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Présentation

Dora. Fragment d’une analyse, Sigmund Freud


Traduit de l’allemand par Cédric Cohen Skalli
Préface de Sylvie Pons-Nicolas
Traduction inédite
Éditions Payot

En octobre 1901, Freud reçoit une certaine « Dora », jeune fille de dix-huit ans que son père lui
envoie dans l’espoir qu’il la guérisse de ses fantasmes sexuels et de ses « lectures pornographiques ».
En onze semaines, à l’issue desquelles sa patiente interrompra d’elle-même le traitement, cette banale
histoire de famille va progressivement se transformer, selon Élisabeth Roudinesco, en « une véritable
tragédie du sexe, de l’amour et de la maladie »...
Publié quatre ans plus tard, en 1905, Dora est le plus célèbre et le plus complet des cas de
psychanalyse rédigés par Freud. D’une rare force narrative, développant des hypothèses totalement
novatrices sur l’hystérie, la bisexualité et le transfert, il est, de l’avis général, aussi important que
L’interprétation des rêves et les Trois essais sur la théorie sexuelle.
Sigmund Freud

Dora
Fragment d’une analyse
d’hystérie

Traduit de l’allemand
par Cédric Cohen Skalli

Préface de Sylvie Pons-Nicolas

Petite Bibliothèque Payot


EDITIONS PAYOT & RIVAGES
106 boulevard Saint-Germain
75006 Paris
www.payot-rivages.net

Photo de couverture : Sigmund Freud en 1921, © Explorer/Mary Evans Picture Library

Titre original : Bruchstück einer Hysterie-analyse

Conseiller scientifique : Gisèle Harrus-Révidi

© 2010, Éditions Payot & Rivages, pour la présente édition

ISBN : 978-2-228-90931-0

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civiles ou pénales.
Préface
Dora « la suçoteuse »

par Sylvie Pons-Nicolas


Le cas « Dora », publié en 1905, est l’un des cinq grands cas de
psychanalyse rédigés par Freud1. Pour la première fois, celui-ci fait le récit
complet d’une cure. Il livre ainsi une observation magistrale qui, avec les
articulations théoriques qu’il développe, font de ce texte une véritable leçon
d’introduction à la psychanalyse.
D’une grande inventivité, Dora nous montre un Freud en plein travail
de réflexion face aux incertitudes et limites que lui pose ce cas qui l’amène
à développer des hypothèses totalement novatrices. Tout à sa découverte de
la pratique psychanalytique, Freud est pris dans la tourmente homosexuelle
et se confronte à la pluralité des transferts de Dora, ce qu’il théorisera dans
l’après-coup de la cure. Son titre original, Fragment d’une analyse
d’hystérie, est annonciateur des difficultés que l’on peut avoir à le lire, car
il est constitué, comme nous prévient Freud, par « l’assemblage de
différents fragments provenant d’époques et de contextes différents ».

Découverte de la technique
Autour des années 1890, en pleine élaboration de ses théories, Freud vit
une période de grande fécondité intellectuelle. Il partage depuis 1882 avec
le professeur Josef Breuer (1842-1925) un vif intérêt pour l’hystérie. Leurs
échanges ont abouti à la publication en 1895 d’un essai, Études sur
l’hystérie, qui développe l’hypothèse d’une étiologie psychique
traumatique de cette pathologie, ce qui conduit les auteurs à conclure que
« l’hystérique souffre de réminiscences ». Cependant, la question de
l’origine sexuelle infantile des névroses avancée par Freud les séparera.
Breuer, choqué et perplexe comme le sont de nombreux collègues de Freud,
n’arrive pas à le suivre sur ce terrain-là et cet essai, loin de les rapprocher,
les éloignera.
En 1887, malgré ce désaccord, Breuer présente à Freud un collègue
berlinois, le docteur Wilhelm Fliess (1858-1928). La relation entre les deux
hommes va s’approfondir à mesure que celle de Freud avec Breuer faiblit.
Fliess est un ORL reconnu qui développe une approche originale de la
médecine et des idées peu ordinaires. Une certaine marginalité, un
isolement rapprochent Fliess et Freud qui, jusqu’en 1902, vont avoir une
intense correspondance dans laquelle ils partagent à la fois réflexions
intimes et spéculations théoriques. Ces échanges, qui se révéleront
cruciaux, nous permettent de suivre le développement d’un certain nombre
d’hypothèses freudiennes, sa découverte de la psychosexualité, ainsi que
son cheminement théorique en ce qui concerne l’hystérie.
Le père de Dora, Philipp Bauer, un riche industriel, est un grand malade
souffrant de troubles neurologiques liés à une atteinte syphilitique. Il est
suivi par Freud depuis quatre ans quand il amène Dora chez ce dernier.
De son vrai nom Ida Bauer, Dora a tout juste seize ans quand elle
rencontre Freud pour la première fois. Elle consulte à cause d’une toux
persistante et de migraines. Freud conseille un « traitement psychique »,
mais il n’est pas donné suite à ce projet. Deux ans plus tard, son père la
ramène, car non seulement elle tousse toujours, mais elle a des crises
d’aphonie, elle claudique et s’évanouit de façon spectaculaire. Elle est
également déprimée, s’oppose à ses parents et présente des troubles du
caractère.
Freud diagnostique « une petite hystérie ». Il pense en effet que tous ses
symptômes sont des conversions hystériques. La cure de Dora – le
« traitement psychique » préconisé auparavant – peut débuter en
octobre 1900.
Dora permet à Freud, après Emmy von N., Miss Lucy R., Katarina ou
Elizabeth von R., quatre patientes dont il avait publié les cas, mais de façon
plus sommaire, dans les Études sur l’hystérie, de compléter ses recherches
sur la structure de l’hystérie, mais aussi sur sa modélisation de la psyché et
le rôle du fantasme.
Sa démarche novatrice et révolutionnaire tient au fait qu’il avait séparé
l’hystérie des états dégénératifs dans lesquels elle était classée et qu’il
avançait l’hypothèse d’une étiologie psycho-gène, permettant un traitement
reposant sur la libre communication de ce qui venait à l’esprit : la cure par
la parole, ou talking cure, comme l’avait nommée Anna O., une patiente de
Breuer.
Quand Dora débute sa cure, Freud a déjà fixé les principaux éléments
du cadre, la « règle principale » (qui deviendra « règle fondamentale »)
assignant au patient de tout dire de ce qui se présente à son esprit est d’ores
et déjà préconisée, et l’association libre a remplacé l’hypnose. L’abréaction
de l’affect, qui fondait la méthode cathartique, est délaissée, ainsi que la
suggestion. Le but de la cure est de rendre l’inconscient conscient, en
analysant les résistances qui s’opposent à la levée du refoulement. Il s’agit
d’« extraire du minerai des idées fortuites le pur métal des pensées
refoulées ».
En 1894, dans « Les psychonévroses de défense », Freud a également
introduit le concept de conversion hystérique pour qualifier la
transposition d’un conflit psychique dans des symptômes somatiques,
moteurs ou sensitifs, qui ont une valeur symbolique car ils sont l’expression
de représentations refoulées. Ils permettent de distinguer l’hystérie des
autres névroses, pour lesquelles la représentation inacceptable reste
psychique.
Dans une lettre du 21 septembre 1897, il avait annoncé à Fliess qu’il
renonçait à sa « neurotica », la théorie de la séduction qu’il avait
développée dans les Études sur l’hystérie. Cette théorie, où il évoquait la
séduction effective par le père pervers, lui avait permis de faire un montage
qui liait perversion à la première génération et hystérie à la seconde. En
annonçant qu’il renonçait à cette théorie, il accordait aux fantasmes un rôle
prépondérant, hypothèse qu’il étaye singulièrement avec le récit de la cure
de Dora.
Cependant, cette dernière part précipitamment et les difficultés de ce
cas mettent Freud devant certaines limites de son outil de travail. Poussé par
le désir de comprendre, il rédige l’observation en quinze jours. Elle
regroupe l’ensemble des intérêts de Freud à cette époque mais, au cours de
sa rédaction, alors qu’il s’est lancé parallèlement dans l’écriture de
Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud fait une erreur de
datation : il situe la cure à la fin de l’année 1899 (au lieu de 1900) et sa
rédaction au début de l’année 1900. N’efface-t-il pas ainsi d’un trait
l’année 1899, année sombre marquée par le silence indifférent, voire
hostile, qui avait accueilli la parution de L’Interprétation des rêves, ce qui
l’avait beaucoup blessé ?
Pour des raisons de confidentialité, Freud retarde la publication de
Dora jusqu’en 1905. En effet, il se confronte au problème toujours actuel
du respect de la vie privée du patient et des exigences de la science. Se
rajoute à l’époque le scepticisme de ses collègues face aux idées qu’il
développe et l’on peut penser que, soucieux d’asseoir sa crédibilité, il ait
hésité à exposer des découvertes et des hypothèses dont certaines le
scandalisaient lui-même. Lui qui aimait se présenter comme un
conquistador devait lutter contre Freud le bourgeois. C’est ce que semble
montrer l’avant-propos, dans lequel il répond par avance aux objections
qu’on pourrait lui faire.

Le récit fragmenté d’une analyse


Au cours de cette cure, Freud recueille des données fragmentaires
provenant de Dora elle-même, dont le récit, comme celui de tous les
hystériques, est en effet lacunaire, imprécis, énigmatique, avec des
amnésies et des « insincérités » conscientes ou inconscientes. Forme de
récit dont il fait d’ailleurs un élément diagnostique de l’hystérie, l’opposant
au récit complet et organisé d’un malade organique. Freud recueille
également des données anamnestiques produites par ses proches, des
informations provenant de l’entourage de Dora, notamment de son père. De
nos jours, une telle situation serait discutable. Lors de la rédaction du cas,
Freud articule les éléments biographiques et la description des symptômes
avec ses propres commentaires, des fragments cliniques saisis en direct, ses
hypothèses et ses apports théoriques.
Deux rêves scandent la cure de Dora, qui permettent aussi à Freud
d’approfondir sa science des rêves. Il songe alors à intituler son texte
« Rêve et hystérie », mais il choisit finalement le titre de Fragment d’une
analyse d’hystérie (Bruchstück einer Hysterie-Analyse), Dora ayant
brutalement interrompu la cure au bout de onze semaines. La technique très
active, voire intrusive, utilisée par Freud avec cette jeune femme, presque
encore une adolescente, ce qu’il sous-estime, est vraisemblablement à
l’origine de cette fuite.
Comment donc s’y retrouver dans ce texte extrêmement dense, ce
montage complexe qui laisse supposer un plus haut degré d’élaboration que
le déroulement effectif des séances ? Comment tirer un fil dans ce puzzle
magnifiquement construit où l’on peut retrouver les bases de la nouvelle
science en cours d’élaboration ?
Trois lignes de force peuvent au moins être dégagées. À l’époque, elles
ne sont pas encore totalement théorisées, mais elles témoignent du génie de
Freud et de sa capacité créative.
La première concerne la fixation orale de Dora, ce qu’on peut appeler
son complexe oral. C’est, selon les propres termes de Freud, « Dora la
suçoteuse ». Elle lui permet de compléter ses découvertes antérieures sur
l’hystérie et d’introduire le concept de complaisance somatique.
La seconde ligne de force explore plus à fond le complexe d’Œdipe et
le rôle de la bisexualité psychique à l’intérieur de ce complexe, facteur
primordial et organisateur des identifications hystériques. Nous verrons là
Freud aux prises avec l’homosexualité.
La troisième concerne le transfert. Elle nous permet de suivre Freud pris
dans les rets du transfert, ou plutôt sa confrontation aux transferts de
Dora dont il ne pourra se « rendre maître ».

De l’importance du suçotement chez Dora


Dora est née à Vienne en 1882, quatorze mois après son frère Otto.
Freud dit peu de choses sur la petite fille qu’elle était, sur son enfance et
la relation à sa mère. En fait, il montre peu de considération pour cette
dernière et ses rares commentaires la concernant dessinent d’elle le portrait
d’une femme « peu éduquée et surtout peu éveillée », exerçant un contrôle
tyrannique sur la vie familiale et atteinte de la « psychose de la ménagère »,
parangon d’un fonctionnement obsessionnel aggravé. Il ajoute qu’elle « ne
montrait pas la moindre compréhension pour ce qui intéressait ses
enfants », lesquels souffriront de longues périodes d’énurésie lors de leur
petite enfance.
Le surinvestissement obsessionnel décrit par Freud fait craindre qu’il
s’agisse d’une mère qui n’avait guère de temps à consacrer à un
« maternage suffisamment bon », au sens winni-cottien, et cela évoque
d’emblée une probable défaillance de la relation à l’objet primaire maternel.
On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas un des facteurs de l’échec
de la cure de Dora, Freud n’étant pas encore, à l’époque, sensibilisé à cette
problématique.
Le souvenir-écran dans lequel Dora se voit suçotant, à l’âge de cinq ans,
son pouce gauche pendant que, de la main droite, elle tiraille l’oreille de son
frère Otto semble confirmer cette hypothèse. Dora est à la recherche d’une
compensation orale au travers d’un suçotement intensif et elle utilise son
frère comme objet maternel de substitution.
Cette activité auto-érotique de Dora est l’occasion pour Freud
d’introduire le concept de complaisance somatique de la zone buccale.
Ce concept s’articule avec le phénomène de conversion, qui est la
défense propre à l’hystérie. Lors d’un conflit psychique, le moi de
l’hystérique va tenter de contenir l’accroissement d’excitation qui en résulte
en séparant la représentation et l’affect : la représentation va être tenue à
l’écart du conscient, ce que recouvre la notion de refoulement et l’affect,
« l’émoi », va être converti, transformé en symptôme somatique. La
conversion hystérique est donc un des destins possibles de l’affect.
Mais comment cet affect peut-il trouver une issue dans le corporel ?
C’est ce que tente d’expliquer la notion de complaisance somatique : le
surinvestissement libidinal d’une partie du corps, en fait d’une zone
érogène, constitue l’issue, la voie permettant une décharge de l’excitation.
« La complaisance somatique, organiquement prédéterminée, pave la voie
de décharge d’une excitation inconsciente » (Freud). Ainsi la notion de
complaisance somatique s’articule également avec celle de fixation à des
zones érogènes, notion que Freud est en train de découvrir et qu’il exposera
en 1905 dans Trois essais sur la théorie sexuelle. Cette zone surexcitée
dans un premier temps pourra, lors d’une excitation sexuelle ultérieure, être
régressivement réactivée.
Chez Dora, l’activité intense et précoce de la zone buccale, « zone
érogène primaire » – « gâtée », ajoute-t-il –, aurait été la condition d’une
complaisance somatique ultérieure de la part du tube muqueux qui
commence aux lèvres. Elle serait donc à l’origine de l’irritation de la gorge,
de la toux nerveuse et de l’aphonie de Dora : « Il faut supposer, dit-il, la
présence d’une irritation réelle et déterminée de façon organique, c’est le
grain de sable autour duquel le coquillage forme la perle. »
Lors du travail analytique, un sens sera conféré au symptôme selon la
nature des fantasmes inconscients qui cherchent à s’exprimer.
Dès lors, Freud confirme que le symptôme hystérique, à l’instar du
rêve, est la réalisation d’un désir et doit être entendu comme la
représentation d’un fantasme sexuel. Au cours de la cure, il pense que c’est
Philipp qui occupe le devant de la scène. Identifié à cet homme dont il vante
l’intelligence et la perspicacité, Freud parle de lui comme de « la
personnalité dominante », négligeant d’emblée, je l’ai suggéré, le rôle joué
par toutes les femmes qui entouraient Dora.
Philipp est un père qui semble attentif à ses enfants, proche d’eux – et
vraisemblablement, s’agissant de Dora, trop proche. En effet, c’est lui qui
intervient directement quand elle a environ cinq ans pour faire cesser le
suçotement de son pouce. Cette intervention inaugure une période de
grande proximité et Dora devient son infirmière attitrée face à ses
problèmes de santé, mais également sa confidente, car il est, dit-il, « fier de
l’intelligence précoce de sa fille ». Les rapports de Philipp et de Dora sont
alors très voisins de la situation décrite en 1895 dans l’étiologie de
l’hystérie, celle de l’enfant séduit, excité, mais démuni et dont l’excitation
se transforme en angoisse parce qu’il n’a pas encore les moyens
physiologiques de la décharge ni les moyens psychologiques de
l’élaboration. Tendresse et passion, sinon tendresse et sensualité – les mots
de Sándor Ferenczi évoquant la « confusion de langue » entre les adultes et
l’enfant ne sont pas loin2. Cependant, cette proximité permet à Dora, qui se
trouve alors en pleine phase œdipienne, de passer de la frustration face à un
objet maternel qu’on a supposé défaillant, à un sentiment de toute-puissance
par rapport à son père.
Elle a six ans quand celui-ci est atteint d’une tuberculose pulmonaire, ce
qui oblige la famille à déménager dans une ville d’eaux : Mérano. Là, les
parents de Dora font la connaissance de la famille Zellinka (Monsieur et
Madame K. dans le texte). Ils deviennent intimes. Les K. vivent à Mérano,
car Peppina, l’épouse, est affectée de « troubles nerveux » qui auront une
certaine influence sur ceux de Dora. Les K. ont deux enfants et Clara, leur
fille, mourra à l’âge de neuf ans.
L’intimité de la relation entre Dora et son père est alors menacée, car
assez vite Madame K. s’impose comme garde-malade de ce dernier,
suppléant Dora auprès de lui. La réapparition d’une énurésie chez Dora à
cette période, vers l’âge de sept ans, laisse supposer qu’elle sent le danger
qui plane sur sa précieuse relation à son père et qu’elle tente, en l’attirant la
nuit auprès d’elle, de préserver sa place. Cependant, c’est Madame K. qui,
en devenant la maîtresse de son père, impose sa suprématie. Dora vit cette
situation comme une véritable trahison.
Peu de temps après, à la suite d’un faux pas, elle chute dans les escaliers
et se fait une entorse. Puis des crises d’asthme apparaissent, en même
temps, note Freud, que son caractère change : la petite fille qui se
comportait comme un garçon, au tempérament « vraiment sauvage »,
devient « calme et policée ». Pour Freud, cette sagesse subite signe le fait
que Dora accède à son identité féminine.
On peut néanmoins se demander si Dora ne s’assagit pas aussi au
moment où elle entre dans la phase de latence, ou encore si, blessée par un
sentiment de trahison, elle ne fait pas un premier épisode dépressif.
Son père continue d’occuper le devant de la scène avec ses maladies qui
prennent par deux fois une dimension bruyante, quand Dora a dix et douze
ans. La première fois, il a un décollement de la rétine ; deux ans plus tard, il
présente une confusion mentale suivie de phénomènes paralytiques qui le
conduisent dans le cabinet de Freud.
À cette époque, l’état de Dora s’aggrave. Elle présente de nouveaux
symptômes : une migraine, une toux et des crises d’aphonie.
En surprenant une conversation, elle apprend que son père avait
contracté la syphilis avant son mariage et qu’il a probablement contaminé
sa mère qui se plaint de pertes blanches. Ses parents se disputant
fréquemment, Dora peut, au moment de la réactivation pulsionnelle de la
préadolescence, s’imaginer que c’est la dimension destructrice de la
sexualité qui désorganise sa famille.
Dès lors, peut-elle échapper à cette idée terrifiante que la sexualité rend
fou et aveugle ?
Ou qu’elle-même est peut-être contaminée comme sa mère ?
L’aggravation de son état ne témoigne-t-il pas d’un débordement de ses
capacités psychiques à élaborer les conflits ?
Cependant, en ce qui concerne le sens des symptômes oraux de Dora,
Freud découvre que les fantasmes sexuels qui l’obsèdent sont liés à ce
qu’elle imagine des rapports sexuels de son père avec Madame K.
Représentation qu’elle a refoulée, mais qui justement s’exprime dans son
irritation de la gorge et sa toux. Ces symptômes, nous dit Freud,
représentent « une situation de satisfaction sexuelle per os entre les deux
personnes dont la liaison amoureuse occupait constamment son esprit ». Ils
renvoient à son désir du pénis dans un œdipe positif. Mais Freud va plus
loin. Il substitue au pénis, objet sexuel actuel, le sein : « Ainsi ce fantasme
pervers et extrêmement choquant de sucer le pénis a une origine tout à fait
innocente. »
L’oralité érotique de Dora renvoie donc à l’oralité primaire et ses
fantasmes condensent sa problématique œdipienne et ses besoins de relation
d’étayage sur la mère.
Au cours de la cure de Dora, Freud n’envisage que le complexe
d’œdipe positif. Le complexe d’œdipe négatif, quant à lui, bien que
perceptible dans sa relation avec Dora, ne sera complètement problématisé
qu’en 1923 dans « Le moi et le ça ». En effet, cette notion est fondée sur
l’existence d’une constitution bisexuelle physique et psychique de tout
individu dès l’enfance et ce n’est que dans l’après-coup de la cure que
Freud réalisera la bisexualité de Dora, c’est-à-dire la dimension également
homosexuelle de ses investissements œdipiens et de ses identifications, ce
qu’il appelle ses « flots affectifs masculins ou, pour le dire mieux,
gynécophiles ».

Freud pris dans la tourmente homosexuelle


Par une série de notes de bas de page écrites pour la plupart après la
rédaction du cas « Dora », notamment une note de 1923 (voir infra, note),
Freud évoque plus de vingt ans après ce qu’il appelle « ma faute
technique », à savoir le fait de ne pas avoir deviné et communiqué à Dora
son amour homosexuel pour Madame K. Il nous invite ainsi à prendre en
considération cette dimension, illustrant par là le chemin parcouru et
montrant l’importance de la bisexualité dans les cures.
L’amitié entre les parents de Dora et les K. la confronte à cette époque,
adolescente, à un imbroglio à caractère traumatique puisqu’elle se retrouve
partie prenante dans l’enchevêtrement des relations des quatre adultes. Elle
est prise en tenaille entre les amours illicites de son père avec Madame K.,
la passivité de sa mère, à quoi s’ajoutent les assiduités de Monsieur K.
Déçue, se sentant encore trahie par son père, abandonnée par sa mère, Dora
déplace dans un premier temps ses investissements sur le couple des K.,
récupérant ainsi deux figures parentales qu’elle peut idéaliser. Monsieur et
Madame K. auront à partir de là un rôle croissant.
Freud n’a pas réalisé l’importance du rôle joué par Madame K. Dora,
qui a alors entre douze et quatorze ans, découvre les plaisirs d’une
proximité partagée avec une femme. Elle semble fascinée par Madame K.,
faisant même « l’éloge de son “corps blanc à ravir” », et elle met
vraisemblablement tout en œuvre pour la côtoyer. Mais Freud ne voit dans
ses agissements qu’une façon de se rapprocher de Monsieur K., de plus en
plus pressant avec ses cadeaux et ses lettres. Il n’imagine pas que pour Dora
c’est aussi une façon de se rapprocher de cette femme qui incarne la
féminité et la maternité pour, dans un mouvement identificatoire, étayer sa
propre féminité vacillante et ses identifications maternelles en souffrance.
Dora est prise dans une tourmente homo- et hétérosexuelle, en quête de
sa propre féminité, dont la condition est de s’accepter comme objet de désir
de l’homme. Acceptation complexe, car que représente pour elle la femme,
compte tenu de la façon dont Freud nous a présenté sa mère ?
En prenant en compte cette dimension homosexuelle, toutes les
propositions de Freud, persuadé que Dora est amoureuse de Monsieur K.,
peuvent être réinterprétées. Ainsi, par exemple, l’aphonie intermittente de
Dora, dont Freud pense qu’elle est une imitation des symptômes de
Madame K. en ce qui concerne la périodicité, mais de manière inversée,
Dora se retrouvant aphone quand Monsieur K. est absent et qu’il lui adresse
sans arrêt des lettres, peut aussi être pensée autrement. En effet, n’est-ce pas
le fait de se retrouver seule avec Madame K., débarrassée de ses symptômes
et resplendissante, qui rend Dora aphone, bouleversée par ses émois
homosexuels ?
L’obsession de Dora en ce qui concerne la relation entre son père et
Madame K. manifeste bien sûr, comme Freud l’a compris, qu’elle envie à
cette dernière la possession de son père, mais ne manifeste-t-elle pas aussi
qu’elle envie à son père la possession de Madame K.? La persistance de ses
symptômes oraux, en l’occurrence la toux, interprétée comme l’expression
d’un fantasme de fellation avec son père dans un mouvement
d’identification avec Madame K., pourrait être également, dans un
mouvement d’identification à son père, un fantasme de… cunnilingus, etc.
À l’époque, Freud a parfaitement repéré non seulement les divers objets
d’investissement de Dora, qui se cachent les uns derrière les autres dans un
jeu défensif, mais aussi ses objets d’identification. Mais la propre
identification de Freud à Philipp et à Monsieur K., qu’il avait rencontré et
dont il avait gardé le souvenir d’un homme « encore jeune, d’apparence
amène », n’a-t-elle pas brouillé pour lui certaines pistes ?
D’une part, en effet, il ne semble guère avoir été choqué par l’assaut
sexuel de Monsieur K. sur Dora, alors à peine âgée de quatorze ans. D’autre
part, persuadé que seuls les trois hommes qui gravitaient autour de Dora
fournissaient les axes essentiels dans le repérage du jeu conflictuel des
investissements d’objet, il est passé à côté du rôle joué par les femmes,
mettant toute sa symptomatologie sur le compte d’un implacable amour
œdipien.
Une lettre du 7 août 1901 adressée à Fliess révèle ses tendances
« homophiles ». Leur « idylle » n’est pas loin de son point de rupture et il
constate : « Je ne partage pas ton mépris pour l’amitié entre hommes,
probablement parce que je suis partie prenante à un degré élevé. Comme tu
sais, dans ma vie, la femme n’a jamais remplacé l’ami, le camarade. Si
l’orientation vers les hommes de Breuer n’avait pas été si tordue, si timorée,
si pleine de contradictions, alors on aurait eu un exemple parfait des
performances que peut réaliser le courant androphile chez l’homme quand il
peut être sublimé. »
Sa propre homosexualité n’a-t-elle pas empêché Freud de s’identifier
contre-transférentiel-lement à un objet féminin qui lui aurait permis
d’accepter un transfert maternel, l’empêchant également de découvrir celle
de Dora ?
Cette homosexualité, Freud va la considérer comme typique de la vie
amoureuse inconsciente des jeunes filles hystériques. Il le théorisera en
1908 dans « Les fantasmes hystériques et leur rapport à la bisexualité »,
article où il conclut qu’un symptôme hystérique est l’expression « d’une
part d’un fantasme sexuel inconscient masculin, d’autre part d’un fantasme
sexuel inconscient féminin », ajoutant que « la signification bisexuelle des
symptômes hystériques […] est certainement une confirmation intéressante
de ce que j’ai avancé, à savoir que la constitution supposée bisexuelle de
l’être humain se laisse saisir avec une particulière clarté par l’analyse des
psychonévroses ».
Ce concept de bisexualité psychique est indispensable pour pouvoir
envisager l’existence d’un œdipe inversé et les enjeux des mouvements
transférentiels. Le reproche qu’il s’adresse de n’avoir pas assez tenu compte
de l’homosexualité de Dora et de n’avoir pu se dégager du transfert des
« impulsions de cruauté et des motifs de vengeance qui ont déjà été utilisés
dans la vie du malade pour maintenir ses symptômes » (reproche qu’il ne
formulera qu’en 1923) est un des facteurs qui l’a incité à aller plus loin dans
la compréhension de la psychosexualité et qui l’a poussé à élaborer ce qui
deviendra un enjeu majeur de la technique psychanalytique : le transfert,
qu’il commence à théoriser dans la conclusion du cas « Dora ».

La confrontation aux transferts


Le mot « transfert » est apparu pour la première fois sous la plume de
Freud dans les Études sur l’hystérie, mais c’est Dora qui va donner au
transfert son véritable sens, même si Freud précise que « la partie la plus
difficile du travail technique n’a pas été abordée par la malade, puisque le
moment du “transfert” n’est pas parvenu à s’articuler au cours de ce bref
traitement ».
Très tôt, Freud a été sensible, à la dimension d’obstacle du transfert. Il
ne l’a pas considéré d’emblée comme faisant partie de l’essence de la
relation thérapeutique, comme un organisateur inconscient de la situation
analytique. À cette époque, il croit qu’il s’agit d’un phénomène localisé qui
fait partie de l’expression des symptômes des patients et il pense qu’il faut
absolument que l’analyste le démasque et le rende conscient. Ce transfert
destiné à être « le plus grand obstacle de la psychanalyse devient son
soutien le plus puissant quand elle parvient à le deviner à chaque fois et à le
traduire au malade ».
Dans la conclusion de Dora, Freud en décrit alors deux types. Les uns
peuvent être « de simples rééditions sans altération » du passé, simples
réimpressions qui ne diffèrent du modèle que par la personne remplacée.
Les autres sont des transferts plus complexes, « plus subtils », qui « ne sont
plus des rééditions, mais des éditions révisées ». Ils subissent une
sublimation, « une atténuation de leur contenu », et peuvent même
« devenir conscients dans la mesure où ils s’appuient sur une particularité
réelle de la personne du médecin ou sur certaines circonstances attachées à
sa personne ».
Lors de ses premiers entretiens avec Freud, Dora manifeste « une belle
indifférence » par rapport à ses symptômes somatiques, elle se plaint surtout
de l’affront de Monsieur K. et du sentiment d’avoir été trahie par son père,
qui la blessent. Tous ses objets sont investis comme objets de désir et
d’identification à la fois positive et négative et Freud sera porteur du
transfert paternel avec sa forte charge d’ambivalence. Il distinguera deux
courants transférentiels, l’un tendre et l’autre hostile.
Mais pourquoi, s’interroge-t-il, est-ce le transfert qui oppose la plus
forte des résistances dans l’analyse, alors que dans d’autres situations il
peut être considéré comme un agent curatif ?
En 1912, dans « La dynamique du transfert », Freud trouve la solution
de l’énigme : « Le transfert sur la personne de l’analyste ne joue le rôle
d’une résistance que dans la mesure où il est transfert négatif ou bien
transfert positif composé d’éléments érotiques refoulés. » Il introduit alors
le terme de transfert négatif et propose de différencier, au sein du transfert
positif, une part constituée de sentiments amicaux et tendres, capables de
devenir conscients, et une autre part composée d’éléments érotiques dont
les prolongements se trouvent dans l’inconscient.
Ces propos figurent ce qui s’est passé dans l’analyse de Dora, mais sur
le moment Freud n’a pas pu repérer la signification de la pluralité des
transferts de la « suçoteuse ».
Entre le transfert positif que l’on note au début de la cure par
l’empressement de Dora à répondre à Freud et le transfert négatif qui, à la
fin de la cure, la pousse à le quitter comme elle a quitté Monsieur K., on
peut relever plusieurs tonalités du transfert. Le départ de Dora illustre ce
que Freud, dans « Observations sur l’amour de transfert » (1915), appelle
un « agir de transfert », où l’acte a remplacé la parole. Le jeu transférentiel
est interrompu. « La scène a entièrement changé, écrit-il, tout se passe
comme si quelque comédie eût été soudainement interrompue par un
événement réel, par exemple comme lorsque le feu éclate pendant une
représentation théâtrale. » Il semblerait que le feu de la passion ait éclaté
justement sur la scène du théâtre intime de la cure de Dora, conduisant à la
rupture.
C’est bien sûr une Dora blessée, débordée, excitée qui provoque la
rupture, mais comment penser que celle-ci pût être de son seul fait ? En
effet, repérer les éléments du transfert de Dora, c’est repérer par là même la
réponse faite par Freud, une réponse multiple s’il en est : constructions,
encouragements, reproches, sollicitations, provocations, déductions,
informations, séduction…
Le premier rêve de Dora qui, selon la belle expression de Michel
Neyraut, « surgit comme un récif dans le mouvement transférentiel3 »,
illustre bien cette situation. Avant tout soucieux d’en confirmer les racines
infantiles, Freud néglige d’interpréter les éléments qui se rapportent à sa
personne, mettant ainsi de côté ce qu’il vient de nous dire à propos des
rêves : « Un rêve normalement constitué se tient pour ainsi dire sur deux
jambes dont l’une s’appuie sur la cause principale et actuelle du rêve et
l’autre sur un événement déterminant de l’enfance du rêveur. » Il analyse ce
premier rêve comme la décision que Dora avait prise de quitter la maison au
bord du lac, où elle était en villégiature avec son père chez les K., afin de se
dérober aux poursuites de Monsieur K. et de lutter contre son désir
inconscient de se donner à lui. Pour ce faire, elle convoque, pense-t-il, son
ancien amour pour son père. Elle décide de fuir « avec » son père – « vers
son père », écrit Freud. Ainsi le désir infantile de substituer son père à
Monsieur K. est la puissance formatrice du rêve, le père permettant de lutter
contre l’amour tout en étant l’objet réel de cet amour infantile. Cependant,
derrière le père, derrière Monsieur K., il y a Freud, à qui Dora fait son récit.
L’élément moteur et dynamique du rêve est donc le transfert.
Partant du mot « feu » du rêve qui peut exprimer la passion sexuelle
dangereuse, et du fait que Dora tripote un porte-monnaie, Freud fait un
travail de décondensation extraordinaire des figures à forte valeur
symbolique. Il évoque la masturbation, ses liens avec l’énurésie, sa
leucorrhée, sa culpabilité, ses désirs œdipiens, et il lui fait remarquer, lui qui
est, comme Monsieur K., un fumeur invétéré, qu’« il n’y a pas de fumée
sans feu », embrasant ainsi l’incendie de l’amour transférentiel sans s’en
rendre compte.
Ce rêve était aussi un avertissement à son égard. En effet, quand Dora
lui dit : « Je suis menacée ici par un véritable danger » en parlant de la
maison au bord du lac où elle ne pouvait plus s’enfermer à clef dans sa
chambre, le « ici » n’est-il pas aussi le cabinet de Freud, lieu de tous les
dangers où il l’interroge si activement sur son intimité ? En appelant « un
chat un chat », comme il dit, et en pénétrant ses fantasmes à contenus
sexuels, Freud exerce une séduction et une excitation qui renvoient Dora à
la chambre paternelle où, dans l’enfance, elle dispensait tendrement ses
soins à son père qui lui faisait ses confidences, mais aussi à la chambre
qu’elle partageait avec Madame K. qui lui faisait également ses
confidences, lui parlait de sexualité et avec qui elle avait lu La Physiologie
de l’amour. Le feu ravage tout sur son passage. À nouveau débordée, Dora
prend peur et s’en va, voulant sans doute comme sa mère « sauver sa boîte à
bijoux ».
Dans ce rêve, on voit très bien la double polarité du transfert positif
dans sa dimension tendre et érotique, et ce, dans sa double valence
œdipienne à la fois positive et négative. Quand le transfert devient passion,
un lien trop serré se tisse entre le fantasme et l’accomplissement
transférentiel. C’est la dimension érotique inconsciente du transfert qui, au
service des résistances, sera agie dans la cure.
Freud commence cependant à avoir l’intuition de sentiments négatifs de
Dora, car il note le refoulement de ses désirs hostiles contre son père, mais
sans en mesurer la portée et ses conséquences.
Aussi, dans les deux séances consacrées à l’élaboration du second rêve,
Freud, emporté par son enthousiasme interprétatif, ne voit pas le sabotage
exercé par Dora qui s’inscrit sous le signe de l’opposition et de la
reviviscence de ses émois négatifs, c’est-à-dire sa haine et son agressivité. Il
repère bien le fantasme de vengeance contre son père, mais il n’a pas
encore la notion que cela se joue entre les deux protagonistes de la scène
analytique et que cela lui est directement adressé. Il communique alors à
Dora ses conclusions sur la géographie sexuelle symbolique du rêve, mais
l’essentiel de son travail interprétatif tourne autour de la scène du lac. En
particulier cette fameuse phrase dite par Monsieur K. à sa gouvernante, puis
à Dora : « Je n’ai plus rien à espérer de ma femme. » Phrase qui lui avait
fait ressentir un sentiment de jalousie et d’humiliation en se rendant compte
qu’elle n’était pas le seul objet de désir de Monsieur K. et qui était à
l’origine de sa gifle et de sa fuite. Quand, à la fin de l’avant-dernière
séance, Freud se félicite du travail interprétatif accompli, Dora commente
avec dédain : « Qu’est-il apparu de si remarquable ? », exprimant ainsi sa
déception.
En effet, ce qui est apparu est juste, mais trop loin de ce qui pour
l’heure préoccupe Dora ; c’est trop excitant et ne concerne que la dimension
œdipienne de ses relations aux hommes.
En ne percevant pas la dimension de transfert maternel, Freud ne fait-il
pas néanmoins revivre à Dora les expériences de frustration, de manque et
d’abandon qui ont jalonné son enfance ?
N’est-ce pas comme s’il lui disait : « Je n’espère plus rien des
femmes », ce qu’elle a vraisemblablement entendu comme : « Je n’espère
plus rien de vous », faisant réémerger de la détresse avec prévalence de la
solitude tout aussi excitante ?
En partant brutalement, Dora répète aussi sa fuite, comme lors de la
scène au bord du lac avec Monsieur K., lui donnant en quelque sorte une
gifle et tentant de lui dire dans un transfert par retournement (René
Roussillon) : « Je n’espère plus rien de vous. »
La valence négative du transfert et sa dimension érotique n’ont pas pu
être interprétées pour être dépassées, ce qui n’a pas permis au processus de
la cure de se déployer.
Alors, qu’est devenue Dora ?

Vingt-quatre ans après la fin de son analyse,


Dora réapparaît…
… mais chez Felix Deutsch, un élève de Freud.
Il semblerait que, dans son cas, le préjudice de ce travail interrompu
prématurément ait été important. En effet, ses symptômes principaux –
« dépression et troubles du caractère » – se sont aggravés au cours de sa vie
adulte.
Felix Deutsch, dans un article de 1957, raconte plusieurs entretiens
qu’il a eus en 1922 avec une femme de quarante-deux ans qui lui révéla
avoir été la « Dora » des Cinq psychanalyses. Cet article, intitulé
« Apostille au fragment de l’analyse d’un cas d’hystérie de Freud4 », montre
le destin malheureux et le développement fâcheux des troubles de celle qui
reste l’un des cas les plus célèbres de l’histoire de la psychanalyse.
Dora lui fut adressée par un ORL qu’elle consultait pour un syndrome
de Ménière et qui se demanda si son comportement « nerveux » ne pourrait
pas expliquer son état. Elle était mariée et avait un fils qui était à présent un
jeune homme.
Elle disait souffrir de bruits insupportables dans l’oreille droite et
d’étourdissements lorsqu’elle remuait la tête. Très vite, elle se mit à se
plaindre de sa vie conjugale, de son malheur ininterrompu et de
l’indifférence de son mari. Elle semblait vivre comme si ce dernier ne
cessait de lui dire : « Je n’espère plus rien de vous. » Même son fils unique
donnait maintenant des signes de désaffection à son égard. Elle le
soupçonnait de s’intéresser aux filles et, « l’oreille tendue », elle attendait
toujours son retour à la maison la nuit. Les larmes aux yeux, elle dénonça
les exigences, la mesquinerie et l’égoïsme des hommes, le soupçon que son
mari lui était infidèle.
Égoïsme, hypocrisie, trahison, infidélité… Ce sont les mêmes termes,
les mêmes thèmes, la même plainte que lors de sa première rencontre avec
Freud où elle avait dénoncé d’emblée l’égoïsme et l’hypocrisie de son père.
Des reproches adressés également à Monsieur K. et in fine à Freud lui-
même… bref, aux hommes.
Lors de cette rencontre avec Felix Deutsch, Dora souffrait toujours de
migraines du côté droit, de difficultés respiratoires, ainsi que de quintes de
toux matinales. Quand ce dernier lui demanda de marcher, il constata une
légère claudication de la jambe droite dont elle dit souffrir de manière
intermittente depuis l’enfance. Finalement, il s’aventura à relier son
syndrome de Ménière à la relation à son fils dont elle guettait
continuellement le retour de ses excursions nocturnes. Elle sembla
l’accepter et, lors de leur seconde rencontre, ses symptômes avaient disparu
et elle l’entretint principalement de sa relation à sa mère, de son enfance
malheureuse en raison de la propreté exagérée de cette dernière, de ses
insupportables compulsions au lavage et de son manque d’affection pour
elle. Le souci principal de sa mère avait été sa propre constipation, ce dont
maintenant la patiente elle-même souffrait. Elle lui parla également de la
relation à son frère, dont elle avait toujours était très proche. Devenu leader
politique, il accourait dès qu’elle avait besoin de lui – à la différence de son
père. Ces propos laissent à penser que le sentiment de trahison par rapport à
son père était toujours présent et que ce frère auquel Freud a accordé peu
d’importance a effectivement joué un rôle maternel, inconditionnellement
présent et aimant.
Felix Deutsch ne revit jamais Dora, mais diverses personnes lui
donnèrent de ses nouvelles.
D’abord son frère, qui lui téléphona après ces deux séances. Il était très
préoccupé des souffrances de sa sœur qui était en désaccord non seulement
avec son mari, mais également avec leur mère. « Il admit qu’elle était d’un
commerce difficile étant donné sa méfiance à l’égard des gens et sa façon
de les monter les uns contre les autres », précise Deutsch. Il semblerait que
Dora s’était de plus en plus identifiée à sa mère, lui ressemblant davantage
au fil des ans. Non seulement physiquement, avait précisé son frère, mais
aussi sous l’angle de la propreté : « toutes deux voient la saleté partout »,
« autour d’elles » et « jusqu’à l’intérieur d’elles-mêmes ».
Ce bref tableau de l’évolution de Dora laisse craindre que sa plainte par
rapport aux hommes soit restée identique. Elle confirme par ailleurs
l’hypothèse que sa mère, engluée qu’elle était dans ses tentatives de faire
place nette dans son désordre intérieur, n’ait pu assurer à sa fille une
intégration satisfaisante de son identité féminine et de son image du corps à
cause de son maternage déficient.
Pourtant, c’est vers cette mère que Dora s’était tournée pour s’épancher
après la scène de séduction du lac. Freud la considère comme un simple
intermédiaire pour atteindre son père et Monsieur K., mais cette approche
réductrice néglige le fait que Dora a pu éprouver le besoin de s’appuyer sur
elle pour tenter d’élaborer, dans la tourmente pulsionnelle qu’elle était en
train de traverser, ce qu’elle vivait comme un débordement traumatique. En
effet, comment serait-il possible d’imaginer que cette femme qui avait le
pouvoir de tyranniser toute une maisonnée, qui avait le pouvoir de se faire
offrir autant de bijoux, pût être sans influence sur sa fille ?
Serait-il possible d’imaginer qu’elle ne fût pas un double enviable et
haïssable pour sa fille ? Dora a bien dû se demander quel étrange pouvoir
lui permettait de retenir auprès d’elle un mari qui prétendait qu’il
n’attendait rien d’elle, mais qui était en même temps obligé de passer par
elle pour avoir un verre de cognac le soir…
Dora est morte à l’âge de soixante-trois ans, en 1945, aux États-Unis où
son fils, devenu un célèbre chef d’orchestre, l’avait emmenée.
Depuis des années, elle souffrait de douleurs abdominales et d’une
constipation obsédante comme sa mère. Elle les traita très longtemps
comme des symptômes familiers jusqu’au moment où il s’avéra qu’ils
étaient plus graves qu’une simple conversion : un cancer du côlon,
diagnostiqué trop tard pour être opéré, l’emporta.
Felix Deutsch apprit d’un autre interlocuteur que son frère « qu’elle
avait harcelé son fils des mêmes revendications dont elle avait accablé son
mari qui était mort d’une maladie coronarienne, ravagé par sa conduite
quasi paranoïaque […] il aurait préféré mourir plutôt que de divorcer »,
avait précisé ce dernier interlocuteur. Felix Deutsch, dans son article,
conclut que « son mariage n’avait servi qu’à camoufler son dégoût des
hommes ».
Cette conclusion pessimiste ne nous surprend pas, car on sait
actuellement qu’il faut du temps face à de tels cas pour permettre un
réaménagement de l’économie et de la dynamique psychique.
Avec Dora, Freud nous livre une véritable « perle » clinique qui
explore le courant œdipien complexe de cette cure, la problématique de la
bisexualité et les identifications multiples. Avec le repérage du transfert, ce
texte présente de véritables avancées théoriques, même si Freud n’a pas pu
en entendre la valence dépressive qui plonge ses racines davantage dans
l’angoisse de perte d’amour de la part de l’objet et dans le deuil. Ce n’est
d’ailleurs que dans des textes tardifs, par exemple « Sur la sexualité
féminine » (1931), que Freud s’interrogera sur les liens primitifs à la mère,
qu’il nommera « la première séductrice ». Il mentionne l’hypothèse d’une
relation particulièrement étroite entre cette « phase du lien à la mère et
l’étiologie de l’hystérie ». Mais ce sont ses successeurs, ses élèves femmes
notamment, telles Jeanne Lampl de Groot, Helene Deutsch et Ruth Mack
Brunswick, qui développeront leurs théorisations sur la féminité à partir de
cas d’hystériques, réévalueront les fondements prégénitaux de l’hystérie et
mettront l’accent sur les dysfonctionnements préœdipiens. Leurs travaux et
ceux de bien d’autres auteurs comme Sándor Ferenczi, Karl Abraham ou
encore Otto Fenichel, pour ne citer qu’eux, vont montrer la difficulté et la
nécessité de maintenir cette référence à la fixation œdipienne tout en
travaillant la question de savoir « comment des relations d’objets de
l’époque prégénitale se reflètent de façon typique dans le complexe
d’Œdipe5 ».
L’hystérie, encore de nos jours, interroge les limites entre névrose et
psychose aussi bien que celles entre pathologie et modèle de
fonctionnement psychique.
Sylvie PONS-NICOLAS,
juillet 2009

1. Les quatre autres sont « Le petit Hans » (1909), « L’homme aux rats » (1909), « Le président Schreber » (1911) et « L’homme aux loups » (1918). Tous ces textes sont
publiés aux Éditions Payot. (N.d. É.)

2. Voir Sándor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant (1932), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2004.

3. Michel Neyraut, Le Transfert, Paris, PUF, 2004.

4. Traduit in Bela Grunberger (dir.), Les Névroses : l’homme et ses conflits, Paris, Tchou, 2004.

5. Otto Fenichel, « La préhistoire prégénitale du complexe d’œdipe », in Féminité masquarade. Études psychanalytiques réunies par Marie-Christine Hamon, Paris,
Seuil, 1989.
Note du traducteur
La présente traduction a été faite à partir du texte allemand du volume
V des Gesammelte Werke de Freud. Je me suis également référé à la
traduction anglaise d’Alix et James Strachey (Standard Edition, volume
VII) que Freud avait lui-même approuvée et dont il fait l’éloge dans une
note de bas de page de son avant-propos (voir infra, note). Les traductions
françaises existantes ont aussi été consultées au sujet de certains termes
techniques.
Avant-propos
Au moment où je m’apprête, après une longue pause, à consolider mes
affirmations des années 1895 et 1896 sur la pathogenèse des symptômes
hystériques1 et sur les processus psychiques de l’hystérie2 et à les étayer par
le récit détaillé de l’histoire d’une malade et de son traitement, je ne puis
m’épargner l’écriture de cet avant-propos qui a pour but, d’une part, de
justifier ma pratique sur différents plans et d’autre part, de ramener à de
justes proportions les attentes qu’elle suscite.
Il est certes fâcheux que j’aie été contraint de publier des résultats de
mes recherches, et particulièrement des résultats aussi étonnants et aussi
peu complaisants, sans être en droit de les soumettre à la vérification de
mes confrères. Mais il n’est guère moins fâcheux de soumettre au jugement
de tous, comme je le fais à présent, une partie du matériel sur la base duquel
j’ai obtenu ces résultats. Je n’échapperai pas aux reproches. Si par le passé
on me reprochait de ne rien divulguer de mes malades, on me reprochera à
présent d’avoir divulgué ce que l’on ne doit pas divulguer. J’espère que ce
seront les mêmes personnes qui trouveront ainsi un nouveau prétexte à leurs
reproches. Je renonce d’ailleurs d’emblée à ôter la réprobation de la bouche
de ces critiques.
La publication des histoires de mes patients reste pour moi une tâche
difficile quand bien même je ne me préoccuperais plus dorénavant de ce
que peuvent dire ou penser les esprits malveillants qui n’y comprennent
rien. Les difficultés sont pour une part d’ordre technique ; pour une autre,
elles relèvent de la nature même des circonstances. S’il est exact que les
causes de l’affection hystérique se trouvent dans l’intimité de la vie
psychosexuelle des malades et que les symptômes de l’hystérie sont
l’expression de leurs désirs les plus secrets et les plus refoulés, alors
l’exposition d’un cas d’hystérie ne peut faire autrement que dévoiler ces
choses intimes et trahir ces secrets. Il est certain que les patients n’auraient
jamais accepté de parler si leur était venue à l’esprit la possibilité d’une
exploitation scientifique de leurs aveux ; de même, il est tout aussi certain
qu’il serait parfaitement vain de leur demander l’autorisation de publier les
détails de leur maladie. Des personnes sensibles et hésitantes auraient
tendance dans ces conditions à mettre en avant le secret médical et à
regretter de ne pouvoir éclairer et servir la science. Mais le médecin, à mon
sens, n’assume pas seulement des devoirs à l’égard de chaque patient, mais
également à l’égard de la science. Ce devoir à l’égard de la science ne
signifie au fond rien d’autre qu’un devoir à l’égard des nombreux autres
malades qui souffrent ou souffriront à l’avenir du même mal. La divulgation
de ce que l’on croit savoir sur les causes et la structure de l’hystérie est un
devoir, leur omission une lâcheté honteuse, pourvu qu’on puisse éviter un
dommage personnel direct pour le malade. Je crois avoir tout fait pour
écarter la possibilité d’un tel dommage pour ma patiente. J’ai choisi une
personne dont la destinée n’a pas eu Vienne pour théâtre, mais une petite
ville éloignée, et dont la situation personnelle doit être pour ainsi dire
inconnue dans la capitale. J’ai gardé d’emblée si consciencieusement le
secret autour de ce traitement que seul un collègue parfaitement digne de
confiance sait que la jeune fille en question a été ma patiente. J’ai patienté
encore quatre ans avant la présente publication, jusqu’à ce que j’apprenne la
nouvelle d’un changement dans la vie de cette patiente qui m’autorise à
considérer qu’elle ne pourrait porter qu’un faible intérêt personnel aux
événements et aux processus psychiques racontés ici. Il va de soi qu’aucun
nom n’apparaît dans mon récit qui pourrait dévoiler à un lecteur initié
l’identité des personnes en question. La publication de cette étude dans un
journal strictement scientifique devrait par ailleurs être une protection
contre ces lecteurs importuns. Je ne peux bien sûr pas empêcher la patiente
en question d’éprouver un sentiment de désagrément si par hasard le présent
récit de son propre cas venait à lui tomber entre les mains. Elle n’y
apprendrait rien à sa lecture qu’elle ne sache déjà et pourrait se demander
qui d’autre qu’elle-même serait à même de découvrir qu’il s’agit de sa
personne.
Il y a, je le sais, de nombreux médecins – du moins dans cette ville –
qui voudraient lire l’histoire de cette malade – ce qui est assez répugnant –
non comme une contribution à la psychopathologie des névroses, mais
comme un roman à clé fait pour les divertir. Je tiens à assurer ce genre de
lecteurs que toutes les autres histoires de patients que j’ai l’intention de
publier à l’avenir seront protégées contre leur sagacité par les mêmes
garanties de secret, quand bien même une telle résolution limite
énormément l’utilisation que je puis faire du matériel en question.
Dans le récit de ce cas, que j’ai réussi jusqu’à ce jour à sauver des
circonstances défavorables et des limitations qu’impose le secret médical,
des relations sexuelles seront abordées en toute franchise. Les organes et les
fonctions de la vie sexuelle seront nommés par leurs noms. Un lecteur
prude pourra penser à la lecture de mon exposé que je n’ai pas eu peur de
m’entretenir avec une jeune fille de sujets de ce genre et, qui plus est, dans
un langage aussi direct. Dois-je me défendre également contre de tels
reproches ? Je revendique les mêmes droits que le gynécologue – ou plutôt
des droits bien plus modestes – et déclare que c’est là la marque d’une
lubricité perverse et étrange que de supposer que des discussions de ce
genre soient un bon moyen pour parvenir à l’excitation et à la satisfaction
de désirs sexuels. Je serais tenté d’exprimer mon jugement sur ce genre
d’attitude en citant les paroles suivantes : « Il est lamentable de devoir
concéder une place à de telles déclarations et protestations dans un ouvrage
scientifique, ces reproches ne s’adressent pas à moi, mais bien plutôt à
l’esprit du siècle auquel nous devons le bonheur d’être parvenu à cette
situation où plus aucun livre sérieux n’est sûr de son destin3. »
Je souhaiterais maintenant décrire comment j’ai fait, dans le cas de cette
patiente, pour surmonter les difficultés techniques que pose la rédaction
d’un compte rendu. Ces difficultés sont considérables pour un médecin qui
doit réaliser six à huit traitements psychothérapeutiques chaque jour et qui
ne peut prendre des notes pendant la séance avec le malade, car il éveillerait
la méfiance de ce dernier et perturberait sa propre perception du matériel
perceptif. C’est encore pour moi un problème non résolu de savoir
comment fixer le récit d’un traitement de longue durée pour pouvoir en
faire l’objet d’une publication. Dans le cas qui nous préoccupe ici, deux
circonstances me facilitèrent la tâche : premièrement le fait que la durée du
traitement ne dépassa pas trois mois, et deuxièmement le fait que les
moments d’élucidation se concentrèrent autour de deux rêves – l’un au
milieu de la cure, l’autre à la fin – dont la transcription fut établie
immédiatement après la séance et qui, de ce fait, purent fournir un point
d’appui sûr au mélange d’interprétations et de souvenirs auxquels ils
donnèrent lieu. J’ai moi-même rédigé de mémoire l’histoire de cette
patiente juste après la fin de la cure, tant que mes souvenirs étaient encore
frais et mus par le désir de publier. La transcription n’est donc pas
absolument fidèle – d’un point de vue phonographique – mais elle peut
prétendre à un haut degré d’exactitude. Rien d’essentiel n’y a été changé si
ce n’est à certains endroits l’ordre des explications que j’ai inversé pour la
cohérence du développement.
Après ces précautions, je voudrais mettre l’accent sur ce que le lecteur
trouvera dans le présent rapport tout comme sur ce qu’il n’y trouvera pas.
Ce travail portait à l’origine le titre « Rêve et hystérie », car il me semblait
tout à fait approprié pour montrer comment l’interprétation des rêves
s’insère dans le déroulement du traitement et permet de parvenir au
recouvrement des amnésies et à l’élucidation des symptômes. Ce n’est pas
sans bonnes raisons que j’ai fait précéder les publications que j’ai en vue
sur la psychologie des névroses d’une étude difficile et profonde sur le rêve
parue au cours de l’année 19004. J’ai d’ailleurs pu conclure de l’accueil que
lui ont réservé les confrères de cette spécialité que ces derniers font encore
preuve de nos jours d’une compréhension très insuffisante à l’égard
d’entreprises de ce genre. Dans ce cas également, le reproche d’après lequel
mes affirmations – en raison de la rétention du matériel sur lequel je
m’appuie – ne peuvent donner lieu à aucune conviction fondée sur une
vérification des données n’est pas valable, car chacun peut soumettre ses
propres rêves à un examen analytique, la technique de l’interprétation des
rêves étant facile à apprendre sur la base des instructions et des exemples
que je fournis. Aujourd’hui, comme par le passé, j’affirme avec la même
nécessité que l’étude approfondie des problèmes du rêve est une condition
sine qua non de la compréhension des processus psychiques de l’hystérie
et des autres psychonévroses et que personne ne peut espérer pénétrer plus
avant dans ce domaine, même de quelques pas, s’il compte s’épargner ce
travail préparatoire. Comme l’histoire de cette malade suppose la
connaissance de l’interprétation des rêves, la lecture de son récit sera très
frustrante pour toute personne qui ne remplit pas cette condition préalable.
Au lieu de l’éclaircissement recherché, elle n’y trouvera que des choses
étranges et déconcertantes et sera certainement encline à projeter la cause
de cette impression sur l’auteur réputé extravagant. En réalité, cette
impression déconcertante tient aux manifestations de la névrose elle-même.
Elle n’est recouverte que par notre accoutumance de médecins et refait
surface lorsqu’on essaie de les expliquer. Pour conjurer la possibilité d’un
tel sentiment, il faudrait pour cela pouvoir faire dériver sans reste, si une
telle chose était possible, les névroses de facteurs qui nous sont déjà
connus. Mais il est bien plus vraisemblable qu’au contraire, l’étude des
névroses nous pousse à admettre beaucoup de choses nouvelles qui par la
suite progressivement pourront faire l’objet d’une connaissance plus sûre.
La nouveauté a toujours déconcerté et provoqué l’opposition.
Il serait erroné de croire que les rêves et leur interprétation occupent
dans toutes les psychanalyses une place aussi déterminante que dans cet
exemple.
Si le cas présent semble privilégié pour ce qui relève de l’utilisation des
rêves, il s’est révélé sur d’autres points bien plus pauvre que je ne l’aurais
souhaité. Ces lacunes tiennent aux circonstances mêmes qui ont permis la
publication de ce cas. J’ai déjà évoqué le fait que je ne saurais venir à bout
du matériel généré par un traitement qui s’étend au-delà d’une année. Il est
possible par contre de se souvenir d’une cure qui n’a duré que trois mois et
de l’embrasser du regard. Certes, ses résultats restent incomplets à plus d’un
égard. Le traitement n’a pas été poursuivi jusqu’au but escompté. La
patiente l’a interrompu volontairement après être parvenue à un certain
point. Au moment de l’interruption, certains mystères de ce cas n’avaient
pas du tout été abordés, d’autres avaient été élucidés de façon incomplète.
La poursuite du travail aurait certainement permis de progresser sur tous ces
points jusqu’à l’ultime éclaircissement possible. Je ne peux donc offrir ici
qu’un fragment d’analyse.
Un lecteur familier avec la technique de l’analyse exposée dans Études
sur l’hystérie s’étonnera peut-être de ce qu’il n’a pas été possible en trois
mois de conduire au moins les symptômes traités jusqu’à leur solution
ultime. Mais ce résultat s’explique par le fait que depuis la parution des
Études, la technique psychanalytique a connu un profond bouleversement.
À l’époque, le travail partait des symptômes et se fixait comme objectif de
les résoudre dans l’ordre. J’ai depuis abandonné cette technique car elle
m’est apparue totalement inappropriée à la structure plus subtile des
névroses. Je laisse maintenant le malade déterminer lui-même le thème de
travail de la séance du jour et procède ainsi à partir de la surface que
l’inconscient porte chaque fois à son attention. Mais alors, le matériel
pertinent que j’obtiens pour la résolution du symptôme est fragmenté, tissé
de différents contextes et fortement espacé dans le temps. Malgré cet
inconvénient apparent, cette nouvelle technique dépasse de loin l’ancienne.
C’est sans la moindre contestation l’unique technique possible.
Quant à l’incomplétude de mes résultats analytiques, je ne peux faire
autrement que suivre l’exemple de ces chercheurs qui sont si heureux de
sortir d’un long ensevelissement et de porter au jour, même mutilés, les
vestiges inestimables de l’Antiquité. J’ai complété ce qui était incomplet à
l’aide des modèles les plus adaptés que j’ai recueillis d’autres analyses.
Mais comme un archéologue consciencieux, je n’ai pas manqué d’indiquer
là où ma construction s’ajoute à ce qui est authentique.
J’ai moi-même volontairement ajouté une autre forme d’incomplétude.
Je n’ai pas exposé de façon générale le travail d’interprétation qu’il fut
nécessaire d’accomplir sur les associations et les récits de la malade, je me
suis contenté d’en présenter seulement les résultats. La technique du travail
analytique n’est donc dévoilée qu’à de rares moments, à l’exception de la
partie qui concerne les deux rêves. Il m’importait dans l’histoire de cette
patiente de mettre en évidence la détermination des symptômes et la
structure intime de la maladie névrotique. Si j’avais tenté en parallèle
d’accomplir l’autre tâche, cela n’aurait fait que produire une confusion
insoluble. Pour justifier les règles techniques de l’interprétation découvertes
le plus souvent de façon empirique, il aurait été nécessaire de convoquer le
matériel issu de nombreux autres traitements. Toutefois, il ne faut pas
s’imaginer que cette omission volontaire d’une véritable discussion de la
technique analytique affecte sensiblement la présentation de ce cas. En
effet, la partie la plus difficile du travail technique n’a pas été abordée par la
malade, puisque le moment du « transfert », dont il sera question à la fin de
l’histoire de cette patiente, n’est pas parvenu à s’articuler au cours de ce
bref traitement.
Ni la malade ni l’auteur ne sont responsables d’une troisième et
dernière forme d’incomplétude. Il est bien évident que l’histoire d’un seul
patient, quand bien même celle-ci serait complète et ne serait sujette à
aucun doute, ne peut répondre à toutes les questions que soulève le
problème de l’hystérie. Elle ne peut pas nous renseigner sur tous les types
de maladies, sur toutes les configurations que prend la structure interne de
la névrose, ni sur tous les modes possibles de relation entre le psychique et
le somatique dans l’hystérie. On ne peut pas, en toute justice, exiger d’un
cas plus que ce qu’il peut nous offrir. De même, quiconque par le passé ne
voulait pas croire à la validité générale et sans exception de l’étiologie
psychosexuelle de l’hystérie, ne sera guère convaincu par la lecture d’un
seul cas, tout au plus suspendra-t-il son jugement jusqu’à ce que, par son
propre travail, il se soit acquis le droit d’une telle conviction5.

1. Voir Sigmund Freud, Josef Breuer, Études sur l’hystérie, 1895. (N.d. É.)

2. Voir Sigmund Freud, « Sur l’étiologie de l’hystérie », 1896. (N.d. É.)

3. Richard Schmidt, Beiträge zur indischen Erotik, Leipzig, 1902, préface.

4. Sigmund Freud, L’Interprétation du rêve (1900), Paris, PUF, 1973.

5. (Note ajoutée en 1923 : ) Le traitement divulgué ici fut interrompu le 31 décembre 1899. Le rapport sur cette cure fut rédigé dans les deux semaines qui suivirent, mais ne
fut publié qu’en 1905. On ne peut certes s’attendre à ce que deux décennies de travail continu n’aient rien changé à la conception et à la présentation d’un tel cas de maladie. Mais il
serait évidemment absurde de mettre à jour, « up to date », l’histoire de cette malade par des corrections et des ajouts et de l’adapter ainsi à l’état actuel de nos connaissances. J’ai
donc laissé cette histoire pour l’essentiel dans sa forme d’origine et n’ai fait qu’amender quelques inexactitudes et erreurs d’inattention sur lesquelles mes excellents traducteurs
anglais, M. et Mme James Strachey, ont éveillé mon attention. Les ajouts critiques qu’il m’est apparu légitime d’incorporer ont été placés dans les notes de bas de page afin que le
lecteur soit en mesure de penser que je soutiens aujourd’hui encore les opinions défendues dans ce texte sauf à trouver dans ces ajouts une remise en question de ces opinions. Le
problème du secret médical qui me préoccupe dans cet avant-propos n’entre pas en considération dans les autres histoires de patient traitées dans ce volume [Cinq psychanalyses],
car trois d’entre elles ont été publiées avec leur accord exprès – dans le cas du petit Hans, il s’agit de l’accord de son père –, et dans un cas (Schreber), l’objet de l’analyse n’est pas
vraiment une personne, mais un livre dont cette personne est l’auteur. Dans le cas de Dora, le secret a été protégé jusqu’à cette année. J’ai récemment appris que cette femme, que
j’avais perdue de vue depuis longtemps et qui, depuis peu, est à nouveau tombée malade pour d’autres raisons, a révélé à son médecin que jeune fille, elle avait été l’objet de mon
analyse. Cet aveu permit à ce confrère averti de reconnaître facilement en elle la Dora de 1899. Quant au fait que ce traitement de trois mois n’était parvenu qu’à régler le conflit de
l’époque et qu’il ne put, par la suite, la protéger contre des retours ultérieurs de la maladie, aucune personne honnête et au fait de la thérapie analytique ne pourra m’en faire le
reproche.
Chapitre premier
Description de la maladie
Après avoir démontré dans L’Interprétation du rêve parue en 1900 que
les rêves en général peuvent être interprétés et qu’une fois le travail
d’interprétation accompli, ils se laissent remplacer par des pensées
parfaitement formées qui s’insèrent à certains points reconnaissables de la
trame psychique, je voudrais dans les pages qui suivent fournir un exemple
de l’unique application pratique que semble autoriser l’art d’interpréter les
rêves. J’ai déjà évoqué dans mon livre comment j’en suis venu à m’occuper
du problème du rêve. Ce dernier était apparu sur mon chemin alors que je
m’efforçais de soigner les psychonévroses par un procédé
psychothérapeutique particulier. En effet, les malades me rapportaient, entre
autres événements de leur vie psychique, des rêves qui semblaient
demander à s’insérer dans la longue chaîne de connexions qui s’étend du
symptôme de la maladie à l’idée pathogène. J’ai appris alors comment
traduire le langage du rêve dans les modes d’expression linguistique
courants de notre pensée. Je puis affirmer que cette connaissance est
indispensable au psychanalyste car le rêve indique un des chemins par
lequel peut parvenir à la conscience le matériel psychique qui, en raison de
l’opposition qu’éveille son contenu, a été retranché de la conscience et
refoulé, devenant ainsi pathogène. En bref, le rêve est un des détours qui
permettent de contourner le refoulement, c’est l’un des principaux
moyens de ce qu’on appelle le mode de représentation indirect du
psychique. Le fragment que nous présentons ici de l’histoire du traitement
d’une jeune fille hystérique montrera comment l’interprétation du rêve
intervient dans le travail de l’analyse. Ce sera en même temps pour moi
l’occasion de présenter une partie de mes vues sur les processus psychiques
de l’hystérie et sur leurs conditions organiques et de les publier pour la
première fois d’une façon développée qui ne prête plus à confusion. Je n’ai
donc plus besoin de m’excuser de la longueur de ces développements, dès
lors qu’il est acquis que seul l’examen le plus approfondi et le plus
attentionné, et non le mépris hautain, permet d’accéder et de répondre aux
grandes exigences que l’hystérie soumet au médecin et au chercheur. Bien
évidemment :
Ni l’art ni la science ne suffisent,
La patience doit être de la partie1 !

Commencer par un récit lisse et sans lacune de ce cas signifierait placer


d’emblée le lecteur dans des conditions tout autres que celles de
l’observateur médical. Ce que les parents de la malade rapportent – dans le
cas qui nous préoccupe ici, le père de la jeune fille de dix-huit ans – donne
le plus souvent une image très déformée du cours de la maladie. Je
commence pourtant le traitement en invitant à me raconter toute la vie et
toute l’histoire de la maladie du patient. Mais ce que j’entends en réponse
n’est même pas suffisant pour s’orienter. Ce premier récit est comparable à
un cours d’eau non navigable dont le lit est tantôt dévié par des masses
rocheuses tantôt scindé par des bans de sable qui lui ôtent toute profondeur.
Je ne peux que me demander avec émerveillement comment ces récits lisses
et précis de cas d’hystérie naissent de la plume de certains auteurs. En
réalité, les malades sont incapables de fournir un tel récit sur eux-mêmes.
Ils peuvent certes renseigner le médecin de façon suffisante et cohérente sur
telle ou telle période de leur vie, mais vient ensuite une autre phase où les
descriptions tarissent laissant lacunes et mystères. À d’autres moments, on
est confronté à des périodes très sombres qu’aucun récit utilisable ne
parvient à éclairer. Les liens, même les plus apparents, sont le plus souvent
détruits, la succession de différents événements est chez eux toujours
incertaine. Au cours même de son récit, la malade dont il est question
corrige plusieurs fois un point de son récit, une date pour revenir après une
longue hésitation à sa première version des faits. L’incapacité des malades à
présenter un récit ordonné de leur vie pour autant qu’il coïncide avec
l’histoire de leur maladie n’est pas seulement caractéristique de la névrose2,
c’est aussi un fait d’une grande importance théorique. Les raisons de cette
incapacité sont les suivantes. Premièrement, la malade occulte,
consciemment et intentionnellement pour des raisons de timidité et de honte
(ou de discrétion quand il est question d’autres personnes), une partie de ce
qu’elle sait et devrait raconter. C’est là la part de l’insincérité consciente.
Deuxièmement, une partie du savoir anamnéstique dont dispose la malade
n’apparaît pas au cours du récit sans que celle-ci ait pourtant prémédité de
l’occulter. C’est l’insincérité inconsciente. Troisièmement, il ne manque
jamais d’amnésies et de trous de mémoire réels dans lesquels disparaissent
non seulement d’anciens souvenirs, mais aussi des souvenirs très récents,
tout comme ne manquent pas les illusions du souvenir formées
secondairement pour remplir ces lacunes3. Quand les événements eux-
mêmes sont accessibles à la mémoire, l’intention qui est à l’origine des
amnésies est tout aussi bien réalisée par la dissolution du lien entre eux, et
ce lien est détruit de la façon la plus sûre par la transformation de la
succession des événements. Celle-ci s’avère toujours l’élément de la
mémoire le plus vulnérable et le plus rapidement sujet au refoulement.
Certains souvenirs se manifestent pour ainsi dire au premier stade de leur
refoulement, ils sont alors affectés d’un doute. Plus tard, ce doute est
remplacé par l’oubli ou par un faux souvenir4.
Que tel soit l’état des souvenirs liés à l’histoire de la maladie c’est là le
corrélat nécessaire – et théoriquement requis – des symptômes de
la maladie. Au cours du traitement, le patient complète ce qu’il a occulté
ou ce qui ne lui est pas venu à l’esprit bien qu’il l’ait su depuis toujours. Les
illusions du souvenir se révèlent et ne peuvent plus être maintenues, les
trous de la mémoire sont comblés. Ce n’est que vers la fin de la cure qu’on
peut se représenter une histoire cohérente, compréhensible et sans lacune du
cas traité. Si le but pratique du traitement est de faire disparaître tous les
symptômes possibles et de les remplacer par des pensées conscientes, on
peut alors établir que le but théorique consiste à réparer tous les dommages
de la mémoire chez le malade. Ces deux objectifs vont de paire, quand l’un
est atteint, l’autre l’est aussi. Le même chemin mène à la réalisation des
deux.
Il résulte de la nature même de ce qui constitue le matériel de la
psychanalyse que nous devons prêter autant d’attention dans les cas que
nous traitons aux relations purement humaines et sociales des malades
qu’aux donnés somatiques et aux symptômes de la maladie. Notre intérêt se
tourne tout d’abord vers les relations familiales des malades et cela, comme
nous le verrons, pas seulement en vue d’examiner leur hérédité.
La sphère familiale de la patiente de dix-huit ans dont il sera question
ici comptait, outre sa personne, les deux parents et un frère plus âgé d’un an
et demi. Le père était la personnalité dominante de cette famille tant par son
intelligence et ses traits de caractère que du fait de certaines circonstances
de sa vie qui avaient déterminé le cadre de l’enfance de cette patiente et de
sa maladie. À l’époque où je pris la jeune fille en traitement, il était dans la
seconde moitié de la quarantaine. C’était un homme dont le dynamisme et
les dons étaient peu courants, un grand industriel qui jouissait d’une
situation matérielle très confortable. Sa fille lui était attachée d’une
affection toute particulière et l’esprit critique précoce de celle-ci fut
d’autant plus choqué par certains de ses actes et par nombre de traits
étranges de son caractère.
Cette affection a été renforcée par les maladies graves et nombreuses
qui ont frappé son père depuis qu’elle avait six ans. À l’époque, la
tuberculose qu’il avait contractée avait causé le déménagement de la famille
dans une petite ville de nos provinces du Sud au climat favorable. La
maladie des poumons s’améliora rapidement, mais cette ville que je
nommerais désormais B. resta, en raison des précautions de santé jugées
nécessaires, le lieu de résidence principal des parents et des enfants pendant
une dizaine d’années. Quand il se portait bien, le père s’absentait
temporairement pour visiter ses usines. Au plus fort de l’été, la famille se
rendait dans une station de cure dans les montagnes.
Lorsque la jeune fille était âgée d’environ dix ans, le père fut astreint à
une cure d’obscurité en raison d’un décollement de la rétine. Une limitation
durable de la vue en fut la conséquence. Le cas de maladie le plus grave se
produisit à peu près deux ans plus tard. Il s’agissait d’un accès de confusion
auquel s’ajoutaient des symptômes de paralysie et des troubles psychiques
légers. Alors que son état n’avait connu qu’une légère amélioration, un ami
du malade, dont le rôle nous occupera plus tard, réussit à le convaincre de
se rendre à Vienne, accompagné de son médecin, pour me consulter sur son
cas. J’hésitai un peu sur le point de savoir si je devais considérer son cas
comme une paralysie tabétique, mais je finis par diagnostiquer une affection
vasculaire diffuse et après que le malade eut reconnu qu’il avait contracté
une infection spécifique avant le mariage, je lui fis administrer une cure
antisyphilitique énergique à la suite de laquelle tous les troubles persistants
disparurent. Je dois sans doute à cette intervention heureuse le fait que
quatre ans plus tard, le père me présenta sa fille devenue clairement
névrosée et que deux ans après cette première visite, il me la remit pour un
traitement psychothérapeutique.
J’avais connu entre-temps à Vienne une sœur du patient un peu plus
âgée que lui chez qui on pouvait sans aucun doute reconnaître une forme
grave de psychonévrose sans symptôme hystérique caractéristique. Après
une vie conjugale malheureuse, cette femme mourut des symptômes – pas
entièrement élucidés – d’un marasme qui avait évolué très rapidement.
Un frère plus âgé du patient que je rencontrai par hasard était un
célibataire hypocondriaque.
La jeune fille, qui était devenue ma patiente à l’âge de dix-huit ans,
s’était rangée depuis toujours du côté de sa famille paternelle et depuis
qu’elle était malade, elle voyait dans la tante que nous venons d’évoquer un
modèle. Je n’avais pas non plus le moindre doute sur le fait qu’elle
appartenait à cette famille aussi bien par ses dons et sa maturité
intellectuelle que par sa prédisposition à la maladie. Je n’ai pas connu la
mère. D’après les dires du père et de la jeune fille, je me suis fait l’idée
qu’il s’agissait d’une femme peu éduquée et surtout peu éveillée qui, depuis
la maladie de son mari et l’éloignement qui s’en était suivi entre eux, se
concentrait sur les seules affaires domestiques et présentait les traits de ce
qu’on peut appeler la « psychose de la ménagère ». Ne montrant pas la
moindre compréhension pour ce qui intéressait ses enfants, elle passait ses
journées à nettoyer l’appartement, ses meubles et ses ustensiles au point
d’en rendre presque impossible l’usage et la jouissance. On ne peut pas ne
pas rapprocher cet état, dont on trouve suffisamment de signes chez des
ménagères normales, de formes d’obsession du lavage et de la propreté. Des
femmes comme la mère de cette patiente n’ont pas la moindre conscience
de leur maladie, ce qui met en évidence l’absence d’une caractéristique
essentielle de la « névrose obsessionnelle ». Les rapports entre la mère et la
fille étaient depuis des années très antipathiques. La fille prenait de haut sa
mère, elle la critiquait durement et s’était entièrement détachée de son
influence5.
L’unique frère de la jeune fille, son aîné d’un an et demi, avait été dans
ses premières années le modèle qu’elle ambitionnait de devenir. Leurs
relations s’étaient distendues ces dernières années. Le jeune homme
cherchait à s’affranchir au maximum des troubles familiaux. Quand il lui
fallait prendre parti, il se rangeait du côté de sa mère. Ainsi l’attirance
sexuelle commune entre père et fille d’un côté et entre mère et fils de
l’autre les avait rapprochés.
Notre patiente à qui je donnerai dorénavant le nom de Dora manifesta
dès l’âge de huit ans des symptômes nerveux. Elle devint sujette à une
dyspnée permanente qui lors de crises pouvait devenir très aiguë. Ces
suffocations étaient apparues la première fois à la suite d’une petite
excursion en montagne et avaient été mises sur le compte d’un effort
excessif. Au cours des six mois qui suivirent, le repos et les précautions
prescrites aidant, la dyspnée diminua d’intensité. Le médecin de famille ne
paraît pas avoir hésité le moins du monde à diagnostiquer un trouble
d’ordre purement nerveux et à exclure toute cause organique à cette
dyspnée. Mais il considérait visiblement son diagnostic comme compatible
avec l’étiologie de l’effort excessif6.
La petite fille contracta les maladies infectieuses infantiles habituelles
sans les moindres séquelles durables. Comme elle le racontait (de façon
symbolique !), son frère était généralement le premier à contracter la
maladie qui chez lui prenait une forme bénigne et elle prenait la suite avec
des symptômes plus graves. Vers l’âge de douze ans, des maux de tête
unilatéraux de type migraineux et des crises de toux nerveuse firent leur
apparition. Au début, ils allaient à chaque fois de paire jusqu’à ce que les
deux symptômes se séparent l’un de l’autre pour suivre une évolution
différente. Les migraines se firent plus rares et disparurent à l’âge de seize
ans. Les accès de tussis nervosa qui avait été déclenchés par un simple
cathare se maintinrent tout au long de cette période. Lorsqu’elle arriva chez
moi à l’âge de dix-huit ans pour suivre un traitement, elle toussait à
nouveau de façon caractéristique. Le nombre de ces crises n’était pas
calculable, leur durée allait de trois à cinq semaines, et l’une d’entre elles se
prolongea sur plusieurs mois. Durant la première moitié de ces accès de
toux, du moins ces dernières années, le symptôme le plus pénible était une
aphonie complète. Le diagnostic d’après lequel il s’agissait là d’un
symptôme de nervosité était établi depuis longtemps. Les divers traitements
courants qu’elle avait reçus, y compris l’hydrothérapie et l’électrisation
locale, n’avaient donné aucun résultat. L’enfant, devenue entre-temps une
jeune fille mûre au jugement très indépendant, avait pris l’habitude de
railler les efforts des médecins jusqu’à finalement renoncer à leur aide. Elle
avait toujours par ailleurs regimbé à ce qu’on demande l’avis du médecin
de famille bien qu’elle n’eût pas la moindre aversion à son égard. Toute
proposition d’aller consulter un nouveau docteur suscitait sa réprobation, et
elle ne se rendit chez moi que sous le coup des exhortations autoritaires du
père.
Je la vis une première fois au début de l’été de sa seizième année, elle
toussait et souffrait d’une extinction de voix. Je conseillai déjà à l’époque
une cure psychique, mais lorsque cette longue crise disparut d’elle-même,
ils abandonnèrent l’idée. L’hiver de l’année suivante, après la mort de sa
tante bien-aimée, elle se trouvait à Vienne dans la maison de son oncle et de
ses filles. Elle tomba malade avec de la fièvre et on diagnostiqua une crise
d’appendicite7. À l’automne suivant, la famille quitta définitivement la
station thermale B., l’état de santé du père semblait le permettre. Ils
s’installèrent tout d’abord dans la ville où se trouvait l’usine du père, puis à
peine un an plus tard à Vienne.
Dora était entre-temps devenue une jeune fille éclatante aux traits de
visage avenants et intelligents, mais qui causait de gros soucis à ses parents.
Humeur dépressive et changements de caractère étaient à présent le signe
principal de sa maladie. Elle n’était visiblement satisfaite ni d’elle-même ni
des siens. Elle se montrait désagréable avec son père et ne supportait plus sa
mère qui voulait absolument l’impliquer dans les affaires domestiques. Elle
essayait d’éviter toute relation sociale. Autant que le lui permettaient sa
fatigue et l’état de distraction dont elle se plaignait, elle occupait son temps
à assister à des conférences pour dames et poursuivait également des études
plus ou moins sérieuses. Un jour, une lettre que les parents avaient trouvée
sur ou dans le bureau de la jeune fille les avait jetés dans l’effroi : elle y
faisait ses adieux en expliquant qu’elle ne pouvait plus supporter la vie8. La
perspicacité du père lui faisait certes supposer que la jeune fille n’était pas
sous l’emprise d’une intention sérieuse de suicide, mais il n’en restait pas
moins ébranlé. Ainsi un jour, lorsqu’à la suite d’une conversation sans
importance entre père et fille, elle fut prise d’un premier accès de perte de
conscience9, qui fit par la suite l’objet d’une amnésie, il fut décidé malgré
ses réticences qu’elle devait suivre un traitement chez moi.
Le cas que j’ai dépeint à grands traits jusqu’à présent ne semble pas
dans l’ensemble mériter d’être divulgué. Une « petite hystérie10 »
accompagnée des symptômes psychiques et somatiques les plus courants :
dyspnée, tussis nervosa, aphonie avec probablement des migraines,
humeur dépressive, insociabilité hystérique et un taedium vitae [dégoût de
la vie] qui ne semblait pas très sérieux. On a certainement publié des
histoires d’hystéries plus intéressantes, recueillies très souvent avec plus de
détails, d’autant que dans la suite de cette étude il ne sera pas question de
stigmates de la sensibilité cutanée, de rétrécissement du champ de vision, ni
d’autres symptômes de ce genre. Je me permettrai juste de faire remarquer
que toutes ces collections de phénomènes étranges et étonnants de l’hystérie
ne nous ont pas fait beaucoup progresser dans la connaissance de cette
maladie encore mystérieuse. Ce dont nous avons besoin c’est justement de
l’élucidation des cas les plus communs et les plus courants et des
symptômes typiques qui les accompagnent. J’aurais été très satisfait si les
circonstances m’avaient permis de fournir une élucidation complète de ce
cas de petite hystérie. Si j’en juge par mes expériences avec d’autres
malades, je n’ai pas la moindre raison de douter que les moyens analytiques
dont je dispose auraient suffit à atteindre un tel objectif.
En 1896, peu après la publication de mes Études sur l’hystérie en
collaboration avec le Dr Josef Breuer, je demandai à un excellent collègue
ce qu’il pensait de la théorie psychologique de l’hystérie défendue dans cet
ouvrage. Il me répondit sans détour qu’il la tenait pour une généralisation
abusive de conclusions qui peuvent être justes pour un petit nombre de cas.
Depuis, j’ai vu un grand nombre de cas d’hystérie, je m’en suis occupé des
jours, des semaines ou des années durant, et dans aucun de ces cas je n’ai
remarqué l’absence des conditions psychiques que postulent mes Études :
le traumatisme psychique, le conflit des affects et un facteur que j’ai ajouté
dans des publications ultérieures, le dérangement de la sphère sexuelle.
Pour ce qui est des choses qui deviennent pathogènes en raison de leur
besoin d’être cachées, on ne doit bien sûr pas s’attendre à ce que les
malades les révèlent au médecin. Il ne faut pas s’arrêter au premier « non »
qui s’oppose à notre recherche11.
Dans le cas de ma patiente Dora, je dois à la compréhension du père
maintes fois soulignée de ne pas avoir eu besoin de chercher moi-même le
point de rattachement de la maladie – du moins dans sa forme ultime – aux
événements de sa vie. Le père me raconta que lui-même et sa famille à B.
étaient liés d’une amitié intime à un couple qui résidait depuis de longues
années dans cette ville. Madame K. l’avait soigné lors de sa grave maladie
et avait ainsi gagné sa reconnaissance éternelle. Monsieur K. était, selon lui,
toujours très aimable avec sa fille Dora. Il faisait des promenades avec elle
quand il se trouvait à B., lui offrait des petits cadeaux et personne n’y
trouvait rien à redire. Dora prenait le plus grand soin des deux petits enfants
du couple K. et jouait pour ainsi dire le rôle d’une mère à leur égard.
Lorsque le père et la fille vinrent me consulter deux ans auparavant pendant
l’été, ils étaient en chemin pour se rendre auprès de Monsieur et de
Madame K. qui passaient l’été au bord de l’un de nos lacs des Alpes. Dora
devait rester plusieurs semaines dans la maison des K., le père, lui, avait
prévu de rentrer après quelques jours seulement. Monsieur K. était présent
également ces jours-là. Mais au moment où le père se préparait à partir, la
jeune fille annonça soudain avec la plus grande fermeté qu’elle partait avec
lui et elle réussit à imposer sa décision. Elle ne fournit une explication de
son comportement étrange que quelques jours plus tard. Elle raconta à sa
mère, dans le but qu’elle le rapporte à son père, que Monsieur K., lors d’une
promenade après un tour en bateau sur le lac, avait osé lui faire des avances
amoureuses. L’accusé, interrogé lors de la rencontre suivante avec le père et
l’oncle, nia de la façon la plus expresse avoir fait le moindre geste qui
puisse mériter une telle interprétation. Il commença à jeter le soupçon sur la
jeune fille qui, selon les dires de Madame K., ne s’intéressait qu’aux choses
sexuelles et lisait dans leur maison au bord du lac La Physiologie de
l’amour de Mantegazza12 et d’autres livres du genre. Échauffée par de telles
lectures, elle s’était vraisemblablement « imaginée » toute cette scène dont
elle parlait.
« Je n’ai pas le moindre doute, dit le père, que cet incident soit
responsable de l’humeur dépressive de Dora, de son irritabilité et de ses
idées de suicide. Elle exige de moi que je coupe cours aux relations avec
Monsieur K. et particulièrement avec Madame K. qu’elle vénérait tout
spécialement auparavant. Mais je ne peux faire une telle chose,
premièrement parce que je tiens le récit de Dora sur les propositions
indécentes de cet homme pour une hallucination qui s’est imposée à elle, et
deuxièmement parce que je suis lié à Madame K. par une amitié honorable
et je ne veux pas lui faire de mal. La pauvre femme est très malheureuse
avec son mari dont je n’ai par ailleurs pas la meilleure opinion. Elle souffre
elle-même des nerfs et je suis son seul soutien. Vu mon état de santé, je n’ai
pas besoin de vous assurer que rien d’illicite ne se cache derrière cette
relation. Nous sommes deux pauvres êtres humains qui nous consolons,
autant que possible, par une attention amicale réciproque. Je n’ai plus rien à
espérer de ma femme comme vous le savez. Mais Dora qui est une entêtée
comme moi ne peut se départir de sa haine contre Madame K. Sa dernière
crise a eu lieu à la suite d’une discussion où elle réitérait la même exigence
à mon égard. Essayez maintenant de la ramener sur le droit chemin. »
En d’autres occasions, il arrivait au père, ce qui ne s’accordait pas tout à
fait avec cet aveu, de rejeter l’essentiel de la faute du caractère
insupportable de sa fille sur la mère dont l’idiosyncrasie rendait à tous la
maison détestable. Mais je m’étais depuis longtemps résolu à suspendre
mon jugement sur l’état réel des choses avant d’avoir entendu également
l’autre parti.
Ainsi l’expérience avec Monsieur K. – l’avance amoureuse et la
blessure de l’honneur qui y en résulta – aurait constitué le traumatisme
psychique de notre patiente Dora, traumatisme qu’à l’époque Breuer et moi
avions établi comme la condition nécessaire à la formation d’un état
pathologique d’hystérie. Mais ce nouveau cas présente également toutes les
difficultés qui m’ont conduit depuis à dépasser cette théorie13, auxquelles
s’ajoute une nouvelle difficulté spécifique. Le traumatisme que nous
connaissons de la vie de cette patiente ne permet pas, comme souvent dans
les cas d’hystéries, d’expliquer et de déterminer la spécificité des
symptômes. Nous saurions autant ou aussi peu de ce cas si le traumatisme
avait généré d’autres symptômes que la tussis nervosa, l’aphonie,
l’humeur dépressive et le taedium vitae. S’ajoute à cela qu’une part de ces
symptômes – la toux et l’aphonie – était déjà apparue plusieurs années
avant le traumatisme et que leurs premières manifestations renvoient à
l’enfance puisqu’ils eurent lieu dans la huitième année de la patiente. Si
nous ne voulons pas abandonner la théorie du traumatisme, il nous faut
donc remonter jusqu’à l’enfance pour y chercher des influences ou des
impressions qui peuvent agir de façon analogue à un traumatisme. En outre,
il convient de faire remarquer que même l’investigation des cas dont les
premiers symptômes n’étaient pas apparus dans l’enfance m’a conduit à
remonter l’histoire de leur vie jusque dans les premières années de leur
enfance14.
Une fois surmontées les premières difficultés de la cure, Dora me fit le
récit d’une expérience antérieure avec Monsieur K. qui était plus apte à agir
comme un traumatisme sexuel. Elle avait alors quatorze ans. Monsieur K.
avait convenu avec elle et sa femme que ces dames se rendraient l’après-
midi à son magasin sur la grande place de B. pour assister à une festivité
religieuse. Mais il persuada sa femme de rester à la maison et congédia les
commis si bien qu’il était seul lorsque la jeune fille entra dans le magasin.
L’heure de la procession approchant, il demanda à la jeune fille de
l’attendre à la porte donnant sur l’escalier qui montait à l’étage supérieur
pendant que lui baissait les stores mécaniques. Il revint ensuite et, au lieu de
sortir par la porte ouverte, il serra soudain la jeune fille contre lui et
l’embrassa de force sur les lèvres. C’était là une situation capable de
susciter une véritable sensation d’excitation sexuelle chez cette jeune fille
de quatorze ans encore intacte. Dora ressentit pourtant à cet instant un fort
sentiment de dégoût, elle s’arracha à son emprise et se précipita dans la
cage d’escalier et franchit de là le portail de l’immeuble qui donnait sur la
rue. Les relations avec Monsieur K. n’en continuèrent pas moins. Ni l’un ni
l’autre n’évoqua cette petite scène. Dora prétend même l’avoir gardée
secrète jusqu’au récit qu’elle en fit lors de la cure. Toutefois, après cette
affaire, elle évitait les occasions de se retrouver seule avec Monsieur K. Le
couple K. avait prévu une excursion de plusieurs jours à laquelle Dora
devait participer. Après l’histoire du baiser dans le magasin, elle renonça à
l’excursion sans invoquer la moindre raison.
Dans cette scène, antérieure dans le temps et pourtant seconde dans la
chronologie de la cure, le comportement de cette enfant de quatorze ans est
déjà entièrement hystérique. Toute personne chez qui l’occasion d’une
excitation sexuelle provoque essentiellement ou exclusivement un
sentiment de déplaisir peut être d’après moi considérée, sans la moindre
hésitation, comme une hystérique. L’élucidation du mécanisme de cette
inversion de l’affect reste l’une des tâches les plus importantes et les plus
difficiles de la psychologie des névroses. Si j’en juge d’après l’état
d’avancement de mes recherches, je suis encore loin d’avoir atteint un tel
but. Je ne présenterai d’ailleurs dans cette publication qu’une partie de ce
que je sais sur le sujet.
Pour caractériser le cas de Dora, il ne suffit pas de mettre en avant
l’inversion de l’affect, il faut ajouter qu’un déplacement de la sensation a
eu lieu. Au lieu de la sensation génitale qu’une jeune fille saine n’aurait pas
manqué de ressentir dans de telles circonstances15, un sentiment de déplaisir,
de dégoût, s’est produit en elle qui provient du tractus muqueux de l’entrée
du canal de digestion. L’excitation des lèvres par le baiser a certainement
joué un rôle dans cette localisation de la sensation, mais je crois que nous
pouvons encore discerner l’effet d’un autre facteur16.
Le dégoût ressenti à l’époque n’est pas devenu chez Dora un symptôme
persistant. Même à l’époque du traitement, ce sentiment n’était pour ainsi
dire que potentiellement présent. Elle mangeait peu et reconnaissait avoir
une légère aversion pour certains plats. Par contre, cette scène avait eu une
autre conséquence durable : une hallucination sensorielle qui ressurgissait
de temps en temps, y compris pendant le récit de sa mésaventure. Elle disait
ressentir encore la pression sur son buste de l’enlacement. Selon certaines
règles de la formation des symptômes dont j’ai acquis la connaissance et sur
la base d’autres bizarreries sinon inexplicables de la malade – par exemple,
elle ne voulait passer auprès d’aucun homme qu’elle voyait en pleine
conversation romantique avec une dame –, j’ai abouti à la reconstruction
suivante de la scène. À mon avis, elle ressentit non seulement le baiser dans
cet enlacement frénétique, mais aussi la pression du membre érigé contre
son corps. Cette perception choquante fut écartée du souvenir, refoulée et
remplacée par la sensation innocente de la pression sur le thorax qui doit
son intensité démesurée à ses origines refoulées. Il s’agit donc là d’un
nouveau déplacement de la partie inférieure du corps vers la partie
supérieure17. Par contre, le comportement compulsif mentionné
précédemment s’est formé, semble-t-il, à partir du souvenir non modifié.
Elle ne peut passer auprès d’aucun homme qu’elle croit être en état
d’érection sexuelle, car elle ne veut pas en voir à nouveau le signe
somatique.
Il convient de remarquer que les trois symptômes ici – le dégoût, la
sensation d’oppression dans la partie supérieure du corps et la crainte des
hommes engagés dans une discussion romantique – proviennent d’une
expérience vécue. De même, seule la mise en relation de ces trois signes
somatiques permet de comprendre le processus de formation des
symptômes. Le dégoût correspond au symptôme du refoulement lié à la
zone érogène des lèvres (gâtée, comme nous le verrons plus tard, par une
succion infantile prolongée). La pression du membre érigée a sans doute
provoqué une modification analogue de l’organe féminin, le clitoris, et
l’excitation de cette seconde zone érogène est venue se fixer sur le thorax
par déplacement. La crainte des hommes qui se trouvent peut-être en état
d’érection suit le mécanisme d’une phobie dont le but est de se protéger du
retour de la perception refoulée.
Pour prouver la possibilité de l’ajout suggéré ici, j’ai demandé à la
patiente, avec la plus grande précaution, si elle savait quelque chose à
propos du signe corporel de l’excitation chez l’homme. La réponse fut :
« Oui » pour la période présente et : « Je ne crois pas » pour le passé. J’ai
fait dès le début extrêmement attention avec cette patiente à ne pas lui
fournir la moindre information supplémentaire sur les relations sexuelles, et
cela, non pas pour des raisons morales, mais parce que je voulais, avec ce
cas, soumettre mes hypothèses à un examen sévère. Je n’appelais donc une
chose par son nom que lorsque ses allusions étaient suffisamment claires
pour que leur traduction en langage direct n’apparaisse que comme une
intervention des plus bénignes. Ses réponses promptes et franches
revenaient régulièrement sur le même point : ces choses lui étaient déjà
connues, mais ses souvenirs ne permettaient pas de résoudre la question
mystérieuse de l’origine d’un tel savoir18.
Si je suis fondé à m’imaginer de cette façon la scène du baiser dans le
magasin, j’aboutis alors à la généalogie suivante du sentiment de dégoût19.
Le dégoût semble être à l’origine une réaction à l’odeur (et plus tard
également à la vue) des excréments. Les organes génitaux et
particulièrement le membre viril peuvent rappeler les fonctions
excrémentielles, car l’organe sert en plus de la fonction sexuelle à vider la
vessie. En effet, cette fonction est celle connue en premier et dans la phase
présexuelle, elle est même la seule qui soit connue. Le dégoût devient donc
l’une des expressions affectives de la vie sexuelle. C’est le inter urinas et
faeces nascimur [ « Nous sommes nés entre les urines et les fèces »] des
Pères de l’Église qui fait partie intégrante de la vie sexuelle et qui, malgré
tous les efforts d’idéalisation, ne peut en être détaché. Je tiens cependant à
souligner ma vision des choses : je ne considère pas le problème de cette
patiente résolu par la simple indication de la voie associative empruntée. Le
fait que cette association puisse être éveillée n’explique pas le fait qu’elle le
soit effectivement. Dans des circonstances normales, une telle association
n’a pas lieu. La connaissance des voies empruntées ne supprime pas la
nécessité de connaître les forces qui y cheminent20.
Par ailleurs, il ne me fut pas facile de diriger l’attention de ma patiente
sur ses relations avec Monsieur K. Elle affirmait en avoir fini avec cette
personne. La couche superficielle de ses associations durant les séances,
tout ce qui lui venait facilement à la conscience et tout ce dont elle se
souvenait de la veille de façon consciente se rapportait toujours à son père.
C’était tout à fait vrai qu’elle ne lui pardonnait pas la poursuite des relations
avec Monsieur K. et surtout avec Madame K. Mais sa perception de ces
rapports était tout autre que celle que le père voulait maintenir. Il n’y avait
pas le moindre doute pour elle que c’était bien une liaison amoureuse, au
sens courant du terme, qui liait son père à cette jeune et belle femme.
Aucun élément qui pouvait renforcer cette affirmation n’avait échappé à sa
perception terriblement aiguisée, il n’y avait sur ce point pas la moindre
lacune dans sa mémoire. La fréquentation des K. avait commencé avant
la grave maladie du père, mais cette relation ne devint intime que lorsqu’au
cours de cette maladie, la jeune femme réussit à s’imposer officiellement
comme la personne chargée de soigner le père. La mère, elle, se tenait à
l’écart du malade. Le premier été qui suivit la guérison du père, des choses
se sont produites qui auraient dû ouvrir les yeux de tout un chacun sur la
véritable nature de cette « amitié ». Les deux familles avaient loué deux
suites dans le même hôtel. Un jour, soudain, Madame K. annonça qu’elle ne
pouvait plus garder la chambre à coucher qu’elle partageait jusque-là avec
un de ses enfants. Quelques jours plus tard, le père de ma patiente quitta sa
chambre et tous les deux s’installèrent dans deux nouvelles chambres au
fond du couloir qui n’étaient séparées que par le corridor. Les chambres
qu’ils avaient quittées n’offraient pas les mêmes garanties de discrétion.
Quand plus tard, elle se mit à faire des reproches à son père à propos de
Madame K., il avait l’habitude de dire qu’il ne comprenait pas cette
hostilité et que les enfants avaient plutôt toutes les raisons de lui être
reconnaissants. Sa mère à qui elle s’était adressée par la suite pour qu’elle
lui explique cette remarque mystérieuse lui avait dit que son père était à
l’époque si malheureux qu’il avait voulu se suicider dans la forêt. Mais
Madame K., qui avait pressenti son intention néfaste, l’avait suivi et avait
réussi par ses adjurations à le convaincre de ne pas se tuer par amour des
siens. Dora ne croit pas bien sûr à cette explication. À son avis, on avait dû
les voir tous les deux ensemble dans la forêt et son père avait alors inventé
cette histoire de suicide pour justifier leur rendez-vous amoureux21. À leur
retour à B., le père se trouvait chaque jour à certaines heures chez Madame
K. quand son mari était au magasin. Tout le monde parlait de leur relation et
on l’avait questionnée ouvertement sur le sujet. Monsieur K. s’était souvent
amèrement plaint à la mère, mais il s’était gardé de faire à Dora la moindre
allusion à cette affaire, ce qu’elle semblait considérer comme une marque
de tact de sa part. Lors des promenades en commun des deux familles, le
père et Madame K. savaient arranger les choses pour rester seuls l’un avec
l’autre. Il ne faisait pas de doute qu’elle recevait de l’argent de lui, car elle
dépensait bien au-delà de ses propres moyens ou même de ceux de son
mari. Le père commença également à lui faire de somptueux cadeaux. Pour
les camoufler, il se montrait aussi très généreux à l’égard de Dora et de sa
mère. Madame K., qui jusque-là avait été une femme souffreteuse et avait
même dû être internée plusieurs mois dans un sanatorium pour des troubles
nerveux qui la rendaient incapable de marcher, était devenue une femme
vive et en pleine santé.
Même après qu’ils eurent quitté B., cette liaison vieille de plusieurs
années se poursuivit. Régulièrement, le père expliquait qu’il ne supportait
pas le climat rigoureux, qu’il devait faire quelque chose pour sa santé, et
commençait à tousser et à se plaindre jusqu’à ce qu’il parte subitement pour
B. d’où il écrivait les lettres les plus enjouées. Toutes ces maladies n’étaient
que prétextes pour revoir son amie. Un jour, il fut décidé qu’ils
déménageaient à Vienne. Dora commença alors à soupçonner un
arrangement secret. Ils n’étaient à Vienne que depuis trois semaines quand
elle apprit que les K. avaient également déménagé à Vienne. Ils se
trouvaient dans cette ville et elle rencontrait fréquemment son père en
compagnie de Madame K. dans la rue. Elle rencontrait également plus
souvent Monsieur K., selon ses dires. Il la suivait toujours du regard. Une
fois, il la croisa seule dans la rue et la suivit un bon bout de chemin pour
s’assurer de l’endroit où elle allait et savoir si elle n’avait pas un rendez-
vous amoureux.
Des critiques telles que son père n’était pas sincère, qu’il avait une
tendance à la fausseté inscrite dans son caractère, qu’il ne pensait qu’à sa
propre satisfaction et qu’il avait le don d’arranger les choses de la façon qui
lui convenait le mieux, se firent particulièrement entendre dans la cure les
jours où ce dernier, sentant son état de santé à nouveau se dégrader, décida
de partir pour plusieurs semaines à B. Dora, toujours aussi sagace, parvint
rapidement à savoir que Madame K. avait entrepris un voyage vers la même
destination afin de rendre visite à sa famille.
Je ne pouvais dans l’ensemble rien opposer à cette caractérisation du
père. Il n’était d’ailleurs pas difficile de voir parmi les reproches de Dora
lesquels étaient fondés. Quand elle était d’humeur aigrie, une certaine
vision des choses s’imposait à elle : elle avait été offerte à Monsieur K. en
récompense de sa tolérance vis-à-vis de la liaison entre sa femme et le père
de Dora. On pouvait pressentir derrière sa tendresse pour son père la fureur
qu’elle éprouvait devant un tel abus. À d’autres moments, elle se rendait
bien compte qu’elle faisait preuve d’exagération en parlant de la sorte. Bien
évidemment, les deux hommes n’avaient jamais conclu un pacte formel où
Dora servait de monnaie d’échange. Le père tout particulièrement aurait été
horrifié par une telle suggestion. Mais il faisait partie de ces hommes qui
s’entendent à émousser la pointe aiguë d’un conflit en faussant leur propre
jugement sur l’un des deux points de vue en opposition. Si l’on avait éveillé
son attention sur les dangers que pouvait générer la relation durable et sans
surveillance d’une adolescente avec un homme frustré par sa femme, il
aurait certainement répondu qu’il avait toute confiance en sa fille, qu’un
homme comme K. ne pourrait présenter un danger pour elle et que son ami
lui-même était incapable de telles intentions. En d’autres termes, Dora était
encore une enfant et était traitée par Monsieur K. comme une enfant. Mais
en réalité, la situation en était arrivée au point où chacun des deux hommes
évitait de tirer du comportement de l’autre des conséquences qui auraient pu
entraver ses propres désirs. Monsieur K. pouvait envoyer des fleurs à Dora
une année durant – du moins les jours où il résidait à B. –, il pouvait
prendre prétexte de n’importe quelle occasion pour lui faire des cadeaux
précieux et passer tout son temps libre en sa compagnie sans que ses parents
ne perçoivent dans un tel comportement les traits caractéristiques de la
sollicitation amoureuse.
Quand apparaît dans la cure psychanalytique un enchaînement de
pensées fondé et incontestable, il se crée alors chez le médecin un moment
d’embarras que le patient exploite pour poser la question suivante : « Tout
cela n’est-il pas parfaitement vrai et juste ? Que voulez-vous y changer
maintenant que je vous l’ai raconté ? » On remarque rapidement que de
telles pensées qui résistent à l’emprise de l’analyse sont utilisées par les
malades pour cacher d’autres pensées qui souhaitent échapper à la critique
et à la conscience. Une série de reproches contre d’autres personnes fait
supposer l’existence d’une série de reproches identiques tournés contre soi.
Il n’est besoin que de retourner chaque reproche particulier contre la
personne qui le profère. Cette façon de se protéger d’un reproche contre soi-
même en adressant le même reproche à une autre personne a quelque chose
d’indéniablement automatique. Son modèle est la « réplique en
boomerang » des enfants qui rétorquent sans la moindre hésitation « c’est
toi le menteur » quand on les accuse de mensonge. L’adulte en quête d’une
insulte à renvoyer à son adversaire chercherait plutôt un de ses points
faibles et n’accorderait pas autant d’importance à la répétition du contenu
même de l’insulte qui lui a été faite. Dans la paranoïa, cette projection du
reproche sur un autre sans en changer le contenu et sans s’appuyer sur la
réalité se manifeste comme un processus psychique créateur de délire.
Les reproches de Dora contre son père étaient également « doublés » de
reproches contre elle-même qui avaient le même contenu comme nous
allons le montrer en détail. Elle avait raison de dire que son père ne voulait
pas voir en face le comportement de Monsieur K. à l’égard de sa fille pour
ne pas être dérangé dans sa liaison avec Madame K. Mais elle faisait la
même chose. Elle s’était faite la complice de leur relation et avait écarté
tous les signes qui en révélaient la véritable nature. Ce ne fut qu’à la suite
de son aventure au bord du lac qu’elle prit clairement conscience de cette
liaison et qu’elle commença à formuler de sévères exigences envers son
père. Les années qui avaient précédé cet incident, elle avait, au contraire,
fait tout ce qui était en son pouvoir pour favoriser la relation de son père
avec Madame K. Elle ne se rendait jamais chez Madame K. quand elle
pensait que son père y était. Sachant que les enfants des K. étaient renvoyés
dehors lors de leurs rencontres, elle s’arrangeait pour rencontrer les enfants
en chemin et partait en promenade avec eux. Il y avait eu à la maison de
Dora quelqu’un qui avait voulu lui ouvrir les yeux sur les rapports de son
père avec Madame K. et avait cherché à la monter contre cette femme.
C’était sa dernière gouvernante, une femme plus âgée et très cultivée aux
vues très libres et avancées22. La maîtresse et l’élève s’entendaient
parfaitement jusqu’à ce que soudain Dora se fâche avec elle et exige son
renvoi. Tant que la gouvernante avait de l’influence sur la jeune fille, elle
s’en servait pour attiser son ressentiment contre Madame K. Elle expliquait
à la mère que son honneur ne lui permettait pas d’accepter l’intimité de son
mari avec cette étrangère. Elle éveillait l’attention de Dora sur tous les
détails perceptibles de cette relation. Mais ses efforts furent vains, Dora
restait attachée à Madame K. et ne voulait en aucun cas considérer cette
liaison comme indécente. Par contre, elle se rendait parfaitement compte
des motifs qui poussaient sa gouvernante à agir de la sorte. Aveugle d’un
côté, elle était perspicace de l’autre. Elle avait remarqué que la gouvernante
était amoureuse de son père. Quand son père était à la maison, elle devenait
une tout autre personne, elle pouvait alors être drôle et serviable. Quand la
famille séjournait dans la ville de l’usine du père et que Madame K. n’était
pas dans les parages, elle montait la fille contre sa mère qui était dans ces
moments-là sa rivale la plus directe. Mais Dora ne lui en tenait pas encore
rigueur. Elle ne se fâcha que lorsqu’elle remarqua que la gouvernante ne
s’intéressait absolument pas à elle et que l’amour qu’elle lui manifestait
n’était en fait destiné qu’à son père. Lorsqu’il s’absentait de la ville de
l’usine, la demoiselle n’avait plus de temps pour elle, elle ne voulait plus se
promener avec elle et ne s’intéressait plus à ses devoirs. À peine était-il
rentré de B. qu’elle se montrait à nouveau prête à toute sorte de services et
d’aides. Après avoir compris son jeu, Dora laissa tomber sa gouvernante.
La malheureuse, par la clarté peu prisée de ses propos, avait révélé une
facette de la propre attitude de Dora. Celle-ci se comportait à l’égard des
enfants de Monsieur K. tout comme la gouvernante avec elle. Elle adoptait
le rôle de la mère, elle leur apprenait des choses, sortait avec eux et ainsi
leur ménageait un véritable substitut au peu d’intérêt que leur propre mère
leur manifestait. Entre Monsieur et Madame K., il avait été souvent
question de divorce. Celui-ci n’eut finalement pas lieu car Monsieur K., qui
était un père aimant, ne voulait renoncer à aucun de ses deux enfants.
L’intérêt commun porté aux deux enfants avait été dès le début le ciment de
la relation entre Monsieur K. et Dora. S’occuper des enfants était
visiblement pour Dora un moyen de cacher quelque chose d’autre à soi-
même et aux autres.
Son comportement à l’égard des enfants K. tel que l’attitude de la
gouvernante envers Dora et son acceptation silencieuse de la relation de son
père avec Madame K. nous ont permis de le comprendre, eut la même
conséquence : Dora fut amoureuse de Monsieur K. durant toutes ces années.
En évoquant cette supposition, je ne rencontrai pas chez elle la moindre
approbation. Elle raconta pourtant juste après que d’autres personnes, par
exemple une cousine qui était venue leur rendre visite à B., lui avaient dit :
« Tu es complètement folle amoureuse de cet homme. » Pour sa part, Dora
ne voulait pas se souvenir de ce sentiment. Plus tard, lorsque la masse du
matériel apparu lors des séances rendait difficile un tel déni, elle reconnut
qu’il était possible qu’elle ait été amoureuse de Monsieur K. à B., mais
qu’après la scène du lac, tout cela était fini23. Il était clair de toute façon que
le reproche fait par Dora à son père de s’être montré sourd à des devoirs
irrécusables et d’avoir arrangé les choses de telle façon qu’elles soient le
plus en harmonie avec ses propres passions, s’adressait également à elle-
même24.
L’autre reproche fait à son père, à savoir qu’il se crée lui-même ses
maladies et s’en sert comme d’un prétexte, cache lui aussi tout un pan de
l’histoire secrète de Dora. Elle se plaignit un jour lors d’une séance d’un
soi-disant nouveau symptôme – des douleurs aiguës à l’estomac –, je lui
demandai soudain « qui copiez-vous ? » et m’aperçus que j’avais touché
dans le mille. Elle avait rendu visite la veille à ses cousines, les filles de la
tante décédée déjà mentionnée. La plus jeune s’était fiancée et la plus âgée
était tombée malade à cette occasion. Elle souffrait de douleurs gastriques et
avait dû être envoyée en repos à Semmering. Dora était d’avis qu’il ne
s’agissait là que de jalousie de la part de l’aînée. D’après ses dires, elle
tombait toujours malade quand elle voulait obtenir quelque chose, elle
voulait être absente de la maison familiale pour ne pas assister au bonheur
de sa sœur25. Quant aux douleurs gastriques de Dora, elles exprimaient une
identification avec la cousine considérée simulatrice soit parce qu’elle était
également jalouse de la sœur heureuse en amour, soit parce qu’elle voyait
dans le destin de l’aînée qui sortait d’une histoire d’amour malheureuse le
reflet de son propre destin26. Mais Dora avait pu se rendre compte également
en observant Madame K. à quel point les maladies peuvent être utiles.
Monsieur K. était durant une partie de l’année en déplacement. À peine
revenait-il qu’il trouvait sa femme souffrante alors que la veille elle se
trouvait fort bien comme Dora le savait. Dora comprit ainsi que la présence
de son mari agissait sur Madame K. au point de la rendre malade et que cet
état de maladie était pour elle salutaire, car il lui permettait d’échapper aux
devoirs conjugaux qu’elle haïssait. Dora fit juste à la suite de cette
description une remarque sur l’alternance de périodes de maladie et de
bonne santé durant ses premières années d’adolescence à B. Cette remarque
me conduisit à supposer que les états de santé de Dora tout comme ceux de
Madame K. devaient être considérés comme dépendants d’un autre facteur.
C’est une règle de la technique psychanalytique qu’un lien interne et caché
se signale par la contiguïté et la proximité temporelle des associations tout
comme dans l’écriture, a et b juxtaposés signifient que la syllabe ab doit
être formée. Dora avait alors un grand nombre d’attaques de toux
accompagnées d’aphonie. Était-il possible que la présence ou l’absence de
l’aimé ait influencé l’apparition et la disparition de ces symptômes ? Si tel
était le cas, une coïncidence devrait à un moment ou un autre trahir le fait
en question. Je lui demandai quelle était la durée moyenne de ces attaques.
« Environ trois à six semaines. » Combien de temps duraient les absences
de Monsieur K.? Elle dut reconnaître qu’elles duraient également trois à six
semaines. Elle manifestait donc par ses maladies son amour pour K. tout
comme Madame K. son aversion pour son mari. Il était nécessaire de
supposer qu’elle se comportait à l’inverse de l’épouse, qu’elle était malade
quand il était absent et en bonne santé à son retour. Cette supposition
semblait en fait correspondre à la réalité, du moins pour la première période
de ces crises. Plus tard, il devint nécessaire de brouiller la coïncidence entre
les maladies et les absences de l’homme aimé en cachette afin de ne pas
trahir le secret par leur régularité. La durée de ces crises resta par la suite
identique comme s’il s’agissait là d’une marque de leur signification
d’origine.
Je me souviens à l’époque avoir vu et entendu à la clinique de Charcot
que l’écriture servait de vicaire à la parole chez les personnes atteintes d’un
mutisme hystérique. Elles écrivaient de façon plus courante, plus rapide et
mieux que d’autres ne le font ou qu’elles-mêmes ne le faisaient auparavant.
Cela avait été le cas de Dora également. Les premiers jours de son aphonie,
« écrire lui était toujours particulièrement facile ». Cette particularité en tant
qu’expression d’une fonction physiologique substitutive que le besoin se
crée n’exigeait pas d’éclaircissement psychologique. Mais on pouvait
remarquer qu’un tel éclaircissement était facile à obtenir. Monsieur K. lui
écrivait de longues lettres quand il était en voyage, il lui envoyait des cartes
postales. Il arrivait parfois qu’elle fût la seule informée de la date de son
retour et qu’il surprît ainsi sa femme. Le fait que l’on corresponde par écrit
avec l’absent auquel on ne peut parler est par ailleurs presque aussi évident
que le fait que l’on cherche à se faire comprendre par écrit lorsqu’on a
perdu la voix. L’aphonie de Dora se prêtait donc à l’interprétation
symbolique suivante : quand l’être aimé était loin, elle renonçait à la parole,
parler avait perdu son sens puisqu’elle ne pouvait pas parler avec lui.
L’écriture prenait alors le sens du moyen unique qui la mettait en relation
avec l’absent.
Vais-je maintenant affirmer que dans tous les cas d’aphonie périodique,
il convient de diagnostiquer l’existence d’un être aimé absent
régulièrement ? Ce n’est certainement pas mon intention. La détermination
du symptôme dans le cas de Dora est bien trop spécifique pour que l’on
puisse penser à une réitération courante de cette même étiologie
accidentelle. Quelle valeur a donc l’explication de l’aphonie dans notre
cas ? Ne nous sommes-nous pas laissé tromper par un jeu d’esprit ? Je ne
crois pas. Il convient ici de se rappeler de la question si souvent soulevée :
est-ce que les symptômes de l’hystérie ont une origine psychique ou
somatique ? Et si l’on accepte le premier terme de l’alternative, est-ce que
tous les symptômes sont nécessairement déterminés psychiquement ? Cette
question, comme beaucoup d’autres auxquelles on voit les chercheurs
s’efforcer sans cesse de trouver une réponse sans le moindre succès, est une
question mal posée. L’alternative qu’elle propose ne couvre pas l’état réel
des choses. Autant que je puisse m’en rendre compte, chaque symptôme
hystérique a besoin aussi bien du concours du psychique que du concours
somatique. Il ne peut se produire sans une certaine complaisance
somatique27 réalisée par un processus normal ou pathologique dans ou en
rapport avec un organe du corps. Il n’a pas lieu plus d’une fois – la
réitérabilité est déjà un caractère du symptôme hystérique – s’il n’a pas de
signification psychique, c’est-à-dire un sens. Le symptôme hystérique ne
porte pas en lui-même son sens, celui-ci lui est octroyé, il se soude pour
ainsi dire à lui. Pour chaque cas, ce sens peut être différent, cela dépend à
chaque fois de la nature des pensées réprimées qui luttent pour leur
expression. Toutefois, une série de facteurs agit de manière à rendre moins
arbitraires les relations entre les pensées inconscientes et les processus
somatiques qui leur servent de moyens d’expression, se rapprochant de
certaines connexions typiques. Les déterminations provenant du matériel
psychique accidentel sont les plus importantes pour la thérapie. On fait
disparaître le symptôme en recherchant sa signification psychique. Une fois
que l’on a déblayé tout ce qui peut l’être par la psychanalyse, on peut alors
faire toutes sortes de conjectures – vraisemblablement plus proches de la
réalité – sur les fondements somatiques, en règle générale constitutifs et
organiques, des symptômes. Pour ce qu’il en est des crises de toux et
d’aphonie de Dora, nous ne nous limiterons pas seulement à l’interprétation
psychanalytique, mais nous indiquerons derrière celle-ci le facteur
organique qui est à l’origine de la « complaisance somatique » qui a permis
d’exprimer son penchant pour un homme absent périodiquement. Et si la
connexion de l’expression symptomatique et du contenu de pensée
inconscient devait par la suite nous impressionner par son habileté et son
ingéniosité, alors nous serons disposés à entendre qu’elle est capable de
produire la même impression dans n’importe quel autre cas ou exemple.
Je suis cependant prêt à reconnaître qu’il s’agit là d’un gain très
modeste si, grâce à la psychanalyse, nous n’avons plus à chercher le
mystère de l’hystérie dans « la labilité particulière des molécules
nerveuses » ou dans la possibilité d’états hypnoïdes, mais dans la
« complaisance somatique ».
À l’encontre de cette remarque critique, je tiens à souligner qu’ainsi, le
mystère n’est pas seulement repoussé un peu plus loin, mais qu’il s’en
trouve diminué d’un peu. Il n’est plus question dès lors du mystère dans son
entier, mais de cette part de celui-ci où est contenu le caractère spécifique
de l’hystérie qui la distingue des autres psychonévroses. Les processus
psychiques sont pendant une longue phase les mêmes pour toutes les
psychonévroses, ce n’est qu’après que la « complaisance somatique » entre
en considération et crée une échappatoire corporelle aux processus
psychiques inconscients. Quand ce moment ne se produit pas, alors cette
situation débouche sur quelque chose d’autre qu’un symptôme hystérique
mais d’assez apparenté, une phobie peut-être ou une obsession, en bref un
symptôme psychique.
Je reviens maintenant au reproche de « simulation » des maladies que
Dora soulevait à l’encontre de son père. Nous avons vite remarqué qu’à ce
reproche correspondaient non seulement des reproches de Dora à elle-même
qui concernaient des maladies du passé, mais également des reproches qui
concernaient le présent. Le médecin à ce stade doit généralement deviner et
compléter ce que l’analyse ne lui livre que sous forme d’allusions. Je dus
attirer l’attention de la patiente sur le fait que sa maladie actuelle était tout
aussi tendancieuse et motivée que celle de Madame K., qu’elle avait si bien
comprise. Il ne fait pas de doute qu’elle avait un but en vue qu’elle espérait
atteindre par sa maladie. Ce but ne peut être que de détourner son père de
Madame K. Elle n’y était pas parvenue par ses prières et ses arguments.
Elle espérait peut-être y arriver en effrayant son père (voir la lettre d’adieu),
en éveillant sa pitié (par ses évanouissements), et si tout cela ne servait à
rien, du moins se vengeait-elle de lui. Elle savait à quel point il tenait à elle
et que les larmes lui venaient aux yeux à chaque fois qu’on l’interrogeait
sur l’état de sa fille. J’étais parfaitement convaincu qu’elle aurait retrouvé
immédiatement la santé, si son père lui avait annoncé qu’il sacrifiait
Madame K. pour sa santé. J’espérais, comme je lui disais, qu’il ne se
laisserait pas contraindre à une telle décision, car alors, elle se rendrait
compte du pouvoir dont elle disposait et elle ne manquerait certainement
pas de se servir de ses capacités à tomber malade à chaque occasion qui se
présenterait. Mais si le père ne lui cédait pas, j’étais certain qu’elle ne
renoncerait pas facilement à sa maladie.
Je passe sur les détails qui ont révélé à quel point toutes ces hypothèses
étaient justes. Je préfère ajouter ici quelques remarques générales sur le rôle
des motifs de maladie dans l’hystérie. Les motifs de maladie sont à
distinguer clairement d’un point de vue conceptuel des potentialités de
maladie, c’est-à-dire du matériel à partir duquel les symptômes sont formés.
Ils ne prennent pas part à la formation du symptôme et ne sont pas même
présents au début de la maladie. Ils n’apparaissent que dans une seconde
phase, mais ce n’est qu’à leur apparition que la maladie est pleinement
constituée28. Il faut compter sur leur présence dans chaque cas où il y a une
réelle souffrance qui dure depuis relativement longtemps. Le symptôme est
d’abord un hôte importun dans la vie psychique. Il a tout contre lui. C’est
pourquoi il disparaît de lui-même si facilement, en apparence sous l’effet du
temps. Il n’a au début aucune utilité dans l’économie psychique, mais il en
acquiert une très souvent dans une deuxième phase. Un courant psychique
quel qu’il soit trouve commode de se servir du symptôme, ce dernier
parvient alors à une fonction secondaire et s’ancre pour ainsi dire dans la
vie psychique du patient. Quiconque veut ensuite guérir le malade bute, à
son grand étonnement, sur une forte résistance qui lui indique que le patient
n’est pas complètement sérieux quant à son intention de renoncer à sa
maladie29. Que l’on s’imagine un ouvrier, par exemple un couvreur devenu
infirme après une chute d’un toit, qui gagne maintenant sa vie tant bien que
mal en mendiant au coin d’une rue. Un faiseur de miracle se présente et lui
promet de remettre droite sa jambe tordue et de lui permettre de marcher à
nouveau. Il ne faut pas s’attendre, selon moi, à voir apparaître sur son
visage une expression particulière de félicité. Il se sentit sûrement
extrêmement malheureux au moment de sa blessure. Il comprit alors qu’il
ne pourrait plus jamais travailler et devrait endurer la faim et vivre de
l’aumône. Mais, par la suite, ce qui le rendait inapte au travail devint sa
source de revenu. Il vit de son infirmité. Si on la lui enlève, on risque de le
plonger dans le dénuement le plus total. Il a entre-temps oublié son métier,
perdu l’habitude du travail, il s’est habitué à l’oisiveté et peut-être même à
la boisson.
Les motifs de maladie commencent souvent à se manifester dès
l’enfance. La petite fille assoiffée d’amour qui partage de mauvaise grâce
l’affection de ses parents avec ses frères et sœurs remarque que cette
affection reflue entièrement vers elle quand, tombant malade, elle plonge
ses parents dans l’inquiétude. L’enfant connaît dès lors un moyen de capter
l’amour de ses parents et il s’en servira dès qu’il disposera du matériel
psychique nécessaire pour tomber malade. Quand, par la suite, l’enfant est
devenu une femme et que, en complète contradiction avec ses exigences
d’enfant, elle est mariée à un homme qui n’a pas le moindre égard pour elle,
qui réprime ses volontés, exploite sans merci sa force de travail, ne fait
preuve d’aucune affection et ne dépense pas un sou pour elle, la maladie
devient alors l’unique instrument de son affirmation de vie. Elle lui procure
l’attention recherchée et oblige le mari à consentir des sacrifices en argent
et à lui porter de l’intérêt, ce qu’il n’aurait pas fait si elle avait été bien
portante. La maladie l’oblige également en cas de guérison à la traiter avec
ménagement, car sinon la rechute est toujours possible. Le caractère
apparemment objectif et involontaire de la maladie, dont le médecin traitant
se fait nécessairement le garant, lui permet, sans avoir à affronter de
reproches conscients, d’utiliser à cette fin un moyen dont elle a déjà
éprouvé l’efficacité durant ses années d’enfance.
Et pourtant, cette maladie est l’œuvre d’une intention ! Les états de
maladie visent en général une personne précise au point qu’ils disparaissent
avec l’éloignement de celle-ci. Le jugement le plus grossier et le plus banal
que l’on peut entendre de la bouche des proches et des soignants ignorants
sur les maladies des personnes hystériques est juste en un certain sens. Il est
vrai que la femme paralysée et alitée sauterait de son lit si un feu éclatait
dans sa chambre, que la femme blasée oublierait toutes ses souffrances si un
de ses enfants tombait gravement malade ou si une catastrophe menaçait de
ruiner la situation de sa famille. Tous ceux qui parlent ainsi des malades ont
raison sauf sur un point : ils négligent la distinction psychologique entre
conscient et inconscient, ce qui peut peut-être se faire chez l’enfant, mais
plus chez l’adulte. C’est pourquoi, toutes ces déclarations comme quoi tout
cela n’est qu’une question de volonté, tous ces encouragements et toutes ces
invectives à l’encontre des malades ne servent à rien. Il faut tout d’abord
essayer de les convaincre par le détour de l’analyse de l’existence de cette
intention à l’origine de leur maladie.
Le point faible de toute thérapie, y compris de la thérapie
psychanalytique, face à l’hystérie est en général le combat des motifs de
maladie. Le destin a la partie bien plus facile, il n’a pas besoin de s’en
prendre à la constitution ni au matériel pathogène du malade. Il fait
disparaître un motif de maladie et le malade est libéré temporairement,
parfois même durablement, de sa maladie. Que de guérisons miracle en
moins, que de disparitions spontanées de symptômes hystériques en moins,
nous autres médecins nous validerions, si nous parvenions plus souvent à
percer les intérêts vitaux que les malades nous dissimulent ! Un délai passé,
l’attention portée à une personne cesse, un événement extérieur transforme
une situation, et le mal indéracinable disparaît d’un coup, spontanément en
apparence, mais en fait parce que son motif le plus fort, c’est-à-dire une de
ses finalités dans la vie de la patiente, lui a été retiré.
On trouve probablement des motifs qui soutiennent la maladie dans
tous les cas pleinement développés. Mais il existe des cas avec des motifs
purement internes comme par exemple l’autopunition, c’est-à-dire la
pénitence et la repentance. La tâche thérapeutique est alors plus facilement
réalisable que lorsque la maladie est liée à l’obtention d’un but externe. Ce
but était manifestement chez Dora d’attendrir son père et de le détourner de
Madame K.
Aucun des actes de son père ne semble l’avoir fâchée autant que la
propension de ce dernier à considérer la scène du lac comme le produit de
son imagination. Je restais longtemps perplexe quant au fait de deviner quel
reproche à elle-même se cachait derrière le rejet passionnel de l’explication
du père. Il était juste de supposer quelque chose de caché derrière cette
histoire, car un reproche qui ne correspond pas à la réalité des faits ne
blesse pas durablement. Par ailleurs, je suis arrivé à la conclusion que le
récit que fait de Dora de la scène du lac devait correspondre entièrement à
la vérité. Une fois qu’elle eut compris où Monsieur K. voulait en venir, elle
ne le laissa pas finir sa phrase, lui envoya une gifle sur le visage et s’enfuit.
Ce comportement dut sembler à l’homme resté pantois tout aussi
incompréhensible qu’à nous, car il avait dû depuis longtemps, à partir
d’innombrables petits signes, aboutir à la conclusion que l’affection de la
jeune fille lui était acquise. Dans la discussion du second rêve, nous
découvrirons la solution de ce mystère tout comme le reproche à soi de
Dora que, dans un premier temps, nous avons cherché en vain.
Alors que les plaintes à l’encontre du père se répétaient avec une
monotonie épuisante et que les crises de toux se poursuivaient, j’en vins à
penser que ce symptôme pouvait avoir une signification liée au père. Les
exigences que j’ai l’habitude d’avoir à l’égard de l’explication d’un
symptôme étaient par ailleurs loin d’être remplies. D’après une règle que
j’ai toujours vue confirmée, mais que je n’ai pas eu encore le courage de
formuler sous une forme universelle, un symptôme signifie la
représentation – la réalisation – d’un fantasme au contenu sexuel. Il signifie
donc une situation sexuelle. Je devrais plutôt dire qu’au moins une des
significations du symptôme correspond à la représentation d’un fantasme
sexuel, mais que cette limitation de contenu ne s’applique pas à ses autres
significations. Le fait qu’un symptôme ait plus d’une signification et qu’il
serve simultanément à la représentation de plusieurs processus de pensée
inconscients est une chose que l’on apprend très vite quand on se plonge
dans le travail psychanalytique. Je souhaiterais encore ajouter que, d’après
mes observations, un seul processus de pensée inconscient ou un seul
fantasme ne pourra que très rarement, sinon jamais, suffire à générer un
symptôme.
L’occasion d’interpréter la toux nerveuse de Dora au moyen d’une
situation sexuelle fantasmée se présenta très vite. Alors qu’elle insistait de
nouveau sur le fait que Madame K. n’aimait son père que parce que c’était
un homme riche et puissant30, je remarquais à certains détails de son
expression, que je laisserai ici de côté comme l’essentiel de la partie
purement technique du travail analytique, que cette phrase cachait
exactement son contraire : son père est un homme pauvre et impuissant.
Cela ne pouvait avoir qu’un sens sexuel : son père en tant qu’homme est
impuissant. Après qu’elle eut confirmé cette interprétation de façon
consciente, je lui faisais remarquer dans quelle contradiction elle sombrait
si d’une part elle maintenait que la relation de son père avec Madame K.
était une liaison amoureuse au sens courant du terme et si de l’autre, elle
prétendait qu’il était impuissant, c’est-à-dire incapable de profiter d’une
telle relation. La réponse de Dora montrait qu’elle n’était pas obligée de
reconnaître la contradiction que je venais de mentionner. « Il est bien
connu, disait-elle, qu’il existe plus d’une forme de satisfaction sexuelle. » Il
lui était toutefois impossible d’identifier la source d’un tel savoir. Quand je
lui demandais si elle entendait par là l’utilisation d’autres organes que les
parties génitales dans la relation sexuelle, elle me le confirma. Je pouvais
alors poursuivre et lui demander si elle pensait alors à ces parties du corps
qui se trouvaient chez elle en état d’irritation (la gorge et la cavité buccale).
Elle ne voulait bien sûr pas en savoir autant sur ses propres pensées et, si le
symptôme en question avait été rendu possible, elle ne pouvait absolument
pas clarifier les choses de la sorte. Un complément aux faits exposés ci-
dessus était inévitable : elle se représentait avec sa toux spasmodique, qui
avait comme stimulus courant un chatouillement dans la gorge, une
situation de satisfaction sexuelle per os [par la bouche] entre les deux
personnes dont la liaison amoureuse occupait constamment son esprit. Très
peu de temps après cette explication tacitement acceptée, la toux disparut,
ce qui bien sûr s’accordait parfaitement bien avec ma vision des choses,
mais nous ne voulons pas attribuer trop d’importance à cette transformation
parce qu’elle a déjà eu lieu si souvent de façon spontanée.
Si ce petit fragment d’analyse devait éveiller chez le lecteur médecin,
par-delà l’incrédulité qu’il est libre d’éprouver, un sentiment de stupeur et
d’horreur, je suis prêt à examiner ici même la justification de ces deux
réactions. Pour ce qui est de la stupeur, elle est, j’imagine, motivée par le
fait que j’ose parler de choses aussi scabreuses et abominables avec une
jeune fille – ou même en général avec une femme en âge d’avoir des
rapports sexuels. L’horreur provient sûrement de la possibilité qu’une jeune
fille sans expérience soit au courant de telles pratiques et que celles-ci
puissent occuper son imagination. Je conseillerais sur ces deux points de
revenir à une attitude plus mesurée et plus réfléchie. Il n’y a dans un cas
comme dans l’autre aucune raison de s’indigner. On peut parler avec une
jeune fille ou une femme de choses sexuelles sans leur porter préjudice et
sans éveiller de soupçons contre soi à condition d’adopter une certaine
manière de faire et de convaincre les patientes qu’il s’agit là d’un sujet
inévitable. Le gynécologue également se permet sous ces mêmes conditions
de soumettre ses patientes à tous les dévoilements possibles de leur corps.
La meilleure façon de parler de ces choses est de les aborder de la façon la
plus directe et la plus sèche. De la sorte, on se tient au plus loin de la
lubricité avec laquelle ces sujets sont généralement abordés en société et à
laquelle les jeunes filles tout comme les femmes sont tout à fait habituées.
Je donne aux organes et aux processus leurs noms techniques et je les
communique aux patientes quand ces noms ne leur sont par hasard pas
connus. « J’appelle un chat un chat31. » J’ai entendu des personnes,
médecins ou non, se scandaliser d’une thérapie où de tels sujets étaient
abordés. Ils semblaient m’envier ou envier ma patiente de l’excitation qui,
d’après leurs attentes, devait résulter de telles conversations. Mais, je
connais trop bien la bienséance de ces messieurs pour m’emporter. Je
résisterai à la tentation d’écrire une satire de ces gens. Je ne mentionnerai
que le fait suivant. J’ai souvent la satisfaction d’entendre de la part d’une
patiente, pour qui il avait été difficile au début de se faire à cette franchise
sur les choses sexuelles, l’exclamation suivante : « Non vraiment, votre
cure est bien plus décente que les discussions de Monsieur X ! »
Il faut être convaincu de la nécessité d’aborder les sujets sexuels avant
d’entreprendre le traitement d’un cas d’hystérie ou du moins il faut être prêt
à se laisser convaincre par l’expérience. On se dit alors : « Pour faire une
omelette, il faut casser des œufs32. » Il est facile de convaincre les
patientes, les occasions d’aborder ces questions ne manquent pas tout au
long du traitement. On ne doit pas se reprocher de discuter avec ses
patientes de faits de la vie sexuelle normale ou anormale. Quand on est un
tant soit peu prudent, on ne fait que traduire pour elles dans la conscience ce
qu’elles savent déjà dans l’inconscient. Toute l’action de la cure repose sur
la compréhension suivante : les effets affectifs d’une idée inconsciente sont
plus forts et plus néfastes – car irréfrénables – que ceux d’une idée
consciente. On ne risque jamais de corrompre une jeune fille
inexpérimentée. Quand il n’y a pas dans l’inconscient de connaissance des
processus sexuels, il ne peut pas y avoir non plus de symptôme hystérique.
Mais là où l’on rencontre l’hystérie, il ne peut plus être question
d’« innocence de la pensée » au sens où les parents et les éducateurs
l’entendent. Chez les enfants, filles comme garçons, de dix, douze ou
quatorze ans, je suis convaincu de la validité absolue de cette affirmation.
Pour ce qui est de la réaction émotive qui s’adresse non à moi, mais à la
patiente – en supposant que j’ai raison sur la nature de sa maladie – et qui
juge affreux le caractère pervers de ses fantasmes, je tiens à souligner que
de tels emportements passionnels du jugement ne conviennent pas à un
médecin. Je trouve par ailleurs superflu qu’un médecin qui écrit sur les
égarements des pulsions sexuelles, profite de chaque occasion pour insérer
dans son texte l’expression de son dégoût personnel pour ces choses si
répugnantes. Il y a là un fait auquel nous sommes censés nous habituer en
réprimant nos propres inclinations. Il faut pouvoir parler, sans s’indigner, de
ce que nous appelons les perversions sexuelles, c’est-à-dire de la
transgression de la fonction sexuelle vers certaines zones du corps et
certains objets sexuels. L’absence de déterminations précises des limites de
ce qu’il convient d’appeler la vie sexuelle normale chez les différentes races
et à différentes époques devrait calmer les plus zélés d’entre nous. Nous ne
devons pas oublier que la plus repoussante de ces perversions, l’amour
sensuel d’un homme pour un homme, n’était pas seulement tolérée chez un
peuple cultivé comme les Grecs que nous considérons même supérieur à
nous, mais se voyait attribuer une fonction sociale d’importance. Chacun de
nous dans sa propre vie sexuelle transgresse légèrement, tantôt là, tantôt
ailleurs, les strictes limites de la normalité. Les perversions ne sont ni
bestialité ni dégénérescence au sens émotionnel de ces termes. Ce sont des
développements de germes contenus dans les dispositions sexuelles
indifférenciées de l’enfant qui en étant réprimées ou canalisées vers des fins
plus élevées et asexuelles – c’est-à-dire sublimées – sont destinés à fournir
les forces de bon nombre de nos performances culturelles. Quand quelqu’un
devient pervers de façon grossière et manifeste, il est plus juste de dire qu’il
l’est resté, il fait montre d’un stade de développement inhibé. Les
psychonévrosés sont tous des personnes avec des tendances perverses fortes
qui au cours de leur développement ont été refoulées et sont devenues des
tendances perverses inconscientes. Leurs fantasmes inconscients renvoient
donc exactement au même contenu que les actions répertoriées des pervers
même s’ils n’ont pas lu la Psychopathia sexualis de Kraft-Ebbing à
laquelle les personnes naïves attribuent tant de responsabilité dans
l’apparition de ces tendances perverses. Les psychonévroses sont pour ainsi
dire le négatif des perversions. La constitution sexuelle qui comprend
l’expression du facteur héréditaire agit chez les névrosés de concert avec
des influences accidentelles qui dérangent le déploiement d’une sexualité
normale. Les eaux qui rencontrent un obstacle dans le lit du fleuve refluent
vers des cours plus anciens qui semblaient destinés à disparaître. Les forces
pulsionnelles responsables de la formation des symptômes hystériques ne
proviennent pas seulement de la sexualité normale refoulée, mais aussi
d’impulsions perverses inconscientes33.
Les perversions moins repoussantes parmi ce qu’on nomme les
perversions sexuelles jouissent de la plus grande diffusion dans notre
population comme tout un chacun le sait à l’exception des médecins qui
publient sur ces questions. Ou plutôt, ils le savent également, mais ils
s’efforcent de l’oublier juste au moment où ils prennent leur plume pour
écrire sur ce sujet. Il n’est donc pas étonnant que notre hystérique de bientôt
dix-neuf ans, qui avait entendu parler de l’existence d’un tel rapport sexuel
(la succion du membre), ait développé un tel fantasme inconscient qu’elle
exprimait à travers la sensation de chatouillement dans la gorge et par la
toux. Il n’aurait pas non plus été étonnant qu’elle parvienne à un tel
fantasme sans la moindre initiation extérieure comme j’ai pu l’établir avec
certitude chez d’autres patientes. La condition somatique préalable à la
création indépendante d’un tel fantasme, qui se confond avec les pratiques
des pervers, provenait dans son cas d’un fait remarquable. Elle se souvenait
très bien qu’elle avait été dans son enfance une « suceuse » de pouce. Le
père se rappelait aussi qu’il l’avait débarrassée de cette habitude qui s’était
prolongée jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans. Dora avait clairement en
mémoire une scène de sa tendre enfance : elle était assise par terre dans un
coin suçant son pouce gauche alors que de la main droite elle tiraillait le
lobe de l’oreille de son frère tranquillement assis à côté d’elle. Il s’agit là de
la forme parfaite de l’autosatisfaction par succion ainsi que d’autres de mes
patientes – qui sont plus tard devenues anesthésiques et hystériques – me
l’ont rapportée. J’ai recueilli de l’une de celles-ci un fait qui éclaire
l’origine de cette curieuse habitude. Cette jeune femme, qui ne s’était
jamais défaite de son habitude de sucer son pouce, se voyait dans un
souvenir d’enfance, remontant, selon elle, à la première moitié de sa
deuxième année, en train de téter le sein de sa nourrice tout en tirant
l’oreille de celle-ci de façon rythmée. Je pense que personne ne contestera
le fait que les muqueuses des lèvres et de la bouche puissent être définies
comme une zone érogène primaire puisque celle-ci conserve encore
partiellement cette signification dans le cas du baiser qui est considéré
comme quelque chose de normal. L’activité intense et précoce de cette zone
érogène est donc la condition de la complaisance somatique ultérieure de la
part du tractus muqueux qui commence aux lèvres. Quand dans une phase
plus tardive où le véritable objet sexuel, le membre viril, est connu, se
produisent des situations qui éveillent à nouveau l’excitation de la zone
buccale restée érogène, il n’est pas besoin alors d’une grosse dépense
d’énergie créatrice pour remplacer dans la situation de satisfaction, le
mamelon originel et le doigt qui fait office de substitut, par l’objet sexuel
actuel, le pénis. Ainsi ce fantasme pervers et extrêmement choquant de
sucer le pénis a une origine tout à fait innocente. Il s’agit d’une
transformation de l’impression pour ainsi dire préhistorique de sucer le sein
de la mère ou de la nourrice – impression qui est généralement réveillée par
le contact avec des nourrissons. Le pis de vache sert très souvent de
représentation intermédiaire entre le mamelon et le pénis.
Cette interprétation du symptôme de la gorge chez Dora nous conduit à
faire une autre remarque. On peut se demander comment cette situation
sexuelle fantasmée s’accorde avec l’autre explication fournie
précédemment, à savoir que l’apparition et la disparition des symptômes de
maladie mimaient la présence et l’absence de l’homme aimé, exprimant
ainsi à propos du comportement de sa femme la pensée suivante : « Si
j’étais sa femme, je l’aimerais bien différemment, je serais malade (de
nostalgie) quand il serait en voyage, et en bonne santé quand il serait de
nouveau à la maison. » D’après mon expérience de la résolution des
symptômes hystériques, la réponse suivante s’impose : il n’est pas
nécessaire que les différentes significations d’un symptôme s’accordent
entre elles, c’est-à-dire se complètent et forment un ensemble cohérent. Il
suffit que cet ensemble soit constitué par un thème commun à l’origine de
tous les différents fantasmes. Dans notre cas, une telle compatibilité n’est
par ailleurs pas exclue. La première signification a plus trait à la toux, la
seconde à l’aphonie et à l’apparition et à la disparition de la maladie. Une
analyse plus fine aurait probablement laissé apparaître une signification
psychique beaucoup plus riche des détails de la maladie. Nous avons déjà
eu l’occasion d’apprendre qu’un symptôme correspond très souvent à
plusieurs significations simultanément. Ajoutons maintenant qu’il peut
également exprimer plusieurs significations successivement. Le
symptôme peut au cours des années changer une de ses significations, voire
même sa signification principale. Le rôle directeur peut être transféré d’une
signification à une autre. Il y a comme un trait conservateur dans le
caractère de la névrose, le symptôme une fois formé sera conservé autant
que possible quand bien même la pensée inconsciente qui trouve en lui son
expression a perdu sa signification. Il est facile d’expliquer de façon
mécanique cette tendance à la conservation du symptôme. La production
d’un tel symptôme est si difficile, le transfert de l’excitation purement
psychique dans le corps – ce que j’ai appelé la conversion – est dépendant
de tant de conditions favorables, la complaisance somatique nécessaire pour
réaliser cette conversion est si peu facile à obtenir que le besoin pressant de
se décharger de l’excitation qui provient de l’inconscient conduit à ce que
celle-ci a tendance autant que possible à se satisfaire des issues déjà
praticables. Au lieu de réaliser une nouvelle conversion, il est bien plus
facile, semble-t-il, de produire un lien associatif entre une nouvelle pensée
qui a besoin de s’exprimer et une ancienne qui a perdu cette nécessité.
L’excitation qui jaillit d’une source nouvelle se décharge dans la partie du
corps qui servait auparavant de lieu d’expression. Le symptôme ressemble,
comme le dit l’Évangile, à une vieille outre remplie de vin nouveau. Si,
d’après cette explication, la part somatique du symptôme hystérique
apparaît comme l’élément le plus constant et le plus difficilement
remplaçable, et la part psychique comme l’élément changeant et facilement
substituable, il ne faut pas chercher à déduire de ce rapport une quelconque
hiérarchie. La composante psychique est toutefois la plus importante pour la
thérapie psychique.
La répétition incessante des mêmes pensées à propos de la liaison du
père avec Madame K. fut l’occasion pour l’analyse de réaliser une autre
percée importante.
Un tel enchaînement de pensées peut être désigné comme extrêmement
intense ou mieux comme étant renforcé ou survalent au sens de Wernicke.
Malgré son contenu apparemment correct, il se révèle maladif par une
particularité : il ne peut disparaître ou être mis de côté quels que soient les
efforts conscients et volontaires de la personne. On peut venir à bout d’un
enchaînement normal de pensées même lorsqu’il est très intense. Dora
ressentait tout à fait justement que ses pensées sur son père exigeaient d’elle
un jugement particulier. « Je ne peux penser à rien d’autre, se plaignait-elle
de manière récurrente. Mon frère me dit bien, nous les enfants nous n’avons
pas le droit de critiquer les actes de papa. Nous ne devons pas nous
inquiéter, mais au contraire peut-être même nous réjouir qu’il ait trouvé une
femme auquel son cœur puisse s’attacher, car maman le comprend si peu. Je
perçois bien cela et j’aimerais penser comme mon frère, mais je ne peux
pas. Je ne peux pas lui pardonner34. »
Que fait-on face à une telle pensée survalente une fois que l’on a
entendu sa justification consciente et les objections soulevées contre elles
sans le moindre résultat ? On se dit que l’intensification de cet
enchaînement de pensées provient de l’inconscient. Le travail de la
pensée ne parvient pas à dissoudre cet enchaînement soit parce que ses
racines plongent jusque dans des pensées inconscientes et refoulées soit
parce qu’il cache derrière lui une autre pensée inconsciente. Cette pensée
inconsciente est le plus souvent le contraire de la pensée survalente. Les
contraires sont toujours intimement liés l’un à l’autre et souvent accouplés
de telle sorte qu’une pensée est présente à la conscience de façon
excessive tandis que sa contrepartie est refoulée et inconsciente. Un
tel rapport entre deux pensées est le résultat d’un processus de refoulement.
En effet, le refoulement est souvent réalisé de manière à ce que soit renforcé
le contraire de la pensée à refouler. J’appelle ce phénomène un
renforcement réactif et la pensée qui s’affirme de façon excessive dans la
conscience et qui ne peut en être écartée à la manière d’un préjugé, une
pensée réactive. Les deux pensées se comportent l’une envers l’autre
comme les deux aiguilles d’un couple d’aiguilles astatiques. La pensée
réactive maintient grâce à son excédent d’intensité la pensée dérangeante
dans un état de refoulement. Elle est ainsi « étouffée » et protégée contre les
efforts conscients de la pensée. Rendre consciente la pensée refoulée est
donc le moyen de retirer à la pensée réactive son intensité excessive.
On ne peut pas exclure du possible le cas où ce n’est pas une des deux
pensées qui est responsable de la survalence de l’autre, mais plutôt la
combinaison des deux. Il peut y avoir d’autres complications, mais elles
s’inscrivent toutes relativement facilement dans le schéma décrit.
Appliquons l’explication précédente au cas de Dora et commençons par
la première hypothèse, à savoir que l’origine de son obsession concernant la
relation de son père avec Madame K. lui est inconnue parce qu’elle se
cache dans l’inconscient. Il n’est pas difficile de deviner à partir des
circonstances et des phénomènes relatés et observés quelle peut être cette
origine. Le comportement de Dora dépassait de loin ce que l’on pouvait
attendre d’une fille. Elle avait plutôt les sentiments et l’attitude d’une
femme jalouse qu’il eût été plus compréhensible de trouver chez sa mère.
Par son exigence « c’est soit elle, soit moi », par les scènes qu’elle faisait et
par la menace de suicide qu’elle voilait à peine, elle se mettait clairement à
la place de sa mère. Si la situation sexuelle fantasmée qui est à l’origine de
sa toux a bien été identifiée, elle se mettait dans celle-ci à la place de
Madame K. Elle s’identifiait donc aux deux femmes, celle qu’avait aimée
son père dans le passé et celle qu’il aimait actuellement. La conclusion
presque évidente est que son affection était dirigée sur son père de façon
bien plus forte qu’elle ne le savait ou qu’elle eût été prête à l’admettre. Elle
était amoureuse de son père.
J’ai appris à considérer ces relations d’amour inconscientes entre père et
fille et entre mère et fils – connues pour leurs conséquences anormales –
comme la résurgence de germes affectifs infantiles. J’ai exposé ailleurs35 à
quel point l’attraction sexuelle entre parents et enfants se faisait sentir à un
âge précoce. J’ai montré également que la légende d’Œdipe devait
vraisemblablement être comprise comme l’élaboration poétique de ce qu’il
y a de caractéristique dans ces relations. Ce penchant précoce de la fille
pour le père et du fils pour la mère, dont on trouve probablement des traces
chez la plupart des hommes, doit être supposé plus intensif dès le début
chez les enfants prédisposés à la névrose de par leur constitution, chez ceux
qui se développent de façon prématurée et chez ceux qui sont avides
d’amour. Par la suite, d’autres influences dont il n’est pas besoin de parler
ici entrent en jeu qui viennent fixer ou renforcer ce sentiment d’amour
rudimentaire. Ainsi dès l’enfance ou à l’âge de la puberté, ce sentiment
devient quelque chose qu’il convient d’assimiler à un penchant sexuel et
qui, comme celui-ci, capte la libido36. Les circonstances externes dans le cas
de notre patiente ne sont pas loin de confirmer une telle hypothèse. Ses
dispositions avaient toujours poussé Dora vers son père. Les nombreuses
maladies de ce dernier avaient dû augmenter son affection pour lui. À
plusieurs occasions quand il était malade, personne d’autre qu’elle n’était
autorisé à faire les petites opérations que demandaient les soins du père.
Fier de l’intelligence précoce de sa fille, il l’avait élevée dès l’enfance au
rang de confidente. L’apparition de Madame K. avait fait perdre à Dora plus
qu’à sa mère nombre de ses privilèges.
Quand je dis à Dora que j’étais forcé de supposer que son affection pour
son père avait pris très tôt les traits du parfait comportement amoureux, elle
me fit certes sa réponse habituelle : « Je ne m’en souviens pas. » Pourtant
tout de suite après, elle me relata quelque chose d’analogue à propos de sa
cousine de sept ans (du côté de sa mère) chez qui elle croyait souvent voir
le reflet de sa propre enfance. La petite venait à nouveau d’assister à une
dispute entre ses parents et avait chuchoté à l’oreille de Dora qui lui avait
rendu visite juste après : « Tu ne peux pas t’imaginer combien je hais cette
personne (montrant la mère) ! Quand elle mourra, je me marierai avec
papa. » J’ai pris l’habitude de considérer comme une confirmation de
l’inconscient ces associations qui mettent en avant quelque chose qui
s’accorde avec le contenu de mon affirmation. On ne peut percevoir aucun
autre type de « oui » de l’inconscient. Quant à un « non » inconscient, il n’y
en a tout simplement pas37.
Cette passion amoureuse pour son père ne s’était pas exprimée pendant
des années. Elle avait été longtemps, au contraire, dans les meilleurs termes
avec la femme qui l’avait supplantée auprès de son père et avait facilité la
relation de cette femme avec lui comme les reproches à soi de Dora nous
l’ont appris. Cet amour s’était réveillé récemment et si tel fut bien le cas, on
peut se demander quelle en avait été la raison. C’était manifestement un
symptôme réactif qui devait réprimer quelque chose d’autre, encore
puissant, dans son inconscient. Vu la situation, je pensais tout d’abord que
la pensée réprimée était son amour pour Monsieur K. Il me fallait supposer
qu’elle était encore amoureuse, mais que depuis la scène du lac, ses
sentiments rencontraient une forte résistance intérieure – provenant de
motifs inconnus. La jeune fille avait dû alors réveiller et intensifier son
ancienne affection pour son père pour ne plus laisser apparaître dans sa
conscience la moindre trace de cet amour de ses premières années
d’adolescence qui maintenant l’embarrassait. Je parvenais ainsi à saisir un
conflit qui était de nature à ébranler la vie psychique de cette jeune fille.
D’un côté, elle était pleine de regrets d’avoir rejeté les avances de cet
homme et pleine de nostalgie pour cette personne et pour les petits signes
de son affection, de l’autre, de puissants motifs, parmi lesquels il était facile
de reconnaître son orgueil, s’opposaient à ces sentiments d’amour et de
nostalgie. Ainsi elle était parvenue à se convaincre qu’elle en avait fini avec
Monsieur K. – c’était le gain de ce processus typique de refoulement – et
pourtant il lui fallait convoquer et exagérer son penchant infantile pour son
père afin de se protéger de la passion qui menaçait toujours de se frayer un
passage jusqu’à la conscience. Le fait qu’elle se trouvait dès lors presque
entièrement possédée par la jalousie et la colère se prêtait, semble-t-il, à une
autre détermination38.
Que cette présentation des choses provoque chez Dora le rejet le plus
net n’allait pas le moins du monde à l’encontre de mes attentes. Le « non »
que l’on entend de la bouche du patient après avoir porté à sa perception
consciente la pensée refoulée ne fait que constater le refoulement et sa
rigueur, il en mesure en quelque sorte l’intensité. Quand on ne comprend
pas ce « non » comme l’expression d’un jugement impartial dont le malade
n’est pas capable, que l’on passe outre et que l’on poursuit le travail, alors
apparaissent rapidement les premières preuves que le « non » dans ce cas
signifie le « oui » que l’on souhaitait entendre. Elle reconnut qu’elle ne
parvenait pas à être fâchée contre Monsieur K. autant qu’il le méritait. Elle
raconta qu’un jour, elle l’avait rencontré dans la rue alors qu’elle était en
compagnie d’une cousine qui ne le connaissait pas. La cousine s’écria
soudain : « Dora, que t’arrive-t-il ? Tu es livide ! » Elle n’avait rien senti de
cette transformation physique. Elle dut pourtant écouter mon explication
selon laquelle les mouvements du visage et l’expression des émotions
obéissent davantage à l’inconscient qu’à la conscience et trahissent plutôt le
premier39. Une autre fois, elle vint chez moi de très mauvaise humeur après
avoir été uniformément joyeuse durant plusieurs jours. Elle ne trouvait pas
d’explication à ce changement d’humeur. « Je suis si contrariée
aujourd’hui », expliquait-elle. C’était l’anniversaire de son oncle et elle ne
parvenait pas à lui faire ses vœux. Elle ne savait pas pourquoi. Mon sens de
l’interprétation n’était pas aiguisé ce jour-là, je la laissais parler. Soudain,
elle se souvint que c’était aujourd’hui également l’anniversaire de Monsieur
K., ce que je ne manquais pas d’utiliser contre elle. Il n’était alors pas
difficile d’expliquer pourquoi les magnifiques cadeaux qu’elle avait reçus
quelques jours plus tôt pour son anniversaire ne lui avaient procuré aucune
joie. Il manquait le cadeau de Monsieur K., celui qui autrefois était pour
elle manifestement le plus important.
Dora, cependant, continua quelque temps à nier mes affirmations,
jusqu’à ce que, vers la fin de l’analyse, la preuve décisive de leur justesse
soit fournie.
Je dois maintenant évoquer une autre complication à laquelle je n’aurais
sûrement accordé aucune importance si j’étais un écrivain qui devait
inventer, pour une nouvelle, un tel état d’âme au lieu de le disséquer comme
un médecin. L’élément auquel je vais maintenant me référer ne peut que
troubler et estomper le beau conflit poétique que nous sommes en droit de
supposer chez Dora. Cet élément est à juste titre victime de la censure de
l’écrivain qui simplifie les choses et les rend plus abstraites quand il prend
le rôle du psychologue. Mais dans la réalité que je m’efforce de décrire, la
complication des motifs, l’accumulation et la conjonction des mouvements
psychiques, en bref leur surdétermination, sont la règle. Derrière
l’enchaînement de pensées survalent centré sur la relation du père avec
Madame K., se cachait en effet un sentiment de jalousie dont l’objet était
cette même femme – il s’agissait donc d’un sentiment qui ne pouvait que
reposer sur le penchant de Dora pour le sexe féminin. Il est connu depuis
longtemps et il a souvent été souligné que chez les garçons et les filles à
l’âge de la puberté, on peut observer des signes qui dénotent clairement
l’existence de penchants homosexuels, y compris dans des cas normaux.
L’amitié exaltée pour une camarade d’école avec ses serments, ses baisers,
ses promesses d’une correspondance éternelle et toute la susceptibilité de la
jalousie est l’expérience préliminaire commune qui précède la première
passion pour un homme. Sous certaines conditions favorables, cette
tendance homosexuelle disparaît complètement. Quand la chance ne sourit
pas avec les hommes, cette tendance est souvent réveillée plus tard par la
libido et atteint différentes intensités. S’il est possible d’établir tout cela
sans la moindre difficulté chez les personnes saines, on peut s’attendre –
suite aux remarques précédentes sur le développement plus poussé chez les
névrosés des germes normaux de la perversion – à trouver chez ces derniers
également d’assez fortes dispositions homosexuelles dans leur constitution.
Il doit en effet en être ainsi, car je n’ai jamais mené à bien la moindre
psychanalyse d’un homme ou d’une femme sans avoir à prendre en compte
cette importante tendance homosexuelle. Quand, chez les femmes et les
jeunes filles hystériques, la libido sexuelle orientée vers l’homme a connu
une répression violente, on trouve souvent la libido orientée vers la femme
renforcée par vicariance et même partiellement consciente.
Je ne poursuivrai pas plus avant sur ce sujet important et indispensable
particulièrement pour comprendre l’hystérie chez les hommes, car l’analyse
de Dora s’est interrompue avant qu’elle puisse éclairer cet aspect des choses
chez elle. Mais je me souviens à ce propos de cette gouvernante avec
laquelle elle entretenait au début un échange de pensées intime jusqu’à ce
qu’elle remarque qu’elle était appréciée et bien traitée par elle non pas en
raison de sa propre personne, mais en raison de celle de son père. Elle
l’obligea alors à quitter la maison. Elle s’attardait de façon étonnamment
fréquente et avec une emphase particulière sur le récit d’un autre cas de
séparation qui lui paraissait à elle aussi mystérieux. Elle s’était toujours
particulièrement bien entendue avec sa deuxième cousine – qui s’était plus
tard fiancée comme nous l’avons vu – et avait partagé avec elle toute sorte
de secrets. Quand le père partit pour B. la première fois après la scène du
lac et que Dora refusa bien évidemment de l’accompagner, il fut demandé à
cette cousine de l’accompagner. Dès lors, Dora fut en froid avec elle, elle
s’étonnait elle-même de ce qu’elle lui était devenue complètement
indifférente, bien qu’elle reconnaissait qu’elle n’avait aucun reproche
important à lui faire. Ces cas de susceptibilité me conduisirent à demander
quelle avait été sa relation avec Madame K. avant leur brouille. J’appris
alors que la jeune femme et Dora, qui était à l’époque tout juste une jeune
fille, avaient vécu des années dans la plus grande intimité. Quand Dora
séjournait chez les K., elle partageait la chambre de Madame K. Monsieur
K. était relogé dans une autre chambre. Dora était la confidente et la
conseillère de Madame K. dans toutes les difficultés de sa vie conjugale. Il
n’y avait pas un sujet qu’elles n’avaient pas discuté entre elles. Médée était
très contente que Créüse attire à elle ses deux enfants40. Elle ne faisait
sûrement rien pour déranger la liaison du père de ces enfants avec la jeune
fille. Comment Dora en était venue à aimer l’homme dont sa tendre amie
savait dire tant de mal ? C’est là un problème psychologique intéressant qui
peut être résolu par la compréhension du fait que dans l’inconscient, les
pensées se tiennent les unes à côté des autres dans la plus grande aisance et
qu’y compris les contraires s’accordent entre eux sans la moindre dispute –
ce qui reste relativement souvent le cas même dans la conscience.
Quand Dora parlait de Madame K., elle faisait l’éloge de son « corps
blanc à ravir » en employant un ton qui était plus celui de l’amoureuse que
de la rivale vaincue. Avec plus de tristesse que d’irritation, elle me dit une
fois qu’elle était convaincue que les cadeaux que son père lui faisait étaient
choisis par Madame K., car elle y reconnaissait son goût. Elle souligna une
autre fois qu’elle avait reçu en cadeau, visiblement par l’entremise de
Madame K., des bijoux très semblables à ceux qu’elle avait vus à l’époque
chez elle et pour lesquels elle avait exprimé à haute voix son désir. En effet,
je n’ai pas entendu, je dois dire, la moindre parole dure ou irritée contre
cette femme qui pourtant, d’après le point de vue de sa pensée survalente,
devrait être considérée comme la cause de son malheur. Elle se comportait
de façon inconséquente, semblait-il, mais cette inconséquence apparente
était justement l’expression d’un flot de sentiments qui venait compliquer
l’affaire. Car comment s’était comportée l’amie si follement aimée à son
égard ? Après que Dora eut présenté ses griefs contre Monsieur K. et que
son père lui eut demandé par écrit des explications, il répondit tout d’abord
en protestant de toute l’estime qu’il portait à Dora et il se proposa de venir à
la ville de l’usine du père pour éclaircir tous les malentendus. Quelques
semaines plus tard, lorsque le père lui parla à B., il n’était plus question de
l’estime qu’il avait pour Dora. Il l’humilia et joua son va-tout en déclarant
qu’une jeune fille qui lisait de tels livres et s’intéressait à de telles choses ne
pouvait revendiquer la moindre considération de la part d’un homme.
Madame K. l’avait donc trahie et calomniée. Ce n’était qu’avec elle qu’elle
avait parlé de Mantegazza et d’autres sujets scabreux. C’était la même
histoire qu’avec la gouvernante. Madame K. ne l’aimait pas, elle non plus,
pour elle-même, mais pour son père. Elle n’avait pas hésité à la sacrifier
pour ne plus être dérangée dans sa relation avec son père. Il est possible que
cette blessure la touchât plus profondément et ait agi de manière plus
pathogène sur elle que l’autre blessure – son père l’avait sacrifiée – qui
servait d’écran à celle-ci. L’amnésie maintenue avec tant d’obstination sur
les sources de ses connaissances scabreuses ne pointe-t-elle pas directement
sur la valeur affective particulière qu’eurent pour Dora les accusations
portées contre elle et la trahison de son amie ?
Je ne crois donc pas me tromper en supposant que la pensée survalente
de Dora qui tournait autour de la relation de son père avec Madame K.
n’était pas seulement destinée à réprimer son amour pour Monsieur K. qui
fut un temps conscient, mais aussi à cacher son amour plus profondément
inconscient pour Madame K. Sa pensée survalente était en rapport
d’opposition directe avec ce dernier penchant affectif. Elle se répétait sans
cesse que son père l’avait sacrifiée pour cette femme, démontrait avec
beaucoup d’emphase qu’elle ne la laisserait pas prendre possession de son
père, mais c’était le contraire qui se cachait derrière tout cela. Elle ne
pouvait pas laisser à son père l’amour de cette femme et n’avait pas
pardonné à la femme aimée la déception qu’avait provoquée chez elle sa
trahison. Le sentiment de jalousie de la femme était couplé dans
l’inconscient à un sentiment de jalousie qu’aurait pu éprouver un homme.
Ces flots affectifs masculins ou, pour le dire mieux, gynécophiles sont
typiques de la vie érotique inconsciente d’une jeune fille hystérique.

1. Goethe, Faust I, v. 2370-2371.

2. Un confrère médecin m’envoya jadis sa sœur pour un traitement psychothérapeutique. Celle-ci, selon ses dires, était traitée depuis des années sans le moindre succès pour
une hystérie (douleurs et trouble de la marche). Cette brève description semblait s’accorder avec le diagnostic. Lors de la première séance, je me fis raconter par la patiente elle-même
l’histoire de sa vie. Comme son récit, à part quelques événements étranges auxquels elle fit référence, semblait parfaitement clair et ordonné, je me disais, il ne peut s’agir d’un cas
d’hystérie et j’entrepris immédiatement un examen corporel minutieux. Cet examen eut pour résultat que je diagnostiquais chez elle un tabès relativement avancé qui connut une
amélioration considérable suite à des injections de mercure (ol. cinereum, administrées par le professeur Lang).

3. Les amnésies et les illusions du souvenir entretiennent un rapport de complémentarité. Là où se forment des grands trous de la mémoire, on rencontrera rarement des
illusions du souvenir. À l’inverse, celles-ci peuvent cacher complètement la présence d’amnésies, du moins au premier regard.

4. Lorsqu’un patient émet des doutes au cours de son récit, une règle empirique nous enseigne de ne pas tenir compte des jugements proférés par le narrateur. Quand le récit
oscille entre deux versions, il convient de considérer la première comme la vraie et la seconde comme un produit du refoulement.

5. Je ne partage pas le point de vue selon lequel l’hérédité est l’étiologie unique de l’hystérie, mais je ne voudrais pas donner l’impression, en renvoyant à des publications
antérieures (« L’hérédité et l’étiologie des névroses », Revue neurologique, 1896) dans lesquelles je lutte contre cette position, que je sous-estime le facteur de l’hérédité dans
l’étiologie de l’hystérie ou que je le tiens pour superflu. Dans le cas de notre patiente, ce que nous avons communiqué à propos du père, de son frère et de sa sœur indique une charge
pathologique suffisante. En effet, quiconque est d’avis que des états pathologiques comme celui de la mère sont impossibles sans prédisposition héréditaire pourra déterminer
l’hérédité de ce cas comme convergente. Pour ce qui relève de la prédisposition héréditaire ou plutôt constitutionnelle de la jeune fille en question, un autre facteur me semble plus
important. J’ai déjà évoqué que le père avait contracté la syphilis avant le mariage. Un pourcentage étonnamment élevé de mes patients psychanalytiques ont des pères qui ont
souffert d’un tabès ou d’une paralysie. En raison de la nouveauté de mon procédé thérapeutique, je récupère les cas les plus graves qui sont déjà traités depuis des années sans le
moindre succès. D’après la théorie d’Erb-Fournier, on peut considérer le tabès ou la paralysie du géniteur comme l’indication d’une infection syphilitique antérieure dont j’ai pu
recueillir une confirmation directe dans un certain nombre de cas auprès des pères eux-mêmes. Dans les dernières discussions de la descendance des syphilitiques (XIIIe Congrès
international de médecine à Paris, 2-9 août 1900, exposés de Finger, Tarnowsky, Jullien et autres), je n’ai pas rencontré l’évocation des faits que mon expérience de neuropathologiste
me pousse à reconnaître, à savoir que la syphilis des géniteurs peut tout à fait être considérée comme un facteur étiologique de la constitution névropathique des enfants.

6. Sur les circonstances probables de cette première maladie, voir plus bas.

7. Voir plus bas, à ce sujet, l’analyse du second rêve.

8. Cette cure tout comme mes vues sur le déroulement de ce cas demeure un fragment ainsi que je l’ai déjà indiqué. C’est pourquoi je ne peux fournir le moindre
éclaircissement sur certains points et seulement m’appuyer sur ces indications et suppositions. Quand cette lettre fut évoquée lors d’une séance, la jeune fille demanda étonnée :
« Comment ont-ils donc trouvé la lettre ? Elle était pourtant enfermée dans mon bureau. » Mais comme elle savait que ses parents avaient lu son brouillon de lettre d’adieu, j’en
conclus qu’elle s’était elle-même arrangée pour qu’elle tombe entre leurs mains.

9. Je crois qu’on pouvait observer également lors de cette crise des spasmes et des délires. Mais comme l’analyse n’est pas parvenue jusqu’à l’évocation et l’élucidation de
cet événement, je ne dispose d’aucun souvenir fiable de celui-ci.

10. En français dans le texte. (N.d.T.)

11. Sur ce dernier point, voici un exemple. Un de mes collègues viennois, dont la conviction à propos de l’insignifiance du facteur sexuel dans l’hystérie avait
vraisemblablement été renforcée par des expériences de ce genre, en vint pour le cas d’une jeune fille de quatorze ans atteinte de dangereux vomissements hystériques à lui demander
si elle n’avait pas eu une liaison amoureuse. L’enfant répondit : « Non », vraisemblablement en feignant bien l’étonnement. Elle dit ensuite à sa mère en des termes irrespectueux :
« Imagine-toi, cet idiot m’a même demandé si j’étais amoureuse. » La jeune fille vint plus tard suivre un traitement chez moi et il s’avéra – non pas bien sûr lors de la première
séance – qu’elle se masturbait depuis des années et qu’elle avait un fluor albus [c’est-à-dire des pertes blanches, N.d. É.] (fortement lié à ses vomissements). Elle avait finalement
réussi à se défaire de cette habitude, mais elle souffrait dans cet état d’abstinence d’un fort sentiment de culpabilité au point qu’elle considérait tous les malheurs qui frappaient la
famille comme une punition divine de ses péchés. Par ailleurs, elle était sous l’emprise de la liaison de sa tante dont la grossesse adultérine (le deuxième facteur de ses vomissements)
lui avait été soi-disant dissimulée avec succès. Elle était considérée comme une « simple enfant », mais en fait, elle était initiée à tout ce qu’il y a à savoir sur les relations sexuelles.
12. Paolo Mantegazza (1831-1910), sexologue et médecin hygiéniste italien, est notamment le découvreur du principe actif de la coca. Sa Fisiologia dell’amore (1873) a été
traduite en français en 1886 chez Fetscherin & Chuit. (N.d. É.)

13. J’ai dépassé cette théorie sans pour autant l’abandonner. Cela signifie que je ne la considère pas comme incorrecte, mais comme incomplète. Je n’ai abandonné que
l’insistance sur l’état dit « hypnoïde » qui était censé apparaître chez le malade au moment du traumatisme et servir de fondement à tous les événements anormaux qui s’en suivaient.
S’il est permis dans un travail commun de procéder après coup à une division de la propriété, je souhaiterais alors soutenir ici que la thèse des « états hypnoïdes » – que certains
considèrent comme le cœur de notre travail – est née de l’initiative exclusive de Breuer. Je tiens pour superflu et trompeur d’interrompre la continuité du problème que constitue le
processus psychique de la formation des symptômes hystériques par l’usage d’un tel terme.

14. Voir mon article « Zur Ätiologie der Hysterie » [ « Sur l’étiologie de l’hystérie »], Wiener klinische Rundschau, 22-26, 1896.

15. L’appréciation de ces circonstances sera facilitée par les éclaircissements qui seront données par la suite.

16. Le dégoût de Dora ne provient sûrement pas de causes accidentelles. Si tel avait été le cas, elle n’aurait pas manqué de l’évoquer et de s’en souvenir. J’ai connu par
hasard Monsieur K., c’était lui qui avait accompagné le père de la patiente chez moi. C’est un homme encore jeune, d’apparence amène.

17. De tels déplacements ne sont pas seulement admis en vue d’aboutir à une explication de ce genre, mais ils s’avèrent indispensables pour rendre compte de toute une série
de symptômes. Depuis Dora, j’ai noté le même effet de frayeur dû à l’enlacement (sans baiser) chez une jeune fille profondément amoureuse de l’homme auquel elle était fiancée et
qui était venue me voir en raison d’un soudain refroidissement de ses sentiments à l’égard de son fiancé, ce qui l’avait plongée dans un profond état de dépression. Il fut assez facile de
rapporter la frayeur éprouvée à l’érection de son fiancé lors d’un enlacement, que la jeune fille avait perçue, mais aussitôt écartée de sa conscience.

18. Voir plus bas, le second rêve.

19. Ici tout comme dans d’autres cas similaires, il faut s’attendre non pas à une causalité unique, mais à une causalité plurielle, c’est-à-dire à une surdétermination.

20. Toutes ces discussions recèlent de nombreux éléments typiques et courants de l’hystérie. Le thème de l’érection est à l’origine de certains des symptômes les plus
intéressants de l’hystérie. L’attention féminine portée aux contours perceptibles des parties génitales masculines devient, après avoir été refoulée, le motif de nombreux cas de
misanthropie et d’agoraphobie. La relation très large entre le sexuel et l’excrémentiel, dont la signification pathogène ne saurait être exagérée, est à la base d’un très grand nombre de
phobies.

21. C’est là le point de rattachement avec la mise en scène de suicide de Dora qui exprime en quelque sorte son désir d’un amour semblable.

22. Cette gouvernante, qui lisait toute sorte de livres sur la sexualité et en parlait avec la jeune fille, lui avait demandé ouvertement de ne pas révéler à ses parents tout ce
qu’elle lui apprenait à ce sujet car on ne pouvait pas savoir quelle attitude ils adopteraient. J’ai considéré un temps cette femme comme la source des connaissances secrètes de Dora et
je ne me suis peut-être pas trompé complètement en faisant cette hypothèse.

23. Voir plus bas, le second rêve.

24. Ici se pose la question suivante : si Dora était amoureuse de Monsieur K., comment s’explique son rejet des avances de ce dernier dans la scène du lac ou du moins la
forme brutale et colérique de ce rejet ? Comment une jeune fille amoureuse – comme nous allons l’entendre dans la suite de ses propos – peut-elle voir une offense dans des avances
qui ne sont faites ni de façon grossière ni de façon choquante ?

25. Chose courante entre sœurs.

26. J’évoquerai plus tard quelle conclusion j’ai tirée de ces douleurs gastriques.

27. Le terme allemand forgé par Freud, somatisches Entgegen-kommen, désigne un mouvement de rencontre et d’accord entre le corps et le psychique comme si certains
processus du corps allaient à l’encontre de certaines pensées réprimées qui cherchent à s’exprimer. Pour cette raison, la traduction de ce terme par « anticipation somatique » ou
« accomodation somatique », plus proche de l’allemand, pourrait être préférée à « prévenance somatique » et surtout à « complaisance somatique », qui rappelle la traduction anglaise
donnée par les Strachey, somatic compliance. Comme cette traduction-là est aujourd’hui encore la plus couramment utilisée, nous l’avons donc conservée. (N.d.T.)

28. (Note ajoutée en 1923 : ) Sur ce point tout n’est pas juste. L’affirmation selon laquelle les motifs de maladie ne sont pas présents au début de la maladie et n’apparaissent
que dans une seconde phase ne peut être maintenue. Dans le paragraphe suivant, des motifs sont évoqués qui précèdent l’apparition de la maladie et qui en sont en partie responsables.
J’ai plus tard trouvé une meilleure façon de rendre compte des faits en introduisant la distinction entre bénéfice primaire et bénéfice secondaire de la maladie. Le motif de la
maladie est bien sûr toujours l’intention d’obtenir un gain. Ce qui est dit dans ce paragraphe est juste par rapport au bénéfice secondaire de la maladie. Mais, on peut identifier dans
chaque maladie psychonévrotique un bénéfice primaire de la maladie. Tomber malade épargne tout d’abord au malade un effort psychique et se révèle être la solution la plus
commode économiquement dans le cas d’un conflit psychique (c’est la fuite dans la maladie), même si après, l’inanité d’une telle issue s’avère dans la plupart des cas. Cette part du
bénéfice primaire de la maladie peut être décrite comme la part interne et psychologique, elle est pour ainsi dire constante. En plus de cette part, d’autres facteurs externes comme
l’exemple mentionné de la femme oppressée par son mari peuvent fournir d’autres motifs pour tomber malade et ainsi produire la part externe du bénéfice primaire.

29. L’écrivain Arthur Schnitzler, qui est aussi médecin, a donné une très juste expression à ce phénomène connu dans sa pièce Paracelse.

30. Le terme utilisé par Freud ici est vermögend, qui signifie à la fois riche et puissant ; son contraire, unvermögend (pauvre et impuissant), est employé à la fin de la
phrase. (N.d.T.)

31. En français dans le texte. (N.d.T.)

32. En français dans le texte. (N.d.T.)

33. Ces affirmations sur les perversions sexuelles avaient déjà été formulées plusieurs années avant la parution de l’excellent livre de Iwan Bloch (Beiträge zur Aetiologie
der Psychopathia sexualis, 1902 et 1903). Voir également mon livre sorti cette année (1905) : Trois essais sur la théorie sexuelle.

34. Une telle pensée survalente est souvent le seul symptôme, avec une forte dépression, d’une maladie couramment appelée « mélancolie ». Elle peut être guérie par la
psychanalyse à l’instar d’une hystérie.

35. Voir L’Interprétation du rêve, p. 296-297 et le troisième des Trois essais sur la théorie sexuelle, p. 164-166.

36. Le facteur décisif ici est l’apparition précoce de véritables sensations génitales spontanées ou provoquée par la masturbation (voir plus bas).

37. (Note ajoutée en 1923 : ) Il existe une autre forme de confirmation de l’inconscient, très remarquable et entièrement digne de foi, que je ne connaissais pas à l’époque,
c’est l’exclamation du patient : « Je ne pensais pas à cela » ou « Je n’y avais pas pensé ». On peut traduire ces expressions directement de la façon suivante : « Oui, je n’étais pas
conscient de cela. »

38. Que nous verrons plus tard.

39. « Tranquille je puis vous voir apparaître, / Tranquille je vous vois partir. » (Ballade de Schiller, Le Chevalier de Toggenburg, v. 5-6.)

40. Médée, femme de Jason, est répudiée au profit de Créüse, fille du roi Créon. Pour se venger, elle offre à sa rivale une robe empoisonnée et ensorcelée. Créüse l’enfile, se
tord de douleur, puis se transforme en torche vivante, tuant en même temps son père par les flammes. (N.d. É.)
Chapitre II
Le premier rêve
Nous étions arrivés à un stade où nous pouvions espérer éclaircir un
point obscur de l’enfance de Dora grâce au matériel qui avait surgi au cours
de l’analyse quand Dora me raconta qu’elle avait fait, au cours d’une des
nuits précédentes, un rêve qu’elle avait déjà eu plusieurs fois auparavant.
Un rêve récurrent était déjà de nature à éveiller ma curiosité. Il convenait de
saisir, dans l’intérêt du traitement, l’intrication de ce rêve dans l’ensemble
de l’analyse. Je décidai donc de l’étudier avec une attention particulière.
Premier rêve : « Dans une maison, il y a un incendie1, raconte Dora,
mon père est debout devant mon lit, il me réveille. Je m’habille rapidement.
Maman veut encore sauver sa boîte à bijoux, mais papa lui dit : “Je ne veux
pas que moi et mes deux enfants, nous brûlions à cause de ta boîte à
bijoux.” Nous nous dépêchons de descendre et dès que je suis dehors, je me
réveille. »
Comme il s’agit d’un rêve récurrent, je lui demande naturellement
quand elle l’a rêvé pour la première fois. Elle ne le sait pas. Mais elle se
souvient qu’elle a fait ce rêve pendant trois nuits consécutives à L. (le lieu
près du lac où s’est déroulée la scène avec Monsieur K.), puis il a ressurgi à
nouveau il y a quelques jours2. Le rattachement ainsi obtenu du rêve aux
événements qui eurent lieu à L. augmente bien évidemment mes attentes
quant à la solution de ce rêve. Mais je souhaite tout d’abord apprendre la
cause de sa dernière réapparition et je convie Dora – déjà entraînée à
l’interprétation des rêves grâce à quelques petits exemples analysés
précédemment – à disséquer son rêve et à me communiquer tout ce qui lui
vient à l’esprit en rapport avec lui.
Elle dit : « Je pense à quelque chose, mais qui ne peut pas appartenir à
ce rêve, car c’est tout récent, et j’ai certainement dû déjà faire ce rêve avant.
— Cela ne fait rien, dis-je, allez-y. Cela sera sûrement la dernière chose
qui s’y rapporte.
— Très bien. Papa a eu ces jours-ci une dispute avec maman parce
qu’elle ferme à clé la salle à manger. La chambre de mon frère n’a en effet
aucune issue indépendante si ce n’est par la salle à manger. Papa ne veut
pas que mon frère soit enfermé la nuit. Il a dit que ce n’était pas possible,
qu’il pouvait se passer quelque chose la nuit et que l’on doive sortir
immédiatement.
— Et vous avez rapporté cela à un danger d’incendie ?
— Oui.
— Je vous prie de prêter grande attention aux expressions que vous
employez. Nous en aurons peut-être besoin plus tard. Vous avez dit : qu’il
pouvait se passer quelque chose la nuit et que l’on doive sortir
immédiatement3. »
Dora a maintenant trouvé le lien entre les causes récentes et anciennes
de l’apparition de ce rêve, c’est pourquoi elle poursuit : « Quand nous
arrivâmes papa et moi à L., il exprima ouvertement sa crainte d’un incendie.
Nous étions arrivés au milieu d’une forte tempête et nous avions sous les
yeux cette petite maison de bois qui n’avait pas de paratonnerre. Cette
crainte était donc tout à fait naturelle. »
Il me faut maintenant examiner le lien entre les événements à L. et les
rêves récurrents de l’époque. Je demande donc : « Avez-vous fait ce rêve les
premières nuits du séjour à L. ou celles qui ont précédé votre départ, c’est-
à-dire avant ou après la fameuse scène du lac ? » (Je sais en effet que la
scène n’a pas eu lieu le premier jour et que Dora est ensuite restée quelques
jours à L. sans rien laisser transpirer de l’incident.)
Elle répond tout d’abord : « Je ne sais pas. » Puis après un moment, elle
dit : « Oui, je crois que c’était après la scène. »
Je savais maintenant que le rêve était une réaction à cette expérience.
Mais pourquoi était-il revenu trois fois ? Je posais la question suivante :
« Combien de temps êtes-vous restée à L. après la scène ?
— Quatre jours. Le cinquième, je suis parti avec papa.
— Maintenant j’ai la certitude que le rêve est l’effet immédiat de
l’expérience avec Monsieur K. Vous l’avez rêvé pour la première fois là-bas
et pas auparavant. Vous n’avez fait qu’ajouter par la suite cette incertitude
du souvenir pour effacer à vos yeux le lien entre le rêve et la scène du lac4.
Mais quelque chose ne va pas tout à fait, à mon sens, avec les nombres que
vous mentionnez. Si vous êtes restée encore quatre nuits à L., n’est-il pas
possible que vous ayez répété quatre fois le rêve ? Peut-être les choses se
sont-elles passées ainsi ? »
Elle ne contredit plus mon affirmation, mais au lieu de répondre à ma
question, elle poursuit son récit5 : « L’après-midi après notre promenade en
bateau sur le lac dont nous étions revenus vers midi, je m’étais allongée
comme d’habitude sur le sofa de la chambre à coucher pour dormir un peu.
Je me suis réveillée soudainement et j’ai vu Monsieur K. debout devant
moi…
— C’est-à-dire comme vous voyez votre papa dans le rêve debout
devant votre lit ?
— Oui. Je lui ai demandé ce qu’il venait chercher ici. Il a répondu qu’il
n’avait pas l’intention de se laisser interdire l’entrée de sa chambre quand il
voulait y entrer. Il voulait par ailleurs y prendre quelque chose. Mise en
garde par cet incident, j’ai demandé à Madame K. s’il n’y avait pas une clé
de la chambre à coucher et je me suis enfermée le lendemain matin (le
deuxième jour) pour m’habiller. L’après-midi quand je voulus m’enfermer
pour m’allonger à nouveau sur le sofa, la clé avait disparu. Je suis
convaincue que c’est Monsieur K. qui l’a fait disparaître.
— Nous avons là la question de fermer ou de ne pas fermer la chambre,
qui apparaît dans la première association liée au rêve et qui se trouve
également avoir joué un rôle dans la cause récente de la réapparition du
rêve6. Est-ce que la phrase “Je m’habille vite” n’appartiendrait pas à ce
contexte ?
— J’ai pris alors la décision de ne pas rester chez les K. sans papa. Le
lendemain matin, je craignais bien évidemment que Monsieur K. me
surprenne en train de m’habiller, c’est pourquoi je m’habillais à nouveau
très vite. Papa logeait en effet à l’hôtel et Madame K. quittait toujours la
maison très tôt pour partir en excursion avec lui. Mais Monsieur K. ne
m’importuna pas de nouveau.
— Je comprends, l’après-midi du deuxième jour après l’incident du lac,
vous avez pris la résolution d’échapper à ces harcèlements et vous avez eu
durant la deuxième, la troisième et la quatrième nuit le temps de vous
répéter dans le sommeil cette résolution. Vous saviez dès l’après-midi du
deuxième jour que vous n’auriez pas le lendemain matin – le troisième
jour – la clé pour vous enfermer pendant que vous vous habilleriez. Vous le
saviez donc avant le rêve et pouviez déjà projeter de vous habiller très
rapidement. Votre rêve est revenu chaque nuit parce qu’il correspondait
justement à une résolution. Une résolution reste présente à l’esprit jusqu’à
ce qu’elle soit réalisée. Vous vous disiez sans doute : “Je ne serai pas
tranquille, je ne pourrai pas dormir tranquillement tant que je ne serai pas
sortie de cette maison.” À l’inverse, dans le rêve, vous dites : “Dès que je
suis dehors, je me réveille.” »

J’interromps ici la relation de l’analyse pour confronter ce petit


fragment d’interprétation du rêve avec mes affirmations générales sur le
mécanisme de la formation des rêves. J’ai soutenu dans L’Interprétation du
rêve les thèses suivantes : chaque rêve est un désir représenté comme
réalisé, cette représentation fait fonction d’écran quand le désir est refoulé
et appartient à l’inconscient, et seul un désir inconscient ou du moins un
désir qui plonge ses racines dans l’inconscient possède la force nécessaire
pour former un rêve, à l’exception des rêves d’enfants. Je crois que je me
serais assuré plus aisément l’assentiment général si je m’étais contenté
d’affirmer que chaque rêve a un sens que l’on peut découvrir au moyen
d’un certain travail d’interprétation. Une fois accomplie cette interprétation,
on peut remplacer le rêve par des pensées qui s’insèrent à un point
facilement identifiable de la vie psychique éveillée du rêveur. J’aurais pu
ajouter que le sens du rêve s’avère aussi varié que les processus de pensée
des personnes éveillées. Tantôt c’est un désir réalisé, tantôt une crainte,
tantôt une réflexion qui se poursuit dans le rêve, tantôt une résolution
(comme dans le rêve de Dora), tantôt un fragment de production
intellectuelle, etc. Une telle présentation des choses aurait sans doute séduit
par son accessibilité et aurait pu s’appuyer sur un grand nombre de cas bien
interprétés comme par exemple le rêve de Dora analysé ici même.
Mais au lieu de cette solution de facilité, j’ai soutenu une thèse qui
réduit le sens du rêve à une forme unique de pensée, la représentation des
désirs, et j’ai de la sorte éveillé spontanément l’opposition générale. Il me
faut pourtant affirmer que je ne crois pas avoir ni le droit ni le devoir de
simplifier un processus psychologique pour le rendre plus acceptable au
lecteur quand ce processus apparaît dans mes recherches comme une
complication dont la solution unitaire ne peut se trouver que sur un autre
plan. Il m’importe donc tout particulièrement de montrer que même des
exceptions apparentes comme ici le rêve de Dora – qui s’avère au premier
abord être la continuation dans le sommeil d’une résolution de la veille –
apportent une confirmation nouvelle à cette règle contestée.

Nous avons encore une grosse partie du rêve à interpréter. Je pose la


question suivante : « Qu’est-ce qu’elle a, cette boîte de bijoux que votre
maman veut sauver ?
— Maman aime beaucoup les bijoux et en a reçu beaucoup de papa.
— Et vous ?
— Moi aussi j’aimais beaucoup les bijoux auparavant. Depuis ma
maladie, je n’en porte plus. Il y a de cela quatre ans (un an avant le rêve),
une grosse dispute a eu lieu entre papa et maman à propos d’un bijou.
Maman désirait porter aux oreilles quelque chose de particulier, des perles
en forme de gouttes. Mais papa n’aime pas ce genre de bijou et lui a
apporté, au lieu des gouttes, un bracelet. Elle était furieuse et lui disait que
s’il avait déjà dépensé tant d’argent pour acheter quelque chose qu’elle
n’aimait pas, il ferait bien de l’offrir à une autre.
— Et là, vous avez sûrement pensé que vous l’accepteriez avec plaisir ?
— Je ne sais pas7, je ne sais absolument pas comment il se fait que
maman apparaisse dans le rêve. Elle n’était pourtant pas avec nous à L. à
l’époque8.
— Je vous l’expliquerai plus tard. Cette boîte à bijoux ne vous fait donc
penser à rien d’autre ? Jusqu’à présent, vous n’avez parlé que des bijoux,
pas de la boîte.
— Oui en effet, Monsieur K. m’avait offert peu de temps auparavant
une boîte à bijoux précieuse.
— Un cadeau de remerciement eût sans doute été très apprécié. Vous ne
savez peut-être pas que “la boîte à bijoux” (Schmuckkästchen) est une
expression très prisée pour désigner ce que vous avez suggéré il n’y a pas
longtemps en parlant de la pochette suspendue à votre ceinture9, c’est-à-dire
l’organe génital de la femme.
— Je savais que vous alliez dire cela10.
— Cela veut dire que vous le saviez. Le sens du rêve n’en est que plus
clair. Vous vous disiez : cet homme me poursuit, il veut pénétrer dans ma
chambre, ma “boîte à bijoux” est en danger et si un malheur11 a lieu, ce sera
de la faute de papa. C’est pourquoi vous avez choisi dans votre rêve une
situation qui exprime le contraire, un danger duquel vous sauve votre papa.
Dans cette partie du rêve, tout est transformé en son contraire. Vous verrez
bientôt pourquoi. Le mystère est assurément la présence de votre mère.
Comment se fait-il qu’elle apparaisse dans le rêve ? Elle est, comme vous le
savez, votre ancienne rivale pour obtenir les faveurs de votre papa. Lors de
l’incident du bracelet, vous auriez volontiers accepté ce que votre maman
avait rejeté. Maintenant remplaçons “accepter” par “donner” et “rejeter” par
“refuser”. Cela signifie alors que vous étiez prête à donner à votre papa ce
que votre maman lui refusait, et ce dont il est question aurait à voir avec les
bijoux12. Souvenez-vous maintenant de la boîte à bijoux que Monsieur K.
vous avait offerte. Vous avez là le point de départ d’une série de pensées
parallèles dans laquelle il convient de remplacer votre papa par Monsieur
K. comme dans la situation où il se tient debout devant votre lit. Il vous a
offert une boîte à bijoux, vous devez donc lui offrir votre “boîte à bijoux”.
C’est la raison pour laquelle je parlais de “cadeau de remerciement”. Dans
cette série de pensée, il faut remplacer votre mère par Madame K. qui était
présente à l’époque à L. Vous êtes alors prête à offrir à Monsieur K. ce que
sa femme lui refuse. Vous avez là la pensée qu’il faut refouler avec tant
d’énergie et qui rend nécessaire l’inversion de tous les éléments dans leur
contraire. Comme je vous l’ai déjà dit auparavant, ce rêve confirme à
nouveau le fait que vous avez réveillé votre ancien amour pour votre papa
afin de vous protéger de votre amour pour Monsieur K. Mais que prouvent
tous ces efforts ? Que vous craignez Monsieur K., mais surtout que vous
avez peur de vous-même et de votre tentation de lui céder. Vous confirmez
donc par là à quel point votre amour pour cet homme était intense13. »
Elle n’était pas prête, bien sûr, à me suivre dans cette partie de
l’interprétation.
Mais j’étais parvenu par moi-même à une suite de cette interprétation
qui me semblait indispensable aussi bien pour l’anamnèse de ce cas que
pour la théorie du rêve. Je me promettais d’en faire part à Dora lors la
prochaine séance.
En effet, je ne pouvais pas oublier l’indication qui semblait résulter des
paroles ambiguës déjà mentionnées (que l’on doive sortir
immédiatement, qu’un malheur pouvait se passer dans la nuit). À
cela s’ajoutait le fait que l’explication de ce rêve me semblerait incomplète
tant que ne serait pas remplie une certaine exigence que je ne veux pas
formuler comme une exigence universelle, mais que je préfère voire
remplie. Un rêve normalement constitué se tient pour ainsi dire sur deux
jambes dont l’une s’appuie sur la cause principale et actuelle du rêve et
l’autre sur un événement déterminant de l’enfance du rêveur. Le rêve établit
un lien entre ces deux facteurs, l’expérience vécue dans l’enfance et celle
vécue récemment. Il cherche à façonner le présent sur le modèle du passé le
plus ancien. Le désir qui crée le rêve provient toujours de l’enfance, il veut
toujours faire renaître l’enfance à la réalité et corriger le présent d’après
elle. Je croyais déjà avoir clairement identifié dans le rêve les éléments qui
pouvaient composer ensemble une allusion à un événement de l’enfance.
Je commençai la discussion sur ce point par une petite expérience qui,
comme d’habitude, s’avéra fructueuse. Sur la table, se trouvait par hasard
une grosse boîte d’allumettes. Je demandai à Dora de regarder si elle voyait
quelque chose sur la table qui d’habitude ne s’y trouvait pas. Elle ne vit
rien. Je lui demandai alors si elle savait pourquoi on interdisait aux enfants
de jouer avec les allumettes.
« Oui à cause du danger du feu. Les enfants de mon oncle aiment bien
jouer avec les allumettes.
— Non, pas seulement pour cela. On met en garde les enfants : “Ne
jouez pas avec le feu” et on associe à cela une croyance particulière. »
Elle n’en savait rien. « On craint en effet qu’ils aillent par la suite
mouiller leur lit. L’origine de cette croyance est l’opposition de l’eau et du
feu. On croit peut-être qu’ils vont rêver de feu et qu’ils vont chercher à
éteindre le feu avec de l’eau. Je ne saurais dire exactement. Mais je vois que
l’opposition de l’eau et du feu vous a été d’une grande utilité dans ce rêve.
Votre maman veut sauver la boîte à bijoux pour qu’elle ne brûle pas. Dans
les pensées du rêve, ce qui importe c’est de ne pas mouiller “la boîte à
bijoux”. Mais le feu n’est pas seulement utilisé comme le contraire de l’eau,
il sert également de représentation directe de l’amour, de la passion et du
fait de brûler. Du feu partent deux voies, une voie qui, par le biais de la
signification symbolique du feu, parvient aux pensées de l’amour et une
autre qui, par le biais du terme opposé, l’eau, conduit dans une autre
direction après la bifurcation de la relation à l’amour, qui, lui aussi mouille.
Quelle est cette autre direction ? Pensez donc à vos expressions : qu’un
malheur se passe pendant la nuit, que l’on doive sortir
immédiatement. Ces expressions ne signifient-elles pas un besoin
corporel ? Et si l’on transpose ce malheur dans l’enfance, peut-il s’agir
d’autre chose que de mouiller son lit ? Mais que fait-on pour empêcher les
enfants de mouiller leur lit ? On les réveille, n’est-ce pas, dans la nuit de
leur sommeil exactement comme le fait votre papa avec vous dans le
rêve ? Ce serait donc cela l’événement réel duquel vous tirez le droit de
remplacer Monsieur K. qui vous réveille de votre sommeil par votre papa.
Je dois en conclure que vous avez souffert d’énurésie plus longtemps que la
normale chez les autres enfants. Il dut en être de même pour votre frère.
Votre papa dit en effet : je ne veux pas que mes deux enfants…
périssent. Votre frère n’a, sinon, rien à voir avec la situation concrète chez
les K. Il n’était pas non plus venu à L. Que disent à présent vos souvenirs à
ce sujet ?
— Sur moi, je ne sais rien, répondit-elle, mais mon frère a mouillé son
lit jusqu’à sa sixième ou septième année. Cela lui arrivait aussi parfois le
jour. »
Je voulais justement attirer son attention sur le fait qu’il est bien plus
facile de se souvenir de telles choses à propos de son frère qu’à propos de
soi, quand elle se mit à développer ce souvenir tout juste reconquis : « Oui,
moi aussi j’ai eu cela, mais seulement pendant un temps à ma septième ou
huitième année. Ce dut être très sérieux, car je sais maintenant qu’on
demanda conseil au médecin. C’était peu avant mon asthme nerveux.
— Et qu’a dit alors le médecin ?
— Il expliqua cela comme une faiblesse nerveuse : cela disparaîtrait
bientôt, pensait-il, et il prescrivit un fortifiant14. »
L’interprétation du rêve me semblait maintenant achevée15. Le
lendemain, Dora ajouta un complément au rêve. Elle avait oublié de me
raconter qu’elle avait senti l’odeur de la fumée à chaque fois qu’elle s’était
réveillée. La fumée allait bien avec le motif du feu, cela indiquait également
que le rêve avait un certain rapport avec ma personne. En effet, j’avais
l’habitude, quand elle affirmait que rien ne se cachait derrière telle ou telle
chose mentionnée, de lui rétorquer : « Il n’y a pas de fumée sans feu. »
Mais elle objecta à cette interprétation purement personnelle que Monsieur
K. et son père étaient des fumeurs passionnés, comme moi d’ailleurs. Elle
avait fumé elle-même lors de son séjour au bord du lac et Monsieur K. lui
avait même roulé une cigarette avant de se lancer dans ses avances
malheureuses. Elle croyait se souvenir avec certitude que l’odeur de fumée
n’était pas apparue lors de la dernière occurrence du rêve, mais faisait déjà
partie des trois rêves consécutifs qu’elle avait faits à L. Elle refusait de me
fournir de plus amples informations, il me revenait donc de déterminer
comment je voulais insérer ce complément dans la structure des pensées du
rêve. Je pouvais m’appuyer sur le fait que la sensation de fumée était venue
comme un ajout à ce qu’elle avait déjà dit du rêve et qu’elle avait dû
surmonter un effort particulièrement puissant du refoulement. Pour ces
raisons, cette sensation était vraisemblablement liée à la pensée la plus
refoulée et représentée de la façon la plus obscure dans le rêve, c’est-à-dire
à la tentation de céder à cet homme. Elle ne pouvait alors signifier que le
désir d’un baiser qui, chez un fumeur, a nécessairement le goût de la fumée.
Deux ans auparavant, il y avait eu un baiser entre eux deux et cette scène se
serait sûrement reproduite plus d’une fois si la jeune fille avait cédé alors
aux avances de Monsieur K. Ces pensées de tentation sont, semble-t-il,
remontées à cette scène antérieure et ont réveillé le souvenir du baiser
contre la séduction duquel la suceuse de pouce se protégeait au moyen d’un
sentiment de dégoût. Si je rassemble pour finir les indications qui rendent
vraisemblable un transfert de ces pensées vers ma personne – car je suis
également un fumeur –, j’en viens alors à penser qu’un jour lors d’une
séance, il lui est venu à l’idée de désirer un baiser de moi. Ce fut la cause de
la répétition du rêve de mise en garde et de la résolution d’abandonner la
cure. Ainsi tous les éléments du rêve s’accordent très bien ensemble, mais
en raison des caractéristiques du transfert, il n’est pas possible de soumettre
cette reconstruction à une preuve.
Arrivé à ce point, je pourrais hésiter entre deux options. Dois-je me
servir des éclaircissements que nous a apportés l’interprétation de ce rêve
pour une meilleure compréhension de l’histoire de ce cas ? Ou dois-je m’en
servir pour réfuter l’objection à ma théorie du rêve qui pourrait s’appuyer
sur ce rêve ? Je choisis la première.
Il vaut la peine de se plonger en détail dans la signification de l’énurésie
dans la préhistoire des névrosés. Pour la clarté du présent exposé, je me
contenterai de souligner que le cas de Dora n’était pas un cas d’énurésie
courant. Le trouble ne s’était pas simplement poursuivi au-delà de la durée
jugée normale, mais il avait, selon sa relation précise, tout d’abord disparu
et était réapparu relativement tardivement après sa sixième année. Une telle
énurésie n’a pas, à ma connaissance, de cause plus vraisemblable que la
masturbation dont le rôle dans l’étiologie de l’énurésie est encore trop sous-
estimé. D’après mon expérience, cette connexion est bien connue des
enfants et toutes les conséquences psychiques qui en découlent semblent
indiquer qu’ils ne l’ont jamais oubliée. Nous nous trouvions en effet au
moment du récit du rêve sur une ligne de recherche qui conduisait
directement à l’aveu de la masturbation infantile. Elle avait juste avant
soulevé la question pourquoi c’était elle qui était tombée malade et, avant
même que j’aie pu lui répondre, avait rejeté la faute sur son père. Cette
explication ne provenait pas de pensées inconscientes, mais d’une
connaissance consciente. La jeune fille savait à mon grand étonnement
quelle avait été la nature de la maladie de son père. Au retour du père de sa
consultation chez moi, elle avait surpris une conversation où était
mentionné le nom de la maladie. Quelques années plus tôt à l’époque du
décollement de la rétine, un ophtalmologue consulté sur la question avait dû
mentionner l’étiologie syphilitique, car la jeune fille curieuse et inquiète
avait entendu une vieille tante dire à sa mère : « Il était déjà malade avant le
mariage », et ajouter ensuite quelque chose qu’elle ne comprit pas sur le
moment, mais qu’elle interpréta plus tard comme se rapportant à des sujets
indécents.
Le père était donc tombé malade en raison de sa vie dissolue. Dora se
mit à croire qu’il lui avait transmis par hérédité sa maladie. Je me gardais de
lui dire que j’étais d’avis également, comme mentionné précédemment
(voir supra), que la descendance des syphilitiques est particulièrement
prédisposée à de graves névropsychoses. La suite de cette ligne de pensées
qui cherchait à accuser le père traversait tout un matériel inconscient. Elle
s’identifia pendant plusieurs jours à sa mère au travers de petits symptômes
et de faits et gestes étranges – ce qui lui fournit l’occasion d’accomplir des
exploits en matière de comportement insupportable et me fit deviner qu’elle
pensait à un séjour à Franzensbad qu’elle avait fait en compagnie de sa
mère – je ne me souviens plus quelle année. La mère souffrait de douleurs
abdominales et d’un écoulement – catarrhe – qui nécessitait une cure à
Franzensbad. Elle croyait – sans doute avait-elle à nouveau raison – que
cette maladie provenait de son père qui avait donc transmis son affection
vénérienne à sa mère. Il était tout à fait compréhensible que suite à cette
conclusion, Dora ait confondu, comme la plupart des profanes, gonorrhée et
syphilis, c’est-à-dire hérédité et contagion. La persistance de cette
identification m’obligea presque à lui demander si elle n’avait pas elle aussi
une maladie vénérienne et j’appris alors qu’elle était atteinte d’un catarrhe
(fluor albus) dont elle ne se rappelait plus quand il avait commencé.
Je compris ainsi que derrière la ligne de pensées qui accusait
ouvertement le père se cachait comme d’habitude une autoaccusation.
J’essayais d’aller à sa rencontre en lui assurant qu’à mon avis, le fluor des
jeunes filles renvoyait essentiellement à la masturbation et que je mettais au
second plan toutes les autres causes qui, outre la masturbation, sont
généralement avancées pour un tel mal16. J’ajoutais qu’elle était en train de
trouver une réponse à la question pourquoi c’était elle qui était tombée
malade en avouant la masturbation qu’elle avait pratiquée
vraisemblablement quand elle était enfant. Dora nia de la façon la plus
ferme être capable de se souvenir d’une telle chose. Mais quelques jours
plus tard, elle mentionna quelque chose qu’il me fallut considérer comme
un pas de plus vers l’aveu de la masturbation. Elle portait ce jour-là – ce qui
n’était jamais arrivé avant ni n’arriva par la suite – une petite pochette
porte-monnaie avec une forme à la mode et elle jouait avec pendant qu’elle
parlait allongée sur le divan, elle l’ouvrait, mettait un doigt dedans, puis la
refermait, etc. Je l’observais un moment et lui expliquais ensuite ce qu’était
une action symptomatique17. J’appelle actions symptomatiques les gestes
que l’homme accomplit comme on dit de façon automatique, inconsciente,
sans y prêter attention, à la manière d’un jeu, auxquels il peut dénier toute
signification et qu’il peut déclarer indifférents ou fortuits, si on l’interroge à
leur propos. Une observation attentive montre alors que ces actions, dont la
conscience ne sait rien ou ne veut rien savoir, expriment des pensées et des
impulsions inconscientes. En tant qu’expressions autorisées de
l’inconscient, elles sont précieuses et riches d’enseignements. Il existe deux
types de comportement conscient à l’égard des actions symptomatiques. Si
l’on peut leur attribuer des motifs qui passent inaperçus, on reconnaît alors
leur existence. Si un tel prétexte fait défaut à la conscience, alors en règle
générale, on ne remarque même pas qu’on accomplit ces actions. Dans le
cas de Dora, la justification était facile : « Pourquoi ne porterais-je pas une
pochette de ce genre si c’est la mode de nos jours ? » Mais une telle
justification n’annule pas la possibilité de l’origine inconsciente de l’action
en question. D’un autre côté, cette origine et ce sens que l’on attribue à
l’action ne peuvent être prouvés de façon concluante. Il faut se contenter de
constater qu’un tel sens s’accorde parfaitement avec l’ensemble de la
situation en question tout comme avec l’ordre du jour de l’inconscient.
Je présenterai dans une autre publication une série d’actions
symptomatiques telles que l’on peut les observer chez les personnes saines
et chez les personnes nerveuses. L’interprétation est dans certains cas très
facile. La pochette de Dora avec ses deux battants n’est rien d’autre qu’une
représentation de l’organe génital, et le jeu qu’elle accomplit avec cette
pochette en l’ouvrant et en y mettant un doigt est une expression
pantomimique indéniable et sans gêne de ce qu’elle aimerait faire avec ses
parties génitales, à savoir se masturber. Il y a peu de temps, un cas
semblable très divertissant s’est produit chez moi. Une dame d’un certain
âge sort au milieu de la séance une petite boîte en ivoire soi-disant pour
s’humidifier la langue à l’aide d’un bonbon. Elle s’efforce de l’ouvrir et me
la tend ensuite pour que je puisse me rendre compte à quel point il était
difficile de l’ouvrir. J’exprime ma méfiance et soutiens que cette boîte doit
signifier quelque chose de spécial, car c’est la première fois que je la vois
alors que sa propriétaire vient chez moi depuis plus d’un an. Là-dessus, la
dame me répond avec empressement : « J’ai toujours cette boîte sur moi, je
la prends partout avec moi où que j’aille ! » Elle ne se calme qu’après que
j’eus attiré son attention en souriant sur le fait que ses paroles se prêtaient
parfaitement à une autre signification. La boîte (Dose) – box, πυξις – tout
comme la pochette ou la boîte à bijoux n’est à nouveau qu’un substitut de la
coquille de Vénus, c’est-à-dire de l’organe génital féminin !
Cette symbolique est très présente dans la vie et nous n’y prêtons
généralement aucune attention. Quand je me suis fixé la tâche de porter à la
lumière ce que les hommes cachent, non pas en utilisant le moyen coercitif
de l’hypnose, mais à l’aide de ce qu’ils disent et montrent, je considérais
cette entreprise comme beaucoup plus difficile qu’elle ne l’est en réalité.
Qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre se convainc
rapidement que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. Celui dont les
lèvres se taisent babille avec le bout de ses doigts. Tous les pores de sa peau
transpirent la trahison. C’est pourquoi la tâche qui consiste à rendre
conscient ce qui se cache aux tréfonds de l’âme est tout à fait réalisable.
L’action symptomatique de Dora avec la pochette ne précédait pas
immédiatement le rêve. La séance durant laquelle le récit du rêve eut lieu
commença par une autre action symptomatique. Lorsque j’entrai dans la
salle où elle attendait, elle dissimula rapidement une lettre qu’elle était en
train de lire. Je lui demandais naturellement de qui était cette lettre et elle
refusa tout d’abord de me le dire. Puis elle mentionna quelque chose qui
était parfaitement indifférent et n’avait rien à voir avec notre cure. Il
s’agissait d’une lettre de sa grand-mère dans laquelle elle était priée de lui
écrire plus souvent. Je croyais qu’elle voulait seulement jouer avec moi au
« secret » et suggérait qu’elle était prête maintenant à se laisser extorquer
son secret par son médecin. Je m’expliquais à présent son aversion pour
chaque nouveau médecin par la peur qu’elle avait que celui-ci n’en vienne,
lors de l’examen (par la découverte du catarrhe) ou bien lors de
l’interrogatoire (par la mention de l’énurésie), à déceler la cause de son mal
et à deviner la masturbation qu’elle avait pratiquée. Après les avoir
rencontrés, elle parlait toujours de façon méprisante des médecins qu’elle
avait visiblement surestimés avant la consultation.
Les accusations contre son père qui l’a rendue malade ainsi que
l’autoaccusation qui se cache derrière, le fluor albus, le jeu avec la
pochette, l’énurésie à l’âge de six ans, le secret qu’elle ne veut pas se laisser
extorquer par les médecins – ces preuves circonstancielles de la
masturbation infantile de Dora me paraissent solides et sans la moindre
lacune. J’avais commencé dans le cas en question à deviner la masturbation
quand elle m’avait parlé des crampes gastriques de sa cousine (voir supra)
et s’était par la suite identifiée à elle en se plaignant pendant des jours de
douleurs identiques. Il est connu que très souvent des crampes d’estomac
apparaissent chez les personnes qui se masturbent. D’après une information
que m’a communiquée directement Wilhelm Fliess, ces gastralgies sont
justement celles qui peuvent être stoppées par une application de cocaïne
sur le point du nez qui correspond à l’estomac – il s’agit là d’une
découverte de Fliess – et être guéries par une cautérisation de cette même
zone. Dora m’a confirmé deux fois de façon consciente qu’elle souffrait
elle-même souvent de crampes d’estomac et qu’elle avait de bonnes raisons
de croire que sa cousine se masturbait. Il est très courant que les malades
reconnaissent chez d’autres une connexion qu’ils sont incapables
d’identifier en eux-mêmes à cause de résistances émotionnelles. Elle ne
rejetait plus ma supposition même si elle ne se souvenait encore de rien. Je
considère également comme ayant une valeur clinique importante le fait
qu’elle ait déterminé la période de son énurésie « peu de temps avant mon
asthme nerveux ». Les symptômes hystériques n’apparaissent presque
jamais dans la période où les enfants se masturbent. Ils ne surgissent que
dans la période d’abstinence18. Ils constituent un substitut de la satisfaction
que produit la masturbation dont la demande se maintient dans l’inconscient
tant qu’une autre forme plus normale de satisfaction n’apparaît pas – si une
telle satisfaction est encore possible. Cette forme plus normale de
satisfaction n’est autre que la tentative de guérir l’hystérie par le mariage et
les rapports sexuels normaux. Si cette satisfaction à travers le mariage est à
son tour supprimée, par exemple par le coitus interruptus, par l’isolement
psychique, etc., alors la libido reprend son ancien cours et s’exprime à
nouveau à travers des symptômes hystériques.
Je voudrais pouvoir ajouter des informations certaines sur la question
suivante : quand et sous l’influence de quels facteurs la masturbation fut
réprimée chez Dora ? Mais l’incomplétude de l’analyse me contraint à
présenter un matériel lacunaire. Nous avons entendu que l’énurésie s’est
poursuivie presque jusqu’à la première apparition de la dyspnée. Or la seule
explication qu’elle était capable de fournir sur cette première maladie était
le fait que son père était parti en voyage pour la première fois depuis
l’amélioration de son état de santé. Il devait y avoir dans ce fragment
conservé de souvenir un lien avec l’étiologie de la dyspnée. Certaines
actions symptomatiques et d’autres allusions me fournissaient de bonnes
raisons de supposer que l’enfant dont la chambre se trouvait juste à côté de
celle des parents avait surpris une visite nocturne du père dans le lit de sa
femme et qu’elle avait entendu le halètement de ce dernier – qui par ailleurs
est asthmatique – durant le coït. Les enfants devinent la dimension sexuelle
de ces situations par les bruits étranges qu’ils entendent. Les mouvements
expressifs de l’excitation sexuelle sont présents en eux en tant que
mécanismes innés et sont prêts à être activés. J’ai déjà expliqué, il y a des
années, que la dyspnée et les palpitations de l’hystérie et de la névrose
d’angoisse ne sont que des fragments détachés du coït. Dans de nombreux
cas analogues à celui de Dora, j’ai pu rapporter le symptôme de la dyspnée
et de l’asthme nerveux à la même cause, l’écoute par l’enfant, en cachette,
d’un rapport sexuel entre des adultes. Sous l’effet de l’excitation produite
par cette écoute, il se peut très bien qu’un revirement se soit produit dans la
sexualité de la petite Dora qui aboutit à un remplacement du penchant à la
masturbation par un penchant à l’angoisse. Un peu plus tard alors que le
père était absent et que la fille amoureuse de son papa se languissait de lui,
l’impression ressentie lors du coït de ses parents se répéta mais cette fois
sous la forme d’une crise d’asthme. Cette situation gardée en mémoire qui
déclencha la maladie nous permet de deviner l’enchaînement de pensées
chargées d’angoisse qui accompagnait la crise d’asthme. Celle-ci eut lieu
après qu’elle eut vraisemblablement du mal à respirer à la suite d’une
excursion en montagne où elle s’était surmenée. À cela s’est ajoutée l’idée
qu’il était interdit à son père d’escalader les montagnes et qu’il ne devait
pas se surmener parce qu’il était asthmatique. Puis vint le souvenir des
efforts qu’il avait faits la nuit dans le lit de maman. Est-ce que cela ne lui
avait pas fait du mal ? Puis vint l’inquiétude de savoir si elle ne s’était pas
surmenée avec la masturbation qui lui procurait également l’orgasme sexuel
accompagné d’une légère dyspnée. Et c’est alors que la dyspnée ressurgit de
façon plus intense et cette fois comme symptôme. J’ai pu extraire une partie
de ce matériel de l’analyse elle-même, mais pour l’autre, j’ai dû compléter.
La constatation de la masturbation nous a montré que le matériel sur tel ou
tel sujet n’est acquis que par l’assemblage de différents fragments
provenant d’époques et de contextes différents19.
À présent se pose une série de questions de la plus haute importance à
propos de l’étiologie de l’hystérie. Peut-on considérer le cas de Dora
comme étiologiquement typique ? Représente-t-il le seul type de cause ?
etc. Je suis certain néanmoins d’adopter la bonne démarche en attendant
avant de répondre à ces questions la publication d’un plus grand nombre de
cas analysés de la même façon. En outre, je devrais commencer par
reformuler de manière plus juste le problème. Plutôt que de répondre par
oui ou par non à la question « faut-il chercher l’étiologie de ces cas de
maladie dans la masturbation infantile ? », je commencerai par discuter le
concept d’étiologie dans le cas des pyschonévroses. Le point de vue à partir
duquel je pourrais formuler une réponse s’avérerait alors très éloigné de
celui à partir duquel la question m’est posée. C’est déjà assez d’être
parvenu dans le cas présent à la certitude que la masturbation infantile est
un fait prouvé et qu’elle ne peut en aucun cas être considérée comme un
facteur contingent et indifférent dans la formation des contours de la
maladie20. Si nous prenons en compte la signification du fluor albus
reconnu par Dora, nous pouvons alors parvenir à une meilleure
compréhension du symptôme. Le mot « catarrhe » au moyen duquel elle a
appris à désigner son affection depuis l’époque où sa mère fut contrainte de
faire une cure à Franzensbad pour un mal semblable est lui aussi un
« aiguillage ». Il ouvre la voie à toute une série de pensées sur la
responsabilité du père dans sa maladie qui viennent s’exprimer dans le
symptôme de la toux. Cette toux qui provenait à l’origine d’un catarrhe réel
bénin était par ailleurs une imitation de son père qui souffrait également des
poumons. Dora exprimait par là sa pitié et son inquiétude pour lui. Elle
proclamait pour ainsi dire à tout son entourage ce dont elle n’avait pas
encore pris conscience : « Je suis la fille de papa. J’ai un catarrhe comme
lui. Il m’a rendue malade comme il a rendu malade maman. Je tiens de lui
les mauvaises passions qui sont punies par la maladie21. »
Nous pouvons maintenant essayer de mettre ensemble les différents
facteurs que nous avons trouvés pour les crises de toux et d’aphonie. Au
niveau le plus bas, il faut supposer la présence d’une irritation réelle et
déterminée de façon organique, c’est le grain de sable autour duquel le
coquillage forme la perle. Cette irritation peut être fixée, car elle concerne
une région du corps qui, chez Dora, a conservé en grande partie sa
signification de zone érogène. Elle est donc appropriée à servir d’expression
à l’excitation de la libido. Elle est amenée à se fixer sous l’effet de ce qui
est vraisemblablement le premier travestissement psychique, l’imitation par
sympathie du père malade et ensuite les reproches à soi-même dus au
« catarrhe ». Le même groupe de symptômes se montre par ailleurs capable
de servir de représentation à la relation de Dora avec Monsieur K., il
exprime le regret pendant ses absences et le désir de lui être une meilleure
femme. Après qu’une partie de la libido s’est dirigée à nouveau vers le père,
le symptôme revêt ce qui est peut-être sa dernière signification, à savoir
représenter la relation sexuelle du père en s’identifiant à Madame K. Je puis
garantir que cette série n’est nullement complète. Malheureusement,
l’analyse incomplète de Dora ne nous permet pas de suivre
chronologiquement les changements de signification du symptôme ni de
clarifier la coexistence des différentes significations.
Je dois maintenant traiter des autres relations du catarrhe génital avec
les symptômes hystériques de Dora. À une époque où l’élucidation
psychique de l’hystérie n’était qu’un lointain horizon, j’ai entendu un
collègue expérimenté et plus âgé que moi dire que chez les patientes
hystériques atteintes d’un fluor, l’aggravation du catarrhe entraînait
régulièrement dans son sillage un renforcement des troubles hystériques,
particulièrement de la perte d’appétit et des vomissements. Personne ne
comprenait très bien le lien entre ces différents phénomènes. Je crois que
l’on penchait vers la conception des gynécologues qui supposent, comme
cela est bien connu, une influence directe et massive des affections génitales
sur les fonctions nerveuses – influence qui génère des troubles organiques.
Mais l’examen thérapeutique de cette théorie nous laisse le plus souvent en
plan. Dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut pas non plus tenir
pour exclue une telle influence directe et organique, mais il est en tout cas
plus facile de prouver son travestissement psychique. La fierté des femmes
quant à l’apparence de leurs parties génitales est un point particulièrement
important de leur vanité. Les affections de ces parties génitales qu’elles
perçoivent comme de nature à provoquer le dégoût et la répugnance ont un
pouvoir d’humiliation incroyable ; elles rabaissent leur estime de soi, les
rendent irritables, susceptibles et méfiantes. La sécrétion anormale de la
muqueuse vaginale est considérée comme provoquant le dégoût.
Rappelons-nous qu’après le baiser de Monsieur K., Dora avait éprouvé
un fort sentiment de dégoût. Nous avions de bonnes raisons de considérer
qu’il fallait compléter son récit de la scène par la mention du fait qu’elle
avait ressenti dans l’étreinte la pression du membre érigé. Nous apprenons
en plus que la gouvernante que Dora avait renvoyée en raison de son
infidélité lui avait expliqué, sur la base de sa propre expérience de la vie,
que tous les hommes étaient des êtres volages sur qui on ne pouvait pas
compter. Une telle affirmation signifiait certainement pour Dora : tous les
hommes sont comme papa. Or elle considérait son père comme quelqu’un
qui souffrait d’une maladie vénérienne. Ne l’avait-il pas transmise à sa mère
et à elle ? Elle pouvait donc s’imaginer que tous les hommes souffraient de
maladies vénériennes et son concept de maladie vénérienne était bien sûr
formé à l’image de son unique expérience personnelle de la chose. Souffrir
d’une maladie vénérienne cela signifiait être atteinte d’écoulements
répugnants. N’était-ce pas un motif supplémentaire du dégoût qu’elle avait
ressenti au moment de l’étreinte ? Ce dégoût reporté sur le contact d’un
homme serait alors un dégoût projeté selon le mécanisme primitif déjà
mentionné (voir plus haut) qui renvoie en fin de compte à son propre fluor.
Je soupçonne qu’il s’agit là de processus de pensée inconscients qui
s’articulent sur des liens organiques préexistants telles des guirlandes de
fleur sur un fil métallique, et qu’en conséquence, d’autres cheminements de
pensée peuvent être empruntés, à d’autres occasions, entre les deux mêmes
points fixes de départ et d’arrivée. Mais la connaissance des connexions de
pensées, qui ont agi dans chaque cas individuel, est indispensable pour faire
disparaître le symptôme. Le fait que nous ayons dû avoir recours dans le cas
de Dora à des suppositions et à des compléments tirés d’autres cas ne
s’explique que par l’interruption prématurée de l’analyse. Tout ce que j’ai
ajouté pour combler les lacunes laissées par Dora s’appuie entièrement sur
d’autres cas analysés de façon exhaustive.
Le rêve dont l’analyse nous a permis de tirer les éclaircissements
précédents correspond, comme nous l’avons vu, à une résolution que Dora
emporte avec elle dans le sommeil. Le rêve se répète chaque nuit jusqu’à ce
que la résolution soit accomplie, et il ressurgit des années plus tard quand
une occasion se présente de prendre une résolution analogue. On peut
formuler cette résolution dans les termes conscients suivants : « Il faut
quitter cette maison où, comme je l’ai vu, ma virginité est en danger, je pars
avec papa, et demain matin, je vais prendre les précautions nécessaires pour
ne pas être surprise en train de m’habiller. » Ces pensées s’expriment
clairement dans le rêve, elles appartiennent à une tendance qui, dans la vie
diurne de Dora, est parvenue à la conscience et y occupe une place
dominante. Derrière ces pensées, on peut deviner une ligne de pensées
représentée dans le rêve de façon obscure qui correspond à la tendance
inverse et qui, pour cette raison, a été réprimée. Cette ligne de pensées
culmine dans la tentation de s’offrir à Monsieur K. en remerciement de
l’amour et de l’affection dont il a fait preuve pendant des années. Ces
pensées réveillent peut-être le souvenir de l’unique baiser qu’elle ait jamais
reçu de lui. Mais d’après la théorie que j’ai développée dans
L’Interprétation du rêve, de tels éléments ne suffisent pas pour former un
rêve. Le rêve n’est pas une résolution qui est représentée comme accomplie,
mais un désir représenté comme réalisé, et qui plus est dans la plupart des
cas, un désir qui provient de l’enfance. Nous avons l’obligation de vérifier
si cette affirmation n’est pas contredite par le rêve de Dora.
Le rêve contient en effet un matériel infantile qui au premier abord n’a
aucun lien avec la résolution de Dora de fuir la maison de Monsieur K. tout
comme la tentation qu’il représente. Mais pourquoi resurgit ce souvenir de
l’énurésie et des efforts du père pour rendre sa fille propre ? On peut faire la
réponse suivante : ce n’est qu’à l’aide de cette ligne de pensées qu’il est
possible de réprimer les pensées qui soumettent Dora à une intense tentation
tout comme d’imposer la victoire de la résolution prise à l’encontre de cette
tentation. L’enfant décide de fuir avec son père. En réalité, l’enfant fuit par
peur de l’homme qui la harcèle et se réfugie auprès de son père. Elle
réveille un penchant infantile pour son père qui est censé la protéger contre
son penchant récent pour un étranger. Le père est lui-même en partie
responsable du danger actuel que court sa fille, car il l’a livrée à un homme
étranger pour le bien de sa propre histoire d’amour. Les choses n’eussent-
elles pas été bien mieux si ce père n’avait aimé personne d’autre qu’elle et
s’il s’était efforcé de la sauver des dangers qui la menaçaient dans la
maison ? Le désir infantile, devenu aujourd’hui inconscient, de mettre le
père à la place de l’homme étranger est une puissance capable de produire
un rêve. S’il y a eu par le passé une situation qui tout en étant semblable à
la situation présente, s’en distingue par la substitution des personnes
mentionnées, alors cette situation passée devient la situation principale dans
le rêve. Une telle situation existe. Tout comme Monsieur K. la veille du
rêve, le père s’était tenu à l’époque debout devant son lit et l’avait réveillée
d’un baiser comme c’était peut-être l’intention de Monsieur K. La
résolution de fuir la maison des K. n’est pas en elle-même ni pour elle-
même capable de produire un rêve, elle le devient par le fait que s’y adjoint
une autre résolution s’appuyant sur des désirs infantiles. Le désir de
remplacer Monsieur K. par le père fournit la force motrice nécessaire au
rêve. Rappelons-nous de l’interprétation à laquelle l’enchaînement de
pensées survalent à propos de la liaison du père et de Madame K. m’avait
conduit. Il s’agit d’un penchant infantile pour le père qui est réveillé afin de
parvenir à maintenir dans le refoulement l’amour refoulé de Dora pour
Monsieur K. Le rêve reflète ce revirement dans la vie psychique de la
patiente.
J’ai formulé dans L’Interprétation du rêve plusieurs remarques à
propos de la relation entre les pensées de la veille qui se poursuivent dans le
sommeil – les restes du jour passé – et le désir inconscient qui engendre et
forme le rêve. Je les citerai ici telles quelles, car je n’ai rien à y ajouter et
l’analyse de ce rêve de Dora prouve à nouveau qu’il en est bien ainsi : « Je
suis prêt à admettre qu’il existe toute une classe de rêves dont la
stimulation provient essentiellement, voire même exclusivement, des restes
de la vie diurne. Je pense que même mon désir de devenir enfin professeur
extraordinarius22 ne serait pas venu troubler mon sommeil, si l’inquiétude à
propos de la santé de mon ami n’était restée vive depuis la veille. Mais cette
inquiétude n’aurait pas produit un rêve. La force motrice dont le rêve avait
besoin pour se produire devait être fournie par un désir. C’était l’affaire de
l’inquiétude de se procurer un tel désir comme force motrice du rêve. Pour
le dire à l’aide d’une comparaison : il est tout à fait possible qu’une pensée
de la veille joue pour le rêve le rôle de l’entrepreneur, mais l’entrepreneur
qui, comme on dit, a l’idée et l’énergie nécessaire pour les mettre en œuvre
ne peut pourtant rien faire sans capital. Il a besoin d’un capitaliste qui
puisse payer la dépense nécessaire à la réalisation de ce projet. Le
capitaliste qui fournit la dépense psychique nécessaire au rêve est à chaque
fois et sans exception – quelle que soit la nature de la pensée de la veille –
un désir provenant de l’inconscient. »
Quiconque est rompu à la finesse de l’architecture des rêves ne sera pas
étonné de trouver que le désir de voir le père prendre la place de l’homme
qui suscite la tentation de Dora n’éveille pas le souvenir d’un matériel
infantile contingent, mais justement celui qui entretient les liens les plus
intimes avec la tentation réprimée. En effet, si Dora se sent incapable de
céder à son amour pour cet homme, si elle en vient à refouler cet amour
plutôt qu’à s’y livrer, cette décision ne dépend en profondeur d’aucun autre
facteur que de sa jouissance sexuelle précoce et de ses conséquences,
l’énurésie, le catarrhe et le dégoût. Une telle préhistoire peut engendrer
deux types de comportement à l’égard des demandes d’amour faites à un
âge de maturité, ces deux types dépendent de la somme des facteurs
constitutionnels déterminants dans chaque sujet. Ce comportement sera
donc soit l’abandon sans résistance et presque pervers à la sexualité, soit, en
réaction, le refus de la sexualité qui génère la névrose. La constitution et le
niveau élevé d’éducation morale et intellectuelle de notre patiente ont
décidé en faveur du second type de comportement.
Je voudrais par ailleurs attirer particulièrement l’attention sur le fait que
l’analyse du rêve nous a permis d’accéder à certains détails des expériences
qui agissaient de façon pathogène sur Dora et qui, par ailleurs, ne s’étaient
pas prêtés aux efforts du souvenir ou du moins à ceux de la reconstitution.
Le souvenir de l’énurésie infantile était, comme nous l’avons vu, déjà
refoulé. Les détails du harcèlement de Monsieur K. n’avaient jamais été
mentionnés par Dora, ils ne lui étaient pas venus à l’esprit.

Quelques remarques en guise de synthèse de ce rêve. Le travail du rêve


commence l’après-midi du deuxième jour après la scène dans le bois quand
Dora a remarqué qu’elle ne peut plus fermer sa chambre. Elle se dit alors :
« Je suis menacée ici par un véritable danger » et elle forme la résolution de
ne pas rester seule dans la maison et au contraire de partir avec son père.
Cette résolution rend possible la production d’un rêve, car elle se prolonge
dans l’inconscient. Ce qui correspond à cette résolution dans l’inconscient
c’est le fait que Dora réveille son amour infantile pour son père comme
moyen de se protéger d’une tentation présente. Le revirement qui
s’accomplit alors en elle se fixe et la conduit à adopter le point de vue
proposé par sa ligne de pensée survalente (jalousie à l’égard de Madame
K. comme si elle était amoureuse de son père). En elle luttent la tentation de
céder aux avances de Monsieur K. et une résistance complexe à cette
tentation. Cette résistance est composée de motifs de bienséance et de
prudence, de sentiments d’hostilité dus aux aveux de la gouvernante
(jalousie et fierté blessée comme nous le verrons plus bas) et d’une
composante névrotique, une répugnance à la sexualité déjà présente en elle
qui procède de l’histoire de son enfance. L’amour du père qu’elle convoque
pour se protéger de la tentation provient justement de cette même histoire
de son enfance.
Le rêve transforme la résolution de se réfugier auprès de son père qui
plonge ses racines dans l’inconscient en une situation qui présente comme
accompli le désir que son père la sauve du danger. Il faut pour cela écarter
une pensée dérangeante : c’est son père lui-même qui l’a mise dans cette
situation de danger. Nous découvrirons que ces sentiments réprimés
d’hostilité contre son père (un penchant à la vengeance) agissent comme
l’une des forces motrices du second rêve de Dora.
D’après les conditions nécessaires à la formation du rêve, la situation
fantasmée est choisie de sorte qu’elle répète une situation de l’enfance.
C’est une grande victoire pour le rêve quand il réussit à transformer une
situation récente – voire même la situation qui a provoqué le rêve – en une
situation de l’enfance. C’est ce qui se passe ici par un pur hasard du
matériel vécu. Monsieur K. s’est tenu debout devant sa couche et l’a
réveillée exactement comme avait coutume de le faire son père quand elle
était enfant. Tout ce travail de transformation que Dora accomplit dans le
rêve se révèle de façon particulièrement symbolique dans la substitution de
Monsieur K. par son père.
Mais son père la réveillait pour qu’elle ne mouille pas son lit.
Cette idée de « mouillé » a un rôle déterminant dans le reste du contenu
du rêve où elle n’apparaît pourtant que sous la forme d’une allusion
éloignée et de son contraire.
« Feu », « brûler » peuvent facilement être le contraire de « mouillé » et
« eau ». Le hasard qui a fait que le père exprime en arrivant à la maison des
K. sa crainte d’un feu a contribué à décider que le danger dont le père la
sauverait serait un incendie. La situation choisie pour former le rêve – il y a
un incendie, le père est debout devant son lit pour la réveiller – s’appuie sur
le hasard déjà mentionné et sur le contraire de « mouillé ». L’expression
fortuite du père de sa crainte d’un incendie n’aurait pas pris une telle
importance dans son rêve, si elle ne s’accordait pas aussi parfaitement à la
tendance émotive dominante du rêve qui cherche absolument à faire du père
un sauveur et un secours. Il a pressenti le danger dès leur arrivée et il a eu
bien raison ! (En réalité, c’était lui qui l’avait exposée à ce danger.)
En raison des connexions faciles qu’il permet de faire, le terme
« mouillé » joue dans les pensées du rêve le rôle d’un point nodal pour
plusieurs séries de représentations. « Mouillé » ne se rattache pas seulement
à l’énurésie de Dora, mais à un ensemble d’idées liées à la tentation
sexuelle qui se cachent, réprimées, derrière le contenu du rêve. Elle sait que
l’on peut se mouiller dans le rapport sexuel et que l’homme lors de
l’accouplement offre à la femme un peu de liquide sous forme de gouttes.
Elle sait que c’est là justement le danger et qu’il lui incombe le devoir de
protéger son organe génital du danger de se faire mouiller.
Les termes « mouillé » et « gouttes » ouvrent simultanément une autre
série d’associations, celle du catarrhe qui éveille le dégoût, qui, ces
dernières années, a sans doute eu la même signification humiliante que
l’énurésie dans l’enfance. « Mouillé » équivaut alors à « souillé ». L’organe
génital qui doit être maintenu propre est déjà souillé par le catarrhe aussi
bien chez sa mère que chez elle (voir infra). Elle semble comprendre que la
manie de propreté de sa mère est une réaction à cette souillure.
Les deux séries d’associations se rencontrent en un point : la mère a
reçu du père les deux choses, le « mouillé » sexuel et le fluor qui souille. La
jalousie de Dora à l’égard de la mère est indissociable de la série de pensées
qui cherchent à réveiller l’amour infantile du père pour se protéger. Mais ce
matériel n’est pas en tant que tel capable de générer une représentation
comme le rêve. Mais si l’on peut trouver un souvenir rattaché de façon
égale aux deux séries d’associations qu’évoque le terme « mouillé » et si ce
souvenir ne contient rien de choquant, alors il assumera dans le rêve le rôle
de la représentation du matériel déjà évoqué.
Un tel souvenir est fourni par l’histoire des « gouttes » que la mère
avait désirées avoir en bijoux. Apparemment, le lien de cette réminiscence
aux deux séries d’associations qu’éveillent les termes de « mouillé » sexuel
et de souillure est externe, superficiel et simplement dû au mot « goutte ».
En effet, ce mot est employé comme un « aiguillage », comme un terme
ambigu, et « bijou » tout comme « pur » sont des contraires un peu forcés
de « souillé ». En réalité, on peut prouver qu’il existe des liens substantiels
très solides entre ce souvenir et le terme « mouillé ». Le souvenir provient
du matériel lié à la jalousie de Dora à l’égard de sa mère, jalousie qui a
commencé dans l’enfance et s’est poursuivie longtemps après. Par le biais
des liaisons qui s’établissent entre ces deux mots, il est possible de
transférer dans ce souvenir des gouttes-bijoux toutes les significations
rattachées à la représentation des rapports sexuels entre les parents, du fluor
et de l’obsession de propreté de la mère.
Mais un autre déplacement devait avoir lieu pour permettre à ce
matériel de former le contenu du rêve. Ce ne sont pas les « gouttes », qui
sont les plus proches du sens originel du terme « mouillé », mais celles qui
en sont le plus éloignées, les gouttes-bijoux, qui ont été adoptées dans le
rêve. Si cet élément avait été inséré dans la situation du rêve fixée à
l’avance, il aurait pu signifier la chose suivante : maman veut encore sauver
son bijou. Dans une altération postérieure de ce motif qui transforme les
gouttes en une boîte à bijoux, se fait alors sentir l’influence d’éléments
provenant de la tentation réprimée qu’incarne Monsieur K. Monsieur K. ne
lui avait pas offert de bijoux, mais bien une « boîte » qui représentait toutes
ses marques d’affection et de tendresse auxquelles elle aurait dû se montrer
reconnaissante. Le mot composé ainsi obtenu : « la boîte à bijoux », a en
plus une valeur représentative particulière. La « boîte à bijoux » n’est-elle
pas une image courante pour désigner l’organe génital féminin intact et
immaculé ? Et par ailleurs, n’est-ce pas un mot inoffensif et donc
particulièrement approprié pour suggérer et cacher à la fois les pensées
sexuelles qui se dissimulent derrière le rêve ?
La « boîte à bijoux de maman » apparaît à deux endroits dans le rêve.
Elle remplace la mention de la jalousie infantile, des gouttes – c’est-à-dire
du liquide sexuel –, de la souillure par le fluor et parallèlement de la
tentation actuelle qui pousse Dora à répondre à l’amour de Monsieur K. et
qui lui fait s’imaginer la situation sexuelle qui l’attend – à la fois désirée et
menaçante. Le terme de la « boîte à bijoux » est plus que tout autre le
produit d’une condensation et d’un déplacement, c’est aussi un compromis
entre deux tendances contraires. Son apparition deux fois dans le rêve
indique en effet son origine multiple – à la fois infantile et actuelle.
Le rêve est la réaction à une expérience récente agissant comme une
excitation qui doit nécessairement réveiller le souvenir de l’unique
expérience analogue vécue dans le passé. Il s’agit de la scène du baiser dans
le magasin qui provoqua chez Dora un sentiment de dégoût. Mais cette
même scène est également accessible par d’autres liens associatifs, la série
de pensées à propos du catarrhe ou celle à propos de la tentation actuelle
pour Monsieur K. Cette scène contribue donc de façon particulière au rêve
et doit s’adapter à la situation que le rêve a déjà préfigurée. Il y un feu… le
baiser avait en effet le goût de la fumée, elle sent donc la fumée dans le rêve
et cette sensation se poursuit jusqu’au réveil.
J’ai malheureusement laissé par inattention une lacune dans l’analyse
de ce rêve. Les paroles suivantes sont mises dans la bouche du père : « Je ne
veux pas que mes deux enfants périssent, etc. (des suites de la masturbation,
convient-il d’insérer en s’appuyant sur la ligne de pensées du rêve). » Des
phrases de ce genre dans les rêves sont généralement composées de
fragments de phrases réelles, proférées ou entendues. J’aurais dû demander
des éclaircissements sur l’origine réelle de cette phrase. Le résultat de cette
enquête aurait certes compliqué encore un peu plus la structure du rêve,
mais aurait certainement permis de le rendre plus transparent.
Doit-on supposer que le rêve que Dora fit à l’époque à L. avait
exactement le même contenu que celui qui se répéta pendant la cure ? Cela
ne semble pas nécessaire. L’expérience montre que les gens prétendent
souvent qu’ils ont fait le même rêve alors que les diverses apparitions du
rêve récurrent se distinguent les unes des autres par de nombreux détails et
par d’autres transformations importantes du contenu du rêve. C’est ainsi
qu’une de mes patientes me raconte qu’aujourd’hui encore, elle a rêvé son
rêve préféré qui se répète toujours de la manière suivante : elle nage dans la
mer bleue, elle fend les vagues avec un sentiment de plaisir. Un examen
plus approfondi révèle que tantôt un détail, tantôt un autre est ajouté à un
fond commun. Ainsi par exemple, dans l’une des versions du rêve, elle
nageait dans une mer gelée au milieu des icebergs. D’autres rêves que la
patiente elle-même ne cherche pas à faire passer pour le même rêve
s’avèrent intimement liés à ce rêve récurrent. Ainsi dans l’un d’entre eux,
elle regarde une photographie de Helgoland en grandeur réelle qui montre
simultanément la partie supérieure et inférieure de l’île. Il y a sur la mer un
bateau sur lequel se trouvent deux personnes qu’elle avait connues dans sa
jeunesse, etc.
Il est certain que le rêve de Dora qui a ressurgi pendant la cure – peut-
être sans altération de son contenu manifeste – a pris une signification
actuelle nouvelle. Il incluait dans les pensées qu’il véhiculait une référence
au traitement qu’elle suivait chez moi et correspondait à une réitération de
sa résolution de l’époque de fuir un danger. Si elle n’était pas sous l’effet
d’une illusion du souvenir lorsqu’elle affirmait avoir ressenti également à L.
la fumée après son réveil, il faut alors reconnaître qu’elle a très
ingénieusement inséré ma formule « il n’y a pas de fumée sans feu » dans la
forme déjà établie du rêve où il semble que cette formule serve de
surdétermination à ce dernier élément. C’était un hasard indéniable que la
circonstance récente qui avait provoqué le retour du rêve – le fait que sa
mère fermait la salle à manger et que son frère se trouvait donc enfermé
dans sa chambre – ait été rapprochée par Dora du harcèlement de Monsieur
K. à L. où elle avait pris la résolution de fuir après avoir remarqué qu’elle
ne pouvait pas fermer la porte de sa chambre. Son frère n’apparaissait peut-
être pas dans les rêves qu’elle fit à L. Ainsi les mots du père : « mes deux
enfants » n’ont peut-être fait leur entrée dans le rêve que sous l’effet des
dernières circonstances qui avaient provoqué le retour du rêve.

1. « Il n’y a jamais eu de véritable incendie chez nous », me répondit-elle quand, par la suite, je l’interrogeais à ce sujet.

2. On peut prouver sur la base de son contenu que ce rêve a été rêvé la première fois à L.

3. J’extrais ces paroles parce qu’elles m’ont secoué. Elles me semblaient équivoques. N’utilisons-nous pas les mêmes mots pour parler de certains besoins corporels. Les
paroles ambiguës sont comme des « aiguillages » dans le processus associatif. Si l’on oriente l’aiguillage dans une autre direction que celle qui semble impliquée par le contenu du
rêve, on se retrouve sur les rails où se meuvent les pensées encore cachées derrière le rêve qui sont celles que nous recherchons.

4. Sur le doute qui accompagne le souvenir, voir plus haut.

5. Un nouveau matériel du souvenir doit remonter avant qu’il lui soit possible de me répondre.

6. Je suppose sans encore le dire à Dora que cet élément fut choisi par elle en raison de sa signification symbolique. Les « chambres » (Zimmer) dans le rêve représentent
assez souvent les « chambres de la femme » (Frauenzimmer). Le fait que la chambre d’une femme soit « ouverte » ou fermée n’est bien sûr pas indifférent. On sait bien dans ce cas
quelle est la « clé » qui l’ouvre.

7. C’était son expression habituelle pour reconnaître une pensée refoulée.

8. Cette remarque qui attestait de la méprise complète de Dora concernant les règles de l’explication des rêves – qu’elle connaissait bien par ailleurs – tout comme le
caractère hésitant et peu abondant de ses associations à propos de la boîte à bijoux me prouvaient qu’il s’agissait là d’un matériel qui avait été refoulé avec beaucoup d’obstination.

9. Voir plus loin à propos de ces pochettes ou aumônières.

10. C’est là une façon très courante de rejeter une connaissance qui surgit du refoulé.

11. En français dans le texte. (N.d.T.)

12. Nous proposerons plus tard une interprétation des gouttes qui correspond au contexte.

13. J’ajoute la remarque suivante : « Il me faut par ailleurs conclure de la résurgence de ce rêve ces jours derniers que vous considérez cette situation comme s’étant
reproduite et que vous avez décidé de vous libérer de cette cure à laquelle seul votre papa vous oblige. » La suite montra à quel point mon intuition était juste. Mon interprétation
touche ici la question du « transfert » qui est de la plus haute importance pratique et théorique et sur laquelle je n’aurai que très peu l’occasion de revenir dans cet écrit.

14. Ce médecin était le seul en qui elle avait une certaine confiance. Cela était dû au fait qu’elle avait remarqué avec cette expérience qu’il n’avait pas percé son secret. Elle
avait peur de tout autre médecin qu’elle ne savait pas encore jauger. Sa peur s’explique maintenant, elle craignait qu’il puisse deviner son secret.

15. Le noyau du rêve pourrait se traduire de la façon suivante : « La tentation est si forte. Cher papa, protège-moi à nouveau comme quand j’étais enfant afin que mon lit ne
soit pas mouillé ! »

16. (Note ajoutée en 1923 : ) Il s’agit d’une conception extrême que je ne soutiendrais plus aujourd’hui.

17. Voir Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2001, chapitre IX. (N.d. É.)

18. Il en va essentiellement de même chez les adultes, mais chez eux une abstinence relative ou une limitation de la masturbation suffisent à provoquer des symptômes. Ainsi
lorsque la libido est très forte, l’hystérie et la masturbation peuvent se manifester simultanément.

19. La preuve de la masturbation infantile est obtenue dans d’autres cas de la même façon. Le matériel sur lequel elle s’appuie est la plupart du temps identique : indications
de l’existence d’un fluor albus, énurésie, cérémoniel des mains (obsession de se laver les mains), etc. La nature du symptôme nous permet à chaque fois de déceler avec certitude si
cette habitude a été surprise par une personne chargée de l’enfant ou si c’est une lutte de l’enfant pour se défaire de cette habitude ou un revirement soudain qui a mis fin à cette
activité sexuelle. Dans le cas de Dora, la masturbation n’avait pas été découverte et avait cessé d’un coup (secret, peur des médecins – la dyspnée servait de substitut). Les malades
récusent certes régulièrement la valeur de preuve de ces indices et, cela, même quand le souvenir du catarrhe ou de la mise en garde de la mère (« Ça rend bête ; c’est un poison »)
sont restés dans la mémoire consciente. Mais quelque temps plus tard, le souvenir si longtemps refoulé de cette partie de la vie sexuelle infantile émerge avec certitude, et cela, dans
tous les cas. Chez une patiente souffrant de représentations obsessionnelles qui provenaient directement de la masturbation infantile, ses comportements qui consistaient à s’interdire,
à se punir, à se dire si tu as cette chose, tu ne peux pas avoir l’autre, à ne pas accepter d’être interrompue, à introduire des pauses entre une action (notamment avec les mains) et la
suivante, à se laver les mains, etc., se révélèrent des fragments du travail qu’avait fait la femme qui s’occupait d’elle pour lui faire perdre cette habitude. La mise en garde « Ah ! c’est
du poison ! » était la seule chose qui lui était restée toujours présente à la mémoire. Sur ce sujet, voir mon livre Trois essais sur la théorie sexuelle.

20. Le frère de Dora doit être lié d’une manière ou d’une autre à l’habitude qu’elle a prise de se masturber. En effet, elle racontait à ce propos avec une insistance qui trahit le
« souvenir-écran » que son frère lui transmettait régulièrement ses maladies infectieuses – n’étant lui que légèrement malade alors qu’elle l’était gravement. Le frère est également
protégé dans le rêve du danger de « périr ». Il a souffert également d’énurésie, mais il a cessé de mouiller son lit avant elle. En un certain sens, c’était aussi un souvenir-écran quand
elle disait que jusqu’à sa première maladie, elle avait réussi dans les études à se maintenir au niveau de son frère, mais qu’ensuite, elle lui était devenue bien inférieure. Comme si elle
avait été jusque-là un garçon et que par la suite, elle était devenue une fille. Elle était vraiment sauvage avant la maladie, mais depuis sa crise d’« asthme », elle était devenue calme et
policée. Cette maladie marquait en elle la frontière entre les deux phases de sa vie sexuelle, la première ayant un caractère masculin, la seconde un caractère féminin.

21. Le mot « catarrhe » jouait le même rôle chez la jeune fille de quatorze ans dont j’ai résumé en quelques lignes le cas à la page 70-71. J’avais installé l’enfant dans une
pension en compagnie d’une dame intelligente qui s’occupait d’elle. La dame me racontait que la jeune patiente ne tolérait pas sa présence quand elle se mettait au lit et qu’elle
toussait de façon notoire alors que, durant la journée, on ne l’entendait pas tousser. Quand la jeune fille fut interrogée sur ce symptôme, la seule chose qui lui vint à l’esprit fut que sa
grand-mère, dont on disait qu’elle avait un catarrhe, toussait de la sorte. Il était donc clair qu’elle aussi avait un catarrhe et qu’elle ne voulait pas être découverte lors de sa toilette
chaque soir. Le catarrhe qui, grâce à son nom, avait été déplacé du bas vers le haut était en effet d’une intensité peu commune.

22. Ce point fait référence à l’analyse du rêve qui sert de modèle dans ce passage.
Chapitre III
Le second rêve
Le second rêve eut lieu quelques semaines après le premier. L’analyse
s’interrompit à la suite de la résolution du second rêve. Ce rêve ne se laisse
pas élucider aussi complètement que le premier, mais il apporte la
confirmation désirée d’une hypothèse sur l’état psychique de la patiente
qu’il nous est apparu nécessaire de faire au cours de l’analyse. De même, il
comble une lacune de la mémoire et nous permet de porter un regard sur les
circonstances de l’apparition d’un autre de ses symptômes.
Dora me raconta le rêve de la façon suivante : « Je me promène dans
une ville que je ne connais pas. Je vois des rues et des places qui me sont
étrangères1. J’entre ensuite dans une maison où j’habite, je vais dans ma
chambre et trouve une lettre de maman. Elle écrit que comme j’ai quitté la
maison sans en aviser les parents, elle ne voulait pas m’écrire que papa était
tombé malade. “Il est mort à présent, si tu veux2, tu peux venir.” Je vais
alors à la gare et je demande peut-être cent fois : “Où est la gare ?” On me
répond à chaque fois : “À cinq minutes.” Je vois ensuite un bois épais
devant moi dans lequel j’entre. Je pose la question à un homme que je
rencontre là. Il me dit : “Encore deux heures et demi3.” Il me propose de
m’accompagner. Je refuse et marche seule. Je vois la gare devant moi et je
ne peux pas l’atteindre. Alors je ressens le sentiment d’angoisse que l’on
ressent généralement dans le rêve quand on ne peut pas avancer. Je suis
ensuite à la maison, j’ai dû voyager entre-temps, mais je n’en sais rien.
J’entre dans la loge du portier et lui demande où se trouve notre
appartement. La jeune femme de service m’ouvre et me répond : “votre
maman et les autres sont déjà au cimetière4”. »
L’interprétation de ce rêve n’alla pas sans difficulté. En raison des
circonstances particulières – liées au contenu du rêve – qui provoquèrent
notre séparation, tout ne fut pas élucidé, à cela s’ajoute que ma mémoire n’a
pas toujours conservé avec exactitude le souvenir de l’ordre chronologique
des révélations. J’ajouterai encore en remarque préliminaire quel était le
sujet de l’analyse au moment où le rêve surgit. Depuis un certain temps,
Dora formulait d’elle-même certaines questions sur le lien entre ses actes et
les motifs qu’on pouvait leur supposer. Une de ces questions était :
« Pourquoi me suis-je tue les premiers jours après la scène du lac ? » Une
autre était : « Pourquoi en ai-je parlé après, tout d’un coup, à mes
parents ? » Il me semblait qu’il fallait encore trouver une explication au fait
qu’elle s’était sentie si profondément blessée par les avances de Monsieur
K., d’autant plus que je commençais à comprendre qu’aux yeux de
Monsieur K. également, ces avances n’étaient aucunement une tentative
frivole de séduction. J’expliquais le fait qu’elle avait mis ses parents au
courant de cet incident comme un acte déjà sous l’emprise d’un désir
maladif de vengeance. Une jeune fille normale, c’est du moins l’opinion
vers laquelle je penche, vient elle-même à bout de telles situations.
Je présenterai donc le matériel apparu durant l’analyse du rêve dans
l’ordre quelque peu rhapsodique qui s’est imposé à moi au cours de la
reconstitution.
Elle erre seule dans une ville étrangère, elle voit des rues et des
places. Elle m’assure que ce n’était certainement pas B., comme je le lui ai
tout d’abord suggéré, mais une ville dans laquelle elle n’a jamais été. Il
semblait naturel d’ajouter : « Vous avez pu voir des images ou des
photographies de cette ville d’où vous avez puisé les images du rêve. »
Après cette remarque, survint l’ajout du monument sur une place et tout de
suite après l’identification de la source de ces images. Elle avait reçu à Noël
un album d’un lieu de cure en Allemagne qui comprenait des vues de la
ville et l’avait sorti la veille pour le montrer à des parents qui étaient venus
leur rendre visite. Il était posé dans une boîte à photo qu’elle ne trouva pas
tout de suite. Elle demanda donc à sa mère : « Où est la boîte5 ? » Une de
ces images montrait une place avec un monument. L’auteur de ce cadeau
était un jeune ingénieur dont elle avait fait brièvement connaissance à
l’époque où ils habitaient dans la ville de l’usine du père. Le jeune homme
avait accepté un poste en Allemagne pour devenir plus rapidement
indépendant. Il ne manquait pas une occasion pour se rappeler aux bons
souvenirs de Dora. Il était facile de deviner qu’il avait dans l’intention,
quand sa situation se serait améliorée, de venir demander sa main. Mais il
lui fallait encore un peu de temps, ce qui signifiait attendre.
L’errance dans une ville étrangère était surdéterminée. Elle renvoyait à
un des événements de la veille qui avait provoqué le rêve. Un jeune cousin
était venu passer les fêtes chez eux et Dora devait maintenant lui montrer
Vienne. Cet événement de la veille était bien sûr tout à fait indifférent. Mais
ce cousin lui rappelait son premier bref séjour à Dresde. Elle s’était
promenée dans la ville en étrangère et n’avait pas manqué évidemment de
visiter la célèbre galerie de peintures. Un autre cousin qui était avec elle et
connaissait Dresde voulait lui servir de guide dans la galerie. Mais elle
refusa et y alla seule. Elle restait debout face aux tableaux qui lui
plaisaient. Elle passa deux heures devant la Madone Sixtine en proie à une
admiration rêveuse. À la question qu’est-ce qui lui avait tant plu dans ce
tableau, elle ne sut rien me répondre de très clair. Finalement elle dit : « La
Madone. »
Il est tout à fait certain que ces associations font effectivement partie du
matériel à l’origine de la formation du rêve. Elles contiennent des
composants que nous retrouvons tels quels dans le rêve (elle refusa et y
alla seule – deux heures). Je remarque déjà que « les images » (Bilder)
constituent un point nodal dans la trame des pensées du rêve (les images
dans l’album – les tableaux [Bilder] à Dresde). Je voudrais également
extraire le thème de la Madone, c’est-à-dire de la mère vierge, en vue de
développements ultérieurs. Mais je vois avant toute chose qu’elle s’identifie
dans la première partie du rêve à un jeune homme. Il erre à l’étranger, il
aspire à atteindre un but, mais il est retenu, il lui faut de la patience, il doit
attendre. Si elle avait pensé à l’ingénieur dans le rêve, il aurait été alors
juste de dire que ce but était la possession d’une femme qui n’est autre
qu’elle-même. Mais c’était à une gare qu’elle pensait – gare que nous
pouvons toutefois remplacer par une boîte en raison du lien entre la
question dans le rêve et la question réelle qu’elle avait posée la veille à sa
mère. Une boîte et une femme, cela va déjà mieux ensemble.
Elle demande presque cent fois… Cela nous conduit à un autre
événement de la veille à l’origine du rêve qui, cette fois, n’est pas
entièrement indifférent. La veille au soir après avoir reçu leurs invités, son
père la pria d’aller lui chercher du cognac. Il ne peut pas dormir sans avoir
bu un cognac auparavant. Dora demanda à sa mère la clé du buffet, mais sa
mère qui était en pleine discussion ne lui répondit pas jusqu’à ce qu’elle
s’exclama avec une exagération pleine d’impatience : « Ça fait cent fois que
je demande où est la clé ! » Elle n’avait en réalité répété sa question que
peut-être cinq fois6.
Où est la clé ? Cette question me semble le pendant de l’autre
question : « Où est la boîte ? » (voir plus haut, le premier rêve) Il s’agit
donc de questions – sur les parties génitales.
Lors de cette même réunion de famille, quelqu’un avait porté un toast
au père de Dora et avait exprimé l’espoir qu’il reste longtemps en
excellente santé, etc. À ce moment-là, un tressaillement étrange avait
traversé le visage fatigué du père et elle avait compris quelles pensées il
s’efforçait de réprimer. Le pauvre homme est malade ! Qui sait combien de
temps il lui reste à vivre ?
Nous arrivons ainsi au contenu de la lettre dans le rêve. Son père était
mort, elle avait quitté la maison de son propre chef. Je lui rappelais
immédiatement à propos de cette lettre la lettre d’adieu qu’elle avait écrite à
ses parents ou du moins qu’elle leur avait adressée. Cette lettre était
destinée à effrayer son père afin qu’il renonce à Madame K. ou du moins à
se venger de lui s’il n’était pas possible de lui faire prendre une telle
décision. Nous avons affaire ici à la question de la mort de Dora et de celle
de son père (le cimetière dans la suite du rêve). Est-ce faire fausse route
que de supposer que la situation qui constitue la façade de ce rêve
correspond à un fantasme de revanche ? Les pensées de pitié que Dora avait
eues la veille s’accorderaient bien avec cela. Le fantasme était le suivant :
elle quitte la maison pour aller à l’étranger et le cœur de son père cède par
la suite d’inquiétude et de nostalgie pour sa fille. Elle est alors vengée. Dora
comprenait très bien ce qui manquait à son père qui ne pouvait pas
s’endormir sans un cognac7.
Notons la soif de vengeance de Dora comme un élément nouveau en
vue de la synthèse plus tard des pensées du rêve.
Le contenu de la lettre devait pourtant permettre une autre
détermination. D’où provenait cette incise : si tu veux ?
C’est alors que lui vint à l’esprit l’ajout suivant : après le mot veux se
trouvait un point d’interrogation. C’est ainsi qu’elle reconnut ces mots
comme étant une citation de la lettre de Madame K. qui contenait
l’invitation à L. (au bord du lac). Le point d’interrogation apparaissait dans
la lettre de façon tout à fait surprenante juste après l’incise si tu veux ? en
plein milieu de la phrase.
Nous serions donc ramenés à la scène du lac et aux mystères qui s’y
rattachent. Je la priai de me raconter cette scène une fois en entier. Elle
n’ajouta au début pas grand-chose de nouveau. Monsieur K. avait fait un
exorde plutôt sérieux mais elle ne l’avait pas laissé finir. Dès qu’elle eut
compris de quoi il était question, elle le gifla et s’enfuit. Je voulus savoir
quels mots il avait employés. Elle ne se souvint que de sa justification :
« Vous savez, je n’ai plus rien à espérer de ma femme8. » Elle voulut ensuite
faire le chemin à pied autour du lac jusqu’à L. pour ne plus être en sa
compagnie. Elle demanda à un homme qu’elle rencontra combien de
temps il fallait pour se rendre là-bas. Quand il lui répondit : « Deux
heures et demi », elle renonça à son projet et retourna au bateau qui partit
juste après. Monsieur K. était là lui aussi. Il s’approcha d’elle et la pria de
l’excuser et de ne rien raconter de l’incident. Mais elle ne lui répondit rien.
Oui, le bois dans le rêve était tout à fait semblable à celui des rives du lac
où s’était passée la scène que Dora venait de raconter à nouveau. Elle avait
justement vu hier ce même bois dense dans un tableau qui se trouvait à
l’exposition de la Sécession9. On voyait des nymphes en arrière-plan du
tableau10.
Dès lors, ce que je soupçonnais devint une certitude. La gare (Bahnhof)
et le cimetière (Friedhof) étaient des substituts assez évidents de l’organe
génital de la femme. Mais mon attention aiguisée avait été attirée par le mot
de construction identique Vorhof, le vestibule, un terme anatomique qui
désigne une zone particulière de l’organe génital féminin. Cela pouvait être
une erreur amusante. Mais depuis la mention des « nymphes » que l’on voit
en arrière-fond d’un « bois dense », le doute n’était plus permis. C’était là
une géographie sexuelle symbolique ! On appelle nymphes, comme le
savent les médecins – qui d’ailleurs ne se servent que rarement de ce
terme – mais pas les profanes, les petites lèvres qui se situent en arrière de
la « forêt dense » des poils pubiens. Quiconque se sert de noms techniques
comme « vestibule » et « nymphes » puise nécessairement ses
connaissances dans des livres, et pas dans des livres populaires, mais dans
des manuels d’anatomie ou dans des encyclopédies qui sont le refuge
courant de la jeunesse en proie à la curiosité sexuelle. Ainsi derrière la
première situation du rêve se cachait, si cette interprétation était juste, un
fantasme de défloraison11, c’est-à-dire un homme qui s’efforce de pénétrer
dans l’organe génital de la femme12.
Je faisais part à Dora de mes conclusions. L’impression qu’elles firent
sur elle dut être coercitive, car le récit d’un fragment oublié du rêve s’en
suivit immédiatement : elle va tranquillement13 dans sa chambre et lit
un grand livre qui se trouve sur son bureau. L’insistance est mise ici sur
deux détails : « tranquillement » et « grand » en rapport au livre. Je lui
demandais : « Était-il de la taille d’une encyclopédie ? » Elle confirma. Or
les enfants ne lisent jamais tranquillement dans les encyclopédies les
matières interdites. Ils tremblent et s’inquiètent. Ils regardent autour d’eux
craignant que quelqu’un ne vienne. Les parents sont très dérangeants lors de
telles lectures. Mais la force du rêve qui réalise le désir avait radicalement
amélioré cette situation inconfortable. Le père était mort et les autres étaient
déjà partis au cimetière. Elle pouvait lire tranquillement ce que bon lui
semblait. Est-ce que cela ne voulait pas dire qu’une des raisons de sa
vengeance était une révolte contre la contrainte de ses parents ? Si son père
était mort, elle pouvait alors lire ou aimer qui elle voulait. Au début, elle ne
voulait pas se souvenir qu’elle avait lu la moindre page d’une encyclopédie,
puis elle reconnut qu’un tel souvenir lui revenait – qui était bien sûr tout à
fait innocent. À l’époque où sa chère tante était gravement malade et que le
voyage de Dora à Vienne était déjà décidé, une lettre d’un autre oncle
arriva. Il disait qu’ils ne pouvaient pas venir à Vienne, car un de ses enfants,
c’est-à-dire un cousin de Dora, était tombé malade de l’appendicite. Elle lut
alors dans l’encyclopédie quels étaient les symptômes d’une appendicite.
De cette lecture, elle se rappelle encore la douleur localisée dans l’abdomen
qui est caractéristique de cette maladie.
Je me souvins alors que juste après la mort de sa tante, Dora avait fait
soi-disant une crise d’appendicite à Vienne. Je n’avais jusqu’à présent pas
osé mettre cette maladie sur le compte de ses faits et gestes hystériques.
Elle me raconta qu’elle avait eu les premiers jours de fortes fièvres et avait
ressenti la même douleur dans l’abdomen que celle décrite dans
l’encyclopédie. On lui avait mis des compresses froides, mais elle ne les
supportait pas. Le deuxième jour, elle avait eu ses règles accompagnées de
vives douleurs – celles-ci étaient d’ailleurs très irrégulières depuis le début
de sa maladie. Elle souffrait à l’époque constamment de constipation.
Il n’était pas possible de considérer cet état comme un simple état
d’hystérie. Même s’il existe des cas indiscutables de fièvre hystérique, il
semblait arbitraire d’attribuer la fièvre qui accompagnait cette maladie
douteuse à l’hystérie, plutôt qu’à une cause organique active à l’époque.
J’étais sur le point d’abandonner cette piste quand Dora me vint en aide en
complétant son rêve par un dernier ajout : elle se voit très clairement
monter les escaliers.
J’exigeai bien sûr une détermination plus précise de cette vision. Quant
à son objection – à laquelle elle n’adhérait pas sérieusement – comme quoi
il lui fallait monter les escaliers si elle voulait entrer dans son appartement
qui se trouvait à l’étage, je n’eus aucune peine à l’écarter en lui faisant
remarquer que si, dans le rêve, elle pouvait voyager de la ville inconnue à
Vienne et omettre le trajet en train, alors elle pouvait très bien se passer
dans le rêve des marches de l’escalier. Elle me raconta ensuite qu’après
l’appendicite, elle avait eu du mal à marcher, car elle traînait du pied droit.
Elle était restée handicapée de la sorte longtemps et c’est pourquoi elle était
particulièrement contente quand elle pouvait éviter de monter des escaliers.
Aujourd’hui encore, son pied droit traîne parfois. Les médecins qu’elle
avait consultés à la demande expresse de son père s’étaient beaucoup
étonnés de cette séquelle tout à fait inhabituelle de l’appendicite, d’autant
que la douleur à l’abdomen n’était pas réapparue et qu’elle ne
s’accompagnait en aucun cas d’un traînement du pied14.
Il s’agissait donc bien d’un véritable symptôme hystérique. S’il était
possible que la fièvre ait eu à l’époque une origine organique – par exemple
une de ces affections grippales si courantes sans localisation particulière
dans le corps –, il était cependant certain que la névrose s’était emparée de
ce hasard et s’en servait comme l’une de ses expressions. Elle s’était donc
créée une maladie dont elle avait lu la description dans l’encyclopédie. Elle
se punissait ainsi de cette lecture, mais il lui fallait reconnaître que cette
punition ne pouvait s’appliquer à la lecture d’un article si innocent et
qu’elle devait être le résultat d’un déplacement. En effet, cette lecture devait
se rattacher à d’autres lectures plus coupables qui aujourd’hui se cachaient
dans sa mémoire derrière le souvenir innocent de celle-là15. Peut-être
pouvait-on encore découvrir quels étaient les sujets de ces lectures passées ?
Que signifiait donc l’état de quelqu’un qui veut imiter une
pérityphlite16 ? Le reste de l’affection, le traînement de la jambe qui ne
s’accordait pas avec une pérityphlite, devait plutôt se référer à la
signification secrète et peut-être sexuelle de la description clinique de cette
maladie. Si l’on réussissait à élucider ce reste, il nous éclairerait sur la
signification recherchée de la pérityphlite. J’essayais de trouver un moyen
d’accéder à ce mystère. Des indications temporelles apparaissaient dans le
rêve. Le temps n’est certainement pas un facteur indifférent dans chaque
événement biologique. Je demandais à Dora quand cette appendicite avait
eu lieu et si c’était avant ou après la scène du lac. La réponse rapide de
Dora levait toutes les difficultés : « Neuf mois plus tard. » Cette période est
très caractéristique. La soi-disant appendicite avait donc réalisé le fantasme
d’un accouchement avec les moyens simples dont disposait la patiente, à
savoir les douleurs et les saignements menstruels17. Dora connaissait bien
évidemment la signification de cette période de temps et ne pouvait pas
mettre en doute le fait vraisemblable qu’elle avait lu dans l’encyclopédie à
l’époque ce qui concernait la grossesse et la naissance. Mais qu’en était-il
du traînement de la jambe ? Je pouvais maintenant me permettre de deviner.
C’est ainsi que l’on marche quand on s’est tordu le pied. Et en effet, elle
avait fait un « faux pas » si, neuf mois après la scène du lac, elle était en
état d’accoucher. Mais il me fallait encore poser une autre exigence. On ne
peut avoir de tels symptômes – telle est ma conviction – que si l’on a connu
dans l’enfance un modèle de ceux-ci. Les souvenirs que l’on a
d’impressions éprouvées à des périodes plus tardives de la vie ne possèdent
pas – comme l’expérience accumulée me contraint de l’affirmer avec la
plus grande fermeté – la force de s’imposer comme symptômes. J’osais à
peine espérer que Dora me livre le matériel infantile recherché, car en
réalité, je ne suis pas encore en état d’établir la validité universelle de la
précédente affirmation à laquelle, pourtant, j’aimerais bien croire. La
confirmation vint immédiatement. Oui, elle s’était bien foulé le même pied
une fois quand elle était enfant, elle était à B. et avait glissé sur une marche
en descendant les escaliers. Le pied – qui était le même que celui qu’elle
avait traîné plus tard – avait enflé et avait dû être bandé. Elle resta allongée
tranquillement quelques semaines. C’était peu de temps avant sa crise
d’asthme nerveux à l’âge de huit ans.
Il fallait maintenant exploiter la preuve de ce fantasme : « Si vous faites
neuf mois après la scène du lac un accouchement et si vous portez jusqu’à
aujourd’hui dans votre démarche la conséquence de ce faux pas, cela
prouve que vous avez regretté dans votre inconscient l’issue de cette scène.
Vous l’avez donc corrigée dans vos pensées inconscientes. Votre fantasme
d’accouchement suppose en effet que quelque chose s’est produit à
l’époque18 et que vous avez vécu et expérimenté tout ce que vous avez dû
plus tard extraire de l’encyclopédie. Vous voyez que votre amour pour
Monsieur K. ne s’est pas achevé avec cette scène et qu’il se poursuit encore
de nos jours – toutefois de façon inconsciente – comme je l’ai affirmé. »
Dora ne s’opposa plus à mes affirmations19.
Ce travail d’élucidation du second rêve nous avait demandé deux
heures. Quand à la fin de la deuxième séance, j’exprimai ma satisfaction sur
les résultats obtenus, elle me répondit de façon dédaigneuse : « Qu’est-il
apparu de si remarquable ? » Je me préparais donc à la venue d’autres
révélations.
Elle se présenta à la troisième séance avec ces paroles à la bouche :
« Savez-vous, Docteur, que je suis aujourd’hui ici pour la dernière fois ?
— Je ne peux pas le savoir puisque vous ne m’en aviez jamais parlé.
— Oui, je m’étais promis de tenir jusqu’au nouvel an20, mais je ne veux
pas attendre plus longtemps la guérison.
— Vous savez que vous avez toujours la liberté d’interrompre l’analyse.
Mais voulez-vous encore travailler aujourd’hui ? Quand avez-vous pris
cette décision ?
— Il y a quatorze jours, je crois.
— Cela sonne comme pour une domestique ou une gouvernante, un
préavis de quatorze jours.
— Une gouvernante qui avait donné son préavis était aussi chez les K.
quand je leur rendis visite à L. au bord du lac.
— Vraiment ? Vous n’avez encore jamais parlé d’elle. Racontez, je vous
prie.
— Il y avait donc dans la maison une jeune femme qui était la
gouvernante des enfants. Elle avait un comportement très étrange à l’égard
de Monsieur K. Elle ne le saluait pas, ne lui répondait jamais, ne lui passait
rien à table quand il le lui demandait, en bref, elle le traitait comme du vent.
Il n’était par ailleurs guère plus aimable à son égard. Un ou deux jours
avant la scène du lac, la jeune femme m’avait prise à part. Elle avait
quelque chose à me dire. Elle me raconta alors que Monsieur K., une fois
que sa femme s’était absentée pour plusieurs semaines, s’était rapproché
d’elle pour la courtiser de façon pressante et la prier de lui être agréable. Il
n’avait plus rien à espérer de sa femme, etc.
— Ce sont là les mêmes paroles qu’il a employées au cours des avances
qu’il vous a faites et à la suite desquelles vous lui avez donné une gifle.
— Oui, elle avait cédé à ses avances, mais, peu de temps après, il ne
s’intéressait plus à elle et elle le haïssait depuis lors.
— Et cette gouvernante avait donné son préavis de départ ?
— Non, elle voulait le faire. Elle m’avait dit que dès qu’elle s’était
sentie abandonnée, elle avait raconté l’incident à ses parents qui étaient des
gens respectables qui vivaient en Allemagne. Les parents exigèrent qu’elle
quitte immédiatement la maison, puis voyant qu’elle ne le faisait pas, ils lui
écrivirent qu’ils ne voulaient plus entendre parler d’elle et qu’elle ne devait
plus dorénavant rentrer à la maison.
— Et pourquoi n’était-elle pas partie ?
— Elle disait qu’elle voulait attendre encore un peu pour voir si
Monsieur K. n’allait pas changer d’attitude. Elle ne supportait plus de vivre
ainsi. Si elle ne voyait prochainement aucun changement chez lui, elle
donnerait son préavis et partirait.
— Et qu’est-il advenu de cette jeune femme ?
— Je sais seulement qu’elle est partie.
— N’a-t-elle pas eu un enfant de cette aventure ?
— Non. »
Ici était donc apparu au milieu de l’analyse – de façon par ailleurs tout à
fait normale – un fragment de matériel réel qui aidait à résoudre les
problèmes soulevés précédemment. Je pouvais dire à Dora : « Maintenant,
je connais le motif de cette gifle par laquelle vous avez répondu aux
avances de Monsieur K. Ce n’était pas l’offense impliquée par la suggestion
qui vous était faite, mais la vengeance provoquée par la jalousie. Lorsque la
jeune femme vous racontait son histoire, vous vous serviez encore de votre
art qui consiste à mettre de côté tout ce qui ne s’accorde pas avec vos
sentiments. Au moment où Monsieur K. employa la phrase : “Je n’ai plus
rien à espérer de ma femme” qu’il avait déjà dite à la demoiselle, de
nouveaux sentiments s’éveillèrent en vous et le plateau de la balance
bascula. Vous vous êtes dit : “Il ose me traiter comme une gouvernante,
comme une domestique ?” Cette blessure de l’orgueil ajoutée à la jalousie et
aux autres motifs de bon sens conscients : c’en était trop à la fin21 ! Pour
vous prouver à quel point vous étiez sous l’impression de l’histoire de cette
demoiselle, je vous ferai remarquer votre identification récurrente à elle,
dans le rêve et dans votre comportement. Vous avez parlé de la scène à vos
parents, chose que nous n’avions pas comprise jusqu’à présent, tout comme
la demoiselle a écrit à ses parents à propos de son aventure malheureuse.
Vous me congédiez comme une gouvernante avec un préavis de quatorze
jours. La lettre dans le rêve qui vous autorise à revenir à la maison fait
pendant à la lettre des parents de la demoiselle qui lui interdisent de rentrer.
— Pourquoi ne l’ai-je pas alors raconté immédiatement à mes parents ?
— Combien de temps avez-vous laissé passer ?
— La scène a eu lieu le dernier jour du mois de juin, je l’ai racontée à
ma mère le 14 juillet.
— Donc encore quatorze jours, ce délai caractéristique des
domestiques ! Je peux maintenant répondre à votre question. Vous avez très
bien compris la pauvre jeune femme. Elle ne voulait pas partir tout de suite,
car elle espérait encore, elle attendait que Monsieur K. lui fasse à nouveau
preuve d’affection. Ce devait être également votre motif. Vous avez attendu
ce délai pour voir s’il renouvellerait ses avances. Vous en auriez alors
conclu que c’était pour lui une chose sérieuse et qu’il ne voulait pas jouer
avec vous comme avec la gouvernante.
— Quelques jours après mon départ, il m’a encore envoyé une carte
postale22.
— Oui, mais comme après plus rien n’est venu, vous avez donné libre
cours à votre vengeance. Je peux même m’imaginer qu’à l’époque, vous
étiez encore prête à laisser une place à l’intention subsidiaire de l’amener
par cette accusation à vous rendre visite.
— Comme il avait d’ailleurs proposé de le faire au début, objecta Dora.
— Votre désir de le voir aurait été alors apaisé » – elle hocha la tête à ce
moment en signe d’acquiescement – « et il aurait pu vous faire les
réparations que vous exigiez de lui.
— Quelles réparations ?
— Je commence en effet à deviner que vous avez pris cette affaire avec
Monsieur K. beaucoup plus au sérieux que vous n’avez voulu l’admettre
jusqu’à présent. N’était-il pas souvent question de divorce entre les K.?
— Oui tout à fait. Au début, elle ne voulait pas à cause des enfants,
maintenant c’est elle qui veut, mais lui ne veut plus.
— N’avez-vous pas pu penser qu’il voulait divorcer de sa femme pour
se marier avec vous ? Et le fait que maintenant il ne veuille plus, est-ce
parce qu’il n’a personne pour la remplacer ? Vous étiez, il y a deux ans,
naturellement très jeune, mais vous m’avez vous-même raconté que votre
mère s’était fiancée à dix-sept ans et qu’elle avait attendu deux ans son
mari. L’histoire d’amour de la mère devient habituellement un modèle pour
la fille. Vous vouliez donc également l’attendre et supposiez qu’il attendait
seulement que vous soyez plus mûre pour devenir sa femme23. Je m’imagine
que c’était pour vous un projet de vie très sérieux. Vous ne pouvez même
pas prétendre qu’une telle intention était exclue de la part de Monsieur K.
Vous m’avez suffisamment raconté de choses sur lui qui suggèrent
directement une telle visée24. Son comportement à L. n’allait pas à
l’encontre de ce dessein. Vous ne l’avez pas laissé parler et vous ne savez
pas ce qu’il voulait vous dire. Par ailleurs, un tel plan n’était pas du tout
impossible à réaliser. La liaison de votre papa avec Madame K. que vous
n’avez sans doute soutenue si longtemps que pour cette seule raison, vous
assurait qu’il serait possible d’obtenir l’accord de Madame K. pour le
divorce. Quant à votre papa, vous lui imposez ce que vous voulez. Oui, si la
tentative au bord du lac avait eu une autre fin, c’eût été l’unique solution
pour toutes les parties de cette affaire. Je pense aussi que c’est la raison
pour laquelle vous avez tellement regretté cette autre fin possible et que
vous l’avez corrigée dans le fantasme qui s’est manifesté comme une crise
d’appendicite. Vous avez dû être très déçue en voyant que le résultat de vos
accusations n’était pas de nouvelles avances, mais le démenti et la
calomnie. Vous admettez que rien ne peut vous mettre plus en rage que le
fait que l’on croie que vous vous êtes forgée cette scène du lac dans votre
imagination. Je sais maintenant ce dont vous ne voulez pas vous rappeler :
vous vous êtes imaginé que les avances de Monsieur K. étaient sérieuses et
qu’il n’y renoncerait pas tant que vous ne l’auriez pas épousé. »
Dora avait écouté sans me contredire comme à son habitude. Elle
semblait émue. Elle prit congé de moi de la manière la plus chaleureuse et
en me faisant les vœux les plus cordiaux pour la nouvelle année – elle ne
revint jamais. Le père, qui vint me rendre visite encore quelques fois,
m’assura qu’elle allait bientôt revenir. Selon ses dires, on remarquait chez
elle le désir de poursuivre le traitement. Mais il n’était jamais vraiment
sincère. Il avait soutenu la cure tant qu’il pouvait espérer que je
« convainque » Dora qu’il n’y avait rien d’autre entre lui et Madame K.
qu’une amitié. Son intérêt avait disparu quand il avait découvert qu’il
n’était pas dans mon intention d’obtenir un tel résultat. Je savais qu’elle ne
reviendrait pas. C’était là sans aucun doute un acte de vengeance. Elle avait
interrompu l’analyse de façon si inattendue au moment où mes attentes
d’une conclusion heureuse de la cure étaient au plus haut et elle avait ainsi
ruiné mes espérances. Sa propre tendance à se faire du tort trouvait sa place
dans une telle action. Quiconque réveille comme moi les démons les plus
méchants qui, à moitié domptés, habitent la poitrine de l’homme, pour les
combattre, doit s’attendre à ce qu’il ne reste pas lui-même indemne de ce
combat. Aurais-je pu garder la jeune fille en traitement si j’avais accepté de
jouer un rôle, si j’avais exagéré l’importance pour moi qu’elle poursuive
son analyse et si je lui avais fait preuve d’un vif intérêt, qui, même estompé
par ma position de médecin, serait apparu comme un substitut de l’affection
qu’elle recherchait ? Je ne le sais pas. Dans la mesure où, dans chaque cas,
une partie des facteurs qui se manifestent sous forme de résistance nous
reste inconnue, j’ai toujours évité de jouer des rôles et me suis toujours
contenté de l’art psychologique le plus modeste. Malgré tout l’intérêt
théorique et toute l’application du médecin à aider ses patients, je garde
pourtant à l’esprit qu’il est nécessaire de poser des limites à l’usage de
l’influence psychologique et je respecte comme l’une d’elles la volonté et
l’appréciation du patient.
Je ne sais pas non plus si Monsieur K. aurait obtenu davantage, s’il lui
avait été révélé que cette gifle ne signifiait aucunement un « non » définitif
de la part de Dora, mais qu’elle provenait de la jalousie éveillée par
l’histoire de la gouvernante tandis que les sentiments les plus forts de la vie
psychique de Dora restaient attachés à cet homme. S’il n’avait pas prêté
attention à ce premier « non » et avait poursuivi ses avances avec une
passion convaincante, le résultat aurait très bien pu être que l’affection de
cette jeune fille pour lui l’emporte sur toutes ses difficultés intérieures. Mais
je crois qu’elle aurait pu tout aussi bien être tentée de satisfaire encore plus
fortement sa soif de vengeance. On ne peut jamais calculer à l’avance de
quel côté penche la décision dans un conflit de motifs, du côté de la
suppression du refoulement ou du côté de son renforcement. L’incapacité à
satisfaire une demande réelle d’amour est un des traits caractéristiques
essentiels de la névrose. Les malades sont toujours dominés par l’opposition
entre réalité et fantasme. Ce qu’ils désirent le plus ardemment dans leurs
fantasmes, ils le fuient quand ils le rencontrent dans la réalité. Ils
s’abandonnent de préférence à leurs fantasmes n’ayant pas ainsi à craindre
la moindre réalisation. La barrière construite par le refoulement peut
toutefois tomber sous le coup d’une émotion très forte provoquée par un
événement réel. La névrose peut toujours être vaincue par la réalité. Mais
nous n’avons pas les moyens de calculer à l’avance chez qui et par quel
biais une telle guérison est possible25.
1. Sur ce point, elle fit un ajout important : « Sur l’une des places, je vois un monument. »

2. Elle ajouta à ce propos : « Après ce mot, il y avait un point d’interrogation comme ça : veux ? »

3. La deuxième fois, elle dit : « Deux heures. »

4. Lors de la séance suivante, elle fit deux ajouts : « Je me vois très clairement monter l’escalier » et « Après sa réponse, je vais dans ma chambre pas du tout triste, et je lis
un gros livre qui était sur mon bureau ».

5. Dans le rêve, elle demande : « Où est la gare ? » J’ai tiré de cette similitude imparfaite une conclusion que je développe un peu plus bas.

6. Dans le rêve, le nombre 5 apparaît avec l’indication de temps : « cinq minutes ». Dans L’Interprétation du rêve, j’ai montré à l’aide de nombreux exemples comment les
nombres qui apparaissent dans les pensées du rêve y sont traités. On les trouve souvent détachés de leur contexte d’origine et insérés dans un nouveau.

7. La satisfaction sexuelle est sans aucun doute le meilleur somnifère tout comme l’insomnie est la plupart du temps la conséquence de la frustration. Le père ne dormait pas,
car les rapports sexuels avec la femme aimée lui manquaient. Comparez avec la phrase qui suit : « Je n’ai plus rien à espérer de ma femme. »

8. Ces mots nous conduiront à la solution de l’un de nos mystères.

9. La Wiener Secession, ou Sécession viennoise, est une association d’artistes fin de siècle fondée en 1897 par Gustav Klimt, Koloman Moser, Josef Hoffmann, Joseph
Maria Olbrich, Max Kurzweil, Josef Engelhart, Ernst Stöhr et Wilhelm List. Elle s’opposait au conservatisme de la Wiener Künstlerhaus, à la fois lieu d’exposition et association de
peintres datant des années 1865. La Sécession est à l’origine, entre autres, du Jugendstil, qui doit son nom à la revue Jugend, lieu d’expression privilégié de ce groupe d’artistes. La
Sécession disparut après plusieurs scissions en 1906. (N.d.T.)

10. Pour la troisième fois, il est question d’images (images de villes, galerie de Dresde), mais cette fois dans un contexte beaucoup plus significatif. En raison de ce que l’on
voit dans le tableau (le bois, les nymphes), l’image devient une garce (Weibsbild, expression péjorative qui désigne la femme).

11. En français dans le texte. (N.d.T.)

12. Le fantasme de défloraison est le deuxième composant de ce rêve. L’insistance sur la difficulté à avancer et l’angoisse éprouvée dans le rêve renvoient à la virginité
volontiers soulignée par Dora que nous avons déjà rencontrée ailleurs avec la Madone Sixtine. Ces pensées sexuelles donnent une coloration inconsciente aux désirs, peut-être
uniquement secrets, concernant le prétendant qui attend en Allemagne. Nous avons reconnu le fantasme de vengeance comme le premier composant du rêve. Les deux composants ne
se recouvrent pas entièrement, mais seulement partiellement. Nous découvrirons plus tard les traces d’une ligne de pensées encore plus importante.

13. Une autre fois, elle avait dit « pas du tout triste » à la place de « tranquillement » (voir plus haut). Je peux utiliser ce rêve comme une nouvelle preuve de la justesse de
l’affirmation contenue dans L’Interprétation du rêve selon laquelle les fragments de rêve oubliés tout d’abord et dont on se souvient par la suite sont les plus importants pour la
compréhension du rêve. J’en tire la conclusion dans mon livre que l’oubli des rêves doit s’expliquer par une résistance intrapsychique.

14. Nous devons supposer une connexion somatique entre la douleur à l’abdomen appelée « ovarite » et le trouble de la marche de la jambe du même côté. Cette connexion
dans le cas de Dora a reçu une interprétation spécialisée, celle d’une superposition et d’une utilisation psychiques. Voir ma remarque analogue sur l’analyse du symptôme de la toux et
du lien entre le catarrhe et le manque d’appétit.

15. C’est là un exemple typique de symptômes provoqués par des circonstances qui, en apparence, n’ont rien de sexuel.

16. Inflammation du tissu cellulaire qui entoure le caecum. (N.d.T.)

17. J’ai déjà indiqué précédemment que la plupart des symptômes hystériques, quand ils ont atteint leur plein développement, représentent une situation fantasmée de la vie
sexuelle, c’est-à-dire une scène de rapport sexuel, de grossesse, d’accouchement, de couches, etc.

18. Le fantasme de la défloration trouve donc son application avec la personne de Monsieur K., ce qui explique pourquoi cette même partie du rêve contient des éléments de
la scène au bord du lac (refus, deux heures et demi, le bois, l’invitation à L.).

19. Quelques remarques supplémentaires aux interprétations précédentes : la « Madone » est manifestement Dora elle-même, premièrement en raison de l’« adorateur » qui
lui a envoyé les images, deuxièmement parce qu’elle a gagné l’amour de Monsieur K. tout d’abord par son attitude maternelle envers ses enfants, et troisièmement parce que jeune
fille, elle a déjà eu un enfant, ce qui renvoie à son fantasme d’accouchement. La « Madone » est par ailleurs une contre-représentation prisée quand une jeune fille se trouve sous la
pression d’accusations sexuelles qui, dans le cas de Dora, sont exactes. J’eus pour la première fois le pressentiment de cette connexion lorsque j’étais médecin à la clinique
psychiatrique et que je m’occupais d’un cas de trouble hallucinatoire au développement très rapide qui s’avéra être la réaction de la patiente à un reproche de son fiancé. Si l’analyse
de Dora s’était poursuivie, le désir maternel d’un enfant se serait révélé comme un motif obscur mais puissant de ses actes. Les nombreuses questions qu’elle a soulevées vers la fin de
son analyse semblent des avatars tardifs de questions liées à un désir de savoir sexuel qu’elle cherchait à satisfaire par la lecture de l’encyclopédie. Il est à supposer qu’elle avait lu sur
la grossesse, l’accouchement, la virginité et d’autres sujets de ce genre. En reproduisant le rêve dans la séance, Dora avait oublié une des questions qu’il convient d’insérer dans la
situation de la deuxième partie du rêve. Ce ne pouvait être que la question suivante : « Est-ce que Monsieur X habite ici ? » Ou bien : « Où habite Monsieur X ? » Il devait y avoir une
raison au fait qu’elle avait oublié cette question apparemment innocente après l’avoir elle-même insérée dans le rêve. Cette raison se trouve à mon avis dans le nom de famille lui-
même qui est aussi celui d’un objet, ou plus exactement de plusieurs, et qui de ce fait, peut être considéré comme un mot « ambigu ». Je ne puis malheureusement pas communiquer
ce nom afin de montrer comment il a été utilisé de façon habile pour désigner quelque chose d’« ambigu » et d’« indécent ». Cette interprétation se trouve renforcée par le fait que
nous trouvons également dans une autre partie du rêve – où le matériel provient des souvenirs relatifs à la mort de la tante – une allusion au nom de la tante, il s’agit de la phrase « ils
sont déjà partis au cimetière ». Ces mots indécents renverraient à une seconde source, orale, car pour de tels mots, le dictionnaire ne suffit pas. Je ne serais pas étonné d’entendre que
cette source était Madame K., la calomniatrice. Dora l’aurait ainsi noblement épargnée alors qu’elle-même poursuivait les autres personnes avec une vindicte presque perfide. Derrière
la série presque incalculable des déplacements qui se sont révélés, on pouvait deviner un facteur simple, l’amour homosexuel profondément ancré en Dora pour Madame K.

20. Nous étions le 31 décembre.

21. Il n’était peut-être pas indifférent que Dora ait pu entendre de la bouche de son père la même plainte à propos de sa femme – dont elle comprenait parfaitement la
signification –, comme je l’ai entendue moi-même de la bouche de celui-ci.

22. C’est là le point de contact avec l’ingénieur qui dans la première situation du rêve se cache derrière le moi de Dora.

23. L’attente jusqu’à l’obtention du but se trouve également dans la première situation du rêve. Je perçois dans ce fantasme de l’attente de la fiancée un fragment de la
troisième composante de ce rêve à laquelle nous avons déjà fait allusion.

24. Particulièrement le discours qui avait accompagné la boîte pour entreposer les lettres qu’il lui avait offerte à Noël, la dernière année où ils avaient vécu ensemble à B.

25. Quelques remarques encore sur la structure de ce rêve qui ne se laisse pas percer suffisamment au point de pouvoir envisager d’en faire la synthèse. Le fantasme de la
vengeance contre son père peut être mis en avant comme un fragment du rêve jouant le rôle de façade : elle est partie de la maison de son propre chef, le père est tombé malade, puis il
est mort… Elle revient alors à la maison, les autres sont déjà tous au cimetière. Elle monte, pas même triste, dans sa chambre et lit tranquillement l’encyclopédie. Il y a là deux
allusions à un autre acte de vengeance que Dora a réellement accompli en faisant en sorte que ses parents trouvent une lettre d’adieu qu’elle avait écrite. La lettre (de la mère dans le
rêve) et l’évocation de l’enterrement de la tante qui avait toujours été un modèle pour elle. Derrière ce fantasme se cachent les pensées de vengeance contre Monsieur K. auxquelles
elle a fourni une échappatoire dans son comportement à mon égard. La domestique – l’invitation – la forêt – deux heures et demi, tous ces éléments proviennent de ce qui s’est passé à
L. Le souvenir de la gouvernante et son échange de lettres avec ses parents vont de paire, tout comme sa lettre d’adieu, avec la lettre dans le rêve qui l’autorise à rentrer à la maison.
Le refus de se laisser accompagner et la décision de marcher toute seule peuvent être traduits de la façon suivante : « Puisque tu m’as traitée comme une domestique, je te laisse en
plan, je vais mon chemin toute seule et je ne me marie pas. » Caché derrière ces pensées de vengeance, scintille à d’autres endroits le matériel des fantasmes provenant de l’amour
pour Monsieur K. qui se poursuit inconsciemment : « Je t’aurais attendu jusqu’à devenir ta femme » – défloration – accouchement. Pour finir, c’est le fait d’une quatrième série de
pensées très profondément cachées – l’amour pour Madame K. – que le fantasme de la défloration soit présenté du point de vue d’un homme (identification de Dora avec son
soupirant qui réside alors à l’étranger) et qu’apparaissent à deux endroits dans le rêve les allusions les plus claires à des paroles ambiguës (ici habite Monsieur X) et aux sources non
orales de ses connaissances sexuelles (l’encyclopédie). Des tendances cruelles et sadiques trouvent à se réaliser dans ce rêve.
Épilogue
J’ai certes présenté dès le début cette publication comme un fragment
d’analyse, mais on aura sans doute trouvé celle-ci incomplète bien au-delà
de ce que le titre laissait prévoir. Il convient donc d’essayer de justifier ces
omissions en aucun cas fortuites.
Bon nombre de résultats de l’analyse ont été omis, car au moment de
l’interruption du travail analytique, certains d’entre eux n’étaient pas
connus avec suffisamment de certitude, et d’autres avaient besoin d’être
développés pour pouvoir être formulés de façon universelle. Quand cela me
paraissait pouvoir se faire, j’ai indiqué la direction vraisemblable de
certaines solutions particulières. J’ai entièrement laissé de côté dans cette
publication la technique nullement évidente au moyen de laquelle on peut
extraire du matériel brut des associations des malades son contenu pur en
pensées inconscientes valorisables. Il résulte de ce choix le désavantage
suivant, le lecteur ne peut vérifier la justesse de ma façon de procéder au
cours de l’exposition de ce cas. Cependant traiter en même temps de la
technique de l’analyse et de la structure interne d’un cas d’hystérie m’est
apparu tout à fait impraticable. C’eût été pour moi une tâche presque
irréalisable et pour le lecteur sans aucun doute une lecture infernale. La
technique analytique exige une présentation entièrement à part qui doit être
illustrée par un grand nombre d’exemples tirés des cas les plus divers sans
prendre en considération les résultats obtenus dans chaque cas particulier. Je
n’ai pas cherché non plus à justifier ici les postulats psychologiques que
l’on devine dans mes descriptions des phénomènes psychiques. Une
justification hâtive ne servirait à rien, une justification détaillée constituerait
déjà en elle-même un travail digne de publication. Je peux seulement
assurer que j’ai procédé à l’étude des phénomènes que révèle l’observation
des personnes atteintes de psychonévroses sans être prisonnier d’aucune
théorie psychologique particulière et que j’ai ajusté mes opinions jusqu’à ce
qu’elles m’apparaissent de nature à rendre compte de l’ensemble de ce qui a
été observé. Je ne mets aucune fierté dans le fait d’avoir évité les
spéculations, mais le matériel nécessaire pour de telles hypothèses ne peut
être recueilli que par l’observation la plus large et la plus laborieuse. Ma
position tranchée sur la question de l’inconscient était spécialement de
nature à choquer, car j’opère avec les représentations, les lignes de pensées
et les impulsions inconscientes comme s’il s’agissait d’objets de la
psychologie aussi légitimes et indubitables que tout ce qui appartient à la
conscience. Mais quiconque entreprend d’étudier les mêmes phénomènes
avec les mêmes méthodes ne pourra faire autrement, j’en suis certain,
qu’adopter la même position – en dépit de toutes les exhortations des
philosophes.
Les collègues qui tiennent ma théorie de l’hystérie pour une pure
théorie psychologique et qui, pour cette raison, la déclarent d’emblée
incapable de résoudre un problème pathologique, comprendront peut-être à
la lecture de cet essai que leur reproche transfère injustement à la théorie
une caractéristique de la technique. Seule la technique thérapeutique est
purement psychologique. La théorie ne manque jamais d’indiquer le
fondement organique des névroses même si elle ne va pas chercher celui-ci
dans une transformation anatomopathologique et si elle remplace
provisoirement la transformation chimique attendue mais encore
insaisissable de nos jours, par la fonction organique. Personne ne contestera
en effet le caractère de fonction organique à la fonction sexuelle dans
laquelle je vois le fondement de l’hystérie et des psychonévroses en
général. Aucune théorie de la vie sexuelle, je présume, ne pourra se
dispenser d’admettre l’existence d’une matière sexuelle particulière qui
provoque l’excitation. En effet, de toutes les images de maladies que la
médecine clinique nous fait connaître, l’intoxication et l’abstinence liées à
l’usage de certains poisons chroniques sont ce qui ressemble le plus aux
psychonévroses authentiques.
Je n’ai pas non plus exposé en détail dans cet essai ce qu’on peut dire
aujourd’hui sur la « complaisance somatique », sur les germes infantiles de
la perversion, sur les zones érogènes et sur la prédisposition à la bisexualité.
Je n’ai fait que mettre en valeur les points où l’analyse rencontre ces
fondements organiques des symptômes. On ne pouvait tirer plus d’un cas
isolé. Pour les raisons précédemment évoquées, j’ai évité une discussion
sommaire de ces facteurs. Il y a là une matière riche en vue de futurs
travaux qui s’appuieront sur un plus grand nombre d’analyses.
Je voulais atteindre deux objectifs avec cette publication, hélas, très
incomplète. Premièrement, montrer en complément à mon livre sur
l’interprétation du rêve à quel point cet art, autrement inutile, peut servir à
la découverte de ce qui est caché et refoulé dans la vie psychique. Lors de
l’analyse des deux rêves, la technique de l’interprétation du rêve, qui est
identique à la technique psychanalytique, a été prise en considération.
Deuxièmement, je voulais éveiller l’intérêt pour une série de relations qui,
de nos jours, sont encore complètement inconnues de la science parce
qu’elles ne peuvent être découvertes que par l’application de cette méthode
particulière. Personne, en effet, n’a pu se faire une idée juste de la
complication des processus psychiques dans les cas d’hystérie, de la
juxtaposition des impulsions les plus diverses, de la liaison réciproque des
contraires, des refoulements, des déplacements, etc. L’accent mis par Janet
sur l’idée fixe qui se convertit en symptôme n’est qu’une schématisation
bien pauvre en vérité. On ne peut s’empêcher de suspecter que les
excitations, dont la représentation adéquate échappe à la capacité de la
conscience, peuvent agir autrement les unes sur les autres, suivre un autre
cours et conduire à d’autres expressions que ces excitations que nous
appelons « normales » et dont nous sommes conscients du contenu
représentatif. Si l’on est initié à ce point, alors plus rien ne s’oppose à la
compréhension d’une thérapie qui supprime les symptômes névrotiques en
transformant les représentations de ce premier type en représentations
normales.
Il m’importait également de montrer que la sexualité n’intervient pas
seulement comme un deus ex machina qui apparaît une seule fois à un
point particulier du mécanisme des processus caractéristiques de l’hystérie,
mais qu’elle fournit la force motrice de chaque symptôme particulier et de
chaque manifestation particulière de ce symptôme. Les symptômes des
maladies sont, pour le dire sans détour, l’activité sexuelle des malades.
Un cas isolé ne suffira jamais à prouver une affirmation aussi générale,
mais je ne peux que répéter toujours de nouveau – parce qu’il n’en est
jamais autrement – que la sexualité est la clé du problème des
psychonévroses et des névroses en général. Quiconque la dédaigne ne sera
jamais capable d’ouvrir cette porte. J’attends encore des nouvelles des
recherches censées annuler ou même limiter la validité de cette affirmation.
Ce que j’ai entendu jusqu’à présent n’était que l’expression d’un
mécontentement ou d’une incrédulité personnelle. À leur encontre, il suffit
de citer le mot de Charcot : « Ça n’empêche pas d’exister1. »
Le cas dont j’ai publié ici une description fragmentaire de la maladie et
du traitement n’est pas non plus de nature à mettre véritablement en lumière
la valeur de la thérapie psychanalytique. La brièveté du traitement – qui
dura à peine trois mois –, mais également un autre facteur inhérent à ce cas
ont empêché que la cure se termine, comme dans les autres cas, sur une
amélioration reconnue par le malade et son entourage – amélioration qui se
rapproche plus ou moins de la guérison complète. Des résultats réjouissants
de ce genre sont obtenus quand les symptômes de la maladie se
maintiennent uniquement par le conflit interne des impulsions liées à la
sexualité. On voit dans ces cas l’état du malade s’améliorer à mesure que
l’on contribue à résoudre leurs problèmes psychiques par la traduction du
matériel pathogène en un matériel normal. Le cours des choses est tout
autre quand les symptômes se mettent au service d’un motif externe,
comme cela avait été le cas chez Dora ces deux dernières années. On est
surpris et vite induit en erreur quand on découvre que l’état du malade n’a
pas été modifié de façon notable par l’avancement pourtant considérable du
travail analytique. En réalité, la situation n’est pas si mauvaise qu’elle n’en
a l’air. Il est vrai que les symptômes ne disparaissent pas pendant le travail
de l’analyse, mais peu après, lorsque la relation entre le patient et le
médecin a cessé. Le différemment de la guérison ou de l’amélioration n’est
dû en réalité qu’à la personne du médecin.
Je dois faire un léger retour en arrière pour expliquer cet état de choses.
On peut dire en règle générale que la formation de nouveaux symptômes est
suspendue durant la cure psychanalytique. La productivité des névroses est
loin d’être anéantie, mais elle s’investit dans la création d’un genre
particulier de constructions mentales dont la plupart sont inconscientes et
auxquelles on peut donner le nom de « transferts ».
Que sont les transferts ? Ce sont des rééditions, des reproductions
d’impulsions et de fantasmes qui sont réveillés par le progrès de l’analyse et
qui se caractérisent par la substitution du médecin à une personne
antérieure. Autrement dit, toute une série d’expériences psychiques
antérieures reprennent vie non pas comme des éléments du passé, mais
comme une relation actuelle avec la personne du médecin. Certains
transferts ne se distinguent dans leur contenu en rien de leur modèle si ce
n’est par la substitution des personnes. Ce sont alors, pour reprendre la
comparaison déjà faite, de simples réimpressions ou rééditions sans
altération. D’autres sont plus subtils, ils ont subi une atténuation de leur
contenu, une sublimation – tel est le terme que j’emploie – et peuvent
même devenir conscients dans la mesure où elles s’appuient sur une
particularité réelle du médecin dont elles savent habilement tirer partie ou
sur certaines circonstances attachées à sa personne. Ce ne sont plus alors
des rééditions, mais des éditions révisées.
Quand on se plonge dans la théorie de la technique analytique, on en
vient à considérer que le transfert est quelque chose d’inévitable. La
pratique du moins nous enseigne qu’il n’y a aucun moyen d’y échapper et
que l’on doit combattre cette dernière création de la maladie comme toutes
les précédentes. Or cette partie du travail est de loin la plus difficile.
L’interprétation des rêves, l’extraction des pensées et des souvenirs
inconscients à partir des associations du malade, et d’autres techniques de
traduction de ce genre sont faciles à apprendre, car c’est le malade lui-
même qui fournit toujours le texte. Dans le cas du transfert, on doit le
deviner presque tout seul en s’appuyant sur de maigres indices et sans
sombrer dans l’arbitraire. On ne peut pas le contourner, car il participe à la
production de tous les obstacles qui bloquent l’accès au matériel de la cure
et ce n’est qu’après sa résolution que peut apparaître chez le malade un
sentiment de conviction à propos de la justesse des liens construits durant
l’analyse.
On sera enclin à tenir pour un sérieux inconvénient de cette pratique,
déjà peu commode par ailleurs, le fait que ce phénomène augmente encore
le travail du médecin par la création d’une nouvelle espèce de produits
psychiques pathologiques. On voudra peut-être même inférer de l’existence
du transfert le risque d’un dommage supplémentaire pour le malade qui
proviendrait de la cure analytique. Ces deux suppositions sont erronées. Le
travail du médecin n’est pas augmenté par le transfert. Cela ne change rien
pour lui qu’il ait à vaincre telle ou telle impulsion du malade en rapport
avec sa personne ou avec une autre. La cure avec le transfert qui lui est
inhérent n’impose au malade aucune nouvelle action qu’il n’aurait pas
accomplie sinon. Des guérisons de névroses ont lieu également dans des
institutions où le traitement psycho-analytique est exclu, on peut dire que
l’hystérie n’est pas guérie par la méthode, mais par le médecin, une sorte de
dépendance aveugle et d’attachement durable se crée habituellement entre
le malade et le médecin qui l’a libéré de ses symptômes par l’hypnose.
L’explication scientifique de tous ces phénomènes se trouve dans les
« transferts » que le malade fait régulièrement sur la personne du médecin.
La cure psychanalytique ne crée pas le transfert, elle révèle simplement son
existence comme celle de bien d’autres phénomènes cachés de la vie
psychique. La différence s’exprime seulement dans le fait que le malade
active spontanément des transferts uniquement affectionnés et amicaux pour
aider à sa guérison et que quand ceux-ci ne peuvent pas avoir lieu, il se
détache aussi vite que possible du médecin – qui ne lui est pas
« sympathique » – sans avoir été influencé par celui-ci. Dans la
psychanalyse par contre, comme le dispositif des motifs est transformé,
toutes les impulsions, y compris les impulsions hostiles, sont réveillées et
utilisées pour l’analyse en étant portés à la conscience. Le transfert est ainsi
à chaque fois anéanti. Le transfert qui est destiné à devenir le plus grand
obstacle de la psychanalyse devient son soutien le plus puissant quand elle
parvient à le deviner à chaque fois et à le traduire au malade2.
Il me fallait parler du transfert, car je ne peux expliquer les
particularités de l’analyse de Dora qu’à l’aide de ce facteur. Le mérite de
cette analyse – sa clarté inhabituelle qui la rend apte à paraître comme une
première publication introductive – va de paire avec son grand défaut qui a
conduit à son interruption prématurée. Je ne suis pas parvenu à maîtriser à
temps le transfert. En raison de l’empressement avec lequel elle mettait à
ma disposition dans la cure une partie du matériel pathogène, j’ai oublié la
prudence qui consiste à prêter attention aux premiers signes du transfert
qu’elle préparait à l’aide d’une autre partie de ce même matériel qui m’était
restée inconnue. Il était clair au début que je remplaçais son père dans ses
fantasmes ce qui allait en quelque sorte de soi vue notre différence d’âges.
Elle me comparait même constamment avec lui et de façon consciente. Elle
cherchait de façon anxieuse à s’assurer que j’étais bien entièrement sincère
avec elle, car son père « préférait toujours le secret et les détours fuyants ».
Lorsque le premier rêve vint, où elle se mettait en garde qu’il lui fallait
quitter la cure comme à l’époque la maison de Monsieur K., j’aurais dû
moi-même être sur mes gardes et lui dire : « Vous avez fait maintenant un
transfert de Monsieur K. sur moi. Avez-vous remarqué quelque chose qui
vous ait fait conclure à de méchantes intentions de ma part semblables
(directement ou par le moyen d’une quelconque sublimation) à celles de
Monsieur K.? Quelque chose en moi vous a-t-il frappé ? Ou bien avez-vous
appris quelque chose de moi qui ait provoqué votre affection comme à
l’époque avec Monsieur K.? » Alors son attention se serait dirigée sur un
détail quelconque de notre relation, sur ma personne ou sur des
circonstances liées à moi derrière lesquelles se cachait quelque chose
d’analogue, mais de bien plus important qui concernait Monsieur K. La
résolution de ce transfert aurait ouvert à l’analyse l’accès à un nouveau
matériel de la mémoire, vraisemblablement réel. Je n’ai pas prêté attention à
cette mise en garde. Je pensais qu’il y avait largement le temps, car les
autres étapes du transfert n’étaient pas encore apparues et le matériel de
l’analyse ne s’était pas encore épuisé. C’est ainsi que je fus surpris par le
transfert et qu’en raison d’un X par lequel je lui rappelais Monsieur K., elle
s’était vengée de moi comme elle voulait se venger de Monsieur K. et
m’avait abandonné comme elle se croyait elle-même trompée et
abandonnée par lui. Elle agissait ainsi une partie essentielle de ses
souvenirs et de ses fantasmes au lieu de la reproduire dans la cure. Quel
était ce X ? Je ne puis naturellement pas le savoir. Je suppose que cela avait
à voir avec l’argent ou que c’était de la jalousie à l’égard d’une autre
patiente qui, après sa guérison, était restée en relation avec ma famille.
Quand il est possible d’insérer les transferts dans le travail de l’analyse, son
cours en est retardé et devient obscur, mais son existence s’en trouve mieux
protégée contre les résistances soudaines et insurmontables.
Dans le second rêve de Dora, le transfert apparaît à travers plusieurs
allusions claires. Lorsqu’elle me le raconta, je ne savais pas encore – je ne
le sus que deux jours plus tard – que nous n’avions plus devant nous que
deux heures de travail, le même temps qu’elle était restée devant le tableau
de la Madone Sixtine et dont, à l’aide d’une correction (deux heures au lieu
de deux heures et demi), elle avait fait la mesure du chemin autour du lac
qu’elle n’avait pas emprunté. Le désir et l’attente qui se rapportaient au
jeune homme en Allemagne, et qui provenaient de son attente que Monsieur
K. puisse enfin se marier avec elle, s’étaient déjà exprimés quelques jours
plus tôt dans le transfert suivant : la cure durait trop à son avis, elle n’aurait
pas la patience d’attendre si longtemps, pourtant dans les premières
semaines de l’analyse, elle avait fait preuve de suffisamment de
compréhension pour écouter sans élever de telles objections l’annonce que
je lui faisais selon laquelle son rétablissement complet exigerait sans doute
une année. Son refus de se laisser accompagner dans le rêve – elle préférait
marcher seule – provenait également de la visite à la galerie de Dresde. Je
devais en faire l’expérience le moment venu. Ce refus avait donc le sens
suivant : « Puisque tous les hommes sont si détestables, je préfère ne pas me
marier. Ce sera ma vengeance3. »
Quand des impulsions de cruauté et des motifs de vengeance qui ont
déjà été utilisés dans la vie du malade pour maintenir ses symptômes se
transfèrent pendant la cure sur le médecin avant que celui-ci n’ait eu le
temps de les écarter de sa personne en les ramenant à leur source, il ne faut
pas alors s’étonner du fait que l’état de la malade ne manifeste aucun signe
de l’influence de ses efforts thérapeutiques. Car quelle meilleure vengeance
pour la malade que de montrer en personne que le médecin est impuissant et
incapable ? J’ai pourtant tendance à ne pas trop sous-estimer la valeur
thérapeutique de traitements comme celui de Dora, aussi inachevés soient-
ils.

Quinze mois après la fin du traitement et la rédaction de cet écrit, je


reçus des nouvelles de l’état de ma patiente et de l’issue de la cure. À une
date qui n’est pas tout à fait indifférente, le 1er avril – nous savons que les
temps et les dates chez elle n’étaient jamais sans signification –, elle
apparut chez moi pour finir son histoire et pour demander une nouvelle fois
mon aide. Un simple regard sur son visage suffit à me faire comprendre que
cette demande n’était pas sérieuse. Elle était restée quatre à six semaines
après l’abandon du traitement « dans un état de confusion », comme elle
disait. Puis était survenue une nette amélioration. Les crises se faisaient plus
rares, son humeur meilleure. Au mois de mai de l’année passée, l’enfant des
K., celui qui était toujours malade, était mort. Ce deuil fut pour elle une
occasion de faire une visite de condoléances aux K. Ils la reçurent comme
s’il ne s’était rien passé ces trois dernières années. Elle se réconcilia alors
avec eux, se vengea ensuite et mit une fin satisfaisante pour elle à cette
affaire. Elle dit à la femme : « Je sais que tu as une liaison avec papa » et
elle ne nia pas. Elle réussit à obtenir du mari qu’il reconnaisse l’existence
de la scène qu’il contestait et elle rapporta cette nouvelle qui lui donnait
raison à son père. Depuis, elle n’a plus repris de relations avec la famille K.
Elle se sentit alors très bien jusqu’à la mi-octobre, où elle eut une
nouvelle crise d’aphonie qui dura six semaines. Surpris par cette nouvelle,
je lui demande s’il y avait eu une raison à cette crise. J’entends alors que la
crise était venue après un grand effroi. Elle avait vu un homme se faire
renverser par une voiture. Elle accoucha finalement de l’aveu suivant :
l’homme qui avait subi l’accident n’était autre que Monsieur K. Elle l’avait
rencontré par hasard un jour dans la rue, ils étaient à un endroit où il y avait
beaucoup de trafic. Il était resté debout devant elle comme confus et dans
un accès d’oubli de soi, il s’était laissé tomber devant une voiture4. Elle
essayait par ailleurs de se convaincre qu’il s’en était sorti sans dommages
graves. Elle s’émeut encore un peu quand elle entend parler de la liaison de
son père avec Madame K. dont elle ne se mêle plus sinon. Elle est plongée
dans ses études et ne pense pas au mariage.
Elle était venue demander mon aide en raison d’une névralgie faciale du
côté droit dont elle souffrait alors jour et nuit. « Depuis quand ?
— Depuis exactement quatorze jours5. » Je ne pus m’empêcher de
sourire, car je pouvais lui prouver qu’elle avait lu il y a exactement quatorze
jours une nouvelle me concernant dans le journal6, ce qu’elle confirma
également (1902).
La soi-disant névralgie faciale correspondait donc à une autopunition, à
un repentir pour la gifle qu’elle avait donnée à l’époque à Monsieur K., et
au transfert de la vengeance sur moi qui en avait résulté. Quel genre d’aide
voulait-elle de moi ? Je ne le sais pas. Mais je lui promettais que je lui
pardonnais de ne pas m’avoir procuré la satisfaction d’une guérison bien
plus radicale de son mal.
Puis à nouveau des années se sont passées après cette visite. La jeune
femme s’est par la suite mariée et en effet avec le jeune homme – du moins
si tous les signes ne me trompent pas – auquel se référaient ses associations
au début de l’analyse du second rêve. De même que le premier rêve
indiquait le fait qu’elle se détournait de l’homme qu’elle aimait pour se
diriger vers son père, marquant par là sa fuite hors de la vie et sa chute dans
la maladie, de même le deuxième rêve annonçait qu’elle se détachait de son
père et regagnait la vie.

1. En français dans le texte. La citation exacte est : « La théorie, c’est bon mais ça n’empêche pas d’exister. » (N.d.T.)

2. (Note ajoutée en 1923 : ) Ce qui est dit ici sur le transfert trouve son prolongement dans l’article technique intitulé « Remarques sur l’amour de transfert ».

3. Plus je m’éloigne dans le temps de la fin de cette analyse, plus il me semble probable que ma faute technique a consisté dans l’omission suivante : j’ai manqué de deviner
à temps et de communiquer à la malade que son amour homosexuel (gynécophile) pour Madame K. était la tendance la plus forte de sa vie psychique. J’aurais dû percevoir que la
source principale de sa connaissance des choses sexuelles ne pouvait être personne d’autre que Madame K., celle qui l’avait accusée de s’intéresser à de tels sujets. En effet, le fait
qu’elle savait toutes ces choses indécentes et qu’elle ne voulait jamais savoir d’où provenait ce savoir était trop manifeste. J’aurais dû m’atteler à ce mystère et chercher le motif de ce
refoulement étrange. Le second rêve me l’aurait alors révélé. La soif impitoyable de vengeance dont ce rêve se faisait l’expression n’avait pour autre fin que de dissimuler la tendance
contraire, la noblesse avec laquelle elle avait pardonné la trahison de l’amie aimée et le fait qu’elle cachait à tout le monde que c’était elle-même qui lui avait fait ces révélations dont
elle s’était servie ensuite pour l’accuser. Avant de comprendre l’importance de la tendance homosexuelle chez les psychonévrosés, je me suis souvent enlisé dans le traitement de
certains cas, quand je ne tombais pas dans la confusion la plus complète.

4. C’est là un cas qui contribue de façon intéressante à la question des tentatives de suicide indirectes que j’aborde dans ma Psychopathologie de la vie quotidienne.
5. Voir la signification de cette période et son lien au thème de la vengeance dans l’analyse du second rêve.

6. Allusion à l’annonce de la nomination en 1902 de Freud au titre de professor extraordinarius à la faculté de médecine sur proposition, cinq ans plus tôt, de Carl W.H.
Nothnagel et Richard von Krafft-Ebing. Voir Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, Paris, PUF, 2006, lettres du 8 février 1897 et du 11 mars 1902. (N.d. É.)
De Sigmund Freud aux Éditions Payot
& Rivages
Cinq leçons sur la psychanalyse, suivi de : Contribution à l’histoire
du mouvement psychanalytique
Psychopathologie de la vie quotidienne
Totem et tabou
Introduction à la psychanalyse
Essais de psychanalyse
Dora. Fragment d’une analyse d’hystérie
Le Petit Hans, suivi de : Sur l’éducation sexuelle des enfants
L’Homme aux rats. Un cas de névrose obsessionnelle, suivi de :
Nouvelles Remarques sur les psychonévroses de défense
L’Homme aux loups. D’une histoire de névrose infantile
Le Président Schreber. Un cas de paranoïa
Malaise dans la civilisation
Psychologie de la vie amoureuse
Notre relation à la mort
Au-delà du principe de plaisir
Psychologie des foules et analyse du moi
Le Moi et le Ça
Pulsions et destins des pulsions
L’Inconscient
Deuil et mélancolie
Pour introduire le narcissisme
Trois mécanismes de défense : le refoulement, le clivage et la
dénégation
La Sexualité infantile
Le Rêve de l’injection faite à Irma
Mémoire, souvenirs, oublis
Du masochisme. Les aberrations sexuelles ; Un enfant est battu ;
Le problème économique du masochisme
L’Inquiétant familier, suivi de Le Marchand de sable (E.T.A.
Hoffmann)
Le Président T.W. Wilson. Portrait psychologique (avec William C.
Bullitt)
Sur les névroses de guerre (avec Sándor Ferenczi et Karl Abraham)
Pourquoi la guerre ? (avec Albert Einstein)
Correspondance (avec Stefan Zweig)
À propos de cette édition
Cette édition électronique du livre Dora de Sigmund Freud a été
réalisée le 08 mai 2013 par les éditions Payot & Rivages.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 978-2-228-
90496-4).
Le format ePub a été préparé par Facompo, Lisieux.

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