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AU FIL DE L'EXCITATION

Madjid Sali

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2005/1 Vol. 69 | pages 187 à 202


ISSN 0035-2942
ISBN 2130550436
DOI 10.3917/rfp.691.0187
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-1-page-187.htm
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Au fil de l’excitation

Madjid SALI

INTRODUCTION
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Tour à tour l’excitation est incluse dans la pulsion ou extérieure à elle et,
dans ce cas, elle la précède dans sa constitution et en devient une préforme. À
moins que... Oui, à moins qu’elle ne soit l’effet de celle-ci et alors devient une
forme d’expression de la dimension énergétique, du quantitatif. Dans ce cas,
elle ne la précède plus mais la suit.
De son côté, et pas si loin que ça, l’objet tour à tour excite ou traite
l’excitation. La perception et ses traces y jouent un rôle primordial ; passé et
actuel tiennent leur place.
De plus il nous faut tenir compte du fait que l’état de « base » du fonction-
nement psychique nécessite une excitation minimale, une tension de base en
quelque sorte. Ce qui devient repérable voire pertinent est de ce fait la varia-
tion, le différentiel d’excitation, le gradient, le « delta », du niveau d’excitation.
C’est dire si l’excitation est peu utilisable comme repère signifiant par elle-
même, que son fil ne se suit pas tranquillement, qu’il est non seulement chao-
tique mais peut être bien inconstant.
Le lecteur, toujours très attentif consciemment ou de façon préconsciente,
aura remarqué dans les quelques lignes qui précèdent l’usage particulier et
gênant fait des concepts d’excitation, de pulsion, de fonctionnement psychique
voire du terme « base ». Ils sont traités et utilisés comme des mots choses et pas
comme des conceptions, des représentations de mots ou, mieux, des mots repré-
sentations. Cette réification relative, puisque c’est ainsi qu’il convient de nom-
mer ce procédé, n’est tolérable que dans la mesure où le propos tenu est suffi-
samment contextualisé, qu’un champ de pertinence soit posé en référence. En
l’occurrence le contexte implicite est celui, bien connu, de l’édifice théorique
Rev. franç. Psychanal., 1/2005
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freudien. Par ailleurs cette forme est conservée pour introduire in vivo, dans le
vif du texte en quelque sorte, une des questions visées par le propos, celle des
modalités de traitement de l’excitation. La réification tente, pour se défendre de
ses effets, de la fixer.
Afin de remédier à cette tentation toute naturelle, nous envisagerons, les
uns après les autres, les points qui nous semblent les plus engagés dans cette
question. Parmi eux le problème de la représentation apparaît d’emblée central.
C’est donc munis de ces incertitudes que nous arrimerons le fil quelque peu
inconstant de l’excitation à celui moins improbable de la pulsion.

LE MONTAGE PULSIONNEL

Le mot « montage » est, bien que présent chez Freud, assez discutable. Il
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sera pris ici pour les deux sens d’édification et de progression qu’il promeut, et
pour l’idée d’un travail qui ne se donne pas comme accompli mais bien tou-
jours à faire, qu’il indique. Envisager un montage, ici celui de la pulsion,
implique de fait la prévision d’un certain degré d’aptitude au démontage, à la
déconstruction de l’objet visé. Nous aurons à y revenir.
Chez Freud, il est aisé de trouver deux estimations de la pulsion. Elle est,
dans une première approche, toute faite, toute constituée dès son entrée dans le
champ du psychisme, et, dans la seconde, se constitue au cours même de son
trajet intrapsychique. Ce dédoublement peut probablement se comprendre si
l’on distingue potentialités et destin de la pulsion.
Ses potentialités pulsionnalisantes sont d’emblée présentes, elle est déjà
pulsion par son action transformatrice du champ qu’elle investit.
Son destin de pulsion, son devenir de pulsion, lui, vient chemin faisant vers
son but, vers son accomplissement, vers une certaine forme de celui-là. Chemin
pendant lequel elle s’affirmera psychique et psychisante pour la topique qu’elle
traverse et révèle.
C’est cette même distinction qui permet de conjoindre l’idée d’une excita-
tion qui se pulsionnalise au cours de son trajet intrapsychique, à celle d’une
pulsion qui a pour effet de déclencher une excitation à son « entrée » dans
l’espace psychique. Pulsion issue de l’excitation somatique et puis psychique et
pulsion source d’excitation durant son trajet se trouvent alors compatibles avec
le maintien du seul terme de « pulsion ».
La même situation se retrouve à l’autre extrémité du dispositif pulsionnel
freudien (le pôle évoqué précédemment étant du côté du lien avec le soma), le
pôle objectal. L’objet est à la fois source d’excitation – la mère, première séduc-
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trice – et issue, traitement, à l’excès d’excitation par sa réponse, lorsque celle-ci


est suffisamment satisfaisante.
C’est dans ce contexte, me semble-t-il, qu’il serait utile de resituer la pro-
position de Freud de la composition de la pulsion. Les quatre composants de
la pulsion repérés par lui sont, comme chacun le sait, la source, la poussée, le
but et l’objet. Il ne semble pas avoir, dans le reste de son œuvre, été amené à
changer ce montage pulsionnel. Cela de façon « officielle ». Pourtant deux
théorisations majeures viennent compléter utilement et éclairer le fonctionne-
ment de l’ensemble :
Tout d’abord le modèle de l’angoisse signal et de l’angoisse débordement
sans lequel on ne saurait comprendre le trajet intrapsychique (et intersysté-
mique au sein même du psychisme) et donc le destin de la pulsion et de sa
poussée. Notre représentation des modalités de traitement de l’excitation, liée
à la charge (aux deux sens du terme) pulsionnelle, par la psyché ne peut plus
guère se passer de cet éclairage. Le composant affect, le quantum d’affects, la
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motion pulsionnelle ou encore la charge pulsionnelle, quelque préférence que
l’on ait, exigent une première mise en sens, en indice et, pour tout dire, en
signal, en alerte. L’expression « motion pulsionnelle » assez privilégiée par
Freud est illustrative de cette contrainte. Il conjoint en effet la quantité par sa
poussée et la qualité par le signal porteur de message et le contenu revendi-
qué. Nous ne serions pas loin, là, d’une attribution d’intention qui nous ferait
prendre le risque d’un finalisme réducteur particulièrement dommageable si
nous n’y prenions garde ; le message, le contenu revendiqué, ne devient en
effet tel que du fait du travail interne qui le fait advenir et le crée tout en le
reconnaissant. Le signal d’angoisse alerte, informe le moi du degré de conflic-
tualité, de dérangement, donc d’excitation, de variation du niveau
d’excitation, imposé par la revendication pulsionnelle aux structures psychi-
ques en place. Il permet ainsi de mobiliser celles plus spécifiques à chaque
niveau sollicité, excité, pour le traitement, la transformation de celle-ci. Le
signal peut alors être référé aussi au degré d’étrangeté de ce qui frappe à la
porte du système investi. Il peut être là aussi mesuré à la hauteur du travail de
transposition qui s’impose. Il informe aussi de ce que son exigence comporte
d’appel à l’objet pour qu’il soit au rendez-vous.
Le second modèle qui vient ici à notre secours est celui de la coexcitation
libidinale. Il permet, par l’intermédiaire du frayage, de mettre en jeu deux che-
minements possibles pour l’excitation : la dispersion et, à l’inverse, la concen-
tration. Si la première citée est largement mise en valeur dans le fonctionne-
ment de base de l’appareil psychique, la seconde trouve tout son intérêt dans
les cliniques de l’excès. La première est contenue par la proposition freudienne
que toute excitation localisée offre une part de celle-ci au sexuel. Les tensions
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d’organes « payent » un tribut de libido sexuelle. Elle permet de donner une


assise somato-psychique à la difficile question de l’unification des pulsions par-
tielles sous le primat du génital. La seconde permet selon le même principe de
comprendre les condensations, les fixations de l’excès d’excitation sur un
organe ou sur un comportement répétitif, les mouvements affectifs très inten-
ses, passionnels ou les croyances totalitaires. Il s’agit dans ces cas-là de cerner
un lieu d’excitation localisée pour échapper au débordement menaçant l’inté-
grité et la cohérence minimale établie avec difficulté sur le cours des opérations
psychiques. Ce lieu sera choisi par déplacement et condensation, en fonction de
sa capacité à symboliser peu ou prou le conflit en question et aussi de son inno-
cuité relative sur le cours des opérations en œuvre, à l’exemple des phobies les
moins invalidantes.
Si maintenant nous nous rappelons le rôle tenu par l’objet, lui-même
source et traitement de l’excitation, nous obtenons un circuit pour celle-ci,
incluant structurellement pôle somato-psychique de la pulsion et pôle objectal
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de sa ressource entre lesquels se déroule le procès, le projet subjectal. Ce circuit
est, de toute évidence, porteur de modalités d’échappement, de décharge, de
déplacement, de liaisons et de relance.
À côté de ce montage en quatre termes de la pulsion, existe un autre mon-
tage qui ne dit pas tout à fait son nom et qui n’est pas toujours repéré comme
tel ; un montage qui double le précédent qu’il vient complexifier, enrichir, sans
se substituer à lui. Il n’existe pas entre eux de relation d’antériorité. Le second
cité en est le double au registre anthropologique. Il s’agit, mis dans le même
ordre, du « ça » réservoir des pulsions (et si proche encore du soma), de la
revendication pulsionnelle qu’on trouve aussi et peut-être plus fréquemment
sous l’expression « motion pulsionnelle », du représentant (représentation et
affect), issu de l’investissement par la libido des traces mnésiques de l’objet, et
enfin de l’établissement du lien à l’objet.
Cet ensemble n’est pas constitué d’élément de même époque théorique. Le
représentant est ancien, il parcourt les premiers textes. Le « ça » est issu comme
chacun le sait de la seconde topique. Les autres composants ne sont pas typi-
ques d’une époque théorique particulière.
Nous les regroupons pourtant ici car ils constituent un ensemble
d’éléments solidaires permettant un autre regard sur l’excitation et le circuit
pulsionnel qu’elle parcourt.
Cet ensemble me paraît indiquer un versant culturel, relationnel de lecture
du cours de la pulsion et désigne de ce fait le montage précédent (source,
poussée, objet, but) comme versant somato-psychique de la pulsion.
Il n’existe probablement aucun événement psychique qu’il soit d’ordre per-
ceptif, interne ou externe, ou représentatif à plus forte raison, qui ne soit l’objet
Au fil de l’excitation 191

d’une première signification aussi élémentaire soit-elle. Les deux versants sont
de ce fait très immédiatement présents. L’étayage de la pulsion, sa sexuation, se
fait concomitamment sur l’autoconservation attenante au versant somato-
psychique, ses zones érogènes en leur exercice, et sur l’objet représenté au pôle
culturel-relationnel. Les zones érogènes servant de tout premiers lieux de ren-
contre avec l’objet. Aux classiques zones décrites, cutanéo-muqueuses situées
sur le corps propre, s’ajoutent notamment l’ouïe et le regard, lieux de plaisir
intense (on pense là à l’émotion esthétique visuelle et auditive pour exemple)
situés plus sur le versant relationnel de la découverte de l’objet. L’objet ne se
limite pas en effet à la seule fonction d’assurer l’autoconservation même si
celle-ci garde toute son importance. Il tient de là sa place essentielle dans les
deux versants constituants de la pulsion.
Plusieurs remarques sont à faire. En allant de la source au but et à l’objet,
nous nous apercevons que la cohérence est frappante.
Le pôle somatique est ici dédoublé par son pendant le « ça » qui y plonge
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ses racines tout en étant déjà psychique. Autrement dit, la source somatique
prépsychique est dédoublée par le réservoir des pulsions déjà psychiques.
La notion de poussée pulsionnelle est ici enrichie par l’idée de « motion ».
La première nuance introduite, et elle est de taille, concerne le contenu. La
poussée n’a pas de marque spécifique ; parler de motion par contre implique
l’idée de contenu signifiant en même temps que de mise en mouvement (du latin
motio). Encore plus que le terme souvent utilisé de « revendication », qui va
pourtant dans le même sens, celui de « motion » donne à penser une teneur de
sens. Celui-ci n’est probablement pas à envisager comme entièrement constitué,
mais plus à faire émerger dans le cours des opérations psychiques. La seconde
nuance introduite concerne la question de la constance de la poussée. Si l’idée
de permanence de la poussée pulsionnelle n’est pas remise en cause, celle de la
constance de son intensité, de l’égalité de sa « force », si elle a jamais été
retenue, est implicitement mais fermement écartée. Sur fond de poussée perma-
nente, correspondant d’ailleurs à la tension, à l’état d’excitation minimale de
base nécessaire au fond du fonctionnement psychique, l’idée de motion frag-
mente le flux pulsionnel. Ce point de vue s’articule bien avec la formulation
pendante de quantum d’affects. Nous sommes bien là dans des formulations
complémentaires concernant le même objet selon des perspectives portant
l’accent sur des valeurs continues ou discrètes, analogiques ou digitales.
Le représentant pulsionnel s’offre à être lu comme la voie d’accès, de réali-
sation du but de la pulsion, et finit par apparaître comme un composant essen-
tiel de celui-ci. Ici aussi décharge et liaison se conjuguent. La représentation
aboutit à ce que l’objet ait une double inscription ; la première dans le monde
représentatif, la seconde dans le monde perceptif. Deux lieux à la fois dis-
192 Madjid Sali

tincts et interdépendants bien que conflictuels et par là même solidaires.


L’incomplétude du lien du sujet à son objet s’annonce très précocement.
Tout cela souligne le rôle central des auto-érotismes dans les processus de
liaison et d’organisation des étayages sur le soma et son exercice, référent à
l’autoconservation, d’un côté, et à l’objet dans tous ses états, de l’autre. Il semble
bien que ce que nous nommons auto-érotismes ne le soit que de façon « objec-
tive », ou même seulement apparente. L’objet n’y est absent que dans le registre
perceptif actuel. Il est, d’évidence clinique, toujours présent dans les fantasmes
qui invariablement accompagnent l’activité auto-érotique. De plus l’expérience
nous montre qu’il existe des activités ayant toutes les caractéristiques des auto-
érotismes qui se déroulent en présence actuelle et active de l’objet, en pleine ren-
contre hétéro-érotique, parfois aux détriments de la qualité de celle-ci mais sou-
vent sans préjudices avérés. Il nous faut nous résoudre à reconsidérer la sépara-
tion trop tranchée qui prévaut en général dans ce domaine. Là aussi la richesse et
le caractère favorable à l’évolution des capacités psychiques résident probable-
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ment dans l’équilibre qu’il est possible d’établir au sein de ces processus.
Il n’est guère envisageable ici de développer bien avant cet aspect de la
question qui nous intéresse. Il nous faut toutefois noter que cette activité déter-
mine un dispositif qui conjoint assez remarquablement mouvement pulsionnel
actuel, traces de l’objet et perception au présent ; ou encore, dit autrement exi-
gence de satisfaction déclinée au versant relationnel sous le percept de désir,
hallucination de satisfaction ancienne impliquant la mémoire de l’objet et enfin
expérience perceptivo-motrice actuelle dans l’exercice en cours. C’est dans la
mesure où ce dispositif complexe est tenu ouvert avec toutes ses composantes
que le « travail » des auto-érotismes peut s’effectuer au mieux dans le mouve-
ment d’émergence subjectale. Toute expérience actuelle de satisfaction de la
pulsion se double d’une activité fantasmatique requérant l’hallucinatoire de
désir qui vient potentialiser le plaisir pris. La rencontre actuelle érotique avec
l’objet est secondée par la réalisation hallucinatoire de désir.
Les deux versants du montage pulsionnel sont autant d’accès à la compré-
hension de l’affaire en cours. Ce procédé impliquant de fait les trois parties me
semble pouvoir être étendu à tous les mouvements d’appropriation subjective,
de subjectalisation qui fera le lit de la subjectivation et du sentiment de subjecti-
vité. Il propose un modèle généralisable pour la liaison psychique en intégrant
pulsion et objet aux deux bords, aux deux rives d’un champ qui a vocation à
devenir le lieu sujet. Il n’est acceptable de dissocier un tant soit peu pulsion et
champ subjectal que, dans la mesure où considérant que la pulsion est exigence
de travail, elle désigne quelqu’un pour l’accomplir.
On pourrait définir, entre la subjectivité et la subjectivation qui en est le
chemin, un ensemble préalable, désigné ici par « subjectalisation », qui serait
Au fil de l’excitation 193

l’instauration dynamique du cadre d’accueil constitué par tous les éléments du


registre interne qui favorisent ce chemin en se présentant comme le partenaire
de l’objet du côté du moi. Le sujet se repérerait ainsi comme l’ensemble de ce
qui, de l’internalité désignée et mue par le mouvement pulsionnel, s’affirme
comme répondant de l’objet.

LE PROBLÈME DE LA REPRÉSENTANCE DE LA PULSION

L’excitation, que de façon approximative et peut-être un peu prématurée,


nous avons tendance à appeler pulsion dès sa part psychique engagée, arrive
dans son champ de déploiement naturel, sa terre promise en quelque sorte.
Mais en y arrivant elle découvre que celle-ci est déjà occupée ; occupée par les
traces mnésiques perceptives de l’objet et par l’œuvre de l’automatisme de répé-
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tition qui pourtant n’existent que dans la mesure où elle les révèle. Approxima-
tive et prématurée car l’excitation ne devient pulsion au sens plein du terme que
par ses premiers effets sur le psychisme, et par l’inflexion reproductrice qu’elle
imposera dès lors à un automatisme de répétition sans cela aveugle. Cette
inflexion reproductive et non plus seulement itérative, forme que cet automa-
tisme est susceptible de retrouver lors d’états traumatiques, la pulsion l’obtient
par l’exigence de satisfaction qu’elle impose à ses hôtes (les contenus et les
structures psychiques). Tout effort de conceptualisation de la manière dont la
pulsion agit et ordonne les modalités de sa présence au sein de l’espace psy-
chique doit tenir compte de l’ensemble de ces aspects, également.
L’excitation par laquelle s’annonce la poussée pulsionnelle trouve son issue
de pulsion par la solidarisation avec l’objet par lequel elle vise son accomplisse-
ment. Si ce destin fait perdre à l’objet une part de sa contingence, le but jamais
pleinement atteint indique un au-delà de l’objet qui préserve de toute fixation,
en schèmes préétablis, le chemin à parcourir. Inversement l’excitation viendra
se nourrir du désir de l’objet et se constituera en pulsion en tant qu’elle est désir
du désir de l’autre mais aussi objet de désir pour l’objet. C’est en cela que
l’objet acquiert sa centralité et devient alors lieu d’une certaine re-source pour
la pulsion, orientant ainsi le dispositif. La pulsion affecte le psychisme et le sou-
met à épreuve, « exigence de travail ». De son côté l’objet, à sa manière,
éprouve le psychisme. Il est lui aussi exigence de travail du fait des liens de
dépendance, primaires ou plus tardifs. L’émergence de la subjectivité se fait sur
ce fond de tension, d’excitation et concomitamment de traitement, d’issue à
cette dernière, entre la source somato-psychique de la pulsion et son lieu de re-
source objectale.
194 Madjid Sali

C’est en fonction de ces considérations qu’il semble nécessaire de proposer


quelques réflexions complémentaires concernant la large question de la repré-
sentance de la pulsion.
On sait après les travaux importants qui lui ont été consacrée qu’il s’est
établi une sorte de consensus autour de la théorie freudienne de la représen-
tance de la pulsion pour différencier le représentant représentation et le repré-
sentant affect. Le représentant représentation est, selon le modèle freudien
toujours, d’abord un représentant de chose puis, en cours d’acquisition du lan-
gage, complété par un représentant de mot disponible au niveau du système
préconscient conscient dans lequel il est présent sous ses deux formes.
À ces représentants de la pulsion qui résultent de ses investissements des
traces mnésiques de l’objet et de l’affectation qui en découle, il convient
d’adjoindre la forme que prend l’effet de poussée, « de contrainte à », qu’im-
pose la pulsion, par son-exigence-à-satisfaction, au psychisme. Il n’est en effet
pas totalement absurde d’avancer que la pulsion puisse avoir un effet très glo-
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bal sur les fonctions psychiques en les orientant fermement, leur offrant ainsi
un sens tout à fait primaire et indiscriminé, vers la recherche de satisfaction. Ce
mouvement général imposé à la matière psychique polarise de façon durable ses
opérations et devient ce que la clinique a tôt fait de faire reconnaître à Freud
comme tendance fondamentale du psychisme sous l’expression « principe du
plaisir ». Il est aussi à considérer comme la manière dont le psychisme relaye
l’exigence pulsionnelle et lui donne existence au sein des opérations qui y ont
cours. La psyché re-présente ce qui de la pulsion agit sur sa matière. Le psy-
chisme est mû mais aussi façonné par la pulsion. Cet effet, cette tendance glo-
bale se présente comme un impératif de satisfaction, la marque de la pulsion.
La théorie de la représentation se voit contrainte à tenir compte de l’effet de
« poussée vers », mais aussi de « poussée sur ». Le principe du plaisir est alors
ce qui se désigne comme étant le représentant tendance de la pulsion du fait de
la contrainte primaire à la satisfaction qu’elle impose au psychisme. Le repré-
sentant tendance, on le conçoit bien, n’a pas vocation à disparaître ou à se
réduire, mais bien plutôt à s’imposer et à étendre son empire ; il est en perma-
nence alimenté par la poussée pulsionnelle. Tout au plus aura-t-il quelque dis-
position à transformer les moyens de sa réalisation, tel que se présente le prin-
cipe de réalité qui est finalement principe de réalisation de l’irréductible
exigence de la poussée pulsionnelle. Il s’agit donc d’un représentant silencieux
par lui-même mais tellement bruyant par ses effets de polarisation des opéra-
tions psychiques dans le sens de la recherche de satisfaction. Ce point de vue
n’est pas absent des écrits freudiens. Il n’a seulement pas eu l’heur d’être suffi-
samment mis en avant et exploité de façon explicite par lui. On lit en effet dans
« Le problème économique du masochisme » une formulation pleine d’intérêt :
Au fil de l’excitation 195

« Nous obtenons ainsi une courte mais intéressante série de rapports : le prin-
cipe du nirvana exprime la tendance de la pulsion de mort, le principe de plaisir
représente la revendication de la libido, et la modification de celui-ci, le prin-
cipe de réalité, représente l’influence du monde extérieur. »
Le principe du plaisir apparaît alors être une forme, majeure certes mais
une forme quand même, d’organisation et de présentation de la pulsion. Il peut
de ce fait, dans des circonstances défavorables notamment en cas de réponse
durablement et sévèrement inadaptée de l’objet, soit rater son organisation,
soit subir une forme de désorganisation rétrograde et se constituer selon des
modalités de liaisons fautives ou subversives. Le but apparaît cliniquement
contraire à la réalisation attendue, voire aux prévisions de la logique de l’auto-
conservation. Celle-ci n’est plus toute-puissante et l’étayage du sexuel sur les
besoins n’est plus tout à fait exclusif. Ainsi Freud est amené à constater, lors de
sa réflexion tout à fait inaugurale à son travail sur « Le problème économique
du masochisme » que « si la douleur et le déplaisir peuvent être en eux-mêmes
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des buts, et non plus des avertissements, le principe de plaisir est paralysé, le
gardien de notre vie psychique est comme sous l’effet d’un narcotique ».
Il nous faut ajouter que le principe de plaisir, une fois instauré et sa
domination suffisamment assurée, devient le facteur majeur de la liaison au
sein des opérations psychiques, alors qu’il est lui-même le résultat d’un acte de
liaison fondateur.
Pourquoi paraît-il donc si important de montrer la solidarité constitution-
nelle du principe du plaisir et de la pulsion en relevant que le premier est le
représentant de l’autre au sein de l’espace psychique ?
Plusieurs raisons à cela. Certaines, suffisantes déjà par elles-mêmes, appa-
raissent clairement dans ce qui a été dit ci-dessus, d’autres méritent encore
notre attention. La plus simple est que cela permet une certaine unification et
donne une cohérence à la présence d’un principe annoncé comme œuvrant mas-
sivement sur la matière psychique et accessoirement de reconnaître ses racines
somato-psychiques, évitant ainsi une regrettable dérive anthropomorphique.
La seconde, et non des moindres, est de dégager le milieu des fonctions psychi-
ques de base d’un principe qui, s’il n’était référé qu’à elles, aurait l’inconvénient
de présenter une forte teinte téléologique. Mais la raison principale reste que
cette perspective dissocie l’axe pulsion-plaisir de celui déterminé par la répéti-
tion qui, on le sait clairement depuis l’ « Au-delà du principe du plaisir », meut
sans discrimination les événements psychiques, que ceux-ci se produisent avec
ou sans plaisir. Cela semble être plus en adéquation avec certaines particulari-
tés de la clinique la plus quotidienne des états non névrotiques où le principe du
plaisir se montre détourné, voire inopérant, aspects que Freud a longuement
explorés après 1920.
196 Madjid Sali

Cette dissociation permet de rendre compte de la conjonction dans le


même champ, le psychisme, de deux voies effectrices pour les opérations qui s’y
déroulent. La voie régrédiente, première du point de vue de sa mise en exergue
et de son application pour le saisissement du fonctionnement mental, magistra-
lement introduite et intronisée dans la théorie du rêve, et la voie progrédiente
qui prendra de plus en plus de place dans les élaborations freudiennes jus-
qu’en 1937 avec notamment « Construction dans l’analyse » et la question du
retour des « vérités historiques ».
Sans cette distinction clairement établie, la théorie du fonctionnement
mental est contrainte à privilégier l’une ou l’autre de ces deux voies et à attri-
buer à l’autre une place seconde, comme déduite de la précédente, ou une
valeur d’épiphénomène ou d’artefact sans fondement, ou encore de simplifier la
clinique, ce qui est un des dangers majeurs de cet exercice. Que nous rencon-
trions dans notre pratique des configurations pathologiques qui privilégient,
dans leurs stratégies tant élaboratives que défensives, l’une ou l’autre des voies
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ou alors chez lesquelles l’une des voies s’impose à l’autre, cela n’est pas pour
nous surprendre ; tels ces patients incapables de tolérer le moindre mouvement
régressif et qui restent désespérément accrochés au pinceau du factuel et de
l’actuel, ou ces autres qui inversement se réfugient dans une forme d’infan-
tilisme régressif niant ainsi ce que leur évolution historique et les après-coups
qui n’ont pu manquer leur ont enseigné. Mais que le travail de théorisation en
fasse de même deviendrait difficilement acceptable. Le maintien de ces deux
voies, également ouvertes, dans notre approche des phénomènes psychiques est
un enjeu important. La question centrale de l’hallucination et de l’halluci-
natoire en est un exemple manifeste1.
Les précautions que nous prenons ici ne sont pas l’effet d’un pur forma-
lisme. Certaines métapsychologies plus ou moins privées, plus ou moins parta-
gées, apparaissent assez catégoriquement pro-progrédience ou pro-régrédience,
réduisant l’autre voie à une aimable fantaisie, un fourvoiement, ou au mieux à
une attitude défensive qu’il faut réduire.
D’un point de vue théorico-clinique, ce modèle, du maintien également
ouvertes des deux voies, devient généralisable à tout le champ exploré. Nous
voyons clairement dans les textes freudiens d’après 1920 s’installer et se déve-
lopper ce modèle. Les deux textes de 1924 « Névrose et psychose » et « La perte
de réalité dans la névrose et la psychose »2 sont probablement les plus illustra-
tifs de l’affirmation de la prévalence du nouveau modèle. Dans ces textes, char-
nières dans son édifice, Freud montre l’éclairage apporté à la clinique : « On est

1. M. Sali, Les deux voies de l’hallucination, in RFP, t. LXV, 4/2001.


2. S. Freud, « Névrose et psychose » et « La perte de réalité dans la névrose et la psychose », in
Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF.
Au fil de l’excitation 197

en droit d’exiger d’un tel dispositif qu’il se montre utilisable et expédient pour
d’autres sujets, ne serait-ce que pour voir sous un autre jour ce que nous
connaissons déjà » (p. 283) ; et de nouveau : « C’est seulement par suite du
renouvellement du système qu’il était nécessaire de le répéter » (p. 300). Nous
apprenons alors les effets de l’usage du nouveau système. Il nous montre que la
conflictualité psychique doit s’envisager en tenant compte des deux voies. La
voie régrédiente déjà largement utilisée depuis le modèle du rêve est aussi appli-
cable pour la psychose : « Le moi se crée autocratiquement un nouveau monde,
extérieur et intérieur à la fois » ce dernier étant constitué « par le capital mné-
sique des perceptions antérieures qui comme “monde intérieur” forment une
possession et une partie composante du moi » (p. 284). La voie progrédiente est
mue par la répétition qui ramène à l’actuel du sujet des inscriptions d’expé-
riences : « Dans la psychose le fragment de réalité repoussé revient sans cesse
forcer l’ouverture vers la vie psychique », celles-ci sont autant actuelles, issues
d’une réalité perceptible intolérable, qu’anciennes : « La refonte de la réalité
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porte dans la psychose sur les sédiments psychiques des précédentes relations à
cette réalité, c’est-à-dire sur les traces mnésiques, les représentations et les juge-
ments que jusqu’alors on avait obtenu d’elle et par lesquels elle était repré-
sentée dans la vie psychique » (p. 301).
Le rêve, on s’en doute, n’échappe pas à cette refonte lorsque Freud pro-
pose de le considérer comme émergence de contenus psychiques chez le dor-
meur du fait que celui-ci ait retiré, pendant son sommeil, une à une ses « pro-
thèses » diurnes. Le retour à une expérience ancienne se double du retour d’une
expérience passée. Ce thème du retour répétitif d’événements anciens trouve sa
forme la plus aboutie en 1937 dans « Construction dans l’analyse » : « Retour
d’un événement oublié des toutes premières années, de quelque chose que
l’enfant a vu ou entendu à une époque où il savait à peine parler », passage si
souvent cité aux côtés de « morceau de vérité historique ».
L’émergence paradigmatique apparaît assez vivement à la lecture de
ces textes, elle relaye et poursuit favorablement la rupture épistémologique
de 1920. Elle désigne le lieu de la conflictualité psychique comme parcouru,
selon une logique complexe depuis l’opposition frontale jusqu’à des formes de
synergies partielles, par les voies régrédiente et progrédiente agissant également
au sein du même champ.
Pour ce qui nous concerne plus directement dans la question de l’exci-
tation, le constat est le même. Le traitement psychique de l’excitation emprunte
tour à tour ou encore de façon combinée la voie de la régression comme cela est
repérable dans le rêve ou dans le recours hallucinatoire à la satisfaction lors des
états de détresse chez le nourrisson, et la voie de la répétition qui offre de nou-
velles possibilités d’élaboration et de transformation pour l’expérience vécue et
198 Madjid Sali

pour l’opération psychique en cours. Parfois la transformation espérée n’a pas


lieu, et c’est la fuite en avant dans l’espoir de fixer, de figer ou de se rendre
maître d’une excitation par une répétition de l’expérience traumatique. Cette
seconde voie est ainsi celle qu’emprunte l’excitation dans les pathologies où
l’activité frénétique tant psychique, réduite au factuel, que motrice vise soit son
épuisement in situ soit à créer des contre-feux. Probablement peut-on référer
cette manière de faire à un modèle général de « traitement » de l’excès
d’excitation, qu’il soit issu d’aspects indomptables de la pulsion dans ses
dimensions destructives ou d’inscriptions de parties mortifiées et mortifères de
l’objet primaire. Il s’agit dans tous les cas de composants psychiques présentant
des défauts majeurs d’intégration à l’économie signifiante du moi. Le registre
traumatique semble pouvoir s’accommoder avec bénéfice d’une telle définition
convoquant les deux dimensions ensemble.
Ici aussi, dans le registre du traumatique et de ses séquelles, les auto-
érotismes nous sont d’un grand secours. Nous voyons dans l’exercice de ces der-
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niers (cf. supra) l’occasion de (re)mise en œuvre du double étayage de la pulsion
sur le soma et le narcissisme de l’autoconservation, d’une part, et sur l’objet, de
l’autre, ainsi que celle de la conjonction de l’expérience perceptive actuelle (sen-
sations perçues) avec l’hallucinatoire de désir convoquant l’expérience ancienne
établie avec l’objet de l’histoire du sujet sous le primat du principe de plaisir,
dans l’espace subjectal. Il est utile d’ajouter que ce déroulement bénéfique se
trouve mis en difficulté lors des états traumatiques et post-traumatiques. La
répétition irrépressible d’expériences de détresse infantile vient alors infiltrer le
processus en cours et le menace de débordement et de désorganisation. Le « tra-
vail » des auto-érotismes, en présence comme en l’absence de l’objet actuel,
consiste précisément à rétablir un tant soit peu le primat du plaisir sur ces états
de harcèlement sur la voie de la réactualisation répétitive. Le principe du plaisir
mis « comme sous un narcotique » tente de se réinstaurer à la faveur de
l’exercice des auto-érotismes. L’échec peut se profiler, et c’est l’activité fréné-
tique, compulsive de l’excitation de zone morcelant l’unité pulsionnelle. Une
autre forme d’échec est représentée par l’établissement de liaisons perverses tou-
jours prometteuses de réduction de la charge de travail, au prix de quelque déni
et clivage du moi.
Nous avons évoqué ci-dessus, rapidement, les représentants de la pulsion
en notant qu’il s’agissait de l’investissement des traces mnésiques de l’objet.
Cela est insuffisant car si la pulsion révèle les traces, elle ne le fait pas comme
une poudre de couleur, jetée sur une page blanche, dévoilerait, par ce qui reste
une fois le surplus retiré, les traces faites par un stylet. Elle est poussée, activité
elle-même, elle façonne les traces, leur donne une configuration particulière
toujours en les révélant. Le résultat est que si, de ce tracé, on peut certainement
Au fil de l’excitation 199

extraire quelques traits de l’inscription précédente et peut-être même une sorte


de portrait de celui qui les a laissés, cela devra tenir compte des effets du mode
d’investissement, lui-même variant et ne sera jamais finalement que le portrait
du désir dans sa forme prévalente. On peut à titre indicatif et en forçant le trait
décrire quelques exemples bien classiques. La poussée de la pulsion orale aurait
tendance à lire et exprimer les traces mnésiques selon une logique « bon
dedans, mauvais dehors ». Les poussées des pulsions à prédominance anale y
verraient des conjonctures agressives et de logique rétensive-expulsive. Les
caractères prévalents traductibles en termes d’exploration pénétrante ou d’ef-
fraction appelant une logique binaire dominant/dominé référeraient plus à une
vision d’investissement pulsionnel phallique. On perçoit que la complexité est
de règle en songeant à l’unification des pulsions partielles sous le primat du
génital. Les représentations chose puis de chose et représentations mot puis de
mot porteront témoignage de cette histoire des transpositions successives, dans
leurs formes et dans les structures qui concourent à les signifier.
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Quelques mots concernant le représentant affect. Des différents représen-
tants de la pulsion, l’affect est le plus proche ou le plus directement connecté à
l’excitation. Elle est une composante assez constante de l’affect. Il serait intéres-
sant de suivre ce que devient le représentant affect – et donc un certain état
d’excitation – dont Freud nous dit qu’il peut être réprimé à la différence du
représentant représentation qui lui peut subir le destin du refoulement ; alors
même qu’il affirme ailleurs l’existence d’affects inconscients.
L’évolution de l’outillage représentatif que suppose le passage de la repré-
sentation chose puis de chose à la représentation mot et de mot ne peut rester
sans effets sur le représentant affect. On peut penser que l’affect, très primaire-
ment ressenti comme un éprouvé peu discriminé que seuls quelques traits pré-
valents traduisent tels l’intensité et un indice de plaisir/déplaisir, va s’enrichir
dans la manière dont le psychisme va en rendre compte et le présenter, par tou-
tes les nuances apportées par le langage. On sait désormais l’étendue des possi-
bilités des échanges précoces mère bébé, notamment au registre des émotions.
À cette « compétence », terme un peu désuet, du bébé, s’ajoute la palette
incomparable de nuances qu’offre le langage. La perception qui avait une place
probablement très importante dans les modes de ressentis émotionnels pre-
miers, comme le montrent ses traces résiduelles dans les formulations telles que
« peur bleue », « colère froide » associant affect et perception, enrichit et
accompagne les diverses traductions verbales futures de l’affect. L’acquisition
du langage et de la représentation de mot par l’enfant va être un changement
important pour l’expression de l’affect. Il est alors possible non seulement de
mieux, de façon plus nuancée et complexe, rendre compte de l’émotion, mais
aussi d’échanger à son sujet, de partager plus aisément l’affect. Le passage
200 Madjid Sali

d’une représentation chose et de chose de l’affect vers une représentation mot et


de mot de l’affect, ce qui est en soi un croisement entre les deux représentants
de la pulsion, accroît considérablement les moyens de traitement interne de
l’affect, mais aussi externe d’adresse et d’échange avec l’objet récepteur.

LES DEUX DESTINS DE L’EXCITATION

On reconnaît classiquement deux destins à l’excitation, la décharge ou la


liaison. La décharge avec la voie courte qu’elle implique a mauvaise presse
auprès des analystes pour des raisons historiques, d’une part – il était nécessaire
à la psychanalyse naissante de se différencier de la catharsis –, mais aussi
théorico-pratique ; la décharge retire à l’opération psychique en cours une
quantité d’énergie qui aurait utilement servi à l’élaboration, à la symbolisation
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par un circuit long impliquant à la fois les instances internes, subjectales et
l’objet avec ses qualités.
Il serait dommage que, pour les raisons susévoquées et quelques autres, le
sort de la décharge soit scellé. Cela pour la bonne raison que, selon des modali-
tés et des formes certes différentes, la décharge est omniprésente dans le cours
des événements psychiques des plus pathologiques aux plus communs. Il n’est
pas difficile de constater la participation de la décharge, d’une certaine part de
décharge, dans l’accomplissement de toute revendication pulsionnelle.
Ce qui apparaît dès lors pertinent est l’équilibre qui s’établit au cours des
opérations psychiques entre liaison et décharge. Leur alliage dans le chemine-
ment élaboratif conjoint plaisir et signification. La pulsion est force (poussée),
mais aussi recherche de satisfaction, donc potentiellement signification de
l’attente, de l’exigence corporelle pour le pôle somato-psychique et adresse de
sens pour le côté relationnel culturel, les deux versants indissociables de
l’exigence de travail psychique. Cela peut encore se dire autrement : le moi a à
traiter face aux exigences de ses deux maîtres, la réalité où règnent l’objet et le
« ça », réservoir des pulsions ouvert sur le soma. Mais cette seconde formula-
tion donne la part trop belle à une préforme de la psychologie du moi,
oublieuse des contenus de la pulsion.
Si un bébé tout seul ça n’existe pas, on ne peut réciproquement évoquer un
objet et la réalité qui l’entoure qu’en référence au sujet qui le signifie, à la pul-
sion qui en mène la quête.
On pourrait dire, en forçant le trait, que si la décharge sans liaison loupe
l’objet et s’épuise dans ce qui n’est qu’une sorte de dévidement, la liaison
sans un degré de décharge s’expose à n’être que fixation. La liaison a besoin
Au fil de l’excitation 201

d’un certain degré de décharge, comme la signification de la satisfaction,


pour se construire.
Il faut que l’objet tolère la décharge, accepte la charge de travail qui
consiste à la signifier en lien de cocréation. Les conséquences cliniques et tech-
niques, pour la cure notamment mais pour d’autres occurrences aussi, sont évi-
dentes ; toute décharge, tout acte ou agir n’est pas à redouter et à réduire tota-
lement et précocement.

DE L’ASSOCIATION LIBRE À LA CONSTRUCTION DANS L’ANALYSE

Dans l’Égypte ancienne, afin que l’âme du défunt rejoigne son but spiri-
tuel, il était nécessaire de lui indiquer par divers signes à la fois apaisants et
directifs les voies qui y mènent. L’effet traumatique de la mort a désorienté
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l’âme du défunt saisi d’un grand effroi, ses repères mnésiques sont désorgani-
sés. Il est grandement nécessaire de lui fournir les conditions de retrouvailles
avec ses traces et avec celles de ses ancêtres.
Le chemin de l’accomplissement demande à être balisé et l’âme du défunt,
rassurée et accompagnée pour qu’elle puisse retrouver ses liens symboliques,
retrouver ses esprits en quelque sorte.
On peut imaginer que cette formation de la pensée hautement symboli-
sante, présente sous des formes différentes dans toutes les cultures humaines et
dont on mesure assez peu l’importance qu’elle avait dans la vie des Égyptiens
de l’époque qui s’organisait pour une grande part autour de cette question,
concernait métaphoriquement un en-deçà autant qu’elle vise de façon mani-
feste un au-delà. Une part considérable des efforts et du travail quotidien, et ce
pour toutes les couches de la population, concernait le traitement matériel et
symbolique des mystères du destin de l’âme après la mort. Un traitement anti-
cipatoire qui peut être vu comme un après-coup projeté sur une autre scène et
un temps à venir de ce qui se passe ici, en dedans et maintenant. Une sorte de
prescience du traitement de l’excitation et du destin de la pulsion dans son che-
minement inconscient et de ses formations successives.
L’accomplissement pulsionnel n’est pas toujours un devenir assuré dont
l’imprévisibilité ne concernerait que les voies et qui se donnerait tel quel à être
saisi par l’interprétation à la seule condition d’avoir la patience de laisser se
dérouler le cours des opérations psychiques. La métaphore du train et du pas-
sager regardant et décrivant un paysage par la fenêtre à un personnage assis en
léger retrait fixe en effet le rapport de passivité du sujet à ses événements psy-
chiques qui s’inscrivent dans un trajet qui bien qu’imprévisible en ses étapes,
202 Madjid Sali

n’en est pas moins sûr. L’associativité féconde et son interprétation sont à ce
prix ; celui du présupposé d’un train déjà et durablement sur ses rails.
Mais voilà que la clinique nous montre que, parfois, le discours bégaye,
que le paysage repasse interminablement. L’itération prend la place de la liai-
son associative attendue. Le trajet n’est plus aussi sûr, la pulsion peut dérailler.
Devant ces incertitudes, les liaisons fautives, déviantes se présentent comme
autant de voies de salut pour l’excitation. La liaison perverse, le détournement
de but permettent d’échapper à la déliaison. La peur subvertit les chemins du
désir, la menace du vide dévoie les investissements. La pulsion perd son âme, en
quelque sorte.
C’est dans ces circonstances que la proposition de Freud de « Construction
dans l’analyse » prend toute sa valeur. Il ne peut s’agir dans ces cas difficiles,
mais aussi dans d’autres circonstances moins extrêmes, d’attendre que les asso-
ciations révèlent les liaisons pulsionnelles et permettent l’interprétation. Il
devient nécessaire d’offrir un cadre d’accompagnement qui permette à l’exci-
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tation de se réguler, à la liaison de s’inventer, de se trouver, de se retrouver, à la
pulsion de se donner des voies de symbolisation au-delà des opérations sur les-
quelles le principe du plaisir a déjà suffisamment assuré sa domination et à
celui-là de rétablir sa prévalence sur des territoires plus étendus, tout occupés
qu’ils soient par des traces mnésiques d’expériences porteuses de détresse. Ce
cadre d’accompagnement où, faut-il le noter, l’objet se fait plus présent, moins
silencieux sans être directif, est aussi un cadre d’accueil et d’attente pour l’excès
d’excitation. Il fournit un lieu où le délai n’est pas disparition, où latence n’est
pas inactivité psychique, où après-coup n’est pas rétorsion.
Madjid Sali
1, avenue Foch
69006 Lyon

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