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Série « Y a-t-il une philosophie politique de Nietzsche ?

Épisode 1/4 : Nietzsche était-il de son temps ?

Nietzsche l’éveillé, de Yannis Constantinidès, Damien MacDonald, Ollendorff & Desseins, 2009 - ©
Damien MacDonald

Résumé
Nietzsche pensait-il un peu comme certains grands courants d’idées de son époque, à propos du
nationalisme, de l’Europe, de l’égalité, de la hiérarchie, ou au contraire marquait-il sur ces sujets une
vraie singularité qui le rend, peut-être, au bout du compte inclassable ?

Avec :
Brigitte Krulic (professeur des Universités à Paris Ouest Nanterre La Défense), Michèle Cohen-Halimi
(philosophe, professeure de philosophie à l’université Paris 8).
Géraldine Muhlmann reçoit Michèle Cohen-Halimi, professeure à l’Université de Paris 8 - Vincennes-
Saint-Denis, spécialiste de philosophie allemande moderne et contemporaine, et directrice de la
collection Critique de la politique aux éditions Klincksieck et Brigitte Krulic, professeure à l'université
Paris Nanterre, spécialiste de l'histoire des idées politiques et des transferts culturels France-
Allemagne.

En savoir plus
Nietzsche est né en Prusse en 1844, dans une famille de pasteurs luthériens. Il n’avait pas quatre ans
quand son père est mort d’une chute qui a suscité ou amplifié chez lui des troubles cérébraux. Cet
enfant a très tôt montré des signes pathologiques qu’on a du mal à décrypter aujourd’hui :
notamment des maux de tête intenses, qui dureront toute sa vie. Lorsque Nietzsche s’effondrera en
1889, délirant et peu à peu entièrement paralysé – état abominable qui sera le sien pendant dix
années, jusqu’à sa mort en 1900 – on évoquera la syphilis, qu’il a pu avoir contractée vers la fin des
années 1860 ; mais aussi une possible psychose ancienne ; ou encore une tumeur au cerveau. On
peut avoir plusieurs maladies en même temps, nous rappellent parfois les médecins... D’ailleurs l’un
d’eux, qui est aussi un savoureux romancier, Irvin Yalom, auteur en 1992 du livre Et Nietzsche a
pleuré, a surtout représenté le philosophe comme un terrible migraineux, dont les malaises allaient
jusqu’aux vomissements et aux évanouissements. Brigitte Krulic explique que qu'il y a chez Nietzsche
"un appel à l'intégration de la douleur dans la vision du monde qu'il va développer". Michèle Cohen-
Halimi approfondit en disait que Nietzsche "réapprend à aimer la vie grâce à Dionysos en intégrant
la douleur à l'expérience de la vie. C'est le christianisme qui à séparer plaisir et douleur."

Entrer en philosophie

Nietzsche est par ailleurs un homme qui n’a pas toujours pensé de la même façon. Il a aussi varié
dans ses goûts en matière d’activités intellectuelles. Tout jeune, il voulait être théologien, peut-être
pasteur comme son père ; puis il s’est lancé dans des études de philologie, matière qu’il a enseignée
dès 24 ans, à Bâle, et tant qu’a santé le lui a permis. "La philologie est la discipline reine de
l'Université allemande au XIXe siècle. C'est l'étude des textes de l'Antiquité grecque et romaine, c'est
la traduction, le déchiffrement et l'édition de textes tronqués par la doxographie"précise Michèle
Cohen-Halimi.

Puis, c’est la philosophie qui l’a appelé. L’entrée de Nietzsche en philosophie est notamment passée
par la découverte des textes d’Arthur Schopenhauer. Il découvre cet auteur et plus précisément Le
Monde comme volonté et comme représentation en octobre 1865 chez un vendeur de livres. Ce sera
"le grand choc de sa vie" selon Michèle Cohen-Halimi.

Cas Wagner

À la fin des années 1860, c’est le moment où Nietzsche noue une profonde amitié avec le
compositeur et essayiste Richard Wagner, qui est en train de verser dans un nationalisme allemand
très intense. Wagner a trente ans de plus que lui, et Nietzche est très impressionné par lui.

Il rencontre Wagner mais collabore au projet Bayreuth, un théâtre qui serait le lieu d'une
réactivation du lien allemand. "La grande histoire allemande est traversée par l'unité politique
allemande qui advient très tard. Les Allemands mûrissent par la Kultur, tout ce qui réfère aux
dimensions intellectuelles, artistiques, philosophiques, religieuses d'un peuple, une unité qui n'existait
pas encore politiquement. Il y a un décalage entre une unité politique qui va advenir pour Nietzsche
de façon catastrophique en 1870 et une unité politique qui mûrit à travers une Kultur allemande."
analyse Michèle Cohen-Halimi. "Nietzsche a payé très cher sa collaboration avec Wagner, être
wagnérien se paye très cher et l'Allemagne a payé très cher son wagnérisme, qui conduit tout droit
vers le nazisme". Wagner était une impasse nationaliste et antisémite.

Nietzsche prend congé de Wagner en mai 1876 lui reprochant, selon Brigitte Krulic, "la référence à la
nation ethnoculturelle, l'Allemagne comme 'manie nationale '". Nietzsche déteste "la politique de
Bismarck, la conscription, la mise en place du système d'enseignement ".
Sons diffusés :

• Le Jour d'après, film de Roland Emmerich, 2004


• Et Nietzsche a pleuré, film de Pinchas Perry, 2007
• Friedrich Nietzsche, Le cas Wagner, “Post-scriptum”, traduction par Henri Albert, 1888
• Chanson : George Bizet, Carmen (1875), “L’amour est un oiseau rebelle”, Acte I, Air de
Carmen et chœur (Maria Callas)

Bibliographie :

• Michèle Cohen-Halimi, L'action à distance ; essai sur le jeune Nietzsche politique, éditions
NOUS, 2021
• Brigitte Krulic, Nietzsche penseur de la hiérarchie, Editions l'Harmattan, 2002

Références

Thèmes associés
• Sciences et savoirs
• Philosophie
• Damien MacDonald
• Brigitte Krulic
• Michèle Cohen-Halimi
• Démocratie

L'équipe
Géraldine Muhlmann

Production

Marie Viguier

Collaboration

Jules Barbier
Collaboration

Manon de La Selle

Collaboration

Laurence Malonda

Réalisation

Alexandre Fougeron

Réalisation

Aïda N'Diaye

Production déléguée

Frédéric Worms

Chronique

Shaïma Giboire

Stagiaire

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