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La

schizophrénie
TD Méthodologie : TU
Université d’Angers Lermite Pascal
Année 2003/2004 Groupe 8

La schizophrénie

Résumé
Etant donné la complexité d’une pathologie telle que la schizophrénie, il serait présomptueux
d’affirmer en dégager l’essence en une cinquantaine de pages. Ainsi le présent document n’a
rien d’exhaustif et ne propose que d’aborder le problème sous différents aspects afin
d’acquérir une vue d’ensemble de la maladie. On peut ainsi définir la schizophrénie comme
un trouble mental du à de multiples facteurs, parmi lesquels on développera notamment :

1. Au point de vue neurologique : Une lésion cérébrale au niveau d’une boucle cortico-
striatale (Frith, 1992), une anomalie du système dopaminergique

2. Au point de vue cognitif : Un dysfonctionnement du monitoring du sujet du à une

incapacité à se « projeter » dans son propre esprit et dans celui d’autrui, processus
désigné par Frith (1992) sous le nom de méta-représentation

3. Au point de vue clinique : Une non-reconnaissance de l’individualité pendant


l’enfance du sujet, un déni du travail de deuil, entraînant celui-ci dans l’antœdipe par
le fantasme-antifantasme d’auto-engendrement (Racamier, 1980)

Mots clés : Spaltung – dopamine - monitoring – investissement – antœdipe

Spaltung : Scission en allemand, ce terme est employé pour la première fois par
Bleuler dans Dementia Praecox Gruppe der Schizophrenien (1911, cité par
Gortais, 2002) pour désigner le mécanisme dissociatif typique de la
schizophrénie, c’est à dire l’opération de scission opérée au sein même du
psychisme aboutissant à la dissociation, l’isolement des fonctions
psychiques.
2
Dopamine : Neurotransmetteur sécrété par les neurones de l’aire tegmentale ventrale
situé dans le mésencéphale et capturé par des neurones du noyau
accumbens logé dans le striatum ventral du cerveau limbique, ces mêmes
neurones dopaminergiques étant reliés au cortex frontal, le siège des
fonctions supérieures du cerveau. La dopamine joue un rôle dans la
fonction du plaisir, le contrôle et la coordination des mouvements. La
défaillance du système dopaminergique engendre des pathologies du
mouvement du type maladie de Parkinson.

Monitoring : Terme employé à plusieurs reprises par Frith (1992) pour désigner, dans un
premier temps, le système mental permettant le contrôle de l’action, puis
celui permettant de distinguer la source des intentions d’action, et enfin le
système permettant la prise de conscience d’autrui. Le terme
« monitoring » regroupe ces trois aspects tout autant qu’il les traite un par
un.

Investissement : Les notions d’investissement narcissique et objectal renvoient à la manière


dont la libido d’un individu se déplace. Dans un cas, la libido est portée sur
le moi de l’individu (investissement narcissique), dans l’autre, la libido est
portée sur un objet extérieur à soi (investissement objectal). Dans le cas de
la schizophrénie, deux points de vue s’opposent au sujet de
l’investissement libidinal dans l’origine du trouble : Celui considérant que
la schizophrénie provient du désinvestissement de l’objet par un repli de
toute la libido dans le moi (Freud (1914, cité par Azoulay, 2002)), et celui
prônant au contraire que la schizophrénie émerge à cause d’une diminution
d’investissement narcissique, d’une perte des frontières du moi (Federn
(1952, cité par Azoulay, 2002)).

Antœdipe : Notion créée par Racamier (1980) pour désigner l’excursion du


schizophrène hors du tissu œdipien. L’antœdipe est à la fois anté-œdipe,

3
car lorsqu’il intervient, il remonte en deçà de la situation œdipienne, par le
fantasme d’auto-engendrement, et anti-œdipe car il s’oppose à toutes les
angoisses liées à l’œdipe, notamment en réalisant l’inceste.

Sommaire

Introduction 6

I)Historique de la schizophrénie 7

1)Du concept de démence précoce… 7

2)…au concept de schizophrénie 8

II)Qu’est-ce qu’est que la schizophrénie ? 10

1)Les symptômes de la schizophrénie 10

a)Définition de la schizophrénie du DSM-IV 10

b)Les symptômes positifs et négatifs 11

1. Les symptômes positifs 11

2. Les symptômes négatifs 12

c)Le discours schizophrène 13

2)Le diagnostique différentiel 15

a)Les troubles psychologiques consécutifs à des lésions cérébrales 15

1. Tableau comparatif 15

2. Le signe de la main étrangère 16

3. Le syndromes de Capgras 17

4. Les anomalies du langage chez les jargonaphasiques 17

b)Les troubles psychotiques caractéristiques de l’adolescence 17


4
c)La psychose paranoïaque 19

III)Les différentes approches de la schizophrénie 20

1)L’approche neurologique 20

a)La théorie dopaminergique 20

b)Les anomalies structurales dans la schizophrénie 21

1. Une lésion au niveau d’une boucle cortico-striatale 21

2. Un élargissement des cavités ventriculaires 22

2)L’approche cognitive 23

a)Les symptômes positifs : Hallucinations et délires 24

1. Les hallucinations 24

2. Le délire 25

b)Les symptômes négatifs : Persévérations et retrait social 26

1. Stéréotypies et persévérations 26

2. Emoussement des affects et retrait social 27

3)L’approche clinique 30

a)Les troubles de la relation à la réalité 30

1. La perte de contact avec la réalité 30

2. Les origines 33

b)Hallucinations et délires comme tentatives de guérison 40

Conclusion 44

Annexes 45

Bibliographie 48

5
Introduction
La schizophrénie est une maladie mentale appartenant aux psychoses. Les causes exactes de
la maladie demeurent encore inconnus.

L’âge commun d’entrée dans la maladie est de :

~25 ans chez l’homme

~30 ans chez la femme

Plus rarement, certains le deviennent dès 8 ans.

On peut rentrer dans la maladie de manière :

 Progressives : Avec la manifestation de troubles n’entraînant


pas l’inquiétude immédiate des proches, du type préoccupations
hypochondriaques, un fléchissement du rendement scolaire ou
professionnel, des comportements bizarres, le renoncement à
des activités très investies…

 Brutales : Avec des accès psychotiques aigus (ou bouffée


délirantes) traduit par un sentiment de dépersonnalisation
profond, des hallucinations riches et nombreuses, et une
altération brutale du caractère et du comportement.

Dans tous les cas, on constate chez le sujet un mouvement de retrait d’investissement de
l’environnement aussi bien externe (monde des objets) qu’interne (soi-même).

6
I)Historique de la schizophrénie
1)Du concept de démence précoce…

Durant tout le Moyen-Age, la folie était conçue comme unitaire et renvoyait à une
conception religieuse du trouble mental. Le fou était considéré comme un possédé, un être
dénué d’âme, un simple animal. Ainsi la plupart finissait sur le bûcher sans aucune autre
forme de procès.

Il faut attendre Philippe Pinel, en 1800, et son « Traité médicophilosophique de


l’aliénation mentale » (cité par Gortais, 2002) pour s’éloigner de cette conception
mystique de la folie. En effet, dans ce traité, Pinel tente de situer l’aliénation dans le
champ de l’investigation et du soin de la médecine, ce qui constitue un projet
considérable, puisque la folie devient une maladie de l’âme à laquelle on peut apporter des
soins. Le fou n’est plus un possédé, c’est un malade.

Le concept de « démence précoce » désignant un diagnostic proche de celui de la


schizophrénie apparaît pour la première fois en 1860 dans « Traité des maladies
mentales » de Morel. Mais c’est Kraepelin (1856-1926) qui donne à ce concept sa
véritable importance.

Ainsi, en 1899, dans la première édition de son traité de psychiatrie, Kraepelin considère
la démence précoce comme l’un des treize groupes de maladies mentales de sa
nosographie (cité par Gortais, 2002). Il la désigne comme une psychose, et la différencie
des psychoses organiques et celles dites d’involution. La démarche de Kraepelin est
fondamentale car, à la suite de Morel, il se démarque radicalement des anciennes
conceptions unitaires de la folie.

En 1904 (cité par Gortais, 2002), dans la septième version du traité, Kraepelin va plus
loin et recouvre sous le concept de « démence précoce » : les psychoses paranoïdes (avec

7
un trouble profond de la personnalité et des délires permanents), la catatonie et
l’hébéphrénie1.

Pour Kraepelin (cité par Gortais, 2002), ces conceptions ont en commun un trouble
déficitaire de la vie affective et une tendance évolutive vers un état de démence plus
grave. Il désigne cette aggravation tendancielle par les termes de « Psychische
Schwäche », c’est à dire un affaiblissement psychique.

De plus, Kraepelin définit le concept de démence précoce comme un syndrome ayant


certaines caractéristiques constantes :

 Une indifférence affective

 Une incapacité d’initiative

 Une désorganisation de la pensée

On retrouve là les grands axes symptomatiques de la schizophrénie telle qu’on la


conçoit aujourd’hui, et le point de vue inauguré par Kraepelin est sans aucun doute
fondamentale dans l’évolution de l’approche de la maladie mentale.

Cependant, pour Kraepelin (cité par Gortais, 2002), l’évolution chronique de la démence
précoce ne fait aucun doute et l’aggravation des symptômes est inéluctable. Cette
conception fataliste ne sera pas de l’avis de Bleuler qui différenciera la démence précoce
du concept de schizophrénie.

2)…au concept de schizophrénie

En effet, c’est le suisse Eugen Bleuler (1857-1939) qui définit pour la première fois le
concept de schizophrénie dans « Dementia Praecox oder Gruppe der Schizophrenien »
publié en 1911 (cité par Gortais, 2002). Il la démarque de la démence précoce et souligne
le caractère dynamique et positif du processus, comme le rappelle Ey dans son « Traité de
psychiatrie » (1960, cité par Gortais, 2002). Avec Bleuler, on s’éloigne du point de vue de
Kraepelin selon lequel la chronicité de la maladie est inéluctable. Pour lui, la
schizophrénie n’est pas référé à un affaiblissement psychique. Il a une approche plus
dynamique de Kraepelin et ne se contente pas de décrire les symptômes. Il va considérer
chaque cas comme particulier et mettre l’accent sur les mécanismes psychopathologiques

1
. Dans les formes « classiques » de la schizophrénie, l’hébéphrénie désigne la forme la plus destructrice qui soit
pour le psychisme du patient. Elle se caractérise par un début insidieux, la pauvreté ou l’absence de délire, mais
aussi par une dissociation importante dans les secteurs de la pensée, du langage, de l’affectivité qui donne une
impression de désintégration psychique irrémédiable. 8
en jeu dans la schizophrénie, notamment en s’appuyant sur les travaux de Freud. Dans ce
sens, il considère que la schizophrénie est un processus dynamique qui fait qu’ à partir des
troubles primaires de la maladie (troubles d’association d’idée, illogisme), la personnalité
va se réorganiser en produisant des troubles secondaires (le délire, l’hallucination).

Ainsi, Bleuler définit la schizophrénie comme une scission (« schizein » : fendre,


scinder) de l’esprit (« phren » : âme, esprit). Il exprime cette scission des diverses
fonctions psychiques par le terme de « Spaltung ». Le mécanisme dissociatif de Spaltung
aboutit donc à l’isolement des fonctions psychiques. Pour lui, la plus belle preuve de cette
scission de la personnalité est la place que prend les idées délirantes du sujet par rapport
au reste de son esprit (cité par Gortais, 2002).

Avec le concept de schizophrénie, Bleuler introduit deux autres concepts fondamentaux,


ceux d’ambivalence et d’autisme qu’il considère comme des troubles secondaires, c’est à
dire comme des moyens de lutter contre l’expérience de la folie.

Ainsi, l’ambivalence est définit comme la tendance d’un sujet schizophrène à avoir des
sentiments et des attitudes contradictoires et contemporaines vis à vis d’un même objet.
Nous verrons plus loin que du point de vue clinique la notion d’ambivalence est
fondamentale.

Bleuler définit également le concept d’autisme qu’il voit comme l’incapacité chez le
sujet schizophrène à communiquer avec autrui, comme un désintérêt pour le réel, un
retrait dans un monde intérieur. Pour lui, cet autisme « est une conséquence directe de la
dislocation schizophrénique » (cité par Gortais, 2002).

Toutefois, avec Bleuler, on considère pour la première fois que la schizophrénie


n’évolue pas de manière inéluctable vers la chronicité et, avec le concept de Spaltung, le
psychiatre suisse propose une première explication pour ce processus dont le nom et le
principe sont reste de rigueur : la schizophrénie.

9
II)Qu’est-ce que la schizophrénie ?
Un patient ne peut-être reconnu schizophrène que dans la mesure où la cause organique de
sa maladie demeure inconnue.

1)Les symptômes de la schizophrénie

a)Définition de la schizophrénie du DSM-IV

Le DSM a été établi par l’American Psychiatric Association (APA) et est l’outil de
classification américaine des troubles mentaux. Ce Manuel diagnostique et Statistique
des troubles Mentaux a l’avantage d’être complet mais son aspect non-théorique
classifiant les individus selon des comportements et des symptômes a été critiqué vis à
vis du fait qu’il se désintéresse au fond de la cause des maladies mentales et donc des
malades aux mêmes.

Cependant, le DSM nous donne là un bon moyen de définir la schizophrénie de


manière objective. Nous verrons par la suite, lorsque nous aborderons l’approche
clinique de la schizophrénie en II)3), que la psychologie clinique a développé une
approche plus subjective, plus proche de l’individu.

D’après le DSM-IV (cité par Frith, 1992), un patient peut être considéré comme
schizophrène lorsqu’on observe chez lui les critères suivants :

1. Au moins un des symptômes classiques de la schizophrénie ;

2. Une détérioration dans le domaine du travail, des relations sociales ou des soins

personnels ;

3. La présence depuis au moins six mois d’une « phase active » ;

4. L’exclusion d’un trouble schizo-affectif et d’un trouble de l’humeur ;

10
5. L’exclusion d’une affection médicale générale ou due à une substance ;

6. Préciser si besoin la relation avec un trouble autistique ou un autre trouble évoluant

du développement dans l’enfance ;

Les symptômes classiques de la schizophrénie doivent comporter :

1)Deux des manifestations suivantes :

a)idées délirantes

b)hallucinations au premier plan

c)Incohérence

d)comportement catatonique

e)affects abrasés ou grossièrement inappropriés

ou 2) idées délirantes bizarres (ex :divulgation de la pensée, voir Les troubles positifs)

ou 3) hallucinations au premier plan avec présence d’une voix, sans relation apparente
avec trouble de l’humeur

Parmi les symptômes liés à la schizophrénie, on peut également différencier les


symptômes positifs, dont la présence même est anormale, et les symptômes négatifs qui
trahissent l’absence de comportements normalement présents chez les sujets sains.

b)Les symptômes positifs et négatifs

1. Les symptômes positifs

Ce sont des symptômes dont la présence même est anormale car ils sont absents
chez un sujet sain. Parmi les principaux (Frith, 1992) :

Intrusions de pensées : Les patients ont l’impression que les pensées qui
leur viennent à l’esprit proviennent d’une source
externe.

Divulgation de la pensée : Les patients ont l’impression que leurs pensées


s’échappent de leur esprit et pénètrent dans celui
d’autrui.

Echo de la pensée, pensées,

11
énoncées à voix haute : Les patients entendent leurs pensées énoncées à
voix haute, quelque fois juste après les avoir eues
présentes à l’esprit.

Vol de la pensée : Les patients ont l’impression que leurs pensées


leur sont ôtées de la tête.

Hallucinations auditives

en 3ème personne : Les patients entendent des voix des voix parlant
d’eux à la troisième personne et parfois
commentant leur comportement.

Hallucinations auditives

en 2ème personne : Les patients entendent des voix s’adressant à eux.

Délire d’influence : Les patients ont l’impression d’agir sous


l’influence d’une force extérieure.

Délire de référence : Les patients pensent que les actes et gestes


d’autrui se rapportent à eux.

Idées délirantes et

persécution : Les patients pensent qu’on tente de leur faire du


mal.

2. Les symptômes négatifs

Ce sont les symptômes qui trahissent l’absence de comportements normalement


présents chez les sujets sains. Toujours d’après Frith (1992):

L’émoussement des affects(indifférence affective)

Expression figée du visage

Réduction des mouvements spontanés

Réduction de la gestualité expressive

Réduction des inflexions vocales

L’appauvrissement du discours(voir I)1)c) Le discours schizophrène)

Pauvreté du contenu du discours


12
Latence de réponse accrue

L’aboulie, l’apathie (perte de la volonté)

Incurie, négligence

Manque de persévérance au travail

Manque d’énergie

L’anhédonie, l’associabilité

Perte des intérêts pour les loisirs

Perte des intérêts érotiques

Inaptitude à éprouver de l’intimité

Inaptitude à établir des liens amicaux

De plus, d’après Frith (1992), il semblerait qu’il existe deux sources de production
de l’action en rapport avec ces symptômes :

 réponse directe à des stimuli environnementaux

 action spontanée ou auto-initiée

Les symptômes négatifs et plus généralement les symptômes schizophréniques


seraient fortement liés à une perturbation spécifique des actions auto-initiées(voir
II)2)L’approche cognitive).

Il est possible de trouver chez un patient soit des symptômes positifs, négatifs, soit les
deux, même si la maladie a tendance à avancer des symptômes positifs vers les plus
négatifs (apathie, catatonie).

On a vu que les deux types de symptômes sont plus ou moins liés à des troubles du
discours (incohérence, appauvrissement du discours) et il semble donc indispensable de
traiter le discours schizophrène en particulier car il relève du trouble du langage et de la
communication fréquemment observé dans la schizophrénie.

c)Le discours schizophrène

On distingue plusieurs types de troubles du langage observés chez le schizophrène, cités


par Frith (1992) :

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Pauvreté du discours (25%) Réponses monosyllabiques

Pauvreté du contenu

du discours (40%) Réponses de longueur adéquates mais peu

informatives

Tangentialité (36%) Réponses indirectes ou inappropriées

Déraillement (56%) Manque de lien approprié entre les


phrases ou les idées

Incohérence (16%) Inintelligibilité, absence de connexion

appropriée entre les mots (voir exemple 1

en annexe)

Illogisme (27%)

Perte de but (44%) Echec à mener à sa conclusion naturelle

un enchaînement de pensées

Persévération (24%) Répétitions itératives de mots ou d’idées

(voir exemple 2 en annexe)

Discours auto-référentiel (13%) Le patient ramène itérativement à lui le

sujet de la discussion

Une autre anomalie du langage chez le schizophrène consiste à associer des mots en
dépit du contexte, ce qui, on le verra plus loin, pourrait relever du comportement
stimulus-induit, comportement facile à étudier par la tâche de fluence verbale (voir
II)2)L’approche cognitive).

L’utilisation de néologisme est également chose commune dans le discours


schizophrénique.

Des études spécifiques ont été mené sur le langage des schizophrènes. Ainsi en 1988
Frith et Allen (cités par Frith, 1992) ont conclu que « les structures de connaissance
lexicale et syntaxique sont " intactes " mais il y a incapacité à structurer le discours à un

14
plus haut niveau ». Les anomalies du langage schizophrénique ne se situent donc pas au
niveau de la compétence linguistique mais plutôt au niveau de l’usage du langage.

Les travaux de Grice (cités par Frith, 1992) en 1975 sur la communication ont
également été profitables aux études sur le discours schizophrène. Grice a dégagé des
règles à respecter pour la réussite de la communication :

 Etre informatif

 Dire la vérité

 Etre pertinent

 Etre bref

 Etre ordonné

Or dans le discours schizophrène, on observe des transgressions fréquentes de


plusieurs ou de l’ensemble de ces règles.

Plus qu’un trouble du langage, le discours schizophrène, et les symptômes de la


schizophrénie en général, semblent donc être des troubles de la communication (voir
II)2)L’approche cognitive).

Cependant, certains symptômes de la schizophrénie (incohérence du discours,


syndrome d’influence) peuvent être mis en parallèle avec ceux appartenant à troubles
mentaux différents. Il est donc légitime de faire maintenant un diagnostic différentiel
afin de voir si ces symptômes n’auraient pas des causes communes.

2)Le diagnostique différentiel

a)Les troubles psychologiques consécutifs à des lésions cérébrales

1. Tableau comparatif

Des études ont répertorié les déficits liés à la schizophrénie et la localisation des
lésions chez les patients neurologiques présentant les mêmes déficits. En voici les
résultats (cités par Frith, 1992) :

Déficits Localisation lésionnelle Référence

Démence Cortex(temporal, frontal) Lishman (1987)

15
Hippocampe/amygdale

Système cholinergique

Symptomatologie Cortex préfrontal Hecaen et Abert (1975)

négative Ganglions de la base Kobb et Wishaw (1985)

Pathologie du Ganglions de la base Jeste et Wyatt (1982)

mouvement Système dopaminergique

Amnésie Lobe temporal médian McCarty et

Hippocampe/amygdale Warrington (1990)

Discours Jonction temporo-pariétale/ Kertsz et Shephard (1981)

incohérent Faisceau arqué

Cortex préfrontal droit Alexande et al. (1989)

Agnosie visuelle Jonction pariéto-occipitale/ Shallice et Jackson (1988)

Splenium

Aux vues de ces résultats, il semble évident que les lésions cérébrales, si elles ne
sont pas suffisantes pour expliquer en détail la maladie et ses symptômes, sont au
moins en corrélation direct avec ceux-ci. Nous verrons en III)1) les deux théories
principales en neurologie sur l’origine des symptômes schizophréniques. Pour
l’heure, dans le cadre du diagnostic différentiel, intéressons nous davantage aux
délires et aux anomalies du langage qui sont des symptômes très souvent associés à
la schizophrénie.

2. Le signe de la main étrangère

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Les délires d’influence et d’intrusion de pensée sont fréquents dans les
manifestations de la maladie. Le patient a l’impression réelle que quelque chose le
contrôle ou lui parle dans sa tête. Il fait des actes dont il n’a pas conscience ou en
attribue la volonté à un autre, ne reconnaissant pas qu’il en est l’auteur (voir
III)2et3)). De telles délires peuvent être rapprochés d’un phénomène neurologique
décrit sous le nom du « signe de la main étrangère » au cours duquel le patient
effectue des actions non intentionnels (Goldberg et al., 1981, cités par Frith, 1992).

Il s’agit d’un syndrome de dysconnexion dans lequel la main controlatérale à


l’hémisphère présentant une lésion montre des actions persévératrices et des
comportements intentionnels alors que le patient n’en a pas la volonté, ni même
parfois conscience. Dans l’approche cognitive III)2), nous verrons comment Frith
(1992) aborde ce syndrome avec la notion de « monitoring ».

3. Le syndromes de Capgras

Un autre délire identifié en neurologie est le syndrome de Capgras, le plus connu des
troubles délirants de l’identification selon Frith (1992). Dans celui-ci, le patient a
l’intime conviction que les personnes qu’il connaît ont été remplacées par des
doubles qui, physiquement, leur sont pratiquement identiques. Il en va de même
pour les lieux ou les bâtiments. Ce trouble neurologique a tout d’un symptôme
schizophrénique et s’il est accompagné, par exemple, d’une anomalie du langage, le
diagnostic de schizophrénie devient presque évident.

4. Les anomalies du langage chez les jargonaphasiques

On observe en effet, comme le montre le tableau récapitulatif, des troubles du


langage chez certains patients cérébraux lésés. C’est le cas des jargonaphasiques. La
jargonaphasie, précise Frith (1992), résulte d’une difficulté pour le patient à trouver
ses mots due à l’incapacité à générer la structure phonologique appropriée au mot à
énoncer. De ce fait le patient emploi un mot tout en croyant en employer un autre
(voir l’exemple 3 en annexe). Le jargonaphasique n’a pas conscience des erreurs
qu’il commet et c’est en cela que Frith rapproche ce trouble à certains aspects du
discours schizophrénique. Nous verrons cela plus en détail en III)2).

b)Les troubles psychotiques caractéristiques de l’adolescence

17
Parmi les formes psychotiques non schizophréniques se rapprochant de près à la
schizophrénie, les troubles psychotiques caractéristiques de l’adolescence sont pour
beaucoup les plus difficiles à traiter. En effet, les transformations psychiques et
corporelles que connaît un adolescent peut provoquer chez lui un comportement à
tendance schizoïde pouvant aboutir, si l’entourage ne réagit pas assez vite, à des
symptômes schizophréniques et à la pathologie.

Ainsi, les préoccupations hypochondriaques qu’éprouvent tous les jeunes de cet âge
peuvent devenir inquiétante lorsqu’elles tournent à l’obsession. Une transformation
vécue par le sujet comme déformante et les pulsions qu’elle engendre peuvent devenir
une source d’angoisse. L’image du corps peut alors devenir inquiétante et amener
l’adolescent à le voir comme étranger, séparer de lui. En effet, pour Ladame comme
pour Gutton (1987, 1984, cités par Azoulay, 2002), l’angoisse de morcellement
psychotique projetée sur le corps vient autant de la transformation du corps en tant que
réalité intolérable que de l’excès d’émergences pulsionnelles non intégrables qui
l’accompagne. Pour Ladame, cette angoisse vis à vis du corps peut provoquer un déni du
réel perçu (le corps), déni qui, nous le verrons dans l’approche clinique, est sûrement
une cause des manifestations délirantes du schizophrène.

De même et pour des raisons analogues, durant l’adolescence, le jeune voit son
identité remise en question (Azoulay, 2002). Il se peut qu’il ne parvienne pas à supporter
la déstabilisation des bases de son identité et de son sentiment d’unité. Les troubles
engendrés peuvent alors porter sur l’identité ou sur la réalité. Ainsi peuvent se
manifester :

 Des troubles psychotiques de l’identité, avec délire de filiation ou délire portant


sur l’identité sexuelle

 Un éloignement de la réalité, perte de contact avec elle où le sujet se sent


étranger à sa propre famille

 L’ envahissement progressif et déstructurant par un sentiment d’infériorité du au


sentiment de honte que peut connaître un adolescent vis à vis de ce qu’il est par
rapport à ce qu’il croyait devenir.

De manière anticipée à l’approche clinique, on peut dire qu’à l’adolescence,


l’équilibre entre investissement narcissique et investissement objectal est rompu.

18
L’adolescence est par excellence un stade centripète au sens défini par Wallon. Un
surinvestissement narcissique occasionne alors un repli pouvant amener un état
schizophrénique plus important.

Cependant, précise Brusset (1985, cité par Azoulay, 2002), si l’adolescence provoque
des bouleversements susceptibles de troubler le jeune, il ne faut pas assimiler trop vite
une pathologie survenant chez lui à une pathologie propre à cette période. De plus, il ne
faut pas considérer des troubles psychotiques classiques de l’adolescence comme les
prémices d’une schizophrénie toute proche. Jeammet (2000, cité par Azoulay, 2002)
appelle ainsi à la prudence quant au diagnostic car les potentiels d’évolution sont
nombreux à cette période de la vie et définir une schizophrénie trop tôt peut avoir de
lourdes conséquences (psychotiques) sur l’image qu’a l’adolescent de lui même, sans
compter les effets psychotisants des neuroleptiques qu’on lui donnera. Prudence donc
vis à vis des troubles de l’adolescent mais aussi du diagnostic qu’on lui attribue, et
comme le rappelle le DSM-IV (cité par Azoulay, 2002) :

Aucun symptôme pris isolément ne peut-être considéré comme pathognomonique de la


schizophrénie, cette entité est considérée comme un syndrome clinique regroupant une
constellation de signes et de symptômes.

c)La psychose paranoïaque

La psychose paranoïaque, ou paranoïa, est également une pathologie ayant des


symptômes difficilement discernables de ceux de la schizophrénie, et pour cause, on
trouve des symptômes paranoïaques dans la schizophrénie, le délire de persécution en
est un exemple. Azoulay (2002) rappelle les trois sous-groupes appartenant au délire
paranoïaque :

 Les délires d’interprétation systématique (paranoïa de Kraepelin)

 Les délires de relations des sensitifs (Kretschmer)

 Les délires passionnels (de Clerambault)

Pour Racamier (1992, cité par Azoulay, 2002), la différence entre psychose
paranoïaque et schizophrénie ne se situe qu’au niveau du stade terminal des processus.
En effet, pour lui, « la paranoïa est le fruit ultime de défenses rigides conjointement
dressées à la fois contre l’angoisse paranoïde d’engloutissement (le sujet a peur de se
faire engloutir et donc de disparaître au contact de l’autre) et contre l’angoisse de perte

19
d’objet » (p.61), ce qui se retrouve dans la schizophrénie, nous le verrons en détail en
III)3). Mais ce qui différencie les deux processus, précise Racamier, est que dans la
schizophrénie, « la régression ne se contente pas d’atteindre le stade de narcissisme, qui
se manifeste par le délire de grandeur, elle va jusqu’à l’abandon complet de l’amour
objectal et au retour à l’auto-érotisme infantile ». En fait, au stade terminal, d’après
Racamier (1980), sujet et objet ne font qu’un et le schizophrène s’efforce de conserver
cette symbiose tout en la haïssant et en précipitant sa perte (voir III)3)b)). Du fait que
cette symbiose ou dyssymbiose, nommée séduction narcissique par Racamier (1980), est
le stade le plus avancé de la schizophrénie (avant la mort psychique), il est très difficile
d’établir un véritable diagnostic de ces deux pathologies.

III)Les différentes approches de la schizophrénie


La schizophrénie est une maladie mentale complexe. Ainsi il n’est pas surprenant qu’on l’ait
abordé par différentes méthodes, chaque méthode utilisant ses propres outils pour tenter
d’expliquer, si ce n’est la maladie en elle-même, au moins les symptômes qui y sont liés.

1)L’approche neurologique

Il existe deux théories sur une anomalie cérébrale dans la schizophrénie :

 La théorie dopaminergique

 Les anomalies structurales dans la schizophrénie

a)La théorie dopaminergique

Des études ont démontré que les médicaments antipsychotiques diminuaient sans
conteste la sévérité de la symptomatologie schizophrénique (Davis et Gerver ( 1978,
cités par Frith, 1992)). De plus, Carlsson et ses collègues en 1958 ( cités par Frith, 1992)
ont pour la première fois établi que dans le cerveau des mammifères la dopamine
agissait comme neurotransmetteur. La dopamine, à la manière de n’importe quel
neurotransmetteur, est libéré par la cellule nerveuse pré-synaptique et diffusé à travers la
fente la fente synaptique jusqu’à la cellule nerveuse post-synaptique sur lequel se
trouvent les récepteurs sensibles à ce neurotransmetteur. On peut alors bloquer les

20
récepteurs avec une drogue et empêcher ainsi la stimulation de récepteur par le
neurotransmetteur endogène.

Beaucoup de techniques ont été mises au point après cette découverte, le but étant
d’étudier l’action des drogues sur l’effet des neurotransmetteurs. De nombreuses
substances antipsychotiques ont été développé par la suite et il s’avère que :

 le blocage du récepteur dopaminergique est un facteur nécessaire à leur action


antipsychotique (Frith, 1992).

 L’augmentation de l’apport de dopamine (par la prise d’amphétamine par


exemple) provoque des comportements proches de la schizophrénie (Frith,
1992).

Grâce à ces découvertes, une origine organique de la schizophrénie a été proposée :

La schizophrénie serait liée à une activité dopaminergique cérébrale excessive. Deux


anomalies sont alors possibles :

1. Trop de dopamine libéré dans le cerveau.

2. Les récepteurs à dopamine sont trop sensibles.

Si aucune étude n’ont pu encore mettre en évidence le premier cas, c’est à dire une
augmentation de la dopamine dans le cerveau, le second a pu être étayé et cette
hypersensibilité peut résulter de l’utilisation de drogues bloquant les récepteurs
dopaminergiques. S’il y a blocage des récepteurs par des drogues empêchant l’accès
normal de la dopamine à ses récepteurs, la cellule nerveuse réagit en provoquant une
augmentation de la sensibilité de ses récepteurs (Frith, 1992).

Un problème se pose alors logiquement, à savoir si cette hypersensibilité est bien un


marqueur de la maladie ou seulement une conséquence du traitement médicamenteux ?

Pour en finir avec la théorie dopaminergique, une autre hypothèse serait qu’un
système plus directement en rapport avec les symptômes schizophréniques soit soumis à
l’activité modulatrice de la dopamine (Frith, 1992). Voyons maintenant quelles seraient
les anomalies cérébrales structurales dans la schizophrénie.

b)Les anomalies structurales dans la schizophrénie

Il y a principalement deux types d’anomalies structurales envisageables pour expliquer


du point de vue neurologique la schizophrénie :
21
1. Une lésion au niveau d’une boucle cortico-striatale

2. Un élargissement des cavités ventriculaires

1. Une lésion au niveau d’une boucle cortico-striatale

Nous avons vu dans le diagnostique différentiel que de nombreux symptômes


schizophréniques pouvaient s’expliquer par des lésions cérébrales localisées. La
zone la plus importante de ce point de vue est le cortex frontal, siège des fonctions
supérieures (associatives) du cerveau, où se situent les aires de Broca et de Wernicke
nécessaire à la production et à la catégorisation du langage. On retrouve des
anomalies du langage chez les patients présentant des lésions du cortex frontal
(Frith, 1992) :

 On constate un appauvrissement du discours chez ceux ayant des lésions du


cortex cingulaire gauche et de l’aire motrice supplémentaire.

 Des lésions du cortex préfrontal dorso-latéral sont présentes chez les patients
souffrant de répétitions, de formulations de phrases simples et de discours
pauvre.

 Les patients faisant de fréquentes disgressions au niveau du langage et ne


corrigeant pas leur erreur ont quant à eux des lésions frontales orbitaires
gauche.

En considérant que des troubles du langage (appauvrissement du discours,


répétitions, discours incohérents) soient des troubles du comportement et aient les
mêmes origines que des symptômes comme les mouvements automatiques et
répétitifs, c’est à dire des troubles liés à une perturbation spécifique des actions auto-
initiées, il apparaît que ces anomalies comportementales associées à la schizophrénie
reflètent probablement des perturbations d’une boucle cortico-striatale comme celles
décrites par Alexander, Delong et Strick en 1986, impliquant à la fois le cortex
frontal et le striatum (Frith, 1992) . Une dysconnexion entre le cortex préfrontal et
les régions sous-corticales serait impliquée dans l’anomalie du contrôle des actions.

Une autre hypothèse sur l’origine de la schizophrénie est celle de l’élargissement


des cavités ventriculaires, c’est à dire des cavités intra-cérébrales remplies de liquide
céphalo-rachidien.

22
2. Un élargissement des cavités ventriculaires

Dans les années 70, les premières utilisations du scanner ont permis d’obtenir des
images précise du cerveau humain de sujets vivants. De ce fait, on a pu mesurer la
taille des cavités ventriculaires et constater qu’il y avait un élargissement de ces
cavités chez les patients schizophrènes (Frith, 1992). Mais ceci est vrai pour 2.5%
des schizophrènes chroniques seulement. Ce n’est donc pas spécifique du tout de la
schizophrénie.

De plus, des études ont montré que, chez les schizophrènes, ces élargissements
n’étaient pas dus à la mort de cellule nerveuse, contrairement aux patients atteints de
la maladie d’Alzheimer chez qui cet élargissement progresse tandis que la perte de
tissu (neurones cholinergiques diminuant en nombre) s’aggrave (Frith, 1992).

On peut donc s’interroger sur le rapport entre cet élargissement et la schizophrénie.


Est-elle une cause ou une conséquence de la maladie ? Pour l’instant aucune
découverte n’a pu nous le dire.

Aux vues des résultats obtenus au point de vue neurologique, on pourrait croire qu’il
n’y rien d’autres à expliquer dans la schizophrénie. Or ce raisonnement n’est pas
rigoureux scientifiquement. Pourquoi ? Pour deux raisons :

1)En expliquant la schizophrénie seulement au niveau des processus cérébraux, on


ne respecte pas la doctrine du parallélisme qui veut que les explications soient
complètes tant à ce niveau qu’au niveau des processus mentaux. (Frith, 1992)

2)Expliquer les symptômes n’est pas "expliquer" la schizophrénie.

A partir ce constat, il semble donc indispensable de traiter la schizophrénie par des


approches différentes pour pouvoir encore se rapprocher non seulement de la vérité des
symptômes mais aussi de la maladie en elle-même.

2)L’approche cognitive

Tout comme l’approche clinique, que nous verrons en 3), l’approche cognitive de la
schizophrénie est une tentative d’explication des processus mentaux chez le schizophrène.
Elle repose principalement sur l’expérimentation et une représentation des processus
mentaux en tant que structures fonctionnelles dans lesquelles la théorie de l’information
prend une place importante.

23
Dans la présente partie, nous allons voir comment les symptômes liés à la schizophrénie
peuvent s’expliquer par le mauvais traitement des informations venant du monde extérieur
et intérieur du sujet schizophrène.

Pour expliquer la symptomatologie positive et négative, l’approche cognitive part


notamment du principe que les schizophrènes ont des difficultés pour communiquer. Pour
Frith (1992), ces difficultés seraient engendrées par trois types d’anomalies au niveau de
l’action initiées définies de la manière suivante :

1. Pas d’action : les patients ne peuvent plus générer d’intention volontaires à


partir des buts fixés : « Les schizophrènes ne peuvent vouloir agir ».

2. Action persévérative stéréotypée : absence de fin d’action

3. Action automatique stéréotypée (comportement stimulus-induit) : perte du rôle


inhibiteur du même mécanisme sur les actions stimulus induites

Ces cas peuvent être facilement mis en évidence par la tâche expérimentale de fluence
verbale comme le montre l’exemple 4 de l’annexe.

Voyons maintenant comment on peut aborder les symptômes positifs du point de vue
cognitif, en ayant ces principes d’anomalies toujours à l’idée.

a)Les symptômes positifs :Hallucinations et délires

1. Les hallucinations

Elles sont le plus souvent acoustiques et désignent des perceptions survenant en


l’absence de stimuli. Il y a principalement deux théories expliquant les
hallucinations.

 La théorie de l’input

Elle consiste en ce qu’un stimulus externe est perçu de façon inadéquate. Il y a


deux façons de produire cette mauvaise interprétation :

L’échec de discrimination :

Ce genre d’hallucinations se produit lorsque le fond sonore est bruyant.


Cela est peu envisageable dans le cas de la schizophrénie car on constate
que les schizophrènes ont des hallucinations même dans les situations
calmes.

24
Le « biais » anormal :

Tout stimulus, et particulièrement ceux qui sont bruités ou ambigu, a


plusieurs interprétations possibles. Celles-ci ne dépendent pas seulement
de la manière dont on discrimine le bruit, mais aussi de notre tendance
(« biais ») à entendre quelque chose de précis (comme par exemple une
mère qui croit entendre les pleurs de son enfant pour reprendre l’exemple
de Frith, 1992). Christopher Frith et John Done (cités par Frith, 1992) ont
d’ailleurs montré par leurs études que les schizophrènes, y compris les
plus hallucinés, n’ont pas de tendance spéciale à percevoir des mots.

En fait beaucoup d’hallucinations s’expliquent mieux par la théorie de l’output.

 La théorie de l’output

Des études menées par Gould sur un schizophrène entendant des voix presque
en continue et émettant fréquemment des sons au niveau du nez ou de la
bouche sans en avoir conscience ont permis de montrer que la voix chuchotée
par le patient pouvait différer avec la normal. Par conséquent, le patient était
incapable de reconnaître qu’il avait eu l’initiative de cette activité interne.

On a constaté aussi que les schizophrènes sourds peuvent entendre des voix
ce qui indique clairement la nature des hallucinations auditives fondées non
pas sur l’audition mais plutôt sur le langage intérieur (Frith, 1992). Les patients
ne se reconnaissent pas pleinement l’initiative de leurs pensées. Le signe de la
main étrangère vu dans le diagnostic différentiel rend bien compte du type
d’anomalie à laquelle sont souvent confrontés les schizophrènes, c’est à dire
une non-prise de conscience de certaines de leurs actions.

Ainsi Hoffman considère que le patient perçoit ses propres actes comme
étrangers parce qu’ils sont non intentionnels. Plus généralement, les
hallucinations ne seraient que la résultante d’une perte de capacité chez le
malade à reconnaître ses propres actions ou ses propres buts. Frith (1992)
désigne cette capacité par le terme « monitoring » qu’il assimile à un système
permettant de distinguer la source des intentions d’action.

De ce point de vue, le même auteur considère que le signe de la main


étrangère vue en II)2) se rapproche de l’expérience vécue par le patient

25
souffrant d’un délire d’ influence, tout en étant à l’opposé de celle-ci. Pour lui,
dans le premier cas, ce sont des actions réflexes ne nécessitant pas un effort de
volonté qui ne sont pas inhibées, et dans l’autre, ce sont des actions volontaires
qui ne sont plus perçues comme telles par la perte de la sensation
d’intentionnalité.

De la même façon, il met en parallèle le syndrome de Capgras avec le


symptôme d’influence : dans le syndrome de Capgras, le patient reconnaît les
personnes mais n’en a pas conscience. Il les considère donc comme des
étrangers. Dans le syndrome d’influence, le patient agit mais sans avoir
conscience de son attention agir, c’est à dire sans en avoir fait le monitoring.

2. Le délire

On peut le définir comme la tentative d’explication de perception anormale. Leur


processus inférentiels seraient normaux mais devant une perception anormale ne
pourrait qu’aboutir à un délire (Frith, 1992).

Du point de vue cognitif, une autre explication serait que le délire est le résultat
d’une corrélation illusoire, c’est à dire de la mauvaise utilisation des infos perçues.
Nous verrons en b) que cette mauvaise interprétation pourrait résulter d’une
propension à voir chez autrui des intentions de communiquer inexistantes (Frith,
1992).

Une troisième possibilité serait encore que les schizophrènes essaient d’appliquer
des raisonnements logiques là où les sujets normaux ne le feraient pas. Il y aurait un
dysfonctionnement des processus cognitifs qui ont une pertinence au sujet du
raisonnement social (Frith, 1992).

Les idées délirantes peuvent donc refléter des expériences hors du commun ou des
inférences erronées.

b)Les symptômes négatifs : Persévérations et retrait social

En fait, les symptômes négatifs mettraient en jeu les mêmes anomalies de l’action auto-
initiée que les symptômes positifs, mais ils le feraient de manière plus grave, c’est à dire
plus fidèlement aux modèles énoncés en introduction. Il n’y aurait plus non
reconnaissance des buts dans les actions, mais absence ou presque de buts. Ils
apparaissent souvent après une première période paranoïde (avec hallucinations et
26
délires), bien que l’on puisse trouver à la fois symptômes positifs et négatifs chez
certains patients.

1. Stéréotypies et persévérations

Comme nous l’avons vu dans l’introduction, les comportements stéréotypés


pourraient s’expliquer par une absence de fin d’action et une incapacité à inhiber une
réaction automatique.

Ainsi, un patient au comportement stimulus-induit voyant un bouton est incapable


de s’empêcher d’appuyer dessus, ou le patient H. associe automatiquement les mots
qu’il énonce entre eux (cygne-lac-monstre du Lochness), même s’il sait qu’on lui
demande seulement des noms d’animaux.

En fait, d’après Frith (1992), beaucoup de manifestations décrites


comme « incohérence du discours » par les cliniciens sont des anomalies induites
par des stimuli externes. Des actions déterminées excessivement par des stimuli non
pertinents proviendraient d’un dysfonctionnement de la vie des actions volontaires.
Il y aurait une voie d’inhibition ne fonctionnant pas correctement, cette anomalie
pouvant résulter de fin d’action mal définie. Cependant, les patients seraient encore
en mesure de percevoir leur trouble et garderaient une vie psychique « variée », à la
différence de certains patients persévératifs.

En effet, les persévérations seraient, elles, les signes d’une régression encore plus
importante, d’une absence total de fin d’action. Non seulement le patient n’aurait
plus conscience de certaines de ses actions, répétant sans cesse automatiquement les
mêmes gestes, mais il ne paraît plus avoir de réel vie psychique, ne semble plus être
conscient, de son propre trouble et de n’importe quoi d’autre. Ainsi, bien que des
patients persévératifs demeurent encore lucides vis à vis de leur trouble (c’est le cas
du patient K.), les persévérations sont sûrement les signes d’une vie mentale plus
altérée.

Ces persévérations sont caractéristiques des schizophrènes chroniques présentant


des signes négatifs. Elles témoigneraient d’une régression comportementale plus
grave, rapprochant le patient de la mort psychique. La preuve en est avec Gerjuoy et
Winters (1968, cités par Frith, 1992) qui ont observé « au cours du développement
normal de l’enfant, une tendance à évoluer progressivement des réponses de type

27
persévératif à des réponses de type alterné, avant de passer à des séquences de type
aléatoire » (p.75). Le schizophrène semble faire le chemin inverse en passant du
comportement paranoïde au comportement stimulus-induit puis au comportement
persévératif.

2. Emoussement des affects et retrait social

L’émoussement des affects se traduit par une :

 Expression figée du visage

 Réduction des mouvements spontanés

 Réduction de la gestualité expressive

 Réduction des inflexions vocales

D’après Frith (1992), l’émoussement des affects pourrait relever d’une incapacité
chez le patient schizophrène à vouloir atteindre les buts qu’il s’est fixés, c’est à dire
à une perte de volonté, comme le montre l’exemple de fluence verbale avec le
premier patient. Frith souligne aussi que l’émoussement des affects est défini par la
difficulté à produire des éléments subtils de communication non verbale comme le
fait de grimacer ou de rester stoïque. Cet appauvrissement du discours, des gestes et
des expressions du visage seraient encore des exemples d’absence d’actions
spontanées auto-initiées.

Une cause ou une conséquence de cette lacune est que les schizophrènes ont du
mal à distinguer et à identifier les expressions émotionnelles chez autrui. Ayant des
difficultés à percevoir les émotions chez les autres, ils auraient de la peine à
percevoir les leurs.

Pour Frith (1992), à partir de là, toute interaction sociale devient effectivement
difficile puisque la communication n’est possible qu’en inférant les états mentaux de
l’autre, pour être compréhensible. L’auteur utilise une nouvelle fois le concept de
« monitoring » dont il élargie le sens pour désigner ici la capacité à prendre en
compte autrui par la représentation de nos états mentaux mais également ceux
d’autrui. Pour lui, le schizophrène serait incapable de faire le monitoring de ses
actions pour la raison suivante : il ne parviendrait pas à se représenter ses propres
états mentaux, ce qui serait à l’origine de comportements automatiques et des

28
hallucinations, mais aussi les états mentaux des autres, le rendant par là-même
incapable de communiquer de manière cohérente et contribuerait à son retrait social.
Frith désigne le fait de se « projeter » dans son état mental ou celui d’autrui par le
terme de méta-représentation. C’est cette capacité de méta-représentation qui ferait
défaut au schizophrène.

Les études menées sur le langage des schizophrènes sont plutôt explicites à ce
sujet. On a vu précédemment que Grice a dégagé des règles à respecter pour réussir
à communiquer. Il apparaît que le schizophrène, lorsqu’il est en position de locuteur,
transgresse ces règles, notamment en ne tenant pas compte du savoir de l’auditeur,
de ce qu’il ignore ou est sensé ignorer. Cela reflète encore une incapacité à inférer
l’état mental de l’autre, à en faire le monitoring selon les termes de Frith, du fait de
son incapacité à se représenter ce même état mental.

Selon Frith toujours (1992), « pour la communication, l’auditeur doit d’abord


reconnaître l’intention de communiquer du locuteur. De tel indices d’une intention
de communiquer peuvent être appelés des signes ostensifs » (p.135). L’isolement
social des patients serait alors le résultat de leur échec à répondre à ces signes
ostensifs. Une anomalie inverse aboutissant à des délires serait une propension chez
certains patients à inférer de manière excessive l’état mental d’autrui, ce que Frith
exprime de la manière suivante : « Inversement, certains patients voient des signes
ostensifs là où personne n’a cherché à en produire ; par conséquent ces patients
pensent à tord que de nombreuses personnes essaient de communiquer avec eux, ce
qui peut expliquer un délire d’influence » (p.135).

Un autre exemple d’anomalie dans la prise de conscience d’autrui et est celui mis
en évidence par David Good (1990, cité par Frith, 1992) lorsqu’il a étudié les
processus de correction dans la conversation. Un patient schizophrène essayait de
raconter une histoire mais échouait car, malgré tous ses efforts pour apporter plus
d’information à son auditeur, il était incapable de découvrir quelle information il
convenait d’apporter pour l’aider vraiment. Il ne prenait pas en compte son mental
et donc son savoir sur l’histoire.

Dans ce sens, Cohen (cité par Frith, 1992) émet l’hypothèse que ces patients
reconnaissent le caractère inadéquate de leurs réponses et tentent d’élaborer de
meilleurs réponses afin d’améliorer la situation, sans pour autant y parvenir. Frith
29
(1992) précise encore la question en suggérant que les patients, du moins ceux ne
présentant pas de troubles trop sévères, prendraient conscience de leurs propres
réponses, ( et donc celles inadéquates), mais qu’une fois les avoir formulées, comme
le patient K. se rendant compte qu’il est pratiquement incapable de penser à d’autres
animaux que le singe.

Terminons cette partie en citant Frith (1992), celui-ci mettant en parallèle les
discours persévératifs et incohérents de certains schizophrènes avec ceux des
patients jargonaphasiques dont nous avons parlé plus haut. Pour lui, ils font les
mêmes types d’erreur :

 Ils répètent les idées exprimées quelque soit le contexte.

 Ils expriment une idée, mais celle-ci n’est pas appropriée, ce qui
entraîne un déraillement.

 Ils ne parviennent pas à en exprimer une et rassemblent à la place


une séquence aléatoire de composants, d’où un discours incohérent.

Ces erreurs résulteraient de la difficulté chez ces patients à se représenter des états
mentaux - les siens ou ceux d’autrui – avec cependant un degré différent : le
jargonaphasique prend un mot pour un autre. Il n’a pas conscience de son erreur
mais a tout de même conscience de sa propre élocution. Le schizophrène, lui,
attribue son discours à un autre que lui, celui-ci étant à la fois à l’intérieur de son
corps mais à l’extérieur de lui-même, comme un marionnettiste se prenant pour sa
propre marionnette. Dans le cas de la schizophrénie, les symptômes, aussi bien
positifs que négatifs, viendraient alors d’un dysfonctionnement de la capacité à saisir
ses états mentaux comme tels du fait d’une incapacité à effectuer des méta-
représentations, ce que Frith exprime de la manière suivante :

Les symptômes positifs apparaîtraient lorsque les structures cérébrales responsables des
actions spontanées n’envoient plus normalement les décharges corollaires 2 vers les régions
postérieures du cerveau impliquées dans la perception ;[…] la conséquence en serait que les
modifications auto-induites de la perception sont faussement interprétées comme provenant
d’une cause externe. Mais, si les structures impliquées dans l’action étaient plus sévèrement

2
. La distinction entre les déplacements de l’image dus à nos propres mouvements oculaires et ceux dus à des
mouvements indépendants de nous se fait grâce par le monitoring central de intentions de ces mouvements,
celui-ci recevant une décharge corollaire quand le mouvement est volontaire. Deux types de mécanismes
d’étiquetage de nos pensées ont été découverts :
 « les décharges corollaires » ( Sperry, 1950, cité par Frith, 1992)
 « les copies d’efférences » ( Von Holst & Mittelstardt, 1950, cité par Frith, 1992) 30
atteintes, les messages ne seraient alors pas non plus envoyés vers les régions cérébrales
impliquées dans la génération de la réponse ;en résulterait l’absence d’actions spontanées et
par là même l’apparition des manifestations négatives de la schizophrénie (p.127).

3)L’approche clinique

Autre approche visant à expliquer les processus mentaux : l’approche clinique.

Celle-ci s’appuie sur les théories psychanalytiques mais aussi sur le présent du sujet.
Elle est plus ambitieuse que l’approche cognitive dans le sens où elle se propose de définir
la cause de la maladie en elle-même, qui, nous allons le voir, remonterait à l’enfance mais
ne ferait émerger la pathologie que plus tard, sous certaines conditions environnementales.
Voyons en effet pour commencer le rapport que le schizophrène entretien avec la réalité et
quelle pourrait être l’origine de ces troubles du point de vue psychanalytique.

a)Les troubles de la relation à la réalité

1. La perte de contact avec la réalité

Nous l’avons vu, l’approche cognitive met relativement bien en avant la difficulté
qu’éprouve le schizophrène à se saisir comme personne à part entière, totale et
unique, attribuant à d’autre ses propres actions et ses propres paroles, se présentant
ainsi comme une personne aux fonctions mentales dissociées, comme le disait
Bleuler en 1911.

Freud a critiqué la notion de schizophrénie de Bleuler. Pour lui (1895, cité par
Gortais, 2002), la schizophrénie est due à un repli narcissique du sujet, à un
désinvestissement de l’objet au profit du sujet lui-même, c’est à dire à un retour à
l’auto-érotisme infantile et non à l’autisme dont parle Bleuler, qui lui est affaibli en
libido. Le réel n’étant plus investi de celle-ci, le sujet perd contact avec la réalité. Ce
retrait d’investissement vers la réalité précise Freud, serait du à l’angoisse de voir
surgir le souvenir d’un fragment de réalité insupportable pour le sujet car menaçant
et serait par la même une tentative pour l’écarter. Freud appelle cette tentative de
nier la réalité le mécanisme de déni.

Ainsi, pour lui (1924, cité par Gortais, 2002), tout comme « la névrose serait le
résultat d’un conflit entre le moi et le ça, la psychose , elle, l’issue analogue d’un
trouble équivalent dans les relations entre le moi et le monde extérieur » (p.283). De
la même façon qu’échoue le névrosé à refouler une pulsion intolérable, le

31
psychotique et donc le schizophrène échoue à nier complètement la réalité qui
l’insupporte. Comme le précise justement Racamier (1980): « Il n’y a pas de
névrose sans échec du refoulement et il n’y a pas de psychose sans échec du déni »
(p.64).

On retrouve l’idée de désinvestissement dans les travaux de Federn, mais d’un


point de vue opposé à celui de Freud, beaucoup plus proche de Bleuler. En effet,
pour Federn (1952, cité par Gortais, 2002) ce n’est pas la réalité qui est
insuffisamment investie de libido, mais au contraire, la schizophrénie apparaîtrait
suite à de modifications du moi trop importantes aboutissant à une
dépersonnalisation, à un sentiment d’étrangeté vis à vis de soi. Le moi n’est plus
suffisamment investi de libido pour que le sujet garde le sentiment d’être et
d’exister. Federn met donc en conjonction le désinvestissement narcissique et la
perte de frontière du moi. Le sujet ayant un moi trop affaibli , il perd la sensation
d’exister, de faire parti du réel et par la même ce qui l’entoure perd de sa réalité.

Une autre approche du trouble à la réalité est celle de Lacan (1953-1954, cité par
Gortais, 2002) qui propose le concept de forclusion. Pour lui, la psychose se spécifie
par la forclusion du « Nom-du-Père », celui-ci étant le fondement de la fonction
symbolique. La rencontre d’un élément extérieur qui n’a pas été primitivement
symbolisé et le sujet qui demeure incapable de le faire maintenant se traduit par une
véritable réaction en chaîne au niveau de son imaginaire. Le trou instauré par le
défaut du Nom-du-Père, c’est à dire de la fonction symbolique, entraîne un
remaniement du réel aboutissant à un niveau où signifiant et signifié se rejoignent
dans le délire, ce que Freud (1895, cité par Gortais, 2002) avait auparavant présenté
par le fait que les schizophrènes échouent dans la fonction d’abstraction. Les mots
sont traités comme des choses.

Racamier (1980), lui, considère que la perte du réel chez le schizophrène est moins
due au fait qu’il se sente étranger au réel qu’ à sa difficulté à différencier le soi et le
non soi, son être et la réalité extérieure. « [...] l’essentiel pour eux est question
d’appartenance, et d’une appartenance toujours douteuse. L’objet, leur objet est-il au
dedans d’eux. Sans doute, mais ils sont aussi à l’intérieur de l’objet » (p.19). C’est
ce doute d’existence mutuelle, c’est à dire d’ambivalence, qui lui fait perdre
progressivement le sens du réel, l’obligeant à tester toujours plus la réalité pour

32
s’assurer qu’elle existe. Ce premier stade de schizophrénie dans lequel le réel est
perdue est d’après Racamier celui où se met en place le déni d’existence : « le réel
est perdu, le monde anéanti, le moi à l’agonie. D’où un vécu de fin du monde »
(1992, cité par Azoulay, 2002).

D’après Racamier (1992, cité par Azoulay, 2002), ce qui différencie la psychose
paranoïaque de la schizophrénie, c’est le stade terminal du processus disions-nous
dans le diagnostic différentiel. En effet pour lui, l’évolution négative du processus
schizophrénique entraîne la mise en place de deux autres formes de déni : le déni de
signification d’abord, puis le déni de signifiance (propre à la schizophrénie). C’est ce
déni de signifiance qui définit le stade terminal du processus et fait défaut au
paranoïaque. Le schizophrène chronique ne cherche plus à différencier le soi du non-
soi, il nie l’altérité de l’objet : il est l’objet et l’objet est lui, d’où cette fois un vécu
de toute puissance divine, de grandeur, d’auto engendrement (voir III)3)a)2.). Dans
la mesure où il nie l’altérité de l’objet, l’ambivalence soi-non-soi et donc être-non-
être, le schizophrène nie la représentation du désir au sein de la réalité et perd encore
davantage contact avec elle. Pour Racamier (1980), ce moi schizophrénique et
l’objet sont interchangeables, et « le réel et le vrai sont traités comme s’ils étaient
d’une parfaite élasticité » (p.54).

Cette relation de non discrimination entre dedans et dehors niant la représentation


de désir, de fantasme, de pensée, de sens, Racamier (1980) la nomme « omnipotence
inanitaire ». Comme il le précise, « les schizophrènes ne dénient donc pas vraiment
l’existence de la réalité. […] Mais, inanisé, il perd toute importance et toute portée »
(p.90). Ainsi « l’omnipotence inanitaire […] n’abolit pas l’existence de ce qu’elle
vise, mais prive de toute signifiance l’objet, le réel, soi-même et la pensée, n’en
laissant subsister qu’espaces vidés » (p.53). Ce déni de signifiance ne traduit donc
pas la négation du sens du réel, ce que Racamier désigne par le déni de signification
renvoyant à un objet frappé d’absurdité, mais aussi à l’émergence d’une possibilité
de sens chez cet objet. Le déni de signifiance renvoie plutôt à une négation de la
possibilité chez cet objet de porter des sens, mais aussi et d’abord d’en produire.
Dans la mesure où le schizophrène nie sa propre possibilité de donner du sens aux
objets, il nie sa propre pensée et il apparaît de ce fait que l’omnipotence inanitaire
est dirigée contre sa propre psyché.

33
Le point de vue de Racamier permet de réunir les avis divergents de Freud et
Federn puisque « le moi schizophrénique se dessine alors comme une très puissante
machine à faire le vide dans le moi » (Racamier, 1980, p.93), à une machine à
décerveler, ou encore à un désert grandissant dont la fertilité ne cesse de décroître.

2. Les origines

A la différence de approches neurologiques et cognitives, l’approche clinique ne se


contente pas d’expliquer les symptômes, elle vise aussi à dégager la cause de la
maladie en elle-même, afin de pouvoir guérir le mal-être en profondeur et ne pas lui
permettre de se déplacer pour réapparaître plus tard sous une autre forme.

Ainsi, pour Mélanie Klein (1946, citée par Gortais, 2002), la schizophrénie et les
psychoses en général prendraient source dans un échec des premières étapes de la
vie pulsionnelle., c’est à dire pendant le stade oral. En effet, pour elle, durant celui-
ci, l’enfant va se défendre des expériences de déplaisir par le mécanismes de
projection et d’incorporation. Elle introduit à ce propos le mécanisme psychique d’
identification projective qui tient une place importante aux côtés d’autres
mécanismes de défense.

Ce mouvement consiste en la capacité à s’identifier à l’objet et de percevoir


l’ambivalence entre les sentiments d’autrui et les siens propres (on notera au passage
que cette identification relève de la représentation de l’état mental de l’objet et donc
du processus par lequel on peut en faire le monitoring, processus désigné par Frith
(1992) sous le nom de méta-représentation), mais aussi en la projection dans l’objet
de ce qu’on considère comme mauvais en soi. Klein considère ce mécanisme comme
naissant dans le stade oral et dont la première visée est la mère. De là s’effectue le
clivage entre la bonne et la mauvaise mère responsable du sentiment ambivalent
haine/amour envers la mère. Hannah Segal (1950, citée par Azoulay, 2002) précise à
ce sujet :

L’identification projective fournit aussi la base du modèle le plus ancien de formation de


symbole. C’est en projetant des parties de lui-même dans l’objet et en identifiant des parties
de l’objet à de parties du soi que le moi construit ses premiers symboles (p.31).

Une anomalie au niveau des identifications primitives engendrerait donc une


anomalie de la fonction symbolique, qui nous l’avons vu, est responsable d’une

34
certaine confusion entre les mots et les objets. De même, Gibeault (2000, cité par
Azoulay, 2002) souligne :

De ce point de vue, l’aspect identificatoire et l’aspect projectif auraient de visées opposées.


Force est donc de supposer que ces deux aspects coexistent simultanément et que, dans la
psychose, le rejet par la projection suppose en même temps le maintien d’un certain
sentiment d’appartenance de la partie clivée et projetée (p.742).

La schizophrénie serait alors la conséquence d’une identification projective


excessive rendant le sujet incapable de distinguer entre les bonnes et les mauvaises
parties de soi, de l’objet, et entre la réalité externe et interne. En effet, le sentiment
ambivalent éprouvé par l’enfant envers la mère serait accentué par sa crainte de se
faire engloutir par elle et par sa tendance à s’ y identifier complètement. Racamier
dit à ce sujet que « l’objet est envié avidement et destructivement pour ce qu’il
contient de désirable, que l’enfant - ou le malade - n’a pas, […] pour le corps qu’il
aspire à dilacérer jusqu’à le vider, afin de tarir enfin dans l’objet la source de son
envie » (p.99). Une telle ambivalence provoquerait un clivage du moi qui, selon
Freud (1924, cité par Azoulay, 2002) « évite la rupture de tel ou tel côté en se
déformant lui-même, en acceptant de faire amende de son unité, éventuellement en
se crevassant ou en se morcelant » (p.286).

On rejoint ici la Spaltung de Bleuler qui, lui (1911, cité par Azoulay, 2002),
considère l’ambivalence seulement comme un symptôme et non comme la cause du
clivage en lui-même. Pour lui, il existe deux formes de Spaltung : une Zerspaltung
primaire et une Spaltung proprement dite. Cette Zerspaltung proviendrait d’un
relâchement des associations. Selon lui, ce qui ferait défaut au schizophrène dans
l’agencement de ses idées est la représentation de but, une idée très proche de celle
de Frith (1992) sur l’absence de fin d’action dans les comportements persévératifs.
Bleuler définit également trois types d’ambivalence attachés à la schizophrénie :

 L’ambivalence affective (haine-amour)

 L’ambi-tendance ou ambivalence de la volonté

 L’Ambivalence intellectuelle : Dieu et Diable se fondent en une


seule notion.

De telles ambivalences sont clairement exprimées dans les exemples fournis par
Searles sur ses propres expériences professionnelles (voir exemple 5 en annexe).
35
Searles justement a une position très pertinente sur le sujet des origines de la
schizophrénie. En effet, pour lui (1965), l’identification projective est effectivement
un mécanisme psychique non pathologique en soi, commun à chacun, mais il existe
également une phase de symbiose entre la mère et le bébé où chacun se fond dans
l’autre par pure dévotion, où cette identification projective est totale. Dans ce sens,
la mère a autant besoin du nourrisson que celui-ci de sa mère. Il décrit ainsi le
nourrisson et l’enfant comme des êtres qui « ont besoin de donner, au moins autant
qu’ils reçoivent » (p.128).

Searles s’oppose à Klein en considérant que la schizophrénie n’est pas le résultat


d’une identification projective excessive, mais plutôt la conséquence d’un non-
dépassement de cet étape primitive. Durant cette étape, identification et projection
ne font qu’un et la mère est considérée comme une extension de l’enfant. Il ne s’agit
donc pas de cesser l’activité identificatoire et projective mais de les saisir comme
des processus différents afin de se différencier de sa mère. Selon lui, le moi
schizophrénique n’a jamais vraiment dépassé cette symbiose : l’ambivalence mère-
soi n’ a pas été vécu comme telle par l’enfant et le schizophrène décompense lorsque
la relation symbiotique qu’il maintenait avec le substitut de sa mère vient à
disparaître, l’obligeant à refaire l’expérience de l’objet, et après des échecs
successifs dans ce domaine, revenir à une relation symbiotique avec n’importe quoi.
Searles (1965) rend la mère principalement responsable de cette anomalie
développementale. Il établit en effet le portrait type de la mère du schizophrène,
nommée mère-enfant, qu’il conçoit de la manière suivante :

 La mère a peur de ses propres sentiments d’amour qu’elle considère


anormaux. Lorsqu’ils se frayent un chemin au travers du refoulement, ce
n’est que pour apparaître sous une forme monstrueuse d’incorporation
orale. Du fait qu’elle en a peur, elle les considère comme dangereux pour
son enfant. Ainsi son amour est épisodique, souvent suivi par le rejet ou
une haine de l’enfant.

 La mère a peu d’estime envers elle-même. De ce fait, elle considère qu’elle


n’est pas digne d’être aimées et pense qu’elle n’a pas d’amour vrai à offrir
aux autres, y compris à son enfant. Ce manque d’estime a deux
conséquences sur la relation mère-enfant :

36
1. Il rend la mère peu réceptive à la sollicitude de son enfant et
empêche celui-ci de sentir la valeur qu’il a à ses yeux.

2. Il empêche l’enfant d’idolâtrer sa mère et d’instaurer et de


maintenir le type de relation qu’il faut au jeune enfant pour
pouvoir se créer des identifications constructives avec elle.

 La mère voit en son enfant l’incarnation de toute sorte d’idées refoulées


qu’elle a vis à vis d’elle même : solitude, stupidité, sensualité bestiale…

En fait, pour Searles, ce dernier point est très intéressant puisqu’il renvoie au fait
de considérer l’enfant comme une part projetée de la mère, de ne pas lui accorder le
statut d’individu à part entière, idée reflétant bien le non-dépassement de la phase
symbiotique par l’attitude d’une « mère schizophrénogène » d’une possessivité
étouffant l’individualité.

Searles explique comment cette mère-enfant tend à empêcher l’enfant de se


dégager de cette symbiose et d’accéder à une vrai individualité. Pour lui, « l’enfant
ne peut dépasser cette situation – qui est n’est normale que dans la toute première et
la première enfance – avant d’avoir aimé consciemment une autre personne et de
l’avoir vue capable de reconnaître, d’accepter consciemment son amour » (1965,
p.132). Dans la mesure où la mère a le comportement décrit plus haut, l’enfant pré-
schizophrène éprouve un sentiment d’amour accentué envers elle, mais cet amour est
bloqué non pas par une haine coexistante à celui-ci, mais par l’ambivalence et la
fragilité qu’il décèle chez sa mère. De ce fait, l’enfant ne se tourne pas vers une
autre personne à aimer car il ne peut supporter de dépasser la relation et d’y laisser
sa mère démunie.

Ainsi, pour Searles, l’ambivalence du comportement de l’enfant envers sa mère et


son attachement symbiotique persistant est moins du à une relation de « double
entrave » (double bind), relation introduit par Bateson et ses collaborateurs (1956,
cité par Searles, 1965) dans laquelle l’enfant se trouve pris au piège d’injonction
paradoxales de la part de la mère, qu’à l’introjection de la mère, et plus
généralement de cette figure maternelle pathétique, afin de la sauver en se chargeant
lui-même de son problème. A ce propos, Searles est très éclairant :

37
[en parlant des introjects] Ceux-ci sont les représentations déformées de personnes qui
appartiennent, à proprement parler, au monde extérieur aux limites de soi, mais qu’il ressent
– pour autant qu’il est conscient de leur présence – comme ayant envahi son soi (p.252).

Searles nous explique ici ni plus ni moins que l’origine des délires d’influence et
d’intrusion de pensée vécus par le sujet comme venant d’un autre à l’intérieur de lui.
Il donne également des exemples explicites d’un tel clivage de la pensée, comme le
montre l’exemple 6 en annexe.

On peut dégager maintenant la divergence fondamentale entre le point de vue de


Searles et celui de Klein : pour cette dernière l’ambivalence affective envers la mère
est active dès le début de la vie, le nourrisson étant immédiatement sous l’influence
des deux instincts de vie et de mort. Pour Searles, l’attitude d’amour constitue la
base de la personnalité humaine car c’est par amour que l’enfant introjecte sa mère
et ses angoisses affectives. La cruauté et destructivité n’apparaîtrait qu’une fois cette
étape symbiotique dépassée, l’enfant construisant son identité grâce à la conscience
de ses parents comme une personne distincte de lui, puis l’affirmant lors du stade
anal. Cependant, si le désillusionnement de la relation omnipotente mère-enfant où
chacun pourvoit au besoin de l’autre ne s’effectue pas correctement du fait des
raisons précédemment évoquées, leur relation laissera la personnalité de l’enfant
« mûre pour la schizophrénie » (Searles, 1965, p.133).

Ainsi, pour lui, la schizophrénie et l’ambivalence intense du malade ne serait donc


pas le résultat d’un sentiment haine/amour anormalement fort envers la mère,
sentiment consécutif à une identification projective excessive, mais au contraire
celui du non-dépassement de leur relation symbiotique par introjection des
sentiments maternels, aboutissant à une confusion des affects et des pensées où
haine et amour ne sont pas bien différenciés, de même que soi et non-soi.

Ceci rejoint l’avis de Racamier, qui comme Searles, s’oppose aux conceptions
kleinennes. Pour lui (1980), la schizophrénie n’est pas la conséquence d’un échec
précoce dans les premières années de la vie pulsionnelle. La phase symbiotique peut
même être dépassée car l’origine de la maladie se situe seulement dans une
disqualification de l’individualité de l’enfant, dans une non-acceptation par la mère
de leur ambivalence. Sur ce point il est en accord avec Searles : il considère qu’une
mère ayant en horreur ses propres désirs, ceux de son enfant, une mère menacée de

38
dépression, ayant une piètre opinion d’elle même, n’aura qu’une volonté, celle de ré-
inclure l’enfant en elle, qu’il demeure une partie intégrante d’elle même afin de tuer
la source du désir. « Cet enfant narcissiquement séduit doit être comme s’il n’était
pas né » (p.122). Racamier désigne en effet cette phase de symbiose anormale entre
l’enfant et la mère, ce retour à la non-différenciation par le terme de séduction
narcissique. Pour lui, c’est une dyssymbiose car la symbiose se situe avant la
différenciation du moi de l’enfant, or la séduction narcissique est un retour à ce
niveau par négation de la différence.

D’après Racamier (1980), la mise en place de ce déni d’altérité soi-non-soi


s’effectue par la relation de double entrave qui s’applique bien dans ce cas puisque
la séduction narcissique est la négation d’un moi déjà en partie construit et non un
prolongement de la symbiose primitive. Par double nouage (double bind), Racamier
entend donc la relation où on soumet « un individu à deux injonctions inconciliables
de telle sorte qu’ils soient impossible d’obéir à l’une sans désobéir à l’autre […]
avec l’interdiction de s’y soustraire » (p.146). Cette étreinte paradoxale a pour
aboutissement la négation de la différence entre l’une et l’autre des injonctions. Afin
de n’en perdre aucune, l’altérité entre les deux finit par être niée, l’une se confondant
alors avec l’autre.

Appliqué au moi de l’enfant, ce paradoxe a des conséquences désastreuses


puisqu’il est « une disqualification, le contraire de toute reconnaissance narcissique
de l’activité propre du moi » (p.149). Racamier (1980) donne l’exemple d’un enfant
disant à sa mère qu’il a faim et n’ayant qu’en retour la réponse « Non, tu n’as pas
faim. » La réponse de la mère est anti-moi puisqu’elle nie le désir de l’enfant au lieu
de s’y opposer ou de s’y soumettre. La psyché de l’enfant est niée, tout autant que
ses affects. « L’enfant doit choisir entre la confiance en son moi et l’amour de
l’objet, il est écartelé entre son moi et son objet ». De là vient le fait que le
schizophrène se livre à d’incessants travaux d’épreuve de la réalité afin de dénouer
ce paradoxe et de faire la distinction entre soi et non-soi. Mais le propre du paradoxe
est qu’il est insoluble et il finit par se décourager. La négation de la frustration par la
mère (ici la faim) finit par gagner l’enfant, peut-être devenu adulte schizophrène, et
la haine éprouvée par celui-ci comme auto-défense de son moi devient
indiscernable : « le paradoxe, la haine même devient indiscernable : le paradoxe

39
serré provoque, avec la confusion de l’esprit, une égale confusion des sentiments »
(p.151).

La négation de la frustration, donc de l’altérité, dans laquelle est pris le sujet se


traduit alors par une négation de la pensée, du désir, du fantasme. Cette organisation
anti-fantasme, Racamier l’appelle l’œdipe schizophrénien. Selon lui (1980), c’est le
propre des schizophrènes que de franchir le cadre de la toile œdipienne où se tisse le
moi. « L’œdipe schizophrénien est moins une incursion dans les couches les plus
primitives de l’œdipe qu’une excursion hors du tissu œdipien. Il désigne cet œdipien
schizophrénien par le terme d’antœdipe. « L’ antœdipe est une transgression. C’est
un fantasme-antifantasme qui tarit la source des fantasmes ». En effet, par la
négation de l’altérité, la mère lui rend impossible la représentation de ses origines si
bien qu’il finit par se confondre complètement avec l’objet et avec Dieu par le
fantasme d’auto-engendrement selon lequel il s’est créé lui même. Racamier partage
l’avis de Laplanche et Pontalis (1964, cités par Racamier, 1980) et considère que le
fantasme d’auto-engendrement abolit la source des fantasmes dont les origines sont
dans le fantasme des origines. En 1992 (cité par Azoulay, 2002), il précise à son
sujet :

Il ne se réduit pas au fantasme œdipien de prendre la place du père, ni au fantasme pré-


œdipien des « parents combinés » mais il renverse les générations et les retourne comme des
gants, il les annule (p.196).

Dans ce fantasme-antifantasme, l’omnipotence inanitaire règne et la possibilité de


penser est niée dans la non-acceptation de la différence des sexes, des générations et
des êtres. L’antœdipe se définit donc comme à la fois un anté-œdipe et un anti-
œdipe : « anté » car il remonte en deçà de la situation œdipienne au niveau de la
génération même par le fantasme d’auto-engendrement, et « anti » parce qu’il
s’oppose à toutes les angoisses propres à l’œdipe en niant le désir à la source, c’est à
dire à l’inceste, par la séduction narcissique et la relation incestueuse réalisée
(Racamier, 1980, p.134). Ainsi engagé dans la voie de l’antœdipe, le sujet
schizophrène se rapproche alors encore davantage de la mort psychique.

Dans la continuité de ses travaux, Racamier (1992, cité par Azoulay, 2002)
introduit la notion de deuil originaire qu’il définit comme l’acceptation de la non-

40
possession totale de l’objet et de sa propre finitude, par le renoncement à
l’omnipotence infantile comme prix à perdre pour toute découverte.

C’est en 61 dans son étude sur la schizophrénie et l’inéluctabilité de la mort que


Searles (1965) s’interroge lui aussi sur la notion de deuil et ses rapports avec la
schizophrènie. Selon lui, des sujets schizophrènes le seraient effectivement devenus
pour éviter d’affronter la finitude de la vie, le sentiment de toute puissance divine
rencontré chez certain n’étant que la conséquence direct de ce déni de la mort. Ainsi,
Searles émet l’hypothèse suivante : une mort intervenue dans la famille du sujet et
non acceptée par celui-ci, non pas à la manière du mélancolique en s’identifiant en
partie à l’objet perdu et en se reprochant cette perte (Freud, cité par Azoulay, 2002),
mais en niant le décès, le travail de deuil, cette mort déniée donc ne peut entraîner
qu’un remaniement du réel et une conception délirante où la vie n’a pas de fin et
donc pas d’origine, conception qui, nous l’avons vu précédemment, ne peut
qu’aboutir au fantasme d’auto-engendrement propre à l’antœdipe de Racamier.

Dans tous les cas, les schizophrènes ont bien du mal à se situer dans la réalité et
sont bien plus souvent en dehors de celle-ci. Mais ils vivent, ou plutôt survivent, et
voyons maintenant à quel point ces conceptions délirantes et autres hallucinations
sont malgré elles des trésors de défense contre ce que les sujets luttent : la mort de
leur propre psychisme.

b)Hallucinations et délires comme tentatives de guérison

Dès 1911, Freud (cité par Azoulay, 2002) affirme que « ce que nous prenons comme
construction morbide, la formation du délire, est en réalité une tentative de guérison, une
reconstruction ». Il considère que le délire est un réinvestissement libidinal de la réalité
et par conséquent un processus de guérison.

Comme nous l’avons vu en a), la schizophrénie apparaîtrait lorsque le sujet est déchiré
entre son moi et la réalité extérieur. Pour Freud, le trou créé dans la réalité par le déni
du sujet est alors colmaté par la formation délirante : « la folie y est employée comme
une pièce qu’on colle là où initialement s’était produite une faille dans la relation du moi
au monde extérieur » (p.285). La création délirante permet le réinvestissement libidinal
du monde et des objets et, du même coup, limite ou fait céder l’angoisse. Plus le
détachement libidinal est massif et plus l’angoisse se trouve majorée jusqu’à la création
délirante.
41
On retrouve l’idée selon laquelle hallucination et délire ne sont que la preuve d’un
échec du déni. Dans la schizophrénie paranoïde, le sujet n’est donc pas détaché de la
réalité, il reste en contact avec elle mais la déforme pour pouvoir s’y réorganiser. De
même, contrairement à Freud, Bleuler (1911, cité par Azoulay, 2002) conçoit même que
l’autisme était un symptôme secondaire, c’est à dire un moyen de lutter contre
l’expérience de déconstruction mentale.

On peut maintenant dégager deux cas dans l’évolution d’un sujet niant une réalité
intolérable :

 Soit le sujet compense cette perte de réalité par la création d’une réalité fausse et
entre dans la schizophrénie : La réalité n’est pas niée mais déformée. Il y a échec
du déni. Pour Racamier (1980), le moi réussit à se sauver des conséquences de
l’écartèlement entre le fantasme et la réalité, entre lui et l’objet, par
l’hallucination, c’est à dire par le court circuit entre le fantasmé et le perçu où le
premier est versé dans le second. Ainsi, la réalité est déformée et la relation entre
soi et objet devient une lutte pour savoir qui est quoi. Cependant, moi et objet
sont sauvés temporairement. Les symptômes positifs seraient donc une tentative
de réorganisation du sujet pour conserver sa pensée.

 Soit le moi du sujet, suite aux modifications qu’il a subit, se restructure afin
d’accepter cette réalité en permettant à son ça de s’exprimer sans retenues. Le
déni est alors réussi. D’après Racamier (1980), ceci entraîne une perversion
narcissique, puisqu’il considère celle-ci comme l’envers d’une schizophrénie. La
réalité n’est pas niée concrètement, mais c’est le sens du réel qui l’est, et plus
encore son potentielle de significations. Ce même auteur désigne ces deux
mécanismes dans la schizophrénie par déni de signification et déni de
signifiance.

De manière théorique, on peut avancer le raisonnement suivant: Par les deux


mécanismes cités plus haut, schizophrénie et perversion narcissique aboutiraient à des
actes complètement immoraux car sans importances dans un monde sans importance. A
cause d’un besoin absolu de concret, ils tenteraient tous les deux de satisfaire leur ça.
Mais dans la perversion narcissique, l’organisation du moi du sujet serait beaucoup plus
adapté que celle du schizophrène du fait de la pauvreté du délire, et le déni de
signifiance serait, lui, mis en place dès le début. Si l’on considère les personnalités
42
psychopathiques comme des pervers narcissique, on peut donc définir la schizophrénie
et la perversion narcissique comme des moyens extrêmes pour conserver une relation
avec l’objet, la différence entre les deux étant la propension du schizophrène, du moins
au début, à lutter contre l’inanisation de son monde, même si, par découragement, il finit
par ôter tout signifiance à l’objet. Quant à l’issue de ce mécanisme de désertification du
moi, il y aurait trois voies différentes :

 La mort psychique à la suite d’une pensée délirante suffisamment


destructrice pour le moi du sujet.

 Le suicide, lorsque la pensée délirante d’omnipotence inanitaire ferait


défaut avant celle-ci (Racamier, 1980) : « L’omnipotence inanitaire ne tue
pas mais il faut veiller sur les schizophrènes qui renoncent à cette arme : ils
pourraient bien se tuer vraiment » (p.93-94).

 La folie meurtrière où le ça du sujet envahit complètement la conscience le


réduisant à l’état de bête sauvage indifférente à la société et donc
inorganisée, comme se fut le cas pour le « célèbre » meurtrier Ted Bundy
lors de son dernier crime.

Dans ce sens, Racamier considère que même l’inanité est pour le malade une façon de
préserver l’objet. Le schizophrène réserve une attention maximum à l’objet, mais
négative. Le fait d’ôter toute signifiance à l’objet est la dernière défense pour préserver
cet objet et donc son moi. Le paradoxe dans lequel est pris le schizophrène, selon lequel
il est l’objet, l’objet est lui et tout d’eux sont en n’étant pas, est pour lui (1980) le plus
puissant mécanisme de défense que le moi utilise pour continuer d’être. Selon lui :

Un objet qui n’est là que lorsqu’il n’est pas là n’est pas une absence d’objet ; une pensée qui
jouit de penser qu’elle ne pense qu’en ne pensant pas n’est pas une absence de pensée ; Tout
paradoxe est lien (p.158).

La pensée paradoxale serait le seul objet de plaisir du malade. « C’est elle qui se tarie
[…] pour faire place chez certains malades à cette dégression de la vie psychique, qui
constitue l’issue silencieuse des carrières schizophréniques les plus déplorables »
(p.158).

Ainsi ne faut-il pas se hâter d’enlever tous les symptômes car ils sont autant de
moyens pour le malade de lutter contre sa régression mentale, autant de constructions

43
mentales qui, tout en l’entraînant vers la dissolution psychique, l’en préservent pendant
la durée où il parvient à érotiser cette formation délirante dont l’existence même est la
preuve de sa vie mentale. « Toute schizophrénie est une organisation psychique apte à
durer, une défense contre la catastrophe », dit H.Segal en 1972 (cité par Racamier,
1980), ce que Racamier (1980) lui-même confirme en admettant qu’être schizophrène
consiste à repousser l’englobement et la possession narcissiques, meurtrières pour le
moi. Mais ce dernier est plus réservé quant à la cure de schizophrène, à cause
notamment du dilemme où elle s’engage. En effet, et nous terminerons là-dessus, pour
Racamier, l’érotisation paradoxale est par sa nature un des facteurs importants de la
résistance thérapeutique des schizophrènes, ce qu’il exprime de la manière suivante :

C’est l’érotisation paradoxale qui lui permet de jouir de son activité mentale, de la
conserver, et de suivre une cure - et c’est l’érotisation paradoxale qui rend si difficile de ne
l’être plus ( p.158).

Conclusion
Les psychiatres et les psychologues s’accordent à le dire : la schizophrénie est l’une, sinon la
psychose la plus difficile à soigner. Il est vrai que l’on s’est éloigné du point de vue de
Kraepelin quant à l’inéluctabilité de la maladie, mais il n’en reste pas moins que

44
l’amélioration de l’état d’un schizophrène est encore et toujours une tâche ardue, et ceci pour
plusieurs raisons :

 La difficulté à diagnostiquer la maladie

 La gravité de la confusion psychologique du patient

 La réticence du patient à sortir de cet état confusionnel qui, nous l’avons vu, lui
permet de conserver temporairement une vie psychique

Mais, comme le dit fort justement Racamier (1980), si la mort psychique est une épée
Damoclès pointée au-dessus du schizophrène, une épée retenue par un fil qu’il ronge petit à
petit, il ne faut pas oublier que le schizophrène vit, lutte pour sa pensée, pour son Je. Le
schizophrène érotise le paradoxe existentiel dans lequel il s’enferme, et si cela le rapproche de
la mort psychique, c’est aussi cela qui le maintient en vie. S’il est capable de nier jusqu’à sa
propre pensée, il est tout aussi capable de la refaire émerger. Ainsi possède-t-il une force, une
puissance, une habilité trop souvent insoupçonnées.

Pour ce qui est des origines, la question reste ouverte. Comme Bleuler l’affirmait, il semble
certain qu’une anomalie cérébrale soit en cause, ainsi que le vécu du sujet. L’hypothèse d’un
père et/ou surtout d’une mère schizophrénogène est très plausible, comme l’est tout autant
celle d’un travail de deuil dénié. La schizophrénie garde tous ces mystères de ce côté là et à ce
propos, finissons sur la réflexion de Searles (1965) sur l’effort pour rendre l’autre fou. Il y a,
d’après lui, plusieurs modalités pour cela, notamment d’alterner excitation et frustration chez
l’autre, et plus généralement de le soumettre à des situations paradoxales où l’ambivalence
n’arrive pas à se dénouer et finit par être niée (double entrave). Dans la mesure où
l’environnement d’un individu est aussi important dans son vécu, on peut légitimement
s’interroger sur les répercussions que peut avoir sur celui-ci un monde instable où réalité et
fiction se mêlent, un monde où le sens est perdu car prisonnier de paradoxes innombrables et
où la possibilité d’en porter est niée sous l’information inutile et régressive tant souhaitée,
bref, le monde dans le lequel nous vivons actuellement.

Annexes
Exemple 1 : exemple d’un discours incohérent (De Wykes & Leff, 1982, cité par Frith,
1992)
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Où tout ce commencement peut-il bien avoir commencé la possibilité opère une partie du
temps ayant la même décision que vous et la possibilité sur laquelle je dois réfléchir
maintenant ou éliminer tout doute qui m’ennuie et un instant ce qui m’ennuie un horrible
destin dans ma sagesse la vérité est je détiens la vérité de vous dire avec ma signature ici et
comme je suis comme Dieu m’a fait et comprend ma situation et vous écouterez
intelligemment votre intelligence est à nouveau lumineuse et est enregistrée dans ma tête.

Exemple 2 : exemple d’un discours avec persévération (Andreasen, 1979, cité par Frith,
1992)

Il s’agit de la transcription de la description d’une scène agricole par un schizophrène


chronique. Les tirets indiquent des pauses.

Certains - bâtiments de ferme - dans une cour de ferme - à l’heure – avec un cheval et un
cavalier – à l’heure où – traversant le champ comme s’ils labouraient le champ – à l’heure –
avec des femmes – ou effectuant la récolte – le travail à l’heure est – venant avec une autre
femme – le travail à l’heure est – et où – elle porte un livre – à l’heure – pensant à des choses
– le travail à l’heure est – et le travail à l’heure est où – vous voyez venir son prochain temps
de travail à l’heure est au champ – et où le travail est – où son temps est où le travail est et
pensant à des gens et où le travail est et où vous voyez les collines – s’élevant – et le travail à
l’heure est – où vous voyez le – l’herbe – le travail du temps est – le travail du temps est là où
se trouvent les champs – où les cultures sont et où le travail est.

Exemple 3 : exemple d’un discours d’un patient jargonaphasique (Butterworth, 1985,


cité par Frith, 1992)

L’expérimentateur : Que signifie « battre le fer tant qu’il est chaud » ?

Le patient : Mieux vaut être bon et à la poste et à la boîte aux lettres et à la distribution du
courrier et l’inspecteur et le proviseur. Les chemins de fer du sud très bons, et Londres et
l’Ecosse.

Exemple 4 : 3 types d’anomalies de la fluence verbale, cité par Frith (1992)

Il a été demandé à chaque patient de donner pendant trois minutes tous les noms d’animaux
qui lui viennent à l’esprit.

Le patient F. a produit 4 mots en trois minutes.

chèvre

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veau

lion

chiot

Le patient K. a produit 14 mots, mais avec des problèmes de persévérations :

des lions

des tigres

des singes

tous les animaux du zoo

des tortues

un singe

je n’en trouve pas d’autres

une baleine

le seul auquel je peux penser c’est « singe »

des lions

un lion

une lionne

Le patient H. a produit 29 mots, mais beaucoup ne sont pas des noms d’animaux :

émeu

canard

cygne

lac

monstre du Lochness

bacon

œufs et bacon

porc
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sale porc

porc frit

Exemple 5 : exemples d’ ambivalences chez le schizophrène (Searles, 1965, p.210-212)

« Par exemple, une hébéphrène remarque d’un air admiratif, à propos d’une autre patiente :
« Elle a un beau visage. » Puis sur la même lancée ses mots deviennent méprisants, tant dans
le ton que dans le contenu et elle dit : « Elle a l’air d’un bouledogue. » Une autre hébéphrène
me dit une phrase de 8 mots, les sept premiers prononcés sur le ton de l’adoration la plus
totale et le huitième sur le ton du plus profond mépris : « Vous devriez avoir la médaille
parlementaire du crachat. » […] « Au cours d’une des premières séances avec elle, une
hébéphrène se défendait verbalement d’éprouver un quelconque intérêt pour le sexe, tout en
se tortillant sur sa chaise, l’air aguichante et excitée sexuellement. Seize mois plus tard, elle
me dit, sur le ton du plus profond dégoût : « Grand Dieu ! Vous êtes monstrueux !…
obscène !… stupide ! », en s’interrompant sans cesse pour serre son oreiller contre elle, avec
des larmes de chagrin, bien avant qu’elle ne soit capable de reconnaître son désir de
m’étreindre et de m’aimer. »

Exemple 6 : exemples d’introjects chez des patients schizophrènes (Searles, 1965, p.253)

« Après de longs mois de thérapie, une malade exprimait ainsi cet état de choses : « Tenez, je
suis même pas moi-même !…Ces gens sont dans mes intestins et dans mon estomac et dans
mon cœur !… » Une autre fois, elle me dit, avec une angoisse pressante : « Qui suis-je ? Je
n’ai pas d’identité. » Pendant plusieurs mois, au cours desquels elle fut dominée par un
introject consistant en une constellation de traits de caractère que l’on pouvait faire remonter à
sa mère, mille indices révélèrent qu’elle se prenait pour celle-ci et elle appela ses frères et
sœurs « mes enfants. » […] Je pense aussi à cette malade qui se sentait comme le cheval de
Troie, remplie de centaines de personnages ; »

Bibliographie
Azoulay, C., Chabert, C., Gortais, J., & Jeammet, P. (Eds). (2002). Processus de la
schizophrénie. Paris : Dunod.
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Frith, C.D. (1992). Neuropsychologie cognitive de la schizophrénie. Paris : PUF, 1996.

Racamier, P.-C. (1980). Les schizophrènes. Paris : Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot »,
1995.

Searles, H. (1965). L’effort pour rendre l’autre fou. Paris : Editions Gallimard, 1977.

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