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L'ÉVOLUTION PSYCHIA-
TRIQUE..Page
GROUPE DE
J. L. L.D'ARTREY
Directeur-Administrateur
17, rue de la Rochefoucauld
PARIS (9 )
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MINKOWSKI, E. PICHON, G. ROBIN, P. SCHIFF
J. L.L. D'ARTREY
Directeur-Administrateur
17 RUE DE LA ROCHEFOUCAULD
PARIS - 9'
psychologique commun :
bref, toutes les névroses des adultes ressortissaient à un processus
le manque de maturation des sentiments, le
manque d'évolution de Faffectivité. C'est l'arriération affective, Schizo-
noïa de Pichon et Laforgue.
;
L'affectivité enfantine est, en effet, profondément différente de celle
des adultes elle doit subir des avatars successifs, une transformation
une évolution progressive mais profonde, jusqu'à un stade d'oblativité
qui permettra à l'homme fait de supporter sans souffrance et sans conflit
moral la vie en société, telle qu'elle se présente à lui dans le milieu où
il doit vivre.
Je n'insisterai pas sur cette large vue d'ensemble, solidement étayée
par ceux qui l'ont conçue.
Mais si cette affectivité enfantine reste parfois en quelque sorte en
? ?
arrière, peut-on chez l'enfant en trouver des signes révélateurs Peut-on,
au moment où se produit cet arrêt d'évolution, en être averti En
?
découvrir les causes Y remédier avant que ne s'accuse de plus en plus
le décalage, générateur de névrose, entre les fonctions sociales de
l'adolescent, puis de l'adulte, et la vie profonde de ses sentiments ?
Oui, on peut reconnaître souvent cet arrêt d'évolution. Et si parfois
le processus est lent et régulier, parfois aussi on peut en fixer la date
précise, avec la cause. Car, de même que l'arriération mentale peut avoir
son point de départ dans une atteinte organique précise et datée, de
même l'arriération affective peut être due à un traumatisme précis ou ;
bien, au contraire, elle est le résultat d'une évolution ralentie par une
ambiance peu propice.
Elle est parfois le fait, non d'un manque d'évolution, mais d'une
véritable involution, d'une régression à un stade déjà préalablement
dépassé.
Tout se passe comme si l'enfant, devant une situation extérieure
qui lui est pénible, qu'il juge inacceptable, s'arrêtait, reculait au besoin,
se réfugiant dans un passé plus doux pour lui.
;
Les causes des arriérations affectives sont multiples on pourrait
même dire qu'elles sont individuelles, tant leurs modalités sont
nuancées. Cependant certaines d'entre elles se rencontrent avec une
particulière fréquence.
;
Et on peut mentionner avant tout, cause d'évolutions ralenties,
l'extrême complaisance de certaines mères c'est, si l'on peut dire, une
schizonoïa à deux, la mère tendant, autant que l'enfant, à éterniser les
jours heureux de la première enfance.
Notons encore le traumatisme, bien connu et étudié, de la naissance
d'un autre enfant; ;
L'effroi des dissensions entre le père et la mère
Les petits chocs répétés, dus à une éducation d'une sévérité
excessive, ou incomprise par l'enfant ;
L'effroi de découvrir une faute grave, telle qu'une hypocrisie, un
mensonge, commise par un des parents ;
L'effroi devant la découverte d'une situation familiale anormale
(le non-mariage des parents par exemple) ;
L'effroi des mystères sexuels, ou leur révélation trop brutale et
sous un jour peu flatteur ou coupable ;
L'effroi devant les luttes, les responsabilités de l'adulte.
Nous pourrions énumérer bien d'autres étiologies encore. Mais là
n'est pas mon but:
Ce que je me propose de souligner ici, en me plaçant volontai-
rement et uniquement sur le plan de la clinique, ce sont les symptômes
principaux, objectifs, de ces arriérations affectives.
Certains de ces symptômes, non seulement ont un air d'une grande
bénignité, mais font la joie de beaucoup de mères. D'autres au contraire,
telle l'énurésie, sont assez génants pour la famille, et la mère en
particulier. C'est pour ceux-ci qu'on se décide à consulter le médecin.
Malheureusement ce n'est généralement pas chez un psychiatre
qu'on va ; et l'éducation des médecins est encore à faire sur les points
qui nous occupent. D'autre part, les services spécialisés de psychiatrie
et neurologie infantile, dont la clientèle est, en grande partie due au
dépistage des instituteurs voient,en tant qu'arriérés, à peu près unique-
ment des arriérés intellectuels.
Pour moi, ce qui m'a permis d'étudier de près un grand nombre de
ces petits malades, c'est précisément parce que je travaille dans deux
consultations de médecine générale d'enfants.
Là, les parents venus souvent pour d'autres troubles, se répandent
incidemment en doléances sur le comportement de leur fils ou fille.
Or, dès qu'on interroge ces parents de façon serrée, on s'aperçoit
que le symptôme pour lequel on amène l'enfant (énurésie par exemple)
est rarement isolé, mais fait en réalité partie de tout un petit syndrome,
non signalé, parce qu'accepté par la mère.
Ce syndrome comporte, avec des fréquences différentes, les princi
paux symptômes suivants :
L'énurésie, l'encoprésie, le parler bébé, l'anorexie mentale, une
maladresse élective, un mauvais écolage, tout spécial.
Chacun de ces symptômes pouvant, naturellement, faire défaut ou
être plus ou moins marqué.
Ils sont à mes yeux comme des signaux d'alarme, témoins d'ur
conflit qui se noue dans l'affectivité de l'enfant.
L'enfant souffre du fait de son milieu ambiant. Il y a là quelque
chose que l'enfant n'accepte pas et qu'il nous faudra retrouver.
Je voudrais dire quelques mots de chacun de ces symptômes, en le'
présentant dans leur ordre de fréquence.
Tout d'abord YEnurésie. C'est-à-dire l'incontinence d'urine dite
essentielle.
C'est le symptôme le plus fréquemment rencontré par le médecin.
;
Je ne suis pas sûre d'ailleurs que ce soit réellement le symptôme le plus
fréquent mais, de par ses inconvénients, il est le moins méconnu.
De longue date, plusieurs auteurs ont souligné les relations du
psychisme avec l'énurésie. D'autres, comme Bize, ont montré l'inexis-
tence des rapports entre l'énurésie et certaines causes somatiques
incriminées.
:
« Toutes les énurésies sont
psychogènes ». Il lui fut répondu quelque chose comme « Vous ne
voulez tout de même pas nous dire qu'une chose aussi matérielle que
l'urine soit d'origine psychique ».
Cet étonnement — ingénu — fruit d'un siècle de matérialisme,
pourrait assez bien résumer pourtant ce qui a été dit, à part deux, ou
trois orateurs, sur ce suj et, aux « Assises de Médecine Française », en
novembre 1936.
Actuellement, pour nous, la preuve est faite, puisque nous guéris-
sons journellement des énurétiques par la seule psychothérapie ou
même, lorsqu'il le faut, la psychanalyse.
De toutes façons, le but est, après avoir trouvé le point douloureux,
de le rendre non seulement supportable à l'enfant, mais accepté comme
une chose heureuse.
S'il est possible, naturellement, de modifier l'ambiance qui a créé le
conflit, il faut s'y appliquer.
Ce point est d'ailleurs, à mes yeux, un de ceux qui différencient les
traitements d'enfants de ceux appliqués aux adultes. J'y reviendrai plus
tard.
Mais la plupart de ceux que ces questions intéressent ont lu le
dernier livre de Pichon (1). Certains ont lu, peut-être, mon article de
l'Evolution Psychiatrique (2), et je ne reviendrai pas sur l'Enurésie.
Je voudrais ranger, à côté de l'Enurésie, l'Encoprésie.
L'habitude que prennent certains enfants de souiller de leurs
matières fécales leurs draps ou leurs culottes est bien plus rare que
l'Enurésie, peut-être du fait qu'elle est l'objet d'interdictions plus
absolues de la part de l'entourage.
Elle a, semble-t-il, la même signification que l'Enurésie, avec
laquelle elle alterne parfois. Car, chose curieuse, je n'ai, pour ma part,
jamais rencontré d'énurésie et d'encoprésie coïncidant. Mais il arrive
assez fréquemment qu'elles alternent, par périodes de semaines ou de
mois, comme si elles étaient affectivement équivalentes.
Il paraît cependant logique de considérer que l'encoprésie, du fait
qu'il lui faut passer outre à des inconvénients plus grands, corresponde
à un retour en arrière plus profond.
On sait l'importance que les psychanalystes donnent aux satis-
factions anales de la première enfance (aux lagnies anales, dirait
Pichon). L'observation objective des encoprétiques semble appuyer leurs
vues. Ce sont toujours de grands arriérés affectifs. Ils sont toujours, en
outre, extrêmement attachés à leur symptôme capital, du fait même de
leur arriération affective certainement. Plusieurs, au cours de leur
:
Ce symptôme encoprésie peut d'ailleurs présenter des variantes.
Je vais vous en citer une Il s'agit d'un homme de 35 ans. Remarquable-
ment intelligent, il a fait lui-même une belle fortune (et par deux fois
car les circonstances extérieures l'avaient ruiné). Il a encore, à son âge,
des traits de caractère enfantins très marqués. Pichon considère, à juste
titre, que devenir adulte consiste à acquérir de nouvelles possibilités,
mais non à perdre celles propres à l'enfance. Encore faut-il que ces
prérogatives enfantines durables soient compatibles avec la vie des
adultes.
Mon suj et a un grand amour du jeu (non du jeu de hasard, mais du
jeu au sens étymologique du mot).
Il a une imagination folle et enfantine, qui lui fait inventer des
fictions qu'il essaie de faire partager à ceux qui l'entourent. Le plus
:
souvent dans ces fictions, il décide qu'il est un petit enfant, sa maîtresse
doit entrer dans le jeu elle est la mère du petit garçon. Et pendant
des semaines, parfois des mois, il joue son rôle enfantin dès qu'il est
dans l'intimité. Alors qu'officiellement et dès que son intérêt l'exige, il
redevient un homme mûr, au jugement pénétrant.
Il est parfaitement incapable de prendre une responsabilité quelcon-
que. Il n'a aucun courage moral.
Il est envers sa maîtresse, d'une tyrannie extrême, violente, « capta-
tive » et telle qu'on la voit chez les enfants du premier âge vis-à-vis de
leur mère.
J'ajouterai que chez cet homme, encore une fois très intelligent.
l'arriération affective avait été probablement très favorisée par des
troubles glandulaires profonds, portant sur la thyroïde, l'hypophyse et
les testicules.
!
Hé bien cet homme, très raffiné, chaque fois que les circonstances
s'y prêtent, exige que sa maîtresse l'accompagne aux cabinets lorsqu'il
a un besoin à satisfaire. Elle doit lui tenir la main, lui caresser les
cheveux, l'encourager enfin.
Avant sa liaison d'ailleurs blanche, alors qu'il était un adolescent,
puis un adulte, sa mère était tenue de jouer le même rôle.
Je vous ai rapporté ce pittoresque exemple parce qu'il me semble
cousin germain de l'encoprésie.
Le parler enfantin n'a de valeur pathologique que lorsqu'il est en
désaccord flagrant avec l'âge de l'enfant.
Dans trop de familles, en effet, il est d'usage de bêtifier en parlant
aux petits et de leur imposer d'office le parler « babisch ». On ne saurait
en rendre la victime responsable. Cependant, si ce langage persiste vers
6, 7, 10 ans, alors que les parents l'ont abandonné de longue date et que
l'enfant a eu des contacts sociaux fréquents en dehors de son cercle
privé, le parler enfantin prend sa vraie valeur affective.
»
J'emploie à dessein le terme vague de « parler enfantin parce
qu'il peut prendre des formes très différentes. Pichon parle du retard
simple de l'élocution « trouble linguistique qui, dit-il, n'est que l'expres-
sion d'un trouble du caractère ». Mme Borel-Maisonny rapporte à ce sujet
l'observation bien éloquente d'un arriéré affectif dont elle rééduquait
la parole, et qui, à 7 ans, prenait encore son biberon.
Pour moi, j'ai observé plusieurs fois, en dehors du retard simple
d'élocution, une modulation systématique de la phrase dans un sens
enfantin. Je veux dire que l'enfant parle en chantant, comme un tout
petit qui ânonne une fable.
Je me rappelle notamment le cas très frappant d'une petite fille de
9 ans, que Cénac m'avait envoyée il y a 2 ou 3 ans, pour une énurésie.
L'enfant avait été parfaitement normale jusqu'à 6 ans 1/2. A cet
âge-là, alors qu'en compagnie de son petit frère, de quelques années
plus vieux qu'elle, elle revenait de faire une commission, elle est abordée
sous la voûte de la maison par un exhibitionniste. L'homme l'appelle
doucement, et la petite fille allait vers lui placidement quand son frère
la rattrape, l'entraîne. Ils se sauvent, montant quatre à quatre les étages.
Et le garçon raconte tout à sa mère. (Chose curieuse, d'ailleurs, il le fit
en sanglotant et en demandant pardon, avec un grand sentiment de
culpabilité, alors qu'il n'était pour rien dans cette affaire.)
Bref, la mère prend le ciel à témoin de l'abomination des hommes,
les voisines accourent. et on parle de cela pendant 15 jours, au milieu
d'une indignation générale.
La petite qui, tout d'abord, n'avait pas même été étonnée par ce
que cet homme lui offrait, fut très vite au diapason de l'ambiance,
convint qu'il lui était arrivé quelque chose d'absolument épouvantable
et commença à témoigner d'une grande peur de tous les hommes, notam-
ment et avant tout de son propre père.
Six mois plus tard, alors qu'elle se promenait, avec sa mère, à une
fête foraine, un monsieur âgé et respectable les aborde. Sa mère, pour
couper court aux avances de cet homme, avances qu'elle pensait lui
être destinées, entre dans un cinéma. Il entre derrière elles, les suit
pour se placer et la mère, comme bouclier entre elle et lui, place l'enfant.
L'homme n'hésite pas une seconde, et glisse les mains sous les jupes de
la fillette qui, terrorisée, pleure et supplie sa maman de sortir. Sa mère
lui intime l'ordre de rester tranquille, et l'homme continue.
Enfin, devant les supplications de la petite, la mère l'emmène.
Ce n'est que le lendemain que l'enfant osa raconter l'histoire à sa
mère et, tout en la lui racontant, elle mouilla son pantalon.
Et l'énurésie s'installa, uniquement diurne, ce qui est assez rare.
Il fallait la changer de linge plusieurs fois par jour. Mais en même
temps, sa mère la couvant et ne la quittant plus, s'installa progres-
sivement cette élocution chantante dont je vous parlais tout à l'heure.
Semblable aux femmes qui, fréquentant un homme trop protecteur,
jouent à la petite fille, l'enfant au contact d'une maman trop « mère-
poule », jouait au petit bébé et se prenait à son propre jeu.
Elle présentait en outre d'autres singularités de comportement,
telle que de demander à chaque instant, dans la rue, à être portée dans
les bras, à 9 ans. Tant d'ailleurs pour se sentir mieux protégée que par
un retour vers son état de bébé. Elle s'était reprise d'un amour immodéré
pour un petit ours en peluche, ami de ses trois premières années, et qu'on
avait remisé en haut'd'un placard. Elle demandait de temps en temps
que sa mère la fît manger bouchée par bouchée. C'était, chez elle,
présenté comme un jeu.
Mais cela nous amène à l'anorexie des arriérés affectifs.
Je parle, naturellement, d'anorexie mentale, et non d'une inappé-
tence en rapport avec un état somatique déficient. Ces anorexies sont
un peu particulières en ce que, contrairement à ce qu'on voit dans
l'adolescence ou l'âge adulte, elles ne sont pas d'une très grande gravité.
En général, les enfants mangent, sinon très suffisamment, du moins
assez pour ne guère maigrir.
du sevrage ;
On connaît les anorexies électives des nourrissons à chaque stade
ainsi que, chez ces mêmes nourrissons, les anorexies
globales, qu'on sait guérir de longue date, en les sortant du milieu
familial. Loin de sa mère ou de sa nourrice, dans une clinique, ou un
hôpital, le bébé se rééduque en général très vite.
Peut-être le mécanisme de ces anorexies mentales est-il le même
que celui, plus démonstratif, des anorexies de la première enfance où
elles sont très fréquentes. Le petit anorexique de 2, 4, 6 ans, témoigne
presque toujours, par son attitude aux repas, que son but est, non point
de se priver de nourriture, mais, par ce moyen, de réduire momenta-
nément sa mère en esclavage. Il a retenu d'une expérience antérieure
fortuite, que sa mère désirait le voir bien manger, et il lui vend très cher
ce plaisir qu'il lui fait.
Il ne cède qu'au prix de mille démonstrations de tendresse, et le
comportement de l'enfant dépend uniquement de la limite de patience
des parents. J'ai vu l'an passé un bébé de 2 ans 1/2, très gâté, qui avait
à son service, outre sa mère, une nurse anglaise et une vieille bonne de
60 ans. Il avait organisé tout un cérémonial des repas, qui comportait
;
quatre pattes et faire le toutou en courant ainsi tout autour de la pièce.
Cela durait au total plus d'une heure moyennant quoi il consentait à
ce que la nurse lui mît de temps en temps une bouchée dans la bouche.
Il poussait de véritables hurlements si l'on changeait quoi que ce
fût aux fonctions de chacun dans ce scénario.
J'assistai, silencieuse, à un de ces repas extraordinaires et, à la fin,
comme on présentait à l'enfant une demi-banane et qu'il la refusait
avec énergie, je pris tranquillement la banane et la mangeai.
Le petit poussa des cris et, se laissant glisser des genoux de la mère,
il se précipita vers la fenêtre fermée et, cognant sa tête de désespoir,
brisa bel et bien une vitre, Dieu merci sans mal pour lui.
Cet exemple ne vise qu'à souligner combien, chez ces petits anorexi-
ques, le but est proche et naïvement exprimé. Beaucoup plus que dans
l'énurésie, ses mobiles semblent à fleur de conscience.
Il en est de même de la maladresse que je signalais tout à l'heure,
qui persiste longtemps après l'âge normal ou, le plus souvent, survient
sans raison évidente, brusquement, alors que, de longue date, l'enfant
avait acquis la coordination des mouvements musculaires qu'il exécute
journellement.
Dès qu'il sent accessible l'objet de sa tendresse, la mère en général,
l'enfant ne sait plus s'habiller tout seul, ne sait plus boire sans renverser
le liquide, trébuche si on ne lui donne pas la main pour marcher, etc.
Il ne s'agit d'ailleurs pas là seulement d'un manque de coordination,
mais aussi d'un oubli actif des notions élémentaires qu'on lui avait incul-
quées, tel ce garçon de 7 ans, que j'ai vu aux Enfants Assistés, et qui
enfilait ses jambes dans les manches de son chandail qu'il ne différen-
ciait plus de sa culotte.
:
Je vous ai signalé le mauvais écolage qu'on rencontre souvent chez
ces enfants et qui est, lui aussi, particulier il s'agit d'enfants qui n'enre-
gistrent plus ce que leur dit le maître. Ils se comportent, en quelque
sorte comme, par exemple, un enfant de sept ans qu'on mettrait dans
la classe du baccalauréat. Ils sont sages, dociles, inertes, sans appétence
pour les nouveautés qu'on leur offre. Le maître les fait redescendre
d'une classe, de deux classes. et puis on va chez le médecin qui, soma-
tiquement, ne leur trouve rien. Aux tests d'intelligence on les trouve
sensiblement normaux, parfois même au-dessus de la moyenne.
Je me rappelle une fillette de 12 ans, amenée pour son énurésie
(toujours), qu'on avait depuis trois ans retirée de l'école sur le conseil
même du directeur, parce qu'elle n'y faisait rien. Elle avait, disait sa
mère, oublié jusqu'à son A. B. C. (il s'agissait évidemment d'un milieu
des plus simples pour qu'on n'ait pas insisté davantage.)
Or, cette petite fille, extrêmement attachée à sa mère, la doublait en
tout dans son ménage, soignant les plus jeunes, faisant le marché et la
cuisine, au point que la mère avait pris du travail au dehors, se repo-
sant de tout sur l'enfant de 12 ans.
Elle n'était pas déficiente quant à son intelligence.
Et d'ailleurs on ne redira jamais assez que ces enfants, en proie à
des conflits affectifs, sont en général des enfants intelligents, parfois
même supérieurs à la moyenne. Tout au plus leurs gênes conflictuelles
peuvent seulement, à ce point de vue, imprimer à leur développement
intellectuel une direction particulière, comme ce fut le cas dans l'exem-
ple que je viens de citer.
Je vous ai parlé jusqu'ici des arriérations affectives créant, dans
l'enfance, des symptômes objectifs qui étonnent la famille et sont de
véritables signaux d'alarme.
Certains de ces symptômes sont des plus désagréables pour les
parents, tels qu'encoprésie et énurésie.
D'autres sont tolérables tels que la maladresse que j'ai signalée.
;
D'autres enfin, tel le parler babisch hors d'âge, sont souvent consi-
dérés par les tout proches comme une gentillesse charmante il s'établit
une petite tradition familiale bébête, aussi attendrissante pour la mère
que chère à l'enfant.
Or, il est des arriérations affectives qui ne donnent lieu, dans l'en-
fance du moins, à aucune complication familiale, et que je voudrais
souligner quand même, parce qu'elles conduisent l'adolescent et l'adulte
a une vie névrosée et malheureuse.
C'est ce que j'appellerai le syndrome du petit enfant trop sage.
On le voit le plus souvent chez des enfants élevés par une femme
seule, soit que le père soit si sévère et inaccessible qu'une crainte com-
mune cimente le couple mère-enfant, soit que le père n'accorde aucune
importance à son foyer et confie l'enfant à la mère seule, soit que celle-ci
soit veuve par exemple.
Rien alors ne vient distraire la mère de sa tendresse pour l'objet
fidèle qu'est l'enfant. Rien non plus n'entrave l'enfant dans l'élabora-
tion de son complexe d'Œdipe.
Ils sont l'un et l'autre parfaitement heureux. Jamais une mère ne
s'inquiète d'un excès d'obéissance.
Ces enfants sont d'excellents sujets à l'école. Ils n'écoutent pas les
mauvais conseils des autres. Ils ne lisent pas les mauvais livres. Il s'éta-
:
blit entre leur mère et eux une entente profonde, qui n'a même plus
besoin de s'exprimer par des paroles le plus léger froncement de
sourcil de la mère, le plus léger bruit des lèvres est compris par l'enfant.
C'est dans l'obéissance passionnée qu'il assouvit son besoin d'en-
fance, la mère gardant son prestige divin.
Cela durera sans nuages jusqu'à l'âge de l'évolution sexuelle nor-
male.
Alors, si l'enfant est une fille, elle refusera l'homme et tout ce qu'il
représente. Elle sera une vieille fille amère, ou revendicante et féministe
(hoministe dit M. Damourette) rivale de l'homme, parce qu'elle ne peut
attendre de lui rien de bon. Si le mariage lui est imposé, elle le subira,
par obéissance, frigide, douloureuse, ne sachant pas plaire à son mari.
Si l'enfant est un garçon, les dégâts seront plus graves, puisque
d'une part les initiatives sexuelles lui incomberont et'que, d'autre part,
il aura à soutenir socialement une lutte qui, dans nos civilisations occi-
dentales, est épargnée à la femme.
Si le garçon n'est pas intelligent, c'est une épave qui vivra aux
crochets de sa mère sans pouvoir rien faire.
S'il est intelligent, répugnant aux luttes commerciales, trop vives et
incessantes, et aux affaires d'argent, il satisfait son affectivité enfantine
en restant à l'école.
J'ai vu plusieurs grands enfants continuer leurs études, à l'étonne-
ment des parents, pour reculer la décision à prendre quant à un métier
et ses risques.
Ils se protègent des luttes de la vie d'adulte en continuant à aller
à l'école.
Mais enfin, le baccalauréat passé, craignant le barreau, qui les met-
trait en vedette, la médecine, à cause des responsabilités, ils se dirigent
vers des havres plus sûrs, plus calmes, où les luttes sont minimisées et
l'avancement presque automatique. Certaines grandes écoles peuvent
être de bons refuges.
Ils sont archivistes, ingénieurs agronomes, archéologues, professeurs
de facultés. Là, dans la solitude, et bien à l'abri, ils peuvent faire de
beaux travaux, sans beaucoup d'originalité.
Ce sont de petits enfants qui ont continué à aller à l'école.
Leuba, avec sa verve habituelle, a tracé d'un de ces enfants de
l'affectivité un beau portrait dans son travail sur « La famille névro-
tique et les névroses familiales
».
« Le fils ayant abdiqué dès son âge tendre toute velléité masculine,
« renonçant d'emblée et totalement aux joies de l'amour, la mère n'a
« plus qu'à maintenir, par une sollicitude littéralement étouffante, son
« fils en l'état de Bénédictin où il s'est heureusement réfugié. C'est lui
« qui devient ainsi le grand homme de la famille. Car il thésaurisait et
« thésaurise encore les grades universitaires. Chamarré de doctorats, il
« occupe un poste officiel de tout repos, n'étant astreint à aucune obli-
« gation de présence. Il est fonctionnaire à domicile, pour ne pas préci-
« ser davantage. Il produit des ouvrages de compilation minutieusement
« expurgés de toute idée générale ou personnelle, mais qui constituent
« des recueils de faits très précieux. Ces travaux lui valent une considé-
« ration méritée dans divers milieux scientifiques et littéraires.
« Dès la trentaine, sans avoir jamais eu la moindre liaison fémi-
« nine, il s'est mis à couler une existence de petit vieux bien propre,
« esclave de mille rituels religieusement respectés par son harem, qui
« le dorlotte, et le bichonne, et le soigne, et tient des conseils de famille
« pour décider de ses régimes alimentaires. Les drogues dont il se gave,
« toute la famille les prend avec lui, y compris la vieille bonne. »
Sur le plan du sexuel, tous souffrent d'interdictions plus ou moins
:
absolues. Ce sont des chastes, parfois non sans avoir à se défendre farou-
chement contre la tentation je connais un garçon de 20 ans qui,pour
rentrer chez sa mère, devrait traverser les Tuileries et qui s'inflige le
long détour permettant de les éviter, de
peur de regarder des statues
trop décolletées.
Il s'est ouvert de son scrupule à sa mère, qui en parle à ses amies
avec la plus grande satisfaction de voir son fils si différent des autres
hommes.
Beaucoup de ces garçons ne se marient pas. Si, par un coup du
hasard, ils se marient, leur femme, très vite, s'aperçoit que, s'ils sont
bien cotés du point de vue intellectuel, ils sont socialement et affective-
ment des incapables. Ils sont timorés et sans défense. Ils ne peuvent
prendre une responsabilité, une décision. Elle ne se sent pas protégée.
Il lui faut peu à peu, et bien que femme, prendre les rênes du gouverne-
ment. Elle porte la culotte malgré elle parce que, cette fameuse culotte,
il faut bien qu'il y ait quelqu'un dedans.
Le petit enfant qui va toujours à l'école a retrouvé une mère, mais
pleine d'amertume, de désillusions, qui le rabroue et ne le rend pas
heureux.
Malheureusement, encore une fois, ce syndrome de perfection
excessive chez l'enfant est considéré comme une bénédiction du Ciel par
la plupart des mères, à qui on ne répétera jamais trop que leur grand
devoir est, doucement et sans heurt, d'amener l'enfant à se séparer
d'elles.
Il faut l'amener à accepter sans souffrance les renonciations qui
l'entraîneront à un épanouissement individuel compatible avec son
milieu social.
C'est dans ce but qu'il ne m'a pas paru sans intérêt de grouper ces
menus signes, témoignant chez l'enfant de conflits qui pourront troubler
profondément la vie de l'adulte, par ce qu'Henri Codet appelle la
»
« dissociation entre l'intellectuel et l'affectif.
O. CODET.
Discussion
Mme MINKOWSKA.
— Nous remercions tous Mme Codet de son intéressante
et si vivante conférence. Il me semble que certains éléments constitutionnels
sont indispensables à la compréhension de ces états d'arriération affective.
Sans doute il existe en clinique de multiples variétés de ces arriérations,
mais leur pathogénie elle-même peut-elle être envisagée d'une manière
univoque? Autrement dit, sous ce nom ne risque-t-on pas d'englober des
?
états assez dissemblables
M. CÉNAC.
— Je veux signaler une petite lacune dans l'énumération des
signes d'arriération affective qui vient de nous être faite. Le tic» de sucer
«
son pouce me paraît avoir une valeur analogue. J'ai vu une jeune fille qui
rentrait dans la catégorie des malades de M'ue Codet et qui avait tous les
soirs, vers cinq heures, une crise d'obsession-impulsion à sucer son pouce,
»
en pleurant de se sentir « forcée de le faire. On sait combien évident est le
mécanisme de compensation si bien décrit par M. Montassut dans la substi-
tution du pouce au sein chez les nourrissons. Ce mécanisme de compensation
Paraît fondamental dans les crises d'obsession de ma malade. Je puis rappor-
ter aussi un autre petit fait. Il s'agit d'un jeune enfant qui présentait
également ce trouble. Le port de gants pendant le sommeil suffi à lui faire
a
Perdre sa mauvaise habitude tant qu'il a été hors du milieu familial.
Dailleurs il demandait
ce moyen de défense contre lui-même. L'essentiel
de ces troubles paraît être
une forte fixation hédonique, l'impossibilité de
supporter une privation. Du point de vue psychanalytique il semble s'agir
de fixations préœdipiennes, à des phases du développement prégénital de
la libido.
M. MALE. »
— Souvent les « arriérés affectifs se présentent comme des
« arriérés intellectuels
». Mais l'épreuve décisive pour l'établissement du
-
diagnostic est la confrontation enfant mère. Tantôt l'enfant apparaît
tantôt comme inhibé par la présence de sa mère vis-à-vis de laquelle il est
:
les arriérations affectives fonctionnelles. Parmi les premières il faut placer
des cas de ce genre un enfant présente une encéphalite dans son jeune âge
avec hémiplégie et aphasie. Son caractère change, il devient émotif, timide,
»
son affectivité s'organise selon un type très infantile, son « sevrage pubéral
s'avère difficile, il reste accroché à ses parents. Parmi les secondes on peut
—
ranger les infantilismes psycho-endocriniens. Dans aucun de ces cas il ne
s'agit de troubles psychogénétiques. Enfin, dans un troisième groupe, on
pourrait placer certaines dispositions constitutionnelles réalisant un type de
Personnalité « captative », incapable d'oblativité, d'où le caractère capricieux,
:
tyrannique, souvent efféminé. Ce sont de ces sujets qui exigent la satisfaction
immédiate de leurs besoins, qui ne savent pas différer s'ils ne peuvent plus
sucer leur pouce, ils fument la pipe !
M. CODET. — Je me dois naturellement de faire quelques petites critiques.
Ce qui nous a été décrit tout à l'heure, c'est le tableau de l'arriération affec-
:
tive majeure. Mais il y a des petits troubles de caractère qui s'en rapprochent
colères, rages, bouderie, cajolerie, amour des animaux, crainte de dormir
seul, etc.
— Je souscris à ce qu'a dit M. Male, mais il y a tout de même des
cas troublants. Je crois qu'un bon critère est l'efficacité thérapeutique de la
séparation du milieu familial. Enfin il y a lieu de souligner que la notion
d'arriération affective est très — générale, elle ne vise pas à être l'expression
d'une entité clinique. Son intérêt me paraît résider dans le fait qu'il ne s'agit
Pas d'une régression, mais d'un défaut de développement de la personnalité.
M. MINKOWSIU. — Il est certain que l'on ne peut pas assimilerle méca-
nisme si finement étudié par Mille Codet à une entité clinique. Je ferai des
réserves analogues à celles de M. Male en ce qui concerne le caractère psycho-
génétique de l'arriération affective. Là aussi il y a un élément structural cons-
titutionnel. Certains traits épileptoïdes notamment peuvent être rapprochés
des aspects cliniques de l'arriération affective. D'ailleurs il s'agit de savoir
quel est le devenir de ces enfants ou de ces « grands enfants ». — Il y a bien
des aspects infantiles qui persistent longtemps puis disparaissent. — Il ne
faut pas non plus séparer certains de ces comportements de l'inter psycho-
logie familiale, car il s'agit là d'une situation d'ensemble, d'une véritable
construction d'ensemble où s'intriquent les éléments idéo-affectifs et consti-
tutionnels.
M. LAGACHE. — Je voudrais dire un mot simplement en ce qui concerne
l' « écolage » dans ses rapports avec l'arriération affective. Il existe parfois
des fixations à la mentalité puérile par identification à la mère. D'autres
mécanismes peuvent se révéler. J'ai vu ainsi un enfant qui considérait ses
:
camarades comme des ennemis. Son progrès scolaire dépendait de son choix
entre deux éventualités ou bien s'identifier à son frère aîné et progresser, ou
bien accentuer son opposition et régresser. Ces mécanismes sont extrêmement
importants à connaître pour apprécier exactement certains retards scolaires
et y remédier.
H. CODET
Il semble que l'on puisse, très souvent, utiliser avec profit les cas
qui paraissent les plus simples, dont l'apparence est même relativement
banale, et qui sembleraient a priori, attirer peu l'attention des cher-
cheurs.
Il est également utile, souvent, d'observer et d'étudier les cas où l'on
;
a pu commettre une erreur de diagnostic, quitte à critiquer, ensuite, les
causes qui ont pu faire commettre cette même erreur et là, on peut
trouver un appui utile et discuter, d'une façon appréciable, un certain
nombre de vues théoriques.
Nous allons donc commencer par la description d'un cas de réaction
hystérique, qui, par ses caractères principaux, ne paraît rien avoir
d'extraordinaire, et où une modification dans le diagnostic, est venue,
a la suite de l'évolution, corriger, tout
au moins permettre, d'interpréter
autrement certaines impressions premières.
* -r
**
Madame X. est venue, pour la première fois, en mars 1936. Elle est
;
âgée de 45 ans elle est mariée, sans enfants, et ce point, en particulier,
peut avoir une certaine importance.
A
;
chercher dans ses antécédents personnels, on n'y découvre pas
;
grand chose de bien particulier pas de maladie notable ou importante.
entourée;
Elle a vécu, toute sa vie, dans un milieu très confortable elle a été très
elle est ordinairement bien portante, active, gaie, et même
elle a assez fréquemment déclaré à son entourage qu'elle vivait heureuse.
Son mari est extrêmement affectueux et très dévoué, peut-être pourrait-
;
on même se demander s'il ne l'est pas un peu trop, s'il ne l'a pas gâtée
d'une façon exagérée en tout cas, il a pu l'entourer d'un confort maté-
riel et d'une ambiance agréable tout à fait satisfaisants.
:
Le début des troubles remonte à trois semaines environ avant la
première visite un soir, la malade, après avoir beaucoup lu, et surtout
lu de la musique, déchiffré, car elle est fort musicienne, s'est aperçue
qu'elle avait une sorte de brouillard devant les yeux. Elle reconnaît que,
depuis quelque temps, elle avait beaucoup utilisé sa vision, qu'elle avait
dit-elle elle-même, « surmené ses yeux ». Et, brusuement, à un certain
moment, elle s'est aperçue qu'elle y voyait d'une façon moins nette.
Ceci a provoqué en elle, dès le premier moment, une réaction
:
anxieuse extrêmement intense, avec l'idée angoissante qui s'est présentée
immédiatement à son esprit la peur de la cécité causée par la méno-
pause.
Dès le lendemain, elle va consulter un ophtalmologiste, un spécia-
liste tout à fait compétent et prudent, qui fait un examen complet de sa
vision, découvre une hypermétropie simple, explicable, à l'âge qu'elle a
de 45 ans, mais absolument sans aucune lésion ou aucun trouble déce-
lable dans l'examen du fond de l'œil.
Lorsque je vois cette malade, au bout de trois semaines, à peu près,
elle m'explique et son mari me confirme que, depuis lors, elle vit cons-
tamment, tout à la fois dans un état d'anxiété, et dans un état de
démonstration et d'exposition de plaintes de cette même anxiété. Elle se
plaint et récrimine d'une façon abondante, avec prolixité, avec un lan-
gage extrêmement vivant et imagé, exprimant le désintérêt de tout,
manifestant son désespoir complet, ne se livrant à aucune occupation, à
aucune activité, s'éloignant complètement de ses relations les plus habi-
tuelles et les plus aimées.
Il est déjà cependant à noter, et on me le signale à ce moment-là
même, que lorsqu'elle se trouve, par contrainte ou par circonstance, en
contact avec des personnes étrangères, elle exprime beaucoup moins ses
plaintes ou ses doléances, et qu'elle réserve celles-ci presque exclusive-
ment pour son mari, dans les instants de présence ensemble, en tête-à-
tête. Elle ne cesse de se plaindre, de se faire plaindre, de lui parler de
son état d'incurabilité, d'exprimer ses idées de pessimisme, et sa certi-
tude que la ménopause va amener une cécité prochaine.
En même temps, elle présente un état d'énervement, d'agitation sur
place, va et vient comme un lion en cage, ne peut pas tenir sur une
chaise, ne peut pas s'occuper à la moindre chose. Il y a même, par
moments, un énervement plus marqué qui aboutit à la production de
véritables petites crises de nerfs ébauchées.
En outre, la nuit, elle a une insomnie assez tenace, rebelle à quelques
hypnotiques usuels.
Elle rumine sans cesse son inquiétude, déclare qu'elle voudrait
essayer de s'empêcher d'y penser mais ne peut en détacher son esprit.
;
Au point de vue physique, on ne trouve pas de signes bien impor-
tants, bien caractéristiques elle se plaint d'avoir, fréquemment, une
gêne au creux de l'estomac, une véritable angoisse épigastrique ; sou-
;
vent, à l'heure des repas, elle se plaint également de spasmes pharyngo-
œsophagiens ; elle a la gorge serrée elle sent comme une boule qui
l'empêche de s'alimenter. Mais, en somme, ceci est réduit au minimum
;
comme symptômes d'ordre émotif, et l'on ne trouve pas, chez elle, ou
presque, de troubles circulatoires en particulier, elle ne se plaint pas
de palpitations.
Lorsqu'on l'examine, que l'on cause avec elle d'une façon un peu
prolongée et qu'on lui fait faire un récit précis et détaillé de ses malaises,
— ce qu'elle fait, d'ailleurs, très volontiers — on ne peut pas se défen-
dre d'une certaine impression correspondant à un air de satisfaction
que la malade éprouve à se plaindre, et, également, semble-t-il, sans
qu'on puisse l'affirmer, d'une tendance, chez elle, à exagérer ses malaises.
;
et, si l'on discute avec elle, elle reconnaît bien volontiers la compé-
tence indiscutable du spécialiste qui l'a examinée elle convient bien
qu'elle doit avoir confiance en lui, qu'elle doit être rassurée par son
examen négatif, et, cependant, elle demeure anxieuse.
On note un point qui semble assez paradoxal a priori, c'est que,
; ;
devant cette gravité des troubles qu'elle redoute, pour sa vue, elle se
refuse, néanmoins à porter des verres elle ne veut pas qu'on la voie
avec des lunettes elle ne veut pas donner ce témoignage d'un trouble
de sa vision, et, probablement, de son âge.
;
Comme elle s'ennuie et reste seule dans sa souffrance, elle fuit les
distractions car elle craint le contact des étrangers la lecture la fatigue,
étant donné les troubles de sa vue, et, en même temps, l'énervement de
son esprit qui l'empêche de fixer l'attention.
»
Les visites qu'elle peut recevoir ou faire « ne lui disent rien et elle
s'éloigne de ses amis, craignant leurs réflexions qui, dit-elle, lui font mal,
craignant surtout de se sentir observée, et, en quelque sorte, contrôlée.
Dans toute la conversation, elle ne peut parler que d'elle-même,
;
que de son état et nous nous doutons bien à quel point elle peut harceler
son mari par ses plaintes et ses gémissements.
Lui, de son côté, se manifeste comme un homme extrêmement bon,
affectueux et très empressé, plein de dévouement, minutieux et scrupu-
leux, et, en même temps, sans aucun doute, très émotif, et, bien souvent
— nous en sommes témoin
d'ailleurs une fois — il pleure aux récits de
sa femme.
:
la gêne le plus et ce qui l'angoisse, ce sont ces heures d'insomnie et de
rumination incoercibles, et elle conclut « Si vous me faites dormir, je
»
suis guérie !
;
On lui conseille, à ce moment-là, un traitement légèrement sédatif
du sympathique, et des hypnotiques assez discrets et, en même temps,
on lui conseille de faire un certain temps de séjour dans une maison de
santé, afin, comme on le lui explique, de changer un peu l'orientation
de ses idées, de faire, en quelque sorte, une coupure morale de ses habi-
tudes qui l'inquiètent, et, en même temps, dans l'arrière-pensée du
médecin, de l'éloigner quelque peu de son mari, d'une façon pas trop
durable, mais utile à ce moment-là.
On lui donne, évidemment, quelques explications dans une inten-
tion psycho-thérapique sur l'inquiétude légitime qu'elle peut éprouver, à
son âge, en prévoyant que les jeunes années sont terminées, et que, peut-
être, elle en conçoit et en ressent une inquiétude un peu exagérée, très
capable d'expliquer que, par auto-suggestion, elle-même arrive à se
torturer, à se rendre malheureuse et anxieuse à ce degré que nous
constatons.
Laissant évoluer la malade quelques jours, elle est revue ultérieu-
rement, et, à ce moment-là, avoue, avec d'ailleurs beaucoup de sincérité,
qu'elle dort beaucoup mieux, et qu'elle n'a plus d'angoisses physiques
elle n'a plus ces malaises organiques qui étaient si désagréables, mais
;
elle n'est toujours pas guérie, et, dit-elle, elle est constamment, perpé-
tuellement harcelée, tourmentée par l'idée de vieillir. Elle continue à ne
pas vouloir porter de lunettes correctives pour son hypermétropie, et.
tout en se plaignant de voir, cependant, d'une façon aussi trouble et
aussi gênante, elle ne peut pas se résigner à afficher ce signe d'un vieil-
lissement quelconque.
Elle déclare ne pas vouloir entrer en maison de santé, affirmant que
ceci ne pourrait que l'aggraver, qu'elle s'y ennuierait, tout le temps en
tête-à-tête avec ses pensées, et que cela risquerait de lui faire plus de
mal que de bien. Et, en même temps, elle proteste vivement de la crainte
d'être accusée d'un manque de volonté, en affirmant qu'elle déploie
toute son énergie, tout ce qu'elle peut comme ressources volontaires pour
;
se guérir, pour s'affranchir de son anxiété et pour retrouver la santé.
Elle continue son traitement sédatif et, quinze jours encore plus
tard, reconnaît qu'elle dort tout à fait bien, qu'il n'y a véritablement
plus ni angoisse, ni nervosité, même qu'elle n'a plus ces états d'excita-
tion motrice, ce besoin d'aller et venir, dé se déplacer, de se lever, et
de tourner dans sa chambre comme un lion en cage.
Mais, elle se montre toujours tout à la fois triste et pessimiste, quant
à son avenir, et, en même temps, extrêmement prolixe, décrivant ses
moindres états d'esprit, exhibant les moindres symptômes, et, vérita-
blement semblant éprouver un plaisir inlassable à se raconter, à se
décrire et à apitoyer le médecin.
;
Elle avoue qu'elle s'ennuie quand elle est toute seule qu'elle n'a
;
pas d'occupation et qu'elle n'en recherche pas qu'elle est toujours très
gênée, très contrainte et douloureusement affectée en présence d'autres
personnes, qu'elle redoute toujours leurs réflexions ou leur observation,
et qu'elle ne se sent à peu près tranquille et à l'aise qu'en compagnie
d'une servante, une jeune fille de la campagne, tout à fait simple, dont
elle ne redoute évidemment pas le jugement ou la critique.
Elle avoue également que, par moments, et surtout le soir, sa vision
lui paraît un peu plus nette.
D'autre part, point qui nous paraît, à ce moment-là, avoir une cer-
taine importance, les règles sont revenues, en avance sur la date prévue,
mais tout à fait normales comme allure et comme quantité.
Nous lui soulignons, de ce fait même, que l'idée d'une ménopause
devrait être écartée et qu'elle pourrait, au moins, par là, se trouver
un peu rassurée. Mais, son pessimisme n'en persiste pas moins.
Ne l'ayant pas revue, j'apprends que, au bout d'un mois, elle est
;
allée, spontanément et d'elle-même, dans une maison de santé, dont je
lui avais, jadis, donné l'adresse et elle y reste quelque temps pendant
lequel elle se conduit d'une certaine façon qui mérite d'être retenue ici.
Tout d'abord, dès les premiers jours, s'adressant au médecin de la
maison de santé, et se faisant examiner par lui, elle trouve le moyen
de l'amener à changer et à bouleverser le traitement qui lui avait été
prescrit antérieurement.
:
Elle s'organise, à l'intérieur de la maison de santé, pour devenir un
;
centre d'intérêt elle participe brillamment aux réunions de culture
;
physique que l'on donne aux malades au salon, elle est une causeuse
entourée et qui joue un rôle d'une certaine importance et, autour d'elle,
médecins et employés sont tous aux petits soins. Elle sait être aimable,
et séduit tous ceux dont elle a besoin.
Lorsque je vais la voir au bout de quelque temps de séjour, elle me
déclare s'ennuyer loin de chez elle et de ses habitudes, mais être un peu
plus rassurée pour ses yeux.
Bien entendu, j'apprends qu'elle reçoit des visites quotidiennes et
prolongées de son mari, contrairement à la défense que j'en avais faite.
Ici, se place un incident qui me paraît assez typique et que je dois
également mentionner.
Cette malade mange très rapidement d'habitude et ne semble avoir
jamais, antérieurement, éprouvé de troubles digestifs. Or, pendant son
séjour à la maison de santé, elle a une voisine de table qui se plaint de
troubles dyspeptiques pour lesquels, d'ailleurs, elle est en traitement
dans cette même maison.
Notre malade, sachant qu'un spécialiste gastrologue doit venir en
consultation prochainement, pour sa voisine, s'arrange pour savoir
l'heure de sa venue, l'attend dans un couloir, s'arrange pour le rencon-
trer et se le faire présenter et insiste vivement, malgré les scrupules du
médecin traitant, pour obtenir une consultation de ce spécialiste. Ce
spécialiste, très pressé et scrupuleux également, essaye de se défendre
mais, enfin, elle insiste à un point tel qu'elle obtient un examen.
;
Il faut savoir que, dans les jours suivants, elle se plaint quelque
peu du prix, qu'elle trouve trop élevé, de la consultation, mais que les
troubles digestifs ont disparu, au moyen d'un traitement d'ailleurs assez
simple.
Quand je la vois, quelques jours après, elle me raconte tout ce
petit incident, mais avec un air de triomphe manifeste et tout en avouant
qu'elle est beaucoup moins inquiète pour sa vue.
Elle signale que le médecin lui a prescrit une heure de rppos après
le repas et elle y revient à plusieurs reprises, avec intérêt, en soulignant
ce point dans sa conversation.
Par trois fois, moi-même, je lui demande pourquoi elle insiste
tellement sur cette prescription avec un plaisir aussi manifeste, et elle
:
finit par me dire « C'est pour que vous ne croyez pas que j'exagère ».
J'essaye, à ce moment, de lui expliquer, dans un but psycho-thérapique,
les mécanismes qui me paraissent apparents dans cet état, en lui mon-
trant, me semble-t-il, qu'elle a un besoin de se croire malade pour
oublier la souffrance morale que lui cause la venue possible d'un âge
différent, pour être réconfortée. Et, je m'efforce de l'exhorter à changer
d'attitude, dans un but utilitaire, pour elle-même, pour être moins mal-
heureuse, pour rassurer également son mari, et pour créer, en elle-même,
peut-on dire, une auto-suggestion qui la rende moins anxieuse et plus
vivante.
:
Elle paraît assez bien accepter ces conseils et conclut notre conver-
sation en disant « Bien, je me ferai reteindre les cheveux », ce qu'elle
avait négligé depuis quelque temps.
Deux mois après la première consultation dont nous avons parlé,
elle rentre chez elle, reprend une vie plus active, reconnaît une certaine
amélioration de son anxiété, et exprime simplement un ennui, d'ailleurs
légitime, pour sa vue un peu troublée, pour le fait d'être obligée de
porter des lunettes. Puis, là-dessus, arrivent les vacances et je la perds
de vue.
*
**
;
guère le signe d'un état mélancolique. A certains moments, elle était
capable d'envisager une guérison complète si elle était rassurée sur sa
vue, elle manifestait le désir de reprendre sa vie, à la condition, toutefois,
de ne pas être astreinte à reporter des lunettes.
On pourrait formuler les mêmes réserves à l'égard d'un état anxieux
pur et simple également, d'autant plus que notre malade, toujours sous
la condition de guérison de ses troubles visuels, admettait la guérison
presque automatique de son état nerveux et de son inquiétude.
Le fait d'une répercussion émotionnelle, directement causée par un
choc quelconque, ou une contrariété, est évidemment plus difficile à
éliminer dans le cas actuel. Mais, on trouve un minimum de troubles
émotifs organiques, de troubles circulatoires ; elle n'a pas de palpita-
tions, et, d'autre part, sous la réserve que vaut une constatation négative,
on ne connaît pas, chez elle, de gros choc émotionnel.
La réaction d'anxiété, d'autre part, ici, est tout à fait disproportion-
née avec le symptôme qu'elle a perçu, c'est-à-dire un léger trouble dans
sa vision.
D'autre part, dès la période de début, même au plus mauvais
moment, malgré cette sub-agitation habituelle et cette instabilité motrice
qu'elle manifestait, ordinairement, elle était parfaitement calme pendant
un examen et pouvait converser pendant une heure sans aucun de ces
gestes ou de ces mouvements d'un émotif irritable qui éprouve le besoin
de s'egiter, même sans le vouloir.
D'autre part, étant donné un état émotif à répercussions ordinaires,
celles-ci se seraient manifestées un peu dans n'importe quelle circons-
tance et n'auraient pas été aussi électivement réservées à la présence de
son mari.
Et, du reste, l'épreuve thérapeutique nous a montré qu'après l'amé-
lioration des réactions émotives, par le traitement, elle restait avec le
même état mental, le même besoin d'apitoiement et de démonstration.
On aurait pu envisager, encore, un état de fatigue générale, de
fatigue organique, de dépression, et ceci rappelle les idées de Baruk
;
relativement au début de certains états hystériques, où il attribue un
;
grand rôle à une dépression organique générale mais, ici, nous ne trou-
;
vons aucun symptôme organique ou viscéral de cet ordre la tension
artérielle est normale il n'y a aucun signe de fatigabilité, comme il a
été signalé déjà plus haut, et la malade peut tenir tête à une discussion
avec le médecin, et à une conversation extrêmement active, pendant
plus d'une heure, sans manifester aucun signe de lassitude.
épisodique;
On pouvait également se poser le problème d'un état obsessionnel
mais, si la crainte pour les yeux et pour la vision était obsé-
;
dante chez notre malade, c'est un fait entendu, elle ne constituait pas
une véritable obsession il n'y avait pas, chez elle, on ne constatait du
moins pas cet état de doute et de croyance associé avec ces tentatives
de lutte intérieure pour éliminer l'idée obsédante, je dirai même, au con-
traire, que l'on pouvait apercevoir plutôt une satisfaction de penser à
son obsession, d'y penser et d'en parler.
Il fallait également songer à l'hypothèse de troubles d'origine glan-
dulaire, chez cette malade, et d'une dysfonction ménopausique et pré-
ménopausique. Rien ne nous le confirme, puisque les règles, antérieure-
ment plus rares, sont revenues normalement, que nous n'avons pas
trouvé de retentissement sur l'état général ou sur l'état nerveux, et pas
de modification de l'état psychique, d'ailleurs, en rapportavec le retour
des règles.
Peut-on admettre qu'il y ait eu des malaises cénesthésiques, circu-
latoires d'origine glandulaire, qui aient été le substratum, le support phy-
siologique d'un état anxieux, et que, après la disparition des troubles
nerveux et le retour des fonctions glandulaires, ait persisté un état
?
mental particulier en tant que séquelle Il est bien difficile de le tran-
cher, et ceci, en tout cas, ne pourrait pas expliquer totalement l'allure
particulière, le comportement de cette malade, ainsi que l'incident typi-
que que nous avons signalé de la consultation du gastrologue.
Ajoutons, à ce point de vue de l'étude du fonctionnement glandu-
laire chez elle, qu'il n'y avait aucun autre signe clinique de perturbation
endocrinienne, et, tout spécialement, que la malade n'était pas sensible
à la thyroïde, puisqu'un essai antérieur avait démontré l'absence de réac-
tion provoquée par celle-ci, et qu'il n*existait présentement aucun signe
de maladie de Basedow.
;
Reste enfin l'hypothèse possible d'une simulation volontaire et arti-
ficielle, d'une exagération consciente et voulue mais la politique que
;
suivait la malade n'était pas véritablement utilitaire pour elle elle s'im-
posait authentiquement un ennui, un isolement, des frais de traitement
;
auxquels elle était fort sensible et la privation de toute activité et de
toute distraction ou, alors, si, véritablement, ceci était une attitude
volontairement prise, il faudrait admettre, à la base, un trouble du juge-
ment considérable pour la motiver contre l'intérêt même de la malade, et
nous retrouvons, ici, tout le problème de la simulation hystérique.
Ce qui paraît sincère et réel, c'est, dans le fond, un état d'anxiété
légitime chez la malade, et, pratiquement, d'une façon secondaire et
surajoutée, un besoin d'exagération, de mise en scène, qui en fait la
caractéristique clinique.
Par conséquent, après cette discussion, la conclusion qui me paraît
s'imposer est celle d'un syndrome hystérique. On y retrouve le sentiment
de conséquences:
de faiblesse devant l'inévitable qu'est le vieillissement, avec son cortège
hypermétropie, port de lunettes, blanchissement des
cheveux, suppression des règles, diminution de la séduction féminine.
Ceci aboutit à un état moral évidemment pénible, avec ou sans trou-
bles physiologiques, créant un malaise physique légitimement perçu,
qu'il soit visible ou non, peu importe dans la discussion actuelle.
Ce qui est caractéristique, c'est l'incapacité d'acceptation d'une
;
autre attitude, d'un changement dans la vie c'est l'inaptitude à s'adap-
ter à quelque chose de nouveau et de moins agréable, mais que l'on ne
peut éviter.
Et, d'autre part, nous retrouvons ce point particulier du syndrome
hystérique qui est le besoin de déplacer la responsabilité d'une situation
donnée en rejetant la faute sur une maladie organique, sur quelque
chose contre quoi on ne peut rien, et ceci en particulier, nous rappelle
ce trait, qui a été signalé chez la malade, de la crainte d'être taxée d'exa-
gération, manifestée par la malade.
Enfin, nous y voyons très nettement la recherche du bénéfice secon-
daire de la névrose qui est un véritable besoin, comme je l'ai décrit, de
revendication affective, besoin d'exploitation et d'utilisation de l'atten-
;
tion du mari, recherche de son attention et tendance à accaparer son
;
temps et ses efforts ceci même n'est pas forcément utilitaire ni immé-
diat comme application, mais pouvant être réalisé par anticipation car,
en fait, il est constant que le mari était, même au moment de la maladie,
et même au moment où sa femme était le plus déprimée, le plus triste,
aussi empressé, aussi tendre et aussi dévoué que jamais il avait pu l'être.
Nous retrouvons donc, dans cet état mental, ce fait d'arriération
affective qui paraît fondamental dans les états névrotiques et qui repré-
sente un comportement enfantin recherchant un apaisement à une souf-
france réelle en exploitant l'affection d'autrui.
Notre malade a toujours été une enfant gâtée, elle s'était bien
accommodée, dans sa vie, des soins, de l'affection qu'elle recevait, mais,
dans son esprit, se produit une rupture d'équilibre, simplement par la
prévision d'un avenir moins heureux.
Peu importe qu'il y ait, d'ailleurs, un chaînon intermédiaire en ce
qui concerne le problème clinique et la pathogénie ; en fait, ce qui est,
:
et qui est indiscutable, c'est, ici, un état névrotique d'exploitation et
d'ostentation le besoin de montrer et de mettre en valeur des troubles
d'apparence somatique, non objectifs, s'accompagnant d'une revendica-
tion affective et d'un comportement caractéristique, surtout à l'égard
du mari.
Quelle peut être la proportion du mélange d'exagération volontaire
?
ou de sincérité et d'illusion Ceci ne peut pas être précisé.
*
**
:
A ce point, deux données nous paraissent à établir les syndromes
de ce genre, ces syndromes de réactions fonctionnelles, que l'on peut
qualifier du nom d'hystérie, paraissent bien quelque chose d'acquis et
non point de constitutionnel. Ici, même, nous constatons que le premier
épisode se produit lorsque la malade a l'âge de 44 ans, et alors que
dans ses antécédents, on ne trouve véritablement aucune manifestation
analogue ou qui puisse y être rapportée. Mais, lorsque se produit une
rupture d'équilibre entre les conditions de sa vie antérieure et celles
qu'elle prévoit pour l'avenir, quand ses habitudes affectives paraissent
prises au dépourvu par un changement dans un sens désagréable, elle
;
ne paraît plus capable de tolérer cela et de s'adapter à ces conditions
nouvelles il s'agit, là, en somme, véritablement, non pas d'une tare
ou d'une maladie constitutionnelle, mais d'une réaction fonctionnelle,
liée aux circonstances.
Un deuxième point consiste dans l'existence véritable, et que dé-
montre cette observation, de troubles que nous pouvons légitimement
;
immédiatement, un ophtalmologiste qui a découvert des faits nouveaux,
une évolution grave il a posé le diagnostic d'un glaucome qui a dû
être opéré quatre jours après. Depuis, elle a souffert, à plusieurs repri-
ses, et présenté des troubles d'irritation, de congestion des conjonctives
et, véritablement, sa vision a été gênée et réduite dans une notable part.
Mais, ce qui est extrêmement important à signaler, en vue du pro-
blème qui nous intéresse ici, c'est que, depuis les troubles oculaires
graves et l'intervention douloureuse, avec ses conséquences avérées, l'état
mental de notre malade s'est complètement modifié. Elle présente, actuel-
lement, le moral tout à fait légitime et naturel que peut créer l'ennui
j
;
de souffrir et d'avoir des craintes, malheureusement trop ustifiées, pour
l'avenir de sa vision mais elle n'a plus du tout ce comportement un peu
de son mari ;
exhibitionniste et tyrannique à l'égard de son entourage, et spécialement
elle ne témoigne plus d'aucune opposition à porter les
;
lunettes indispensables pour le traitement de son œil elle-même se
reconnaît infiniment mieux, au point de vue de son état nerveux, et,
en somme, maintenant, elle est une pauvre femme qui souffre et qui a
des craintes légitimes et qui ne les exprime que dans une mesure extrê-
mement raisonnable et modérée.
Pour en revenir, après ces faits nouveaux, à notre discussion dia-
gnostique, il est logique de se demander si nous sommes encore en droit
l'affirmative en
?
de parler, ici, d'un syndrome hystérique Je crois pouvoir répondre par
séparant, cependant, deux problèmes un peu distincts.
D'une part, nous avons, croyons-nous, établi l'existence, chez cette
malade, d'un syndrome hystérique manifestement caractérisé par
l'ostentation de malaises, un ensemble de particularités persistantes dans
son comportement et sa façon d'être, en particulier le besoin d'attirer
l'attention, d'accaparer les soins de son mari, et le désir de ne pas paraî-
tre exagérer l'importance de ces troubles, et ce qui indique déjà, dans
une certaine mesure, la conscience que l'on peut être accusé de cette
exagération même.
;
Qu'il y ait eu ici, ou non, une certaine mauvaise foi surajoutée, pour
amplifier volontairement, il est possible mais, en tout cas, la présenta-
tion clinique et l'attitude constante étaient bien celles de troubles fonc-
tionnels allégués dans un but de revendication affective, et, au besoin,
créés de toutes pièces, et disparaissant sous une influence suggestive,
comme cela se produisit à propos de la consultation du gastrologue.
Le second problème est celui même de la légitimité des troubles allé-
gués dans le cas de notre malade. Ils ont pu exister, en effet, et exister
même antérieurement à la constatation du glaucome, alors que l'examen
d'un spécialiste incontestablement qualifié, avait révélé l'absence de
toute lésion visible auparavant.
Rien ne peut prouver que l'absence de troubles objectifs nécessite
l'inexistence de toute sensation anormale. D'autre part, une fois ces
mêmes troubles ophtalmiques étant réalisés, il est impossible, comme en
matière de toute sensation et de toute douleur matérielle et essentielle-
ment subj ective, d'en apprécier la nature et l'intensité.
D'ailleurs, il s'agit, là, d'un fait très général, et spécialement dans
tous les problèmes concernant les syndromes névrosiques et hystériques
en particulier. A l'origine, il semble bien qu'il doit exister, la plupart du
temps, soit une simple anomalie physiologique, parfois même méconnue
de l'entourage, et non contrôlée par un examen médical, ou même une
aptitude physiologique particulière et qui n'a pas attiré l'attention des
observateurs, comme il peut, dans d'autres cas, exister très réellement
ou une lésion à l'état naissant, minime et difficile à déceler, ou voire
même une lésion ultérieurement constituée et cliniquement constatable.
Il est permis de se demander si certaines sensations vagues, peu
douloureuses mais mal déterminées, de par leur caractère même d'être
indéfinissables et indémontrables, ne sont pas plus particulièrement
favorables à l'éclosion d'un syndrome hystérique qu'une souffrance
même aiguë et précise. Est-ce pour le fait que cette dernière est plus
aisément admise par autrui ou parce qu'elle procure, grâce à son acuité,
une certaine satisfaction morale ou, enfin, parce qu'elle est dépourvue,
dans sa netteté, du caractère angoissant et mystérieux de l'ineffable ?
Peut-être ces trois groupes de motivation sont-ils souvent associés dans
la réalité.
Je ne crois pas que le problème de la réalité du trouble objectif qui
sée ;
une malade que l'on connaît comme étant depuis longtemps une névro-
et, ce n'est pas parce qu'elle a été, une fois
pour toutes, étiquetée
hystérique, qu'elle est préservée, définitivement, de toute atteinte
vent en
« nerveux »
:
matérielle. Il est à peine besoin de rappeler les inconvénients qui
résulter méconnaissance d'un état pathologique grave chez un
avéré ou, à l'opposé, incompréhension d'un état mental si
peu-
particulier qui vient surcharger et déformer la symptomatologie d'un
trouble corporel certain, mais peu important.
Ceci doit nous rappeler, une fois de plus, combien il est imprudent
de se placer à un point de vue unique pour orienter un diagnostic, un
traitement, combien il est urgent, à tout moment, de contrôler ses pro-
pres jugements, et combien, dans la pratique psychiatrique, nous devons
sans cesse recourir à l'investigation proprement médicale, et spéciale-
ment neurologique.
Je ne pense pas que l'on puisse reprocher à cette façon de voir,
de proposer une conception de maladies mixtes, comme, par exemple,
d'admettre une hystéro-appendicite ou une hystéro-gravidité. En fait, il
s'agit bien plutôt d'appliquer cette vieille notion classique distinguant
l'accident et le terrain. La maladie organique, quand elle est présente et
quelle qu'elle soit, peut être l'occasion ou le prétexte à déclencher une
réaction fonctionnelle, d'ordre psychique, chez celui qui la subit. On
admet bien couramment qu'il y a des suj ets pusillanimes, pessimistes
ou indifférents, qui supportent les mêmes accidents de santé d'une façon
tout à fait dissemblable. Les médecins de famille, qui sont bien placés
pour cette forme d'observation, le savent mieux que quiconque.
D'autre part, tenir compte du terrain sur lequel se développe la
maladie n'implique aucunement, dans mon esprit, que l'on se réfère à
Une constitution innée, fixée une fois pour toutes. On est forcé de recon-
naître, par l'étude des faits cliniques, que l'état mental, la réceptivité
affective est quelque chose de variable avec le temps et selon les circons-
tances. Certes, on ne peut guère contester, surtout chez les adultes, qu'il
existe une sorte de coefficient personnel de résistance aux ennuis, aux
sacrifices, à la maladie, en particulier. Mais cette aptitude a cependant
des marges assez vastes, selon les circonstances, pour un même suj et. Tel,
qui a certains moments supportera de lourdes difficultés avec aisance,
voire avec stoïcisme, sera, dans une autre période, enclin à réagir, pour
Une perturbation minime, par de la dépression, de l'anxiété ou par une
véritable compensation hystérique, en fonction, dirai-je, de sa condition
affective actuelle.
Ceci nous aide à comprendre certains modes d'apparition particu-
liers d'états hystériques chez des adultes qui n'en avaient présenté anté-
rieurement aucune manifestation apparente. Si l'on s'en tenait à un
dogme d'innéité, de donnée constitutionnelle établie une fois pour toutes,
ces faits seraient peu expliquables, d'autant plus que la cause du déclen-
chement apparaît souvent minime. Mais je crois que l'on peut admettre
que la capacité de tolérance, la résultante vitale, comme nous l'avions
appelée, R. Laforgue et moi, était juste suffisante chez ces suj ets pour
leur permettre de franchir sans encombre plusieurs étapes de leur vie.
Encore une fois, il n'est pas douteux, qu'il y ait une part constitution-
nelle foncière, dans le degré de cette aptitude au sacrifice, mais il est
non moins certain que ce degré est considérablement influencé par
l'ensemble des circonstances vécues, et, en premier chef, par tout ce qui
constitue l'éducation.
Que ces sujets qui ont déjà fourni une certaine carrière sans trou-
bles névrosiques, se trouvent dans un état organique un peu déficient,
sous l'action de diverses contrariétés déprimantes, dans une situation de
conflit affectif défavorable, il suffit du moindre incident fortuit pour
rompre leur équilibre d'adaptation, provoquer l'apparition d'une
névrose. On peut faire la comparaison, dans le domaine proprement
intellectuel, avec ces personnes qui ont rempli correctement leurs fonc-
tions dans des emplois subalternes et qui se montrent inférieures à de
nouvelles fonctions, dès qu'il s'agit d'y faire preuve d'initiative ou de
responsabilité.
En somme, je crois pouvoir considérer le syndrome hystérique, non
comme une maladie ou comme une tare fixe, mais comme de réaction
psychique, à base d'éléments inconscients, réaction qui risque de se
produire quand les difficultés de la vie, réelles ou supposées, dépassent
la limite individuelle et actuelle de tolérance au sacrifice. Elle peut se
superposer à des troubles organiques authentiques, d'ordre neurologique
; :
ou autre, mais elle peut'en être indépendante et se manifester pour son
propre compte on y retrouve les mêmes conditions générales la reven-
dication, affective, par besoin inconscient de compensation, créant un
mode de comportement commun, visant à solliciter l'intérêt dans la
démonstration ostentatoire de souffrances qui aient les apparences d'une
fatalité extérieure, dont la personnalité ne soit pas responsable.
Pour en revenir au problème d'hystérie non neurologique, je crois
: ;
qu'il faut d'abord bien poser ce fait que le problème de l'hystérie,
à mon sens, ne touche pas à la neurologie elle-même je veux dire qu'un
état hystérique peut s'associer à une lésion neurologique et à des troubles
authentiques existants, constatables objectivement, comme il peut aussi
bien simuler certains troubles d'apparence neurologique, lésionnels et
qui sont, en réalité, de simples troubles de fonctions.
Je répète, ici, que l'exploitation affective inconsciente et comme
involontaire, peut, très souvent, se fonder sur quelque chose de réel, et
mettre en scène, non seulement des troubles, mais même de simples
particularités, de simples dispositions anatomiques ou physiologiques,
de petites anomalies individuelles comme il en existe chez beaucoup
de personnes, et que c'est simplement l'occasion d'une réalisation clini-
que qui donne à chaque malade son allure particulière et ses carac-
téristiques individuelles.
L'état d'ostentation, à base de revendication affective, qui me paraît
le fondement même du syndrome hystérique, peut créer de toutes pièces
ces troubles que l'on dit organisés par suggestion et susceptibles de
guérir par la suggestion elle-même, étant entendu que cette suggestion
n'est pas une transposition simple de la volonté du patient, remplacée
par celle d'une autre personne, mais simplement une tendance incon-
sciemment orientée en lui dans le but de toute une politique névrotique
qu'il ne s'avoue même pas personnellement.
**
Le besoin d'être malade, de le faire voir et de le faire savoir, d'être
soigné et, en même temps, de perdre la responsabilité d'un malaise qui,
au fond, nous apparaît comme purement psychogène, constitue souvent
une forme particulière de ces syndromes hystériques en prenant un
caractère qui paraît beaucoup plus directement hypocondriaque. On
peut, en effet, envisager cliniquement, tout d'abord, deux aspects un peu
différents de l'hypocondrie.
L'hypocondrie taciturne se présente avec un ensemble de craintes
;
relatives à la santé physique ou morale, assez fixées dans l'esprit du
malade, au moins pendant un certain temps elles ne sont pas sujettes
à des variations fréquentes, et le thème d'inquiétude, délirant ou non,
varie peu avec le temps.
Le malade semble profondément et douloureusement préoccupé par
ses troubles, il est généralement concentré sur lui-même et n'en parle
pas volontiers, sinon au médecin ou aux personnes qu'il juge suscep-
tibles de lui rendre un service sur lequel il compte. Mais il n'en fait pas
;
un étalage, une ostentation, dans son entourage, dans la vie courante
même souvent, ce seul trait de son
;
il est beaucoup plus renfermé
;
caractère est ce qui le signale à l'attention de ceux qui le fréquentent
il n'y a pas d'exploitation de sa maladie ou de ses craintes. Bien entendu,
souvent tourmenté par son inquiétude, il se documente dans une litté-
rature de vulgarisation dite scientifique, pseudo-médicale ; il cherche
des apaisements ou des explications,et ne fait, bien naturellement, que
;
renforcer ses craintes et ses appréhensions. Mais, ici, la bonne foi du
malade est véritablement apparente et doit être légitime il a toujours
espoir en un nouveau traitement. Il change de traitement et de médecin
à de nombreuses reprises, mais, chaque fois, en se livrant à des essais
sincères des traitements qui lui sont prescrits et en se désolant de
l'insuccès qu'il constate d'une façon régulière. En plus, son caractère
sombre et sa souffrance intime le poussent souvent, s'il a une tendance
d'esprit paranoïaque, à se livrer à des tentatives de revendications pro-
cessives, voire même quelquefois agressives et violentes. Mais, en tout
cas, cet ensemble de troubles de son esprit, qui ont tous les caractères
d'un besoin d'auto-punition, paraissent profondément douloureux pour
l'intéressé qui semble avoir le désir véritable de se débarrasser de sa
maladie.
L'hypocondriaque prolixe, au contraire, présente, en général, des
;
troubles cliniquement beaucoup plus variables et qui se modifient, d'un
jour, ou même d'une heure à l'autre chez lui, on observe assez souvent
qu'il peut être distrait, au moins passagèrement, de ses troubles, si
quelque occupation ou quelque conversation attire un peu son esprit
;
et lui est agréable. Il est modifiable, assez facilement, par l'ambiance,
par les circonstances et, nous connaissons l'observation de telle hypo-
condriaque de ce genre qui souffrait de troubles digestifs très prononcés
et très harcelants pour son entourage habituel, lesquels troubles dispa-
;
naissaient sitôt que l'on partait envoyage la malade affectionnait parti-
culièrement les voyages.
Souvent l'hypocondriaque prolixe parle volontiers à un entourage,
même non médical, à des personnes auprès de qui elle ne peut trouver
aucun secours technique, elle parle de ses malaises, de ses troubles, avec
une certaine satisfaction et donne un peu l'impression de s'en vanter.
;
Souvent même il peut y avoir chez elle une attitude de fausse
discrétion elle peut faire des petites mines de modestie vis-à-vis de sa
maladie, qui ne soient qu'un procédé manifestement destiné à la rendre
plus intéressante et à lui faire poser davantage de questions en sollicitant
l'intérêt de son entourage, et, en même temps, en lui donnant l'occasion
d'affirmer combien elle souffre, mais aussi combien elle a de volonté,
d'énergie, et véritablement cette allégation des efforts dépensés pour
lutter contre une souffrance terrible est une caractéristique assez
fréquente chez ce genre de malades.
De même, vis-à-vis du médecin, l'attitude de cette hypocondriaque
prolixe est tout à fait différente et la consultation ressemble plus à un
défi qu'à une demande de secours, de sa part à elle.
Cette hypocondriaque vantera ses maux, les exprimera avec des
détails et, en même temps, fera un assez grand étalage d'explications
d'aspect tout au moins scientifique, exaltera, généralement, sa très
grande sensibilité nerveuse, et, dans un syndrome qu'il n'est pas rare
d'observer, fera allégation de sensibilité indiscutable et paradoxale aux
différents médicaments. Beaucoup de ces malades se plaignent, et,
d'avance, préviennent le médecin qu'elles tolèrent mal les diverses
drogues, que, chez elles, celles-ci produisent des effets absolument
extraordinaires, paradoxaux, même à des doses infinitésimales, et que,
Par conséquent, il faut les plus grandes précautions pour pouvoir les
soigner.
Il y a, dans cette sorte de provocation lancée d'avance à l'art
médical, une attitude d'esprit qui est très caractéristique, et qui se
;
reconnaît quand on a l'attention attirée sur elle c'est elle qui fait
a priori prévoir par le malade l'insuccès de la thérapeutique qu'elle
vient demander à un nouveau médecin. Elle peut permettre aussi à
celui-ci de pressentir l'insuccès, parce que, au fond, il est annoncé par
la malade, et même on sent bien que, dans une bonne mesure, il est
désiré par elle-même.
Et, ces patients qui vont de médecin en médecin, qui tentent des
traitements de tous ordres, que, d'ailleurs, en général, ils n'appliquent
pas consciencieusement, y apportant presque toujours quelque modifi-
cation de leur cru, ces patients triomphent quand ils reviennent voir le
médecin. Cela n'arrive pas toujours, mais, quand ils le revoient, ont un
épanouissement de satisfaction en signalant que, « comme ils l'avaient
bien dit », ce qu'on a pu tenter ou entreprendre pour leur rendre service,
n'a rien produit, sinon des phénomènes d'intolérance, qu'un physiolo-
giste a beaucoup de peine à accepter comme légitimement causés par les
médicaments eux-mêmes !
En somme, de tels malades paraissent, à l'opposé des premiers,
véritablement désireux de conserver leur maladie, et d'en exploiter une
sorte de bénéfice sentimental.
:
Il paraît donc permis de conclure de cette étude, d'une part la
légitimité, que nous croyons réelle, d'un syndrome hystérique, sans
aspect neurologique ou pseudo-neurologique, avec ou sans base authen-
tique organique, mais simplement comme un mode d'exploitation
affectif, procédé psychique pour déplacer la responsabilité de l'ordre
psychique et conscient dans le domaine de la fatalité matérielle.
Et, d'autre part, nous croyons qu'il est permis, au moins clinique-
:
ment, et je pense aussi dans leur pathogénie, de distinguer deux types
d'hypocondriaques l'un paraissant surtout souffrir d'un besoin incons-
; :
cient d'auto-punition, hypocondriaque taciturne qui souffre de ses
troubles fictifs, qui voudrait en être débarrassé l'autre hypocon-
driaque prolixe, qui est une véritable forme particulière d'attitude
hystérique, éprouvant avant tout le besoin d'exploiter des troubles réels
ou allégués, dans un but simple de revendication affective.
H. CODET.
J. LEUBA
Observations cliniques
:
intérieur « Petit imprudent!
Les paranoïsants ici présents pensent probablement, dans leur for
Dans quel guêpier va-t-il se fourrer
Eh bien, je le dis très ingénuement : ça ne m'effraie pas du tout parce
?
que, n'étant pas paranoïsant, je n'ai pas la moindre opinion arrêtée sur
la paranoïa, pas plus d'ailleurs que sur l'hystérie de conversion ni sur
l'obsession.
Mon ambition est d'ailleurs des plus modestes, encore que l'ampleur
du suj et ne soit pas à la mesure de cette modestie. Entendons par là que
je ne méconnais pas la difficulté et que je vois bien tous les écueils sur
lesquels j'irais me casser le nez si je prétendais à autre chose qu'à
susciter une discussion, qui me paraît utile, non pas sur les points de
divergence, mais sur les points de convergence des mécanismes hysté-
riques, obsessionnels et paranoïaques. Je serais même tenté d'ajouter,
:
fort imprudemment puisque cela comporterait déjà, de ma part, une
prise de position paranoïo-hypocondriaques.
La discussion que j'espère susciter, je tiens à dire d'emblée que je
voudrais la voir porter sur des points aussi précis qu'il soit possible de
les délimiter, en une matière aussi flottante. Nous pouvons tout au moins
tenter de les circonscrire par élimination.Je voudrais, si cela est possible,
que l'on évitât toute discussion sur les cadres nosologiques des entités
morbides. Aux yeux d'un médecin non paranoïsant, c'est une discussion
qui apparaît — pourquoi ne le dirais-j e pas ? — un peu byzantine et
donc oiseuse. Il ne reste plus, dès lors, qu'à essayer de confronter les
mécanismes qui jouent dans les trois et même quatre maladies susnom-
mées et de rechercher quels pourraient être ceux de ces mécanismes
qu'elles ont en commun. C'est sur ce point particulier que j'attire votre
attention.
Je désire aussi, avant d'entrer en matière, dire un mot du titre de
cette communication. Le terme d'alternances a pu donner à penser qu'il
s'agissait de cas où des attitudes hystériques, obsessionnelles ou para-
noïaques alternent à la façon des phases de manie et de dépression chez
un maniaco-dépressif. En disant alternances, je pensais, il est vrai, à
quelques obsédées chez lesquelles des symptômes obsessionnels alter-
naient avec des symptômes hystériques, les premiers disparaissant
quand apparaissaient les seconds, et inversement. Chez toutes ces
malades — car ce sont des femmes — sont apparues au cours du traite-
ment des attitudes paranoïaques plus ou moins pénibles. Ces attitudes
ont marqué la dernière phase du traitement. Il eût donc été préférable
de ne pas parler d'alternance, mais bien plutôt de passage d'attitudes
hystériques à des attitudes obsessionnelles ou paranoïaques. C'est
d'ailleurs un détail de pure forme : le titre n'est pas adéquat à l'objet,
et voilà tout. Cela n'enlève ni n'ajoute rien à l'intérêt des observations
que voici.
J'avais été extrêmement frappé, il y a cinq ans, par la lecture d'une
communication du Dr Simmel, faite au congrès de psychothérapie de
Dresde. Je tiens à résumer ce cas parce qu'il est vraiment impression-
nant et peu connu.
On avait amené à la clinique du Dr Simmel un homme de cinquante
:
ans, machiniste sur un bateau de la marine marchande. Il était mori-
bond anasarque, ascite, œdème monstrueux des membres inférieurs et
notamment des génitoires, cyanose, dyspnée avec angoisse extrême,
stase de tous les viscères, anurie ou presque, avec treize grammes d'albu-
mine pour mille, teint subictérique, pouls à peine perceptible. Avec son
ventre batracanthropoïde, ses jambes éléphantiasiques, sa cyanose et
ses lèvres décolorées, il ne faisait pas figure d'un patient prêt à affronter
les longueurs d'un traitement psychanalytique.
Simmelle remet entre les mains d'un médecin compétent, qui épuise
en vain sur lui l'arsenal des médicaments cardio-rénaux. Son état
s'aggrave de jour en jour. En raison des renseignements anamnestiques,
Simmel se résout, avec beaucoup d'hésitations, à tenter une catharsis
par l'hypnose.
:
Ces renseignements anamnestiques, les voici marié une première
fois avec une femme qui faisait la putain, il a obtenu le divorce et la
garde exclusive d'une fillette de treize ans. Il s'est remarié avec une
jeune femme de vingt ans, fort jolie, avec laquelle il est impuissant.
Bien qu'il l'aime beaucoup, à l'entendre, il ne se plaît que sur son bateau,
;
qu'il ne quitte qu'à contrecœur, même durant ses congés. Ce bateau,
il l'a baptisé du nom d'un fleuve étranger mettons, avec Simmel, que ce
soit la Seine.
Sa première femme était à l'image de sa mère : acariâtre, harce-
lante, incapable d'un sentiment affectueux. Après son divorce, elle ne
cessait de le relancer pour lui demander de voir sa fille. Un beau jour,
excédé, il finit par révéler à la fillette que sa mère était une putain qui
couchait avec tous les soldats de la garnison pendant qu'il était sur mer
et que c'est là la cause de son divorce. La fillette n'a rien de plus pressant
que de le resservir à sa mère. Immédiatement après, celle-ci court se
jeter dans la Seine, devant la maison de son mari, et se noie.
Cet événement remonte à deux ans. C'est dès après lui que le malade
:
nomme son bateau la Seine et présente le premier symptôme de la
maladie actuelle de l'oppression, que le médecin consulté met sur le
compte d'un penchant à boire et à fumer avec excès.
En somme, l'hydropisie actuelle avait tout l'aspect d'une noyade.
Ce marin ne pensait qu'à l'eau, ne parlait que d'eau. Obsédé par la
pensée de l'eau, il disait, par exemple, que son père était mort, fort
jeune, d'une carie de l'eau, alors qu'il s'agissait d'une carie des os (en
français, il peut y avoir équivoque, à cause de l'identité de prononcia-
tion ; en allemand, il n'yen peut avoir entre « Wasserfrass » et « Kno-
chenfrass »). « Si je ne puis pas me débarrasser de l'eau, disait-il, je ne
pourrai jamais guérir ». Il concevait son mal comme un besoin d'eau et
il en parlait comme un morphinomane parle du besoin de morphine.
Dans l'hypnose, il commence par dire, spontanément, qu'il voudrait
pouvoir aimer sa jeune femme, niais qu'il ne le peut pas. Il parle ensuite
:
de ses disputes avec des collègues sur son bateau. Ces disputes se termi-
nent généralement par cette menace « Il faut qu'il y en ait un des deux
»
qui passe par-dessus bord (qui se noie). Après quoi, il se plaint de
souffrir beaucoup et voit nager dans l'eau de son corps une sorte de
paquet de nerfs. Subitement, il saisit l'urinai et se met à évacuer d'énor-
mes quantités d'urine. « Mon corps est plein d'urine, gémit-il, l'urine,
c'est de l'eau, de l'eau de Seine ».
Tout à coup, il a un accès de fureur effrayant, revoit sa première
:
femme couchant avec des soldats, puis la scène de la noyade, et finale-
ment il accuse « Ce n'est pas ma faute, c'est leur faute. Et maintenant
:
ma femme, cette sorcière, m'a mis toute l'eau de la Seine dans le corps.
Elle m'a bien dit, en me quittant, que je me souviendrais d'elle « Tu
penseras à moi, a-t-elle dit ». Maintenant elle me met le pied sur la verge
pour que je ne puisse pas uriner.
Après cette première séance, le malade se trouve dans un état de
bonheur ineffable. Il célèbre Simmel comme un sauveur, bien que son
état physique demeure aussi grave. Pourtant, après une nuit de bon
sommeil, il se plaint de souffrir, accuse Simmel d'avoir agi sur lui par
magie. Il ne tarde pas à entremêler de doutes ses protestations de recon-
naissance, et, une nouvelle crise très pénible d'asystolie survenant, à
prétendre que Simmel le persécute et provoque ses crises cardiaques
par des moyens magiques.
Il exige alors d'être ramené à la maison. Aussitôt arrivé, il boit l'eau
de tous les vases à fleurs, du baquet des radiateurs et de son rince-
bouche. Ce faisant, il déclarait que la clinique de Simmel était une prison
dans laquelle on l'avait enfermé comme un criminel, pour le faire
mourir de soif.
?
Que s'était-il passé Autant le dire tout de suite, quitte à revenir sur
l'argumentation à propos des autres cas. L'interprétation que Simmel
donne de cette hydropysie, vous l'avez probablement tous faite in petto
le moribond identifie l'eau qui est dans son corps avec l'eau de Seine
:
dans laquelle sa femme s'est noyée. Cette soif spasmodique d'eau,
identique à la faim du morphinomane, traduit son sentiment intérieur
de culpabilité relativement à la mort de sa femme et sa tendance à
annuler le divorce, cause du suicide, en s'unissant de nouveau à sa
femme morte, sous l'espèce d'un cadavre gorgé d'eau.
:
Le malade confirme pleinement cette explication en disant « Voilà
;
pourquoi j'étais constamment obligé de me lever la nuit, parce que je
suffoquais pourquoi je ne pouvais m'endormir, le soir, sans me garga-
riser indéfiniment, tant j'avais la gorge sèche. »
lui
De plus, Simmel fait comprendre que sa première femme, querel-
leuse, acariâtre, est très exactement la doublure de sa mère, à laquelle
il est demeuré très fixé puisqu'il a porté son choix sur une femme
semblable à elle. Que s'il est impuissant avec sa seconde femme, vénérée
comme une madone, c'est qu'elle représente l'enfant qu'il eût voulu
donner à sa mère.
:
de proj ection, sur le médecin. Celui-ci, de par la situation de transfert,
devient un condensé de tous les persécuteurs de jadis de son père,
terriblement sévère, de sa mère, non moins sévère et incapable d'une
démonstration affectueuse, qui tous deux ont engendré chez l'enfant un
surmoi brutal.
Reste à expliquer l'oligurie, l'albuminurie, le spasme des coronaires
qui provoque les crises d'angor, autrement dit, reste à expliquer la
conversion hystérique. Une bagatelle, comme chacun sait. On ne peut
pas prétendre que les symptômes dont se mourait ce malade aient été
une simple coïncidence et que tout ce qu'il a raconté durant deux
séances d'hypnose, puis au cours du traitement qui a suivi, n'avait rien
à voir avec la maladie. Car le moribond en réchappa et se remit complè-
tement. A l'époque où Simmel donnait ce rapport, il y avait deux ans
qu'il avait repris sa navigation sur mer. D'ailleurs nous n'en sommes
plus à admirer ces renversements, puisque nous en sommes à en chercher
une explication.
Je ne vais pas passer en revue les diverses hypothèses qui ont été
proposées. Dans une étude remarquablement condensée de Parche-
miney, parue au n° 1 de la revue française de psychanalyse, année 1935,
vous trouverez, très clairement résumées, toutes ces théories. Je renvoie
sans vergogne à l'étude de Parcheminey, afin de ne pas perdre de temps
à des redites. Ces théories sont les unes psychologiques (Janet et
Babinski), les autres physiologiques (Pavlov), biologiques (Kretschmer
et von Monakov). L'école de Sainte-Anne se range à une théorie physio-
pathologique. Enfin, la théorie psychanalytique de Freud peut se ranger
dans les théories physio-psychologiques. Je ne la résumerai pas. Mon
dessein est de vous faire connaître et discuter un essai d'explication du
mécanisme intime de la conversion dû à Simmel. Je ne le trouve cité
nulle part et il me paraît cependant digne d'être connu et discuté. Cet
essai d'explication se fonde d'ailleurs, au départ, sur la théorie de Freud.
Pour le comprendre, il nous faut partir de ce fait, d'observation
quotidienne, que le symptôme maladif a une fonction vicariante entre
le physique et le psychique. Cela est si évident que les praticiens de
médecine interne, sans le dire explicitement, le reconnaissent implici-
ternent et par intuition quand ils cherchent, comme certains le font, à
découvrir la cause morale qui leur paraît conditionner un état morbide
dont la gravité n'est pas justifiée par les symptômes objectifs. Ou bien
quand leur thérapeutique s'use contre un symptôme dont ils ne parvien-
nent pas à comprendre la cause. Allons plus loin et disons que les
troubles fonctionnels d'un organe déterminé ont une substructure
psychonévrotique spécifique.
Cette spécificité n'est pas toujours facile à mettre en évidence. Ainsi,
quand une hystérique souffre successivement de tremblements de tout
le corps, de clonus du genou, de tremblement des mains, de trémulations
des muscles intercostaux, de névralgies occipitales, de tiraillements
d'estomac, de maux de tête, de vertiges, on ne voit pas très bien quel est
l'organe qui porte la substructure psychonévrotique spécifique. On ne
peut que retenir la spécificité du symptôme dominant, qui est le trem-
blement. L'exploration psychique révèle que cette malade épie constam-
ment les petits bruits et qu'elle était prise de tremblements toutes les
fois que, fillette, elle avait peur d'être surprise se masturbant. L'ayant
surprise, sa mère l'avait fait trembler de terreur devant ses menaces de
punitions présentes et à venir. Tous les symptômes de l'adulte apparais-
sent comme une punition de la masturbation, mais aussi comme un
succédané de masturbation. Dès lors, n'importe quel bobo devient un
point de fixation. Une névralgie accidentelle est transformée en névralgie
tenace, simple phénomène de déplacement. Ceci est un cas banal,
d'ailleurs complexe, qui ne fournit pas d'explication du mécanisme
intime. Dire que le tremblement représente alors une régression à un
réflexe conditionnel élémentaire est un moyen de description satisfaisant,
mais ne constitue pas une explication.
Mais voici un exemple plus simple. C'est un homme de cinquante-
deux ans avec qui j'étais entré en relations d'amitié. Il était tout ensem-
ble au plus haut point intéressé et rebuté par la psychanalyse, ainsi
:
qu'il arrive à tous ceux qui ne se sentent pas en ordre au point de vue
Psychique. Il me dit un jour « Vousme faites rigoler avec vos com-
plexes. Moi je n'en ai point et je vous mets au défi de m'en trouver un. »
— Et si je vous en désigne un, lui dis-je, en m'appuyant sur de petits
indices, me répondrez-vous sincèrement ? — Certainement. — Eh bien,
:
vous avez, au degré le plus grave, le complexe le plus gênant qui puisse
annihiler des dons magnifiques le complexe de castration. Vous souffrez
d'une impuissance sexuelle totale. »
— « Eh bien, je vais tout vous
;
l'âge de dix-neuf ans mais cela ne tient pas à des causes psychiques
je suis insuffisamment développé. »— Je lui fais remarquer que chez
:
dire. Je n'ai pas eu d'érection depuis
un colosse d'aspect aussi viril, ce serait bien étonnant, et que tous les
impuissants en disent autant. Il me demande alors instamment de
l'examiner, en me faisant promettre de lui dire s'il est, oui ou non,
insuffisamment pourvu. La première chose que je constate, c'est un
développement normal de ses organes. En second lieu, un eczéma à la
face interne d'une cuisse. Je lui demande depuis quand il a cette grande
tache eczémateuse. Il me répond qu'elle a coïncidé avec la disparition
négligemment :
des érections et qu'il l'a touj ours eue depuis lors. Je laisse tomber
« Vous faites vos érections dans votre peau. lisserait
:
une punition de sa masturbation et comme une protestation contre les
sévérités paternelles. C'était une façon de dire à son père « Je ne bande
plus, mais je banderai quand même et tu n'y verras rien. » La spécifité
psycho-névrotique apparaît, précisément, dans le caractère réactionnel
psychique du symptôme. Car son père, protestant ultra-rigide, l'avait
sermonné un jour qu'il sortait des w.-c. rouge comme une pivoine.
De plus, après cette soirée, et pendant plusieurs mois, cet ami me fit
grise mine, me dénigrant auprès de diverses personnes et prétendant
que je l'avis rendu complètement incapable de tout travail efficace.
Ce n'est qu'à la mort de son père qu'il revint vers moi et m'avoua
franchement qu'il avait été inj uste à mon égard, mais qu'il ne se rendait
pas compte du revirement qui s'était produit en lui.
Son agressivité inconsciente contre son père castrateur s'était tourné
contre moi, comme dans le cas du malade de Simmel. Ici aussi, passage
d'un symptôme de conversion hystérique à une attitude paranoïaque.
C'est précisément ce passage d'un état à un autre état qui fait l'objet
de ces cogitations. Mettons la charrue devant les bœufs. Je désire y venir
par le truchement de l'explication de Simmel, qui me semble fournir
des éléments capables de conduire à une communauté de mécanismes.
Simmel pose donc en fait que dans les relations psycho-physiolo-
giques qui conduisent à une maladie organique il existe une fonction
vicariante des deux systèmes physique et psychique. On peut même
admettre que cette fonction vicariante constitue deux forces antagonistes.
Ainsi, par exemple, le taux de l'albumine descend de 13,0 g. p. m.
à 1,5 pendant la séance d'hypnose, pour arriver peu à peu à zéro.
La seule explication possible, dit Simmel, est que la détente psychique
obtenue à la faveur de l'hypnose, rendant inutile la compression déme-
surée du refoulement, a relâché soudainement l'hypertonicité des vais-
seaux contractés spasmodiquement. Ce spasme vasculaire représente un
contre-mécanisme physique, dirigé contre un inconscient trop pressant
et qui a pour effet de décharger la psyché. Le cœur, probablement atteint
primitivement (par des excès d'alcool), a à lutter non seulement contre
la stase passive des organes, mais aussi contre le spasme actif des
coronaires et de tout le système vasculaire. Les reins, tout spécialement,
deviennent, à raison des conflits infantiles refoulés (conflits relatifs au
sadisme uréthral marqué par la prolongation de l'incontinence d'urine),
des organes de rétention, antagonistes des organes d'excrétion qu'ils
doivent être.
On peut se représenter à peu près comment l'énergie destructive,
au service de la tendance à mourir par sentiment de culpabilité, se voit
barrer la route par la protestation de la conscience, passer du système
moteur externe au système moteur interne par le moyen des centres
végétatifs et déterminer le spasme vasculaire qui menacera de nouveau
la vie.
Quant à la douleur physique, elle serait, selon Simmel, en corré-
lation avec une dépression mélancolique, dont Freud dit qu'elle se
produit par identification narcissique avec l'objet d'amour qui déçoit
et par retournement contre le propre moi de la haine et de la rage dirigés
contre cet obj et. Le trouble fonctionnel organique jugule ainsi le conflit
dû à l'ambivalence, préserve l'individu de la mélancolie en détournant
de l'ensemble du moi l'instinct de mort libéré pour le localiser sur une
partie du moi corporel.
Ainsi l'état de maladie est bien souvent un état désirable, parce
qu'il permet de centrer l'instinct de mort sur une partie du corps, au lieu
de conduire l'individu à se tuer ou à tuer l'autre. L'homme a donc droit
à la maladie pour ne pas se condamner à mort quand le poids énorme
d'une culpabilité inconsciente entraîne un besoin irrésistible d'auto-
punition.
J'en verrais la preuve dans le cas de cette obsédée qui a présenté
alternativement des symptômes hystériques et obsessionnels, et, épiso-
diquement, des symptômes paranoïaques. Elle disait elle-même préférer
de beaucoup les périodes où elle endurait des douleurs physiques parce
qu'elle y trouvait un véritable apaisement. Il faudrait pouvoir exposer
minutieusement les détails de ce cas, de même que ceux de beaucoup
d'autres.
La première observation précise de ces alternances d'attitudes
obsessionnelles et hystériques, je l'ai faite chez une femme de qua-
rante-sept ans. Elle est la benj amine de trois filles. Son père est mort
quelques mois avant sa naissance. Sa mère, obsédée elle-même, a dressé
à son mari défunt des autels, entretenant ses filles dans le culte de leur
père. Un oncle maternel, qui vivait avec eux du temps que le père était
en vie, remplace ce dernier jusqu'à sa propre mort, qui survient alors
que la malade avait quelque cinq ans. Depuis lors, cette petite reste
fixée à sa mère, ne la quitte pas d'une semelle, fait des crises de désespoir
quand elle s'absente pour une simple visite, se cramponne à sa jupe
jusqu'au confessionnal. Elle ne cesse de répéter que si sa mère meurt,
elle veut être enfermée dans la même boîte qu'elle.
Jusqu'à son mariage, elle couche avec elle, excellente préparation
à coucher avec un mari. Ce que fut la vie du ménage, entre un brave
butor de mari qui se donnait comme omniscient, une femme tantôt hysté-
rique et tantôt obsédée, haïssant les hommes à un degré inouï, agressive
au point, dans sa frigidité, d'éjaculer (autre symptôme hystérique) avec
ses glandes de Bartholin si copieusement que son mari était obligé
d'étancher ses débordements avec une serviette, et une belle-mère
obsédée qui ne cessait de reprocher à sa fille les efforts, d'ailleurs très
maladroits, qu'elle faisait pour contenter tout le monde et son père,
ce que fut cette vie, on peut l'imaginer.
C'est après la mort de cette mère obsédée, survenue malheureu-
sement quinze ans trop tard, que l'obsession s'installe définitivement et
d'une manière telle qu'elle nécessite un traitement. La mère est morte
d'un epithelioma externe. La tumeur, précocement ulcérée et fétide,
nécessitait des soins pénibles. Aussi sa fille ne cessait-elle d'en appeler
à la clémence de la divinité, la suppliant de rappeler à elle cette mère
si affligée. Bien entendu, ces prières, sous une apparence humanitaire,
cachaient une haine très ignorée et le sentiment inconscient de culpabi-
lité fit un bond quand enfin la divinité, dans sa grande bonté, daigna
délivrer tout le monde.
En effet, tout de suite après la mort de sa mère, la malade tombe
dans un état de prostration inquiétant. Elle refuse tout aliment, ne se
couche presque plus, dort à peine, et se montre d'une agressivité pro-
gressive et féroce envers son mari, qui détestait ouvertement sa belle-
mère. Après avoir essayé toutes les hydrothérapies et dépensé une petite
fortune à des soins inutiles, elle se résigne à revenir à la maison, parce
qu'elle ne pouvait pas se supporter loin de ses enfants, qu'elle ne cessait
de se représenter écrasés, noyés ou incendiés. Elle est en outre tour-
mentée par une obsession dont elle ne parle à personne pendant plu-
sieurs années, mais qu'elle finit par confier à son mari. Pour bien
comprendre l'enchaînement des symptômes, il est nécessaire de remonter
a l'enfance.
Le début de l'obsession se situe, dans les souvenirs conscients, à l'âge
de trois ou quatre ans. A cette époque, elle avait été, durant tout un été,
hantée par la crainte de voir la mer engloutir sa maison avec tous ses
habitants. C'est
au retour d'une promenade avec une bonne qu'elle avait
été subitement traversée
par cette crainte. Sa vie durant, elle a eu une
terreur panique des tempêtes, des orages et de la mer agitée. Cette
obsession n'a pas duré. Elle est réapparue un peu avant la puberté, avec
la masturbation. Elle en concevait une honte indicible. Aussi ne s'en
confessait-elle jamais d'une façon explicite. La famille, très bigote, tenait
table ouverte à tous prêtres, notamment pour l'un d'eux, qui devait être
un peu épris de la fillette, alors fort jolie. Ces confessions, à peine ébau-
:
chées, se heurtaient à un refus du prêtre qui s'empressait, pour ne pas
en entendre plus, de dire « Oui, oui, vous avez mis la main où il ne
fallait pas. Ne recommencez pas, ne recommencez pas. » Si ce prêtre
avait été plus curieux, il aurait appris des choses utiles à la fillette. Car
:
plus elle se confessa par la suite, moins elle se confessa, puisqu'elle ne
formula jamais les fantasmes dont elle se servait c'était sa mère qui
la masturbait. Il eût aussi appris qu'elle déshabillait en pensée le prêtre
pour voir ses organes. En réalité, disons-le tout de suite, l'investigation
a montré que l'obsession a présenté trois phases différentes. Au moment
où j'ai pris la malade en traitement, elle était obsédée par la crainte
d'étrangler toute personne rencontrée. « Si je l'étranglais. Savoir si je
:
ne serai pas obligée de le faire un jour. » En embrassant ses enfants,
elle se mettait à sangloter, se disant « Penser que je les embrasse et
que j'ai envie de les étrangler ».
Dans une phase découverte ultérieurement, le « si je l'étranglais»
devenait « si je regardais ses organes génitaux ». Cette phase correspond,
dans l'adolescence et jusqu'à son mariage, à des scrupules religieux.
Elle n'osait plus retourner à l'église parce que, lors de l'élévation, elle
ne pouvait s'empêcher de se représenter le prêtre officiant mettant
flamberge au vent et pissant dans le ciboire. Disons en passant que sa
grand'mère, obsédée elle aussi, et autoritaire, obligeait les trois filles
à passer leur dimanche entier à l'église, décidant sans appel de la
toilette qu'elles devaient mettre pour chacun des différents offices. Sa
haine de cette grand'mère se dissimulait sous une obéissance et une
soumission angéliques.
Dans une troisième phase, nous découvrons que le « si je regardais
rîes organes génitaux» est devenu « si je lui coupais ses organes géni-
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taux ».
Si j'étranglais mon fils r'ifie dr"\(' : si je le châtrais. C'est pe
moment-là qu'elle fait un rêve, relaté dans la famille névrotique, où
elle s'attribuait un vagin denté dans lequel, travesti en gynécologue, je
perdais le doigt du milieu en l'examinant.
D'autres symptômes obsessionnels, apparus dès avant l'adolescence,
ont persisté sans jamais disparaître, formant un fond immuable au
tableau. Elle ne peut supporter la vue d'une tache ni d'un faux pli
à ses vêtements. Elle doit être touj ours nette et sans tache. Les obj ets
familiers doivent occuper une place déterminée. Si quelqu'un dérange
l'ordre établi, elle entre en fureur et remet l'objet à « sa » place. Elle a
un rituel du coucher qui consiste en explorations des meubles et de la
chambre et en visites compliquées dans tout l'appartement. Il lui est
absolument impossible de dormir sans lumière.
Voilà pour l'obsession. Les petits symptômes (rituel du coucher,
horreur des taches, etc.) n'ont à aucun moment disparu de la scène.
Seule l'obsession véritable, celle dont elle souffrait réellement, a subi
des fluctuations.
:
C'est à la masturbation de la puberté qu'est apparu le premier symp-
tôme hystérique une faim continuelle. A peine avait-elle quitté la table
qu'elle se sentait l'estomac creux. Or, bien qu'elle ne cessât de dévorer,
elle était et a toujours été d'une maigreur impressionnante. Elle ne
voulait pas grossir et trouvait moyen de manger comme quatre en
restant squelettique et diaphane. De fait, elle a une apparence spectrale.
Pas l'ombre de mamelles, sauf pendant l'allaitement de ses deux enfants,
où se développe un rudiment de sein, juste assez pour faire un simulacre
d'allaitement et en prendre prétexte pour se coller sa fille sur le sein
jusqu'à l'âge de deux ans et demi.
Un deuxième symptôme hystérique a consisté en une trachéite muco-
purulente, qui durait depuis des années et a disparu définitivement au
cours du traitement, sans qu'il en ait jamais été question.
Les symptômes hystériques les plus intéressants ont été ceux qui
ont alterné, avec l'obsession, pendant les trois ans qui ont précédé la
mort de sa mère. Un beau jour elle se met à souffrir de maux de tête
violents. A cette époque, elle était tourmentée par son obsession à un
degré tel que la vie lui devenait intenable. Quand elle était au théâtre
avec son mari, elle était prise soudainement de panique et suppliait son
mari de rentrer, sans lui dire pourquoi. Elle s'était représenté la maison
en flammes, sa mère, sa fillette détruites par le feu. Elle n'osait plus
sortir, de peur d'être visitée par ces images. Un mal de tête fortuit vient
faire une heureuse diversion en fixant sur elle ses instincts destructeurs.
:
L'obsession disparut pendant quelques mois pour réapparaître à l'occa-
sion d'une seconde grossesse « Si je serrais trop mon corset et l'étouf-
fais, pensait-elle. Si je tombais et qu'il « descendît ». Savoir si je n'irai
pas m'empaler contre un bras de fauteuil. S'il était mort. » Elle n'ose
bientôt plus bouger, tant son obsession devient insupportable. Survien-
nent d'opportunes épreintes vésicales qui se fixent instantanément
comme un symptôme hystérique. A la naissance du garçon, ces deux
symptômes continuent d'alterner entre eux. Quand les maux de tête
disparaissent, ce sont les épreintes au bas-ventre qui s'installent, et
inversement. L'obsession demeure pendant plusieurs années au second
plan, la malade réussissant à solder son angoisse par ces deux symptômes
alternés.
Entre temps, elle perd sa grand'mère. L'obsession se réinstalle, non
pas encore aussi péniblement que précédemment ni que par la suite.
Elledéclare cependant qu'elle aimait infiniment mieux les périodes
où elle souffrait physiquement.
Petit à petit l'obsession se calme et prend l'aspect de manies tyran-
niques vis-à-vis de son mari et de ses enfants, auxquels elle fait une vie
d'enfer, dressant ses enfants contre son mari, s'injuriant avec lui, cassant
la vaisselle au moindre mot de protestation. Son mari, dégoûté de tout
cela, prend une maîtresse, fait chambre à part, et la voilà déchaînée,
persécutée-persécutrice, interprétant tous les gestes de son entourage
comme des vexations à son endroit. C'est à ce moment qu'elle se livre,
avec ses enfants, à un petitjeu qui consiste à dire ce que chacun d'eux
ferait et penserait si leur père venait à être tué dans un accident de
chemin de fer. Tous trois de se précipiter alors sur les journaux pour
voir si ce n'est pas, par bonheur, arrivé. Mais elle fait une telle angoisse
qu'elle ne peut plus se sentir seule, même dans la rue. Survient la
maladie de sa mère. Cette attitude revendicatrice de persécutée cesse
ussitôt. On refait un accord de façade devant la menace réelle de la
mort. Les soins qu'elle doit donner à sa mère sont fatigants et lui coûtent
assez d'efforts pour qu'elle puisse s'accorder le répit de symptômes sim-
plement hystériques. Elle revient à ses maux de tête et à d'anodins
inconvénients intestinaux sous la forme de borborygmes bruyants et,
par là même, très agaçants pour tout le monde. Mais cela ne l'empêche
point de donner les soins nécessaires, et cela avec un dévouement complet
et sans se plaindre.
Nous voici revenus à notre point de départ : prostration après la
plus poignant :
mort de sa mère et installation définitive du symptôme obsessionnel le
« Si je l'étranglais ». J'ajouterai qu'au cours du trai-
tement, après une période des plus pénibles pour elle, je fus obligé,
à titre de mesure thérapeutique, de la menacer de rompre le traitement
si elle persistait à me tourner en bourrique comme son mari en faisant
:
Son frère aîné, fort déprimé, avait été invité à venir passer quelque
temps chez elle. Un matin, elle pense tout à coup « Savoir s'il ne s'est
pas pendu ». Comme elle croit dur comme fer à sa pensée magique parce
que, disait-elle, toutes les fois que je pense qu'une chose va arriver, elle
arrive », elle est prise d'une angoisse folle et se précipite dans la chambre
de son frère. Un corps lourd fait obstacle. Elle pousse violemment et
trouve effectivement son frère pendu à la poignée de la porte. Elle
s'enfuit épouvantée, non sans demander à sa belle-sœur de prendre des
ciseaux et d'y aller. La belle-sœur dépend son mari, qui revient à la vie,
mais se pend pour le compte quelques semaines plus tard dans une
ville étrangère.
Cette mort est acceptée avec beaucoup de sérénité (la malade n'avait
pas pardonné à son frère un attentat incestueux, avant son mariage, qui
lui avait laissé un dégoût horrible). Un an après, le cadavre d'une
punaise trouvé dans la chambre d'amis donne à la malade la phobie des
punaises. Elle ferme la chambre, qui devient tabou. Interdiction d'y
entrer, de toucher la porte ou même de s'en approcher. Si quelqu'un,
l'ayant frôlée, entre en contact avec elle, elle doit se laver pendant des
heures, puis se curer les ongles indéfiniment, de crainte d'y trouver une
punaise. Elle finit par voir des punaises sur tous les objets. Elle les
compte et recompte, emballe dans du papier les obj ets sur lesquels elle
en a vu et oblige son mari à vérifier si ce sont bien des punaises. Elle se
met en colère s'il se dérobe. Elle en arrive à mettre ses vêtements en
charpie, en tirant sur les fils dont les nodosités pourraient être des
punaises. Excédée de doutes, fatiguée de compter jour et nuit ses punai-
ses, elle prend le parti de ne plus rien faire et de passer ses journées
dans un fauteuil, au milieu de la chambre, les yeux fermés, afin de ne
plus voir de punaises. Elle rit de bon cœur de cette attitude, disant
« Non, mais vous vous rendez compte. Ce que j'ai l'air instruite sur mon
:
fauteuil ». Elle en plaisantait avec ses amis, parce que son mari était
obligé de remiser un peu son arsenal hypocondriaque pour s'occuper du
ménage. Il se rattrapait la nuit, mais elle commençait à le rabrouer
:
assez vertement, faisant une culpabilité consciente chaque fois qu'elle
lui disait, férocement, quand il annonçait qu'il allait mourir « Eh bien,
grouille-toi donc, meurs un bon coup et qu'on n'en parle plus ».
:
Après diverses tentatives de traitement dans des cliniques variées,
elle me parvient. D'emblée je fais une faute grave au lieu d'étudier les
résistances et de les lever, je vais au plus pressé, mon ambition théra-
peutique n'allant pas au delà d'un allègement de l'obsession qui puisse
rendre la malade à son activité. Je lui fais comprendre en peu de temps
que son obsession a pour premier effet de tourmenter son mari, tout en
se crucifiant elle-même. Elle me déballe alors toute sa rancune refoulée
contre les scènes nocturnes provoquées par l'hypocondriaque, contre ses
ejaculati^nsT>^coces, contre son impuissance à se défendre de patrons
pharisiens, qui l'exploitent assez scandaleusement. L'obsession disparaît
en peu de semaines, mais fait place à une attitude paranoïaque tout à fait
irréductible.
Elle ne sait que trop, dit-elle, qu'un homme comme moi ne peut
pas aimer « une femme de sa condition, moche, ignorante, et tout et
tout ». Elle sait bien que je la trouve moche et que je fais tout pour
l'exaspérer et la mettre en colère, parce qu'alors j'aurai un prétexte
pour la mettre à la porte. Mais elle se gardera bien de se mettre en
colère. On ne se met pas en colère contre un homme qui a été aussi bon
pour elle.
Toutes mes interprétations se heurtent au même système de défense.
Elle m'accuse de lui avoir fait prendre son mari en haine, d'avoir détruit
son ménage (elle s'y employait très efficacement en cassant tantôt un
service entier de cristal, tantôt un service de porcelaine). Finalement elle
est arrivée à un état de tension tel que je fus obligé de suspendre le
traitement afin de laisser s'apaiser cette tension.
Elle tombe alors dans un état mélancolique dont elle ne sort que
pour répéter un symptôme hystérique qu'elle avait déjà présenté à deux
reprises. C'était une toux sèche pour laquelle on l'avait envoyée dans
un sanatorium comme tuberculeuse. Nous avions découvert que ç'avait
été une façon de s'éloigner de son mari, mais aussi de se détruire. Au
cours du traitement, elle avait eu à plusieurs reprises des crachements
de sang dont elle prétendait qu'ils venaient des poumons, mais qui pro-
venaient en réalité du pharynx, ainsi que le confirma un confrère.
Elle avait aussi un autre symptôme. Quand elle parlait avec des
amies anglaises, elle ne pouvait pas trouver ses mots, bien qu'elle eût
toujours parlé l'anglais mieux que sa langue maternelle. Mais quand elle
m'écrivait, il lui était impossible de s'exprimer en français. Elle m'écri-
vait toujours en anglais. (Sa mère étant morte en accouchant d'elle, son
père avait épousé, moins d'un an après, une Anglaise et s'était fixé en
Angleterre. Sa belle-mère ne savait pas le français.)
Après l'interruption du traitement, elle continua de m'écrire dans
un charabia mi-anglais, mi-français, puis en français légèrement mitigé
d'anglais, et finalement en français. Au temps des lettres en charabia,
elle disait être gravement malade et devoir retourner dans un sana-
torium. Elle avait un sommet tuberculeux. En réalité, il n'en était rien.
Les médecins ne pouvaient se prononcer sur la nature des symptômes et
leur diagnostic ne se fondait que sur un état mélancolique et sur un
amaigrissement considérable.
Actuellement, les choses sont un peu remises en place, je veux dire
qu'elles sont revenues au statu quo ante. Cependant l'obsession est
beaucoup moins pénible et efficacement corrigée par la malade. Elle me
demande de terminer son traitement.
En résumé, cette malade a fait une pseudo-tuberculose hystérique,
Puis une obsession. Au cours du traitement, elle eut des hémorrhagies
pharyngées hystériques avec spasmes de la gorge, précédant une phase
paranoïaque grave. Et enfin une nouvelle poussée de symptômes hysté-
riques sous la forme d'anorexie et de lésions pulmonaires incertaines.
L'agressivité inconsciente de cette malade était d'une sauvagerie
sans nom. Son mari, son médecin, quiconque lui touchait de près, la
décevait, était impitoyablement supprimé en rêve, broyé par un autobus,
ecrabouillé comme une simple tomate contre un poteau de télégraphe
au cours d'une chute par la portière d'un express. Elle-même y mettait
parfois la main en le travestissant en chien auquel elle écartait d'un
coup de couteau les deux mandibules inférieures.
Dans des cas de ce genre, quand l'agressivité est à ce degré, on a
beau prendre la précaution de raboter préalablement le sentiment
inconscient de culpabilité, l'on va au-devant de réactions de projection
à la première libération. Ici
encore, le symptôme hystérique m'apparaît
comme une fonction vicariante entre l'insupportable tension intérieure
et l'instinct de destruction. Tantôt cet instinct se localise sur une partie
du corps, préservant le moi de l'obligation de se tuer tout entier, et
tantôt, quand la tension est trop forte, l'agressivité refoulée se proj ette
sur l'objet qui l'a déçue. Le symptôme hystérique apaise la culpabilité
et satisfait en même temps l'agressivité, car la malade, en s'identifiant
a l'obj et,
en le proj etant au dedans, dirige contre elle-même l'hostilité
qui visait l'objet. Cela se fait évidemment par régression à la forme de
réaction primitive du moi envers les obj ets du monde extérieur.
L'attitude paranoïaque a ici la même fonction vicariante que le
symptôme hystérique. Tous deux ont pour effet de décharger la culpa-
bilité et l'agressivité inconscientes. Dans l'hystérie par introjection de
:
l'obj et, dans l'attitude paranoïaque par extroj ection, ou proj ection,
comme on voudra, sur l'objet « je m'en lave les mains, c'est pas moi,
c'est lui ».
:
Je suis tenté de voir la preuve de l'identification à l'objet dans la
nature des symptômes de cette malade ce sont des hémorrhagies. Sa
vraie mère est morte en couches, d'une liémorrhagie. Son père s'est
remarié tout de suite après avec une femme qui sadisait la malade. Cette
belle-mère est morte d'une liémorrhagie cérébrale. Elle lui reprochait
d'avoir coûté la vie à sa mère. Mais sa mère, c'était cette belle-mère
détestée, à laquelle elle était rivée hostilement, n'ayant rien à attendre
d'un père qui semait des enfants dans tous les cimetières et qui jamais
ne répondait à ses demandes suppliantes de tendresse.
Ici, le substratum neuro-psychique — l'hémorragie — est fourni par
la première pharyngite venue. Le support est secondaire. Ce qui est
primaire, c'est le symptôme hémorrhagique, par identification du surmoi
avec l'objet d'amour, et donc aussi de haine.
Pour conclure, je voudrais vous soumettre une impression. Vous
ne manquerez pas de penser et de dire que c'est faire reposer sur de
faibles fondements cliniques de bien grandioses synthèses. Je répondrai
par avance qu'on n'est pas responsable de ses pensées, et cela me met
à l'aise pour reconnaître que je ne tiens pas compte de tous les méca-
nismes. Aussi bien mon propos était-il de rechercher non pas des diver-
gences, mais des analogies.
Au départ, je pose en fait qu'il n'existe pas d'obsession sans
symptômes hystériques, soit que ces symptômes précèdent l'obsession,
comme je l'ai observé chez tous les obsédés que je connais, soit qu'ils
alternent avec elle ou l'accompagnent.
:
Si l'on définit, en se fondant uniquement sur le contenu psychique,
l'acte obsessionnel ainsi qu'Odier l'a proposé « L'expression irration-
nelle, consciente mais non voulue, d'un affect refoulé dissimulant une
pulsion agressive », vous trouverez sans doute comme moi que cette
définition s'applique tout aussi bien à l'hystérie, à la paranoïa et à
l'hypocondrie. Il suffit d'y apporter de petites retouches.
Dans l'obsession, l'expression irrationnelle de la pulsion refoulée
; ; :
est consciente, mais non voulue il convient d'ajouter ni acceptée. Car
l'obsédé se défend contre son obsession il la ressent comme un corps
étranger.
Dans l'hystérie, elle est acceptée. Le malade s'en gargarise, l'exhibe
et la donne en spectacle. Cela est si vrai qu'une hystérique que je voyais
l'autre jour pour la première fois me répondait, comme je lui demandais
:
quels symptômes elle présentait, dans la maison de santé où on l'avait
traitée « Ceux qu'on me permettait ».
La définition s'applique à la paranoïa-hypocondrie sans modifica-
;
tion. L'attitude irrationnelle est intégrée à la personnalité et joue proba-
blement sur des plans différents de l'affectivité infantile cette intégra-
tion, d'ailleurs plus ou moins totale, selon les degrés, fait que ces attitudes
sont très difficilement réductibles, alors qu'elles le sont plus aisément
chez l'hystérique et l'obsédé. D'ailleurs l'hypocondriaque présente une
grande ressemblance avec l'hystérique. Dans une hystérie grave, le
malademet à se détruire le même acharnement que l'hypocondriaque.
L'idée délirante de maladie ou l'idée délirante de persécution, ce
n'est pas si saugrenu de les interpréter comme des symptômes de conver-
sion hystérique. Pourquoi l'action dynamique du refoulé ne s'exercerait-
elle pas aussi bien sur les centres corticaux
que sur les centres végétatifs?
L'hallucination du paranoïaque serait alors
une sécrétion anormale de
la pensée comparable à
une sécrétion glandulaire hystérique anormale.
Elle a une valeur de réalité aussi inébranlable
que le gastrosuccorrhée,
encore qu'à certains moments elle soit susceptible d'être contredite.
Les quelques guérisons de paranoïaques par l'analyse que l'on
connaît me semblent donner quelque fondement à cette manière de voir.
On comprend mieux ainsi, me semble-t-il, les raisons des discussions
interminables
sur les cadres nosologiques. On s'attache trop à l'aspect
clinique des psycho-névroses,
en négligeant les mécanismes. Je vous
avoue que j'ai beaucoup de mal à concevoir l'hystérie, l'obsession et
même la paranoïa-hypocondrie
comme des entités morbides. Ces atti-
tudes sont à la portée de tout le monde. Ce ne sont pas au fond des
:
maladies, mais des fonctions. Je suis tenté de dire la fonction hystéri-
que, la fonction obsessionnelle,la fonction paranoïaque. Car ces attitudes
peuvent être successives, ou simultanées, ou alternantes, n'étant qu'une
fonction de décharge entre l'agressivité et la culpabilité inconscientes.
La fonction paranoïaque m'apparaîl comme dernier recours pour se
décharger d'une tension intérieure insoutenable. Au lieu d'introjeter
l'objet de haine en s'identifiant à lui pour le détruire en détail, comme
le fait l'hystérique, ou de se décharger dans de menus actes obsédants
par lesquels l'obsédé se punit en punissant l'obj et, le paranoïaque se
décharge constamment sur autrui en projetant au dehors ses pulsions
refoulées.
Au total, tous ces mécanismes tendent à soulager et l'agressivité
et la culpabilité. Car l'hystérique doit solder d'un symptôme réel sa
culpabilité. Mais cela lui permet secondairement de tourmenter en même
temps tout son entourage. L'obsédé en fait autant, le paranoïaque aussi
et l'hypocondriaque itou.
Tout cela n'est qu'un schéma sommaire, hâtivement préparé, qui ne
touche même pas à tous les mécanismes homologues. C'est ainsi que je
n'ai pas touché au thème de l'homosexualité-inceste, commun à tous
ces états. Tel il est, dans son état squelettique, et pour rudimentaire que
soit cet essai, j'espère que vous lui accorderez les circonstances atté-
nuantes.
J. LEUBA.
Discussion
M. PARCHEMINEY. — La conférence qui vient de nous être faite
démontre un grand courage dans l'application des conceptions psychana-
lytiques à la pathologie. L'intéressante observation de Simmel pose dans
son ampleur — et paraît bien résoudre dans le sens indiqué par Freud —
l'angoissant problème de l'hystérie. Il faut dire de l'hystérie dans sa
totalité d'existence, c'est-à-dire comme névrose de conversion sur le plan
non seulement de la vie de relation mais aussi de la vie végétative. Dans
:
l'observation de Simmel il s'agit d'un véritable mimétisme vécu par delà
l'image et la métaphore le sujet se noie effectivement par son hydro-
pisie. Je voudrais dire un mot des problèmes nosographiques que pose la
Conférence de M. Leuba. On ne peut pas s'en tenir à des cadres rigides,
mais il y a tout de même des degrés et des différences relatives qu'il
convient de marquer dans le cadre même des névroses ou d'une névrose
spéciale comme l'hystérie où les symptômes observés ne sont pas tous sur
le même plan. Les cas cliniques qui nous ont été rapportés paraissent
ou sont des psychoses. Il semble bien que des phénomènes qui se présen-
tent sous la forme de la régression magique de la pensée, d'identifi-
cations syncrétiques, supposent un trouble des mécanismes régulateurs
profonds de la pensée. Au point de vue thérapeutique, les mécanismes
proprement psychanalytiques sont cependant les plus importants. Ce
sont en tous cas ceux que nous pouvons espérer atteindre.
de paranoïaque et paranoïde ;
un sens limité à un aspect clinique précis, en ce qui concerne les termes
ce dernier doit être réservé aux états
particuliers de dissociation liés à une forme particulière de démence
précoce ou de schizophrénie et non aux états visés dans la conférence.
D'autre part, il me semble que la vicariance s'applique au rempla-
cement d'une personne par une autre dans l'accomplissement des mêmes
fonctions. Dans les faits qui nous ont été cités, je crois qu'il s'agit plutôt
de compensation par exemple, ou de dérivation.
Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec M. Leuba sur ce point
doctrinal qu'il vaut mieux ne pas s'efforcer de faire rentrer de force les
cloisons étanches;
cas de névrose dans des cadres rigides de maladies séparées par des
il paraît plus légitime de les étudier en tant que
syndromes, que formes de réactions fonctionnelles pouvant s'associer,
se pénétrer de toutes les façons. Bien entendu, il n'en reste pas moins
indispensable, pour la clarté de l'exposition et pour le bon ordre de la
discussion, de conserver les tableaux classiques des divers aspects
névrotiques. Le tout est de se rappeler sans cesse que ce ne sont là que
des schémas cliniques commodes.
Enfin, je m'associe complètement à la méthode d'interprétation des
névroses, les considérant non comme des détraquements fortuits et
mystérieux de telle ou telle fonction, mais comme des modes de réaçtions
intelligibles à partir de processus psychiques très normaux, mais ampli-
fiés ou déformés.
En particulier, en ce qui concerne l'étude de l'hystérie qui a centré
en quelque sorte l'exposé de M. Leuba, j'ai l'impression que l'on a
tendance à se préoccuper trop uniquement des rapports psycho-soma-
tiques, jugés par chacun dans un sens souvent un peu trop unilatéral.
A mon sens, le problème de l'hystérie gagne beaucoup
en clarté à être
envisagé en deux temps : d'abord d'un point de vue très général qui
consiste à rechercher les traits psychiques communs à toutes les formes
d'hystérie, même et surtout dans celles qui ne comportent aucune réper-
;
cussion somatique (pseudo-neurologique ou non), à étudier la mentalité
hystérique
;
ensuite on peut plus particulièrement tenter de préciser les
:
mécanismes de conversion, au sens freudien du mot on peut alors
utiliser les différentes hypothèses à ce propos complaisance somatique,
suggestibilité inconsciente et élective, exploitation également incons-
ciente d'une aptitude, d'une anomalie somatique préexistante et souvent
ignorée.
M. Henri Ey. — Si dans certains milieux psychiatriques il convient
de rappeler que les entités nosographiques
ne sont pas aussi autonomes
et rigides que les manuels l'apprennent, il en est d'autres où il faut bien
rappeler que les troubles mentaux ont des structures typiques qu'il
miporte de diagnostiquer si l'on
ne veut pas dissoudre toute la psy-
chiatrie dans des mécanismes communs. J'aurais désiré savoir de quel
genre, de quelle espèce étaient les malades dont M. Leuba nous a parlé.
:
M. LOWENSTEIN.
— M. Leuba a maintenu la
direction de son travail
entre deux pôles les relations psycho-somatiques d'une part et les séries
analogiques dans les divers syndromes psychopathiques d'autre part.
En ce qui
concerne le premier point j'aurais aimé que l'on se référât à la
distinction d'Alexander dans la psychanalyse de l'Imago. Il y a lieu en
effet de distinguer de l'hystérie psychogène des phénomènes hystériques
qui représentent des fixations libidinales associées à des lésions orga-
niques. C'est ainsi qu'Alexander a étudié les régressions libidinales de
l'ulcère gastrique. Le cas de Simmel puise tout son intérêt dans le fait
que là il s'agissait d'une véritable hystérie, l'anasarque était totalement
psychogène. En ce qui concerne les analogies entre les divers syndromes
mentaux il faut se garder de glisser sur une pente trop facile, mais il est
certain qu'il y a dans la structure des divers états psychopathiques des
valeurs humaines communes. La tension agressive est une de ces cons-
tantes, mais elle emprunte dans les divers états des qualifications bien
différentes.
M. CODET.
— Il est certain que pour l'ulcère gastrique on ne saurait
envisager une pure psychogenèse. Il peut y avoir simplement cristalli-
sation en fonction du psychisme et des complexes affectifs.
M. CENAC.
— Je crois qu'il faut insister comme l'a fait M. Codet sur
le fait que l'hystérie ne se réduit pas à être un équivalent de troubles
physiques. En ce qui concerne cet aspect somato-psychique j'ai eu
l'occasion d'observer des malades présentant des troubles hystériques
pour lesquels on ne pouvait pas éliminer absolument une cause physique.
C'est le cas d'un malade ayant des accès de ténesme vésical paraissant
névrotiques pour lequel je pense faire une rectoscopie. Je voudrais dire
en passant et à propos des critiques que la psychiatrie traditionnelle
porte contre la psychanalyse (et que celle-ci ne lui ménage pas) que l'on
entend parfois dans les milieux psychiatriques classiques des opinions
qui déconcertent un peu et devraient incliner à l'indulgence à l'égard
des tentatives psychanalytiques. C'est ainsi qu'un ancien élève de
Magnan m'expliquait encore récemment que les délirants chroniques
avaient des idées de grandeur parce que leurs hallucinations les leur
donnaient.
M. BOREL.
— Je ne puis que m'associer aux compliments si mérités
que l'on a déjà adressés à notre conférencier. Je ne puis que répéter
quelques petites critiques, notamment en ce qui concerne les termes
employés par M. Leuba pour caractériser certains aspects cliniques. J'ai
été vivement intéressé par les dernières paroles de l'exposé. Je crois en
effet qu'on ne soulignera jamais assez que les symptômes névrotiques
ont la valeur d'un compromis, d'un équilibre, d'une cote mal taillée
peut-être, mais qui est une réaction utile de défense.
Le traitement physique
de la dépression constitutionnelle
:
sible. L'abstentionnisme ne saurait alléguer pour se défendre la fatalité
biologique ou la nouveauté de certains symptômes apparition précoce
de faits indélébiles, prédisposition inexorable aux complications spéci-
fiques, discrétion des signes généraux, absence de lésions anatomiques
patentes, prépondérance des manifestations psychologiques. Le scepti-
cisme thérapeutique ne saurait davantage se légitimer par l'aspect
anarchique des complications qui semblent échapper au contrôle comme
aux prévisions pour naître et disparaître au gré d'une sorte de fantaisie
biologique, se cristalliser momentanément
en figurations kaléidoscopi-
ques puis reprendre aussitôt une inlassable transmutation organique et
;
morale. Le traitement de la dépression constitutionnelle doit surmonter
ces difficultés générales et particulières il doit un peu paradoxalement
modifier une prédisposition inexorable à l'instabilité humorale et psycho-
logique et simultanément alléger les déterminismes fondamentaux et
stabiliser les efflorescences trop labiles.
Une telle entreprise est illusoire pour ceux qui croient à l'irréducti-
bilité totale des constitutions et qui assignent aux comportements
ttiorbides la fixité d'une lésion histologique. Cette erreur fut partagée
au siècle dernier par les meilleurs esprits et elle survit encore malgré
les progrès de la biochimie, de l'expérimentation physiologique et de
l'introspection psychanalytique. Il est piquant de noter que la tradition
hippocratique fut alors ébranlée par la science analytique aveuglément
;
imposée à notre art mais qu'elle fut spirituellement vengée par les
mécomptes intellectuels et le défaitisme thérapeutique de la doctrine
cellulaire de Virchow. La tradition fut renouée de manière inattendue
du germe pathogène ;
par la bactériologie qui dut confesser l'importance du terrain en regard
la maladie n'était plus comme le voulait Koch
une lésion destructive apportée par un microbe spécifique, mais au
contraire la lutte dramatique d'un organisme exaltant ses immunités
naturelles, renforçant ses défenses, neutralisant l'agression en utilisant
toutes ses ressources physiques et morales. La médecine des complexions,
la thérapeutique des tempéraments et des diathèses sortaient victorieuses
de leurs luttes avec les doctrines solidistes et statiques. Et il est émouvant
de rappeler ici l'agonie de Pasteur obsédé par ses anciennes controverses
avec Claude Bernard et confessant au Professeur Rénon : « Bernard
avait raison le microbe n'est rien, le terrain est tout ». Depuis la méde-
cine constitutionnelle n'a cessé de s'affirmer par l'étude du métabolisme,
de la physico-chimie des équilibres neuro-végétatifs, par la découverte
des hormones et des vitamines mais aussi par l'interprétation des
névroses et par les précieuses révélations freudiennes. Ces acquisitions
permettent actuellement un examen scrupuleusement objectif et cepen-
dant sympathique de la constitution, elles favorisent la découverte des
chaînons secrets unissant, à travers l'affectivité et les arcanes neuro-
végétatifs, les faits de conscience à ceux du monde animal et de suivre,
malgré leurs transmutations pittoresques, la trame biologique et la
politique personnelle. La thérapeutique constitutionnelle ne peut donc
s'attacher exclusivement à la détection des complexes, ni s'obnubiler
sur un dosage chimique ou des mensurations architectoniques. Elle doit
au contraire inventorier toutes ses ressources, être savante et subtile à
;
la fois, dépouiller tout dogmatisme et témoigner d'une entière et inlas-
sable bonne volonté elle se doit en somme de bien « suivre son malade»
pour lui apporter opportunément l'appui discret ou l'aide décisive.
L'action des médications physiques et morales est nécessaire et doit être
longtemps poursuivie pour avoir raison des complications épisodiques
mais encore de certains facteurs fondamentaux. Il n'existe pas de remède
héroïque, de médication miraculeuse ;
et, médecine biologique, psycho-
logique et sociologique concourent simultanément
au traitement de la
dépression constitutionnelle, de ses malaises et de son désarroi.
Le traitement physique réclame à lui seul des soins nombreux et
ïnfiniment complexes par l'intrication intime de phénomènes
nerveux,
electrolytiques, colloïdaux et hormonaux. La thérapeutique générale doit
ainsi stabiliser les humeurs, atténuer l'alcalose et la phosphaturie
réminéraliser, régulariser les fonctions endocriniennes et neuro-végéta-
tives, réglementer lemode de vie et l'alimentation, préconiser les agents
physiques, etc. Ces modifications n'exigent heureusement pas de poly-
pharmacie complexe car de nombreux médicaments ont des actions
Multiples ainsi qu'il apparaît dans l'exposé qui suit.
La stabilisation de l'équilibre humoral est nécessaire à l'apai-
sement émotionnel, à la régularisation des troubles fonctionnels et au
traitement des complications de la D. C. et imputables pour la plupart au
neuro-arthristisme. Elle utilise les classiques méthodes de désensibili-
sation et les médicaments biologiques et chimiques préconisés dans les
autres déséquilibres colloïdaux et cellulaires. La peptonothérapie donne
des résultats intéressants mais infiniment moins satisfaisants
que dans
l'asthme
ou l'urticaire (Pagniez et Pasteur Vallery-Rabot). On prescrit
à la dose de 0
gr. 50 des peptones polyvalentes avant les 3 repas ou
sous forme de cuti-réaction ou d'injection intradermique de la solution
à 50 La protêinothérapie utilise surtout les injections de peptone de
lait, de vaccin et d'antigènes divers. Son action est complexe et il est
Vraisemblable qu'entrent aussi en ligne de compte ses effets pyrétogènes
et Psychiques et surtout
ses propriétés acidifiantes ainsi qu'en font foi les
recherches de Zunz et la Barre, de Bigwood et de Dautrebande.
De nombreuses méthodes biologiques agissant sur l'équilibre
humoral ont été préconisées
avec des résultats ici plus inconstants mais
encore très encourageants ainsi qu'en témoignent les travaux de
ciée aux
:
Tinel (1). Les principales médications sont l'autohémothérapie
rayons U. V., l'autoséro ou l'hémolysothérapie de Weissen-
asso-
:
s'ensuit un état de satisfaction. Avec l'amélioration de l'activité intellec-
tuelle disparaissent aussi les troubles si constamment allégués casque,
;
vide occipital, griffe occipito-cervicale, bouillonnement et fourmillement
cérébral, horripilation du cuir chevelu il y a aussi récupération de
l'acuité visuelle et disparition des phosphènes, etc. On constate par
;
ailleurs une détente de la physionomie, la reprise d'une mimique active
et labile la fraîcheur du teint et l'éclat des yeux soulignent encore
l'amélioration de l'état général.
L'aieldiffeatlon organique exige plusieurs opérations prélimi-
naires destinées à éliminer les bases intestinales à réduire et à neutraliser
l'absorption des alcalins alimentaires. Les cholagogues et les purgatifs
légers trouvent ici une indication précieuse et il est vraisemblable
que
les bienfaits de la cure de Guelpa résultent de l'augmentation de l'aci-
dité urinaire par la saignée alcaline qu'elle provoque. La cure de Chatel-
Guyon et celle de Vichy bien conduites donnent des résultats particu-
lièrement heureux à la fin, mais surtout au cours des semaines qui
suivent le traitement. Cette action paradoxale est surtout évidente chez
les alcalosiques et les médecins sont unanimes à noter la diminution nette
et durable de la réserve alcaline (M. de Fossey, Glénard, Dufourt et
Roubeau. Congrès d'Hydrologie, Lyon, 1927).
Le régime végétarien strict et l'usage de médications alcalines seront
interdits à nos malades malgré les signes digestifs et d'auto-intoxication
qu'ils présentent. Cette erreur thérapeutique si fréquemment commise
:
aggrave tous leurs symptômes. L'alimentation carnée leur convient il
est facile de les soumettre au régime de leur choix
;
viande rouge,
Jambon, fromage,
germes de graine, pruneaux, myrtilles, etc. Pour les
ou organiques;
acidifier, les acides minéraux, chlorhydrique et phosphorique sont préfé-
res aux acides minéraux faibles leur causticité qui
longtemps gênait l'emploi est maintenant parfaitement dissimulée dans
la plupart des spécialités.
L'acide phosphorique nous paraît être la médication de choix de la
D. C. etnous la prescrivons depuis longtemps sans avoir observé de réac-
tions hépatiques graves comme on l'en a accusée; nous n'employons il
est vrai que des doses moyennes par cures discontinues, arrêtées dès
l'apparition de l'intolérance gastrique. La solution classique de Joulie
donne d'excellents résultats :
Acide phosphorique of. al 10 grammes
Eau distillée.
Phosphate acide de soude 20
200
—
—
1 à 6 cuillerées à café par jour et pendant les repas.
;
L'acide chlorhydrique a des effets identiques il est prescrit à la
dose de 0 gr. 50 à 1 gramme par jour en solution ou en limonade :
Acide chlorhydrique dilué 2 grammes
Eau
Sirop de
à prendre par verres.
citron. 85
125
—
—
;
mente le taux de l'hémoglobine. Son inocuité est absolue, sauf chez les
hépatiques elle ne doit pas aussi être employée avec le sulfonal qui en
à
active l'élimination. Elle s'emploie per os (XXX L gouttes d'une solution
à 0,5 prise quotidiennement et avant les repas) ou par voie intramus-
culaire (solution à 2
— injections tous les 2 jours de 1/2 à 1 cc.
La caleitliérapie peut être considérée comme la médication fonda-
mentale de la D. C., puisqu'elle agit simultanément sur la nutrition cellu-
laire, l'activité des ferments, l'équilibre des humeurs, la stabilisation des
colloïdes et des électrolytes, la régularisation de l'excitabilité cérébrale
;
trices du calcium seront très prudemment utilisées adrénaline, iode, :
et musculaire, la stimulation hépato-rénale etc. Les substances antifixa-
:
est fréquemment ignorée et ne saurait être cependant méconnue car les
besoins de l'organisme sont considérables 1 gramme de Ca alimentaire
par ration de 100 grammes de protéines (Sherman) ; ils sont plus impé-
rieux au cours de la gestation et de la lactation. Le régime récalcifiant
doit être riche en avoine, lait, viande, poisson, graisse et fromage
inconvénient est malheureusement d'être peu digestif.
;
son
; :
Pour obtenir une augmentation appréciable et durable de la
calcémie, les assimilateurs et fixateurs sont nécessaires extraits opothé-
rapiques, vitamines, aliments irradiés l'extrait parathyroïdien élève
rapidement le taux du calcium et en provoque la fixation dans les tissus,
;
il apaise l'émotivité et les spasmes et tonifie l'organisme. Les résultats
nous paraissent particulièrement constants l'administration doit cepen-
dant être prudente en présence de décalcification osseuse car la calcémie
se fait aux dépens du squelette. Nous prescrivons habituellement 3 injec-
tions d'hormone à 10 ou 20 unités Collip par semaine durant un mois
environ, le calcium est injecté les jours intermédiaires ou pris quotidien-
nement par la bouche. Si le thymus et l'extrait placentaire ont un rôle
inconstant, l'ovaire se comporte au contraire comme un calcifixateur
(13) Jacquot et Donato, Bulletin Soc. Méd. Sana et Disp. Hyg, juin 1933.
(14) Decourt,
l' rgostérol
il « Hyperémotivité anxieuse et spasmophilie. Action thérapeutique de
irradié. ». Bulletin thérapeutique, 8 mars 1933.
magnésie que recommande Vinchon (15). On le prépare extemporà-
nément en dehors des repas, dissous dans une quantité d'eau suffisante
pour éviter l'irritation gastrique. La dose quotidienne moyenne est de
0 gr. 25 à 0 gr. 50. Elle peut être portée jusqu'à 2 ou 3 grammes plusieurs
jours durant et en cas de massive phosphaturie. Dans tous les cas la
tolérance générale et l'acidité urinaire doivent être surveillées.
;
Le nucléinate de soude per os ou injectable, de 0 gr. 05 à 0 gr. 10,
est un stimulant utile il rend à des doses plus élevées d'autres services
par l'hyperthermie qu'il provoque. Cette pyrétothérapie donne un
apaisement net des phénomènes obsessionnels, malheureusement l'action
est éphémère.
La phytine a une heureuse mais lente action sur l'état général, elle
convient plus aux amaigris qu'aux asthéniques profonds. Il en est de
même de la lécithine qui ne donne pas les résultats attendus de son
analogie avec les phosphatides cérébraux et malgré son affinité pour
le système nerveux elle n'a pas d'action dynamique évidente.
Le magnésium comme le calcium et le phosphore joue un rôle
considérable dans le traitement de nos malades puisqu'il active le méta-
bolisme, favorise l'élimination des déchets et excite les secrétions
;
intestinales, prévient les manifestations anaphylatiques, régularise le
déséquilibre mais encore il modère l'hyperexcitabilité sans préjudice
d'une action tonique sur le système nerveux. L'administration, l'assimi-
lation et la fixation en sont faciles. Chlorure, hyposulfite, sulfate donnent
des résultats également satisfaisants dans la plupart des spécialités
buvables ou inj ectables (16).
L'arsenic à dose modérée excite globalement les diverses fonctions
cellulaires et plus particulièrement l'assimilation et l'hématopoïése ;
son action hépatique est cependant à surveiller. Les préparations clas-
siques : liqueur de Fowler et granules de Dioscoride seront maniées
;
prudemment. Le cacodylate de soude en injection hypodermique quoti-
dienne de 0 gr. 05 à 0 gr. 20 suffit habituellement il convient chez nos
malades de ne pas rechercher de puissantes modifications humorales
(15) Vinchon et Deschamps, « Maladies de l'énergie, loc. sit. », page341.
(16) Codet et Montassut, « Le magnésium chez les déprimés émotifs ». rrogres
médical, 17 janvier 1931.
par l'emploi de doses plus élevées, ainsi que le recommandent Ravaud
et Sicard. L'arsylène et l'hectine peu toxiques ont les mêmes indications
générales et leur action antisyphilitique faible convient aux formes
torpides et à l'hérédosyphilis.
Le soufre n'a pas d'action énergétique nette, il est utile de le pres-
crire chez les asthéniques qui l'excrètent abondamment. Les cures
:
auxquels elle procure une sensation de bien-être et de stimulation géné-
rale. Les effets biologiques sont importants amélioration de l'hématose,
décharge uréique, élévation du coefficient azoturique, diminution de la
viscosité sanguine, etc. Le manganèse et le fer sont des agents actifs
doxydation, dont les composés organiques sont à recommander.
La nitrophénine à dose thérapeutique augmente de 20 à 30 le
Métabolisme basal tout
en respectant le système nerveux. A côté du
traitement de l'obésité elle constitue médication rationnelle de
une
l'arthritisme. Venneylen Heernu (17) l'ont introduite
et en psychiatrie
dans le traitement des états dépressifs et de la mélancolie,
avec des
résultats intéressants
que paraissent confirmer nos récentes expérimen-
tations.
Les Vitamines B sont des vitamines d'utilisation nutritive et
193417) Venneylen et Heernu, Société médecine mentale de Belgique », 24 novembre
«
d'équilibre nerveux. Leur carence provoque de la dénutrition avec atonie
et hyposécrétion intestinale, un abaissement du quotient respiratoire,
une diminution du glycogène musculaire et hépatique, des troubles
psychiques à forme dépressive et insomnie. On ne saurait méconnaître
les accidents dus à une avitaminose fruste ni n'être frappé des analogies
avec la D. C. Il est donc légitime de traiter nos malades comme des
carencés, surtout que les formes discrètes d'avitaminose B semblent
devoir se multiplier avec l'usage actuel des farines trop blutées, de pain
blanc et l'abus d'aliments hydrocarbonés. L'alimentation évitera ces
erreurs et recherchera les germes de céréales, le lait, le cerveau et surtout
la levure de bière.
La vitamine C qui ne serait pas autre chose que l'hormone cortico-
surrénale possède à côté de son action antiscorbutique une puissante
fonction oxydo-réductrice. Les propriétés de l'acide ascorbique assurent
l'utilisation de l'oxygène, comme le préconise Mouriquand (18) dans le
traitement de broncho-pneumoniques soumis à l'oxygénothérapie.
La vitamine D puissant fixateur du calcium n'est rappelée ici que
pour mémoire.
Les toniques généraux ont un emploi singulièrement limité par
les impérieuses nécessités d'une médication durable mais de faible toxi-
cité, stimulant l'énergie sans exacerber l'émotivité et les troubles fonc-
tionnels. La stimulation d'asthéniques chroniques est donc plus malaisée
que celle de convalescents ou d'épuisés simples. Certains tonique
;
nervins classiques ne peuvent être prescrits ; c'est le cas du thé, café,
Kola, quinquina leur action sur le bulbe, la moelle et les relais sympa-
thiques est trop brusque et épisodique, trop globale, elle aggrave l'émoti-
vité et se solde finalement par un déficit énergétique. La strychnine a
une action élective et simultanée sur les muscles lisses et striés, l'abais.
sement de l'alcalinité sanguine, la fixation de la chaux et la stimulation
leucocytaire. Administrée progressivement selon la méthode d'Harten-
;
berg, la strychnine a été longtemps considérée comme le traitement
héroïque des états dépressifs cette faveur nous semble usurpée, car
:
anxieuses et parce qu'elle provoque à dose réduite des incidents
pénibles tels que l'état ébrieux, les vertiges du trismus, des contrac-
tures du membre inférieur. Ces réserves faites il convient de recon-
;
naître l'action efficace de la strychnine à dose infinitésimale dans le
traitement de nos malades la cure, d'une vingtaine de jours, utilise
toujours des doses inférieures aux prescriptions classiques qui conseil-
lent selon la tolérance, l'inj ection progressive de 1 à 10 ce de la solution
au millième.
;
Le camphre a joui aussi d'une faveur usurpée, car s'il est à faible
dose excitant, tonique aux posologies moyennes il s'accompagne de
phénomènes dépresseurs, si l'administration en est forte et prolongée.
Cette interdiction est impérative chez les hépatiques et les rénaux, il
nous paraît cependant intéressant d'y recourir prudemment pour exciter
le sinus carotidien et
par là tonifier l'irrigation cérébrale. Ajoutons que
les propriétés anti-choc du camphre ont été utilisées par nous dans la
prévention des désordres émotionnels et la cure des cénesthopaties
cérébrales de la D. C.
;
tonus neuro-végétatif ou à la sédation des troubles du sommeil et des
phénomènes douloureux du reste leurs effets se confondent.
Les sédatifs agissent simultanément sur les muscles striés par la
moelle et le cerveau et sur la fibre lisse digestive ou cardio-vasculaire
;
Par l'intermédiaire du grand sympathique. Leur action à fortes doses
est contre-indiquée elle peut être nuancée grâce aux doses réfractées
qui conviennent mieux aux malades chroniques auto-intoxiqués, mais
surtout très sensibles aux dépresseurs nervins. C'est ainsi que nous
avons préconisé avec Dupouy (19) l'administration du Gardénal à faibles
doses chez les émotifs et anxieux
purs, les obsédés à réactions émotives
(19) Dupouy et Montassut, Traitement des états anxieux par le gardénal à doses
re'fractées
».
«
Annales médico-psychologiques, 4 avril 1925.
vives, certains hypochondriaques. La thérapeutique par doses de un
;
centigramme fréquemment renouvelées s'est montrée nettement supé-
rieure à la médication massive habituelle elle est mieux tolérée, moins
toxique aussi car elle n'arrive jamais à atteindre 0 gr. 20. Les résultats
consistent surtout dans la sédation de l'émotivité diffuse, des angoisses
viscérales et de l'insomnie, dans la sensation de mieux-être accusée par
le malade lui-même, dans l'atténuation des alternances de l'humeur et
surtout l'absence d'inhibition, voire d'excitation, provoquée par les doses
massives. Cette médication primitivement faite sans autre association
thérapeutique a donné l'essor à une foule de spécialités où elle se trouve
heureusement associée à d'autres médications végétales ou organiques.
Les bromures sont contre-indiqués dans la plupart des cas, ils ont
une action dépressive trop manifeste pour ne pas être rigoureusement
proscrits dans une dépression organique profonde avec nutrition altérée
ou ralentie. Ils trouvent seulement leur indication dans le traitement des
phases de surmenage émotionnel lorsque prévalent l'insomnie, l'hyper-
excitabilité sensorielle, l'agitation neuro-musculaire diffuse avec l'hyper-
esthésie transitoire du plexus solaire, etc. Mais même ici il faut agir
avec prudence et la méthode de doses réfractées — 0 gr. 25 à 0 gr. 50 à
chaque prise, répétées au cours de la journée — nous paraît être encore
la plus sûre. Le bromure de potassium doit être éliminé au profit des sels
de calcium et sodium moins toxiques par ailleurs. Le bromure d'ammo-
;
nium plus actif peut être recommandé comme stimulant diffusible, toni-
que cardiaque et stimulant respiratoire l'action du bromure de cam-
phre si chaudement préconisée n'est guère justifiée qu'aux faibles
doses, la posologie classique, 0 gr. 50 à 1 gramme est irrationnelle car
l'action excitante du camphre neutralise le bromure. L'effet physiolo-
gique de la valériane est analogue à celui des bromures, mais elle est
anodine et ses effets dépresseurs sont beaucoup moins marqués. L'extrait
de racine fraîche est la forme recommandée, elle est à peu près sans
odeur. La valériane entre dans la composition d'innombrables sédatifs
:
appétence toxicomaniaque et de leur accoutumance rapide. L'opium sous
ses formes les plus courantes doit être rigoureusement proscrit extrait
:
total, morphine et laudanum. L'interdiction doit être étendue le plus
souvent aux autres alcaloïdes papavérine et codéine, qui ont été à nou-
veau recommandées. La première paralyse directement les muscles lisses
des viscères et des vaisseaux et peut donner des résultats intéressants
dans le traitement des spasmes pyloriques intestinaux, l'asthme et la
dysménorrhée, aux doses de 2 à 5 pilules de 0 gr. 05. La codéine est un
léger analgésique mais surtout un calmant de la toux, elle a une action
sédative générale faible mais suffisante associée aux barbituriques
a faible dose —
— elle est utile au traitement de l'insomnie des émotifs.
Les médications neuro-végétatives sont de précieux antispas-
modiques grâce à leur action élective sur le tonus sympathique ou para-
;
tion la plus maniable et la plus fidèle, elle doit être préférée à la poudre
ou au sirop on la prescrit à la dose de 0 gr. 50 à 2 grammes par jour
(1 gramme
;
d'applications pratiques. La génoscopolamine,beaucoup moins toxique,
a une action intéressante on la prescrit en gouttes ou pilules.
La jusquiame a les propriétés antispasmodiques de la belladone
mais a l'inconvénient d'être un dépresseur des centres nerveux son ;
emploi est de ce fait beaucoup plus rare. Elle entre dans la composition
des classiques pilules de Meglin et de cynoglosse (0 gr. 50 à 2 gr.). La
scopolamine paralyse les terminaisons parasympathiques comme l'atro-
pine, mais abolit la sensibilité et l'excitabilité neuro-musculaire ; ce
sédatif de base ne convient que dans les états de surmenage et sa toxi-
cité exige un emploi très discret.
:
grammes de poudre de thyroïde conviennent dans les cas moyens, mais
Il est nécessaire d'utiliser
des doses plus faibles 2 à 5 mmgr., lors des
hyperthyroïdies transitoires. Les résultats obtenus
avec des prescrip-
;
rieur s'exerce sur le métabolisme des graisses, le développement et l'acti-
vité des organes sexuels tandis que le lobe postérieur exerce une action
cardio tonique et myocynétique.
Dans l'instabilité hypophysaire, l'ingestion de glande desséchée est
fixée au début entre 0 gr. 02 à 0 gr. 05 (L. Lévi) ; dans les autres cas on
augmente rapidement pour obtenir l'effet désiré entre 0,20 et 0,30 par
jour.
Les injections de lobe antérieur sont réservées aux insuffisances
génitales graves. Les incidents du traitement : céphalées insomnie,
asthénie, les vomissements, arythmie, extra systoles (Pende) ne sont pas
rares.
L'opothérapie parathyroïdienne assure l'utilisation des réserves
phosphocalciques et l'équilibre humoral. L'extrait est peu actif par voie
buccale, mais, en inj ection sous cutanée ou intramusculaire, il agit éner-
giquement. Les doses petites et répétées sont efficaces et elles n'ont
pas
le grave inconvénient de
provoquer des accidents d'hypercalcémie (10 à
15 unités Collip
par jour, en une ou deux injections) ; la médication doit
être associée à l'absorption de calcium
sous peine de mobiliser le calcium
osseux.
L'opothérapie testiculaire est préconisée depuis l'antiquité comme
tonique général. Brown-Sequard lui attribuait une action dynamogé-
flique capable de lutter contre l'involution et les états dépressifs.
L'emploi enthousiaste de la médication suscita des insuccès et la médi-
cation fut abandonnée jusqu'à de plus récentes découvertes. La glande
interstitielle est
une médication génitale spécifique, mais elle agit encore
par ses nucléoprotéïdes et ses lécithines, elle accroit les échanges respira-
toires, les combustions internes et la résistance à la fatigue. Enfin,
comme opothérapie complémentaire, elle donne d'heureux résultats dans
l'apaisement de l'éréthisme sexuel chez la femme. L'extrait
sec est
préféré à l'extrait glycériné, on le prescrit aux doses de 0,25 à 0,50 de
1 à 3 cachets
par jour.
L'opothérapie ovarienne répond aux mêmes nécessités de stimu-
lation des combustions et du tonus neuro-végétatif. Elle est nécessaire
au
traitement de la faiblesse initiale des hypogénitales, mais surtout des
manifestations complexes de la ménopause. Léopold Lévi les considère
; :
comme un syndrome d'instabilité pluriglandulaire dans lequel l'hypo-
avarie se combine aux autres insuffisances thyroïdienne, hypophysaire,
Parathyroïdienne, surrénale parfois et beaucoup plus rarement chez
nos malades, à des hyperfonctionnements réactionnels surrénaux et
hYPOphysaires. Associée
ou seule, l'opothérapie doit être suffisante et
;
Prolongée : ingestion de 0,10 à 0,60
Jaune
à dose
par jour de glande totale ou de corps
les injections ne sont guère plus actives. L'hormone folliculaire
moyenne de 10 unités par jour est concurremment employée. La
greffe ovarienne tentée Toulouse, Bloch et Schiff dans le traitement
par
des Psychoses anxieuses été utilisée chez
a une de nos malades sans
résultat appréciable
sur l'insuffisance ovarienne, l'asthénie et l'émotivité.
Léleetrothérapie n'agit pas seulement par sa force suggestive,
Mais aussi
par des effets biologiques patents. La faradisation et la galva-
nisation ont été préconisées par Beard lui-même dans le traitement de la
neurasthénie, lorsque la nutrition est peu atteinte et la force musculaire
conservée. Elles doivent être épargnées aux excitables. La faradisation
généralisée selon la méthode Bergonié, utilisée à faible dose, rend de
;
grands services aux dépressions simples en faisant travailler la muscu-
lature sans effort volontaire, donc sans fatigue elles permettent de déve-
lopper la force du système musculaire, d'augmenter les combustions et
de tonifier l'organisme.
La franklinisation a joui d'une grande vogue il y a une vingtaine
d'années, mais elle est actuellement à peu près abandonnée. Le bain
statique associé à l'étincelage donne cependant des résultats certains
il convient d'ajouter l'influence heureuse de l'ozone, inhalé en petites
;
quantités. La séance dure quelques minutes au début et est progressive-
ment portée jusqu'à un quart d'heure. Les malades accusent alors une
sensation de bien-être et d'allant, liée peut-être à la persuasion mais
aussi aux effets de l'hyperventilation pulmonaire, de l'activation des
échanges ?
La darsonvalisation, par ses variations magnétiques profondes et
fréquentes, atteint la vie « dans ses manifestations les plus intimes qui
touchent au fonctionnement de la cellule vivante »
(Bouchard et
d'Arsonval). Si les courants de haute tension provoquent, par effluvage
et étincelage une action analgésique, les effets des courants de quantité
sont plus complets. La diathermie et les ondes courtes associent à leur
rôle antalgique des vertus spasmolytiques et toni-nutritives. Elles doivent
être utilisées modérément, car si les courants de d'Arsonval diminuent
;
Les rayons U. V. fixateurs du calcium jouent un rôle très important
dans la stimulation générale des individus ils provoquent l'augmen-
;
tation du métabolisme de base, du taux de l'hémoglobine et de la résis-
tance globulaire malheureusement ils doivent être parcimonieusement
;
appliqués chez les hyperexcitables. Les rayons infra-rouges agissent
surtout par leur propriété calorifique profonde leur action est à recom-
mander aux algiques.
Les rayons X ne seront utilisés que comme traitement fonctionnel,
appliqués à doses modérées sur le système neuro-végétatif (Gouin et
Delherm). L'irridiation filtrée s'exerce
sur la région axiale, soit sur les
carrefours (aine, aisselle, etc.). Backmund (22) préconise, dans le trai-
tement des asthénies, les rayons limites de Bucky, rayons mous, physi-
quement et biologiquement à la limite des radiations U. V. Ils déter-
minent une leucopénie et une tonification du système végétatif. La T. A.
sélève, les troubles vaso-moteurs et dyskinétiques s'atténuent, l'activité
générale, le métabolisme et la glycémie s'élèvent.
;
Les substances radio-actives introduites dans l'organisme devraient
logiquement le stimuler
en abandonnant leur énergie pour certains
thérapeutes ce serait là la propriété principale des eaux minérales. On
a
PU conseiller l'usage des préparations industrialisées de Radon, méso-
;
connues le thorium, à dose de 20 à 50 micro-
grammes, exercerait une action neurotonique et hématopoïétique sa
rapide désintégration n'a peut-être pas d'indication particulière dans le
traitement de l'asthénie chronique. En tous
cas, l'emploi des substances
radio-actives doit être extrêmement prudent et comme le pense
Laborde (23), rien
ne démontre qu'il y ait intérêt à dépasser l'ordre de
grandeur des radio-éléments contenus dans les sources radio-actives
naturelles qui ont fait leur preuve.
;
oxydations, acidifie, accélère les grandes fonctions et réduit ainsi le stock
des déchets il rend à l'organisme son excitabilité, stimule simultané-
ment vigueur physique et activité intellectuelle. Il exerce même une
action psychothérapique indéniable, en corrigeant les attitudes et en
émotionnelles;
disciplinant les gestes, en éduquant l'effort et en apaisant les agitations
il recrée le bien-être physique, l'impression de détente
et d'alacrité musculaires et exalte finalement le sentiment de la person-
nalité. La mise en train est touj ours malaisée, car elle doit vaincre
l'initiale sensation de fatigue et réduire la conviction erronée que seul
le repos peut l'apaiser. C'est une erreur commune aux sédentaires qui
font état d'un habituel surmenage intellectuel pour se soustraire au
travail physique. Auprès de tels malades le médecin n'usera jamais assez
de son autorité persuasive pour imposer la cure d'exercice qui, amélio-
rant l'excitabilité neuro-musculaire, favorise l'activité cérébrale.
Les exercices recommandés doivent être complets, progressifs, éco-
nomiques et distrayants. Les sports exigeant des dépenses excessives
;
seront interdits car l'épuisement musculaire se surajoute à la fatigabilité
initiale il faut interdire surtout les jeux qui nécessitent en surplus une
grosse tension nerveuse comme ceux pratiqués en équipe. Le tennis,
la boxe et l'escrime habituellement préconisés aux sédentaires épuisent
trop rapidement l'attention et les bienfaits musculaires sont payés en
retour d'un véritable surmenage intellectuel. Il importe au contraire,
ainsi que le conseille Ruffier (24), de choisir des exercices simples ou
réflexes s'exerçant automatiquement sans que l'esprit ait à intervenir.
La marche réalise ces conditions d'un exercice musculaire libérant au
maximum les facultés intellectuelles. La plupart de nos malades la pra-
tiquent volontiers. mais habituellement sans résultat, car ils marchent
mal. Certes ils sont capables de longues randonnées où l'esprit rêvasse
(24) Ruffier, « Gymnastique des intellectuels»,Physis, avril 1931.
et s'abandonne aux automatismes médullaires, malheureusement la
cadence trop lente ne provoque pas l'hyper-ventilation, la sudation et
l'échauffement musculaire nécessaires à l'amélioration physique. La
;
course à pied permet une accélération rapide et considérable de ces
fonctions
un quart d'heure de course en costume athlétique agit plus
sur l'état général que plusieurs heures de marche. Mais c'est la culture
physique quotidienne pratiquée chez soi
ou, ce qui est mieux, en salle,
sous la direction du moniteur et avec l'émulation des autres élèves, qui
donne les résultats les plus réguliers. Il convient de la pratiquer le matin
au saut du lit afin d'écourter l'atonie matinale et d'accélérer la mise en
train. La gymnastique d'entretien recommandée par les techniciens de
Joinville doit être préférée
aux méthodes suédoises ou athlétique. Les
toniques et de contractures musculaires prolongées ;
Mouvements s'exercent avec le minimum d'attention, d'attitudes hyper-
ils doivent être
souples, à une cadence rapide, intéresser synchroniquement le maximum
Symnique;
de groupes musculaires
et articulaires, en dépit même de la correction
les exercices sont coordonnés à la respiration, progressive-
ment accélérés, entrecoupés de poses, de détente musculaire et d'exer-
cices respiratoires. Chaque mouvement est ainsi exécuté
sur un rythme
assez vif et répété de dix à vingt fois selon le degré d'entraînement.
La durée totale de
la séance est de 20 à 40 minutes. Elle est suivie de
la douche tiède écossaise; l'hydrothérapie fraîche, en effet, fait perdre
le bénéfice de
ou
l'échauffement musculaire et exagère l'émotivité qui appa-
rait parfois
en fin de séance si l'exercice a été trop vigoureusement
Poussé.
L'action thérapeutique du paysage doit être utilisée subtile-
Inent. Nos malades s'accommodent mal d'un banal décor et réclament
u contraire une atmosphère sensible et climat intellectuel propres
a leurs un
aspirations. S'ils perçoivent intensément et finement la valeur
esthétique des et excellent à ressusciter les lieux historiques,
paysages
e
leur amour
de la nature ne se satisfait pas seulement de haute spiritua-
mais se repaît encore de sensations plus modestes. Elles naissent du
SInple jeu des
couleurs et récréent l'esprit avec les vieux thèmes oubliés:
revasseries vagabondes,
possession heureuse de l'instant fragile, austères
Mais toniques évocations du passé qui survit, exaltation de projets virils
et de volonté de bonheur. A l'évasion du réel et à l'ivresse de l'infini
conviennent les larges horizons marins ou montagnards et les épures
austères des hauts plateaux. A la jouissance paresseuse, un décor plus
confidentiel suffit, mais harmonieusement campé et égayé par la vue des
nuages et des eaux, vivifié par le labeur heureux et fort de ses villages.
;
Le paysage réclamé par nos malades doit donc s'offrir généreusement,
satisfaire leur besoin d'infini, de sécurité et de liberté il doit être
proportionné à la fois à leurs rêves mais aussi à leurs moyens, ne jamais
imposer ses magnificences ni ses disciplines, il ne peut jamais être tragi-
que, mesquin ou monotone.
Les effets biologiques du elbuat sont classiquement préconisés,
parfois trop systématiquement il est vrai. Des erreurs sont ainsi commises
et l'une des plus fréquentes réside dans l'interdiction de la mer à la
totalité des nerveux. Si la mesure est sage pour les irritables, les émotifs
rouges sympathico-toniques,elle est excessive pour la plupart des dépri-
més constitutionnels. Car si les épuisés et les surmenés sont agités par
la rudesse du climat, la majorité des abouliques et des inhibés tire
;
le plus grand profit de l'association à la médication iodée et à l'hydro-
thérapie, de la cure de soleil et du réentraînement physique quelques
centigrammes de barbiturique auront aisément raison du trouble du
:
sommeil. L'organisation des croisières a généralisé les bienfaits de la
navigation repos physique, abandon des charges sociales, vie de bord
facile, rêverie et flânerie, curiosité éveillée par les paysages, etc. ; ils
asc.(25)
F Montassut, Politiques morbides
II, 1935. D'Artrey édit.
de la maladie. « Evolution Psychiatrique »,
Groupe de 1Evolution
e
Psychiatrique
::
Président P. SCHIFF ;
:: ;
Vice-Président P. MALE ;
Secrétaire E. MINKOWSKI
:
Trésorier H. CODET ;
Secrétaire des séances Henri Ey.
, SaÍnt-JVfartm-fe- Vinoux
1
1
F
— près GRENOBuE (Dauphiné) —
:
Sports d'hiver à proximité
traitant
Tél, 11-33 Grenoble
(RATEAU L'HAY-LES-ROSES
DE
DIRKCTKUK: Dr Gaston MAILLARD
:
Ancien Interne des Hôpitaux de Paris
Médecin-adjoint
2, Rue Dispan,
— Médecin
de Bicêtre et de la Salpêtriére
Dr CHARLES GRIMBhRI
L'HRY-LES-ROSES
(Seine)
®P>Hom e5
Insta llations de premier ordre
Notice sur demande
2. Grande-Rue et 11bis,
:
Rue de la Porte-Jaune, GARCHES (S.-&-0.)
Téléph. VAL-D'OR 00-55
Affections neurologiques. - - -
Psychopathies en cure libre. [jésintoxjcatidn
Névroses.
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Cures d'air et de repos. — Convalescences.
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Traitements biologiques (Malariathérapie).. Psychothérapie.
La Clinique est ouverte aux Médecins, qui conservent la Direction du traitement de leurs Malades
GRAND CONFORT - BEAU PARC DE SIX HECTARES