Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
E-ISSN : 2665-7511
https://revues.imist.ma/?journal=AME
Résumé :
Sur le plan théorique, plusieurs courants se sont intéressés à la gestion de portefeuille. En effet,
chaque courant présente une description et une modélisation prétendant représenter au mieux le
comportement des intervenants sur le marché financier.
Dans le présent article, nous nous intéressons particulièrement aux apports du courant de la finance
comportementale dont l’originalité consiste notamment en la prise en considération des
comportements réels des intervenants sur le marché financier, entre autres les gérants de
portefeuille, et l’identification de biais comportementaux et d’heuristiques ainsi que leur
modélisation dans le cadre de la théorie comportementale du portefeuille.
Asset management consists for a professional in achieving returns on behalf of his clients from an
optimal combination of assets. Whether collective or individual, asset management appears to be
a rigorous discipline, requiring rational reasoning and advanced techniques. Several theories have
focused on portfolio management.
Indeed, each current presents a description and a model that claims to best represent the behavior
of financial market participants. In this article, we are particularly interested in the contributions of
the behavioral finance.
The originality of this theory consists in particular in taking into account the real behavior of financial
market participants - in part portfolio managers - and in identifying behavioral biases and heuristics
and modelling them in Behavior Theory Portfolio.
Les sciences sociales évoluent grâce aux controverses constatées au fil du temps COULLON (2015).
A l’appui de notre allégation, les controverses qui ont marqué l’histoire de la théorie financière et
qui ont contribué à son développement. En effet, si le courant de la finance standard (longtemps
dominant) a développé une approche normative en matière de gestion de portefeuille, les
controverses1 constatées sur les places financières au fil du temps (inefficience des marchés
financiers, bulles spéculatives, krachs boursiers, comportements irrationnels, déconnexion entre les
cours d’action et leur valeur fondamentale, etc.) viennent interpeller sur le bien-fondé de cette
approche ainsi que des modèles et des décisions qui en découlent. Bien évidemment, ces
controverses ont poussé les chercheurs à développer une autre approche susceptible d’apporter
des éléments de réponse à ces controverses.
C’est dans ce contexte que le courant de la finance comportementale s’est développé. Il suggère
une véritable évolution des déterminants de la prise de décision financière optimale face au risque.
Pour reprendre les dires de COBBAUT, R., GILLET, R. et VAN DEN BERG, A., (2009) : « Il est loin, en
effet, le temps où le gestionnaire pouvait se contenter d’appliquer quelques règles de bon sens et
bien connaître les sociétés cotées ».
Faut-il rappeler en guise de prologue que d’autres grands auteurs ont traité cette problématique.
A titre d’exemple, KEYNES, J.M., (1936), dans la théorie de spéculation, avait recommandé, pour
réaliser le choix optimal en bourse et éviter des comportements irrationnels, de se référer en plus
de la valeur fondamentale (élément objectif qui s’impose au marché) à la psychologie de masse du
marché (rationalité autoréférentielle).
Par ailleurs, ORLEAN (1999), dans la théorie des conventions, démontre l’intérêt d’analyser ce qu’il
nomme convention, c'est-à-dire la croyance collective des intervenants sur le marché financier pour
la prise de décision optimale sur le marché financier.
1Appelées
également anomalies ou inefficiences. Elles consistent à relever sur le marché l’existence d’un
phénomène, ou d’un comportement, qui ne serait pas compatible avec l’explication fournie par la théorie de la
finance standard.Elles ne seraient pas dues a des changements dans les fondamentaux comme préconisé par cette
dernière, mais plutôt à des éléments d’ordre comportementale et psychologique
Revue ame ,Vol 2, No1 (janvier, 2020) 79-94 Page 81
Afin d’apporter des éléments de réponse à ces questions, nous envisageons de structurer notre
présent article en trois axes. Un premier axe sera dédié au contexte dans lequel s’inscrit le
développement de la finance comportementale. Un deuxième sera consacré à l’analyse des
principales théories de la finance comportementale. Quant au troisième axe, il portera à la fois sur
les différents apports descriptifs qu’opératoires de la finance comportementale.
La finance comportementale s’inscrit dans le mouvement de recherche qui a débuté à la fin des
années 70. Il se définit avant tout par son opposition aux hypothèses du courant de la finance
standard (RAINELLE- WEISS, H., 2014). Faut-il rappeler que ce courant de recherche remonte au
début du 20ème siècle et dont les travaux pionniers reviennent aux contributions de Louis Bachelier
en 1900. Selon Walter (1996), « les racines de la finance standard sont bien plus anciennes que les
travaux de Markowtiz puisque c’est Louis Bachelier2 qui, en 1990, dans une thèse de mathématiques
réalisée sous la direction d’Henri Poincaré, propose le premier l’intuition qui fondera le paradigme
de la finance standard ».
Les contributions de Bachelier ont été reprises et développées à partir de l’année 1950 par les
auteurs de l’école de Chicago (SCHINCKUS, C. 2009): Harry Markowitz, Eugene Fama, Merton Miller,
William Sharpe, etc. A partir de l’ensemble des contributions, l’approche standard a pu développer
des modèles mathématiques d’évaluation des actifs3 : formule du CAPM4 de Markowitz en 1952 et
de Sharpe en 1964, formule Black-Scholes, théorème Modigliani-Miller. Toutes ces contributions se
sont axées sur trois principales hypothèses :
o L’hypothèse de la rationalité parfaite basée sur les axiomes de Savage ou de Von Neumann
Morgenstern qui représente l’agent économique comme étant un être parfaitement
2 Dans sa thèse présentée en 1900, Louis Bachelier propose un cadre théorique permettant de modéliser le hasard
boursier en réponse au constat fait sur les cours boursiers fluctuant selon « une marché aléatoire » où un nombre
infini de factures et d’aléas influencent les fluctuations boursières rendant, par ricochet, la prédiction de
l’évolution des prix des actions en bourse est impossible.
3 Ces modèles permettent au niveau microéconomique d’atteindre les équilibres sur les marchés financiers de
façon à ce que les agents à l’équilibre atteignent leur optimum avec des portefeuilles qui maximisent le couple
rentabilité-risque (décision rationnelle en univers risqué3) et d’atteindre au niveau macroéconomique une
meilleure allocation des ressources et une adéquation parfaite entre les prix de marché et les valeurs
fondamentales en fonction des informations disponibles (efficience des prix).
4 Le modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF) est une traduction approximative de l’anglais Capital Asset
Pricing Model (CAPM) permet d’estimer le taux de rentabilité attendu par le marché pour un actif financier en
fonction de son risque systématique.
Revue ame ,Vol 2, No1 (janvier, 2020) 79-94 Page 82
rationnel, doté de facultés « hors du commun », maîtrisant complètement l’environnement
dans lequel il agit et capable d’anticiper de manière rationnelle le futur ;
o L’hypothèse de l’arbitrage efficace et sans risque. L’arbitrage est une opération qui consiste à
prendre des positions afin de profiter des déséquilibres observés dans les prix d’actifs et
causés par la présence d’agents irrationnels. Selon Friedman (1953), les opérations d’arbitrage
sont sans risque et tendent à ramener les prix à leur valeur d’équilibre (POLLIN, 2004).
o L’hypothèse de l’efficience des marchés financiers. Selon la définition donnée par Fama
(1970) : « l’efficience représente une situation où les prix des actifs financiers reflètent toute
l’information disponible ». Au regard de la théorie standard, les prix des actifs reflètent toutes
les données disponibles et publiques. En théorie, dès qu’une survalorisation ou une sous-
valorisation s’installe entre le cours d’un actif et sa valeur fondamentale, il y’a possibilité
d’arbitrage sans risque pour l’agent rationnel.
5
L’approche comportementale est une nouvelle approche multidisciplinaire qui analyse la finance sous différents
angles tels que la psychologie, l’anthropologie, la sociologie.
Revue ame ,Vol 2, No1 (janvier, 2020) 79-94 Page 83
• Le test de l’hypothèse de rationalité des agents et des axiomes6 associés (point de départ
des premiers travaux des chercheurs de la finance comportementale)7 a donné des résultats
incompatibles avec ceux du cadre standard. L’observation du fonctionnement du marché
financier montrait que certains intervenants (appelés bruiteurs par la Noise Trader
Approach) avaient un comportement irrationnel (existence de biais et heuristiques) non
conforme à la rationalité axiomatique postulée par les modèles standards.
• La possibilité d’arbitrage efficace et sans risque sur le marché financier est remise également
en cause. Les travaux des auteurs de l’approche comportementale considèrent que ces
opérations ne sont pas forcément en mesure de ramener les prix à leur valeur fondamentale
et ne sont pas dépourvues de risque, puisque même avec l’intervention des investisseurs
rationnels, le retour à la valeur d’équilibre n’est pas certain. (AKTAS, 2004).
• Également, l’hypothèse de l’efficience des marchés a été critiquée. Pour les tenants de la
finance comportementale, les cours s’écartent quelques fois des valeurs fondamentales et
l’évolution des cours ne reflète pas toujours les résultats des modèles théoriques standards.
Le marché financier n’est pas « une machine informationnelle efficace », dans la mesure où
la «loi du prix unique » qui stipule qu’un actif ne peut avoir qu’un seul prix égal à sa valeur
fondamentale n’est pas vérifiée (MANGOT, 2008).
Il convient de noter que l’inefficience des marchés est évoquée souvent comme une justification
théorique de l’existence d’un certain nombre de métiers sur les marchés financiers tels que celui
des gérants de portefeuille. Si les investisseurs disposent plus ou moins de la même information
(hypothèse d’efficience des marchés), les opportunités d’investissement seront les mêmes et le
recours à ces professionnels serait infructueux.
6
Ces axiomes sont décrits par Von Neuman et Morgenstern en 1947 pour modéliser les comportements des
acteurs sur le marché financier face à des situations risquées.
7 Leurs premières conclusions ont été les suivantes :
- Sur le marché financier, les individus simplifient les choix complexes à l’aide d’heuristiques. Ces heuristiques
sont expliquées par éléments relevant d’autres registres que le registre économique (Rôle prépondérant du
facteur psychologique).
- Les individus sont sur-confiants. Ils ont également un comportement moutonnier et ne suivent pas le
théorème de Bayes. Selon la règle de Bayes, lorsque l’individu est confronté à des choix risqués, il réalise des
anticipations pertinentes sur la base d’informations disponibles. Le théorème de Bayes est une règle de calcul
de probabilité pour atteindre un certain objectif. Le résultat étant le meilleur pour atteindre le but.
- Les axiomes d’indépendance et de transitivité sont souvent dépassés par les décisions individuelles. En effet,
dès 1953, Allais démontre par l’expérimentation que l’axiome de l’indépendance était fréquemment violé.
Le choix rationnel n’est pas forcément celui qui offre la plus forte probabilité de gain, car le choix tient compte
des comportements des autres agents économiques. Quelques années par la suite, Tversky (1969) mettra en
avant la violation de l’axiome de transitivité lorsque les individus sont confrontés à des choix risqués.
Revue ame ,Vol 2, No1 (janvier, 2020) 79-94 Page 84
2- La finance comportementale : une synergie entre psychologie et finance
Développée par Shleifer et Summers (1990), la « NTA » critique la tendance à faire de l’arbitrage un
mécanisme efficace pour corriger les dérives des cours causées par la présence d’acteurs
irrationnels. Elle démontre que l’arbitrage est incapable d’assurer l’efficience en présence
d’investisseurs irrationnels corrélés.
La NTA stipule que les « bruiteurs » agissent et forment leurs anticipations de manière irrationnelle
parce qu’ils reçoivent de faux signaux, ou parce qu’ils utilisent des règles irrationnelles tels que
l’analyse technique (SHILLER, 1990), ou se comportent comme « des suiveurs de tendance » en
achetant lors d’une tendance haussière des cours, et en vendant lors d’une tendance baissière.
Notons que sur le marché financier, les comportements irrationnels peuvent se manifester sous
deux configurations (KOUNTE, M., 2010) à savoir :
2- Comportements
1- Comportements irrationnels non corrélés
irrationnels corrélés
Dans ce cas, les comportements irrationnels sont le Dans ce cas, les intervenants
résultat de choix indépendants, ils sont multiformes. Par partagent une propension à
conséquent, ils se compensent et annulent leurs effets sans faire une erreur dans un sens
qu’il y ait besoin d’intervention des investisseurs donné. Les comportements
rationnels. En d’autres termes, si chaque décideur traite irrationnels sont par conséquent
une information de façon spécifique, la décision corrélés. Le résultat des actions
individuelle qui en découle aboutit tant à surévaluer, tant collectives s’écarte du modèle
à sous-évaluer l’impact de l’information, les erreurs financier basé sur une
individuelles s’annuleront à un certain niveau de telle sorte rationalité parfaite des
que les erreurs des uns compenseront les erreurs des individus.
autres (DE WINNE, R., et D’HONT, C., (2017). Le courant Dans sa critique de la théorie de
classique reconnaît la présence d’acteurs irrationnels et la finance standard, la finance
leur impact sur la déviation des cours du prix réel. comportementale s’intéresse à
Toutefois, la possibilité de rétablir l’efficience est possible l’analyse des comportements
par le mécanisme de l’arbitrage (FRIEDMAN, 1953). irrationnels corrélés.
Contrairement à la théorie standard, les agents réagissent différemment aux perspectives de gains
et de pertes (aversion aux pertes). Ce qui est porteur de biais d’attitudes irrationnelles.
Comparaison de la fonction de la valeur : théorie standard et théorie des perspectives (Tversky,
A., Kahneman, D., 1992).
L’observation des comportements individuels des décideurs sur le marché financier a permis de
mettre en exergue l’existence d’heuristiques et de biais psychologiques dans les croyances de ces
derniers. L’approche descriptive -adoptée par le courant de la finance comportementale a permis
de montrer que les décideurs sur le marché financier, en partie les gérants de portefeuille, sont
souvent sujets à des heuristiques et des biais comportementaux. En 2000, une première
modélisation prenant en considération ces biais et heuristiques est proposée par Shefrin et Statman.
Les décideurs sur le marché financier, ici les gérants de portefeuille, connaissent des anomalies de
raisonnement. Ils souvent influencés par des facteurs autres que le risque et/ou le rendement. Pour
Tversky et Kahneman (1982), en situation d’incertitude, les décideurs élaborent leurs jugements sur
la base d’heuristiques conduisant à des biais. Les heuristiques sont définies comme étant des
raccourcis cognitifs empruntés par les individus pour émettre un jugement et prendre une décision.
Autrement dit, les heuristiques sont des jugements courts et approximatifs, des simplifications, des
Selon Tversky et Kahneman, les décideurs, d’une manière générale, utilisent trois principales
heuristiques :
• Heuristique de représentativité. Repose sur l’idée que les décideurs formulent leurs
jugements à partir des événements les plus récents et les plus fréquents en considérant des
stéréotypes et en oubliant d’autres informations importantes. Le biais de représentativité
peut être à l’origine des sur-réactions des cours des actifs financiers (CORCOS A, PANNEQUIN
F, 2008) susceptibles de conduire à des bulles. En effet, lorsque les gérants de portefeuille
observent qu’un secteur donné a connu une croissance explosive dans un passé récent et
extrapolent que la situation va continuer, quand inévitablement, la croissance décline et les
prix ne peuvent plus que s’effondrer.
• Heuristique d’ancrage. Selon Hirshleifer (2001), « l’ancrage est le phénomène selon lequel
les décideurs tendent à être excessivement influencés dans leur estimation d’une quantité
par une quantité arbitraire mentionnée dans la formulation du problème, même quand ces
quantités sont clairement vides de sens ». En effet, plusieurs ancres sont utilisées lors de la
prise de décision sur le marché financier. A titre d’exemple, le gérant de portefeuille a
tendance à analyser les cours passés (point d’ancrage ou de référence) pour acheter une
action.
• Heuristique de disponibilité. Suppose que les décideurs évaluent avec une grande
probabilité les évènements qui leur semblent faciles à imaginer que ceux qu’ils ne peuvent
pas se représenter. Ainsi, pour les gérants de portefeuille, une baisse temporaire de la valeur
d’un titre est plus facilement imaginable qu’une crise boursière. De même qu’une hausse
durable de la valeur d’un titre est plus imaginable qu’une baisse continue.
Les heuristiques que nous venons de citer sont source de plusieurs biais également quantifiés par
des études empiriques. Ces biais comportementaux sont très fréquents dans la réalité des marchés
financiers.
• Biais émotionnels : provoqués par les émotions,la peur de l’incertitude, la dissonance cognitive,
ou l’humeur.
• Biais cognitifs : à leur origine, les croyances, les habitudes et les connaissances. Dans ce cas, le
gérant de portefeuille privilégie les informations immédiatement disponibles sans effectuer des
recherches approfondies ou s’appuie sur ses propres connaissances et croyances (qui ne sont
pas forcément avérées), ce qui peut être à l’origine de décisions peu optimales. Les biais
cognitifs découlent donc du processus de collecte et de traitement des informations.
Les biais, qu’ils soient émotionnels ou cognitifs, ont un impact souvent négatif sur la performance
des portefeuilles gérés. Les gérants de portefeuille commettent les mêmes erreurs en raison de ces
biais qui se trouvent fréquemment chez les individus en situation d’incertitude. Les principaux biais
psychologiques se présentent comme suit :
• Biais de familiarité : Ce biais pousse le gérant de portefeuille à s’interesser à une situation qui
lui semble familière. Ce biais cognitif très répandu prend souvent la forme du biais national.
Ainsi, une grande majorité des gérants de portefeuille achètent des titres qui leur sont familiers.
Les recherches démontrent que les individus, d’une manière générale, ont tendance à préférer
les actions domestiques. Heath et Tversky (1991) ont élaboré un questionnaire dont les
résultats ont montré qu’entre des choix offrant la même probabilité de rentabilité, les décideurs
sur le marché financier auront à choisir celui qu’ils connaissent le mieux. Les auteurs ont
également démontré que même si la probabilité de rentabilité est plus faible, une minorité
optera toujours pour le pari le plus familier. La conséquence de ce biais est une sous-
diversification du portefeuilles d’actifs.
• Biais de représentativité et loi des petits nombres : Pour rappel, la loi des grands nombres
considère qu’un résultat statistique n’est convenable que si l’échantillon observé est
suffisamment important. Dans les faits, de nombreux individus ont tendance à généraliser
ce qui n’est qu’un cas particulier. En se référant à la loi des petits nombres pour prendre une
décision, on s’éloigne de la théorie des probabilités. L’erreur consiste à se baser sur un
échantillon réduit et à en tirer des conclusions plus générales. A titre d’exemple, un gérant
de portefeuille va estimer la performance boursière de l’année en se basant sur la
performance de l’année précédente ou lorsqu’un titre progresse fortement, un gestionnaire
de portefeuille va anticiper un retour à la situation normale, alors que rien ne l’indique. Cette
erreur fréquente peut être nuisible car le gérant de portefeuille anticipe à chaque fois un
retour du marché et prend de mauvaises décisions.
• Biais de cadrage : Les décideurs sur le marché financier n’ont pas le même comportement
de décision face à une même situation présentée en des termes différents. Kahneman et
Tversky (1986) ont démontré à travers plusieurs expériences que si un problème est
représenté en des termes négatifs aux décideurs, leur comportement sera risquophile, à
l’inverse, s’il est présenté en des termes positifs, leur comportement sera risquophobe. En
d’autres termes, ils sont confiants et impulsifs après une série de gains mais très prudents
et averses au risque après une série de pertes.
• Biais de confirmation : Ce biais est présent lorsque le gérant de portefeuille est perdant sur un
titre et qu’il va chercher des informations qui confirment son raisonnement. Ce qui peut accroître
son exposition sur la position. Le gérant de portefeuille va lire activement les journaux financiers
pour rechercher les informations qui vont lui redonner espoir, il va appeler d’autres collègues
pour trouver du réconfort. Ils sont
• Aversion aux pertes : Comme l’ont montré Kahneman et Tversky dans la théorie des
perspectives, les investisseurs à l’instar des gérants de portefeuille, sont averses aux pertes. Ils
aiment prendre le risque dans des positions de pertes du fait qu’ils souhaitent compenser leurs
pertes en espérant une évolution favorable « qui n’arrivera peut-être pas ». D’où la nécessité de
prendre des risques dans les situations de gains et d’accroître la vigilance dans les situations de
perte.
• Mimétisme et rôle des interactions sociales : Les nouvelles d’ordre macro ou micro
économiques influencent l’état d’esprit des différents acteurs du marché financier. Les nouvelles
positives redonnent de l’espoir aux décideurs, et inversement pour les mauvaises nouvelles. Or,
les excès à la hausse ou à la baisse sont généralement liés à un optimisme ou à un pessimisme
Au-delà de l’aspect descriptif des comportements individuels face à des situations de risque sur le
marché financier, le courant de la finance comportementale a développé un modèle opératoire de
gestion de portefeuille dit : Théorie Comportementale de Portefeuille (ou Behavioral Theory
potfolio : BTP) proposée par Shefrin et Statman en 2000.
Le développement de ce modèle s’inscrit dans un contexte marqué par la volonté de rendre plus
pratique et plus opératoire l’ensemble des aspects comportementaux observés sur les marchés et
de fonder une théorie du portefeuille qui reflète le plus possible les présupposés des
comportements face au risque sur le marché financier. Le développement de la BTP est une réponse
aux incohérences entre les prédictions théoriques en matière de gestion de portefeuille et la réalité
du marché : La sous-diversification du portefeuille, l’énigme de la prime de risque, rendements en
fonction des saisonnalités : effet janvier traduisant l’existence de rendements supérieurs au début
de l’année, particulièrement pour les petites capitalisations, effet lundi qui au contraire, connaît des
rendements inférieurs que les autres jours, etc. Ces invalidations empiriques, dénommées par
certains auteurs énigmes, puzzles ou anomalies ont remis en cause les modèles standards : le
théorème de séparation des fonds8,MEDAF, etc.
Conclusion
Les heuristiques et les biais observésinfluencent sur la manière dont le gérant de portefeuille
conduit ses transactions. Ils sont souvent négatifs sur la performance des portefeuilles gérés. La
psychologie est souvent occultée en gestion de portefeuille. Cette dernière est suceptible de
permettre de faire la différence sur le marché financier. Dans ce sens, le gérant ne devrait pas
mettre l’accent seulement sur la dimension analytique. Une parfaite connaissance des biais
psychologiques est un impératif pour tout gestionnaire afin de limiter leur impact négatif et les
orienter dans le bon sens.
9
Selon cette dernière, les décisions des individus sont mues par deux sentiments : la crainte et l’espoir.
Revue ame ,Vol 2, No1 (janvier, 2020) 79-94 Page 92
Références bibliographiques :
AIT DANI, S et RADI, B., « La controverse sur l’efficience des marchés financiers et l’émergence du
paradigme comportemental ». Moroccan Journal of Business Studies. Page 150. Consulté sur le site :
http://www.emaa.ma/mjbs/articles/pdfs/9%20V1N1%20MJBS%20149-176.pdf
AKTAS, N., (2004), « La finance comportementale : un état des lieux », Reflets et perspectives de la
vie économique, (Tome XLIII), p. 19-33. DOI : 10.3917/rpve.432.0019. URL :
https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2004-2-page-19.htm
BELLANDO, R., 2008, « Le conflit d'agence dans la gestion déléguée de portefeuille : une revue de
littérature », Revue d'économie politique, pp : 317-339.
BACHELIER, L., (1900), « Théorie de la spéculation ». Annales scientifiques de l’École. normale
supérieure, volume. 3, tome 17, 1900, pp. 21–86
BOURIN, P., (2009), « La gestion de portefeuille. Collection, Louvain-la-Neuve, Anthemis. Page 10.
CHABBAR, S., LALLOUCH, S., (2015), Optimisation de portefeuille sous des contraintes des risques.
Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme d’Ingénieur d’Etat soutenu le 01/06/2015.
Ecole Mohammadia d’ingénieurs. Page 16.
COBBAUT, R, BROQUET C ET GILLET.R, Gestion de portefeuille. Bruxelles, De Boeck, Comptabilité,
contrôle et finance, 2009. Introduction. Page 5.
CORCOS A, PANNEQUIN F, (2008). « Conservatisme, représentativité et ancrage dans un contexte
dynamique : Une approche expérimentale. », Recherches économiques de Louvain, 2008/1 (Vol.
74), p. 77-110. Consulté sur le site : https://www.cairn.info/revue-recherches-economiques-de-
louvain-2008-1-page-77.htm
DE LA BAUME C., (1991), « Gestion de portefeuille: fondements théoriques et pratiques », Bailly,
Société éducative financière internationale, page 13.
DE WINNE, R ET D’HONT, C., (2017), « La finance comportementale : enjeux et perspectives ».,
Regards économiques, Mars 2017, page 2.
DISPAS C ET BOUDGHENE Y, « Gestion de portefeuille : guide pratique », Bruxelles, Larcier, Page 2.
GALAVIELLE.J., (2013) « Y’a-t-il une théorie des marchés efficients ? Université Paris 1. Document de
travail, décembre. Consulté sur le site : ftp://mse.univ-paris1.fr/pub/mse/cahiers2004/R04029.pdf
JENSEN. M., (1978),. « Some anomalous evidence regarding market efficiency”. Journal of Financial
Economics, Volume 6, Page 95.
KABBAJ T., « La psychologie des grands traders », 2ème édition. Edition Eyrolles. Page 30.
KLEINER T, 2003, « La consécration des gestionnaires d’actifs sur la place de Paris ». Actes de la
Recherche en Sciences Sociales, n°146-147, pp: 42-50.