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et cognition
COLLECTION OUVERTURES PSYCHOLOGIQUES
Des manuels de qualité (originaux en langue française et traductions des plus grands
ouvrages anglo-saxons), régulièrement mis à jour avec les données les plus récentes,
qui privilégient une organisation pédagogique progressive et offrent à l’étudiant de
nombreux outils d’apprentissage.
Dans cette collection, vous découvrez ainsi :
– K. Faniko, B. Dardenne, Psychologie du sexisme, 2021
– M. Hansenne, Psychologie de la personnalité, 2021
– N. Nader-Grosbois, Psychologie du handicap, 2020
– V. Yzerbyt, O. Klein, Psychologie sociale, 2019
– K. Faniko, D. Bourguignon, O. Sarrasin, S. Guimond, Psychologie de la discrimination
et des préjugés, 2018
La liste complète est disponible sur notre site web, www.deboecksuperieur.com
Patrick Lemaire
Docteur en psychologie de l’Université de Bourgogne, Patrick Lemaire a travaillé pendant
quatre ans aux États-Unis à l’Université de Carnegie Mellon et à l’Université de Princeton.
Chercheur au CNRS, il est aussi professeur de psychologie à l’Université d’Aix-Marseille et
membre de l’Institut Universitaire de France. Il est spécialiste de psychologie cognitive, et de
psychologie du développement et du vieillissement.
PATRICK LEMAIRE
Émotion
et cognition
Préface d’Isabelle Blanchette
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de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com
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OU
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QCM Vrai ou faux Flash-cards
Sommaire
Remerciements .................................................................................. IX
Préface .............................................................................................. XI
Pour réaliser cet ouvrage, j’ai bénéficié du soutien et des feedbacks de nombreuses per-
sonnes et institutions. D’abord, comme membre de l’Institut universitaire de France,
j’ai bénéficié d’une dispense partielle de mes charges d’enseignement. Ce temps dispo-
nible permet une lecture plus approfondie des travaux disponibles et une réflexion
qui contribue à présenter de manière accessible, tant dans l’organisation que dans
la formulation, les résultats fondamentaux des études parfois riches et complexes.
J’ai également toujours bénéficié du soutien du Centre national de la recherche scien-
tifique (CNRS) et de mon université, Aix-Marseille Université. Enfin, l’Agence natio-
nale de la recherche m’a apporté les financements de recherche qui m’ont permis non
seulement de conduire un programme de recherche classique extrêmement productif
sur le développement et le vieillissement cognitifs, en particulier dans le domaine de la
cognition numérique, mais également, depuis quelques années, un nouveau programme
de recherche relatif au rôle des émotions sur la cognition, à tous les âges de la vie.
Cet ouvrage a été lu ou relu tout ou partie par un ensemble d’amis et collègues, extrê-
mement généreux de leur temps et de leurs réflexions. Je les remercie chaleureusement
pour leurs précieux conseils et stimulantes réflexions. Il s’agit en particulier de mes
différents collaborateurs, doctorants et collègues (Clément Bolle, Isabelle Blanchette,
Serge Caparos, Hanna Chainay, Mikael Flatot-Blin, Camille Lallement, Tom Markarian,
Céline Poletti, Angélique Roquet). Leurs retours ont été très précieux pour améliorer
le produit final. Il s’agit également des nombreux étudiants de Licence et Master, dont
les feedbacks sur le cours « Émotion et Cognition » que je dispense à Aix-Marseille
Université, m’ont permis de calibrer le contenu et la forme pour rendre cet ouvrage
accessible au plus large public. Un remerciement tout particulier à Isabelle Blanchette,
de l’Université de Laval (Canada) pour la magnifique préface qu’elle a accepté de rédi-
ger et qui exprime son enthousiasme pour cet ouvrage.
Enfin, je remercie les éditions De Boeck et leur personnel (en particulier, Stéphanie
Dagrain et Anouk Verlaine) ainsi que leur relectrice (Sandra Mangoubi), très compé-
tent, disponible et réactif, pour m’avoir soutenu dans cette entreprise tout au long de
la conception et la réalisation de cet ouvrage.
Préface
Les émotions occupent une place centrale dans l’expérience quotidienne des individus
et marquent leur parcours de vie. Demandez à quelqu’un quelle a été la décision la
plus difficile à prendre de sa vie. Il s’agira sans doute d’une situation qui a mis en jeu
des émotions intenses. Invitez-le à vous raconter ses souvenirs les plus marquants.
Ce seront immanquablement des moments empreints d’émotions. Observez un peu
les gens, et vous constaterez qu’ils portent attention aux stimulus qui provoquent des
sensations fortes.
De l’attention à la prise de décision, en passant par la mémoire et le raisonnement,
le livre Émotion et Cognition offre de nombreux exemples de la puissante influence
exercée par les émotions sur les processus cognitifs. Il semble évident, ne serait-ce que
sur une base intuitive, que les émotions ont un profond impact sur les processus de la
pensée. Pourtant, ce champ d’études est relativement récent.
La psychologie cognitive, qui étudie les processus de la pensée à l’aide des outils de
la psychologie scientifique expérimentale, a longtemps ignoré l’influence des affects,
émotions et humeurs. Quelques raisons peuvent expliquer cet intérêt tardif. Les ordi-
nateurs n’ont pas d’émotions (enfin, pas encore, au moment d’écrire ces lignes). Or l’or-
dinateur a servi de modèle de base pour guider l’étude des processus cognitifs humains.
L’avènement de l’ordinateur, comme outil mais aussi comme métaphore, a fourni un
vocabulaire et une taxonomie pour décrire les processus cognitifs. Ceci a eu un puis-
sant effet catalyseur sur le développement des sciences de la pensée et a largement
contribué à la « révolution cognitive », avec ses répercussions dans tous les domaines
de la psychologie, et même au-delà. Aussi puissant soit ce modèle de l’ordinateur, il est
incomplet et a pu contribuer à reléguer les émotions à la marge. De plus, les ordinateurs
n’ont pas de corps ; or les émotions s’inscrivent dans le corps. La prise de conscience
de l’impact des émotions sur les processus cognitifs nous incite donc à considérer
comment les changements corporels se maillent aux opérations de la pensée.
Il serait exagéré de blâmer uniquement l’analogie avec l’ordinateur pour expliquer
l’oubli de l’influence potentielle de l’émotion sur la cognition. Bien avant la révolution
cognitive, les émotions ont été perçues comme relevant du subjectif, de l’arbitraire,
de l’imprévisible. Ceci les mettait d’emblée dans une catégorie de processus qui ne
peuvent pas être étudiés à l’aide des outils de la psychologie scientifique expérimen-
tale. Le livre que vous avez entre les mains fait la démonstration contraire. Il montre
à l’aide d’une multitude d’exemples la puissance de l’approche expérimentale, adoptée
XII ■ Émotion et cognition
le domaine. Il présente également les questions intuitives qui donnent une impulsion à
ce champ de recherche, ce qui devrait interpeller le lecteur novice.
Les chapitres au cœur du volume mettent en avant les nombreuses démonstrations
de l’influence des émotions sur trois grandes catégories de processus cognitif. Le cha-
pitre sur l’attention illustre l’impact des émotions sur les toutes premières étapes du
traitement de l’information, puisque les stimuli émotionnels sont priorisés et qu’ils ont
un accès privilégié à la conscience. Ce chapitre présente aussi l’impact de l’état affectif
d’une personne sur la performance et la capacité à alterner entre des tâches. Un cha-
pitre subséquent présente comment des différences individuelles liées à l’anxiété, au
vieillissement ou à la psychopathologie modulent l’effet des émotions sur l’attention.
Ces connaissances aideront assurément les praticiens à mieux saisir l’impact des émo-
tions sur le fonctionnement des individus.
Le chapitre sur la mémoire présente l’effet de supériorité du rappel pour les contenus
émotionnels. Le chapitre va au-delà de la simple démonstration et explore dans quelles
circonstances, et pour quel type d’information, les émotions améliorent la mémoire.
Le chapitre démontre aussi dans quelles conditions les émotions ont un effet délétère
sur la mémoire, soit en diminuant la quantité d’information rappelée, soit en augmen-
tant le rappel de fausses informations. Ce chapitre aborde aussi l’impact du stress sur
le rappel d’informations émotionnelles et neutres. Ces travaux, habilement résumés,
seront assurément utiles aux juristes et policiers qui doivent comprendre le fonction-
nement de la mémoire de témoins confrontés à des événements émotionnels intenses
et des situations stressantes.
Mon chapitre préféré, en toute objectivité, porte sur l’impact des émotions sur les pro-
cessus cognitifs de haut niveau. Le chapitre illustre la grande diversité de contextes
et de tâches qui ont permis de cartographier l’effet des émotions sur le jugement, la
prise de décision, la prise de risque et le raisonnement. L’effet des émotions sur ces
processus va au-delà de la simple congruence, c’est-à-dire l’optimisme des gens qui sont
joyeux et le pessimisme des personnes tristes. Il présente l’effet distinctif d’émotions
spécifiques telles que le dégoût, la tristesse ou la colère. Le chapitre décrit également
dans quelles circonstances le jugement et les autres processus de haut niveau sont les
plus susceptibles d’être infusés par les émotions et porte à l’attention du lecteur sur
la différence cruciale entre les émotions intégrales et incidentes. Ce chapitre met aussi
en lumière l’impact des processus inconscients et laisse entrevoir la profondeur des
interactions entre émotion et cognition.
Enfin le chapitre sur la régulation émotionnelle inverse la perspective et démontre
comment les processus cognitifs peuvent moduler l’expérience affective. Ici inter-
viennent les stratégies, les buts, les visées individuelles. C’est à travers ces stratégies et
ces choix que l’individu pourra intervenir volontairement dans cette valse complexe
entre émotion et cognition. L’individu n’est donc pas qu’un témoin passif de ces
influences, mais peut avoir un impact déterminant sur la trajectoire du traitement de
l’information, incluant l’information qui vient de son propre ressenti subjectif. Ceci est
illustré notamment avec les travaux sur l’impact des stratégies de régulation émotion-
nelle sur la performance cognitive. La régulation émotionnelle est une cible importante
de l’intervention psychothérapeutique. Dans le chapitre suivant, examinant les diffé-
rences individuelles dans ces processus, les travaux sur le vieillissement nous offrent
XIV ■ Émotion et cognition
une raison d’être optimistes, puisqu’il semble que les individus qui avancent en âge
priorisent davantage le traitement de l’information positive, sûrement une forme de
sagesse !
Patrick Lemaire réussit dans le dernier chapitre à faire une synthèse fort habile et très
utile de la somme colossale de travaux qu’il a présentée dans le livre. En fin psycho-
logue cognitif, il sait que les informations seront mieux retenues si elles sont intégrées,
associées, organisées. Le chapitre aide le lecteur à organiser les informations présen-
tées dans le volume selon de grandes questions transversales. Le chapitre ouvre aussi
la porte sur les perspectives de développement de notre domaine d’études.
On peut imaginer des développements excitants à la suite de la parution de ce manuel.
Je suis persuadée que le travail de Patrick Lemaire marquera le début d’une ère encore
plus foisonnante pour notre champ d’études, marquée par des découvertes importantes
et une multiplication des approches méthodologiques. On assiste déjà à l’utilisation
croissante des techniques associées aux neurosciences pour bonifier notre compré-
hension des mécanismes de base dans l’interaction cognition-émotion. On peut aussi
espérer une meilleure intégration de la dimension corporelle périphérique, pour mieux
rendre compte de toutes les composantes de la réponse émotionnelle. On peut anti-
ciper que certains travaux à venir ouvriront la porte à des applications concrètes dans
des domaines comme le soutien à la décision d’experts, l’éducation ou la psychologie
clinique. Des interventions efficaces pourraient découler de notre meilleure compré-
hension des interactions entre émotion et cognition.
Sur une note personnelle, je me réjouis que ce livre important pour notre champ
d’études soit publié d’abord en français, par un chercheur francophone de renom.
Ceci témoigne de l’importance de la communauté internationale diversifiée qui œuvre
dans le domaine et dans laquelle des chercheurs francophones occupent une place de
choix. Ce livre fournira des outils intellectuels pour mobiliser une communauté de
chercheurs, favoriser les échanges et catalyser le travail scientifique de grande qualité
dans des institutions à travers la francophonie.
Comme un tango qui ne peut être dansé en solo, émotion et cognition sont les deux par-
tenaires engagés de façon inextricable dans une danse complexe. La pensée humaine
ne peut être comprise sans l’apport de chacun de ces deux partenaires de cette danse.
Le lecteur peut se laisser guider en toute confiance par Patrick Lemaire qui, fort de
ses qualités pédagogiques, met son érudition et sa vision au service d’une description
réussie de cette danse.
Isabelle BLANCHETTE
Professeure titulaire,
École de Psychologie de l’Université Laval (Canada)
CHAPITRE 1
Introduction :
présentation
du domaine
Le premier chapitre présente le domaine, et pourquoi il est intéressant et
important, pour des raisons à la fois fondamentales et pratiques, de détermi-
ner comment les émotions affectent la cognition. Après avoir défini ce qu’est
une émotion, ce chapitre décrit les composantes (physiologiques, cognitives,
affectives et comportementales) des émotions. Ensuite, sont abordées les
questions de recherche fondamentale sur les relations entre les émotions
et la cognition. Puis sont décrites les principales méthodes utilisées par les
chercheurs pour étudier les liens entre les émotions et la cognition, ainsi que
les questions que chaque type de méthode permet d’aborder. Le chapitre se
termine par la présentation des fonctions cognitives étudiées dans ce livre.
SOMMAIRE
Les émotions jouent un rôle central dans la vie de tout être humain. Elles interviennent
dans nos actions, nos pensées et nos relations. Elles nous aident à détecter et repérer ce
qui est important, à mémoriser, à comprendre et à décider. Elles guident nos actions au
quotidien. Parce qu’elles sont centrales dans notre vie, les émotions sont étudiées par
toutes les disciplines des sciences cognitives et affectives (c.-à-d., psychologie, linguistique,
philosophie, sociologie, anthropologie, informatique, psychiatrie et neuropsychologie).
La psychologie des émotions est un vaste domaine qui a fait beaucoup de progrès ces
30 dernières années (voir Barrett, 2018 Barrett et al., 2016 ; Luminet et al., 2013 ;
Niedenthal & Ric, 2017 ; Sander & Scherer, 2019, pour des présentations générales).
Dans des recherches théoriques et empiriques, toujours de plus en plus nombreuses
et techniquement sophistiquées, les psychologues abordent de nombreuses questions
sur les émotions (voir Encadré 1.1 pour des exemples de questions). En cherchant à
répondre à ces questions, des progrès importants ont été réalisés pour déterminer ce
que sont nos émotions (leurs composants), quand nous éprouvons des émotions ou ce
qui les déclenche (leurs causes et leurs déterminants), pourquoi nous avons des émo-
tions (leurs fonctions), le caractère universel ou non des émotions (différences cultu-
relles, inter- et intra-individuelles, ou développementales) et l’impact des émotions
sur les autres fonctions psychologiques, comme la cognition. Dans cet ouvrage, nous
passons seulement en revue les travaux qui abordent les liens émotion/cognition. Ce
premier chapitre présente les questions de recherche relatives aux liens émotion/
cognition auxquelles les chercheurs tentent de répondre et les méthodes qu’ils utilisent
pour aborder ces questions. Dans un premier temps, nous donnons une définition
générale des émotions. Puis, nous présentons les grandes questions de recherche sur
les liens émotion/cognition et l’intérêt de ces questions. Enfin, nous présentons les
fonctions cognitives abordées dans cet ouvrage et sur lesquelles les psychologues ont
déjà accumulé suffisamment de données pour comprendre comment les émotions
affectent ces fonctions.
Encadré 1.1
Quelques questions générales sur les émotions
est souvent provoquée par la réalisation d’un but important ou la satisfaction d’un
besoin ; elle s’exprime par un visage souriant, une augmentation de la fréquence
fondamentale de l’étendue et de l’intensité de la voix, ainsi qu’une accélération du
rythme cardiaque et une augmentation de la température corporelle. La colère est
souvent déclenchée par un événement inattendu causé intentionnellement par une
autre personne et que nous percevons comme un obstacle à la réalisation d’un but
important et/ou la satisfaction d’un besoin. Elle s’exprime par un visage dur et tendu,
et s’accompagne d’une augmentation de la fréquence fondamentale, de l’énergie des
hautes fréquences et de l’intensité de la voix, ainsi que d’une accélération du rythme
cardiaque, d’une augmentation de la tension musculaire et de changements dans
la respiration. Quant à la tristesse, elle est souvent le résultat d’un événement qui
empêche, de manière prolongée, la satisfaction d’un besoin, que l’on perçoit comme
difficile, voire impossible à contrôler ; elle s’accompagne d’un sentiment d’impuis-
sance, d’une expression faciale avec les paupières qui retombent, d’une diminution
de la voix et du rythme de la parole, de tensions musculaires et d’envie de pleurer.
Enfin, dernier exemple, la peur est provoquée par un événement qui survient subi-
tement et que nous percevons comme menaçant pour notre survie ou notre intégrité
physique ou psychique ; elle s’accompagne d’une expression de terreur sur le visage,
d’une augmentation de la fréquence fondamentale et de la hauteur dans la voix, ainsi
que du débit de parole. Le rythme cardiaque s’accélère également, la respiration et la
température corporelle sont aussi modifiées, et la gorge se resserre. Cette diversité
des réponses psychologiques, comportementales et physiologiques associées à chaque
émotion est intéressante pour le psychologue qui veut comprendre les liens entre
émotion et cognition. En effet, par exemple, pour contrôler que le participant est
bien dans un certain état émotionnel pendant qu’il réalise une tâche cognitive, il peut
recueillir un ensemble de mesures dont la convergence indiquera avec plus de fiabilité
et de validité l’état émotionnel analysé.
Les émotions diffèrent de l’humeur (qui n’a pas forcément un objet précis et est plus
diffus et d’une durée plus importante) et des sentiments. Il existe plusieurs critères
sur la base desquels les émotions diffèrent des sentiments, comme leur intensité,
leur durée, leur objet, leur expression et manifestation (publique ou privée). Les
chercheurs ne sont pas forcément tous d’accord sur ces critères, mais convergent
pour dire qu’émotions et sentiments diffèrent, même s’il est possible que les deux
soient liés (p. ex., certains sentiments pourraient s’appuyer sur certaines émotions ;
Damasio, 2010, 2021).
Enfin, pour comprendre les émotions, les chercheurs essaient de déterminer non seu-
lement ce que sont les émotions, quand elles surviennent, comment elles sont déclen-
chées, les effets qu’elles peuvent avoir sur d’autres dimensions psychologiques, mais
également leurs fonctions (voir Scherer & Ekman, 1984, pour une discussion). Ainsi,
par exemple, les émotions peuvent orienter nos goûts, rendre la vie plus intéressante et
riche, nous aider à nous éloigner d’un danger, faciliter (ou entraver) la communication
entre individus et entre groupes, soutenir nos efforts dans la poursuite d’un but, nous
préparer à l’action, et nous servir ou nous aider à évaluer (des personnes, animaux,
objets, situations) afin d’ajuster nos comportements (p. ex., fuite en cas de danger)
et d’assurer notre survie et notre sécurité. Pas étonnant dans ce contexte qu’elles
influencent les fonctions cognitives.
Liens entre émotions et cognition : questions de recherche et intérêts ■ 5
Encadré 1.2
Exemples de quelques questions que se posent
les psychologues cherchant à comprendre les liens
entre émotion et cognition
Comme nous le verrons, pour chaque fonction cognitive, les psychologues se posent la
même question générale, au-delà des questions spécifiques. Les émotions affectent-elles
nos performances cognitives, et, si oui, dans quelles conditions, dans quelles propor-
tions et par quels mécanismes. Ainsi, les psychologues cherchent à savoir comment
nos capacités attentionnelles sont affectées par les émotions, comment nos perfor-
mances mnésiques changent selon notre état émotionnel, comment nous raisonnons,
jugeons et prenons des décisions sous émotion, et comment, dans tous ces domaines,
nous tentons de réguler nos émotions pour diminuer ou amplifier les effets des émo-
tions sur nos performances cognitives.
2.2. Intérêts
Chercher à comprendre si et comment les émotions influencent nos performances
cognitives est intéressant et important pour plusieurs raisons. D’abord, sur le plan empi-
rique, ceci contribue à mieux comprendre les déterminants des performances cogni-
tives. Pendant longtemps, les psychologues de la cognition se sont focalisés sur l’effet
de différents paramètres sur les performances cognitives. Ces paramètres concernent
notamment les caractéristiques des stimuli (p. ex., mots concrets vs abstraits), des
tâches (p. ex., tâches de rappel libre vs indicé), des situations (p. ex., nécessité d’aller
vite vs sans contrainte temporelle) et des participants (p. ex., experts vs non-experts).
Liens entre émotions et cognition : questions de recherche et intérêts ■ 7
Une émotion peut aussi être induite en faisant visionner un film aux participants avant
de leur demander d’accomplir une tâche cognitive (voir Gross & Levenson, 1995, pour
une revue). Certains films sont connus pour déclencher en nous de la colère (p. ex.,
scène du film Le Vieux Fusil où, au cours de la Seconde Guerre mondiale, un homme
découvre que sa femme et sa fille ont été massacrées par des SS), de la peur (p. ex., scène
du film Psychose, où une femme seule, dans un hôtel déserté, reçoit un coup de couteau
dans sa douche), de la tristesse (p. ex., scène du film Le Cercle des poètes disparus où un
étudiant se suicide) ou d’autres émotions. Les performances cognitives des participants
sont comparées après un extrait de film émotionnel et après un film neutre (p. ex., un
documentaire). Une variante est de présenter aux participants, avant la tâche cognitive,
une histoire ou un récit triste, joyeux ou neutre (e.g., Williams, 1980).
La même procédure (appelée MMIP, Musical Mood Induction Procedure ; voir Västfjäll,
2002 pour une revue) est utilisée avec de la musique ou des odeurs. De la même
manière que certaines odeurs sont associées à différentes valences émotionnelles (e.g.,
Billot et al., 2017), différentes musiques déclenchant en nous différentes émotions. Par
exemple, l’ouverture du Mariage de Figaro de Mozart, ou la chanson Yellow Submarine
des Beatles, nous mettent en joie, tandis que la Sonate pour Piano N° 14 de Beethoven,
la 9e Symphonie de Dvořák, ou bien encore la chanson Sometimes It Snows in April de
Prince suscitent de la tristesse, et d’autres musiques sont relativement neutres émo-
tionnellement (p. ex., Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy).
Une autre procédure d’induction émotionnelle consiste à réactiver des souvenirs émo-
tionnels personnels (autobiographiques) avant une tâche cognitive. Les participants
ont pour consigne de penser à un événement particulier, comme « Essayez de vous
souvenir du premier jour où vous êtes allés à l’école », ou de retrouver un « événement
heureux » ou à « un événement triste » qui leur est arrivé (voir Lerner & Keltner, 2001,
pour une revue). Les performances à une tâche cognitive sont comparées dans les
conditions où les participants doivent rappeler différents types d’événements.
Une autre procédure assez fréquemment utilisée dans les études sur les liens émotion/
cognition consiste à montrer pendant une durée assez courte des images aux partici-
pants avant chaque item d’une tâche cognitive. Les images sont connues pour être de
valence émotionnelle positive, négative ou neutre et d’intensité variable. La banque
d’images IAPS (International Affective Picture System ; Lang et al., 2008) fait partie
des banques d’images les plus utilisées. Les performances des participants à une tâche
cognitive sont comparées pour les essais où les images sont positives, négatives et
neutres. La même procédure (appelée la Procédure Velten) est utilisée avec des mots
(voir revue Kenealy, 1986) où les participants voient des mots à valence et intensité
émotionnelles variables.
Il est possible d’induire indirectement les émotions. Par exemple, en donnant des feed-
back de réussites ou d’échecs (indépendamment de la performance), les participants sont
amenés à ressentir des émotions positives ou négatives et, en conséquence, à obtenir des
performances différentes à une tâche cognitive (e.g., Geraci & Miller, 2013 ; Lemaire,
2021 ; Lemaire et al., 2019 ; Lemaire & Brun, 2018). Par exemple encore, la procédure
dite du Trier Social Stress Test (TSST ; Kirschbaum et al., 1993) induit du stress. Selon
cette procédure, les participants doivent d’abord préparer, pendant 2 minutes, un dis-
cours pour un entretien d’embauche au cours duquel il faut mettre en avant ses qualités
Comment l’effet des émotions sur la cognition est-il étudié ? ■ 11
Même s’il est vraisemblable que l’effet des émotions peut survenir de manière diffé-
rente lorsque les liens émotion/cognition sont étudiés par des procédures d’induction
émotionnelle et par la manipulation de la valence émotionnelle des stimulus, l’ensemble
de ces techniques permet de distinguer les situations où le chercheur va étudier le rôle
des émotions incidentes versus intégrales sur la cognition. Les émotions incidentes
sont les émotions que l’on ressent et qui sont provoquées/induites par une situation
indépendante de la tâche à réaliser et des stimulus à traiter (p. ex., anxiété ressentie
par quelqu’un à la personnalité anxieuse ; peur ressentie en voyant un film). La source
de ces émotions est donc exogène à la tâche à accomplir. Les émotions incidentes sont
déclenchées par les méthodes diverses d’induction (p. ex., visionner un film avant la
tâche cognitive, montrer des images avant chaque essai ; rappels autobiographiques
d’événements heureux/malheureux ; lecture d’histoires ou de récits avant un test cogni-
tif). Quant aux émotions dites intégrales, elles sont déclenchées par une tâche et/ou
les stimulus et informations à traiter pour accomplir la tâche (p. ex., anxiété provoquée
par les mathématiques). La source de ces émotions est endogène à la tâche. Elles sont
déclenchées quand le chercheur manipule le contenu émotionnel des stimulus à traiter
(p. ex., énoncés émotionnels dans une tâche de raisonnement ; choix entre alternatives
à valences émotionnelles différentes dans une tâche de prise de décision ; mots émo-
tionnels vs non émotionnels à mémoriser dans une tâche de mémoire épisodique).
12 ■ CHAPITRE 1 – Introduction : présentation du domaine
Exercez-vous en ligne
Vrai ou faux
www.lienmini.fr/7527-VF1
Flash-cards
www.lienmini.fr/7527-FC1
CHAPITRE 2
Émotion et attention
Ce chapitre passe en revue les travaux visant à déterminer comment les
émotions influencent l’attention. Chaque fonction principale de l’attention
(attention sélective, orientation, flexibilité, attention soutenue et divisée) est
étudiée. Pour chacune de ces fonctions sont présentées les méthodes utilisées
par les chercheurs, ainsi que les principaux et les plus importants résultats
concernant l’influence des émotions. Ainsi, sont décrits les effets des émo-
tions sur des mécanismes aussi variés que l’engagement et le désengagement
attentionnels ou l’inhibition, dans des tâches aussi diverses que des tâches de
détection après simple ou double indiçage ou de Running Span et de N-Back,
mais aussi sur des phénomènes aussi différents que les phénomènes de cligne-
ment attentionnel ou les effets Stroop.
SOMMAIRE
Nous sommes sans arrêt bombardés d’informations. Certaines sont utiles, d’autres
inutiles. Pour réaliser une tâche cognitive, et plus généralement atteindre un but, il
nous faut sélectionner une partie de ces informations. Il nous faut aussi sélectionner
quoi faire avec cette information (quels traitements lui appliquer). Une fois un trai-
tement sélectionné, il faut le mettre en œuvre. Enfin, il nous faut choisir et donner
une réponse. L’attention intervient à toutes les étapes du traitement de l’information,
depuis sa sélection parmi un flux important jusqu’à sa transformation et sa trans-
mission à d’autres individus. Les psychologues ont découvert que l’attention mobilise
plusieurs mécanismes dont les déclencheurs et les caractéristiques fonctionnelles
diffèrent. Par exemple, il est possible de distinguer l’attention endogène et l’attention
exogène. L’attention endogène est déclenchée par un élément interne au système cogni-
tif, comme ses buts et désirs, ses intentions ou ses états internes. L’attention exogène
est déclenchée par un élément externe au système cognitif, comme un stimulus ou une
situation.
Il est par ailleurs possible de distinguer l’attention sur la base des fonctions qu’elle
accomplit. Ainsi, différents mécanismes servent l’attention soutenue (ou la concentra-
tion prolongée), l’attention sélective (ou la capacité à sélectionner un stimulus ou un
aspect pertinent de l’environnement pour accomplir une tâche cognitive), l’orientation
de l’attention (ou la capacité à diriger rapidement son attention vers une information
ou un traitement), l’attention partagée (ou la capacité à diviser ses ressources atten-
tionnelles entre plusieurs tâches, plusieurs informations ou plusieurs dimensions d’un
stimulus), la flexibilité attentionnelle (ou la capacité à alterner entre deux tâches, deux
représentations mentales ou deux stratégies) et l’attention préparatoire (permettant au
système cognitif de se préparer à traiter efficacement un stimulus). Chaque fonction
intervient dans des contextes différents, est étudiée avec des tâches spécifiques, est
influencée par des facteurs communs ou différents et évolue avec l’âge et la psychopa-
thologie de manière différente (voir revues par Fawcett et al., 2015 ; Lachaux, 2011 ;
Maquestiaux, 2017 ; Nobre & Kastner, 2018).
Les psychologues qui étudient le rôle des émotions sur l’attention se sont surtout
focalisés sur l’attention sélective et l’orientation de l’attention (Compton, 2003 ; Yiend,
2010). Mais, il existe également de nombreuses études sur un ensemble de mécanismes
qui interviennent dans le contrôle attentionnel, comme la flexibilité ou le partage
attentionnel. De la même manière que pour les autres grandes fonctions cognitives, les
psychologues demandent aux participants de réaliser des tâches mobilisant l’attention,
dans des contextes émotionnels variables. Ces tâches sont connues, grâce aux travaux
antérieurs en psychologie cognitive de l’attention, du point de vue des mécanismes
mobilisés et des fonctions réalisées, ainsi que des variables qui affectent les perfor-
mances. Les contextes émotionnels dans lesquels ces tâches sont réalisées peuvent
être manipulés en faisant varier la nature des stimulus (p. ex., stimulus émotionnels vs
neutres) ou, plus rarement, l’état émotionnel du participant, ce dernier étant davantage
étudié grâce à la psychopathologie (p. ex., étude du rôle de l’anxiété sur l’attention chez
des patients hyperanxieux). Empiriquement, il s’agit de voir comment ces contextes
émotionnels facilitent ou perturbent les performances des participants et modifient
la mobilisation des systèmes attentionnels. Théoriquement, il s’agit de déterminer par
quels mécanismes ces effets des émotions sur l’attention surviennent.
Émotions et attention sélective ■ 17
Dans un premier temps, nous présentons les principaux résultats relatifs au rôle des
émotions sur l’attention sélective. Puis, nous discutons les travaux sur le rôle des émo-
tions sur le shifting et l’orientation de l’attention.
de la valence des mots émotionnels est plus importante comme elle contraste avec une
valence neutre dans un mot sur deux ; elle attire vraisemblablement plus l’attention des
participants qui sont alors retardés dans l’identification de la couleur de l’encre.
735
725
715
705
695
Émotion neutre Émotion négative Émotion positive
940 Neutre
Émotionnel
920
Temps de latence (en ms)
900
880
860
840
820
800
Pure Mixte
Figure 2.1
Effets Stroop émotionnels.
Le temps de dénomination de la couleur de l’encre d’un mot était plus long lorsque ce mot était un
mot émotionnel que lorsqu’il était un mot neutre.
Hart et al. (2010) ont testé la modulation de l’effet Stroop, non pas par une manipu-
lation de la valence émotionnelle des stimulus, mais par une procédure d’induction
Émotions et attention sélective ■ 19
émotionnelle. Ils ont donné à leurs participants une tâche de Stroop numérique. Les
participants voyaient des chiffres (p. ex., 2, 3, 4) à l’écran en nombre variable. Ils
devaient indiquer le nombre de chiffres présentés. Le nombre de chiffres était iden-
tique au nombre indiqué par les chiffres présentés (p. ex., le chiffre 3 était présenté
trois fois) sur les essais congruents ou différents (p. ex., le chiffre 3 apparaissait 4 fois)
sur les essais incongruents. Ils ont également présenté des formes neutres (des étoiles)
dans une condition contrôle. Pendant 150 millisecondes, juste avant l’apparition des
collections, les participants voyaient deux types d’images, des images négatives (une
arme pointant dans la direction du participant) ou une image neutre (p. ex., un enfant
tenant une glace). Les effets Stroop (c.-à-d., temps plus longs aux essais incongruents
qu’aux essais congruents) étaient plus importants pour les items précédés d’une image
négative que pour les items suivant une image neutre (Figure 2.2). Ceci résulte d’une
augmentation du temps plus important sur les essais incongruents que sur les essais
congruents, comme si l’émotion négative déclenchée par les images négatives avait
perturbé les mécanismes d’inhibition (permettant de ne pas faire attention aux chiffres
et de se focaliser sur le nombre de chiffres).
950
Neutre
900
Négatif
Temps de réponse (en ms)
850
800
750
700
650
Congruent Incongruent Étoiles
Figure 2.2
Effet Stroop numérique avec amorçage émotionnel sur temps de réponse (d’après Hart et al., 2010).
Les participants étaient ralentis après une image émotionnellement négative sur les items incongruents.
Les effets Stroop émotionnels ont également été observés lorsque les stimulus n’étaient
pas des mots ou des nombres, mais des visages. Les participants ont en général à
identifier l’émotion d’un visage sur lequel apparaît aussi un mot émotionnel qui peut
être congruent à l’émotion exprimée par le visage (le mot triste apparaît sur un visage
triste) ou incongruent (le mot gai présenté sur un visage triste). Les auteurs ont là aussi
observé que les participants sont plus lents sur les items incongruents que sur les
items congruents (e.g., Egner et al., 2008 ; Etkin et al., 2006, 2010, 2011).
L’influence des émotions sur les effets d’interférence dans des tâches de conflit (comme
la tâche de Stroop) a été observée avec les autres tâches de conflit, comme la tâche
de Flanker (e.g., Kanske & Kotz, 2011a, 2011b ; Rowe et al., 2007 ; Zinchenko et al., 2015)
et la tâche de Simon (Padmala et al., 2011 ; Sommer et al., 2008). Par exemple, dans une
20 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
tâche de Simon émotionnelle, Ahmed et Sebastian (2019 ; Sebastian et al., 2017) ont
montré à leurs les participants des paires de visages (le visage d’un homme et le visage
d’une femme). Ces visages exprimaient le calme, la colère ou la peur (voir Figure 2.3a).
Chaque visage était présenté incliné à droite ou à gauche. Pour chaque paire de visages,
les participants devaient détecter le visage de l’homme ou celui de la femme et indiquer
s’il était incliné vers la droite ou vers la gauche. Les auteurs ont comparé les essais dits
compatibles (p. ex., le visage cible était présenté à gauche et incliné à gauche ; les parti-
cipants devaient donc répondre à gauche) ou incompatibles (p. ex., le visage cible était
présenté à droite et incliné à gauche ; les participants devaient répondre à gauche).
a)
b)
900
Compatibles
860 Incompatibles
Temps de réponse (en ms)
820
780
740
700
Calme Peur Colère
Figure 2.3
Effets d’incompatibilité émotionnelle (d’après Ahmed & Sebastian, 2019).
(a) Illustration d’essais compatibles émotionnels (à gauche ; le participant devait indiquer
que le visage de l’homme était incliné à droite) et incompatible émotionnel (à droite ;
le participant devait indiquer de quel côté penchait le visage la femme ; reproduit
avec autorisation). (b) Temps de réponse (en ms) aux essais compatibles et incompatibles selon
l’expression émotionnelle du visage cible. L’effet de compatibilité (incompatibles – compatibles)
diminuait pour les visages émotionnels.
Émotions et attention sélective ■ 21
Les données (voir Figure 2.3b) font apparaître des effets dits d’incompatibilité (dif-
férences entre essais incompatibles et compatibles) plus importants pour les visages
cibles avec expression émotionnelle que pour les visages cibles calmes (aucune diffé-
rence significative entre la peur et la colère). Ceci provenait d’une augmentation du
temps de réponse aux essais compatibles pour les visages avec expressions émotion-
nelles. L’émotion a attiré l’attention des participants qui devaient inhiber le traitement
de l’émotion pour se focaliser sur le traitement de l’inclinaison du visage, ce qu’ils fai-
saient plus rapidement pour les visages à expression calme dans les essais compatibles
(l’émotion n’a pas eu d’effet sur les essais incompatibles).
En résumé, les travaux ayant utilisé les tâches de conflit ont fait apparaître que nos
capacités d’attention sélective sont influencées par la valence émotionnelle des stimulus
ou notre état émotionnel. D’une part, un stimulus ayant une valence émotionnelle attire
notre attention même s’il n’est pas pertinent pour réaliser une tâche, ce qui nous oblige
à déployer des ressources attentionnelles (en particulier) inhibitrices supplémentaires
pour nous focaliser sur – et sélectionner – la dimension pertinente du stimulus à traiter.
D’autre part, dans un état émotionnel négatif, nous avons plus de difficulté à inhiber le
traitement d’une dimension non pertinente d’un stimulus ou une activité inappropriée.
Ces effets des émotions sur la capacité d’inhibition, cruciale en attention sélective,
convergent avec ceux observés dans d’autres tâches mobilisant l’attention sélective,
comme des tâches dites de Stop-Signal ou des tâches de sélection dimensionnelle. Dans
les tâches de sélection dimensionnelle, plusieurs dimensions du stimulus entrent en
conflit dans l’évaluation d’un stimulus et le participant doit inhiber les dimensions non
pertinentes, comme la valence émotionnelle, et se focaliser sur une dimension perti-
nente, comme une lettre sur une image à catégoriser (voir Carretié, 2014, pour une
revue). Par exemple, le participant peut avoir à juger la couleur et négliger l’orientation
d’une forme. Par exemple encore, le participant peut avoir à indiquer la couleur d’une
ligne apparaissant sur une image émotionnelle ou à dire si une lettre présentée sur une
image émotionnelle est une voyelle ou une consonne, en ayant pour consigne d’ignorer
l’image. Les résultats empiriques ont fait apparaître que nos émotions affectent l’effica-
cité avec laquelle nous sélectionnons une dimension pertinente et que cet effet peut être
modulé par différents paramètres, comme la proportion d’items émotionnels/neutres
(Schmidts et al., 2020) ou le fait que le participant doive réaliser la même tâche pendant
plusieurs essais successifs ou changer de tâche à chaque essai (Foerster et al., 2020).
Par exemple, Sanger et collaborateurs (2014) ont observé que le stress perturbe net-
tement l’attention sélective dans ce genre de tâche où il est crucial de sélectionner la
dimension pertinente du stimulus. Les auteurs ont donné à leurs participants une tâche
de détection de changement de luminance. Les participants voyaient d’abord deux barres
présentées à droite et à gauche de l’écran pendant 100 millisecondes. L’une des deux
barres était noire, l’autre blanche. Ensuite, les participants voyaient un signe « + » avec
à nouveau deux barres. Sur certains essais, la luminance d’une des deux barres avait
changé entre les deux présentations successives des deux barres. Sur d’autres essais,
la luminance ou l’orientation d’une des deux barres avaient changé. Enfin, sur d’autres
essais encore, la luminance avait changé sur l’une des deux barres et l’orientation sur
l’autre barre. La détection du changement de luminance entre les deux présentations
était la plus facile lorsque la luminance seule changeait sur l’une des barres (condition
22 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
dite de luminance unilatérale). Cette détection était un peu plus difficile sur le deuxième
type d’essais (condition dite de luminance ou orientation unilatérales), car il fallait sélec-
tionner seulement le changement de luminance (et négliger le changement d’orientation)
sur la barre qui différait entre les deux présentations. Enfin, cette détection était la plus
difficile sur le dernier type d’essais (condition dite luminance et orientation bilatérales),
car les deux barres avaient changé, et il fallait se focaliser et sélectionner celle sur
laquelle la luminance différait. Avant cette tâche, les participants étaient aléatoirement
répartis dans une condition de stress ou dans une condition contrôle. Dans la condition
de stress, les auteurs ont demandé aux participants de tremper l’un de leurs avant-bras,
pendant 3 minutes, dans de l’eau très froide (entre 0 et 3 °C). Les participants devaient
pendant cette immersion regarder une caméra qui les filmait. La consigne précisait éga-
lement que les films seraient ensuite analysés pour évaluer leurs expressions faciales
pendant cette immersion. Cette procédure (appelée SPECT, pour Socially Evaluated Cold
Pressure Test, ou SPECT ; Schwabe et al., 2008) est connue pour produire un stress impor-
tant. Dans la condition contrôle, les participants devaient tremper leur avant-bras droit
ou gauche dans une eau tiède (35-37 °C) et n’étaient pas filmés.
Les résultats (Figure 2.4) ont fait apparaître que les participants faisaient le plus d’er-
reurs (a) sur les essais les plus difficiles (condition luminance et orientation bilatérales) et
le moins d’erreurs sur les essais les plus faciles (condition luminance unilatérale) (b) dans
la condition de stress que dans la condition contrôle, et (c) augmentaient plus fortement
leurs taux d’erreurs en fonction de la difficulté des essais dans la condition de stress que
dans la condition contrôle, de sorte que la différence entre la condition contrôle et la
condition de stress était la plus importante sur les essais les plus difficiles. Le stress acca-
parant une partie des ressources de traitement, les participants pouvaient allouer moins
de ressources à la tâche principale (et donc commettaient plus d’erreurs), et ce d’autant
plus que les essais étaient difficiles (et nécessitaient plus de ressources).
45
40
Contrôle Stress
35
Pourcentages d’erreurs
30
25
20
15
10
5
0
Luminance unilatérale Luminance ou orientation Luminance et orientation
unilatérale bilatérales
Figure 2.4
Effets du stress (d’après Sanger et al., 2014). Pourcentages d’erreurs pour chaque type d’items
en condition de stress et contrôle.
La différence dans les taux d’erreurs entre les conditions contrôle et stress était plus grande pour les items
les plus difficiles (c.-à-d., la luminance changeait sur une barre et l’orientation sur l’autre).
Émotions et orientation de l’attention ■ 23
Des effets délétères des émotions ont également été observés dans des tâches de Stop-
Signal. Dans ces tâches, les participants doivent s’empêcher de donner une réponse
initiée. Par exemple, ils doivent s’empêcher de dire si le stimulus présenté est un @ ou
un # en appuyant sur une touche correspondante de l’ordinateur si un signal sonore
apparaît quelques millisecondes après l’apparition du stimulus et, donc, après avoir
commencé à le traiter. Par exemple, Verbruggen et De Houwer (2007) ont observé que
les participants avaient plus de mal à stopper leurs réponses aux items où ils devaient
s’empêcher de répondre lorsque ces items étaient précédés d’une image émotionnelle
(positive ou négative) comparés aux items précédés d’une image neutre. Les auteurs ont
expliqué ce résultat en proposant que les émotions interrompent les mécanismes cogni-
tifs en cours, car elles accaparent les ressources de traitement et donc les détournent
de ces traitements.
En résumé, que ce soit avec des tâches de conflit ou d’autres tâches d’attention
sélective, les émotions perturbent les mécanismes permettant d’inhiber des infor-
mations non pertinentes ou d’interrompre une réponse déjà déclenchée. Les res-
sources accaparées par les émotions activées ou le traitement des informations
émotionnelles ne peuvent être entièrement allouées à la tâche d’attention sélective,
qui en est ralentie.
collections de fleurs), une collection homogène et une collection hétérogène. Dans les
collections hétérogènes, se trouve une image différente de toutes les autres (p. ex., l’un
des visages a une expression triste et tous les autres visages une expression neutre ;
l’une des images est celle d’un serpent, toutes les autres images sont des fleurs). Dans
la collection homogène, toutes les images sont les mêmes (p. ex., toutes les images
montrent la même fleur) ou représentent une entité de la même catégorie (p. ex.,
chaque image représente une fleur différente). Le participant doit sélectionner la collec-
tion hétérogène (c.-à-d., « dire dans quelle collection se trouve l’image différente de tous
les autres »), en appuyant sur la touche du clavier située du côté où la collection hété-
rogène apparaît. Là encore sont comparées les performances des participants lorsque
l’image différente des autres dans la collection hétérogène est une image émotionnelle
et une image neutre. De nombreuses études ont fait apparaître que les participants
vont nettement plus vite pour donner leur réponse lorsque l’image cible est émotion-
nelle que lorsqu’elle est neutre, aussi bien dans la tâche où ils doivent rechercher et
détecter une image différente dans une collection d’images que dans la tâche où ils
doivent comparer deux collections d’images.
Figure 2.5
Exemples de stimulus en tâche de recherche visuelle.
Collections d’images utilisées dans des tâches de recherche visuelle où le participant doit dire
si toutes les images sont les mêmes (comme dans les deux collections du haut) ou si une des images
est différente des autres (comme dans les deux collections du bas).
Émotions et orientation de l’attention ■ 25
Par exemple, dans une série d’expériences, Fox et ses collaborateurs (2000, 2005, 2007)
ont montré à leurs participants des collections de visages schématiques (comme dans la
Figure 2.5, à droite). Dans les collections homogènes, tous les visages étaient identiques
(c.-à-d., uniquement des visages neutres, gais, ou en colère), tandis que les collections hété-
rogènes comprenaient un visage différent des autres (p. ex., un visage gai et trois visages
neutres ; un visage triste et trois visages neutres). Pour chaque collection, les participants
devaient dire si tous les visages présentés étaient les mêmes ou si l’un des visages était
différent. Les collections apparaissaient à l’écran de l’ordinateur pendant 300 millise-
condes ou 800 millisecondes. Une fois les visages disparus de l’écran, les participants
avaient 2 000 millisecondes au maximum pour fournir leur réponse.
Sur les collections homogènes (c.-à-d., où les visages étaient tous les mêmes), les parti-
cipants allaient plus lentement lorsque les visages exprimaient une colère que lorsque
les visages étaient neutres ou gais, à 300 millisecondes (voir Figure 2.6). À 800 mil-
lisecondes de présentation, les participants prenaient plus de temps pour juger les
collections de visages en colère et gais que pour juger les collections de visages neutres.
De manière intéressante, à 300 millisecondes, les visages en colère ont attiré l’attention
des participants davantage que les autres visages, et les participants les ont traités plus
longuement. À 800 millisecondes, ce surplus d’attention alloué aux visages émotion-
nels par rapport aux visages neutres était observé pour les visages en colère comme
pour les visages gais. Concernant les collections où l’un des visages exprimait une
émotion différente (collections hétérogènes), les participants allaient plus vite lorsque
l’un des visages était en colère (et les autres neutres) que lorsque l’un des visages était
gai (et les autres neutres), aussi bien à 300 qu’à 800 millisecondes de présentation. Tout
se passe comme si les participants étaient plus rapides à détecter un visage émotionnel
parmi des visages neutres si ce visage est en colère que si ce visage est gai. Le carac-
tère menaçant d’un visage en colère pourrait bien être à l’origine de cette détection
plus rapide, car un visage menaçant pourrait être associé à un danger, qu’il importe
de détecter rapidement. En d’autres termes, un stimulus émotionnel peut être détecté
plus rapidement dans un environnement neutre, surtout si ce stimulus est menaçant.
Ce phénomène de capture attentionnelle d’un stimulus émotionnel négatif parmi un
ensemble de stimulus émotionnellement neutres a été répliqué de nombreuses fois (e.g.,
Brosch et al., 2008 ; Damjanovic et al., 2020 ; Eastwood et al., 2001 ; Folk et al., 1992 ;
Horstmann, 2009 ; Juth et al., 2005 ; Lundqvist et al., 1999, 2004 ; Öhman, Flykt, et
al., 2001 ; Öhman, Lundqvist, et al., 2001a, 2001b ; Pool et al., 2014, 2016 ; Tipples
et al., 2002 ; Tipples & Sharma, 2000 ; Williot & Blanchette, 2018, 2020). Plusieurs
résultats ont montré que cette capture attentionnelle exercée par les stimulus émo-
tionnels semble en fait automatique, car la détection d’un stimulus émotionnel n’est pas
influencée par le nombre de stimulus non émotionnels qui l’entourent. Par exemple,
Öhman et al. (2001a) ont montré à leurs participants des collections contenant quatre
ou neuf images. La moitié des collections était des collections hétérogènes (c.-à-d., une
des images était différente des autres), l’autre moitié des collections homogènes (c.-à-d.,
toutes les images étaient les mêmes). Les participants devaient dire si toutes les images
de chaque collection étaient les mêmes ou si l’une était différente. Les auteurs ont
comparé les performances des participants aux collections hétérogènes lorsque l’image
différente était celle d’une entité effrayante (p. ex., serpent, araignée) et lorsqu’elle était
celle d’une entité non effrayante (p. ex., fleur, champignon).
26 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
1 000
900
850
800
750
300 ms 800 ms
990
Colère Gai
960
Temps de latences (en ms)
930
900
870
840
810
780
750
300 ms 800 ms
Figure 2.6
Performances en tâche de détection (d’après Fox et al., 2000).
Temps de jugement sur les collections (a) homogènes et (b) hétérogènes selon la valence
émotionnelle, à 300 et 800 ms de présentation. Les participants étaient plus lents sur les collections
homogènes montrant des visages en colère pendant 300 ms et plus rapides sur des visages neutres
présentés pendant 800 ms. Ils étaient également plus rapides pour détecter un visage en colère
dans les collections hétérogènes apparaissant pendant 300 et 800 ms.
Émotions et orientation de l’attention ■ 27
1 150
Cibles non effrayantes
1 100
Cibles effrayantes
Temps de jugements
1 050
1 000
950
900
850
4 Images 9 Images
Figure 2.7
Taille des collections et détection (d’après Öhman et al., 2001a).
Temps de jugement sur des collections hétérogènes comprenant 4 ou 9 images, pour les items
avec cibles effrayantes ou non effrayantes. L’accélération du temps de jugement sur les cibles
effrayantes apparaissait indépendamment de la taille des collections.
Les temps de jugement sur les collections hétérogènes (voir Figure 2.7) ont fait appa-
raître que les participants ont obtenu de meilleures performances pour les collections
contenant moins d’images que pour celles en contenant plus. Mais, dans les deux cas,
les participants allaient plus vite et faisaient moins d’erreurs lorsque les cibles étaient
effrayantes que lorsqu’elles ne l’étaient pas. Ainsi, les participants allaient plus vite
pour détecter qu’une collection contenait une image différente des autres quand
cette image était celle d’un serpent que quand cette image était celle d’une fleur ou de
champignons, quel que soit le nombre d’images dans une collection. Le serpent étant
menaçant, l’attention des participants a été attirée plus vite par cet élément et s’y est
focalisée, les conduisant à détecter plus rapidement qu’il faisait partie d’une collec-
tion hétérogène, et ce, quel que soit le nombre d’images dans la collection présentée.
De manière intéressante, les participants étaient aussi rapides à détecter une cible
effrayante sur les collections contenant neuf images et sur celles avec quatre images.
Ceci suggère que la détection d’une cible effrayante est assez automatique pour ne
pas être influencée par le nombre de distracteurs (voir, pour des résultats similaires,
Batty et al., 2005 ; Calvo & Eysenck, 2008 ; Calvo & Nummenmaa, 2007 ; Duchowski
et al., 2004 ; Eastwood et al., 2001 ; Fox et al., 2001 ; Fox et al., 2000 ; Frischen et al.,
2008 ; Juth et al., 2000, 2005 ; Loschky & McConkie, 2002 ; Reingold et al., 2003 ;
Waters et al., 2007 ; Williams et al., 2005).
Par ailleurs, des chercheurs se sont demandé si tous les stimulus menaçants attirent
l’attention de la même manière. Pour le déterminer, Fox, Griggs et Mouchlianitis,
(2007), par exemple, ont comparé l’influence de deux types de stimulus menaçants,
certains correspondant à des entités vivantes (p. ex., serpent), d’autres à des objets
(pistolets). L’idée était que les stimulus menaçants manufacturés, comme un pistolet,
pourraient attirer l’attention moins rapidement que des stimulus menaçants vivants,
28 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
comme le serpent. Les auteurs ont montré à leurs participants des collections de
cinq images soit homogènes (toutes les images montraient des instances de la même
catégorie), soit hétérogènes (l’une des cinq images montrait une instance d’une caté-
gorie différente de celles des quatre autres images). Dans les collections hétérogènes,
l’image différente était celle d’une entité non menaçante (p. ex., fleur, champignon)
ou d’une entité menaçante (p. ex., pistolet, serpent). Les participants allaient plus
lentement pour des cibles neutres (fleurs, champignons) que pour des cibles émotion-
nellement négatives (pistolets, serpents). En revanche, les participants n’allaient pas
plus vite pour des cibles négatives vivantes, comme le serpent, que pour des cibles
négatives manufacturées, comme le pistolet (Figure 2.8). Notons toutefois que Lipp
et Waters (2007) ont observé une détection plus rapide pour des animaux, comme
les araignées ou les serpents, fortement associés à de la peur, que pour des animaux,
comme le lézard ou le cafard, moins fortement associés à la peur.
740
720
Temps de jugement (en ms)
700
680
660
640
620
600
Pistolets Serpents Fleurs Champignons
Figure 2.8
Tâche de jugement et émotions (d’après Fox, et al., 2007).
Temps de jugement sur des collections hétérogènes comprenant des entités menaçantes (pistolets,
serpents) et non menaçantes (fleurs, champignons). Les participants étaient plus rapides sur
les essais comprenant des cibles menaçantes (vivantes ou manufacturées) que sur des cibles
neutres.
Cette détection plus rapide des stimulus émotionnels ne concerne pas que les des sti-
mulus à valence émotionnelle négative. En effet, les stimulus à valence émotionnelle
positive ont également tendance à attirer rapidement notre attention, comme l’ont
montré plusieurs études. Par exemple, Lundqvist et Öhman (2005) ont présenté à
leurs participants des ensembles de neuf visages schématiques. Dans les collections
homogènes, tous les visages avaient une expression émotionnelle identique (c.-à-d., les
neuf visages étaient neutres, amicaux ou menaçants). Dans les collections hétérogènes,
l’un des visages avait une expression émotionnelle différente de celle des huit autres
visages (ces huit visages pouvaient avoir une expression neutre, menaçante ou ami-
cale). Le visage différent pouvait être menaçant ou amical. Les participants devaient
indiquer si tous les visages étaient identiques ou si l’un d’entre eux était différent.
Les données (voir Figure 2.9) ont révélé que (a) les participants détectaient mieux les
visages émotionnels au milieu de visages neutres qu’au milieu de visages émotionnels
Émotions et orientation de l’attention ■ 29
(b) lorsque le contexte était neutre, les participants réussissaient à détecter aussi bien
des visages amicaux que des visages menaçants, et (c) en contexte émotionnel, les parti-
cipants détectaient mieux des visages menaçants que des visages amicaux. En contexte
neutre, la saillance des visages émotionnels était nettement plus élevée, ce qui amenait
les participants à les détecter plus vite. De plus, cette saillance était plus importante
pour les visages menaçants, compte tenu du danger potentiel qu’ils pouvaient éven-
tuellement représenter.
100
Visages amicaux
95
Pourcentages de jugements corrects
Visages menaçants
90
85
80
75
70
65
60
Contexte neutre Contexte émotionnel
Figure 2.9
Tâche de jugement et émotion (d’après Lundqvist & Öhman, 2005).
Temps de jugement sur des collections hétérogènes comprenant des visages cibles menaçants
ou amicaux au milieu de visages neutres ou parmi d’autres visages émotionnels. Les participants
détectaient plus rapidement un visage menaçant parmi des visages amicaux que l’inverse.
En résumé, plusieurs études ont fait apparaître que nos émotions influencent l’orienta-
tion de l’attention. Les recherches expérimentales ayant utilisé des tâches de recherche
visuelle ont mis en évidence que les participants vont plus vite à orienter leur atten-
tion sur une information cible afin de la détecter rapidement si cette information est
émotionnelle que si elle est neutre. Par ailleurs, les informations à valence émotionnelle
négative semblent accélérer davantage la recherche visuelle que les informations à
valence émotionnelle positive.
30 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
*
E
(a) Simple indiçage K
Figure 2.10
Procédure de simple ou double indiçage dans une tâche de détection de cible indicée utilisée pour étudier l’orientation et la flexibilité attentionnelles.
Émotions et flexibilité attentionnelle
31 ■
32 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
380
Émotionnel Neutre
360
Temps de réponse (en ms)
340
320
300
Valide Invalide Valide Invalide Valide Invalide
14 ms 34 ms 100 ms
Figure 2.11
Double indiçage et émotion (d’après Koster et al., 2007).
Temps de détection d’un carré cible après indiçage rapide (14 et 34 ms) et plus lent (100 ms)
d’un visage émotionnel (en colère ou joyeux) et neutre. Les participants étaient aussi rapides
après un visage neutre et émotionnel présenté pendant 14 et 34 ms. À 100 ms, la focalisation
attentionnelle sur les visages émotionnels les conduisait à être plus lents après un visage émotionnel
sur les essais valides et plus rapides après ces visages émotionnels sur les essais invalides.
Holmes et ses collaborateurs (2005) ont conduit une série d’expériences dans laquelle
les participants voyaient deux visages pendant une durée très courte, mais variable
(30, 100, 500 ou 1000 millisecondes). Un des visages avait une expression neutre,
l’autre une expression de peur. Ensuite, une barre apparaissait à l’endroit de l’un des
deux visages pendant 180 millisecondes. Les participants devaient indiquer si la barre
était horizontale ou verticale. Comme le montre la Figure 2.12, dans la condition de
présentation ultrarapide de 30 millisecondes, les participants allaient plus vite lorsque
la barre apparaissait à l’endroit où avait été présenté le visage apeuré que lorsqu’elle
apparaissait à l’endroit où était apparu le visage neutre. Si le visage était présenté pen-
dant 100 millisecondes ou plus, aucune différence n’était observée entre les visages
neutres et apeurés. Ceci suggère que l’attention spatiale a été rapidement capturée par
le visage apeuré, accélérant le jugement sur la cible. Ce bénéfice n’est que de courte
durée, puisqu’aucune différence n’apparaît à partir de 100 millisecondes. Ce résultat
indique que l’attention est rapidement et brièvement orientée vers les traits caractéris-
tiques et distinctifs d’un stimulus présenté.
700
Visage apeuré
660
640
620
600
30 ms 100 ms 500 ms 1 000
Figure 2.12
Double indiçage et émotion (d’après Holmes et al., 2005).
Temps de réponse (en ms) sur la cible lorsqu’elle apparaissait juste après un visage apeuré ou neutre.
Les participants étaient plus rapides, à 30 ms uniquement, pour détecter la cible suivant un visage
apeuré comparé à un visage neutre.
Le phénomène de clignement attentionnel est observé dans une tâche où une suite de
stimulus est présentée avec la technique dite RSVP (Rapid Serial Visual Presentation
ou Présentation Visuelle Sérielle Rapide). Selon cette technique (voir Figure 2.13a),
les participants voient défiler une suite d’images ou de mots, chacun présenté très
brièvement (p. ex., 50 ms, 100 ms). À la fin de chaque série, les participants doivent
réaliser une tâche concernant deux de ces images ou de ces mots. Par exemple, les
participants voient défiler des séries de 20 mots. Chaque mot est présenté pendant
100 millisecondes. Dans chaque série de 20 mots, deux de ces mots (les mots cibles)
sont présentés en vert (ou soulignés) et les autres mots (les distracteurs) apparaissent
en noir (non soulignés). Les deux mots cibles sont présentés l’un à la suite de l’autre ou
séparés par un mot, deux mots, ou plus. Le nombre de mots distracteurs qui séparent
les deux mots cibles s’appelle le lag. Ainsi, un lag de 1 désigne le fait que les deux mots
cibles apparaissent l’un après l’autre sans aucun mot distracteur entre les deux mots
cibles. Un lag de 2 signifie qu’un mot distracteur est apparu entre les deux mots cibles,
un lag de 3 signifie qu’il y avait deux mots entre les deux mots cibles, etc. Les partici-
pants doivent dire quels étaient les mots présentés en vert.
Les travaux empiriques ont fait apparaître que la détection de la deuxième cible diminue
d’autant plus que le lag entre les deux cibles est court. Ce phénomène, dit de clignement
attentionnel (e.g., Raymond et al., 1992), résulte du fait que, pour un lag court, le participant
est encore engagé dans le traitement de la première cible lorsque la seconde apparaît ; il
dispose donc de moins de ressources pour traiter cette deuxième cible. En conséquence,
soit le participant ne voit pas la seconde cible, soit il ne peut la traiter suffisamment pour la
détecter et la restituer. Pour un lag plus long, le participant a eu le temps de se désengager
du traitement de la première cible et n’est donc plus en train de la traiter lorsqu’apparaît
la seconde cible. Il peut donc allouer toutes ses ressources disponibles au traitement de
cette seconde cible et la restituer correctement à la fin de la série. En d’autres termes, le
clignement attentionnel (ou la difficulté à détecter et rapporter la deuxième cible) est géné-
ralement interprété comme résultant du fait que les ressources cognitives sont encore acca-
parées par le traitement de la première cible et donc non encore entièrement disponibles
pour le traitement de la seconde cible au moment de son apparition.
Le phénomène du clignement attentionnel a été étudié de nombreuses fois pour essayer
de comprendre le rôle des émotions dans le shifting attentionnel. Les auteurs ont fait
varier la valence émotionnelle des deux cibles. Les deux cibles ont des valences émo-
tionnelles (neutre, positives ou négatives) identiques ou différentes. Le pourcentage
d’essais où la deuxième cible est correctement rapportée est analysé en fonction du lag
entre les deux cibles et des valences émotionnelles de chaque cible. Les données font
apparaître que les participants parviennent à mieux restituer une deuxième cible qui
suit une première cible neutre quand la deuxième cible est émotionnelle que quand elle
est neutre. Elles ont également mis en évidence le fait qu’une deuxième cible est moins
bien reconnue quand la première cible est émotionnelle que quand elle est neutre.
Les expériences ayant manipulé la valence et l’intensité émotionnelles de la deuxième cible
ont pu montrer que le shifting attentionnel peut être accéléré lorsque la deuxième cible est
émotionnelle. Par exemple, Keil et Ihssen (2004) ont présenté des suites de verbes avec la
technique RSVP. Deux de ces verbes étaient écrits à l’encre verte. La tâche du participant
était de dire, à la fin de la série, les deux verbes présentés à l’encre verte. Le premier verbe
cible en vert était toujours un verbe neutre (p. ex., accompagner), le second un verbe neutre
36 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
(p. ex., continuer), agréable (p. ex., gagner) ou désagréable (p. ex., détruire). Le second verbe
cible en vert apparaissait 1, 3 ou 5 verbes (lag 2, 4, 6) après le premier verbe cible en vert.
(a) Technique RSVP
(b) Performances
100
Pourcentages de restitutations
correctes de la deuxième cible
80
60
40
20
0
Lag court Lag long
Figure 2.13
Clignement attentionnel et émotion (d’après Keil & Ihssen, 2004).
(a) Protocole RSVP et (b) pourcentages de restitutions correctes des verbes cibles apparaissant
en deuxième cible aux lags courts (lag 2) et longs (lags 4 et 6) selon leur valence émotionnelle.
Les données montrent des taux de rappels inférieurs sur la seconde cible neutre que sur la seconde
cible émotionnelle, au lag court. L’émotion réduit le phénomène de clignement attentionnel.
Les données (Figure 2.13b) montrent clairement qu’au lag court, les participants
commettaient plus d’erreurs sur les verbes cibles neutres que sur les verbes cibles
Émotions et flexibilité attentionnelle ■ 37
émotionnels (il n’y avait aucune différence entre les verbes agréables et désagréables).
Aux lags 4 et 6, les pourcentages d’identification correcte des verbes cibles étaient
élevés et comparables pour les verbes émotionnels et neutres. Vraisemblablement aux
délais courts, les ressources attentionnelles des participants étaient encore accaparées
par le traitement de la première cible quand la seconde est apparue. Les participants
n’étaient pas encore (suffisamment) désengagés du traitement de la première cible
lorsqu’apparaissait la seconde cible. Mais, l’attention des participants s’est plus vite
remobilisée sur la seconde cible émotionnelle que sur la seconde cible neutre, compte
tenu de la saillance des cibles émotionnelles. Aux délais longs, à l’apparition de la
seconde cible, les participants avaient eu le temps de traiter la première cible, de se
désengager du traitement de cette première cible et de remobiliser leur attention pour
le traitement de la seconde cible, quelle que soit sa valence émotionnelle.
Autre exemple, dans une série d’études publiées en 2005, Anderson a repris prati-
quement le même paradigme à quelques variantes près. Il faisait défiler des séries
de 15 mots, chaque mot apparaissant pendant 100 millisecondes. Deux de ces mots
étaient présentés en vert. À la fin de chaque série, les participants devaient dire quels
étaient les mots présentés en vert. Le premier mot était toujours un mot neutre et le
second soit un mot neutre, soit un mot émotionnel. L’auteur a comparé les pourcen-
tages d’identification correcte du deuxième mot quand ce mot était neutre (p. ex., mare),
négatif avec une intensité moyenne (p. ex., colère) et négatif avec une intensité plus
élevée (p. ex., herpès) dans une expérience et quand ce mot était neutre (p. ex., fichier),
positif avec une intensité moyenne (fleur) et positif avec une intensité plus élevée (p. ex.,
clitoris) dans une autre expérience. Dans tous les cas, les performances étaient compa-
rées lorsque le lag était court (1 mot entre les deux mots cibles) ou long (p. ex., 4 mots
entre les deux mots cibles). Les données importantes apparaissent à la Figure 2.14.
Neutre
correctes sur le deuxième mot cible
100
Émotionnel
Pourcentages de restitutions
90 Émotionnel intense
80
70
60
50
40
Lag 2 Lag 5 Lag 2 Lag 5
Mots cibles négatifs Mots cibles positifs
Figure 2.14
Clignement attentionnel et intensité émotionnelle (d’après Anderson, 2005).
Pourcentages de mots cibles neutres, négatifs et négatifs intenses (à gauche), d’une part, et neutres,
positifs et positifs intenses (à droite), d’autre part, correctement restitués aux lags 2 et 5.
Le clignement attentionnel était d’autant plus réduit que le mot cible était émotionnellement
intense.
uniquement, les participants commettaient plus d’erreurs sur les deuxièmes mots
cibles de chaque série, lorsque ces mots étaient des mots neutres que lorsque ces mots
étaient des mots négatifs ou positifs. De plus, ils commettaient moins d’erreurs quand
ces mots émotionnels (positifs ou négatifs) étaient plus intenses. En d’autres termes,
la saillance (en termes de valence et d’intensité émotionnelles) a attiré l’attention du
participant sur le deuxième mot cible, ce qui a entraîné une accélération du shifting
attentionnel (c.-à-d., consistant à se désengager du traitement du premier mot cible
pour s’engager sur le traitement du second mot cible).
La modulation du clignement attentionnel par les émotions de la cible est un phénomène
suffisamment robuste pour apparaître également lorsque les stimuli sont des visages
schématiques (p. ex., les yeux sont représentés par deux ronds dessinés, la bouche par un
trait horizontal, etc.). Par exemple, Maratos et ses collègues (2008) ont montré des séries
de 20 images, en présentation RSVP (chaque image apparaissait pendant 128,5 millise-
condes). Sur certains essais, dits essais à une cible, les participants voyaient 20 stimulus,
dont 1 cible et 19 distracteurs. Sur les autres essais, dits essais à deux cibles, les partici-
pants voyaient 20 stimulus, dont 2 cibles et 18 distracteurs. Les cibles étaient des visages
schématiques, exprimant une émotion neutre, négative (menace) ou positive (amical). Les
distracteurs avaient les mêmes traits schématiques que les visages, mais étaient présen-
tés aléatoirement sur la forme ovale d’un visage (p. ex., l’un des yeux se trouvait en haut,
l’autre en bas, la bouche à côté d’un œil, le nez en dessous, etc.). Dans les deux conditions,
les participants devaient dire si la série comprenait un ou deux visages. Ensuite, ils
devaient indiquer quelle était l’émotion exprimée par le visage (pour la condition à une
cible) et par le deuxième visage (pour la condition à deux cibles). Enfin, les auteurs ont
fait varier le nombre de distracteurs entre les deux visages, dans la condition à deux
cibles. Les auteurs ont comparé les pourcentages de visages correctement détectés par
les participants et dont l’expression émotionnelle était correctement identifiée, selon
l’émotion du second visage et le nombre de distracteurs (Figure 2.15).
80
60
40 Menace
Amical
20 Neutre
0
1 cible 1 distracteur 8-9 distracteurs
Figure 2.15
Clignement attentionnel et émotion (d’après Maratos et al., 2008).
Pourcentages de cibles correctement identifiées en fonction de l’expression émotionnelle du visage
et du nombre de distracteurs entre les deux visages cibles, dans les conditions à une et deux cibles.
Les taux de détection correcte des cibles étaient comparables quelle que soit l’expression du visage
dans les essais à une cible. Dans les essais à deux cibles, au lag court, ces taux diminuaient
davantage pour les cibles neutres, et nettement moins pour les visages menaçants.
Émotions et flexibilité attentionnelle ■ 39
Les données montrent que, sur les essais à une cible, les taux d’identification des visages
et des émotions exprimées par ces visages étaient relativement comparables pour les
trois expressions émotionnelles. Par ailleurs, sur les essais à deux cibles, le phénomène
de clignement attentionnel était réduit pour les visages émotionnels (menace et amical).
En effet, (a) les taux d’identification des visages et de leur expression émotionnelle étaient
plus faibles pour les visages neutres dans la condition où il n’y avait qu’un seul visage
entre les deux visages cibles, (b) toujours dans les essais comprenant un visage distrac-
teur entre les deux cibles, la deuxième cible était mieux détectée si le visage était mena-
çant que s’il était amical, et (c) dans les conditions avec plusieurs distracteurs entre les
deux visages cibles, les taux de détection et reconnaissance étaient comparables pour les
visages émotionnels et neutres. Tout se passe comme si, sur les essais à deux cibles et un
visage distracteur entre les deux cibles, la dimension émotionnelle du deuxième visage
cible avait suffisamment attiré l’attention du participant pour qu’il le détecte, réduisant
ainsi l’effet de clignement attentionnel. Ceci était encore plus fort pour un visage mena-
çant que pour un visage amical.
Dans de nombreuses études, c’est la valence émotionnelle de la première cible qui a été
manipulée, de sorte que les participants voient une première cible émotionnelle et une
seconde cible neutre. Les pourcentages de détection correcte de la seconde cible en fonc-
tion de la valence émotionnelle de la première cible ont fait apparaître une augmentation
du clignement attentionnel, suggérant un shifting attentionnel de la première à la seconde
cible perturbée. Par exemple, Most et ses collaborateurs (2007 ; voir aussi Most et al., 2005,
2006 ; Smith et al., 2006) ont fait défiler des séries de dix-sept images, chaque image étant
présentée pendant 106 millisecondes. La dernière image de chaque série, qui était la deu-
xième cible, faisait apparaître soit un paysage soit un bâtiment qui avait subi une rotation
à droite ou à gauche de 90°. Les participants devaient dire si l’image avait subi une rotation
à droite ou à gauche. Les autres images, sauf la première cible, étaient des images de bâti-
ments et paysages présentés à l’endroit. La première cible était l’image d’une femme nue,
habillée, ou d’un homme habillé. Enfin, entre la première et la deuxième cible, les partici-
pants (tous des hommes) voyaient soit 1 distracteur (lag court) soit 7 distracteurs (lag long).
100
Femme nue
Femme habillée
Pourcentages de cibles
90
correctement jugées
Homme habillé
80
70
60
50
Lag court Lag long
Figure 2.16
Clignement attentionnel et émotion (données d’après Most et al., 2007).
Pourcentages de secondes cibles correctement jugées en fonction du lag et de la valence émotionnelle
de la première cible. Les hommes faisaient moins d’erreurs après les images contenant une femme
nue que sur les images contenant une femme habillée ou un homme habillé au lag court.
40 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
Au lag court, les participants commettaient plus d’erreurs pour indiquer si l’image de
la seconde cible avait subi une rotation à droite ou à gauche lorsque la première cible
était l’image d’une femme nue que lorsque cette image était celle d’une femme habillée
ou d’un homme habillé (voir Figure 2.16). Aucune différence n’apparaissait au lag long.
La saillance émotionnelle de l’image d’une femme nue pour des hommes a attiré leur
attention davantage que l’image d’une femme habillée ou d’un homme habillé. Une fois
leur attention davantage engagée sur la première cible, les participants avaient plus
de mal à s’en dégager pour encoder efficacement la seconde cible afin d’indiquer si elle
avait subi une rotation à droite ou à gauche.
Arnell et al. (2007) ont utilisé la même procédure, mais avec des mots (voir aussi
Mackay et al., 2004). Les participants voyaient défiler des séries de dix-huit mots
(1 mot/110 ms). Le deuxième mot cible désignait une couleur. La tâche des partici-
pants consistait à dire la couleur de ce deuxième mot cible ; 3 ou 8 mots avant le mot
cible, les participants voyaient un premier mot cible, qui pouvait être un mot sexuel
ou tabou (p. ex., clitoris, anus) ou un mot neutre (p. ex., câble, gant), positif (p. ex., beauté,
heureux) ou négatif (pleur, triste).
100
Mots sexuels-tabous Autres mots
Pourcentages de réussites
90
80
70
60
Lag court Lag long
Figure 2.17
Clignement attentionnel et émotion (d’après Arnell et al., 2007).
Pourcentages d’identifications correctes de la couleur du second mot cible suivant un premier mot
cible sexuel ou tabou et autres aux lags court et long.
Au lag court, les participants avaient plus de mal à donner la couleur indiquée par le
deuxième mot cible quand ce mot suivait un premier mot cible sexuel et tabou que
quand il suivait un autre mot (Figure 2.17). Au lag long, il n’y avait aucune différence
entre les deux types de mots. Là encore, l’attention captée par les mots sexuels et
tabous perturbait le shifting attentionnel (c.-à-d., désengagement attentionnel sur
le premier mot et le réengagement attentionnel sur le second pour déterminer la
couleur qu’il désignait). Notons que, contrairement à ce qui aurait pu être attendu,
les auteurs ont également observé que les performances n’étaient pas moins bonnes
quand le premier mot cible était un mot émotionnel (positifs ou négatifs) que quand
ce premier mot cible était un mot neutre. Seul, le traitement des mots sexuels et
tabous affectait le traitement des mots cibles (voir aussi Gallant et al., 2020 ; voir
toutefois Didierjean et al., 2013 pour des résultats différents). Il est tout à fait
Émotions et attention divisée ■ 41
4,1
Émotion positive
4,05
Émotion neutre
4
Nombre de chiffres rappelés
3,95
3,9
3,85
3,8
3,75
3,7
3,65
3,6
Expérience 1 Expérience 2
Figure 2.18
Running Span et émotions (d’après Martin & Kerns, 2011).
Nombre de chiffres correctement rappelés en bonne position (c.-à-d., le premier des six derniers
chiffres était rappelé en premier, le second en deuxième, etc.) en conditions émotion positive
et neutre quand les participants passaient l’une des deux conditions (Expt. 1) ou les deux
(Expt. 2). Les participants rappelaient moins de chiffres dans la condition émotion positive
que dans la condition émotion neutre.
neutre qui diminuaient le plus leurs scores à cette tâche en condition de menace. Les
auteurs ont interprété leurs résultats en s’appuyant sur des données antérieures
ayant montré que l’attention spatiale est perturbée par l’anxiété (e.g., Janelle, 2002 ;
Moore & Oaksford, 2002). Pendant que les participants géraient leur appréhension
relative à la survenue d’un choc électrique potentiel, ils avaient du mal à gérer leurs
ressources attentionnelles spatiales (pour rafraîchir en mémoire de travail la dispo-
sition des lettres), ce qui n’était pas le cas pour la tâche N-back verbal. Cette distinc-
tion pourrait provenir du fait que les ressources mobilisées par l’attention spatiale
et la gestion de l’anxiété pourraient être davantage en compétition, car gérées par
les mêmes réseaux cérébraux (cortex préfrontal et cortex pariétal gauches), tandis
que les ressources attentionnelles allouées à des tâches de mémorisation verbale
seraient gérées par des réseaux cérébraux différents, moins localisés à gauche
(voir également Gray, 2001, pour des effets différents des émotions sur des tâches
N-back spatiale et verbale).
82
81
Pourcentages d’items corrects
80
79
78
77
76
Verbal Spatial
Figure 2.19
N-Back et émotions (d’après Shackman et al., 2006).
Pourcentages d’items corrects aux tâches de N-Back verbal et spatial en condition menace et neutre.
La condition de menace a perturbé les performances à la tâche de N-Back spatial, mais pas
à la tâche de N-Back verbal.
En résumé, le partage attentionnel semble lui aussi affecté par les émotions. Les per-
formances à des tâches requérant de partager ses ressources attentionnelles entre
différentes activités (p. ex., Running Span, N-Back) diminuent sous émotion positive ou
négative. Les performances à ces tâches de mémoire de travail diminuent en condition
émotionnelle, vraisemblablement parce que les ressources attentionnelles mobilisées
lors du traitement des informations émotionnelles sont moins disponibles pour ces
tâches de mémoire de travail.
Conclusions ■ 45
Conclusions
Les recherches sur les liens entre émotion et attention ont pour but de déterminer
si nos émotions influencent nos capacités attentionnelles, et, si oui, quand et par quels
mécanismes. Elles ont cherché à déterminer comment des stimulus à valence émo-
tionnelle variable modifient les informations que l’on sélectionne pour les traiter et la
manière avec laquelle on engage et désengage notre attention dans un traitement cogni-
tif. Plus rarement, ces recherches ont utilisé des procédures d’induction émotionnelle
pour tester directement comment l’état émotionnel d’un individu affecte son attention.
Ces recherches ont examiné différentes fonctions de l’attention (attention sélective,
orientation de l’attention, flexibilité attentionnelle, attention divisée).
Les données recueillies font apparaître une influence importante tout aussi bien posi-
tive que négative de nos émotions sur l’attention. En effet, nos émotions changent ce à
quoi nous faisons attention, comment nous prêtons attention aux informations et, en
conséquence, les autres informations auxquelles nous ne faisons pas attention du fait
d’une trop grande mobilisation de nos ressources attentionnelles sur les informations
émotionnelles non nécessairement pertinentes pour la tâche à réaliser.
Dans une tâche de Stroop émotionnel, les participants prennent plus de temps pour
dire la couleur de l’encre d’un mot émotionnel (p. ex., amour écrit en rouge) que celle
d’un mot neutre (p. ex., table écrit en rouge). Tout se passe comme si la valence émo-
tionnelle du mot attirait automatiquement l’attention du participant, et encore plus
lorsque ce mot est en lien avec les préoccupations d’un individu, alors qu’il ne doit
faire attention qu’à la couleur de l’encre et pas au mot lui-même. En d’autres termes,
les émotions peuvent parfois détourner notre attention de l’information importante
pour la tâche à accomplir.
Dans une tâche de recherche visuelle, où les participants doivent dire si une collection
d’images contient toutes les mêmes images ou une image différente des autres, l’attention
est davantage et plus rapidement attirée vers une image émotionnelle (p. ex., un serpent)
que vers des images neutres (p. ex., une fleur). Ceci est également vrai pour les visages
(réels ou schématiques), dans la mesure où un visage exprimant une émotion comme
la colère ou la menace attire plus rapidement l’attention qu’un visage neutre. Dans une
tâche de détection indicée, les participants sont plus rapides à détecter une cible qui
apparaît à l’endroit où, juste avant, un stimulus émotionnel a été brièvement présenté,
comparé à un stimulus neutre préalable. En d’autres termes, la saillance d’une infor-
mation émotionnelle peut attirer très rapidement notre attention, ce qui peut aider le
système cognitif à être plus efficace quand cette information est pertinente pour la tâche
à accomplir (mais aussi le pénaliser lorsque l’information n’est pas pertinente).
Enfin, dans les tâches de clignement attentionnel (où les participants voient défiler
rapidement une série d’images et doivent détecter une cible), les participants com-
mettent moins d’erreurs sur une image cible émotionnelle qui suit une image neutre
que sur une image cible neutre. Par ailleurs, le traitement d’une image cible neutre
est davantage perturbé lorsque cette image neutre suit une image émotionnelle que
lorsqu’elle suit une image neutre. L’ensemble de ces phénomènes met en évidence
46 ■ CHAPITRE 2 – Émotion et attention
le fait que la valence émotionnelle des stimulus influence l’attention qu’on alloue à
ces stimulus, mais aussi à ceux qui les entourent (dans le temps et l’espace), ainsi que,
en conséquence, aux informations auxquelles nous ne pouvons allouer de ressources
attentionnelles. En bref, les informations émotionnelles déclenchent en nous des biais
(positifs ou négatifs) de traitement.
Les phénomènes rapportés dans les études sur le rôle des émotions sur l’attention
apportent quelques éléments de réponse aux questions importantes sur ce rôle. Ces
questions concernent, entre autres, quand et comment nos émotions influencent-elles
l’attention, et pourquoi nos capacités attentionnelles sont-elles influencées par nos
émotions ?
Les données présentées ici pourraient amener à penser que nos émotions influencent
toujours l’attention. Aucune donnée ne permet toutefois, à l’heure actuelle, une telle
conclusion. Les résultats des différentes recherches montrent que nos émotions
affectent nos capacités attentionnelles, parfois, positivement et, parfois, négativement.
Les émotions affectent négativement l’attention lorsqu’elles conduisent à de moins
bonnes performances dans des tâches testant l’attention, comme nous l’avons vu dans
la tâche du Stroop où les mots émotionnels interfèrent avec l’identification de la cou-
leur de l’encre de ces mots et comme nous l’avons vu également dans des tâches de
détection de cible indicée par des mots émotionnels quand les cibles n’apparaissaient
pas du côté des mots émotionnels indices. En d’autres termes, quand nos émotions
nous conduisent à diriger notre attention vers un aspect non pertinent d’un stimulus,
d’une tâche et, plus généralement, d’une situation, elles ont un effet perturbateur.
En revanche, lorsque nos émotions nous conduisent à diriger notre attention vers
une ou des dimensions pertinentes d’un stimulus, d’une tâche ou d’une situation, nos
émotions ont des effets bénéfiques sur nos performances cognitives, facilitant ainsi la
focalisation et le déploiement attentionnels, et donc un traitement plus efficace de ces
dimensions cruciales pour atteindre un but cognitif. Notons que certains effets per-
turbateurs et facilitateurs de nos émotions sur les mécanismes attentionnels peuvent
être relativement automatiques, comme le montrent des effets de Stroop émotionnels,
observés en présentation subliminale, ou des effets précoces et rapides de saillance
émotionnelle dans des tâches de recherche visuelle et de clignement attentionnel
dans des tâches de détection ou d’identification de cibles après simple ou double
indiçage (e.g., Bradley et al., 1995 ; Chessman & Merickle, 1985 ; Cooper & Langton,
2006 ; MacLeod et al., 1986 ; MacLeod & Rutherford, 1992 ; Mogg et al., 1994, 1995 ;
Wikström et al., 2003 ; Yovel & Mineka, 2005 ; Phaf & Kan, 2007 ; Zsido et al., 2020).
Sachant que les effets des émotions sur nos capacités attentionnelles ne sont pas tou-
jours positifs, il est légitime de se demander pourquoi notre système attentionnel n’est
pas imperméable à nos émotions. Un élément de réponse tient à l’une des fonctions les
plus importantes de l’attention qui est d’aider le système cognitif à s’orienter vers et à
sélectionner les informations pertinentes pour réaliser une tâche cognitive. Il est pos-
sible, dans ce contexte, que les émotions influencent les mécanismes attentionnels pour
optimiser leur efficacité. En effet, les effets facilitateurs suggèrent que les émotions per-
mettent parfois d’exécuter nos mécanismes attentionnels (et cognitifs en général, comme
on le verra pour les autres fonctions cognitives) plus efficacement (p. ex., la sélection,
l’orientation et le shifting attentionnels sont plus rapides). Hors du laboratoire, il est
Testez vos connaissances ■ 47
tout à fait compréhensible que, par exemple, face à un prédateur, il importe au sys-
tème de le détecter rapidement pour décider quelle action engager afin de maximiser
les chances de survie de l’organisme. Face à un stimulus menaçant, de manière géné-
rale, il importe de le détecter rapidement, d’analyser le danger potentiel qu’il pourrait
occasionner, afin de gérer au mieux ce danger. Dans la rue, il peut être crucial pour un
automobiliste d’être capable de détecter rapidement un enfant qui traverse, ou pour
un piéton de repérer, avant de traverser (même sur un passage piéton), la voiture qui
arrive à toute vitesse. L’optimisation des mécanismes attentionnels via les émotions a
un prix : les effets délétères des émotions sur l’attention.
Exercez-vous en ligne
Vrai ou faux
www.lienmini.fr/7527-VF2
Flash-cards
www.lienmini.fr/7527-FC2
CHAPITRE 3
Émotion et attention :
différences individuelles,
vieillissement et psychopathologie
Ce chapitre présente la façon dont les effets des émotions sur l’attention
sont modulés par les différences individuelles (p. ex., les niveaux d’anxiété
chez des individus tout venant), par le vieillissement et dans certaines patho-
logies (p. ex., la phobie). Les résultats obtenus chez des patients atteints de
différentes pathologies avec divers tests de l’attention (p. ex., détection après
indiçage, Running Span) quant au rôle des émotions sur les grandes fonctions
de l’attention (attention sélective, orientation et flexibilité attentionnelles,
attention soutenue et divisée), et les mécanismes attentionnels spécifiques
(p.ex., engagement et désengagement attentionnel, inhibition) sont présen-
tés. Les travaux font apparaître une évolution des biais attentionnels avec
l’âge et une modulation (amplification ou diminution) de ces biais en fonction
de la pathologie.
SOMMAIRE
agréables (p. ex., amour) ou neutres (p. ex., table). Les participants très anxieux pre-
naient plus de temps pour indiquer la couleur de l’encre des mots quand les mots
faisaient référence à des entités menaçantes que pour les mots neutres ou agréables.
Ils étaient comparables pour les trois types de mots chez les individus peu anxieux
(voir Figure 3.1).
1 100
Temps de dénomination de la couleur
Mots menaçants
Mots neutres
1 050 Mots positifs
1 000
950
900
Anxieux − Anxieux +
Figure 3.1
Anxiété et Stroop émotionnel (d’après Richards & Millwood, 1989).
Temps de dénomination (en ms) de la couleur de l’encre de mots faisant référence à des entités
menaçantes, neutres ou agréables chez des individus très anxieux ou peu anxieux. Les individus
très anxieux ralentissaient sur les mots menaçants et accéléraient sur les mots positifs,
alors que les individus non anxieux étaient aussi rapides sur les trois types de mots.
La modulation des effets Stroop émotionnels par le niveau d’anxiété a été répliquée
de nombreuses fois (e.g., Blanchette & Richards, 2013 ; Fox, 1993a, 1993b ; Mogg et
al., 1990, 1997 ; Richards & French, 1990). Cette modulation pourrait même s’avérer
spécifique au type d’anxiété vécue. Par exemple, Owens et ses collaborateurs (2004)
ont comparé les effets Stroop émotionnels chez des individus présentant des niveaux
élevés, moyens ou faibles d’anxiété pour toute émotion qui concerne des questions
de santé. Les participants devaient dénommer la couleur de l’encre dans laquelle des
mots étaient présentés. Ces mots faisaient référence à un problème de santé (p. ex.,
cancer, tumeur), à des émotions négatives (p. ex., solitude, péril), à des émotions positives
(p. ex., tendre, heureux) ou étaient des mots neutres (p. ex., gant, meuble). Les partici-
pants ayant un niveau élevé d’anxiété pour les questions relatives à la santé avaient
des effets Stroop (c.-à-d., ils mettaient plus de temps à indiquer la couleur de l’encre)
beaucoup plus forts sur les mots faisant référence à un problème de santé que sur
tous les autres mots. Les participants ayant un niveau moyen ou faible d’anxiété pour
les questions relatives à la santé avaient des effets Stroop comparables sur toutes les
catégories de mots.
52 ■ CHAPITRE 3 – Émotion et attention : différences individuelles, vieillissement…
500
Essais valides Indice menaçant
Essais valides Indice non menaçant
Temps de jugement sur la cible
440
420
400
Anxieux + Anxieux −
Figure 3.2
Anxiété et détection de cible (d’après Yiend & Mathews, 2001).
Temps de jugement (en ms) sur la cible mis par les participants très anxieux et peu anxieux aux
essais valides et invalides lorsque l’image était celle d’une entité menaçante ou non menaçante.
Les participants très anxieux prenaient plus de temps sur les essais invalides avec une image
menaçante que sur les autres essais, tandis que les participants peu anxieux prenaient le même
temps sur tous les essais invalides.
510
Effrayé
500 Non effrayé
Temps de détection de la cible
Triste
490 Non triste
480
470
460
450
Anxieux + Anxieux −
Figure 3.3
Anxiété et catégorisation de lettres (d’après Georgiou et al., 2005).
Temps de détection (en ms) d’une cible, mis par des participants très anxieux et peu anxieux,
en présence d’un visage effrayé, non effrayé, triste ou non triste. À la différence des participants
peu anxieux, les participants très anxieux prenaient plus de temps pour détecter la lettre cible
lorsqu’elle apparaissait avec un visage effrayé que lorsqu’elle apparaissait avec un visage ayant
une autre expression émotionnelle.
Fox et al., 2001, 2005 ; Fox, 1993a ; Fox et al., 2002 ; MacLeod & Mathews, 1988 ; Mogg
et al., 2000 ; Wilson & MacLeod, 2003). Par exemple, dans l’étude de Fox et al. (2001),
les participants (très anxieux ou non anxieux) voyaient défiler en présentation RSVP
des séries de quinze images (1 image/110 ms) montrant quatorze visages et soit une
fleur, soit un champignon. L’un des visages avait une expression émotionnelle (joyeux,
apeuré), les autres une expression neutre. Le visage cible à expression émotionnelle
apparaissait soit à un lag court (p. ex., deux images après celle de la fleur) soit à un lag
long (p. ex., 6 images après celle de la fleur). Les participants devaient indiquer si l’un
des visages de la série avait une expression émotionnelle, après avoir indiqué si la série
comportait une image montrant une fleur ou un champignon. Les données ont fait appa-
raître une modulation de l’effet de clignement attentionnel chez les participants anxieux
pour les visages apeurés (Figure 3.4). En effet, les participants très anxieux réussissaient
mieux à indiquer l’expression émotionnelle du visage cible pour les visages apeurés
comparés aux visages joyeux, au lag court. La différence entre les deux types de visages
était beaucoup plus petite chez les participants non anxieux. Au lag long, les taux de
réussite des deux groupes pour les visages apeurés et joyeux étaient très élevés et ne
différaient pas. Tout se passe comme si les visages cibles apeurés avaient attiré très rapi-
dement l’attention des participants anxieux qui les ont traités assez profondément pour
en reconnaître l’expression faciale. Le phénomène habituel de clignement attentionnel
était observé chez les participants non anxieux pour les visages apeurés et joyeux.
100
Joyeux
Pourcentages de réussites
95
Apeurés
90
85
80
75
70
Lag court Lag long Lag court Lag long
Anxieux + Anxieux −
Figure 3.4
Anxiété et clignement attentionnel (d’après Fox et al., 2005).
Pourcentages de réussite chez des participants très anxieux et non anxieux aux lags court
et long sur des visages joyeux et apeurés. Les participants anxieux réussissaient mieux
sur les visages apeurés que sur les visages joyeux, au lag court. Cet effet était beaucoup plus petit
chez les participants non anxieux.
En résumé, les données présentées ici sur la modulation par l’anxiété des effets Stroop
émotionnels, d’indiçage et de clignement attentionnels montrent qu’il existe de grandes dif-
férences individuelles dans l’effet des émotions sur nos capacités attentionnelles. Les carac-
téristiques des individus (comme ici l’anxiété) gouvernent ces modulations. De manière
générale, lorsque les préoccupations ou l’état émotionnel des individus sont congruents
avec des informations émotionnelles à traiter, l’allocation des ressources attentionnelles
Émotion et attention : vieillissement ■ 55
est biaisée, et le système cognitif traite avec plus d’attention ces informations, avec par-
fois des conséquences positives (p. ex., amélioration des performances comme cela peut
s’observer dans la diminution du clignement attentionnel) ou négatives (p. ex., diminution
des performances comme cela se voit dans l’augmentation des effets Stroop émotionnels).
la couleur du plus de mots possible. Les auteurs ont également testé leurs participants
dans deux conditions contrôles, une où il fallait indiquer la couleur de taches d’encre et
l’autre où il fallait lire des mots neutres écrits à l’encre noire. Apparaît sur la Figure 3.5,
l’évolution de l’effet Stroop émotionnel en fonction de l’âge des participants. L’effet Stroop
émotionnel était calculé par la différence entre le nombre de mots neutres et le nombre de
mots émotionnels pour lesquels les participants ont correctement dénommé la couleur en
30 secondes. Les données ont fait apparaître une diminution avec l’âge de l’effet Stroop
émotionnel (c.-à-d., les participants nommaient la couleur de plus de mots neutres que de
mots émotionnels). L’effet Stroop émotionnel est quasi-inexistant à partir de 50 ans, et
s’inverse après 60 ans. Notons qu’Ashley et Swick (2009) ont trouvé des effets Stroop
émotionnels comparables chez les jeunes et les âgés dans une condition dite bloquée ou
pure (c.-à-d., les participants accomplissent sur tous les items d’abord la tâche en condition
neutre, puis en condition interférente), et des effets plus importants chez les jeunes dans
une condition de présentation aléatoire (voir Wurm et al., 2004, pour des effets Stroop
émotionnels plus importants chez les âgés que chez les jeunes).
L’évolution avec l’âge des effets Stroop émotionnels est intéressante, en particulier la possi-
bilité d’observer des effets soit comparables chez les jeunes et les personnes âgées, soit plus
petits chez les personnes âgées que chez les jeunes. Cette évolution est différente des effets
Stroop classiques, non émotionnels qui ont tendance à plus systématiquement augmenter
avec l’âge (e.g., Comalli et al., 1962) du fait d’une dégradation des capacités d’inhibition
(e.g., Hasher & Campbell, 2020 ; Rey-Mermet et al., 2018). Les données de LaMonica et
ses collaborateurs suggèrent que les capacités d’inhibition de l’information émotionnelle
non pertinente pour la tâche à accomplir augmentent en efficacité avec l’âge et atteignent
une efficacité telle que les participants sont capables de neutraliser l’interférence ou d’être
moins victimes de l’interférence induite par l’information émotionnelle et de se focaliser
sur la tâche à accomplir. En d’autres termes, les participants âgés peuvent bloquer l’entrée
d’une information dans le système cognitif (sélection précoce de l’information) dès lors que
cette information est émotionnelle et non pertinente pour la tâche à réaliser.
2,5
2
Effets stroop émotionnel
1,5
0,5
− 0,5
−1
− 1,5
20-30 30-40 40-50 50-60 60-70 70+
Figure 3.5
Évolution avec l’âge des effets Stroop émotionnels : Neutre-Émotion (d’après LaMonica et al., 2010).
Un effet positif (jusqu’à 50 ans) indique que les participants nommaient la couleur de l’encre de plus
de mots neutres que de mots émotionnels, un effet négatif indique l’inverse (après 60 ans).
Émotion et attention : vieillissement ■ 57
Les données de Thomas et Hasher (2006) vont dans le même sens que ceux de LaMonica
et ses collaborateurs., mais ont aussi montré que ce filtrage attentionnel peut néanmoins
être influencé par des informations émotionnelles de nature différente chez les per-
sonnes jeunes et âgées. Ainsi, Thomas et Hasher ont montré à des participants jeunes et
âgés des paires de chiffres. Les participants devaient dire si les deux chiffres avaient la
même parité (les chiffres sont tous les deux pairs ou tous les deux impairs) ou non (l’un
est pair, l’autre impair). Les deux chiffres étaient séparés par des mots émotionnelle-
ment neutres, positifs ou négatifs. Par exemple, les participants voyaient « 7 avions 9 »
(neutre), « 7 érotiques 9 » (émotion positive) ou « 7 horreurs 9 » (émotion négative). Après
cette tâche, les participants avaient un test de reconnaissance où ils voyaient des mots
(certains vus pendant la tâche de jugement de parité, d’autres nouveaux) et devaient
indiquer si le mot était un mot nouveau ou ancien. Les temps de jugement de parité et les
taux de reconnaissance correcte apparaissent sur la Figure 3.10. Les participants jeunes
et âgés mettaient plus de temps à juger la parité des deux chiffres lorsque ces chiffres
étaient séparés par des mots négatifs que par des mots neutres ou positifs. Par ailleurs,
les taux de reconnaissance correcte étaient plus élevés pour les mots négatifs que pour
les mots neutres ou positifs chez les jeunes et pour les mots positifs que pour les mots
neutres et négatifs chez les âgés. De manière intéressante, même si les mots négatifs
entraînaient une distraction comparable chez les jeunes et les personnes âgées pendant
la tâche de jugement de parité, la focalisation attentionnelle plus importante sur les mots
négatifs par les jeunes et sur les mots positifs chez les personnes âgées entraînait une
augmentation des taux de reconnaissance correcte pour ces mots. En d’autres termes, ces
données ont fait apparaître une distraction comparable chez les jeunes et les personnes
âgées par les mots émotionnels négatifs, mais une attention davantage focalisée sur les
mots négatifs chez les jeunes et sur les mots positifs chez les personnes âgées.
D’autres travaux ont confirmé que l’évolution avec l’âge de l’effet des émotions sur le
filtrage attentionnel varie selon le type d’émotion. Par exemple, Ebner et Johnson (2010)
ont montré à leurs participants jeunes et âgés trois chiffres, deux identiques et un diffé-
rent (p. ex., 133). Les participants devaient indiquer le chiffre différent des deux autres
(p. ex., ils devaient indiquer le 1 dans 133). Les chiffres apparaissaient au milieu de
visages qui pouvaient exprimer une émotion positive (joie), négative (colère), ou neutre.
Les essais pouvaient être faciles (le chiffre différent était facile à déterminer et à indiquer,
comme dans 133) ou difficiles (le chiffre différent était plus difficile à déterminer et à
indiquer, comme dans 212).
Les données (Figure 3.7) aux essais faciles pour les jeunes et difficiles pour les personnes
âgées font apparaître des effets d’interférence émotionnelle chez les jeunes et les âgés dif-
férents selon l’émotion exprimée par le visage (aucun effet d’interférence n’était observé
chez les jeunes aux essais faciles et chez les âgés aux essais difficiles). L’effet d’interférence
apparaissait seulement dans la condition où le visage exprimait de la colère (comparée à la
condition neutre) chez les jeunes et seulement dans la condition où le visage exprimait de
la joie chez les âgés. Aucun effet d’interférence n’apparaissait avec les visages exprimant
de la joie chez les jeunes et de la colère chez les âgés. En d’autres termes, un visage émo-
tionnel interférait avec la tâche principale dans les deux groupes, mais sur une émotion
négative (colère) chez les jeunes et positive (joie) chez les personnes âgées. Ceci peut s’expli-
quer aisément si l’on envisage que les jeunes prêtent davantage attention aux émotions et
informations négatives et que les âgés se focalisent davantage sur les émotions positives.
58 ■ CHAPITRE 3 – Émotion et attention : différences individuelles, vieillissement…
1 050
Neutre
Temps de jugement (en ms)
950 Positive
Négative
850
750
650
550
Adultes jeunes Adultes âgés
0,14
Taux de reconnaissances correctes
0,12
0,1
0,08
0,06
0,04
0,02
0
Adultes jeunes Adultes âgés
Figure 3.6
Attention sélective, émotion et vieillissement (d’après Thomas & Hasher, 2006).
Temps de jugement et taux de reconnaissances correctes chez les jeunes et les personnes âgées
dans une tâche de jugement de parité de deux nombres séparés par des mots émotionnellement
positifs, négatifs ou neutres. Les jeunes mettaient plus de temps sur les items négatifs,
mais les reconnaissaient mieux ensuite, tandis que les personnes âgées étaient aussi longues sur tous
les types de mots, mais reconnaissaient ensuite mieux les mots positifs.
Les travaux relatifs à l’évolution avec l’âge de l’effet des émotions sur l’attention sélective
ont non seulement fait apparaître que les âgés peuvent filtrer efficacement les infor-
mations émotionnelles non pertinentes pour une tâche cognitive, mais qu’ils peuvent
également moduler efficacement ce filtrage attentionnel d’un essai à l’autre. Par exemple,
Monti et ses collaborateurs (2010) ont montré des visages à leurs participants jeunes et
âgés qui avaient deux tâches à effectuer. Les participants avaient soit une tâche d’identifi-
cation du genre du visage (c.-à-d., dire si le visage présenté était celui d’un homme ou d’une
femme), soit une tâche d’identification émotionnelle (c.-à-d., dire si le visage exprimait la
peur ou la joie). Des mots étaient également présentés sur les visages (homme/femme ;
peur/joie). Les mots et les visages étaient soit congruents, soit incongruents. Aux essais
congruents, les visages étaient du même genre qu’indiqué par le mot (p. ex., le visage était
celui d’un homme et le mot homme était présenté avec le visage ; le visage exprimait la
peur et le mot peur apparaissait avec le visage). Aux essais incongruents, visages et mots
Émotion et attention : vieillissement ■ 59
ne correspondaient pas (p. ex., le visage était celui d’une femme et le mot homme était pré-
senté ; le visage exprimait la peur et le mot joie apparaissait). En d’autres termes, les auteurs
ont manipulé, pour les deux tâches (émotionnelle et non émotionnelle) la congruence entre
visage et mot sur l’essai courant. Ils ont également manipulé cette congruence sur l’essai
précédent. Ces manipulations définissaient ainsi quatre conditions, selon la congruence
à l’essai courant et à l’essai précédent : (a) essai congruent suivant un essai congruent
(congruent-congruent), (b) essai congruent suivant un essai incongruent (incongruent-
congruent), (c) essai incongruent suivant un essai congruent (congruent-incongruent), et (d)
essai incongruent suivant un essai incongruent (incongruent-incongruent).
745
740 Neutre
735 Colère
Joie
Latences (en ms)
730
725
720
715
710
705
Jeunes (essais difficiles) Âgés (essais faciles)
Figure 3.7
Effets des émotions positives et négatives en attention sélective chez les jeunes et les personnes
âgées (d’après Ebner & Johnson, 2010).
Temps d’identification du chiffre cible chez les jeunes et les personnes âgées en fonction de l’émotion
exprimée par le visage interférent. Les effets d’interférence apparaissaient sur les items émotionnellement
négatifs chez les jeunes et sur les items émotionnellement positifs chez les personnes âgées.
Cette étude de Monti et ses collaborateurs s’appuyait sur des travaux antérieurs
qui avaient fait apparaître deux choses. D’une part, l’effet d’incongruence (c.-à-d.,
TR aux essais incongruents > TR aux essais congruents) est moins important sur
un item qui suit un item incongruent que sur un item qui suit un item congruent
(effet dit d’adaptation au conflit ou effet Gratton ; e.g., Gratton et al., 1992 ; Stürmer
et al., 2002) et (b) une diminution avec l’âge de l’effet d’adaptation au conflit (e.g.,
Lemaire & Hinault, 2014). La question ici posée par Monti et ses collaborateurs était
de savoir si la diminution avec l’âge de l’effet d’adaptation au conflit est modulée par
les émotions. Les auteurs ont donc comparé cet effet chez les jeunes et les âgés pour la
tâche émotionnelle et la tâche non émotionnelle.
Les effets de congruence (Temps aux items incongruents – Temps aux items congruents),
présentés à la Figure 3.12, ont fait apparaître que les effets d’adaptation au conflit (c.-à-d.,
diminution des effets de congruence après un essai incongruent) étaient présents (a) chez
les jeunes, mais pas chez les personnes âgées, dans la tâche non émotionnelle (b) chez les
jeunes et chez les personnes âgées dans la tâche émotionnelle. Dans la tâche non émotionnelle
(c.-à-d., identification du genre du visage), les effets de congruence étaient plus faibles
60 ■ CHAPITRE 3 – Émotion et attention : différences individuelles, vieillissement…
après un item incongruent qu’après un item congruent chez les jeunes, mais plus élevés
chez les personnes âgées. Après un item incongruent, les jeunes se préparaient à gérer
une éventuelle incongruence sur l’essai suivant (c.-à-d., en inhibant l’identification de
l’émotion du visage pour déterminer rapidement le genre du visage). Les âgés n’effec-
tuaient pas cette préparation. En revanche, s’ils avaient à identifier l’émotion du visage,
les âgés faisaient comme les jeunes en se préparant, après un item incongruent, à gérer
l’éventuelle incongruence sur l’essai suivant. Ces résultats relatifs à une dissociation
entre les effets d’adaptation au conflit dans une tâche émotionnelle et dans une tâche
non émotionnelle chez les jeunes et les personnes âgées sont très intéressants. En effet,
le déclin, habituellement observé chez les âgés dans une tâche non émotionnelle, des
mécanismes de contrôle attentionnel, responsables de la modulation séquentielle des
effets de congruence, ne s’observe pas dans une tâche émotionnelle. Tout se passe
comme si le déclin habituellement observé au cours du vieillissement dans les méca-
nismes de contrôle est en fait mobilisable, et mobilisé, par les personnes âgées dès lors
que le traitement porte sur des informations émotionnelles.
120
CE/C CE/I
Effets de congruence (en ms)
100
80
60
40
20
0
Adultes jeunes Adultes âgés Adultes jeunes Adultes âgés
Tâche non émotionnelle Tâche émotionnelle
Figure 3.8
Vieillissement et modulations séquentielles des effets de congruence affective et non
émotionnelle (d’après Monti et al., 2010).
Effets de congruence en ms (Temps incongruents – Temps congruents) sur un essai selon
la congruence à l’essai précédent chez les adultes jeunes et âgés dans une tâche émotionnelle et non
émotionnelle. Les données montrent des effets d’adaptation au conflit chez les jeunes et les âgés
dès lors que la tâche est émotionnelle, mais seulement chez les jeunes quand la tâche est non
émotionnelle. CE/C : effets de congruence à l’item courant suivant un item congruent ; CE/I : effets
de congruence à l’item courant suivant un item incongruent.
tions négatives qu’ils traitent plus profondément, et que les personnes âgées feraient
davantage attention aux informations positives. Pour tester cette hypothèse des biais
attentionnels, les chercheurs ont adopté deux approches. D’une part, ils ont utilisé des
tâches de détection de cible. D’autre part, ils ont recueilli les mouvements oculaires des
participants jeunes et âgés pendant qu’ils regardaient des images positives et négatives.
Mather et Carstensen (2003) ont été parmi les premiers à comparer les résultats à
une tâche de détection de cible (type Probe Dot Task) chez des jeunes et des âgés, en utili-
sant des stimulus émotionnels (voir aussi Mather et al., 2005). Les auteurs ont montré à
des participants jeunes et âgés 60 paires de visages (un visage avec une expression neutre
et un visage exprimant une émotion, comme la tristesse, la joie ou la colère). Chaque paire
de visages apparaissait pendant 1 seconde. Ensuite, les participants voyaient un point à
l’endroit où était présenté soit le visage neutre soit le visage émotionnel. Les auteurs ont
recueilli les temps de réponse des participants pour indiquer où apparaissait le point
et ont calculé des indicateurs de biais attentionnels avec la formule suivante : (Temps
de réponse au point apparaissant du même côté que le visage émotionnel – Temps de
réponse au point apparaissant du côté du visage neutre). Une valeur de 0 n’indiquait
aucun biais attentionnel (c.-à-d., les participants prêtaient autant attention aux visages
émotionnels qu’aux visages neutres), une valeur positive indiquait un biais attentionnel
en faveur des visages émotionnels (c.-à-d., les participants prêtaient plus attention aux
visages émotionnels, ce qui ralentissait la détection de la cible apparaissant du côté où
avait été présenté le visage émotionnel). Une valeur négative indiquait un biais à accor-
der plus d’attention au visage neutre (et donc à prêter moins attention aux visages émo-
tionnels). Les résultats (Figure 3.9) n’ont fait apparaître aucun biais attentionnel chez les
jeunes et des biais attentionnels chez les âgés. Ces derniers prêtaient davantage attention
aux visages exprimant des émotions positives qu’aux visages neutres (dans les paires
émotions positives-neutres), et davantage attention aux visages neutres qu’aux visages
tristes ou en colère (dans les paires émotions négatives-neutres). En d’autres termes, les
personnes âgées accordaient davantage d’attention aux visages exprimant une émotion
positive et évitaient de prêter attention à ceux exprimant une émotion négative.
Il peut exister des exceptions à ces biais attentionnels négatifs chez les jeunes et posi-
tifs chez les âgés. Par exemple, Mather et Knight (2006) ont montré des collections de
9 visages schématiques. Tous les visages étaient les mêmes dans certaines collections et
un différait des 8 autres dans d’autres collections. Les participants devaient dire le plus
rapidement possible si la collection contenait un visage différent des autres ou non.
Le visage différent pouvait avoir une expression émotionnelle de colère, de joie, ou de
tristesse. Les temps de détection (Figure 3.10) ont fait apparaître que, chez les jeunes
comme chez les âgés, les participants étaient plus rapides à détecter le visage différent
lorsque celui-ci exprimait de la colère que lorsqu’il exprimait de la tristesse. Les parti-
cipants mettaient le plus de temps sur les visages exprimant la joie. Ce résultat montre
donc que (a) le biais de positivité n’est pas nécessairement systématique chez les âgés
(ici, ils prenaient plus de temps sur les visages ayant l’expression émotionnelle positive
de joie), (b) comme chez les jeunes, la menace représentée par l’expression de colère
conduisait les participants âgés à répondre le plus rapidement. Vraisemblablement, la
62 ■ CHAPITRE 3 – Émotion et attention : différences individuelles, vieillissement…
détection automatique de la colère, présente chez les jeunes et les âgés, est plus impor-
tante que les biais attentionnels (favorisant le traitement des informations négatives
chez les jeunes et des informations positives chez les âgés), habituellement observés.
15
Émotions positives
10
Émotions négatives
Biais attentionnels
−5
− 10
− 15
Jeunes Âgés
Figure 3.9
Biais attentionnels dans le traitement des visages exprimant des émotions positives ou
négatives chez des jeunes et des âgés (d’après Mather & Carstensen, 2003).
Les jeunes prêtaient autant attention aux visages positifs et négatifs qu’aux visages neutres, tandis
que les personnes âgées prêtaient davantage attention aux visages positifs (biais positifs) et évitaient
de prêter attention (biais négatifs) aux visages négatifs.
940
Colère
890 Tristesse
Temps de réponse (en ms)
Joie
840
790
740
690
640
Jeunes Âgés
Figure 3.10
Temps de réponse à une tâche de détection chez les jeunes et personnes âgées selon l’expression
émotionnelle du visage cible (d’après Mather & Carstensen, 2006).
Chez les jeunes comme chez les personnes âgées, le temps de détection était plus rapide pour les visages
exprimant une émotion négative (la colère), à la différence des biais de positivité habituellement
observés chez les personnes âgées.
Émotion et attention : vieillissement ■ 63
0,09
Jeunes Âgés
0,07
0,05
Biais attentionnel
0,03
0,01
− 0,01
− 0,03
− 0,05
− 0,07
− 0,09
Triste Gai
0,08
0,06
0,04
Biais attentionnel
0,02
0
− 0,02
− 0,04
− 0,06
− 0,08
− 0,1
Colère Peur Triste Gai
Figure 3.11
Biais attentionnels chez les jeunes et les personnes âgées lors de la fixation de paires de visages
(d’après Isaacowitz et al., 2006a,b).
Les valeurs positives indiquent que les participants fixaient plus longtemps les visages émotionnels
et les valeurs négatives que les participants fixaient plus longtemps les visages neutres. Les personnes
âgées fixaient plus longtemps les visages gais et moins longtemps les visages exprimant une émotion
négative. Les jeunes fixaient plus longtemps les visages en colère ou effrayés.
Les biais de positivité dans l’attention ont été retrouvés de nombreuses fois (voir
revues et méta-analyses de Carstensen & DeLiema, 2018 ; Murphy & Isaacowitz,
2008 ; Reed et al., 2014 ; Reed & Carstensen, 2012). Ces biais sont modulés par dif-
férents facteurs (Figure 3.16). Par exemple, ils peuvent diminuer ou disparaître en
condition où les participants choisissent eux-mêmes, dans leur environnement, quels
stimulus fixer du regard plutôt que fixer des stimulus imposés par un expérimentateur
Émotion et attention : vieillissement ■ 65
en laboratoire (e.g., Isaacowitz et al., 2015). Ces biais peuvent aussi varier selon l’âge
du visage présenté (Noh et al., 2011), selon la culture (Fung et al., 2008, 2019; Stanley
et al., 2013), ou bien encore selon la stratégie de régulation émotionnelle utilisée (e.g.,
Isaacowitz et al., 2008; Livingstone & Isaacowitz, 2015 ; Ossenfort et al., 2019 ; Wirth
et al., 2017). Par exemple, Sasse et ses collaborateurs (2014) ont trouvé des biais de
positivité plus importants chez les âgés lorsque les participants étaient exposés à des
images de personnes âgées comparativement à des images d’adultes jeunes (a). Fung et
al. (2008) n’ont pas trouvé de biais de positivité chez des habitants à Hong Kong (b).
Ossenfort et ses collaborateurs (2019) ont observé que les participants âgés fixaient
moins les images négatives lorsqu’ils n’avaient pas pour consigne de réguler leurs
émotions relativement aux conditions où ils avaient pour consigne de les réguler,
en utilisant soit une stratégie de réévaluation positive soit une stratégie de détache-
ment (c). Ces biais attentionnels semblent émerger environ 500 millisecondes après la
présentation des stimulus cibles (e.g., Isaacowitz, Allard, et al., 2009). Enfin, l’évolution
avec l’âge de ces biais de positivité semble également interagir avec l’état émotionnel
du participant et la quantité de ressources cognitives disponibles.
Par exemple, en 2008, Isaacowitz et ses collaborateurs (voir aussi Isaacowitz, Toner,
et al., 2009) ont conduit pratiquement la même expérience que celles publiées en
2006, avec une différence importante. Avant de regarder les paires de visages, les
participants devaient essayer de se souvenir d’un événement émotionnel (soit négatif,
soit positif, soit neutre) qui leur était arrivé. Pendant cette réactivation de souvenirs,
les participants entendaient également de la musique émotionnellement congruente
au souvenir évoqué (p. ex., une musique triste était entendue pendant la réactivation
d’un souvenir triste). Cette procédure, dite procédure CMT (ou Continuous Music
Technique), est connue pour induire et maintenir assez efficacement des états émotion-
nels chez les participants. L’autoévaluation de leur propre état émotionnel, réalisée par
les participants, permettait par ailleurs aux expérimentateurs de contrôler l’efficacité
de la procédure d’induction et ainsi de s’assurer de l’état émotionnel (négatif, neutre ou
positif) des participants alors qu’ils fixaient les paires de visages.
(a) Modulation par le groupe de référence
37
Photos personnes âgées
Pourcentages de fixations oculaires
33
31
29
27
25
Émotions positives Émotions Émotions neutres
négatives
66 ■ CHAPITRE 3 – Émotion et attention : différences individuelles, vieillissement…
− 0,01
− 0,03
− 0,05
− 0,07
Adultes jeunes Adultes âgés
Détachement
56
Évaluation positive
54 Sans stratégie
52
50
48
46
44
42
40
Début Fin
Figure 3.12
Exemples de modulations des biais attentionnels de positivité.
(a) Pourcentages de fixations oculaires chez des participants âgés sur des images émotionnellement
neutres, positives et négatives contenant des participants jeunes et âgés (d’après Sasse et al., 2014),
montrant que les biais de positivité chez les âgés sont plus importants pour des images de personnes
âgées, relatives à soi ou à sa catégorie d’âge, que pour des images de personnes jeunes, relatives
à une autre catégorie d’âge et donc moins proches de soi. (b) Biais attentionnels chez des adultes
jeunes et âgés de Hong Kong (d’après Fung et al., 2008), montrant l’absence de biais positifs
chez les personnes âgées de Hong Kong). (c) Fixations oculaires sur la zone émotionnelle négative
des images (d’après Ossenfort et al., 2018), montrant que les fixations oculaires des personnes
âgées sur des images négatives dépendent des stratégies de régulation émotionnelle).
Comme le montre la Figure 3.13, d’importantes différences liées à l’âge dans les biais
attentionnels étaient observées. En effet, les fixations oculaires faisaient apparaître
de nets effets de congruence affective chez les jeunes. Les jeunes avaient tendance à
fixer davantage les visages exprimant des émotions positives lorsqu’ils étaient en état
Émotion et attention : vieillissement ■ 67
émotionnel positif et davantage les visages exprimant des émotions négatives lorsqu’ils
étaient en état émotionnel négatif. À l’inverse, les âgés avaient tendance à ne pas fixer
les visages négatifs lorsqu’ils étaient dans des états émotionnels négatifs et à fixer
les visages positifs lorsqu’ils étaient dans des états émotionnels positifs. En accord
avec la théorie de la sélectivité socioémotionnelle, cette évolution avec l’âge des biais
attentionnels pourrait avoir pour origine la poursuite de buts différents. Chez les
jeunes, l’allocation des ressources attentionnelles aux stimulus de l’environnement est
influencée, voire déterminée par leur état émotionnel. Plutôt que de chercher à régu-
ler leur état émotionnel, ils accorderaient une priorité à rechercher des informations
ou à traiter les informations qui se présentent à eux pour la tâche à accomplir, sans
chercher à y appliquer de filtre, afin vraisemblablement d’être le plus efficace possible.
Chez les âgés, cette allocation est davantage influencée par l’état émotionnel visé.
Si l’objectif des personnes âgées est de vivre (initier et rester dans) des états émotion-
nels positifs, alors regarder le visage neutre plutôt que négatif dans un état émotionnel
négatif permet de mieux se désengager d’un état émotionnel négatif. De la même
manière, fixer davantage le visage positif dans un état émotionnel positif permet de
maintenir l’état émotionnel positif. Cette étude est l’une des premières à montrer empi-
riquement que les biais attentionnels en direction (ou en direction inverse) des infor-
mations émotionnelles ont des significations fonctionnelles différentes chez les jeunes
et les âgés (Isaacowitz & Choi, 2011, 2012 ; Isaacowitz & Harris, 2014 ; Noh et al.,
2011 ; Rovenpor et al., 2013 ; Wadlinger & Isaacowitz, 2011).
1
Participants jeunes Participants âgés
0,8
0,6
Biais attentionnels
0,4
0,2
− 0,2
Tristesse + Colère Peur Joie
− 0,4
Negatif Neutre Positif Negatif Neutre Positif
Figure 3.13
Biais attentionnels chez les jeunes et les personnes âgées lors de la fixation de paires de visages
en fonction de l’état émotionnel des participants (d’après Isaacowitz et al., 2008).
Les valeurs positives indiquent que les participants fixaient plus longtemps les visages émotionnels
et les valeurs négatives que les participants fixaient plus longtemps les visages neutres. Les jeunes
avaient tendance à fixer davantage les visages exprimant des émotions positives lorsqu’ils étaient
en état émotionnel positif et davantage les visages exprimant des émotions négatives lorsqu’ils
étaient en état émotionnel négatif. Les personnes âgées avaient tendance à ne pas fixer les visages
négatifs lorsqu’ils étaient dans des états émotionnels négatifs et à fixer les visages positifs lorsqu’ils
étaient dans des états émotionnels positifs.
68 ■ CHAPITRE 3 – Émotion et attention : différences individuelles, vieillissement…
La modulation des biais de positivité (ou d’évitement d’émotions négatives) par diffé-
rents paramètres suggère que ces biais ne sont pas automatiques et qu’ils sont contrô-
lés. Une prédiction dérivée de cette hypothèse est qu’ils dépendent des ressources
attentionnelles disponibles. Cette prédiction a été validée par plusieurs travaux
empiriques (Bigand & Vieillardd, 2014 ; Isaacowitz, Toner, et al., 2009 ; Kalenzaga
et al., 2016 ; Knight et al., 2007 ; Mather & Knight, 2005 ; Noh & Isaacowitz, 2015 ;
voir toutefois Allard & Isaacowitz, 2008). Par exemple, Knight et ses collaborateurs
(2007) ont recueilli les fixations oculaires des participants en train de regarder des
paires d’images pendant 6 secondes (l’une était émotionnellement neutre et l’autre
émotionnellement positive ou négative, ou l’une émotionnellement positive et l’autre
émotionnellement négative). Les participants étaient testés en condition d’attention
divisée où, pendant qu’ils regardaient les paires de visages, ils entendaient une suite
de sons. Ils devaient indiquer si les sons avaient changé deux ou trois fois pendant la
série. Dans la condition d’attention non divisée, les participants n’entendaient pas de
son. Les auteurs ont observé que la proportion de fixations sur les images positives
et négatives (par rapport aux images neutres ; ) diminuait en attention divisée par
rapport à la condition d’attention non divisée, sauf chez les âgés pour les images
négatives. Dans ce dernier cas, les âgés augmentaient leur attention aux images néga-
tives dans la condition attention divisée comparativement à la condition attention
non divisée. En d’autres termes, au-delà d’une proportion de fixations oculaires net-
tement plus importante chez les personnes âgées que chez les jeunes pour les images
positives en condition d’attention non divisée, les personnes âgées fixaient davantage
les images négatives en condition d’attention divisée qu’en condition d’attention non
divisée. Ces données sont intéressantes, car elles suggèrent que les biais de positivité
des personnes âgées ne résultent pas de processus automatiques, s’appuient sur
des mécanismes de contrôle attentionnels et surviennent malgré le déclin des méca-
nismes de contrôle exécutif avec l’âge.
En résumé, lorsque les personnes âgées allouent leurs ressources attentionnelles,
elles ont tendance à préférer le faire sur des informations émotionnellement posi-
tives, alors que les jeunes préfèrent les allouer à des informations émotionnellement
négatives. Ces biais de positivité chez les âgés sont modulés par différents para-
mètres de la tâche. L’un des paramètres qui semble avoir une grande importance
concerne les contraintes de la tâche à accomplir. En effet, les biais de positivité
semblent être d’autant plus importants que les personnes âgées allouent elles-mêmes
leurs ressources attentionnelles (voir Murphy & Isaacowitz, 2008 ; Reed et al., 2014,
pour des méta-analyses). Ils semblent plus marqués lorsque les contraintes de la
tâche (p. ex., but fixé par l’expérimentateur) leur laissent toute liberté de choisir sur
quoi porter leur attention (p. ex., regarder des visages sans but précis) que lorsque
les contraintes de la tâche sont relativement importantes (p. ex., regarder un visage
pour évaluer le niveau de confiance qu’il inspire ; Zebrowitz et al., 2017). Ces biais
de positivité qui ne sont pas automatiques ont une signification fonctionnelle impor-
tante puisqu’ils permettent aux personnes âgées d’activer un état émotionnellement
positif, de maintenir un état émotionnellement positif déjà activé et/ou de se désen-
gager d’un état émotionnellement négatif.
Émotions et attention : psychopathologie ■ 69
64
Images positives
Proportions de fixations oculaires
62
Images négatives
60
58
56
54
52
50
Attention Attention Attention Attention
non divisée divisée non divisée divisée
Figure 3.14
Proportions de fixations oculaires sur les images positives et négatives en condition d’attention
divisée ou non chez les jeunes et les personnes âgées (d’après Knight et al., 2007).
Les biais de positivité chez les personnes âgées et de négativité chez les jeunes ne s’observent
qu’en condition d’attention non divisée, suggérant que ces biais dépendent de la quantité
de ressources disponibles.
sur des cartes. Chaque carte comportait 96 mots, écrits en rouge, bleu, vert ou jaune.
Deux types de mots étaient comparés, des mots reliés à une menace (p. ex., maladie)
et des mots neutres (p. ex., foi). Les patients avaient besoin de plus de temps pour
dénommer la couleur des mots associés à une menace que celle des mots neutres
( ). Comme chez les individus tout-venant très anxieux, l’attention des patients
était ici attirée par la lecture des mots menaçants. Les patients devaient alors faire
un effort supplémentaire pour inhiber le traitement de ces mots et se focaliser
sur la dénomination de la couleur, ce qui augmentait leurs temps de dénomination.
Leur attention était moins attirée par les mots neutres, qu’ils pouvaient ainsi mieux
s’empêcher de lire, ce qui leur permettait de se focaliser sur couleur de l’encre.
77
Temps de dénomination (en sec.)
Mots menaces
75 Mots neutres
73
71
69
Patients Contrôles
Figure 3.15
Troubles anxieux et attention sélective (d’après Ehlers et al., 1988).
Temps de dénomination de la couleur de l’encre des mots associés à une menace et des mots neutres
par des patients victimes d’attaques de panique et des participants contrôles. Contrairement aux
participants contrôles, les patients prenaient plus de temps pour dénommer la couleur des mots
menaçants que des mots neutres.
mots. Par le même mécanisme d’inhibition de lecture des mots moins efficace lorsque
ces mots concernaient les préoccupations des patients, cette lecture interférait spé-
cifiquement avec l’activité principale de dénomination de la couleur de l’encre dans
laquelle ces mots étaient écrits.
94
Menace sociale
92 Contrôle
Temps de dénomination (en s)
90 Menace physique
88
86
84
82
80
78
Phobie sociale Attaque de panique
Figure 3.16
Phobie sociale, troubles anxieux et attention sélective (d’après Hope et al., 1990).
Temps de dénomination de la couleur de l’encre des mots neutres, concernant une situation
sociale et associés à une menace physique par des patients atteints de phobie sociale ou victimes
d’attaque de panique. Les patients atteints de phobie sociale prenaient plus de temps sur les mots
relatifs à une menace sociale, tandis que les patients souffrant d’attaque de panique prenaient plus
de temps sur les mots relatifs à une menace physique.
recueilli. Pour évaluer si les participants en dépression avaient un biais à fixer le mot
négatif dans les paires de mots neutre-négatif, les auteurs ont calculé un indice de biais
attentionnel de fixation sur le mot négatif. Ce biais de fixation consistait à soustraire
le temps mis par les participants pour détecter le point lorsqu’il était présenté du
côté du mot négatif dans les paires de mots négatif-neutre et lorsqu’il apparaissait
du côté du mot neutre (le même type de biais était calculé pour les paires de mots
neutre-positif). Ainsi, le biais était positif (supérieur à 0) si le temps d’identification du
point était plus long lorsque le point apparaissait à la place du mot négatif que lorsqu’il
apparaissait à la place du mot neutre dans la paire neutre-négatif. Le biais était négatif
(inférieur à 0) dans le cas inverse. Les auteurs n’ont observé aucun biais attentionnel
de fixation chez les participants contrôles, quelles que soient les paires de mots. En
revanche, ils ont observé des biais attentionnels de fixation sur les mots négatifs chez
les patients, lorsque les paires de mots étaient présentées pendant 1 000 millisecondes
(Figure 3.17). Cela signifie que, lorsqu’un mot neutre et un mot négatif apparais-
saient, les patients souffrant de dépression fixaient le mot négatif. Au moment où,
1 000 millisecondes après, le point apparaissait, ils étaient encore en train de traiter
ce mot négatif, ce qui les conduisait à prendre plus de temps pour détecter le point.
Ce temps supplémentaire leur était nécessaire pour se désengager du mot négatif et
s’engager dans la détection du point. De tels biais attentionnels n’existaient pas chez
ces patients pour les paires de mots neutre-positif ou neutre-neutre, ni chez les parti-
cipants contrôles quels que soient les mots présentés (voir Joormann et al., 2007, pour
des résultats similaires).
8 500 ms
Biais attentionnels négatifs
6 1000 ms
−2
−4
Dépression Contrôle
Figure 3.17
Dépression et biais attentionnels (d’après Donaldson et al., 2007).
Biais attentionnels vers les mots négatifs chez des patients en dépression et des participants contrôles
dans une tâche de détection de cible, pour des paires de mots présentées pendant 500 ms ou 1 000 ms.
Les patients en dépression focalisaient leur attention sur les mots négatifs dans les paires de mots
neutres négatifs à 1 000 ms, tandis que les participants contrôle n’avaient pas ce type de biais.
Trippe et ses collaborateurs (2007) ont présenté des séries d’images avec la tech-
nique RSVP (1 image/144 ms) à des participants contrôles et arachnophobes
(patients ayant une peur intense des araignées). Dans chaque série, deux images
Émotions et attention : psychopathologie ■ 73
cibles (séparées par une image) étaient entourées par un cadre noir épais. La première
montrait une image neutre (p. ex., une table). La seconde image cible était neutre
(p. ex., champignon), émotionnellement positive ou négative (p. ex., bébé, corps mutilé),
un serpent ou une araignée. À la fin de chaque série, les participants devaient dire
ce que montraient les deux images cibles. Les deux groupes de participants étaient
capables d’indiquer ce que la première image cible montrait pour 80 % des images.
En revanche, le taux de réussites à la seconde image était nettement plus faible
(phénomène de clignement attentionnel). Le clignement attentionnel était nettement
réduit pour les images d’araignée chez les participants arachnophobes (Figure 3.18).
Cette réduction était plus importante que la réduction habituellement observée pour
les images cibles émotionnelles, ici présente dans les deux groupes de participants.
Vraisemblablement, l’attention des patients arachnophobes a été plus rapidement
et intensément capturée par les images d’araignée (objet de leur phobie), ce qui les a
conduits à mieux traiter ces images pour les identifier, les retenir et les restituer à la
fin de chaque série d’images.
70
Pourcentages de reconnaissances
Neutres
65
Émotionnels
60 Serpents
Araignées
correctes
55
50
45
40
35
Contrôles Arachnophobes
Figure 3.18
Phobie et clignement attentionnel (d’après Trippe et al., 2007).
Pourcentages de reconnaissances correctes des images cibles neutres, émotionnelles (positives,
négatives), ou montrant des serpents ou des araignées, chez des patients arachnophobes
et des participants contrôles. Les patients faisaient moins d’erreurs pour détecter des araignées,
alors que les participants contrôles faisaient moins d’erreurs sur les images émotionnelles.
En résumé, les travaux conduits chez les patients souffrant de différents troubles
émotionnels (comme les troubles anxieux, la phobie ou la dépression) ont fait appa-
raître des modulations des effets émotionnels sur l’attention. Ainsi, certains biais sont
amplifiés par la psychopathologie (p. ex., l’attention est rapidement capturée chez les
patients phobiques par des stimulus menaçants en lien avec leur phobie). Comme
il est vraisemblable que ces patients approchent les tâches attentionnelles dans des
états émotionnels induits par leur psychopathologie, ces données sont intéressantes
et importantes, car elles renforcent le rôle causal des émotions sur les mécanismes
attentionnels.
74 ■ CHAPITRE 3 – Émotion et attention : différences individuelles, vieillissement…
Conclusions
L’un des objectifs des psychologues qui travaillent sur les liens entre les émotions et
l’attention est de déterminer les conditions dans lesquelles les émotions affectent posi-
tivement ou négativement nos capacités attentionnelles, et par là identifier les facteurs
qui modulent ces liens. Les travaux empiriques ont permis d’identifier un certain
nombre de paramètres cruciaux. Ces travaux ont également permis de découvrir que
les effets des émotions sur l’attention peuvent varier d’un individu à l’autre, évoluer
au cours du vieillissement, mais également différer chez les participants contrôles et
les patients atteints de divers troubles. Au-delà des intérêts empiriques, comprendre
ces variations permet de faire des progrès importants au niveau théorique. En effet,
la connaissance de la modulation des biais attentionnels étudiés au chapitre précédent
par les différences individuelles, le vieillissement et la psychopathologie débouche
sur une meilleure compréhension des mécanismes par lesquels les émotions affectent
l’attention. L’amplification ou la diminution des biais attentionnels permet de détermi-
ner comment les états émotionnels des participants, induits par la psychopathologie et
les traits de personnalité, affectent nos mécanismes attentionnels. Les données issues
de l’étude des différences individuelles et de la psychopathologie renforcent l’argument
selon lequel l’état émotionnel des individus, et pas uniquement la valence et l’intensité
émotionnelle des stimulus, entraîne des changements dans la mobilisation de nos res-
sources et mécanismes attentionnels. Les arguments empiriques issus de l’étude du
vieillissement permettent, quant à eux, notamment de comprendre comment, avec le
déclin cognitif lié à l’âge, l’influence des émotions sur l’attention dépend également des
capacités cognitives disponibles, mais aussi comment l’ampleur de ce déclin peut être
modulée par le contexte émotionnel.
Plusieurs phénomènes relatifs aux différences individuelles et à la psychopathologie
montrent que l’émotion vécue (ou l’état émotionnel) au moment du testing influence
l’attention. Par exemple, l’attention sélective n’est pas influencée par les émotions de
la même manière chez des individus anxieux ou chez des patients phobiques et chez
des individus tout-venant. Par exemple, les effets Stroop émotionnels sont amplifiés
chez des individus anxieux (e.g., Richards & Millwood, 1989) et chez des patients
victimes d’attaque de panique (e.g., Ehlers et al., 1988) ou de phobie sociale (e.g., Hope
et al., 1990) lorsque le stimulus émotionnel est anxiogène ou menaçant. Par exemple
encore, la détection de cible mesurant la capture attentionnelle peut être plus rapide
chez des anxieux lorsque le stimulus avertisseur désigne une entité menaçante (e.g.,
Georgiou et al., 2005) ou plus lente chez des patients atteints de dépression lorsque
le stimulus avertisseur est émotionnellement négatif (e.g., Donaldson et al., 2007). Par
ailleurs, dans une tâche mesurant le clignement attentionnel, les effets de lag sont
réduits chez des individus anxieux lorsque l’image cible à détecter représente une
entité menaçante (e.g., Fox et al., 2001) et chez des patients phobiques (e.g., Trippe et
al., 2007) lorsque l’image cible représente l’objet de leur phobie (p. ex., une araignée
pour des arachnophobes).
De la même manière, les travaux en vieillissement ont fait apparaître que l’effet des
émotions sur l’attention varie selon l’âge des participants, si bien que les interactions
Conclusions ■ 75
Exercez-vous en ligne
Vrai ou faux
www.lienmini.fr/7527-VF3
Flash-cards
www.lienmini.fr/7527-FC3
CHAPITRE 4
Émotion et mémoire
Dans ce chapitre, la façon dont les émotions affectent la mémoire est présen-
tée pour divers types de stimulus (mots isolés, paires de mots, textes, scènes,
vidéos). Il présente également comment l’effet des émotions peut varier selon
les différents paradigmes utilisés (tâches de rappel libre ou sériel indicé ou
non ; tâches de reconnaissance) et pour les différents mécanismes mnésiques
fondamentaux (encodage, maintien ou consolidation et rappel). De plus,
ce chapitre présente ce que les chercheurs appellent les effets tunnel, de
congruence affective, ainsi que les effets de contexte. Enfin, une section traite
du rôle des émotions sur les faux souvenirs et sur la mémoire des détails. Pour
chacun de ces aspects, la modulation des effets de l’émotion sur la mémoire
par des variables (comme l’intensité, la valence) caractérisant les émotions est
également discutée.
SOMMAIRE
Les psychologues qui veulent comprendre la mémoire et qui veulent savoir si notre
fonctionnement mnésique est affecté par les émotions se posent au moins trois types
de questions. D’abord, notre mémoire fonctionne-t-elle mieux lorsque nous sommes
heureux que lorsque nous sommes tristes ? Retenons-nous plus facilement et pour plus
longtemps une bonne nouvelle qu’une mauvaise nouvelle ? Ensuite, rappelons-nous
plus d’informations relatives à des événements tristes que relatives à des événements
joyeux ou neutres quand nous sommes tristes, et plus d’informations relatives à des
événements joyeux quand nous sommes joyeux ? Ou le type, la nature et le nombre
d’informations émotionnelles et neutres récupérées n’ont-ils rien à voir avec notre état
émotionnel au moment du rappel ? Enfin, pour retrouver un souvenir lointain d’un
événement vécu dans un certain contexte émotionnel et enfoui très profondément
dans notre mémoire, est-il important de se remettre dans ce contexte émotionnel et
de ré-éprouver ou revivre d’une manière ou d’une autre la même émotion que celle
ressentie au moment où l’événement est arrivé ? Ou, au contraire, est-il tout à fait
possible de retrouver un souvenir sans avoir à réactiver un contexte émotionnel
initial au moment de la recherche en mémoire de ce souvenir ? En d’autres termes, se
replonger dans les émotions ressenties au moment où est survenu un événement de
notre vie aide-t-il à retrouver plus d’informations sur cet événement ? Si oui, quel type
d’informations cela aide-t-il à retrouver, des informations plus détaillées, plus précises
et exactes, ou au contraire des informations plus générales et moins précises, moins
exactes ? Sinon, l’émotion réactivée en nous bloque-t-elle complètement la récupération
d’informations pourtant stockées au moment de l’encodage et conservées dans notre
mémoire ?
Dans ce chapitre, nous présentons les résultats disponibles d’abord sur les effets
bénéfiques des émotions sur la mémoire, puis sur les effets délétères. Ensuite, nous
verrons qu’une information ou un souvenir émotionnel est d’autant mieux rappelé que
la valence émotionnelle de ce souvenir correspond à l’état émotionnel dans lequel nous
sommes au moment de l’encodage et du rappel. Enfin, nous discuterons les effets dits
de dépendance au contexte émotionnel et de Trade-Off mnésique.
90
Pourcentages de réponses correctes 80 Mots neutres
Mots émotionnels
70
60
50
40
30
20
10
0
Items Source Items Source
Présentation auditive Présentation visuelle
Figure 4.1
Effets d’amplification mnésique sur des mots isolés (d’après Davidson et al., 2006).
Pourcentages de réponses correctes sur les mots émotionnels et neutres et sur la source en fonction
de la modalité de présentation à l’encodage. En présentation auditive comme en présentation visuelle,
les participants rappelaient plus de mots émotionnels (mais pas la source) que de mots neutres.
60
Neutre
Pourcentages de reconnaissances correctes
50 Négatif
Positif
40
30
20
10
0
Charge faible Charge élevée
Figure 4.2
Émotion, charge en mémoire de travail et mémoire (d’après Miendlarzewska et al., 2013).
Pourcentages de reconnaissances correctes sur des images émotionnellement neutres, positives
et négatives en condition de charge faible ou élevée en mémoire de travail. L’effet d’amplification
mnésique (meilleures performances pour les items émotionnels que pour les items neutres)
disparaissait en condition de charge élevée.
80
Rappels et reconnaissances corrects
70 Neutre Émotionnel
60
50
40
30
20
10
0
Rappel Reconnaissance
Figure 4.3
Effets d’amplification mnésique sur des récits et diapositives (d’après Cahill & McGaugh, 1995).
Pourcentages de rappels et reconnaissances correctes des informations neutres et émotionnelles.
Dans les deux tâches, rappel et reconnaissance, les participants avaient de meilleures performances
sur les informations émotionnelles que sur les informations neutres.
9
Films émotionnels
8
Films neutres
7
Nombre de films rappelés
0
Communication autorisée Communication non autorisée
Figure 4.4
Effets d’amplification mnésique sur des films (d’après Guy & Cahill, 1999).
Nombre de films neutres et émotionnels correctement rappelés en fonction de la condition
de communication dans laquelle se trouvaient les participants. Dans les deux conditions
de communication, les participants rappelaient plus de films émotionnels que de films neutres.
cibles (les mots), mais aussi d’informations contextuelles (la source). Il est intéressant
de remarquer que, de temps en temps, l’effet d’amplification mnésique ne s’observe
pas sur la mémorisation et/ou le rappel d’informations contextuelles (e.g., Davidson
et al., 2006), tandis qu’il apparaît dans certaines études, comme ici dans l’étude de
Doerksen et Shimamura (voir aussi MacKay & Ahmetzanov, 2005 ; Mather, 2007 ;
Mather & Nesmith, 2008). Il est probable que l’attention des participants dirigée par les
expérimentateurs vers l’information contextuelle (c.-à-d., les participants avaient pour
consigne explicite de traiter la couleur de l’encre dans laquelle les mots étaient présen-
tés ou du cadre autour des mots) soit le facteur critique pour l’apparition ou non des
effets d’amplification mnésique sur la mémorisation de la source. Cette mémorisation du
contexte bénéficiera de l’émotion contenue par l’information cible lorsque le participant
a pour but explicite de traiter l’information contextuelle et n’en bénéficiera pas si la tâche
ne requiert pas que le participant focalise son attention sur l’information contextuelle.
60
de rappels/reconnaissances corrects
50 Neutre Émotionnel
40
Pourcentages
30
20
10
0
Mémoire d’items Mémoire de source
Figure 4.5
Effets d’amplification mnésique sur des informations contextuelles
(d’après Doerksen & Shimamura, 2001).
Pourcentages de rappels corrects des mots cibles et des informations contextuelles (source).
La mémorisation d’informations cibles et contextuelles était meilleure pour les informations
émotionnelles.
5 cm), un autre mot qui était soit un mot émotionnel, soit un mot neutre. Ensuite, soit
3 minutes, soit 24 heures après l’encodage, les participants avaient un test de reconnais-
sance surprise. Ils voyaient 64 paires de mots, dont un était un mot présenté pendant l’enco-
dage (soit au centre de l’écran, soit en périphérie) et l’autre un mot nouveau. Les participants
devaient indiquer lequel des deux mots était ancien. Dans une autre expérience, les auteurs
ont utilisé exactement la même procédure, sauf que les participants voyaient à l’encodage,
en plus du mot neutre au centre, deux mots en périphérie, l’un neutre et l’autre émotionnel.
Les taux de reconnaissance pour les mots présentés au centre étaient très élevés (supé-
rieurs à 96 %), ce qui indique que les participants ont bien prêté attention à la tâche
principale d’évaluation de la fréquence dans la langue de ces mots présentés au centre. Les
mêmes résultats sont apparus dans la condition où un seul mot était présenté en périphérie
et dans la condition où deux mots étaient affichés, et quand les mots présentés au centre
étaient des mots neutres et des mots émotionnels (Figure 4.6). La différence dans les taux
de reconnaissance correcte entre les mots neutres et émotionnels n’était pas la même dans
la reconnaissance immédiate et différée. Les participants retenaient autant les mots neutres
que de mots émotionnels lors de la tâche de reconnaissance immédiate. En revanche, lors
de la reconnaissance différée, les participants avaient mieux retenu les mots émotionnels.
Ceci suggère qu’après l’encodage, l’oubli des mots neutres est plus rapide que celui des mots
émotionnels. Tout se passe comme si l’émotion permet de maintenir (ou d’oublier moins
vite) l’information. Notons que cet effet du délai est observé pour des délais entre encodage
et rappel nettement plus longs que 24 heures : Dolcos et ses collaborateurs (2005), par
exemple, ont observé les mêmes effets un an après l’encodage.
80
Neutres Émotionnels
75
Pourcentages de reconnaissances correctes
70
65
60
55
50
45
40
Immédiat Différé Immédiat Différé Immédiat Différé
Figure 4.6
Effets d’amplification mnésique en reconnaissance immédiate et différée
(d’après Sharot & Phelps, 2004).
Pourcentages de reconnaissances correctes des mots neutres et émotionnels présentés en périphérie,
lors d’une épreuve de reconnaissance immédiate ou différée, quand les participants voyaient un seul
mot (neutre ou émotionnel) ou deux (un neutre et un émotionnel) en périphérie. La reconnaissance
différée, mais pas immédiate était meilleure pour les mots émotionnels.
86 ■ CHAPITRE 4 – Émotion et mémoire
Notons que les émotions ne sont pas systématiquement associées à un maintien plus
long des informations en mémoire. Au cours du temps, nous pouvons oublier de plus
en plus de détails d’une information ou d’un événement émotionnel. Par exemple,
Talarico et Rubin (2003) ont demandé à des étudiants le 12 septembre 2001 (c.-à-d., le
lendemain des attentats à New York) de noter tout ce dont ils pouvaient se souvenir,
et avec le plus de détails possible, du moment où ils ont appris les attentats (où et avec
qui ils étaient, ce qu’ils faisaient, etc.). Par ailleurs, les chercheurs ont demandé à leurs
participants de décrire un événement anodin qu’ils avaient vécu le jour des attentats.
Les auteurs ont ensuite demandé aux participants de revenir au laboratoire et de
décrire ces deux événements avec autant de détails que possible 1, 7 et 42 semaines
après. Pour chaque souvenir rapporté, les participants devaient également donner un
jugement de confiance relatif à l’exactitude de leurs souvenirs sur une échelle allant de
« je ne suis pas sûr du tout de l’exactitude de ce souvenir » à « je suis très confiant dans
l’exactitude de ce souvenir ». Plus le temps passait, plus le nombre de détails diminuait,
et ceci autant pour les souvenirs de l’événement anodin que pour les souvenirs asso-
ciés aux attentats. Ceci montre que les émotions ne sont pas toujours systématique-
ment associées à un maintien plus important des informations, dans le sens où comme
pour d’autres événements, les détails qui accompagnent nos souvenirs émotionnels
peuvent décliner avec le temps. Par ailleurs, les auteurs ont observé que la confiance
dans les souvenirs rappelés diminuait avec le temps pour l’événement anodin, mais
restaient relativement stables pour les souvenirs qui se rapportaient aux attentats.
Tout se passait comme si les émotions n’avaient pas nécessairement rendu le maintien
des informations en mémoire meilleur, mais avait entraîné les participants à conserver
une très grande confiance dans l’exactitude des souvenirs rappelés.
En résumé, les données font apparaître que du matériel émotionnel est mieux mémorisé
et mieux rappelé que du matériel neutre, que ce matériel soit simple (comme des mots
isolés) ou sémantiquement plus riche (comme des scènes ou des films). Par ailleurs, le
matériel émotionnel résiste mieux à l’oubli, puisqu’avec le temps, nous nous rappelons
plus facilement des informations émotionnelles que des informations neutres. Cette amé-
lioration des performances mnésiques pour des informations émotionnelles tient vrai-
semblablement au caractère plus saillant du matériel émotionnel comparé au matériel
neutre, attirant alors davantage l’attention des participants qui le traitent plus profondé-
ment à l’encodage, le réactivent plus fréquemment et avec plus de détail pendant la phase
de consolidation/maintien et utilisent davantage d’indices au moment de la récupération.
Par exemple, Kuhlmann et ses collaborateurs (2005) ont rapporté une étude où les
émotions produites par le stress ont entraîné un déclin des performances mnésiques
des participants. Dans leur expérience, les participants sont venus deux jours au
laboratoire. Le premier jour, l’expérimentateur leur a présenté une liste de 30 mots
(10 neutres, 10 positifs, 10 négatifs) sur une feuille. Les participants avaient deux
minutes pour en apprendre le plus possible. Ensuite, ils devaient rappeler le plus de
mots possible. Cette procédure a été renouvelée une deuxième fois pour augmenter
l’apprentissage. Le lendemain, les participants sont revenus au laboratoire et ont été
aléatoirement affectés dans une condition avec stress ou dans une condition contrôle
(sans stress). Dans la condition avec stress, les participants devaient d’abord préparer,
pendant 2 minutes, un discours pour un entretien d’embauche au cours duquel il fallait
mettre en avant ses qualités personnelles. Ensuite, les participants devaient donner ce
discours pendant 5 minutes devant deux évaluateurs (embaucheurs potentiels) vêtus
d’une blouse blanche. Ils étaient filmés pendant ce discours. Enfin, pendant 5 minutes,
ils devaient compter à rebours par pas de 17 à partir de 2043. Cette procédure, appe-
lée « Trier Social Stress Test » (Kirschbaum et al., 1993) est connue pour provoquer un
stress important, telle que mesurée par une augmentation du taux de cortisol, ce qui a
été le cas pour les participants testés dans la condition avec stress. Dans la condition
contrôle, le discours consistait à raconter un film ; il n’était pas donné devant deux éva-
luateurs en blouse blanche, et il n’était pas filmé. Après le discours, les participants des
deux conditions devaient rappeler les mots appris la veille et dont ils se souvenaient.
Les taux de rappel correct le premier jour, juste après l’encodage, étaient comparables
dans les deux groupes, celui qui le lendemain allait être testé en condition de stress
et celui qui allait être testé en condition contrôle (les deux groupes ont rappelé en
moyenne 18 mots sur les 30 présentés). Les auteurs ont comparé les pourcentages de
mots correctement rappelés le lendemain après avoir passé la condition avec stress
ou contrôle (Figure 4.7). Les participants rappelaient plus de mots dans la condition
contrôle que dans la condition stress, sauf pour les mots neutres. Cette différence
entre les deux conditions était la plus importante pour les mots négatifs. Les effets
délétères du stress sur les performances mnésiques sont robustes. Ils ont été maintes
fois rapportés dans différents contextes expérimentaux et surviennent sur l’ensemble
des mécanismes mnésiques, depuis les mécanismes d’encodage et maintien jusqu’aux
mécanismes de récupération, en laboratoire comme à l’extérieur du laboratoire (e.g.,
Buchanan & Lovallo, 2001 ; Cahill et al., 2003 ; Deffenbacher et al., 2004 ; Edelstein,
2006 ; Het et al., 2005 ; Morgan et al., 2004 ; Payne et al., 2006; Raes et al., 2006;.
Richards & Gross, 2000, 2006 ; Roozendaal, 2002 ; Roozendaal et al., 2006 ; Talmi
et al., 2018).
88 ■ CHAPITRE 4 – Émotion et mémoire
80
Pourcenages de rappels corrects
Contrôle Stress
70
60
50
40
30
Neutres Négatifs Positifs
Figure 4.7
Effets délétères du stress sur le rappel (d’après Kuhlmann et al., 2005).
Taux de rappel correct des mots neutres, négatifs et positifs en conditions de stress et contrôle.
Les participants rappelaient moins de mots négatifs et positifs en condition de stress qu’en condition
contrôle (mais autant de mots neutres).
Notons que les effets délétères du stress sur les performances mnésiques sont obser-
vés dans des tâches de rappel moins coûteuses en ressources cognitives, comme les
tâches de reconnaissance et pas uniquement quand le stress est induit au moment
du rappel. Par exemple, dans l’étude de Payne et de ses collaborateurs (2006), les
participants voyaient 12 diapositives. Chaque diapositive était présentée pendant
6 secondes et accompagnée d’un récit. Le récit de l’ensemble des douze diapositives
formait une histoire. L’histoire était celle d’une mère conduisant son jeune fils vers
son père. Les quatre premières et les cinq dernières diapositives montraient des
images neutres, et le récit accompagnant était neutre. Les trois diapositives du milieu
montraient des images émotionnelles et étaient accompagnées d’informations émo-
tionnelles (la mère et l’enfant ont eu un grave accident de voiture ; l’enfant doit subir
une opération à cœur ouvert pour être sauvé). Les participants étaient testés soit en
condition avec stress, soit en condition contrôle, sans stress. Dans la condition avec
stress (induit par la procédure du Trier Social Stress Test), avant de visionner les diapo-
sitives, ils devaient donner un discours devant un miroir sans tain, derrière lequel se
trouvaient trois évaluateurs qui allaient leur donner une note sur la qualité de leur dis-
cours. Les participants se croyaient filmés pendant leur discours. Ils devaient ensuite
effectuer une tâche difficile de calcul mental pendant 5 minutes. Les participants de la
condition contrôle devaient simplement rester assis pendant la même durée (environ
20 minutes) à écouter une musique relaxante. Soit immédiatement après l’encodage,
soit une semaine après, les participants avaient une épreuve de rappel libre et une
épreuve de reconnaissance. Dans l’épreuve de rappel libre, ils devaient rappeler le plus
possible d’informations relatives à chaque diapositive (et au récit qui l’accompagnait).
Dans l’épreuve de reconnaissance, ils avaient 137 questions sur des éléments présents
et absents des diapositives et récits. Ils devaient dire si oui ou non les éléments men-
tionnés dans chaque question étaient présents dans les diapositives ou les récits.
Quand les émotions dégradent et modifient la mémoire ■ 89
80
Pourcentages de reconnaissances correctes
Neutres
70
Émotionnelles
60
50
40
30
20
10
0
Stress Contrôle Stress Contrôle
Reconnaissance immédiate Reconnaissance différée
Figure 4.8
Effets délétères du stress en reconnaissance (d’après Payne et al., 2006).
Pourcentages de reconnaissances correctes immédiates et différées pour des informations émotionnelles
et neutres dans les conditions avec stress et contrôle. Aussi bien immédiatement qu’une semaine après,
le stress à l’encodage a eu un effet délétère sur la reconnaissance d’informations neutres.
Sur la Figure 4.8, apparaissent les performances des participants à la tâche de reconnais-
sance. Au-delà des meilleurs taux de reconnaissance pour les informations émotionnelles,
il est intéressant d’observer que le stress a entraîné une diminution des performances sur
les informations neutres aussi bien immédiatement après l’encodage qu’une semaine après.
Les effets du stress étaient absents sur les informations émotionnelles (aucune différence
dans les taux de reconnaissances correctes entre les conditions avec et sans stress), comme
si le stress n’avait pas perturbé l’encodage d’informations émotionnelles contrairement aux
informations neutres. Vraisemblablement, la saillance des informations émotionnelles a
suffisamment attiré l’attention du participant pour un encodage plus profond et, en consé-
quence, un meilleur rappel immédiat et différé, même dans un état de stress à l’encodage.
En résumé, les données ont fait apparaître que les émotions améliorent nos performances
mnésiques de temps en temps et les dégradent à d’autres moments. La plupart des travaux
ayant montré une amélioration ont étudié le rôle des émotions par la valence émotionnelle
des informations à mémoriser ou à rappeler, tandis que ceux ayant montré une dégrada-
tion ont manipulé l’état émotionnel du participant. La question est alors de savoir ce qui
se passe pour les performances mnésiques lorsque l’état émotionnel du participant et la
valence émotionnelle du matériel sont étudiés conjointement, soit de manière congruente
(p. ex., mémorisation d’informations tristes dans un état de tristesse), soit de manière non
congruente (p. ex., mémorisation d’informations tristes dans un état gai).
alors que nous en cherchons une autre, mélangeons les sources d’une même information,
ou bien encore rappelons de faux souvenirs. Les faux souvenirs correspondent au souve-
nir d’événements qui ne nous sont pas arrivés. Pour déterminer si les émotions peuvent
modifier certains de nos souvenirs et plus particulièrement affecter la production de faux
souvenirs, plusieurs méthodes ont été utilisées par les chercheurs (voir Kaplan et al., 2016,
pour une revue). En laboratoire, l’une d’entre elles est la procédure dite DRM (encore
appelée « paradigme DRM », Deese-Roediger-McDermott ; Roediger & McDermott, 1995).
Dans ce paradigme (voir Pardilla-Delgado & Payne, 2017, pour une revue), les participants
voient des listes de mots reliés par un thème (p. ex., lit, repos, fatigué, rêve, profond, paisible,
etc., reliés au thème « sommeil »). Le thème (c.-à-d., le mot sommeil) n’est pas présenté. Après
un délai variable, pendant lequel les participants ont ou non une activité distractrice, les
participants ont une épreuve de rappel (ils doivent rappeler le plus de mots possible) ou
de reconnaissance (ils doivent dire, pour chaque mot présenté, s’il faisait partie ou non de
la liste de mots appris précédemment). Les faux souvenirs sont caractérisés par le rappel
des mots non présentés, mais reliés aux mots des listes de mots appris (tâche de rappel)
ou par la tendance à dire « oui, ce mot faisait partie de la liste des mots appris » (tâche de
reconnaissance), même si ces mots reliés n’en faisaient pas partie. Les participants sont
même souvent certains que le mot non présenté faisait partie des mots de la liste. Pour
déterminer si les émotions affectent la création de faux souvenirs, les chercheurs ont uti-
lisé le paradigme DRM et manipulé la valence émotionnelle des mots à apprendre.
90
70
60
50
40
30
20
10
0
Négative Neutre Positive
Figure 4.9
Émotion et faux souvenirs (d’après Brainerd et al., 2008).
Pourcentages de réponses « oui le mot faisait partie des mots présentés » sur les mots cibles
et les distracteurs reliés pour les mots appris à valence négative, neutre et positive.
Par exemple, Brainerd et ses collaborateurs (2008) ont donné à leurs participants des
listes de mots à apprendre. Le mot représentant le thème de la liste n’était pas présenté.
Les mots de la liste avaient une valence émotionnelle négative, neutre ou positive. Lors de
la tâche de reconnaissance, les participants voyaient deux types de mots en plus des mots
cibles présentés précédemment : des distracteurs reliés (c.-à-d., des mots non vus, mais
Quand les émotions dégradent et modifient la mémoire ■ 91
qui avaient la même signification que les mots vus) et des distracteurs non reliés (c.-à-d.,
des mots non vus et n’ayant pas la même signification que les mots vus). Pour chaque
mot présenté à la tâche de reconnaissance, les participants devaient répondre par « oui »
ou « non » à trois questions : (a) question appelée « verbatim » (ce mot faisait-il partie de
la liste des mots vus précédemment ?), (b) question appelée « gist » (ce mot n’a pas été
vu précédemment, mais il avait le même sens que les mots vus ?) et (c) question appelée
« verbatim+gist » (ce mot était un mot vu précédemment ou un mot non vu, mais ayant le
même sens que les mots vus ?). Les faux souvenirs étaient évalués par la réponse que les
participants donnaient aux distracteurs reliés (c.-à-d., réponse « oui » à la question verba-
tim). Les résultats étaient comparables pour les listes de mots présentés à l’écrit et à l’oral.
Les données à la Figure 4.9 font apparaître les pourcentages moyens de mots (à l’écrit et à
l’oral ensemble), en tâche de reconnaissance, que les participants ont correctement recon-
nus (les cibles) et pour lesquels ils ont réalisé de fausses reconnaissances (distracteurs
reliés à propos desquels les participants ont répondu « oui, ils faisaient partie de la liste de
mots présentés »). Les participants reconnaissaient mieux les mots cibles préalablement
présentés lorsque ces mots avaient une valence émotionnelle négative que lorsqu’ils
étaient neutres et reconnaissaient les mots positifs le moins souvent. Par ailleurs, concer-
nant les distracteurs reliés, ils avaient plus tendance à reconnaître (de manière erronée) ces
distracteurs reliés aux mots appris quand ces mots appris avaient une valence émotion-
nelle négative que quand ils avaient une valence neutre, les mots à valence émotionnelle
positive entraînant le moins de faux souvenirs (les auteurs ont confirmé ces résultats par
une analyse de détection du signal pour contrôler les biais de réponse). En d’autres termes,
les émotions ont affecté les taux de reconnaissance correcte et les faux souvenirs. L’effet
des émotions était même plus important sur les faux souvenirs négatifs que sur les vrais
souvenirs. Enfin, les vrais souvenirs étaient plus nombreux que les faux souvenirs pour
les mots neutres et positifs, mais moins nombreux pour les mots négatifs.
Des modélisations mathématiques (multinomiales) de leurs données ont permis aux
auteurs de comprendre que deux mécanismes clés sont responsables de l’augmentation
des faux souvenirs sous l’effet des émotions négatives. D’une part, les émotions négatives
entraînent une augmentation en mémoire du sentiment de familiarité pour des items non
encodés du fait que les faux souvenirs apparaissent similaires aux vrais souvenirs néga-
tifs. En d’autres termes, une information proche d’un souvenir émotionnellement négatif
conduit le participant à répondre « oui, ce mot a été vu précédemment ». Par ailleurs, les
participants s’appuient moins sur des traces mnésiques verbatim (précises et distinctes) de
souvenirs négatifs lorsqu’ils jugent une information nouvelle proche du souvenir négatif,
ce qui les rend moins aptes à discriminer entre souvenir stocké et information nouvelle.
Au contraire, les faux souvenirs proches d’événements positifs ou neutres stockés en
mémoire sont moins nombreux, vraisemblablement car les participants s’appuient davan-
tage sur des traces mnésiques précises, verbatim, d’un souvenir positif ou neutre pour éva-
luer si une information nouvelle est nouvelle ou ancienne. Cette récupération des traces
mnésiques verbatim des événements positifs stockés en mémoire permet au système
cognitif de mieux faire la différence entre souvenirs stockés et informations nouvelles.
En conclusion, cette étude met bien en relief la plus grande sensibilité des souvenirs
émotionnels, en particulier les souvenirs négatifs, à produire de faux souvenirs. Même
si certaines études n’ont pas observé une augmentation des faux souvenirs émotionnels
92 ■ CHAPITRE 4 – Émotion et mémoire
(e.g., Kensinger & Corkin, 2004 ; Pesta et al., 2001), cette augmentation a été retrouvée
dans de nombreuses recherches (e.g., Brainerd et al., 2010 ; Brueckner & Moritz, 2009 ;
Budson et al., 2006 ; Chang et al., 2020 ; Dehon et al., 2010 ; Gaigg & Bowler, 2009 ;
Gallo et al., 2009 ; Kersten et al., 2021 ; Piguet et al., 2008 ; Sharkawy et al., 2008).
Notons que, dans une série d’expériences, Bookbinder et Brainerd (2016, 2017 ; voir aussi
Brainerd & Bookbinder, 2019) ont trouvé que les faux souvenirs étaient bien influencés
par la valence (et non l’intensité) émotionnelle des informations ou événements stockés.
90 Événements positifs
80 Événements négatifs
Pourcentages de rappels
70
60
50
40
30
20
10
Émotion positive Émotion négative Émotion positive Émotion négative
Souvenirs autobiographiques Souvenirs épisodiques
Figure 4.10
Effets de congruence affective (d’après Bower et al., 1978 ; 1981).
Pourcentages d’événements positifs et négatifs autobiographiques (à gauche) et épisodiques
(à droite) rappelés par des participants en état émotionnel positif ou négatif. Dans les deux cas,
les participants rappellent plus d’événements positifs dans un état émotionnel positif et plus
d’événements négatifs dans un état émotionnel négatif.
94 ■ CHAPITRE 4 – Émotion et mémoire
Les effets de congruence affective sont intéressants, car ils suggèrent deux choses.
D’abord, notre mémoire dépend de notre état émotionnel, mais aussi de la valence
émotionnelle du matériel. Séparément, ces deux facteurs influencent notre fonction-
nement mnésique. Ensuite, et de manière plus importante, l’influence de nos émotions,
mais aussi de la valence émotionnelle des informations encodées et rappelées sur notre
mémoire dépend de la congruence entre notre état émotionnel et la valence émotion-
nelle du matériel à mémoriser ou à rappeler. Lorsque nous éprouvons des émotions,
nous allons davantage stocker et récupérer des informations en lien avec les émotions
éprouvées. Lorsque nous cherchons à récupérer des informations en mémoire, la
récupération ou la non-récupération des informations recherchées va dépendre de
notre état émotionnel. En d’autres termes, quand nous sommes tristes, nous allons
avoir tendance à davantage penser à des choses tristes qui nous sont arrivées ou à des
informations tristes que nous avons stockées, tandis que le contenu de nos pensées
sera davantage joyeux quand nous sommes dans un état joyeux.
Les recherches ont également montré que l’état émotionnel dans lequel nous nous trou-
vons influence le jugement (positif, négatif ou neutre) que nous portons sur les souvenirs
récupérés. Ainsi, un événement désagréable sera jugé plus désagréable s’il est récupéré
dans un état émotionnel négatif que s’il est récupéré dans un état émotionnel neutre ou
positif. Inversement, un événement agréable sera jugé plus agréable s’il est récupéré dans
un état émotionnel positif. Les données rapportées par Miranda et Kihlstrom (2005)
montrent très clairement ce phénomène. Les auteurs ont demandé à leurs participants
d’abord d’écouter, pendant 10 minutes, une musique triste (p. ex Prélude n° 4 en mi
mineur de Chopin), une musique joyeuse (p. ex., Petite musique de nuit de Mozart) ou bien
une musique neutre (Fugue n° 4 en mi mineur de Shostakovich). Ensuite, les participants
voyaient sur un écran d’ordinateur défiler 30 mots inducteurs. Certains de ces mots
étaient positifs (p. ex., cadeau), d’autres négatifs (p. ex., araignée), d’autres enfin neutres
(p. ex., table). Pour chaque mot, les participants devaient dire le premier souvenir person-
nel auquel le mot leur faisait penser. Si le mot inducteur était précédé du mot ancien, les
participants devaient essayer de se rappeler un événement ancien (qui leur était arrivé
entre la maternelle et le CM2). Si le mot inducteur était précédé de « récent », ils devaient
rappeler un souvenir correspondant à un événement de leur vie, survenu entre le collège
et le moment présent. Les participants devaient également évaluer la valence émotion-
nelle des souvenirs sur une échelle de -4 (très désagréable) à 4 (très agréable). Ils devaient
évaluer si l’événement récupéré était agréable ou désagréable d’abord quand l’événement
est survenu puis au moment présent de l’expérience.
La Figure 4.11 fait apparaître les jugements de valence émotionnelle des souvenirs
correspondant à des événements survenus plus récemment (les mêmes résultats sont
apparus pour les souvenirs plus anciens). Les participants jugeaient les événements
plaisants plus agréables quand ils étaient dans un état émotionnel positif que quand ils
se trouvaient dans un état neutre ou négatif. Par ailleurs, ils jugeaient les événements
déplaisants plus désagréables dans un état émotionnel négatif que dans un état émo-
tionnel positif ou neutre. De manière intéressante, les souvenirs correspondant à des
événements émotionnellement neutres étaient jugés plus agréables dans un état émo-
tionnel positif que dans un état émotionnel neutre et plus désagréable lorsqu’évalués
dans un état émotionnel négatif.
Effets de congruence affective, de dépendance aux contextes et de tunnel ■ 95
2
Souvenirs positifs
Jugements de valence émotionnelle
Souvenirs neutres
1,5
Souvenirs négatifs
0,5
-0,5
-1
Émotion positive Émotion neutre Émotion négative
Figure 4.11
Effets de congruence sur le jugement mnésique (d’après Miranda & Kihlstrom, 2005).
Jugements de valence émotionnelle pour des souvenirs autobiographiques positifs, neutres
et négatifs dans un état émotionnel positif, neutre, ou négatif. Les participants jugeaient plus
agréables des souvenirs positifs sous émotion positive et plus désagréables des événements négatifs
sous émotion négative. Les événements émotionnellement neutres étaient jugés plus agréables
sous émotion positive et moins agréables sous émotion négative.
des informations sont mieux rappelées si les contextes d’encodage et de rappel sont
les mêmes que si ces contextes diffèrent. Concernant les effets de dépendance aux
contextes émotionnels, il ne s’agit pas d’un contexte physique, mais d’un contexte psy-
chologique particulier, le contexte émotionnel. Ces effets robustes ont été rapportés
de nombreuses fois (e.g., Blaney, 1986 ; Bower, 1981 ; Bower et al., 1978 ; Clark et al.,
1983 ; Ehrlichman & Halpern, 1988 ; Eich & Metcalfe, 1989 ; Eich, 1980 ; Eich et al.,
1975 ; Lewis & Critchley, 2003 ; Ucros, 1989), même s’ils ne sont pas observés dans
certaines conditions expérimentales (e.g., Bower & Mayer, 1985, 1989 ; Isen et al.,
1978 ; Nasby & Yando, 1982 ; Wetzler, 1985).
Par exemple, Eich et ses collaborateurs (1994) ont conduit plusieurs expériences où ils
ont cherché à voir si la congruence entre contextes émotionnels à l’encodage et au rap-
pel entraîne de meilleures performances. Au cours de la phase d’encodage, les partici-
pants lisaient des mots inducteurs neutres. Pour chaque mot, les participants devaient
essayer de se rappeler aussi précisément que possible pendant 2 minutes maximum un
événement de leur passé (en étant capables de le dater et le situer ainsi qu’en pouvant
le décrire avec quelques détails). Dans une première expérience, les expérimentateurs
disaient aux participants, pour chaque mot, s’ils devaient se rappeler un événement
positif ou un événement négatif (condition avec contrainte de valence émotionnelle
du souvenir autobiographique produit à l’encodage). Dans une autre expérience, la
valence émotionnelle n’était pas contrainte (condition sans contrainte de valence
émotionnelle), les participants choisissant eux-mêmes de retrouver un souvenir positif
ou négatif pour chaque mot inducteur. Dans ces deux premières expériences, le délai
entre l’encodage et le rappel était de deux jours. Dans une troisième expérience, ce délai
était de trois jours. Pour induire un état émotionnel, la moitié des participants enten-
daient une musique connue pour entraîner un état positif (p. ex., Divertimento K 136
de Mozart) et les autres participants entendaient une musique connue pour rendre
triste (p. ex Adagio en sol mineur d’Albinoni). Deux jours ou 7 jours après, les auteurs
ont demandé aux participants de rappeler les souvenirs générés pendant la phase
d’encodage. La moitié des participants se trouvaient dans le même contexte émotionnel
à l’encodage et au rappel (c.-à-d., les participants écoutaient une musique positive ou
négative dans les deux contextes), l’autre moitié dans un contexte émotionnel différent
(les participants écoutaient une musique joyeuse à l’encodage et triste au rappel, ou
l’inverse). Bien sûr, des mesures contrôles ont permis de s’assurer que les participants
éprouvaient des émotions plutôt négatives quand ils écoutaient (à l’encodage ou au
rappel) des musiques désagréables et des émotions plutôt positives lorsqu’ils écou-
taient des musiques agréables afin de vérifier le succès de la procédure d’induction
émotionnelle. Les taux de rappel correct pour la condition avec et sans contrainte
de la valence émotionnelle des souvenirs générés à l’encodage apparaissent à la
Figure 4.12, séparément pour les individus qui se sont trouvés dans le même état
émotionnel à l’encodage et au rappel et pour les individus qui étaient dans des états
émotionnels différents à l’encodage et au rappel. Les données montrent que les taux
de rappel sont nettement supérieurs quand les individus se trouvaient dans un état
émotionnel à même valence à l’encodage et au rappel que quand ils se trouvaient dans
des états émotionnels à valences différentes. Par ailleurs, les effets de dépendance aux
contextes émotionnels n’apparaissaient pas lorsque le délai entre l’encodage et le rap-
pel était de 7 jours. Ceci suggère que l’importance du contexte émotionnel s’estompe
Effets de congruence affective, de dépendance aux contextes et de tunnel ■ 97
avec le temps et/ou que la récupération d’une information s’appuie de moins en moins
avec le temps sur la congruence entre les contextes d’encodage et de récupération.
Notons également que les effets de dépendance aux contextes émotionnels sont moins
forts lorsque les participants ne génèrent pas eux-mêmes le matériel à stocker (p. ex.,
lorsqu’ils lisent une liste de mots) que lorsqu’ils produisent eux-mêmes le matériel à
mémoriser (e.g., Eich, 1995 ; Eich & Metcalfe, 1989 ; Forgas et al., 1988).
50
Mêmes contextes
40
Taux de rappels corrects
Contextes différents
30
20
10
0
Encodage contraint/ Encodage non Encodage non
2 jours contraint/2 jours contraint/7 jours
Figure 4.12
Effets de dépendance aux contextes (d’après Eich et al., 1994).
Taux de rappels des souvenirs autobiographiques selon la congruence entre l’état émotionnel
à l’encodage et au rappel quand la valence émotionnelle était contrainte ou non contrainte
à l’encodage. Les rappels sont meilleurs lorsque les contextes émotionnels à l’encodage et au rappel
sont les mêmes, mais cette supériorité disparaît à 7 jours.
le premier mot de chaque paire peut être utilisé comme un indice à la récupération au
moment du rappel, l’émotion ressentie pendant le rappel peut faciliter l’activation de
l’information recherchée si cette émotion est la même que celle éprouvée au moment
de l’encodage.
80 Neutre Émotionnel
70
60
50
40
30
20
10
0
Éléments Environnement Éléments Environnement Éléments Environnement
2 secondes, sans histoire 5 secondes, sans histoire 5 secondes, avec histoire
Figure 4.13
Effet tunnel (d’après Kensinger et al., 2007).
Taux de reconnaissance correcte pour les éléments émotionnels et neutres présentés
dans un environnement neutre. Les participants rappellent mieux les objets émotionnels centraux
et moins bien les environnements neutres présentés avec ces objets émotionnels centraux.
Les effets de Trade-Off sont robustes. Ils ont été reproduits de très nombreuses fois
dans des contextes expérimentaux divers (e.g., Burke, Heuer, & Reisberg, 1992 ;
MacKay & Ahmetzanov, 2005 ; Mather, 2007 ; Mather & Nesmith, 2008 ; Schmidt,
2002 ; Strange, Hurlemann, & Dolan, 2003 ; Touryan, Marian, & Shimamura, 2007).
Ils ont également été observés dans des études portant sur des expériences émotion-
nelles survenues en dehors du laboratoire (voir Kihlstrom, 2006 ; Reisberg & Heuer,
2007, pour des revues). Ces expériences comprennent des catastrophes naturelles,
comme des inondations ou des ouragans, des abus sexuels vécus au cours de l’en-
fance, des visites au service des urgences à l’hôpital, ou bien encore des témoignages
de crime (e.g., Alexander et al., 2005 ; Bahrick, Parker, Fivush, & Levitt, 1998 ;
Christianson & Hübinette, 1993 ; Peterson & Bell, 1996 ; Peterson & Whalen, 2001 ;
Sotgiu & Galati, 2007). Les études empiriques ont fait apparaître que ces expériences
émotionnelles avaient tendance à conduire les individus à se focaliser sur des aspects
spécifiques de l’expérience émotionnelle et à prêter moins attention à d’autres infor-
mations, plus neutres liées à ces expériences, si bien qu’ils mémorisaient et rappelaient
Conclusions ■ 101
mieux ces informations émotionnelles (qui concernaient parfois seulement des détails)
que des informations plus neutres, mais aussi présentes dans l’expérience émotionnelle.
Les effets de Trade-Off peuvent être modulés par la valence des stimuli, même si ces
effets ont été observés avec stimuli émotionnels à valences positive et négative. Les
stimuli à valence émotionnelle négative entraînent parfois une restriction du champ
attentionnel, d’autres fois un élargissement.
En résumé, les effets de Trade-Off, observés aussi bien en laboratoire que dans la
vie quotidienne, sont caractérisés par une meilleure mémorisation de l’information
émotionnelle centrale d’une scène et une moins bonne mémorisation de l’information
neutre périphérique. Ils peuvent s’expliquer par des mécanismes d’attention. La sail-
lance des informations émotionnelles attire l’attention du participant qui consacre
l’essentiel de ses ressources attentionnelles à traiter prioritairement et plus en pro-
fondeur ces informations (c.-à-d., encodées avec plus de précision et davantage répé-
tées après l’encodage), comparativement aux informations neutres. Ces informations
neutres n’ont pas autant attiré l’attention du participant ; il les a donc traitées moins
profondément. En d’autres termes, les informations émotionnelles d’un stimulus sont
mieux mémorisées que les informations neutres, car elles agissent comme des aimants
attentionnels (Laney et al., 2003).
Conclusions
La recherche sur les liens entre émotion et mémoire n’intéresse pas seulement les
psychologues qui travaillent sur la mémoire et qui veulent prendre en compte le fac-
teur émotionnel pour comprendre comment fonctionne notre mémoire. Elle intéresse
également les chercheurs qui travaillent sur les émotions et qui veulent comprendre
comment les émotions influencent la cognition. Ces chercheurs posent également des
questions sur les liens entre émotion et mémoire qui sont nombreuses, diverses, impor-
tantes et passionnantes. Citons quelques exemples. Les émotions améliorent-elles notre
mémoire ? Ou au contraire, notre mémoire est-elle moins bonne quand nous sommes
sous l’emprise d’une émotion ? Dans quelles conditions le fonctionnement de notre
mémoire est-il meilleur et dans quelles conditions est-il moins bon quand nous l’utili-
sons tout en éprouvant une émotion ? Les émotions négatives (p. ex., tristesse, peur)
et les émotions positives (p. ex., joie, surprise) affectent-elles notre fonctionnement
mnésique de la même manière, dans des proportions identiques et dans des situations
comparables ? La valence émotionnelle et l’intensité des informations à stocker ou à
récupérer ont-elles un effet sur nos performances mnésiques ? Les effets des émotions
qui nous traversent au moment où l’on encode et stocke des informations sont-ils indé-
pendants des effets des émotions déclenchées au moment où l’on recherche et récupère
une information ? Nos émotions peuvent-elles nous conduire à fabriquer de faux sou-
venirs et à remplacer nos vrais souvenirs douloureux par d’autres souvenirs moins
douloureux (ou l’inverse, remplacer des souvenirs non douloureux par des souvenirs
plus douloureux) ? Nos émotions présentes peuvent-elles changer l’évaluation positive
ou négative que nous faisons sur des expériences, voire des personnes, de notre passé ?
102 ■ CHAPITRE 4 – Émotion et mémoire
Les recherches sur les liens entre émotion et mémoire ont pour but de déterminer si
nos émotions influencent nos performances mnésiques, et, si oui, quand et par quels
mécanismes. Elles ont cherché à tester comment des stimulus à valence émotionnelle
variable modifient les informations que l’on mémorise et rappelle. Ces recherches
ont examiné différents processus mnésiques (encodage, maintien et rappel) aussi
bien en mémoire épisodique qu’en mémoire autobiographique, dans des tâches de
rappel comme dans des tâches de reconnaissance, quand les participants avaient pour
consigne explicite d’étudier du matériel en vue de le rappeler (apprentissage intention-
nel) ou quand ils l’encodaient sans intention de le mémoriser pour le rappeler plus tard
(apprentissage incident).
Les recherches ont mis en évidence une influence importante tout aussi bien positive
que négative de nos émotions sur la mémoire. En effet, nos émotions changent ce que
nous mémorisons et comment nous mémorisons et rappelons des informations.
Les émotions peuvent améliorer nos performances mnésiques dans certains contextes
et les détériorer dans d’autres contextes. L’effet d’amplification mnésique consistant en
de meilleures performances sur des informations émotionnelles que sur des informa-
tions neutres a été observé de nombreuses fois et sur différents types de matériel (mots
isolés, récits, films et scènes ou événements). Que le matériel soit émotionnellement
positif ou négatif, la valence émotionnelle des items attire l’attention des participants
qui déploient alors des mécanismes plus profonds de traitement, ce qui conduit à un
meilleur encodage, un meilleur maintien et un meilleur rappel. Par ailleurs, nous avons
vu que les émotions peuvent aussi avoir des effets délétères sur nos performances
mnésiques, comme c’est le cas dans des situations de stress. Dans ce cas, l’émotion
négative accapare une partie des ressources de traitement qui ne peuvent être allouées
à la tâche d’encodage ou de rappel.
Enfin, nous avons vu deux phénomènes importants relatifs aux effets des émotions
sur la mémoire : l’effet de congruence affective et l’effet de Trade-Off (ou tunnel). L’effet
de congruence affective concerne l’amélioration des performances sur du matériel
émotionnel dont la valence correspond à l’émotion ressentie au moment de mémoriser
du matériel. De nombreuses fois, les chercheurs ont observé que notre mémoire est
meilleure pour des informations émotionnellement positives lorsque nous sommes
dans un état émotionnel positif et meilleure pour des informations négatives quand
nous nous trouvons dans un état émotionnel négatif. De la même manière, nous avons
tendance à juger plus positifs des souvenirs positifs récupérés dans un état émotionnel
positif et plus négatif des souvenirs négatifs activés en contexte émotionnel négatif.
Les émotions peuvent alors faciliter le rappel d’informations congruentes par le fait
qu’elles jouent le rôle d’indice à la récupération, comme c’est le cas lorsqu’une émotion
triste sert d’indice pour récupérer des souvenirs tristes.
L’effet de Trade-Off caractérise le fait que la mémoire est sélective. Sous émotion, et
probablement encore plus si l’émotion est forte, nous avons tendance à ne retenir que
certains éléments d’une scène ou d’une information, en particulier les éléments déclen-
cheurs de l’émotion (p. ex., une arme pointée vers nous lors d’une attaque sera mieux
mémorisée que le visage de celui qui menace). Les informations non émotionnelles de
la scène sont alors moins bien (ou pas) retenues.
Conclusions ■ 103
Comme pour l’attention vue aux deux chapitres précédents, les phénomènes relatifs
aux liens émotion et mémoire apportent quelques éléments de réponse aux questions
importantes sur ces liens. Ces questions concernent quand (c.-à-d., dans quelles condi-
tions) et comment (c.-à-d., par quels mécanismes) nos émotions influencent-elles nos
capacités mnésiques.
Les émotions n’affectent pas toujours notre mémoire et, quand elles l’affectent, soit
elles dégradent nos performances mnésiques, soit elles les améliorent. Les émotions
affectent négativement notre mémoire, comme dans le cas du stress, car elles acca-
parent une partie de nos ressources mnésiques qui ne peuvent donc être entièrement
allouées à l’encodage ou au rappel d’une information. Ceci peut nous conduire à traiter
moins profondément l’information et à mettre en œuvre des stratégies d’encodage et de
récupération mnésiques plus superficielles (p. ex., autorépétition mentale de maintien
plutôt que traitements sémantiques ou fabrication d’images mentales). L’effet de ces
mécanismes est amplifié lorsque l’état émotionnel du participant est congruent avec
la valence émotionnelle du matériel à mémoriser ou à rappeler. En d’autres termes, si
un participant se retrouve en situation émotionnelle délétère, ses performances vont
décliner, de manière analogue au déclin des performances mnésiques, observé dans des
situations de double tâche ou d’attention partagée.
À l’inverse, les émotions améliorent la mémorisation d’informations dont la valence
émotionnelle les rend plus saillantes. Cette saillance conduit les participants à prêter
une plus grande attention à ces informations et à les traiter plus profondément. Si, en
plus, l’état émotionnel du participant est congruent à la valence émotionnelle du maté-
riel à mémoriser, ce déploiement de ressources attentionnelles et la mise en œuvre de
stratégies profondes et plus efficaces de traitement sont encore plus importants.
Longtemps, les chercheurs ont négligé le rôle des émotions sur la mémoire. Cela ne
les a pas empêchés de faire d’importantes découvertes sur les caractéristiques de la
mémoire (p. ex., sa capacité, sa durée, ses conditions de fonctionnement optimal, les
facteurs importants qui l’affectent et les mécanismes clés d’encodage, de maintien et
de rappel). Cette négligence avait pour but de neutraliser la contribution des facteurs
émotionnels, dont les techniques d’étude n’étaient pas suffisamment au point pour
en évaluer les effets et les mécanismes responsables de ces effets. Grâce aux progrès
dans ces techniques d’étude, grâce aux progrès également dans nos connaissances
sur la mémoire, les chercheurs ont pu prendre en compte ce facteur émotion et l’étu-
dier directement. Les quarante années de recherches sur le rôle des émotions sur la
mémoire qui viennent de s’écouler ont permis de faire d’importantes découvertes sur
les liens émotion-mémoire. Nul doute que les années à venir vont également permettre
de mieux comprendre ce rôle, grâce au développement soit de nouvelles techniques
d’étude, soit de nouveaux modèles théoriques de la mémoire elle-même et des effets
des émotions sur la mémoire.
104 ■ CHAPITRE 4 – Émotion et mémoire
Exercez-vous en ligne
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Flash-cards
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CHAPITRE 5
Émotion et mémoire :
différences individuelles,
vieillissement et psychopathologie
Ce chapitre examine comment les effets des émotions sur la mémoire, abordés
dans le chapitre précédent, sont modulés par les différences individuelles, le
vieillissement et la psychopathologie. L’effet des caractéristiques individuelles
telles que la personnalité, le sexe ou des facteurs cognitifs (p. ex., le contrôle
exécutif) est analysé. De plus, ce chapitre étudie comment les émotions affectent
la mémoire chez les patients souffrant d’anxiété, de phobie générale ou spéci-
fique, ou de dépression. Enfin, le chapitre présente l'évolution des interactions
émotion/mémoire au cours du vieillissement et, de manière particulière, ce qui
apparaît être l’une des signatures des changements liés à l’âge dans les relations
émotion/cognition (c.-à-d., effets de positivité liés à l’âge). Le rôle modérateur
des différences individuelles, du vieillissement et de la pathologie dans les liens
émotion/mémoire est décrit pour différents types de matériaux et dans diffé-
rentes tâches de mémoire.
SOMMAIRE
Tableau 5.1
Personnalité et rappel libre (d’après Rusting, 1999).
Corrélations entre scores à l’épreuve de rappel libre sur des mots positifs et négatifs
en fonction des traits de personnalité, de l’affectivité générale et de l’humeur présente.
Les données montrent des corrélations différentes entre le rappel des mots positifs
et négatifs d’une part et les différentes mesures de personnalité, d’humeur et d’affectivité,
d’autre part.
Ces corrélations font apparaître des liens importants entre certaines dimensions de la
personnalité et le rappel qui varie selon que les mots étaient à valence émotionnelle
positive ou négative. Ainsi, plus les scores des individus étaient élevés au névrosisme
ou à l’échelle d’affectivité négative, plus ils rappelaient de mots négatifs ; plus ces scores
étaient élevés à l’échelle d’affectivité positive, meilleurs étaient le rappel des mots
positifs. Enfin, les individus rappelaient d’autant plus de mots positifs qu’ils se sen-
taient d’humeur positive pendant l’expérience, et de mots négatifs qu’ils se sentaient
d’humeur négative.
En d’autres termes, les données montrent que les traits de personnalité et les caracté-
ristiques affectives des individus s’accompagnent de variations systématiques dans la
mémorisation des informations émotionnelles. Tout se passe comme si, par exemple,
les individus qui sont en général d’un caractère positif traitent plus efficacement
(à l’encodage et/ou au rappel) des informations émotionnellement positives, alors que
des individus qui sont en général d’une humeur négative tendent à mieux rappeler des
informations négatives.
Émotion et mémoire : différences individuelles ■ 109
a) 1,4
Névrosisme +
Nombre d'intrusions (positifs - négatifs)
1,2 Névrosisme −
0,8
0,6
0,4
0,2
0
Caractéristiques personnelles Caractéristiques des animaux
b) 50
Temps de réponse en ms (positifs - négatifs)
40 Caractéristiques personnelles
Caractéristiques des animaux
30
20
10
− 10
− 20
− 30
− 40
Névrosisme + Névrosisme −
Figure 5.1
Personnalité et biais mnésiques (d’après Chan et al., 2007).
Différences dans (a) le nombre d’intrusions au rappel et (b) les temps de catégorisation
des mots positifs et négatifs par des participants ayant un score élevé (Névrosisme+)
ou faible (Névrosisme-) sur des mots (aimables/pas aimables) ou des animaux prédateurs
(avantageux/désavantageux). Les temps de jugement étaient plus courts pour les mots négatifs
que pour les mots positifs dans le groupe Névrosisme+ pour les caractéristiques personnelles
uniquement. Par ailleurs, les taux d’intrusions (c.-à-d., rappels de mots incorrects) étaient
plus élevés sur les mots positifs que sur les mots négatifs aussi bien pour les caractéristiques
personnelles que pour les caractéristiques relatives aux animaux. Toutefois, la différence
dans le nombre d’intrusions au rappel des mots positifs et négatifs était plus faible dans le groupe
Névrosisme+ que dans le groupe Névrosisme- .
110 ■ CHAPITRE 5 – Émotion et mémoire : différences individuelles, vieillissement…
60
Hommes
Pourcentages d'images
55 Femmes
50
45
40
Intensité − Intensité +
Pourcentages de reconnaissances
70
60
50
40
Intensité − Intensité +
Figure 5.2
Sexe, émotion et mémoire (d’après Canli et al., 2002).
Pourcentages moyens d’images jugées plus ou moins intenses par les hommes et les femmes
(panneau gauche) et pourcentages moyens d’images reconnues selon leur intensité par les hommes
et les femmes. Les hommes évaluaient plus d’images comme moins intenses et les femmes plus
d’images comme plus intenses. Les hommes et les femmes reconnaissaient autant d’images moins
intenses, mais les femmes reconnaissaient plus d’images plus intenses.
Émotion et mémoire : différences individuelles ■ 111
était présentée pendant 2,88 secondes, et les participants devaient fournir un juge-
ment d’intensité émotionnelle allant de 0 (image émotionnellement pas intense) à 3
(image émotionnelle très intense). Trois semaines après cette phase d’encodage, les
participants ont eu une tâche surprise de reconnaissance, ils voyaient les 96 images
encodées et 48 nouvelles images. Pour chacune d’elles, ils devaient dire si l’image
avait été vue à l’encodage, et, si oui, s’ils le pensaient suite à un souvenir vivace
(jugement de rappel) ou simplement parce qu’elle paraissait familière (jugement de
familiarité).
Le nombre d’images jugées peu intenses était plus élevé chez les hommes que chez les
femmes, tandis que le nombre d’images évaluées plus intenses était plus élevé chez
les femmes que chez les hommes (Figure 5.2). De plus, aucune différence dans les
performances entre les hommes et les femmes n’est apparue sur la reconnaissance
des images moins intenses, tandis que le nombre d’images plus intenses correctement
reconnues était plus élevé chez les femmes que chez les hommes. En d’autres termes,
l’effet d’intensité était plus important sur la reconnaissance des images chez les
femmes que chez les hommes.
0,15
− 0,05
− 0,25
− 0,45
− 0,65
Anxiété MDT visuo MDT visuelle Fonctions
-spatiale exécutives
Figure 5.3
Effets tunnel et différences individuelles (d’après Waring et al., 2010).
Corrélations entre caractéristiques individuelles (anxiété, mémoire de travail visuospatiale,
mémoire de travail visuelle et fonctions exécutives) et reconnaissance des éléments centraux
(émotionnels) et périphériques (neutres) et effet tunnel. Les données montrent des effets tunnel
plus importants chez des individus anxieux et chez les individus dont la MDT visuospatiale
et les fonctions exécutives sont les plus faibles (corrélations significatives entre les effets tunnel
et anxiété, MDT visuospatiale et fonctions exécutives).
En résumé, les émotions affectent les performances mnésiques. Mais, cette influence
est modulée par des caractéristiques individuelles, comme le sexe des participants ou
leurs traits de personnalité. Ces caractéristiques modulent l’effet des émotions sur les
performances mnésiques, vraisemblablement parce qu’elles sont associées à la mise
en œuvre des mécanismes mnésiques qui diffèrent selon les individus (p. ex., un indi-
vidu anxieux allouera davantage de ressources attentionnelles à l’encodage de mots à
valence émotionnelle négative et, par conséquent, rapportera plus de mots négatifs que
de mots positifs ou neutres).
laquelle les émotions positives et négatives affectent les performances des jeunes et des
âgés différemment. Enfin, nous verrons que les émotions n’influencent pas le rappel
d’informations détaillées chez les jeunes et chez les âgés.
4
Nombre d'images correctement rappelées
Neutres
3,5
Emotionnel
3
2,5
1,5
0,5
0
Adultes jeunes Adultes matures Adultes âgés
100
90
Pourcentages de reconnaissances correctes
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Adultes jeunes Adultes matures Adultes âgés
Figure 5.4
Vieillissement et effet de la saillance émotionnelle (d’après Charles et al., 2003).
(a) Nombre d’images neutres et émotionnelles correctement rappelées en fonction de l’âge
des participants. (b) Pourcentages d’images neutres et émotionnelles correctement reconnues
en fonction de l’âge des participants. À l’épreuve de rappel, les images émotionnelles étaient
mieux rappelées, quel que soit l’âge des participants. L’effet des émotions était moins fort en tâche
de reconnaissance. Les émotions peuvent améliorer les performances mnésiques des participants
âgés, comme des participants jeunes et matures.
Émotion et mémoire : vieillissement ■ 115
45
Négatifs Neutres
40 Positifs
35
30
25
20
Jeunes Âgés
Pourcentages de mots correctement
50
45
40
reconnus
35
30
25
20
Jeunes Âgés
Figure 5.5
Effets de saillance émotionnelle en rappel différé (d’après Leigland et al., 2004).
Pourcentages de mots correctement rappelés et reconnus 30 minutes après l’encodage. Au rappel,
les jeunes comme les âgés ont eu de meilleures performances sur les mots positifs ; les personnes
âgées ont de moins bonnes performances sur les mots négatifs, par comparaison aux mots neutres.
À l’épreuve de reconnaissance, les performances étaient meilleures aux items négatifs et positifs
qu’aux items neutres pour les deux groupes.
aussi Charles et al., 2003) ont présenté à leurs participants 30 paires de visages. Chaque
paire de visages apparaissait pendant 1000 millisecondes et était suivie d’un point qui
apparaissait à l’endroit de l’un des deux visages. Les participants devaient indiquer où
apparaissait le point. L’un des deux visages avait une expression émotionnelle (e.g., de la
joie pour l’émotion positive, de la colère pour l’émotion négative) et l’autre une expres-
sion neutre. Ensuite, les participants avaient une tâche de reconnaissance, au cours de
laquelle ils voyaient des paires de visages émotionnels (un visage ancien, vu à l’encodage,
et un visage nouveau). Ils devaient indiquer le visage ancien parmi ces deux visages. Les
taux de reconnaissances correctes des visages anciens (Figure 5.6) ont fait apparaître
que les participants jeunes avaient un biais de négativité et les participants âgés un biais
de positivité. Comparés aux visages anciens neutres, les jeunes reconnaissaient mieux
les visages anciens exprimant une émotion négative et autant les visages anciens expri-
mant une émotion positive. Au contraire, les participants âgés reconnaissaient mieux les
visages anciens positifs que les visages anciens neutres et aussi bien les visages anciens
négatifs que les visages anciens neutres. Cette évolution des biais mnésiques avec l’âge
est robuste et a été observée de nombreuses fois, dans des expériences de laboratoire et à
l’extérieur du laboratoire, en mémoire épisodique comme en mémoire autobiographique,
et en mémoire à long terme comme en mémoire de travail (e.g., Carstensen & DeLiema,
2018 ; Fernandes et al., 2008 ; Isaacowitz et al., 2006 ; Kapucu et al., 2018 ; Kennedy et al.,
2004 ; Kensinger et al., 2007, 2007 ; Mather et al., 2004 ; Mather & Knight, 2005 ; Mikels
et al., 2005 ; Piguet et al., 2008 ; Ready et al., 2007 ; Schlagman et al., 2006 ; Shamaskin
et al., 2010 ; Vieillard & Gilet, 2013 ; voir revues et/ou méta-analyses Reed et al., 2014 ;
Reed & Carstensen, 2012 ; Ziaei & Fischer, 2016). Comme pour l’attention, l’évolution
avec l’âge de ces biais a été expliquée par la théorie de la sélectivité socioémotionnelle
proposée par Laura Carstensen et ses collaborateurs. Avec l’âge, nous focalisons notre
attention sur les aspects de bien-être dans la vie, ce qui nous conduit à privilégier les
informations émotionnellement positives et à délaisser les informations négatives.
En d’autres termes, nous mémorisons mieux les informations positives, car nous accor-
dons, à l’encodage comme à la récupération, davantage de ressources de traitement à ces
informations, comparativement aux informations négatives et neutres. En conséquence,
nous mettons en œuvre des mécanismes de traitement (comme la fabrication d’images
mentales ou un traitement sémantique) plus profonds lorsque nous encodons des infor-
mations positives et/ou nous nous appuyons sur ces indices propres à faciliter l’activa-
tion de ces informations au moment du rappel.
Les biais de négativité chez les jeunes et de positivité chez les personnes âgées ne sont
pas toujours observés ou peuvent apparaître sur certains types de stimulus unique-
ment, voire sur certains aspects des performances et pas sur d’autres. Par exemple,
Spaniol et ses collaborateurs (2008) ont montré à leurs participants jeunes et âgés des
visages, des mots et des scènes neutres, négatifs ou positifs. Chaque item était présenté
pendant 2 secondes, suivi d’un écran blanc pendant 1 seconde. Ensuite, les participants
devaient dire pour chaque item si c’était un item émotionnellement neutre, négatif
ou positif. Vingt minutes après cette tâche d’encodage, les participants avaient une
tâche de reconnaissance. Ils voyaient 72 items anciens (vus à l’encodage) et 72 items
nouveaux (non vus à l’encodage) et avaient 5 secondes au maximum pour dire si l’item
présenté était un item nouveau ou ancien.
Émotion et mémoire : vieillissement ■ 117
85
Pourcentages de reconnaissances
Positif
80 Neutre
Négatif
75
correctes
70
65
60
Jeunes Âgés
Figure 5.6
Biais mnésiques et émotions (d’après Mather & Carstensen, 2003).
Pourcentages de reconnaissances correctes des visages émotionnels (positifs, négatifs) et neutres
chez les jeunes et les âgés. Comparés aux visages neutres, les jeunes reconnaissaient mieux les visages
émotionnels négatifs (mais pas les visages positifs), tandis que les personnes âgées reconnaissaient mieux
les visages positifs (mais pas les négatifs).
Les performances des participants ont fait apparaître que les biais de négativité chez les
jeunes et de positivité chez les âgés variaient selon la nature des items. Ainsi, les biais
de positivité (c.-à-d., meilleures performances sur les items positifs que sur les items
neutres) apparaissaient chez les jeunes et les âgés pour les mots, les biais de négativité
(c.-à-d., meilleures performances sur les items négatifs que sur les items neutres) étaient
présents chez les jeunes pour les visages et les scènes. Les âgés reconnaissaient moins
bien les scènes émotionnellement positives et avaient des performances comparables
sur les visages, quelle que soit l’émotion exprimée par ces visages (Figure 5.7).
En réalité, les biais de positivité chez les âgés peuvent être modulés par plusieurs fac-
teurs, comme l’intensité émotionnelle des stimuli (e.g., Kensinger, 2008) ou les priorités
que se donnent les participants dans une tâche cognitive (e.g., English et al., 2012). Par
exemple, sur la Figure 5.8, apparaissent les données rapportées par Kensinger (2008)
montrant que, dans une tâche de reconnaissance, les effets de positivité chez les per-
sonnes âgées n’apparaissaient pas sur les items positifs de forte intensité, mais apparais-
saient sur les items positifs de faible intensité. Dans cette expérience, les participants
voyaient défiler des mots (3 s de présentation/mot), puis avaient une tâche de reconnais-
sance où ils devaient dire pour chaque mot présenté si le mot était ancien ou nouveau.
Les participants âgés reconnaissaient mieux les mots positifs d’intensité faible (p. ex., lac)
que les mots neutres (p. ex., produit) et moins bien les mots négatifs de faible intensité
(p. ex., solitaire). En revanche, ils reconnaissaient aussi bien les mots positifs (p. ex., casino)
et négatifs (p. ex., massacre) de forte intensité et moins bien les mots neutres. Les jeunes
reconnaissaient mieux les mots négatifs que les mots positifs (et moins bien les mots
neutres), quelle que soit l’intensité des mots. En d’autres termes, les biais de positivité
habituellement observés chez les âgés pourraient ne survenir que sur des informations
émotionnelles d’intensité moins forte (les informations émotionnelles fortes étant de
toute façon mieux rappelées, qu’elles soient positives ou négatives).
118 ■ CHAPITRE 5 – Émotion et mémoire : différences individuelles, vieillissement…
Figure 5.7
Évolution avec l’âge des biais mnésiques selon la nature des items (d’après Spaniol et al., 2008).
Pourcentages de reconnaissances correctes des visages anciens par les jeunes et les âgés des visages,
scènes et mots négatifs, neutres et positifs. Les biais de positivité (c.-à-d., meilleures performances
sur les items positifs que sur les items neutres) apparaissaient chez les jeunes et les âgés
pour les mots, les biais de négativité (c.-à-d., meilleures performances sur les items négatifs que
sur les items neutres) étaient présents chez les jeunes pour les visages et les scènes. Les âgés
reconnaissaient moins bien les scènes émotionnellement positives et avaient des performances
comparables sur les visages, quelle que soit l’émotion exprimée par ces visages.
Parfois même, les effets de positivité ne sont pas observés (e.g., Budson et al., 2006 ;
Gallo et al., 2009 ; Grühn et al., 2005 ; Kensinger et al., 2002, 2007). Par exemple,
Grühn et ses collaborateurs (2005) ont présenté des listes de 30 mots à apprendre à
leurs participants jeunes et âgés. Chaque mot apparaissait pendant 1000 millisecondes
pour les jeunes et pendant 3000 millisecondes pour les âgés, compte tenu du ralentisse-
ment cognitif lié à l’âge. Les mots étaient positifs, négatifs ou neutres. Les participants
voyaient soit des listes homogènes (les 30 mots avaient la même valence émotionnelle)
soit des listes hétérogènes (les participants voyaient 10 positifs, 10 mots négatifs et
10 mots neutres). Les participants encodaient puis rappelaient chaque liste cinq fois.
Apparaissent sur la Figure 5.9 les pourcentages de mots correctement rappelés au
cinquième essai (où les participants avaient les meilleures performances). Comme sur
les autres essais, dans les deux conditions, les jeunes aussi bien que les personnes âgées
rappelaient plus de mots émotionnels que des mots neutres, mais n’étaient pas plus
biaisés à mieux rappeler soit les mots négatifs, soit les mots positifs.
Les données rapportées par Emery et Hess (2008) constituent un autre exemple de
situations où aucun biais de positivité n’apparaît dans les performances des personnes
âgées (voir Figure 5.10). Les auteurs ont montré 48 images (de scènes positives, néga-
tives ou neutres) à leurs participants jeunes et âgés qu’ils devaient ensuite rappeler
puis reconnaître. Les pourcentages de reconnaissances correctes (corrigés des fausses
alarmes) n’ont fait apparaître aucun biais de positivité chez les âgés (et aucun biais de
négativité chez les jeunes).
Émotion et mémoire : vieillissement ■ 119
70
Pourcentages de reconnaissances correctes
60
50
40
30
20
10
0
Positifs Négatifs Neutres Positifs Négatifs Neutres Positifs Négatifs Neutres Positifs Négatifs Neutres
Adultes jeunes Adultes âgés Adultes jeunes Adultes âgés
Forte intensité Faible intensité
Figure 5.8
Biais de positivité et intensité émotionnelle (d’après Kensinger, 2008).
Pourcentages de reconnaissances correctes des mots neutres, positifs et négatifs (d’intensité forte
ou faible) chez des participants jeunes et âgés. Les données montrent que les biais de positivité
(c.-à-d., meilleures performances sur les mots positifs que sur les mots neutres) habituellement
observés chez les âgés n’apparaissent que sur les mots émotionnels de faible intensité, mais
pas sur les mots de forte intensité. Les jeunes reconnaissaient mieux les mots émotionnels
(positifs et négatifs) que les mots neutres.
70
Pourcentages de rappels corrects
Positif
65
Négatif
60 Neutre
55
50
45
40
Jeunes Âgés Jeunes Âgés
Listes hétérogènes Listes homogènes
Figure 5.9
Vieillissement et absence de biais mnésiques de positivité (Grühn et al., 2005).
Pourcentages de rappels corrects des items positifs, négatifs et neutres par des participants jeunes
et âgés. Les jeunes et les personnes âgées rappelaient plus de mots émotionnels que de mots neutres,
mais n’étaient pas plus biaisés à mieux rappeler soit les mots négatifs, soit les mots positifs.
En fait, la modulation des effets de positivité chez les personnes âgées par différents
facteurs ainsi que leur absence dans certaines conditions ont conduit les chercheurs
à mieux comprendre que ces biais surviennent surtout dans les conditions où les par-
ticipants savent que leur mémoire sera testée après l’encodage et lorsqu’à l’encodage
les ressources cognitives sont suffisantes pour déployer les mécanismes de contrôle
120 ■ CHAPITRE 5 – Émotion et mémoire : différences individuelles, vieillissement…
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Positifs Négatifs Neutres Positifs Négatifs Neutres Positifs Négatifs Neutres Positifs Négatifs Neutres
Adultes jeunes Adultes âgés Adultes jeunes Adultes âgés
Condition de simple observation Condition d'évaluation émotionnelle
Figure 5.10
Biais de positivité et conditions d’encodage (d’après Emery & Hess, 2008).
Pourcentages de reconnaissances correctes (corrigées des fausses alarmes) d’images neutres, positives
et négatives chez des participants jeunes et âgés en fonction de la condition d’encodage. Les données
montrent que les biais de positivité (c.-à-d., meilleures performances sur les images positives que
sur les images neutres) habituellement observés chez les âgés n’apparaissent pas dans ces deux
conditions d’encodage.
les âgés) et deux jours après (pour les jeunes), les participants voyaient 180 images :
72 anciennes, 72 similaires aux anciennes (p. ex., un avion présenté à l’encodage, un
autre avion similaire à la reconnaissance) et 36 nouvelles. Les participants devaient
dire, pour chaque image, si elle montrait le même objet que celui vu à l’encodage, un
objet similaire ou un nouvel objet. Afin de déterminer si les émotions affectent la recon-
naissance globale et la reconnaissance des détails de la même manière chez les jeunes et
les personnes âgées, les auteurs ont analysé les taux de reconnaissances correctes sur
les items anciens et similaires (pour évaluer la reconnaissance globale), d’une part, et
les taux de reconnaissances correctes sur les items anciens (évaluant la reconnaissance
spécifique), d’autre part.
De manière très intéressante (Figure 5.11), les pourcentages de reconnaissances glo-
bales étaient plus élevés pour les objets négatifs (que sur les objets neutres) chez les
jeunes et pour les objets négatifs et positifs chez les personnes âgées. Les pourcentages
de reconnaissances spécifiques (reconnaissances correctes sur les items anciens)
étaient plus élevés uniquement sur les objets négatifs chez les jeunes et les âgés. En
d’autres termes, la reconnaissance globale était meilleure pour les objets à valence
émotionnelle négative chez les jeunes et pour les objets positifs et négatifs chez les âgés.
En revanche, la reconnaissance spécifique était améliorée uniquement sur les objets à
valence émotionnelle négative chez les jeunes comme chez les âgés. Les auteurs ont
retrouvé le même profil de résultats (c.-à-d., amélioration de la reconnaissance globale
sur les objets négatifs chez les jeunes et sur les objets négatifs et positifs chez les âgés ;
amélioration de la reconnaissance spécifique sur les objets négatifs chez les jeunes et
les âgés) dans une seconde étude où les délais entre l’encodage et la reconnaissance
étaient les mêmes chez les participants jeunes et âgés. Ces effets ont été répliqués de
nombreuses fois en laboratoire, y compris dans des tâches de reconnaissance (e.g.,
Kalpouzos et al., 2012), mais ont également été retrouvés à l’extérieur du laboratoire,
comme Holland et Kensinger (2010) les ont observé pour le rappel d’informations rela-
tives à l’élection présidentielle américaine de 1988, ou comme Kensinger et Schacter
(2006 ; Hostler & Berrios, 2021) l’ont observé à propos de match de foot.
En résumé, les travaux sur l’évolution de l’effet des émotions sur la mémoire au cours
du vieillissement ont fait apparaître trois phénomènes importants. D’abord, comme
les jeunes, les performances mnésiques sont affectées par les émotions. L’ensemble
des principaux mécanismes de la mémoire (c.-à-d., encodage, maintien et rappel) sont
influencés par les émotions. Ensuite, l’effet de la valence émotionnelle change avec
l’âge. Les participants jeunes tendent à mieux mémoriser et rappeler des informations
négatives, tandis que les participants âgés sont biaisés en faveur des informations posi-
tives. Enfin, le rappel d’informations globales est favorisé par les émotions négatives
chez les jeunes et par les émotions positives et négatives chez les âgés, tandis que le
rappel d’informations détaillées est facilité par les émotions négatives chez les jeunes
comme chez les personnes âgées.
122 ■ CHAPITRE 5 – Émotion et mémoire : différences individuelles, vieillissement…
85
Pourcentages de reconnaissances correctes
80
75
70
65
60
55
50
45
40
35
Négatifs Positifs Neutres Négatifs Positifs Neutres Négatifs Positifs Neutres Négatifs Positifs Neutres
Jeunes Agés Jeunes Âgés
Reconnaissance générale Reconnaissance spécifique
Figure 5.11
Émotions et rappels des informations détaillées (d’après Kensinger et al., 2007).
Pourcentages de reconnaissances correctes aux niveaux général et spécifique pour les objets négatifs,
positifs ou neutres chez les participants jeunes et âgés. Les pourcentages de reconnaissances globales
(reconnaissances correctes sur les items anciens et similaires) sont plus élevés sur les objets négatifs
(que sur les objets neutres) chez les jeunes et sur les objets négatifs et positifs chez les personnes
âgées. Les pourcentages de reconnaissances spécifiques (reconnaissances correctes sur les items
anciens) sont plus élevés sur les objets négatifs uniquement chez les jeunes et les âgés.
ont observé que des patients souffrant de dépression ont tendance à retenir davantage
d’informations négatives que d’informations neutres ou positives ou à se rappeler plus
leurs échecs que leurs réussites (e.g., Bradley & Mathews, 1983 ; Breslow et al., 1981 ;
Channon et al., 1993 ; Direnfeld & Roberts, 2006 ; Dunbar & Lishman, 1984 ; Ferguson
et al., 2007 ; Gilboa-Schechtman et al., 2002 ; Hartlage et al., 1993 ; Hertel & Hardin,
1990 ; Hertel & Milan, 1994 ; Joormann & Siemer, 2004 ; Josephson et al., 1996 ; Matt et
al., 1992 ; McDowall, 1984 ; Post et al., 1980 ; Ramponi et al., 2010 ; Watts & Sharrock,
1987 ; Williams et al., 1997 ; Wittekind et al., 2014 ; Zlomuzica et al., 2014).
Par exemple, Ridout et ses collaborateurs (2003) ont montré des photographies de
visages à des participants diagnostiqués en dépression profonde et à des participants
contrôles. Les participants devaient, dans un premier temps, indiquer l’émotion exprimée
par les visages. Ces visages avaient cinq expressions faciales positives (p. ex., joie), cinq
expressions faciales négatives (p. ex., tristesse) et onze expressions faciales neutres. Les
participants contrôles et déprimés avaient des taux d’identification des émotions faciales
tout fait comparables. Ensuite, après une tâche interférente de 5 minutes, les participants
avaient un test de reconnaissance. Ils voyaient 42 visages (21 anciens et 21 nouveaux).
Pour chaque visage, ils devaient indiquer s’il s’agissait d’un visage ancien ou d’un visage
nouveau. Les taux de reconnaissance des visages (Figure 5.12) montraient très clairement
que les patients déprimés avaient une meilleure reconnaissance pour les visages tristes,
comparés aux visages neutres, et une moins bonne reconnaissance pour les visages joyeux.
Les participants contrôles avaient une meilleure reconnaissance pour les visages joyeux et
une moins bonne reconnaissance pour les visages tristes, comparés aux visages neutres.
100
Visages joyeux
Pourcentages de reconnaissances correctes
Visages neutres
90
Visages tristes
80
70
60
50
40
Déprimés Contrôles
Figure 5.12
Dépression et reconnaissance de visages (d’après Ridout et al., 2003).
Pourcentages de reconnaissances correctes des visages joyeux, neutres et tristes par des participants
déprimés et contrôles. Les patients déprimés reconnaissaient plus les visages tristes que les autres
visages, tandis que les contrôles reconnaissaient plus les visages joyeux.
Ces biais mnésiques qui conduisent des participants déprimés à mieux mémoriser des
informations négatives ne sont pas restreints aux visages ou à une tâche de reconnaissance.
124 ■ CHAPITRE 5 – Émotion et mémoire : différences individuelles, vieillissement…
Ils s’observent dans différentes tâches mnésiques et sur des stimulus variés. Par exemple,
Ruiz-Caballero et Gonzilez (1994) ont donné une liste de 18 mots (9 positifs et 9 négatifs)
à encoder pendant 4 minutes à des participants déprimés et des participants contrôles.
Les participants étaient prévenus qu’il leur fallait apprendre ces mots pour les rappeler
plus tard. Après cette phase d’encodage, les participants ont réalisé une tâche distractrice
pendant 5 minutes, puis ont réalisé une tâche de complètement de racines. Ils voyaient
les trois premières lettres de 36 mots (18 mots anciens et 18 mots nouveaux) et avaient
pour consigne de compléter ces racines avec le premier mot qui leur venait à l’esprit. Dans
cette tâche de mémoire implicite, la consigne ne faisait pas référence aux mots de la liste
préalablement encodée. Pour les mots anciens, les auteurs ont pris soin de sélectionner des
racines qui peuvent être complétées soit par des mots de la liste, soit par des mots dont la
fréquence d’usage dans la langue est plus élevée. Après cette tâche, les participants avaient
une autre tâche distractrice pendant 5 minutes, puis une tâche de rappel libre (mémoire
explicite) où ils devaient rappeler le plus de mots préalablement appris.
Le nombre de mots correctement rappelés (mémoire explicite) et de mots complétés
avec les mots appris (mémoire implicite) apparaît à la Figure 5.13. Les données montrent
clairement que les participants déprimés rappelaient davantage de mots négatifs que de
mots positifs (3,5 vs 1,8) alors que les participants contrôles rappelaient plus de mots
positifs que de mots négatifs (5,1 vs 3,2). De la même manière, les participants déprimés
complétaient plus de racines avec des mots appris négatifs qu’avec des mots appris
positifs (3,4 vs 2,4) alors que les participants contrôle faisaient l’inverse (2,4 vs 3,2).
Vraisemblablement, lors de l’encodage des mots, les participants déprimés faisaient plus
attention aux mots négatifs, les encodaient plus profondément et, en conséquence, les
retenaient et rappelaient mieux aussi bien en mémoire implicite qu’en mémoire explicite.
À l’inverse, les contrôles prêtaient davantage attention aux mots positifs.
6
Mots positifs
Nombre de mots correctement
5 Mots négatifs
rappelés/complétés
0
Contrôles Déprimés Contrôles Déprimés Contrôles Déprimés
Tâche de rappel Tâche de complètement Tâche de complètement
de racines amorcées de racines non amorcées
Figure 5.13
Dépression et mémoires explicite et implicite (d’après Ruiz-Caballero & Gonzilez, 1994).
Performances mnésiques dans des tâches de rappel et complètement de racines (amorcées et non
amorcées) par des participants déprimés et contrôles. Dans les deux tâches (sauf pour les racines
non amorcées), les patients en dépression obtenaient de meilleurs scores sur les mots négatifs
et les participants contrôles sur les mots positifs.
Émotion et mémoire : psychopathologie ■ 125
Les personnes souffrant de dépression ont tendance à stocker et rappeler plus d’infor-
mations négatives, y compris dans des tâches de mémoire implicite (voir Phillips et al.,
2010 pour une méta-analyse). Elles ont également tendance à surévaluer leurs échecs
par rapport à leurs réussites (les mêmes biais négatifs apparaissent chez les patients
victimes de stress post-traumatique, voir revue de Durand et al., 2019, mais aussi chez
des patients dits borderline, voir revue de Baer et al., 2012). Par exemple, Johnson et al.
(1983) ont fait réaliser 20 tâches à des étudiants d’université déprimés et contrôles. Les
participants étaient informés que, pour accomplir chaque tâche, ils auraient un temps
maximum qui correspondait au temps moyen mis par des étudiants ayant réalisé ces
tâches le semestre précédent. Pour 10 de ces 20 tâches, l’expérimentateur arrêtait les
participants avant qu’ils n’aient pu finir la tâche (ils avaient réalisé au moins la moitié
de la tâche). Pour les 10 autres tâches, l’expérimentateur laissait les participants aller
jusqu’au bout. Ensuite, l’expérimentateur demandait aux participants d’indiquer le
nombre de tâches qu’ils avaient réalisées jusqu’au bout et, donc, qu’ils avaient réussies,
et le nombre de tâches auxquelles ils avaient échoué. Les déprimés rapportaient avoir
échoué à plus de tâches que les participants contrôles, et les participants contrôles se
rappelaient avoir réussi plus de tâches que les déprimés, alors que le nombre de tâches
échouées et réussies était le même pour les deux groupes (Figure 5.14).
8
Déprimés
Nombre de réussites et éches rappelés
7,8 Contrôle
7,6
7,4
7,2
7
6,8
6,6
6,4
6,2
6
Tâches réussies Tâches échouées
Figure 5.14
Dépression et jugements de réussite (d’après Johnson et al., 1983).
Nombre de tâches que les participants contrôles et déprimés se rappelaient avoir réussi et échoué.
Le nombre de tâches estimées réussies était plus faible chez les déprimés, tandis que le nombre
de tâches estimées échouées était plus élevé chez les déprimés.
L’effet de congruence affective peut parfois être très spécifique au sein d’une même
psychopathologie et ne s’observer que sur un sous-groupe de patients et/ou sur une
seule tâche. Par exemple, Van Emmichoven et ses collaborateurs (2003) ont mon-
tré que les biais mnésiques (c.-à-d., meilleures performances sur des items négatifs)
n’étaient pas présents sur l’ensemble de leurs patients anxieux, mais sur un sous-groupe
uniquement, et en rappel, mais pas en reconnaissance. Les auteurs ont comparé les
performances mnésiques en tâches de rappel et de reconnaissance chez des patients
126 ■ CHAPITRE 5 – Émotion et mémoire : différences individuelles, vieillissement…
anxieux et des participants contrôles. Les patients anxieux avaient un attachement dit
sécure (caractérisé notamment par un stress relativement faible lors d’une séparation)
ou un attachement insécure (caractérisé notamment par un niveau élevé de stress lors
d’une séparation). Les participants avaient pour consigne de lire attentivement 36 mots
(12 mots positifs, 12 mots négatifs exprimant une menace et 12 mots neutres) qui leur
seraient présentés plus tard. Chaque mot apparaissait un à un sur un écran d’ordinateur
pendant une seconde, en présentation bloquée : tous les mots d’une valence émotionnelle
étaient présentés, suivis des mots d’une autre valence, eux-mêmes suivis des mots d’une
autre valence. Trente minutes après l’encodage, les participants avaient une tâche de
rappel libre puis une tâche de reconnaissance (c.-à-d., ils voyaient les 36 mots encodés et
36 mots nouveaux et devaient dire pour chacun des mots s’il était ancien ou nouveau).
En tâche de rappel (Figure 5.15), les participants anxieux sécures rappelaient plus de
mots négatifs que de mots neutres ou positifs (comme les participants contrôles), tandis
que les participants anxieux insécures rappelaient moins bien les mots émotionnels
négatifs. En tâche de reconnaissance, les patients anxieux insécures reconnaissaient
mieux les mots négatifs que les mots neutres ou positifs, comme les patients anxieux
sécures, alors que les contrôles reconnaissaient moins bien les mots négatifs et mieux
les mots neutres. De manière intéressante donc, dans une population de patients
présentant tous des troubles de l’anxiété, le type d’attachement entraînait des biais
émotionnels sur des mécanismes mnésiques différents (rappel vs reconnaissance) pour
seulement un sous-groupe de ces patients. En effet, le type d’attachement conduisait
les participants anxieux à des biais différenciés, les patients anxieux insécures ayant
plus de difficultés à rappeler les mots négatifs qu’ils avaient pourtant stockés comme
les patients anxieux sécures (en témoignent leurs performances à l’épreuve de recon-
naissance). Notons que quel que soit le type d’attachement, les participants contrôles
présentaient les mêmes profils mnésiques.
2,5
Positifs
Nombre de mots correctement rappelés
Négatifs
2 Neutres
1,5
0,5
Anxieux sécures Anxieux insécures Contrôles sécures Contrôles
insécures
Émotion et mémoire : psychopathologie ■ 127
10
Nombre de mots correctement reconnus
9,5
8,5
7,5
7
Anxieux sécures Anxieux insécures Contrôles sécures Contrôles insécures
Figure 5.15
Effets de congruence affective et anxiété (d’après Van Emmichoven et al., 2003).
Nombre de mots correctement rappelés et reconnus chez des participants contrôles et anxieux
sécures ou insécures. En tâche de rappel, les participants anxieux sécures rappelaient plus de mots
négatifs que de mots neutres ou positifs, tandis que les participants anxieux insécures rappelaient
moins bien les mots émotionnels négatifs. En tâche de reconnaissance, les patients anxieux insécures
reconnaissaient mieux les mots négatifs que les mots neutres ou positifs, comme les patients anxieux
sécures, alors que les contrôles reconnaissaient moins bien les mots négatifs et mieux les mots
neutres.
En résumé, les effets de congruence affective peuvent être exacerbés dans certaines
pathologies. Ainsi, les patients déprimés ont un biais de négativité, en encodant et
rappelant davantage les informations négatives que les informations positives et en
évaluant plus négativement des événements négatifs que des événements neutres ou
positifs. Ainsi encore, les patients anxieux, surtout s’ils ont un attachement insécure,
ont de moins bonnes performances en tâche de rappel, mais pas en tâche de reconnais-
sance (plus facile), sur des mots négatifs exprimant une menace.
à des événements positifs ou négatifs. Ensuite, les patients devaient rappeler ces sou-
venirs autobiographiques récupérés lors de l’encodage. Les patients étaient testés en
état maniaque et/ou en état dépressif, aussi bien à l’encodage qu’au rappel. La question
était de savoir si le nombre de souvenirs correctement rappelés était différent pour les
patients lorsqu’ils étaient testés dans le même état émotionnel à l’encodage et au rappel
(états maniaque-maniaque ou dépressif-dépressif) et dans des états différents (états
maniaque-dépressif ou dépressif-maniaque).
Les données (Figure 5.16) montrent que, pour les souvenirs aussi bien positifs que
négatifs, les patients rapportaient plus de souvenirs autobiographiques produits et
rappelés dans le même état émotionnel que dans un état émotionnel différent. Par
exemple, les patients rappelaient 34 % des souvenirs positifs quand ils étaient dans
le même état émotionnel au rappel et à l’encodage (vs 20 % quand ils étaient dans des
états émotionnels différents). De la même manière, les états émotionnels identiques à
l’encodage et au rappel conduisaient les patients à rappeler 30 % de souvenirs négatifs
(vs 26 % dans des états émotionnels différents).
40
Pourcentages de rappels corrects
Contexte identique
35 Contexte différent
30
25
20
15
Souvenirs positifs Souvenirs négatifs
Figure 5.16
Dépendance au contexte chez des patients bipolaires (d’après Eich et al., 1997).
Pourcentages de souvenirs autobiographiques correctement rappelés par des patients bipolaires
en état maniaque ou dépressif à l’encodage et au rappel. Les patients rapportaient plus de souvenirs
autobiographiques positifs et négatifs produits et rappelés dans le même état émotionnel
que dans un état émotionnel différent à l’encodage et au rappel.
Ces effets de dépendance au contexte ont été retrouvés, parfois de manière amplifiée,
chez des patients souffrant de différentes pathologies (e.g., Delgado et al., 2012 ; Goodwin,
1974 ; Kwiatkowski & Parkinson, 1994 ; Reus et al., 1979 ; Schacter & Kihlstrom, 1989 ;
Wittekind et al., 2014).
En résumé, en accord avec les travaux de laboratoire montrant que, chez les parti-
cipants tout-venant, notre état affectif influence de manière importante ce que nous
stockons dans notre mémoire et ce que nous y maintenons et récupérons, les travaux
en psychopathologie font apparaître que ces biais peuvent être exacerbés dans cer-
taines pathologies et que l’influence des émotions sur la mémoire est d’autant plus
importante que l’état émotionnel du participant au moment de l’encodage est le même
qu’au moment du rappel.
Conclusions ■ 129
Conclusions
La démarche (objectifs et méthodes) des psychologues qui travaillent sur les liens
entre émotions et mémoire est la même que celle de ceux qui travaillent sur les liens
entre émotions et attention (voir chapitres 2 et 3). Pour déterminer si les émotions
affectent la mémoire et comment elles le font, les recherches prennent en compte les
différences individuelles, le vieillissement et la psychopathologie. Les données ont fait
apparaître que les différences individuelles, le vieillissement et la psychopathologie
modulent les biais mnésiques émotionnels dans les différentes tâches utilisées pour
sonder la mémoire, sur différents stimulus, et sur les différents mécanismes mnésiques
mobilisés.
Les différences individuelles font apparaître que l’effet des émotions diffère selon les
individus et que les caractéristiques (p. ex., personnalité) des individus peuvent être
systématiquement associées à une modulation de certains effets des émotions sur la
mémoire. Comme nous l’avons vu, les individus anxieux par exemple, ont tendance à
mieux mémoriser des informations à valence émotionnelle négative.
Il en est de même au cours du vieillissement. Avec l’avancée en âge, l’influence des
émotions sur la mémoire change. Les personnes âgées ont tendance à avoir de meil-
leures performances mnésiques sur des informations à valence émotionnelle positive,
tandis que les jeunes mémorisent et rappellent mieux des informations négatives ou
neutres.
Les études en psychopathologie montrent également que les biais mnésiques peuvent
être amplifiés chez certains patients. Comme nous l’avons vu par exemple, les effets
de dépendance aux contextes émotionnels peuvent être amplifiés, comme c’est le cas
lorsqu’un patient bipolaire est testé en phase maniaque lors de l’encodage et du rappel.
L’un des intérêts de ces données sur les différences individuelles, le vieillissement et
la psychopathologie est qu’elles renforcent l’hypothèse selon laquelle nos états émo-
tionnels influencent non seulement nos performances mnésiques, mais également les
mécanismes mobilisés pour encoder, retenir et rappeler des informations. L’effet de
nos états émotionnels peut être indépendant ou s’ajouter à l’effet de la valence émo-
tionnelle des informations à traiter (p. ex., une personne en état émotionnel négatif
retiendra mieux des informations émotionnellement négatives).
Bien sûr, ces travaux de recherche fondamentale ne sont pas sans importance au niveau
des applications. Ils renseignent sur les conditions de rappel d’informations erronées,
mais aussi justes, et le rôle que les émotions peuvent avoir, à tout âge et chez différents
types d’individus, sur ce rappel. Les résultats de ces recherches peuvent aider le clini-
cien aux niveaux diagnostique et thérapeutique, comprendre la création et le rôle des
faux souvenirs par exemple, mais aussi pour tester les patients et les personnes âgées
dans les meilleures conditions qui maximisent les chances de rappel d’informations ou
d’événements effectivement survenus dans le passé. Ces résultats peuvent être cruciaux
dans certains secteurs professionnels (comme le recueil de témoignages lors du dépôt de
plaintes pour agression ou viol ou lors de confrontations entre victimes et agresseurs),
les émotions pouvant avoir une très grande influence dans ces contextes.
130 ■ CHAPITRE 5 – Émotion et mémoire : différences individuelles, vieillissement…
Exercez-vous en ligne
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CHAPITRE 6
Émotion, jugement,
prise de décision
et raisonnement
Ce chapitre examine le rôle des émotions dans le jugement (ou l’estimation de
la probabilité de différents événements), la prise de décision (ou le choix entre
plusieurs options) et le raisonnement (ou les inférences). Il présente les travaux
montrant le type de biais d’estimation que nous adoptons sous émotion, com-
ment les émotions nous amènent à prendre des décisions parfois contraires
à nos intérêts et à augmenter les risques que nous prenons dans la vie. Dans
ce chapitre, est également passée en revue la façon dont les émotions nous
amènent à raisonner de manière illogique dans certaines conditions, ou, au
contraire, à améliorer nos raisonnements dans d’autres conditions. Le chapitre
se termine en décrivant les mécanismes responsables des effets des émotions
sur le jugement, la prise de décision et le raisonnement inductif ou déductif.
SOMMAIRE
1. Émotion et jugement
L’une des premières activités que l’on mobilise lorsqu’on prend une décision est
l’activité dite de jugement. Le jugement nous permet d’évaluer la probabilité de cha-
cune des options qui s’offrent à nous et parmi lesquelles nous allons devoir en choisir
une. Par exemple, quelle est la probabilité d’avoir une vie professionnelle épanouie
et stimulante pour quelqu’un qui fait de longues études universitaires versus des
études courtes ? Par exemple encore, quelles sont les chances de décrocher (ou pas) cet
emploi ? Par exemple enfin, quelle est la probabilité qu’il fasse beau (vs qu’il pleuve)
toute la journée, sachant que le soleil brille ce matin ? Pour choisir une possibilité
parmi plusieurs, nous allons donc évaluer quelles sont les chances (ou la probabilité)
de chaque possibilité. Nous allons également évaluer l’importance pour nous (ou son
utilité subjective) de chaque option. Par exemple, est-il important que, parmi tous les
appartements à visiter, celui choisi soit spacieux et lumineux (comparé au fait d’être
situé au centre-ville ou à la périphérie) ? Ainsi, prendre une décision mobilise des pro-
cessus de jugement qui s’appuient sur nos évaluations de la valeur subjective de chaque
option ainsi que sur leurs probabilités d’occurrence. Les psychologues ont donc étudié
le rôle des émotions sur les jugements pour déterminer si nos émotions influencent le
type de décision que nous prenons et comment nous prenons une décision.
Pour étudier les facteurs qui influencent nos jugements et les mécanismes mobilisés pour
formuler ces jugements, les psychologues présentent aux participants plusieurs possibi-
lités ou événements dont il faut estimer la probabilité (p. ex., « Quelle est la probabilité
de mourir du cancer ? D’un accident de la route ? ») ou pour lesquels il faut indiquer
une préférence (p. ex., « Préférons-nous faire du sport ou pratiquer un art martial ? »).
Différentes tâches existent (p. ex., tâches de comparaison de fréquences, d’estimations
de probabilité, de jugement de préférences, etc.) pour étudier les jugements. Les travaux
sur le rôle des émotions dans ces jugements ont pu montrer que nos jugements peuvent
être influencés par nos états émotionnels. Deux effets expérimentaux peuvent illustrer
ces effets : les biais émotionnels de surestimation et les effets de congruence affective.
En outre, les surestimations du groupe émotion par rapport au groupe contrôle étaient
comparables, quelle que soit la cause de la mort estimée (c.-à-d., la probabilité de mou-
rir d’une leucémie n’était pas jugée plus élevée que celle de mourir d’un accident de la
route après avoir lu un texte sur la leucémie). Ces surestimations étaient comparables
pour les causes de mort mentionnées dans les textes amorces (p. ex., leucémie) et pour
celles non mentionnées (p. ex., homicide), suggérant un effet général du contexte émo-
tionnel et en accord avec l’hypothèse selon laquelle les effets d’émotion n’étaient pas
confondus avec de simples effets d’amorçage.
La même année, Schwarz et Clore (1983) ont rapporté une étude dont les résultats
montrent que nos états d’humeur ou émotions influencent nos jugements y compris
sur nous-mêmes, comme le fait de se sentir heureux dans la vie ou de vivre une vie
pleinement satisfaisante. Dans deux expériences, ils ont demandé aux participants
d’estimer leur niveau de satisfaction dans la vie ou d’estimer s’ils se sentaient heureux
dans la vie (sur des échelles de 1 à 7) ou satisfaits (de 1 à 11 points, avec 1 = très peu
et 11 = beaucoup). Dans une première expérience, avant ces jugements, les auteurs ont
demandé à des participants de décrire de manière précise soit un événement heureux
soit un événement triste qu’il leur était arrivé récemment. Dans une seconde expé-
rience, ils ont demandé ces évaluations soit un jour où il faisait beau, soit un jour où
il pleuvait. Leurs données (Figure 6.1) font apparaître que les gens s’estimaient nette-
ment plus heureux les jours de beau temps que les jours de pluie ou après avoir décrit
un événement heureux récemment vécu qu’après avoir décrit un événement triste.
10 8
Événement heureux Ensoleillé Pluvieux
9 Événement triste
7
8
Estimations
Estimations
7 6
6
5
5
4 4
Satisfaction de vie Bonheur Satisaction de vie Bonheur
Figure 6.1
Effets de contexte et jugements (d’après Schwartz & Clore, 1983).
Estimations des niveaux de satisfaction et de bonheur dans la vie après avoir décrit un événement
heureux vs triste, et formulées un jour ensoleillé ou pluvieux. Les niveaux de satisfaction dans la vie
et de bonheur étaient plus élevés après avoir décrit un événement heureux ou un jour ensoleillé.
4
Émotion positive
Émotion négative
3,5
Jugements de probabilité
2,5
2
Événements négatifs Événements positifs
Figure 6.2
Effets de congruence affective sur les jugements (d’après Constans & Mathews, 1993).
Estimations de la probabilité d’événements positifs ou négatifs par des participants mis dans un état
émotionnel positif ou négatif. Les événements négatifs étaient jugés plus probables sous émotion
négative et les événements positifs plus probables sous émotion positive.
136 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
Plusieurs travaux empiriques ont montré que les effets de congruence affective sur nos
jugements de probabilité existent également quand les participants évaluent eux-mêmes
l’émotion ou l’humeur dans laquelle ils se trouvent au moment où ils émettent leurs juge-
ments. Par exemple, Mayer et ses collaborateurs (1992) ont conduit une série d’études à
grande échelle montrant que l’effet des émotions sur les jugements de probabilité existe
en dehors du laboratoire et des procédures expérimentales utilisées pour induire des
émotions. Les auteurs ont sondé l’humeur des 524 participants, représentatifs de la
population du New Hampshire aux États-Unis, avec une échelle d’humeur, ce qui leur a
permis de catégoriser les participants se décrivant comme étant, sur le moment, d’humeur
positive ou d’humeur négative. Par ailleurs, les participants avaient une tâche de juge-
ment de probabilité portant sur des événements survenant dans le New Hampshire. Ces
événements étaient soit positifs, soit négatifs. Ainsi, « Dans le New Hampshire, quelle est
la probabilité qu’un mariage conduise à une relation heureuse sur le long terme ? est un
exemple d’événement positif, tandis que « Quelle est la probabilité pour qu’il tombe une
bombe atomique au cours des cinq prochaines années ? est un exemple d’événement néga-
tif. Les autres événements positifs concernaient l’amitié sur le long terme, l’amélioration
de l’économie et une belle histoire d’amour, tandis que les autres événements négatifs
concernaient un divorce dans les 5 années qui suivent le mariage, une diminution des
emplois et un crime. Les participants devaient évaluer la probabilité de chaque événement
sur une échelle de 0 (aucune chance) à 100 (absolument certain).
Les jugements de probabilité ont fait apparaître (Figure 6.3) que les participants se
disant dans un état émotionnel (ou humeur) positif évaluaient plus probables des
événements positifs que les participants d’une humeur négative. À l’inverse, les par-
ticipants d’une humeur négative jugeaient plus probables les événements négatifs que
les participants se décrivant d’une humeur positive.
Les effets de congruence affective sur les jugements de probabilité ont été obser-
vés de nombreuses fois aussi bien en laboratoire (e.g., Alhakami & Slovic, 1994 ;
Bhanji & Beer, 2012 ; DeSteno et al., 2000 ; Drace et al., 2010 ; Forgas, 2000, 2001 ;
Forgas et al., 2001 ; Isen et al., 1988 ; Keltner et al., 1993 ; Lerner et al., 2003, 2004 ;
Lerner & Keltner, 2000, 2001 ; Quraishi & Oaksford, 2013 ; Schwarz & Clore, 2007,
1996 ; Siemer & Reisenzein, 1998 ; Slovic et al., 2005 ; Slovic & Peters, 2006 ;
Tiedens & Linton, 2001 ; Västfjäll et al., 2016) qu’hors du laboratoire (e.g., Danvers
et al., 2018 ; Fischhoff et al., 2005 ; Lerner et al., 2003, 2004 ; Lu & Schuldt, 2015 ;
Mayer et al., 1992 ; Mayer & Hanson, 1995 ; McFarland et al., 2003 ; Small & Lerner,
2008). À l’extérieur du laboratoire, par exemple, Lerner et ses collaborateurs (2003)
ont montré que, suite aux attentats du 11 septembre 2001 à New York, les indivi-
dus chez qui on activait une émotion de peur (en leur demandant préalablement de
décrire ce qui était effrayant dans les attaques du 11 septembre) avaient tendance
à davantage évaluer les risques d’attentats à venir comme étant plus élevés. Dans
une autre de leur étude, ils ont activé la peur chez des participants et la colère chez
d’autres participants. Ils ont activé la peur en faisant lire un article sur les dangers
de l’anthrax et la colère en faisant lire un article sur la célébration des attentats du
11 septembre dans certains pays arabes. Les auteurs ont trouvé que les participants
chez qui la peur avait été activée estimaient que le monde comportait plus de dangers
et de risques. Ceux chez qui la colère avait été activée estimaient que le monde était
Émotion et jugement ■ 137
moins risqué. Cette différence entre deux émotions négatives suggère que l’effet des
émotions peut différer selon le type d’émotion et selon le type d’événement évalué. Par
exemple encore, Cohen-Charash et al. (2013) ont analysé des rapports de journaux sur
les fluctuations de l’humeur des investisseurs en bourse (en particulier, ils ont étudié
l’emploi de mots émotionnels dans les articles de presse parlant de l’humeur des tra-
ders) et les fluctuations des prix du NASDAQ. Leurs analyses ont fait apparaître que
les valeurs du NASDAQ à l’ouverture du marché suivaient l’humeur des traders le
jour précédent. Ainsi, les prix du NASDAQ étaient élevés le matin à l’ouverture de la
bourse quand, la veille, les traders étaient dans une humeur positive et avaient baissé
suite à une humeur négative des traders (voir également la corrélation positive entre
le nombre de jours ensoleillés et les échanges boursiers, trouvés dans 26 pays, par
Hirshleifer & Shumway, 2003 ; Kamstra et al., 2003).
60
Humeur positive
55 Humeur négative
Estimations de probabilité
50
45
40
35
30
Items positifs Items négatifs
Figure 6.3
Effets de congruence affective hors du laboratoire (d’après Mayer et al., 1992).
Estimations de la probabilité d’événements positifs et négatifs par des individus se décrivant d’une
humeur positive ou négative. Les événements positifs étaient jugés plus probables par les individus
d’humeur positive et les événements négatifs plus probables par les individus d’humeur négative.
En résumé, de nombreuses données ont fait apparaître que nos jugements de probabi-
lité sont influencés par nos émotions. Ces effets des émotions sont aussi observés sur
des jugements plus qualitatifs que les jugements de probabilité, comme le jugement
moral par exemple (voir Landy & Goodwin, 2015, pour une méta-analyse). En état
émotionnel, nous ne formulons pas les mêmes jugements qu’en état neutre. Ainsi, nous
pouvons être amenés à surestimer ou à sous-estimer la probabilité de certains événe-
ments. Ces biais d’estimation en état émotionnel peuvent être amplifiés ou amoindris
138 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
s’ils concernent des événements ayant eux-mêmes une valence émotionnelle, soit
congruente à l’état émotionnel dans lequel se trouve l’individu qui émet un jugement de
probabilité, soit incongruente à cet état émotionnel. Comme ces jugements de probabi-
lité sont cruciaux dans les décisions que nous prenons, nous allons voir dans la partie
suivante que, par conséquence directes ou indirectes, les émotions affectent également
les décisions que nous prenons.
chance) à 1 (grande chance). Ils devaient donner la probabilité de gagner nécessaire pour
jouer, par fraction de .10. Par exemple, un participant disant qu’il acceptait de jouer
seulement s’il avait au moins 4 chances sur 10 de gagner indiquait .40, tandis qu’un
participant estimant qu’il voulait jouer seulement s’il avait 8 chances sur 10 de gagner
indiquait .80. Notons qu’un nombre élevé (p. ex., .80) indique que le participant veut être
aussi sûr que possible de gagner pour jouer, tandis qu’un nombre plus faible (p. ex., .30)
indique que le participant décide de prendre un risque plus important (car il indique qu’il
veut bien jouer avec peu de chances de gagner).
Les données (Figure 6.4) montrent de manière claire que les participants ont besoin de
plus de certitude de gagner pour jouer en condition émotion positive qu’en condition
émotion neutre, lorsque les pertes/gains sont élevés, et l’inverse lorsque les pertes/
gains sont faibles. Ainsi, lorsque les pertes/gains étaient plus élevés (5 ou 10 jetons),
les participants disaient vouloir parier seulement s’ils avaient au moins 68 % de
chances de gagner leur mise en condition émotion positive (contre 52 % en condition
émotion neutre). En revanche, lorsque les pertes/gains étaient faibles (1 jeton), les par-
ticipants voulaient avoir 53 % de chances de gagner dans la condition émotion positive
et 59 % dans la condition émotion neutre. En d’autres termes, les participants avaient
une certaine aversion au risque plus élevée en condition émotion positive qu’en
condition émotion neutre pour les enjeux les plus importants et moins élevée pour les
enjeux les moins importants. Les auteurs ont proposé d’interpréter cette aversion au
risque en postulant que l’objectif des participants en état émotionnel positif étant de
maintenir cet état, ils éviteraient les risques pouvant entraîner une suppression ou une
diminution de cet état.
0,75
Neutre Positive
0,7
0,65
Niveau de certitude
0,6
0,55
0,5
0,45
0,4
Gains/Pertes faibles Gains/Pertes moyens Gains/Pertes élevés
Figure 6.4
Émotion positive et prises de risques (d’après Isen & Geva, 1987).
Niveau de certitude exigée par les participants en condition émotions neutre et positive pour parier
au jeu de la roulette et escompter des gains faibles, moyens ou élevés. L’émotion positive
140 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
nettement inférieur dans la condition stress que dans la condition contrôle. Tout se
passe comme si le stress conduisait les participants à ne pas prendre de risque quand le
choix est formulé en termes de gains, afin de maximiser les chances de gains, quel que
soit le volume de ces gains. C’est l’inverse qui se passe lorsque le choix est formulé en
termes de pertes : le pourcentage de paris risqués avait tendance à être plus important
dans la condition stress que dans la condition contrôle, comme si le stress conduisait
les gens à prendre plus de risques dans une situation où la perte est mise en avant. En
d’autres termes, en situation de perte, on minimise la taille du montant perdu, quitte à
augmenter les risques de perdre ce montant.
En fait, le stress exacerbe les biais cognitifs habituellement observés en prise de déci-
sion. Sous stress, les participants adoptent des routines automatisées de traitement de
l’information, plutôt que des procédures délibérées de traitement profond de l’infor-
mation. En effet, de nombreuses études antérieures avaient montré que le choix par
défaut fait par le cerveau dans ce genre de contexte est bien de prendre l’option gain la
plus probable et l’option perte la moins probable (e.g., Masicampo & Baumeister, 2008).
Le stress ne fait qu’amplifier ces biais cognitifs. En accord avec cette hypothèse, dans
une tâche de reconnaissance où les participants voyaient des mots dont ils devaient
dire ensuite s’ils étaient présents ou non parmi une liste, Porcelli et Delgado ont
observé que les participants allaient plus vite pour faire cette tâche de reconnaissance
dans la condition stress : le stress conduisait les participants à adopter des stratégies
de traitement plus superficielles mais plus rapides pour faire la tâche plus rapidement.
70
Contrôle
60
Stress
Pourcentages de choix risqués
50
40
30
20
10
Gains Pertes
Figure 6.5
Stress et prise de risque (d’après Porcelli & Delgado, 2009).
Pourcentages de choix risqués en conditions de stress et contrôle selon la version gains/pertes
des paris entre lesquels choisir. Le stress amplifie les effets habituellement observés. En condition
de stress, les choix risqués étaient plus faibles pour l’option gain et plus élevés pour l’option perte.
142 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
90
Tristesse
Pourcentages de participants choisissant
80
Neutre
Anxiété
70
l’option la plus risquée
60
50
40
30
20
Pari 2 Poste 1
Figure 6.6
Émotion et prise de risque (d’après Raghunathan & Pham, 1999).
Pourcentages de participants choisissant l’option la plus risquée, mais aux gains les plus élevés
en fonction de l’état émotionnel. La tristesse conduit à plus de choix risqués, tandis que l’anxiété
entraîne à préférer l’option la plus sûre.
Les données (Figure 6.6) montrent clairement que les individus qui avaient au préa-
lable lu un scénario déclenchant de la tristesse avaient tendance à choisir l’option la
plus risquée (aux gains les plus importants) et les individus chez qui on avait activé
Émotion et prise de décision ■ 143
l’anxiété préféraient l’option la plus sûre (mais aux gains les moins importants). Par ail-
leurs, dans leur deuxième expérience, les auteurs ont également demandé aux partici-
pants d’évaluer ce qui était le plus important à leurs yeux, la différence de salaire entre
les deux postes ou la différence de sécurité de l’emploi. Ils ont observé que les individus
émotionnellement anxieux attribuaient plus d’importance à la sécurité de l’emploi
tandis que les individus tristes estimaient le salaire plus important. Les données sont
compatibles avec l’hypothèse dite de réparation émotionnelle (e.g., Schaller & Cialdini,
1990 ; Zillmann, 1988) selon laquelle les individus dans un état émotionnel négatif
choisissent l’option qui leur permettra de se sentir mieux (p. ex., un individu triste
n’ayant plus rien à perdre se sentira mieux si l’option choisie, qui lui rapporte le plus,
s’avère gagnante ; un individu anxieux se sentira mieux avec une option plus certaine,
quel que soit le gain associé à cette option). En réalité, les auteurs ont proposé que
ces résultats s’accordaient davantage avec une hypothèse dite de poursuite de buts
(Schwarz & Clore, 1988, 1983). Selon cette hypothèse, chaque émotion déclenche en
nous un but ou un objectif à poursuivre. Par exemple, l’anxiété nous amènerait à vou-
loir réduire l’incertitude (ce qui est possible avec un gain moins assuré), tandis que la
tristesse nous donnerait envie d’augmenter notre bien-être (ce qui est possible avec un
gain plus élevé). En accord avec cette hypothèse, dans une troisième expérience qui a
repris le protocole de la première expérience (choix entre deux paris dans une condi-
tion avec induction de tristesse vs anxiété), Raghunathan et Pham ont observé que
la préférence pour le risque des individus tristes n’apparaissait que si on demandait
aux individus de choisir pour eux-mêmes entre les deux paris (voir aussi Yang et al.,
2018 ; Zhao et al., 2016). Cette préférence disparaissait si on demandait aux partici-
pants de choisir pour quelqu’un d’autre. En d’autres termes, les buts étant différents
si l’on choisit pour soi ou pour quelqu’un d’autre, les choix sont différents (voir aussi
Forgas, 1991).
80 70
Pourcentages de rejets de 50 %
70 60
les propositions injustes
60
50
des propositions
50
40
40
30
30
20
20
10 10
0 0
Triste Neutre Dégoût Triste Neutre Dégoût
Figure 6.7
Émotions négatives et prise de décisions injustes (d’après Moretti & di Pellegrino, 2010).
Pourcentages moyens de participants refusant au moins 50 % des propositions (à droite)
et de participants refusant les propositions injustes (à gauche) en fonction de l’état émotionnel.
Même si le dégoût n’entraîne pas un rejet global, il entraîne davantage le rejet de propositions
injustes.
Ces résultats ont été observés dans plusieurs études (p. ex., Andrade & Ariely,
2009 ; Ariely & Loewenstein, 2006 ; Ford & Merchant, 2010 ; Hanley et al., 2016 ;
Harlé & Sanfey, 2007 ; Lerner et al., 2004). Ainsi, dans leur expérience, Harlé et
Sanfey (2007) ont aussi donné le jeu de l’ultimatum aux participants testés dans
une condition de tristesse, d’amusement ou neutre. Les émotions ont été activées en
demandant aux participants de visionner, juste avant de jouer au jeu de l’ultimatum,
des clips vidéo préalablement évalués pour induire de la tristesse, de l’amusement ou
aucune émotion. Les données (Figure 6.8) montrent que les taux de rejet des proposi-
tions injustes sont nettement inférieurs dans la condition tristesse que dans les deux
Émotion et prise de décision ■ 145
autres conditions (dans lesquelles les taux de rejet étaient équivalents). Le fait que la
tristesse a entraîné une baisse du taux de rejet des propositions injustes dans cette
expérience alors qu’elle ne l’a pas été dans l’expérience de Moretti et di Pellegrino est
vraisemblablement dû au fait que l’induction de la tristesse était plus forte dans l’expé-
rience d’Harlé et Sanfey. Lorsqu’Harlé et Sanfey ont comparé les taux de réduction de
rejet des propositions injustes en fonction du niveau de tristesse ressentie après avoir
visionné les clips tristes, ils ont observé une corrélation significative entre niveau
de tristesse ressentie et taux de rejet : plus les individus se sentaient tristes, plus ils
rejetaient les propositions injustes. Notons que, quelle que soit la condition d’émotion,
les participants acceptaient à plus de 97 % les propositions justes (p. ex., le donneur
propose au receveur 1 ou 2 dollars sur 10), ce qui permettait d’écarter l’hypothèse
d’un biais général de rejet chez les participants tristes.
65
Taux de rejets des propositions injustes
55 60
50
50
40
45
30
40 20
35 10
30 0
Amusement Neutre Tristesse Tristesse + Tristesse ++
Figure 6.8
Émotions et jeu de l’ultimatum (d’après Harlé et Sanfey, 2007).
Taux de rejets des propositions injustes en fonction de l’état émotionnel (à gauche) et de l’intensité
ressentie de la tristesse (à droite). La tristesse entraîne une augmentation du rejet des propositions
injustes, et ce d’autant plus qu’elle est plus intense.
homme ou d’une femme. Les visages étaient neutres. De plus, sans que les participants
ne s’en rendent compte, juste avant chaque visage neutre, un visage était présenté de
manière subliminale (pendant 16 ms). Ce visage pouvait être un visage neutre ou celui
de quelqu’un de joyeux, ou bien encore le visage de quelqu’un en colère. Par des tests
complémentaires, les auteurs se sont assurés que les participants ne percevaient pas
consciemment ces visages présentés de manière subliminale. Les auteurs ont ensuite
regardé le volume de boisson que se servaient les participants et le volume qu’ils
buvaient, selon qu’ils avaient déclaré avoir une soif importante, moyenne ou moins
grande, afin de voir si ce volume était influencé par la présentation subliminale des
visages émotionnels ou neutres.
Quand les participants avaient grand-soif, comparés à la condition visage neutre,
ils buvaient moins après avoir vu des visages exprimant la colère et plus après des
visages exprimant la joie (Figure 6.9). En revanche, plus aucune différence significative
n’est apparue en état de soif plus faible. Il était donc intéressant qu’un état émotionnel,
déclenché de manière subliminale, puisse influencer le comportement des participants.
Ces données suggèrent que nos émotions peuvent influencer nos décisions même si
nous n’avons pas conscience de notre état émotionnel (voir également, pour des résul-
tats similaires sur d’autres prises de décision et avec d’autres procédures, Liu et al.,
2014 ; Skandrani-Marzouki & Marzouki, 2010).
50
Neutre Colère Joie
40
Volume consommé (en ml)
30
20
10
0
Soif élevée Soif moyenne Soif faible
Figure 6.9
Émotion inconsciente et décisions (d’après Winkielman et al., 2005).
Volume de boisson consommée par les participants selon l’émotion déclenchée de manière
subliminale en fonction de la soif des participants. Quand les patients avaient grand soif
uniquement, ils buvaient plus après avoir vu de manière subliminale un visage exprimant la joie
et moins après avoir vu un visage exprimant la colère, ce qui montre que nos décisions peuvent être
influencées par des émotions dont nous n'avons pas conscience.
Émotion et prise de décision ■ 147
Voies incluses
dans les modèles traditionnels
Caractéristiques du décideur de choix rationnel
Voies non incluses
(e.g., préférences, personnalité dans les modèles traditionnels
de choix rationnel
B’ Caracteristiques des options B
C’ C A
(e.g., probabilité, délais
des résultats)
Résultats attendus
Emotion ressentie G Evaluation consciente ou non D E
Décision
pendant la prise de décision consciente (y compris conséquences
G’ émotionnelles)
H I
F
Influences incidentes
(e.g., temps qu’il fait, humeur)
CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
Figure 6.10
Le modèle E.I.C. de la prise de décision proposé par Lerner et al. (2015 ; reproduit avec autorisation).
Émotion et raisonnement ■ 149
En résumé, de nombreuses études ont observé que nos décisions et les mécanismes
par lesquels nous prenons des décisions sont influencés par nos émotions. Ainsi, nous
pouvons être amenés à prendre plus de décisions risquées lorsque nous sommes tristes
et à en prendre moins dans un état d’anxiété. Ainsi encore, nous pouvons être ame-
nés à refuser moins une décision injuste quand nous sommes tristes ou, au contraire,
accepter moins une décision injuste quand nous sommes en colère. Par ailleurs,
l’effet des émotions sur la prise de décision peut survenir tout aussi bien lorsque nous
sommes conscients des émotions que nous éprouvons que lorsque nous n’en sommes
pas conscients. Les travaux sur émotion et prise de décision ont donc non seulement
montré que les émotions influencent les types de décision que nous prenons, mais aussi
les biais qui peuvent gouverner nos décisions. De manière importante, ces travaux ont
montré que, pour une même valence émotionnelle, l’effet des émotions sur la prise des
décisions peut varier selon le type d’émotion ressentie. Notons enfin que l’ensemble de
ces effets des émotions sur la prise de décision étudiés en laboratoire sont également
apparus dans de nombreuses situations de vie quotidienne (Garland et al., 2010 ;
Mikels et al., 2011 ; Quoidbach, et al., 2019 ; Quoidbach et al., 2019). Les propositions
théoriques de Lerner et collaborateurs permettent de comprendre que les émotions
peuvent influencer nos décisions par plusieurs types de mécanismes, depuis ceux qui
modifient nos évaluations (d’utilité subjective et de probabilité d’occurrence) jusqu’à
ceux qui nous permettent d’évaluer les résultats attendus (en termes émotionnels ou
autres) des choix effectués.
3. Émotion et raisonnement
Raisonner nous permet de donner du sens au monde qui nous entoure, à notre rela-
tion aux autres, voire même à notre vie. Qu’il s’agisse d’un raisonnement déductif (qui
consiste à tirer des conclusions vraies et valides en appliquant les règles de la logique
sur des prémisses), inductif (permettant de découvrir une règle à partir d’exemples
particuliers), ou d’autres formes de raisonnement, les psychologues ont cherché à
déterminer si le raisonnement est affecté par nos émotions.
Comme pour les autres fonctions cognitives, les travaux empiriques ont montré que
les émotions influencent le raisonnement, mais pas toujours. Nos capacités de raison-
nement peuvent être perturbées par les émotions, y compris positives, dans certaines
situations, et améliorées dans d’autres situations. Ces effets des émotions dépendent
du type de tâche de raisonnement, du type de stimulus ou de situations sur lesquels
raisonner, et bien sûr des émotions que nous éprouvons lorsque nous raisonnons.
Quels que soient les effets des émotions observés, ceux-ci s’expliquent par une modi-
fication des mécanismes mentaux (ou stratégies) mobilisés pour faire des inférences
(Blanchette, 2013 ; Blanchette & Richards, 2010 ; Forgas & Koch, 2013). Dans cette
partie, nous discutons d’abord les résultats montrant que nos capacités de raisonne-
ment peuvent être perturbées par les émotions, ainsi que ceux faisant apparaître que
les émotions peuvent nous aider à mieux raisonner.
150 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
100
Pourcentages de réponses correctes
90 Neutre Émotionnel
80
70
60
50
40
30
Modus ponens Modus tollens Négation Affirmation
de l’antécédent du conséquent
Figure 6.11
Raisonnement conditionnel et émotion (d’après Blanchette & Richards, 2004).
Pourcentages moyens de réussite aux énoncés neutres et émotionnels pour chacune des 4 figures
logiques. Les émotions entraînent une diminution des performances pour les raisonnements les plus
difficiles (négation de l’antécédent et affirmation du conséquent).
Émotion et raisonnement ■ 151
Les auteurs ont conduit une analyse plus détaillée des réponses exactes « oui » (pour
les énoncés modus ponens), « non » (pour les énoncés modus tollens) et « peut-être »
(pour les énoncés négation de l’antécédent et affirmation du conséquent) en fonc-
tion des émotions. Ils ont observé que, pour les énoncés modus tollens (et, dans une
moindre mesure, pour les énoncés modus ponens), les participants obtenaient de meil-
leures performances pour les énoncés parlant d’anxiété que pour les autres énoncés
émotionnels. Par ailleurs, aucune différence selon les émotions n’est apparue sur les
énoncés affirmation du conséquent, alors qu’ils ont noté un léger effet des émotions sur
les énoncés négation de l’antécédent (c.-à-d., les performances étaient meilleures sur les
énoncés parlant d’anxiété que sur les énoncés parlant de joie).
Les auteurs ont noté que, dans cette première expérience, les énoncés différaient non
seulement par l’émotion qu’ils véhiculaient, mais également par leur contenu séman-
tique. Il était donc difficile d’expliquer la diminution des performances en condition
émotionnelle seulement par l’émotion déclenchée par les énoncés. La différence entre
les contenus sémantiques a pu contribuer à la différence de performances. Ceci a
conduit les auteurs, dans une seconde expérience, à contrôler le contenu sémantique
(en maintenant constant ce contenu) et à faire varier le contenu émotionnel unique-
ment. Pour cela, ils ont utilisé une procédure de conditionnement évaluatif, permettant
d’associer un même contenu soit à des émotions positives soit à des émotions négatives
(ou neutres). Les résultats de cette deuxième expérience ont répliqué ceux de l’Expé-
rience 1. Les participants ont obtenu de moins bonnes performances sur les énoncés
émotionnels que sur les énoncés neutres.
Les effets délétères des émotions sur le raisonnement n’ont pas été observés que dans
des expériences manipulant le contenu émotionnel des énoncés. Ils l’ont également été
dans des expériences utilisant des procédures d’induction émotionnelle. Par exemple,
Oaksford, Morris, Grainger, et Williams (1996) ont donné à leurs participants une
tâche de raisonnement, après leur avoir fait visionner pendant 7 minutes un film censé
induire une émotion. Les participants étaient aléatoirement affectés dans l’une des
quatre conditions suivantes, selon le film qu’ils voyaient avant la tâche de raisonne-
ment : (a) condition émotion positive (c.-à-d., les participants voyaient un extrait de film
comique) ; (b) condition émotion négative (c.-à-d., les participants voyaient un documen-
taire sur le stress) ; (c) condition émotion neutre (c.-à-d., les participants voyaient un
documentaire de la BBC sur la nature) ; et (d) une condition contrôle (où les participants
ne voyaient aucun film avant la tâche de raisonnement). Des questionnaires d’humeur
ont permis aux auteurs de vérifier que leur procédure d’induction émotionnelle avait
été efficace (p. ex., les participants ayant visionné un extrait de film comique se disaient
plus joyeux que les participants ayant visionné le documentaire sur le stress). Après
avoir visionné le film, les participants avaient une tâche de raisonnement déductif : la
tâche des quatre cartes de Wason.
Dans cette version de la tâche des quatre cartes, les participants lisaient l’énoncé suivant :
« Vous êtes un officier de l’immigration à l’aéroport international de Manille, la capitale
des Philippines. Parmi les documents à vérifier, il y a le formulaire appelé “Formulaire
H”. Sur un côté de ce formulaire, il est indiqué si le passager est “EN TRANSIT” ou s’il
va “ENTRER” dans le pays. Sur l’autre côté, il y a une liste de noms de maladies tropi-
cales. Vous devez vous assurer que si on lit “ENTRER” sur un côté du formulaire, il doit
152 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
au moins y avoir écrit “CHOLÉRA” sur l’autre côté. Lequel des formulaires suivants
devez-vous retourner pour faire votre vérification ? Indiquez seulement les formulaires
que vous devez retourner pour être certain ». Les participants avaient devant eux quatre
formulaires (voir Figure 6.12). Le mot « ENTRER » était écrit sur l’un des formulaires,
le mot « TRANSIT » sur un deuxième formulaire. Une liste de maladies comprenant
« CHOLÉRA » était visible sur un troisième formulaire et le dernier formulaire laissait
apparaître une liste de maladies ne comprenant pas « CHOLÉRA ».
Le nombre d’individus qui ont retourné les cartes en vue de tester la règle (« ENTRER »
+ « NON-CHOLÉRA ») était plus faible dans les conditions émotionnelles que dans
les conditions neutres et contrôles. Par ailleurs, ce nombre était plus faible dans la
condition émotion positive que dans la condition émotion négative. Par exemple, sur
l’ensemble des individus testés, les formulaires « ENTRER » et « NON-CHOLÉRA »
(nécessaires pour tester la règle d’immigration) ont été retournés 5 fois dans la condi-
tion neutre et 6 fois dans la condition contrôle. Par comparaison, ces deux formulaires
ont été retournés 1 fois dans la condition émotion positive et 3 fois dans la condition
émotion négative. Les formulaires « ENTRER » et « CHOLÉRA » (montrant un biais de
confirmation) ont été retournés 9 fois dans la condition émotion positive, 4 fois dans la
condition émotion négative et 3 fois dans chacune des conditions neutres et contrôles.
En d’autres termes, les performances en raisonnement déductif ont été dégradées dans
les conditions où les individus éprouvaient des émotions pendant qu’ils raisonnaient.
Les émotions positives avaient tendance à entraîner un effet délétère plus important
que les émotions négatives sur le raisonnement. Jung et ses collaborateurs (2014) ont
retrouvé des résultats similaires sur la tâche des quatre cartes avec une autre procé-
dure d’induction émotionnelle (les participants passaient un test de QI avant la tâche
des quatre cartes et recevaient un feed-back positif, négatif ou neutre sur leurs perfor-
mances à ce test). Jung et ses collaborateurs ont observé que ceux chez qui une émotion
négative avait été induite (par un feed-back d’échec) réussissaient moins bien la tâche
des quatre cartes que ceux chez qui une émotion positive avait été déclenchée (par un
feed-back de réussite), eux-mêmes réussissant moins bien la tâche que les participants
ayant reçu un feed-back neutre (ils retrouvent les mêmes résultats dans une tâche de
raisonnement conditionnel).
Figure 6.12
Tâche des quatre cartes utilisées par Oaksford et al. (1996) dans leur étude relative aux effets
des émotions sur le raisonnement.
Ces effets délétères des émotions, produits aussi bien à partir du contenu émotionnel des
énoncés que des états émotionnels expérimentalement induits chez les participants, ont
Émotion et raisonnement ■ 153
Validité
Crédibles Non crédibles
des énoncés
La mort de certains enfants fait partie La mort de certains enfants fait partie
de la guerre. Tout ce qui fait partie de la guerre. Tout ce qui fait partie
Non valides
d’une guerre est délibéré. La mort de la guerre est pénible. La mort
de certains enfants n’est pas délibérée. de certains enfants n’est pas pénible.
154 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
Validité
Crédibles Non crédibles
des énoncés
Émotions générales
Neutres
Certains thés sont des substances Certains thés sont des substances
Valides
naturelles. Toutes les substances naturelles naturelles. Toutes les substances naturelles
sont inoffensives. Certains thés sont sont solides. Certains thés sont solides.
inoffensifs.
0,7
Émotion pertinente
Proportions de réponses correctes
0,55
0,5
0,45
0,4
Image Vidéo
Figure 6.13
Pertinence des émotions et raisonnement (d’après Blanchette et al., 2014).
Proportions de réponses correctes à une tâche de raisonnement conditionnel dans un état
émotionnel ou neutre pertinent ou non pertinent. Les performances en raisonnement s’améliorent
grâce aux émotions dès lors que l’émotion ressentie est pertinente par rapport au contenu
sur lequel raisonner.
156 ■ CHAPITRE 6 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement
En résumé, même si les travaux ont surtout utilisé des tâches de raisonnement
déductif, et même si les tâches utilisées sont surtout des tâches de jugement ou de
vérification, les conclusions peuvent se généraliser aisément aux autres formes de
raisonnement et à différents types de tâche (p. ex., tâches de production). Les données
ont fait apparaître que nos performances en raisonnement peuvent parfois diminuer
et parfois augmenter sous l’effet des émotions. Elles ont également permis de préci-
ser les conditions où les émotions améliorent nos performances et celles où elles les
détériorent. Lorsqu’elles affectent, positivement ou négativement, nos performances
en raisonnement, les émotions le font de deux manières : en détériorant ou amélio-
rant la mise en œuvre et l’exécution des mécanismes inférentiels (p. ex., elles nous
empêchent ou nous aident à construire une représentation mentale plus précise de la
situation décrite par les prémisses sur lesquelles raisonner ou à adopter une stratégie
de falsification pour tester la véracité d’une règle) et/ou en amplifiant l’efficacité des
mécanismes cognitifs généraux crucialement impliqués dans le raisonnement (p. ex.,
elles nous conduisent à nous focaliser sur les dimensions pertinentes d’une situation
ou d’un énoncé sur lequel raisonner ou accaparent nos ressources en MDT, alors non
disponibles pour maintenir active une représentation claire et précise des prémisses
sur lesquelles raisonner). La pertinence (ou l’équivalent en raisonnement des effets de
congruence affective vus sur l’attention et la mémoire) est un mécanisme clé parmi les
mécanismes responsables des effets bénéfiques des émotions en raisonnement. Selon
ce mécanisme, les émotions améliorent le raisonnement lorsqu’elles sont pertinentes
pour la tâche à accomplir.
Conclusions
Que ce soit sur le jugement, la prise de décision ou le raisonnement, les psycholo-
gues posent les mêmes questions que sur l’attention et la mémoire. De manière géné-
rale, il s’agit de savoir si les émotions affectent les performances et, si oui, de quelle
manière, dans quelles conditions et par quels mécanismes.
Nous avons vu que les émotions affectent positivement ou négativement nos perfor-
mances cognitives dans des tâches de jugement, de prise de décision et de raisonne-
ment. Sous émotions, nos biais d’estimation peuvent nous conduire à surestimer ou
sous-estimer la probabilité de certains événements, à prendre des décisions parfois
contraires à nos intérêts parfois au mieux de nos intérêts, mais aussi à moins bien rai-
sonner ou au contraire à améliorer nos capacités de raisonnement. L’effet des émotions
sur les performances cognitives dans ces trois domaines dépend des caractéristiques
des émotions, comme leur valence (positive vs négative) ou comme le type d’émotions
au sein d’une même valence (dégoût vs tristesse), mais également des caractéristiques
de la tâche (comme sa complexité).
Dans chacun de ces trois domaines, les émotions améliorent nos performances cogni-
tives lorsqu’elles sont pertinentes pour la tâche à accomplir. Cette pertinence facilite
les performances de deux manières. D’abord, elle nous conduit à exécuter plus effi-
cacement les mécanismes spécifiques à une tâche. Ensuite, elle potentialise la mise
Testez vos connaissances ■ 157
en œuvre et l’exécution des mécanismes cognitifs généraux cruciaux pour réussir une
tâche. Par exemple, lorsqu’une femme qui a été victime d’un viol dans son passé est
amenée à raisonner sur une situation de viol, elle va mobiliser ses capacités attention-
nelles qui lui permettront de se focaliser sur les dimensions pertinentes de la situation
et de ne pas se laisser distraire par les aspects non pertinents. Elle construira une
représentation plus claire et précise de la situation en MDT, y compris éventuellement
avec l’aide des représentations cognitives stockées suite à son expérience passée du
viol (Blanchette & Caparos, 2013 ; Caparos et al., 2018). Par ailleurs, elle mobili-
sera plus efficacement les mécanismes d’inférence déductive (application des règles
logiques, construction d’une représentation mentale claire et précise de la situation lui
permettant de chercher à falsifier une règle). Il en est de même pour l’évaluation de la
probabilité de différents événements et de l’importance subjective relative de ces dif-
férents événements quand il s’agit d’émettre un jugement, ou pour faire un choix entre
plusieurs possibilités dans une tâche de prise de décision.
Pour chacun de ces domaines, les émotions affectent nos performances à la fois par
des mécanismes communs (p. ex., mécanismes cognitifs généraux comme les capaci-
tés attentionnelles ; inhibition et maintien actifs en MDT des données de la situation ;
mise en relation des informations à traiter et celles disponibles en MLT) et par des
mécanismes spécifiques à chacun de ces domaines (p. ex., évaluation de probabilités
en jugement ; évaluations des risques associés à chaque option en prise de décision ;
inférences en raisonnement). Le type d’émotion et son intensité peuvent moduler non
seulement l’impact des émotions sur les performances, mais également les mécanismes
responsables de cet impact.
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Vrai ou faux
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Flash-cards
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CHAPITRE 7
Émotion, jugement, prise
de décision et raisonnement :
différences individuelles,
vieillissement et psychopathologie
SOMMAIRE
8
Individus moins anxieux
7
Individus plus anxieux
Estimations des fréquences
0
0 2 5 8 0 2 5 8
tendance à être curieux, les individus évaluent sur une échelle de 1 (presque jamais)
à 5 (presque toujours) si les items (p. ex., « J’ai envie d’explorer mon environnement »,
« Je me sens toujours en questionnement sur mon entourage. ») s’appliquent à eux.
Les résultats ont fait apparaître que les individus qui avaient tendance à avoir peur
dans la vie évaluaient plus probables les événements négatifs que les événements
positifs, à l’inverse des individus curieux dans la vie qui jugeaient plus probables les
événements positifs que négatifs (Bagneux et al., 2012 ; Bartlett & DeSteno, 2006 ;
Campos & Keltner, 2014 ; Cavanaugh et al., 2007 ; Han et al., 2007 ; Horberg et al.,
2011 ; Lerner & Keltner, 2001 ; Lerner & Tiedens, 2006 ; Valdesolo & Graham, 2014 ;
Williams & DeSteno, 2008 ; Yates, 2007).
condition où les gains attendus sur l’ensemble des essais étaient 0 et l’autre où les gains
attendus étaient positifs.
Les pourcentages moyens d’essais sur lesquels les participants ont choisi le pari risqué
(Figure 7.2) montrent clairement que les participants anxieux choisissaient le pari ris-
qué nettement moins souvent que les participants du groupe contrôle, aussi bien dans
la condition où la somme des gains et pertes sur l’ensemble des essais était égale à 0
que dans la condition où cette somme était positive. En d’autres termes, ces données
montrent que, comparés à des participants non anxieux, les participants anxieux ont
une aversion au risque, ou prennent des décisions moins risquées (voir Grecucci et al.,
2013 ; Lauriola & Levin, 2001 ; Smith et al., 2016, pour des données similaires dans
différents contextes de prise de décision).
80
Non anxieux
70
Anxieux
Pourcentages de choix risqués
60
50
40
30
20
10
0
Gains = 0 Gains positifs
Figure 7.2
Différences individuelles dans les liens anxiété et prise de décision (données d’après Giorgetta
et al., 2012).
Pourcentages moyens de choix risqués adoptés par des participants anxieux et non anxieux dans
une tâche de pari. Les participants anxieux choisissaient le pari risqué nettement moins souvent
que les participants non anxieux.
Yip et Côté (2013) ont cherché à déterminer si l’intelligence émotionnelle modère les
effets des émotions sur la cognition. L’intelligence émotionnelle est un concept proposé
par plusieurs psychologues (Goleman, 1995 ; Salovey & Mayer, 1990). Il désigne l’en-
semble des habiletés permettant une évaluation et une expression exacte et précise des
émotions, les siennes ou celles des autres, la capacité à réguler les émotions et à utiliser
les sentiments et émotions pour motiver, planifier et réaliser sa propre vie. Parmi les
habiletés de l’intelligence émotionnelle, Yip et Côté ont étudié plus spécifiquement le
rôle de la compréhension émotionnelle.
Dans une première expérience, ils ont demandé à 108 participants de passer un
test d’intelligence émotionnelle (le MSCEIT, ou Mayer-Salovey-Caruso-Emotional
Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement : différences individuelles ■ 163
55
Anxiété
50 Neutre
Pourcentages de participants choisissant B
45
40
35
(risqué)
30
25
20
15
10
Compréhension émotionnelle - Compréhension émotionnelle +
Figure 7.3
Intelligence émotionnelle et décisions (d’après Yip & Côté, 2013).
Pourcentages de participants choisissant le pari risqué, en condition neutre ou anxiété, selon
leur niveau de compréhension émotionnelle. Les participants ayant une meilleure compréhension
émotionnelle étaient moins influencés par l’anxiété dans leurs prises de décisions risquées.
164 ■ CHAPITRE 7 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement…
les participants qui avaient une compréhension émotionnelle plus élevée étaient les
plus nombreux à prendre l’option B, la plus risquée. Dans la condition contrôle, on
n’observait aucune différence dans la prise de risques des participants qui avaient
une compréhension émotionnelle plus faible et ceux une compréhension émotion-
nelle plus élevée. En d’autres termes, le niveau de compréhension émotionnelle
module les comportements de prise de risque dans des situations anxiogènes, les
participants qui ont une moins bonne compréhension émotionnelle prenant moins
de risques dans ce type de situation.
Les auteurs ont expliqué leurs résultats en proposant que la compréhension émotion-
nelle permet aux individus d’identifier la source de l’anxiété, de prendre conscience
du caractère non pertinent de l’anxiété vis-à-vis de la tâche à accomplir et ainsi d’être
mieux armés pour s’en détacher et ne pas en être influencés pendant la réalisation
d’une tâche cognitive.
De manière tout à fait intéressante, dans une deuxième expérience, pour tester la
plausibilité du mécanisme invoqué, les auteurs ont reproduit la même expérience avec
quelques variantes. Les participants étaient testés soit dans une condition où ils étaient
avertis de la source de l’anxiété produite par la situation anxiogène (condition d’aver-
tissement), soit dans une condition où ils n’étaient pas avertis (condition non avertie).
Ainsi, pour la situation anxiogène où les participants devaient préparer un discours,
l’expérimentateur disait « Il se pourrait que vous soyez anxieux, car donner un dis-
cours rend tout le monde anxieux. ». Dans la condition contrôle, où les participants
devaient préparer une liste de courses, l’expérimentateur disait « Il se pourrait que
vous ne ressentiez aucune émotion, car faire une liste de courses ne produit en général
aucune émotion. ». Dans la condition non avertie, rien n’était dit aux participants sur
la source anxiogène. Le comportement de prise de risque était évalué en demandant
aux participants d’indiquer s’ils voulaient s’inscrire sur une liste de gens pouvant se
faire vacciner contre la grippe influenza à propos de laquelle ils venaient de recevoir
une information (ne pas s’inscrire comportant des risques). Les résultats (Figure 7.4)
ont fait apparaître que, dans la condition où les consignes amènent à réfléchir sur les
sources de l’anxiété, les participants les plus faibles en compréhension émotionnelle
n’étaient plus, cette fois, affectés par l’anxiété et adoptaient des comportements de
prise de risque équivalent à ceux testés en condition contrôle et aux participants les
plus forts en compréhension émotionnelle.
En résumé, il existe des différences individuelles dans la prise de décision. Certains
individus qui présentent des caractéristiques particulières (comme des niveaux élevés
d’anxiété) prennent moins de décisions risquées que des participants contrôles. Notons
que la connaissance des mécanismes par lesquels les caractéristiques individuelles
amplifient certains comportements permet de manipuler des facteurs qui vont faire
varier la mise en œuvre de ces mécanismes et ainsi infléchir l’effet de ces caractéris-
tiques individuelles, comme l’expérience de Yip et Côté (2013) a pu le montrer. C’est en
manipulant le mécanisme d’identification de la source d’anxiété que Yip et Côté ont pu
conduire des participants anxieux à être moins influencés par une situation anxiogène
dans leur prise de décision.
Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement : différences individuelles ■ 165
80
Participants non avertis Participants avertis
70
Pourcentages de choix risqués
60
50
40
30
20
Anxiété
10 Neutre
0
Compréhension Compréhension Compréhension Compréhension
émotionnelle − émotionnelle + émotionnelle − émotionnelle +
Figure 7.4
Conscience, intelligence émotionnelle et décisions (d’après Yip & Côté, 2013).
Pourcentages de participants choisissant le pari risqué, en condition neutre ou anxiété, selon leur
niveau de compréhension émotionnelle, dans une situation où ils étaient avertis de la source
anxiogène vs non avertis. Dès que les participants étaient avertis de la source anxiogène, l’effet
de l’anxiété sur la prise de risque disparaissait chez les participants dont la compréhension
émotionnelle était la plus faible, amenant ces participants à un niveau de prise de risque
comparable à celui des participants dont la compréhension émotionnelle était plus élevée.
condition avec stress, les items étaient présentés en temps limité et l’expérimentateur
expliquait aux participants que cette épreuve évaluait leur intelligence. Dans la condi-
tion sans stress, les participants avaient tout leur temps pour faire la tâche sur chaque
item. L’expérimentateur disait que cette tâche était nouvelle et que le but de l’étude
était de permettre aux chercheurs de déterminer parmi les items ceux qui sont les plus
difficiles. Enfin, les auteurs ont fait passer à chaque participant un test permettant
d’évaluer leur niveau général d’anxiété-trait (STAI), afin de comparer les participants
les plus anxieux et les moins anxieux.
Figure 7.5
Exemple d’items utilisés par Leon et Revelle (1985) pour étudier le raisonnement analogique
géométrique chez des participants plus et moins anxieux dans des conditions avec ou sans stress.
Les résultats pour des items faciles, moyennement difficiles et difficiles (Figure 7.6)
ont fait apparaître un effet général du stress, les participants faisant un plus grand
nombre d’erreurs en condition de stress. De manière plus intéressante, les effets du
stress étaient plus importants chez les participants les plus anxieux que chez les parti-
cipants les moins anxieux, surtout sur les problèmes les plus difficiles. Par exemple, les
participants les plus anxieux faisaient trois fois plus d’erreurs en condition de stress
qu’en condition sans stress sur les items moyennement faciles et difficiles, tandis que
les participants les moins anxieux faisaient deux fois plus d’erreurs. Sur les items les
plus faciles, les deux groupes faisaient relativement peu d’erreurs et ne différaient pas.
En d’autres termes, les émotions déclenchées par la situation de stress pénalisaient les
Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement : différences individuelles ■ 167
participants les plus anxieux, notamment sur les problèmes les plus difficiles. L’anxiété
déclenchée par la situation de stress accaparait une partie des ressources de traitement
nécessaires au raisonnement analogique, et ce encore plus chez les participants les
plus anxieux. Les auteurs ont observé également que la situation de stress a conduit
les participants à répondre plus rapidement, ce qui peut laisser supposer que les par-
ticipants se hâtaient de faire la tâche en condition de stress et consacraient moins de
temps à l’analyse des caractéristiques du problème et à se construire une représenta-
tion mentale claire et précise de toutes les données du problème pour pouvoir faire les
inférences correctes à partir de ces éléments (voir Channon & Baker, 1994, pour des
résultats similaires).
45
35
Pourcentages d’erreurs
30
25
20
15
10
0
Facile Moyennement Difficile Facile Moyennement Difficile
facile facile
Figure 7.6
Stress, anxiété et raisonnement (d’après Leon & Revelle, 1985).
Pourcentages moyens d’erreurs à une tâche de raisonnement analogique sur des items faciles,
moyennement difficiles et difficiles, résolus par des participants anxieux ou moins anxieux
dans une condition avec ou sans stress. Le stress a entraîné une diminution des performances
sur les problèmes les plus difficiles plus importants chez les participants les plus anxieux.
Les différences individuelles peuvent amplifier les effets délétères des émotions
sur le raisonnement. Mais, les différences individuelles existent également dans
les effets bénéfiques des émotions sur le raisonnement. Par exemple, Caparos
et Blanchette (2016 ; Blanchette & Nougarou, 2017 ; Forest & Blanchette, 2018 ;
Gosselin & Blanchette, 2018 ; Markovits et al., 2018) ont demandé à des partici-
pants de réaliser une tâche de raisonnement conditionnel. Les syllogismes condi-
tionnels étaient valides ou non valides et pouvaient avoir un contenu (a) neutre
(« Aucune femme n’est enseignante. Certains chercheurs sont des femmes. Certains
168 ■ CHAPITRE 7 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement…
1.4. Conclusions
Que ce soit en jugement, prise de décision ou raisonnement, il existe d’importantes
différences individuelles dans l’effet des émotions sur les performances cognitives :
les émotions affectent certains individus plus que d’autres. En jugement et en prise de
décision, les données montrent, par exemple, que les individus anxieux ont tendance à
prendre moins de risque ou à évaluer la probabilité d’événements négatifs plus élevée
que des individus non anxieux. Même si ces différences individuelles sont elles-mêmes
modulées par certains paramètres (p. ex., les différences individuelles disparaissent
Émotion et prise de décision : vieillissement ■ 169
Nous savons que la prise de décision évolue avec l’âge (voir Del Missier et al., 2015 ;
Hess et al., 2015 ; Löckenhoff & Carstensen, 2007 ; Mata et al., 2011 ; Wiesiolek
et al., 2014, pour des revues ou méta-analyses). Par exemple, le vieillissement peut
conduire, dans certaines situations, des participants âgés à prendre des décisions
moins risquées que les jeunes. Par exemple encore, les personnes âgées peuvent
prendre en compte moins d’informations sur chaque option lorsqu’elles doivent choi-
sir entre plusieurs options. La question est alors de savoir si les émotions affectent
la prise de décision des personnes âgées et si cette influence est différente chez les
personnes jeunes et âgées. De nombreuses données permettent de répondre oui à ces
questions (Liebherr et al., 2017 ; Mikels et al., 2015), l’importance de l’effet des émo-
tions dans la prise de décision peut même parfois conduire à modifier entièrement les
effets du vieillissement sur nos capacités à prendre les meilleures décisions. Dès lors,
il s’agira de savoir si l’effet des émotions dans les différents groupes d’âge s’explique
par la mise en œuvre de mécanismes différents ou par un changement lié à l’âge
dans l’exécution des mêmes mécanismes Examinons d’abord comment les émotions
améliorent la prise de décision des personnes âgées dans certaines situations et la
détériorent dans d’autres situations, puis comment l’évolution avec l’âge de la prise
de risque est modulée par les émotions.
90
Pourcentages de décisions correctes
80
75
70
65
60
Informations Émotion Contrôle Informations Émotion Contrôle
Adultes jeunes Adultes âgés
Figure 7.7
Vieillissement, émotions et décision (d’après Mikels et al., 2010).
Pourcentages d’items pour lesquels les participants jeunes et âgés ont choisi la meilleure option
en condition contrôle, de focalisation sur les informations relatives à chaque option ou sur
les émotions associées à chaque option, et en fonction du nombre d’attributs pour chaque option.
Les jeunes choisissaient la meilleure option plus souvent dans les conditions où ils avaient
à se focaliser sur les émotions et les attributs. Les personnes âgées choisissaient moins souvent
la meilleure option quand ils devaient se focaliser sur les attributs et plus souvent lorsqu’ils
prêtaient attention aux émotions et dans la condition contrôle.
L’amélioration de la prise de décision par les émotions chez les personnes âgées a été
retrouvée dans de nombreuses études (e.g., Bruine de Bruin, 2017 ; Bruine de Bruin
et al., 2012, 2020; Carpenter et al., 2013; Eberhardt et al., 2019; Isaacowitz & Choi,
2012 ; Kim et al., 2008; Shamaskin et al., 2010; Strough et al., 2008, 2011, 2015).
Notons toutefois que, comme chez les jeunes, les émotions n’entraînent pas toujours
une amélioration de la prise de décision chez les âgés. Les émotions peuvent conduire
les personnes âgées, dans certaines conditions, à ne pas prendre les meilleures déci-
sions (p. ex., Choie et al., 2007 ; Mikels et al., 2013 ; von Helversen & Mata, 2012).
Par exemple, von Helversen et Mata (2012) ont étudié les relations entre humeurs et
émotions positives et prise de décision dans une tâche d’achats de produits de consom-
mation. Dans cette tâche, les participants voyaient sur un écran d’ordinateur, pour
un produit, jusqu’à 40 propositions de prix variable. Les propositions apparaissaient
séquentiellement, les unes après les autres. Le but était de choisir le prix le plus faible.
Les propositions de prix apparaissaient dans un ordre aléatoire (c.-à-d., pas en ordre
croissant ou décroissant systématique). À chaque proposition, les participants devaient
indiquer « Oui, je choisis ce prix » ou « Non, je ne choisis pas ce prix ». S’ils ne choisis-
saient pas ce prix, ils ne pouvaient pas revenir en arrière et choisir un prix rejeté ; un
prix suivant leur était proposé, et ainsi de suite jusqu’à 40 prix au maximum. Si les
participants n’avaient pas choisi une proposition avant la quarantième, la quarantième
proposition était celle qu’ils devaient adopter (même si le prix proposé était plus élevé
que les prix préalablement proposés). Les auteurs ont analysé les performances (prix
moyen choisi sur l’ensemble des produits proposés : plus ce prix était faible, meilleure
était la décision) et le nombre de propositions avant l’acceptation d’une proposition
(plus ce nombre était élevé, plus le participant a refusé de propositions et a voulu
172 ■ CHAPITRE 7 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement…
d’une retraite. D’un autre côté, il n’est pas assuré qu’il obtiendra une augmentation de
salaire d’ici à son départ à la retraite. Une petite entreprise vient de lui offrir un emploi.
Cet emploi serait mieux payé et il pourrait recevoir des parts de l’entreprise si cette
entreprise survit à la concurrence sur le marché. Toutefois, l’entreprise est nouvelle
avec un avenir incertain, et personne n’est en mesure d’être sûr que l’entreprise va
survivre à la concurrence du marché. » La réponse des participants, recueillies sur des
échelles (p. ex., de – 5 à + 5, emploi refusé-emploi accepté) permettait aux auteurs de
déterminer le niveau de risque pris par chaque participant pour chaque décision. Les
données (Figure 7.8) ont montré que (a) les participants âgés adoptaient un niveau de
risque globalement moins élevé que les jeunes (dans la condition neutre), (b) les partici-
pants jeunes diminuaient leur niveau de risque dans la condition émotions négatives et
adoptaient des niveaux de risque comparable dans les conditions neutres et positives,
et (c) les âgés réduisaient leur niveau de risque dans la condition émotions négatives et
l’augmentaient dans la condition émotions positives.
Ces résultats peuvent s’interpréter avec l’hypothèse proposée par Forgas (1994,
1995). Selon cette hypothèse (appelé « Affect Infusion Model », AIM), sous émotions
positives, les personnes âgées prennent plus de risques, car elles traitent plus super-
ficiellement les informations et se focalisent davantage sur les informations positives,
diminuant ainsi leur perception du risque. Sous émotions négatives, les participants
jeunes et âgés traitent plus profondément le risque et prennent davantage en considé-
ration les conséquences négatives des risques éventuels.
100
Jeunes
80 Âgés
Niveau de prise de risque
60
40
20
0
Négative Neutre Positive
Figure 7.8
Émotions et prise de risque (d’après Chou et al., 2007).
Niveaux de prise de risque par des participants jeunes et âgés en état émotionnel négatif,
neutre ou positif. Au-delà de la tendance générale des personnes âgées à adopter un niveau
de risque moins important que les jeunes dans la condition neutre, les émotions négatives ont
conduit les participants jeunes et âgés à diminuer leur niveau de risque, et les émotions positives
entraînaient les âgés à augmenter leur niveau de risque.
L’effet différent des émotions positives et négatives sur la prise de décision des
participants jeunes et âgés a été observé de nombreuses fois (Denburg et al., 2006 ;
Depping & Freund, 2011 ; Mara Mather et al., 2012 ; J. A. Mikels & Reed, 2009)
(e.g., Bauer et al., 2013 ; Denburg et al., 2006 ; Depping & Freund, 2011 ; Mather
174 ■ CHAPITRE 7 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement…
2.3. Conclusions
Les émotions n’influencent pas que les décisions prises par les jeunes. Elles
affectent également la prise de décision chez les âgés. Dans certains contextes, elles
améliorent la prise de décision chez les personnes âgées (et réduit ainsi la différence
jeunes-âgés), en partie parce qu’elles apportent un soutien aux mécanismes clés (p. ex.,
construction et maintien en mémoire de travail d’une représentation précise des
attributs relatifs à chaque option entre lesquelles choisir). Cette amélioration survient
notamment lorsque les options elles-mêmes peuvent être source d’émotion. Mais les
émotions peuvent également avoir des effets délétères dans la prise de décision des
âgés, en particulier lorsqu’une décision doit être prise dans un état émotionnel, et
même si la décision elle-même n’a pas nécessairement de conséquences émotionnelles.
Ces effets délétères peuvent être le résultat du fait que, sous émotion, les participants
âgés vont être plus vite satisfaits d’une décision et vont rechercher ou traiter moins
d’informations pour assurer leurs décisions.
Les émotions affectent tous les types de décision qu’ont à prendre les personnes
âgées, depuis les décisions les plus simples jusqu’aux décisions les plus complexes,
depuis les décisions entraînant peu de conséquences (ou des conséquences peu
importantes) jusqu’aux décisions avec d’importantes conséquences, et depuis les
décisions les moins risquées jusqu’aux décisions les plus risquées. Par exemple,
les émotions positives vont augmenter les prises de risques chez les personnes âgées
du fait que ces émotions positives conduisent à un traitement moins profond des
informations relatives à chaque option, et à percevoir plus positivement les aspects
positifs d’une décision risquée (à la différence des jeunes). Ces effets sont observés
non seulement lorsque les participants doivent choisir entre des options qui ont des
valences émotionnelles et quand les participants éprouvent différentes émotions,
mais également lorsque les participants anticipent les éventuelles émotions qu’ils
s’attendent à ressentir après avoir pris leurs décisions. De manière générale, la prise
en compte des émotions pour comprendre comment évolue la prise de décision au
cours du vieillissement est cruciale, car les jeunes comme les âgés peuvent être
conduits à prendre des décisions radicalement différentes selon leur état émotionnel
ou selon les émotions qu’ils associent à chaque option.
Émotion, prise de décision et raisonnement : psychopathologie ■ 175
l’un de ces deux tas comporte donc un risque. Les deux autres tas (p. ex., les tas C et D)
comportent un risque faible, mais chaque carte rapporte un gain peu élevé. Au final,
ces deux tas aboutissent à un gain d’argent. Le but du jeu est de gagner le plus d’argent
possible. Au fur et à mesure du jeu, les participants doivent apprendre à éviter les
pertes à court terme élevées (c.-à-d., en tirant des cartes provenant des tas A et B) et
choisir les cartes des tas rapportant à plus longs termes des gains plus élevés (p. ex.,
provenant des tas C et D). Dans cette tâche, la plupart des participants tout-venant
piochent des cartes dans chaque tas. Au bout de 40 à 50 cartes, ils ont compris quels
étaient les tas comportant plus de risques (p. ex., les tas A et B) et les tas comportant
moins de risques (p. ex., les tas C et D).
Mueller et ses collaborateurs (2010) ont comparé la prise de risque chez des partici-
pants grands anxieux (diagnostiqués à partir d’échelles d’anxiété comme la GADQ-IV)
et des participants tout-venant. Les participants ont passé la version standard de
l’Iowa Gambling Task (c.-à-d., les gains associés aux cartes des tas A et B étaient de
100 dollars et ceux associés aux cartes des tas C et D étaient de 50 dollars). Les cartes
associées aux pertes étaient imprévisibles. Toutefois, sur une dizaine de pioches, les
pertes s’élevaient à 1 250 dollars dans les tas A et B et à 250 dollars dans les tas C
et D. En d’autres termes, toutes les 10 cartes, les tas A et B entraînaient une perte de
250 dollars ([10 fois 100] – 1 250), et les tas C et D entraînaient un gain de 250 dollars
([10 × 50] – 250). Les auteurs ont également testé une version modifiée où les deux
tas désavantageux (c.-à-d., les tas G et H) avaient des pertes de 50 dollars/cartes et un
gain total de 250 dollars sur 10 cartes piochées, tandis que les deux tas avantageux
(c.-à-d., E et F) avaient des pertes de 100 dollars/cartes et un gain total de 1 250 dollars
sur 10 cartes.
16
Anxieux
14
Contrôle
Nombre de cartes tirées
12
10
0
Blocs 1-2 Blocs 3--5 Blocs 1-2 Blocs 3--5
Sélection dans les tas avantageux Sélection dans les tas désavantageux
Figure 7.9
Anxiété et prise de décision (d’après Mueller et al., 2010).
Nombre de cartes tirées, pour chaque bloc de 20 tirages, dans les tas avantageux et désavantageux
par les patients souffrant d’anxiété généralisée et les participants contrôles. Les patients prenaient
moins de risques en sélectionnant plus de cartes que les contrôles dans les tas avantageux et moins
de cartes dans les tas désavantageux.
Émotion, prise de décision et raisonnement : psychopathologie ■ 177
Les données (Figure 7.9) font apparaître que les participants anxieux apprenaient
plus vite que les contrôles à anticiper les pertes. Ils tiraient plus de cartes dans les tas
avantageux et en piochaient moins dans les tas désavantageux. En d’autres termes, les
patients anxieux avaient tendance à minimiser les risques en choisissant davantage de
cartes dans les tas les moins risqués.
À l’inverse, Nielen et ses collaborateurs (2002) ont rapporté que des patients diagnos-
tiqués obsessionnels compulsifs (diagnostiqués avec l’échelle Y-BOCS ; Yale Brown
Obsessive Compulsive Scale, Goodman et al., 1989) avaient tendance à prendre davan-
tage de risques. Comme le montrent leurs données à la Figure 7.11, à la tâche de l’Iowa
Gambling, les patients obsessionnels compulsifs piochaient davantage de cartes dans
les tas risqués que dans les tas non risqués, et ceci aussi bien en début qu’en fin de
tirage.
14
Contrôle
12
Nombre de cartes tirées
Patients (TOC)
dans les tas risqués
10
0
Blocs 1--3 Blocs 4-5
Figure 7.10
Décisions et troubles obsessionnels compulsifs (d’après Nielen et al., 2002).
Les patients obsessionnels compulsifs prenaient des décisions plus risquées que les participants
contrôles dans la tâche de l’Iowa Gambling, aussi bien au début (trois premiers blocs de 20 tirages)
qu’à la fin (deux derniers blocs de 20 tirages) de l’épreuve.
Yechiam et ses collaborateurs (2008) ont observé que des patients bipolaires avaient
tendance à piocher des cartes un peu plus fréquemment dans les tas les moins avan-
tageux, comparés à des patients contrôles ou des patients bipolaires en rémission,
lors des 20 dernières (sur 100 au total) cartes piochées dans l’un des 4 tas, tandis
que le nombre de cartes piochées dans les tas désavantageux avant ces dernières
cartes était comparable dans les trois groupes. De manière plus intéressante, une
modélisation cognitive a permis de mieux caractériser les paramètres déterminant
les décisions des participants. En s’appuyant sur le modèle dit des valences attendues
(Busemeyer & Stout, 2002 ; Yechiam et al., 2005), les auteurs ont comparé le rôle de
trois paramètres : (a) l’attention accordée aux gains et aux pertes ; (b) les choix de cartes
les plus récemment réalisés : et (c) la consistance entre les choix successifs. Comme le
montre la Figure 7.11, la consistance entre les choix successifs les patients bipolaires
était très faible, indiquant que ces patients avaient des choix erratiques d’un essai à
l’autre, à la grande différence des participants contrôle (et même des patients bipolaires
en rémission qui étaient moins systématiques dans leurs choix que les contrôles).
178 ■ CHAPITRE 7 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement…
1,4
0,8
0,6
0,4
0,2
– 0,2
Contrôles Bipolaires en rémission Bipolaires
Figure 7.11
Sources des décisions dans la tâche de l’Iowa chez des patients bipolaires et des contrôles
(d’après Yechiam et al., 2008).
Les patients bipolaires n’étaient pas systématiques et constants dans leurs décisions, à la différence
des participants contrôle, les bipolaires en rémission étant moins systématiques que les contrôles,
mais plus que les bipolaires.
Tableau 7.2
Exemples d’énoncés dans l’étude de Berle et Moulds (2013a,b) pour étudier le raisonnement
fondé sur l’intrusion dans la dépression.
ÉNONCÉ 3 Un de vos amis vous dit qu’un autre de vos amis raconte
OBJECTIVEMENT TRISTE, SANS SOUVENIR INTRUSIF des choses horribles sur vous dans votre dos. Vous n’en faites
pas grand cas. La plupart de vos amis ne croiront pas ces choses
et vous savez qu’elles sont fausses.
ÉNONCÉ 4 Un de vos amis vous dit qu’un autre de vos amis raconte
OBJECTIVEMENT TRISTE, AVEC INTRUSION D’UN SOUVENIR des choses horribles sur vous dans votre dos. En y pensant,
un souvenir vous revient à l’esprit. Vous étiez exclu d’un groupe
dans la cour d’école pendant une récréation.
Ensuite, les participants devaient évaluer (en mettant une note de 1 à 100, vrai à faux)
des énoncés qui faisaient partie de deux catégories d’énoncés : (a) des énoncés qui ne
faisaient pas référence à soi (c.-à-d., cette situation est vraiment dommage ; cette situa-
tion est vraiment négative ; cette situation est vraiment désespérante) ; (b) des énoncés
qui faisaient référence à soi (p. ex., cette situation suggère que vous êtes sans valeur ;
cette situation suggère que vous êtes incompétent). Les auteurs ont créé un score de
raisonnement fondé sur l’intrusion en soustrayant la note moyenne mise aux énoncés
avec intrusion de souvenir à celle mise aux énoncés sans intrusion de souvenir (une
note élevée signifie que le raisonnement a été nettement influencé par l’intrusion
d’un souvenir). Ce score était plus élevé chez les participants dépressifs que chez les
participants contrôles pour les énoncés faisant référence à soi et, mais pas pour les
énoncés ne faisant pas référence à soi (Figure 7.12). Ce phénomène a été répliqué de
nombreuses fois dans la dépression (e.g., Brein e al., 1996 ; 1999 ; Milahilova & Jobson,
2019 ; Newby & Moulds, 2011), mais a été aussi observé dans de nombreuses autres
pathologies, comme le stress ou le stress post-traumatique (e.g., Baum et al, 1993 ;
Brewin, 2007 ; Brewin & Holmes, 2003 ; Cheung et al., 2015 ; Ehring et al., 2011),
l’anxiété ou la phobie sociale (e.g., Moscovitch et al., 2011 ; Rachman et al., 2000), et
l’anxiété généralisée (e.g., Coles & Heimberg, 2002 ; Hirsch & Holmes, 2007 ; Mathews,
1990).
180 ■ CHAPITRE 7 – Émotion, jugement, prise de décision et raisonnement…
25
Score de raisonnement fondé Dépressifs Contrôles
sur l’intrusion de souvenirs 20
15
10
0
Sans référence à soi Avec référence à soi
Figure 7.12
Raisonnement et dépression (d’après Berle & Moulds, 2013a,b).
Les participants dépressifs avaient un score de raisonnement fondé sur l’intrusion de souvenir plus
élevé que les participants contrôles lorsque les énoncés faisaient référence à soi.
3.3. Conclusions
Les émotions affectent la prise de décision et le raisonnement non seulement
chez les participants tout-venant, mais également chez les patients souffrant de diffé-
rentes pathologies. Ainsi, comme nous l’avons vu, les patients anxieux ont tendance
à prendre moins de risques (Mueller et al., 2010), alors que les patients bipolaires en
phase maniaque (Adida et al., 2008) et les patients souffrant de troubles obsessionnels
compulsifs (Yechiam et al., 2008) en prennent plus. Ainsi encore, les émotions per-
turbent le raisonnement des patients souffrant de dépression dès lors que ce raisonne-
ment porte sur des énoncés qui font référence à soi et activent des souvenirs intrusifs
(Berle & Moulds, 2013a,b).
Comme pour les différences individuelles, la psychopathologie module les effets des
émotions sur le raisonnement et la prise de décision, car elle modifie le calcul des pro-
babilités d’occurrence des différents événements et leur valeur (ou utilité) subjective,
lorsque les patients prennent des décisions. La psychopathologie modifie par ailleurs
la représentation des énoncés que se construisent les patients lorsqu’ils raisonnent,
ainsi que les stratégies mobilisées pour réfuter ou valider une conclusion. En d’autres
termes, les données à l’heure actuelle disponibles ne permettent pas vraiment d’écarter
l’hypothèse selon laquelle les patients souffrant de différentes pathologies mettent en
œuvre des mécanismes de raisonnement et de prise de décision qualitativement dif-
férente de ceux mobilisés par les participants tout-venant. En revanche, ces données
font apparaître que les patients exécutent différemment les mécanismes en jeu, en
particulier parce que certains biais cognitifs généraux (p. ex., inconfort face à l’incer-
titude, biais attentionnels sur les risques ou issues négatives) sont exacerbés par la
psychopathologie.
Testez vos connaissances ■ 181
1. Notre tendance à être curieux ou à avoir peur dans la vie modère-t-elle nos
jugements ? Décrivez une étude qui a testé cette hypothèse.
2. Comment raisonnons-nous sous stress ? Décrivez une étude et son résultat
principal qui nous en informent.
3. Comment évolue avec l’âge l’impact des émotions sur nos capacités de
raisonnement ?
4. Comment l’hypothèse dérivée du modèle proposé par Forgas (1994, 1995)
et appelé Affect Infusion Model (AIM) explique-t-elle le fait que les âgés
peuvent être conduits à prendre plus de risque sous émotion ?
5. L’effet des différentes pathologies sur la cognition intégrée résulte-t-il des
mêmes mécanismes ou de mécanismes différents ?
Exercez-vous en ligne
Vrai ou faux
www.lienmini.fr/7527-VF7b
Flash-cards
www.lienmini.fr/7527-FC7
CHAPITRE 8
La régulation
émotionnelle
Ce chapitre commence par définir ce qu’on appelle la régulation des émotions
(et la façon dont elle diffère d’autres notions connexes, comme le contrôle
émotionnel, la réparation de l’humeur ou le coping). Fondé sur les travaux
de Gross et ses collaborateurs, le chapitre présente ensuite les composantes
(objectifs, stratégies et résultats) de la régulation émotionnelle, décrit le
répertoire de stratégies de régulation (quelles sont-elles ? Quand sont-elles
utilisées ?) déployées par les personnes pour réguler leurs émotions, et dans
quelle mesure ces stratégies sont efficaces. Par ailleurs, le chapitre examine
les différents paramètres (p. ex., intensité émotionnelle, objectifs, contextes,
disponibilité de la stratégie) qui ont une influence cruciale dans l’utilisation
et l’exécution des stratégies de régulation émotionnelle. Enfin, sont discutés
les résultats de travaux montrant quand la régulation émotionnelle diminue
(et quand elle augmente) l’impact des émotions sur la cognition.
SOMMAIRE
1.1. Définition
La régulation émotionnelle fait référence aux efforts que nous déployons pour
changer nos émotions ou celles des autres. Gross (1998) définit la régulation émotion-
nelle comme « les processus par lesquels les individus influencent quelles émotions ils
ressentent, quand ils ressentent des émotions, et quelles expériences ils en ont, ainsi
que comment ils expriment ces émotions » (p. 275). La régulation émotionnelle repose
sur un ensemble de mécanismes automatiques ou contrôlés qui permettent de modi-
fier le déclenchement (ou non), le type (positif ou négatif), l’intensité (faible ou forte), la
durée (transitoire ou plus longue) d’une émotion, et ce que nous en exprimons, ainsi que
le moment ou les conditions où nous ressentons une émotion ou un ensemble d’émo-
tions. La régulation émotionnelle permet également de changer l’expérience subjective
(p. ex., son caractère agréable ou désagréable) de l’émotion, ainsi que son expression
(verbale, comportementale, physiologique). Nous régulons une émotion lorsqu’elle est
subjectivement évaluée comme bonne ou mauvaise (agréable/désagréable), appropriée
ou non appropriée (à la situation, à nos objectifs), et que cette évaluation déclenche
consciemment ou inconsciemment une envie (ou le but) de la modifier.
La régulation émotionnelle est très importante, et de nombreuses études font apparaître
qu’une régulation émotionnelle efficace est corrélée avec une bonne santé physique et
psychologique, une meilleure réussite académique, de meilleures relations sociales et
moins de problèmes psychopathologiques (e.g., Aldao et al., 2010 ; Appleton et al., 2013,
2014 ; Bonanno et al., 2004 ; Cludius et al., 2020 ; Davis & Levine, 2013 ; English et al.,
2012 ; Gross & John, 2003 ; Ivcevic & Brackett, 2014 ; Westphal et al., 2010).
La régulation émotionnelle est plus générale que ce qui est communément appelé « le
coping » ou « la réparation de l’humeur » (Larsen, 2000 ; Parkinson et al., 1996). Le
coping survient lorsque nous vivons une expérience négative et que notre but est de
diminuer les affects négatifs (en général d’une durée plus longue que celle des émo-
tions) que déclenche en nous cette expérience. La réparation de l’humeur s’attache
davantage aux modifications de l’expérience subjective émotionnelle qu’au comporte-
ment et autres manifestations (p. ex., physiologiques).
encore monter dans un manège à sensation si cela lui procure du plaisir). Le parti-
cipant peut également modifier une situation dans laquelle il se trouve déjà et qui
active en lui une émotion qu’il aurait envie de modifier (p. ex., suggérer un jeu de
société au cours d’une soirée ennuyeuse, y raconter une blague ou lancer un débat
politique).
Une autre famille de stratégies de régulation émotionnelle peut être mise en œuvre
au moment où le participant alloue des ressources attentionnelles au traitement
de la situation ou du stimulus déclencheur d’une émotion. Il peut ainsi utiliser une
stratégie de distraction en détournant son attention d’un stimulus émotionnel ou en
allouant une attention moindre à ce stimulus (p. ex., un participant arachnophobe
détourne son attention d’une araignée qu’il vient d’apercevoir, pense à quelque
chose d’émotionnellement neutre, ou repense à des amis ou des proches qui lui sont
chers). Le participant peut également utiliser la rumination (p. ex., un participant
peut ressasser un souvenir triste, repenser intensément à une très bonne nouvelle
qu’il vient de recevoir) ou se focaliser sur son ressenti (p. ex., le participant prête
une très grande attention aux différents aspects de l’émotion qu’il est en train de
vivre).
Par ailleurs, un participant peut réguler ses émotions grâce à un traitement cognitif
ou une réévaluation cognitive de la situation et de l’émotion ressentie. Cette rééva-
luation cognitive peut prendre plusieurs formes qui ont toutes pour point commun
de réinterpréter ou de réévaluer la signification de la situation. La stratégie de réé-
valuation cognitive aboutit à donner une autre signification à la situation ou à un
stimulus, après avoir modifié la manière d’appréhender la situation, le sens de cette
situation, ou envisager une autre manière de la gérer. Accepter la situation et l’émo-
tion qui va avec, comme après un deuil, est un exemple de stratégie de réévaluation
cognitive ; se rendre compte que la colère de quelqu’un n’est pas dirigée contre soi
est un autre exemple.
Enfin, la dernière catégorie de stratégie de régulation émotionnelle concerne la
réponse ou l’expression de l’émotion (stratégie appelée « suppression expressive »)
et consiste à tenter d’infléchir l’expression d’une réponse (comportementale, phy-
siologique) émotionnelle déjà engagée. Ainsi, prendre une respiration profonde, de
l’alcool ou autre substance (tabac, nourriture), ne pas exprimer sa colère constituent
des exemples de stratégie de régulation émotionnelle aboutissant à modifier notre
réponse émotionnelle à une situation.
En résumé, notre système cognitif et émotionnel a les moyens d’influencer nos émo-
tions, que ce soit leur intensité, leur nature ou leur durée, voire même leurs occur-
rences. Plusieurs stratégies de régulation émotionnelle (distraction, déploiement
attentionnel, réévaluation cognitive, suppression expressive) ont pu être identifiées.
Ces stratégies peuvent être distinguées sur la base du moment où nous les mettons
en œuvre (avant, pendant, ou après l’événement émotionnel). Elles peuvent aussi se
différencier sur d’autres caractéristiques, notamment leurs fréquences d’occurrence
et leur efficacité.
Stratégies de régulation émotionnelle ■ 189
Figure 8.1
Modèle de la régulation émotionnelle et des étapes où peuvent intervenir différentes stratégies
de régulation (d’après Gross, 1998 ; McRae & Gross, 2020).
Tableau 8.1
Liste des différentes familles de stratégies de régulation émotionnelle qu’il est possible
de déployer à différents moments de l’expérience émotionnelle (d’après Gross, 1998 ;
McRae & Gross, 2020).
Sélection Éviter une situation (désagréable) – Éviter les chiens dont on a peur.
de la situation ou chercher une situation (agréable). – Chercher la compagnie d’amis drôles.
Focaliser son attention sur un aspect – Se distraire en pensant à autre chose.
Allocation
de la situation ou détourner – Ruminer un souvenir triste.
ou déploiement
son attention de la situation – Se concentrer sur une bonne nouvelle
de l’attention
ou d’un stimulus. qu’on vient de recevoir.
90
Intensité faible
80
Intensité forte
Pourcentages de réévaluation
70
60
50
40
30
20
Expérience 1 Expérience 2 Expérience 3
Figure 8.2
Intensité émotionnelle et stratégies de régulation (d’après Sheppes et al., 2011).
Pourcentages d’utilisation de la stratégie de réévaluation cognitive en fonction de l’intensité
émotionnelle des images (Expériences 1 et 2) et des chocs électriques (Expérience 3). La stratégie
de réévaluation était davantage utilisée pour des intensités faibles et celle de distraction
pour des intensités fortes.
Les auteurs ont observé (Figure 8.3) que (a) les participants préféraient systémati-
quement la stratégie de distraction pour les images à forte intensité et la stratégie de
réévaluation cognitive pour les images à plus faible intensité, (b) ces préférences étaient
modulées par les incitations (ou bénéfices) monétaires associées à chaque stratégie, de
sorte que les participants augmentaient leur tendance à plus utiliser la stratégie de
distraction (pour les images à forte intensité) lorsque cette stratégie rapportait plus
d’argent, et préféraient utiliser encore plus fréquemment la stratégie de réévaluation
cognitive (pour les intensités faibles) lorsque celle-ci rapportait plus d’argent.
Sheppes et ses collaborateurs (2014 ; voir aussi Shafir et al., 2015) ont également
observé que les participants préfèrent la distraction quand on leur demande de choi-
sir, entre la distraction et la réévaluation cognitive, celle qui minimise (à court terme)
l’émotion négative sur une image, mais qu’ils préfèrent la réévaluation cognitive quand
on leur demande de choisir la stratégie qui minimise l’émotion négative à plus long
terme (p. ex., s’ils revoient cette image plus tard). Ceci suggère qu’une stratégie de régu-
lation comme la stratégie de réévaluation est choisie lorsque l’intensité de l’émotion
est moins intense, qu’elle a un bénéfice plus grand à plus long terme, mais également
qu’elle permet un désengagement émotionnel plus efficace (car accaparant davantage
l’attention focalisée).
192 ■ CHAPITRE 8 – La régulation émotionnelle
90
80
Grande différence entre réévaluation et distraction
Pourcentages de réévaluation
60
50
40
30
20
10
0
Intensité faible Intensité forte
Figure 8.3
Bénéfices stratégiques, intensité émotionnelle et utilisation stratégique (d’après Sheppes et al.,
2014).
Pourcentages d’utilisation de la stratégie de réévaluation cognitive en fonction de l’intensité
émotionnelle des images et des bénéfices monétaires associés à chaque stratégie. Les participants
préféraient la stratégie de distraction pour les intensités fortes, et encore plus lorsqu'elle avait
un bénéfice supérieur.
100
90 Distraction Rumination
Pourcentages d’utilisation
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Images tristes Images joyeuses Images tristes Images joyeuses
Diminution Amplification
Figure 8.4
But émotionnel et stratégies de régulation (d’après Millgram et al., 2019).
Pourcentages d’utilisation des stratégies de rumination et de distraction en fonction du but
émotionnel poursuivi sur des images tristes ou joyeuses. La distraction était davantage
utilisée pour diminuer une émotion et la stratégie de rumination l’était plus pour amplifier
une émotion.
plus volontiers dans certains contextes (comme la réévaluation cognitive dans le contexte
d’une expérience de laboratoire) et utilisons moins d’autres stratégies dans d’autres
contextes (comme la suppression expressive dans un contexte festif ou artistique).
70
Vie quotidienne
60 Festival artistique
Pourcentages d’utilisation
50
40
30
20
10
0
Réévaluation Suppression
Figure 8.5
Vie quotidienne et stratégies de régulation (d’après McRae et al., 2011).
Pourcentages d’utilisation des stratégies de réévaluation cognitive et de suppression expressive dans un
contexte artistique ou de vie quotidienne. Les participants déclarent utiliser la stratégie de réévaluation
davantage dans un festival et la stratégie de suppression davantage dans la vie quotidienne.
traitement d’un grand brûlé dans le second film et une amputation dans le dernier film.
Les participants devaient regarder les films, évaluer l’émotion qu’ils ressentaient avant
et pendant le film en indiquant pour plusieurs émotions (p. ex., le dégoût) leur niveau
de ressenti sur une échelle allant de 1 (faible) à 9 (élevé). Pendant qu’ils regardaient
les films, une caméra enregistrait également les expressions de leur visage. Enfin, les
auteurs ont recueilli plusieurs mesures physiologiques (volume de sang dans le doigt,
température du doigt, conduction cutanée, activité somatique générale, intervalle de
temps entre deux battements du cœur).
Tableau 8.2
Quelques conséquences affectives, cognitives et sociales de deux stratégies de régulation
émotionnelle, la suppression expressive et la réévaluation cognitive.
– Diminue une émotion positive, mais pas – Diminue une émotion négative, augmente
une émotion négative (e.g., Gross, 1998). une émotion positive (e.g., Feinberg
– Augmente l’activité du système et al., 2012).
sympathique et les activations cérébrales – A peu d’impact sur le système
Affectives dans l’amygdale (e.g., Gross & Levenson, sympathique (e.g., Shiota & Levenson,
1997). 2012).
– Tendance à augmenter l’émotion négative – Diminue les activations cérébrales
qu’on cherche à supprimer (e.g., Goldin dans l’amygdale et le striatum ventral
et al., 2008). (e.g., Ochsner & Gross, 2008).
– Peut diminuer la mémoire – Soit n’a aucun impact sur la mémoire, soit
Cognitives
(e.g., Richards & Gross, 2006). l’améliore (e.g., Hayes et al., 2011).
– Diminue l’intérêt porté par les autres – Pas de conséquence sociale négative
au suppresseur et les relations positives (e.g., Butler et al., 2003).
Sociales (e.g., Butler et al., 2003). – Augmente le rapprochement avec
– Augmente la pression sanguine les autres et le partage social d’émotions
des partenaires (e.g., Butler et al., 2003). (e.g., Mauss et al., 2011).
Les participants étaient testés dans trois conditions. Dans la condition de réévalua-
tion cognitive, ils devaient exécuter la stratégie de réévaluation cognitive (c.-à-d.,
adopter une attitude non émotionnelle et détachée vis-à-vis du film en essayant de
penser objectivement à la scène du film). Dans la condition suppression expressive,
les participants avaient pour consigne de ne laisser apparaître aucune émotion, en
imaginant qu’un observateur extérieur ne pourrait rien détecter de ce qu’ils res-
sentent. Enfin, dans la condition contrôle, les participants avaient pour consigne
de simplement visionner le film. Les données comportementales et physiologiques
allaient dans le même sens et faisaient apparaître que les deux stratégies diminuaient
l’émotion négative et que la réévaluation cognitive était plus efficace que la suppres-
sion expressive. Ainsi, l’émotion autoévaluée (voir Figure 8.6) par les participants
diminuait davantage pendant le film (comparé à avant le film) lorsque les participants
exécutaient une stratégie de réévaluation cognitive que lorsqu’ils utilisaient une stra-
tégie de suppression expressive, la diminution la moins importante étant observée
dans la condition contrôle. Physiologiquement, les indicateurs allaient dans le même
sens (p. ex., diminution de la température du doigt pour les stratégies de réévalua-
tion cognitive et de distraction). De nombreuses études ont retrouvé que différentes
196 ■ CHAPITRE 8 – La régulation émotionnelle
0,65
0,35
0,05
– 0,25
Réévaluation cognitive Contrôle Suppression expressive
Figure 8.6
Efficacité relative des stratégies de régulation (données d’après Gross, 1998).
Différences dans les jugements de dégoût et la température du doigt entre avant et après
le visionnage d’un film montrant une amputation, en fonction de la stratégie de régulation
émotionnelle. L’émotion diminuait davantage lorsque les participants exécutaient une stratégie
de réévaluation cognitive que lorsqu’ils utilisaient une stratégie de suppression expressive,
la diminution la moins importante étant observée dans la condition contrôle.
images suscitant des émotions plus intenses, l’émotion ressentie par les participants
était moins négative avec la stratégie de réévaluation cognitive que dans la condi-
tion contrôle et était encore moins négative avec la stratégie de distraction. Pour
les images émotionnelles moins intenses, la distraction et la réévaluation cognitive
diminuaient, dans des proportions comparables, l’émotion négative comparée à la
situation contrôle.
6
Contrôle
5,5
Distraction
Expérience émotionnelle
5 Réévaluation cognitive
4,5
3,5
2,5
2
Intensité - Intensité +
Figure 8.7
Intensité émotionnelle et exécution stratégique (d’après Shafir et al., 2015).
Expérience émotionnelle déclenchée par des images suscitant une émotion plus ou moins intense,
en fonction de la stratégie de régulation émotionnelle. L’expérience émotionnelle était moins
négative après avoir exécuté la distraction qu’après avoir mis en œuvre la réévaluation cognitive
sur des images intenses, tandis que les deux stratégies étaient aussi efficaces sur des images
émotionnellement moins intenses.
pants devaient alors exécuter la stratégie encadrée. Ensuite, après avoir vu l’image,
les participants devaient évaluer leur expérience émotionnelle en indiquant comment
ils s’étaient sentis pendant l’encodage de l’image sur une échelle de 1 (mal) à 9 (bien).
Dans une autre étude, les auteurs proposaient soit une stratégie (qu’ils devaient exécu-
ter), soit deux stratégies (ils devaient en choisir une à exécuter).
Les participants évaluaient leur expérience émotionnelle plus négativement lorsqu’ils
avaient deux stratégies (avec ou sans choix) que lorsqu’une seule stratégie était dis-
ponible (Figure 8.8). Tout se passe comme si la disponibilité de plusieurs stratégies
rendait moins efficace l’exécution d’une stratégie de régulation émotionnelle. Ceci était
observé aussi bien lorsque le participant avait deux stratégies, mais ne pouvait pas
choisir entre ces deux stratégies (l’une des deux lui était imposée) que lorsqu’il pouvait
choisir entre les deux stratégies disponibles. Une des explications pourrait être que le
traitement de plusieurs stratégies et le processus de sélection stratégique, consommant
davantage de ressources cognitives, laisseraient moins de ressources disponibles pour
exécuter efficacement la stratégie sélectionnée, d’où une régulation émotionnelle moins
efficace.
3,7
1 option
3,6
2 options, sans choix
(1 = Négative ; 9 = Positive)
Expérience émotionnelle
3,4
3,3
3,2
3,1
3
Sans choix Sans et avec choix
Figure 8.8
Disponibilité stratégique et régulation émotionnelle (d’après Bigman et al., 2017).
Évaluation de l’expérience émotionnelle lorsqu’une versus deux stratégies (avec ou sans choix)
étaient disponibles. L’expérience émotionnelle était évaluée plus négativement avec deux stratégies
(choisies ou non) qu’avec une seule stratégie disponible.
exécutons une stratégie de régulation quand l’émotion est déjà activée et se déploie en
nous. La question est donc de savoir si l’efficacité relative des stratégies de régulation
est la même lorsque nous régulons une émotion pendant que nous la vivons et lorsque
nous exécutons une stratégie activée préalablement à l’expérience émotionnelle.
Sheppes et Meiran (2007) ont mis au point une procédure qui leur a permis d’évaluer
l’efficacité relative des stratégies selon le moment où elles sont mises en œuvre (c.-à-d.,
dès le début ou plus tard) au cours de l’expérience émotionnelle. Ils ont montré à leurs
participants des extraits d’une durée variable (entre 97 secondes et 402 secondes) d’un
film montrant des survivants de la Shoah, dans lesquels un des survivants, hospitalisé,
se retrouvait abandonné de sa famille et de la société. Avant de visionner le film, les
participants apprenaient à exécuter soit une stratégie de distraction (c.-à-d., penser à
quelque chose de neutre pendant le film), soit une stratégie de réévaluation cognitive
(c.-à-d., essayer de visionner le film avec une attitude neutre, en adoptant une pers-
pective objective et détachée, comme le ferait un médecin ou un scientifique). Dans la
condition contrôle, les participants devaient simplement ne pas s’empêcher de ressen-
tir l’émotion qu’ils pourraient éprouver pendant le film. Chaque participant était testé
dans une condition où il commençait à exécuter la stratégie soit peu de temps (37 s),
soit plus longtemps (190 s) après le début du film. Par ailleurs, la durée variable du
film amenait les participants à exécuter la stratégie de régulation pendant une courte
durée (60 s) ou une durée plus longue (212,5 s). En d’autres termes, les auteurs ont
manipulé le moment (tôt ou plus tard) du déclenchement de la stratégie de régulation
émotionnelle au cours d’une expérience émotionnelle, ainsi que la durée d’exécution
de la stratégie.
Les données ont fait apparaître que la durée de la régulation ne changeait pratiquement
rien à l’expérience émotionnelle. En revanche, le moment où le participant se mettait
à exécuter la stratégie de régulation avait un impact, et cet impact était différent pour
la distraction et la réévaluation cognitive (Figure 8.9). La distraction réduisait la tris-
tesse et l’émotion négative autoévaluées (par rapport à la condition contrôle), qu’elles
soient déclenchées juste après le début du film ou un peu plus tard au cours du film. La
réévaluation cognitive changeait l’expérience émotionnelle si elle était déclenchée juste
après le début du film, mais pas si elle était mise en œuvre plus tard pendant le film.
Les auteurs ont interprété cette différence par le fait que la distraction permet de se
désengager plus facilement de l’émotion que la réévaluation cognitive, en occupant le
contenu de la mémoire de travail par un contenu autre que le contenu émotionnel. La
réévaluation cognitive est également complexe comme stratégie. Elle implique davan-
tage d’opérations mentales et des opérations mentales plus difficiles à mettre en œuvre
(comme la mise en perspective, la réinterprétation sémantique), et elle n’évacue pas
nécessairement de la mémoire de travail le contenu du stimulus émotionnel. La mettre
en œuvre plus tard pendant l’expérience émotionnelle (c.-à-d., quand l’émotion a eu le
temps de se déployer suffisamment) ne permet pas aux participants de réguler effica-
cement leur émotion. Tout ceci rend la réévaluation cognitive nettement plus efficace si
elle est mise en œuvre juste au début de l’expérience émotionnel que plus près de la fin
de cette expérience (voir également Kalokerinos et al., 2017 ; Richards & Gross, 2000 ;
Sheppes & Meiran, 2008), alors que l’efficacité de la distraction est la même, quel que
soit le moment de son déclenchement.
200 ■ CHAPITRE 8 – La régulation émotionnelle
8
Tristesse et émotion négative 7
0
Tôt Tard Tôt Tard Tôt Tard
Figure 8.9
Moment de mise en œuvre de la régulation émotionnelle (d’après Sheppes & Meiran, 2007).
Autoévaluation du niveau de tristesse en fonction de la stratégie de régulation émotionnelle
déclenchée au début ou plus tard au cours de l’expérience émotionnelle. La distraction réduit
la tristesse et les émotions négatives, qu’elle soit exécutée au début ou plus tard dans le déploiement
de l’émotion. La réévaluation cognitive est efficace seulement si mise en œuvre au début
d’une émotion.
(p. ex., distraction) ils allaient devoir exécuter pendant la présentation de l’image.
Puis, l’image apparaissait pendant 5 secondes (qu’ils devaient traiter en exécutant la
stratégie de régulation indicée). Enfin, les participants devaient indiquer l’intensité
de l’émotion négative déclenchée en eux par l’image (sur une échelle de 1 à 9). Dans
cette première expérience, les auteurs ont répliqué les effets habituels (p. ex., le res-
senti émotionnel était moins négatif avec la distraction et la réévaluation cognitive
que dans la condition contrôle), mais n’ont trouvé aucune différence entre les condi-
tions présence et absence d’information avant l’image. En d’autres termes, quand
la stratégie de régulation était imposée, l’expérience émotionnelle des participants
n’était pas modifiée par une information préalable sur l’expérience émotionnelle.
Toutefois, dans une seconde expérience, le protocole était similaire, sauf que les par-
ticipants choisissaient eux-mêmes s’ils voulaient avoir une information sur l’image
à venir, après avoir été informés de la stratégie de régulation à utiliser. Les auteurs
ont trouvé que les participants ne demandaient pas toujours à l’avance ce qui allait
apparaître sur l’image. Les participants demandaient peu souvent des informations
sur l’image lorsqu’ils allaient exécuter la stratégie distraction (sur 26 % des images),
très souvent sur l’image qu’ils allaient traiter avec la stratégie de réévaluation cogni-
tive (70 %) et dans 64 % des images de la condition contrôle. Tout se passe comme
si, pour être sûrs d’exécuter correctement la stratégie de distraction, ils préféraient
ne rien savoir sur l’image qu’ils allaient devoir traiter par distraction. Peut-être
également savaient-ils que cette stratégie peut être aisément exécutée, que l’on
sache ou non à l’avance quelle émotion sera activée par l’image à venir ? Peut-être
également qu’une fois encodé le fait qu’ils allaient devoir exécuter la distraction, les
participants commençaient à penser à autre chose avant même de voir l’image et
de déterminer s’ils voulaient en savoir plus sur l’image à venir. En revanche, pour
la réévaluation cognitive, les participants préféraient savoir à l’avance le contenu
de l’image. Cela leur permettait-il de commencer la mise en œuvre de cette straté-
gie avant l’apparition de l’image ? Les données ne permettent pas de le savoir. Les
auteurs ont également observé que l’exécution de la stratégie de distraction était
moins efficace dans la condition où les participants savaient ce qu’ils allaient voir
sur l’image, ce qui n’était pas le cas pour la stratégie de réévaluation cognitive (voir
Figure 8.10). En effet, lorsqu’ils ont examiné l’évaluation de l’expérience émotion-
nelle, les auteurs ont observé que l’expérience émotionnelle négative augmentait
significativement avec une information (comparée à la situation sans information)
pour la stratégie distraction, mais pas pour les autres conditions. Même si la diffé-
rence entre l’expérience 1 (où les participants ne choisissaient pas d’avoir ou non
d’information préalable) et l’expérience 2 (où ils choisissaient) peut provenir du fait
que le nombre d’observations et le type d’image ont pu contaminer les différences
observées entre les deux expériences, ces résultats suggèrent que le fait de savoir à
l’avance quelle information émotionnelle sera à traiter peut moduler l’exécution de
la stratégie de distraction. En revanche, l’exécution de la stratégie de réévaluation
cognitive n’est pas modifiée par cette information.
En résumé, les travaux empiriques ont montré que les différentes stratégies ne
régulent pas aussi efficacement nos émotions. Certaines parviennent à mieux diminuer
(ou amplifier) les émotions que nous voulons modifier. Par ailleurs, l’efficacité de l’im-
plémentation de ces stratégies est influencée par différents facteurs, comme l’intensité
202 ■ CHAPITRE 8 – La régulation émotionnelle
6
Sans information
Avec information
5
Expérience émotionnelle négative
0
Contrôle Distraction Réévaluation cognitive
Figure 8.10
Information préalable et régulation émotionnelle (d’après Shafir & Sheppes, 2018).
Expérience émotionnelle négative ressentie après avoir exécuté chaque stratégie de régulation
émotionnelle avec ou sans information préalable sur le contenu de l’image émotionnelle.
Les données montrent que le fait de savoir à l’avance quelle information émotionnelle sera à traiter
peut moduler l’exécution de la stratégie de distraction, mais pas celle de la réévaluation.
de l’émotion (p. ex., la stratégie de réévaluation cognitive est plus efficace pour réguler
une émotion moins intense, tandis que la distraction peut être exécutée efficacement,
quel que soit le niveau d’intensité d’une émotion), le nombre de stratégies disponibles
(une stratégie de régulation est exécutée plus efficacement quand moins de stratégies
sont disponibles), ou bien encore le fait de savoir à l’avance la valence émotionnelle
d’un stimulus ou d’une situation (ce qui peut augmenter l’efficacité de la distraction de
manière plus importante que celle de la réévaluation cognitive).
plus intenses. Les performances au test de rappel indicé non verbal (voir Figure 8.11)
ont fait apparaître que l’effet des stratégies sur les performances mnésiques n’était
pas le même pour les diapositives émotionnellement plus et moins intenses. Pour les
diapositives moins intenses, les performances mnésiques étaient moins bonnes chez
les participants qui exécutaient la stratégie de réévaluation cognitive que chez les
participants testés dans la condition contrôle et encore moins bonnes chez les parti-
cipants ayant exécuté la stratégie de suppression expressive. Pour les diapositives
émotionnellement plus intenses, la stratégie de suppression expressive n’a ni amé-
lioré ni détérioré les performances (par rapport à la condition contrôle). La stratégie
de réévaluation cognitive a permis aux participants d’améliorer leurs performances.
En d’autres termes, la mise en œuvre de stratégies de régulation émotionnelle peut
parfois entraîner une détérioration des performances mnésiques (comme c’est le cas
pour la condition où les émotions étaient moins intenses). Parfois, notamment si le
participant utilise la stratégie de réévaluation cognitive, la régulation émotionnelle
peut améliorer les performances (comme c’est le cas pour la condition où les émo-
tions étaient plus intenses).
50
45
Pourcentages corrects
40
35
Figure 8.11
Régulation et performances mnésiques (d’après Richards & Gross, 2000).
Performances à l’épreuve de reconnaissance non verbale selon l’intensité de l’information
émotionnelle pour chaque stratégie de régulation émotionnelle. La régulation d’émotions moins
intenses entraîne une diminution des performances, et une diminution plus importante pour
la stratégie de suppression expressive que pour la stratégie de réévaluation cognitive. La régulation
des émotions plus intenses améliore les performances, quand les participants utilisent la stratégie
de réévaluation cognitive.
Les données recueillies par Erk et ses collaborateurs.(2010) suggèrent que la régu-
lation émotionnelle ne protège pas la mémorisation à long terme (Figure 8.12). Les
participants voyaient des images de scènes négatives ou neutres et étaient testés
avec une tâche de reconnaissance un an après. Au moment de l’encodage, les par-
ticipants devaient soit ne pas s’empêcher d’éprouver les émotions déclenchées par
Régulation émotionnelle et performances cognitives ■ 205
les images (condition contrôle, sans régulation), soit essayer d’adopter une attitude
neutre d’un observateur non impliqué vis-à-vis des images (condition de régulation
émotionnelle, stratégie de réévaluation cognitive). Les taux de rappel correct ont
fait apparaître de moins bonnes performances un an après l’encodage dans la condi-
tion régulation que dans la condition contrôle aussi bien pour les images neutres et
émotionnelles.
65
Contrôle
60
Pourcentages de reconnaissances correctes
Réévaluation cognitive
55
50
45
40
35
30
25
20
Images neutres Images émotionnelles
Figure 8.12
Réévaluation cognitive et performances mnésiques à long terme (d’après Erk et al., 2010).
Pourcentages de reconnaissances correctes d’images neutres ou émotionnelles en fonction
de la condition de régulation émotionnelle. Un an après l’encodage, les taux de reconnaissances
correctes étaient inférieurs avec la réévaluation cognitive pour les images neutres et émotionnelles.
En résumé, il arrive que la régulation émotionnelle entraîne une baisse des per-
formances cognitives, plus ou moins importante selon la stratégie de régulation
mobilisée. Ceci peut apparaître à première vue étonnant. En effet, il est possible
d’imaginer qu’au contraire, en régulant nos émotions pendant une tâche cognitive,
nous allouons moins de ressources au traitement des informations émotionnelles et
davantage à la tâche cognitive. Sans régulation émotionnelle, nos ressources sont en
grande partie accaparées par le traitement des informations émotionnelles, au détri-
ment de la tâche cognitive. En réalité, il est important de noter que, dans les études
qui montrent des effets délétères de la régulation émotionnelle sur les performances
cognitives, les participants avaient pour but principal de réguler leurs émotions, pas
nécessairement d’augmenter leurs performances cognitives, et les participants se
voyaient tester leur mémoire par surprise, de manière incidente. Par ailleurs, il se
pourrait que, dans une condition de régulation, les participants étaient moins engagés
dans la tâche cognitive et traitaient les informations plus superficiellement afin de
neutraliser l’éventuelle émotion déclenchée par les différentes informations conte-
nues dans la vidéo. Même si des améliorations de performances ont été rapportées
206 ■ CHAPITRE 8 – La régulation émotionnelle
dans des conditions de test surprise, des améliorations encore plus systématiques
ont été observées lorsque les participants avaient pour but d’obtenir les meilleures
performances cognitives possibles.
décision (e.g., Delgado et al., 2008 ; Heilman et al., 2010 ; Martin & Delgado, 2011),
le raisonnement (e.g., Lajoie et al., 2018 ; Mendonça & Sàágua, 2019), le jugement
(e.g., Clore & Huntsinger, 2007 ; Helion & Ochsner, 2018), le langage (e.g., Quiñones-
Camacho et al., 2018 ; Roche & Arnold, 2018). Pour prendre un exemple illustratif,
dans le domaine de la prise de décision, Heilman et ses collaborateurs (2010) ont
demandé à leurs participants de réaliser une tâche évaluant l’aversion au risque, la
tâche des ballons. La tâche des ballons (BART, Balloon Analogue Risk Task ; Lejuez
et al., 2002) est une tâche qui évalue notre propension à prendre des risques (ou
notre aversion au risque). Les participants peuvent gagner de l’argent en gonflant
des ballons présentés sur un écran. Les participants gagnent un nombre variable
de points (ou quantité d’argent) pour chaque ballon gonflé qui n’explose pas et
en perd pour chaque ballon qui explose. Avant de réaliser la tâche des ballons,
Heilman et ses collaborateurs montraient à leurs participants un extrait de film
connu pour induire soit du dégoût soit de la peur. Les participants étaient divisés
en trois groupes, selon la stratégie de régulation émotionnelle qu’ils devaient mettre
en œuvre : un groupe contrôle (pas de régulation), un groupe qui devait exécuter
la stratégie de réévaluation cognitive, et un groupe qui devait utiliser la stratégie
de suppression expressive. Aussi bien pour le dégoût que pour la peur, comparé
au groupe contrôle, réguler ses émotions par la stratégie de réévaluation cognitive
conduisait les participants à réduire leur aversion au risque en gonflant plus de
ballons sans les faire exploser (Figure 8.14). Réguler ses émotions par la stratégie
de suppression expressive n’avait aucun effet sur l’aversion au risque. En d’autres
termes, après avoir vu un film déclenchant une émotion négative (peur ou dégoût),
seule, la réévaluation cognitive conduisait les participants à prendre davantage de
risques et, du coup, à réussir à gonfler davantage de ballons sans les faire exploser.
45
Pourcentages de rappels corrects
Images neutres
40
Images négatives
35
30
25
20
15
Contrôle Amplifier Diminuer Supprimer
Figure 8.13
Régulation émotionnelle et rappel (d’après Dillon et al., 2007).
Pourcentages de rappels corrects d’images neutres et négatives dans différentes conditions
de régulation émotionnelle. Les différentes conditions de régulation ont conduit
à un meilleur rappel des images négatives et à un moins bon rappel des images neutres
(sauf dans la condition d’amplification où le rappel d’images neutres a augmenté,
par rapport à la condition contrôle).
208 ■ CHAPITRE 8 – La régulation émotionnelle
30
Nombre de ballons gonflés Dégoût Peur
25
20
15
10
0
Contrôle Suppression expressive Réévaluation cognitive
Figure 8.14
Régulation émotionnelle et prise de décision (d’après Heilman et al., 2010).
Nombre de gonflages/ballons non explosés dans la tâche des ballons après avoir vu un film
déclenchant du dégoût ou de la peur en exécutant une stratégie de suppression expressive,
de réévaluation cognitive ou dans un groupe contrôle (sans régulation). Le nombre de gonflages
augmentait en condition de réévaluation cognitive, mais pas en condition de suppression,
cette stratégie contrecarrant mieux la diminution de la prise de risque sous émotion.
4.3. Conclusions
La régulation émotionnelle influence nos performances cognitives. Dans certaines
conditions, les performances ont tendance à se détériorer. Dans ces dernières, l’accent
est mis sur le processus de régulation davantage que sur la tâche cognitive elle-même,
et la tâche cognitive n’est pas indépendante de la procédure d’induction émotionnelle.
Dans d’autres conditions, la régulation émotionnelle a un effet positif, et les partici-
pants s’améliorent dans une tâche s’ils mettent en œuvre une stratégie efficace de
régulation émotionnelle. L’amélioration dépend non seulement de l’efficacité de la
stratégie de régulation émotionnelle mobilisée, mais également du fait que les parti-
cipants visent non seulement à réguler leurs émotions, mais aussi à obtenir les meil-
leures performances dans la tâche cible. Notons que, même si l’effet de la régulation
émotionnelle a été observé dans de nombreux domaines de la cognition, ses conditions
d’occurrence ne sont pas encore entièrement claires. Ainsi, même si l’on sait que les
effets dépendent de l’intensité de l’émotion ou du type de stratégie de régulation utili-
sée, on ignore encore comment l’influence de la régulation émotionnelle sur la cognition
interagit avec de nombreux paramètres (p. ex., les stratégies cognitives utilisées par les
participants pour réaliser une tâche ; la difficulté de la tâche cognitive ; l’expertise du
participant dans le domaine cognitif testé ; le type d’émotion régulée). Les recherches
à venir permettront de déterminer quels sont les paramètres qui gouvernent le rôle
modulateur de la régulation émotionnelle sur les performances cognitives des par-
ticipants, et ce dans différents domaines de la cognition et différentes tâches. Elles
permettront également de déterminer les mécanismes par lesquels la régulation émo-
tionnelle améliore les performances cognitives, quand elle les améliore. Ceci permettra
Testez vos connaissances ■ 209
de savoir, par exemple, si un participant accomplit une tâche cognitive après (ou
pendant) l’exécution d’une stratégie de régulation émotionnelle en mettant en œuvre
les mêmes mécanismes (en les exécutant de la même manière ou différemment) pour
accomplir la tâche cognitive que dans une condition non émotionnelle ou s’il mobilise
d’autres mécanismes.
Exercez-vous en ligne
Vrai ou faux
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Flash-cards
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CHAPITRE 9
La régulation émotionnelle :
vieillissement, différences
individuelles et psychopathologie
Ce chapitre aborde la régulation émotionnelle du point de vue des différences
individuelles, du vieillissement et de la psychopathologie. Ainsi, il présente les
travaux montrant que la régulation émotionnelle varie à traverse les cultures
et selon nos croyances personnelles explicites ou implicites sur les émotions.
Il présente également les études montrant qu’à mesure que nous vieillissons,
nous avons tendance à modifier nos préférences en matière de stratégie
de régulation émotionnelle et l’efficacité avec laquelle nous régulons nos
émotions. Enfin, le chapitre décrit comment les mécanismes de la régulation
émotionnelle peuvent être touchés chez les patients atteints de différentes
pathologies (p. ex., dépression, troubles anxieux, phobie). Il le fait dans une
perspective stratégique, à savoir en analysant comment les patients utilisent
et exécutent les stratégies de régulation.
SOMMAIRE
De nombreuses études ont été conduites sur les différences individuelles, mais aussi
sur les effets du vieillissement et de la psychopathologie sur la régulation émo-
tionnelle. Pour l’examen de la modulation du rôle des émotions sur les différentes
fonctions cognitives par ces paramètres, ces travaux s’appuient sur l’existence
d’importantes variations entre individus dans les traits de personnalité (p. ex.,
anxiété) et en psychopathologie (p. ex., dépression, phobie), ainsi qu’au cours du vieil-
lissement. Ils permettent de déterminer si, toutes choses égales par ailleurs, la régu-
lation émotionnelle est influencée par les mêmes facteurs et mettent en œuvre les
mêmes mécanismes chez des individus avec des traits de personnalité (ou d’autres
caractéristiques), à des âges différents ou avec des troubles de l’humeur, comparés
à des individus témoins, et comment. Les travaux empiriques ont mis en évidence
d’importantes différences individuelles dans la régulation émotionnelle, ainsi qu’une
évolution avec l’âge et une influence de la psychopathologie. Ces travaux ont égale-
ment mis en évidence que, dans ces différents groupes, la régulation émotionnelle est
modulée par les mêmes facteurs, toutefois souvent dans des proportions différentes
et par des mécanismes qui peuvent varier. Dans ce chapitre, nous présentons ces
travaux.
Dans un premier temps, nous examinons comment la régulation émotionnelle diffère
selon les individus. Ainsi, nous présentons les travaux déterminant, par exemple,
comment elle est mobilisée différemment selon, entre autres, la culture des individus
et leurs théories implicites des émotions. Nous discutons l’évolution avec l’âge de la
régulation émotionnelle dans un second temps et, enfin, comment elle est affectée
par la psychopathologie. Là encore, nous verrons que ces travaux apportent des
éclairages importants sur les mécanismes mis en œuvre pour réguler nos émotions.
6
Réévaluation cognitive
5 Suppression expressive
4
Utilisation
0
Hommes Femmes USA Australie Norvège
Figure 9.1
Genre, culture et régulation émotionnelle (d’après Haga et al., 2009).
Niveau d’utilisation des stratégies de réévaluation cognitive et de suppression expressive chez les
hommes et les femmes et selon la culture. Les hommes et les femmes utilisent autant la stratégie
de réévaluation cognitive, mais les hommes semblent plus utiliser la stratégie de suppression
expressive. Les Américains utilisent plus la stratégie de suppression expressive que les Australiens
ou les Norvégiens, et les Norvégiens plus la stratégie de réévaluation cognitive.
30
Émotions malléables
25 Émotions fixes
Utilisation
20
15
10
Réévaluation cognitive Suppression expressive
Figure 9.2
Croyances sur les émotions et régulation émotionnelle (d’après Kneeland et al., 2016).
Utilisation des stratégies de réévaluation cognitive et de suppression expressive dans les conditions
où ont été expérimentalement activées les croyances selon lesquelles les émotions sont malléables
vs fixes. Les participants du groupe malléable utilisaient plus la stratégie de réévaluation cognitive
que ceux du groupe fixe, tandis que les deux groupes utilisaient aussi fréquemment la stratégie de
suppression expressive.
En bref, selon la croyance que chacun de nous a sur le caractère malléable ou fixe
des émotions, et selon qu’un contexte nous conduise à davantage nous focaliser sur
l’idée que nous pouvons moduler nos émotions, nous n’allons pas mettre en œuvre les
mêmes stratégies de régulation émotionnelle et, par conséquent, n’allons pas faire la
même expérience émotionnelle, n’allons pas être influencés dans nos comportements
(cognitifs, mais aussi sociaux et affectifs) de la même manière.
tifs, mais pas aux stimulus positifs. Pourtant, même si certains chercheurs ont pu
relever que les âgés disent vivre moins d’émotions négatives intenses (e.g., Charles
et al., 2001) ou ont une réaction psychologique ou physiologique différente ou moins
importante en réponse à des stimulus ou expériences négatives (e.g. Gunning-Dixon
et al., 2003 ; Iidaka et al., 2002 ; Levenson et al., 1991, 1994 ; Tessitore et al., 2005 ;
Vieillard et al., 2012), dans de nombreuses recherches, la sensibilité émotionnelle des
personnes âgées est ressortie au moins aussi importante, parfois plus, que celle des
jeunes, y compris à des stimulus négatifs (e.g., Charles, 2005 ; Charles & Carstensen,
2008 ; Dolcos et al., 2014 ; Kensinger & Schacter, 2008 ; Kliegel et al., 2007 ;
Kunzmann & Richter, 2009 ; Labouvie-Vief, 2003 ; Levenson et al., 1994; Magai et al.,
2006; Mroczek & Almeida, 2004 ; Murty et al., 2009 ; Phillips et al., 2002 ; Seider et
al., 2011 ; Sliwinski et al., 2009). Par exemple, Seider et ses collaborateurs (2011) ont
observé que les personnes âgées réagissaient davantage à des films tristes (aussi bien
au niveau du ressenti émotionnel que sur le plan des manifestations physiologiques).
Notons qu’il ne s’agit pas d’une surréaction généralisée des personnes âgées à toute
émotion, car Seider et ses collaborateurs n’ont pas trouvé de sensibilité au dégoût
plus forte chez les âgés. En d’autres termes, les personnes âgées réagissent aussi
intensément que les jeunes pour certaines émotions, plus intensément pour d’autres
émotions, et moins intensément pour d’autres émotions encore.
Certains auteurs défendent l’hypothèse que l’augmentation avec l’âge des niveaux
de bien-être et de satisfaction émotionnelle pourrait résulter d’une augmentation de
nos capacités à réguler nos émotions. Cela signifie qu’avec l’âge, nous serions mieux
à même d’amplifier ou de diminuer nos émotions. Le développement avec l’âge de
notre capacité à réguler nos émotions et à ajuster notre réponse émotionnelle en
fonction des circonstances s’appuierait sur un changement dans nos motivations et
nos priorités au fur et à mesure que nous avançons en âge, ainsi que dans nos res-
sources cognitives disponibles. Par exemple, selon la théorie de la sélectivité socioé-
motionnelle proposée par Carstensen et ses collaborateurs (e.g., Carstensen, 1992,
2006 ; Carstensen et al., 1999 ; Carstensen & Turk-Charles, 1994 ; Carstensen et al.,
2000 ; Kessler & Staudinger, 2009 ; Lawton, 2001 ; Mather & Carstensen, 2003,
2005), mais aussi selon la théorie SAVI (Strength and Vulnerability Integration ;
Charles & Piazza, 2009) et selon le modèle SOC-ER (Selection, Optimization, and
Compensation-Emotion Regulation ; Opitz et al., 2012 ; Urry & Gross, 2010), avec
l’avancée en âge et la conscience de plus en plus claire que nous avons de la durée
limitée de la vie qu’il nous reste à vivre, nous nous focalisons davantage sur des
objectifs émotionnels, notamment de bien-être. Ceci nous amène à mieux gérer nos
émotions négatives (pour les diminuer) et positives (pour les amplifier) et à hiérar-
chiser nos priorités (voir le modèle dit d’intégration dynamique, pour une explica-
tion alternative selon laquelle la diminution des ressources de traitement avec l’âge
rendrait plus difficile le traitement d’émotions négatives ; e.g., Labouvie-Vief, 2003 ;
Labouvie-Vief et al., 2007). Le fait de rechercher des relations de qualité pourrait
devenir plus important qu’une promotion professionnelle ou une réussite sportive,
par exemple. Ceci nous amène à déployer diverses stratégies de gestion et de régu-
lation de nos émotions (p. ex., éviter les situations conflictuelles inutiles, favoriser
les rencontres avec des personnes qui nous sont chères, se détourner de situations
anxiogènes, trouver ou donner une signification plus profonde aux événements
218 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
de la vie ou à notre vie en général). Les données sur la régulation émotionnelle
sont en accord avec ces propositions théoriques. En effet, elles font apparaître une
évolution avec l’âge dans l’utilisation et l’exécution des stratégies de régulation
émotionnelle, certaines stratégies devenant plus utilisées et plus efficaces, d’autres
moins employées et perdantes en efficacité au fur et à mesure que nous avançons
en âge.
50
40
30
20
10
0
Intensité faible Intensité Élevée Intensité faible Intensité élevée
Émotions positives Émotions négatives
60 Jeunes Âgés
Pourcentages d’utilisation
50
40
30
20
10
0
Intensité faible Intensité forte
Figure 9.3
Vieillissement et utilisation stratégique en régulation émotionnelle.
Pourcentages d’utilisation de la stratégie de distraction chez des participants jeunes et âgés sur
des images déclenchant (a) des émotions positives ou négatives d’intensité faible ou forte (d’après
Martins et al., 2016), (b) sur des images négatives d’intensité faible ou forte (d’après Scheibe et al.,
2015). La distraction peut être utilisée moins fréquemment par les âgés que par les jeunes pour
réguler des émotions positives fortes ou plus fréquemment pour réguler des émotions négatives
faibles et fortes.
L’évolution avec l’âge des stratégies de régulation émotionnelle a également été abor-
dée par plusieurs études en dehors du laboratoire (e.g., Blanchard-Fields et al., 2007 ;
Lang & Carstensen, 1994 ; Livingstone & Isaacowitz, 2019, 2021). Par exemple,
Livingstone et Isaacowitz ont testé plus de 140 participants avec la méthode dite ESM
(Experience Sampling Method, ou méthode d’échantillonnage des expériences). Il s’agit
d’une enquête à laquelle les participants répondaient plusieurs fois par jour pendant
Régulation émotionnelle et vieillissement ■ 221
au moins 10 jours. Les participants indiquaient sur leur téléphone portable ou une
tablette un certain nombre d’informations relatives aux événements émotionnels
qu’ils venaient de vivre (p. ex., quelles émotions ? Quel type de stratégie de régulation
ils avaient mis en œuvre s’ils en avaient utilisé ?). L’enquête a permis aux auteurs de
sonder avec précision et détails la mise en œuvre d’un vaste ensemble de stratégies,
chacune appartenant à l’une des grandes catégories de stratégie proposées par Gross
et ses collègues : sélection et modification de la situation (p. ex., éviter une situation
génératrice de peur ; raconter une blague), redéploiement attentionnel (p. ex., distrac-
tion), réévaluation cognitive (p. ex., détachement) et modulation de la réponse (p. ex.,
suppression expressive). Ils ont ainsi pu recueillir un large échantillon d’observations
chez des participants jeunes (âgés de 20 à 39 ans), matures (âgés de 40 à 59 ans) et âgés
(âgés de 60 à 79 ans).
Les données font apparaître une évolution en fonction de l’âge des stratégies de
régulation émotionnelle (Figure 9.4). Certaines stratégies sont de plus en plus uti-
lisées en vieillissant (p. ex., la réévaluation cognitive, le redéploiement attention-
nel), d’autres diminuent d’abord puis augmentent à nouveau (p. ex., sélection de la
situation), d’autres enfin restent relativement stables avec l’âge (p. ex., suppression
expressive).
90
Sélection de la situation Modification de la situation Déploiement attentionnel
Réévaluation cognitive Modulation de la réponse
80
Pourcentages d'utilisation
70
60
50
40
30
Jeunes Matures Âgés
Figure 9.4
Utilisation des stratégies de régulation en milieu naturel
(d’après Livingstone & Isaacowitz, 2021).
Évolution de la fréquence d’utilisation des stratégies de régulation émotionnelle en fonction
de l’âge. L’utilisation de certaines stratégies augmente avec l’âge (p. ex., la réévaluation cognitive,
le redéploiement attentionnel), d’autres stratégies diminuent puis augmentent (p. ex., sélection
de la situation), d’autres encore restent stables (p. ex., suppression expressive).
du type de film sur lequel chaque stratégie a été exécutée par différents participants. En
demandant à tous les participants soit d’exécuter une seule stratégie sur le même film
(ou sur plusieurs films), soit d’utiliser l’ensemble des stratégies comparées sur un même
ensemble de films, les différences liées à l’âge ne peuvent provenir que de l’évolution au
cours du vieillissement de l’exécution stratégique. Bien sûr, les différences liées à l’âge
dans l’efficacité de la régulation émotionnelle elle-même résultent d’une contribution
des différences de sélection et d’exécution stratégiques. Mais, si l’on veut comprendre
comment évolue l’exécution des stratégies au cours du vieillissement, il est important de
contrôler l’ensemble des biais de sélection artefactuelle liés à la fréquence d’utilisation
des stratégies et au type d’items sur lesquels sont exécutées les stratégies. Les données
recueillies font alors apparaître que l’exécution de toutes les stratégies de régulation
émotionnelle n’évolue pas de la même manière au cours du vieillissement : certaines
stratégies perdent en efficacité, d’autres deviennent plus efficaces, et d’autres encore
conservent le même niveau d’efficacité. Illustrons ces conclusions avec des exemples.
Shiota et Levenson (2009) ont comparé l’évolution avec l’âge de l’exécution de trois
stratégies de régulation émotionnelle : la suppression expressive, la réévaluation cogni-
tive par détachement et la réévaluation cognitive par pensées positives. Les participants
voyaient des films de 3 minutes montrant des séquences neutres ou qui suscitaient des
émotions (dégoût, tristesse). Les participants étaient testés dans une condition contrôle
(où ils avaient pour consigne de simplement regarder le film, comme s’ils regardaient
un film à la télé), et dans plusieurs conditions de régulation émotionnelle. Ils devaient
s’empêcher d’exprimer toute émotion déclenchée par le film dans la condition sup-
pression expressive, regarder le film avec un certain détachement dans la condition
de réévaluation cognitive par détachement, et essayer de voir des aspects positifs du
film dans la condition de réévaluation cognitive positive. Après avoir visionné chaque
film, les participants avaient une liste d’émotions (p. ex., tristesse, dégoût, peur, etc.) et
devaient dire si le film avait déclenché en eux cette émotion sur une échelle de 1 (très
peu) à 8 (beaucoup). En étudiant la différence entre les évaluations subjectives de l’expé-
rience émotionnelle dans la condition contrôle et dans chaque condition de régulation
émotionnelle (Figure 9.5), les auteurs ont observé que l’efficacité des stratégies évolue
avec l’âge et que cette évolution n’est pas la même pour chaque stratégie. Ainsi, la rééva-
luation cognitive positive s’améliore avec l’âge, tandis que la réévaluation cognitive par
détachement et la suppression expressive déclinent. En d’autres termes, l’efficacité de la
régulation émotionnelle augmente avec l’âge quand les participants exécutent une stra-
tégie dont l’efficacité augmente avec l’âge (comme la réévaluation cognitive positive) et
diminue quand les participants mettent en œuvre une stratégie dont l’efficacité décline
(comme la réévaluation cognitive par détachement ou la suppression expressive).
Lohani et Isaacowitz (2014) ont montré à leurs participants des films tristes de
4-5 minutes (p. ex., un enfant qui assiste à la mort de son père) en leur demandant
d’exécuter différentes stratégies de régulation émotionnelle afin de comparer l’émotion
ressentie, ainsi que des réponses physiologiques, chez des participants jeunes et âgés
pour chacune des stratégies mises en œuvre. Dans la condition contrôle, les partici-
pants avaient pour consigne de regarder le film comme s’ils regardaient la télévision.
Dans la condition de déploiement attentionnel, les participants devaient regarder le
film en se focalisant sur les aspects les moins émotionnels du film. Dans la condition
224 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
1,45
1,05
Expérience émotionnelle
(Contrôle - Régulation)
0,85
0,65
0,45
0,25
0,05
– 0,15
– 0,35
Détachement Pensée positive Suppression expressive
Figure 9.5
Vieillissement et exécution stratégique (d’après Shiota & Levenson, 2009).
Évolution avec l’âge des différences entre condition contrôle et condition de régulation
émotionnelle pour chaque stratégie (réévaluation cognitive avec détachement, réévaluation
cognitive positive et suppression expressive). La réévaluation cognitive positive s’améliore
avec l’âge, tandis que la réévaluation cognitive par détachement et la suppression expressive
déclinent.
Déploiement attentionnel
40 Réévaluation Positive
(avant-après film)
35 Suppression
30
25
20
15
10
Jeunes Âgés
40
sur zones émotionnelles
35
30
25
20
15
10
5
0
Jeunes Âgés
2,5
Conduction cutanée
1,5
0,5
0
Jeunes Âgés
Figure 9.6
Évolution avec l’âge de l’exécution stratégique (d’après Lohani & Isaacowitz, 2014).
Effets des stratégies de régulation émotionnelle (différences entre après avoir vu et avant de voir
les films) chez les jeunes et les personnes âgées, sur (a) les évaluations émotionnelles subjectives,
(b) les fixations oculaires sur les zones émotionnelles des films, et (c) la conductance cutanée.
226 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
2,8
2,6
2,4
2,2
Adultes jeunes Adultes âgés
0,25 Contrôle
Amplifier
Activations cérébrales
0,2
0,15
0,1
0,05
0
Adultes jeunes Adultes âgés
Figure 9.7
Régulation émotionnelle et exécution stratégique (d’après Opitz et al., 2012). (a)
Évaluations subjectives de l’intensité de l’émotion ressentie à chaque image chez les adultes jeunes et
âgés testés en condition contrôle ou ayant reçu pour consigne de diminuer ou d’amplifier leurs émotions ;
(b) activations cérébrales dans le cortex préfrontal ventro-latéral. Les jeunes et les âgés étaient en mesure
d’amplifier les émotions négatives, mais seuls les jeunes ont pu diminuer les émotions négatives (bien que
les deux groupes aient tenté de le faire).
Les activations cérébrales (Figure 9.7b) observées dans le cortex préfrontal ventro-
latéral connu pour être crucial dans la régulation émotionnelle et dans le contrôle cogni-
tif, sont informatives à cet égard. Chez les participants jeunes et âgés, ces activations
étaient plus importantes lorsque les participants devaient amplifier ou diminuer leurs
émotions que dans la condition contrôle. La différence entre conditions contrôle et régu-
lation étaient toutefois moins importants chez les personnes âgées que chez les jeunes.
Même si elle était moins grande chez les personnes âgées, il est important d’observer
cette différence chez les personnes âgées. En effet, malgré une augmentation moins
importante chez les personnes âgées que chez les jeunes, dans la condition amplifica-
tion, les deux groupes ont amplifié leurs émotions positives. La différence importante
228 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
entre les deux groupes était dans la condition de diminution, les âgés n’ayant pas dimi-
nué leurs émotions à la différence des jeunes. Cela signifie-t-il qu’ils n’ont pas cherché
à diminuer leurs émotions ? Les activations cérébrales dans le cortex ventro-latéral
suggèrent qu’ils l’ont fait. Sinon, ils auraient eu les mêmes niveaux d’activation qu’en
condition contrôle. Ces activations suggèrent qu’ils ont bien cherché à diminuer leurs
émotions négatives quand la consigne le leur demandait, mais qu’ils n’y sont pas par-
venus ou qu’ils n’y sont pas suffisamment arrivés pour entraîner une différence dans
l’évaluation subjective. Pour quelles raisons ? Les données ne permettent pas vraiment
de le dire. Plusieurs raisons sont possibles, comme une moins grande efficacité chez les
âgés que chez les jeunes des mécanismes de contrôle cognitifs en jeu dans la diminution
des émotions ou bien encore l’utilisation par les âgés d’une stratégie moins efficace pour
diminuer une émotion ou l’exécution moins efficace de la même stratégie.
2.3. Conclusions
Le vieillissement n’entraîne pas une réduction des émotions que nous ressentons
ni une diminution de l’intensité ou de la fréquence de nos émotions. Les travaux empi-
riques sur l’évolution du bien-être avec l’âge montrent qu’au cours du vieillissement,
sauf pour certains, dans les toutes dernières années de vie, ce bien-être augmente en
vieillissant. Cette augmentation du bien-être avec l’âge résulte de l’évolution de nos
capacités à donner une priorité aux états émotionnels positifs et à les rechercher
proactivement. En accord avec la théorie générale, SOC (Selection, Optimization, and
Compensation ; Baltes & Baltes, 1990), et sa version spécifique relative à la régulation
émotionnelle, SOC-ER (Urry & Gross, 2010), le vieillissement réussi peut être atteint
en se donnant des buts ajustés aux capacités et aux ressources de l’individu, en
allouant les ressources disponibles en temps et efforts à la poursuite de ces buts et en
compensant les déclins (cognitifs) qui pourraient empêcher d’atteindre ces buts. Dans
ce contexte, les travaux sur la régulation émotionnelle permettent de comprendre
plus précisément les mécanismes qui contribuent à un vieillissement réussi. En effet,
plusieurs auteurs ont recueilli des données (e.g., Morgan & Scheibe, 2014 ; Nakagawa
et al., 2017 ; Sakaki et al., 2019 ; Wrzus et al., 2012 ; Yeung et al., 2011) en accord avec
l’hypothèse selon laquelle l’augmentation avec l’âge du bien-être émotionnel, souvent
rapporté dans la littérature, réside en partie dans ces changements avec l’âge au niveau
de l’utilisation et de l’exécution des stratégies de régulation émotionnelle.
Le registre des stratégies de régulation émotionnelle est vaste. Ces stratégies diffèrent
en efficacité et peuvent être mobilisées dans différents contextes et à différentes
étapes du développement d’une émotion. Des différences et des similitudes entre
les jeunes et les personnes âgées dans l’utilisation et l’exécution des stratégies de
régulation émotionnelle existent à toutes les étapes du développement d’une émotion
(Ossenfort & Isaacowitz, 2020). Au moment du déclenchement d’une émotion, il est
possible de chercher à se retrouver dans une situation dont on sait qu’elle déclenchera
des émotions positives ; il est possible aussi d’éviter de se retrouver dans une situation
trop désagréable (ou de s’en désengager), de redéployer son attention sur certains
aspects moins ou peu négatifs d’un stimulus ou d’une situation et de se focaliser sur
les aspects les plus positifs. Les personnes âgées utilisent la distraction plus souvent
Régulation émotionnelle et vieillissement ■ 229
que les jeunes dans certaines situations, moins souvent dans d’autres situations, ou
aussi fréquemment dans d’autres situations encore. Une fois l’émotion déclenchée, il
est possible de tenter de supprimer l’expression (notamment comportementale) d’une
émotion (ou de l’amplifier). Les personnes âgées utilisent moins que les jeunes cette
stratégie de suppression expressive. Il est par ailleurs possible de changer son inter-
prétation cognitive d’une situation émotionnellement négative ou désagréable, soit
en cherchant à s’en détacher, soit en cherchant à lui donner une interprétation plus
positive ou moins négative. Même si les personnes âgées semblent moins efficaces que
les jeunes dans la mise en œuvre des stratégies de réévaluation cognitive (davantage
pour la stratégie de la réévaluation positive et moins pour le détachement), elles en
font grand usage.
Il est difficile de dire que la régulation émotionnelle s’améliore ou se détériore avec l’âge,
car l’évolution de la régulation émotionnelle dépend du type de stratégie mise en œuvre
et de la manière dont les stratégies sont exécutées. Lorsque les stratégies sont exécutées
efficacement par les participants, le vieillissement s’accompagne d’une amélioration de la
régulation émotionnelle pour certaines stratégies (p. ex., réévaluation positive), d’une sta-
bilité avec d’autres stratégies (p. ex., sélection de la situation, suppression expressive) et
d’une dégradation avec encore d’autres stratégies (p. ex., réévaluation par détachement).
L’évolution avec l’âge de l’utilisation et de l’exécution des stratégies de régulation est
modulée par différents facteurs, comme le type et l’intensité des émotions à réguler (les
émotions intenses sont plus difficiles à réguler que les émotions moins intenses), le coût
cognitif associé à l’exécution de chaque stratégie (la distraction est cognitivement moins
coûteuse que la réévaluation cognitive), la facilité ou la difficulté à mettre en œuvre une
stratégie (la suppression expressive est difficile à mobiliser chez les âgés) et l’efficacité
relative des stratégies (la distraction est plus efficace pour réguler une émotion intense,
tandis que la réévaluation cognitive l’est pour les émotions moins intenses). La diminution
avec l’âge de l’efficacité d’une stratégie résulte en partie de la diminution au cours du vieil-
lissement de l’efficacité de certains mécanismes clés (comme les mécanismes de contrôle
exécutif) inclus dans une stratégie, tandis qu’une stratégie plus efficacement exécutée
par les âgés peut impliquer des processus soit moins coûteux cognitivement (comme le
redéploiement attentionnel ou l’évitement de situations désagréables), soit plus coûteux
(comme la réévaluation cognitive). Il importe donc de prendre en compte l’ensemble de
ces facteurs pour comprendre comment évolue la régulation émotionnelle au cours du
vieillissement.
Il est vraisemblable que les changements au cours du vieillissement dans la régulation
émotionnelle ont de nombreuses autres conséquences sur l’évolution avec l’âge d’autres
aspects du comportement humain que le comportement émotionnel. L’impact de la
régulation émotionnelle sur l’expérience émotionnelle a davantage été étudié que sur
d’autres aspects du comportement, comme les relations sociales ou la cognition. Les
conséquences sur la cognition, et son évolution au cours du vieillissement ont, jusque-là,
fait l’objet de trop peu d’études. Pourtant, il est probable que l’évolution des effets des
émotions sur la cognition au cours du vieillissement peut être modulée par l’évolution
de la régulation émotionnelle. Il est ainsi tout à fait possible que l’amélioration avec l’âge
de la régulation émotionnelle puisse temporiser dans certaines situations ou amplifier
dans d’autres situations les effets délétères de l’âge sur la cognition. Quelques travaux
230 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
semblent suggérer que l’impact de la régulation émotionnelle sur les performances cogni-
tives pourrait différer chez les jeunes et les âgés.
Par exemple, Scheibe et Blanchard-Fields (2009) ont étudié comment la régulation
émotionnelle peut affecter les performances en mémoire de travail chez les jeunes et
les âgés. Les participants voyaient un film de 2 minutes et 10 secondes suscitant du
dégoût (c.-à-d., une femme mangeant au rectum d’un cheval pour gagner de l’argent tout
en décrivant son expérience). Juste après le film, ils recevaient une consigne de régula-
tion (soit diminuer, soit maintenir leur émotion). Puis, ils réalisaient une tâche de mise à
jour de la mémoire de travail, tâche dite de N-Back. Ils voyaient défiler des chiffres sur
un écran et devaient dire, pour chaque chiffre, s’il est le même que celui vu 2 chiffres
avant. Les performances à la tâche de mémoire de travail étaient comparées pour les
participants de ces deux groupes de régulation à un groupe contrôle qui n’avaient pas
reçu de consignes de régulation avant la tâche de mémoire de travail (voir Figure 9.8).
61,0
Régulation
59,0
Performance (scores T)
Contrôle
57,0
55,0
53,0
51,0
49,0
47,0
45,0
Jeunes Âgés
Figure 9.8
Régulation émotionnelle et cognition (d’après Scheibe & Blanchard-Fields, 2009).
Performances des jeunes et des personnes âgées à la tâche de mise à jour en condition de régulation
émotionnelle et en condition contrôle.
Les données montrent des profils différents chez les jeunes et les âgés. Chez les jeunes,
les participants obtenaient de moins bonnes performances quand ils devaient réguler
leur émotion que dans la condition contrôle. Tout se passe comme si le coût cognitif
associé à la régulation émotionnelle visant à diminuer ou à maintenir le dégoût condui-
sait les jeunes à avoir de moins bonnes performances. Chez les personnes âgées, les
participants obtenaient d’aussi bonnes performances en condition de régulation et en
condition contrôle. Ces performances comparables dans les deux conditions suggèrent
que la régulation avait un coût cognitif ou sollicitaient moins de ressources chez eux
que chez les jeunes. Cette différence liée à l’âge dans les effets de la régulation sur les
performances à la tâche de mise à jour n’est pas due à une différence d’expérience émo-
tionnelle subjective, que les auteurs ont évaluée par ailleurs. Plus vraisemblablement,
l’efficacité à moindre coût pour les âgés de la régulation émotionnelle a eu des consé-
quences moins néfastes sur leurs performances que chez les jeunes. Il reste à déterminer
si, dans une tâche où l’on observe en condition contrôle des performances cognitives
équivalentes chez les jeunes ou les âgés (ou supérieures chez les âgés), les effets de la
régulation émotionnelle sur les performances cognitives seraient les mêmes que ceux
observés par Scheibe et Blanchard-Field. En effet, les jeunes ont habituellement de
Régulation émotionnelle et psychopathologie ■ 231
meilleures performances que les personnes âgées dans une tâche de N-Back réalisée
en condition contrôle. Ils ont donc plus à perdre dans une condition où ils ont, avant,
à réaliser une tâche qui consomme une partie des ressources attentionnelles, comme
une tâche de régulation émotionnelle. Pour le savoir, il conviendrait de tester une
tâche cognitive où les jeunes et les âgés ont habituellement des performances au moins
comparables (p. ex., tâche de vocabulaire, de résolution de problèmes arithmétiques).
Dans quelles conditions la régulation émotionnelle conduit-elle les jeunes et les âgés à
améliorer ou à diminuer, dans des proportions identiques ou différentes, leurs perfor-
mances cognitives ? À l’heure actuelle, il est encore difficile de le savoir, car trop peu de
recherches ont été conduites sur cette question. Nul doute que d’importants résultats
sont à attendre des futures recherches qui étudieront cette question en examinant
comment les changements liés à l’âge dans les effets de la régulation émotionnelle sur
les performances cognitives dépendent du type de stratégies de régulation émotion-
nelle, mais aussi du type de stratégies cognitives mobilisées dans les différents tâches
et domaines qui devront être testés et des différents paramètres de la tâche (domaine
cognitif, contraintes situationnelles, types de stimulus).
3. Régulation émotionnelle
et psychopathologie
Les troubles de l’humeur sont généralement caractérisés par des affects négatifs
prolongés, et parfois par des émotions positives intenses incontrôlées. Par exemple, les
patients bipolaires oscillent entre des états mentaux de dépression et d’irritabilité ou de
joie extrême. Les patients en dépression traversent des états intenses de tristesse pro-
fonde. Certains chercheurs ont proposé que ces troubles puissent être caractérisés par
des difficultés à réparer ou réguler ces émotions (e.g., Joormann & Stanton, 2016 ; Nolen-
Hoeksema et al., 2008 ; Teasdale, 1988). Ainsi la dépression va s’accompagner d’une diffi-
culté à sortir d’états mentaux négatifs et le patient bipolaire va entrer en phase maniaque
à la suite d’une non-régulation voire une amplification d’états positifs (survenant après
une réussite ou un événement inattendu). En accord avec ce type de difficulté, les indi-
vidus souffrant de troubles anxieux rapportent davantage de difficultés à réguler leurs
émotions (e.g., Aldao & Nolen-Hoeksema, 2012a,b ; Ehring & Quack, 2010 ; McLaughlin
et al., 2007 ; Mennin et al., 2005, 2009 ; Tull & Roemer, 2007 ; Turk et al., 2005 ; Weiss
et al., 2012). Par ailleurs, Aldao et ses collaborateurs (2010 ; Aldao & Nolen-Hoecksema,
2012 a, b) ont montré qu’une utilisation inappropriée (p. ex., utilisation fréquente du
déni, du désengagement, de la suppression expressive et de la rumination) des stratégies
de régulation émotionnelle prédisait un niveau plus élevé de symptômes psychopatho-
logiques (p. ex., dépression, anxiété, abus d’alcool). Ainsi encore, une plus grande utili-
sation de la réévaluation cognitive est associée à un syndrome post-traumatique moins
sévère et à une affectivité davantage positive (e.g., Boden, Bonn-Miller, et al., 2012 ; Weiss
et al., 2012), et une capacité à utiliser certaines stratégies de régulation émotionnelle
(p. ex., réévaluation cognitive, acceptation) de manière adaptée au contexte et à la situa-
tion est souvent associée à peu ou pas de troubles graves de l’humeur (e.g., Aldao et al.,
232 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
2010 ; Moore et al., 2008). Dans cette section, nous discutons quelques exemples d’études
ayant mis en évidence des différences importantes entre des participants contrôles et
des patients souffrant de différents troubles de l’humeur dans l’utilisation et l’exécution
des stratégies de régulation émotionnelles.
Dépression Contrôle
4
3,5
Niveau d’utilisation
2,5
2
Évitement Approche Développement personnel
Figure 9.9
Dépression et utilisation des stratégies de régulation émotionnelle. Autoévaluation des stratégies
de régulation par des individus en dépression et contrôles (données d'après Fancourt & Ali, 2019).
Les deux groupes différaient assez peu, même si les participants en dépression disaient avoir tendance
à moins utiliser des stratégies de régulation fondées sur le développement personnel.
Régulation émotionnelle et psychopathologie ■ 233
35 3
Suppression
30 Réévaluation cognitive 2,5
2
25
Utilisation
1,5
20
1
15
0,5
10 0
Contrôle Dépression Anxiété Sociale Contrôle Dépression Anxiété
sociale
Figure 9.10
Stratégies, dépression et anxiété sociale (d’après D’Avanzato et al., 2013).
Utilisation des stratégies de suppression, réévaluation cognitive et rumination chez des participants
contrôles et des patients souffrant de dépression ou d’anxiété sociale. Les données font apparaître
des profils d’utilisation stratégique différents dans les trois groupes (p. ex., les patients en dépression
utilisent davantage la rumination et moins la réévaluation cognitive ; les patients souffrant
d’anxiété sociale utilisent davantage la suppression).
Par exemple encore, Ball et ses collaborateurs (2013) ont comparé des participants
contrôles et des patients souffrant de troubles de l’anxiété (attaque de panique ou
anxiété généralisée). Les auteurs ont évalué l’utilisation des stratégies de suppression
et de réévaluation cognitive, avec l’ERQ de Gross et John (2003). Les trois groupes
234 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
35
Suppression Réévaluation cognitive
30
25
Utilisation
20
15
10
0
Troubles paniques Troubles anxieux généralisés Contrôle
Figure 9.11
Stratégies de régulation chez des participants contrôles et des patients souffrant de troubles
anxieux (Ball et al., 2013).
Les patients utilisaient la suppression plus souvent que les contrôles, et les patients souffrant de troubles
anxieux généralisés utilisaient la réévaluation cognitive moins souvent que les deux autres groupes.
Un dernier exemple concerne les troubles bipolaires, caractérisés par des oscillations
entre états dépressifs et maniaques relativement intenses. Johnson, McKenzie et
McMurrie (2008) ont comparé deux groupes de participants (participants bipolaires,
dépressifs) et des participants contrôles. Les participants remplissaient deux question-
naires, l’échelle des réponses ruminatives (de Nolen-Hoeksema & Morrow, 1991), et le
questionnaire de réponse aux affects positifs (Response to Positive Affect Questionnaire,
Feldman et al., 2008). L’intérêt d’avoir fait passer à chaque personne ces deux ques-
tionnaires est qu’ils permettent d’évaluer la rumination de contenus émotionnels néga-
tifs et positifs, séparément. Les réponses à ces questionnaires ont fait apparaître que,
comparés aux participants contrôles, les patients bipolaires et souffrant de dépression
utilisaient plus fréquemment la rumination sur du contenu émotionnel tant positif que
négatif. Par ailleurs, les patients souffrant de dépression ruminaient moins souvent les
contenus négatifs (et pratiquement autant les contenus positifs) que les participants
bipolaires. Cette rumination plus élevée chez les participants bipolaires a été retrouvée
de nombreuses fois (e.g., Alloy et al., 2009 ; Feldman et al., 2008 ; Green et al., 2011 ;
Gruber et al., 2011, 2012 ; Johnson et al., 2008 ; Thomas et al., 2007).
En résumé, ces exemples d’études conduites chez des patients en dépression, d’anxiété
sociale ou généralisée ou bipolaire font apparaître que, selon leurs troubles, les patients
ne vont pas mobiliser les différentes stratégies de régulation émotionnelle dans des
proportions comparables. Il est donc important pour comprendre les difficultés à
réguler leurs émotions de bien déterminer quelles sont les stratégies mises en œuvre
Régulation émotionnelle et psychopathologie ■ 235
par ces patients et dans quelles proportions ils les utilisent dans leur vie quotidienne.
Plusieurs études suggèrent en effet qu’une modification des stratégies de régulation
émotionnelle peut aider à diminuer certains symptômes dont souffrent les patients.
Outre des différences au niveau de l’utilisation des stratégies, ces patients n’exécutent
pas non plus les stratégies de façon aussi efficaces que les contrôles, y compris celles
qu’ils utilisent plus spontanément.
20
Contrôle
15 Bipolaire
Dépression
Utilisation
10
0
Ruminations positives Ruminations négatives
Figure 9.12
Troubles bipolaires, dépression et rumination (d’après Johnson et al., 2008).
Niveau de rumination sur des contenus positifs ou négatifs chez des participants contrôles,
bipolaires ou souffrant de dépression. Comparés aux participants contrôles, les patients bipolaires
et souffrant de dépression utilisaient plus fréquemment la rumination sur du contenu émotionnel
tant positif que négatif. De plus, les patients souffrant de dépression ruminaient moins souvent
les contenus négatifs (et pratiquement autant les contenus positifs) que les participants bipolaires.
chez les participants remis d’une dépression après la tâche distractrice mais restait
inchangé après la tâche de rappel autobiographique, et (c) diminuait chez les partici-
pants souffrant de dépression après la tâche distractrice, mais augmentait après le
rappel autobiographique d’un souvenir positif. En d’autres termes, l’exécution de la
stratégie de distraction entraînait une diminution de l’humeur négative dans les trois
groupes (même si de manière moins importante chez les patients déprimés). Par contre,
la stratégie de rappel autobiographique n’avait pas le même effet dans les trois groupes
de participants : elle diminuait l’humeur négative chez les participants contrôles, ne la
changeait pas chez les déprimés remis et l’augmentait chez les déprimés.
6
Avant
5
État émotionnel négatif
Après
0
Contrôle Dépression remis Dépression Contrôle Dépression remis Dépression
Tâche distractrice Rappel d’un souvenir heureux
Figure 9.13
Exécution stratégique et dépression (d’après Joorman et al., 2007).
Évolution de l’humeur négative provoquée par une scène triste après avoir mis en œuvre soit
une stratégie de distraction, soit une stratégie de rappel d’un souvenir positif. L’exécution de
la stratégie de distraction entraînait une diminution de l’humeur négative dans les trois groupes
(même si de manière moins importante chez les patients déprimés). Par contre, la stratégie de rappel
autobiographique n’avait pas le même effet dans les trois groupes de participants : elle diminuait
l’humeur négative chez les participants contrôles, ne la changeait pas chez les déprimés remis
et l’augmentait chez les déprimés.
Ehring et ses collaborateurs (2010) ont évalué l’exécution stratégique chez des par-
ticipants contrôles (c.-à-d., n’ayant jamais eu de dépression) et chez des participants
qui avaient connu un ou plusieurs épisodes dépressifs, mais qui étaient remis. Les
participants voyaient des extraits de films connus pour induire des émotions tristes.
Ils étaient divisés en deux groupes. Les participants devaient regarder l’extrait de film
en exécutant la stratégie de suppression expressive (c.-à-d., ils ne devaient rien laisser
paraître des émotions ressenties) dans le premier groupe, ou en mettant en œuvre la
stratégie de réévaluation cognitive (c.-à-d., ils devaient adopter l’attitude la plus neutre
en s’imaginant être le réalisateur qui regarde les aspects techniques du film). L’état
émotionnel des participants était évalué à différents moments de l’expérience. Le
niveau des émotions négatives (avant le film, juste après le film, et deux minutes après
le film) pour les deux groupes apparaît à la Figure 9.14. L’efficacité des deux stratégies
de régulation différait dans les deux groupes. Dans le groupe contrôle, lorsqu’ils exé-
cutaient la stratégie de suppression, l’augmentation de l’émotion négative entre avant
et juste après le film était plus forte lorsqu’ils exécutaient la suppression comparée à
Régulation émotionnelle et psychopathologie ■ 237
16
Suppression
15
Réévaluation cognitive
Émotion négative
14
13
12
11
10
Avant Juste après 2 mn après Avant Juste après 2 mn après
Contrôle Dépression
Figure 9.14
Exécution des stratégies de régulation et dépression (d’après Ehring et al., 2010).
Niveau d’émotion négative chez les participants ayant connu une dépression et chez des contrôles,
après avoir exécuté une stratégie de suppression expressive ou de réévaluation cognitive pendant un
film triste. La stratégie de suppression émotionnelle ne permettait pas à l’émotion négative de diminuer
ni juste après avoir vu le film ni deux minutes après, chez les patients ayant connu une dépression,
à la différence des participants contrôles. La stratégie de réévaluation était aussi efficace
dans les deux groupes.
Dernier exemple, Campbell-Sills et ses collaborateurs (2006) ont montré à des patients
souffrant de différents troubles de l’humeur (anxiété, phobie, dépression, troubles
obsessionnels compulsifs) un extrait de 4 minutes et demi du film Voyage au bout
de l’enfer, film connu pour déclencher des émotions négatives comme l’anxiété ou la
peur. Avant de voir le film, les participants étaient répartis dans deux groupes. Les
participants étaient fortement encouragés à neutraliser et contrôler leurs réactions
émotionnelles dans un groupe (groupe dit « suppression ») et à se laisser aller aux
émotions déclenchées par le film dans l’autre groupe (groupe dit « acceptation »). Juste
avant le film, à la fin du film, et deux minutes après la fin du film, les auteurs recueil-
laient une évaluation subjective de l’humeur négative des participants (PANAS), ainsi
que plusieurs indicateurs physiologiques (volume et vitesse respiratoires, vitesse des
battements cardiaques et conduction cutanée). Les données (Figure 9.15) font apparaître
que l’extrait du film induisait bien des émotions négatives chez les deux groupes de
participants. Elles montrent également que les profils subjectifs et physiologiques des
238 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
(a) 0,14
Acceptation Suppression
0,1
0,08
(en s)
0,06
0,04
0,02
0
Avant le film Fin du film Après la fin du film
10
8
PANAS-Négatif
(b) 6
0
Avant le film Fin du film Après la fin du film
12
(c) 11,5
Conduction cutanée
11
10,5
10
Avant le film Fin du film Après la fin du film
80
(d)
70
Rythme cardiaque
60
50
40
30
Avant le film Fin du film Après la fin du film
Figure 9.15
Régulation émotionnelle et troubles de l’humeur (Campbell-Sills et al., 2006).
(a) Humeur négative subjective (PANAS), (b) volume et vitesse respiratoires, (c) conduction cutanée
et (d) rythme cardiaque chez des patients présentant des troubles de l’humeur qui devaient soit
accepter soit supprimer les émotions déclenchées par un film. Les patients du groupe suppression
ressentaient une émotion négative moins importante et avaient un rythme cardiaque plus élevé
que les patients devant accepter leurs émotions à la fin du film, mais plus importante les deux
minutes après la fin du film. La respiration de ces patients continuait d’être gênée après le film,
et la conduction cutanée restait plus élevée.
Conclusions ■ 239
deux groupes de participants différaient à la fin du film et deux minutes après la fin du
film. En particulier, les patients ayant reçu la consigne de suppression ressentaient une
émotion négative moins importante et avaient un rythme cardiaque plus élevé que les
patients devant accepter leurs émotions à la fin du film, mais plus importante pendant
deux minutes après la fin du film. La respiration de ces patients continuait d’être gênée
après le film, et la conduction cutanée restait plus élevée. En d’autres termes, le retour
au niveau de base après le film était plus difficile pour les patients qui avaient utilisé la
suppression que pour les patients ayant accepté leurs émotions. Notons que ces patients
avaient un rythme cardiaque plus élevé pendant qu’ils visionnaient l’extrait de film.
En résumé, les données sur l’exécution stratégique, obtenues en imposant aux parti-
cipants de mettre en œuvre une stratégie de régulation prédéterminée, ont fait appa-
raître que, selon la psychopathologie, les patients n’exécutent pas aussi efficacement
que les contrôles les différentes stratégies qu’on leur demande d’utiliser. Cela signifie
qu’outre la difficulté à utiliser spontanément la stratégie la plus efficace selon le
contexte, une moins bonne exécution stratégique contribue à une régulation émotion-
nelle moins efficace chez les patients. Les études n’ont pas cherché à déterminer si les
difficultés des patients à exécuter les différentes stratégies expliquent l’utilisation que
font les patients de ces stratégies de régulation émotionnelle. Il se pourrait ainsi que,
pour certaines catégories de patients, leur difficulté à exécuter une stratégie de rééva-
luation cognitive, par exemple, soit l’un facteurs qui conduisent ces patients à moins
l’utiliser. Cette difficulté pourrait aussi contribuer à une sélection moins adaptée aux
différents contextes des stratégies. Des études à venir pourront chercher à répondre à
ce type de question pour mieux comprendre comment la psychopathologie peut affec-
ter la régulation émotionnelle.
Conclusions
Les psychologues qui travaillent sur la régulation émotionnelle cherchent à
comprendre quand et comment nous modulons nos émotions, pour les neutraliser, les
amplifier, les diminuer, ou les maintenir. En d’autres termes, ils cherchent, au niveau
empirique, à identifier les facteurs qui déclenchent ces modulations et, sur le plan
théorique, les mécanismes responsables de ces modulations. Les travaux empiriques
ont permis d’identifier un certain nombre de paramètres cruciaux. La connaissance
des conditions et mécanismes de régulation émotionnelle débouche sur une meilleure
compréhension des conditions nécessaires et suffisantes dans lesquelles, ainsi que des
mécanismes par lesquels, nous pouvons réguler nos émotions plus ou moins efficace-
ment. Ces travaux ont également permis de découvrir que la régulation émotionnelle
varie d’un individu à l’autre, évolue au cours du vieillissement, et diffère chez les parti-
cipants contrôles et les patients atteints de différents troubles. Les capacités cognitives
et les biais dans la sélection et l’exécution des stratégies de régulation induits par la
psychopathologie et les traits de personnalité affectent nos capacités de régulation émo-
tionnelle. Les arguments empiriques issus de l’étude des différences individuelles et de
la psychopathologie renforcent l’hypothèse qu’un même individu ou des individus diffé-
rents, à capacités cognitives et à sensibilité émotionnelle équivalentes, peuvent grande-
240 ■ CHAPITRE 9 – La régulation émotionnelle…
ment différer dans la régulation, de donc l’expérience, émotionnelle. Les données sur le
vieillissement permettent, quant à eux, notamment de comprendre comment, avec l’âge,
l’évolution du bien-être émotionnel et des liens émotion/cognition, peuvent s’appuyer
sur l’évolution des mécanismes de régulation émotionnelle.
La régulation émotionnelle est fortement influencée par les caractéristiques des indivi-
dus, comme le sexe, la culture, l’affectivité, ou bien encore la personnalité. Nous avons
vu que, selon les cultures et selon nos conceptions des émotions, nous régulons nos
émotions de manière différentes. Ainsi, la stratégie de suppression expressive peut
parfois être moins utilisée par les hommes que par les femmes, moins par des individus
qui réfléchissent peu sur eux-mêmes et leur vie émotionnelle, et plus par les membres
des cultures mettant l’accent sur la cohésion du groupe, comme en Asie, que par les
membres de pays mettant en avant l’indépendance, comme en Europe ou Amérique
du Nord (Matsumoto et al., 2008) (e.g., Haga et al., 1999 ; Matsumoto et al., 2008). Par
ailleurs, la réévaluation cognitive est davantage mise en œuvre par les individus qui
ont des croyances implicites sur les émotions selon lesquelles nous pouvons modifier
nos émotions que par les individus qui pensent que les émotions sont peu malléables
(e.g., Kneeland et al., 2016 ; Tamir et al., 2007).
La régulation émotionnelle évolue avec le vieillissement. Ainsi, nous avons vu que les
personnes âgées utilisaient moins fréquemment la stratégie de distraction que les jeunes
sur des images déclenchant des émotions positives de forte intensité, alors que les deux
groupes mobilisaient les mêmes mécanismes et calibraient de manière comparable le
type de stratégie en fonction de l’intensité de leurs émotions pour réguler des émo-
tions positives de faible intensité ou des émotions négatives (Livingstone & Isaacowitz,
2019 ; Martins et al., 2018) (e.g., Livingstone & Isaacowitz, 2019 ; Martins et al., 2018).
Par ailleurs, avec l’âge, nous parvenons à exécuter plus efficacement la réévaluation
cognitive positive, mais moins bien la suppression expressive ou la réévaluation cogni-
tive par détachement (e.g., Lohani & Isaacowitz, 2014 ; Shiota & Levenson, 2009).
Enfin, selon les troubles dont ils souffrent, les patients diffèrent dans le type de
mécanisme de régulation émotionnelle qu’ils mobilisent spontanément et lorsqu’ils
exécutent les stratégies de régulation. Ainsi, nous avons vu que les patients déprimés
et bipolaires avaient tendance à utiliser plus la rumination et la suppression que les
participants contrôles ou les patients souffrant d’anxiété sociale, et moins la stratégie
de réévaluation cognitive. Les patients souffrant d’anxiété sociale utilisaient plus la
réévaluation cognitive que les patients en dépression, mais moins que les participants
contrôles, plus la rumination que les participants contrôles et moins que les patients
en dépression (e.g., Ball et al., 2013, p. 201 ; D’Avanzato et al., 2013). Les données ont
également fait apparaître que, lorsqu’ils utilisent une stratégie, les patients déprimés
sont moins efficaces à dissiper leurs états émotionnels négatifs avec cette stratégie (e.g.,
Ehring et al., 2010 ; Joormann et al., 2007), et ceci s’observe tant au niveau de l’expé-
rience subjective qu’au niveau d’indicateurs physiologiques objectifs (e.g., Campbell-
Sills et al., 2006).
Les données générales sur la régulation émotionnelle, sur les différences individuelles,
ainsi que sur la modification de la régulation avec l’âge et par la psychopathologie
convergent pour conclure que, chez tous les participants, quel que soit leur âge et leur
statut cognitif, la régulation émotionnelle dépend de paramètres généraux, comme la
Testez vos connaissances ■ 241
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CHAPITRE 10
Conclusions
et perspectives
Ce chapitre résume les effets les plus importants des émotions sur la cognition
pour chacune des fonctions cognitives abordées dans les chapitres précédents,
ainsi que les mécanismes responsables de ces effets. Il récapitule comment
mieux étudier le rôle des émotions sur la cognition, d’un point de vue tant
méthodologique et que conceptuel. Il reprend les grandes questions concer-
nant le rôle des émotions sur la cognition, et y apportent les éléments de
réponses à la lumière des recherches présentées dans ce livre. Enfin, le cha-
pitre aborde des questions non abordées dans les chapitres précédents (p. ex.,
le rôle des émotions sur les domaines cognitifs spécifiques comme l’estimation
du temps et de la numérosité ou le langage, les bases physiologiques des
effets des émotions sur la cognition) ainsi que des perspectives de recherche.
SOMMAIRE
Les recherches sur le rôle des émotions dans la cognition poursuivent deux objectifs : (a)
déterminer si les émotions affectent nos performances cognitives et, si oui, dans quelles
conditions, (b) comprendre les mécanismes responsables de ces effets. Étudier le rôle des
émotions dans la cognition comporte de nombreux intérêts tant pour le psychologue
qui veut connaître les mécanismes mentaux que pour le praticien de la psychologie. En
effet, sur le plan fondamental, les études permettent notamment de mieux appréhender
les déterminants des performances cognitives et de tester des modèles théoriques d’une
activité cognitive. Elles apportent des confirmations empiriques convergentes validant
ou falsifiant des hypothèses théoriques et donnent lieu à des hypothèses nouvelles
sur le fonctionnement cognitif. Sur le plan pratique, les résultats peuvent contribuer
à orienter l’action pédagogique et aider à améliorer les apprentissages scolaires, à for-
muler un diagnostic plus juste des capacités cognitives d’une personne âgée et mettre
au point des programmes d’optimisation cognitive auprès de différentes populations,
mais également à aider le psychologue clinicien dans ses tâches de diagnostic et d’aide
thérapeutique.
Pour connaître le fonctionnement cognitif, mais aussi le fonctionnement émotionnel, il
est utile de ne pas considérer les émotions et la cognition comme deux fonctions psy-
chologiques prises en charge par deux systèmes distincts et séparés, qui n’interagissent
pas et qui ne s’influencent pas l’un l’autre. Au contraire. Même si les deux fonctions
peuvent être influencées par des facteurs différents et mobiliser des processus spéci-
fiques, elles interagissent fortement. C’est ce que montrent les recherches sur les liens
entre émotions et cognition présentées tout au long de cet ouvrage.
Ces recherches partent de ce que l’on sait à la fois sur la cognition (p. ex., quels sont les
mécanismes de la pensée ?) et sur les émotions (p. ex., quelles sont les causes et les fonc-
tions des émotions ?). En effet, implicitement ou explicitement, l’effet des émotions sur
les performances cognitives des individus dans un domaine est d’autant mieux compris
que nous savons quels sont les facteurs non émotionnels qui affectent les performances
de ces individus et par quels mécanismes les individus réalisent les tâches dans ce
domaine. Au-delà de savoir si les émotions améliorent ou dégradent les performances
cognitives, il s’agit de savoir sur quel(s) mécanisme(s), dans la chaîne des opérations
mentales qu’un individu doit mobiliser pour réussir une tâche cognitive, les émotions
ont un impact. Il s’agit également de connaître les processus spécifiques par lesquels
les émotions modifient la mise en œuvre des mécanismes grâce auxquels un individu
accomplit une tâche.
Par ailleurs, le chercheur ne perd jamais de vue les grandes fonctions déjà connues des
émotions. Ainsi, les émotions, causées par la manière dont les individus perçoivent
l’écart entre les buts (états souhaités) qu’ils cherchent à atteindre et leur état actuel,
modulent l’intensité des efforts déployés pour se rapprocher des buts poursuivis.
Tel est le cas, par exemple, lorsque les émotions négatives entraînent un individu à
redoubler d’efforts ou lorsque les émotions positives l’amènent à réduire ses efforts
(e.g., Carver & Scheier, 1990, 1998). Ainsi encore, les émotions préparent à et/ou
entraînent l’action (e.g., Frijda, 1986, 2007, 2010 ; Frijda et al., 2014 ; Ridderinkhof,
2017). Ainsi enfin, les émotions nous informent rapidement et en permanence sur
la réussite ou l’échec de nos comportements dans une situation donnée. En d’autres
termes, elles constituent des informations accumulées dans le passé pour guider et
Comment étudier les effets des émotions sur la cognition ? ■ 245
réguler nos comportements présents ou futurs (e.g., Baumeister et al., 2007 ; DeWall
et al., 2016).
Dans ce contexte, lorsqu’ils étudient le rôle des émotions sur la cognition, en se deman-
dant dans quelles conditions les émotions influencent ou pas les performances cogni-
tives et quels sont les mécanismes responsables de cette influence, les psychologues
sont amenés à devoir répondre à plusieurs questions générales. Ainsi, pour ne prendre
que quelques exemples :
• Existe-t-il des domaines cognitifs plus affectés que d’autres par les émotions ?
• Les émotions influencent-elles plus les tâches cognitives complexes ?
• Existe-t-il des effets transversaux des émotions sur la cognition (c.-à-d., qui sont
retrouvés dans tous les domaines cognitifs) et des effets spécifiques (c.-à-d.,
propre à chaque domaine, voire à chaque tâche) ?
• L’influence des émotions sur la cognition résulte-t-il de mécanismes cognitifs
(p. ex., inhibition) et émotionnels (p. ex., régulation) généraux ou spécifiques (c.-à-
d., les effets des émotions sur l’attention ne résultent pas des mêmes mécanismes
que ceux sur la mémoire, et au sein de la mémoire, ceux sur la mémoire décla-
rative résultent de mécanismes différents de ceux sur la mémoire procédurale) ?
• Quelles sont les caractéristiques des tâches cognitives dans lesquelles les effets
bénéfiques ou délétères des émotions sont les plus importants ?
• L’effet des émotions est-il universel (c.-à-d., présent chez tout le monde, quelle
que soit la culture) ou interagit-il avec différentes caractéristiques (p. ex., cultu-
relles, individuelles, pathologiques) ?
• Quelle est la meilleure approche méthodologique pour comprendre le rôle des
émotions dans la cognition ?
Dans ce dernier chapitre, en faisant le bilan de ce que nous savons et ignorons relati-
vement au rôle des émotions sur la cognition, nous résumons les éléments de réponse
déjà disponibles à ces questions. Nous discutons d’abord les aspects méthodologiques,
avant de récapituler ce qui peut être considéré comme établi sur les effets des émotions
sur nos performances cognitives. Nous terminons par les perspectives des recherches
futures, en particulier l’étude des liens émotion/cognition dans des domaines spéci-
fiques, des bases cérébrales associées aux effets des émotions sur la cognition, et des
mécanismes responsables de ces effets.
révèlent les différences qui existent réellement dans la nature). Dans ce contexte, les
psychologues testent les effets des émotions sur la cognition soit en manipulant la
valence émotionnelle des stimulus à traiter, soit en induisant des états émotionnels
chez le participant. Ainsi, les participants peuvent être amenés à réaliser différentes
tâches testant l’attention, la mémoire, le jugement, le raisonnement ou bien encore la
prise de décision sur des informations à valence émotionnelle négative, positive ou
neutre. Les performances des participants sont alors comparées lorsqu’ils traitent
des informations émotionnelles et neutres. Par ailleurs, les participants peuvent être
amenés à accomplir ces mêmes tâches cognitives après qu’ait été déclenchée en eux
(par un film, une image, un récit, une musique, ou le rappel de souvenirs personnels
émotionnels) une émotion positive, négative ou neutre. L’effet des émotions est alors
étudié en comparant les performances des participants à la même tâche réalisée sur les
mêmes items dans des états émotionnels différents. Dans les deux cas, outre les effets
simples de la valence émotionnelle des stimulus ou de l’état émotionnel du participant
sur les différents indicateurs du fonctionnement cognitif (p. ex., temps de réponse),
les psychologues se demandent si ces effets interagissent avec d’autres facteurs. Par
exemple, ils détermineront si les performances à une tâche de rappel libre versus
une tâche de reconnaissance diffèrent selon l’état émotionnel du participant pour des
paires de mots concrets ou abstraits. Ceci permet d’étudier à quel(s) niveau(x) l’effet
des émotions intervient dans la chaîne des processus mentaux mobilisés pour accom-
plir une tâche cognitive.
L’utilisation de deux grandes approches (c.-à-d., manipulation de la valence émotion-
nelle des stimulus versus induction d’un état émotionnel chez les participants) conduit
à se demander si ces deux approches sont comparables pour comprendre comment les
émotions affectent la cognition. Par exemple, est-il légitime de supposer que la valence
émotionnelle d’un stimulus a pour effet d’induire chez le participant un état émotionnel
correspondant (c.-à-d., un stimulus à valence émotionnelle négative induit-il un état
émotionnel négatif chez le participant ?) au même titre que l’état émotionnel déclenché
par une procédure d’induction ? De la même manière, l’état émotionnel induit chez le
participant conduit-il celui-ci à traiter une information neutre de la même manière que
s’il traitait une information émotionnelle de même valence que celle de l’état induit ?
Ou bien, l’effet des émotions sur les performances cognitives ne résulte pas du même
type de mécanisme dans les deux cas ? Sur le plan empirique, les travaux ont fait appa-
raître que les effets sont parfois similaires avec les deux approches, parfois différentes.
Les mêmes effets pourraient résulter des mêmes mécanismes ou de mécanismes dif-
férents (ou des mêmes mécanismes exécutés différemment). De la même manière, des
effets différents pourraient résulter de mécanismes similaires.
Prenons deux exemples, un où les effets sont similaires et un où ils diffèrent. Nous
avons vu au chapitre 2, sur l’attention, que l’impact des émotions sur les effets Stroop
pouvait être remarquablement similaire lorsque cet impact a été étudié en manipulant
la valence émotionnelle des stimulus et l’état émotionnel du participant. Ainsi, les
individus mettent plus de temps pour indiquer la couleur de l’encre d’un mot lorsque
ce mot est un mot émotionnel que lorsque c’est un mot neutre (e.g., Dresler et al.,
2009 ; Quan et al., 2020). Ainsi encore, dans une tâche où les participants devaient
indiquer le nombre de chiffres présentés à l’écran et inhiber le nom du chiffre, Hart et
Comment étudier les effets des émotions sur la cognition ? ■ 247
ses collaborateurs (2010) ont observé que l’effet Stroop était plus important lorsque
les participants voyaient, avant les chiffres, une image émotionnelle qu’après une
image neutre. Même si, dans les deux cas, les effets d’interférence augmentent avec
des stimulus émotionnels et après avoir déclenché une émotion chez le participant, il
n’est pas sûr que cette augmentation résulte des mêmes mécanismes. Ainsi, les stimu-
lus émotionnels ont allongé le temps de réponse parce que le contenu émotionnel de
ces stimulus a attiré davantage l’attention des participants que le contenu neutre. Le
participant a donc dû prendre plus de temps pour inhiber ce traitement et se focaliser
sur la dénomination de la couleur (ou l’extraction du nombre de chiffres). En d’autres
termes, le temps supplémentaire provenait vraisemblablement de l’allongement de la
durée d’un processus (traitement, non pertinent pour la tâche, de la signification émo-
tionnelle du stimulus) et de son inhibition sur les stimulus émotionnels. En revanche, il
n’est pas certain que ce soit ces processus, et ceux-ci uniquement, qui aient été allongés
dans la situation où l’état émotionnel du participant était manipulé. Il est possible que
l’état émotionnel du participant, déclenché par la présentation de l’image émotionnelle
avant le stimulus à traiter, ait perturbé l’ensemble des processus (p. ex., encodage de
la dimension pertinente du stimulus, émission de la réponse) et pas uniquement les
mécanismes d’activation et d’inhibition de la tâche non pertinente. Ces différentes
possibilités seront très certainement départagées dans les recherches à venir sur la
détermination des mécanismes par lesquels les émotions affectent (parfois de manière
similaire, parfois de manière différente) les performances cognitives.
Il existe également des situations où, pour une même activité cognitive, l’effet des émo-
tions diffère lorsqu’il est étudié en manipulant la valence émotionnelle des stimulus et
l’état émotionnel du participant. Là encore se pose la question de savoir si ces effets
différents résultent de la mise en œuvre des mêmes mécanismes ou de l’intervention
de mécanismes différents. Pour prendre un exemple illustratif, Hamamouche et ses
collaborateurs (2017 ; voir également Baker et al., 2013 ; Doi & Shinohara, 2016 ;
Infante & Trick, 2020 ; Young & Cordes, 2013, pour des données convergentes sur
émotions et estimation de numérosités) ont rapporté trois expériences visant à étudier
le rôle des émotions dans des tâches d’estimation de numérosité (évaluer approxima-
tivement le nombre d’items dans une collection). Dans une première expérience, ils
montraient des collections d’items soit émotionnels (des araignées), soit neutres (des
fleurs). L’estimation des participants était plus éloignée de la réponse exacte sur les
stimulus émotionnels que sur les stimulus neutres. Les participants avaient même
tendance à sous-estimer ce nombre pour les stimulus émotionnels, en indiquant moins
d’items qu’il n’y en avait dans la collection d’items émotionnels, mais pas dans la col-
lection d’items neutres. Dans une deuxième expérience, les auteurs ont répliqué le
phénomène dans une tâche où ils demandaient aux participants de choisir entre deux
collections d’items celle qui en contient le plus. Les éléments des deux collections à
comparer étaient soit tous émotionnels, comme des araignées, soit tous neutres, comme
des fleurs. En d’autres termes, lorsqu’ils faisaient varier la valence émotionnelle des
stimulus, les participants avaient tendance à obtenir de moins bonnes performances
pour estimer la quantité d’éléments contenus dans une collection contenant des items
émotionnels que dans une collection contenant des items neutres, que la tâche soit
une tâche d’estimation directe ou une tâche de comparaison s’appuyant sur l’estima-
tion. Dans une troisième et dernière expérience, les auteurs présentaient des images
248 ■ CHAPITRE 10 – Conclusions et perspectives
Les données obtenues avec l’ensemble des approches (expérimentales avec induc-
tion émotionnelle et manipulation de la valence émotionnelle des stimulus ; études
des différences individuelles et de la psychopathologie) contribuent à mieux
comprendre quand et comment nos émotions affectent nos performances cognitives.
traitement. Plus spécifiquement, les émotions amplifient les effets Stroop (c.-à-d., les
participants prennent plus de temps pour dire la couleur de l’encre d’un mot quand
ce mot est un mot émotionnel que quand ce mot est un mot neutre), allongent les
temps mis par les participants dans une tâche de recherche visuelle où ils doivent
dire si deux collections d’items contiennent ou non les mêmes items, mais accé-
lèrent les temps pour détecter une cible qui apparaît du côté où, juste avant, était
très brièvement présentée une image émotionnelle. Les émotions affectent aussi
les phénomènes de clignement attentionnel (c.-à-d., les participants commettent
moins d’erreurs sur une image cible émotionnelle qui suit une image neutre et plus
d’erreurs sur une image cible neutre qui suit une image émotionnelle). Ces effets
résultent du fait que la valence émotionnelle d’un stimulus influence l’attention
allouée à (ou capturée par) ce stimulus, mais aussi à ceux qui les entourent (dans
le temps et l’espace). De la même manière, selon l’état émotionnel dans lequel nous
nous trouvons, nous ne prêtons pas la même attention aux stimulus neutres. Ces
biais attentionnels peuvent être amplifiés chez certains individus (p. ex., les grands
anxieux, les patients souffrant de troubles généralisés de l’anxiété vont plus vite
et mieux faire attention à des stimulus émotionnellement négatifs ; des patients
souffrant de phobie vont détecter plus rapidement des stimulus menaçants). Cette
modification des biais attentionnels par les émotions peut également évoluer avec
l’âge au cours du vieillissement (c.-à-d., les participants jeunes vont détecter plus
rapidement des informations émotionnellement négatives et les âgés des informa-
tions émotionnellement positives).
Les émotions influencent le stockage, le maintien et la récupération des informations
en mémoire à long terme, comme en mémoire de travail. Cette influence apparaît sur
la mémoire épisodique comme sur la mémoire autobiographique, et quand les partici-
pants réalisent des tâches de rappel comme des tâches de reconnaissance, en situation
d’apprentissage intentionnel ou d’apprentissage incident. Là aussi, les émotions parfois
améliorent nos performances, parfois les dégradent. Par exemple, nous rappelons
mieux du matériel (mots isolés, textes, scènes, films) émotionnel que du matériel neutre.
Mais, en situation de stress, nos performances mnésiques se dégradent. Dans les situa-
tions où les émotions conduisent le participant à mobiliser des mécanismes plus pro-
fonds de traitement, elles entraînent une amélioration des performances mnésiques. En
revanche, dans les situations où les émotions accaparent une partie des ressources de
traitement, celles-ci n’étant pas disponibles ou moins disponibles pour les mécanismes
mnésiques, les performances mnésiques déclinent. Par ailleurs, les émotions peuvent
avoir des effets de mémorisation sélective, comme le montrent les phénomènes dits de
Trade-Off (ou tunnel). Ces phénomènes illustrent le fait que nous mémorisons mieux
une information émotionnelle d’une scène au détriment des informations non émotion-
nelles périphériques. Par ailleurs, les performances mnésiques s’améliorent si l’état
émotionnel du participant correspond à la valence émotionnelle du stimulus (p. ex.,
un participant triste aura une meilleure mémorisation des informations émotionnelles
négatives), comme l’illustrent les effets de congruence affective en mémoire. Enfin,
les biais mnésiques provoqués par les émotions évoluent au cours du vieillissement
(p. ex., les participants âgés mémorisent mieux les informations émotionnellement
positives, alors que les jeunes mémorisent mieux les informations émotionnellement
négatives) et sont modulés chez certains individus ou dans la psychopathologie (p. ex.,
Quand et comment nos émotions affectent-elles la cognition ? ■ 251
les patients phobiques mémorisent mieux que les contrôles des informations négatives
menaçantes).
Enfin, les émotions influencent nos jugements, nos décisions et nos raisonnements.
Elles peuvent amplifier nos biais d’estimation (nous conduisant à surestimer ou sous-
estimer la probabilité de certains événements). Elles peuvent parfois nous conduire
à prendre les décisions les plus optimales, mais aussi parfois à ne pas prendre les
meilleures décisions (voire à prendre des décisions contraires à nos intérêts ou nous
éloignant de nos buts). Elles peuvent tantôt perturber nos raisonnements (et nous
conduire à moins bien raisonner et à faire des erreurs grossières de raisonnement)
et tantôt, au contraire, à améliorer nos capacités de raisonnement (comme lorsque le
contenu émotionnel sur lequel s’effectue le raisonnement est congruent avec certains
événements émotionnels que nous avons vécus). Là encore, les émotions améliorent
nos performances lorsqu’elles orientent nos capacités attentionnelles vers les dimen-
sions pertinentes des stimulus et de la tâche et nous conduisent à mobiliser les méca-
nismes de traitement les plus efficaces (p. ex., construire un modèle mental plus précis
et exact de la situation sur laquelle raisonner et falsifier certaines possibilités ; encoder
avec plus de précision les événements dont on cherche à estimer la probabilité ; amélio-
rer les calculs coûts/bénéfices associés à chaque alternative entre lesquelles choisir).
Dans ces domaines, les émotions facilitent également les performances lorsqu’elles
conduisent les participants à mobiliser davantage et exécuter plus efficacement les
mécanismes cognitifs généraux (comme l’attention, le contrôle cognitif, le maintien actif
en mémoire de travail des informations pertinentes, la mise en relation de différentes
informations ou les inférences). En revanche, dès que les émotions accaparent une
grande partie des ressources attentionnelles du participant, ce qui le détourne de la
tâche, ou le conduit à déployer des mécanismes cognitifs peu efficaces pour réaliser
une tâche, les performances des participants en jugement, raisonnement et prise de
décision sont moins bonnes.
Dans l’ensemble des domaines de la cognition et dans toute tâche cognitive, les effets
facilitateurs ou délétères des émotions sont modulés par un certain nombre de para-
mètres, comme les caractéristiques des émotions elles-mêmes (p. ex., leur valence, leur
intensité, le type d’émotion), des stimulus (p. ex., mémorisation de mots concrets vs
abstraits), de la situation et du contexte (p. ex., pression de vitesse vs précision), mais
également des caractéristiques de la tâche elle-même (p. ex., vérification d’une conclu-
sion à partir de prémisses vs déduction d’une conclusion en raisonnement déductif)
et des participants (p. ex., patients vs contrôle ; adultes jeunes vs âgés ; introvertis vs
extravertis).
En résumé, dans tous les domaines de la cognition, les émotions affectent les perfor-
mances cognitives. Les effets des émotions peuvent être positifs ou négatifs, selon que
les émotions accaparent une partie des ressources attentionnelles alors non dispo-
nibles pour la tâche à accomplir ou, au contraire, que les émotions conduisent le parti-
cipant à se focaliser sur les dimensions pertinentes de la tâche et facilitent la mise en
œuvre des mécanismes cruciaux pour réussir la tâche. Les effets des émotions sur la
cognition sont modulés par différents paramètres (caractéristiques de la tâche, des par-
ticipants, des stimulus et de la situation). Ils surviennent en modifiant soit la manière
avec laquelle sont exécutés les mécanismes mis en œuvre (qui sont soit mieux soit
252 ■ CHAPITRE 10 – Conclusions et perspectives
6
Durées courtes
5 Durées longues
Point de bissection (en ms)
0
Neutres Joyeuses Tristes
Figure 10.1
Émotion et estimations des durées (d’après Droit-Volet et al., 2010).
Point de bissection pour des musiques émotionnellement neutres, joyeuses et tristes dans
une condition où les durées de présentation étaient plus courtes (0,5-1,7 seconde) ou plus longues
(2,0-6,8 secondes). Les participants avaient tendance à sous-estimer les durées des musiques tristes
et joyeuses, et plus encore les musiques tristes lorsque les durées de présentation étaient courtes.
L’étude conduite par Droit-Volet, Bigand, Ramos et Bueno (2010) peut être décrite
pour illustrer comment le rôle des émotions sur l’estimation des durées a été étudié
en manipulant les caractéristiques des stimulus. Les auteurs ont fait entendre des
musiques (neutre, joyeuses, ou tristes) à leurs participants qui devaient en évaluer la
durée. Pour chaque musique, les participants devaient dire si sa durée de présentation
était plus proche d’une durée témoin courte ou longue. Les durées témoins courtes et
longues étaient de 0,5 et 1,7 seconde dans une condition, et de 2,0 et 6,8 secondes dans
une seconde condition. Au préalable, les participants étaient entraînés à distinguer les
durées témoins courtes et longues. Pour chaque condition, les musiques apparaissaient
pendant des durées qui variaient entre la durée témoin courte et longue. Par exemple,
pour les durées témoins courtes et longues de 0,5 et 1,7 seconde, les participants écou-
taient des musiques qui duraient 0,5, 0,7, 0,9, 1,1, 1,3, 1,5 et 1,7 seconde. À partir des
réponses des participants, les auteurs ont pu calculer le point de bissection. Le point
de bissection correspond à la probabilité de répondre « cette durée est proche de la
durée témoin longue » pour 50 % des items. Par exemple, pour le groupe testé avec des
durées témoins courtes et longues de 0,5 et 1,7 seconde, un point de bissection de 1,1
signifie qu’en moyenne les participants répondaient « proche de 1,7 seconde » sur 50 %
254 ■ CHAPITRE 10 – Conclusions et perspectives
des musiques présentées pendant 1,1 seconde. L’analyse des points de bissection fait
apparaître que ces points étaient plus élevés pour les musiques joyeuses et tristes que
pour les musiques neutres, indiquant que la durée des musiques émotionnelles était
sous-estimée (c.-à-d., elles paraissaient subjectivement plus longues qu’elles ne l’étaient
objectivement), et davantage pour les musiques de plus longues durées que pour les
musiques de plus courtes durées. Par ailleurs, la différence de sous-estimation entre
les musiques joyeuses et tristes était significative pour les durées les plus courtes,
mais pas pour les durées les plus longues. C’est-à-dire que les musiques tristes parais-
saient plus courtes que les musiques joyeuses aux durées plus courtes, mais aussi
longues aux durées plus longues.
Ces biais d’estimation temporelle ont également été observés lorsque les chercheurs
ont demandé aux participants d’évaluer la durée de présentation de stimulus émo-
tionnels non musicaux. Par exemple, Tipples (2008) a présenté aux participants des
visages exprimant la colère, la peur, la joie ou ayant une expression faciale neutre.
Les visages apparaissaient pendant 600, 800, 1000, 1 200 ou 1 400 millisecondes.
Dans une tâche de bissection temporelle, analogue à celle utilisée par Droit-Volet et al.
(2010), les participants devaient dire si le visage apparaissait pendant une courte ou
une longue durée. Au préalable, les participants étaient entraînés à repérer ce qui,
dans ce contexte, faisait référence à une courte et à une longue durée. Pendant cet
entraînement, ils voyaient sur un écran d’ordinateur apparaître un ovale rose pendant
une durée courte (400 ms) ou pendant une durée longue (1 400 ms) et devaient dire
si la durée de présentation de l’ovale était courte ou longue. Le nombre d’essais était
suffisant pour que chaque participant discrimine bien la durée courte et longue une
fois l’entraînement terminé. Les auteurs ont également évalué l’émotionalité négative
des participants (ou leur tendance à ressentir des émotions négatives) avec l’échelle
EAS (Buss & Plomin, 1984). Les données ont fait apparaître que les participants sures-
timaient la durée de présentation des visages exprimant la peur et la colère, et que
cette surestimation corrélait avec la tendance des participants à ressentir des émo-
tions négatives (corrélations entre surestimation des durées et émotionalité négative,
rs = .34 et .32, pour la peur et la colère, respectivement).
Droit-Volet et ses collaborateurs (2020) ont retrouvé ces phénomènes de distorsions
de la durée perçue en contexte émotionnel pour des durées plus longues et dans de
tâches d’estimation directe de la durée. Les participants entendaient des sons émotion-
nels (p. ex., cris de femmes battues) faiblement, moyennement ou hautement intenses,
pendant des durées allant de 2 à 6 secondes, de 20 à 60 secondes ou de 2 à 6 minutes.
Ils devaient estimer ces durées. Les participants du groupe 2-6 secondes savaient
que les sons allaient durer entre 2 et 6 secondes, ceux du groupe 20-60 secondes
étaient informés que les sons allaient durer entre 20 et 60 secondes, et ceux du
groupe 2-6 minutes que la durée des sons était entre 2 et 6 minutes. Les écarts entre
les durées estimées et les durées réelles (Figure 10.2) ont fait apparaître que les par-
ticipants avaient tendance à surestimer les durées (c.-à-d., à trouver les durées plus
longues qu’elles ne l’étaient en réalité) : les écarts entre les durées subjectives et les
durées objectives augmentaient avec l’augmentation de l’intensité émotionnelle, mais
cet allongement des durées subjectives sous émotion était plus important pour les
durées les plus faibles.
Effets des émotions dans certains domaines spécifiques ■ 255
0,8
2-6 s
Erreurs d’estimation
0,6 20-60 s
2-6 mn
0,4
0,2
– 0,2
Intensité faible Intensité moyenne Intensité élevée
Figure 10.2
Émotion et estimation subjective des durées (d’après Droit-Volet et al., 2020).
Écarts entre durées subjectives et objectives (un écart positif indique une surestimation).
Les participants estimaient la durée d’un son émotionnel plus long que sa durée objective,
et cette estimation augmentait avec l’intensité émotionnelle, surtout pour les durées les plus
courtes.
Par ailleurs, l’étude conduite par Fayolle et ses collaborateurs (2015) peut être
décrite pour illustrer comment le rôle des émotions sur l’estimation des durées a
été étudié en manipulant l’état émotionnel des participants. Fayolle et ses collègues
(2015) ont montré à leurs participants un stimulus neutre (des cercles bleus) sur un
écran d’ordinateur pendant une durée variable (de 0,2 à 8 secondes). Avec la même
méthodologie et la même tâche de bissection temporelle que Droit-Volet et ses colla-
borateurs. (2010), pour chaque cercle, les participants devaient dire si sa durée de
présentation était plus proche d’une durée témoin courte ou longue. Quatre groupes
de participants ont été testés, selon la durée témoin courte et longue. Les durées
témoins courtes et longues étaient de 0,2 et 0,8 seconde dans le premier groupe, de
0,4 et 1,6 seconde dans le second groupe, de 1,2 et 4,8 secondes dans le troisième
groupe et de 2,0 et 8,0 secondes dans le quatrième groupe. Pour chaque groupe, les
cercles apparaissaient pendant des durées qui variaient entre la durée témoin la
plus courte et la durée témoin la plus longue. De manière intéressante, Fayolle et ses
collaborateurs ont comparé les points de bissection dans une condition contrôle et
dans une condition émotion. Dans cette dernière, 200 millisecondes avant de voir
le cercle, les participants avaient un signal leur indiquant qu’ils allaient recevoir
un choc électrique (d’intensité tout à fait supportable pour le participant) dans un
doigt. Ce choc était envoyé entre 50 millisecondes après le début de la présenta-
tion du cercle et 50 millisecondes avant la fin de la présentation du cercle. Dans la
condition contrôle, les participants étaient informés qu’ils n’allaient pas recevoir de
choc électrique. Les auteurs ont vérifié, par l’activité électrodermale et l’évaluation
subjective des participants, que le niveau d’émotion négative était plus élevé sur
les essais avec choc électrique que sur les essais sans choc. L’analyse des points de
bissection (Figure 10.3) a fait apparaître que les durées paraissaient subjectivement
plus longues qu’elles ne l’étaient objectivement sur les essais avec chocs électriques
que sur les essais sans choc. En effet, les points de bissection étaient moins élevés
(ce qui indiquait des durées perçues plus longues) dans la condition avec chocs que
256 ■ CHAPITRE 10 – Conclusions et perspectives
dans la condition sans choc, et l’écart entre les deux conditions augmentait au fur et
à mesure que les durées objectives s’allongeaient. En d’autres termes, les émotions
négatives associées aux chocs électriques conduisaient les participants à ressentir les
durées de présentation des cercles sur l’écran plus longues qu’elles ne l’étaient objec-
tivement, et encore plus quand les durées objectives augmentaient. Intuitivement,
vivre un événement non émotionnel dans un état émotionnel négatif nous donne
l’impression que cet événement dure plus longtemps.
6
Sans choc
Avec chocs
5
Point de bissection
0
0,2-8,8 0,4-1,6 1,2-4,8 2,0-8,0
Figure 10.3
Émotions négatives et perception du temps (d’après Fayolle et al., 2015).
Points de bissection (en secondes) d’estimation temporelle montrant que les émotions provoquées
par les chocs électriques avaient tendance à allonger le temps perçu.
Notons que cette distorsion des durées est également présente et modulée par cer-
taines différences individuelles et dans certaines pathologies (voir Droit-Volet et al.,
2013, pour une revue).
Par exemple, Msetfi et ses collaborateurs (2012) ont testé des participants modé-
rément déprimés (évalués avec l’échelle de Beck de dépression) et pas déprimés.
Les participants voyaient deux figures géométriques (un cercle rouge et un carré
bleu) au milieu d’un écran d’ordinateur (et entendaient un son qui avait la même
durée que la durée de présentation des figures géométriques) ; cette durée pouvait
être très courte (moins de 300 millisecondes) ou plus longue (plus de 1 000 ms).
Les deux figures étaient présentées successivement avec des durées différentes.
La différence de durée pouvait varier très peu (p. ex., 25 ms) ou beaucoup (p. ex.,
300 ms). Pour chaque participant, était évaluée la différence entre deux durées
qu’il était capable de distinguer. Pour les durées très courtes (Figure 10.4), les deux
groupes de participants distinguaient aussi bien les durées. En revanche, comparés
aux participants non déprimés, les participants modérément déprimés avaient
besoin que les deux durées soient plus différentes pour être distinguées. Ces
résultats sur l’allongement des durées perçues chez les participants modérément
Effets des émotions dans certains domaines spécifiques ■ 257
déprimés convergent avec ceux de Gil et Droit-Volet (2009) qui ont testé des par-
ticipants ayant des niveaux faibles, moyens ou élevés de dépression. Les auteures
ont observé des corrélations significatives entre le niveau de dépression de leurs
participants (évalués avec l’échelle de Beck) et les points de bissection (r = .25) ou
la proportion d’items pour lesquels les participants indiquaient que la durée du
stimulus était longue (r = -.23).
200
Participants non déprimés
160 Participants légèrement déprimés
Seuil de discrimination
120
80
40
0
Durées courtes Durées longues
Figure 10.4
Dépression et perception du temps (d’après Msetfi et al., 2012).
Seuil de discrimination de courtes et longues durées chez des participants modérément déprimés et
non déprimés. Les participants modérément déprimés étaient capables de discriminer les durées très
courtes avec autant de finesse que les participants non déprimés, mais discriminaient moins bien
les durées les plus longues.
Outre le fait de déterminer si la perception du temps change sous émotion, ces tra-
vaux permettent de tester certaines hypothèses théoriques. En effet, les théories de
la perception du temps (e.g., Gibbon et al., 1984 ; Zakay & Block, 1996) postulent que
nous percevons le temps qui s’écoule à l’aide d’une horloge interne. Cette horloge
interne fonctionne à partir d’un pacemaker qui envoie des impulsions (ou unités de
temps) à un compteur (ou accumulateur). Ces théories postulent également que nous
aurons une estimation plus juste de la durée si notre attention se porte sur le temps qui
s’écoule, et moins juste si nous portons notre attention sur des informations autres que
les informations temporelles, ceci parce que cette attention détournée court-circuite
l’envoi d’impulsions dans l’accumulateur. C’est ce qui nous conduit à sous-estimer les
durées. Au contraire, si nous envoyons davantage d’impulsions à l’accumulateur en
focalisant notre attention sur le temps qui passe, nous surestimons les durées. C’est
vraisemblablement ce qui se passe sous émotion. En effet, sous émotion, la vitesse de
l’horloge interne, à la base de l’estimation des durées, s’accélère, nous donnant l’impres-
sion que le temps se dilate. Notons qu’à la perturbation de ces mécanismes spécifiques
du traitement temporel sous émotion, s’ajoute vraisemblablement la contribution de la
modification des mécanismes cognitifs généraux, comme l’attention ou la mémoire de
travail (les patients qui ont tendance à surestimer ou à sous-estimer les durées tempo-
relles ont également des troubles de la mémoire de travail).
258 ■ CHAPITRE 10 – Conclusions et perspectives
En conclusion, les études sur le rôle des émotions dans la perception du temps
illustrent comment les émotions affectent non seulement des fonctions cognitives
générales, comme l’attention ou la mémoire, mais également des domaines spécifiques,
comme le temps, le nombre, le langage, l’espace, la sensori-motricité. Dans chacun de
ces domaines cognitifs, les travaux à venir permettront de mieux caractériser les
conditions dans lesquelles les émotions affectent les performances des participants,
de déterminer, parmi les mécanismes cognitifs nécessaires pour réussir les épreuves
testant ces domaines, ceux qui sont affectés par et ceux qui sont insensibles aux émo-
tions, ainsi que les mécanismes responsables (généraux et spécifiques) par lesquels les
émotions affectent les performances des participants.
émotionnels (voir, pour des exemples de revues, Dolcos et al., 2020, sur les liens
émotions-attention ; Dolcos et al., 2017, sur les liens émotion/mémoire ; Phelps
et al., 2014, sur les liens émotions et prises de décision ; Doré & Ochsner, 2015, sur
la régulation émotionnelle ; Mather, 2016, pour les effets du vieillissement).
Pour illustrer comment les données de neuro-imagerie peuvent contribuer à mieux
connaître les mécanismes par lesquels les émotions affectent la cognition, il est
possible d’utiliser l’exemple de l’effet d’amplification mnésique qui a fait l’objet de
nombreuses études comportementales (voir chapitre 4) consistant en une meilleure
mémorisation de stimulus émotionnels comparés à des stimulus neutres. Les don-
nées de la neuro-imagerie ont cherché à déterminer les bases cérébrales de l’effet
d’amplification mnésique (Crowley et al., 2019 ; Dolcos et al., 2017). Ces données,
recueillies soit pendant l’encodage, soit pendant le rappel, ont mis en évidence la
mobilisation de deux réseaux cérébraux importants (voir Figure 10.5). Le premier
réseau comprend l’amygdale et une partie du lobe médio-temporal (hippocampe et
régions parahippocampiques). Ces régions cérébrales sont vraisemblablement acti-
vées par la mise en œuvre de mécanismes mnésiques Bottom-Up (ou ascendants)
directe pendant l’encodage, le maintien et le rappel. Le second réseau, comprenant
le cortex préfrontal et le lobe pariétal, serait activé par la mise en œuvre de méca-
nismes indirects Top-Down (ou descendants) de contrôle exécutif, d’attention, de la
mémoire de travail et de traitement sémantique. En d’autres termes, les données
de la neuro-imagerie vont dans le sens de l’hypothèse selon laquelle, la meilleure
mémorisation d’informations émotionnelle s’appuierait sur deux types de méca-
nismes, des mécanismes spécifiquement mnésiques et des mécanismes cognitifs
généraux (p. ex., contrôle exécutif). Par ailleurs, les données ont fait apparaître
Figure 10.5
Représentation schématique des deux réseaux cérébraux activés pendant la mémorisation
d’informations émotionnelles.
Le premier comprend le lobe médio-temporal (hippocampe et régions parahippocampiques)
et l’amygdale. Le second inclut les régions du cortex préfrontal (média, dorso-latéral,
et ventro-latéral) ainsi que le cortex pariétal (adapté de Dolcos et al., 2017, reproduit avec permission).
260 ■ CHAPITRE 10 – Conclusions et perspectives
la différence entre ces deux conditions n’était pas significative. L’intérêt de ce genre
de résultat est notamment qu’il montre que le traitement émotionnel non conscient
commence très précocement (dans les 200 ms après la présentation du stimulus) et
qu’il peut intervenir à un niveau subliminal tout comme à un niveau supraliminaire,
y compris dans une tâche qui ne requiert pas de traitement émotionnel (c.-à-d., les par-
ticipants pouvaient se dispenser de traiter les visages pour réussir la tâche de jugement
de longueur des lignes).
En résumé, les données de la neuro-imagerie sont très fructueuses pour comprendre les
effets des émotions sur la cognition. En déterminant les bases cérébrales de ces effets et
leurs décours temporels, ces données aident à déterminer les mécanismes responsables
de l’influence délétère ou bénéfique des émotions sur les performances cognitives.
Pour le psychologue, même s’il se concentre sur les données de performance, ces carac-
térisations cérébrales et comportementales des effets des émotions sur la cognition
permettent d’approfondir notre connaissance des mécanismes sous-jacents aux liens
émotion/cognition, à l’évolution de ces liens avec l’âge et à leurs modifications par la
psychopathologie.
Figure 10.6
Émotions et jugements (d’après Pegna et al., 2011).
Potentiels évoqués par des visages avec expression neutre ou de peur pendant une tâche
de jugement de longueur de lignes en présentations subliminale et supraliminaire (figure adaptée
avec autorisation).
inconnus. Une compréhension plus approfondie des mécanismes déjà mis en évidence
vise à spécifier leurs caractéristiques (p. ex., décours temporel de leur mise en œuvre,
implémentation cérébrale ; modulation par différents paramètres). La découverte de
mécanismes encore non mis à jour s’appuie sur la mise en évidence de nouveaux
phénomènes, difficiles à expliquer par les mécanismes déjà envisagés, mais aussi par
l’adoption d’une approche conceptuelle jugée la plus fructueuse, à un moment donné
de l’histoire de la recherche du phénomène étudié.
Une des perspectives intéressantes actuellement disponibles concerne la perspective
stratégique. Cette perspective comprend deux aspects, un aspect conceptuel et un
aspect méthodologique (voir Lemaire, 2016, pour une présentation approfondie).
Selon l’aspect conceptuel, sous émotion, les participants mobiliseraient un répertoire
stratégique (c.-à-d., nombre et type de stratégies) différent, utiliseraient les stratégies
disponibles dans des proportions différentes (p. ex., ils utiliseraient une stratégie
davantage sur un type de problèmes et une autre stratégie davantage sur un autre
type de problèmes), exécuteraient les stratégies soit plus, soit moins efficacement, et/
ou sélectionneraient les stratégies sur chaque problème d’une autre manière (p. ex., en
utilisant moins souvent la meilleure stratégie sur chaque item, en s’appuyant sur diffé-
rentes caractéristiques des items pour choisir, parmi plusieurs stratégies, une stratégie
sur chaque item). Selon l’aspect méthodologique, pour évaluer le rôle des stratégies
dans l’effet des émotions sur la cognition, il conviendrait de documenter ces différentes
dimensions (c.-à-d., le répertoire, la distribution, l’exécution et la sélection) stratégiques
en mettant au point des méthodes pertinentes pour déterminer quelles stratégies les
participants utilisent.
Il existe deux grandes catégories de méthodes pour déterminer quelles stratégies les
participants utilisent quand ils accomplissent une tâche, des méthodes directes et des
méthodes indirectes. Les méthodes directes consistent à observer directement (p. ex.,
par enregistrements vidéo, par observation comportementale directe, par recueil
des protocoles verbaux) les stratégies telles que le participant les utilise sur chaque
problème. Ceci est aisé pour certains domaines. Par exemple, en arithmétique, quand
un participant compte sur ses doigts pour trouver la réponse à un problème comme
4 + 3 (en faisant 4 + 1+1 + 1), le comptage sur les doigts et la verbalisation constituent
des preuves comportementales directes que le participant utilise une stratégie de
comptage, commençant par initialiser un compteur mental interne avec le plus grand
des deux opérandes puis en incrémentant ce compteur par pas de 1 le nombre de fois
indiqué par le second opérande. Ceci est moins aisé pour d’autres domaines ou d’autres
tâches (car aucun indicateur comportemental externe n’est disponible). C’est alors qu’il
faut recourir à des méthodes indirectes pour déterminer les stratégies utilisées. Selon
ces méthodes indirectes, les stratégies peuvent être inférées à partir des variations de
performances (ou d’autres indicateurs comme les mouvements oculaires, les activa-
tions cérébrales, etc.) en fonction des caractéristiques des items et/ou de la situation.
Par exemple, en arithmétique, quand un participant doit dire si une équation de type
3 × 4 = 13 est vraie ou fausse, la différence de performance entre une équation comme
3 × 4 = 13 et 3 × 4 = 17 suggère que le participant a utilisé deux stratégies différentes,
une pour juger 3 × 4 = 13 et l’autre pour juger 3 × 4 = 17. Des preuves empiriques
convergentes, à l’appui d’une interprétation de la différence de performance en termes
À la recherche des mécanismes responsables des liens émotion/cognition ■ 263
à sélectionner plus fréquemment la meilleure stratégie (l’effet n’était pas présent chez
les jeunes), tandis que la condition échec amenait les jeunes et les âgés à sélectionner
moins souvent la meilleure stratégie. En d’autres termes, les conditions de réussite
et d’échec préalable changeaient la manière dont les participants réalisaient la tâche
cible d’estimation calculatoire. Ce type de données suggère que les émotions (ici indi-
rectement déclenchées par des réussites et échecs) changent les mécanismes mentaux
déployés par les participants pour accomplir une tâche cognitive.
90
80
70
60
Jeunes Âgés
Figure 10.7
Émotion et sélection stratégique (d’après Lemaire, 2021 ; Lemaire et al., 2019).
Taux de sélection de la meilleure stratégie sur chaque problème dans une tâche d’estimation
calculatoire, selon que les participants jeunes et âgés avaient réussi ou échoué à une tâche préalable.
Les données montrent que, comparée à la condition contrôle, la condition réussite conduisait les
participants âgés à sélectionner plus fréquemment la meilleure stratégie (l’effet n’était pas présent
chez les jeunes), tandis que la condition échec amenait les jeunes et les âgés à sélectionner moins
souvent la meilleure stratégie.
1. Quels sont les deux grands objectifs des recherches sur les liens émotion/
cognition dans l’ensemble des domaines cognitifs où ces liens sont testés ?
2. Citez cinq grandes conclusions qu’il est possible de tirer des travaux empi-
riques concernant le rôle des émotions dans la cognition humaine.
3. Que peut-on conclure des études sur le rôle des émotions dans la perception
du temps ? Illustrez ces conclusions par des résultats empiriques.
4. Les données de la neuroimagerie peuvent-elles contribuer à répondre à de
grandes questions sur les liens émotion/cognition (p. ex., existe-t-il des effets
inconscients des émotions sur la cognition) ? Étayez votre propos à l’aide de
travaux et résultats empiriques.
5. Proposez, pour chaque fonction cognitive, un protocole permettant de tester
le rôle des variations stratégiques dans les liens émotion/cognition.
Exercez-vous en ligne
Vrai ou faux
www.lienmini.fr/7527-VF10
Flash-cards
www.lienmini.fr/7527-FC10
Glossaire
décision doit être prise entre deux options pré- dans l’équilibre des gains et des pertes. Ainsi, cer-
sentées en version perte (p. ex., pari 1 : 80 % de tains tas sont moins avantageux que d’autres, car
risques de perdre 0,75 dollar ; pari 2 : 20 % de les cartes ont des pertes plus importantes tandis
risques de perdre 3 dollars.), mais moins fréquem- que les tas plus avantages comprennent des cartes
ment lorsqu’une décision doit être prise entre deux avec des gains plus élevés.
options présentées en version gains (p. ex., pari
1 : 80 % de chances de gagner 0,75 dollar ; pari 2 : Lag
20 % de chances de gagner 3 dollars). Le lag est le nombre d’items distracteurs qui
séparent deux items cibles dans une suite d’items
Effet de Trade-Off présentés très brièvement (voir « Présentation
Parfois aussi appelé effet tunnel, cet effet carac- Visuelle Sérielle Rapide »). Un lag de 1 signifie
térise le fait que la mémoire est sélective. Sous qu’un item sépare les deux items cibles, un lag de 2
émotion, et encore plus si l’émotion est de forte signifie que 2 items séparent les deux items cibles,
intensité, nous avons tendance à ne retenir que cer- etc.
tains éléments d’une scène, en particulier les élé-
ments déclencheurs de l’émotion (p. ex., une arme
N-Back
pointée vers nous lors d’une attaque sera mieux Tâche permettant d’évaluer les capacités et méca-
mémorisée que le visage de celui qui menace). Les nismes de la mémoire de travail dans laquelle le
informations non émotionnelles de la scène sont participant voit défiler une suite d’items et doit
alors moins bien (ou pas) retenues. indiquer, pour chaque item, s’il est le même que
l’item présenté N items avant (N pouvant varier
Effet tunnel de 1 à 4 ou 5, voire plus). Par exemple, une suite
Voir « Effet de Trade-Off ». de lettres est présentée au participant qui doit
dire, pour chaque lettre, si cette lettre est la même
Filtrage attentionnel que celle présentée 2 lettres avant (pour une tâche
dite 2-Back), 3 lettres avant (pour une tâche dite
Désigne l’attention sélective dont les mécanismes
3-Back).
permettent de filtrer (ou sélectionner) les infor-
mations pertinentes pour une tâche et inhiber les Probe Do Task
informations non pertinentes ou interférentes. Le
Tâche utilisée pour tester les mécanismes atten-
filtrage attentionnel est étudié notamment avec dif-
tionnels consistant à présenter une cible (p. ex., un
férentes tâches de conflit (Stroop, Simon, Flanker).
point) sur un écran et à demander aux participants
d’indiquer le plus rapidement possible de quel côté
Intelligence émotionnelle
(droit ou gauche) la cible apparaît. Cette cible peut
L’intelligence émotionnelle désigne l’ensemble des être précédée par une image émotionnelle dans
habiletés permettant une évaluation et une expres- l’étude du rôle des émotions sur l’attention.
sion exacte et précise des émotions, les siennes ou
celles des autres, la capacité à réguler les émotions Présentation Visuelle Sérielle Rapide
et à utiliser les sentiments et émotions pour moti- (RSVP)
ver, planifier et réaliser sa propre vie. Technique qui consiste à présenter brièvement
une suite d’items dont deux items constituent les
Iowa Gambling Task (tâche du jeu
items cibles et les autres les items distracteurs.
de l’Iowa) Les participants doivent réaliser une tâche cogni-
Tâche utilisée pour simuler la prise de décision tive sur les items cibles (p. ex., dire si ce sont les
dans la vie réelle. Dans cette tâche, les partici- mêmes items ou deux instances d’une même caté-
pants voient quatre tas de cartes (réels ou sur gorie). Est manipulé le nombre d’items distracteurs
écran d’ordinateur). Chaque tas contient des cartes (appelé « lag ») entre les deux items cibles afin de
associées à des gains et pertes d’argent. Le but est déterminer si l’influence du premier item cible sur
de gagner le plus d’argent possible, en tirant des le traitement du second est modulé par le nombre
cartes de chacun des tas. Les quatre tas diffèrent d’items distracteurs.
Glossaire ■ 269
Processus Bottom-Up (ou processus quand @ est présenté et sur une autre touche
ascendant) quand # apparaît. Toutefois, si juste après l’appari-
tion du symbole, ils entendent un signal sonore, ils
Se dit d’un traitement de l’information qui mobilise
ne doivent pas répondre.
au départ des mécanismes cognitifs de traitement
sensoriel, puis des mécanismes de plus en plus inté-
Tâche des ballons (BART)
grés (mémoire, puis inférences).
La tâche des ballons (BART, Balloon Analogue Risk
Processus Top-Down (ou processus Task) est une tâche qui évalue notre propension à
descendant) prendre des risques (ou notre aversion au risque).
Dans cette tâche, les participants peuvent gagner
Se dit d’un traitement de l’information qui mobilise
de l’argent en gonflant des ballons présentés sur un
au départ des mécanismes cognitifs de traitement
écran. Les participants gagnent un nombre variable
de haut niveau (inférences, activation d’un but
de points (ou quantité d’argent) pour chaque ballon
cognitif), puis des mécanismes de plus bas niveau
gonflé qui n’explose pas et en perd pour chaque
(comme l’encodage ou le traitement sensoriel des
ballon qui explose. Le but est de gagner le plus
informations dans l’environnement).
d’argent, en gonflant le maximum de ballons sans
les faire exploser.
Régulation émotionnelle
La régulation émotionnelle fait référence aux Tâche de Flanker
efforts que nous déployons pour changer nos émo-
Une des tâches dites de conflit permettant d’éva-
tions ou celles des autres (leur occurrence, leur
luer notamment l’efficacité des mécanismes d’inhi-
nature, leur intensité, leur évolution, leur expres- bition. Dans cette tâche, les participants voient
sion), en mobilisant un certain nombre de proces- cinq flèches. Celle du milieu est orientée soit dans
sus (ou stratégies). la même direction que les quatre autres (p. ex.
<<<<< ou >>>>>) pour les essais congruents,
Running Span
soit dans une direction opposée (p. ex. >><>>
Tâche utilisée pour évaluer la mémoire de travail ou <<><<) pour les essais non congruents. Les
qui mobilise de l’attention divisée dans laquelle participants doivent indiquer le côté (droit ou
les participants entendent des séries d’items, de gauche) vers lequel pointe la flèche du milieu. Ils
longueurs variables (p. ex., entre 12 à 20 chiffres). sont plus lents sur les essais non-congruents que
Avant chaque série, les participants ne connaissent sur les essais congruents. Ceci s’explique par le fait
pas la longueur de la série. À la fin de chaque série, que les essais non congruents requièrent la mise
ils doivent rappeler, par exemple, les cinq ou six en œuvre d’un processus supplémentaire d’inhibi-
derniers items de la série (p. ex., ils doivent rappe- tion permettant au participant de ne pas répondre
ler les cinq ou six derniers chiffres d’une série de du côté où les flèches périphériques pointent afin
20 chiffres). d’indiquer l’orientation de la flèche centrale.
tâches de conflit (Tâches de Stroop, de Flanker), être vraie ou fausse : « Si une carte comporte une
les participants sont plus lents sur les essais non voyelle sur une face, alors elle a un nombre pair
congruents que sur les essais congruents. Ceci sur l’autre ». Enfin, l’expérimentateur demande
s’explique par le fait que les essais non-congruents au participant d’indiquer quelle(s) carte(s) il doit
requièrent la mise en œuvre d’un processus supplé- nécessairement retourner pour savoir si la règle
mentaire d’inhibition permettant au participant de est vraie ou fausse. Plusieurs variantes de cette
ne pas répondre du côté où apparait la figure, mais tâche ont été mises au point, y compris pour tester
du côté correspondant à l’identité de la figure. le rôle des émotions dans le raisonnement déductif.
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Liste des tableaux
Figure 3.8 : Vieillissement et modulations séquentielles des effets de congruence affective et non
émotionnelle................................................................................................................................................... 60
Figure 3.9 : Biais attentionnels dans le traitement des visages exprimant des émotions positives
ou négatives chez des jeunes et des âgés ........................................................................................... 62
Figure 3.10 : Temps de réponse à une tâche de détection chez les jeunes et personnes âgées selon
l’expression émotionnelle du visage cible ......................................................................................... 62
Figure 3.11 : Biais attentionnels chez les jeunes et les personnes âgées lors de la fixation
de paires de visages .................................................................................................................................... 64
Figure 3.12 : Exemples de modulations des biais attentionnels de positivité .............................................. 66
Figure 3.13 : Biais attentionnels chez les jeunes et les personnes âgées lors de la fixation de paires
de visages en fonction de l’état émotionnel des participants ................................................... 67
Figure 3.14 : Proportions de fixations oculaires sur les images positives et négatives en condition
d’attention divisée ou non chez les jeunes et les personnes âgées ......................................... 69
Figure 3.15 : Troubles anxieux et attention sélective ............................................................................................ 70
Figure 3.16 : Phobie sociale, troubles anxieux et attention sélective .............................................................. 71
Figure 3.17 : Dépression et biais attentionnels.......................................................................................................... 72
Figure 3.18 : Phobie et clignement attentionnel ........................................................................................................ 73
Figure 4.1 : Effets d’amplification mnésique sur des mots isolés.................................................................... 80
Figure 4.2 : Émotion, charge en mémoire de travail et mémoire..................................................................... 81
Figure 4.3 : Effets d’amplification mnésique sur des récits et diapositives................................................ 82
Figure 4.4 : Effets d’amplification mnésique sur des films ................................................................................ 83
Figure 4.5 : Effets d’amplification mnésique sur des informations contextuelles................................... 84
Figure 4.6 : Effets d’amplification mnésique en reconnaissance immédiate et différée........................ 85
Figure 4.7 : Effets délétères du stress sur le rappel .............................................................................................. 88
Figure 4.8 : Effets délétères du stress en reconnaissance .................................................................................. 89
Figure 4.9 : Émotion et faux souvenirs ...................................................................................................................... 90
Figure 4.10 : Effets de congruence affective............................................................................................................... 93
Figure 4.11 : Effets de congruence sur le jugement mnésique ............................................................................ 95
Figure 4.12 : Effets de dépendance aux contextes ................................................................................................... 97
Figure 4.13 : Effet tunnel..................................................................................................................................................... 100
Figure 5.1 : Personnalité et biais mnésiques ............................................................................................................ 109
Figure 5.2 : Sexe, émotion et mémoire ........................................................................................................................ 110
Figure 5.3 : Effets tunnel et différences individuelles ......................................................................................... 112
Figure 5.4 : Vieillissement et effet de la saillance émotionnelle ...................................................................... 114
Figure 5.5 : Effets de saillance émotionnelle en rappel différé ........................................................................ 115
Figure 5.6 : Biais mnésiques et émotions ................................................................................................................... 117
Figure 5.7 : Évolution avec l’âge des biais mnésiques selon la nature des items ..................................... 118
Figure 5.8 : Biais de positivité et intensité émotionnelle .................................................................................... 119
Figure 5.9 : Vieillissement et absence de biais mnésiques de positivité ...................................................... 119
Figure 5.10 : Biais de positivité et conditions d’encodage..................................................................................... 120
Figure 5.11 : Émotions et rappels des informations détaillées ........................................................................... 122
Liste des figures ■ 323
Conclusions ......................................................................................... 45
Testez vos connaissances .................................................................. 47