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Jacques Lacan, Camille Laurin, Françoise

Dolto, Wladimir Granoff, François Perrier, Jean


Reboul, Bernard This, Hélène Deutsch, Ernest
Jones, Joan Riviere, Michel Balint

Revue La Psychanalyse

7. La Sexualité féminine
Table des matières
Avertissement.......................................................................................6
[]...........................................................................................................7
Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine...............8
I. – Introduction historique...........................................................8
II. – Définition du sujet.................................................................8
III. – Récolement des faits............................................................9
IV. – Éclat des absences................................................................9
V. – L’obscurité sur l’organe vaginal...........................................10
VI. – Le complexe imaginaire et les questions du développement
....................................................................................................11
VII. – Méconnaissances et préjugés...........................................14
VIII. – La frigidité et la structure subjective..............................15
IX. – L’homosexualité féminine et l’amour idéal.........................19
X. – La sexualité féminine et la société......................................20
Phallus et sexualité féminine............................................................22
Exposé historique.......................................................................22
Bibliographie..............................................................................66
La libido génitale et son destin féminin...........................................70
Préambule...................................................................................70
Résumé du chapitre introductif..................................................72
Résumé du chapitre premier......................................................80
*** 84
***...............................................................................................85
Chapitre II. L’érotisme féminin génital. Sa structuration. Ses
manifestations chez la femme adulte.........................................86
I. – Les conditions prégénitales de l’investissement érotique
des voies génitales de la fille et son accès a la pose de son
complexe d’œdipe 86
II. – Étude chez la fille de l’image libidinale du corps propre,
médiation langagière intra-narcissique ; puis de l’image
érogène, médiation langagière avec l’objet, enfin socialisée a
la recherche de sa complémentation génitale et de son fruit,
hors des limites propres de sa corporéité 96
III. – Étude des sensations érogènes génitales chez la femme.
L’orgasme 105
IV. – La frigidité 114
Chapitre III. La relation d’objet génital chez la femme sa
structuration, ses modalités.....................................................124
I. – Les conditions narcissiques aux relations d’objet chez la
femme et chez l’homme 124
II. – Le complexe d’Œdipe, épreuve narcissique génitale.
L’angoisse de castration la soumission a la loi endogène le
renoncement au désir pour le géniteur la chute des dents, son
importance génitale symbolique. La règle des quatre « g »
131
III. – Le risque féminin et la dialectique phallique 136
IV. – Le risque féminin et la dialectique imagière de la
rencontre : le corps et le cœur, le désir et l’amour 141
Conclusions...............................................................................148
I. – La différence au stade physio-psychologique de relations
génitales entre les hommes et les femmes 148
II. – Caractéristiques de l’amour génital de la femme 158
III. – Si ce n’est donc ni l’organe mâle ni l’orgasme comme tel,
recherchés en eux-mêmes, quel est donc alors le mode de
satisfaction génitale spécifiquement féminin ? 162
IV. – Le deuil du fruit vivant de l’amour symbolisé par l’enfant
réveil de castration symbolique et pulsions de mort 164
V. – Son désir a-t-il une spécificité féminine signifiable pour
elle ? 166
Le problème de la perversion chez la femme et les idéaux féminins
........................................................................................................167
Introduction..............................................................................167
Le masculin et le féminin.........................................................168
*** 169
Plaisir ou jouissance.................................................................169
Le complexe d’œdipe................................................................182
*** 183
*** 188
*** 193
Les temps modernes ou la castration sans garantie................197
La femme homosexuelle...........................................................204
La femme perverse...................................................................215
*** 216
*** 218
Conclusions...............................................................................223
Bibliographie............................................................................229
Une tache d’encre..........................................................................234
*** 236
*** 239
*** 245
Communication...............................................................................248
Traductions......................................................................................257
La psychologie de la femme en relation avec les fonctions de
reproduction...................................................................................258
La Phase Précoce Du Développement De La Sexualité Féminine..278
La féminité en tant que mascarade................................................298
La phase phallique.........................................................................315
*** 357
Contributions a la technique psychanalytique.................................363
La régression du patient et l’analyste............................................364
I.................................................................................................365
II...............................................................................................374
III..............................................................................................381
IV...............................................................................................389
Avertissement
La Société française de Psychanalyse a mis au programme de
ses recherches, notamment au cours des années 1959-60,
l’examen des théories psychanalytiques de la sexualité féminine.

Dans ce volume on lira un certain nombre des travaux consacrés


à ce thème ; et tout d’abord les Propos directifs, canevas
proposé par Jacques Lacan pour un colloque auquel a participé
la Société française de Psychanalyse (Amsterdam, septembre
1960).
[]
Propos directifs pour un congrès sur la sexualité
féminine

par Jacques Lacan

I. – Introduction historique

Si l’on considère l’expérience de la psychanalyse dans son


développement depuis 60 ans, on ne surprendra pas à relever le fait
que, s’étant conçue d’abord comme fondant sur la répression
paternelle le complexe de castration, premier issu de ses origines, –
elle a progressivement orienté vers les frustrations venant de la
mère un intérêt où ce complexe n’a pas été mieux élucidé pour
distordre ses formes.

Une notion de carence affective, liant sans médiation aux défauts


réels du maternage les troubles du développement, se redouble
d’une dialectique de fantasmes dont le corps maternel est le champ
imaginaire.

Qu’il s’agisse là d’une promotion conceptuelle de la sexualité de la


femme, n’est pas douteux, et permet d’observer une négligence
marquante.

II. – Définition du sujet

Elle porte sur le point même où l’on voudrait en cette conjoncture


ramener l’attention : à savoir la partie féminine, si ce terme a un

8
La régression du patient et l’analyste

sens, de ce qui se joue dans la relation génitale, où l’acte du coït


tient une place au moins locale.

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La régression du patient et l’analyste

Ou pour ne pas déchoir des repères biologiques élevés où nous


continuons à nous plaire : quelles sont les voies de la libido
décernées à la femme par les phanères anatomiques de
différenciation sexuelle des organismes supérieurs ?

III. – Récolement des faits

Un tel projet commande de récoler d’abord :

a) les phénomènes attestés par les femmes dans les conditions de


notre expérience sur les avenues et l’acte du coït, en tant qu’ils
confirment ou non les bases nosologiques de notre départ médical ;

b) la subordination de ces phénomènes aux ressorts que notre action


reconnaît comme désirs, et spécialement à leurs rejetons
inconscients, – avec les effets, afférents ou efférents par rapport à
l’acte, qui en résultent pour l’économie psychique –, parmi lesquels
ceux de l’amour peuvent être regardés pour eux-mêmes, sans
préjudice de la transition de leurs conséquences à l’enfant ;

c) les implications jamais révoquées d’une bisexualité psychique


rapportée d’abord aux duplications de l’anatomie, – mais de plus en
plus passées au compte des identifications personnologiques.

IV. – Éclat des absences

D’un tel sommaire, certaines absences se dégageront dont l’intérêt


ne peut être éludé par un non-lieu :

1) Les nouvelles acquisitions de la physiologie, les faits du sexe


chromosomique par exemple et ses corrélats génétiques, sa
distinction du sexe hormonal, et leur quote-part dans la
détermination anatomique, – ou seulement ce qui apparaît du
privilège libidinal de l’hormone mâle, voire l’ordination du
métabolisme œstrogène dans le phénomène menstruel –, si la
réserve toujours s’impose dans leur interprétation clinique, ne
laissent pas moins à réfléchir d’être restés ignorés d’une pratique où

10
La régression du patient et l’analyste

l’on excipe volontiers d’un accès messianique à des chimismes


décisifs.

La distance ici gardée au réel peut soulever en effet la question de la


coupure intéressée, – qui, si elle n’est pas à faire entre le somatique
et le psychique solidaires, s’impose entre l’organisme et le sujet, à
condition qu’on répudie pour ce dernier la cote affective dont l’a
chargée la théorie de l’erreur pour l’articuler comme le sujet d’une
combinatoire, seule à donner son sens à l’inconscient.

2) Inversement un paradoxe original de l’abord psychanalytique, la


position-clef du phallus dans le développement libidinal, intéresse
par son insistance à se répéter dans les faits.

C’est ici que la question de la phase phallique chez la femme


redouble son problème de ce qu’après avoir fait rage entre les
années 1927-1935, elle ait été laissée depuis lors dans une tacite
indivision au bon vouloir des interprétations de chacun.

C’est à s’interroger sur ses raisons qu’on pourra rompre ce suspens.

Imaginaire, réelle ou symbolique, concernant l’incidence du phallus


dans la structure subjective où s’accommode le développement, ne
sont pas ici les mots d’un enseignement particulier, mais ceux-là
même où se signalent sous la plume des auteurs les glissements
conceptuels qui, pour n’être pas contrôlés, ont conduit à l’atonie de
l’expérience après la panne du débat.

V. – L’obscurité sur l’organe vaginal

L’aperception d’un interdit, pour oblique qu’en soit le procédé, peut


servir de prélude.

Se confirme-t-elle dans le fait qu’une discipline qui, pour répondre de


son champ au titre de la sexualité, semblait permettre d’en mettre au
jour tout le secret, ait laissé ce qui s’avoue de la jouissance féminine
au point précis où une physiologie peu zélée donne sa langue au
chat ?

11
La régression du patient et l’analyste

L’opposition assez triviale entre la jouissance clitoridienne et la


satisfaction vaginale, a vu la théorie renforcer son motif jusqu’à y
loger l’inquiétude des sujets, voire la porter au thème, sinon à la
revendication, – sans que l’on puisse dire pourtant que leur
antagonisme ait été plus justement élucidé.

Ceci pour la raison que la nature de l’orgasme vaginal garde sa


ténèbre inviolée.

Car la notion massothérapique de la sensibilité du col, celle


chirurgicale d’un noli tangere sur la paroi postérieure du vagin,
s’avèrent dans les faits contingentes (dans les hystérectomies sans
doute, mais aussi dans les aplasies vaginales !).

Les représentantes du sexe, quelque volume que fasse leur

voix chez les psychanalystes, ne semblent pas avoir donné leur


meilleur pour la levée de ce sceau.

Mise à part la fameuse « prise à bail » de la dépendance rectale où


Mme Lou Andréas-Salomé a pris position personnelle, elles s’en sont
généralement tenues à des métaphores, dont la hauteur dans l’idéal
ne signifie rien qui mérite d’être préféré à ce que le tout-venant nous
offre d’une poésie moins intentionnelle.

Un Congrès sur la sexualité féminine n’est pas près de faire peser


sur nous la menace du sort de Tirésias.

VI. – Le complexe imaginaire et les questions du


développement

Si cet état de choses trahit une impasse scientifique dans l’abord du


réel, le moins qu’on puisse attendre pourtant de psychanalystes,
réunis en congrès, c’est qu’ils n’oublient pas que leur méthode est
née précisément d’une impasse semblable.

Si les symboles ici n’ont d’autre prise qu’imaginaire, c’est


probablement que les images sont déjà assujetties à un symbolisme
inconscient, autrement dit à un complexe, – qui rend opportun de

12
La régression du patient et l’analyste

rappeler qu’imagés et symboles chez la femme ne sauraient être


isolés des images et des symboles de la femme.

La représentation (Vorstellung au sens où Freud emploie ce terme


quand il marque que c’est là ce qui est refoulé), la représentation de
la sexualité féminine conditionne, refoulée ou non, sa mise en œuvre,
et ses émergences déplacées (où la doctrine du thérapeute peut se
trouver partie prenante) fixent le sort des tendances, si dégrossies
naturellement qu’on les suppose.

On doit retenir que Jones dans son adresse à la Société de Vienne qui
semble avoir brûlé la terre pour toute contribution depuis, n’ait déjà
plus trouvé à produire que son ralliement pur et simple aux concepts
kleiniens dans la parfaite brutalité où les présente leur auteur :
entendons l’insouci où Mélanie Klein se tient, – à inclure les
fantasmes œdipiens les plus originels dans le corps maternel –, de
leur provenance de la réalité que suppose le Nom-du-Père.

Si l’on songe que c’est tout ce à quoi aboutit Jones de l’entreprise de


réduire le paradoxe de Freud, installant la femme dans l’ignorance
primaire de son sexe, mais aussi tempéré de l’aveu instruit de notre
ignorance, – entreprise si animée chez Jones du préjugé de la
dominance du naturel qu’il trouve plaisant de l’assurer d’une citation
de la Genèse –, on ne voit pas bien ce qui a été gagné.

Car puisqu’il s’agit du tort fait au sexe féminin (« une femme est-elle
née ou faite ? », s’écrie Jones) par la fonction équivoque de la phase
phallique dans les deux sexes, il ne semble pas que la féminité soit
plus spécifiée à ce que la fonction du phallus s’impose encore plus
équivoque d’être reculée jusqu’à l’agression orale.

Tant de bruit en effet n’aura pas été vain, s’il permet de moduler les
questions suivantes sur la lyre du développement, puisque c’est là sa
musique.

1) Le mauvais objet d’une phallophagie fantastique qui l’extrait du


sein du corps maternel, est-il un attribut paternel ?

13
La régression du patient et l’analyste

2) Le même porté au rang de bon objet et désiré comme un mamelon


plus maniable (sic) et plus satisfaisant (en quoi ?), la question se
précise : est-ce au même tiers qu’il est emprunté. Car il ne suffit pas
de se parer de la notion du parent combiné, il faut encore savoir si
c’est en tant qu’imagé ou que symbole que cet hybride est constitué.

3) Le clitoris, tout autistiques qu’en soient les sollicitations,


s’imposant pourtant dans le réel, comment vient-il à se comparer aux
fantasmes précédents ?

Si c’est indépendamment qu’il met le sexe de la petite fille sous le


signe d’une moins-value organique, l’aspect de redoublement
proliférant qu’en prennent les fantasmes, les rend suspects de
ressortir à la fabulation « légendaire ».

S’il se combine (lui aussi) au mauvais comme au bon objet, alors une
théorie est requise de la fonction d’équivalence du phallus dans
l’avènement de tout objet du désir, à quoi ne saurait suffire la
mention de son caractère « partiel ».

4) De toute façon se retrouve la question de structure qu’a introduite


l’approche de Freud, à savoir que le rapport de privation ou de
manque à être que symbolise le phallus, s’établit en dérivation sur le
manque à avoir qu’engendre toute frustration particulière ou globale
de la demande, – et que c’est à partir de ce substitut, qu’en fin de
compte le clitoris met à sa place avant de succomber dans la
compétition, que le champ du désir précipite ses nouveaux objets (au
premier rang l’enfant à venir) de la récupération de la métaphore
sexuelle où s’étaient déjà engagés tous les autres besoins.

Cette remarque assigne leur limite aux questions sur le


développement, en exigeant qu’on les subordonne à une synchronie
fondamentale.

VII. – Méconnaissances et préjugés

Au même point convient-il d’interroger si la médiation phallique


draine tout ce qui peut se manifester de pulsionnel chez la femme, et

14
La régression du patient et l’analyste

notamment tout le courant de l’instinct maternel. Pourquoi ne pas


poser ici que le fait que tout ce qui est analysable soit sexuel, ne
comporte pas que tout ce qui est sexuel soit accessible à l’analyse ?

1) Pour ce qui est de la méconnaissance supposée du vagin, si d’une


part on peut difficilement ne pas attribuer au refoulement sa
persistance fréquente au-delà du vraisemblable, il reste qu’à part
quelques observations (Josine Müller) que nous déclinerons en raison
même des traumatismes où elles s’attestent, les tenants de la
connaissance « normale » du vagin en sont réduits à la fonder sur la
primauté d’un déplacement de haut en bas des expériences de la
bouche, soit à aggraver de beaucoup la discordance à laquelle ils
prétendent pallier.

2) Suit le problème du masochisme féminin qui déjà se signale à


promouvoir une pulsion partielle, soit, qu’on la qualifie ou non de
prégénitale, régressive dans sa condition, au rang de pôle de la
maturité génitale.

Une telle qualification en effet ne peut être tenue pour simplement


homonymique d’une passivité, elle-même déj à métaphorique, et sa
fonction idéalisante, inverse de sa note régressive, éclate de se
maintenir indiscutée à l’encontre de l’accumulation qu’on force peut-
être dans la genèse analytique moderne, des effets castrateurs et
dévorants, disloquants et sidérateurs de l’activité féminine.

Peut-on se fier à ce que la perversion masochiste doit à l’invention


masculine, pour conclure que le masochisme de la femme est un
fantasme du désir de l’homme ?

3) En tout cas dénoncera-t-on la débilité irresponsable qui prétend


déduire les fantasmes d’effraction des frontières corporelles, d’une
constante organique dont la rupture de membrane ovulaire serait le
prototype. Analogie grossière qui montre assez à quelle distance on
se tient du mode de pensée qui est celui de Freud en ce domaine
quand il éclaire le tabou de la virginité.

15
La régression du patient et l’analyste

4) Car nous confinons ici au ressort par quoi le vaginisme se


distingue des symptômes névrotiques même quand ils coexistent, et
qui explique qu’il cède au procédé suggestif dont le succès est
notoire dans l’accouchement sans douleur.

Si l’analyse en effet en est à ravaler son vomissement en tolérant que


dans son orbe, l’on confonde angoisse et peur, il est peut-être ici une
occasion de distinguer entre inconscient et préjugé, quant aux effets
du signifiant.

Et de reconnaître du même coup que l’analyste est tout aussi offert


qu’un autre à un préjugé sur le sexe, passé ce que lui découvre
l’inconscient.

Souvenons-nous de l’avis que Freud répète souvent de ne pas réduire


le supplément du féminin au masculin au complément du passif à
l’actif ?

VIII. – La frigidité et la structure subjective

1) La frigidité, pour étendu qu’en soit l’empire, et presque générique


si l’on tient compte de sa forme transitoire, suppose toute la
structure inconsciente qui détermine la névrose, même si elle
apparaît hors de la trame des symptômes. Ce qui rend compte d’une
part de son inaccessibilité à tout traitement somatique, – d’autre part
de l’échec ordinaire des bons offices du partenaire le plus souhaité.

Seule l’analyse la mobilise, parfois incidemment, mais toujours dans


un transfert qui ne saurait être contenu dans la dialectique
infantilisante de la frustration, voire de la privation, mais bien tel
qu’il mette en jeu la castration symbolique. Ce qui vaut ici un rappel
de principe.

2) Principe simple à poser, que la castration ne saurait être déduite


du seul développement, puisqu’elle suppose la subjectivité de l’Autre
en tant que lieu de sa loi. L’altérité du sexe se dénature de cette
aliénation. L’homme sert ici de relais pour que la femme devienne cet
Autre pour elle-même, comme elle l’est pour lui.

16
La régression du patient et l’analyste

C’est en cela qu’un dévoilement de l’Autre intéressé dans le transfert


peut modifier une défense commandée symboliquement.

Nous voulons dire que la défense ici se conçoit d’abord dans la


dimension de mascarade que la présence de l’Autre libère dans le
rôle sexuel.

Si l’on repart de cet effet de voile pour y rapporter la position de


l’objet, on soupçonnera comment peut se dégonfler la
conceptualisation monstrueuse dont l’actif analytique a été plus haut
interrogé. Peut-être simplement veut-elle dire que tout peut être mis
au compte de la femme pour autant que dans la dialectique
phallocentrique, elle représente l’Autre absolu.

Il faut donc revenir à l’envie du pénis (Penisneid) pour observer qu’à


deux moments différents et avec une certitude en chacun également
allégée du souvenir de i’autre, Jones en fait une perversion, puis une
phobie.

Les deux appréciations sont également fausses et dangereuses. L’une


marque l’effacement de la fonction de la structure devant celle du
développement où a toujours plus glissé l’analyse, ici en contraste
avec l’accent mis par Freud sur la phobie comme pierre d’angle de la
névrose. L’autre inaugure la montée du dédale où l’étude des
perversions s’est trouvée vouée pour y rendre compte de la fonction
de l’objet.

Au dernier détour de ce palais des mirages, c’est au splitting de


l’objet qu’on en vient, faute d’avoir su lire dans l’admirable note
interrompue de Freud sur le splitting de l’ego, le fading du sujet qui
l’accompagne.

Peut-être est-il là aussi le terme où l’illusion se dissipera du splitting


où l’analyse s’est engluée à faire du bon et du mauvais des attributs
de l’objet.

Si la position du sexe diffère quant à l’objet, c’est de toute la


distance qui sépare la forme fétichiste de la forme érotomaniaque de

17
La régression du patient et l’analyste

l’amour. Nous devons en retrouver les saillants dans le vécu le plus


commun.

3) Si l’on part de l’homme pour apprécier la position réciproque des


sexes, on voit que les filles-phallus dont l’équation a été posée par M.
Fenichel de façon méritoire encore que tâtonnante, prolifèrent sur
un Venusberg à situer au-delà du « Tu es ma femme » par quoi il
constitue sa partenaire, – en quoi se confirme que ce qui resurgit
dans l’inconscient du sujet c’est le désir de l’Autre, soit le phallus
désiré par la Mère.

Après quoi s’ouvre la question de savoir si le pénis réel, d’appartenir


à son partenaire sexuel, voue la femme à un attachement sans
duplicité, à la réduction près du désir incestueux dont le procédé
serait ici naturel.

On prendra le problème à revers en le tenant pour résolu.

4) Pourquoi ne pas admettre en effet que, s’il n’est pas de virilité que
la castration ne consacre, c’est un amant châtré ou un homme mort
(voire les deux en un), qui pour la femme se cache derrière le voile
pour y appeler son adoration, – soit du même lieu au-delà du
semblable maternel d’où lui est venu la menace d’une castration qui
ne la concerne pas réellement.

Dès lors c’est de cet incube idéal qu’une réceptivité d’étreinte a à se


reporter en sensibilité de gaine sur le pénis.

C’est à quoi fait obstacle toute identification imaginaire de la femme


(dans sa stature d’objet proposé au désir) à l’étalon phallique qui
supporte le fantasme.

Dans la position d’ou bien-ou bien où le sujet se trouve pris entre une
pure absence et une pure sensibilité, il n’est pas à s’étonner que le
narcissisme du désir se raccroche immédiatement au narcissisme de
l’ego qui est son prototype.

18
La régression du patient et l’analyste

Que des êtres insignifiants soient habités par une dialectique aussi
subtile, c’est à quoi l’analyse nous accoutume et ce qu’explique que
le moindre défaut de l’ego soit sa banalité.

5) La figure du Christ, évocatrice sous cet aspect d’autres plus


anciennes, montre ici une instance plus étendue que l’allégeance
religieuse du sujet ne le comporte. Et il n’est pas vain de remarquer
que le dévoilement du signifiant le plus caché qui était celui des
Mystères, était aux femmes réservé.

À un niveau plus terre à terre, on rend compte ainsi : a) de ce que la


duplicité du sujet est masquée chez la femme, d’autant plus que la
servitude du conjoint le rend spécialement apte à représenter la
victime de la castration ; b) du vrai motif où l’exigence de la fidélité
de l’Autre prend chez la femme son trait particulier ; c) du fait
qu’elle justifie plus aisément cette exigence de l’argument supposé
de sa propre fidélité.

6) Ce canevas du problème de la frigidité est tracé en des termes où


les instances classiques de l’analyse se relogeront sans difficulté. Il
veut par ses grandes lignes aider à éviter l’écueil où les travaux
analytiques se dénaturent toujours plus : soit leur ressemblance au
remontage d’une bicyclette par un sauvage qui n’en aurait jamais vu,
au moyen d’organes détachés de modèles historiquement assez
distants pour qu’ils n’en comportent pas même d’homologues, leur
double emploi de ce fait n’étant pas exclu.

Qu’à tout le moins quelque élégance renouvelle le côté bouffe des


trophées ainsi obtenus.

IX. – L’homosexualité féminine et l’amour idéal

L’étude du cadre de la perversion chez la femme ouvre un autre biais.

La démonstration ayant été fort loin poussée pour la plupart des


perversions mâles que leur motif imaginaire est le désir de préserver
un phallus qui est celui qui a intéressé le sujet dans la mère, –
l’absence chez la femme du fétichisme qui représente de ce désir le

19
La régression du patient et l’analyste

cas presque manifeste, laisse à soupçonner un sort autre de ce désir


dans les perversions qu’elle présente.

Car supposer que la femme elle-même assume le rôle du fétiche,


n’est qu’introduire la question de la différence de sa position quant
au désir et à l’objet.

Jones, dans son article, inaugural de la série, sur le premier


développement de la sexualité féminine, part de son expérience
exceptionnelle de l’homosexualité chez la femme et prend les choses
dans un médium qu’il eût peut-être mieux fait de soutenir. Il fait
bifurquer le désir du sujet dans le choix qui s’imposerait à lui entre
son objet incestueux, ici le père, et son propre sexe.
L’éclaircissement qui en résulte serait plus grand à ne pas tourner
court sur l’appui trop commode de l’identification.

Une observation mieux armée dégagerait, semble-t-il, qu’il s’agit


plutôt d’une relève de l’objet : on pourrait dire d’un défi relevé. Le
cas princeps de Freud, inépuisable comme à l’accoutumée, fait saisir
que ce défi prend son départ dans une exigence de l’amour bafouée
dans le réel et qu’il ne va à rien de moins qu’à se donner les gants de
l’amour courtois.

Si plus qu’un autre un tel amour se targue d’être celui qui donne ce
qu’il n’a pas, c’est bien là ce que l’homosexuelle excelle à faire pour
ce qui lui manque.

Ce n’est pas proprement l’objet incestueux que celle-ci choisit au


prix de son sexe ; ce qu’elle n’accepte pas, c’est que cet objet
n’assume son sexe qu’au prix de la castration.

Ce n’est pas dire qu’elle renonce au sien pour autant : bien au


contraire dans toutes les formes, même inconscientes, de
l’homosexualité féminine, c’est sur la féminité que porte l’intérêt
suprême, et Jones a ici fort bien détecté le lien du fantasme de
l’homme, invisible témoin, avec le soin porté par le sujet à la
jouissance de sa partenaire.

20
La régression du patient et l’analyste

2) Il reste à prendre de la graine du naturel avec lequel telles


femmes se réclament de leur qualité d’hommes, pour l’opposer au
style de délire du transsexualiste masculin.

Peut-être se découvre-t-il par là l’accès qui mène de la sexualité


féminine au désir même.

Bien loin que réponde en effet à ce désir la passivité de l’acte, la


sexualité féminine apparaît comme l’effort d’une jouissance
enveloppée dans sa propre contiguïté (dont peut-être toute
circoncision indique-t-elle la rupture symbolique) pour se réaliser à
Venvi du désir que la castration libère chez le mâle en lui donnant
son signifiant dans le phallus.

Est-ce alors ce privilège de signifiant que Freud vise en suggérant


qu’il n’y a peut-être qu’une libido et qu’elle est marquée du signe
mâle ? Si quelque configuration chimique la supportait au-delà,
pourrait-on n’y pas voir l’exaltante conjonction de la dissymétrie des
molécules qu’emploie la construction vivante, avec le manque
concerté dans le sujet par le langage, pour que s’y exercent en
rivaux les tenants du désir et les appelants du sexe (la partialité de
ce terme étant ici toujours la même).

X. – La sexualité féminine et la société

Restent quelques questions à proposer sur les incidences sociales de


la sexualité féminine.

1) Pourquoi le mythe analytique fait-il défaut concernant l’interdit de


l’inceste entre le père et la fille ?

2) Comment situer les effets sociaux de l’homosexualité féminine,


par rapport à ceux que Freud attribue, sur des supposés fort distants
de l’allégorie à quoi ils se sont réduits depuis, à l’homosexualité
masculine : à savoir une sorte d’entropie s’exerçant vers la
dégradation communautaire.

Sans aller à y opposer les effets antisociaux qui ont valu au


catharisme, ainsi qu’à l’Amour qu’il inspirait, sa disparition, ne

21
La régression du patient et l’analyste

pourrait-on à considérer dans le mouvement plus accessible des


Précieuses l’éros de l’homosexualité féminine, saisir ce qu’il véhicule
d’information, comme contraire à l’entropie sociale.

3) Pourquoi enfin l’instance sociale de la femme reste-t-elle


transcendante à l’ordre du contrat que propage le travail ? Et
notamment est-ce par son effet que se maintient le statut du mariage
dans le déclin du paternalisme ?

Toutes questions irréductibles à un champ ordonné des besoins.

Écrit deux ans avant le Congrès.

22
Phallus et sexualité féminine

par Camille Laurin (Montréal)

Exposé historique

II appartient à la psychanalyse, non pas de décrire ce qu’est


la femme – tâche irréalisable – mais de rechercher comment
l’enfant à tendances bisexuelles devient une femme.

S. Freud.

Le temps n’est plus où l’on pouvait voir le phallus orner le char des
conquérants ou apparaître sur les sépultures, faire l’objet d’une
vénération et inspirer l’établissement de Mystères auxquels chacun
de ceux qui voulaient devenir prêtre de cultes particuliers, devait se
faire initier. À cette époque reculée, le phallus en érection
symbolisait la puissance souveraine, la virilité transcendante
magique ou surnaturelle et non pas la variété purement priapique du
pouvoir mâle, l’espoir de la résurrection et la force qui peut la
produire, le principe lumineux qui ne tolère ni ombres ni multiplicité
et maintient l’unité éternellement jaillissante de l’être. Les dieux
ithyphalliques Hermès et Osiris incarnent cette aspiration
essentielle. Mais pour l’humain qui habite le royaume de la mort,
cette aspiration sera comme une béance qu’il ne parviendra jamais à
combler. Le phallus est un attribut divin qu’il ne possédera jamais.
La virilité physique pourra lui donner l’illusion d’atteindre parfois

23
La régression du patient et l’analyste

aux bornes du pouvoir primordial mais toujours il retombera dans


son individuation et son opacité. Le phallus peut ainsi être
rapproché, dans l’histoire des mythes et symboles, du philtre
merveilleux dont on ne sait plus la composition, de la parole sacrée
perdue ou oubliée, de cet Eden aux portes duquel se tient désormais
un ange menaçant et incorruptible.

24
La régression du patient et l’analyste

Mais le culte du phallus ne pouvait se maintenir longtemps et


partout à ce niveau mystique. Il continua certes à jeter quelques feux
en Inde et en Chine et on en retrouve encore aujourd’hui des
vestiges dans les mythologies tribales. Mais le plus souvent, il perdit
graduellement de son sens et se dégrada en des pratiques grossières
et orgiaques. Dans la suite des temps, l’aspiration angoissée qui
avait présidé à son origine devait d’ailleurs trouver à s’inscrire dans
une autre problématique et inspirer de nouvelles liturgies. Dans tout
le bassin méditerranéen, où s’ébauchait alors ce qui devait devenir la
civilisation occidentale, la réflexion des philosophes et des
théologiens parvenait à briser le règne du polythéisme et à imposer
la présence incommensurable d’un Dieu personnel et unique. Par la
prière et le sacrement, l’homme pouvait communier à sa guise avec
cet infiniment parfait dont il était l’image. Il se voyait promis à une
transfiguration et à une béatitude éternelles s’il savait subordonner
la matière à l’esprit, le corps à l’âme, Éros à Agapè, l’instinct à la
conscience morale, le sexe à la grâce, le plaisir à la Loi. Ainsi,
l’homme retrouvait en lui cette double exigence du fini et de l’infini,
ce tiraillement douloureux entre forces antinomiques, cette
oscillation entre la vérité et le leurre, ce combat à l’issue toujours
incertaine où la Mort sans cesse intervient avant d’y mettre elle-
même un terme.

C’est sur ce plan ontologique et religieux que devait se poursuivre


durant des siècles cette dialectique de l’homme divisé contre lui-
même, à la recherche de son véritable visage. Symbole moins parfait
de la dualité de l’homme, trop marqué par son enracinement
matériel originel et par là se prêtant davantage à l’équivoque et à la
contamination, le phallus ne pouvait manquer d’être déconsidéré
puis refoulé par une conscience collective qui devenait toujours plus
intransigeante à mesure qu’elle gagnait en force et en raffinement.
On n’entendit donc plus parler du phallus et l’humanité put à bon
droit le croire oublié. L’appareil génital participa lui aussi de cet

25
La régression du patient et l’analyste

ostracisme et fut relégué aux manuels d’anatomie où la preuve de sa


dangereuse puissance ne se devinait plus qu’aux tournures
employées pour le décrire (verge, bourse, semence, testis-témoin,
nerf-honteux, etc.). Les innombrables histoires lubriques, colportées
de génération en génération, montraient bien également que le feu
couvait encore sous la cendre, mais il était justement rassurant de
constater que l’on ne parlait « de ces choses » que sous le manteau
et pour en rire.

La sexualité féminine a, pour sa part, toujours paru à l’homme


singulièrement trouble et énigmatique. Nous disons, à l’homme, car
c’est bien à lui que nous devons la divinisation des principes féminin
et maternel ainsi que la riche affabulation des mythes et mystères
qui symbolisent les multiples aspects de la mise en action de ces
principes. C’est à lui que nous devons également la plupart des
descriptions et interprétations de la conduite féminine que nous a
léguées jusqu’ici la tradition. Autant il est certain que l’homme a
depuis toujours, sauf rarissimes exceptions, imposé sa loi à la femme,
autant il semble avoir gardé de ce qu’il tient à envisager comme une
victoire, une éternelle mauvaise conscience. Il s’est arrogé le droit et
le pouvoir d’orienter les structures sociales dans le sens de ses
intérêts, a défini le statut légal de la femme, a fixé les codes moraux
et sociaux auxquels celle-ci doit se plier, a délimité son champ
d’action, mais il n’est pas plus serein pour cela, paraît toujours
redouter une révolte, freine astucieusement le mouvement féministe,
craint que l’urgence de son désir n’endorme sa vigilance et veut en
toutes circonstances garder du moins l’illusion de sa souveraineté.

Si le maître est ainsi ombrageux et soupçonneux, c’est qu’il a tout à


perdre et rien à gagner. En courbant et maintenant la femme sous le
joug, il se condamne à ne plus voir en elle qu’une étrangère à qui il
prête une nature, des desseins qui sont le reflet inversé de ses
propres inquiétudes, incertitudes, angoisses et remords. C’est donc
en vertu de la crainte et de la mauvaise conscience qu’elle lui inspire

26
La régression du patient et l’analyste

que la femme a d’abord été une énigme pour l’homme. Il se plaçait


au départ dans une situation passionnelle, engagée, qui ne pouvait
que gauchir l’investigation déjà fort difficile de la nature, du
comportement et du destin proprement féminins. C’est pourquoi
nous le voyons, tout au long de l’histoire, incapable de se situer
définitivement par rapport à elle, ne pouvant réconcilier en lui-même
l’image de l’amante et de la mère, inapte à résoudre les sentiments
contradictoires qu’il éprouve à son endroit : dégoût et passion,
crainte et désir, tendresse et méfiance, ressentiment et insatiabilité.
Elle lui apparaît comme l’incarnation du sexe, avec ses délices et ses
dangers. Elle donne et entretient la vie, avant de devenir la Parque
qui en tranche le fil. Toute proche de la nature, elle est obscure,
imprévisible, généreuse et menaçante comme elle et vouée, en
raison même de cette proximité, aux offices de sibylle et de pythie.
Elle est celle qui panse et guérit des blessures qui sont souvent
l’œuvre de ses maléfices. Elle est cette sirène aux charmes
ensorceleurs, qui tantôt amène l’homme à se dépasser lui-même,
tantôt le déchaîne et le rend fou. Telle Vénus tout entière à sa proie
attachée, elle se nourrit de lui en même temps qu’elle lui fait
connaître des enivrements extatiques. Le sang menstruel a fait
l’objet de sévères prescriptions qui isolent la femme de la
communauté mais il entre également dans la composition des
philtres d’amour. La virginité fascine autant qu’elle terrifie. Cette
fleur nouvelle et merveilleuse paraît défendue par des monstres à ce
point redoutables que le désir de l’homme hésite et ne s’est pas
toujours insurgé contre la défloration rituelle. Sous la plume des
poètes, les attributs sexuels féminins se métaphorisent en pierreries,
astres, fleurs, fruits, colombes, biches, brebis et hermines, mais une
autre littérature souligne leur promiscuité avec les organes
excrétoires et ne peut en parler qu’en termes de saleté, sanie,
blessure ou maladie. Si l’orgueil de l’homme se teinte de tristesse
après le coït, c’est peut-être qu’il sent sa puissance lui être dérobée
dans l’acte même où il l’affirme. Parce que la femme leur paraissait

27
La régression du patient et l’analyste

davantage racinée dans la chair, maints théologiens catholiques lui


ont fait l’honneur de leurs foudres, la qualifiant de suppôt du diable,
en qui s’incarnent toutes les tentations et qui a introduit le péché sur
la terre. Mais à la figure d’Ève s’oppose celle de Marie, immaculée
dans sa conception, exempte de toute souillure, créature parfaite,
médiatrice du salut, qui brise la tête au serpent, engendre le
Rédempteur, accompagne celui-ci au Calvaire et se voit confier la
garde de toute l’humanité.

Servante et compagne, âme du foyer mais tenue à l’écart de la vie


publique, contrainte mais secrète, tour à tour idéalisée et méprisée,
convoitée et redoutée, telle semble donc apparaître la femme à
l’homme du XIXe siècle. Elle-même paraît d’ailleurs se conformer à
ces canons fabriqués pour elle ou du moins ne pas trop s’avouer ses
frustrations et ses révoltes. Durant ce temps, l’homme poursuit sa
réflexion politique, philosophique, scientifique et artistique, parce
que cherchant ailleurs que dans une sexualité redoutée et
dévalorisée l’accession à une impossible transcendance.

La résistance que Freud lui-même oppose à ses premières


découvertes, sa correspondance avec Martha Bernays, ce que nous
savons de ses opinions et attitudes comme chef de famille montrent
bien jusqu’à quel point l’orientation et le contenu de sa pensée sont
restés marqués par les préjugés du siècle. D’autres déterminants ont
également joué. C’est par le biais de la neuro-anatomie, de la
physiologie nerveuse et de la neurologie clinique que Freud a été un
jour amené à s’intéresser à la vie sexuelle de ses patients. Il ne
pouvait que transporter dans ce nouveau domaine ses
préoccupations antérieures. C’est bien pourquoi nous le voyons axer
sa réflexion sur la bisexualité constitutionnelle et les zones érogènes,
tenter de décrire en termes d’énergétique les cheminements
complexes de la libido au sein de l’organisme, exprimer sa conviction
que l’anatomie c’est le destin et intituler la communication où il
compare l’évolution sexuelle du garçon et de la fille : Quelques

28
La régression du patient et l’analyste

conséquences psychologiques de la distinction anatomique entre les


sexes. C’est donc en biologiste que Freud aborde la psychologie, ce
qui l’amène à « oublier » au départ les données proprement
sociologiques et culturelles et à ne leur accorder par la suite qu’une
importance secondaire.

Si Freud emprunte à la biologie ses postulats et ses schèmes


conceptuels, c’est à la pathologie qu’il va demander les matériaux
qui lui serviront à édifier sa métapsychologie. Peut-on s’élever ainsi
de l’anormal au normal ? Freud soutient que la médecine n’a jamais
fait autrement, que la pathologie isole et exagère certains rapports
et nous permet ainsi de mieux les saisir. Il reste toutefois que
l’attention du pathologiste peut être à ce point attirée par le
processus morbide qu’il peut s’exagérer l’importance de la fonction
atteinte, négliger l’étude des autres fonctions, besoins, ressources et
dimensions de l’être, ou du moins ne pas saisir adéquatement le jeu
varié à l’infini de leurs rapports normaux.

Il n’est pas indifférent non plus que les premières hypothèses


psychopathologiques aient été formulées à propos de l’hystérie. Si
les femmes constituaient à l’origine la principale clientèle de Freud,
ce qui est d’ailleurs en soi intéressant, comment expliquer que la
sexualité féminine n’ait d’abord été étudiée que sous ses aspects
généraux et non pas pour elle-même, que l’évolution sexuelle de la
fille n’ait été décrite que longtemps après celle du garçon et en des
termes autrement plus vagues et incomplets. Pareils délais et
déviations laissent ici soupçonner l’existence d’une résistance, dont
Freud semble d’ailleurs avoir pris conscience et qui ne l’incita que
davantage à entreprendre son auto-analyse. Mais c’est précisément
par ce biais qu’il va être amené à reconnaître en lui-même, aussi
bien que chez ses malades, le rôle primordial qu’assument fantasmes
œdipiens et angoisse de castration dans l’économie psychique.
Hypnotisé par sa découverte, c’est selon ce même modèle qu’il
concevra ensuite la sexualité féminine, s’y croyant par ailleurs

29
La régression du patient et l’analyste

d’autant plus justifié que les deuils, protestations et revendications


phalliques, que nous savons maintenant être le propre de la femme
hystérique, prenaient rétrospectivement tout leur sens à être
envisagés dans ce contexte.

Ce n’est rien enlever au génie de Freud que de reconnaître ces


limitations et ces gauchissements. Il est en effet bien évident qu’en
ce domaine comme dans le champ tout entier de la psychologie, son
approche a été révolutionnaire. À l’encontre de tous les
puritanismes, pudibonderies, bienséances, aveuglements et
résistances, il a crevé le mur de l’inconscient, découvert et exploré la
sexualité infantile, redonnant ainsi au comportement humain une de
ses dimensions essentielles. Nous savons que Freud mit d’abord au
point ses procédés d’investigation, entreprit ensuite l’étude
dynamique de diverses névroses, puis donna une première
description de l’appareil psychique (dernier chapitre de La science
des rêves). Ce n’est qu’avec les Trois Essais [2] qu’il aborde le
problème de la sexualité féminine.

Comme il a déjà été dit, il l’aborde par un double détour. C’est à


partir des données que lui fournit l’analyse des aberrations sexuelles
qu’il va tenter de décrire l’évolution du développement psycho-sexuel
normal, depuis la toute première enfance jusqu’à la puberté. C’est du
garçon qu’il part pour comprendre la fille et non vice versa.

Freud découvre chez tous les névropathes une tendance aux


transgressions anatomiques et particulièrement à celles qui donnent
aux muqueuses buccale et anale une valeur de zone génitale. Il note
en même temps dans le comportement et les fantasmes sexuels de
ces sujets l’importance primordiale qu’assument le voyeurisme,
l’exhibitionnisme et le sado-masochisme. Ces caractéristiques
morbides lui paraissent l’effet d’une disposition congénitale en même
temps que d’une évolution psychosexuelle arrêtée ou perturbée.
Dans le deuxième de ses Trois Essais, il se trouve ainsi amené à
préciser le concept d’instinct, de zone érogène et de tendance

30
La régression du patient et l’analyste

partielle. Parmi les zones érogènes, il étudie particulièrement la


bouche, la muqueuse intestinale et l’appareil génital. Dans l’édition
corrigée de 1915, il parle même déjà d’organisation prégénitale et
d’ambivalence, à propos de sa brève description des phases orale-
cannibale et sadico-anale du développement libidinal. Parmi les
tendances partielles, il mentionne surtout le besoin qu’éprouve
l’enfant d’exhiber son sexe et de voir celui d’autrui, ainsi que le désir
de souffrir et de faire souffrir. Il ajoute enfin que dès l’enfance, il est
fait choix d’un objet sexuel, de manière que toutes les tendances
sexuelles convergent vers une seule personne (le parent de sexe
opposé) et trouvent dans celle-ci leur satisfaction. La différence
entre ces organisations et l’état définitif lui paraît se réduire au fait
que la synthèse des tendances partielles n’est pas réalisée chez
l’enfant, ni leur soumission complète au primat de la zone génitale.

C’est sur ces postulats que va s’édifier la conception freudienne du


développement psychosexuel. Freud se croit justifié d’affirmer que
les premières phases de ce développement se déroulent selon un
processus presque identique chez la fille comme chez le garçon. Les
zones érogènes sont les mêmes et jouent un rôle analogue chez les
deux sexes. Cela ne fait pas de doute pour la bouche et l’intestin.
S’appuyant sur la biologie et sur ses propres observations
analytiques, Freud parle également du clitoris comme d’un pénis
tronqué ou d’un équivalent du pénis, comme d’un reliquat
embryologique de type masculin signant la nature bisexuelle de la
femme, ou comme d’une zone érogène qui est l’homologue de la zone
génitale située dans le gland. Dans le troisième de ses Trois Essais, il
se dit convaincu de l’importance du clitoris à l’exclusion des autres
parties génitales dont le rôle décisif dans la vie sexuelle n’apparaîtra
que plus tard. Même parallélisme dans les activités auto-érotiques
orales, anales et génitales, ainsi que dans les théories sexuelles de la
petite enfance. Dans l’édition de 1915, il affirme que l’hypothèse
d’un seul et même appareil génital (de l’organe mâle chez tous les

31
La régression du patient et l’analyste

hommes) lui paraît la première des théories sexuelles infantiles. Les


garçons essaient de trouver un équivalent au pénis perdu de la
femme ou s’entêtent à nier son absence contre toute évidence. Les
filles sont sujettes à l’envie du pénis aussitôt qu’elles découvrent
celui-ci chez le garçon. Il n’est donc pas surprenant d’entendre
Freud émettre finalement l’opinion, qui devait devenir si
controversée, que la libido est, de façon constante et régulière,
d’essence mâle, qu’elle apparaisse chez l’homme ou chez la femme,
et abstraction faite de son objet, homme ou femme. Ce n’est que plus
tard, dans une édition ultérieure de son ouvrage, qu’il précise dans
une note que les termes masculin et féminin peuvent signifier actif et
passif, ou encore être pris dans le sens biologique ou sociologique
mais que la psychanalyse ne saurait tenir compte que de la première
de ces significations, selon laquelle une tendance est toujours active,
même quand son but est passif. Il n’est qu’un seul point sur lequel
l’évolution psychosexuelle de la fille paraît à Freud différer de celle
du garçon : un refoulement plus précoce et rigide des pulsions
sexuelles et un plus fort penchant à la passivité. Ces deux caractères
s’accentuent encore davantage à la puberté, facilitant ainsi la
suppression de la virilité sexuelle et la transmission de l’excitation
érogène du clitoris au vagin qui peut alors assumer son rôle
dominant.

Les additions et corrections que Freud continue d’apporter par la


suite à ses théories constituent autant de modifications implicites de
ses vues sur la sexualité féminine. Ainsi, dans l’exposé clinique du
cas Dora [3], le complexe féminin de castration est défini et illustré
par plusieurs exemples en même temps que le complexe d’Œdipe,
qui a maintenant reçu son appellation, est décrit sous sa forme
positive (désir du père, haine de la mère) et inversée (désir de la
mère et haine du père). L’analyse des névroses infantiles permet d’en
arriver à une description plus fouillée des étapes prégénitales du
développement libidinal : phases orale passive, sadique orale,

32
La régression du patient et l’analyste

sadique anale, anale réceptive et phallique. Il est à noter que c’est


dans ce contexte que le mot phallus fait pour la première

fois son apparition, pour fins de commodité sémantique très


probablement, sans que l’on s’arrête pour le moment à sa riche
signification symbolique. À partir de 1914, l’attention de Freud se
porte davantage sur la psychologie du Moi. Il est ainsi amené à
préciser la notion de narcissisme primaire et secondaire [4], à
opposer les types anaclitique (masculin) et narcissique (féminin) de
relations objectales, à décrire le mode de formation et la fonction de
l’idéal du Moi. Les vicissitudes que connaissent les instincts au cours
de leur développement peuvent ainsi mieux s’expliquer. Sous l’action
des forces répressives du Moi, l’instinct peut connaître une triple
transformation : quant à son but, quant à son objet, quant à son
contenu ; d’actif, il peut devenir passif ; l’objet peut être abandonné
et remplacé par le Moi ; introjection, amour et plaisir peuvent faire
place à la projection, à la douleur et à la haine. En plus de leur
importance clinique (pathogénie des perversions et de la
mélancolie), ces notions éclairent d’un jour nouveau les étapes
initiales du développement normal. En témoignent les allusions à la
sexualité féminine que l’on peut retrouver dans les écrits de cette
période.

Ainsi, Freud affirme encore en 1908 [5] que le clitoris tient lieu au
cours de l’enfance de pénis authentique et véritable, que la petite
fille ignore l’existence du vagin et attribue un pénis à sa mère,
qu’elle envie le pénis de ses frères et s’estime lésée de n’en pas avoir
de semblable. Mais nous avons déjà une vue beaucoup plus complète
de l’organisation génitale féminine dans On bat un enfant qui paraît
onze ans plus tard [6]. Freud parle ici d’attachement incestueux au
père, du désir d’avoir un enfant de lui, du frère rival et détesté que
l’on voudrait voir battu par le père, du refoulement de ce souhait
incestueux, de son remplacement par le fantasme « mon père me
bat » où en même temps que la punition la petite fille trouve une

33
La régression du patient et l’analyste

satisfaction régressive masochique, du rejet de ce fantasme jugé


encore trop incestueux et de son déguisement final où la petite fille
est battue sous les traits du garçon qu’elle voudrait maintenant
devenir puisqu’elle ne peut réaliser son rêve d’être possédée par le
père. Parlant de l’homosexualité féminine [7], Freud ajoute un an
plus tard que frustrée de l’objet paternel, la fille peut s’identifier à
lui et prendre sa mère pour objet. Cela lui est d’autant plus facile
que sa relation à sa mère a été ambivalente depuis le début, qu’elle
peut donc faire revivre l’amour qu’elle lui portait antérieurement et
neutraliser ainsi l’hostilité qu’elle peut éprouver à son endroit.

À partir de ce moment, Freud reprendra directement et à plusieurs


reprises son étude du développement psycho-sexuel féminin. Dans
l’édition 1915 de ses Trois Essais, il avait émis l’opinion qu’un choix
objectal complet s’établissait dès l’enfance et que l’enfant ne différait
de l’adulte que par son incapacité absolue ou relative à ordonner ses
tendances partielles au primat génital. Il revient maintenant sur
cette affirmation [8] et se dit d’avis que cette primauté s’effectue elle
aussi dès l’enfance, à cette différence près que ce n’est pas une
primauté génitale mais une primauté du seul organe dont l’enfant
des deux sexes puisse alors tenir compte, c’est-à-dire de l’organe
mâle, du phallus. La description de ce processus ne peut
malheureusement être faite que pour le garçon, celle de la fille étant
encore insuffisamment connue. À cette phase de son développement,
l’attention toute entière du garçon est centrée sur son membre viril.
Il en recueille les sensations, l’explore, l’exhibe, le compare. Il ne
veut pas d’abord reconnaître que la fille en est privée. Lorsque forcé
de se rendre à l’évidence, il voit dans cette castration une punition,
en ressent un mépris triomphant pour la femme, mais redoute de
connaître le même sort. Alors qu’au niveau de l’organisation
prégénitale sadique anale, l’antithèse dominante était celle d’actif-
passif, c’est maintenant l’antithèse phallique-castré qui polarise
toute l’activité psycho-sexuelle. La masculinité a fait son apparition

34
La régression du patient et l’analyste

mais pas encore la féminité. La polarité sexuelle mâle ou femelle ne


s’établira qu’à la puberté.

Le déclin de l’Œdipe féminin paraît également à Freud plus obscur


que celui du garçon [9]. Alors que ce dernier ne pense qu’à protéger
l’attribut essentiel de sa virilité, la castration est pour la petite fille
un fait accompli. Elle peut nier pour un temps l’évidence, nourrir
l’espoir que petit poisson un jour deviendra grand, doter sa mère du
phallus, se blâmer ou blâmer autrui pour cette perte immense qu’elle
a subie, cultiver son amertume, son envie 1 ou son appétit de
vengeance, substituer symboliquement au désir du pénis le désir
d’un enfant qu’elle recevrait du père, il reste qu’elle n’a plus à
redouter une opération déjà faite. Ce n’est donc plus cette menace
suprême qui la fera se détourner de l’objet incestueux, mais la seule
crainte de perdre l’amour de ses parents, qui acquiert chez elle une
importance beaucoup plus grande que chez le garçon. On peut en
conclure que la petite fille a des raisons moins puissantes et moins
urgentes que n’en a le petit homme d’intérioriser les interdictions
parentales (instauration du Surmoi) et d’abandonner l’organisation
génitale infantile. Il semble en fait qu’elle entretienne encore
longtemps ses souhaits œdipiens et qu’elle ne les abandonne
graduellement que parce qu’ils ne sont jamais satisfaits. Par ailleurs,
la faiblesse relative de la composante sadique de l’instinct sexuel,
qui doit probablement être mise en rapport avec l’absence du pénis,
facilite la transformation des tendances directement sexuelles en
celles qui sont inhibées quant à leur but (sentiments de tendresse),
préparant ainsi la femme à son rôle futur.

Dans l’article qu’il publie un an plus tard [10], Freud essaie de


reconnaître dans tout ce matériel déjà accumulé ce qui appartient au
complexe d’Œdipe proprement dit et ce qui appartient à sa
préhistoire. Celle-ci, cette fois, lui paraît plus claire chez la fille que
1 Selon Freud, la jalousie puise à plusieurs motivations et se retrouve chez les
deux sexes. Mais elle lui paraît jouer un rôle beaucoup plus grand dans la vie
mentale de la femme que dans celle de l’homme.

35
La régression du patient et l’analyste

chez le garçon. La mère est prise comme objet d’amour jusqu’au


moment où s’instaure la phase phallique et l’envie du pénis. Outre la
blessure narcissique et la négation magique déjà notées, il se produit
alors un abandon plus ou moins complet de cette première relation
objectale. La petite fille se détourne d’une mère à qui elle attribue
son infériorité organique. Elle ne peut plus désormais tirer autant de
plaisir d’une masturbation où elle sait ne pouvoir rivaliser avec le
garçon et juge préférable d’y renoncer. Elle remplace son désir du
pénis par un désir de l’enfant et avec ce but en tête élit son père
comme objet d’amour. Le complexe de castration précède ainsi et
prépare le complexe d’Œdipe féminin, alors qu’il vient mettre un
terme au complexe d’Œdipe masculin. Chez le garçon, le Surmoi
peut être considéré comme l’héritier direct et immédiat du complexe
d’Œdipe. Chez la fille, il ne s’instaure que lentement, n’est pas aussi
inexorable et impersonnel, ne se détache jamais autant de ses
origines instinctivo-affectives, ce qui peut expliquer que la femme a
moins que l’homme le sens de la justice ou de la morale et se montre
plus influencée que lui dans ses jugements par ses émotions tendres
ou hostiles.

Jusqu’à ce jour, Freud avait été le seul à poursuivre cette recherche


difficile. Mais il note maintenant avec satisfaction la présence à ses
côtés de collaborateurs enthousiastes, à qui il peut désormais laisser
une partie du travail dont il aurait dû autrement se charger lui-
même. Déjà en 1922, Abraham [11] a fait paraître une étude,
aujourd’hui encore insurpassée, sur les manifestations cliniques du
complexe de castration chez la fille. Le moment arrive également où,
pour employer l’expression imagée de Fliess [12], la femme qui
prend forme sous le ciseau du sculpteur va s’animer et révéler elle-
même quelque chose de son mystère. De 1925 à 1940, les
contributions des analystes femmes seront en effet nombreuses,
feront surgir mille controverses, apporteront des éclaircissements
précieux sur la genèse et la nature de la sexualité féminine et

36
La régression du patient et l’analyste

imprimeront même une nouvelle orientation au mouvement


psychanalytique dans son entier.

Karen Horney fut la première à s’insurger contre l’optique


exclusivement masculine sous laquelle on avait jusqu’alors envisagé
le développement psychosexuel de la fille. L’école kleinienne devait
par la suite reprendre ces accusations et aller aussi loin que possible
dans l’autre sens, en tentant de prouver que les manifestations de
type masculin ne sont que des opérations de défense, destinées à
protéger une sexualité qui dès les premiers moments de l’existence
s’avère comme exclusivement et authentiquement féminine. On
marquerait assez l’importance de cette position si l’on parvenait à
montrer, comme Glover l’a tenté [13], qu’elle est à l’origine, et non
pas la résultante, de la conception que se fait Mélanie Klein des
étapes premières du développement libidinal, des mécanismes
d’introjection et de projection, du « bon » et du « mauvais » objet, de
l’objet partiel et de l’objet entier, du parent combiné, de
l’instauration dès le sixième mois du complexe d’Œdipe, de la genèse
et de la nature du Surmoi.

Dans ses considérations sur la genèse du complexe de castration


[14], Karen Horney soutient, contrairement à Freud, que ce
complexe procède du complexe d’Œdipe et en constitue

le mode de résolution au lieu d’en être l’élément antérieur et causal.


C’est parce que la fillette est frustrée dans son désir spécifiquement
féminin de possession incestueuse du père, soit par refus de celui-ci,
soit en raison de ses propres terreurs et culpabilités, qu’elle en vient
à envier ce pénis qui est une partie et un substitut du père. Cette
envie post-œdipienne du pénis vient réactiver une envie précoce,
auto-érotique, du pénis masculin qui lui semblait alors beaucoup plus
apte que le clitoris à lui procurer les satisfactions exhibitionnistes,
scoptophiliques, urétrales et masturbatoires propres aux phases
prégénitales. Ce n’est donc pas parce qu’elle souhaite être un
homme que la fille désire ainsi s’approprier le pénis, mais pour

37
La régression du patient et l’analyste

compenser sa déception objectale, se défendre contre sa culpabilité


et protéger l’intérieur de son corps contre un assaut sadique du
père, redouté autant que désiré.

Pour sa part, Josine Muller [15] s’attache à démontrer, toujours à


l’encontre de Freud, que le vagin s’éveille érogénéiquement très tôt
et qu’il joue, dans l’évolution de la sexualité féminine, une part
beaucoup plus importante que celle qu’on lui avait jusqu’ici
attribuée. S’appuyant sur ses observations d’enfants de 3-4 ans et à
la lumière analytique recueillie chez des femmes qui montraient un
fort complexe de virilité en même temps que de l’anesthésie vaginale
et de la dysparunie, elle affirme que la masturbation vaginale est
précoce et régulièrement présente, qu’elle s’accompagne de désirs
et fantasmes réceptifs proprement féminins, qu’elle est
énergiquement et profondément refoulée en raison d’une angoisse
qui se révèle d’une extraordinaire intensité, que le fait pour la fillette
d’avoir deux organes génitaux, vagin et clitoris, lui permet de
déplacer l’érogénéité de l’organe interne à l’organe externe lorsque
le premier est menacé, que l’érogénéité clitoridienne peut de cette
façon n’apparaître aussi puissante que parce qu’elle est un substitut
de surcompensation d’une organisation libidinale vaginale qui a
succombé au refoulement. Karen Horney ne tarde pas à prendre
cette thèse à son compte et à l’amplifier [16]. Il serait surprenant,
dit-elle, qu’il n’existe pas une contrepartie vaginale aux fantasmes
sadiques de pénétration pénienne. Le vagin supposément non
découvert ne peut être qu’un vagin nié. L’enfant ne sait pas qu’il sait.
Son ignorance consciente ressemble à celle des vierges : c’est une
connaissance non sanctionnée ou redoutée et c’est bien pourquoi elle
demeure inconsciente. Trois motifs lui semblent concourir à cette
négation du vagin [17] : la comparaison redoutable du pénis adulte
avec l’exiguïté du vagin enfantin ; la vue occasionnelle et effrayante
du sang des menstrues féminines ; les déchirures minimes mais
douloureuses de l’hymen au cours d’une exploration manuelle.

38
La régression du patient et l’analyste

Ces opinions s’inscrivaient on ne peut mieux dans le cadre général


des théories kleiniennes. Mélanie Klein [18] s’était d’ailleurs toujours
refusée à établir une parfaite correspondance entre la masturbation
clitoridienne et l’attitude masculine. Il ne faudrait quand même pas
oublier, dit-elle, que le clitoris est un organe génital féminin. Il est
très fréquent de rencontrer des cas où la masturbation clitoridienne
s’accompagne de fantasmes hétérosexuels spécifiquement féminins
et l’on peut même dire que cette combinaison est caractéristique des
premiers stades du développement libidinal. Les excitations
vaginales sont encore plus précoces et c’est parce qu’elles
s’accompagnent de fantasmes d’incorporation du pénis paternel et
de destruction de la mère rivale qu’elles font naître chez la fillette
une angoisse aussi intolérable. Celle-ci craint de se faire rendre la
monnaie de sa pièce par la mauvaise mère sadique qu’elle aspire à
détruire. Elle craint d’être blessée, dépouillée de ses organes
internes, dont la situation inaccessible au plus profond de son corps
ne lui permet pas de vérifier l’intégrité. Pour des raisons de sécurité,
l’érotisation vaginale est donc abandonnée au profit d’une érotisation
clitoridienne plus facile à maintenir à cette étape du développement.

Il ne faut pas s’étonner si Mélanie Klein donne du complexe d’Œdipe


et de ses précurseurs une description qui diffère sur plusieurs points
essentiels de la position freudienne. Elle affirme au départ qu’on ne
peut faire une distinction très marquée entre les premiers stades du
conflit œdipien et ses stades ultérieurs [19]. Les pulsions génitales
apparaissent en même temps que les pulsions prégénitales, qu’elles
influencent et transforment ; elles portent elles-mêmes jusqu’aux
stades ultérieurs du développement des traces de ces pulsions
prégénitales. L’accès au stade génital ne représente donc qu’un
simple renforcement des pulsions génitales. La fillette éprouve un
premier ressentiment à l’endroit de sa mère à la suite du sevrage.
Cette hostilité à l’égard de la mère qui la prive du bon sein est
bientôt aggravée par le refus que celle-ci oppose à ses tendances

39
La régression du patient et l’analyste

œdipiennes exprimées sous le mode oral. Ce que la fille paraît


souhaiter avant tout, c’est l’incorporation du pénis paternel plutôt
que la possession d’un pénis ayant la valeur d’un attribut viril [20].
Plus qu’un aboutissement du complexe de castration, le désir d’avoir
un pénis est l’expression spécifique de la poussée œdipienne.
L’Œdipe de la fille ne s’installe donc pas indirectement, à la faveur de
ses tendances masculines et de son envie du pénis, mais
directement, sous l’action dominante de ses éléments instinctuels
féminins.

Il est à remarquer qu’il s’agit ici d’un pénis introjecté que, selon les
théories sexuelles infantiles, la mère se serait approprié au cours
d’une relation sexuelle conçue sur le mode oral. Pour l’enfant, le
corps de la mère contient ainsi tout ce qui peut combler ses désirs et
apaiser ses craintes. Son imagination confère simultanément au
pénis des vertus magiques d’assouvissement oral, urétral, anal et
génital. Mais comme Éros et Thanatos marquent de leur sceau
chaque zone érogène et coexistent à chaque stade libidinal, ce pénis
énorme et prodigieux revêt également aux yeux de l’enfant un aspect
très redoutable, devient un mauvais objet mortifère dont il faut se
garder et qu’il faut détruire. Les fantasmes de l’enfant seront donc
marqués eux aussi au double coin de l’amour et de la haine, de la vie
et de la mort, de la structuration et de la destruction, de l’oblation et
de la réparation. Ces fantasmes sont innés, héréditaires,
inconscients, inhérents à l’opération même des processus
instinctuels pré-verbaux ou non verbaux et ne se peuvent déduire
que de l’observation du comportement.

La fille ressent avec beaucoup plus de force que le garçon cette


tendance à introjecter le pénis du père, car les pulsions génitales qui
accompagnent ses désirs oraux ont également un caractère réceptif,
de sorte que normalement le complexe d’Œdipe est chez elle plus
marqué par des besoins d’incorporation orale. La formation du
Surmoi et l’évolution sexuelle dépendent de façon décisive, pour les

40
La régression du patient et l’analyste

garçons comme pour les filles, des fantasmes qui l’emportent entre
ceux d’un « bon » et ceux d’un « mauvais » pénis. Sa plus grande
soumission au père introjecté livre ainsi davantage la fille, pour le
bien comme pour le mal, au pouvoir de son Surmoi. Le Surmoi de la
fille est donc, contrairement à ce que prétend Freud, beaucoup plus
puissant que celui du garçon.

C’est une frustration orale qui a d’abord amené la fille à se détourner


de sa mère, à porter son désir vers le pénis introjecté. C’est
maintenant sa rivalité œdipienne qui va intensifier son hostilité à son
égard. D’une part, elle nourrit le fantasme de s’emparer des enfants
et du pénis paternel contenus dans le corps de la mère, mais par
ailleurs elle redoute de voir l’intérieur de son propre corps et ses
bons objets internes détruits par la mauvaise mère retaliatrice. Cette
angoisse est primordiale [21] et explique que la fillette ne peut
maintenir cette première position féminine. Au désir du pénis
paternel, elle substitue défensivement une identification à ce pénis et
au père. La position masculine, qui était déjà quelque peu sienne en
raison de sa bisexualité, se trouve ainsi de beaucoup renforcée par
cette frustration de ses désirs œdipiens. Elle apparaît comme
secondaire pour autant que l’envie du pénis masque le désir frustré
de prendre la place de la mère auprès du père et de recevoir un
enfant de lui.

Dans les trois articles qu’il consacre à la sexualité féminine, Jones


penche incontestablement pour les conceptions kleiniennes, tout en
apportant quelques éléments qui lui sont propres. Il commence par
établir une distinction entre la castration, qui constitue une menace
importante mais partielle à l’endroit de la capacité de jouissance
sexuelle, et l’aphanisie qui est l’extinction totale et permanente de
cette même capacité [22]. Chez le garçon, l’aphanisie est conçue
sous la forme active de la castration alors que chez la fille elle est
vécue comme une séparation, dont la crainte de l’abandon

41
La régression du patient et l’analyste

qu’éprouvent si profondément la plupart des femmes semble être un


dérivé.

Jones prend également bien soin de distinguer entre les trois sens
que l’on peut donner aux termes : envie du pénis : désir d’acquérir
un pénis, habituellement en l’avalant, et de le conserver à l’intérieur
de son corps, souvent pour le transformer en un enfant ; désir de
posséder un pénis dans la région clitoridienne ; désir de jouir du
pénis lors du coït. Il est malheureux, selon lui, que les auteurs qui
ont à traiter de cette question ne spécifient pas toujours auquel de
ces sens ils se réfèrent.

Pour Jones comme pour Klein, il s’établit assez rapidement une


équation entre bouche, anus et vagin. Le processus de
différenciation entre anus et vagin reste certes très obscur mais il
s’établit partiellement à un âge beaucoup plus précoce qu’on ne
l’avait supposé. La relation œdipienne existe dès le stade sadique
anal et l’équation bouche-anus-vagin représente en fait une
identification avec la mère. Le premier désir de la fillette est de
sucer le pénis. Mais l’envie de posséder un pénis apparaît bientôt et
toujours, en rapport avec les fantasmes d’omnipotence urétrale, de
scoptophilie, d’exhibitionnisme et les activités masturbatoires. Mais
ce désir narcissique, autoérotique, fait normalement place au désir
de jouir du pénis au moyen de la bouche, de l’anus ou du vagin, dans
une relation coïtale quelconque. Il importe donc de distinguer entre
l’envie du pénis auto-érotique et pré-œdipienne d’une part et
alloérotique et post-œdipienne d’autre part. C’est parce que le désir
de la fillette de jouir du pénis du père et d’obtenir ainsi de lui un
enfant n’est jamais satisfait que son envie auto-érotique du pénis est
réactivée. C’est le fait d’être privée qui rend pour elle la situation
intolérable, étant donné que cette privation équivaut à la crainte
primordiale de l’aphanisie. Elle se défend en chargeant de culpabilité
(établissement du Surmoi) ses désirs incestueux et se donne ainsi
une raison de ne pas s’y abandonner. Si elle ne peut malgré tout y

42
La régression du patient et l’analyste

renoncer, elle devra, pour tromper son Surmoi, transformer sa


relation objectale en une identification, développer un complexe
pénien et sacrifier sa féminité. Cette position, qui est celle à laquelle
s’arrête l’homosexuelle, a le double avantage d’écarter la menace
d’aphanisie et la culpabilité liée aux désirs œdipiens (« comme j’ai
déjà un pénis ou ne désire qu’en avoir un en propre, je n’ai pas à
désirer le pénis d’un homme ou à craindre la non-gratification »). Le
stade phallique de la fille normale n’est qu’une forme atténuée de
cette identification et comme elle est de nature essentiellement
secondaire et défensive.

Jones est plus tard amené, sans rien renier de ses positions
antérieures, à subdiviser ce stade phallique en deux phases : proto-
phallique et deutérophallique. Au cours de la première, l’enfant
assume que tout être humain est bâti à son image et possède un
organe mâle satisfaisant, pénis ou clitoris selon le cas. Au cours de la
seconde, il commence à soupçonner que le monde se divise en deux
classes : ceux qui possèdent un pénis et les castrés. Cette deuxième
phase apparaît plus névrotique en ce sens qu’elle s’accompagne
d’anxiété, de désespoir, de dénégation et de surcompensation.

Jones partage ici les vues de Klein sur les étapes initiales du
développement psychosexuel féminin, selon lesquelles à l’envie
narcissique du pénis (stade proto-phallique) s’ajoute un désir
beaucoup plus marqué, spécifiquement féminin, du pénis paternel.
C’est parce qu’elle redoute les dangers qui résulteraient de la
satisfaction de ses désirs (haine de la mère, crainte d’être mutilée
par elle) que la fille est forcée de retraiter vers la position auto-
érotique (phase deutéro-phallique). La forme masculine de l’auto-
érotisme n’est ici qu’un second choix. Elle n’est adoptée que parce
que la féminité – objet du désir réel – recèle trop de dangers et
provoque une angoisse insupportable. Cette phase n’est donc pas
tellement un pur développement libidinal qu’un compromis
névrotique entre la libido et l’angoisse, entre les pulsions

43
La régression du patient et l’analyste

instinctuelles et le désir d’éviter la mutilation. Cette déviation n’est


pas nécessairement pathologique, puisqu’elle varie en intensité selon
les individus et peut être corrigée lors du développement ultérieur. Il
se peut aussi que l’angoisse infantile précoce soit inévitable et que la
défense phallique soit la seule possible à cet âge. Elle permet en tout
cas de sauver une certaine possibilité de gratification libidinale
jusqu’au moment où la crainte de la mutilation puisse être résolue et
que soit reprise la marche vers l’hétérosexualité.

Au fil des années, Jones épouse toujours plus complètement les vues
de l’école kleinienne qu’il a d’ailleurs le mérite de résumer et de
clarifier. Les divergences d’opinion qui se sont manifestées à propos
de la phase phallique et du complexe d’Œdipe lui semblent résulter à
juste titre de la conception différente que l’on se fait des étapes
prégénitales du développement libidinal. Si l’on soutient que
l’attitude de la fille est dès l’origine plus féminine que masculine,
qu’elle est davantage préoccupée par l’intérieur que par l’extérieur
de son corps, qu’elle considère sa mère comme une personne qui a
réussi à s’approprier tous les bons objets qu’elle désire elle-même et
qu’elle veut en conséquence l’en dépouiller, que le désir original du
pénis est le fruit d’une frustration orale, on ne peut s’empêcher de
conclure à une apparition précoce du complexe d’Œdipe et à son
refoulement vigoureux, à une phase phallique post-œdipienne,
défensive, névrotique et transitoire, elle-même graduellement
dépassée à mesure que les limites de la satisfaction fantasmatique
sont reconnues, que l’angoisse diminue et le Moi s’affermit, que la
fille a moins besoin de sa mère, ose s’opposer à elle pour finalement
accepter de s’identifier à son sexe. En bref, la féminité n’est pas le
résultat d’une expérience externe (la vue d’un pénis) et la femme
n’est pas un homme manqué, cherchant à se consoler au moyen de
substituts contraires à sa vraie nature. Sa féminité lui est donnée à
l’origine et se développe progressivement sous la poussée d’une
constitution instinctuelle spécifique.

44
La régression du patient et l’analyste

Face à ces affirmations, d’autres femmes analystes maintiennent et


développent les vues originelles de Freud. Jeanne Lampl de Groot
admet elle aussi que dès les périodes initiales de son développement
la petite fille se comporte exactement comme le garçon [25]. Dans
son onanisme comme dans son but amoureux et son choix objectal,
elle est véritablement un petit homme. Au stade phallique, elle désire
elle aussi s’approprier la mère et se débarrasser du père. C’est ce
que Jeanne Lampl de Groot appelle le complexe d’Œdipe négatif
(actif). C’est à ce moment seulement que la fillette prend pleinement
conscience de l’infériorité du clitoris par rapport au pénis et que ses
observations antérieures à ce sujet assument leur signification
dramatique. Elle s’imagine alors qu’elle a déjà possédé un organe
génital semblable à celui du garçon et que cet organe lui a été enlevé
pour la punir d’avoir osé vouloir posséder la mère malgré les
interdictions. Cette réalité irrévocable de la castration la contraint
finalement à renoncer à son attitude œdipienne négative (active)
ainsi qu’à l’onanisme qui l’accompagne. La relation objectale à la
mère fait alors place à l’identification maternelle, le père devient
l’objet d’amour, le désir de l’enfant remplace le désir du pénis et la
mère prend figure de rivale. La résolution du complexe de castration
précède ainsi et rend possible le complexe d’Œdipe positif (passif).
La découverte de cette phase négative de la relation œdipienne ne
fait pas que démontrer le caractère secondaire du complexe de
castration mais elle permet de mieux comprendre certains aspects
spécifiques du développement ultérieur de la femme, selon que celle-
ci a plus ou moins réussi à refouler son désir de possession de la
mère.

Pour Hélène Deutsch comme pour Freud, le clitoris assume


l’importance du pénis à travers toutes les phases du développement
[26]. Le vagin n’y joue aucun rôle. La fillette ignore son existence ou
n’en possède qu’un vague pressentiment. À la phase orale, le pénis-
clitoris est assimilé au sein en tant qu’objet de succion. À la phase

45
La régression du patient et l’analyste

sadique anale, il est assimilé à la colonne fécale en tant qu’organe


actif de contrôle et de plaisir. Au stade phallique, la libido se
concentre tout entière sur lui. C’est à ce moment que se manifeste
l’infériorité du clitoris en tant qu’organe d’exécution et de
satisfaction des pulsions actives. On sait que la fillette renonce alors
à cet organe mais on peut se demander ce qu’il advient de l’énergie
libidinale dont il était investi. Deutsch donne la réponse suivante :
aussitôt reconnue l’absence de pénis, la libido dont le clitoris était
chargé vient investir régressivement certaines positions prégénitales
antérieurement abandonnées pendant que par ailleurs et le plus
souvent elle se réfléchit régressivement dans la direction du
masochisme [27]. Le fantasme masochique : « Je veux être castrée »,
remplace la poussée phallique. Ce masochisme primaire érogène,
encore indépendant du masochisme moral, est biologiquement et
constitutionnellement déterminé et constitue la première assise du
développement féminin ultérieur. Le complexe de castration mène
ainsi directement au complexe d’Œdipe. Le facteur libidinal réside
dans l’idée d’un assaut sadique perpétré par l’objet d’amour pendant
que la blessure narcissique est compensée par le désir de l’enfant
qui doit être formé comme une conséquence de cet assaut. D’où la
triade masochique : castration, viol, accouchement, la coloration
masochique de l’attitude maternelle à l’endroit de l’enfant et le
caractère définitivement masochique des sublimations féminines.

Ces conceptions sont reprises et élargies dans les deux magnifiques


volumes qu’Hélène Deutsch consacre à la psychologie des femmes
[28]. Lorsque apparaît la phase phallique, le besoin sexuel
s’exacerbe et la fillette a besoin d’un organe sur lequel ce besoin
puisse se concentrer. Il existe alors dans sa vie imaginative assez de
composantes actives-agressives pour prouver que son organe génital
représente pour elle une issue inadéquate à ces composantes. Cette
inaptitude entraîne d’importantes conséquences. Les impulsions qui
demandent un organe actif sont abandonnées. L’activité inhibée

46
La régression du patient et l’analyste

accepte de se tourner vers la passivité. La place de l’organe actif doit


être prise par un organe passif-réceptif, le vagin. Ce processus
s’effectue en réalité, mais plus tard, à la puberté. Entre l’orientation
première vers la passivité et la pleine aptitude de l’organe
correspondant, se place une longue période durant laquelle la fillette
n’a pas cet organe actif. La première fois, il lui manquait un organe
actif. Il lui manque maintenant un organe passif. C’est seulement
l’ensemble de ces deux événements qui constituent son traumatisme
génital. Les conséquences du premier événement consistent dans les
manifestations du complexe de castration. Les conséquences du
second consistent dans la mobilisation des tendances régressives.
Les fantasmes de la petite fille sont centrés sur d’autres organes
passifs : Les composantes anale et orale des instincts sexuels
réapparaissent. La fixation au clitoris ne disparaît pas pour cela mais
son orientation devient elle aussi passive, ainsi qu’en témoignent les
fantasmes masochiques passifs associés à la masturbation. Tout se
passe comme si le clitoris offrait ses services aux tendances
féminines après avoir échoué à servir les tendances actives. L’éveil
du vagin à sa pleine fonction sexuelle dépend entièrement de
l’activité de l’homme et cette absence d’activité vaginale spontanée
constitue le fondement physiologique de la passivité féminine.
L’inhibition des tendances actives n’est cependant pas complète.
Celles qui ne viennent pas en conflit avec l’essence féminine ne sont
pas touchées, sont harmonieusement intégrées dans la structure de
la personnalité et constituent des éléments positifs de la vie mentale
féminine. L’identification avec la mère active est particulièrement
propre à faciliter cette phase du développement. C’est là bien sûr
une évolution longue, délicate, difficile et complexe dont la réussite
dépend de facteurs biologiques et extérieurs adéquats, ce qui
explique la variété des types féminins normaux et la multiplicité des
arrêts, accidents et perversions du développement.

47
La régression du patient et l’analyste

Après toutes ces études, Freud lui-même est bien obligé d’admettre
que la fille s’est passionnément et fortement attachée à la mère
avant de s’attacher au père et qu’il avait de beaucoup sous-estimé la
durée et l’importance de cette phase pré-œdipienne [29]. Il avoue sa
surprise et la compare à celle qu’a provoquée dans un autre domaine
la découverte d’une civilisation mycénienne antérieure à la
civilisation grecque. Il est bien possible, dit-il, que des Hélène
Deutscb et Jeanne Lampl de Groot qui pouvaient agir comme
substituts maternels dans la situation transférentielle, pouvaient
seules s’y reconnaître dans ce matériel analytique pré-génital qui lui
avait toujours paru à ce point ténu, fugace et lointain qu’il l’avait cru
l’objet d’un refoulement particulièrement inexorable.

Freud accepte d’ailleurs la plupart des conclusions de ses deux


disciples. La phase pré-œdipienne lui paraît même plus importante
chez la fille que chez le garçon. Si cette relation initiale à la mère
échappe au refoulement, la femme connaîtra avec son mari le même
type de conflits qu’elle a connus dans sa jeunesse avec sa mère.
L’attitude hostile à l’endroit de celle-ci n’est donc pas une
conséquence de la rivalité que postule implicitement le complexe
d’Œdipe. Elle prend plutôt naissance lors de la phase antérieure et
ne trouve dans la situation œdipienne qu’une exacerbation et une
occasion de s’affirmer. Les griefs de la fillette sont en effet
nombreux : sa mère ne lui a pas donné d’organe génital adéquat, l’a
sevrée trop tôt, n’a jamais satisfait son incommensurable besoin
d’amour, l’a contrainte à partager cet amour avec des rivaux, l’a
d’abord excitée sexuellement puis lui a défendu de se donner à elle-
même ces satisfactions. Mais ces griefs ne semblent pas expliquer
adéquatement l’intensité de son hostilité. Peut-être en fait cet
attachement à la mère est-il condamné parce qu’il est le premier, le
plus puissant et marqué au coin d’une extrême ambivalence.

Durant toute cette période précoce du développement, les buts


sexuels de la fille à l’endroit de la mère sont à la fois actifs et passifs

48
La régression du patient et l’analyste

et sont déterminés par les diverses phases libidinales que traverse


l’enfant. L’impression passivement reçue est transformée en
tendance active. Dans son besoin de maîtriser le monde extérieur,
l’enfant essaie d’accomplir lui-même ce qui vient de lui être fait.

Au stade oral, la fille se laisse nourrir, nettoyer, habiller par sa mère


puis elle assume ludiquement ce même rôle à l’endroit de celle-ci. On
trouve également chez elle des souhaits agressifs et sadiques sous
leur forme refoulée, comme par exemple la crainte d’être tuée par la
mère. Au stade anal, l’intense excitation passive de la région
intestinale évoque un désir d’agression qui se manifeste directement
sous forme de rage ou qui se transforme en angoisse par suite du
refoulement. Au stade phallique, c’est à une séduction de la mère
que la fille attribue ses premières et plus fortes sensations génitales.
Puis des désirs actifs se manifestent à l’endroit de la mère. La
masturbation clitoridienne s’installe. À l’arrivée d’un bébé, la petite
fille essaie de se convaincre que c’est elle qui a donné à sa mère ce
nouvel enfant. Lorsqu’elle se détourne finalement de la mère, pour
les raisons déjà citées, les pulsions passives s’intensifient au
détriment des pulsions actives. Les mêmes forces libidinales sont
donc à l’œuvre chez le garçon comme chez la fille et pour un certain
temps poursuivent un cours analogue chez les deux sexes. Ce sont
des facteurs biologiques qui au moment de l’Œdipe amènent un
changement de but et orientent les tendances actives et proprement
masculines dans des voies féminines. Inutile d’ajouter que sur tous
ces problèmes, Freud rejette les opinions exprimées par Karen
Horney, Mélanie Klein et Ernest Jones.

Malgré ces nouvelles acquisitions, Freud qualifie encore la sexualité


féminine de continent noir [30]. Il recommande de ne pas sous-
estimer l’influence de l’organisation sociale qui tend à placer la
femme dans des situations passives et la contraint à refouler ses
instincts agressifs, facilitant ainsi l’érotisation masochique des
tendances destructrices. Il met également en garde contre l’usage

49
La régression du patient et l’analyste

polémique que l’on serait porté à faire des observations et théories


psychanalytiques dans ce domaine où les préjugés sont rois. Donnant
lui-même l’exemple, Freud ne parle plus, comme dans ses premiers
écrits, de libido masculine. Il n’est plus, pour lui, qu’une seule libido,
laquelle se trouve au service de la fonction sexuelle tant mâle que
femelle. S’il nous arrive de la qualifier de virile, il ne faut pas oublier
qu’elle représente également des tendances à but passif. Il lui
semble pourtant que la libido subisse une répression plus forte
quand elle est contrainte de se mettre au service de la fonction
féminine et que la nature tienne moins compte de ses exigences que
dans le cas de la virilité. C’est pourquoi l’ancien désir viril de
posséder un pénis subsiste même quand la féminité est le mieux
établie, que ce soit à la suite d’une évolution normale ou d’une
analyse réussie [31].

Mais ne conviendrait-il pas, conclut Freud, de considérer ce désir du


pénis comme spécifiquement féminin ?

Le décès de Freud devait donner l’occasion à sa fidèle collaboratrice


Ruth Mack Brunswick de résumer et d’ordonner les thèses
auxquelles il avait donné son accord et de faire connaître le résultat
de leurs dernières recherches communes [32].

Le cours du développement est tout entier gouverné par trois


grandes paires d’antithèses qui se combinent, chevauchent, ne
coïncident jamais entièrement et finissent par se remplacer l’une
l’autre. Les deux premières, activité-passivité, phallicité-castration,
caractérisent la première et la seconde enfance. La troisième,
masculinité-féminité, spécifie l’adolescence. L’activité de l’enfant,
jusque dans ses moindres aspects, est d’une façon quelconque basée
sur son identification avec la mère active, identification qui lui donne
un modèle pour tout ce qu’il entreprend pour lui-même ou pour
autrui. Il se comporte alors comme une mère à l’endroit de tous les
objets qui font partie de son monde, y compris sa mère elle-même. À
cette époque, l’organe génital ne le préoccupe pas plus que les

50
La régression du patient et l’analyste

autres zones érogènes. Il prend pour acquis qu’il n’est qu’une seule
organisation sexuelle, identique chez tous, jusqu’à ce que la
découverte de la castration, jointe à l’exacerbation de ses sensations
génitales l’amène à reformuler ses conceptions dans le cadre de la
deuxième antithèse. L’absence de phallus ne paraît d’abord à la fille
qu’une blessure personnelle, en aucune façon irréparable. Mais
l’évidence de la castration maternelle vient bientôt sonner le glas de
ses espoirs de possession du pénis, dévalorise sa mère à ses yeux
comme objet d’amour, intensifie son hostilité à son endroit, la fait se
tourner vers son père dont elle attend désormais une gratification
sexuelle passive et une possession symbolique du pénis sous la forme
de l’enfant, l’incite à sublimer ses tendances actives en préparation
pour le jour où celles-ci trouveront idéalement à s’employer dans le
cadre de la maternité. Le terrain est alors préparé pour la troisième
paire d’antithèses qui n’établira cependant sa dominance qu’à la
puberté en raison de la découverte tardive du vagin et du
refoulement imparfait de la position œdipienne.

À la phase passive-active, l’organe actif de la mère est le sein. L’idée


du pénis est projetée sur la mère active après que l’importance du
phallus a été reconnue. La mère active et la mère castrée ont une
existence réelle, alors que la mère phallique est un pur fantasme,
une hypothèse infantile élaborée après la découverte du pénis et la
possibilité de sa perte ou de son absence chez la femme. Ce
fantasme est de nature régressive et compensatrice. Il est employé
dans un but de réassurance et s’applique à la mère toute-puissante,
qui est capable de tout et possède tous les attributs que l’enfant est
amené à valoriser.

Le premier fantasme phallique est de nature passive. L’enfant y


assume le rôle de la mère à l’égard de son organe génital et souhaite
se procurer, en y touchant, les mêmes sensations agréables que les
soins maternels y avaient fait naître. Malgré le débordement
d’activité qui apparaît au début du stade phallique, l’enfant ne désire

51
La régression du patient et l’analyste

rien autant que de se faire à nouveau toucher par la mère. Les


tendances actives prennent ensuite le dessus pour s’épanouir dans le
complexe d’Œdipe actif. Les relations entre les parents deviennent
alors l’objet d’une curiosité intense et jalouse. L’enfant se demande
ce que le père fait à la mère. Sa réponse est sans doute qu’il
accomplit ces actes qui à ses yeux d’enfant connotent une intense
satisfaction. Il imagine que la mère donne le sein au père passif puis
que le père tète activement cet objet de son désir. Il imagine
également une relation sado-masochique où le viol devient la
véritable expression motrice de l’érotisme anal, l’équivalent anal de
l’orgasme génital. La scène primitive peut aussi être imaginée sous
le mode passif de la masturbation réciproque puis enfin sous le signe
de la pénétration phallique.

Il n’y a pas que le coït parental qui soit ainsi incorporé dans la
fantasmatique prégénitale et œdipienne de la petite fille. Il en va de
même pour le problème des bébés. Désirant pour lui-même tout ce
que possède la mère omnipotente, l’enfant souhaite recevoir
passivement un bébé de celle-ci, d’abord sur le mode oral, puis sur le
mode anal, en même temps qu’il forme le vœu de lui faire lui-même
ce cadeau. La fillette abandonne ce fantasme actif lorsqu’elle
accepte sa castration mais le fantasme passif est retenu et il est
transféré de la mère au père où il assume désormais toute son
importance. Il n’est donc pas vrai, comme on le pensait au début,
que le désir du pénis soit échangé pour le désir d’un enfant, puisque
celui-ci existait déjà depuis très longtemps. Dans le cours du
développement, l’impossible est écarté et le possible est seul
sauvegardé. Le désir actif du pénis, le désir de la possession
complète et permanente du pénis est remplacé par le désir passif du
pénis, le désir de recevoir le pénis de l’homme lors du coït. La fillette
sait que par ce moyen elle pourra recevoir un enfant. Ainsi, les deux
désirs finissent par s’unir. Narcissiques à l’origine, ils prennent

52
La régression du patient et l’analyste

temporairement racine dans la relation avec la mère avant de se


fixer définitivement au père.

Dans l’excellent résumé qu’il donne lui aussi des positions


freudiennes, Fenichel s’en prend aux thèses de Karen Horney et
Mélanie Klein [33]. On ne peut contester, dit-il, que l’envie du pénis,
surtout lorsqu’elle est puissante, ne soit chez la fille une réaction à
sa propre féminité. Mais l’exactitude de cette constatation ne
contredit pas l’existence d’une envie primaire du pénis, de même que
la nature réactionnelle de pulsions sadiques anales ne contredit pas
l’existence d’une phase sadique originelle dans le développement
libidinal de l’enfant. Cette envie secondaire du pénis s’appuie donc
sur un sentiment antérieur analogue et n’en constitue qu’un
renforcement.

Il est également vrai que les petites filles ont régulièrement des
impulsions à pénétrer dans le corps de la mère, mais il semble bien
que ce soit là un fantasme oral de pénétration des dents à l’intérieur
du corps de la mère et de manducation de son contenu. Ce sont de
tels fantasmes sadiques oraux chez les femmes qui ont fourvoyé
certains auteurs en les conduisant à parler d’une phase phallique
précoce qui surviendrait beaucoup plus tôt que celle décrite par
Freud. Dans le même ordre d’idées, Fenichel n’accepte pas le
complexe d’Œdipe négatif (actif) de Jeanne Lampl de Groot et nie
toute phallicité chez la petite fille par rapport à sa mère, à laquelle
d’après lui, elle n’est jamais que prégénitalement fixée.

Marie Bonaparte, pour sa part, tente assez curieusement


d’harmoniser les conceptions freudiennes avec celles du biologiste
Gregorio Maranon [34], qui assimile la femme à un organisme mâle,
arrêté dans son évolution, du fait de l’influence inhibitrice des
annexes maternelles, juxtaposées en une sorte de symbiose à son
organisme gracile [35]. Elle fait aussi grand cas de l’érotisme
cloacal, qui lui paraît devoir être interposé entre l’érotisme anal et
l’érotisation adulte du vagin. À ce stade, où le vagin ne s’esquisse

53
La régression du patient et l’analyste

que comme une annexe de l’anus, qu’il est d’ailleurs, c’est le trou
cloacal entier qui lui semble dominer l’organisation libidinale. Il
existerait donc, selon elle, une première phase cloacale passive, qui
précéderait la phase phallique active, puis une deuxième, post-
phallique, qui équivaudrait à une régression biologique normale et
assurerait l’intérim jusqu’à son remplacement par l’érotisation
vaginale. En résumé, trois grandes lois lui semblent présider à
l’évolution libidinale féminine [36] : une loi objectale, en vertu de
laquelle tous les émois touchant la mère, passifs comme actifs, sont
transférés au père ; une loi pulsionnelle, selon laquelle les fantasmes
sadiques sont régulièrement relevés par des fantasmes masochiques
au moment du passage de l’Œdipe actif à l’Œdipe passif, ces
fantasmes étant d’abord vécus au moyen du clitoris ; une loi zonale,
aux termes de laquelle les fantasmes masochiques relatifs au clitoris,
lors de l’abandon de la masturbation clitoridienne, sont engloutis en
bloc dans le cloaque d’abord puis dans le vagin. La fonction féminine
idéale est par ce dernier pas constituée.

Chez les analystes dissidents, la différenciation anatomique des


sexes ne paraît plus être qu’un facteur parmi d’autres, et non le plus
important, de l’évolution psychosexuelle de la femme. Si la
terminologie freudienne est souvent conservée, il lui est donné un
sens différent et elle ne s’inscrit plus dans le même cadre
conceptuel. Ainsi, pour Jung, la mère ne revêt aucune signification
sexuelle importante pour l’enfant [37]. Le soi-disant complexe de
castration n’est qu’un symbole du sacrifice que fait l’enfant de ses
désirs infantiles. Le complexe d’Électre devrait alors s’interpréter
symboliquement comme la preuve de l’échec de la fillette, qui n’a pu
accéder à l’autonomie morale et qui opère un mouvement de retour
vers le père où elle a jadis trouvé amour et protection.

Les premiers travaux d’Otto Rank se situent dans une perspective


freudienne bien que Freud n’ait jamais accepté les déductions
extrêmes que Rank a cru devoir tirer de sa découverte du

54
La régression du patient et l’analyste

traumatisme de la naissance [38]. Pour ce dernier, la naissance est


l’expérience la plus douloureusement angoissante que puisse
connaître l’homme. Durant la gestation, l’enfant voit tous ses besoins
satisfaits à leur limite sans qu’il ait jamais rien à demander. La
naissance le chasse de ce paradis. Il n’aura pas trop ensuite de toute
sa vie pour essayer de retrouver ce paradis perdu ou lui substituer le
meilleur équivalent possible. L’acte sexuel constitue une gratification
partielle de ce souhait primitif en même temps que sa réalisation
symbolique. Grâce à sa libido clitoridienne, la femme est en mesure
de s’identifier avec le pénis paternel et de se rapprocher ainsi du
sein de la mère. Ce souhait peut davantage encore se satisfaire
lorsqu’enceinte elle-même, elle peut s’identifier avec le fruit de ses
entrailles.

Dans ses œuvres subséquentes [39], Rank s’éloigne toujours


davantage de ce qu’il appelle le réalisme freudien et de son idéologie
biologico-mécaniciste. La conception du traumatisme de la naissance
l’a conduit à une conception de la naissance de l’individualité et de la
volonté autonome. Un principe spirituel, la libération graduelle d’un
état général de dépendance, remplace l’accent unilatéral mis
jusqu’ici sur la dépendance biologique à l’endroit de la mère. Les
parents se livrent une lutte ouverte ou secrète pour la possession de
l’enfant (de sexe opposé, sur le plan biologique, de même sexe sur le
plan personnologique), et celui-ci se sert d’eux alternativement, les
joue l’un contre l’autre, afin de sauver sa propre individualité. De la
même façon, la femme se servira un jour de l’homme pour l’acte de
procréation, qui lui permet de se continuer et de trouver ainsi
l’immortalité, en même temps qu’elle craindra toujours de ne pas
trouver grâce à ses yeux et d’être rejetée dans sa solitude.

Malgré son opposition aux vues de Freud sur la sexualité féminine,


Karen Horney n’en conserva pas moins tant bien que mal son
allégeance freudienne jusqu’à son arrivée aux États-Unis. Mais dans
ce pays où, selon elle, sévit beaucoup moins l’intolérance

55
La régression du patient et l’analyste

dogmatique, elle ne se crut plus obligée de prendre pour acquises les


théories psychanalytiques et se trouva assez de courage pour aller
jusqu’au bout de ses propres recherches. Le contact avec une culture
qui différait sur autant de points de celles qu’elle avait connues en
Europe la convainquit également qu’un grand nombre de conflits
névrotiques sont déterminés par les conditions culturelles [40]. Les
fixations à l’endroit des parents n’ont donc aucune base biologique.
L’attachement de la fille pour son père ou sa mère est attribuable aux
conditions qui prévalent dans le milieu familial. L’enfant accordera sa
préférence à celui qui saura le mieux satisfaire ses besoins, sexuels
ou autres, qui lui manifestera le plus d’amour ou lui offrira la plus
solide protection. Le désir sexuel pour le parent du sexe opposé
n’atteint jamais l’intensité que Freud lui a reconnue. L’envie du pénis
n’est pas inscrite dans la nature de la femme mais constitue bien
plutôt une manœuvre défensive. Elle épargne à la femme
inadéquate, mal adaptée, névrotique, le douloureux devoir d’une
autocritique lucide, lui fait attribuer à une injustice du sort une
souffrance qui résulte de ses propres déficiences, lui évite l’effort
d’un changement de conduite, exprime son désir de posséder ces
qualités que notre culture considère comme masculines : force,
courage, indépendance, succès, liberté sexuelle, etc. Il existe à cette
situation un autre déterminant culturel. Durant des siècles, la femme
a été tenue à l’écart des responsabilités politiques et économiques.
Elle a donc dû se replier sur l’amour, qu’elle a élevée au rang de
valeur unique et irremplaçable. En fait, cette obsession de l’amour
n’a rien à voir avec la féminité et doit être classée parmi les
phénomènes névrotiques. Horney rejoint ici Adler qui voit dans
l’homme occidental le seigneur tout-puissant que les êtres
infériorisés (enfants, femmes, névrosés) envient et essaient d’égaler
ou de dominer.

Avec tous les autres culturalistes, Fromm répète que le complexe


d’Œdipe, tel que décrit par Freud, n’est pas universel, que la

56
La régression du patient et l’analyste

composante sexuelle ne lui est pas essentielle et qu’il exprime plutôt


un conflit entre l’aspiration légitime à l’indépendance et les
structures sociales qui vont à l’encontre de ce désir
d’épanouissement. Sullivan, pour sa part, ne nie pas que la fillette
soit plus attachée à son père qu’à sa mère. Mais c’est parce que le
père est intimidé par cet enfant de l’autre sexe qu’il n’est pas sûr de
comprendre. Il le traite ainsi avec plus de considération et celui-ci lui
manifeste sa reconnaissance par une plus grande affection.

Aux critiques des dissidents, Simone de Beauvoir ajoute celles que


lui inspirent son sartrisme et sa problématique personnelle [41]. Elle
reproche d’abord à la psychanalyse la confuse souplesse de sa
sémantique. Les mots y sont tantôt pris, dit-elle, dans leur sens le
plus réduit, le phallus désignant alors cette excroissance charnue
qu’est un sexe mâle, et tantôt indéfiniment élargis sur le mode
symbolique, le phallus exprimant alors tout l’ensemble du caractère
et de la situation virils. Sans rejeter en bloc les apports de Freud,
elle déplore les omissions, erreurs, insuffisances et préjugés qui en
altèrent la valeur. Il est faux, selon elle, de prétendre expliquer
l’histoire humaine par un jeu d’éléments déterminés et de ne voir
dans le drame de la femme qu’un conflit entre ses tendances
viriloïdes et féminines. La sexualité joue certes un rôle important
dans l’économie psychique mais elle n’est pas une donnée
irréductible. Il y a chez l’existant une « recherche de l’être » plus
originelle dont la sexualité n’est qu’un des aspects. Le travail, la
guerre, le jeu, l’art définissent des manières d’être au monde qui ne
se laissent réduire à aucune autre. Le symbole n’est pas de même
une allégorie qu’élabore un mystérieux inconscient. Il n’est pas
tombé du ciel ni surgi des profondeurs souterraines mais il est une
signification qui se dévoile de la même manière à quantité
d’existants placés dans une situation analogue. Cette perspective
permet de comprendre la valeur généralement accordée au pénis.
Dans un monde où la dominance du mâle s’exerce depuis des

57
La régression du patient et l’analyste

millénaires, il en est venu à signifier le désir de transcendance. C’est


peut-être ce qui explique que Freud ait refusé de poser dans son
originalité la libido féminine et calqué la description qu’il en a faite
sur un modèle masculin. La convoitise de la fillette à l’endroit du
pénis résulte en effet d’une valorisation préalable de la virilité ; de
même qu’il faudrait se demander si le mâle est orgueilleux parce
qu’il a un pénis ou si dans le pénis s’exprime son orgueil.

Ce n’est qu’au sein de la situation saisie dans sa totalité que le


privilège anatomique fonde un véritable privilège humain. À
l’affirmation de Freud : l’anatomie, c’est le destin, Simone de
Beauvoir répond : on ne naît pas femme, on le devient. Aucun destin
biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au
sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la
civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le
castrat qu’on qualifie de féminin.

Seule la méditation d’autrui peut constituer un individu comme un


autre. Aussitôt que l’enfant découvre sa finitude et sa solitude, il
essaie de compenser cette catastrophe en aliénant son existence
dans une image dont autrui fondera la réalité et la valeur. Son Moi se
confond avec ce reflet si bien qu’il ne se forme qu’en s’aliénant.

Cette intervention d’autrui dans la vie de l’enfant est à ce point


originelle que dès ses premières années, sa vocation lui est
impérieusement dictée. L’image que notre société propose au garçon
est celle d’un « petit homme » qui doit s’affranchir des adultes pour
obtenir leur suffrage. Pour l’encourager dans le chemin difficile qui
est le sien, on lui insuffle l’orgueil de sa virilité : cette notion
abstraite revêt pour lui une figure concrète : elle s’incarne dans le
pénis. Anatomiquement, le pénis est tout à fait apte à remplir ce
rôle ; détaché du corps, il apparaît comme un petit jouet naturel. On
valorisera donc l’enfant en valorisant son double.

Le sort de la fillette est très différent. Son corps est évidemment


pour elle une plénitude et elle n’éprouve pas cette absence de pénis

58
La régression du patient et l’analyste

comme un manque. Beaucoup de fillettes ignorent jusqu’à un âge


avancé l’anatomie masculine. Pour beaucoup d’autres, ce petit
morceau de chair est insignifiant, dérisoire, est considéré comme
une anomalie ou peut inspirer du dégoût. La petite fille peut
également s’intéresser à ce pénis et désirer se l’approprier comme
tout objet mais on ne peut dire qu’elle en envie sérieusement la
possession.

Il peut arriver cependant qu’un ensemble de facteurs transforme


cette différence en une infériorité. Ne pouvant s’incarner dans
aucune partie d’elle-même, la fillette se voit donner une poupée qui
représente le corps dans sa totalité et qui est une chose passive. Elle
est ainsi confirmée dans sa tendance à se faire objet, qui est
commune à tous les enfants. La passivité n’est donc pas une donnée
biologique mais un destin qui lui est imposé par ses éducateurs et la
société. Si on l’y encourageait, elle pourrait certes elle aussi
manifester la même hardiesse et initiative que le garçon. Mais on lui
apprend que pour plaire, elle doit renoncer à son autonomie, à
devenir comme ses aînées, une servante et une idole. La mère
impose ainsi à sa fille sa propre destinée ; ce qui est une manière de
revendiquer orgueilleusement sa féminité en même temps qu’une
manière de s’en venger.

Dans les toutes premières années, la fillette se résigne sans trop de


peine à son sort, mais elle sent bientôt le désir spontané d’affirmer
son pouvoir sur le monde et proteste contre la situation inférieure
qui lui est faite. Quand elle s’arrache par ses jeux et ses lectures au
cercle maternel, elle comprend que ce ne sont pas les femmes mais
les hommes qui sont les maîtres du monde. Au foyer, elle découvre
que si l’autorité du père n’est pas celle qui se fait le plus
quotidiennement sentir, c’est elle qui est souveraine. Dans les
moments importants, c’est en son nom, à travers lui que la mère
exige, récompense ou punit. C’est lui qui nourrit la famille, travaille
au dehors, qui est l’incarnation de ce monde immense et merveilleux,

59
La régression du patient et l’analyste

qui est la transcendance, qui est Dieu. C’est cette révélation, bien
plus que la découverte du pénis qui modifie la conscience qu’elle
prend d’elle-même. Ne pouvant être ce père souverain, elle ne peut
qu’attendre passivement de lui une valorisation. L’Œdipe féminin
n’est donc pas comme le prétend Freud un désir sexuel : c’est une
abdication profonde du sujet qui consent à se faire objet dans la
soumission et l’adoration. À partir de ce jour, la suprême nécessité
pour elle sera de charmer un cœur masculin. Héroïque ou intrépide,
c’est la récompense à laquelle elle aspire et pour laquelle il ne lui est
souvent pas demandé d’autre vertu que sa beauté. Elle apprend ainsi
qu’en consentant aux plus profondes démissions, elle deviendra
toute-puissante et elle finit par se complaire dans un masochisme qui
lui promet de suprêmes conquêtes. Elle peut certes refuser ce rôle et
jouer à être un homme mais ce serait alors tomber dans une autre
aliénation. Le vrai problème pour la femme, c’est, refusant ces fuites,
de se découvrir comme sujet et de s’accomplir elle aussi comme
transcendance. Quand enfin il sera ainsi possible à tout être humain
de placer son orgueil par-delà la différenciation sexuelle, dans la
difficile gloire de sa libre existence, alors seulement la femme pourra
confondre son histoire, ses problèmes, ses doutes, ses espoirs avec
ceux de l’humanité.

Moins passionnelles que celles de Simone de Beauvoir, les


conceptions de Buytendijk s’inscrivent dans le même courant
phénoménologique et existentiel [42]. Lui aussi croit nécessaire de
se situer par rapport au mécanicisme et au symbolisme
psychanalytiques qui lui semblent en partie responsables de l’idée
que notre époque se fait de la femme. Il souligne avec l’assurance
condescendante du professeur de carrière le schématisme, la
confusion, les lacunes, le caractère grossier et fruste de cette
armature pseudo-philosophique que les freudiens ont baptisée du
nom de métapsychologie. Ainsi, ce postulat fondamental que
constitue le principe de plaisir est donné comme évident et n’est

60
La régression du patient et l’analyste

même pas jugé digne de définition, alors que l’analyse


phénoménologique a bien montré que chaque sentiment de plaisir a
sa qualité propre dans une situation donnée, qu’il importe de
distinguer au moins deux formes générales et élémentaires de
plaisir, celui qu’offre la sécurité et celui que donne la conscience de
se libérer, et de se choisir, qu’il ne faut voir qu’une parenté formelle
entre la nature positive d’un bien ou d’une valeur et celle des
sentiments de plaisir, qu’on ne peut parler d’identités de sentiments
que lorsqu’il y a identité de situations projetées et donc d’actes
intentionnels, etc. Il s’ensuit que si nous continuons d’ignorer ce
qu’est réellement le plaisir originaire vers lequel se tourne le vivant
à partir de ses premières rencontres, il est impossible de
comprendre pourquoi, dès l’origine, ce plaisir prend chez le garçon
et chez la fille une direction différente, et cela bien longtemps avant
qu’il puisse être question de l’envie du pénis ou du complexe de
castration. C’est parce que Freud n’a pu faire cet effort et ces
distinctions qu’il a réduit l’économie psychique à un combat entre
instincts et sentiments, que l’envie du pénis lui a masqué le désir
avoué et ingénu d’une existence plus riche en liberté et en
expansion, qu’il explique la passivité de la femme par le seul
développement sexuel au lieu d’y voir un projet qui pénètre son
existence et que le masochisme ne possède jamais pour lui cette
signification positive qu’il recèle aussi en tant qu’il conduit à un bien
supérieur.

Il importe donc de reformuler les découvertes freudiennes en termes


d’existence et d’intentionnalité. Comme toute existence est un être-
au-monde corporel et que le corps de la femme diffère profondément
de celui de l’homme, le type de son existence et la structure
dynamique de ses comportements sont toujours absolument
féminins, quelles que soient les modifications de la structure sociale
et les normes éducationnelles. S’il est vrai que la femme est
biologiquement plus passive, affective, fragile, sensible et

61
La régression du patient et l’analyste

impressionnable, il est à se demander comment cette différence sera


acceptée, quelle pression s’exercera sur elle pour qu’elle ne cherche
pas son bien-être dans la conquête mais dans la sécurité, comment
elle tentera, à partir de sa nature, de réaliser, outre l’humanité
universelle que prescrit la culture à laquelle elle appartient, des
valeurs qui ont un sens décisif pour l’existence proprement féminine.
L’importance anatomique des zones érogènes ou le dynamisme de la
libido perdent ici leur prééminence pour prendre leur place dans une
conscience globale de soi, du monde et de la signification de ses
propres comportements, que cette conscience soit spontanée ou
réfléchie.

Ces postulats une fois admis, Buytendijk croit pouvoir définir le


monde féminin comme le monde du souci et le monde masculin
comme celui du travail. L’origine de ces mondes se révèle dans les
premières expériences du petit enfant : la fille forme un monde de
qualités en s’y conformant, le garçon un monde d’obstacles en s’y
opposant ; dans le premier cas, la dynamique se caractérise avant
tout par l’adaptation, dans le second, par l’expansion et l’agressivité.
Grâce à cette dynamique, c’est-à-dire grâce à la structure
fondamentale d’un comportement déterminé corporellement, la fille
s’intègre à une réalité qui est d’emblée différente, qui surgit dans le
sens des situations. L’homme a conscience de son corps parce qu’il
est conscient de sa prise sur le monde. La femme a un corps qui lui
permet d’être prise. L’acte humain le plus parfait qui corresponde à
la motricité de la femme est celui de prendre soin. Il nous donne le
sens de son existence et celui du monde où elle vit. L’être au monde
comme souci détermine sa relation à son corps et c’est dans sa
possibilité maternelle que s’épanouit l’acte de prendre soin.
Concrètement, il n’y a pas d’existence exclusivement masculine ou
féminine. Ce sont deux possibilités de l’humain compris comme
conscience, laquelle est nécessairement intentionnelle. Il est possible
d’être au monde à la façon d’un homme et d’une femme parce que

62
La régression du patient et l’analyste

tout être humain possède, dans une certaine mesure, l’une et l’autre
dynamique. Mais la vocation maternelle n’apparaît comme
pleinement expressive que dans l’apparence de la femme et c’est
pour son existence seule qu’elle est vraiment un accomplissement.

Les coups portés aux thèses freudiennes par les dissidents et tenants
d’autres écoles n’ont quand même pas arrêté la prolifération des
analystes et de leurs écrits. La théorie psychanalytique a continué et
continue encore de se développer dans mille directions. Mais le
problème du développement psychosexuel de la fille et des
caractères spécifiques de la sexualité féminine n’a pas été repris.
Depuis le grand branle-bas des années 1925-1945, les positions
respectives de chacun sont demeurées inchangées et rien n’a été
ajouté à ce (pie nous savons déjà. On peut se demander si cet
enterrement de première classe n’est pas à mettre au compte d’une
complicité inconsciente. Personne ne tient peut-être à garder ouvert
un débat aussi brûlant, à polémiquer sur un problème qui lui colle à
la peau et l’amène à reconsidérer son identité individuelle et sa
position sociologique, à jeter dans la discussion des matériaux
ressortissant à ses expériences vécues les plus précieuses et les plus
secrètes. Ces arguments ne sauraient pourtant valoir si l’on songe
que plusieurs des critiques faites à Freud sont fondées ou méritent
examen et que lui-même avoue, vers la fin de sa vie, ne pas être
satisfait des connaissances déjà acquises. Et c’est en effet parce que
Jacques Lacan estime que plusieurs questions sont actuellement mal
posées ou n’ont pas reçu de réponse qu’il souhaite voir repris le
problème dans son entier [43]. Parmi les problèmes éludés, il
mentionne surtout les suivants : rôles respectifs du sexe
chromosomique et du sexe hormonal dans la détermination
anatomique, la question de la coupure entre l’organique et le
subjectif, nature de l’orgasme vaginal et fonction exacte du clitoris.
Plus grave lui apparaît cependant le fait qu’on ne semble pas avoir

63
La régression du patient et l’analyste

jusqu’ici posé le problème du masochisme et du complexe de


castration dans leur véritable perspective.

Il faudrait pour cela qu’on tienne pour essentielles les distinctions


entre les registres du symbolique, de l’imaginaire et du réel et qu’on
saisisse leurs incidences dans la différenciation qui est à faire entre
frustration, privation et castration [44]. La frustration est par
essence du domaine de la revendication, des exigences effrénées,
sans référence à une possibilité de satisfaction quelconque : son
centre est un dommage imaginaire. L’objet de la frustration, toute
imaginaire qu’elle soit, est cependant bel et bien un objet réel, le
pénis en tant qu’organe. La privation, elle, est quelque chose de réel,
un manque réel, un trou dans le réel. L’objet est ici symbolique ; en
effet, en un sens, le réel est toujours plein ; un objet ne manque à sa
place, comme on le dit d’un ouvrage sur le rayon d’une bibliothèque,
que parce qu’il devrait être là. Quant à la castration, elle ne se
conçoit que liée à l’ordre de la loi et au registre de la sanction, ce qui
en fait une dette symbolique. L’objet qui manque dans la castration
n’est donc pas un objet réel, mais un objet imaginaire, c’est le
phallus. À la suite de Freud, Lacan fait du phallus l’objet central de
l’économie libidinale mais il spécifie que la thèse freudienne de la
prévalence du phallus, et aussi bien celle que l’enfant peut être pris
comme substitut imaginaire du phallus, ne se comprennent que dans
leur ordre de facteurs symboliques.

Et d’abord, demande Lacan, pourquoi parler de phallus et non pas de


pénis ? C’est qu’il ne s’agit pas d’une forme ou d’une image ou d’un
fantasme, mais d’un signifiant, le signifiant du désir [45]. Il
représente la montée de la puissance vitale, il désigne ce que l’Autre
désire en tant qu’il est, il n’est pas un organe mais un insigne, l’objet
significatif dernier qui apparaît quand tous les voiles sont levés.
C’est au niveau de l’Autre, à la place où se manifeste la castration
dans l’Autre, c’est chez la mère que s’institue ce qu’on appelle le
complexe de castration. C’est dans la mère que la question du

64
La régression du patient et l’analyste

phallus est posée et que l’enfant doit l’y repérer. Entre lui et la mère
s’introduit ainsi un troisième terme imaginaire dont le rôle signifiant
va marquer tout son développement. Quant au père, il n’intervient ici
que comme fonction symbolique, en tant que celui qui doit donner le
phallus.

Dans la relation primordiale à la mère, l’enfant cherche à s’identifier


à ce qui est l’objet du désir de la mère ; il est désir du désir de la
mère et non seulement de son contact et de ses soins. Or, il y a chez
la mère le désir d’autre chose que de satisfaire le désir de l’enfant ;
derrière elle se profilent tout cet ordre symbolique dont elle dépend
et cet objet prévalent dans l’ordre symbolique, le phallus. Pour
garder l’amour de la mère, l’enfant s’insinue dans sa toute-puissance
par la faille de son désir. Pour lui plaire, il faut et il suffit d’être le
phallus. Pour satisfaire ce désir impossible à combler, il se situe en
différentes positions où il peut leurrer ce désir ; il peut s’identifier à
la mère, s’identifier au phallus, s’identifier à la mère comme
porteuse de phallus ou se présenter lui-même comme porteur de
phallus. Il atteste à la mère qu’il peut la combler, non seulement
comme enfant mais pour ce qui lui manque. Avec l’Œdipe, on entre
maintenant dans un ordre différent, un ordre symbolique et légal. Le
père intervient effectivement comme privateur de la mère, en tant
qu’il prive l’enfant de l’objet de son désir et en tant qu’il prive la
mère de l’objet phallique. Il interdit à l’enfant de coucher avec sa
mère et à celle-ci de réintégrer son produit. L’objet du désir de la
mère est mis en question par l’interdiction paternelle et le premier
rapport ternaire s’en trouve brisé. Mais dans une dernière étape,
dont dépend le déclin du complexe d’Œdipe, le père intervient
comme celui qui a le phallus et non pas qui l’est, réinstaurant ainsi
l’instance du phallus comme objet désiré de la mère et non plus
comme objet dont il peut la priver. Autrement dit, le père se fait
préférer à la mère et cette identification aboutit à la formation de
l’idéal du Moi. Le sujet, confronté à l’objet dont il est privé, le

65
La régression du patient et l’analyste

constitue comme signifiant, comme sa propre métaphore. Chez le


garçon, c’est pour autant que le pénis est momentanément nié, que
la castration n’est pas réelle mais liée à un désir, que le phallus est
conservé et qu’il peut y avoir accession à une fonction paternelle
pleine. Pour la fille, le père n’a pas de peine à se faire préférer à la
mère, étant donné qu’il est porteur du phallus tandis qu’elle se
reconnaît comme n’en ayant pas. En y renonçant sur le plan de
l’appartenance, elle le reçoit comme don du père, en échange de
l’enfant qu’elle lui donne. C’est donc bien par la castration qu’elle
entre dans l’Œdipe alors que le garçon en sort par la même voie. La
position féminine, loin de constituer une donnée primitive, n’est
atteinte qu’au prix d’une série de transformations. Il existe d’abord
chez la fille une exigence exclusive, totale, sans but, condamnée à
l’insatisfaction. C’est par l’expérience de la déception qu’elle est
conduite à une position plus normative. La dimension du désir et de
la demande est ici prévalente et c’est pourquoi on peut comprendre
la fonction du phallus comme signifiant du manque, de cette distance
entre la demande du sujet et son désir.

Après Lacan, Françoise Dolto rappelle que si le rôle de la mère est


absolument dominant et pendant longtemps dans le développement
de la fille, il ne s’agit d’une mère que si la personne du père la
valorise en tant que femme [46]. Mais elle poursuit ensuite selon ses
lignes propres, où la place de l’image du corps occupe une place
prééminente. Selon elle, il existerait deux complexes de castration,
l’un primaire, qui se situe au stade phallique, et l’autre, personnel,
qui apparaît au stade qu’elle appelle phallo-vulvaire prégénital. À la
découverte de sa différence anatomique, la petite fille réagit certes
par une déconvenue narcissique et l’envie de posséder un pénis,
mais pour peu qu’elle soit sûre d’avoir été désirée fille, donc à
l’image de sa mère, par ce père dont elle porte le nom, elle accepte
très rapidement sa caractéristique sexuée, comme une gratification
paternelle. Au stade suivant, on peut même constater qu’elle

66
La régression du patient et l’analyste

s’honore de son sexe troué et se découvre prête pour la prise de


possession, qui est à cet âge, ludique et ne connote pas encore la
procréation. Au cours de la crise œdipienne, le renoncement à tout
fantasme autre que la seule scène primitive où le sujet a été conçu
(et dont le fruit est sa connaissance de lui-même dans sa genèse
préhistorique fœtale) serait la seule issue compatible avec
l’existence génitale génétique responsable et féconde.

Entreprise originellement par Freud, l’exploration des arcanes de la


sexualité féminine sera poursuivie au mieux par ceux de ses disciples
qui témoigneront du même courage et de la même rigueur. Les
matériaux que son analyse a ramenés au jour ont comme rendu à la
femme son droit à une existence spécifique et consciemment
assumée, ont donné le frisson de la vie à ce sphinx énigmatique qui
faisait jusque-là l’objet de si plates descriptions. À ce titre, il a peut-
être suscité encore plus de problèmes qu’il n’en a résolus et c’est
bien pourquoi son œuvre est devenue un signe de contradiction.
Mais à la condition de savoir comme lui délimiter le champ de notre
recherche, y adapter notre outil méthodologique et les lois de la
preuve, observer scrupuleusement les faits et y ajuster nos théories
successives, éviter la logorrhée, l’enflure conceptuelle, le solipsisme,
l’obscure et pédante verbosité, ces nuages seront levés et notre
connaissance fera de nouveaux progrès.

Bibliographie

[1] Evola (J.), Métaphysique du sexe, Paris, Payot, 1959.

[2] Freud (S.), Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris,


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La régression du patient et l’analyste

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La régression du patient et l’analyste

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psychanalyse des enfants, Paris, Presses Universitaires de France,
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[21] Klein (Mélanie), The Oedipus Complex in the Light of Early


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[24] Jones (E.), Early Female Sexuality (1935), Papers on Psycho-


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Fbess, London, Hogarth Press, 1950.

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La régression du patient et l’analyste

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[31] Freud (S.), Analysis terminable and unterminable (1937), Col-


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Fbess, London, Hogarth Press, 1950.

[33] Fenichel (Otto), La théorie psychanalytique des névroses (1945),


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[34] Maranon (Gregorio), L’évolution de la sexualité et les états


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[35] Bonaparte (Marie), Passivité, masochisme et féminité (1935),


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[42] Buytendijk (F.), La femme : ses modes d’être, de paraître,


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70
La régression du patient et l’analyste

[43] Lacan (Jacques), Propos directifs pour un congrès sur la


sexualité féminine, La psychanalyse, n° 7.

[44] Lacan (Jacques), La relation d’objet et les structures


freudiennes, Séminaire de textes freudiens, 1956-1957, extrait du
Bulletin de Psychologie, t. X.

[45] Lacan (Jacques), Les formations de l’inconscient. Séminaire de


textes freudiens, 1957-58, extrait du Bulletin de Psychologie, t. XI.

[46] Dolto (Françoise), À propos de la frigidité, communication à la


Société française de Psychanalyse, 1960.

71
La libido génitale et son destin féminin

par Françoise Dolto2

Préambule

À chaque stade du développement de la sexualité, on décrit :

— une motivation consciente et inconsciente ;

— une zone érogène ;

— un objet électif ;

— un accomplissement subjectif et objectif.

La libido de la femme, arrivée au stade génital, doit donc être


schématiquement décrite avec sa motivation : le désir (au service de
la conservation de l’espèce) ; une. zone érogène : le sexe dans son
réceptacle utéro-vaginal ; un objet spécifique : le pénis
spermatophore ; un accomplissement : le coït effectif avec l’homme,
lui aussi, par son désir, conduit à cet accomplissement, le coït
fécondateur.

La libido génitale est donc la force pulsionnelle entraînant


l’attraction hétérosexuelle créatrice de fécondité symbolique,
éventuellement de fertilité humaine. C’est un donné évolutif, vital,
2 Selon le vœu de son auteur, ce texte est publié sous la forme où il a été
présenté comme rapport au Colloque d’Amsterdam, et ceci pour respecter le
style d’une communication parlée. L’introduction et le chapitre premier ont
été résumés en raison de l’abondance des textes figurant au sommaire du
présent volume (N.d.l.R.).

72
La régression du patient et l’analyste

énergétique, auquel tout être humain doit son accession à la


maturité. La libido est diffuse dans le soma, précise dans les
gonades.

73
La régression du patient et l’analyste

La libido génitale est soumise aux conditions d’investissement


cognitif et valoriel dont dépend l’appareil sexuel médiateur génital
que porte le corps entier du sujet lui-même, dans sa personne,
inséparable de valeur éthique dialectiquement structurée, en tant
que représentant conscient masculin ou féminin de l’espèce
humaine.

La libido, cette énergie, est de ce fait, dans ses manifestations,


soumise aux plus variables distorsions quant à sa zone érogène : les
voies génitales tardivement dominantes ; quant à son objet : le corps
porteur ou non de pénis érectile éjaculatoire, parfois dissociable de
la personne ; quant à son but : la fertilité, parfois redoutée par celles
et ceux qui valorisent le désir dans sa recherche d’accomplissement
érotique comme élément essentiel du sentiment de fécondité.

La maturité gonadique caractéristique de la puberté s’accompagne


d’une affirmation féminine ou masculine des comportements de
l’individu humain dans le monde des créatures et plus spécialement
par rapport à l’ensemble des individus humains des deux sexes, et
par rapport à ceux de son entourage immédiat. En même temps que
s’affirme et se développe son sexe génital porteur de cellules
reproductrices mûres, tout se passe comme si la libido cherchait son
accomplissement à travers les individus sexués
complémentairement. Les pulsions génitales actives ou passives
mènent à la conservation de l’espèce par l’instinct de reproduction,
en marge et au mépris souvent de la conservation de l’individu.

Alors qu’aux stades prégénitaux, cette même libido trouvait son


accomplissement dans la maintenance et la croissance de l’être
humain en tant qu’individu, la libido à sa période génitale accède au-
delà de la conservation de l’individu, à son rôle générateur, c’est-à-
dire à son dépassement spatial et temporel, et l’engage au-delà de sa
responsabilité clairement assumée, au-delà de son intentionnalité si
la force incluse en son désir s’accomplit, si les fruits de ses fruits
portent fruits.

74
La régression du patient et l’analyste

C’est dire à quel point l’angoisse de castration (et pour les femmes,
son aspect particulier de viol éviscérateur ajouté à celui de rejet) est
le mur auquel nous nous heurtons chacun en nous-mêmes dans
l’élaboration de nos pensées, de nos images, de nos propos
concernant la libido génitale.

Résumé du chapitre introductif

Après un préliminaire constitué de citations de Freud sur la sexualité


féminine et sur la libido, une introduction expose des généralités sur
la question et sur les modalités d’observation des femmes par les
psychanalystes (hommes et femmes) depuis le début de la
psychanalyse ; sur les difficultés de cette étude, tant sociales que
transférentielles et contre-transférentielles. Le premier chapitre est
consacré à une étude descriptive de comportements féminins de
l’enfance à la vieillesse.

J’ai pensé nécessaire de présenter cette étude génétique avant


d’aborder le sujet théorique qui m’était imparti puisque personne
d’autre n’avait dans ce colloque été chargé d’un exposé sur
l’évolution de la fille de son enfance à sa maturité physiologique, et
de sa sexualité prégénitale en activité.

Je me suis servie de nombreuses observations directes et


d’observations reconstruites d’après le vécu psychanalytique tant en
psychanalyse d’adultes qu’en psychothérapie d’enfants vivant dans
leur famille et dans leur groupe familial social ou pédagogique.

La femme, au singulier, est un concept.

Il est certain qu’il n’existe que des femmes, qui ont telle histoire et
qui, fillettes, ont été dans telles conditions émotionnelles. Il en est de
même pour la fille. Le psychanalyste ne connaît que des cas
particuliers.

J’ai tenté cette description générale en ne gardant dans les conduites


et les comportements observés que ce qui semblait se retrouver
chronologiquement dans des processus paraissant endogènes, par

75
La régression du patient et l’analyste

lesquels passaient ou avaient passé, visiblement ou non, la plupart


des filles dans leur période virginale prépubère puis post-pubère.

J’aurais aimé développer l’étude des relations pré-objectales de la


fille à l’époque de la gestation et de la première enfance passive
orale et anale (dans le sein et au sein de la mère ou dans le sevrage).
J’ai dû y renoncer car ces relations impliquent une étude
concomitante du narcissisme des adultes géniteurs et nourriciers, et
de ses manifestations projetées sur leur enfant, et de ce que celui-ci
peut en percevoir. Cette étude étendait trop le sujet bien que ces
relations constituent en fait les processus de base du narcissisme
primaire. C’est d’elles en grande partie que dépend l’image du corps
ainsi dialectiquement construite avant toute conscience que peut
avoir l’enfant (fille ou garçon) d’être sujet ou objet, et cela infère
chez la femme ensuite sur les manifestations de sa libido génitale.

Cette image du corps anime les processus inconscients englobés


dans les termes de Ça, Surmoi et Moi idéal, dans la partie
précocement constituée de ceux-ci, à une époque pourrait-on dire
préhistorique de l’être humain pour lui-même. L’étude
psychanalytique des psychoses infantiles, et celle de troubles
psychosomatiques chez l’enfant et l’adulte féminins, nous permettra
sans doute d’avancer dans cette compréhension difficile.

Il y a dans ce travail des points sur lesquels j’aurais aimé avoir votre
avis et discuter avec vous au nom de votre expérience clinique de
psychanalystes. Certains points paraîtront – et sont peut-être – en
contradiction avec ce qui a été dit jusqu’à présent dans la littérature
psychanalytique sur la fille et la femme.

J’ai pensé vous en citer quelques-uns.

À propos de la phase phallique de la fille… qui commence avec la


découverte faite par elle de la différence anatomique entre les
garçons et les filles, j’ai distingué deux périodes dynamiques de
« l’envie du pénis » :

76
La régression du patient et l’analyste

1° Une première période d’envie de pénis centrifuge qui accompagne


les manifestations dépressives toujours visibles de l’angoisse de
castration primaire, laquelle est ressentie comme l’angoisse d’un
manque, d’une incomplétude de forme, d’une infirmité injustement
subie.

Cette angoisse est rapidement surmontée dans le cas de santé


libidinale des personnes de l’entourage de la fillette et plus
particulièrement de sa mère et de son père.

2° Une seconde période d’envie du pénis centripète apparaît alors en


même temps que la fillette ressent et manifeste une fierté de son
sexe clitorido-vulvaire, complet comme tel dans sa forme, et
caractérisé par elle par « un bouton » (le clitoris), associé pour elle à
ses mamelons, et un trou-réceptacle (le vagin) ; bouton et trou tous
deux érogènes, ainsi que les lèvres de la vulve associées à des
bordures et plis érogènes et esthétiques, soulignant l’intérêt de
l’ouverture. La découverte de la conformité de son sexe avec celui de
sa mère et des autres filles et femmes est une gratification, car elle
lui permet une identification à elle dans toutes les supériorités dont
elle la voit nantie, dans toutes les conduites et fonctions où elle la
sent maîtresse, et en particulier dans le compagnonnage par
moments exclusif de son mari, double objet de son intérêt car il est
un très grand garçon – les garçons ont un pénis – et il a l’exclusivité
de maman.

Enfin la procréation est reliée dans toutes les observations qu’elle


peut en faire, en particulier dans le règne animal, est toujours reliée
à la féminité ; et, dans son expérience de la vie enfantine, les bébés
et les jeunes enfants semblent la possession préférentielle des
femmes. La procréation dans son esprit devient chose de femme ;
elle a quelque chose à faire avec la région des boutons (les seins, le
clitoris), et du trou ; avec les régions érogènes.

L’envie du pénis centripète s’accompagne du désir de la capture d’un


pénis et de son enfouissement dans l’ouverture vaginale, désir qui

77
La régression du patient et l’analyste

entraîne la masturbation primaire clitorido-vulvaire et non pas


seulement clitoridienne comme on l’a dit.

Cette valorisation de son sexe provient d’une part de l’érogénéité des


muqueuses génitales, et d’autre part des modes de valorisation des
stades précédents (oral-anal), déjà structurés en référence à la
symbolique du phallus, quelle qu’en soit la représentation et sa
localisation dans le corps à corps avec l’autre.

La valorisation phallique en tant que preuve de puissance gratifiante


manifestée, et la valorisation de la procréation en tant que preuve de
puissance féminine, sont deux motivations dynamiques du
comportement de la fille à cette phase phallique et ne se réfèrent pas
du tout au stade génital ; et ces deux expressions de symbolique
phallique ne sont pas à cette époque reliées entre elles par un lien
logique mais par un lien existentiel.

Avec l’envie du pénis centripète qui domine l’éthique de la fillette à


partir de trois ans, toute sa personne va se structurer en relation à
elle-même et à autrui relativement à cette envie du pénis centripète,
de son attraction, par la curiosité à son égard, par la curiosité
concernant les jeux de corps à corps génital des adultes, et, relié à
l’érectilité aperçue du pénis, les « surprises » d’apparition et de
disparition et de cachotteries ; enfin, relié à l’intérêt pour la
procréation, tout ce qui concerne les choses de maternage et de
procréation anatomique conçue comme magiquement
parthénogénétique dans un style anatomique digestif.

Il découle de cette étude du stade phallique de la fille deux notions


nouvelles :

1) La valorisation du corps propre de la fille et de la femme en tant


que signal attractif pour l’homme d’une zone érogène non
phallomorphe et cachée ;

2) La notion nouvelle de gratification narcissique éprouvée par la


fille de posséder un sexe creux érogène et un réceptacle qu’elle sait
procréatif.

78
La régression du patient et l’analyste

À propos de libido génitale et de stade génital. – Le premier accès à


la libido génitale serait introduit par la demande de l’enfant
concernant sa propre naissance ou les questions concernant sa
descendance non pas éventuelle mais future (acceptée, désirée ou
déniée et refusée). La notion génétique de couple parental mixte
initialement indispensable à la procréation est intuitive, mais elle a
besoin d’être confirmée par les dires de la mère pour que l’enfant
accède en fait aux modes de sentir et de penser du stade génital.

L’accès au stade génital de la sensibilité et de la pensée est


caractérisé par la dialectique de coopération complémentaire
génératrice d’un fruit, porteur d’un dynamisme évolutif qui lui est
spécifique. Auparavant l’enfant raisonne sur des notions de pouvoir
magique.

À propos du complexe d’Œdipe de la fille. – Ses premiers jalons


remonteraient au moment de la première curiosité génétique
exprimée par un clair moyen symbolique et non pas, comme l’ont fait
certains, au moment des premières attractions hétérosexuelles non
assumées par la conscience de l’enfant.

La pose des composantes émotionnelles au complexe d’Œdipe


nécessite pour l’enfant qu’il se connaisse clairement en tant que
personne, face aux deux personnes de ses parents.

L’investissement érotique de la région anatomique génitale externe


et interne de la fille à l’époque orale et anale actives (sadique orale
et sadique anale), serait responsable de l’angoisse de castration et
de viol mutilateur éviscérent qu’on trouve toujours chez les filles.
Ces deux angoisses sont dissociées dans le temps et obéissent à des
processus internes différents ; elles peuvent être réunies dans
certains fantasmes.

Préexistantes chez la fille au vécu de la période œdipienne, celle-ci


en hérite. – Surmontées définitivement après la résolution œdipienne
et son renoncement narcissique, ces deux angoisses ont porté chez la
femme leur fruit, la sublimation, qui permet à la femme sa puissance

79
La régression du patient et l’analyste

d’efficacité réparatrice et de sécurité qu’elle peut donner à ceux


qu’elle aime et à ses enfants quand ils sont éprouvés dans leur
personne ou dans leur corps.

L’angoisse de castration et de viol éviscérateur des périodes


prégénitales entre en conflit au moment de la période œdipienne
avec

Le désir érotique de viol fécondateur, spécifique du désir génital


œdipien. – Ce viol désiré et recherché comme gratifiant découle de la
valorisation phallique narcissique de sa propre personne pour la fille,
et du désir d’une valeur plus grande de la personne de son
partenaire représentatif de son père, qui, la désirant et la pénétrant
sexuellement par-delà son refus ou la dissimulation consciente de
son désir, valorise ses voies génitales creuses féminines et prouve
l’attraction irrésistible qu’elles exercent sur son sexe masculin. Ce
désir de viol persiste après la résolution œdipienne et se retrouve
chez presque toutes les femmes à fleur de conscient sinon dans le
conscient. Il n’est pas anxiogène lorsqu’il est dégagé des
imaginations prégénitales et ne s’accompagne pas de masochisme,
car le forçage inclus dans l’idée de viol n’y est pas fantasmé ni
comme douloureux, ni comme humiliant, mais spécifiquement
voluptueux comme confirmant le pouvoir attractif féminin et sa
source non signalisée profondément enfouie dans ses entrailles
procréatrices.

La prolongation énorme de la situation œdipienne chez les filles et sa


non-résolution toute leur vie, est un fait d’observation courante tout
à fait en contradiction avec ce qui se voit pour les garçons. Cette
fixation œdipienne au couple parental initial est compatible avec une
vie sociale relativement adaptée. Elle est à l’origine de graves
perturbations de la relation de ces femmes à leurs enfants,
perturbations entraînant de graves névroses chez ceux-ci. Cette
situation œdipienne prolongée est caractérisée chez ces femmes par
une homosexualité concomitante de l’hétérosexualité, une

80
La régression du patient et l’analyste

ambivalence émotionnelle longtemps supportée sans angoisse et


sans symptôme.

Le rôle résolutoire de la Scène Primitive à l’égard du complexe


d’Œdipe. Il s’agit de la scène primitive définie comme l’imagination
vécue émotionnellement du coït des parents initial à la procréation
du sujet, si cette scène est vécue après la maturation gonadique et
après qu’aient été posées toutes les composantes émotionnelles de
l’Œdipe. La scène voyeurisée d’un coït (qu’il soit de ses parents ou
non) qu’on appelle aussi parfois dans la littérature psychanalytique
du terme scène primitive, s’articule à cette scène primitive
résolutoire de l’Œdipe et y apporte parfois des perturbations. Son
rôle traumatisant (au même titre qu’un viol d’une enfant par un
adulte et pour des raisons en partie relevant des mêmes raisons
œdipiennes) découle de l’inopportunité dans le temps de la scène
voyeurisée.

L’observation du fait que le mariage de la jeune fille vierge est en


articulation fréquente avec la recherche de résolution œdipienne qui,
réussie ou manquée devient source de déboires conjugaux ; car le
conjoint n’était pas choisi pour sa personne mais pour son rôle de
libérateur ou de prête-sexe masculin, pour jouer à son égard, après
réalisation du fantasme œdipien transféré de la personne du père ou
du frère sur la personne du mari, le renoncement nécessaire à
l’évolution de la femme vers le stade génital.

Le rôle de la maternité soit dans la régression émotionnelle sexuelle


après le mariage, soit, au contraire, dans le parachèvement de
l’évolution génitale de la femme.

Le rôle des pulsions de mort dans l’économie génitale de la femme,


vues en corrélation dynamique du don d’elle-même dans son corps et
dans son cœur à l’autre pour une transformation que le fruit
implique inconditionnellement. Les pulsions de mort apparaîtraient
chaque fois que l’intensité de libido génitale domine le tableau de la
vie émotionnelle de la femme. Les pulsions de mort sont en

81
La régression du patient et l’analyste

opposition avec les pulsions agressives, articulées régressivement à


la phase phallique de l’organisation prégénitale et responsables du
masochisme et du sadisme ainsi que du désir conscient de se donner
la mort.

J’ai tenté un essai de théorisation basé sur l’expérience clinique, des


conditions d’une pose complète des données émotionnelles
dynamiques du complexe d’Œdipe. Je l’ai appelé la théorie des
quatre « g » :

Zone……… ses génitoires

Objet……… son géniteur

Conduite…… corps en corps génito-génital

But………… génétique

en référence aux fantasmes que le sujet doit consciemment assumer


corrélativement à son effective acquisition d’autonomie parmi ses
contemporains. L’angoisse qui surgit de la constellation de ces
fantasmes est vécue projectivement comme venant des parents ou de
leurs substituts.

Lorsqu’une des angoisses ou un ou plusieurs des fantasmes


constituants ont manqué ou ne peuvent être assumés dans des
situations transférentielles, la situation œdipienne reste en activité,
entraînant dynamiquement des conduites névrotiques en cbaîne.

L’accès à la conscience des fantasmes constitutifs des désirs


œdipiens provoque une angoisse critique « qui se résout par le
renoncement narcissique œdipien caractéristique de la résolution du
conflit.

Pour les femmes, cette angoisse est double et signifie l’épreuve


narcissique de deux deuils :

1) Le deuil de son pouvoir séducteur sur sa mère puis sur son père
(deuil de sa personne phallique pour les parents) ;

2) Le deuil de sa puissance narcissique et fantasmatique pseudo-


maternelle possessive (deuil de tout fruit que son sexe n’aura pas

82
La régression du patient et l’analyste

effectivement conçu dans les conditions viables pour sa personne à


lui dans le groupe (de valeur phallique).

Dans ces quelques pages j’ai essayé de fixer certains points


particuliers de mon étude qui ne seront peut-être pas admis par tous
les psychanalystes.

Résumé du chapitre premier

Ce chapitre comporte en première partie l’observation et la


description du développement de la femme de la naissance à la
vieillesse. Voici les sous-titres de cette partie descriptive du
développement dans ce qui lui paraît endogène et général.

— gestation (symbiose mère-enfant) ;

— naissance (rupture de la symbiose, dyade mère-enfant) ;

— première enfance orale-anale passive et active : incorporation et


décorporation.

Premières attractions hétéro-sexuelles : L’acquisition du langage


véhiculaire magique et le rôle majeur de dire « non » à la mère dans
la genèse de la notion de personne. – Les conduites d’identification. –
La découverte de valeur éthique par la dialectique interrelationnelle
pré-objectale.

Deuxième enfance : Valorisation narcissique de toutes les sthénies


érectiles, turgescentes et protrusives orale, anale, et génitale quant
au perceptible sensoriel en référence au plaisir des zones érogènes.

Stade phallique :

Envie du pénis centrifuge, angoisse de castration primaire,


déconvenue narcissique.

Survalorisation phallique du corps et des fétiches surcompensateurs


de la déconvenue narcissique. Valorisation érogène des mamelons,
du clitoris et du trou vaginal, suivie très rapidement du dépassement
de l’envie du pénis centrifuge pour l’envie du pénis centripète.

La situation à deux, dialectique sublimée de la dyade mère-enfant.

83
La régression du patient et l’analyste

Au cours de la première et deuxième enfance, importance du dire et


du faire et des processus qu’ils entraînent dans les comportements,
le dire et le faire de l’autre (la mère).

Les jeux verbaux et corporels érotiques entre enfants avec corps à


corps sans angoisse a priori – en dialectique de plaisir et de pouvoir.

Les poupées. D’abord substitut de rôle passif joué par l’enfant dans
la symbiose puis la dyade, permettant à l’enfant fille (ou garçon) de
jouer le rôle de l’adulte mère à son endroit. Puis la poupée est
substitut d’objet oral et anal au sens de fétiche de cet objet (à
prendre, à rejeter, à manipuler, en relation narcissique projetée).
Substitut de pénis paternel, elle est encore fétiche de ce pénis en
tant qu’urétral, jamais génital.

Structuration de la personne par une dialectique du processus


d’identification, d’introjection et de rejet de la personne phallique
maternelle. Le rôle du personnage paternel, en tant que compagnon
valorisé, plus phallique ou moins phallique que la mère, d’après ses
conduites, sa masse corporelle, la forme connue de sa nudité
corporelle thoracique et génitale.

Le jeu du papa et maman, seule avec les poupées ou avec un autre,


fille ou garçon, d’identification émotionnelle aux parents dans la
symbolique familiale orale et anale.

Le jeu de marchande, d’identification culturelle de troc libératoire de


la dépendance du demandeur au possédant dans la symbolique
sociale orale et anale.

Fin de la 3e année, entrée dans l’Œdipe. – La fierté de n’avoir pas de


membre génital, la fierté d’attendre et provoquer l’attache et la
pénétrance par les garçons, le rôle déterminant du milieu pour
l’organisation œdipienne manifestée.

Ce qui est permis ou non de faire, de dire et d’imaginer par la


personne de la mère et des autres personnes du sexe féminin
ressenties phalliques si elles sont valorisées par le père et le

84
La régression du patient et l’analyste

valorisent ; ce qui est permis de faire et de dire, donc imaginer, en


relation avec des sensations érotiques vulvaires et corporelles
diffuses, selon l’autorisation explicite ou implicite par la personne du
père et par association par les autres représentants du sexe masculin
valorisés par la mère ;

Le danger de l’accomplissement du corps à corps génital,


indépendant de toute composante rivale œdipienne et découlant d’un
investissement de libido orale et anale de la région génitale.

L’accès à la libido génitale (quand elle est observable) s’exprime par


une question indirecte ou directe concernant les modalités de la
naissance, la sienne propre ou celle d’un enfant futur dont elle
prévoit qu’elle en serait la mère, et en demande la modalité
d’apparition au monde.

La notion de pudeur liée à l’accès à la libido génitale. – C’est par la


dissimulation valorisée et valorisante de liberté de fantasmer le
contact et le refus du contact pour conserver la tension voluptueuse
génitale, que la zone génitale devient électivement érotique. Le lieu
corporel où le désir coïncide avec l’identité de sa personne, c’est-à-
dire de sa liberté non aliénable, est le lieu érogène. Ce fait me paraît
l’origine de l’éthique des pulsions de vie, c’est-à-dire de l’éthique
phallique de la libido.

Le danger de la situation à deux prolongée. – Le complexe de virilité,


ses deux modalités. La plus spectaculaire stagnation à la relation
duelle avec l’identification phallique anale active moins dangereuse
pour l’avenir que la régression à la situation de relation imaginaire
associée à la masturbation et à la volupté orale accompagnée de
comportement passif apparemment féminin.

La situation à trois pré-œdipienne (sans rivalité conflictuelle) le désir


structurant du fruit incestueux reçu du père ou de la mère, apogée à
6 ans ; le danger de la relation émotionnelle fétichique camouflée de
l’enfant incestueux de l’Œdipe sur un frère ou une sœur de six ans
de moins.

85
La régression du patient et l’analyste

Le complexe d’Œdipe féminin. L’angoisse de viol. – L’angoisse de viol


par le père, accessoirement par la mère au service du père, à l’âge
œdipien est au développement de la fille ce qu’est l’angoisse de
castration (testiculaire) au développement du garçon. Elle s’affronte
au désir de viol érotique fécondateur venu du père, imaginairement
catastrophique pour le corps, au fruit éventuel entraînant
l’éviscération raptrice de la rivale mère.

Début du stade de résolution œdipienne qui devrait être caractérisée


par la situation à trois personnes, chacune d’elles assumant les
désirs de son sexe.

Le conflit existentiel de rivalité à la mère, femme modèle aimée pour


gagner l’amour du père et un enfant incestueux. La période de
latence est souvent, sinon toujours, encore œdipienne chez la fille.

Résolution œdipienne vers 9-10 ans au plus tôt dans mes


observations de filles, généralement après la puberté.

La puberté. L’angoisse de castration de 3 ans réveillée et intriquée à


l’angoisse de viol éviscérateur au moment des menstrues.

La scène primitive, point final de la résolution œdipienne. Le


refoulement pubertaire n’est pas de règle.

Rôle des sublimations orales anales actives et passives comme


soutien de la personne et terrain de surinvestissement génital.
Difficultés psychiques et somatiques de la puberté. Refoulement
pubertaire sain post-œdipien, ses caractéristiques culturelles
positives.

Le rôle du père réel au moment de la résolution œdipienne de sa


fille.

Le rôle relatif au sien de la mère réelle et des éducatrices. Le


refoulement pathologique post-pubertaire paraît le fait d’un
complexe d’Œdipe non posable.

On peut distinguer :

86
La régression du patient et l’analyste

1° Le refoulement des investissements corporels passifs et actifs et


des investissements érotiques génitaux clitorido-vulvaires ;

2° Le refoulement par angoisse de viol des seules pulsions érotiques


passives liées à l’investissement vaginal avec surinvestissement de la
passivité sur la personne et souvent de l’activité digestive orale ou
imaginaire orale (anorexie) ; 3° Le refoulement des seules pulsions
érotiques actives clitorido-anales.

L’homosexualité latente avec la mère.

La masturbation chez la jeune fille vierge en cours d’évolution


libidinale saine.

La défloration et le premier coït, tournant décisif pour l’évolution


érotique et libidinale de la femme.

Un mot de la fonction maternelle de la femme dans son évolution


sexuelle.

Un mot de la ménopause et de la vieillesse.

***

La seconde partie du chapitre premier étudie les interférences


familiales et sociales dans l’évolution décrite dans la première partie.
En voici les sous-titres :

Observation clinique de la fréquence chez la femme de la


prolongation de la situation œdipienne sans résolution. Rôle joué par
l’existence d’un frère ou d’une sœur de six ans de moins, fétiche de
l’enfant incestueux – rôle plus pathologisant de la fixation fétichique
à un animal ou un objet camouflant le fantasme du désir incestueux
satisfait par l’existence de la relation maternante à ce fétiche –
nécessité du renoncement total jusque dans l’imaginaire à un pseudo
être vivant, enfant du désir incestueux de la fille. Le mystère de
l’enfant incestueux de l’amour œdipien, soutien du narcissisme et de
l’adaptation sociale apparemment saine et sage.

87
La régression du patient et l’analyste

Résultats cliniques de la non-résolution œdipienne. – La


compatibilité de l’homosexualité concomitante avec l’hétérosexualité
chez la femme.

Observation du rôle des rencontres émotionnelles et sexuelles dans


l’évolution de la femme dévirginisée.

Le mariage de la jeune fille vierge, son articulation fréquente avec la


situation œdipienne.

Le rôle de la maternité dans l’évolution sexuelle de la femme et sur


le couple qu’elle forme avec son conjoint légal.

Risque de régression ou possibilité de maturité génitale.

***

Le deuxième et le troisième chapitre portent à proprement parler sur


le thème théorique que le rapport m’avait donné à traiter.

Chapitre II. L’érotisme féminin génital. Sa


structuration. Ses manifestations chez la femme
adulte

I. – Les conditions prégénitales de l’investissement érotique


des voies génitales de la fille et son accès a la pose de son
complexe d’œdipe

Les conditions libidinales de la non-frigidité, articulées par la


situation œdipienne, non posée, en voie de résolution ou résolue.

Première étape. – Avoir été reconnue et prénommée fille, en


descendance génétique symbolique phallique ; c’est-à-dire savoir de
ses éducateurs, que l’éducation soit assumée ou non par la mère, sa
filiation organique à ses géniteurs, et les relations positives ou
négatives qui ont préexisté entre ses géniteurs avant sa conception
et sa naissance.

Deuxième étape. – a) Avoir reçu de l’instance éducatrice chargée de


la fonction parentale, la reconnaissance filiale symbolique, laquelle

88
La régression du patient et l’analyste

permet les relations d’introjection phallique structurante : c’est-à-


dire que l’enfant naturelle ou légitime, reçoive de ses parents la
notion d’avoir été adoptée dans son existence sexuée.

Ce droit d’être née fille est délivré ou n’est pas délivré implicitement
par l’entité parentale (représenté par tels humains précis et
introjectés). S’il l’est, il donne à la fille l’accès à l’idéal du Moi
génital qu’elle manifeste, dès 24 mois à 30 mois, par la verbalisation
de son mariage futur et de sa fertilité désirée, attendue ; motivations
éthiquement valables qui sous-tendent le travail de l’évolution de la
conscience de sa personne jusqu’à son assomption moïque en tant
que représentante d’un corps individualisé femelle par un sexe creux
attractivo-phallique et autonome par rapport à ses besoins vitaux
dans une société de personnes autonomes et sexuées mâles et
femelles.

Ces deux « octrois » de droits féminins sont obtenus au cours de la


première étape par une dialectique totalement inconsciente pour
l’enfant, et partiellement consciente des parents. Au cours de la
seconde étape, la dialectique est encore inconsciente entre les
parents et l’enfant, mais médiatisée par des paroles et des
comportements volontaires, à motivations inconscientes et
conscientes.

b) À ces deux « octrois » s’ajoute, au cours de la deuxième étape, la


conquête de sa propre gouverne, c’est-à-dire de s’assumer comme
individu sexué autonome et d’assurer à soi-même la maintenance,
l’entretien et l’investissement narcissique du corps en tant qu’imagé,
à chaque échange substantiel ou émotionnel, davantage constitué
phallique dans ses fonctionnements actifs et passifs en
complémentation à ceux de sa mère.

Le nourrisson fille, comme le nourrisson garçon, est la


présentification au monde des forces vives structurantes,
maintenantes et pourvoyantes du sein maternel ambo-sexué, ventre
creux et provende phallique à la fois. La fonction phallique

89
La régression du patient et l’analyste

maternante est subjectivement présentifiée par l’enfant dans son


corps fonctionnant en relation à lui et à distance du corps ventro-
mamellaire subjectivement maternel ; la fonction phallique de la
libido est interrelationnelle à ces deux créatures, la mère et l’enfant
humains. Elle est soumise aux impératifs de la médiation érogène qui
les fait devenir, par leur fonctionnement répétitif, objet de désir l’un
pour l’autre, alternativement passif et actif voluptueux, c’est-à-dire,
par définition des termes actif et passif psychanalytiquement
employés, masculin et féminin.

Cette dialectique créatrice s’objective chez le bébé fillette du


premier âge par les jeux de poupées fétiches, préférablement
bourrées de tissu et au palper rénitent, au contact tiède,
représentatifs de la sensation maîtresse, au contact d’un volume de
forme phallique nanti d’un visage ou plutôt d’une face qui permette
de s’orienter relativement à lui. Le jour où elle aperçoit le membre
du garçon, sa forme et son lieu d’implantation pubienne est alors un
plus satisfaisant témoignage du sexe ressenti vivant, comme tout le
reste du corps, et comme lui reçu et formé par la mère, jusqu’à
l’aube du complexe d’Œdipe. Elle l’envie, il est l’image de son désir.

Le mode de satisfaction érotique est la masturbation anale


centrifuge, par les rétentions et les relâchés ludiques sphinctériens,
les sautillements du corps pour sentir les sensations périnéales
profondes, les balancements actifs et passifs, la masturbation
clitoridienne et périvulvaire, les tractions sur les lèvres de la bouche
et du sexe, les doigts dans le nez, et, chez les filles beaucoup plus
rarement que chez les garçons, les jeux de pénétration anale avec les
doigts ou divers objets.

À partir de cette seconde étape qui se situe pour la fille vers 30 mois,
le rôle du valorisé implicite ou explicite, du permis ou défendu par le
milieu, est dominant. Toute la sexualité de la fille est en place pour
un comportement sexuel non frigide attractif sexuel génito-génital.

90
La régression du patient et l’analyste

Dans la plupart de mes observations, l’Œdipe est précocement


engagé chez la fille, mais il est rarement posé dans son ampleur
conflictuelle et n’a pas besoin d’être résolu pour que la fille soit
apparemment socialement adaptée (c’est la grande différence avec la
condition œdipienne du garçon). Les acquisitions d’adresse
manuelle, industrieuses, ménagères et scolaires de la fille peuvent
s’acquérir en période œdipienne incroyablement prolongée sans que
soient renoncés pour cela les désirs œdipiens sexuels passifs
homosexuels ou hétérosexuels pour l’une ou les deux personnes
parentales.

Ce droit au narcissisme du sexe féminin clitorido-vulvo-vaginal et au


narcissisme du corps doué de puissance sociale de type industrieux
féminin pose, en effet, les jalons d’une sexualité concave, vulvo-
matricielle qui valorise à distance l’image phallique civique et
sexuelle phallomorphe du père, chef de file de toute la gent
masculine aimable, dont un représentant phantasmé, magique,
promet l’accès au mariage, magique lui aussi, qui fera d’elle
magiquement une femme libre, objet de son rêve, ornée d’enfants,
magiques aussi, polypes narcissiques de sa personne rêvée, enfants
dont elle aimera fixer à l’avance le nombre, le sexe et le destin.

Ces rêves sont, ou non, accompagnés d’orgasmes masturbatoires,


selon la liberté laissée au Surmoi oral et anal par le contre-Œdipe
parental. Dans le cas de contre-Œdipe inverti (venu de la mère
inconsciemment pédéraste ou homosexuelle), la masturbation peut
demeurer et même remplir la vie de la fillette et de la jeune fille,
provoquant une frigidité dans les relations hétérosexuelles,
uniquement par non-adéquation du style d’excitation que son
partenaire lui octroie avec celui duquel elle a l’habitude. Mais, dans
le cas de parents non contre-œdipiens, la fillette peut renoncer à la
masturbation sans pour cela poser les conditions de l’Œdipe. Son
excitation narcissique s’éveillera lors des rapports sexuels, avec un
représentant quelconque de la société, homme ou femme, qui voudra

91
La régression du patient et l’analyste

l’initier aux jeux érotiques. Cette femme ne sera pas frigide et


pourtant sera une œdipienne, c’est-à-dire encore très fragile dans sa
personne non structurée. Il y a donc deux types de non-frigidité : la
non-frigidité pré-œdipienne, la plus répandue, et la non-frigidité
après résolution œdipienne, et après période de latence qui, elle, est
apparemment frigide, mais en fait structurant la personne sur des
positions génitales d’adultes : en voie d’évolution et d’éclosion si la
libido dénarcissisée (orale et anale sublimées, jointes à la libido
génitale guérie de son deuil œdipien) investit des personnes aux
désirs génitaux eux aussi marqués du sceau de la castration
narcissique œdipienne structurante.

Les conditions de la non-frigidité saine, c’est-à-dire après


dépassement de la phase de latence et après renoncement aux
positions libidinales œdipiennes, sont l’acceptation narcissique d’une
libido orale et anale au service du corps propre phallique polarisé
par le sexe vulvo-vaginal. L’investissement utéro-annexiel peut y être
tout à fait inconnu encore et n’est obtenable, lié à un amour extra-
familial objectal, qu’après structuration de la personne de la femme
sur des positions sublimées de libido orale et anale, et après la
résolution de la situation œdipienne et sa blessure narcissique
génitale, jusque dans l’imaginaire.

La conservation d’un narcissisme primaire rayonnant et la


disparition du narcissisme secondaire entièrement pulvérisé par les
options culturelles créatrices dans lesquelles la libido, dans ce qui
n’est pas vécu inter-narcissiquement avec l’objet de relations
génitales, trouve son expression, donnée au troisième terme de toute
relation interpersonnelle chaste ou érotique, témoigne de l’accès de
la jeune fille au niveau endogène de développement sexuel génital ;
qu’elle en ait ou non conscience, elle est prête à recevoir et donner
dans une relation interpersonnelle génitale. De telles jeunes filles ou
femmes célibataires valorisent leur célibat d’attente mais ne le

92
La régression du patient et l’analyste

survalorisent pas narcissiquement, et le font encore moins de leur


pucelage.

L’étude psychanalytique des comportements érotiques


interpersonnels nous enseigne que la localisation dans la région
génitale des désirs sexuels et la dominance de libido érotisant la
région génitale ne veut pas dire que la fillette, la jeune fille ou la
femme ait atteint ipso facto le niveau d’évolution émotionnelle
caractéristique de la libido structurée génitalement. Le narcissisme
secondaire peut très bien n’en être que le seul responsable, signant
la stérilité symbolique des échanges avec autrui.

Le désir du pénis érectile pénétrant, support image de l’angoisse de


viol n’est réveillé que par le désir prégnant de fertilité procréatrice
dans des conditions de contact corporel que la magie des fantasmes,
avec ou sans masturbation, tient longtemps à distance. L’éventuelle
angoisse de castrer l’homme est évitée d’une part grâce au flou de la
vie imaginaire magique ; d’autre part grâce à la suffisante cohésion
de l’image du corps phallomorphe de la fille, établie à l’époque
socialisée anale, assurée dans sa puissance pragmatique, c’est-à-dire
non morcelable ; enfin grâce à la dominance clitoridienne. Les
exploits imaginaires prêtés par les plus mesurées des jeunes filles à
« leur futur », – situation brillante, relations, séduction – sont, à 15
ans, la continuation des contes du beau jeune homme aux épreuves
triomphées qui épouse la fille du roi. Dans l’enfance, il s’agit d’une
transposition littéraire et imagière du clitoris, jeune homme phallus
parure ou phallus déchu par retrait de reconnaissance, ou né d’une
famille ruinée mais de haute lignée.

Les rêves d’adolescentes, tout aussi narcissiques et aussi vulvaires


que clitoridiens, mais œdipiens, toujours avec un accent plus ou
moins hétérosexuel ou homosexuel, font intervenir les épreuves pour
la jeune fille, les haines de belles-mères, les jalousies de mères, le
détour difficile des entraves mises par le père jaloux à la réunion des
amants. Le « futur » est parfois abusé mais jamais négatif à la jeune

93
La régression du patient et l’analyste

et sage amante qui, dans son miroir, contemple sa valeureuse image


méconnue. Tranquillement frigide ou, parfois se croyant messaline
par prurit nymphomane, elle reste inexpérimentée pour ce qu’il y a
d’humain dans les rencontres avec les hommes, minaudière ou
provocante œdipienne jusqu’au passage des bras parentaux au bras
du futur que détermine la situation « en rapport » ou « l’accident »
qui, hors de la responsabilité humaine, décide de la partie pour ce
qui est du couplage des états civils et du patronyme de sa
descendance dont les premiers représentants servent de catharsis
aux désirs incestueux vis-à-vis de la mère puis du père, longtemps
atermoyés mais toujours vivaces.

Les comportements émotionnels et les réactions psychosomatiques


de telles mères et de leurs fœtus, de telles mères et de leurs
nourrissons du premier âge, quand on analyse les soubassements
psychodynamiques inconscients chez les mères, apportent la clef de
cette pathologie dans la pérennité d’introjections de mère dévorante
(chez la mère), concernant ses coïts féconds et ses grossesses.
Surmoi oral du premier âge digestif s’opposant au Moi génital ;
Surmoi anal expulsif s’opposant à la nidation ; Surmoi phallique
œdipien s’opposant aux coïts frangés d’inceste ou de rivalité
mortifère coupable à la belle-mère ou la belle-sœur, substituts
maternels de l’Œdipe toujours actuel et transféré sur le conjoint
fétiche de pénis ; ou encore Surmoi phallique rival s’opposant à
l’amour pour le conjoint sous prétexte de son amitié pour la
personne d’un homme qui doit être soit adorné par séduction, soit
repoussé par rivalité homosexuelle patente.

L’inaccession à la résolution œdipienne, concomitante de


l’acceptation créatrice de la personne au service de la génitalité du
Moi liée au Surmoi génétique, est patente dans tous les cas où une
jeune fille qui a atteint sur des positions œdipiennes un niveau
culturel (arts, littérature, mathématiques, sciences, relations
sociales, amitiés) voit, dès son accès à une vie amoureuse de femme

94
La régression du patient et l’analyste

ou de mère où son corps est engagé, se désinvestir ses positions


culturelles passées ; pour ne repartir vers des intérêts culturels
nouveaux qu’à travers des liaisons extraconjugales homosexuelles ou
adultères survenant après quelques années de vie conjugale
typiquement œdipiennes, suivies d’une phase dénarcissisante de
résolution œdipienne, accompagnée de dépression légère, de traces
obsessionnelles ou hystériques, dont les enfants sont la justification.
L’apparition de frigidité clinique, succède aux débuts nymphomanes
ou fétichiques d’une vie apparemment conjugale et maternelle qui ne
peut se développer sainement. Ces éducations, sources de conflits
conjugaux et maternels, répondent à une névrose maternelle qui se
reconduit de mère en fille car elle n’a pas le droit endogène du fait.
Un Surmoi non génital génétique interdit à l’enfant de se comporter
librement et les acting-out cathartiques ne sont pas,
malheureusement, comme dans le transfert analytique, ramenés à
leur cause transférentielle, c’est-à-dire narcissique, à la structuration
génitale de sa personne ni à des émois intrapersonnels, encore moins
interpersonnels3 génitaux qu’on a qualifiés d’oblatifs et qu’on devrait
qualifier de narcissiques décentrés dans le fruit. Le développement
de la personne selon la topique freudienne Moi-Ça-Surmoi, idéal du
Moi et Moi idéal, implique une possibilité d’autonomie du sujet par
rapport à son entourage immobile, animé et humain. Il s’agit donc
d’un Moi-idéal phallique constitué dès le stade oral. Le Moi phallique
de la fille résulte d’un investissement de libido objectale active et
passive, orale et anale, assumée par le sujet, en accord avec les
adultes qui l’éduquent, vis-à-vis de son corps propre constitué
comme beau phallomorphe, utile et aimable dans sa présence à
l’autre et à lui-même, identifié à l’autre. Le Moi phallique de la fille
subit le traumatisme de la castration primaire au moment de
l’apercevance du phallomorphisme sexuel des garçons. Cette

3 Intrapersonnels et interpersonnels sont les termes qu’a heureusement


introduits dans la littérature psychanalytique le Pr Lagache lors de son
rapport aux Journées de Royaumont, 1958.

95
La régression du patient et l’analyste

blessure narcissique, devient symbolique de l’accès à sa féminité


dans le cas d’une plus-value de sa personne pour les garçons,
lorsqu’elle la sait liée à cette caractéristique non phallomorphe de
son sexe. Le Moi – toujours phallique de la fille – assume alors son
sexe creux et clitoridien selon son option à l’idéal de son Moi
phallique qui l’incite à une dynamique centripète phallique de
séduction des personnes au corps et au sexe phallomorphes, par
identification de comportement et introjection des désirs des femmes
de son milieu (maîtresses à vivre) et plus particulièrement les
femmes couplées et fécondes.

Dans le cas d’une acceptation implicite de son sexe par la fille elle-
même, du fait de ses relations prégénitale à la nourrice et à son
milieu, et du fait de ses parents actuels, grâce au respect tolérant de
ses fantasmes œdipiens, auxquels ils ne répondent pas par un
contre-Œdipe lorsqu’elle les verbalise ; grâce au respect amusé de
l’expression de sa féminité culturelle qui cherche sa voie, poussée
par ses pulsions œdipiennes, et que les adultes guident dans des
expressions extérieures à son milieu familial, la fille développe une
confiance en sa personne, venue de la non-immixion parentale dans
sa vie culturelle, ce qui lui permet de s’affronter et de s’allier à
d’autres filles dans des comportements de rivalité féminine culturelle
créatrice avec sa mère ou son substitut et non de soumission à ses
conseils ou ses goûts. En même temps la fille désire, dans son sexe
creux attirer le sexe de son père et souhaite explicitement ou
implicitement, dès l’âge où s’est posée l’identification à sa mère dans
sa relation génétique, en avoir un enfant. L’expérience nous montre
que cet enfant réel du père doit être consciemment espéré et
consciemment charnellement renoncé à jamais, et qu’il en est
toujours ainsi comme on l’observe quand l’enfant se permet de
parler, pour que la fille entre réellement dans la sécurité d’une
personne sociale autonome en vie mixte, à égalité de valeur
émotionnelle et civique symbolique avec la personne de ses parents

96
La régression du patient et l’analyste

et de toutes les autres personnes, capable d’être responsable de ses


actes, c’est-à-dire délimitant clairement le rêve de la réalité licite. La
pérennité des traces de la vie œdipienne reste imaginaire et non
refoulée, donc interhumaine mais culturellement sublimée. La
conservation d’une vie imaginaire amorale concomitante d’une vie
pragmatique et interhumaine morale est la seule assurance de
sécurité pour sa descendance à qui est donné en fait l’exemple de la
vie sensorielle comportementale interhumaine morale, tandis qu’est
laissée aux dires des enfants et aux dires et aux faits culturels
esthétiques, la liberté du rêve. Il n’y a pas alors contamination
projective de la responsabilité génitale par une culpabilité anale
névrotique.

C’est ce dégagement parental quant à ses attractions sexuelles, à ses


moyens et à ses fins, qui permet les options de tendresse
décharnelisée, les options de cœur dégagées de faire et recevoir
plaisir sexuel. La fille ne peut y atteindre que dans le renoncement à
rester une enfant, c’est-à-dire une mineure pour son père ou pour sa
mère, ou une mineure civique ou sociale, et dans le renoncement à
avoir un enfant réel dans le climat de leur ambiance secourable ou
de toute ambiance où elle reçoit plus de secours qu’elle n’en donne à
son conjoint.

Ce renoncement de l’enfant mythique de l’Œdipe dans la demi-


responsabilité doit, au moment de l’Œdipe, être vécu jusque dans sa
vie imaginaire, c’est-à-dire qu’elle doit renoncer à élever un enfant
qu’elle adopte comme le sien dans le climat de cette ambiance
amoureuse de mineure dépendante. Alors peut éclore, après
l’épreuve inévitable de sa solitude intérieure dramatiquement
ressentie, avec son risque encouru de rémanence de castration anale
et phallique prégénitale, de rémanence du sevrage, une tendresse
vraie de la fille pour ses parents, sans dépendance. Elle peut alors
les aimer comme des personnes libres, dont elle est libérée aussi, à
qui elle peut se montrer secourable ou leur demander amicalement

97
La régression du patient et l’analyste

secours, et elle peut librement s’engager dans une option culturelle


et professionnelle qui la situe à sa place créative dans le groupe
social mixte. Là, des options extra-familiales charnelles et de cœur
pourront s’éveiller sans rivalité subjective d’interférence coupable
avec les images familiales.

Combien voyons-nous de ces mutilations symboliques de parents, se


répercutant chez leurs enfants, et qui viennent de ce non-
renoncement, non pas à l’aide dans l’éducation de leurs enfants que
les grands-parents peuvent et doivent donner à leurs petits-enfants,
mais à l’appui indispensable et contractuel, non résiliable, des
parents ou des beaux-parents, à l’abri de leur toit, à leur perfusion
d’argent reçue comme un dû, bref, à l’œdipisation de la vie conjugale
en résonance avec la névrose inter-œdipienne des parents et beaux-
parents vis-à-vis de leur descendance ainsi prisonnière de leur
propre impuissance.

De telles situations provoquées, acceptées ou subies par les


ascendants vivants, font d’eux ce qu’ils sont libidinalement, de réels
monstres sacrés. L’autonomie complète de la jeune fille et de la
femme donnée à un homme et le plein accès à la vie responsable
sont, à n’en pas douter, la seule voie d’accès à la libido génitale
affective, portant, après les risques assumés par elle de ses options
sexuelles, de ses rencontres émotionnelles et sexuelles, son fruit
libre qui est l’accès à la stature libidinale génitale personnelle et
sexuelle de tout adulte.

II. – Étude chez la fille de l’image libidinale du corps propre,


médiation langagière intra-narcissique ; puis de l’image
érogène, médiation langagière avec l’objet, enfin socialisée a
la recherche de sa complémentation génitale et de son fruit,
hors des limites propres de sa corporéité

Nous considérerons le développement sexuel de la fille en ce qu’il est


sous-tendu par la libido génitale, c’est-à-dire par ce qui, en elle, va

98
La régression du patient et l’analyste

devenant adulte fertile. N’oublions pas qu’aux débuts de la vie, elle a


été morcelée imagièrement et ressentie fonctionner en participation
au mode des rencontres de la phase orale, anale et cloacale avec
l’objet libidinal du moment.

Dans le processus du développement sexuel de la fille, on assiste à la


succession des étapes suivantes :

1. La phase passive orale et anale. – Réceptivité du mamelon ;


préhension du sein ; succion ; relation additive, réplétive de cavité,
centrale à la masse de son corps par la partie polaire du tube digestif
au centre de la masse céphalique ; expulsion passive d’une partie
polaire au centre du siège, masse de la région sacro-pelvienne ;
relation soustractive, libératoire passive (à plaisir) de ce dont la
masse est remplie tubulairement en relation avec la masse centrale.

2. La phase sadique orale et anale. – Le « faire » obligeant ou


désobligeant, repousser par plaisir le trop-plein énergétique par les
pôles connus ; les sens vocalisés, la parole, action manœuvrante de
même style, à distance (la curiosité, la médisance, le mensonge sont
des sublimations datant de cette phase, l’imagination et
l’hallucination s’y articulent aussi).

3. La phase phallique. -— Attraction à soi du pénis d’autrui, sur un


mode attractif fonctionnel oral, pour une absorption puis une
exhibition expulsive sur un mode anal d’un pénis centrifuge ;
tentative de survalorisation du pénis centrifuge que représente le
clitoris ; le déplacement sur toutes les émissions sthéniques ; la
capacité d’apprendre pour acquérir du savoir et le montrer par le
« dire », par le « faire », substituts phalliques péniens, déplacement
de l’éthique de « ne pas l’avoir », pour susciter la séduction, et
découverte du pouvoir attractif d’être femme, pouvoir monnayable.

4. La phase vulvaire. – Presque concomitante : découverte des replis


puis découverte et survalorisation clitoridienne et vaginale ; les
valorisations de creux, les secrets, les cachettes, les boîtes ; l’intérêt
ménager pour les voiles, les rideaux, les plis ; dévalorisation des

99
La régression du patient et l’analyste

« faux plis » inesthétiques et importance de la vestimentation,


saisonnièrement désaffectée, pour être toujours incomparables et
mises en valeur, à la localisation du dérisoire pénis centrifuge, le
clitoris, ce bouton érectile, les deux autres à la poitrine, tous trois
insuffisamment gratifiants pour qu’on en parle. Valorisation des
« ballons » charnels : seins, fesses, joues.

Cependant, certaines fillettes malgré les déplacements culturels


décoratifs continuent, quand il n’y a personne à s’exhiber, à se
donner quelques voluptés localisées masturbatoires narcissiques :

— les tractions sur mamelons et lèvres vulvaires ;

— l’excitation clitoridienne à sensation ambiguë érectile éveillant


l’option juxtaclitoridienne, l’ouverture vulvaire.

On assiste au passage de l’envie du pénis centrifuge, souvent


facilement renoncée, à l’envie du pénis centripète avec érectilité des
petites lèvres et du vagin orbiculairement érectile à pulsions
passives, attractives, raptrices, cachées dans les replis de la vulve
appétitive. On assiste alors, dans le médiatisé, au développement des
forces attractives, séductrices, agressives mais passives, non
extérieurement signifiables de façon immédiate et cependant
verbalisées d’une attente assoiffée, affamée, patiente, continue,
rusée, guetteuse (regards intenses liés à des postures de défense ou
de fuite, curiosité déniée). Soins aux représentants du pénis
excrémentiel, médiatisé dans le fétiche du corps propre valorisé en
tant qu’être animal, parfois humain, c’est-à-dire ayant un visage, la
poupée « maniable », manipulable, maîtrisable.

En clinique, on peut voir des traumatismes en cas de grandes


dimensions du fétiche car il est support de représentation du corps
phallique en trois dimensions. L’image spéculaire plane est déjà
traumatisante et schizoïdante dans une fascination morbide qui
n’apparaît qu’en l’absence d’objet vivant d’échanges oral et anal.

5. Continuation de l’investissement vulvo-anal. – Un temps – en tant


que fonctionnement attractif, pour le père par l’odeur, dédouanant

100
La régression du patient et l’analyste

pour la mère par le matériau fourni (les selles) et l’entente


caractérielle de sexe homosexuel intergratifiante qui en résulte entre
elles.

6. L’envie renoncée d’être porteuse de pénis centrifuge fait place à la


mise en œuvre d’attirer le pénis centripète et son désir de
pénétrance, par la valorisation dans les images de bases (statiques)
du corps propres, de parures, d’enveloppement de voiles et de
rideaux au dessin des fenêtres des maisons, représentées en
transparence, le phallus lumière visible à travers les murs et attirant
à l’intérieur, représentation allégorique de son corps interne creux
accueillant, de tentures, d’objets creux pleins de trésors attractifs
qui sont magiques s’ils réussissent à obtenir un regard qui la
remarque. La fille développe une conduite de recherche : un sourire,
un hommage (être saluée), une fréquentation (une danse), un cadeau
de l’objet masculin significatif de son désir d’intromission (bague), de
possession (bracelet), de sceau de secret (baiser). C’est la recherche
d’un signe venu d’un homme susceptible de devenir objet de désir
par reconnaissance mutuelle.

7. La valorisation dans l’image du corps fonctionnelle d’expression


kynétique et d’échanges des mouvements gracieux, plaisants, c’est-à-
dire enveloppés, souples (plis) de la danse, péristaltiquement ondés
plus qu’articulés segmentairement ;

8. La valorisation d’une intériorité de relation à autrui enveloppante,


captante, une éthique corporelle voilée.

Odeur, couleur, brillance cachée, secrète, dans les replis du corps


qui, donné ou prêté pour un contact même parcellaire, signe un
pacte de cosensibilité ; cette symbolisation passe dans un objet-
contenant : sac, poche, écrin, bijoux.

L’illusion de castration a fait place à l’acceptation d’un fait spécifique


du sexe et, en cela a rendu la fille beaucoup plus attentive à ses
sensations réceptrices qu’avant la découverte de la différence de
forme en relation d’objet, échanges de secrets, de menus dons

101
La régression du patient et l’analyste

magiquement valorisés (porte-bonheur), représentants médiatisés de


non périssable, consommation orale ou d’excréments non
périssables.

9. Si elle peut savoir qu’elle a été désirée fille par son père, elle
accepte la découverte de sa forme trouée en surface, creuse et
réceptive en profondeur, comme une valeur pour les garçons, valeur
semblable que possède sa mère et qu’il approuve donc. Elle apprend
que les autres filles et sa mère sont ainsi faites et sa déconvenue fait
place à la découverte d’une dialectique des sexes basée sur la valeur
éthique et esthétique contradictoire à celle des seules identifications
et rivalités des formes et où s’ébauchent les prémices de l’éthique
génitale de la complémentarité sans échange additif ou soustractif
de masse nécessaire à prouver la valeur de l’échange, et sans la
notion commerciale du troc, dévolu aux échanges de chose ou de
matériau oral et anal, même valorisées. La notion du pouvoir du dire
et du faire sur l’émotionnel non signifié a préparé, par l’utilitaire et
le plaisir la notion d’un pouvoir sexuel par l’acceptation d’une
dépréciation formelle apparente, d’un pouvoir féminin d’amour
différent du pouvoir masculin et qui vise à le circonvenir : bagues,
colliers, bracelet encerclant les segments de corps symboliques
d’érectilité corporelle de la fille. Lui, le garçon, au contraire, doit
toujours se défendre dans les périodes intermédiaires de son désir à
composantes naturelles d’exhibitionnisme sexuel érectile (car il
pourrait paraître castré), par un exhibitionnisme de puissance dont
sa bourse est le témoin. Une fillette voyant une statue hindoue
couverte de bagues aux mains et aux pieds s’exclame : « Eh bien,
celle-là, elle est vraiment mariée ! » La fillette, elle, développe la
valeur de son intériorité corporelle sexuelle et émotionnelle par des
qualités de réserve, de contention d’émois qui s’exprime par le
comportement modeste, comportement sécurisé, sans nécessité
d’aucune arme pour se défendre ni de preuve pour en témoigner. On
assiste au développement du « charme » qui s’exagère en

102
La régression du patient et l’analyste

maniérisme si l’angoisse de viol traumatique contamine le désir de


viol voluptueux.

10. L’enfance de la petite fille qui a accepté son sexe inapparent est
donc beaucoup moins anxiogène que celle du garçon, ce que nous
constatons en éducation et en pédiatrie psychosomatique. Il ne lui
est demandé socialement que d’être « sage », c’est-à-dire concentrée
en elle-même, absorptive de valeurs, de processus, de
comportements de corps phalliques actifs et passifs d’un entourage
qui la valorisent en elle-même déjà dans la société des personnes
parentales dont les corps sont comme le sien, symboles phalliques.
Lorsque son avidité sexuelle transparaît, le danger endogène
apparaît. Le thème culturel du conte de flocon d’or et des trois ours
aux droits respectifs de phallus hiérarchisés, le grand, le moyen, le
petit, raconte les risques d’une féminité avide qui sauve son
narcissisme. Il illustre cette époque. Sans que nul n’ait à démasquer
en elle les émois sexuels qu’elle enfouit et réserve pour le prince
charmant de l’avenir monté sur son fougueux animal, à la fois
décidé, tendre et séduit, alors qu’elle les éprouve invisiblement
naturellement déjà. Elle gagne l’estime des adultes dans tout ce qui
est culturel et selon qu’elle accepte cette adaptation par
identification et par introjection, dans un comportement
apparemment émotionnellement assez passif quoique kynétiquement
actif comme une – petite – personne et qu’elle développe
corporellement des qualités maîtrisées d’exhibitionnisme kynétique
charmeur à distance, qui ne la mettent absolument pas directement
en danger.

Nul doute que la personne, c’est-à-dire la libido du Moi, est gratifiée


chez la fille par le non-souci de ce membre précieux, le phallus,
vecteur à angulation variable sur le corps propre, ce dernier
représentatif phallique aussi, et pour autrui, hélas ! bien supérieur
dans sa forme et sa taille à ce membre tour à tour triomphant et
décevant, lié fonctionnellement jusqu’à la puberté, à la décharge

103
La régression du patient et l’analyste

excrémentielle dont le souci ne le lâchera pas, même quand cette


décharge dont le pénis est l’instrument passif, n’apportera plus la
volupté ambiguë qu’elle apporte au petit garçon.

Pour le garçon, la phase pré-œdipienne est marquée par le dilemme :


qu’est-ce qui est important ? Ce membre érectile et puissamment
érotogène et que n’ont pas les filles, ou son corps entier kynétique à
verticaliser, à assumer soi-disant invulnérable, aux issues qui doivent
rester à fonctionnement énergétique visiblement centrifuge pour
rester inviolables, corps qui souvent, au même âge qu’elles par
rapport à celui des filles ne lui rapporte pas autant de plaisir
narcissique que le leur et bien des déboires d’impuissance
subjective.

Le vecteur de l’éthique masculine est soumis à une double


valorisation : exhiber le sexe phallique et exhiber sa personne dans
sa représentation polyphallique et poliphallique (c’est-à-dire dans sa
valeur fonctionnelle de mâle et dans sa prestance sociale
exemplaire).

Le narcissisme du garçon est pris entre ces deux exhibitionnismes à


sens perpendiculaires, celui de la grandeur et de la rectitude du
corps éthique du prestige paterno-maternel et la rectitude affichée
du pénis par mépris des attitudes cachées, sournoises des filles,
éthique du pouvoir membré, percutant, violent, conquérant par les
armes visibles. La dissimulation, la prudence corporelle, l’économie,
le sens de conservation sont choses de filles. La franchise et
l’attaque risquée, choses de garçon.

La fragilité du terrain narcissique conquis par le garçon vient de son


angoisse de castration et, en même temps, chaque conquête
l’entretient – son pénis est peut-être jalousé par son père, son pénis
est peut-être moins grand que celui de son frère, son pénis va peut-
être éclater, rapetisser, que sais-je ? un enfant craignait que son
pénis ne se vengeât de lui parce qu’il lui avait parlé comme à un
chien (les mères l’appellent la bébête) pour le gronder de s’ériger

104
La régression du patient et l’analyste

contre son gré ou de ne pas faire le beau en s’érigeant à son gré. Il


va disparaître comme les fèces, il va casser, pourrir comme une
branche ; ou bien peut-être ne va-t-il plus jamais s’ériger, ou, au
contraire, plus jamais le laisser en repos. Que de soucis endogènes
visibles et non dissimulables à soi-même et peut-être à autrui et quel
danger sûrement localisé, impossible à cacher à l’ennemi, le grand
guetteur, le géant, curieux, jaloux, très fort, l’adulte, celui dans
lequel il voit son image agrandie, la mère, puis le père, assez maître
de la mère pour se l’être acquise après l’avoir châtrée.

Plus il sent la mâle turgescence pénienne, plus il lui faut partir en


guerre pour la risquer, fendre ou pourfendre, afin d’assurer la
certitude de sa personne par-delà les éclipses de son érectilité
pénienne. Ces morceaux de bravoure et de prestance, quand ils sont
répétés par les dires de l’entourage admiratif, lui permettent de
souffler pendant les moments dépressifs ; il peut espérer que ses
prouesses sportives et guerrières le mettront à l’abri des
vérifications de puissance génitale localement pénienne.

L’agressivité masculine a, dit-on, et c’est vrai, les moyens corporels


et les droits sociaux de s’exprimer. C’est ce fait social qu’on retrouve
à la base des revendications des filles et des femmes mal adaptées à
l’épreuve de la vie sociale mixte, où la condition masculine y est
parfois vue comme avantageuse aux hommes par les femmes dites
féministes. Mais, le devoir de reconnaître une responsabilité
dépensière ou fertile qui ne lui incombe souvent pas, d’entretenir la
sécurité matérielle de celle qu’il a choisie et qui se dérobe, elle,
parfois à ses propres responsabilités, ce devoir masculin d’amant,
d’époux et de père bien souvent plus lourd que ses droits, ne lui sont
pas contestés. Le prestige mâle a, fort heureusement, la pérennité du
nom dans les sociétés patriarcales, dont la nôtre ; mais que
d’épreuves à surmonter ! Marquer de son nom et de sa loi la femme
et les enfants qu’elle porte de ses œuvres de chair, c’est à l’angoisse
de castration due à l’érectilité pénienne capricieuse, un réconfort

105
La régression du patient et l’analyste

symbolique qui n’est pas de trop. Dans bien des unions légitimes, s’il
ne donnait pas son nom et son argent, quel cas ferait-on du mari !

Le garçon, l’homme, doit surmonter ses pulsions passives orales et


anales car elles sont non seulement menace de castration mais aussi
de viol ! Ce n’est pas lui qui s’habille avec des plis, valorise les
détails attrayants, les mouvements enveloppants. Et il doit aussi, en
plus de lui-même, de sa personne et de ses biens à ciel ouvert,
assumer, protéger et défendre les engagements qu’il a pris. Et c’est
là qu’est le masochisme masculin, dans le fait qu’il doive se refuser à
une régression maternante alors qu’elle serait souvent tentante et
surtout nécessaire à la restauration du morcellement auquel il est
soumis subjectivement beaucoup plus que les filles et encore plus
objectivement. En effet, ce morcellement castrateur, il le risque
réellement dans le corps à corps des combats, il le risque imaginaire-
ment dans les fantasmes érectiles de conquêtes sexuelles suivis de
flaccidité pénienne, il le risque symboliquement à travers son nom
dans les agissements extra-conjugaux de sa femme, dans les échecs
de sa fratrie, de sa descendance.

Quant à son rapprochement du père, dès qu’il l’ébauche


corporellement et non fantasmatiquement ou culturellement par une
médiation symbolique, s’il est dominé par les affects qui découlent de
sa subjectivité projetée, il est terrorisé par l’angoisse de castration
pénienne ou testiculaire s’il veut médiatiser par son sexe son amour
pour la femme, ou par l’angoisse de viol anal s’il veut s’approcher de
son père ou des hommes en rival des femmes, après avoir introjecté
sa mère. Ces deux types d’angoisse ont comme effet dynamogène la
recherche de médiateurs. C’est pourquoi l’instruction, mais surtout
la culture et la création sont affaire d’hommes. Il doit assumer
cependant son affrontement au père pour défendre ses armes,
développer sa dynamique pragmatique, son corps, son droit à
l’érectilité de sa personne en société. Pour son apprentissage il doit
recevoir aide et conseils du père ou de son substitut, et,

106
La régression du patient et l’analyste

subjectivement encore, il risque aussi l’angoisse de viol si sa masse


valorielle n’est pas en mesure de se tenir à distance d’échanges avec
lui.

Le dilemme du masochisme et du narcissisme est beaucoup plus


important dans l’enfance des garçons que dans celle des filles. Il est
même curieusement étrange que cette condition libidinale critique
soit, jusqu’à présent, passée inaperçue et que le sort des mâles soit
aussi, par les psychanalystes, jugé enviable.

Voyons donc maintenant les raisons d’angoisse exogène du garçon.


Qui donc fait la guerre soi-disant « fraîche et joyeuse » ? Par quelles
épreuves se rend-on digne, non seulement devant les femmes mais
devant les hommes ? (Davy Crocket, celui qui n’a jamais mal, n’a
jamais peur.) Un garçon ne pleure pas, la fille, elle, en a le droit.
Filles, femmes, père, rivaux, si le mâle ne s’exhibe pas érectile et
turgescent, le jugent châtré, le plaignent ou le rejettent. À quelles
dures conditions de témoignage constant « d’une forme phallique »,
l’homme doit-il le droit de se considérer porteur de son sexe ?

À ses côtés, la compagne riche de ce qu’elle cache, se construisant


d’émois dont nul n’est témoin dans une continuité et une stabilité
physiologique rythmée sans caprice, au rythme immuable des lunes,
oui, certes, la femme toujours sûre de sa maternité, sans nécessité
du nom en commun avec l’enfant, de son authenticité humaine
indépendamment de son expression culturelle et de l’appréciation
d’autrui, la femme que, subjectivement, son option seule suffit à
authentifier est, certes, au jeu des sorts narcissiques, la mieux
partagée.

III. – Étude des sensations érogènes génitales chez la femme.


L’orgasme

Je ne crois pas inutile d’étudier les divers types d’orgasmes qu’on


peut observer chez la femme, tant objectivement par le témoignage
des hommes, que subjectivement par le témoignage des femmes.

107
La régression du patient et l’analyste

Bien que les uns et les autres soient suspects d’erreurs, une grande
variété de témoignages permet d’approcher d’une certaine véracité.

D’origine endogène, le désir, quelle que soit parfois sa provocation


occasionnelle apparente par une cause exogène sensorielle, le désir
une fois signifié aux sens de la femme, se focalise dans sa région
génitale. Elle éprouve une sensation d’érectilité clitoridienne et de
turgescence orbiculaire, vaginale accompagnées de chaleur, de
sécrétions humorales et de plaisir excitant d’intensité croissante
jusqu’à un maximum, l’orgasme aussi appelé jouissance. Ce plaisir
très aigu s’accompagne parfois, chez la femme, d’une émission
humorale encore plus sensiblement observable que pendant la phase
croissante du plaisir, parfois non. En tout cas, il s’accompagne
toujours d’une acmé de tumescence et de volupté, après quoi
l’intensité d’excitation décroît plus ou moins rapidement jusqu’à
l’apaisement total de tension, caractérisé par la détumescence de la
zone érogène et l’arrêt du processus humoral sécrétoire, du besoin
local physiologique de repos qui rend pénibles et parfois douloureux
les essais d’excitation artificielle par manœuvres externes, et très
souvent, d’une détente corporelle générale entraînant un sommeil
plus ou moins long et totalement réparateur des fatigues
antérieures.

On peut distinguer :

— l’orgasme clitoridien ;

— l’orgasme clitorido-vulvaire ;

— l’orgasme vaginal ;

— et l’orgasme utéro-annexiel, que l’on confond à tort, dans les


descriptions, avec les orgasmes vulvaire et vaginal, dont je pense
qu’il doit être distingué tant pour des raisons descriptives que pour
des raisons libidinales concernant la théorie psychanalytique. Ces
orgasmes peuvent être obtenus isolément ou, au contraire, en
chaîne, l’un appelant les conditions qui vont entraîner l’autre, mais il

108
La régression du patient et l’analyste

peut arriver qu’ils soient non dissociés et que leur obtention soit
concomitante.

Les femmes adultes sainement sexuelles, seraient, pour la plupart,


dans l’impossibilité de discriminer ces niveaux progressant de leur
plaisir, d’autant plus qu’elles n’ont que la conscience subjective de la
jouissance vaginale qui précède l’orgasme dans son extension et son
ampleur caractéristique.

Cette étude analytique offre un intérêt psychanalytique du fait du


processus progressif qui, à chaque niveau (comme dans les niveaux
d’évolution libidinale de la femme) peut être stoppé, refoulé, nié,
remplacé par une symptomatologie pathologique.

La durée nécessaire à l’obtention des orgasmes est très variable


même pour une même femme, l’intensité et la qualité de la
jouissance sont aussi très variables. Le temps de repos entre les
coïts, pour qu’ils soient satisfaisants, est aussi variable avec chaque
femme. Tous ces facteurs dépendent d’ailleurs non seulement de la
femme, mais du couple organo-psychique qu’elle forme avec son
partenaire, dans leurs rapports émotionnels de personnes et au
moment même du coït. Il est intéressant de savoir que l’orgasme,
dans une modalité une fois ressentie au cours d’un coït, est, en
l’absence d’éléments très perturbants dans les relations du couple,
toujours répétable avec une qualité et une intensité qui peut varier
mais sans descendre au-dessous d’un degré minimum de volupté très
satisfaisant. Je pense que la variation d’intensité érotique et de
valeur émotionnelle accompagnant les orgasmes d’une femme adulte
au cours des coïts avec le même partenaire, est le fait le plus
spécifique de la sexualité génitale de la femme.

Il est classiquement admis que l’excitation clitoridienne sert de


déclencheur aux sécrétions vulvo-vaginales concomitantes du désir.
Celles-ci appellent l’intromission du pénis dans le vagin et rendent
cette pénétration coaptante voluptueuse pour les deux partenaires.
L’excitation des mamelons doit, par clinique et surtout par définition

109
La régression du patient et l’analyste

théorique, être rapprochée de l’excitation clitoridienne. C’est-à-dire


qu’elle peut ne pas exister, comme n’existe pas l’excitation
clitoridienne ou, au contraire, elle peut exister compensatoirement à
une atrésie ou une absence totale de clitoris et elle ne peut apporter
de plaisir au-delà du moment où l’intensité de l’excitation du vagin
est entrée dans sa phase croissante.

Il y a même des vaginismes primaires, chez des vierges, qui ne sont


dus qu’à la prolongation de masturbations mamelonnaires devenues
exclusives du sens des rencontres de leur amant qui a trop
longtemps atermoyé l’intromission.

L’excitation clitoridienne ne peut être supportée seule longtemps et


son orgasme, quand il survient avant le déclenchement des autres
jouissances est décevant, discordant, ambigu, frustrant, absolument
contradictoire au plaisir vulvaire qu’il a cependant déclenché. Ce fait
serait peut-être dû aux correspondances érectiles tensionnelles du
clitoris avec le système musculo-squelettique. Celui-ci est médiateur
de l’organisation et de la conservation de l’image kynétique du
corps ; or, l’orgasme, chez la femme, ne revêt son ampleur érotique
totale qu’avec la résolution musculaire de tous les muscles de la vie
de relation à l’exclusion des muscles périnéaux servant la préhension
pénienne et les muscles intra-abdominaux et ceux-ci n’ont pas à
s’investir en relation d’objet à l’époque phallique de l’évolution
libidinale. D’autre part, le clitoris est peut-être, à l’époque
ancestrale, orale, associé à une langue ou à une dent dont la
protrusion s’accompagne de sécrétion mais, alors, son importance
exclusive n’amène guère d’émois associatifs bien différenciés.

Contrairement à ce que pensent les hommes, bien des femmes n’ont


pas de désirs focalisés électivement dans le clitoris ou, en tout cas,
pas d’une façon constante, et beaucoup de femmes ont, d’emblée,
dans le coït, le désir focalisé dans la concavité vulvo-vaginale, l’éveil
du clitoris érogène est comme accessoire au moment de la jouissance
vaginale maximum, peut-être au moment de l’éveil du col utérin qui

110
La régression du patient et l’analyste

est, pour beaucoup de femmes, un organe ambigu, dressé


phalliquement au fond de la cavité vaginale. Bref, l’orgasme
clitoridien qui survient seul n’apaise pas la tension sexuelle. Dans la
vie génitale de la femme adulte comme dans la masturbation
infantile, le clitoris est décevant.

Si cette évidence n’est pas davantage connue des hommes, c’est que
ceux-ci sont généralement très désireux de donner aux femmes,
lorsqu’ils ne sont pas égoïstes, un plaisir qui leur paraît très excitant
pour la femme parce qu’ils y comprennent quelque chose et que sans
doute ce plaisir à l’érectilité de ce petit pénis de leur partenaire est,
pour eux, fort amusant et moins dangereux que la béance attractive
du vagin tellement souvent appréhendé denté et gouffre, dans les
fantasmes masculins.

L’excitation vaginale entraîne des sensations voluptueuses de


tumescence des muqueuses vulvo-vaginales et des mouvements
orbiculaires rythmés à progression ondulatoire de l’extérieur vers
l’intérieur des voies génitales. Ces sensations internes exigent
impérieusement, à partir d’un certain degré d’intensité, la
pénétration du pénis dont la représentation mentale s’impose
inconsciemment comme seul objet désiré. La coaptation ondulatoire
du pénis qui nécessite une tonicité minimum des muscles périnéaux
est voluptueuse pour les deux partenaires, augmentée par les
mouvements de va-et-vient masculin concomitants de mouvements
péristaltiques vaginaux et de pressions pariétales vaginales dues aux
muscles périnéaux. Ceux-ci sont ressentis consciemment par la
femme mais non complètement maîtrisables par elle. Au cours de
cette volupté vaginale et à partir de l’intromission, si la femme n’est
pas frigide, une modification du tonus musculaire général s’observe ;
il y a relaxation des muscles du corps locomoteur et un relâchement
parallèle du sens critique nécessaire à l’auto-observation, à l’auto-
contrôle. Il semble que, dès la possession corporelle du pénis, la
notion inconsciente ou préconsciente du phallus chez l’autre est

111
La régression du patient et l’analyste

dépassée et avec elle sont disparues les références de l’existence


pragmatique. Le rythme, l’intensité et la qualité de ces échanges
perceptivo-moteurs du coït semblent liés à l’entente physiologique
formelle et posturale tant des organes sexuels des partenaires qu’à
celle de leurs corps, plus encore à l’entente émotionnelle des
partenaires.

De l’observation de ces conditions on a conclu que l’accord sexuel


pouvait s’obtenir par une stratégie anatomo-physiologique relevant
de la kinésithérapie. Il n’est pas faux que le contact concomitant du
clitoris et du col par le pénis peut déclencher un orgasme jusque-là
retenu mais il s’agit beaucoup plus du versant masturbatoire et
fétichique des rapports sexuels satisfaisants que du versant libidinal
génital qui nous occupe aujourd’hui.

La mésentente, à ce niveau vaginal du coït, peut venir


d’incompatibilités dimensionnelles ou formelles des organes sexuels
ou de contradictions rythmiques entre les partenaires ou de bien
d’autres dysharmonies perçues ; mais il faut aussi qu’elles soient
sentimentalement liées à des représentations mentales discordantes
qui, elles seulement, dénient aux rapports sexuels, leur valeur de
vécu gratifiant pour la femme.

Cette mésentente corporelle ou émotionnelle pendant les premiers


rapports sexuels avec le premier partenaire masculin peut être à
l’origine de nombreuses frigidités du couple conjugal.

Dans le cas d’une entente favorable, les mouvements orbiculaires


ondulatoires deviennent de plus en plus violents et réflexes
entraînant une réaction de turgescence sécrétoire du col utérin qui,
s’il est atteint par les chocs du pénis, provoque au point maximum de
l’excitation vaginale, des spasmes vaginaux dont l’effet sur l’appareil
sexuel masculin est l’éjaculation spermatique au point maximum
orgastique de la jouissance féminine. La femme, agissante en général
jusqu’à ce point de volupté, ne peut plus qu’être passive,
entièrement envahie de sensations réceptives, surtout après le

112
La régression du patient et l’analyste

déclenchement érogène du col utérin dont la participation provoque


un orgasme authentiquement satisfaisant. La résolution tensionnelle
qu’il apporte n’est cependant pas aussi durable que celle qui est
apportée par l’orgasme utéro-annexiel. L’insuffisance résolutoire de
la tension sexuelle par un orgasme vaginal peut, chez certaines
femmes dont l’orgasme a été obtenu très rapidement, entraîner un
spasme vaginal orbiculo-vulvaire de quelques minutes, plus rarement
un spasme de l’anus, signes (cliniquement hystériques) d’une tension
pulsionnelle rémanente (ce qui est bien instructif pour la
compréhension du vaginisme pathologique).

L’entrée en scène dans le coït, de l’utérus et du ligament large est


généralement déclenchée par l’excitation pénienne tactile,
mécanique du cul-de-sac postérieur du vagin, du col, ou par
l’inondation spermatique du col utérin.

L’orgasme utéro-annexiel est caractérisé par des mouvements du


corps utérin qui bascule d’avant en arrière et d’arrière en avant,
avec une certaine articulation rythmée du col utérin sur le corps, de
mouvements ondulatoires du corps de l’utérus continuant ceux du
vagin mais à type de succion aspiration – au point que les
spermatozoïdes sont projetés en quelques secondes dans les
trompes, ce que l’observation a permis de confirmer. Sans orgasme,
leur temps de cheminement est beaucoup plus long. Ces
mouvements sont absolument réflexes, la femme est très vaguement
consciente de leur déclenchement et c’est lui qui apporte la
jouissance maximum secrète et silencieuse, caractéristique de cet
orgasme, jouissance tellement vive qu’elle n’est pas compatible avec
la maintenance de la moindre sensation narcissique d’exister. Le
partenaire de la femme en est le seul témoin. C’est immédiatement
après la fin de cette révolution organo-psychique que la femme
retrouve sa conscience un moment disparue, emportée qu’elle se
souvient d’avoir été dans sa jouissance au dernier point d’impact
vaginal, emportée comme un bouchon par le déferlement d’une lame

113
La régression du patient et l’analyste

de fond, en même temps qu’elle en éprouve une sensation


convaincante de bien-être, de « premier matin ».

L’orgasme utéro-annexiel est, pour une femme, toujours pleinement


résolutoire de toute tension. Il n’est jamais suivi de douleurs
spastiques ni de vaginisme passif ou actif. Son effet de rénovation
énergétique se fait sentir dans tous les domaines psychosomatiques
et émotionnels.

Devant les effets bénéfiques des orgasmes sexuels, on comprend que


Aldous Huxley, dans son roman Le meilleur des mondes, ait
humoristiquement fantasmé l’organisation sociale de satisfactions
orgastiques obligatoires. On voit aussi les motivations rationnelles
théoriquement justifiées d’un psychanalyste comme Reich, qui l’ont
conduit à chercher une technique psychothérapique qui « entraîne »
le sujet à l’orgasme. Cependant, l’absence totale de sens critique,
tant de l’analysé que de l’analyste au cours de ces « exercices » fait
que la lecture de ces travaux est très décevante. L’idéal du Moi
(scientifique) qui s’en dégage, idéal d’une fornication béate,
scientifique et thérapeutique, paraît ce qu’elle est, c’est-à-dire
perverse et touchant à une sorte de pseudo-mystique dangereuse de
la psychanalyse ou plutôt à sa déformation reichienne fétichique du
bonheur, l’orgasmo-thérapie.

Toute autre est la valeur de l’orgasme survenant dans l’union


sexuelle de deux personnes reliées l’une à l’autre par le lien
symbolique de l’amour. Les coïts sont alors symboliques du don
réciproque de leur présence attentionnée et de leur existence où
l’éphémère pouvoir imaginaire qu’ils se promettent et se donnent
réciproquement d’accéder au phallus focalise le sens de leurs désirs,
c’est-à-dire de leur sens. Il est tout de même significatif que ce soit
dans l’étreinte des corps accompagnée d’orgasme que les plus
chastes amours trouvent la représentation médiatrice de leur
ineffable et créatif bonheur.

114
La régression du patient et l’analyste

Le fruit pour la femme d’un authentique orgasme utéro-annexiel


éprouvé à l’occasion d’un coït effectif, est triple : l’apaisement total
de toute tension, la béatitude nirvanique et, à chaque fois, la
conviction d’un bonheur jamais encore éprouvé aussi esthétique. Elle
ressent une tendresse reconnaissante pour son partenaire dont la
personne toute entière active, convoyante et seul témoin humain de
son existence pendant la faille de temps et de conscience de son
orgasme, est typiquement peut-être symbolique de la justification de
sa « fente » formelle sans lui injustifiable. La personne de son amant
est associée à sa rénovation.

Il s’ajoute des résonances émotionnelles d’une qualité toute


particulière lorsque ce coït a des chances (même minimes) d’avoir
été fécond, surtout si chacun des partenaires est prêt socialement, à
assumer son éventuelle descendance. Cette dernière résonance est
certainement très particulière à l’orgasme génital féminin. Est-ce
parce qu’il est un écho de l’archaïque désir du pénis paternel à qui la
poupée fétiche avait suppléé ? Est-ce par l’ouverture des temps à
venir d’un acte qui, en lui-même déjà totalement alogique, avait
cependant été marqué de son acceptation la plus totale et qu’alors,
l’enfant à venir, le situe éventuellement dans une dialectique de
fertilité qui le justifie ?

Le coït est bien l’acte surréaliste au sens plein du terme. C’est un


acte délibéré dans un temps suspendu, dans un lieu où deux corps se
déréalisent, par la perte de leur commune et complémentaire
référence formelle pénienne au phallus. Le point où se manifeste la
puissance phallique impersonnelle, née de leur narcissisme
abandonné, est l’acmé de la courbe de l’affrontement dans chacune
des personnes du couple, des pulsions de vie au rythme végétatif
circulatoire et respiratoire intensifié dans leur amplitude jusqu’au
galop cardiaque, et des pulsions de mort dans le silencieux, total et
profond abandon de l’accomplissement orgastique.

115
La régression du patient et l’analyste

L’accomplissement de son désir exige, pour la femme, un don que le


narcissisme ignore et qu’il ne peut ni inventer, ni reproduire. C’est
encore la dimension surréaliste que l’orgasme authentique entraîne
à sa suite une satisfaction émotionnelle irrisée du prisme de la libido
dans son évolution génétique – la sensation de plénitude sensorielle,
éthique, esthétique de rassasiement au sens de libido orale
apaisante, d’élimination des tensions au sens de libido anale
rénovante, de reconnaissance à l’autre, à son corps, au sien propre,
au monde, d’annulation totale d’angoisse de vie ou de mort. Bref, une
restitution ad integrum de toute la personne physique et
émotionnelle dans un temps zéro, dans un lieu absent.

Chaque coït orgasmique ne rejoindrait-il pas, philogénétiquement, la


scène primitive de chacun des partenaires, leur apportant ainsi, avec
la régression ontogénique imaginaire, la sécurisation impersonnelle
de la conformité aux lois créatrices de l’espèce, en conformité elles-
mêmes avec les lois cosmiques.

L’excitation accessoire, parfois la défrigidisation de la femme par des


comportements sadiques verbaux, émotionnels ou corporels du
partenaire sexuel aimé peut se comprendre à partir de ce danger de
se sentir devenir rien dans le coït orgasmique. Des sensations
liminairement douloureuses à des parties du corps ailleurs qu’aux
régions génitales seraient un gage d’intérêt anal pour un objet
perdurable. L’envie d’être contrainte, réduite à subir l’acte sexuel
pourrait s’expliquer par l’impossible dérobade au danger orgastique.
Sans compter le danger rémanent de l’investissement sadique oral,
sadique anal et phallique agressif urétral prégénital de tout le corps,
ajouté aux investissements passifs sexuels de tous les stades, y
compris du stade génital, dans le lieu même sexe féminin survalorisé
d’être promu au viol catastrophique.

116
La régression du patient et l’analyste

IV. – La frigidité

Si les représentants mâles de l’espèce humaine sont très


généralement gratifiés du plaisir de désirer et du plaisir
d’accomplissement sexuel génital, comment se fait-il donc que les
femmes en soient si souvent frustrées ? Serait-ce vraiment dû,
comme on l’entend dire, à l’égoïsme masculin, aux nécessités d’une
jouissance prolongée pour la femme précédemment à l’orgasme et
que les hommes ne lui accorderaient pas ? Je ne crois pas. Je pense
que les maladresses masculines dans les premiers rapports
déflorateurs existent très souvent. Je pense aussi qu’elles pourraient
être évitées, si les pères remplissaient vis-à-vis de leur fils le rôle
d’éducateurs sexuels, et les mères vis-à-vis de leurs filles.

Je pense qu’un élan puissant de désir sexuel génital chez une femme
amoureuse et bien préparée dans sa jeunesse mais mal déflorée peut
emporter les inhibitions et les craintes dues aux premiers coïts
douloureux du fait d’un partenaire maladroit.

La modification du comportement frigide peut aussi venir d’une


brève aventure avec un substitut marital entreprenant. Le sens de
responsabilité lié à un amour authentique de son conjoint permet à
leur union de trouver tardivement l’harmonie sexuelle un instant
compromise.

Cependant, même dans ces cas où, semble-t-il à l’anamnèse, on voit


avec justesse le rôle de l’homme avoir été déclenchant au moment de
l’installation de la frigidité, c’est de la femme seule que dépend sa
guérison à elle et souvent celle du couple. On en est à se demander
si l’échec initial de son amant n’avait pas entièrement été induit par
elle et c’est souvent le cas avec des hommes qui étaient, jusqu’à elle
et avec d’autres femmes, des amants appréciés.

J’en ai pour témoignage la cure de femmes frigides chez qui le mari


ou l’amant ignore le traitement de sa femme, assiste aux
transformations du sens de leurs rapports sexuels et en conséquence
au plaisir qu’il éprouve à lui donner le plaisir, alors qu’il y avait

117
La régression du patient et l’analyste

renoncé. Cela prouve qu’il faut chercher la clé de la frigidité, plus du


côté de la femme que du côté de l’homme.

L’intervalorisation narcissique d’un partenaire par l’autre dans les


jeux sexuels, est toujours importante dans la dialectique génitale ;
mais si elle est relative pour l’homme, et c’est à discuter, elle est
fondamentalement nécessaire pour la femme, surtout non
expérimentée. C’est de l’absence de ce savoir chez les partenaires
masculins que proviennent des frigidités devenues habituelles chez
des femmes primitivement absolument capables d’orgasmes, c’est-à-
dire qui ont au moins abordé la situation œdipienne et dont la
première expérience n’avait pas été absolument traumatisante.

C’est pourquoi il me paraît que l’ignorance érotique imaginaire dont


certaines femmes évoluées culturellement sont atteintes, n’a pas
toujours son origine dans le refoulement des pulsions génitales mais
dans leur présence encore non dévoilée et muette avec leur sens
authentique d’investissements latents de régions en elles encore
vierges, mais destinées à être données dans une complémentarité
sexuelle adulte avec l’objet du choix réciproque, tant dans sa
personne que dans son sexe. Si l’homme aimé en tant que personne
et que représentant phallique se montre carencé dans son option
objectale pour la femme, ou que du fait d’une homosexualité
insuffisamment sublimée ou d’une fixation à sa mère il ne puisse
verbalement valoriser sans danger d’angoisse de castration en retour
le sexe de sa partenaire, sexe qui pour elle n’est encore qu’un
« trou » au pourtour orbiculaire seul connu et sensible, celle-ci
risque de ne pas investir narcissiquement les parois muqueuses
internes du vagin, ni les émois nuancés qui sont reliés par nature à
ses sensations profondes. Car tant qu’elle n’a pas été reconnue dans
la valeur du don qu’elle en fait, le sexe de la femme est inconnu pour
sa conscience, quoique présent dans son efficience sublimée et
culturelle qu’elle doit à son amour vrai.

118
La régression du patient et l’analyste

De même que les phonèmes, agréables sensations auditives, ont


besoin d’être assemblés dans une organisation que les rencontres
interhumaines constituent en langage, de même dans la rencontre
des sexes les émois doivent s’échanger dans une médiation
émotionnelle exprimée, pour que les jeux érotiques deviennent entre
partenaires un langage d’amour humain et pas seulement des figures
de copulation stéréotypée ou acrobatique à effet hygiénique certain
et fécondateur possible.

Insatisfaction génitale érotique ou amoureuse et refoulement. – Les


rapports sexuels et amoureux entre deux partenaires qui, chacun
dans leur propre évolution ont atteint le niveau de la réalisation
génitale les conduisent, comme amants, par une dialectique intime
interémotionnelle verbalisable pour eux seuls, de leur union
corporelle, à une connaissance réciproque de leur sensibilité que
traduit leur accès à un accord entre leurs désirs et un accord de
leurs orgasmes concomitants. Cet accord est signifiant d’une entente
interpersonnelle de couple génital dont l’enfantement symbolique
sera manifeste, médiatisé ou non par des enfants de chair nés de leur
conjugaison biologique. Mais l’accord érotique n’existant pas, au
moins du côté de la femme, ne signifie pas l’absence d’entente
interpersonnelle créative. Il y a – tout au moins du côté de la femme -
— des modalités très variables de couplage conjugal, qui satisfont et
utilisent ses possibilités libidinales sans refoulements, sans névroses,
caractérisées seulement par des réactions transitoires réactionnelles
symptomatiques d’une inutilisation libidinale.

La plasticité de la femme est très grande, à mon avis, et j’en attribue


le fait, contrairement à ce qu’a dit Freud, au moindre refoulement
chez les femmes que chez les hommes et à une structuration moins
précoce par l’Œdipe et plus longtemps labile que chez eux.

Pour peu qu’elle ait assez bien vécu son enfance et relativement posé
le complexe d’Œdipe, elle organise ses investissements libidinaux
sexuels selon les impératifs explicites sexuels de l’homme qui l’a

119
La régression du patient et l’analyste

distinguée et l’a choisie comme objet d’amour. Quand la femme est


encore inexpérimentée et qu’elle rencontre une relative impuissance
ou même une perversion sexuelle chez son partenaire, elle se montre
étonnamment adaptable et utilise ses pulsions libidinales dans une
organisation axée par les exigences de son conjoint.

Les femmes sont beaucoup plus tolérantes que ne le sont les hommes
à la frustration de leur propre jouissance orgasmique. On peut se
demander même si une organisation véritablement génitale de sa
libido, pour ce que l’on peut en observer d’après les sublimations, ne
serait pas compatible avec de seules effusions émotionnelles intenses
à l’égard de leur objet d’amour dans des étreintes chastes où le seul
émoi essentiel pour elle vis-à-vis de lui est leur foi dans sa personne
qui, pour elle est représentative du tout insécable du sens de leur
existence inconditionnelle, qui ne s’est jamais posé la question
d’avoir ou de n’avoir pas de plaisir aux corps à corps sexuels.

Il est très important enfin, de remarquer que les femmes


narcissiques, phobiques, obsédées, homosexuelles manifestes ou
hystériques même et des femmes atteintes de psychoses ne sont pas
frigides dans le coït et peuvent éprouver non seulement des
sensations voluptueuses et des orgasmes clitoridiens mais encore
des orgasmes vulvo-vaginaux. Il est douteux qu’elles éprouvent des
orgasmes utéro-annexiels. En tout cas, ce n’est certes pas un signe
d’équilibre mental d’éprouver des sensations voluptueuses au cours
de rapports hétérosexuels ni de savoir donner la réplique dans les
jeux érotiques. J’en ai connu incapables d’amour pour la personne de
leur partenaire, d’autres capables seulement de dépendance passive,
agressive, d’autres qui ne voulaient à aucun prix d’un attachement
durable, encore moins de devenir mère (bien que le désir en soi de
devenir mère ne signe pas la maturité libidinale), bref des femmes
dont le sexe apparemment savant était lié à une personne
absolument non structurée ou de structure encore très infantile.

120
La régression du patient et l’analyste

Ce fait d’observation courante fait réfléchir. Avant de parler de


névrose lorsqu’on est en face d’une femme frigide, alors qu’aucun
autre symptôme n’est observable et que son attachement social
émotionnel et corporel à son conjoint et à leurs œuvres communes
est ressenti par elle comme donnant son sens plein à son existence.
Certains auteurs et de nombreux hommes appelés à témoigner
disent, en effet, que telle femme qui se dit sans besoins sexuels, qui
se soumet sans déplaisir au coït, dit cependant qu’après les rapports
qui ne lui sont pas indifférents, elle éprouve un grand bien-être
généralisé. Alors que de telles femmes nient toute volupté corporelle,
leurs partenaires affirment qu’ils perçoivent des manifestations de
leurs voies génitales profondes, des spasmes du corps utérin tels,
qu’en effet, on les décrit dans l’orgasme le plus achevé dans la
progression des orgasmes féminins. Ce fait, lié à l’absence de
symptômes névrotiques authentiques de leurs rapports émotionnels
avec leur conjoint et en particulier vis-à-vis de son œuvre et de leurs
enfants, nous font penser que la jouissance ou la frigidité de la
femme pose un problème théorique qui n’est pas encore résolu.

L’absence de sensibilité des voies génitales antérieures, la seule


consciente, est peut-être plus souvent liée à une certaine éthique
organisatrice de ses pulsions libidinales, que la femme soit ou non
névrosée. C’est dire là encore l’adaptabilité culturelle de la femme.

Après avoir affirmé l’existence de sentiments inconscients de


culpabilité, la psychanalyse qui a découvert l’importance de la vie
inconsciente et sa dynamique se trouve peut-être ici en face de
sentiments inconscients de félicité.

Sans aller jusqu’à me faire dire, parodiant Knock, qu’une femme qui
jouit dans les rapports sexuels est une frigide qui s’ignore, ou bien
qu’une femme frigide et sensoriellement insensible est le modèle de
toutes les tendresses sublimes, je dirai tout de même que les valeurs
éthiques et esthétiques de la personne chez une femme, peuvent
avoir canalisé puis sublimé une telle quantité de libido narcissique

121
La régression du patient et l’analyste

que sa libido d’objet n’est pas assez riche si son partenaire ne l’y
entraîne pas, pour investir encore activement sa région génitale
pourtant investie passivement par elle-même comme médiatrice de
son accès au corps de l’homme qu’elle désire et attend, représentatif
phallique de son sexe. Je pense qu’une femme qui a de fortes
satisfactions sexuelles, surtout si elles sont précoces, prégénitales
corporelles, puis génitales, est beaucoup plus narcissisée qu’une
autre et de ce fait moins portée à intensifier sa libido objectale et
que ce sont les femmes à libido objectale différenciée qui
caractérisent les femmes les plus culturellement valables. Bref, il y
aurait une contradiction entre la richesse des investissements
culturels chez une femme et l’investissement narcissique du sexe. Je
pense aussi qu’une femme qui n’éprouve jamais de satisfaction
sexuelle n’existe pas.

La plupart des femmes devraient donc, et peuvent arriver avec leur


conjoint de corps, si elles l’aiment d’affection, c’est-à-dire de cœur, à
des modalités de rapports sexuels pour elles satisfaisants.

Seules échappent à ce pronostic favorable, les femmes qui ont été


sadiquement déflorées au cours de dévirginisation brutale (après
mariage dont elles ignoraient le contrat corporel et sa valeur
érotique, bref, acte sexuel non désiré encore), par un homme à qui
elles avaient été livrées par des parents aimés. Échappent aussi à ce
pronostic favorable les femmes qui ont été violées dans l’enfance par
un adulte estimé, œdipiennement investi, soit directement, soit plus
gravement encore dans un coït anal ou lors de pratiques
masturbatoires manuelles ou autres. Le viol dans l’enfance par
intermédiaire d’animaux est cliniquement plus déstructurant encore
pour les filles qui y ont été soumises par une adulte perverse, et plus
encore les viols avec témoins participants dans une scène sado-
masochiste socialisée. Il faut y ajouter les fessées publiques
ressenties comme viols mineurs du fait de l’éprouvé corporel
abréagissant et du contexte intercaractériel érotisé par l’adulte qui

122
La régression du patient et l’analyste

donne la correction ; les lavements répétés, compulsifs pour la mère


et subis par la fillette en complaisance à cet érotisme maternel. Pires
sont les dénudations corporelles publiques imposées brutalement
lors de consultations hospitalières et ressenties comme viol
généralisé de la personne, de sa liberté que la pudeur respectée lui
confère. Ce qui est ainsi mis à nu est le mal, c’est-à-dire le laid dont
témoigne ce corps, alors que pour s’investir au service de son sexe
féminin ressenti beau et désirable, le corps dans sa présentification
doit être objet de signal phallique, beau pour attirer le signifiant
beau de sexe, le pénis masculin à la suite du regard de l’homme
captivé admiratif. Ces exhibitions imposées par les médecins et
acceptées par la mère généralement témoin sont pervertissantes. La
même exigence scientifique n’aurait aucune importance névrosante
chez l’adulte ou la jeune femme déjà en activité sexuelle.

La santé ou la maladie émotionnelle et sexuelle génitale ne se


déduisent pas du simple fait de l’obtention ou de la non-obtention
d’orgasmes, pas plus que du bon ou du mauvais caractère entre
conjoints. C’est l’engagement de la personne vis-à-vis d’une autre
personne dans une option sexuelle et émotionnelle de don de soi qui
signe ou non la santé de la libido narcissique chez la femme. Il y a
entre le narcissisme de sa personne phallique remarquée par autrui,
industrieuse et œuvrante, et le narcissisme de son sexe non visible et
non représentatif, une antinomie dont le mode d’intégration signe
dans chaque cas particulier la personnalité d’une femme. Le corps
tout entier de la femme peut, sans refoulement, par un
infléchissement de libido génitale du sexe creux non valorisé sur les
formes pleines du corps propre survalorisées, sceller un
investissement secondaire sexuel narcissique du corps parce qu’il se
voit à distance et qu’il est très apprécié des mâles concupiscents
tenus à distance. Ce déplacement de la libido narcissique peut
dépouiller plus ou moins durablement d’investissement libidinal les
voies génitales internes cachées et non éloquentes hors du coït

123
La régression du patient et l’analyste

risqué. Quant à la libido objec-tale elle peut se transférer de l’homme


objet phallique sur son œuvre, objet des soins et de l’intérêt de
l’amante d’un homme admiré, estimé d’elle et dont le caractère
s’accorde au sien.

La force séductrice du phallus, représenté formellement par l’homme


et par son pénis peut, sans refoulement, contrairement à ce qu’a dit
Freud et à sa suite beaucoup d’analystes, détourner la femme de
toute masturbation manuellement dérisoire, de toute pratique
masturbatoire à l’aide d’objets qui, quoique choses pénétrantes,
n’ont que la valeur d’outils, à peine de fétiches.

Lorsque, pour une raison émotionnelle plus ou moins justifiée par


une raison circonstancielle, un couple jusque-là heureux voit son
ardeur sexuelle réciproque disparaître, et surtout lorsqu’ils n’osent
en parler ni entre eux, ni à un médecin psychologue ou sexologue, il
est difficile, au bout d’un certain nombre d’échecs orgastiques, tant
pour la femme frigide déçue, lasse sans espoir ou revendicante tacite
que pour l’homme humilié et non moins tacitement revendicant, de
rectifier la situation. L’homme avec le réveil de son angoisse de
castration lié à des sentiments d’impuissance à faire jouir l’autre, qui
réveillent l’infériorité masochique de la période infantile, n’a pas le
goût ni le courage d’aborder celle qu’il croit être un mur ou une
panthère. Il rumine son échec (car les hommes sont tout autant
masochistes moraux que les femmes), fantasme tout haut de se
dédommager ailleurs ou devient impuissant. Le cercle vicieux
s’installe alors. Dénarcissisée par ces déclarations, la femme se
replie masochiquement sur son anomalie ou sur ses activités
ménagères, maternelles ou sociales, d’une façon obsédante qui la
déculpabilise vis-à-vis du Surmoi génital d’incompétence, mais une
régression latente se fait à des émois d’infériorité œdipienne et au
rôle d’objet dérisoire qu’elle a été pour son père que le mari
remplace.

124
La régression du patient et l’analyste

Il faut une solide estime sociale réciproque pour que de tels couples
tiennent unis, devenant peu à peu des couples fraternels faussement
chastes où l’un des deux admet passivement son impuissance
génitale dans le couple cependant culturellement et socialement
valable pour l’entourage. On voit de tels couples à l’occasion des
consultations psychologiques d’enfants. L’enfant a été, dans son être,
le révélateur de conflit génital des parents, quelque chose ne peut se
faire dans la résolution œdipienne chez l’enfant et pourtant la
personne des parents, de la mère n’est pas cliniquement atteinte de
symptômes névrotiques.

La tolérance, sans symptômes de pareilles situations sexuelles, peut


durer assez longtemps, jusqu’à une poussée libidinale liée à une
tentation extra-conjugale qui, si elle est refoulée, provoque alors des
symptômes soit chez la femme, soit chez ses enfants, soit chez le
mari.

Je pense aussi que l’attitude émotionnelle interpersonnelle du jour,


avec le partenaire, joue, pour la femme, au moment du coït, un rôle
érotique diffus pour colorer ou non d’échange d’émotion et de
tendresse les jeux érotiques, qu’ils soient pour la femme,
accompagnés ou non d’orgasme complet. C’est cette modulation
sentimentale interpersonnelle qui peut, par son intensité
négativante, entraîner la frigidité chez une femme jusque-là non
frigide. Il est certain alors que ce sont des composantes sexuelles et
émotionnelles orales et anales actives réactivées qui débordent
l’attitude génitale réceptrice encore présente. C’est cependant cette
ambivalence due au parasitage du registre de relation de corps lié
aux relations interpersonnelles de cœur sur le registre des relations
de corps intergénitales qui justifie la demande consciente ou
inconsciente d’agressivité soi-disant sadique, plus ou moins marquée
du partenaire sexuel, à son égard. Le but de ce fantasme associé à
un simulacre d’exécution est d’annuler, par une maîtrise musculaire
symbolique l’ébauche de défense active phallique réactionnelle qui

125
La régression du patient et l’analyste

gêne l’obtention de la résolution musculaire du corps locomoteur,


condition indispensable à la primauté de l’investissement érotique
vaginal intense et surtout à l’orgasme utéro-annexiel. Il s’agit là de
fantasmes et non de masochisme vécu.

Je pense que toutes les perversions masochiques dans lesquelles la


douleur par contusion, effraction, entraîne l’orgasme, sont le propre
d’homosexuelles au moins latentes, au corps narcissiquement investi
comme phallus fœtal ou anal de la mère, soumis et abandonné à un
objet érotique actif jouant le rôle de mère ou père phallique en
situation de consommation orale ou anale imaginaire bien que le coït
puisse effectivement se consommer de façon génito-génitale.

Le vaginisme dont je n’ai vu que quelques cas et qui apparemment


est une exagération de la frigidité, contrairement à elle, est toujours
symptôme de refoulement de libido à tous les stades mais surtout
génital, le refoulement culpabilisé de désirs intenses intriqués à une
agressivité sans objet ou dont l’objet imaginaire est d’une puissance
suprahumaine ou magique.

Il est très souvent associé à une compulsion à sucer le pouce, soit


pendant la vie consciente, soit pendant le sommeil.

Les cas que j’ai vus étaient très probablement des séquelles de viol
par le père ou par un substitut avant l’âge des fantasmes possibles
de maternité matricielle. Les rêves de vaginiques sont des rêves de
dangers élémentaires cataclysmiques, fournaises, éclatements,
phobogènes après le réveil et à peine verbalisables. À une étude
sommaire, on a l’impression que le vaginisme essentiel se montre
chez des femmes présentant dans leur psychisme des enclaves
psychotiques.

126
La régression du patient et l’analyste

Chapitre III. La relation d’objet génital chez la femme


sa structuration, ses modalités

I. – Les conditions narcissiques aux relations d’objet chez la


femme et chez l’homme

Réflexions sur la réalité corporelle des rencontres interhumaines


charnelles électives et sur la réalité émotionnelle des rencontres
interhumaines électives non charnelles. La Symbolique phallique. –
La complémentarité d’amour humain depuis l’époque enfantine
préœdipienne se construit sur la confiance dans l’autre. L’effusion du
cœur pour l’autre, cet autre désiré, est liée à des perceptions
corporelles et plurisensorielles actives et passives qui, dans leur
genèse sont liées à la première créature soutien et provende, la
présence réplétive palpante morcelable et morcelante, ressentie
vitalisante de la première présence animée provende et soutien, la
mère nourrice.

Pendant les absences de la mère, lorsque l’enfant ressent dans son


corps des sensations dévitalisées de faim et de soif que le
métabolisme provoque, cet autre est désiré parce que lié à la
vitalisation de façon répétitive connue. II la reconnaît grâce aux
sons, rythmes et mimiques, médiations sensori-motrices
accompagnant l’approche de satisfaction qui est la réplétion. En
cours de réplétion, au contact érogène de la mère, se produit la
diminution puis l’annulation des médiations plurisensorielles
accessoires aux sensations vitalisantes.

L’enfant présentifie imagièrement sa satisfaction par des


réminiscences sensorimotrices qui, pour lui, sont son désir et son
plaisir. Sa première amie, sa première image de lui-même heureux,
c’est le visage de sa mère et sa voix connue, au moment qu’elle
s’approche de lui, ou au moment qu’elle s’éloigne de lui sans l’avoir
satisfait sensoriellement et substantiellement, c’est-à-dire sans avoir
réuni son centre existentiel et la zone érogène distale qu’elle

127
La régression du patient et l’analyste

emporte accrochée imagièrement à sa masse à elle ; sa mère est


donc l’image de son plaisir et la permission de son être apaisé.

À cette première référence génétique s’articulent ensuite toutes les


situations qui, de partenaires liés par l’évocation commune d’un
plaisir répétitivement retrouvé au contact de leurs personnes, rend
leur rencontre significative de similitude émotionnelle. Les
sensations complexes de cet accord dans des désirs médiatisés et les
satisfactions simultanées avec ces créatures rencontrées, en font des
amis, des semblables, en qui nous nous connaissons et qui se
connaissent en nous.

Le cœur (parce qu’il est joyeux ou meurtri) est devenu le lieu des
émois caractérisant une vivance en communion émotionnelle à
distance de l’aimé, cet autrui ressenti semblablement constitué
émotionnellement et fonctionnant semblablement, celui qui sait ce
que nous sommes ; qui nous connaît et en qui nous nous
reconnaissons unifiés dans notre être et dans nos fonctionnements.

Si nous n’avions jamais été séparé dans le temps et dans l’espace de


ceux avec qui nous avons éprouvé des plaisirs structurants
communs, nous ne saurions pas ce qu’est aimer. Aimer est alors cet
émoi, ce mouvement du cœur vers l’image de l’aimé, pour soulager
en soi la souffrance de son absence. La souffrance ressentie et
verbalisée par l’autre comme semblable par-delà la distance entre
leurs corps séparés font que deux êtres humains se sentent accordés,
mais ne le savent chacun que pour lui seul, grâce au souvenir de la
satisfaction encore attendue au lieu médiateur de son corps à la zone
érogène blessée dans l’image de son corps référencé à l’autre par la
séparation, en un lieu qui, dans notre temps vécu, a présentifié notre
relation à l’être ancestralement associé par nos émois rémanents à
ceux que nous éprouvons pour l’élu d’aujourd’hui et à son sens
vitalisant pour nous. C’est grâce à la séparation douloureuse et à la
plaie imagière du corps, non fermée, alors que les plaies du corps se
ferment, que les hommes savent que leur corps est symbolique en sa

128
La régression du patient et l’analyste

masse et en ses fonctionnements de liens plus existentiels, plus


prégnants et plus électifs que ceux de la chair auxquels ils ne sont
plus nécessairement référencés dans l’actuel spatio-temporel.

Jusqu’à l’accès au niveau de conscience formelle réflexive de son


autonomie corporelle statique et motrice liée à la symbolique
spécificité de l’espèce humaine, un être humain ne sait pas que seul
l’être humain est doué du langage parlé et de son pouvoir créatif
dans l’imaginaire de l’autre. Sa dépendance émotionnelle à l’adulte
tant dans son sentir que dans son agir fait prendre, au petit des
hommes tous les comportements de dépendance observés hors de lui
ou obtenus par lui, comme des apparentements. Tout apparentement
de dépendance est paire puis couple selon l’idée qu’il en ressent de
dominance passive ou active. C’est par l’observation du langage
parlé d’un être animé en réponse au langage parlé d’un autre être
humain qu’il accède au niveau de l’éthique sociale du couple humain.
Deux créatures ne sont humaines que si elles sont capables de
coopération ou de non-coopération concertée.

Cette conformité de sentir et d’agir, née de la coopération concertée


ou de son refus, n’est structurante pour l’être humain qu’avec un
semblable constitué à l’image de sa mère nourrice, c’est-à-dire de la
personne de laquelle son corps attend tout dans la sécurité, s’y
réfère, parce qu’il y a du fait de la naissance et des premières
impressions perceptives distales liées aux perceptions internes
d’exister, un fait illusoire et primordial, l’illusion de la similitude
structurale spécifique et son corollaire, la totale inaltérable et
aveugle conduite de relations répétitives à cette mère, de relations
coopérantes à elle par coaptation identifiante passive, de relations
complémentaires aux siennes par introjection suivie de
l’identification active. C’est après l’épreuve face au miroir, des
mimiques, des gestes, du parlé, face à cette image de lui
apparemment « bébé » qui ne répond pas de façon complémentaire
concertée, mais toujours par la même imitation, c’est après l’épreuve

129
La régression du patient et l’analyste

de s’être heurté à une surface plane, miroir, écho, lors de l’illusion de


la rencontre de l’autre qu’il cherchait, que l’enfant commence à
saisir la différence entre l’image visuelle de son propre corps et
l’image ressentie qu’il a de lui, entre l’image visuelle et sensorielle
du corps des autres dans un miroir ou dans une image visuelle
(portrait, photo), auditive (voix seule, téléphone, enregistrement,
appel) et les émois contaminants modifiants de son ressenti qu’il en
éprouve ; c’est après l’épreuve du contemplé son image fixée dans un
instantané photographique et son image mobile dans un film
cinématographique4 qu’il peut percevoir la différence entre ce qu’il
ressent et sa place d’agissant et ce qui en est perceptible à la place
du témoin.

C’est par les épreuves répétées du témoignage, médiatisé par le


geste et la parole, de l’image qu’autrui se fait de sa personne, qu’il
perçoit la très grande solitude et l’immensité d’un désir qu’aucune
expression ne saurait satisfaire, qu’aucune complémentarité ne
saurait combler. Cette très grande solitude d’exister en tant qu’être
de désirs, est liée à son corps, à ses demandes satisfaites d’exigences
digestives orales et anales surgies de son métabolisme de croissance.
Mais sa connaissance de lui-même est focalisée dans le lieu
symbolique appelé cœur, centre vivant permanent avant, pendant et
après les satisfactions digestives de ses émotions libidinales, lieu de
ses désirs de voir, d’entendre l’autre, de dire et de faire avec l’autre,
l’ami, dans une avidité de complétude, d’action pragmatique jamais
apaisable, visant à manifester de façon permanente ses manières de
percevoir et de réagir, à distance temporelle et spatiale de son corps
que les consommations apaisantes font tour à tour apparaître et
disparaître à sa conscience. Par la perte ou l’absence de ses amis

4 Un enfant de 4 ans voit sur un film familial un jardinier arrosant et lui qui
court dans le jardin ; il dit : « Voilà moi, j’arrose le jardin et le bébé court. » Il
passe ensuite derrière l’écran pour voir l’autre côté du jardin. Quelques jours
après, il veut se voir quand il était jardinier et montre l’emplacement dans la
pièce où l’écran était dressé.

130
La régression du patient et l’analyste

reliée occasionnellement à sa permanente source de désirs (et non à


ses besoins impermanents que sont les besoins), l’être humain
connaît les épreuves qui structurent sa personne. L’être humain est
seul au milieu d’une multitude où ses choix électifs ne lui permettent
que de rencontrer chez l’autre, le dérisoire écho de son cri
d’abandonné.

C’est à cause de cette distance, ressentie absence lorsqu’elle est


spatiale, ressentie passé ou avenir lorsqu’elle est temporelle que
l’objet du désir de possession charnelle a pris une imagière et
créative phallique signifiance chez l’être humain, quel que soit le lieu
érogène de ses désirs en son corps formellement phallique mais
fonctionnellement et créativement impuissant quant à son existence
émotionnelle solitaire, toujours stérile hors les rencontres
interémotionnelles. Cette phallique signifiance de l’objet de désir est
référencée à toutes les turgescences formelles morcelées dans
l’expérimenté sensoriel, prometteuse d’une force jaillissante
autochtone qui a laissé répétitivement le souvenir d’un ressenti
réunifiant. Du désir de cet objet, prometteur d’une réconciliation de
son corps et de son cœur, la tension croît en ses zones érogènes, et
l’éprouve jusqu’à ce qu’il s’empare possessivement de l’objet porteur
de cette phallique, vivante et créative signifiance. C’est le désir.

Toute tension liée associativement à l’attente gratifiante de l’objet


désiré promet la contamination de cette phallique signifiance et fait
la valeur-désir de l’objet qui hérite de toutes les sensations
rémanentes de plénitude dont la mémoire a conservé les traces
imagières, passivement et voluptueusement éprouvées dans les
satisfactions antérieures connues et répétitivement attendues. C’est
à cause de cette tension accompagnant le désir érotique ou
émotionnel à satisfaire, que l’objet aimé ou l’objet désiré est toujours
représentativement phallique, du seul fait du désir en un lieu focal
érogène de notre corps, c’est-à-dire de la sensation de prégnance
attractive du corps de l’autre, symbole phallique de puissance

131
La régression du patient et l’analyste

fonctionnelle émissive jaillissante dont il suscite par référence et


inférence en nous l’image. L’objet du désir génital n’est donc
valeureux que s’il a valeur de présentification subjective phallique et
cela chez les humains des deux sexes pour ce qui concerne le
symbolique, quelle que soit la forme creuse ou protrusive sensorielle
de leurs organes de contact somato-somatique intentionnel ou
occasionnel et qui peut alors par simultanéité de temps et d’émoi
relationnel signifier l’appel médiateur.

Or, cette distance intercorporelle nécessaire à l’amour


interémotionnel s’abolit entre les corps enlacés et entre les sexes
compénétrés dans le coït. Les désirs du cœur sont-ils contradictoires
aux désirs du corps ?

N’est-ce pas là l’épreuve narcissique agonique qui accompagne


toutes nos joies terrestres, toutes nos rencontres interhumaines ?
L’angoisse scandée par la naissance, le sevrage, la différence
morphologique des sexes, la dysparennie des âges, la mort, la
décomposition de la chair, notre signifiance insignifiante, cette
angoisse inhérente à notre condition humaine trouve dans la fonction
symbolique interhumaine et dans l’imaginaire où le conditionnement
est votivement déréalisé, un relatif atermoiement à notre souffrance
sans que, cependant, jamais les pulsions tentatrices consolatrices de
mort ne nous puissent longtemps apaiser des pulsions tentatrices et
dynamiques de vie sauf dans la dernière étape de notre vie, où, enfin
rassasié de phallique illusion, notre Moi s’apaise de se découvrir
voué à la seule symbolique a-sensorielle, a-spatiale et a-temporelle
existence. C’est l’arrivée sereine au port après le voyage d’une vie,
est-ce là le destin féminin de la libido ? Oui, c’est aussi, je pense, son
destin masculin. Le saurons-nous jamais ? Peut-être et pourquoi pas
notre humaine existence ne serait-elle qu’une mesure pour rien.

Mais, au cours de ce destin, dans les conditions temporo-spatiales


que la raison reconnaît à nos sens quintuplement reconnus, les
hommes rencontrent ou croient rencontrer les femmes, et cela fait à

132
La régression du patient et l’analyste

nos oreilles beaucoup de bruit… Même si c’est pour rien, ces


rencontres donnent un sens à leurs émois, à leurs actes, et c’est
l’objet de notre actuel propos. Aussi, continuons…

II. – Le complexe d’Œdipe, épreuve narcissique génitale.


L’angoisse de castration la soumission a la loi endogène le
renoncement au désir pour le géniteur la chute des dents, son
importance génitale symbolique. La règle des quatre « g »

Les marques de cette épreuve initiatique qu’est la chute des dents de


lait, se retrouvent dans l’inconscient où beaucoup de rêves de chutes
des dents sont associés au travail d’acceptation d’un abandon
d’investissement narcissique, d’une sorte de mort, agonie endogène
acceptée comme seule issue résultante d’un conflit libidinal. Ces
rêves sont toujours, lorsqu’on les analyse, relatifs à un conflit
endogène d’ordre génital.

C’est pourquoi je pense qu’il ne peut jamais être question de


complexe d’Œdipe psychanalytiquement parlant, c’est-à-dire
dynamique et clinique – avant l’âge révolu de la chute des dents de
lait et de l’acquisition de la dentition adulte et (surtout pour la fille),
avant l’abandon effectif de tout secours de relation de corps à corps
avec l’adulte pour l’entretien et le maintien de sa vie, cela chez les
humains des deux sexes. Cet abandon de l’enfance que signifie
somatiquement la chute des dents de lait, s’inscrit à la suite de
l’abandon délibéré de la mère dyadique rendu possible par
l’acquisition de la marche, puis de la déambulation autonome, dans
des intiatives actives libres venues elles-mêmes après le sevrage
après le renoncement à la mère symbiotique, la naissance perte de la
relation ombilicale que remplace la respiration aérienne et le
nourrissonnage ; le sevrage et le langage parlé sont deux promotions
que les dents avaient rendu possibles.

Ces conditions successives de séparation, inscrites dans le corps,


rendent élective la zone érogène dévolue au corps à corps érogène

133
La régression du patient et l’analyste

par-delà la séparation opérée. Au moment du deuil narcissique


esthétique infantile de la bouche, le désir est prêt à se manifester
électivement au sexe et, le corps étant ressenti achevé ou presque,
ce sexe est attendu fécond, non pas dans le sens additif et soustractif
métabolique pour la masse corporelle du sujet, mais fécond au sens
génétique humain, d’engendrement, hors des limites de son corps,
d’un être vivant, homologue en espèce symbolique, de laquelle
l’enfant œdipien se sent être lui-même un représentant sexué. N’est
à proprement parler œdipien qu’un désir d’enfanter un être humain
à aimer et éduquer, bref un être vivant semblable en espèce, qui
puisse devenir autonome à son tour, un désir d’enfanter après
couplage incestueux génito-génital avec son propre géniteur
hétérosexuel, adulte surestimé et subjuguant en sa personne et en
son sexe.

Toute théorie du complexe d’Œdipe doit poser ainsi ses


caractéristiques constitutives qu’on peut appeler la règle « des 4 g ».
Les représentations subjectives sont en relation de désir à :

1° L’objet hétérosexuel géniteur ;

2° Pour des relations génitales ;

3° À son sexe génitalement valorisé ;

4° Pour un espoir de fertilité génétique humaine.

Enfin, ces fantasmes ne sont œdipiens que si le sujet est parvenu


pratiquement à l’autonomie de sa conduite et de son entretien, c’est-
à-dire qu’il est capable, dans sa réalité temporo-spatiale, de
maintenance, de survivance et de croissance corporelle, sans le
recours nécessaire maternant prothétique à un autre être humain, ce
qui implique que son insertion au groupe est entièrement médiatisée
et symbolique.

Ces longs développements ont leur importance, nous verrons, pour


expliquer les écueils des poses incomplètes ou perverties du
complexe d’Œdipe et, par conséquence, les résolutions œdipiennes

134
La régression du patient et l’analyste

conflictuelles, non totalement créatrices. Il faut dire que les écueils


sont très souvent provoqués par les difficultés sociales et familiales
exogènes, source de névroses surajoutées aux difficultés endogènes
du sujet par le contre-Œdipe de parents névrosés et encore
infantiles, l’absence de ceux-ci ou leurs attitudes perverses
caractérisées. Ces difficultés surimposées aux sujets arrivés à l’âge
de résoudre leur complexe d’Œdipe et concernant leurs fantasmes
inconscients et leur affleurement à la conscience rendent parfois
impossibles la pose, le développement et la résolution de ce
complexe spécifique.

Résumons ainsi cette théorisation de l’Œdipe :

Les conditions libidinales endogènes théoriquement nécessaires à


l’atteinte du niveau de résolution du complexe d’Œdipe sont :
l’existence subjective des fantasmes des k 4 g » et l’existence
objective, en milieu social mixte d’âge et de sexe, de l’autonomie
pratique en ce qui concerne tous les besoins corporels du sujet et ses
libres initiatives les concernant.

L’observation des enfants en psychanalyse et des enfants en cours de


croissance nous montre que le terme de complexe d’Œdipe ne doit
être réservé qu’aux phénomènes sexuels conflictuels qui surviennent
après la constitution de l’autonomie de la personne de l’enfant dans
ses rapports d’entretien et de maintenance de son propre corps,
c’est-à-dire pour la fille quand elle sait vivre en société en l’absence
de sa mère et des soins maternels dont elle s’est sevrée d’elle-même
mais, surtout, quand elle sait consciemment qu’elle a accepté le fait
que le couplage des rapports sexuels procréatifs entre deux corps est
concerté entre deux personnes libres. Les conditions mêmes pour
que l’obtention de cette image du corps complet et géni-talisé se soit
constituée, impliquent toute une dialectique émotionnelle de libido
orale et anale (érotisme additif et érotisme soustractif) et un
développement physiologique et émotionnel que l’enfant des
hommes n’atteint qu’après un minimum d’épreuves angoissantes

135
La régression du patient et l’analyste

vécues dans son corps, épreuves synonymes pour lui de promotion


quand elles sont dépassées et qu’il en constate après coup la valeur
mutante dans ses relations à tout autrui des générations précédentes
à la sienne et des générations postérieures à la sienne dans sa
famille.

Cette phase œdipienne qui de sa pose à sa résolution ne devrait pour


une santé psychique de la femme ne durer que jusqu’à 8 ans
maximum, se prolonge parfois indûment du fait de l’impossibilité de
poser une de ses conditions (un des « g » ou l’autonomie effective de
conduite). Une des entraves fréquentes est la confusion subjective
des entrailles excrémentielles avec les entrailles utéro-annexielles.
Cette confusion est, d’une part le fait de l’angoisse endogène de
castration et de viol ressentie par la fille à cause de son désir de
l’objet incestueux relié à sa localisation génitale d’échange corporel
que la notion du tabou incestueux tant homosexuel qu’hétérosexuel
n’a pas éclairé par la verbalisation et elle est aussi, d’autre part, le
fait d’une relation souvent névrotique de la mère et du père de la
fillette jouant à son égard leurs positions œdipiennes résiduellement
non résolues5.

Après la perte des espoirs œdipiens, toujours narcissique-ment


éprouvante, le fonctionnement interrelationnel vivant créatif se
rétablit, mais un mode de vie est révolu. Une mort sexuelle à la
famille, après une mort sexuelle de ses parents pour l’enfant a été
vécue de façon irréversible sans qu’aucun être vivant prothétique
phallique maternel puisse en éviter l’épreuve endogène spécifique de
la croissance humaine, et c’est cette irréversibilité spatiale et
temporelle entièrement acceptée qui permet l’obtention du fruit de
l’expérience dénarcissisante mortifère qui porte le nom de résolution
œdipienne.

5 Voir au chapitre Ier, p. 87, supra : Observation de la fréquence de la non-


résolution œdipienne chez la femme et ses conséquences cliniques, l’homo –
et l’hétérosexualité concomitante et la contamination névrotique des
descendants.

136
La régression du patient et l’analyste

Une des épreuves organiquement perceptible et réflexivement


angoissante pour tous est la chute des premières dents ; elle
angoisse tous les enfants. Elle les fait mourir à un mode de sentir et
d’agir d’une zone érogène qui a été élective et qui est encore, entre 6
et 7 ans, très investie de libido. La chute des dents gêne pour
manger, pour parler et se faire entendre, parfois elle ridiculise,
toujours elle les enlaidit à leurs yeux dans le miroir. Il n’y a pas de
mère imaginaire ou réelle à qui régresser, qui puisse empêcher cette
épreuve réelle, sensorielle, organique et interrelationnelle.
Lorsqu’une denture définitive a remplacé la précédente, cette
expérience physiologique a porté son fruit physiologique et c’est
cette intégrité nouvelle de la bouche, après sa dévastation, qui est
par elle-même inconsciemment et consciemment une épreuve vécue
initiatique d’une angoisse triomphée, d’une zone érogène
archaïquement dominante, blessée puis rénovée, transfigurée. La
cicatrice ombilicale est une première expérience mutante, mais elle
est tout à fait oubliée ; la chute des dents s’inscrit comme une
semblable expérience mutante, mais cette fois consciente. Il m’a
paru, dans mes observations, qu’elle existait encore, présente dans
les rêves symbolisant la castration, plus chez les filles longtemps
nourries au sein que chez celles nourries au biberon. J’aimerais
savoir si cette observation est confirmée. Le sevrage oro-mamellaire
et la mère charnellement et expérimentalement phallomorphe pour
la zone buccale serait donc, pour la fille, dans l’arrière-plan du
renoncement génito-génital au père. Le premier phallus en image
formelle et fonctionnelle serait le mamelon perfusant, sa première
perception sensori-émotionnelle complémentaire formelle serait la
langue en U coaptée au palais et sa première condition de fonction
vitalisante serait la succion, le continuum muqueux oral des
muqueuses maternelles aux muqueuses de l’enfant serait le premier
mode de relations vivantes scandées par des sensations rythmiques
pulsatiles amorties sur un fond pulsatile entretenu, circulatoire et

137
La régression du patient et l’analyste

respiratoire, l’odeur de la mère, le premier langage de celle-ci pour


l’enfant.

III. – Le risque féminin et la dialectique phallique

L’enfant introjecte une manière de sentir dérivée du sexué que les


voluptés transitoires orales et anales ont préformé en référence à la
dialectique de fonctions complémentaires de zone érogène et de
l’objet partiel érotique présent-absent. Cette manière de sentir à la
phase d’intérêt dominant pour le sexuel génital, apparemment sans
liaison à des besoins, et sans autre but que le plaisir, est signalisée
par le partiel phallus qu’au sexe qu’il a ou qu’il n’a pas et qui fait
qu’il se sait un garçon ou une fille. Cette petite personne autonome
(dessinée avec une canne ou un sac contenant des biens
consommables) est, pour le « culturel oral » ou l’éthique orale,
représentée par la pipe, la belle cravate chez le garçon et le bon goût
des nœuds, des bijoux chez les filles.

En introjectant une éthique sociale à travers des médiateurs


référentiels culturels oraux de son sexe – par exemple le beau visible,
le bon goût, le bien parlé – l’enfant développe des qualités sociales
de personnes correspondant à l’éthique anale où tout échange juste
est un troc à sens utilitaire, où l’additif et le soustractif sont toujours
à lui profitables. Ce troc additif se porte au bénéfice de sa sexualité
diffuse dans et sur tout le corps mais ressenti clitorido-vulvaire dans
la solitude masturbatoire. Dans l’imaginaire, cette sexualité encore
non humanisée, est représentée par un objet à roulettes ou à pattes :
animal, camion, train, tous jouets que l’enfant tire, articulés à lui
d’une façon cordonale, dépendante de lui comme lui l’est à sa mère
et à son père, et plus tard, sur laquelle il s’asseoit, l’enfourchant
pour le localiser en son sexe.

Tout objet du désir libidinal, quel que soit le stade considéré, est
préfigurant le phallus, jusqu’au moment génital de la claire option
sexuelle pour la dominante érogène de l’ouverture attractive vulvo-

138
La régression du patient et l’analyste

vaginale, signalisée par l’ambiguë excitation phallique clitoridienne.


Cette dominance sexuelle génitale est orientée par le désir du pénis
masculin centripète valorisant, auquel se donne, orbiculairement
turgescent et castré, un sexe ouvert que son possesseur ne connaît
qu’indirectement par l’attraction de sa personne focalisée par le
phallus possédé par l’homme au lieu électif de leur disparité
corporelle.

L’enfant en arrive dans la dialectique sexuelle génitale phallique, au


désir de pénétrance effectuée ou subie – selon qu’il est garçon ou
fille – avec le réveil de l’angoisse de castration de style dental-oral
(morcellement) et de style expulsif lingual ou anal (séparation). (Sans
compter que si l’accouchement a été critique pour le fœtus,
l’angoisse de castration réveille une insécurité de toutes les images
du corps.)

Cette dialectique de pénétration voluptueuse centripète subie ou que


l’on fait subir centrifuge, réveille aussi l’angoisse de viol articulée au
naître, au « trop manger » oral, aux maux de ventre spastiques de
l’époque anale, à toutes les sensations trop violentes pour les
oreilles, pour les yeux (tics des yeux, surdité, bégaiement) et, chez
les filles particulièrement, une angoisse de viol du corps de la mère
auquel leur corps s’identifie, si elles osent imaginer une naissance
consécutive à la pénétration correspondant aux réalités biologiques
du coït.

L’importance chez les enfants des deux sexes, de l’angoisse de


castration et de l’angoisse de viol liée à la tentation génitale que
l’adulte suscite dans l’enfant, le situe par rapport au sexe : pénétratif
phallique chez le garçon, attractif phallique chez la fille.

C’est le phallisme urétral et non le phallisme anal du garçon qui va


dominer, car s’il a l’expérience des retours réguliers d’érection –
comme du retour régulier des excréments – il se sent conservateur,
gardien et maître du phallus grâce à la pérennité de ce sexe dans sa
forme flaccide pendant les intervalles des érections, alors qu’il n’a

139
La régression du patient et l’analyste

rien à l’anus pendant les intervalles des défécations ; il est moins


castré phallique devant que derrière.

Quant à la fille, l’angoisse de castration primaire suractive


l’investissement (plastique et sthénique) membré de sa personne,
l’angoisse latente se traduit chez elle très souvent par des gestes de
membres collés au corps. Dans les formes représentées, elle évite
que les prolongements phalliques des objets, membres des animaux,
branches d’arbres, bras des humains puissent être atteints par des
éléments supposés castrateurs : c’est dû à l’angoisse de castration et
de viol rapteur projeté de leur comportement actif oral sur toute
représentation phallique. Le mouvement des petites filles refermant
les bras sur leur poitrine, serrant les cuisses, refermant les bras sur
les poupées-fétiches du pénis paternel, fétiches de leur propre
boudin fécal, fétiches de leur phallisme oral (tous les discours,
monologues, psychodrames avec leurs poupées) et la protection des
seins encore absents, sont les gestes traduisant ces mécanismes de
défense à cette angoisse de castration grâce à laquelle elles se
sentent davantage filles.

Quant à l’angoisse de viol, chez le garçon comme chez la fille, elle


réveille toutes les sensations subies douloureusement trop fortes
dans les divers lieux réceptifs du corps, particulièrement dans les
lieux creux et sensibles : articulaires, auriculaires, oculaires et les
issues, limites cutanéo-muqueuses : bouche, anus, méat urinaire,
narines. Chez le garçon, l’investissement de cette angoisse de viol
provoque une image trouée de sa personne, en contradiction avec le
génie masculin qui l’habite et qui lui fait valoriser davantage tous les
investissements actifs et phalliques. Il investira donc de plus ses
comportements phalliques de personne et de sexe et sera obligé de
résoudre la situation œdipienne très tôt. C’est pour lui une économie
de libido narcissique s’il peut prêter à son père la responsabilité
causale de son renoncement au retour régressif (« marsupial ») à sa
mère ou au viol de sa mère dont le désir pour elle est tout à la fois

140
La régression du patient et l’analyste

revendicateur, récupérateur et destructeur du dangereux idéal


maternel. L’angoisse de castration relative à la personne du père est,
du fait de tout cela, une nécessité ainsi que l’imaginaire certitude de
sa présence incluse à celle de la mère.

Chez la fille, l’angoisse de viol valorise l’image phallique qui, dans


l’autre, lui donne de plus en plus de sensations aux zones creuses et
trouées de son corps, aux orifices muqueux, avec une terreur (qui
valorise sa féminité) de la pénétration au-delà de tous les anneaux
orbiculaires frontières surinvesties : orifice vulvaire et anal en
particulier.

Axé dans une dialectique phallique, possédant le pénis et cherchant


à l’enfouir dans les trous passifs de l’autre, ou ne possédant pas le
pénis et cherchant à l’attirer dans ses trous actifs, tel est le génie de
la dialectique phallique des sexes à l’âge œdipien.

Pour le garçon, l’objet électif est la mère et les parents féminins


proches qui intéressent le père et, pour la fille, c’est le père en tant
qu’objet de désir sexuel de la mère, s’il l’est (ou tout autre qui l’est).
C’est le père, plus que tout autre homme même s’il n’est pas objet de
désir de la mère et doublement s’il l’est, car il est représentatif du
style patriarcal que la société lui confère.

Après l’Œdipe résolu et la scène primitive vécue, la dialectique


phallique restera la même mais le renoncement à l’enfant de
l’attraction phallique incestueuse permet au sujet de surmonter les
plus grosses angoisses de castration et de viol grâce à
l’investissement d’une responsabilité des voies génitales, en
projetant dans l’avenir une séduction réussie, licite, sociale et une
fécondité humaine.

Pour que l’on puisse parler de libido génitale, il faut encore que le
don de soi à l’autre pour le plaisir de l’autre soit plus valorisé que la
promesse du plaisir à ressentir pour le sujet lui-même. La mutation
de libido post-œdipienne en libido génitale vraie n’est faite que
lorsque la libido narcissique de la mère se décentre et investit son

141
La régression du patient et l’analyste

enfant ou l’œuvre commune à elle et à son conjoint, non pas


possessivement mais oblativement. Ce qui veut dire, en permettant
par son comportement à l’enfant d’acquérir l’autonomie et de
librement accomplir son destin personnel et sexuel. Constituée
entière en assumant la passivité et l’activité de sa personne au
service de ce sexe à fonctionnement attractif mais passif par rapport
au pénis, la fille peut alors se développer vers une discrimination de
l’objet qui n’était pas possible tant que, n’ayant pas vécu la scène
primitive, chaque garçon porteur de pénis représente pour elle tout
le phallisme subjugant, d’autant plus attirant, que la fille veut
ignorer par refoulement le désir qu’elle a de son propre père et de
son pénis. Elle attend en le déniant ou en l’espérant, de la rencontre
de n’importe quel mâle porteur du pénis envié, la certitude d’être
femme. Après la scène primitive vécue imaginairement comme une
sorte de choc salutaire où sa tierce participation dynamique
d’incarnation lui est signifiée comme une tierce responsabilité
constitutive de sa vie avant que de s’être connue, elle sait dire oui ou
non à ce qu’elle désire parce qu’elle valorise la complémentarité
génitale à sa valeur de condition de sa responsabilité pour sa
personne identifiée à celle de sa mère, de toute femme et pour celle
du partenaire masculin identifié à son père. Elle peut dire non aux
demandes de ceux des garçons qu’elle ne désire pas soit de corps,
soit de cœur, soit d’éthique, en tant que compagnon de vie et père
d’une descendance éventuelle commune. Elle n’attend pas du seul
contact des corps le droit d’avoir un sexe, ni celui d’être une
personne. La connaissance du coït parental de la scène primitive le
lui a donné. Elle a introjecté sa mère sauf son sexe génital, son père
sauf son sexe génital et elle situe son Moi dans le devenir de sa
personne devenue sensée. À l’identification de sa mère et des
femmes, elle est motivée par son propre sexe féminin médiateur du
phallus, dans l’amour pour celui qu’elle choisit de se faire choisir,
comme vecteur de son désir et compagnon de vie. Tout pour elle est
définitif au moment de ce choix parce que le don d’elle-même qu’elle

142
La régression du patient et l’analyste

fait n’est valorisé dans sa dialectique sexuée féminine que s’il est
complet, engageant sa descendance et assumant à la fois le risque de
viol et celui de mort. La valeur subjective du phallus pour la femme
vient d’une rencontre à ce prix.

IV. – Le risque féminin et la dialectique imagière de la


rencontre : le corps et le cœur, le désir et l’amour

Les échanges créatifs corporels organiques sont des échanges de


désirs, toujours sexués avant que d’être sexuels. Les échanges
créatifs culturels sont des échanges émotionnels, toujours d’aimance
sexuée avant que d’être d’amour.

C’est quand les rapports de corps et les rapports de « cœur » sont


des recherches de corps à corps génital et de cœur à cœur personnel
qu’on peut parler de fixations amoureuses. La possibilité de les
éprouver commence très précocement. Elles sont toujours ressenties
dangereuses, trop additives (angoisse de viol, de mort) ou trop
soustractives (angoisse de castration, de rapt) pour le corps et le
cœur, selon une dialectique orale et anale dont elles sont issues et
contaminées.

Il n’y a pas de corps sans tête dans l’expérience vécue, il n’y a pas de
cœur sans sexe. Toute la vie prégénitale conduit l’être humain, à
l’insu de lui-même, à valoriser sa tête, son corps et ses membres
dans des rapports sexués que son cœur seul, gratifié ou frustré
d’émotions complémentaires, humanise par une hiérarchisation des
valeurs entièrement déterminée par une échelle verticale comme la
posture humaine spécifique de la dignité, allant de bas en haut, c’est-
à-dire de rien à bien mais aussi de haut en bas, de bien à mal. Je
m’explique. Les rapports de l’enfant petit à l’adulte grand montent à
lui et redescendent de lui. Ce que l’adulte reçoit est justifié bien. Ce
que l’adulte ne reçoit pas lui reste. C’est rien. Ce que l’adulte rejette
est mal. C’est au visage situé à la tête de l’adulte plus grand et plus
fort que lui que l’enfant par le jeu des issues ouvertes ou fermées,

143
La régression du patient et l’analyste

par le jeu signal (les mimiques muettes ou bruitées, harmonisées,


impassibles ou dysharmonisées, c’est par elles que l’enfant connaît
ce qui plaît ou déplaît à l’adulte et méconnaît ou rejette de sa
conscience narcissisée ce qui n’est pas ainsi reçu, ce qui sera venu
de l’adulte pour lui symboliquement humanisé, mal, bien. En miroir,
et par contamination énergétique d’origine complexe (cf. les
aveugles sourds-muets qui introjectent après identification aussi), le
petit humain est induit et contaminé de l’échelle des valeurs
comportementales et émotionnelles des adultes compagnons de sa
vie jusqu’à l’âge de la crise œdipienne.

À ce moment, l’enfant, siège d’introjection du corps, avec un sexe,


des valeurs éthiques de sa mère puis de son père, doit, pour naître à
sa propre individuation sexuée, vivre imaginairement, en s’identifiant
à l’adulte de son sexe objet du désir de l’adulte parental de l’autre
sexe, une scène conjugale dont l’imagination est insoutenable pour
une structure mentale liée à la représentation corporelle qui, elle,
est issue d’une dialectique encore actuelle où l’actif triomphe par
destruction partielle ou totale du passif aux stades oral, anal et
phallique. Pour le garçon, l’acte délibéré de l’initiative pénétrante
dans la scène conjugale sexuelle lui incombant, il est tenu d’y
renoncer délibérément, consciemment et inconsciemment.

Pour la fille, une fois constituée l’imagière existence prégénitale au


corps, toute son option d’aimance se fait imagièrement dans son
cœur au service de l’option à la satisfaction attractive attendue aussi
par son corps, la pénétration créatrice phallique du pénis du père et
le don à lui de son être, corps et cœur, dont la représentation imagée
attractive est le sexe de l’homme le plus valeureux qu’elle connaisse,
le père, ou l’homme que sa mère désire et lui enseigne à respecter.

Au nom même de son option d’attente attractive pénienne et de


survalorisation phallique du père, la fille peut demeurer dans ce
statu quo œdipien un temps considérable. Elle peut même renoncer
pour lui à l’échelle des valeurs qu’elle avait construite avec lui, ce

144
La régression du patient et l’analyste

qui se passe dans le viol incestueux de la fille par le père, pas si rare
que l’on pense. Le prestige du phallus est tel que la plupart des
femmes amoureuses adoptent toutes les opinions de leurs hommes.

La psychanalyse nous a appris que les rapports de corps, quels que


soient le mode sensoriel médiatisé ou non, de consommation
substantielle ou de perception subtile, et le lieu des contacts, ont
toujours servi symboliquement la relation interhumaine créatrice.
Tout échange interhumain ressenti par un des comparses porte fruit
de ressenti bon ou mauvais suivant que les pulsions actives ou
passives sont apaisées (le sujet est justifié) ou suractivées (le sujet
est soumis à une tension augmentée, c’est-à-dire qu’il est modifié).

La non-modification ou la non-justification par l’autre valable, c’est-à-


dire si l’autre ne satisfait aucun besoin, n’éveille ni ne justifie aucun
désir, le contact, l’essai d’échange correspond à une non-rencontre,
le sujet a été rien pour l’autre. Le sujet continue sa recherche ou, s’il
valorise beaucoup cet autre parce qu’il satisfait ses besoins sans
éveiller de désir, il est devenu un rien de son désir qui le fait se nier
narcissique-ment dans son sexe, et par les satisfactions de
dépendance pour ses besoins, lui fait nier l’existence de l’autre
comme personne libre ou lui-même en tant qu’être autonome.

Toute cette dialectique de la rencontre est valable dès l’origine de la


vie humaine (stades pré-génitaux).

C’est à partir de la notion de promesse à une fécondité par la


fameuse question concernant sa naissance ou sa descendance et
comment on contribue à transmettre la vie en tant que personne
pourvue du sexe féminin que commence, pour la fille, l’éducation
génitale, c’est-à-dire l’initiation symbolique aux correspondances de
désir et d’amour au service d’une fertilité responsable dans le lieu
survalorisé des sensations voluptueuses de son sexe creux.

Pour parler autrement, peut-être plus simplement, une tête, un


corps, bras et jambes, un sexe doivent marcher d’accord sans nuire
aux autres tête, corps, bras et jambes pour que cela fasse un être

145
La régression du patient et l’analyste

humain sociable, cette « bonne femme » telle que la fille se


représente (avec son sac à main allégorique de son sexe). Cette
petite personne qu’elle se sent être doit, pour subsister, être siège en
son corps actif et passif d’apports et de déports de mouvements
liminaires : les besoins nécessaires – ni bons, ni mauvais –
accessoires, les désirs bons ou mauvais selon qu’ils entraînent le
bien et le mal chez autrui. Leur effet modificateur de forme et de
mouvement sur les autres « bonshommes et bonnes femmes », les
personnes objets, est bon – mauvais – ou rien, le rien n’étant pas
créatif d’humain, reste au sujet à la « petite personne », siège de
désirs non perçus par l’autre. Non reçu par son semblable, ce qui
émane de son corps est nié par elle en tant qu’humain ; c’est
« rien ». C’est ce rien — ressenti a-humain – que le culturel va
combler, au bénéfice de chacune de ces personnes, petites ou
grandes, masculines et féminines, poussées par leurs désirs
immanents à leur vie, de se connaître au-delà de leurs besoins dans
leurs désirs et de se reconnaître semblables, après leur expression,
satisfaite si elle est reçue, ou non satisfaite si elle ne l’est pas, ou
encore revenant sur eux si elle n’est pas reçue. C’est par les
expressions de ses désirs et émois que l’être humain se fait connaître
en bien ou en mal afin d’exister responsablement et de fuir le rien
qui le néantise.

Le cœur est le lieu symbolique où nous situons nos émois. Le corps


est le lieu symbolique où nous situons notre Moi et c’est dans ce
corps aux formes limitées, aux issues délimitées que nous situons les
lieux des satisfactions de nos besoins et de nos désirs. C’est au
ventre, partie centrale du corps où la femme situe la fertilité qu’elle
désire et que son sexe appelle. Ventre et cœur sont si intriqués l’un à
l’autre dans la même masse ovoïde du tronc chez la femme, et si peu
différenciés aussi dans sa dialectique génitale que le don véridique
du cœur chez elle, aime à se compléter par le don de son corps ou,
plutôt par son abandon et que bien souvent elle se croit amoureuse

146
La régression du patient et l’analyste

d’une personne par le seul fait qu’elle désire recevoir son sexe en
elle.

Le cœur, siège symbolique des modes d’aimance, s’est élaboré au


cours des années d’enfance et de jeunesse, années de dominance
orale et anale et puis phallique, toujours relié à des relations de
corps, les unes pour les autres délimitées phalliques.

La perte de sensation des limites du corps de l’époque œdipienne tel


qu’il existe depuis la conquête de la station debout et de la marche,
la perte des limites extérieures dans les sensations de volupté qui
imposent une relaxation qui, spontanément, n’existe que pendant le
sommeil, modifie donc, pour la personne de la femme, les modes
émotionnels connus et référencés de son existence au monde.

En termes psychanalytiques, on peut parler d’une résistance qui


tendrait à jouer soit au niveau de la personne, soit au niveau du
corps devant l’imminence du premier coït avec un homme auquel elle
livre l’issue aux régions creuses de son sexe, inconnues d’elle-même.
Pour la femme chez qui le deuil du pénis imaginaire centrifuge, puis
le deuil de l’enfant imaginaire, pénis centripète du père, n’avait été
surmonté que grâce à la validité surcompensée de sa personne
sociale phallique ou grâce à une éthique d’intériorisation des affects
en un lieu inviolé, inviolable jusqu’au jour lointain encore de l’amour,
voilà que l’excitation par l’autre, confirme la castration non du
clitoris mais du schéma corporel prégénital et œdipien, synthèse
résiduelle des images liminaires existentielles statiques et de
fonctionnement de tous les stades et qu’il consomme le viol jusqu’à
son tréfonds de l’intériorité ventrale inconnue, bien en deçà des
régions palpables les plus enfouies.

La première qui lâche le contrôle est la tête, représentante capitale


de la conscience et du sens logique et critique inhibiteur au nom de
la raison, car tout est déraisonnable dans les affects de l’excitation
sexuelle. Puis ce sont les membres squelettiques incapables de
continuer leur étreinte toniquement phallique dès que l’excitation

147
La régression du patient et l’analyste

vaginale croît. Enfin, si la jouissance monte, disparaissent les


références même de ce qui faisait le corps pour l’autre et soi
(l’extérieur) et le corps pour soi (l’intérieur), de ce qui faisait le cœur
qui aimait sans contact et le sexe qui cherchait le contact. On
comprend qu’une telle irruption déréalisante soit ressentie
menaçante de toutes les références de vie, c’est-à-dire menaçante de
mort.

C’est de la hiérarchisation narcissisante de ces références


perceptives répétées et imaginairement conservées dans la mémoire,
que s’était construite éthiquement la prépersonne de la fille, à
l’époque du nécessaire concours de sa mère gestante, porteuse puis
soignante, pourvoyeuse et convoyeuse.

C’est de la coordination de ces images éthiques et des perceptions


expérimentées au monde et aux êtres humains, après l’époque de
l’autonomie des comportements, que la personne de la fille, dans son
adaptation sociale à son sexe, se construit morale, c’est-à-dire
maîtresse et responsable de ses comportements actifs ou passifs
toujours ressentis « bien » lorsqu’ils sont agréables, utiles et
structurants pour l’individu et pour le groupe social dont il fait
partie, « mal » s’ils sont désagréables, nuisibles et dissolvants pour
l’individu et pour le groupe social dont il fait partie dans le cas
contraire.

Quant au représenté cœur, après une accélération de ses


battements, parfois violents, au cours de l’excitation, il est, lui aussi,
subjugué et anéanti. Or, ce « néant », ce rien que doit risquer la
femme dans le coït, c’est ce qu’elle a eu le plus à craindre au cours
de son éducation. Pour peu que ses émois de cœur ou de sexe aient
été très violemment humiliés au cours de sa vie virginale, le danger
du don d’elle-même s’associe inconsciemment à la perte de sa valeur.
C’est peut-être la raison de la fréquente frigidité primaire des jeunes
filles. C’est sûrement la raison de la frigidité secondaire aux
déflorations mal faites, non précédées de jeux verbaux ou corporels

148
La régression du patient et l’analyste

ludiques et affectueux, sans l’amour de la personne de l’homme et


qui, alors, lui paraît dans le coït n’être motivé que par le rut. Il en est
de même des rapports sexuels conjugaux ressentis comme des abus
de confiance sinon des viols du fait du manque de formation
culturelle, sexuelle et érotique du mari, de son inhibition
émotionnelle dont triomphe son seul besoin de décharger, confondu
pour lui, tout innocemment avec la preuve de son amour très souvent
authentique mais qu’il ne sait pas médiatiser dans un climat, de
plaisir aux jeux interpersonnels et sexuels et surtout, pas faire suivre
de propos affectueux par-delà sa satisfaction érotique obtenue.

Cette constitution des références hiérarchisées du cœur et de celles


du corps est difficilement articulable pour la fille à chaque étape de
son évolution, à l’axe topique homogène. La cause en est l’absence
hors du perceptible pour elle d’une référence aux perceptions de
l’autre que le phallomorphisme seul permet dans une dialectique
signifiée sexuelle, et le phallisme dans une dialectique signifiée
éthique.

Les mots n’ont pas pour les femmes le même sens que pour les
hommes et les mêmes mots pour deux femmes n’ont pas non plus le
même sens, lorsqu’il s’agit d’émois sexuels et émotionnels se
rapportant au désir. C’est ce fait qui est, à mon sens, la cause de ces
choix et de ces fixations objectâtes génitales à proprement parler
insensés auxquels nous assistons chez les femmes, cela parce que
dans l’intimité des échanges sexuels « rien ne ressemble plus à
rien » et que, si les sensations voluptueuses seules qu’apporte
narcissiquement le sentiment d’aimer qui la désire ou de désirer qui
ne l’aime ni ne la désire sont recherchés en référence à cette
absence de référence éthique, la voie est ouverte pour le désir le
plus absurde, le plus abscons (le plus a-privatif de toute signification
pour elle-même et pour autrui) dont le désir pervers est encore un
moyen de défense phallique contre ce danger féminin.

149
La régression du patient et l’analyste

La femme génitale plus encore que l’homme, est source par nature,
de pulsions de mort, attractivement narcissiques, au moment de
l’angoisse de castration primaire, attractivement narcissiques encore
au moment de l’angoisse de viol liée au désir et encore
attractivement objectales au moment vécu du don génital de sa
personne, de son corps et de son narcissisme, c’est-à-dire quand son
unique amour coïncide vitalement avec son unique désir.

Conclusions

I. – La différence au stade physio-psychologique de relations


génitales entre les hommes et les femmes

peut être étudiée dans la subjectivité différente ressentie dans leur


image de puissance réunifiée post-coïtale

L’homme. – L’homme qui a éprouvé du plaisir est réunifié


narcissiquement à son image totale de corps propre, réconcilié avec
son impuissance intercoïtale solitaire, c’est-à-dire réconcilié avec son
sexe flaccide, appendu, à son corps phallique. Il peut ne pas aimer
électivement par le cœur la femme par laquelle il a éprouvé ce
plaisir, cela n’infirme pas ce plaisir de s’être comporté dans sa
totalité imagière existentielle narcissique et spécifique de son
espèce. La femme, dans ce cas, est pour lui, pendant le coït, un objet
partiel qui le réunifie, la possédant sthéniquement dans son corps
phallique et la pénétrant phalliquement en son intérieur avec son
pénis érigé, dent, palpe, membre pour sa forme subjective statique,
jaillissement pour sa forme subjective fonctionnante (image de corps
du garçon oral, anal, urétral et génital). La femme quelle qu’elle soit,
pendant l’acte sexuel lui présentifie son pouvoir.

Si la femme donne à son partenaire les preuves, médiatisées à ses


sens de perception, qu’elle a éprouvé, elle aussi, du plaisir au cours
du coït, outre la réunification narcissique de son corps somatique
phallique, l’homme éprouve la sensation d’un accord interpersonnel

150
La régression du patient et l’analyste

relativement au plaisir, symbolique alors d’un troisième terme, il a


fait jouir une femme, il l’a refaite femme.

Il peut arriver que l’homme soit jaloux du plaisir éprouvé par sa


partenaire, plaisir dont il n’est pas certain qu’elle le doive à sa
propre personne actuelle exogène à elle mais à son expérience
endogène éprouvée ailleurs et seulement répétitivement éveillée en
elle. C’est l’origine du désir électif de certains hommes pour les
femmes de rien, inexistantes sans eux (Pygmalion), pour les femmes
vierges et qui, parfois, quand ils les ont déflorées, surtout si c’est la
difficulté d’y arriver qui excitait leur désir, ne sont plus pour eux,
quand elles ne se défendent plus d’eux, que des objets cassés,
symboliques de leur propre castration œdipienne non acceptée (Don
Juan). C’est aussi l’origine du désir des hommes pour des femmes
frigides avec tous les hommes ou qui doivent se dire telles pour leur
plaire afin de leur donner le piment excitant qui les fait
« s’acharner » comme me le disait l’un d’entre eux attiré seulement
par les femmes frigides, sortes de vierges à dévirginiser sur le plan
d’un plaisir qui leur serait dû pour la première fois à eux seuls,
plaisir prometteur pour eux d’une plus-value phallique sur tous les
hommes que ces femmes ont connus.

Bref, cette électivité pour le troisième terme plaisir de la femme à


s’adonner à soi-même et non à lui donner pour elle-même, me paraît
plaider en faveur d’une castration symbolique de plaisir passif anal
non résolue, ou d’une image du corps de l’époque du stade anal actif
non renoncée. Il est probable qu’au moment de l’époque de la pose
des forces génitales conflictuelles œdipiennes, la rencontre
émotionnelle du père phallique, dans une scène de séduction rivale
de la mère a fait fantasmer une scène primitive vécue dans la non-
acceptation, pour le garçon, de l’existence valorielle du vagin
féminin rival ridicule mais dangereux et triomphant, et ce n’est pas
seulement le pénis mais l’issue ano-rectale du garçon qui, dans la
compétition engagée avec sa mère essaie de son pouvoir attractif sur

151
La régression du patient et l’analyste

le père. Chez de tels anciens petits garçons, des coïts avec des
femmes extra-conjugales à l’époque génitale adulte doivent alors,
par la gratification de puissance anale liée au plaisir non fertile,
surcompenser la blessure narcissique qu’est pour eux, le fait de
donner des enfants gratifiants et rivaux dans son amour à leur
femme légitime, dans des coïts orgasmiques ou non pour elle.

Lorsque les hommes sont restés marqués de l’angoisse de castration


anale mortifère que représente l’acceptation que c’est du ventre des
femmes que sortent des enfants vivants et jamais du corps des
hommes (angoisse de castration phallique anale primaire du garçon
datant du stade phallique anal du garçon en relation à la mère ou au
père, patente chez tous les obsédés et les homosexuels), ils
présentent un désir électif pour les femmes frigides ou non, fétiches
de trou rectal fécond, qu’ils s’adornent par les liens du mariage
parfois ou par la reconnaissance légitime d’un enfant qu’ils leur
« font » pour le rapter légalement, et, le confiant à leur lignée
maternelle ou paternelle, guérir ainsi émotionnellement leur
blessure narcissique de la fixation encore actuelle homosexuelle à
leur père ou celle de leur fixation phallique orale, anale ou urétrale
encore à leur mère.

Voici tout ce qui, subjectif à l’homme dans son désir pour la femme,
joue pour rendre la rencontre génito-génitale des corps
narcissiquement et endogènement valable indépendamment de toute
rencontre émotionnelle interpersonnelle et qui fait que, pour un
homme, tout coït somatiquement réussi est une confirmation
phallique narcissisante. On peut même dire que toute pénétration
pénienne d’un corps (masculin, féminin ou animal) par une issue du
corps du partenaire qui, dans son propre corps a été érotisée ou l’est
encore et qu’il peut projeter dans le corps de l’autre, apporte
narcissiquement ce fruit phallomorphe réunifiant.

152
La régression du patient et l’analyste

Il m’a paru indispensable d’éclairer par cette rapide étude la


subjectivité masculine liée à l’acte sexuel avant d’engager l’étude de
ce qui fait l’originalité de la subjectivité féminine.

La femme. – Le désir chez la femme, pour se manifester


conformément aux nécessités fonctionnelles du coït, dans la zone
génitale de son corps, présume que son sexe creux ait été justifié à
l’époque orale et anale en dépit du danger de castration que, par
l’investissement oral de son vagin elle risque d’infliger à l’homme
dans le coït et du danger de viol qu’elle risque d’en subir elle-même,
pour la part d’investissement anal phallique centrifuge dont elle a pu
investir son sexe6

Ce désir polarise l’appel attractif d’un pénis centripète valable en


tant que plus puissant que ses options destructives qui peuvent avoir
polarisé ce désir contaminé de libido anale dans la zone orbiculaire
vulvo-vaginale. Il permet à la femme de se faire subjectivement une
image unifiée phallique de sa personne selon la dialectique de
l’attente unifiante phallomorphe polarisante génitale de l’objet
phallomorphe polarisé homologue, et une image de l’issue sexuelle
creuse, érotisée comme lieu d’attente de la rencontre
complémentaire.

Ce fonctionnement interphysiologique et imagier du coït ne nécessite


pas, chez la femme, la résolution œdipienne mais seulement
l’acceptation depuis l’époque prégénitale, d’un atermoiement de
satisfaction et d’un transfert de dépendance parentale à son
partenaire. Les composantes érogènes fantasmées de sadisme

6 Ce type d’investissement et de l’image du corps qui en est concomitante est


la cause des accouchements si douloureux qu’on qualifie d’accouchements
par les reins. Les poussées parturiantes se dirigent subjectivement par
derrière en bas, au lieu de se diriger subjectivement par rapport à l’image du
tronc (selon l’anatomie) par devant en remontant, l’axe du corps du fœtus
tendant à devenir, après la déflexion de la tête et du tronc, à la sortie des
voies génitales de sa mère, d’abord perpendiculaire puis parallèle à l’axe du
corps de sa mère (si le poids de sa masse ne le faisait tomber).

153
La régression du patient et l’analyste

dévorant sur le sexe du partenaire ne sont pas visiblement


conflictuelles ; elles ne le sont qu’en cas de grossesse car le fruit
étant homologue, la femme est le théâtre d’une culpabilité
narcissique entraînant les vomissements incoercibles. Si ce sont des
composantes masochiques ou sadiques anales qui dominent, hors de
la gestation, ce sont les intercoïts qui sont occupés de douleurs
psychosomatiques de son ventre, ses grossesses seront
douloureuses, à type défécatoire morbide d’éclatement, de viol
centrifuge, mais non les coïts. Ces accouchements
psychopathologiques laissent des traces profondes dues aux
projections maternelles à l’époque symbiotique et dyadique, dans la
structuration narcissique de l’enfant qui est né de ces viols
catastrophiques de leur mère, et très particulièrement si ce sont des
filles.

Chez la femme, le soin de la présentification de sa personne comme


objet phallique promu au rôle attractif pour le mâle se fait par
transfert de libido orale et anale sur son corps en tant que signal ou
langage de son sexe, donc narcissique pour son image, pour l’autre
comme miroir, lorsqu’elle s’identifie homosexuellement à l’homme
qu’elle brigue d’intéresser à sa personne. Le transfert de cet intérêt
se fait culturellement sur la toilette, soins de corps et vêtements.
L’homme ne connaît cela que peu et à l’époque adolescente de son
évolution génitale, quand il est encore peu sûr de sa combativité
sociale valable, de son audace vis-à-vis des filles, de son pouvoir
érectile et pénétrant pénien puissant. Son honneur narcissique, c’est
son sexe envié pour ce qu’il est érectile et, surtout, pour ce qu’il est
efficace à éclipser activement les rivaux, puis à œuvrer activement
dans les femmes séduites. Aussi, arrivé à sa pleine puissance
génitale endogène adulte, l’homme bien que narcissique, n’éprouve
plus grand intérêt aux soins de séduction passive à sa personne mais
il soigne sa réputation de prouesses phalliques hétérosexuelles et

154
La régression du patient et l’analyste

combatives homosexuelles où ses propos imagés lui confèrent


toujours le rôle actif.

La femme, au contraire, si elle n’est pas centrée dans sa personne


par l’intérêt de l’homme qu’elle veut attirer, se sent veuve avant
d’avoir été mariée – elle a été veuve en effet, de son père et
bréhaigne de leur enfant incestueux, elle a été auparavant veuve de
sa mère et châtrée par elle (approuvée par son conjoint) de la
protrusion formelle signalisant ses désirs génitaux ; elle éprouve en
son sexe des options que jamais ne confirme aucun signe autre que
ce sang menstruel signifiant l’infertile béance de sa personne non
fécondée. Qu’elle la leur cache donc par le balancement narguant de
ses hanches, par le ballonnement attractif de ses seins, par la grâce
exposée ou voilée de sa taille où se signalise, par sa finesse ou son
mystère, sa disponibilité matricielle provoquant les palper et les
enlacements masculins, par son costume qui masque à demi ses
formes, par son visage dont les issues érogènes sont ornementées et
attractives, par ses regards aguichants, par ses fuites feintes après
que la proie masculine se soit montrée touchée à distance.
L’attractivité exorbitante émotionnelle qui accompagne la
valorisation de ce phallus doublement formel qu’est un homme, peut
rendre une femme jalouse de toutes les femmes qui, antérieurement
à elle, ont attiré cet homme ou qui actuellement l’intéressent aussi
bien dans leur personne culturelle que dans un but de conquête
sexuelle. C’est comme si elle éprouvait de ces fantasmes, une
réactivation du manque de puissance phallique. Elle en éprouve
douloureusement une avidité, rémanente de sa blessure narcissique
œdipienne, de retirer de cet homme la puissance et la séduction de
son sexe dont elle veut se faire, elle seule, la possesseuse. Elle veut
la certitude, par sa présence formelle à ses côtés, d’une
complémentation phallique qui est sensée signifier son propre
pouvoir de séduction. Elle veut obtenir l’exclusivité de cet homme,
de sa personne, de son sexe, de sa valeur sociale, de sa puissance

155
La régression du patient et l’analyste

anale, de son admiration, de ses hommages, de sa fécondité, bref de


tout ce qui, pour elle, a valeur phallique. C’est probablement la
raison endogène de ce jugement général des femmes concernant la
personne des hommes avec qui elles ont des relations émotionnelles
liées à des relations de corps : les hommes sont égoïstes, ils ne
pensent qu’à eux-mêmes, alors que ces mêmes femmes ne pensent
aux hommes que pour leur prendre tout : leurs affections, leurs
amitiés, leurs enfants, leur argent, les priver de toute joie qu’elles ne
surveillent, de leur liberté de mouvements et d’options hors de leurs
moments de rencontres sexuelles avec elles, au cours desquels
(toutes ces femmes le disent), le plaisir que l’homme prend est
parfaitement égoïste !

Le désir vulvo-vaginal des femmes dans ce qu’il a de référencé à leur


libido narcissique orale et anale est castrateur du pénis, rapteur de
son exprimé jaillissement spermatique, adorneur d’enfant fétiche de
bonne denrée alimentaire7dont elles feront, à retardement parasitant
si le mari est bon fécondateur, une bonne denrée excrémentielle,
l’enfant beau et bien « fait » et toujours plus ou moins fétiche de
ballon vésical bien plein turgescent, sinon de ballon mamellaire
gratifiant phallique envié par les autres, sinon de chose bien moulée
sortie d’elle bien polie, bien propre, bien sage, bien perroquet et
honorant leur contenance palpo-phallisante extrapolée de l’utéro-
rectal. Tout ceci le plus possible à distance émotionnelle des
personnes de leur conjoint et de cet enfant dont elles ne ressentent,
captatrices qu’elles sont ou rejetantes, que leur égoïsme
dénarcissisant pour elles ou la liberté de mouvement et d’option par
lequel le génie proprement sexuel prégénital de leur enfant, fille ou
garçon, et le génie masculin se manifeste dans l’homme
authentiquement génital et authentiquement couplé à sa femme.
Elles jugent leurs conjoints odieux, incompréhensifs qu’ils sont des
« sacrifices » qu’elles font à leur « intérieur » et aux enfants qui,
dans leur relation à elles naturellement, ne peuvent, en cherchant
7 Le bébé de concours.

156
La régression du patient et l’analyste

leur autonomie à coups de troubles de caractère, que leur paraître ce


qu’elles les ont induits à être, des excréments qui se défendent d’en
être. (Ces caractéristiques génitales narcissiques, dont ce tableau est
à peine caricatural, sont différentes chez l’homme, époux et père
narcissique. Cela est sans doute dû au fait que sa génitalité,
lorsqu’elle porte fruit, assiste sa compagne mais ne geste pas
l’enfant, instruit et forme l’enfant à la société par la correction
paternelle castrante et le soutien du Moi social valeureux alors que
la femme porte son fruit en cachette et le construit dans sa forme
individuelle.)

Vu par de telles femmes, leur conjoint ou leur partenaire sexuel se


devrait, tels la mère et le père réunis à l’époque orale et anale, de les
porter socialement, les nourrir, les vêtir, leur procurer du plaisir, les
montrer en public comme leur phallique signification et leur laisser à
dominer et posséder les enfants-choses parthénogénétiques qu’elles
ont conçus, accouchés, nourris, soignés possessivement, fétiches de
l’amour d’elle-même dans la personne de l’homme admiratif qui leur
a servi de vivant miroir grâce auquel elles se connaissent mais
qu’elles méconnaissent.

De telles femmes ne sont pas toujours frigides. Elles éprouvent des


orgasmes nymphomanes de style masturbatoire camouflé, avec le
morceau de corps que l’homme met à leur disposition, surtout si
elles rencontrent des hommes qui désirent des femmes-enfants à
plaisir clitorido-vulvaire et cutané diffus sur tout le corps, et en
particulier aux mamelons et aux seins, dont la masturbation, dans
l’enfance, est liée à celle du clitoris et à des émois fantasmés sado-
masochistes, des femmes passives ou masochiques sexuellement,
totalement dépendantes en échange-troc de leur totale ou relative
impuissance phallique industrieuse et sociale.

Elles sont frigides parfois avec leur conjoint socialement gratifiant si


elles ont des raisons de penser que leur jouissance serait gratifiante
pour l’homme et ne le sont pas avec leurs amants auxquels elles

157
La régression du patient et l’analyste

prennent ce troisième terme plaisir en compensation de la puissance


phallique argent ou enfant qu’elles ne lui soutirent pas. Bref, leur
relation endogène à leur mari sont ambivalentes, agressives
émotionnelles et passives corporelles, passives émotionnelles et
agressives corporelles si la zone érogène pénienne du mari est
fétichiquement élue et plus encore si la dépendance sociale à lui a
permis le transfert à son égard de la dépendance situationnelle à ses
parents dans sa jeunesse.

C’est en effet stupéfiant de voir la vie émotionnelle et sexuelle des


humains de notre civilisation européenne de plus en plus arrêtée
avant la résolution de l’Œdipe ou régressée à ce stade (après une
tentative d’escapade à deux, la « fugue » ratée du voyage de noces).
La situation œdipienne est, chez l’adulte, déplacée des géniteurs
tabous et périmés, sur des contemporains, patrons ou supérieurs en
réussite sociale ou sexuelle. C’est le style courant des relations
affectives et sexuelles. Cette situation œdipienne continuellement
remise en question avec des pions guignolesquement variés, alterne
avec (ou s’intrique à) une sexualité érotisable à n’importe quel
contact, érotisation sans référence à la personne possédant le corps
fétiche, et à la persistance consciente ou non de relations
passionnelles prégénitales avec les géniteurs, les collatéraux et les
engendrés et avec les contemporains des deux sexes.

C’est bien là toute l’instabilité de la vie sexuelle œdipienne, menacée


de castration valorisante pour l’homme, de viol valorisant pour la
femme et d’une présence implicite ou explicite rivale menaçante.

C’est cette intrication de relations d’objet œdipien qui fait le style


érotique soi-disant génital de notre culture ; je dis soi-disant génital
parce qu’il n’y a de génital que la zone érogène. Il semble que les
conditions d’une actualisation de situation de transfert préœdipien
ou œdipien chez l’adulte sont nécessaires et suffisantes à l’obtention
de volupté orgastique de décharge nerveuse physiologique
réconfortante et narcissisante pour l’homme, parfois aussi pour la

158
La régression du patient et l’analyste

femme, et inutiles même pour celle-ci, suffisamment valorisée qu’elle


se trouve par sa possessivité légale revendicante de ses droits à
l’égard de la liberté d’option et d’action de l’homme et de celle de
ses enfants, ses fétiches phalliques au service de ses désirs
homosexuels directs ou indirects.

Toute cette étude de conditions endogènes essentiellement et parfois


exclusivement narcissique d’une vie hétérosexuelle manifeste chez
l’homme et chez la femme nous montre que dans le contexte social
de notre civilisation, et quel que soit le niveau social observé, le
fonctionnement génital dans le coït et dans ses corollaires
émotionnels narcissiques et ses conséquences sociales peuvent
exister, la maturité physiologique étant atteinte pour le corps, en
dépit d’une relative résolution œdipienne chez l’homme et d’une
absolue non résolution œdipienne chez la femme.

Quant aux liaisons homosexuelles avec les contemporains,


conscientes ou inconscientes, il faut bien dire que celles qui sont
conscientes et assumées émotionnellement et érotiquement
impliquent souvent davantage les deux personnes humaines et les
deux sexes des éléments du couple, et, de ce fait, portent des fruits
symboliques culturels plus valables que ne le sont les fruits, les
enfants et les œuvres, des relations hétérosexuelles courantes.

C’est peut-être parce que, à ce niveau général de l’évolution


libidinale où la situation œdipienne inconsciente est partout
valorisée dans les romans, le théâtre, la vie, le fait d’affirmer en
l’assumant, une option sexuelle en opposition au consensus social
(pour lequel le guignol des corps apparemment couplés selon la
complémentation morphologique sexuelle suffit à rassurer), c’est
peut-être parce que la non-fécondité génitale (cette triste ou fatale
fécondité subie et qui « dédouane », si j’ose dire, les unions
interpersonnelles et intersexuelles les moins valables oralement,
analement et génitalement) pousse deux personnes du même sexe
qui s’entr’aiment sans fécondité corporelle possible, à créer

159
La régression du patient et l’analyste

trinitairement, à donner la vie à une œuvre qui, sur un plan


symbolique, est génitalement conçue de façon souvent plus
authentique que bien des enfants de chair nés de coïts rapaces ou
sado-masochistes (avec ou sans orgasmes).

Quoi qu’il en soit, l’important ici est de souligner :

1° Que les orgasmes clitoridien, vulvaire et vaginal ne sont pas du


tout signifiants de l’accès à une libido génitale mais seulement d’un
investissement narcissique oral et anal déculpabilisé (« ça avale et ça
sert » donc c’est en règle) des voies génitales du sujet féminin
observé ;

2° Que la fixation érotique à une personne de l’autre sexe n’est pas


en elle-même signifiante d’un amour génital au sens émotionnel du
terme, que l’intérêt émotionnel à la progéniture n’est pas un signe en
lui-même d’un amour objectal génétique de style génital, que toutes
ses fixations érotiques ou émotionnelles peuvent être narcissiques et
qu’à notre connaissance, elles sont, clans notre société, presque
toujours organisées par ou pour le narcissisme du fait de l’absence
presque totale d’éducation sexuelle et d’exemple trop rare du sens
génital de la structure du couple que forment les parents pris comme
modèles.

II. – Caractéristiques de l’amour génital de la femme

On peut certifier que l’amour au sens émotionnel et génital du terme,


d’une femme pour un homme avec qui elle a des relations sexuelles,
n’est tangible pour elle, de façon endogène, que s’il est le sens de
son attraction phallique par-delà l’indépendance matérielle, par-delà
l’éloignement dans l’espace, par-delà la bonne entente émotionnelle
symbolique phallique médiatisée et créatrice qu’elle entretient avec
les adultes des deux sexes qui l’entourent et qu’éventuellement, elle
peut désirer. Ce mode génital d’amour n’est pas nécessairement
ressenti pour un homme avec qui les coïts sont orgasmiques
conscients pour la femme, ni pour un homme qui a l’exclusivité pour

160
La régression du patient et l’analyste

elle de lui procurer des orgasmes. La qualité de sa valeur subjective


phallique vient du désir répétitif qu’elle a de se donner à lui et non
du plaisir local qu’elle en éprouve.

On peut aussi certifier que l’amour, au sens émotionnel et génital du


terme, d’une femme pour un homme qui l’a fécondée, ne se ressent
pas pour elle, de façon endogène, au sentiment de culpabilité
narcissique qu’elle aurait à le tromper en éprouvant un désir sexuel
satisfait ou non avec un autre homme (et qui relève toujours d’une
angoisse de castration ou de viol articulé à la situation conflictuelle
œdipienne), mais au sens qu’elle donne à consacrer ses forces
libidinales de personne à l’épanouissement de l’œuvre culturelle de
l’homme qu’elle aime et de ses enfants – qu’ils soient conçus par une
autre femme ou qu’ils soient conçus par elle.

Lorsqu’il s’agit de ses enfants, l’amour maternel qu’elle leur porte,


elle le porte narcissiquement de façon excentrée hors d’elle-même au
témoignage de la personne du géniteur de ces enfants tout au long
de leur éducation (qu’elle reste elle-même génitalement ou non
couplée dans son sexe au sexe de leur père) à travers le truchement
concerté de sa propre personne. Cet amour maternel, elle le porte à
des personnes originales et respectées comme telles, celles de ses
enfants, qu’elle conduit à l’expression émotionnelle féconde et
sociale valable de leurs libres options créatrices intrinsèques,
heureuses qu’elles sont de leur bonheur même s’il doit les éloigner
spatialement, esthétiquement ou éthiquement, prêtes qu’elles sont
par-delà le hiatus spatial et temporel, à un investissement d’amour
grand’maternel génétique à la deuxième et troisième génération.

Il n’y a pas pour la femme comme pour l’homme somatiquement et


génitalement adulte, de sens rémanent narcissique phallique de sa
personne à se joindre génitalement dans des transferts polyandres à
n’importe quel homme, comme ceci peut exister pour l’homme si
fréquemment polygame, ni à valoriser des sensations génitales
comme des prouesses, car le plaisir du coït, en lui-même n’est pas,

161
La régression du patient et l’analyste

pour elle, phallisant. Passé le moment du coït, pendant lequel son


corps et le corps de son partenaire ne font qu’un, et son désir excité
est momentanément satisfait, la femme se retrouve appauvrie,
émotionnellement non gratifiée, si son cœur n’est pas épris
valoriellement de la personne de son partenaire. Cela signifie que
plus que sa jouissance physique au moment du coït qui
s’accompagne pour elle toujours de plaisir émotionnel, elle désire
croire en lui, en la valeur inatteignable et secrète de son cœur.

Ce qu’elle désire ainsi, médiatisé par les corps, est symbolique pour
elle de son propre et inaccessible lieu de plaisir dont l’ouverture et
même ses profondeurs corporelles, dans ce qu’elle peut en éprouver,
ne peuvent jamais dans leur don maximum signifier l’immense et
phallique puissance qui, dans l’amour, la bouleverse au sens propre
du terme parce qu’il la déréalise. La pensée de l’aimé réveille
toujours en elle l’épreuve de son impuissant amour, car elle n’a
encore à ses yeux jamais su rien lui donner, à part ses forces, ses
enfants, en échange de cette gratification que c’est pour elle, femme,
d’avoir un homme vrai, pas un rêve, à aimer en silence, à son insu,
d’en être entièrement et symboliquement sensée par l’attraction
polarisée de son cœur, de sa personne et de son sexe creux dans
lequel, grâce à lui, son désir pour lui demeure de façon ressentie
endogène et dont la phallique puissance rayonnante l’habite
symboliquement, cela indépendamment de toute satisfaction
corporelle érotique spatio-temporelle par la confiance qu’en elle-
même elle lui porte, qui la tient vivante et féconde dans tous ses
instants, dans ses plus humbles occupations pragmatiques qui, des
soins de son corps aux soins des enfants en passant par les soins à
leur foyer, deviendraient stérilement obsessionnelles si lui ne leur
donnait leur sens au-delà des sens.

C’est ce conditionnement émotionnel et génital corporel de la femme


qui explique, dans toutes les civilisations, la spécificité des vierges et
des veuves de toutes époques, qui ont transféré leurs désirs sur la

162
La régression du patient et l’analyste

personne imaginaire de Dieu (ou d’un dieu), immanence phallique, à


travers les soins attentifs donnés pour lui à une œuvre dont elles
sont les esthétiques gardiennes et gestantes légales soignantes
sociales des humaines faiblesses dans un détachement érotique vrai
et chaste, don qui confère le rayonnement heureux que l’on sait aux
vocationnées pauvres de toute possessivité, riches de toute leur
« oblativité » pour un objet jamais obtenu, toujours désiré, présent
symboliquement pour elles par l’œuvre à laquelle elles se consacrent
et qui est porteuse de la signifiance de leur amour et lui donne son
sens humain vivant.

Je pense que certains cultes de vierges païennes obéissent aux


mêmes lois de la libido génitale dans son destin féminin de chasteté
vocationnée. Je pense aux actuelles geishas qui, quoique œuvrant
avec leur sexe sont chastes dans le culte qu’elles entretiennent. Si
leur option génitale est consciemment valorisée et authentiquement
renoncée dans toute phallique représentation humaine, et que leur
érotisme corporel, pourtant existant dans ses désirs mais renoncé du
fait de l’a-temporalité et de l’a-spatialité de leur objet, l’œuvre à
laquelle ces femmes adultes consacrent leur génitalité obéit aux lois
de la dialectique génitale car elle est symbolique de leur don du
cœur à l’Esthétique dans un au-delà d’œuvre de chair qui y est
symboliquement incluse.

Cette pseudo-oblativité du stade génital, qui aux yeux des témoins


paraît une authentique oblativité « désintéressée », parce qu’elles
sont des êtres de dévouement, est, en fait, la preuve que la
dialectique génitale (toujours de nature libidinale érogène
symbolique même dans les amours entre deux humains corporéisés)
porte son fruit hors des corps présents dans une existence temporo-
spatiale ; dans ce fruit se décentre puis s’excentre totalement le
narcissisme de la femme aimante. Cette puissance d’effectif
dévouement, lui aussi chaste et soumis aux règles qui le délimitent,
est un érotisme génital sublimé. Elle est le fruit de la joie

163
La régression du patient et l’analyste

d’appartenir à la puissance phallique déréalisée relativement au


corps monopersonnel d’un humain et dévolu à la puissance
impersonnelle phallique, présentifiée dans un leurre socialisé ou
rituel, plus consciemment admis comme leurre que dans les amours
objectaux érotisés. Cette joie, si elle est vraiment génitale,
symbolique de la rencontre impersonnelle phallique à travers le don
de leur personne et de leur cœur, porte, chez certaines d’entre elles,
à une fécondité symbolique et à un rayonnement maternel créatif (il
y en a de stériles symboliques, mais y en a-t-il plus que chez les
femmes charnellement mères ?). Toutes ces femmes heureuses (et
non masochiques) d’avoir mené une vie féconde dans une joie
indissociable de leur option totale à leur conjoint, éprouvent à
travers les épreuves de la vie quotidienne négligeables, la joie
incomparable de donner leur intelligence, leurs forces et leur cœur à
des manifestations symboliques socialisées plus durables que leurs
caduques personnes et qui, tels les enfants de leur chair pour les
épouses des hommes, ont plus de droits à la vie que leur propre
personne et le soin à leur conservation plus de valeur éthique que
celui de leur propre conservation.

III. – Si ce n’est donc ni l’organe mâle ni l’orgasme comme tel,


recherchés en eux-mêmes, quel est donc alors le mode de
satisfaction génitale spécifiquement féminin ?

Cette question est d’importance. Ne serait-ce pas l’effusion


transposée de son option somatique orbiculairement béante et
désirante du phallus créatif signifié pour elle par le sexe masculin
érigé, et signifiant par son jaillissement spermatique une fécondité
qu’elle ne désire, dans sa personne donnée, librement consentante,
que si sa personne à lui la désire, à travers sa personne à elle ? Cette
effusion s’exprime alors dans le don qu’elle lui fait de son corps et de
ses forces jusque dans l’abandon et le renoncement de sa fertilité
somatique non désirée par l’homme, pour être son épouse,

164
La régression du patient et l’analyste

médiatrice du phallus, que cet homme identifie avec l’éclat de sa


carrière et sa réussite matérielle.

Pour peu qu’une femme accède au-delà de l’apparence phallique des


corps à l’immanence émotionnelle de la réalité de son sexe, elle se
comprend réflexivement encore moins qu’elle ne comprend l’homme
et, ici encore, comme au moment de la masturbation clitoridienne,
c’est une blessure narcissique pour son intelligence qui cherche,
comme celle de l’homme, la logique et la raison, en s’appuyant sur
des mécanismes dérivés des sublimations prégénitales et phalliques.
Toutes ses motivations authentiques et dynamiques sont sexuelles. Et
son sexe, alors qu’elle le ressent en son tréfonds, quoi qu’elle vive de
ses options, lui reste intangible, inapparent, invisible, polymorphe
dans ses sensations érotiques qui sont des plus verbalisables et des
plus localisables dans la périphérie et les fonctions de son corps, aux
plus ineffables et aux plus diffuses dans l’intimité de son corps
interne et dans toute sa personne et même au-delà de ses limites
temporelles et spatiales, donc aux plus déraisonnables. Ce sexe
qu’elle assume depuis son enfance sans discontinuer et qui est, pour
elle, une source permanente d’émois inconditionnés, sexe
formellement abscons hors la dialectique de la fertilité, et celle-ci
même tellement hors de proportion entre les émois vécus qu’elle
promet et ceux qu’elle tient, que les mères en confondent
innocemment dans la révélation qu’elles font de son usage matriciel,
le viscère utérus et le viscère cœur, tellement plus honorable peut-
être mais peut-être plutôt tellement plus vraisemblable.

Quant à la fertilité, elle aussi est valoriellement inappréciable du


point de vue des corps et même des cœurs quand il s’agit d’êtres
humains essentiellement éthiques et dont, alors, le sens est dans le
sens du fruit de leur fruit, le sens génétique sublimé et non dans
l’enfantement formel, ni dans les soins puériculteurs et éducatifs
qu’elles sont justifiées de leur prodiguer, ni dans les performances
spectaculaires, dérivées de l’esthétique phallique érectile, ni dans la

165
La régression du patient et l’analyste

réussite sociale dérivée de l’esthétique anale et qui peuvent les


flatter. Leurs souffrances et leurs bonheurs sont inappréciables,
incommunicables, incompréhensibles.

Et, dans tout cela, il n’est question que de psychologie génitale


saine ; une femme saine, qu’est-ce donc ?

IV. – Le deuil du fruit vivant de l’amour symbolisé par l’enfant


réveil de castration symbolique et pulsions de mort

La mort de son enfant surtout s’il est l’enfant de l’homme qu’elle


aime, est la pire épreuve, pour une femme, et cela, quel que soit
l’âge de cet enfant. Épreuve terriblement dramatique qui lui
demande, pour rester génitalement aimante, tant dans sa personne
que dans son sexe, le plus grand sacrifice. Il lui faut passer d’abord
l’épreuve des sentiments de culpabilité découlant de son Surmoi
génétique toujours narcissique. L’a-t-elle bien armé pour la vie ?
Était-elle assez donnée à sa maternité, ne l’a-t-elle pas contaminé de
ses idéaux à elle, au lieu de lui permettre de lui échapper plus vite et
d’éviter ainsi ce qui (pour sa personne phallique) est un abandon de
poste, le poste où se trouve en sentinelle la femme, à la frontière
entre les pulsions de vie et les pulsions de mort, celle qui introduit à
l’agressivité au service de la maintenance et de la croissance du
corps, celle qui introduit au respect de la morphologie phallique des
êtres vivants. C’est la mort de qui elle aime qui met la femme en
question, dans son existence incarnée ; mais la mort d’un enfant fille
ou garçon, c’est plus, c’est la disparition de son sens symbolique.
C’est aussi le deuil de son narcissisme excentré qui rencontre dans
l’épreuve l’expression de la douleur de son conjoint. Il réagit souvent
complètement différemment d’elle. Elle rencontre la douleur des
autres membres de la famille, parfois leur indifférence, quelquefois
chez les frères et sœurs l’absence de peine, sinon la réjouissance (un
rival en moins). Que d’épreuves d’impuissance et de solitude.

166
La régression du patient et l’analyste

C’est encore et surtout la tentation narcissique des pulsions de mort,


auxquelles la femme est beaucoup plus que l’homme soumise,
surtout si elle est sexuellement évoluée, c’est-à-dire très dégagée
dans ses options génitales du narcissisme phallique de sa personne
pour elle-même. C’est la tentation narcissique de fuir dans les
fantasmes qui la relieraient imaginairement à cet enfant – son
membre manquant -- niant sa réalité temporo-spatiale.

C’est enfin l’agressivité rémanente contre la nature, mère


inhumaine, déplacée sur les dieux ou Dieu pour les monothéistes, ce
Dieu, recours materno-paternel impuissant, ou entité pré-œdipienne
jalouse, vengeresse.

La seule attitude pour une femme, si elle est à prédominance de


libido génitale, est la ré-acceptation de l’angoisse de castration
primaire narcissiquement articulée à la mort de son enfant. Cet
événement qui concerne une possession imaginaire qu’elle avait
illusoirement crue réelle, ou comme un événement signifiant la
liberté du destin de la personne de son enfant, et non sa dépendance
filiale. Aucune gratification narcissique n’en découle. L’épreuve d’un
tel deuil est impensable, comme la mort, pour qui ne l’a pas connue
et dépassée. Elle doit continuer dans ses options inconditionnées de
phallomorphisme qui est vie ou de disparition terrestre qui est mort,
à œuvrer dans sa chair et dans sa personne effleurée par le mystère,
éprouvée par lui et retenue à ce qui est encore là présent, dans sa
phallique présence et qui demande à son corps et à sa personne de
jouer le jeu du vivre sous-tendu par ses pulsions de vie en
complémentarité du jeu du non vivre sous-tendu par les pulsions de
mort, mais diamétralement opposé à la tentation égoïste du désir de
mourir, leurre du narcissisme féminin blessé, inversion perverse de
l’éthique féminine.

167
La régression du patient et l’analyste

V. – Son désir a-t-il une spécificité féminine signifiable pour


elle ?

La femme, en tant qu’être sexué féminin est, pour l’espèce humaine,


un phénomène impensable. Une femme est aussi un être humain,
comme dit Freud, elle juge sa propre sexualité en tant qu’être
humain avec la logique (« boiteuse ») homosexuelle qu’elle garde de
son enfance prégénitale. C’est donc grâce à sa bisexualité qu’elle
peut essayer de se considérer dans son rôle génital. Ce qu’elle est
pour les représentants mâles de l’espèce, elle l’est aussi pour elle-
même : une créature charnellement symbole de l’intangible plus elle
se donne, de l’insensé plus elle parle, de l’anéthique plus elle est
morale. Oui, une femme ne peut que formuler ce jugement et ne peut
en même temps que s’éprouver gratifiée d’être, pour l’homme, sans
en comprendre le sens, l’absurde nécessité de son désir et la grave
complice de l’incarnation du « JE » dans une rencontre phallique
qu’elle est incapable d’assumer dans la lucidité.

168
Le problème de la perversion chez la femme et les
idéaux féminins

par Wladimir Granoff et François Perrier

Introduction

Pour tenter une étude cohérente des perversions sexuelles chez la


femme, pour autant que c’est là un domaine fort pauvre en
documents psychanalytiques, on souhaiterait s’appuyer sur une
théorie satisfaisante du destin féminin de la libido et par ailleurs sur
une définition irrécusable de la structure perverse. Nous n’avons ni
l’une ni l’autre à notre disposition, et c’est pourquoi, cerner ce
terrain de recherches, est en soi une gageure. L’appui même que
pourrait offrir l’observation clinique fait cruellement défaut. Si l’on
évoque l’homosexualité de la femme, on doit vite confirmer après
d’autres auteurs, que l’analyste est très rarement consulté pour elle ;
si l’on évoque ce qu’on sera tenté d’isoler au cours d’une analyse de
femme comme organisation perverse de la libido, on s’aperçoit que
le témoignage qu’on peut en donner reste entièrement lié aux
critères de référence qu’on s’est choisis ; lesquels ne seront pas
forcément validés par le lecteur.

Ce constat liminaire, pour décourageant qu’il soit, ne justifie


pourtant pas le renoncement au repérage et au déchiffrage de la
question. Il explique seulement la forme que peut prendre dès lors

169
La régression du patient et l’analyste

un exposé de recherches. À ce sujet-là, ce n’est sans doute pas pour


rien – et nous y reviendrons – que l’on peut noter la tendance de
beaucoup d’auteurs à légiférer sur la sexualité féminine, comme si
l’imprécision même et la variabilité des coordonnées en présence,
incitait à construire d’autant plus solidement que le terrain est plus
mouvant et le plan architectural moins dessiné.

170
La régression du patient et l’analyste

C’est pour éviter la tentation toujours renaissante d’une théorisation


destinée par sa cohérence à masquer une ignorance fondamentale,
que les deux auteurs de cet essai ont tenu à juxtaposer, sans forcer
les points d’articulation, les notations partielles que leurs travaux
respectifs et leurs débats communs, permettaient déjà de livrer à la
critique.

Textes inspirés par l’un, rédigés par l’autre, refondus par le premier,
complétés par le second… Débats assez renouvelés pour que l’apport
de chacun soit assimilé par l’autre, sans pour autant que la double
signature qui donne caution à ces pages, prouve un accord définitif
dans l’interprétation des conclusions à tirer (ou ne pas tirer)… Telle
est l’histoire de cette étude dont on doit avant tout souligner le
caractère conjectural.

Le masculin et le féminin

Les lettres se présentaient dans l’ordre inversa. L’avant-dernière, Le


Beth, se présenta et dit :

« Maître de l’Univers, qu’il te plaise de te servir de moi pour faire la


création du monde, car je suis celle dont on se sert pour te bénir
dans toutes les directions. Et le Saint-béni-soit-il lui répondit : C’est
en effet de toi que je me servirai pour faire la création du monde et
tu seras ainsi la base de l’œuvre de la Création. »

La lettre Aleph resta à sa place sans se présenter. Le Saint-béni-soit-


il lui dit : « Aleph, Aleph, pourquoi ne t’es-tu pas présenté devant moi
comme les autres lettres ? »

Et le Aleph répondit :

« Maître de l’Univers, voyant toutes les lettres se présenter devant


toi inutilement, pourquoi me serais-je présenté aussi ? Ensuite ayant
vu que tu as déjà accordé à la lettre Beth la grâce de ce don, j’ai
compris qu’il ne convient pas au Roi des Cieux de reprendre le don
qu’il a fait à un de ses serviteurs pour le donner à un autre… »

171
La régression du patient et l’analyste

Et le Saint-béni-soit-il lui répondit : « O Aleph, Aleph, bien que ce soit


la lettre Beth dont je me servirai pour faire la création du Monde, tu
seras la première de toutes les lettres et je n’aurai d’unité qu’en
toi… »

Commentaire de Rabbi Ham-menouna, le Vieillard au sujet de la


lettre créatrice. (Cité par E. Amado Lévy-Valensi, dans Le masculin et
le féminin d’après la Cabbale, in Revue de la pensée juive, automne
1951, n° 9.)

***

« Je vais m’exprimer avec audace : Dieu qui peut tout, ne peut pas
relever une vierge après sa ruine. »

Jérôme, Ëp., XXII, 5, P.L., 22, 397.

Plaisir ou jouissance

Afin de comprendre les perversions sexuelles, il nous paraît


nécessaire pour renouveler cette étude de viser au-delà de ce que
décrit la relation d’objet, ce qui peut être entrevu au terme du désir ;
et au-delà du désir, au terme de la conjonction sexuelle ; au bout de
la tendance.

Ceci nous a conduit à envisager les diverses avenues de la sexualité


féminine en fonction de ce vers quoi la sexualité tend et mène ; cet
aboutissement qui s’appelle orgasme.

Il est frappant que l’orgasme ait principalement été affecté du signe


– + – ou du signe — ; tout ce qui s’y rapporte ayant été
essentiellement réduit à des facteurs qui le provoquent ou l’inhibent,
le favorisent ou l’exaltent. Mais le phénomène lui-même semble
difficile à saisir. Sans reprendre à notre compte la façon dont Mme F.
Dolto en traite, nous devons constater qu’en dehors de cet auteur et
de M. Westerman-Holstijn les analystes ne semblent guère s’être
attachés à son étude.

172
La régression du patient et l’analyste

Le fait est d’autant plus frappant, lorsqu’il s’agit de l’homosexualité


féminine, qu’en finale instance cette perversion pose cette question
au premier plan.

Plus que l’homosexualité masculine, elle met la notion du plaisir au


cœur de l’intérêt. Si en effet l’homosexualité masculine pose le
problème préalable, par le biais de l’érection présente ou absente, de
l’aptitude à consommer une relation sexuelle avec un être du sexe
masculin exclusivement, l’homosexualité féminine ouvre sur une
autre problématique : celle de trouver ou de ne pas trouver un
plaisir.

Cette distinction peut se trouver renforcée par la confrontation des


témoignages de certains homosexuels féminins et masculins. La
conversation la plus banale nous apprend que les homosexuels
masculins considèrent en règle générale que seuls les hommes
savent aimer. Toute leur littérature depuis la Grèce antique confirme
cette vue. C’est une littérature assez chaste pourrait-on dire. Non
point certes que le plaisir sexuel ne soit par eux recherché. Le fait
constatable est qu’ils ne mettent pas l’accent sur lui, mais sur
l’amour, qu’ils présentent comme supérieur. À prendre l’exemple du
Pygmalion moderne, il est visible que l’homosexuel masculin,
pourrait concevoir la femme comme objet sexuel. Il la récuse comme
objet d’amour : parce qu’elle est incapable d’aimer. Du reste n’est-ce
pas là une des formes les plus courantes de la guérison analytique de
l’homosexualité masculine, dans ses formes diverses, que cette
restitution de la femme comme objet sexuel ?

Tout différent est le témoignage des homosexuelles féminines. Ce


n’est pas qu’elles soient évasives sur la question de leur amour, mais
elles semblent l’exprimer en des termes qui mettent l’accent sur le
caractère extraordinaire des plaisirs qu’elles se donnent. Il est rare
que la séduction sexuelle chez les femmes ne s’accompagne de la
promesse de jouissances ignorées. En bref, l’homosexuel masculin

173
La régression du patient et l’analyste

déclare que les femmes ne savent pas aimer, l’homosexuelle dit que
les hommes ne savent pas donner du plaisir aux femmes.

À l’exprimer ainsi, on s’aperçoit, en fait, que ce n’est peut-être pas


vrai, ou plutôt sûrement pas toujours vrai. Le souvenir nous vient de
ces homosexuels très fixés à des pratiques perverses et de leur
fascination par le seul moment du plaisir. À l’inverse, la femme
homosexuelle militante peut parler à son tour, plus de la science
d’aimer que des recettes du plaisir.

Femme ou homme dès lors, l’un dans sa position assumée – et


masculine en général – brandit l’idéal de l’amour profond ; l’autre,
homme ou femme, réduit son témoignage à la quête et à l’intensité
d’une jouissance dont la description évoque surtout alors une
attitude féminine.

Cette notion de plaisir sexuel est resté dans l’ensemble, à l’extérieur


des préoccupations psychanalytiques. Les analystes ont laissé ce
domaine aux gynécologues, aux physiologistes qu’ils ont tenté eux
même de le faire. La pauvreté des résultats qu’ils ont obtenus doit
faire réfléchir. Le peu d’empressement qu’ils ont mis à explorer le
problème, laisse en fait inviolé le mystère où est resté l’orgasme
vaginal. Que les auteurs de sexe féminin aient laissé la question dans
cet état ne s’explique pas suffisamment par une simple réserve de
bon ton, ou par la pudeur. À moins de donner à la pudeur un sens
raffermi. Ce qui mène à constater qu’elle manque dans les écrits de
ces auteurs, quant aux fonctions cependant réputées répugnantes de
l’excrémentation. Que cette pudeur concerne électivement leur
organe génital et le plaisir que les femmes prennent dans le coït,
conduit à rapprocher de cette réserve, la dissimulation de la verge
chez les hommes. Les femmes se confient peu sur leur plaisir tout
comme les hommes montrent peu leur verge. Il semble bien que l’on
soit là en présence d’un interdit.

Mais le problème se complique du fait que si les impressions et


imaginations chez la femme ne peuvent être séparées des symboles

174
La régression du patient et l’analyste

structurants de la féminité, l’appareil notionnel et l’image de la


femme sont déjà constitués de prime abord d’éléments dont on doit
se demander si l’origine en est masculine ou féminine. La notion
freudienne de libido et la référence majeure au phallus, indiquent le
genre masculin des représentations proposées. C’est à partir de la
conception freudienne du phallus que toute élaboration se construit,
et par conséquent, c’est en termes de désir que nous serons portés à
comprendre la sexualité féminine.

L’expérience la plus banale montre cependant, que sous le rapport


précisément du désir sexuel, il y a comme une disparité entre les
phénomènes attestés par les hommes et les femmes. N’est-ce pas
une des composantes du désarroi des hommes devant l’éternel
« mystère féminin » ? Si l’homme porte en permanence son désir
comme instance d’érection, ne voit-on pas souvent sa protestation
narcissique dénoncer chez la femme l’absence d’un désir pour le
désir ? La structure obsessionnelle apparaît convaincante en ce sens
par les manifestations qu’elle fournit. Inversement ce désir, garanti a
priori, en quelque sorte « sans provocation » est bien ce qui
épouvante les hommes, lorsque, selon leur vœu, il les prend pour
cible. La totalité de l’annihilation dont ils peuvent se sentir alors
menacés, est bien faite pour montrer la structure narcissique qui
bascule au moment où le désir du désir est renvoyé en écho ; tout
spécialement dans le simulacre de la prostituée, dont le succès
permanent auprès de certains hommes, comme l’angoisse qu’elle
inspire à d’autres, ne tient peut-être à rien d’autre que d’être ainsi
debout sur le fil du rasoir du narcissisme.

Parallèlement, il faut souligner la permanente surprise de l’homme


devant la naissance du désir sexuel féminin, qu’il voit naître devant
ses yeux, à l’instant même où il manifeste le sien. Il en est alors
réduit à se demander où la femme l’avait jusque-là caché. Le débat
se situe pour lui dans l’impossible choix entre deux hypothèses qui à
bon droit lui paraissent difficiles à accepter. Fort significativement :

175
La régression du patient et l’analyste

ou la femme est douée d’une incroyable aptitude à dissimuler, ou


d’une inacceptable aptitude à accepter. À l’anéantissement de son
désir signifié dans la seconde éventualité (dont s’il opte en sa faveur,
il se vengera par l’injure et le mépris), l’homme préférera la
première.

Dans cette croyance, il sera entretenu par la femme, qu’il pressera


de questions pour savoir comment, pourquoi, et surtout à partir de
quand, elle l’aurait distingué de ses semblables. La femme bien
souvent entrera dans ses vues et avec toute sa sincérité devenue
possible, elle reconstruira une histoire du passé lointain ou récent de
leurs relations.

Mais c’est à la façon d’un objet en creux, doué en fait des vertus de
l’image en relief, qu’apparaîtra ce qui rétrospectivement semblera
avoir été caché. Et c’est pour que ne se constitue pas trop
brutalement l’image féminine phallique, qu’il tolérera la réserve
d’une confidence dont l’abandon total le laisserait pantois.

En vertu de son lien nécessaire au désir de l’homme, la


conceptualisation de l’orgasme de la femme, ne pourra pas se passer
d’un substratum imaginaire, et d’abord celui des formes
anatomiques.

Mais la perspective phallocentrique nécessaire pour rendre compte


du désir, ne suffit peut-être pas pour aller au-delà. Et la théorie du
désir, pour difficile qu’en soit l’analyse, ne parvient peut-être pas à
appréhender ce vers quoi tend son aboutissement.

Des écrits de Freud sur la sexualité féminine et la féminité en


général, se dégage la notion d’une position différente de la femme et
de l’homme par rapport au désir. Il souligne le rôle plus grand que
joue l’envie dans la psychologie féminine, et la particulière
sensibilité de la femme aux frustrations.

Il semble bien que le désir que l’homme a du désir est inséparable de


la satisfaction que lui apporte son aptitude à le supporter. La capture
imaginaire de l’objet de son désir apparaît comme la prime gagnée

176
La régression du patient et l’analyste

pour avoir soutenu son désir. Plus longtemps il le soutient, plus


grande est la prime. Il paraît possible de dire que la femme n’a pas
de goût pour le désir comme tel. Aucune image de maîtrise
n’intervient pour elle dans ce déroulement. Le désir est éprouvé dans
la gamme des sentiments du déplaisir, et n’est accepté que pour
autant qu’il promet autre chose. Cet « autre chose » qui est promis
et impatiemment attendu, est-ce la même chose que ce que la notion
d’orgasme recouvre ?

Nous tenterons d’avancer pas à pas dans l’éclaircissement de ce


problème.

Dans le projet érotique de l’homme, on retrouve constamment la


notion de désir dans l’érection assumée comme plaisir préliminaire,
et la quête de l’émoi féminin. Jamais indifférent à la manifestation du
plaisir de la femme, il en souhaite, attend, provoque, craint ou
exacerbe les signes, pour participer au mystère de la volupté
femelle, s’y oublier rarement, s’en garder parfois névrotiquement. Le
surgissement de son orgasme à lui, référé qu’il est aux signes de la
jouissance de l’autre, reste menacé par un trop tôt désarmant, ou un
trop tard inhibé.

Mais le modèle de l’orgasme masculin a déposé le moule d’un objet


érigé au comble de la tumescence et dont la détumescence se
signalera par une série de décharges rythmiques. C’est tout
naturellement vers ce mode que l’on tentera de retrouver tout
d’abord l’orgasme féminin.

L’orgasme clitoridien semble faire peu de problème en vertu de la


facile assimilation à l’orgasme masculin que la bisexualité
anatomique permet d’opérer. Le discrédit qui s’y rattache ne tient en
vérité à rien d’autre qu’à la dévaluation dont le complexe de
castration affecte tout ce qui est petit par rapport à ce qui est grand.
Le goût pour le petit, le menu, voire le microscopique, devrait un
jour faire l’objet d’une étude en rapport avec ce complexe. Quant à
l’orgasme clitoridien, aucun argument valable n’est venu jusque-là

177
La régression du patient et l’analyste

démontrer sa quelconque infériorité dans la série des phénomènes


orgasmiques vus en référence au modèle masculin.

Tout autre est la situation, dès lors que c’est l’orgasme de l’organe
creux que l’on essaye de définir. La première difficulté à laquelle on
se heurte est celle des limites à donner à cet organe. La seconde est
de trouver une innervation propre à maintenir un parallèle ; que les
contractions du vagin, par exemple, rendront encore plus impérieux
de démontrer. Nous ne pensons pas que l’affirmation d’un orgasme
utéro-annexiel ou le dogme de la soi-disant nécessité d’une paroi
postérieure du vagin intacte, rende compte d’une autre nécessité
que celle de donner quelque limite à un vase naturel. Ce à quoi, il n’y
a pas de raison que les femmes échappent plus, dans l’exercice de
leur sexualité, que des savants dans l’exercice de leur science. Telle
est la loi de la structuration du langage. Quant au reste, les résultats
opératoires sont loin de se prêter à donner appui à cette croyance.
Enfin, la réalité des orgasmes attestés par des femmes dans des
rapports per anum, ramène l’hypothèse à sa juste valeur : laquelle
est soulignée par le fait que c’est encore à cette même paroi recto-
vaginale que l’on attribue ce résultat, bien contraire aux exigences
de la nature.

Enfin la confusion est à son comble, avec le témoignage des femmes


dont la jouissance semble ne pas comporter d’acmé érotique ou
celles dont la névrose devrait entraîner en bonne règle une frigidité,
laquelle en fait n’existe pas.

C’est à l’annexion du viscère utérin que semble s’être arrêté cet


expansionnisme scientifique. Mais au-delà ? Car la diffusion dans le
reste du corps, dont les femmes font état, ne paraît pas négligeable ;
au point qu’il est légitime de se demander si la valeur et l’intensité
d’un orgasme féminin ne peuvent pas s’évaluer par l’ampleur de
cette diffusion. Mais là, tout le monde semble d’accord pour
abandonner toute référence à une quelconque corrélation
physiologique. Et, sauf à classer le phénomène dans la classe des

178
La régression du patient et l’analyste

« ébranlements nerveux », il est au gré de tous, raccordé une fois de


plus à l’insondable mystère féminin. Sa propagation rectiligne le long
de la colonne vertébrale, vers la tête, les épaules ou les bras semble
être reconnue comme expression nécessaire de sa puissance en
termes d’une géographie imaginaire que le vécu du reste, bien
évidemment, confirmera.

Pour notre part, nous préférons ne pas confondre la représentation


imaginaire du phénomène, avec le phénomène lui-même. Suivant
d’abord en ceci Freud, c’est aussitôt après l’orgasme clitoridien,
modèle physiologique d’une jouissance possible, que nous situerons
le début de notre embarras. Que, ce faisant, par réflexion, nous
dépouillions ensuite quelque peu de son lustre l’orgasme masculin
qui tire une partie de son prestige à se mirer dans la diffusion de la
jouissance féminine, sera peut-être le résultat inévitable de la
démarche.

Mais l’insistance masculine à décrire les pâmoisons féminines, ce qui


laisse à supposer que l’observateur garde une certaine vigilance,
nous conduit à penser que l’orgasme est une notion où, pour
l’homme aussi, jouent les phénomènes dont l’image du cadeau
apporté à la femme ne suffit pas à rendre la complexité.

Il semble donc qu’une analyse phénoménologique de l’orgasme peut


appeler l’imagination en creux d’un organe féminin. Que cet organe
en creux soit à imaginer même si l’anatomie le donne, ne surprendra
pas les analystes qui savent retrouver chez l’homme une bisexualité
psychique, au-delà de l’existence chez lui de tendances passives dont
l’opposition aux tendances actives a déjà été, par Freud, dénoncée
comme ne recouvrant nullement l’opposition du féminin au masculin.

Des travaux antérieurs (F. Perrierj sur l’hypocondriaque nous ont


montré la géographie imaginaire par laquelle il tente
inconsciemment de redessiner dans son corps malade l’incernable et
le non symbolisable d’une féminité rejetée. Dans les phantasmes de
grossesse que l’on trouve chez lui, comme du reste chez des

179
La régression du patient et l’analyste

névrosés, l’accent n’est pas mis sur le vide, mais sur le contenu. Le
contenant n’en est affecté que par voie de conséquence.
L’hypocondriaque craint « d’exploser » sur un mode féminin. Il part,
pour l’avoir souvent vécu avant la puberté, d’une expérience non
phallique de l’orgasme, et ne vit que pour s’en défendre, dans
l’incorporation d’un objet imaginaire, qui sera en fin de compte lui-
même en tant que phallus de sa mère.

Dans l’exigence qu’il fait valoir auprès de son analyste de quelque


chose qu’il appellera à l’occasion « quelque chose de terrible »,
l’hypocondriaque atteste de son rapport avec la chose, das Ding, que
Lacan introduit dans son commentaire de l’œuvre de Freud. Ce
rapport est chez l’hypocondriaque refusé, nié, et il se refuse à
l’orgasme car il est femme engrossée de lui-même. Dans certains
cas, ce n’est qu’au prix d’introduction, dans son propre corps,
d’objets divers, tâche qu’il confiera volontiers à une partenaire
complaisante, qu’il pourra se ménager un accès partiel à un plaisir
prudent.

Ainsi l’orgasme de l’homme dont le substratum physiologique est ce


qui lui est le moins refusé, ne peut lui-même se réduire à ce que la
physiologie de l’éjaculation permettrait de comprendre. Il est aussi le
siège de troubles variés, souvent beaucoup plus méconnus que la
perte de la maîtrise du désir. Les témoignages nombreux de névrosés
dont la jouissance est dans l’acte sexuel bien moindre que celle de la
masturbation, montrent le poids que l’angoisse de castration fait
peser sur l’exercice de leur sexualité.

Saisir la notion d’orgasme c’est viser ce moment où l’homme passe


sur la crête pour s’engager sur le versant descendant du plaisir. S’il
survient dans un rapport sexuel effectif avec une partenaire, c’est
sur l’arête même de cette crête que le phallus sera sacrifié.
L’intensité de son plaisir sera liée à sa diffusion, que le
désinvestissement du pénis rendra possible. L’orgasme sera saisie du

180
La régression du patient et l’analyste

corps orgasmique de la femme ; aliénation dans le don éjaculatoire,


envahissement dénarcissisant.

En ce sens, l’homme, en tombant dans la faille du plaisir, touche


ineffablement, initiatiquement, au réel de la castration féminine dans
l’immolation de son désir pénien.

Ce mode d’approche du phénomène de l’orgasme masculin, a pour


intérêt de poser, dans les perspectives freudiennes de la bisexualité,
l’hypothèse d’une nature « féminine » du phénomène. Nous voulons
dire par là que, si l’homme a cedipienne-ment structuré sa phallicité,
il virilise l’orgasme de telle sorte qu’il ne le sépare pas, dans l’avant
et l’après, des vecteurs de son narcissisme génital ; qu’il le confirme
même ainsi.

À l’inverse, s’il lui a manqué cette structuration phallique, c’est


l’expérience schrebérienne ou la désubjectivation hypocondriaque.

Sur un autre versant et au prix d’un splitting de l’ego, ce peut être la


perversion féminine passive de l’homosexuel, qui, confirmé dans sa
bisexualité, n’en devient pas fou pour autant.

Si l’on reprend dans cette perspective la question de l’orgasme


féminin, on pourra se confirmer l’idée que ce qui complique, tant
pour la théorie que pour la femme, l’étude ou l’expérience du
phénomène orgasmique, c’est le fait que toute femme réordonne sa
féminité naturelle aux lois du signifiant, avec le privilège qu’a le
phallus sur ce plan.

L’orgasme féminin est peut-être participation imaginaire autant que


réelle à la présence interne du phallus et au rythme de l’autre. Mais
si cette participation est celle des voies génitales, certes, elle est
aussi et avant tout expérience de la femme toute entière, soumise,
au-delà des localisations anatomiques et de la présence pénienne de
l’homme, à la loi du phallus symbolique qui associe les deux
partenaires dans une même expérience vécue du réel, au moment du
plaisir castrateur.

181
La régression du patient et l’analyste

Ceci peut expliquer le phénomène que représentent les courbes


étales, tracées par certains auteurs, du plaisir féminin, au cours
d’ébats érotiques très longs : la femme consciente de l’anatomie de
la conjonction génitale, devient trop consciente du plaisir
préliminaire de l’homme dont elle épouse le goût. Et cette situation
peut elle-même schématiquement s’opposer à celle où, sans défense
narcissique, l’acte sexuel est vécu d’emblée par la femme comme
renouvellement d’une effraction, intrusion phallique capitale, et
participation d’emblée totale à cette intrusion, sans conscience
segmentaire du plaisir.

En résumé, dans cette ligne d’hypothèses, l’orgasme masculin vécu à


l’envie du plaisir de la femme, est mode et traduction phallique d’un
fondamental orgasme en creux qui n’est peut-être ni féminin ni
masculin, en tant qu’aptitude somatique naturelle.

Ce naturel du phénomène est insaisissable pour l’humain prisonnier


des chaînes signifiantes. Il l’est pour l’homme fidèle à sa phallicité, il
l’est tout autant paradoxalement pour la femme qui ne peut
témoigner du réel de son corps qu’en passant elle aussi par un
langage qui fonde inséparablement le manque à partir de l’avoir, le
féminin à partir du masculin, le phallus à partir du défaut de
signifiant ; la « Chose » à partir du vide dans l’au-delà de l’objet.

Les relations de l’Ame avec cette incandescence que l’on situe dans
le vide sont hors du propos de notre travail. Nous nous bornerons
simplement à signaler qu’en Français, on dit l’âme d’un canon.
Comme tel le vide est pour nous une notion malaisée. Il occupe une
place souveraine et dernière dans l’expérience humaine, et
mériterait une considérable étude. En fait, ce développement existe,
mais dans un domaine où l’analyse ne pénètre qu’avec prudence.
Divers courants gnostiques, des traditions occidentales et orientales,
constituent des élaborations du Vide et des initiations au Vide – en
Extrême-Orient plus spécialement. La fréquente articulation du
mysticisme et du registre de la sexualité atteste là d’un lien

182
La régression du patient et l’analyste

inévitable pour l’homme. Que certaines sectes mystiques aient été


accusées et qu’elles aient occasionnellement donné prise au
reproche de pratiques sexuelles réprouvées, en est une conséquence
inévitable également.

Ce vide, psychologiquement « irrespirable », nous l’appréhendons


par ce que, faute de mieux, nous appelons la Chose, pour l’opposer à
toute sorte d’objets. Cette Chose est ce qui, au-delà de tout objet,
nous fascine. Mais elle pourra être par nous visée dans certains
objets qui seront le leurre de notre rapport au vide. Cette Chose
nous met dans un certain rapport avec la Mort. Des objets, nous
attendons des plaisirs, ces plaisirs qui empêchent notre jouissance.
De la Chose, nous attendons la jouissance, mais si nous l’obtenions, il
n’est pas dit que cela nous ferait plaisir…8

Aller plus loin, obligerait à aborder alors toute la problématique de


l’instinct de mort et de la structuration même du langage et du

8 Le Vide peut utilement servir à éclairer des secteurs vitaux de l’activité


humaine et du psychisme. C’est d’une intuition de ce genre qu’il faut
rapprocher le remarquable article de M. Balint, Friendly Expansé Horrid
Empty Spaces (a).
La parenté qui existe entre certaines descriptions de l’auteur et les rapports
recueillis par les ethnologues sur les voyages magiques des rites d’initiation
des chamans, est tout à fait frappante (b). Ils consistent principalement dans
une ascension aux Cieux et une descente aux Enfers.
Encore que M. Balint se soit placé sous le patronage spirituel de Thalassa, dont
à juste titre il souligne le caractère méconnu, il n’a pas poussé plus loin son
élaboration. Plus particulièrement nous regrettons la prudence qui (après
qu’il ait souligné l’inadéquation du schéma oral, au sens restreint qu’il a pris,
à rendre compte des états et des phénomènes observés) le fait revenir à
l’espoir de la découverte et de la codification d’une relation extra-verbale
dont la localisation au niveau du tact et de l’odorat semble, pour ce qui est du
sujet qu’il traite, faire pendant aux « chimismes décisifs » desquels on attend
toujours l’explication de l’orientation sexuelle quant au choix de l’objet.
(a) International Journal of Psycho-analysis, vol. XXXVI, Part IV, 8, p. 225 à 241.

183
La régression du patient et l’analyste

premier fantasme… Cela doit être mentionné, mais ne sera pas ici
développé9

Ce rapport nécessaire de l’homme à cette Chose qui est le Vide, et où


il ira jusqu’à inscrire la notion même du Sacré, où jouera en dernière
analyse la représentation de ce qu’il appelle son âme, est dans notre
tradition judéo-chrétienne, réglé d’une façon stricte.

Pour autant que l’organe vaginal, la sexualité féminine et la


conjonction des sexes font à l’homme obligation d’affronter ce
rapport c’est, dans notre tradition monothéiste, par l’intermédiaire
exclusif du phallus, que ce rapport sera soutenu. Dans la mesure où
l’organe phallique est le pénis, son fonctionnement sera régi
rigoureusement. Le discrédit et la malédiction qui s’attachent à
l’homosexualité prend là son origine. Plus simplement cela se reflète
dans deux attitudes d’observation courante : l’horreur véritablement
sacrée que l’homosexualité inspire aux gens dits normaux, et,
inversement, la supériorité, affichée avec plus ou moins de succès
par les homosexuels des deux sexes. Car il est impossible de n’y voir
que quelque attitude compensatoire du mépris où ils sont tenus10

Leur expérience dans les formes les plus élaborées semble toujours
vouloir témoigner d’un accès à des voies barrées au reste des
hommes ou des femmes. Du reste, l’opinion publique a vite fait de

(b) Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1949. – E.
Crawley, Studies of Savages and Sex, Edited by Théodore Besterman.
London, 1929. – Léo Sternberg, Divine Election in Primitive Religion,
Congrès international des Américanistes, Goteborg, 1925. – Talayesvn Don.
C. Soleil Hopi (Sun Chief the auto-biography of a Hopi Indian), Terre
humaine, Librairie Plon.
9 Perrier (F.), Les pulsions et l’inconscient, Colloque de Bonneval, 1960 (à
paraître).
10 Nous signalerons au lecteur l’introuvable Prière pour Sodome de Louis
Massignon. Dans l’Antiquité, il était de doctrine admise qu’un pouvoir ne
s’obtenait que par une transgression. D’où la figure du Gardien du Seuil. Le
devin est un produit de l’inceste. L’homosexualité donne des pouvoirs. La
sodomie scelle un pacte entre les mauvais prêtres et les puissances d’en-bas.

184
La régression du patient et l’analyste

voir dans les sociétés d’homosexuels des « sectes » et l’expression


« hérésie sexuelle » est d’usage assez courant.

Si nous adoptons avec Freud le point de vue selon lequel la sexualité


ne fait rien de moins que d’ordonner la vie humaine, c’est en vertu
de l’idée que nous avons de la sexualité comme étant la dimension du
vécu où les signifiants derniers sont pour l’espèce humaine
appréhendés. Que ce rapport à ce que l’on appelle un mystère – en
l’occurrence « le mystère féminin » – s’incarne dans un rapport
hétérosexuel, explique suffisamment que ce rapport sexuel soit
rigoureusement ordonné. Qu’il s’opère par l’organe phallique et qu’il
ne puisse s’opérer qu’ainsi, fait du phallus le signifiant que Freud
pressent comme tel, en attribuant à la libido un sexe masculin, dans
la perspective téléologique, deux fois soulignée 11sur laquelle il
s’appuie pour l’occasion.

Le complexe d’œdipe

« Le fait que tout ce qui est analysable soit sexuel, n’implique que
tout le sexuel soit analysable », suggère Jacques Lacan.

Notre mode d’abord du phénomène de l’orgasme, nous apparaît, à la


réflexion, comme le niveau électif où cette proposition prend son
relief. Le naturel et le signifiant, dans leur inséparabilité pour
l’homme, se cherchent l’un l’autre, au point même où la dernière ou
première articulation fait défaut…

Ceci ne doit pas être oublié au seuil de l’étape de recherche, qui,


partant du rapport sexuel dans son terme orgastique doit remonter
maintenant vers les coordonnées œdipiennes qui conditionnent le
destin de la libido chez la femme comme chez l’homme.

***

Quelques rappels d’abord.

11 Die Weiblichkeit, p. 141, lignes 14 et 16.

185
La régression du patient et l’analyste

Peut-être une attention suffisante n’a-t-elle pas été accordée au fait


que l’élaboration freudienne s’est d’emblée engagée dans
l’utilisation du mythe d’Œdipe pour rendre compte de la structure du
psychisme, du jeu de la sexualité et par voie de conséquence de la
formation des névroses.

Peut-être la relative familiarité où tout le monde se trouve par


rapport au mythe d’Œdipe s’est-elle trouvée utilisée pour atténuer,
un tant soit peu, le caractère profondément surprenant de son usage
chez Freud.

Mais peut-être la notion corrélative de complexe de castration si


captivante sur le plan imaginaire, si difficile cependant à déchiffrer
correctement, a-t-elle eu un sort plus malheureux encore. Bien que,
dans l’œuvre de Freud, ces deux complexes soient si
indissociablement liés que leur compréhension ne puisse se
concevoir que dans la lumière que l’un jette sur l’autre, il semble à
voir le recours de plus en plus rare que les auteurs y font, que le
complexe de castration soit devenu une sombre histoire, voire une
illusion, certainement un mauvais rêve, dont il est bon de vite
s’éveiller.

Une chose est certaine, à survoler les courants de surface que


constituent beaucoup d’élaborations post-freudiennes, on peut
facilement souligner une promotion nouvelle des rapports de l’enfant
à la mère. Les travaux de Mélanie Klein constituent l’aboutissement
des recherches consacrées aux périodes dites classiquement
préœdipiennes.

À suivre cet auteur et d’autres dans la théorisation, on aboutit à


reculer de plus en plus les repères fondamentaux de la
triangularisation pour étendre, dans une reconstruction imaginaire,
la situation jusqu’au voisinage de la naissance.

Pourquoi alors ne pas doubler ce cap naturel, et élargir le champ


œdipien jusqu’à la vie embryonnaire – c’est-à-dire au-delà même de
ce qui est soutenable à ce niveau imaginaire ? C’est, il faut le

186
La régression du patient et l’analyste

constater, ce que tentent certains, sans toujours la précaution d’une


juste discrimination des registres.

Le sentiment de malaise qui se dégage de pareille tentative livre son


enseignement, si l’on remarque avec quel manque de malaise,
précisément, Mélanie Klein mène cette opération.

Que s’impose pour nous la nécessité d’un rappel destiné à ne pas


confondre registre imaginaire et rapports de symbolisation, se
comprendra aisément au moment où il s’agit de réviser la théorie de
l’Œdipe féminin pour tous les problèmes qu’elle pose encore.

Sans doute Freud souligne-t-il à propos de la sexualité féminine,


l’importance considérable de la phase préœdipienne chez la fille au
point que l’universalité du complexe d’Œdipe pourrait être remise en
question. Ainsi l’examen du destin féminin de la libido se prête-t-il
bien à la révision de la fonction du mythe œdipien dans la théorie
analytique. Mais il conclut justement qu’il n’y a nul besoin d’opérer
cette « correction » ; et lorsqu’il veut donner un modèle de ce qui se
passe selon lui, dans cette période préœdipienne, il donne comme
exemple le plus propre à soutenir la comparaison, la découverte de
la civilisation mycéno-minoenne derrière la civilisation grecque.

Il devrait être possible de reconnaître dans cette remarque l’accent


porté sur la dimension propre du complexe d’Œdipe.

Le parallèle suggéré le situe dans une perspective analogue à celle


de l’histoire de l’humanité. Il démontre qu’il s’agit d’un ordre de
choses existant antérieurement à l’apparition de tel individu ou
groupe particulier d’individus. Il indique clairement que le mythe est
le registre propre des notions utilisées ; qu’ainsi rien ne peut être
réduit aux individus pris comme tels.

Si nous choisissons maintenant comme point de départ la relation de


l’enfant à la mère, à l’instant supposé où l’extérieur se constitue, il
est impossible de faire simplement de l’extérieur le lieu du « bon et
du mauvais » sans tomber dans une artificialité qui rangera l’accès à
la réalité, dans une dialectique de pure fantaisie.

187
La régression du patient et l’analyste

Pour compléter l’œuvre de Mélanie Klein, il faut ajouter que


l’extérieur est d’abord pour le sujet humain, non pas simplement
projection de l’intérieur (ses pulsions) mais qu’il est aussi le lieu où
se situe le désir de l’autre, et où le sujet va avoir à le rencontrer.

Mais le proposer ainsi implique un développement sur la constitution


du fantasme et de la réalité psychique. Ce n’est que pour mémoire
que nous évoquerons la nécessité de ne pas réduire le fantasme
relationnel, qui connote à la fois un stade d’image du corps libidinal,
et un mode de relation d’objet précocement soumis à la marque des
structures signifiantes, à un pur imaginaire dont la traduction
verbale ne serait qu’épiphénomène.

Passant sur les premiers stades, indifférenciés quant au sexe, de la


« relation d’objet », nous rappellerons surtout que la mère est le
siège du désir, en tant que l’enfant est désiré, mais aussi en tant que
la mère, dans sa présence-absence, crée la référence au tiers de son
désir à elle.

Il n’y a pas de sujet sans constitution fantasmatique du désir, et le


désir ne se conçoit pas en dehors des processus de symbolisation :
niveau de rencontre, et du substratum imaginaire (dont
l’hallucination première de l’objet est le modèle exemplaire) et de
l’entendu et articulé du langage primaire (fort und da).

Allant tout de suite plus loin, nous rappellerons qu’il n’est pas
possible de comprendre la fonction constituante du phallus dans le
processus d’introduction du sujet à son existence et à sa position
sexuelle sans faire du phallus le signifiant fondamental par lequel le
désir du sujet doit se faire reconnaître comme tel (masculin ou
féminin).

Le sujet ne tient sa signification et son pouvoir de sujet que d’un


signe : celui qui est perdu comme le premier objet, et qui permet
l’élaboration du fantasme fondamental autour de ce manque et à
partir de lui. Ce signe, il en entérine l’existence signifiante dans le

188
La régression du patient et l’analyste

manque de l’objet à partir de quoi tout sera à valoir. Et c’est cela qui
crée la structure ternaire.

C’est en ce sens que le père tient sous son autorité l’ensemble du


système du désir ; ce qui revient à dire qu’à l’intérieur du système
signifiant, le nom du père a la fonction de l’ensemble du système
signifiant en tant qu’il en autorise l’existence.

En ce sens, il n’y a plus aucune difficulté à admettre que la situation


de l’enfant est structurée, selon le système œdipien, dès l’origine. Et
ceci confirme Freud dans son souci de souligner la validité de la
notion de complexe d’Œdipe, et ce, dès le début de la vie12

L’on voit que cela n’a de sens que si l’on n’élude pas le registre du
signifiant dans l’étude de l’imaginaire et dans la théorie du fantasme.

Mais le rôle du phallus signifiant privilégié pour l’organisation du


complexe d’Œdipe ne peut être apprécié, et spécialement dans
l’évolution de la fille, sans la notion corrélative de complexe de
castration. C’est dans le complexe d’Œdipe, dit Freud, le « moment »
spécifique13 Ce temps historique spécifique est un moment décisif.
Un fait marquant est que l’opposition de Jones à Freud se trouve par
ce dernier mentionnée à propos du complexe de castration, lorsqu’il
s’agit de la libido féminine.

Freud montre que la position correcte de la notion du phallus est


nécessaire pour comprendre la castration qui réciproquement éclaire
la conceptualisation du phallus. Il va jusqu’à faire reproche à Jones
de manquer l’une et l’autre et, ce faisant, de passer à côté de la
psychologie abyssale même14 Là où Jones a vu une formation de
défense contre des pulsions primitives, Freud voit un enchaînement
posé dès le début, dont la première phase est, dit-il, prépondérante.
Cet enchaînement prend son sens, comme chaîne signifiante.
12 Les. Werke, Band XIV : Ueber die Weibliche Sexualität, p. 518, lignes 28 à 33.
13 G.W., XV : Die Weiblichkeit p. 133, ligne 13. Traduit dans le texte français de
l’édition de 1936 des Nouvelles Conférences, on ne sait pourquoi, par
« facteur ».
14 G.W., XV : Die Weiblichkeit, p. 134, ligne 31.

189
La régression du patient et l’analyste

Le désir du désir de la mère (fort und da) égale pour nous le phallus
= avoir aussi quelque chose comme ça (auch so etivas haben)15 =
désir du pénis = désir d’un enfant. Le désir que la petite fille
reportera sur son père, sera bien quant à ses origines le désir du
pénis dont la mère l’a frustrée et que maintenant elle attend du
père16

Dans l’approche du complexe de castration, trois notions se trouvent


ainsi différenciées.

La « Versagung » dont la traduction acceptée est frustation qui est


un processus imaginaire portant sur objet réel. Le fait de ne pas
recevoir le pénis est frustation imputée à la mère.

La privation, processus réel, concernant un objet symbolique. La


petite fille n’aura jamais d’enfant du père, et le pénis est symbole de
ce dont elle est privée.

La castration ampute symboliquement le sujet de quelque chose


d’imaginaire ; elle se situe au niveau de la relation à un phantasme.
Cette relation prendra une valeur signifiante de par la parole de
l’autre pour fonder ainsi le désir sexuel. Toute la question est de
savoir comment la fille peut être marquée par un tel processus.

***

La castration moment spécifique de l’évolution de l’être humain


spécifiera l’être humain quant à son Wesen du point de vue de la
sexualité. Les restes du complexe de castration seront comme le
modèle selon lequel s’ordonneront les dominantes affectives chez les
15 G.W., XV : Die Weiblichkeit, p. 133, ligne 33. Traduit en français par « avoir
un machin comme ça ». Où la traductrice montre le peu d’émancipation où
elle est par rapport à la rigueur de l’équation que nous posons, où son désir
est captivé.
16 G.W., XV : Die Weiblichkeit, p. 137, lignes 15 à 17. « Der Wunsch nach dem
Penis, den ihr die Mutter versagt. » Traduit toujours dans la même édition
par « le désir de posséder un phallus ». Où les registres se trouvent brouillés.
Le phallus étant ici signifiant du désir, ne saurait en ce cas être l’objet d’un
désir.

190
La régression du patient et l’analyste

hommes et les femmes. Ce que l’on peut appeler les « restes » de ce


complexe est en même temps le plus puissant « moteur » (Freud) du
développement ultérieur.

Ce moteur fonctionne selon deux modalités distinctes que Freud a


appelées Kastrations Angst et Penis Neid. Nous pensons que ces
notions qui se répartissent sur deux versants du manque, peuvent
s’éclairer davantage si on les examine à la lumière de la spécificité
du moment constitué par le complexe de castration. Et nous
constatons que Freud met d’emblée ce complexe en rapport avec la
seule chose qui soit spécifique au niveau des individus ; c’est-à-dire
le sexe et plus précisément encore la particularité anatomique qui le
spécifie.

Si le phallus est l’élément imaginaire par lequel le sujet est au niveau


génital introduit à la symbolique du don ; si c’est à ce niveau général
que le fantasme phallique prend sa valeur, pour cette raison il n’a
pas la même valeur pour celui qui a le phallus et pour celle qui ne l’a
pas. La symbolique du don et la maturation génitale sont liées. Elles
entreront en jeu réellement, dans l’échange interhumain au niveau
des règles instaurées par la loi dans l’exercice des fonctions
génitales.

Mais rien de tout cela n’a de cohérence propre au sens biologique ou


individuel pour le sujet. La cohérence y est précisément apportée par
ce moment spécifiquement humain désigné par le complexe de
castration.

Il convient alors de se rappeler qu’on ne peut superposer les


registres qui, sur ce plan, sont ceux de l’expérience du garçon d’une
part, de l’expérience de la fille d’autre part.

Et il faut nous arrêter sur ce point avec d’autant plus de vigilance


qu’il est fondamental pour toute conceptualisation théorique de la
structure perverse.

Pour le garçon, la question ne nous est pas inconnue. La castration


est d’abord imaginaire et récusée, en tant que l’aperception de la

191
La régression du patient et l’analyste

différence des sexes met en danger le pénis, au niveau de l’image du


corps. La préservation, derrière le voile, du pénis imaginaire de la
mère est un moment déterminant pour les fixations fétichistes.

Par la suite survient le moment exemplaire de la castration


symbolique, c’est-à-dire le stade où la loi et les privilèges du père
phallophore, interdisant la mère au jeune désir de l’enfant,
déconcerte en celui-ci l’innocence des désirs phalliques pour
marquer du sceau de la castration, l’inadéquation du petit mâle à la
stature de ses présomptions. C’est ainsi que l’aptitude fonctionnelle
du garçon à trouver dans ses énoncés corporels le schéma de ses
ambitions libidinales est relativée de telle sorte qu’il fera naître le
futur de sa revanche, de la réduction de ses espoirs actuels à la
mesure dérisoire de son étalon pénien.

Dans cette perspective, par rapport à l’imaginaire corporel du


garçon, le manque à avoir du désir ne s’articule qu’au niveau
symbolique, c’est-à-dire à partir de la manifestation paternelle : de
ce père qui recrée la mère, dans son désir à lui, comme premier
objet d’amour découvert au jour même où il est perdu. Ceci, c’est la
castration symbolique qui vient peut-être s’inscrire pour le garçon
sur la préhistoire des expériences de manque qui l’ont affronté à la
privation et à la frustration – avant de concerner la mère dans sa
castration à elle – mais qui maintenant articule le désir phallique à la
loi et à la problématique de sa transgression.

Privation, frustration, castration, ce sont les termes dont nous allons


devoir également nous servir pour la fille, mais avec quelles nuances
différentes ?

Si l’on suit le schéma freudien de la similitude préœdipienne entre le


garçon et la fille, on en viendra tout de suite à l’idée que la fille
comme le garçon en tant qu’enfant désirée a d’abord la place du
phallus ; que son premier désir d’assujettie est désir du désir de la
mère ; que secondairement l’aperception d’un troisième terme
créera, pour la fille, cet au-delà de la mère où se situera le phallus en

192
La régression du patient et l’analyste

tant que signifiant de son désir, et la parole du père en tant que


constitutive du monde symbolique.

Si l’on s’en tient à ce parti pris de similitude, on pourra tout aussi


facilement que dans le cas précédent décrire la privation du sein et
la frustration d’amour.

On pourra de même postuler une position identique de la fille et du


garçon, non point par rapport au pénis, mais bien par rapport au
phallus en tant que signifiant du désir de la mère. Et c’est là que se
placera ce moment privilégié et énigmatique qui, selon l’optique
freudienne, amène la fille, engagée dans les chemins frayés par sa
libido « masculine », à prendre le tournant de la féminisation, autour
du pivot de la phase phallique.

Tout ceci nous amène aussi au moment exemplaire de l’irruption du


pénis dans le monde spéculaire de la fille.

En fonction même des documents encore énigmatiques qui nous sont


fournis par l’étude des psychoses et des affections psycho-
somatiques, si nous en venons à considérer le corps propre de
l’enfant comme un matériel signifiant offert, exposé aux symboles qui
le concernent, nous devrons bien constater que l’irruption même du
pénis réel, dans un monde aussi apprêté qu’il soit par les instances
du langage maternel, et par son désir, pose un problème dont il faut
rechercher les ressorts spécifiques. Un de nos patients nous
racontait l’histoire suivante :

Il récitait à la distribution des prix, sur scène, un poème où il était


question d’un petit chien, et c’est à ce moment-là que le chien de la
concierge du théâtre a traversé la scène, à l’instant même où le
poème parlait de lui.

La réalité dans ses hasards fait quelquefois de ces mauvaises


plaisanteries. Le surgissement dans le réel d’un énoncé mis en
italique, pour être un effet théâtral bien connu, pourrait nous décrire
peut-être ce que peut être pour la petite fille sa position déconcertée

193
La régression du patient et l’analyste

voire persécutée lorsque le monde extérieur la prend au mot de son


désir inconscient.

Position persécutée ? Il ne le semble pas forcément. En effet, cette


information qu’elle est une fille, en tant qu’elle vient du dehors pour
constituer un manque réel, ne serait persécutive que si la fille avait
été reconnue comme clitoridiennement garçon. C’est ce qui peut se
passer ou ne pas se passer…

Opposons au moins la formule selon laquelle dans le monde des


formes et des gestalt relationnelles signifiantes, le garçon n’a besoin
d’aucun apport extérieur pour compléter le puzzle de son corps
morcelé, à la formule de la fille qui, par contre, n’a pas d’énoncé
corporel fonctionnel à rattacher aux propositions qui lui viennent du
monde extérieur, en dehors des énoncés pré-génitaux.

Il est bien évident en effet que quelle que soit la signification


primitivement ou secondairement donnée au clitoris, celui-ci, pour
être un pôle d’érogénéité, n’est pas le fait-pipi du petit Hans. En
règle générale, il n’est pas reconnu et investi par la parole parentale,
et c’est ainsi que se crée pour la fille le hiatus entre le monde du
désir et de l’amour d’une part, et toute préhistoire corporelle
prégénitale d’autre part, même si rétroactivement, elle tente de
réinsérer ce qu’elle vient d’apprendre dans le monde de son vécu
assumé – c’est-à-dire sur un mode à la fois régressif et protestataire.

On peut donc dire que si la trace clitoridienne prend son sens dès
l’existence du pénis, que si les pulsions clitoridiennes trouvent dès
lors dans le modèle génito-urinaire pénien l’image même d’une
fonctionnalité signifiante, qui peut soutenir un temps les mascarades
garçonnières de la fille, il se trouve quand même qu’aucune parole
interdictrice ne viendra sanctionner un schéma corporel clitoridien
chez elle.

La question en fait, c’est de bien souligner qu’il s’agit là d’une


expérience de privation, voire de frustration par rapport à l’absence
de don pénien par la mère – mais pas encore d’une castration.

194
La régression du patient et l’analyste

Saisissons le moment pour opposer au manque réel ainsi réalisé par


la fille, l’instauration de l’objet symbolique, dans sa coupure même
par rapport au corps, et le fait que dès lors ce peut être une occasion
pour la fille de chercher la maîtrise rétroactive du thème
traumatisant dans la régression anale, selon le schéma de la
séparation d’avec le scyballe excrémentiel.

Ceci pourrait nous donner des lumières sur ce plus grand


investissement du corps que l’on constate chez la fille, sur la richesse
du matériel anal dans toute analyse de femme, sur ce fait aussi que
le schéma lui sera rétrospectivement donné, par le surgissement du
pénis, des fantasmes d’incorporation dans un sens désormais génital,
selon l’équation : pénis = fèces = enfant, en soulignant le côté
« objet séparable du corps ».

Mais le problème essentiel c’est de savoir en quoi un rapport de


symbolisation, avec la scansion même d’une coupure et la trace d’un
refoulement peut d’une manière ou d’une autre, concerner le vagin,
en tant que tel, pour structurer un fantasme de désir spécifiquement
et génitalement féminin.

On nous opposera à ce moment l’angoisse de viol à l’angoisse de


castration. Sans doute… mais cette première est-elle théorisable en
dehors du thème de la virginité, c’est-à-dire d’une ordonnance
symbolique des interdits parentaux ?

À ce niveau, on conçoit l’érotisation vaginale élective et la


structuration d’un fantasme de désir inséparable d’un veto. Mais cela
est-il si habituel ?

De toute façon, nous ne sommes pas dans le même registre


lorsqu’est évoqué le refoulement inexorable du désir phallique chez
la fille après prise de conscience des avantages masculins quant au
pénis réel, et lorsqu’on recourt à la notion d’une loi interdictrice qui
fait naître le vagin de la virginité édictée comme impératif paternel.

Il y a d’une part, référence à la réalité, de l’autre, référence à la


parole. Là est tout le problème.

195
La régression du patient et l’analyste

***

Ce que nous voudrions simplement souligner c’est que l’évolution


œdipienne de la fille peut ne pas rendre entièrement compte de sa
vie libidinale ou plus exactement sexuelle. Elle peut même
paradoxalement, oserons-nous dire, la masquer…

Il est frappant que tous ceux – et nous nous y sommes essayés – qui
veulent approfondir, serrer de plus près ce que l’on sait de l’Œdipe
de la fille, sont toujours obligés de mettre au premier plan telle ou
telle référence culturelle, telle intervention éducatrice, ou
traumatisante, pour perfectionner et achever leur démonstration.

À l’inverse, c’est toujours au sujet de la sexualité féminine qu’il vous


est objecté : « C’est vrai, peut-être, mais dans telles coordonnées
culturelles… » On évoque beaucoup moins constamment les
différences culturelles, et leur action, lorsqu’il s’agit de l’homme et
de son désir.

Autrement dit, nous avons, sur un versant, à partir des données


freudiennes, tout le développement de la libido chez la fille comme
un système cohérent qui suit une évolution parallèle à celui du
garçon, jusqu’au point d’achoppement et d’énigme que constitue la
castration.

Nous avons sur l’autre versant – et on ne saurait ne pas en tenir


compte -— tout ce qui soumet la fille à l’inéluctabilité du réel quant à
son développement sexuel.

La confusion habituelle vient, à notre sens, du fait que les partisans


d’une libido spécifiquement féminine, les tenants du vagin-à-l’âge-
oral, en bref tous ceux qui ne peuvent se contenter du postulat
freudien, d’une seule et même libido pour les deux sexes, et de son
évolution liée au primat phallique, et à lui seul, ne séparent pas
assez réel, imaginaire et symbolique, et plaquent impérativement des
rapports de symbolisation sur tout, sans se rendre compte qu’ils sont

196
La régression du patient et l’analyste

seulement prisonniers des signifiants, qui les marquent


indélébilement eux-mêmes.

Pour bien faire comprendre notre pensée, nous pouvons l’illustrer


par une supposition tout à fait arbitraire et, bien sûr, invérifiable :
qu’une fille, naturellement fille, échappe par hypothèse à toute
structuration œdipienne, ne l’empêcherait peut-être pas de jouir à
l’heure du rut. Elle ferait aussi un enfant et aurait pour lui du lait.
Dès lors que cette fille est prise aux rets du signifiant, dans l’aptitude
innée qu’elle a d’en intégrer les empreintes, elle fait de son instinct
sexuel un système libidinal (pulsion, représentant, refoulement,
fantasme, etc.), qui, par définition la soumet à la loi du phallus
comme le garçon.

Qu’elle devienne ainsi clitoridienne et en passe par cette phase de


frigidité vaginale, presque constante dans la vie sexuelle de toute
fille (de toute façon connue comme fréquente et possible), n’a rien
pour étonner.

Pour qu’en fait, elle trouve ou retrouve le spécifique de\sa féminité,


peut-être faut-il qu’elle aille plus loin que l’homme n’ira jamais s’il
n’y est prédisposé par un traumatisme ou une forclusion signifiante.
Autrement dit, faut-il qu’au cœur de la conjonction génitale qui lui
fait connaître, désirer ou subir le désir de son partenaire sexuel, elle
s’identifie au réel de son propre manque, pour situer au-delà de la
castration masculine, un rapport premier et dernier entre la béance
ineffable de ce réel et le surgissement du signifiant, c’est-à-dire du
phallus.

Clinique ou littérature témoignent de ces frigidités brusquement


résolues par l’intrusion d’un homme qui ne trouve son prestige, sa
valeur et son efficacité, qu’à avoir permis une coupure signifiante
dans un monde imaginaire fermé encore sur lui-même.

La femme alors, dans cette expérience initiatique, rejoint sans le


savoir ses propres commencements pré-symboliques et si elle vit

197
La régression du patient et l’analyste

l’orgasme dit vaginal, c’est bien comme une expérience


incommunicable et inconceptualisable.

Ce qu’il convient de souligner, c’est que la clinique nous montre la


précarité des schémas œdipiens par rapport aux infinies variations
des histoires féminines. Les schémas cliniques ne manquent pas,
mais tout se passe comme si la femme était depuis l’origine, dans un
rapport privilégié au réel, dont il fallait tenir compte pour ne jamais
la résumer aux modalités ou avatars de son Œdipe.

Ainsi peut-on voir des enfants oraux ou anaux chez des femmes pré-
œdipiennes – de même que des orgasmes rectaux ou vaginaux chez
de grandes immatures, ou à l’inverse des frigidités irréductibles chez
des sujets fort œdipiennement marqués par une anamnèse
normative.

Que la féminité soit un supplément et non un complément de la


masculinité, s’explique ainsi, si l’on sait rendre au terme de pulsion
son vrai sens, et ne pas confondre désir et besoin, biologie et
structuration libidinale, inconscient et instinct dans son innéité.

Le garçon, dans son évolution habituelle, peut éviter sexuellement


tout affrontement non « tamponné » du réel. Dès le premier jour, son
appareil génito-urinaire est constitué et fonctionne sur un mode
émissif. La castration, imaginaire puis symbolique, n’amènera rien
d’autre que la structuration même de son désir, pour surdéterminer
la nature des choses. Le réel ne sera qu’intuitivement perçu dans cet
Autre absolu que constitue, dans sa béance, le mystère féminin. Et il
le rencontrera rarement, ce réel, car la femme est tout autant prise
que lui dans les leurres de l’imaginaire et les chaînes du signifiant.
Elle le dit elle-même : « Elle s’ignore en tant que femme. »

En revanche, pour la fille, qu’il s’agisse de l’intrusion du pénis réel


(et le moment en reste soumis quand même à des conjonctures
extrêmement variables), qu’il s’agisse de la menstruation, qu’il
s’agisse de sa fécondité naturelle et de l’enfant réel qui peut naître
de son égarement tout autant que de sa syncope, pour la fille, le réel

198
La régression du patient et l’analyste

et le signifiant viennent d’un même extérieur pour constituer dans


leur association ou leur indépendance réciproque, toutes les
combinaisons possibles. Le traumatisme est inhérent à la vie de la
femme. Par son instance inéluctable, il renouvelle d’âge en âge des
promesses de structuration qui sont toujours aussi brèche sur
l’inarticulable. Qu’il survienne sur l’empreinte d’une structure
fantasmatique, et ce sera germe de progrès libidinal. Qu’il survienne
sur un terrain « non colonisé » ou « colonisable » par le signifiant, et
ce sera le renouvellement de la béance première dans le défaut du
signifiant, c’est-à-dire dans la nécessité d’un signifié du signifiant : le
Phallus, Dieu ou la Mort.

En définitive, si comme le souligne Freud, la fille entre dans l’Œdipe


par la castration, on peut peut-être poser la question : la castration
de qui ? S’il n’est point de désir qui ne postule la signifiance d’une
marque, la trace d’une coupure, c’est bien le père, dans son désir
pour la mère, qui est marqué par cette castration-là.

La façon dont la mère a le désir du désir de l’homme ; la façon dont


la fille se sent aussi concernée par lui à la faveur même de l’interdit
qui plane avec plus ou moins d’ambiguïté sur la relation père-fille ; la
façon dont le père assume, ou pas, et son désir et le veto œdipien :
voilà les données à plusieurs variables qui placent le destin œdipien
de la fille sous le signe du multiforme et du prolongé, pour la laisser
infiniment plus dépendante que le garçon, du mode d’organisation
libidinale qui régit la relation parentale.

Si le déclin de l’Œdipe ne peut finalement être référé chez elle qu’au


deuil de l’enfant du père – deuil qui ne se réalise parfois qu’au
moment de la grossesse réelle comme le fait remarquer F. Dolto –
c’est en ce sens que ce n’est jamais elle que concerne directement la
castration symbolique. D’où l’importance, plus grande encore pour
elle que pour le garçon, de l’imago paternelle, et l’extrême
sensibilité féminine à tous les avatars de la castration de l’homme.

199
La régression du patient et l’analyste

Les temps modernes ou la castration sans garantie

Pouvons-nous tenir la famille et le mariage tels que nous les


connaissons pour synonymes d’un type premier et naturellement
donné de telles institutions ?

Les acquisitions ethnologiques contemporaines nous ont donné deux


séries d’informations. D’une part la famille tend à travers le temps à
rétracter en quelque sorte ses ramifications. D’autre part la famille
gentilice s’est graduellement retirée sur les positions minimales
nécessaires, se contractant autour de ses composants
biologiquement indispensables. Des notions courantes telles que le
foyer, ont vu leur sens glisser vers une précision restrictive qui
n’était pas dans leur sens premier. Des termes tels que l’allemand
hof, littéralement cour, sont, très près de nous, les témoins d’une
dimension révolue sur les familles d’autrefois. Leur grandeur,
l’admission dans leur sein de la domesticité, dont on dit « qu’elle
faisait partie de la famille », sont non seulement le reflet du
mécanisme d’élaboration de ce qu’on appelle les souvenirs de famille
à quoi notre époque n’apporte rien de spécifique, mais encore le
témoignage du fait que les familles ne sont plus ce qu’elles étaient.

Pareillement les interdictions de mariage existant dans notre société


sont bien plus restreintes que dans des sociétés primitives qui nous
sont connues. Si le mariage exogamique de la tradition judéo-
chrétienne fait peser l’interdit sur un nombre de femmes inférieur à
l’effectif féminin interdit à tel primitif, il faut également remarquer
qu’à l’intérieur même du monde occidental, il n’y a plus guère que
dans les armées de métier où l’union dépend de l’accord d’un
supérieur hiérarchique. Le mariage devient un mariage d’inclination.
Son institutionalisation, elle-même inscrite dans notre tradition, n’est
pas étrangère non plus à l’émiettement de la cour en une multitude
de foyers, situés à la périphérie ou hors de l’aire de la cour
patriarcale. Les deux phénomènes sont liés par une relation qui ne
peut être réduite à un rapport de cause à effet.

200
La régression du patient et l’analyste

Ainsi est venue notre époque où les notions de mariage et de famille


se confondent. Que la famille primitive comprenne des unités
biologiques, c’est-à-dire des couples, n’est pas ce qui est en question.
Le problème que nous posons est de savoir en vertu de quel principe
ces couples sont formés. Diverses éventualités sont connues. Les
couples peuvent se constituer par achat ou par enlèvement. Le
simulacre de rapt se trouve conservé dans le rituel de certaines
peuplades contemporaines. L’essentiel est que de nos jours la famille
se spécifie par un mariage dont le principe est un consentement
mutuel -— ou le mariage dit d’amour. Ceci n’est point pour l’opposer
au mariage dit de raison qui n’échappe pas à la dialectique que nous
décrivons, mais au mariage où le consentement n’est quant au
principe ni acquis, ni sollicité, si même il peut dans la situation être
un élément important.

Notre époque n’a pas inventé les unions scellées par un désir
partagé, mais elle inaugure l’ère où est tentée la conciliation de
l’amour et de la loi. La transformation de la répudation des femmes
dans la pratique contemporaine du divorce est un élément
concomitant.

En considérant davantage le couple contemporain de ce déclin du


patriarcalisme, nous faisons d’autres constatations intéressantes.
Examinons par exemple les images de la femme véhiculées par le
discours du XIXe siècle finissant et du XXe.

C’est l’épanouissement des sociétés bourgeoises qui a codifié une


certaine position de la femme dans ce cheminement vers son statut
contemporain de compagne ou de partenaire conjugale. En effet
dans l’expression allemande des 3 K (Kinder, Küche, Kirche)17se
trouve admirablement représentée la position où le couple occidental
a tenté de retenir un principe à son existence : la femme gardienne
du foyer, raillée dans cette position dans la mesure où elle y est
redoutée. Participant du statut que lui confère le Décalogue parmi

17 Enfants, cuisine. Église.

201
La régression du patient et l’analyste

les biens de l’homme et de celui de gardienne du foyer, il lui échoit la


garde non seulement des enfants, gage de l’avenir, mais de la Loi
Divine. À dire vrai, si elle veille à la nourriture, au futur, et à la Loi
qui le garantit, elle a en charge ce qu’il y a de plus important ;
laissant à l’homme le rôle du bourdon, la charge de gratter la surface
de la terre et de s’entretuer avec ses voisins, charge où les hommes
sont interchangeables.

Mais cette formule des 3 K est née dans l’ambiguïté du moment où
les enfants et la Loi Divine étaient en passe de devenir l’objet d’une
attention amoindrie. Le birth control dans ses modalités diverses,
dont les progrès de la science accroissent l’efficience, va de pair
avec le recul des positions chrétiennes. Par une concordance dont
l’explication gît au-delà de la Weltpolitik, l’Église catholique romaine
et les partis communistes occidentaux, ont lié leur cause à la lutte
contre la limitation des naissances.

De garante déclarée des valeurs auxquelles on ne croit plus guère, la


femme est devenue l’objet d’une autre visée pour l’homme. La
coalescence de l’amour et du conjungo fait du mariage la recherche
d’un bien souverain.

La femme est pour l’homme l’objet dans lequel et par lequel ce bien
pourra être atteint. Par le mariage il sera gardé. Mais si un bien est
souverain, l’homme ne saurait lui commander. Et s’il le garde, il ne
pourra garder qu’un bien ; parmi ses biens.

Par ailleurs, le complexe d’Œdipe et le complexe de castration nous


ont appris qu’il ne sera libre d’user de ses biens, qu’il a poursuivis
pour ce qu’ils ne sont pas, que si dans cette poursuite il a
transgressé la loi et payé la dette qui le libère.

Tout mariage porte obligatoirement un écho de la castration. Dans la


mesure où dans le patro-centrisme œdipien, une des conditions
exigibles pour une position correcte du complexe de castration vient
à manquer, les contrecoups de cette carence se manifesteront au
niveau de ce moment décisif de l’évolution œdipienne.

202
La régression du patient et l’analyste

Or les circonstances contemporaines mettent précisément en scène


une carence grave, sur le plan du rapport du père à sa propre loi. La
visée d’un bien souverain sans transgressions articulables rend
impossible le paiement de la dette, estompe le Nom du Père, comme
engendrant le système signifiant. Dans cette mesure même le Nom
du Père cesse d’être créateur absolu c’est-à-dire ex nihilo. Pour
autant, on pourra dire qu’à perdre leur filiation d’avec ce qui
autorise le signifiant, les biens qui échoieront en partage tendront à
devenir insignifiants.

Telle est la rançon du fleurissement comme idéal, de la confusion de


l’amour et du conjungo. Si aucune femme n’est interdite, aucune
femme n’est permise et toute femme qui n’est pas permise est
interdite par loi. Telle est la base effective sur laquelle s’édifie le
mariage, dans la position contemporaine du complexe de castration.

À la bigamie originale de l’homme qui au-delà de sa partenaire,


cherche à retrouver celle qu’il n’a jamais eue, succède une démarche
plus aveuglée où l’au-delà de l’objet tend à s’éteindre, l’objet étant
d’emblée visé pour ce qu’il n’est pas. Et la conduite amoureuse de
l’homme tendra à ne plus trouver son sens que dans une course
essoufflée pour capter une propriété qui le fuit.

Là sera son point de rencontre avec la femme dont la démarche est


le modèle inconscient de la sienne. Le patriarcalisme déclinant est,
pour elle aussi, insuffisant à garantir une castration dont l’instance
féminine renforcée ne saura qu’exacerber les effets dislocants et
mutilants dans l’imaginaire.

Ainsi la femme sera-t-elle amenée – de plus en plus – à rejeter le


premier amour pour sa mère et réprimer une partie de sa sexualité18

18 Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse . Die


Weiblichkeit, in Gesammelte Wer/ce, Band XV, p. 135 : sie verwirft seine
Liebe zur Mutter und verdràngt dabei nicht selten ein gutes Stück seiner
Sexualstrebungen überhaupt.

203
La régression du patient et l’analyste

De ce rejet, selon sa nature et son intensité les conséquences seront


diverses. Elles pourront s’étager de l’érotomanie passionnelle
jusqu’au style de récrimination où Freud a saisi la répétition, dans le
mariage, des relations de la fille à la mère.

Ne vivant que dans l’attente de ce qui doit lui revenir poùr autant
que ça lui est dû, les aléas de l’identification de l’objet d’amour avec
l’objet de la satisfaction se répercuteront au niveau du champ de la
propriété sexuelle – qui, si elle subvertit tous les autres besoins – ne
s’en vide pas moins du sens de son contenu.

Cette identification troublée pourra certes en fouettant la quête de la


femme et en la détournant de ses objets naturels contribuer à
retarder l’arrêt précoce du développement où Freud voyait son
infériorité.

Mais à évacuer la propriété, c’est sur l’appropriation que l’accent se


déplace. La modalité différente, selon laquelle pour la fille et le
garçon se fait la sortie du complexe d’Œdipe, explique que par
rapport à cette propriété la femme se réclame dans la relation
amoureuse, d’un idéal de fidélité. L’observation clinique courante
nous en montre l’incidence exacte. La femme n’est pas naturellement
plus monogame que l’homme mais à l’intérieur de chaque union, sa
position se règle sur un idéal monogamique.

C’est ainsi que se démontre son incapacité alléguée, et passée au


compte de l’oubli avec chaque partenaire, d’évoquer les souvenirs
d’une union révolue, de même que la répugnance souvent attestée à
laisser coexister deux liaisons sexuelles.

Cette appropriation qui s’emballe, a vacuo en quelque sorte, est le


reflet de la pente particulière à l’envie soulignée par Freud. Elle
trouve son pendant dans le signe de la « désertion » sous lequel
Jones en 1935 inscrit le destin de la femme, après l’avoir en 1927,
placé sous celui de la séparation.

204
La régression du patient et l’analyste

La position de la femme, dans l’attente où elle se trouve, est celle


d’un certain manque à avoir dont elle attend que la vie lui apporte le
dédommagement.

Sans vouloir cliver artificiellement les divers niveaux du manque que


toute demande comporte et met en avant dans une quasi-
simultanéité, il semble néanmoins possible d’avancer que c’est d’une
façon privilégiée dans le registre de l’avoir que la femme éprouvera
son manque. Peut-être ne faut-il pas chercher ailleurs l’explication
dernière de la facilité que rencontrent les femmes à étayer leurs
demandes sur l’énumération de griefs où s’exprime leur privation.

C’est là encore où l’homme dans sa position contemporaine viendra


la rejoindre. La séparation que la première relation fonde est celle
que toute angoisse rendra présente, sa vie durant. Et la séparation
par quoi l’homme apprendra son manque, comportera dans son
évolution un temps particulier : ce temps de la castration. Temps
d’une difficulté particulière car les possibilités qu’ouvre le complexe
de castration resteront pour lui virtuelles dans la mesure où le cours
de son développement n’aura pas été idéal. Par une sorte de juste
retour des choses, on peut dire que si à la fille il est au
commencement demandé beaucoup et beaucoup pardonné par la
suite (ce dont la plus banale observation de la précocité des filles et
de ce qu’il en advient ensuite, rend compte) ; au garçon, il est
beaucoup pardonné au début et beaucoup demandé par la suite. Le
complexe de castration doit idéalement le débusquer d’une position
où l’avoir serait la dimension dans laquelle il pourrait pallier son
manque. Le décours favorable du complexe de castration doit mener
le garçon à abandonner l’être comme plan où il aurait à faire valoir
des revendications. C’est plutôt sur ce qu’il est et aura que ce
complexe le retourne.

Il n’aura pas la mère, mais là n’est pas le problème, il ne manquera


pas de femmes s’il devient un homme. Dans quelle mesure pourra-t-il
l’être, puisqu’il ne peut pas être son propre père ? (Sauf dans la

205
La régression du patient et l’analyste

psychose.) Le complexe de castration le nantit d’un titre du père à


être comme lui. Il a la souche du titre de père.

Cette évolution est celle que la famille contemporaine tend à rendre


encore plus malaisée. La pression que nos sociétés jusque dans
l’éducation exercent sur les filles depuis longtemps, va entièrement
dans le sens de centrer sur le plan de l’avoir leur sentiment d’elles-
mêmes (« Plus tard tu auras de belles robes, Toute femme a droit
à…, peut prétendre à avoir…, Quand elle aura trois gosses elle sera
contente et me fichera la paix », répondent les hommes).
Présentement cette même dimension devient graduellement pour le
garçon aussi, la seule où tout l’invite à se centrer. En guise de
plaisanterie, on pourrait dire que, peut-être un jour, n’assisterons-
nous plus à l’enchaînement des défis enfantins, qui, s’ils
commençaient par la comparaison avantageuse des stocks de billes,
s’achevaient par l’affirmation « mon père est plus fort que le tien »
où autant que les forces possédées, l’être du père était mis en cause.
Peut-être est-ce aux forces précisément que les enfants de demain
s’arrêteront lorsqu’ils ne sauront aller au-delà de l’affirmation :
« l’auto de mon père a 1 000 chevaux et 1 000 cylindres ».

Ainsi se trouvent définis le lieu et la dimension où se rencontrent les


aspirations de l’homme et de la femme. En ce sens, il serait faux de
dire que dans le déclin que nous vivons du patriarcalisme, c’est à la
femme qu’est dû le maintien de l’institution du mariage – qu’elle
souhaite assurément. Amputé sans être castré au sens du complexe
de castration, n’étant personne puisqu’il n’est pas un homme, et
partant, ne pouvant rien posséder, il voudra tout avoir (pour la
névrose obsessionnelle le portrait n’est pas chargé). Il voudra tout
avoir et la femme voulant avoir tout, ils sont faits pour s’entendre ou
plus exactement, se marier. C’est aussi dans les pays où le
patriarcalisme est le plus déchu que l’on se marie le plus. Si les
U.S.A. ont la réputation d’être le pays du divorce faut-il souligner à
quel point cette réputation est un commentaire dont l’incomplétude

206
La régression du patient et l’analyste

éclate à ne pas rendre compte du fait que l’on n’y divorce pas pour
reprendre une existence de célibataire, mais pour se remarier. Nous
dirons que les U.S.A. sont le pays où l’on se marie le plus. Les
Américains du Nord sont du reste les premiers à souligner le manque
de considération où est, à leurs yeux, tenue en Europe l’institution
du mariage. Mais la prime au mariage, qu’ils opposent à la prime au
libertinage de la vieille Europe est la version institutionalisée de
l’impossible coexistence, que le Vieux Monde laisse au chaos, de
l’amour et du conjungo. C’est par où les idéaux féminins prennent à
revers l’idéal de fidélité dont la femme se réclame. Car tout amour
porte en lui la castration.

La femme homosexuelle

Plus encore que l’homme lorsque s’inversent pour lui les voies de
l’amour, elle fait scandale.

Pourquoi ? Pourquoi reste-t-elle si dangereusement proche du bûcher


où hommes et femmes « normaux » sont prêts à l’attacher. Parce
qu’être self-sufficient constitue un insupportable défi. Ne pas être
convoité dans la propriété sexuelle pour combler un manque, ne pas
être sollicité au niveau de son être, c’est être nié sur ce plan même.
L’homosexuelle signe l’arrêt de mort de l’homme et de la femme.

Elle se signale d’abord comme celle qui, comme on dit, « ne veut
pas ». Qu’est-ce donc qu’a priori elle ne veut pas ? Et de quel vouloir
s’agit-il ? Remarquons au passage que si vouloir peut si aisément
signifier : vouloir avoir – dans l’invitation banale « voulez-vous une
tasse de thé ? » que la courtoisie anglo-saxonne traduira en « hâve a
cup of tea » (Ayez, prenez une tasse de thé) – lorsque nous dirons
qu’une femme n’a pas voulu, nous y mettons une nuance
d’indignation que nous chercherons en vain dans une affirmation
identique si elle concerne un homme. « Il n’a pas voulu » nous laisse
le choix entre l’admiration suscitée par la dignité du refus et la
moquerie qui brocarde l’impuissance.

207
La régression du patient et l’analyste

En effet, si les femmes se mettent à ne plus vouloir avoir, c’est très


rigoureusement la fin du monde. Et pour les hommes c’est la fin de
toute possibilité de leur en promettre.

Une étude de l’homosexualité, selon nous, doit commencer par là.

Si nous rencontrons l’homosexuelle dans notre cabinet d’analyste, ce


qui ne nous sera pas donné souvent, nous entendons dans son aveu
quelque chose qui contrastera avec les déclarations de l’inverti
masculin.

La révélation de sa vie sexuelle ira de la confidence réticente, à la


bravade de l’affirmation provocante. Sa singularité réside en ceci :
quelle qu’en soit la forme, il y manquera toujours ce qu’il est rare de
ne pas trouver explicite ou impliqué dans l’aveu de l’homosexuel
masculin, à savoir qu’il fait des petites ou des grandes
« cochonneries ».

Elle aura toujours à cœur d’insister sur ce que sa position et la


relation qu’elle institue a de sublime et d’incompréhensible pour le
profane.

Réciproquement si l’inverti masculin pose son rapport aux femmes


comme marqué de quelque impossibilité pour lui insurmontable, et
pour cela indésirable, l’homosexuelle déclare a priori qu’elle entend
n’avoir aucunement à faire entrer l’homme dans le champ de son
horizon. Ce qu’exprime Caprio, lorsqu’il parle du « déplaisir a
priori ».

Nous pensons que dans cet a priori se trouve la traduction d’un


facteur capital de la genèse de l’homosexualité féminine. Mais cet a
priori n’en est un, qu’au sens du rejet de ce qui le précède19.

19 Cf. n. 1, p. 172.

208
La régression du patient et l’analyste

Pour que cette très forte frustration de la phase phallique 20 puisse


ouvrir la porte à une castration féminine qui introduise la fille au
monde œdipianisé où elle pourra trouver son rôle sexuel – il faut que
cette frustration survienne et qu’elle s’impose dans les conditions de
cohérence symbolique dont le moindre défaut infléchira le cours du
développement. Ces infléchissements ont été énumérés par Freud.
L’homosexualité est l’un d’eux. Mais plus qu’au refoulement d’une
partie de la sexualité (… und verdrangt dabei nicht selten ein guter
Stück seiner Sexualstrebungen…) elle nous semble se rattacher au
rejet d’une des dimensions de l’amour pour la mère (… verwirft seine
Liebe zur Mutter).

Si nous disons que ce rejet porte électivement sur le plan de l’avoir


comme étant l’un des deux où une solution peut être tentée au
manque, c’est pour éclairer sous un angle nouveau la composante
orale, que les auteurs s’accordent à voir dans cette perversion
féminine. En effet, c’est sur le stade oral et anal que la phase
phallique prend appui dans sa moitié. Si nous considérons la notion
de phallus telle que nous la définissons, nous n’aurons plus de
difficulté à accepter les concepts véhiculés par des termes comme
« phallique oral » ou « phallique anal ». Nous y verrons la référence
particulière de la séparation que le phallus symbolise.

Le rejet du plan de l’avoir comme possibilité virtuelle (ou


phantasmique) de trouver une issue est, pensons-nous, tout
spécialement dépendant de la cohérence phallique du père ; c’est-à-
dire en fin de compte de l’issue de son complexe de castration. Celle-
ci tenant sous sa dépendance, rien de moins que la totalité de son
être masculin à tous les niveaux (celui du fonctionnement génital
inclusivement), on voit la multitude des traits cliniques que les

20 Die stärkste dieser Versagungen ereignet sich in der phallischen Zeit, wenn
die Mutter die lustvolle Betätigung am Genitale verbietet, in Neue Folge der
Vorlesungen zur Einfiihrung in die Psychoanalyse, Gesammelte Werke, Band
XV, p. 132.

209
La régression du patient et l’analyste

observations pourront recueillir ; ainsi que nous le signalions au


début de ce travail.

Dans la famille, il faut qu’il y ait un phallus et que ce phallus soit du


côté du père, que ce dernier puisse en faire la preuve, et qu’il puisse
le donner.

Mais si le complexe de castration est dans la famille posé sans


solution, la perturbation de la situation œdipienne pourra àffii limite
être telle que toute la dialectique du don phallique sera bloquée.

Dans la mesure où l’échange prend appui d’abord sur le plan des


avoirs, l’impossibilité qui le frappe, rendra, si l’on peut dire, sans
espoir la perspective de l’avoir ; donc aussi de l’avoir un jour. C’est
ce que nous verrons jouer dans l’observation de Freud sur la genèse
de l’homosexualité féminine. Lorsque la naissance d’un enfant
survient dans cette famille où l’aînée s’était déjà signalée par ce qui
n’était que la frénésie du désespoir (son intérêt souligné pour les
enfants) dans sa perspective de l’avoir un jour, la preuve lui est
effectivement administrée que ses espoirs étaient fous. Elle changera
de rôle.

Mais revenons aux fondements de la situation qui crée ce désespoir


de la future homosexuelle et qui la tourne vers ce rejet – qui plus
tard paraîtra a priori. Pour l’envisager, nous prendrons comme
référence l’élaboration possible dans les termes que nous proposons
de la perversion masculine dont l’équivalent ne se retrouve pas chez
la femme. Le fétichiste nie, comme Freud nous l’a appris, que la
femme n’aie pas le phallus (et sa mère plus particulièrement). Le
travesti pour sa part, allant plus loin, est tout entier engagé dans la
représentation de ce que la mère doit avoir. Ce qui d’ailleurs sera
indépendant de l’assomption de son rôle sexuel. Le travesti sera
facilement père de famille. C’est même cette famille qu’il pourra
électivement prendre comme témoin et spectateur de sa
représentation. Il représente ce que la mère n’a pas, mais doit avoir.
Nous ne dirons pas qu’il est identifié au personnage maternel. Il

210
La régression du patient et l’analyste

expose le voile, derrière lequel il est, en tant que phallus de la mère.


L’homosexuelle féminine n’ayant pas de perspective ouverte sur le
plan de l’échange, ne pouvant pas renoncer au phallus qu’elle n’a
pas, ne pouvant l’espérer comme don, sait comme tout être humain
où il est, du moins où il devrait être ; chez celui qui n’est pas sans
l’avoir, mais qui n’en fait pas la preuve : le père. – Dont elle dira à
l’occasion qu’il n’a pas aimé la mère comme il aurait fallu.

Or cet homme, le père, ne peut assumer son sexe qu’au prix de la


castration.

Ici, nous rencontrons la nécessité de rendre compte d’un point


délicat des conceptions psychanalytiques. Quelle que soit l’insistance
déployée à souligner la souplesse de l’esprit avec lequel il faut
comprendre la théorie des stades libidinaux, leurs chevauchements,
leurs compénétrations, la subsistance des étages archaïques dans le
développement le plus complet, traces que l’étude des relations
d’objet met en évidence, il reste que tous les auteurs s’accordent
pour assigner un coefficient de maturité spécial au stade génital.
Depuis l’oblativité génitale de l’école française d’avant-guerre
jusqu’au genital love de M. Balint, il est impossible de ne pas
reconnaître le désir, chez les psychanalystes, de mettre comme dans
une classe à part les relations pré-génitales. Sont-ils frappés d’un
aveuglement collectif ? Assurément non.

Mais peut-être le point qu’ils voulaient dégager ne s’est-il pas


spécialement trouvé mis en lumière. Avoir placé la relation
œdipianisée sous le signe, soit de la génitalité – ce qui certes n’est
pas illégitime – soit d’un progrès moral – ce qui est tentant –
l’affecter du signe d’une plus-value indéterminée, a peut-être
obscurci la vision d’un point de passage qu’il fallait éclairer.

En effet, il n’était pas injustifié de placer la description de quelque


chose qui peut être représenté comme un nouveau stade sous le
signe du don ou de la possibilité de le faire. Mais peut-être le côté
volontiers présenté comme sublime de cette oblation, n’a-t-il fait que

211
La régression du patient et l’analyste

traduire chez les auteurs mêmes, le frémissement qui s’empare de


l’être lorsqu’il est question de lui ?

Reste ce que l’on veut souligner.

Si, dans les stades archaïques, c’est par des réplétions et des
déplétions que l’on figure les relations que l’enfant noue autour de
son manque de quelque avoir, la maturité génitale signale qu’il va
s’agir d’autre chose. Où il est déjà frappant que dans le propos le
plus banal, c’est la créature humaine dans sa totalité qui trouve sa
place sur le comptoir (« se donner »).

À ce niveau, le complexe de castration est le mythe freudien qui nous


explique cet important passage. Plus que la renonciation à un
fantasme, c’est la renonciation, idéale peut-être, mais à coup sûr
nécessaire, tout au moins dans certaines limites, à l’avoir comme
visée, qui ouvre les possibilités de l’être, au niveau duquel le manque
rouvrira sa question.

Cette renonciation à l’avoir, que la castration consacre, permettra le


don sur lequel les auteurs ont insisté sans souligner ce que Lacan
démontre, à savoir que c’est le don de ce qu’on n’a pas, car on a
renoncé à l’avoir. Ainsi se trouve évité le piège, que le leurre tend
aux femmes pour le plus grand bien de tous, de voir dans le pénis,
voire le sperme, l’objet de ce don littéralement sanctifiant.

Mais tout avatar dans ce passage de l’avoir à l’être où le manque se


fait valoir, retiendra l’échange englué dans les avoirs, c’est-à-dire au
niveau d’une relation de type oral dans le cas type, où la castration
ne sera jamais que la menace d’une mutilation ou d’une amputation
qui s’inscrira dans l’être le long des lignes de fragilisation du corps
morcelé.

Le prix de cette castration est trop lourd, la femme ne pourra


accepter ce que l’homme a refusé : de payer ainsi l’assomption de
son rôle sexuel.

212
La régression du patient et l’analyste

Et si l’homme peut s’engager dans la représentation d’une femme,


ou même de son phallus que la castration a épargné, la femme
pourra s’engager elle, dans la représentation de l’homme que la
castration ne menace pas.

Ou, si l’on préfère, alors que le travesti joue à se faire le fétiche de


ce que la mère doit avoir, mais n’a pas, et se comporte comme si
existait ce qui n’existe pas, que justement il représente, la femme
homosexuelle est fiction d’être ce qu’on ne peut pas être. Et de
porter sur l’être plutôt que sur l’avoir, la fiction met l’individu dans
une position où le suicide par exemple sera toujours présent comme
toile de fond.

C’est dans cet ordre de phénomènes que s’inscrivent les


conséquences du rejet de l’amour pour la mère au moment où il se
génitalise, c’est-à-dire où se pose la version des structures
relationnelles, que la castration constitue et dont le mythe freudien
du complexe d’Œdipe donne le sens. Les assises desquelles l’amour
pour la mère essaye de s’élever sont constituées par les relations les
plus archaïques. Ce qui sera l’aptitude à l’amour de l’adulte à venir,
retombera pour une part sur cette base de départ dont la note
régressive éclatera dans les observations.

Remarquons également que le terme d’amour, liebe, love, semble


être de préférence utilisé pour les relations de type œdipien ou
génital, et que pour les relations pré-œdipiennes ou pré-génitales les
travaux psychanalytiques ont toujours dégagé la note de clinging,
d’accrochage, d’agrippement. À cet égard la notion d’amour
primaire, primary love de M. Balint, montre assez le souci qu’a
l’auteur de remanier les perspectives jugées insuffisantes à son gré.
La notion d’amour se trouve étendue par lui aux stades les plus
archaïques afin de garder le bénéfice de leur usage pour éclairer le
génital love, l’amour génital. La notion « d’aimance » de l’école
française d’avant-guerre recouvre une tentative analogue.

213
La régression du patient et l’analyste

Mais est-ce l’évocation de Thanatos qui a rendu les analystes si


méfiants à l’égard d’Éros, dont cependant l’image enfantine rappelle
assez la filiation.

Pour une part donc, l’amour de l’homosexuelle s’établira dans ces


coordonnées dites régressives où le jeu de mère à fille sera la
situation habituelle.

Relation où les rôles seront d’ailleurs interchangeables et mêlés.


Telle femme jouant le rôle de mère ou d’enfant alternativement ou
simultanément, dans la même relation ou dans des liaisons
successives ou simultanées. Le sein féminin jouera le rôle privilégié
que les observations mettent en lumière. Il sera l’emblème de cette
relation dont la teinte particulière dans ce cas, de la jalousie sera le
témoignage.

Cette note orale sera le fait dominant toute relation perverse chez la
femme.

D’autre part jouera, tout ce qui donnera à l’homosexuelle les raisons


de prétendre à cette supériorité qui se manifestera dans l’assurance
parfois sereine avec laquelle elle assumera son rôle masculin.

Puisque l’homme ne peut donner ce qu’il n’a pas perdu et qu’il ne


peut que perdre ce à quoi il n’a pas renoncé en ne payant pas la
dette castrative, elle qui ne l’a jamais eu le donnera mieux que
quiconque.

L’anecdote peut ici venir à notre aide. Vraie ou fausse, l’histoire de


l’espion travesti est instructive : un espion habillé en femme était
avec des ennemis attablé à boire un café. Simulant la maladresse, un
des convives renversa la tasse de l’espion, qui par le geste
automatique qu’il fit pour protéger du liquide brûlant l’endroit de sa
plus grande faiblesse, se démasqua dans son sexe masculin.

Il suffit d’imaginer la même histoire arrivant à une espionne


costumée en homme, pour concevoir qu’elle n’aurait pas cette

214
La régression du patient et l’analyste

faiblesse masculine, n’ayant sous ce rapport rien à perdre ou à


protéger.

La femme homosexuelle a exorcisé la castration qui l’intéresse dans


l’autre qu’elle est pour elle-même. Car elle n’a pas renoncé à son
sexe. Elle s’est identifiée aux insignes de l’autre.

Et la présence du tiers masculin se fait sentir, non seulement dans le


soin que cette femme apportera à la jouissance de sa partenaire – ce
dont elle tirera fierté et gloire en négligeant dans certains cas
systématiquement la recherche de son plaisir d’agent de la relation
sexuelle – mais encore dans l’association la plus banale ou le rêve, où
manquera rarement de surgir, soit le tiers masculin, soit un
quelconque objet qui le signifie. Ce témoin masculin dans le rêve,
anonyme et sans visage, est, tout comme les objets qui marquent la
trace de son passage, l’élément central du rêve. Les ébats sexuels
qui dans le cas type se déroulent entre deux femmes, dont la
rêveuse, n’ont d’autre sens que de se dérouler devant lui. Pour la
rêveuse qui, d’une part, s’implique au premier degré dans la scène
jouée, la référence seconde mais principale est cette présence
masculine, dont elle adopte en quelque sorte le point de vue. D’une
façon analogue, ce qui se déclare comme un besoin de sécurité en
amour et le désir de se consacrer à un autre être pour lequel elle
sera tout, ne laisse de coexister avec un fantasme de promiscuité ou
une promiscuité effective en marge d’une liaison privilégiée. La
teinte don juanesque de ce fantasme atteste sa filiation virile
imaginaire.

Dans cette tromperie dont l’homosexuelle tient le pari, défi


permanent qu’elle lance à l’homme castré, qui est-elle ? Homme ou
Femme ?

Si nous repartons de la première indication que nous donne la


clinique psychanalytique, nous trouverons ce que nous signalions au
début de ce travail : Une fixation parentale excessive. Paradoxe dont
l’analyse nous a donné l’habitude : l’homosexuelle a trop aimé son

215
La régression du patient et l’analyste

père. Mais elle l’a trop aimé au sens où elle a trop aimé sa mère, de
cet amour dont elle n’a pu supporter l’inexorable et trop sévère
frustration.

Elle n’a donc pas renoncé à l’objet du choix incestueux. Elle l’a
perdu, abandonné, au sens où elle a rejeté son amour pour sa mère.
Mais cet objet n’a pas pour autant disparu. Il est venu s’ériger dans
son Moi qui se façonne sur le modèle de l’objet disparu. Elle
introjecte les qualités de l’objet d’amour, qui, dans son Moi, est
surinvesti. L’objet de son amour devient support de son identification
masculine. Elle revêtira les insignes du père – ceux de la masculinité.
Et quand un sujet se pare des insignes de ce à quoi il est identifié, il
se transforme et devient le signifiant de ces insignes.

Ces insignes seront employés vis-à-vis de celle à laquelle ils ont


menti quand ils étaient portés par le père, laissant sans réponse
l’appel de la mère qui n’a pas le phallus, à celui qui devrait l’avoir s’il
n’était castré ; laissant ainsi béant ce manque qui intéressera
l’enfant au-delà de sa mère.

Or la fille peut maintenir, envers et contre tout, qu’elle possède le


phallus : comme image, dans ce qu’elle représente.

Le Moi où l’objet masculin s’est établi surinvesti est une formation


idéale. L’objet premier de son amour (la mère) au-delà duquel est le
manque qui l’intéresse, est lui-même intéressé au manque au-delà de
l’objet qui est le support identificatoire de l’homosexuelle.

L’idéal du Moi d’un pareil sujet féminin pourra devenir le manque


même qu’il y a au-delà de son objet d’amour. Le sujet pourra se
substituer à ce manque, et si l’objet manquant, c’est-à-dire le phallus
pour autant qu’il a d’abord manqué à la mère, vient à la place de
l’idéal du Moi, se réalisera l’énamoration ;

l’amour humble et dévoué pour une autre femme qui est sa mère
retrouvée, à laquelle l’homosexuelle se proposera comme étant
l’objet qui comble ce manque. Ce qu’elle fera d’autant mieux qu’elle
n’a pas cet objet, mais qu’elle le représente.

216
La régression du patient et l’analyste

Elle donnera ainsi l’exemple de l’amour pour rien. Cet amour


désintéressé justifie la supériorité dont elle se réclame et constitue
pour le père un défi où elle montre ce qu’est un véritable amour.
L’amour de quelqu’un, non pour ce qu’il a, mais pour ce qu’il n’a pas,
c’est-à-dire le pénis symbolique qui est chez le père, elle le sait fort
bien puisqu’il peut le donner à la mère, et qu’elle sait ne pas trouver
chez la femme qu’elle aime.

Ce qui arrivera en fait ne sera nullement la répétition des rapports


du père à la mère. Car elle n’est pas à la place du père. Elle a
construit ce personnage factice, « fétiché »21 entièrement engagé
dans la représentation du manque de son premier objet d’amour,
qu’elle retrouve dans sa partenaire. Elle retrouvera du même coup
toutes les vicissitudes obligatoires de la relation à la mère et
spécialement les relations agressives les plus originelles, les
premières rivalités. Leur effet sera de modérer ou d’exalter la
revendication de l’appareil de sa représentation, c’est-à-dire
l’ensemble de ce qui est pour telle femme le lot des insignes de la
masculinité.

21 Lacan, Séminaire de textes freudiens, leçon du 6-2-1957.

217
La régression du patient et l’analyste

La femme perverse

Nous serons, pour notre part, enclin à admettre qu’en dehors de


l’homosexualité, voie particulière où s’engage la sexualité féminine
plutôt qu’elle ne s’y pervertit (si nous prenons comme modèle
structural de la perversion sexuelle, la perversion spécifiquement
masculine du fétichisme) il n’y a pas chez la femme à proprement
parler de perversions sexuelles. Nous dirons aussi que la relation
perverse qui, chez la femme, existe assurément, ne se saisit pas
d’une façon significative dans la relation sexuelle elle-même. Nous
écartons en effet toutes les variantes par rapport à une norme de
comportement fixée apparemment dans une aire culturelle donnée.
L’investigation nous montre d’ailleurs le caractère difficile à préciser
de pareille norme. Et pour peu qu’un tel examen aille jusqu’à devenir
statistiquement valable, il dévoile cette norme comme se confondant
avec ce que l’aptitude polymorphe, que Freud prête aux femmes,
rend possible. C’est en souligner, à la fois, les limites et la banalité.
Nous ne retiendrons pas plus telles singularités instrumentées que la
relation sexuelle peut, à l’occasion, devoir à l’industrie des hommes.

Si nous donnons au mot pervertir le sens de dévier de son chemin ou


de son destin, nous serons moins étonné de voir qu’à ce niveau la
femme n’ait rien à pervertir. Nous inscrirons les déficiences, les
anaphrodisies variées au registre de la symptomatologie névrotique,
dont la frigidité réalisera sur le plan sexuel le type achevé.

Disons ainsi que ce qui chez la femme peut se pervertir, c’est la


libido.

Ceci nous amènera à évoquer une certaine forme de perversion du


narcissisme d’une part, du maternage, d’autre part.

***

Si l’on en revient d’abord à l’étude de la structure perverse chez


l’homme, il nous faudra constater que le fétichisme qui nous en
propose le schéma le plus exemplaire, inscrit dans la relation au

218
La régression du patient et l’analyste

voile la question du pénis à préserver chez la mère, et postule dans


le mécanisme du splitting de l’ego, ce mode de défense « ingénieux »
et sans défaut contre la menace de castration, dont parle Freud.

À partir de cette notion fondamentale du splitting de l’ego, on peut


déduire, chez le pervers, ce mode d’inarticulation entre la loi
castratrice et le désir qui prend son relief dans la notion de fading du
sujet, introduite par J. Lacan dans l’étude du fantasme pervers.

Cette scission entre la subjectivité et le désir, cette notion de « sujet


barré » s’exprime dans l’aptitude du pervers à embrigader, dans
l’acte, la réalité au service de l’impératif du leurre ; leurre qui n’est
plus ludiquement assumé avec les conditionnels de l’enfance (« tu
serais la maman, je serais le papa ») mais qui identifie désormais
dans l’incognito des silences agis, le sujet aux signifiants
impersonnels du Désir.

Le troisième terme, impliqué par tout désir, n’est pas ici celui qui
fondant la loi, historiquement, en valoriserait la transgression ; il est
seulement celui qui se déduit de l’acte, qui se fonde à partir du « ni
vu ni connu » d’une transgression naissante et toujours abortive.

Il est créé implicitement par la relation perverse, pour être d’emblée


situé dans l’exil et le non-reconnaissable. Ce troisième terme, c’est le
Phallus de Personne pour le fading subjectif du pervers22. Tout au
plus, peut-il se différencier dans la loi sociale et l’appareil répressif
anonyme, que le Code pénal fabrique sur mesure pour l’homme
homosexuel. Mais la conséquence en est alors la réduction
fallacieuse et complaisante, par le pervers, de la loi, à la redondance
des légiférations textuelles. Une impasse de plus.

Pour la femme les coordonnées ne peuvent être les mêmes, mais ce


schéma peut nous servir si nous soulignons d’abord : et les privilèges
de la fille par rapport à la loi, et le fait que la castration ne la

22 Nous pensons là rejoindre l’opinion de P. Aulagnier, faute de retrouver les


termes mêmes d’un entretien qui suivait un exposé de notre collègue au
Séminaire de J. Lacan, 61-62.

219
La régression du patient et l’analyste

concerne qu’en tant qu’elle menace ou marque l’autre dont elle


attend son bonheur.

Si elle n’est pas fétichiste, elle peut être « fétichée » de par la


dialectique de l’être et de l’avoir : mais l’important est peut-être de
comprendre par quel mécanisme ceci peut s’organiser.

Il est à notre époque une histoire de moins en moins exceptionnelle


qui est celle de la chirurgie esthétique. Elle a parfois valeur
exemplaire.

Tel sujet féminin embarrassé dans le modelage de sa statue, de son


ego imaginaire de girl-phallus par un avoir anatomique disgracieux
peut se trouver nanti d’une imago réformée, du jour au lendemain.
Le splitting de l’ego que fonde l’intervention esthétique est toujours
profondément et irréductiblement marquant pour la personnalité de
la femme. Ceci n’est qu’un exemple, mais qui peut concrétiser la
situation plus générale où, dans l’être et non plus dans l’avoir, la
femme devient à elle-même son propre fétiche ; c’est son corps
fétiché qui a des relations sexuelles avec un homme toujours
instrumental, et toujours rejeté, dès qu’il tente d’assumer au niveau
symbolique, sa filiation phallique et son rapport à la loi (dans le « tu
es ma femme »). C’est dans ses rapports hétérosexuels souvent
multipliés (d’où la jouissance peut ne pas être exclue, sans pourtant
être jamais épanouissante) que ce type de femme trouve son seul
mode de défense possible contre une homosexualité latente. Cette
homosexualité vécue lui est inaccessible. Lorsqu’elle y cède, le
traumatisme qui s’ensuit peut créer de ces symptômes, si
difficilement réductibles par l’analyse et si près de la psychose.

Nous voulons parler de ces cas où la décompensation narcissique


toujours liée à l’absence d’une instance phallique agissante au
niveau symbolique, aliène la femme dans des jeux de glace, où la
dépréciation faciale, voire la fascination par des plaies punctiformes
post-acnéiques, n’est que le déplacement d’une masturbation,

220
La régression du patient et l’analyste

traquée dans un miroir, lequel ne réfléchit que la béance léthale


d’une énigme narcissique insurmontable.

C’est peut-être dans ces cas que manque justement le fantasme


masochiste classique dont on doit dire qu’il ne signe rien d’autre
qu’une tentative de référence au phallus et à la castration. Dans le
couple imaginaire qu’il forme avec l’autre, le masochiste établit la
relation de son être au désir, comme le rapport de la faille érogène
qui le marque, à la flagelle phallique qui constitue cette faille comme
coupure.

Que ceci soit fantasme pervers n’implique pas que ce soit fantasme
du pervers. Et nous pensons qu’à ce niveau, il en est de la femme
comme de l’homme ; à ceci près, que son rapport privilégié au réel
de l’absence phallique fait de la femme la collaboratrice
complaisante du fantasme sadomasochiste qui structure le désir de
l’homme aux prises avec la castration.

***

Mais il est d’autres situations où pour la femme, les leurres sexuels


typiques faillissent à leur mission d’engager la visée de la jouissance
dans les méandres où le plaisir peut se trouver. Quelque chose
n’aura pas, en effet, suivi le droit chemin qui est ici celui du détour
nécessaire ; et une voie s’ouvrira, un circuit plus court qui sera celui
d’une perversion propre à la problématique féminine : c’est dans la
relation la plus étroite, celle du maternage, que se manifestera le
versant pervers.

Cette relation de la mère à l’enfant, la plus directe de toutes les


relations possibles est en effet celle qui peut le plus légitimement
revendiquer le titre de naturelle. Celle où l’amour est en quelque
sorte naturellement garanti ; mais naturelle aussi en ce que rien qui
ressortit du registre de la loi n’est nécessaire pour la fonder. Celle
aussi où rien d’autre, loi d’une autre relation, n’instaure la dimension
œdipienne, la castration, le désir sexuel qu’elle libère. Et l’interdit

221
La régression du patient et l’analyste

qui frappe la consommation sexuelle du rapport de la mère à l’enfant


ne s’établit que par un effet de retour.

La relation de la mère à l’enfant est au départ la relation, si l’on peut


dire, la plus nue et la moins protégée. Rien ne mettant d’obstacle à
l’amour de la mère pour l’enfant, le désir sexuel y sera moins fort.
On pourra dire que les deux seules voies qui s’ouvrent en propre à
l’amour maternel seront la sublimation ou la relation perverse. Mais
en fait le désir sexuel n’est pas absent, apporté par l’interdit lui-
même dont il est marqué.

Cet interdit, élément d’une relation dont les innombrables


perturbations créeront la névrose, apportera avec lui la relation
névrotique dans le rapport le moins préparé à le soutenir à son
niveau propre.

Relation perverse ou sublimation, tels seront en fait les extrêmes


entre lesquels oscillera toute relation maternelle à ceci près qu’au
lieu de la sublimation, c’est l’érotomanie que nous verrons surgir.

Mais quelle que soit l’allure prise par cette relation mère-enfant dont
la position particulière est de n’être pas désignée dans le texte
premier de l’interdit de l’inceste, elle sera, quel qu’en soit le trouble,
d’une admissibilité sociale quasi totale. Nous irons jusqu’à dire que
c’est dans le contexte social où les interdits premiers sont les plus

222
La régression du patient et l’analyste

évidents que la recevabilité de la décomposition perverse de la


relation du maternage sera la plus forte23.

L’érotomanie maternelle comme alternative ouverte à la relation


perverse étonne moins si l’on considère l’ancrage oral de cette
dernière. Que les manifestations du comportement maternel pervers
s’organisent de façon privilégiée autour des activités du nourrissage,
n’est là que la conséquence de ce que nous avons à considérer.
L’origine du phénomène se trouve dans ce qui se noue à la phase
œdipienne, lors de l’échec du complexe de castration et dont les
racines sont prises dans ce que le stade oral aura laissé comme
coalescence du manque avec toutes les déplétions mortifères.
L’échec de la phase castrative n’en sera que plus lourd. Quelle
manifestation plus criante peut-il en exister que ces lamentables
rapts d’enfants dont la relation notée avec les menstruations ou avec
une fausse couche met en évidence la structure.

La nature impulsive de l’acte, la totale non spécificité du choix de


l’objet, démontrent la place de pur et simple avoir, tenue par
l’enfant. L’incurie où il est laissé parfois par incapacité est souvent
frappante. Mais plus convaincant à cet égard est le discours même
de la voleuse d’enfant tel que les archives judiciaires le consignent. Il
est rare en effet qu’interrogée sur ses mobiles, la femme qui vole un

23 À ce titre, une comparaison intéressante peut être esquissée avec la relation


de père à fille. Là encore l’interdit de l’inceste ne s’exprime pas. De toutes les
femmes, en effet, sa fille est la seule qui lui soit naturellement liée. Celle
aussi pour laquelle son amour sera le plus garanti et le plus absolu. C’est, à
vrai dire, la seule femme qu’il aime vraiment. Mais il suffit de voir ce qui se
passe lorsqu’est révélée à un père l’origine adultérine d’un enfant : la
fréquence de l’assaut sexuel ouvert ou déguisé qui s’ensuit – pour mesurer la
délicatesse et la précarité de l’équilibre œdipien. Et du même coup
reconnaissant la fréquence de l’inceste de père à fille, il faut souligner la
tolérance sociale dont il bénéficie. L’observation en sera plus fréquente de
nos jours dans les milieux où l’organisation catholique sera la plus ferme.
L’absence de conflit névrotique frappera toujours dans l’observation de ces
cas.

223
La régression du patient et l’analyste

enfant ne réponde d’abord qu’elle l’a pris pour l’avoir et le garder ;


ne serait-ce que quelques jours. La nature de la relation s’affirme
dans son aspect désespéré et dans l’urgence qu’il y a de l’instaurer.
Ce cas limite de la relation perverse l’apparente structuralement à la
relation fétichiste.

Dans ce splitting de l’ego dont une part nie et l’autre construit un


monument à l’inévitable, le sujet s’évanouit. L’érotomanie lui
permettra de resurgir dans l’aliénation délirante. Et l’érotomanie
maternelle pourra être très proche des délires de dénégation de la
mort du conjoint. Dans sa forme atténuée, quoi de plus fréquent que
ces affirmations par les mères de la démesure de l’amour que leur
porte leur enfant : « Je suis tout pour lui », « Il m’aime plus que tout
au monde. » – Assertions dont la conviction semble proportionnelle à
la négligence où elles sont laissées, voire aux sévices dont elles sont,
par ces mêmes enfants, accablées.

Certes en tant qu’absent ou imaginaire, tel qu’il est pris dans le


phantasme, l’enfant pourra être un des éléments signifiants pivots de
la névrose maternelle. Mais pour autant qu’il est aussi d’abord objet
réel manipulable, il se prête de façon unique au versant pervers des
aptitudes féminines.

L’enfant peut être donné à la femme comme le phallus qui lui


manque. Il pourra nous l’avons vu, se faire, devenir pour sa mère ce
phallus, si le versant privatif du complexe d’Œdipe n’a pas débusqué
la mère de cette position. Pour autant qu’il reste pour la mère le
signifiant de ce phallus qui lui manque dans son partenaire sexuel,
l’enfant sera pris dans la relation névrotique, dont les formes
phobiques nombreuses fournissent à l’analyse un contingent
appréciable de jeunes mères.

Mais si, objet réel, il devient l’écran sur lequel se projette ce manque
qui intéresse la mère au-delà de son objet d’amour, il sera l’objet
d’une relation perverse de type analogue à la perversion fétichiste.

224
La régression du patient et l’analyste

Le propre d’un tel objet est d’être à la fois l’élément central du jeu
du désir, et extérieur aux voies de son accomplissement.

Il est rare d’ailleurs qu’un rapport de mère à enfant ne participe


quelque peu de ces types de relation. L’écho assourdi s’en retrouvera
chez la jeune fille dans ses réactions au contact, par exemple la
susceptibilité de toute son enveloppe tégumentaire au
chatouillement. À l’opposé, c’est une position de structure
érotomaniaque qui se révélera dans l’insensibilité totale de certaines
femmes au chatouillement, laquelle ne se rencontre que chez la
femme. L’homme au contraire est toujours quelque peu chatouilleux
et sa sensibilité sur ce point est comme un vestige de son être
phallus pour la mère, ce à quoi le garçon se prête encore mieux que
la fille.

Ou bien concluant cet examen par un autre biais, nous dirons que la
nature orale du phénomène le coulera dans le moule propre des
relations de ce stade, où toute frustration d’amour cherchera sa
compensation dans la satisfaction d’un besoin. C’est en ce sens que
la tétine sera « l’alibi » de la frustration d’amour (Lacan). C’est bien
le sens d’ailleurs dans lequel les parents l’utilisent.

Or, la frustration d’amour est bien ce que la femme trouvera le plus


facilement dans sa relation conjugale où elle revivra les avatars de la
relation qui l’unissait à sa mère.

Pour peu que le tableau soit aggravé par l’impossibilité de satisfaire


le besoin que la sexualité oriente, ou que l’objet de la satisfaction ne
lui soit pas donné, l’enfant prendra sa fonction de partie de l’objet
d’amour. Comme objet réel il sera une partie de l’objet symbolique.
C’est sur cet objet réel que portera la pulsion, ici pulsion perverse de
style oral ou anal dont la coloration sadique ne sera pas négligeable,
même si elle n’éclate pas publiquement dans le fait divers qui ne
manque jamais à la dernière page des journaux.

225
La régression du patient et l’analyste

Conclusions

La question de l’homosexualité féminine et des perversions chez la


femme devient, sitôt posée, une des faces sous lesquelles se présente
l’étude des perspectives sexuelles spécifiques de la femme.

Il est, croyons-nous, impossible d’envisager ces issues particulières


et d’en rendre compte dans l’esprit où nous avons tenté de le faire,
sans poser la question de la femme dont l’homosexualité et l’attitude
perverse ne sont que des versants particuliers.

Dans cet examen, nous avons adopté un point de vue qui s’oppose à
celui de E. Jones, pour qui la femme est née femme par la volonté du
Créateur, et à celui de F. Dolto selon laquelle la jouissance sexuelle
féminine est susceptible d’être articulée en fonction de repères
anatomiques.

Nous ne pensons pas non plus que l’orientation actuelle qui vise,
comme on dit, à « démystifier » la sexualité, ses angoisses, ses
interdits, soit une tentative qui nous rapproche d’une ère de lumière.
En particulier, le pari moderne de déculpabiliser une fonction
naturelle, en permettant aux sujets de voir le caractère erroné de
leurs peurs, est une promesse dont le caractère dominant est de
n’être pas tenue. La faiblesse, la précarité, quand ce n’est pas
l’allure bancale, des « ajustements » qui scellent le résultat de tant
d’analyses et qui sont au mieux de mauvais compromis, montrent
suffisamment à quel point est illusoire, gratuite, la prétention
irresponsable qui déclare délivrer de la culpabilité. L’observation des
résultats analytiques à l’intérieur du monde, de la société analytique
inclusivement, suffirait à ouvrir les yeux les plus obstinément fermés.

Or, à considérer les ambitions déclarées et les perspectives posées


aujourd’hui dans la psychanalyse, l’on se trouve inévitablement
amené à poser une question : est-ce que le pessimisme freudien est
dans les vues contemporaines sans répondant dans la pratique et

226
La régression du patient et l’analyste

l’élaboration théorique, ou est-ce que cet optimisme contemporain


est une pure escroquerie ?

Cette question nous a conduit à une démarche nous engageant dans


deux directions qui, croyons-nous, se complètent. D’une part, ne
pouvant réduire les phénomènes envisagés à propos de la sexualité à
un certain ordre qui serait discernable dans le champ des besoins,
nous avons tenté d’approfondir la structure du désir humain qui
vient à se prendre en masse dès que se déclenche ce qui a trait à
l’amour.

Ce désir qui peut mener à une consommation sexuelle (sans préjuger


de sa nature) dont la conséquence procréatrice, exceptionnelle dans
les faits s’ils devaient être abordés statistiquement, ne peut être par
nous placée sous le signe d’une volonté divine, ne peut non plus,
selon nous, s’expliquer de façon satisfaisante si l’aboutissement qui
lui est proposé se confond avec un rapport sexuel, de préférence
hétérosexuel, où se trouverait un certain plaisir que la notion
d’orgasme exprimerait. Certainement l’orgasme masculin, dans son
schéma habituel, nous semble tout spécialement inadéquat à figurer
ce terme vers quoi il est tendu. Et les représentations habituelles de
l’orgasme féminin participent peu ou prou au schéma en usage dans
l’examen des phénomènes sexuels masculins. L’imprécision, le vague
qui marquent les descriptions de l’orgasme féminin, tout comme
l’insistance médicale dont l’effet se discerne dans l’obstination mise
à obtenir des patientes l’aveu de son existence ou de son absence,
quand ce n’est pas de sa modalité précise, montrent suffisamment
les difficultés où l’on est à transcrire au féminin des notions dont,
même au masculin, l’élaboration est peut-être flottante. Cette
difficulté a son corollaire dans la compulsion qui se traduit dans
l’obligation des temps modernes faite à la femme d’avoir des
orgasmes, c’est-à-dire des orgasmes reconnaissables par
l’investigateur masculin. Qu’il s’agisse là d’un élément permanent
dans la vision masculine profane (à quoi nos consœurs

227
La régression du patient et l’analyste

n’échapperont pas plus que d’autres, au mépris peut-être du meilleur


de leur expérience personnelle qu’elles tairont), n’est pas douteux.
Notre étonnement sera moindre de voir réapparaître à l’occasion,
même dans les travaux psychanalytiques, la vieille éjaculation
féminine des auteurs libertins français du XVIIIe siècle.

Ce qui, à nos yeux, fait la spécificité de la sexualité humaine, ne peut


gagner à se ranger parmi les phénomènes dits naturels, sur lesquels
du reste les études modernes de l’instinct animal jettent un jour
nouveau.

Le premier qui l’ait abordée sous un angle radicalement nouveau


sans pourtant manquer de connaissance des sciences naturelles,
Freud, le fit en prenant comme appui le mythe. Le mythe est aussi la
dimension dans laquelle se développe sa méthode. Un mythe de
l’Antiquité plus spécialement servit à constituer ce que l’on peut
appeler la mythologie freudienne. Cet héritage n’est pas à récuser.
Parce qu’analystes freudiens nous n’en avons pas le pouvoir, parce
que aussi, à ce jour, rien n’est venu éclairer de façon plus complète
la sexualité.

Le mythe mettant au premier plan l’ordre de la parole, l’instance du


signifiant dans ses rapports au signifié, notions linguistiques
modernes que nous avons pour ce travail empruntées à leur père,
Ferdinand de Saussure, introduit dans la même opération les lois qui
le gouvernent et l’ordre général de la loi.

Considérant que ce à quoi tend à se réduire la vue psychanalytique


de la sexualité est incapable de soutenir une pareille problématique,
nous avons cru pouvoir poser une hypothèse : la sexualité est dans le
vécu, le secteur privilégié, dans l’expérience courante, où se vit (sans
pour autant secréter sa propre connaissance), le rapport de l’homme
aux signifiants derniers. Non point que nous attribuions au langage
une « importance exagérée », que nous nions le pré – ou l’extra-
verbal, mais parce que l’enfant apparaît dans un monde de langage
qui l’a précédé, que la phrase qui lui assignera sa position a été

228
La régression du patient et l’analyste

commencée avant lui et que son articulation symbolique, qu’il soit


homme ou femme, est ce à quoi même sa mort ne lui permet pas
d’échapper. Tout au contraire même, c’est lorsqu’il sera mort que sa
position sera d’une éminence dont l’œuvre de Freud, du complexe
d’Œdipe à Moïse en passant par Totem et tabou, signale la situation.

Cette position symbolique s’articule dans les rapports de l’homme à


certains signifiants. Et pour cela ces rapports sont réglés.

Le phallus est pour les analystes une fréquentation ancienne même


si elle a été quelque peu délaissée. Un terme par contre pourra
sembler d’usage nouveau. La Chose, das Ding, que nous opposons à
toutes sortes d’objets (die Sache), est ce que nous mettons dans le
Vide, quand ce serait celui des sanctuaires.

Le Vide est pour les analystes une dimension connue, la Chose est ce
qu’il recèle et ne montre pas. Nous l’utilisons ici pour donner un nom
à ce point dernier à la fascination, comme dimension de ce à quoi le
Phallus règle le rapport.

La garde explicite de cette règle est dévolue à la Loi et donc à toutes


les lois, à celles du Décalogue ou aux règles de la grammaire. C’est
par rapport à quoi la transgression prend son sens plein.

La notion freudienne du complexe d’Œdipe pose les coordonnées de


la situation où se jouera et se vivra le rapport de l’homme au
signifiant, celle du complexe de castration le défilé par où il aura à
passer pour trouver son rôle. Et, dans ce défilé, il devra acquitter un
droit.

Il n’y a pas lieu de s’étonner, par conséquent, si l’on tient présent à


l’esprit ce dont en fin de compte il s’agit, de ce que toutes les
religions aient accordé à la sexualité la place absolument centrale
qu’elle y occupe. Il n’est pas exagéré de dire qu’avant Freud, les
systèmes religieux, quels qu’ils soient, furent seuls à tenir la
sexualité à la place qui est la sienne. Il peut ne pas être superflu, à
cet égard, de remarquer la constance avec laquelle des accusations

229
La régression du patient et l’analyste

de dérèglements sexuels furent portées contre les sectes dites


hérétiques.

Cette progression rendait indispensable de faire passer notre travail


par l’examen préalable de ce qui advient de ce réglage dans la
situation prise comme norme de référence par rapport aux diverses
formes de décomposition patente que nous avons à connaître comme
analystes.

Le problème, là, n’était pas de trancher la question de savoir s’il y a


de bons mariages ou s’il n’y en a pas. Mais d’éclairer en quoi ils sont
bons ou mauvais. Pour s’apercevoir au-delà du goût que les époux
peuvent y prendre, ou du dégoût qu’ils croient y trouver, que sa
modalité actuelle institue des conditions dont la fixité et la constance
font que, « bon » ou « mauvais », il n’échappe pas à l’irréductible
contradiction qu’il rencontre et que Freud, pour sa part, posait
comme étant sans issue.

Freud avait également posé en axiome que l’analyse des accidents


rencontrés par l’homme dans son chemin vers ce qu’il devra
affronter, donne des lumières précieuses pour l’entendement de ce
qui se passe « normalement ». À l’époque où se situa la controverse
que Freud conclut de cette manière, il indiqua même que l’intérêt de
la psychanalyse était probablement supérieur dans cette perspective,
à la valeur nécessairement limitée de la méthode sur un plan
thérapeutique. Mais il semble que l’horizon psychanalytique ne se
soit jamais débarrassé, malgré ses efforts, du recours combien
rassurant, à ce dont les analystes proclament dans leurs déclarations
l’inanité, à savoir le clivage entre normal et anormal comme
séparation du bon et du mauvais. Leur tolérance affichée est sans
cesse prise à revers, par le recours qu’ils gardent par devers eux, à
la croyance obstinée aux impossibles retrouvailles avec l’objet
dernier dispensateur d’un bien souverain. Et les critères de guérison,
malgré leur apparence de modestie élaborée, laissent transparaître
ce qui s’étale au grand jour lorsqu’ils rendent compte des guérisons

230
La régression du patient et l’analyste

qu’ils opèrent, dans des conversations à bâtons rompus. Le contraste


est frappant entre le contentement affiché, et ce que, par ailleurs, ils
ne peuvent méconnaître ; ayant été à la meilleure place pour
l’entendre, c’est-à-dire dans leur fauteuil.

Mais la participation aux espoirs les plus fous de l’analyste n’est-elle


pas la forme la plus courante de guérison analytique ?

Pour cette raison, nous n’avons pas sacrifié à la convention qui


situerait au terme d’un tour d’horizon, les considérations sur un état
dit normal et souhaitable dont les définitions souvent ne diffèrent pas
notablement de ce que le lecteur moins averti trouve dans les
édifiantes publications dont la vogue se répand sous la rubrique de
l’éducation sexuelle. À ces platitudes, nous préférons l’impénétrable
Kama Soutra. Et nous avons placé notre chapitre sur le mariage en
tête de liste parce que l’union légale est la première voie que
l’humanité fréquente dans l’affrontement au manque que son rapport
au signifiant dévoile, sans pour autant échapper aux interdits dont la
marque imprimera volontiers un cours différent à la vie des sujets
dont notre titre proposait l’étude.

Ayant posé la chaîne signifiante dans laquelle l’enfant est pris dès
avant sa naissance, le Vide comme point de fuite d’où s’élève un
appel auquel personne ne reste sourd, nous avons esquissé la carte
des avenues principales du désir où nous avons rencontré le phallus
indispensable pour s’y orienter : Bâton manquant du pèlerin qui ne
va nulle part mais que le temps porte à sa destination. Faux aveugle,
car ses yeux pleins d’images sont encore éblouis, il avance à tâtons ;
sa main se referme sur une paille, un roseau, une verge et, s’il est
homosexuel, il s’y tiendra.

Plus altière, l’homosexuelle proclame qu’il n’y a rien à chercher là où


il semble manquer quelque chose. Mais tenter de gouverner la
vérité, et plus particulièrement celle qui n’est pas en notre pouvoir
humain, est une entreprise qu’elle pourra payer de sa vie, n’ayant

231
La régression du patient et l’analyste

plus qu’elle-même à qui elle puisse laisser le soin de trancher le fil de


ses jours.

Plus courante et plus facile sera l’issue perverse où l’enfant objet,


jouet, souffre-douleur, concentrera sur lui les feux croisés de la
relation perverse. Il est bien rare que les disciplines éducatives n’en
participent peu ou prou.

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236
Une tache d’encre

Sexualité féminine et névrose obsessionnelle

par Jean Reboul

Freud écrit dans l’Introduction à la psychanalyse (p. 324 de la


traduction) : « Les symptômes ont pour but soit de procurer une
satisfaction sexuelle, soit de préserver contre elle ; le caractère
positif, au sens de la satisfaction, étant prédominant dans l’hystérie ;
le caractère négatif, ascétique, dominant dans la névrose
obsessionnelle. »

Quatre ans plus tard, en 1921, dans Inhibition, symptôme et


angoisse, il précise que le moteur de la formation du symptôme
obsessionnel est l’angoisse du Moi en face du Surmoi.

Formulé en ces termes, le problème de la motivation inconsciente


des conduites se réduit, dans l’hystérie, à une dominance du principe
du plaisir ; dans la névrose obsessionnelle, à une transgression de ce
principe. C’est un problème éthique : la référence au Surmoi et à
l’ascétisme le montre bien.

Cependant vingt ans plus tôt, en 1900, au chapitre IV de la Science


des rêves, l’interprétation du rêve de la bouchère qui se refuse le
caviar, sa gourmandise préférée, nous introduisait à des nuances
plus subtiles et sur des voies plus sinueuses : le désir exprimé par le
rêve ou le symptôme est parfois repérable comme désir de « se créer
un désir insatisfait, non réalisé ». La thèse la plus ancienne ne

237
La régression du patient et l’analyste

contredit pas la plus récente, mais entre les deux il existe un


considérable déplacement de l’accentuation et une torsion de
l’intention : se préserver contre la – satisfaction sexuelle. On peut
penser que le moyen le plus sûr et le plus court d’y parvenir, c’est de
lutter contre le désir et que le principe du plaisir y succombera. Tout
autre chose est de conserver, de préserver le désir et, à ce prix, de
l’intensifier, de se satisfaire de son insatisfaction même, de jouir de
la soif en refusant l’eau, de protéger le vide du risque qu’il soit
comblé. Délectation morose qui nous met loin de l’ascétisme. Mais
en nous exprimant ainsi, nous venons de manifester une des finitudes
du langage. De n’être formulable qu’en métaphores de besoin, le
désir n’est pas pour autant désir du plaisir, mais il prend le masque
de la demande pour aller au-delà du besoin, c’est-à-dire nulle part –
là où il n’y a plus d’objet adéquat, là où le corrélât du désir se révèle
dans sa nudité de manque, toujours leurré, jamais assouvi. S’il
existe, sur la trajectoire du désir, un au-delà du principe du plaisir,
c’est l’instinct de mort que l’on trouve de l’autre côté de ce garde-
fou. Et c’est pourquoi (en dehors de la relation analytique) la
demande s’exprime toujours « à côté » ; la réponse aussi ; l’échange
ne s’y manifeste qu’entre un muet et un sourd. Vouloir conserver un
désir insatisfait, c’est peut-être chercher le lieu impossible, le point
de fuite où l’instinct de mort rejoint le principe du plaisir et se
confond avec lui : comme si ne pas avoir assurait seul la possession,
comme si être passait obligatoirement par le n’être pas. Mortification
de l’Eros et érotisation de la mort. Et l’on voit bien que ce qui est dès
lors en jeu, ce n’est plus un problème d’éthique, d’ascétisme ni de
Surmoi, mais une sorte de stratégie dialectique des signifiants,
presque une logique formelle dominée par la puissance hégélienne
du négatif, moteur du dépassement de l’ultime contradiction vers
l’horizon de l’être, possibilité de l’impossible, identité de l’identité et
de la non-identité. L’éthique du plaisir garde l’homme à l’intérieur de
ses limites sécurisantes ; mais le désir ne peut que se consumer lui-
même, brûlant avec ce qu’il ne peut adorer. S’il refuse d’être

238
La régression du patient et l’analyste

satisfait, c’est que la non-satisfaction lui est essentielle ; et dès qu’il


vient à naître, la mort est concernée.

239
La régression du patient et l’analyste

D’amor naît castitats

chantaient les premiers troubadours cathares. Ce qui fit dire à un


professeur : « L’amour est un sentiment qui date du XIIIe siècle. » Le
présent travail se demandera ce qu’on doit en penser24.

***

Mais à ce niveau conquis dès l’aube de ses découvertes, il faut dire


avec la gravité due à ces théories rigoureuses, que Freud n’a pas
toujours pu se maintenir et qu’il lui est arrivé, entre autres, de
confondre à nouveau poursuite de la non-satisfaction du désir avec
refus du plaisir. Le devoir est alors d’en appeler, de Freud, aux
structures parfaites dont il fut l’architecte, sinon toujours le gardien.

Rien ne saurait mieux éclairer notre propos que l’examen d’un cas
célèbre, mais dont il a échappé à la plupart que Freud nous le livra
en deux fois, morcelé en deux publications que sépare un intervalle
de dix ans. Les pistes s’en trouvent brouillées et souvent effacées, si
l’on n’a lu que la version la plus récente et la plus accessible, celle de
l’Introduction à la psychanalyse reproduisant une conférence de
1917 (c’est ce qui est arrivé à Stekel et à Simone de Beauvoir), alors
que la perspective complète n’apparaît que dans un article de 1907,
Actes obsédants et exercices religieux 25, dont la traduction par Mme
Bonaparte fut revue par Freud26.

En 1907 comme en 1917, l’objectif de Freud est limité : montrer que


l’acte obsédant et le cérémonial obsessionnel ont un sens. La

24 Nous nous proposons d’étudier ailleurs ce désir de garder un désir insatisfait


(thème de l’Absagung, du refus, souvent confondu avec un comportement
ascétique, religieux ou cornélien) dans la vie de certains grands hommes, de
Gœthe à Kierkegaard et à Nietzsche – et dans des œuvres célèbres, du roman
de Tristan à La princesse de Clèves, à Parsifal, à La Porte étroite, à L’Homme
sans qualités, etc. L’Hérodiade mallarméenne en est l’expression essentielle.
25 Zwangshandlungen und Religlonsübungen in Zeitschrift für Religionspsy-
chotogie, vol. I, tasc. I, 1907. Repris dans la deuxième suite de la Sammlung
kleiner Schriften zur Neurosenlehre.
26 À la suite de L’avenir d’une illusion, pp. 157-183, Denoël & Steele, 1932.

240
La régression du patient et l’analyste

richesse du matériel, on s’en apercevra, conduit beaucoup plus loin.


D’ailleurs, Freud nous dit de ce cas qu’il n’en saurait fournir de plus
beau. Nous nous efforcerons de le résumer sans rien omettre
d’essentiel.

Une dame de trente ans, mariée à vingt avec un homme beaucoup


plus âgé qu’elle, souffrait d’obsessions très graves « que j’aurais
peut-être réussi à soulager », dit Freud, « sans un perfide accident
qui a rendu vain tout mon travail (je vous en parlerai peut-être un
jour) »27. Vivant séparée de son mari, elle éprouvait aux repas la
compulsion de laisser les meilleurs morceaux, par exemple de ne
manger que les bords d’une tranche de viande rôtie. Ce renoncement
s’était manifesté pour la première fois le jour où elle avait annoncé à
son mari qu’elle lui refuserait désormais les rapports conjugaux,
c’est-à-dire le jour où elle avait renoncé à ce qu’il y avait de meilleur.
Elle ne pouvait s’asseoir que sur un seul siège et ne parvenait à s’en
relever qu’avec difficulté. Le siège symbolisait pour elle son mari, à
qui elle restait fidèle. « On se sépare si difficilement, disait-elle (d’un
homme, d’un siège) après s’y être assise une première fois. »

Pendant tout un laps de temps, elle avait répété un acte obsédant


particulièrement frappant et absurde. Elle courait de sa chambre à
une autre pièce au milieu de laquelle se trouvait une table, elle
arrangeait d’une certaine façon le tapis qui se trouvait dessus, elle
sonnait la fille de chambre qui devait s’approcher de la table, puis la
congédiait avec un ordre indifférent et s’enfuyait de nouveau
précipitamment dans sa chambre. Ce fut la patiente elle-même qui
interpréta toute seule le sens de ce cérémonial, « de la façon la plus
certaine et irréfutable », dit Freud. Le tapis de table portait une
tache d’une vilaine couleur et elle disposait chaque fois le tapis de
telle sorte que la tache dût sauter aux yeux de la fille de chambre. Le
tout était ainsi la reproduction d’un événement de sa nuit de noces :
son mari s’étant trouvé impuissant, courut plusieurs fois cette nuit-là

27 Il n’en a jamais plus parlé.

241
La régression du patient et l’analyste

de sa chambre à la sienne, afin de répéter la tentative. Le matin


suivant, il avait dit qu’il devrait avoir honte devant la fille de
chambre de l’hôtel qui allait faire les lits ; aussi prit-il un flacon
d’encre rouge qui se trouvait par hasard dans la chambre et en
versa-t-il le contenu sur le drap, mais d’une façon si maladroite que
la tache rouge se produisit à un endroit vraiment peu en rapport
avec son dessein. Elle rejouait ainsi par cet acte obsédant la scène de
sa nuit de noces. « La table et le lit » font en effet, à eux deux, le
mariage.

La version de 1907 ne cherche pas à élucider davantage les


motivations du cérémonial. Mais en 1917 Freud va beaucoup plus
loin. Il dit une première fois que sa patiente s’identifie avec son
mari ; une deuxième fois, qu’elle joue le rôle du mari (la nuance est
importante, nous y reviendrons) ; elle le représente comme n’ayant
pas honte devant la femme de chambre, la tache se trouvant à la
bonne place. Continuant et corrigeant la scène, elle l’a rendue
réussie. Surtout, elle proclame : « Ce n’est pas vrai, mon mari ne fut
pas impuissant. » Elle lutte contre l’intention de demander une
rupture légale du mariage, mais il ne peut être question pour elle de
se libérer de son mari ; elle se sent contrainte de lui rester fidèle.

À partir d’ici, les faits rapportés en 1917 apparaissent comme


gravement distordus par rapport à la paléo-observation et
comportent même, avec celle-ci, des contradictions flagrantes :

1917 : elle vit dans la retraite afin de ne pas succomber à une


tentation. Bien que jeune et désirable, elle a recours à toutes les
précautions réelles et imaginaires (magiques) pour conserver sa
fidélité à son mari.

Elle ne se montre pas devant des étrangers, néglige son extérieur,


hésite lorsqu’il s’agit de signer son nom, est incapable de faire un
cadeau à quelqu’un sous prétexte que personne ne doit rien avoir
d’elle. Freud aurait-il oublié, ou n’aurait-il pas relu, ce qu’il écrivait

242
La régression du patient et l’analyste

en 1907 ? On verra qu’à tout le moins la conduite de sa patiente fut


parfois tout autre. Voici la fin de l’observation archaïque :

Elle présentait une compulsion à noter le numéro de chaque billet de


banque avant qu’il ne sortît de ses mains : or cette compulsion
comportait aussi une explication biographique. Au temps où elle
admettait encore l’idée de quitter son mari au cas où elle trouverait
un autre homme plus digne de confiance, elle s’était laissé faire la
cour, dans une ville d’eaux, par un monsieur des intentions sérieuses
duquel elle doutait cependant. Un jour où elle avait besoin de petite
monnaie, elle le pria de lui changer une pièce de cinq couronnes. Il
le fit, empocha la large pièce d’argent et ajouta galamment qu’il ne
s’en séparerait jamais, cette pièce ayant passé par ses mains à elle.
Au cours de rencontres ultérieures, elle fut maintes fois tentée de lui
demander qu’il lui montrât la pièce de cinq couronnes, en quelque
sorte pour se convaincre de la foi qu’il convenait d’accorder à ses
hommages. Mais elle s’en abstint en vertu de la bonne raison que
l’on ne saurait distinguer l’une de l’autre des pièces de monnaie de
même valeur. Ainsi le doute ne fut pas dissipé et il laissa après lui la
compulsion à noter les numéros des billets, numéros grâce auxquels
chaque billet se distingue individuellement de tous les autres de
même valeur.

***

Munis, grâce à cette recollection unifiante et panoramique, de la


totalité des éléments que Freud nous avait fournis par les voies d’un
splitting singulier (observation en deux tronçons, comme la nuit de
noces en deux chambres), nous allons examiner le sens qu’il prête
aux motivations de sa patiente et nous demander s’il a pu élucider ce
sens jusqu’au fond. (L’observation de 1917 ne relate que le
cérémonial du tapis taché, tout le reste figure seulement dans le
texte de 1907.)

243
La régression du patient et l’analyste

Tout d’abord, une remarque préliminaire : Freud nous dit en 1917


que la malade a interprété elle-même ses symptômes « en corrélation
avec un événement qui s’était produit, non à une période reculée de
l’enfance, mais alors qu’elle était déjà en pleine maturité ». C’est
donc qu’il situe le point de départ de la névrose dans la nuit de la
défloration manquée. Tout le matériel rapporté est postérieur à cet
événement, sans aucune référence à des faits œdipiens ni, à plus
forte raison, pré-œdipiens. Il y aurait déjà là matière à réflexion ;
seulement nous n’avons aucune base pour en discuter. Mais puisque
tout se serait structuré à partir de cette nuit de noces, véritable
complexe nucléaire (« c’est l’union non consommée qui fut la cause
de tout le malheur »), il convient d’en examiner de près les
circonstances, les particularités et les acteurs.

À cette époque, la patiente a vingt ans environ et vient d’épouser un


homme « beaucoup plus âgé qu’elle ». Ce n’est point une audace
d’en inférer qu’il lui est facile d’identifier son mari à son père. Nous
y reviendrons. Mais qu’en est-il de cet époux ? D’après son
comportement en cette nuit historique, il faut bien admettre qu’il
paraît éprouver une certaine angoisse et se livrer à quelques
bizarreries. À l’hôtel, il a retenu deux chambres, comme si la
proximité de l’objet (disons, du désir de l’autre) l’inquiétait. Et
l’épithalame, brillant ou pas, se joue, à l’ordinaire sur un mode moins
furieusement agité que celui de ces galopades achevées en déroute.
Et ce « flacon d’encre rouge qui se trouvait par hasard dans la
chambre… ». Que voilà une fourniture insolite dans une chambre
d’hôtel, fût-il meublé ! Gageons qu’il l’avait mis dans ses bagages –
« à tout hasard », oui – avec sa brosse à dents.

En première approximation (car les sédimentations du sens ne


cesseront de s’épaissir au fur et à mesure que s’y feront plus lourds
le poids de l’imaginaire et celui du symbolique), on serait tenté
d’imputer l’échec inaugural à la mise bout à bout de deux tabous :
tabou de l’inceste contre tabou de la virginité, derrière lesquels se

244
La régression du patient et l’analyste

profilent vaginisme et flaccidité bouclant l’inhibition partagée dont


on pourrait soutenir, dans ce contexte, qu’elle fut par l’un et par
l’autre inconsciemment souhaitée, recherchée, organisée – les
mirages labiles de l’inter-subjectivité où le narcissisme du Moi ne
cesse de relayer le narcissisme du désir, approfondissant le naufrage
dans l’abîme des miroirs jumeaux.

Ce Tabou de la virginité, c’est le titre d’un article que Freud devait


publier en 1918, un an environ après la conférence qui nous
occupe28. On peut beaucoup s’y instruire et même y éprouver
certaines surprises. En effet, si la défloration y apparaît comme
l’agent électif du nœud gordien qui lie la femme par le sexual
thraldom, l’esclavage sexuel, au premier homme qui l’a approchée,
l’accent y est mis non moins vigoureusement sur la réaction
d’agressivité déclenchée chez la victime et sur l’angoisse créée chez
le partenaire par les fantasmes de rétorsion auxquels il s’expose
(castration et appropriation de son pénis par la vierge outragée :
nous ne tarderons pas à en découvrir l’immense importance). Ne
peut-on dès lors se demander si la gloriole folklorique et gauloise
d’une effraction menée tambour battant, avec exhibition consécutive
du sang répandu (tradition de noces campagnardes dont Freud ne
parle pas) n’exprimerait point justement le soulagement d’avoir
échappé au double péril de l’émasculation et du fiasco ? Un seuil très
scabreux a été franchi, on a triomphé du dragon caché dans la
caverne – ce pénis de papa présenté en férocité par Mélanie Klein.
On a eu chaud, mais on est rassuré, on est un vrai luron, il faut que
tout le monde le sache ! Et si l’on a succombé, alors il faut truquer :
à nous l’encre rouge, correctrice des devoirs bâclés… Ce sera peut-
être assez bon pour la femme de chambre.

Disons en passant le rôle essentiel dévolu à cette dernière par le


mari comme par l’épouse : elle est la tertia gaudens, l’indiscrète –
mais sollicitée – dont le regard provoqué établit un constat. Elle est

28 Collected Papers, IV, p. 217.

245
La régression du patient et l’analyste

la foule, le chœur, le on, le témoin, le jury et le notaire. Elle est


même la mère de Madame, la « bonne » (à rien) qui n’a pas su
donner le pénis à sa fille et qui n’en sera jamais trop punie. C’est par
sa présence muette que le cérémonial tourne au psychodrame – alors
que le psychodrame expose si facilement à l’amorce d’un
cérémonial…

Nous voici-devant le grand suspense : « Je devrais avoir honte… »


C’est ici que tout s’articule. Le camouflage à l’encre rouge par le
mari est un acte obsessionnel typique. Il pose et retire en même
temps, il n’affirme que pour annuler : la tache étant hors de sa place,
elle nie ce qu’elle effectue, elle proclame l’échec de la défloration.
C’est un aveu à la deuxième puissance et par voie d’affiche. (Rien
n’est à sa place, ni personne, dans cette histoire : ni les taches
d’encre, ni les personnages, ni le phallus, ni l’observation, toujours
rencontrés là où on ne les attend point.)

Lorsqu’elle prendra le relais de la scène pour y fonder son


cérémonial, en inversant, nous le verrons, le sens initial, l’épouse
n’aura qu’à y greffer sa compulsion de répétition. Elle ne s’identifie
pas au mari : elle joue le rôle du mari, comme dit Freud, mais en son
propre nom et pour son compte. Elle est elle et non l’autre quand
elle répète le jeu du partenaire. Et d’ailleurs, de quel type
d’identification pourrait-il s’agir ? De celui du deuxième genre, celui
de Dora imitant la toux du père, identification par régression,
absorbant l’objet29 ? Certainement pas. Ou de celui du troisième
genre, identification par le symptôme en vue du soutien du désir,
avec indifférence de l’objet ? Le contexte montre et montrera que ce
ne serait pas plus vraisemblable. Ce qui lui importe est de rectifier,
de son propre chef, le cérémonial ; de lui rendre son efficacité pour
elle, par une mise en place adéquate, en retournant son sens. Il faut
contester l’aveu du mari, prouver que tout s’est bien passé. La tache
sur le drap n’a aucun caractère symbolique : c’est une contrefaçon,

29 Voir Psychologie collective et analyse du Moi, chap. VII.

246
La régression du patient et l’analyste

un leurre grossier, ce qu’on appelle à l’état-major et dans la


chambrée un « piège à c… », un piège désamorcé au départ. Mais
sur le tapis de la table, la tache est bien symbolique, du fait de sa
mise en place correcte et qui est, de ce point de vue, la vraie place :
la place publique où la conviction de la patiente se nourrira de celle
de la foule.

Quel réconfort dans l’élucidation de ce scénario nous apporte la


paléo-observation de 1907, puisqu’elle nous apprend que, la
défloration ayant fini par avoir lieu, ce fut alors la patiente qui prit
l’initiative de refuser les rapports conjugaux, mais sans abandonner,
semble-t-il, pour autant, le cérémonial qui visait, d’après elle et
d’après Freud, à restituer au mari sa pleine virilité. Ce qui est
proprement vouloir garder un désir insatisfait. Nous y voyons la
dame se remettre à table, mais pour ne pas manger le morceau, le
bon morceau. Ou plutôt pour s’y livrer à une curieuse phallophagie,
seulement partielle ou interrompue. Du bon objet ? Du mauvais ?
Allez savoir… En tout cas, si agressivité orale il y a, elle ne se
localise que sur les bords puisque, ce bon morceau, elle n’y met les
dents que pour le décaper, le rogner, l’ébarber, le circoncire…

Qu’on veuille bien, maintenant, se reporter aux Propos directifs de


Lacan « pour un congrès sur la sexualité féminine », au § IV, sur la
frigidité :

Pourquoi ne pas admettre que s’il n’est pas de virilité que la


castration ne consacre, c’est un amant châtré ou un homme mort
(voire les deux en un) qui, pour la femme, se cache derrière le voile
pour y appeler son adoration – soit du même lieu au-delà du
semblable maternel d’où lui est venue la menace d’une castration qui
ne la concerne pas réellement. Dès lors, c’est de cet incube idéal
qu’une réceptivité d’étreinte a à se reporter en sensibilité de gaine
sur le pénis.

Et plus loin, au § V :

247
La régression du patient et l’analyste

Bien loin de répondre au désir mâle, la passion à l’acte, la sexualité


féminine apparaît comme l’effort d’une jouissance enveloppée dans
sa propre contiguïté (dont peut-être toute circoncision indique-t-elle
la rupture symbolique) pour se réaliser à l’envi du désir que la
castration libère chez le mâle en lui donnant son signifiant dans le
phallus. Est-ce alors ce privilège du signifiant que Freud vise en
suggérant qu’il n’y a peut-être qu’une libido et qu’elle est marquée
du signe mâle ?

Comme tout, brusquement, vient de s’éclairer et de se simplifier !


Essayons, à partir de ces données, de comprendre le sens du
cérémonial. Le vœu de la patiente est de châtrer son mari pour qu’en
soit consacrée la virilité. Mais alors, pourquoi n’enregistre-t-elle pas
purement et simplement l’impuissance qu’il manifeste et proclame ?
Pourquoi prend-elle tant de peine à refuser ce qu’elle vise ? Parce
que là est sa demande, c’est-à-dire sa formulation de l’impossible. Le
raté provient de ce que, le mari s’avérant impuissant en fait et
confirmant son incapacité par le sabotage intentionnel de la
contrefaçon, le réel coupe l’herbe sous le pied au fantasme. Si le
mari est vraiment châtré, la demande est vraiment satisfaite, ce qui
signifie pour la demanderesse qu’elle ne l’est pas, en tant que sa
demande ne comporte pas de possibilité de satisfaction. Il faut qu’il
ait d’abord le phallus pour qu’il soit enfin sans l’avoir et que sa
femme puisse l’être. La preuve, c’est qu’aussitôt déflorée, l’épouse
refuse les rapports conjugaux et boude, à table, le bon morceau, tout
en répétant le cérémonial de virilisation du partenaire. (On voit ici
les dimensions de l’erreur majeure qu’il y aurait, en cours d’analyse,
à essayer de satisfaire la demande du patient.) Le manque souhaité
n’est pas de l’ordre de la résection anatomique ; c’est le « docte
manque » mallarméen, celui du « sein brûlé de l’antique amazone »
dont le mode d’être est le n’être pas. Cet objet qui introduit son
manque dans l’être, c’est lui qui fait courir tout le monde, le mari, la
femme et la bonne. Tout le monde court et le furet est partout, mais

248
La régression du patient et l’analyste

insaisissable et tirant de cette absence toute sa présence, comme


L’Artésienne, comme le phallus de la mère, horizon de ce désir qui ne
peut que demeurer désir. La négation de l’étant, c’est le mythe de
l’être. C’est cela, le signifiant zéro – et la tache du tapis est comme la
sueur de sang qui éternise le dieu mort sur le voile de Véronique.
Derrière notre homme à l’encre rouge se profilent bien des victimes
adorées, Osiris, Adonis, Endymion, Jésus. Il est en bonne compagnie,
même s’il n’en sait rien.

***

La notion de « gaine » introduit ici toute la problématique de cette


bisexualité au sujet de laquelle Freud ne cessa de s’interroger depuis
le jour où Fliess l’avait offerte à sa réflexion. Être pure sensibilité de
gaine, être prépuce du phallus introuvable que l’autre lui permet
d’être puisqu’il ne l’a pas et que c’est en elle qu’il le cherche, dans la
réciprocité narcissique, voilà où la femme réalise la contiguïté dans
l’absence, autour du phallus nié qui n’est plus le sien ni celui de
l’autre, mais le leur, relance partagée d’un désir condamné à
demeurer pâture du vide. On voit la portée de ce qu’apprirent au si
regretté Marcel Griaule les Dogons de la boucle du Niger, pour qui
l’excision du clitoris et la circoncision du pénis exorcisent justement
la virilité de la femme et la féminité de l’homme, tourments de
l’analyse indéfinie, obstacle à la complémentarité symbolique en
quête du grand signifiant barré30. Voilà pourquoi la dame grignota les
bords du bon morceau qu’elle circoncit, de sorte d’y pouvoir
substituer cette gaine où laisser apparaître ce qui toujours hésite
entre ses porteurs comme entre être et n’être pas.

Il est plus étonnant encore que le divin Mallarmé rêvant sur


Hérodiade, archétype somnambule de ces exercices, ait pu
pressentir et presque formuler le dernier arcane :

« Et rendu à personne en la mort – celui qui ne devait même pas être
intrus – afin que personne pure celle-la en jaillît – révolte
30 Dieu d’eau, Éd. du Chêne, 1948.

249
La régression du patient et l’analyste

impersonnelle de la vie – le temps de s’enorgueillir – de jouir – de –


brève et féconde scintillation et de se connaître, s’éblouir mieux que
l’homme grossier ne l’eût fait – se refroidir – et de se dresser à elle
mêlé diamants – sanglots – gaine la sienne. Une virginité que c’est
trop pour l’homme de rêver… Le glaive qui trancha ta tête a déchiré
mon voile. Sur la dalle couchée jusqu’au col, mon corps, aveu de
l’homme nécessaire – féconde de la splendeur par ta mort précoce,
tu me possèdes, tu m’es »31.

Revenons enfin au symbolisme éternel sous la forme que sut lui


reconnaître Marcel Mauss dans les cérémonies immémoriales du don
et de l’échange, c’est-à-dire à cette incroyable parade de la pièce de
cinq couronnes. Ce qui se dénude là, c’est quelque chose
d’extrêmement important, c’est le mouvement essentiel qui porte le
désir, c’est encore une fois la demande :

« Donne-moi la monnaie de ma pièce ! Et tu as déjà compris que ma


requête vise l’impossible puisque, tu le dis toi-même, d’être passé
par mes mains cet écu demeurera sans pareil. Tu m’as reconnue, et
mon désir est déjà le tien. Préserve-le, afin qu’il reste le nôtre. Mais
je sais qu’aussitôt empoché, ce talisman unique retombera au néant
de la banalité et de l’identité anonyme, qu’étant à tout le monde
personne ne peut l’avoir et que c’est là son destin, notre destin. Je
n’ose déjà plus te le reprendre : je ne le reconnaîtrais pas. Et de ce
fait, je ne sais déjà plus qui tu es ni qui je suis. Je ne peux plus signer
mon nom. Quoi de plus infidèle que la fidélité ! Mais comme il en
coûte, aussi bien, de se lever du vieux fauteuil ! S’il manque un peu
de ressort, il me tend toujours ses bras – et j’en suis, après tout,
seule propriétaire. »

Oui, « tout est commun, même Dieu », disait Baudelaire. Alors,


François-Joseph… vous vous rendez compte ! Et le phallus !…

Rien ne fut échangé, mais l’échange demeure, échange du rien, seul


capable de combler le vide de la demande, qui est demande du vide,

31 Les noces d’Hérodiade, Gallimard, 1959.

250
La régression du patient et l’analyste

en ouvrant le dialogue où le désir trouve son être de langage, son


humaine dimension32. La vie des mots est la mort des choses, mais,
symbolisées, elles renaissent dans le « docte manque », présentes-
absentes, accédant enfin à l’être dont le Logos est le berger. Et tout
le reste n’est que petite monnaie fiduciaire du plaisir, numéros dont
on peut dresser le catalogue interminable, néant comptabilisé de la
répétition. C’est la tâche servile que don Giovanni laissait à son valet
(son double, hélas !). Quant à lui, on sait jusqu’où il accepta de
suivre le désir – et la statue du Commandeur.

Vieux Mas, 9-60.

32 Voir Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté (p. 74 : sur


l’échange du vin dans les petits restaurants du Midi).

251
Communication

de Bernard This

Grande est la Diane d’Éphèse, nous rappelle J. Lacan. Qui oserait le


nier ? Elle est grande, belle et toutes les femmes enceintes
s’empressent de délier leur ceinture pour la porter sur son autel,
comme elles avaient jadis déposé le linge rougi de leurs premières
menstruations.

Pourquoi cette révérence craintive ? Que vient faire ici Diane,


l’Artémis vierge et chasseresse qui jamais ne fut mère ? L’histoire
vaut d’être contée, notre séance inaugurale s’étant déroulée sous la
statue d’Athéna, déesse toute armée, sortie du crâne de Zeus, son
père.

Héra, jalouse des enfantements solitaires de son divin époux, avait


obtenu des dieux le droit de procréer parthéno-génétiquement : elle
mit au monde le monstre Tiphon qui ravagea l’humanité et enfanta le
Sphinx. À sa naissance, Tiphon fut confié à Python, le dragon
engendré par la terre. Ce monstre chtonien devait périr de la main
d’un fils de Léto.

Or Léto était enceinte des œuvres de Zeus. Héra, dans sa colère,


déclara que l’accouchement ne pourrait avoir lieu en plein jour. À la
demande de Zeus, Poséidon accueillit la malheureuse mère dans l’île
d’Ortygie, jusque-là recouverte par les flots ; les vagues se soulèvent,
formant une voûte liquide, et dans ce palais magnifique Léto

252
La régression du patient et l’analyste

commença son double accouchement. Artémis la première vit le jour,


mais elle vit aussi les souffrances de sa mère. Pendant 9 jours et 9
nuits elle resta près d’elle, elle entendit ses cris. Apollon ne pouvait
naître, car Ilhthye, déesse qui préside aux heureuses naissances,
était restée sur l’Olympe à la demande de sa mère, Héra, toujours
furieuse.

253
La régression du patient et l’analyste

Isis fut envoyée en messagère ; elle offrit un collier d’or et d’ambre,


long de 9 coudées et c’est ainsi qu’Apollon, dieu de la Lumière, put
sortir du ventre ténébreux de Léto, en cette île d’Ortygie, connue
depuis sous le nom de Délos la brillante.

Apollon, vous le savez, tua le troisième jour le Python monstrueux


qui avait menacé sa mère ; il enferma ses cendres dans un
sarcophage placé sous l’Omphalos du temple de Delphes.

Pithon, Tiphon, Delphiné, tous les dragons sont morts ; Cadmos


achèvera ce dernier et la légende d’Œdipe va commencer. Les dents
du dragon, semées en terre, donneront naissance aux Spartoï, les
« hommes semés », qui seront par Chtonios, Nyctée et Nycteis, les
ancêtres de Labdacos, Laïos et Oïdipos.

Labdacos boitait, Laïos marchait gauchement et Œdipe avait les


pieds enflés, car les êtres chtoniens ne peuvent marcher droit dans
la vie.

Un dieu boitait aussi, Héphaïstos, autre fils parthéno-génétique de


Héra. Zeus furieux l’avait surpris dans les bras de sa mère et jeté du
haut de l’Olympe sur la terre. Dieu du feu sous-terrain, Héphaïstos
travaillait jour et nuit pour rivaliser avec la Nature et accélérer
l’œuvre du Temps. Identifié à sa mère, il accouchait les métaux en
fusion. Nous savons qu’il fut appelé auprès de Zeus pour lui fendre le
crâne : cette intervention brutale et sanglante donna naissance à la
glorieuse Athéna.

Le forgeron, amoureux, pensant que cet exploit lui donne le droit de


l’épouser, se fait entreprenant.

C’est en vain qu’il la presse, Athéna se défend. Mais le sperme du


dieu concupiscent tombe sur la jambe de la déesse, qui s’essuie avec
un brin de laine qu’elle rejette aussitôt sur la terre : un monstre
apparaît, Erichtonios, le « Chtonien laineux », dont le corps enfantin
se termine par une queue de serpent.

254
La régression du patient et l’analyste

Nous n’en sommes plus à la reproduction parthénogénétique, il y a là


fécondation sur le corps, mais sans pénétration amoureuse.

Avec Zeus, l’intériorisation de la Scène Primitive dans le corps de la


femme se situe à un niveau d’évolution plus avancé.

Générateur par excellence, Zeus aimait Alcmène, la vertueuse


épouse d’Amphytrion. Il prit les traits de l’époux : orgasme
paroxystique et volupté diffuse, la tradition précise que la rencontre
dura trois pleines journées !

Ayant ravagé l’île de Taphos, Amphytrion revient d’un pas guerrier,


retrouve son épouse mais s’étonne de son peu d’empressement.
Tirésias, toujours lui, révèle au mari sa glorieuse infortune ; il
annonce qu’Alcmène est enceinte : son fils Hercule sera le fils de
Zeus.

Héra, ayant appris la trahison de son époux, crut qu’il avait été
séduit par la trop belle Alcmène, elle voulut s’opposer à
l’accouchement de sa rivale. Sa colère fut terrible et Illithye resta
incorruptible. Ovide nous raconte dans Les Métamorphoses
qu’Illithye s’est assise devant la porte de la maison d’Alcmène
« croisant sa jambe droite sur son genou gauche et entrelaçant ses
doigts écartés comme les dents d’un peigne, tenant en suspens la
délivrance, elle prononça à voix basse des mots magiques qui
arrêtèrent le travail commencé ».

Ce fut alors le calvaire de la parturition douloureuse. Ovide est


complaisant :

« Le poids de l’enfant tendait mes flancs : je ne pouvais supporter


plus longtemps ma douleur. Aujourd’hui lorsque j’en parle, mon
corps est glacé d’horreur et le seul souvenir m’est encore une
douleur. »

Neuf jours et 9 nuits de souffrance. Alcmène crie, supplie, appelle la


mort. Les femmes de Cadmos ne savent que pleurer et prier.

255
La régression du patient et l’analyste

Heureusement Galinthis, l’amie et la servante a compris qu’il y avait


là quelque malveillance d’Héra. Apercevant la déesse Illithye assise
curieusement sur l’autel devant la maison, elle s’écrie :

« Qui que tu sois, félicite ma maîtresse, Alcmène d’Argos est


délivrée, elle est mère, ses vœux sont exaucés. »

Furieuse et surprise, la déesse bondit et dans son trouble relâche ses


mains jointes, le spasme utérin est levé, Alcmène la forte est délivrée
et Hercule voit le jour.

Hélas, il ne faut jamais se moquer des dieux, l’ingénieuse servante


n’a pu réprimer un cri joyeux. La cruelle déesse la prend par les
cheveux et, la jetant à terre, la transforme en belette, animal qui
selon les anciens, enfantait par la bouche.

Hécate, déesse de la magie, en fera son animal sacré, Hercule


reconnaissant lui élévera un temple : c’est dans ce temple que l’on
prépare les futures accouchées. Galinthis se gargarise d’explications
pavloviennes et de physiologie obstétricale. Elle serait restée belette
bien longtemps si Freud n’était venu la délivrer, lui rappelant qu’elle
est un être humain dont la présence chaude et la parole véridique
ont dans une relation affective plus d’importance que les mots
prononcés.

Pour de nombreuses femmes, les séances de préparation à


l’accouchement sans douleur, constituent en quelque sorte des
équivalents de ces anciennes cérémonies d’initiation. Le plus
souvent, les initiations féminines ne s’achèvent pas avec la puberté,
comme pour les garçons, mais après l’expérience de la première
maternité. Pourquoi cette différence ? L’Œdipe de la fille serait-il
résolu plus lentement ? Si la fille entre dans l’Œdipe par la
castration, elle en sort, ne l’oublions pas, par l’expérience de la
séparation ; son enfant, en elle, n’est pas elle.

Au cours des séances de préparation d’accouchement sans douleur,


la femme reçoit, avec des explications rationnelles et valorisantes, le
droit d’assumer la fonction maternelle sans culpabilité. Si la

256
La régression du patient et l’analyste

psychoprophylaxie ne suffit pas, une psychothérapie est alors


instituée. Héra n’est plus alors la mauvaise mère, jalouse et irritée,
image maternelle redoutable et sorcière terrifiante. Illithye assise
auprès des parturientes devient l’amie secourable qui protège ses
enfants.

L’on se demandait, hier, pourquoi depuis dix ans l’étude de la libido


féminine connaissait un nouvel essor. Ne pensez-vous pas que
l’accouchement sans douleur y soit pour quelque chose ? La douleur
apparaît avec les conflits inconscients, l’expérience clinique nous
l’apprend tous les jours : douleur des règles, douleur des premiers
rapports, douleur des maternités, douleur de la ménopause, il fallait
que la douleur soit là, dans la vie génitale féminine. Pourquoi ?

Nous faisions tout, innocemment, pour que la souffrance remplace la


jouissance, notre sadisme y trouvant quelque inconscient plaisir.
Nous avions fait de la douleur une nécessité, une fatalité,
l’inexorable réalité s’opposant au principe du plaisir. « La souffrance
est nécessaire à l’amour maternel… il faut payer sa dette au
passage… si les femmes ne souffraient pas, elles pondraient leurs
enfants n’importe où… Ne touchez pas à la douleur de
l’accouchement, vous terniriez la gloire des mères de vos enfants. »

« Elles veulent faire les enfants, eh bien qu’elles les méritent ! »,


pensaient quelques jaloux. L’idée de la souffrance est un baume
nécessaire à la guérison des blessures narcissiques infligées aux
garçons par la castration primaire. Aimer maman, c’était jusqu’alors
faire comme elle, l’imiter, lui ressembler. Aimer maman, c’est
maintenant ressembler à son père, faire comme un papa qui aime
une épouse et aimer maman, ce n’est pas avoir, comme elle, un bébé
dans le ventre.

« Non jamais tu n’auras un bébé dans ton ventre. » Voilà ce qu’avec


F. Dolto nous appellerons la castration primaire du garçon. En ce qui
concerne la petite fille, le principe de réalité intervient également :
« Jamais sur ton corps ne poussera un pénis. » Pourquoi la petite fille

257
La régression du patient et l’analyste

renonce-t-elle si difficilement à cet organe pour elle fascinant ? Les


garçons, nous dit-on, se consolent facilement : « Ça doit faire mal,
j’aime mieux ne pas souffrir. »

Depuis 10 ans, un bastion formidable est tombé, nous ne croyons


plus à ces douleurs inéluctables ; personnellement, une expérience
de 5 000 cas de psychoprophylaxie obstétricale me permet d’affirmer
la réalité de l’accouchement sans douleur.

Diane n’aurait plus peur d’assumer le génie de son sexe. Il n’est plus
nécessaire de postuler avec H. Deutsch une composante
masochistique fondamentale dans la libido féminine, et ceci prend
une grande importance, en ce qui concerne la création d’un climat
social sain et valorisant.

Quand une mère peut dire à sa fille sincèrement : « Tu ne peux pas
savoir comme j’étais heureuse le jour de ta naissance, quand je t’ai
déposé dans les bras de ton père. Tu comprendras quand tu mettras
au monde ton bébé », l’avenir est ouvert, joyeux, plein de promesses.

Alcmène si vertueuse était l’aînée d’une famille de 11 enfants. Son


père Electryon épousa, en seconde noce, Média, mère de Licymnos.
Une mère morte, 10 frères, une marâtre, voilà qui dut compliquer le
développement affectif d’une enfant. Que d’agressivité refoulée dans
une surcompensation protectrice ! Le désir de détruire le ventre
maternel renforce l’angoisse de morcellement. La crainte du viol par
le pénis démesuré du père décuple la terreur. Franchir les limites et
faire couler le sang, voilà précisément l’interdit. On comprend,
comme le rappelle F. Dolto, que la femme soit si proche de la mort
quand elle se met au service de la vie.

L’interdiction d’avoir un phallus centripète l’avait mené au bord de la


dépression : « Je ne joue plus, je garde, je ne rends plus. » Or le jour
de la naissance l’enfant qui passe à travers le corps de sa mère est
là, perpendiculairement à son corps, érigé verticalement, après le
passage sous l’arc de triomphe du pubis.

258
La régression du patient et l’analyste

ʹΟρθ-αγόρας grec désignait le phallus. ʹΟρθ-αγόρας c’est l’érection,


et όρθίασμα c’est la parole et le cri. ʹΟρθός, le point du jour. C’est
dans l’île d’Ortygie qu’est né Apollon. Urga, en sanscrit, c’est le suc,
la vigueur. ʹΟργάς, en grec, c’est la terre grasse et fertile, le
territoire sacré, consacré à Déméter-Persiphone.

ʹΟργή c’est l’agitation intérieure qui gonfle l’âme. La racine op


indique l’élévation (όρνυμι faire se lever, exciter, mettre en
mouvement). Τη c’est la terre. ʹΟργάω c’est être fécond, plein de
sève. L’orgion était la cérémonie religieuse, l’initiation aux mystères,
όργιάζω veut dire célébrer le mystère. De quel mystère s’agit-il ?
ʹΟργάζω c’est pétrir, amollir, ce qui nous met peut-être sur la voie : le
mystère c’est celui de la Scène Primitive, de la rencontre
hiérogamique, qui préside à la naissance du fruit.

Frux c’est le rapport, le produit, le fruit ; fruor c’est jouir, profiter,


faire usage, user.

User c’est se servir : uti. L’ustensile, l’outil, l’utile impliquent l’optatif


et le but. (Ut : pour que. Utinam : plût aux dieux que…) Mais uter
c’est l’outre ; udara, en sanscrit, c’est le ventre. Antcira c’est la
caverne, la grotte, la fente. Et nous voici revenus à la sexualité
féminine, l’utérus c’est la matrice, lieu de nos premières
incarnations. (Uvero : être plein d’humidité ; uva, la grappe de
raisin ; οϋθαρ c’est le sein, en sanscrit ûdhas.)

On voit par ces quelques exemples que parler d’orgasme ou bien de


jouissance, c’est déjà parler du fruit de la rencontre. Si όρμή c’est
l’impulsion, le désir, l’élan, le but, la tendance, όρμενος c’est la jeune
tige. En latin, frumo c’est consommer, jouir, et frumentum c’est le
blé.

Mais pour que le grain de blé porte fruit il faut qu’il germe en terre.
Déméter ne vivra pas toujours avec Perséphone, la mère doit
accepter de se séparer de son fruit (deuil du fruit). Qu’il soit digestif
ou vivant, incestueux ou légitime, le fruit n’est pas chose possédée,
faite ou refaite. L’enfant n’est pas fait, il se fait, être humain vivant,

259
La régression du patient et l’analyste

personne libre. L’orgie primitive n’est pas seulement mariage de


l’« ithyphallique intrusif émissif » et du « réceptacle orbiculé
attractif » ; la scène primitive n’est pas une rencontre duelle mais un
moment fécond trinifiant : un « Je » s’incarne dans un corps, unissant
son désir de vivre à celui de ses deux géniteurs.

Nous pouvons parler d’un vide attractif ou d’un plein qui se vide. Ce
vide, quel est-il ? Ce vide de l’homme que comble la Parole, cette
lacune au fond de son désir, pourrons-nous le cerner autrement
qu’en des mots patiemment épelés ; et quels mots rares allons-nous
choisir pour décrire cette étrange dialectique du plein et du vide, à
travers les échanges incessants d’une dette circulante qui n’arrivera
jamais à combler ce « manque à être » qu’implique tout désir. Le
désir, quel est-il ? Désir de retour au sein maternel ? Et la
sublimation n’est-elle que ce sublime effort de recréation d’un monde
imaginaire, limité, enveloppant, sécurisant (sublimen) ? Nous ne le
pensons point.

Par l’introjection de la scène primitive créatrice, l’être humain


assume son existence dans un corps, un lieu et un temps définis.

Dans l’épiphanie de la naissance, le Verbe apparaît, le Logos se


dévoile, le grain est émondé, l’enfant se développe. Accouché,
exprimé à travers le couronnement des lèvres, le fruit sublime de
l’amour est mis au monde, donné au Père qui tranche le cordon et
transmet son Nom.

Vulve, valve, volve, volume, volumen, nous comprenons pourquoi


l’orifice matriciel est ainsi désigné. Si souvent innommé, voire
innommable, le sexe féminin est le lieu invisible des lentes
maturations. Athéna, sur son bouclier, avait placé la « Chose », tête
de Méduse, monstrueuse et pétrifiante image que le regard de
l’homme ne pouvait soutenir.

C’est à travers la fente que l’oracle d’Apollon se faisait entendre à


Delphes, et la parole de la Pythie pour être comprise devait encore
recevoir l’ordination du prêtre. Δελφύς c’est l’utérus, δελφιζ c’est le

260
La régression du patient et l’analyste

dauphin, animal porteur du dieu-enfant. Δέλφαξ c’est la truie,


immolée aux fêtes de Déméter. Le sacrifice d’une femelle pleine doit,
ici, être noté car il est le symbole des renonciations maternelles.
Accepter la mort de son fruit, voilà l’épreuve décisive. Qu’il
connaisse et sa vie et sa mort, j’accepte son autonomie, qu’il réalise
son devenir ! C’est au Fiat que le désir de maternité devient
consentement au sens de la vie.

Le grec est audacieux qui nous propose dans les jeux de sa langue
une telle sublimation du désir. Précieux volume, enroulé sur lui-
même, l’enfant, donné au monde des hommes, est le symbole vivant
de la relation trinifiante et permanente qui unit une femme à son
mari. En mettant au monde un enfant, la femme manifeste dans son
corps sa reconnaissance à l’autre, en tant qu’autre, elle honore dans
sa descendance toute son ascendance. Son geste prend un sens, il
exprime son union au Père, symbole de la sublimation du Désir.

261
Traductions33

33 Les quatre articles qui composent cette partie sont présentés dans
l’ordre chronologique de leur parution originale.
La psychologie de la femme en relation avec les
fonctions de reproduction

par Hélène Deutsch34

Il apparut dès les premières recherches psychanalytiques que la voie


du développement de la libido infantile aboutissant au choix objectal
hétérosexuel normal était rendue difficile chez la femme du fait de
certaines circonstances particulières.

Pour les hommes, la voie de ce développement est bien tracée, et il


n’est pas besoin d’une « vague de refoulement » compliquée pour
aller de l’avant à partir de la phase « phallique » ; le développement
ne fait que ratifier ce qui existe déjà et s’accomplit en utilisant à bon
escient une force toute prête et déjà impérieuse. L’essence de son

34 Titre original : The Psychology of Women in relation to the functions of


reproduction, publié pour la première fois dans l’Internationale Zeitschrift
fur Psycho-Analyse, XI, 1925, p. 40 : Psychologie des Weibes in den
Funktionen der Fortpflanzung. Reproduit par l’International Journal of
Psycho-Analysist VI, 1925, p. 405. Traduit de l’anglais par Mme Perrier-
Roubleff. L’article de Hélène Deutsch, publié en 1925, a été repris dans le
Psycho-Analytic Reader compilé par Robert Fliess (Hogarth Press, London,
1950). À cette occasion l’auteur y avait apporté quelques précisions
incorporées dans le texte. Nous avons reproduit ces variantes en bas de page
(sous la mention de variante P.A.R.) qui permettront au lecteur de juger dans
quel sens, à vingt-cinq années de distance, Hélène Deutsch a cru devoir
compléter sa pensée. (N. d. T.)

263
La régression du patient et l’analyste

achèvement repose sur une maîtrise de l’attitude œdipienne qu’elle


connote, et en surmontant le sentiment de culpabilité y attenant.

264
La régression du patient et l’analyste

La petite fille, de son côté, doit accomplir une double tâche


supplémentaire : elle doit d’abord renoncer à la masculinité liée au
clitoris ; puis en passant de la phase « phallique » à la phase
« vaginale », elle doit découvrir un nouvel organe génital.

L’homme atteint son stade final de développement lorsqu’il découvre


le vagin dans le monde extérieur et en prend lui-même possession de
façon sadique. En ceci il est guidé par son propre organe génital,
déjà familier, et qui le pousse à l’acte de possession.

La femme doit découvrir ce nouvel organe sexuel dans son propre


corps, découverte qu’elle fait étant assujettie maso-chiquement au
pénis ; celui-ci devient ainsi le guide qui conduit à cette nouvelle
source de plaisir.

La phase finale qui permet d’aboutir définitivement à une attitude


féminine ne consiste pas en une gratification du désir infantile du
pénis au moyen de l’acte sexuel, mais une pleine réalisation du vagin
en tant qu’organe de plaisir – en échangeant le désir d’avoir un pénis
contre la possession réelle et également précieuse du vagin. Cet
organe nouvellement découvert doit devenir pour la femme « le Moi
tout entier en miniature », un « double du Moi », comme l’appelle
Ferenczi35, lorsqu’il parle de la valeur du pénis pour l’homme.

Dans le présent travail, je vais essayer d’exposer comment s’effectue


ce changement d’évaluation de l’organe génital et quelle en est la
relation avec la fonction de reproduction chez la femme.

Nous savons comment les différentes organisations de la libido se


succèdent les unes aux autres, et comment chaque phase porte en
elle des éléments de la précédente, de telle sorte qu’aucune phase ne
semble avoir été complètement surmontée mais plutôt avoir
simplement abandonné son rôle central. Tout au long de chacune de
ces voies communicantes du développement, la libido appartenant

35 Ferenczi (A.), Versuch einer Genitaltheorie, Vienne, Internationale Psycho-


analytische Bibliothek, Band XV, 1924 (traduit en français sous le titre de
Thalassa, Psychanalyse des origines de la vie sexuelle, Payot, 1962).

265
La régression du patient et l’analyste

aux stades les plus évolués tend à régresser à sa condition originelle,


et elle y parvient de diverses façons.

Ces oscillations de la libido entre les différentes formes qu’elle prend


au cours du développement, entraînent non seulement le fait que les
dernières phases les plus évoluées contiennent des éléments des
phases antérieures, mais, réciproquement, que la libido au cours de
sa régression entraîne des fragments appartenant aux phases les
plus tardives, mêlés à des fragments provenant des phases plus
précoces : un processus que nous retrouvons ultérieurement dans la
formation des fantasmes et dans les symptômes.

Ainsi, la première phase, ou phase orale, est auto-érotique, c’est-à-


dire qu’elle n’a aucun objet ni de façon narcissique dans le Moi, ni
dans le monde extérieur. Et cependant nous savons que le sevrage
laisse dans l’inconscient des traces d’une blessure narcissique. Et
ceci parce que le sein maternel est considéré comme une partie du
corps propre du sujet et, comme plus tard le pénis, est investi d’une
quantité importante de libido narcissique. De même, la gratification
orale dérivée de la succion aboutit à la découverte de la mère et
permet de trouver en elle le premier objet.

La partie mystérieuse, hétérosexuelle de la libido de la petite fille,


trouve sa première explication dès la phase la plus précoce du
développement. À l’amour tendre qu’elle voue à son père (« l’homme
protecteur ») en tant qu’objet d’amour le plus proche, côte à côte
avec la mère, s’ajoute une grande partie de cette libido sexuelle qui,
prenant naissance dans la zone orale investit en premier lieu le sein
maternel. L’analyse des patients nous montre qu’au cours d’une
certaine phase de développement, l’inconscient confond le pénis
paternel et le sein maternel en tant qu’objet de succion. Cette mise
en équation coïncide avec la conception du coït (caractéristique de
cette phase) considéré comme une relation entre la bouche de la
mère et le pénis du père, et aboutit à la théorie de la fécondation

266
La régression du patient et l’analyste

orale. Le but passif de cette phase est réalisé grâce à la muqueuse


de la zone buccale, l’organe actif du plaisir étant le sein.

À la phase sadique-anale, le pénis perd sa signification (pour la vie


fantasmatique) en tant qu’organe de la succion et devient un organe
de maîtrise. Le coït est conçu comme un acte sadique ; nous savons
que dans les fantasmes, la fille, peut soit prendre le rôle actif du père
qui bat, soit subir l’acte masochiquement par identification à la mère
battue.

Dans cette phase le but passif est atteint par l’intermédiaire de


l’anus, et le bol fécal devient l’organe actif du plaisir qui, au même
titre que le sein maternel lors de la première phase, appartient à la
fois au monde extérieur et au corps propre du sujet. Par un
déplacement d’investissement, les fèces acquièrent ici la même
valeur narcissique que le sein au cours de la phase orale. Le
fantasme de la naissance lors de cette phase est celui de « l’enfant
anal ».

Nous sommes habitués à l’analogie biologique établie entre l’anus et


la bouche ; celle entre le sein et le pénis, en tant qu’organes actifs,
provient de l’analogie de leur fonction.

On pourrait croire qu’il est facile à la libido féminine au cours de son


développement de passer outre et de prendre possession de la
troisième ouverture du corps féminin : le vagin. Biologiquement au
cours du développement embryonnaire l’origine cloacale commune
de l’anus et du vagin permet déjà de prévoir ce passage. Le pénis en
tant qu’organe de stimulation et agent actif de cette nouvelle zone
érogène, atteint peut-être sa fonction au moyen de l’équation
suivante : sein = bol fécal = pénis.

Une difficulté existe du fait de la bisexualité du développement qui


interpose entre l’anus et le vagin le clitoris masculin en tant que
zone érogène. Dans la phase « phallique » du développement, le
clitoris attire à lui une grande part de la libido qu’il n’abandonne en
faveur du vagin « féminin » qu’après une lutte acharnée et pas

267
La régression du patient et l’analyste

toujours décisive. Évidemment, ce passage de la phase « phallique »


à la phase « vaginale » (qui coïncide par la suite avec ce
qu’Abraham36 appelle « postambivalente ») doit être reconnue
comme la tâche la plus ardue avec laquelle est confronté le
développement libidinal de la femme.

Le pénis est déjà découvert auto-érotiquement au cours du stade


infantile le plus précoce. D’ailleurs sa situation à découvert le rend
accessible à des stimulations variées, liées aux soins corporels du
bébé, et il devient ainsi une zone érogène avant d’être prêt à remplir
sa fonction de reproduction. Les trois phases masturbatoires sont
dominées par cet organe.

Le clitoris (qui est en réalité un substitut bien insuffisant du pénis)


aura la même importance que ce dernier pendant toute la période du
développement. Le vagin caché ne joue aucun rôle. L’enfant ignore
son existence, peut-être en a-t-il simplement de vagues prémonitions.
Toute tentative d’apaiser l’envie du pénis de la petite fille en lui
expliquant qu’elle aussi a « quelque chose », est inévitablement
nouée à un échec complet ; car la possession de quelque chose qu’on
ne voit ni ne sent ne peut guère être satisfaisant. Néanmoins, en tant
que zone d’énergie active, il manque au clitoris une grande énergie
dont le pénis est investi ; même au cours de l’activité masturbatoire
la plus intense le clitoris ne peut concentrer la même quantité de
libido que le pénis. En conséquence, la distribution primaire de la
libido suivant les diverses zones érogènes est sujette à bien moins de
modifications que chez l’homme, et la femme, grâce à une tyrannie
moindre du clitoris, peut rester plus « perverse polymorphe », plus
infantile pendant toute sa vie ; pour elle, plus que pour l’homme, « le
corps entier est un organe sexuel ». Dans la poussée pubertaire du
développement, cette érogénéité du corps tout entier augmente, car

36 Abraham (K.), Versuch einer Entwicklungsgeschichte der Libido, Neue


Arbeiten zur Arztlichen Psycho-Analyse, 1924 (cf. aussi Short Study of the
Development of the Libido, in Selected Papers, Hogarth Press, London,
1942).

268
La régression du patient et l’analyste

la libido délogée du clitoris (probablement par l’intermédiaire des


sécrétions hormonales) reflue sur le corps tout entier. Ceci est
important pour la destinée ultérieure de la femme, car de cette
façon, elle régresse à un état dans lequel, comme l’a montré
Ferenczi37, elle « s’attache à une existence intra-utérine » dans les
choses sexuelles.

Au cours des « transformations qui ont heu à la puberté » (et


pendant la période d’adolescence qui la suit) le courant de la libido
doit donc converger vers le vagin ; cette libido provient de deux
sources :

Primo, du corps tout entier, et plus spécifiquement des zones

érogènes les plus fortement investies ;

Secundo, du clitoris, qui a encore jusqu’à un certain degré

gardé ses investissements libidinaux.

La difficulté réside dans le fait que le clitoris n’est pas du tout prêt à
abandonner son rôle, que le conflit de la puberté est associé à
l’événement traumatique de la menstruation ; et ceci, non seulement
ravive la blessure de la castration, mais représente en même temps,
à la fois dans le sens biologique et psychologique, la déception d’une
grossesse manquée. La répétition périodique de la menstruation
rappelle chaque fois les conflits de la puberté et les reproduit sous
une forme atténuée, en même temps, que tout le processus de la
menstruation est destiné sans aucun doute à exercer une influence
érotisante et préparatoire sur le vagin.

La tâche d’acheminer la libido vers le vagin en partant de deux


sources déjà mentionnées incombe à l’activité du pénis, et ceci de
deux façons.

D’abord, la libido doit être retirée au corps tout entier. Nous avons là
une parfaite analogie avec le sein qui prend possession de façon
active de la bouche du nourrisson et concentre ainsi au niveau de cet

37 Loc. cit.

269
La régression du patient et l’analyste

organe toute la libido corporelle. Il en va de même pour le vagin, qui


grâce à la stimulation du pénis et par un processus de déplacement
« de haut en bas », prend, dans l’équation : pénis = sein, ce rôle
passif de la bouche suceuse. Cette activité de succion orale du vagin,
est indiquée par toute sa structure anatomique (et par les termes
anatomiques correspondants).

La seconde opération accomplie par le pénis est le transfert au vagin


de la libido clitoridienne résiduelle. Cette partie de la libido garde
encore son orientation « mâle », même quand elle est absorbée par
le vagin ; c’est-à-dire que le clitoris renonce à sa fonction
« masculine » en faveur du pénis qui aborde le corps de l’extérieur.

Tout comme le clitoris jouait à l’origine son rôle « masculin » par


identification au pénis paternel, ainsi le vagin reprend son rôle (celui
du clitoris) en laissant certaines de ses fonctions sous la domination
d’une identification au pénis du partenaire.

D’une certaine façon, l’activité orgastique du vagin est tout à fait


analogue à l’activité du pénis. Je me réfère au processus de sécrétion
et de contraction. Comme chez l’homme, nous avons ici un
« mélange », l’amphimixie des tendances urétrales et anales, à un
degré moindre naturellement. Ces deux instincts partiels acquièrent
leur pleine activité seulement dans ce « prolongement » de l’acte
sexuel, la grossesse et l’accouchement.

Nous voyons ainsi que l’une des fonctions vaginales s’édifie par
identification au pénis qui, dans ce rapport, est considéré comme
appartenant au corps propre du sujet. Ici la signification psychique
de l’acte sexuel vise à répéter et à surmonter le traumatisme de la
castration.

L’attitude féminine, véritablement passive du vagin repose sur


l’activité orale de succion discutée ci-dessus. Dans cette fonction le
coït signifie pour la femme la restauration de cette première relation
de l’être humain avec le monde extérieur, dans laquelle l’objet est
oralement incorporé, introjecté ; c’est-à-dire qu’il restaure cette

270
La régression du patient et l’analyste

condition de parfaite unité d’être et d’harmonie par laquelle la


distinction entre sujet et objet est annulée. Ainsi, la réalisation de la
phase génitale la plus évoluée, « post-ambivalente » (Abraham) n’est
autre qu’une répétition de la phase la plus précoce, pré-ambivalente.

Par rapport au partenaire, la situation d’incorporation est une


répétition de l’allaitement au sein maternel ; de ce fait
l’incorporation équivaut à répéter et à surmonter le traumatisme du
sevrage. Dans l’équation pénis = sein, et dans l’activité de succion
du vagin, le coït réalise l’accomplissement du fantasme de succion
du pénis paternel.

Les identifications établies entre les deux partenaires au cours de


l’acte préparatoire (Ferenczi) acquièrent maintenant de multiples
significations, l’identification à la mère se faisant de deux façons :
primo, en mettant en équation le pénis et le sein ; secundo, en vivant
masochiquement l’acte sexuel, c’est-à-dire en répétant
l’identification à la mère qui appartient à la phase d’une conception
sadique du coït. De par cette identification, la femme joue
simultanément dans le coït le rôle de la mère et de l’enfant. Une telle
relation trouve son prolongement au cours de la grossesse
lorsqu’elle est réellement la mère et. l’enfant à la fois.

En tant qu’objet de la libido maternelle au cours de l’acte de la


succion, le partenaire devient l’enfant ; mais en même temps la
libido, dirigée à l’origine vers le père, doit être transférée au
partenaire (suivant l’équation : pénis = organe de succion, et la
conception du coït en tant que l’acte sadique de maîtriser). Ceci nous
permet de comprendre qu’en dernière analyse le coït représente
pour la femme l’incorporation du père (par la bouche), qui devient
alors l’enfant et garde ce rôle au cours de la grossesse, qu’elle soit
réelle ou fantasmée.

Je suis arrivée à cette série compliquée d’identifications et qui peut


sembler outrée, grâce à mon expérience acquise avec les cas de
frigidité et de stérilité.

271
La régression du patient et l’analyste

La « régression maternelle » de Ferenczi est réalisée chez la femme


en identifiant le coït à la situation de succion. Le dernier acte de
cette régression (retour dans l’utérus), que l’homme accomplit par
introjection au cours du coït, est réalisé par la femme au cours de la
grossesse en identifiant complètement la mère et l’enfant. À mon
avis, « le traumatisme de la naissance » dont Rank38 a montré
l’importance, est surmonté par la femme surtout par sa répétition
active dans les accouchements successifs, car pour l’inconscient,
porter et être porté, donner la naissance et être né, procèdent de la
même identité que donner le sein et téter soi-même.

Cette conception du coït reflète toute la différence psychologique


entre les hommes et les femmes en ce qui concerne leur relation au
monde des objets. L’homme prend activement possession d’un
certain fragment du monde et de cette façon atteint la béatitude de
l’état primordial. Et c’est aussi cette forme que prennent ses
tendances à la sublimation. Dans l’acte d’incorporation passivement
vécue par la femme, celle-ci introjecte en elle un fragment du monde
des objets qu’elle peut alors absorber.

Dans son rôle d’organe de succion et d’incorporation, le vagin


devient le réceptacle, non pas du pénis, mais de l’enfant. L’énergie
nécessaire pour l’accomplissement de cette fonction, ne provient pas
du clitoris mais, comme je l’ai dit plus haut, de la libido investie par
le corps tout entier ; cette libido est acheminée vers le vagin par les
voies que nous connaissons. Le vagin lui-même représente
maintenant l’enfant et de cette façon reçoit cet investissement de la
libido narcissique qui atteint l’enfant dans ce « prolongement » de
l’acte sexuel. Il devient le « second Moi », le Moi en miniature, en
remplissant le rôle qu’a le pénis pour l’homme. La femme en
instaurant cette fonction maternelle du vagin, en abandonnant la
revendication du clitoris à représenter le pénis, atteint le but du
développement féminin, qui est de devenir une femme.
38 Rank (O.), Das Trauma der Geburt, Internationale Psychoanalytische
Bibliothek, Band XIV, 1924.

272
La régression du patient et l’analyste

Chez les hommes, la fonction de reproduction se termine avec l’acte


d’intromission, car chez eux cette fonction coïncide avec le
soulagement de la tension sexuelle par l’éjaculation.

Les femmes ont à accomplir en deux temps, la fonction que les


hommes accomplissent en une seule phase ; néanmoins le premier
acte d’incorporation contient les éléments qui indiquent la tendance
à se débarrasser des cellules germinales par expulsion, comme le fait
l’homme au cours du coït. L’orgasme chez la femme paraît, non
seulement impliquer l’identification à l’homme, mais avoir encore un
autre motif ; c’est l’expression de la tentative de communiquer au
coït lui-même, dans l’intérêt de la race, le caractère d’un
accouchement (on pourrait l’appeler un « travail manqué »). Chez les
animaux le processus d’expulsion des produits de la reproduction a
très souvent lieu pendant l’acte sexuel chez la femelle comme chez le
mâle.

Chez la femme, ce processus n’est pas mené à bonne fin, encore qu’il
soit clairement indiqué et ébauché dans la fonction de l’orgasme ; il
se termine seulement dans un deuxième temps, celui de
l’accouchement. Il s’agit bien d’un processus unique, mais
simplement scindé par un intervalle de temps. Tout comme la
première phase contient (dans l’orgasme) des éléments de la
seconde, ainsi la seconde est empreinte par les mécanismes de
plaisir de la première. Je suppose même que l’accouchement contient
l’acmé du plaisir sexuel dû au soulagement de la stimulation créée
par la cellule germinale, s’il en est ainsi, l’accouchement est un
processus d’« autonomie » analogue à l’éjaculation (Ferenczi),
exigeant, néanmoins, pour pouvoir fonctionner, le puissant stimulus
que constitue le fœtus arrivé à terme. Ceci inverse la position que
Groddeck a eu le courage le premier de défendre, au Congrès de La
Haye, à savoir que l’accouchement est associé au plaisir par son
analogie avec le coït. Il semblerait plutôt que le coït acquiert son
caractère de plaisir surtout parce qu’il représente une tentative et

273
La régression du patient et l’analyste

un début d’accouchement. J’aimerai étayer ma théorie sur les


considérations suivantes.

Freud39 nous dit que les instincts sadiques de destruction atteignent


leur plein développement quand les instincts sexuels érotiques
cessent d’agir. La tension retombe après leur gratification. L’instinct
de mort peut alors agir à sa guise et mener à bout ses visées sans
rencontrer de résistance. L’exemple classique en est fourni par
certains animaux inférieurs chez lesquels l’acte sexuel aboutit à la
mort.

Ceci s’applique au mâle mais se répète mutatis mutandis chez la


femelle quand l’ovule fertilisé est expulsé après un intervalle plus ou
moins long de maturation dans le corps maternel. Dans de
nombreuses espèces animales, par exemple chez certaines
araignées, les femelles meurent après avoir accompli les fonctions de
reproduction. Si la libération de l’instinct de mort est une
conséquence de la gratification des pulsions sexuelles, il est logique
de supposer que cette gratification n’atteint son apogée pour la
femelle que dans l’accouchement.

En fait, l’accouchement est pour la femme une orgie de plaisir


masochique, et la peur et la prémonition de la mort qui précèdent
cet acte sont dues à la perception d’une menace de libération des
instincts destructeurs.

Les cas de psychoses post-puerpérales sont caractérisés par une


tendance particulièrement forte au suicide et à des impulsions
meurtrières envers le nouveau-né.

Ces faits, à mon avis, confirment mon hypothèse que l’accouchement


constitue pour les femmes la fin de l’acte sexuel qui n’est
qu’inauguré par le coït, et que la gratification ultime de l’instinct
érotique est analogue à celle rencontrée chez les hommes et se
produit au moment où soma et germen se séparent.

39 Freud, Das Ich und das Es [G.W., XIII].

274
La régression du patient et l’analyste

Dans l’intervalle de temps entre les deux actes, des processus


compliqués se déroulent au niveau de l’économie libidinale.

L’objet incorporé au cours du coït est introjecté physiquement et


psychiquement, se prolonge dans l’enfant et persiste dans la mère
comme partie de son Moi. La relation de la mère à « l’enfant » en
tant qu’objet libidinal est donc double : d’une part, elle est élaborée
dans le Moi par interaction de ses différentes parties, d’autre part,
elle est aussi le prolongement de toutes les relations d’objet
qu’incarne l’enfant dans nos séries d’identification. Car, même
lorsque l’enfant est encore dans l’utérus, sa relation à la mère est
partiellement celle de l’objet extérieur qu’il deviendra en fin de
compte.

La libido, qui dans l’acte d’incorporation a régressé aux stades les


plus précoces, retrouve les positions abandonnées, et l’harmonie
découlant de l’identité entre sujet et objet n’existe pas toujours dans
la relation à l’enfant pris comme objet.

Les tendances ambivalentes des phases ultérieures qui s’étaient déjà


manifestées au cours du coït, s’accentuent pendant la grossesse. Le
conflit ambivalent de la « phase orale tardive » s’exprime dans la
tendance à l’expulsion (orale) de l’objet incorporé. Cela se manifeste
dans les vomissements de la grossesse, dans les éructations typiques
et les envies singulières pour certains aliments, etc.

Les éléments régressifs de la phase sadique-anale s’expriment dans


les tendances hostiles d’expulsion de l’objet. Ils se manifestent par
les douleurs qui apparaissent longtemps avant l’accouchement. Si
ces tendances hostiles prédominent sur les tendances retentives, il y
a avortement. On les retrouve aussi dans les modifications
transitoires, typiquement anales, du caractère des femmes enceintes.
L’ancienne équation enfant = fèces est reprise à cette phase dans
l’inconscient puisque l’enfant dans le corps de la mère est quelque
chose qui appartient à ce corps et qui est pourtant destiné à en être
séparé.

275
La régression du patient et l’analyste

Dans l’incorporation orale une certaine quantité de la libido


narcissique se dirige déjà vers l’enfant qui représente une partie du
Moi du sujet. De même la relation libidinale dans l’identification
enfant = fèces, est aussi une relation narcissique.

Mais de même que pour l’enfant les fèces deviennent essentiellement


quelque chose de dégoûtant en réaction contre leur surestimation
narcissique originelle, ainsi dans cette phase de la grossesse
surgissent des sensations typiques de dégoût, déplacées de l’enfant
sur certains aliments, certaines situations, etc.

Il est intéressant de noter que toutes ces sensations disparaissent au


5e mois de la grossesse avec les mouvements actifs du fœtus. La
relation de la mère à l’enfant est maintenant déterminée de deux
façons. Tout d’abord une partie de son propre corps qu’elle sent se
mouvoir et se contracter vigoureusement en elle, se trouve identifiée
au pénis ; et sa relation à l’enfant, encore enracinée dans les
profondeurs de son narcissisme, s’élève maintenant à un stade
supérieur du développement, à savoir au stade « phallique ». En
même temps l’enfant, qui acquiert peu à peu une certaine
indépendance, fait preuve de son appartenance au monde extérieur
et inaugure ainsi une relation d’objet avec la mère.

J’ai essayé de montrer brièvement que des sédiments de toutes les


phases du développement existent ainsi pendant la grossesse. Je
reviendrai maintenant à la relation mère-enfant, mentionnée plus
haut, relation qui commence par le processus d’incorporation, qui
constitue l’enfant comme une partie du Moi propre du sujet et
s’élabore dans ce Moi.

Au cours de ce processus, les relations libidinales avec l’enfant


s’établissent : dans le processus d’introjection le courant libidinal qui
était dirigé sur le partenaire au cours de l’acte sexuel, reflue vers le
narcissisme du sujet. C’est là une contribution considérable car,
comme je l’ai montré, en réalisant un investissement du partenaire,
la libido a été soustraite de l’ancienne fixation au père et à la mère.

276
La régression du patient et l’analyste

Le courant libidinal converge ainsi vers le Moi et va constituer le


narcissisme secondaire de la femme devenue mère, car, bien qu’elle
soit consacrée à l’objet (l’enfant) cet objet représente en même
temps une partie de son Moi. La transformation du Moi de la femme
enceinte qui continue le processus d’introjection est une nouvelle
mouture d’un processus antérieur : l’enfant devient pour elle
l’incarnation de l’idéal du Moi façonné jadis sur le modèle du père. Il
est maintenant, pour la seconde fois, réalisé par introjection du père.

La libido narcissique est déplacée sur cet idéal du Moi nouvellement


édifié qui devient le support de toutes les perfections attribuées jadis
au père. Toute une partie de la libido d’objet est soustraite à la
relation au monde extérieur et dirigée sur l’enfant en tant que Sur-
Moi.

Ainsi, chez la femme, le processus de la sublimation est effectué à


travers sa relation avec l’enfant40.

L’homme mesure et contrôle son idéal du Moi par son œuvre dans le
monde extérieur grâce à la sublimation. Pour la femme, par contre,
l’idéal du Moi s’incarne dans l’enfant, et toutes ces tendances à la
sublimation que l’homme utilise dans des activités intellectuelles et
sociales, elle les dirige sur l’enfant qui, psychologiquement,
représente pour la femme son produit de sublimation. En
conséquence, la relation mère-enfant pendant la grossesse a plus
d’un déterminant. Puisque l’enfant dans l’utérus devient une partie
du Moi et qu’un important courant libidinal converge vers lui,
l’investissement libidinal dans le Moi est accru, le narcissisme

40 (Variante P.A.R.) Ce dernier paragraphe a été remplacé par :


Dans ce processus la libido se désexualise et l’enfant, avant même d’exister
réellement dans le monde extérieur, inaugure chez la mère un processus de
sublimation.
Plus tard, ce processus trouve son prolongement dans la tendresse maternelle.
Il contribue à établir des différences psychologiques entre l’homme et la
femme.

277
La régression du patient et l’analyste

augmente et ainsi est réalisé cet état primordial où il n’y a pas


encore de distinction entre libido du Moi et libido objectale.

Cependant cet état primordial est troublé par deux facteurs : primo,
grâce à un processus de sublimation l’enfant devient le Surmoi et
notre expérience par ailleurs nous apprend que ceci peut entraîner
une vive opposition au Moi. Secundo, l’enfant appartient aussi, en
même temps au monde extérieur, ce qui fait que les conflits
ambivalents de toutes les phases du développement libidinal sont
réactivés41.

Nos observations nous permettent de classer les femmes en deux


catégories selon leur réaction psychique à la grossesse. Certaines
sont visiblement mal à l’aise et déprimées pendant leur grossesse.
Un changement défavorable se produit dans leur apparence : elles
deviennent laides et se ratatinent, et au fur et à mesure que leur
grossesse avance, elles deviennent une simple annexe de l’enfant, un
état ressenti par elles comme fort désagréable. L’autre catégorie
comprend les femmes qui, pendant leur grossesse, atteignent
l’apogée de leur épanouissement physique et psychique.

Dans le premier cas, le narcissisme de la femme a été sacrifié à


l’enfant. D’une part, le Surmoi a maîtrisé le Moi, et d’autre part,

41 (Variante P.A.R.)
Primo, la différenciation du Moi ne se limite pas à la formation de l’idéal. La
relation à l’enfant ne contient pas seulement l’affirmation positive : « Tu
deviendras tel que fut jadis mon père idéalisé (ou ma mère) », elle reproduit
aussi les composantes négatives punitives de la relation parentale antérieure.
Au cours des transformations obscures et compliquées auxquelles est soumis
l’ego de la femme, l’enfant, néo-formation psychologique, prend la place du
Surmoi en tant qu’institution qui réclame, exige, menace et punit. La
recherche psychanalytique nous enseigne que cette différenciation dans le
Mo – peut aboutir à un conflit intra-moïque et à une issue pathologique de ce
conflit.
Secundo, une difficulté peut surgir du fait que dans l’utérus l’enfant est déjà un
objet extérieur et que les conflits ambivalents de toutes les phases du
développement de la libido maternelle peuvent, de ce fait, se faire jour.

278
La régression du patient et l’analyste

l’enfant, objet d’amour, a attiré à lui une telle quantité de libido du


Moi, que le Moi se trouve appauvri. Ceci explique vraisemblablement
les états mélancoliques de la grossesse.

Dans l’autre type de femmes la distribution de la libido, pendant la


grossesse, est différente. Ce courant libidinal que vient d’être retiré
au inonde extérieur est dirigé sur l’enfant comme une partie du Moi.
Ceci ne peut avoir lieu que lorsque le Surmoi est moins puissant, et
l’enfant considéré moins comme un objet et plus comme une partie
du Moi. Lorsqu’il en est ainsi, on aboutit à un renforcement du
narcissisme secondaire qui s’exprime par une augmentation de
l’estime de soi, de la satisfaction de soi.

Il semble que nous soyons en mesure de conclure, après ces


remarques, que cette unité mère-enfant n’est pas aussi paisible que
l’on aurait pu le supposer.

L’harmonie originelle du stade primitif, inaugurée par le processus


d’introjection au cours de l’acte sexuel, est rapidement troublée par
des manifestations d’ambivalence envers le fœtus. De ce point de
vue, l’accouchement semble être le résultat final d’une lutte qui a
longtemps fait rage. L’excitation déterminée par le fœtus devient
insupportable et pousse à la décharge de la tension. Toutes les
pulsions agressives, déjà mobilisées pendant la grossesse, atteignent
leur point culminant dans cette bataille décisive. Finalement, l’objet
incorporé est expulsé avec succès.

Nous avons vu que l’objet introjecté prend la place de l’idéal du Moi


dans l’unité du Moi restaurée. Lorsqu’il est projeté dans le monde
extérieur il garde ce caractère car il continue à incarner les idéaux
que le sujet n’a pas encore atteints. Comme l’a reconnu Freud 42,
c’est cette voie psychologique que parcourent les femmes allant du
narcissisme à l’amour objectal achevé.

42 Freud, On Narcissism : an Introduction, Collected Papers, IV (traduit en


français par J. Laplanche, Pour introduire le narcissisme, Soc. Fr. Psa., 1956).

279
La régression du patient et l’analyste

Au cours de la grossesse, la régression la plus profonde se fait par


identification à l’enfant : « le traumatisme de la naissance » est
maîtrisé grâce à l’accouchement.

En ce qui concerne cette identité mère-enfant, nous pouvons peut-


être tirer certaines conclusions sur l’état mental de l’enfant en
partant de l’état d’esprit de la mère. Ceci est naturellement soumis à
l’amnésie et par la suite vaguement suggéré dans les rêves, les
fantasmes, etc.

En réalité, la femme ressent le monde comme disloqué et allant à sa


fin ; elle éprouve un malaise chaotique, une sensation de tension et
d’éclatement déplacée des voies génitales vers la tête, et ces
sensations s’associent à une peur intense de la mort. C’est
probablement une répétition de l’anxiété attachée au traumatisme de
la naissance et qui trouve sa décharge par les phénomènes de la
reproduction réelle. Ce que les hommes s’efforcent d’atteindre au
cours du coït et qui les pousse à des sublimations laborieuses, les
femmes l’atteignent dans la fonction de reproduction.

On sait que les femmes enceintes rêvent souvent d’enfants qui


nagent. Cet enfant peut toujours être identifié à la femme qui rêve,
dotée de quelque qualité qui la rend —- ou la rendait dans son
enfance – particulièrement estimable à ses propres yeux. C’est
comme s’il s’agissait d’illustrer la formation de l’idéal du Moi en
relation avec l’enfant. Une enquête minutieuse permet de mettre en
évidence que les fantasmes de naissance chez la femme qui a déjà
été mère reproduisent les détails de deux naissances distinctes, mais
intriquées en une seule : la naissance du sujet lui-même (jamais
remémorée) et la naissance de l’enfant.

L’état mental de la femme après l’accouchement se caractérise par le


sentiment d’une lourde perte. Après une courte phase où la
sensation d’une lutte victorieuse l’emporte, naît un sentiment de vide
infini et de déception, analogue sans doute au sentiment de « Paradis
perdu » de l’enfant expulsé.

280
La régression du patient et l’analyste

Ce vide n’est comblé que lorsque la première relation à l’enfant en


tant qu’objet extérieur est, en fin de compte, établie. On peut
supposer que cette relation existe déjà pendant l’accouchement
comme le confirme l’observation de Rank 43 à propos d’autre chose, à
savoir que les mères accouchant sous anesthésie ont un sentiment
particulier d’éloignement44 envers leur enfant. Ces mères
n’éprouvent pas les sentiments de vide et de déception, mais, par
ailleurs, leur joie d’avoir un enfant est moins intense que lors d’un
accouchement naturel. L’enfant est perçu comme quelque chose
d’étranger à elles.

Ce facteur de perte contribue nettement à la joie de retrouver


l’enfant. En outre, c’est précisément ce dernier facteur de
« séparation » qui complète l’analogie avec le coït. Le passage
vaginal constitue une frontière où l’enfant fait partie pour la dernière
fois du corps propre du sujet, en même temps, qu’il est déjà l’objet
expulsé. C’est comme une répétition du coït où l’objet était encore
ressenti comme une parcelle du monde extérieur, et se trouvait
placé, grâce à l’introjection, sur la frontière entre le monde extérieur
et le Moi.

Encore qu’après l’accouchement l’enfant ait été constitué comme un


objet appartenant au monde extérieur, la béatitude primitive, l’unité
du sujet et de l’objet est néanmoins rétablie dans l’allaitement. C’est
une répétition du coït, aussi fidèle qu’une reproduction
photographique, l’identification reposant sur l’incorporation orale de
l’objet dans la succion. Ici de nouveau, nous avons l’équation : pénis
= sein. De même que dans le premier cas le pénis avait pris
possession de l’un des orifices du corps de la femme (le vagin), et
dans l’acte de maîtrise avait créé un centre érogène, de même le
mamelon érigé prend possession de la bouche du nourrisson. De
même que dans le coït l’érogénéité du corps tout entier était attirée
vers le vagin, de même ici, toute la libido disséminée du nouveau-né
43 Loc. cit.
44 Estrangement, a aussi, remarquons-le, le sens d’aliénation. (N. d. T.)

281
La régression du patient et l’analyste

se concentre sur la bouche. Ce que le sperme accomplit dans un cas,


le jet lacté l’accomplit dans l’autre. Le fantasme infantile réalise une
seconde fois l’identification du sein de la mère, au pénis du père :
dans le coït le pénis joue le rôle du sein tandis que dans l’allaitement
le sein devient pénis. Dans la situation d’identification la ligne de
partage entre les partenaires disparaît et dans cette relation mère-
enfant, la mère, une fois de plus, annule le traumatisme du sevrage.

Cette identification pénis = sein m’a aidée à comprendre une


difficulté de l’allaitement qu’il m’a été donné d’observer dans une
cure analytique. Une jeune mère, très ambivalente envers son
enfant, fut obligée de cesser l’allaitement alors qu’elle désirait le
continuer et que la sécrétion lactée était normale. Mais dans
l’intervalle des tétées, le lait s’écoulait à flot et lorsqu’elle voulait
donner le sein à l’enfant elle n’avait plus de lait. Les mesures qu’elle
prit pour venir à bout de cet état de fait malheureux rappelaient le
comportement des hommes souffrant d’éjaculation précoce, qui
s’efforcent compulsivement de hâter l’acte sexuel mais sont toujours
dépassés par leur infirmité. De même, cette femme essayait
d’avancer l’heure des tétées, mais il était toujours trop tard.
L’analyse permit de mettre en évidence l’origine urétrale de ce
symptôme, comme dans le cas de l’éjaculation précoce chez
l’homme. Dans un trouble plus fréquent de l’allaitement, le
tarissement de la sécrétion lactée, d’autres composantes (anales) du
processus prédominent de toute évidence.

La relation entre les processus génitaux et l’allaitement s’exprime de


façon très caractéristique lorsque l’enfant est mis au sein. Parfois il
existe même une contraction utérine comme si c’était seulement à ce
moment-là que l’utérus mettait fin à ses fonctions en abdiquant en
faveur du sein.

Ainsi l’acte de reproduction, qui commence par l’incorporation orale,


boucle le cercle en répétant à la fin la situation initiale.

282
La régression du patient et l’analyste

Le développement entier de la libido est rapidement repris et


parcouru une fois de plus ; l’effet du traumatisme primordial est
amorti par la répétition, et le travail de sublimation est accompli en
relation avec l’enfant. Sans la nature bisexuelle de l’être humain si
défavorable à la femme, sans ce clitoris aux tendances viriles,
combien simple et claire serait sa voie vers une maîtrise paisible de
l’existence !

283
La Phase Précoce Du Développement De La Sexualité
Féminine4546

par Ernest Jones

Freud a plus d’une fois commenté le fait que notre connaissance des
premiers stades du développement féminin est bien plus obscure et
plus imparfaite que celle du développement masculin, et Karen
Horney a insisté à bon droit que ce fait doit être lié à la tendance
plus grande au parti pris qui règne à ce sujet. Sans doute cette
tendance à la partialité est-elle commune aux deux sexes et il serait
bon que tout auteur traitant de ce sujet ne le perde pas de vue.
Mieux encore, il faut espérer que l’investigation psychanalytique
éclairera peu à peu la nature de ce préjugé et, en fin de compte, le
dissipera. Une saine suspicion se fait jour sur le fait que les
psychanalystes hommes ont été amenés à adopter une position
phallocentrique excessive à ce sujet, l’importance des organes
féminins étant sous-estimée à l’avenant. Les femmes ont, de leur
côté, contribué à la mystification générale par leur attitude réservée

45 Titre original : The Early Development of Female Sexuality, présenté au Xe


Congrès international de Psychanalyse, Innsbruck, 1er septembre 1927,
publié in l’International Journal of Psycho-Analysis, vol. VIII. Traduit de
l’anglais par Mme Irène Perrter-Roubleff (1961).
46 Nous tenons à remercier ici tout spécialement les éditeurs Baillère, Tindall &
Cox qui nous ont autorisés à publier une traduction du texte anglais paru
dans Papers on Psychoanalysis (5th édition), Baillère, Tindall & Cox, London,
1950 (pp. 438-451).

284
La régression du patient et l’analyste

à l’égard de leurs propres organes génitaux et par le fait qu’elles


manifestent une préférence à peine déguisée à ne s’intéresser qu’à
l’organe mâle.

285
La régression du patient et l’analyste

L’impulsion première donnée à la recherche sur laquelle le présent


écrit repose principalement, l’a été par l’expérience peu commune
d’avoir eu en psychanalyse en même temps, il y a deux ans, cinq cas
d’homosexualité féminine manifeste. Ce furent des analyses en
profondeur et elles ont été achevées dans trois cas et très avancées
dans les deux autres. Parmi les nombreux problèmes ainsi soulevés,
deux en particulier peuvent servir de point de départ aux
considérations que je désire avancer ici.

Ces problèmes étaient : quel est le correspondant exact chez la


femme de la peur de la castration chez l’homme ? et qu’est-ce qui
différencie le développement des femmes homosexuelles de celui des
femmes hétérosexuelles ? Il faut remarquer que ces deux questions
sont très étroitement liées, le mot « pénis » indiquant leur point de
jonction.

Quelques faits cliniques à propos de ces cas pourraient être


intéressants mais je n’ai pas l’intention de rapporter l’histoire
détaillée de ces cas. Trois des patientes avaient entre vingt et trente
ans, deux d’entre elles entre trente et quarante ans. Deux sur cinq
seulement avaient une attitude entièrement négative envers les
hommes. Il fut impossible de retrouver une règle uniforme
concernant leur attitude consciente envers les parents ; toutes les
variétés existaient, négative envers le père, s’accompagnant d’une
attitude soit négative soit positive envers la mère et vice versa.
Cependant dans les cinq cas, l’attitude inconsciente envers les deux
parents était très ambivalente. Tous présentent des signes d’une
fixation infantile anormalement forte, à la mère liée indiscutablement
au stade oral. Une telle fixation fut toujours suivie d’une intense
fixation paternelle, qu’elle fût permanente ou transitoire, dans le
conscient.

La première des deux questions mentionnées ci-dessus pourrait être


aussi formulée comme suit : quand la fille sent qu’elle a déjà subi la
castration, quel fantasme d’un événement futur peut-il évoquer une

286
La régression du patient et l’analyste

terreur égale à celle de la castration ? En essayant de répondre à


cette question, c’est-à-dire de rendre compte du fait que les femmes
souffrent de cette terreur au moins autant que les hommes – j’en vins
à la conclusion que le concept de « castration » a, par certains côtés,
entravé notre appréciation des conflits fondamentaux. En fait ceci
est un exemple de ce que Karen Horney a identifié comme un parti
pris inconscient quand on aborde de telles études d’un point de vue
trop masculin. Dans sa lumineuse discussion à propos du complexe
du pénis chez la femme, Abraham 47 avait observé qu’il n’y avait
aucune raison de ne pas appliquer là aussi le mot « castration » car
on retrouve dans les deux sexes des désirs et des craintes analogues
au sujet du pénis. Être en accord avec cette opinion n’implique pas
cependant qu’il faille négliger les différences existant dans les deux
cas, pas plus qu’elle ne doit nous faire perdre de vue le danger de
transposer dans une catégorie les réflexions qui nous sont déjà
familières dans l’autre. Freud a judicieusement observé, en rapport
avec les précurseurs prégénitaux de la castration (sevrage et
défécation, mis en évidence par Stârcke et moi-même) que le concept
psychanalytique de castration, en tant que différent du concept
biologique correspondant, se rapporte d’une manière précise au seul
pénis, les testicules pouvant se trouver au plus inclus.

Voici maintenant l’erreur sur laquelle je désire attirer l’attention. La


part extrêmement importante qu’assument normalement les organes
génitaux dans la sexualité masculine, tend naturellement à rendre
équivalente pour nous la castration et l’abolition totale de la
sexualité. Cette erreur se glisse souvent dans nos discussions, encore
que nous sachions que beaucoup d’hommes souhaitent être castrés
pour des raisons érotiques entre autres, de telle sorte que leur
sexualité ne disparaît certainement pas avec l’abdication du pénis.
Chez les femmes, où toute l’idée du pénis est toujours partielle et en
grande partie secondaire par nature, ceci devrait être encore plus
47 Abraham, Manifestations of the Female Castration Complex (1929), in
Selected Papers on Psycho Analysis, Hogarth Press, London, 1927.

287
La régression du patient et l’analyste

évident. En d’autres termes le rôle important joué par les craintes de


castration chez les hommes tend parfois à nous faire oublier que
dans les deux sexes, la castration est seulement une menace
partielle, si importante soit-elle, par rapport à l’aptitude et au plaisir
sexuels, dans leur totalité. Pour la menace principale, celle d’une
extinction totale, nous ferions mieux d’utiliser un terme différent, tel
que le mot grec aphanisis.

Si nous poursuivons jusqu’à ses origines la peur fondamentale qui


sous-tend toutes les névroses, nous sommes amenés, à mon avis, à
conclure que ce qu’elle signifie réellement c’est cette aphanisis,
c’est-à-dire l’extinction totale et bien entendu permanente de
l’aptitude au plaisir sexuel, et même l’absence de toute occasion à
éprouver ce plaisir.

Après tout, il s’agit bien là de l’intention consciemment avouée par la


plupart des adultes vis-à-vis des enfants. Leur attitude est tout à fait
intransigeante : on ne doit permettre aux enfants aucune
gratification sexuelle. Et nous savons que pour l’enfant, l’idée d’un
délai indéfini est très proche de celle d’un refus permanent. Nous ne
pouvons pas, bien sûr, nous attendre à ce que l’inconscient, qui est
concret de nature, s’adresse à nous en ces termes abstraits qui
conviendraient à une généralisation. Ce qui se rapprocherait le plus
de l’idée d’aphanisis telle qu’elle se présente cliniquement serait
l’idée de la castration et les idées de mort (peur consciente de la
mort et désirs de mort inconscients). Je citerai ici, pour illustrer ce
point, le cas d’un jeune obsédé. Il avait substitué comme son
summum bonum l’idée d’un plaisir esthétique à celle d’une
gratification sexuelle, et ses peurs de castration prenaient la forme
d’une crainte de perdre l’aptitude à ce plaisir, alors que se
dissimulait naturellement derrière ces peurs l’idée concrète de la
perte du pénis.

De ce point de vue, nous voyons que la question dont il s’agit ici était
mal posée. La peur de l’homme d’être castré peut avoir ou non un

288
La régression du patient et l’analyste

équivalent précis chez la femme, mais, ce qui est beaucoup plus


important, est de comprendre que cette peur n’est qu’un cas
particulier et, qu’en dernier lieu, les deux sexes craignent
exactement la même chose, l’aphanisis. Le mécanisme en cause dans
cette aphanisis comporte des différences importantes dans les deux
sexes. Si nous laissons de côté, pour l’instant, le domaine de l’auto-
érotisme – en supposant raisonnablement que les conflits y doivent
leur importance particulière aux investissements secondaires allo-
érotiques – et si nous centrons ainsi notre attention sur l’allo-
érotisme proprement dit, nous pouvons reconstruire la suite des
idées chez l’homme à peu près comme suit : « Je souhaite obtenir
une gratification en commettant un acte particulier, mais je n’ose le
faire car je crains qu’il ne soit suivi de la punition de l’aphanisis, de
la castration qui signifierait pour moi l’extinction permanente du
plaisir sexuel. » Les pensées correspondantes chez la femme, de sa
nature plus passive, sont de façon caractéristique, quelque peu
différentes : « Je souhaite être gratifiée par une expérience
particulière mais je n’ose m’engager à faire quoi que ce soit qui la
rendrait possible, par exemple en la demandant et en confessant
ainsi mon désir coupable, parce que je crains qu’en le faisant cela ne
soit suivi d’aphanisis. » Il est bien évident que cette différence est
non seulement variable mais n’est, en fait, qu’une différence de
degré. Dans les deux cas il y a une activité, encore qu’elle soit
manifeste et vigoureuse chez l’homme. Ceci n’est pas toutefois la
différence majeure : il y en existe une plus importante qui tient au
fait que, pour des raisons physiologiques évidentes, la femme dépend
beaucoup plus de son partenaire pour sa gratification que l’homme.
Vénus a eu beaucoup plus d’ennuis avec Adonis que, par exemple,
Pluton avec Perséphone.

Ce dernier argument met en évidence la raison biologique qui


explique les différences psychologiques les plus importantes dans le
comportement et l’attitude des deux sexes. Elle constitue la cause

289
La régression du patient et l’analyste

directe de la dépendance (qu’il faut distinguer du désir) de la femme


du bon vouloir et de l’approbation morale du partenaire ;
dépendance plus grande que celle que nous trouvons habituellement
chez l’homme dont la sensibilité correspondante se porte, de façon
caractéristique, sur un autre homme qui joue un rôle autoritaire. De
là, entre autres, les reproches plus courants et les besoins de la
femme d’être rassurée. Parmi les conséquences sociales importantes,
on peut mentionner les suivantes : on sait bien que notre morale a
été essentiellement créée par les hommes, et – ce qui est bien plus
curieux – que les idéaux moraux des femmes sont copiés dans leur
presque-totalité sur ceux des hommes. Ceci doit être certainement
rapporté au fait, mis en évidence par Hélène Deutsch 48, que le
Surmoi féminin, comme le masculin, dérive de façon prédominante
des réactions à l’égard du père. Une autre conséquence, qui nous
ramène au centre même de notre propos, est que le mécanisme de
l’aphanisis diffère dans les deux sexes. Alors que chez l’homme il est
conçu typiquement sous la forme active d’une castration, chez la
femme la peur primaire semble concerner la séparation. On peut
imaginer que ceci est dû au fait que la mère rivale s’est interposée
entre la fille et le père, ou même qu’elle a renvoyé la fille pour
toujours, ou encore que c’est le père qui a simplement refusé la
gratification désirée. La peur profonde d’être abandonnée, éprouvée
par la plupart des femmes, dérive de ce dernier fait.

Il est maintenant possible d’arriver à une compréhension plus


profonde en ce qui concerne le problème de la relation entre la
privation et la culpabilité, en d’autres termes de la genèse du
Surmoi. En ceci les éléments que nous apportent les analyses de
femmes nous sont plus précieux que les analyses d’hommes. Freud a
suggéré, dans son article sur le déclin du complexe d’Œdipe, que
chez la femme il était la conséquence directe d’une déception
continuelle (privation), et nous savons que le Surmoi est tout autant
48 Hélène Deutsch, Zur Psychologie der Weiblichen Sexual funktionen, 1925, p.
9.

290
La régression du patient et l’analyste

l’héritier de ce complexe chez la femme que chez l’homme, où il est


le produit de la culpabilité dérivé de la peur de la castration. Il
s’ensuit, et mon expérience psychanalytique le confirme
pleinement49, que la simple privation en arrive à avoir, dans les deux
sexes naturellement, la même signification que la privation
intentionnelle imposée par le milieu. Nous en arrivons ainsi à la
formule : la privation est équivalente à la castration. Il est même
possible, comme on peut le déduire des remarques de Freud sur le
déclin du complexe d’Œdipe féminin, que la privation seule peut être
une cause suffisante dans la genèse de la culpabilité. Une telle
discussion nous entraînerait trop loin dans la structure du Surmoi et
nous écarterait de notre thème principal, mais j’aimerais mentionner
simplement une conception à laquelle je suis parvenu et qui touche
de près notre sujet.

À savoir que la culpabilité, et avec elle le Surmoi, est, pourrait-on


dire, artificiellement édifiée pour protéger l’enfant du stress de la
privation – c’est-à-dire, de la libido non gratifiée – et d’écarter ainsi
la crainte de l’aphanisis qui l’accompagne toujours ; elle y arrive,
naturellement, en étouffant les désirs qui ne sont pas destinés à être
gratifiés. Je pense même que la désapprobation du milieu, auquel on
attribuait habituellement tout le processus, est, en grande partie,
une exploitation de la situation par l’enfant ; c’est-à-dire, la non-
gratification signifie d’abord danger, puis l’enfant le projette dans le
monde extérieur comme il le fait avec tous les dangers internes ; il
utilise ensuite toute désapprobation qui le concerne sur ce sujet
(moralisches Entgegenkommen) pour signaler le danger et pour
l’aider à construire une défense contre lui.

Pour en revenir à la petite fille, nous devons maintenant retracer les


différentes étapes du développement à partir de la phase orale
initiale. On pense communément que le mamelon, ou la tétine, sont
49 Nous sommes arrivés à cette conclusion avec Mme Rivière, dont les théories
sont exposées dans un autre travail, International Journal of Psycho-Analysis,
vol. VIII, pp. 374-5.

291
La régression du patient et l’analyste

remplacés, après les jeux de succion du pouce, par le clitoris comme


source principale de plaisir, tout comme le pénis chez le garçon.
Freud50 pense que cette solution relativement insatisfaisante, va
conduire automatiquement l’enfant à chercher un pénis externe, plus
satisfaisant, et ainsi introduire l’enfant dans la situation œdipienne,
où le désir d’avoir un enfant51 va remplacer peu à peu celui d’avoir
un pénis. Mes propres analyses, comme les « analyses précoces » de
Mélanie Klein, indiquent qu’il existe en outre des transitions plus
directes entre le stade oral et le stade œdipien. Il me semble que les
tendances dérivées de ce premier stade bifurquent précocement vers
le clitoris et la fellation – c’est-à-dire vers la manipulation digitale du
clitoris et les fantasmes de fellation ; leur importance relative sera
naturellement différente selon les cas, et on peut s’attendre à ce que
ceci ait des conséquences décisives pour le développement ultérieur.

Il nous faut maintenant suivre ces lignes de développement plus en


détail et j’esquisserai d’abord ce que je pense être le mode le plus
normal de développement, celui qui conduit à l’hétéro-sexualité. Ici,
la phase sadique s’installe tardivement et ainsi ni le stade oral ni le
stade clitoridien ne subissent d’investissement sadique important.
Ainsi, d’une part, le clitoris ne sera pas associé à une attitude
masculine particulièrement active (faire saillie, etc.) et, d’autre part,
le fantasme sadique oral de sectionner le pénis masculin par la
morsure n’est pas très développé. L’attitude orale est surtout celle de
la succion et passe par la transition bien connue au stade anal du
développement. Les deux orifices alimentaires constituent ainsi
l’organe féminin réceptif. L’anus est évidemment identifié au vagin
au départ, et la différenciation des deux est un processus
extrêmement obscur, peut-être davantage encore que tout autre, au
cours du développement féminin ; je suppose, cependant, que cela se

50 Freud, International Journal of Psycho-Analysis, vol. VIII, p. 140.


51 Je ne m’étends pas dans ce travail sur le désir d’avoir un enfant car je parle
surtout des stades précoces. Je considère ce désir comme étant en grande
partie un dérivé tardif des tendances anales et phalliques.

292
La régression du patient et l’analyste

produit en partie à un âge plus précoce qu’on ne le pense


généralement. Une quantité variable de sadisme est toujours
concomitante du stade anal et se révèle dans les fantasmes familiers
de viol anal qui peuvent ou non se transformer en fantasme de
violence52. La relation œdipienne est alors en pleine activité ; et les
fantasmes anaux, comme nous le verrons plus tard, sont déjà un
compromis entre les tendances libidinales et les tendances auto-
punitives. Ce stade bouche-anus-vagin, représente donc une
identification à la mère.

Que devient pendant ce temps l’attitude vis-à-vis du pénis ? Il est


assez vraisemblable que l’attitude initiale est uniquement positive 53
et se manifeste par le désir de le sucer.

Mais bientôt l’envie du pénis fait son apparition et apparemment de


façon constante. Les raisons primaires, pour ainsi dire auto-
érotiques, de cette attitude, ont été bien mises en évidence par
Karen Horney54 dans son étude du rôle joué par cet organe dans les
activités urinaire, exhibitionniste, scoptophilique et masturbatoire.
Le désir de posséder un pénis comme le garçon doit toutefois se
transformer normalement en désir de faire participer son pénis dans
une activité de type coïtai au moyen de la bouche, de l’anus ou du
vagin. Des sublimations et des réactions diverses montrent
qu’aucune femme n’échappe à l’étape précoce de l’envie du pénis,
mais j’admets avec Karen Horney 55, Hélène Deutsch56, Mélanie
Klein57 et d’autres, que ce que nous rencontrons cliniquement
comme envie du pénis dans les névroses, ne dérive de cette source
que pour une faible part. Nous avons à distinguer entre ce qu’on
52 Beating phantasies : les fantasmes où l’on bat, où l’on est battu.
53 Hélène Deutsch (op. cit., p. 19) rapporte une observation intéressante d’une
petite fille de 18 mois qui vit un pénis avec une indifférence apparente à cette
époque et qui ne présenta de réactions affectives que plus tard.
54 Karen Horney, International Journal of Psycho-Anaiysis, vol. V, pp. 52, 54.
55 Ibid., p. 64.
56 Hélène Deutsch, op. ci/., pp. 16-18.
57 Mélanie Klein, communications faites à la British Psycho-Analytical Society.

293
La régression du patient et l’analyste

pourrait peut-être appeler l’envie du pénis pré-œdipienne et post-


œdipienne (plus exactement, l’envie du pénis autoérotique et allo-
érotique), et je suis convaincu que cliniquement c’est cette dernière
qui est la plus significative. De même que la masturbation et les
autres activités auto-érotiques tirent leur importance du
réinvestissement venant de sources allo-érotiques, de même il nous
faut reconnaître que bien des phénomènes cliniques dépendent de la
fonction défensive de la régression, sur laquelle Freud58 a
récemment insisté. C’est la privation résultant d’une déception
continue du fait que la fille ne peut jamais partager le pénis avec le
père dans le coït, pas plus qu’elle ne peut en obtenir un bébé, qui
réactive son souhait précoce de posséder un pénis en propre.

Selon la théorie énoncée plus haut, c’est cette privation qui constitue
primitivement la situation insupportable pour la raison qu’elle est
équivalente à la crainte fondamentale de l’aphanisis. Le sentiment de
culpabilité et l’élaboration du Surmoi constituent, comme nous
l’avons vu plus haut, la défense première et invariable contre cette
privation insupportable. Mais cette solution est trop négative en soi ;
la libido doit finalement pouvoir aussi s’exprimer.

Il n’existe que deux possibilités d’expression de la libido dans cette


situation, et ces deux voies peuvent être empruntées l’une et l’autre.
La fille doit choisir, grosso modo, entre abandonner son attachement
érotique au père et l’abandon de sa féminité – c’est-à-dire son
identification anale à la mère. Elle doit changer d’objet ou de désir ;
il lui est impossible de garder les deux. Elle doit renoncer soit au
père, soit au vagin (y compris les vagins prégénitaux). Dans le
premier cas les désirs féminins s’épanouissent à un niveau adulte –
c’est-à-dire charme érotique diffus (narcissime), attitude vaginale
positive envers le coït, culminant dans la grossesse et
l’accouchement – et sont transférés à des objets plus accessibles.
Dans le second cas le lien avec le père est conservé, mais cette

58 Freud, Hemmung, Symptom und Angst, 1926, p. 48, etc.

294
La régression du patient et l’analyste

relation d’objet est transformée en identification – c’est-à-dire en


complexe du pénis.

Nous verrons plus en détail au prochain paragraphe de quelle façon


opère cette défense par identification, mais j’aimerais mettre
l’accent pour le moment sur l’intéressant parallélisme ainsi établi,
déjà signalé par Karen Horney59, entre les solutions du conflit
œdipien dans les deux sexes. Le garçon est menacé également
d’aphanisis, la peur bien connue de la castration, par la privation
inévitable à laquelle se heurtent ses désirs incestueux. Ici aussi il
faut choisir entre changement de désir et changement d’objet, entre
renoncer à sa mère et renoncer à sa virilité – c’est-à-dire à son pénis.
Nous avons ainsi abouti à une formulation plus générale qui
s’applique aussi bien au garçon qu’à la fille : confrontés avec
l’’aphanisis résultant d’une privation inévitable, ils doivent renoncer
soit à leur sexe soit à leur inceste ; ce qui ne peut être conservé, sauf
au prix de la névrose, c’est l’inceste hétéro-érotique, et allo-érotique
– c’est-à-dire, une relation d’objet incestueuse. Dans les deux cas, la
situation la plus difficile est la situation simple mais fondamentale de
l’union entre le pénis et le vagin. Normalement cette union est
rendue possible par la liquidation du complexe d’Œdipe. Quand, par
contre, le sujet choisit la solution de l’inversion, tous ses efforts
tendent à éviter l’union, car cette dernière est liée à la crainte de
l’aphanisis. L’individu, mâle ou femelle, identifie alors son intégrité
sexuelle à la possession de l’organe du sexe opposé et devient
pathologiquement dépendant de lui. Les garçons peuvent ainsi
utiliser la bouche ou l’anus comme organe féminin nécessaire (avec
un homme ou une femme masculine) ou adopter par substitution
l’appareil génital d’une femme à qui ils s’identifient ; dans ce dernier
cas, ils dépendent de la femme qui possède l’objet précieux et ils
deviennent anxieux si elle s’absente ou si quelque chose dans son
attitude rend difficile l’accès à cet organe. Chez les filles, la même
alternative peut exister, et elles deviennent pathologiquement
59 Karen Horney, op. cit., p. 64.

295
La régression du patient et l’analyste

dépendantes soit de la possession d’un pénis imaginaire, soit de la


liberté d’accès à celui de l’homme à qui elles se sont identifiées. Si la
« condition de dépendance » (cf. le terme employé par Freud :
Liebesbedingung) n’est pas réalisée, le sujet, homme ou femme se
rapproche de l’état d’aphanisis, ou, selon une terminologie moins
rigoureuse, « se sent castré ». Ils alternent, par conséquent, entre la
puissance basée sur une gratification invertie, et l’aphanisis. Ou plus
simplement ils ont tantôt un organe du sexe opposé, tantôt ils n’en
ont pas du tout ; il n’est pas question qu’ils aient celui de leur propre
sexe.

Passons maintenant à notre seconde question, à savoir celle qui


concerne la différence de développement entre femmes hétéro – et
homosexuelles. Cette différence avait déjà été invoquée lors de notre
discussion sur les deux solutions apportées au conflit œdipien, mais
nous devons la poursuivre plus en détail. La divergence mentionnée
– qui, est-il besoin de le dire, est toujours une question de degré —
entre celles qui renoncent à leur libido d’objet (le père) et celles qui
renoncent à leur libido de sujet (le sexe), se retrouve dans le champ
de l’homosexualité féminine. On peut y distinguer deux grands
groupes. Primo : les femmes qui conservent leur intérêt pour les
hommes, mais qui ont à cœur de se faire accepter par les hommes
comme étant des leurs. À ce groupe appartient un certain type de
femmes qui se plaignent sans cesse de l’injustice du sort de la femme
et du mauvais traitement des hommes à leur égard. Secundo : celles
qui n’ont que peu ou pas d’intérêt pour les hommes, mais dont la
libido est centrée sur les femmes. L’analyse montre que cet intérêt
pour les femmes est un moyen substitutif de jouir de la féminité ;

296
La régression du patient et l’analyste

elles utilisent simplement d’autres femmes pour l’exhiber à leur


place60.

Il est facile de voir que le premier groupe ainsi décrit recouvre le


mode spécifique des sujets qui avaient préféré abandonner leur sexe,
tandis que le deuxième groupe correspond aux sujets ayant
abandonné l’objet (le père) et se substituent à lui par identification.
Pour plus de clarté je vais élaborer cet énoncé. Les sujets du premier
groupe échangent leur propre sexe mais conservent leur premier
objet d’amour ; cependant la relation d’objet est remplacée par
l’identification, et le but de la libido est de faire reconnaître cette
identification par le premier objet.

Les femmes appartenant au second groupe s’identifient aussi, avec


l’objet d’amour, mais cet objet perd alors tout intérêt pour elles ; leur
relation d’objet externe à l’autre femme est très imparfaite, car elle
ne représente dès lors que leur propre féminité au moyen de
l’identification, et leur but est d’en obtenir par substitution, la
gratification de la part d’un homme qui leur reste invisible (le père
incorporé en elles).

L’identification au père est ainsi commune à toutes les formes


d’homosexualité, encore qu’elle soit plus poussée dans le premier
groupe que dans le second, où demeure, d’une façon substitutive, un
tant soit peu de féminité. Il est plus que probable que cette
identification a pour fonction de maintenir le refoulement des désirs
féminins. Elle constitue la dénégation la plus complète qu’on puisse
imaginer, la dénégation devant l’accusation de receler des désirs

60 Pour plus de simplicité, nous passons sous silence dans ce texte une
troisième forme intéressante mais qui mérite d’être mentionnée. Certaines
femmes obtiennent la gratification des désirs féminins à deux conditions : 1)
Que le pénis soit remplacé par un objet substitutif comme la langue ou le
doigt ; et 2) Que le partenaire employant cet organe soit une femme au lieu
d’un homme. Bien que cliniquement ils puissent apparaître sous la forme
d’une inversion complète, de tels cas sont évidemment plus près de la
normale que l’un des deux cas mentionnés dans le texte.

297
La régression du patient et l’analyste

féminins coupables, car elle affirme : « Je ne peux absolument pas


désirer le pénis d’un homme pour m’en gratifier, puisque j’en
possède déjà un en propre, ou, de toute façon, je ne veux rien d’autre
qu’un pénis à moi. » Selon les termes de la théorie, exposée plus
haut dans cet article, ceci permet la défense la plus complète qui soit
contre le danger aphanistique de privation provenant de la non-
gratification des désirs incestueux. Cette défense est en fait si bien
conçue qu’il n’est pas étonnant qu’on puisse en trouver des traces
chez toutes les filles passant par le stade œdipien, encore que
l’importance de ce qui en sera conservé plus tard, soit très variable.
J’irai même jusqu’à dire que lorsque Freud a postulé l’existence d’un
stade « phallique » au cours de l’évolution de la fille correspondant à
celui du garçon – c’est-à-dire, une étape dans laquelle tout l’intérêt
semble se porter exclusivement sur l’organe masculin tandis que les
organes vaginaux ou pré-vaginaux semblent avoir été effacés – il
donnait une description clinique de ce qui peut être observé, plutôt
qu’une analyse vraiment radicale de la position libidinale réelle de
cette phase ; car il me paraît vraisemblable que la phase phallique
chez les filles normales n’est qu’une forme atténuée de
l’identification au pénis du père qui existe chez des femmes
homosexuelles et, à ce titre, d’une nature essentiellement secondaire
et défensive.

Karen Horney61 a souligné que le fait de maintenir une position


féminine et d’accepter l’absence du pénis signifie souvent, pour une
fille, non seulement le courage d’assumer ses désirs objectaux
incestueux, mais aussi le fantasme que son état physique provient
d’un viol castrateur que son père aurait réellement commis autrefois.
Ainsi, l’identification au pénis implique une dénégation de ces deux
formes de culpabilité : le désir que l’acte incestueux puisse avoir lieu
dans l’avenir et la réalisation fantasmatique du désir qu’il a déjà eu
lieu dans le passé. L’auteur montre, en outre, que chez les filles cette
identification au sexe opposé présente un avantage plus grand que
61 id., loc. Cit.

298
La régression du patient et l’analyste

chez les garçons : en effet, l’avantage de cette défense commune aux


deux sexes est renforcée chez la fille par la consolidation du
narcissisme dérivé des sources archaïques, préœdipiennes d’envie
(urinaire, exhibitionniste, masturbatoire) tandis qu’elle est affaiblie
chez le garçon du fait de la blessure narcissique qu’implique
l’acceptation de la castration.

Étant donné que cette identification doit être considérée comme un


phénomène général chez les filles, nous devons chercher plus loin les
motifs qui l’intensifient de façon si extraordinaire et si
caractéristique chez celles qui deviendront plus tard des
homosexuelles. Ici je serai plus bref encore dans mes conclusions
que précédemment. Les facteurs fondamentaux – et, pour autant
qu’on puisse dire, innés – qui sont déterminants dans ce contexte,
paraissent être de deux ordres – à savoir, une intensité inhabituelle
de l’érotisme oral et du sadisme. Ceux-ci convergent pour aboutir à
une intensification de la phase sadique-orale que je considère comme
la caractéristique centrale du développement homosexuel chez la
femme.

Le sadisme apparaît, non seulement dans les manifestations


musculaires bien connues avec leurs dérivés caractériels
correspondants mais encore en conférant une qualité
particulièrement active (protrusive) aux impulsions clitoridiennes, ce
qui renforce naturellement la valeur de tout pénis qui peut être
acquis dans le fantasme. Toutefois, ses manifestations les plus
caractéristiques se trouvent dans l’impulsion sadique-orale à
arracher le pénis de l’homme par la morsure. Quand le tempérament
sadique s’accompagne d’une disposition au retournement de l’amour
en haine, comme c’est souvent le cas, avec les idées d’injustice, de
ressentiment et de vengeance, alors ces fantasmes de morsure
gratifient à la fois le désir d’obtenir le pénis par la force et le désir
de se venger de l’homme en le castrant.

299
La régression du patient et l’analyste

Le développement intense de l’érotisme oral se manifeste de diverses


façons, bien connues grâce aux recherches d’Abraham 62 et d’Edward
Glover63 ; elles peuvent être consciemment positives ou négatives.
Toutefois, il existe un trait particulier qui doit attirer notre attention,
c’est l’importance de la langue dans de tels cas. L’identification de la
langue au pénis, que Flügel64 et moi-même65 avons traitée en détail,
atteint chez certaines homosexuelles un degré tout à fait
extraordinaire. J’ai vu des cas où la langue constituait un substitut
presque totalement satisfaisant du pénis dans les activités
homosexuelles. Il est évident que la fixation au mamelon impliquée
ici favorise le développement de l’homosexualité de deux façons. Elle
rend plus difficile à la fille le passage de la fellation au coït vaginal
d’une part, et d’autre part, elle lui facilite d’avoir recours une fois de
plus, à une femme en tant qu’objet libidinal.

On peut noter ici une corrélation intéressante. Les deux facteurs


mentionnés plus haut, l’érotisme oral et le sadisme, semblent
correspondre aux deux formes d’homosexualité féminine. Là où
domine l’érotisme oral le sujet appartiendra sans doute au second
groupe (celui dont l’intérêt se porte sur les femmes), et là où
prédomine le sadisme le sujet appartiendra au premier groupe (celui
qui s’intéresse aux hommes).

On devrait dire un mot encore des facteurs importants qui influent


sur le développement ultérieur de l’homosexualité féminine. Nous
avons vu que pour se protéger de l’aphanisis, la petite fille élevait
des barrières contre sa féminité, notamment celle de l’identification
au pénis. Parmi elles apparaît au premier plan un sentiment intense
de culpabilité et une condamnation des désirs féminins ; le plus

62 Abraham, op. cit., chap. XII.


63 Edward Glover, Notes on Oral Character Formation, International Journal o/
Psycho-Analysis, vol. VI, p. 131.
64 . C. Flügel, A Note on the Phallic Significance of the Tongue, International
Journal of Psycho-Analysis, 1925, vol. VI, p. 209.
65 Ernest Jones, Essays in Applied Psycho-Analysis, 1923, chap. VIII.

300
La régression du patient et l’analyste

souvent et en grande partie ceci reste inconscient. Pour renforcer


cette barrière de culpabilité, vient s’ajouter l’idée que les
« hommes » (c’est-à-dire le père) sont fortement opposés aux désirs
féminins. Pour raffermir cette condamnation, la femme s’oblige à
croire que tous les hommes au fond d’eux-mêmes désapprouvent la
féminité. Ceci coïncide malheureusement avec la réalité car
beaucoup d’hommes dénigrent effectivement la sexualité féminine en
même temps qu’ils craignent l’organe féminin. Nous n’avons pas à
préciser ici les différentes raisons d’une telle attitude ; elles sont
toutes en rapport avec le complexe de castration de l’homme.
Toutefois, la femme homosexuelle s’empare avidement de toutes les
manifestations de cette attitude et peut, grâce à elles, transformer sa
croyance profonde en un système délirant complet. Même dans ses
formes atténuées, il est tout à fait courant de voir des hommes et des
femmes imputer toute la soi-disant infériorité de la femme 66 aux
influences sociales, que des tendances profondes ont exploitées de la
manière que nous venons de décrire.

Je conclurai par quelques remarques au sujet de la crainte et de la


punition chez les femmes en général. Les idées s’y rattachant
peuvent impliquer au premier chef soit la mère, soit le père. Dans
mon expérience, le premier cas est plus caractéristique de
l’hétérosexualité, et le second de l’homosexualité. Le premier cas
paraît être de simples représailles contre les désirs d’agression et de
mort à l’égard de la mère, qui va punir la fille en s’interposant entre
elle et le père, en la renvoyant à tout jamais, ou en empêchant de
quelque façon que ce soit, la réalisation de ses désirs incestueux. La
fille y répondra d’une part en conservant sa féminité au prix du
renoncement du père, et d’autre part en obtenant une gratification
imaginaire substitutive, de ses désirs incestueux, en s’identifiant à la
mère.

66 En fait, leur infériorité en tant que femmes.

301
La régression du patient et l’analyste

Lorsque la crainte concerne surtout le père, la punition prend la


forme évidente d’un refus de gratification de ses désirs, d’où découle
alors rapidement l’idée que le père les désapprouve. Rebuffade et
abandon sont les expressions conscientes communes de l’idée de
punition. Si cette privation s’effectue au niveau oral, la réponse en
est le ressentiment et les fantasmes de castration (morsure). Si elle
se déroule au niveau anal, plus tardif, l’issue s’avère plutôt plus
favorable. Ici, la petite fille s’arrange pour combiner en un seul acte
ses désirs érotiques et l’idée d’être punie – nommément le viol anal-
vaginal ; les fantasmes d’être battue en sont, évidemment, un dérivé.
Ainsi que nous l’avons vu plus haut, ceci constitue une des solutions
où l’inceste devient l’équivalent de la castration, si bien que le
fantasme de posséder le pénis constitue une protection contre les
deux.

Nous pouvons maintenant récapituler les principales conclusions


auxquelles nous avons abouti. Encore que pour des raisons
différentes, garçons et filles tendent à envisager la sexualité
exclusivement en termes du pénis ; aussi les psychanalystes
devraient-ils faire preuve de quelque scepticisme à ce propos. Le
concept de « castration » devrait être réservé, comme Freud l’a
signalé, au seul pénis, et ne dsvrait pas être confondu avec
« l’extinction de la sexualité » pour laquelle nous proposons le terme
d’aphanisis. La privation des désirs sexuels évoque chez l’enfant la
peur de l’aphanisis – c’est-à-dire est équivalente à la crainte de la
frustration. La culpabilité provient de l’intérieur, en tant que défense
contre cette situation, plutôt qu’en tant que contrainte externe,
encore que l’enfant sache exploiter n’importe quel moralisches
Entgegenkommen du monde extérieur.

Le stade oral-érotique chez la petite fille débouche directement sur


le stade de la fellation et le stade clitoridien, et c’est alors que le
premier de ces stades fait place au stade anal-érotique ; la bouche,
l’anus et le vagin forment ainsi une série d’équivalents de l’organe

302
La régression du patient et l’analyste

féminin. Le refoulement des désirs incestueux aboutit à une


régression vers l’envie du pénis, pré-œdipienne ou auto-érotique, en
tant qu’une défense érigée contre eux. L’envie du pénis, telle que
nous la voyons dans notre pratique, dérive surtout de cette réaction,
sur le plan allo-érotique et, l’identification au père représente
essentiellement la dénégation de la féminité. La « phase phallique »
de Freud est, chez la petite fille, probablement une construction
défensive secondaire, plutôt qu’un véritable stade du développement.

Pour éviter la névrose, le garçon comme la fille doivent liquider de la


même façon le conflit œdipien : ils peuvent abandonner, soit leur
objet d’amour, soit leur propre sexe. S’ils adoptent cette dernière
solution – homosexuelle – ils deviennent dépendants de la possession
imaginaire de l’organe du sexe opposé, soit directement, soit par
identification à une autre personne de ce sexe. Ceci aboutit aux deux
formes principales d’homosexualité.

Les facteurs essentiels qui jouent de façon décisive sur le fait que la
petite fille s’engage dans une identification au père – et ceci de façon
si intense qu’elle peut réaliser une inversion clinique – sont
essentiellement un érotisme oral et un sadisme particulièrement
intenses, qui se combinent de façon typique en un stade sadique-oral
intense. Si le premier de ces deux facteurs prédomine, l’inversion
prend la forme d’une dépendance vis-à-vis d’une autre femme, et
d’un désintérêt pour les hommes ; le sujet est masculin mais jouit
également de la féminité par identification à une femme féminine
qu’elle gratifie grâce à un substitut du pénis, représenté le plus
souvent par la langue. La prédominance du second facteur conduit le
sujet à s’intéresser aux hommes ; le désir étant celui d’obtenir d’eux
la reconnaissance de ses propres attributs masculins ; c’est ce type
de femmes qui manifeste si souvent de la rancune envers les
hommes, avec des fantasmes castrateurs (ou de morsure) à leur
égard.

303
La régression du patient et l’analyste

La femme hétérosexuelle craint davantage sa mère que ne le fait la


femme homosexuelle dont la crainte est centrée sur le père. La
punition redoutée dans ce dernier cas est le retrait d’amour
(abandon) sur le plan oral, et le fait d’être battue, sur le plan anal
(agression rectale).

304
La féminité en tant que mascarade

par Joan Riviere67

Quelle que fut la direction dans laquelle s’engagea la recherche


psychanalytique, elle fut chaque fois, pour Ernest Jones, l’occasion
de témoigner de son intérêt dans les divers domaines. C’est ainsi
qu’au cours de ces dernières années, les travaux se sont peu à peu
emparés du domaine de la sexualité féminine, et nous trouvons tout
naturellement parmi les contributions les plus importantes un article
d’Ernest Jones68. Comme toujours il expose très clairement ce sujet
avec ce don particulier qu’il possède d’ordonner les connaissances
acquises et d’y joindre le fruit de ses réflexions personnelles.

Dans son article sur La Phase Précoce Du Développement De La


Sexualité Féminine il brosse un tableau schématique des divers types
de développements parmi lesquels il distingue un groupe
hétérosexuel et un groupe homosexuel ; ce dernier à son tour se
trouve subdivisé en deux types distincts. Il reconnaît lui-même le
caractère schématique de sa classification et admet un certain
nombre de formes intermédiaires. C’est d’une de ces formes

67 Titre original : Womanliness as a Mascarade, publié dans International


Journal of Psychanalysis, X, 303-313, 1929. Traduit de l’anglais par Victor
Smirnoff.
68 E. Jones, The early development of female sexuality, supra, Int. J. Psa., VIII,
1927. (La traduction française de cet article est publiée dans le présent
volume.)

305
La régression du patient et l’analyste

intermédiaires dont je m’occuperai aujourd’hui. Nous rencontrons


fréquemment, dans la vie courante, des sujets, hommes et femmes
qui, malgré leur développement hétérosexuel, présentent pourtant
des traits marqués du sexe opposé. On a voulu y voir l’expression
d’une bisexualité inhérente à tous ; et l’analyse nous a appris que
tout ce qui apparaît en tant que traits de caractère homosexuel ou
hétérosexuel, ou sous la forme de manifestations sexuelles, n’est rien
d’autre que le résultat d’une interaction des conflits et ne témoigne
pas forcément d’une tendance innée ou fondamentale. La différence
entre le développement homosexuel et hétérosexuel est déterminée
par le degré variable de l’angoisse, et par ses effets sur le
développement lui-même. Ferenczi avait déjà signalé une réaction
analogue au plan du comportement69, à savoir que certains hommes
homosexuels exagèrent leur hétérosexualité en tant que « défense »
contre leurs tendances homosexuelles. J’essaierai de montrer que les
femmes qui aspirent à une certaine masculinité peuvent revêtir le
masque de la féminité pour éloigner l’angoisse et éviter la vengeance
qu’elles redoutent de la part de l’homme.

69 S. Ferenczi, The Nosology of Male Homosexuality (1916), in Selected Papers,


vol. I, 296 (Basic Books, New York, 1950).

306
La régression du patient et l’analyste

Je fais allusion ici à un type particulier de femme intellectuelle. Il n’y


a pas si longtemps que les carrières intellectuelles étaient presque
exclusivement l’apanage d’un certain genre de femmes,
manifestement masculines, qui dans certains cas ne cachaient même
pas leur désir d’être un homme ou leur revendication virile. Les
temps ont changé. De toutes les femmes engagées de nos jours dans
une profession libérale il serait difficile de dire, à regarder leur mode
de vie ou leur caractère, si la majorité est plus nettement féminine
ou masculine. Dans le milieu universitaire ou scientifique, aussi bien
que dans le monde des affaires, on rencontre constamment des
femmes qui semblent répondre à tous les critères d’une féminité
accomplie. Ce sont de bonnes épouses, d’excellentes mères, des
femmes d’intérieur compétentes ; elles participent à la vie mondaine
et aux événements culturels ; elles manifestent des intérêts
spécifiquement féminins, en se préoccupant de leur apparence et
elles trouvent le temps nécessaire, lorsque le besoin s’en fait sentir,
de jouer le rôle d’un substitut maternel dévoué et désintéressé, dans
leur cercle familial ou auprès de leurs amis. Mais en même temps
elles sont capables d’assumer les charges de leur vie professionnelle,
pour le moins aussi bien que n’importe quel homme. On est bien
embarrassé pour classer, du point de vue psychologique, un tel type
de femmes.

Il y a quelque temps, au cours d’une analyse, j’ai fait quelques


découvertes intéressantes. Cette femme correspondait presque point
par point à la description que je viens de donner. Ses relations avec
son mari étaient excellentes, tant sur le plan de l’attachement
affectueux que dans leurs rapports sexuels qui étaient fréquents et
satisfaisants. Elle était très fière d’être une parfaite maîtresse de
maison. Elle avait remarquablement réussi dans sa profession. Elle
possédait au plus haut point la possibilité de s’adapter à la réalité et
avait été capable d’entretenir des bonnes relations avec presque
toutes les personnes de sa connaissance.

307
La régression du patient et l’analyste

Certaines de ces réactions indiquaient pourtant que sa stabilité


n’était pas aussi parfaite qu’elle le paraissait au premier abord ;
choisissons un exemple pour illustrer notre propos. Il s’agissait d’une
femme de nationalité américaine, professionnellement engagée dans
une carrière de propagandiste militante, l’obligeant essentiellement
à parler et à écrire. Toute sa vie elle avait souffert d’une certaine
angoisse, parfois très intense, qui se manifestait après chacune de
ses apparitions devant un public, chaque fois par exemple qu’elle
avait donné une conférence. Malgré son indéniable réussite, ses
qualités intellectuelles et ses dons pratiques, sa capacité d’intéresser
l’auditoire et de mener une discussion, elle était habituellement
saisie au cours de la nuit suivante d’un état d’excitation et
d’appréhension, de crainte d’avoir commis un impair ou une
maladresse, et ressentant un besoin obsédant de se faire rassurer.
Ce besoin l’amenait compulsionnellement à solliciter l’attention ou à
provoquer des compliments de la part d’un homme, ou d’hommes, à
l’issue des réunions auxquelles elle avait pris part ou au cours
desquelles elle avait joué le rôle principal. Il devint bientôt évident
que les hommes ainsi choisis représentaient, sans aucun doute
possible, des figures paternelles, encore qu’elle ne faisait
généralement que peu de cas de la valeur de leur jugement. Auprès
de ces figures paternelles elle cherchait à se rassurer : d’abord,
directement, sur la nature des compliments qu’on lui faisait
concernant son apparition en public ; mais surtout, indirectement,
sur la nature de l’intérêt sexuel que lui portaient ces hommes. Pour
parler de façon plus générale, l’analyse avait montré que son
comportement après ces réunions était destiné à provoquer des
avances de la part d’un type d’homme particulier, en flirtant avec lui
ou en l’aguichant de façon plus ou moins voilée. Cette attitude, qui
succédait si rapidement aux activités intellectuelles et qui contrastait
tellement avec l’attitude objective et impersonnelle qu’elle avait au
cours de ces dernières, posait un véritable problème.

308
La régression du patient et l’analyste

L’analyse montra que la rivalité œdipienne avec la mère avait été


extrêmement intense et n’avait jamais été résolue de façon
satisfaisante. J’y reviendrai plus loin. Mais parallèlement au conflit
qui l’opposait à sa mère, la rivalité avec le père fut tout aussi
marquée. Le travail intellectuel qui consistait surtout à parler et à
écrire, était basé sur une identification évidente au père, qui avait
débuté dans la vie comme écrivain et avait par la suite choisi une
carrière politique. L’adolescence de cette femme avait été marquée
par une révolte consciente contre son père, faite de rivalité et de
mépris à son égard. Des rêves et des phantasmes de cette nature, où
elle castrait son mari, apparaissaient fréquemment dans son analyse.
Elle éprouvait des sentiments de rivalité conscients à l’égard des
« figures paternelles » sur lesquelles elle revendiquait une
supériorité, mais dont elle sollicitait les faveurs, après les
conférences ou les réunions. La pensée qu’elle pourrait ne pas être
leur égale, la blessait profondément et (dans l’intimité) elle
n’acceptait pas l’idée qu’elle pourrait être jugée ou critiquée par eux.
En ceci, elle correspondait nettement à un des types de femme décrit
par Ernest Jones : son premier groupe de femmes homosexuelles qui
sans s’intéresser aux autres femmes, désirent voir « reconnaître »
leur masculinité par les hommes et demandent à être leurs égales,
c’est-à-dire d’être elles-mêmes des hommes. Sa rancune n’était
pourtant pas ouvertement exprimée, puisque dans sa vie elle
reconnaissait explicitement sa condition de femme.

L’analyse dévoila que sa coquetterie et ses œillades compulsionnelles


– dont elle était à peine consciente jusqu’au moment où cela devint
évident dans son analyse – s’expliquaient ainsi : il s’agissait d’une
tentative inconsciente pour écarter l’angoisse qui résulterait du fait
des représailles qu’elle redoutait de la part de ces figures paternelles
à la suite de ses prouesses intellectuelles. La démonstration en
public de ses capacités intellectuelles, qui en soi représentait une
réussite, prenait le sens d’une exhibition tendant à montrer qu’elle

309
La régression du patient et l’analyste

possédait le pénis du père, après l’avoir castré. Démonstration faite,


elle était saisie d’une peur horrible que le père ne se venge. Il
s’agissait évidemment d’une démarche tendant à apaiser sa vindicte
en essayant de s’offrir à lui sexuellement. Il apparut alors qu’un tel
fantasme avait été très fréquent au cours de sa jeunesse et de son
adolescence, lorsqu’elle vivait dans le Sud des États-Unis : si un
nègre venait à l’attaquer elle se défendrait en l’obligeant à
l’embrasser et à faire l’amour (pour pouvoir ensuite le livrer à la
justice).

Mais un autre facteur déterminant était à la base de son


comportement obsessionnel. Dans un rêve dont le contenu
ressemblait à celui du phantasme infantile, elle se trouvait seule à la
maison, terrifiée ; un nègre entrait et la trouvait en train de faire la
lessive, les manches retroussées et les bras nus. Elle lui résistait,
mais avec l’intention secrète de le séduire sexuellement ; il
commençait à l’admirer, à lui caresser les bras et la poitrine. Le sens
de ce rêve était le suivant : elle avait tué son père et sa mère et était
ainsi devenue la propriétaire exclusive de tous les biens (seule à la
maison) : elle prenait peur de la vengeance possible (s’attendait à
des coups de feu dans les fenêtres) et se défendait en jouant un rôle
ancillaire (faire la lessive), en essayant de laver la saleté et la sueur,
la culpabilité et le sang, et effacer les conséquences de ses actes en
se « déguisant » en femme castrée. Sous ce déguisement, non
seulement l’homme ne pouvait découvrir sur elle aucun objet volé
qu’il devrait lui reprendre de force, mais il la trouvait attirante par
surcroît en tant qu’objet d’amour. Ainsi le but de son acte
compulsionnel ne visait pas simplement à se faire rassurer en
éveillant chez l’homme des sentiments affectueux à son égard ; mais
elle cherchait surtout, en prenant le masque de l’innocence, à
assurer son impunité. C’était véritablement une annulation
obsessionnelle de sa prouesse intellectuelle, les deux aspects
formant « la double action » de son acte obsessionnel, sa vie tout

310
La régression du patient et l’analyste

entière n’ayant été qu’une alternance d’activités masculines et


féminines.

Avant de faire ce rêve, elle en eut d’autres où des personnages


revêtaient des masques pour éviter un désastre. Dans un de ces
rêves, une tour située en haut d’une colline s’écroulait et allait
écraser les habitants d’un village situé en contrebas, mais les
habitants mettaient des masques sur leur visage et échappaient ainsi
à la catastrophe.

La féminité pouvait aussi être assumée et portée comme un masque,


à la fois pour dissimuler l’existence de la masculinité et éviter les
représailles qu’elle redoutait si on venait à découvrir ce qui était en
sa possession ; tout comme un voleur qui retourne ses poches et
exige qu’on le fouille pour prouver qu’il ne détient pas les objets
volés. Le lecteur peut se demander comment je distingue la féminité
vraie et le déguisement. En fait, je ne maintiens pas qu’une telle
différence existe. Que la féminité soit fondamentale ou superficielle,
elle est toujours la même chose. La capacité de féminité existait chez
cette femme (et j’irai jusqu’à dire qu’elle existe chez les femmes les
plus homosexuelles qui soient) mais à cause de ses conflits, la
féminité ne constituait pas la ligne principale de son développement.
La féminité fut utilisée comme un moyen d’éviter l’angoisse plutôt
qu’en tant que mode primaire de jouissance sexuelle.

Quelques points particuliers me permettront d’illustrer ce que je


viens de dire. Cette femme s’était mariée tardivement, à l’âge de
vingt-neuf ans ; elle fut très angoissée au sujet de la défloration et
demanda à une gynécologue d’élargir ou d’inciser son hymen avant
le mariage. Dès avant le mariage, elle avait des idées préconçues sur
les rapports sexuels, elle était fermement déterminée à en tirer la
jouissance et le plaisir qu’elle savait que certaines femmes y
trouvaient et à atteindre l’orgasme. Elle craignait d’être impuissante
à la manière dont certains hommes le craignent. Ceci représentait en
partie sa détermination de surpasser certaines figures maternelles

311
La régression du patient et l’analyste

frigides, mais à un niveau plus profond, elle était surtout décidée à


ne pas être battue par l’homme70. En effet les plaisirs sexuels furent
intenses et fréquents et aboutissaient à un orgasme complet : mais
elle finit par s’apercevoir que la gratification obtenue avait le
caractère d’une réassurance et d’une restitution de quelque chose de
perdu, et non pas simplement d’une pure jouissance. L’amour de
l’homme lui rendait l’estime d’elle-même. Au cours de l’analyse, alors
que les pulsions hostiles et castratrices à l’égard du mari
commençaient à se faire jour, le désir d’avoir des rapports sexuels
s’affaiblissait, de plus en plus et elle devint même, à plusieurs
reprises, relativement frigide pendant quelque temps. Le masque de
la féminité s’effilochait peu à peu, la faisant apparaître comme
castrée (sans vie, incapable d’éprouver du plaisir) ou comme
castratrice (et à ce titre craignant de recevoir le pénis ou de
l’accueillir par sa gratification). Une fois, alors que son mari eut
pendant quelque temps une aventure avec une autre femme, elle
s’aperçut qu’elle s’identifiait fortement à son mari à l’égard de sa
rivale. Il est remarquable qu’elle n’eut jamais d’expériences
homosexuelles (depuis une aventure qu’elle eut avant sa puberté
avec une sœur cadette) ; mais au cours de l’analyse il apparut que ce
manque d’aventures était compensé par de nombreux rêves
homosexuels qui aboutissaient à des orgasmes.

Dans la vie courante le masque de la féminité peut prendre des


aspects les plus curieux. Je connais une femme d’intérieur
intelligente et capable de mener à bien certaines tâches typiquement
masculines. Mais si par exemple elle doit faire appel à un
entrepreneur ou à un tapissier, elle se sent obligée de dissimuler
toutes ses connaissances techniques et de se montrer pleine de
déférence à l’égard de l’artisan, en faisant des suggestions d’un air

70 J’ai retrouvé cette attitude chez un certain nombre de femmes en analyse, et


cette auto-défloration dans presque tous les cas (cinq cas). À la lumière de ce
que rapporte Freud dans le Tabou de la virginité, cet acte symptomatique est
plein d’enseignements.

312
La régression du patient et l’analyste

naïf et innocent, comme s’il s’agissait de suggestions fortuites. Elle


m’avoua que même avec le boucher et le boulanger, qu’en fait elle
menait d’une main de fer, elle n’arrivait pas à adopter ouvertement
une attitude ferme et directe ; elle avait elle-même l’impression de
« jouer un rôle », de faire semblant d’être une femme plutôt
ignorante, sotte et ahurie, alors qu’elle arrivait toujours à ses fins.
Dans toutes les autres circonstances de sa vie, cette femme est une
personne compétente, cultivée et bien informée, qui mène ses
affaires avec un comportement raisonnable sans avoir recours à
aucun subterfuge. Cette femme qui est maintenant âgée de
cinquante ans, me racontait qu’étant une jeune femme, elle était
toujours très angoissée lorsqu’elle devait avoir affaire à certains
hommes : les porteurs, les garçons de café, les chauffeurs de taxi, les
commerçants, ou tout autre image paternelle, potentiellement
hostile, comme les médecins, les entrepreneurs ou les avocats ; il lui
arrivait souvent de se disputer avec eux et d’avoir des altercations au
cours desquelles elle les accusait de vouloir l’escroquer, etc.

Un autre cas pris dans la vie quotidienne est celui d’une femme
intelligente, mariée et mère de famille, maître de conférence à
l’Université, dans une branche difficile dans laquelle peu de femmes
s’engagent. Lorsqu’elle avait à faire un cours, non pas devant les
étudiants, mais devant un auditoire de collègues, elle s’habillait de
façon particulièrement féminine. Dans ces occasions son
comportement était marqué par quelque chose de totalement
incongru. Pour faire son cours elle adoptait un ton désinvolte et
badin, qui avait entraîné de la part de ses collègues beaucoup de
commentaires et des reproches. Elle se sentait obligée de
transformer cette situation, où elle tenait un rôle masculin en un
« jeu », en quelque chose de pas vrai, en une « blague ». Elle ne
pouvait pas se prendre au sérieux, ni prendre au sérieux le sujet
traité ; d’une part elle ne pouvait pas se considérer sur un pied
d’égalité avec les hommes, d’autre part son attitude désinvolte

313
La régression du patient et l’analyste

permettait à son sadisme de se manifester expliquant ainsi l’effet


vexatoire.

On pourrait citer beaucoup d’autres exemples et j’ai rencontré des


mécanismes analogues au cours d’analyses d’hommes ouvertement
homosexuels. Dans un des cas, chez un homme très inhibé et
angoissé, les activités homosexuelles étaient en fait reléguées au
second plan : il trouvait ses plus grandes gratifications sexuelles
dans la masturbation et ceci dans des conditions spéciales, à savoir,
devant un miroir et habillé d’une certaine façon. L’excitation était
provoquée en se voyant lui-même, portant un nœud papillon, ses
cheveux partagés par une raie médiane. Il se servait de ces
« fétiches » extraordinaires pour se déguiser sous les traits de sa
sœur à qui il empruntait la coiffure et le « nœud ». Son attitude
consciente était un désir d’être une femme, mais ses relations
manifestes avec les hommes n’avaient jamais été stables. Sur le plan
inconscient la relation homosexuelle était extrêmement sadique et
basée sur la rivalité masculine. Il ne pouvait se laisser aller à ses
phantasmes sadiques et à celui de « posséder un pénis » qu’à
condition de se protéger contre l’anxiété grâce à son image
spéculaire, qui lui confirmait qu’il ne courait aucun danger puisqu’il
était « déguisé en femme ».

Pour en revenir au premier cas clinique dont nous avons parlé, il est
évident que sous son hétéro-sexualité apparemment satisfaisante
cette femme présentait les manifestations bien connues du complexe
de castration. Horney fut une des premières à faire remarquer qu’on
devait chercher les origines de ce complexe dans la situation
œdipienne. Je pense que le fait que la féminité puisse être portée
comme un masque nous permet de pousser plus loin dans cette
direction notre analyse du développement de la femme. C’est dans ce
but que je vais esquisser maintenant les stades précoces du
développement de la libido chez cette patiente.

314
La régression du patient et l’analyste

Mais avant de poursuivre je dois rapporter quelques faits concernant


ses relations avec les autres femmes. Elle était consciente des
sentiments de rivalité à l’égard de presque toutes les femmes, si ces
dernières étaient jolies ou avaient quelques prétentions
intellectuelles. Elle était consciente d’éprouver des bouffées de haine
subites à l’égard de presque toutes les femmes auxquelles elle avait
affaire, encore qu’elle fût capable de rester en très bons termes avec
les femmes lorsqu’il s’agissait d’entretenir des relations
permanentes ou amicales. Elle y arrivait, inconsciemment, en se
sentant supérieure à elles d’une façon ou d’une autre ; ses relations
avec ses subordonnées étaient presque toujours excellentes. C’est
pour ces mêmes raisons qu’elle était une maîtresse de maison si
compétente ; elle pouvait ainsi surpasser sa mère, gagner son
approbation et apporter la preuve de sa supériorité à l’égard des
rivales « féminines ». Sa réussite intellectuelle procédait sans doute
des mêmes motifs car elle apportait la preuve de sa supériorité par
rapport à sa mère. Il semble probable que dans sa vie de femme
adulte sa rivalité à l’égard des femmes s’exprimait de façon plus
accentuée sur le plan intellectuel que sur le plan de la beauté : elle
pouvait toujours trouver refuge dans sa supériorité intellectuelle
pour minimiser l’importance de la beauté.

L’analyse montra que toutes ces réactions, tant à l’égard des hommes
que des femmes, prenaient naissance dans ses réactions à l’égard
des parents au cours du stade de morsure sadique-oral. Ces
réactions se manifestèrent sous la forme de phantasmes, analogues à
ceux rapportés par Mélanie Klein 71 au Congrès de 1927. La
déception ou la frustration au cours de l’allaitement ou du sevrage,
associée aux expériences vécues au cours de la scène primitive,
interprétée en termes oraux, donne naissance à un sadisme
particulièrement intense à l’égard des deux parents 72. Le désir de

71 Cf. Early Stages of the Œdipus Complex, in Int. J. Psa IX, 1928.
72 Ernest Jones, op. cit., p. 469, considère que l’intensification du stade sadique
oral représente le fait central du développement homosexuel de la femme.

315
La régression du patient et l’analyste

mordre le mamelon et de le trancher avec les dents change de


registre et se manifeste alors par le désir de détruire, de pénétrer et
d’éviscérer la mère et de la dévorer, elle et les contenus de son
corps. Ces contenus comprennent le pénis du père, les matières
fécales et les enfants – tous les biens et tous les objets d’amour que
l’enfant imagine trouver dans le corps de la mère 73. Le désir de
mordre et de trancher le mamelon est transféré, comme nous le
savons, sur le pénis du père et le désir de le castrer par une morsure.
À ce stade les deux parents représentent des rivaux, ils détiennent
tous deux des objets désirés ; le sadisme est dirigé contre les deux
parents à la fois et le châtiment est redouté de la part de chacun
d’eux. Mais comme toujours, dans le cas de la fille c’est la mère qui
est la plus haïe et donc la plus redoutée. La mère pourra infliger un
châtiment proportionnel au crime : détruire le corps, la beauté, les
enfants de sa fille ; mais aussi lui interdire d’en avoir ; elle pourra la
mutiler, la dévorer, la torturer, la tuer. Dans cette situation
épouvantable la fille ne peut entrevoir de salut qu’à se concilier sa
mère et expier son crime. Elle doit abandonner toute compétition
avec sa mère et essayer de lui rendre, si elle peut, ce qu’elle lui a
volé. Comme nous savons, elle s’identifie au père et se sert de la
masculinité ainsi acquise en la mettant à la disposition de la mère.
Elle devient le père et prend sa place : ainsi, elle peut le « rendre » à
sa mère. Cette position s’affirma nettement dans un certain nombre
de situations typiques au cours de la vie de la patiente. Elle était
ravie de pouvoir aider ou rendre service à des femmes plus faibles ou
plus désemparées qu’elle, et elle était capable de maintenir une telle
attitude aussi longtemps que les sentiments de rivalité ne prenaient
pas trop le dessus. Mais une telle restitution n’était possible qu’à une
seule condition : celle de lui rapporter une somptueuse récompense
sous forme de gratitude et de « reconnaissance ». Cette

73 J’ai volontairement omis ici (en les considérant sans utilité pour mon propos)
toutes les références concernant le développement ultérieur de ses relations
à ses propres enfants.

316
La régression du patient et l’analyste

reconnaissance désirée lui apparaissait comme lui étant due pour


son sacrifice ; mais ce qu’elle exigeait inconsciemment c’était la
reconnaissance de sa supériorité d’avoir le pénis qu’elle pourrait
ainsi restituer. Si sa supériorité n’était pas reconnue, la rivalité
devenait immédiatement intense ; si la gratitude et la reconnaissance
n’étaient pas exprimées son sadisme allait éclater dans toute sa force
et elle souffrait alors (lorsqu’elle était seule) d’accès de rage
sadique-orale exactement comme un enfant coléreux.

À l’égard du père sa rancune avait pu naître de deux façons : du fait


qu’au cours de la scène primitive il s’appropriait le lait maternel et
en privait l’enfant ; et qu’en même temps il donnait le pénis ou des
enfants à la mère au lieu de les donner à sa fille. C’est pour cela que
la fille devait lui enlever tout ce qu’il possédait ou tout ce qu’il avait
pris ; il fallait le castrer et le réduire au néant, comme la mère. La
crainte qu’il inspirait, moins grande que celle qu’inspirait la mère,
demeurait ; ceci en partie parce qu’il aurait pu se venger de la mort
et de la destruction de la mère. Il fallait se le concilier et l’apaiser, et
ceci en se présentant à lui sous le masque de la féminité, qui
témoignait de son « amour » et de son innocence à son égard. Il est
remarquable que ce masque féminin, percé à jour par les autres
femmes, fut efficace avec les hommes et put si bien remplir son rôle.
Ainsi elle essayait d’attirer les hommes, pour qu’ils puissent la
rassurer en témoignant de l’intérêt qu’ils lui portaient. Un examen
plus poussé montra qu’elle choisissait ces hommes parmi ceux qui
redoutent les femmes trop féminines et préfèrent celles ayant
certains attributs masculins, car ainsi ils sont sûrs de ne pas se voir
réclamer trop de choses.

Au cours de la scène primitive les deux parents possèdent un


talisman qui manque à la fille : le pénis paternel, d’où sa rage, mais
aussi sa terreur et son sentiment d’impuissance 74. En en privant son
père et en s’en emparant elle-même, elle acquiert le talisman, l’épée
74 Cf. M.N. Searl, Danger Situation of the Immature Ego, Oxford Congress,
1929.

317
La régression du patient et l’analyste

invincible, « l’organe du sadisme » ; il perd toute sa puissance et


tous ses moyens (son gentil mari), mais pourtant elle croit nécessaire
de se protéger contre toute attaque possible de sa part en se
montrant à lui sous le masque de la soumission féminine ; derrière
cet écran elle peut mener à bien un certain nombre d’activités
masculines – « pour lui » -— (son sens pratique et son savoir-faire).
De même avec sa mère : elle l’a dépouillée du pénis, elle l’a détruite,
l’a réduite à un état d’infériorité pitoyable, elle triomphe maintenant,
mais en cachette ; en apparence elle reconnaît et admire les vertus
des femmes « féminines ». Mais il est plus difficile pour elle de se
protéger contre la vengeance de la femme que contre celle de
l’homme ; ses efforts pour apaiser et dédommager sa mère en lui
rendant le pénis, ou en l’employant au service de la mère, ne
suffiront jamais : ces moyens sont usés jusqu’à la corde et finiront
par l’user elle-même75.

Il devint évident que cette femme se protégeait contre une angoisse


intolérable provenant de sa fureur sadique contre les parents, en
créant une situation phantasmatique dans laquelle elle leur devint
supérieure et ainsi à l’abri de tout danger. L’essence même de son
phantasme était sa supériorité à l’égard des objets parentaux ; par ce
moyen son sadisme étant satisfait, elle pouvait triompher d’eux.
Grâce à cette même suprématie elle réussit à éviter leur vengeance,
en ayant recours aux formations réactionnelles et en dissimulant son
hostilité. Ainsi pouvait-elle à la fois satisfaire les pulsions du Ça, son
Moi narcissique et son Surmoi. Ce phantasme était le principal
ressort de toute sa vie et de son caractère, et elle arriva à très peu
de chose près à le réaliser à la perfection. Son seul point faible était
le caractère mégalomaniaque qui perçait sous tous ces
déguisements, son besoin de suprématie. Quand cette supériorité se
trouvait sérieusement ébranlée au cours de l’analyse, la patiente

75 This device was worked to death, and sometimes it almost worked her to
death.

318
La régression du patient et l’analyste

réagissait par l’angoisse, la rage et la dépression, alors qu’avant


l’analyse elle se réfugiait dans la maladie.

J’aimerais dire un mot de ce que Ernest Jones a identifié comme la


femme homosexuelle à la recherche d’une « reconnaissance » de sa
masculinité de la part des hommes. Il s’agit de savoir si, chez ce type
de femme, le besoin de reconnaissance est lié au mécanisme d’un
besoin identique – bien qu’opérant différemment (reconnaissance
pour services rendus) —- à celui du cas que j’ai rapporté, où la
reconnaissance directe de la possession du pénis n’était pas
ouvertement exigée ; la réclamation était formulée au nom des
formations réactionnelles, encore que ces dernières ne pouvaient
exister que du fait de la possession du pénis. Indirectement donc, la
reconnaissance du pénis était pourtant exigée. Ce mode indirect
résultait de la crainte qu’on pourrait « reconnaître », ou en d’autres
termes « découvrir », qu’elle possédait le pénis.

Ma patiente aurait-elle été moins anxieuse, elle aurait pu, elle aussi,
exiger ouvertement de la part des hommes de reconnaître la
possession du pénis ; et dans son for intérieur elle ressentait un dépit
amer, comme dans les cas décrits par Ernest Jones, lorsqu’une telle
reconnaissance directe faisait défaut. Il est clair que, dans les cas
décrits par Ernest Jones, le sadisme primaire obtient davantage de
gratifications ; le père a été castré et doit même avouer sa défaite.

Mais de quelle façon ces femmes arrivent-elles alors à éviter


l’angoisse ? À l’égard de la mère elles y parviennent évidemment en
niant son existence. Les renseignements que j’ai pu recueillir au
cours des analyses, me permettent de conclure que, d’une part
(comme le suggère Jones) une telle demande ne représente rien
d’autre qu’un déplacement de la demande sadique originelle,
exigeant que l’objet désiré – qu’il s’agisse du mamelon, du lait ou du
pénis – lui soit immédiatement accordé76. Mais d’autre part le besoin

76 J’ai traduit par accorder le mot anglais surrender qui a en fait le sens d’une
reddition. (N.d.T.)

319
La régression du patient et l’analyste

de reconnaissance représente, pour une grande part, un besoin


d’absolution. La mère se trouve ainsi reléguée dans les limbes ;
aucune relation n’est possible avec elle ; son existence semble avoir
été niée, encore qu’à la vérité elle n’apparaisse que comme trop
redoutable. Ainsi la culpabilité entraînée par ce triomphe remporté
sur les deux parents ne peut être absoute que par le père ; s’il
sanctionne le fait qu’elle possède un pénis en le reconnaissant, elle
est sauvée. En lui donnant cette reconnaissance, il lui donne le pénis,
et ceci à elle plutôt que de le donner à la mère ; dès lors elle le
possède, elle a le droit de le garder et tout est bien. La
« reconnaissance » est toujours, pour une part, réassurance,
sanction, amour ; mais en outre elle lui confère à nouveau la
supériorité. Si peu qu’il s’en doute, l’homme lui a avoué sa défaite.
Ainsi une telle relation phantasmatique de la femme à l’égard de son
père a un contenu identique à celui de l’Œdipe normal ; la différence
ne réside que dans le fait qu’elle repose sur une base sadique. En fait
elle a tué la mère, mais pour cette même raison il lui est interdit de
jouir de beaucoup de choses dont sa mère profitait. Et ce qu’elle
obtient du père, elle doit encore, pour une large mesure, le lui
extorquer ou le lui arracher.

Ces conclusions nous obligent une fois de plus à nous poser la


question : qu’est-ce que la nature essentielle d’une féminité
pleinement épanouie ? Qu’est-ce que das ewig Weibliche ? La
conception de la féminité en tant que masque derrière lequel
l’homme soupçonne quelque danger dissimulé, éclaire déjà cette
énigme. L’état de féminité hétérosexuelle, pleinement épanouie,
comme Helen Deutsch et Ernest Jones l’ont dit, est fondé sur le stade
de succion orale. L’unique gratification d’ordre primaire que l’on y
trouve est celle de recevoir du père le pénis (mamelon, lait), le
sperme, l’enfant. Quant au reste, tout repose sur les formations
réactionnelles.

320
La régression du patient et l’analyste

L’acceptation de la « castration », de l’humilité, de l’admiration des


hommes, provient pour une part de la surestimation de l’objet au
plan de la succion orale ; mais elle est due surtout à la renonciation
(à la moindre intensité) des désirs de castration sadiques qui
dérivent du stade oral de morsure, plus tardif.

« Je ne dois pas prendre, je ne dois même pas demander ; il faut que
cela me soit donné. » La tendance au sacrifice de soi-même, au
dévouement, à l’abnégation de soi, exprime l’effort fait pour restituer
et réparer ce qui a été enlevé au couple parental, aux figures
maternelles ou paternelles. C’est ce que Rado a aussi nommé une
« assurance narcissique » de la plus haute valeur.

Il paraît dès lors évident de quelle façon le fait d’atteindre


pleinement l’hétérosexualité coïncide avec la réalisation de la
génitalité. Et nous voyons une fois de plus, comme Abraham l’avait
formulé le premier, que la génitalité postule l’aboutissement au stade
post-ambivalent. La femme normale, comme la femme homosexuelle,
désirent le pénis paternel et se révoltent contre la frustration (ou la
castration) ; mais une des différences essentielles qui les séparent,
réside dans l’intensité du sadisme, et aussi du pouvoir qu’elles ont,
l’une et l’autre, de disposer de ce sadisme et de l’angoisse qu’il fait
naître.

321
La phase phallique

par Ernest Jones77

À lire de près les nombreuses contributions importantes de ces dix


dernières années, celles surtout des analystes femmes, concernant le
problème toujours mal élucidé du premier développement de la
sexualité féminine, on est frappé par un certain désaccord entre les
divers auteurs ; ce désaccord n’a pas manqué de s’étendre au
domaine de la sexualité masculine. La plupart de ces auteurs ont eu
le louable mérite de souligner sur quels points ils tombent d’accord
avec leurs collègues, mais ils ont laissé dans l’ombre les divergences
d’opinion qui n’ont pas toujours trouvé à se formuler clairement.

Je me propose ici d’aller au fond des choses dans l’espoir de dégager


les points litigieux. S’il existe une confusion quelconque il est
souhaitable de la démêler ; s’il y a une divergence d’opinion il serait
utile de la définir pour nous permettre d’aborder les questions

77 Titre original : The Phallic Phase, paru in Internat. J. Psycho-Anal, vol. XIV,
1933. Ce texte, présenté dans une première mouture abrégée au XII*
Congrès international de Psychanalyse, Wiesbaden, le 4 septembre 1932, et
dans sa version définitive à la Société britannique de Psychanalyse, séances
du 19 octobre et 2 novembre 1932, a été repris in Papers on Psycho-Analysis
(5th Edition). 1948, Baillère, Tindall & Cox, London (traduit de l’anglais par
Madeleine et Victor Smirnoff). Nous prions les éditeurs anglais de trouver ici
nos remerciements pour nous avoir accordé leur autorisation de publier ce
texte d’Ernest Jones.

322
La régression du patient et l’analyste

intéressantes auxquelles une recherche plus approfondie pourra


peut-être apporter une réponse.

323
La régression du patient et l’analyste

C’est dans ce but que j’ai choisi comme thème de discussion la phase
phallique. C’est un sujet assez bien délimité, mais qui pousse des
ramifications vers la plupart des problèmes plus généraux et restés
irrésolus. Dans une communication présentée au Congrès
d’Innsbruck en 192778, j’avais suggéré qu’au cours du
développement de la sexualité féminine la phase phallique était une
solution secondaire et de nature défensive du conflit psychique,
plutôt qu’un processus de développement simple et direct ; l’année
dernière, le Pr Freud79 déclara qu’une telle hypothèse était
insoutenable. Déjà à ce moment-là, j’avais moi-même des doutes
analogues au sujet de la phase phallique chez l’homme, mais je n’en
avais pas fait mention puisque ma communication portait
exclusivement sur la sexualité féminine. Récemment, Mme le Dr
Horney80 avait exprimé quelque scepticisme au sujet de la validité du
concept de la phase phallique chez l’homme, et je saisirai cette
occasion pour commenter les arguments dont elle fait état.

Je vous rappellerai tout d’abord que dans la description que donne


Freud de la phase phallique81, le trait essentiel, commun aux deux
sexes, était la croyance qu’il n’existait au monde qu’une seule espèce
d’organe génital, un organe mâle. Selon Freud, la raison de cette
croyance réside dans le simple fait qu’à cet âge l’organe génital
féminin n’a encore été découvert par aucun des deux sexes. Les
êtres humains se trouvent ainsi divisés, non pas en ceux possédant
l’organe mâle et ceux possédant l’organe féminin, mais en ceux qui
possèdent un pénis et en ceux qui n’en possèdent pas. Il y a une

78 Voir l’article de E. Jones, La Phase Précoce Du Développement De La


Sexualité Féminine (1927) (traduit dans ce même volume).
79 S. Freud, Über die weibliche Sexualität, Int. Ztschr. Psycho-Anal., vol. XVII,
1931 (cf. G.W., XIV).
80 Karen Horney, The Dread of Women, Internat. J. Psycho-Anal., vol. XIII, 353,
1932.
81 Freud, The Infantile Genital Organisation of the Libido, Coll. Papers, vol. II, p.
245. [G.W., XIII, 294] [On trouvera entre crochets les références à l’édition
allemande de l’œuvre de Freud].

324
La régression du patient et l’analyste

classe qui possède le pénis et la classe des castrés. Un garçon


commence par croire que tout le monde appartient à la première
catégorie, et ce n’est qu’au moment où ses peurs s’éveillent qu’il
commence à soupçonner l’existence de la deuxième catégorie. La
fille suit une évolution analogue à ceci près que l’on devrait employer
le terme correspondant d’une « classe possédant le clitoris » ; c’est
seulement après avoir comparé ses organes génitaux à ceux du
garçon que naît le concept d’une classe mutilée à laquelle elle
appartient. Les deux sexes luttent pour continuer d’ignorer
l’existence de cette seconde classe – tous les deux pour la même
raison – à savoir, par désir d’ignorer une réalité possible de la
castration. Ce tableau ainsi esquissé par Freud nous est familier à
tous et les faits d’observations dont on dispose, et à partir desquels il
a été tracé, ont été confirmés maintes fois. L’interprétation des faits,
par contre, est bien entendu tout autre chose, et n’est pas si simple.

J’aimerais attirer maintenant votre attention sur une notion qui est
implicite dans l’exposé de Freud, mais qui mérite qu’on y insiste
davantage pour plus de clarté. Il apparaîtrait qu’il y a deux stades
distincts dans la phase phallique. Freud appliquerait, je le sais, le
même terme de « phase phallique » aux deux, et ainsi ne les
distingue pas explicitement. La première des deux – appelons-la
phase proto-phallique – serait marquée par l’innocence ou
l’ignorance – du moins à l’état conscient – où il n’y a pas de conflit au
sujet de ce dont il s’agit, l’enfant présumant tranquillement que le
reste du monde est bâti selon sa propre image, et possède donc un
organe mâle satisfaisant – pénis ou clitoris, selon le cas. Dans la
seconde période ou phase deutéro-phallique, l’enfant commence à se
douter que le monde est divisé en deux classes : non pas mâle ou
femelle au sens propre, mais possédant le pénis ou castrée (bien
qu’en réalité les deux classifications se recouvrent presque
complètement). La phase deutéro-phallique apparaîtrait comme
étant plus névrotique que la phase proto-phallique — du moins dans

325
La régression du patient et l’analyste

ce contexte particulier. Car la phase deutéro-phallique est associée à


l’anxiété, au conflit, à la lutte contre l’acceptation de ce qui serait
ressenti comme étant la réalité (c’est-à-dire la castration) et à une
note sur-compensatoire de la valeur narcissique du pénis chez le
garçon, et à un mélange d’espoir et de désespoir chez la fille.

Il est évident que la différence entre les deux phases est marquée
par l’idée de la castration qui, selon Freud, est liée dans les deux
sexes, à la constatation effective d’une différence sexuelle
anatomique. On sait que selon son opinion82 la crainte ou la pensée
d’être castré exerce un effet débilitant sur les pulsions masculines
dans les deux sexes. Il considère que l’idée de la castration éloigne le
garçon de sa mère et renforce son attitude phallique et homosexuelle
– c’est-à-dire que le garçon abandonne un peu de son hétérosexualité
incestueuse pour sauver son pénis ; alors que dans le cas de la fille
ceci aboutit à un effet opposé, plus heureux, en la poussant vers une
attitude féminine, hétéro sexuelle. Dans cette perspective donc, le
complexe de castration atténue la relation œdipienne du garçon,
alors qu’il la renforce chez la fille ; le complexe de castration force le
garçon à s’engager dans la phase deutéro-phallique, alors la fille,
après une protestation transitoire à ce niveau, est chassée de la
phase deutéro-phallique par ce même complexe.

Puisqu’on croit mieux comprendre le développement du garçon, et


qu’il est peut-être le plus simple, je commencerai par lui. Nous
connaissons tous la qualité narcissique du stade phallique, dont
Freud dit qu’il atteint son acmé vers l’âge de quatre ans, encore qu’il
se manifeste certainement bien plus tôt 83 ; je parle plus
82 Freud (S.), Some Psychological Conséquences of the Anatomical Distinction
between the Sexes, International Journal of Psycho-Analysis, vol. VIII, pp.
133, 141, 1927 [cf. aussi Ges. W., XIV, 17].
83 Lorsque cette conférence fut prononcée devant la Société britannique de
Psychanalyse, trois analystes d’enfants (Mélanie Klein, Melitta Schmideberg
et Nina Searl) prétendirent que d’après leur expérience on pouvait détecter
des traces de la phase deutéro-phallique dès avant la fin de la première
année.

326
La régression du patient et l’analyste

particulièrement de la phase deutéro-phallique. Il existe entre cette


dernière et les stades précédents deux différences principales :

a) Elle est la plus sadique, et on en retrouve la séquelle dans la


prédisposition aux phantasmes d’omnipotence ;

b) Elle est plus centrée sur elle-même, comme en témoigne la


persistance du principal attribut allo-érotique de la phase deutéro-
phallique sous la forme d’exhibitionnisme. Ainsi cette phase
comporte moins d’agressivité et une relation plus distante à l’égard
des autres, et surtout à l’égard des femmes. Dans quelles conditions
s’est installé un tel changement ? Il semblerait qu’il s’agit d’un
changement de direction des fantasmes qui l’éloigne du monde réel
du contact avec les autres. Si tel est le cas, cela suffirait à justifier
l’hypothèse qu’il existe un élément de fuite, et que nous n’avons pas
simplement affaire à une évolution normale tendant à une
intégration meilleure de la réalité et une adaptation plus
satisfaisante.

Une telle hypothèse se confirme de façon évidente lors d’une


situation tout à fait circonstanciée — à savoir lorsque le stade
phallique persiste chez l’adulte. En examinant ce problème difficile
au microscope psychanalytique nous pouvons nous servir du
grossissement habituel que nous fournissent les névroses et les
perversions. L’élucidation des facteurs en jeu nous fournit des indices
qui nous permettent de nous orienter lors de l’examen de l’individu
dit normal. On se souvient que ce fut la voie empruntée par Freud
dans sa découverte de la sexualité infantile du sujet normal. Certes,
dans le cas d’un adulte, il est relativement facile d’établir la présence
de facteurs secondaires dans sa vie sexuelle, tout particulièrement
les facteurs de peur et de culpabilité. L’exemple auquel je pense tout
spécialement est celui du sujet – il s’agit souvent d’un
hypocondriaque – qui s’inquiète de la taille et de la qualité de son
pénis (ou de ses substituts symboliques) et chez qui ne se manifeste
que des faibles pulsions à l’égard des femmes ; et une pulsion

327
La régression du patient et l’analyste

particulièrement faible voire inexistante, à la pénétration ; ceci


s’accompagne habituellement, et à un degré variable, de
narcissisme, d’exhibitionnisme (ou d’une pudeur excessive), de
masturbation et d’homosexualité. L’analyse permet de montrer
facilement que toutes ces inhibitions ne sont que des refoulements
ou des défenses dus à une anxiété profonde. Nous verrons plus loin
la véritable nature de cette angoisse.

Ayant ainsi exercé notre vue à reconnaître la nature secondaire du


phallicisme narcissique, nous pouvons maintenant diriger notre
attention sur des attitudes similaires existant chez le garçon – je me
réfère de nouveau à la phase deutéro-phallique et à ses
manifestations les plus marquantes – et je prétends que nous y
trouverons des preuves abondantes qui nous permettront d’aboutir à
une conclusion analogue. Pour commencer, le tableau est
essentiellement le même. Il existe une préoccupation narcissique
concernant le pénis, faite de doutes et d’incertitudes quant à sa taille
et sa qualité sous le nom de « renforcement secondaire de la fierté
du pénis »84. Mélanie Klein a développé dans son livre ses idées sur
la valeur que possède le pénis chez le garçon pour maîtriser
l’angoisse profonde provenant de diverses sources ; cet auteur
prétend que l’exagération narcissique du phallicisme – (c’est-à-dire
de la phase phallique, bien qu’elle n’emploie pas ce terme) – est due
à la nécessité de venir à bout d’une très grande angoisse.

Il est à noter qu’à cet âge une part importante de la curiosité


sexuelle du garçon – et sur laquelle Freud a tout spécialement attiré
l’attention dans son premier article consacré à ce sujet 85 – est
absorbée non pas par l’intérêt manifesté à l’égard des femmes, mais
par l’intérêt porté à la comparaison entre lui et d’autres sujets de
sexe masculin. Ceci correspond à la remarquable absence de toute

84 En anglais secondary reinforcement of penis pride. Cf. Mélanie Klein, The


Psychoanalysis of Children, The Hogarth Press. London, 1950, p. 341.
85 Freud (S.), The Infantile Genital Organisation of the Libido, loc. cit., p. 246
[G.W., XIII, 295].

328
La régression du patient et l’analyste

pulsion de pénétration, une pulsion qui logiquement devrait mener à


la curiosité et la recherche de son complément. Karen Horney 86 a
très justement attiré notre attention sur ce caractère inhibé de la
pénétration ; comme cette pulsion à pénétrer est sans aucun doute la
propriété principale de la fonction du pénis, il est certainement
remarquable que c’est précisément là où l’idée du pénis domine le
tableau que sa propriété la plus saillante reste absente. Je ne crois
pas un seul instant que cela est dû au fait que cette propriété n’est
pas encore développée, un retard qui pourrait résulter d’une simple
méconnaissance (ignorance) de la contrepartie vaginale. Tout au
contraire, il existe à des stades plus précoces, ainsi que l’ont montré
les analystes d’enfants, des preuves abondantes de l’existence de
tendances à la pénétration sadique dans les phantasmes, dans les
jeux et dans d’autres activités du tout petit garçon. En cela, je me
trouve tout à fait d’accord avec les conclusions de Karen Horney 87, à
savoir « que le vagin non découvert est un vagin nié ». Je ne peux
pas m’empêcher de comparer cette soi-disant ignorance du vagin au
mythe ethnologique courant, qui prétend que les sauvages ignorent
le lien existant entre le coït et la fécondation. Dans les deux cas ils
savent, mais sans savoir qu’ils le savent. En d’autres termes, le
savoir existe, mais il s’agit d’un savoir inconscient, et qui transparaît
dans d’innombrables manifestations symboliques. Cette ignorance
consciente ressemble à « l’innocence » des jeunes femmes, qui reste
répandue même à notre époque éclairée, il s’agit tout simplement
d’un savoir interdit ou redouté, et qui pour cette raison demeure
inconscient.

Chez l’adulte, l’analyse des souvenirs du stade phallique nous fournit


des données comparables à celles que l’on retrouve dans les cas où
le stade phallique se poursuit jusque dans la vie adulte, comme nous
l’avons mentionné plus haut ; mais comparables aussi aux données
que nous apportent les analyses d’enfants pratiquées au cours du
86 Karen Horney, loc. cit., pp. 353, 354.
87 Ibid., p. 358.

329
La régression du patient et l’analyste

stade phallique. Ils permettent de constater, ainsi que Freud l’a


souligné le premier, que l’investissement narcissique du pénis va de
pair avec la peur de l’organe génital féminin. On s’accorde aussi
pour dire que cet intérêt narcissique est secondaire à la peur de
l’organe féminin ou de toute façon à la peur de castration. Par
ailleurs, il n’est pas difficile de voir que ces deux peurs, celle de
l’organe féminin et celle de la castration, sont en relation étroite
entre elles, et que nulle solution de ces problèmes ne saurait être
satisfaisante si elle n’en éclaire à la fois les deux aspects.

Freud n’emploie pas le mot « anxiété » mais parle de l’horreur


(Abscheu) inspirée par les organes génitaux de la femme. Le mot
horreur est descriptif, mais présuppose une crainte encore plus
archaïque de la castration et exige donc qu’on l’explique à son tour.
À lire certains passages de Freud, il apparaît que l’horreur de la
femme ne serait qu’une simple phobie, qui protégerait le jeune
garçon contre l’idée même de l’être castré, de la même façon qu’elle
le protégerait de la vue d’un unijambiste, mais je suis sûr que Freud
admettrait un rapport plus spécifique entre l’idée de la castration et
cet organe castré de la femme : ces deux idées doivent être
intimement liées. Je crois qu’il sous-entend que cette horreur est un
signe remémorateur associatif, tendant à rappeler ce qui peut arriver
de terrible – c’est-à-dire la castration – à tous ceux qui – comme la
femme – ont des désirs féminins, ou sont traités comme des femmes.
Il est clair, comme nous le savons depuis longtemps, que dans le cas
présent, le coït équivaut pour le garçon à la castration d’un des
partenaires ; ce qu’il craint évidemment, c’est d’être ce partenaire
malheureux. À ce propos rappelons que pour le garçon phallique et
névrosé la femme, en tant que castrée, n’implique pas seulement
l’idée que quelque chose a été tranché, mais qu’une ouverture a été
transformée en un trou : il s’agit de la théorie où la vulve est
constituée à partir d’une blessure (wound-theory). Dans notre
pratique quotidienne, il nous serait difficile de comprendre une telle

330
La régression du patient et l’analyste

crainte, excepté en termes d’un désir de jouer le rôle féminin au


cours du coït, et ceci manifestement dans le coït avec le père. Sinon,
l’équivalence entre castration et coït n’existerait pas. La crainte de
voir se réaliser un tel désir expliquerait certainement la peur de la
castration, les deux étant par définition identiques, mais aussi
« l’horreur » de l’organe féminin, en tant que le lieu de gratification
de ces désirs. Mais que le garçon identifie le coït avec la castration
semble impliquer une connaissance préalable de la pénétration. À la
lumière de cette hypothèse, il est difficile d’estimer à sa juste valeur
l’importance du lien existant entre la peur de castration et la rivalité
avec le père pour la possession de la mère, c’est-à-dire du complexe
d’Œdipe. Du moins pouvons-nous constater que ce désir de féminité
doit être le point crucial de tout ce problème.

La signification de la phase phallique pourrait être interprétée de


deux façons ; j’essaierai donc d’établir en quoi ces interprétations
s’opposent et dans quelle mesure elles sont conciliables. Appelons-
les respectivement : l’interprétation simple et l’interprétation
complexe. D’une part on peut supposer que le garçon, dans son état
d’ignorance sexuelle, croit que sa mère possède un pénis naturel qui
lui appartient en propre, aussi longtemps que l’expérience vécue ne
le confronte avec la découverte de l’organe féminin et que ses
propres idées concernant la castration (surtout lorsqu’il en fait
l’équivalent du coït) ne lui font admettre avec quelque réticence que
sa mère a été castrée. Ceci concorde avec son désir de croire sa
mère investie d’un pénis. Une telle présentation ne fait évidemment
qu’effleurer le problème de savoir d’où, en premier lieu, le garçon
tient ses idées sur le coït et la castration ; mais peut-être que ces
questions ne peuvent pas recevoir de réponse à partir de ce que nous
venons d’énoncer, et nous laisserons pour le moment ce problème en
suspens. D’autre part, il est permis de supposer que le garçon avait
depuis très longtemps une connaissance inconsciente que sa mère
possédait un orifice (distinct de la bouche ou de l’anus) et dans

331
La régression du patient et l’analyste

lequel il pourrait pénétrer. Cependant la pensée de la pénétration


entraîne la crainte de la castration (et ceci pour des raisons que nous
verrons dans un instant) et c’est en tant que défense contre cette
dernière que le garçon efface sa pulsion à pénétrer, mais aussi du
même coup toute idée d’un vagin : ces idées se trouvent remplacées
respectivement par son narcissisme phallique et par l’insistance avec
laquelle il affirme que la mère possède un pénis similaire (au sien).
La seconde de ces hypothèses nécessite une explication moins simple
et plus profonde des raisons qu’a le garçon d’insister sur la
possession d’un pénis par la mère. En effet, il redoute le fait qu’elle
puisse posséder des organes génitaux féminins bien plus qu’il ne
craint qu’elle puisse avoir un pénis ; et ceci parce que le premier cas
entraînerait l’idée et le danger d’une pénétration. S’il n’existait au
monde qu’un seul organe sexuel, l’organe mâle, il n’y aurait ni conflit
de jalousie, ni peur de castration : l’idée même du vagin doit
précéder celle de la castration. S’il n’existait pas de cavité
dangereuse à pénétrer, la peur de la castration n’existerait pas. Ceci
bien sûr est basé sur l’hypothèse que le conflit et le danger naissent
du fait que le garçon a le même désir que son père de pénétrer dans
la même cavité. Je crois que ceci est vrai (et je partage en cela les
vues de Mélanie Klein et d’autres analystes d’enfants) même au
stade le plus précoce, et non seulement après la découverte
consciente de la cavité dont il s’agit.

Nous en arrivons maintenant à la question controversée de l’origine


de l’angoisse de castration. Les divers auteurs y ont répondu
différemment. Certains ne se séparent que sur des nuances, d’autres
professent des conceptions franchement opposées. Karen Horney 88,
qui a récemment abordé ce problème à propos de la crainte du
garçon face à l’organe génital féminin, défend une position très
précise. En parlant de cette peur de la vulve, elle écrit : « Ce qu’en
dit Freud ne permet pas d’expliquer cette anxiété. L’angoisse de
castration du garçon à l’égard du père ne semble pas être une raison
88 Karen Horney, The Dread of Women, op. cit., p. 351.

332
La régression du patient et l’analyste

suffisante pour expliquer sa crainte devant un sujet qui a déjà subi


cette punition. Outre la crainte du père, une autre crainte doit
exister, et dont l’objet est la femme ou l’organe génital féminin. »
L’auteur défend même l’opinion quelque peu exceptionnelle que cette
crainte de la vulve non seulement précède la crainte du pénis
paternel – qu’il soit externe ou dissimulé dans le vagin – mais encore
qu’il s’agit d’une crainte plus profonde et plus grande. En fait, la
crainte du pénis paternel ne serait qu’artificiellement promue pour
masquer la peur intense devant la vulve89. Il s’agit certainement
d’une conclusion très discutable, bien que nous devons admettre
qu’il est techniquement difficile d’apprécier quelles sont les
quantités d’angoisse provenant des diverses sources. Notre curiosité
est éveillée par l’exploration qu’elle propose de cette anxiété intense
devant la mère. Elle mentionne les vues de Mélanie Klein sur la
crainte de représailles, crainte liée aux pulsions sadiques qu’il
éprouve à l’égard du corps de sa mère. Mais il semble que la source
la plus importante de sa peur de la vulve soit due au fait que le
garçon craint une blessure d’amour-propre en constatant que son
pénis n’est pas de taille à satisfaire sa mère : c’est ainsi que sont
interprétés les refus que la mère oppose à ses désirs.

La peur des représailles maternelles survient ultérieurement et joue


un rôle moins important que la peur du ridicule 90. Il est vrai que très
souvent on peut rencontrer un tableau clinique qui montre la force
possible d’une telle motivation ; mais je doute que le Dr Horney en
ait poursuivi l’analyse suffisamment loin. Dans ma propre
expérience, la bonté dont il s’agit -— qui peut certes s’exprimer sous
la forme d’une impuissance sexuelle – n’est pas uniquement due en
dernier lieu à la peur du ridicule : la honte et la peur du ridicule
procèdent toutes deux d’un complexe plus profond, à savoir l’attitude
féminine adoptée à l’égard du pénis paternel qui est incorporé dans
le corps de la mère. Karen Horney a aussi attiré l’attention sur cette
89 Ibid., pp. 352, 356.
90 Ibid., p. 357.

333
La régression du patient et l’analyste

attitude féminine et lui attribue même le rôle principal dans la


genèse de l’angoisse de castration, mais pour cet auteur ceci reste
une conséquence secondaire de la peur du ridicule. Ainsi nous nous
trouvons ramenés à nouveau à la question de la féminité et il nous
paraît évident que pour y répondre de façon satisfaisante il est
nécessaire de résoudre le problème dans son entier.

Je vais maintenant essayer de reconstruire et de commenter la thèse


de Karen Horney concernant la relation entre la peur de la vulve et
la peur de castration. Au départ, la masculinité et la féminité du
garçon sont relativement libres. Karen Horney cite ces hypothèses
de Freud sur la bisexualité primitive pour étayer ses propres théories
de la primauté des désirs féminins. De tels désirs féminins primaires
existent peut-être mais je suis convaincu que le conflit ne survient
que lorsque ces désirs sont développés ou sont exploités en tant que
moyen d’aborder le problème que pose le pénis redouté du père.
Cependant, Karen Horney pense qu’avant que cela ne se produise le
garçon a déjà réagi au refus que sa mère oppose à ses désirs et,
comme nous l’avons décrit plus haut, éprouve une honte et un
profond sentiment d’insuffisance. À en croire cet auteur, le résultat
en est que le garçon ne peut plus exprimer librement ses désirs
féminins. Il y a là une lacune dans la thèse de l’auteur. Tout d’abord,
on nous demande d’admettre que le garçon identifie immédiatement
son insuffisance phallique et la féminité, mais sans nous expliquer
comment s’établit une telle équation. Quoi qu’il en soit, il est
maintenant honteux des désirs féminins qu’il avait éprouvés et
redoute qu’ils ne viennent à être gratifiés, car cela entraînerait sa
castration par le père. Ceci en fait est la cause essentielle de ses
angoisses de castration. Ici semble exister une autre grave lacune :
de quelle façon le père fait-il brusquement son apparition sur la
scène ? Le point essentiel de la discussion, et là je me sépare
entièrement de l’opinion du Dr Horney, semble être que le sentiment
d’échec du garçon, dû au refus de la mère, l’oblige à abandonner ses

334
La régression du patient et l’analyste

désirs masculins au profit des désirs féminins ; ses désirs féminins


s’adressent alors à son père mais il redoute de les voir gratifiés car
cela entraînerait à admettre implicitement son infériorité masculine
(et aussi l’équivalent d’une castration). Ceci nous rappelle les
premières théories d’Adler sur la protestation masculine. Ma propre
expérience, au contraire, me permet d’aboutir à la conclusion que
c’est le complexe d’Œdipe lui-même qui constitue le pivot de
l’évolution dans la rivalité redoutée avec le père. C’est pour faire
face à cette situation que le garçon se replie sur une attitude
féminine avec ce qu’elle comporte de risques de castration. Alors que
le Dr Horney considère cette attitude féminine comme une attitude
primaire que le garçon refoule à cause de la peur du ridicule à
laquelle l’expose son infériorité masculine (cette peur étant l’agent
dynamique actif), je pense plutôt que le sentiment d’infériorité et la
honte qui l’accompagne sont tous deux secondaires à l’attitude
féminine et à son motif. On retrouve toutes ces idées de façon
particulièrement nette chez les hommes qui souffrent d’un complexe
« d’avoir un petit pénis » (small penis complex) qui s’accompagne
souvent d’impuissance. Ce sont ces cas qui nous permettent d’avoir
un aperçu particulièrement lucide de la genèse de ce processus.
Dans un tel cas, ce dont un homme a vraiment honte ce n’est pas
d’avoir un « petit » pénis, mais des raisons pour lesquelles son pénis
est « petit ».

Par ailleurs, je suis tout à fait d’accord avec Karen Horney et


d’autres auteurs, notamment Mélanie Klein91, sur le fait que les
réactions du garçon devant la situation cruciale du complexe
d’Œdipe sont influencées dans une large mesure par ses premières
relations avec sa mère. Mais il s’agit de quelque chose de bien plus
compliqué qu’une blessure d’amour-propre : des facteurs bien plus
redoutables sont en jeu. Mélanie Klein met l’accent sur la peur des

91 Mélanie Klein, Early Stages of the Œdipus Conflict, International Journal of


Psychoanalysis, IX, 1928, p. 167 [Cf. Contributions to Psycho-Analysis,
Hogarth Press, London, p. 202-214.

335
La régression du patient et l’analyste

représailles maternelles que l’enfant redoute à cause de ses pulsions


sadiques contre le corps de la mère ; et ceci indépendamment de
toute notion concernant le père ou son pénis, bien que l’auteur soit
d’accord pour considérer que ces derniers facteurs pourraient se
surajouter au sadisme de l’enfant et rendre le tableau plus complexe.
Cependant, comme elle l’a montré à plusieurs reprises 92, ces pulsions
sadiques ont elles-mêmes une histoire compliquée. Pour évaluer la
nature des forces dont il s’agit, il faut commencer par envisager le
niveau alimentaire. Des privations – et peut-être surtout des
privations orales – jouent sans aucun doute un rôle de premier plan
en rendant plus difficile le maniement des relations avec les parents
sur le plan génital ; mais nous aimerions en connaître exactement les
raisons. Je pourrais rapporter un certain nombre de cas où des
hommes avaient échoué dans leur évolution vers la masculinité (que
ce fut à l’égard d’autres hommes ou de femmes) et dont l’échec doit
être étroitement relié à leur attitude : le besoin d’obtenir d’abord
quelque chose de la part de la femme, quelque chose que de toute
évidence ils ne pourraient jamais acquérir réellement. On peut se
demander pourquoi le fait qu’un garçon ait eu quelques difficultés
d’accéder au mamelon lui donnerait le sentiment d’une possession
imparfaite de son propre pénis ? Je suis convaincu que ces deux faits
sont intimement liés, encore que la relation logique n’en soit pas
évidente.

Je ne sais pas dans quelle mesure un garçon, au cours de sa


première année, est convaincu que sa mère possède des organes
génitaux identiques aux siens, en se basant sur une identification
naturelle, mais j’ai l’impression que de telles idées ne l’intéressent
sérieusement qu’à partir du moment où elles se trouvent impliquées
dans d’autres associations. La première de celles-ci est sans doute
l’équivalence symbolique qui s’établit entre le mamelon et le pénis.
Dans ces circonstances, le pénis maternel représente surtout un
92 Cf. les nombreuses publications parues dans le International Journal of
Psychoanalysis.

336
La régression du patient et l’analyste

mamelon plus satisfaisant et plus nourrissant ; sa taille suffirait à lui


assurer un avantage évident. On aimerait savoir comment un organe
bilatéral, les seins, se trouve changé en un organe médian, le pénis.
Quand cela se produit, est-ce à dire que chez le garçon, à travers son
expérience ou ses phantasmes de la scène primitive, l’idée du pénis
paternel a déjà traversé l’esprit ? Ou serait-ce possible que même
plus tôt, les expériences masturbatoires précoces – si souvent
associées aux expériences orales – s’accompagnant d’une attitude
orale si fréquemment exprimée à l’égard de son pénis, suffisent à
établir une telle identification ? Je pencherais pour cette dernière
hypothèse, mais il est difficile d’apporter en sa faveur des preuves
univoques. Quoi qu’il en soit de l’une ou l’autre de ces hypothèses, il
est certain cependant que l’attitude à l’égard de ce pénis mythique
maternel est ambivalente dès le début. D’une part il existe une
conception d’un organe visible et donc accessible, bienveillant et
nourrissant, un organe qui peut être pris et tété. Mais d’autre part le
sadisme, stimulé par la frustration orale – le facteur qui est à la base
même de ce concept – doit créer, par projection, l’idée d’un organe
sinistre, hostile et dangereux, qui devrait être détruit par la
déglutition afin que le jeune garçon puisse se sentir en sécurité.
Cette ambivalence, qui s’installe à l’égard du mamelon (et du
mamelon-pénis) maternel, se trouve considérablement accrue
lorsque le pénis du père se trouve impliqué dans cette série
associative. Et ceci, j’en suis convaincu, très précocement,
certainement dès la deuxième année. Ceci peut être tout à fait
indépendant de toute expérience réelle, indépendant même de
l’existence du père et provient surtout de l’apparition des sensations
libidinales que le garçon éprouve au niveau de son propre pénis, et
s’accompagnant inévitablement de pulsions de pénétration. L’attitude
ambivalente se trouve renforcée des deux côtés. D’une part la
tendance à imiter le père se trouve liée à l’idée d’un père dont il
pourrait acquérir la force, surtout par voie orale ; d’autre part nous

337
La régression du patient et l’analyste

retrouvons la rivalité et l’hostilité œdipienne, avec lesquelles il se


trouve confronté au départ en termes d’une destruction orale.

Toutes ces données concernant le niveau oral permettent d’éclaircir


quelque peu l’énigme mentionnée plus haut. À savoir pourquoi tant
d’hommes se sentent incapables d’introduire quelque chose dans la
femme, à moins d’en avoir auparavant retiré quelque chose ;
pourquoi ils sont incapables de pénétrer ou – pour parler de façon
plus générale -— pourquoi ils sont obligés de passer par un stade
« féminin » satisfaisant avant de pouvoir se sentir à l’aise dans un
stade masculin. J’ai déjà attiré l’attention sur le fait que la solution
de ce problème doit se trouver dans les désirs féminins du garçon.
Le premier indice en est que le stade féminin est un stade
alimentaire, avant tout oral. La satisfaction des désirs de ce stade
doit précéder toute possibilité de développement masculin ; un échec
à ce stade entraîne une fixation orale ou anale sur la femme, une
fixation qui prend initialement son origine dans l’angoisse, mais qui
peut se trouver par la suite très érotisée sous la forme de
perversions.

Je dois essayer de poursuivre la solution de l’énigme, et dans un


souci de simplification je vais envisager séparément les difficultés
respectives du garçon avec le père et avec la mère. Mais je dois
souligner dès l’abord qu’il s’agit d’une distinction artificielle.
Lorsque nous envisageons le couple parental sous l’aspect de deux
personnes distinctes, nettement séparées l’une de l’autre, nous
faisons plus que le jeune enfant n’est capable de faire, et quelque
chose dont l’enfant ne tient pas compte dans ses phantasmes les plus
secrets. Nous dissocions de façon artificielle un concept (le « concept
du parent uni » comme Mélanie Klein l’a si justement nommé)93 dont
les éléments restent encore si étroitement intriqués pour le jeune
enfant. Les découvertes de la psychanalyse de l’enfant nous
permettent d’attribuer une importance toujours croissante aux

93 The « combined parent concept ».

338
La régression du patient et l’analyste

fantasmes et aux émotions qui se rattachent à ce concept ; et je suis


tenté de dire que l’expression de « phase pré-œdipienne », utilisée
récemment par Freud et par d’autres auteurs doit correspondre, au
sens large, à la phase dominée par le concept du « parent uni ».

Quoi qu’il en soit, envisageons d’abord isolément la relation à la


mère. Sans tenir compte du pénis du père, nous nous demandons
comment le fait, pour le garçon, de s’approprier quelque chose
appartenant à la mère est lié au sentiment de pouvoir disposer en
sécurité de l’usage de son propre pénis. Je pense que cette relation
entre l’oral et le phallique s’explique par le sadisme commun aux
deux. La frustration orale suscite le sadisme, et le pénis pénétrant
est employé dans le phantasme comme une arme sadique destinée à
atteindre les buts oraux désirés, pour s’ouvrir un chemin vers le lait,
les fèces, le mamelon, les enfants, etc., tous les objets que le
nourrisson voudrait avaler. Les malades, auxquels j’avais fait allusion
plus haut, pour autant qu’ils étaient fixés aux femmes oralement et
de manière perverse, se présentaient tous comme extrêmement
sadiques. L’équation dent = pénis est suffisamment connue, et doit
prendre naissance au cours de ce stade pré-génital sadique du
développement. Le pénis sadique est aussi étroitement lié au
domaine anal, comme en témoigne le phantasme d’aller chercher
l’enfant dans les intestins à l’aide du pénis. Ainsi le pénis vient à être
associé à une attitude d’appropriation, et frustrer cette dernière
équivaut à entraver l’usage du pénis ; ne pas être pas capable de se
procurer du lait, par exemple, devient équivalent à ne pas pouvoir
faire usage du pénis. Cette frustration peut entraîner la crainte des
représailles de la mère qui pourrait détériorer les armes elles-
mêmes. Dans certains cas, j’ai vu ceci devenir l’équivalent des
frustrations les plus précoces. Une mère qui refuse de donner le sein
devient une mère accapareuse de mamelon ou de pénis, qui
garderait sûrement et pour toujours tout pénis qui viendrait à sa
portée ; dans de tels cas, le sadisme du garçon se manifesterait –

339
La régression du patient et l’analyste

dans une sorte de bluff redoublé – par une ligne de conduite sadique
qui refuserait à la femme justement ce qu’elle pourrait désirer, en
étant impuissant, par exemple.

Encore que ce conflit avec la mère soit sans aucun doute à la base de
difficultés ultérieures, il me semble d’après mon expérience qu’il faut
attribuer une importance plus grande encore au conflit avec le père,
en ce qui concerne la genèse de la peur de castration. Je dois de
signaler cependant qu’il existe à cela une restriction importante.
Dans l’imagination du garçon l’organe génital de la mère est si
longtemps inséparable de l’idée que le pénis du père s’y trouve
« domicilié », que l’on se placerait dans une perspective tout à fait
fausse si l’on ne se préoccupait que des relations du garçon avec le
père réel « externe ». C’est en cela que consiste peut-être la
véritable différence entre le stade pré-œdipien de Freud et le
complexe d’Œdipe à proprement parler. Ce pénis caché, vivant dans
l’organe génital de la mère rend compte pour une grande part des
difficultés : ce pénis qui a pénétré dans le corps de la mère ou qui a
été avalé par elle – ce dragon ou ces dragons qui hantent les régions
cloacales. Certains garçons essayent d’affronter le problème par une
approche directement phallique, en se servant dans leurs
phantasmes pour faire pénétrer le pénis dans le vagin et y détruire,
en l’écrasant, le pénis du père ; ou encore, comme il m’a été donné
de voir à plusieurs reprises ; prolonger ce phantasme jusqu’à
pénétrer dans le corps même du père, c’est-à-dire en le sodomisant.
Ceci permet de constater une fois de plus à quel point les images
paternelles et maternelles sont interchangeables : le garçon peut
téter ou pénétrer indifféremment l’un ou l’autre. Mais ce qui nous
intéresse ici plus spécifiquement c’est la tendance du garçon à
affronter le pénis du père sur un mode féminin. Il serait plus juste de
parler d’un « mode apparemment féminin », car un mode féminin
authentique serait bien plus positif. Je parle essentiellement de
« mode sadique-oral et sadique-anal » et je pense que c’est la

340
La régression du patient et l’analyste

destruction qui règne à ce niveau qui nous apporte la clé des


diverses attitudes apparemment féminines ; les agents de cette
destruction sont la bouche et l’anus, les dents, les matières fécales et
– au niveau phallique – l’urine.

J’ai retrouvé chez l’homme, maintes et maintes fois, cette tendance


hostile et destructrice dissimulée derrière, non seulement les simples
attitudes évidentes d’ambivalence à l’égard de toute féminité, mais
aussi derrière le désir affectueux de plaire. Une soumission
apparemment complaisante est somme toute le meilleur masque
qu’on puisse imaginer pour dissimuler les intentions hostiles. Le but
dernier de presque toute cette féminité est de maîtriser d’abord, puis
de détruire l’objet redouté. Tant que ceci n’est pas accompli, le
garçon ne se sent pas en sécurité ; il ne peut s’approcher des
femmes, encore moins les pénétrer. Il projette aussi son attitude
destructrice orale et anale liée au pénis paternel, sur la cavité qui est
censée le contenir. Une telle projection est facilitée du fait de son
association aux pulsions sadiques plus précoces, orales et anales,
dirigées contre le corps de la mère et avec les représailles qu’elles
entraînent. Détruire le pénis paternel signifie en outre priver la mère
de son bien, du pénis qu’elle aime. Pénétrer dans cette cavité serait
donc aussi destructif pour son propre pénis, que le serait pour le
pénis paternel la pénétration dans sa bouche. Nous en arrivons ainsi
à une formule simple pour traduire le complexe d’Œdipe : mes désirs
(dits féminins – c’est-à-dire destructifs oraux) vis-à-vis du pénis de
mon père sont tellement intenses, que si je pénétrais dans le vagin
de ma mère tout en les portant dans mon cœur, je subirais un destin
identique – c’est-à-dire, si j’avais des rapports sexuels avec ma mère,
mon père me castrerai. La pénétration se trouve ainsi devenir
équivalente de la destruction, ou – pour faire appel à une formulation
plus habituelle que nous avons employée plus haut – la copulation
devient l’équivalent de la castration. Mais – et ceci est le point

341
La régression du patient et l’analyste

capital – ce qui est en jeu n’est pas la castration de la mère, mais


celle du jeune garçon ou encore de son père.

Après avoir passé en revue les diverses sources de l’angoisse de


castration et le problème de la féminité chez l’homme, nous allons
revenir maintenant à la question originelle de savoir pourquoi le
garçon dans la phase phallique éprouve le besoin de s’imaginer que
sa mère possède vraiment un pénis ; et j’aimerais y rattacher l’autre
question, rarement posée, de savoir à qui ce pénis appartient en
réalité. On en trouve la réponse dans ce qui précède et pour éviter
de me répéter, je l’exprimerai simplement sous la forme d’un
énoncé : La présence d’un pénis visible chez la mère signifierait à la
fois une réassurance concernant les besoins oraux précoces et la
négation du besoin de recourir à un sadisme dangereux pour faire
face à la privation ; mais surtout elle affirmerait qu’aucune
castration n’avait eu lieu, et que ni lui, ni son père ne s’en trouvent
menacés. Une telle conclusion répond aussi à la question de savoir à
qui appartient le pénis que doit détenir la mère 94. Ce pénis
n’appartient en propre à la mère que pour une part minime, celle qui
dérive des besoins oraux les plus précoces du garçon. Pour sa part
majeure, il s’agit du pénis paternel ; encore que dans un certain sens
on puisse aussi le considérer comme appartenant au petit garçon,
pour autant que son destin se trouve à lui lié par le danger commun
de la castration, tant du père que de lui-même.

Il nous faut maintenant donner la raison pour laquelle le fait


d’apercevoir les organes génitaux de la femme signale le passage de
la phase proto-phallique à la phase deutéro-phallique. Tout comme
les expériences vécues de la puberté cette expérience fait passer
dans la réalité95 ce qui avait jusqu’alors appartenu exclusivement à la
vie fantasmatique : elle présentifie la peur de la castration. Et ceci

94 Mélanie Klein, in La psychanalyse des enfants, répond catégoriquement à


cette question. « La femme au pénis » signifie, je pourrais dire toujours, la
femme qui détient le pénis du père.
95 lt makes manifest.

342
La régression du patient et l’analyste

non pas en suggérant l’idée d’une castration de la mère par le père


(ceci n’étant qu’un masque rationalisant au niveau de la conscience)
mais en soulevant la possibilité qu’un désir dangereux et refoulé
pourrait trouver sa gratification dans la réalité : à savoir le désir
d’avoir des rapports sexuels avec la mère et de détruire le pénis
paternel. En dépit des opinions contraires, le complexe d’Œdipe
fournit la clé au problème de la phase phallique, comme il le fait
pour tant d’autres.

Nous sommes très loin de la conception où le jeune garçon, ignorant


la différence entre les sexes, est horrifié à la découverte qu’un
homme a créé de force cette différence en castrant son compagnon
et en le transformant ainsi en femme, créature castrée. Même en
dehors de ce que nous apporte l’analyse directe au cours des
premières années de l’enfant, il est difficile de soutenir du point de
vue logique la proposition que le garçon ne possède aucune intuition
de la différence des sexes. Nous avons vu que la phase (deutéro-)
phallique dépend de l’angoisse de castration, et que ceci implique à
son tour le danger de la pénétration ; ceci suffirait pour conclure que
l’intuition d’une cavité pénétrable est une supposition sous-jacente
survenant précocement dans tout ce processus complexe. Lorsque
Freud nous dit que le jeune garçon renonce à ses désirs incestueux à
l’égard de sa mère afin de sauvegarder son pénis, ceci implique que
le pénis était le porteur coupable de ces désirs (au cours de la phase
proto-phallique). Et qu’auraient pu être ces désirs du pénis qui
mettraient son existence en danger, sinon de remplir la fonction
naturelle du pénis, c’est-à-dire la pénétration ? Une telle conclusion
est amplement confirmée par la recherche.

Il est maintenant possible de résumer les conclusions auxquelles


nous avons abouti, et dont voici la principale : c’est que le stade
phallique typique du garçon constitue un compromis névrotique
plutôt que révolution naturelle du développement sexuel. Sans doute
y a-t-il des variations dans son intensité, probablement en relation

343
La régression du patient et l’analyste

avec l’intensité de ses peurs de castration, mais on peut seulement


l’appeler inévitable que pour autant que la peur de la castration –
c’est-à-dire la névrose infantile – l’est elle-même ; seule notre
expérience plus poussée de la psychanalyse de l’enfant nous
apprendra dans quelle mesure cette peur de la castration est
inévitable. De toute façon, ce n’est pas le simple besoin de renoncer
aux désirs incestueux qui la rend inévitable ; la phase phallique n’est
pas engendrée par la situation extérieure, mais par des
complications – peut-être évitables – du développement interne du
jeune garçon.

Pour éviter les dangers imaginaires delà situation œdipienne,


dangers qu’il crée lui-même, le jeune garçon au cours de la phase
phallique abandonne l’attitude masculine de pénétration, en même
temps que tout intérêt qu’il porte aux contenus du corps de sa mère
et en vient à fortifier sa croyance en l’existence de son propre pénis,
ainsi que du pénis externe « maternel ». Ceci équivaut à cc que
Freud a appelé le déclin du complexe d’Œdipe96, la renonciation de la
mère à sauver le pénis, mais ceci ne représente pas un stade direct
de l’évolution ; au contraire, le jeune garçon doit ultérieurement
revenir sur ses pas pour être capable d’évoluer ; il doit réclamer à
nouveau ce à quoi il avait renoncé : sa pulsion masculine d’atteindre
le vagin. De la position provisoire d’une phase deutéro-phallique
névrotique il doit revenir à une phase protophallique normale,
originelle ; ainsi la phase phallique typique – c’est-à-dire la phase
deutéro-phallique – représente pour moi un obstacle névrotique au
développement plutôt qu’un stade naturel au cours de ce dernier97.

Si nous envisageons le même problème chez la fille nous remarquons


dès le départ que la distinction établie entre la phase proto – et
deutéro-phallique est encore plus marquée chez la fille que chez le
garçon. À tel point que lorsque j’écrivis que la phase phallique de la
fille représentait une solution secondaire du conflit, je désignai sous
96 En angl. passing of the œdipus complex, traduction de l’Untergang des
Odipuskomplex.

344
La régression du patient et l’analyste

le nom de phase phallique ce qui ne représente – ainsi que je le sais


aujourd’hui – que la seconde partie de cette phase : le Pr Freud avait
relevé cette erreur dans une lettre récente qu’il m’adressa. À ce
propos sa critique de ma conception était due en partie à ce même
malentendu, puisqu’il croyait que je me référais à la phase toute
entière98. Cependant il faut remarquer que dans son article Freud ne
donna pas une description globale de la phase phallique de la fille,
qu’il considérait comme mal élucidée ; la définition qu’il en donna
(une phase où la différence entre les sexes est pensée en termes de
présence et d’absence du pénis, d’êtres phalliques et d’êtres castrés)
ne s’applique en toute rigueur qu’à la phase deutéro-phallique car on
présuppose que le pénis demeure ignoré durant la première phase.

97 Il paraît intéressant de noter dans quelle mesure les conclusions auxquelles


nous aboutissons concordent ou s’écartent de celles de deux auteurs, Freud
et Karen Horney, avec lesquelles nous eûmes le plus souvent l’occasion de les
confronter. Sur le point fondamental que le passage de la phase proto-
phallique à la phase deutéro-phallique est dû à la peur de la castration par le
père, et ceci en tant que conséquence de la situation œdipienne, nous nous
trouvons d’accord avec Freud. Par contre Freud, je suppose, dirait aussi que
les désirs féminins que l’on trouve derrière une grande partie de la peur de
castration naissent en tant que moyen de s’en arranger avec le père aimé et
redouté. Freud insisterait probablement sur l’idée d’une conciliation
libidinale, alors que j’ai souligné le côté hostile et destructif des pulsions qui
se dissimulent derrière l’attitude féminine. D’autre part je ne peux pas
souscrire à l’opinion d’une ignorance sexuelle sur laquelle Freud insiste
constamment ; encore que dans un passage sur les scènes primitives et les
phantasmes primitifs (Ges. Sch.t Bd XI, p. 11) il semble avoir laissé cette
question ouverte. Quant à moi, je considère que l’idée de la mère castrée
correspond essentiellement à l’idée d’une mère dont le mari a été castré. Je
ne pense pas non plus que la phase deutéro-phallique représente un stade
normal du développement.
Par contre, je me trouve en accord avec Karen Horney lorsqu’elle professe un
scepticisme concernant l’ignorance sexuelle, avec ses doutes concernant la
« normalité de la phase deutéro-phallique » et avec son opinion que les
réactions du jeune garçon devant la situation œdipienne, sont grandement
influencées par ses relations antérieures avec sa mère.

345
La régression du patient et l’analyste

La différence entre les deux parties de ce stade est, pour Freud,


identique à celle que nous avons déjà décrite pour le garçon. Freud
soutient qu’une suprématie du clitoris s’installe à un certain âge,
lorsque la fillette ignore encore la différence entre le clitoris et le
pénis et se trouve ainsi dans un état de parfaite félicité ; j’appelle, en
attendant, cette phase la phase proto-phallique de la fille, qui
correspond à cette même phase chez le garçon, la phase où on
suppose que la différence des sexes est ignorée. Au cours de la phase
deutéro-phallique, que j’avais cru pouvoir désigner comme une
réaction de défense secondaire, la fillette s’aperçoit de la différence
des sexes et, comme le garçon, peut soit l’admettre à contre-cœur (et
dans ce cas avec quelque ressentiment), soit essayer de la nier.
Cependant cette dénégation implique, contrairement à ce qui se
passe chez le garçon, une véritable connaissance de cette
différence ; car la fillette ne s’accroche pas à sa croyance que les
deux sexes possèdent un clitoris satisfaisant mais désire avoir un
autre organe sexuel que celui qu’elle possédait jusqu’à maintenant ;
à savoir, un vrai pénis. Dans le cas des femmes homosexuelles, qui
montrent implicitement par leur comportement et explicitement dans
leurs rêves qu’elles croient vraiment posséder un pénis, ce désir peut
se poursuivre jusqu’à sa réalisation imaginaire ; cependant, au cours
de la phase deutéro-phallique même chez la fillette la plus normale,
on voit alterner la croyance de posséder effectivement un pénis avec
le désir d’en avoir un.

Comme chez le garçon, les deux parties de la phase sont séparées


par l’idée de la castration, l’idée que les femmes ne sont rien d’autre
Mais je pense qu’elle se trompe dans la manière dont elle cherche à relier entre
eux ces deux derniers phénomènes et je considère que la peur manifestée par
le jeune garçon devant ses désirs féminins – que nous semblons tous détecter
derrière la peur de castration – provient non pas comme une manifestation de
honte devant son infériorité masculine effective dans sa relation avec sa
mère, mais qu’elle naît des dangers présentés par son sadisme alimentaire
lorsque celui-ci devient opérant dans la situation œdipienne.
98 Freud, Female Sexuality, op. cit., p. 297. [G.W., XIV, 537.]

346
La régression du patient et l’analyste

que des êtres castrés, puisqu’il n’existe pas de véritable organe


sexuel féminin. Le désir du garçon au cours de la phase deutéro-
phallique est de rétablir le sentiment de sécurité de la phase proto-
phallique qui a été troublé par la soi-disant découverte de la
castration ; son désir étant de revenir à l’identité originelle des
sexes. Le désir de la fille au stade deutéro-phallique viserait de
même à rétablir le stade de la quiétude proto-phallique, et d’en
exagérer même le caractère phallique et de retrouver ainsi l’identité
originelle des deux sexes. Je pense que ceci représente une
formulation plus explicite de la conception de Freud.

On voit se dessiner ainsi deux conceptions distinctes concernant le


développement sexuel féminin : afin d’en rendre l’opposition plus
évidente je vais l’exagérer dans les formulations très simplifiées
suivantes. L’une prétend que la sexualité de la petite fille est
essentiellement masculine au départ (du moins dès le sevrage) et
qu’elle est forcée à s’engager dans la voie de la féminité par l’échec
que subit l’attitude masculine (sa déception par le clitoris). L’autre
théorie postule que la fille est essentiellement féminine au départ, et
qu’elle est contrainte à adopter la masculinité phallique – de façon
plus ou moins provisoire – par l’échec de l’attitude féminine.

Ceci, de toute évidence, constitue une formulation imparfaite et qui


ne rend justice à aucune des deux théories, mais nous permet
d’orienter le débat. Je désignerai les deux conceptions
respectivement par A et B et j’y apporterai quelques modifications
évidentes qui permettront d’en préciser le sens et aussi de réduire
quelque peu une opposition trop grossière. Les partisans de la
théorie A seraient d’accord pour admettre l’existence d’une
bisexualité précoce tout en maintenant que l’attitude masculine
(clitoridienne) prédomine ; ils seraient d’accord aussi sur les facteurs
dits régressifs (angoisse) au cours de la phase deutéro-phallique,
bien qu’ils leur attribuent moins d’importance qu’aux pulsions
libidinales pour étayer la masculinité originelle. Les partisans de la

347
La régression du patient et l’analyste

théorie B, de leur côté, admettraient aussi une bisexualité précoce,


une masculinité clitoridienne précoce qui viendrait se surajouter à
une féminité plus marquée ; ou – en termes plus prudents pour éviter
toute pétition de principe – la coexistence des buts actifs et passifs
qui auraient une tendance à se trouver associés à tel ou tel domaine
génital particulier. Ils seraient d’accord aussi sur le peu d’amour
apparent à l’égard du père, considéré avant tout comme un rival, au
cours des stades précoces de la fixation maternelle ; et ils
reconnaîtraient, qu’au cours de la phase deutéro-phallique, l’envie
du pénis directe, auto-érotique et donc libidinale, joue un rôle
important concurremment avec les facteurs anxiogènes pour obliger
la fille de passer de la féminité à la masculinité phallique. D’autre
part, tout le monde tomberait d’accord sur le fait que la vue d’un
pénis aurait une influence déterminante sur le passage de la phase
proto-phallique à la phase deutéro-phallique, bien qu’il y ait des
divergences sur les raisons de ce phénomène. Enfin, si les partisans
des deux théories admettent qu’au cours de la phase deutéro-
phallique la petite fille désire un pénis99 et accuse sa mère d’être la
cause de ce manque, ils seraient plus réticents quant à dire de quel
pénis il s’agit (appartenant à qui ?) et pourquoi elle le désire.

Néanmoins, malgré ces modifications, une divergence de vues


persiste concernant les deux parties de la phase phallique, et il ne
s’agit pas d’une simple nuance. En essayant de résoudre les

99 À ce propos j’aimerais insister ici sur la regrettable ambiguïté d’expressions


telles que « désirer un pénis » (to desire a penis), le « désir du pénis » the
wish for a penis). En fait il est possible de retrouver à ces expressions, pour
autant qu’elles se rapportent à la sexualité féminine, trois sens distincts : 1)
Le désir d’acquérir un pénis, généralement en l’avalant et de le garder à
l’intérieur du corps, où il se transforme souvent en un enfant ; 2) Le désir de
posséder un pénis dans la région clitoridicnne : et dans ce but le pénis peut
être acquis de plusieurs façons ; 3) Le désir adulte d’être satisfait par le
pénis au cours du coït.
Je vais essayer d’expliciter le sens dans lequel j’emploie cette expression,
chaque fois qu’il en sera question.

348
La régression du patient et l’analyste

problèmes analogues qui se posaient à nous à propos du


développement sexuel de l’homme, il parut utile de porter l’accent
sur la corrélation entre les problèmes posés par l’angoisse de
castration et la terreur de la vulve. J’aimerais insister ici sur une
autre corrélation : le désir de la fille d’avoir un pénis et sa haine pour
la mère, car je suis certain que d’expliquer un de ces problèmes
serait du même coup expliquer l’autre. Je peux dès maintenant faire
remarquer que dans ma conclusion il sera possible de combiner en
une seule formule l’équation masculine et l’équation féminine.

Je vais essayer d’élucider l’opposition des théories que je viens


d’exposer, en m’aidant de deux indices, tous deux fournis par Freud.
Le premier se trouve dans un passage 100 où il dit que l’attachement
le plus précoce de la fille à sa mère « m’a semblé, au cours des
analyses, être tellement insaisissable, perdu dans un passé si
estompé et si vague (schattenhaft), si difficile à revivre comme si ceci
avait été soumis à quelque refoulement particulièrement
inexorable ». Nous serons tous d’accord lorsqu’il nous dit que la
solution dernière de tous ces problèmes se trouve dans une analyse
plus poussée de la période de l’attachement le plus précoce de la fille
à la mère ; il est plus que probable que toutes les divergences
théoriques concernant les stades ultérieurs du développement sont
surtout – et peut-être exclusivement – dues aux différences d’opinion
à propos de ce stade précoce.

Nous allons en donner un exemple. Freud, dans la critique qu’il


adresse à Karen Horney101, lui fait dire que la fille, dans sa crainte de
s’engager dans la féminité, régresse au stade deutéro-pballique. Il ne
doute pas un seul instant que le stade précoce (clitoridien) ne peut
être que phallique. Mais c’est là justement un des points contestés :
quiconque adopterait le point de vue opposé verrait dans le
processus qu’on vient de décrire, non pas une régression, mais une
néo-formation névrotique. Et c’est sûrement une question à débattre.
100Freud (S.), Female Sexuality, op. cit., p. 282. [G.W., XIV, p. 519.]
101Freud (S.), Female Sexuality, op. cit., p. 296. [G.W., XIV, 537.]

349
La régression du patient et l’analyste

Nous ne devrions pas tenir pour acquis que l’usage fait du clitoris est
absolument identique du point de vue psychologique à l’usage du
pénis, en nous basant simplement sur le fait de leur homologie
physiogénétique. Le simple fait de l’accessibilité de l’un et de l’autre
peut aussi jouer un rôle. Du point de vue clinique, la relation qui
existe entre la masturbation clitoridienne et l’attitude masculine est
très loin d’être invariable. D’une part, j’ai pu observer un cas où une
malformation congénitale empêchait la fonction clitoridienne, mais
dans lequel la masturbation vulvaire était typiquement masculine
(decubitus ventral, etc.). Mais d’autre part on rencontre couramment
des cas où la masturbation clitoridienne de l’adulte est accompagnée
par des fantasmes hétérosexuels féminins des plus explicites, et
Mélanie Klein affirme qu’une telle association est caractéristique de
la toute première enfance102. Dans mon rapport au Congrès
d’Innsbruck, j’avais exprimé l’opinion que l’excitation vaginale joue
dans la première enfance un rôle plus important qu’on ne lui accorde
habituellement (m’opposant ainsi à l’avis exprimé par Freud 103, qui
ne lui fait jouer de rôle qu’à partir de la puberté) ; cette idée avait
déjà été exprimée par un certain nombre d’analystes femmes,
Mélanie Klein (1924)104, Josine Müller (1925)105 et Karen Horney
(1926)106. J’avais tiré mes propres conclusions à partir d’un matériel
clinique très proche de celui que cite Josine Müller, à savoir des
femmes qui présentaient des forts penchants masculins associés à
une anesthésie vaginale. Ce qui importe dans cette fonction vaginale

102Mélanie Klein, The Psycho-Analysis of Children, op. cit., p. 288.


103Freud (S.), Female Sexuality, op. cit., p. 283. [G.W., XIV, 520.]
104Mélanie Klein, From the Analysis of an Obsessional Neurosis in a six-year-
old Child ; Première Réunion Psychanalytique Allemande, Würzbourg, 11 oct.
1924. (Repris dans le chap. III de La Psychanalyse des Enfants, loc. cit.)
105Josine Müller, A contribution to the Problem of Libidinal Development in the
Génital Phase in Girls, Int. J. Psa., XIII, 361, 1932.
106Karen Horney, The Flight from Womanhood, Int. J. Psa., VII, 334, 1926.
L’auteur a repris et élargi ses vues sur cette question dans un article publié
dans le Int. J. Psa., XIV, 57.

350
La régression du patient et l’analyste

précoce, si profondément refoulée, est qu’elle s’accompagne d’une


quantité extraordinaire d’angoisse (bien supérieure à celle qui
accompagne les fonctions clitoridiennes) ; nous aurons l’occasion d’y
revenir. Les médecins considèrent souvent que la véritable
masturbation vaginale est plus fréquente que la masturbation
clitoridienne au cours des quatre ou cinq premières années de la vie,
alors qu’il n’en est certainement pas de même à la période de
latence ; ce qui pourrait nous faire penser qu’il s’agit du passage
d’une attitude féminine à des attitudes plus masculines. Mais en
dehors de l’activité vaginale en tant que telle, les analyses d’adultes
et d’enfants nous apportent des preuves abondantes en nous
montrant l’existence de fantasmes et de désirs féminins au cours de
la première enfance : des phantasmes qui concernent la bouche, la
vulve, l’utérus, l’anus et l’attitude de réceptivité du corps en général.
Pour toutes ces raisons, je pense qu’il faut garder en suspens le
problème de la soi-disant primauté clitoridienne, et donc de la
primauté masculine de la petite fille, jusqu’au moment où nous en
saurons davantage concernant la sexualité au cours de ce tout
premier stade.

Le problème de l’intensité et de la direction (du but) qui


caractérisent la phase deutéro-phallique nous confronte avec un
autre malentendu analogue au précédent et qui résulte de
préconceptions fondamentales différentes. Freud, qui défend la thèse
que l’intensité et la direction doivent s’expliquer par rapport à la
phase proto-phallique masculine et que le traumatisme dû à la vue
du pénis ne fait que les renforcer, critique Karen Horney qui croit
que seule la direction est donnée par la phase, proto-phallique, mais
que l’intensité dérive de facteurs plus tardifs (l’anxiété) 107. Pour
autant néanmoins que Karen Horney se range parmi les partisans de
la théorie B – et je ne saurais dire précisément jusqu’où va son
accord – elle devrait soutenir un point de vue contraire à celui qui lui
est attribué par Freud : elle devrait être d’accord avec lui que
107Freud, Female Sexuality, op. cit., p. 296. [G.W., XIV, 537.]

351
La régression du patient et l’analyste

l’intensité de la phase deutéro-phallique dérive de la phase


précédente (mais soumise au déplacement) et ne devrait s’écarter de
Freud qu’en ce qui concerne la direction de la phase : cette direction
ne découle pas de la phase précédente mais est déterminée par des
facteurs secondaires. Tout ceci est fonction de la conception qu’on a
de cette phase précédente, qu’on l’envisage comme étant de façon
prévalente soit masculine et auto-érotique, soit féminine et allo-
érotique.

Il semble que Freud108 considère le problème résolu par le simple fait


que beaucoup de petites filles ont un attachement durable et exclusif
à la mère. Il décrit un stade de développement pré-œdipien, où le
père joue un rôle réduit et de toute façon négatif (rivalité). Ces faits
d’observation ne peuvent être mis en doute ; je pourrais moi-même
citer un cas extrême où l’attachement exclusif à la mère se
prolongea jusqu’à la puberté, se trouvant alors remplacé par un
transfert tout aussi exclusif sur le père.

Mais ces faits ne permettent pas d’exclure l’existence d’un complexe


d’Œdipe positif dans l’imagination inconsciente de la fille : dans ce
cas, les faits nous permettent seulement d’affirmer que l’Œdipe n’a
pas encore appris à s’exprimer par rapport au père réel. Ma propre
expérience analytique, ainsi que celle de certains analystes d’enfants
comme Mélanie Klein, Melitta Schmideberg et Nina Searl, avec ce
genre de cas typiques, ont montré qu’à partir d’un âge très précoce
les filles ont d’une part des pulsions bien déterminées concernant un
pénis imaginaire, incorporé dans la mère mais provenant du père, et
d’autre part des fantasmes très élaborés concernant le coït parental.
J’aimerais rappeler ici que nous avons insisté plus haut sur le
« concept de parents unis », l’image des parents fusionnés dans le
coït.

Nous sommes ainsi amenés à envisager la deuxième des hypothèses


à laquelle je viens de me référer, à savoir, les théories de la petite

108Freud, Female Sexuality, op. citp. 296. [G.W., XIV, 537.]

352
La régression du patient et l’analyste

fille concernant le coït, qui jouent un rôle très important dans son
développement sexuel. Ces théories devraient nous être d’un grand
secours dans notre contexte puisque – comme Freud l’a depuis
longtemps montré – les théories sexuelles de l’enfant reflètent sa
constitution sexuelle personnelle. Il y a quelques années le Pr Freud
m’écrivait que, dans tout ce domaine ohscur qu’est le développement
sexuel de la femme, deux points lui paraissaient acquis ; un de ces
points étant que la première idée que la petite fille pouvait avoir
concernant le coït était qu’il s’agissait d’un coït oral, c’est-à-dire
d’une fellation109. Ici, comme souvent, Freud toucha du doigt un point
capital. Mais il est probable qu’il s’agit de quelque chose de plus
compliqué. Quoi qu’il en soit, cette formulation centrale entraîne
certains corollaires qui valent la peine d’être explorés. Tout d’abord,
il est peu probable qu’une conception exclusivement orale serait
élaborée, si les premières idées concernant le coït ne survenaient
que plusieurs années après les expériences orales du nourrisson ;
des analyses détaillées de cet âge précoce, surtout conduites par les
analystes d’enfants, ont confirmé ce qu’on avait prévu, à savoir que
les expériences vécues et les conceptions sont liées non seulement
du point de vue de leur genèse, mais aussi dans le temps. Mélanie
Klein110 attache une grande importance au fait que les désirs de
l’enfant se trouvent stimulés par les imperfections et les
insatisfactions inévitables de la période de l’allaitement, et elle voit
une relation étroite entre le sevrage d’une part, et d’autre part les
origines les plus profondes de l’hostilité à la mère, et l’idée vague
d’un objet qui ressemblerait à un pénis et qui constituerait une sorte
de mamelon plus satisfaisant. Les désirs concernant le mamelon sont
transférés sur l’idée du pénis et nous sommes habitués à considérer

109Je pourrai aussi citer l’autre point dont il se sentait certain, puisqu’une
formulation venant d’une telle source doit nous intéresser. C’était que la fille
renonce à la masturbation parce qu’elle tient le clitoris pour insatisfaisant
(par comparaison au pénis).
110Mélanie Klein, The Psychoanalysis of children, op. ci/., p. 326.

353
La régression du patient et l’analyste

ces deux objets comme étant facilement identifiables dans


l’imagination, mais il est difficile de dire à quel moment ce transfert
s’applique à la personne du père. Je pense qu’il est certain que
pendant un temps relativement long cela s’applique plus à la mère
qu’au père, c’est-à-dire que la fille recherche le pénis chez sa mère.
Vers la deuxième année, cette aspiration vague se précise et se
trouve liée à l’idée que le pénis maternel a été dérobé au père au
cours de l’acte de fellation imaginé par l’enfant.

Par la suite, l’idée de fellation ne peut certes pas se réduire à n’être


qu’une « tétée » dénuée de toute signification. L’enfant sait bien que
l’on tète pour obtenir quelque chose. Le lait (ou le sperme) et le
pénis (-mamelon) deviennent des choses à avaler ; l’équation
symbolique et les expériences alimentaires de l’enfant aboutissent à
l’idée des excréments et de l’enfant nouveau-né, pouvant être
également obtenus au moyen de cette tétée primitive. D’après
Freud111, l’amour et la sexualité de l’enfant sont essentiellement sans
but (ziellos) et pour cette même raison condamnés à décevoir
l’enfant. On peut aussi soutenir la proposition contraire en
considérant qu’il existe des buts précis dans l’inconscient et que la
déception est due au fait que ces buts ne sont pas atteints.

J’aimerais souligner qu’à mon avis il s’agit ici de désirs


essentiellement allo-érotiques. La petite fille n’a pas encore eu
l’occasion de voir se développer une envie auto-érotique à la vue du
pénis du garçon ; le désir de posséder elle-même un pénis vient plus
tard, pour des raisons que Karen Horney a si clairement exposées 112.
À un stade précoce, le désir d’incorporer le pénis par la bouche et de
le transformer en un bébé (fécal), malgré le fait qu’il se passe encore
à un niveau alimentaire, est néanmoins très proche de l’allo-érotisme
de la femme adulte. Freud affirme que lorsque la petite fille est

111Freud, Female Sexuality, op. cit., p. 286. [G.W., XIV, 524.]


112Horney, On the genesis of the Castration Complex in Women, Int. J. Psa., V,
pp. 52-54, 1924.

354
La régression du patient et l’analyste

déçue dans son désir de posséder un pénis 113, le désir d’avoir un


enfant s’y substitue. Je serai néanmoins d’accord avec Mélanie
Klein114 que l’équation pénis = enfant est plus naturelle et que le
désir de la petite fille d’avoir un enfant – comme le désir de la femme
normale – est un prolongement direct de son désir allo-érotique de
posséder un pénis ; elle aimerait avoir la satisfaction d’inclure le
pénis dans son corps et d’en faire un enfant, plutôt que d’avoir un
enfant parce qu’elle ne peut posséder elle-même un pénis.

La nature strictement libidinale de ces désirs se manifeste de


plusieurs façons, mais je me contenterai de n’en donner qu’un
exemple. L’introduction du mamelon dans la bouche est suivie du
plaisir érotique anal de la défécation, et tous les soins de propreté
sont souvent vécus par la petite fille comme une expérience sexuelle
avec la mère (ou la nourrice). Soulignons qu’à cette occasion la main
ou le doigt de la mère deviennent l’équivalent d’un pénis et
constituent l’acte de séduction qui mène à la masturbation.

Si la mère reçoit du père, tout ce que précisément la fille convoite, il


doit sûrement exister une situation de rivalité œdipienne normale
exactement proportionnelle à l’insatisfaction de la fille. L’hostilité
concomitante se situe dans le prolongement direct de celle que la
fille éprouvait à l’égard de sa mère au cours de la période
d’allaitement, et étant du même ordre cette hostilité renforce la
première. La mère possède quelque chose que la fille désire et
qu’elle ne veut pas lui donner. Dans ce quelque chose l’idée du pénis
paternel se précise de plus en plus, la mère tenant du père le pénis
et du même coup la possibilité d’en faire un enfant, après l’avoir
emporté sur la fille dans la rivalité qui les opposait. Ceci s’oppose à
l’affirmation massive de Freud115 que le concept du complexe
d’Œdipe ne peut s’appliquer en toute rigueur qu’aux enfants de sexe

113Freud, Some Psychological Consequences, etc., op. cit., p. 140. [G.W., XIV,
27.]
114Mélanie Klein, The Psychoanalysis of Children, op. cit., p. 309.
115S. Freud, Female Sexuality, op. cit., p. 284. [G.W., XIV, 521.]

355
La régression du patient et l’analyste

masculin et « ce n’est que dans le cas d’enfants de sexe mâle que se
rencontre la conjonction inévitable de l’amour pour l’un des parents
et de la haine de l’autre en tant que rival ». Nous sommes obligés
d’être sur ce point plus royaliste que le roi116.

Cependant l’interprétation de Freud du coït-fellation qui nous a servi


de point de départ, ne permet pas d’expliquer le fait d’observation
sur lequel il insiste, à savoir que la petite fille se sent la rivale de son
père. La conception fellative du coït ne semble être en fait qu’une
moitié de l’histoire. On retrouve aussi la notion complémentaire que
le père ne se borne pas à donner à la mère, mais qu’il en reçoit aussi
quelque chose ; bref qu’elle le nourrit au sein. Et c’est en ceci que la
rivalité directe avec le père atteint toute son intensité, puisque la
mère lui donne ce que justement la fille lui demande (le mamelon et
le lait), mais il faut mentionner aussi d’autres sources de la rivalité,
de la haine et de la rancune à l’égard du père. Lorsqu’une telle
conception mammalingus pourrait-on dire, est investie par le
sadisme, nous sommes confrontés avec l’idée féministe de l’homme
qui « profite » de la femme, l’épuise, la draine, l’exploite, etc.

La petite fille s’identifie sans aucun doute à ce double aspect, mais


par la nature même des choses ses désirs de recevoir sont plus
prononcés que ses désirs de donner ; à cet âge elle désire tant de
choses et elle a si peu à donner.

Qu’en est-il de l’activité phallique dirigée contre la mère dont parlent


Hélène Deutsch, Jeanne Lampl de Groot, Mélanie Klein et d’autres
analystes femmes ? N’oublions pas que c’est à un âge précoce que
l’enfant conçoit le pénis non seulement en tant qu’un instrument
d’amour, mais aussi en tant qu’arme de destruction. Dans sa fureur
sadique contre le corps maternel la petite fille, motivée surtout par
son incapacité à supporter la « frustration »117, se cramponne à
116En français dans le texte.
117Nous avons traduit le terme anglais thwarting par « frustration » (entre
guillemets), encore que le mot supporte aussi le sens de contrarier,
contrecarrer, barrer le chemin à, etc.

356
La régression du patient et l’analyste

toutes les armes dont elle dispose : la bouche, les mains, les pieds, et
dans ce contexte l’usage du pénis que la petite fille envie peut-être le
plus aux garçons est sa fonction sadique et la possibilité qu’il donne
de diriger le jet destructeur d’urine. Nous savons que la
« frustration » favorise l’installation du sadisme et à en juger tant
par les fantasmes que par le comportement on ne saurait surestimer
la quantité de sadisme qui existe chez le petit enfant. La loi du talion
entraîne une peur correspondante et ici encore il serait difficile de
surestimer l’intensité de cette peur chez l’enfant. Nous devons
considérer que le développement sexuel tant du garçon que de la
fille est influencé à tout moment par la nécessité de maîtriser cette
peur ; et je suis d’accord avec Mélanie Klein lorsqu’elle exprime son
scepticisme118 concernant la tentative entreprise par Freud 119 de
décrire le développement sexuel sans faire appel au Sur-Moi, c’est-à-
dire sans se référer aux facteurs de peur et de culpabilité.

Arrivé à ce point de mes réflexions, je suis forcé de me demander si


Freud n’attache pas trop d’importance à l’intérêt inquiet que porte la
fille à ses organes génitaux externes (clitoris-pénis) aux dépens des
peurs effroyables concernant l’intérieur de son corps. Je suis certain
que pour la fille l’intérieur de son corps constitue une source
d’anxiété bien plus intense et que bien souvent l’inquiétude qu’elle
affiche à propos des organes externes lui sert d’attitude défensive.
Mélanie Klein a pu montrer à quel point une telle conclusion
correspondait à la vérité, comme il apparaît grâce aux nombreux
détails qu’elle rapporte dans ses recherches minutieuses concernant
les premières années du développement de la femme 120. Josine
Müller a noté avec justesse121 que ce qui permet à la fille de déplacer
l’érogénéité des organes génitaux internes (lorsqu’ils se trouvent
menacés) aux organes génitaux externes est la disposition

118Mélanie Klein, The Psycho-Analysis of Children, op. cit., pp. 323


119S. Freud, Female Sexuality, op. Cit., p. 294. [G.W., XIV, 534.]
120Mélanie Klein, The Psycho-Analysis of Children, op. cit., pp. 269 et suiv.
121Josine Müller, op. ci/., p. 363.

357
La régression du patient et l’analyste

anatomique qui dote la fille de deux organes génitaux : un organe


interne, le vagin (et l’utérus) et un organe externe, le clitoris.

Mais après tout, la fille qui se sent coupable craint foncièrement –


même de façon consciente – qu’elle ne soit jamais capable de
procréer, c’est-à-dire que ses organes génitaux internes aient été
mutilés. Cela nous rappelle la triade des angoisses féminines dont
parle Hélène Deutsch : castration, défloration et accouchement –
encore qu’en ce qui concerne la première il serait nécessaire de bien
la définir – et aussi les craintes tout à fait caractéristiques de la
femme adulte à propos des « maladies internes » et plus
particulièrement du cancer de l’utérus122.

Cette peur précoce de la mère, tout comme la haine de la mère, est


transférée au père, et il est curieux de voir la crainte et la haine
focalisées sur l’idée du pénis lui-même. Tout comme le garçon qui
projette son sadisme sur les organes féminins, et qui exploite alors
ces organes devenus dangereux en tant que moyen de destruction
homosexuelle du père, la fille projette son sadisme sur l’organe
sexuel mâle et dans un but analogue. C’est une des choses les plus
étranges que de voir une femme qui s’est consacrée à une carrière
qui lui permet l’acquisition du pénis (de façon homosexuelle),
ressentir en même temps la peur, le dégoût et la haine à l’égard de
tout pénis réel. De tels cas permettent d’entrevoir la peur et
l’horreur inspirées par le pénis, la plus redoutable de toutes les
armes mortelles, et à quel point peut être terrifiante l’idée de
pénétrer à l’intérieur d’un corps123. Cette projection est si importante
que l’on doit se demander quelle part jouent les désirs sadiques de
trancher le pénis avec les dents (et de l’avaler) dans la genèse de
l’angoisse de la fille ; arracher le pénis à la mère, et plus tard au
père, entraîne la crainte que ce pénis dangereux, conçu

122Hélène Deutsch, The Significance of Masochism in the Mental Life of


Women, Int. J. Psycho-Anal., IX, 48, 1930.
123D’où, parmi d’autres choses, la fréquence des phantasmes de violences
physiques (battre, être battue) où l’idée de la pénétration est évitée.

358
La régression du patient et l’analyste

essentiellement comme sadique, ne la pénètre. Il est difficile de le


dire avec certitude, mais il est possible que nous soyons là au centre
du problème.

Au fur et à mesure que la fille grandit, elle transfère souvent sa


rancune de la mère au père, lorsqu’elle s’aperçoit qu’en réalité c’est
lui qui détient (et retient) le pénis. Freud cite ce curieux transfert de
l’hostilité, de la rancune, de l’insatisfaction à l’égard de la mère sur
la personne du père, pour montrer qu’il ne saurait s’agir d’une
rivalité avec la mère124 ; mais nous venons de voir que ce n’est pas la
seule explication possible. Il est facile de comprendre que la rancune
naît lorsque le désir allo-érotique du pénis se trouve être frustré,
désir qui se trouve renforcé par la présence du père ; et que la
rancune s’exprime d’abord à l’égard de la mère, puis du père. Mais
un autre affluent vient grossir la rancune à l’égard du père qui
s’oppose aux désirs libidinaux ; cette « frustration » expose la fille à
être confrontée avec la terreur que lui inspire la mère. Car s’il existe
une peur d’être punie pour avoir désiré une telle chose, la
gratification de ce désir peut être la meilleure défense contre
l’angoisse ; ou du moins l’inconscient peut le croire communément. Il
en résulte que celui qui refuse la gratification commet un double
crime : il refuse à la fois le plaisir libidinal et la sécurité.

Lorsque nous essayons de reconstituer le développement de la phase


deutéro-phallique, il nous faut garder présente à l’esprit toute cette
toile de fond, qui ne représente pourtant qu’un échantillon de la
véritable intrication des phénomènes. En ce point la fille prend
conscience de l’existence du vrai pénis que possèdent les êtres de
sexe mâle, et elle y réagit de façon spécifique en désirant en
posséder un. Pourquoi un tel désir surgit-il en elle ? À quel usage
destine-t-elle ce pénis ? C’est une question cruciale, et y répondre
doit aussi nous fournir la réponse à cette autre question, toute aussi
capitale, concernant l’origine de l’hostilité de la fille à l’égard de la

124S. Freud, Female Sexuality, op. cit.y pp. 281, 286. [G.W., XIV, 518, 524.]

359
La régression du patient et l’analyste

mère. Pouvoir préciser ce qui distingue la théorie A de la théorie B


nous semble indispensable pour poursuivre notre travail
d’élucidation.

La réponse que la théorie A apporte aux deux questions a


indiscutablement le mérite d’être plus simple que celle donnée par la
théorie B. À l’en croire, la fille désire posséder un pénis comme celui
qu’elle a vu parce qu’il représente cette sorte de chose qu’elle a
toujours appréciée, parce que dans ses rêves les plus osés elle a
toujours désiré un clitoris efficace élevé à la ne puissance. Ceci ne
provoque pas de graves conflits intérieurs, mais un ressentiment, et
plus particulièrement contre la mère qu’elle tient pour responsable
de la déception inévitable. L’envie – du pénis constitue la raison
principale pour se détourner de la mère. La véritable valeur du
clitoris-pénis apparaît ainsi comme essentiellement auto-érotique, et
c’est à Karen Horney que nous devons le meilleur exposé sur cette
question125. Ce désir est presque entièrement libidinal, et pointe dans
la même direction que les premières tendances de la petite fille.
Lorsque ce désir est déçu, la fille se replie sur une attitude féminine
incestueuse, allo-érotique, mais en tant que pis-aller. Toute soi-disant
défense contre la féminité est imposée non pas tant par quelque
crainte profonde de la féminité en soi, que par le désir de conserver
la position masculine clitoris-pénis qui s’en trouverait menacée. En
d’autres termes, il s’agirait de la même objection que pourrait élever
le garçon si le choix lui était offert, à savoir que cela équivaudrait à
la castration. La théorie qui explique à la fois la haine de la mère et
la force de la phase deutéro-phallique par un même facteur principal,
le désir auto-érotique de posséder un clitoris-pénis, est à la fois
simple et logique. Reste à savoir cependant si une telle théorie rend
complètement compte des faits, c’est-à-dire si les présuppositions qui
la supportent dans la phase protophallique tiennent compte de tous
les facteurs dont nous disposons.

125Karen Horney, On the Genesis, etc., loc. cit.

360
La régression du patient et l’analyste

La réponse donnée à ces questions par la théorie B est qu’à l’origine


la fille désire le pénis de façon allo-érotique, mais qu’elle est obligée
d’adopter une position auto-érotique (au cours de la phase deutéro-
phallique) pour les mêmes raisons que le garçon, à savoir par la
crainte des dangers présupposés qui se rattachent aux désirs allo-
érotiques. Je pourrai citer à cette occasion quelques auteurs qui ont
défendu ces théories contradictoires. D’une part, Hélène Deutsch 126
qui, en accord avec Freud, écrit : « Je considère que le complexe
d’Œdipe de la fille est inauguré par le complexe de castration. »
D’autre part, Karen Horney127 parle de « ces motifs typiques qui
déterminent une fuite dans un rôle masculin – des motifs dont
l’origine siège dans le complexe d’Œdipe », et Mélanie Klein128
affirme qu’elle considère « que les défenses de la fille contre son
attitude féminine dérivent non pas tant de ses tendances masculines,
que de sa peur que lui inspire sa mère ».

Ainsi la forme masculine de l’auto-érotisme n’est ici qu’un pis-aller ;


elle n’est adoptée que pour autant que la féminité, qui est la chose
désirée, apparaît dangereuse et provoque une angoisse intolérable.
L’origine de la rancune à l’égard de la mère siège au niveau d’une
certaine insatisfaction orale, qui pousse la fille à rechercher un
mamelon plus puissant, un pénis, dans le sens allo-érotique et plus
tard hétéro-érotique. L’attitude libidinale à l’égard du mamelon
s’exprime ici sous la forme de fantasmes féminins concomitants de la
masturbation vulvo-vaginale ou clitoridienne, solitaire ou avec la
participation de la nourrice au cours des manipulations de propreté.
À ce stade elle est attachée à la mère de façon homosexuelle, mais
c’est de sa mère et de sa mère seulement qu’elle peut espérer
obtenir la satisfaction désirée du pénis, par ruse ou par force. Ceci
est d’autant plus facile que la mère représente effectivement à cet
âge l’unique source de toute gratification libidinale (allo-érotique). Et

126Hélène Deutsch, The Signiflcance, etc., op. cit., p. 53.


127Karen Horney, The Flighl, etc., op. cil., p. 337.
128Mélanie Klein, The Psycho-Analysis of Children, op. cil., p. 324.

361
La régression du patient et l’analyste

elle dépend de sa mère non seulement en ce qui concerne l’affection


et la gratification, mais aussi la satisfaction de tous ses besoins
vitaux. La vie serait impossible sans la mère et sans l’amour de la
mère. Il existe donc pour ce profond attachement de la fille à la mère
les motifs les plus valables.

Pourtant l’inconscient connaît un autre aspect des choses, et un


aspect plus redoutable. Les pulsions sadiques à attaquer et
dépouiller la mère entraînent une peur intense de représailles, peur
qui peut se transformer, ainsi que nous l’avons vu plus haut, en une
crainte du pénis pénétrant. Ceci est revécu lorsqu’elle se trouve
confrontée au pénis réel, non pas de la mère, mais du père ou du
frère. En fait elle ne se trouve pas dans une situation pire que la
précédente, car elle a toujours son clitoris et la mère ne lui a rien
pris. Mais pourtant elle accuse la mère de ne pas lui avoir donné
davantage, un pénis. Derrière ce reproche adressé à sa mère de
n’avoir pas comblé suffisamment ses désirs auto-érotiques, on trouve
un ressentiment plus profond ; celui d’avoir été frustrée de ses
véritables besoins féminins, qui correspondent à sa nature réceptive
et accaparante et d’avoir été menacée par sa mère d’une destruction
corporelle si elle persistait dans ses désirs. La théorie B semble donc
apporter des arguments plus valables pour justifier l’hostilité à
l’égard de la mère, que la théorie A. Toutes deux s’accordent pour
affirmer la « frustration » prégénitale imposée par la mère, mais
elles se séparent sur l’importance qu’il convient d’accorder à cette
« frustration » sur le plan génital. Car, au niveau de ce plan génital,
dans la théorie A, la mère ne prive la fille de rien, mais celle-ci par
contre lui garde rancune de ne pas avoir reçu davantage ; la théorie
B soutient que la mère interdit à la fille la poursuite de ses buts
féminins (à l’endroit du pénis) et la menace aussi d’une mutilation
corporelle, c’est-à-dire d’une destruction des véritables organes de la
fille destinés à recevoir le pénis et à porter l’enfant, à moins que la
fille ne renonce à ses buts. Dès lors, il ne paraît pas étonnant que la

362
La régression du patient et l’analyste

fille y renonce, à un certain degré toujours, mais souvent


complètement.

La phase deutéro-phallique représente donc la réaction de la fille


devant cette situation, sa défense contre le danger du complexe
d’Œdipe129. Son désir s’y exprime de posséder un pénis qui lui
appartienne et la mette à l’abri de la libido menaçante en la déviant
dans une direction plus sûre, auto-érotique ; tout comme elle aurait
été en sécurité si elle avait dévié vers la perversion. Ce glissement
sur un plan autoérotique (et donc plus syntone au Moi, ego-syntonic)
s’accompagne d’un renforcement névrotique, mais se trouve à son
tour exposé à une nouvelle déception. Peu de filles qui ne se leurrent,
et à un certain point toute leur vie, quant à l’origine de leurs
sentiments d’infériorité. La véritable origine est une interdiction
interne causée par la culpabilité et la peur, comme toujours lorsqu’il
s’agit de sentiments d’infériorité, et ceci s’applique bien plus aux
désirs allo-érotiques qu’aux désirs auto-érotiques.

Mais cette position phallique procure des avantages supplémentaires


d’où sa grande force. Elle lui permet une réfutation complète des
attaques que la mère redoutée lance contre sa féminité, puisqu’en
niant cette féminité dans son existence elle abolit toutes les raisons
d’une telle attaque. Mais il existe encore d’autres phantasmes
irrationnels, inconscients. C’est ainsi que la fille peut se défendre
contre son ambivalence à l’égard de sa mère. D’une part, la fille se
trouve maintenant en possession de la plus puissante des armes
d’agression et donc de défense. Joan Rivière a tout spécialement
attiré notre attention sur ce point 130. D’autre part, grâce au
mécanisme de restitution (auquel Mélanie Klein a consacré

129Cette thèse fut soutenue par moi au Congrès d’Innsbruck, mais avait été
avancée par Karen Hornf.y (cf. On the Genesis, etc., op. citp. 50) et
développée par Mélanie Klein, in The Psycho-Analysis of Children, op. cit., p.
271, etc.
130Joan Rivière, Womanliness as a Masquerade, supra, Int. J. Psycho-Anal., X,
303, 1929 (traduit en français dans ce volume).

363
La régression du patient et l’analyste

d’importants travaux), ses désirs dangereux de vouloir dépouiller sa


mère d’un pénis sont devenus tolérables : elle possède maintenant
un pénis qu’elle peut restituer à cette mère démunie. Ce processus
joue un rôle important dans l’homosexualité féminine. De plus, elle
ne court plus aucun risque de subir une attaque sadique par le
dangereux pénis de l’homme. Freud131 se demandait où la fuite
devant la féminité pouvait prendre sa source sinon dans les
ambitions masculines132. Nous venons de voir que la fille dispose de
sources d’énergie émotionnelle bien plus profondes que les
ambitions masculines, encore que ces dernières puissent servir de
déguisement133.

Je pense que sur un point du moins tout le monde tombera d’accord,


à savoir que le désir de pénis chez la fille est lié à sa haine pour sa
mère. Ces deux problèmes sont étroitement liés, mais c’est sur la
nature même de cette relation qu’apparaît clairement le désaccord.
Alors que Freud défend l’opinion que la haine est une rancune
ressentie par la fille de n’avoir pas reçu un pénis qui lui appartienne
en propre, nous avons soutenu, et en ceci d’accord avec les thèses
présentées par Mélanie Klein134, que la haine représente
essentiellement une rivalité à propos du pénis paternel. Les uns
voient dans la phase deutéro-phallique une réaction naturelle devant
un fait anatomique malheureux, et lorsqu’une déception s’en fait
sentir la fille se replie sur l’inceste hétéro-érotique. Les autres
considèrent que l’inceste hétéro-érotique, qui s’accompagne d’une
haine œdipienne de la mère, se manifeste chez la fille à un très jeune
âge et que la phase deutéro-phallique représente la fuite devant les
dangers intolérables d’une telle situation : ces phénomènes
correspondent à leur exact équivalent chez le garçon où ils ont une
signification analogue.

131S. Freud, Female Sexuality, op. cit., p. 297. [G.W., XIV, 537.]
132Masculine strivings.
133A well disguised outlet.
134Mélanie Klein, The Psycho-Analysis of Children, op. cit., p. 270.

364
La régression du patient et l’analyste

***

J’aimerais en guise de conclusion comparer de façon plus globale, les


problèmes respectifs chez le garçon et chez la fille. Chez l’un comme
chez l’autre, l’idée d’un fonctionnement dans une voie hétéro-
érotique, selon leur constitution respective (pénétrante chez le
garçon, être pénétrée chez la fille) manque au cours de la phase
deutéro-phallique (s’agit-il d’un renoncement ?). Chez l’un comme
chez l’autre, il existe une dénégation135 du vagin également marquée
(s’agit-il d’une répudiation ?) : tous les efforts tendent à maintenir la
fiction d’un pénis présent dans les deux sexes. Il doit sûrement
exister une explication commune de cette composante centrale de la
phase deutéro-phallique dans les deux sexes et pourtant les deux
théories envisagées en fournissent chacune une différente. La
première théorie affirme que la cause en est dans la découverte de la
différence sexuelle, avec ses conséquences fâcheuses. L’autre théorie
soutient qu’il s’agit de la peur du vagin qui provient de l’angoisse
concomitante liée aux idées que se font les enfants du coït des
parents, une angoisse qui est souvent réactivée lorsqu’ils
aperçoivent l’organe génital du sexe opposé.

La différence fondamentale entre ces deux théories – à laquelle nous


devons consacrer notre recherche, car cette différence en entraîne
d’autres – porte sur l’importance plus ou moins grande accordée par
les divers analystes aux premiers phantasmes inconscients
d’incorporation du pénis paternel dans la mère. Un tel phantasme a
été reconnu par les analystes depuis plus de vingt ans, mais c’est le
mérite des travaux de Mélanie Klein d’avoir montré que ce
phantasme est un fait constant dans la vie de l’enfant et que le
sadisme et l’angoisse qui l’accompagnent jouent un rôle prédominant
au cours du développement sexuel de la fille et du garçon. On
pourrait étendre une telle généralisation à tous les phantasmes

135Dénial : déni, refus, dénégation : c’est ce dernier sens qui nous a paru ici
être le plus proche du texte. (N. d. T.)

365
La régression du patient et l’analyste

décrits par Mélanie Klein et d’autres analystes d’enfants, en relation


avec son concept du « parent uni », dont j’ai dit plus haut qu’il était
étroitement apparenté à ce que Freud appelle le stade pré-œdipien
du développement.

Non seulement la manifestation principale de la phase deutéro-


phallique – la répression du fonctionnement hétérosexuel 136 – est
essentiellement identique dans les sexes, mais le motif de cette
manifestation l’est tout autant. Le renoncement s’effectue dans tous
les cas pour sauvegarder l’intégrité corporelle, pour préserver les
organes sexuels (organes sexuels externes du garçon, internes de la
fille). La fille ne veut pas courir le risque de voir endommager son
vagin ou son utérus, pas plus que le garçon ne tient à exposer son
pénis. Dans les deux sexes, les motifs les plus valables existent pour
nier tout ce qui concerne le coït, c’est-à-dire la pénétration, et c’est
pour cette raison que toutes leurs pensées se bornent à considérer
l’extérieur du corps137.

Dans les deux parties de mon article je me suis servi comme point de
départ d’un double problème : celui que pose au garçon l’angoisse de
castration et la peur de la vulve, à la fille le désir de posséder un
pénis et la haine envers la mère. Nous sommes en mesure à présent
de montrer qu’essentiellement ces problèmes, en apparence
dissemblables, se retrouvent en fait tant chez l’un que chez l’autre.
Le facteur commun est constitué par l’évitement de la pénétration et
la crainte d’être blessé par le parent de même sexe. Le garçon
redoute la castration par son père s’il pénètre dans le vagin : la fille
craint la mutilation par sa mère si elle se permettait d’avoir un vagin
pénétrable. Le fait que le danger se trouve être associé par

136The suppression of hetero-sexual functionning.


137Je ne veux pas dire que c’est là le seul motif. Comme l’a souligné Joan
Rivière au cours de la discussion de cette communication à la Société
britannique, ceci concorde avec la tendance générale à l’extériorisation que
l’on retrouve au cours du développement de l’enfant lors de sa tentative
d’établir le contact avec le monde extérieur.

366
La régression du patient et l’analyste

projection au parent de sexe opposé, est une manifestation


secondaire : son origine réelle se trouve dans l’hostilité éprouvée à
l’égard du parent rival de même sexe. En fait, on retrouve ainsi la
formule typique de l’Œdipe : le coït incestueux déclenche la crainte
de la mutilation par le parent rival. Ceci vaut aussi bien pour le
garçon que pour la fille, en dépit du masque homosexuel que cette
dernière peut être obligée de revêtir plus communément.

Revenons-en au concept de la phase phallique. Si notre théorie est


valable, alors le terme de proto-phallique, que j’avais proposé plus
haut, ne saurait s’appliquer qu’au garçon. Il est inutile, car en fait il
recouvre simplement le génital ; mais il peut même nous induire en
erreur en nous faisant croire que le fonctionnement génital précoce
du garçon serait exclusivement phallique – c’est-à-dire auto-érotique
– en éliminant tout l’allo-érotisme qui pourrait exister au départ, au
cours de la première année de la vie. Mais le terme serait encore
plus trompeur en ce qui concerne la fille, surtout pour ceux qui
considèrent que son développement dans ses premiers stades est
essentiellement féminin. En ce qui concerne l’ignorance sexuelle qui
serait caractéristique de la phase proto-phallique, sans doute est-ce
vrai au niveau conscient ; mais il existe de nombreuses preuves que
cela n’est pas vrai du point de vue de l’inconscient ; et l’inconscient
constitue une part importante de la structure de la personnalité.

J’en arrive maintenant à la phase deutéro-phallique, celle désignée


habituellement par le terme de « phase phallique ». Ainsi que nous
l’avons vu, la théorie A aurait tendance à considérer cette phase
deutéro-phallique comme une séquence normale du développement
qui prolonge la phase protophallique et ceci dans les deux sexes, en
suivant une direction identique dans les deux cas. La théorie B
insiste davantage sur le fait que la phase deutéro-phallique
représente une déviation par rapport à la première et qu’elle adopte
dans certains de ces aspects les plus importants, une direction
opposée à celle poursuivie dans la phase plus précoce. On pourrait

367
La régression du patient et l’analyste

l’exprimer plus clairement en disant que l’allo-érotisme hétérosexuel


de la phase initiale est, pour une grande part, transformé en un auto-
érotisme homosexuel substitutif au cours de la phase deutéro-
phallique ; et ceci dans les deux sexes. Cette dernière phase ne
serait donc pas tant une simple évolution libidinale, qu’un
compromis névrotique entre la libido et l’angoisse, entre les pulsions
libidinales normales et le désir d’éviter la mutilation. Au sens strict,
il ne s’agit pas d’une véritable névrose, pour autant que la
gratification libidinale qui reste accessible est une gratification
consciente, alors qu’elle est inconsciente dans la névrose. Il s’agit
plutôt d’une aberration sexuelle qu’on pourrait appeler la perversion
phallique, qui s’apparente intimement aux inversions sexuelles, ce
qui est particulièrement évident chez la fille. Cette relation est si
étroite que je vais me permettre d’appliquer au problème des
inversions sexuelles certaines données empruntées à mon propos,
encore que ce ne soit pas à proprement parler l’objet de cet article.
Il semble que l’inversion soit essentiellement une hostilité à l’égard
du parent rival, libidinisée grâce à la technique particulière
d’appropriation de l’organe dangereux du sexe opposé -— organes
qui sont devenus dangereux par le mécanisme de la projection
sadique. Nous avons dit plus haut à quel point le sadisme génital
dérivait du sadisme oral plus précoce, de sorte que le sadisme oral
auquel j’avais fait allusion138 comme étant la source spécifique de
l’homosexualité féminine, pourrait aussi bien être celle de
l’homosexualité masculine139.

Pour éviter tout malentendu, je voudrais rappeler que la phase


phallique, ou la perversion phallique, ne doit pas être envisagée
comme une entité définitivement fixée. Nous devons la comprendre
en termes dynamiques et économiques, comme nous le faisons pour
tous les processus analogues. En d’autres termes, elle peut être

138Op. cit.
139Mélanie Klein (op. cit., p. 326) le rattache à une « fixation de succion
orale ».

368
La régression du patient et l’analyste

soumise à toutes les variations possibles. Elle varie en fonction des


différents sujets, allant d’un simple indice à la perversion la plus
patente. Et chez le même sujet elle peut varier d’intensité d’un
moment à un autre en fonction des fluctuations auxquelles est
soumise l’excitation des facteurs sous-jacents.

Je ne saurais non plus défendre le point de vue que la phase


phallique soit forcément de nature pathologique, encore qu’elle
puisse évidemment le devenir, par son intensité ou à la suite d’une
fixation. Elle représente une déviation sur la voie directe du
développement et une réponse à l’angoisse ; mais néanmoins, pour
autant que nous le sachions, nos recherches pourraient aboutir à la
conclusion que la première angoisse infantile est inévitable et la
défense phallique la seule possible à cet âge. Seul la poursuite de
notre expérience analytique des premières années de la vie, pourra
nous apporter une réponse à de telles questions. De plus, les
conclusions auxquelles nous avons abouti ici, ne nient pas la valeur
biologique, psychologique et sociale de la composante homosexuelle
de la nature humaine ; nous sommes ramenés ainsi à notre seul et
unique critère, le degré de liberté et d’harmonie dans le
fonctionnement de notre économie psychique.

Qu’il me soit permis de mettre en évidence les conclusions qui me


paraissent les plus significatives.

D’abord que la phase (deutéro-) phallique typique constitue une


perversion, qui favorise, comme toute perversion, la fonction de
sauvegarder certaines possibilités de gratification libidinale,
jusqu’au moment – pour autant qu’il arrive – où la peur de la
mutilation peut être maîtrisée et où le développement hétéro-
érotique, provisoirement abandonné, peut être repris à nouveau.
L’inversion qui sert de défense contre la peur, repose sur le sadisme
qui avait donné naissance à la peur.

Ensuite il nous semble que nous serions en droit de nous porter


garant de la valeur de ce qui fut peut-être la plus grande découverte

369
La régression du patient et l’analyste

de Freud : le complexe d’Œdipe. Je ne trouve aucune raison pour


douter du fait que la situation œdipienne, dans sa réalité et dans le
phantasme, ne soit autant pour la fille que pour le garçon,
l’événement psychique le plus décisif de sa vie.

Enfin, il semble utile de rappeler la parole extraite d’un livre de


sagesse bien plus ancien que ceux de Platon : « Au commencement…
Dieu les créa mâle et femelle. »

370
Contributions a la technique
psychanalytique
La régression du patient et l’analyste

par Michael Balint140

Contrairement aux conférenciers précédents, qui ont pu acquérir


une expérience sans égale dans le domaine de la psychothérapie des
schizophrènes en travaillant avec Frieda Fromm-Reichman à
Chestnut Lodge141, je ne peux me prévaloir que d’une connaissance
superficielle du sujet. Et cette connaissance est encore limitée par
deux facteurs qui me paraissent importants. D’une part je ne quitte
qu’exceptionnellement mon fauteuil d’analyste au cours des séances.
D’autre part mes patients demandent une analyse de leur propre gré
et sont généralement capables de se plier aux exigences d’une
situation analytique normale, c’est-à-dire de s’étendre sur le divan. Il
est vrai qu’exceptionnellement il leur arrive de se lever, mais même
dans ce cas je reste assis. Quoi qu’il en soit, puisque en tant

140Titre original : The Regressed Patient and his Analyst, in Psychiatry, XXIII,
231-243, août 1960 ; traduit de l’anglais par Victor Smirnoff.
(Cet article est la deuxième partie, technique, du travail inauguré par les
considérations théoriques dans The Three Areas of the Mind, paru dans La
Psychanalyse, vol. 6.)
141Le présent travail fut présenté au cours de la réunion scientifique (Frieda
Fromm-Reichman Memorial Lecture) qui eut lieu le 19 octobre 1959 au
Clinical Center du National Institute of Health à Bethesda, Maryland. Au
cours de ce séminaire figurèrent deux autres contributions : celle de Leslie
H. Farber sur le Therapeutic Despair et celle de Otto Allen Will, Jr., Human
Relatedness and Schizophrénie Reaction.

372
La régression du patient et l’analyste

qu’analystes nous nous référons tous aux mêmes concepts de base,


j’espère que mon expérience, fondée sur ce qui se passe entre mes
patients et moi-même, pourra contribuer à une meilleure
compréhension de la régression, qu’elle soit schizophrénique ou non.

373
La régression du patient et l’analyste

I.

Dans le cadre de la situation analytique tous les patients, sans


exception, régressent jusqu’à un certain point, c’est-à-dire qu’ils
deviennent infantiles et éprouvent à l’égard de leur analyste
certaines émotions primitives d’une grande intensité. Ceci de toute
évidence est un facteur constant dans ce que nous avons coutume
d’appeler le transfert.

L’impact d’une telle charge émotionnelle introduit dans les relations


entre l’analyste et son patient une curieuse inégalité. L’analyste est
vécu comme une personne puissante et d’importance vitale, mais
seulement pour autant qu’il est capable ou disposé à gratifier ou à
frustrer les espoirs, les désirs ou les besoins de son patient ; au-delà
de ces limites, l’analyste existe à peine en tant que personne réelle
dans sa vie quotidienne. Il est vrai que le patient nourrit un certain
nombre de phantasmes concernant son analyste, mais ceux-ci sont
davantage fonction de la vie intérieure du sujet que du mode de vie
et de la véritable personnalité de l’analyste. Bien qu’en se comparant
à lui le patient se sente un être faible, il est pourtant celui qui
importe et qui compte énormément : ce sont ses désirs et ses besoins
qui doivent être comblés et ses intérêts qui doivent constamment
retenir l’attention.

Encore qu’il n’existe guère d’exceptions à un tel schéma, sa durée et


son intensité sont essentiellement variables, suivant les patients.
Certains ne dépassent jamais un certain point : les processus
thérapeutiques ainsi amorcés suffisent à amener une réadaptation,
et, après un temps variable, le patient émerge spontanément de
cette relation primitive et duelle pour se trouver guéri. Dans d’autres
cas cependant on voit se dérouler des processus surajoutés.

374
La régression du patient et l’analyste

Dans un article précédent j’avais longuement passé en revue ces


processus, tels qu’ils apparaissent au thérapeute 142. Je me bornerai
ici à énumérer les points principaux : les mots ont perdu leur valeur
référentielle courante (reliability) en tant que moyen de
communication conventionnel entre l’analyste et l’analysé ; et tout
particulièrement les interprétations sont ressenties par le sujet
comme des signes de l’hostilité, de l’agressivité ou encore de
l’affection de l’analyste. Le patient commence à trop bien connaître
l’analyste : il est fréquent que l’analysé perçoive mieux les états
d’âme de l’analyste que les siens propres. Et parallèlement il semble
s’intéresser de moins en moins à ses propres problèmes, ceux qui
l’avaient amené à demander une psychanalyse, et s’attacher de plus
en plus à deviner les « véritables raisons » de telle ou telle parole, de
tel comportement ou de telle « humeur » de l’analyste. Tout ceci
absorbe une quantité considérable de sa libido et c’est peut-être
pourquoi le sujet, à ce stade, semble avoir perdu une bonne part de
son envie de guérir et de son désir, voire de sa capacité, de changer.
Mais en même temps il s’attend de la part de l’analyste à quelque
chose qui n’est pas en rapport avec une position réaliste : que ce soit
dans le sens positif en espérant de la sympathie, de la
compréhension, des petits cadeaux ou d’autres signes d’affection ; ou
que ce soit dans un sens négatif en redoutant des attaques violentes,
une vengeance implacable, une froide indifférence ou une extrême
cruauté ! On pourrait le résumer d’une phrase en disant que le passé
a perdu toute importance pour le patient et que seul importe le
présent de l’analyse. Si nous essayons de le formuler par un
vocabulaire analytique nous pourrions dire que l’on assiste à une
exacerbation de la névrose de transfert, ou de l’amour de transfert,
qui domine et impose sa loi à toute la situation analytique ; le
transfert a atteint en fait une telle intensité qu’il devient inaccessible
à nos interprétations habituelles. Certains analystes supposent

142M. Balint, The Three Areas of the Mind, Internat. J. Psycho-Anal. (1958), 39,
328-340 (traduction française in La Psychanalyse, loc. cit.).

375
La régression du patient et l’analyste

qu’une telle évolution témoigne du fait que le transfert s’est trouvé


envahi par des fantasmes paranoïaques ou de persécution. Quant à
moi, de telles formulations me paraissent trop modérées et passer à
côté de l’essentiel143.

Nous savons tous que même les meilleurs analystes, et ceux qui
possèdent une très longue expérience, se heurtent de temps en
temps à des difficultés avec certains de leurs patients, et que
l’analyse peut même se terminer par un échec. Aussi désagréable
que soit une telle constatation il semble que cette règle ne souffre
guère d’exceptions. Je soutiens que ces difficultés et ces échecs se
rencontrent au cours d’analyses avec des patients qui présentent les
signes que nous venons de décrire. Nous en parlons en disant qu’un
tel sujet est « gravement atteint », « très dissocié », « très
schizophrène ou paranoïaque », « qu’il présente une profonde
blessure narcissique » ou « qu’il a un Moi trop faible ou trop
immature », etc. ; toutes ces descriptions impliquent que l’origine
des symptômes siège au-delà ou plus profondément que le complexe
d’Œdipe qui est notre préoccupation habituelle dans la moyenne des
cas.

Afin de mieux comprendre la nature de certaines difficultés


rencontrées au cours de l’analyse de ces malades que nous venons
de décrire, j’avais proposé, dans mon article précédent, d’envisager
l’appareil psychique (ou seulement une de ses parties que nous
appelons le Moi) comme une structure tri-partite : les trois domaines
du complexe d’Œdipe, du défaut fondamental, et de la création ;
chaque domaine étant caractérisé par une structure spécifique de la
relation objectale, par une forme spécifique de l’énergie mentale
(mental force), et enfin par un niveau spécifique auquel se déroulent
les processus mentaux.

143Margaret Little a abordé ce même problème dans une contribution


intéressante où elle parle du « transfert délirant » : On Delusional
Transference (Transference Psychosis), Internat. J. Psycho-Anal. (1958), 39,
134-138.

376
La régression du patient et l’analyste

Dans le domaine du complexe d’Œdipe, la structure spécifique est


une relation triangulaire comprenant le sujet et deux objets. La force
spécifique y procède d’un conflit, et le niveau des processus mentaux
qui s’y déroulent correspond au langage conventionnel de l’adulte,
langage qui permet une expression adéquate.

Dans le domaine du défaut fondamental la structure est celle d’une


relation exclusivement duelle, plus primitive que la relation
prévalente entre les adultes. La forme de l’énergie mentale, dont je
parlerai plus loin, n’est pas celle d’un conflit ; dans certaines
circonstances elle peut apparaître comme une assuétude (addiction)
ou, pour employer un terme plus littéraire, comme de l’avidité
(greed). On peut qualifier de préœdipien, de pré-génital ou de pré-
verbal le niveau auquel s’y déroulent les processus, et plus
particulièrement au cours du traitement. Dans mon article précédent
j’avais critiqué l’usage de ces termes pour autant qu’ils me
paraissaient pouvoir nous induire en erreur et j’avais proposé
d’appeler ce niveau le niveau du défaut fondamental144.

Le domaine de la création, enfin, est caractérisé par l’absence de


tout objet extérieur. Puisque notre méthode analytique est basée sur
le transfert – c’est-à-dire qu’elle est indissolublement liée à la
présence d’au moins un objet externe – nous ne disposons d’aucune
voie d’accès directe pour étudier ce niveau des processus mentaux,
ni les forces qui y opèrent145. Pourtant ces processus ont pour nous

144Cf. la n. 2, « The Three Areas, etc., loc. cit., pp. 336-337.


145Quelques indices nous permettent de croire que les objets qui existent dans
le domaine de la création sont d’une nature si primitive qu’il est difficile de
les considérer comme des objets « organisés » ou « entiers ». C’est
seulement lorsque le travail de création arrive à les « organiser » ou à les
rendre « entiers » que peut s’installer une interaction « œdipienne » entre
eux et les objets extérieurs. Il est probable que des formes d’interaction plus
primitives existent de tout temps ; mais ces interactions sont d’observation
difficile et encore plus difficile à décrire de façon adéquate. (Cf. les chap. 8 et
11 de mon ouvrage Thrills and Régressions, International Psycho-Analytic
Library, Hogarth Press, London, 1959.)

377
La régression du patient et l’analyste

une grande importance du point de vue de la technique, comme par


exemple l’abord des problèmes posés par le patient silencieux.

Puisqu’il leur arrive d’être ainsi confrontés à trois modalités


différentes du processus thérapeutique, les analystes devraient
pouvoir disposer de trois modèles de mesures thérapeutiques,
chacun de ces modèles étant destiné à l’un des trois domaines
correspondants de l’appareil psychique. D’autre part, la situation
analytique étant essentiellement une relation duelle, possédant un
certain nombre de traits bien plus primitifs que ceux qui
caractérisent le niveau œdipien, on pourrait supposer que nos
connaissances théoriques concernant le domaine du défaut
fondamental, ainsi que les techniques qui servent à aborder les
problèmes qu’on y rencontre, seraient bien plus avancées et mieux
fondées que celles concernant les autres domaines.

En fait nous nous trouvons dans une situation diamétralement


opposée. L’ensemble de notre théorie concerne surtout les structures
et les processus appartenant au niveau œdipien. Ce que nous
désignons par le terme de « technique classique », la mieux fondée
sans doute de toutes les techniques analytiques, s’applique presque
exclusivement aux problèmes dont la situation dynamique est sous-
tendue par quelques conflits, qui peuvent être formulés dans un
langage conventionnel, c’est-à-dire des problèmes relevant du
domaine de l’Œdipe.

Pour illustrer la différence qui existe entre les problèmes techniques


liés au domaine de l’Œdipe et ceux posés par le domaine du défaut
fondamental, j’envisagerai le phénomène de la régression sous un
angle différent. Une des premières constatations cliniques fut de
s’apercevoir qu’arrivé à un certain stade de leur analyse, certains
patients cessaient de collaborer, soit en refusant tout changement ou
toute amélioration, soit en devenant apparemment incapables de
supporter des conditions extérieures défavorables ou encore de
tolérer une tension accrue. Lorsqu’une telle phase de non-

378
La régression du patient et l’analyste

collaboration est limitée dans le temps nous parlons volontiers de


résistance passagère ou d’un phénomène de dissociation (splitting) ;
si, par contre, une telle période se prolonge nous l’attribuons à la
prédominance de mécanismes scbizoïdes ou paranoïaques. D’autres
modalités interprétatives rattachent ces états à une rancune
indissoluble à l’égard de la mère (ou de ses représentants ultérieurs)
pour avoir frustré le sujet de l’affection, de la sympathie et de la
compréhension qui lui étaient dues. Bien qu’on ait toujours admis un
certain manque de coopération chez tous les patients, on a toujours
négligé d’examiner les raisons qui font qu’une certaine partie du
patient est susceptible de coopérer à un certain degré, à tel moment
donné, dans une situation analytique spécifique. Dans le cas d’une
régression grave le patient semble incapable de comprendre ce
qu’on exige de lui, par exemple en ce qui concerne sa soumission à la
« règle fondamentale ». À de tels moments, il semble absolument
inutile de rappeler au patient les symptômes qui l’avaient amené à
l’analyse, car ses préoccupations sont exclusivement centrées sur ses
relations à l’analyste et sur les gratifications et les frustrations qu’il
peut en attendre. Toutes les raisons de poursuivre le travail
analytique semblent avoir disparu. Lorsque nous reconnaissons
qu’un tel transfert, qui absorbe la quasi-totalité de la libido du
patient, est structuré suivant une relation presque exclusivement
duelle (alors que le transfert « normal », œdipien, est nettement une
relation triangulaire) nous retrouvons du même coup un élément
diagnostique supplémentaire qui nous permet d’affirmer que le sujet
a atteint le domaine du défaut fondamental.

Ceci m’amène au cœur même de mon sujet, à savoir comment nous


pouvons amener la partie non-coopérante du patient à collaborer,
c’est-à-dire de permettre au malade de profiter de l’aide analytique.
Il ne s’agit pas tant ici de lever des résistances (c’est-à-dire de
résoudre des conflits) au niveau de l’Œdipe, ou de réduire une
« dissociation », que de quelque chose de différent, plus proche

379
La régression du patient et l’analyste

d’une stimulation, voire de l’éveil d’une nouvelle volonté chez le


malade d’accepter la réalité et d’y vivre, une sorte de réduction de sa
rancune, de son absence de vie 146, éléments qui apparaissent dans sa
névrose de transfert sous la forme d’entêtement, de maladresse, de
stupidité, d’une exacerbation de ses critiques, de l’avidité, de sa
susceptibilité, d’une extrême dépendance, etc.

C’est pour expliquer cette impression clinique totalement différente


que j’avais formulé l’hypothèse de quelque chose que j’avais appelé
le défaut fondamental, qui n’est ni un complexe, ni un conflit, ni une
dissociation, mais qui se rapproche bien plus d’un manque ou d’une
cicatrice au niveau de la structure fondamentale de la personnalité.
La majorité de nos patients sont évidemment incapables de nous
donner les raisons de leur rancune, de leur absence de vitalité, de
leur dépendance, c’est-à-dire de ce qui leur fait défaut ou est en
défaut. Pourtant certains d’entre eux peuvent l’exprimer par son
contraire : par le truchement de leurs fantasmes concernant un
partenaire parfait, une parfaite harmonie avec le milieu environnant,
un bonheur parfait et sans mélange ou une parfaite satisfaction
d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. Mais cependant
l’expression la plus fréquente et constamment répétée en est que le
patient sent qu’il a été « dupé », « lâché », que rien dans sa vie ne
saurait lui apparaître comme « valant la peine », tant que ce quelque
chose dont il a été privé ou qui lui a été refusé – quelque chose qui
est désormais hors d’atteinte – ne lui aura été rendu. Dans les cas
graves, le patient peut même considérer que la vie ne vaut pas la
peine d’être vécue, tant que cette perte n’aura pas été pleinement
réparée, et il se comporte comme si cela devait être vrai.

J’aimerais, pour illustrer cette ambiance particulière, rapporter deux


récits de rêves d’une patiente qui étaient survenus comme deux
rêves consécutifs au cours d’une même nuit ; ces rêves rappellent

146Lifelessness.

380
La régression du patient et l’analyste

beaucoup d’autres qu’elle rapporta au cours d’une certaine période


de son traitement147 :

« Elle marchait dans une forêt, lorsque soudainement un oiseau,


couleur de chair, plongea et la frappa en la blessant au front. La
malade fut assommée et s’écroula inconsciente. Ce qui lui parut
particulièrement affreux c’est que l’oiseau poursuivit sa route sans
même se retourner : ce qu’il venait de faire ne semblait pas
l’inquiéter.

« Plus tard, la patiente se trouvait dans une chambre avec quelques


amis qui jouaient à des jeux auxquels elle participait d’habitude.
Étant blessée, elle ne faisait plus partie de ce groupe. Personne ne fit
attention à elle. Ce qui lui parut affreux, c’était de se sentir seule,
pour toujours, parce qu’elle ne pourrait jamais oublier que l’oiseau
ne se fût même pas retourné. »

Sous une autre forme, le patient peut répéter indéfiniment qu’il sait
très bien qu’il devrait essayer de coopérer, mais avant de pouvoir y
changer quelque chose il lui faut d’abord s’améliorer, voire guérir.
Mais simultanément il se rend parfaitement compte de la situation
réelle, à savoir qu’aucune amélioration ne saurait survenir sans sa
coopération. Le fait de le savoir ne peut qu’exacerber son désespoir.
Le patient est sincèrement convaincu que ce cercle vicieux ne pourra
être rompu que si ce qui a été endommagé peut être remplacé, ou
s’il peut reconquérir quelque chose qu’il avait possédé et perdu à un
certain moment de sa vie.

Certains malades – et certains analystes – plus « sophistiqués »


peuvent reconnaître que ce quelque chose d’irrémédiablement perdu
ou « détraqué », n’est rien d’autre que le pénis ou le sein, qui avaient
été investis de qualités magiques : ils parlent alors de l’envie du
pénis, de l’envie du sein, de l’angoisse de castration. Parmi ces
concepts il faut ranger l’aphanisis, décrite par E. Jones148 et les idées

147Je voudrais ici remercier ma femme à qui je dois ce matériel clinique.

381
La régression du patient et l’analyste

de Mélanie Klein concernant la jalousie innée et l’envie 149.


Cependant, dans la grande majorité des cas ceci s’associe à un
sentiment irrépressible et incontestable que le sujet ne peut avoir
aucune valeur et qu’il vaudrait mieux sombrer dans la folie ou dans
la mort si cette perte ne pouvait être réparée.

Tous ces phénomènes régressifs, tels qu’on peut les observer dans la
pratique analytique, nous frappent par leur caractère primitif, qui
rappelle les comportements de la première enfance : un argument de
poids en faveur de l’hypothèse que toute névrose ou psychose
contient forcément quelques traits infantiles et doit rappeler, à tout
psychothérapeute, qu’il aura affaire, d’une façon ou d’une autre, à
« l’enfant qui est dans le patient ».

Nous savons qu’il existe de grandes difficultés lorsque cet « enfant »


dans le patient est à l’âge du conflit œdipien. Mais l’abîme qui
sépare l’analyste de cet « enfant dans le patient », lorsque cet enfant
est à l’âge du défaut fondamental – l’infans au sens propre du mot,
celui qui ne sait pas parler, ou du moins ne sait pas parler le langage
des adultes – est bien plus large et plus profond que celui qui sépare
l’analyste du patient qui se situe au niveau de l’Œdipe, où, à tout
prendre, chacun se sert d’un langage admis et conventionnel. Et
pourtant, cet abîme doit être franchi si l’on veut poursuivre le travail
thérapeutique. Il faut néanmoins se rendre compte que le patient –
c’est-à-dire l’enfant qui est dans le patient et qui a l’âge du défaut
fondamental – est incapable de franchir cet abîme par ses propres
moyens. La véritable question posée par la technique
psychanalytique est de savoir comment le franchir. Quelle partie de
cette tâche doit être entreprise par l’analyste et quelle partie en
incombe au patient lui-même ?

148E. Jones, The Early Development of Female Sexuality (1927), supra, chap.
XXV des Papers on Psychoanalysis (5th Ed.), Baillère, Tindall & Cox, London,
1948 (traduit en français dans le présent volume).
149Mélanie Klein, Envy and Gratitude, Basic Books, New York, 1957.

382
La régression du patient et l’analyste

Pour éviter tout malentendu, il me faut souligner que dans ce qui suit
j’envisage les problèmes techniques que nous posent ceux des
patients qui ont régressé au niveau du défaut fondamental. Il est
probable qu’il ne s’agit là que d’une des formes possibles des
régressions dites « profondes ». Je pense qu’une recherche
analytique approfondie concernant les vrais schizophrènes (et non
pas des « caractères » schizoïdes) devrait révéler des signes
particuliers qui nous permettraient de distinguer la régression
schizophrénique des régressions dont nous parlons ici.

II.

Les analystes ont, bien entendu, depuis longtemps reconnu ces deux
problèmes techniques et proposé diverses méthodes pour les
résoudre : d’une part, comment franchir cet abîme qui les sépare de
« l’enfant dans le patient », et d’autre part, comment surmonter
l’incapacité du malade à accepter la réalité et comment obtenir sa
collaboration au travail thérapeutique. À ce propos on n’a pas mis
suffisamment en évidence, dans la littérature psychanalytique, que le
thérapeute qui cherche à franchir ainsi la distance le séparant du
patient régressé, s’expose à certains risques, surtout si la régression
atteint le niveau du défaut fondamental. Ces risques sont fonction de
ses réactions à l’égard des phénomènes appartenant au domaine du
défaut fondamental.

L’analyste peut essayer de limiter ses réactions (c’est-à-dire des


interprétations) à l’égard de la régression à celles dont il a déjà
éprouvé l’efficacité dans le cas des conflits siégeant au niveau de
l’Œdipe : il peut espérer ainsi qu’une technique prudente permettra
au malade de sortir de sa régression et qu’il sera attiré de nouveau
par les reliquats de ses investissements antérieurs qui existaient
dans les relations triangulaires de la vie réelle, sous les diverses
formes orales, anales et génitales de la sexualité, etc. Mais ces
analystes prudents semblent ignorer qu’une telle technique peut

383
La régression du patient et l’analyste

forcer le patient soit à demeurer au niveau œdipien tout au long de


son analyse, soit à y retourner rapidement après de très courtes
régressions aux autres domaines. Dans le cadre d’une telle
technique, la majorité des phénomènes appartenant au domaine du
défaut fondamental sont interprétés en tant que symptômes du
complexe de castration ou d’envie du pénis. Ces interprétations
seront correctes dans la mesure où elles mettront en lumière
certains facteurs surdéterminants ; mais en laissant dans l’ombre
tous les autres facteurs provenant du défaut fondamental ces
interprétations doivent, dans un certain nombre de cas, rester
inefficaces du point de vue thérapeutique. Il est vrai que ces
thérapeutes peuvent obtenir des résultats appréciables, mais
seulement lorsque leurs malades ont été soigneusement
sélectionnés. Cependant, les auteurs appartenant à cette tendance
n’ont publié dans la littérature que très peu de choses sur la
nécessité, et a fortiori, sur les critères d’une telle sélection.

D’autres analystes préconisent d’interpréter les phénomènes


régressifs en se référant à ce qu’on appelle le niveau « pré-
œdipien ». Ils le font en se servant d’un langage admis,
conventionnel, mais en y introduisant largement des mots tels que
sein, lait, contenu du corps, intérieur du corps, objets partiels, etc. :
ils supposent que le sujet régressé a abandonné toute relation aux
objets réels et entiers, et qu’il n’est capable d’établir de rapports
qu’avec des objets partiels. Il est à remarquer que les mots sein, lait,
intérieur du corps avaient commencé leur carrière en tant que des
mots ordinaires, ayant un sens conventionnel, admis par tous ; avec
le temps ces mots ont subi une curieuse évolution et leur sens est
devenu à la fois plus vague, plus étendu et plus global
(comprehensive), ce que je considère comme résultant du fait qu’ils
servent à décrire des phénomènes appartenant au domaine du défaut
fondamental. C’est au moyen d’une telle expansion sémantique
constante que les analystes essaient – et souvent réussissent – à

384
La régression du patient et l’analyste

donner un nom aux choses et aux expériences vécues qui,


jusqu’alors, ne pouvaient être nommées et donc ne pouvaient
s’exprimer en mots. Il est possible, par exemple, que c’était bien le
sein ou le lait que le nourrisson désirait, mais à cette période de la
vie il ne pouvait pas avoir connu ces mots et son vécu émotionnel ne
pouvait donc d’aucune façon être aussi clairement défini que
l’impliquerait l’usage des mots adultes de sein et de lait. Je pense
que cette technique revient à admettre le défaut fondamental, mais
d’en imputer la faute du patient150, en se référant à ce qu’il a fait de
ses propres objets intériorisés. Je pense, pour ma part, qu’au niveau
du défaut fondamental l’enfant n’établit pas de relations avec des
objets partiels, et encore moins avec des objets entiers, mais avec un
« climat », des substances sans contours précis, des odeurs, des
goûts, etc., c’est-à-dire avec des états qui présupposent une
interpénétration, une intrication du sujet et de son milieu 151. C’est
seulement plus tard que des objets, qui ne sont peut-être au départ
que des objets partiels, se dégagent de cette confusion.

Pour désigner le risque inhérent à un tel mode d’interprétation le


terme qui semble convenir le mieux est celui d’« intropression
surmoïque » (superego-intropression) que nous empruntons à
Ferenczi152. L’analyste qui emploie cette technique se présente
constamment à son patient comme un personnage omniscient et
inébranlable. Ainsi, le patient est sans cesse maintenu dans l’illusion
que non seulement l’analyste comprend tout, mais qu’il dispose de
moyens infaillibles, et les seuls valables, pour tout exprimer : les
expériences vécues, les affects, les émotions, etc. Après avoir
surmonté la haine et l’ambivalence qui, d’après moi, ne peuvent
150Making it the patient's own fault.
151J’ai exposé ce point de vue dans mon livre Thrills and Régressions, loc. cit.
152Sàndor Ferenczi, Notes and Fragments (1932), p. 279, in Final
Contributions to the Problems and Methods of Psychoanalysis, Basic Books,
New York, 1955.
(La note à laquelle se réfère l’auteur est la suivante : « Psychanalyse de l’enfant.
L’éducation est une intropression surmoïque (par les adultes) » ; N. d. T.)

385
La régression du patient et l’analyste

manquer d’être provoquées pour une large part par le recours


constant à cette technique, le patient apprend à parler le langage de
son analyste et, pari passu, en introjecte l’image idéalisée. Dans les
cas favorables le patient peut acquérir une structure mentale
passablement – mais non absolument – homogène, qui est sans aucun
doute très efficace, bien qu’elle puisse demeurer, et peut être pour
toujours, mal intégrée et quelque peu artificielle. Les auteurs qui
emploient de telles techniques ne font pratiquement jamais état de
leurs échecs dans leurs publications et n’en discutent donc pas les
raisons.

Il existe encore un autre risque qui est inhérent à tout système


cohérent d’interprétations. Lorsque les symptômes, dont se plaint le
malade, ses récriminations et ses accusations restent vagues et ne
peuvent être rattachés à quoi que ce soit de spécifique, il est
toujours possible de les « analyser » – quelle que soit leur
signification réelle – voire de les faire disparaître par l’analyse pour
quelque temps. Mais le malade revient invariablement à ses
récriminations, à ses symptômes, à ses accusations. À un malade
régressé au niveau du défaut fondamental une telle technique doit
donner l’impression que l’analyste a essayé d’écarter ce dont s’est
plaint le patient comme d’une chose sans intérêt ou de la faire
disparaître efficacement par quelques interprétations profondes et
intelligentes.

Il m’a été donné bien souvent de rencontrer les effets accessoires


inattendus d’une telle conduite thérapeutique au cours de mon
travail de recherche avec les médecins omnipraticiens et, plus
récemment, avec certains spécialistes153. La majorité des médecins
ont un besoin irrésistible « d’organiser » les symptômes de leurs
malades en un tableau clinique, une « maladie » précise, qui porte un

153Cf. mon livre The Doctor, his Patient and the Illness, Internat. Univ. Press,
1957 (traduction française aux Presses Universitaires de France, 1960) ; voir
aussi Enid et Michael Balint, Psychotherapeutic Techniques in Medicine,
Tavistock Publications, 1961.

386
La régression du patient et l’analyste

nom et s’intègre dans une nosologie ; une maladie qu’ils pourraient


alors traiter. Malade et médecin se trouvent déconcertés, ou même
complètement désemparés, s’il s’avérait impossible d’arriver
rapidement à un tel résultat. Et si cela est impossible le médecin dit
souvent au patient « qu’il n’a rien », ce qui instaure une relation faite
d’irritation et de malentendus interminables entre le patient, qui se
sent malade, et le médecin bien intentionné qui ne trouve aucun
repère qui lui permettrait d’ordonner les symptômes en une bonne
maladie. L’orientation de la pensée médicale actuelle ne permet pas
aux médecins d’apprécier à sa juste mesure le fait que le malade se
plaigne, quelle qu’en soit la raison sous-jacente ; pas plus qu’elle ne
les prépare à comprendre l’immense possibilité thérapeutique de
cette relation tout à fait unique entre le malade et le médecin, qui
permet au malade de se plaindre.

Je pense que ce besoin d’organisation est tout aussi urgent chez la


plupart des analystes. Nous nous sentons obligés de trouver à tout
prix une explication aux symptômes que présentent les patients afin
d’y mettre un terme. Il est vrai que nous avons, plus ou moins,
abandonné l’idée de « maladies », mais nous sommes pourtant
animés du besoin d’organiser ces symptômes en un « conflit » ou une
« situation », connotée d’un nom et d’une place bien définie, aussi
« archaïque » ou « profonde » que le permet notre hiérarchisation
chronologique. Il est vrai que nous ne prescrivons pas de sédatifs, de
tranquillisants ou d’autres médicaments à nos patients, comme le
font les médecins, mais cela ne fait que rendre leurs doléances plus
insupportables. Pour pouvoir leur faire face, pour y mettre fin en
donnant quelque chose, nous avons recours aux interprétations que
nous offrons à nos patients. Et si celles-ci ne suffisent pas à arrêter
leurs doléances, nous essayons de découvrir un responsable : soit en
nous accusant nous-même d’une technique défectueuse, soit en
accusant le malade de sa maladie incurable, de ses pulsions de
destruction, de sa profonde régression, de son Moi dissocié, etc. ;

387
La régression du patient et l’analyste

soit en accusant l’entourage, et plus particulièrement les parents,


d’avoir manqué de compréhension à l’égard du patient et d’avoir été
des éducateurs trop rigides, etc. Récemment, on a même ressuscité à
cet usage un vieux bouc émissaire : l’hérédité.

Ainsi s’amorce une spirale interminable. Le patient se plaint et


l’analyste interprète suivant une technique dont il a pu éprouver
l’efficacité au niveau œdipien ou pré-œdipien. Pourtant on ne
constate aucun véritable changement de son état. Les sentiments de
culpabilité et d’échec s’emparent à la fois de l’analyste et du patient ;
leur intensité va croissant et aboutit à de nouvelles doléances et un
redoublement d’interprétations, encore plus perspicaces et plus
profondes que les premières.

L’analyste court encore un autre risque, celui de se laisser prendre


aux interminables souffrances endurées par le patient dans sa
régression et se sentir obligé de créer des conditions qui
épargneraient enfin au patient de nouvelles souffrances. Aussi
rigoureux que puisse apparaître un tel raisonnement, l’expérience
prouve que sa mise en pratique est rarement couronnée de succès. Il
existe de nombreuses raisons à ces résultats décevants. En
réagissant de cette façon à la régression on ne fait que signifier au
patient que son défaut fondamental était dû au « mauvais »
entourage, et que l’analyste est prêt, et capable, de modifier la
structure du monde extérieur d’une façon telle que le patient se
trouve libéré des influences malignes et pernicieuses. Et puisqu’il
s’agit d’un vécu appartenant au domaine du défaut fondamental, il
importe peu que l’analyste l’ait clairement énoncé ou qu’il ait
tacitement permis au patient d’interpréter son comportement dans
ce sens : de toute façon le patient en attendra la même chose. Ceci
permet de comprendre à quel point il est difficile d’éviter
l’installation de ce malentendu tragique qu’est la véritable confusion
des langues.

388
La régression du patient et l’analyste

Si l’on permet à un tel climat de s’installer, le patient attendra le


retour de ce monde harmonieux dans lequel il avait vécu avant la
survenue du « trauma » qui fut la cause de son défaut fondamental.
Dans ce que j’ai nommé le monde de l’amour primaire154, il ne doit et
il ne saurait y avoir de conflit d’intérêt entre le sujet et son milieu
environnant. Ceci n’est possible que pour autant que les besoins
instinctuels du sujet et ses objets primaires trouvent à se satisfaire
dans un seul et même événement. Ceci est réalisé dans le cas de la
mère et de son enfant, l’une nourrissant et berçant l’autre, l’autre
étant nourri et bercé : il ne s’agit en fait que d’un événement unique,
bien qu’on se soit servi de mots différents pour le décrire. Dans une
certaine mesure ceci s’applique tout aussi bien au patient et à
l’analyste : être analysé et analyser est un seul et même événement,
et jusqu’à un certain point il peut gratifier les deux partenaires de
cette relation thérapeutique. Mais on peut se demander si un tel
parallèle peut être poussé plus loin ; si l’analyste peut remplir la
fonction de cet objet primaire – voire le devenir – pour permettre au
patient de revivre dans la relation thérapeutique ses expériences
prétraumatiques précoces. Ce qui plus est, un tel climat devrait être
maintenu pendant un temps suffisant pour permettre au patient de
découvrir des voies nouvelles de développement, qui éviteraient une
répétition du traumatisme originel et amèneraient la réparation du
défaut fondamental. Il semble que tout ceci soit plus facile à
concevoir qu’à réaliser, peut-être parce que aussi profonde que soit
la régression de l’adulte, ses besoins instinctuels restent néanmoins
plus complexes que ceux du nourrisson. Il en découle que la
réalisation d’une identification impeccable à tous ces besoins
dépasse généralement les moyens dont dispose l’analyste, aussi
sensible et compréhensif qu’il soit. Au niveau du défaut fondamental
une telle divergence est ressentie par le malade comme une véritable

154Cf. mon livre Primary love and psychoanalytic technique (1952), Hogarth
Press, London ; et Thrills an Regressions, loc. cit.

389
La régression du patient et l’analyste

tragédie ravivant toutes les déceptions anciennes qui furent à


l’origine de son défaut fondamental.

Un des effets involontaires mais fréquents d’une telle technique est


l’émergence d’un certain état d’accoutumance chez le patient. Celui-
ci fonde des espoirs et formule des exigences bien au-delà de toute
limite raisonnable (realistic limit) ; la tension ainsi créée, tant chez
l’analyste que chez le patient, peut atteindre une telle intensité
qu’elle met en danger la situation analytique. À l’encontre d’autres,
les thérapeutes qui recourent à cette technique font état de leurs
échecs et ne dissimulent pas la nature souvent partielle de leurs
réussites. Ils donnent l’impression que souvent ils arrivent seulement
à améliorer considérablement les patients ; mais il s’agit de malades
graves, profondément atteints et que d’autres thérapeutes, analystes
inclus, avaient considérés comme étant au-delà des ressources
thérapeutiques.

J’ai ainsi énuméré trois risques auxquels se trouve exposé le


thérapeute :

— il peut soumettre sa technique à certaines restrictions entraînant


la nécessité de sélectionner les malades ;

— il peut se maintenir strictement au niveau verbal : l’intropression


surmoïque en sera la conséquence inéluctable ;

— il peut accepter la responsabilité d’un maniement (management)


du patient en régression, mais provoquant ainsi les états de pseudo-
accoutumance.

Tous ces risques sont la conséquence de la façon de réagir de


l’analyste qui se trouve confronté avec un patient dont la régression
a atteint le domaine du défaut fondamental.

III.

J’envisagerai maintenant ma propre technique concernant les


patients dont la régression atteint le niveau du défaut fondamental.
Assez précocement dans ma carrière d’analyste j’avais abouti à la

390
La régression du patient et l’analyste

conclusion qu’en gardant les paramètres d’une technique classique il


fallait se résigner à quelques limitations strictes. À mon
enthousiasme de débutant ceci parut inacceptable et sous l’influence
de Ferenczi j’ai commencé à utiliser la communication non verbale ;
j’ai rapporté ces expériences et leurs résultats dès 1932 dans un
certain nombre d’articles155. Il est évident que mes techniques et
mon mode de pensée ont subi depuis lors des modifications
considérables. Bien que je sois conscient du fait que mes idées
actuelles soient loin d’être définitives, elles ont pourtant atteint un
stade où il m’est devenu possible de les « organiser », c’est-à-dire de
les exposer sous une forme suffisamment concrète pour en permettre
la discussion et surtout la critique.

Au cours de mes efforts pour venir à bout des difficultés dont je viens
de faire mention, j’ai depuis plusieurs années mis à l’épreuve une
technique qui permet au patient de vivre une relation duelle qui ne
peut pas, n’a pas besoin, et peut-être même ne doit pas être traduite
en paroles ; mais à certains moments cette relation s’exprime par ce
qu’on a coutume d’appeler l’acting out dans la situation analytique.
Je m’empresse d’ajouter que toutes ces communications non
verbales, cet acting out, seront par la suite soumis à une élaboration
(working through) dès que le malade se sera dégagé de ce niveau et
aura atteint le niveau œdipien : dès ce moment, mais pas avant.

Un certain nombre de considérations m’avaient amené à tenter ces


expériences. J’avais constaté à plusieurs reprises, à mon grand
regret et à mon grand désespoir que les mots cessaient d’être un
moyen de communication adéquat (reliable) lorsque le travail
analytique dépassait le niveau de l’Œdipe. L’analyste peut s’efforcer
de rendre ses interprétations aussi claires et aussi peu ambiguës que
possible, l’analysé arrive toujours, d’une façon ou d’une autre, à les
percevoir comme quelque chose d’essentiellement différent de ce
que fut l’intention de l’analyste. À ce niveau, les explications, les

155Cf. mon livre Primary love and psychoanalytic technique op. cit.

391
La régression du patient et l’analyste

discussions, les versions revues ou améliorées de l’interprétation ne


servent à rien : l’analyste doit se résigner à reconnaître que dans ce
domaine les mots, loin d’éclaircir la situation, sont mal compris et
mal interprétés et ne font qu’aggraver la confusion des langues entre
lui et son patient. On ne peut plus se fier aux mots devenus
imprévisibles dans leurs effets.

Cette constatation clinique me paraît d’une telle importance pour


mon propos que je l’aborderai encore d’un point de vue différent. À
de tels moments les mots cessent de servir de moyen d’expression
aux associations libres ; les mots perdent leur caractère vivant,
deviennent répétitifs et stéréotypés ; comme un vieux disque usé, qui
force l’aiguille à parcourir indéfiniment le même sillon. Souvent ceci
s’applique tout aussi bien aux interprétations de l’analyste : à de tels
moments ses interprétations aussi paraissent labourer indéfiniment
la même ornière. L’analyste découvre alors, à son grand dépit, qu’il
est absolument inutile de continuer à interpréter les communications
verbales du patient. Au niveau œdipien – et même au niveau dit pré-
œdipien – une interprétation correcte qui rend conscient un conflit
refoulé et arrive ainsi à vaincre une résistance ou résoudre une
dissociation, permet de relancer les libres associations du sujet. Au
niveau du défaut fondamental ceci ne se vérifie pas forcément.
L’interprétation est ressentie comme une gêne, une exigence ou une
ingérance injustifiée ; comme un acte hostile ou un signe d’affection.

Mais l’interprétation peut aussi être ressentie comme une chose


morte ou inanimée, ne pouvant produire aucun effet.

Une autre série de considérations avait été induite par la découverte


de ce que j’ai appelé la déviation ocnophilique de notre technique 156.
De nos jours, on encourage les analystes à interpréter tout ce qui se
passe dans la situation analytique, tout particulièrement en termes
de transfert, c’est-à-dire d’une relation d’objet. Une telle technique,
qu’on peut considérer par ailleurs comme raisonnable et efficace,

156Cf. le chap. XII de mon livre Thrills an Regressions, loc. cit.

392
La régression du patient et l’analyste

signifie que d’une part nous nous présentons continuellement à nos


malades comme un objet auquel ils peuvent s’accrocher, et que
d’autre part nous pouvons interpréter tout ce qui est à l’opposé
d’une telle attitude comme faisant partie des résistances, de
l’agressivité, du narcissisme, de la susceptibilité, une angoisse
paranoïaque, l’angoisse de castration, etc. On crée ainsi un climat de
tension et d’ambivalence dans lequel le patient lutte pour son désir
d’indépendance, mais sa route est barrée à chaque instant par nos
interprétations ocnophiliques de « transfert ».

Le patient « silencieux » m’a fourni le point de départ d’une


troisième série de réflexions. Nous reconnaissons de plus en plus que
le silence peut avoir beaucoup de significations différentes, chacune
nécessitant un abord technique particulier. Le silence peut
représenter un vide, aride et effrayant, peu favorable à la vie et au
développement, et dont il faut délivrer le patient au plus tôt. Mais le
silence peut aussi être une étendue, amicale et stimulante, qui
l’invite à s’aventurer dans les régions encore inexplorées de sa vie
fantasmatique ; dans un tel cas l’interprétation ocnophilique peut
être une intervention inopportune, voire gênante. Enfin le silence
peut représenter une tentative de rétablir l’interpénétration
harmonieuse de l’amour primaire qui avait existé entre le patient et
son milieu environnant avant l’apparition des objets : dans ce cas
toute intervention, que ce soit sur le mode interprétatif ou n’importe
quel autre, est formellement contre-indiquée car elle risque de
rompre l’harmonie en formulant une exigence à l’égard du patient.

Cette dernière série de remarques se rapporte aussi à ma conception


du domaine de la création, un domaine où aucun objet extérieur
organisé n’existe, où toute intrusion d’un tel objet – par exemple
sous la forme d’interprétations qui réclament l’attention du patient –
détruit inévitablement toute possibilité qu’aurait le malade de créer
quelque chose de lui-même. Le processus de création qui pourrait
aboutir à organiser un objet dans ce domaine, requiert, avant tout,

393
La régression du patient et l’analyste

du temps. Comme nous le montre l’histoire des créations artistiques


et poétiques, ce temps peut être étonnamment court (comme dans le
cas du Wanderers Nachtlied de Goethe, ou l’ouverture du Don Juan
de Mozart) ou, au contraire, désespérément long (comme pour le
Faust sur lequel Goethe travailla toute sa vie, la Recherche du temps
perdu de Proust ou La Joconde de Léonard de Vinci) ; mais quelle
qu’en soit la durée, celle-ci ne saurait être influencée du dehors. Cela
est tout aussi vrai lorsqu’il s’agit de créations que les patients
édifient à partir de leur inconscient. Ceci explique peut-être pourquoi
les interprétations habituelles de l’analyste sont ressenties comme
inadmissibles par le patient qui aurait régressé à ce niveau. Les
interprétations sont des pensées ou des objets entiers « organisés »,
qui interfèrent avec les contenus brumeux, non encore « organisés »
du domaine de la création ; une telle interférence peut provoquer
des désastres ou amener une organisation prématurée et artificielle.

Le patient silencieux constitue la manifestation extérieure de tous


ces différents états : le patient silencieux se soustrait au travail
normal de l’analyse ; son acting out remplace les libres associations ;
ses répétitions prennent la place de la remémoration, et, last but not
least, on pourrait y reconnaître une régression vers un
comportement archaïque au lieu d’une progression qui consisterait à
suivre la règle fondamentale. Toutes ces descriptions, pour justes
qu’elles soient, restent incomplètes et peuvent ainsi induire une
démarche thérapeutique erronée.

J’ai été ainsi amené à élaborer une technique dont j’ai pu constater
l’utilité avec les patients ayant régressé au niveau du défaut
fondamental : j’ai appris à tolérer leur régression pendant un certain
temps sans essayer d’imposer une intervention interprétative. Ce
certain temps peut aussi bien durer quelques minutes que s’étendre
sur une partie plus ou moins grande de la séance. Comme je l’ai dit
plus haut, les mots cessent d’être un moyen valable de
communication pendant ces périodes. Les paroles du patient ne

394
La régression du patient et l’analyste

servent pas de support aux libres associations ; les paroles ne sont


pas vivantes, mais répétitives et stéréotypées : elles ne signifient
plus ce qu’elles semblent dire. Les règles de la technique classique
gardent toute leur valeur : le travail de l’analyste consiste à
comprendre ce qui se dissimule derrière les paroles du patient. Reste
à savoir comment l’analyste peut communiquer cette compréhension
à son patient en pleine régression. À cela je réponds que nous
devons admettre sans restriction que les mots ont perdu leur
validité, et nous devons renoncer franchement, pendant un certain
temps, à toute tentative qui tendrait à ramener le patient au niveau
verbal. Ceci revient à dire que nous devons renoncer à « organiser »
le matériel que le patient nous apporte, car, de toute façon, il ne
s’agit pas du « vrai » matériel, et nous devons apprendre à tolérer
cet état de fait. Ainsi ce matériel va probablement rester incohérent,
absurde, non organisé jusqu’au moment où le patient, après être
revenu au niveau œdipien du langage conventionnel, sera capable de
fournir à l’analyste la clé pour le déchiffrer.

Pour illustrer ce que je viens de dire, je rapporterai un épisode


emprunté à une analyse qui s’était poursuivie depuis deux ans. La
séance débuta par un silence de plus de trente minutes ; l’analyste,
acceptant ce silence et comprenant ce qui pouvait se passer,
attendait sans essayer d’intervenir d’aucune façon. En fait, il ne
ressentait aucune gêne et ne se sentait pas obligé de faire quoi que
ce fût. Je dois ajouter qu’au cours de ce traitement des silences
étaient survenus à plusieurs reprises et que le patient et l’analyste
avaient appris à les supporter. Le silence fut finalement rompu par
quelques sanglots et le malade soulagé put alors commencer à
parler. Il put dire à l’analyste qu’il avait été enfin capable de
« s’atteindre », que jamais, depuis son enfance, on ne l’avait laissé
tranquille, qu’il y eut toujours quelqu’un pour lui dire ce qu’il fallait
faire. À quelques séances de là, il me dit qu’au cours de ce silence il

395
La régression du patient et l’analyste

eut quelques associations, mais qu’il les rejeta comme étant


insignifiantes, simples interférences ennuyeuses et superficielles.

Ce silence aurait pu être interprété évidemment comme une


résistance, un repli, un signe d’angoisse persécutive ou une
incapacité de tolérer une anxiété dépressive, comme un symptôme
d’une compulsion de répétition, etc. Il aurait même été possible pour
l’analyste, qui connaissait assez bien son patient, d’interpréter ou de
deviner de quel ordre étaient ces associations et pour quelle raison
le malade les avait écartées comme étant sans importance. Toutes
ces interprétations auraient pu être exactes à tous les points de vue,
à ceci près qu’elles auraient rompu le silence et empêché le malade
de « s’atteindre », du moins à cette occasion. Toute interprétation,
aussi exacte qu’elle aurait pu être, aurait cependant produit un effet
fortuit supplémentaire : celui, inévitable, de renforcer le besoin de
répétition du malade. Une fois de plus quelqu’un lui aurait indiqué ce
qu’il fallait qu’il sente ou dise, en tout cas lui aurait montré ce qu’il
devait faire.

Rappelons que tout ceci se déroule dans le cadre d’une relation


exclusivement duelle. Le problème dynamique dont il s’agit n’est pas
structuré comme un conflit à « résoudre ». Une telle situation
requiert de la part de l’analyste plus de savoir-faire que s’il s’était
agi, par exemple, de comprendre des associations verbales. Si
l’analyste avait trouvé la véritable réponse à ce silence, il aurait
couru le risque de faire naître chez le malade l’espoir qu’un tel
événement pourrait se renouveler indéfiniment et déclencher ainsi
l’installation d’un état de pseudo-accoutumance. Et enfin dans une
telle situation les mots n’auraient pas pu jouer leur rôle habituel : ils
auraient probablement obligé le malade à s’engager prématurément
dans le domaine de l’Œdipe et grevé ainsi le travail analytique
d’obstacles supplémentaires au lieu d’en dégager l’issue. Tout ceci
ne fait que confirmer que le travail de l’analyse a atteint le domaine
du défaut fondamental.

396
La régression du patient et l’analyste

Aussi longtemps que la régression du malade se maintient à ce


niveau, la seule technique correcte est d’accepter cet acting out dans
la situation analytique en tant que moyen de communication valable,
sans essayer de l’organiser trop hâtivement par des interprétations.
Soulignons que cela ne signifie pas que durant ces périodes le rôle
de l’analyste soit négligeable ou se borne à une bienveillante
passivité. Tout au contraire sa présence est essentielle car il doit être
ressenti comme présent et il doit se trouver tout au long à la bonne
distance : ni trop loin, pour que le malade ne se sente perdu ou
abandonné ; ni trop près, pour que le malade n’en soit encombré ou
entravé. En fait, l’analyste doit se trouver à une distance qui
corresponde aux besoins réels du patient, et l’analyste doit savoir
apprécier quels sont ces besoins, pour quelles raisons ils sont ainsi,
et ce qui détermine leurs fluctuations et leurs modifications.

En se plaçant d’un point de vue différent on pourrait décrire ce


même rôle en d’autres termes. Durant ces périodes, la fonction de
l’analyste est de mettre à la disposition du malade du temps et un
milieu157. Cela signifie que l’analyste ne doit pas se sentir obligé de
compenser les privations auxquelles le patient s’est trouvé exposé à
son jeune âge, ni qu’il doive assurer au malade davantage de soins,
d’amour ou d’affection qu’il n’en avait trouvé auprès de ses parents ;
à supposer que l’analyste s’y essaie, il échouerait certainement. Ce
que l’analyste doit fournir (et même ceci seulement au cours des
séances régulières), c’est suffisamment de temps, libre de toutes les
tentations, stimulations et exigences extérieures, y compris de celles
que l’analyste pourrait y introduire de son propre fait. Le but
recherché est de permettre au malade de se trouver, de s’accepter et
de se supporter, tout en sachant tout au long qu’il porte une
cicatrice, son défaut fondamental, qui ne saurait être supprimé à
force d’analyse158. Il faut en outre lui permettre de trouver sa propre
voie vers le monde des objets et ne pas lui montrer le « bon »
157A provider of time and milieu.
158Which cannol be « analijzed » ont of existence.

397
La régression du patient et l’analyste

chemin, fût-ce par des interprétations profondes et correctes : ainsi il


ne se sentira pas envahi et opprimé par les objets. De cette façon
l’analyste met à la disposition du patient un milieu plus
« compréhensif mais seulement de cette façon et non pas sous la
forme de plus de soins, d’amour, d’attention, de gratifications ou de
protection.

Durant ces périodes, notre principe directeur est d’éviter toute


intervention qui ne soit pas absolument indispensable. Il faut surtout
scruter méticuleusement toutes les interprétations car elles sont
ressenties le plus souvent comme autant d’exigences injustifiées,
d’agressions, de tentatives de séduction ou de stimulation. Il ne faut
interpréter que lorsqu’on est certain que le patient en a besoin, car
c’est de ne pas les donner alors qui serait ressenti comme une
exigence ou une stimulation injustifiée. Envisagé sous cet angle on
comprendra mieux ce que j’ai appelé le danger des interprétations
ocnophiliques : bien que le patient ait besoin d’un milieu environnant
et d’un monde objectal, de tels objets (et parmi ceux-là, cet objet
qu’est l’analyste) ne doivent pas être vécus comme une exigence,
une gêne, ou une intrusion, car cela ne ferait que renforcer cette
inégalité primitive, qui en l’opprimant, sépare le sujet et l’objet.

IV.

J’ai mentionné plus haut l’abîme qui sépare « l’enfant dans le


patient » de l’analyste adulte ; j’ai dit qu’un patient ayant régressé
au niveau du défaut fondamental était généralement incapable de
franchir cet abîme par ses propres moyens. J’ai posé la question de
savoir quelle part de ce travail incombait à l’analyste et quelle part
en revenait au patient. La première réponse qui vient à l’esprit
concernant ce franchissement de l’abîme est une réponse classique :
l’analyste doit comprendre ce que le patient attend de lui 159. Cette
compréhension n’a pas besoin d’être (et à certains moments ne doit

159Au sens de son besoin ou de ses besoins : what the patient needs from him.

398
La régression du patient et l’analyste

pas être) communiquée au patient ayant régressé au moyen


d’interprétations, mais en créant un climat dont il a besoin. Ceci
oblige l’analyste à tolérer et à respecter l’acting out du patient, et,
plus précisément, de s’abstenir d’exercer toute pression pour
transformer immédiatement ses moyens d’expression non verbaux en
une forme d’expression œdipienne et verbale. J’ai essayé de résumer
quelle doit être la conduite de l’analyste à cet égard. Si j’ai raison
sur ce point, cela permettrait de comprendre les nombreuses
difficultés qui surgissent inévitablement lorsque l’analyste, en se
laissant prendre aux souffrances de son patient, essaye d’en faire
plus.

Pour autant que l’analyste réussisse à se plier sincèrement et sans


réserve, à la plupart de ces recommandations, on pourra voir
s’installer un nouveau mode de relation qui permettra au patient de
faire le « deuil » de son défaut originel et de son manque primitif qui
ont abouti à cette faille ou à cette cicatrice dans sa structure
psychique. Ce deuil est essentiellement différent de celui qu’entraîne
la perte réelle d’une personne aimée ou celui consécutif à un
dommage que subit un objet interne ou à la destruction d’un tel
objet, et qui est spécifique de la mélancolie. Le « deuil » auquel je me
réfère concerne le fait indélébile d’un défaut ou d’une faille du sujet
et qui projette son ombre sur la vie entière et dont les effets ne
pourront jamais être complètement effacés. Même si ce défaut venait

399
La régression du patient et l’analyste

à guérir, il laisserait une cicatrice permanente, c’est dire que


certains de ses effets resteront toujours décelables160.

On doit permettre à cette période de deuil de suivre son cours, et


elle peut parfois être d’une longueur exaspérante. Bien qu’on ne
puisse pas hâter ce processus, il est essentiel qu’il y ait un témoin.
Puisque ce deuil appartient au domaine du défaut fondamental, il est
apparemment impossible qu’il s’accomplisse sans l’aide de
quelqu’un : ce deuil ne peut se faire que dans le cadre d’une relation
duelle, telle que la réalise la situation analytique. Si l’analyste peut
tolérer ce deuil pendant une durée suffisamment longue et y
maintenir le climat nécessaire grâce à cette tolérance et à l’absence
d’interprétations inopportunes le patient pourra commencer à
coopérer d’une façon nouvelle ; comme s’il était prêt et capable
d’assumer à nouveau sa position vis-à-vis des objets et de
réenvisager la possibilité d’accepter le monde environnant, dans sa
laideur et son indifférence.

160Comme je l’avais déjà décrit dans mon article New Beginning and the
Paranoid and Depressive Syndromes (1952), reproduit dans Primary Love
and Psycho-Analytic Techniquet loc. cit., ce deuil se rapporte au fait que le
sujet abandonne une image narcissique qu’il a de lui-même, image qui à
l’origine a pu être instaurée en tant que surcompensation de son défaut
fondamental. Une surcompensation analogue a pu faire croire aux analystes
qu’une analyse véritablement menée à son terme (fully terminated) éviterait
au patient d’avoir désormais recours à des inhibitions ou à des refoulements
devenus inutiles. On peut peut-être atteindre un tel idéal, plus ou moins
parfaitement, au niveau œdipien, mais il serait vain d’espérer un tel résultat
au niveau du défaut fondamental. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises
au cours de cet article, le défaut fondamental ne peut être supprimé, résolu
ou dénoué ; il peut guérir dans certains cas en laissant une cicatrice, ce qui
signifie qu’il sera toujours possible de reconnaître son existence passée. Le
processus de deuil dont il s’agit ici, est celui qui aboutit au renoncement
définitif de l’espoir de jamais réaliser cet idéal parfait de soi-même. Une
analyse réussie doit aboutir à faire accepter au sujet l’existence du défaut
fondamental et amener le sujet à s’adapter à ce fait d’une façon réaliste.

400
La régression du patient et l’analyste

L’attitude thérapeutique que nous venons de décrire ne diffère


essentiellement, par aucun de ses détails, de celles qu’adoptent les
analystes avec les patients ayant atteint le niveau œdipien ; on
retrouve cette identité jusque dans les thèmes évoqués. Et pourtant,
il existe une différence qui est plutôt une question de climat,
d’atmosphère. Cette différence se fait sentir tant chez l’analyste que
chez l’analysé. L’analyste n’est pas tellement pressé de tout
« comprendre » immédiatement, et ne ressent pas le besoin
irrésistible d’ « organiser » et de modifier tout ce qui lui paraît
indésirable, par des interprétations correctes. Il se montre plus
tolérant à l’égard des souffrances du patient et il est capable de les
supporter – d’admettre une certaine impuissance à le soulager – au
lieu de vouloir à tout prix les faire « disparaître par l’analyse » pour
prouver son omnipotence thérapeutique. L’analyste peut aussi
résister à cette autre tentation d’affirmer son omnipotence sous la
forme d’une intervention dans la vie du sujet régressé au moyen d’un
maniement bienveillant, pour épargner désormais au malade de se
trouver exposé aux exigences insupportables du monde extérieur.
Pas davantage l’analyste ne se propose-t-il de fournir au malade une
« expérience émotionnelle correctrice », au sens où les médecins
cherchent à traiter un état déficitaire, qui serait une troisième forme
de réaction d’omnipotence. En fait, il est permis de dire que si
l’analyste sent la moindre tentation de réagir à l’égard du patient
régressé par une de ces formes de comportement omnipotent, il
devrait y reconnaître immédiatement un indice certain que le travail
analytique vient d’atteindre le domaine du défaut fondamental.
J’aimerais insister une fois de plus sur le fait qu’une telle tentation
éprouvée par l’analyste doit être évaluée en tant que symptôme du
malade, mais ne devrait en aucune circonstance déterminer
l’analyste à agir – une recommandation qu’il est plus facile à faire
qu’à suivre.

401
La régression du patient et l’analyste

Si l’analyste réussit à éviter ces pièges tendus par la séduction du


comportement omnipotent, le patient réagira, en partie à cette
tolérance accrue, en montrant sa volonté (difficile à déceler ailleurs)
d’en venir à bout, d’accepter un certain nombre de choses (on
pourrait dire : à l’essai), pour les comprendre ou simplement les
regarder en face.

Ainsi le patient peut graduellement sortir de sa régression. Ceci peut


ne pas être la fin de son évolution ; on verra parfois survenir des
rechutes. Mais de toutes façons il s’agit d’un premier pas fait sur ce
long parcours. Ce que je viens de décrire dans cet article n’est donc
pas la fin de l’histoire, ni l’histoire dans son entier. Il s’agit pourtant
de l’instauration d’une relation nouvelle entre le patient et une partie
de son monde, dont il avait été séparé jusqu’ici par l’abîme, créé par
son défaut fondamental : ceci constitue une première démarche en
direction d’une meilleure intégration de son Moi.

Comme je viens de le dire, ce que j’ai condensé dans cet article est
loin de constituer toute l’histoire. Je peux même en indiquer certains
chapitres manquants. Je n’ai rien dit, par exemple de la fonction de
répétition, de l’acting out au cours de la cure analytique ; en d’autres
termes je n’ai pas défini quand, jusqu’à quel point et dans quelles
conditions la répétition peut devenir une fonction thérapeutique. Il
aurait fallu consacrer un autre chapitre aux voies diverses qui
s’offrent au malade pour modifier son mode intérieur, ce qui
détermine dans une large mesure sa relation aux objets externes. De
même, il aurait fallu un chapitre pour discuter les moyens
thérapeutiques dont dispose l’analyste pour aider son patient à
mener à bien une telle modification. Et un chapitre, étroitement
articulé avec le précédent, devrait nous permettre de définir avec
plus de précision ce que j’appelle la technique d’interprétation sans
interférence (non interfering technique of interprétation). Enfin, on
devrait consacrer un important chapitre aux divers rôles que jouent
les interprétations – je me réfère ici à l’ancienne interprétation

402
La régression du patient et l’analyste

classique – au cours des périodes intercalaires qui séparent les


épisodes régressifs. Ce qui m’intéresse du point de vue de la
technique est de savoir comment on peut concilier les deux tâches
importantes qui sont dévolues à cette même interprétation. La
première consiste à créer et à entretenir un climat favorable au
déroulement de certains événements d’ordre thérapeutique ; la
seconde est de permettre au patient de comprendre quelles furent
les parts respectives de sa propre contribution et de celle de
l’analyste, dans l’établissement de ce climat, quelles furent leur
interaction et leur influence sur le résultat final. Quel que soit le
climat créé il impose certaines interprétations et en exclut d’autres ;
mais d’autre part certaines interprétations créent un climat
particulier alors que de les éviter crée un climat radicalement
différent.

Il n’y aurait peut-être pas d’endroit plus favorable pour entreprendre


une étude de l’interaction du climat et des interprétations au cours
du traitement psychanalytique des malades qui présentent une
régression profonde, que celui offert par Washington, et Chestnut
Lodge tout particulièrement, où le travail thérapeutique continue à
subir l’influence de Frieda Fromm-Reichman.

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