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En octobre 1901, Freud reçoit une certaine « Dora », jeune fille de dix-huit ans que son père lui
envoie dans l’espoir qu’il la guérisse de ses fantasmes sexuels et de ses « lectures pornographiques ».
En onze semaines, à l’issue desquelles sa patiente interrompra d’elle-même le traitement, cette banale
histoire de famille va progressivement se transformer, selon Élisabeth Roudinesco, en « une véritable
tragédie du sexe, de l’amour et de la maladie »...
Publié quatre ans plus tard, en 1905, Dora est le plus célèbre et le plus complet des cas de
psychanalyse rédigés par Freud. D’une rare force narrative, développant des hypothèses totalement
novatrices sur l’hystérie, la bisexualité et le transfert, il est, de l’avis général, aussi important que
L’interprétation des rêves et les Trois essais sur la théorie sexuelle.
Sigmund Freud
Dora
Fragment d’une analyse
d’hystérie
Traduit de l’allemand
par Cédric Cohen Skalli
ISBN : 978-2-228-90931-0
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Préface
Dora « la suçoteuse »
Découverte de la technique
Autour des années 1890, en pleine élaboration de ses théories, Freud vit
une période de grande fécondité intellectuelle. Il partage depuis 1882 avec
le professeur Josef Breuer (1842-1925) un vif intérêt pour l’hystérie. Leurs
échanges ont abouti à la publication en 1895 d’un essai, Études sur
l’hystérie, qui développe l’hypothèse d’une étiologie psychique
traumatique de cette pathologie, ce qui conduit les auteurs à conclure que
« l’hystérique souffre de réminiscences ». Cependant, la question de
l’origine sexuelle infantile des névroses avancée par Freud les séparera.
Breuer, choqué et perplexe comme le sont de nombreux collègues de Freud,
n’arrive pas à le suivre sur ce terrain-là et cet essai, loin de les rapprocher,
les éloignera.
En 1887, malgré ce désaccord, Breuer présente à Freud un collègue
berlinois, le docteur Wilhelm Fliess (1858-1928). La relation entre les deux
hommes va s’approfondir à mesure que celle de Freud avec Breuer faiblit.
Fliess est un ORL reconnu qui développe une approche originale de la
médecine et des idées peu ordinaires. Une certaine marginalité, un
isolement rapprochent Fliess et Freud qui, jusqu’en 1902, vont avoir une
intense correspondance dans laquelle ils partagent à la fois réflexions
intimes et spéculations théoriques. Ces échanges, qui se révéleront
cruciaux, nous permettent de suivre le développement d’un certain nombre
d’hypothèses freudiennes, sa découverte de la psychosexualité, ainsi que
son cheminement théorique en ce qui concerne l’hystérie.
Le père de Dora, Philipp Bauer, un riche industriel, est un grand malade
souffrant de troubles neurologiques liés à une atteinte syphilitique. Il est
suivi par Freud depuis quatre ans quand il amène Dora chez ce dernier.
De son vrai nom Ida Bauer, Dora a tout juste seize ans quand elle
rencontre Freud pour la première fois. Elle consulte à cause d’une toux
persistante et de migraines. Freud conseille un « traitement psychique »,
mais il n’est pas donné suite à ce projet. Deux ans plus tard, son père la
ramène, car non seulement elle tousse toujours, mais elle a des crises
d’aphonie, elle claudique et s’évanouit de façon spectaculaire. Elle est
également déprimée, s’oppose à ses parents et présente des troubles du
caractère.
Freud diagnostique « une petite hystérie ». Il pense en effet que tous ses
symptômes sont des conversions hystériques. La cure de Dora – le
« traitement psychique » préconisé auparavant – peut débuter en
octobre 1900.
Dora permet à Freud, après Emmy von N., Miss Lucy R., Katarina ou
Elizabeth von R., quatre patientes dont il avait publié les cas, mais de façon
plus sommaire, dans les Études sur l’hystérie, de compléter ses recherches
sur la structure de l’hystérie, mais aussi sur sa modélisation de la psyché et
le rôle du fantasme.
Sa démarche novatrice et révolutionnaire tient au fait qu’il avait séparé
l’hystérie des états dégénératifs dans lesquels elle était classée et qu’il
avançait l’hypothèse d’une étiologie psycho-gène, permettant un traitement
reposant sur la libre communication de ce qui venait à l’esprit : la cure par
la parole, ou talking cure, comme l’avait nommée Anna O., une patiente de
Breuer.
Quand Dora débute sa cure, Freud a déjà fixé les principaux éléments
du cadre, la « règle principale » (qui deviendra « règle fondamentale »)
assignant au patient de tout dire de ce qui se présente à son esprit est d’ores
et déjà préconisée, et l’association libre a remplacé l’hypnose. L’abréaction
de l’affect, qui fondait la méthode cathartique, est délaissée, ainsi que la
suggestion. Le but de la cure est de rendre l’inconscient conscient, en
analysant les résistances qui s’opposent à la levée du refoulement. Il s’agit
d’« extraire du minerai des idées fortuites le pur métal des pensées
refoulées ».
En 1894, dans « Les psychonévroses de défense », Freud a également
introduit le concept de conversion hystérique pour qualifier la
transposition d’un conflit psychique dans des symptômes somatiques,
moteurs ou sensitifs, qui ont une valeur symbolique car ils sont l’expression
de représentations refoulées. Ils permettent de distinguer l’hystérie des
autres névroses, pour lesquelles la représentation inacceptable reste
psychique.
Dans une lettre du 21 septembre 1897, il avait annoncé à Fliess qu’il
renonçait à sa « neurotica », la théorie de la séduction qu’il avait
développée dans les Études sur l’hystérie. Cette théorie, où il évoquait la
séduction effective par le père pervers, lui avait permis de faire un montage
qui liait perversion à la première génération et hystérie à la seconde. En
annonçant qu’il renonçait à cette théorie, il accordait aux fantasmes un rôle
prépondérant, hypothèse qu’il étaye singulièrement avec le récit de la cure
de Dora.
Cependant, cette dernière part précipitamment et les difficultés de ce
cas mettent Freud devant certaines limites de son outil de travail. Poussé par
le désir de comprendre, il rédige l’observation en quinze jours. Elle
regroupe l’ensemble des intérêts de Freud à cette époque mais, au cours de
sa rédaction, alors qu’il s’est lancé parallèlement dans l’écriture de
Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud fait une erreur de
datation : il situe la cure à la fin de l’année 1899 (au lieu de 1900) et sa
rédaction au début de l’année 1900. N’efface-t-il pas ainsi d’un trait
l’année 1899, année sombre marquée par le silence indifférent, voire
hostile, qui avait accueilli la parution de L’Interprétation des rêves, ce qui
l’avait beaucoup blessé ?
Pour des raisons de confidentialité, Freud retarde la publication de
Dora jusqu’en 1905. En effet, il se confronte au problème toujours actuel
du respect de la vie privée du patient et des exigences de la science. Se
rajoute à l’époque le scepticisme de ses collègues face aux idées qu’il
développe et l’on peut penser que, soucieux d’asseoir sa crédibilité, il ait
hésité à exposer des découvertes et des hypothèses dont certaines le
scandalisaient lui-même. Lui qui aimait se présenter comme un
conquistador devait lutter contre Freud le bourgeois. C’est ce que semble
montrer l’avant-propos, dans lequel il répond par avance aux objections
qu’on pourrait lui faire.
1. Les quatre autres sont « Le petit Hans » (1909), « L’homme aux rats » (1909), « Le président Schreber » (1911) et « L’homme aux loups » (1918). Tous ces textes sont
publiés aux Éditions Payot. (N.d. É.)
2. Voir Sándor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant (1932), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2004.
4. Traduit in Bela Grunberger (dir.), Les Névroses : l’homme et ses conflits, Paris, Tchou, 2004.
5. Otto Fenichel, « La préhistoire prégénitale du complexe d’œdipe », in Féminité masquarade. Études psychanalytiques réunies par Marie-Christine Hamon, Paris,
Seuil, 1989.
Note du traducteur
La présente traduction a été faite à partir du texte allemand du volume
V des Gesammelte Werke de Freud. Je me suis également référé à la
traduction anglaise d’Alix et James Strachey (Standard Edition, volume
VII) que Freud avait lui-même approuvée et dont il fait l’éloge dans une
note de bas de page de son avant-propos (voir infra, note). Les traductions
françaises existantes ont aussi été consultées au sujet de certains termes
techniques.
Avant-propos
Au moment où je m’apprête, après une longue pause, à consolider mes
affirmations des années 1895 et 1896 sur la pathogenèse des symptômes
hystériques1 et sur les processus psychiques de l’hystérie2 et à les étayer par
le récit détaillé de l’histoire d’une malade et de son traitement, je ne puis
m’épargner l’écriture de cet avant-propos qui a pour but, d’une part, de
justifier ma pratique sur différents plans et d’autre part, de ramener à de
justes proportions les attentes qu’elle suscite.
Il est certes fâcheux que j’aie été contraint de publier des résultats de
mes recherches, et particulièrement des résultats aussi étonnants et aussi
peu complaisants, sans être en droit de les soumettre à la vérification de
mes confrères. Mais il n’est guère moins fâcheux de soumettre au jugement
de tous, comme je le fais à présent, une partie du matériel sur la base duquel
j’ai obtenu ces résultats. Je n’échapperai pas aux reproches. Si par le passé
on me reprochait de ne rien divulguer de mes malades, on me reprochera à
présent d’avoir divulgué ce que l’on ne doit pas divulguer. J’espère que ce
seront les mêmes personnes qui trouveront ainsi un nouveau prétexte à leurs
reproches. Je renonce d’ailleurs d’emblée à ôter la réprobation de la bouche
de ces critiques.
La publication des histoires de mes patients reste pour moi une tâche
difficile quand bien même je ne me préoccuperais plus dorénavant de ce
que peuvent dire ou penser les esprits malveillants qui n’y comprennent
rien. Les difficultés sont pour une part d’ordre technique ; pour une autre,
elles relèvent de la nature même des circonstances. S’il est exact que les
causes de l’affection hystérique se trouvent dans l’intimité de la vie
psychosexuelle des malades et que les symptômes de l’hystérie sont
l’expression de leurs désirs les plus secrets et les plus refoulés, alors
l’exposition d’un cas d’hystérie ne peut faire autrement que dévoiler ces
choses intimes et trahir ces secrets. Il est certain que les patients n’auraient
jamais accepté de parler si leur était venue à l’esprit la possibilité d’une
exploitation scientifique de leurs aveux ; de même, il est tout aussi certain
qu’il serait parfaitement vain de leur demander l’autorisation de publier les
détails de leur maladie. Des personnes sensibles et hésitantes auraient
tendance dans ces conditions à mettre en avant le secret médical et à
regretter de ne pouvoir éclairer et servir la science. Mais le médecin, à mon
sens, n’assume pas seulement des devoirs à l’égard de chaque patient, mais
également à l’égard de la science. Ce devoir à l’égard de la science ne
signifie au fond rien d’autre qu’un devoir à l’égard des nombreux autres
malades qui souffrent ou souffriront à l’avenir du même mal. La divulgation
de ce que l’on croit savoir sur les causes et la structure de l’hystérie est un
devoir, leur omission une lâcheté honteuse, pourvu qu’on puisse éviter un
dommage personnel direct pour le malade. Je crois avoir tout fait pour
écarter la possibilité d’un tel dommage pour ma patiente. J’ai choisi une
personne dont la destinée n’a pas eu Vienne pour théâtre, mais une petite
ville éloignée, et dont la situation personnelle doit être pour ainsi dire
inconnue dans la capitale. J’ai gardé d’emblée si consciencieusement le
secret autour de ce traitement que seul un collègue parfaitement digne de
confiance sait que la jeune fille en question a été ma patiente. J’ai patienté
encore quatre ans avant la présente publication, jusqu’à ce que j’apprenne la
nouvelle d’un changement dans la vie de cette patiente qui m’autorise à
considérer qu’elle ne pourrait porter qu’un faible intérêt personnel aux
événements et aux processus psychiques racontés ici. Il va de soi qu’aucun
nom n’apparaît dans mon récit qui pourrait dévoiler à un lecteur initié
l’identité des personnes en question. La publication de cette étude dans un
journal strictement scientifique devrait par ailleurs être une protection
contre ces lecteurs importuns. Je ne peux bien sûr pas empêcher la patiente
en question d’éprouver un sentiment de désagrément si par hasard le présent
récit de son propre cas venait à lui tomber entre les mains. Elle n’y
apprendrait rien à sa lecture qu’elle ne sache déjà et pourrait se demander
qui d’autre qu’elle-même serait à même de découvrir qu’il s’agit de sa
personne.
Il y a, je le sais, de nombreux médecins – du moins dans cette ville –
qui voudraient lire l’histoire de cette malade – ce qui est assez répugnant –
non comme une contribution à la psychopathologie des névroses, mais
comme un roman à clé fait pour les divertir. Je tiens à assurer ce genre de
lecteurs que toutes les autres histoires de patients que j’ai l’intention de
publier à l’avenir seront protégées contre leur sagacité par les mêmes
garanties de secret, quand bien même une telle résolution limite
énormément l’utilisation que je puis faire du matériel en question.
Dans le récit de ce cas, que j’ai réussi jusqu’à ce jour à sauver des
circonstances défavorables et des limitations qu’impose le secret médical,
des relations sexuelles seront abordées en toute franchise. Les organes et les
fonctions de la vie sexuelle seront nommés par leurs noms. Un lecteur
prude pourra penser à la lecture de mon exposé que je n’ai pas eu peur de
m’entretenir avec une jeune fille de sujets de ce genre et, qui plus est, dans
un langage aussi direct. Dois-je me défendre également contre de tels
reproches ? Je revendique les mêmes droits que le gynécologue – ou plutôt
des droits bien plus modestes – et déclare que c’est là la marque d’une
lubricité perverse et étrange que de supposer que des discussions de ce
genre soient un bon moyen pour parvenir à l’excitation et à la satisfaction
de désirs sexuels. Je serais tenté d’exprimer mon jugement sur ce genre
d’attitude en citant les paroles suivantes : « Il est lamentable de devoir
concéder une place à de telles déclarations et protestations dans un ouvrage
scientifique, ces reproches ne s’adressent pas à moi, mais bien plutôt à
l’esprit du siècle auquel nous devons le bonheur d’être parvenu à cette
situation où plus aucun livre sérieux n’est sûr de son destin3. »
Je souhaiterais maintenant décrire comment j’ai fait, dans le cas de cette
patiente, pour surmonter les difficultés techniques que pose la rédaction
d’un compte rendu. Ces difficultés sont considérables pour un médecin qui
doit réaliser six à huit traitements psychothérapeutiques chaque jour et qui
ne peut prendre des notes pendant la séance avec le malade, car il éveillerait
la méfiance de ce dernier et perturberait sa propre perception du matériel
perceptif. C’est encore pour moi un problème non résolu de savoir
comment fixer le récit d’un traitement de longue durée pour pouvoir en
faire l’objet d’une publication. Dans le cas qui nous préoccupe ici, deux
circonstances me facilitèrent la tâche : premièrement le fait que la durée du
traitement ne dépassa pas trois mois, et deuxièmement le fait que les
moments d’élucidation se concentrèrent autour de deux rêves – l’un au
milieu de la cure, l’autre à la fin – dont la transcription fut établie
immédiatement après la séance et qui, de ce fait, purent fournir un point
d’appui sûr au mélange d’interprétations et de souvenirs auxquels ils
donnèrent lieu. J’ai moi-même rédigé de mémoire l’histoire de cette
patiente juste après la fin de la cure, tant que mes souvenirs étaient encore
frais et mus par le désir de publier. La transcription n’est donc pas
absolument fidèle – d’un point de vue phonographique – mais elle peut
prétendre à un haut degré d’exactitude. Rien d’essentiel n’y a été changé si
ce n’est à certains endroits l’ordre des explications que j’ai inversé pour la
cohérence du développement.
Après ces précautions, je voudrais mettre l’accent sur ce que le lecteur
trouvera dans le présent rapport tout comme sur ce qu’il n’y trouvera pas.
Ce travail portait à l’origine le titre « Rêve et hystérie », car il me semblait
tout à fait approprié pour montrer comment l’interprétation des rêves
s’insère dans le déroulement du traitement et permet de parvenir au
recouvrement des amnésies et à l’élucidation des symptômes. Ce n’est pas
sans bonnes raisons que j’ai fait précéder les publications que j’ai en vue
sur la psychologie des névroses d’une étude difficile et profonde sur le rêve
parue au cours de l’année 19004. J’ai d’ailleurs pu conclure de l’accueil que
lui ont réservé les confrères de cette spécialité que ces derniers font encore
preuve de nos jours d’une compréhension très insuffisante à l’égard
d’entreprises de ce genre. Dans ce cas également, le reproche d’après lequel
mes affirmations – en raison de la rétention du matériel sur lequel je
m’appuie – ne peuvent donner lieu à aucune conviction fondée sur une
vérification des données n’est pas valable, car chacun peut soumettre ses
propres rêves à un examen analytique, la technique de l’interprétation des
rêves étant facile à apprendre sur la base des instructions et des exemples
que je fournis. Aujourd’hui, comme par le passé, j’affirme avec la même
nécessité que l’étude approfondie des problèmes du rêve est une condition
sine qua non de la compréhension des processus psychiques de l’hystérie
et des autres psychonévroses et que personne ne peut espérer pénétrer plus
avant dans ce domaine, même de quelques pas, s’il compte s’épargner ce
travail préparatoire. Comme l’histoire de cette malade suppose la
connaissance de l’interprétation des rêves, la lecture de son récit sera très
frustrante pour toute personne qui ne remplit pas cette condition préalable.
Au lieu de l’éclaircissement recherché, elle n’y trouvera que des choses
étranges et déconcertantes et sera certainement encline à projeter la cause
de cette impression sur l’auteur réputé extravagant. En réalité, cette
impression déconcertante tient aux manifestations de la névrose elle-même.
Elle n’est recouverte que par notre accoutumance de médecins et refait
surface lorsqu’on essaie de les expliquer. Pour conjurer la possibilité d’un
tel sentiment, il faudrait pour cela pouvoir faire dériver sans reste, si une
telle chose était possible, les névroses de facteurs qui nous sont déjà
connus. Mais il est bien plus vraisemblable qu’au contraire, l’étude des
névroses nous pousse à admettre beaucoup de choses nouvelles qui par la
suite progressivement pourront faire l’objet d’une connaissance plus sûre.
La nouveauté a toujours déconcerté et provoqué l’opposition.
Il serait erroné de croire que les rêves et leur interprétation occupent
dans toutes les psychanalyses une place aussi déterminante que dans cet
exemple.
Si le cas présent semble privilégié pour ce qui relève de l’utilisation des
rêves, il s’est révélé sur d’autres points bien plus pauvre que je ne l’aurais
souhaité. Ces lacunes tiennent aux circonstances mêmes qui ont permis la
publication de ce cas. J’ai déjà évoqué le fait que je ne saurais venir à bout
du matériel généré par un traitement qui s’étend au-delà d’une année. Il est
possible par contre de se souvenir d’une cure qui n’a duré que trois mois et
de l’embrasser du regard. Certes, ses résultats restent incomplets à plus d’un
égard. Le traitement n’a pas été poursuivi jusqu’au but escompté. La
patiente l’a interrompu volontairement après être parvenue à un certain
point. Au moment de l’interruption, certains mystères de ce cas n’avaient
pas du tout été abordés, d’autres avaient été élucidés de façon incomplète.
La poursuite du travail aurait certainement permis de progresser sur tous ces
points jusqu’à l’ultime éclaircissement possible. Je ne peux donc offrir ici
qu’un fragment d’analyse.
Un lecteur familier avec la technique de l’analyse exposée dans Études
sur l’hystérie s’étonnera peut-être de ce qu’il n’a pas été possible en trois
mois de conduire au moins les symptômes traités jusqu’à leur solution
ultime. Mais ce résultat s’explique par le fait que depuis la parution des
Études, la technique psychanalytique a connu un profond bouleversement.
À l’époque, le travail partait des symptômes et se fixait comme objectif de
les résoudre dans l’ordre. J’ai depuis abandonné cette technique car elle
m’est apparue totalement inappropriée à la structure plus subtile des
névroses. Je laisse maintenant le malade déterminer lui-même le thème de
travail de la séance du jour et procède ainsi à partir de la surface que
l’inconscient porte chaque fois à son attention. Mais alors, le matériel
pertinent que j’obtiens pour la résolution du symptôme est fragmenté, tissé
de différents contextes et fortement espacé dans le temps. Malgré cet
inconvénient apparent, cette nouvelle technique dépasse de loin l’ancienne.
C’est sans la moindre contestation l’unique technique possible.
Quant à l’incomplétude de mes résultats analytiques, je ne peux faire
autrement que suivre l’exemple de ces chercheurs qui sont si heureux de
sortir d’un long ensevelissement et de porter au jour, même mutilés, les
vestiges inestimables de l’Antiquité. J’ai complété ce qui était incomplet à
l’aide des modèles les plus adaptés que j’ai recueillis d’autres analyses.
Mais comme un archéologue consciencieux, je n’ai pas manqué d’indiquer
là où ma construction s’ajoute à ce qui est authentique.
J’ai moi-même volontairement ajouté une autre forme d’incomplétude.
Je n’ai pas exposé de façon générale le travail d’interprétation qu’il fut
nécessaire d’accomplir sur les associations et les récits de la malade, je me
suis contenté d’en présenter seulement les résultats. La technique du travail
analytique n’est donc dévoilée qu’à de rares moments, à l’exception de la
partie qui concerne les deux rêves. Il m’importait dans l’histoire de cette
patiente de mettre en évidence la détermination des symptômes et la
structure intime de la maladie névrotique. Si j’avais tenté en parallèle
d’accomplir l’autre tâche, cela n’aurait fait que produire une confusion
insoluble. Pour justifier les règles techniques de l’interprétation découvertes
le plus souvent de façon empirique, il aurait été nécessaire de convoquer le
matériel issu de nombreux autres traitements. Toutefois, il ne faut pas
s’imaginer que cette omission volontaire d’une véritable discussion de la
technique analytique affecte sensiblement la présentation de ce cas. En
effet, la partie la plus difficile du travail technique n’a pas été abordée par la
malade, puisque le moment du « transfert », dont il sera question à la fin de
l’histoire de cette patiente, n’est pas parvenu à s’articuler au cours de ce
bref traitement.
Ni la malade ni l’auteur ne sont responsables d’une troisième et
dernière forme d’incomplétude. Il est bien évident que l’histoire d’un seul
patient, quand bien même celle-ci serait complète et ne serait sujette à
aucun doute, ne peut répondre à toutes les questions que soulève le
problème de l’hystérie. Elle ne peut pas nous renseigner sur tous les types
de maladies, sur toutes les configurations que prend la structure interne de
la névrose, ni sur tous les modes possibles de relation entre le psychique et
le somatique dans l’hystérie. On ne peut pas, en toute justice, exiger d’un
cas plus que ce qu’il peut nous offrir. De même, quiconque par le passé ne
voulait pas croire à la validité générale et sans exception de l’étiologie
psychosexuelle de l’hystérie, ne sera guère convaincu par la lecture d’un
seul cas, tout au plus suspendra-t-il son jugement jusqu’à ce que, par son
propre travail, il se soit acquis le droit d’une telle conviction5.
1. Voir Sigmund Freud, Josef Breuer, Études sur l’hystérie, 1895. (N.d. É.)
5. (Note ajoutée en 1923 : ) Le traitement divulgué ici fut interrompu le 31 décembre 1899. Le rapport sur cette cure fut rédigé dans les deux semaines qui suivirent, mais ne
fut publié qu’en 1905. On ne peut certes s’attendre à ce que deux décennies de travail continu n’aient rien changé à la conception et à la présentation d’un tel cas de maladie. Mais il
serait évidemment absurde de mettre à jour, « up to date », l’histoire de cette malade par des corrections et des ajouts et de l’adapter ainsi à l’état actuel de nos connaissances. J’ai
donc laissé cette histoire pour l’essentiel dans sa forme d’origine et n’ai fait qu’amender quelques inexactitudes et erreurs d’inattention sur lesquelles mes excellents traducteurs
anglais, M. et Mme James Strachey, ont éveillé mon attention. Les ajouts critiques qu’il m’est apparu légitime d’incorporer ont été placés dans les notes de bas de page afin que le
lecteur soit en mesure de penser que je soutiens aujourd’hui encore les opinions défendues dans ce texte sauf à trouver dans ces ajouts une remise en question de ces opinions. Le
problème du secret médical qui me préoccupe dans cet avant-propos n’entre pas en considération dans les autres histoires de patient traitées dans ce volume [Cinq psychanalyses],
car trois d’entre elles ont été publiées avec leur accord exprès – dans le cas du petit Hans, il s’agit de l’accord de son père –, et dans un cas (Schreber), l’objet de l’analyse n’est pas
vraiment une personne, mais un livre dont cette personne est l’auteur. Dans le cas de Dora, le secret a été protégé jusqu’à cette année. J’ai récemment appris que cette femme, que
j’avais perdue de vue depuis longtemps et qui, depuis peu, est à nouveau tombée malade pour d’autres raisons, a révélé à son médecin que jeune fille, elle avait été l’objet de mon
analyse. Cet aveu permit à ce confrère averti de reconnaître facilement en elle la Dora de 1899. Quant au fait que ce traitement de trois mois n’était parvenu qu’à régler le conflit de
l’époque et qu’il ne put, par la suite, la protéger contre des retours ultérieurs de la maladie, aucune personne honnête et au fait de la thérapie analytique ne pourra m’en faire le
reproche.
Chapitre premier
Description de la maladie
Après avoir démontré dans L’Interprétation du rêve parue en 1900 que
les rêves en général peuvent être interprétés et qu’une fois le travail
d’interprétation accompli, ils se laissent remplacer par des pensées
parfaitement formées qui s’insèrent à certains points reconnaissables de la
trame psychique, je voudrais dans les pages qui suivent fournir un exemple
de l’unique application pratique que semble autoriser l’art d’interpréter les
rêves. J’ai déjà évoqué dans mon livre comment j’en suis venu à m’occuper
du problème du rêve. Ce dernier était apparu sur mon chemin alors que je
m’efforçais de soigner les psychonévroses par un procédé
psychothérapeutique particulier. En effet, les malades me rapportaient, entre
autres événements de leur vie psychique, des rêves qui semblaient
demander à s’insérer dans la longue chaîne de connexions qui s’étend du
symptôme de la maladie à l’idée pathogène. J’ai appris alors comment
traduire le langage du rêve dans les modes d’expression linguistique
courants de notre pensée. Je puis affirmer que cette connaissance est
indispensable au psychanalyste car le rêve indique un des chemins par
lequel peut parvenir à la conscience le matériel psychique qui, en raison de
l’opposition qu’éveille son contenu, a été retranché de la conscience et
refoulé, devenant ainsi pathogène. En bref, le rêve est un des détours qui
permettent de contourner le refoulement, c’est l’un des principaux
moyens de ce qu’on appelle le mode de représentation indirect du
psychique. Le fragment que nous présentons ici de l’histoire du traitement
d’une jeune fille hystérique montrera comment l’interprétation du rêve
intervient dans le travail de l’analyse. Ce sera en même temps pour moi
l’occasion de présenter une partie de mes vues sur les processus psychiques
de l’hystérie et sur leurs conditions organiques et de les publier pour la
première fois d’une façon développée qui ne prête plus à confusion. Je n’ai
donc plus besoin de m’excuser de la longueur de ces développements, dès
lors qu’il est acquis que seul l’examen le plus approfondi et le plus
attentionné, et non le mépris hautain, permet d’accéder et de répondre aux
grandes exigences que l’hystérie soumet au médecin et au chercheur. Bien
évidemment :
Ni l’art ni la science ne suffisent,
La patience doit être de la partie1 !
2. Un confrère médecin m’envoya jadis sa sœur pour un traitement psychothérapeutique. Celle-ci, selon ses dires, était traitée depuis des années sans le moindre succès pour
une hystérie (douleurs et trouble de la marche). Cette brève description semblait s’accorder avec le diagnostic. Lors de la première séance, je me fis raconter par la patiente elle-même
l’histoire de sa vie. Comme son récit, à part quelques événements étranges auxquels elle fit référence, semblait parfaitement clair et ordonné, je me disais, il ne peut s’agir d’un cas
d’hystérie et j’entrepris immédiatement un examen corporel minutieux. Cet examen eut pour résultat que je diagnostiquais chez elle un tabès relativement avancé qui connut une
amélioration considérable suite à des injections de mercure (ol. cinereum, administrées par le professeur Lang).
3. Les amnésies et les illusions du souvenir entretiennent un rapport de complémentarité. Là où se forment des grands trous de la mémoire, on rencontrera rarement des
illusions du souvenir. À l’inverse, celles-ci peuvent cacher complètement la présence d’amnésies, du moins au premier regard.
4. Lorsqu’un patient émet des doutes au cours de son récit, une règle empirique nous enseigne de ne pas tenir compte des jugements proférés par le narrateur. Quand le récit
oscille entre deux versions, il convient de considérer la première comme la vraie et la seconde comme un produit du refoulement.
5. Je ne partage pas le point de vue selon lequel l’hérédité est l’étiologie unique de l’hystérie, mais je ne voudrais pas donner l’impression, en renvoyant à des publications
antérieures (« L’hérédité et l’étiologie des névroses », Revue neurologique, 1896) dans lesquelles je lutte contre cette position, que je sous-estime le facteur de l’hérédité dans
l’étiologie de l’hystérie ou que je le tiens pour superflu. Dans le cas de notre patiente, ce que nous avons communiqué à propos du père, de son frère et de sa sœur indique une charge
pathologique suffisante. En effet, quiconque est d’avis que des états pathologiques comme celui de la mère sont impossibles sans prédisposition héréditaire pourra déterminer
l’hérédité de ce cas comme convergente. Pour ce qui relève de la prédisposition héréditaire ou plutôt constitutionnelle de la jeune fille en question, un autre facteur me semble plus
important. J’ai déjà évoqué que le père avait contracté la syphilis avant le mariage. Un pourcentage étonnamment élevé de mes patients psychanalytiques ont des pères qui ont
souffert d’un tabès ou d’une paralysie. En raison de la nouveauté de mon procédé thérapeutique, je récupère les cas les plus graves qui sont déjà traités depuis des années sans le
moindre succès. D’après la théorie d’Erb-Fournier, on peut considérer le tabès ou la paralysie du géniteur comme l’indication d’une infection syphilitique antérieure dont j’ai pu
recueillir une confirmation directe dans un certain nombre de cas auprès des pères eux-mêmes. Dans les dernières discussions de la descendance des syphilitiques (XIIIe Congrès
international de médecine à Paris, 2-9 août 1900, exposés de Finger, Tarnowsky, Jullien et autres), je n’ai pas rencontré l’évocation des faits que mon expérience de neuropathologiste
me pousse à reconnaître, à savoir que la syphilis des géniteurs peut tout à fait être considérée comme un facteur étiologique de la constitution névropathique des enfants.
6. Sur les circonstances probables de cette première maladie, voir plus bas.
8. Cette cure tout comme mes vues sur le déroulement de ce cas demeure un fragment ainsi que je l’ai déjà indiqué. C’est pourquoi je ne peux fournir le moindre
éclaircissement sur certains points et seulement m’appuyer sur ces indications et suppositions. Quand cette lettre fut évoquée lors d’une séance, la jeune fille demanda étonnée :
« Comment ont-ils donc trouvé la lettre ? Elle était pourtant enfermée dans mon bureau. » Mais comme elle savait que ses parents avaient lu son brouillon de lettre d’adieu, j’en
conclus qu’elle s’était elle-même arrangée pour qu’elle tombe entre leurs mains.
9. Je crois qu’on pouvait observer également lors de cette crise des spasmes et des délires. Mais comme l’analyse n’est pas parvenue jusqu’à l’évocation et l’élucidation de
cet événement, je ne dispose d’aucun souvenir fiable de celui-ci.
11. Sur ce dernier point, voici un exemple. Un de mes collègues viennois, dont la conviction à propos de l’insignifiance du facteur sexuel dans l’hystérie avait
vraisemblablement été renforcée par des expériences de ce genre, en vint pour le cas d’une jeune fille de quatorze ans atteinte de dangereux vomissements hystériques à lui demander
si elle n’avait pas eu une liaison amoureuse. L’enfant répondit : « Non », vraisemblablement en feignant bien l’étonnement. Elle dit ensuite à sa mère en des termes irrespectueux :
« Imagine-toi, cet idiot m’a même demandé si j’étais amoureuse. » La jeune fille vint plus tard suivre un traitement chez moi et il s’avéra – non pas bien sûr lors de la première
séance – qu’elle se masturbait depuis des années et qu’elle avait un fluor albus [c’est-à-dire des pertes blanches, N.d. É.] (fortement lié à ses vomissements). Elle avait finalement
réussi à se défaire de cette habitude, mais elle souffrait dans cet état d’abstinence d’un fort sentiment de culpabilité au point qu’elle considérait tous les malheurs qui frappaient la
famille comme une punition divine de ses péchés. Par ailleurs, elle était sous l’emprise de la liaison de sa tante dont la grossesse adultérine (le deuxième facteur de ses vomissements)
lui avait été soi-disant dissimulée avec succès. Elle était considérée comme une « simple enfant », mais en fait, elle était initiée à tout ce qu’il y a à savoir sur les relations sexuelles.
12. Paolo Mantegazza (1831-1910), sexologue et médecin hygiéniste italien, est notamment le découvreur du principe actif de la coca. Sa Fisiologia dell’amore (1873) a été
traduite en français en 1886 chez Fetscherin & Chuit. (N.d. É.)
13. J’ai dépassé cette théorie sans pour autant l’abandonner. Cela signifie que je ne la considère pas comme incorrecte, mais comme incomplète. Je n’ai abandonné que
l’insistance sur l’état dit « hypnoïde » qui était censé apparaître chez le malade au moment du traumatisme et servir de fondement à tous les événements anormaux qui s’en suivaient.
S’il est permis dans un travail commun de procéder après coup à une division de la propriété, je souhaiterais alors soutenir ici que la thèse des « états hypnoïdes » – que certains
considèrent comme le cœur de notre travail – est née de l’initiative exclusive de Breuer. Je tiens pour superflu et trompeur d’interrompre la continuité du problème que constitue le
processus psychique de la formation des symptômes hystériques par l’usage d’un tel terme.
14. Voir mon article « Zur Ätiologie der Hysterie » [ « Sur l’étiologie de l’hystérie »], Wiener klinische Rundschau, 22-26, 1896.
15. L’appréciation de ces circonstances sera facilitée par les éclaircissements qui seront données par la suite.
16. Le dégoût de Dora ne provient sûrement pas de causes accidentelles. Si tel avait été le cas, elle n’aurait pas manqué de l’évoquer et de s’en souvenir. J’ai connu par
hasard Monsieur K., c’était lui qui avait accompagné le père de la patiente chez moi. C’est un homme encore jeune, d’apparence amène.
17. De tels déplacements ne sont pas seulement admis en vue d’aboutir à une explication de ce genre, mais ils s’avèrent indispensables pour rendre compte de toute une série
de symptômes. Depuis Dora, j’ai noté le même effet de frayeur dû à l’enlacement (sans baiser) chez une jeune fille profondément amoureuse de l’homme auquel elle était fiancée et
qui était venue me voir en raison d’un soudain refroidissement de ses sentiments à l’égard de son fiancé, ce qui l’avait plongée dans un profond état de dépression. Il fut assez facile de
rapporter la frayeur éprouvée à l’érection de son fiancé lors d’un enlacement, que la jeune fille avait perçue, mais aussitôt écartée de sa conscience.
19. Ici tout comme dans d’autres cas similaires, il faut s’attendre non pas à une causalité unique, mais à une causalité plurielle, c’est-à-dire à une surdétermination.
20. Toutes ces discussions recèlent de nombreux éléments typiques et courants de l’hystérie. Le thème de l’érection est à l’origine de certains des symptômes les plus
intéressants de l’hystérie. L’attention féminine portée aux contours perceptibles des parties génitales masculines devient, après avoir été refoulée, le motif de nombreux cas de
misanthropie et d’agoraphobie. La relation très large entre le sexuel et l’excrémentiel, dont la signification pathogène ne saurait être exagérée, est à la base d’un très grand nombre de
phobies.
21. C’est là le point de rattachement avec la mise en scène de suicide de Dora qui exprime en quelque sorte son désir d’un amour semblable.
22. Cette gouvernante, qui lisait toute sorte de livres sur la sexualité et en parlait avec la jeune fille, lui avait demandé ouvertement de ne pas révéler à ses parents tout ce
qu’elle lui apprenait à ce sujet car on ne pouvait pas savoir quelle attitude ils adopteraient. J’ai considéré un temps cette femme comme la source des connaissances secrètes de Dora et
je ne me suis peut-être pas trompé complètement en faisant cette hypothèse.
24. Ici se pose la question suivante : si Dora était amoureuse de Monsieur K., comment s’explique son rejet des avances de ce dernier dans la scène du lac ou du moins la
forme brutale et colérique de ce rejet ? Comment une jeune fille amoureuse – comme nous allons l’entendre dans la suite de ses propos – peut-elle voir une offense dans des avances
qui ne sont faites ni de façon grossière ni de façon choquante ?
26. J’évoquerai plus tard quelle conclusion j’ai tirée de ces douleurs gastriques.
27. Le terme allemand forgé par Freud, somatisches Entgegen-kommen, désigne un mouvement de rencontre et d’accord entre le corps et le psychique comme si certains
processus du corps allaient à l’encontre de certaines pensées réprimées qui cherchent à s’exprimer. Pour cette raison, la traduction de ce terme par « anticipation somatique » ou
« accomodation somatique », plus proche de l’allemand, pourrait être préférée à « prévenance somatique » et surtout à « complaisance somatique », qui rappelle la traduction anglaise
donnée par les Strachey, somatic compliance. Comme cette traduction-là est aujourd’hui encore la plus couramment utilisée, nous l’avons donc conservée. (N.d.T.)
28. (Note ajoutée en 1923 : ) Sur ce point tout n’est pas juste. L’affirmation selon laquelle les motifs de maladie ne sont pas présents au début de la maladie et n’apparaissent
que dans une seconde phase ne peut être maintenue. Dans le paragraphe suivant, des motifs sont évoqués qui précèdent l’apparition de la maladie et qui en sont en partie responsables.
J’ai plus tard trouvé une meilleure façon de rendre compte des faits en introduisant la distinction entre bénéfice primaire et bénéfice secondaire de la maladie. Le motif de la
maladie est bien sûr toujours l’intention d’obtenir un gain. Ce qui est dit dans ce paragraphe est juste par rapport au bénéfice secondaire de la maladie. Mais, on peut identifier dans
chaque maladie psychonévrotique un bénéfice primaire de la maladie. Tomber malade épargne tout d’abord au malade un effort psychique et se révèle être la solution la plus
commode économiquement dans le cas d’un conflit psychique (c’est la fuite dans la maladie), même si après, l’inanité d’une telle issue s’avère dans la plupart des cas. Cette part du
bénéfice primaire de la maladie peut être décrite comme la part interne et psychologique, elle est pour ainsi dire constante. En plus de cette part, d’autres facteurs externes comme
l’exemple mentionné de la femme oppressée par son mari peuvent fournir d’autres motifs pour tomber malade et ainsi produire la part externe du bénéfice primaire.
29. L’écrivain Arthur Schnitzler, qui est aussi médecin, a donné une très juste expression à ce phénomène connu dans sa pièce Paracelse.
30. Le terme utilisé par Freud ici est vermögend, qui signifie à la fois riche et puissant ; son contraire, unvermögend (pauvre et impuissant), est employé à la fin de la
phrase. (N.d.T.)
33. Ces affirmations sur les perversions sexuelles avaient déjà été formulées plusieurs années avant la parution de l’excellent livre de Iwan Bloch (Beiträge zur Aetiologie
der Psychopathia sexualis, 1902 et 1903). Voir également mon livre sorti cette année (1905) : Trois essais sur la théorie sexuelle.
34. Une telle pensée survalente est souvent le seul symptôme, avec une forte dépression, d’une maladie couramment appelée « mélancolie ». Elle peut être guérie par la
psychanalyse à l’instar d’une hystérie.
35. Voir L’Interprétation du rêve, p. 296-297 et le troisième des Trois essais sur la théorie sexuelle, p. 164-166.
36. Le facteur décisif ici est l’apparition précoce de véritables sensations génitales spontanées ou provoquée par la masturbation (voir plus bas).
37. (Note ajoutée en 1923 : ) Il existe une autre forme de confirmation de l’inconscient, très remarquable et entièrement digne de foi, que je ne connaissais pas à l’époque,
c’est l’exclamation du patient : « Je ne pensais pas à cela » ou « Je n’y avais pas pensé ». On peut traduire ces expressions directement de la façon suivante : « Oui, je n’étais pas
conscient de cela. »
39. « Tranquille je puis vous voir apparaître, / Tranquille je vous vois partir. » (Ballade de Schiller, Le Chevalier de Toggenburg, v. 5-6.)
40. Médée, femme de Jason, est répudiée au profit de Créüse, fille du roi Créon. Pour se venger, elle offre à sa rivale une robe empoisonnée et ensorcelée. Créüse l’enfile, se
tord de douleur, puis se transforme en torche vivante, tuant en même temps son père par les flammes. (N.d. É.)
Chapitre II
Le premier rêve
Nous étions arrivés à un stade où nous pouvions espérer éclaircir un
point obscur de l’enfance de Dora grâce au matériel qui avait surgi au cours
de l’analyse quand Dora me raconta qu’elle avait fait, au cours d’une des
nuits précédentes, un rêve qu’elle avait déjà eu plusieurs fois auparavant.
Un rêve récurrent était déjà de nature à éveiller ma curiosité. Il convenait de
saisir, dans l’intérêt du traitement, l’intrication de ce rêve dans l’ensemble
de l’analyse. Je décidai donc de l’étudier avec une attention particulière.
Premier rêve : « Dans une maison, il y a un incendie1, raconte Dora,
mon père est debout devant mon lit, il me réveille. Je m’habille rapidement.
Maman veut encore sauver sa boîte à bijoux, mais papa lui dit : “Je ne veux
pas que moi et mes deux enfants, nous brûlions à cause de ta boîte à
bijoux.” Nous nous dépêchons de descendre et dès que je suis dehors, je me
réveille. »
Comme il s’agit d’un rêve récurrent, je lui demande naturellement
quand elle l’a rêvé pour la première fois. Elle ne le sait pas. Mais elle se
souvient qu’elle a fait ce rêve pendant trois nuits consécutives à L. (le lieu
près du lac où s’est déroulée la scène avec Monsieur K.), puis il a ressurgi à
nouveau il y a quelques jours2. Le rattachement ainsi obtenu du rêve aux
événements qui eurent lieu à L. augmente bien évidemment mes attentes
quant à la solution de ce rêve. Mais je souhaite tout d’abord apprendre la
cause de sa dernière réapparition et je convie Dora – déjà entraînée à
l’interprétation des rêves grâce à quelques petits exemples analysés
précédemment – à disséquer son rêve et à me communiquer tout ce qui lui
vient à l’esprit en rapport avec lui.
Elle dit : « Je pense à quelque chose, mais qui ne peut pas appartenir à
ce rêve, car c’est tout récent, et j’ai certainement dû déjà faire ce rêve avant.
— Cela ne fait rien, dis-je, allez-y. Cela sera sûrement la dernière chose
qui s’y rapporte.
— Très bien. Papa a eu ces jours-ci une dispute avec maman parce
qu’elle ferme à clé la salle à manger. La chambre de mon frère n’a en effet
aucune issue indépendante si ce n’est par la salle à manger. Papa ne veut
pas que mon frère soit enfermé la nuit. Il a dit que ce n’était pas possible,
qu’il pouvait se passer quelque chose la nuit et que l’on doive sortir
immédiatement.
— Et vous avez rapporté cela à un danger d’incendie ?
— Oui.
— Je vous prie de prêter grande attention aux expressions que vous
employez. Nous en aurons peut-être besoin plus tard. Vous avez dit : qu’il
pouvait se passer quelque chose la nuit et que l’on doive sortir
immédiatement3. »
Dora a maintenant trouvé le lien entre les causes récentes et anciennes
de l’apparition de ce rêve, c’est pourquoi elle poursuit : « Quand nous
arrivâmes papa et moi à L., il exprima ouvertement sa crainte d’un incendie.
Nous étions arrivés au milieu d’une forte tempête et nous avions sous les
yeux cette petite maison de bois qui n’avait pas de paratonnerre. Cette
crainte était donc tout à fait naturelle. »
Il me faut maintenant examiner le lien entre les événements à L. et les
rêves récurrents de l’époque. Je demande donc : « Avez-vous fait ce rêve les
premières nuits du séjour à L. ou celles qui ont précédé votre départ, c’est-
à-dire avant ou après la fameuse scène du lac ? » (Je sais en effet que la
scène n’a pas eu lieu le premier jour et que Dora est ensuite restée quelques
jours à L. sans rien laisser transpirer de l’incident.)
Elle répond tout d’abord : « Je ne sais pas. » Puis après un moment, elle
dit : « Oui, je crois que c’était après la scène. »
Je savais maintenant que le rêve était une réaction à cette expérience.
Mais pourquoi était-il revenu trois fois ? Je posais la question suivante :
« Combien de temps êtes-vous restée à L. après la scène ?
— Quatre jours. Le cinquième, je suis parti avec papa.
— Maintenant j’ai la certitude que le rêve est l’effet immédiat de
l’expérience avec Monsieur K. Vous l’avez rêvé pour la première fois là-bas
et pas auparavant. Vous n’avez fait qu’ajouter par la suite cette incertitude
du souvenir pour effacer à vos yeux le lien entre le rêve et la scène du lac4.
Mais quelque chose ne va pas tout à fait, à mon sens, avec les nombres que
vous mentionnez. Si vous êtes restée encore quatre nuits à L., n’est-il pas
possible que vous ayez répété quatre fois le rêve ? Peut-être les choses se
sont-elles passées ainsi ? »
Elle ne contredit plus mon affirmation, mais au lieu de répondre à ma
question, elle poursuit son récit5 : « L’après-midi après notre promenade en
bateau sur le lac dont nous étions revenus vers midi, je m’étais allongée
comme d’habitude sur le sofa de la chambre à coucher pour dormir un peu.
Je me suis réveillée soudainement et j’ai vu Monsieur K. debout devant
moi…
— C’est-à-dire comme vous voyez votre papa dans le rêve debout
devant votre lit ?
— Oui. Je lui ai demandé ce qu’il venait chercher ici. Il a répondu qu’il
n’avait pas l’intention de se laisser interdire l’entrée de sa chambre quand il
voulait y entrer. Il voulait par ailleurs y prendre quelque chose. Mise en
garde par cet incident, j’ai demandé à Madame K. s’il n’y avait pas une clé
de la chambre à coucher et je me suis enfermée le lendemain matin (le
deuxième jour) pour m’habiller. L’après-midi quand je voulus m’enfermer
pour m’allonger à nouveau sur le sofa, la clé avait disparu. Je suis
convaincue que c’est Monsieur K. qui l’a fait disparaître.
— Nous avons là la question de fermer ou de ne pas fermer la chambre,
qui apparaît dans la première association liée au rêve et qui se trouve
également avoir joué un rôle dans la cause récente de la réapparition du
rêve6. Est-ce que la phrase “Je m’habille vite” n’appartiendrait pas à ce
contexte ?
— J’ai pris alors la décision de ne pas rester chez les K. sans papa. Le
lendemain matin, je craignais bien évidemment que Monsieur K. me
surprenne en train de m’habiller, c’est pourquoi je m’habillais à nouveau
très vite. Papa logeait en effet à l’hôtel et Madame K. quittait toujours la
maison très tôt pour partir en excursion avec lui. Mais Monsieur K. ne
m’importuna pas de nouveau.
— Je comprends, l’après-midi du deuxième jour après l’incident du lac,
vous avez pris la résolution d’échapper à ces harcèlements et vous avez eu
durant la deuxième, la troisième et la quatrième nuit le temps de vous
répéter dans le sommeil cette résolution. Vous saviez dès l’après-midi du
deuxième jour que vous n’auriez pas le lendemain matin – le troisième
jour – la clé pour vous enfermer pendant que vous vous habilleriez. Vous le
saviez donc avant le rêve et pouviez déjà projeter de vous habiller très
rapidement. Votre rêve est revenu chaque nuit parce qu’il correspondait
justement à une résolution. Une résolution reste présente à l’esprit jusqu’à
ce qu’elle soit réalisée. Vous vous disiez sans doute : “Je ne serai pas
tranquille, je ne pourrai pas dormir tranquillement tant que je ne serai pas
sortie de cette maison.” À l’inverse, dans le rêve, vous dites : “Dès que je
suis dehors, je me réveille.” »
1. « Il n’y a jamais eu de véritable incendie chez nous », me répondit-elle quand, par la suite, je l’interrogeais à ce sujet.
2. On peut prouver sur la base de son contenu que ce rêve a été rêvé la première fois à L.
3. J’extrais ces paroles parce qu’elles m’ont secoué. Elles me semblaient équivoques. N’utilisons-nous pas les mêmes mots pour parler de certains besoins corporels. Les
paroles ambiguës sont comme des « aiguillages » dans le processus associatif. Si l’on oriente l’aiguillage dans une autre direction que celle qui semble impliquée par le contenu du
rêve, on se retrouve sur les rails où se meuvent les pensées encore cachées derrière le rêve qui sont celles que nous recherchons.
5. Un nouveau matériel du souvenir doit remonter avant qu’il lui soit possible de me répondre.
6. Je suppose sans encore le dire à Dora que cet élément fut choisi par elle en raison de sa signification symbolique. Les « chambres » (Zimmer) dans le rêve représentent
assez souvent les « chambres de la femme » (Frauenzimmer). Le fait que la chambre d’une femme soit « ouverte » ou fermée n’est bien sûr pas indifférent. On sait bien dans ce cas
quelle est la « clé » qui l’ouvre.
8. Cette remarque qui attestait de la méprise complète de Dora concernant les règles de l’explication des rêves – qu’elle connaissait bien par ailleurs – tout comme le
caractère hésitant et peu abondant de ses associations à propos de la boîte à bijoux me prouvaient qu’il s’agissait là d’un matériel qui avait été refoulé avec beaucoup d’obstination.
10. C’est là une façon très courante de rejeter une connaissance qui surgit du refoulé.
12. Nous proposerons plus tard une interprétation des gouttes qui correspond au contexte.
13. J’ajoute la remarque suivante : « Il me faut par ailleurs conclure de la résurgence de ce rêve ces jours derniers que vous considérez cette situation comme s’étant
reproduite et que vous avez décidé de vous libérer de cette cure à laquelle seul votre papa vous oblige. » La suite montra à quel point mon intuition était juste. Mon interprétation
touche ici la question du « transfert » qui est de la plus haute importance pratique et théorique et sur laquelle je n’aurai que très peu l’occasion de revenir dans cet écrit.
14. Ce médecin était le seul en qui elle avait une certaine confiance. Cela était dû au fait qu’elle avait remarqué avec cette expérience qu’il n’avait pas percé son secret. Elle
avait peur de tout autre médecin qu’elle ne savait pas encore jauger. Sa peur s’explique maintenant, elle craignait qu’il puisse deviner son secret.
15. Le noyau du rêve pourrait se traduire de la façon suivante : « La tentation est si forte. Cher papa, protège-moi à nouveau comme quand j’étais enfant afin que mon lit ne
soit pas mouillé ! »
16. (Note ajoutée en 1923 : ) Il s’agit d’une conception extrême que je ne soutiendrais plus aujourd’hui.
17. Voir Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001, chapitre IX. (N.d. É.)
18. Il en va essentiellement de même chez les adultes, mais chez eux une abstinence relative ou une limitation de la masturbation suffisent à provoquer des symptômes. Ainsi
lorsque la libido est très forte, l’hystérie et la masturbation peuvent se manifester simultanément.
19. La preuve de la masturbation infantile est obtenue dans d’autres cas de la même façon. Le matériel sur lequel elle s’appuie est la plupart du temps identique : indications
de l’existence d’un fluor albus, énurésie, cérémoniel des mains (obsession de se laver les mains), etc. La nature du symptôme nous permet à chaque fois de déceler avec certitude si
cette habitude a été surprise par une personne chargée de l’enfant ou si c’est une lutte de l’enfant pour se défaire de cette habitude ou un revirement soudain qui a mis fin à cette
activité sexuelle. Dans le cas de Dora, la masturbation n’avait pas été découverte et avait cessé d’un coup (secret, peur des médecins – la dyspnée servait de substitut). Les malades
récusent certes régulièrement la valeur de preuve de ces indices et, cela, même quand le souvenir du catarrhe ou de la mise en garde de la mère (« Ça rend bête ; c’est un poison »)
sont restés dans la mémoire consciente. Mais quelque temps plus tard, le souvenir si longtemps refoulé de cette partie de la vie sexuelle infantile émerge avec certitude, et cela, dans
tous les cas. Chez une patiente souffrant de représentations obsessionnelles qui provenaient directement de la masturbation infantile, ses comportements qui consistaient à s’interdire,
à se punir, à se dire si tu as cette chose, tu ne peux pas avoir l’autre, à ne pas accepter d’être interrompue, à introduire des pauses entre une action (notamment avec les mains) et la
suivante, à se laver les mains, etc., se révélèrent des fragments du travail qu’avait fait la femme qui s’occupait d’elle pour lui faire perdre cette habitude. La mise en garde « Ah ! c’est
du poison ! » était la seule chose qui lui était restée toujours présente à la mémoire. Sur ce sujet, voir mon livre Trois essais sur la théorie sexuelle.
20. Le frère de Dora doit être lié d’une manière ou d’une autre à l’habitude qu’elle a prise de se masturber. En effet, elle racontait à ce propos avec une insistance qui trahit le
« souvenir-écran » que son frère lui transmettait régulièrement ses maladies infectieuses – n’étant lui que légèrement malade alors qu’elle l’était gravement. Le frère est également
protégé dans le rêve du danger de « périr ». Il a souffert également d’énurésie, mais il a cessé de mouiller son lit avant elle. En un certain sens, c’était aussi un souvenir-écran quand
elle disait que jusqu’à sa première maladie, elle avait réussi dans les études à se maintenir au niveau de son frère, mais qu’ensuite, elle lui était devenue bien inférieure. Comme si elle
avait été jusque-là un garçon et que par la suite, elle était devenue une fille. Elle était vraiment sauvage avant la maladie, mais depuis sa crise d’« asthme », elle était devenue calme et
policée. Cette maladie marquait en elle la frontière entre les deux phases de sa vie sexuelle, la première ayant un caractère masculin, la seconde un caractère féminin.
21. Le mot « catarrhe » jouait le même rôle chez la jeune fille de quatorze ans dont j’ai résumé en quelques lignes le cas à la page 70-71. J’avais installé l’enfant dans une
pension en compagnie d’une dame intelligente qui s’occupait d’elle. La dame me racontait que la jeune patiente ne tolérait pas sa présence quand elle se mettait au lit et qu’elle
toussait de façon notoire alors que, durant la journée, on ne l’entendait pas tousser. Quand la jeune fille fut interrogée sur ce symptôme, la seule chose qui lui vint à l’esprit fut que sa
grand-mère, dont on disait qu’elle avait un catarrhe, toussait de la sorte. Il était donc clair qu’elle aussi avait un catarrhe et qu’elle ne voulait pas être découverte lors de sa toilette
chaque soir. Le catarrhe qui, grâce à son nom, avait été déplacé du bas vers le haut était en effet d’une intensité peu commune.
22. Ce point fait référence à l’analyse du rêve qui sert de modèle dans ce passage.
Chapitre III
Le second rêve
Le second rêve eut lieu quelques semaines après le premier. L’analyse
s’interrompit à la suite de la résolution du second rêve. Ce rêve ne se laisse
pas élucider aussi complètement que le premier, mais il apporte la
confirmation désirée d’une hypothèse sur l’état psychique de la patiente
qu’il nous est apparu nécessaire de faire au cours de l’analyse. De même, il
comble une lacune de la mémoire et nous permet de porter un regard sur les
circonstances de l’apparition d’un autre de ses symptômes.
Dora me raconta le rêve de la façon suivante : « Je me promène dans
une ville que je ne connais pas. Je vois des rues et des places qui me sont
étrangères1. J’entre ensuite dans une maison où j’habite, je vais dans ma
chambre et trouve une lettre de maman. Elle écrit que comme j’ai quitté la
maison sans en aviser les parents, elle ne voulait pas m’écrire que papa était
tombé malade. “Il est mort à présent, si tu veux2, tu peux venir.” Je vais
alors à la gare et je demande peut-être cent fois : “Où est la gare ?” On me
répond à chaque fois : “À cinq minutes.” Je vois ensuite un bois épais
devant moi dans lequel j’entre. Je pose la question à un homme que je
rencontre là. Il me dit : “Encore deux heures et demi3.” Il me propose de
m’accompagner. Je refuse et marche seule. Je vois la gare devant moi et je
ne peux pas l’atteindre. Alors je ressens le sentiment d’angoisse que l’on
ressent généralement dans le rêve quand on ne peut pas avancer. Je suis
ensuite à la maison, j’ai dû voyager entre-temps, mais je n’en sais rien.
J’entre dans la loge du portier et lui demande où se trouve notre
appartement. La jeune femme de service m’ouvre et me répond : “votre
maman et les autres sont déjà au cimetière4”. »
L’interprétation de ce rêve n’alla pas sans difficulté. En raison des
circonstances particulières – liées au contenu du rêve – qui provoquèrent
notre séparation, tout ne fut pas élucidé, à cela s’ajoute que ma mémoire n’a
pas toujours conservé avec exactitude le souvenir de l’ordre chronologique
des révélations. J’ajouterai encore en remarque préliminaire quel était le
sujet de l’analyse au moment où le rêve surgit. Depuis un certain temps,
Dora formulait d’elle-même certaines questions sur le lien entre ses actes et
les motifs qu’on pouvait leur supposer. Une de ces questions était :
« Pourquoi me suis-je tue les premiers jours après la scène du lac ? » Une
autre était : « Pourquoi en ai-je parlé après, tout d’un coup, à mes
parents ? » Il me semblait qu’il fallait encore trouver une explication au fait
qu’elle s’était sentie si profondément blessée par les avances de Monsieur
K., d’autant plus que je commençais à comprendre qu’aux yeux de
Monsieur K. également, ces avances n’étaient aucunement une tentative
frivole de séduction. J’expliquais le fait qu’elle avait mis ses parents au
courant de cet incident comme un acte déjà sous l’emprise d’un désir
maladif de vengeance. Une jeune fille normale, c’est du moins l’opinion
vers laquelle je penche, vient elle-même à bout de telles situations.
Je présenterai donc le matériel apparu durant l’analyse du rêve dans
l’ordre quelque peu rhapsodique qui s’est imposé à moi au cours de la
reconstitution.
Elle erre seule dans une ville étrangère, elle voit des rues et des
places. Elle m’assure que ce n’était certainement pas B., comme je le lui ai
tout d’abord suggéré, mais une ville dans laquelle elle n’a jamais été. Il
semblait naturel d’ajouter : « Vous avez pu voir des images ou des
photographies de cette ville d’où vous avez puisé les images du rêve. »
Après cette remarque, survint l’ajout du monument sur une place et tout de
suite après l’identification de la source de ces images. Elle avait reçu à Noël
un album d’un lieu de cure en Allemagne qui comprenait des vues de la
ville et l’avait sorti la veille pour le montrer à des parents qui étaient venus
leur rendre visite. Il était posé dans une boîte à photo qu’elle ne trouva pas
tout de suite. Elle demanda donc à sa mère : « Où est la boîte5 ? » Une de
ces images montrait une place avec un monument. L’auteur de ce cadeau
était un jeune ingénieur dont elle avait fait brièvement connaissance à
l’époque où ils habitaient dans la ville de l’usine du père. Le jeune homme
avait accepté un poste en Allemagne pour devenir plus rapidement
indépendant. Il ne manquait pas une occasion pour se rappeler aux bons
souvenirs de Dora. Il était facile de deviner qu’il avait dans l’intention,
quand sa situation se serait améliorée, de venir demander sa main. Mais il
lui fallait encore un peu de temps, ce qui signifiait attendre.
L’errance dans une ville étrangère était surdéterminée. Elle renvoyait à
un des événements de la veille qui avait provoqué le rêve. Un jeune cousin
était venu passer les fêtes chez eux et Dora devait maintenant lui montrer
Vienne. Cet événement de la veille était bien sûr tout à fait indifférent. Mais
ce cousin lui rappelait son premier bref séjour à Dresde. Elle s’était
promenée dans la ville en étrangère et n’avait pas manqué évidemment de
visiter la célèbre galerie de peintures. Un autre cousin qui était avec elle et
connaissait Dresde voulait lui servir de guide dans la galerie. Mais elle
refusa et y alla seule. Elle restait debout face aux tableaux qui lui
plaisaient. Elle passa deux heures devant la Madone Sixtine en proie à une
admiration rêveuse. À la question qu’est-ce qui lui avait tant plu dans ce
tableau, elle ne sut rien me répondre de très clair. Finalement elle dit : « La
Madone. »
Il est tout à fait certain que ces associations font effectivement partie du
matériel à l’origine de la formation du rêve. Elles contiennent des
composants que nous retrouvons tels quels dans le rêve (elle refusa et y
alla seule – deux heures). Je remarque déjà que « les images » (Bilder)
constituent un point nodal dans la trame des pensées du rêve (les images
dans l’album – les tableaux [Bilder] à Dresde). Je voudrais également
extraire le thème de la Madone, c’est-à-dire de la mère vierge, en vue de
développements ultérieurs. Mais je vois avant toute chose qu’elle s’identifie
dans la première partie du rêve à un jeune homme. Il erre à l’étranger, il
aspire à atteindre un but, mais il est retenu, il lui faut de la patience, il doit
attendre. Si elle avait pensé à l’ingénieur dans le rêve, il aurait été alors
juste de dire que ce but était la possession d’une femme qui n’est autre
qu’elle-même. Mais c’était à une gare qu’elle pensait – gare que nous
pouvons toutefois remplacer par une boîte en raison du lien entre la
question dans le rêve et la question réelle qu’elle avait posée la veille à sa
mère. Une boîte et une femme, cela va déjà mieux ensemble.
Elle demande presque cent fois… Cela nous conduit à un autre
événement de la veille à l’origine du rêve qui, cette fois, n’est pas
entièrement indifférent. La veille au soir après avoir reçu leurs invités, son
père la pria d’aller lui chercher du cognac. Il ne peut pas dormir sans avoir
bu un cognac auparavant. Dora demanda à sa mère la clé du buffet, mais sa
mère qui était en pleine discussion ne lui répondit pas jusqu’à ce qu’elle
s’exclama avec une exagération pleine d’impatience : « Ça fait cent fois que
je demande où est la clé ! » Elle n’avait en réalité répété sa question que
peut-être cinq fois6.
Où est la clé ? Cette question me semble le pendant de l’autre
question : « Où est la boîte ? » (voir plus haut, le premier rêve) Il s’agit
donc de questions – sur les parties génitales.
Lors de cette même réunion de famille, quelqu’un avait porté un toast
au père de Dora et avait exprimé l’espoir qu’il reste longtemps en
excellente santé, etc. À ce moment-là, un tressaillement étrange avait
traversé le visage fatigué du père et elle avait compris quelles pensées il
s’efforçait de réprimer. Le pauvre homme est malade ! Qui sait combien de
temps il lui reste à vivre ?
Nous arrivons ainsi au contenu de la lettre dans le rêve. Son père était
mort, elle avait quitté la maison de son propre chef. Je lui rappelais
immédiatement à propos de cette lettre la lettre d’adieu qu’elle avait écrite à
ses parents ou du moins qu’elle leur avait adressée. Cette lettre était
destinée à effrayer son père afin qu’il renonce à Madame K. ou du moins à
se venger de lui s’il n’était pas possible de lui faire prendre une telle
décision. Nous avons affaire ici à la question de la mort de Dora et de celle
de son père (le cimetière dans la suite du rêve). Est-ce faire fausse route
que de supposer que la situation qui constitue la façade de ce rêve
correspond à un fantasme de revanche ? Les pensées de pitié que Dora avait
eues la veille s’accorderaient bien avec cela. Le fantasme était le suivant :
elle quitte la maison pour aller à l’étranger et le cœur de son père cède par
la suite d’inquiétude et de nostalgie pour sa fille. Elle est alors vengée. Dora
comprenait très bien ce qui manquait à son père qui ne pouvait pas
s’endormir sans un cognac7.
Notons la soif de vengeance de Dora comme un élément nouveau en
vue de la synthèse plus tard des pensées du rêve.
Le contenu de la lettre devait pourtant permettre une autre
détermination. D’où provenait cette incise : si tu veux ?
C’est alors que lui vint à l’esprit l’ajout suivant : après le mot veux se
trouvait un point d’interrogation. C’est ainsi qu’elle reconnut ces mots
comme étant une citation de la lettre de Madame K. qui contenait
l’invitation à L. (au bord du lac). Le point d’interrogation apparaissait dans
la lettre de façon tout à fait surprenante juste après l’incise si tu veux ? en
plein milieu de la phrase.
Nous serions donc ramenés à la scène du lac et aux mystères qui s’y
rattachent. Je la priai de me raconter cette scène une fois en entier. Elle
n’ajouta au début pas grand-chose de nouveau. Monsieur K. avait fait un
exorde plutôt sérieux mais elle ne l’avait pas laissé finir. Dès qu’elle eut
compris de quoi il était question, elle le gifla et s’enfuit. Je voulus savoir
quels mots il avait employés. Elle ne se souvint que de sa justification :
« Vous savez, je n’ai plus rien à espérer de ma femme8. » Elle voulut ensuite
faire le chemin à pied autour du lac jusqu’à L. pour ne plus être en sa
compagnie. Elle demanda à un homme qu’elle rencontra combien de
temps il fallait pour se rendre là-bas. Quand il lui répondit : « Deux
heures et demi », elle renonça à son projet et retourna au bateau qui partit
juste après. Monsieur K. était là lui aussi. Il s’approcha d’elle et la pria de
l’excuser et de ne rien raconter de l’incident. Mais elle ne lui répondit rien.
Oui, le bois dans le rêve était tout à fait semblable à celui des rives du lac
où s’était passée la scène que Dora venait de raconter à nouveau. Elle avait
justement vu hier ce même bois dense dans un tableau qui se trouvait à
l’exposition de la Sécession9. On voyait des nymphes en arrière-plan du
tableau10.
Dès lors, ce que je soupçonnais devint une certitude. La gare (Bahnhof)
et le cimetière (Friedhof) étaient des substituts assez évidents de l’organe
génital de la femme. Mais mon attention aiguisée avait été attirée par le mot
de construction identique Vorhof, le vestibule, un terme anatomique qui
désigne une zone particulière de l’organe génital féminin. Cela pouvait être
une erreur amusante. Mais depuis la mention des « nymphes » que l’on voit
en arrière-fond d’un « bois dense », le doute n’était plus permis. C’était là
une géographie sexuelle symbolique ! On appelle nymphes, comme le
savent les médecins – qui d’ailleurs ne se servent que rarement de ce
terme – mais pas les profanes, les petites lèvres qui se situent en arrière de
la « forêt dense » des poils pubiens. Quiconque se sert de noms techniques
comme « vestibule » et « nymphes » puise nécessairement ses
connaissances dans des livres, et pas dans des livres populaires, mais dans
des manuels d’anatomie ou dans des encyclopédies qui sont le refuge
courant de la jeunesse en proie à la curiosité sexuelle. Ainsi derrière la
première situation du rêve se cachait, si cette interprétation était juste, un
fantasme de défloraison11, c’est-à-dire un homme qui s’efforce de pénétrer
dans l’organe génital de la femme12.
Je faisais part à Dora de mes conclusions. L’impression qu’elles firent
sur elle dut être coercitive, car le récit d’un fragment oublié du rêve s’en
suivit immédiatement : elle va tranquillement13 dans sa chambre et lit
un grand livre qui se trouve sur son bureau. L’insistance est mise ici sur
deux détails : « tranquillement » et « grand » en rapport au livre. Je lui
demandais : « Était-il de la taille d’une encyclopédie ? » Elle confirma. Or
les enfants ne lisent jamais tranquillement dans les encyclopédies les
matières interdites. Ils tremblent et s’inquiètent. Ils regardent autour d’eux
craignant que quelqu’un ne vienne. Les parents sont très dérangeants lors de
telles lectures. Mais la force du rêve qui réalise le désir avait radicalement
amélioré cette situation inconfortable. Le père était mort et les autres étaient
déjà partis au cimetière. Elle pouvait lire tranquillement ce que bon lui
semblait. Est-ce que cela ne voulait pas dire qu’une des raisons de sa
vengeance était une révolte contre la contrainte de ses parents ? Si son père
était mort, elle pouvait alors lire ou aimer qui elle voulait. Au début, elle ne
voulait pas se souvenir qu’elle avait lu la moindre page d’une encyclopédie,
puis elle reconnut qu’un tel souvenir lui revenait – qui était bien sûr tout à
fait innocent. À l’époque où sa chère tante était gravement malade et que le
voyage de Dora à Vienne était déjà décidé, une lettre d’un autre oncle
arriva. Il disait qu’ils ne pouvaient pas venir à Vienne, car un de ses enfants,
c’est-à-dire un cousin de Dora, était tombé malade de l’appendicite. Elle lut
alors dans l’encyclopédie quels étaient les symptômes d’une appendicite.
De cette lecture, elle se rappelle encore la douleur localisée dans l’abdomen
qui est caractéristique de cette maladie.
Je me souvins alors que juste après la mort de sa tante, Dora avait fait
soi-disant une crise d’appendicite à Vienne. Je n’avais jusqu’à présent pas
osé mettre cette maladie sur le compte de ses faits et gestes hystériques.
Elle me raconta qu’elle avait eu les premiers jours de fortes fièvres et avait
ressenti la même douleur dans l’abdomen que celle décrite dans
l’encyclopédie. On lui avait mis des compresses froides, mais elle ne les
supportait pas. Le deuxième jour, elle avait eu ses règles accompagnées de
vives douleurs – celles-ci étaient d’ailleurs très irrégulières depuis le début
de sa maladie. Elle souffrait à l’époque constamment de constipation.
Il n’était pas possible de considérer cet état comme un simple état
d’hystérie. Même s’il existe des cas indiscutables de fièvre hystérique, il
semblait arbitraire d’attribuer la fièvre qui accompagnait cette maladie
douteuse à l’hystérie, plutôt qu’à une cause organique active à l’époque.
J’étais sur le point d’abandonner cette piste quand Dora me vint en aide en
complétant son rêve par un dernier ajout : elle se voit très clairement
monter les escaliers.
J’exigeai bien sûr une détermination plus précise de cette vision. Quant
à son objection – à laquelle elle n’adhérait pas sérieusement – comme quoi
il lui fallait monter les escaliers si elle voulait entrer dans son appartement
qui se trouvait à l’étage, je n’eus aucune peine à l’écarter en lui faisant
remarquer que si, dans le rêve, elle pouvait voyager de la ville inconnue à
Vienne et omettre le trajet en train, alors elle pouvait très bien se passer
dans le rêve des marches de l’escalier. Elle me raconta ensuite qu’après
l’appendicite, elle avait eu du mal à marcher, car elle traînait du pied droit.
Elle était restée handicapée de la sorte longtemps et c’est pourquoi elle était
particulièrement contente quand elle pouvait éviter de monter des escaliers.
Aujourd’hui encore, son pied droit traîne parfois. Les médecins qu’elle
avait consultés à la demande expresse de son père s’étaient beaucoup
étonnés de cette séquelle tout à fait inhabituelle de l’appendicite, d’autant
que la douleur à l’abdomen n’était pas réapparue et qu’elle ne
s’accompagnait en aucun cas d’un traînement du pied14.
Il s’agissait donc bien d’un véritable symptôme hystérique. S’il était
possible que la fièvre ait eu à l’époque une origine organique – par exemple
une de ces affections grippales si courantes sans localisation particulière
dans le corps –, il était cependant certain que la névrose s’était emparée de
ce hasard et s’en servait comme l’une de ses expressions. Elle s’était donc
créée une maladie dont elle avait lu la description dans l’encyclopédie. Elle
se punissait ainsi de cette lecture, mais il lui fallait reconnaître que cette
punition ne pouvait s’appliquer à la lecture d’un article si innocent et
qu’elle devait être le résultat d’un déplacement. En effet, cette lecture devait
se rattacher à d’autres lectures plus coupables qui aujourd’hui se cachaient
dans sa mémoire derrière le souvenir innocent de celle-là15. Peut-être
pouvait-on encore découvrir quels étaient les sujets de ces lectures passées ?
Que signifiait donc l’état de quelqu’un qui veut imiter une
pérityphlite16 ? Le reste de l’affection, le traînement de la jambe qui ne
s’accordait pas avec une pérityphlite, devait plutôt se référer à la
signification secrète et peut-être sexuelle de la description clinique de cette
maladie. Si l’on réussissait à élucider ce reste, il nous éclairerait sur la
signification recherchée de la pérityphlite. J’essayais de trouver un moyen
d’accéder à ce mystère. Des indications temporelles apparaissaient dans le
rêve. Le temps n’est certainement pas un facteur indifférent dans chaque
événement biologique. Je demandais à Dora quand cette appendicite avait
eu lieu et si c’était avant ou après la scène du lac. La réponse rapide de
Dora levait toutes les difficultés : « Neuf mois plus tard. » Cette période est
très caractéristique. La soi-disant appendicite avait donc réalisé le fantasme
d’un accouchement avec les moyens simples dont disposait la patiente, à
savoir les douleurs et les saignements menstruels17. Dora connaissait bien
évidemment la signification de cette période de temps et ne pouvait pas
mettre en doute le fait vraisemblable qu’elle avait lu dans l’encyclopédie à
l’époque ce qui concernait la grossesse et la naissance. Mais qu’en était-il
du traînement de la jambe ? Je pouvais maintenant me permettre de deviner.
C’est ainsi que l’on marche quand on s’est tordu le pied. Et en effet, elle
avait fait un « faux pas » si, neuf mois après la scène du lac, elle était en
état d’accoucher. Mais il me fallait encore poser une autre exigence. On ne
peut avoir de tels symptômes – telle est ma conviction – que si l’on a connu
dans l’enfance un modèle de ceux-ci. Les souvenirs que l’on a
d’impressions éprouvées à des périodes plus tardives de la vie ne possèdent
pas – comme l’expérience accumulée me contraint de l’affirmer avec la
plus grande fermeté – la force de s’imposer comme symptômes. J’osais à
peine espérer que Dora me livre le matériel infantile recherché, car en
réalité, je ne suis pas encore en état d’établir la validité universelle de la
précédente affirmation à laquelle, pourtant, j’aimerais bien croire. La
confirmation vint immédiatement. Oui, elle s’était bien foulé le même pied
une fois quand elle était enfant, elle était à B. et avait glissé sur une marche
en descendant les escaliers. Le pied – qui était le même que celui qu’elle
avait traîné plus tard – avait enflé et avait dû être bandé. Elle resta allongée
tranquillement quelques semaines. C’était peu de temps avant sa crise
d’asthme nerveux à l’âge de huit ans.
Il fallait maintenant exploiter la preuve de ce fantasme : « Si vous faites
neuf mois après la scène du lac un accouchement et si vous portez jusqu’à
aujourd’hui dans votre démarche la conséquence de ce faux pas, cela
prouve que vous avez regretté dans votre inconscient l’issue de cette scène.
Vous l’avez donc corrigée dans vos pensées inconscientes. Votre fantasme
d’accouchement suppose en effet que quelque chose s’est produit à
l’époque18 et que vous avez vécu et expérimenté tout ce que vous avez dû
plus tard extraire de l’encyclopédie. Vous voyez que votre amour pour
Monsieur K. ne s’est pas achevé avec cette scène et qu’il se poursuit encore
de nos jours – toutefois de façon inconsciente – comme je l’ai affirmé. »
Dora ne s’opposa plus à mes affirmations19.
Ce travail d’élucidation du second rêve nous avait demandé deux
heures. Quand à la fin de la deuxième séance, j’exprimai ma satisfaction sur
les résultats obtenus, elle me répondit de façon dédaigneuse : « Qu’est-il
apparu de si remarquable ? » Je me préparais donc à la venue d’autres
révélations.
Elle se présenta à la troisième séance avec ces paroles à la bouche :
« Savez-vous, Docteur, que je suis aujourd’hui ici pour la dernière fois ?
— Je ne peux pas le savoir puisque vous ne m’en aviez jamais parlé.
— Oui, je m’étais promis de tenir jusqu’au nouvel an20, mais je ne veux
pas attendre plus longtemps la guérison.
— Vous savez que vous avez toujours la liberté d’interrompre l’analyse.
Mais voulez-vous encore travailler aujourd’hui ? Quand avez-vous pris
cette décision ?
— Il y a quatorze jours, je crois.
— Cela sonne comme pour une domestique ou une gouvernante, un
préavis de quatorze jours.
— Une gouvernante qui avait donné son préavis était aussi chez les K.
quand je leur rendis visite à L. au bord du lac.
— Vraiment ? Vous n’avez encore jamais parlé d’elle. Racontez, je vous
prie.
— Il y avait donc dans la maison une jeune femme qui était la
gouvernante des enfants. Elle avait un comportement très étrange à l’égard
de Monsieur K. Elle ne le saluait pas, ne lui répondait jamais, ne lui passait
rien à table quand il le lui demandait, en bref, elle le traitait comme du vent.
Il n’était par ailleurs guère plus aimable à son égard. Un ou deux jours
avant la scène du lac, la jeune femme m’avait prise à part. Elle avait
quelque chose à me dire. Elle me raconta alors que Monsieur K., une fois
que sa femme s’était absentée pour plusieurs semaines, s’était rapproché
d’elle pour la courtiser de façon pressante et la prier de lui être agréable. Il
n’avait plus rien à espérer de sa femme, etc.
— Ce sont là les mêmes paroles qu’il a employées au cours des avances
qu’il vous a faites et à la suite desquelles vous lui avez donné une gifle.
— Oui, elle avait cédé à ses avances, mais, peu de temps après, il ne
s’intéressait plus à elle et elle le haïssait depuis lors.
— Et cette gouvernante avait donné son préavis de départ ?
— Non, elle voulait le faire. Elle m’avait dit que dès qu’elle s’était
sentie abandonnée, elle avait raconté l’incident à ses parents qui étaient des
gens respectables qui vivaient en Allemagne. Les parents exigèrent qu’elle
quitte immédiatement la maison, puis voyant qu’elle ne le faisait pas, ils lui
écrivirent qu’ils ne voulaient plus entendre parler d’elle et qu’elle ne devait
plus dorénavant rentrer à la maison.
— Et pourquoi n’était-elle pas partie ?
— Elle disait qu’elle voulait attendre encore un peu pour voir si
Monsieur K. n’allait pas changer d’attitude. Elle ne supportait plus de vivre
ainsi. Si elle ne voyait prochainement aucun changement chez lui, elle
donnerait son préavis et partirait.
— Et qu’est-il advenu de cette jeune femme ?
— Je sais seulement qu’elle est partie.
— N’a-t-elle pas eu un enfant de cette aventure ?
— Non. »
Ici était donc apparu au milieu de l’analyse – de façon par ailleurs tout à
fait normale – un fragment de matériel réel qui aidait à résoudre les
problèmes soulevés précédemment. Je pouvais dire à Dora : « Maintenant,
je connais le motif de cette gifle par laquelle vous avez répondu aux
avances de Monsieur K. Ce n’était pas l’offense impliquée par la suggestion
qui vous était faite, mais la vengeance provoquée par la jalousie. Lorsque la
jeune femme vous racontait son histoire, vous vous serviez encore de votre
art qui consiste à mettre de côté tout ce qui ne s’accorde pas avec vos
sentiments. Au moment où Monsieur K. employa la phrase : “Je n’ai plus
rien à espérer de ma femme” qu’il avait déjà dite à la demoiselle, de
nouveaux sentiments s’éveillèrent en vous et le plateau de la balance
bascula. Vous vous êtes dit : “Il ose me traiter comme une gouvernante,
comme une domestique ?” Cette blessure de l’orgueil ajoutée à la jalousie et
aux autres motifs de bon sens conscients : c’en était trop à la fin21 ! Pour
vous prouver à quel point vous étiez sous l’impression de l’histoire de cette
demoiselle, je vous ferai remarquer votre identification récurrente à elle,
dans le rêve et dans votre comportement. Vous avez parlé de la scène à vos
parents, chose que nous n’avions pas comprise jusqu’à présent, tout comme
la demoiselle a écrit à ses parents à propos de son aventure malheureuse.
Vous me congédiez comme une gouvernante avec un préavis de quatorze
jours. La lettre dans le rêve qui vous autorise à revenir à la maison fait
pendant à la lettre des parents de la demoiselle qui lui interdisent de rentrer.
— Pourquoi ne l’ai-je pas alors raconté immédiatement à mes parents ?
— Combien de temps avez-vous laissé passer ?
— La scène a eu lieu le dernier jour du mois de juin, je l’ai racontée à
ma mère le 14 juillet.
— Donc encore quatorze jours, ce délai caractéristique des
domestiques ! Je peux maintenant répondre à votre question. Vous avez très
bien compris la pauvre jeune femme. Elle ne voulait pas partir tout de suite,
car elle espérait encore, elle attendait que Monsieur K. lui fasse à nouveau
preuve d’affection. Ce devait être également votre motif. Vous avez attendu
ce délai pour voir s’il renouvellerait ses avances. Vous en auriez alors
conclu que c’était pour lui une chose sérieuse et qu’il ne voulait pas jouer
avec vous comme avec la gouvernante.
— Quelques jours après mon départ, il m’a encore envoyé une carte
postale22.
— Oui, mais comme après plus rien n’est venu, vous avez donné libre
cours à votre vengeance. Je peux même m’imaginer qu’à l’époque, vous
étiez encore prête à laisser une place à l’intention subsidiaire de l’amener
par cette accusation à vous rendre visite.
— Comme il avait d’ailleurs proposé de le faire au début, objecta Dora.
— Votre désir de le voir aurait été alors apaisé » – elle hocha la tête à ce
moment en signe d’acquiescement – « et il aurait pu vous faire les
réparations que vous exigiez de lui.
— Quelles réparations ?
— Je commence en effet à deviner que vous avez pris cette affaire avec
Monsieur K. beaucoup plus au sérieux que vous n’avez voulu l’admettre
jusqu’à présent. N’était-il pas souvent question de divorce entre les K.?
— Oui tout à fait. Au début, elle ne voulait pas à cause des enfants,
maintenant c’est elle qui veut, mais lui ne veut plus.
— N’avez-vous pas pu penser qu’il voulait divorcer de sa femme pour
se marier avec vous ? Et le fait que maintenant il ne veuille plus, est-ce
parce qu’il n’a personne pour la remplacer ? Vous étiez, il y a deux ans,
naturellement très jeune, mais vous m’avez vous-même raconté que votre
mère s’était fiancée à dix-sept ans et qu’elle avait attendu deux ans son
mari. L’histoire d’amour de la mère devient habituellement un modèle pour
la fille. Vous vouliez donc également l’attendre et supposiez qu’il attendait
seulement que vous soyez plus mûre pour devenir sa femme23. Je m’imagine
que c’était pour vous un projet de vie très sérieux. Vous ne pouvez même
pas prétendre qu’une telle intention était exclue de la part de Monsieur K.
Vous m’avez suffisamment raconté de choses sur lui qui suggèrent
directement une telle visée24. Son comportement à L. n’allait pas à
l’encontre de ce dessein. Vous ne l’avez pas laissé parler et vous ne savez
pas ce qu’il voulait vous dire. Par ailleurs, un tel plan n’était pas du tout
impossible à réaliser. La liaison de votre papa avec Madame K. que vous
n’avez sans doute soutenue si longtemps que pour cette seule raison, vous
assurait qu’il serait possible d’obtenir l’accord de Madame K. pour le
divorce. Quant à votre papa, vous lui imposez ce que vous voulez. Oui, si la
tentative au bord du lac avait eu une autre fin, c’eût été l’unique solution
pour toutes les parties de cette affaire. Je pense aussi que c’est la raison
pour laquelle vous avez tellement regretté cette autre fin possible et que
vous l’avez corrigée dans le fantasme qui s’est manifesté comme une crise
d’appendicite. Vous avez dû être très déçue en voyant que le résultat de vos
accusations n’était pas de nouvelles avances, mais le démenti et la
calomnie. Vous admettez que rien ne peut vous mettre plus en rage que le
fait que l’on croie que vous vous êtes forgée cette scène du lac dans votre
imagination. Je sais maintenant ce dont vous ne voulez pas vous rappeler :
vous vous êtes imaginé que les avances de Monsieur K. étaient sérieuses et
qu’il n’y renoncerait pas tant que vous ne l’auriez pas épousé. »
Dora avait écouté sans me contredire comme à son habitude. Elle
semblait émue. Elle prit congé de moi de la manière la plus chaleureuse et
en me faisant les vœux les plus cordiaux pour la nouvelle année – elle ne
revint jamais. Le père, qui vint me rendre visite encore quelques fois,
m’assura qu’elle allait bientôt revenir. Selon ses dires, on remarquait chez
elle le désir de poursuivre le traitement. Mais il n’était jamais vraiment
sincère. Il avait soutenu la cure tant qu’il pouvait espérer que je
« convainque » Dora qu’il n’y avait rien d’autre entre lui et Madame K.
qu’une amitié. Son intérêt avait disparu quand il avait découvert qu’il
n’était pas dans mon intention d’obtenir un tel résultat. Je savais qu’elle ne
reviendrait pas. C’était là sans aucun doute un acte de vengeance. Elle avait
interrompu l’analyse de façon si inattendue au moment où mes attentes
d’une conclusion heureuse de la cure étaient au plus haut et elle avait ainsi
ruiné mes espérances. Sa propre tendance à se faire du tort trouvait sa place
dans une telle action. Quiconque réveille comme moi les démons les plus
méchants qui, à moitié domptés, habitent la poitrine de l’homme, pour les
combattre, doit s’attendre à ce qu’il ne reste pas lui-même indemne de ce
combat. Aurais-je pu garder la jeune fille en traitement si j’avais accepté de
jouer un rôle, si j’avais exagéré l’importance pour moi qu’elle poursuive
son analyse et si je lui avais fait preuve d’un vif intérêt, qui, même estompé
par ma position de médecin, serait apparu comme un substitut de l’affection
qu’elle recherchait ? Je ne le sais pas. Dans la mesure où, dans chaque cas,
une partie des facteurs qui se manifestent sous forme de résistance nous
reste inconnue, j’ai toujours évité de jouer des rôles et me suis toujours
contenté de l’art psychologique le plus modeste. Malgré tout l’intérêt
théorique et toute l’application du médecin à aider ses patients, je garde
pourtant à l’esprit qu’il est nécessaire de poser des limites à l’usage de
l’influence psychologique et je respecte comme l’une d’elles la volonté et
l’appréciation du patient.
Je ne sais pas non plus si Monsieur K. aurait obtenu davantage, s’il lui
avait été révélé que cette gifle ne signifiait aucunement un « non » définitif
de la part de Dora, mais qu’elle provenait de la jalousie éveillée par
l’histoire de la gouvernante tandis que les sentiments les plus forts de la vie
psychique de Dora restaient attachés à cet homme. S’il n’avait pas prêté
attention à ce premier « non » et avait poursuivi ses avances avec une
passion convaincante, le résultat aurait très bien pu être que l’affection de
cette jeune fille pour lui l’emporte sur toutes ses difficultés intérieures. Mais
je crois qu’elle aurait pu tout aussi bien être tentée de satisfaire encore plus
fortement sa soif de vengeance. On ne peut jamais calculer à l’avance de
quel côté penche la décision dans un conflit de motifs, du côté de la
suppression du refoulement ou du côté de son renforcement. L’incapacité à
satisfaire une demande réelle d’amour est un des traits caractéristiques
essentiels de la névrose. Les malades sont toujours dominés par l’opposition
entre réalité et fantasme. Ce qu’ils désirent le plus ardemment dans leurs
fantasmes, ils le fuient quand ils le rencontrent dans la réalité. Ils
s’abandonnent de préférence à leurs fantasmes n’ayant pas ainsi à craindre
la moindre réalisation. La barrière construite par le refoulement peut
toutefois tomber sous le coup d’une émotion très forte provoquée par un
événement réel. La névrose peut toujours être vaincue par la réalité. Mais
nous n’avons pas les moyens de calculer à l’avance chez qui et par quel
biais une telle guérison est possible25.
1. Sur ce point, elle fit un ajout important : « Sur l’une des places, je vois un monument. »
2. Elle ajouta à ce propos : « Après ce mot, il y avait un point d’interrogation comme ça : veux ? »
4. Lors de la séance suivante, elle fit deux ajouts : « Je me vois très clairement monter l’escalier » et « Après sa réponse, je vais dans ma chambre pas du tout triste, et je lis
un gros livre qui était sur mon bureau ».
5. Dans le rêve, elle demande : « Où est la gare ? » J’ai tiré de cette similitude imparfaite une conclusion que je développe un peu plus bas.
6. Dans le rêve, le nombre 5 apparaît avec l’indication de temps : « cinq minutes ». Dans L’Interprétation du rêve, j’ai montré à l’aide de nombreux exemples comment les
nombres qui apparaissent dans les pensées du rêve y sont traités. On les trouve souvent détachés de leur contexte d’origine et insérés dans un nouveau.
7. La satisfaction sexuelle est sans aucun doute le meilleur somnifère tout comme l’insomnie est la plupart du temps la conséquence de la frustration. Le père ne dormait pas,
car les rapports sexuels avec la femme aimée lui manquaient. Comparez avec la phrase qui suit : « Je n’ai plus rien à espérer de ma femme. »
9. La Wiener Secession, ou Sécession viennoise, est une association d’artistes fin de siècle fondée en 1897 par Gustav Klimt, Koloman Moser, Josef Hoffmann, Joseph
Maria Olbrich, Max Kurzweil, Josef Engelhart, Ernst Stöhr et Wilhelm List. Elle s’opposait au conservatisme de la Wiener Künstlerhaus, à la fois lieu d’exposition et association de
peintres datant des années 1865. La Sécession est à l’origine, entre autres, du Jugendstil, qui doit son nom à la revue Jugend, lieu d’expression privilégié de ce groupe d’artistes. La
Sécession disparut après plusieurs scissions en 1906. (N.d.T.)
10. Pour la troisième fois, il est question d’images (images de villes, galerie de Dresde), mais cette fois dans un contexte beaucoup plus significatif. En raison de ce que l’on
voit dans le tableau (le bois, les nymphes), l’image devient une garce (Weibsbild, expression péjorative qui désigne la femme).
12. Le fantasme de défloraison est le deuxième composant de ce rêve. L’insistance sur la difficulté à avancer et l’angoisse éprouvée dans le rêve renvoient à la virginité
volontiers soulignée par Dora que nous avons déjà rencontrée ailleurs avec la Madone Sixtine. Ces pensées sexuelles donnent une coloration inconsciente aux désirs, peut-être
uniquement secrets, concernant le prétendant qui attend en Allemagne. Nous avons reconnu le fantasme de vengeance comme le premier composant du rêve. Les deux composants ne
se recouvrent pas entièrement, mais seulement partiellement. Nous découvrirons plus tard les traces d’une ligne de pensées encore plus importante.
13. Une autre fois, elle avait dit « pas du tout triste » à la place de « tranquillement » (voir plus haut). Je peux utiliser ce rêve comme une nouvelle preuve de la justesse de
l’affirmation contenue dans L’Interprétation du rêve selon laquelle les fragments de rêve oubliés tout d’abord et dont on se souvient par la suite sont les plus importants pour la
compréhension du rêve. J’en tire la conclusion dans mon livre que l’oubli des rêves doit s’expliquer par une résistance intrapsychique.
14. Nous devons supposer une connexion somatique entre la douleur à l’abdomen appelée « ovarite » et le trouble de la marche de la jambe du même côté. Cette connexion
dans le cas de Dora a reçu une interprétation spécialisée, celle d’une superposition et d’une utilisation psychiques. Voir ma remarque analogue sur l’analyse du symptôme de la toux et
du lien entre le catarrhe et le manque d’appétit.
15. C’est là un exemple typique de symptômes provoqués par des circonstances qui, en apparence, n’ont rien de sexuel.
17. J’ai déjà indiqué précédemment que la plupart des symptômes hystériques, quand ils ont atteint leur plein développement, représentent une situation fantasmée de la vie
sexuelle, c’est-à-dire une scène de rapport sexuel, de grossesse, d’accouchement, de couches, etc.
18. Le fantasme de la défloration trouve donc son application avec la personne de Monsieur K., ce qui explique pourquoi cette même partie du rêve contient des éléments de
la scène au bord du lac (refus, deux heures et demi, le bois, l’invitation à L.).
19. Quelques remarques supplémentaires aux interprétations précédentes : la « Madone » est manifestement Dora elle-même, premièrement en raison de l’« adorateur » qui
lui a envoyé les images, deuxièmement parce qu’elle a gagné l’amour de Monsieur K. tout d’abord par son attitude maternelle envers ses enfants, et troisièmement parce que jeune
fille, elle a déjà eu un enfant, ce qui renvoie à son fantasme d’accouchement. La « Madone » est par ailleurs une contre-représentation prisée quand une jeune fille se trouve sous la
pression d’accusations sexuelles qui, dans le cas de Dora, sont exactes. J’eus pour la première fois le pressentiment de cette connexion lorsque j’étais médecin à la clinique
psychiatrique et que je m’occupais d’un cas de trouble hallucinatoire au développement très rapide qui s’avéra être la réaction de la patiente à un reproche de son fiancé. Si l’analyse
de Dora s’était poursuivie, le désir maternel d’un enfant se serait révélé comme un motif obscur mais puissant de ses actes. Les nombreuses questions qu’elle a soulevées vers la fin de
son analyse semblent des avatars tardifs de questions liées à un désir de savoir sexuel qu’elle cherchait à satisfaire par la lecture de l’encyclopédie. Il est à supposer qu’elle avait lu sur
la grossesse, l’accouchement, la virginité et d’autres sujets de ce genre. En reproduisant le rêve dans la séance, Dora avait oublié une des questions qu’il convient d’insérer dans la
situation de la deuxième partie du rêve. Ce ne pouvait être que la question suivante : « Est-ce que Monsieur X habite ici ? » Ou bien : « Où habite Monsieur X ? » Il devait y avoir une
raison au fait qu’elle avait oublié cette question apparemment innocente après l’avoir elle-même insérée dans le rêve. Cette raison se trouve à mon avis dans le nom de famille lui-
même qui est aussi celui d’un objet, ou plus exactement de plusieurs, et qui de ce fait, peut être considéré comme un mot « ambigu ». Je ne puis malheureusement pas communiquer
ce nom afin de montrer comment il a été utilisé de façon habile pour désigner quelque chose d’« ambigu » et d’« indécent ». Cette interprétation se trouve renforcée par le fait que
nous trouvons également dans une autre partie du rêve – où le matériel provient des souvenirs relatifs à la mort de la tante – une allusion au nom de la tante, il s’agit de la phrase « ils
sont déjà partis au cimetière ». Ces mots indécents renverraient à une seconde source, orale, car pour de tels mots, le dictionnaire ne suffit pas. Je ne serais pas étonné d’entendre que
cette source était Madame K., la calomniatrice. Dora l’aurait ainsi noblement épargnée alors qu’elle-même poursuivait les autres personnes avec une vindicte presque perfide. Derrière
la série presque incalculable des déplacements qui se sont révélés, on pouvait deviner un facteur simple, l’amour homosexuel profondément ancré en Dora pour Madame K.
21. Il n’était peut-être pas indifférent que Dora ait pu entendre de la bouche de son père la même plainte à propos de sa femme – dont elle comprenait parfaitement la
signification –, comme je l’ai entendue moi-même de la bouche de celui-ci.
22. C’est là le point de contact avec l’ingénieur qui dans la première situation du rêve se cache derrière le moi de Dora.
23. L’attente jusqu’à l’obtention du but se trouve également dans la première situation du rêve. Je perçois dans ce fantasme de l’attente de la fiancée un fragment de la
troisième composante de ce rêve à laquelle nous avons déjà fait allusion.
24. Particulièrement le discours qui avait accompagné la boîte pour entreposer les lettres qu’il lui avait offerte à Noël, la dernière année où ils avaient vécu ensemble à B.
25. Quelques remarques encore sur la structure de ce rêve qui ne se laisse pas percer suffisamment au point de pouvoir envisager d’en faire la synthèse. Le fantasme de la
vengeance contre son père peut être mis en avant comme un fragment du rêve jouant le rôle de façade : elle est partie de la maison de son propre chef, le père est tombé malade, puis il
est mort… Elle revient alors à la maison, les autres sont déjà tous au cimetière. Elle monte, pas même triste, dans sa chambre et lit tranquillement l’encyclopédie. Il y a là deux
allusions à un autre acte de vengeance que Dora a réellement accompli en faisant en sorte que ses parents trouvent une lettre d’adieu qu’elle avait écrite. La lettre (de la mère dans le
rêve) et l’évocation de l’enterrement de la tante qui avait toujours été un modèle pour elle. Derrière ce fantasme se cachent les pensées de vengeance contre Monsieur K. auxquelles
elle a fourni une échappatoire dans son comportement à mon égard. La domestique – l’invitation – la forêt – deux heures et demi, tous ces éléments proviennent de ce qui s’est passé à
L. Le souvenir de la gouvernante et son échange de lettres avec ses parents vont de paire, tout comme sa lettre d’adieu, avec la lettre dans le rêve qui l’autorise à rentrer à la maison.
Le refus de se laisser accompagner et la décision de marcher toute seule peuvent être traduits de la façon suivante : « Puisque tu m’as traitée comme une domestique, je te laisse en
plan, je vais mon chemin toute seule et je ne me marie pas. » Caché derrière ces pensées de vengeance, scintille à d’autres endroits le matériel des fantasmes provenant de l’amour
pour Monsieur K. qui se poursuit inconsciemment : « Je t’aurais attendu jusqu’à devenir ta femme » – défloration – accouchement. Pour finir, c’est le fait d’une quatrième série de
pensées très profondément cachées – l’amour pour Madame K. – que le fantasme de la défloration soit présenté du point de vue d’un homme (identification de Dora avec son
soupirant qui réside alors à l’étranger) et qu’apparaissent à deux endroits dans le rêve les allusions les plus claires à des paroles ambiguës (ici habite Monsieur X) et aux sources non
orales de ses connaissances sexuelles (l’encyclopédie). Des tendances cruelles et sadiques trouvent à se réaliser dans ce rêve.
Épilogue
J’ai certes présenté dès le début cette publication comme un fragment
d’analyse, mais on aura sans doute trouvé celle-ci incomplète bien au-delà
de ce que le titre laissait prévoir. Il convient donc d’essayer de justifier ces
omissions en aucun cas fortuites.
Bon nombre de résultats de l’analyse ont été omis, car au moment de
l’interruption du travail analytique, certains d’entre eux n’étaient pas
connus avec suffisamment de certitude, et d’autres avaient besoin d’être
développés pour pouvoir être formulés de façon universelle. Quand cela me
paraissait pouvoir se faire, j’ai indiqué la direction vraisemblable de
certaines solutions particulières. J’ai entièrement laissé de côté dans cette
publication la technique nullement évidente au moyen de laquelle on peut
extraire du matériel brut des associations des malades son contenu pur en
pensées inconscientes valorisables. Il résulte de ce choix le désavantage
suivant, le lecteur ne peut vérifier la justesse de ma façon de procéder au
cours de l’exposition de ce cas. Cependant traiter en même temps de la
technique de l’analyse et de la structure interne d’un cas d’hystérie m’est
apparu tout à fait impraticable. C’eût été pour moi une tâche presque
irréalisable et pour le lecteur sans aucun doute une lecture infernale. La
technique analytique exige une présentation entièrement à part qui doit être
illustrée par un grand nombre d’exemples tirés des cas les plus divers sans
prendre en considération les résultats obtenus dans chaque cas particulier. Je
n’ai pas cherché non plus à justifier ici les postulats psychologiques que
l’on devine dans mes descriptions des phénomènes psychiques. Une
justification hâtive ne servirait à rien, une justification détaillée constituerait
déjà en elle-même un travail digne de publication. Je peux seulement
assurer que j’ai procédé à l’étude des phénomènes que révèle l’observation
des personnes atteintes de psychonévroses sans être prisonnier d’aucune
théorie psychologique particulière et que j’ai ajusté mes opinions jusqu’à ce
qu’elles m’apparaissent de nature à rendre compte de l’ensemble de ce qui a
été observé. Je ne mets aucune fierté dans le fait d’avoir évité les
spéculations, mais le matériel nécessaire pour de telles hypothèses ne peut
être recueilli que par l’observation la plus large et la plus laborieuse. Ma
position tranchée sur la question de l’inconscient était spécialement de
nature à choquer, car j’opère avec les représentations, les lignes de pensées
et les impulsions inconscientes comme s’il s’agissait d’objets de la
psychologie aussi légitimes et indubitables que tout ce qui appartient à la
conscience. Mais quiconque entreprend d’étudier les mêmes phénomènes
avec les mêmes méthodes ne pourra faire autrement, j’en suis certain,
qu’adopter la même position – en dépit de toutes les exhortations des
philosophes.
Les collègues qui tiennent ma théorie de l’hystérie pour une pure
théorie psychologique et qui, pour cette raison, la déclarent d’emblée
incapable de résoudre un problème pathologique, comprendront peut-être à
la lecture de cet essai que leur reproche transfère injustement à la théorie
une caractéristique de la technique. Seule la technique thérapeutique est
purement psychologique. La théorie ne manque jamais d’indiquer le
fondement organique des névroses même si elle ne va pas chercher celui-ci
dans une transformation anatomopathologique et si elle remplace
provisoirement la transformation chimique attendue mais encore
insaisissable de nos jours, par la fonction organique. Personne ne contestera
en effet le caractère de fonction organique à la fonction sexuelle dans
laquelle je vois le fondement de l’hystérie et des psychonévroses en
général. Aucune théorie de la vie sexuelle, je présume, ne pourra se
dispenser d’admettre l’existence d’une matière sexuelle particulière qui
provoque l’excitation. En effet, de toutes les images de maladies que la
médecine clinique nous fait connaître, l’intoxication et l’abstinence liées à
l’usage de certains poisons chroniques sont ce qui ressemble le plus aux
psychonévroses authentiques.
Je n’ai pas non plus exposé en détail dans cet essai ce qu’on peut dire
aujourd’hui sur la « complaisance somatique », sur les germes infantiles de
la perversion, sur les zones érogènes et sur la prédisposition à la bisexualité.
Je n’ai fait que mettre en valeur les points où l’analyse rencontre ces
fondements organiques des symptômes. On ne pouvait tirer plus d’un cas
isolé. Pour les raisons précédemment évoquées, j’ai évité une discussion
sommaire de ces facteurs. Il y a là une matière riche en vue de futurs
travaux qui s’appuieront sur un plus grand nombre d’analyses.
Je voulais atteindre deux objectifs avec cette publication, hélas, très
incomplète. Premièrement, montrer en complément à mon livre sur
l’interprétation du rêve à quel point cet art, autrement inutile, peut servir à
la découverte de ce qui est caché et refoulé dans la vie psychique. Lors de
l’analyse des deux rêves, la technique de l’interprétation du rêve, qui est
identique à la technique psychanalytique, a été prise en considération.
Deuxièmement, je voulais éveiller l’intérêt pour une série de relations qui,
de nos jours, sont encore complètement inconnues de la science parce
qu’elles ne peuvent être découvertes que par l’application de cette méthode
particulière. Personne, en effet, n’a pu se faire une idée juste de la
complication des processus psychiques dans les cas d’hystérie, de la
juxtaposition des impulsions les plus diverses, de la liaison réciproque des
contraires, des refoulements, des déplacements, etc. L’accent mis par Janet
sur l’idée fixe qui se convertit en symptôme n’est qu’une schématisation
bien pauvre en vérité. On ne peut s’empêcher de suspecter que les
excitations, dont la représentation adéquate échappe à la capacité de la
conscience, peuvent agir autrement les unes sur les autres, suivre un autre
cours et conduire à d’autres expressions que ces excitations que nous
appelons « normales » et dont nous sommes conscients du contenu
représentatif. Si l’on est initié à ce point, alors plus rien ne s’oppose à la
compréhension d’une thérapie qui supprime les symptômes névrotiques en
transformant les représentations de ce premier type en représentations
normales.
Il m’importait également de montrer que la sexualité n’intervient pas
seulement comme un deus ex machina qui apparaît une seule fois à un
point particulier du mécanisme des processus caractéristiques de l’hystérie,
mais qu’elle fournit la force motrice de chaque symptôme particulier et de
chaque manifestation particulière de ce symptôme. Les symptômes des
maladies sont, pour le dire sans détour, l’activité sexuelle des malades.
Un cas isolé ne suffira jamais à prouver une affirmation aussi générale,
mais je ne peux que répéter toujours de nouveau – parce qu’il n’en est
jamais autrement – que la sexualité est la clé du problème des
psychonévroses et des névroses en général. Quiconque la dédaigne ne sera
jamais capable d’ouvrir cette porte. J’attends encore des nouvelles des
recherches censées annuler ou même limiter la validité de cette affirmation.
Ce que j’ai entendu jusqu’à présent n’était que l’expression d’un
mécontentement ou d’une incrédulité personnelle. À leur encontre, il suffit
de citer le mot de Charcot : « Ça n’empêche pas d’exister1. »
Le cas dont j’ai publié ici une description fragmentaire de la maladie et
du traitement n’est pas non plus de nature à mettre véritablement en lumière
la valeur de la thérapie psychanalytique. La brièveté du traitement – qui
dura à peine trois mois –, mais également un autre facteur inhérent à ce cas
ont empêché que la cure se termine, comme dans les autres cas, sur une
amélioration reconnue par le malade et son entourage – amélioration qui se
rapproche plus ou moins de la guérison complète. Des résultats réjouissants
de ce genre sont obtenus quand les symptômes de la maladie se
maintiennent uniquement par le conflit interne des impulsions liées à la
sexualité. On voit dans ces cas l’état du malade s’améliorer à mesure que
l’on contribue à résoudre leurs problèmes psychiques par la traduction du
matériel pathogène en un matériel normal. Le cours des choses est tout
autre quand les symptômes se mettent au service d’un motif externe,
comme cela avait été le cas chez Dora ces deux dernières années. On est
surpris et vite induit en erreur quand on découvre que l’état du malade n’a
pas été modifié de façon notable par l’avancement pourtant considérable du
travail analytique. En réalité, la situation n’est pas si mauvaise qu’elle n’en
a l’air. Il est vrai que les symptômes ne disparaissent pas pendant le travail
de l’analyse, mais peu après, lorsque la relation entre le patient et le
médecin a cessé. Le différemment de la guérison ou de l’amélioration n’est
dû en réalité qu’à la personne du médecin.
Je dois faire un léger retour en arrière pour expliquer cet état de choses.
On peut dire en règle générale que la formation de nouveaux symptômes est
suspendue durant la cure psychanalytique. La productivité des névroses est
loin d’être anéantie, mais elle s’investit dans la création d’un genre
particulier de constructions mentales dont la plupart sont inconscientes et
auxquelles on peut donner le nom de « transferts ».
Que sont les transferts ? Ce sont des rééditions, des reproductions
d’impulsions et de fantasmes qui sont réveillés par le progrès de l’analyse et
qui se caractérisent par la substitution du médecin à une personne
antérieure. Autrement dit, toute une série d’expériences psychiques
antérieures reprennent vie non pas comme des éléments du passé, mais
comme une relation actuelle avec la personne du médecin. Certains
transferts ne se distinguent dans leur contenu en rien de leur modèle si ce
n’est par la substitution des personnes. Ce sont alors, pour reprendre la
comparaison déjà faite, de simples réimpressions ou rééditions sans
altération. D’autres sont plus subtils, ils ont subi une atténuation de leur
contenu, une sublimation – tel est le terme que j’emploie – et peuvent
même devenir conscients dans la mesure où elles s’appuient sur une
particularité réelle du médecin dont elles savent habilement tirer partie ou
sur certaines circonstances attachées à sa personne. Ce ne sont plus alors
des rééditions, mais des éditions révisées.
Quand on se plonge dans la théorie de la technique analytique, on en
vient à considérer que le transfert est quelque chose d’inévitable. La
pratique du moins nous enseigne qu’il n’y a aucun moyen d’y échapper et
que l’on doit combattre cette dernière création de la maladie comme toutes
les précédentes. Or cette partie du travail est de loin la plus difficile.
L’interprétation des rêves, l’extraction des pensées et des souvenirs
inconscients à partir des associations du malade, et d’autres techniques de
traduction de ce genre sont faciles à apprendre, car c’est le malade lui-
même qui fournit toujours le texte. Dans le cas du transfert, on doit le
deviner presque tout seul en s’appuyant sur de maigres indices et sans
sombrer dans l’arbitraire. On ne peut pas le contourner, car il participe à la
production de tous les obstacles qui bloquent l’accès au matériel de la cure
et ce n’est qu’après sa résolution que peut apparaître chez le malade un
sentiment de conviction à propos de la justesse des liens construits durant
l’analyse.
On sera enclin à tenir pour un sérieux inconvénient de cette pratique,
déjà peu commode par ailleurs, le fait que ce phénomène augmente encore
le travail du médecin par la création d’une nouvelle espèce de produits
psychiques pathologiques. On voudra peut-être même inférer de l’existence
du transfert le risque d’un dommage supplémentaire pour le malade qui
proviendrait de la cure analytique. Ces deux suppositions sont erronées. Le
travail du médecin n’est pas augmenté par le transfert. Cela ne change rien
pour lui qu’il ait à vaincre telle ou telle impulsion du malade en rapport
avec sa personne ou avec une autre. La cure avec le transfert qui lui est
inhérent n’impose au malade aucune nouvelle action qu’il n’aurait pas
accomplie sinon. Des guérisons de névroses ont lieu également dans des
institutions où le traitement psycho-analytique est exclu, on peut dire que
l’hystérie n’est pas guérie par la méthode, mais par le médecin, une sorte de
dépendance aveugle et d’attachement durable se crée habituellement entre
le malade et le médecin qui l’a libéré de ses symptômes par l’hypnose.
L’explication scientifique de tous ces phénomènes se trouve dans les
« transferts » que le malade fait régulièrement sur la personne du médecin.
La cure psychanalytique ne crée pas le transfert, elle révèle simplement son
existence comme celle de bien d’autres phénomènes cachés de la vie
psychique. La différence s’exprime seulement dans le fait que le malade
active spontanément des transferts uniquement affectionnés et amicaux pour
aider à sa guérison et que quand ceux-ci ne peuvent pas avoir lieu, il se
détache aussi vite que possible du médecin – qui ne lui est pas
« sympathique » – sans avoir été influencé par celui-ci. Dans la
psychanalyse par contre, comme le dispositif des motifs est transformé,
toutes les impulsions, y compris les impulsions hostiles, sont réveillées et
utilisées pour l’analyse en étant portés à la conscience. Le transfert est ainsi
à chaque fois anéanti. Le transfert qui est destiné à devenir le plus grand
obstacle de la psychanalyse devient son soutien le plus puissant quand elle
parvient à le deviner à chaque fois et à le traduire au malade2.
Il me fallait parler du transfert, car je ne peux expliquer les
particularités de l’analyse de Dora qu’à l’aide de ce facteur. Le mérite de
cette analyse – sa clarté inhabituelle qui la rend apte à paraître comme une
première publication introductive – va de paire avec son grand défaut qui a
conduit à son interruption prématurée. Je ne suis pas parvenu à maîtriser à
temps le transfert. En raison de l’empressement avec lequel elle mettait à
ma disposition dans la cure une partie du matériel pathogène, j’ai oublié la
prudence qui consiste à prêter attention aux premiers signes du transfert
qu’elle préparait à l’aide d’une autre partie de ce même matériel qui m’était
restée inconnue. Il était clair au début que je remplaçais son père dans ses
fantasmes ce qui allait en quelque sorte de soi vue notre différence d’âges.
Elle me comparait même constamment avec lui et de façon consciente. Elle
cherchait de façon anxieuse à s’assurer que j’étais bien entièrement sincère
avec elle, car son père « préférait toujours le secret et les détours fuyants ».
Lorsque le premier rêve vint, où elle se mettait en garde qu’il lui fallait
quitter la cure comme à l’époque la maison de Monsieur K., j’aurais dû
moi-même être sur mes gardes et lui dire : « Vous avez fait maintenant un
transfert de Monsieur K. sur moi. Avez-vous remarqué quelque chose qui
vous ait fait conclure à de méchantes intentions de ma part semblables
(directement ou par le moyen d’une quelconque sublimation) à celles de
Monsieur K.? Quelque chose en moi vous a-t-il frappé ? Ou bien avez-vous
appris quelque chose de moi qui ait provoqué votre affection comme à
l’époque avec Monsieur K.? » Alors son attention se serait dirigée sur un
détail quelconque de notre relation, sur ma personne ou sur des
circonstances liées à moi derrière lesquelles se cachait quelque chose
d’analogue, mais de bien plus important qui concernait Monsieur K. La
résolution de ce transfert aurait ouvert à l’analyse l’accès à un nouveau
matériel de la mémoire, vraisemblablement réel. Je n’ai pas prêté attention à
cette mise en garde. Je pensais qu’il y avait largement le temps, car les
autres étapes du transfert n’étaient pas encore apparues et le matériel de
l’analyse ne s’était pas encore épuisé. C’est ainsi que je fus surpris par le
transfert et qu’en raison d’un X par lequel je lui rappelais Monsieur K., elle
s’était vengée de moi comme elle voulait se venger de Monsieur K. et
m’avait abandonné comme elle se croyait elle-même trompée et
abandonnée par lui. Elle agissait ainsi une partie essentielle de ses
souvenirs et de ses fantasmes au lieu de la reproduire dans la cure. Quel
était ce X ? Je ne puis naturellement pas le savoir. Je suppose que cela avait
à voir avec l’argent ou que c’était de la jalousie à l’égard d’une autre
patiente qui, après sa guérison, était restée en relation avec ma famille.
Quand il est possible d’insérer les transferts dans le travail de l’analyse, son
cours en est retardé et devient obscur, mais son existence s’en trouve mieux
protégée contre les résistances soudaines et insurmontables.
Dans le second rêve de Dora, le transfert apparaît à travers plusieurs
allusions claires. Lorsqu’elle me le raconta, je ne savais pas encore – je ne
le sus que deux jours plus tard – que nous n’avions plus devant nous que
deux heures de travail, le même temps qu’elle était restée devant le tableau
de la Madone Sixtine et dont, à l’aide d’une correction (deux heures au lieu
de deux heures et demi), elle avait fait la mesure du chemin autour du lac
qu’elle n’avait pas emprunté. Le désir et l’attente qui se rapportaient au
jeune homme en Allemagne, et qui provenaient de son attente que Monsieur
K. puisse enfin se marier avec elle, s’étaient déjà exprimés quelques jours
plus tôt dans le transfert suivant : la cure durait trop à son avis, elle n’aurait
pas la patience d’attendre si longtemps, pourtant dans les premières
semaines de l’analyse, elle avait fait preuve de suffisamment de
compréhension pour écouter sans élever de telles objections l’annonce que
je lui faisais selon laquelle son rétablissement complet exigerait sans doute
une année. Son refus de se laisser accompagner dans le rêve – elle préférait
marcher seule – provenait également de la visite à la galerie de Dresde. Je
devais en faire l’expérience le moment venu. Ce refus avait donc le sens
suivant : « Puisque tous les hommes sont si détestables, je préfère ne pas me
marier. Ce sera ma vengeance3. »
Quand des impulsions de cruauté et des motifs de vengeance qui ont
déjà été utilisés dans la vie du malade pour maintenir ses symptômes se
transfèrent pendant la cure sur le médecin avant que celui-ci n’ait eu le
temps de les écarter de sa personne en les ramenant à leur source, il ne faut
pas alors s’étonner du fait que l’état de la malade ne manifeste aucun signe
de l’influence de ses efforts thérapeutiques. Car quelle meilleure vengeance
pour la malade que de montrer en personne que le médecin est impuissant et
incapable ? J’ai pourtant tendance à ne pas trop sous-estimer la valeur
thérapeutique de traitements comme celui de Dora, aussi inachevés soient-
ils.
1. En français dans le texte. La citation exacte est : « La théorie, c’est bon mais ça n’empêche pas d’exister. » (N.d.T.)
2. (Note ajoutée en 1923 : ) Ce qui est dit ici sur le transfert trouve son prolongement dans l’article technique intitulé « Remarques sur l’amour de transfert ».
3. Plus je m’éloigne dans le temps de la fin de cette analyse, plus il me semble probable que ma faute technique a consisté dans l’omission suivante : j’ai manqué de deviner
à temps et de communiquer à la malade que son amour homosexuel (gynécophile) pour Madame K. était la tendance la plus forte de sa vie psychique. J’aurais dû percevoir que la
source principale de sa connaissance des choses sexuelles ne pouvait être personne d’autre que Madame K., celle qui l’avait accusée de s’intéresser à de tels sujets. En effet, le fait
qu’elle savait toutes ces choses indécentes et qu’elle ne voulait jamais savoir d’où provenait ce savoir était trop manifeste. J’aurais dû m’atteler à ce mystère et chercher le motif de ce
refoulement étrange. Le second rêve me l’aurait alors révélé. La soif impitoyable de vengeance dont ce rêve se faisait l’expression n’avait pour autre fin que de dissimuler la tendance
contraire, la noblesse avec laquelle elle avait pardonné la trahison de l’amie aimée et le fait qu’elle cachait à tout le monde que c’était elle-même qui lui avait fait ces révélations dont
elle s’était servie ensuite pour l’accuser. Avant de comprendre l’importance de la tendance homosexuelle chez les psychonévrosés, je me suis souvent enlisé dans le traitement de
certains cas, quand je ne tombais pas dans la confusion la plus complète.
4. C’est là un cas qui contribue de façon intéressante à la question des tentatives de suicide indirectes que j’aborde dans ma Psychopathologie de la vie quotidienne.
5. Voir la signification de cette période et son lien au thème de la vengeance dans l’analyse du second rêve.
6. Allusion à l’annonce de la nomination en 1902 de Freud au titre de professor extraordinarius à la faculté de médecine sur proposition, cinq ans plus tôt, de Carl W.H.
Nothnagel et Richard von Krafft-Ebing. Voir Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, Paris, PUF, 2006, lettres du 8 février 1897 et du 11 mars 1902. (N.d. É.)
De Sigmund Freud aux Éditions Payot
& Rivages
Cinq leçons sur la psychanalyse, suivi de : Contribution à l’histoire
du mouvement psychanalytique
Psychopathologie de la vie quotidienne
Totem et tabou
Introduction à la psychanalyse
Essais de psychanalyse
Dora. Fragment d’une analyse d’hystérie
Le Petit Hans, suivi de : Sur l’éducation sexuelle des enfants
L’Homme aux rats. Un cas de névrose obsessionnelle, suivi de :
Nouvelles Remarques sur les psychonévroses de défense
L’Homme aux loups. D’une histoire de névrose infantile
Le Président Schreber. Un cas de paranoïa
Malaise dans la civilisation
Psychologie de la vie amoureuse
Notre relation à la mort
Au-delà du principe de plaisir
Psychologie des foules et analyse du moi
Le Moi et le Ça
Pulsions et destins des pulsions
L’Inconscient
Deuil et mélancolie
Pour introduire le narcissisme
Trois mécanismes de défense : le refoulement, le clivage et la
dénégation
La Sexualité infantile
Le Rêve de l’injection faite à Irma
Mémoire, souvenirs, oublis
Du masochisme. Les aberrations sexuelles ; Un enfant est battu ;
Le problème économique du masochisme
L’Inquiétant familier, suivi de Le Marchand de sable (E.T.A.
Hoffmann)
Le Président T.W. Wilson. Portrait psychologique (avec William C.
Bullitt)
Sur les névroses de guerre (avec Sándor Ferenczi et Karl Abraham)
Pourquoi la guerre ? (avec Albert Einstein)
Correspondance (avec Stefan Zweig)
À propos de cette édition
Cette édition électronique du livre Dora de Sigmund Freud a été
réalisée le 08 mai 2013 par les éditions Payot & Rivages.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 978-2-228-
90496-4).
Le format ePub a été préparé par Facompo, Lisieux.