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QUELQUES REMARQUES SUR L’USAGE DE LA NOTION
DE TRANSITIONNALITÉ
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Emmanuelle Chervet

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2017/3 Vol. 81 | pages 54 à 61


ISSN 0035-2942
ISBN 9782130788447
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2017-3-page-54.htm
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Prolongements théoriques
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Quelques remarques sur l’usage de la notion


de transitionnalité

Emmanuelle Chervet*

À l’issue du colloque de Deauville sur la transitionnalité, j’ai éprouvé


le besoin de revenir sur quelques différenciations, qui me semblent néces-
saires du fait de l’étendue que prend cette notion. En effet, à partir de son
observation des phénomènes transitionnels, l’élargissement que Winnicott a
établi à l’expérience culturelle nous a autorisés à parler de transitionnalité
pour évoquer des réalités très diverses. La tonalité commune en est alors l’idée
d’une liberté vis-à-vis de la contrainte imagoïque et des fonctionnements duels
en tout ou rien… Tout ce qui est nuancé, tolérant la paradoxalité, bien tempéré,
peut être désigné comme transitionnel… D’où un usage extensif, parfois teinté
d’une réassurance quant à la bonne conduite analytique, qui masque des réali-
tés psychiques bien différentes. Je tenterai de préciser ces différenciations par
quelques remarques, très inachevées et qui réclameraient d’autres développe-
ments. In fine, j’interrogerai ici une idée qui a été formulée à plusieurs reprises
pendant le colloque, selon laquelle rétablir un fonctionnement transitionnel
lorsqu’il est menacé ou absent pourrait être un but pour l’analyste pendant
la cure.
D’une part, il est intéressant de remarquer la proximité entre la théorisa-
tion des phénomènes transitionnels proprement dits par Winnicott et la théo-
risation freudienne des liaisons préalables dans Au-delà et Le moi et le ça,
qu’en France à la suite de Didier Anzieu puis René Roussillon on a appelé les
symbolisations primaires. La réflexion sur l’abord psychanalytique des états-
limites, des adolescents, ou encore de la pathologie psychosomatique, pour
lesquels le régime représentatif est en difficulté et la topique incertaine, incite

* Psychanalyste, membre titulaire formateur de la SPP.

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en effet à revenir à ce que Freud entend par liaisons préalables (Freud 1920g)
à l’installation du principe de plaisir : l’établissement et l’investissement
d’un « domaine intermédiaire » préconscient (Freud, 1923b), qui est parfois
l’enjeu principal de la cure. Les phénomènes transitionnels condensent de
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multiples processus de l’expérience élémentaire des fondements de la repré-


sentation, que l’on peut tenter d’articuler aux formulations freudiennes
(E. Chervet, 2016), comme Jean-Louis Baldacci l’a fait lors du colloque pour
la notion de sublimation.
D’autre part, il m’a semblé utile de préciser un registre de la pensée de
Winnicott qui ne relève pas de la transitionnalité, voire qui s’y oppose et
réclame d’autres modalités techniques. La présentation peu systématisée de la
pensée de Winnicott se prête à un syncrétisme qu’il me semble utile de déplier.
Tout Winnicott n’est pas transitionnalité ! En effet, ses écrits sur l’usage de
l’objet et les identifications, issus de la pratique du transfert des états-limites,
décrivent des processus marqués d’une radicalité et d’une violence qui
s’opposent point par point à la transitionnalité, puisqu’il s’agit des difficultés
de constitution du sujet contre l’objet, par l’investissement d’un fantasme de
destruction. Cette part de l’œuvre de Winnicott se rapproche plutôt de la ques-
tion de l’identification et de l’instauration du surmoi chez Freud, à travers un
achoppement particulier rencontré dans la cure des états-limites.

PHÉNOMÈNES TRANSITIONNELS CHEZ WINNICOTT : CONCRÉTUDE ET SOLITUDE


EN PRÉSENCE DE L’OBJET

L’objet transitionnel est un objet matériel, le jeu manipule des objets


concrets, qui deviennent significatifs par leur investissement sans pour autant
être liés d’emblée à des mots. Mais le langage intervient très vite : « fort ! »,
« da ! », ponctuant l’expérience.
Dans la cure, il s’agit de la place d’une expérience significative, agie, par
exemple sur le cadre, mais aussi de l’appui du patient sur son expérience, dans
sa vie, dont la concrétude échappe entièrement à l’analyste tant qu’elle n’est
pas verbalisable, et en grande partie de toute façon. Il y a là pour l’analyste un
tiers d’emblée : le corps du patient et ses investissements pulsionnels dirigés
vers le monde extérieur. Une altérité et une opacité, qui s’imposent avec force
dans les cures où la verbalisation est difficile, et dont on ne peut pas précipi-
ter la liaison au langage. Cela d’autant plus que le patient est confronté à des
traces traumatiques.

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Il me semble là que la description des phénomènes transitionnels
(Winnicott, 1975, p. 34) est très précise : l’enfant est seul avec son jeu, en
présence d’un maternel-environnement non investi pour lui-même. L’objet du
jeu est un objet matériel, déplacé par rapport au corps maternel, qui s’éprouve
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à travers le champ de la perception puisqu’il est concret. Dans ce premier


temps, les processus psychiques se construisent à la faveur d’une manipulation
solitaire, active et motrice de la réalité matérielle. Le registre est celui d’une
toute-puissance relative. Il y a donc une épreuve de réalité partielle, analogue
à celle décrite par Freud dans un premier temps, liée à la matérialité et à la
motricité. L’objet, qu’il soit un doudou ou une activité de jeu concrète, telle
bobine ou spatule, doit avoir une consistance matérielle, et certains aspects
qui évoquent l’animation, la vie, mais pas de subjectivité propre. La mère-
environnement veille par son adaptation aux conditions permettant le jeu, mais
doit être capable de supporter d’être considérée comme absente, condition
nécessaire à l’installation du jeu « seul en présence de l’objet » et de l’aire
d’illusion. C’est précisément la qualité de l’adaptation de la mère qui permet à
l’enfant de ne pas l’inclure dans ses centres d’intérêt du moment, sur lesquels
il est exclusivement et intensément concentré. Il y a, du fait de l’usage du mot
« objet » une source de glissements de sens, qui rend compte de la subtilité et
de la dimension paradoxale de l’expérience, mais permet des confusions. À ce
stade, si l’enfant attaque son « objet » concret, le maltraite, et que la perma-
nence de celui-ci importe, il ne s’agit pas de l’objet-mère ni de « réponse de
l’objet » : « Il n’y a pas d’échange entre la mère et l’enfant » (Winnicott, 1975,
p. 46).
Il me semble que ce modèle rend bien compte d’un mode de fonction-
nement de la cure, lorsqu’une restauration des fondements représentatifs
par ce type d’inscription au plus près de l’expérience est à l’ordre du jour.
Ce modèle n’autorise pas l’interprétation de transfert, mais seulement des
interventions respectant une impersonnalité, destinées à soutenir le proces-
sus en cours dans sa méconnaissance : il n’est pas question ici de réflexi-
vité ni d’aucune mutualité. L’enjeu est l’inscription de l’expérience, non
sa mise en sens. La question de la tiercéité se pose de façon très dissymé-
trique entre le patient et l’analyste : ambiguïté pour le patient pour qui la
question de l’altérité ne se pose pas, mais de la part de l’analyste, respect
d’une relation d’inconnu, puisque le rapport du patient à son monde percep-
tif lui échappe tant que sa traduction en mots est inchoative, très concrète
ou encore très élémentaire. C’est la difficulté de tenir cette position de
discrétion, de supporter l’absentation et l’opacité qui fait parfois interpré-
ter, forcer le sens. Winnicott signale à de nombreuses reprises la nécessité
de laisser le patient expérimenter son accès aux mots, de ne pas précipiter

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de « compréhension ». L’expérience de la verbalisation est élaboration en
elle-même. Cela laisse bien sûr place à des interventions facilitatrices.
Il faut noter cependant une autre source de confusion : la situation
analytique suppose toujours, entre deux adultes qui ont conventionnalisé
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ce dispositif, une entente pour laisser venir des expressions régressives qui
resteront encadrées par des fonctionnements plus élaborés. L’utilisation du
« jeu analytique comme jeu élaboré de l’aire culturelle » vient ainsi enca-
drer le jeu élémentaire plus essentiel qu’elle permet. Mais il faut alors
préciser que le « chevauchement » des aires culturelles de chacun n’est que
très partiel, illusoire lui aussi, et qu’en aucun cas il ne s’agit d’une aire
unique commune aux deux protagonistes, ce qui installerait la situation
dans une intersubjectivité. Sylvie Pons-Nicolas signale, citant un passage
de Winnicott, que dans le fonctionnement idéal de cette aire culturelle,
l’adulte arrive à « jouir de son aire personnelle intermédiaire sans rien
revendiquer », ce qui permet le cas échéant « de reconnaître nos propres
aires intermédiaires correspondantes ». Winnicott donne ici en exemple
les groupes organisés autour d’arts, religion… Mais il n’ajoute pas alors la
psychanalyse. Il le fera occasionnellement ailleurs, mais il nous faut alors
préciser que le fonctionnement de la cure n’autorise pas les communautés
de déni qui fondent les groupes à thème culturel et permettent d’élargir
l’illusion pour la partager d’une façon qui devient stable, perdant donc en
partie ses caractéristiques transitionnelles. Le déni en commun est néces-
saire aux groupes, il ne peut fonder un modèle de la cure même s’il est dans
une certaine mesure inévitable.

EXCITATION ET DISRUPTIVITÉ : LE DÉPLACEMENT

Pour Winnicott, les phénomènes transitionnels se passent sans excita-


tion disruptive, du fait de l’adaptation maternelle : une part de désexua-
lisation est opérée par la mère. Néanmoins, il signale que l’enfant peut
maltraiter ses objets violemment : l’expérience transitionnelle est intense
mais non traumatique. Selon Freud à propos du jeu de la bobine, elle traite
le traumatique.
Alors lorsque Winnicott dit qu’il ne s’agit pas d’un investissement pulsion-
nel, ne faut-il pas entendre qu’il y a déjà aussi de la part de l’enfant un certain
degré de « désexualisation » ? Et donc déjà une grande complexité de proces-
sus, comme l’évoque Jean-Louis Baldacci ? C’est la question de l’excitation

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qui est posée, dont J.-L. Baldacci précise à propos du jeu de la petite fille avec
ses pieds décrit par Winnicott combien il contient aussi déjà les figurations
sexuelles.
Il me semble aussi que ce que Winnicott entend là, c’est que le jeu ne
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se sexualise pas justement parce qu’il opère un déplacement par rapport à


l’objet de la satisfaction, le sein. Déplacement plutôt que sublimation car
métonymique, sur un objet matériel, concret. On peut penser à la distinc-
tion de Paul Denis entre objet d’emprise et objet de satisfaction, du fait de
la satisfaction non sexuelle liée à la maîtrise motrice de l’objet transitionnel,
cette « possession » du moi, satisfaction qui réalise et soutient l’acquisition
des processus de maturation de l’activité corporelle et de sa représentation
motrice. De ce point de vue il s’agit bien d’une activité du moi, un moi non
encore investi quant à ses limites subjectives, mais qui commence à s’éprouver
quant à ses limites corporelles. Winnicott décrira ensuite l’élargissement de
l’expérience culturelle comme une série de déplacements d’investissement :
« Les phénomènes transitionnels deviennent diffus et se répandent dans la
zone intermédiaire […] » Il faudrait développer là la question de l’animisme
et de la transposition, décrite par Freud dans Le Moi et le Ça (Freud, 1923b),
par laquelle « ce qui, de l’intérieur, veut devenir conscient, doit se transposer
sur des perceptions extérieures ». On peut penser que le jeu élémentaire est
une activité d’investissement de perceptions, au contact de la réalité maté-
rielle, pour constituer les représentations, à la faveur de l’animisme infantile
(Chervet B., 2008).
Après le paradoxe de l’appartenance moi-non-moi de Winnicott, on trouve
ici le paradoxe symbolisation-réalité matérielle : l’objet transitionnel symbo-
lise le sein, mais c’est sa présence effective, sensible qui est investie. Pourtant
l’investissement des phénomènes transitionnels suppose un certain degré de
deuil quant à l’expérience de satisfaction. Ce deuil consisterait-il en l’accep-
tation de l’atténuation de l’intensité de l’excitation, de la sensation, au profit
de la maîtrise que permet d’éprouver la motricité ? Même en l’absence de
transposition sur le langage, un accès au fonctionnement en « petites quanti-
tés » ? Et une acceptation de la perte de contact proximal avec la mère-objet
de satisfaction, voire un détournement actif de celui-ci ?
Mais ici, on a affaire à des processus infiniment complexes, dont la dimen-
sion transitionnelle ne décrit qu’un aspect : l’investissement du corps propre et
l’élaboration des auto-érotismes, l’organisation de l’hystérie primaire, l’émer-
gence du fantasme… Dès que l’expérience transitionnelle se développe, elle
s’inscrit dans de multiples processus qu’on ne peut y réduire. Le jeu élémen-
taire inclura très vite la problématique œdipienne dans des scénarios devenus
complexes.

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L’ATTAQUE DE L’OBJET ET LE JEU IDENTIFICATOIRE

Il faut donc préciser les usages du mot objet chez Winnicott : dans l’article
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sur les phénomènes transitionnels, il désigne les objets transitionnels, le


champ phénoménal est celui du jeu de l’enfant, la mère-environnement n’est
pas un objet.
Au contraire, dans l’article « L’utilisation de l’objet et le mode de relation à
l’objet au travers des identifications » (Winnicott, 1969) le champ phénoménal
est celui du transfert dans la cure des états-limites, et Winnicott décrit un autre
processus que celui de la transitionnalité, celui du passage de l’objet subjectif à
l’objet objectif, un processus d’établissement d’une épreuve de réalité passant
par les identifications et non par la motricité. Il s’agit d’investissements affec-
tifs et représentatifs symbolisés et non de la manipulation d’objets concrets
dans l’aire d’illusion. C’est un processus de meurtre, de destruction de l’objet
investi (dans la cure, il s’agit de l’analyste), qui, s’il survit, le fait émerger
de la subjectivité pour appartenir au monde extérieur : ici, plus d’ambiguïté,
plus de paradoxe… L’objet devient non-moi radicalement : « Ici s’inaugure
le fantasme chez l’individu » (Winnicott, 1969, p. 169). Fantasme, et non
plus animisme investissant le monde concret. La réflexion de Winnicott sur la
dimension primaire de la destructivité (Winnicott, 1969, p. 253 et sq), reprise
par Jean-Louis Baldacci, approfondit encore la radicalité de sa description.
Winnicott décrit ce processus comme caractéristique de la cure des états-
limites, si du moins on le laisse advenir en évitant d’engager une compli-
cité avec le patient pour maintenir un fonctionnement névrotique, dont il est
capable, mais qui laisse de côté l’essentiel de sa réalité psychique. Ici donc,
si l’analyste se donnait pour but le « rétablissement d’une transitionnalité »
au moment où les choses se gâtent, il manquerait l’essentiel… Dans « Objets
de l’usage d’un objet », Winnicott décrit en effet l’enjeu identificatoire qui
instaure le sujet en constituant à l’intérieur un fantasme de destruction de
l’objet, mais en passant par un long processus d’attaque destructrice qui en
marque la difficulté chez les états-limites, leur proximité avec la psychose.
La patiente de Sylvie Pons-Nicolas inaugure ce processus identificatoire
par un transfert latéral sur sa supérieure hiérarchique dont l’analyste repère
la dimension haineuse. Puis se développe une longue traversée de transfert
négatif, évoquant la réaction thérapeutique négative. Une figure imagoïque
persécutoire domine la scène. L’analyste peut formuler son souhait de retrou-
ver une ambiance plus « transitionnelle », mais elle n’en fait pas un but : elle
reste attentive, tout le temps qu’il faudra, à permettre la figuration des conte-
nus à l’œuvre dans cette « rupture » de la confiance. Elle élabore pied à pied

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un contre-transfert douloureux, et supporte la haine éveillée chez la patiente
par la situation analytique, en tentant de favoriser la remémoration, le contact
avec les traces historiques. Si elle note au bout de ce temps l’apparition d’un
humour et d’un plaisir de fonctionnement chez la patiente, elle n’a rien fait
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pour précipiter cette évolution. Ses élaborations sont d’ailleurs largement


plus variées que le registre identificatoire décrit par Winnicott. Si l’advenue
d’un régime « bien tempéré » de la cure est l’un des signes de l’élaboration en
cours, elle n’en est pas le but.
La patiente de Jean-Louis Baldacci est dans un registre bien différent : la
« scène » qu’elle agit, avec une note de triomphe, ne me semble pas du registre
de la destruction de l’objet, mais d’une dramatisation répétant une scène avec
son père dans un registre plus proche de la réminiscence hystérique. La réserve
de l’analyste est alors respect du déploiement de cette dramatisation malgré sa
valeur transgressive, appuyée sur sa réflexion sur la place de la transgression.
L’analyste en la laissant partir est malgré sa perplexité convaincu qu’il n’y
aura pas rupture. Une confiance de fond est à l’œuvre. La dramatisation se
rapproche d’une scène hystérique que l’interprétation aidera à retrouver.
Il me semble que si l’on tentait de préciser la correspondance chez Freud du
mode d’identification décrit dans les articles tardifs de Winnicott, c’est d’abord
au registre de la mélancolie décrit dans Deuil et Mélancolie qu’il faudrait
recourir. Il n’est que d’observer la place que tiennent les reproches dans les
descriptions cliniques de l’attaque de l’objet… Cela annonce sur un plan méta-
psychologique l’élaboration de l’instauration du surmoi, décrite aussi dans Le
moi et le ça, processus d’intégration de la culpabilité i­nconsciente au sein
d’une identification qui contient le potentiel destructeur. Alors la complexité
freudienne permet de penser que c’est par l’instauration de limites internes,
c’est-à-dire l’organisation topique, que peut s’installer la limite externe, entre
le moi et l’objet.
Emmanuelle Chervet
23 rue Trarieux
69003 Lyon
emmanuelle@chervet.fr

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Chervet B., Heurs et malheurs du concept de protection, in Durieux M.-C. et Janin-


Oudinot M., Figures de la projection, Paris, Puf, 2008.
Chervet E., Patient et interprète, le domaine intermédiaire, Rapport du 77e CPLF, Bulletin
de la SPP, 2016, p. 44-52 et chap. 4, p. 87-97 (à paraître in RFP, 2017-5).

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Freud S. (1920g), Au-delà du principe de plaisir, Essais de psychanalyse, trad. fr.
J. Laplanche, J.-B. Pontalis, Paris, Payot, « Petite bibliothèque », 1982 ; OCF-P,
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Freud S. (1923b), Le moi et le ça, Essais de psychanalyse, trad. fr. J. Laplanche, Paris,
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Payot, 1981 ; OCF-P, XVI, 1991 ; GW, XIII.


Winnicott D.W. (1969), Objet et usage de l’objet, La Crainte de l’effondrement, Paris,
Gallimard, 2000.
Winnicott D.W., Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, Jeu et Réalité, Paris,
Gallimard, « Folio », 1975.

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