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INTRODUCTION GENERALE
L’hypothèse de rationalité parfaite des agents économiques est discutée dès les
années 1950 avec les travaux de Simon (1955). Pour lui, la rationalité est limitée
et les décisions prises sont contingentes des informations dont dispose le
décideur et de sa capacité à les interpréter. Ces ressources cognitives limitées
impliquent l’utilisation de raccourcis et heuristiques afin de pouvoir prendre des
décisions plus aisément. Tversky et Kahneman (1975) mettent en exergue trois
heuristiques utilisées couramment dans les recherches ultérieures propres aux
différents champs de recherche : l’heuristique de disponibilité, celle
d’ancrage et celle de représentativité. Ainsi, la déviation entre la décision
prise et la décision rationnelle peut trouver son origine dans ces schémas de
pensées et biais de comportement.
En analysant les impacts liés aux dirigeants, pour les entreprises, la littérature
met en lumière un effet notable de certaines de leurs caractéristiques. Si l’âge, la
formation ou les expériences professionnelles peuvent influer sur les décisions
des dirigeants (Bertrand et Schoar, 2002 ; Ben Mohamed et al., 2014a ; Hu et
Liu, 2015), il nous semble également important d’explorer les effets possibles
des biais de comportement sur les décisions des dirigeants. Or, les travaux en
comptabilité ont peu exploré ces pistes de recherches. Dans ce travail doctoral,
qui s’inscrit dans la lignée des recherches comportementales, nous nous
proposons d’analyser le biais de surconfiance des dirigeants. La finance
comportementale étudie ce biais chez les investisseurs et les recherches en
entrepreneuriat l’analysent chez les entrepreneurs. Il nous semble que les
dirigeants constituent une autre population intéressante à étudier concernant ce
biais. À l’instar des investisseurs et des entrepreneurs, les dirigeants ont
également à prendre des décisions au travers desquelles peut s’exprimer le biais
de surconfiance. Cela posé, l’analyse du biais de surconfiance des dirigeants
soulève de nombreuses questions : quels sont les ressorts du biais de
surconfiance ? Quels sont ses déterminants ? Comment le biais s’exprime-t-
il ? En quoi cette expression impacte les entreprises ? …
Nous articulons ce travail doctoral autour de deux aspects : premièrement,
améliorer notre compréhension du biais de surconfiance des dirigeants
en explorant les avancées académiques dans la littérature et
deuxièmement, mettre en évidence les effets de la surconfiance pour les
entreprises. La surconfiance étant un biais de jugement qui éloigne les décisions
prises des décisions rationnelles, il est possible que les décisions biaisées
influent négativement sur la valeur de l’entreprise. Les mécanismes de
gouvernance ont, entre autres rôles, celui de discipliner le dirigeant afin de
préserver la valeur actionnariale (Charreaux, 2000). Dès lors, dans la mesure OU
le biais de surconfiance peut impacter la création de valeur, il nous semble
pertinent d’intégrer les effets d’une gouvernance efficace dans nos analyses.
Quels sont les effets de la surconfiance des dirigeants sur ses décisions
comptables et financières ainsi que sur la valeur actionnariale ?
Est-ce qu’une gouvernance efficace peut influencer les effets d’un tel biais
sur les décisions managériales ?
Pour répondre à ces questions de recherche, nous avons exploré certains travaux
dans le champ de la psychologie qui analysent les biais cognitifs et visent à
comprendre leur influence sur le processus de prise de décision. Ces
recherches mettent en lumière les ressorts du biais de surconfiance.
L’éclairage apporté par les recherches en psychologie est primordial pour
notre compréhension en amont du biais de surconfiance des dirigeants. En effet,
une meilleure appréhension des origines du biais implique une meilleure vision
de ses effets sur le processus de décision. Il est dès lors possible d’anticiper sur
les conséquences attendues du biais. Or, l’objectif des travaux en gestion n’est
pas seulement la compréhension d’un tel biais, mais justement de permettre aux
parties prenantes d’agir pour préserver la valeur actionnariale si besoin. Dès
lors, les recherches issues du champ de la psychologie permettent une
appréhension plus aisée des conséquences de la surconfiance. Cela implique à la
fois la capacité de détecter la surconfiance, de pouvoir anticiper, voire d’influer
sur certaines conséquences dans le contexte managérial.
« the most robust finding in the psychology of jugement is the people are
overconfident ». Toutefois, la surconfiance est un trait particulièrement
attendu dans la population des dirigeants . En effet, le contexte
managérial et la fonction même du dirigeant favorisent la surconfiance.
De par les caractéristiques de ses missions – l’incertitude, les prises de
décisions peu récurrentes ou l’absence de point de comparaison – le dirigeant
est logiquement associé à plus de surconfiance. De plus, le dirigeant est
en position d’influer significativement sur les décisions comptables et
financières des entreprises (Goel et Thakor, 2008 ; Hu et Liu, 2015 ;
Malmendier et Tate, 2015), dès lors toute déviation dans le processus de
décision va se répercuter sur l’entreprise et sur la valeur actionnariale.
Le présent travail doctoral s’articule autour de deux parties. La première partie
explore la littérature tant en gestion qu’en psychologie sur le biais de
surconfiance. Nous réalisons également une revue de la littérature en
gestion sur les dirigeants et managers afin de comprendre les déterminants
du biais et ce qui peut l’influencer. Les trois chapitres de cette partie sont ainsi :
L’échantillon utilisé est constitué à partir des sociétés qui ont été cotées au Bourse
des Valeurs Mobilières de Tunis au moins une fois au cours des années 2007 à 2017.
Ce panel n’est pas cylindré car, au cours de cette période, certaines sociétés ont cessé
d’exister et d’autres ont été créées. En cas de changement de dirigeant en cours
d’exercice, le dirigeant ayant eu la plus longue période de direction cette année-là est
retenu.
Les opérations réalisées par le dirigeant et ses proches sur les titres de la société sont
tirees des déclarations du conseil du marché financier, CMF.
Les informations financières des sociétés seront recueillies à partir des rapports
annuels (bilan financier, états de résultat, état de flux de trésorerie..). La période
d'étude comprend 10 ans allant de 2007 jusqu'à 2017
. Modèle
Variable dépendante
Variables de contrôle
Q de Tobin est mesuré par le ratio : (Valeur de marché des actifs / valeur
Q comptable des actifs).
. Variables d’intérêt
La surconfiance : SURCONF
La surconfiance est un biais cognitif qui est délicat à mesurer directement. Des
proxies observables de la surconfiance des dirigeants doivent être utilisés.
Malmendier et Tate (2005b) ont été les premiers à opérationnaliser les outils de
mesure de ce biais. Pour déterminer si un dirigeant est surconfiant ou non, il est
possible d’analyser les choix qu’il réalise pour son propre portefeuille d’actions. En
effet, un agent économique rationnel va chercher à diversifier son risque quant un
agent surconfiant va, entre autres, sous-estimer le risque lié à ses décisions, qu’il
s’agisse de son portefeuille personnel ou des investissements réalisés par la société.
La mesure « Net Buyer » consiste à analyser les opérations du dirigeant sur les titres
de sa société. L’achat d’actions de la société rend théoriquement le portefeuille du
dirigeant moins diversifié. Ainsi, un dirigeant qui choisit de se surexposer
personnellement au risque spécifique de sa société, en étant Net Buyer, laisse
supposer qu’il surestime la rentabilité à attendre de la société (Eichholtz et Yönder,
2015). Sur une période, un dirigeant peut être acheteur net de titres de sa société,
c’est-à-dire acheter plus de titres qu’il n’en vend.
À l’inverse, il peut être vendeur net ou peut ne réaliser aucune opération. L’analyse
du comportement du dirigeant permet donc de le qualifier de surconfiant ou non.
La surconfiance a été appréhendée par deux variables alternatives. Ces mesures sont
basées sur les transactions réalisées sur les titres de la société par le dirigeant à titre
personnel, hors exercice des stocks options.
NB : Net Buyer : Le dirigeant est considéré comme surconfiant s’il acquiert plus de
titres qu’il n’en vend sur l’ensemble de la période. Le fait de caractériser le dirigeant
pour l’ensemble de la période d’observation est cohérent avec le fait que la
surconfiance est un biais cognitif stable dans le temps.
Cash-Flow : CF
Les prédictions théoriques supposent un lien positif et significatif entre les variables
Inv et CF (Hu et Liu, 2015 ; Malmendier et Tate, 2005b, 2005a).
Contrainte : CONT
Pour tester l’hypothèse H2, nous utilisons une contrainte de gouvernance liée à la
propriété du capital. Lorsqu’il existe un bloc de contrôle dans une société, la
contrainte exercée sur le dirigeant est plus forte. En l’absence d’actionnaire de
contrôle, la contrainte est faible.
Nous examinons également les cas plus spécifiques où l’actionnaire de contrôle est
familial pour tester l’hypothèse H3. Pour ce test, ne sont pas prises en compte les
sociétés dont l’actionnaire de contrôle n’est pas familial. Enfin, la contrainte liée à
l'indépendance du conseil d'administration, utilisée pour l’hypothèse H4, est mesurée
au travers du pourcentage d’administrateurs indépendants du conseil. Le « code de
gouvernement d’entreprise des sociétés cotées » préconise que la proportion
minimum des administrateurs indépendants soit comprise entre un tiers et la moitié
en fonction de la concentration du capital. Plus le pourcentage est élevé, plus la
contrainte est forte pour le dirigeant.
Variables d’interaction
Variables de contrôle
Un dirigeant ayant un mandat long dans une entreprise a parfois une employabilité
plus faible. Il devient dans ce cas plus prudent, une grave défaillance de sa part
pouvant avoir des conséquences personnelles lourdes. De même, un dirigeant en
poste depuis longtemps n’a plus à « faire ses preuves », il est souvent moins enclin à
prendre des risques et fera probablement des choix d’investissement plus raisonnés
qu’un dirigeant fraîchement nommé (Graham et al., 2013 ; Hu et Liu, 2015). La
variable MANDAT devrait donc avoir un impact négatif sur les investissements.
La taille de l’entreprise
Dans les grandes entreprises, il existe une liberté managériale qui permet de différer
plus facilement certains investissements que dans les petites entreprises. Les
entreprises les plus importantes peuvent réaliser une gestion plus fine de leurs
investissements dans le temps. Kadapakkam et al. (1998) confirment que la taille
peut influer sur les investissements réalisés.
Ainsi, un impact négatif de la variable TAILLE sur les investissements est attendu.
La contrainte financière
Pour contrôler les effets fixes, il a été introduit dans le modèle un effet fixe par
industrie et un effet fixe par année (dummies). Le code industrie est basé sur le code
ICB (Industry Classification Benchmark) qui classifie les entreprises en dix grands
secteurs d’activité.