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CHRONIQUES DE L'INTRICATION ET DE LA DÉSINTRICATION

PULSIONNELLE

Denys Ribas

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2002/5 Vol. 66 | pages 1689 à 1770


ISSN 0035-2942
ISBN 2130526527
DOI 10.3917/rfp.665.1689
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Chroniques de l’intrication
et de la désintrication pulsionnelle

Denys RIBAS
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INTRODUCTION

Notre économie psychique est mouvante. La structure des investissements


de nos objets se modifie avec les aléas de la vie et les pertes objectales et nar-
cissiques, avec les satisfactions aussi. L’urgence nous fait parfois nous décou-
vrir autres. Devons-nous nous définir par l’organisation la plus habituelle de
notre économie psychique, ou par celle à laquelle nous recourrons en cas de
crise ? Nos patients nous apprennent combien ils diffèrent, singuliers dans leur
individualité bien sûr, mais témoignant aussi de destins différents de la cons-
truction psychique. Ils nous confrontent également à des hétérogénéités struc-
turales. Nous avons depuis longtemps perdu l’illusion d’une normalité, mais
les patients nous ont dépossédés de bien d’autres évidences. États limites,
organisations psychosomatiques ont bousculé la nosologie psychanalytique
fondée sur le triptyque névrose, psychose et perversion en effractant les limites
du fonctionnement psychique. La dépression et les pathologies du narcissisme
ont pris le pas sur les problématiques de l’investissement libidinal. Dans mon
interrogation sur la naissance psychique, la rencontre des autismes infantiles
et de leurs défenses non projectives m’a ôté les quelques certitudes qui me res-
taient : l’évidence de soi, de l’objet et du monde, celle aussi de l’espace et du
temps. Ceci ne peut être sans conséquences sur notre pensée du psychisme.
Nous ne pouvons plus nous passer des apports dérangeants de Winnicott et
de Bion.
À l’opposé d’une tentation actuelle de renier l’importance de la sexualité,
contre laquelle se sont élevés l’an passé César et Sára Botella, la métapsycho-
Rev. franç. Psychanal., 5/2002
1690 Denys Ribas

logie freudienne reste à mes yeux pertinente pour éclairer les problématiques
de la naissance psychique. À condition de prendre en considération la seconde
théorie des pulsions, on constate que l’au-delà du principe de plaisir éclaire l’en
deçà de la relation d’objet. Il faut alors décrire psychanalytiquement la partici-
pation psychique de l’objet primaire à l’organisation de l’être humain. En
retour, les acquis de ce voyage insolite – par exemple l’adhésivité de la libido
désintriquée – éclairent d’un jour nouveau nos organisations psychiques... et
quelques aberrations humaines.
Pour prendre en compte la destructivité sans renier la sexualité, recon-
naître l’importance de l’environnement sans affadir la révolution freudienne
de l’introduction d’un point de vue intrapsychique, nous faisons coexister en
nous des théorisations aux références contradictoires. Cette heureuse ouver-
ture d’esprit nous impose cependant de penser ces contradictions afin de dimi-
nuer le risque d’une pratique contradictoire. Le concept d’intrication et de
désintrication pulsionnelle a pour moi cette valeur épistémologique. Il est
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aussi un outil clinique pour ressentir et évaluer la destructivité psychique et
ses risques dans la cure et amène à certaines positions techniques. Dans ce tra-
vail, je réserverai les termes d’intrication et de désintrication à leur utilisation
métapsychologique en référence aux pulsions de vie et de mort.
Nous verrons d’abord comment Freud s’est servi de sa nouvelle formali-
sation de la conflictualité psychique, puis comment quelques-uns de ses suc-
cesseurs l’ont reprise avec leur spécificité. À l’exception de Winnicott, qui
refuse la pulsion de mort, mais ne semble pas opposé à penser en termes
d’intrication de l’agressivité et des tendances libidinales et travaille la négati-
vité, nous ne discuterons pas les positions des psychanalystes qui se passent de
la pulsion de mort et donc de la seconde théorie des pulsions. D’une part,
faute de place, et d’autre part, pour plutôt ouvrir à de nouvelles questions que
de répéter à l’identique d’anciennes polémiques.

INTRICATION ET DÉSINTRICATION PULSIONNELLE

Dans l’œuvre de Freud

Les prémisses et les précurseurs

Freud est un penseur de la conflictualité interne. Entre libido et auto-


conservation tout d’abord, puis entre investissement narcissique et investisse-
ment d’objet avec Pour introduire le narcissisme en 1914.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1691

Lorsque Steckel affirme le 24 avril 19071 que « la pulsion sexuelle est tou-
jours accompagnée de la pulsion de vie et de la pulsion de mort ». Freud ne
commente pas cette assertion.
Sabina Spielrein présente en 1911 sous le titre... De la transformation
(anticipant de 91 ans nos réflexions !) les thèses qu’elle développe en 1912
dans son article La destruction comme cause du devenir2. Elle précise n’avoir
pas eu, au moment de sa rédaction, connaissance du livre de Steckel Le lan-
gage du rêve, qui illustre la présence d’un désir de mourir en l’homme, parallè-
lement au désir de vivre inhérent à l’instinct sexuel. Elle suit Jung qui consi-
dère que « notre fécondité elle-même nous condamne à l’autodestruction, car
l’avènement d’une génération inaugure le déclin de la génération précé-
dente... »3 et identifie ainsi une composante destructrice de la sexualité. En
effet, biologiquement, « lors de la conception, une cellule mâle s’unit à une
cellule femelle : chaque cellule, du fait de cette union, est détruite en tant
qu’unité, et c’est de cette destruction que surgit ensuite une vie nouvelle ».
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Ceci illustre bien sa thèse qu’elle amène ensuite sur le plan psychique, souli-
gnant au passage que le Moi obéit à des injonctions profondes dont certaines
vont lui faire prendre plaisir à des désagréments ou souffrances. Sans définir
ce mouvement comme masochisme, elle note la contradiction avec
l’autoconservation et conclut avec Jung à l’hétérogénéité du Moi : ses patients
schizophrènes l’ont convaincue que l’individu est bien un « dividu ».
Elle retrouve dans l’œuvre d’art le besoin du Moi des créateurs de se dis-
soudre pour reparaître sous une forme plus belle, mais autre. « C’est donc
qu’il y a en nous, parallèlement au désir de permanence, un désir de transfor-
mation, qui dissout les contenus de représentation individuels en un matériau
similaire, tiré des temps anciens, et qui devient ainsi, aux dépens de l’individu,
un désir typique, c’est-à-dire propre à l’espèce, qui projeté vers l’extérieur,
apparaît sous forme d’œuvre d’art » (p. 225). Sa conception n’est donc pas
que biologique, mais aussi psychique et nous propose, sans employer le terme,
une théorie de la sublimation qui comporte une phase destructive. Elle
l’illustre chez Nietzsche, articulant auto-érotisme, bisexualité et création.
Elle donne de nombreux exemples de la dissimulation du sexuel sous le
masque de représentation de mort qui montre bien son accord avec une
conception moniste d’un sexuel ayant une composante destructrice. Son
apport par rapport à la première théorie des pulsions et à la composante

1. Les premiers psychanalystes. Minutes (I) de la Société psychanalytique de Vienne, Paris, Galli-
mard, 1976.
2. Chap. 9 de : Sabina Spielrein entre Freud et Jung, trad. P. Rusch, Paris, Aubier-Montaigne,
1981.
3. Métamorphose et symboles de la libido, Jahrbuch der Psychoanalyse, vol. 3.
1692 Denys Ribas

sadique de la sexualité est de penser une autodestruction articulée à la libido.


Elle relie l’état névrotique à l’ambivalence, au fait que la composante destruc-
tive de l’instinct sexuel l’emporte sur les représentations de vie, « légèrement
prédominantes » en temps normal.
Sabina Spielrein, très influencée par Jung, donne de nombreux exemples
mythologiques et voit dans la Passion du Christ l’exemple d’une autodestruc-
tion menant à une renaissance, après un passage par le tombeau, symbolisant
le ventre maternel. Elle conclut ainsi son travail : « ... L’instinct de procréa-
tion comporte même, du point de vue psychologique, et conséquemment aux
données de la biologie, deux composantes antagonistes, et [qu’]il constitue
donc, autant qu’un instinct de vie, un instinct de destruction. »
Il faut donc lui reconnaître l’invention de l’intrication pulsionnelle de ces
deux instincts. Soulignons que cette intrication est réalisée par le temps, et un
temps, celui de l’espèce, qui dépasse la temporalité interne. Il appartiendra au
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génie freudien d’inventer la désintrication, après avoir suivi, avec l’Au-delà,
Sabina Spielrein dans son intérêt pour la vie cellulaire, lui rendant ainsi hom-
mage en note quand il évoque un masochisme primaire : « Dans un travail
riche de contenu et de pensées, qui par malheur ne m’est pas tout à fait trans-
parent, Sabina Spielrein a anticipé tout un grand morceau de cette spécula-
tion. Elle qualifie de “destructive” la composante sadique de la pulsion
sexuelle (La destruction comme cause du devenir). »

La seconde théorie des pulsions

Avec la compulsion de répétition révélée par les rêves des névroses trau-
matiques et les névroses de guerre, Freud reconnaît un Au-delà du principe de
plaisir. Il reconnaît le caractère conservateur des pulsions organiques et consi-
dère l’évolution comme découlant de leur déviation par l’environnement. De
ce fait leur but ne peut être qu’un état antérieur. « S’il nous est permis
d’admettre, comme une expérience ne connaissant pas d’exception, que tout
ce qui est vivant meurt pour des raisons internes, faisant retour à
l’inorganique, alors nous ne pouvons que dire : le but de toute vie est la mort,
et en remontant en arrière, le sans-vie était là antérieurement au vivant »
(OCF XV, p. 310). À celles-ci s’opposent « les pulsions de vie ». Dès
l’instauration du dualisme pulsionnel, Freud les spécifie comme potentielle-
ment sexuelles : « ... s’il est certain que sexualité et différence des sexes
n’étaient pas présentes au début de la vie, il n’en est reste pas moins possible
que les pulsions qui seront plus tard à désigner comme sexuelles soient entrées
en activité dès le tout premier début, et qu’elles n’aient pas attendu un
moment ultérieur pour se mettre au travail contre le jeu des “pulsions du
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1693

moi” [désignation provisoire qui se rattache à la première nomenclature de la


psychanalyse, précise un ajout de 1925] » (p. 313).
Freud s’oppose à l’idée d’une pulsion de « sublimation éthique » qui
pousse l’homme vers le surhomme – il répond peut-être ici aux références
nietzschéennes de Sabina Spielrein, attribuant à l’environnement, dans un dar-
winisme assez clair, la sélection des évolutions. Il note une position semblable
de Ferenczi en 1913 : « En poursuivant ce cheminement de pensée de façon
conséquente, on ne peut que se familiariser avec l’idée qu’une tendance à la
persévérance, voire à la régression domine la vie organique, tandis que la ten-
dance à une évolution progrédiente, à l’adaptation, etc., ne prend vie que par
des stimuli externes » (p. 314, note). Il se contente de considérer « ... que les
efforts déployés par Éros pour regrouper l’organisme en des unités toujours
plus grandes fournissent un substitut à cette pulsion de perfectionnement dont
on ne saurait reconnaître l’existence » (p. 315). Remarquons qu’il fournit ici
peut-être une clé de l’antinarcissisme dont Francis Pasche a souligné la néces-
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sité pour l’accès à l’objet.
Freud rattache donc maintenant les pulsions du moi aux pulsions sexuel-
les ayant pris le moi pour objet, « le plus distingué d’entre eux », et
l’autoconservation à son tour, logiquement, relève de l’Éros. « Notre concep-
tion était dès le début dualiste et elle l’est aujourd’hui de façon plus tranchée
qu’auparavant, depuis que nous dénommons les opposés, non plus pulsions
du moi et pulsions sexuelles, mais pulsions de vie et pulsions de mort »
(p. 326). Il est alors amené à considérer que « le sadisme est une pulsion de
mort qui a été repoussée du moi par l’influence de la libido narcissique, de
sorte qu’elle ne vient à apparaître qu’au niveau de l’objet », ce qui le conduit
à poser déjà l’hypothèse d’un masochisme primaire qui sera développée
en 1924.
Une partie des psychanalystes ne peut se résoudre à suivre Freud dans
des spéculations métaphysiques qui débordent l’intrapsychique, convoquent
l’organique, abandonnent l’individu pour le sort de l’espèce et font appel à la
réalité externe. Au contraire, ces défauts deviennent des qualités pour
s’occuper des patients qui n’ont pas la chance d’accéder à la névrose de trans-
fert et permettent à mon sens de garder une position psychanalytique face aux
vicissitudes de la naissance psychique. Le lien avec le corporel et l’exigence de
travail qui en résulte sont ainsi conservés aux pulsions.
Le moi et le ça (OCF XVI). En instituant la seconde topique, Freud aborde
l’identification à l’objet perdu, où le moi s’impose comme objet d’amour sem-
blable à l’objet disparu. Une désexualisation s’ensuit obligatoirement qu’il
considère comme l’économie habituelle de la sublimation – dont on sait qu’il ne
pût résoudre l’énigme en 1915 – générant un nouveau but. « Cette transforma-
1694 Denys Ribas

tion ne peut-elle avoir aussi pour conséquence d’autres destins de pulsion, par
exemple entraîner une démixtion des diverses pulsions fusionnées les unes avec
les autres... » (p. 274). Freud introduit ici la désintrication pulsionnelle.
Plus loin, il définit les deux espèces de pulsions et précise que la dériva-
tion sur le monde extérieur des motions destructrices se fait par la muscula-
ture. « Une fois que nous avons admis la représentation d’une mixtion des
deux espèces de pulsion, s’impose à nous la possibilité d’une – plus ou moins
complète – démixtion de celles-ci » (p. 284). Le sadisme est donné comme
exemple : la composante sadique de la pulsion sexuelle est l’exemple d’une
intrication, son autonomisation comme perversion celui d’une désintrication
relative. Désintrication aussi dans l’accès épileptique, et dans la névrose obses-
sionnelle grave, comme dans la régression sadique anale. L’ambivalence
témoignerait plutôt d’une intrication insuffisante. La question de la névrose
est donc posée d’emblée. Freud, subtilement, mais de manière un peu confuse,
récuse le fait que la haine ne ressortît que de la pulsion de mort : il connaît
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trop les transformations de l’amour en haine – comme en témoigne la para-
noïa. Il fait alors intervenir une énergie désexualisée, sublimée, du moi pour
expliquer ces mutations. Notons une remarque qui nous intéressera dans
l’autisme, lorsqu’il reconfigure sa théorie du narcissisme. « Aux primes origi-
nes, toute la libido est accumulée dans le ça pendant que le moi est encore en
cours de formation ou débile. Le ça envoie une part de cette libido sur des
investissements d’objets érotiques, suite à quoi le moi renforcé cherche à
s’emparer de cette libido d’objet et à s’imposer au ça comme objet d’amour.
Le narcissisme du moi est ainsi un narcissisme secondaire, retiré aux objets »
(p. 289). On est bien loin ici du narcissisme primaire et du moi-plaisir purifié
auxquels Freud sera pourtant fidèle jusque dans l’Abrégé !
Le sentiment de culpabilité inconscient explique la réaction thérapeutique
négative. Il ne se résout que lorsqu’il peut être analysé comme « emprunté » à
un objet. La sévérité du surmoi dans la mélancolie est alors l’occasion
d’individualiser une des expressions de la désintrication pulsionnelle : « Selon
notre conception du sadisme, nous dirions que la composante destructrice
s’est déposée dans le sur-moi et tournée contre le moi. Ce qui règne dès lors
dans le sur-moi est pour ainsi dire une culture pure d’instinct de mort, et
effectivement celle-ci réussit bien souvent à pousser le moi dans la mort, si le
moi ne se défend pas auparavant contre son tyran par le revirement dans la
manie » (p. 296). Freud convoque l’hystérie pour justifier que le sentiment de
culpabilité reste inconscient. Refoulant l’investissement d’objet insupportable,
le moi sait aussi retourner contre le surmoi l’arme par laquelle il lui obéit
habituellement en refoulant à son tour « la perception pénible qui le menace
en provenance de la critique de son sur-moi » (p. 294).
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1695

Dans la névrose obsessionnelle, c’est la régression prégénitale qui a libéré


de la pulsion de mort, mais dirigée contre l’objet. Le surmoi tient le moi
comme responsable de ces visées du ça, malgré ses formations réactionnelles,
reprenant ainsi à son compte une part de la destructivité. Il s’ensuit un tour-
ment sans fin et, plus tard, écrit Freud : « Un tourmentement systématique de
l’objet, là où celui-ci est accessible » (p. 297). Pour une fois Freud va rendre
compte de la part libidinale issue de la désintrication en indiquant à nouveau
le rôle de l’identification – au père – dans la genèse du surmoi. Ceci implique
une désintrication. « La composante érotique n’a, après la sublimation, plus la
force de lier toute la destruction qui lui est adjointe, et celle-ci devient libre
comme penchant à l’agression et à la destruction. C’est de cette démixtion que
l’idéal en général tirerait ce trait dur, cruel, qu’est le “tu dois” impérieux »
(p. 297-298). Retenons aussi cette assertion, si vraie, car elle nous servira ulté-
rieurement à propos de l’idéalisation, même si Freud réunit idéal du moi et
surmoi dans sa conception.
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Freud conclut alors que les « dangereuses pulsions de mort » sont « pour
une part rendues inoffensives par mixtion avec des composantes érotiques,
pour une part déviées vers l’extérieur en tant qu’agression, pour une grande
part elles continuent certainement leur travail interne sans obstacles » (p. 297).
Freud remanie dans ce temps intermédiaire sa théorie de l’angoisse. Le
moi doit faire face à trois menaces sources d’angoisse – retrait devant le dan-
ger – venant du monde extérieur, du ça, et de la sévérité du surmoi. Dans
l’inévitable compromission qui en résulte, le moi se met au service de la pul-
sion de mort dans le ça pour combattre la libido, mais peut en être détruit. Il
s’est rempli de libido et veut aussi vivre et être aimé. Remarquons que Freud
fait ici découler le besoin d’amour de causes uniquement internes. La désintri-
cation pulsionnelle de la sublimation libérant la pulsion de mort dans le sur-
moi l’expose encore aux sévices et à la mort, cette fois-ci en provenance du
surmoi. Le moi est l’unique lieu de l’angoisse, et il peut désinvestir le danger
pulsionnel ou la perception menaçante par un réflexe de fuite et « dépenser »
cet investissement comme angoisse. On reste dans la conception économique
de la transformation de la libido en angoisse. L’angoisse d’anéantissement,
inaccessible à la psychanalyse relèverait des dangers du monde extérieur et du
danger libidinal dans le ça. Il reste l’angoisse devant le surmoi. Cette angoisse
est angoisse de castration, le surmoi ayant hérité de la crainte de l’être supé-
rieur qui a participé à sa constitution. Elle est le noyau autour duquel se
dépose l’angoisse de conscience. L’angoisse de mort proprement dite ne peut
venir de la notion au contenu purement négatif de la mort, sans correspon-
dance inconsciente, mais résulte de la perte d’amour par le surmoi, le moi se
désinvestissant lui-même comme dans la mélancolie. Freud la relie alors aux
1696 Denys Ribas

angoisses primitives de séparation d’avec la mère et de la naissance. Privé de


protection, le moi se laisse mourir.
L’angoisse névrotique commune, libidinale, « dans les cas graves connaît
un renforcement par le développement d’angoisse entre le moi et le sur-moi
(angoisse de castration, de conscience, de mort) » (p. 301).
Freud implique donc dès l’origine les névroses dans les conséquences de
la désintrication pulsionnelle, alors même qu’il n’a pas encore remanié sa
théorie de l’angoisse : le chantier ambigu d’Inhibition, symptôme et angoisse est
dès lors ouvert.
Névrose et psychose (OCF XVII), en 1923, confirme que la réalité exté-
rieure prend une place d’instance pour le psychisme, les conflits du moi avec
elle rendant compte des psychoses. « ... le moi se laisse terrasser par le ça et
par là arracher à la réalité » (p. 6).
Les névroses de transfert découlent de ceux du moi, soumis au surmoi et
à la réalité, avec le ça. Le « comportement du surmoi devrait être pris en
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compte, ce qui n’est pas arrivé jusqu’ici, dans toutes les formes d’entrée en
maladie psychique » (p. 6).
Les conflits moi/surmoi entraînent les psychonévroses narcissiques, dont
l’exemple est la mélancolie.
Remarquons que cette dernière catégorie des névroses narcissiques a
indubitablement pris une grande ampleur dans la clinique d’aujourd’hui. Le
surmoi - idéal du moi, être de désintrication, est donc impliqué dans les névro-
ses et plus encore dans les pathologies narcissiques.
Comment le moi, confronté à sa tâche de satisfaire des revendications si
contradictoires, ne tombe-t-il pas malade en permanence ? Freud convoque
d’abord les facteurs économiques – considération d’importance pour la tech-
nique –, puis décrit le clivage sans le nommer. « Et en outre : il sera possible
au moi d’éviter la cassure de tel ou tel côté en se déformant lui-même, en
consentant aux pertes quant à son caractère unitaire, éventuellement même en
se fissurant et se divisant » (p. 7). Le lien est alors fait avec les perversions
dans le fait de s’épargner ainsi des refoulements.
Freud termine en s’interrogeant sur le mécanisme qui permet au moi de
« se détacher du monde extérieur » et, en analogie cette fois avec le refoule-
ment, suppose « un retrait de l’investissement émis par le moi ».
Dès 1923, la nouvelle topique permet ainsi d’utiliser la nouvelle théorie
des pulsions : sans l’écrire explicitement, Freud montre un moi identifié à la
liaison pouvoir perdre son unité – ce qui évoque l’action de la pulsion de
mort – et termine en s’interrogeant sur l’économie du désinvestissement. André
Green nous a accoutumés à considérer la pulsion de mort comme désobjectali-
sante par essence. La désintrication pulsionnelle est donc ici importante.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1697

En 1924, Le problème économique du masochisme (OCF XVII) va prendre


à bras-le-corps les remaniements nécessités par la nouvelle conception freu-
dienne. Le masochisme est bien maintenant premier, réalisant la première
intrication pulsionnelle. Benno Rosenberg nous a montré toute la réévalua-
tion du masochisme comme « gardien de la vie » et les conséquences théori-
ques et techniques que l’on peut en tirer. Je lui dois personnellement d’avoir
exploré avec lui depuis des années l’éclairage nouveau que donne la seconde
théorie des pulsions à l’ensemble de la psychanalyse. Je renvoie donc à son
travail princeps Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie1, déve-
loppant en 1992 son article de 1982. Notons seulement quelques points.
Le principe de plaisir, « gardien de la vie » pour Freud, résulte de la
modification par la pulsion de vie du principe de Nirvana, ressortissant quant
à lui de la pulsion de mort. Interaction, sinon intrication, des deux pulsions,
avec l’intervention énigmatique de la temporalité à travers le rythme dans la
qualité différente de la montée et de la baisse de l’excitation comme pour-
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voyeuse de plaisir (p. 12).
En individualisant les trois formes de masochisme, érogène, féminin
(l’exemple est trouvé chez l’homme) et moral2, Freud précise que le second
repose entièrement sur le premier. Freud reprend alors pour expliquer le
masochisme érogène la thèse de la dérivation à l’extérieur de la pulsion de
mort par la libido par l’intermédiaire de la musculature : « Il convient alors de
l’appeler pulsion de destruction, pulsion d’emprise, volonté de puissance. Une
part de cette pulsion est directement placée au service de la fonction sexuelle
où elle a une importante fonction à remplir. C’est là le sadisme proprement
dit » (p. 16).
Remarquons que, dès cette première intrication, les pulsions de destruc-
tion tournées vers les objets au dehors qui en résultent peuvent parfaitement
être appelées pulsions sexuelles de vie et de mort, pour suivre Jean Laplanche,
ou que l’on peut séparer (désintriquer ?) des formants d’emprise et de satisfac-
tion de la pulsion comme le propose Paul Denis. Le désaccord porte entière-
ment sur le temps interne préalable.
Revenons aux propositions de Freud qui poursuit : « Une autre part ne
participe pas à ce report vers l’extérieur, elle demeure dans l’organisme et là
elle est liée libidinalement, à l’aide de la coexcitation sexuelle déjà men-

1. B. Rosenberg (1991), Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie, Paris, PUF,


« Monographies de la RFP ».
2. Soulignons l’importance du masochisme moral, avec la culpabilité inconsciente seulement
accessible par le besoin de punition. En resexualisant la morale par le passage du sadisme du surmoi
au masochisme du moi, en retrouvant les objets œdipiens dans les puissances du Destin, il réalise une
régression incestueuse.
1698 Denys Ribas

tionnée ; en elle nous avons à reconnaître le masochisme érogène originel » (la


coexcitation avait été envisagée dans les Trois Essais...).
Freud précise alors sa conception de l’intrication et de la désintrication :
« ... il se produit une mixtion et un amalgame, très extensif et variable dans
leurs proportions, des deux espèces de pulsions ; si bien que nous ne devrions
nullement compter avec des pulsions de mort et de vie pures, mais seulement
avec des mélanges de celles-ci, comportant des valeurs diverses. À la mixtion
des pulsions peut sous l’effet de certaines actions, correspondre la démixtion
de celles-ci. » Freud alors s’interroge, sans connaître la réponse, sur « quelle
part des pulsions de mort [...] se soustraient à un tel domptage par la liaison à
des ajouts libidinaux... ».
L’Abrégé témoigne que Freud restera toujours fidèle à sa conception
d’une pulsion de mort interne visant l’individu.
La négation (1925, OCF XVII) permet à Freud de préciser que :
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« L’affirmation – comme substitut de l’unification – appartient à l’Éros, la
négation – successeur de l’expulsion – à la pulsion de destruction. Le plaisir
à la négation généralisée, le négativisme de tant de psychotiques doit être
vraisemblablement à comprendre comme indice de la démixtion des pulsions
par retrait des composantes libidinales » (p. 170-171). Il enchaîne pour con-
clure avec l’affranchissement du refoulement que donne à la pensée le sym-
bole de la négation, l’absence de « non »-venant de l’inconscient et que la
reconnaissance de l’inconscient par le moi s’exprime en revanche par une
formule négative.

L’inachèvement pour les névroses

Inhibition, symptôme et angoisse (OCF XVII) témoigne en 1926 d’un


« retour du théorisé » précédemment à propos de la névrose dans la première
théorie des pulsions. Freud ne peut y renoncer si aisément et c’est, je crois,
une des tâches qu’il nous lègue que de travailler plus à fond cette question.
En 1929 cependant, Malaise dans la civilisation reprend l’élaboration de la
culpabilité dans la seconde théorie des pulsions.

Deux questions

Mon travail portera sur une interrogation posée par Freud et sur une
autre qu’il n’envisage pas. La première est : Quels sont les facteurs de désintri-
cation pulsionnelle ?
La seconde est : Quels sont la nature et le destin de la pulsion de vie désin-
triquée ? La question qu’il pose pour les pulsions de mort ne se pose en effet
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1699

pas selon Freud1 pour les pulsions de vie. La pulsion de vie œuvre à la liaison,
est liaison, et il ne l’imagine pas différente non liée à la pulsion de mort.
L’expérience clinique m’a amené à penser différemment.

Critique épistémologique

Le modèle freudien a la remarquable particularité d’être rigoureusement


intrapsychique, et cela fait une part importante de sa valeur. Mais ceci le con-
fronte à une aporie pour décrire la naissance psychique, la constitution de la
séparation du dehors et du dedans, ainsi que l’avènement d’une temporalité
psychique. On ne peut plus alors considérer comme évidence traitée du dedans
par le psychisme son investissement par les psychés parentales. C’est pour cela
probablement que c’est dans une note2, célèbre, que Freud fait intervenir les
soins maternels, illustrant ainsi à mes yeux l’hétérogénéité épistémologique de
leur description par un observateur externe. Cela pourrait même remettre en
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cause une des remarques de Freud dans l’Abrégé, quand il évoque le caractère
conservateur des pulsions, tendant à restaurer un état antérieur : « Pour l’Éros
(la pulsion d’amour), nous ne pouvons appliquer la même formule, car cela
équivaudrait à postuler que la substance vivante, ayant d’abord constitué une
unité, s’est plus tard morcelée et tend à se réunir à nouveau. » Une note signale
que « certains poètes ont imaginé de semblables fables, mais rien, dans
l’histoire de la matière vivante, ne confirme leur imagination » (p. 8). Si l’on
suit Winnicott et sa foi dans les poètes, dans la conception d’un féminin pur qui
permet l’éprouvé de l’être dans l’identification primaire à la mère, alors cette
union primaire a bien existé au début de nos vies. Et, comme le dit Winnicott,
les femmes sont continues. On peut se demander si la présence insistante du pro-
blème du traumatisme de la naissance en 1926 ne dépasse pas la discussion des
idées de Rank pour signaler cette question insuffisamment prise en compte ?

Et chez ses successeurs

Melanie Klein

Si Melanie Klein revendique le dualisme freudien, elle en fait un usage


particulier de par sa conception d’un appareil psychique d’emblée pourvu
d’une organisation topique différenciée avec un self et un objet (ayant une

1. Laplanche et Pontalis ont souligné dans leur Vocabulaire l’asymétrie dans la manière dont
Freud traite de la désunion pulsionnelle – ils préfèrent ce terme à désintrication.
2. Des formulations sur les deux principes de l’advenir psychique (1911), OCF XI, p. 14-15.
1700 Denys Ribas

épaisseur interne et pouvant contenir des contenus psychiques) et avec des


capacités de projection et de clivage. Sa clinique et sa théorisation privilégient
donc L’amour et la haine. Un temps préalable n’est pourtant pas méconnu
théoriquement par elle quand, après avoir rappelé les deux destins possibles
de la pulsion de mort – projection à l’extérieur (ce que toute son œuvre privi-
légie) et liaison interne par la libido (sans préciser qu’il s’agit du masochisme
originaire) – elle écrit (1946) : « Cependant, aucun de ces processus n’atteint
entièrement son but, c’est pourquoi l’angoisse d’être détruit de l’intérieur reste
active. Il me semble résulter de son manque de cohésion que le moi, sous la
pression de cette menace, tende à tomber en morceaux. »1 Si elle enchaîne à la
phrase suivante sur le morcellement dans la schizophrénie, désintégration très
différente de la non-intégration autistique, on remarque que Melanie Klein
utilise ici une image très passive : le moi tombe en morceaux. Elle cite
Ferenczi en note de bas de page : « Ferenczi, dans Notes et fragments (1930),
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suggère que tout être vivant a tendance à réagir aux stimuli désagréables par
la fragmentation, qui pourrait être une expression de la pulsion de mort. Il est
possible que des mécanismes complexes (les organismes vivants) ne puissent se
maintenir comme entités que sous l’influence des conditions extérieures.
Quand ces conditions deviennent défavorables, l’organisme tombe en mor-
ceaux » (p. 297, n. 1). On peut voir dans cette description de Ferenczi ce que
Meltzer décrira comme démantèlement dans l’autisme.
Dans une note du paragraphe suivant, Les processus de clivage concernant
l’objet, Melanie Klein donne un écho à cette mention du rôle de l’envi-
ronnement en rappelant l’importance des soins maternels pour l’intégration et
l’adaptation à la réalité, selon Winnicott (1945).
L’apport essentiel de Melanie Klein, à mes yeux, pour la clinique analy-
tique ordinaire – en dehors des psychoses – est le concept d’envie et en parti-
culier son application interne. Mais il s’agit alors pour elle d’une attaque
interne et non d’une autodestruction primaire.

D. W. Winnicott

Winnicott est un des meilleurs alliés de ceux qui refusent la pulsion de


mort : il ne l’a jamais acceptée. Le négatif est cependant très présent chez lui
et la problématique de l’autodestruction travaille son œuvre. En effet, ce à
quoi s’oppose Winnicott est l’usage kleinien, extensif à l’époque, de la pulsion
de mort. Il accepte pourtant, à partir du moment où il s’agit de destructivité

1. 1946, p. 296-297 ; Notes sur quelques mécanismes schizoïdes, p. 279 de la traduction fran-
çaise, in Développement de la psychanalyse, PUF.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1701

tournée au dehors, de faire travailler l’intrication et la désintrication pulsion-


nelle, comme en témoigne ce passage de La tendance antisociale1 :
« Est-il possible de relier ces deux aspects : le vol et la destruction, la
recherche de l’objet et ce qui la provoque, les compulsions libidinales et les
compulsions agressives ? À mon avis, l’association des deux se trouve chez
l’enfant et représente une tendance vers l’autoguérison, la guérison d’une
désunion des instincts.
« Si, à l’époque de la déprivation primitive, il existe une certaine union
des racines agressives (ou de motricité) aux racines libidinales, l’enfant
réclame sa mère par ce mélange de vols, de heurts et d’incontinence, suivant
l’état de son développement affectif et les caractères spécifiques de ce dévelop-
pement. Lorsque la fusion est moindre, la quête de l’objet et l’agression sont
plus distinctes l’une de l’autre, et il y a chez l’enfant une dissociation plus
poussée. Cela mène à la proposition suivante : la caractéristique essentielle de
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l’enfant antisocial est qu’il incommode et c’est aussi, au mieux, un trait favo-
rable indiquant une nouvelle potentialité de recouvrer l’union des pulsions
libidinales et de motricité qui avait été perdue. »
Déjà présente dans la tendance antisociale, l’idée que l’objet, pour être
thérapeutique, doit « survivre sans se venger » revient comme centrale dans la
psychanalyse avec l’article sur l’utilisation de l’objet. Je fais simplement remar-
quer que l’économie psychique de l’objet ne peut être alors que masochique !
Comme le souligne J.-B. Pontalis dans son introduction à Jeu et réalité,
les ajouts à l’article sur l’Objet transitionnel permettent à Winnicott
d’introduire la dimension négative à travers les phrases de sa patiente : « La
seule chose réelle est la chose qui n’est pas là », « Le négatif, c’est la seule
chose positive » et « Tout ce que j’ai, c’est ce que je n’ai pas » (p. XIII).
Depuis le petit livre que j’ai consacré à Winnicott, qui détaille cette
contradiction2, la parution de La crainte de l’effondrement et autres situations
cliniques3 donne de nouveaux exemples de l’intérêt de Winnicott pour ces pro-
blématiques. L’hallucination qui nie l’hallucination (p. 48) décrit l’hallucination
négative et Un rêve de Winnicott en rapport avec un compte rendu des écrits de
Jung (p. 243) semble figurer une destruction interne : « 1. Il y avait une destruc-
tion absolue, et je faisais partie du monde et de tous les gens et donc j’étais en
train d’être détruit. (La chose importante dans les tous premiers stades du rêve
était la façon dont la pure destruction était préservée des adoucissements que
sont la relation d’objet, la cruauté, la sensualité, le sadomasochisme, etc.). »

1. In Déprivation et délinquance, Payot, p. 151-153.


2. Donald Woods Winnicott, PUF, coll. « Psychanalystes d’aujourd’hui », 2000.
3. Gallimard, 2000.
1702 Denys Ribas

Le second temps du rêve faisait de lui l’agent de la destruction et dans le


troisième temps, Winnicott rêvait qu’il se réveillait, articulant les deux pre-
miers temps : « En me réveillant dans le rêve, je savais que j’avais rêvé 1. et 2.
J’avais donc résolu le problème en utilisant les états de rêve et de sommeil. »
Winnicott nous montre ici son utilisation d’une solution topique là où Freud
recourt au dualisme pulsionnel. Il se réveille véritablement ensuite avec un
épouvantable mal de tête : « Je pouvais voir ma tête, elle était complètement
fendue avec un interstice noir entre les deux moitiés. Je vis venir les mots “mal
de tête fendant”, et ils se mirent à me réveiller et je fus sensible au carac-
tère approprié de la description... » Son mal de tête disparut ensuite en une
demi-heure.
Enfin, Winnicott, qui récuse le caractère conservateur des pulsions et le
retour à l’inanimé, y voyant un avatar du péché originel, fait cependant appel
au poète T. S. Eliot en exergue de son autobiographie :
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« Costing not less than everything »
« What we call the beginning is often the end
And to make an end is to make a beginning.
The end is what we start from. »

« Coûtant rien de moins que tout. »


« Ce que nous appelons le commencement est souvent la fin
Et faire une fin, commencer
La fin, c’est de là que nous partons. »

W. R. Bion

C’est paradoxalement de Bion, analyste d’adultes psychotiques, que


pourra naître un courant psychanalytique post-kleinien qui réfutera le présup-
posé d’une identification projective à l’œuvre d’emblée dans le psychisme.
Frances Tustin, analysée par Bion, et Meltzer, qui fut son élève, s’appuieront
sur son apport pour dégager le postulat identitaire du courant kleinien,
l’identification projective, de sa place génétiquement première.
Bion a su penser les états de non-pensée, les éléments b que le psychisme
ne peut digérer sans l’apport d’un travail psychique de la mère ou de
l’analyste. La rêverie maternelle et le contenant-contenu (!/@) en témoignent.
Comme Winnicott, mais aucun des deux ne se référant à l’autre, il concep-
tualise une théorisation de l’économie de deux psychismes, se situant hors du
paradigme freudien de l’économie interne. De ce fait, l’articulation de ses
trois vertex L, H et K (l’amour, la haine et la connaissance) avec la métap-
sychologie freudienne ne va pas de soi. J’ai proposé (et découvert par la
suite que Meltzer partage ce point de vue) de considérer que la pulsion de
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1703

mort au sens freudien serait représentée dans sa conception par le signe


– qui peut affecter chaque vertex, négativité figurant le désinvestissement.
Si Bion quitte à la fin de sa vie l’abstraction mathématique pour revalori-
ser l’affect, l’étrange livre qu’est Une mémoire du futur I, Le Rêve1 montre par
son début l’importance que Bion continue de donner au sadomasochisme et à
sa valeur d’intrication objectale, moins apparente dans ses textes théoriques.
Dans la fiction d’une Angleterre soumise à une invasion totalitaire imperson-
nelle, Bion montre le renversement de la domination entre un couple de servi-
teurs et celui de leurs maîtres. Rosemary, la servante, séduit son maître et le
retient près d’elle pendant qu’ils entendent que l’homme frustre que sa maî-
tresse l’avait obligée à accepter comme partenaire viole celle-ci à son tour. La
maîtresse acceptera ensuite de devenir l’esclave heureuse de son ancienne ser-
vante, assumant son masochisme. Les hommes, plus lâches, discutent...
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Francis Pasche

Reprenant dans L’antinarcissisme2 l’opposition narcissisme/objet de 1914


à la lumière de la seconde théorie des pulsions, Pasche souligne que « ... cha-
cun de ces deux courants relève à la fois d’Éros et de Thanatos en ce que
l’investissement ne peut se diriger vers l’un des pôles (sujet ou objet) sans
s’écarter de l’autre » (p. 240). La pulsion de mort (Pasche utilise le mot ins-
tinct) est donc au service de l’investissement objectal et rend en partie compte
de l’antinarcissisme. Tout excès d’un des deux « instincts » est cependant « au
profit de Thanatos », ainsi la surcharge libidinale qui résulte de la reprise de
la libido objectale par le Je « ... entraîne la désintrication pulsionnelle ».
Remarquons que dans une note p. 231, Francis Pasche décrit explicite-
ment le rôle intriquant de l’objet : « L’amour qu’autrui nous porte ressenti,
s’il est d’une certaine qualité, est capable de refusionner nos tendances désin-
triquées, de nous rendre ou d’augmenter notre propre estime. L’objet n’est pas
seulement efficace par son absence et ses mauvais procédés. »
Dans Des concepts métapsychologiques de base3, F. Pasche estime que la
découverte « des deux instincts » permet à Freud d’aborder conceptuellement
avec Les Essais la relation à l’autre, à deux avec un autre reconnu comme
Sujet et collectivement. La seconde théorie des instincts apporte essentielle-
ment pour lui deux correctifs : « 1 / Le plaisir n’est pas seulement lié à la
décharge de l’énergie, mais également à la surcharge, et selon un certain

1. 1975, trad. franç., Césura Lyon Édition, 1989.


2. In À partir de Freud, Paris, Payot, 1969.
3. RFP, no 6, 1985.
1704 Denys Ribas

rythme, 2 / Le masochisme n’est pas seulement secondaire » (p. 1483). Il dis-


cute alors le masochisme primaire : « En effet, ce qui est primaire dans ce
masochisme plus fondamentalement c’est l’ “instinct de mort” : la tendance à
la dissociation, qui peut aller jusqu’au morcellement, jusqu’à la mort mais qui
peut aussi, intriquée avec Éros, amener à céder quelque chose de soi-même, de
sa substance, au bénéfice de l’autre par amour à l’image de “ces cellules qui se
sacrifient dans l’exercice de cette fonction libidinale” ( “Au-delà du prin-
cipe...” ) » (p. 1485). « En un mot ce que Freud appelle masochisme primaire
fonde l’amour s’il est gardé en soi, mais se transforme en sadisme s’il est
expulsé hors de soi. Il est possible que dans le second cas, l’intensité, la
pureté, le degré de désintrication des motions agressives n’aient pas laissé au
Moi d’autres choix. En tout cas un investissement centrifuge, positif, libidinal,
peut se passer du sadisme pour trouver son chemin, mais c’est le “maso-
chisme” qui l’a poussé dehors » (p. 1486).
Enfin, rappelons la position de F. Pasche sur la répétition en 1956
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(Autour de quelques propositions freudiennes contestées)1 concernant les deux
instincts dont « ... la destination profonde n’est pas de progresser mais de
reproduire ce qui a déjà été : l’inconscient est intemporel. L’Automatisme de
Répétition [...] est donc l’instinct de l’instinct » (p. 86-87).

Piera Aulagnier

La dualité pulsionnelle est centrale dans l’œuvre de Piera Aulagnier et


contribue avec l’introduction de la diachronie à transformer son point de
départ lacanien en renforçant un ancrage économique. L’expérience clinique
de la psychose de l’adulte (point commun avec Bion et Benno Rosenberg) lui
rend nécessaire de penser la destructivité dans sa dimension la plus radicale.
Elle définit d’emblée la pulsion de mort par le désinvestissement de l’objet,
parlant en 1968 dans le masochisme primaire d’un « désir de non-désir », seule
protection contre le risque du déplaisir dans le désir d’un objet manquant.
Dans Condamné à investir2 (1982), elle précise que le désinvestissement ne
laisse nulle trace, nulle culpabilité ni nostalgie : « Toute victoire de la pulsion
de mort comporte un “trou”, un “rien”, dans cet ensemble d’objets qui consti-
tuaient le capital représentatif du sujet, et dans l’ensemble des supports dont
pouvait disposer son capital libidinal » (p. 245). Ceci est totalement différent
du refoulement secondaire qui préserve la représentation et du changement
d’objet qui poursuit le but, la satisfaction. « Le but ultime de la pulsion de

1. In À partir de Freud, Paris, Payot, 1969.


2. In Un interprète en quête de sens, p. 239-263, Paris, Payot, 1991.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1705

mort serait la disparition de la totalité des supports dont l’investissement est


conjointement la manifestation, l’exigence et le but, des pulsions de vie et des
pulsions sexuelles. »
L’intrication pulsionnelle va donc être pour elle le principal garant contre
la destructivité interne.
La désintrication au contraire rend compte des effets mortifères qui visent
le sujet mais pas seulement lui. Elle la fait intervenir ainsi dans le trouble
de la parentalité d’un couple et ses effets pathogènes. Critiquant que l’on
n’implique que la mère dans son interaction avec l’infans elle demande aussi la
prise en compte de l’économie des interactions du couple : « ... et une consé-
quence particulière de cette double interaction : l’effet désorganisateur que la
venue d’un enfant peut avoir sur l’intrication pulsionnelle, jusque-là plus ou
moins préservée, dans la psyché des parents, et l’action tout aussi dramatique
que peut exercer sur l’infans cette mobilisation de la pulsion de mort dans
son environnement psychique. » Elle donne alors ensuite, parmi d’autres,
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l’exemple de... l’autisme infantile, tout en rappelant prudemment l’après-coup
de nos reconstructions des premières relations.

André Green

André Green parle rarement de désintrication, préférant utiliser le terme


de déliaison.
En 1971, La déliaison1 justifie un regard psychanalytique sur le texte litté-
raire. On peut penser que l’influence de Bion, mais aussi de Lacan, de Derrida
ou de Blanchot pèse dans ce choix d’un terme qui n’est pas uniquement
métapsychologique pour permettre une discussion plus large que celle de la
seule pensée freudienne. L’écoute analytique – auto-analytique en l’occur-
rence – délie un texte plus qu’elle ne le lit, « [l’analyste]... brise la secondarité
pour retrouver, en deçà des processus de liaison, la déliaison que la liaison a
recouverte ».
Mais ce n’est pas la seule raison. L’ambiguïté du masochisme primaire
comme seule manifestation interne repérable de la destructivité, alors qu’il
réalise une intrication, lui pose problème. En 1984, il propose de définir la
pulsion de mort comme désobjectalisante dans Pulsion de mort, narcissisme
négatif, fonction désobjectalisante et la suite de son œuvre va souligner
l’importance du Travail du négatif (1993) en en soulignant les conséquences
destructrices, mais aussi en s’attachant à en décrire l’indispensable participa-
tion à la vie psychique.

1. In La Déliaison, Paris, Les Belles Lettres, 1992.


1706 Denys Ribas

Si à l’évidence André Green suit Freud dans la seconde théorie des pul-
sions, il mentionne, dans son article de 1984, une réserve : « En ce qui me
concerne, j’adhère pleinement à l’hypothèse que la fonction autodestructrice
joue un rôle correspondant pour la pulsion de mort à celui que joue la fonction
sexuelle pour l’Éros. Cependant, à la différence de Freud, je ne crois pas que
l’on doive défendre l’idée que cette fonction autodestructrice s’exprimerait pri-
mitivement, spontanément ou automatiquement » (p. 52). Cette réticence sem-
blerait donc bien concerner le masochisme primaire et pourrait refléter une sen-
sibilité aux positions de Winnicott sur l’environnement, comme en témoignera
La mère morte1. Est-ce pour cela que Green parle plus volontiers du couple liai-
son/déliaison qui serait dégagé d’une connotation génétique ? Il pose cependant
la question du masochisme originaire décrit par Freud pour les formes
d’angoisses « ... catastrophiques ou impensables, des craintes d’annihilation ou
d’effondrement, des sentiments de futilité, de dévitalisation ou de mort psy-
chique, des sensations de gouffre, de trous sans fond, d’abîme » (p. 53). Le
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masochisme originaire ne serait-il donc pertinent que chez les patients les plus
profondément half in love with easeful death2, pour reprendre l’expression de
Keats citée par Winnicott ?
Accentuant ce qui est processuel, il en vient à l’investissement comme
objectalisant afin de contester l’importance donnée à l’objet par certains psy-
chanalystes. « ... la visée essentielle des pulsions de vie est d’assurer une fonc-
tion objectalisante » (p. 54). Ce qui peut même inclure que « ... à la limite,
c’est l’investissement lui-même qui est objectalisé » (p. 55).
« À l’opposé, la visée de la pulsion de mort est d’accomplir aussi loin que
possible une fonction désobjectalisante par la déliaison. Cette qualification per-
met de comprendre que ce n’est pas seulement la relation à l’objet qui se
trouve attaquée, mais aussi tous les substituts de celui-ci – le moi par exemple,
et le fait même de l’investissement en tant qu’il a subi le processus
d’objectalisation [...] la manifestation propre à la destructivité de la pulsion de
mort est le désinvestissement. » La conception d’André Green (avec une
dimension méta, pour reprendre la formulation de J.-L. Donnet) réserverait
donc à certains patients une conséquence autodestructrice. Il ne diminue
cependant en rien le danger, faisant appel au concept « ... d’un narcissisme
négatif comme aspiration au niveau zéro, expression d’une fonction désobjec-
talisante qui ne se contenterait pas de se porter sur les objets ou leurs substi-
tuts mais sur le processus objectalisant lui-même » (p. 56). Ceci est relié, en

1. 1980, in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éd. de Minuit, 1983.


2. Presque amoureux de la mort tranquille, La crainte de l’effondrement, p. 212, Paris, Gallimard,
2000.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1707

plus de la mélancolie, « ... avec l’autisme infantile et les formes non paranoï-
des de psychoses chroniques, l’anorexie mentale, et diverses expressions de la
pathologie somatique du nourrisson », ainsi qu’aux travaux de Pierre Marty :
pensée opératoire, dépression essentielle, désublimation régressive, désorgani-
sation progressive et pathologie du préconscient. A. Green annonce ici cer-
tains de mes chapitres : c’est donc bien le narcissisme négatif, opposé au nar-
cissisme de vie, qui dans sa pensée fédère le plus mortifère de la clinique et
traduit la dualité pulsionnelle.
Il souligne le rôle à ses yeux de la pulsion de mort dans l’attaque contre
les liens décrite par Bion et Lacan. « Le succès du désinvestissement désobjec-
talisant se manifeste par l’extinction de l’activité projective qui se traduit alors
surtout par le sentiment de mort psychique (hallucination négative du moi)
qui précède parfois de peu la menace de perte de la réalité externe et
interne » (p. 58). A. Green termine son article en revenant au terme
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d’intrication pour rappeler l’importance de la symbolisation (et il en appelle à
Bion, Winnicott et Lacan), conséquence majeure de la visée objectalisante des
pulsions d’amour et de vie par la médiation de la fonction sexuelle : « Un tel
accomplissement est garant de l’intrication des deux grands groupes pulsion-
nels dont l’axiomatique demeure pour moi indispensable à la théorie du fonc-
tionnement psychique » (p. 59).
Il confirme en 19761 (en soulignant l’accord de Piera Aulagnier avec cette
position) l’existence d’un double inversé de tout investissement d’objet ou du
moi, qui vise à un retour régressif au point zéro pour confirmer ensuite lui-
même sa divergence : « Ce narcissisme négatif me paraît différent du maso-
chisme, malgré les remarques de nombreux auteurs. La différence est que le
masochisme – fût-il originaire – est un état douloureux visant à la douleur et à
son entretien comme seule forme d’existence, de vie, de sensibilité possibles. À
l’inverse, le narcissisme négatif va vers l’inexistence, l’anesthésie, le vide, le
blanc (de l’anglais blank, qui se traduit par la catégorie du neutre), que ce
blanc investisse l’affect (l’indifférence), la représentation (l’hallucination néga-
tive), la pensée (psychose blanche). »

Denise Braunschweig et Michel Fain

Séparément et dans leur œuvre commune, ces deux auteurs font travailler
le concept de désintrication dans l’ensemble de la vie psychique, avec des
conséquences autant positives que négatives.

1. Un, autre, neutre : valeurs narcissiques du même, op. cit., p. 38.


1708 Denys Ribas

Ainsi D. Braunschweig souligne-t-elle dans Psychanalyse et réalité1


« L’évolution du masochisme primaire comme facteur favorisant l’affron-
tement du déplaisir en fonction de l’acquisition de la connaissance » (p. 762).
« La pulsion de mort dans cette liaison primitive avec l’érotisme qui constitue
le masochisme primaire a en effet un rôle de premier plan dans la capacité
ultérieure d’érotiser la pensée, de la fixer, de la distancier, de la séparer de
contextes figés pour l’examiner. Cet examen peut être déplaisant pour le Moi
qui a besoin, pour s’y livrer, de disposer des moyens de rendre ce déplaisir
plaisant. »
Elle résume ainsi la position de M. Fain, qui, dans Prélude à la vie fan-
tasmatique, en 1970, pense à son tour que « ... l’investissement libidinal
maternel neutralise la pulsion de mort présente dans le Ça de l’enfant par la
force de cohésion contenue dans son instinct maternel, les débuts de la vie
extra-utérine sont marqués par le fait que la mère ressent son nourrisson
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comme une partie d’elle-même » (p. 711). L’excès de cette liaison au détri-

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ment de l’envie de voir grandir son enfant nuit à l’organisation des auto-
érotismes de l’enfant – c’est le cas chez les mères d’allergiques –, par manque
du désinvestissement graduel de l’enfant au profit du désir sexuel du père : la
censure de l’amante qui s’appuie donc sur le désir de calmer l’enfant, par
l’action de la pulsion de mort maternelle. Mais, de l’observation du méry-
cisme, M. Fain tire aussi la conclusion du risque inverse : l’insuffisance de
liaison maternelle à la pulsion de mort des excitations indifférenciées expose
à « un hiatus entre l’excitation et la représentation qui ne parvient pas à la
lier » qui se symbolise par un vide, une béance qui laisse passer l’impact
traumatique.
Dans Vie opératoire et potentialité traumatique2, Michel Fain explicite à
propos de l’insomnie du nourrisson l’hypothèse d’un mouvement psychique
contradictoire de la mère, dont le bercement se substitue à la vie mentale
interne gardienne du sommeil et doit être constant. « L’insomnie bruyante
de ces enfants ne leur permet pas plus que le sommeil obtenu par bercement
de vivre une hallucination de désir : sans hallucination de l’objet s’établit
une désobjectalisation primaire. Par contre, on observe fréquemment chez ces
enfants des gestes autodestructeurs, par exemple un martèlement de la tête.
Interpréter de tels gestes comme une internalisation du bercement n’est pas
une hypothèse osée. Elle entraîne l’idée de l’intériorisation de l’excitation apai-
sante de ce bercement qui, dans son exercice, est analogue à un pur instinct de
mort » (p. 6). Une note précise alors que ces comportements de l’enfant, eux,

1. RFP, no 5-6, 1971.


2. Revue française de psychosomatique, no 2, 1992.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1709

ne méritent pas cette définition, puisqu’ils « visent à rechercher une douleur


physique qui s’accroche sans doute à une forme de masochisme primaire peu
susceptible d’évolution ».

Benno Rosenberg

Partant essentiellement de Freud, il fait jouer à plein la polarité vie et


mort sur le masochisme lui-même, en décondensant l’ambiguïté1 – à la fois
liaison de la pulsion de mort et sa seule manifestation clinique en 1924 – pour
séparer un masochisme gardien de la vie, celui de l’intrication de la destructi-
vité interne, d’un masochisme mortifère2, désobjectalisant, diminuant la part
de la projection au-dehors de la destructivité sous forme de sadisme et sidé-
rant l’autoconservation, comme en témoigne l’anorexie mentale.
Du côté du masochisme gardien de la vie, il devient le prototype du plai-
sir, permettant d’érotiser le déplaisir, le temps que se mette en œuvre la réali-
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sation hallucinatoire de désir. Il est ainsi à la fois le noyau du moi et la pre-
mière ébauche d’une temporalité interne : il permet d’attendre, ouvrant la voie
du travail psychique et d’une continuité interne. Si les deux pulsions sont
conservatrices, seule leur intrication permet « la pérennité de la trace du passé
dans une évolution progrédiente ». Cette dimension historisante fait, pour lui,
passer de l’instinct à la pulsion. Prenant ensuite le doute cartésien comme
exemple, il considère que : « Si l’être humain ne peut se connaître qu’à travers
l’objet de la projection (le miroir de l’objet), il ne peut se vivre lui-même qu’à
travers le vécu masochique. » Ce n’est cependant que l’objet qui, secondaire-
ment, par sa représentation, assurera l’intrication pulsionnelle. La mère aura
au préalable dans la dyade la charge de l’intrication des pulsions de vie et de
mort de l’enfant. Le masochisme originaire est donc aussi origine du sujet.
C’est une conception qui resitue une subjectivation interne, à l’opposé de la
conception lacanienne.
Au contraire de Laplanche il insiste sur l’hétérogénéité des deux pulsions.
Leur intrication résulte pour lui de leur rapport économique dans
l’investissement d’un même objet et non d’un mélange constitué de manière
stable. Toute perte d’objet est donc potentiellement désintricante. Dans la
mélancolie, le caractère narcissique de l’investissement d’objet n’a pas la pro-
priété de détachabilité qui permettrait le deuil. « Désinvestir l’objet » devient
« se désinvestir soi-même ». Ce sera un travail de mélancolie qui par la dévalo-
risation en permettra le désinvestissement.

1. Signalons la position de Daniel Rosé, qui propose dans son livre L’endurance primaire (Paris,
PUF, 1997) ce concept pour spécifier la valence positive du masochisme érogène primaire.
2. Op. cit.
1710 Denys Ribas

La pulsion de mort, en organisant des séparations topiques – surtout


moi/surmoi – va permettre de protéger efficacement de la pulsion de mort en
permettant la reprise par le surmoi de la destructivité. La projection, première
négation, alimente un retour du projeté repris par l’identification et sa désin-
trication dans la névrose : la libido par le moi, la destructivité par le surmoi.
Dans la psychose, les clivages défensifs – dus à la pulsion de mort – protègent
eux aussi des conséquences de la désintrication et en particulier de la libido
désintriquée, excitation incontrôlable en tout ou rien et tout de suite qu’il est
le premier après Pasche à définir comme dangereuse. La pulsion de mort par-
ticipe ainsi à l’organisation topique du psychisme ainsi qu’à la constitution
d’un dedans et d’un dehors et donc à sa défense contre la pulsion de mort.
« L’être humain n’existe que s’il arrive à détourner de leurs buts ses pulsions,
du moins en grande partie. Il est bien improbable qu’il puisse exister s’il réus-
sit trop bien dans cette tâche. »1
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L’AUTISME INFANTILE
COMME DÉSINTRICATION PULSIONNELLE

Théorisations

« Une chose est dingue


l’existence-en-soi est un état mort
l’existence-sans-soi est solitude
ni l’existence-en-soi ni l’existence-sans-soi ne peuvent vivre
des états purs n’existent pas
il y a éternellement un changement en moi
et même à l’état de repos il y a deux forces en moi
qui n’arrivent pas à se rencontrer. »
Birger Sellin, Une âme prisonnière (p. 207)2.

Après sa description par Leo Kanner en 1942 comme un trouble affectif


de la communication, inné et caractérisé par la recherche de l’immuabilité et
l’isolement, la première proposition de compréhension psychanalytique fut
celle de Margaret Mahler opposant l’autisme infantile à la psychose symbio-
tique. Le premier étant caractérisé par l’hallucination négative de la réalité

1. Op. cit., p. 159.


2. Robert Laffont, Paris, 1994. Il s’agit d’un témoignage obtenu par la Communication facilitée,
écrit à l’ordinateur avec un soutien de la main par un autiste (secondaire) sans langage verbal. La pro-
fonde étrangeté du texte incite à le prendre en compte malgré tous les problèmes posés par cette tech-
nique, sur lesquels nous ne pouvons nous étendre ici.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1711

alors que la seconde est régie par la projection d’un objet maternel tout-puis-
sant de manière à maintenir la symbiose primitive, fût-ce de manière délirante.
La position de Bettelheim, inspirée de son expérience concentrationnaire
et du constat d’un retrait mortel pour certains déportés devant la perte de
tout espoir dans le monde extérieur, comprenait le pari que l’environnement
pouvait donc aussi rendre l’espoir à un enfant dans un retrait autistique. On
comprend que Winnicott ait rejoint ce point de vue prenant en compte
l’environnement comme en témoignent des articles récemment traduits1. Con-
trairement aux préjugés à son encontre, Bettelheim ne pense pas que
l’environnement ait causé l’autisme de l’enfant, mais que la mère a échoué à
l’en guérir en ne supportant pas son rejet par l’enfant. Cependant, l’un et
l’autre donnent des indices d’un contre-transfert accusateurs envers les
parents. Ainsi Winnicott essaye de consoler des parents d’autistes en leur
disant que les médecins aussi commettent des erreurs... par exemple en pres-
crivant de la Thalidomide ! Quand on se souvient que ce médicament s’était
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révélé tératogène, donnant des mutilations des membres, on peut douter du
réconfort !
Tustin, à la fin de sa vie, précisera qu’elle qualifie la position de Bettel-
heim d’ « erreur cruelle ».

Frances Tustin et le trou noir

Les recherches thérapeutiques de Frances Tustin rejoignent dans les


années 1950 le travail de Winnicott sur la dépression psychotique (1958) qu’elle
cite2 : « Par exemple, la perte peut être perte de certains aspects de la bouche
qui pour le nourrisson, disparaissent en même temps que la mère et le sein,
lorsque la séparation a lieu trop vite, avant que son développement affectif
soit suffisamment avancé pour qu’il dispose d’un équipement affectif qui lui
permette de faire face à cette perte. Quelques mois plus tard, cette perte ne
serait qu’une perte d’objet, sans perte d’une partie du sujet. » Le petit John
qualifie après un long temps d’analyse cette expérience du « bouton cassé » de
« Piquant dans ma bouche ! », « Méchant trou noir dans ma bouche ! ». Elle
adopte son expression du trou noir pour décrire l’expérience d’ « effroi sans
nom » au sens de Bion, d’agonies primitives, comme les qualifiera Winnicott à
la fin de sa vie, qui mettent en jeu l’être et non la perte.
Cette compréhension donne la mesure des angoisses autistiques et la clé
de la tyrannie exercée par l’enfant autiste qui vit la perte de la maîtrise

1. In La psyché et le corps, Paris, Payot, 1999.


2. 1972, trad. franç., Autisme et psychose de l’enfant, Paris, Seuil, 1977, p. 14.
1712 Denys Ribas

absolue du monde comme une perte de sa propre substance. Ce dont témoi-


gnent de l’intérieur les quelques récits maintenant accessibles d’anciens autis-
tes, comme ceux de Donna Williams, Sean Barron ou Temple Grandin.
Compréhension psychanalytique d’une défense à l’œuvre contre une dou-
leur psychique extrême, mais description aussi du caractère mutilant pour le
psychisme de cette défense. En effet, le terme de trou noir est heureux aussi de
par sa résonance avec l’astrophysique : on sait que la masse des trous noirs est
telle qu’ils absorbent l’espace contigu et que la lumière elle-même ne peut leur
échapper. J’ai proposé d’y voir une hallucination négative de la partie du psy-
chisme éprouvant la douleur, qui bien loin d’être une structure encadrante
pour la représentation, comme celle de l’objet maternel décrite par André
Green, est au contraire mutilation de la trame psychique elle-même. C’est trai-
ter la douleur de l’arrachement par une... amputation !
Au cours de sa vie Frances Tustin insistera de plus en plus sur le danger
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d’être complice des défenses autistiques et préconisera ainsi une attitude active

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vis-à-vis des stéréotypies, faisant le parallèle avec la toxicomanie.

Donald Meltzer : le démantèlement et l’identification adhésive

Supervisant des traitements d’autistes, D. Meltzer élabore dans Explora-


tions dans le monde de l’autisme1 deux concepts théoriques précieux : l’identifi-
cation adhésive pathologique et le démantèlement.
Il emprunte à Esther Bick son concept d’identification adhésive – elle pré-
féra plus tard identité adhésive – décrivant la peau psychique commune de
l’enfant et de la mère au début de la vie psychique normale, proche du Moi-
peau de Didier Anzieu et première expérience de l’être (nous y reviendrons).
La version pathologique décrite par Meltzer est un collage adhésif dans un
espace bidimensionnel où la seule rencontre possible est l’accolement de deux
surfaces. Pas d’espaces internes, ni du self, ni de l’objet, pour contenir des
contenus, des éprouvés. Meltzer donne l’exemple d’un enfant qui dessine sur
une feuille la porte nord de Londres et de l’autre côté de la feuille la porte
sud : Londres n’a que l’épaisseur d’une feuille de papier. L’identification pro-
jective normale ou pathologique, qui est projection dans l’objet et non sur lui
dans l’acception kleinienne et bionienne, est donc impossible : la séparation
est arrachement, perte de l’éprouvé d’être que seul le collage procure : on
retrouve la problématique dégagée par Tustin.
À l’identification projective comme première figure de l’investissement, il
convient donc de substituer une étape plus primitive : l’identification adhésive.

1. 1975, trad. franç., Paris, Payot, 1980.


Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1713

Notons qu’elle s’en différencie par l’absence de la projection. (Contrairement à


l’opinion de Winnicott qui comprenait les inversions pronominales autistiques
comme une forme poussée à l’extrême de l’identification projective et ne
voyait donc pas de raison valable de séparer l’autisme des psychoses.)
Le démantèlement est une défense passive du moi qui se clive selon les
axes de la sensorialité – il rejoint ainsi Tustin qui souligne la prédominance
dans l’autisme d’une autosensualité au détriment des auto-érotismes. Ce méca-
nisme est réversible, surtout si l’on va chercher l’enfant par un contact avec sa
peau. Meltzer utilise deux métaphores : celle des cavaliers qui doivent passer
une porte et dont le jeune Lincoln qui les mène, ne sachant comment ordon-
ner ce mouvement, dissout la formation avant de la reconstituer de l’autre
côté ; et celle du mur qu’on laisse le temps et les intempéries disloquer. Pour
distinguer le démantèlement du clivage, il écrit : « En premier lieu, il nous
semble se produire de manière passive plutôt qu’active, à peu près comme si
on laissait un mur de briques tomber en morceaux sous l’action des intempé-
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ries, de la mousse, des champignons et des insectes, faute d’avoir fait des
joints de mortier » (p. 20).
Meltzer situe le psychisme autistique régi par l’identification adhésive
dans un temps et un espace différents : un temps circulaire et un espace bidi-
mensionnel. C’est l’accès à l’identification projective qui donne la possibilité
d’utiliser des contenants – du self et de l’objet – dont on sait en suivant Bion
l’importance pour l’élaboration psychique et la symbolisation. Le temps
devient alors un axe réversible de par la mégalomanie et l’espace accède à la
tridimensionnalité, permettant les fonctionnements psychotiques. Seule l’inté-
gration d’un temps à la flèche irréversible par l’élaboration de la position
dépressive et du deuil donne accès à la quadridimensionnalité.

Articulation métapsychologique

J’ai proposé en 19891 d’articuler les apports théoriques anglo-saxons sur


l’autisme infantile avec la métapsychologie freudienne. J’avais été en effet con-
fronté cliniquement à des éléments mortifères qui coexistaient sans lien avec
de fulgurantes manifestations de vie et de sexualité. Il m’est apparu que
l’hypothèse d’une désintrication pulsionnelle très poussée pouvait rendre
compte de cette paradoxalité clinique.

1. De la peur de l’objet au désir d’aliénation et à la mort, in Revue française de psychanalyse, 53,


Paris, no 4, p. 1112-1129. Ces idées ont été développées dans la monographie sur l’autisme (Repérages
métapsychologiques dans l’autisme infantile, in Autismes de l’enfance, Paris, PUF, « Monographies de
la RFP », 1994) et dans un article plus récent pour l’International Journal : Autism as a defusion of dri-
ves, 1998, vol. 79, part 3.
1714 Denys Ribas

Cette désintrication n’est évidemment pas totale pour autant puisque,


grâce à ses défenses et son environnement familial, puis thérapeutique,
l’enfant reste vivant ! Nous savons qu’il existe d’autres pathologies létales
pour l’enfant.
Cependant le degré très important de désintrication nous confronte dans
l’autisme à des états pulsionnels inaccessibles autrement en clinique, et les spé-
culations freudiennes les plus critiquées – car quittant l’évidence de
l’intrapsychique – m’ont au contraire été une précieuse boussole pour penser
une vie aux limites du psychique, ébauches psychiques d’avant la constitution
des limites.
On ne sera pas surpris de l’adéquation de ce modèle de la désintrication à
d’autres situations qui témoignent d’effractions des limites psychiques comme,
par exemple, la psychosomatique, ce dont témoignent les travaux de Michel
Fain et de ses collègues de l’IPSO.
L’effet de la pulsion de mort dans le démantèlement apparaît clairement.
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Désintégration d’avant l’intégration – Winnicott nous a familiarisés avec la
non-intégration –, distincte donc de l’atrocité du morcellement psychotique, la
dislocation du moi se fait sans angoisse, et il me semble que seule la pulsion
de mort peut rendre compte d’un tel désinvestissement de l’ébauche du moi
lui-même. Dans la métaphore du mur de pierres sans mortier, on voit bien
l’abandon à l’œuvre destructrice du temps, à l’entropie. Pas de haine chaude,
de sadisme, de cruauté ou de violence ici, qui témoigneraient d’un minimum
d’intrication pulsionnelle, mais simple désinvestissement de la cohésion
interne. L’angoisse est ainsi évitée au prix de la non-vie en tant qu’unité ins-
tituée. On sait qu’une armée qui se débande ne peut plus être vaincue, mais
elle ne peut plus non plus alors construire le nouvel État dont elle voulait
l’avènement.
Frances Tustin a également identifié explicitement cette composante mor-
tifère dans l’autisme quand elle interdit à une patiente de conserver une habi-
tude autistique et ajoute : « Le patient est soulagé quand l’analyste intervient
énergiquement du côté de la vie. À mon avis, c’est ce que nous devons tou-
jours faire avec des patients qui ont une puissante “pulsion régressive vers
l’inanimé” selon l’expression de Freud, puisque pour ces patients, le suicide
est la dernière “mise” qui peut leur permettre de s’échapper de ce qui leur
apparaît comme des difficultés impensables et sans remède » (19861, p. 240).
Remarquons que le mortifère le plus pur semble rejoindre l’entropie du
monde physique, et cela m’est apparu comme pouvant résoudre l’énigme de

1. Autistic Barriers in Neurotic Patients, New Haven, Yale Univ. Press. Trad. franç., Le trou
noir de la psyché, Paris, Le Seuil, 1989.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1715

l’énergie de la pulsion de mort : elle utilise celle du temps externe. Nous y


reviendrons également. Mais dans l’autisme, en tout cas, la désintrication pul-
sionnelle signe l’arrêt du temps psychique, sa sidération. Comme le souligne
crûment Meltzer : « Le temps passé dans l’autisme est perdu pour la matura-
tion. » Contre-transférentiellement, c’est l’ennui « mortel » du thérapeute ou
plus insidieusement encore, sa distraction qui signent le désinvestissement réci-
proque et en sont l’indice. La haine, elle, est vivante...
L’identification adhésive, contemporaine du démantèlement, traduirait la
part libidinale issue de la désintrication, la pulsion de vie désintriquée, investis-
sement en collage absolu qui permet un éprouvé d’existence mais fait que la
séparation devient arrachement d’une part de soi-même, et perte du sentiment
d’être. Ceci rend compte des angoisses autistiques extrêmes lors de la perte des
objets autistiques internes (des sensations corporelles) ou externes (les objets
fétiches, souvent durs ou métalliques auxquels l’enfant s’accroche en les ser-
rant fortement) décrits par Tustin. L’erreur de la curieuse traduction française
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du titre du livre de Donna Williams, Nobody, nowhere par Si on me touche, je
n’existe plus1, n’est pas de lier le contact corporel au sentiment d’existence, ce
qui est très pertinent, mais de ne retenir que la défense qui en résulte,
l’isolement autistique : comme je n’existe que dans le contact, le trouver est
s’exposer à la menace de le perdre à nouveau et de ne plus exister ! Si notre
peau restait collée à la peau de l’autre lors d’un contact, nous aurions sûre-
ment aussi le réflexe de rechercher l’aloneness (la solitude) et la sameness (le
besoin d’immuabilité) autistiques décrits par Kanner...
Nous avons vu que le trou noir de Frances Tustin condense l’agonie de
l’arrachement et la défense mutilante qui l’accompagne, pouvant se com-
prendre comme l’arme absolue du psychisme contre sa souffrance, néantisa-
tion de ce qui peut l’éprouver : lui-même. Là aussi la temporalité ne doit pas
nous induire en erreur, car l’absence de représentation de la durée et de la
mort comme fin de la vie ne protège en aucun cas d’éprouver une agonie :
mais ce sera une agonie sans fin. Les rêves de chute sans fin sont peut-être une
trace en nous de ces éprouvés primitifs.
Si Frances Tustin permet de mieux rendre compte de l’horreur des
angoisses autistiques et Meltzer de se figurer un peu mieux la radicale étran-
geté d’un monde qui en protège (bien imparfaitement), nous avons vu leur
accord sur le recours à la sensorialité comme accrochage. Ma seule critique
sur une formulation de Tustin concerne l’autosensualité. Le recours à des
excitations qui n’ont pas la valeur unifiante de l’auto-érotisme (qui prépare
l’investissement narcissique et ouvre à un partage futur avec l’objet) ne fait

1. Robert Laffont, 1992, et « J’ai lu », 1993.


1716 Denys Ribas

pas discussion, mais le maintien du terme « auto » et la disparition du terme


« érotisme » me semble prêter à ambiguïté. En effet, la dimension « auto »
n’est légitime que d’un point de vue de l’observateur extérieur. Il m’est au
contraire apparu que, dans l’expérience clinique, les autistes déconcertent
souvent par des contacts anormalement érotiques, dont la sensualité est trop
vive, trop proche d’un fragment de sexualité adulte : frôlements qui font que
le câlin devient trop caresse, recherche de contact avec les parties sexuelles
du corps de l’adulte. Ce dernier est alors paralysé entre le réflexe d’un inter-
dit structurant – au risque de décourager tragiquement un mouvement
archaïque vers l’objet – et l’accueil de cette tentative de contact – au risque
d’une complicité incestueuse compromettant la sortie d’une fusion duelle ! J’y
vois plus un érotisme démantelé avec une composante sexuelle du type de la
perversion primaire décrite par Benno Rosenberg, signant l’absence de refou-
lement à l’œuvre. Cette carence gravissime de la structuration psychique
implique qu’il n’y a pas d’inhibition de but permettant la tendresse, alors
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qu’une « possession joyeuse de l’objet » (Meltzer) est possible, ni de surmoi
différencié. L’hypothèse de Freud d’un investissement direct d’objets par le
ça serait ainsi bien réelle... Mais cela a d’importantes conséquences théra-
peutiques puisque cela veut dire que bien loin d’avoir à assouplir une sévé-
rité excessive du surmoi ou l’intransigeance du refoulement, l’analyse va
essayer de promouvoir l’auto-organisation (S. Faure-Pragier et G. Pragier)
d’un chaos psychique où ni dedans, ni dehors, ni topique interne ne sont
constitués !
Nous ne devons pas ignorer les contestations actuelles des positions psy-
chanalytiques sur l’autisme – grossièrement assimilées aux positions les plus
contestables de Bettelheim – et la vogue des thérapeutiques comportementales
et des positions antipsychiatriques. J’y ai consacré un second livre1 sur
l’autisme destiné à un public non spécialisé pour confronter les points de vue
cognitif et psychanalytique entre eux et avec les témoignages d’anciens autistes
dont nous disposons aujourd’hui. Faute de place, je signalerai juste ici ce qui
rejoint la problématique de la dualité pulsionnelle : on a la surprise qu’une
cognitiviste comme Uta Frith, avec ses présupposés idéologiques d’étiologie
organique cérébrale de l’autisme, soit amenée à y postuler un défaut de cohé-
rence centrale empêchant les synthèses et l’accès à des métareprésentations,
avec une tendance à la fragmentation (assez proche du démantèlement...), et
une compréhension littérale (qui rejoint l’adhésivité) interdisant la possibilité
de faire semblant et de jouer ! Au-delà du cognitivisme aux résonances étran-
gement familières ? Remarquons aussi que pour cette théorisation qui fait de

1. À paraître aux Éditions Odile Jacob.


Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1717

l’absence de théorie de l’esprit d’autrui comme distinct du sien le trouble


pathognomonique de l’autisme infantile, c’est à nouveau l’absence d’une diffé-
renciation dedans/dehors qui est repérée comme essentielle.

Illustration clinique :
fragment d’une psychanalyse d’un enfant autiste

Jim est un bel enfant blond un peu apeuré. Ses parents sont originaires
d’une région d’Europe de l’Est éprouvée par les convulsions politiques du
XXe siècle, et n’y ont pas la même origine culturelle. Francophiles, ils ont
choisi de s’installer en France. À la maison, de nombreuses langues sont par-
lées par ces parents polyglottes. C’est surtout la langue du pays d’origine,
seule parlée par la grand-mère maternelle qui vivait à l’époque avec la famille,
et le français que Jim entend à la maison. Le père de Jim a perdu la possibilité
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d’exercer son métier initial à la suite de la Guerre du Golfe. Il aide mainte-
nant sa femme qui gère une petite entreprise en s’occupant d’un secteur tech-
nique. C’est un homme amer après beaucoup de désillusions, qui a dû quitter
ses propres parents brutalement à l’âge de 7 ans du fait d’une guerre pour être
confié à un oncle. Jim ne connaît pas ses grands-parents paternels.
Rien n’a inquiété ses parents à la naissance de ce premier enfant et les
troubles n’ont été identifiés que vers 18 mois lors de la mise à la crèche,
l’enfant ayant été jusque-là gardé par sa grand-mère, il n’avait jamais vu
d’autres enfants. Jim a présenté des troubles du sommeil et de l’alimentation :
il ne se nourrissait que de lait et de friandises données pendant les promena-
des par son père. Il refusait de marcher autrement que sur la pointe des pieds
et ne se déplaçait qu’en poussette..., il avait une stéréotypie de claquement des
mains sur les cuisses et s’était mis à cracher très souvent. Il disait quelques
mots. Après une année de jardin d’enfant à mi-temps, celui-ci a déclaré forfait
du fait des troubles de l’enfant. Après un an de traitement ambulatoire – dont
une psychothérapie une fois par semaine –, il a été adressé à l’hôpital de jour
pour enfants1 pour une prise en charge plus intensive : il avait alors 4 ans. Il
était alors considéré par son thérapeute comme un enfant « psychotique avec
des traits autistiques ».
Jim, à ce moment-là, se révèle extrêmement collé à son père qui s’en
occupe la nuit et une partie de la journée. Nous découvrirons que le père a
pris l’habitude de dormir avec son fils. Jim peut dire « t’aime » à la jeune fille
engagée pour s’occuper de lui. Mais celle-ci l’abandonnera soudainement plus

1. Hôpital de jour de l’Entraide universitaire, à Paris XIIe.


1718 Denys Ribas

tard. Il boude sa mère, très occupée par son travail alors qu’il fait des câlins à
son père.
Au début de ses séances d’analyse instaurées trois fois par semaine, après
une année d’hôpital de jour et la fin de son traitement avec le médecin précé-
dent, Jim se montre un petit patient très convenable qui s’installe à la petite
table préparée pour lui, fait des dessins, et explore le matériel de sa boîte de
jeu. À l’une des premières séances, je le vois à un moment très concentré, se
mettre à se caresser les mamelons... Une odeur m’apprend qu’il vient de défé-
quer et je l’emmène aux toilettes et le change. Il tire alors compulsivement les
chasses des différents W.-C.
En séance, il explore peu à peu la pièce, essaye de chiper avec dextérité les
feuilles de l’imprimante ou veut prendre crayons et feutres sur mon bureau
– ce que je tente d’interdire. Ses dessins sont des points dans un brouillard de
traces, à la Pollock...
Pour une des séances, il doit quitter le groupe animé par l’éducateur
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homme qu’il a tout de suite investi. C’est alors déchirant pour lui. Mais après
quelques semaines, c’est tout aussi difficile pour lui de me quitter à la fin de la
séance : les deux arrachements se succèdent ! Malgré des conflits institution-
nels nous opposant à l’époque, l’estime réciproque avec son éducateur nous
faisant chacun accompagner le mouvement vers l’autre, fait progressivement
surmonter ce conflit d’adhésivité. Après une année, Jim pourra investir égale-
ment les éducatrices. Parallèlement sa mère reprend la place laissée à sa
propre mère dans le soin de son fils.
Dans l’analyse, Jim va me mettre à rude épreuve en passant par une
période de plusieurs mois pendant laquelle il déchire systématiquement tous
ses dessins, les mettant en pièces. Il acquiert une compétence inexorable de
destructeur de documents, réduisant les feuilles en bandelettes fines et réguliè-
res. Après l’avoir longtemps contenue, je lui exprime ma tristesse de le voir
détruire ses productions. Puis, j’essayerai d’interpréter son besoin d’assurer sa
possession absolue des dessins comme lui appartenant réellement et que je le
reconnaisse. C’était d’ailleurs vrai, avec l’idée d’un « détruire/trouver » (Rous-
sillon), mais le recours théorique n’est pas toujours consolant...
Pour déchirer le papier, il se sert parfois d’un des ciseaux comme d’une
lame, mais il lui est impossible de les utiliser comme des ciseaux. Est-ce parce
qu’il faudrait pour couper accepter de faire jouer une articulation de deux
parties, trop proche de la scène primitive et du lien ?
Peut-être pour une part du fait de mon acceptation contre-
transférentielle, toujours est-il qu’il passe peu à peu à autre chose.
Le second semestre le voit investir le lavabo de mon bureau et jouer à
l’eau. Il acquerra très progressivement la maîtrise du mécanisme de la
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1719

vidange, une articulation en inversant le sens, il faut en effet tirer pour fermer
la bonde. C’est, pendant une longue période, moi qui dois contenir les débor-
dements d’eau glacée même en hiver, et il n’a que cette année découvert l’eau
tiède ou chaude. Il prendrait volontiers un bain en entier – ce que j’interprète
comme me faire occuper la place de son père dans les soins réels.
Les dessins se transforment, des cercles sont remplis – le cercle signe pour
Tustin une ébauche de moi – et Jim se lance dans une grande œuvre d’enluminure
du... manuel du logiciel Word de Microsoft (qui doit faire 800 pages !) que je lui
abandonne, intéressé par cet investissement d’un livre imprimé.
Derrière l’apparente et désespérante répétition à l’identique des séances,
un autre mouvement apparaît. Jim sort toujours de sa boîte deux chevaux qui
se trouvent tourner la tête dans des directions opposées. Je m’aperçois qu’il les
place alors toujours côte à côte, la tête tournée l’un vers l’autre comme pour
un baiser, et corrige leur position le jour où elle est inversée : je les nomme
« les chevaux qui s’aiment ».
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Il sort aussi ce que je prends au début pendant plusieurs mois pour des
animaux féroces (il ne manque en effet que le crocodile : une vache, un rhino-
céros, et un petit léopard). Il me semble aujourd’hui – cela continue – qu’il
s’agit plutôt d’une famille : le rhinocéros avec ses deux cornes centrales, la
vache avec ses deux cornes latérales et le petit léopard avec ses dents devant
être plus porteurs de métaphores sexuelles et infantiles que je ne le pensais...
(cornes-pénis, cornes-mamelons, dents...).
Parallèlement, Jim passe par une période nouvelle et durable où il ne des-
sine que des arcs (ou des cornes, ou des croissants de lune : la forme que crée
un mouvement oscillant du poignet). La nommer en choisissant un mot n’est
pas évident pour moi, aussi l’appelais-je « la forme ». Un jour que je
m’interrogeais ainsi en silence, Jim s’interrompit et me demanda par un geste
sur la porte de sortir. Je l’accompagnais aux toilettes où il fit pipi debout sans
tenir son sexe assez recourbé en cette circonstance. Sachant que le mot « zizi »
était celui employé pour son sexe par ses parents, je considérais à tort ou à
raison qu’il m’avait ainsi donné une indication que je verbalisais : il dessinait
donc « la forme-zizi ». Vers cette époque, des cercles réapparaissent dans ces
dessins, parfois tangents, ou même traversés par les formes-zizi et pour les-
quels on peut envisager une symbolisation de la différence des sexes.
Confirmant ce mouvement, et alors que depuis un déménagement il y a
trois mois, Jim dort seul dans sa chambre, il jette maintenant le contenu de la
boîte dans toute la pièce avec violence et couche parfois avec attention la figu-
rine masculine à côté de celle de la femme sur le sol. Je peux alors parler des
parents comme couple et donner des interprétations plus structurées – ce qui
était rarement possible d’une manière qui me semble adéquate jusque-là.
1720 Denys Ribas

Ainsi, lors d’une séance, après des dessins de cercles, puis d’arcs, il fait
avec excitation prendre vie aux jouets dans la boîte, puis les parents sont cou-
chés par terre. Le crocodile marche vers eux : j’interprète la rage devant la
scène primitive. Bruit des objets dans la boîte : j’interprète du bruit des
parents dans le lit. Il rassemble crayons et feutres, les sépare chacun dans une
main, les remélange, etc.
Puis il joue de nouveau avec l’eau assez excité. Après la séance, il va au
W..C. déféquer.
On voit que l’excitation doit souvent encore être déchargée, avec le risque
de l’évacuation de l’élaboration... mais un temps d’attente a été possible.
Revenons en arrière pour distinguer également deux mouvements intéres-
sants à propos des jeux d’eaux. Dans le premier, Jim se mit à consommer de
grandes quantités de Sopalin, essuyant le lavabo (la saleté du sol mouillé et sali
par ses chaussures aussi...) le mouillant et le tétant comme une éponge avec
ravissement. J’essayais de maintenir un refus du « sale », mais nous en étions
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manifestement plus au stade du goût que du dégoût. Il confectionnait ensuite des
boules de Sopalin mâché mouillé et la question de savoir ce qu’il convenait de
faire de cette création/rebut se posait. Winnicott a signalé l’importance de la
question des rebuts, des déchets (waste-disposal) sans la résoudre. En lui mon-
trant le choix entre les mettre dans la corbeille ou dans sa boîte, Jim finit par en
mettre une dans la boîte et je fis sécher quelques boules pendant un temps dans
mon bureau pour pouvoir en garder comme vestiges de cette étape dans la boîte.
Le second mouvement que je veux signaler est l’extraordinaire concentra-
tion de Jim dans certains jeux d’eaux. Face à la surface de l’eau du lavabo
mélangée de savon, que ses mains animent avec vigueur et précision, on dirait
un chef d’orchestre créant une symphonie, un dieu ouvrant les eaux du Nil, ou
créant les océans... enfin, quelque chose du sacré d’une création... Il vocalise
beaucoup dans ces moments-là et je reprends certains de ses mots. Il m’évoque
alors le remarquable travail de Marion Milner sur le médium malléable.
Bien sûr remplir/vider est aussi travailler sans fin la question du conte-
nant et du contenu et j’en commente les étapes avec des mots. À un moment,
aussi, il colora l’eau avec un puis plusieurs feutres avec beaucoup d’intérêt.
Plus difficile à interpréter avec précision, Jim passa beaucoup de temps de
nos séances à frotter la bonde chromée (qui ne brillait pas beaucoup). Identifi-
cation à quelque activité domestique des parents ? Sphincter inversé porteur
de l’érotique anale ? Tentative de se voir dans ce petit miroir déformant ? Il se
regardait souvent dans le miroir de mon bureau, et parfois lavait – opaci-
fiait – au savon ce miroir.
À ceux qui s’interrogent sur le contre-transfert dans de telles perplexités,
je peux en tout cas dire m’être aperçu (après coup, bien sûr) à cette époque
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1721

que j’avais, pour la première fois de ma vie, mis dans mon caddie au super-
marché un détartrant pour lavabo dont le flacon était illustré d’une photo
d’un lavabo à la bonde étincelante !
Si à certains moments j’avais entendu des mots clairs comme « Papa », ou
plus difficile à saisir comme « pa min » (pas la main ou papa-maman ?), le
mot « utin » m’avait laissé perplexe, comme « pété » ou « pé ! » très fort, mais
une rencontre avec sa mère m’apprit que Jim se signalait en disant souvent
« putain », « pédé » et « boudin », qui ne semblaient pas faire partie des
jurons familiaux. L’hôpital de jour accueillant des enfants scolarisés à temps
partiel à l’école primaire, il n’était pas exclu que son vocabulaire se soit enri-
chi dans l’institution. Je constatais peu après que c’était bien le cas, « pédé »
semblait à la mode. Ce qui est plus complexe, c’est la notion d’une compré-
hension par l’enfant du sens sexuel du gros mot et laquelle ?
En dehors de sa fixation privilégiée aux hommes à son arrivée, il se
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trouve que Jim a fait l’objet d’une fixation fétichique de la part de A..., un
autre enfant très autiste et qui a développé un investissement spécifique de
Jim : ses pieds et ses chaussures. Au début, ce petit garçon du même âge
essayait de toucher le dessous des pieds de tout le monde, tentant d’enlever les
chaussures. Son obsession s’est concentrée et humanisée dans une passion
pour Jim qui a été objectivement persécuté par son admirateur, capable de
pleurer maintenant devant sa photo, mais de le poursuivre aussi sans cesse, ne
pouvant supporter son altérité.
La nécessité de rappeler fermement dans l’institution le respect du corps
de chacun nous a amené à les séparer souvent, et j’y ai participé d’autant plus
que ma position de responsable institutionnel l’exigeait. Mais nous n’avons pu
empêcher en tout cas que se noue une relation sadomasochique où Jim a
d’abord subi la situation, puis... a provoqué son agresseur, lui agitant un sou-
lier sous le nez quand l’autre le laissait tranquille ! Encore plus récemment, je
l’ai surpris essayant d’enlever les chaussures d’un enfant plus petit, dans une
identification à l’agresseur réussie. Pour nous rassurer quant à une séduction
traumatique orientant un choix d’objet uniquement homosexuel, les charman-
tes petites bottines rouges d’une jolie petite fille semblent l’intéresser beau-
coup... Ce type de mouvement à partir d’une situation masochique, psychisée
ensuite, devenant ensuite une position sadique, est habituel chez les enfants
sortant de l’autisme au contact d’autres enfants. Mais la dimension fétichique
dans la sollicitation érotisée – une véritable séduction – n’est peut-être pas
sans conséquences pour l’organisation pulsionnelle de Jim. Une autre question
est de savoir, si c’est le cas, si cette situation inhabituelle sera une aide (par
l’accès à une relation objectale sexualisée) ou une entrave (par sa fixation à
une fétichisation perverse) ? Avant de rencontrer cette sollicitation, Jim avait
1722 Denys Ribas

montré un intérêt pour les chaussures, comme beaucoup d’enfants autistes,


mais aussi marché dans les chaussures de son père comme tant d’enfants nor-
maux, témoignant déjà d’une capacité d’identification.
L’irruption du mot « pédé » dans la cure ouvre donc la question de ce
qu’il signifie pour l’enfant : appropriation de la puissance explosive inconnue
du « gros mot » ? Interrogation sur la séduction homosexuelle qu’il subit ? Par
l’enfant ou par l’adulte ? Écho d’une réprobation des autres enfants ?
Demande de reconnaissance de son attachement homosexuel au père et à son
analyste ?
Comment trouver le juste registre, entre le risque du déni et celui du pla-
cage ? Dans le doute, je lui ai parlé de l’amour de l’autre enfant pour lui, mais
en lui disant que son corps lui appartenait en propre et qu’il pouvait dire
« non ».
Voici les notes d’une séance, une semaine avant l’interruption de l’été :
(6 juillet 2001).
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Jim est plus dans un jeu équilibré avec A... et mes collègues laissent faire
davantage, lui apprenant à se défendre.
Quand je viens le chercher, il est ravi. Pieds nus, il file dans le bureau
avec enthousiasme, en attrapant ses chaussures au vol (respect de mes
interventions ?).
Il jette le contenu de la boîte par terre, moins loin que d’habitude et je lui
cherche des feuilles blanches pour qu’il dessine car il a sélectionné les feutres.
Il va chercher des feuilles neuves dans le paquet de l’étagère en se limitant à
peu près. Après beaucoup de formes identiques qu’il étale par terre, il dit
vigoureusement : « Pour toi Jim ! » Il chantonne, crie à tue-tête, dit peut-être
« e-ni » – je pense à mon prénom, utilisé par mes collègues et il me semble
avoir entendu plusieurs « ni » récemment –, redit les « bonjours » apparus
dernièrement. Il fait pour la première fois avec soin une spirale à côté d’une
forme. Je le souligne peut-être trop tôt car il recommence avec précaution... et
s’arrête après un tour. Puis il me prend la main et se dirige vers la porte,
m’emmenant ainsi aux toilettes où il fait un grand pipi, assis, et défèque égale-
ment... Nous revenons dans la pièce et il joue un peu à l’eau à nouveau, ins-
piré, en mettant quelques gouttes d’eau sur les feuilles. Vers la fin de la
séance, il dit « Mon papa », première apparition du pronom possessif.

Élaborations

Chez l’analyste, la capacité de rêverie permet, selon Bion, l’exercice de la


fonction a qui est pour moi l’intrication pulsionnelle par le psychisme de
l’objet (la mère, l’analyste) des contenus impensables sans liens et sans conte-
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1723

nant. Il me semble qu’on est très proche alors des valeurs techniques défen-
dues par A. Ferro1 dans la filiation des idées de Bion et de la notion de champ
de M. et W. Baranger. Dans cette optique, l’élaboration contre-transférentielle
prend le pas sur l’interprétation des contenus et les métaphores corporelles
kleiniennes auxquelles Meltzer reste par exemple fidèle. Ceci pour ouvrir le
débat sur l’interprétation au service de la création psychique.
La position de Ferro, remarquablement féconde dans la recherche assumée
de la cocréation d’une organisation psychique, n’est pas sans conséquences,
exposant d’une part, comme le corps à corps des boxeurs sur le ring, à une issue
défensive contre les mouvements pulsionnels plus développés, érotiques ou
agressifs et d’autre part, et cela concerne plus les autistes, privilégie la mise en
récit sur la régression formelle du mot à l’image. L’importance de la mise en
récit, en histoire, en temporalité et l’apport des contenants culturels du mythe
et du conte dans la construction psychique sont reconnus dans le traitement de
l’autisme, comme J. Hochmann2 et P. Laforgues3 y ont insisté. Cela me semble
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un des éléments de la capacité de rêverie de Bion. Mais à privilégier le récit,
A. Ferro met sur le même plan la rêverie diurne et le rêve, voire inverse leur
valeur de connaissance plus approfondie des matériaux inconscients.
L’année dernière, Laurence Kahn nous a également beaucoup mis en
garde contre l’assimilation réductrice de la forme à l’image. Les témoignages
cliniques fournis par les autistes confirment pourtant une capacité archaïque
de traiter les images plus facilement que les mots. Une pensée en image4 de
Temple Grandin en témoigne, comme l’investissement préalable du langage
écrit chez certains autistes. L’image peut être investie adhésivement et cela
explique probablement certaines capacités mnésiques exceptionnelles des
autistes – comme celle de ce petit Anglais capable de dessiner tous les détails
de la façade d’un monument qu’il n’a observé que quelques secondes...

Psychanalyse et institution

Je n’ai pas la place de décrire ici l’apport institutionnel dans le traitement


de l’autisme et la richesse apportée en retour à ce travail par un éclairage
psychanalytique.
Soulignons cependant que dans ce type de pathologie n’ayant pas interna-
lisé le monde extérieur et les objets, un cadre du cadre qui y pallie doit être

1. L’enfant et le psychanalyste, Paris, Érès, 1997.


2. Raconte-moi encore une histoire, in R. Kaes et al., Contes et divan, médiation du conte dans la
vie psychique, Paris, Dunod, 1996.
3. Le loup anal et les trois petits cochons, RFP, no 3, t. 59, 1995.
4. Paris, Odile Jacob, 1997.
1724 Denys Ribas

pris en compte dans notre description du processus. Bion nous a initié par ses
Recherches sur les petits groupes à une pensée psychanalytique de groupes thé-
rapeutiques réunis autrement que par une démarche psychanalytique indivi-
duelle. Didier Anzieu et René Kaes ont développé en leurs termes une pensée
des enveloppes psychiques.
L’institution montre à l’œuvre la prise en compte psychique de la destructi-
vité démantelée des autistes et ses membres, à la suite des parents, sont sollicités
à ce titre dans leur économie psychique personnelle. Ceci m’a amené à reconsi-
dérer certains jugements hâtifs d’autrefois sur les parents. Positions insuffisam-
ment psychanalytiques qui ne prenaient pas en compte les mises en sens après
coup de l’élaboration du passé de l’enfant par le psychisme des parents.
Winnicott (il est concerné) nous a en revanche montré la voie en théori-
sant de manière proche le rôle de l’institution dans le traitement de la ten-
dance antisociale et l’utilisation de l’objet psychanalytique dans la cure.
Comme la psychiatrie l’a largement montré, cette détoxication de la des-
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tructivité, intrication désaliénante, peut toujours voir son sens s’inverser dans
une confusion des rôles thérapeutiques pour paraphraser Ferenczi, et l’insti-
tution soignante y est exposée.
Qui pourrait croire, cependant, d’une part, que la psychanalyse classique
n’est jamais concernée par le risque de ce type de renversement et d’autre
part, que l’institution psychanalytique, nos sociétés d’analystes et leurs con-
grès annuels ne jouent ce rôle bénéfique de cadre du cadre, de contenant de
contenant, de constitution de plus grandes unités dans le respect des différen-
ces... – intrication – et ne soient aussi exposées aux scissions et aux positions
d’adhésivité aliénante – désintrication.

La symbolisation

La plupart des enfants autistes traités précocement arrivent à sortir de


l’isolement et à établir des communications non verbales, et nous voyons de
ce fait disparaître les grandes évolutions automutilatrices que l’on observait
autrefois.
En revanche, tous n’investissent pas le langage, et c’est un défi que de
mieux comprendre ce qui peut favoriser l’accès à la symbolisation.
Dans son rapport sur la symbolisation, Alain Gibeault avait déjà choisi
de l’illustrer par le cas d’un patient autiste de Colette Guedeney.
Nous avons noté également la convergence avec les cognitivistes sur la
difficulté et l’importance de la symbolisation dans l’autisme.
L’organisation d’un cadre thérapeutique avec des contenants de contenants
favorise l’apparition des conditions d’accès à une dimension méta (Jean-Luc
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1725

Donnet) du travail psychique. L’institution autour du cadre analytique,


l’investissement paternel de la mère investissant l’enfant, rejoignent cette figura-
tion de certaines séquences cliniques, comme cette fillette autiste qui faisait tour-
noyer dans l’eau des petits personnages contenus dans la pochette des feutres,
l’eau se déversant ensuite dans la boîte de jeux puis dans le lavabo... La forma-
tion psychanalytique en serait un autre exemple avec la situation de supervision.

Le médium malléable de Marion Milner1.

Freud avait écrit sur le manuscrit de l’Au-delà la phrase suivante :


« L’autre abstraction que l’on peut rattacher au fonctionnement du Cs n’est
cependant pas l’espace, mais la matière, la substance » (OCF XV, p. 299,
note). Cette citation pourrait être mise en exergue du travail de Marion Mil-
ner, remis à l’honneur par René Roussillon dans son rapport aux Langues
romanes et son livre Paradoxes et situations limites de la psychanalyse2. Peintre
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elle-même, elle s’était intéressée aux entraves à la création et son travail est
l’un des seuls dont s’inspira Winnicott. Son travail que nous allons examiner
en détail a l’intérêt d’éclairer la problématique du « créé » avec la mise au
second plan des contenus sexuels en faisant apparaître l’externalisation et la
maîtrise – intrication d’excellente qualité – qui précède l’introjection de l’aire
de l’illusion. Il me semble éclairer l’articulation de la pensée de Winnicott à
une métapsychologie et rester exemplaire de l’influence d’une indistinction
entre sujet et objet, de sa persistance dans un psychisme construit, et de ses
conséquences sur le contre-transfert, ce qui a des implications très actuelles.
Le rôle de l’illusion dans la formation du symbole3 décrit une thérapie
d’enfant dans laquelle M. Milner se rend compte que les interprétations klei-
niennes laissent de côté un aspect essentiel de ce qui se passe pour son patient
et dans son contre-transfert. Cet enfant n’est pas du tout autiste, va à l’école
primaire et cela élargit notre réflexion à la construction psychique en général.
Critiquant les positions de Jones sur une symbolisation régie par le principe
de plaisir, Marion Milner écrit : « Entendons-nous vraiment dire que c’est
uniquement le désir de bien-être et de plaisir, et non la nécessité, qui nous
conduit à identifier une chose à la place d’une autre en fait non identique ? Ne
sommes-nous pas plutôt guidés par la nécessité interne d’organisation, de
modèle, de cohérence intérieure, cette nécessité de base qui fait découvrir
l’identité dans la différence, sans laquelle l’expérience devient un chaos ? » Elle

1. Je résume ici un chapitre de ce livre sur l’autisme à paraître.


2. Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF, 1991.
3. In New Directions in Psychoanalysis (1977) traduit dans la Revue française de psychanalyse,
no 5-6, 1979.
1726 Denys Ribas

fait le lien entre l’activité primitive du symbolisme dans la civilisation et


l’œuvre poétique. « Le mot illusion est également indispensable car ce mot
implique l’existence d’une relation à un objet du vécu, externe, même si cet
objet est fantasmatique, puisque la personne qui crée cette fusion croit que
l’objet secondaire est l’objet primaire. »
Elle souligne la concentration de ses jeunes patients à certains moments.
« ... j’ai fréquemment remarqué, au contact des enfants qui jouent, qu’il sur-
vient là, de temps à autre, un type tellement particulier d’absorption dans ce
qu’ils font, qu’ils donnent l’impression qu’il se passe là un quelque chose de
grande importance. » Elle explicite qu’au-delà des travaux psychanalytiques
montrant la curiosité de l’enfant normal pour les organes sexuels des parents
ou les siens propres, il faut prendre en compte « que “l’objet” primaire que le
nourrisson cherche à retrouver est une fusion de soi et de l’objet, tels sein et
bouche fondus en un. Ainsi, le concept de fusion est présent, simultanément
dans la situation primaire, entre le soi et l’objet, et dans la situation secon-
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daire entre la nouvelle et l’ancienne ».
Marion Milner nous montre ici dans sa conception du développement nor-
mal une fusion à l’œuvre qui pourra ensuite faire lien dans la temporalité. Est-
ce une croisée des chemins psychiques qui verrait chez l’enfant normal une
identité adhésive saine, au sens d’Esther Bick, se séparer de l’identification
adhésive pathologique, le collage, décrit par Donald Meltzer, qui restera vouée
à l’identique, sans jeu possible ? – jeu qui en mécanique définit un espace.
La symptomatologie autistique pourrait être comprise comme une
concentration non plus seulement intense, mais absolue.
La cure de l’enfant se situe pendant la guerre sous les bombardements de
Londres, à la lueur des bougies. Il joue à bombarder un village avec des allumet-
tes ou des boulettes de papier enflammées. À la fin d’une séance, il joue avec de la
cire fondante et enduit les pouces de sa psychanalyste avec cette cire en disant
qu’il est « bi-articulé » et se demande s’il en est de même pour elle, ce que, dans
un premier temps, l’analyste interprète comme exprimant la bisexualité.
Une maîtrise tyrannique était instantanément abandonnée lorsque l’enfant
entamait un jeu avec un jouet. M. Milner développe alors sa conception du
médium malléable permettant de retrouver une part d’activité ressemblant aux
rêveries diurnes et une activité musculaire immédiate adaptée en direction d’un
objet vivant, à mi-chemin entre les deux (soulignons pour notre part
l’intervention de la motricité en nous souvenant de sa fonction de dérivation de
la destructivité, finement intriquée dans la maîtrise). Elle rejoint l’aire transi-
tionnelle de Winnicott, dans laquelle il faut renoncer à poser la question de
savoir si l’objet est créé ou trouvé dans la réalité extérieure. Son patient peut
alors accepter comme heureuse une activité d’un club photographique à l’école
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1727

et Marion Milner comprend cette évolution comme le fait que la vie scolaire ne
lui était plus alors apparue comme une incarnation de la « non-moi-ité ». Elle
se souvint qu’au début de la guerre, l’enfant avait simultanément vu disparaître
son père mobilisé et son lapin de prédilection en laine. Elle pensa que cette
perte d’un objet transitionnel avait été très importante et que son rôle person-
nel dans les séances était celui de ce lapin perdu. « Il me traitait ainsi souvent
comme son entière propriété pour faire de moi ce qu’il voulait, comme si j’étais
un détritus, son détritus, ou comme un outil, une extension de sa propre main
(il n’avait jamais été un suceur de pouce). » (Remarquons que nous retrouvons
le détritus.) « Il apparut en fait, avec évidence, qu’il lui fut nécessaire pendant
très longtemps de garder l’illusion que j’étais une partie de lui-même. »
En lisant ces lignes je suis frappé par la résonance avec l’autisme – le
refus de la séparation – mais aussi l’écart – car la capacité d’illusion partagée
y fait tragiquement défaut.
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Marion Milner s’interroge sur la question de savoir si, dans les états
d’interface où illusion et contact coïncident, la peau contient le monde entier
– ce qui lui semble la nier – et fait référence au sentiment océanique décrit par
Freud (fusion avec la nature entière) et, pour le chaos, à une schizophrène
ayant le sentiment de ne pas pouvoir maintenir le monde hors d’elle, ce qui la
mettait à l’agonie.
Elle se souvient ensuite que son patient faisait parfois de magiques féeries
avec les flammes, et qu’il lui fallait alors y mettre un des soldats de plomb qui
fondait, figure du sacrifice – donc du masochisme, ferais-je remarquer –, dans
une mise en scène d’une puissante beauté. Il lui semble que, dans le récipient
métallique qu’il utilisait, il représentait l’intégration en lui des puissances des-
tructrices – du « feu d’Éros » aussi – et le fantasme d’une union passionnée
avec l’objet externe. J’y vois presque explicitement une intrication pulsionnelle
ouvrant au lien à l’objet. Il y a aussi création d’un nouveau tout dans la fusion
des différents éléments présents dans la « tasse à feu ». Le petit garçon gardait
par ailleurs les intérêts de son âge et s’excusait par exemple du caractère
« enfantin » d’un de ses rêves. Par la suite l’inhibition au dessin du jeune gar-
çon disparut et il put devenir capable de productions artistiques.
Je me souviens avoir moi-même, enfant, fait fondre du plomb. Lors de la
fusion, un métal liquide brillant comme de l’argent et vif comme du mercure se
révèle sous les scories de l’oxydation. On a alors le sentiment d’une alchimie...
Comment les enfants d’aujourd’hui ont-ils accès aux fantasmagories du feu ?1

1. Peut-être cela participe-t-il plus tard à l’attrait du tabac, du bout incandescent de la cigarette
au foyer de la pipe, et dont la fumée génère des formes qui isolent et protègent le fumeur de l’altérité
du monde... et imprègne ce dernier d’une odeur personnelle.
1728 Denys Ribas

Remarquons que Marion Milner ne relève pas que l’enfant fait fondre un
soldat comme le père parti pour la guerre...
Elle insiste au contraire sur la nécessité d’un médium malléable entre la
réalité autocréée et la réalité extérieure, illustrant l’aphorisme « l’Art crée la
Nature ». Pour elle, l’art – pour le senti – et la science – pour le perçu –
s’attachent à amoindrir l’écart entre les moyens disponibles d’expression et les
expériences émotionnelles ou une compréhension du monde.
Impliquant son contre-transfert, elle fait une remarque très importante
pour les analyses de cas difficiles, de réactions thérapeutiques négatives :
l’analyse du petit garçon changea lorsqu’elle remit en cause sa conception
profonde de cette cure en considérant qu’il n’était pas dans une régression
profonde seulement défensive, en la traitant comme ses gaz, son souffle, ses
fèces, mais dans « une phase répétitive essentielle dans le développement d’une
relation créatrice au monde ». « Le garçon put alors permettre à l’objet
externe que je représentais d’exister en tant que tel. »
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René Roussillon dans son livre Paradoxes et situations limites de la psy-
chanalyse1 prend l’exemple de la pâte à modeler pour illustrer comment un
médium malléable transforme des actions en traces qui peuvent prendre sens
et que, dans cette activité de représentation, c’est la capacité de représenter
elle-même qui se représente. Cette méta-représentation est l’essence même du
processus de symbolisation.
L’indestructibilité est une autre caractéristique essentielle du médium mal-
léable. Il ne suffit pas de survivre à la destructivité, il faut, de plus, comme
l’objet primaire avec un enfant doué pour la vie, se montrer alors « créatif et
vivant » comme le souligne Roussillon dans un ouvrage plus récent, Agonie,
clivage et symbolisation2.
Roussillon dénonce une conception naïve, bien que séduisante, de la sym-
bolisation primaire. Celle-ci suppose de différencier l’hallucination de la repré-
sentation de chose qui peut exister au-dedans en l’absence de la perception de
la chose. Il critique l’idée qu’un deuil originaire est nécessaire pour pouvoir
accéder à l’absence de la chose. Élaborer l’absence de l’objet primaire serait
alors un préalable nécessaire à la capacité de représentation. René Roussillon
nous prive de cette explication radicale des troubles de la symbolisation dans
l’autisme en critiquant le caractère de paradoxe temporel circulaire de cette
proposition : il n’y a pas de deuil possible si une capacité de représentation de
haut niveau n’est pas présente ! Le deuil implique la représentation de
l’absence et la représentation impliquerait la présence de capacité de deuil.

1. Paris, PUF, 1991.


2. Paris, PUF, 1999.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1729

On pourrait lui reprocher de condamner ici un paradoxe alors qu’à la


suite de Winnicott il en valorise habituellement la fécondité. Nous pourrions
faire intervenir une issue maternelle ou thérapeutique d’un apport psychique
de l’objet pour échapper à cette aporie. La symbolisation résulterait alors
d’une greffe psychique de deuil – désinvestissement au service de l’inves-
tissement – témoignant de l’apport de la civilisation à la construction de
l’esprit humain. Les capacités maternelles ou thérapeutiques de symbolisation
de l’absence et de deuil de l’unité primaire permettraient d’échapper au cercle
vicieux, incapacité au deuil / déficit de la symbolisation, permettant de sortir
de la circularité pour accéder à la progrédience du renforcement de chaque
possibilité par l’autre. L’accès à la temporalité quadridimentionnelle (l’espace
avec sa profondeur plus la dimension du temps) selon Meltzer implique égale-
ment une temporalité irréversible qui permet le deuil. Cet apport psychique
des parents serait un bien beau cadeau : le temps. On trouverait là aussi une
explication très cohérente des effets pathogènes (indubitables) des dépressions
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maternelles graves. Non plus seulement par la difficulté d’investissement, mais
plus précisément par la paralysie des capacités de deuil qui sont effectivement
dépassées lorsqu’il y a dépression.
On pourrait s’arrêter là, comme il y a cinquante ans, laissant tout l’enjeu
de la construction psychique à la charge des parents. Et du même coup toute
la responsabilité de l’échec éventuel ! Freud avec la part accordée à la consti-
tution, Bion avec la préconception innée, n’avaient pas cette naïveté. Ne reje-
tons pas cependant l’idée thérapeutique d’une « greffe de deuil » avec l’eau du
bain étiologique. Jim n’a-t-il pas eu besoin que je « fasse mon deuil » de pou-
voir l’empêcher de détruire pour pouvoir passer à autre chose ?
Suivons donc Roussillon dans son rejet de cette aporie qui va redonner sa
place à ce qui est interne à l’enfant. Entre l’expérience vécue et sa symbolisa-
tion il y a en effet pour lui un écart temporel qui est une exigence du vivant.
Sa position diffère de celle de Rosenberg : la temporalité expérimentée crée
pour lui l’accès au symbole, alors que pour Rosenberg nous avons souligné
que l’érotisation masochique du déplaisir créait la temporalité.
Il revient à l’animisme premier de l’enfant qui confère la vie à l’inanimé
au-dehors. « En s’hallucinant dans les objets, les processus psychiques, imma-
tériels et insaisissables en eux-mêmes, prennent forme perceptive et matérielle,
ils deviennent figurables et repérables : la psyché peut commencer à s’en saisir
par le biais de leur forme matérialisée. [...] Grâce à la perception la matière
psychique prend forme, grâce à l’hallucination la matière perceptive prend vie,
grâce à la motricité elle deviendra transformable »1 (p. 224).

1. Souligné par l’auteur.


1730 Denys Ribas

Cette conception implique une capacité de projection dans un dehors


reconnu, ou dans l’aire intermédiaire transitionnelle à la fois interne et externe
qui l’implique également. Or nous avons vu que ces deux capacités de l’enfant
ne sont pas d’évidence dans l’autisme...
L’originaire n’est pas le primaire. L’absence apparente du refoulement
chez les autistes pourrait faire postuler l’absence du refoulement dit « origi-
naire » et sembler condamner toute possibilité de progrès structural, retom-
bant sur une logique de déficit. René Roussillon explicite que l’originaire
(structuralement) n’est pas le primaire, le plus ancien (temporellement). Piera
Aulagnier ou Claude Le Guen1 l’avaient déjà souligné dans la construction
psychique.
Dans son travail sur la symbolisation primaire, Roussillon considère que,
dans le processus, un reste doit disparaître et qu’il constitue alors un élément
du refoulé originaire, produit de la symbolisation : « La symbolisation d’une
expérience refoule dans son processus même la trace de l’expérience non sym-
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bolisée qu’elle symbolise, elle l’inscrit et la perd en même temps. C’est cette
opération qui est à la source du “refoulement originaire” qui apparaît comme
le produit de la symbolisation » (p. 239).
Remarquons ici qu’il est souhaitable que le reste disparaisse et soit perdu
pour que se constitue un inconscient fonctionnel – je repense aux traitements
des restes. Pour une fois le psychanalyste n’est plus l’archéologue chercheur de
traces au service de la remémoration pour sortir de la répétition, mais il
espère qu’adviennent des « oubliettes », quitte à ce qu’une part de son apport
à la structuration y tombe... Négativation positive des traumatismes non
remémorables mais laissant la trace de leur contrainte dans des altérations de
la structure psychique. Il s’ensuit, me semble-t-il, une certaine remise en cause
des paradigmes psychanalytiques, qui ne concerne pas seulement le cas
extrême des autistes, tragiquement incapables d’oubli, mais tous les patients
chez qui des fonctionnalités psychiques nouvelles sont à favoriser...

La stéréotypie

Avant de quitter les autistes, n’éludons pas certains problèmes théoriques


et techniques très importants posés par la stéréotypie. Seule création de bien

1. Dans son rapport de 1985 sur Le refoulement. Les défenses, RFP, no 1, 1986, C. Le Guen pose
la question : « Ce refoulement originel, à être absolument nécessaire à la métapsychologie, n’en laisse
pas moins perplexe. [...] Est-ce un résultat ou une cause ? » (p. 127) et conceptualise un refoulement ori-
ginaire après coup, « condensation des activités hallucinatoires, projectives, auto-érotiques puis fantas-
matiques dont l’ensemble donnerait l’impression d’être “l’originel”, du fait des bénéfices narcissiques
secondaires qu’elles entraînent » (p. 131).
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1731

des enfants murés dans l’autisme, n’est-elle que toxique pour la vie psy-
chique ? C’est par exemple la position de Didier Houzel, que j’ai entendu
raconter, dans l’exposé d’une cure, qu’il baissait le store lorsque l’enfant
s’auto-stimulait avec sa main dans le soleil. Geneviève Haag partage aussi ce
point de vue. Mais je me suis demandé1 si la stéréotypie ne contenait pas une
« spore d’objet », conservée secrètement par l’enfant, et seule réalité créée sus-
ceptible d’être développée. Winnicott me donnerait en effet raison. Dans le
cas d’instauration d’un faux self, « le vrai self ne peut communiquer qu’avec
les objets subjectifs, communication en cul-de-sac, comme dans les balance-
ments autistiques » – et la peinture abstraite, ajoute Winnicott –, mais qui
porte en elle tout le sens du réel, alors que les objets offerts ne sont en relation
qu’avec le faux self et la communication avec eux n’est pas éprouvée comme
réelle2.
Dans la discussion3 avec Claude Smadja et Gérard Szwec au sujet des
procédés autocalmants qu’ils ont décrits, j’ai fait remarquer que la répétition
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dans la stéréotypie autistique est en soi une formation de compromis, donc
d’intrication pulsionnelle minimale entre pulsions de vie et de mort puisqu’une
identité et une permanence sont créées. Comme la compulsion du rêve trau-
matique – et son au-delà du plaisir – maîtrise absolue du déplaisir par sa pro-
duction, la stéréotypie est maîtrise absolue du monde par la production des
sensations. La vie est préservée et immobilisée – à la condition que
l’environnement prenne en charge l’autoconservation.
Métapsychologiquement, la stéréotypie peut ressortir à la fois du traite-
ment de l’excitation par la pulsion de mort, dans la ligne du bercement de
désinvestissement décrit par Michel Fain et du maintien d’une intrication
minimale qui préserve la vie par la coexcitation libidinale, dans le versant
allant vers l’auto-mutilation.
Cliniquement, nous avons vu que ce recours diminue en fonction de
l’apparition d’échanges externes.
J’ai aussi souligné un parallèle avec les recherches biologiques sur les
endorphines dans l’autisme (mais avec une logique étiologique inversée). Les
Galériens volontaires4 de Gérard Szwec en déclenchent certainement la produc-
tion, et l’on pourrait concevoir dans l’autisme une toxicomanie interne pour
lutter contre la douleur du trou noir. Birger Sellin a produit un texte dans ce

1. Procédés autocalmants, répétitions et autismes précoces, Revue française de psychosomatique,


no 4, Paris, PUF, 1993.
2. De la communication et de la non-communication suivi d’une étude de certains contraires, in
Le processus de maturation chez l’enfant, p. 157.
3. Op. cit.
4. Gérard Szwec, Les galériens volontaires, Paris, PUF, 1998.
1732 Denys Ribas

sens : « faire ruisseler [les billes] est une stéréotypie engendrant vraiment une
ivresse ; je répète d’abord visiblement ce que cause invisiblement la solitude »
(op. cit., p. 120). Il précise que c’est aussi une défense que la connaissance
peut remplacer : « Le savoir évite des actes dits répétitifs les premiers débuts
pour ne pas être livré à un chaos » (p. 116).
C’est aussi l’occasion de mettre en discussion le rapport coexcita-
tion / masochisme originaire. Il me semble que la différenciation est essentiel-
lement topique : la coexcitation, source corporelle libidinale, n’implique pas
pour exister un moi déjà constitué pour l’éprouver, alors que le masochisme
originaire suppose une ébauche moïque en constitution. Le second serait donc
la reprise psychique unifiée de la première.
Catherine Parat va dans ce sens, soulignant dans À propos de la coexcita-
tion libidinale1 la participation de l’Autre maternel et de ses pare-excitations à
cette organisation du masochisme érogène de l’enfant à partir (entre autres)
de la coexcitation, en particulier par « l’adaptation du rythme de la mère au
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rythme de l’enfant » (p. 297) et sa capacité à les maintenir dans un écart pro-
pice à l’organisation de la mentalisation.

L’hallucinatoire et la projection

Il me faut mentionner également la carence dans l’autisme de


l’hallucinatoire (dont l’importance psychique est soulignée depuis longtemps et
l’année dernière encore par Sára et César Botella), corollaire de la carence pro-
jective, ce qui serait un autre débat essentiel. Nous avons vu que Jim pouvait
utiliser l’excorporation – en crachant par exemple – dont André Green2 a souli-
gné la nécessité d’un accueil sur un support psychique par l’objet primaire pour
qu’elle se constitue en projection. Ceci me semble rejoindre les idées de Bion.
L’absence de projection sur le monde extérieur pourrait rendre compte
également du recours décrit par G. Haag à des projections différenciées sur les
deux hémi-corps de l’enfant.
Cette carence n’est pas absolue, et les enfants dont nous nous occupons
sont vite dans un post-autisme. Les plus compétents témoignent de possibilités
projectives anciennes (qui expliquent peut-être leurs capacités de communica-
tion ultérieures...). Donna Williams vit sa mère comme hostile et se dote d’un
compagnon imaginaire, Willy.
Jim, lors d’un premier bref séjour à la montagne franchit sans hésitation
une grille noire au-dessus d’un fossé qui le terrifie six mois plus tard. Ceci

1. RFP, no 2, 1987, et in L’affect partagé, p. 296-307, Paris, PUF, 1995.


2. A. Green (1990), La folie privée, Paris, Gallimard.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1733

témoignerait-il d’une constitution en cours de capacités projectives ? Sean


Barron1 donne raison à Didier Houzel qui décrit des angoisses de précipita-
tions dans l’autisme2. Ce terme me semblait s’éloigner de l’effondrement du
trou noir en introduisant une nuance d’impulsion et/ou de persécution. Sean
précise qu’il ne pouvait marcher sur le pourtour de la piscine si, mouillé, il
devenait sombre, alors qu’il pouvait le toucher avec ses mains. Il relie cela au
foncé et à sa peur des visages basanés ou de la barbe noire du psychologue
(mais pas des personnes de couleur noire). « Quand j’étais petit, j’avais sou-
vent des visions de quelque chose qui m’attrapait par les pieds et me tirait
vers le bas, en m’aspirant. Mais quand mon père et ma mère me faisaient tou-
cher le ciment humide avec la main, ça ne me gênait pas ; c’était mes pieds qui
étaient vulnérables, très, très vulnérables » (p. 100).
On pourrait relier le fait de marcher sur la pointe des pieds, comme le
faisait Jim, à une telle angoisse témoignant de l’insécurité de la fiabilité du
sol pour porter (au sens du holding). Peut-être entre aussi en jeu
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l’accrochage défensif à la contraction musculaire, comme objet autistique au
sens de Tustin.

GENÈSES : INTRICATION ET DÉSINTRICATION


À L’AUBE DE LA NAISSANCE PSYCHIQUE

La mère « intricante»... et l’investissement paternel

J’ai été frappé par la convergence de diverses descriptions proposées de la


naissance psychique de l’être humain, que l’on peut fédérer dans le registre de
l’identification primaire à la mère3. En effet, comme le propose Freud dans
Psychologie collective et analyse du moi à propos de la première des trois for-
mes d’identification décrites, une « forme originaire du lien affectif à l’objet »,
identification préœdipienne marquée de la relation cannibalique d’emblée
ambivalente : « Au tout premier début, à la phase orale primitive de
l’individu, l’investissement d’objet et l’identification ne sont peut-être pas à
distinguer l’un de l’autre. » Nous noterons, mais laisserons de côté la discus-

1. Moi, l’enfant autiste, Paris, Librairie Plon, 1993, et « J’ai lu », 1995.


2. Nouvelles approches psychopathologiques de l’autisme infantile, in Nouveau traité de psy-
chiatrie de l’enfant et de l’adolescent, S. Lebovici, R. Diatkine et M. Soulé (dir.), t. 2, Paris, PUF, 1997.
3. Je reprends ici des éléments d’un chapitre de Identifications, Paris, PUF, « Monographies de la
RFP », 2002.
1734 Denys Ribas

sion du besoin freudien de postuler une identification primaire au père préala-


blement « à tout investissement d’objet ».
Pensées en termes d’intrication pulsionnelle par l’objet, ces descriptions
étayent l’hypothèse d’un premier éprouvé psychique d’existence avant que les
conditions topiques individuelles ne soient advenues.

La création du temps

De ce point de vue, une ancienne révolte d’enfant a perdu en moi de sa


pertinence. Je trouvais que l’enseignement religieux qui veut vous faire adhérer
dans la croyance à l’idée que Dieu, existant de toute éternité, crée un jour le
temps, exigeait un sacrifice exorbitant de toute logique et pensée personnelle.
Mais l’homme ayant créé Dieu à son image, ce paradoxe rend en revanche
très fidèlement compte de la construction interne par les petits dieux que nous
fûmes d’une temporalité interne. Alors que nous existions par instants dans
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l’identification primaire à la mère, l’identité adhésive saine, nous avons pu peu
à peu créer le monde et le temps. Dans la nostalgie d’une appartenance à un
grand Tout comme certaines sectes le proposent, comme le sentiment océa-
nique l’illustre, ou la réunion de tous les êtres dans l’au-delà de la mort de nos
entités séparées pour les religions, il y aurait donc une vérité – en réalité un
souvenir au sens de Ch. Bollas : nous avons effectivement connu cette expé-
rience de l’union sans limite d’avant le temps...

Esther Bick

Dans L’expérience de la peau dans les relations objectales précoces, elle


décrit ainsi l’identification adhésive normale qu’elle a préféré appeler identité
adhésive à la fin de sa vie. Primitivement, « la personnalité est constituée de
parties qui sont vécues comme n’ayant pas de liens intrinsèques et qui doivent
donc être tenues ensemble d’une manière qui est vécue comme passive par la
peau qui sert de frontière. Cette capacité interne [...] dépend de l’introjection
d’un objet extérieur vécu comme apte à satisfaire ce rôle ».
L’identification à cette fonction permettra le fantasme d’un espace
interne et d’un espace externe, et c’est seulement alors que peuvent s’exercer
les mécanismes de clivage et d’idéalisation du self et de l’objet décrit par
Melanie Klein. Il y a donc la nécessité paradoxale de l’introjection d’un
contenant, préalable au confinement du self et de l’objet dans leurs « peaux »
respectives.
La non-intégration entraîne la recherche effrénée d’un objet – lumière,
voix, odeur de la mère, ou autre objet sensuel qui retient l’attention et tient
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1735

ensemble les parties de la personnalité (protégeant des angoisses catastrophi-


ques, différenciées ici des angoisses persécutives). L’optimum est bien sûr le
mamelon dans la bouche, associé à la mère qui tient l’enfant (holding), lui
parle et a une odeur familière. Cet objet est vécu comme une peau psychique.

... et Bion

On retrouve ainsi la fonction a de la capacité de rêverie maternelle et le


contenant-contenu (symbole mâle - symbole femelle) de Bion dont nous avons
vu qu’une lecture en termes d’intrication pulsionnelle était possible.

Le féminin pur1 de Winnicott

Le clivage des éléments masculins et féminins chez l’homme et chez la femme


(Jeu et réalité, p. 101) donne en 1966 une vision très originale d’un premier
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temps de l’identité, le féminin pur que Winnicott décrit dans ce célèbre cas cli-
nique chez un homme à qui il est amené à dire que le matériel qu’il écoute, en
rapport avec l’envie du pénis, lui semble celui d’une fille, précisant qu’il ne
s’agit pas d’homosexualité et ajoutant : « S’il y a quelqu’un de fou, c’est moi. »
Il réactualise ainsi un environnement fou dans une interprétation qui implique
la réalité interne de l’objet primaire, la folie maternelle. À partir de cet exemple
extrême, il développe l’idée d’un clivage entre les éléments masculins et fémi-
nins de la personnalité qui lui permet de définir un élément féminin pur.
Si le masculin est ici relié au lien, actif ou passif à l’objet, pulsionnelle-
ment investi, le féminin pur définit un lien bien différent au sein ou à la mère :
« le bébé devient le sein (ou la mère), l’objet est alors le sujet » et Winnicott
d’ajouter : « Je ne vois là aucune motion pulsionnelle. » « Il ne s’agit pas
d’être-un-avec, à ce moment le bébé et l’objet sont un. » Il mentionne à cet
endroit explicitement l’identification primaire.
Dans la construction complexe du self pour Winnicott, aucun sentiment
du self ne peut s’édifier sans le sentiment d’être (sense on being) qui découle
de cet éprouvé d’existence partagé avec la mère. Cette expérience vitale d’être
inaugure toutes les identifications qui vont suivre et représente une continuité
réelle des générations, transmise par les mères aux enfants des deux sexes. Elle

1. Si cette pureté résulte d’un clivage chez le patient adulte de Winnicott, il décrit sous ce nom
une forme d’identification primaire à la mère qui est pour moi un état d’intrication pulsionnelle par la
mère des pulsions de l’enfant. Dans la suite de mon travail j’indiquerai que la purification, à l’opposé
de l’usage de ce terme par Winnicott, est pour moi un indice de désintrication pulsionnelle. D’une
part, on retrouve une opposition de ce type entre l’identité adhésive saine (Bick) du nourrisson et
l’identification adhésive pathologique (Meltzer), d’autre part, il ne fait pas de doute que je suis en
désaccord avec l’intérêt de Winnicott pour que ce qui concerne l’être soit pur de toute sexualité...
1736 Denys Ribas

est beaucoup plus précoce que l’expérience de la relation objectale masculine


(dans les deux sexes) qui implique de doter l’objet de la qualité de non-moi,
dont la frustration fera ressentir de la colère et la satisfaction renforcera
l’objectivation de l’objet, ouvrant aux identifications complexes ultérieures.
Faisant ensuite la différence entre l’ « être » tenant du féminin pur et le
« faire » appartenant au registre masculin, il souligne l’importance de la ren-
contre avec un sein qui est et non un sein qui fait, entraînant chez l’enfant
l’expérience de la sécurité de l’être, protégeant de l’envie qui n’a alors pas lieu
d’être, au lieu du risque du faire comme.
Winnicott aussi, comme Esther Bick avec la seconde peau défensive,
débouche sur le risque du faux self.
Il spécifie, avec le féminin pur, un destin des femmes dans son autobio-
graphie posthume publiée dans L’Arc no 69, par sa femme Clare : « elles sont
continues », pouvant faire éprouver à leur fille ce que leur mère leur a fait
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connaître, alors que les hommes ne peuvent comme prolongement « qu’avoir
un fils pour les tuer imaginairement et leur survivre ».

Piera Aulagnier

Dans un premier temps de son travail, Piera Aulagnier fait travailler le


concept d’identification primaire d’une manière dialectisée dans la suite de la
pensée de Lacan : « La mère désire que l’infans demande » et « L’infans
demande que sa mère désire ». C’est une rencontre en tout cas entre deux psy-
chismes, dont l’un – celui de la mère – structure l’autre. Mais à partir de La
violence de l’interprétation en 1975. Elle pose un registre de l’originaire, préa-
lable au primaire dans lequel sera située la « violence » nécessaire de la ren-
contre avec la Psyché maternelle. Elle ne renie donc pas son travail antérieur,
mais décrit une étape plus ancienne, mise en jeu lors du premier allaitement.
La représentation du pictogramme « bouche-sein » et l’affect qui lui est lié de
manière indissociable dans le registre de l’originaire sont maintenant rappor-
tés à « l’exigence de travail demandée à l’appareil psychique du fait de son
lien avec le corporel », dans une économie pulsionnelle propre au nourrisson.
On peut considérer que Piera Aulagnier réintroduit le point de vue freudien
par cette citation explicite (p. 48). Le plaisir en fait partie, on n’est déjà plus
dans le seul registre du besoin et l’auteur précise que le pictogramme ne diffé-
rencie pas entre la satisfaction réelle et l’hallucination, mais que la satisfaction
donne plus de plaisir, et ajoute que l’objet représenté dans la jonction objet-
zone complémentaire est auto-engendré, mais comme éprouvant du plaisir. Il
n’est pas encore en revanche reconnu comme séparé. Elle rejoint donc mainte-
nant Winnicott qui trouvait aussi que « le lait réel nourrit mieux que le lait
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1737

imaginaire » et dans la prééminence du créé sur le trouvé, même si elle main-


tient le caractère pathologique ultérieur de l’auto-engendrement dans la psy-
chose, problème que Winnicott élude de manière étrange, maintenant à
« l’objet subjectif » une valeur fondamentalement authentique.
L’affect de déplaisir est lui éprouvé « chaque fois que l’état de fixation
devient impossible et que la psyché doit reforger une représentation » (p. 50).
« Le déplaisir a comme corollaire et comme synonyme un désir d’auto-
destruction, première manifestation d’une pulsion de mort qui voit dans
l’activité de représentation, en tant que forme originelle de la vie psychique, la
tendance contraire à son propre désir de retour à l’avant de toute représenta-
tion » (p. 51). Piera Aulagnier définit ainsi la pulsion de mort comme « désir
de non-désir », désinvestissement de la souffrance dont le psychisme s’attribue
la responsabilité du fait de l’auto-engendrement, et de sa cause, lui-même,
donc auto-anéantissement.
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Didier Anzieu
C’est une théorisation très proche de celle d’Esther Bick, dans un autre
langage, et contemporaine (1974-1985) sans que, semble-t-il, il y ait eu
influence réciproque, Didier Anzieu s’étant intéressé dès ses études à la der-
matologie. « Par Moi-peau, je désigne une figuration dont le Moi de l’enfant
se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter
lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son
expérience de la surface du corps. Cela correspond au moment où le Moi psy-
chique se différencie du moi corporel sur le plan opératif et reste confondu
avec lui sur le plan figuratif » (p. 39). Ce qui nous concerne est la première
étape de la constitution du Moi-peau de l’enfant, avec alors le fantasme d’une
peau commune à l’unité mère-enfant. Ce fantasme s’effacera avec la différen-
ciation de l’enfant. Anzieu s’appuie sur la description du Moi par Freud dans
Le Moi et le Ça : « Le Moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seule-
ment un être de surface, il est lui-même projection d’une surface » (p. 238).
En plus de l’identification primaire à l’objet qui assure le holding et la
contenance, le Moi-peau de Didier Anzieu a des propriétés supplémentaires,
inspirées du « bloc magique » et de la structure en plusieurs feuillets de la
peau : pare-excitations et inscription des traces sensorielles – « premier par-
chemin ». La peau de l’enfant est aussi investie érotiquement par la mère et
relie entre elle les zones érogènes. Notons que la mortification de la peau par-
ticipe de sa fonction pare-excitante, alors que l’inscription est du côté de la
symbolisation de la trace.
Catherine Chabert, dans son ouvrage consacré à Didier Anzieu, fait
remarquer qu’une négativité du Moi-peau, « visant à l’autodestruction de la
1738 Denys Ribas

peau et du Moi », reliée à la réaction thérapeutique négative et à la pulsion de


mort, a été supprimée de la dernière édition de 1995 (p. 65), ce qui témoigne
d’une évolution de la pensée de l’auteur.
Didier Anzieu relie la figuration du Moi-peau au narcissisme primaire
lors de la satisfaction et au masochisme primaire lors de la souffrance,
l’inscrivant ainsi dans une économie pulsionnelle.

La mère « intricante »

La formulation que j’ai proposée condense le travail psychique de la mère


dans le sens de la fonction contenante (Bion), sa régrédience (Sára et César
Botella) de bon aloi pour accepter les distorsions de sa topique psychique
dans l’effacement de ses limites au profit de l’identification primaire sur
laquelle semblent s’accorder les points de vue. J’aimerais y ajouter une hypo-
thèse personnelle sur la valeur structurante de la pluralité des registres
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d’investissement maternel de l’enfant. Narcissique par essence, bien sûr,
comme le dévoile crûment Freud de l’amour des parents, dans Pour introduire
le narcissisme. Auto-érotique puisque l’enfant est encore un peu une partie de
son corps. Érotique puisqu’il devient objet, érotique inhibé quant au but dans
la tendresse. Masochique, dans son plaisir d’être dévorée, et dans sa capacité
à être utilisée au sens de Winnicott, et sadique dans ses mouvements de haine.
Cette polyphonie est forcément éprouvée par l’enfant : suscite-t-elle des réso-
nances différentes, créatrices d’organisation psychique ?
En tout cas elle sait aussi, intriguante, bercer l’enfant pour éteindre son
excitation et qu’il laisse en paix la femme qu’elle est aussi retrouver le désir de
son amant, exerçant ainsi la censure de l’amante (D. Braunschweig et M. Fain)
et ouvrant au tiers, au mystère de l’objet de l’objet.

L’investissement paternel

S’il est de toute façon présent psychiquement comme figure dans


l’organisation œdipienne de la mère, il n’est pas qu’objet de désir de celle-ci.
Lui aussi investit l’enfant, garçon ou fille peut-être différemment, en fonction
de sa préhistoire personnelle. L’idée des enfants a pu participer au choix
amoureux de sa partenaire. L’enfant était investi narcissiquement avant d’être
conçu – support de l’identification primaire au père ? Le père porte aussi le
fantasme « originaire » de la séduction par l’adulte (nous avons, avec Paul
Denis, souligné la pédophilie de Laïos), comme il investit son enfant avec une
ambivalence franche : l’enfant est d’emblée un rival vis-à-vis de la disponibi-
lité maternelle. La qualité de la coexistence de l’amour et de la haine envers
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1739

l’enfant en lui n’est sûrement pas sans conséquence, et est du ressort de


l’intrication pulsionnelle de ses pulsions.
Il est aussi parfois maternant, et nous voyons plus souvent aujourd’hui
des pères – comme celui de Jim – qui semblent avoir pris la place de la mère.
Ont-ils court-circuité l’exercice de leur fonction séparatrice de la mère, ou ont-
ils suppléé à celle-ci ? Nous ne le savons pas.

Pulsions ou relations d’objets ?

Ce débat actuel ne devrait pas être – André Green l’a souvent dit – puis-
qu’il ne peut y avoir d’investissement sans une pulsion qui s’oriente vers un
objet pour obtenir satisfaction. Ce qui est sous jacent est la question de la
contingence de l’objet externe ou au contraire du caractère structurant de la
réponse de l’objet primaire, de l’objet en personne1. Ce qui veut dire que la
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question du traumatisme fait retour en deçà de la séduction sexuelle quant à
la capacité d’être.

Deux réponses à une même question : « first being »

Pourtant, il me semble que la position winnicottienne de reconnaître la


nécessité de la constitution d’une organisation de la personnalité avant de voir
des motions pulsionnelles sexuelles, parfaitement pertinente en première
théorie des pulsions, ou la violence fondamentale que Jean Bergeret postule et
qui suppose une économie narcissique déjà advenue, rendent compte d’un en
deçà du principe de plaisir. Il faut d’abord être (first being) comme le soutient
Winnicott, avant de désirer l’objet.
Il me semble que la seconde théorie freudienne des pulsions prend cette
avancée en compte en rassemblant en pulsions de vie les pulsions
d’autoconservation et les pulsions sexuelles. La pulsion de mort s’oppose aux
deux (et c’est là le point de désaccord avec Jean Laplanche) et Freud recon-
naît une urgence primitive d’un combat pour la vie avant la satisfaction
sexuelle. C’est aussi ce que soulignent ceux qui mettent l’accent sur les défail-
lances de la constitution psychique à travers l’importance conférée aux
premières relations et à leurs aléas dont les traces n’en ont pas le statut
mnésique.

1. Pour reprendre le titre d’un numéro récent de la RFP (no 2, 1997) consacré à ce thème.
1740 Denys Ribas

Les pulsions de l’objet et l’origine

Ce que la conceptualisation freudienne laisse de côté, c’est l’économie à


deux d’avant la structuration psychique. Mais on peut, au prix d’une certaine
complexité – comme quand Winnicott dit qu’ « il peut y avoir union mais pas
idée de l’union », ou qu’un nourrisson sans mère ou substitut maternel qui en
prend soin n’existe pas – essayer de penser comment une mère et un père avec
leurs économies pulsionnelles personnelles prennent soin d’un petit dieu qui a
à créer sa mère – puis ses deux parents –, à créer le monde et lui-même. Mais
ceci nous pose des problèmes complexes puisque nous devons faire coexister
une position d’auto-engendrement valorisée par Winnicott comme créativité
profondément saine avec la constitution d’une origine structurant la différence
des sexes et des générations dans la mise en sens de l’attracteur œdipien. C’est
ce paradoxe que je soumets à votre réflexion.
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Tirer les conséquences de l’avant
de la différenciation entre dehors et dedans

La leçon de l’autisme infantile qui confirme l’intuition essentielle de Win-


nicott d’états psychiques préalables à une séparation entre l’interne et
l’externe ne me semble pas avoir été tirée au bout de ses conséquences.
Le débat sur la pulsion de mort porte sur son existence interne comme
autodestruction. Il n’est pas pertinent avant qu’interne et externe soient consti-
tués subjectivement, sauf si l’on s’en tient à un point de vue externe, ce qui
n’est pas freudien. La position qui part du narcissisme purifié par la projec-
tion du mauvais au dehors, créant l’objet dans la haine, anticipe sur la solu-
tion dedans/dehors postulée résolue et la projection supposée fonctionnelle.
Voyons maintenant comment ces éclairages nouveaux modifient le regard
sur la pratique analytique en général.
Le détour par le travail de Marion Milner nous a en effet montré, d’une
part, que ces questions restent opérantes chez des patients structurés et, d’autre
part, qu’une externalisation par la maîtrise est un temps préalable nécessaire à
son introjection. Roger Dorey a beaucoup travaillé en ce sens la distinction
maîtrise/emprise dans leur économie pulsionnelle duelle1. C’est aussi une des
leçons de la transitionnalité, dont l’importance a été unanimement reconnue.
Il faut de ce point de vue réévaluer l’analité – méconnue par Winnicott – dans
la mise en forme de la matière, et certains ont regretté qu’elle soit presque
absente ces deux dernières années de la discussion sur l’idéal (Janine Chasse-

1. Le désir de savoir, Paris, Denoël, 1988.


Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1741

guet-Smirgel l’a pointé à Montréal) et du dernier congrès sur la forme, alors


qu’elle a été beaucoup travaillée par la psychanalyse française. Avec elle la zone
érogène et la sexualité montrent leur importance dans la structuration psy-
chique. Organisation psychique et sexualité, organisation psychique par la mise
en sens sexuelle et non alternative. Frances Tustin en témoigne – Jim aussi –
quand elle remarque que, juste après avoir verbalisé le bouton cassé, John
touche compulsivement son pénis plusieurs fois, ce qu’elle ne peut comprendre
alors comme angoisse de castration. Cela me semble au contraire témoigner de
ce que les angoisses de castration métaphorisent et transforment les agonies pri-
mitives puis les angoisses de séparation. Remarquons que le sujet change avan-
tageusement de position par rapport à la chute. De la chute sans fin dans le
non-être lors de la perte du contact adhésif, de la faille du holding, de la chute
dans la dépression du sujet, de la dépressivité anaclitique séparé de son objet,
l’organisation œdipienne fait passer à l’angoisse de la chute du pénis surin-
vesti narcissiquement : c’est la partie qui chute et non plus le tout. Nous ne
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nous étonnerons alors plus que le névrosé symbolise la mort (fin de la vie)
comme castration, comme Freud l’affirme avec force.

La fétichisation

Elle nous en offre la preuve. Il y a une parenté entre l’objet autistique et


le fétiche, objets inanimés garants contre la perte. De l’objet adhésif, donc de
la séparation comme perte de l’être dans le premier cas, du pénis de la femme
et du sien propre dans le second cas, dévoilant la même terreur de l’altérité
vivante. Rappelons les travaux d’Évelyne Kestemberg sur la relation fétichique
à l’objet1 dans les psychoses. J’ai souligné que le fétichiste utilise des envelop-
pes corporelles, bas, vêtements, chaussures (comme le séducteur de Jim), des
phanères (les cheveux), parties mortifiées ou inanimées.
Gérard Szwec, dans une communication orale, racontait qu’un enfant
autiste avait comme stéréotypie de faire grincer les portes. Il imaginait que
cela pourrait témoigner de la dernière perception de l’enfant avant la dispari-
tion de la mère. Freud ne dit pas autre chose de la constitution du fétiche
avant la perception de l’absence de pénis chez la femme. L’investissement des
chaussures par certains autistes pourrait ici prendre sens si l’on imagine un
enfant posé sur le sol lorsque sa mère s’en va.
Francis Pasche insistait sur les phanères et rappelait que son Bouclier de
Persée était fait de peau polie, permettant d’affronter la Gorgone, l’imago
maternelle primaire. Les fétiches sont donc des peaux mortifiées, substituts

1. RFP, no 2, 1978, p. 195-214.


1742 Denys Ribas

désanimés par la pulsion de mort de la peau psychique vivante et contenante


autrefois vitale.
J’ai proposé de situer certains objets très investis dans un espace défini
par trois axes, l’objet transitionnel, le fétiche et l’objet autistique, où les situa-
tions intermédiaires existent. Remarquons que le deuil de l’objet transitionnel
n’est pas à faire – il sera seulement désinvesti, précise Winnicott – et qu’il est
antinomique au fétiche et à l’objet autistique. L’un de ces objets investi peut
être le psychanalyste...

L’INTRICATION ET LA DÉSINTRICATION PULSIONNELLE


EN JEU DANS LA CURE
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La désintrication pulsionnelle a été considérée d’emblée dans les psycho-
ses et dans la mélancolie, nous l’avons vu, et nous ne nous y arrêterons pas,
ayant déjà longuement examiné l’état autistique. Notons cependant que
l’adhésivité pourrait rendre compte de certains troubles de la pensée et du lan-
gage et que la question, que nous aborderons, du temps désintriqué peut éclai-
rer les effets de mutilation psychique de la chronicité psychotique.
Pour les états limites, je renvoie au travail très poussé d’André Green dont
témoigne La folie privée qui montre combien la destructivité est présente et en
même temps défensive vis-à-vis de l’objet. Le recours systématique à la projec-
tion spécifie cependant un registre particulier. L’agressivité adressée à l’analyste
témoigne en tout cas – comme Winnicott le souligne pour la défense anti-
sociale – d’une intrication déjà présente et nos considérations sur le maso-
chisme nécessaire à l’analyste pour survivre impliquent l’intrication par lui
aussi. Ceci témoignerait donc d’une insuffisance masochique primaire du
patient, compensée dans la logique soulignée par Benno Rosenberg par un
masochisme secondaire augmenté d’autant. On comprendrait mal, sinon, pour-
quoi le patient provoque autant son analyste et l’environnement, et s’attire
autant d’ennuis sans un bénéfice masochique conséquent économiquement.

Intrication et désintrication modulées


dans la situation analytique

Après avoir détaillé la situation psychique extrême de l’autisme et plongé


dans l’enjeu de la symbolisation pour mieux saisir l’économie pulsionnelle du
créé, il ne me reste pas la place de montrer par des cas cliniques détaillés
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1743

– qu’il est par ailleurs toujours difficile de publier pour respecter la confiden-
tialité – l’intérêt de ce regard dans l’exercice quotidien de la psychanalyse.
Si Tustin et Meltzer ont souligné l’existence de défenses autistiques dans
d’autres structures d’apparences névrotiques, insistant sur la superficialité de
la vie émotionelle, il m’arrive rarement d’identifier un élément autistique dans
une cure. En voici pourtant un exemple.
Louis est un intellectuel brillant qui fait une analyse à quatre séances par semaine.
« Ne me prenez pas l’homosexualité que ma première analyse m’a permis de vivre »,
me dit-il lors des premières séances, usant de la dénégation efficacement puisque,
quelques années plus tard, il commence à vivre avec une femme. Ne se souvenant pas
de ses rêves pendant la plus grande partie de l’analyse, il était au début somnambule.
Dans la sexualité hétérosexuelle qu’il découvre, il me dit un jour, parlant d’embrasser
les seins de sa compagne, « j’ai eu peur de casser son téton ». La même angoisse sera
éprouvée dans un retournement lors d’un baiser « J’ai eu peur quelle me casse la
langue... » Ce mot cassé m’a semblé venir de très loin.
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J’aimerais au contraire communiquer l’intérêt de la sensibilité au gradient
intrication-désintrication dans la pratique habituelle où la fragilité narcissique
infiltre souvent l’organisation névrotique. Mais c’est de toute l’analyse dont il
faudrait alors rendre compte. André Green a par exemple montré la com-
plexité des implications à la fois vivantes et mortifères du négatif.
Une question se pose d’emblée quant à ce destin constructeur ou destruc-
teur pour la psyché de l’articulation des deux pulsions de vie et de mort. Est-
ce l’intensité quantitative des deux pulsions, leur rapport économique, qui en
détermine l’issue ? Bion écrit ainsi dans Réflexion faite1 : « ... dans une person-
nalité où les pulsions de vie prédominent, l’orgueil devient respect de soi, tan-
dis que dans une personnalité où les pulsions de mort prédominent, l’orgueil
devient arrogance » (p. 97). Ou bien l’intrication pulsionnelle dépend-elle de la
possibilité dynamique de la réalisation d’un investissement par les deux pul-
sions : masochique interne, auto-érotique alimentant un narcissisme sain,
sadomasochique objectal, objectal partiel puis total ? L’organisation topique
d’un surmoi alimenté par l’introjection est évidemment l’élément essentiel de
la reprise interne de la destructivité.
L’analyste prend place dans l’économie du patient et la modifie en s’offrant
à l’investissement, et l’économie interne de son investissement du patient entre
en jeu aussi dans le gradient intrication/désintrication de la cure. La situation
analytique joue donc sur l’organisation pulsionnelle et modifie les éléments issus
de la constitution et des vicissitudes de la construction psychique.
Une seconde difficulté résulte de la continuité entre les situations d’intri-
cations objectales vivantes et leurs possibles transformations délétères : lorsque

1. (1967), trad. franç., Paris, PUF, 1983.


1744 Denys Ribas

la joie d’un « amour fou » devient aliénation passionnelle, lorsque la croyance


qui donnait sens à la vie devient déni de l’altérité, de la réalité. Lorsque la
capacité de « faire la paix » devient avec le retrait le seul souhait d’ « avoir la
paix ».
Dans un rapide tour d’horizon de nos paysages familiers, j’indiquerai
quelques signes de désintrication pulsionnelle, avec l’espoir de susciter des
débats cliniques, sans développer ces thèmes comme je l’ai fait dans divers
articles déjà publiés.
Enfin j’évoquerai, pour nos travaux futurs, les questions qui me viennent
à propos de la névrose elle-même, à défaut d’en proposer les réponses...
La capacité de faire une analyse classique implique pour Benno Rosen-
berg une capacité masochique de base qui permet de supporter la frustration
et d’attendre en élaborant.
Le cadre analytique et l’interprétation sont par définition désintriquants,
opérateurs de déliaisons. Seul espoir du renoncement du deuil, seule possibi-
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lité de dénouer les complexes inconscients et que s’établissent de nouveaux
investissements et de nouvelles liaisons. En se dérobant à la perception, par
une neutralité qui ressortit de la pulsion de mort et affiche une apparente
indifférence, l’analyste présente un objet porteur d’une négativité qui va
mettre en action une régression formelle et temporelle et faire apparaître dans
le transfert les traits des objets internes.
La fin de la séance déterminée par l’écoulement d’une durée fixe du temps
externe marque un désinvestissement de la part de l’analyste – une « censure de
la montre », si j’ose dire – pour réinvestir un autre patient ou sa vie privée, mais
ce désinvestissement qui convoque le tiers est contenu par la répétition des séan-
ces semaine après semaine et l’expérience de la continuité de l’investissement
psychique de l’analyste par les liens que celui-ci souligne dans le matériel.
Mais certains patients, ou d’autres à un certain moment, vont désinvestir.
Au lieu que leur investissement augmente et se clarifie comme retrouvaille
avec l’objet dans le transfert en se saisissant de l’investissement abstinent dont
ils bénéficient dans l’écoute silencieuse et la présence de l’analyste. Le silence
de l’analyste devient alors la confirmation de l’impasse : « Mais les sirènes ont
une arme plus terrible encore que leurs chants, c’est leur silence. » André
Green, citant Kafka critique l’idéalisation du silence de l’analyste1.
Contre-transférentiellement, c’est l’ennui qui s’installe, plus mortifère que
la haine.
Il serait précieux et conforme à sa dimension transitionnelle que l’analyste
soit désinvesti à la fin d’une cure, comme un « placenta psychique » devenu

1. Le silence du psychanalyste, in La folie privée, Gallimard, 1990, p. 346.


Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1745

inutile. Moins favorable, mais éthiquement souhaitable, il serait aussi utile de


dire une impossibilité d’aller plus loin pour éviter à une analyse de devenir
interminable et factice.
Mais dans le premier cas, l’analyste est le témoin des réinvestissements
opérés par le patient dans sa vie et la vie est effectivement plus importante
que l’analyse. Dans le second, l’insatisfaction du patient peut être dégagée, ce
qui revient à interpréter le transfert négatif et peut dégager le processus du
blocage. Contre-transférentiellement, c’est le moment terrible où l’on peut le
craindre, lâchement tenté d’en finir avec ce mauvais sujet qui fait de vous un
si mauvais analyste... L’élaboration de cette position est essentielle pour le
dégagement de cette réaction thérapeutique négative, rejoignant une sorte de
travail de mélancolie à deux qu’il m’avait semblé voir implicitement proposé
par Catherine Chabert dans son rapport1.
Nous voyons convoquée ici la fragilité narcissique du patient et son
corollaire, le manque de fiabilité de l’objet interne. Après le masochisme origi-
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naire, c’est l’objet qui assure l’intrication pulsionnelle. Avec la représentation
interne de l’objet, l’être humain s’affranchit définitivement de la dépendance
psychique à la réalité du contact avec l’objet externe pour se sentir exister. Au
fond, la situation analytique classique parie sur la solidité de l’objet interne,
alors que le face-à-face psychanalytique maintient le filet de l’arrière-plan de
la perception de l’objet externe (Grotstein a décrit un objet d’arrière-plan). Il
est tout à fait psychanalytique puisqu’il convoque aussi l’objet interne. De
quel prix paye-t-on la présence du filet dans la profondeur du travail et la
qualité des remaniements ? Ma contribution à la réflexion actuelle sur
l’indication et la nature du face-à-face psychanalytique serait d’en souligner le
caractère moins désintriquant.
Mais si le patient allongé se sent désinvesti et l’accepte comme évidente
fatalité, le risque alors est grand de désinvestir effectivement ce patient qui ne
joue plus le jeu. Il est alors essentiel d’envisager ce mouvement comme une
répétition d’un désinvestissement objectal primaire par l’objet et de le commu-
niquer au patient par des interventions verbales témoignant du souci de com-
préhension de l’analyste et démentant la mort de l’investissement par l’objet.
L’analyste devient utilisable alors par ses carences et non pas malgré elles
(Winnicott). Avec La crainte de l’effondrement, heureusement republié récem-
ment, il nous a aidé à penser des situations de ce type.
On peut se demander si la psychanalyse moderne doit reconnaître ses
limites et n’allonger que des patients capables d’utiliser la présence de
l’absence, ou si au contraire, elle se donne le nouveau défi de convoquer

1. C. Chabert (1999), Les voies intérieures, RFP, no 5, 1999.


1746 Denys Ribas

dans la cure l’objet interne défaillant pour restauration par une nouvelle
expérience de contenance... Il me semble que cette question nous occupe
depuis quelques décennies déjà et que l’interrogation sur le cadre ne peut
faire l’économie de cette réflexion : la prise en compte d’une fragilité narcis-
sique est-elle une limite des ambitions thérapeutiques ou une lucidité au ser-
vice de cette ambition ?
En tout cas, contre-transférentiellement, il m’a semblé précieux d’opposer
une passivité de vie et une passivité de mort chez le patient et chez l’analyste.
Dans le premier cas, la passivité est réceptivité, féminité, de laisser l’objet
s’approcher, vous investir. La passivité de mort au contraire laisse s’éteindre,
se déliter le lien, se laisse désinvestir et « laisse tomber ».
L’attention portée par l’analyste à l’économie du conflit des pulsions de
vie et de mort dans la cure et à leur degré d’intrication et de désintrication me
semble une boussole des plus précieuses et en particulier dans les registres
convoqués par les traumatismes précoces. La métaphore maternelle – avec la
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location de notre fonction a, nous sommes des nourrices (non agréées...) psy-
chiques – peut en effet nous servir défensivement face à des conflits œdipiens,
au transfert paternel ou à la plus banale des problématiques de séduction ! Et
l’inverse est vrai également.
L’antinarcissisme de l’analyste donne à son investissement abstinent une
dimension d’amour que Pasche souligne et dont la dimension parentale – qu’il
assumait1 – est au fond d’autant plus présente que l’analyste est moins naïve-
ment réparateur puisqu’il s’efface d’autant plus au profit de la croissance du
patient.
En plus de nous faire payer correctement – ce qui différencie des parents
et condense l’échange érotique dans l’analité –, nous avons le choix d’une éco-
nomie parentale, donc :
1 / narcissique – ce qui menace particulièrement la transmission analytique –
et expose à des désintrications toxiques ;
2 / masochique, abstinente bien sûr, à valeur intriquante ;
3 / sadique, et sa valeur intriquante indubitable qui peut être d’un grand
secours, par exemple face à certains mouvements dépressifs, mais qui rap-
pelle la nécessité de la rigueur technique. Certains partisans aujourd’hui de
l’honnêteté du psychanalyste quant à la vérité de ses sentiments s’auto-
risent peut-être ainsi des actings... ;
4 / heureusement nous reste l’investissement érotique, mais inhibé quant au but,
ce qui a l’intérêt d’ouvrir au patient en analyse le registre de la tendresse.

1. F. Pasche (1992), La fonction parentale de l’analyste et sa castration symbolique, in RFP,


no 3, 1992, et in Le passé recomposé, Paris, PUF, 1999.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1747

La réflexion sur la réaction thérapeutique négative bénéficiera de la prise


en compte au moment de la séparation du couple analytique de sa dimension
secrètement adhésive – saine au sens d’Esther Bick ou pathologique au sens de
Meltzer ? En tout cas le recours masochique aigu réussit à ré-intriquer en
interne et à interrompre la séparation. Comme l’illustre Marion Milner, ce
que souligne René Roussillon1, c’est une élaboration interne et en particulier
le deuil de certaines certitudes théoriques chez l’analyste – désidéalisation et
antinarcissime – qui semble faire évoluer la situation.
Venons-en à la dimension anti-adhésive de la technique. L’analyse
moderne est plus joueuse qu’autrefois, me semble-t-il et non sans raison, sui-
vant Winnicott qui, dans son hommage au jeu, va jusqu’à renverser le rapport
habituel psychanalyse/jeu (qui dévalorisait le recours au jeu dans l’analyse
d’enfant au regard de la verbalisation), considérant que c’est le jeu qui est uni-
versel et la psychanalyse une forme de jeu particulier. Cette dimension me
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semble profondément anti-adhésive et rejoint l’intérêt porté par les analystes
pour le psychodrame.
C’est à René Diatkine que je dois d’avoir découvert la potentialité créa-
trice de ce cadre. La multiplicité des objets d’investissement proposés au
patient m’est apparue depuis pouvoir être comprise comme évitant au patient
d’investir adhésivement. On ne s’ennuie d’ailleurs pas au psychodrame, témoi-
gnant d’un traitement psychique de l’autre composante de la désintrication.
S’il est habituellement utilisé pour sa capacité de transformer l’action jouée en
pensée, on peut par ailleurs y recourir dans l’autisme comme je l’ai tenté avec
des enfants et comme Bernard Touati le fait avec des jeunes gens. C’est une
voie de recherche très prometteuse et je note qu’alors le psychodrame est uti-
lisé à l’envers : ce n’est pas la capacité de jouer qui est utilisée, c’est
l’incapacité autistique au jeu qui est travaillée frontalement avec la partici-
pation psychique des psychodramatistes qui mettent leur transitionnalité en
partage2.
La dimension du jeu dans la cure classique me semble signalée par une
capacité adéquate du patient à faire preuve d’humour envers lui-même et
envers l’analyste, capacité toujours forcément en même temps défensive
devant l’affect, ainsi qu’à supporter que l’analyste puisse parfois lui aussi faire
preuve d’un peu d’humour. Tout le tact pour ce dernier est dans le dosage de
cette petite part de détachement car l’erreur est immédiatement blessure dans

1. R. Roussillon (1985), La réaction thérapeutique négative : du protiste au jeu de construction,


in Revue française de psychanalyse, 49, no 2, 1985, p. 597-622.
2. La thérapeutique institutionnelle de l’autisme privilégie beaucoup le jeu et, paradoxalement,
l’accent mis sur l’incapacité au « fait semblant » et au jeu dans l’autisme par le cognitivisme permet de
réévaluer auprès des parents cette dimension comme authentiquement thérapeutique.
1748 Denys Ribas

un sens, connivence – donc séduction – dans l’autre... Pourtant qu’un espace


de jeu s’installe au bénéfice du patient dans son analyse est au service de ses
potentialités créatrices.

La scène primitive et l’intrication pulsionnelle

Fantasme originaire avec la séduction et la castration, attracteur œdipien


organisateur de la différence des sexes et des générations, création rétrospec-
tive d’une origine du sujet comme le précise Piera Aulagnier, nous attachons
une légitime importance à la valeur structurante du fantasme de scène primi-
tive, dont Laplanche et Pontalis ont souligné par la circularité du titre de leur
célèbre article que le fantasme des origines est aussi origine du fantasme1.
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Dansez sur moi...

« Dansez sur moi le soir de vos fiançailles... », chante Claude Nougaro,


mettant en scène la torture d’être le musicien qui rythmerait l’étreinte de la
femme aimée et du rival. Position masochiste explicitée, « dansez sur moi »,
comme s’ils dansaient sur son corps.
La scène primitive est une scène masochiste : je regarde l’être aimé
m’oublier au profit d’un ou d’une rival(e). Elle est, me semble-t-il, doublement
intricatrice : par le voyeurisme masochiste et par le biais de la bisexualité dans
un traitement différencié vers deux objets de l’amour et de la haine, surtout si
le refoulement permet le développement simultané des mouvements œdipien et
œdipien inversé. Deux objets, chacun investi avec une ambivalence modulée.
Remarquons que notre chanteur est d’autant plus humain qu’il se ménage
en même temps des bénéfices secondaires – ou plutôt préœdipiens. Par sa
souffrance, il est présent, ce qui annule l’exclusion. Il donne le tempo du rap-
port sexuel qui l’exclut, ce qui lui en donne la maîtrise. Enfin il est l’auteur du
fantasme, le créateur de la chanson.
La scène primitive projette sur tout rapport sexuel qui désinvestit l’enfant
l’hypothèse narcissique du rapport sexuel qui l’a créée.
Un homme jeune, autrefois très obsessionnel, m’a dit un jour arriver
enfin à se représenter ses parents enlacés. Il ajouta dans un cri du cœur : c’est
mon désir qu’ils s’approprient. Il ne lui était pas alors encore possible de
prendre pleinement en compte l’altérité de leur désir l’un pour l’autre, en
dehors de lui, et c’était pour le torturer qu’ils étaient réunis.

1. (1964), Fantasme originaire, fantasme des origines, origine du fantasme, Paris, Hachette, 1985.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1749

Si la question du passage de l’éprouvé mamelon-bouche comme expé-


rience d’être à la capacité de représentation de l’union du sexe de l’homme à
celui de la femme implique une distanciation, une position de spectateur (et
un changement de sens du contenu et du contenant chez le garçon – alimen-
tant l’imago de la mère phallique) que les auto-érotismes et l’externalisation
de l’aire intermédiaire préparent, on sait quelle place a occupé en psychana-
lyse la question de la réalité de l’observation du coït des parents. Aujourd’hui
encore, certains patients ayant partagé longtemps la chambre des parents en
montrent la pertinence clinique, mais il me semble que l’homme aux loups a
aussi permis à la théorie analytique de mettre en scène l’importance psychique
de la scène primitive, contenance de contenant.
Il est en revanche assuré qu’un aîné devienne le spectateur de
l’allaitement au sein (ou au biberon) de l’enfant suivant, ambassadeur de tou-
tes les désillusions narcissiques : il n’est plus sûr que les parents se soient ren-
contrés par amour pour l’enfant et lui seul.
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Faute d’une capacité masochique permettant d’en tolérer la représenta-
tion, les attaques contre la scène primitive et l’envie interne qu’elle peut susci-
ter ouvriront à un large registre d’inhibitions sexuelles.

Autocréer son engendrement ?

Ma tentative d’articulation rencontre là sa difficulté : comment faire


coexister la conviction clinique de la pertinence des apports winnicottiens sur
l’autocréé avec cette autre conviction clinique de l’enjeu essentiel de la scène
primitive pour la structuration psychique. C’est une des questions que je sou-
mets à nos travaux.
Un jeune homme m’a proposé un jour une ébauche de réponse1. Émile,
un adolescent adopté, s’épuisait dans des activités sportives (autocalmantes) et
son psychodrame n’accrochait pas grand-chose, jusqu’à ce que je le trouve un
jour dans la salle d’attente en train de lire un livre de science-fiction tempo-
relle que je connaissais. Je lui proposai un voyage dans le temps et sa première
scène fut d’être... Ravaillac ! Un régicide plus tard, nous jouâmes une autre
scène où il imagina les êtres de tous les temps réunis en un même lieu.
J’envoyais alors deux collègues à sa rencontre, jouant ses parents biologiques.
Très ému, Émile leur dit combien il avait souffert de leur abandon, lorsque,
réalisant qu’il ne serait plus lui-même s’ils l’écoutaient, il s’interrompit et leur
dit : « Non, ne changez rien. » Nous avons eu le sentiment très bouleversant

1. D. Ribas (1991), Le voyageur temporel : pensée, temps et origine, Adolescence, no 1, t. 9,


p. 111-120.
1750 Denys Ribas

ce jour-là qu’il choisissait d’assumer son destin et adoptait vraiment ses


parents adoptifs.
Mais il faut remarquer que c’est seulement lorsque la mise en scène lui en
laisse le choix qu’il peut autoriser ses parents biologiques, non seulement à
l’abandonner mais aussi à l’engendrer. Diffracté par la situation d’adoption,
Émile nous donne peut-être accès à une séquence qui décondense la folie psy-
chotique de l’auto-engendrement en retrouvant un temps de création du
monde et des parents qui permettent de les trouver – s’ils y mettent du leur –
et de leur donner plus tard, après coup, le droit de vivre le passé où ils nous
ont engendrés.
Une de mes patientes entrait en rage, enfant, chaque fois qu’on lui parlait
d’une époque « où tu n’étais pas née ».
Par cette voie temporelle, j’en étais venu à interroger certains suicides
d’adolescents comme ayant une valeur négative – donc une équivalence
inconsciente – d’auto-engendrement déniant la scène primitive pour originer
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seul son destin. Ceci rejoint le FADE, fantasme d’autodésengendrement décrit
par Paul-Claude Racamier dans les psychoses.

Quelle désintrication pulsionnelle dans la névrose ?

Cette question laissée ouverte par Freud est à poser pour des travaux
futurs et je n’aurais ni les moyens, ni la prétention d’y répondre. Mais je serais
heureux que des propositions soient faites dans nos débats.
Au début de l’Au-delà, Freud note que la compulsion de répétition
concerne aussi la névrose et la normalité. Il précise ensuite que la répétition
dans la névrose, à l’opposé du jeu de l’enfant, « passe outre, de toutes les
façons, au principe de plaisir. Le malade a là comme une conduite complète-
ment infantile et nous montre ainsi que les traces mnésiques refoulées de ses
expériences vécues des temps originaires ne sont pas présentes en lui à l’état
lié et, en fait, dans une certaine mesure, ne sont pas aptes au processus secon-
daire » (OCF XV, p. 307).
Cette citation me semble rendre compte d’une désintrication pulsionnelle
par une fixation adhésive des traces (fixation incestueuse, comme dans le
masochisme moral) et par le constat d’une déliaison. À la fois l’élément œdi-
pien est un indice d’intrication – nous avons vu combien – et en même temps
l’impossibilité du démantèlement (au sens freudien cette fois) du complexe
d’Œdipe signe une adhésivité des investissements paralysant le deuil objectal.
L’agressivité est souvent mentionnée par Freud, et pas seulement pour
l’Homme aux rats – potentiellement grand homme ou grand criminel ! – et
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1751

dans la névrose obsessionnelle en général. L’ambivalence mériterait d’être


étudiée à la lumière de l’interrogation sur l’aspect quantitatif de l’investisse-
ment des deux pulsions ou sur une participation de clivages de l’objet et du
moi mettant en échec l’intrication pulsionnelle : à la fois amour et haine.
L’hystérique est souvent mue par le ressentiment et l’on sait que la séduc-
tion vieillit en revendication. La phobie projette clairement la destructivité
au.dehors.
La névrose est donc tout autant métabolisation de qualité variable de
l’agressivité que vicissitude de la sexualité. Comme l’illustre d’emblée la
névrose actuelle où c’est la frustration sexuelle qui cause la maladie, impli-
quant donc l’agressivité tout autant que la libido.
La psychanalyse de langue française est très attentive aux subtils vacille-
ments identitaires, prometteurs d’authentiques remaniements. Mais nous
oublions peut-être certaines origines de cette heureuse tradition. Maurice Bou-
vet soulignait en effet dans son étude de la dépersonnalisation l’importance de
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la désintrication pulsionnelle qui la sous-tend. Celle-ci accompagne en effet
pour lui toute variation importante de la distance à l’objet – il s’agit en
l’occurrence de l’objet primaire archaïque – tant dans le rapprocher (er) que
dans la perte. Il dit son plein accord avec les propositions d’Andrew Peto1 qui
considérait en 1955 à Melbourne que la dépersonnalisation est toujours en
rapport avec la défusion pulsionnelle, avec les possibilités intégratives des cli-
vages qui en résultent...
Une autre discussion me semble à reprendre à la lumière de la désin-
trication pulsionnelle, celle de la nature de l’angoisse dans la névrose et la
dépression.
Benno Rosenberg a proposé2 une réélaboration de l’angoisse, proposant
de tirer toutes les conséquences de la seconde théorie des pulsions, ce qui a
suscité une vive controverse qui mériterait une reprise élaborative3. Pour lui,
la logique freudienne amène à considérer le moi comme le seul lieu de
l’angoisse, et celle-ci ne peut résulter de la pulsion de vie et de sa part sexuelle.
Seule la pulsion de mort menace le moi dans son intégrité et il privilégie un
point de vue interne pulsionnel, y compris pour les menaces de la réalité
externe. Pour Freud, ce n’est pas la tendresse de Hans (supposée pure) pour
sa mère qui est une menace, mais, comme il le note dans Inhibition, symptôme
et angoisse, « en relation avec la motion agressive [envers le père] que s’est

1. A. Peto (1955), On So-Called « Depersonalization », International Journal of Psycho-Analysis,


36, 379-386, 1955.
2. Le moi et son angoisse, Paris, PUF, « Monographies de la RFP », 1997.
3. Comme le propose Litza Guttieres-Green dans sa critique du livre de Benno Rosenberg (RFP,
no 2, 2002).
1752 Denys Ribas

effectuée la formation (substitutive) de symptôme ». La mise en cohérence


métapsychologique de Benno Rosenberg permet cependant, selon lui, de
conserver les descriptions phénoménologiques de l’angoisse et donc de la
névrose (p. 15). C’est en effet la revendication pulsionnelle, qui expose au
danger d’une désintrication dont l’angoisse est le signal au service d’une réin-
trication – symptomatique par exemple – protégeant le moi des effets de la
pulsion de mort. L’angoisse-signal témoigne d’un pré-clivage du moi. S’il défi-
nit l’angoisse par la rencontre du moi avec la pulsion de mort qui menace son
unité, il précise que c’est la désintrication pulsionnelle qui en est la cause et
généralise à toute menace de désintrication pulsionnelle concernant le psy-
chisme dans son ensemble (p. 25). On retrouve l’intuition de l’auteur que c’est
par la pulsion de mort que le psychisme se protège de la pulsion de mort.
Mon sentiment est un peu différent quant au privilège accordé au statut
interne de la réalité par Benno Rosenberg, et nous en débattons souvent. Un
moi écartelé entre ses trois maîtres, comme le propose Freud, me semble tout
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autant exposé par la libido à une déchirante menace pour son unité. Si la
création interne de la réalité ne fait pas de doute pour moi, sa trouvaille lui
donne effectivement ultérieurement un statut d’instance. La constitution du
surmoi par identification au surmoi des parents étoffe encore la complexité
des réintrojections avec la transmission de l’organisation interne de la généra-
tion précédente. Enfin, le déni de la réalité me semble le principal obstacle au
deuil et justifier la prise en compte par l’interprétation du déni de réalité en
psychanalyse, ce qui pose de sérieux problèmes techniques.
Retenons en revanche sans réserve la notion d’une angoisse-signal de la
désintrication pulsionnelle et de sa fonction protectrice par la mobilisation des
défenses.
Que devient alors dans cette nouvelle optique la distinction entre angoisse
névrotique et angoisse liée à une dépression. Elle est remise en cause, me
semble-t-il, dès le moment où l’angoisse de castration équivaut à l’angoisse de
perte d’amour de l’objet chez la femme, surtout si le surmoi punit également
ainsi, par le retrait de son estime.
C’est plutôt alors la valeur d’idéal du moi prise aux dépens du surmoi qui
de l’objectal ramènerait au narcissique et à la dépressivité.
Le remaniement proposé par Benno Rosenberg liant l’angoisse névrotique
à l’effet de la pulsion de mort me semble également en faveur de l’effacement
d’une différence qualitative. Notre prochain congrès nous éclairera utilement.
L’hystérie illustre cette interrogation. Augustin Jeanneau, dans son rap-
port de 19841, considérait que hystérie et dépression était indissociables.

1. RFP, no 1, 1985.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1753

Michel Ody a souligné ensuite l’opposition avec la proposition par M. Fain


d’une identification hystérique précoce ne pouvant donner lieu à aucune
dépression. On pourrait envisager que l’hystérie symptomatique serait
dépressive alors que la structure psychique hystérique ancrerait dans la
sexualité objectale. Je renvoie pour cette discussion aux textes du colloque
de Deauville de 1985 consacré à l’hystérie1. Peut-on faire l’hypothèse
que l’autonomisation du symptôme dans le psychisme serait la traduction
de la désintrication, comme Freud l’explicitait, nous l’avons vu, pour la
perversion ?
Comment comprendre la conversion hystérique en terme d’intrication ?
Le métissage pulsionnel du symptôme – compromis par essence –,
l’agressivité inconsciente envers l’entourage accompagnant le bénéfice secon-
daire, le maintien d’un sens inconscient et sa mise en représentation par le
corps, tout concourait à en faire un chef-d’œuvre d’intrication pulsionnelle.
Pourtant, j’ai un doute devant la disparition de l’angoisse, la belle indiffé-
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rence. Ne signerait-elle pas l’instauration d’un clivage entre moi conscient et
moi inconscient ? Le premier échappant au surmoi qui punit le second au
prix d’un déni et pas seulement d’une dénégation qui, elle, permettrait de
penser.

La position phobique centrale

Passons de l’hystérie à l’hystérie d’angoisse : André Green a proposé dans


ce texte2 un pont entre névrose et état limite en décrivant les troubles entra-
vant le libre cours des associations d’un patient. Une très longue analyse fit
apparaître qu’au-delà du refoulement « ... un certain degré de désinvestisse-
ment de l’arborescence éteignait la puissance de rayonnement des moments
thématiques ». Position centrale d’évitement car « ce que révèle la détresse est
le meurtre de la représentation de la mère qui n’apparaît pas ou du sein qui
n’apaise pas la faim mais accroît l’excitation. Lui fait suite le déni d’existence
de la propre réalité psychique qui l’accomplit. [...] ... hallucination négative du
sujet par lui-même... » (p. 760). Une culpabilité profonde résulte de ce meurtre
primaire.
André Green me semble ici rejoindre les points de vue de Tustin ou de
Piera Aulagnier (en dehors de la culpabilité), à propos d’un fonctionnement
mental bien plus élaboré, compatible avec une cure allongée.
L’éclairage en retour des phobies par cet évitement d’un « micro trou

1. RFP, no 3, 1986.
2. RFP, no 3, 2000, p. 743-771.
1754 Denys Ribas

noir » expliciterait l’inhibition, mais l’auteur ne prend pas parti sur une éven-
tuelle généralisation. En revanche, il me semble avoir fait le lien oralement
entre une inhibition liée au caractère cumulatif de l’angoisse dans le parcours
associatif dans la phobie et l’évitement chez son patient de la liaison associa-
tive qui confronterait, du fait du caractère cumulatif des traumatismes, à un
effroi catastrophique qu’il relie aux terreurs diurnes.

Destins de la pulsion de vie désintriquée

La libido qui ne trouve pas son objet pour atteindre son but – la satisfac-
tion – nous est familière : c’est l’excitation. Elle est donc dans un état relatif
de désintrication. Je me propose d’explorer quelques aspects plus désintriqués
dont les états autistiques nous ont appris les caractéristiques adhésives, en col-
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lage et dont nous avons montré que l’aspect libidinal objectal disparaissait au
profit d’une problématique d’apparence identitaire.

La fixation

Dans l’Abrégé, Freud signale « qu’un [...] caractère important de la libido,


c’est sa mobilité, c’est-à-dire la facilité avec laquelle elle passe d’un objet à un
autre. Au contraire, on dit qu’il y a fixation de la libido quand elle s’attache,
parfois pour toute la vie, à certains objets particuliers » (p. 10). L’adhésivité
dont je souligne l’intérêt pourrait donc éclairer cette question essentielle pour
les capacités de transformation psychique.
Pourtant des arguments forts existent pour que les fixations témoignent
de l’intrication pulsionnelle des premières satisfactions. Comme l’étayage sem-
blait le suggérer, laisseront-elles des fixations définitives ? Mais remarquons
que ces satisfactions sont alors contemporaines de l’identité adhésive saine...
Ou au contraire, comme la vie amoureuse adulte semble le confirmer, les pires
fixations sont-elles dues aux objets les plus frustrants ? Fixation au positif ou
fixation au négatif ? L’enjeu est parfois crucial s’il concerne l’objet primaire.
Comment renoncer aux dûs non acquittés ? Une partie de la compulsion de
répétition tend à revenir sur le même champ de bataille – masochistement par
exemple – pour connaître enfin l’autre issue toujours attendue. L’entêtement
peut être ici sans limites... surtout chez les états limites, mais la solidité névro-
tique s’y démontre également...
On sait que la régression ira vers les fixations, obstacles au dégagement
des inhibitions, mais aussi pas plus loin, protections contre les désorganisa-
tions psychosomatiques.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1755

Catherine Parat souligne la passivité de l’éprouvé de la coexcitation dans


l’enfance et y voit l’origine des fixations1 (ainsi reliées pour elle à l’intrication
du masochisme originaire) « ... qui, majeures ou mineures, inscrivent dans des
contextes variés des limitations, des tendances, des recherches, des nostal-
gies... » (p. 306), et donc un destin ouvert, heureux ou malheureux, pour
l’organisation psychique en général.

Illustration clinique

Mon illustration portera sur la dernière séance d’une psychothérapie,


séance dont la particularité est que la patiente n’y est pas venue.
Dans sa psychothérapie en face à face, B..., une grande femme brune un
peu trop corpulente – mais sa taille en augmentant l’effet – se trompe répétiti-
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vement lorsque je m’absente une semaine lors des congés scolaires : elle ne
vient pas quand je suis là, se heurte à une porte close la semaine suivante et
ne vient pas la semaine qui suit. Boude-t-elle alors ou une passivité de mort se
montrait-elle déjà face au sentiment d’un combat perdu d’avance pour qu’elle
reste investie ?... Pourtant cette femme chaleureuse et spontanée investit quant
à elle bien son traitement et y est agréablement associative. Elle compte sur sa
psychothérapie pour quitter l’aspect commercial où elle réussit dans son
métier et passer du côté créatif par l’écriture. Elle souhaite aussi arriver à
renouer un lien de couple durable.
Elle apporte un souvenir-écran de son enfance, à l’époque de
l’apprentissage de la lecture. Elle n’avait pas fait signer par sa mère le
reproche écrit à l’encre rouge dans son cahier d’écolière par l’institutrice et se
souvient de son immense soulagement lorsque sa mère lui dit le matin qu’elle
était malade et n’irait pas à l’école pour quelque temps. C’était une étrange
maladie. Il n’était pas nécessaire de rester au lit, mais il ne fallait pas passer
devant la fenêtre du couloir de la salle de bain, trop exposée à un tireur
embusqué. La bataille d’Alger avait commencé.
B... se souvient de sa tortue qui lui tenait compagnie et sur la carapace de
laquelle étaient peintes en bleu-blanc-rouge les lettres OAS. Elle a été assez
heureuse que l’exil dont ses parents ne sont toujours pas remis lui permette de
faire ses études à Strasbourg et de ne pas partager leurs idées politiques. Il ne
lui serait pas venu à l’idée de se considérer comme traumatisée. Nous élabore-
rons sa surprise que ses parents soient restés quelques semaines de plus

1. Op. cit., p. 299.


1756 Denys Ribas

ensemble exposés au danger après avoir organisé le départ de leurs deux filles,
dégageant la scène primitive des urgences matérielles du rapatriement.
Sa culpabilité et son hystérie – le rouge de l’encre a déplacé le rouge du
sang des victimes – ont opéré des reliaisons protectrices du traumatisme de
l’exode, de l’impuissance devant la catastrophe, dans un sentiment familial de
trahison.
Pourtant, et justifiée en apparence par la conjoncture économique défavo-
rable à l’époque, son évolution professionnelle tourne dans un premier temps
à la catastrophe avec une longue période de chômage. Elle réalisera cependant
son projet.
Sur le plan affectif, l’investissement de son corps et le fait de mieux assu-
mer ce qui en elle excite les hommes va lui permettre des aventures... mais pas
au-delà, en tout cas pas la possibilité de construire un couple et une famille.
Le temps passe et l’horloge biologique n’ignore pas la temporalité, amoindris-
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sant l’espoir d’avoir un enfant. Trahison des promesses du travail analytique ?
Peut-être aussi ma patiente sait-elle avoir une passivité de vie qui lui permet
de s’offrir à l’autre, mais elle est aussi parfois un peu trop passive quand ses
amants la désinvestissent... passivité de mort.
Pourtant B... continue son élaboration et parle de ses fringales, proches
d’épisodes boulimiques qu’elle refusait jusqu’ici de combattre pour ne pas
renouer avec les persécutions de sa mère, petite et menue, à l’adolescence, qui
voulait qu’elle soit mince pour séduire un mari. B... va peu à peu reconnaître
que l’étrange odeur aigre des baisers de sa mère était l’odeur du vomi, signant
les vomissements de cette mère en fait anorexique. Elle exhibait ainsi en néga-
tif la pathologie déniée de sa mère...
L’abord de ces différents empiétements psychiques me semblait témoi-
gner d’un authentique travail analytique et lorsque B... souhaita terminer son
traitement, cela me sembla une bonne idée. Un mois avant l’arrêt,
B... s’effondra et nous poursuivîmes les séances pendant un an, qui permi-
rent d’élaborer les aspects négatifs ainsi révélés et en particulier sa déception
amoureuse envers moi qui ne lui ai offert ni le mariage, ni l’enfant espéré.
Investissant un projet d’achat d’appartement qui cette fois serait à son nom
– elle habitait jusque-là un studio appartenant à ses parents – elle souhaita
à nouveau arrêter et cela me sembla à nouveau favorable, avec cette
prise d’indépendance assez richement évocatrice. À l’avant-dernière séance,
B... arriva en larmes, rien n’allait plus. Il me sembla que c’était une réplique
du séisme de l’année précédente, plutôt qu’un nouveau séisme et je le lui dis,
maintenant le principe que la prochaine séance serait la dernière et pensant
pouvoir compter sur cette séance de fin. Évidemment, elle ne vint pas et ne
répondit pas à deux courriers...
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1757

La répétition a-t-elle gagnée, et laquelle ? Ma patiente s’est-elle débrouillée


pour que je lui oppose une fin de non-recevoir, qu’on lui impose in fine à nou-
veau de partir sans avoir le choix, comme dans son enfance. Ou n’a-t-elle pas
supporté que je refuse de continuer à réincarner une mère un peu maquerelle
qui veut en apparence rendre sa fille désirable pour un homme mais est en
même temps complice, de par l’échec de celle-ci, du fait qu’elles ne se quitteront
pas... C’est alors la fixation homosexuelle à la mère qui aurait été la plus forte.
Je n’ai pas le sentiment que cette rupture ait le sens de garder le lien par
la dette restée en suspens – ce qui accroîtrait la dimension parentale. Il me
semble de plus que cet acte agit une destruction irréversible du lien, dans la
répétition d’un départ définitif sans au revoir ni adieu.
Dans cette hypothèse, la séparation a-t-elle réactivé une désintrication trop
poussée, révélant la dimension adhésive méconnue par moi, et libérant une pul-
sion de mort désobjectalisante ? Et que reste-t-il alors pour ma patiente de
l’objet analytique et du travail accompli. Ou simplement y a-t-elle gagné son
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indépendance, par une guerre éclair de libération menée et gagnée contre moi ?
Interroger l’activité et la passivité est ici précieux. Si dans l’enfance, sa
passivité fut dans la réalité totale face aux « événements » d’Algérie, comme
on disait, et aux silences des adultes et des autorités sur la faillite de leurs
engagements, elle est active dans le mode de départ qu’elle m’impose et la
spoliation d’argent assez symbolique qu’elle m’inflige. Loin d’être une victoire
du masochisme – j’obtiens le rejet et je vomis l’analyse – c’est peut-être alors
une identification réussie à l’agresseur qui permet ici, comme souvent, une
sortie sadique du traumatisme. Donc une intrication pulsionnelle et une déri-
vation externe de la destructivité. Elle a effectivement réussi à me châtrer de
mon sentiment d’avoir bien travaillé, c’était peut-être le but, mais elle m’a
aussi suffisamment marqué pour que je me souvienne d’elle aujourd’hui pour
ce travail, blessant ma confiance dans sa confiance et laissant une trace dans
mon narcissisme professionnel, médium pas si malléable que cela. Ou plutôt
médium vivant qui, comme la peau lors d’un tatouage, fait mal quand on y
inscrit une trace, convoquant l’économie masochique de l’analyste. Si c’est le
cas, alors tant pis pour le narcissisme, c’est plutôt une bonne version.

Les indices de désintrication dans la cure

Le temps désintriqué

Freud, rappelant l’atemporalité des processus inconscients, estime


en 1920 que « Notre représentation abstraite du temps semble plutôt avoir été
1758 Denys Ribas

tirée du mode de travail du système Pc-Cs et correspondre à une autopercep-


tion de ce mode de travail » (OCF XV, p. 299). Freud relie ainsi la tempora-
lité vécue à l’investissement pulsionnel. Nous avons beaucoup mis en travail la
temporalité ces dernières années – et je renvoie en particulier à plusieurs collo-
ques de Deauville. André Green, dans Le temps éclaté, témoigne de l’hétéro-
généité des temporalités à l’œuvre dans le psychisme. Je propose d’y ajouter le
temps désintriqué.
Nouvelle aporie pour la métapsychologie, la pulsion est un être de
temps : mouvement d’une source vers un but atteint par un objet, diminution
d’une tension, ce n’est pas seulement l’espace qui est requis mais aussi une
temporalité linéaire orientée, une flèche du temps. C’est bien ce qui ne donne
pas réellement accès à une description de la naissance psychique par la pre-
mière théorie des pulsions.
En concevant une pulsion de vie qui déborde l’individu, concerne la cel-
lule et s’oppose au retour à l’inanimé, Freud nous donne au contraire une
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aide pour penser les facteurs qui font favoriser l’organisation de plus grandes
entités. La pulsion de mort pouvant, soit ramener à l’inanimé, soit, domptée,
être séparatrice et donc organisatrice des différenciations topiques.
Dans certaines cures le processus auquel nous attachons une valeur essen-
tielle semble ne pas être au rendez-vous ou s’éteindre, comme un bateau
avance un moment sur son erre lorsque le vent fait défaut... L’analyste ne
peut alors priver le patient du cadre de l’analyse, seul espoir d’y comprendre
une répétition traumatique, mais risque tout autant s’il entérine cette mort de
la temporalité interne d’en confirmer le désespoir.
Nous avons vu que Meltzer avait décrit un temps se construisant en fonc-
tion de la relation d’objet (décrite en terme d’identification adhésive d’abord,
projective ensuite, introjective enfin). Ma compréhension en terme d’intri-
cation pulsionnelle croissante avec la fonctionnalité de l’objet aboutit donc à
relier temporalité et intrication pulsionnelle et je comprends ces atteintes de la
temporalité interne comme témoignant de la composante mortifère issue de la
désintrication. La pulsion de vie dénaturée en adhésivité donnant de son côté
à la mort du temps les figures idéalisées de l’éternité.
Si nous pouvons projeter l’avant du temps dans l’avenir sur un mode
idéalisé, l’union primitive dans un paradis futur, Winnicott nous a appris
qu’on pouvait faire de même avec la catastrophe, avec la permanente crainte
de l’effondrement de l’éprouvé d’un cataclysme pourtant déjà advenu à une
époque où le moi n’était pas en mesure de le vivre. C’est le clivage du moi,
œuvre de la pulsion de mort, qui remplace le souvenir, comme une tectonique
de la topique qui rend compte des contraintes du passé d’avant l’inscription
des traces.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1759

Il me semble que la description par Claude Janin d’un collapsus topique :


« La rencontre entre réalité psychique et réalité matérielle, entre fantasme et
événement, abolit la distinction entre l’interne et l’externe »1 (p. 51) comme
conséquence du traumatique s’inscrit dans cette ligne et témoigne d’une désin-
trication : l’interne perd ses capacités d’inscription et de contenance – collap-
sus – et l’adhésivité s’installe avec la répétition à l’identique.

Une pulsion de mort entropique

J’ai donc proposé en 1989 de doter la pulsion de mort de l’énergie du


monde physique – le temps et l’entropie – pour résoudre l’énigme de son
énergie mystérieuse. On peut efficacement « jouer la montre » dans un combat
mais ce dont je parle concerne surtout toutes les tentations de cesser le com-
bat pour avoir enfin la paix. La lassitude qui conduit au désinvestissement du
conflit pulsionnel.
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Ce sera la mort réelle du malade qui cesse de se battre à l’hôpital, le
retrait du déporté, certaines solitudes de la pathologie mentale chronique,
mais aussi nos habitudes, nos routines, notre usure... J’avais illustré ma thèse
par Le Naufragé de Thomas Bernhardt. Paul Auster sait aussi bien mettre en
évidence dans son œuvre ces moments d’abandon de soi-même à l’inertie et il
les contre-investit dans ses romans par des après-coups qui relient les destinées
de ses personnages. Lassitude de Sisyphe qui ne laisse pas seulement retomber
son rocher, mais lui-même. Il me semble important de penser l’inertie dans le
psychisme – ce qui était déjà dans le concept d’aphanisis de Jones pour la
libido – et j’y insiste à nouveau.

... au service du deuil et de la vie

Et pourtant, dans l’intrication pulsionnelle, laisser user son chagrin par le


temps permettra un jour de « laisser tomber » l’objet perdu, d’accéder au
renoncement par le désinvestissement. De l’attachement, c’est le souvenir de
l’objet qui restera. La représentation ne sera pas désinvestie avec l’objet pour
éteindre tout désir. Le psychisme disposant de cette capacité de détachabilité
arrachera même à l’objet des qualités par identification introjective pour ne
pas le perdre tout à fait et y regagner narcissiquement l’objectal perdu. Dans
l’intrication pulsionnelle, la séparation arrache sa représentation à l’objet au
lieu que le sujet vive l’arrachement d’une part de lui-même, mais à condition
de laisser le temps faire son œuvre, de pouvoir supporter masochistement la

1. Figures et destins du traumatisme, Paris, PUF, 1996.


1760 Denys Ribas

souffrance de la perte qui prolonge le lien et supporter de plus ensuite d’y


renoncer. Alors seulement un réinvestissement est possible, l’amour peut
renaître et la vie continuer.
Ceci n’est à mon avis possible à nouveau que par le relais de l’objet
interne et la mise en œuvre de la bisexualité pour offrir des relais objectaux
permettant des réaménagements modulés en intensité.
Dans un certain nombre de cures d’endeuillés immobiles, l’analyste
semble voué à suppléer à la carence fonctionnelle de l’objet interne et du sur-
moi pour fournir un objet d’investissement et protéger le psychisme d’une
désintrication pulsionnelle résultant de la perte objectale reconnue, permettant
ainsi dans les cas heureux la sortie du déni de réalité. Mais dans d’autres cas
c’est la séparation d’avec l’analyste qui réactivera l’horreur de l’arrachement.

La sublimation de la pulsion et l’idéalisation de l’objet


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Un des indices et une des voies de la paralysie du désinvestissement est
l’idéalisation de l’objet et implique une désintrication pulsionnelle inhérente à
la sublimation pulsionnelle corollaire. En proposant par l’étude d’un joli texte
de Henri James, Mme de Mauves, de différencier une sublimation de vie d’une
sublimation de mort1, j’ai voulu souligner l’importance dans la cure de la frus-
tration érotique d’une présence analytique réceptive à l’élaboration qui pousse
à la sublimation pour conserver le lien à l’objet au prix de l’inhibition et du
changement de but. Je l’oppose à ce que réalise son héroïne, une femme
fatale, qui demande à l’homme qui l’aime de renoncer à elle de son plein gré
pour lui donner la preuve de la beauté de son amour... Cette idéalisation me
semble pouvoir être à l’œuvre dans la technique de la scansion interprétative
avec des séances courtes, à savoir l’idéalisation d’une absence qui dénie la vio-
lence du renoncement imposé de la présence, présenté au contraire comme
étant le meilleur cadeau : la connaissance de soi. L’idéalisation est toujours
désintricante. Le silence de l’analyste qui en sait d’autant plus qu’il en dit
moins en est un autre exemple d’aliénation par l’idéalisation. Un indice très
sûr de l’idéalisation est l’irruption d’une exigence de pureté. Le clivage n’est
pas loin et l’adhésivité menace. La pureté psychanalytique est un bon
exemple, identité adhésive qui doit être transmise à des clones aux prix de
scissions répétitives...
D’autres théorisations ne sont pas à l’abri d’un retour de l’idéalisation, et
si j’ai de la gratitude pour l’éclairage donné par Meltzer à l’autisme infantile,

1. (1992), Sublimation de la pulsion et idéalisation de l’objet, in Les cahiers du centre de psycha-


nalyse et de psychothérapie, no 25.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1761

je ne le suis pas volontiers dans son élaboration d’un objet esthétique1 tradui-
sant l’émerveillement de l’enfant face à la beauté de la mère. Il me semble y
avoir là une régression psychanalytique, dans le recours à la beauté de la per-
ception, et une idéalisation théorique. Pour moi, c’est la séquence inverse qui
est pertinente : l’objet, investi avant que d’être perçu pour reprendre la célèbre
formulation de Serge Lebovici, créé pour qu’il soit possible de le trouver pour
parler comme Winnicott, tire sa beauté des satisfactions qu’il permet
d’expérimenter et, par l’idéalisation défensive, de celles qu’il refuse. On
rejoint, quant à la proportion du positif et du négatif dans le germe de
l’expérience esthétique, mon interrogation sur la fixation...
En revanche, la question attribuée au nourrisson devant sa mère par
Meltzer : « Est-elle aussi belle à l’intérieur ? » me semble très pertinente.

Moi-idéal et idéal du moi


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J’ai proposé à propos de la sublimation de donner sens à la différence
que Freud ne fait pas entre moi-idéal et idéal du moi pour spécifier un Moi-
Idéal – en majuscules et accolés, ce qui figure la mégalomanie et l’adhésivité –
adhésif et désintriqué, donc éternel et pur, auquel on peut être identifié totale-
ment avec tous les risques du fanatisme découlant de la désintrication conco-
mitante pour soi-même (comme le sacrifice de sa propre vie ne comptant pas
puisqu’on est totalement identifié à La Cause) ou pour les autres (comme le
conquistador préférant l’indigène mort baptisé plutôt que vivant dans son
altérité...).
Tout différent est un idéal du moi – en minuscule, avec des mots séparés
par des espaces – que le sujet tend à rejoindre, sans être assuré d’y parvenir
(mouvement assumant une distance à tenter de parcourir dans une tempora-
lité vectorisée par le désir et la castration). L’intrication y est assurée par
l’amour reconnu pour les objets, dont la perte a été travaillée par
l’introjection prenant en charge la séparation et le désinvestissement en tant
qu’objets.
Dans la désintrication, le corollaire du destin de la pulsion de vie en
l’idéalisation et en collage va être pour la pulsion de mort le clivage. Rappe-
lons que Gérard Bayle rend compte d’un gradient dans la désintrication avec
les clivages fonctionnels décrits dans son rapport2. Pour ce qui est des clivages
structurels j’ai mentionné la continuité de l’objet autistique et du fétiche. Il est

1. D. Meltzer (1988), Le conflit esthétique, in L’appréhension de la beauté, Larmor-Plage, Éd. du


Hublot, 2000.
2. RFP, no 6, 1988.
1762 Denys Ribas

clair que le déni de l’altérité et de la vitalité de l’objet sous-tend la perversion.


Plus que la castration, le véritable danger semble bien être alors le désespoir
abyssal d’une séparation primaire. André Lussier soulignait le danger dépres-
sif qui en résulte pour le pervers dans son rapport au congrès de 1984 et
M. Tomassini l’enjeu de désidentification primaire au congrès de 1992.
L’éclairage de ce registre par les angoisses primitives et l’importance de
l’adhésivité mériteraient des développements plus importants que je n’ai fait
qu’esquisser avec ce lien entre objet autistique et fétiche.

Sublimer la pulsion de mort ?

L’humour le permet. Si le retour à l’inanimé d’autrui déclenche imman-


quablement notre rire – comme lorsqu’un Président rate une marche – souli-
gnant que le rire a à voir avec la pulsion de mort, si le dessinateur nous inté-
resse quand la caricature est corrosive, et si l’humoriste manie le vitriol, il faut
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reconnaître que le véritable humour est celui que nous arrivons parfois à exer-
cer envers nous-même, lorsque nous autodétruisons notre image (mouvement
antinarcissique dans un autre sens !). Bien sûr, cela nous protège que d’autres
s’y essayent par surprise et pas en effigie, bien sûr, cela nous donne un déta-
chement défensif vis-à-vis des désespoirs narcissiques ou des chagrins objec-
taux, mais c’est néanmoins un des moins mauvais usages de l’autodestruction,
surtout si l’on y gagne le bénéfice secondaire d’être apprécié de ce fait, comme
Freud le souligne pour la sublimation de l’artiste.

Aux limites du psychisme : la psychosomatique

Dépression essentielle et désorganisation

Si Pierre Marty découvre chez des malades hospitalisés pour des maladies
somatiques de grandes différences d’évolution qui lui font conceptualiser Les
mouvements individuels de vie et de mort1, il semble que son cadre théorique
soit en profondeur resté moniste dans une conception assez jacksonnienne
d’une hiérarchie des fonctions, et que, pour lui, la désorganisation psychique
résulte d’une baisse d’un tonus vital. Remarquons cependant que cela oppose
une énergie vitale et une inertie, une entropie liée au temps. Dans la dépres-
sion essentielle, le patient s’enfonce sans angoisses dans le désinvestissement
objectal : c’est un mouvement passif.

1. Paris, Payot, 1976.


Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1763

Il ne me semble donc pas abusif de convoquer ici ma conception d’une


pulsion de mort désintriquée pour rejoindre l’idée souvent proposée d’un
monisme de Pierre Marty et de le comprendre comme un dualisme désintri-
qué, représentant dans la théorie la désintrication pulsionnelle contemporaine
de la démentalisation pour ceux qui pensent en ces termes (ce qui n’est pas du
tout son cas). Pour approfondir les nombreuses contributions psychosomati-
ques qui, à la suite de Michel Fain, utilisent la seconde théorie des pulsions, je
renvoie au rapport de Claude Smadja1, aux contributions du congrès de Lau-
sanne et en particulier à la discussion de Benno Rosenberg2.

L’adhésivité dans la névrose de comportement

Quelques indices plaident pour ce rapprochement entre la désintrication


pulsionnelle – et sa composante adhésive – et certains états décrits par les psy-
chosomaticiens. Jean-Michel Porte3 a déjà rapproché la bidimensionnalité
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autistique et le manque d’épaisseur du préconscient décrit par Marty (celui-ci
décrit aussi un collage du patient allergique au thérapeute). Pierre Marty avait
également souligné la perte de fonctionnalité ou l’absence de surmoi au profit
d’un moi-idéal. Enfin, le recours à un environnement faste nous évoque le
besoin vital de l’investissement et des soins d’un objet primaire, recours à des
objets externes palliant les carences internes, auto-érotiques, narcissiques et de
l’objet interne.
Ces rapprochements pourront alimenter nos discussions sur le cadre en
psychanalyse puisque l’on sait combien les troubles de la mentalisation et les
risques de somatisation sont apparus aux psychosomaticiens comme contre-
indiquant le divan.

AUX LIMITES DE L’HUMAIN

Du suicide collectif à l’extermination

Peut-on penser sur l’extermination, au risque de banaliser par une tenta-


tive de compréhension ce qui devrait rester seulement l’inhumain ? Mais l’on

1. RFP, no 5, 1998.
2. Pulsions et somatisation, ou le moi, le masochisme et le narcissisme en psychosomatique,
RFP, no 5, 1998.
3. La névrose de comportement : quelle organisation individuelle ?, Revue française de psychoso-
matique, no 10, 1996.
1764 Denys Ribas

s’exposerait alors à s’interdire de penser, et ce serait une autre victoire de la


pulsion de mort.
À bien moindre échelle, certaines évolutions sectaires vers le suicide col-
lectif avec le leader m’ont semblé1 convoquer une désintrication dans la
fusion régressive dans une entité psychique en deçà des lois et des limites
individuelles – régression collective à l’identité adhésive – et je ne suis pas
surpris du désinvestissement concomitant des échanges avec l’extérieur, repli
autistique du groupe, et des conséquences tragiquement mortifères qui
peuvent en résulter. Une société ne doit, pas plus que l’analyste dans la cure,
rester passive devant un mouvement de désintrication mortifère de certains
de ses membres. Le fait que les parents y entraînent leurs enfants le
prouve s’il en était besoin. Cette réflexion montre que l’on peut entraîner
chez autrui des désintrications et cela pourrait rendre compte des perversions
narcissiques.
On est frappé par les techniques utilisées par les nazis dans leur œuvre de
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mort : organisation opératoire et désobjectalisation systématique : séparation
des êtres, brisure systématique des liens, en particulier familiaux. Attaque de
toute mise en sens possible. Des témoignages, parfois romancés de manière
ambiguë (Le choix de Sophie...) montrent qu’une manifestation d’amour – la
reconnaissance d’un être cher – était transformée et pervertie par les bour-
reaux en mouvement et cause de mort par son exécution immédiate.

Une version « optimiste » : l’envie diabolique

Dans cet enfer, un sens pourrait être trouvé. L’attaque contre l’amour
– prouver qu’une mère n’aime pas parfaitement équitablement ses enfants –,
ou tenter de le pervertir en destruction est diabolique – donc religieux – et
c’est maintenir négativement la représentation de l’amour par l’acharnement
contre elle. Le diable est un ange déchu, tombé hors de l’amour divin, il est la
figure de l’Envie.

Exporter la désintrication

Cela me semble donc une version encore relativement optimiste, du


registre de la haine et il me semble que nous devons être plus vigilants dans le
combat pour la vie en répondant à la proposition de Nathalie Zaltzman, qui
pense que l’on peut créer de la pulsion de mort2.

1. Un sectaire mortifère, in Sectes, Paris, PUF, « Débats de psychanalyse ».


2. N. Zaltzman (1996), Le normal, la maladie et l’universel humain, RFP, no 4, 1996.
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1765

Pérel Wilgowicz illustre la désintrication pulsionnelle dans le vampirisme


par le film Nosferatu le vampire, alors que le héros approche du château de Dra-
cula : « L’attelage des quatre chevaux fouettés par le cocher pourrait figurer la
double intrication des pulsions de vie et de mort des deux protagonistes avant la
traversée du pont. Après, la calèche est tirée par les deux seuls chevaux de Dra-
cula et des trois Dames [infanticides]. »1 Si le vampirisme figure l’indistinction
sujet-objet, la dimension narcissique mortifère, il figure ce qui dévitalise, je souli-
gnerais aussi le mouvement inverse : il contamine aussi, faisant de sa victime un
vampire à son tour et ne donne pas simplement la mort, il donne sa mort-vie (vie
et mort désintriquées...) éternellement hors du temps, hors de la vie.
Michel Fain pose aussi clairement la question2 : « Une pure culture
d’instinct de mort peut exercer ses effets au-delà de la douleur morale. [...]
peut-on décrire une relation entre deux êtres au cours de laquelle l’un serait
pour l’autre une pure culture d’instinct de mort ? Un objet poussant le sujet à
désobjectaliser (André Green) ? »
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Je crois qu’en tout cas, la désintrication peut être provoquée, libérant
ainsi la pulsion de mort du sujet envers lui-même, par l’attaque des liens et la
destruction des objets d’amour, par l’humiliation narcissique et l’impossibilité
d’une mise en sens. Les totalitarismes ont ce savoir. Croient-ils ainsi se proté-
ger en la faisant porter par d’autres de la composante mortifère de la désintri-
cation induite par le régime totalitaire ? Hanna Arendt y soulignait en ses ter-
mes l’adhésivité (par la métaphore de l’oignon dont les pelures concentriques
ne laissent aucun espace) et l’on connaît l’idéalisation de l’Un dans une identi-
fication adhésive au leader.
À notre modeste place, nous luttons aussi contre l’aliénation psychique,
aussi bien celle que l’homme recherche pour fuir la douleur de la confronta-
tion à ses conflits, que celle que ses objets peuvent lui imposer – ce qui pose
de considérables problèmes techniques, voire éthiques. Christopher Bollas en
avait donné un exemple avec sa conférence à la SPP sur La violence innocente.

CONCLUSION : UN DEGRÉ DE LIBERTÉ DANS L’ORGANISATION PSYCHIQUE

Faire jouer à plein l’intrication pulsionnelle et utiliser une variabilité pri-


mitive de l’investissement pulsionnel m’aide à maintenir ouverte de manière
importante la possibilité d’évolution en divers registres de l’organisation psy-

1. Identifications vampiriques. Déni de la naissance et de la mortalité. Infanticide et matricide


(texte publié sur internet).
2. La vie opératoire et les potentialités de névrose traumatique, op. cit., p. 5.
1766 Denys Ribas

chique. Ses transformations critiques sont mieux compréhensibles et leur réver-


sibilité éventuelle mieux éclairée. Un degré de liberté supplémentaire est gagné
par la structure psychique dans une description qui prend en compte les varia-
tions de l’intrication pulsionnelle. Les désintrications pulsionnelles relatives
sont au service du travail psychique dans l’identification, la sublimation et le
deuil, dans la pensée aussi, en dotant l’investissement d’une capacité négative
de détachement potentiel, promesse de nouvelle liaison, de découverte et de
changement.
Au-delà d’une angoisse signal et moteur d’élaboration dont l’intensité
reste tempérée, et en dehors des états d’angoisses traumatiques où la désintri-
cation est patente, j’ai attiré l’attention sur des indices d’une désintrication
pulsionnelle insidieuse. L’arrêt du temps psychique – le processus s’immo-
bilise, le désir se perd avec l’espoir – s’accompagne d’investissements adhésifs
qui témoignent du destin libidinal dans la désintrication – idéalisation, fétichi-
sation – alors que les objets externes sont désinvestis sans qu’un relais interne
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soit trouvé.
Dans cette stricte compréhension psychanalytique qui privilégie l’écono-
mique, l’objet, interne ou externe, voit en effet son rôle reconnu comme pri-
mordial. Dans la construction psychique par ses capacités intriquantes,
comme dans la relation d’objet en s’offrant comme support d’un investisse-
ment – donc d’intrication – des deux pulsions. Le scandaleux masochisme
montre en interne l’alliance entre la sexualité et la destruction pour le meilleur
– supporter la tension – ou le pire, quand même la destruction de l’être
humain ne peut se faire sans une participation sexuelle, comme l’indique
Freud. Reconnaître l’importance du masochisme, c’est aussi réévaluer le
sadisme et sa vectorisation objectale. C’est également être attentif aux impas-
ses masochiques, quand la survie se fait au détriment de la vie, quand le sado-
masochisme enchaîne l’objet externe en protégeant de la séparation, mais
aussi de l’amour, ou quand le lien légitime de souffrir éventuellement lors-
qu’on aime est perverti par une symétrie factice qui veut croire que souffrir
prouve que l’on est aimé... On peut alors interpréter qu’une faiblesse de l’objet
est déniée et artificiellement transmutée en force.
Si les pertes objectales ou narcissiques sont désintricantes par nature, le
hasard du destin l’est aussi parfois avec la perte du sens de l’attracteur œdi-
pien et l’analyse se devra d’être remise en sens de l’histoire du sujet. Jusqu’où
doit aller alors la construction dans sa reliaison sexuelle structurante ?
L’implication des objets d’amour et de leur éventuelle toxicité est-elle élucida-
tion ou artifice ?
L’économie interne de l’analyste participe à la cure analytique. C’est sur
un fond d’investissement que les modulations de désinvestissements structu-
Chroniques de l’intrication et de la désintrication pulsionnelle 1767

rent la psyché – alors que l’inverse fait frémir – et l’attention portée à


l’intrication pulsionnelle aide à garder le cap pour que la nature et la modula-
tion de ces investissements soient au service de la conflictualité psychique et
de sa confrontation. Alors que la passivité de vie de l’analyste est garante de
sa réceptivité et implique une intégration harmonieuse de sa bisexualité, il ne
doit pas rester passif devant une défense contre des affects insoutenables par
le désinvestissement – chez le patient ou en lui –, et manifeste par là qu’il
prend le parti de l’objectalité, celui de l’amour et de la haine contre
l’indifférence et le désinvestissement de soi... : celui de la vie.
Denys Ribas
33 rue Traversière
75012 Paris

BIBLIOGRAPHIE
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