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Sommaire

INTRODUCTION 03

I- Histoire du sujet 06

A) Le caractère anal

B) Le rêve aux loups et les éléments s’y rapportant

II- Histoire du traitement de l’information 11

A) L’identification aux parents

B) Fantasmes masochistes et névrose de contrainte

III- Histoire de la cure 15

A) L’amorçage de la cure et l’évocation de la séduction précoce

B) Le rêve aux loups et la scène primitive

IV- Axes d’études personnels 18

A) Le regard interdit

B) Histoire d’un homme

CONCLUSION 27

Référence bibliographique 28

2
INTRODUCTION

Dans le cadre de l’enseignement universitaire de psychologie clinique, j’ai décidé de


prendre comme objet d’étude « L’homme aux loups ». Je dis « L’Homme aux loups » et
non L’homme aux loups de Freud car ce mémoire s’intéresse davantage à l’homme en lui-
même, en tant qu’il est, comme tout un chacun, un objet de recherche inépuisable car porteur
d’une histoire inconsciente qu’on ne peut jamais cerné dans sa globalité tant elle appartient à
une « autre scène » — comme le pensait Freud — , qu’au cas décrit par celui-ci à travers les
cent et quelques pages de son étude psychanalytique.

En fait ce mémoire se veut être un cas clinique à part entière de l’homme d’origine russe
analysé de Février 1910 à Juillet 1914 par Freud. L’appellation « L’Homme aux loups »
n’appartient qu’à lui et il serait regrettable que par l’appropriation de celle-ci on limite le sujet
dont il est question ici à l’analyse qu’il en ait faite. « L’homme aux loups » n’est « aux
loups », littéralement, qu’à l’intérieur même de ce cas et user de cette appellation à tord et à
travers n’a de ce fait que peu de sens à mes yeux. Les multiples analyses dont ce monsieur a
été l’objet ainsi que le fait admis qu’à l’âge de 92 ans il n’était pas « guéri » de sa névrose
sont autant de preuves montrant que « L’Homme aux loups » est bien plus qu’ « aux loups »
et qu’il est, si on me permet ce jeu de mots, « à toute la psychanalyse ». D’ailleurs Freud
l’avait bien compris et disait fort justement à ce sujet « qu’un cas comme celui décrit ici
pourrait fournir l’occasion de mettre en discussion tous les résultats et problème de la
psychanalyse ».1

Ainsi c’est déjà s’inscrire dans le cadre d’un Extrait de l’histoire d’une névrose infantile
que de prétendre étudier « L’Homme aux loups ». D’ailleurs, je n’aurais pas abordé L’Homme
aux loups de la même manière si Freud lui-même n’avait pas décidé de nommer son patient
ainsi, c’est à dire s’il n’avait pas construit son cas autour de ce fameux rêve. En effet, qu’on
l’appelle « L’Homme aux loups », patient de Freud ou je ne sais quoi d’autre, on ne peut
appréhender ce sujet que par ceux qui l’ont étudié avant nous. Car il faut bien comprendre que
contrairement au cas Schreber où l’on peut, tout comme Freud et Lacan l’ont fait, travailler
sur les dires du sujet lui-même, on ne peut, pour étudier la névrose de Sergei Constantinovitch
Pankejeff, que se baser sur les textes publiés à son sujet et essayer de se détacher de

1
. Freud, S. (1918). L’Homme aux loups. Paris : PUF, Éd. Quadrige, 1990.

3
l’interprétation qui les traversent. Pour l’œuvre de Freud, cela semble d’autant plus difficile
qu’elle est remarquablement bien construire et paraît dépourvue de failles. Pourtant, c’est le
génie de Freud que d’avoir su retranscrire la finesse ses analyses avec autant de talent et ainsi
faire saisir au lecteur, par le miroitement de tout ce qu’il n’approfondit pas, l’inépuisable
richesse contenue en chacun de nous, richesse dont au fond il ne met à jour, comme un
archéologue, qu’une petite partie. Dans ce sens, à mon avis, c’est toute la psychanalyse qui
peut être considérée comme inscrite dans l’œuvre de Freud tant le penseur autrichien, à
l’origine de celle-ci, en a montré l’insondable fertilité.

Le Sujet de L’Homme aux loups sera donc l’objet de cette étude clinique et l’explication
de ce choix résume à lui seul les considérations faites précédemment. Pourquoi avoir choisi le
texte de Freud comme point de départ de mon travail clinique ?

Dans Psychopathologie de la vie quotidienne2, Freud s’est employé à montrer qu’au fond
on ne choisi jamais rien par hasard et que tous choix, même ceux dont on peut penser qu’ils
sont dépourvus d’intentionnalité, tous choix donc relèvent de déterminations symboliques
inconscientes nous échappant. Lacan a repris cela en affirmant que ces déterminations
symboliques ne sont rien d’autre que celles inscrites dans la formation du discours puisque
que selon lui l’inconscient est structuré comme un langage. Etant donné que les deux auteurs
ne semblent pas avoir tout à fait la même conception de ce qu’est le symbolique et qu’il n’est
pas question ici de confronter leurs points de vue, je me contenterai seulement de reprendre
leur avis commun sur la non-existence du hasard psychique, et quant à savoir si celui-ci relève
plutôt de l’une ou l’autre conception, ceci pourrait être l’objet d’une autre étude.

Ainsi donc, rien n’est choisi par hasard et lorsque je m’interroge sur le fait d’avoir pris ce
texte en particulier, la première justification me venant à l’esprit est la suivant : c’est une
œuvre que j’avais déjà lue en deuxième de psychologie. Non seulement je l’avais lue mais je
l’avais beaucoup aimée sans que je puisse particulièrement dire pourquoi. Déjà à l’époque, si
je m’étais davantage intéressé sur les raisons de cette affection mise exclusivement et de
manière rationnelle sur le compte de l’intérêt scientifique, j’aurais peut-être pu comprendre
qu’indépendamment du fait qu’elle est riche au point de vue psychanalytique, car Freud y
traite de nombreux concepts clés, il existe au moins un autre facteur expliquant celle-ci.

C’est donc une œuvre que j’ai déjà lue et que je trouve particulièrement pertinente. Voilà
qui semblait dans un premier temps expliquer mon choix et en effet il n’y a rien d’hasardeux
là-dedans si ce n’est le fait que la raison de mon étrange affection envers ce texte me
2
. ibid.

4
demeurait inconnue. Jusqu’au jour où je m’interrogeai plus sérieusement sur la chose et
découvris un fait de mon histoire personnelle pouvant expliquer de manière bien moins
rationnelle mon attrait pour L’Homme aux loups : alors que j’étais âgé d’une dizaine année
tout au plus, j’avais rédigé une petite histoire où il était question de loups et j’avais à l’époque
éprouvé beaucoup de fierté à faire lire ce texte à mon entourage. C’est un écrit que je garde
depuis précieusement dans mes affaires.

Si je dévoile un peu de mon histoire personnelle, ce n’est pas pour la mettre en avant
d’une manière quelconque mais bien pour montrer que mon choix de « L’Homme aux loups »
est déterminé par ce petit évènement. Je disais plus haut que le fait de parler de « L’Homme
aux loups » en tant que patient de Freud n’engageait pas le lecteur de la même façon que s’il
m’avait été présenté par lui-même ou par un non-psychanalyste. De ce fait, si je m’intéresse
au Dr Pankejeff, c’est également parce que je ai découvert ce sujet dans L’Homme aux loups
et que, parlant d’une rencontre entre un homme et des loups, ce cas faisait écho à cette histoire
qui m’avait apporté tant de fierté dans ma jeunesse, histoire dont le titre d’ailleurs étaient
relativement proche de L’Homme aux loups puisqu’elle s’intitulait « L’enfant et le loup ».

Compte tenu de la surdétermination symbolique à l’œuvre dans chacun de nos choix,


celle-là même mise en évidence par Freud dans Psychopathologie de la vie quotidienne, il
existe probablement d’autres facteurs expliquant le choix de mon étude. Je n’en ai cependant
pas d’autres me venant à l’esprit.

J’ai pris grand plaisir à re-parcourir ce texte de Freud et ai pu redécouvrir à quel point
celui-ci était bien écrit et, chose rare de nos jours, l’auteur relativement prudent dans ses
formulations. Je n’ai pas eu trop de difficultés à trouver mes axes bien qu’à première vue ce
texte donne vraiment l’impression de n’avoir aucune failles où s’engouffrer. Comme j’avais
déjà lu cette œuvre et déjà réfléchit dessus j’ai pu dès ma deuxième lecture (la troisième en
tout) commencer à dégager certains axes d’étude.

Je vais maintenant m’employer à raconter l’histoire du sujet comme je me la représente à


travers le texte de Freud. Je parlerai par la suite de la manière dont j’ai traité les informations
fourmillant dans celui-ci. Puis, j’aborderai l’histoire de la cure telle que l’a menée Freud.
Enfin j’exposerai mes deux axes d’étude concernant Mr « L’Homme aux loups », ceci dans
les contraintes imposées par le texte de Freud et celles strictement universitaires.

5
I) Histoire du sujet
Il s’agit ici de retracer la vie de l’homme analysé par Freud non pas chronologiquement mais
logiquement, c’est à dire telle qu’elle se raconte à l’analyste du patient. Cette histoire est en
partie inconsciente dans le sens où le patient, lorsqu’il débute sa cure, ne peut pas encore se la
raconter à lui-même.

Nous allons donc dégager les évènements de sa vie de sujet qui vont nous permettre de
progresser dans notre compréhension du cas afin de construire un peu plus loin dans ce
mémoire notre propre cas clinique autour de la personne de l’homme aux loups.

A) Le caractère anal

C’est un jeune homme jugé par Freud comme inapte à l’existence qui se présenta à lui
dans le cadre d’un traitement psychanalytique. Il était tombé malade au milieu de sa 18 ème
année après une infection blennorragique — caractérisée par une inflammation des organes
génitaux et un écoulement purulent — et depuis était complètement dépendant de son
entourage. Il est important de noter que lors de cette infection il souffrit également de troubles
de la fonction intestinale. D’après ses dires, le monde était pour lui enveloppé d’un voile et
celui-ci ne se déchirait que lorsque le contenu de son intestin quittait ce même intestin. Il se
sentait alors de nouveau en bonne santé. Mais cette évacuation des selles, ce déchirement de
voile ne se faisait pas spontanément et c’est une personne l’accompagnant qui lui administrait
ces lavements. Autrement dit, il était incapable de lever le voile tout seul.

En fait, le sujet avait depuis sa plus tendre enfance un rapport particulier aux selles et à
l’analité. Ainsi s’avère-t-il qu’à l’époque où une gouvernante anglaise habitait chez eux, il
avait l’habitude de coucher dans le même lit que la Nania, la bonne d’enfant, et c’est
justement ces nuits là qu’il faisait au lit. Il n’en avait pas honte car à cette période il était très
amoureux de sa nounou et haïssait au contraire la gouvernante. Ainsi cette libération de selles
est sûrement à comprendre autant du côté de cadeau pour la Nania — on sait que les
excréments sont une sinon la première forme d’offrande faite par un enfant — que du côté du
défi envers la gouvernante détestée.

Un peu plus tard, sa mère s’inquiéta des risques de dysenterie pour ses enfants, celle-ci
étant apparue aux alentours de leur propriété. Notre jeune sujet s’informa et apprit que, lors
d’une dysenterie, on était sensé trouver du sang dans les selles. Il en devint très anxieux et dit
souffrir de cette maladie. Il révisa cependant son jugement car l’examen le convainc qu’il

6
s’était trompé. Mais cet incident eut des conséquences sur son rapport aux excréments
puisqu’il lui arriva, lors de la période où il souffrait d’angoisse, de souiller sa culotte et d’en
avoir très honte ces fois-ci. Il disait « ne plus pouvoir vivre ainsi ». En fait ces mots il les avait
repris à sa mère car celle-ci, avant l’épisode de la dysenterie, était aller avec lui chez le
médecin se plaindre de saignements et était ressortie en lançant ces mêmes mots. Cette plainte
on allait d’ailleurs la retrouver lors de l’infection ultérieure de notre sujet, à travers
notamment cette problématique du voile à déchirer.

De même, le rapprochement chez celui-ci entre l’argent et les selles se fait éclatant
lorsqu’il raconte qu’à une époque où il n’avait pas de troubles intestinaux, il se trouva à
rendre visite à un cousin pauvre. Une fois parti de chez celui-ci, il se fit le reproche de ne pas
lui avoir apporté une aide financière et eut à cet instant même « l’envi peut-être la plus
pressante de sa vie d’aller à la selle »3. Une autre fois il dit qu’à dix huit ans, il alla chez un de
ses camarades et s’arrangea avec lui pour acheter le concierge de l’école afin qu’une envi
pressante intervenant pendant leur examen de fin d’année puisse leur être opportune. Il
s’avéra que sur le chemin du retour il eut envie de donner de donner davantage au concierge
afin d’être sûr de réussir son examen, mais c’est une toute autre envi qu’il dut soulager alors
qu’il n’était même pas sur le pas de sa porte sa porte d’entrée.

On retrouve encore ce rapport singulier et ambivalent à l’argent quand il raconte qu’après


la mort de son père et le partage de sa fortune conséquente, il faisait régulièrement de violents
reproches à sa mère alors même qu’elle était, il l’avoue lui-même, d’une générosité
irréprochable. Il lui reprochait dans ce moments de ne pas l’aimer, de faire des économies à
ses dépens et de souhaiter sa mort afin de garder l’intégralité de l’argent pour elle. Sa mère
versait des larmes, protestait de son désintéressement et lui avait honte — comme lorsqu’il
faisait dans sa culotte — et la rassurait en disant qu’il ne pensait pas du tout cela d’elle.
Cependant la même scène se répétait à coup sûr à chaque occasion.

Nous retrouvons dans l’enfance du patient la forte ambivalence de ses sentiments envers
les mêmes objets accompagnée d’un clivage non moins important de ses motions tendres et
agressives, avec une prévalence significative de celles-ci, dans la période dite de méchanceté.
En effet il apparaît qu’au retour de ses parents, après l’été passé avec sa sœur et la
gouvernante, ces derniers le trouvèrent violent, irritable, insupportable véritablement. C’est à
cette période qu’il avait coutume de torturer de petits animaux, des insectes. Il se plaisait
également à s’imaginer en train de battre de grands animaux comme le cheval mais aussi, ce
3
.ibid, p70.

7
qui montre toute l’ambivalence de la chose, en train parfois de les caresser. Il était devenu très
cruel envers sa Nania, d’ailleurs c’est peut-être elle qu’il tourmentait le plus intensément, bien
et sûrement parce qu’elle était celle qu’il chérissait le plus. Le patient, lui, affirma à Freud que
la première de ces scènes de crises remontaient qu’au Noël suivant ce fameux été. Il se serait
vengé du fait qu’on ne lui avait pas offert le double de cadeaux alors que le jour de Noël était
bien le même que son anniversaire.

B) Le rêve aux loups et les éléments s’y rapportant

Un autre élément décisif de la vie du patient est associé à cette nuit de Noël. Ainsi
raconte-t-il que la nuit précédant ce jour particulier — dans un premier temps il ne souvint
pas de la date exacte — il fit un rêve dans lequel 6 ou 7 loups le regardaient par la fenêtre, un
rêve qui le réveilla en sursaut et qui, semble-t-il, fut le point de départ de sa période
d’angoisse. Durant celle-ci, ses comportements ne disparurent pas mais s’y ajouta une phobie
du loup et lors de son traitement ultérieur il affirma que c’est le rêve aux loups qui en était à
l’origine et était bien selon lui la cause centrale de sa névrose infantile, celle là même qui se
réactualisait dans sa névrose d’adulte.

Pourtant cette peur du loup, était déjà présente chez le sujet dans les années précédant le
rêve, même si elle n’était pas la conséquence d’une angoisse plus profonde. En effet, il nous
raconte que sa sœur, pour le taquiner, avait durant cette période la maligne habitude de lui
mettre sous les yeux une image de loup en train de se dresser, toutes griffes dehors et les
oreilles pointées. Il en éprouvait alors un grand effroi. Pour lui s’agissait là d’une image du
« Petit Chaperon Rouge ».

Le loup est encore présent dans un souvenir antérieure au rêve qu’il a d’une histoire
racontée par son grand-père : « un tailleur est assis dans sa pièce en train de travailler, voilà
que la fenêtre s’ouvre et qu’un loup entre d’un bond. Le tailleur l’empoigne par la queue et la
lui arrache, si bien que le loup effrayé détale. Un moment plus tard, le tailleur va dans la forêt
et voit soudain s’avancer une harde de loups auxquels il échappe e se réfugiant sur un arbre.
Les loups sont d’abord perplexes, mais le mutilé qui est parmi eux, et qui veut se venger du
tailleur, propose qu’ils montent les uns sur les autres, jusqu’à ce que le dernier ait atteint le
tailleur. Lui-même — c’est un vieux loup plein de force— veut former la base de cette
pyramide. Les loups s’exécutent, mais le tailleur a reconnu le visiteur châtié et s’écrie soudain

8
comme tout à l’heure : empoignez le gris par la queue. Le loup sans queue est pris d’effroi à
ce souvenir, déguerpit, et les autres loups dégringolent tous en culbutant. »4

Ces deux anecdotes ont des aspects en communs. Tout d’abord, ils font référence à
l’apparition d’une grande peur chez un des protagonistes : le patient lorsque sa sœur lui
montrait l’image du loup et le loup lui-même lorsque le tailleur lui crie « empoignez le gris
par la queue ». Cette peur on la retrouve bien sûr dans le rêve mais le sujet fait également
référence à d’autres moments de sa vie où il se souvient l’avoir éprouvée. Par exemple,
lorsqu’un jour un papillon, qu’il poursuivait alors, se fut posé sur une fleur, lui-même fut saisi
d’une grande angoisse et s’enfuit en courant. De même, un jour qu’il jouait à tailler l’écorce
d’un des noyers de leur propriété — l’arbre du rêve — il hallucina s’être coupé en deux le
petit doigt de la main droite et en ressentit non pas une douleur mais bien plutôt une grande
angoisse à la vue de cette blessure.

L’autre point commun de ces deux histoires de loups est le suivant : elles représentent
toutes deux les loups dressés, soit sur les pattes de derrière pour l’image, soit parce qu’ils
forment une pyramide érigée vers le ciel dans le cas des loups du tailleur. Ce qu’il y a de
remarquable dans ce détail, c’est qu’on peut retrouver chez le patient adulte une importance
de la position dressée justement, ceci dans le fait que seul le coït par derrière, c’est à dire
nécessitant de lui une position semblable à ces loups, lui procurait beaucoup de jouissance.
D’ailleurs il fallait pour cela que la femme ait une position particulière elle aussi et il s’avère
qu’à l’adolescence il considéra les « nattes saillantes » comme l’attrait le plus fort de la
femme. En fait, ces choix d’amours, féminins et souvent contraignant, furent une fois la
maturité venue déterminer par la vue de ces femmes dans la position complémentaire à la
sienne, à savoir accroupies et lui présentant leurs « grosses fesses voyantes ». On retrouve
d’ailleurs ici le rapport particulière du sujet à tout ce qui touche à l’analité.

Il fut ainsi pris d’accès amoureux répétés envers ces femmes et le caractère contraignant
de ces coup de foudre renvoie de manière intéressante à l’enfance du sujet, l’infection ayant
mis fin à sa période d’angoisse, celle là même que Freud identifia comme étant une névrose
de contrainte. Le sujet raconte en effet qu’il était à cette époque contraint, par exemple, de
penser à la trinité lorsqu’il voyait trois petits tas d’excréments — on retrouve le caractère anal
encore une fois — ou qu’il devait expirer bruyamment à la vue de mendiants pour ne pas
devenir comme eux. Il lui fallait aussi réaliser de véritable rituels pieux avant de se coucher

4
.ibid, p28.

9
afin de chasser les mauvais esprits qu’il rendait responsables de ses pensées blasphématoires,
Dieu-cochon étant l’une d’elle.

Autour de quoi tournent tous ces éléments de vie ? Sur quels axes d’étude peut-on les
articuler afin de permettre à l’homme aux loups, si cela était possible, de réduire
significativement sa névrose ? C’est ce que nous verrons un peu plus loin.

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II) Histoire du traitement de l’information
Nous allons ici étudier comment Freud a élaboré son étude de cas à partir des informations
concernant son patient. Nous reprendrons notamment sa partie intitulée « Vue d’ensemble sur
le milieu et l’histoire du malade » et verrons comment Freud a fait évoluer ces données brutes.
Nous ferons également des excursions en dehors de cette partie afin de traiter, entre autres, la
séduction précoce et le rêve aux loups car ceux-ci ne sont indiqué par Freud qu’un peu plus
loin dans le texte et demeurent fondamentales dans la compréhension de son cas.

A) L’identification aux parents

Ainsi Freud apprend que les parents de son patient étaient jeunes lorsqu’ils se sont mariés
et qu’ils ont mené une vie conjugale heureuse, notamment quand leur fils n’avait qu’un an et
demi. Freud se servira de cette information pour rendre plus plausible sa théorie de la scène
originaire en disant qu’il était tout à fait normal pour un jeune couple de sa laisser à un
commerce amoureux après une sieste et plus généralement de dormir ensemble alors même
que leur petit garçon était dans la même pièce pour cause de malaria.

Le patient fait également référence à la maladie de son père. Un jour celui-ci s’était mis à
souffrir d’humeur dépressives et lui faisait l’impression d’être un estropié, un mendiant
souffreteux. Son patient racontait qu’il avait lui même eu peur devenir comme tous les
mendiants qu’ils croisaient dans la rue, qu’il évitait cela en expirant bruyamment ou au
contraire en aspirant beaucoup d’air. Freud exploita ces données et avança que ces mendiants
n’étaient autre que des projection de son propre père en train de souffrir. Par son symptôme, il
exprimait à la fois l’appréhension envers son père et la peur de s’identifier à lui mais aussi
tout son amour pour lui car il était plein de compassion envers ces pauvres bougres
d’estropiés. D’ailleurs, Freud précise que si la scène originaire a eu bien lieu et n’a pas été
seulement fantasmée, ces fortes respirations pouvaient très bien être une imitation du bruit fait
par son père au moment du coït avec sa mère.

Sa mère justement, nous apprend l’homme aux loups, avait souffert de problèmes
physiques ayant retenu son attention bien plus tôt que ceux de son père. Un jour qu’ils étaient
tous deux chez le médecin, il l’avait entendu se plaindre de saignements et avaient retenu les
derniers mots qu’elle lança en sortant : Je ne peux plus vivre ainsi. Freud, apprit que l’enfant
se réappropria ces mots lors d’un épisode ultérieur durant lequel il était persuadé de trouver
du sang dans ses selles. C’est de l’existence des représentations archaïques de l’enfantement
chez les enfants (enfantement par l’anus ou par des coups violents dirigés vers la mère,

11
entraînant des saignements justement) que Freud rapproche cette préoccupation singulière.
S’identifiant à sa mère accouchant par l’anus ou par des coups et saignant à cause de cela, sa
préoccupation était rationalisée par la peur de mourir de la dysenterie. Son patient n’exprimait
au fond que son désir homosexuel d’enfanter et son moi se défendait de cette pulsion par
l’apparition de l’angoisse de la mort.

De même, le sujet de Freud raconte que sa sœur prenait grand plaisir à le terroriser avec
une image de loup lorsqu’il était petit. Il raconte également ce fameux rêve dans lequel 6 ou 7
loups assis sur les branches d’un noyer le regardent par la fenêtre. Freud va alors chercher la
provenance des éléments constitutifs du rêve et devoir, pour en expliquer certains, avancer sa
thèse de la scène originaire durant laquelle l’enfant aurait assisté, ou fantasmé assister à une
scène de coït par derrière entre ses parents. Le neurologue autrichien utilisa alors toute sa
finesse intellectuelle pour exposer le refus chez l’enfant de la position homosexuelle passive,
de cette identification à la mère procréant grâce à cette castration dont lui ne veut rien savoir.
De cette angoisse de castration trop importante va naître, nous explique Freud, cette angoisse
du loup qui est à la fois une peur du loup en tant qu’il est son père prêt à le castrer, ce qu’il ne
veut pas, et une peur du loup en tant qu’il n’est autre que lui-même déjà castré comme c’est le
cas dans le rêve avec ces loups à queue de renard. Plus loin, Freud explique en cela la
cohabitation dans l’inconscient de son patient, et finalement dans celui de chacun, des
représentations génitales et sadique-anales.

B) Fantasmes masochistes et névrose de contrainte

Freud prend également fait d’autres éléments de vie de son patient, éléments que celui-ci
se rappelle mais de manière confuse. Ainsi apprend-t-il que l’homme aux loups, à une époque
reculée, aurait été un petit garçon adorable, sage et tendre. Mais il aurait changé brusquement
de comportements un été, alors que ses parents étaient absents et qu’il partageait la propriété
familiale avec sa sœur, sa Nania et une gouvernante anglaise. Son père et sa mère l’aurait
retrouvé insupportable, irritable et d’une méchanceté qu’il ne lui connaissait pas jusqu’alors.
Dans un premier temps, Freud, tout comme les parents de son patients l’avaient fait à
l’époque, porte ses soupçons sur la gouvernante anglaise qui, aux dires de l’entourage de
l’homme aux loups, était une personne « toquée et intraitable ». Le matériel ne l’analyse ne
répondit pas à cette hypothèse et Freud dut réviser son jugement.

En effet, jusque là il avait écouté avec sérieux le récit des rêves où, au cours des bains,
celui-ci dénudait sa sœur mais demeurait incapable d’en expliquer le contenu manifeste avec

12
les informations recueillies. Le souvenir de sa séduction par sa sœur débloqua son
interprétation. Les rêves actifs n’étaient que des moyens d’oublier et se rendre maître de cette
séduction précoce.

Freud avait appris que l’enfant s’était livré, un peu avant sa période de méchanceté, à des
tentatives de séduction de son objet d’amour privilégié, la Nania, sa sœur n’étant qu’une
rivale auprès de leurs parents et de son père notamment. En rapprochant ceci de la séduction
précoce de sa sœur, Freud explique le comportement de l’enfant envers sa Nania comme une
tentative de séduction passive. En effet, la découverte de la passivité sexuelle auprès de sa
sœur n’ayant pas été récusée, au contraire de la personne en étant responsable, une volonté
d’être touché aux organes génitaux par la Nania serait apparue dès lors chez lui.

Freud apprend que son onanisme de séduction auprès de la bonne d’enfant aurait échoué
et été récusé par celle-ci à l’aide d’une menace de castration : « Ce n’est pas bien. Les enfants
qui font cela ont ensuite une blessure à cet endroit ». Freud met en relation cette menace de
castration avec l’apparition de la période de méchanceté. Il considère alors que l’enfant aurait
alors abandonné son érotisme prégénital, exprimé par l’onanisme, et régressé à un érotisme
sadique-anal. Ses tendances actives et passives, celle-ci étant principalement inscrites à ce
stade dans la violence physique, se seraient traduit par un comportement sadique envers les
hommes, les petits animaux, les insectes et les grands animaux — pour le côté actif — et par
la volonté d’être battu, surtout sur le pénis — pour le côté passif. Plus tard Freud avancera que
ces tendances passives masochistes sont également l’expression de sa volonté d’être coïter par
son père.

Précisons que Freud prit aussi connaissance d’une période durant laquelle son patient
aurait été atteint d’une névrose de contrainte, celle-là même qui succéda à la période de
méchanceté et d’angoisse. L’enfant, alors initié à l’Histoire Sainte, perdit ces angoisses mais
se mit à pratiquer d’étranges rituels de piété, à avoir des pensées blasphématoires ou à se
contraindre à d’étranges exercices de respiration quand il voyait des mendiants. Nous avons
vu plus haut ce qui se cachait derrière cette respiration singulière, cependant l’origine de la
mise en place de cette névrose de contrainte restait à Freud assez obscure, tout comme
l’origine des pensées « Dieu-Diable » ou « Dieu-cochon ».

C’est en réfléchissant sur les sentiments excessivement ambivalents du garçon envers son
père qu’il compris que les pensées blasphématoires de son patient n’étaient que des
compromis entre l’amour pour son père, ce père qu’il assimilait inconsciemment à Dieu, et la
haine qu’il manifestait pour lui à travers le fait que ce même Dieu avait laissé son fils mourir

13
sur la croix, son fils martyr avec qui l’homme aux loups s’identifiait. Mais d’où venait cette
soudaine sublimation du conflit pulsionnel entre lui et son père ? Freud affirma que c’était
bien là le but de l’enseignement religieux de permettre cette sublimation. Cette initiation à
l’Histoire Sainte permit à l’enfant de sublimer le but de ses pulsions antagonistes. En effet elle
lui donna matière à faire disparaître le refoulement de la pulsion homosexuelle envers son
père en la sublimant quant à son but. Ce refoulement était à l’origine des symptômes
d’angoisses car c’est bien cette pulsion refoulée qui revenait à travers l’angoisse au loup. La
disparition du refoulé, par la sublimation du but de la pulsion concernée par le refoulement,
entraîna donc la disparition de ses symptômes d’angoisse.

Le patient de Freud, et nous terminerons là-dessus, avait de bonne heure exprimer un


souvenir datant de l’époque où sa méchanceté avait coutume de tourner à l’angoisse. Il
racontait qu’il avait au jour poursuivit un beau papillon à rayures jaunes dont les grandes ailes
se terminaient en appendices pointus. Le garçon avait éprouvé une grande peur lorsque le
papillon s’était posé sur une fleur. Dans un premier temps le patient suggéra à Freud que cette
angoisse provenait peut-être du fait que le mouvement des ailes, au moment où le papillon
s’était posé sur la fleur, lui avait rappelé celui de l’écartement des jambes dans une position en
V laissant apparaître l’organe génitale féminin. Freud pris cette suggestion comme
intéressante mais ne parvint pas à l’élaborer davantage car le rapprochement était assez
lointain. Puis il eut connaissance de l’existence de la bonne d’enfant Grouscha. Ce nom en
russe signifiait « poire » et le patient se souvenait avoir été friand de grosses poires à rayures
jaunes dans son enfance. Freud avança alors, à l’aide d’un souvenir supplémentaire
concernant la Grouscha, l’interprétation suivante : si son patient avait eu si peur lorsque le
beau papillon s’était posé sur la fleur, c’est du fait que ses rayures jaunes lui rappelait la poire
au goût délicieux et également — peut-être aidé en cela par le mouvement de ses ailes — la
Grouscha qu’il avait vue les « nattes saillante » c’est à dire dans la même position que sa
mère dans sa scène originaire. La position homosexuelle, associée à cette expérience depuis la
séduction par sa sœur, avait trouvé là le terrain propice pour s’exprimer malgré le
refoulement et entraîna l’émergence de l’angoisse.

14
III) Histoire de la cure
Nous allons désormais étudier comment s’est déroulée chronologiquement la cure analytique
de l’homme aux loups mené par Freud. Il s’agit donc ici de dégager au sein de cette histoire
les moments cruciaux de la cure, c’est à dire ceux par qui l’analyse s’est vue franchir un
nouveau cap vers le rétablissement du sujet. Il est à noter que ces moments sont parfois
l’œuvre de Freud dans le sens où c’est lui, par sa perspicacité et son intuition, qui permit leurs
émergences, alors que d’autres sont plutôt attribuables à l’homme aux loups lui-même,
lorsque le travail d’association amenait dans son discours des éléments cliniques nouveaux et
exploitables.

A) L’amorçage de la cure et l’évocation de la séduction précoce

Ainsi l’étude du texte de Freud nous apprend tout d’abord que la cure commença par ne
pas commencer justement. L’homme aux loups présentait des défenses efficaces le laissant à
l’écart du traitement, c’est à dire à l’écart du transfert devant s’établir entre lui et Freud afin
que l’analyse progresse. Freud nous indique comment il réussit à réduire ces défenses jusqu’à
alors insurmontables. Etant donné que la cure ne donnait encore aucun résultat, il fixa une
échéance à son patient comme quoi l’analyse s’achèverait à une date précise, qu’elle soit bien
avancée ou au contraire à un point de stagnation. Freud était sérieux et décidé à respecter son
engagement, ce qui amena les défenses de son sujet à s’abaisser légèrement, permettant ainsi
à la cure de véritablement commencer. C’est d’ailleurs de cette deuxième partie que Freud
s’est servi pour écrire L’Homme aux loups. On peut également noter que Lacan a repris ce
principe de l’échéance dans le caractère expéditif de ses consultations.

L’homme aux loups fit donc son anamnèse personnel et Freud réunit ses premiers
éléments cliniques à partir de ses souvenirs d’enfance mais également des informations
léguées par l’entourage de son patient. Il arriva bientôt à un point où les rêves du petit garçon
qu’était l’homme aux loups n’obtenaient pas d’interprétation sûr. Leur matériel était
changeant, incompatible avec les données qu’il possédait alors. Il devait lui manquer des
éléments cliniques pour expliquer ces rêves obscures. Ceux-ci apparurent aux grand jour
quand son patient se souvint et lui raconta l’expérience de séduction qu’il avait subi par sa
sœur, celle-ci l’ayant entraîné « à des voies de fait sexuelles ». Ce nouveau matériel permit à
Freud d’élaborer sur le changement de comportement sexuel de son sujet, de considérer la
chose suivante : à partir de cette séduction infantile, son patient s’employa à connaître des
expériences sexuelles à tendance passive (être touché aux organes génitaux), les rêves à

15
tendance active n’étant que des moyens pour oublier et se rendre maître de cette séduction
précoce.

La cure se déroula donc sur l’étayage de ces nouveaux éléments et de cette dualité actif-
passif, mais si la séduction avait permis de comprendre ces fantaisies où il dénude sa sœur,
elle n’expliquait pas le changement brutal d’humeur du garçon, cette méchanceté soudaine qui
avait bouleversé les parents à leur retour de vacance. C’est une nouvelle communication du
patient qui mit Freud sur la voie pour comprendre cela. L’homme aux loups lui raconta qu’à
la suite de ses tentatives de séduction passive de la Nania et de leur récusation par celle-ci à
l’aide de la menace de castration, il devint tourmenteur, irritable et se mit à satisfaire son
sadisme, ses tendances actives, sur tout ce qui l’entourait et particulièrement sur les hommes
et les petits animaux. Ce moment de la cure est très important. En effet à partir de celui-ci
Freud va considérer qu’à l’époque de sa névrose infantile, l’organisation libidinale de son
patient a régressée, passant du stade prégénitale au stade sadique-anal et y restant depuis fixé
malgré l’avancé en âge et la pseudo-génitalité de son sujet adulte. Pour Freud, les
comportements sadiques de l’enfant ainsi que ses tendances passives formaient bien les deux
pôles d’attitudes propre à son organisation libidinale sadique-anale.

B) Le rêve aux loups et la scène primitive

Le changement d’humeur trouvait donc une explication. Cependant l’homme aux loups
avait eu, pendant cette même période, des symptômes d’angoisse important et ce point
demeurait obscur. Jusqu’au jour où son patient se souvint d’un événement qui semble être à
l’origine des manifestations d’angoisse. Freud eut alors connaissance de son rêve aux loups.
La réminiscence de détails concernant sa formation permit son interprétation, bien
qu’incomplète dans un premier temps, et remit Freud sur la voie de la castration. Il s’engagea
également sur une piste encore plus féconde sur le plan interprétatif, celle de la scène
primitive. Le transfert entre Freud et son patient franchit un nouveau cap puisque le
neurologue autrichien devint à ce moment le loup et l’homme aux loups un des 7 chevreaux.5

On sait que Freud à partir de ce rêve élabora sa thèse de la scène originaire, cette scène
que l’on peut considérer comme le point central de la névrose de l’homme aux loups dans ce
texte. Lui ne la jugea pas comme telle du fait de sa prudence toute scientifique à toujours
envisager le déterminisme psychique comme un sur-déterminisme justement. A ce titre on

5
.ibid, p32.

16
peut dire que a scène primitive n’aurait peut-être pas eu un rôle si important pour l’enfant si sa
sœur ne l’avait pas séduit un peu plus tard.

Cette scène primitive élaborée, il n’en restait pas moins que « l’enfant aux loups » avait
connu à la suite période d’angoisse une autre période où avait alors dominé une névrose de
contrainte. Celle-ci demeurait encore inexpliquée et l’homme aux loups, malgré l’avancé de
sa cure, était toujours malade, à cause de l’enfant en lui pourrait-on dire. Le patient parla à
Freud de cette névrose de contrainte à thème biblique, ce qu’il avait peut-être déjà fait
d’ailleurs, et Freud retomba alors sur l’érotisme anal de son patient. Usant de sa perspicacité
et de son intuition, il utilisa la manifestation hystérique de celui-ci, des troubles intestinaux,
pour faire progresser la cure. Tout comme il avait opéré au début de la cure en fixant une
échéance, il projeta son sujet dans le futur en lui promettant de régler ses problèmes
intestinaux. De cette manière, il permit la libération de l’érotisme anal piégé dans ces troubles
hystériques et leur retour dans le discours de son patient. Des éléments nouveaux allaient
pouvoir en émerger désormais.

Ainsi, la cure touchait à sa fin quand le matériel en question se fit connaître. L’homme
aux loups évoqua un souvenir tout nouveau : celui de la jeune bonne d’enfant nommé
Grouscha. Freud avança que la vision de la Grouscha « les nattes saillantes » avaient
provoqué une réminiscence de la scène primitive chez l’enfant et avait ainsi contribué à
définir ses objets d’amour, une femme aux fesses saillantes d’une condition sociale inférieur à
la sienne.

Le souvenir, ou plutôt l’évocation de la scène avec Grouscha amena une clé


supplémentaire à la cure et entraîna une cascade d’interprétations. Il permit ainsi de démêler
la grande partie des symptômes de l’homme aux loups. Cependant à aucun moment Freud
n’affirma que l’homme aux loups était complètement guéri car il savait trop bien qu’on est
jamais complètement guéri, que le psychisme humain a besoin d’être malade, c’est à dire dans
le conflit, pour exister. Une névrose peut toujours trouver du matériel pour se renforcer. Le
fait que son patient ait été suivi toute sa vie est bien là pour le prouver.

17
IV) Axes d’études personnels
Je vais maintenant exposé mon étude de cas personnelle concernant le patient de Freud. Celle-
ci s’articulera autour de deux axes principaux qui ne se complèteront pas forcément, sans
jamais s’exclure mutuellement. Le premier axe s’organise autour de la notion de regard et
prend appui, nous allons le voir, sur le champ sémantique de celui-ci. Etant donné que nous ne
possédons pas plus de détail sur la survenue de la névrose d’adulte chez notre sujet, cet axe,
comme l’étude de Freud, traitera principalement de sa névrose infantile

A) Le regard interdit

Lorsqu’on étudie cet œuvre, il est étonnant de constater la profusion des expressions se
rapportant à la notion de regard. Ainsi je commencerai par repérer dans de texte les moments
où il est fait référence d’un regard, d’une action de montrer ou de regarder, d’une vision.

Ainsi le patient de Freud raconte-t-il que « quand il apercevait cette image [le loup du
Petit Chaperon Rouge] , il se mettait à crier comme un enragé. 6»

Une autre fois, il se souvient avoir entendu la gouvernante dire à ceux qui la
suivaient « regardez donc ma petite queue ».7

Lorsqu’il parle à Freud de la séduction de sa sœur, le sujet évoque le fait qu’elle lui avait
dit alors « on va se montrer le popo. » A ce propos, on peut noter que toutes les tentatives
ultérieures de séduction de la Nania sont du type exhibitionniste.

Le patient évoque aussi des souvenirs concernant ses recherches sexuelles survenues à la
suite de cette séduction. Il parle alors à Freud de l’observation qu’il avait faite de deux filles
en train d’uriner.8

Le rêve aux loups est lui-même très ancré dans cette sémantique du regard. Le patient de
Freud ne raconte-t-il pas : « je voie avec un grand effroi que sur le grand noyer devant la
fenêtre quelques loups blancs sont assis. » Ne dit-il pas « les loups étaient assis[…] et me
regardaient ».9

Lorsque Freud aborde la question de la névrose de contrainte de son patient, il fait


référence à ce souvenir : il était contraint « de penser à la Sainte-Trinité aussi souvent qu’il

6
.ibid, p13.
7
.ibid, p16.
8
.ibid, p22.
9
.ibid, p27.

18
voyait réunis sur la route trois petits d’excréments », ou « de souffler quand il voyait des
mendiants, des estropiés, des gens vieux, laids, pitoyables ».10

Nous avons évoqué un peu plus haut le fait que le rêve aux loups comprenait ce thème du
regard. Les autres rêves racontés par le patient y font également référence. Ainsi le sujet de
Freud évoque-t-il le rêve de la chenille où « il se voyait sur un cheval, chevauchant, poursuivi
par une gigantesque chenille. » Le rêve dont il parle à la suite de celui-ci est de la même
teneur : « […] il voyait le diable en vêtement noir […] il désignait un gigantesque
escargot ».11

Page 80, Freud nous dit que son patient se souvient du fait suivant : « un jour il trouva un
petit oiseau sans plumes qui était tombé du nid, il le prit pour un petit être humain et frissonna
d’horreur à sa vue. » De même, il lui raconte son hallucination du doigt coupé : […] je
remarquai avec un indicible effroi que je m’étais coupé en deux le petit doigt de la main. De
douleur je n’en ressentais aucune, mais une grande angoisse. »12

Même lorsqu’il nous parle de ses accès amoureux, le sujet de Freud, qui est d’ailleurs en
train de devenir le mien, nous renvoie à ce champ sémantique du regard. Ainsi raconte-t-il
qu’ « il se promenait dans le village qui faisait partie de la deuxième propriété et il vit au bord
de l’étang une jeune paysanne agenouillée. » Il en tomba aussitôt amoureux bien qu’il n’eut
pas encore vu son visage.13

Ainsi sommes-nous préparé à apprendre que lors de son infection ultérieure, lorsqu’il
parlait de ses troubles de la fonction intestinale, le patient de Freud affirmait que « sa plainte
principale était que le monde était pour lui enveloppé dans un voile ou qu’il était séparé du
monde par un voile.

Il est intéressant de noter que cette profusion de termes est majoritairement attribuable à
l’homme aux loups puisque Freud ne semble, dans la plupart des cas, n’avoir fait que
retranscrire le plus fidèlement possible ce que lui disait son patient. Ce n’est donc pas Freud
qui a introduit cette prévalence du regard, mais bien son patient. Voyons comment ce que
nous pouvons tirer de ces références sémantiques multiples.

Il existe ici principalement deux types de rapport au regard : celui qui s’inscrit dans le
domaine de l’angoisse, c’est à dire le fait d’être vu, ou de voir, débouchant sur l’angoisse. On

10
.ibid, p64-67.
11
.ibid, p68.
12
.ibid, p80-83.
13
.ibid, p91.

19
peut d’ailleurs préciser que le fait d’être vu est la plupart du temps qu’un cas particulier du
fait de voir puisque l’exhibition consiste au fond à voir qu’on est vu et à en jouir. Voir qu’il
n’y a personne pour nous voir inhibe la tendance exhibitionniste.

Le deuxième type de rapport au regard est celui s’inscrivant dans le domaine du


voyeurisme, de la vision intéressée. On peut remarquer que ces deux rapports sont
inversement complémentaire dans le sens où le voyeurisme n’existe que quand le voyeuriste
voit qu’il n’est pas vu à regarder alors que l’exhibitionnisme n’existe que lorsque
l’exhibitionniste se laisse voir à partir du moment où il voit qu’il est vu.

Ces considérations ne sont pas gratuites. Elles ont pour but de montrer l’ambiguïté
fondamentale existant autour de l’action de regarder.

Je pense qu’on peut éprouver de la fascination et au contraire de l’horreur à la vue d’un


même objet mais une seule de ces impressions se présentera consciemment à nous, l’autre
restant inconsciente. J’avance cela car, dans le cas de l’homme aux loups, il me semble que
l’émergence de l’angoisse n’est pas liée à l’objet lui-même mais est liée à une vision de cet
objet. En effet l’homme aux loups éprouve de l’angoisse lorsqu’il voit certaines choses et non
seulement à l’existence de ces mêmes objets. Sa peur du loup par exemple, contrairement à ce
qu’il rationalise après son rêve, n’est pas une peur d’être dévoré par le loup, même si celle-ci
est plus archaïque et surdétermine sûrement l’angoisse, mais bien une angoisse de voir le
loup, ou d’être vu par lui. Plus encore cette angoisse est liée au fait de le voir dans une
certaine position à savoir celle qu’il prend sur l’image dont raffolait sa sœur.

Freud associa l’angoisse du loup de son patient à la vision qu’il a eu dans son rêve, c’est à
dire castré avec une queue de renard. Son patient aurait développé sa phobie pour ne pas
croiser ce loup castrateur. Je pense que Freud, malgré l’importance qu’il donne à la scène
originaire, accorde plus d’importance à la présence du loup en tant que castrateur qu’à sa
vision. Pourtant je pense que chez de nous demeure cette tendance à n’obéir à l’autorité que
lorsqu’on la voit (le respect scrupuleux du code de la route à la vision d’une voiture de la
police n’est qu’un exemple parmi tant d’autres) et que le surmoi n’est peut-être au fond
qu’une intériorisation de cette vision autoritaire.

On sait, depuis la théorisation de Freud sur le mythe d’Œdipe, quel lien symbolique unit
l’aveuglement à la castration. Il est pourtant dommage de ne voir dans le premier qu’un
substitut symbolique du second. En effet, il ne faut pas oublier que les mythes sont friands de
l’aveuglement, non seulement pour son rapport à l’émasculation mais aussi pour l’importance

20
fondamentale qu’à l’œil et la vision dans l’imaginaire humain. Ainsi peut-on considérer que le
prophète Tirésias est devenu aveugle pour avoir regarder ce qu’il ne fallait pas voir. On peut y
voir la castration, dans le même sens que l’homme aux loups. Pourtant le fait qu’il soit en
retour devenu prophète, c’est à dire capable de voir ce que le autres ne peuvent pas même
apercevoir, tend à signifier qu’il y a dans l’action même de voir quelque chose de plus
profond que le symbole de la castration.

D’ailleurs on sait également que les mythes regorgent de supplices et de damnations qui
semblent bien pire que l’émasculation, les mythes grecs étant pour cela particulièrement
recherchés (l’exemple des supplices de Sisyphe ou de Prométhée sont frappants). Les grecs
justement n’hésitaient pas à parler ouvertement de l’émasculation de Ouranos par son fils
Kronos. Je ne vois donc pas pourquoi, à des époques où la torture était pratique courante, on
se serait appliqué à systématiquement — je ne dis pas que ce ne fut jamais le cas —
symboliser la castration par l’aveuglement, alors même que cette pratique était encore utilisée
au 18ème siècle pour former les castras.

Ainsi le thème du regard mérite-t-il d’être étudié à sa juste valeur. Dans le cas de l’homme
aux loups, il est omniprésent et le patient de Freud à la manière d’un témoin gênant, est bien
cette personne qui a vu quelque chose qu’il aurait mieux valu pour lui ne pas voir. Freud
s’employa a montré qu’il s’agissait de la scène originaire, fantasmée ou non, sans pour autant
appuyé sur l’importance de la vision en elle-même.

Je vais m’employer à montrer que la relation entretenue par l’homme aux loups avec
l’action de voir relève en plus de celle exploitée par Freud dans son étude, d’une scène
primitive d’autre type.

Pour cela, je vais m’appuyer sur ce que beaucoup considère comme le mythe de Freud
mais qui est pour moi son texte le plus fondamental : Totem et Tabou. Dans ce texte Freud
nous explique ni plus ni moins les enjeux de l’Œdipe, la formation du surmoi et de la morale,
interdit de l’inceste et du meurtre. A travers l’histoire du meurtre du Père-Tyran assassiné par
ses fils, Freud met en fractal l’émergence des règles de vie à l’échelle de la civilisation et
l’émergence du surmoi à l’échelle du psychisme de l’individu. C’est l’acte du meurtre du père
par ses fils qui par le remord et la culpabilité de chacun d’eux va permettre la création de la
Loi interdisant justement cette acte odieux mais nécessaire et ambivalent.

Freud s’est employé toute sa vie à montrer que les conceptions religieuses et mystiques
concernant le monde extérieur n’étaient que des projections de nos propres phénomènes

21
psychiques. Par Totem et tabou, il montre qu’au fond tous ces phénomènes sont les mêmes
mais sont considérés à des échelles différences. Ainsi le meurtre primitif du Père se retrouve
dans l’Œdipe de chacun et c’est bien le Père en tant qu’il est mort, ou plutôt toujours à tuer,
qui définie la Loi morale et le respect des lois en générale.

J’avance alors la chose suivante : dans le cas de l’homme aux loups, le sujet réalise donc
le meurtre symbolique de son Père afin de l’ériger en totem à respecter (totem qui était
représenté par le loup). L’enfant rentre dans l’Œdipe par ce meurtre symbolique et aura toutes
les peines du monde à en sortir car l’ambivalence de ces sentiments envers son père est trop
forte pour lui permettre d’accepter facilement cette Loi. D’où sa névrose infantile.

En effet, la scène primitive fantasmée à laquelle il assiste et déterminant principalement sa


névrose, c’est bien le meurtre symbolique de son père par lui-même. Ce qu’il ne veut pas voir
et qui l’effraie tant parfois c’est son père mort, ce totem sans vie qui le renvoie au meurtre de
celui qu’il aime le plus au monde. Ne dit-il pas à ce propos qu’il se battait avec sa sœur pour
être le préféré de son père, ou qu’il désirait devenir un monsieur comme lui ? Il y a une
grande ambivalence dans ce rapport au père et il n’est pas étonnant que plus tard il en vienne
à exprimer celle-ci dans des pensées blasphématoires du type Dieu-cochon. Il ne veut pas voir
ce père car il ne pas suivre sa Loi, c’est çà dire la Loi qu’il a institué par son meurtre horrible
et dont il se défend.

Toute l’ambivalence du sujet autour de ce qu’il y a à regarder se retrouve dans


l’ambivalence de son rapport à ce meurtre. Plus particulièrement à la vision de ce qu’il a
engendré et continue à engendrer par lui : son père mort (il ne faut pas oublier qu’au niveau
de l’inconscient le temps linéaire n’existe pas et ce meurtre se répète sans cesse afin
d’engendrer la Loi).

Ainsi, lorsque le patient de Freud s’approprie les paroles de sa mère à propos des
saignements et affirme trouver du sang dans ses selles, c’est à dire en voir, on peut
effectivement le voir comme un fantasme de grossesse. Mais on peut considérer que cette
obsession est issue du fantasme du meurtre violent de son père qui doit s’accompagner dans la
tête de l’enfant de saignements. D’ailleurs, l’explication de l’enfantement n’est pas exclue
pour autant, et peut même s’y associer dans le sens où par ce meurtre douloureux le patient
enfante sa Loi. D’ailleurs les mots « je ne peux plus vivre ainsi » peuvent être compris comme
l’expression du tourment que lui afflige ce meurtre inconscient.

22
On ne peut pas fixer exactement la date où ce fantasme se forme mais il est probable qu’il
s’effectue en entrant l’Œdipe, un peu avant l’épisode de la plainte de sa mère, lorsque l’enfant
était très amoureux de la Nania, qui était pour lui une figure maternelle, et également très
amoureux de son père. En effet, il ne faut pas oublier que le complexe d’Œdipe ne se crée que
par le conflit entre les deux complexes positifs et négatifs.

C’est la névrose de contrainte qui par sublimation de ce meurtre primitif à travers la


considération du sacrifice du Christ (qui est à la fois fils et père) permit à l’homme aux loups
de sortir petit à petit de son Œdipe et de rentrer dans sa phase de latence. Cependant, le
prédominance de du regard dans sa vie sexuelle et l’ambivalence de ses sentiments envers
l’autorité demeurèrent.

Il est bien évident que ce fantasme n’explique pas tout. Le fait que l’enfant soit effrayé par
le regard de son totem ou par la vision de celui-ci, et non par le totem en lui-même, ne
s’explique que par le fait qu’il avait déjà un rapport particulier au regard, qu’il était déjà
précocement préparé à se fixer sur ce point précis de son fantasme de meurtre. Ainsi la scène
originaire imaginée par Freud et fantasmée par l’enfant trouve ici son complément puisqu’il
s’agit par ce meurtre primitif d’engendrer la Loi. La scène avec Grouscha en train de laver le
sol suffit peut-être d’ailleurs à expliquer cette prévalence du regard dans l’érotisme du sujet.
De même, l’émergence de ce fantasme à une époque où l’enfant avait à peine 3 ans situe une
entrée dans l’Œdipe assez précoce. Cependant, si l’on admet la réalité des expériences vécues
par l’enfant antérieurement à cette date (la scène avec Grouscha au moins), on peut tout à fait
admettre que l’enfant est effectivement entré dans l’Œdipe précocement.

23
B) Histoire d’un homme

Le deuxième axe d’étude que je souhaite aborder dans ce mémoire s’organise autour de la
notion d’histoire. Ici il faut bien comprendre que le terme « histoire », souvent saisi
uniquement dans le sens de l’exposé d’un vécu, renvoie également et de manière indissociable
à l’action narrative qui rend compte de ce même exposé. Ainsi, à partir des mêmes éléments
de vie est-il possible de raconter une infinité d’histoire différentes, autant d’histoires
singulières qui rendront compte de la même chose tout en faisant vivre à celui qui les écoutent
des émotions différentes. Ne dit-on pas que certains sont bien plus doués pour raconter les
histoires ?

Le principe narratif a de tout temps été au cœur des actions humaines et a déterminé leurs
actions. J’en veux pour preuve les nombreux récits où il est question d’une histoire à
l’intérieur de la narration elle-même. L’histoire des milles et une nuit ou de Rashomon,
adaptée au cinéma par Kurosawa, sont des chefs d’œuvres du genre. Celles-ci ne sont en fait
que des fractals de notre propre expérience de vie humaine consistant à se construire des
histoires et d’agir en conséquences, à se raconter des histoires pour inscrire sa vie dans une
trame historique justement. Que fait l’enfant qui n’a pas fait ses devoirs lorsque pour éviter
une punition il ment et raconte une histoire à son professeur ? Rien d’autre que ce que nous
faisons tous les jours à savoir justifier nos actes grâce à une histoire dans lesquels ils
s’inscrivent et prennent sens. Le fait que l’enfant mente n’est au fond guère important. Ce qui
compte c’est que le fait de ne pas avoir fait ses devoirs soit justifié, d’une manière ou d’une
autre.

C’est ce que nous apprend l’œuvre de Freud. Le neurologue autrichien a bien montré à
travers la psychanalyse cet état de fait. Qu’est-ce que la psychanalyse à part la technique
permettant à l’analysé de se raconter son histoire différemment ? La plupart du temps, il s’agit
dans la cure non pas de nier ou modifier des éléments de vie du patient, qu’ils soient réels ou
non, car pour le patient ils sont réels, mais bien de faire qu’il ne leur donne pas le même sens.
C’est pourquoi la psychanalyse, je l’ai indiqué plus haut, dispose d’un matériel inépuisable
car du moment où l’analyste permet à son patient de se raconter l’histoire de sa vie telle qu’il
préfère la concevoir et non comme elle s’est « réellement » déroulée, alors on peut retourner
sans cesse au sujet clinique. Celui-ci a en effet toujours quelque chose de nouveau à raconter.

24
Que fait Freud dans L’Homme aux loups ? Par la libre association, il permet à son patient
de reconstituer l’histoire de sa névrose à partir de ce rêve aux loups qui, d’après ses dires, était
le centre de sa névrose. Mais Freud a le génie de nous montrer qu’il n’y a pas de centre dans
la névrose, mais seulement un point de départ pouvant prendre une infinité de formes
différentes, c’est à dire un point de départ où le sujet peut mettre tout ce qu’il veut dedans. A
ce propos, Freud souligne à travers le caractère fantasmatique de la scène originaire
l’importance secondaire de la réalité « objective » de ce quelque chose et se défend également
contre ceux qui verraient en la psychanalyse une technique suggestive où l’on impose son
histoire au malade.

Je vais donc considérer le cas de l’homme aux loups par l’approche narrative.

Il est frappant de constater que partout dans ce texte il est question d’histoires. Non
seulement Freud emploie facilement ce terme et également celui de « raconter », mais la vie
de son patient en est imprégnée. Histoire d’abord, que ce médecin russe venant voir Freud et
lui racontant son enfance pour « être guéri ». Histoire aussi, tout ce qu’il dit s’être passé dans
sa vie et histoire également, ce que raconte son entourage à propos de son enfance. Histoire
encore, quand sa sœur lui raconte des choses inconcevables sur sa Nania. Histoire toujours,
lorsqu’on apprend que la gouvernante faisait de même. Et que dire de cette « histoire du loup
qui voulut en hiver attraper des poisson en utilisant sa queue comme appât, ce qui fit que la
queue se rompit dans la glace » ?14

On lui raconte pleins d’histoires de loups, d’enfants retirés de leur ventre : Le petit
Chaperon rouge, Le loup et les sept chevreaux, etc. Lui-même raconte l’histoire de son rêve à
Freud, ce rêve qui n’est autre qu’une histoire racontée pendant son sommeil. Il ne faut pas
oublier à ce propos l’histoire que racontait son grand-père sur un tailleur ayant arraché la
queue d’un loup.

Histoire enfin, cette histoire Sainte que lui raconte sa Nania alors qu’il a à peine cinq ans.
L’histoire de l’Homme aux loups, et de son analyse par Freud d’ailleurs, est constellé de récits
narratifs. Ce que j’avance dans cet axe d’étude n’est donc rien d’autre que ceci : la névrose de
l’homme aux loups peut-être considérée comme la conséquence d’une narration de son
histoire personnelle trop conflictuelle, cela, nous l’avons vu, semble effectif pour toutes les
névroses, mais dans son cas précis, comme étant également la conséquence d’un trouble
particulier à la narration en générale. C’est comme si le sujet, conformément à ce que les
adversaires de Freud avançaient, avaient tout inventé à partir des histoires entendues dans sa
14
.ibid, p23.

25
vie et s’en était rendu malade. Bien sûr, le témoignage de l’entourage sur la « réalité
objective » de certaines expériences de son enfance (le rêve aux loups par exemple) nous
indique le contraire. Cependant il est à peu près certain que le sujet l’a « brodé » comme on
dit, cette histoire personnelle. Il en a rajouté pourrait-on dire, comme lorsqu’on raconte une
histoire en y incorporant des éléments nouveaux dans le sens où il pense avoir vécu certaines
choses avec des détails en plus. Ces détails, issus de toutes ces histoires qu’on a pu lui
raconter, sont pour lui bien réelles du fait de l’impression de réalité qu’elles avaient pour lui
lors de leur récit. D’ailleurs il le dit lui-même : son rêve lui était apparu très réel.

On peut alors se demander si des détails ajoutés à des évènements de vie peuvent
provoquer une névrose. Je répondrai à cette interrogation par la considération suivante : Freud
a montré à travers toute son œuvre que les phénomènes psychiques ne sont à concevoir qu’en
terme quantitatif. Pour lui la séparation entre normal et pathologique est arbitraire, non par
parce qu’ils renvoient à des réalités subjectives différentes qualitativement, de quelque chose
et de rien, mais bien parce qu’il relèvent tous deux des mêmes mécanismes psychologiques
seulement différents en terme d’investissement quantitatifs, de plus ou moins de quelque
chose — on peut considérer en effet que l’absence est exprimable en terme quantitatif par
« très peu de quelque chose ». Or qu’est-ce qu’un détail sinon une variation en terme de
quantité ? Si une névrose se crée sur la trop forte prévalence de certains mécanismes
psychologiques alors un détail peut être lié à cette excès de prévalence. Dans ce sens, un
détail de vie peut très bien soutenir un symptôme. Et n’est-ce pas le cas pour cette contrainte
qu’a l’enfant à penser à la Sainte-Trinité lorsqu’il voit trois petits tas d’excréments ? S’il n’en
voit que deux, il n’y pensera pas. Trois et il y pense. C’est bien sur un détail que se joue ce
symptôme et je crois que beaucoup d’autres pourraient-être exprimés de la même façon.

En fait, c’est peut-être uniquement sur des détails de ce genre que se joue la névrose de
l’homme aux loups. D’après moi, au regard de son œuvre, dire cela c’est dire ce qu’a dit
Freud lui-même.

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CONCLUSION

Pour conclure, je vais effectuer un retour sur ce dossier universitaire. J’ai déjà indiqué plus
haut que L’Homme aux loups est un texte qui m’avait beaucoup plu lorsque je l’avais
parcouru pour la première fois. Et bien je dois dire qu’après l’avoir étudier plus en détail,
comme je l’avais souhaité d’ailleurs, il me plaît encore davantage. En faisant ce dossier je me
suis vraiment rendu compte à quel point cette œuvre était riche de possibilités, c’est à dire de
failles, alors même qu’elle paraît complètement hermétique à toutes réinterprétations. Les
données que j’ai dû laisser de côté pour réaliser mon étude de cas sont autant de matières à
exploiter pour un retour au texte. Je compte bien revenir un jour sur celui-ci et le réutiliser, car
c’est ce que j’avais préciser en préambule : cette œuvre, et au fond comme toute étude
clinique, est inépuisable pour ceux qui veulent bien se donner la peine de la lire.

Etudier L’Homme aux loups m’a permis également de voir le travail que nécessitait
l’élaboration d’un cas clinique et les choix que cela exigeait. Cependant, compte tenu de
l’enrichissement personnel que l’on peut en tirer, tant au niveau méthodique que de la
réflexion intellectuelle, je pense que le jeu en vaut largement la chandelle.

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Référence bibliographique

Freud, S. (1918). L’Homme aux loups. Paris : PUF, Éd. Quadrige, 1990.

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