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Alternatives Managériales et Economiques

E-ISSN : 2665-7511
https://revues.imist.ma/?journal=AME

RAJOUANI / Revue AME Vol 2, No1 (Janvier, 2020) 95-113

Le comportement des analystes financiers de la bourse de Casablanca :


Une étude descriptive, RAJOUANI, B.*
* Professeur Assistant, Ecole Supérieure de Technologie, Université Moulay Ismail, Meknès,
bouchrarajouani@yahoo.fr.

Date de soumission : 24/12/2019 Date d’acceptation : 25/01/2020

Résumé :

Pour les adeptes de la finance classique, les marchés financiers sont efficients et les agents ont un
comportement rationnel. Contrairement à la théorie financière classique, fondée sur la rationalité
des agents économiques, la finance comportementale propose une vision plus pragmatique des
marchés s’appuyant notamment sur la psychologie. Sur les marchés financiers, l’imitation semble
être à l’origine de comportements moutonniers qui font diverger les cours des valeurs
fondamentales. La finance comportementale justifie ce phénomène par l’existence d’agents ayant
une rationalité limitée et n’étant pas en mesure de traiter l’ensemble de l’information disponible.

L’objet de ce papier est d’étudier le comportement des analystes financiers opérant dans les
sociétés de bourse à Casablanca. Elle cherche à apporter des éléments de réponse aux principales
questions suivantes :
1- Les analystes financiers de la bourse de Casablanca sont-ils rationnels comme le postule la théorie
financière classique ?
2- Sont-ils au contraire irrationnels et commettent des biais comportementaux, comme le soutient
la théorie de la finance comportementale ? Si oui, quels sont les manifestations de l’irrationnalité
des analystes financiers de la bourse de Casablanca ?

La recherche est présentée en deux points :


- le premier point, de nature théorique, définit l’analyse financière et présente le comportement
des analystes financiers en finance classique et en finance comportementale ;
- le second point, de nature empirique, sera consacré à l’examen du comportement des analystes
financiers de la bourse de Casablanca.

Les résultats de notre étude montent que, contrairement à ce que soutient la finance classique et
conformément à ce qu’avance la finance comportementale, les analytes financiers de la bourse de
Casablanca ne sont pas rationnels. Ils n’utilisent pas toute l’information dont ils disposent, sont
optimistes, sur-confiants et mimétiques.

Mots clés : Analyse financière, finance classique, finance comportementale, optimisme, mimétisme.

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The Behavior of Financial Analysts on the Casablanca Stock Exchange:
A Descriptive Study

Abstract :

For the followers of classical finance, financial markets are efficient and agents behave rationally.
Contrary to classical financial theory, which is based on the rationality of economic agents,
behavioural finance offers a more pragmatic vision of markets, based in particular on psychology.
In financial markets, imitation seems to be at the origin of sheep-like behaviour that causes prices
to diverge from fundamental values. Behavioural finance justifies this phenomenon by the existence
of agents with limited rationality and unable to process all the available information.

The purpose of this paper is to study the behaviour of financial analysts operating in brokerage firms
in Casablanca. It seeks to provide answers to the following main questions:
1- Are the financial analysts of the Casablanca Stock Exchange rational as postulated by the classical
financial theory?
2- On the contrary, are they irrational and do they commit behavioral biases, as the theory of
behavioral finance maintains? If so, what are the manifestations of the irrationality of financial
analysts on the Casablanca Stock Exchange?

The research is presented in two points:


- The first point, of a theoretical nature, defines financial analysis and presents the behaviour of
financial analysts in classical and behavioural finance;
- the second point, of an empirical nature, will be devoted to the examination of the behaviour of
financial analysts of the Casablanca Stock Exchange.

The results of our study show that, contrary to what classical finance argues and in line with what
behavioural finance argues, the financial analysts of the Casablanca Stock Exchange are not rational.
They do not use all the information at their disposal, are optimistic, over-confident and mimetic.

Keywords: Financial analysis, classical finance, behavioural finance, optimism, mimicry.

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Introduction :

Pour les tenants de la finance classique, les marchés financiers sont efficients et les agents ont un
comportement rationnel. L’efficience donne une place importante à la valeur fondamentale de
l’actif financier. Celle-ci sert d'ancre au marché, lequel ne peut s'en détacher durablement.

L'évolution des marchés financiers durant ces dernières années semble être en rupture avec
l'approche classique de la finance. Les variations des cours autour de la valeur fondamentale ne sont
pas aléatoires, mais sont, en revanche, de grande amplitude. L’émergence des diverses crises et,
notamment, les événements survenus sur les places financières au moment du déclenchement de
la crise des subprimes1 en 20082 ont offert l’exemple le plus flagrant des insuffisances de la théorie
de la finance standard.

La finance comportementale est une nouvelle approche des marchés financiers qui a vu le jour, au
moins en partie, en réponse aux difficultés rencontrées par le paradigme traditionnel. La théorie
s’est développée dans les années 1990, même si d’après AFTALION3, dès le 19ème siècle, des travaux
ont tenté d’introduire une dimension psychologique dans l’étude des marchés financiers 4 . Elle
soutient que certains phénomènes financiers peuvent être mieux compris en se basant sur des
modèles dans lesquels les acteurs des marchés financiers ne sont pas totalement rationnels.

L’objet de cet article est d’étudier le comportement des analystes financiers opérant dans les
sociétés de bourse à Casablanca. Elle cherche à apporter des éléments de réponse aux principales
questions suivantes :
1- Les analystes financiers de la bourse de Casablanca sont-ils rationnels comme le postule la
théorie financière classique ?
2- Sont-ils au contraire irrationnels et commettent des biais comportementaux, comme le
soutient la théorie de la finance comportementale ? Si oui, quels sont les manifestations de
l’irrationnalité des analystes financiers de la bourse de Casablanca ?

1
Le terme de ‘‘subprime’’ désigne la note, la ‘‘cote’’, attribuée à des emprunteurs qui présentent un risque
élevé de ne pas pouvoir rembourser leur crédit immobilier, tout simplement parce que leurs revenus sont
faibles (l'emprunteur fiable étant dits ‘‘prime’’). Voir à ce sujet LACOSTE O., 2009, Comprendre les crises
financières, Eyrolles, Paris, p. 49.
2
Entre autres, soulignons la chute de la banque Lehmann Brothers le 15 Septembre 2008.
3
AFTALION F., 2004, Que nous apprend la finance comportementale ?, Etat de l’art sur la recherche en finance
comportementale, Université Paris Dauphine et Institut Europlace de Finance.
4
BENCHEMAM F., 2009, La Gestion des Ressources Humaines dans l’industrie de l’investissement
institutionnel : Le cas des analystes financiers français sell-side, Doctorat en Sciences de Gestion,
Université Paris-Est, pp. 124-125.

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Sur le plan méthodologique, nous allons commencer par cerner, théoriquement, le comportement
des analystes financiers en finance classique d’abord et en finance comportementale ensuite ; après
quoi, nous allons présenter et commenter les résultats de notre étude comportementale descriptive
réalisée auprès de trente analystes financiers travaillant pour le compte des sociétés de bourse à
Casablanca.

La recherche sera donc structurée en deux axes :


- le premier axe, de nature théorique, définit l’analyse financière et présente le comportement des
analystes financiers en finance classique et en finance comportementale ;
- le second axe, de nature empirique, sera consacré à l’examen du comportement des analystes
financiers de la bourse de Casablanca.

1. Le comportement des analystes financiers : les explications théoriques

1.1. Le métier d’analyste financier

Les analystes financiers sont une catégorie d’acteurs qui ont une importance cruciale sur les
marchés financiers. C’est en 1934 dans ‘‘Security Analysis’’ que GRAHAM et DODD5 présentent la
première étude approfondie sur les analystes financiers. L’analyste financier se voit assigner trois
fonctions : description (des faits relatifs à une valeur financière), sélection (des valeurs en fonction
de leurs mérites propres) et critique (des données financières qui lui sont présentées). L’analyste
financier a été progressivement reconnu comme pourvoyeur d’informations et réducteur de
l’asymétrie informationnelle. Son utilité économique et sociale est de rendre les marchés financiers
plus efficients, c'est-à-dire rendre les cours boursiers aussi proches que possible de leur valeur
fondamentale. Son rôle a, cependant, souvent été circonscrit à des prévisions de résultats et à des
formulations de recommandations.

Selon la loi française sur la Sécurité Financière (loi du 1er août 2003), « exerce une activité d’analyse
financière toute personne qui, à titre de profession habituelle, produit et diffuse des études sur les
personnes morales faisant appel public à l’épargne, en vue de formuler et de diffuser une opinion
sur l’évolution prévisible desdites personnes morales et, le cas échéant, sur le prix des instruments
financiers qu’elles émettent »6.

5
GRAHAM B. et DODD D., 1934, Security Analysi, Mc Graw Hill Inc, New York.
6
Cette définition, avancée par la loi française sur la Sécurité Financière en 2003, constitue la première
définition juridique de la profession d’analyste financier.

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L’activité d’analyse financière peut s’exercer dans différentes structures financières (sociétés de
courtage ou brokers, banques d’affaires…) et à destination de différents acteurs. C’est pourquoi une
typologie du métier d’analyste financier est souvent proposée en distinguant, d’une part, les
analystes actions des analystes crédits et, d’autre part, les analystes sell-side des analystes buy-side.

Les analystes actions sont chargés d’apprécier les performances et la stratégie d’une entreprise afin
d’établir une recommandation (d’achat, de vente ou de conservation de titres) fondée
principalement sur les prévisions des performances futures. D’un côté, les analystes actions sell-side
travaillent pour les sociétés de courtage et émettent des recommandations à l’intention des clients
de ces sociétés. Les flux de transactions réalisés par les sociétés de bourse seront donc liés aux
recommandations rédigées par les analystes sell-side. De l’autre côté, les analystes buy-side,
employés par des investisseurs institutionnels, conseillent les gérants de portefeuilles. A priori, les
analystes buy-side sont moins exposés aux pressions d’ordre commercial. Les analystes buy side
font souvent pâle figure à côté des stars sell-side et leur rémunération moyenne est 2 à 4 fois
inférieure.

De nos jours, le rôle des analystes financiers consiste à fournir des prévisions et des
recommandations d’achat et/ou de vente de titres au marché, et en particulier, aux investisseurs
(notamment aux gérants de portefeuille). Ainsi, ils collectent des informations auprès de différentes
sources pour les interpréter, les retraiter et les restituer de manière synthétique et intelligible, afin
de permettre aux investisseurs de prendre les meilleures décisions d’investissement.

1.2. L’analyste financier en finance classique

La description de l’individu dans le modèle de la rationalité parfaite s’apparente à un génie prenant


ses décisions dans un monde simplifié. « Le décideur contemple et comprend de manière immédiate
tout ce qui s’offre à lui. Il accède à l’ensemble des alternatives de choix possibles, non seulement
dans le présent, mais également dans le futur. Il comprend les conséquences de chacune des
stratégies de choix possibles, au point d’être capable d’assigner des distributions de probabilité aux
états du monde futurs. Il a confronté ou concilié toutes ses valeurs partielles contradictoires, et les
a synthétisées dans une fonction d’utilité unique, qui ordonne tous les états du monde futur, selon
ses préférences »7.

7
SIMON H. A., 1983, Administration et processus de décision, Economica, Traduction de ‘‘Administration
Behavior ’’, 1947.

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Substantiellement rationnel, l’individu est doté de capacités cognitives illimitées dans l’élaboration
de la réalité, qu’elle soit exacte ou probabiliste. Il est en possession de toutes les capacités
nécessaires au traitement de l’information et est capable d’anticiper toutes les conséquences
possibles de ses actions et les classer par ordre de préférences. Son critère de décision est alors le
calcul, ou plus précisément l’optimisation du résultat, c'est-à-dire les conséquences de sa décision.

Son programme consiste donc à maximiser un objectif, fonction de son intérêt personnel, sous des
contraintes qui lui sont exogènes, c'est-à-dire imposées par le monde extérieur.
Unité de décision autonome, la conduite de l’agent n’est pas conditionnée par des habitudes
sociales consciemment ou inconsciemment assimilées. Les choix des autres sont sans effet sur son
comportement (indépendance des fonctions de préférence). L’homme rationnel est en effet celui
qui calcule, qui opère des choix réfléchis conduisant à l’obtention d’une satisfaction la plus élevée
possible obtenue avec un minimum d'efforts et de sacrifices.

L’hypothèse de l’efficience des marchés, à la base de la finance classique, repose sur la rationalité
des individus. Elle estime que dans un marché suffisamment large où l’information se répand
instantanément, les agents rationnels réagissent correctement et quasi-instantanément aux
informations. L’ensemble des agents disposeraient alors des mêmes informations au même
moment sur les données fondamentales de l’économie et du marché financier dans son ensemble.

On dit que les marchés sont efficients dans la mesure où les prix des actifs cotés sont uniquement
le reflet des anticipations qu’ont les investisseurs de leurs revenus futurs. Dès lors, le prix observé
sur le marché est égal à la valeur fondamentale. Partant de ce principe, il n’existerait pas de
distorsion ou d’asymétrie dans la diffusion de l’information.

Le marché serait donc porteur de toutes les informations nécessaires permettant ainsi aux acteurs
de prendre leur décision et il est aussi révélateur de l’évolution future des cours.
Si la théorie des marchés efficients est acceptée, le travail des analystes doit être considéré comme
inutile. Puisque leur rôle consiste à déceler les situations dans lesquelles le marché ne donne pas
son prix correct à un titre (situations d’inefficience), pour en tirer des recommandations ; en
situation d’efficience, celui qui est le plus à même de vaincre les forces obscures du temps, ce serait
le marché lui-même, car il incorpore toute l’information pertinente disponible.

Ainsi, une conséquence importante de l’hypothèse d’efficience des marchés porte sur l’existence
même de l’analyse financière. C’est l’analyse technique qui est la plus violemment remise en cause

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par les défenseurs de l’efficience des marchés. Ainsi, si le modèle de marche au hasard est une
description acceptable de la réalité, le travail du chartiste, comme celui de l’astrologue, ne présente
aucun intérêt pour l’analyse du marché boursier.

S’agissant du rôle de l’analyse fondamentale, la contestation est moins forte. En effet, même les
économistes classiques les plus convaincus reconnaissent qu’il peut exister temporairement des
inefficiences de marchés. Des analystes professionnels étudiant la valeur intrinsèque d’un titre
peuvent donc déceler des écarts de cours et en tirer profit. En agissant ainsi, ils contribuent au bon
fonctionnement du marché car ils font disparaître ces écarts et font ainsi converger le prix du titre
vers sa valeur fondamentale : ils rendent le marché plus efficient.

La justification théorique des analystes financiers est difficile à établir dans le cadre de marchés
efficients où règne déjà une information parfaite. La preuve de leur existence se fera dans le cadre
d’une information imparfaite.

La contribution des analystes financiers au bon fonctionnement du marché financier, c’est-à-dire à


son efficience, vient du fait qu’ils contribuent, grâce à ce travail informatif auprès des investisseurs,
à réduire l’écart entre la valeur d’un titre et le prix exprimé sur le marché, permettant de faire tendre
ce prix vers sa valeur fondamentale.

Certains analystes sont meilleurs s’ils recueillent mieux l'information ou même disposent
d’informations privilégiées, ou s’ils retraitent mieux l’information. Plus un analyste est bon, plus il
aura de clients (investisseurs). Au fil du temps, les meilleurs analystes réalisent de plus en plus de
transactions, ajustant ainsi l’égalité : prix (ou cours) = valeur. « S’il y a un grand nombre d’analystes
compétents, ils aideront à réduire les écarts entre les valeurs intrinsèques des actions et leurs cours
» (JACQUILLAT et SOLNIK, 1997). Ainsi, la présence de nombreux analystes compétents rend le
marché plus efficient.

Par ailleurs, la théorie de l’agence reconnaît explicitement un rôle aux analystes financiers. En effet,
JENSEN et MECKLING (1976) estiment que les analystes financiers ont une fonction de surveillance.
Leur efficacité ne peut se mesurer par de meilleurs rendements, mais ils peuvent être socialement
productifs s’ils contribuent à « réduire les coûts d’agence associés à la séparation de la propriété et
de la gestion de l’entreprise ». Pour JENSEN, les coûts d’agence peuvent être réduits par la
distribution de dividendes ou davantage de dette, l’ajustement pouvant être facilité par la
surveillance des analystes financiers et des banquiers d’affaires. Cette hypothèse est testée par

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DOUKAS et Al. (2000) qui trouvent, sur la période 1988-1994, un lien positif entre le nombre
d’analystes suivant une société et sa valeur boursière. Selon ces auteurs, l’analyse financière a un
impact positif sur la valeur d’entreprise, par la surveillance exercée sur les comportements des
dirigeants et en réduisant les asymétries informationnelles entre ces derniers et les investisseurs8.

D’une approche très négative (l’astrologue de Fama), la théorie est passée à une vue plus nuancée
des analystes financiers où l’existence d’une catégorie d’agents facilitant la compréhension et la
diffusion d’une information financière fiable ne peut qu’être regardée avec faveur.

Cette vision normative, inspirée de la théorie, est aussi idéale que pouvait l’être l’hypothèse
d’efficience des marchés. Les analystes financiers n’ont pas alerté les investisseurs sur la réalité de
la situation financière d’Enron, ni empêché la formation de la bulle Internet – sans doute même
l’ont-ils alimentée.

1.3. Le comportement des analystes financiers en finance comportementale

L'évolution des marchés financiers durant ces dernières années semble être en rupture avec
l'approche classique de la finance. Les variations des cours autour de la valeur fondamentale ne sont
pas aléatoires, mais sont, en revanche, de grande amplitude. L’émergence des diverses crises et,
notamment, les événements survenus sur les places financières au moment du déclenchement de
la crise des subprimes en 2008 ont offert l’exemple le plus flagrant des insuffisances de la théorie
de la finance standard.

La pensée économique est traversée depuis une quinzaine d’année par le courant de l’économie
comportementale, plus précisément la finance comportementale, dont l’influence s’est beaucoup
accrue au sein du monde académique et, surtout, au sein des sphères gouvernementales (Tinel B.,
2019). Prenant une place croissante dans la théorie financière, la finance comportementale, dont le
champ d'analyse s'est largement étendu au cours des dernières années, propose de revisiter les
comportements des acteurs des marchés financiers en introduisant la dimension humaine dans de
tels comportements. En effet, contrairement à la théorie financière classique fondée sur la
rationalité des agents économiques, la finance comportementale propose une vision plus
pragmatique des marchés s’appuyant notamment sur la psychologie. Sur les marchés financiers,
l’imitation semble être à l’origine de comportements moutonniers qui font diverger les cours des

8
JENSEN M.C., 1968, The performance of mutual funds in the period 1945-64, Journal of Finance, pp. 323-
347.

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valeurs fondamentales. La finance comportementale tend à justifier ce phénomène par l’existence
d’acteurs ayant une rationalité limitée et n’étant pas en mesure de traiter l’ensemble de
l’information disponible. Ces investisseurs se contenteront alors de suivre les autres.
Selon les chercheurs en psychologie, les individus, confrontés à un choix complexe, opèrent des
simplifications ou des raccourcis de raisonnement. Les décisions prises sont alors régies par des
règles simplifiées (ou heuristiques). Face à des choix, l’utilisation de ces heuristiques conduit les
individus à des comportements parfois éloignés de ce que prédit la théorie des probabilités, et à la
réalisation des erreurs dans l’interprétation de l’information. Ces déviations sont qualifiées de biais
et les individus sont considérés comme victimes des biais psychologiques ou cognitifs.

Sur le marché financier, les travaux en finance comportementale montrent qu’émotions et erreurs
cognitives peuvent influer les analystes et se solder par des erreurs de jugements et donc par de
mauvaises recommandations établies par eux.

Selon les théoriciens de la finance comportementale, les acteurs boursiers sont optimistes et ont
tendance à être sur-confiants.

1.3.1- Optimisme et erreurs de prévisions des analystes

Les chercheurs ont montré que les prévisions des analystes sont généralement optimistes. Les
auteurs expliquent que les raisons de cet optimisme sont d’une part rationnelle et d’autre part
comportementale.

• Optimisme rationnel :

Pour certains auteurs, l’optimisme est qualifié de rationnel dans la mesure où il provient des conflits
d’intérêts auxquels sont exposés les analystes. Ainsi, les analystes sont incités à formuler des
prévisions optimistes afin d’entretenir de bonnes relations avec les dirigeants des firmes, comme
fournisseurs primordiaux de l’information. Cette proximité forcée mène les analystes à publier des
estimations particulièrement optimistes concernant les résultats de ces firmes. En outre, les
relations d’affaires entre l’employeur de l’analyste et certaines firmes, peuvent obliger l’analyste à
se montrer plus optimiste en formulant ses prévisions de bénéfices pour les firmes en question.

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Une étude de LIM9 montre que l’optimisme des prévisions de bénéfices est d’autant plus fort qu’il
concerne des sociétés pour lesquelles peu d’informations sont disponibles. L’étude montre aussi
que les analystes de sociétés de courtage plus petites (disposant donc de moindres ressources) et
les analystes moins expérimentés sont plus optimistes, confirmant l’idée que la dépendance vis-à-
vis de la société suivie pour l’accès à l’information pourrait influencer la couverture par l’analyste.
La demande d’information privée augmente lorsque l’incertitude quant aux bénéfices futurs
s’accentue. La bonne relation avec les sociétés clientes facilite l’accès à ces types d’information et,
pour la maintenir, les analystes publient des prévisions qui ne doivent pas déplaire aux dirigeants
de ces firmes.

En cas de forte incertitude informationnelle, les moins bons analystes essaient de suivre les
meilleurs appelés aussi supérieurs, divulguant généralement des prévisions optimistes. Lorsque les
nouvelles sont mauvaises ceux-ci préfèrent s’abstenir et ne pas divulguer des recommandations
portant atteinte à leurs affaires avec les dirigeants. Ce comportement s’appelle l’autocensure et
implique que les analystes préfèrent parfois ne pas publier des recommandations (non favorables)
pour préserver leurs réputations et maintenir les relations entretenues avec les sociétés suivies,
même si ce choix ne leur permet pas de générer de courtages. Cette hypothèse de sélection
implique qu’au niveau du consensus, il ne restera que ceux les plus optimistes qui sont
généralement les analystes supérieurs. L’autocensure est un facteur d’optimisme des analystes
financiers.

• Optimisme comportemental :

Bien que de nombreuses études soutiennent l’idée de la rationalité de l’optimisme des analystes,
un nouveau courant de recherche appréhende l’optimisme en termes de biais comportemental. En
effet, les chercheurs en finance comportementale constatent que les prévisions des analystes ne
sont pas parfaitement rationnelles et sont généralement affectées par des phénomènes de sous- et
surréaction aux nouvelles informations.

Les prévisions des analystes financiers sont régulièrement utilisées par les chercheurs en finance et
par les investisseurs comme estimateurs des anticipations des marchés. Un certain nombre d’études
économétriques montrent qu’en matière de bénéfices, les prévisions des analystes financiers
n’incorporent que partiellement les informations fondamentales. En particulier, DREMAN et

9
LIM T., (2001), Rationality and analysts’ forecast bias, Journal of Finance, vol. 56, n°1, pp. 369-385.

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BERRY 10 montrent que ces prévisions sont globalement optimistes, alors que d’autres études
indiquent des sous-réactions systématiques à l’information (ELLIOT et Al., 1995) 11 . L’étude
empirique menée par EASTERWOOD et NUTT12 tente de réconcilier les deux phénomènes de sous
et surréactions. Les analystes apparaissent optimistes face aux nouvelles informations car ils sur-
réagissent lorsqu’elles sont favorables alors qu’ils sous-réagissent si elles sont défavorables. Ce
comportement semble cohérent avec leurs incitations financières, car la plupart d’entre eux
travaillent pour des sociétés d’investissement dont l’objectif est de promouvoir les entreprises dont
ils suivent l’évolution. En outre, les analystes peuvent également être optimistes car les
informations comptables dont ils disposent peuvent éventuellement être manipulées par les
dirigeants.

Un certain nombre d’études expérimentales réalisées avant les années 1990 ont évalué
l’information utilisée par les analystes en leur demandant d’exprimer à voix haute ce qu’ils
pensaient de l’attrait de plusieurs investissements. Les études plus récentes demandent à des sujets
étudiants d’effectuer des prévisions sur la base d’informations passées et comparent ces valeurs à
celles proposées par les analystes. Les prévisions étant optimistes dans les deux groupes, les auteurs
concluent que le phénomène provient non seulement des incitations, mais aussi de l’utilisation
d’heuristiques par tous les individus.

Pour l’analyste, la recommandation d’achat ou de vente d’un titre se fonde sur l’information
prévisionnelle dont il dispose. La recommandation d’achat s’assimile à une bonne nouvelle sur
l’avenir du titre, alors que la recommandation de vente est jugée comme une mauvaise nouvelle.
Dans le cas où l’analyste est optimiste, son comportement sera caractérisé par une préférence à
donner de bonnes nouvelles, plutôt que de mauvaises. Il aura alors tendance à privilégier les
recommandations d’achat. A l’inverse, si l’analyste est pessimiste, la tendance sera de privilégier
des recommandations de vente.

Les prévisions formulées par les analystes sont caractérisées par les biais à cause des heuristiques
par eux utilisés. Par exemple, en vertu du biais d’ancrage, ils ont tendance à accorder plus
d’importance aux premières informations reçues. Ils leur accordent plus de poids de telle façon que
les nouveaux signaux n’entraînent pas un ajustement suffisant de leurs prévisions. En cas de

10
DREMAN D N. et BERRY M. A., 1995, Analyst Forecasting Errors and their Implications for Security Analysis,
Financial Analyst Journal, Vol. 51, n°3, pp. 30-41.
11
Cités par BROIHANNE M-H et Al., 2004, Finance comportementale ; Economica, Paris, pp. 211-212.
12
EASTERWOOD J. et NUTT S., 1999, Inefficiency in analysts earnings forecasts : Systematic misreaction or
systematic optimism ?, Journal of Finance, 54, pp. 1777−1797.

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publication des nouvelles informations, les analystes ne modifient pas trop leurs prévisions et
restent ancrées aux résultats antérieurs.

1.3.2. L’excès de confiance des analystes financiers

Plusieurs études statistiques ont montré que les individus ont tendance à surestimer la pertinence
de leur connaissance. Selon GRIFFIN et TVERSKY (1992), les agents experts sont plus sur-confiants
que les individus inexpérimentés13.

KORN et LAIRD (1999)14 soulignent que l’excès de confiance est un biais que l’on retrouve chez tous
les experts, et en particulier chez les analystes financiers. Les experts sont peut-être encore plus
sujets à ce biais que les particuliers parce qu’ils disposent d’une information privilégiée, que leur
statut de professionnel rejaillit vraisemblablement sur leur ego et aussi parce qu’il est dans leur
intérêt de transmettre leur confiance. Les experts développent avec le temps des stratégies pour
maintenir intacte leur estime d’eux-mêmes en dépit des erreurs. Ils sont par exemple tentés de
minorer leurs échecs en estimant que leurs prédictions se sont ‘‘presque produites’’ ou en en faisant
porter la responsabilité à des chocs jugés imprévisibles15.

Pour l’approche comportementale, le facteur psychologique joue un rôle majeur et permet


d’expliquer les comportements des acteurs. Sur le marché financier, plus l’analyste financier ou
l’investisseur réussit de transactions (par chance ou par calcul), plus celui-ci aura tendance à
reproduire l’opération toujours à une échelle plus élevée.

Cet optimisme semblera alors justifié aux yeux de nombreux autres intervenants, qui, par
mimétisme observeront une conduite identique. Les analystes seraient exagérément optimistes et
auraient une très grande confiance dans leur jugement. Cette confiance excessive, proviendrait à la
fois d’une attention insuffisante portée aux faits et d’une surestimation de leurs capacités. Ils
auraient en effet tendance à confondre leurs souhaits avec la probabilité d’occurrence d’un
événement.

13
ZAIANE S. et ABAOUB E., 2010, L’excès de confiance des investisseurs individuels : application sur le marché
boursier tunisien, Revue Libanaise de Gestion et d’Economie, N° 4, pp. 4, 5 et 6.
14
Cités par MANGOT M., 2008, Les comportements en bourse : 6 erreurs psychologiques qui coûtent chers,
Gualino éditeur, Paris, p. 52.
15
Ibidem.

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OLSEN 16 établit une relation entre l’optimisme des analystes financiers et le phénomène de
mimétisme. L’existence de biais cognitifs récurrents (sur-confiance en soi, sur-réaction aux
annonces) ou encore l’usage par les agents de modèles mentaux, influencent aussi bien les décisions
des investisseurs, que les analyses réalisées et les conseils donnés par les analystes.
L’économie n’est pas aussi parfaite que celle que décrivaient les auteurs classiques. L’information
n’est pas disponible de manière identique pour tous. Dans ce contexte, l’analyse financière peut
être vue comme « un antidote aux asymétries informationnelles, un modérateur des tentations
opportunistes auxquelles les dirigeants sont exposés et un réducteur du risque moral qui affecte les
investisseurs » (COHEN, 1997).

1.3.3. L’analyste financier face à l’incertitude

Un marché parfaitement efficient d’un point de vue informationnel est une impossibilité. Si le
marché était parfaitement efficient, le produit de la recherche d’information serait nul, et
l’incitation à investir sur la base d’analyses spécifiques disparaîtrait.

Le marché boursier se caractérise par l’incertitude informationnelle. Dans un contexte boursier


incertain, les recommandations des analystes financiers sont fréquemment entourées d’incertitude.
L’orientation du marché est souvent dictée par certains « gourous » ou structures dont la réputation
ne peut laisser indifférents les choix des autres intervenants. Les actions des leaders du marché
boursier sont interprétées par les autres acteurs comme des actions normales, bien plus parfois,
comme des références normatives. Il devient donc légitime d’agir selon cette norme et de ne pas
s’en écarter sous peine de subir des contre-performances. Placés dans cette réalité, les analystes
financiers sont incités à adopter un comportement mimétique.

En effet, dans un contexte boursier incertain, étant donné le relatif déficit informationnel,
l’avantage informationnel dont jouissent les grands acteurs, dits agents supérieurs, et les influences
qu’ils exercent sur les orientations du marché, amènent les analystes inférieurs à être plus réceptifs
et orienter leurs prévisions dans le sens de celles avancées par les « gourous » du marché. Ainsi, en
situation d’incertitude, l’attitude mimétique s’explique par le comportement et l’action des autres
analystes mais aussi par les décisions des agents leaders d’opinion. Ces dernières provoquent une

16
OLSEN R., 1996, Implication of Herding Behavior of Earnings Estimation, Risk, Assessment and Stock
Returns, Financial analysts Journal, juillet-août, pp. 37-41, Cité par VAN LOYE G. et FONTOWICZ L., 2004,
La crédibilité des producteurs d'information : Le cas des analystes financiers, Revue française de gestion,
2004/4, N° 151, pp.81-95.

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réaction mimétique de la part d’un grand nombre d’autres agents qui pensent que ces « stars »
détiennent des informations privilégiées.

2. Le comportement des analystes financiers sur le marché boursier marocain

Au Maroc, le métier d’analyse financière est encore jeune. Il date du milieu des années 1990 et son
apparition a coïncidé avec les réformes introduites au niveau de l’économie et des marchés bancaire
et financier marocains17 ; réformes dont la finalité était de promouvoir les mécanismes de marché
et la finance directe et de dynamiser le marché boursier marocain.

Dans ce qui suit, nous allons présenter les résultats d’une analyse descriptive de données collectées
auprès de 30 analystes financiers employés par des sociétés de bourse à Casablanca. L’étude a eu
lieu via des questionnaires administrés directement auprès des analystes financiers durant les mois
d’octobre, novembre et décembre 2018. Notre objectif étant d’explorer le comportement des
analystes étudiés en situation d’incertitude informationnelle.

2.1- Les sources d’informations utilisées par les analystes enquêtés

Les sources d’informations utilisées par les analystes financiers de la bourse de Casablanca, objet
de notre enquête, sont présentées dans le tableau 1 ci-après :

Tableau 1 : Les sources d’informations utilisées par les analystes


Pas du tout Peu Plutôt Tout à fait Sans
important important important important réponse
% valide

% valide

% valide

% valide
Effectif

Effectif

Effectif

Effectif

Effectif %
%

Documents comptables de l’entreprise 4 13% 50% 0 0% 0% 4 13% 50% 22 73% 73% 0 0%


Rencontres avec le management de l’entreprise 4 13% 13% 0 0% 0% 6 20% 20% 20 67% 67% 0 0%
Valorisations de certains de vos confrères 10 33% 33% 8 27% 27% 8 27% 27% 4 13% 13% 0 0%
Benchmark 8 27% 27% 4 13% 13% 10 33% 33% 8 27% 27% 0 0%
Consensus des analystes financiers 14 47% 47% 4 13% 13% 8 27% 27% 4 13% 13% 0 0%
Total 40 27% 31% 8 11% 13% 18 24% 28% 18 24% 28% 0 0%

Les données du tableau n°1 font apparaitre que les sources d’informations utilisées par les analystes
financiers pour formuler leurs recommandations d’investissements sont les suivantes :
- 26 analystes sur les 30 interrogés déclarent faire appel aux documents comptables de l’entreprise.
Ils affirment aussi rencontrer le management des entreprises suivies et donc disposer d’information
auprès de lui, soit 86,7% ;

17
Il s’agit, entre autres, de la loi sur la privatisation des entreprises publiques, la promulgation d’une nouvelle
loi bancaire en 1993, la création d’un marché des changes interbancaire…

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- 12 analystes font recours aux valorisations des confrères, soit 40% ;
- enfin, 18 analystes et 12 autres avouent, faire appel respectivement au benchmark (60%) et au
consensus des analystes financiers (40%).

Les documents comptables et financiers, en particulier le compte de produits et charges,


apparaissent comme primordiaux pour les analystes financiers, mais ne sont pas bien évidemment
leur seule et unique source d’information. En effet, les analystes étudiés recourent aux évaluations
de leurs confrères, au benchmark et au consensus.

2.2- L’optimisme des analystes financiers

La question qui a été posée aux analystes financiers est la suivante : Les prévisions des analystes
sont-elles généralement optimistes ?

Les réponses avancées par les analystes sont présentées dans le tableau suivant :

Tableau 2 : Le caractère optimiste des prévisions des analystes


Pourcentage Pourcentage
Effectifs Pourcentage
valide cumulé
Pas du tout d'accord 4 13,3 15,4 15,4
Plutôt d'accord 14 46,7 53,8 69,2
Valide
Tout à fait d'accord 8 26,7 30,8 100,0
Total 26 86,7 100,0
Manquante Système manquant 4 13,3
Total 30 100,0

22 analystes financiers parmi les 26 qui ont répondu à cette question considèrent que les prévisions
des analystes sont généralement optimistes, soit 84,6%.
L’optimisme des analystes financiers est l’un des biais comportementaux mis en évidence par la
finance comportementale.

2.3- La sur-confiance des analystes financiers

La question qui a été posée aux analystes financiers est la suivante : Selon vous, les analystes
financiers sont-ils sur-confiants ?

Les réponses avancées par les analystes sont présentées dans le tableau 3 ci-après.

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Tableau 3 : La sur-confiance des analystes financiers
Pourcentage Pourcentage
Effectifs Pourcentage
valide cumulé
Pas du tout d'accord 4 13,3 15,4 15,4
Plutôt en désaccord 6 20,0 23,1 38,5
Valide Plutôt d'accord 6 20,0 23,1 61,5
Tout à fait d'accord 10 33,3 38,5 100,0
Total 26 86,7 100,0
Manquante Système manquant 4 13,3
Total 30 100,0

16 analystes parmi les 26 personnes qui ont répondu à cette question considèrent que les analystes
financiers sont sur-confiants, soit 61,6%.

De la même manière que l’optimisme, la sur-confiance est aussi un biais comportemental souligné
par la finance comportementale.

2.4- L’existence du mimétisme à la bourse de Casablanca

A la question : Pensez-vous qu’il y a du mimétisme sur la bourse de Casablanca ?, les réponses des
analystes sont avancées dans le tableau ci-après.

Tableau 4 : Le mimétisme à la bourse de Casablanca


-
Pourcentage Pourcentage
Effectifs Pourcentage
valide cumulé
Un peu 10 33,3 50,0 50,0
Beaucoup 4 13,3 20,0 70,0
Valide
Enormément 6 20,0 30,0 100,0
Total 20 66,7 100,0
Manquante Système manquant 10 33,3
Total 30 100,0

50% des 20 analystes ayant répondu à cette question déclarent que le mimétisme existe à la bourse
de Casablanca.
En laissant tomber ses propres informations et en imitant l’autre, l’analyste financier cherche à ne
pas se tromper seul, à se conformer à la tendance du marché.

2.5- Comportement de l’analyste en situation d’incertitude

A la question : Dans le cas d’une incertitude totale sur l’évolution d’une valeur ou d’un secteur,
dans le souci de débloquer la situation, vous vous orientez plutôt vers ?, les réponses des analystes
sont présentées dans le tableau 5 en page suivante.

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Tableau 5 : Attitude de l’analyste en situation d’incertitude
Pas du tout Plutôt en Plutôt Tout à fait Sans
d'accord désaccord d'accord d'accord réponse

% valide

% valide

% valide

% valide
Effectif

Effectif

Effectif

Effectif

Effectif
%

%
L’analyste leader d’opinion 0 0% 0% 2 7% 8% 12 40% 50% 10 33% 42% 6 20%
Vos confrères spécialisés dans le
0 0% 0% 4 13% 15% 12 40% 46% 10 33% 38% 4 13%
même secteur
Le consensus 4 13% 15% 8 27% 31% 6 20% 23% 8 27% 31% 4 13%
Votre intuition 12 40% 46% 4 13% 15% 4 13% 15% 6 20% 23% 4 13%
Total 16 13% 16% 18 15% 18% 34 28% 33% 34 28% 33% 18 15%

Des données du tableau 5, on peut avancer les commentaires suivants :


- En situation d’incertitude, 22 analystes sur 24 déclarent s’orienter vers l’analyste leader d’opinion,
soit 91,7% ;
- 22 analystes sur 26 affirment s’orienter vers leurs confrères spécialisés dans le même secteur, soit
84,7% ;
- 14 analystes sur 26 avancent faire appel au consensus, soit 53,9% ;
- 10 analystes sur 26 déclarent s’orienter à leur propre intuition, soit 38%.

En situation d’incertitude informationnelle, les analystes étudiés se tournent vers les autres
analystes censés être mieux informés qu’eux.

2.6- Le comportement mimétique des analystes

A la question : Qu’est ce qui pourrait vous conduire à adopter un comportement mimétique ?, les
réponses des analystes sont présentées dans le tableau suivant :

Des données du tableau 6, découlent les constats suivants :


- 12 analystes sur les 20 qui ont répondu à cette question affirment recourir à l’imitation : (i) en cas
de manque d’informations précises à propos d’une valeur, d’une entreprise ; (ii) en cas d’une crainte
de sanctions du marché s’ils vont à son encontre, et (iii) en cas de volatilité du marché, soit 60% ;
- 10 sur 20 déclarent recourir à l’imitation en cas de pression exercée par leurs clients en quête de
rentabilité ;
- 8 sur 20 affirment recourir à l’imitation en cas : (i) de pression exercée par leurs employeurs en
quête de résultats et (ii) parce qu’ils pensent que le prix est le résultat du comportement
majoritaire ;

Revue ame, Vol 2, No 1 (janvier, 2020) 95- 113 Page 111


- 6 sur 20 déclarent recourir à l’imitation en cas de contrainte de temps à consacrer à l’analyse
fondamentale.
Si les causes du recours à l’imitation diffèrent d’une catégorie d’analystes à une autre, tous les
analystes sont d’accord pour avouer avoir recours à l’imitation.

Tableau 6 : Les causes du comportement mimétique


Pas du tout Plutôt en Plutôt Tout à fait Sans
d'accord désaccord d'accord d'accord réponse

% valide

% valide

% valide

% valide
Effectif

Effectif

Effectif

Effectif

Effectif
%

%
Un manque d’informations précises à propos
4 13% 20% 4 13% 20% 2 7% 10% 10 33% 50% 10 33%
d’une valeur, d’une entreprise
Une crainte de sanctions du marché si vous allez
4 13% 20% 4 13% 20% 8 27% 40% 4 13% 20% 10 33%
à son encontre
Une pression exercée par vos clients en quête
6 20% 30% 4 13% 20% 6 20% 30% 4 13% 20% 10 33%
de rentabilité
Une pression exercée par votre employeur en
4 13% 20% 8 27% 40% 2 7% 10% 6 20% 30% 10 33%
quête de résultats
Une contrainte de temps à consacrer à l’analyse
8 27% 40% 6 20% 30% 2 7% 10% 4 13% 20% 10 33%
fondamentale
Vous pensez que le prix est le résultat du
6 20% 30% 6 20% 30% 4 13% 20% 4 13% 20% 10 33%
comportement majoritaire
La volatilité du marché 4 13% 20% 4 13% 20% 4 13% 20% 8 27% 40% 10 33%
Total 36 17% 26% 36 17% 26% 28 13% 20% 40 19% 29% 70 33%

Conclusion et perspective :

Cet article s’est penché sur le comportement des analystes financiers en situation d’incertitude
informationnelle. Après avoir défini l’analyse financière et présenté le comportement des analystes
en finance classique et en finance comportementale, elle a présenté et commenté les résultats
d’une analyse descriptive des données collectées auprès d’analystes financiers des sociétés de
bourse à Casablanca.

La finance classique, basée sur l’efficience du marché et le comportement rationnel des acteurs
boursiers, consacre très peu de place au rôle des analystes financiers. De tels experts ne sont
intégrés dans le modèle classique qu’en situation d’inefficience, qui constitue l’exception.
Pour la finance comportementale, les analystes financiers, qui un rôle déterminant dans le
fonctionnement du marché boursier, ne sont pas rationnels et sont sujets de biais
comportementaux, tels que l’optimisme, l’excès de confiance et le mimétisme.

Les résultats de notre étude montent que, contrairement à ce que soutient la finance classique et
conformément à ce qu’avance la finance comportementale, les analytes financiers de la bourse de

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Casablanca ne sont pas rationnels. Ils n’utilisent pas toute l’information dont ils disposent, sont
optimistes, sur-confiants et mimétiques. Ainsi, l’optimisme et la sur-confiance les conduisent à
surestimer leurs capacités à formuler des recommandations qui devraient se traduire en termes de
meilleures performances boursières pour les gérants qui les utilisent. De même, en situation de flou
informationnel et d’incertitude, les analystes financiers enquêtés sont mimétiques et font appel aux
valorisations de leurs confrères supposés détenir des informations privilégiées. La finance
conventionnaliste montre, qu’en situation d’incertitude informationnelle, l’imitation de l’autre
supposé être mieux informé est un comportement parfaitement rationnel (rationalité mimétique).

Bibliographie :
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