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PULSIONNELLE
Denys Ribas
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Denys RIBAS
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logie freudienne reste à mes yeux pertinente pour éclairer les problématiques
de la naissance psychique. À condition de prendre en considération la seconde
théorie des pulsions, on constate que l’au-delà du principe de plaisir éclaire l’en
deçà de la relation d’objet. Il faut alors décrire psychanalytiquement la partici-
pation psychique de l’objet primaire à l’organisation de l’être humain. En
retour, les acquis de ce voyage insolite – par exemple l’adhésivité de la libido
désintriquée – éclairent d’un jour nouveau nos organisations psychiques... et
quelques aberrations humaines.
Pour prendre en compte la destructivité sans renier la sexualité, recon-
naître l’importance de l’environnement sans affadir la révolution freudienne
de l’introduction d’un point de vue intrapsychique, nous faisons coexister en
nous des théorisations aux références contradictoires. Cette heureuse ouver-
ture d’esprit nous impose cependant de penser ces contradictions afin de dimi-
nuer le risque d’une pratique contradictoire. Le concept d’intrication et de
désintrication pulsionnelle a pour moi cette valeur épistémologique. Il est
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Lorsque Steckel affirme le 24 avril 19071 que « la pulsion sexuelle est tou-
jours accompagnée de la pulsion de vie et de la pulsion de mort ». Freud ne
commente pas cette assertion.
Sabina Spielrein présente en 1911 sous le titre... De la transformation
(anticipant de 91 ans nos réflexions !) les thèses qu’elle développe en 1912
dans son article La destruction comme cause du devenir2. Elle précise n’avoir
pas eu, au moment de sa rédaction, connaissance du livre de Steckel Le lan-
gage du rêve, qui illustre la présence d’un désir de mourir en l’homme, parallè-
lement au désir de vivre inhérent à l’instinct sexuel. Elle suit Jung qui consi-
dère que « notre fécondité elle-même nous condamne à l’autodestruction, car
l’avènement d’une génération inaugure le déclin de la génération précé-
dente... »3 et identifie ainsi une composante destructrice de la sexualité. En
effet, biologiquement, « lors de la conception, une cellule mâle s’unit à une
cellule femelle : chaque cellule, du fait de cette union, est détruite en tant
qu’unité, et c’est de cette destruction que surgit ensuite une vie nouvelle ».
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1. Les premiers psychanalystes. Minutes (I) de la Société psychanalytique de Vienne, Paris, Galli-
mard, 1976.
2. Chap. 9 de : Sabina Spielrein entre Freud et Jung, trad. P. Rusch, Paris, Aubier-Montaigne,
1981.
3. Métamorphose et symboles de la libido, Jahrbuch der Psychoanalyse, vol. 3.
1692 Denys Ribas
Avec la compulsion de répétition révélée par les rêves des névroses trau-
matiques et les névroses de guerre, Freud reconnaît un Au-delà du principe de
plaisir. Il reconnaît le caractère conservateur des pulsions organiques et consi-
dère l’évolution comme découlant de leur déviation par l’environnement. De
ce fait leur but ne peut être qu’un état antérieur. « S’il nous est permis
d’admettre, comme une expérience ne connaissant pas d’exception, que tout
ce qui est vivant meurt pour des raisons internes, faisant retour à
l’inorganique, alors nous ne pouvons que dire : le but de toute vie est la mort,
et en remontant en arrière, le sans-vie était là antérieurement au vivant »
(OCF XV, p. 310). À celles-ci s’opposent « les pulsions de vie ». Dès
l’instauration du dualisme pulsionnel, Freud les spécifie comme potentielle-
ment sexuelles : « ... s’il est certain que sexualité et différence des sexes
n’étaient pas présentes au début de la vie, il n’en est reste pas moins possible
que les pulsions qui seront plus tard à désigner comme sexuelles soient entrées
en activité dès le tout premier début, et qu’elles n’aient pas attendu un
moment ultérieur pour se mettre au travail contre le jeu des “pulsions du
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1693
tion ne peut-elle avoir aussi pour conséquence d’autres destins de pulsion, par
exemple entraîner une démixtion des diverses pulsions fusionnées les unes avec
les autres... » (p. 274). Freud introduit ici la désintrication pulsionnelle.
Plus loin, il définit les deux espèces de pulsions et précise que la dériva-
tion sur le monde extérieur des motions destructrices se fait par la muscula-
ture. « Une fois que nous avons admis la représentation d’une mixtion des
deux espèces de pulsion, s’impose à nous la possibilité d’une – plus ou moins
complète – démixtion de celles-ci » (p. 284). Le sadisme est donné comme
exemple : la composante sadique de la pulsion sexuelle est l’exemple d’une
intrication, son autonomisation comme perversion celui d’une désintrication
relative. Désintrication aussi dans l’accès épileptique, et dans la névrose obses-
sionnelle grave, comme dans la régression sadique anale. L’ambivalence
témoignerait plutôt d’une intrication insuffisante. La question de la névrose
est donc posée d’emblée. Freud, subtilement, mais de manière un peu confuse,
récuse le fait que la haine ne ressortît que de la pulsion de mort : il connaît
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Deux questions
Mon travail portera sur une interrogation posée par Freud et sur une
autre qu’il n’envisage pas. La première est : Quels sont les facteurs de désintri-
cation pulsionnelle ?
La seconde est : Quels sont la nature et le destin de la pulsion de vie désin-
triquée ? La question qu’il pose pour les pulsions de mort ne se pose en effet
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1699
pas selon Freud1 pour les pulsions de vie. La pulsion de vie œuvre à la liaison,
est liaison, et il ne l’imagine pas différente non liée à la pulsion de mort.
L’expérience clinique m’a amené à penser différemment.
Critique épistémologique
Melanie Klein
1. Laplanche et Pontalis ont souligné dans leur Vocabulaire l’asymétrie dans la manière dont
Freud traite de la désunion pulsionnelle – ils préfèrent ce terme à désintrication.
2. Des formulations sur les deux principes de l’advenir psychique (1911), OCF XI, p. 14-15.
1700 Denys Ribas
D. W. Winnicott
1. 1946, p. 296-297 ; Notes sur quelques mécanismes schizoïdes, p. 279 de la traduction fran-
çaise, in Développement de la psychanalyse, PUF.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1701
W. R. Bion
Piera Aulagnier
André Green
Si à l’évidence André Green suit Freud dans la seconde théorie des pul-
sions, il mentionne, dans son article de 1984, une réserve : « En ce qui me
concerne, j’adhère pleinement à l’hypothèse que la fonction autodestructrice
joue un rôle correspondant pour la pulsion de mort à celui que joue la fonction
sexuelle pour l’Éros. Cependant, à la différence de Freud, je ne crois pas que
l’on doive défendre l’idée que cette fonction autodestructrice s’exprimerait pri-
mitivement, spontanément ou automatiquement » (p. 52). Cette réticence sem-
blerait donc bien concerner le masochisme primaire et pourrait refléter une sen-
sibilité aux positions de Winnicott sur l’environnement, comme en témoignera
La mère morte1. Est-ce pour cela que Green parle plus volontiers du couple liai-
son/déliaison qui serait dégagé d’une connotation génétique ? Il pose cependant
la question du masochisme originaire décrit par Freud pour les formes
d’angoisses « ... catastrophiques ou impensables, des craintes d’annihilation ou
d’effondrement, des sentiments de futilité, de dévitalisation ou de mort psy-
chique, des sensations de gouffre, de trous sans fond, d’abîme » (p. 53). Le
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plus de la mélancolie, « ... avec l’autisme infantile et les formes non paranoï-
des de psychoses chroniques, l’anorexie mentale, et diverses expressions de la
pathologie somatique du nourrisson », ainsi qu’aux travaux de Pierre Marty :
pensée opératoire, dépression essentielle, désublimation régressive, désorgani-
sation progressive et pathologie du préconscient. A. Green annonce ici cer-
tains de mes chapitres : c’est donc bien le narcissisme négatif, opposé au nar-
cissisme de vie, qui dans sa pensée fédère le plus mortifère de la clinique et
traduit la dualité pulsionnelle.
Il souligne le rôle à ses yeux de la pulsion de mort dans l’attaque contre
les liens décrite par Bion et Lacan. « Le succès du désinvestissement désobjec-
talisant se manifeste par l’extinction de l’activité projective qui se traduit alors
surtout par le sentiment de mort psychique (hallucination négative du moi)
qui précède parfois de peu la menace de perte de la réalité externe et
interne » (p. 58). A. Green termine son article en revenant au terme
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Séparément et dans leur œuvre commune, ces deux auteurs font travailler
le concept de désintrication dans l’ensemble de la vie psychique, avec des
conséquences autant positives que négatives.
comme une partie d’elle-même » (p. 711). L’excès de cette liaison au détri-
Benno Rosenberg
1. Signalons la position de Daniel Rosé, qui propose dans son livre L’endurance primaire (Paris,
PUF, 1997) ce concept pour spécifier la valence positive du masochisme érogène primaire.
2. Op. cit.
1710 Denys Ribas
Théorisations
alors que la seconde est régie par la projection d’un objet maternel tout-puis-
sant de manière à maintenir la symbiose primitive, fût-ce de manière délirante.
La position de Bettelheim, inspirée de son expérience concentrationnaire
et du constat d’un retrait mortel pour certains déportés devant la perte de
tout espoir dans le monde extérieur, comprenait le pari que l’environnement
pouvait donc aussi rendre l’espoir à un enfant dans un retrait autistique. On
comprend que Winnicott ait rejoint ce point de vue prenant en compte
l’environnement comme en témoignent des articles récemment traduits1. Con-
trairement aux préjugés à son encontre, Bettelheim ne pense pas que
l’environnement ait causé l’autisme de l’enfant, mais que la mère a échoué à
l’en guérir en ne supportant pas son rejet par l’enfant. Cependant, l’un et
l’autre donnent des indices d’un contre-transfert accusateurs envers les
parents. Ainsi Winnicott essaye de consoler des parents d’autistes en leur
disant que les médecins aussi commettent des erreurs... par exemple en pres-
crivant de la Thalidomide ! Quand on se souvient que ce médicament s’était
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d’être complice des défenses autistiques et préconisera ainsi une attitude active
Articulation métapsychologique
1. Autistic Barriers in Neurotic Patients, New Haven, Yale Univ. Press. Trad. franç., Le trou
noir de la psyché, Paris, Le Seuil, 1989.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1715
Illustration clinique :
fragment d’une psychanalyse d’un enfant autiste
Jim est un bel enfant blond un peu apeuré. Ses parents sont originaires
d’une région d’Europe de l’Est éprouvée par les convulsions politiques du
XXe siècle, et n’y ont pas la même origine culturelle. Francophiles, ils ont
choisi de s’installer en France. À la maison, de nombreuses langues sont par-
lées par ces parents polyglottes. C’est surtout la langue du pays d’origine,
seule parlée par la grand-mère maternelle qui vivait à l’époque avec la famille,
et le français que Jim entend à la maison. Le père de Jim a perdu la possibilité
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tard. Il boude sa mère, très occupée par son travail alors qu’il fait des câlins à
son père.
Au début de ses séances d’analyse instaurées trois fois par semaine, après
une année d’hôpital de jour et la fin de son traitement avec le médecin précé-
dent, Jim se montre un petit patient très convenable qui s’installe à la petite
table préparée pour lui, fait des dessins, et explore le matériel de sa boîte de
jeu. À l’une des premières séances, je le vois à un moment très concentré, se
mettre à se caresser les mamelons... Une odeur m’apprend qu’il vient de défé-
quer et je l’emmène aux toilettes et le change. Il tire alors compulsivement les
chasses des différents W.-C.
En séance, il explore peu à peu la pièce, essaye de chiper avec dextérité les
feuilles de l’imprimante ou veut prendre crayons et feutres sur mon bureau
– ce que je tente d’interdire. Ses dessins sont des points dans un brouillard de
traces, à la Pollock...
Pour une des séances, il doit quitter le groupe animé par l’éducateur
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vidange, une articulation en inversant le sens, il faut en effet tirer pour fermer
la bonde. C’est, pendant une longue période, moi qui dois contenir les débor-
dements d’eau glacée même en hiver, et il n’a que cette année découvert l’eau
tiède ou chaude. Il prendrait volontiers un bain en entier – ce que j’interprète
comme me faire occuper la place de son père dans les soins réels.
Les dessins se transforment, des cercles sont remplis – le cercle signe pour
Tustin une ébauche de moi – et Jim se lance dans une grande œuvre d’enluminure
du... manuel du logiciel Word de Microsoft (qui doit faire 800 pages !) que je lui
abandonne, intéressé par cet investissement d’un livre imprimé.
Derrière l’apparente et désespérante répétition à l’identique des séances,
un autre mouvement apparaît. Jim sort toujours de sa boîte deux chevaux qui
se trouvent tourner la tête dans des directions opposées. Je m’aperçois qu’il les
place alors toujours côte à côte, la tête tournée l’un vers l’autre comme pour
un baiser, et corrige leur position le jour où elle est inversée : je les nomme
« les chevaux qui s’aiment ».
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Ainsi, lors d’une séance, après des dessins de cercles, puis d’arcs, il fait
avec excitation prendre vie aux jouets dans la boîte, puis les parents sont cou-
chés par terre. Le crocodile marche vers eux : j’interprète la rage devant la
scène primitive. Bruit des objets dans la boîte : j’interprète du bruit des
parents dans le lit. Il rassemble crayons et feutres, les sépare chacun dans une
main, les remélange, etc.
Puis il joue de nouveau avec l’eau assez excité. Après la séance, il va au
W..C. déféquer.
On voit que l’excitation doit souvent encore être déchargée, avec le risque
de l’évacuation de l’élaboration... mais un temps d’attente a été possible.
Revenons en arrière pour distinguer également deux mouvements intéres-
sants à propos des jeux d’eaux. Dans le premier, Jim se mit à consommer de
grandes quantités de Sopalin, essuyant le lavabo (la saleté du sol mouillé et sali
par ses chaussures aussi...) le mouillant et le tétant comme une éponge avec
ravissement. J’essayais de maintenir un refus du « sale », mais nous en étions
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que j’avais, pour la première fois de ma vie, mis dans mon caddie au super-
marché un détartrant pour lavabo dont le flacon était illustré d’une photo
d’un lavabo à la bonde étincelante !
Si à certains moments j’avais entendu des mots clairs comme « Papa », ou
plus difficile à saisir comme « pa min » (pas la main ou papa-maman ?), le
mot « utin » m’avait laissé perplexe, comme « pété » ou « pé ! » très fort, mais
une rencontre avec sa mère m’apprit que Jim se signalait en disant souvent
« putain », « pédé » et « boudin », qui ne semblaient pas faire partie des
jurons familiaux. L’hôpital de jour accueillant des enfants scolarisés à temps
partiel à l’école primaire, il n’était pas exclu que son vocabulaire se soit enri-
chi dans l’institution. Je constatais peu après que c’était bien le cas, « pédé »
semblait à la mode. Ce qui est plus complexe, c’est la notion d’une compré-
hension par l’enfant du sens sexuel du gros mot et laquelle ?
En dehors de sa fixation privilégiée aux hommes à son arrivée, il se
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Élaborations
nant. Il me semble qu’on est très proche alors des valeurs techniques défen-
dues par A. Ferro1 dans la filiation des idées de Bion et de la notion de champ
de M. et W. Baranger. Dans cette optique, l’élaboration contre-transférentielle
prend le pas sur l’interprétation des contenus et les métaphores corporelles
kleiniennes auxquelles Meltzer reste par exemple fidèle. Ceci pour ouvrir le
débat sur l’interprétation au service de la création psychique.
La position de Ferro, remarquablement féconde dans la recherche assumée
de la cocréation d’une organisation psychique, n’est pas sans conséquences,
exposant d’une part, comme le corps à corps des boxeurs sur le ring, à une issue
défensive contre les mouvements pulsionnels plus développés, érotiques ou
agressifs et d’autre part, et cela concerne plus les autistes, privilégie la mise en
récit sur la régression formelle du mot à l’image. L’importance de la mise en
récit, en histoire, en temporalité et l’apport des contenants culturels du mythe
et du conte dans la construction psychique sont reconnus dans le traitement de
l’autisme, comme J. Hochmann2 et P. Laforgues3 y ont insisté. Cela me semble
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Psychanalyse et institution
pris en compte dans notre description du processus. Bion nous a initié par ses
Recherches sur les petits groupes à une pensée psychanalytique de groupes thé-
rapeutiques réunis autrement que par une démarche psychanalytique indivi-
duelle. Didier Anzieu et René Kaes ont développé en leurs termes une pensée
des enveloppes psychiques.
L’institution montre à l’œuvre la prise en compte psychique de la destructi-
vité démantelée des autistes et ses membres, à la suite des parents, sont sollicités
à ce titre dans leur économie psychique personnelle. Ceci m’a amené à reconsi-
dérer certains jugements hâtifs d’autrefois sur les parents. Positions insuffisam-
ment psychanalytiques qui ne prenaient pas en compte les mises en sens après
coup de l’élaboration du passé de l’enfant par le psychisme des parents.
Winnicott (il est concerné) nous a en revanche montré la voie en théori-
sant de manière proche le rôle de l’institution dans le traitement de la ten-
dance antisociale et l’utilisation de l’objet psychanalytique dans la cure.
Comme la psychiatrie l’a largement montré, cette détoxication de la des-
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La symbolisation
et Marion Milner comprend cette évolution comme le fait que la vie scolaire ne
lui était plus alors apparue comme une incarnation de la « non-moi-ité ». Elle
se souvint qu’au début de la guerre, l’enfant avait simultanément vu disparaître
son père mobilisé et son lapin de prédilection en laine. Elle pensa que cette
perte d’un objet transitionnel avait été très importante et que son rôle person-
nel dans les séances était celui de ce lapin perdu. « Il me traitait ainsi souvent
comme son entière propriété pour faire de moi ce qu’il voulait, comme si j’étais
un détritus, son détritus, ou comme un outil, une extension de sa propre main
(il n’avait jamais été un suceur de pouce). » (Remarquons que nous retrouvons
le détritus.) « Il apparut en fait, avec évidence, qu’il lui fut nécessaire pendant
très longtemps de garder l’illusion que j’étais une partie de lui-même. »
En lisant ces lignes je suis frappé par la résonance avec l’autisme – le
refus de la séparation – mais aussi l’écart – car la capacité d’illusion partagée
y fait tragiquement défaut.
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1. Peut-être cela participe-t-il plus tard à l’attrait du tabac, du bout incandescent de la cigarette
au foyer de la pipe, et dont la fumée génère des formes qui isolent et protègent le fumeur de l’altérité
du monde... et imprègne ce dernier d’une odeur personnelle.
1728 Denys Ribas
Remarquons que Marion Milner ne relève pas que l’enfant fait fondre un
soldat comme le père parti pour la guerre...
Elle insiste au contraire sur la nécessité d’un médium malléable entre la
réalité autocréée et la réalité extérieure, illustrant l’aphorisme « l’Art crée la
Nature ». Pour elle, l’art – pour le senti – et la science – pour le perçu –
s’attachent à amoindrir l’écart entre les moyens disponibles d’expression et les
expériences émotionnelles ou une compréhension du monde.
Impliquant son contre-transfert, elle fait une remarque très importante
pour les analyses de cas difficiles, de réactions thérapeutiques négatives :
l’analyse du petit garçon changea lorsqu’elle remit en cause sa conception
profonde de cette cure en considérant qu’il n’était pas dans une régression
profonde seulement défensive, en la traitant comme ses gaz, son souffle, ses
fèces, mais dans « une phase répétitive essentielle dans le développement d’une
relation créatrice au monde ». « Le garçon put alors permettre à l’objet
externe que je représentais d’exister en tant que tel. »
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La stéréotypie
1. Dans son rapport de 1985 sur Le refoulement. Les défenses, RFP, no 1, 1986, C. Le Guen pose
la question : « Ce refoulement originel, à être absolument nécessaire à la métapsychologie, n’en laisse
pas moins perplexe. [...] Est-ce un résultat ou une cause ? » (p. 127) et conceptualise un refoulement ori-
ginaire après coup, « condensation des activités hallucinatoires, projectives, auto-érotiques puis fantas-
matiques dont l’ensemble donnerait l’impression d’être “l’originel”, du fait des bénéfices narcissiques
secondaires qu’elles entraînent » (p. 131).
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1731
des enfants murés dans l’autisme, n’est-elle que toxique pour la vie psy-
chique ? C’est par exemple la position de Didier Houzel, que j’ai entendu
raconter, dans l’exposé d’une cure, qu’il baissait le store lorsque l’enfant
s’auto-stimulait avec sa main dans le soleil. Geneviève Haag partage aussi ce
point de vue. Mais je me suis demandé1 si la stéréotypie ne contenait pas une
« spore d’objet », conservée secrètement par l’enfant, et seule réalité créée sus-
ceptible d’être développée. Winnicott me donnerait en effet raison. Dans le
cas d’instauration d’un faux self, « le vrai self ne peut communiquer qu’avec
les objets subjectifs, communication en cul-de-sac, comme dans les balance-
ments autistiques » – et la peinture abstraite, ajoute Winnicott –, mais qui
porte en elle tout le sens du réel, alors que les objets offerts ne sont en relation
qu’avec le faux self et la communication avec eux n’est pas éprouvée comme
réelle2.
Dans la discussion3 avec Claude Smadja et Gérard Szwec au sujet des
procédés autocalmants qu’ils ont décrits, j’ai fait remarquer que la répétition
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sens : « faire ruisseler [les billes] est une stéréotypie engendrant vraiment une
ivresse ; je répète d’abord visiblement ce que cause invisiblement la solitude »
(op. cit., p. 120). Il précise que c’est aussi une défense que la connaissance
peut remplacer : « Le savoir évite des actes dits répétitifs les premiers débuts
pour ne pas être livré à un chaos » (p. 116).
C’est aussi l’occasion de mettre en discussion le rapport coexcita-
tion / masochisme originaire. Il me semble que la différenciation est essentiel-
lement topique : la coexcitation, source corporelle libidinale, n’implique pas
pour exister un moi déjà constitué pour l’éprouver, alors que le masochisme
originaire suppose une ébauche moïque en constitution. Le second serait donc
la reprise psychique unifiée de la première.
Catherine Parat va dans ce sens, soulignant dans À propos de la coexcita-
tion libidinale1 la participation de l’Autre maternel et de ses pare-excitations à
cette organisation du masochisme érogène de l’enfant à partir (entre autres)
de la coexcitation, en particulier par « l’adaptation du rythme de la mère au
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L’hallucinatoire et la projection
La création du temps
Esther Bick
... et Bion
1. Si cette pureté résulte d’un clivage chez le patient adulte de Winnicott, il décrit sous ce nom
une forme d’identification primaire à la mère qui est pour moi un état d’intrication pulsionnelle par la
mère des pulsions de l’enfant. Dans la suite de mon travail j’indiquerai que la purification, à l’opposé
de l’usage de ce terme par Winnicott, est pour moi un indice de désintrication pulsionnelle. D’une
part, on retrouve une opposition de ce type entre l’identité adhésive saine (Bick) du nourrisson et
l’identification adhésive pathologique (Meltzer), d’autre part, il ne fait pas de doute que je suis en
désaccord avec l’intérêt de Winnicott pour que ce qui concerne l’être soit pur de toute sexualité...
1736 Denys Ribas
Piera Aulagnier
La mère « intricante »
L’investissement paternel
Ce débat actuel ne devrait pas être – André Green l’a souvent dit – puis-
qu’il ne peut y avoir d’investissement sans une pulsion qui s’oriente vers un
objet pour obtenir satisfaction. Ce qui est sous jacent est la question de la
contingence de l’objet externe ou au contraire du caractère structurant de la
réponse de l’objet primaire, de l’objet en personne1. Ce qui veut dire que la
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1. Pour reprendre le titre d’un numéro récent de la RFP (no 2, 1997) consacré à ce thème.
1740 Denys Ribas
La fétichisation
– qu’il est par ailleurs toujours difficile de publier pour respecter la confiden-
tialité – l’intérêt de ce regard dans l’exercice quotidien de la psychanalyse.
Si Tustin et Meltzer ont souligné l’existence de défenses autistiques dans
d’autres structures d’apparences névrotiques, insistant sur la superficialité de
la vie émotionelle, il m’arrive rarement d’identifier un élément autistique dans
une cure. En voici pourtant un exemple.
Louis est un intellectuel brillant qui fait une analyse à quatre séances par semaine.
« Ne me prenez pas l’homosexualité que ma première analyse m’a permis de vivre »,
me dit-il lors des premières séances, usant de la dénégation efficacement puisque,
quelques années plus tard, il commence à vivre avec une femme. Ne se souvenant pas
de ses rêves pendant la plus grande partie de l’analyse, il était au début somnambule.
Dans la sexualité hétérosexuelle qu’il découvre, il me dit un jour, parlant d’embrasser
les seins de sa compagne, « j’ai eu peur de casser son téton ». La même angoisse sera
éprouvée dans un retournement lors d’un baiser « J’ai eu peur quelle me casse la
langue... » Ce mot cassé m’a semblé venir de très loin.
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dans la cure l’objet interne défaillant pour restauration par une nouvelle
expérience de contenance... Il me semble que cette question nous occupe
depuis quelques décennies déjà et que l’interrogation sur le cadre ne peut
faire l’économie de cette réflexion : la prise en compte d’une fragilité narcis-
sique est-elle une limite des ambitions thérapeutiques ou une lucidité au ser-
vice de cette ambition ?
En tout cas, contre-transférentiellement, il m’a semblé précieux d’opposer
une passivité de vie et une passivité de mort chez le patient et chez l’analyste.
Dans le premier cas, la passivité est réceptivité, féminité, de laisser l’objet
s’approcher, vous investir. La passivité de mort au contraire laisse s’éteindre,
se déliter le lien, se laisse désinvestir et « laisse tomber ».
L’attention portée par l’analyste à l’économie du conflit des pulsions de
vie et de mort dans la cure et à leur degré d’intrication et de désintrication me
semble une boussole des plus précieuses et en particulier dans les registres
convoqués par les traumatismes précoces. La métaphore maternelle – avec la
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1. (1964), Fantasme originaire, fantasme des origines, origine du fantasme, Paris, Hachette, 1985.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1749
Cette question laissée ouverte par Freud est à poser pour des travaux
futurs et je n’aurais ni les moyens, ni la prétention d’y répondre. Mais je serais
heureux que des propositions soient faites dans nos débats.
Au début de l’Au-delà, Freud note que la compulsion de répétition
concerne aussi la névrose et la normalité. Il précise ensuite que la répétition
dans la névrose, à l’opposé du jeu de l’enfant, « passe outre, de toutes les
façons, au principe de plaisir. Le malade a là comme une conduite complète-
ment infantile et nous montre ainsi que les traces mnésiques refoulées de ses
expériences vécues des temps originaires ne sont pas présentes en lui à l’état
lié et, en fait, dans une certaine mesure, ne sont pas aptes au processus secon-
daire » (OCF XV, p. 307).
Cette citation me semble rendre compte d’une désintrication pulsionnelle
par une fixation adhésive des traces (fixation incestueuse, comme dans le
masochisme moral) et par le constat d’une déliaison. À la fois l’élément œdi-
pien est un indice d’intrication – nous avons vu combien – et en même temps
l’impossibilité du démantèlement (au sens freudien cette fois) du complexe
d’Œdipe signe une adhésivité des investissements paralysant le deuil objectal.
L’agressivité est souvent mentionnée par Freud, et pas seulement pour
l’Homme aux rats – potentiellement grand homme ou grand criminel ! – et
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1751
1. RFP, no 1, 1985.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1753
1. RFP, no 3, 1986.
2. RFP, no 3, 2000, p. 743-771.
1754 Denys Ribas
noir » expliciterait l’inhibition, mais l’auteur ne prend pas parti sur une éven-
tuelle généralisation. En revanche, il me semble avoir fait le lien oralement
entre une inhibition liée au caractère cumulatif de l’angoisse dans le parcours
associatif dans la phobie et l’évitement chez son patient de la liaison associa-
tive qui confronterait, du fait du caractère cumulatif des traumatismes, à un
effroi catastrophique qu’il relie aux terreurs diurnes.
La libido qui ne trouve pas son objet pour atteindre son but – la satisfac-
tion – nous est familière : c’est l’excitation. Elle est donc dans un état relatif
de désintrication. Je me propose d’explorer quelques aspects plus désintriqués
dont les états autistiques nous ont appris les caractéristiques adhésives, en col-
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La fixation
Illustration clinique
ensemble exposés au danger après avoir organisé le départ de leurs deux filles,
dégageant la scène primitive des urgences matérielles du rapatriement.
Sa culpabilité et son hystérie – le rouge de l’encre a déplacé le rouge du
sang des victimes – ont opéré des reliaisons protectrices du traumatisme de
l’exode, de l’impuissance devant la catastrophe, dans un sentiment familial de
trahison.
Pourtant, et justifiée en apparence par la conjoncture économique défavo-
rable à l’époque, son évolution professionnelle tourne dans un premier temps
à la catastrophe avec une longue période de chômage. Elle réalisera cependant
son projet.
Sur le plan affectif, l’investissement de son corps et le fait de mieux assu-
mer ce qui en elle excite les hommes va lui permettre des aventures... mais pas
au-delà, en tout cas pas la possibilité de construire un couple et une famille.
Le temps passe et l’horloge biologique n’ignore pas la temporalité, amoindris-
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Le temps désintriqué
je ne le suis pas volontiers dans son élaboration d’un objet esthétique1 tradui-
sant l’émerveillement de l’enfant face à la beauté de la mère. Il me semble y
avoir là une régression psychanalytique, dans le recours à la beauté de la per-
ception, et une idéalisation théorique. Pour moi, c’est la séquence inverse qui
est pertinente : l’objet, investi avant que d’être perçu pour reprendre la célèbre
formulation de Serge Lebovici, créé pour qu’il soit possible de le trouver pour
parler comme Winnicott, tire sa beauté des satisfactions qu’il permet
d’expérimenter et, par l’idéalisation défensive, de celles qu’il refuse. On
rejoint, quant à la proportion du positif et du négatif dans le germe de
l’expérience esthétique, mon interrogation sur la fixation...
En revanche, la question attribuée au nourrisson devant sa mère par
Meltzer : « Est-elle aussi belle à l’intérieur ? » me semble très pertinente.
Si Pierre Marty découvre chez des malades hospitalisés pour des maladies
somatiques de grandes différences d’évolution qui lui font conceptualiser Les
mouvements individuels de vie et de mort1, il semble que son cadre théorique
soit en profondeur resté moniste dans une conception assez jacksonnienne
d’une hiérarchie des fonctions, et que, pour lui, la désorganisation psychique
résulte d’une baisse d’un tonus vital. Remarquons cependant que cela oppose
une énergie vitale et une inertie, une entropie liée au temps. Dans la dépres-
sion essentielle, le patient s’enfonce sans angoisses dans le désinvestissement
objectal : c’est un mouvement passif.
1. RFP, no 5, 1998.
2. Pulsions et somatisation, ou le moi, le masochisme et le narcissisme en psychosomatique,
RFP, no 5, 1998.
3. La névrose de comportement : quelle organisation individuelle ?, Revue française de psychoso-
matique, no 10, 1996.
1764 Denys Ribas
Dans cet enfer, un sens pourrait être trouvé. L’attaque contre l’amour
– prouver qu’une mère n’aime pas parfaitement équitablement ses enfants –,
ou tenter de le pervertir en destruction est diabolique – donc religieux – et
c’est maintenir négativement la représentation de l’amour par l’acharnement
contre elle. Le diable est un ange déchu, tombé hors de l’amour divin, il est la
figure de l’Envie.
Exporter la désintrication
BIBLIOGRAPHIE
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