Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées
dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-
753 du 17 juillet 1978 :
- La réutilisation non commerciale de ces contenus ou dans le cadre d’une publication académique ou scientifique
est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source
des contenus telle que précisée ci-après : « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France » ou « Source
gallica.bnf.fr / BnF ».
- La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation
commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service ou toute autre
réutilisation des contenus générant directement des revenus : publication vendue (à l’exception des ouvrages
académiques ou scientifiques), une exposition, une production audiovisuelle, un service ou un produit payant, un
support à vocation promotionnelle etc.
2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété
des personnes publiques.
- des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent
être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits.
- des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont
signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est
invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.
4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et
suivants du code de la propriété intellectuelle.
5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de
réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec
le droit de ce pays.
6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur,
notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment
passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.
TOME XVII
1953
TOUS DROITS RÉSERVÉS
XVe Conférence
des Psychanalystes
de Langue française
Paris, 1952
I
THÉORIE BIOLOGIQUE DES INSTINCTS
A la recherche d'une théorie biologique des instincts, j'ai lu plusieurs
volumes à votre intention. E. S. RUSSEL (1945) m'a apporté une théorie
des instincts en fonction de leurs buts. E. RABAUD (1949) m'a offert
une théorie des instincts où ceux-ci ne sont plus que des réflexes.
Avec H. PIÉRON (194Ï) et P. GUILLAUME (1940), j'ai trouvé une théorie
des instincts beaucoup plus nuancée. Le premier surtout apporte une
grande richesse de faits et les critique rigoureusement, mais sans que
(1) Les passages en petit caractère sont, soit des observations, soit des résumés de la pensée
des auteurs auxquels ils se rapportent. Ce sont des citations exactes lorsqu'ils sont entre guille-
mets. I,es phrases entre crochets n'appartiennent qu'au rapporteur.
2 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
L'étude des organes des sens et leur infinie variété nous montre
sans contestation possible que chaque espèce d'animal possède ce que
UEXKULL a appelé son univers perceptif. Mais l'étude du comportement
nous montre que l'animal réagit seulement à une partie de la situation
totale et néglige tout le reste quoiqu'il soit capable de le percevoir.
Le Dytique Carnivore (Dyticus marginalis) a des yeux parfaite-
ment développés, il peut apprendre à répondre aux stimuli visuels.
Mais quand il capture une proie, par exemple un têtard, il ne réagit
absolument pas aux stimuli visuels. Une proie mobile dans un tube
de verre ne déclenche ni ne guide aucune réaction. La réponse de
capture est déclenchée par les stimuli tactiles et chimiques exclusive-
ment. Un extrait de viande dans l'eau oblige l'animal à chasser et
à capturer tout objet solide qu'il touche.
Mais il faut aller plus loin encore car l'expérimentation montre que
lorsqu'un organe des sens est responsable d'une réaction une partie
seulement du stimulus est effective.
L'épinoche mâle combat non pas les autres mâles mais tout
modèle artificiel quelle qu'en soit la forme pourvu qu'il offre les
caractéristiques de la parure nuptiale : gorge et ventre rouge.
Ces stimuli essentiels sont les stimuli signaux, et cette dépendance
étroite du stimulus et de la réponse est caractéristique du comporte-
ment inné. De ce fait le monde perceptuel de l'animal est perpétuelle-
ment changeant suivant l'activité instinctive en jeu.
Il est intéressant de noter que bien des réactions même simples sont
des chaînes de réaction dépendant de stimuli différents.
Dans le comportement sexuel de l'épinoche : la première réaction
du mâle, la danse en zigzag dépend du stimulus visuel fourni par la
femelle (abdomen gonflé et posture). La femelle réagit à la couleur
rouge du mâle et à la danse, en nageant vers le mâle. Ce mouvement
incite le mâle à se retourner et à nager rapidement vers le nid. Il
incite ainsi la femelle à le suivre. Elle incite ainsi le mâle à montrer
l'entrée avec sa tête. Il déclenche ainsi la réaction de la femelle qui
entre dans le nid. Elle déclenche ainsi la réaction de tremblement du
mâle ce qui provoque le frai de la femelle. La présence des oeufs dans
le nid déclenche la fécondation du mâle.
Dans une telle séquence la plupart des stimuli sont visuels, quelques-
uns sont tactiles ou chimiques.
Il est à remarquer que LASHLEY étudiant des mammifères ait conclu
que leur comportement instinctif dépend d'un complexe de stimuli.
Mais les auteurs des travaux qu'il cite n'ont même pas tenté de déceler
l'existence de comportementsen chaîne. Commele remarque TINBERGEN,
si l'on considère le comportement sexuel de l'épinoche comme un tout
4 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
INSTINCT ET APPRENTISSAGE
Il nous faut maintenant dire quelques mots des relations entre
l'instinct et l'apprentissage.
En effet les dispositions à apprendre appartiennent à l'équipement
inné. Dans ce sens, on peut définir l'apprentissage comme un processus
nerveux central provoquant des modificationsplus ou moins durables des
mécanismes innés de comportement, sous l'influence du monde extérieur.
Il est nécessaire à propos de l'apprentissage de signaler l'existence
d'apprentissages localisés dans le temps, c'est-à-dire de périodes critiques.
Les chiens esquimaux du Groenland oriental vivent en groupe
de 5 à 10 individus. Les membres d'un groupe défendent leur terri-
toire contre les autres groupes. Chaque chien connaît la topographie
exacte des territoires. Les chiens non adultes ne défendent pas le
territoire. Ils errent à travers toute la colonie, violent les autres terri-
toires dont ils sont promptement chassés, ils sont incapables d'en
apprendre la topographie. En l'espace d'une semaine un chien est
capable de réaliser sa première copulation, d'apprendre à défendre
le territoire de son groupe, et d'apprendre la topographie des autres
territoires. (TINBERGEN.)
Les jeunes oies suivent leurs parents dès qu'elles sont sorties de
l'oeuf. Si elles ne les connaissent pas, elles s'attachent à un autre
oiseau ou à un être humain pourvu que ce soit la première créature
vivante qu'elles rencontrent. Une fois qu'elles ont adopté un animal
comme parent, il est impossible de leur en faire accepter un autre,
même leurs propres parents. L'apprentissage est très rapide, une
minute ou moins. Il s'agit d'une aptitude à apprendre liée à une période
critique.
Il est également intéressant de noter comme l'a montré SEITZ qu'un
conditionnement progressif, un apprentissage apparaît lié à la vie de
groupe. Les réactions acquises dans cette situation sociale dépendent
16 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
et plus loin :
La valeur affective étant liée aux tendances, il y a lieu de préciser
«
la nature de ces tendances. La plus générale est celle qui tend à sous-
traire l'organisme aux sources d'expériences pénibles et à rechercher
au contraire les sources d'expériences agréables et le caractère uni-
versel de cette tendance s'impose si bien qu'en réalité le caractère
d'une expérience faite par un autre que soi apparaît pénible ou agréable
dans la mesure où celle-ci provoque une réaction répulsive ou appé-
titive. »
THEORIE DES INSTINCTS 17
C'est dans ces derniers mots que réside toute la difficulté du système
des valeurs, c'est qu'on conclut de l'attraction ou de la fuite, au plaisir
et au déplaisir au sens subjectif.
D'après ce que nous éprouvons quand nous nous approchons ou nous
éloignons nous concluons que l'animal éprouve quelque chose d'ana-
logue. L'affirmer c'est faire un acte de foi, nous n'en savons exactement
rien, nous ne pouvons que définir arbitrairement le plaisir par l'approche
et le déplaisir par la fuite.
Il est intéressant de donner un exemple de l'utilisation que fait
RUSSEL de la notion de valence.
2
valeur de survie, agir sur des prédateurs visuels et ainsi être très
dangereux.
Mais nous avons vu que certains déplacements peuvent avoir une
valeur de survie, ils sont utilisés socialement comme stimuli signaux.
Il y a souvent conflit entre deux adaptations, l'épinoche flamboyant
dans sa parure nuptiale attire la femelle, mais il attire aussi les préda-
teurs visuels. La solution de compromis sera trouvée dans la limitation
dans le temps de la livrée rouge. Nous savons dès le début que l'adap-
tation du comportement est réalisée par la coordination des mécanismes
et du résultat ou du but objectif, c'est toujours notre hypothèse de
travail. Les études causatives nous montrent simplement comment
cette adaptation est réalisée.
PSYCHANALYSE
18 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
C'est sans doute parce qu'il eut le tort de ne pas clairement distinguer
l'origine objective et subjective de ces concepts, et les a fondus en un
concept unique qu'il a été capable d'accomplir son oeuvre. Il a en effet
pu appliquer aux phénomènes psychiques subjectifs la méthode causa-
liste suivant laquelle on traite les phénomènes physiques objectifs.
Malheureusement on ne peut pas sans confusion conduire jusqu'à son
terme un raisonnement rigoureux portant sur des faits subjectifs
traités comme des faits objectifs, pas plus qu'on ne peut conclure des
faits objectifs aux faits subjectifs. Car le malade ne s'intéresse qu'à ses
états de conscience. L' « inconscient » du malade doit devenir conscient
pour être utilisable. La clinique ne peut s'éloigner que très peu des
phénomènes subjectifs.
C'est pourquoi nous verrons surgir des difficultés chaque fois que
FREUD fera appel à la biologie pour appuyer des arguments cliniques.
Et cependant si exacte est son analyse clinique qu'on trouve des ana-
logies bien plus frappantes entre les théories neurophysiologiques
récentes et les théories psychanalytiques purement cliniques qu'entre
celles-ci et la biologie de l'époque de FREUD. C'est l'autre tort de
FREUD d'avoir été en avance sur son époque.
Un peu plus tard, les événements déterminants du conflit seront
repoussés dans l'enfance, et FREUD s'aperçoit qu'ils sont toujours de
nature sexuelle. Dès (1896 a, b) (1898) toutes les caractéristiques de la
psychanalyse sont posées sinon élaborées : le conflit, son aspect actuel
et son aspect historique, l'instinct, la défense, l'inconscient, la sexualité
infantile. Il faut remarquer qu'à cette époque on pressent seulement
ce que sera plus tard l'instinct. En fait il n'apparaît qu'à travers le Moi.
Dans l'histoire de la psychanalyse comme dans notre pratique, on
discerne un conflit, on voit lutter le sujet, on ne voit pas pourquoi
ni contre quoi il lutte et c'est pour expliquer le conflit que nous avons
besoin des instincts. En ce sens, ce sont essentiellement des hypothèses
expliquant un comportement, mais surtout, ils sont capables d'être
compris par le malade comme un état de conscience : un mouvement vers.
Avec La science des rêves (1900) apparaît une théorie du désir qui
constitue sans doute la première théorie des instincts.
Le désir est défini de façon assez surpienante, mais très exacte,
comme un conditionnement. Le besoin de plaisir ayant été satisfait
par un objet, le besoin évoquera désormais l'image de l'objet. Le
mouvement d'évocation c'est le désir, mais avec le désir s'introduit
la notion de plaisir. En effet FREUD écrit : « Nous avons appelé désir
cette réaction de l'appareil psychique du désagréable à l'agréable. »
Le désir c'est donc la fuite du désagréable vers l'agréable.
THEORIE DES INSTINCTS 21
nulle part il ne prend parti sur le rôle des circonstances dans le choix
de ce qu'il appellera en 1926 un mécanisme de défense (1908 a, b).
Quant à l'ambivalence, ainsi nommée par BLEULER, elle pose des
problèmes dont la solution influencera de plus en plus la théorie.
Dès (1909 d) FREUD explique l'acte compulsionnel et le combat
entre l'amour et la haine qu'il comporte, en disant qu'à la période
préhistorique infantile les deux opposés ont été dissociés (ce qui
implique leur confusion antérieure) et l'un d'eux la haine a été
réprimé. Mais il dit ailleurs (1919 h) que chez l'enfant de tels senti-
ments opposés peuvent exister paisiblement côte à côte et pendant
très longtemps. Il ajoute qu'il ne peut se résigner à supposer l'exis-
tence d'un instinct agressif spécial à côté des instincts familiers de
sexualité et de préservation de soi et sur un pied d'égalité avec eux.
Le caractère impulsif et dynamique est un attribut de tous les instincts,
si on leur supprime cet élément agressif, chaque instinct n'est plus
qu'une relation à un but sans moyen de l'obtenir.
En fait le problème des instincts reste insoluble si on confond l'exci-
tation réceptrice et la réaction effectrice, la motivation et l'action, le
comportement appétitif et l'acte consommatoire. Mais c'est parce que
cliniquement, c'est-à-dire subjectivement, ils sont confondus chez les
malades que FREUD n'a pu les distinguer dans la théorie. Mais rien
n'empêche de considérer un instinct subjectif comme une relation à un
but sans moyen de l'obtenir.
A cette époque le conflit entre instincts ne mérite .pas vraiment son
nom car il oppose les instincts sexuels et les instincts du Moi qui ne
sont pas de vrais instincts même si on les appelle instincts de conser-
vation, c'est si vrai qu'en (1911) FREUD en fera des instincts sexuels ayant
le sujet pour objet. Le conflit instinctuel devient non plus un conflit
d'instincts, mais un conflit de choix d'objets s'offrant au même instinct.
Remarquons d'autre part que chaque fois que FREUD reprend le
problème du conflit majeur entre l'instinct et le Moi, la véritable dis-
cussion porte toujours sur le Moi, sur l'obstacle, sur l'interdiction.
Il en est ainsi dans (1912) :
Ce qui est en jeu c'est la proportion entre la quantité de libido
accumulée et celle que le moi peut maîtriser.
et dans (1913) :
Il faut tenir compte non seulement du stade prégénital sadique
anal mais aussi du développement du moi dont la précocité prédispose
sans doute à l'obsession.
Et il est impossible qu'il en soit autrement, car on étudie chez le
malade le conflit, c'est-à-dire les obstacles à l'expression de l'instinct,
avant qu'on puisse déceler les objets et les buts de celui-ci,
THEORIE DES INSTINCTS 25
Dans leurs vicissitudes, les instincts sont soumis aux trois grandes
lois qui dominent la vie mentale : activité-passivité qui est biologique,
moi-non moi qui est réelle [nous dirions intellectuelle], plaisir-
déplaisir qui est économique [nous dirions axiologique].
Remarquons que la polarité intellectuelle et la polarité axiologique
sont évidemment subjectives. Quant à la polarité biologique, nous en
discuterons plus loin (1), mais notons ici que d'après le texte même de
FREUD elle est équivoque car il en donne successivement deux défini-
tions dont l'une est physiologique et l'autre subjective.
En somme dans la théorie des instincts de 1915 l'élément biologique
se réduit à l'affirmation que nos motivations naissent dans notre corps
et sont élaborées par le système nerveux. Le fait que le système nerveux
est autre chose qu'un système statique de réflexes n'est pas soupçonné,
le caractère inné des activités instinctives est passé sous silence. Mais
l'histoire, les vicissitudes, la nature des instincts, tout entières liées à
la clinique constituent un système de théories aussi solides que souples.
De 1920 à 1926, FREUD conscient des insuffisances des théories
précédentes remanie en grande partie la théorie psychanalytique. Mais
c'est surtout Au delà du principe de plaisir (1920) qui nous fournit l'essen-
tiel de la théorie complète des instincts telle qu'il la précisera sans la
modifier jusqu'à sa mort.
Cette petite monographie débute par une définition du principe de
plaisir qui est plus exactement une définition du principe de déplaisir.
Nous croyons... que le cours de ces processus [mentaux] est
«
invariablement déclenché par une tension désagréable, et qu'il
prend une direction telle que son résultat final coïncide avec un
abaissement de cette tension, c'est-à-dire avec l'absence de déplaisir
ou la production de plaisir. »
(1) P. 53.
THEORIE DES INSTINCTS 29
Dans les deux chapitres suivants FREUD pose les faits cliniques qui
semblent en contradiction avec le principe de plaisir.
Ce sont :1° Les rêves des névroses traumatiques où le malade
revit l'accident ; 2° Les jeux de l'enfance : l'enfant rejoue un événe-
ment désagréable (séparation) dans un effort pour transformer sa
participation passive en participation active. Mais s'agit-il d'un
mécanisme de défense, revanche agressive ou identification avec
l'agresseur, donc conforme au principe de plaisir, ou s'agit-il d'une
tendance primitive à revivre un événement pour le maîtriser ; 3° La
répétition dans l'analyse d'événements vécus appartenant au passé.
Certes cette compulsion de répétition est celle des pulsions se heur-
tant à la résistance du moi et celui-ci obéit au principe de plaisir.
Mais comment la compulsion de répétition peut-elle ramener des
événements qui ne comportent aucune possibilité de plaisir ?
On peut dire que la compulsion de répétition est toujours ren-
forcée par des motifs obéissant au principe de plaisir : celle de l'enfant
par le plaisir immédiat, celle du transfert par la peur d'abandonner le
refoulement. Seuls les rêves des névroses traumatiques semblent
des répétitions pures. Mais à y réfléchir il semble qu'il existe quelque
chose de plus primitif, de plus élémentaire, de plus instinctif que le
principe de plaisir.
En somme, FREUD pense que malgré des explications suivant le
principe de plaisir, il reste dans les faits observés un mouvement vers
l'action qui doit ressortir à une autre explication.
Abandonnant les faits cliniques, FREUD entre alors dans ce qu'il
appelle lui-même le domaine de la spéculation. Il rappelle sa conception
du système mental (il ne dit plus nerveux, comme en 1892) qui est tout
entière tirée de la proposition I.
Les stimuli externes tendent à la destruction de l'organisme par .
égalisation des potentiels (1).
Les stimuli externes sont filtrés par un bouclier protecteur, mais
non les stimuli internes (2) ce qui explique l'importance des senti-
ments de la série plaisir-déplaisir et celle de la projection à l'extérieur
des stimuli internes, mais n'explique pas les échecs du principe de
plaisir.
Dans un traumatisme mental, le bouclier est brisé, le principe
de plaisir est mis hors d'action et avant qu'il puisse jouer à nouveau,
l'organisme doit maîtriser les stimuli en excès. La peur joue un rôle
capital : elle se produit chez un organisme non préparé ; l'angoisse
aide l'organisme à se préparer à la maîtrise des stimuli en excès.
Les rêvés des névroses traumatiques sont des tentatives pour
maîtriser rétrospectivement grâce à l'angoisse, les stimuli en excès.
Cette maîtrise des stimuli consiste à transformer de l'énergie libre
en énergie liée. Cette fonction primitive indépendante du principe
de plaisir oblige à répéter. Elle apparaît sous forme de compulsion
de répétition.
En somme, en face d'un déplaisir externe, il faut d'abord éliminer
le déplaisir avant de pouvoir obéir à l'attraction du plaisir. La répétition
est le moyen de défense contre le déplaisir primitif.
Le même raisonnement est valable pour la défense contre les stimuli
internes, expression des instincts de l'organisme (3).
Les impulsions instinctives sont des processus libres qui tendent
à se décharger. Elles doivent être maîtrisées (transformées d'énergie
libre en énergie liée) avant que le principe de plaisir puisse entrer
en action. C'est cette fonction de liaison qui se traduit par la compul-
sion de répétition. Lorsque celle-ci est en opposition avec le principe
de plaisir elle prend l'apparence d'une force étrangère.
(1) Certes c'est une autre façon de formuler le principe de constance. Mais
sous cette forme il est en contradiction directe avec l'expérimentation qui montre
la nécessité des excitations afférentes. On peut lire à ce propos le livre de
H. PIÉRON (1945), La sensation guide de vie dont je citerai ici un exemple simple.
Une grenouille dont le tégument est anesthésié cesse de respirer. Mais la res-
piration est réactivée par des stimulations mécaniques ou électriques (H. PIÉRON
et M. O. DE ALMEIDA).
(2) Cette distinction est inadmissible, si le « boucher » n'est autre que le
cortex. Il est évident que tout stimulus interne ou externe qui parvient à la
conscience passe obligatoirement par le cortex.
(3) Nous ne pouvons accepter de limiter l'instinct aux seuls facteurs
internes, ni les facteurs internes aux stimuli internes. L'instinct est un compor-
tement dans lequel les facteurs externes jouent un rôle indispensable. Même
en limitant arbitrairement l'instinct au comportement d'appétition, les facteurs
externes servent de déclencheurs et de guides indispensables à l'expression de
l'instinct.
THEORIE DES INSTINCTS 33
(1) Les cas décrits par TINBERGEN chez l'animal concernent des inhibitions
d'activités innées par conflits d'instincts, ou manque de stimuli déclencheurs.
THEORIE DÉS INSTINCTS 35
il n'est pas question d'inhibition par apprentissage. C'est donc une hypothèse
vraisemblable que nous formulons mais elle est vérifiable expérimentalement.
(1) Cf. FREUD (1932) : « La guerre est en opposition brutale non avec les
instincts, non avec la nature, mais avec la culture qui s'accompagne d'un dépla-
cement progressif des buts instinctuels. »
(2) On peut se demander si les mêmes explications (blocage avec ou sans
possibilité d'expression motrice) n'expliquent pas l'apprentissage dans le premier
cas, la névrose expérimentale dans le second, chez l'animal qui ne peut avoir
recours aux images pour « sortir » de la situation.
(3) Dans tous les exemples donnés par FREUD, rêves des névroses trauma-
tiques, jeu de l'enfant, répétition du transfert, il s'agit de répétitionimaginaire.
36 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
III
LES RELATIONS
ENTRE LES INSTINCTS ET LE MOI
Il est aisé de dire que le Moi s'est différencié du Ça sous l'influence
de la réalité. Certes, tout serait simple si notre nature animale était une
fois donnée et représentait ce qui est inné en nous, et si le système
d'actions n'était composé que d'actions apprises. Malheureusement il
est vain de vouloir faire d'une nature même animale un système inné,
le biologiste expérimente longuement avant de pouvoir affirmer d'un
comportement qu'il est inné, et d'autre part les actions apprises ne
(1) Je crois être très proche de LACAN (1948) qui écrit : « Le Moi dans
notre expérience représente le centre de toutes les résistances à la cure des
symptômes. »
(2) Il en est ainsi de toute médecine. Le malade qui « a une pneumonie »
ressent le malaise de sa fièvre, son point de côté, sa gêne respiratoire. Le méde-
cin voit la feuille de température, écoute le malade lui dire sa souffrance,
constate sa dyspnée. De plus il entend des râles crépitants dont le malade
n'a aucune connaissance, et ces râles évoquent pour lui la table d'autopsie sur
laquelle il a coupé des poumons hépatisés. C'est cette habitude de penser
anatomo-clinique qui nous fait voir derrière les désirs du malade un Ça fait
d'organes, de besoins, derrière les actions un moi fait d'un réseau nerveux
quelconque et qui n'est qu'un Ça plus affiné, plus adapté, derrière là crainte
un Surmoi fait d'on ne sait quoi, mais qui cruel et redoutable ressemblerait
assez au grand méchant loup à l'affût au détour d'une circonvolution cérébrale.
(3) Cependant la psychologie objective est capable par l'intermédiaire de
l'instrument du physiologiste d'expliciter une réponse implicite (toute science
objective est une science valable pour tout le monde et quoi de plus univer-
sellement valable que le déplacement d'une aiguille sur un cadran ?). Alors
que la psychanalyse peut seulement constater les réactions explicites (surtout
celles qui sont explicitées par le langage). Mais de cette faiblesse elle s'est fait
une force. D'une observation précise des circonstances concomitantes, elle
conclut qu'une réaction explicite maintenant a été précédée d'une réaction
implicite dans le passé (proche le plus souvent, sinon immédiat), qu'un obstacle
l'a empêché de s'expliciter, et que maintenant l'obstacle est levé. Si les circons-
tances s'y prêtent elle pourra même connaître d'emblée la nature de cet obstacle.
En définitive, la nécessité d'expliciter les réactions implicites par l'intermédiaire
du malade oblige à l'observation répétée dans des circonstances aussi semblables
que possible, et c'est ce qui lui permet de mettre en évidence le rôle du passé.
De plus, le passage des réactions implicites aux réactions explicites qui
appartiennent à la conscience du malade fait pénétrer l'analyste dans le monde
imaginaire du sujet, elles font constater qu'il existe un prisme imaginaire qui
déforme la situation. C'est à mon avis la différence essentielle entre psychologie
et psychanalyse. Ce qui les sépare, ce n'est pas tant que l'une emploie la mesure
THEORIE DES INSTINCTS 43
et que l'autre ne le puisse, ni que l'une travaille dans le présent et l'autre fasse
à chaque instant appel au passé, c'est que l'une par sa mesure constate une
efficience globale, alors que l'autre montre comment le monde imaginaire de
l'homme lui interdit ou non certaines efficiences. La psychologie objective qui,
par définition, ne tient pas compte des faits de conscience en tant que tels, ne
peut atteindre cette couche réfringente qui permet à l'homme dans une situa-
tion objective de vivre une situation toute différente. Ce que LAGACHE appelait
naguère la psychologie du bocal est une psychologie trompeuse malgré les
apparences. En effet l'homme qui est dans un bocal pour l'expérimentateur se
promène au même moment grâce à ses phantasmes dans une forêt, il entend
les vagues du vent dans les arbres, il sent l'odeur des sous-bois, il voit les jeux
du soleil à travers les feuilles, mais s'il ne vous le dit pas, vous n'en saurez rien,
tant que la physiologie n'aura pas trouvé le moyen d'expliciter pour vous ses
images kinesthésiques, auditives, olfactives, visuelles, ou autres.
(1) Ainsi Anna FREUD (1936) : « le Moi est vraiment le domaine auquel
...
doit toujours s'appliquer notie attention et [qu']il constitue, pour ainsi dire,
le milieu au travers duquel nous tentons de nous faire une image des deux
autres instances ».
(2) Il est un autre aspect de cette primauté de l'action que nous examine-
rons plus loin : l'instinct destructeur s'extériorise par le système musculaire,
par l'action. Une analyse du moi sera donc une analyse de l'agressivité. En
définitive, la psychanalyse rigoureuse mène à l'analyse du moi, et à celle de
l'agressivité.
44 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) On retrouve d'ailleurs cette même contradiction sous une forme diffé-
rente : Comment les instincts de conservation peuvent-ils appartenir à l'instinct
de vie alors que l'instinct de mort (sous forme d'action) est. nécessaire à la
conservation de l'individu ? On s'en tire par un artifice de langage : on postule
la fusion complète des deux instincts tout en leur laissant leur individualité.
(Voir plus bas Fusion et Défusion, p. 48.)
48 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
IV
LE CONFLIT INSTINCTUEL
Nous en arrivons maintenant au conflit instinctuel.
Nous retrouvons ici, exprimés en fonction de la théorie des instincts,
tous les problèmes de l'ambivalence. Celle-ci était clinique et subjective,
avec la terminologie nouvelle FREUD tente de lui donnerune basebiologique.
Rappelons que l'ambivalence (p. 27) apparaissait comme un instinct
et son opposé, mais elle prenait naissance historiquement dans des
comportements où haine et amour étaient primitivement impossibles
à distinguer. Sur le mode oral l'incorporation ne laissait pas d'existence
propre à l'objet, sur le mode anal la maîtrise de l'objet ne prenait pas
en considération l'annihilation de l'objet, sur le mode génital seulement
l'amour s'oppose à la haine.
Nous retrouvons maintenant les mêmes problèmes mais sous le nom
de Fusion et Défusion, et il s'agit d'instincts spécifiques, erotique et
destructeur, sous-jacents aux sentiments d'amour et de haine.
FUSION ET DÉFUSION
Il faut bien remarquer que la notion d'ambivalence, subjective, était
une notion claire. Mais celle de fusion et défusion introduit une équi-
voque car c'est une explication de l'ambivalence par des instincts aux-
quels ne correspond aucun modèle neurophysiologique. En effet, le jeu des
inhibitionsinterdit aux différents schèmes de se manifester simultanément.
Dans Le problème économique du masochisme
FREUD (1924) a pressenti cette difficulté : « Nous ne comprenons
pas les moyens physiologiques par lesquels s'opère cette subjugation »
[de l'instinct de mort par la Libido]. En fait la fusion est une notion
clinique et FREUD poursuit : « Dans le monde psychanalytique des
idées nous constatons qu'une coalescence se produit, nous n'avons
THÉORIE DES INSTINCTS 49
(1) Bel exemple de fausse force des instincts : l'instinct est fort parce que
le Moi qui s'y oppose n'a pas appris à être fort en face de cet instinct, à le
maîtriser en l'utilisant.
(2) Peut-être cette haine a-t-elle une signification historique, amoureuse
ou neutre, mais rien dans le matériel fourni par le malade n'autorise à ce
moment une interprétation dans le sens érotique.
PSYCHANALYSE 4
50 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Un de mes jeunes amis (18 mois) a dernièrement combiné toutes les
satisfactions en refusant obstinément de faire ses besoins sur son pot malgré les
52- REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
objurations maternelles, puis dès qu'elle se fût éloignée, en allant les faire dans
le bureau... de son père.
THEORIE DES INSTINCTS 53
ACTIVITE ET PASSIVITE
(1) Cela n'est pas contradictoire aux observations de SPITZ (1949) qui
concernent des enfants de moins d'un an et qui montrent que des excitations
58 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
TECHNIQUE ET THÉORIE
NEUROPHYSIOLOGIQUE
DES INSTINCTS
Et maintenant au terme de cet exposé, on peut se demander à quoi
servent de telles théories.
Elles ont le mérite de se prêter à la réfutation par l'expérimentation
et non par l'argumentation, ce qui ne peut que renforcer les bases mêmes
THÉORIE DES INSTINCTS 65
ACTION ET RÉGRESSION
Si la fusion dans la succession (qui précède la fusion simultanée
dans l'imaginaire et dans les activités de déplacement) est entravée par
l'entourage on assistera à une régression vers cet état indifférencié
pré-instinctuel autrefois réalisé à l'époque orale. Ainsi se manifestera
l'amour insatiable.
Si l'on veut bien admettre que l'amour insatiable se manifeste dans
la dépendance et l'activité dans l'autonomie, on ne s'étonnera pas de les
voir varier en raison inverse.
L'exemple de Denise est caractéristique à cet égard. Je ne citerai
qu'un aspect étroit de son transfert.
Après deux ans et demi d'analyse, elle me dit, pendant une séance,
« Je voudrais que vous soyez divorcé, qu'on se marie, qu'on ait des
enfants et que vous renvoyiez tous vos autres malades. » Je lui
demande si donc je continuerais une fois mariés à la traiter. Elle
s'écrie après un moment de réflexion : « Ne riez pas, je vous défends,
je ne veux pas qu'on rie. » Après l'avoir rassurée en lui disant :
« Pourquoi est-ce que je me moquerais de vous ? » elle me raconte
toutes sortes de souvenirs où on n'a pas pris au sérieux sa tendresse.
A la séance suivante, j'analyse le caractère infantile de cet amour
(dont il ne faut pas se moquer) et son avidité qui ne laisse à son analyste
aucune existence indépendante d'elle. Quelque temps après elle
m'annonce qu'il faudra bien terminer un jour cette analyse, et je
ACTION ET PHANTASME
Il est une autre raison qui m'a fait choisir cette observation, c'est
que cette malade présentait une caractéristique qui a simplifié le pro-
blème et m'a permis de présenter son évolution de façon schématique :
THÉORIE DES INSTINCTS 69
Un malade est bien un être qui n'ose pas agir, qui sollicite à chaque
instant la permission d'agir, parce que l'action est pour lui agression.
Mais le phantasme lui sert à agir une agression imaginaire, d'autant
plus facilement que le phantasme aura subi des déformations qui empê-
cheront de le reconnaître comme agressif. Car il est assez remarquable
qu'il soit moins difficile d'exprimer l'élément libidinal que l'élément
agressif du phantasme. Peut-être existe-t-il des cas où soit l'amour-
union, soit le plaisir libidinal pur, le plaisir récepteur est interdit, mais
chaque fois que j'ai cru le trouver, il m'est tôt ou tard apparu qu'il avait
une signification ressentie profondément comme agressive (amour
dévorant, plaisir autonome) sur laquelle portait l'interdiction.
Quant aux phantasmes de séduction, ils sont beaucoup moins passifs
qu'ils n'en ont l'air. Sous ce nom on désigne en général le phantasme
d'être séduit(e). Mais tantôt il recouvre une identification avec le
séducteur, tantôt être séduit(e) implique que sans en être responsable
on a éveillé le désir du séducteur.
En somme notre explication du rôle des phantasmes chez les névrosés
est la suivante : une action entraînant un sentiment d'autonomie est
interdite par la réaction de l'entourage, elle se satisfait alors sur le
mode imaginaire, mais du fait de la réprobation elle acquiert une signi-
fication agressive.
II se peut que l'expérience clinique des psychanalystes d'enfant
infirme radicalement cette théorie. Pour l'instant elle me paraît compa-
tible avec les faits tels qu'ils nous les ont communiqués à maintes
reprises. En tout cas la valeur bonne ou mauvaise des objets phantas-
matiques et les variations instantanées de valeur s'expliqueraient par
le jeu imaginaire de l'approbation ou de la désapprobation qui fait
de la même intention une action ou une agression. Cela me semble
pouvoir s'appliquer aussi bien aux images orales (dévorer) qu'aux
images de démembrement que je lierais volontiers à la motricité
manuelle, aux images de déchirement ou d'explosion probablement
anales, aux images de mouvement (fuite, évasion, utilisation d'un
moyen de transport) presque certainement liées à la maîtrise de la
locomotion.
J'ignore si les phantasmes vécus dans leur psychanalyse par les
erfants constituent une résistance ou une abréaction, mais ce dont je
suis à peu près certain, c'est que dans l'analyse des adultes, l'actualisa-
tion des phantasmes infantiles est un des obstacles majeurs à la guérison.
En fait le malade qui a trouvé une satisfaction active sur le mode
phantasmatique renonce très difficilement à cette satisfaction. Tout se
THEORIE DES INSTINCTS 71
passe comme s'il n'avait pas de désir réel de guérir, qu'il s'agisse de
celui qui mange trop, ou qui boit trop, ou qui absorbe des toxiques,
ou se masturbe avec des phantasmes d'être battu(e) ou violé(e) ou de
battre un tiers, ou qui comme un malade récent se fait masturber dans
les pissotières, en un mot qui présente un élément pervers.
Ainsi nous avons pu montrer que l'analyse causaliste objective,
lorsqu'elle s'attaque au conflit instinctuel est avant tout une analyse
de l'action, de l'agression, du Moi et de l'instinct destructeur, et que
lorsque l'action est entravée et devient agression impossible à réaliser,
l'homme a à sa disposition un monde imaginaire où il peut réaliser en
toute indépendance les agressions interdites.
C'est sur les images dont il est le maître avant d'en devenir quel-
quefois l'esclave, qu'il peut réaliser toutes sortes de déplacements et
d'inhibitions qui sont constitués, je pense, sur le modèle (blocage et
déplacement) des mécanismes de défense qui appartiennent à l'homme
animal, je veux dire à l'homme dans la situation. Car l'homme humain
se détache de la situation, il est capable par le jeu de ses images de la
saisir dans toute sa complexité spatio-temporelle pour la modifier, ou
de la vivre comme une situation toute différente.
ACTION ET LANGAGE
(1) L'association des affects et des processus instinctuels avec les idées
«
des mots est considérée comme le premier pas et le plus important dans la
direction de la maîtrise des instincts », Anna FREUD (1936). Le langage apparaît
ici comme un mécanisme de défense.
(2) Je pense que ce que j'appelle action correspond aux fonctions intégrées
du Moi de NACHT, à la zone non-conflictuelle du Moi (sphère autonome) de
THEORIE DES INSTINCTS 73
BIBLIOGRAPHIE ( 1)
ASHBY W. R. (1952). — The Origin of Adaptative Behaviour, Comptes rendus,
Ier Congrès mondial de Psychiatrie de Paris, 1950, vol. III, Paris, Hermann.
BENDER L., KEISER S., SCHIDER P. (1936). — Studies in Aggressiveness, Genetic
Psychol. Monographs XVIII.
BONAPARTE M. (1934). — Introduction à la théorie des instincts, Paris,
Denoël & Steele.
BRUNSWICK R. M. (1940). — The Preoedipal Phase of the Libido Development
in The Psychoanalytic Reader, 231, R. Fliess edit., London, Hogarth Press,
1950.
CANNON W. B. (1932). — The Wisdom of the Body, New York, Norton.
EDDINGTON A. S. (1929). —La nature du monde physique, trad. G. CROS, Paris,
Payot.
FREUD A. (1936). — Le moi et les mécanismes de défense, trad. A. BERMAN, Paris,
P. U F., 1949.
— (1949). — Aggression in Relation to Emotionnal Development nor-
mal and pathological, The Psychoanalytic Study of the
child, vol. III-IV, London, Imago.
FREUD S. (1893) a). — Letter to Joseph Breuer 1892, Coll. Pap., V, 25, Lon-
don, 1950, Hogarth Press.
— — b). —A case of Successful Treatment by Hypnotism, Coll.
Pap., V, 33.
(1) Les indications bibliographiques sont celles des textes dont je me suis servi soit pour
des raisons de convenance personnelle, soit parce que les traductions françaises étaient assez
mauvaises pour rendre la pensée de FREUD inintelligible.
THEORIE DES INSTINCTS 77
d'une finalité rebroussée. C'est une aspiration vers le passé, une fasci-
nation par le passé, une nostalgie et non un glissement sur une pente.
Le passé n'est plus cause efficiente mais cause finale. L'être n'est pas
nécessité par l'entropie, il l'assume. Freud dit textuellement qu'il ne
s'agit pas de mécanisme mais de détermination par l'histoire. Nous
employons peut-être là des termes qui paraîtront sans doute bien peu
scientifiques à certains d'entre vous, mais ne serait-ce pas trahir l'objet
de notre observation : l'être vivant, que de nous servir d'un Vocabu-
laire en usage dans la macrophysique traditionnelle (1), alors qu'il
s'agit justement de biologie comme fondement de la métapsycho-
logie ?
La notion d'instincts de vie met en évidence d'autres tendances
également indifférentes au Principe de Plaisir. D'abord fondues avec les
instincts de mort elles peuvent s'en séparer, s'y opposer et de nouveau
s'y agréger. La tendance à la coalescence est l'une d'entre elles, mais
aussi la tendance à la complication (le Moi et le Soi). Celle-ci est d'un
grand intérêt. Si l'on rapproche cette donnée de l'idée que se fait Freud
du progrès par adaptation aux changements extérieurs on retrouve
l'essentiel du Lamarckisme, comme Mme Marie Bonaparte l'a signalé
dans sa très claire Introduction à la théorie des instincts. Il est inutile de
rappeler que Lamarck conçoit l'adaptation comme le but d'une tendance
d'ailleurs éveillée par le milieu, alors que Darwin en fait le résultat
fortuit d'un hasard heureux. Certes le vivant n'échappe pas complète-
ment aux choses, mais elles n'ont pas sur lui leur plein effet. Il les
ravale au rang de conditions, d'obstacles ou d'occasions, tant qu'il dure.
Quand Freud dit que le vivant veut mourir mais à son heure et à sa
façon, c'est dire qu'il tend à se rendre maître de sa mort et de sa vie.
Mais il faut expliquer fusion et défusion de ces divers instincts par une
sorte de principe intime. C'est ainsi que Freud eut recours à Empédocle
et créa le mythe d'Éros et de Thanatos. Car, et nous atteignons ici une
intuition freudienne fondamentale, la vie est en son fond à la fois
conflit et union (analyse terminée et analyse interminable). L'instinct de
mort et l'instinct de vie ne peuvent donc appartenir à deux ordres de
réalité différents, ils n'hypostasient ni l'un ni l'autre la pensée causaliste,
je croirais volontiers au contraire qu'ils nous permettent de l'exorciser
définitivement. S'il en était autrement, la notion de conflit s'effondrerait
et avec elle notre technique et notre théorie.
(1) Bien sûr, c'est le théoricien qui condescend et non pas l'analyste mais, justement, toute
la difficulté est là.
88 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Il faut d'ailleurs remarquer que les notions de déterminisme et de loi ne préjugent
d'aucun parti-pris explicatif en ne s'attachant qu'à l'ordre de succession des phénomènes et
non à leur mode de production. En cherchant à définir celui-ci, nous faisons, Bénassy et moi,
de la métapsychologie.
(2) Il s'agit ici d'une intégration telle qu'un central téléphonique peut la réaliser, rien de
plus.
DISCUSSION SUR LE RAPPORT DU Dr M. BÉNASSY 89
(1) Le causaliste passe ainsi d'une notion psychobiologique : la tendance, à une notion
toute physique : le déplacement vers l'équilibre. Celle-ci, loin d'être prise métaphoriquement,
nous est présentée comme l'essence même de la tendance. Ainsi se trouve mécanisée la vie
tout entière.
DISCUSSION SUR LE RAPPORT DU Dr M. BÉNASSY 91
CONCLUSION
J'ai sans doute été moins clair que Bénassy, « les machines vivantes,
écrivait Ravaisson, sont le résultat de mouvements élémentaires
...
spontanés... qui ne peuvent être des objets de calcul et de raisonnement ».
En effet les notions de tendances, de leurs conflits, de leurs unions, de
leurs transformations et de leurs relations avec les choses s'explicitent
plus difficilement que les rapports physico-mathématiques des choses
entre elles. Comment comprendre que s'exercent à la fois les pouvoirs
d'Éros et ceux de Thanatos, comment saisir la nature de ces instincts
qui n'existent pas puisqu'ils deviennent, comment rendre compte de
cet enchevêtrement de causes efficientes et de causes finales que nous
présente la plus minuscule des amibes. Toutes ces notions sont effecti-
vement contradictoires, il faut en prendre notre parti. La vérité freu-
dienne est donc un scandale pour la raison, mais ce scandale n'a pas
seulement permis à celui qui l'a affronté de poursuivre heureusement ses
recherches. Ce n'est pas, comme paraît le penser Bénassy, une sorte de
felix culpa. Cettevéritécomposite n'est pas seulement féconde, elle est vraie.
Freud a tenté de rendre justice à la réalité humaine tout entière
et sous tous ses aspects, il lui fallait donc, à la fin, recourir au mythe
comme à l'image la plus claire, la plus fidèle et la plus compréhensive
de cette réalité « superbe et indéfinie ». La mythologie freudienne,
écartée avec un peu d'ironie par Bénassy, couronne selon moi cette
oeuvre inépuisable en lui donnant son véritable sens.
Intervention du Dr HELD
L'intéressante controverse entre Bénassy et Pasche à laquelle il
nous a été donné d'assister hier, nous paraissait devoir, quelle que pût
être sa durée, absolument sans issue. Pour simplifier il nous paraît
utile d'envisager les problèmes épistémologiques discutés aujourd'hui
de façon rétrograde, c'est-à-dire qu'après avoir suivi le rapporteur de la
psychanalyse à la psychologie la plus concrète, de la psychologie à la
neurophysiologie, nous soyons autorisés à faire une courte incursion
aux confins extrêmes de la biologie : à la naissance même de la vie. Nous
rappellerons alors avec Dauvilliers et Desguins (1) que ce qui caractérise
avant tout la vie et peut être pris comme critère de définition de cette
dernière est un pouvoir régulateur, « modulateur » des oxydo-réductions
Intervention du Dr LAFORGUE
En ce qui concerne le rapport si intéressant du Dr Bénassy, je ne
voudrais signaler que deux points qui me paraissent avoir été laissés
un peu dans l'ombre. Il me semble que le rapporteur n'a pas attribué
assez d'importance au travail de Freud intitulé : Au delà du principe
du plaisir, travail qui a permis à Freud de faire sa grande découverte du
super-ego, ainsi que celle des mécanismes de répétition.
Vous connaissez les idées de Freud sur la question. Il avait été frappé
par le fait que dans de nombreux cas cliniques l'instinct ne semblait
pas répondre au principe plaisir-déplaisir, mais paraissait au contraire
pousser l'individu à reproduire la même situation affective que celle à
laquelle il avait été adapté dans son enfance par exemple, même si cette
situation comportait pour lui de nombreuses souffrances et des déplaisirs
certains. Un homme élevé par une mère narcissique ou autoritaire aura
une tendance à se marier avec une femme narcissique ou autoritaire.
La fille, dans les mêmes conditions, aura une tendance à reproduire la
situation avec un homme autoritaire dont elle risque de devenir la proie.
Cette reproduction ne semble pas être conditionnée uniquement par la
situation familiale, mais aussi par les conditions sociales et ethniques
dans lesquelles l'individu s'est développé au cours de son enfance.
Ainsi se formerait un super-ego poussant les individus, de génération
en génération, à recréer les mêmes situations affectives et à les fixer d'une
façon peut-être même héréditaire en favorisant un comportement qui
reproduirait avec un instinct très sûr les situations affectives dont le
sujet est prisonnier.
Ce sont ces constatations qui nous ont amenés à parler du super-
ego non seulement parental, mais de classe, de religion, ainsi que de
super-ego racial (1). Dans tous les cas où les influences ethniques
auraient déterminé un comportement particulièrement caractéristique
Intervention du Dr LAGACHE
Je commence par féliciter Bénassy d'un rapport informé, solide et,
pour lui donner le plus bel éloge, utile. Je m'excuse si l'incidence d'une
période d'examens m'a empêché de l'étudier avec l'attention qu'il
mérite. Aussi ma brève intervention ne portera-t-elle que sur un aspect
du problème.
Certaines de ses difficultés sont inhérentes aux ambiguïtés de la
notion même d'instinct. Bénassy les a rappelées après Freud. L'idée
d'instinct, en psychanalyse, évoque à la fois une conceptualisation de
l'expérience clinique et une réalité ontologique sous-jacente à cette
expérience. Elle est par suite un instrument lourd et difficile à manier.
C'est pourquoi j'ai une préférence pour les « principes », dont il est au
moins certain qu'ils ne prétendent pas représenter autre chose qu'une
conceptualisation de l'expérience ou une manière de l'appréhender.
S'exprimant au sujet du principe de plaisir, Bénassy le décompose
en deux propositions, énoncée l'une en termes économiques, l'autre en
termes d'expérience subjective (p. 31). (Je rappelle en passant que l'ex-
pression « principe de plaisir » est une abréviation pour « principe de
plaisir-déplaisir A A mes yeux, l'énoncé en termes de tension est
celui auquel le développement de la psychanalyse a donné le plus
d'importance. La référence à l'expérience subjective renvoie à des
phénomènes plus complexes que ceux auxquels Bénassy s'est volon-
tairement limité, savoir à la motivation, c'est-à-dire à la modification
de l'organisme qui le met en train. Une description sommaire permet
d'y distinguer au moins deux aspects : 1° La motivation est un état
de tension et de dissociation de l'organisme dont le caractère pénible
PSYCHANALYSE 7
98 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
deux éléments constants qui les caractérisent tous : c'est l'élément force
devenant action, action qui opère en vertu de mécanisme innés.
Mais réduire les instincts à des éléments innés ne leur enlève rien
de leur mystère, et nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une explica-
tion qui ne fait que déplacer le problème sans le résoudre. Les travaux
de Szondi, que je connais peu et mal, pourraient, il me semble, apporter
ici quelque chose d'intéressant au sujet.
Toutefois, si l'élément inné limite nos possibilités d'appréhender
la notion d'instinct, celui de force agie nous donne davantage le moyen
de l'approcher d'un peu plus près.
Ce point de vue nous ramène, somme toute, à la clinique proprement
dite. C'est ce qu'a fait le rapporteur dans la partie la plus importante de
son travail, et c'est là, semble-t-il, qu'il est le plus à l'aise.
Lorsqu'on essaye de confronter la psychanalyse avec d'autres disci-
plines scientifiques, il arrive souvent que nous y trouvions, c'est juste-
ment le cas ici, une confirmation aux théories de Freud, quand ce ne
sont pas ces théories qui ont précisément inspiré, sciemment ou non,
les chercheurs de ces autres disciplines où la psychanalyse ne peut en
tout cas trouver aucun enseignement utilisable ou nouveau pour elle.'
Si nous revenons à la clinique, nous constatons des déplacements
d'objectifs et d'objet dans l'activité de chaque instinct. Nous pouvons
observer de plus, à la suite d'inhibitions intenses, la neutralisation de tel
ou tel instinct. Ces faits me semblent plaider en faveur de l'hypothèse
d'une énergie primaire non différenciée acquérant ultérieurement des
qualités particulières à mesure que se développerait l'organisme.
Freud ne dit-il pas d'ailleurs : « Non pas clairement sexuel, non pas
sadique en soi ; mais cependant la substance dont tous deux naîtront
plus tard » ?
Mais, ainsi que Bénassy le rappelle, Freud n'a pas cru devoir retenir
l'hypothèse d'une énergie primaire non différenciée. Il a voulu y voir
seulement une énergie libidinale neutralisée par le moi, ce qui paraît
déconcertant, car on peut se demander comment les fonctions du moi
pourraient s'exercer avant même d'exister.
Par contre, il semble évident que l'énergie mise au service des besoins
du nouveau-né est tout aussi élémentaire et peu différenciée que le sont
ces besoins mêmes.
Ce n'est que par suite du développement et de la maturation des
systèmes physiologiques que les besoins se multiplient, se nuancent,
se différencient.
Sans doute l'énergie employée se différencie-t-elle parallèlement,
DISCUSSION SUR LE RAPPORT DU Dr M. BENASSY 101
Intervention de M. J. R. DE OTAOLA
Je voudrais tout d'abord adresser la salutation cordiale du groupe
barcelonnais à cette Conférence, qui a permis d'établir un premier
contact entre les psychanalystes des pays de langues romanes ; je veux
vous exprimer nos meilleurs voeux pour l'avenir de ces relations, et
notre reconnaissance à M. le Président de la Société psychanalytique
de Paris pour son amicale invitation, si précieuse pour nous.
En ce qui concerne l'excellent rapport du Dr Bénassy, je me bornerai
à dire quelques mots pour poser simplement une question qui me
semble importante du point de vue méthodologique.
Comme nous le savons tous, la systématique des instincts selon la
psychanalyse, telle qu'elle est proposée par la deuxième et dernière
formule freudienne, se fonde sur des données purement spéculatives
se rapportant à des faits extra-empiriques par principe et qu'on ne peut
que supposer par déduction.
Parler d'instinct de vie et d'instinct de mort, c'est évidemment faire
appel à des notions qui appartiennent à une catégorie de pensée qui
entre bien dans la méthodologie philosophique existentielle, mais non
dans la méthodologie purement scientifique pour laquelle seuls les faits
positifs et leurs relations causales déterminables peuvent entrer en
ligne de compte.
Je me demande alors si cette orientation méthodologique est la plus
convenable à l'objet propre de l'investigation psychanalytique, c'est-à-
dire pour mettre en lumière les circonstances matérielles qui peuvent
nous expliquer scientifiquement les particularités concrètes d'une forme
donnée du comportement, actuelle ou latente, et cela dans les limites
les plus larges que vous voudrez, mais toujours en restant en deçà de
ces constantes universelles et transcendantes que, d'autre part, je ne
nie aucunement l'intérêt de rechercher.
Je me demande aussi si ce sont bien les résultats de la recherche
psychanalytique empirique qui exigent que, faute de mieux, on recoure
à de telles hypothèses transcendantes en renonçant à comprendre les
faits sans sortir de la voie scientifique expérimentale.
Selon nous la prétendue existence de processus instinctifs indépen-
DISCUSSION SUR LE RAPPORT DU Dr M. BÉNASSY 103
Intervention du Dr DE SAUSSURE
.
Je tiens à féliciter le Dr Bénassy du rapport très remarquable qu'il
nous a présenté. Il a fait l'effort de repenser après Freud et en suivant
ses traces ce problème si complexe des instincts. Il a eu raison de l'enri-
chir des découvertes plus récentes de la biologie et d'en étudier aussi
l'aspect neuro-physiologique.
Dans ma carrière d'analyste, je me suis penché à plusieurs reprises
sur le problème des instincts et particulièrement sur ce que Freud nous
en a dit : Vous savez que celui-ci nous a proposé des solutions diverses
selon les périodes de sa vie, que ces solutions sont en partie contradic-
toires, que les différentes définitions qu'il nous a données ne s'appliquent
pas chacune aux différents instincts qu'il a décrits.
C'est pourquoi cette étude est déconcertante et cependant prodi-
gieusement attachante parce que c'est au cours de sa recherche sur les
instincts que Freud nous a donné ses vues les plus profondes sur la vie
et sur les névroses.
Suivant les moments, l'instinct est pour Freud avant tout l'acte
instinctuel accompli par la force de l'hérédité ou la poussée instinctive,
ou une fonction complexe comme celle de l'instinct sexuel, ou l'affect
qui nous lie à l'objet ou l'ensemble de ces choses.
On peut ajouter que des confusions analogues existent chez la plu-
part des biologistes et des psychologues.
Si nous ne pouvons jeter une clarté complète sur la théorie de
108 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
INTRODUCTION
Présenter un rapport sur le Moi dans la névrose obsessionnelle peut
paraître osé, puisqu'aussi bien c'est dans cette affection que cet aspect
de la personnalité que l'on nomme le Moi fut depuis longtemps, et de
prime abord d'ailleurs, l'objet de l'attention des analystes. Il ne pouvait
être question en effet d'envisager l'étude de la névrose obsessionnelle
sans aborder celle du Moi, puisque celui-ci est de façon si active
impliqué dans cette névrose, et qu'il est si intimement mêlé au déve-
loppement de sa symptomatologie. FREUD n'a-t-il pas intitulé l'un
de ses premiers articles sur la névrose obsessionnelle, Les neuropsychoses
de défense.
Tout n'a-t-il pas été dit sur ce sujet. N'a-t-on pas décrit, sous tous
ces aspects, la pensée prélogique, n'a-t-on pas suffisamment insisté sur
les formations réactionnelles de l'ego ; s'il est un aspect pathologique du
Moi, dont la clinique analytique ait donné une description précise,
c'est bien celui du Moi obsessionnel.
Aussi n'ai-je pas l'intention de revenir sur des faits qui sont connus
de tous, ni sur ces études si pénétrantes qui nous ont fourni les connais-
sances que l'on sait sur les principaux mécanismes psychopathologiques
de la névrose obsessionnelle.
Je désirerais aborder ici, devant vous, un point particulier : Celui
des relations d'objet que le Moi obsessionnel, noue avec son environ-
112 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
nement, c'est là, je le sais bien aussi, un problème qui dès le début des
études analytiques a suscité l'intérêt des auteurs, et chacun a en mémoire
les travaux d'ABRAHAM. Néanmoins, mes lectures, tout aussi bien que
mon expérience personnelle si limitée fut-elle, m'ont engagé à consacrer
ce rapport à l'étude de cette question.
Comme on le verra en effet en lisant le chapitre qui suit, les travaux
les plus importants qui eurent trait ces vingt dernières années à la
névrose obsessionnelle ont eu pour objet précisément l'examen de ces
relations. Peut-être s'étonnera-t-on du titre que j'ai donné à cette présen-
tation : Le Moi dans la névrose obsessionnelle alors que je viens d'en
tracer les limites et d'indiquer que je ne ferai qu'allusion à tout ce que
la clinique psychanalytique, disons classique, nous apprend sur le Moi
obsessionnel; si je l'ai ainsi arrêté c'est que certaines des études
contemporaines s'essaient à une description d'ensemble de la person-
nalité totale du sujet obsédé à la lumière de ses relations objectales,
et par là introduisent le problème des rapports de la névrose obses-
sionnelle, et des autres syndromes psychopathologiques tout aussi
bien psychotiques, que névrotiques, alors que d'autres travaux restent
limités à un aspect plus restreint de ces relations d'objet.
J'ai pensé que l'on pouvait tenter une synthèse des résultats, obte-
nus par les auteurs qui se sont récemment intéressés à la névrose
obsessionnelle, résultats qui ne font d'ailleurs que compléter et préciser
ce qui était déjà impliqué dans les études plus anciennes ; il m'a semblé,
que de l'ensemble de ces données, se dégageait la notion d'une relation
d'objet dont la portée était très générale et dont j'ai recherché l'expres-
sion clinique. Aussi, je consacrerai une large partie de ce travail à un
exposé clinique, peut-être un peu minutieux et un peu long et je vous
prie de m'en excuser.
J'ai adopté dans cette présentation le plan suivant :
Le Ier chapitre sera consacré : à l'état actuel de la question.
Le 2e chapitre : à une étude clinique du Moi et de ses relations
d'objet en général.
Le 3 e chapitre : à l'étude des relations d'objet dans le transfert.
Le 4e chapitre : aux instruments de cette relation et à son évolution
au cours du traitement analytique.
Le 5e chapitre : à l'exposé d'une observation qui m'a semblé être assez
démonstrative.
Le 6e chapitre : enfin à quelques considérations d'ordre thérapeutique
avant que je ne vous présente les conclusions que je pense pouvoir
dégager de cette étude.
LE MOI DANS LA NEVROSE OBSESSIONNELLE 113
I
ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION
avait déjà protégé contre des dangers antérieurs au stade qui la marque,
ne peut manquer d'avoir une valeur générale en dehors de toute dis-
cussion relative au concept d'objet.
Au surplus cette thèse cadre trop bien avec ce qu'implique le schéma
d'ABRAHAM d'une part, c'est-à-dire qu'après les relations d'objets de
caractère sadique anal il y a la psychose, et ce que nous apprend
d'autre part l'étude des relations, mais cette fois sous l'angle psychana-
lytique entre la névrose obsessionnelle et les psychoses.
Ces études démontrent qu'en tout état de cause, en pratique, et
quelles que soient les conclusions auxquelles on arrive quant à la signi-
fication de la névrose par rapport à une psychose concomitante ou
sous-jacente, au sujet de leurs connexions réciproques l'on n'a aucun
intérêt à détruire inconsidérément la relation d'objet névrotique, car
alors la psychose se précise et s'amplifie.
Je regrette de ne pas avoir le temps d'insister ici sur les études de
FEDERN, de STENGEL, de GORDON, de PIOUS, et de bien d'autres. Il est
vrai que depuis que l'analyse de la schizophrénie semble devenue de
pratique plus courante, soit par l'emploi d'une technique modifiée
(FEDERN, PIOUS), soit par une analyse assez classique (ROSENFELD), la
position du problème peut être différente ; mais en restant dans les
limites de ce travail, il me semble qu'une notion capitale se dégage de
l'ensemble de ces recherches : le caractère vital de la relation obsession-
nelle, car elle supplée aux relations plus évoluées que le sujet n'a pu
atteindre, et les effets cataclysmiques de sa rupture sur l'état d'équilibre
et de cohérence du Moi d'un sujet donné.
Peut-être pourra-t-on m'objecter précisément qu'il n'est nullement
démontré qu'il y ait une relation de causalité, entre le maintien d'une
relation d'objet obsessionnelle et celui d'un certain degré de cohérence
du Moi et que, ce sont là simplement deux aspects concomitants et
parallèlement variables de la personnalité morbide, ceci est vrai, mais
il n'en reste pas moins que l'argument clinique garde toute sa valeur
et que si nous admettons depuis FREUD, une échelle de régressions de
plus en plus profonde et allant même jusqu'à la stupeur catatonique,
il n'y a pas de raison pour ne pas admettre qu'un stade régressif moins
profond qu'un autre, et qui par conséquent représente un progrès sur
ce stade antérieur, ne soit un palier, une plate-forme, sur lequel se
réfugie le sujet qui n'ayant pu accéder à des relations plus évoluées,
est sur le point de céder au vertige de la régression sans limite. Cette
manière de voir d'ailleurs est en accord avec les constatations faites
par les auteurs qui s'occupent de schizophrénie et dont l'un deux écri-
LE MOI DANS LA NEVROSE OBSESSIONNELLE 119
II
LE MOI
DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE
SES RELATIONS D'OBJET .
Il n'est pas dans mon intention dans cette partie de mon travail
d'envisager autre chose que ce que l'on est convenu d'appeler la faiblesse
ou la force du Moi. Il est en effet habituel de dire que le Moi dans la
névrose obsessionnelle est dans certains cas débile, dans d'autres
cas plus fort, et d'en tirer des conclusions pronostiques.
Tous les auteurs insistent à juste titre sur le dédoublement du Moi,
FENICHEL par exemple dans son traité sur Hystérie et névrose obsession-
nelle, note que la partie magique du Moi est du côté de la résistance et
que la partie logique est l'alliée du thérapeute ; il met, dans l'examen
qu'il fait des conditions qui rendent le traitement de la névrose obses-
LE MOI DANS LA NEVROSE OBSESSIONNELLE 121
parfois que telle partie de son corps lui était étrangère, sa main par
exemple. Ce qui se produisait le plus souvent était un trouble de la
perception des relations spatiales qu'il désignait sous le nom de trouble
de l'accommodation : les objets s'éloignaient, la dimension d'une
pièce lui paraissait immense, les situations relatives des objets, étaient
modifiées : dans d'autres cas, la luminosité d'un éclairement variait,
ou encore une sorte de brouillard s'interposait entre les êtres et lui.
Tout cela était accompagné d'un sentiment d'angoisse indéfinis-
sable, l'angoisse du troisième degré selon sa classification personnelle
mais il faut ajouter que ces phénomènes étaient très brefs, parfaitement
contrôlés par le Moi, et ne se produisaient qu'à l'occasion de poussées
extrêmement violentes d'agressivité provoquées par une frustration
quelconque. Comme je ne voudrais pas revenir sur cette description
symptomatologique en relatant son observation, j'ajouterai que pour
lutter contre ces phénomènes de dépersonnalisation, les procédés
.
magiques se montraient insuffisants et qu'il devait, comme d'ailleurs
es autre sujets dont je parlerai plus loin « s'accrocher au réel en s'inté-
ressant volontairement à quelque chose », en principe à quelques « sec-
teurs consolants de sa vie ». Cet effort de maîtrise, je l'ai retrouvé chez
tous les sujets souffrant de tels phénomènes et l'on doit me semble-t-il
le considérer comme un procédé de défense, contre la rupture des
relations d'objet, à la manière de l'obsession elle-même : On y retrouve
le même besoin narcissique d'un objet de complément, la même angoisse
à le perdre éventuellement : « Quand je me sens atteint dans mon propre
corps, je n'ai plus rien à quoi me raccrocher, puisque mon trouble est en
moi, il n'y a plus à compter sur un point d'appui extérieur », les mêmes
procédés de déplacement et souvent le même symbolisme. Il faut
certainement rapprocher ces « étrangetés » de la forme particulièrement
passive de ses obsessions de castration qui me semblent témoigner d'une
incertitude des limites du Moi. Devant cette symptomatologie si
complexe le diagnostic de schizophrénie avait été évoqué mais écarté
en raison du caractère énergique et sans défaillance de la défense dont
le sujet avait toujours fait preuve. Ces faits de dépersonnalisation, je lés-
ai rencontrés dans presque toutes mes observations ; les malades ne
les avouent qu'avec beaucoup de difficultés et s'ils témoignent d'un
trouble de la synthèse du Moi, ils ne sont nullement un argument
décisif en faveur de la schizophrénie; pour FEDERN lui-même, ils
n'acquièrent une valeur alarmante qu'à condition d'être particuliè-
rement fréquents et de s'accompagner d'autres symptômes, dans ce
cas, ils ont toujours été très rares et très brefs. Comme on le verra
LE MOI DANS LA NEVROSE OBSESSIONNELLE 125
qui sont les plus significatives de son existence n'en sont pas moins
extrêmement narcissiques, je me rends compte me disait-il, que ma
famille m'est chère, dans la mesure où elle fait partie de moi-même,
où je serais perdu sans elle, je n'y ai aucune indépendance, puisque
je ne dispose pas d'argent personnel et j'en souffre, mais j'y suis en
sécurité, nous formons un bloc et malgré tous les inconvénients que
comporte cette situation, j'y trouve mon avantage ; je sais bien qu'il
faut que je songe à me faire une vie personnelle, que le maintien de cette
optique enfantine est dangereux et absurde mais il me faut le reconnaître,
tout mon sentiment de moi-même est assis sur notre fortune et sur ma
famille, je ne puis imaginer la vie sans une fortune solide, et la pire
catastrophe serait pour moi une révolution qui me priverait de cette
sécurité. Un autre fait me trouble encore, l'idée du vieillissement de
ma mère ! Sa beauté me flatte et je me demande quelle sera mon attitude
quand elle aura vieilli ou ce que je ferais si elle était défigurée, ce serait
terrible ! Je me sentirais plus que diminué, et ce serait la même chose
si mes frères ne réussissaient pas, je suis heureux de leurs brillantes
études, parce que mon importance s'en trouve accrue et tout est ainsi !
C'est la même chose pour mes amis, je m'y attache dans la mesure où
j'ai besoin d'eux, pour leur confier mes obsessions et pour trouver en
eux un secours contre l'isolement. Tous ceux qui m'entourent remplis-
sent la même fonction, ce sont des réservoirs de puissance.
Il ne faudrait pas croire pour autant que ce sujet n'a jamais été
capable que de sentiments strictement utilitaires, l'analyse l'a démontré
amplement, il est, lui aussi, susceptible de ressentir des passions
violentes, faites de sentiment d'adoration, de tendresse, de dévouement,
de connaître un bonheur profond,^ comme je pus le constater en l'enten-
dant me raconter de brèves épisodes d'amours enfantines ou adoles-
centes qui ne furent qu'un rêve, puisque jamais il ne se risqua à leur
donner un commencement de réalité, l'intensité même de ses mouve-
ments émotionnels tout aussi bien dans le sens de l'exaltation et du
bonheur que dans celui de la peine, de la rancoeur et de la haine, était
telle qu'elle le contraignait à s'interdire, par mesure de précaution,
tout mouvement, qui ne fut pas strictement contrôlé, vers un autrui
quel qu'il soit, d'ailleurs, derrière ces femmes qu'il aurait bien voulu
aimer, comme il aurait bien voulu aimer sa mère, se cachait pour lui
une image terrifiante et destructrice, qui se traduisait dans sa conscience
par une peur telle des femmes, qu'il craignait le rapport sexuel comme
équivalent à un suicide, et c'est ainsi que gêné dans son évolution,
tout aussi bien par cette peur de castration par la femme que par celle
PSYCHANALYSE .
9
130 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
qu'encore plus difficile, dans une lutte qui ne peut prendre fin que de
trois manières : soit qu'à la longue un nouvel équilibre relationnel
s'installe sans qu'au fond rien ne soit changé, soit qu'épuisé dans son
effort et absolument exsangue le Moi s'abandonne à la psychose, soit
qu'enfin, dans les cas' qui peuvent encore recevoir une solution, la
dite relation puisse être remplacée par une autre, celle-ci salvatrice
quoique longtemps précaire ; cette précarité me semble, autant que
l'obstination anale, expliquer la proverbiale ténacité des obsédés dans
le maintien de leur système contre les efforts de l'analyste, FENICHEL,
dans l'ouvrage déjà cité, conseille de tenter le traitement analytique
dans tous les cas même dans ceux à allure schizophrénique, FEDERN
reste d'un avis plus réservé suivant en cela l'opinion de FREUD ; quant
à moi, je ne saurais, étant donné mon expérience, tout à fait insuffisante,
prendre parti dans un tel débat, mais je crois qu'en tout cas, la cornpré-
hension, aussi exacte que possible, à chaque instant du traitement,
de la signification de la relation d'objet dans le transfert, peut éviter
bien des surprises et des erreurs dont la conséquence serait, en frus-
trant à contre-temps le sujet dans ses rapports à l'analyste, de défaire
ce qu'il a spontanément construit, pour, selon l'expression de bien des
malades, « se maintenir accroché » ou au mieux de lui ôter sa chance
de troquer une mauvaise, mais valable relation d'objet, contre une
meilleure.
III
LA RELATION D'OBJET
DANS LE TRANSFERT
Le problème de la relation d'objet dans la névrose obsessionnelle
n'a cessé de préoccuper tous ceux qui se sont intéressés à cet état
morbide si particulier et si étrange et fait de contrastes les plus violents
à cet état qui se trouve aux frontières de la psychose, qui entretient avec
elle les relations les plus intimes, tout en lui restant tout au moins dans
certaines formes, tout au long d'une vie, étranger. Et comment en
serait-il autrement ? Comment ne serait-ce pas un problème toujours
nouveau, que celui que posent ces sujets à la fois lucides et obéissant
aux rites les plus archaïques de la pensée magique, à la fois minutieux,
attentifs au moindre détail d'un réel de collection, et assurés de dominer
le monde par des affirmations purement déréelles de toute-puissance
de la pensée, susceptibles, dans les formes moyennes, à la fois d'une
LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE 133
intention mauvaise ; c'est ainsi en tout cas que réagissent les sujets
adultes qui se livrent à ces fantasmes d'incorporation avec fort investis-
sement agressif; la partie d'objet qu'ils incorporent possède les mêmes
propriétés dangereuses que l'objet tout entier qui est visé dans leurs
relations. D'ailleurs elle est, de par la correspondance symbolique de
la partie au tout, représentative de la totalité de l'être avec qui il noue
une telle relation, tout au moins dans une certaine mesure, car la
relation d'objet n'y est pas rompue comme dans la mélancolie. Sans
vouloir aborder ici le problème de la valeur conceptuelle de là notion
d'objet partiel de Melanie KLEIN, disons simplement : que les malades
s'expriment effectivement comme si l'introjection agressive (dorénavant
j'emploierai le plus souvent ce qualificatif pour éviter l'expression : avec
fort investissement agressif), des parties d'objet équivalait non seulement
à une destruction, mais au risque d'être habité par un agent destructeur.
« Quels sont les sentiments qui accompagnent cette idée d'absorber
votre sperme, me disait l'un de mes patients dans un contexte d'irri-
tation violente ?... J'ai peur d'en mourir... d'être transformé... d'être
habité par un être tout-puissant et malfaisant qui échapperait à mon
contrôle. » Dans d'autres circonstances, une telle introjection pourrait
avoir un tout autre effet, et s'accompagner d'un sentiment de joie,
de force, d'invulnérabilité ; mais il est vrai qu'elle se développerait
dans une atmosphère non plus agressive, mais amoureuse, véritable
introjection conservatrice, dont je parlerai plus loin. Qu'il me suffise
de noter ici que, comme les activités anales, l'introjection peut revêtir
selon les cas deux aspects opposés, et que ces significations différentes
sont rigoureusement déterminées par l'état affectif qui l'accompagne.
En tout cas, le correctif des introjections dangereuses est la projec-
tion, car ce rejet est bien une projection, puisqu'aussi bien il ne corres-
pond pas seulement à une réjection hors du corps propre de l'élément
dangereux, mais aussi à l'attribution à cet élément de la qualité de
dangereux qui lui avait été conférée lors de l'introjection de par une
véritable projection, sur lui, au sens plein du terme, des émois et des
affects spécifiques du sujet, au moment de l'acte.
L'introduction de la notion d'une signification particulière de l'objet
par projection des affects du sujet me paraît être un élément essentiel
de la compréhension des relations d'objet obsessionnelles.
Pour l'instant, et quoique à partir de considérations sur « l'amour
partiel », une digression nécessaire m'ait amené à effleurer la question
de l'identification par introjection au cours de la cure analytique de la
névrose obsessionnelle, je m'en tiendrai à cette notion d'une relation
138 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
a peur d'être victime du talion d'un tel désir retourné sur lui. Au sur-
plus, la destruction de cet objet même consommerait la perte d'une
relation nécessaire narcissiquement. Du fait du déplacement, de la
substitution, tout être, tout objet qui devient significatif pour le sujet,
je veux dire par là, sur lequel se transfère son besoin narcissique, est
par le fait même, de façon atténuée ou totalement, le substitut d'une
telle image. Tout se passe comme s'il en revêtait tous les caractères,
il devient l'être dispensateur de toutes les certitudes, et par là même
indispensable, tout aussi bien que figure de mort. Il n'est pas besoin
de dire qu'une telle situation est celle de l'analyse, l'obsédé s'efforce
d'atteindre à une relation intime qu'il redoute de tout son être. Il .ne
peut pas davantage renoncer à son besoin que surmonter sa terreur, et
l'un comme l'autre sont justifiés. Le premier de par la nécessité où il
est de nouer à tout prix des relations d'objet, la seconde de par la forme
même de son besoin. La résolution de cette antinomie est évidemment
le noeud de la question. Elle n'est peut-être pas toujours pleinement
possible, mais le plus souvent, elle me semble susceptible de recevoir
une solution très satisfaisante et dans certains cas complète. En tout état
de cause, c'est d'elle et d'elle seule que dépend ce que l'on peut qualifier
du nom de guérison ; et je pense que c'était là ce que FREUD voulait
exprimer quand il écrivait : « Nous n'avons plus qu'à attendre que l'ana-
lyse elle-même devienne une obsession, car toute obsession exprime,
à travers tous les déplacements, toute l'armature symbolique, toutes
les isolations quelles qu'elles soient, ce dilemme de l'obsédé. » Dire que
l'analyse elle-même devient une obsession, n'est-ce pas affirmer que
le problème est simplement bien posé, et de la façon la plus réaliste qui
soit dans le transfert lui-même ?
Je n ai jusqu ici envisage la relation d' objet des obsédés qu'en fonc-
tion de l'ambivalence fondamentale libidinale, agressive de leurs pul-
sions instinctuelles ; je voudrais maintenant noter les autres aspects
ambivalentiels de cette relation : soit son aspect sado-masochique.
Je ne pense pas qu'il y ait ici à faire de longs développements, quoique
l'on ait tenté d'opposer le masochisme d'une part et le sadisme obses-
sionnel d'autre part (BERLINER). Comme l'écrit NACHT, en effet, la
plus éminemment masochique des névroses est bien la névrose obses-
sionnelle où le Moi, pour ne pas rompre sa relation libidinale avec le
Surmoi, pas plus d'ailleurs qu'avec ses objets, s'impose par l'inter-
médiaire de ses mécanismes de défense des expiations sans fin, ou
bien s'astreint à un ascétisme dont la rigueur peut dépasser toute
imagination, et où d'ailleurs la limitation même des pulsions instinc-
tuelles constitue en soi une manifestation masochique. Par le jeu des
mesures de défense l'agressivité, qui pourrait se développer sans restric-
tion contre l'objet, se retourne bien contre le sujet, c'est-à-dire contre
son Moi.
Mais il y a plus. Si les mécanismes d'atténuation de la relation
objectale comportent un aspect auto-punitif, et si à travers eux le Moi
est puni par le Surmoi, comme si celui-ci connaissait la signification
agressive de la pensée obsessionnelle sous son déguisement, pour
reprendre une formulation classique, ceci ne constitue pas tout le
masochisme obsessionnel. Il y a un masochisme plus primitif (NACHT)
celui qui résulte directement de l'indifférenciation relative du sujet et
de l'objet, ou pour parler en termes génétiques, du Moi et dujperson-
nage phallique. Si le sujet, comme le disait ABRAHAM, possédait un-Moi
nettement différencié de celui de son objet, l'on ne s'apercevrait pas,
après avoir écarté les défenses les plus superficielles, que cette indivi-
dualité est d'autant plus défendue qu'elle est à tout instant mise en
LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE 145
un premier groupe de cas qui correspond à ceux qui ont fait l'objet de
mon travail sur « l'aspect homosexuel du transfert », l'attrait homosexuel,
spontanément ressenti dans l'enfance et l'adolescence, s'accompagnait
de réactions émotionnelles très riches, très nuancées de véritables
amitiés au sens plein du terme et ne donnait lieu qu'à une défense
modérée ; parfois même y avait-il eu des contacts sexuels ; dans le
transfert de telles situations sont revécues avec un minimum de réac-
tions de défense et dans un contexte émotionnel très exactement
comparable à celui des expériences juvéniles, dans ces cas l'imago
paternelle s'est toujours montrée infiniment plus accueillante que
l'imago maternelle.
Dans un second groupe de cas les choses se présentent tout à fait
différemment. Ces sujets ont comme ceux du premier groupe des senti-
ments homosexuels conscients, mais ils consistent en phénomènes de
fascination brutale devant un homme offrant une image de puissance
ce qui détermine une réaction d'angoisse extrêmement profonde. Ces
patients ont des amis, même de « bons amis », mais leur commerce
avec eux est limité à des fins strictement narcissiques, ils n'ont pas
« d'amitiés ». Contrairement aux sujets du groupe précédent, dans le
transfert ils se défendent furieusement d'éprouver quelque sentiment
affectueux à l'égard de l'analyste utilisant une attitude paranoïaque
à minima, ils l'accusent de leur suggérer des sentiments homosexuels ;
dans leurs fantasmes ce ne sont que combats, luttes, ouverture du corps,
images sanglantes de castration... quand des fantaisies d'introjection
interviennent elles sont toujours chargées d'un énorme potentiel
agressif et provoquent des réactions de dégoût, de rejet, des sentiments
de panique. Nous verrons plus loin un exemple de ce tableau clinique,
les imago parentales sont mal différenciées.
Il m'a semblé que ces deux types de malades répondaient à des
formules pulsionnelles différentes ; chez les premiers là libido a atteint
le stade génital, l'OEdipe a été franchement abordé ainsi qu'en témoignent
non seulement la différenciation des images parentales, mais encore
l'extrême richesse des possibilités émotionnelles et leur grande variété.
La régression a joué un rôle plus important, toutes proportions gardées,
que la fixation; le transfert est plus aisé, la résolution thérapeutique
plus facile.
Quant aux seconds ils me paraissent témoigner d'une évolution
libidinale très timide. Dans leur évolution ils n'ont abordé l'OEdipe
que dans de très mauvaises conditions, les images parentales sont
moins bien différenciées que dans le cas précédent quoique l'imago
152 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
IV
LES INSTRUMENTS
DE LA RELATION D'OBJET
SON ÉVOLUTION
AU COURS DU TRAITEMENT ANALYTIQUE
significatif évoqué par le coït animal reste celui de ses rapports oraux
avec sa mère. Il n'est pas dans ma pensée de soutenir que toutes ces
incertitudes, quant au trauma, soient sans importance, je crois tout au
contraire qu'elles doivent être résolues dans la mesure du possible, mais
je pense que nous ne sommes à même de le faire qu'à partir du moment
où, précisément, cette relation à distance du transfert s'est dissoute et
muée en une relation directe.
Mon expérience clinique m'a toujours appris, comme à chacun de
nous, que c'est à partir de ce moment seulement que les faits déjà
retrouvés et abordés analytiquement prennent tout leur relief et
acquièrent toute leur valeur démonstrative.' C'est pour cela que je me
suis attaché à l'étude de la relation transférentielle, dont il ne suffit
pas, à mon sens, de dire par exemple qu'elle est sadomasochique
pour la caractériser suffisamment. Elle est d'une « qualité affective
spéciale », suivant l'expression si heureuse de NACHT, à propos
du masochisme prégénital qui est précisément l'un des aspects de
la relation d'objet obsessionnelle.
au sens vrai du terme, constitue le vrai danger : celui contre lequel les
obsédés luttent.
Il en est d'ailleurs d'autant plus facilement ainsi qu'étant données
les restrictions nécessaires de la technique analytique, ces sujets voient
se muer en tendances agressives ce qui, dans leur désir de rapproche-
ment, à la naissance de leurs sentiments, avait une signification libi-
dinale directe, et ce n'est pas la moindre difficulté de leur traitement
que la transformation si facile de leurs tendances affectueuses, fragiles
en un désir de possession haineuse et exaspérée en fonction de la
frustration réelle des rapports analytiques. Ceci explique, me semble-t-il,
les difficultés plus grandes que j'ai rencontrées dans le traitement des
femmes obsédées ; car, pour les hommes, les fantasmes homosexuels
gardent un caractère de fantaisie relative que les sentiments amoureux
de transfert n'ont pas pour les femmes et le dosage de la frustration
est plus aisé. J'en terminerai avec ces notations cliniques sur la manière
dont, dans leurs associations, ils cherchent à parler tout en ne disant
rien, en relatant le procédé que Pierre avait employé pour éviter de
se confier à moi. Alors qu'au début de son analyse, il avait eu les plus
grandes difficultés à m'apporter un matériel significatif, je remarquais
que peu à peu ses associations étaient exclusivement faites de fantasmes,
de propos, de signification scatologique ou homosexuelle ; il avait utilisé
conjointement l'isolation et le déplacement, ce qui était devenu impor-
tant était précisément ce qui ne l'était pas au. début, les faits de sa vie
journalière. « Ce que je fais ne vous regarde pas, vous vous efforcez
d'avoir un moyen de chantage, en sachant tout ce qui se passe dans
ma profession. »
J'ai prononcé le mot d'isolation, et ceci m'amène à énumérer la
liste des procédés de défense dont le Moi se sert, dans la névrose obses-
sionnelle, pour maîtriser les impulsions du ça, que le refoulement n'a
pas réussi à juguler, réactions éthiques, annulation rétroactive, expres-
sion du principe de toute puissance de la pensée. Ces procédés sont
évidemment utilisés dans les relations d'objet du transfert, complétant
les techniques de déplacement et de symbolisation communes à toutes
les activités de l'esprit, elles permettent au sujet d'assouplir sa relation
à son analyste. Je pourrais vous donner des exemples multiples de l'uti-
lisation de ces techniques dans le sens que je viens de dire, je crois
que ce serait inutile et fastidieux. Quand l'analyste est l'objet d'une
obsession, comme cela se présentait dans le cas de Monique, il est
tout à fait clair que la technique obsessionnelle protège le contact entre
les deux partenaires en présence, mais quand un malade se contente
LE MOI DANS LA NEVROSE OBSESSIONNELLE 157
et non atténuées à leur thérapeute. En pensant à tous les cas qui m'ont
servi à élaborer ce rapport, je ne puis +-qu'être frappé de leur opinion
unanime : si pénible que soit l'obsession, elle est préférable à ces grands
déchaînements affectifs qui s'accompagnent le plus souvent de ces
sensations indicibles et ineffables de dépersonnalisation. J'ai déjà
noté que Jeanne, quand elle éprouve ce malaise profond se raccroche
à une occupation quelconque ou se prend à compter et l'on sait que la
.rithmomanie est classiquement considérée comme' recouvrant les
pensées agressives (BARTEMEIR). Monique déclare nettement que ces
préoccupations obsessionnelles la défendent contre ses impressions
d'émiettement ; le malade dont on lira plus loin l'observation accuse
une certaine nostalgie de ses mécanismes obsessionnels, une autre
malade, à laquelle je n'ai jusqu'ici pas fait allusion, présentait un
ensemble symptomatique dont l'analyse n'est pas sans intérêt, je n'en
rapporterai ici que les éléments absolument indispensables à la compré-
hension du rôle de l'obsession. Cette femme ayant une obsession rela-
tivement limitée, malade durant toute son existence, a présenté des
crises obsessionnelles importantes chaque fois que les circonstances de
la vie lui faisaient subir une frustration. La première crise a éclaté à la
suite de l'interdiction qui lui avait été faite de rapports sexuels « réser-
vés », cette crise cessa spontanément quand la malade renonça à toute
pratique religieuse, elle connut une accalmie d'une dizaine d'années.
La deuxième crise fut provoquée par la frustration involontaire que lui
infligea son mari revenant de captivité, il ne put répondre à ses exigences
sexuelles ; et elle connut une recrudescence de ces phénomènes mor-
bides chaque année au moment de la fête de Pâques, époque de la
communion obligatoire à laquelle elle était obligée de renoncer du fait
même de sa maladie qui lui interdisait, par l'interférence de pensées
agressives d'ailleurs, de recevoir le sacrement. J'ai pu me rendre compte
que son équilibre dépendait étroitement de ses contacts affectifs avec
des personnages significatifs les siens ou une femme élue, quand ces
contacts sont mauvais, elle devient violemment agressive et se prive
volontairement de toute communion affective avec son entourage,
souffre terriblement de la frustration qu'elle s'impose, et c'est alors
que l'obsession proprement dite fait son apparition, son thème même
est éloquent, elle craint de voir Dieu, de marcher sur la verge du
Christ, etc. Mais avant que l'obsession ne s'installe, comme Jeanne,
elle essaie de se raccrocher à des occupations incessantes.
Dans tous ces cas la réaction obsessionnelle semble bien être à la
fois la conséquence d'une violente poussée agressive, insupportable
LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE 163
V
L'OBSERVATION
Au Chapitre II de cet exposé, j'ai étudié la symptomatologie et
les relations objectales de Paul ; aussi, me limiterai-je ici au récit de
cet aspect de son analyse qui intéresse ce travail. Les traits caractéris-
tiques de son comportement allaient en s'affirmant. Au fur et à mesure
que le temps passait, il devenait de plus en plus violent et secret,
s'éloignait de plus en plus de son frère et de son père, se battait avec
l'un et refusait d'obéir à l'autre qu'il avait complètement dévalorisé.
Puis un jour, il eut un rêve qui l'éclaira brusquement sur ses sentiments à
l'égard de sa mère : « Elle se penchait sur moi et j'eus une éjaculation. »
A partir de ce moment, il eut le sentiment d'être différent des autres,
marqué par une faute indélébile, et s'interdit toute pensée, qui puisse
de près ou de loin la mettre en cause. Et les obsessions s'installèrent
progressivement.
Il me semble dans ce cas que la renonciation brusque aux relations
libidinales génitales ait, de façon particulièrement manifeste, nécessité
l'entrée en jeu d'un nouveau système de relations d'objet : Le système
obsessionnel avec les substitutions, la symbolisation, l'isolation, les
techniques de maîtrise magique et rationnelle que ces relations impli-
quent. C'est là un fait bien connu que l'apparition des phénomènes
obsessionnels dans des circonstances identiques ; mais ici tout se passe
de façon presque schématique. Le sujet peut maintenir à sa mère une
relation vivante sur un mode atténué, ne l'obligeant pas à faire face
à des affects trop puissants et trop rapidement changeants.
En effet si, de prime abord cette régression pulsionnelle et rela-
tionnelle semble être en rapport direct avec le sentiment de culpabilité
et la crainte de la castration par le père, ici, perçue comme une condam-
nation sociale directe, elle fut aussi, et plus encore, déterminée par la
forme même qu'avait conservé, du fait de fixations importantes, la
sexualité de Paul, autrement dit par des angoisses de projection ; il me
dira bien longtemps après le début de son traitement : « Ce qui reste
pour moi chargé d'angoisse dans cet « OEdipe » c'est la manière dont
j'étais attiré par ma mère. Je me reproche encore le fait d'avoir été
poussé à sentir et à flairer ses vêtements les plus intimes et d'avoir eu
une sorte d'envie de les mordre, ce qui me donne une impression de
bestialité odieuse. Avant le rêve, je ne comprenais pas ce que cela
signifiait mais après !!!
168 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
tourments, je pense que c'est ce que doit ressentir un bébé, une sensa-
tion ineffable et indicible d'union, plus rien n'existe, tout est fini,
consommé, le sentiment de l'union que j'ai toujours souhaité avec la
femme idéale de mes rêves, un sentiment de béatitude, de bonheur
parfait, une absolue confusion », et il ajouta : « Je dois vous dire aussi
que je m'imagine avoir un sexe comme une femme, je ressens une
impression très douce de pénétration et c'est absolument comparable ! »
Il n'y avait que des sentiments de bonheur dans ce fantasme qui
ne comportait aucune destruction, semblable en cela aux fantaisies de
succion des mélancoliques d'ABRAHAM. Cette sorte d'introjection que
l'on pourrait peut-être qualifier de passive me paraît beaucoup mieux
mériter le nom de conservatrice. N'a-t-elle pas des traits communs
avec la communion religieuse où l'on avale sans mâcher ; le changement
de forme du fantasme traduisant seulement, comme je l'ai fait remar-
quer plus haut, une modification capitale dans l'affectivité du sujet,
elle provoque chez Paul, le même sentiment de force et d'identification
à l'être idéal générateur de toutes les puissances. Et ceci se traduira
concrètement, d'une part en effet dans les semaines qui suivirent il
passa avec succès un examen comportant non seulement un écrit mais
aussi un oral, et embrassa une jeune fille pour la première fois de sa
vie ; d'autre part, sur le plan analytique, il renonça presque complète-
ment à ses techniques d'isolation ; l'un de ses besoins narcissiques
fondamentaux était satisfait ; l'objet introjecté n'était plus mauvais ni
dangereux, le désir de l'absorber ne se heurtait plus à une défense
narcissique exaspérée. Bien au contraire, la possession de cet objet
apportait un appoint considérable à ce même narcissisme. Devenu
moins agressif, parce qu'il avait surmonté les anxiétés liées à l'accep-
tation de sa propre image reflétée par l'analyste, le sujet n'avait plus à
projeter sûr l'objet de son désir ses propres caractéristiques agressives.
Le cercle vicieux névrotique se trouvait rompu comme si une sorte
de satisfaction symbolique eut pu progressivement atténuer le senti-
ment de frustration, jamais apaisé jusqu'ici qui donnait à la pulsion
orale régressive toute sa qualité destructrice, et que sa signification
libidinale ait pu enfin se dégager.
est un mythe puisque je lui prête des qualités contradictoires, elle est
puissante-tout en ne me faisant pas peur. »
C'est une réaction que j'ai trouvé quasi constante chez les obsédés,
ils ne s'intéressent qu'aux personnages qu'ils jugent puissants hommes
ou femmes, et du fait même de la puissance qu'ils leur prêtent, ils les
redoutent et ne peuvent s'abandonner à eux ; telle est en première
analyse l'expression de ce dilemme auquel j'ai tant de fois fait allusion ;
ils ne peuvent, dans l'état actuel de leur organisation psychique, arriver
à le résoudre. La faiblesse de leur sentiment de soi est telle qu'elle les
pousse à rechercher toujours un personnage dominateur à aimer, et le
sentiment qu'ils ont de cette dépendance aggrave leur insécurité et
altère encore chez eux le sentiment du Moi selon l'expression de
FEDERN. Dans mon cas, les phénomènes de dépersonnalisation qui
accompagnent la frustration que, dans la circonstance rapportée plus
haut, le malade s'était imposé lui-même, mais qui peut tout aussi bien
venir du dehors, ces phénomènes qui se produisent aussi lors d'un
contact trop intime (introjection destructrice) donnent au tableau cli-
nique une allure très spectaculaire, voire dramatique, mais même dans
d'autres cas, où ils manquent apparemment, la trame de la relation
d'objet est la même. Pierre par exemple me dit : « Vous avez raison, je
ne puis avoir de relations homosexuelles qu'en imagination et avant
tout parce que dans la réalité j'aurais bien trop peur d'être dominé,
et encore faut-il qu'en rêve je dose minutieusement les forces, en
présence. »
Ainsi, ils ne peuvent s'attacher qu'à celui qui les rassure, mais qui
leur fait en même temps peur. Cette situation de dépendance analogue
à celle de leur petite enfance réveille en effet les angoisses attachées
aux fantasmes infantiles qu'ils projettent sur leur interlocuteur actuel,
comme je me suis efforcé de le démontrer. Et c'est là l'expression
profonde du dilemme obsessionnel. Ce rêve de la mère phallique
s'accompagnait d'une crise de dyspnée qui reste pour mon malade
beaucoup plus angoissante que toute autre manifestation morbide,
même que l'état de dépersonnalisation, or tout enfant et glouton il
s'étranglait fréquemment au cours de la tétée, ce qui semble d'ailleurs
confirmer les vues de BERGLER qui souligne l'importance des relations
mère-enfant du tout premier âge.
Cependant Paul revit dans le transfert une situation analogue :
« C'est terrible d'avoir le sentiment de dépendre de quelqu'un comme
je dépends de vous. Dans cette période pénible de rupture « expéri-
« mentale » j'ai pensé à vous. » Suit le récit d'un fantasme d'incorpo-
LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE 177
(1) Lors de la correction des épreuves de ce texte, j'ai appris que ce sujet dont l'analyse
était, à ce moment, terminée depuis plusieurs mois, était toujours « parfaitement bien » et
venait d'être reçu parmi les tout premiers au concours d'une de nos grandes Écoles.
186 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
de celle de ses relations d'objet, et que dans une certaine limite s'entend,
tout n'est qu'interjeu au sens le plus littéral du terme entre le sujet et le
monde, il n'en reste pas moins que de la notion de relation à distance,
expression clinique de cette synthèse quelque inférence pratique doit
se dégager.
Je pense qu'hormis tout ce qu'elle nous donne comme significations
des relations de transfert, elle nous en apporte au moins deux qui ne
sont d'ailleurs que le corollaire des dites significations :
Elles visent l'attitude générale de l'analyste, le dosage des frus-
trations, et comme tout se tient on pourrait les formuler en ces quelques
mots : L'importance de la compréhension.
J'avoue que je suis très gêné dans cette partie de mon exposé car
ce que j'ai à dire est familier à chacun et beaucoup d'entre vous seraient
plus habilités que moi à parler d'un tel sujet, mais puisque j'ai pris la
charge d'en noter tous les aspects, je me hasarderai donc à en aborder
le côté thérapeutique.
Si l'on veut se souvenir que l'obsédé dans l'analyse est tout orienté
précisément par la nécessité d'une relation à distance et que l'on
veuille bien prendre en considération qu'il est, dans le silence et dans
son for intérieur, rendu plus sensible qu'un autre par l'étroitesse de sa
dépendance même à toute frustration réelle, l'on comprendra peut-être
mieux la raison de certains échecs du colloque analytique.
Si le médecin se rapproche, le sujet prendra de la distance tant
qu'il n'aura pu faire l'expérience de l'irréalité de sa peur, si le médecin
se dérobe et il y a tant de façons de se dérober, le mieux que l'on puisse
attendre, c'est que le sujet frustré d'un contact réel aggrave ses procé-
dures obsessionnelles au sens très large du terme, qu'il s'agisse d'ob-
sessions vraies ou d'une neutralité affective réactionnelle. C'est ainsi
que le sujet réagit toujours en s'éloignant, chaque fois qu'en temps
inopportun, sans parler même de tentative de séduction, car l'on devine
aisément quel sens elles auront pour lui, l'on s'efforce simplement de
le déculpabiliser en prenant l'initiative.
Quelqu'effet apaisant que puissent avoir à un niveau très superficiel
de son organisation psychique, des paroles rassurantes, elles n'en auront
pas moins la valeur d'une proposition dangereuse pour l'obsédé. Ici
ce qui compte c'est le mouvement du médecin vers son patient, ce
mouvement est toujours ressenti comme une attaque, tout au moins
par un côté en raison de la projection préalable de l'imago phallique sur
le thérapeute. Bien d'autres causes interviennent dans ce recul, surdé-
terminé comme on l'imagine : Interdictions, masochisme, sadisme,
LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE 187
à chaque instant se dévoiler sous son vrai jour, que son accueil même est
la marque de son impérieux désir de possession destructrice et leur
sentiment est si fort que quand ils sont absolument sincères, ils avouent
qu'ils se font de leur médecin une image ambiguë qui s'impose à eux,
au delà de tous les raisonnements qu'ils peuvent se faire et de toutes
les assurances rationnelles qu'ils peuvent se donner. L'on est vérita-
blement stupéfaits de la vigueur de ces projections qui entraînent, dans
les cas les plus accentués, des certitudes quasi délirantes, ce qui a pu
faire dire, à juste titre, que la partie régressive de leur Moi se compor-
tait comme un Moi psychotique et l'on peut être assuré que ce qu'il y
a de rationnel en eux joue un rôle bien faible, quoique essentiel dans
leurs échanges avec l'objet quand celui-ci devient significatif : cette
partie rationnelle de leur Moi leur sert en effet à justifier à leurs yeux
le bien-fondé de leur démarche, à s'affirmer qu'ils ont raison d'attendre
quelque chose et que l'autre auquel ils s'adressent n'est pas seulement
destructeur, et c'est précisément cette aptitude si faible à une objecti-
vité relative qui adoucit la violence de leurs projections agressives,
qu'il convient de respecter avec le plus grand soin. Aucune affirmation
ne saurait jamais remplacer l'expérience qu'ils vivent profondément :
de se sentir, de se croire compris, il y a en eux à la fois tellement peu
de possibilités réelles de croire qu'ils ont affaire à un personnage
bienveillant et une tendance si puissante à saisir la moindre nuance de
l'agacement ou de l'indifférence même intérieure qu'il faut à tout prix
qu'ils aient l'expérience répétée d'une compréhension totale.
C'est à mon sens la seule condition dans laquelle sera assumé ce
rôle de miroir que FREUD assigne à l'analyste ; ils y verront se refléter
leur propre image agressive qu'ils considéreront d'abord comme étran-
gère, puis ils en prendront la mesure, et ainsi domineront les anxiétés
de talion qui s'opposaient à ce qu'elles soient intégrées dans l'ensemble
de leur Je, de leur Moi suivant la terminologie classique : « L'autre est
comme moi et je suis comme lui » tel est, je pense, le ressort « de cette
désaliénation où LACAN voit le fruit propre du Working Through ana-
lytique en tant que le sujet par l'analyse des résistances est sans cesse
renvoyé à la construction narcissique de son Moi où il peut reconnaître
à la fois son oeuvre et ce pourquoi il en a été l'artisan : C'est-à-dire
cette peur dont il peut se dire enfin : « Lui, ne l'éprouve pas, ni de moi
ni de lui-même. »
LACAN ajoute que : « C'est à cet autre enfin découvert, que le sujet
pourra faire reconnaître son désir en un acte pacifique qui à la fois
exige cet autre et constitue l'objet d'un don authentique... »
LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE 189
quelque mesure car alors il n'est plus ce personnage fort qu'ils cher-
chent, leur relation avec lui perd tout son sens, ils ne trouvent plus en
lui l'appui narcissique dont ils ont tant besoin ; on leur a infligé malgré
les apparences la frustration la plus grave qu'ils puissent ressentir : les
priver d'un appui solide et intangible.
Par contre, ils sont très sensibles à une autre frustration, celle du
silence et c'est pour cela que j'ai dès le début insisté sur la nécessité
de leur apporter quelque chose, BERGLERG, dans une longue étude
d'ensemble consacrée aux malades souffrant des conséquences d'une
frustration orale, appuie sur la nécessité, dans une première phase du
traitement, de leur donner beaucoup. Je ne crois pas qu'il faille, comme
il semble l'indiquer, parler à tout prix, mais je pense par contre qu'il
convient d'apporter une grande attention à ne pas méconnaître leur
besoin de contact, non seulement parce que reste toujours en suspens
l'éventualité d'un syndrome obsessionnel symptomatique, mais surtout
parce qu'il n'y a nul intérêt à les laisser s'enfoncer dans une technique
de distance, où ils trouveront le moyen de se satisfaire indirectement
de leur commerce avec l'analyste, en palliant aux frustrations que l'on
croira nécessaire de leur faire supporter, car alors se dérouleraient ces
séances monotones où rien ne bouge jusqu'au jour, où lassé, le médecin
aura à dominer ce contre-transfert si compréhensible mais si néfaste dont
je parlais plus haut ; je pense qu'une analyse serrée et précise du trans-
fert obvie à cet inconvénient et que son interprétation juste reste le
plus sûr moyen d'éviter toutes les difficultés que l'on côtoie dans un
traitement de ce genre. C'est la raison pour laquelle j'ai plus parti-
culièrement insisté autrefois sur la. détection précoce des manifestations
homosexuelles chez les hommes et des désirs de castration chez les
femmes, manifestations qui introduisent les désirs d'incorporation
chez les uns et chez les autres ; je me suis toujours bien trouvé de laisser
ces fantaisies d'incorporation se développer librement pendant un
temps assez long en m'efforçant d'amener le sujet à leur donner leur
pleine signification affective. Il semble que de leur libre exercice résulte
une sorte de maturation pulsionnelle, comme si leur expression verbale
et émotionnelle permettait la reprise d'une évolution qui s'était trouvée
bloquée.
Par ailleurs, je crois qu'il est nécessaire de les interpréter, dans le
sens général du transfert, au moment où elles se produisent, sans insister
systématiquement sur leur ambivalence. Il est bien certain qu'elles sont
ambivalentes, mais il est non moins évident que l'investissement affectif
dominant dont elles sont chargées est de signe variable selon les circons-
LE MOI DANS LA NEVROSE OBSESSIONNELLE 191
CONCLUSIONS
BIBLIOGRAPHIE
(I) ABRAHAM (Karl). Notes on the psychoanalytic investigation and treatment of
manie dépressive insanity and allied conditions, 1911.
— The first pregenital stage of the Libido, 1916.
— The narcissistic évaluation of excretory processes in dreams and neurosis, 1920.
— Contributions to the theory of the anal character, 1921.
— A short study of the development of the Libido, 1924.
ALEXANDER (Franz). Zur Théorie der Zwangs Neurosen und Phobien, Int.
Ztschr., XIII, 1927.
BERGMAN (Léo). Depersonalization and the body Ego with spécial référence to
the genital représentation, Psa. Quart., vol. XVII, n° 4, 1948.
BERLINER (Bernhard). Psa. Quart., vol. XVI, 1947.
BOREL (Adrien) et CENAC (Michel). L'Obsession, Rapport à la VIIe Conférence
des Psychanalystes de Langue française en 1932, Revuefr. de Psa., n° 3,1932.
BOUVET (Maurice), Importance de l'aspect homosexuel du transfert dans le
traitement de 4 cas de névrose obsessionnelle masculine. Revue fr. de Psa.,
n° 3, 1948.
— Incidence thérapeutique de la prise de conscience de l'envie du pénis dans
la névrose obsessionnelle féminine, Revue fr. de Psa., n° 2, 1950.
BALINT (Michel). On the termination of analysis, Int. J. of Psa., vol. XXX, 1950.
BARTEMEIER (Léo, H.). A counting compulsion, Int. J. of Psa., vol. XXII, 1941.
BERGLER (Edm.). Bemerkungen ueber eine Zwangsneurose in ultimis, Int.
Ztschr., XXII, 1936.
— Two forms of agression in obsessional neurosis, Psa. Review, 1942.
— Three Tributaries to the developmentof ambivalence, Psa. Quart., vol. XVII,
n° 2, 1948.
BRUN (Rudolf). Allgemeine neurosenlehre, 1946.
BRUEL (O.). On the genetic relations of certain O. N. character traits (integrity
complex), J. nerv. ment. Dis., 1935.
CHRISTOFFEL. Bemerkungen ueber zweierlei Mechanismen der Identifizierung,
Imago, XXIII, 1937.
DEUTSCH (Hélène). Psychoanalysis of the neuroses, The Hogarth Press, London,
1932.
DICKS (H. V.). A clinical study of obsession, Brit. J. med.-psychol., 1931.
FEDERN (Paul). Narcissism in the structure of the Ego, Int. J. of Psa., vol. IX,
p. 4, 1928.
— Hystérie und Zwang in der Neurosenwahl, Int. Ztschr. und Imago, p. 3,1940.
— Psychoanalysis of psychoses, Psychiatrie Quart., XVII, p. 1-3, 1943.
— Mental hygiène of the psychotic Ego, Amer. J. of Psychoth., vol. III, n° 3,
July 1949.
FEIGENBAUM (Dorian). Depersonalization as a Defence mechanism, Psa. Quart.,
VI, 1937.
FENICHEL (Otto). Hysterien und Zwangsneurosen, Int. Psa. Verlag, Wien, 1931.
— The psychoanalytic theory of neurosis, W. W. Norton & C°, New York.
FREUD (Sigmund). Die Abwehr Neuropsychosen, Neuro-Zentralblatt, 1894.
— Trois essais sur la théorie de la sexualité, .trad. REVERCHON, N. R. F., 1925.
LE MOI DANS LA NEVROSE OBSESSIONNELLE 195
Intervention du Dr LAFORGUE
J'ai déjà eu l'occasion de dire à Bouvet ce que sa conférence avait
pour moi d'émouvant. En effet, pour la première fois depuis la guerre,
je vois de nouveau la pensée psychanalytique atteindre le niveau auquel
nous avaient habitués Nunberg, Helena Deutsch, Théodore Reik et
tant d'autres. Rendons également hommage à Nacht qui, pendant les
années difficiles de l'après-guerre, a su défendre avec beaucoup de
discernement et de courage la qualité de cette pensée en France.
Bouvet nous a laissé entendre combien les traitements des obsédés
lui paraissaient longs, difficiles et — si j'ai bien compris — souvent
décevants. Cette constatation ne nous surprend guère et apporte un
témoignage supplémentaire de la sincérité avec laquelle Bouvet a fait
son travail. Nous voyons tous des obsédés améliorés menacés à chaque
instant de rechute et traîner, souvent pendant des années, en s'accro-
chant d'une façon parfois pénible à leur psychanalyste. Comment sortir
du cercle vicieux que représente une obsession ?
Bouvet nous a montré, dans son rapport, comment on pouvait y
entrer et quelle était la nature des échanges qui pouvaient s'établir à
l'intérieur de ce cercle entre psychanalyste et malade, mais j'ai l'impres-
sion qu'il ne nous a guère montré comment on pouvait en sortir, et c'est
sur ce point que je voudrais vous donner quelques indications.
Dans l'ensemble, mes critiques ne s'adressent pas directement à
Bouvet, mais à une certaine façon de poser le problème et de le conce-
voir, façon qui — je le confesse — a été également la mienne il y a une
vingtaine d'années environ. A cette époque, je pensais que la technique
que j'employais, technique classique telle que Bouvet nous l'a exposée
et telle que Loewenstein et moi l'avons enseignée à nos élèves, représen-
200 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Intervention du Dr DE SAUSSURE
Je tiens à féliciter le Dr Bouvet de son remarquable rapport. La
relation du sujet à l'objet est un rapport particulièrement important
parce qu'il nous renseigne sur les modalités du transfert. Le travail qui
nous est présenté a donc une double utilité théorique et pratique.
(P. 134) : L'auteur insiste sur ce que le transfert des obsédés est une
DISCUSSION SUR LE RAPPORT DU Dr M. BOUVET 207
(1) Cette intervention ne nous étant pas parvenue, nous n'avons pu l'insérer dans ce
numéro.
214 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
soit aussi décevant que M. Laforgue le lui fait dire. Certes ce traite-
ment est long, délicat, certes il convient de ne pas s'abuser sur la valeur
de certains résultats, mais l'auteur précisément pense qu'avec une
technique rigoureuse autant qu'humaine, des modifications structurales
de la personnalité peuvent être obtenues. Et c'est d'ailleurs ce qu'il s'est
efforcé de montrer tout au long de son rapport.
De. même le Dr Laforgue a retiré de la lecture de ce travail l'im-
pression que l'attitude thérapeutique proposée était celle d'un miroir
froid alors que l'auteur s'est attaché à montrer sans cesse combien
cette attitude devait être celle d'une compréhension attentive et sans
défaillance, et pour tout dire d'une chaude compréhension, dosant
sans cesse la distance que le sujet peut supporter et l'amenant progres-
sivement à un « rapproché » nécessaire.
Bouvet insiste sur l'importance d'une attitude active à une certaine
phase, tardive d'ailleurs, du traitement, alors que doit être intensifiée
cette fonction de « médiation » que le sujet a dévolu à son thérapeute.
En ce qui concerne l'étroitesse des liens névrotiques qui unissent
l'obsédé à son environnement, l'auteur est tout à fait en accord avec
le Dr Laforgue. Il n'a pu expliciter dans son rapport ce que sa pratique
lui a appris touchant la vigueur des réponses complémentaires névro-
tiques du milieu familial mais, dans sa réponse, il en cite de nombreux
exemples qui lui semblent plus particulièrement démonstratifs, et qui
l'amènent à comparer le bloc de la famille obsessionnelle à un organisme
pluricellulaire ; néanmoins, dans les cas dont il eut à connaître, l'ana-
lyse put arriver à une détente suffisante des relations familiales du
seul fait de l'amélioration du sujet.
Le Dr Laforgue a soulevé l'hypothèse d'une séduction du sujet par
sa mère dans le cas de Paul, l'auteur ne peut que répondre à son inter-
locuteur que rien, dans l'analyse, ne lui permit de confirmer cette
manière de voir.
En terminant, Bouvet remercie le Dr Laforgue de rappeler dans ce
débat ses vues si originales sur « l'Ego collectif ». Après tout ce que
le rapporteur vient de dire sur la valeur de la « technique obsessionnelle »,
instrument d'adaptation, il ne saurait être question qu'il minimise son
importance dans l'élaboration de l'âme collective.
En quelques mots, le rapporteur remercie ensuite le Dr de Saussure
des intéressantes observations qu'il a rapportées dans son intervention.
Il est heureux de constater que M. de Saussure s'associe aux conclusions
qu'il a formulées et insiste à son tour sur l'importance des mécanismes
d'introjection et de projection dans la névrose obsessionnelle.
RÉPONSE DU Dr BOUVET 217
C'est sa mère et non elle-même, comme ce fut en' réalité, qui, sous les
espèces de Blanchette, reste au royaume d'en-haut dans les apparte-
ments des vivants. Enfin, retournement de tous le plus important :
Orphée perdait Eurydice pour avoir regardé derrière lui ; notre rêveuse
perd la blanche jument maternelle pour avoir négligé de le faire.
Que peuvent signifier, dans les deux, cas, ces attitudes opposées,
entraînant perte semblable, deuil analogue ?
Il est des cas où, à l'inverse des mythes que nous venons de citer,
le devoir n'est plus de détourner les yeux, mais au contraire de regar-
der. Dans les saluts et les parades militaires, le soldat, en saluant le
chef, doit le regarder droit.
Et les gens qui, dans la vie sociale, ne nous parlent que les yeux
baissés ou détournés font figure d'hypocrites et inspirent méfiance et
antipathie.
Un amoureux perd son regard dans les yeux de sa belle et c'est là
fusion amoureuse préludant à d'autres fusions plus intimes.
Pourquoi le regard est-il, dans ces cas, normal, voire devoir et,
dans les mythes précédents, faute, péché, crime ?
Ce qui fonde ces interprétations opposées du regard, c'est sans
doute les instincts, les sentiments différents que dans chaque cas il
exprime.
Le tabou du regard par rapport aux dieux et aux chefs doit se
fonder sur la croyance implicite au « mauvais oeil » des sujets envers
ces personnages exaltés. Le « mauvais oeil », en effet, est ressenti par
l'inconscient comme l'oeil chargé d'envie, d'une agression qui pour-
rait prendre effet par la seule force du regard.
Or, tout en les vénérant consciemment, on en veut toujours plus ou
moins aux dieux, aux chefs, à tous les puissants, comme autrefois à
notre père, d'être plus puissants que nous. Il nous faut donc nous
courber devant eux, parce que nous sommes les plus faibles, parce que
la révolte grondant en nous contre eux serait durement châtiée.
226 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
I
« La lenteur avec laquelle les sauvages s'appliquent à leurs travaux
est si remarquable qu'un observateur en a comparé l'avancement à la
croissance des plantes. » Il est cependant reconnu que les peuples pri-
mitifs « exercent des activités dans lesquelles se rejoignent les caractères
du jeu avec un grand empressement et une persévérance qui nous sont
incompréhensibles. Peut-être quelque jour, en ce qui nous concerne,
réussirons-nous à réunir la technique et l'art... dans une unité plus
grande » (K. Buecher) (7). Dans la mesure où le jeu donne du plaisir
et le travail de la peine, l'union idéale se trouvera dans le travail en
se jouant. Il y a presque cent ans, le philosophe J. E. Erdmann (1855)
aimant ses aises, me sont parvenues au long des années : il avait l'habitude de
dormir derrière ses patients. Un analyste d'une grande ville, qui était débordé
de travail, me dit un jour à coeur ouvert que parfois il ne pouvait s'empêcher
de sommeiller un peu le soir. Il est exagéré de faire de la position habituelle
un cérémonial inviolable et une « condition sine qua non » de l'analyse classique.
Le manque de contact est un danger. Les formes habituelles et offrant certains
avantages ne doivent pas dégénérer en formalisme. Si un tel formalisme deve-
nait manifeste, je pourrais me représenter S. Freud de mauvaise humeur,
comme, dans la comédie de marionnettes de Friedell et Polgar, Goethe l'est
contre ses examinateurs. Dans son dernier livre (2), de 1951, Lou Andreas-
Salome, sous le titre Erinnertes an Freud décrit une rencontre avec le maître
déjà malade. Elle était si douloureusementtouchée de ses souffrances physiques
qu'elle ne cessait de pleurer à haute voix. « Freud n'a pas répondu : Je sentais
seulement son bras autour de moi. » C'est à ce passage du livre que se référait
avec ruse une analysée intelligente et cultivée pendant une période de résistance.
Avec la rancune d'une personne dédaignée, elle me reprocha de me tenir loin
du modèle classique. Ma réponse fut : Lou Andreas-Salome fut analysée
par Freud en 1912, le geste familier avait eu lieu seize ans plus tard, en 1928.
La notion d' « analyse classique » existe en ce qui concerne l'analyse
des adultes, mais pas encore en ce qui concerne l'analyse des enfants.
Classique se rapporte à cette période du développement de la Psa.,
amenée et dominée par le génie de S. Freud et qui représente un point
culminant, modèle en son genre et durable. Dès lors, on peut se sou-
venir de la comparaison établie par Freud — et mise en épigraphe de
cette étude — avec la physique, et songer également que la « physique
classique » se rapporte au système physique qui a précédé la théorie
de la relativité et des quanta. Il serait téméraire de croire à de telles
possibilités pour cette jeune science qu'est la Psa. Mais il serait éga-
lement invraisemblable de tenir pour figées la science et la pratique
analytiques, et de considérer qu'elles ne sont plus susceptibles de
développement.
II
L'Objet de l'analyse classique est le psychonévrosé adulte ; les objets
des autres formes thérapeutiques analytiques sont l'enfant et le psy-
chose. Là l'instrument est la parole, selon la règle fondamentale de la
Psa. ; ici le langage n'est pas encore développé ou déjà arrêté ; ce qui sert
ici en premier lieu de moyen de communication est la mise en actes,
le mot n'est sans doute pas sans signification mais la règle fondamentale
est inapplicable.
Ce n'est que du point de vue classique que la mise en actes est primitive,
dans le sens de « insuffisante ». Mais du point de vue ontogénétique elle a une
importance fondamentale, primordiale. La parole peut « exprimer tout ce que
FORME VERBALE ET FORME DE JEU 235
nous pensons clairement » ; mais qu'elle soit capable de rendre toutes les
nuances de la sensibilité, cela paraît à G. E. Lessing « aussi impossible qu'inu-
tile ». Chez les psychonévrosés adultes, nous devons toutefois prétendre à la
possibilité de différenciation par la parole. Dans les autres formes d'analyse,
une facilité de conversation est exigée de l'analyste : le mot juste au moment
utile. Grâce à une telle aide, « les forces guérissantes du jeu de l'enfant »
(H. Zulliger) (52) s'éveillent, « l'analyse des enfants appliquée à l'adulte »
(S. Ferenczi (22) entre en un jeu, dans lequel s'effectue la « Réalisation symbo-
lique » M. A. Sechehaye (44), susceptible de guérir la schizophrénie. J. Klaesi (32)
a déjà montré en 1922 que des actes autistiques et stéréotypiques peuvent être
changés, par la participation du médecin, en communications verbales et
apaisantes. Ainsi que le démontrait en 1940 l'analyste d'enfants G. Schwing (47),
dans le « sentiment maternel » il y a « un chemin vers l'âme du malade mental ».
L'analyse libère les puissances créatrices guérissantes chez les sujets. Bien
que cela soit étranger à la terminologie psa., on en appelle à l'entéléchie aristo-
télicienne ; l'Éros de S. Freud et la fonction synthétique du moi peuvent tout
aussi bien s'appeler des entéléchies. Natura sanat, medicus curat. Il existe à
cause de cela une méconnaissance complète du problème psychique, ce qui
explique, à titre d'exemple, l'impossibilité de comprendre cet énurésique
berlinois de 7 ans dans ses divers comportements, de l'aider à développer sa
compréhension de soi et sa « sociabilité » ; on n'est parvenu qu'à l'égarer et il
est devenu un perroquet répétant un jargon analytique. Et, après deux ans,
il « mouille » encore, « le résultat du traitement » étant, en revanche, une sorte
de raisonnement prématuré, répondant au proverbe : « Comme chantent les
vieux, les jeunes gazouillent » (H. Zulliger (52), p. 129). Un enfant se compor-
tant énurésiquement ou d'une autre façon, n'est du reste pas tellement infans,
c'est-à-dire non encore maître de la parole, il a plutôt perdu la parole ; il cèle
la parole, allant ainsi à un mutisme partiel. Et ainsi bavarde-t-on pour ne rien
dire et ne rien trahir. « Les syndromes des enfants énurésiques sont extrême-
ment importants parce qu'ils peuvent être le fondement d'une relation perturbée
intérieurement et extérieurement pour toute leur vie » (H. Christoffel) (17).
On peut être puissant en paroles et aveugle à certains égards comme C. Spit-
teler (43), qui raillait, sans avoir tout à fait raison, Hans Sachs au sujet de
« l'allemand de l'armée du Salut » de la Psa. A. Aichhorn (1) est tout différent du
thérapeute qui a traité l'enfant berlinois mentionné ci-dessus. Celui qui peut
remarquer dans la langue de S. Freud (37) l'influence du viennois pourra
certainement comprendre la force du mot dans la simplicité des dialogues
de Aichhorn sur l'éducation et la rééducation des enfants viennois abandonnés.
Que les analystes d'enfants, M. Klein (33) et A. Freud (23), soient des person-
nalités et non des « personae » est prouvé par leur forme très différente de
thérapeutique : Selon M. Klein : Hilfe der Deutungstechnik, au début déjà,
la mise en actes et les fantasmes en tant que contrainte (répétition compulsive)
sont considérés comme primitifs et méprisables. D'après A. Freud, au contraire,
l'introduction du traitement doit se faire « selon des règles déterminées par la
nature de l'enfant, et provisoirement indépendantes de la théorie et de la
technique analytiques ».
autistique après avoir fait des griffonnages qu'elle appelait « sapinades » (sapin)
et s'être ensuite aidée des poupées-fleurs, en une période étonnamment courte
(6 séances en six mois).
O. Pfister, il y a plusieurs décennies déjà, s'est occupé du « fondement
psychologique et biologique des tableaux expressionnistes » et a écrit, dans le
livre populaire de Psa. (39), sur Psa. et les arts plastiques. Moi-même (10), et en
collaborant avec E. Grossmann en 1923, j'ai traité les thèmes : Affectivité et
Couleurs, Angoisse et Clair-Obscur (9), des éléments expressionnistes dans les
peintures de garçons faibles d'esprit (10), et en 1926, du symbolisme des cou-
leurs (11). — On n'oubliera pas que H. Rorschach (49) a écrit son essai d'inter-
prétation des formes (Formdeutversuch) en 1921, ouvrage qui a pris une
importance universelle, après une formation psa., et en collaboration étroite
avec E. Oberholzer (39). En Psa., le facteur image prédomine toujours dans le
secteur de l'enfant et du psychose et il a plus de signification initiale, alors
que, d'après les aspects donnés par C. G. Jung, les images de Mandala sont
considérées en particulier comme « première ébauche approximative et réussie
d'une dernière perfection et totalité » (J. Jacobi) (31).
Déjà dans le Petit Hans (24) et dans L'homme aux loups (25) de S. Freud,
analyses d'enfants et de l'enfance, il est fait mention de dessins ainsi que d'un
jeu de bobine et de miroir aux cours de l'observation d'un petit enfant (27, 15).
Il est d'autre part curieux que malgré l'impulsion de répétition en deçà du prin-
cipe du plaisir décrit par S. Freud pour le dernier cas, les analystes d'enfants
nient ce facteur, et ne veulent parler que de compulsion de répétition au delà du
principe du plaisir (33). Il n'y a cependant pas de mot primitif sans répétition
de syllabes (ma-ma, da-da, bi-bi, ga-ga), la répétition se retrouve entièrement
dans le vers et la rime et, en musique, dans les chants d'enfants les plus simples,
jusqu'à l'imposante oeuvre finale de J.-S. Bach, son art de la Fugue. Et le
rythme ? N'y a-t-il pas de relation entre le psychodrame psa. et la gymnastique
rythmique, telles celle créée par Jacques Dalcroze, et celle employée sous une
forme plus simple dans les plans d'éducation de Froebel et de Montessori ?
L'économiste Karl Buecher (1847-1930) se trompe-t-il lorsque, dans son livre
aux multiples rééditions, il présente le rythme comme « un principe de dévelop-
pement économique » et lorsqu'il écrit que « le rythme éveille un sentiment
de plaisir ? » Comme tel, il n'est pas seulement un allégement du travail, mais
aussi une des sources du plaisir esthétique, cet élément de l'art qui remplit de
sentiment tous les hommes sans distinction de moeurs et de civilisation ? Il
est évident que la Psa. ne doit pas être fermée aux réalités de la répétition
impulsive et du rythme, non seulement lorsqu'elle s'efforce d'activer les capa-
cités de travail et de plaisir, mais encore sur le plan général (15, 16).
La répétition peut être absolue ou relative. Lorsque nous parlons de régres-
sion, elle est plutôt relative. C'est ainsi une des tâches physio-psychologiques
limitrophes de la Psa. que de découvrir les relations entre « l'inhalation humide
foetale » et les bâillements de sommeil, de faim, d'humeur morose (16, 18).
Mais de nos jours, après que Lindern (36) a déjà inventorié les diverses
manières enfantines de suçoter et les ait fixées par l'image, nous ne nous conten-
tons pas de ces constatations, mais devons nous occuper de savoir comment et
pourquoi cela arrive. De cette façon, on obtient des éclaircissements sur la mère
et sur l'enfant. Le fait de suçoter, par exemple en se titillant en même temps
au moyen d'une couverture de laine ou d'une mèche de cheveux arrachés
permet de démontrer un rappel à la poitrine duvetée de la mère, origine à
laquelle remontait la régression d'enfants de 2 à 3 ans, allaités pendant une
période de deux semaines seulement dans un cas (45), de trois mois dans un
autre. Il est curieux que le fait de suçoter soit une particularité anthropique
PSYCHANALYSE 16
238 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
mais non anthropoïde. Seuls les singes anthropoïdes séparés de leur mère
suçotent (46), tandis que chez les hommes, le fait de suçoter semble général et
relié à la séparation relativement précoce de la mère (Foetalité extra-utérine
anthropique durant un an de A. Portmann) (40, 16). Dans la mesure où l'action
de fumer découle de celle de suçoter, pourrait se manifester la position spéciale
de l'homme par la combinaison d'une forme de suçoter profondément modi-
fiée, avec l'usage du feu, dont il est le seul détenteur.
E. Fromm (29) en tant que sociologue psa., a montré que les différentes
extériorisations instinctives considérées auparavant comme de constitution
orale, anale, etc., sont également conditionnées par la société (1942). Depuis de
nombreuses années déjà, des auteurs français (35) ont montré de façon frap-
pante la combinaison des facteurs individuels et sociaux dans le processus du
développement psychique, et créé la notion de névrose familiale. Après que
j'aie fait allusion, en 1940, à la détérioration cachectique des nourrissons de
M. Pfaundler (14) (kachektisierender Pflegeschaden der Säuglinge) et après
que j'aie fait ressortir de la notion émoussée de narcissisme le besoin passif
de l'amour (15), R. Spitz (48) s'est occupé de la langueur psychogène des petits
enfants, tout en revenant, autorisé tout au plus par ses observations personnelles,
à la dénomination désuète d'hospitalisme. Nous devons à R. Spitz et à
K. M. Wolf (49) des études modèles, par leur sobriété et leur solidité, sur le
rapport entre certains caractères maternels typiques et certaines particularités
typiques des petits enfants, comme le « rocking » (jactatio corporis), les jeux
avec les excréments et les jeux génitaux.
En 1909, S. Freud communiquait le premier traitement psa., appli-
qué à l'enfant (24). Et, déjà huit ans plus tard, en 1917 (26), il s'attendait
aux « prochains progrès du travail analytique » dans le domaine des
psychoses. Il s'exprimait comme suit, en 1905, dans la théorie sexuelle :
« Il n'est... pas possible de connaître exactement la part qui appartient
à l'hérédité avant d'avoir estimé à sa juste valeur ce qui se rapporte à
l'enfance. » En 1917 (26), il disait également qu'en ce qui concerne
les psychoses endogènes non organiques, on peut admettre des fixations
de la libido, se situant à des phases beaucoup plus précoces du déve-
loppement ». Il ajoutait que ce n'est pas le cas pour l'hystérie ou la
névrose d'obsession et que, dans la symptomatique des psychoses, il
faut reconnaître, à part les régressions, des « tentatives de restitution
ou de guérison ».
En 1913 a paru dans le Paedagogium, organe collectionnant les méthodes
d'éducation et d'enseignement, la Méthode psychanalytique (Die psychoanaly-
tische Méthode), de O. Pfister, le Nestor des analystes suisses. L'analyse péda-
gogique, remarque S. Freud dans la préface de ce livre, endosse une respon-
sabilité peut-être plus lourde encore que l'analyse faite par le médecin, mais
S. Freud table sur la « plasticité » de l'enfant, et oblige les éducateurs « à former
les jeunes âmes, non d'après leurs idéaux personnels, mais beaucoup plus
d'après les dispositions et les possibilités du sujet ».
En 1926, le journal de la Pédagogie psa. fondée par H. Meng et E. Schneider
commence à paraître. Malgré l'excellente direction de W. Hoffer, il tombe
en 1937, victime des tensions politiques, après 10 volumes 1/2. Après huit ans
FORME VERBALE ET FORME DE JEU 239
RÉSUMÉ
BIBLIOGRAPHIE
tement rigide, on peut prévoir avec sûreté le triste sort des enfants de_
cette famille.
Au point de vue psychologique ces enfants seront privés de l'in-
fluence psychologique d'un véritable père et d'une véritable mère.
La mère, assumant le rôle du père psychologique, effacera le père réel
et sera incapable ou plutôt inapte à remplir ses devoirs de mère psy-
chologique. L'enfant sera privé ainsi de la mère affective, il sera soumis
à la peur de punition d'une mère phallique, il survalorisera la mère et
dévalorisera le père et il modèlera son Surmoi sur la mère qui, pour
le garçon, sera un « homme en jupes » et pour la fille, « une femme avec
moustaches ».
Les schémas ci-dessous rendront plus claire cette anormalité :
Pp = Père psychologique;
Mp — Mère psychologique ;
Pb = Père biologique ;
Mb Mère biologique ;
G = Garçon ;
pp = peur de punition ;
aa = attachement affectif ;
1 = Attitude normale de l'enfant et
X des parents (oedipe normal) ;
2 Anormalité de l'attitude psycho-
logique de l'enfant (oedipe ren-
versé) ;
3 Anormalité du comportementpsy-
chologique parental (oedipe dé-
saxé).
lui être agréable. Elles sont aussi dues à ce que l'agressivité du garçon
(renforcée par celle qui, comprise dans l'impulsion libidinale, fut
désérotisée par la mère phallique) s'infléchit en partie, et en partie
se déverse sur le père, exempte de tout sentiment de culpabilité et
de peur de punition (ces derniers conservés uniquement à l'égard de
la mère).
La réaction découlant de la mère désaxée est plus complexe. D'une
part, l'aspiration du garçon pour une mère affective reste insatisfaite,
la mère psychologique ayant perdu son support biologique qui, dans
ces cas, ne correspond plus à la mère psychologique mais au père psy-
chologique. Les patients de cette complexualité vous raconteront que
leur mère ne les a jamais caressés ou embrassés et ne leur a jamais
souri ; que l'expansion affective dans la famille était inconnue, le rire
blâmé, la joie interdite.
D'autre part, la mère assume toute l'autorité du père qui lui cède
sa place et elle se montre sévère, tyrannique, impitoyable et en même
temps le personnage tout puissant de la famille. Ainsi se développe à
l'égard de la mère une ambivalence qui ressemble à celle, normale,
à l'égard du père oedipien : admiration et peur (qui souvent, dans ce
cas, présentent l'aspect faux de l'affection et du respect).
Un de mes patients — affligé d'une névrose d'abandon et d'une
inhibition sexuelle — me disait qu'il était toujours jaloux de l'affecti-
vité dont ses camarades jouissaient de la part de leur mère. Il les enviait
pour cela et cherchait l'assouvissement de son besoin affectif insatis-
fait, auprès d'autres femmes (institutrices, servantes, etc.) ou auprès
d'une mère bienveillante qui n'existait que dans son imagination.
Cependant, il ne rêvait pas de sa propre mère les caresses maternelles
qui lui manquaient. Et, si par hasard, sa mère le caressait, il ressentait
une répugnance malgré son attachement et sa subordination totale à sa
mère. Envers son père qui était un personnage aboulique et effacé, il
était dédaigneux, impertinent et même brutal.
Dans son adolescence, il faisait le rêve d'un mariage avec une fille
douée de toutes les qualités de l'affectivité maternelle dont il fut privé,
ce qui lui créa plus tard une contradiction fatale et insurmontable au
sujet du mariage, car son choix d'une épouse étant modelé sur l'image
d'une mère affective, lui produisait du même coup une inhibition
incestueuse qui rendait le mariage impossible. D'ailleurs, ce mobile
psychologique suggéra inconsciemment chez ce sujet la dissociation
de la représentation féminine en deux catégories de femmes : « idéales-
sentimentales » et « sensuelles-putains ». Ces dernières, étant des types
LE COMPLEXE D'OEDIPE « DESAXE » 245
se masturbait. Il n'a pas eu de rêve coïtal avec la soeur mais il lui arriva
d'accomplir en rêve un acte sexuel avec un prêtre qui rappelait la
physionomie de son père. Il tenait alors le rôle actif. Dans la réalité il
était possédé d'une timidité et d'une inhibition sexuelles, identifiant
avec sa soeur toute jeune fille qui l'intéressait sentimentalement et
éprouvant l'interdiction de la mère sévère au moment d'une tentative
sexuelle avec une femme qui l'attirait sensuellement. Ainsi la soeur
inhibait la manifestation du désir sexuel et la mère inhibait l'acte
sexuel.
Je me rappelle aussi un autre sujet de 40 ans qui vint me consulter
pour me dire que, forcé par sa mère de se marier, il voudrait savoir s'il
existait des femmes hermaphrodites, car il ne croyait pouvoir satisfaire
le désir de sa mère pour le mariage qu'uniquement avec une telle femme.
Chez un autre patient ayant la même complexualité, l'unique satis-
faction sexuelle qu'il avait adoptée consistait à être coïté a tergo par
une femme munie d'un « godemiché » (représentation de la mère phal-
lique). Cependant celui-ci n'était pas un homosexuel. Il avait changé
le « but » sexuel, tout en retenant 1' « objet » sexuel normal.
Garma, Bisi et Figueras (1) relatant un cas qu'ils ont eu en analyse
disent : « L'image maternelle phallique, comme une image masculine,
faisait subir au malade des agressions anales, lorsqu'une agression exté-
rieure venait renforcer ses souvenirs infantiles pénibles de sa mère.
C'est pourquoi dans la séance n° 156, lorsqu'il attend la visite de sa
belle-mère, substitut maternel, le malade éprouve de la constipation
et comme une carotte dans son rectum, ce qu'il interprète comme un
pénis en train de l'attaquer homosexuellement... Il eut des fantasmes
où des femmes l'attachaient et l'obligeaient à réaliser le coït avec elles.
De plus, dans une séance de psychanalyse il se trompe et dit que ces
femmes lui introduisaient le pénis. On déduisait facilement qu'elles étaient
des femmes de type phallique — comme sa mère — des hommes
déguisés. »
Cependant, dans les répercussions de l'OEdipe désaxé, il arrive
d'observer un changement qui concerne à la fois le « but » sexuel et
l' « objet » sexuel, c'est-à-dire une véritable inversion homosexuelle.
Tel était le cas d'un homosexuel que nous avons eu en analyse et dont
l'homosexualité se révéla comme un acte de défense à l'égard de sa
mère, acte qui l'aurait préservé d'un inceste par identification de la
(1) A. GARMA, J. C. BISI et A. FIGUERAS, Les agressions du Surmoi maternel in R. fr. de Psa.,
n° 4. 1951.
LE COMPLEXE D' OEDIPE « DESAXE » 247
mission à elle est renforcée parce que souvent dans ces cas le Surmoi
du garçon est formé sur le modèle de la mère.
Cette négativité affective de la mère et sa contribution principale
à la formation du Surmoi amènent aussi au zéro la rivalité du garçon à
l'égard de son père et engendrent envers lui une attitude qui va de
l'indifférence au dédain, souvent à l'exemple de l'attitude de la mère.
Les réactions majeures dans l'OEdipe désaxé sont régies par la
mère. L'enfant, et surtout le garçon, avant l'acquisition de son expé-
rience personnelle (et, bien des fois, même après) aspire à l'affection
de sa mère bien que sa mère phallique ne soit pas en état de le satis-
faire. Elle devient ainsi la mère désirée et en même temps redoutable
par la peur de punition qu'elle inspire à son fils. Sur ce point, il se crée
un conflit principal au point de vue psycho-traumatique, le châtiment
étant contradictoire avec l'amour qui est plein d'indulgence. Mais en
dépit de cette attitude de la mère qui, dans l'OEdipe désaxé, joue le rôle
du père punisseur, le garçon n'éprouve pas à son égard une hostilité,
de la même façon que dans la relation fils-père de l'OEdipe normal
ou dans la relation fils-mère de l'OEdipe renversé. De même le père
qui, dans le cas d'OEdipe désaxé, ne joue plus le rôle du rival et ne
provoque pas l'hostilité du garçon, n'attire pas, à sa place, l'affectivité
de son fils, comme cela arrive dans l'OEdipe renversé. Car dans l'OEdipe
désaxé, l'orientation sexuelle de l'enfant demeurant normale, le garçon
dirige son affectivité vers sa mère qui, au moins biologiquement, est
une femme, bien qu'une femme castratrice. Mais dorénavant, son désir
pour la femme sera mélangé de peur à l'exemple de son affectivité à
l'égard de la mère. La femme, sur le modèle de sa mère, sera désirée
et redoutable, si toutefois il arrive à se détacher de sa mère pour la
remplacer par une autre femme. Souvent ce détachement devient pro-
blématique, le sujet ne pouvant pas surmonter la peur du châtiment.
L'attachement à la mère devient alors une défense contre le châtiment,
et cette défense peut amener jusqu'à l'homosexualité défensive (compro-
mis entre la peur de punition et le désir sexuel). D'autres fois, toute
aspiration erotique est absorbée par l'image de la mère dans une forme
sublimée, de telle sorte que le sujet subit volontiers toute privation
dans le but unique d'être agréable à sa mère. Une telle orientation
prouve l'érotisation du châtiment et dans le cas où la sublimation
n'intervient pas, il mène au masochisme, qui, alors, représente la
rançon payée pour lever l'interdiction du plaisir sexuel, ou bien aspire
à la transmission de la responsabilité sexuelle à la femme. Dans d'autres
cas enfin, le sujet se met à la recherche d'une femme affective sur le
LE COMPLEXE D'OEDIPE « DESAXE » 249
modèle de la mère idéale dont il fut privé. Mais devant une telle femme
il demeure sexuellement inhibé, tandis qu'il peut être sexuellement
puissant avec des femmes d'un type anti-maternel (prostituées) qui
ne s'apparentent ni à la mère phallique (réelle), ni à la mère affec-
tive (idéale).
La situation de l'OEdipe désaxé est donc toute différente de celle
de l'OEdipe renversé qui engendre une hostilité à l'égard de la mère et
désoriente le garçon de la femme ; de même elle diffère de la déception
oedipienne qui provoque des réactions hostiles à l'égard de la mère.
Il y a aussi de la déception affective dans l'OEdipe désaxé, mais elle est
primaire et, comme telle, rend impossibles les réactions hostiles, à
cause de la peur de punition émanant de la mère castratrice. Cette
déception primaire provoque le refoulement de l'agressivité qui per-
siste à l'état latent, tandis que la déception secondaire (survenant au
cours d'un complexe d'OEdipe normal ou d'une fixation oedipienne)
provoque le défoulement de l'agressivité. Sedger dit que l'enfant se
met à haïr sa mère dès que celle-ci cesse de remplir auprès de lui un
rôle affectif auquel elle l'avait jusqu'alors habitué. Mais on pourrait
encore distinguer dans le premier cas (de la déception primaire) une
agressivité latente dissimulée derrière un masque de soumission et
dans le second cas (de la déception secondaire) une tendresse latente
dissimulée derrière un masque d'agressivité.
Ces mêmes processus contribuent à une fixation à la mère, très
souvent observée chez l'oedipien désaxé. Le processus de cette fixation
serait motivé parce que tout désir satisfait engendre son affaiblisse-
ment ou son assouvissement, tandis que la frustration du désir pro-
cède à son renforcement (et même à son insatiabilité dans le cas où
une satisfaction de ce désir adviendrait longtemps après la frustration).
L'oedipien désaxé, en tant qu'un sujet affectivement frustré, subit un
renforcement de l'attachement à la personne qui refuse de lui procurer
la satisfaction affective. Ainsi, il se fixe à la mère frustratrice (de même
que la fille, au père frustrateur), et même il s'apprête à des privations,
voire à des sacrifices, d'abord pour ne pas contrarier le parent frustra-
teur et ensuite pour attirer son intérêt affectif.
Conflit oral et hystérie
par le Dr B. GRUNBERGER
J'étais nerveuse, j'aurais voulu que quelque chose se produisît, avoir des
relations. J'ai des rapports, secousses que je réprime, j'en aurais presque crié,
douleur dans les organes, mal, mais soulagée.
(1) Hystérie und Zwang in der Neuroseuwalil, Int. Zcitschi. f. Psychoanal., 1940.
CONFLIT ORAL ET HYSTERIE 255
hystérique par exemple, sont monnaie courante, surtout dans les rêves
et si j'insiste sur ce point, c'est pour souligner certaines caractéristiques
des identifications de Jeanne : elles sont subites, intensément vécues
d'emblée et en même temps superficielles (comme si elles étaient
dirigées d'une main sûre, par une sorte de « noyau central » du moi).
Un autre point qui semble avoir une certaine importance du point de
vue qui nous intéresse, c'est son identification avec l'objet partiel et dont
je donnerai, plus loin, un échantillon transférentiel. En attendant je
transcrirai quelques rêves simples d'identification au pénis paternel
pris dans l'analyse de Jeanne :
« Suis assise par terre, un bébé à côté de moi, un garçon. Je lui parle et lui
explique une histoire dont le sens est le suivant : il s'agit d'un homme qui a des
« relations de passage » dans une certaine rue, ce qu'il voulait cacher ; il se
dandine et ne dit rien. Je le vois pendant que je raconte. L'enfant semble bien
comprendre. A un moment donné, il grandit et se cogne la tête contre le cham-
branle de la porte. Je le calme, il a envie de vomir. Je me précipite avec lui au
lavabo, le penche, je me rends compte que c'est une jeune fille. C'est moi.
Je tricote un chausson de laine. Il est presque terminé. Assez grand, en
forme de botte montante ; je le mets, disparais presque dedans, impression que
cela marche tout seul, symbole de liberté sans anicroches, quelque chose de lisse,
de bien, délivrant de toute entrave. »
(Une association : « Bizarre, l'homme est le seul animal tout en
longueur et debout. » « Jeune, j'étais terrifiée à l'idée qu'on puisse voir
mes pieds nus. »)
« Dans la cour, chez nous. Devant la maison. Avec deux camarades étudiants.
Je m'amuse à faire des tours d'équilibriste. Très souple, agile, légère ; tout mon
corps obéissait à ma volonté. Mes deux camarades me soutenaient. J'avais une
culotte collante cuivrée ; plus j'en faisais, plus je voulais en faire. »
Nous savons que l'hystérique génitalise tout (Freud, Ferenczi), et
« si nous découvrons dans le caractère hystérique des tendances pré-
génitales, elles ne sont que les représentations de la génitalité, ou se
trouvent plus ou moins intriquées avec elle » (1). Et cependant, Reich
est obligé de constater la fréquence d'états dépressifs dans l'hystérie
(« dans ces cas la fixation incestueuse génitale a été en partie remplacée
par une régression orale. La tendance marquée des hystériques à la
régression orale » (2) « est expliquée par la stase sexuelle de cette zone
et par le fait que la bouche, ayant assumé le rôle génital, absorbe plus
de libido »), et de rapprocher les crises de dépression de l'hystérique
de la dépression mélancolique. Or, la structure du mélancolique est
(1) «Tu voulais être la mère ; tu l'es maintenant, par le fait du moins que tu éprouves a
même souffrance qu'elle ; c'est le mécanisme complet de la formation de symptômes hysté-
riques. » FREUD, Psychologie collective et analyse du moi. De même : « Tu voulais tuer le père
pour être toi-même le père, maintenant tu es le père, mais le père mort ; c'est le mécanisme
courant du symptôme hystérique. » FREUD, Doslojewski und die Vatertötung.
(2) Qu'on me permette de faire un rapprochement — sans prétendre à la précision scienti-
fique — entre cette topographie et les éléments les plus importants de la nosographie de l'hys-
térie, en usage depuis toujours qu'il s'agisse de symptômes d'inhibition (comme le globus hyste-
ricus avec anesthésies et paresthésies des organes de la phonation et de la déglutition l'amaurose
et le rétrécissement du champ visuel, les « stigmates » hystériques, la crampe des écrivains et les
paralysies des membres, les anosmies et surdités hystériques, certains fantasmes de possession
anale (les « succubes » du Moyeu Age), ou d'excitation, comme les hyperesthésies, hyperacousies,
pholophobies, etc., de certaines névroses traumatiques).
CONFLIT ORAL ET HYSTERIE 257
(1) W. REICH disait (loc. cit.) que « chez l'hystérique la bouche aussi bien que l'anus » (c'est
moi qui souligne) « représente l'organe de la génitalité ». Ils jouent donc le même rôle génital,
représenté par l'introjection (régression psychique).
258 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Dans le geste captatif pur du nourrisson, dans sa pulsion orale satisfaite, il n'y a certai
nement aucune intentionnalité agriessive ; c'est pourquoi il est préambivalent à ce stade. Mais,
si l'objet le frustre, nous assistonsà l'expression de son conflit dont l'analyse ici serait déplacée.
Ce qui est certain, c'est que les éléments anaux auxquels il recourra, sont préformés dès le début,
existent sous une forme ou une autre et même s'ils ne se manifestent pleinement (pour des
raisons qui attendent d'être éclaircies) qu'à un certain stade de l'évolution qui est le stade
sadique anal, ils peuvent prématurément « imbiber » en quelque sorte, la phase précédente et
manifester leur présence, selon les circonstances, à un moment très précoce de la vie.
CONFLIT ORAL ET HYSTERIE 259
de l'hystérie est le conflit oral dans les deux sexes. En effet, l'enfant
mâle veut s'identifier à son père, cette identification étant la base même
de la formation de son surmoi. Le processus est basé sur l'introjection
du pénis paternel, mais remonte à son prototype plus ancien qui est
l'introjection orale du sein, donc à la situation conflictuelle primitive,
pour peu qu'il y ait eu conflit.
Jeanne vivait intensément son angoisse dans l'analyse, cette angoisse
ayant été reliée à la castration du père, c'est-à-dire à l'introjection du
pénis paternel. Mais elle a fourni un matériel suffisant pour me faire
comprendre que cette culpabilité était déplacée, l'autre, la vraie, étant
beaucoup plus difficilement supportable. Elle a même complètement
scotomisé son conflit principal, pour pouvoir renverser la situation
et se servir, au contraire, de sa mère, comme protection contre le père
qu'elle châtrait (le passage de Freud cité ci-dessus, montre bien la
même position, c'est-à-dire le camouflage du conflit maternel par celui
d'avec le père).
Ce mouvement de bascule entre deux identifications, c'est-à-dire
entre deux compartiments de son moi, que nous venons de décrire et
que Jeanne appelait un « tour de main », est reproduit avec une grande
clarté dans un de ses rêves :
« Ma mère. A gauche, un homme et une femme qui viennent vers nous, mais
sont encore loin. Ma mère croit reconnaître mon père. Elle l'appelle. Je regarde,
il me semble qu'elle fait erreur. Ce n'est pas mon père. Les personnes se retour-
nent et j'ai l'impression qu'on veut me bousculer pour m'entraîner ; le bras
serré, j'ai mal et me réveille en sursaut, au moment où ma mère réalisait qu'elle
s'était trompée. J'avais la sensation qu'on me prenait violemment par le bras,
mais que ce geste était adressé à ma mère pour l'arrêter, en lui disant qu'elle
faisait erreur. J'ai reçu la commotion à la place de ma mire, je l'ai ressentie
pour elle (1). »
(1)En même temps, il s'identifiaità l'objet « entier » en réalisantle processus sur son propre
corps, à partir de l'objet partiel introjecte. TAUSK (cité par VAN DER WAALS, Revue française
de Psychanalyse, 1949, IV) parle du « stade de l'évolution où le corps lui-même est découvert
comme objet, au début par fragments qui forment bientôt un tout contrôlé par l'unité psychique
qui est le moi. La libido, partie de l'état de narcissisme organique, inné, investit tout d'abord
le corps lui-même par le moyen de la projection. Ainsi, le corps devient objet dans le monde
extérieur ». Ce malade fréquentait assidument les music-halls et retirait un plaisir typiquement
narcissique de la contemplation des femmes plus ou moins nues, le point essentiel du tableau
étant les seins. Il s'identifiait avec ces femmes et, rentré chez lui, il se masturbait en se regar-
dant dans un miroir, tout en se remémorant les scènes de music-hall auxquelles il venait d'assis-
ter. Jeanne même m'a fourni un matériel plus ou moins analogue ; dans une série de ses rêves,
il était également: question de miroir, écriture en miroir, reflets, etc., autant d'allusions qui
constituaient pour ainsi dire le noeud central de ces rêves ; je suis arrivé finalement à me
demander si Jacques LACAN en décrivant le processus de l'identification et la formation de la
fonction du JE (Revue française de Psychanalyse, 1949, IV) centrées sur le stade du miroir », ne
décrivait pas un aspect du même processus, l' image du corps morcelé » correspondant à
l'introjection de l'objet partiel et l'identification « en miroir » à l'introjection oculaire du corps
total comme tel comportant un bénéfice narcissique considérable traduit par une attitude spéci-
fique éloqueinment mise eu évidence par cet auteur.
(2) Psycho-Analytic Concept of Introjected Objects, British Journal of Médical Psycho-
logy, 1949.
CONFLIT ORAL ET HYSTÉRIE 265
En fait, il est resté très attaché à son père, sur lequel persistent des
fixations homo-sexuelles très vivaces. Au cours du traitement, M. a
pu revivre toute sa culpabilité oedipienne, vis-à-vis de son frère aîné
avec la fiancée duquel il sortait, pendant que ce frère était soldat. Il
avait des rêves où il avait avec elle des rapports sexuels. Mais sa culpa-
bilité fut ravivée par le fait suivant : le plus jeune frère sortit également
avec cette jeune fille qui devint sa maîtresse. Elle s'est pourtant mariée
avec le frère aîné.
Au cours du traitement M. est très passif, se réfugianttoujours der-
rière G., pour exprimer son agressivité. Il est traité en fille par ses
trois camarades. C'est ainsi qu'attendant G. à une station de métro
voisine avant le début de la séance, celui-ci l'accusa « de faire le trot-
toir ». Il manifesta des émois très positifs vis-à-vis de moi.
Nous avons pu analyser la culpabilité oedipienne renforcée par
l'histoire familiale et ayant entraîné des régressions très profondes.
M. a encore des fantasmes oraux et nous croyons possible qu'il ait
été victime de traumatismes oraux passifs : c'est ainsi qu'il a fait
plusieurs rêves où il fallait avaler du sperme dans une assiette, ce
qui lui rappelait la difficulté qu'il y a à boire du vin dans une assiette.
30 Ma., 20 ans, nous fut adressée par Diatkine après échec d'une
psychanalyse individuelle qui dura plusieurs mois pendant lesquels elle
ne parla pas et après un essai de psychanalyse dramatique. Il s'agit d'un
cas d'inhibition grave sur le plan de l'adaptation sociale et du travail :
on pourrait la considérer comme une schizoïde grave au sens des auteurs
américains.
C'est la fille cadette d'une famille d'instituteurs bretons. Elle a
eu une enfance apparemment normale. Elle s'est toujours mal adaptée
à la scolarité, puis au travail. Elle fait actuellement des études de secré-
taire médicale.
Pendant le traitement, Ma ne parle presque pas, mais, elle inter-
prète, et d'une manière souvent très remarquable, les comportements
et les rêves de ses camarades. Son cas pose le problème des amélio-
rations dans les traitements de groupe chez des sujets qui ont eu des
traitements extrêmement « froids ». Le rôle de ce qu'on a pu appeler
l'identification narcissique doit être ici souligné. Ma. vient de faire des
« aveux » qui ont pour elle une grande importance vis-à-vis du groupe :
sur une question de M., elle a reconnu qu'il lui arrivait de se mastur-
ber. Un autre phénomène de groupe est très net chez elle, c'est le
contraste entre son attitude inhibée pendant les séances et son anima-
tion au dehors avec ses camarades qui nous l'ont plusieurs fois signalé.
PSYCHANALYSE 18
270 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) D. LAGACHE, Quelques aspects du transfert, Revue fancaise de Psychanalyse, XV, 1951,
n° 3, p. 407 à 424.
274 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
cun sur leurs genoux l'une des patientes du groupe. Dans un autre
rêve, il imagine que je renvoie successivement tous les patients du
groupe. M. rêvera que je suis « enceinte » et que j'adresse tous les
patients du groupe à une femme ;
2° L'unité du groupe est d'ailleurs favorisée par les réunions que
nous imposons en dehors de la présence des thérapeutes ;
30 Le rejet est un phénomène très net : c'est ainsi que pour des
raisons purement expérimentales, nous introduisîmes dans le groupe
une jeune fille, Danièle. Elle ne revint jamais après sa première séance,
au cours de laquelle les autres patients ne cessèrent de la provoquer :
il ne fut question que de rapports sexuels ; Ma., habituellement si silen-
cieuse, plaisantait : « Il est beau, mon toubib. Je me l'enverrais bien » ;
4° II faut invoquer ici le rôle thérapeutique que joue ce phéno-
mène de l'unité du groupe, qui semble à l'origine de ce que Lacan
appelait « la réduction à l'on ». Ce phénomène peut être comparé au
rôle de la réalité dans les traitements individuels. Ici le patient voit qu'il
est comme les autres. On peut par exemple considérer comme très impor-
tant l'aveu récent que fit Ma. de quelques pratiques masturbatoires.
A vrai dire, l'élaboration théorique de ces phénomènes de groupe
a été poussée plus loin en particulier par Ezriel (5). Cet auteur décrit
des situations communes et des tensions communes dans le groupe.
Selon lui' « les pensées et l'attitude apparemment incohérente d'un
patient ont une relation dynamique. Il s'agit du besoin d'établir des
relations objectales entre le patient et son analyste, dans le hic et nunc
de la situation thérapeutique. Ces relations objectales sont expliquées
par le besoin de trouver une solution à des conflits non résolus avec les
objets de fantasmes inconscients. Le transfert est le phénomène par
lequel l'adulte essaie.de trouver une solution aux conflits non résolus
de son enfance avec les objets de son milieu adulte. La situation de
transfert thérapeutique n'est qu'un exemple des situations de transfert
observées dans toutes relations d'adultes ». Dans un texte plus récent,
reprenant la théorie des interprétations dites mutatives dans le hic et
nunc, telle que Strachey l'a exposée d'abord dans l'école anglaise,
Ezriel pense que l'interprétation ne doit pas être génétique, mais qu'elle
doit démontrer au patient qu'il a adopté avec l'analyste une conduite,
parce qu'elle lui permettait d'en éviter une autre dont les conséquences
lui paraissent désastreuses. Le test de la réalité, représenté par l'ana-
lyste, permet au patient d'exprimer la situation évitée parce que consi-
dérée comme dangereuse. Or, dit encore Ezriel « dans le traitement
individuel, l'analyste a une attitude passive et le patient essaie de
276 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
l'induire dans des rôles qui l'aideraient à résoudre ses tensions incons-
cientes. La situation dans les groupes est telle que, bien que l'analyste
assume un rôle passif, les autres patients n'en font pas de même...
Leur conduite crée des réactions nées de fantasmes inconscients... Il
y a donc dans le groupe un problème latent commun dont le groupe
peut n'avoir pas conscience, mais qui détermine son comportement :
c'est le dénominateur commun des fantasmes inconscients du groupe...
En participant aux tensions communes du groupe, chaque membre
joue un rôle lié à la structure de sa personnalité, c'est-à-dire aux rela-
tions inconscientes qu'il entretient avec l'objet fantasmatique et qu'il
essaie de résoudre par une conduite appropriée dans le groupe. Quand
plusieurs personnes se réunissent en groupe, chacun projette son objet
fantasmatique inconscient sur les autres membres du groupe. Chacun
jouera le rôle qui lui est indiqué, à condition qu'il soit en accord avec
ses fantasmes. C'est en analysant le rôle que tient chaque membre du
groupe, par rapport à la tension de groupe que nous pouvons expliquer
à chacun ses mécanismes de défense ».
Il nous semble qu'effectivement on peut parler d'un dénominateur
commun des fantasmes du groupe et que l'interprétation ne peut et
ne doit être donnée qu'en fonction de l'attitude et des défenses vis-à-vis
de ces fantasmes communs. Par exemple, dans notre groupe actuelle-
ment la culpabilité sexuelle provoque des effets différents :'déculpaT
bilisation chez Ma. ; castration des hommes et comportementmasochiste
chez Mo. ; régression orale avec passivité chez M. (Mo. parlait de
bruits qu'elle entendait dans une chambre voisine de la sienne à travers
la cloison ; il s'agissait d'un couple qui avait des rapports sexuels.
M. supposa qu'elle était dérangée par le bruit d'un couple qui prenait
son repas). Dans une séance récente, M. fait le rêve suivant : il doit
marcher sur des oeufs de crabes. Si l'on casse un oeuf, les crabes vous
« mangent les boyaux ». Ils ont la syphilis parce qu'ils ont mangé des
hommes. Ce rêve permit une interprétation de la castration orale de
l'homme par le fait des femmes (ce qui avait été induit par les fan-
tasmes de Mo.), en punition de l'agression orale des hommes (on se
rappellera que le père de M. l'obligeait à cracher sur sa mère). G. vit sa
culpabilité sexuelle en exprimant. des craintes à l'égard de son père
en même temps qu'il compense son anxiété par des fantasmes agressifs
(victoires au judo).
Cette technique de la psychanalyse de groupe, telle qu'elle est
décrite par Sutherland et Ezriel comme modèle de l'analyse du transfert
dans le hic et nunc est une démonstration de certaines conceptions
A PROPOS DE LA PSYCHANALYSE DE GROUPE 277
BIBLIOGRAPHIE
Jusqu'à plus ample informé, c'est à Karl Abraham que nous devons
la première description d'un caractère-type observé dans le transfert
et éprouvé là comme une résistance, et la suggestion de l'interpréter
de préférence au reste du matériel. L'essentiel de l'argument futur
de W. Reich est en effet contenu dans un texte au titre sans prétention,
à savoir : Sur une espèce particulière de résistance contre la méthode
psychanalytique, et date de 1919.
Mais Reich va considérer la résistance de caractère non pas seule-
ment comme une variété de résistance qu'il faut résoudre quand elle
se montre, comme Freud paraît l'entendre, en premier lieu dans cer-
tains cas comme paraît l'entendre Abraham, mais toujours et dans tous
les cas, la première. C'est qu'elle n'est plus pour lui une résistance
parmi les autres, mais bien la résistance la plus efficace contre l'analyse.
Se cache-t-elle, est-elle « latente », il faudra absolument la découvrir
et la réduire, sinon toute autre interprétation par ailleurs exacte risque
de n'amener aucune modification, ou des modifications peu avanta-
geuses. Des trois articles extraits de la première édition de L'analyse
du caractère qu'il publie dans son anthologie, Robert Fliess dit que
c'est un devoir absolu pour tout analyste de les avoir lus et périodique-
ment relus pendant la première décade de son travail clinique et qu'il
y en a peu qui épargnent au débutant autant de déceptions. Ils s'at-
taquent, dit-il, à un problème clinique fondamental concernant la
psychologie du « Moi » en l'abordant comme un problème de technique.
Enfin, une telle voie d'abord, par elle-même et par le fait qu'elle est
toujours la seule envisagée, fait de ces écrits les compléments indis-
pensables des écrits techniques et de quelques-uns des écrits cliniques
de Freud. Cette opinion n'a sans doute pas paru très exagérée à Fénichel
dont l'ouvrage sur la technique, devenu tout à fait classique, adopte
pour l'analyse en général la plupart des principes reichiens de L'analyse
de caractère dans sa première édition.
Un certain genre de critique, qui avait d'abord été opposé à Reich,
est réfuté par Fénichel lui-même : il ne peut en effet admettre, et nous
non plus, que toute activité de planification et de conduite de l'analyse
puisse être incompatible avec le mode d'être reconnu comme fonda-
L'ÉVOLUTION DE W. REICH 281
tère. Elle contient, ou presque, les dernières indications qu'il nous ait
données sur sa technique que j'espère, tout en me permettant des
critiques, vous exposer dans son dernier état.
L'analyste devra prendre le temps d'appréhender le mieux possible
le principal trait de caractère du patient. Dans un état purement réceptif
il devra détecter et évaluer les pulsions qui s'y expriment, mais garder
pour lui ce précieux savoir. Ce qu'il va communiquer au patient, c'est
une pure description des attitudes, comportements, réactions compo-
santes de son trait de caractère majeur. Dans ce cadre sera explicité le
style de ses silences et de ses discours. Ce qu'il a dit de vrai sur lui-
même n'a ici en soi aucun intérêt, bien qu'il puisse en avoir dans une
confrontation avec sa manière de le dire. « Les paroles peuvent mentir,
le mode d'expression ne ment jamais », dit Reich. Sans doute, mais
encore faut-il être capable de le déchiffrer, ajouterai-je. Aussi, mises
à part quelques personnalités douées d'un flair spécial parcimonieu-
sement distribué par la Providence, ce mode d'analyse, à mon avis, ne
convient généralement pas aux débutants, bien qu'il puisse les séduire
pour de mauvaises raisons. Bref, le trait de caractère et ses composants
doivent être bien isolés du reste du comportement. Une description
exacte du trait de caractère réellement dominant donnera très vite au
patient le sentiment qu'il est compris. Toute tentative de persuasion
de la part de l'analyste serait naturellement un non-sens. On doit ne
pas manquer de faire remarquer au patient, chaque fois qu'il, en fournit
l'occasion, les inconvénients pour lui d'un tel comportement, et aussi
le fait que, même le voudrait-il, il ne pourrait cependant pas aisément
agir autrement. Ensuite, il lui sera proposé que telle attitude, par
exemple, de soumission, n'est pas de l'amour, ni de la gratitude, ni de
la coopération, ni même de l'homosexualité, mais qu'elle est, avant tout,
une défense contre « autre chose ». Il doit éprouver devant cette propo-
sition de l'irritation et de l'angoisse. A notre avis, cette irritation doit
être considérée comme la conséquence légitime d'une authentique
blessure narcissique. Son attitude a été dévalorisée, ravalée au rang
d'un moyen de défense. Aussi, bien que l'analyste ait toujours eu une
attitude bienveillante et dépourvue de brutalité, et qu'il se soit borné
en fait à ne pas lui céder, il est bien évident que le malade doit être
légèrement irrité. Ce phénomène, que Reich ne me paraît pas avoir
isolé suffisamment, ne doit pas être pris pour une manifestation d'une
deuxième couche psychique qui serait de contenu agressif, mais pour
la simple preuve que l'on est dans la bonne voie. Si par contre, par
exemple, le patient se montrait satisfait, il est probable qu'il aurait
PSYCHANALYSE 19
286 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
rieur y sont, de façon tout à fait gratuite, considérées comme des motifs
suffisants. Au contraire, il apparaît très nécessaire de postuler chez les
instincts déjà fusionnés que Reich envisage une tendance interne à la
défusion, puis une tendance à l'antagonisme. Autrement dit, le recours
à l'instinct de mort paraît inévitable.
On a pu noter au passage que l'analyse du caractère, du fait qu'elle
ne s'occupe que des formations réactionnelles, n'envisage qu'un seul
type de défense. Si donc Reich ne s'appuie que sur les changements
d'attitude de ses patients sous l'effet de sa propre technique, il peut
difficilement prétendre à une théorie du psychisme névrotique dans son
ensemble. Il ne s'en prive pas pour autant, s'estimant justifié par des
considérations d'un tout autre ordre, à savoir que sa technique serait
la seule susceptible de libérer l'énergie des contre-investissements.
Sous l'effet de la technique de Reich, on constate, dans les cas
idéaux, que le patient abandonne son attitude habituelle, puis d'autres
qu'il manifeste successivement. On est alors en droit de se poser un
certain nombre de questions que Reich ne se pose pas. D'abord, quels
sont, pour le patient, le désir de guérir mis à part, les vis-a-tergo d'une
telle évolution. Vous vous souvenez que l'analyste, après avoir permis
le plein développement de chaque attitude, s'est borné à en donner une
pure description, puis à émettre l'hypothèse qu'elle est, avant tout,
une défense contre autre chose. Je suppose que l'on met ainsi l'analysé,
à la fin de chaque temps, en demeure de choisir de deux blessures nar-
cissiques la moindre, qui se trouve être de ne pas persister dans une
attitude.plutôt que d'y persister, une fois que la nature puérile de cette
attitude a été reconnue. Il me paraît vraisemblable qu'il y ait là l'un des
moteurs du processus.
Quand l'attitude jusqu'ici habituelle aura été abandonnée, et que
la deuxième couche psychique se sera manifestée, l'analyste aura à
tolérer longtemps, avant que de la faire considérer elle aussi comme
une défense, cette deuxième attitude qui était auparavant réprimée.
Il aura alors le loisir de se poser, in petto, deux nouvelles questions :
pourquoi la répression, et pourquoi par telle attitude plutôt que par
telle autre ?
Cherchant une réponse à cette dernière question, il s'apercevra
qu'une attitude plus passive était réprimée par une attitude plus active
ou inversement. Mais pour en rendre compte, il ne pourra se passer
de recourir à deux groupes d'instincts apparus simultanément, l'un
actif, l'autre passif. Aussi Reich a-t-il préféré éluder cette question.
Devant l'autre problème : quel a été autrefois le motif de la défense,
L'ÉVOLUTION DE W. REICH 289
menée de telle façon que toute la part d'énergie instinctuelle qui servait
à contre-investir a été remobilisée. Cette énergie libérée n'a pas recom-
mencé à contre-investir, puisque les peurs infantiles, et en particulier
celle de la castration, qui constituaient pour Reich les seuls motifs de
ces contre-investissements, ont été liquidées.
Par conséquent, ajouterait-il, cette part d'énergie instinctuelle a
rejoint maintenant l'autre, celle qu'elle réprimait, et la somme des
deux a pu poursuivre son cours normal vers une fonction purement
libidinale. Mais voilà que l'on constate le fait suivant : le sujet ne peut
pas se laisser aller complètement à éprouver l'orgasme. Reich a alors
recours à l'explication que voici : par suite de spasmes musculaires
opposés, le sujet éprouverait l'accroissement au delà d'une certaine
mesure de son courant libidinal comme un risque d'éclatement, de
désintégration au sens physique et il refuserait pour cette raison la
décharge orgastique.
Admettons provisoirement qu'il en soit bien ainsi. Serait-il alors
si évident que le patient doive redouter d'éclater, de se désintégrer ?
Pas le moins du monde. Si l'on s'en tient aux conceptions de Reich,
voilà des phénomènes qui ne peuvent éveiller chez le patient aucun écho.
Pour qu'il les craigne, il faut qu'il ait au moins quelque obscure cons-
cience d'une tendance à l'auto-désintégration. Quant aux tendances
purement erotiques, il est bien évident qu'elles se moquent de ce qui
pourra bien se passer une fois qu'elles seront parvenues à leurs fins.
Seulement, il semble ici nécessaire qu'elles y arrivent avant que les
tendances auto-destructrices n'arrivent aux leurs. Et il se trouve
qu'elles ont déjà assez à faire à éviter que ces dernières ne s'émancipent
tout à fait.
Poursuivant la lecture de son article, nous aurons la surprise de
constater que Reich, après ce qu'il vient de nous dire, ne s'étonne pas
du tout que, dans l'orgasme normal, il y ait une sensation de disso-
lution corporelle, éprouvée cette fois comme agréable. Mais il nous est
facile d'imaginer pourquoi il préfère « glisser » : c'est parce que la
meilleure explication, dans ce cas-là, serait sans doute que l'Éros et
l'instinct d'auto-destruction soient parfaitement fusionnés.
Reich évite soigneusement de telles « spéculations ». Dans une
analyse caractérielle réussie, affirme-t-il, la crise arrive lorsque les
spasmes causés par l'angoisse dans la musculature empêchent les sen-
sations pré-orgastiques intenses de suivre leur cours normal. Il médite
une image étonnante du caractère humain : la paroi d'une « vessie
vivante » :
L 'EVOLUTION DE W. REICH 291
(1) Ce fond de décontraction totale est nécessaire pour que puissent se développer, par
vagues; les contractions involontaires, automatiques, des muscles striés insérés sur le bassin.
294 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
directement leur présence, leurs effets étant masqués par les forces
tendant à la conservation de la vie. Freud pensait donc que l'instinct
d'auto-destruction était plus susceptible de se faire reconnaître chez
les multicellulaires. Chez eux, Szazs espère nous montrer qu'au contraire
le milieu est le seul responsable de la mort. Il s'appuie sur l'expérience
de Carrel, qui a cultivé pendant plus de trente-quatre ans un tissu
fibroblastique de coeur de poulet prélevé sur l'embryon. Le tissu
baignait dans un milieu nutritif approprié dans lequel les déchets
étaient constamment éliminés. Les cellules nouvellement produites
l'étaient également. Dans ces conditions, il y eut multiplication ininter-
rompue, aucun changement morphologique et aucun vieillissement.
L'expérience a duré un temps relatif suffisant pour que l'extrapolation
à l'éternité soit justifiée. Szasz interprète tout cela de la façon suivante :
« Ces expériences ont créé la condition inhabituelle dans laquelle l'ins-
tinct de vie n'est exposé à aucune espèce de frustration de la part du
monde extérieur. » Outre que rien ne l'autorise en logique à éliminer
l'autre interprétation possible, à savoir que ces expériences ont pu
créer la condition inhabituelle dans laquelle l'instinct de mort serait
totalement frustré ; il ne paraît pas s'être rendu compte que ces expé-
riences ont d'abord créé de tout autres « conditions inhabituelles »,
qui doivent être évidemment envisagées d'abord. Par exemple, une
partie d'un organisme en a été isolée et va avoir elle-même à se constituer
en une ou plusieurs totalités autres. Elle a été extraite d'un organisme
embryonnaire et non d'un organisme déjà parvenu à l'autonomie. Elle
a été plongée dans un milieu tel qu'il n'en a jamais existé sur là terre,
et non pas pendant la période même la plus courte au début de la vie
sur cette planète, comme Szasz le suppose, etc. Le résultat le plus
immédiat de ces « stresses » est que le tissu a régressé vers un amas
d'organismes unicellulaires. Les cellules de Carrel, à part qu'elles
paraissent être agglomérées, se comportent exactement comme l'in-
fusoire cilié cité par Freud. En effet, on peut faire se multiplier indé-
finiment un infusoire en plongeant chaque fois le nouvel individu dans
l'eau fraîche, c'est-à-dire dépourvue de ses déchets spécifiques et de
ceux de l'individu parent.
On n'est donc pas resté un seul instant sur le terrain que Freud
jugeait plus propice, et l'on est, au contraire, retombé tout de suite
sur le matériel qu'il avait eu ses raisons d'éviter. A partir de là, on
n'a aucunement réfuté sa théorie de l'instinct de mort, et l'on a seu-
lement montré une fois de plus que la genèse de nouvelles structures
et de nouvelles fonctions, où Szasz voit l'essence du développement,
L'ÉVOLUTION DE W. REICH 297
BIBLIOGRAPHIE
ABRAHAM (Karl), « A particular form of neurotic résistance against the Psycho-
analytic method » in Selected Papers (Hogarth Press, n° 13).
FENICHEL (Otto), Problems of Psychoanalytic Technic.
— The psychoanalytic theory of neurosis.
FERENCZI (Sandor), Psychoanalysis of sexual habits in Further contributions...,
281-2 (Hogarth Press, n° 11).
FLIESS (Robert), The Psychoanalytic reader an anthology of Essential Papers
with Critical Introductions (Hogarth Press, n° 36), 1950.
FREUD (Sigmund), Au delà du principe du plaisir.
HEROLD (C. M.), A controversy about technique, The Psychoanalytic Quarterly,
vol. 8, 1939, p. 218.
HORNEY (Karen), Les voies nouvelles de la psychanalyse, collect. « Psyché ».
REICH (W.), Characteranalysis translated by Th. P. WOLFE (Vision Press,
Peter Nevill.)
— La fonction de l'orgasme, collect. « Psyché ».
REIK (Th.), No royal road through the unconscious in Listening with the third
ear, New York, 1949, Farrar, Strauss and Co.
STERBA (R.), Character and résistance, The Psychoanalytic Quarterly, 1951.
SZASZ (Thomas), On the Psychoanalytic theory of instincts, The Psychoanalytic
Quarterly, 1952, vol. 21.
L'art et la psychanalyse (I)
par ARMAND MULLER
(1) Cet aspect de la question est traité dans un travail en cours de préparation.
L'ART ET LA PSYCHANALYSE 303
MATIN D'ÉTÉ
LE CORNAC
FRUIT NOIR
EUPHORIE
CYGNE
CIGUË
VOLUPTÉ
COÏT
Tes bras, tes cuisses sucent ma peau
tant ils adhèrent de tendresse
et de conviction d'aimer.
Tes bras longent mes rêves de volupté nue,
sans farce et sans feinte,
riche comme une douche de caresses
et de mots secrets limpidement murmurés.
Contamine mon corps avec ta joie crue
qui s'amoncelle sur le bord de tes lèvres de sang,
et aussi dans l'aile fine de tes narines tremblantes,
et aussi dans l'obscurité de tes yeux à demi fermés.
Lubrifie mes pensées d'amour, afin qu'elles glissent
sans fin, dans une perpétuelle extase,
vers le chemin de mousse fine
qui passe par la courbe de tes hanches.
Donne-moi la forme de tes seins clairs
afin qu'elle se visse à jamais
dans le creux moite de ma main brunie.
Donne-moi ce baiser final qui unifie
l'ardeur de deux souffles de vie,
qui brûle l'antagonisme des êtres accouplés,
qui baigne deux bouches rivales
dans une même rivière de salive,
qui sanctifie la fusion dans l'insécable bonheur,
comme quand la vraie prière unit fermement
la force de deux mains reconnaissantes.
L'amour tonne dans ton corps,
tes bras s'agitent comme l'éclair,
tes jambes se nouent de plaisir,
ma tête bourdonne sur ton ventre.
316 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
et mon cri,
aspiré par le cyclone d'une joie ascendante,
rugit jusqu'à la limite de sa puissance,
pour mourir subitement sur la sérénité de ton épaule
où les cheveux pleuvent sur moi l'abondance
de leur soie endormante.
persévérer dans une entreprise dont l'issue n'est pas absolument cer-
taine, recourra-t-il au rêve compensateur, où les images peuvent être
arrangées à sa guise, lui donnant ainsi l'illusion, l'hallucination du désir
réalisé ? S'il en était ainsi, nous dirions que le traitement analytique
n'a pas réussi à consolider suffisamment son Moi pour lui permettre
de résister aux chocs de la bataille livrée pour la réalisation du désir.
C'est à ce dernier signe que nous reconnaîtrons la valeur du traite-
ment psychanalytique chez l'artiste névrosé. Dans la mesure où l'artiste
s'encouragera à réaliser activement, concrètement, les désirs qui
s'expriment dans ses oeuvres, nous le verrons se désintéresser de la
création artistique, pour s'intéresser toujours davantage à l'activation
de la bataille pour le désir-fait-chair.
Que vaut-il mieux, rêver l'amour ou le faire ?
Rêver la paix ou la faire ?
Rêver la puissance, la déité, ou la faire ?
Il faut choisir entre une nuit d'amour et la création d'une sym-
phonie, dit Maryse Choisy. Je crois qu'il serait plus juste de s'exprimer
ainsi : il faut choisir entre une vie d'amour et la création de plusieurs
symphonies, car une nuit d'amour n'empêche pas la création d'une
symphonie ! Je dirais même qu'une nuit d'amour favoriserait la création
d'une symphonie.
Mais réaliser une vie d'amour, c'est tout un programme ; je ne
sache pas qu'il ait été exécuté de façon satisfaisante une seule fois depuis
la création du monde. On peut tout au plus tendre vers cet objectif
en s'efforçant d'améliorer les conditions qui permettront d'amorcer
cette réalisation.
Pour que l'amour soit un jour possible, il faut créer des conditions
de sécurité internationale, des conditions de sécurité matérielle, et
surtout des conditions de santé physique et psychique, des conditions
affectives, spirituelles et morales qui permettront à l'enfant de se déve-
lopper harmonieusement. Celui qui veut hâter l'avènement de l'amour
doit se faire médecin, pédagogue, psychanalyste, sociologue, juriste,
homme politique, orateur, missionnaire, ingénieur, paysan, ouvrier ou
savant, c'est-à-dire homme créateur de réalité. Schweitzer, Marx,
Freud, Einstein, voilà des hommes qui ont fait quelque chose pour
l'amour, bien plus que Gide, Mauriac, Wilde, Picasso & Cie !
Car pour faire l'amour, il faut une Terre d'amour, et l'artiste qui
ne participe pas à cette création d'une manière concrète, continue à
rêver l'amour, l'harmonie des formes, des couleurs, des êtres, et risque
un beau matin de se réveiller dans un monde où l'on ne voudra plus
L'ART ET LA PSYCHANALYSE 319
Quelle que soit la valeur de ces incidences sur tel ou tel cas parti-
culier, le résultat est toujours le même quant à la situation analytique
qui se trouve faussée dès l'abord : en effet, l'image que présente l'ana-
lyste au patient a perdu d'emblée cette parfaite neutralité jugée néces-
saire par la technique classique.
Quelle que soit la valeur rationnelle du choix fait par le candidat,
l'expérience nous enseigne qu'il marque ou traduit des tendances
infantiles, inconscientes, qui prennent appui, en l'occurrence, sur des
données réelles. Il en résulte forcément une altération des phénomènes
de transfert et de contre-transfert. De ce fait, la réduction, par l'analyse,
de certains mouvements de transfert à leur origine subjective est rendue
plus difficile, sinon impossible : le caractère anachronique, inadapté de
ces tendances peut difficilement être pleinement reconnu et accepté,
puisque certaines rationalisations sont non seulement possibles mais
justifiées par des données réelles pouvant avoir toutes les apparences
de l'objectivité.
Ainsi, le travail d'analyse et de destruction des résistances est
rendu beaucoup plus complexe.
Les difficultés dues à la rationalisation des résistances se trouvent
encore accrues du fait que le candidat possède déjà certaines connais-
sances théoriques et qu'il les utilise souvent pour consolider ses résis-
tances. Quant à l'analyste, il peut être lui-même amené, s'il n'y prend
garde, à scotomiser des situations transférentielles primordiales, parce
qu'elles le mettraient en cause directement, tel qu'il est et non pas tel
que le malade ordinaire l'imagine dans un monde purement phantas-
mique. Ici, le sujet agit et réagit en fonction de données appartenant à
la vie réelle, et certaines de ses conduites transférentielles et contre-
transférentielles ne peuvent plus, en conséquence, être interprétées selon
le mode habituel, ni ramenées à un plan purement subjectif.
La confrontation entre le passé et le présent, le vécu et le revécu,
l'imaginaire et le réel, tout ce mouvement qu'engendrent les prises de
conscience les plus efficaces peut être rendu très difficile, voire même
problématique : le risque que tout se passe surtout sur un plan pure-
ment intellectuel, sans résonance profonde sur les conflits instinctuels
322 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
est grand. Aussi plus que dans les analyses thérapeutiques, la résis-
tance qui prend appui sur le transfert peut devenir indéracinable.
A ce rapport différent analyste-analyse devrait correspondre une
adaptation différente de la technique. Or, il n'en est rien, et la litté-
rature psychanalytique était quasi muette sur ce sujet, du moins jus-
qu'aux discussions qui ont eu lieu ici même, hier.
Si l'on se place maintenant à un autre point de vue et que l'on
examine les buts respectifs du malade ordinaire et du candidat psycha-
nalyste lorsqu'ils entreprennent une analyse, on constate que leur
point de départ est aussi tout différent : le malade, consciemment,
veut guérir. Mais, inconsciemment, il attend surtout du psychana-
lyste l'autorisation et la force de devenir semblable à lui, c'est-à-
dire semblable à l'image parentale idéalisée. Cette attente, chez le
futur psychanalyste, est. au contraire parfaitement consciente, puis-
qu'il veut justement devenir lui aussi analyste. Dans la mesure même
où ce but est une donnée réelle, objectivement reconnue par l'analyste
et par l'analysé, les déterminantes infantiles de cette aspiration, la
valeur phantasmique de ces mouvements d'identification resteront
longtemps à l'abri de l'analyse, parce que recouverts et protégés par des
données réelles.
De ce fait, la neutralité de la situation analytique se trouve réduite,
alors que dans la confrontation analyste-malade il est relativement
aisé de maintenir cette neutralité à son maximum.
Une des premières conséquences de tout ceci, c'est que les méca-
nismes de défense contre la peur et la culpabilité engendrées par les
mouvements de compétition, de rivalité, de jalousie (bref contre l'agres-
sivité qui les sous-tend), sont impossibles à aborder de la même manière
dans l'analyse didactique, celle-ci constituant de fait une situation
propice au renforcement rigide du sur-moi.
A l'opposé, dans l'analyse thérapeutique, la situation étant toute
différente, il suffit souvent que l'analyste sache maintenir son atti-
tude de neutralité bienveillante pour que se déclenche le processus
inverse : assouplissement du sur-moi, entraînant un renforcement du
moi par intégration des forces pulsionnelles et notamment des forces
agressives.
Par conséquent, pendant cette période de l'analyse, s'il convient que
le médecin manifeste, discrètement certes, sa présence au malade
puisqu'elle lui est bénéfique, il serait par contre préférable, dans l'ana-
lyse didactique, que cette présence s'estompe le plus possible du fait
qu'elle ne peut être ressentie comme neutre par l'analysé.
DIFFICULTE DE LA PSYCHANALYSE DIDACTIQUE 323
par rapport à son analyste est, entre autres, un fait objectif avec lequel
il faut bien compter. Les réactions du sujet, dans une analyse didactique,
sont donc déterminées à la fois par ce qui le lie effectivement à son
analyste et par la reproduction de liens anciens.
Il en résulte souvent des difficultés, tant pour l'analyste que pour
l'analysé, lorsqu'il s'agit de délimiter et de séparer ces deux situations
superposées. Les motivations infantiles des conduites reproduites
régressivement à l'intérieur de l'analyse deviennent plus difficiles à
saisir. Par contre, leur rationalisation se trouve facilitée, et de ce fait
les mécanismes de défense restent intacts.
L'efficacité de l'analyse se trouve alors limitée, sinon menacée, par
une adhésion qui peut rester purement intellectuelle et rationnelle.
L'intensité de conflits non résolus chez le candidat-psychanalyste,
voire même l'existence de symptômes névrotiques, peut modifier dans
une certaine mesure ces conditions et rapprocher alors l'analyse didac-
tique de la thérapeutique. Car dans ce cas la faiblesse de l'organisation
du moi, et par voie de conséquence le caractère inadapté des mécanismes
de défense peuvent faciliter le travail de l'analyse lorsqu'il est nécessaire
de toucher en profondeur la personnalité du sujet.
Ainsi se trouverait justifiée l'opinion en apparence si paradoxale
émise par différents psychanalystes lors des réunions de l'Association
psychanalytique américaine consacrées à la question de l'analyse
didactique (1). Suivant cette opinion, une personnalité dite « normale »
ne constituerait pas nécessairement un critère favorable dans le choix
des candidats à l'analyse didactique !
Cette opinion est évidemment choquante de prime abord. A la
réflexion cependant elle peut être recevable dans une certaine mesure,
car un sujet dont les défenses sont solides et adaptées rend l'analyse
plus difficile, maintient celle-ci plus aisément sur le plan intellectuel
et élude ainsi les modifications en profondeur de la personnalité, souvent
nécessaires. Un sujet particulièrement équilibré et adapté oppose de
solides barrières à une connaissance véritable et approfondie de l'incons-
cient. Et cependant, pénétrer le plus profondément possible dans le
psychisme inconscient est une tâche encore plus impérieuse en analyse
didactique qu'en analyse thérapeutique. Pour un malade, l'analyste
peut se montrer moins exigeant dans cette recherche, car, finalement,
seule la guérison compte. Pour un futur psychanalyste il n'en est pas
(1) On pourra trouver des détails, des photos et des graphiques impressionnants dans
l'article de BACKWIN qui rapporte cette observation (3).
(2) Suffit aussi, d'ailleurs, l'observation du premier nourrisson venu.
ETUDE CLINIQUE DES FRUSTRATIONS PRECOCES 329
1. Le traumatisme de la naissance
La première et la plus spectaculaire est la naissance. Rank en avait
parlé, mais en s'évadant si loin des réalités biologiques que le,« trau-
matisme de la naissance » est resté comme un cliché inévitable et vide.
Or, à envisager la naissance sous l'angle de son économie biologique (2),
on vérifie pleinement le point de vue qu'en présentait Freud (16 b).
Le foetus, on le sait, est loin de l'inertie complète : il dispose de
procédés rudimentaires mais propres de régulation végétative, il est
capable de motilité et d'une certaine sensibilité. Mais du fait, mainte-
nant connu (21 a, 8,19 bis), que le foetus est doué de déchargesmotrices
avant de l'être de réception sensorielle, que par ailleurs, vivant dans
un milieu stable et protecteur, il n'est soumis qu'à des excitations
(1) Au moment d'une ultime révision du manuscrit (juin 1953) paraît, dans le n° 4 de la
Revue française de Psychanalyse, l'Essai sur la peur, du Dr S. NACHT, dans lequel sont précisé
ment appréhendés cette élaboration subjective, ce cheminement de la frustration, dont la
présente étude s'est délibérément bornée à n'envisager que les points de départ et d'arrivée.
(2) Comme l'a fait Ph. Greenacre, comme le faisait Freud.
330 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
rares et amorties, qu'enfin son métabolisme exigeant lui est pour ainsi
dire réglé d'avance grâce aux échanges sanguins avec l'organisme
maternel, il résulte qu'il n'est normalement jamais soumis à une tension
excessive ; pour illustrer d'une métaphore ce fait très important, l'or-
ganisme avant la naissance n'est pas « chargé ».
La naissance bouleverse non seulement le fonctionnement mais
l'économie de cet organisme ; le voilà soudain assailli d'une marée
d'excitations de tous ordres diffuses et variables, alors qu'il dispose
de moyens restreints d'adaptation et qu'il doit faire face à la nécessité
de gagner son oxygène ; sa « charge » s'accroît brusquement, et ne va
pas cesser durant des mois de tendre à excéder les limites normales.
Il semble en fait que ce soit avant la naissance proprement dite, durant le
travail et l'expulsion, que débute le « traumatisme de la naissance », alors que le
foetus immobilisé et déjà excité, se trouve privé par la compression de l'oxygène
maternel, l'aérien ne lui étant pas encore accessible. (Ribble, 45). Que le « choc »
de la naissance commence avant celle-ci, et qu'il soit éprouvé comme un stress
par l'organisme entier, c'est ce que prouve la découverte que l'on a pu faire
chez le tout nouveau-né d'une réaction cortico-surrénalienne déjà inscrite
histologiquement : réaction hormonale d'adaptation qui va persister durant
les premières années de la vie (cf. 1, 18). Plusieurs auteurs pensent d'ailleurs
que ces excitations sensitives et ces réactions hormonales pré-natales favorisent
la mise en train des premières adaptations néo-natales (1).
(1) Portmam (de Bâle) conclut en particulier d'une longue série d'études de morphologie
comparée que le nouveau-né humain n'acquiert qu'au bout d'un an les caractères biologiques
d'un anthropoïde à la naissance ; on peut dire que l'homme naît avec douze mois d'avance.
(2) Peut-être parce que les psychanalystes ont moins que d'autres peur d'accepter notre
exemplaire fragilité.
ETUDE CLINIQUE DES FRUSTRATIONS PRECOCES 331
3. Immaturité végétative
Le cri de la naissance est le premier acte d'autonomie, il résout
l'état pressant d'anoxie que subit le foetus durant l'expulsion, il instaure
et représente un nouveau règne végétatif ; règne bien mal assis cepen-
dant, car il n'est pas vrai que la respiration, et toute autre fonction
végétative vitale, sorte tout armée et tout organisée de ce premier cri.
L'organisme du nourrisson est un chaos, incapable d'adaptations
précises, du domaine végétatif tout comme du domaine moteur :
il est physiologiquement morcelé. Très facilement, il est envahi par
cette tension intérieure, que traduit un raidissement généralisé de toute
la musculature. La régulation des grandes fonctions végétatives, c'est-
à-dire l'emprise qu'un système nerveux encore très inachevé peut avoir
sur elles, reste fragile et peu organisée. Les adaptations végétatives ont
à peu près le même caractère de massivité et d'incoordination que la
motilité dite volontaire. Le métabolisme du nourrisson est exigeant,
et le système nerveux en particulier est un grand consommateur
d'oxygène : or, ce système nerveux est, à l'origine, peu capable d'établir
par lui-même dans le fonctionnement des appareils vitaux une régula-
rité et un niveau suffisants pour s'assurer l'approvisionnement méta-
bolique dont il a précisément besoin pour parvenir à maturité, c'est-
à-dire pour « prendre en mains » l'organisation végétative, et instaurer
une véritable autonomie biologique. Tel est le cercle vicieux (souligné
par M. Ribble, 1) dans lequel se trouvent engagées les fonctions vitales
du nourrisson, desquelles on peut dire qu'elles ne sont rien moins
qu'autonomes. L'organisme du nourrisson se trouve dans la situation
d'un pays pauvre qui ne pourrait sortir de la pauvreté qu'en investis-
sant des capitaux, qu'il n'a pas, dans son industrie ; l'histoire enseigne
332 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
qu'une telle situation ne se résout que par une aide extérieure, et c'est
le cas du nourrisson.
La gravité de cette situation est donnée dès la naissance comme
très variable, selon les individus (1, 7, 17), pour des raisons mal
connues (disons : héréditaires) (1) ; par ailleurs, elle évolue avec le
temps : les difficultés sont les plus grandes dans les quinze premiers
jours, et la crise se résout normalement vers 3 mois, quelquefois beau-
coup plus tard, quelquefois jamais. Ce sont les premières vocalisations,
les premiers signes à autrui, qui, vers 3 mois, marquent la fin de
cette « crise économique-végétative », dont le nourrisson nous montre
ainsi par le babil, son premier luxe, qu'il est sorti (Ribble, 1).
Jusque-là, les grandes fonctions de l'anabolisme sont en gros dans la
situation suivante (2).
— le sommeil proprement dit, tranché et rythmé, n'existe pas jusqu'à 3 mois ;
Ribble assimile la somnolence des premiers mois à un état subcontinu
d'hibernation.
— la régulation thermique est très fragile : le nourrisson est dans une grande
mesure un animal poïkilotherme ;
— la circulation sanguine et la respiration sont soumises à d'importantes varia-
tions de rythme, d'amplitude et de régularité (Ribble : 1, 42 ; Hal-
verson, 24). La qualité de la respiration se trouve en fait refléter fidèle-
ment le fonctionnementvégétatif et la tension de l'organisme.
L'établissement chez le nourrisson d'une respiration normale et stable
serait d'ailleurs compliquée encore par le fait que le foetus posséderait une
sorte de « respiration intérieure » de secours ; celle-ci prendrait la forme de
mouvements de bas en haut du diaphragme, lesquels, exerçant une sorte de
succion sur le foie, en exprimeraient le sang oxygéné mis en réserve ; il se
trouve des nouveau-nés, en particulier des prématurés, qui régressent faci-
lement à ce type foetal de respiration, devenu à l'air libre entièrement anti-
physiologique (Ribble).
En fait on peut observer et on a même pu mesurer par enregistrements
précis que la respiration est plus irrégulière et plus superficielle dans les
périodes précédant les repas, cependant que le' pouls lui aussi se fait irrégulier
et plus faible et que, signe invariable de tout malaise de l'organisme, la tonicité
musculaire augmente (Halverson : 23).
4. Fonctions orales
Sitôt nés, la plupart des mammifères autres que l'homme se dirigent
spontanément vers le sein maternel ; certains, comme l'oppossum,
sont capables de le disputer aux autres membres de la portée, et d'autres,
(1) A moins que cette fragilité psychosomatique » ne varie aussi selon les conditions propres
de la vie foetale ou de la naissance, comme le pensent en particulier I. SONTAG et Ph. GREENACRE
(21, a, b).
(2) Cf. sur la respiration un travail publié antérieurement (18).
ETUDE CLINIQUE DES FRUSTRATIONS PRECOCES 333
5. Impuissance sensitivo-motrice
L'évolution bien connue du système nerveux cérébro-spinal fait
que pendant des mois le nourrisson est impuissant à l'égard du monde
extérieur comme il l'est à l'égard de son propre organisme. Pour
comprendre cette situation naturelle, il nous faudrait, selon Spitz, nous
imaginer, adultes, « privés de toute possibilité de contact, d'action,
de défense et de conversation », privés jusqu'à 3 mois de la possibilité
de fixer les objets et de les saisir, privés de mécanismes réflexes d'équi-
libration, etc., et cependant assaillis d'excitations diffuses et peu
déterminées.
Pendant plusieurs mois, la motilité du nourrisson n'a guère affaire
avec le monde extérieur ; une de ses fonctions est de favoriser les
échanges circulatoires et métaboliques et l'on « peut dire du nourrisson
qu'il mange, respire et ressent avec tout son corps » (Ribble, 1) ; une
autre de ses fonctions est sans doute d'écouler et d'abaisser la tension
intérieure à laquelle est soumis l'organisme (Greenacre, 21 c). Par
ailleurs, selon plusieurs neuro-physiologistes, « la fonction crée l'or-
gane », c'est-à-dire que le système nerveux, en particulier sensoriel,
ne se développe que dans la mesure où il y est sollicité (1, 21 a).
PSYCHANALYSE 22
334 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
1. Besoin de succion
La façon dont le lait est donné est aussi importante que le lait
lui-même. On peut observer que des nourrissons alimentés au biberon
de lait maternel se développent moins bien, toutes choses d'ailleurs
égales, que les nourrissons directement nourris au sein (1) ; que de
deux groupes de nourrissons recevant la même quantité de lait, pesant
le même poids, mais nourris les uns toutes les trois et les autres toutes
les quatre heures, les premiers ont un meilleur sommeil, une meilleure
respiration, une plus grande vivacité que les seconds (45).
Cette qualité qui échappe aux instruments de mesure est la valeur
d'amour que peut posséder le lait maternel. Observé du dehors ce
(1) Ce n'est pas tout à fait exact : le microbe, qui tient lieu du démon dans la mythologie
médicale moderne, est l'objet d'un culte exigeant dont le rituel obsessionnel est poussé, pour
les enfants, à une quasi-perfection.
336 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
le plus grand mérite des soins de la peau, des bains en particulier, est
d'apporter à l'enfant chaleur, caresses et liberté des mouvements ;
la surface du crâne est particulièrement sensible aux caresses.
Ces expériences ont les mêmes résultats immédiats que la succion : activa-
tion de la circulation et de la respiration, détente musculaire, sommeil, meilleure
assimilation métabolique. Ribble a vu dépérir un nourrisson bien nourri pour
l'unique raison de n'être jamais caressé ; les jeunes chats et chiots qui ne sont
pas léchés par leur mère présentent des troubles digestifs graves, et parfois
dépérissent (cf. Bénassy). Les nourrissons maintenus dans des boxes isolés
et fermés n'ont qu'une activité très réduite (Spitz, 49).
M. Ribble groupe ces différents besoins sous le terme de « stimulus
hunger » ou de faim de stimuli. Leur satisfaction a pour elle une double
fin de régulation végétative et de développement nerveux. Ceci ne
permet pas de saisir le mécanisme économique de cette appétence parti-
culière. L'état latent de tension préanxieuse de l'organisme l'explique
plus clairement ; la chaleur cutanée évite la vaso-constriction péri-
phérique qui accompagne cet état ; des stimulations précises et localisées
soulagent sans doute l'anxiété flottante du nourrisson ; enfin et surtout
la satisfaction de l'érotisme cutané décharge la tension intérieure (on
peut d'ailleurs signaler à cet égard que l'excès comme la carence de
caresses déterminent le même état de tension).
En pratique, ces besoins peuvent être frustrés selon différents
modes (1) : soit par l'isolement de l'enfant, soit par l'absence ou la
rareté des parents, soit par leur rigidité affective qui leur interdit des
échanges tendres avec l'enfant ; le caractère manifestement érotique
de ces échanges joue pour certaines mères un rôle de frein.
3. Besoin de motilité
Les fonctions propres de l'activité musculaire du jeune enfant
ont été signalées plus haut. En fait son besoin se manifeste selon un
régime et une progression qu'il importe de respecter (1).
On peut observer qu'un nourrisson dont on immobilise les membres ou
la tête est pris de rage ou de dyspnée. Plusieurs peuplaces africaines pratiquent
chez les nourrissons des formes particulièrement sévères de contrainte phy-
sique (Greenacre, 21 c) ; ces pratiques entraînent des accès de rage violents
et, à la longue, un retard du développement psychomoteur, avec, comme chez
les petits assistés de Spitz privés de stimulations, un développement anormal
dans le secteur des relations sociales.
(1) Il n'est pas si facile de priver délibérément un nourrisson des stimulations qu'il appelle
d'une façon manifeste : une piquante démonstration du fait a été fournie, à leur insu, par deux
auteurs (cités par P. GREENACRC, 21 c) qui avaient décidé d'élever deux jumeaux dans la plus
complète abstinence de contacts : ils lâchèrent pied d'eux-mêmes au bout de quelques mois,
littéralement séduits par les nourrissons.
338 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Ph. Greenacre qui étudie cette question y inclut aussi la restriction par absence de
stimulations.
ÉTUDE CLINIQUE DES FRUSTRATIONS PRECOCES 339
(1) Ce n'est pas pourtant que cette tâche n'ait été déjà plusieurs fois entreprise : cf. Bowlby,
Barolet, Kanner, Matins, Racamier, Spitz, etc.
ETUDE CLINIQUE DES FRUSTRATIONS PRECOCES 341
Nous reviendrons plus loin sur les cas plus complexes où l'une des
relations est multiple (plusieurs personnages maternels par exemple),
et sur ceux où la relation avec les parents est mal équilibrée (prédomi-
nance affective de l'un des parents sur l'autre, absent ou décédé).
B) Frustrations « affectives »
2. L'hostilité qui fait le fond des conduites de rejet actif peut prendre,
elle aussi, différentes formes :
(1) Venant en appuyer d'autres, des faits tels que les troubles névrotiques ou psycho.
somatiques de la grossesse ont une grande valeur indicative.
(2) On a plusieurs fois noté que le premier souvenir des patients gravement et précocement
frustrés est un indicateur remarquablement fidèle de leurs premières expériences affectives.
ETUDE CLINIQUE DES FRUSTRATIONS PRECOCES 343
— soit par les intermittences et les variations de l'apport affectif; que les liens
successifs soient périodiquement brisés, ou qu'une mère toujours la
même, mais cyclique ou infantile, passe par des oscillations à court ou
long terme entre la tendresse et l'indifférence, l'amour et le rejet ;
— soit par le renversement des rôles parentaux : que l'enfant reçoive de la mère,
femme dominatrice, à poigne, et parfois seule au foyer, ce qu'il attend
d'un père qui est absent, indifférent ou faible ; ou que l'enfant reçoive
de son père, se comportant maternellement, ce qu'il attend d'une mère,
qui est absente ou inaffectueuse ;
— soit enfin par le surmaternage, que D. Lévy (32) a décrit sous le nom
d'hyperprotection (1) vraie, et, qui se définit comme une attention exces-
sive ou indûment prolongée mais authentiquement maternelle. Il est réac-
tionnel à des conditions diverses qui provoquent la survalorisation de
l'enfant aux yeux de sa mère : une longue attente de sa naissance,
l'impossibilité d'en avoir d'autres, une maladie précoce et grave ou
impressionnante, la présence enfin de substituts maternels supplé-
mentaires.
(1) Ceterme, qui recouvre des faits nombreux et différents les uns des autres, a été délibé-
rément évité dans ce travail.
344 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
C) Frustrations spécifiques
On peut dire pour schématiser une telle étude, sur laquelle Bowlby
s'étend longuement, qu'il est des circonstancesfrustrantes et des conduites
frustrantes.
Les circonstances, causes externes subies par les parents comme
par l'enfant, peuvent être la mort, la maladie, l'absence forcée, le
travail, la pauvreté ou la multinatalité : elles posent des problèmes
d'ordre sociologique.
Mais le cas de la mère qui travaille au dehors sans nécessité réelle,
et frustre gravement son enfant tout en rationalisant sa conduite, forme
la transition avec le plan des conduites frustrantes, et d'abord avec
celles qui sont indirectement frustrantes : on peut entendre par là les
conséquences défavorables pour l'enfant d'attitudes parentales qui, si
elles se rattachent à leur personnalité, ne sont pas directement liées à
leurs fonctions de parents ; telles sont : le divorce (dont les consé-
quences ont été étudiées par Haffter) et la mésentente parentale, la délin-
quance ou les troubles psychotiques des parents, les naissances illégitimes.
Ces derniers cas amènent à envisager les conduites directement
frustrantes, objet immédiat de l'investigation psychologique de ce qu'on
pourrait appeler l'impuissance paternelle ou maternelle, pour le situer
sur son véritable plan : celui d'une maladie, l'une, peut-être, des plus
lourdes de conséquences qui soient (cf. 11, 14, 20, 28, 37, 47).
Les symptômes divers en ont été signalés plus haut. En décrire
les mécanismes serait reprendre l'étude de toutes les déviations et de
tous les arrêts de l'évolution psycho-affective de la femme (cf. 12).
Les relations de la femme avec son partenaire sexuel, géniteur de
l'enfant, et surtout ses relations affectives avec sa propre mère situent,
on le sait, les deux domaines principaux susceptibles d'entraver le
développement d'un amour maternel réel.
Si l'on recherche les causes possibles de cette impuissance parentale,
on est amené à faire une observation de grande portée. Il apparaît
en effet que les parents amenés à frustrer gravement leur enfant l'ont
eux-mêmes été dans leur propre enfance ; il semble même qu'ils deviennent
d'autant plus frustrateurs qu'ils ont été plus frustrés.
Ainsi, sur 100 filles-mères on a observé que plus de la moitié avaient des
mères « rejetantes » (Young). Parmi des parents d'enfants abandonnés en insti-
tutions en Angleterre, 58 % des 97 mères et 80 % des 53 pères qui ont pu four-
nir des indications précises, avaient été privés d'un foyer aimant durant leur
prime enfance (2, p. 98).
346 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
CONCLUSIONS ET DISCUSSION
(1) Chez personne autre que le nourrisson il n'est plus difficile de distinguer l'un et l'autre
plans.
(2) Comme le remarque le Pr Lagache dans sa définition de la frustration.
348 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1)Dans ce débat, les travaux des psychologues (10, 46) sur la frustratiou ne nous ont
apporté aucune donnée utilisable.
ETUDE CLINIQUE DES FRUSTRATIONS PRECOCES 349
...
à. BALINT (A.), Early developmental states of the ego, Int. J. Psa., 1949, 30,
P- 265.
5. BAROLET (A.), Les irrégularités infantiles et juvéniles d'origine familiale,
Lyon, Box Éd., non daté.
6. BÉNASSY (M.), Théorie des instincts, Rapport au 1er Congrès des Psychana-
lystes de Langues romanes, 1952, Paris.
7. BENEDEK (Th.), The psychosomatic implication of primary unit mother-
child, Amer. J. Othopsych., 1949, 19, p. 642.
S. CARMICHAEL et coll., Manuel de psychologie de l'enfant, trad. fr., P. U. F.,
1952, chap. II et IV.
9. CHRISTOFFEL (H.), Les problèmes du transfert, R. f. Psa., 1952, 12, p. 178.
10. Congrès sur la Frustration (MILLER, SEARS, MOWRER et al., p. 337 ;
SEEARS, p. 343 ; LEVY (D.), p. 356 ; MASLOW, p. 364) in Psychological
Review, 1944, 48, 4, p. 337 à 366.
11. DEUTSCH (A.), Our rejected children, Little, Brown and Cy., édit., Boston,
1950.
12. DEUTSCH (H.), La psychologie des femmes, II. Maternité, 1945, trad. fran-
çaise, P. U. F., 1949.
13. FERENCZI (S.), The unwelcome child and his death instinct, Int. J. Psa.,
1929, 10, p. 125.
lé. FIGGE, Some factors in the etiology of maternai rejection, Smith Collège
Studies, 1932, p. 337.
15. FREUD (A.) et BURLINGHAM (D.), Enfants sans familles, trad. fr., P. U. F.,
1948.
16. FREUD (S.), a) Les pulsions et leurs destins, 1915, trad. fr., M. BONAPARTE
et A. BERMAN in : Métapsychologie, N. R. F. ; b) Inhibition, symptôme,
angoisse, 1926, trad. fr., P. U. F., 1951.
17. FRIES (M.), Psychosomatic relationship between mother and infant,
Psychosom. med., 1944, 6, p. 159-162.
18. GENDROT (J.-A.) et RACAMIER (P.-C), Fonction respiratoire et oralité,
L'Évolution psychiatrique, 1951, n° III, p. 457-478 (Bibl.).
19. GESELL (A.) et ILG (F. L.), Le jeune enfant dans la civilisation moderne, 1943,
New York, trad. fr., P. U. F., 1949.
19 bis. GESELL et AMATRUDA, L'embryologie du comportement, trad. française,
P. U. F., 1953.
20. GLEASON, A study of the attitudes leading to the rejection of the child by
the mother, Smith Collège Studies, 1932, p. 237.
21. GREENACRE (Ph.), Trauma, Growth and Personality, New York, Norton,
1952 (cf. 41). (Contient en particulier les articles suivants :
a) The biological economy of birth, p. 3-26, from : The Psychoan.
St. of the Child, I, 1945 ; b) The prédisposition to anxiety, p. 27-82,
from : Psychoan. Quart., 1941, nos 1 et 4 ; c) Infant reaction to restraint,
p. 83-105, from : Amer. J. Orthops., 1944, 14= n° 2.
22. HAFFTER (G.), Enfants de ménages divorcés, H. Hùber, Berne, 1948, 175 p.
(cf. H. EY, Analyse, in : L'Évolution psychiatrique, 1949, p. 433.
23. HALVERSON (J.), Infant sucking and tensional behavior, J. Genet. Psycho-
logy, 1938, 53, p. 365-430.
24. — Variation in puise and respiration during différent phases of infant
behavior, id., 1941, 59, p. 259-330.
25. — Mechanism of early infant feeding, id., 1944, 64, p. 185-223.
26. HAUPTMANN (A.), Capillaries in finger nail fold in patients with neurosis,
epilepsy and migraine, Arch. Neurol. a. Psychiatry, 1946, 86, p. 631-642.
PSYCHANALYSE 23
350 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Les rêves dans lesquels apparaît cet écran dont Lewin parle pour la première
fois en 1946 représentent l'accomplissement total du désir de s'endormir au
sein maternel après avoir été nourri.
L'auteur rapproche les phénomènes décrits par Isakower (hallucinations
hypnogogiques d'une certaine sorte), l'écran de rêve, et les rêves presque
dépourvus de contenu visuel ou de trame. Tous trois sont de même essence et
reproduisent certaines impressions du nourrisson au sein.
Les représentations peuvent être soit très agréables, soit génératrices
d'angoisse.
Dans les phénomènes d'Isakower la personne sur le point de s'endormir
perçoit une masse sombre, généralement ronde, qui s'approche d'elle, l'enve-
loppe, et lui fait perdre la notion des limites de son corps.
C'est la même masse, dit l'auteur, qui apparaît comme écran dans certains
rêves. Son aspect parfois plan est une illusion d'optique due à la taille du sein
par rapport au nourrisson.
Les rêves « vides » évoquent plutôt des sensations et des affects que des
images et sont difficiles à décrire en termes concrets.
Lewin rapporte ensuite de nombreux exemples fournis par des collègues.
La forme et la matière de l'écran peuvent varier sans compter qu'elles
peuvent être modifiées par des souvenirs plus tardifs. L'écran peut être une
balle de caoutchouc, un mur, une dalle de marbre veinée, une dune, un tableau
noir, une pellicule photographique, une feuille de papier blanc. Le sein peut
aussi être représenté par le verre d'un biberon et l'auteur fait, à ce sujet, allusion
à la vitre du rêve de l'homme aux loups.
Au cours du traitement analytique ces rêves peuvent marquer un tournant
où une certaine organisation mentale et libidinale fait place à une autre.
Lewin parle ensuite des rapports entre cette expérience au sein et l'extase.
Cela se produit lorsque le surmoi est conçu sur un mode oral.
Il rappelle des remarques faites précédemment sur l'apparition chez cer-
tains phobiques de l'écran de rêve et de la crainte d'être dévoré.
L. DREYFUS.
LES REVUES 353
organes entre les jambes et qui s'imagine être une femme : une femme se repré-
sente le suc vaginal comme pouvant devenir, au cours des relations sexuelles,
du sperme. L'auteur cherche à démontrer que l'économie de cette activité est
d'échapper à la castration. Référence à la théorie de Ferenczi : caractère vaginal
du prépuce et rôle phallique du clitoris. Bibl.
SHENTOUB.
BIBLIOGRAPHIE RÉCENTE
Théories
ALEXANDER (F.). — Trois principes dynamiques fondamentaux de l'appareil
mental et du comportement de l'organisme vivant. (Three fundamental
dynamic principles of the mental apparatus and of the behavior of living
organism), Dialectica, 1951, 5, 239-45.
ALEXANDER (F.). — Valeurs et connaissance (Werte und Wïssenschaft), Psyché,
Heidel, 1952, 5, 662-67.
BARLETT (F.). — Le marxisme et la théorie psychanalytique de l'inconscient
(Marxism and the psychoanalytic theory of the inconscious), Sci. et Soc,
1951-52, 16, 44-52.
DE GREFF (E.). — Les modes de rattachement instinctifs, fonctions incorrup-
tibles, Dialectica, 1951, 5, 377-92.
LES REVUES 357
L'art et la psychanalyse
FELDMAN, BRONSON (A.).
— Les obsessions d'Othello (Othello's Obsessions),
Amer. Imago, 1952, 9, 147-64.
HECHT (M. B.). — La disgrâce, le désir et l'oeuvre de Franz Kafka (Uncanni-
ness, yearning, and Franz Kafka's works), Amer. Imago, 1952, 9, 45-55.
HILLERET (M.-L). — Sur le sado-masochisme au cinéma, Hyg. ment., 1952,
41, 60-71.
MANHEIM (L. F.). — L'histoire personnelle de David Copperfield : étude
psychanalytique (The personal history of David Copperfield : a study in
psychoanalytic criticism), Amer. Imago, 1952, 9, 21-43.
PAUNCZ, ARPAD. — La psychopathologie du roi Lear de Shakespeare : l'exemple
du complexe-Lear (Psychopathology of Shakespeare's King Lear : exem-
plification of the Lear Complex (a new interprétation). Amer Imago, 1952,
9, 57-78.
SCHNIER (J.). — L'oiseau symbolique dans l'art du Moyen Age et de la Renais-
sance (The symbolic bird in Médiéval and Renaissance art), Amer. Imago,
1952, 9, 89-126.
LES LIVRES
Intervention de M. P. LABBÉ
Intervention de M. HELD
après la conférence de M. Mallet
L'intéressante conférence que nous venons d'entendre semble
présenter deux aspects susceptibles d'être envisagés séparément :
D'une part, ce qui a trait à l'existence d'un instinct de mort, d'autre
part, le cas posé par la personnalité même de Reich.
La démonstration de l'existence de pulsions de mort faite en
s'appuyant sur l'évolution très particulière des idées de l'auteur de
« Character
Analysis » n'a pas emporté notre conviction. Nous n'avons
pas l'intention de revenir longuement sur cette question tant contro-
versée. Pour nous l'accolement du mot instinct avec celui de mort, nous
paraît soulever une contradiction irréductible. Qui dit instinct, dit
vie. Une confusion entre pulsions agressives et pulsions de mort est
responsable de ce malentendu fondamental. Qu'on envisage ou non
ici avec Schasz, un recours à la deuxième loi de la Thermodynamique,
ou que l'on reste sur le terrain de la simple biologie concrète il nous
semble en tout cas que toutes les pulsions décelables par la clinique ne
peuvent avoir comme but final que le maintien de la vie, qu'il s'agisse
des premiers cris de rage du nouveau-né expulsé de « l'aquarium »
maternel ou des retournements destructeurs de l'agressivité du névrosé
sur lui-même, pour singulière qu'apparaisse au premier abord cette
dernière façon de chercher à vivre.
En ce qui concerne l'auteur précité, et à qui personne ne saurait
refuser le tribut d'estime et d'admiration auquel donnent droit Pimpor-
COMPTES RENDUS 367
Présidente d'honneur :
Mme Marie BONAPARTE
7, rue du Mont-Valérien, Saint-Cloud (S.-et-O.), MOL. 56-95
MEMBRES TITULAIRES
Dr M. BÉNASSY, 4, rue de l'Odéon, Paris (6e), ODÉ. 88-52.
Dr A. BERGE, 110, avenue du Roule, Neuilly-sur-Seine,MAI. 29-91.
Dr M. BOUVET, 17, rue Jean Mermoz, Paris (8e), trésorier, ÉLY. 53-67.
Dr M. CENAC, 4, rue de Babylone, Paris (7e), LIT. 04-36.
Dr R. DIATKINE, 30, rue de Miromesnil, Paris, (17e), ANJ. 54-75.
Dr A. HESNARD, 47, Littoral Frédéric-Mistral, Toulon (Var).
Mme le Dr O. LAURENT-LUCAS-CHAMPIONNIÈRE,10, rue de l'Odéon,
Paris (6e), DAN. 05-26.
Dr S. LEBOVICI, 3, avenue du Président-Wilson, Paris (16e), KLE. 17-16.
Dr P. MÂLE, 6, rue de Bellechasse, Paris (7e), président, INV. 65-59.
Dr P. MARTY, 22, boulevard Barbes, Paris (18e), secrétaire, CLI. 14-27.
Dr S. NACHT, 80, rue Spontini, Paris (16e), KLE. 35-15.
Dr F. PASCHE, 1, rue de Prony, Paris, WAG. 00-30.
Dr M. SCHLUMBERGER, 17, avenue Théophile-Gauthier, Paris (16e),
AUT. 74-92.
Dr MALLET, 8, rue Charles-Divry, Paris (14e), SUF. 29-67.
Dr GRUNBERGER, 33, rue du Champ-de-Mars, Paris (7e).
MEMBRES ADHÉRENTS
Dr ALLENDE NAVARO, 1944 Calle Moneda, Santiago du Chili (Chili).
Dr BARAJAS CASTRO, Mexique.
Mlle A. BERMAN, 50, rue Pergolèse, Paris (16e).
Dr Elsa BREUER, 4, square La Fontaine, Paris (16e).
Dr CARCAMO, Peru 1645-55, Buenos-Aires (Argentine).
M. Th. CHENTRIER, Montréal, (Canada).
Dr COURCHET, 3, square du Bois-de-Boulogne, Paris (16e).
Dr DAUPHIN, 5, rue des Poitevins, Paris (5e).
Dr J. DREYFUS-MOREAU, 16, rue de Sèvres, Paris (7e).
Dr J. ELIET, 53, rue de la Tour, Paris (16e).
M. EMBIRICOS, 187, rue de Grenelle, Paris (7e).
Dr M. FAIN, 32, rue Caumartin, Paris (9e).
372 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
d'une part, d'imagination créatrice d'autre part, qui sont les plus précieux
pour l'invention analytique.
Faute de pouvoir faire mieux que d'en présumer, on se souviendra que le
langage est le matériel opératoire de l'analyste et que le candidat doit être
maître du système particulier de la langue dans laquelle s'engagera pour lui
ce qui mérite d'être appelé le dialogue psychanalytique, si loin qu'il se mène
à une seule voix.
Au delà, on recherchera chez le candidat moins une information encyclo-
pédique que ce noyau fertile de savoir que désigne bien le terme d'humanités,
si l'on y comprend tout cycle de significations humaines, dont l'organisation
est soutenue par un enseignement traditionnel et dont la possession consciente
favorise l'accès du sujet à une organisation étrangère, fût-elle inconsciente.
4. Les qualifications professionnelles enfin valent en ce qu'elles témoignent
de l'assimilation du sujet à la réalité humaine. L'esprit dit clinique en est une
forme éminente et c'est pour la produire que la pratique de l'hôpital, mieux
encore celle de l'internat, sont ici appréciées au premier chef.
On sait au reste que si la psychanalyse en tant que technique médicale
s'applique essentiellement aux névrosés, elle étend toujours plus loin ses
prises en même temps que le champ psychosomatique.
C'est pourquoi les qualifications médicales — titres et pratique — et parmi
elles la spécialisation psychiatrique que le mouvement moderne oriente tou-
jours plus dans le sens de l'analyse, sont les plus recommandables pour la
formation psychanalytique : aussi ne saurait-on engager avec trop d'insistance
les candidats à s'en pourvoir.
Mais la psychanalyse, pièce maîtresse de toute psychologie concrète, inté-
resse maintenant presque toutes les techniques qui vont des formes modernes
de l'assistance sociale, en passant par la rationalisation du travail, jusqu'aux
confins de l'anthropologie.
Sa formation est nécessaire aux non-médecins, et l'on tiendra ici pour
la plus valable à qualifier le candidat toute expérience de travail acquise sur
le terrain, qu'elle soit de découverte ethnologique ou sociologique ou de praxis
institutionnelle juridique ou pédagogique, voire psychotechnique.
Titres, diplômes et grandes écoles seront appréciés à leur échelle. Nulle
présentation pourtant, fût-elle d'allure autodidactique, si elle s'avère préservée
de toute structure psychotique, ne saurait même à l'heure présente, être écartée
en principe.
La formation psychanalytique ne va pas sans la capacité d'intervenir dans
la pratique, et nul degré de l'habilitation technique ne sera interdit aux psycha-
nalystes non-médecins, ou, comme on dit à l'étranger, aux laïcs.
La Société psychanalytique de Paris peut seule conformer la pratique des
laïcs aux lois qui régissent l'exercice de la médecine : en posant la règle qu'aucun
ne saurait entreprendre la cure d'un patient quelconque sans qu'il lui ait été
confié par un médecin psychanalyste.
De même, sous le titre d'auxiliaires de psychanalyse, peut-elle seule
ordonner leur activité aux organismes professionnels et sociaux qui auront à
en connaître.
ART. V
Sur la procédure des rapports des candidats avec la Commission de l'Enseignement
I. Aucune psychanalyse ne saurait être reconnue pour valable comme
didactique sans l'agrément de la Commission.
Que cet agrément doive lui être préalable, découle des principes posés
précédemment. Ils imposent à tout membre titulaire de n'engager aucune
378 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
psychanalyse à cette fin sans que cet agrément ait été obtenu, et ils justifient
que la Commission se montre d'une extrême rigueur pour l'accorder après coup.
2. C'est au candidat qu'il revient de requérir l'agrément préalable. Il doit
se présenter au Directeur de l'Institut et à trois membres de la Commission
choisis par roulement, qui lui accordent un ou plusieurs entretiens, où ils
l'examinent selon tel mode qui leur semble opportun.
Les résultats, de cet examen sont discutés aux assises mensuelles de la
Commission, ordinairement à la première séance qui suit la fin de la tournée
du candidat. Tout membre de la Commission peut demander à voir le candidat.
La décision sur la candidature est adoptée à la majorité des avis formulés,
et elle est communiquée au candidat par une lettre du Directeur de l'Institut
et sous une forme qui doit rester univoque : en ce sens que, s'il est possible
d'éclairer le candidat qui le demande, sur les motifs d'un refus, rien ne saurait
lui indiquer le départage d'un débat.
3. Le candidat choisit parmi les membres titulaires celui qui sera son
psychanalyste et il informe de cet accord le Directeur sous une forme officielle,
après qu'il en ait reçu l'avis que sa candidature est agréée. Il lui fait parvenir
en même temps l'engagement souscrit par lui de n'entreprendre de psychanalyse
chez aucun sujet sans l'aveu de la Commission de l'Enseignement et de ne pas
se qualifier lui-même du titre de psychanalyste, avant qu'il n'y soit autorisé
par son admission à l'Institut de psychanalyse.
L'agrément de la Commission n'est au reste accordé que sous la réserve
des contre-indications que peut révéler la psychanalyse elle-même : le candidat
en a été averti expressément par le Directeur durant l'entretien de sa
présentation.
L'élève dès lors, est remis entièrement à la tutelle de son psychanalyste.
Après avis donné à la Commission, il l'engagera à suivre l'enseignement théo-
rique clinique et technique dispensé à l'Institut. De même lorsque son psycha-
nalyste l'estimera capable d'entreprendre une analyse sous contrôle, il le fait
revenir au regard de la commission.
4. Avant ce moment, le psychanalyste n'a à en référer à la Commission que
s'il interrompt l'analyse :
— soit pour avoir reconnu dans la personne de son sujet une disqualification
pour l'exercice de la psychanalyse, verdict que la Commission ne peut
qu'entériner;
— soit dans deux autres cas qui sont laissés à sa discrétion : la force majeure
qui l'en écarte et l'objection de convenance quant à la forme du transfert,
cas où la Commission est consultée sur la reprise de l'expérience didactique avec
un autre psychanalyste.
5. Quand l'élève est au moment d'entreprendre des analyses sous contrôles,
il se présente à nouveau aux membres de la Commission qui ont à confirmer
l'autorisation de son psychanalyste et entérinent son passage au rang de stagiaire.
Il fera contrôler ses premières psychanalyses par deux psychanalystes de
son choix, dont un au moins membre de la Commission de l'enseignement, à
l'exclusion de celui avec lequel dans la règle il poursuit encore pour un temps
sa psychanalyse didactique.
Les psychanalystes contrôleurs n'ont pas en droit d'autre qualification
que d'être membres titulaires de l'Institut, mais leur liaison avec la Commission
de l'enseignement doit être permanente.
C'est à eux, en effet, qu'il revient de juger de la validité tant de l'expérience
didactique que des aptitudes manifestées par le stagiaire pour la pratique.
Ils doivent veiller à ce qu'il complète son instruction théorique et rendre
compte régulièrement à la Commission de ses progrès.
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 379
Celle-ci juge des cas d'insuffisance persistante et peut imposer une reprise
de l'analyse didactique ou refuser au candidat l'accès au titre de psychanalyste.
6. Quand les psychanalystes tuteurs du stagiaire déclarent que sa formation
est satisfaisante, la Commission l'autorise à présenter un travail original que
l'expérience conseille de faire porter sur un thème clinique.
Si son mémoire a été retenu, il peut alors faire acte de candidature comme
membre adhérent tant auprès de l'Institut de Psychanalyse qu'auprès de la
Société Psychanalytique de Paris.
La Commission statue encore pour admettre à l'étape des analyses sous
contrôles un candidat qui veut faire valider soit une psychanalyse parachevée
avec un membre de l'Institut à une fin primitivement thérapeutique, soit une
psychanalyse didactique entreprise sous les auspices d'une Société étrangère,
elle-même affiliée à l'Association internationale.
7. La Commission examinera le candidat selon la même procédure que
pour l'agrément préalable, à condition qu'il soit introduit à cette fin expresse
par son psychanalyste ou par l'Institut qui en répond, et que ceux-ci rendent
compte des raisons qui justifient l'irrégularité de son cas. Le psychanalyste
aura même ici à répondre des qualifications personnelles du candidat, libéré
qu'il sera d'une réserve qui dans le cas régulier vise à ne pas obérer les prémices
de l'analyse.
Dans tous les cas, la Commission peut exiger un supplément d'analyse
à titre didactique, et dans aucun d'eux, elle ne saurait dispenser le candidat de
l'épreuve de deux psychanalyses au moins, par elle Contrôlées dans les condi-
tions normales.
RÉUNION DE LA COMMISSION DE L'ENSEIGNEMENT DU 26-4-53
1° La Commission décide :
« Aucun candidat à une psychanalyse didactique ne pourra être autorisé
à commencer ses contrôles si son analyse personnelle ne s'est pas poursuivie
pendant douze mois de travail effectif, au moins à raison de trois séances
hebdomadaires au minimum et de trois quarts d'heure chacune. »
2° La Commission précise et confirme :
« Ni la psychanalyse didactique, ni un cursus partiel n'autorisent un élève
de l'Institut à s'en pévaloir tant pour l'exercice de la psychanalyse que pour
l'usage du titre de psychanalyste. Seul, le certificat délivré par l'Institut de
psychanalyse en confère le droit. »
STATUTS DE L'INSTITUT
DE PSYCHANALYSE
/. — OBJET ET COMPOSITION
ARTICLE PREMIER
L'Association dénommée institut de psychanalyse a pour objet, d'une part,
l'enseignement théorique et pratique de la psychanalyse classique telle qu'elle
résulte des travaux de S. Freud, son créateur, et telle qu'elle est transmise depuis
sa fondation par la Société Psychanalytique de Paris, d'autre part, l'instigation
et la poursuite de recherches destinées à faire progresser la psychanalyse.
Sa durée est illimitée.
Elle a son siège social à Paris, rue Saint-Jacques, n° 187. Il peut être transféré
en tout autre endroit par simple décision du Conseil d'Administration.
ART. 2
Les moyens d'action de l'association consistent dans les établissements
suivants :
1° Un centre d'enseignement de la psychanalyse ;
2° Un centre de psychanalyse et de psychothérapie où les traitements sont
appliqués aux patients sélectionnés par la consultation dépendant de l'Institut ;
3° Un centre de recherches concernant la psychanalyse dans ses appli-
cations à toutes les disciplines, ainsi que dans la publication d'ouvrages,
mémoires et bulletins.
ART. 3
L'Institut de psychanalyse accueille toute personne ayant reçu l'agrément
de la Commission de Enseignement prévue à l'article 10 ci-après, en vue
d'une formation psychanalytique. Les conditions d'admission et de scolarité
sont fixées par un règlement approuvé par le Conseil d'Administration.
Au terme du cycle d'études, tout candidat ayant satisfait aux examens
prévus reçoit un certificat ; ce certificat n'apporte actuellement à son titulaire
aucune qualification légale. L'Institut de Psychanalyse s'efforcera d'en obtenir
la reconnaissance par les autorités publiques.
En ce qui concerne l'exercice de la psychanalyse, le titulaire du certificat
ne peut s'en prévaloir que dans le cadre des lois régissant sa profession.
ART. 4
L'Association se compose de membres titulaires et de membres adhérents.
Les membres titulaires sont, de droit, les membres titulaires de la Société
Psychanalytique de Paris. Seuls, ils ont voix délibérative. Les membres
adhérents sont les personnes présentées par deux membres titulaires à l'agré-
ment du Conseil d'Administration et élus sur cette proposition par l'Assemblée
Générale.
ART. 5
La qualité de membre de l'Association se perd :
1° Par démission ;
2° Par radiation prononcée pour motifs graves, pour agissements contraires
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 381
aux statuts et règlements ou pour non-paiement de la cotisation, par l'Assemblée
générale sur propositions régulières du Conseil d'Administration, la personne
intéressée ayant été préalablement appelée à fournir ses explications devant
l'Assemblée. Cette dernière doit comprendre au moins les 3/4 des membres
en exercice. Elle statue à la majorité des 2/3.
Si la proportion des membres présents exigée n'est pas atteinte, l'Assemblée
est convoquée à nouveau à quinze jours au moins d'intervalle. Elle peut dans
ce cas délibérer valablement quel que soit le nombre des membres présents.
Elle statue alors à la majorité des 2/3 des membres présents.
3° Par décès.
Les membres démissionnaires ou exclus et les héritiers des membres
décédés sont tenus au paiement des cotisations échues non encore versées et
de celle de l'année en cours lors de la démission, de la radiation ou du décès.
II. — ADMINISTRATION ET FONCTIONNEMENT
ART. 6
L'Association est administrée par un Conseil comprenant les membres du
Comité de Direction prévu à l'article 8 et les membres de la Commission de
l'Enseignement prévue à l'article 10 ci-après. Il se renouvelle de la manière
fixée pour chacun de ses membres.
Le Comité de Direction constitue le Bureau du Conseil d'Administration.
Le Directeur de l'Institut de Psychanalyse est Président du Conseil d'Admi-
nistration ; il répartit entre les membres du Comité de Direction, les charges
de secrétaire et de trésorier.
En cas de vacances, le Conseil pourvoit provisoirement au remplacement de
ses membres. Il y est procédé définitivement par la plus prochaine assemblée
générale. Les pouvoirs des membres ainsi élus prennent fin à l'époque où devrait
normalement expirer le mandat des membres remplacés.
ART. 7
Le Conseil d'Administration se réunit chaque fois qu'il est convoqué par
son Président ou sur la demande du 1/4 de ses membres.
Il statue à la majorité absolue des membres présents.
En cas de partage égal, la voix du Président est prépondérante.
Il est tenu procès-verbal des séances. Il doit être approuvé à la séance
suivante. Les procès-verbaux sont signés par le Président et le secrétaire. Ils
sont transcrits sur un registre coté et paraphé par l'autorité administrative.
ART. 8
Le Comité de Direction comprend :
I° Le Directeur de l'Institut de Psychanalyse, élu pour une durée de trois
ans par l'Assemblée générale parmi les membres titulaires de l'Association.
2° Deux secrétaires scientifiques choisis parmi les membres titulaires,
présentés par le Directeur aux suffrages de l'Assemblée et élus par elle de la
même manière et pour la même durée.
Le Directeur nomme pour trois ans un secrétaire chargé de l'Administration.
Le secrétaire n'a pas voix délibérative au Comité de Direction, sauf s'il est.
membre titulaire. Le Directeur nomme et révoque, dans les limites des
crédits, les employés quels que soient leurs titres et fonctions et fixe
leurs appointements.
ART. 9
Les membres du Comité de Direction et de la Commission de l'Enseigne-
ment sont rééligibles.
382 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
ART. 10
La Commission de l'Enseignement se compose de 6 membres élus par
l'Assemblée générale et de membres de droit.
Les membres élus sont renouvelés par tiers tous les deux ans. Tout membre
titulaire est éligible et rééligible. A défaut de candidature spontanée, le Président
peut proposer des noms aux suffrages de l'Assemblée.
Le Conseil d'Administration, un mois au moins avant le premier renou-
vellement, tire au sort l'ordre de réélection des trois séries.
Les membres de droit sont : le Directeur en exercice de l'Institut de psycha-
nalyse, les deux secrétaires scientifiques, le Président en exercice de la Société
psychanalytique de Paris et les Présidents d'honneur de la Société psychana-
lytique de Paris.
La Commission de l'Enseignement est présidée par le Directeur de l'Institut.
Les attributions de la Commission de l'Enseignement sont fixées par un
règlement intérieur approuvé par le Conseil d'Administration.
La nomination aux postes d'enseignement intervient sur proposition du
Comité de Direction ou de la Commission de l'Enseignement par le Conseil
d'Administration
ART 11
Un comité d'honneur pourra grouper les personnalités acceptant d'accorder
leur patronage à l'Association. Le Conseil d'Administration décerne cette qua-
lité sur proposition du Président ; il en fixe le nombre. L'Assemblée doit
ensuite approuver ces désignations.
ART. 12
Le Directeur de l'Institut, après approbation du Conseil d'Administration
peut passer toute entente avec des organismes ou établissements publics ou
privés en vue de réaliser les buts pédagogiques scientifiques et thérapeutiques
de l'association.
ART. 13
Les membres de l'Association ne peuvent recevoir aucune rémunération
à raison des fonctions qui leur sont confiées avec voix délibérative au Comité
de Direction, au Conseil d'Administration ou à la Commission de l'En-
seignement.
Par contre les membres de l'Association pourront recevoir des vacations
fixées par un règlement intérieur pour les fonctions exercées au titre de l'ensei-
gnement et du dispensaire.
ART. 14
L'Assemblée générale réunit les membres titulaires tous les ans au mois de
décembre et chaque fois qu'elle est convoquée par le Conseil d'Administration
ou sur la demande de la moitié de ses membres.
Son ordre du jour est réglé par le Comité de Direction. Son Bureau est celui
du Conseil d'Administration.
Elle entend les rapports sur la gestion du Conseil d'Administration sur la
situation financière et morale de l'Association. Elle approuve les comptes de
l'exercice clos, délibère sur les questions mises à l'ordre du jour et pourvoit,
s'il y a lieu, au renouvellement des membres du Conseil d'Administration dans
les conditions prévues à l'article 16 ci-après.
ART. 15
Le procès-verbal d'une séance est adopté à la séance suivante.
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 383
ART. 16
Les élections au Comité de Direction et à la Commission de l'Enseignement,
qui constituent le Conseil d'administration, ont lieu dans l'ordre qui vient
d'être dit, à bulletins secrets à la majorité absolue au premier tour, à la majorité
simple aux suivants. Le vote par correspondance n'est admis que pour les
élections.
Pour toute autre question, le vote a lieu à main levée, dans les mêmes
conditions. Néanmoins, un membre peut, avant le vote, demander que l'élection
ou l'approbation d'une résolution ait lieu à bulletins secrets.
ART. 17
Le Conseil d'Administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour
faire ou autoriser tous les actes ou opérations permis à l'Association et qui ne
sont pas expressément réservés à l'Assemblée générale ou au Président.
Il délègue les pouvoirs nécessaires au Président, au Trésorier et à toutes
autres personnes, membres du Conseil d'Administration ou non.
Il fait effectuer toutes réparations aux immeubles, autorise toutes acqui-
sitions de valeurs et objets mobiliers.
Il propose aux votes de l'Assemblée, suivant les distinctions établies dans
les articles qui précèdent, l'admission ou l'exclusion des membres et des membres
d'honneur.
Les délibérations du Conseil d'Administration relatives aux acquisitions,
échanges, aliénations des immeubles nécessaires à l'accomplissement du but
que se propose l'Association, constitution d'hypothèques sur les dits immeubles,
baux excédant neuf années, emprunts doivent être soumis à l'approbation
de l'Assemblée générale. Celles arrêtées pour constituer hypothèques doivent
être en la forme notariée.
ART. 18
Des règlements intérieurs, préparés par le Comité de Direction et approuvés
par le Conseil d'Administration ou par la Commission de l'Enseignement,
concernent l'organisation des études, les attributions de la Commission de
l'enseignement, la nomination et la rémunération des employés de l'association,
la Bibliothèque, le Centre de consultations et de traitements psychanalytiques
et autres activités de l'Institut.
ART. 19
L'Association est représentée dans tous les actes de la vie civile par son
Président ou par un autre membre du Comité de Direction qu'il aura spéciale-
ment choisi à cet effet ou, le cas échéant, par tout autre mandataire de son choix.
Néanmoins, pour toutes les déclarations et publications prescrites par
la loi de 1901 et les règlements pris pour son exécution, tous pouvoirs sont
donnés au porteur d'expéditions ou extraits soit des présentes, soit d'une
délibération du Conseil d'Administration ou de l'Assemblée générale.
ART. 20
Une fois par an se tiendra une assemblée plénière des membres d'honneur
éventuels, des membres titulaires et adhérents ainsi que des invités du Conseil
d'Administration. Cette réunion suivra celle de l'Assemblée générale, précédée
elle-même par celle du Conseil d'Administration.
ART. 21
En cas de conflit entre le Comité de Direction ou la Commission de l'Ensei-
gnement et l'Assemblée générale, il sera constitué une commission paritaire.
Elle réunira deux membres du Comité ou de la Commission, dont le Directeur
384 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Yves nous est conduit à l'âge de 5-10 ans pour des difficultés de
caractère. La mère nous parle en premier de son agressivité envers son
petit frère. Il avait accepté ce frère tant qu'il était incapable de se
mouvoir seul, mais du jour où le petit frère put se déplacer pour
rejoindre la mère, la jalousie d'Yves a éclaté et il est devenu alors
tyrannique envers sa mère au point qu'il refusait de s'en séparer un
instant.
Cet état de totale dépendance a bloqué son développement. Yves
était incapable de prendre une initiative, il ne savait ni jouer seul, ni
s'occuper, tout devait être suggéré et apporté par la mère.
La mère se rend compte que son enfant est très angoissé et à ceci
elle associe l'état de santé de l'enfant qui fait très fréquemment des
crises d'acétone. Yves a été. nourri au sein trois mois et demi. Le
sevrage fut progressif, la mère ne se rappelle pas avoir eu des difficultés
à ce moment-là. Il a marché à 15 mois, mais avait peu d'équilibre.
Il a parlé assez tardivement et a déformé les mots pendant longtemps
selon la mère. Yves est ambidextre. La propreté fut acquise à 4 ans 1/2.
Pendant longtemps Yves a sucé son pouce, puis il fit une période
d'onychophagie. Son sommeil est agité, il parle en dormant. A 18 mois,
Yves fut circoncis et, à la suite de cette intervention, il eut pendant
quatre mois une entérite et, plus tard, de fréquentes crises d'acétone.
Autrement, pas de maladies à signaler.
La circoncision fut un traumatisme pour l'enfant. Lorsque la
mère vint rechercher son enfant, elle le trouva sans vie, le regard vide,
serrant son ours dans ses bras ; la mère en fut elle-même traumatisée,
nous verrons par la suite pourquoi. Pendant longtemps, Yves avait
peur d'uriner. C'est à partir de ce moment-là qu'Yves devint tyran-
nique. L'enfant n'est pas démonstratif, il n'aime pas être touché,
caressé par les siens, spécialement par sa mère.
Yves avait 2 ans 1/2 lorsque naquit son petit frère Philippe. La
388 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSÉ
TRAITEMENT DE L'ENFANT
Ce traitement dura quinze mois, mais avec des interruptions :
vacances, maladies fréquentes au début.
Notre attitude est prise en fonction du Moi de l'enfant ; dans son
cas, nous adoptions une passivité totale au début, passivité qui devait
amener à jour le problème du comportement de la mère et permettre
l'analyse du comportement de l'enfant. Nous laissons venir les choses,
tout en surveillant de près l'angoisse qui est très grande et, par moments,
s'intensifie très rapidement. Un geste, par exemple lui tendre tranquil-
lement la main ou l'appeler calmement par son nom, suffit à ramener
l'angoisse à un niveau supportable, sans toutefois le rassurer.
Les quatre premières séances se passent en présence de la mère,
l'enfant refusant de s'en séparer. Nous lui présentons le matériel : un
village, un château-fort, les guignols, des poupées avec bains, toilettes,
de la peinture au pinceau ou avec les doigts, les crayons de couleurs.
La réaction d'Yves est de se précipiter dans les bras de sa mère qui
reste figée. Voyant que je ne m'occupe pas de lui, il commence à se
dérider et recherche lui-même ce qu'il veut. Il fera un village en rond,
hermétique, qu'il a placé sur le socle du château-fort et il dépense une
énergie intense à ce qu'il n'y ait aucune ouverture possible, expression
de toute son angoisse. Tout au long du traitement, Yves aura besoin
de répéter maintes fois un même jeu pour aller plus loin. Son attitude
à mon égard sera pareille, il me testera sans cesse pour vérifier la sta-
bilité et la solidité du terrain. Le village, il le fera plusieurs fois, puis
un jour il apportera toute son armée pour jouer avec le château. Il
me demande si je veux l'habiter. J'accepte. Yves me dit : « Alors je
veux mettre des gardes parce qu'il y a des gens qui peuvent venir et
nous... » A ce moment il jette un coup d'oeil à sa mère et il ne veut pas
finir sa phrase à cause de la présence de celle-ci.
La fois suivante (sur ma suggestion), la mère sort du bureau.
L'enfant s'y oppose, mais elle dit devoir aller aux toilettes... alors Yves
la laisse aller, mais lui dit : « Tu reviendras vite, sinon tu verras ce que
tu prendras. » Sitôt seul dans le bureau, Yves devient alors plus dyna-
mique et expressif, il me découvre un monde imaginaire magique dans
lequel il vit. Il a un bouclier magique, puis ils sont 1.000 contre un sale
gamin qui a une mèche sur la tête. Yves renverse la situation pour se
PSYCHOTHERAPIE : MERE ET ENFANT 391
grand des fils veut voir, voir l'homme au canon, dit-il. La mère doit
crier au secours, etc. L'homme le laisse voir mais au moment où il
s'approche pour regarder, il lui tire dessus. Il exprime toute son insé-
curité à l'égard de cette mère et angoisse de mort et castration se
fondent en une seule angoisse : ne pas avoir le droit d'être. Je demande
à Yves si parfois on lui a promis des choses et on n'a pas tenu parole ?
— « Oh, oui, c'est justement ça. » — « Quoi ça ? » (C'est la première
expression d'une trahison vécue, la circoncision, mais Yves ne peut
encore aborder ce point.) Il répond : « Philippe me promet toujours
des choses et il me les donne pas. » Je n'insiste pas.
Ce jeu du château et de l'armée va devenir son grand jeu et
il y exprimera ses différents problèmes. Même après une absence
de plusieurs semaines, il le continuera comme s'il n'avait jamais
manqué.
Nous entrons maintenant dans la deuxième phase du traitement.
C'est pendant cette période que l'enfant entre à l'école. La mère en
est malade d'angoisse. Nous l'entreprenons pour lui montrer qu'elle
ne désire pas se séparer de l'enfant et que son attachement excessif
à cet enfant est dû à son angoisse que sa mère ne le lui vole. Nous
insistons sur le fait que tout dépendra de son attitude intérieure. Si
elle accepte de le laisser aller, l'enfant ne fera pas de difficultés ou
presque pas, car son acceptation est pour lui une autorisation d'avoir
le droit de faire comme les autres, de grandir. Yves est allé à l'école
sans drame excessif. Il a exigé que sa mère entre dans la classe, mais
il l'a laissée repartir à condition qu'elle revienne pendant la récréation.
Cette victoire a une grande importance pour la mère, depuis elle
collaborera mieux et pendant quelque temps elle s'appuiera complè-
tement sur nous, période que nous utiliserons pour la rendre consciente
de bien des choses.
Quant à Yves, il s'agit de tenir bon, car il présente toutes sortes de
symptômes dont il se sert pour ne pas aller à l'école : maux de ventre,
vomissements, coliques, etc. Yves a peur des autres enfants et, pendant
la récréation, il s'agrippe aux barreaux de la cour et a un air très
malheureux.
Pendant ses séances, Yves continue son grand jeu. L'armée vole
les fils et les garde prisonniers. Je dois, comme mère, supplier qu'on
me rende mes fils. « Bon, on va les lui rendre. » Mais le fils aîné est
attiré par cette armée et arrive à repartir. Alors il demande à être initié.
La mère ne doit pas s'approcher. Pendant son jeu, Yves dit subitement :
« Vous savez, j'ai moins peur à l'école. » Avec sa mère, Yves est très
394 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
INTRODUCTION
APERÇU HISTORICO-RELIGIEUX
La constitution de la doctrine et l'essor de l'église manichéennes
ne se conçoivent bien que dans le climat d'extraordinaire syncrétisme
religieux et d'insécurité politique et sociale des premiers siècles de
MYTHE DOGMATIQUE ET SYSTEME MORAL DES MANICHEENS 403
désir qui leur fait répandre sur terre leur semence, particulièrement
riche d'âme divine, assimilée à la pluie d'orage, et dont germe le règne
végétal. Cependant les diablesses, ligotées sur la roue du Zodiaque
dont la giration les fait entrer en travail avant terme, évacuent des
« Avortons » qui s'apparient entre eux pour donner naissance aux
espèces animales.
La création du premier couple humain, elle, est perpétrée par la
Matière pour mieux retenir en elle la Lumière restée en sa possession.
Un démon mâle et une démone, après avoir dévoré les Avortons pour
s'en assimiler la Lumière, s'unissent et donnent le jour à Adam et
Eve. L'épisode capital de la salvation d'Adam reproduit celui du salut
de l'Homme Primordial. A cet effet les Divinités délèguent Jésus-le-
Lumineux — prototype transcendant du Jésus historique — qui
commence par appeler Adam à la conscience, lui fait maudire son
créateur diabolique, lui interdit le commerce charnel d'Eve et, fina-
lement, lui communique la Gnose du Salut. Désormais le destin de tout
homme sera calqué sur celui d'Adam, le rôle de l'homme étant de se
libérer lui-même et de libérer les parcelles de Lumière englouties, selon
ses forces et sa connaissance de la Gnose.
Pris dans sa version intégrale, ce mythe théogonique, cosmogonique
et anthropologique est beaucoup plus touffu que notre résumé ne
l'accuse, et riche en proliférations. Naturellement, son affabulation
exprime symboliquement l'expérience intérieure de son auteur, expé-
rience apparemment assez généralisable pour que tant de milliers
d'adeptes y puissent, pendant des siècles, conformer la leur à leur
tour. Or précisément, la signification historico-sociale de la doctrine
manichéenne empêche de lui attribuer à la légère le caractère d'une
production psychotique, comme ses analogies avec les cosmogonies
délirantes des schizophrènes pourraient y engager. Son auteur et elle
demandent à être appréciés non pas au regard des normes de notre
culture, mais en fonction des nombreux systèmes gnostiques du temps,
qui à première vue apparaissent souvent plus extravagants encore.
Ce n'est pas une pensée magico-mythique aboutissant parfois à des
constructions identiques qui fait du schizophrène un primitif ni de
celui-ci un délirant, car les rapports de cette pensée avec la personnalité
et le milieu diffèrent fondamentalement dans les deux cas. Ceci réservé,
les caractéristiques névrotiques du Manichéisme se référeront évidem-
ment à la névrose de son fondateur, le succès de la doctrine correspon-
dant au rapport entre la structure de la personnalité de Mani et la
névrose collective de son époque.
MYTHE DOGMATIQUE ET SYSTEME MORAL DES MANICHEENS 407
son agitation désordonnée. Par ailleurs les Ténèbres, sans cesse divisées
contre elles-mêmes et opposées à leur chef, offrent aussi le tableau
du conflit interpulsionnel.
En droit l'inconscient, la magie, l'irrationnel humains n'existent
pas. Si en fait l'inconscience se refuse à sortir d'elle-même, c'est en
vertu d'une corruption magique de la volonté qui rend toute prise de
conscience de cet état impossible naturellement. Le degré d'incons-
cience de l'âme mesure le taux de son amalgame avec la matière hostile.
A ce point intervient la gnose, à laquelle l'esprit initie l'âme ; c'est-à-
dire qu'intervient, quoi que Mani en ait contre la foi antagoniste de
la connaissance, la substitution à la réalité d'une « vision » rationalisée.
Or science et conscience sont contraignantes. Auparavant le bien était
« oublié » dans l'inconscient, mêlé au mal. Mais dès cette initiation
irréversible qui, par suite de la promotion du bien à la conscience,
renverse le rapport du conscient à l'inconscient, tout ce qui émanerait
encore de l'inconscient doit être honni comme l'ennemi du Soi. Soit
dit en passant, ceci reproduit une disposition de l'Avesta (1) où toutes les
bonnes pensées sont conscientes et toutes les inconscientes, mauvaises.
Au dualisme ainsi conçu du conscient et de l'inconscient s'applique la
sèche injonction d'un traité manichéen chinois, au passage évoquant
le « mélange de pieuse et de mauvaise pensée » : « Coupe-les ! »
L'antagonisme des pulsions et du Moi idéal (celui-ci tenu pour un
état antérieur auquel il s'agit de faire retour) a inspiré une terminologie
prolixe. Comme le Manichéisme a des expressions consacrées pour
désigner l'état d'inconscience — en agnôsia en copte — et la prise de
conscience — aisthesis — comme il crée le néologisme d' « apocatastase »
pour la désintrication des deux principes, il use de termes variés pour
dénommer « la bonne âme, le moi pur, le moi primordial, le moi subtil,
le moi transcendant, le moi lumineux, le moi d'allégresse, le moi vivant
ou le moi divin », par opposition au « moi obscur » qui reprend parfois
aussi le nom paulinien de « vieil homme ». Aussi bien, en dépit du
luxe de phantasmes mobilisés pour expulser le mal hors de soi dans le
style des rituels des primitifs, le Manichéen ne parviendra jamais à
éviter la conception de deux âmes contraires, ou d'une âme à deux
visages : celui d'une « esclave » et celui d'un « roi », qu'il importe d'arra-
cher l'un à l'autre.
On l'aura compris, le genre de désintrication des pulsions prônée
par le Manichéisme ne correspond pas seulement ni sans autre à la
mazdéen Azi, celui « qui dévore tout et qui, lorsqu'il n'a plus rien,
se dévore lui-même ». La sexualité satanique, réduite pour sa part à
des éléments captatifs-sadiques et excrétoires excluant l'amour, se
différencie si peu de l'incorporation sadique, que forniquer et manger
sont des actions à signification couramment assimilées. Assimilation
qui se reportera d'ailleurs sur le plan moral, parce que l'alimentation
nourrit spécifiquement le désir erotique et que la gourmandise et l'union
"sexuelle visent au même titre, bestialement, à une satisfaction charnelle
équivalente. Parallèlement, l'angoisse manichéenne de castration se
masque régressivement derrière la peur d'être mangé ou mis en pièces ;
on ne relève en effet ni scène mythique ni rite de castration proprement
dite dans le Manichéisme, mais par contre des représentations dont
celle de l'âme d'Adam avant son salut donne le ton, exposée qu'elle
est « aux dents de la panthère et aux dents de l'éléphant, dévorée par
les voraces, engloutie par les gloutons, mangée par les chiens, mélangée
et empoisonnée dans tout ce qui existe, liée dans la puanteur des
Ténèbres ». Lorsque, maintenant, les Ténèbres eurent perçu l'exis-
tence de la Lumière, elles se ruèrent immédiatement sur elle pour
l'absorber ; puis elles avalèrent et digérèrent l'Homme Primordial
et ses Fils accourus contre elles. Cette ingestion, bénéfique pour une
part, conféra aux archontes « matériels » les rudiments d'une cohésion
et d'une conscience qui leur faisaient défaut, mais du même coup,
maléfique, les empoisonna et les exposa à l'entreprise divine du déga-
gement de la Lumière perdue dans le mélange, comme s'ils eussent
gobé l'hameçon avec l'appât.
Sur le plan anthropologique, le corps humain est habité par une
armée d'Archontes, présidant à chacune de ses divisions, de ses organes,
de ses tissus, de ses humeurs, de ses fonctions et de ses maladies :
incorporation destructrice de l'objet sadique, l'objetincorporé subsistant
inassimilé comme source d'angoisse. Les textes insistent complaisam-
ment sur cette possession que l'on pourrait qualifier de physiologique :
« Il y a plusieurs puissances dans ce corps, qui sont les habitants de la
maison et ses autorités » ; ou encore : « Ils (— les hommes) se tiennent
dans un corps qui n'est pas le leur. » Certains de ces Archontes sont des
sentinelles affectées aux organes des sens et aux orifices naturels, pour
empêcher toute introjection conservatrice par ces « portes », en l'espèce
la pénétration salvatrice de l'Esprit de Lumière. Soulignons que la
situation créée par l'introjection maléfique et désécurisante originelle,
ainsi que par la résistance à l'introjection bénéfique et sécurisante,
est des plus fluides. Car la nutrition renforce, à chaque repas, le poten-
MYTHE DOGMATIQUE ET SYSTÈME MORAL DES MANICHÉENS 419
déduire encore que le « patient », dans ce qu'il faut appeler ses phases
de décompensation névrotique, est enclin à cesser le jeûne et la prière,
ainsi qu'à s'irriter contre ses coreligionnaires et à mal organiser ses
tournées apostoliques — toutes dispositions qui cèdent le pas aux incli-
nations inverses dans les phases de compensation. Par sa réponse,
Mani tend essentiellement à déculpabiliser le disciple en lui remontrant
qu'il n'est en rien responsable de ses troubles. Mais évidemment les
mécanismes de défense obsessionnels proposés pour combattre ce mal,
tout moralises qu'ils soient, ne pourront qu'entretenir le conflit en le
refoulant.
Du'reste, si le Manichéisme n'avait pas permis un certain progrès
dans le sens d'une adaptation du Moi et de la libido à la réalité sociale
— et cela bien moins par son contenu au sens strict, que par les énergies
individuelles qu'il pouvait drainer — il ne se serait pas imposé, même
passagèrement, comme religion officielle dans les principautés ouigoures
du Turkestan. S'y serait-il peut-être quelque peu détendu en s'adap-
tant à la mentalité bouddhique? En somme, il en va du mythe vécu
comme du rite en lequel souvent il s' « accomplit » : certaines formations
névrotiques augmentent leur potentiel cathartique dans la mesure où
leur fixation à l'échelle sociale masque la désadaptation ou le conflit
dont elles tirent origine. C'est sous cet angle que la névrose collective
peut devenir rançon d'un meilleur équilibre individuel.
Toutefois, contrairement à certaines opinions hâtives, cet effet
psychothérapeutique ne correspond ni dans ses moyens, ni dans son
fond, à un processus psychanalytique, puisqu'il ne réduit ni les méca-
nismes de défense, ni les éléments transféraux. Par contre on est en
droit de découvrir plus d'une analogie entre le mécanisme du salut
par la prise de conscience d'après la gnose manichéenne, et le « pro-
cessus d'individuation » selon C. G. Jung ; de sorte que nous n'hési-
terions pas à comparer le mode de guérison par revalorisation et socia-
lisation de complexes inaccessibles analytiquement, proposé par le
Manichéisme, à celui auquel recourt la psychothérapie junguienne.
On sait que les psychologues junguiens ont voué un grand intérêt
à la spiritualité gnostique en général et au Manichéisme en parti-
culier, sujets sur lesquels nous leur devons d'importantes contributions.
Par l'esquisse tracée ici, nous aurions voulu réaffirmer les droits
de la réflexion psychanalytique et faire mieux reconnaître son apport
et sa portée, dans un champ d'action où elle se rencontre avec les
méthodes de la critique philosophique, historico-religieuse et phéno-
ménologique, et où elle trouve beaucoup de matériaux élaborés par la
MYTHE DOGMATIQUE ET SYSTEME MORAL DES MANICHEENS 427
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
Nous nous faisons un agréable devoir de remercier M. le Pr Edmond
Rochedieu, titulaire de la chaire d'histoire des religions à l'Université de Genève,
des précieux conseils qu'il nous a donnés en attirant notre attention sur l'intérêt
psychologique de l'étude du Manichéisme.
De crainte que l'appareil des références détaillées n'alourdisse notre texte,
nous avons renoncé à les produire ; mais nous communiquerons très volontiers
celles que l'on voudrait bien nous demander en particulier.
KEPHALAIA, Manichàische Handschriften der staatlichen Museen Berlin, Kohl-
hammer, Stuttgart, 1940.
A Manichaen Psalm-Book, Manichcean Manuscripts in the Chester Beatty
collection, ibid.
ALFARIC, Les écritures manichéennes, 2 vol., Floury, 1918.
ALLBERRY (Charles R. C), Symbole von Tod und Wiedergeburt im Mani-
châismus, in Eranos Jahrbuch, 1939, Rhein Verlag, Zurich.
LEISEGANG (H.), La Gnose, Payot, 1950.
NELLI (René), La continence cathare, in Mystique et continence, Études carmé-
litaines, 1952.
PÉTREMENT (Simone), Le dualisme dans l'histoire de la philosophie et des religions,
N. R. F., 1946.
— Le dualisme chez Platon, les Gnostiques et les Manichéens, P. U. F, 1947.
PUECH (H.-C), Le Manichéisme, in Histoire générale des religions, t. III, Quillet,
1947.
— Le Manichéisme, Publications du Musée Guimet, 1949.
— Der Begriff der Erlösung im Manichâismus, in Eranos Jahrbuch, 1936.
— Le prince des Ténèbres en son royaume, in Satan, Études carmélitaines,
1948.
QUISPEL (Gilles), Gnosis als Welt-Religion, Origo Verlag, Zurich, 1951.
ROCHEDIEU (Edmond), Le succès et la décadence du Manichéisme, chapitre de
« Angoisse et religion », Mont-Blanc, Genève, 1952.
RUNCIMAN (Steven), Le manichéisme médiéval, Payot, 1949.
WERNER (Charles), Le problème du mal, Payot, Lausanne, 1946.
WIDENGREN (Geo), The great Vohu Manah and the apostle of God, Disser-
tation, Uppsala, 1945.
— Mesopotamian éléments in Manichceism, Uppsala, Universitets Aersskift,
1946.
Interprétation prégénitale(I)
Introduction à un colloque
par B. GRUNBERGER
(1) Maxwell GITELSON, Re-evaluation of the rôle of the OEdipus complex, International
Journal of Psycho-analysis, 1952, IV.
(2) FREUD, Ueber die weiblielie Sexuahtät, 1931.
(3) Ruth MACK-BRUNSWICK, The preoedipal phase of the Libido Development, Psycho-
analytic Quartaly, 9 (1940).
(4) Jeanne LAMPL DE GROOT, Re-evaluation of the OEdipus Complex, Intem. Journal
of Psycho-Analysis, 1952, IV.
(5) Congrès d'Amsterdam, 1951.
(6) Op. cit.
INTERPRETATION PREGENITALE 431
II
Je viens d'esquisser le changement qui s'est opéré dans la doctrine
psychanalytique en rapport avec l'importance du matériel préoedipien.
Il s'agira maintenant d'envisager un mouvement parallèle concernant
III
à une détente qui ne manque pas d'une certaine analogie avec l'orgasme.
Et cet effet est maximum quand la détente provoquée par l'interprétation
atteint tous les plans à la fois.
IV
Je voudrais pour éviter des malentendus faire précéder ce premier
cas par quelques remarques :
1) Je n'ai pas l'intention de toucher ici au problème de l'interpré-
tation en général et m'abstiens donc de prendre position dans le débat
par exemple entre « activistes », d'une part, et ceux qui renoncent à
attribuer à l'interprétation une valeur dynamique décisive, d'autre part;
2) Si dans les cas que j'expose l'interprétation prégénitale donnée
semble avoir eu pour résultat une modification importante, je ne
considère pas pour autant les interprétations oedipiennes qui ont pré-
cédé comme inutiles, loin de là. Comme il ressort de la teneur des
observations suivantes les interprétations préoedipiennes ont été en
général données à un moment assez tardif de l'analyse, alors qu'un
travail très important avait déjà été effectué sur une base oedipienne ;
3) Les caractéristiques mêmes de l'interprétation préoedipienne
restent à préciser et j'avoue que si je me tenais à une conception pure-
ment sexuelle des stades, le caractère préoedipien strict de certaines
de mes interprétations pourrait être discuté ; de toute-façon, les limites
entre matériel oedipien et préoedipien ne sont pas nettement tracées
et les interprétations les plus utiles se font en utilisant un matériel
à consonance mixte.
Il s'agit du cas de Jeanne, que j'ai partiellement exposé dans
mon travail Hystérie et conflit oral (1). Je présenterai ici quelques
fragments supplémentaires de son analyse, analyse hérissée de grosses
difficultés et qui a exigé de part et d'autre beaucoup d'efforts et de
patience. L'analyse fut relativement longue (quatre ans) (pour des
raisons extra-analytiques, j'ai dû voir la malade pendant à peu près un
an à raison d'une séance par semaine seulement) et les fragments qui
suivent concernent les séances qui se placent chronologiquement à la
fin de la troisième année.
Ils sont censés montrer que :
1) Malgré l'abondance du matériel oedipien les interprétations à
ce niveau n'avaient pas eu l'effet dynamique voulu, lequel n'a pu
(1) B. GRUNBERGER, Hystérie et conflit oral, Revue Fiançaise de Psychanalyse, III, 1953.
INTERPRETATION PREGENITALE 441
Elle associe :
Après tout, vos moyens sont limités... et puis...
(comme en se critiquant).
...homme de peu de foi qui voulez un signe.
Moi. — C'est donc moi le crucifié ?
ELLE. — J'ai moins peur de vous qu'avant, mais tout ça, c'est des para-
boles... Je ne bouge pas, jamais agir, mais voir faire les autres. Je suis l'éternel
témoin.
A la même époque, ayant vu dans un journal une annonce matri-
moniale libellée par un médecin, la malade demanda à ce médecin
une consultation au nom de sa mère. Elle s'y rendit elle-même invoquant
des troubles digestifs. Elle fut très surprise de voir le médecin lui prati-
quer un examen gynécologique qu'elle trouva douloureux. Nous avons
donc affaire ici à un fantasme typiquement oedipien masqué par la régres-
sion prégénitale dont elle continue à se servir (troubles digestifs). J'ai
continué à analyser l'OEdipe à travers le transfert (direct et latéral)
ainsi que sa défense.
Ceci est suivi par une scène de jalousie avec moi au sujet d'une
autre malade. En même temps, un rêve oedipien des plus précis : coït
avec le père (mère morte ou disparue ?).
J'ai subi ça avec une parfaite indifférence. N'étais ni satisfaite, ni heureuse.
Ceci est expliqué grâce à un second rêve :
Je me disputais avec mon père. Je voulais lui clouer le bec...
(introjection agressive, c'est le père qui avait l'habitude de ces dis-
cussions)
...je voulais me soulager ainsi, mais je n'ai pas pu.
Sur ce, je lui montre qu'elle ne demanderait pas mieux que d'être
d'accord avec son père comme avec moi, mais elle n'ose pas, c'est
défendu, comme si en m'acceptant il s'agissait de me détruire (première
interprétation pré-oedipienne).
Le lendemain, elle m'apporte un rêve où elle prend un jeune
homme par le cou et l'embrasse à en perdre le souffle.
Un plaisir formidable, comme quelqu'un d'affamé qui se jette sur sa
nourriture ; le même ordre de satisfaction.
Elle voit un de mes livres allemands, Der Trinker (Le buveur).
Elle me montre les quelques bribes d'allemand qu'elle sait et en est
très heureuse (introjection ; elle m'a toujours pris pour un Allemand).
444 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(en riant) :
...
c'est la seule chose qu'on veuille tenir, c'est l'organe mâle... Je veux
qu'on soit gentil avec moi... Me faire pardonner ? Non, je ne pense plus à
ma mère. Mais mon père était très réservé au sujet des choses sexuelles et j'ai
épousé ses idées.
Moi. — Épouser ? Qu'est-ce qu'on épouse ?
ELLE. — Un mari. Ou une forme. Celle du pénis dans les rapports sexuels.
Moi. — Vous avez épousé celui qui interdit par peur de celui qui donne du
plaisir.
A la séance suivante, la malade accuse une augmentation de sa
culpabilité, mais en même temps exprime plus librement son agres-
sivité. Elle parle de Thérèse Raquin (l'histoire d'un mari tué par sa
femme), de morsures mortelles, de noyades, de la morgue. Puis :
Par moments je désirerais que vous soyez mon ami, mais en même temps
je repousse cette idée. Je pense à la couverture et au rêve avec mon père... Je
n'ai pas osé jouir...
Moi. — Vous épousiez plutôt le pénis qui interdit.
Avant de passer à la relation de la séance qui suivit celle-ci, je dois
souligner que jusqu'à ce moment notre malade était d'une frigidité
totale, ni désir, ni plaisir sexuels. Sa première jouissance sexuelle fut
éprouvée dans le rêve que j'ai reproduit et ceci sur un mode sadique-
oral. Je fus d'autant plus impressionné quand, au début de la séance
suivante, elle m'annonça qu'elle n'avait pas fermé l'oeil de la nuit :
Je n'ai pas pu m'endormir, j'ai eu une envie formidable d'avoir des rela-
tions sexuelles, j'étais énervée terriblement. Je n'avais plus peur de prendre du
plaisir. C'était une envie bestiale, et comme je ne connais que vous, c'est à
vous que je m'adressais...
Et puis :
il
... me semble que pour pouvoir jouir, c'est moi qui dois provoquer la
jouissance et non qu'elle me soit imposée. Faire ce qu'il faut pour. Hier soir,
j'étais capable de faire n'importe quoi pour la provoquer... Être une « courti-
sane », acheter du rouge qui ne déteint pas, me déshabiller à moitié, faire moi-
INTERPRETATION PREGENITALE 445
et elle me raconte un rêve d'un homme malade qu'on achève par une
rafale. Elle craint d'être éclaboussée par la mitrailleuse (coït agressif
et choc en retour de son agressivité qui l'inhibe). Je lui montre que,
pour elle, recevoir le sperme c'est être éclaboussée en raison de son
agressivité contre le pénis. Comme association elle me rapporte un
souvenir ; enfant, elle voulait régulièrement fourrer ses doigts dans
l'oeil de son frère, dont elle était jalouse.
En partant elle me paie mais se trompe, me donnant 1.000 francs
de moins. Nous analysons cette erreur à la séance suivante à laquelle
elle m'apporte un rêve dont le but est de me montrer qu'elle voulait
bien venir à cette séance, mais que tout le monde s'était ligué pour l'en
empêcher (rêve hypocrite de déculpabilisation).
Nous sommes en période de grèves et elle me parle de sa haine
contre les grévistes :
Si je pouvais en tenir un, j'en ferais du pâté.
En fait, il s'agit de moi qui ne fais rien,
Il ne faut pas être malin pour être psychanalyste, vous feriez mieux de
me faire des électro-chocs.
Je renonce cette fois-ci à l'analyse sexuelle proprement dite de
ce matériel et lui montre qu'elle voudrait me voir faire quelque chose.
INTERPRETATION PREGENITALE 447
(elle ne pouvait pas mieux montrer à la fois son sadisme oral et anal).
Ma mère, je ne peux plus la voir en peinture.
448 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Ma mère ne vous aime pas. Elle me dit que je ferais mieux de manger
des biftecks et des gigots avec l'argent que je vous donne.
Elle me raconte un rêve : chez un tailleur, avec le mari.
Nous choisissons le tissu, j'avais bien l'argent pour verser les arrhes, mais
j'ai éprouvé le besoin d'en demander à une de mes collègues qui était là. Pour
avoir le morceau, il fallait passer par cette femme-là.
(s'introjecter la mère d'abord, ou plutôt le sein, pour avoir le pénis,
grâce à l'identification maternelle).
Un autre rêve :
Deux petits chats dont un chétif n'arrivant pas à téter.
Puis :
Je fais faire à mon fils ses besoins sur la table de salle à manger de ma mère.
Moi. — Vous faites avec votre mère comme avec moi ; vous l'emmerdez
parce qu'elle ne vous donne pas à téter.
ELLE. — Dans le rêve, mon père aurait dû battre le chat adulte et donner
le biberon au petit.
«
Lors d'une autre séance, elle est très agressive contre moi. Je
n'interprète rien. Elle dit :
Je voudrais vous taper dessus, mais je ne peux pas ; ne disiez-vous pas
que j'attends une fessée de vous ?
Moi. — Mais, après la fessée vous pourriez me taper dessus.
ELLE. — Mon fils fait comme ça ; moi, je n'ai pas pu.
Il y a une folle dans mon immeuble, je la couperais en morceaux; je lui
ai écrit et n'ai pas été constipée du porte-plume...
Je ne peux pas la voir en peinture.
Moi. — En peinture ? Vous disiez ça de votre mère.
ELLE. — J'ai rendu tout le lait, alors que je l'adore.
Moi. — Vous n'osez pas avaler les bonnes choses, il faut que vous les rendiez
mauvaises.
est déçue, une séance plus tard, en perdant cette illusion. De plus, elle
m'apporte le rêve suivant :
Je suis dans le bureau où j'ai travaillé. La place auprès de mon chef est
prise mais je reprends ma place (la femme qui l'occupe est une ancienne col-
lègue avec qui je me suis crêpé le chignon), je suis contente.
Puis un autre rêve très long : à l'hôpital, une infirmière lui dit :
« Qu'est-ce que vous allez déguster ! »
Le docteur vient et m'enfile quelque chose dans l'orifice urinaire. Je n'ai
pas mal.
L'infirmière ?
Ma mère me disait, quand elle me menaçait : « Je dirai à ton père ; qu'est-ce
que tu vas déguster ! »
Dans sa vie conjugale elle introduit une nouvelle technique :
elle réveille son mari pour lui dire qu'elle est une méchante, qu'elle
lui empoisonne la vie, etc. Sur quoi, son mari la console et elle a avec
lui un rapport sexuel satisfaisant. Sans entrer dans l'analyse appro-
fondie des mécanismes que recèle cette façon de faire et qui est large-
ment surdéterminée, nous pouvons constater que la frigidité n'existe
plus, ainsi que le refus de maternité comme nous l'avons vu plus haut.
Ce rituel masochique a d'ailleurs disparu par la suite, quoique par
paliers successifs, car — comme cela se passe habituellement — nous
avons dû enregistrer quelques rechutes, de moins en moins accentuées
d'ailleurs. Lors d'une de ces rechutes, au cours de laquelle les diffi-
cultés d'introjection ont réapparu, j'ai pu les analyser sur un plan
plus évolué et toujours dans le cadre du transfert. Le matériel en
question se prêtait particulièrement — par endroits — à une interpré-
tation oedipienne, mais je me suis rappelé que la résistance de cette
malade était solidement organisée autour de ce noyau et que malgré
l'éloquence du matériel il fallait utiliser le biais pré-oedipien. J'ai
donc insisté sur l'interprétation prégénitale, toujours dans des termes
d'introjection.
Cette rechute, comme les autres, se manifestait surtout par une
aggravation de l'attitude négative de ma malade envers sa famille
(son fils et son mari). Elle s'est mise à négliger ses devoirs de mère,
de femme et de maîtresse de maison (non sans une nuance très nette
de provocation d'ailleurs, cet aspect sado-masochique de son compor-
tement ne devant pas cependant nous retenir) :
Tant que je suis malade, mon mari ne doit pas s'attendre à ce que je le
cajole et lui fasse de bonnes choses ; ça ne va pas du tout à la maison, je néglige
PSYCHANALYSE 29
450 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
tout, le ménage n'est pas fait, c'est le désordre, mon mari doit la trouver sau-
mâtre. Et d'ailleurs je ne mange pas, quand on est embêté, on ne peut pas assimiler
ce qu'on mange.
Le sens de ce matériel, vu le contexte, me parut clair : « Tant que
je ne pourrai pas introjecter l'analyste (le bon objet) je ne saurai moi-
même rien accepter, sans réponse sado-masochique provoquant le
rejet. » Aussi lui ai-je montré, une fois de plus, que c'est moi, et ce
qui vient de moi, qu'elle ne peut pas accepter.
ELLE. — Oui, et je tiens fermement à rester différente de vous , vous avez
peut-être raison, mais c'est à vous de m'expliquer pourquoi je vous refuse.
Moi. — Non, c'est à vous de l'expliquer. Tant que ça viendra uniquement
de moi, votre refus restera intact, et c'est ce que vous voulez.
Elle me. parle ensuite de son fils. Le problème est le même. L'enfant
travaille mal à l'école, et elle me montre combien elle en est malheu-
reuse. Il m'est facile de lui rappeler que quand son fils travaillait bien,
son trouble était bien plus profond ; elle en était désemparée, ce qui
montrait qu'il lui était surtout difficile d'accepter d'avoir un fils qui
lui donne du plaisir.
ELLE. — Bien sûr, tous les hommes je voudrais les voir réduits à néant.
(= « je ne veux pas les introjecter agressivement, la preuve c'est que
je les rejette »).
Elle poursuit :
Et cependant ceux qui sont brillants m'attirent. J'ai grand plaisir à parler
avec un homme intelligent ; il est vrai qu'en même temps, ça me gêne.
Je lui montre qu'elle se voit dans ces hommes comme dans un
miroir, qu'il s'établit entre eux et elle-même une certaine entente,
une communion d'esprit, une ressemblance qui lui fait plaisir, mais
qu'elle se reproche, comme si, en s'identifiant avec ces hommes, elle les
annihilait.
ELLE. — Oui, et je préfère me battre avec eux, comme avec vous.
Moi. — Au lieu de prendre ce qui vient de moi.
ELLE. — Vous me donnez des illusions, je ne suis qu'une imbécile.
Moi. — Ça vous tranquillise.
ELLE. — Mon père était intelligent. Il essayait de m'expliquer les choses,
mais j'ai fait l'idiote, et finalement, il a perdu patience ; j'ai fait l'andouille,
quoi.
Moi. — Comme ici.
Cette séance fut suivie d'une grande détente et d'une amélioration
notable sur tous les plans, un pas important vers la restructuration
définitive.
INTERPRETATION PREGENITALE 451
En résumé, j'ai voulu montrer dans cet exposé qu'il était nécessaire,
dans certains cas où les malades sont incapables d'intégrer les inter-
prétations oedipiennes, de dégager l'énergie qui leur permettra cette
intégration, par des interprétations d'un matériel prégénital apparu dans
le transfert, interprétations basées sur les mécanismes d'introjection.
Ce faisant, je n'ai pas eu l'intention de négliger l'importance du
conflit oedipien et l'utilité du maintien de l'analyse, autant que possible
sur ce plan. Les exemples cliniques que j'ai apportés montrent préci-
sément que c'est devant un blocage sur le plan génital que l'interpré-
tation pré-oedipienne a permis aux malades d'attaquer et de résoudre
leurs difficultés oedipiennes avec un élan accru.
Intervention de M. NACHT
(1) Le terme de « pré-génital », souvent employé pour désigner globalement les phases
pré-oedipiennes, me paraît impropre, car on peut y déceler déjà des investissements sur un
mode génital mineur.
INTERPRETATION PREGENITALE 453
oedipien. C'est dans ces cas que le matériel préoedipien est constam-
ment mis en avant et solidement maintenu par le malade comme
résistance — défense inébranlable — jusqu'au moment où survient la
terreur de la mort de l'analyste (substitut paternel ou maternel) et où
cette terreur sera analysée et apaisée.
C'est seulement alors que le matériel préoedipien, perdant son
sens premier de refuge, acquiert sa valeur authentique et peut être
analysé avec efficacité.
Le matériel oedipien apparaîtra alors parallèlement quoique timi-
dement durant ce travail renouvelé.
En conclusion, je vous apporte ici mon opinion : hormis les cas
extrêmes, exceptionnels, les matériels préoedipien et oedipien s'arti-
culent de telle sorte que l'analyse de l'un fait apparaître l'autre et
vice versa. Cette alternance peut même s'observer spontanément.
La conséquence de cette observation m'a amené à adopter la conduite
technique qui consiste à me laisser principalement guider dans le
choix du matériel à interpréter ce que le malade montre spontanément
ou sous l'influence des interprétations.
Bien entendu, le respect aveugle de ce procédé peut induire le
psychanalyste en erreur s'il ne garde constamment et en même temps
une vue d'ensemble de l'évolution du cas et s'il néglige les indications
que lui fournissent les réactions de transfert.
Intervention de M. BÉNASSY
L'excellente mise au point de Grunberger suscite de nombreuses
réflexions. En voici quelques-unes présentées un peu au hasard, les
unes théoriques, les autres cliniques.
Peut-être faut-il dans une telle discussion faire précéder quelques
définitions. Et d'abord existe-t-il une différence entre le prégénital
et le préoedipien ?
A mon avis il ne s'agit que d'une différence de points de vue.
Sous le nom de période prégénitale on étudie l'histoire des relations
entre la mère et le sujet en centrant cette étude sur le sujet et sur les
zones érogènes. Sous le nom de préoedipien, on étudie les mêmes
événements en centrant cette étude sur le social, sur l'environnement,
c'est-à-dire les relations objectales. En effet, avec la période oedipienne,
le père s'introduit dans la relation enfant-mère, et la relation oedipienne
est triangulaire. Mais le père entre relativement tard (en tant que
père) dans la vie émotionnelle de l'enfant, et la relation avec le père
sera bâtie sur le modèle de la relation préexistante avec la mère. Sauf
458 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Intervention de M. DIATKINE
Il existe au cours de nombreuses analyses, des séances où le malade
apporte un matériel dont le déterminisme est complexe. Il est dans
ce cas impossible de distinguer des pulsions et des angoisses de caractère
spécifiquement génital ou prégénital, oedipien ou préoedipien. Par
contre, il est facile de montrer un double déterminisme des affects
qui pourraient théoriquement être interprétés soit dans un sens, soit
dans l'autre. Tel personnage peut apparaître comme investi paternel-
lement ou maternellement et, dans une même séance, l'angoisse de
castration peut être comprise comme une défense élaborée devant
l'angoisse de morcellement, ou inversement. Dans le début de l'analyse,
la position que doit prendre le psychanalyste est relativement facile
à déterminer. Il ne faut interpréter que ce que le malade est capable
d'appréhender, c'est-à-dire ce qu'il est sur le point de percevoir.
L'élucidation des relations oedipiennes dans leur formulation classique
est une étape presque toujours indispensable. C'est quand les angoisses
profondes liées à l'agressivité orale dirigée sur l'imago maternelle ont
INTERPRETATION PRÉGÉNITALE 465
Il nous paraît que l'on doit, dès le début, toucher le matériel carac-
tériel de défense prégénital — résistance fondamentale — dans les
seuls termes où l'on peut alors le toucher, c'est-à-dire comme attitude
intégrée, je veux dire en termes psychologiques. C'est lorsque tel
malade aura compris combien il était sensible à l'abandon, combien
il avait besoin de se croire rejeté par exemple, et comment il s'en défen-
dait, que seulement alors le transfert se cristallisera suffisamment pour
être interprété dynamiquement. Alors se produira la triangulation
— nous ne disons pas l'oedipe, bien que le plus souvent ce soit lui —
qui permettra une réelle évolution par appui sur le bon objet afin
d'affronter le mauvais. Nous avons du reste l'intention de revenir
ultérieurement sur ce point.
Intervention de M. RENÉ HELD
L'idée d'organiser un colloque de cet ordre semble à elle seule
déjà significative. En effet, il est curieux de constater que si les travaux
se rapportant aux stades d'organisation prégénitale de la libido sont
innombrables, à notre connaissance du moins, jamais une réunion
scientifique n'avait été consacrée exclusivement aux problèmes que
posent les interprétations du matériel prégénital proprement dit.
L'importance croissante que prennent dans notre pratique psycha-
nalytique l'analyse des pulsions prégénitales, le maniement des trans-
ferts prégénitaux, entraînant par voie de conséquence un effacement
tout relatif d'ailleurs de l'OEdipe peut être en rapport avec les faits
suivants :
1. L'analyse didactique est devenue de plus en plus rigoureuse et
sa technique semble avoir été précisée. Malgré tous les problèmes non
résolus que soulève cette importante question, il semble que les géné-
rations d'analystes ayant suivi celle de l'époque héroïque aient davan-
tage pris conscience de leurs propres « difficultés prégénitales »,
scotomisant moins par cela même ces difficultés chez leurs patients ;
2. La théorie psychanalytique des névroses s'est développée dans le
sens même qui est celui de la progression d'une cure bien menée : de la
surface vers la profondeur. Sans doute, les Trois essais datent de 1905,
mais que de chemin parcouru depuis lors jusqu'à Melanie Klein !
Il n'est, en effet, que de se rapporter à l'observation de la jeune obsédée
dans l'Introduction (1915) pour voir l'accent à cette époque, si proche
et déjà si lointaine, centré sur le ça et l'analyse des pulsions sexuelles
venir se placer au premier plan. Maintenant que nous portons surtout
notre attention sur l'analyse des mécanismes de défense, faisant ainsi
468 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
ANGOISSE ET RESPIRATION
Les pulsions orales à incorporer que nous allons étudier plus loin
sont ainsi étroitement mêlées aux besoins d'air les plus primitifs,
au besoin d'oxygène datant de la formation même de l'oeuf. Car en
vérité la respiration précède la succion. L'angoisse, phénomène majeur,
symptôme constamment recherché sous la rigidité des défenses, serrera
aussi bien la poitrine de l'angineux immobilisé en pleine crise avec
sensation de mort imminente que celle du patient préverbal. Celui-ci,
dont nous parlerons plus loin, sans raison somatique valable n'en sent
pas moins la mort rôder autour de lui et littéralement étouffé par la
peur se sent mourir ! Les profonds soupirs dont nous sommes si
souvent abreuvés ne traduisent-ils pas l'effort inconscient que fait
le patient (menacé de perdre l'objet le plus primitif, le plus vital
— ne
pourrait-on dire la mère-oxygène ? et qui croit sentir son équipement
respiratoire autonome insuffisant à assurer l'hématose, la vie, dans cet
état de frustration (d'alerte !) où notre silence l'a plongé), pour venir
« coiffer » cet équipement végétatif par l'équipement relationnel de
secours et chercher à les faire tous deux travailler en concordance
de phase ? Ainsi une femme d'une quarantaine d'années ayant perdu
sa mère récemment, « cherchait » à tout bout de champ sa respiration.
Elle sentait son amplitude respiratoire diminuée, et soudain, après des
efforts qu'elle croyait vains pour remplir à fond son thorax s'écriait
avec soulagement : « Ça y est ! » en suite de quoi elle pouvait respirer
sans y penser pendant un temps plus ou moins long d'une crise anxieuse
à la suivante.
Nous savons bien que l'angoisse est un symptôme trop banal pour
que son apparition au cours des séances puisse servir en quelque sorte
d' « indicateur de stade » et motiver telle ou telle de nos interprétations.
Nous croyons cependant que dans certains cas l'intensité de l'aspect
physique de ce phénomène (intensité surtout manifeste, cela va sans
dire, quand les pulsions orales émergent sur un fond hystérique), sa
fréquence, son caractère parfois explosif aboutissant à un acting-out
de « noyé qui se cramponne à vous en vous étouffant par peur d'étouffer »
permettent d'affirmer qu'on se trouve là devant une situation très
INTERPRETATION PREGENITALE 471
(1) Nous rappelons pour mémoire ici les travaux de Nacht, Bouvet, Lebovici et Diatkine,
sur la peur, l'obsession, etc., dont nous nous sommes largement inspirés et qui nous ont été
si utiles dans notre pratique clinique.
474 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
La seule ressource qui s'offre à nous dès lors est l'attente d'une
abréaction. Le « je ne peux pas parler » de ces patients préverbaux,
qui signifie : « Je veux rester là sans rien dire, c'est pour moi la seule
476 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
façon de vivre désormais, pris comme je suis entre l'envie de vous tuer
et la peur de mourir », recouvre une attente anxieuse d'explosions
émotionnelles. Car ce « je ne peux pas parler », ces patients le répètent
parfois assez souvent. (Il leur arrive bien de sortir quelques syllabes
quand on les sollicite.) En somme, ils parlent pour nous dire qu'ils
ne parlent pas. En vérité, cela veut dire : « Je n'arrive pas à laisser
des émotions sortir de moi ; je ne veux en tout cas à aucun prix en
prendre la responsabilité. »
L'abréaction signifie pour eux une excrétion involontaire, donc
permise ; si on ose dire une sorte d' « agression passive par incontinence »,
donc infiniment moins dangereuse qu'une série d'associations libres
pouvant les mener là où précisément ils ont une telle terreur d'aller.
Cette « excrétion » quand elle se produit parfois est sentie comme
érotisée au maximum. Explosion urinaire, anale, éjaculatoire, à la fois
attendue et redoutée, n'amenant aucune détente ultérieure, au contraire,
puisque le besoin n'a été satisfait que de façon temporaire et combien
précaire ; qu'ils ont, ce faisant, accompli devant nous un acte défendu
et que leur culpabilité s'en trouve considérablement renforcée.
Il s'agira, par exemple, d'un accès de sanglots, de supplications,
de gémissements... Si aucune trace mnésique inédite n'apparaît dans
ou après l'abréaction, celle-ci sera d'utilité douteuse ou nulle, parfois
nettement défavorable. Encore plus si elle s'est faite en « écrasement »
et sans la moindre libération agressive vraie.
Par contre, si, par exemple, à la fin d'un accès de terreur entrecoupé
de larmes apparaissent des images de terreurs anciennes : « c'est plein
de choses terribles ici... Quand j'étais petit je croyais que dans le
couloir... Il fallait que la porte séparant ma chambre de celle de mes
parents fût entr'ouverte, etc. »... une petite intégration de réalité,
si on peut dire, pourra s'effectuer. « Après tout, j'ai parlé, j'ai manifesté
ma peur, et... j'en sors vivant ! Est-ce croyable ! »
Pour certains patients préverbaux que l'intensité de leur maso-
chisme, leur extrême passivité, semblent avoir définitivement écrasés,
enclos dans leur univers dantesque, nous nous demandons si les psycho-
thérapies dramatiques de groupe dont Diatkine nous a entretenus l'autre
soir à Sainte-Anne, ne pourraient trouver ici une indication intéressante.
RÉSISTANCES DE TRANSFERT EN RAPPORT AVEC LES PULSIONS ANALES
Bien que le matériel proprement uréthral, aussi bien sous ses aspects
agressif qu'erotique, ne se présente jamais isolément, certains patients
semblent montrer dans leur comportement verbal un mode de
résistance qui se situe manifestement sous le signe des pulsions
uréthrales.
Il y a parmi eux ceux qui explicitent franchement leur résistance :
aller au w.-c. uriner avant chaque séance ; prendre ses « précautions »
à l'extérieur pour éviter de lâcher des urines sur le divan en se déten-
dant. Il y a ceux qui ont l'air de ne « pas s'en faire » et vous racontent
leurs angoisses, leurs fiascos, parlent à jet continu avec je ne sais quoi
de débonnaire dans la posture et dans le vocabulaire et peuvent nous
induire ainsi en erreur. Car leurs membres mollement jetés sur le
divan, leur poignée de main molle, parfois humide, et sans que cela
les gêne, tout cela qui signe la passivité uréthrale dissimule un profond
sadisme, une intense agressivité. Mais patient et analyste sont litté-
ralement noyés dans cet inépuisable matériel liquide qui coule, coule
sans arrêt et qui souvent est des plus significatifs, ne se perd jamais
en associations de surface mais au contraire semble toujours convergent,
riche en recoupements de toutes sortes, devoir amener la guérison à
bref délai. Qu'on ne s'y trompe pas. Véritable tonneau des danaïdes,
le travail dans l'analyse pourrait continuer des années sans changements
dynamiques vrais si l'analyste se laissait prendre au piège des interpré-
tations que le patient nous induit à proposer par l'abondance et la perti-
nence de ses associations.
Ici, comme il a été dit au sujet des patients qui « barbotent » dans
l'analité, il faut se garder d'intervenir trop tôt. Mais comme ces « uré-
thraux » ont moins régressé que les « anaux » (sans que cette distinction
puisse avoir une valeur absolue) le danger de voir le patient s'embourber
dans les phantasmes est moins grand. Il faut savoir laisser couler le
temps qu'il faut et intervenir le moins possible car la seule façon de
« couper le jet » et de laisser le patient s'exaspérer un peu et sentir son
agressivité. Mais le narcissisme souvent intense de ces patients et la
peur qu'ils ont de perdre leur bon-garçonnisme, qui les protège si bien,
rend la chose fort malaisée. « Quand j'étais petit, nous dit l'un de ces
patients « uréthraux », je jouissais déjà en pissant au ht. » Plusieurs fois
opéré (de strabisme et de circoncision après 4 ans), il a trouvé le meilleur
moyen pour éviter l'angoisse au cours de la cure comme ces petits
chiens qui mettent pattes en l'air en gémissant quand ils ont peur
d'être battus pour avoir... pissé sur le tapis.
Faire appel à la pitié, à l'amour de l'analyste en le désarmant par
INTERPRÉTATION PRÉGÉNITALE 483
On sait depuis longtemps que le patient nous parle aussi bien avec
ses gestes et ses postures qu'avec des mots. Nous n'insisterons pas sur
l'importance de l'analyse des attitudes et de la posture chez les patients
prégénitaux car nous comptons bientôt terminer un travail consacré
à ce sujet envisagé d'ailleurs de façon moins limitative. Rappelons
simplement qu'il peut être particulièrement précieux chez les patients
dont nous avons eu à nous occuper au cours de ce colloque d'être
attentifs à leurs gestes dont la signification est loin de concordertoujours
avec le sens de leurs associations.
Il ne faut pas confondre détente apparente et hypotonie, contraction
apparente et hypertonie. Le patient mou dont nous parlions tout à
l'heure, quoique présentant à notre intention le tableau d'une détente
complète, nous avoua bien plus tard être affreusement crispé pendant
les séances. Il va de soi que les préverbaux derrière leur écrasement
total ont une énorme puissance de « contracture » en réserve complète-
ment escamotée pendant les séances en même temps que leur agressivité.
CONCLUSIONS
Intervention du Dr M. BOUVET
Je désire tout d'abord remercier Grunberger du travail si documenté
et si vivant qui sert d'introduction à ce colloque, tout au plus regret-
terai-je qu'il n'ait pu donner à la partie clinique de son exposé tous
les développements qu'elle comporte.
Il m'a semblé, qu'au cours de ces premières séances, l'intérêt se
trouvait précisément attaché à l'opportunité de l'interprétation pré-
génitale et plus précisément à sa nécessité, à sa modalité et à sa forme.
Je voudrais dire quelques mots sur ces trois points, mais auparavant,
je tiens à souligner qu'il ne s'agit nullement dans mon esprit d'autre
chose que d'apporter ici quelques considérations inspirées par mon
expérience journalière.
NÉCESSITÉ
MODALITÉ
mais encore parce que c'est la seule manière pour que le transfert
atteigne la qualité qui donne à une interprétation préoedipienne toute
sa signification.
FORME
CONCLUSIONS
Intervention de M. LEBOVICI
L'intérêt de la discussion qui vient d'avoir lieu après la remarquable
introduction qui nous a été présentée par Grunberger m'a paru extrê-
mement vif et, après les nombreux collègues qui sont intervenus, je
ne saurais plus apporter d'élément nouveau. Mais à la très intéressante
intervention de Bouvet qui a eu le courage de préciser une véritable
INTERPRÉTATION PREGENITALE 489
(1) Nous ne parlerons pas ici de la typologie de Pavlov qui se situe dans une perspec-
tive tout à fait distincte et qui mériterait une étude séparée.
PSYCHANALYSE 32
498 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Les études de Freud sur les névroses ont entraîné dès le début une
discussion sur la spécificité des phénomènes décrits chez les malades
atteints de psycho-névrose. Une des premières discussions qui s'est
élevée à propos de l'hypnose a été de savoir si c'était là un phénomène
spécifique des hystériques, comme l'enseignait Bernheim, ou bien s'il
s'agissait d'un phénomène plus général comme l'ont montré Breuer et
Freud dans leur premier travail, Freud dans les travaux qui suivirent.
Nous rappellerons que dès 1915 (dans l'Introduction à la psychanalyse),
Freud divisait les névroses en trois groupes : névroses actuelles, névroses
de transfert, névroses narcissiques. Dans les névroses de transfert
étaient classées la névrose obsessionnelle, l'hystérie et l'hystérie d'an-
goisse (phobie). Un des caractères fondamentaux des malades atteints
de névrose de transfert était la propension de ces malades à revivre
avec leur analyste des conflits archaïques qui étaient en fait à l'origine
de leurs symptômes. Assez rapidement s'établit une notion qui était
un corollaire inhérent à la définition des névroses de transfert : c'est le
propre de tout sujet névrosé de pouvoir établir une relation transfé-
rentielle organisée et intense avec son analyste. On en vint à considérer
que la nature de la régression produite au cours de l'analyse était plus
caractéristique de la structure du sujet que les données d'un examen
clinique même très approfondi. Cette notion reste d'ailleurs dans
une certaine mesure valable. Nous savons par exemple que certaines
névroses obsessionnelles graves n'apparaissent comme telles qu'après
quelques mois d'analyse ; les mécanismes d'isolement permettant au
sujet des réticences étonnantes quant à leurs symptômes.
Cette première généralisation de l'extension de l'analyse a déter-
miné d'emblée les premières tentatives de caractérologie analytique.
A l'époque où les études psychanalytiques portaient essentiellement
sur l'évolution de la libido, on parla de caractère anal, de caractère
phallique, de caractère oral, etc. (Freud, Alexander, Meninger entre
autres), en se référant en fait aux fixations sur les zones érogènes. Dans
un second temps on a décrit les caractères narcissiques, sado-maso-
chistes, etc., se rapportant à des notions plus élaborées de la topique
analytique. Enfin la valorisation des mécanismes du Moi donne à la
caractérologie analytique un troisième aspect correspondant à la struc-
ture des défenses : c'est ainsi que l'on parle couramment de caractères
obsessionnels, phobiques, ou hystériques. Les études sur l'agressivité
ont amené à parler depuis Glover de caractères passifs féminins, phal-
liques agressifs.
Tout ceci montre à quel point on s'attachait à découvrir une analogie
PROBLEMES DIAGNOSTIQUES ET CLINIQUES 499
Cependant, les travaux des vingt dernières années ont montré que
les psychanalystes abandonnaient d'une façon implicite la notion de
la spécificité de la régression. Mais ce n'est que dans l'article récent
d'Ida Macalpine (Psychoanalytical Quarterly de 1951), repris dans le
rapport de Lagache sur les problèmes du transfert (novembre 1951),
que la critique de cette notion est formulée avec toutes les conséquences
théoriques qu'elle implique. Ida Macalpine montre que le transfert
et la régression ne sont pas un phénomène propre à l'analysé atteint
de névrose mais une conséquence des conditions de la cure analytique.
Cette position critique nous paraît rendre plus urgente la discussion
sur les névroses de caractère puisque jusqu'à présent leur trait fonda-
mental était l'analogie de la régression transférentielle de ces malades
avec celle présentée par les sujets atteints de psycho-névrose.
Au cours de l'évolution de la psychanalyse, en 1927, une notion est
500 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
lui, tout en reconnaissant qu'elle était d'un niveau social très différent
du sien et d'une intelligence assez moyenne.
Le malade a perdu son père, à l'âge de 4 ans et le seul souvenir qu'il
en garde c'est celui de son cadavre avant l'enterrement. Il se souvient
également avoir lu une lettre adressée par son père à son grand-père
où celui-ci se plaignait de sa femme qui n'était ni bonne mère, ni bonne
épouse. Au reste, le malade se plaint constamment des abandons suc-
cessifs de sa mère qui, dit-il, ne s'occupait jamais de lui, partageant
son temps entre sa toilette et de nombreux amants, rentrant à des
heures tardives, laissant l'enfant au soin de bonnes qui se succédaient
à un rythme semble-t-il accéléré. M. H... garde le souvenir vivace et
douloureux des longues heures où il attendait le retour de sa mère,
guettant anxieusement le bruit des pas dans l'escalier. Dès qu'elle
rentrait, il pleurait, manifestait sa colère, se faisait rabrouer et sa rage
impuissante l'a conduit à l'âge de 7 ans à absorber un médicament pour
se rendre malade et garder ainsi sa mère près de lui. Tout petit il a été
confié d'abord à un internat situé en face de la maison où il habitait,
ce dont il garde une vive humiliation, puis à divers membres de la
famille, dont une grand-mère qui le terrorisait et un arrière-grand-père
qui ne cessait de condamner le comportement de sa mère et qui, de
ce fait, affirmait d'une façon répétée qu'avec une mère pareille l'enfant
ne pouvait être bon à rien. L'acharnement qu'il mit à ses études était
destiné à prouver qu'il valait mieux qu'eux tous et qu'il allait pouvoir
les surpasser en se passant d'eux.
Élevé tout d'abord dans une discipline religieuse très stricte, il a
cessé de pratiquer peu après la puberté, car il pensait que la pratique
de la masturbation le rendait indigne du pardon qu'on lui octroyait
lors de la confession.
Actuellement, son comportement sexuel est normal, mais il est
intimement persuadé que les rapports sexuels sont nocifs et il attribue
à ses désirs et à leur réalisation la fatigue qu'il ressent. Signalons qu'à
l'âge de 10 ans, il a découvert dans un tiroir de la chambre de sa mère
des photographies pornographiques. Il en a ressenti une excitation
intense et lorsqu'il lui arrivait de partager le lit de sa mère il se remémo-
rait ces images. Les désirs qu'à cette époque il éprouvait à l'égard
de sa mère sont à fleur de conscience.
Le comportement et le matériel fourni par M. H... sont tout à fait
caractéristiques. Extraordinairement poli et courtois, tiré à quatre
épingles, il reste pendant toute la séance d'une raideur absolue, les mains
le long du corps et les pieds joints.
508 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
il ne pouvait pas plus les exprimer que les ressentir ; alors que l'en-
semble de ses attitudes et de ses propos montrait clairement qu'il
n'était pas plus satisfait de son comportement que du nôtre. Ce même
besoin de réassurance peut encore s'exprimer en une attitude ostensi-
blement séductrice faite de mièvrerie et de théâtralisme. Ce dernier
trait est plus accentué chez les femmes.
Enfin ce narcissisme exacerbé entraîne un sentiment profond de
frustration permanente, une insatisfaction de soi et des autres et un
sentiment aigu de vulnérabilité. Une de nos malades nous disait à propos
d'un incident : « Je sentais bien que si je me laissais aller tout allait
s'effondrer et il ne me resterait plus qu'à pleurer indéfiniment sur
moi-même. »
C'est aussi à cette exacerbation du narcissisme qu'on doit en der-
nière analyse rapporter la référence constante à un Moi idéal, propre à
un grand nombre de sujets et qui les amène volontiers à « jouer » ce
qu'ils voudraient être. C'est le cas pour certaines formes de don jua-
nisme et, de façon plus étendue, de certaines réussites sexuelles comme
l'a très finement noté Fénichel. Ceux qui ne jouent pas ce qu'ils vou-
draient être, laissent souvent entendre qu'ils jouent? ce qu'ils sont,
exprimant à tout propos une ironie critique à l'égard de leur propre
comportement.
Une autre caractéristique fondamentale est le sentiment d'échec.
Soit qu'il s'agisse d'un sentiment d'échec qui n'est pas dans les faits
entièrement justifié mais qui traduit l'intolérance de ces sujets à la
réussite (Freud parlait de « ces malades que le succès ruine » et l'un
de nos malades ayant brillamment réussi les concours des grandes
écoles considère que toutes ces réussites successives sont le fait de la
chance), soit qu'il s'exprime par l'impossibilité dans laquelle ils se
trouvent de réussir à la fois dans leur vie affective, sexuelle et profes-
sionnelle. L'échec est toujours quelque part réalisé mais le sentiment
qu'en a le malade est souvent déplacé d'un secteur à l'autre. Ainsi,
M. H... tolérait la réussite dans sa vie professionnelle avec le sentiment
d'y échouer ; mais il échouait dans sa vie conjugale avec le sentiment
de l'avoir somme toute, étant donné les circonstances, plutôt réussie.
Quelles que soient les modalités par lesquelles ce sentiment d'échec
s'exprime et se réalise nous n'avons jamais observé un malade dont
la réussite sociale relative ou satisfaisante, parfois brillante, aille de
pair avec une vie sentimentale épanouie.
La fonction économique de l'échec est importante. A l'instar d'un
symptôme il concilie les exigences multiples des diverses instances de
PROBLEMES DIAGNOSTIQUES ET CLINIQUES 513
aux états paranoïaques. S'il est évident que les délires paranoïaques
(délire d'interprétation ou de revendication) sont faciles à identifier
et à éliminer, le problème du caractère paranoïaque est beaucoup
plus confus.
En premier lieu : certains aspects revendicatifs, certains éléments
de projection présentés par ces malades pourraient faire penser à un
caractère paranoïaque, mais généralement il n'y a aucune tendance à
la systématisation et ces revendications liées à un besoin intense d'aimer
et d'être aimé n'entraînent que des réactions intermittentes d'agressivité.
En second lieu : il paraît extrêmement difficile de séparer certains
cas considérés par Krestschmer comme atteints de paranoïa-sensitive,
des névroses de caractère que nous avons décrites : ce qui pose une
fois de plus le problème des indications thérapeutiques.
Enfin, il existe toute une série d'aspects caractériels particuliers
qui sont situés aux confins des névroses de caractère et des caractères
paranoïaques bien que classiquement décrits parmi ces derniers. Citons
en particulier les « idéalistes passionnés » de Dide et Guiraud.
C'est chez ces malades aussi que l'on ne voit pas de « lune de miel »
analytique, et chez qui le transfert négatif est le plus longuement intense.
Enfin, on peut voir parfois des réactions somatiques importantes,
qui sont manifestement des équivalents d'angoisse, mais qui peuvent
prendre un tour très sérieux.
Il faut également penser à une réaction thérapeutique négative
importante ou encore à la rupture du traitement accompagnée ou
non d'une « crise de guérison », les symptômes mineurs disparaissant
avec une relative facilité au profit d'un renforcement des défenses
narcissiques.
(1) NACHT, Essai sur la peur, Conférence à la Faculté de Médecine de Barcelone, 1952.
Conférence faite à la Société psychanalytiquede Paris, 1953.
JAMAIS DEUX SANS TROIS 519
de toutes les maisons qui, dans ses environs, portaient le n° 43. Mais
elle ne se serait pas aventurée au delà de territoires où ces maisons
avaient été repérées. Par surcroît de précautions, elle suivait toujours
le trottoir du côté des numéros pairs.
Je sus, dès la première séance, sa terreur devant ce nombre car,
par coïncidence, mon cabinet se trouvait dans un immeuble portant
le n° 42 et elle me déclara tout d'abord que si j'avais été installé de
l'autre côté de la rue, rien n'aurait pu la décider à venir chez moi.
Ajoutons que lorsqu'elle me fut adressée par un psychiatre, elle
était en pleine panique : elle avait 42 ans 1/2 ; l'échéance était donc
toute proche.
Si j'ai cité brièvement ce cas, ce n'est que pour justifier par un
exemple une conception des comportements névrotiques suivant laquelle
ceux-ci n'apparaissent pas comme des maladies mais bien comme des
moyens d'échapper à l'angoisse, soit donc des sortes de remèdes d'un
caractère évidemment irrationnel mais ressortissant néanmoins à une
certaine logique particulière dont seul le point de départ est faux,
parce que fondé sur ce que nous avons coutume de nommer la pensée
magique.
L'illogisme d'un comportement névrotique n'est que pour le spec-
tateur ignorant l'histoire du sujet mais, pour ce dernier, les moyens
employés sont ceux qui lui conviennent le mieux pour se soustraire à
l'angoisse.
Quiconque aurait vu de haut cette femme effectuer des trajets
compliqués comme ceux d'un labyrinthe pour aller chez son épicier,
à quelques minutes de chez elle, aurait nécessairement pensé à une
aberration inexplicable alors que pour le sujet lui-même, c'était la
seule manière de vivre plus ou moins paisiblement.
Dans un comportement névrotique, tout est toujours monté, selon
des formules d'une infinie variété, pour éviter de se mettre sur la voie
où se rencontrerait un facteur anxiogène et ce que nous appelons
symptôme ne me paraît pas autre chose, en dernière analyse, qu'un
procédé visant à cette fin.
Ici on pourra m'objecter que les névroses d'angoisse — disons
plutôt celles dans lesquelles le symptôme est justement l'angoisse —
contredisent cette thèse ou tout au moins interdisent de la généraliser.
On y voit en effet l'angoisse entretenue, cultivée, érotisée même et,
à première vue, cela réduirait à néant l'idée que le comportement
névrotique a pour fonction d'éviter l'angoisse.
En y regardant de plus près, chacun d'entre nous a eu maintes
JAMAIS DEUX SANS TROIS 521
ment tendant à ne plus se replacer dans les conditions qui lui semblent
avoir entouré les deux premières expériences. Par exemple, si le premier
objet aimé l'a repoussé ou abandonné et qu'ultérieurement il ait revécu
semblable mésaventure, il pourra s'interdire d'aimer pour ne plus
risquer d'être frustré, il se cuirassera contre un sentiment qui s'est
montré générateur de souffrances et se constituera un supplément
d'assurance en repoussant lui-même d'avance tout objet vers lequel
il y aurait danger d'être entraîné. Son comportement vis-à-vis d'autrui
tendra non seulement à un retrait mais aussi à une attitude frustrante
systématisée dans laquelle j'ai cru voir jadis un système de vengeance
alors que je distingue mieux à présent une mesure de protection :
« Je n'aime plus, non point pour me venger d'une ancienne blessure
d'amour, mais pour me soustraire à de nouvelles déceptions ; je frustre,
non point pour me venger d'une ancienne frustration, mais pour
en éviter de nouvelles en prenant les devants. Je choisis d'être
frustrateur plutôt que frustré et c'est une garantie certainement
efficace. »
Dans des cas bien nettement définis, on verra de tels sujets ne
plus s'attacher à personne et même, par extension, ne plus s'attacher
à rien car la condition d'attachement a été enregistrée comme étant
la condition de perte : « Si je n'aime personne ni rien, il devient impos-
sible de me déposséder. »
En somme, ils attendent la répétition en veillant à ce qu'elle ne
puisse avoir lieu ; leur conduite est devenue automatique, inconsciente,
mais les premières motivations continuent indéfiniment à la dicter.
Qu'importe pour eux qu'ils pâtissent de leur carence d'amour, c'est
un mal qui leur semble beaucoup moins cruel que celui contre lequel
ils se protègent.
Un patient, fort capable de gagner beaucoup d'argent dans sa pro-
fession, trouvait le moyen d'en être toujours démuni. Il me dit un
jour qu'il n'oserait pas acheter un billet de loterie car s'il lui arrivait
de gagner un million, il serait fou d'angoisse à la pensée de le perdre,
ce qui rappelle la fable du Savetier et du Financier.
Sur le plan sentimental, le même sujet se montrait incapable
d'aimer une femme. Il s'était marié, pour ainsi dire, sur l'ordre de son
père qui avait lui-même choisi la jeune fille qu'il voulait lui faire
épouser mais il se tenait à l'écart d'elle, rationalisant sa conduite par
toutes sortes de reproches et ne témoignait aucune affection à ses
enfants. D'autre part, il n'osait s'attacher à d'autres femmes, quel que
fût son désir, et n'avait avec elles que des relations de cabaret.
JAMAIS DEUX SANS TROIS 523
Qu'une angoisse protège ainsi contre une autre et que cette autre soit
comme le signal d'un péril, cela peut être immédiatement compréhen-
sible mais en réalité cela ne résout pas toute la question car le problème
ne se pose pas avec toutes ses données si l'on voit seulement le sujet
chercher à se soustraire à un danger. On ne peut perdre de vue, en
effet, que l'angoisse n'existe que dans une condition d'ambivalence,
dans une condition conflictuelle et qu'elle est suscitée par la combi-
naison d'une crainte et d'un désir visant le même objet. L'angoisse
est le signal d'un danger, imaginaire mais senti comme vrai par le
sujet, ce danger étant attaché au désir de refaire une expérience qui
a été désastreuse dans le passé. Elle se place au seuil même' de la prise
de conscience de ce désir dangereux. Elle n'est pas à proprement
parler la peur de ce désir comme d'aucuns l'ont dit mais la résultante
du conflit entre le désir et la peur qu'on en a.
Le comportement névrotique est à Pavant-plan de l'angoisse et
a pour fonction d'éviter de la ressentir. Il est dicté par la peur d'avoir
peur et consiste généralement à supprimer le désir ou tout au moins
la prise de conscience de celui-ci.
En réalité, le sujet attend et redoute de revivre une situation déjà
vécue mais, en même temps, il est poussé à la recréer. Il y est poussé
comme si cela devait résoudre son état de tension. Ne voyons-nous
pas constamment que plus une chose est anxieusement redoutée, plus
nous tendons inconsciemment à sa réalisation ? L'exemple à la fois
le plus caractéristique et le plus raccourci quant au processus de réali-
sation est le vertige des hauteurs — je ne parle pas des troubles laby-
rinthiques mais de ceux, exclusivement psychiques, s'établissant sur
la croyance en la possibilité d'une chute. Le sujet craint de tomber
et instantanément ses muscles fléchissent, l'équilibre se perd et il
tombe, ayant ainsi inconsciemment tout mis en oeuvre pour exécuter
ce dont il avait peur.
L'angoissé devant la perspective de la troisième fois tend à se
comporter d'une manière analogue, c'est-à-dire que tout en se prému-
nisant par toutes sortes de moyens contre le retour de ce qui l'a trau-
matisé, il tend en même temps à organiser ce retour et cela forme
un cercle vicieux dont il ne peut sortir car il entretient, de ce chef,
l'angoisse contre laquelle il se défend.
Quel est le but inconscient d'un tel comportement ? Je puis
comprendre que pour échapper à Pexpectation anxieuse, le sujet
cherche à provoquer l'événement redouté pour n'avoir plus à le
craindre lorsqu'il se sera accompli mais qu'au seuil même de cet
JAMAIS DEUX SANS TROIS 527
(1) NACHT, « La peur est manifeste ou recouverte par des symptômes. I<es cadres nosogra
phiques où cette opposition apparaît à l'extrême sont, d'une part les névroses phobiques,
d'autre part, les névroses obsessionnelles », op. cit., v. Rev. jr. de Psych., 1953.
528 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) NACHT (op. cit.) explique la formation et la fonction des symptômes de la manière
suivante : «... leur création se substitue à l'action et, par là, rompt la tension due à l'état d'alerte,
tension que l'angoissé ne saurait supporter longtemps. »
JAMAIS DEUX SANS TROIS 529
tandis que la répétition — pour qu'elle ait tout le poids que je lui
reconnais — a lieu après que la personnalité ait acquis une certaine
consistance ; soit donc après trois ans, et plus souvent même après
la puberté, au cours des premières démarches de la vie adulte à ses
débuts.
Voici quelques exemples pris parmi mes analysés :
1° Une jeune fille repoussée par son père lorsqu'elle était petite,
au stade oedipien, s'éprend vingt ans plus tard d'un homme qui rompt
bientôt les relations en lui révélant qu'il est marié. Il s'ensuit une
dépression profonde après quoi, refusant tout nouveau contact hétéro-
sexuel, elle s'oriente vers l'homosexualité et y établit toute sa vie
affective.
On voit que la première expérience n'avait pas été déterminante
puisqu'elle en a vécu une seconde dont le résultat a été de l'écarter
d'une troisième tentative.
2° Un garçon, brusquement sevré à 3 mois, réagit d'abord en
devenant très difficile à élever puis se normalise et ne présente plus
de particularités dans sa conduite jusqu'à l'âge de 5 ou 6 ans. On lui
fait à ce moment cadeau de deux petits chats auxquels il manifeste
une vive affection, trop vive même aux yeux de ses parents qui s'en
montrent jaloux et lui reprochent notamment d'aller les caresser, « leur
dire bonjour » dès son lever au heu de leur réserver une priorité.
— Puisque tu les aimes mieux que nous, lui disent-ils un jour,
tu ne les garderas pas.
Et les bêtes sont expulsées, données à des amis' chez qui l'enfant
les revoit après quelques mois, s'étonnant douloureusement de ce
qu'elles ne le reconnaissent plus.
Vingt ans plus tard, au cours de son analyse, il parle encore de
ses petits chats avec une intense émotion comme d'un événement
capital qui a désorienté son affectivité. En effet, après ce second
sevrage, il devient incapable d'aimer et de s'attacher à qui ou à quoi
que ce soit.
Son apathie décida ses parents à Ie placer comme interne dans
un collège. Il n'y resta pas plus de trois jours et s'enfuit, pour revenir
chez lui. On le remit dans un autre et il en fut de même. On s'entêta
et il fut inscrit dans une trentaine d'établissements d'où il sortit toujours
presque aussitôt.
Il m'expliqua lui-même ce comportement en me disant qu'il crai-
gnait de s'y plaire, de s'y trouver heureux car, de ce chef, il était certain
d'être mis ensuite à la porte. Il préférait prendre les devants. Appelé
JAMAIS DEUX SANS TROIS 531
don Juan du trottoir. Dans ses rapports sexuels il est quasi impuissant :
les éjaculations sont rapides à l'extrême, ce qui s'explique par un senti-
ment de culpabilité, à caractère religieux surtout. Il est en effet sous
l'empire de scrupules qui le mettent en état d'angoisse au moment
des aventures et le précipitent au confessionnal après. Il ne manque
pas de tout raconter le soir à sa femme en exprimant sa honte, ses
regrets et son sentiment de manquer à tous ses devoirs. Néanmoins,
cela se reproduit à peu près quotidiennement et même parfois le
matin et l'après-midi. Il arrive en retard à son bureau quand il n'oublie
pas complètement d'y aller. Heureusement pour lui, il a su trouver des
emplois — peu rémunérateurs il est vrai — mais lui laissant beaucoup
de liberté.
Les femmes auxquelles il s'adresse ainsi sont toutes de la même
catégorie, ce sont des servantes faisant leurs courses ou des filles désoeu-
vrées et de qualité médiocre. Les prostituées ne l'intéressent pas.
Avec sa femme, il n'a que de très rares rapports sexuels et trouve
de multiples prétextes pour s'en dispenser. Il se la représente pourtant
comme attrayante.
J'ai dit qu'il était venu à l'analyse contraint par elle. Aussi, durant
les premières semaines, se plaignait-il de l'obligation qu'il subissait.
Je le renvoyai alors, lui disant que dans ces conditions nous ne pour-
rions rien faire d'utile.
Quelques mois plus tard, il demanda à reprendre ses séances,
mais de sa propre initiative cette fois. Visiblement, il répugne aux
choses régulières, codifiées. Bon écrivain, il a publié deux ouvrages
qui ont été appréciés : l'un raconte la vie d'un contrebandier ; l'autre,
celle d'une femme de lettres célèbre par la multiplicité de ses amours.
Voici en bref son histoire telle qu'elle se dégage maintenant à
travers l'analyse qui semble bien évoluer.
Petit enfant, il se sentit repoussé par sa mère qui, très souffrante
de rhumatismes, névrite, etc., ne pouvait même pas supporter qu'on
touchât son lit où elle resta couchée jour et nuit pendant des années.
L'enfant perdit donc assez tôt le contact avec elle et il paraît bien,
malgré l'imprécision des souvenirs de cette époque, qu'il en fut d'abord
fort peiné, se sentant frustré de l'affection maternelle : des allusions à
cela prennent place dans ses rêves. Il put toutefois se consoler en s'atta-
chant à l'une de ses soeurs qui s'occupait de lui, soeur qui était son
aînée d'environ quinze ans. Quand celle-ci eut l'âge de disposer d'elle-
même, elle annonça brusquement à sa famille qu'elle voulait entrer
en religion, ce qu'elle fit immédiatement et notre sujet se retrouva seul,
JAMAIS DEUX SANS TROIS 533
(1) Dans les exemples qui précèdent, il est évidemment question de névroses bien carac-
térisées dont la formation générale ne trouverait pas une explication suffisante par le : « Jamais
deux sans trois. Je ne veux en retenir qu'un mode de comportement particulier. Ainsi que
le Dr Male l'a fait observer, il faut reconnaître d'autres facteurs substructurants dans la névrose
proprement dite. Celle-ci est un état résultant d'une combinaison de facteurs parmi lesquels
l'élément constitutionnel prend déjà une grande importance. Mais dans cet état, le compor-
tement névrotique, différent d'un névropathe à l'autre, peut être examiné à la lumière des faits
qui en ont déterminé le choix et je n'ai eu que cela en vue en groupant quelques observations
autour de la signification d'un proverbe, sans me proposer de chercher ici des vues nouvelles
sur la névrose elle même.
534 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Parler de l'angoisse incite à évoquer l'image d'une balance chargée également, de part
et d'autre, d'un désir et d'une peur, laquelle tient donc le désir en échec et, en marge du présent
exposé, on peut se demander : comment on guérit de cette angoisse ? En sortant de l'état d'am-
bivalence, évidemment, mais, à cette fin, est-ce le désir qui doit devenir plus fort que la peur
et la dominer ou le contraire ?
Il nous est loisible d'énoncer le problême en termes d'agressivité, puisque celle-ci et l'an
goisse sont liées si intimement qu'elles sont indissociables, et de penser qu'il y a autant d'agres-
sivité du côté du désir que du côté de la peur. Le désir est animé par l'agressivité dans sa
fonction de conquête ou de révolte contre l'obstacle ; la peur a, par contre, à son service l'agres-
sivité dans sa fonction de défense. L'ambivalence se comprendra, vue sous cet angle, comme
l'opposition entre les deux jonctions de l'agressivité.
Il y a sans doute deux moyens d'en sortir : ou bien renforcer la fonction de conquête et,
le désir devenant alors plus fort que la peur, le sujet osera enfin vivre, vite convaincu de l'ina-
nité de cette peur dès qu'il l'aura franchie ; ou bien renoncer au désir tel qu'il est et la fonction
de défense n'aura plus de rôle à jouer. Cette dernière solution me semble répondre, en partie
tout au moins, à l'idée que nous nous faisons de la sublimation.
536 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Bulletin d'activités de l'Association des Psychanalystes de Belgique, n° II, juillet 1951.
JAMAIS DEUX SANS TROIS 539
(1) La racine indo européenne du mot mère a donné, parmi d'autres mots, ceux de « matière »,
« matériaux », « madriers ». La racine indo-européenne du mot femme (idée primitive de « sucer »,
téter, idée de la « mère-nourriture ») a donné, parmi d'autres mots, ceux de « foetus », « fils »,
«
fécondité», ainsi que le mot « foin » (sorte de « terre-nourriture », production végétale que la
terre maternelle fournit aux animaux).
542 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Une fable, qui avait cours dans l'Antiquité gréco-latine, et dont l'inspiration sado-
masochiste ne semble pas douteuse, essayait d'expliquer l'hermaphrodismepar l'embrassement
brutal et trop poussé de deux amants qui se sont, pour ainsi dire, encastrés l'un dans l'autre,
reconstituant ainsi à quelque degré, par un mouvement inverse, l'androgyne primitif du mythe
platonicien.
LE PRE-INCONSCIENT ET LA PSYCHOLOGIE AMOUREUSE 545
(1) « Du haut de son calvaire, il tentait sur le monde une étreinte infinie », L. VEUILLOT.
LE PRÉ-INCONSCIENT ET LA PSYCHOLOGIE AMOUREUSE 547
les rêves que celles-ci rapportent en analyse. Sur l'exemple de ces patientes,
elle montre.que la terreur quasi religieuse que la vue du pénis inspire dans
l'enfance peut produire, suivant les tempéraments, ou une soumission respec-
tueuse envers l'objet convoité, ou une agression compétitive mêlée de désirs
actifs de castration.
L'oubli des rêves de Bertram Lewin (New York) nous ramène aux concep-
tions de cet auteur sur « l'écran du rêve » (dream-screen). On sait que Bertram
Lewin pense que les images du rêve se projettent, pour nous tous, comme
sur un écran blanc, lequel serait le souvenir le plus lointain de notre vie, le
sein de notre nourrice, alors que, nourrissons, nous nous endormions sur le
sein qui nous avait dispensé son lait blanc. Il cite, pour illustrer son point
de vue, divers rêves de patients. Pourquoi, lorsque nous ne nous rappelons
que des fragments de rêve, ces blancs qui semblent les séparer ? Ces oublis
apparents eux-mêmes doivent être, non des oublis réels, mais nos ressouve-
nants les plus primitives. Il étudie de ce point de vue les rêves que des patients
écrivent dès le réveil de peur de les oublier, ce qui est d'ailleurs le meilleur
moyen pour inhiber leurs associations ; le papier blanc figurerait alors le
dream-screen, l'équivalent des blancs de l'oubli du rêve.
L'auteur rapporte des rêves où des nuages dissimulent l'image colorée du
rêve, d'autres où le fond du rêve apparaîtrait comme une substance laiteuse,
d'autres où l'image disparaît comme sur un écran que l'on ferait disparaître
en le roulant, et conclut que l'oubli du rêve n'est pas qu'un acte négatif, mais
un ressouvenir positif de la première mémoire de notre enfance, le sein
maternel.
On pourrait lui demander ce qu'il advient, d'après lui, de cet « écran du
rêve » chez les rêveurs — de plus en plus fréquents de nos jours — qui ne
furent nourris qu'au biberon — et aussi de quelle couleur doit être l' « écran
du rêve » chez les Noirs ?
Les « états frontières » (Borderline states) de Robert Knight (Stockbridge,
Mass.) sont une étude psychiatrique très suggestive des formes cliniques
frisant la psychose mais qui seraient encore accessibles à une thérapie analytique.
Il étudie les divers criteria diagnostiques de psychose : le plus ou moins
de contact avec la réalité, et, plus spécialement du point de vue de la psycha-
nalyse, les stades où aurait régressé la libido. L'affaiblissement plus ou moins
grand du moi et de ses défenses doit aussi être pris en considération. Plus
le moi est affaibli, plus les chances de thérapie psychologique sont minimes.
On ne saurait d'emblée soumettre de tels cas à l'analyse. Une psychothé-
rapie orientée peut avoir quelque succès, avec pour objectifs la conservation
et le renforcement des mécanismes de défense du moi encore existants, forma-
tion parfois névrotique permettant, au maximum possible, une meilleure
adaptation du moi à la réalité.
L'essai sur les « pulsions instinctuelles et les perceptions intersensorielles
durant l'analyse » de Felix Deutsch (Boston) est une intéressante contribution
à l'étude des répercussions somatiques des processus psychiques. Une évo-
cation auditive, par exemple, peut se produire à l'occasion d'une perception
visuelle, une lumière peut rappeler un son, un fruit, une odeur, un contact
ou inversement. On pense à ce point au célèbre sonnet de Mallarmé.
Ces observations semblent à Félix Deutsch un écho de la fusion primitive
qui doit exister aux premiers temps de la vie entre les diverses perceptions
sensorielles.
L'un des patients dont le cas est cité avait des sensations visuelles quand
il évoquait des objets d'amour féminins primitifs, sa mère en particulier, des
sensations auditives et olfactives lorsque se présentaient des souvenirs bisexuels
LES LIVRES 561
et qu'il éprouvait des tendances passives avec l'un ou l'autre sexe, tandis que
des sensations coenesthésiques préludaient chez lui à des identifications à des
objets masculins.
En conclusion, Félix Deutsch considère que les seuils respectifs des percep-
tions sensorielles, quand ils sont troublés, peuvent se stabiliser durant l'analyse,
que leurs relations intermodales se réajustent, que les régressions qui y prési-
daient sont levées. Le moi les a alors librement à son service. Un patient,
après sa cure, devrait pouvoir dire sans mélange : « A présent j'entends, je vois,
je sens et me puis mouvoir de mon propre gré. »
Une séance analytique d'un cas d'homosexualité mâle de Henri Flournoy
(Genève) nous présente un homme oscillant entre l'homo et l'hétéro-sexualité.
Il y rapporte des rêves illustrant le passage de la première attitude à la seconde,
et les fluctuations correspondantes des transferts positif ou négatif envers
l'analyste homme, amenant enfin la réactivation favorable du complexe d'OEdipe.
Henri Flournoy passe ensuite en revue les conceptions de l'homosexualité
suivant divers auteurs. Il rappelle les principales divisions de l'homosexualité :
organo-hormonale, perverse ou névrotique. C'est la troisième espèce d'ho-
mosexuels seule qui, sous l'aiguillon de la souffrance, vient à l'analyse, les deux
premières se satisfaisant de leur sort, quelque difficulté sociale que leur parti-
cularité sexuelle leur apporte.
Puis, après avoir passé en revue des cas de Vinchon et Nacht, de Nunberg,
de Wulff et de Lagache, Flournoy rappelle les conceptions de Freud sur l'homo-
sexualité mâle et sa sublimation. « A la lumière de la psychanalyse, écrivait
Freud, nous avons coutume de regarder les sentiments sociaux comme des
sublimations de l'attitude homosexuelle réelle. Chez l'homme resté homo-
sexuel, mais possédant encore une importante activité sociale, le détachement
de la pulsion homosexuelle envers l'objet ne s'est pas tout à fait accompli. »
Enfin l'auteur, en une courte excursion dans l'Antiquité, rappelle les
contributions à la civilisation d'homosexuels tels que Platon, sur lequel il cite
l'essai si suggestif de Kelsen, et Socrate, chez lesquels d'ailleurs les tendances
homosexuelles actives, manifestes ou inhibées, étaient au service de leur besoin
de dominer.
Le Paul de Marc Schlumberger (Paris) est un récit poignant, tant du
point de vue clinique que littéraire. C'est l'histoire d'un jeune homme de 20 ans,
soigné pour énurésie et comportement social anormal dans un centre de réédu-
cation. Il subissait de plus de fréquentes attaques d'allure épileptique avec
perte de conscience, presque toujours dans la salle de bains. L'auteur vit ce
jeune homme 10 fois et put recueillir un matériel important ; il nous rapporte
ici les associations et les rêves de son patient, dont le dernier, lors de la dernière
séance, se terminant ainsi : « Je suis à la maison, j'écoute à la radio l'hymne
Venez à moi (Abide with me) qui vient du temple » (Paul était fils d'un pasteur).
« C'est ma mère qui chante. Je pleure. Ma mère arrive et dit : « Qu'as-tu ?
« N'as-tu pas vu ? » Je réplique : « Ce n'est pas ça du tout. C'est l'hymne qui
« me fait pleurer. » Il semblait ravi de son rêve, qu'il disait préférer à tous ceux
qu'il avait eus jusqu'à ce jour.
Trois jours plus tard, Paul était trouvé mort dans son bain. A l'autopsie,
on constata qu'il n'avait été ni noyé ni asphyxié. Le coeur était certes trop
gros, mais le médecin lui-même qui effectua l'autopsie émit l'hypothèse,
comme cause de la mort, d'un « désir de mourir », sous-tendant une défaillance
cardiaque.
L'auteur alors projette des clartés analytiques sur le cas de Paul, très
oedipiennement fixé à sa mère. Il nous relate l'esquisse d'un récit que Paul
à ce moment projetait d'écrire : Le garde de nuit ou La guérison impériale, où
PSYCHANALYSE 36
562 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
le héros, le jeune Esdric, sauvait son pseudo-frère d'un danger mortel, puis
le faisait sacrer empereur. Schlumberger y voit le retournement d'une rivalité
oedipienne tenace avec désir de parricide. Paul devait obtenir le pardon paternel
en acceptant en talion sa propre mort avant de pouvoir rejoindre sa mère dans
la mort, union incestueuse symbolique.
Il rapproche ce cas de celui de Dostoïewsky étudié par Freud, et pense
que, tel le grand romancier russe, Paul devait être affecté d'hystéro-épilepsie,
expression retournée contre lui-même de ses désirs parricides. La valeur
littéraire de cet essai en rend la lecture très attachante.
Des essais de psychanalyse appliquée terminent le volume ; il y est traité
d'éducation, d'anthropologie, de création artistique, d'évolution de l'espèce
humaine.
Anna Freud (Londres) a rédigé pour ce recueil la conférence qu'elle avait
faite à l'Unesco, en 1948, sur les « Techniques psychologiques en matière
d'éducation propres à changer les attitudes mentales affectant la compréhension
des nations entre elles ». Cet essai contient des suggestions relatives à la façon
d'appliquer les principes de la psychanalyse à l'éducation. Ainsi, les connais-
sances que la psychanalyse nous a acquises pourraient seconder une orga-
nisation mondiale qui cherche à éclairer la nature fondamentale des instincts
humains pour les dominer. Car, par l'éducation, une meilleure adaptation
sociale des humains entre eux pourrait peut-être se réaliser.
Certes, cette incursion hors la psychologie et la psychopathologie indivi-
duelles, domaine propre de la psychanalyse, ne saurait fournir de très précises
notions. Mais il est intéressant de s'y hasarder.
Après ce prudent préambule, Anna Freud rappelle à grands traits l'évolu-
tion de l'enfant, de sa libido, de son agression, de ses rapports à ses parents
et éducateurs ; elle souligne les tensions qui en résultent, en particulier de la
répression nécessaire de l'agression. Elle étudie l'ambivalence foncière des
sentiments humains, et le déplacement de la composante agressive, d'abord
dirigée contre les parents, contre l' « étranger ». Elle souligne que ces attitudes
infantiles deviennent exemplaires des attitudes adultes, plus tard.
Mais ces conceptions analytiques ne pénètrent pas aisément le public.
Cependant la guerre, avec les bombardements massifs des villes, amenant
l'évacuation des enfants, la séparation de ceux-ci de leurs familles, a largement
permis d'en vérifier la validité.
En conclusion, l'auteur félicite l'Unesco d'avoir cherché à projeter des
clartés psychologiques sur ce qui trouble l'entente entre les nations. Pour
amener une meilleure entente, il faudrait que des éducateurs avertis enseignent
aux enfants par des méthodes appropriées la tolérance des autres, concitoyens
ou étrangers.
Certes, ajouterai-je, les rivalités économiques n'en demeureraient pas
moins fatales. Mais, du point de vue psychologique, il y aurait peut-être
quelque chose, si peu que ce puisse encore être, à gagner.
Greta Bibring (Cambridge Mass.) étudie le « déclin du complexe d'OEdipe
dans une famille de type matriarcal ». Elle prend pour objet de cet essai ces
familles américaines où la mère joue un rôle prépondérant, et ce qui en résulte
pour les fils.
Dans ce cas, la mère de ces jeunes gens apparaît, dans leur analyse, comme
une figure dominatrice, forte et active, ce qu'elle est d'ailleurs en réalité. Le
père, par contre, est considéré comme doux, aimable, tranquille, peu efficient
mais indulgent.
Dans d'autres cas, bien que capable dans son métier, il laisse la mère régner
à la maison.
LES LIVRES 563
à faire venir Johanna qui l'attendait depuis douze ans et à l'épouser. Mais la
mort même de Goethe, en mars 1832, devait le laisser comme envoûté par la
grande figure aux pieds de laquelle il avait vécu.
Eckermann excellait à s'imposer des tâches rebutantes et au-dessus de ses
forces, comme ce poème qu'on lui avait commandé en l'honneur du roi de
Bavière, qu'il ne put finir, ou ce recueil des poèmes de circonstance adressés
au grand-duc de Weimar pour le jubilé de son accession au trône, qui, perdu,
ne lui valut pas même d'être remarqué ou payé.
La seule oeuvre qu'il réussit à accomplir furent ces Entretiens avec Goethe,
qui lui ont valu justement la reconnaissance de la postérité.
Il fallait ce long préambule biographique avant d'exposer les vues d'Eissler
sur le cas d'Eckermann. Il le considère comme un masochiste moral typique,
mais présentant cette rare particularité : la sublimation de son masochisme
même, de sa passivité homosexuelle envers Goethe, lui valut la réussite litté-
raire et la gloire.
On pourrait ajouter au commentaired'Eissler que l'incontestable et immense
masochisme d'Eckermann reposait sur une large base de névrose compulsion-
nelle. Si son moi se laissait ainsi victimer par les circonstances et par son idole,
s'il s'imposait des tâches qui lui semblaient d'autant plus impérieuses qu'elles
étaient plus rebutantes, c'est qu'un surmoi aussi sadique que son moi était
masochique l'y contraignait.
Et l'on sait que, si la névrose compulsionnelle peut paralyser une vie,
elle peut, dans de rares occurrences, aider à la continuité féconde d'un effort.
Cet essai historique, le plus long du volume avec le suivant, vaut, en plus
de son intérêt psychologique, par sa présentation littéraire, dramatique. Il
se lit comme un roman.
L'étude du prince Pierre de Grèce sur une famille Toda polyandre nous
transporte au sud de l'Inde, parmi cette curieuse petite tribu des Todas, établie
dans les monts Nilgiri, à 2.500 mètres d'altitude, dans un climat enchanteur.
L'auteur nous dit d'abord comment, après avoir complété ses études psy-
chanalytiques à Paris avec le Dr Loewenstein, puis anthropologiques avec
le Pr Malinowski à Londres, il partit aux Indes et y visita plusieurs sociétés
polyandres, outre les Tibétains du Nord de l'Inde, les Todas du Sud. Puis
comment, après la guerre mondiale où il fut rappelé en Grèce, il y retourna
pour un plus long séjour.
Les Todas, cette curieuse petite tribu pastorale, semble malheureusement
en voie de disparition. On a beaucoup spéculé sur leur origine, le prince Pierre
a eu la chance de découvrir dans leurs invocations rituelles, chantées lors de la
traite et du barattage du lait de leurs buffles, plusieurs noms de divinités
sumériennes. L'étude consignée ici se concentre sur une seule famille : le clan
Melgarsh.
Ce clan se compose de deux groupes d'ascendants polyandres, celui des
grands-pères puis celui des pères avec leurs femmes polyandres et 7 enfants
entre o et 14 ans.
L'auteur nous en décrit les membres dont Odzel, la douce et vieille aïeule
et Karnoz, le grand-père chef de famille, meurtrier présumé du chef précé-
dent Ujjar, et Erzigwuf, mariée aux trois frères : Mutnarsh, Kuddhue et
Munbokwutn, l'une des rares femmes qui soient fécondes, les Todas étant
fréquemment affectés de syphilis. Les sept enfants d'Erzigwuf comprennent
quatre fils et deux filles, dont deux paires de jumeaux. Après la description de
leurs demeures et de leurs ressources, l'auteur nous donne une vue de la vie
quotidienne des Todas.
Ainsi nous assistons, dans son récit, à la naissance de la deuxième paire de
LES LIVRES 565
tion australienne. Elle est censée être le lieu sacré où les garçons la devant subir
résident. Car là serait une terre éternelle où tous ces garçons dorment.
L'auteur rapporte divers mythes originaires des différentes tribus de
l'Australie, parmi lesquelles il séjourna longuement, et il émet l'idée que les
rites de la puberté ont le caractère général de la séparation d'avec la mère.
Si la voie lactée, si éloignée, figure le lieu où les garçons résident, c'est
parce que «l 'homme aspire à ce qui est biologiquement impossible. » Nous
voulons être enfants quand nous sommes adultes, comme nous voulions être
adultes quand nous étions enfants. La voie lactée des mythes australiens
semble dire : « Ce que vous désirez ne pourrait se réaliser qu'en le pays du
Jamais, Jamais. »
Rôheim passe ensuite à des considérations sur la subincision australienne
du pénis. Il pense que cette opération sanglante, effectuée à la puberté, a pour
objectif de faire un vagin symbolique aux garçons et par là de les mettre en
une dépendance quasi féminine par rapport aux pères de la tribu, achevant
par là le détachement de l'amour incestueux envers la mère.
Le dernier essai du volume nous mène non plus loin,dans l'espace, mais
loin dans le temps. L'étude de Hans Lampl (Amsterdam) sur l' « Influence
des facteurs biologiques et psychologiques sur le développement de la période
de latence » est une tentative d'en revenir aux conceptions lamarckiennes sur
l'évolution.
L'auteur pense que les mécanismes psychiques que nous retrouvons régu-
lièrement dans nos enfants ne se sauraient expliquer sans l'hypothèse de
l'adaptation au milieu et de l'hérédité des caractères ainsi acquis.
Certes, dit l'auteur, du point de vue somatique, une telle transmission
de caractères acquis n'a pu être prouvée. Toutes les tentatives des généticiens
dans ce sens ont échoué. Mais le nombre de générations sur lequel expérimenter
était trop court : des siècles, des millénaires sont sans doute nécessaires
pour fixer un mode de comportement acquis sous la pression durable des
circonstances.
Hans Lampl traite en particulier, dans ce contexte, de la période de latence,
cet arrêt dans le développement de la sexualité, propre à l'enfant humain.
Comment la période de latence s'est-elle, dans notre espèce, établie et fixée ?
Et il tente, après Ferenczi et Freud, d'en retrouver l'origine dans l'effet. Sur
nos lointains ancêtres, de la grande période glaciaire que subit la terre. Alors
eût été ralentie la maturation biopsychique des petits des hommes, effet initial
qui, par hérédité acquise, se serait transmis jusqu'à nos jours.
Freud, dans Moïse et le monothéisme, avait de son côté émis l'hypothèse
que le complexe d'OEdipe de nos enfants pourrait émaner d'une sorte de mémoire
phylogénique du parricide initial des frères préhistoriques insurgés contre le
Père primitif.
Mais ne saurait-on rendre compte des faits établis par la psychanalyse
qu'en abandonnant la conception actuelle des mutations brusques, seuls fac-
teurs responsables de la variation des espèces, où seules les mutations favorables
à l'adaptation survivraient ?
Si l'espèce humaine, avec son retardement sexuel permettant un plus
large épanouissement des facultés cérébrales, a conservé la période de latence
— de quelque façon qu'elle se fût constituée — ne peut-on penser que la
sélection ultérieure favorisa ceux qui étaient ainsi faits, aux dépens des autres,
et que ceux-là seuls se sont perpétués ?
Il y aurait là phénomène analogue à la soi-disant adaptation héréditaire
des microbes aux antibiotiques. Si la résistance de certaines souches à la péni-
cilline, par exemple, s'établit, ce doit être bien moins en vertu de l'acquisition
LES LIVRES 567
d'une résistance ensuite héréditaire que du fait de la mort de toutes les formes
faibles qui, par leur disparition, laisseraient le champ libre à la prolifération
des quelques individus nativement plus forts.
De même du complexe d'OEdipe de nos petits garçons, avec leurs aspira-
tions inconscientes à l'élimination du père. Si on le retrouve parmi nous
toujours vivant, de génération en génération, ne peut-on penser que c'est
parce que nous descendons tous d'ancêtres assez hardis pour avoir opéré le
parricide ancestral ? Les plus faibles des fils eussent été tués, éliminés par le
père avant d'avoir pu procréer. Les plus forts, ceux seuls qui osèrent le tuer,
fussent restés maîtres du terrain, et nous auraient engendrés. Ainsi,' de par
cette survie des plus aptes, serions-nous tous restés, dans l'inconscient, des
assassins.
Il ne semble donc pas nécessaire, pour maintenir debout l'édifice de la
psychanalyse, de postuler l'hérédité des caractères acquis. La sélection natu-
relle parmi les diverses mutations y peut suffire. Le néo-darwinisme n'a pas
besoin de rechercher des appuis, pour ce faire, dans le néo-lamarckisme.
Le volume se clôt par une bibliographie des écrits de Marie Bonaparte
et par un index. M. B.
quate, que le traitement dentaire put être effectué. Le livre attire encore
l'attention sur maints autres facteurs psychiques et psychosomatiques qui
peuvent interférer avec le traitement dans les maladies de leur spécialité.
Un certain nombre d'exemples sont avancés comme preuve de cette affirmation.
Un chapitre relate, de même, maintes superstitions liées aux dents et
tirées du folklore. De telles superstitions ont jusqu'à une date récente influencé
l'art dentaire. Le dernier problème abordé est celui de la structure psycho-
logique souhaitable pour le futur dentiste et des dangers de la déformation
professionnelle.
La valeur de cette publication, la première de son espèce du fait de la
collaboration de dentistes, pédiatres et psychanalystes, est encore augmentée
par un grand nombre d'illustrations. Une bibliographie détaillée permet aux
praticiens intéressés d'étudier plus à fond les problèmes ainsi soulevés, et de
mieux comprendre les réactions psychiques de leurs malades.
F. SALOMON.
MOSER (U.), Psychologie der Arbeitswahl und der Arbeitsstoerungen. Sozial-
psychologie. Tiefenpsychologie. Schicksalspsychologie, Verlag Hans Huber,
Bern und Stuttgart, 1953, 183 pages.
L'auteur se fixe pour tâche de son ouvrage de traiter le problème spécia-
lement de deux points de vue qui, jusqu'ici, n'avaient guère été pris en consi-
dération : le point de vue d'une analyse psychologique du milieu du travail
et le point de vue d'une approche psychanalytique. Dans son analyse psycho-
logique du milieu M. Moser se réfère, dans une large mesure, aux travaux
de Murray. Il essaye de définir les différentes formes du travail et les relations
entre le travailleur et l'univers particulier de son travail. Ce sont donc surtout
des points de vue sociologiques qui lui servent de point de départ pour l'examen
des problèmes psychologiques et individuels qui constitue la partie la plus
importante et la plus originale de son travail.
Le travail est toujours un secteur partiel important de la vie d'un individu.
C'est grâce à lui principalement qu'un individu donné participe à la vie collec-
tive. Et ainsi les rapports entre l'homme et son travail reflètent, dans une certaine
mesure, la structure sociale de l'environnement.
Le choix d'une profession peut être le résultat d'une décision prise librement
suivant les intérêts de l'individu ou indépendamment de sa volonté sous la
pression des conditions économiques et sociales. Dans cette deuxième hypo-
thèse les faillites professionnelles résultant de ce choix forcé peuvent être
aisément surmontées du point de vue psychologique tout au moins par une
réorientation du sujet. M. Moser laisse de côté cet aspect de la question déjà
bien et abondamment traité ailleurs. Il veut se limiter aux vrais échecs dans le
travail et c'est là un problème qui n'a pas encore été étudié sous l'angle
psychanalytique.
Il définit le choix du travail individuel à l'aide de la terminologie de Szondi.
Il parle de l'opératropisme et entend par là la façon dont un individu est attiré
vers un travail ou repoussé par lui par une part de sa structure instinctuelle.
Ainsi il analyse la profession donnée d'un individu comme un conflit névrotique
pour voir : 1° S'il peut y trouver une satisfaction instinctuelle directe ; 2° S'il
s'agit d'une défense contre des besoins instinctuels dangereux pour l'individu ;
3° S'il s'agit d'une réaction du Moi vis-à-vis d'un sentiment inconscient de
culpabilité. Très souvent les rapports entre l'individu et sa profession impliquent
non pas seulement un seul mais souvent deux de ces facteurs et parfois même
les trois. Dans ce dernier cas, le sujet ne donne satisfaction dans aucune pro-
fession, et, si son choix est libre, ne peut se décider. Les conflits inconscients
LES LIVRES 569
vis-à-vis des parents entrent très souvent aussi en ligne de compte et le sujet,
quel que soit son sexe, ne peut par exemple opter pour un rôle masculin ou
pour un rôle féminin. Le mécontentement intérieur se trouve souvent projeté
dans les différentes professions et les différentes conditions du travail et dans
les rapports avec les collègues et les supérieurs. Tout le conflit névrotique
est ainsi transposé dans la vie professionnelle. Une orientation ou une réorien-
tation du point de vue de la prophylaxie de la névrose dans de tels cas doit
donc offrir des possibilités de satisfaction aux besoins instinctuels et contrôler
en même temps ces besoins. A ces conditions uniquement on pourra parler
d'une sublimation par le travail. L'examen d'un échec professionnel doit
être fait à la lumière de ces deux critères : 1° Jusqu'à quel degré le choix du
métier s'est-il fait rationnellement ? 2° Dans quelle mesure des facteurs irra-
tionnels ont-ils joué ? Par rationnellement l'auteur entend : en accord avec
les conditions extérieures, l'intelligence, les dons spécifiques, ainsi que la
personnalité affective du sujet. Plus la motivation intérieure a été soumise à
des complexes, au détriment des facteurs rationnels, plus elle aboutit à l'échec
puisque le moi n'était guère dans la libre détermination. L'auteur nous met
en garde : il ne faut pas faire de l'orientation professionnelle uniquement à
l'aide de la psychanalyse, ce qui équivaudrait à méconnaître la réalité. Toute
la situation du sujet ainsi que les conditions économiques et la psychologie
du travail en général doivent entrer en ligne de compte. Il souligne qu'en pré-
sence d'un échec lié à des difficultés affectives, la réorientation ne peut se faire
qu'avec l'aide de la psychanalyse.
Les difficultés de la vie professionnelle peuvent être de deux ordres :
1° Subjectif et objectif. Subjectif, les difficultés se traduisent par un rendement
inférieur aux capacités innées, dont le sujet a conscience mais qu'il sait cacher
à l'entourage. Il y a naturellement aussi des cas où le sujet ne se rend pas
compte de cette situation. Objectif, il s'agit des difficultés qui aboutissent à
une telle baisse de rendement que le sujet perd nécessairement la place. Tout
le problème se complique encore pour une autre raison : il y a des névroses
qui n'influencent pas la vie professionnelle. Mais dès que nous sommes en
présence d'échecs professionnels sérieux nous pouvons toujours constater une
névrose et tout spécialement des difficultés dans la vie sexuelle. La présence
de problèmes professionnels chez les névrosés semble être liée à 4 facteurs :
1° La nature de la névrose et le stade de sa fixation ; 2° La puissance (force)
du conflit névrotique ; 3° L'importance que le travail assume dans la vie intime
du sujet ; 4° Les conditions objectives de ce travail, que le sujet l'ait choisi
ou qu'il lui ait été imposé. Il faut en outre tenir compte de ce que la réussite
dans son travail est la dernière étape du détachement de ses parents. La fuite
devant les dangers instinctuels dans le travail empêche très souvent l'échec
professionnel direct mais est généralement accompagné d'un fiasco dans les
autres domaines de la vie, surtout dans le domaine sexuel. Car dans ces condi-
tions le travail est surtout une lutte avec ses propres conflits névrotiques et
aboutit très souvent à une « dépression nerveuse consécutive au surmenage ».
Il ne nous est pas possible d'analyser tous les problèmes traités dans ce
livre. Nous aimerions toutefois en signaler encore un, celui de la névrose
d'échec. Les souffrances causées par l'échec, malgré des capacités satisfaisantes
pour la profession donnée, correspondent à une punition pour des désirs ins-
tinctuels défendus. Le sujet paie pour ainsi dire par ses souffrances des fautes
commises ou même imaginaires et il veut neutraliser de cette façon ses senti-
ments de culpabilité. La vraie cause de cet échec est l'instance morale du
surmoi qui s'interpose entre le Ça et le Moi. Indirectement l'échec provoqué
est souvent aussi dirigé vers les parents.
570 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
L'auteur nous donne nombre d'exemples concrets pour illustrer ses consi-
dérations théoriques. Il a consciemment évité de donner une typologie des
difficultés du travail, chaque cas devant être examiné isolément. D'après
ses propres déclarations, M. Moser voulait seulement poser les fondements
d'une orientation professionnelle qui inclut les méthodes psychodiagnostiques
modernes, la psychanalyse et les théories de Szondi. D'après nous, son livre
répond pleinement à cette ambition et ouvre à tous ceux que ces problèmes
intéressent de fécondes perspectives. Notons encore que le livre est accompagné
d'une riche bibliographie. R SALOMON.
DEVEREUX (G.), éditeur, Psychoanalysis and the occult, International Univer-
sities Press, Inc. New York, 1953, 432 pages.
Les études réunies dans cette anthologie traitent du problème de la trans-
mission de la pensée et des rêves prophétiques, envisagé du point de vue
psychanalytique. Elles apportent ainsi une contribution importante à la psycha-
nalyse clinique et théorique. Les auteurs, à deux exceptions près, sont tous
membres d'une des sociétés affiliées à la Société internationale de Psychanalyse.
Trois problèmes y sont abordés : 1) Correspondance entre la pensée du
psychanalyste et de son malade au cours de l'analyse ; 2) Correspondance
entre les pensées du malade et les événements extérieurs à la situation analy-
tique ; 3) Correspondance entre la pensée du psychanalyste et les événements
extérieurs à une situation actuelle de psychanalyse, étudiée par auto-analyse.
L'éditeur de ce livre, M. Devereux, y a réuni presque tous les articles
concernant ces questions, écrits par des psychanalystes, y compris tous les
travaux de Freud lui-même. M. Devereux justifie cette anthologie par le fait
que toutes ces études traitent d'un aspect particulier de la technique psycha-
nalytique : le transfert et le contre-transfert. Les relations interpersonnelles
entre le psychanalyste et son malade pourraient être envisagées, dans un sens
plus larges, comme un des aspects sociologiques des relations humaines.
Comme il ressort de ces travaux, l'attitude des psychanalystes vis-à-vis
de la transmission de pensée est loin d'être homogène. Il nous semble intéressant
de souligner le fait que, jusqu'au moment de la publication de Freud sur sa
théorie de l'instinct de mort, cette attitude a été négative. La position de Freud
même a changé aussi, comme on sait. D'abord opposé à une possibilité de
perception extra-sensorielle, il prit plus tard une attitude plus ouverte à ce
sujet. Il affirmait cependant que même une preuve positive n'entraînerait pas
une révision de l'ensemble de la théorie psychanalytique classique.
Le refus a priori d'envisager le point de vue scientifique dans le problème
de l'occultisme signifierait, d'après M. Hollos, un mécanisme de défense né
d'une sublimation incomplète des désirs et des fantasmes infantiles.
Le désir de posséder des capacités télépathiques est en liaison directe
avec les fantasmes infantiles d'omnipotence et avec la pensée magique qui
n'ont pas encore cédé au principe de réalité. Puisque les malades projettent très
souvent sur le psychanalyste la faculté d'omnipotence et d'omniscience et
même de télépathie, celui-ci a besoin de se protéger lui-même par un scepti-
cisme et une auto-analyse continuels, pour ne pas succomber à cette tentation.
Du point de vue thérapeutique, il est toujours très important de déterminer
pourquoi le malade envisage certains événements ou perceptions comme télé-
pathiques. Très souvent, une forte résistance se cache derrière une telle affir-
mation. Ceci est vrai principalement des rêves prophétiques, comme M. Zulliger
l'a souligné ; de tels rêves trouvent souvent une confirmation dans la réalité
parce que leur contenu manifeste découle de tendances inconscientes qui
LES LIVRES 571
ne se manifestent qu'en dernier lieu par le passage à l'acte. Des hypothèses
télépathiques ne trouvent souvent leur explication qu'après un certain laps
de temps ; le matériel inconscient, nécessaire à leur compréhension, ne trouve
que petit à petit le chemin vers le conscient. Les psychanalystes qui acceptent
la possibilité d'une transmission de la pensée font aux adversaires de leur
position, deux reproches tout différents. Les uns, Hollos et Servadio, parlent
d'une surinterprétation, tandis que les autres, Eisenbund et Gillespie, d'une
sousinterprétation dans la technique analytique. Devereux réfute avec justesse
ces positions de la façon suivante : une surinterprétation ne pourra jamais
être le résultat d'un trop grand scepticisme vis-à-vis des perceptions occultes
mais d'une mauvaise technique, découlant d'un besoin névrotique du psycha-
nalyste. Et ce n'est pas l'acceptation de la thèse télépathique qui pourrait y
remédier mais seulement une nouvelle tranche d'analyse d'un pareil praticien.
A ceux qui reprochent une sousinterprétation, on peut rétorquer que même
dans l'hypothèse de l'existence d'une perception extra-sensorielle, les mêmes
matériaux reviendront à la surface à un autre moment et sous une autre forme,
pourvu qu'on ait employé une technique analytique correcte. La perte de temps
qu'une telle attitude risquerait d'occasionner est largement compensée par
l'efficacité thérapeutique plus grande qui en résulte. Et on évite aussi le danger
d'une interprétation erronée.
Toutes ces études confirment, sans discussion aucune, les vues de Freud
selon lesquelles la technique analytique pour les contenus latents des phéno-
mènes occultes ne diffère en rien de celle employée dans les rêves ou dans
tout autre matériel analytique. Et il ne faut pas oublier que le malade progresse
toujours dans la voie de la maturation affective et de l'adaptation à la réalité
en constatant le fait que la transmission des pensées peut être expliquée par
les processus mêmes qui interviennent dans la compréhension de n'importe
quel autre matériel inconscient. Une analyse approfondie du contenu des
messages télépathiques est souvent profitable pour une compréhension plus
poussée de la structure de l'inconscient du sujet. Le contenu des perceptions
télépathiques est souvent de nature sadique et paranoïde, confirmant l'opinion
générale que les messages occultes spontanément reçus relèvent d'une situation
névrotique. Ces dons magiques signifieraient, selon Freud, une régressionvers des
modes de communicationarchaïques et ultérieurementabandonnés. Ces fonctions
font leur réapparition lorsque des mécanismes psychologiquesplus récents et de
maturation supérieure se trouvent inhibés ou affaiblis. En conséquence, on trouve
dans leur contenu latent des matériaux archaïques. Ceci explique le fait qu'il
s'apparente davantage à une réalité intérieure qu'à une réalité extérieure.
Pour Hélène Deutsch la clairvoyance et la précognition sont des actes passifs
pareils à l'écoute téléphonique. Cependant Hitschmann ne voit en cette attitude
passive qu'une façade derrière laquelle se cachent de fortes tendances actives
de voyeurisme qui constituent même un acte agressif. Il ressort de ces obser-
vations, ainsi que d'autres non mentionnées ici, que les phénomènes télépa-
thiques correspondent à des attitudes de la fin du stade anal et du début du
stade génital. De quelque manière, ils signifient toujours une satisfaction
magique et hallucinatoire de desseins infantiles. Ainsi la réception des messages
occultes, soit par le patient, soit par l'analyste, doit faire penser à la présence
d'agressivité, de comportement exhibitionniste, d'actes de compétition ou
même de tendances paranoides. Le patient attribue à son analyste la capacité
de recevoir ses propres idées par des voies magiques. Aussi l'analyste court-il
le risque de se laisser prendre à cette illusion et d'être poussé par son narcis-
sisme à ajouter foi à ses propres dons supranaturels. Différents psychanalystes
ont constaté qu'ils ont « envoyé des messages » à leurs malades lorsqu'ils étaient
572 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) In Methodology of Research and therapy. A Commonwealth Fund Book, Harvard Uni-
versity Press. Cambridge Mass, 1953, 615 pages.
LES LIVRES 573
assistance mutuelle, mais il était certain que dans les moments de succès, la
psychothérapie de groupe apportait une grande économie. »
C'est pourquoi les auteurs se sont attachés à décrire des méthodes en
soulignant beaucoup de points obscurs plutôt que de proclamer des résultats
enthousiastes. Ils se sont contentés de donner les résultats de leur expérience
sans évaluer les travaux des autres (1). La méthode générale suivie a été de
demander aux membres du groupe d'analyser à haute voix leurs difficultés.
Les auteurs ont essayé de mettre en lumière des changements de compor-
tement affectant l'individu, le groupe et le médecin, chef de groupe. Ces ana-
lyses de situation avaient déjà fait l'objet de recherches de la part de J. Ruesch
et Bateson (voir leur article, Structure and Precess in social Relations, dans
la Revue Psychiatry, t. XII, pp. 105-124, 1949).
En thérapeutique, l'évaluation objective de certains facteurs est très difficile
ainsi que l'action, sur le malade, de la personnalité du médecin par rapport à
l'action de la méthode qu'il croit devoir employer (2).
Parmi les causes de cette difficulté il faut mentionner en premier lieu
que l'on ne peut jamais répéter une expérience, car on ne peut pas recréer
une situation de groupe exactement semblable à une situation antérieure.
Le médecin étant pris par sa tâche thérapeutique, il est indispensable
d'avoir un psychologue dont la seule fonction est d'observer, de noter les
communications verbales et non verbales qu'il remarque et de les discuter
systématiquement avec le médecin, et les autres participants du groupe. Pour
commenter l'effet que les paroles échangées ont eu sur les divers membres du
groupe, il faut compter plusieurs heures de discussion à propos de chaque séance.
Un médecin qui n'est pas très libre dans ses réactions affectives est souvent
handicapé par l'observateur. Il projette sur ce dernier son surmoi et se sent
critiqué ou devient dépendant de lui. Il faut donc que le médecin soit bien
analysé pour pouvoir entreprendre de la psychothérapie de groupe. L'obser-
vateur si nécessaire du point de vue scientifique peut aussi être un obstacle
pour divers malades. Les situations de ce genre les plus typiques sont étudiées
dans le livre. Les auteurs ont toujours eu soin de tenir compte du contexte
des dialogues échangés et de trouver les sentiments véritables qui pouvaient se
cacher derrière les mots. Ils se sont efforcés d'isoler des situations types qui
pouvaient donner lieu à des recherches plus approfondies, ainsi au cours du
premier entretien d'un groupe, le patient A interrompait constamment la
conversation par des remarques qui n'étaient pas constructives. Le médecin
décida de laisser tomber ces remarques et A en diminua le nombre. Une
situation de ce genre permet d'investiguer les motifs de ce changement de
comportement. Dans un autre groupe, un malade B parle abondamment de ses
rêves sans arriver à se calmer ni à les comprendre. Un de ses camarades suggère
que B devrait se taire. Le médecin lui demande alors ce qu'il pense du groupe
et B répond qu'il le trouve très semblable à sa famille. A ce moment, il paraît
détendu et parvient à laisser la parole aux autres. Les problèmes de cette
situation consistaient :
1° A comprendre les relations de B envers son médecin et envers le groupe,
relations qui l'avaient premièrement conduit à parler obscurément ;
(1) Cette évaluation a été faite par BURCHARD, Criteria for the Evaluation of Group Therapy,
Psychosom. Med., t. X, p. 257 274, 1948, ou par KLAPMAN, Group Psychotherapy, Theory and
Practice, New York, Grune and Stratton, 1946.
(2) On retrouve déjà plusieurs de ces problèmes traités dans HINCKLEY et HERMANN,
Group Treatment in Psychotherapy. A Report of Experience, Mineapolis University of Minesota
Press, 1951.
574 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
L'entretien particulier, lorsqu'il est demandé par l'un des participants, est géné-
ralement signe de résistance et, s'il est accordé, nuit souvent à l'adaptation
ultérieure de l'individu au groupe.
Dans cet ouvrage, beaucoup d'autres points sont débattus que nous ne
pouvons examiner en détail ici, ainsi l'introduction de nouveaux membres
dans le groupe, le changement du docteur, certaines caractéristiques des groupes
formés de schizophrènes, etc.
Nous avons résumé quelques-unes des idées du livre de Florence Powder-
maker et de Jerome Frank, mais nous n'avons pas pu faire ressortir la richesse
de l'ouvrage due au fait que tant de situations concrètes sont discutées avec
une ampleur exceptionnelle. C'est une expérience vécue qui nous est rapportée.
On peut ne pas être d'accord avec certaines affirmations, mais on ne lit pas les
procès-verbaux de ces séances sans avoir appris quelque chose.
R. DE SAUSSURE.
MEDECINE PSYCHOSOMATIQUE
PROGRAMME DE L'ENSEIGNEMENT
CYCLE A.
— THÉORIE GÉNÉRALE DE LA PSYCHANALYSE
I° Douze conférences théoriques
Elles auront lieu un jeudi sur deux, de 18 heures à 20 heures.
1. Jeudi 7 janvier 1954. Histoire de la psychanalyse (NACHT).
2. Jeudi 21 janvier 1954...
.. .
La théorie des rêves (Mme Marie BONAPARTE).
3. Jeudi 4 février 1954
....
4. Jeudi 18 février 1954
5. Jeudi 4 mars 1954
6. Jeudi 18 mars 1954
.. .
....
-—
—
—
—
Instincts et développement (BÉNASSY).
—
—
—
2° Séminaire clinique
sous la direction du Dr Bouvet (les vendredis matin, à 9 heures)
C. — TECHNIQUE PSYCHANALYTIQUE
CYCLE
OPTIONS FACULTATIVES
(Les candidats sont priés de s'inscrire auprès du secrétariat de l'Institut)
1° Psychanalyse des enfants (sous ladirection de Lebovici)
Les candidats peuvent s'y inscrire à partir du moment où ils suivent les
cours du cycle B et s'ils sont admis au bénéfice des analyses contrôlées.
L'enseignement comprend :
a) Sept colloques (1) (Chaque exposé sera suivi de discussion à laquelle tous
les candidats sont priés de participer) :
1. Histoire de la psychanalyse des enfants (LUQUET).
2. Théorie de la technique psychanalytique infantile (LEBOVICI).
3. Psychanalyse dite précoce (LEBOVICI).
4. Psychanalyse à la période oedipienne et de latence (DIATKINE).
(1) Lesdates de ces colloques seront prévues d'accord avec les candidats inscrits à l'option
psychanalyse des enfants.
590 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Sous le patronage :
de M. le Ministre de l'Éducation nationale ;
de M. le Ministre de la Santé publique et de la Population ;
de M. le Directeur de l'Institut de Psychologie de Paris.
Comité d'honneur :
M. BESLAIS, directeur général de l'Enseignement du 1er degré ;
M. BRUNOLD, directeur général de l'Enseignement du second degré ;
M. DEBESSE, professeur à l'Université de Strasbourg, ditecteur pédagogique du
Centre psycho-pédagogique de Strasbourg ;
M. le Dr DEBRÉ, professeur à la Faculté de Médecine de Paris, président du Centre
International de l'Enfance ;
Mme le Dr FAVEZ-BOUTONNIER,professeur à l'Université de Strasbourg, directrice
médicale des centres psycho-pédagogiques de Strasbourg et Mulhouse ;
M. FRAISSE, directeur du Laboratoire de Psychologie Expérimentale, directeur
adjoint de l'Institut de Psychologie de Paris ;
Mme HATINGUAIS, directrice du Centre international Pédagogique de Sèvres,
inspectrice générale de l'Enseignement du 2e degré;
M. le Dr G. HEUYER, professeur à la Faculté de Médecitie de Paris, président de
l'École des Parents ;
M. ISAMBERT, vice-président délégué général de l'Ecole des Parents ;
M. le Dr LAGACHE, professeur à la Sorbonne, directeur de l'Institut de Psychologie,
président de la Société française de Psychanalyse;
M. le Dr LAUNAY, médecin des Hôpitaux, directeur du Service des Consultations
psycho-pédagogiques de l'Enseignement du 1er degré;
M. le Dr MALE, président de la Société Psychanalytique de Paris ;
Mlle MEZEIX, inspectrice générale des Écoles Maternelles de l'Enseignement
du 1er degré;
M. G. MONOD, directeur honoraire de l'Enseignementdu second degré ;
M. PERRIN, proviseur du Lycée Claude-Bernard ;
M. le Dr PORCHER, directeur de l'Institut de Biologie sociale et d'Hygiène Mentale ;
M. RAIN, directeur général au ministère de la Santé et de la Population ;
M. SARRAILH, recteur de l'Académie de Paris ;
M. le Dr SAUGUET, directeur de l'Institut Claparède.
JOURNEES DES CENTRES PSYCHO-PEDAGOGIQUES 595
Secrétariat général :
Mlle BOURREAU, psychopédagogue.
Le montant des frais d'inscription sera de 500 francs, et pourra être versé
à l'Association des Centres Psycho-Pédagogiques, C. C. P. Paris 6377-49, ou
sur place à l'ouverture du Congrès.
Janvier-Juin 1953
Nos 1_2. —
XVe Conférence des Psychanalystes de Langue française :
M. BÉNASSY. — Théorie des Instincts _1
Discussion.
Interventions de Mme Marie Bonaparte, de MM. G. Dubal,
F. Pasche, Held, R. Laforgue, Lagache, Nacht, J. R. de
Otaola, N. Perrotti, de Saussure 79
M. BOUVET. — Le moi dans la névrose obsessionnelle 111
Discussion.
Interventions de Mme Marie Bonaparte, de MM. Held,
Laforgue, Nacht, de Saussure, E. Servadio 197
Réponse du Dr Bouvet 213
N° 3. — Juillet-Septembre 1953
M. BONAPARTE. — La faute d'Orphée à l'envers 221
H. CHRISTOFFEL. — Psychanalyse sous forme verbale et sous forme de jeu 229
N. DRACOULIDÈS. — Le complexe d'OEdipe « désaxé » 242
B. GRUNBERGER. — Conflit oral et Hystérie 250
S. LEBOVICI. — A propos de la psychanalyse de groupe 266
J. MALLET. — L'évolution de W. Reich ou l'analyste et l'instinct de mort 279
A. MULLER. — L'art et la psychanalyse 299
S. NACHT. — Difficulté de la psychanalyse didactique par rapport à la
psychanalyse thérapeutique 320
P. C. RACAMIER. — Étude clinique des frustrations précoces 328
Les Revues 351
Les Livres 359
Comptes rendus et Communiqués 363
N° 4. — Octobre-Décembre 1953
M. CENAC. — Georges Parcheminey
Mlle BAUER. — Psychothérapie : Mère et Enfant
M. GRESSOT. — Le mythe dogmatique et le système moral des.
385
387
Manichéens 398
B. GRUNBERGER. — Interprétation prégénitale. Discussion 428
É. KESTENBERG. — Problèmes diagnostiques et cliniques posés par les
névroses de caractère 496
F. LECHAT. — Jamais deux sans trois 518
J. LOGRE. — Le pré-inconscient et la psychologie amoureuse 541
Y. ROUMAJON. — Note clinique sur un état d'anxiété après blessures de
guerre 548
Les Livres 556
Les Revues 577
Informations diverses 588