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Chapitre 1 Eléments constitutifs des systèmes financiers

Ce premier chapitre introduit les principaux éléments permettant de comprendre

comment les systèmes financiers s’articulent à l’économie réelle.

D’une manière générale, un système financier est constitué des institutions et

arrangements contractuels permettant de transmettre l’épargne disponible aux

agents économiques ayant un besoin de financement externe afin de réaliser un

investissement.

L’objet principal de ce chapitre est d’expliquer pourquoi il existe dans nos

économies des intermédiaires financiers. Il existe deux manières de justifier

l’existence de l’intermédiation : une approche macroéconomique et une approche

microéconomique. Leur trait commun est le recours aux imperfections de marché.

Ainsi, l'objet de la thèse développée par E.S. Gurley et J.G. Shaw (1956 et 1960)

dans un cadre macroéconomique est de montrer que la finance directe ∗ - à savoir

l'allocation des capitaux dans des opérations bilatérales sur les marchés

financiers - peut contraindre le volume d'épargne et d'investissement. En effet,

les préférences quant aux caractéristiques des titres émis par les emprunteurs et

demandés par les prêteurs diffèrent fortement. Cette imperfection des marchés,

c'est-à-dire leur incapacité à concilier ces préférences, justifient l'existence des

intermédiaires qui constituent des écrans entre emprunteurs dits primaires et

prêteurs dits ultimes en transformant les caractéristiques des titres. Ce point est

approfondi dans un premier temps.


Les notions marquées d’un « * » sont définies dans le glossaire.

1
La conception microéconomique des intermédiaires peut s'interpréter comme la

généralisation des imperfections de marché en développant d'une part, l'approche

en termes de coûts de transaction développée par notamment R. Coase et J.

Williamson et, d'autre part, celle en termes d'asymétrie informationnelle

introduite par G. Akerlof. Dans les situations d'asymétrie informationnelle,

certains agents économiques ont une meilleure connaissance sur les

caractéristiques des biens produits ou de leurs propres actions économiques que

d'autres agents. Une telle situation conduit à s'interroger sur les mécanismes de

coordination entre les acteurs. L'approche informationnelle de l'intermédiation va

alors montrer la plus grande capacité des intermédiaires à faire face aux

conséquences négatives de l'asymétrie d'information* (l'anti-sélection et l'aléa

moral). Cette approche microéconomique est développée dans un second temps.

Une limite importante à la présentation précédente est de donner l’impression

que le recours au financement de marché est totalement antinomique au

financement par les intermédiaires financiers. Or, une conséquence

fondamentale du développement des marchés financiers depuis les années 80 est

l’interconnexion croissante entre marchés et intermédiation. Il s’agit alors de

distinguer – et non opposer – intermédiation de marché et intermédiation de

bilan. C’est le troisième temps de cette étape 1.

Dans un quatrième temps, nous revenons à l’analyse générale des systèmes

financiers en précisant leurs principales fonctions et en étudiant la question de

leur efficience.

1 Les principales références utilisées dans ce chapitre sont les suivantes :


- Allegret J.P. et Courbis B. (2000), Monnaie et financement, Vuibert, Paris, Chapitre 2 ;
- Mishkin F. (2007), Monnaie, banque et marchés financiers, Pearson Education, 8ème
édition, Paris, Chapitres 2 et 8.
2
Enfin, le chapitre s’achève par une introduction de l’analyse entre systèmes

financiers et croissance.

A la fin de ce chapitre 1, vous devez être en mesure :

• d'expliquer la distinction entre finance directe et finance indirecte ;

• d'expliquer comment les intermédiaires financiers sont capables de

satisfaire à la fois les préférences des agents à besoin de financement et

celles des agents à capacité de financement. La transformation des

échéances et des risques est ici importante ;

• d'expliquer comment les intermédiaires financiers arrivent à réduire les

coûts de transaction liés au financement de l'activité, justifiant ainsi leur

existence au côté des marchés financiers ;

• de définir les asymétries d'information et de montrer comment les

intermédiaires financiers sont capables d'y répondre efficacement,

justifiant ainsi leur existence au côté des marchés financiers ;

• de distinguer entre intermédiation de marché et intermédiation de bilan en

montrant que, dans les deux cas, les intermédiaires financiers produisent

de la liquidité.

• d’expliquer pourquoi un système financier peut être vu comme un système

de gestion des risques ;

• d’expliquer les canaux par lesquels les systèmes financiers exercent une

influence positive sur la croissance :

• de montrer qu’il existe un seuil au-delà duquel les systèmes financiers

peuvent nuire à la croissance économique.

3
Section 1 Le cadre d’analyse : approche macroéconomique de l’intermédiation

La justification macroéconomique de la présence d’intermédiaires financiers dans

nos économies est relativement ancienne. Elle remonte en effet à la fin des

années 1950 sous l'impulsion de R. Goldsmith (1958) et surtout J.G. Gurley et

Shaw (1956 et 1960 avec leur ouvrage majeur Money in a theory of finance).

Quels sont les principes de base de cette approche ? Ils sont très clairement

énoncés par Gurley et Shaw dans leur article paru en 1956 :

« En quoi consiste le travail des intermédiaires financiers ? Ils prêtent à des taux

d'intérêt d'un certain niveau et empruntent à des taux d'un niveau inférieur. Ils

débarrassent le marché de certains titres primaires, et leur substituent d'autres

titres, titres indirects ou actifs financiers, dont les qualités exigent un prix

supérieur. Cette différence de rendement entre les titres primaires et indirects

est la récompense des intermédiaires financiers pour les services particuliers

qu'ils fournissent ».

[« Financial intermediaries and the saving-investment process », Journal of

Finance, may, 1956, traduit dans R.S. Thorn, Théorie monétaire, Dunod, Paris,

1971].

On en déduit la définition fonctionnelle des intermédiaires :

« La principale fonction des intermédiaires financiers est d'acheter des titres

primaires aux emprunteurs ultimes et d'émettre de la dette indirecte pour les

prêteurs ultimes ».

[Money in a theory of finance, Brookings Institution, Washington DC, 1960,

traduction française La monnaie dans une théorie des actifs financiers, Cujas,

Paris, 1974].

4
La fonction essentielle des intermédiaires financiers, leur raison d'être, est donc

la satisfaction simultanée des préférences d'actifs des agents économiques. Le

processus d'intermédiation a pour objet de satisfaire simultanément les agents

emprunteurs qui souhaitent détenir des actifs d'un montant supérieur à leur

patrimoine net et des agents prêteurs qui veulent détenir tout ou partie de leur

patrimoine en actifs financiers fiables (rendement et sécurité). Pour ce faire,

l'intermédiaire va opérer une transformation de la nature des actifs financiers.

Il nous faudra donc expliquer comment s'effectue cette transformation, en quoi

elle permet de lever la contrainte d'équilibre budgétaire des agents non financiers

et quelle est son action sur le processus d'épargne et d'investissement. Sur ce

dernier point, Gurley et Shaw considèrent que l'intermédiation conduit « à élever

les niveaux d'épargne et d'investissement et à allouer d'une manière plus efficace

les épargnes entre les investissements ». On a ici une première manière de

concevoir l’interaction entre le système financier et l’économie réelle.

Il est important de souligner que Gurley et Shaw entendent par intermédiaires

financiers les banques commerciales créatrices de monnaie (voir le chapitre 2 de

ce Module), appelées aussi intermédiaires financiers monétaires, et les

intermédiaires financiers non-monétaires (par exemple les compagnies

d’assurance). Autrement dit, pour eux, la création monétaire n’est pas l’activité

fondamentale, ce qui importe, c’est l’activité de transformation. Ce point doit être

gardé à l’esprit au cours de la lecture de cette section.

1.1. Capacité et besoin de financements des agents économiques

Le point de départ de l’analyse repose sur une question essentielle : comment les

activités économiques sont-elles financées ?

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Si un agent économique dispose du montant suffisant de ressources – appelé

épargne – pour faire face à ses dépenses – l’investissement – alors le problème du

financement se résout au sein de l’unité économique. Dans ce cas,

l’autofinancement ou financement interne* n’implique pas le système financier.

Par exemple, un ménage souhaitant acquérir un bien immobilier, si ce dernier

vaut 100 000 euros (la dépense) et qu’il dispose d’une épargne de même montant

(la ressource), n’a pas besoin de trouver un financement externe*. De la même

manière, si une entreprise non financière dispose de l’argent nécessaire pour

réaliser un investissement productif, elle ne fera pas appel à d’autres modalités

de financement.

Une telle situation n’est bien entendu pas le cas général. Ainsi, il est fréquent

que l’adéquation des ressources et des dépenses ne se réalise pas totalement au

sein d’une unité économique. Si les ressources ne couvrent pas tout le besoin lié

aux dépenses, alors le problème de financement doit être résolu de manière

externe par l’émission d’un actif financier reliant au sein du système financier les

agents à besoin de financement et les agents à capacité de financement. C’est ce

financement externe qui nous intéresse ici.

Deux catégories d'agents sont distinguées dans l'économie :

- les agents excédentaires dits à capacité de financement. Leurs ressources de la

période courante (les salaires, les revenus du patrimoine ou de l'activité

d'entreprise) sont supérieures à leurs dépenses courantes (versement des

salaires, achats de marchandises, de biens d'investissement ou de

consommation) ;

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- les agents déficitaires dits à besoin de financement. Leurs dépenses courantes

sont supérieures à leurs recettes courantes. Les entreprises sont particulièrement

concernées par cette catégorie d'agents car elles effectuent en règle générale des

investissements courants qui excèdent leur épargne courante. Un ménage

désirant acquérir un bien immobilier sera lui aussi fréquemment dans cette

situation.

A partir de cette distinction, la question du financement de l'économie apparaît.

En effet, il faut pouvoir mettre en correspondance les multiples déficits de

financement de certains agents aux multiples ressources excédentaires des

autres agents.

1.2. La finance directe

La finance directe est une manière de transmettre la capacité de financement de

certains agents – ceux qui épargnent plus qu’ils ne dépensent – aux agents

déficitaires. Dans ce cas de figure, les actifs financiers émis par les agents à

besoin de financement sont directement acquis et détenus par les agents à

capacité de financement.

Précisons les termes de l’analyse. Dans un schéma dit de finance directe, les

agents à besoin de financement s'endettent par émissions de titres appelés titres

de la dette primaire. Cet endettement prend la forme d'offre de valeurs

mobilières (actions*, obligations* et titres courts) par des agents publics (Etat,

collectivités locales et entreprises publiques) ou privés. Ces titres sont acquis par

d'autres agents économiques.

En termes de bilan, on peut représenter les choses de la manière suivante :

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Agents à besoin de financement Agents à capacité de financement

Actif Passif Actif Passif

Investissement Epargne Investissement Epargne

Emission Acquisition
de titres de titres

Flux des titres

Flux d'épargne

Deux points importants méritent d'être soulignés.

D'une part, il apparaît que le financement décrit précédemment – appelé

financement primaire – transite par le marché. Autrement dit, et nous

reviendrons sur ce point plus bas, même si la finance n'est plus strictement

directe lorsqu’interviennent des intermédiaires financiers, ce qui va la

différencier par rapport à la finance indirecte*, c'est bien ce caractère

d'introduction sur un marché. Lorsqu'un intermédiaire financier apparaît, on

parlera d'intermédiation de marché.

D'autre part, les opérations financières effectuées dans l'économie sont autant de

modalités de transmission de l'excédent de certains agents vers ceux qui

présentent un déficit de financement.

1.3. La finance indirecte

L'existence du financement indirect se justifie par les caractéristiques des titres

de la dette primaire et par les préférences des agents à capacité de financement.

Les titres primaires sont en règle générale des placements à long terme qui

correspondent à la durée d'immobilisation des biens d'investissement qu'ils

financent. A ce titre, ils ont un risque en capital. Concernant un titre primaire

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sous la forme d’une action, on parle de risque de rendement lié au fait que les

dividendes peuvent être nuls selon les résultats de l'entreprise. En outre, sur le

marché secondaire (le marché de l'occasion, c'est-à-dire la Bourse), il subsiste un

risque de moins-values du cours du titre lié aux fluctuations journalières. Le

détenteur d’un titre primaire sous la forme d’une obligation supporte quant à lui

un risque de perte en capital reposant sur la relation inverse entre prix des titres

et taux d'intérêt. Lorsque ces derniers augmentent, les obligations émises

antérieurement ont un rendement inférieur, ce qui les rend moins intéressantes,

d'où la baisse de leur prix 2.

Les préférences des agents à capacité de financement sont motivées par la

recherche de la diversification* des formes de placement et par celle de la

liquidité*.

La diversification fait référence à l’idée très importante selon laquelle il est

préférable pour un agent économique de placer son épargne dans différents

supports afin de diversifier ses risques. Plus son épargne est diversifiée, mieux

cet agent est protégé contre les fluctuations de telle ou telle forme d’épargne. Il

est ici important de préciser que les périodes où toutes les formes d’épargne – de

placements – sont frappées en même temps par un choc commun sont

relativement rares.

La préférence pour la liquidité des agents à capacité de financement fait

référence à la disponibilité et à la sécurité des actifs qu’ils détiennent. La

liquidité d’un actif concerne la facilité avec laquelle il peut être mobilisé – c’est-à-

2 Pour une analyse approfondie, voir le chapitre 3 de ce module.


9
dire transformé dans un autre actif – facilement, à moindre coût (disponibilité),

et sans risque de perte de valeur nominale (sécurité).

Le point central ici est que les caractéristiques des actifs financiers émis – ce que

nous avons appelé plus haut titres primaires – par les agents à besoin de

financement ne répondent pas nécessairement à ce que recherchent les agents à

capacité de financement. Ces derniers peuvent en effet les juger insuffisamment

liquides : faible disponibilité due à la l’éloignement de leur échéance et à

l’importance de leurs coûts de transaction dans le cas d’un crédit, par exemple ;

faible sécurité liée au risque de non-remboursement (risque de défaut*) ou au

risque de cession à perte (risque de marché*). Dans ce cas, les agents non

financiers ne parviennent plus à résoudre leur problème de financement

consistant à réaliser l’équilibre entre les ressources (l’épargne) et les emplois

(l’investissement).

Le problème de financement ne peut être résolu que dans le cadre d’un circuit de

financement indirect dans lequel un intermédiaire financier vient satisfaire le

besoin de liquidité du secteur des agents non financiers en achetant les actifs

financiers émis par les agents à besoin de financement et en émettant ses propres

actifs financiers acquis par les agents à capacité de financement. L’émission de

deux types d’actifs financiers permet ainsi de réaliser l’adéquation ressources –

emplois.

Au bilan de l’intermédiaire financier, l’actif financier (dit primaire) détenu est un

instrument de financement tandis que l’actif financier émis (dit indirect) est un

instrument de placement. La combinaison du financement et du placement,

réalisée par un actif financier primaire en circuit direct, est réalisée, en circuit

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indirect, par une institution qui transforme un actif financier primaire peu

liquide en actif financier indirect plus liquide ; l’intermédiation financière produit

ainsi de la liquidité en réponse au besoin de liquidité du secteur des agents non

financiers.

Les bilans simplifiés suivants permettent de représenter le mécanisme du

financement à l’œuvre.
Agents à besoin de financement Intermédiaire financier Agents à capacité de financement

Actif Passif Actif Passif Actif Passif

Investissement Epargne Acquisition Emission d' Investissement Epargne


d'actifs financiers actifs finan- Acquisition d'
Emission primaires ciers indi- actifs financiers
de titres rects indirects

Flux d'actifs financiers primaires

Flux d'actifs financiers indirects

Selon les bilans ci-dessus, il apparait que le comportement des intermédiaires

financiers s'apparente à des agents qui empruntent aux agents à capacité de

financement pour prêter aux agents à besoin de financement. Par emprunt, il

faut entendre la collecte des ressources dans laquelle les dépôts, ressources de

nature monétaire, tiennent une place particulière étant donné leur importance.

Les préférences des agents à capacité de financement sont satisfaites dans la

mesure où les titres de la dette indirecte émis par les intermédiaires financiers

sont soit liquides en assurant simultanément liquidité et rendement (compte de

livrets bancaires, compte d'épargne postale, livret d'épargne logement, CODEVI),

soit en assurant à la fois un rendement à long terme et une garantie contre le

risque (par exemple, l'assurance-vie).

Cependant, il est un trait encore plus remarquable du financement indirect : la

transformation des échéances. Les intermédiaires financiers transforment la

nature des échéances de la dette primaire et acceptent de gérer les risques qui lui

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sont inhérents. Ainsi, les intermédiaires financiers acceptent l'endettement à

long terme de certains agents qui émettent des dettes primaires de maturité

longue et les transforment en endettement à court ou moyen termes auprès

d’agents à capacité de financement (par émission de dette secondaire).

Comme toute activité économique, celle d'intermédiation engendre des coûts et de

revenus 3. Une question importante se pose alors : comment peut-on expliquer que

cette activité d'intermédiation soit, en règle générale, profitable. Plusieurs

capacités spécifiques des intermédiaires financiers justifient cette possibilité de

dissocier de manière profitable les caractéristiques du passif de celles de l'actif :

- les coûts fixes des achats et ventes d'actifs financiers sont, en raison de la taille

et du volume des transactions, davantage étalés pour un intermédiaire financier

que pour un agent non financier qui intervient occasionnellement sur les marchés

financiers ;

- les intermédiaires réalisent des économies dans la gestion des actifs en raison

de leur capacité d'administration et de savoir-faire plus importante que celle des

agents à capacité de financement. L'aspect professionnalisation (spécialisation)

est ici déterminant ;

- la taille du portefeuille de titres détenus par chaque intermédiaire lui permet

d'engendrer un effet de liquidité. Cela signifie que chaque composante du

portefeuille a des mouvements plus importants que le portefeuille pris dans son

ensemble. L'intermédiaire peut alors statistiquement opérer une transformation

de liquidités entre titres primaires et titres secondaires. Par exemple, même si le

passif des intermédiaires financiers monétaires est relativement liquide, ces

3 Une analyse détaillée de cette question est proposée dans le chapitre 4 consacré à la firme
bancaire.
12
intermédiaires peuvent gérer des actifs longs en jouant sur la loi des grands

nombres : en temps normal, tous les déposants ne viendront pas en même temps

liquider leurs dépôts. Précisons ce dernier point.

Plus un intermédiaire collecte de dépôts, plus le comportement des retraits des

dépôts sera stable et donc plus facile à gérer. Pour illustrer ceci, supposons que la

probabilité qu’un client d’une banque retire son dépôt soit de 5 %, et donc que la

probabilité qu’un client d’une banque ne retire pas son dépôt soit de 95 % (pour

simplifier, ces probabilités sont les mêmes pour chaque client). Le graphique 1

suivant simule la proportion de clients retirant leurs dépôts en fonction du

nombre de clients de la banque.

Graphique 1 Illustration de la loi des grands nombres

On peut constater qu’avec un petit nombre de clients cette proportion commence

aux alentours de 30 %. Puis, si le nombre de clients augmente, la proportion tend

à converger aux alentours de 5 % (ce qui correspond à la probabilité individuelle

du retrait des dépôts). Augmenter la taille du passif permet donc de réduire non

seulement l’importante des retraits mais également leur volatilité. C’est là une

application de la loi des grands nombres.

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Il est important de souligner que ce comportement repose sur le fait que les

probabilités de retrait soient indépendantes les unes par rapport aux autres, ce

qui est valide « en temps normal ». En temps de crise, les retraits des uns

peuvent alimenter les retraits des autres, dans le cadre d’une panique bancaire.

De cette manière, la probabilité de retrait augmente au fur et à mesure des

retraits passés, ce qui peut augmenter significativement la proportion de retraits

au point d’induire une crise de liquidité pour la banque. Par construction, la

banque ne peut pas réclamer que les créances de long terme soient honorées

immédiatement et ainsi obtenir la liquidité sollicitée au titre des retraits de

dépôts.

- la taille du portefeuille entraîne une diminution des risques par diversification

et surtout par mise en commun de risques indépendants. Si on raisonne en

termes de spectre de risques, on peut dire que, d'une certaine manière, la

composante faiblement risquée du portefeuille d'actifs détenus par

l'intermédiaire compense les pertes potentielles de la composante très risquée, et

ce d'autant plus que les risques n'évoluent pas en même temps dans le même

sens (dans le cas idéal, l'absence de corrélation dans les rendements des actifs

détenus implique que la variance du rendement moyen d'un portefeuille

diversifié doit tendre vers zéro lorsque le nombre d'actifs s'accroît) ;

- l'existence du processus d'intermédiation engendre une sorte de cercle vertueux.

L'intermédiaire peut proposer des services divers qui rendent plus attractifs les

dépôts, ce qui accroît encore la capacité d'intermédiation.

Une implication importante de notre analyse est que la finance directe peut

contraindre le volume d'épargne et d'investissement dans la mesure où les

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préférences quant aux caractéristiques des titres émis par les emprunteurs et

demandés par les prêteurs peuvent différer fortement. Cette imperfection des

marchés, c'est-à-dire leur incapacité à concilier ces préférences, justifient

l'existence des intermédiaires qui constituent des écrans entre emprunteurs dits

primaires et prêteurs dits ultimes en transformant les caractéristiques des titres.

En mettant plus facilement en connexion les agents à capacité de financement et

les agents à besoin de financement, on peut considérer que les intermédiaires

financiers contribuent à accroître l'épargne (par la diversification de l'offre) et

l'investissement (en relâchant la contrainte de financement). R. Goldsmith a

d'ailleurs montré la relation qui existe entre le développement économique et

l'activité des intermédiaires financiers en identifiant une corrélation positive

entre le ratio [endettement total / endettement primaire] (dit Financial

interrelation ratio) et le revenu par tête.

Section 2 La justification microéconomique des intermédiaires financiers

L’approche microéconomique de l’intermédiation met l’accent sur les

imperfections de marché, c’est-à-dire sur les inefficiences qui empêchent les

mécanismes du marché de jouer correctement et efficacement. Deux types

d’imperfections sont étudiés : les coûts de transactions et les asymétries

d’information. Ces dernières sont particulièrement importantes. Nous verrons

ainsi que la question de la production d’information est au cœur de l’analyse

moderne de l’intermédiation. La banque est vue comme un producteur

particulièrement efficace d’informations. Cela doit permettre de rendre moins

onéreux les financements demandés par les entreprises et les ménages par

rapport aux financements de marché.

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2.1. Les coûts de transaction

Les coûts de transaction font référence au temps consacré et aux moyens engagés

pour réaliser des transactions financières. Comme le rappelle F. Mishkin (2007 :

page 47), il s’agit d’un problème très important pour les agents économiques

désireux de prêter tout ou partie de leur épargne. Par exemple, un agent à

capacité de financement devra faire appel à un juriste pour rédiger le contrat de

prêt. Or, le coût de ce juriste peut s’avérer très important – notamment en termes

de coûts d’opportunité relativement aux intérêts perçus – si le montant du prêt

est peu élevé.

Comment la présence d’intermédiaires financiers peut-elle réduire les coûts de

transaction liés au financement de l’économie ?

Premièrement, on peut expliquer l'existence des intermédiaires financiers par les

effets d'échelle liés à la gestion de portefeuille et des services de paiements offerts

aux agents. D’une manière générale, l’idée d’économies d’échelle repose sur le fait

que le coût de production tend à diminuer avec l’accroissement du volume de

production. Ici, la grande taille conduit à une meilleure efficacité. Dans le champ

de l’analyse du financement, cette approche suggère que les agents sont incités à

recourir à des intermédiaires lorsque les actifs négociés sur les marchés sont

d'une dimension unitaire importante. L'intermédiaire financier est alors conçu

comme un grossiste – appelé aussi « intermédiation de taille » – qui divise les

actifs en plus petites unités. Deux effets résultent de cette activité de division des

actifs. D'une part, elle a pour conséquence une diversification des portefeuilles

des agents clients qui améliorent ainsi leur bien-être en échappant à la sous-

optimalité induite par les effets de seuil et de dimension (concentration des

16
risques avant l'apparition de l'intermédiaire). D'autre part, cette activité permet

à des emprunteurs de taille modeste d'accéder au marché du financement. Dans

le cas contraire, les coûts de transaction n'auraient pas pu être étalés sur un

emprunt de grande dimension. On peut relever ici que les marchés financiers

sont peu ouverts aux entreprises de petite faille ayant des besoins de

financement limités.

Ensuite, les progrès engendrés par les technologies de l'information ont permis

aux intermédiaires financiers de proposer des instruments de financement ou de

gestion inaccessibles à des opérateurs de petite dimension. Si le poids des coûts

fixes s'est élevé à la suite de l'acquisition de ces technologies par les

intermédiaires, ces derniers peuvent minimiser ses conséquences en accroissant

le nombre de clients utilisateur. Un agent non financier non spécialisé dans ce

type de produits devrait supporter des coûts exorbitants ; d'où son recours à un

intermédiaire plus efficace.

Les coûts supportés par les paiements en espèces justifient le recours aux

services de paiements des intermédiaires. Ces coûts tiennent au risque de perte

physique (vol, destruction) et aux problèmes de contrôle qu'ils soulèvent. A

contrario, les comptes chèques et l'apparition plus récente des paiements

électroniques permettent aux agents, en règle générale, d'accéder à la sécurité

des paiements, la tenue des comptes étant assurée par les intermédiaires

financiers. Ces derniers peuvent exploiter des effets d'échelle liés à la gestion des

paiements.

En second lieu, la production jointe de services financiers peut expliquer

l'apparition des intermédiaires financiers. Cette caractéristique résulte du fait

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que l'information est coûteuse à obtenir. Or, l'information captée lors de la

fourniture d'un service financier peut être utilisée sans perdre de sa valeur dans

la production d'un autre type de service. L'exemple classique est le service de la

tenue des comptes des clients. A partir des informations issues de cette activité,

le gestionnaire de portefeuille peut proposer des services de paiements ou de

gestion de trésorerie. Parallèlement, les agents économiques font eux-mêmes des

économies de coûts de transaction en trouvant auprès d'un même intermédiaire

financier une large gamme de services. « Ainsi, les facteurs d'offre et de demande

se combinent pour expliquer le développement, chez les intermédiaires

financiers, de ce que les anglo-saxons appellent le "one stop shop" » 4.

2.2. Les asymétries d’information

L'asymétrie d'information traduit les situations dans lesquelles, sur un marché

quelconque, certains agents détiennent une information spécifique qui n'est pas

intégralement transmise au système des prix des actifs. Autrement dit, l'aspect

novateur de cette hypothèse consiste à remettre en cause l'idée selon laquelle le

prix est le seul indicateur de la qualité. En termes de financement, on déduira de

cette observation le fait que le taux d'intérêt (le prix du crédit) ne peut pas

équilibrer le marché.

Dans une relation de financement, l'asymétrie d'information pèse sur le prêteur,

considérant que l'emprunteur a davantage d'informations sur la qualité (la

rentabilité) de son projet que le prêteur externe. Il convient de souligner

d'ailleurs que l'asymétrie d'information est consubstantielle à la relation de

financement dans laquelle on échange des promesses de revenu ultérieur. Or, la

4Chevallier-Farrat T. (1992), « Pourquoi des banques ? », Revue d'Economie Politique, vol.102,


n°5, p.633-685.
18
présence d'asymétries informationnelles peut altérer la perception que les agents

se font de l'évolution de ces promesses. De telles asymétries peuvent se situer à

deux niveaux différents :

- avant la signature du contrat de prêt, i.e. ex ante, lorsque l'asymétrie porte sur

l'observabilité du niveau de risque de l'individu. Cela signifie que le prêteur n'est

pas en mesure de distinguer entre les emprunteurs de qualités différentes (les

emprunteurs de bonne qualité (à faible risque de défaut) et ceux de mauvaise

qualité (à risque de défaut élevé)). On parlera d'antisélection ;

- après la signature du contrat de prêt, i.e. ex post, deux types d'aléa moral

peuvent se manifester. D'une part, on parle d'aléa moral ex ante lorsque les

emprunteurs peuvent ne pas être incités à fournir le maximum d'efforts pour que

son projet réussisse (en économie du travail, on parlerait de comportement de tire

au flanc). Ainsi, cet aléa moral porte sur la difficulté à observer les actions de

l'emprunteur. D'autre part, il existe un aléa moral ex post dans lequel les

emprunteurs sont incités à dissimuler une partie de leur bénéfice dans l'objectif

de rembourser moins au prêteur. Autrement dit, cet aléa moral porte sur les

déclarations de l'emprunteur une fois les résultats du projet connu. Pour

résumer, l'aléa moral porte toujours sur ce qui se passe après la signature du

contrat, la distinction entre ses deux types concernant les situations avant et

après le résultat de l'investissement connu.

Les asymétries d'information conduisent donc les agents économiques à y réagir

différemment, soit pour les exploiter en ayant un comportement opportuniste,

soit pour en limiter les conséquences néfastes (recherche d'information, mise en

place de systèmes d'incitations à l'exécution des contrats). Dès lors, avec

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l'introduction des asymétries d'informations, nous sommes au cœur des nouvelles

théories de l'intermédiation qui situent la raison d'être des intermédiaires dans

la production d'information.

Tout intermédiaire sera considéré comme un producteur d'informations.

L'analyse se déplace de l'avantage comparatif des intermédiaires par rapport aux

coûts de transaction, à l'avantage comparatif des intermédiaires par rapport aux

coûts de vérification et de recherche engendrés par les asymétries d'information.

2.2.1. Analyse de l’intermédiation en situation d’asymétrie informationnelle ex

ante

L'avantage comparatif des intermédiaires financiers à propos du filtrage des

demandes de financement externe repose sur leur capacité d'expertise qui leur

permet de traiter l'information à un coût inférieur à un investisseur externe non

financier. En effet, ce dernier devra consacrer du temps et des ressources à

analyser les demandes de financement. L'intermédiaire financier réduit ces coûts

d'une part, en bénéficiant d'un effet d'apprentissage qui lui assure une meilleure

perception des risques des projets au fur et à mesure que le nombre de dossiers

traités s'accroît et, d'autre part, le volume des dossiers traités incite

l'intermédiaire à mettre en place des techniques de sélection efficaces. Au total, le

coût de traitement des dossiers est moindre pour un intermédiaire que pour un

ensemble d'investisseurs individuels.

Cet avantage informationnel se répercute sur les agents à besoin de financement.

Ainsi, une entreprise pourra préférer traiter avec un intermédiaire financier

plutôt qu'avec un ensemble d'investisseurs individuels dans la mesure où le coût

de financement sera susceptible de davantage refléter le risque spécifique de

20
l'entreprise plutôt que le risque moyen déterminé par le marché. L'avantage

informationnel de l'intermédiaire financier peut donc faire baisser la surprime de

risque.

2.2.2. Analyse de l’intermédiation en situation d’asymétrie informationnelle ex

post

Le contrôle des performances des agents emprunteurs s'élabore à partir de

clauses incitatives inscrites dans les contrats. Ces clauses ont pour objet de faire

converger les finalités entre les cosignataires. Or, l'élaboration de tels contrats,

ainsi que le contrôle de leur exécution, sont des opérations coûteuses qui, une

nouvelle fois, vont justifier l'intervention des intermédiaires financiers. En effet,

il est moins onéreux d'établir un contrat bilatéral qu'un grand nombre de

contrats directs avec chacun des investisseurs. En l'absence d'intermédiaire

financier, chaque prêteur ultime devrait supporter des coûts élevés pour

surveiller l'emprunteur ultime, ce qui conduirait à la duplication des coûts de

vérification. En outre, certains prêteurs pourraient être incités à ne pas engager

de ressources dans la recherche d'information : comme celle-ci est un bien public,

ils bénéficieront comme les autres des gains informationnels sans avoir pour

autant dégager des ressources pour cela. Ce comportement de passager

clandestin* explique pourquoi un auteur comme J. Stiglitz considère que les

intermédiaires financiers sont mieux à même de contrôler les entreprises. La

multiplicité des prêteurs nuit au contrôle dans la mesure où personne n'est incité

à engager des ressources en ce sens. De même, la durée de la relation est un gage

de meilleure connaissance des emprunteurs, ce qui peut faciliter leur contrôle.

Comme cela doit faire baisser les coûts de contrôle, et par là même les coûts de

21
financement, on peut en déduire la préférence des entreprises à se financer

auprès des investisseurs les mieux informés, à savoir les intermédiaires

financiers. Par exemple, le suivi des comptes par l'intermédiaire est une source

importante d'information sur l'évolution de l'activité de l'agent emprunteur. Pour

certains économistes, le marché est dénué de mémoire, ce qui lui interdit de tirer

profit de la relation longue.

En finançant de nombreuses firmes, les intermédiaires financiers opèrent une

diversification de leur portefeuille d'actifs qui leur permet aussi d'avoir une

fonction de partage du risque. Dans cette perspective, certains auteurs

établissent un lien entre la structure de l'actif et la structure du passif de

l'intermédiaire. Les intermédiaires sont en mesure de répartir les revenus de leur

portefeuille d'actifs entre les catégories d'apporteurs de capitaux dont les niveaux

de risque (ou les degrés d'aversion au risque) sont différents. La composante non

ou faiblement risquée peut être affectée à la rémunération des déposants et de

créanciers qui reçoivent un paiement fixe ; la composante risquée rémunérant les

actionnaires.

Comme nous l’avons souligné plus haut, les intermédiaires financiers sont

considérés comme étant des producteurs d’information. Or, celle-ci a d’autant

plus de valeur que la relation entre l’intermédiaire financier et ses emprunteurs

s’effectue dans la durée. C’est ce que l’on appelle parfois la relation de clientèle.

Ainsi, une abondante littérature empirique suggère que plus la relation est

longue, plus l’intermédiaire financier capte de l’information, information qui a

pour conséquence importante en ce qui concerne l’emprunteur de réduire sa

probabilité de subir des contraintes financières au cours du temps.

22
Hainz et Wiegand (2013) analysent dans quelle mesure une relation banque -

entreprise de long terme a facilité ou non l'accès à des crédits durant la crise

financière 5. A cette fin, ils utilisent l'enquête Ifo qui couvrant 1 139 firmes du

secteur manufacturier allemand entre 2007 et 2009. Plus précisément, Hainz et

Wiegand se demandent si, durant la crise financière, les firmes ont dû faire face à

une contrainte sur la disponibilité de crédit, une augmentation des taux d'intérêt,

un durcissement des conditions hors prix de crédit (par exemple des exigences

informationnelles accrues). La relation bancaire est appréhendée par

l'intermédiaire de plusieurs indicateurs : (i) la durée de la relation et (ii) la

variété des produits bancaires que l'entreprise reçois de la banque.

Dans le cas de l’Allemagne, la question posée est d’autant plus pertinente que le

crédit bancaire occupe une place particulièrement prépondérante dans le

financement des entreprises (Graphique 2).

Graphique 2 Structure de financement des entreprises couvertes par l’enquête

Ifo, en %

Source : C. Hainz et M. Wiegand (2013), « How does relationship banking


influence credit financing? Evidence from the financial crisis », Ifo Working
Paper, No. 157, Ifo Institute - Leibniz Institute for Economic Research at the
University of Munich, Munich.

5 C. Hainz et M. Wiegand (2013), « How does relationship banking influence credit financing? Evidence from the
financial crisis », Ifo Working Paper, No. 157, Ifo Institute - Leibniz Institute for Economic Research at the University
of Munich, Munich.

23
Le graphique 3 donne un aperçu de l'étroitesse de la relation bancaire en

Allemagne. La partie gauche montre que très peu d'entreprises entretiennent des

relations avec une seule banque. En fait, près de 57 % des entreprises ont des

relations avec deux ou trois banques.

Graphique 3 Importance de la relation bancaire en Allemagne, en %

Source : C. Hainz et M. Wiegand (2013).

La partie droite du graphique donne une autre information puisqu'elle s'intéresse

à l'étroitesse de la relation. La durée de la relation, les relations

interpersonnelles et la distance entre la banque et le siège de l'entreprise jouent

ici un rôle important. On voit clairement que l'étroitesse de la relation banque -

entreprise joue un rôle essentiel puisque moins de 5 % des firmes déclarent ne

pas avoir de banque maison. A contrario, près de 77 % des firmes déclarent avoir

des relations étroites avec une ou deux banques.

En moyenne, la durée de la relation avec la première banque principale est de 29

ans ; elle est de 23 ans pour la seconde banque. Le graphique 4 montre que la

première banque principale a une position de leadership dans la distribution de

la plupart des produits bancaires.

24
Graphique 4 Services offerts par les deux premières banques principales, en %

des firmes

Source : C. Hainz et M. Wiegand (2013).

Les auteurs montrent que les entreprises ayant une seule banque principale ont

une probabilité plus faible de devoir faire face à une contrainte de crédit. Ce

résultat repose essentiellement sur le fait que ces entreprises ont une probabilité

plus faible de devoir faire face à des exigences informationnelles accrues ou à des

exigences plus fortes en termes de garanties. Autrement dit, ce sont les

conditions hors-prix qui jouent le plus ici. Un autre résultat important, qui

nuance les avantages de la relation bancaire, est que cette dernière ne réduit pas

probabilité pour les entreprises de faire face à une contrainte en termes de

disponibilité du crédit en raison de la crise financière. Hainz et Wiegand (2013)

expliquent ce résultat en mettant en avant que la période de l'étude a été

marquée par des évolutions technologiques et réglementaires pouvant modifier le

processus de décision des banques. Plus précisément, les banques ont davantage

utilisé les informations hard, à travers le scoring, au détriment des informations

25
soft qui résultent de la relation de long terme avec l'entreprise. L'information soft

aura une influence une fois l'accord de prêt obtenu.

La banque peut jouer un rôle d'assureur vis-à-vis des risques encourus en cas

d'investissement risqué de la part de l'entreprise. Ce type de comportement a été

nettement identifié au Japon où la banque principale peut être conduite à offrir

des conditions débitrices plus faibles temporairement. D'une manière générale,

on considère que le coût de la détresse financière est moins élevé que dans un

système financier fondé sur le marché.

Section 3 L’interpénétration entre le marché et l’intermédiation 6

La distinction finance directe – finance indirecte peut donner l’impression que

banque et marché s’opposent irrémédiablement. Cette position est inexacte. Pour

comprendre cela, il est nécessaire de distinguer deux formes d’intermédiation

(Courbis, 1987) 7 : l’intermédiation de bilan, qui fait référence au crédit, et

l’intermédiation de marché qui concerne directement l’interface banques et

marchés. Il est important de bien maitriser cette distinction car elle permet de

comprendre pourquoi les banques continuent aujourd’hui d’avoir un rôle

déterminant dans nos économies alors que le poids des marchés financiers s’est

considérablement accru depuis les années 1980.

3.1. La compatibilité du marché et de l’intermédiation

Distincts conceptuellement, marché et intermédiation ne sont absolument pas

antinomiques dans une structure de financement. D’une part, la finance directe

6 Cette section prend appui sur Allegret J.P. et Courbis B. (2000), Monnaie et financement,
Vuibert, Paris.
7 Courbis B. (1987), « Peut-on parler de désintermédiation en France ? » Economie et Humanisme,

mars-avril, p.8-18, reproduit dans Problèmes Economiques, n° 2035, 29 juillet 1987.


26
n’a aucune identité logique avec le marché, au sens de marché de titres

négociables : le financement interentreprises participe à une forme de finance

directe sans pour autant relever d’un marché de titres. Il en va de même pour les

parts ou actions de sociétés non cotées. D’autre part, la finance indirecte

n’implique pas l’exclusion des titres de marché qui peuvent être émis ou détenus

par des intermédiaires financiers.

Cependant, si marché et intermédiation sont compatibles, voire complémentaires,

il convient de les distinguer quant à leur rôle dans un système financier. Si dans

les deux cas se réalise bien une certaine médiation, celle-ci ne repose que sur

l’actif (A) échangé avec le pur marché, alors qu’elle implique l’intervention d’une

firme (i) spécialisée avec l’intermédiation. Comme l’illustre le schéma ci-dessous,

le marché, en tant que tel, est un jeu à deux (le vendeur x et l’acheteur y) alors

que l’intermédiation est nécessairement un jeu à trois (deux opérateurs clients, x

et y et l’intermédiaire i). C’est le professionnalisme de ce troisième joueur qui est

essentiel.

MARCHE INTERMEDIATION

x y x i y

Un marché non intermédié, marché à l’état pur, est auto-liquide au sens où les

qualités intrinsèques de l’actif financier cédé suffisent à mettre d’accord offreur et

demandeur sur un prix, sans coût d’information ou de transaction. Les

opérateurs ont des besoins complémentaires, une parfaite connaissance de ces

besoins réciproques et ils se rencontrent sans difficultés. L’actif financier cédé

27
peut soit être émis par le vendeur et venir accroître le passif de son bilan (marché

primaire), soit être retiré de l’actif de son bilan s’il est négociable (marché

secondaire). Cependant, comme nous l’avons souligné dans la section 1, cette

convergence spontanée des préférences entre emprunteurs et prêteurs est peu

probable.

L’intermédiation implique en revanche la convergence des acheteurs et vendeurs

vers une tierce personne qui a pour fonction de leur apporter un « plus », un

service qu’ils sont prêts à lui payer à un prix de marché. Les imperfections, les

difficultés de rapprochement des opérateurs, les incompatibilités de leurs besoins

(en particulier en termes de prise de risque) en un mot l’insuffisance de liquidité

du marché justifient l’internalisation de ces coûts au sein de l’intermédiaire

financier.

3.2. Intermédiation de marché et intermédiation de bilan

Considérant que l'intermédiation implique la présence d'une tierce personne

entre deux agents, il convient d'effectuer une distinction entre l'intermédiation de

marché et l'intermédiation de bilan.

L’intermédiation de marché* repose sur un service rendu sur le marché de l'actif,

soit lorsque l'intermédiaire rapproche les acheteurs et les vendeurs (activité de

courtage*), soit lorsqu'il achète lui-même aux uns pour revendre aux autres

(activité de trading*). Par ces opérations, les intermédiaires contribuent à la

liquidité du marché.

28
INTERMEDIATION DE MARCHE

Le courtage Le négoce (trading )

x i y x i y

A A

avec x et y, deux agents, i, l’intermédiaire et A l’actif concerné.

L’intermédiation de bilan* consiste dans la production de liquidité par

transformation d'actifs financiers, c'est-à-dire lorsque l'actif acheté est conservé à

l'actif du bilan (actif primaire) et qu'en contrepartie l'intermédiaire émet un autre

type d'actif inscrit au passif (actif secondaire). Le point important est que cette

opération implique les deux parties du bilan recouvrant une liaison fonctionnelle

entre deux positions. Ce second type d'intermédiation correspond à ce que Gurley

et Shaw ont appelé la finance indirecte. Elle porte aussi bien sur des titres

négociables sur les marchés que sur des actifs non négociables. Ce qui la

caractérise, c'est la connexion de l'actif et du passif du bilan de l'intermédiaire.

INTERMEDIATION DE BILAN

x i y

A1 A2

Bilan de l'intermédiaire i

Actif Passif

A1 A2

avec x et y, deux agents, i, l’intermédiaire et A1 et A2 les actifs concernés.

29
L'intermédiation obéit à une logique de transformation d'actifs tandis que celle de

marché répond à une logique de négociation. Cependant, à la fois dans

l’intermédiation de marché et de bilan, il y a production de liquidité :

- par émission d'actifs secondaires plus liquides dans l'intermédiation de bilan ;

- par accroissement de la liquidité du marché d'un actif primaire (action,

obligation, billet de trésorerie, titres émis par des agents non financiers) ou

secondaire (obligation d'une institution financière spécialisée, certificat de dépôt,

titre d'un fonds commun de créances).

Comme l’ont souligné Courbis et al. (1990), « d'un point de vue qualitatif, la

mobiliérisation a atténué l'intensité de l'intermédiation de bilan. Là se trouve

peut être le véritable recul de l'intermédiation qui n'est pas un mouvement vers

le financement direct, mais un moindre degré dans la transformation. La

transformation des échéances est incontestablement moins forte lorsque des

titres longs (obligations, actions) ou des contrats de capitalisation ou d'assurance-

vie se substituent à des dépôts à court terme. La transformation des risques est

surtout moins intense si le porteur ultime en conserve une part, ce qui est en

principe le cas avec les OPCVM* » 8.

Au total, l'intermédiation ne disparaît pas, mais elle se transforme au gré des

innovations financières.

8 Courbis B., Froment E. et Karlin M. (1990), « Banque et finance », in X. Greffe, J. Mairesse et


J.L. Reifferts (dir.), Encyclopédie économique, Economica, Paris.
30
Section 4 Systèmes financiers et gestion des risques

René Gönenç 9 présente une analyse importante des interactions entre le finance

et l'industrie fondé sur la gestion des risques. Dans cette perspective, un système

financier n'est plus seulement un ensemble de procédures mettant en

correspondance capacité et besoin de financement, c'est aussi une combinaison de

formes d'engagement du capital dans l'industrie et de procédures d'évaluation et

de prise en charge des risques industriels. On part ici du principe selon lequel

l'activité industrielle est par essence risquée. L’'intervention de la sphère

financière - via le financement des activités - a pour conséquence de transmuter

les risques industriels en risques financiers pris en charge par les bailleurs de

fonds.

Cependant, s'il existe plusieurs systèmes financiers, c'est parce que chaque

système financier caractérise une stratégie d'engagement de la finance dans les

activités industrielles risquées. Ainsi, il apparaît que « le portefeuille de projets

et d'investissements d'une entreprise exprime, à tout moment, un équilibre entre

les préférences et les contraintes de ses différentes sources de financement et

donc entre des pratiques parallèles et différentes d'évaluation de la valeur et des

risques de cette entreprise » (Gönenç : p.131). Aux trois principaux types

d'engagements financiers retenus par l'auteur correspondent différentes

manières d'appréhender le risque industriel (4.1). On introduit ensuite l’efficacité

fonctionnelle des systèmes financiers (4.2).

9 René Gönenç, « Trois formes de gestion financière des risques industriels », Revue d'Economie
Financière, n°18, Automne, 1991.
31
4.1 Modalités des engagements financiers

Le premier type d'engagement financier est dit « investissement d'entrepreneur ».

Le détenteur du capital conçoit lui-même le projet, en assume entièrement les

risque, et gère personnellement son exécution. Le niveau en général limité des

ressources disponibles contraint la taille du projet. Cependant, le revenu et le

taux de rentabilité attendu ne découlent pas d'un calcul lié au taux de marché. Ils

peuvent donc descendre jusqu'à un niveau de subsistance propre à chaque

entrepreneur investisseur. Ce dernier n'a pas besoin de l'accord d'une tierce

partie pour décider l'engagement de l'investissement. Comme le souligne R.

Gönenç, la procédure de décision est subjective et non communiquée au monde

extérieur. La réactivité de l'entreprise est très importante, ce qui autorise une

redéfinition rapide de la stratégie d'investissement. « Sans procédure de contrôle

stratégique ou tactique, interne ou externe, l'entreprise jouit d'une spontanéité de

gestion propre à cette forme d'investissement ». Il n'existe pas une stratégie

globale d'investissement, mais plutôt une succession de décisions séquentielles.

Ce type d'engagement financier concerne essentiellement les PME, notamment

dans leur activité d'innovation.

Le deuxième type d'engagement financier est « l'investissement mandaté » dans

lequel les propriétaires des ressources financières délèguent contractuellement à

une direction le pouvoir de gestion des projets pour lesquels ces ressources sont

engagées. La multiplicité des propriétaires permet de financer des projets de

grande taille. Ces propriétaires assument collectivement tous les risques et ils

sont rémunérés par la performance financière de l'activité. Il en résulte aussi que

les propriétaires peuvent affecter une partie de leurs ressources à un projet et

32
profiter des avantages économiques de la diversification des risques. Les

relations contractuelles qui s'établissent entre les propriétaires et les dirigeants

visent à spécifier leurs droits respectifs, leurs normes de comportement, ainsi que

les critères de surveillance. Un point très important doit être noté : « Ces

structures destinées à réconcilier les conflits d'intérêts entre les deux parties,

contraignent aussi la flexibilité de motivation et d'action de l'entreprise. Les

décisions d'investissement et de comportement stratégiques sont espacés par les

" rendez-vous d'évaluation " entre les propriétaires [...] et les dirigeants, et sont

moins divisibles et réorientables que dans une entreprise directement dirigée par

ses propriétaires » (R. Gönenç : p.134).

Les firmes étant souvent de grande taille, elles gèrent simultanément plusieurs

projets d'investissements. L'évaluation des risques par les propriétaires est donc

moins fondée sur les projets individuels, mais sur un portefeuille de projets. Ce

sont les managers qui évaluent les projets individuels. Deux formes

d'investissement mandaté peuvent être distinguées :

- lorsque le portefeuille et les projets d'investissements sont validés directement

par les propriétaires des sources de financement, on parle d'investissement

mandaté par « des investisseurs de contrôle ». L'évaluation n'est pas influencée

de manière déterminante par l'opinion du marché financier, même lorsque

l'entreprise en question fait l'objet d'une cotation. La préférence pour la liquidité

des placements est faible. Il en résulte que les dirigeants de l'entreprise sont

évalués sur la base du critère de rentabilité interne du capital investi (soit la

performance financière complète une fois pris en compte les cycles

d'investissements). Ce sous-type d'engagement financier correspond au capital-

33
risque qui concerne les jeunes entreprises innovantes, en général de petite taille,

et les apporteurs en fonds propres d'entreprises non cotées. On peut aussi lui

assimiler les actionnaires appartenant au noyau dur des firmes cotées ;

- lorsque le détenteur de capital s'engage tout en demeurant liquide sur un

marché secondaire (ou marché de l'occasion), l'investissement est dit « mandaté

par le marché ». La préférence pour la liquidité des détenteurs de capital est donc

élevée puisque ceux-ci entendent pouvoir dissocier à n'importe quel moment la

durée de leur engagement par rapport à la durée de l'investissement productif.

La contrepartie de cette liquidité acquise est que sa propre évaluation des risques

de la firme est soumise à l'arbitrage de l'opinion collective telle qu'elle s'exprime

dans les bourses de valeur. En conséquence, la performance des investissements

de la firme ne s'apprécie non plus en considérant la rentabilité interne, mais au

travers du jugement que porte le marché sur l'entreprise en fixant le prix de son

action. Ce type d'engagement financier concerne essentiellement les entreprises

cotées.

Enfin, une troisième forme d'engagement financier correspond à

« l'investissement de crédit ». Il consiste en des prêts qui complètent les

ressources propres des firmes. L'engagement des créditeurs est fondé sur la

promesse de remboursement du capital et des paiements d'intérêts. A ce titre, les

bailleurs de fonds ne sont pas directement intéressés à une performance de

l'entreprise emprunteuse supérieure à son coût du capital. On dira ainsi qu'ils

« n'achètent pas cette performance future ». Cela signifie aussi - qu'à niveau de

rentabilité économique équivalent - les prêteurs sélectionnent les projets les

moins risqués. Cela explique la faible incitation à engager l'entreprise dans des

34
activités fortement innovatrices où la rentabilité potentielle est très élevée. Les

bailleurs de fonds assument un risque d'insolvabilité. Les conditions de

financement qu'ils appliquent aux entreprises dépendent fortement de la

possibilité qu'ils ont de faire face à ce risque d'insolvabilité lorsqu'il se manifeste :

importance des actifs négociables de la firme en cas de faillite, volonté et moyens

des propriétaires de l'entreprise à s'engager pour assurer la pérennité de la firme

(modalités de la restructuration financière) et disponibilité de la main d'œuvre

pour accepter des compromis en matière de politique salariale). On distingue

deux sous-types d'engagement financier lié au crédit :

- l'investissement de crédit « géré par le marché » dans lequel le titre de créance

est négociable sur un marché (une obligation par exemple). Seules les entreprises

de grandes tailles et connues des opérateurs peuvent offrir une telle liquidité aux

prêteurs. Il s'agit donc d'un sous-type limité par son ampleur. Il a l'avantage de

diviser l'emprunt et les risques entre de multiples prêteurs, d'où son adaptation

pour le financement de grands projets. La contrepartie de la liquidité est que les

prêteurs courent un risque de pertes en capital et un risque de taux lorsque les

conditions de financement changent alors que l'on a accordé un financement à

taux fixe. En raison de la multiplicité des prêteurs, la solvabilité des

emprunteurs est évaluée et surveillée par des entités externes comme les agences

de notation et les sociétés de gestion de portefeuille ;

- l'investissement de crédit « géré par des contrats » qui correspond au prêt

traditionnel négocié bilatéralement entre les entreprises emprunteuses et les

banques. Ces dernières n'ont pas la possibilité de se dégager de leur position

avant le terme prévu par contrat. Cette absence de négociabilité des crédits

35
implique que les prêteurs sont davantage prudents lors de la sélection des

projets. L'évaluation des risques est une opération bilatérale privée entre

l'entreprise et la banque. Les méthodes d'évaluation sont diverses en fonction du

mode de relation entre la banque et l'entreprise. Les banques sont aussi incitées

à aider l'emprunteur à éviter les risques d'insolvabilité. La détection précoce des

difficultés est un élément important de cette protection contre le risque

d'insolvabilité. Des procédures de surveillance et d'assistance sont mises en place.

Elles sont largement fonction des relations entre banque et entreprises et elles

échappent en partie à la logique des marchés des titres.

4.2 L’efficacité fonctionnelle des systèmes financiers

Le montre le graphique 5 propose une synthèse des caractéristiques

fonctionnelles fondamentales des systèmes financiers dans la gestion des risques.

Cette dernière, est au cœur des trois relations cardinales de tout système

financier, à savoir le temps, les actifs et les prix.

Le temps et les actifs sont reliés par les contingences, ou des états de la nature,

pouvant affecter – positivement ou négativement – la valeur des actifs. Afin de se

prémunir contre des perturbations négatives, par exemple une hausse des taux

d’intérêt faisant baisser les prix des actifs, les investisseurs vont chercher à se

protéger en recherchant des instruments de couverture. Le lien entre les actifs et

les prix s'effectue à travers les fonctions d'évaluation. Il s’agit ici de l’ensemble

des techniques financières permettant d’évaluer la valeur des actifs financiers.

Enfin, le lien entre les prix et le temps repose sur le principe de l'actualisation.

Comme nous le verrons dans le chapitre 3, l’actualisation occupe une place

importante dans le domaine financier. En effet, la plupart des engagements

36
financiers se font dans la durée. Or, ce qui intéresse l’investisseur, c’est le gain

espéré d’une séquence (ou d’une série) de revenus futurs aujourd’hui.

Graphique 5 La gestion des risques au sein du système financier

Source : OCDE (1994)

L’ensemble de ces points cardinaux convergent vers ce que nous pouvons appeler

l’efficacité fonctionnelle :

- le temps via la surveillance dans l'utilisation des fonds ;

- les prix via le principe de l'allocation des ressources ;

- les actifs via la création de ressources.

Section 5 Systèmes financiers et croissance économique

Après avoir identifié les canaux par lesquels les systèmes financiers exercent une

influence positive sur la croissance économique (5.1), nous présentons un courant

récent de la littérature qui suggère qu’au-delà d’une certaine taille, un système

financier peut exercer une influence négative sur la croissance (5.2).

37
5.1 Systèmes financiers et croissance : canaux de transmission

 Voir aussi Ch1_01_Systèmes financiers et croissance économique

Les fonctions assurées par le système financier, en réponse aux coûts

d’information et de transaction, influencent la croissance économique de long

terme à travers leurs effets sur l’accumulation du capital et la croissance de la

productivité des facteurs.

Levine (2005)10 résume en cinq catégories les principales fonctions exercées par

les marchés et intermédiaires financiers à savoir :

(i) la production de l’information sur les projets envisageables ;

(ii) le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gestion des

entreprises financées ;

(iii) l’amélioration de la gestion des risques ;

(iv) la mobilisation des épargnes ;

(v) la facilitation des échanges de biens et services.

Le développement financier comme « le processus par lequel les instruments, les

marchés et les intermédiaires financiers améliorent le traitement de

l’information, la mise en œuvre des contrats et la réalisation des transactions,

permettant ainsi au système financier de mieux exercer ses fonctions » (Levine

2005, p 5). La croissance économique et le développement financier sont donc

intimement liés comme le montre clairement le graphique 6.

10 Levine R. (2005), « Finance and growth: theory and evidence », in P. Aghion et S. Durlauf (éds.),
Handbook of Economic Growth, vol. 1, North Holland-Elsevier, Amsterdam, p. 865-934.
38
Graphique 6 Fonctions du système financier et croissance économique

Source : à partir de Levine

Plusieurs indicateurs du niveau de développement financier sont utilisés dans la

littérature. On en distingue deux principales catégories : d’une part, les

indicateurs faisant référence à la taille, l’activité et l’efficacité des intermédiaires

financiers (bancaires et non bancaires), et, d’autre part, les mesures de

développement des marchés boursiers. Les mesures les plus largement utilisées

sont les suivantes :

Le ratio des passifs liquides : ce ratio rapporte les passifs liquides hors fonds

propres du système financier sur le PIB (ratio M3/PIB). Il prend en compte la

masse monétaire (M2) et le passif liquide des intermédiaires financiers bancaires

et non bancaires. Ce ratio est une mesure typique de la « profondeur financière »

et de la taille du système financier.

39
Le crédit au secteur privé rapporte au PIB le montant du crédit alloué au secteur

privé par les banques et autres institutions financières non bancaires. Ce ratio

permet de mesurer le niveau d’activité des intermédiaires financiers bancaires et

non bancaires dans l’exercice de leur fonction de canalisation des épargnes. Il

rend compte de la façon avec laquelle l’actif domestique est distribué entre les

secteurs public et privé. Il repose sur l’hypothèse selon laquelle les systèmes

financiers les plus développés sont ceux qui attribuent le plus de crédits aux

firmes privées, comparativement à ceux finançant seulement et simplement le

gouvernement et les entreprises publiques.

Le crédit bancaire rapporté au PIB : le montant de crédit au secteur privé accordé

par les banques commerciales.

Le ratio des dépôts des banques commerciales rapportés au PIB.

Le ratio de capitalisation boursière : ce ratio mesure la taille du marché boursier.

Il est égal à la valeur totale des parts cotées en bourse rapportée au PIB.

L’utilisation de cet indicateur suppose l’existence d’une corrélation positive entre

la taille du marché boursier et son développement. Cependant, ceci n’est pas

toujours le cas. Un marché boursier large n’est pas nécessairement efficace dans

l’exercice de ses fonctions. Il peut, par ailleurs, être fortement développé malgré

une faible taille (celle-ci étant expliquée par la présence de taxes empêchant une

cotation adéquate en bourse, plutôt qu’une faible efficacité du marché dans

l’exercice de ses fonctions).

40
Greenwood et Jovanovick (1990) 11 partent de l'idée selon laquelle la

centralisation des décisions de financement permet de produire de l'information

de façon plus efficace dans la mesure où le coût de production décroît avec la

croissance du volume des contrats.

Deux technologies sont introduites dans le modèle avec deux techniques :

- l'une qui est sans risque, mais de rendement faible ;

- l'autre qui est risquée, avec un rendement plus élevé qui dépend lui-même

du progrès technique.

Le progrès technique a deux composantes :

- d'une part, une composante générale sous la forme traditionnelle d'un choc

technologique agrégé dont l'impact sur la productivité est commun à toutes les

industries de l'économie ;

- d'autre part, une composante spécifique propre à chaque individu (dit choc

technologique spécifique).

Les agents ne connaissent que le taux de rendement composite, c'est-à-dire qu'ils

ne distinguent pas les deux types de chocs technologiques. L'impact positif de

l'intermédiation est le suivant : les agents ont intérêt à former une coalition (en

fait à créer un intermédiaire) dans la mesure où cela (i) permet de centraliser

l'information et d'avoir ainsi connaissance du choc technologique agrégé et (ii)

permet de coordonner les activités en diversifiant les risques et en révélant les

meilleures opportunités de placement.

Comme il existe deux composantes au progrès technologique, la présence des

intermédiaires a un effet induit important : la diversification réduit le niveau de

11Greenwood J. et Jovanovic B. (1990), « Financial development, growth and the distribution of


income », Journal of Political Economy, vol. 98, n° 5, p. 1076-1107.
41
risque de l'investissement. En effectuant une analogie avec l'analyse de

portefeuille de Brainard et Tobin, on dira que les composantes spécifiques sont

non corrélées entre elles, ce qui revient à dire que le rendement du portefeuille

d'investissements dépend de la composante agrégée du progrès technique.

Bencivenga et Smith (1991)12 exploitent la fonction d'assurance de liquidité

identifiée par Diamond et Dybvig (1983). Ils intègrent dans un modèle de

croissance endogène l'idée selon laquelle les investissements réalisés atteignent

leur rendement maximum s'ils sont conduits tout au long de leur durée de vie.

Or, les épargnants peuvent être contraints de liquider leurs placements avant ce

terme. Il y a donc une contradiction entre l'illiquidité des investissements réels et

le besoin (ou le désir) de liquidité des épargnants. Les intermédiaires financiers

répondent à ces exigences contradictoires.

Intégré dans un modèle de croissance endogène, on en déduit la présence d'une

externalité : la minimisation du risque de liquidité par l'intervention des

intermédiaires financiers permet de maximiser le volume d'épargne disponible

pour l'investissement. On évite la liquidation prématurée des fonds, ce qui,

compte tenu du caractère cumulatif de l'investissement, augmente le rythme de

croissance de l'économie.

5.2 La remise en cause de la relation développement financier – croissance :

l’hypothèse du too much finance 13

Plusieurs indicateurs montrent que les pays de l'OCDE connaissent un trend

ascendant du poids du secteur financier dans l'économie. Le premier, présenté

12 Bencivenga V. et Smith B.D. (1991), « Financial intermediation and endogenous growth »,


Review of Economics Studies, vol. 58, n° 2, p. 195-209.
13 Cette expression est empruntée à J.L. Arcand, E. Berkes et U. Panizza (2015), « Too much
finance ? », Journal of Economic Growth, 20(2), 105-148.
42
sur le graphique 7, porte sur la part de la valeur ajoutée du secteur financier

dans le total de la valeur ajoutée. Cette part croissante repose à la fois sur

l'augmentation des profits générés dans le secteur financier et sur

l'accroissement significatif des rémunérations dans ce secteur.

Graphique 7 Valeur ajoutée du secteur financier en % du PIB

OCDE Zone euro Etats-Unis Japon Royaume-Uni

11
10
9
8
7
6
5
4
3
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015

Source : B. Cournède, O. Denk et P. Hoeller (2015), Finance and inclusive growth,

OECD Economic Policy Paper, June, n°14.

Une deuxième mesure porte sur le volume des crédits accordé par les

intermédiaires financiers au secteur privé non financier. Le graphique 8 montre

une forte croissance dans tous les pays de l'OCDE depuis les années 1960. En

moyenne, les crédits ont plus que triplé en pourcentage du PIB.

43
Graphique 8 Crédit intermédié en % du PIB

OCDE Zone euro Etats-Unis Japon Royaume-Uni

250

200

150

100

50

0
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015

Source : B. Cournède, O. Denk et P. Hoeller (2015), op. cit.

Un troisième indicateur porte sur les marchés financiers. Il concerne la

capitalisation boursière en pourcentage du PIB (Graphique 9). Depuis le début

des années 1970, ce ratio a fluctué au gré des crises boursières qui ont affecté les

pays de l'OCDE (krach d'octobre 1987 ; éclatement de la bulle financière au

Japon au début des années 1990 ; éclatement de la bulle internet au début des

années 2000 ; crise financière globale de 2008-2009).

Graphique 9 Capitalisation boursière en % du PIB

OCDE Zone euro Etats-Unis Japon Royaume-Uni

Source : B. Cournède, O. Denk et P. Hoeller (2015), op. cit.

44
Une littérature plus récente souligne quant à elle les effets potentiellement

négatifs liés à un secteur financier de taille importante :

- la mauvaise allocation des capitaux liés à la présence de distorsions fiscales (par

exemple, le financement par la dette est fiscalement plus avantageux que le

financement par actions), aux subventions implicites liées au principe du too big

to fail et à l'opacité de certains mécanismes de financement qui rend

l'identification du risque plus difficile ;

- l'attraction de salariés qualifiés vers des activités peu productives au détriment

des secteurs dotés d'une productivité élevée porteuse de croissance future ;

- la présence de cycles financiers d'ampleur importante aux conséquences

déstabilisatrices importantes sur l'économie réelle ;

- l'accentuation des inégalités au sein des économies.

Une importante littérature s'est développée au début de la décennie 2010 ayant

pour résultat commun de montrer que, dans les pays en développement et dans

les pays avancés, un accroissement du secteur financier est lié à une croissance

plus élevée pour de bas niveaux de développement financier. Cette littérature

souligne qu'au fur et à mesure que le secteur financier s'accroît en taille, l'effet

positif sur la croissance diminue. Il devient même négatif lorsque les crédits au

secteur non financier en pourcentage du PIB dépasse les 90 %.

Cournède et Denk (2015) ont étudié un échantillon de 32 pays de l'OCDE et du

G20 entre 1070 et 2011. Ils identifient la présence d'une relation non linéaire

entre taille du secteur financier et croissance, mais celle-ci diffère selon la nature

de la relation financière. Si on considère dans un premier temps la question de la

non-linéarité, les auteurs trouvent que le seuil au-delà duquel la taille du secteur

45
financier nuit à la croissance est de 100 %. En faisant l'hypothèse que ce seuil est

commun à tous les pays de l'OCDE, le graphique 10 montre que ce seuil est

franchi pour 21 pays dans le cas de l'intermédiation de crédit et pour seulement 8

pays en ce qui concerne la capitalisation boursière.

Graphique 10 Intermédiation de crédit et capitalisation boursière en % du PIB

Source : Cournède et Denk (2015).

Les résultats de Cournède et Denk suggèrent que la relation entre taille du

secteur financier et croissance du PIB par tête diffère selon la nature de la

relation financière. Plus précisément, si on observe une relation négative entre

croissance du PIB par tête et valeur ajoutée du secteur financier (avec un

coefficient de corrélation de - 18 %) (Graphique 11, partie gauche), on voit que la

relation négative est forte si on considère l'indicateur crédit en % du PIB (- 33 %,

Graphique 11 partie centrale) alors qu'elle est positive avec l'indicateur

capitalisation boursière en % du PIB (+ 21 %).

46
Graphique 11 La relation bivariée entre la taille du secteur financier et la

croissance du PIB par tête

Valeur ajoutée du secteur financier Crédit intermédié en % du PIB Capitalisation boursière en % du PIB

Source : Cournède et Denk (2015).

Comme il est habituel de procéder dans ce type de littérature, les auteurs

intègrent dans leur régression des variables de contrôle qui sont autant de

variables exerçant une influence sur le taux de croissance du PIB par tête (stock

de capital humain, investissement brut et taux de croissance de la population

active). Ils trouvent aussi qu'un financement trop important de l'investissement

immobilier exerce une influence négative sur la croissance du PIB par tête. En

moyenne, l'investissement résidentiel représente 24 % de l'investissement total

dans les pays de l'OCDE. Or, ce type d'investissement a une faible productivité.

Selon Cournède et Denk, une augmentation de 10 % du ratio crédit / PIB

augmenter de 0,4 points de pourcentage la part de l'investissement résidentiel

dans le total de l'investissement. Ce résultat est une des explications au fait

qu'une croissance importante de la taille du secteur financier mesuré par le ratio

crédit / PIB exerce une influence négative sur la croissance du PIB par tête qui

est particulièrement forte.

D'autres explications peuvent être avancées : (i) une déréglementation financière

excessive, (ii) une émission de crédit par les banques en progression plus rapide

47
que par les autres intermédiaires, (iii) les garanties des pouvoirs publics sur les

établissements d’importance systémique (TBTF), (iv) une moindre qualité du

crédit et (v) une augmentation du crédit aux ménages nettement plus forte que

celle du crédit aux entreprises.

Cournède et Denk (2015) cherchent aussi à voir dans quelle mesure il peut

exister une différence entre crédit bancaire et crédit non bancaire du point de vue

de la relation avec la croissance du PIB par tête. En faisant une telle distinction,

ils trouvent que les pays dans lesquels le crédit bancaire tend à être le plus

important sont aussi ceux qui ont les performances relatives en termes de

croissance les plus faibles.

Le graphique 12, issu d'une étude de Cecchetti et Kharroubi (2015), montre la

relation entre la croissance de l'emploi dans le secteur financier et la croissance

de la productivité du travail dans l'économie. Un résultat frappant est la

présence d'une relation négative entre les deux variables.

Graphique 12 Relation entre croissance de l’emploi dans le secteur financier et

croissance de la productivité du travail

Pays de l'échantillon : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée du sud,


Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Irlande, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle-
Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suisse et Suède.

Source : Cecchetti et Kharroubi (2015).

48
Cecchetti et Kharroubi (2015) proposent un modèle théorique dans lequel la

croissance exogène du secteur financier réduit la croissance de la productivité

totale des facteurs, ce qui, à long terme, pénalise le rythme de croissance. En

effet, d’une part, le secteur financier tend à préférer les projets de financement à

garanties élevées mais à faibles productivités tel que le secteur de la

construction. D’autre part, il existe une compétition entre le secteur financier et

le secteur industriel pour capter les salariés qualifiés. Ces derniers améliorent la

capacité à prêter du secteur financier alors qu’ils contribuent à la hausse de la

productivité dans le secteur industriel. En conséquence, à chaque fois que le

secteur financier emploie une unité supplémentaire de salariés qualifiés, cela

produit une externalité négative pour l’autre secteur. En utilisant des données

microéconomiques liées à l’industrie manufacturière concernant 15 pays avancés

de l’OCDE, les auteurs montrent que l’expansion du secteur financier tend à se

faire au détriment de l’industrie. L’Allemagne a connu la croissance du secteur

financier la plus faible alors que l’Espagne a connu l’expansion la plus

importante. Cette thématique en train d’émerger soulève la question de

l’articulation entre la sphère financière et la sphère réelle et, plus largement,

celles de l’utilité et de la taille acceptable de la sphère financière dans les

économies avancées.

La relation entre inégalités de revenu et taille du secteur financier n'est pas

univoque. Il existe en effet certains canaux par lesquels le développement

financier peut participer à la réduction des inégalités de revenus. C'est par

exemple le cas lorsque le développement financier s'accompagne d'une réduction

de la contrainte de crédit au sein de l'économie. Or, ce sont les ménages les plus

49
pauvres qui pâtissent davantage des difficultés d'accès au crédit. En conséquence,

lorsque la contrainte de crédit diminue, cela permet à des ménages plus pauvres

d'effectuer des investissements avec un potentiel de rendement élevé (par

exemple l'investissement dans l'éducation. Un tel canal n'est pas observé dans les

données microéconomiques des ménages au sein de la zone euro. Plus

précisément, on ne voit aucun lien entre l'importance du crédit en % du PIB et la

part de ces crédits allant vers les ménages aux plus faibles revenus.

Il est possible que le développement financier réduise les inégalités de revenus

par un canal plus indirect consistant à encourager le travail sans le secteur

formel. La littérature suggère que ce canal de transmission est observé dans les

pays en développement. La taille plus réduite de l'économie informelle dans les

pays avancés permet de supposer que ce canal y est moins important.

Cependant, un développement financier plus important peut aussi conduire à une

augmentation des inégalités de revenus. Un canal possible repose sur le fait que

les ménages ayant déjà les revenus les plus élevés bénéficient le plus de

l'expansion de la taille du secteur financier en raison de l'accès à des sources de

financement moins coûteuses. Une telle relation est d'autant plus probable que ce

sont les ménages les plus riches qui sont en capacité d'offrir aux prêteurs les

garanties (collatéraux) les plus sûres (sûrs). Les données microéconomiques sur

la zone euro montrent que les ménages aux revenus bas ou moyens rencontrent

de plus grandes difficultés à accéder à des crédits. Plus précisément, 55 % des

ménages situés dans les 20 % (quintile) des ménages les moins riches rencontrent

des difficultés d'accès au crédit contre seulement 16 % pour les ménages situés

50
dans les 25 % des plus riches. Les enquêtes suggèrent que ce n'est pas à travers

le taux d'intérêt que s'exprime cette contrainte.

Un autre canal par lequel un accroissement de la taille du secteur financier

contribue à davantage d'inégalités de revenus concerne les rémunérations

(Fournier et Koske (2012) pour les pays de l'OCDE, Godechot (2012) pour la

France et Philippon et Reshef (2012) pour les Etat-Unis)14. Au sein de l'Union

européenne les employés du secteur financier tendent à se concentrer dans la

distribution haute des revenus.

Au cours des trente dernières années, l'augmentation du ratio crédit / PIB et du

ratio capitalisation boursière / PIB sont toutes deux associées à un accroissement

des inégalités de revenus au sein des pays de l'OCDE. Il convient de souligner

que l'impact de la capitalisation boursière sur les inégalités de revenu est sans

doute sous-évalué du fait de la non prise en compte des gains en capital liés à la

détention d'actions par les ménages.

14Fournier, J.-M. and I. Koske (2012), « The determinants of earnings inequality: evidence from
quantile regressions », OECD Journal: Economic Studies.
Godechot, O. (2012), « Is finance responsible for the rise in wage inequality in France? », Socio-
Economic Review, Vol. 10, Issue 3.
Philippon, T. and A. Reshef (2012), « Wages and human capital in the US finance industry: 1909-
2006 », Quarterly Journal of Economics, Vol. 127, Issue 4.
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