groupe amé-
lioré, et 6,7 mois de suivi contre 13,5 mois dans le groupe amélioré. Les principales
causes d’échec (tableau 12.5) sont l’anosognosie dans 38 % des cas, et le défaut de moti-
vation du patient dans 30 % des cas. Les échecs surviennent la plupart du temps de
façon très précoce, parfois dès la première consultation, le patient prenant conscience
du travail qui va être proposé et le refusant en raison de l’anosognosie, d’une méfiance
ou de l’absence délibérée de volonté de changement. Les deux autres causes d’échec
sont la réticence familiale au suivi dans 2 cas et l’intensité de l’addiction avec un refus
catégorique de sevrage alcoolique dans 2 cas.
Psychothérapie neurosystémique : résultats en pratique ambulatoire 131

Discussion
La prise en charge psychologique des traumatisés crâniens est encore dominée pour des
raisons probablement culturelles par l’approche psychanalytique en France [19,38-40]
et par l’approche cognitivocomportementaliste dans les pays anglo-saxons [7,13,24,26].
Les deux techniques ont démontré un intérêt et une efficacité dans le cadre d’études
cliniques ou d’analyses de cas en secteur institutionnel. Depuis peu, la thérapie fami-
liale [11,27-31] et plus précisément la psychothérapie familiale systémique [19] est
recommandée en complément de la psychothérapie individuelle. Bien que théorisée et
mise en pratique depuis plus de 20 ans par notre équipe [14-16], la prise en charge neu-
rosystémique familiale n’avait pas fait l’objet d’étude clinique publiée jusqu’à présent.
En outre, alors qu’une majorité de patients sont suivis après leur sortie des institutions
par des psychiatres ou des psychologues libéraux, nous ne disposions d’aucune donnée
de la littérature sur leur résultat. Il s’agit donc, à notre connaissance, du premier travail
sur le suivi psychologique selon l’approche neurosystémique d’une série de patients
traumatisés crâniens en secteur ambulatoire.
Même s’il faut les interpréter avec une certaine prudence compte tenu de l’aspect rétros-
pectif de l’étude et de l’absence de groupe témoin, ces premiers résultats apportent un
certain nombre de données intéressantes.
En premier lieu, il faut souligner la bonne faisabilité de cette prise en charge comme en
témoigne le taux relativement modeste de perdus de vue (28 %) et le grand nombre
d’entretiens réalisés par patient : 11 (dont au moins un entretien familial) sur une
période de 13,5 mois en moyenne. On aurait pu craindre une médiocre compliance
dans cette population, compte tenu des troubles cognitifs et comportementaux. Ce
résultat peut s’expliquer par une bonne collaboration avec l’équipe du SAMSAH qui
réalise un travail de soutien et d’accompagnement important et par une bonne adapta-
tion de la technique d’entretien neurosystémique à ce type de patients. En effet, l’aspect
semi directif des entretiens et leur durée (45 à 60 minutes), les thèmes abordés (handi-
cap, vie affective, antécédents traumatiques, famille, sexualité…), ainsi que la prise en
compte des troubles cognitifs par le thérapeute sont, selon de nombreux témoignages
spontanés, très appréciés. Les troubles cognitifs ne sont pas un obstacle majeur à la
prise en charge à condition de bien les avoir identifiés et de les prendre en compte dans
les entretiens.
Il faut noter ensuite le bon résultat global de l’étude avec une amélioration des troubles
dans 73 % des cas, corrélée au nombre d’entretiens. Ceci plaide en faveur d’une certaine
efficacité de la thérapie même s’il faut tenir compte de l’effet bénéfique de la prise en
charge sociale du patient et du traitement médicamenteux durant la période de suivi. Il
existe probablement un effet synergique de ces prises en charges parallèles, comme
l’avait déjà retrouvé Soo [46] dans sa revue de la littérature concernant les TCC. Les
meilleurs résultats sont obtenus chez les patients les plus handicapés, classés GOS 3
(handicap sévère) par rapport aux patients classés GOS 2 (handicap modéré), les
patients les plus handicapés ayant souvent un moindre niveau de conscience du handi-
cap et des attentes moins grandes.
Sur le plan qualitatif, l’amélioration concerne plus particulièrement les troubles
dépressifs, anxieux et agressifs. Ces constatations ont a déjà été rapportées par
d’autres auteurs [7-9,48] dans le cadre de prises en charge cognitivocomportementales
ou plus récemment à la suite de séances musicothérapie [23,47]. Cette dernière appro-
che de type sensoriel paraît intéressante et fait évoquer d’autres techniques à média-
tion corporelle telles que l’hypnose ou l’EMDR que nous utilisons régulièrement,
mais qui n’ont pas encore fait l’objet d’étude spécifique chez le traumatisé crânien.
132 L. Wiart

Il s’agit ­certainement d’un vaste champ d’exploration à développer pour l’avenir. Le


rôle des traitements malgré l’absence de significativité statistique est aussi à prendre
en compte, deux tiers des patients ayant bénéficié d’une initiation ou d’une modifi-
cation de traitements antidépresseurs ou thymorégulateurs en début de prise en
charge. La plupart des études résumées dans la revue de la littérature de Richard et
Ferrapie [43] retrouvent en général une bonne efficacité des traitements médicamen-
teux sur les symptômes dépressifs, anxieux et sur l’agressivité, certains auteurs [18]
retrouvant parfois un faible bénéfice des médicaments par rapport aux approches
non médicamenteuses. Certains troubles du comportement tels que l’apathie et la
désinhibition ne sont pas améliorés par la prise en charge probablement en raison de
leur étiologie très organique. De la même manière, l’addiction est peu sensible à la
prise en charge individuelle nécessitant le recours à des structures spécialisées.
L’analyse au cas par cas des échecs et des perdus de vue a permis d’identifier plusieurs
causes : la première est incontestablement l’anosognosie. Celle-ci entraîne une incom-
préhension de l’intérêt de la psychothérapie et parfois des phénomènes de blocages
avec le thérapeute dans un contexte de rationalisation des troubles. Dans 3 cas, les
patients refusaient totalement de considérer leurs troubles cognitifs et projetaient
leurs difficultés sur leur entourage ou sur les soignants en général. La deuxième cause
est l’absence de motivation du patient, la prise en charge répondant davantage à une
demande de l’équipe ou de l’entourage (les conjoints) qu’à sa propre demande. Ces
patients n’étaient pas anosognosiques mais ils ne souhaitaient pas faire appel à un
psychothérapeute pour régler leur problème. Le refus de sevrage alcoolique rencontré
dans 2 cas procède du même processus.

Conclusion
Les résultats de notre étude, à interpréter avec les précautions méthodologiques d’usage,
sont incontestablement positifs, retrouvant une bonne participation des patients, une
amélioration de l’état psychologique dans deux tiers des cas, corrélée à la durée du suivi
et au nombre d’entretiens, concernant l’anxiété, la dépression et l’agressivité, alors que
l’apathie, la désinhibition et les addictions n’ont pas été améliorées. Même s’il reste des
points à améliorer, tels que les taux d’échec et de perdus de vue, l’approche neurosysté-
mique individuelle nous semble bien adaptée à l’accompagnement psychologique des
patients traumatisés crâniens en secteur ambulatoire. Des travaux complémentaires
avec groupe témoin sont à l’étude pour mieux valider cette hypothèse.

Remerciements
À J.-M. Mazaux pour ses conseils méthodologiques, l’analyse statistique et son soutien,
à E. Richer et à son équipe du SAMSAH TC pour leur confiance et notre riche collabo-
ration, à J.-M. Destaillats pour ses conseils théoriques et sa formation à la neurosysté-
mique, à J.-P. Mugnier pour sa patiente formation à la thérapie systémique.

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