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Totem et tabou de Sigmund Freud 12/03/2023 09:16

Aux origines Critiques de Laplantine

Totem et Tabou Position de Géza Róheim

La horde Remarques (provisoires)

Critiques de Kroeber lecture associée : Qu'est devenue la horde ?

 
Le texte intégral de Totem et tabou est téléchargeable sur le site Les classiques des sciences sociales créé et animé
par Jean-Marie Tremblay de l'U.Q.A.C. (Université du Québec à Chicoutimi) - adresse DOI -

TOTEM ET TABOU

AUX ORIGINES
D'UNE ANTHROPOLOGIE PSYCHANALYTIQUE

La psychanalyse s'applique dés le début de son invention à des domaines hétérogènes même si ses
concepts ont progressivement opéré un travail de liaisons. Rien à priori n'associait les rêves, les
symptômes hystériques, le totémisme ou Moïse avant que Freud n'y défriche un chemin ou plutôt des
sentiers balisés par le fondateur de la psychanalyse la définissait comme :
« ... un procédé pour l'investigation des processus animiques, qui sont à peine accessibles

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autrement ; .. une méthode de traitement des troubles névrotiques, qui se fonde sur cette
investigation ; ..une série de vues psychologiques, acquises par cette voie, qui croissent
progressivement pour se rejoindre en une discipline scientifique nouvelle. » [1]

De Totem et Tabou à aujourd'hui, cette pluralité de facettes s'est dupliquée d'une certaine manière
dans l'anthropologie psychanalytique. Le sous-titre Quelques concordances entre la vie psychique des
sauvages et celle des névrosés [2] qui sera d'ailleurs dans le texte enrichi de la concordance avec la vie
psychique des enfants, situe bien la réflexion de Freud à un point de rencontre complexe entre le
normal et le pathologique, l'individuel et le collectif ou encore le fantasme et le mythe. Ce point de
rencontre contient potentiellement en effet trois aspects de la définition précédente : la théorie, la
clinique et la méthode d'investigation appliquée hors de son champ initial.
Si nous avons commencé cette partie en nous référant à la définition même de Freud, c'est pour
souligner le fait que l'anthropologie psychanalytique n'est pas une discipline nouvelle ; dès les
premières années elle est contenue dans la psychanalyse même s'il faudra attendre les travaux de Géza
Róheim pour qu'elle soit mise à l'épreuve du terrain. Le champ d'étude de l'anthropologie
psychanalytique n'est pas vraiment défini lorsque Georges Devereux donnera le nom
d'ethnopsychanalyse à l'un des territoires de cet espace ouvert par Freud. Cet espace, aux limites
inconnues, se déploie à partir du questionnement de l'interface entre psychisme et culture. Totem et
Tabou en est l'ouvrage fondateur même si avec la Gradiva de Jensen en 1907 et avec Léonard de Vinci
en 1910, Freud s'était déjà risqué hors du champ clinique.
Aujourd'hui, un siècle après, les limites de cet espace sont toujours comme estompées dans les
incertitudes mais il n'empêche, et cela au-delà des différentes approches, qu'il existe :

des interprétations théoriques appliquées aux visions du monde et aux étiologies indigènes,
des modalités thérapeutiques spécifiques à l'égard de l'étranger en difficulté,
des travaux d'investigations anthropologiques situés hors du champ clinique,
la référence au principe de complémentarité initié et théorisé par Devereux.

Pour aborder plus précisément cette hétérogénéité des tendances, nous renvoyons ici les lecteurs à
notre article Ethnopsy ... état des lieux. Mais pour l'instant, revenons à Totem et Tabou, et même si
cela pourra paraître anachronique, nous évoquerons d'abord quelques-unes des critiques anciennes afin
d'esquisser le décor intellectuel dans lequel cet essai fondateur a été accueilli.

TOTEM ET TABOU : PRÉSENTATION

Les éléments du procès fait à Freud quant à la validité des thèses avancées dans Totem et Tabou
sont tous déjà contenus des 1920 dans l'historique critique d'Alfred L. Kroeber et dans son article

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Après-coup de 1939. Quant à la discussion de ces éléments en regard des "données scientifiques", on
ne pourrait fondamentalement rien dire de plus que Derek Freeman si ce n'était la "remise à jour" des
données issues de l'ethnologie, de la primatologie et de la génétique. Nous rediscuterons plus loin de
ces critiques mais aussi et surtout de leur validité épistémologique.
Si l'accueil général fait à la psychanalyse fut plutôt réservé, il le fut plus encore par les spécialistes
de domaines dans lesquels Freud avait posé le regard de son invention. Il nous semble que beaucoup
de critiques lui furent adressées dans le non-dit d'une défense de territoire. Nous pensons ici
notamment aux hellénistes de renom que sont Marie Delcourt et Jean Pierre Vernant. La lecture
attentive d' Œdipe sans complexe ne constitue pas malgré la volonté de son auteur une réelle critique
de l'Œdipe freudien. En effet la somme d'érudition et d'intelligence que Vernant met au service de sa
cause n'empêcheront jamais le descendant des Labdacides de tuer son père, d'épouser sa mère et de se
crever les yeux. Dans le domaine ethnologique les critiques éparses de Lévi-Strauss se déplacent
comme les hérissons de la parabole qui, de près se piquent et de loin ont froid. Le trait d'esprit
consistant à rapprocher dans le chapitre XIV de La potière jalouse « ..la vie psychique des sauvages et
celle des psychanalystes.. » contient un effet opératoire immédiat sur le lecteur comme d'ailleurs les
paroles du chaman sur la parturiente analysées dans L'efficacité symbolique. Dans ce dernier texte
Lévi-Strauss rapprochait déjà (avec sympathie il nous semble) la cure chamanique et la cure
psychanalytique. Marguerite Sechehaye n'y était pas précisément décrite comme une head shrinker.
Même si l'inconscient lévi-straussien se distingue de l'inconscient freudien (nous reviendrons sur ce
thème) on se demande parfois si l'attitude critique de Lévi-Strauss ne s'adresse pas plus aux
psychanalystes et à leurs institutions plutôt qu'à la pensée psychanalytique. Son soutien, associé à
celui de Roger Bastide, dans la nomination de Devereux à l'École Pratique des Hautes Études en 1963
nous paraît aussi signifiant que des écrits. Il est vrai que Devereux était un psychanalyste (et
ethnologue) atypique. Quoiqu'il en soit Totem et Tabou resurgit sans cesse dans l'œuvre de ce penseur
essentiel de notre siècle.[3]

Le génie de Freud dans Totem et Tabou est d'avoir rendu pensable un domaine de recherche. Que
ce texte se soit développé dans un contexte socio-historico-scientifico-..etc. traversé par l'idée de
progrès, qu'il se soit étayé sur des observations caduques ou partiales, qu'il soit marqué par une
méthodologie parfois douteuse des correspondances, tout cela est vrai. Malgré tout, le mythe de la
horde originaire, le repas sacrificiel, la transmission phylogénétique des caractères acquis etc., forme

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un ensemble cohérent, indiquant à la psychanalyse et à l'ethnologie un continent nouveau ou pour le


moins des contrées à explorer.
Totem et tabou est composée de quatre parties inégales :

La crainte de l'inceste ;
Le tabou et l'ambivalence des sentiments ;
Animisme, magie et toute-puissance des pensées ;
Le retour infantile du totémisme.

Cette dernière partie, patiemment préparée par les précédentes, constitue en fait le cœur de
l'ouvrage. C'est en elle que Freud développe son hypothèse de l'origine de la culture associée à l'idée
que « On retrouve dans le complexe d'Œdipe les commencements à la fois de la religion, de la morale,
de la société et de l'art ». C'est aussi bien entendu cette dernière partie qui est la plus commentée et la
plus contestée. L'ensemble du livre est traversé par le modèle analogique très controversé reliant « les
sauvages, les névrosés et les enfants ». A cet endroit et à notre humble avis, il faut cependant se garder
de critiques trop hâtives afin de pas commettre de jugement anachronique. Anachronique, parce que si
aujourd'hui de tels rapprochements paraissent "péjoratifs", à l'époque ils étaient révolutionnaires en ce
sens qu'ils accordaient "le même appareil psychique" à n'importe quel être humain. Nous reviendrons
sur cette question après les critiques de Kroeber lorsque nous présenterons le point de vue de Géza
Róheim relatif à la Horde.

A gauche, la page manuscrite contenant le "mythe de la horde" ; à droite, le fameux passage surligné.

« Eines Tages taten sich die ausgetriebenen Brüder zusammen, erschlugen und verzehrten den
Vater und machten so der Vaterhorde ein Ende. Vereint wagten sie und brachten zustande, was dem
einzelnen unmöglich geblieben wäre. (Vielleicht hatte ein Kulturfortschritt, die Handhabung einer
neuen Waffe, ihnen das Gefühl der Überlegenheit gegeben) Daß sie den Getöteten auch verzehrten,

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ist für den kannibalen Wilden selbstverständlich. Der gewalttätige Urvater war gewiß das beneidete
und gefürchtete Vorbild eines jeden aus der Brüderschar gewesen. Nun setzten sie im Akte des
Verzehrens die Identifizierung mit ihm durch, eigneten sich ein jeder ein Stück seiner Stärke an. Die
Totemmahlzeit, vielleicht das erste Fest der Menschheit, wäre die Wiederholung und die Gedenkfeier
dieser denkwürdigen, verbrecherischen Tat, mit welcher so vieles seinen Anfang nahm, die sozialen
Organisationen, die sittlichen Einschränkungen und die Religion.» (texte actuel publié)

LA HORDE

« Un jour, les frères expulsés se groupèrent, abattirent et consommèrent le père et mirent ainsi un
terme à la horde paternelle. Réunis, ils osèrent et accomplirent ce qui était resté impossible à
l'individu. (Peut-être un progrès culturel, le maniement d'une nouvelle arme, leur avait-il donné le
sentiment de leur supériorité.) Qu'ils aient ainsi consommé celui qu'ils avaient tué, cela s'entend,
s'agissant de sauvages cannibales. Le père primitif violent avait été certainement le modèle envié et
redouté de tout un chacun dans la troupe des frères. Dès lors ils parvenaient, dans l'acte de
consommer, à l'identification avec lui, tout un chacun s'appropriant une partie de sa force. Le repas
totémique, peut-être la première fête de l'humanité, serait la répétition et la cérémonie
commémorative de cet acte criminel mémorable, par lequel tant de choses prirent leur
commencement, les organisations sociales, les restrictions morales et la religion. ».[4]

L'ambivalence des sentiments, co-existence de la haine et de l'amour, aurait ensuite généré une
suite particulière de mouvements psychiques. Après l'assouvissement de la haine, les fils auraient eu
du repentir, de la culpabilité et un reniement de tout cela rendu possible par le déplacement sur le
totem de l'imago paternelle. Les relations ultérieures au totem conserveraient cependant les traces de
ces évènements, traces perceptibles dans deux tabous fondamentaux liés au totémisme, à savoir la
prohibition de tuer le totem et la prohibition d'épouser une femme appartenant au même totem. Freud
faisait ici coïncider ce qu'il avait déjà appris des matériaux cliniques, notamment des cas de
zoophobies du petit Hans, du petit Arpad relaté par Ferenczi et de son analyse du mythe d' Œdipe.
Cette construction élaborée avec des matériaux empruntés à
Darwin, Frazer, Robertson Smith et Atkinson fut et reste certainement
encore l'une des parties de l'édifice freudien les plus contestées.
Devereux lui-même la considérait comme « l'une des rares erreurs de
Freud ». Erreur, fable, mythe, élucubration, fantasme d'un homme
qui « n'est plus le père d'une horde sauvage mais le maître reconnu
d'une doctrine qui vient de se doter d'un appareil politique échappant à son pouvoir » [5] et qui est
désormais dans l'expérience difficile des premières trahisons. Il n'empêche que ça parle.

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Dans une aire culturelle traversée par des religions dans lesquelles la rivalité fraternelle va jusqu'à
l'assassinat, où un père est prêt à sacrifier son fils, où les hommes tuent le fils du Père et incorporent
(c'est le cas de le dire) sa chair et son sang, peut-on être réellement étonné de la représentation
(comme en miroir) proposée par Freud ? La représentation d'Œdipe tuant son père se retient pourtant
mieux que celle de parents abandonnant leur enfant à la mort. Il est vrai, à moins d'être "activement
incroyant", que nous ne plaçons pas spontanément Abraham, Abel, Caïn et Jésus dans le même monde
que celui de Laïos, de Jocaste et de leur fils. Soulignons une évidence telle que la majorité n'ose même
plus rappelée : beaucoup de croyances sont perçues comme religions ou mythes selon qu'il s'agit des
nôtres ou de celles des autres. Il y a cependant un tel consensus implicite dans les découpages mêmes
des champs et des objets d'études que certains rapprochements sont à peine envisageables. Il est par
exemple vraisemblable que le personnage du Père Noël, pas moins digne d'études que les héros
précédents, aurait retenu beaucoup plus l'attention des mythologues, ethnologues, psychanalystes etc.
s'il avait été un "objet exotique".[exception] En effet, l'importance des travaux qui lui ont été
consacrés est ridicule par rapport à son importance culturelle et psychologique. Des critiques
adressées à la horde de Freud, un certain nombre d'entre elles renvoient à l'invraisemblance et à
l'impossibilité de cet évènement. Il est vrai que Freud n'a pas considéré le drame d'Œdipe comme un
fait historique mais la question de son existence réelle n'a jamais été évoquée comme obstacle majeur
à cette conception clé de la psychanalyse.
Il est remarquable, à moins d'y joindre les détails des textes sur lesquels Freud s'est appuyé, que la
substance du mythe de la horde soit contenue dans les deux premières phrases. Beaucoup de choses
très savantes ont été et continuent d'être écrites sur la mythologie. Parmi elles on retrouve souvent et
sous l'influence de la psychanalyse, l'analogie avec le rêve. Le rapprochement reste intéressant mais il
porte presque toujours sur l'identité des mécanismes qui les constituent, à savoir les processus
primaires. On en oublie parfois une idée simple : ces deux objets fonctionnent à l'envers dans
l'appareil psychique.
- Le rêve nécessite le passage du sommeil à l'éveil ; il chemine de l' inconscience à la conscience
dans les sens communs des termes. De mon rêve, je peux en exposer éventuellement un récit mais pas
nécessairement une idée, à moins justement de pouvoir associer entre un contenu manifeste et un
contenu latent.
- Le mythe retient l'attention, il nécessite la vigilance ; son cheminement va de la conscience à une
possible inconscience. Je n'en conserve pas obligatoirement un récit fidèle mais je suis presque
toujours dans la possibilité d'en communiquer une idée. Si l'on dépouille cette histoire de la horde des
éléments qui en composent le récit pour n'en retenir qu'une idée, il nous semble que cette dernière
pourrait se formuler ainsi : la vie sociale est fondée sur la création d'une violence culturelle répondant
à la violence naturelle. Rien n'empêche d'ailleurs d'imaginer que les conditions d'émergence de la
violence culturelle puissent s'accommoder avec la théorie de Darwin. Pour éviter tout malentendu
nous voudrions souligner que nous n'identifions pas les conditions d'existence de la violence culturelle

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à celle de la culture elle-même. Cette dernière en serait plutôt un effet et non une cause.
La question de la transmission a toujours préoccupé Freud. Il l'a toujours posée dans le même
sens : de l'espèce vers l'individu, du collectif au particulier, du meurtre originaire au complexe
d'Œdipe. C'est essentiellement sur cette question que les opposants à Totem et tabou ont organisé leurs
critiques ; comme si, d'après eux, sur cette question, Freud avait raisonné à l'envers ou de travers.

LES CRITIQUES DE KROEBER

Nous reprendrons successivement ici les critiques de Kroeber écrites en 1920 (voir biblio) avec les
onze numéros donnés par l'auteur lui-même.
1- les allégations de Darwin - Atkinson sont hypothétiques. Il n'est pas démontré que nos ancêtres
vivaient en horde avec un mâle dominant imposant ses volontés.
2- l'allégation de Robertson Smith sur le sacrifice de l'animal totem et de son incorporation comme
rituel religieux ancien pourrait éventuellement concerner les cultures méditerranéennes mais ne serait
pas universel.
3- le sacrifice animal n'est pas nécessairement lié au totémisme.
4- l'idée freudienne que les fils tuèrent et mangèrent le père n'est qu'une hypothèse.

Les premières des critiques de Kroeber portent sur la contestation des éléments anthropologiques
empruntés par Freud aux auteurs pré-cités. Ces critiques sont sous-tendues par l'idée que ces divers
éléments n'ont pas de statuts scientifiques et/ou d'existences historiques avérés. La question du
sacrifice de l'animal totem et de son universalité ne peut pas effectivement être reçue telle quelle
devant les données ethnologiques. Le sacrifice animal, quand il existe, ne relève pas d'interprétations
univoques. On sait aussi que Lévi-Strauss refuse l'association sacrifice et totémisme. Il en fait même
deux institutions opposées dans leurs orientations. Cependant, un fil rouge traverse les phénomènes
des sacrifices, des offrandes, des cultes des ancêtres, des religions et ce fil est toujours étonnamment
lié à la problématique de l'oralité. On peut hypothéquer que les variations et les différences entre tous
ces phénomènes sont en corrélation avec les déclinaisons possibles de la problématique orale, en
suivant ici la voie ouverte initialement par Karl Abraham.
En 1939, Kroeber dans L'après-coup reconsidère son ancien article. Il y maintient ses critiques
mais en même temps devient plus "ouvert" aux idées freudiennes sous la réserve que Freud ne place
ses conceptions au niveau Historique. En d'autres termes Kroeber refuse l'idée que cela ait pu être un
évènement "ponctuel". Je ne pense pas pour ma part que Freud, à l'époque de cet écrit, l'ait considéré
ainsi. Dans les dernières lignes de sa préface (1913), au sujet de son hypothèse, il écrit : « ..mais à
supposer même que celle-ci se révèle finalement comme invraisemblable, je n'en estime pas moins
qu'elle aura contribué, dans une certaine mesure, à nous rapprocher d'une réalité disparue, et si
difficile à reconstituer ». Un quart de siècle plus tard, dans Moïse et le monothéisme, Freud reprend

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intégralement sa thèse en y apportant toutefois la précision suivante : « Cette histoire ainsi racontée
paraît très condensée comme si ce qui avait mis des années à s'achever, ce qui s'était répété sans cesse,
ne s'était en réalité produit qu'une seule fois. » [6]
5 - Le déplacement de la haine du père sur un animal ne prouve pas que les fils aient fait de même.
6 - Si on suppose cependant l'existence de ce déplacement, y aurait-il encore assez de haine pour
tuer le père et le crime effectué n'aurait-il pas mis fin au déplacement ?
7 - Même en supposant l'existence de sentiments de remords et la décision de ne plus tuer le père-
substitut-totem, il est peu vraisemblable que cette résolution soit définitivement durable.
8 - Si des frères avaient permis à des étrangers .... de prendre possession des femmes auxquelles ils
avaient renoncé ... quelle possibilité auraient eu les frères ... autre que de s'attacher individuellement
à d'autres clans, ce qui aurait marqué la fin de la solidarité ... ?
9 - Il est loin d'être prouvé que l'exogamie et l'interdiction de la mise à mort du totem constituent les
deux prescriptions tabous fondamentales du totémisme.
10 - Rien ne permet d'affirmer que ces deux tabous soient les plus anciens ... (cela est fondamental
car..) à partir du moment où l'on considère que tous les autres tabous en dérivent par déplacement ou
déformation, il faut envisager la nature et le déroulement de ce processus ...
11 - Une dernière objection, à savoir que la persistance au sein des sociétés et religions modernes de
ce premier "grand évènement par lequel la civilisation a débuté" demeure un phénomène inexpliqué
...

Toutes ces critiques sont différentes mais il nous semble que Kroeber commet le même travers que
celui qu'il reproche à Freud, à savoir de traiter ces actes comme des évènements singuliers,
historiques, démarquant inéluctablement un avant et un après. Nous avons rappelé un peu plus haut la
précision de Freud écartant l'idée d'un évènement historique (des années.. répété..), précision à
laquelle il faut maintenant ajouter une autre donnée. Cette histoire de la horde, Freud la considère à un
niveau phylogénétique ; cela signifie, et nous sommes toujours étonnés que la plupart des
commentateurs le négligent, que "cela" n'est pas arrivé à "quelqu'un" mais à une "espèce". Nous
manquons cruellement de modèles et de concepts pour penser le phylogénétique.
Et Freud encore plus que nous, lui qui, de façon curieuse, en était resté au néo-lamarckisme associé
à la théorie de la récapitulation de Haeckel.[7] Notre nature de Sujet implique une grande difficulté
psychique à représenter "ce quoi" de nos désirs relève de l'espèce à laquelle nous appartenons. Un
"évènement" phylogénétique ne saurait avoir le même statut qu'un évènement historique. Et si nos
découpages et nos catégorisations du réel étaient à réinventer ? Des passerelles à imaginer ? Qui sait si
un jour la théorie de la récapitulation de Haeckel et la théorie de la fonction de programmation
itérative des rêves de Michel Jouvet [8] ne viendront pas se rejoindre ?
La lecture attentive des critiques de Kroeber fait apparaître que les liens de parenté sont déjà
reconnus (père, frère, mère, sœur, clan), en cela d'ailleurs il ne fait que répéter la discordance de
Freud. Pourquoi ? Si ce "mythe" est fondateur de la culture en tant notamment que celle-ci ordonne les
règles d'alliance et de filiation, et donc nécessairement le registre symbolique sans lequel les acteurs et
les liens de la parenté ne sauraient être reconnus, si donc le mythe en est fondateur, le système de
parenté ne pourrait exister avant même d'être fondé. A notre sens, c'est par un abus de langage que les

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éthologistes, même ceux d'aujourd'hui, utilisent de tels termes. Abus de langage ou peut-être aussi
pauvreté du lexique qui ne possède pas de termes pour désigner le frère, la sœur, le père ou la mère
dans un autre registre que celui de la parenté symbolique. Le terme de pauvreté n'est d'ailleurs
certainement pas adéquat car il s'agit moins d'un manque de ressources que de la nécessité de clôturer
des termes qui, à cause des liens de sang, tendraient à échapper au culturel pour "revenir" au naturel.
On remarquera à contrario que les termes de mari ou d'épouse échappent à cette sorte de gravitation
du naturel car leurs existences sont complètement subordonnées au culturel. Il n'en est pas de même
pour tante, oncle ou cousin dont les natures oscillent entre liens de sang et liens d'alliance. La
classification de Murdock est d'ailleurs là pour nous rappeler la part de relativité et de jeu (entendu
comme espace de liberté) que les sociétés octroient à ces termes.
Bernard Juillerat [9] dans une très intéressante réflexion met face à face l'atome de parenté minimal
lévi-straussien et l'atome de parenté minimal freudien. Il montre que le premier, parce qu'il est d'abord
un modèle d'échange matrimonial, est ouvert à la société alors que le second, focalisé sur les liens
intra-familiaux et le développement du sujet, fermé sur trois protagonistes, n'est pas encore ouvert. Il
le deviendra justement lorsque le sujet aura dépassé l'œdipe pour accéder à la sexualité. Cette
réflexion rejoint complètement celle que nous avons quant à nous modestement amorcée dans le
paragraphe précédent. Les deux points de vue ne peuvent être conciliables car l'un ou l'autre sont
nécessairement avant ou après mais ils ne sauraient être simultanés puisque l'un et l'autre "s'exigent
réciproquement" pour avoir du sens. On voit mal en effet comment la triangulation œdipienne
justifierait son existence s'il n'existait pas parallèlement une ouverture de la famille vers la société et
réciproquement, la société ne saurait posséder des systèmes symboliques s'il n'y avait pas des sujets
possédant une configuration psychique en permettant l'accès. Si tel n'était pas le cas, il faudrait alors
inventer un troisième état entre nature et culture, ce qui n'est pas sans poser de nouveaux problèmes
mais après tout qui n'est pas impensable. L'histoire des sciences montre la création continue de
disciplines émergeantes de la contiguïté de différents champs ; la biochimie, l'écologie ou la
cybernétique en sont des exemples dont les conditions d'émergence ne sont pas identiques.
Enfin, Kroeber reproche ensuite à Freud de multiplier des certitudes partielles et d'avoir organisé
son développement selon une "rhétorique" qui ne peut qu'emporter l'adhésion du lecteur. C'est vrai que
Freud est coutumier d'une exposition et d'un cheminement particuliers dans lesquels par exemple
l'hypothèse n'est pas énoncée en introduction et, de façon générale, le lecteur la formule lui-même
avant que Freud ne le fasse. Ceci dit, cette critique n'a que peu de valeur scientifique ; ce n'est pas
parce que la publicité d'un produit est efficace que ce produit est critiquable.

CRITIQUES DE LAPLANTINE - 1973

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Nous avons l'impression, peut-être est-ce une erreur, que la pensée de François Laplantine a
quelque peu "bougé", aussi par respect préventif pour ses positions actuelles nous avons précisé dans
le titre la date de publication de son L'ethnopsychiatrie dans lequel ces critiques sont développées. Le
lecteur peu familier de cet auteur pourra se dire que ma réserve est singulière car après tout, cela est
généralement vrai de la majorité des auteurs, mais il comprendra mieux quand il saura que Laplantine
a aussi écrit un second L'ethnopsychiatrie quelque peu modifié et, pour ce qui nous intéresse ici, dans
lequel les critiques ont disparu [10].
La première des critiques considère « La position défensive de Freud devant la place du
personnage maternel dans la vie psychique et dans la culture ». Laplantine pense, et nous pensons qu'il
a raison, que la mauvaise mère est négligée dans le développement freudien au profit du père dont la
toute puissance est ambiguë car elle est à la fois menaçante (tel le chef de la horde) et protectrice
contre la mère selon l'expression de Gérard Mendel citée par Laplantine. Nous savons la
problématique que Freud a connue dans les relations au père, d'abord parce que lui-même l'aborde
dans ce qu'il est convenu d'appeler son auto-analyse. En ce sens les effets du refoulement sont restés
modérés alors que la part des relations à sa propre mère est quasiment passée sous silence. Il faudra
attendre Mélanie Klein pour que la psychanalyse envisage cet in-analysé. Peut-être un rapprochement
est-il à faire avec la conception de Lévi-Strauss.
Bernard Juillerat, dans l'article cité plus haut, rappelle que le lien mère - enfant est aussi absent des
relations retenues par cet immense ethnologue dans son travail sur la parenté. Il est vrai que cette
question est déjà ancienne ; dans le fameux séminaire [11] sur l'identité, elle avait été évoquée après
l'intervention de André Green. Claude Lévi-Strauss avait alors admis que c'est un problème qui m'a
pas mal tracassé. Mais, si je ne l'ai pas fait intervenir, c'est que je n'avais pas besoin de cette
hypothèse .. les sociétés normalisent le rapport mari et femme .. frère et sœur .. père et fils, mais ne
normalisent pas .. le rapport entre la mère et ses enfants. Il est vrai que si l'on accepte les conditions
initiales de la démarche de Lévi-Strauss, cette absence est compréhensible mais en même temps, en
ayant "un regard éloigné", on ne peut s'empêcher de penser que cette occultation de la mère dans un
atome minimal de parenté est bien singulière. On comprend bien que la mère existe "par défaut", que
cela n'est effectivement pas le cas du père, mais pour autant ne devrait-on pas distinguer, même en
anthropologie, entre la génitrice et la mère ?
François Laplantine renvoie Freud à son propre destin mais peut-être faudrait-il aller encore plus
loin et se demander si cette "négligence", sous cette forme, n'appartient pas aussi à la culture
occidentale. Il est par exemple connu que les conceptions successives relatives à la procréation depuis
Aristote ont toujours eu la tentation de négliger la mère dans la génération. Aristote lui-même pensait
par exemple que la femelle fournit la matière dont l'embryon se nourrit alors que le mâle fournit le
"mouvement" et "l'idée" responsables de la forme que prendra le fœtus [12] . La découverte
d'animalcules par Antonie van Leeuwenboek (~1677), rendue possible par son invention du
microscope, ne changera rien aux théories d'alors. Au contraire même, les partisans de l'embryon

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préformé penseront le "voir" dans les animalcules, c'est à dire dans la semence du père. Il y eut
d'autres nuances mais globalement la mère restera pendant une vingtaine de siècles une simple mère
porteuse. Nous aimerions un jour soutenir l'hypothèse que la toute puissance de la mère est une
donnée fondamentale dans les représentations culturelles. Si nous avions le loisir de le faire nous
irions jusqu'à soutenir que toutes les cultures, par des moyens divers et variés, s'efforcent de refouler
cette puissance féminine perçue comme intolérable par les hommes. Il serait intéressant de revisiter
Totem et tabou en assignant un autre statut à la mère de la horde.
Liée à la précédente, la seconde critique concerne « L'inflation de l'image paternelle. Son
surinvestissement psychoaffectif ». Laplantine, là aussi, considère que les résistances de Freud l'ont
empêché de prendre conscience des fantasmes de castration du père que tout enfant posséderait. Cette
dimension serait absente du mythe de la horde car Freud y interprète le parricide comme un acte de
légitime défense devant la tyrannie paternelle. Sur cette question Laplantine dit aussi son désaccord
avec le point de vue de Georges Devereux. Ce dernier, bien qu'opposé aux vues de Totem et tabou,
pense que la violence paternelle précède et est inductrice de celle du fils. Il est vrai que si l'on s'en
tient au mythe d'Œdipe, ce sont bien les parents qui "commencent" en organisant la mise à mort d'un
nouveau-né. On pourrait s'arrêter là mais ce serait oublier que Laïos et Jocaste le font devant l'annonce
d'un meurtre et d'un inceste et ainsi de suite... car chacun pourrait retrouver en amont, dans la lignée
des Labdacides et jusqu'à l'enlèvement d'Europe, une faute (diaptôme) transmise de génération en
génération.
Ainsi ce qui prendrait sens n'est certainement pas tel ou tel
commencement mais la filiation elle-même en tant qu'elle
active un système de couples aux relations similaires et/ou
opposées. Système si bien mis en évidence par Marie Balmary
dans L'homme aux statues ou Freud et la faute cachée du père
[13]. Dans le cas d'Œdipe dont le nom (Pieds enflés) même est son symptôme, la faute (diaptôme)
antécédente serait celle de son père Laïos (violeur et assassin du fils de son père adoptif), faute
provoquant la scission (diabole) et la malédiction. Œdipe, comme n'importe quel analysant, en
accédant au sens, et donc au symbole, peut achever le cycle. Laplantine ne le dit pas mais si l'on
considère cette critique et la précédente, peut-être serait-il intéressant de reconsidérer la dynamique de
la coalition des "fils" et y intégrer la "mère" ? Après tout, la clinique de certaines psychoses n'a-t-elle
pas mis en avant la part de la mère dans la reconnaissance du père ?
« Le postulat évolutionniste de Freud » constitue la troisième critique. Celle-ci est fondée si l'on
considère que les matériaux ethnologiques empruntés par Freud appartenaient à des ethnologues
idéologiquement marqués par l'évolutionnisme. Cependant il n'est pas juste scientifiquement de mettre
côte à côte Darwin et Morgan. Nous l'avons déjà mentionné dans d'autres pages, Darwin n'assimile
pas l'évolution au progrès. Il aurait été plus judicieux pour les francophones de conserver le terme de
transformisme mais malheureusement les usages et l'histoire en ont décidé autrement. Ceci n'est pas

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qu'une question d'étiquette car l'idée de progrès induit inéluctablement une échelle de valeurs. Il n'est
pas évident, à moins de prendre le risque d'un jugement anachronique, que Freud connotait cette
échelle éventuelle comme nous serions tentés de le faire aujourd'hui. Il ne dit jamais que le névrosé ou
le psychotique sont des individus inférieurs. A l'opposé même de la psychiatrie et psychologie de son
temps, Freud établit un continuum entre le normal et le pathologique et ne s'inscrit jamais dans les
théories de la dégénérescence, lesquelles sous d'autres noms et d'autres cadres de référence persistent
aujourd'hui. De toute manière, l'homme comme espèce culturelle n'est pas tombée du ciel ; il y a bien
fallu une transformation quelconque pour que notre rameau phylogénétique se différencie de ses
voisins. Par contre, il est vrai que les ethnologues du courant évolutionniste, mais aussi tous les
intellectuels de l'époque, assimilaient l'évolution au progrès, progrès dont le dernier échelon était
représenté par "la race blanche et la culture occidentale". Notre culpabilité post-coloniale nous voile
aujourd'hui la complexité de ces questions.
François Laplantine exprime sa quatrième critique, « Le postulat biologiste de Freud », en une
seule phrase de quatre lignes. Une note, plus longue, renvoie au point de vue de Gérard Mendel [14]
chez qui Laplantine voit une "solution très heureuse" à ce problème de la transmission, solution qui
dispenserait des errances biologistes. Je crois que c'est aller un peu trop vite. Géza Róheim qui n'était
pourtant pas d'accord avec les vues de Totem et tabou, a pourtant cherché un soubassement biologique.
Il a pensé le trouver partiellement dans la théorie de la fœtalisation de Bolk, théorie reliée à la notion
de néoténie. La transmission par les institutions culturelles de Mendel n'est guère contestable si l'on
s'en tient aux contenus, tant de l'inconscient que de la culture, mais elle ne rend pas réellement compte
des conditions d'existence même du phénomène, problème que Mendel contourne en usant des termes
d'âme collective, notion peut-être plus illusoire encore que celle des caractères acquis telle que
formulée par Freud.
Il n'est pas à écarter que d'imprévisibles évolutions des connaissances biologiques puissent troubler
nos certitudes actuelles. Nous avons déjà signalé dans notre page sur la néoténie que les biologistes
s'intéressant aux phénomènes d'hétérochronie sont très proches de réhabiliter l'idée de Haeckel selon
laquelle l'ontogenèse répète la phylogenèse. Un article de Michèle Porte paru dans la revue Topique
[15], intitulé Quelques concordances entre paléoanthropologie et psychanalyse, met face à face des
idées et des notions freudiennes tels le développement du Moi, la formation du Surmoi, la période de
latence, etc. et des travaux anthropologiques (et bio-mathématiques) récents pour conclure à des
concordances troublantes qui, soit dit en passant, rejoignent étonnamment les conceptions de Géza
Róheim et, est-ce un hasard, celles de Sándor Ferenczi développées dans son livre Thalassa [16]. Le
paradoxe pourrait donc être que cette critique, tellement évidente pour Laplantine au moment où il
l'exprimait, soit invalidée par les connaissances biologiques.
« L'analyse freudienne de la culture s'effectue toujours par l'intermédiaire des catégories de la
psychologie appliquée », cinquième et dernière critique, est de nature épistémologique. Laplantine
dénonce l'erreur consistant « à appréhender la société en termes d'addition de psychismes individuels,

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à attribuer à l'individu une priorité chronologique sur la culture, à psychiatriser tout fait social, à
procéder à sa traduction et à sa réduction psychopathologique. ». Cette critique est peut-être la plus
forte car il paraît difficile aujourd'hui de devoir occulter les caractéristiques émergentes de la culture.
Mais en même temps il serait absurde de passer d'un réductionnisme à un autre et penser des cultures
sans hommes. Le problème posé est celui de l'interprétation d'une interface psychisme vs culture ou
bien, en mettant l'accent sur la méthodologie, en recourant par exemple à la notion de
complémentarité appliquée par Devereux aux sciences humaines.
François Laplantine conclut ses critiques en rappelant Lévi-Strauss qui pensait que le roman de
Freud fonctionne comme un rêve ou en citant Paul Ricœur qui parlait de détecteur de sens. C'est là,
semble-t-il, son propre point de vue, voir en Totem et tabou un opérateur logique.

LA THÉORIE ONTOGÉNÉTIQUE DE RÓHEIM

Cette théorie, comme son nom l'indique, est critique à l'égard de la horde de Freud. Vous en
trouverez un développement en cliquant ici. Pour faciliter la navigation dans le site, ce lien ouvrira le
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REMARQUES .... PROVISOIRES

On aura pu constater que les critiques de Kroeber et celles Laplantine ne relèvent pas de niveaux
d'appréhension identiques et pourtant ... Nous concevons que nous avons envisagé cette réflexion avec
un préjugé favorable à Freud et il faut croire que cette disposition ait bien enracinée en nous
puisqu'elle va à contre-courant non seulement des idées dominantes mais aussi des points de vue
d'auteurs que par ailleurs nous tenons en sympathie comme Róheim, Lévi-Strauss ou Devereux. Il
nous a toujours paru que toutes ces critiques avaient leurs intérêts, que certaines des justifications de
Freud étaient caduques ou mal fondées, que la vision ontogénétique de Róheim était pertinente etc.
mais que l'idée centrale de l'inventeur de la psychanalyse restait la plus probable et la plus ingénieuse
à un niveau que nous qualifierons de méta-psychanalytique. La clinique, les dynamiques
institutionnelles, l'histoire (de la révolution française aux dictatures contemporaines), le psychodrame,
l'analyse des organisations (voir les travaux d'Enriquez), tout cela (et même les avatars des sociétés de
psychanalyse) montre au quotidien l'importance continue et permanente du meurtre du père. Ceci est

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particulièrement évident lorsqu'il est question de pouvoir, et cela aussi bien dans des dimensions
groupales que nationales.
Bien entendu tout cela se passe pour l'essentiel dans le registre symbolique, encore que de Louis
XVI à Ceausescu ils seraient très nombreux à trouver cela bien réel, et les ressorts de la
problématique œdipienne paraissent suffisants pour rendre compte de ces meurtres du père. Et
pourtant ... la question reste entière si l'on considère les relations complexe d'œdipe et culture. En
effet, à moins de faire de la psychanalyse une religion ou une mystique laïque, ce que certains ont fait
et continuent de faire pour réduire les pulsions à une mécanique corticale, il est indispensable sur le
plan épistémologique de donner un étayage à tout Ça.
Mais pour ne rien oublier, souvenons nous aussi de cette anecdote d'Abram Kardiner : « Il
considérait comme son privilège propre de pouvoir dire ce qu'il me dit un jour où je discutais sa
théorie du parricide primitif : « Bah ! ne prenez pas tout ça au sérieux. c'est une chose que j'ai rêvée un
dimanche de pluie. » [17]
Avec respect, je me demande néanmoins si la mémoire de Kardiner n'encourage pas ses propres
opinions sur la question car de ce jour pluvieux aux dernières années de sa vie, Freud est toujours resté
publiquement fidèle à son hypothèse de cette Horde.

Notes

- 1 - Freud Sigmund, (1923), Psychanalyse et théorie de la libido, dans Œuvres complètes, TXVI,
PUF, 1991, [211], p183. retour

- 2 - Nous avons adopté la traduction de M. Weber de Totem et Tabou, Paris, Gallimard, 1993. Celle
des Œuvres Complètes propose Quelques concordances dans la vie d'âme des sauvages et des
névrosés. Comme maintes fois, cette dernière est au plus près du texte allemand mais dans la vie
d'âme sonne étrangement dans le français d'aujourd'hui. - retour

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- 3 - Voir la très bonne revue Critique de Janvier-Février 1999, n°620-621, consacrée au portrait de
l'anthropologue en "philosophe-artiste" selon l'expression de Philippe Roger. - retour

- 4 - Freud Sigmund, (1913), Totem et tabou, dans Œuvres complètes, TXI, PUF, 1998, [171], p360.
retour

- 5 - Roudinesco (E), Plon (M), Dictionnaire de la psychanalyse, article Totem et Tabou, Fayard, 1997,
page 1057-1058. - retour

- Une exception particulière : Claude Lévi-Strauss, « Le Père Noël supplicié », dans la revue Les
Temps Modernes, no 77, 1952, p. 1572-1590. - retour -

- 6 - Freud Sigmund, (1938), Moïse et le monothéisme, Paris, Gallimard, 1948, p110 (ou 4ème
paragraphe, Application, de la première partie du chapitre III, Moïse, son peuple et le monothéisme) -
retour -

[7] La théorie de la récapitulation de Ernst Haeckel, considérant les idées évolutionnistes d'une part et
les données de l'embryologie d'autre part, postule que le développement de l'embryon récapitule
l'évolution de l'espèce. On dit à ce propos que l'ontogenèse répète la phylogenèse. Par exemple si l'on
considère qu'un de nos ancêtres les plus lointains fut un poisson, on ne s'étonnera pas de constater
l'existence de branchies chez l'embryon humain. Voir à ce sujet l'étude très complète de :
Duvernay Bolens Jacqueline, La théorie de la récapitulation de Haeckel à Freud, dans la revue
Topique, Psychanalyse et anthropologie, n°75, 2001
L'état de la science peut parfois révéler des surprises. Ainsi le lecteur trouvera-t-il dans l'article suivant
des données actuelles pouvant réhabiliter la théorie de Haeckel. Il s'agit de l'article de :
Chaline Jean, Marchand Didier, Quand l'évolution change le temps des êtres, in La Recherche, n°
316, janvier 1999, p.56 et suiv. - retour -

[8] Jouvet qui est certainement l'un de ceux qui ont le plus apporté à la connaissance
neurophysiologique du sommeil, considérant que le sommeil paradoxal (globalement identifié au
rêve) ne survient que chez les homéothermes au moment où cesse la neurogenèse, émet l'hypothèse
que "le sommeil paradoxal aurait pour fonction de relayer la neurogenèse, en assurant la
programmation génétique de l'individu. Non pas la programmation des comportements instinctifs de
l'espèce, qui sont mis en place une fois pour toutes lors de la neurogenèse, mais celle des
comportements spécifiques de l'individu. (son hérédité psychologique)". - retour -

[9] Juillerat Bernard, L'atome de parenté est-il soluble dans la psychanalyse ?, in la revue Topique,
Psychanalyse et anthropologie, n°75, 2001, p. 81-103 - retour -

[10] Laplantine François, L'ethnopsychiatrie, Paris, Ed. Universitaires, Psychothèque, 1973


L'ethnopsychiatrie, Paris, PUF, coll. Que Sais-Je ?, 1988 - retour

[11] Lévi-Strauss Claude, L'identité, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1983. Le séminaire lui-même était
en 1974-1975. Notre citation est page 100. - retour -

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[12] Sur ce sujet on pourra consulter La naissance de la vie, Une anthologie, ouvrage publié par
Presses Pocket, coll. Agora, les classiques, n°92, 1991. Il s'agit, comme son nom l'indique,
d'une anthologie constituée de textes choisis et présentés par Jean-Louis Fischer. - retour -

[13] Balmary Marie, L'homme aux statues ou Freud et la faute cachée du père, Paris, Grasset &
Fasquelle, 1979 - retour -

[14] Mendel Gérard, La révolte contre le père, Paris, Payot, 5e éd. 1978, p.141 - retour -

[15] Porte Michèle, Quelques concordances entre paléoanthropologie et psychanalyse, dans la


revue Topique, L'Esprit du Temps, n°75, 2001, p.35-44 - retour -

[16] Ferenczi Sándor, Thalassa - psychanalyse des origines de la vie sexuelle, Paris, Payot, n°28. Je
ne sais pas l'année de publication en français, celui que je possède ne la mentionnant pas, mais Nicolas
Abraham y date sa préface de 1962. De toute manière les éditions de cet écrit sont complexes dès
l'origine ; publié d'abord en allemand en 1924 sous le titre Esquisse d'une théorie de la génitalité, puis
en hongrois en 1932 sous le titre Rôle des catastrophes dans l'évolution de la vie sexuelle, Thalassa
(c'est aussi le titre en anglais) a été conçu avant les 1920 et vraisemblablement à partir de 1914. -
retour -

[17] - Dans Mon analyse avec Freud, Paris, éd. Belfond, coll. Documents pour l'analyse, 1978, p.112-
113. Préfacé par Mikel Dufrenne, traduit par Andrée Lyotard-May.
- Dans Une histoire comme ça, Journal des anthropologues, n°64-65, 1996, p.41, Bertrand Pulman
rapporte cette anecdote de la façon suivante :
« Un jour où je débattais de sa théorie du parricide primitif, il considéra comme étant son privilège
propre de pouvoir me dire : "Oh, ne prenez pas cela trop au sérieux. Il s'agit de quelque chose que j'ai
imaginé un samedi après-midi de pluie." » .

Alors, un samedi après-midi ou un dimanche ? L'édition originale américaine dont nous ne disposons
malheureusement pas est :
Kardiner Abram, My analysis with Freud : Reminiscences, New York, W.W Norton & Company,
1977
(Si vous (vous qui lisez ces lignes) avez le texte original, n'hésitez pas à me le faire savoir) - retour -

Kroeber (A.L.), Totem and Taboo, an ethnologic psychoanalysis, dans The Nature of Culture,
University of Chicago Press, 1952, p.301-309. Les articles originaux sont dans Amer. Anthropologist,
22, 1920 et Amer. J. Sociol., 45, 1939. On en trouvera une traduction de Danielle Goldstein dans la
Revue Française de Psychanalyse, Tome LVII, 3, 1993, p.773-785 - retour

Freeman (D), Totem et Tabou : une nouvelle évaluation, dans L'anthropologie psychanalytique, sous
la direction de Muensterberger, Paris, Payot, 1976, p.56-81 - retour

Vernant (J-P), Vidal-Naquet (P), Œdipe et ses mythes, Editions Complexe, 1988, p.1-22 - retour

Lévi-Strauss (C), La potière jalouse, Plon, col. Agora, 1985, p.243-269 - retour

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Totem et tabou de Sigmund Freud 12/03/2023 09:16

Lévi-Strauss (C), Anthropologie structurale, Plon, col.Agora, 1974, p.213. Le rapprochement entre les
cures commence à la page 226. - retour

Allusion que fait Lévi-Strauss au surnom américain des psychanalystes (réducteurs de tête) en les
rapprochant des Jivaro. Marguerite Sechehaye est l'auteure (bonjour aux québécois) du Journal d'une
schizophrène aux Presses Universitaires de France (1950). Lévi-Strauss discute de son travail dans
L'efficacité symbolique. - retour

Totem : "Le mot totem est emprunté à l'ojibwa, langue algonquine parlée sur le pourtour des Grands
Lacs nord-américains..." E. Désveaux dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie de Bonte
et Izard. - retour -

Tabou : Il semblerait que le mot fût connu et introduit en Occident par le récit du troisième voyage de
James Cook. Il l'aurait entendu à Tonga. Aujourd'hui encore à Tahiti on parle de tapu. Comme pour
totem, les usages ethnologiques ont quelque peu déplacé les sens de ces mots par rapport à leurs
usages dans leurs langues originelles - retour -

 
© Association Géza Róheim - Fermi Patrick - 17 septembre 1998.

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