Vous êtes sur la page 1sur 12

Affect (psychanalyse)

Sommaire

1 De l’affect à la limite dans les structures cliniques chez André


Green

2 L'affect dans l'œuvre freudienne


3 L'affect dans la littérature psychanalytique post-freudienne
4 L'affect dans les structures cliniques

5 Notes et références de l'article

De l’affect à la limite dans les structures


[modifier]
cliniques chez André Green
Si la psychanalyse a contribué à éclairer la vie affective, l'affect demeure
souvent une notion obscure par défaut d'une théorie psychanalytique
satisfaisante. On ne peut assigner à l'affect une localisation particulière dans
l'œuvre de Sigmund Freud. Celui-ci a consacré à l'affect aucun ouvrage
spécifique. L'affect est exclu par Lacan pour qui la "découverte de Freud" est
une œuvre de Freud amputée d'une moitié. En effet, la théorie lacanienne
est fondée sur une exclusion, un "oubli" de l'affect au profit de la parole et du
langage en psychanalyse 1.
Une moitié de l'œuvre freudien se rapporte à l'affect et l'autre moitié à la
parole. André Green s'est donné la tâche de partir à la recherche de cette
moitié manquante. Ce faisant, André Green est connu pour être l'homme de
l'affect avant de devenir l'homme de l'état-limite ou borderline en anglais.
Pour Green, l'affect est à la base des structures cliniques névrotiques,
psychotiques et névro-psychotiques de l'état-limite. En français, le terme
"affect" appartient au vocabulaire technique spécifiquement psychanalytique,
comme en témoignent les dictionnaires d'usage courant du type Larousse,
Littré et Robert. L'affect se distingue de la représentation, en autant qu'il se
rapporte à la sensibilité, en contraste à l'intelligibilité.
[modifier] L'affect dans l'œuvre freudienne
Si la psychanalyse se fonde sur la causalité historique, alors aucune notion
plus que l'affect n'est plus directement liée à la dimension historique, c'est-à-
dire au phénomène de l'après-coup. Pour André Green 2, l'après-coup est un
processus diachronique du vécu et de la fabrication “a posteriori” du sens de
ce vécu. C’est la Théorie de la séduction créée et abandonnée par Freud lui-
même.

← "[…] le moment du vécu et le moment de la signification ne coïncident


pas. Ce qui est signifié au moment du vécu est pour ainsi dire en
souffrance, en attente de signification. Le moment de la signification est
toujours rétroactif. Si une signification paraît dans la remémoration avoir
coïncidé avec le vécu, le plus souvent il s'agit d'une élaboration
ultérieure, rapportée au vécu initial. Celui-ci s'accompagne d'une
'signification' tout autre, était en quelque sorte cadré par une 'théorie
sexuelle' qui en rendait compte. On pourrait presque avancer que vécu et
signification s'appellent l'un l'autre sans jamais se rejoindre. Le vécu
court après la signification sans jamais la trouver. La signification est
acquise quand le vécu est à jamais perdu. Au reste, l'intensité affective
du vécu ne saurait aboutir à une signification qui exige un dépouillement,
un désaisissement affectif. De même, le détachement qui accompagne la
signification est ce qui oriente la recherche vers la retrouvaille
rétrospective des conditions du vécu, sans jamais le revivre pleinement.
On objectera que certains faits plaident pour la thèse adverse:
l'illumination par quoi tout s'éclaire dans l'instant d'un moment fécond
affectif. À notre avis, le moment de cette rencontre est toujours celui d'un
effet de résonance; d'un moment qui ressaisit des fragments passés,
épars et disjoints, mais appartenant à une autre séquence temporelle".

Ce phénomène diachronique de l'après-coup est du registre temporel de la


théorie du traumatisme en deux temps. Elle postule que ce qui s'inscrit dans
l'inconscient est seulement ce qui est dans la relation entre deux
expériences séparées dans le temps et par un moment (aussi bien comme
instant que comme rapport de forces) de mutation permettant au sujet de
réagir autrement qu'au premier événement. Au premier temps est l'effroi ou
l'émerveillement, la souffrance ou le plaisir qui confronte le sujet non-
préparé à une expérience significative, mais encore insignifiante, puisque le
sujet est en état d'impréparation ou d'immaturité, c'est-à-dire un vécu
indéchiffrable, un vécu dont la signification ne peut être assimilée. Laissé en
attente ou mis de côté, le souvenir n'est pas en soi pathologique ou
traumatisant.
Il ne le deviendra que par sa remémorisation, sa reviviscence, lors d'une
seconde expérience ou scène qui entre en résonance associative avec la
précédente expérience. Au deuxième temps est une expérience qui rappelle
la première. Mais, du fait des nouvelles possibilités de réaction, c'est le
souvenir lui-même - et non pas la nouvelle expérience fonctionnant comme
déclencheur - qui agit comme une nouvelle "source d'énergie libidinale"
interne et auto-traumatisante. En d'autres termes, c'est le souvenir d'un vécu
qui affecte plutôt que le vécu lui-même à l'époque où il s'est passé.
Sans être strictement nommé, l'affect semble déjà être présent et éparpillé
dès le début de l'œuvre freudien avec la théorie de la séduction dans les
Études sur l'hystérie (1893-1895) et L'interprétation des rêves (1900). La
notion d'affect devient encore plus diffuse et diluée dans la Métapsychologie
1915) et encore plus après Le fétichisme (1927). Le texte majeur sur l'affect
après la deuxième topique est "Inhibition, symptôme, angoisse".
Aux plus beaux jours de la physique quantique, Freud a conçu le "quantum
d'affect" sur le modèle physique du quantum d'énergie du photon ou de
l'électron en distinguant :

← la quantité mesurable d'affect ;


← la variation de cette quantité d'affect ;
← le mouvement lié à cette quantité d'affect ;
← la décharge de cette quantité d'affect.

Ce "quantum d'affect" exprime la solidarité entre un contenu associatif de


l'après-coup et son corrélat affectif. Le terme allemand "Affektbetrag " a été
traduit en français par Freud lui-même en "valeur affective", exprimant à la
fois une notion qualitative et quantitative, par rapport à la notion strictement
quantitative du "quantum d'affect". Dans l'après-coup, l'affect et la
représentation s'interpellent mutuellement. La prévalence de l'affect ou de la
représentation revient à une préférence arbitraire pour l'une ou l'autre des
deux moitiés de l'œuvre freudienne: la sensibilité et la parole. Dans les
"Études sur l'hystérie", p. 5, cette interpellation mutuelle est ainsi exprimée.
← "[…] L'être humain trouve dans le langage un équivalent de l'acte,
équivalent grâce auquel l'affect peut être abréagi de la même façon".

L'abréaction est l'irruption dans le champ de la conscience d'un affect jusque


là refoulé et maintenu dans l'inconscient en raison de son lien avec le
souvenir d'une expérience de douleur ou de déplaisir. L'affect et le souvenir,
ainsi liés, ont été refoulés et maintenus dans l'inconscient en raison de leur
caractère douloureux. Lorsque l'affect et la verbalisation du souvenir font
irruption en même temps dans le champ de la conscience, l'abréaction se
produit et se manifeste par des actes et des paroles exprimant et explicitant
ces affects. L'admission de l'affect à la conscience est le plus souvent
subordonnée à la liaison avec un représentant substitutif qui prend la place
du représentant originel auquel l'affect était lié au départ. Une transmission
directe est encore possible lorsque l'affect est transformé en angoisse. Les
avatars de l'affect suivent les avatars de l'angoisse dans l'œuvre freudien.
Des périodes peuvent se démarquer :

← la névrose d'angoisse des transformations qualitatives et quantitatives


de la tension physique sexuelle en affect par élaboration psychique
(1893-1895) ;
← la libido refoulée devant le danger de la castration (1909-1917) ;
← l'appareil psychique (1926-1932) où seul le "Moi" peut éprouver
l'angoisse devant une menace physique d'un danger réel, une menace
de l'envahissement du "Moi" par le "Ça" (angoisse névrotique) et une
menace de l'envahissement du "Moi" par le "Surmoi" (angoisse de
conscience).

La parole ne fait pas que permettre à la charge affective de se débloquer et


d'être vécue, elle est en elle-même l'acte et décharge par les mots. La
procédure parolière utilisée dans la cure permet à l'affect de se déverser
verbalement. Avec la décharge verbale, un souvenir dénué de charge
affective est presque totalement inoffensif et inefficace.
Finalement, ce quantum d'affect est une somme d'excitations à la
rémémoration d'une expérience de la satisfaction (plaisir) ou de la douleur
(déplaisir). La décharge affective par la parole ou par l'acte d'un souvenir le
rendrait inoffensif et inefficace. Dans l'œuvre freudien, des travaux sur
l'hystérie, l'inconscient, le refoulement et l'angoisse traitent directement ou le
plus souvent indirectement de l'affect. Dans la conception psychanalytique,
l'affect peut se comprendre seulement par l'intermédiaire du modèle
théorique de la pulsion.
L'affect est une des deux composantes de la représentation psychique de la
pulsion. Dans cette représentation, l'affect est la part énergétique dotée
d'une quantité, d'une qualité et d'une tonalité subjective mouvantes. C'est
par la décharge que l'affect se révèle au conscient. C'est aussi par la
résistance suivie de la levée de cette résistance à la tension croissante qui
le caractérise que l'affect se révèle au conscient. Partie du corps pour
revenir au corps, cette décharge est en majeure partie orientée vers
l'intérieur, vers le corps.
La liaison entre l'affect et la représentation est celle d'un appel réciproque: la
représentation éveille l'affect dans l'après-coup et, réciproquement, l'affect
mobilisé demande la représentation. Le complexe affect-représentation
déploie chacun de ses deux termes dans des directions divergentes: la
représentation se développe vers le fantasme ou la parole et l'affect s'étale
des formes brutes aux états subtils.
L'affect dans la littérature psychanalytique
[modifier]
post-freudienne
Il semble revenir à Ferenzci de donner à la notion d'affect une utilisation
extensive entérinée par la clinique psychanalytique contemporaine. Cette
littérature psychanalytique post-freudienne vient principalement des travaux
anglo-saxons sur l'affect. À partir des "affects primaires" chez Melanie Klein,
Jones (1929) a montré qu'un affect peut cacher un autre en se mobilisant
contre cet autre: la crainte peut couvrir la culpabilité, tout comme la haine
peut camoufler cette crainte, selon une sorte de couches sédimentaires
dans les profondeurs du conscient à l'inconscient. Ainsi la crainte
superficielle est une angoisse rationalisée, tandis que la crainte plus
profondément enfouie est une angoisse archaïque évoquant des dangers
majeurs de nature douloureuse.
À ces affects primaires, il faut compter avec leurs camouflages dégagés par
Jones et leurs inversions déjà élaborées par Freud, inversion produite
comme un changement de signe en algèbre et par laquelle le sujet se
délivre de l'affect. Tout se passe comme si l'affect refoulé revient sous forme
inversée où le désir se fait dégoût, comme le plaisir se fait douleur. Ainsi,
l'équivalent de la négation dans la moitié parolière se retrouve dans
l'inversion des affects dans l'autre moitié énergétique.
Une différence sensible sépare ces deux moitiés: l'affranchissement des
restrictions du refoulement se fait au prix d'une simple négation et admet
l'idée refoulée dans le conscient pour la moitié intellectuelle parolière, tandis
que la douleur ou le déplaisir du plaisir inversé nécessite un contre-
investissement au moins égal, mais généralement plus dispendieux. Cette
différence se rapporte également au « refoulement » de l'affect
(Verdrängung) en contraste au « désaveu » (Verleugnung) de l'idée, c'est-à-
dire de la représentation.
Une autre différence à l'intérieur du champ de l'affect est la décharge et la
tension, comme celle entre expérience affective et sensations corporelles.
Ces sensations corporelles sont nécessaires et insuffisantes à l'expérience
affective, mais ne se confondent pas avec cette expérience affective,
comme le territoire avec la carte. Tension et décharge sont indissolublement
liées en des oscillations autour d'un axe moyen ou optimal de tensions.
Alors, le principe de plaisir n'a plus pour but l'apaisement des tensions et il
est lui-même soumis à un principe supérieur homéostatique.
De ce tableau freudien et post-freudien, l'affect apparaît comme une charge
ou une tension émotive qui, lorsqu'elle est refoulée, se convertit en angoisse
ou détermine un symptôme névrotique ou voire psychotique.
[modifier] L'affect dans les structures cliniques
Il s'agit de quatre grandes formes cliniques, comme les quatre points
cardinaux pour se repérer: les deux formes névrotiques de l'hystérie et de la
névrose obsessionnelle et les deux formes psychotiques des psychoses
mélancoliques et maniaques et des psychoses schizophréniques.
En ce qui concerne la névrose obsessionnelle et la névrose hystérique et
dans la Théorie de la séduction qui s'y rapporte, Freud oppose l'étiologie de
la névrose obsessionnelle - où l'agression comporte une nuance de
participation dans le plaisir de l'acte sexuel - à l'étiologie de l'hystérie où
séduction et passivité seraient évidentes d'emblée. Mais, cette opposition
symétrique est sujette à caution sans graduations fines de l'activité à la
passivité et sans répartitions adéquates dans l'enchaînement des actes, des
scènes ou des expériences vécues. Alors, André Green 3 a proposé deux
modèles structuraux de la névrose obsessionnelle et de l'hystérie sous
l'angle de l'affect.
- L'hystérie de conversion et la condensation.
Dans cette forme, l'idée incompatible, dans l'après-coup, est rendue
inoffensive par la conversion ou la transformation en expressions ou
affections somatiques. En d'autres termes, l'affect ou la somme d'excitations
se décharge sur le corps, mais elle ne se décharge pas indifféremment ou
de façon indifférenciée. Cette conversion ou transformation et cette
somatisation expriment les ruses de l'affect dans le camouflage et l'inversion
signalés auparavant à propos des affects primaires chez Melanie Klein et
leurs camouflages dégagés par Jones et leurs inversions déjà notées par
Freud.
L'inversion de l'affect est simplement un changement de sens avec
conservation de l'intensité, du désir au dégoût, de l'attraction à la répulsion.
Les symptômes hystériques désignent et signifient les fantasmes qui sont
alors incarnés. Lacan dit: "l'hystérique parle avec sa chair". La condensation
est dans la multiplicité des identifications, des représentations amalgamées
en un fantasme global. Cette condensation se rapporte aussi à la multiplicité
des affects qui pousse à la décharge où la mise en scène devient une mise
en acte pour réaliser un accroissement de densité énergétique. Alors, à
travers l'affect, André Green unit la conversion à la condensation suivant
cette équation:
- "condensation des signifiants + condensation des affects = conversion".
Cette prévalence de la condensation chez l'hystérique est ainsi explicitée
par André Green 4 avec la multiplicité et la boulimie de la dévoration des
représentations et des affects multiples:

← "[…] Mais chez l'hystérique, à la mesure même de l'intensité du


dégoût sexuel, dégoût qui est au maximum quand apparaît le désir de
fellation et de possession par incorporation orale, une véritable boulimie
psychique. Boulimie d'objets à valeur phallique, boulimie d'affects dans la
mesure où la possession de cet objet est gage d'amour et condition
d'obtention de l'amour de l'objet. Ce n'est pas un pénis que désire
l'hystérique féminin, c'est une somme d'objets péniens dont la quantité
ou la taille n'entraîne jamais la satiété, parce que la satiété supprimera le
désir ainsi satisfait. Lacan a raison de dire que l'hystérique est désir de
désir insatisfait. Dès lors, la castration apparaît comme la conséquence
du fantasme d'incorporation du pénis, dont la taille enviée et redoutée ne
peut pénétrer dans le vagin et dont les dangers sont reportés au niveau
de la bouche. À la place de quoi s'installe l'avidité affective, comme
substitut de l'objet. L'hystérique vit de la dévoration de ses affects. La
tension du désir monte, nourrie par des objets fantasmatiques toujours
plus valorisés, alimentant - c'est le cas de dire - le conflit avec un Idéal du
Moi mégalomaniaque, visant une désexualisation à proportion même de
la sexualisation cumulative des objets les plus banaux. Tel serait le sens
de la condensation. La conversion aurait pour but d'avaler - littéralement
- cet excédent, de l'absorber dans le corps, comme le pénis, absorbé et
retenu, vient prendre la place de l'enfant-pénis désiré dans le fantasme
de grossesse. Passage du vagin au ventre, passage du fantasme au
symptôme de la conversion. Certes, tous les symptômes de conversion
ne sont pas en rapport avec le fantasme de grossesse; mais toutes les
opérations de détail ne se comprennent que dans le plan d'une stratégie
d'ensemble qui doit concourir à la réalisation de ce fantasme d'un être
phallique-engrossé. Problématique qui vaut pour les deux sexes, chacun
ne pouvant réaliser dans le réel que la moitié de ce programme. Tout
ceci est mis en œuvre pour conjurer le danger de la coupure: la
séparation".

- La névrose obsessionnelle et le déplacement.


Dans cette forme, la transformation ou la conversion somatique ne se
produit pas, il y a comme une dissociation entre la représentation et l'affect,
entre l'idée et l'état émotif. Tout se passe comme si, au lieu de glisser sur le
registre corporel, en déjouant le conflit, l'obsessionnel trouvait un autre
moyen, celui de dissocier les éléments en présence dans le conflit et puis
ensuite de procéder à un déplacement de la représentation ou de l'idée vers
une autre représentation ou une autre idée d'une importance beaucoup
moins grande pour le sujet. En d'autres termes, c'est une structure binaire
de dissociation et de déplacement d'une représentation de très grande
importance vers une représentation d'importance secondaire. Ce double
déplacement remplace le passé par le présent et le sexuel par le non-
sexuel. L'obsession se situe dans cette double structure de dissociation et
de déplacement qui, au lieu de glisser vers le corps dans la conversion, file
vers la pensée, à la faveur de la symbolisation par le remplacement du
sexuel avec le non-sexuel. C'est à la faveur du déplacement du sexuel au
non-sexuel que l'agressivité prend le devant de la scène qui se déploie sur
trois voies:
- la césure des rapports de causalité;
- la pensée toute puissante;
- la prévalence des thèmes de mort.
L'obsession se ramifie souvent en deux branches: la phobie et l'angoisse.
L'hystérie enterre la condensation des affects dans la transformation ou
conversion somatique, alors que la névrose obsessionnelle déplace ces
affects vers la toute puissance de la pensée. La phobie se situe dans une
structure tierce où le sujet n'échappe plus à l'affect, mais lui est
constamment confronté. L'angoisse est une structure affective plus générale
qui se particularise dans la phobie.
- Les psychoses maniaques ou dépressions bipolaires.
Dans la phase dépressive d'une psychose maniaque est l'affect de deuil et
la douleur dans la perte de l'objet. Du deuil de l'objet résulte la production
d'un affect d'une grande intensité et de tonalité douloureuse. Freud attache à
cet affect de douleur une signification principalement économique d'où
résulte l'importance du "travail du deuil " expressément désigné. Ce travail
du deuil est l'opération nécessaire de détachement libidinal exigé par la
perte de l'objet dans le deuil. Dans cette phase dépressive mélancolique,
par l'investissement narcissique de l'objet, la perte de l'objet entraîne une
perte au niveau du Moi. Ce Moi, s'identifie à l'objet perdu et les
investissements d'objet se retirant dans le Moi. L'ambivalence qui
caractérise ces investissements d'objet atteint alors le Moi et la haine
s'attaque au Moi, comme elle s'attaquerait à l'objet perdu. Cette blessure
narcissique du Moi, allant de pair avec le sentiment de la douleur, le conduit
à devoir supporter ces investissements sadiques.
C'est une explication économique freudienne de la douleur où la mélancolie
est une lutte autour des représentations de chose dans l'inconscient: l'amour
pour l'objet commande de conserver ses représentations malgré sa perte,
tandis que la haine pour l'objet exige de s'en défaire. L'appauvrissement du
Moi prévaut dans cette lutte. Ce Moi est dévoré par les investissements
d'objet qui font irruption par la blessure narcissique ouverte et donnant
naissance à la douleur. Avec la douleur, l'appauvrissement du Moi par la
blessure narcissique atteint ce Moi jusqu'à l'autoconservation: sa
dépendance à l'objet l'inclinerait à le suivre dans la perte ou à le détruire en
une deuxième fois en se détruisant.
Dans la phase exubérante est l'euphorie de l'affect de triomphe où le sujet
réagit à la perte de l'objet en accentuant le sentiment de triomphe sur l'objet.
Ce sentiment existe de façon éphémère dans le deuil et passe souvent
inaperçu. Freud l'attribue à la satisfaction narcissique d'être resté en vie ou
intact. Melanie Klein, elle, l'attribue à la satisfaction des pulsions
destructrices d'avoir dominé et assujetti l'objet. Cette exubérance et cette
euphorie ne seraient qu'une réjouissance devant la dépouille d'un adversaire
vaincu.
L'oscillation mélancolie-euphorie s'agite autour des mêmes traits: perte de
l'objet, ambivalence, régression narcissique dans l'appauvrissement et
l'enrichissement du Moi. Dans les deux cas de figure, il s'agit de la
dévoration du Moi par l'objet et de la dévoration de la toute-puissance de
l'objet par le Moi.
- Les psychoses schizophréniques.
Le double aspect de l'affect est reconnu dans la schizophrénie, même parmi
de nombreuses méconnaissances. Ce double aspect de l'affect est une
indifférence affective alliée à une affectivité paradoxale qui s'exprime en
actes par des impulsions les plus explosives et les plus inattendues. La
liaison entre affect et représentation se révèle à travers les liens entre l'acte
et l'hallucination. L'affect est action et agi, la représentation n'obéit plus à
l'épreuve de la réalité. Une portion de la réalité psychique est installée dans
le champ de la réalité externe refoulée.
- L'état-limite, le paradoxe du tiers inclus et les processus tertiaires.
Le tiers inclus est paradoxal seulement par l'habitude intellectuelle de
penser en termes de "ou bien l'un, ou bien l'autre" de la logique du tiers
exclu, des disjonctions, clivages et oppositions binaires. Dans la logique du
tiers inclus du type "à la fois l'un et l'autre", il y a l'un, l'autre et leur frontière
ou limite qui est une unité paradoxale, assurant à la fois l'un et l'autre, dans
la superposition, l'interpénétration, la redondance ou le compromis.
Dans cette perspective, André Green a inventé les "processus tertiaires"
pour étayer l'état limite conçu comme à la fois une névrose et une psychose.
C'est peut-être une névrose réelle et une psychose virtuelle. 5.
Les “processus tertiaires”. "Par processus tertiaires, j'entends les processus
qui mettent en relation les processus primaires et les processus secondaires
de telle façon que les processus primaires limitent la saturation des
processus secondaires et les processus secondaires celle des processus
primaires."
Pour le moment, les processus tertiaires semblent être une interface active
et bidirectionnelle entre les processus primaires et secondaires. Ils
contrôlent (surveillent et commandent) et régulent le fonctionnement des
processus primaires et secondaires dans certaines limites fixées. La
question se rapporte sur les limites et la fixation de ces limites.
Les “processus primaires” sont, pour Freud, un mode de fonctionnement
caractérisé, sur le plan économique, par la libre circulation de l'énergie et le
libre glissement de sens. L'inconscient est le lieu de ce processus dont les
dispositifs spécifiqu es sont le
d éplacement et la condensation, comme modes de passage d'une
représentation à une autre et la caractéristique est l'absence de la négation
syntaxique "ne, pas".
Les “processus secondaires” sont caractérisés, sur le plan économique, par
des liaisons et un contrôle de l'écoulement énergétique soumis au "principe
de réalité". Ce principe de réalité régit le fonctionnement psychique et
corrige les conséquences du principe du plaisir en fonction des conditions
imposées par le monde extérieur. En des termes de la cybernétique, ce
principe de la réalité est une sorte de régulateur socio-culturel, comme un
thermostat pour la température et le régulateur à boules de James Watt
(1736-1819) pour contrôler, surveiller et commander, ou finalement stabiliser
ou réguler la vitesse de rotation d'un moteur à vapeur.
Ces “processus tertiaires” régulateurs agiraient dans une structure
intermédiaire d'état-limite, comme (à l'imagerie du thermostat domestique) la
température affichée par un index est la partie visible d'une structure dont la
fonction est de déclencher et d'éteindre les éléments de chauffe qui font
augmenter et baisser la température de la pièce ou de la maison en
oscillation cybernétique autour du point homéostasique, d'équilibre et de
limite qu'est cette température réglée, régulée et affichée.
- L'affect dans les processus cliniques.
Le processus analytique nous met en présence d'un matériel psychique où
la présentation du passé - le passé rendu présent et conjugué au présent -
s'accomplit dans un tissu de discours caractérisé par l'hétérogénéité qui unit
dans sa texture les fils d'hier et d'aujourd'hui entremêlés dans des
entrelacements d'enchevêtrements d'éléments aussi disparates que des
idées, des représentations, des actes conjugués aux affects. L'affect n'a pas
une fonction uniforme. Freud parle des fois de « motions affectives »,
d'affects réprimés ou appartenant au refoulé, de relations affectives. Selon le
contexte, l'affect a la fonction d'être soit une émanation de la pulsion
(motions affectives), soit le moteur d'une idée, soit le mobile d'actes, soit
encore un tissu de relations que le rapport à l'objet transférentiel aide à
repérer et à répéter. Si le processus analytique est le dévoilement de
l'amnésie infantile obtenue par le dévoilement du refoulement, alors le
recouvrement des souvenirs ne se produit pas toujours lorsque la résistance
emporte sur la remémoration.
Très souvent, on ne réussit pas à ce que le patient se rappelle le refoulé,
mais si la construction de l'analyste est validée par l'affect du patient, on
peut conclure que l'analyse est infirmée. Si une analyse correctement
menée convainc fermement le patient de la vérité de la construction, alors
cette construction, du point de vue thérapeutique, a le même effet qu'un
souvenir retrouvé. Cet effet de vérité est celui de la vérité historique et
l'affect de l'expérience est lié à une représentation hallucinée. Réminiscence
et construction vont de pair et la réminiscence est le fruit d'une construction
de l'analysant. La levée de l'amnésie infantile peut être une construction de
l'analyste validée par l'affect du patient. Entre souvenir-écran et fantasme,
leur structure est la même, tous deux sont construits à partir de fragments
de perception morcelés, désarticulés et rassemblés pour former une scène
psychique, décor ou scénario de notre cinéma privé.

[modifier] Notes et références de l'article


1. ↑ Anthony Wilden, 1968, The language of the self, John Hopkins University Press,
Baltimore. Ce travail de Lacan, dénommé « Discours de Rome », a été repris dans
les Écrits (1966, pp. 237-322). Il a été traduit en anglais et commenté par Anthony
Wilden. Anthony Wilden a repris ce thème avec Lacan dans Speech and language
in psychoanalysis, 1968, John Hopkins University Press, Baltimore
2. ↑ "Le discours vivant", 1973, p. 279
3. ↑ André Green, op, cit. 1973, pp. 146-157
4. ↑ op. cit, 1973, pp. 150-151
5. ↑ André Green, 1972, p. 408, Notes sur les processus tertiaires, dans la "Revue
française de psychanalyse"

Vous aimerez peut-être aussi