Vous êtes sur la page 1sur 178

Psychologie et

psychopathologie
des émotions
Psychologie et
psychopathologie
des émotions
Aurélie Pasquier

2e édition
Maquette de couverture :
Le Petit Atelier

Composition :
Soft Office

© Dunod, 2021 pour la présente édition


© Armand Colin, 2012, pour la 1re édition

11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff


ISBN : 978-2-10-079913-8
Table des matières
Avant-propos.......................................................................................................................................... 7

Introduction ............................................................................................................................................ 9

CHAPITRE  – ÉLÉMENTS HISTORIQUES ......................................................................... 11


1. L’étude psychologique des émotions ..................................................................... 13
2. L’évaluation cognitive ...................................................................................................... 17

CHAPITRE  – APPROCHES DES ÉMOTIONS ET DES AFFECTS ............................ 21


1. Définitions : proximités et différences .................................................................. 23
2. L’expérience émotionnelle ........................................................................................... 26
2.1 Le sentiment subjectif : une composante de l’émotion .................... 26
2.2 Structure de l’éprouvé subjectif ....................................................................... 29
3. Psychobiologie et développement des émotions ........................................... 34
3.1 « Émotions de base » ou « primaires » .......................................................... 35
3.2 Rôle de l’environnement social ........................................................................ 36
3.3 Développement de la conscience des émotions ................................... 37
3.4 Compétence(s) ou intelligence émotionnelle(s) ? ............................... 40
3.5 Développement des compétences émotionnelles
et langagières ................................................................................................................ 42
4. Psychosociologie et socio-anthropologie des émotions ........................... 44
4.1 Psychosociologie des émotions ....................................................................... 45
4.2 Approches socio-anthropologiques ............................................................. 47
5. Approches psychanalytiques des affects ............................................................. 48
5.1 L’affect dans l’œuvre de Freud .......................................................................... 50
5.2 L’affect chez Lacan ................................................................................................... 55
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

5.3 André Green ou le « psychanalyste de l’affect » .................................... 56


5.4 Affect et discours : comment reconnaître les affects ......................... 57

CHAPITRE  – TROUBLES DES ÉMOTIONS ...................................................................... 61


1. Du normal au pathologique : une approche dimensionnelle................. 63
2. Rôle de l’intensité émotionnelle................................................................................ 66
3. Les « troubles émotionnels » ....................................................................................... 70
3.1 Anxiété ............................................................................................................................. 70
3.2 Dépression ..................................................................................................................... 84

5
Psychologie et psychopathologie des émotions

4. Troubles de l’expression des émotions, des capacités


à éprouver du plaisir et à reconnaître ses émotions ..................................... 100
4.1 Psychopathologie de l’anhédonie ................................................................... 100
4.2 Psychopathologie de l’émoussement affectif.......................................... 104
4.3 Psychopathologie de l’alexithymie ................................................................ 107
4.4 Intérêts d’une approche dimensionnelle
plutôt que catégorielle des troubles .............................................................. 115

CHAPITRE  – RÉGULATION DE L’ÉMOTION ET DEVENIRS DES AFFECTS ... 117


1. Coping versus régulation de l’émotion ................................................................. 119
1.1 Théorie cognitive du coping .............................................................................. 121
1.2 Traitement émotionnel et régulation de l’émotion............................ 125
1.3 Régulation sociale de l’émotion ....................................................................... 129
1.4 Relation entre les niveaux individuels et sociaux................................. 134
2. Devenirs de l’affect ............................................................................................................. 140
2.1 Point de vue structural et adaptatif ............................................................... 141
2.2 Une « classification des affects » ...................................................................... 143
2.3 Affect et structures ................................................................................................... 144

CHAPITRE  – PRISES EN CHARGE DES TROUBLES DES ÉMOTIONS ............... 151


1. Préalables thérapeutiques à la prise en charge ................................................ 155
2. Techniques thérapeutiques ......................................................................................... 157
2.1 Patients anxieux ......................................................................................................... 158
2.2 Patients dépressifs .................................................................................................... 162
2.3 Patients alexithymiques ........................................................................................ 164

Conclusion ............................................................................................................................................... 167

6
Avant-propos
Cet ouvrage est une nouvelle édition de celui paru en 2012 chez
Armand Colin, intitulé Psychopathologie des émotions. Une partie du
contenu reste inchangé. Cependant, des parties, comme les chapitres
un et deux, ont été augmentées et d’autres ont connu des remanie-
ments importants (principalement les chapitres trois et quatre). Par
conséquent, le propos initialement développé se trouve élargi, ce qui
a conduit à introduire le terme psychologie au titre initial. Cet ouvrage
a donc pour volonté de fournir un aperçu non exhaustif des théories
et approches qui permettent de penser et étudier la complexité des
phénomènes émotionnels.

Je tiens à remercier Jean-Louis Pedinielli, psychologue clinicien,


ancien professeur émérite de psychopathologie et de psychologie
clinique à l’université d’Aix-Marseille, qui a dirigé la première édition
de cet ouvrage, et dont les conseils m’ont été précieux lors de sa
rédaction.

Je tiens également à signaler la participation de Vincent Bréjard,


maître de conférences habilité à diriger des recherches en psychopa-
thologie et psychologie clinique à l’université d’Aix-Marseille, dans
l’élaboration du chapitre quatre de ce présent ouvrage. L’analyse
présentée dans la première partie de ce chapitre est le fruit d’une de
nos riches collaborations.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

7
Introduction
La question des émotions a été longtemps laissée de côté car la
pensée classique (depuis l’Antiquité grecque) concevait les « passions »
comme des obstacles à la rationalité : les émotions (appartenant au
registre du corps) étaient l’opposé de la raison (de l’esprit). Puis, à
partir des travaux de Darwin (1809-1882), naturaliste britannique à
l’origine de la « théorie de l’évolution » des espèces, les émotions sont
devenues un objet de recherche où la dimension biologique est prin-
cipalement étudiée. Elles relèvent plus de l’inné (sont héréditaires)
que de l’acquis, et sont donc universelles. Il faudra attendre la fin du
XIXe siècle pour voir apparaître des études scientifiques s’intéressant
à la dimension psychologique des émotions.
L’histoire contemporaine des émotions a donné lieu à des théories
et des débats à partir du moment où l’émotion a été identifiée comme
jouant un rôle dans de multiples comportements normaux et patholo-
giques. D’un point de vue étymologique, le terme d’« émotion » renvoie
à celui d’« émouvoir » (exmovere), mot latin qui signifie « mettre en
mouvement » : les dimensions comportementale et « sensible » de
l’expérience des émotions deviennent alors des objets de recherche
en psychologie expérimentale mais également en psychopathologie
où de plus en plus d’études sur les « pathologies des émotions » appa-
raissent. À partir des années 1990, le courant social et anthropologique
a montré que les dimensions sociale et culturelle des émotions, tant
du point de vue de leur expression que de leur gestion, sont loin d’être
négligeables. La dimension verbale, dans l’acte d’échanger avec autrui
sur son vécu, peut-être d’ailleurs considérée comme un élément clef
dans la compréhension des états émotionnels pathologiques (au sens
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’état source de souffrance chez le sujet).

9
Chapitre 1
Éléments historiques
Sommaire
1. L’étude psychologique des émotions ....................................... 13
2. L’évaluation cognitive ............................................................. 17
1. L’étude psychologique des émotions
L’étude des émotions dans les sciences psychologiques s’est parti-
culièrement développée au cours du XXe siècle à travers quatre grands
courants de recherche. Chacun a développé, depuis son point de vue
et ses méthodes d’investigation, sa propre théorie des émotions dans
le but de les définir, les étudier et les expliquer.
Le plus ancien axe de recherche est constitué par le courant biolo-
gique. Il repose sur les travaux de Darwin (1872) qui a comparé ses
nombreuses observations des expressions émotionnelles (par les
réponses corporelles mais aussi et surtout par l’expression faciale
émotionnelle) de l’homme à celles de l’animal. Il est arrivé à la conclu-
sion que les manifestations émotionnelles (réponses corporelles et
expressions faciales) qui caractérisent l’être humain suivent une ligne
phylogénétique dans la mesure où il y aurait une continuité relative
entre celles des humains et des espèces qui s’en rapprochent, c’est-
à-dire les primates. Un autre point essentiel soutenu par Darwin est
que l’expression des émotions est universelle (présentes dans toutes les
cultures et tous les pays) puisqu’elle résulte de l’évolution des espèces ;
évolution qui lui confère son caractère inné et sa valeur adaptative
pour la survie de l’espèce.
Cette conception de la fonction des manifestations émotionnelles
est empreinte des écrits de penseurs tels que Descartes qui consi-
dère les émotions comme un phénomène naturel conçu pour servir
et protéger la vie et le bien-être de l’organisme. Les intérêts de ce
dernier sont préservés lorsque les émotions fonctionnent à l’unisson.
Dans le cas contraire, elles deviennent des éléments perturbateurs
qui empêchent l’esprit rationnel de fonctionner (voir Charland, 2006,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui insiste sur les aspects méconnus des travaux de Descartes sur les
émotions).
Notons que les thèses développées par Darwin ont rencontré peu
de succès de son vivant alors qu’elles constituent le socle d’avancées
scientifiques majeures concernant l’émotion et ses manifestations. Ce
n’est qu’un siècle plus tard que la question par exemple de l’universalité
des émotions fera l’objet de nombreux travaux (voir chapitre 2, les
émotions dites de base ou primaires).

13
Psychologie et psychopathologie des émotions

Le deuxième grand axe de recherche, qui peut être qualifié de


courant physiologique, regroupe des travaux qui se proposent d’étu-
dier la nature de l’émotion, des étapes de sa genèse aux phénomènes
qui la composent.
William James (1842-1910), psychologue et philosophe américain,
a marqué ce courant en proposant une interprétation à l’opposé du
sens commun de l’époque qui ne considère les émotions que comme
des entités psychiques accessibles par l’observation et la description.
En 1884, James soutient qu’une émotion est ressentie uniquement
lorsque l’individu prend conscience des réactions physiologiques
brutales qui surviennent consécutivement à un stimulus. Ainsi,
la séquence émotionnelle se déroulerait de la manière suivante :
stimulus – réaction physiologique – réaction comportementale
– émotion ressentie. L’éprouvé subjectif émotionnel viendrait
dans l’après-coup de la réaction comportementale consécutive à
l’activation neurovégétative émotionnelle. En d’autres termes les
manifestations émotionnelles précèdent leur conscientisation et se
génèrent d’abord dans les systèmes périphériques de l’organisme.
Cette « théorie périphérique des émotions » a été parallèlement
proposée par le danois Lange, lui donnant également le nom de
« théorie de James-Lange ».
John Watson (1878-1958), psychologue américain fondateur du
behaviorisme, soutiendra en 1919 que les émotions se réduisent à
des réactions physiologiques héréditaires dépourvues de tout pouvoir
d’adaptation. Elles montrent l’immaturité de l’organisme (tendent à
disparaître à l’âge adulte) qui ne peut être que parasité par ces phéno-
mènes dont il faut se débarrasser au risque d’une désorganisation ou
d’une inefficience de fonctionnement. Cette idée a marqué et peut
encore se lire aujourd’hui dans des approches visant à établir ce qui
relèverait d’un « fonctionnement émotionnel optimal » synonyme
d’« équilibre émotionnel » (le sens que peuvent revêtir ces expressions
interroge).
Walter Cannon (1871-1945), physiologiste américain, cherche
ensuite à réfuter le modèle de William James en montrant que les
réponses corporelles ne constituent pas la condition sine qua non
de l’apparition de sentiments subjectifs. Il énonce en 1927 que les

14
Éléments historiques ■ Chapitre 1

émotions sont déclenchées non pas en périphérie mais dans le système


nerveux central, au niveau du cortex cérébral.
Cette vive opposition entre les théories centrale et périphérique
des émotions a permis le développement de nombreuses investiga-
tions au cours du XXe siècle permettant de situer et préciser les zones
du cerveau impliquées dans les émotions. À la fin du XXe siècle, la
thèse de Damasio, professeur honoraire de neurologie, neurosciences
et psychologie aux États-Unis, sera de montrer comment l’émotion
(toutes les modifications corporelles détectables en laboratoire et par
imagerie cérébrale) se déclenche et comment elle-même déclenche
le sentiment (la « carte » psychique de l’émotion), soit comment le
passage du corps à l’esprit s’opère.
Dans les années 1910, notons que Freud (1856-1939), neurologue
de formation et fondateur de la psychanalyse, propose quant à lui une
conception des affects qui se différencie radicalement de l’approche
psychologique des émotions. Alors que le terme allemand Affekt est
traduit par celui d’émotion ou de passion dans les dictionnaires alle-
mand-français, c’est celui d’affect qui sera préféré et conservé dans les
traductions françaises, comme pour marquer la différence fondamen-
tale instaurée par Freud dès le début de sa conceptualisation : « N’allez
pas supposer que ce que je vous ai dit des affects soit un acquis reconnu
de la psychologie normale. Il s’agit au contraire de conceptions qui ont
poussé sur le sol de la psychanalyse et qui n’ont droit de cité que chez
elle. Ce que vous pouvez apprendre en psychologie sur les affects, par
ex. la théorie de James et Lange, est, pour nous psychanalystes quasi-
ment incompréhensible et impossible à discuter » (1916-1917, p. 411).
Une des différences fondamentales entre les approches psychologiques
et psychanalytiques est que les dernières s’intéressent à la vie affective
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

consciente et inconsciente dans une perspective dynamique (il existe


une vie au-delà du conscient) là où la psychologie entrevoit la possi-
bilité de la non-conscience d’une émotion (accès ou non au sentiment
subjectif). Et même si ces approches ont en commun un ancrage de
l’affectivité dans le corps, ce dernier ne revêt pas la même définition
en psychologie des émotions (corps somatique, physiologique) qu’en
psychanalyse qui place d’emblée l’affect dans la pulsion, concept à
mi-chemin entre corps et psyché (voir Carton et Widlöcher, 2012,

15
Psychologie et psychopathologie des émotions

pour une analyse plus complète des points de concordance et de diver-


gence entre ces approches). Comme nous le verrons dans le chapitre
suivant, il n’existe pas une théorie unique sur l’affect en psychanalyse
car la signification de ce concept a évolué tout au long de l’œuvre
de Freud.

Le troisième grand axe de recherche en psychologie des émotions


est constitué par l’étude des processus cognitifs à l’œuvre dans les
phénomènes émotionnels. Ce sont les travaux de Magda Arnold (1903-
2002), psychologue d’origine autrichienne émigrée aux États-Unis, qui
en 1960 vont marquer un tournant dans l’étude psychologique des
émotions en tentant de résoudre le conflit James-Cannon par l’émer-
gence du concept d’évaluation cognitive (appraisal). Ses travaux vont
fournir une explication cohérente au fait qu’un même événement peut
entraîner l’émergence d’émotions différentes en fonction des indi-
vidus considérés ou chez un même individu à différents moments.
Cette diversité d’éprouvés individuelle et interindividuelle s’explique-
rait par la signification personnelle que chacun attribue à la situation
à laquelle il est confronté. La perception d’une situation n’est donc
jamais neutre, elle résulte de l’expérience antérieure ayant formalisé
des attentes spécifiques. De plus, l’émotion comporte une tendance
d’action propre à chaque individu face à une situation rencontrée,
une tendance à (ré-)agir de façon immédiate, intuitive, consciente ou
non, en raison des attentes issues de l’expérience antérieure. Lazarus
(1966) prolongera cette conception en introduisant l’existence d’un
processus d’évaluation (appraisal) mais également de réévaluation
(reappraisal) capable de modifier les premières impressions ainsi que
l’émotion déclenchée. Plus largement, Lazarus et ses collaborateurs
développeront, dans les années 1980, le modèle transactionnel du
stress psychologique, qui postule que le travail d’évaluation du sujet
est central dans sa relation constante avec l’environnement (voir point
suivant sur l’évaluation cognitive).

Un quatrième courant de recherche est à considérer avec l’approche


socio-constructiviste des émotions dont le représentant majeur est
James Averill. Ce professeur de psychologie sociale américain, définit

16
Éléments historiques ■ Chapitre 1

en 1980 l’émotion comme un rôle social transitoire qui inclut l’évalua-


tion de la situation par l’individu. Dans cette conception qui reprend
en partie des éléments des autres approches, la nouveauté tient au rôle
de la société dans la construction des expressions émotionnelles et des
situations dans lesquelles elles se produisent. Les émotions seraient
des sortes de scripts régis par les normes socio-culturelles de réfé-
rence et qui apparaîtraient de façon transitoire selon l’exigence des
situations. Averill s’interroge sur la fonction des émotions, au-delà de
celle de la survie de l’espèce et de leur caractère universel. Pour lui, une
émotion peut tout autant être vitale d’un point de vue social ou psycho-
logique, et les normes sociales et les valeurs culturelles varient. Les
socio-constructivistes suivants se sont attelés à rechercher bien plus
les différences que les ressemblances entre les cultures (la colère est par
exemple absente chez les Esquimaux Utkas ; voir Tcherkassof, 2009).
Le langage y tient une place de choix (l’étiquetage verbal constitue le
principal support empirique) dans la mesure où il constitue une bonne
représentation de l’émotion dans une culture donnée.

2. L’évaluation cognitive
Comme vu plus haut, un tournant s’est opéré dans l’étude des
émotions à partir des années 1960. La psychologie cognitive qui
jusque-là s’était surtout concentrée sur les activités mentales telles
que la résolution de problèmes, la perception, le raisonnement et la
mémoire, a commencé à s’intéresser à l’émotion en tant qu’informa-
tion susceptible de faire l’objet d’un traitement cognitif. La théorie de
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’évaluation cognitive qui en découle a constitué un terrain fertile à


l’investigation des processus qui participent à la signification person-
nelle d’événement induisant une émotion.
En effet, dès les années 1980, de nombreux travaux vont chercher
à spécifier l’ensemble des dimensions qui composent le travail d’éva-
luation. Ceci a donné lieu à un vif débat opposant deux chercheurs,
Zajonc (psychologue social) et Lazarus (psychologue cognitiviste),
sur les relations entre émotion et cognition. La question, source de

17
Psychologie et psychopathologie des émotions

controverses, était de savoir si l’émotion est première au traitement


cognitif ou si au contraire la cognition est une condition nécessaire
à l’émotion.
Pour Zajonc (1980), seule la proposition qui affirme que l’émotion
précède la cognition est possible. Il soutient le présupposé de base
selon lequel la première réaction envers un objet ou une personne est
une réaction émotionnelle en termes d’« approche-évitement ». La
réaction cognitive, plus tardive que la réaction émotionnelle, soit en
découle, soit en est indépendante. L’hypothèse de Zajonc est qu’il n’y a
pas besoin de cognition pour déclencher une « réaction-émotion » dans
une situation donnée. De ce fait, les systèmes cognitif et émotionnel
sont indépendants et s’ils interviennent pour un même objet, c’est
l’émotion qui a la primauté. Il tire sa théorie du darwinisme et se
base sur des arguments renvoyant à des points de vue phylogénétique
et ontogénétique. L’émotion est à entendre ici comme une réaction
« innée », proche de l’« instinct » animal.
Pour Lazarus (1982), il y a primauté de la cognition sur l’émotion.
Une émotion ne peut survenir que dans le cadre d’un processus impli-
quant au préalable une évaluation cognitive. Lazarus défend cette idée
même en l’absence de pensée consciente. Selon lui, leur désaccord
trouverait en partie ses origines dans un malentendu quant à leurs défi-
nitions respectives de la cognition. En effet, contrairement à Zajonc,
Lazarus et d’autres chercheurs comme Mandler pensent que la cogni-
tion peut être rapide, non contrôlable et surtout inconsciente (au sens
de non accessible à la conscience).
L’acceptation tardive de ce malentendu mettra fin à ce débat. En
effet, ils finiront par se rejoindre sur l’idée selon laquelle il existe des
processus cognitifs non contrôlables et inconscients. Ceci signifie qu’il
est possible d’évaluer très rapidement une situation et de déclencher
subséquemment des réactions émotionnelles avant même que le sujet
puisse consciemment savoir de quoi il s’agit. Ceci est surtout vrai
lorsqu’il s’agit d’évaluer globalement si la situation revêt une signifi-
cation agréable ou dangereuse (au sens de stress pour Lazarus) pour
la survie de l’organisme. Des évaluations cognitives plus élaborées
doivent cependant être envisagées dans des situations suscitant des
émotions complexes comme la culpabilité ou la honte par exemple.

18
Éléments historiques ■ Chapitre 1

Ainsi, pour les cognitivistes, les émotions dont le sujet a conscience


aussi bien au niveau de leur existence que de leur déclenchement ne
représentent qu’une partie des émotions éprouvées. En effet, l’autre
partie est constituée d’émotions plus ou moins intenses dont le sujet
n’a soit absolument pas conscience, soit en prend conscience mais
n’en connaît pas l’origine, le déclencheur.
C’est dans ce contexte que Lazarus et Folkman (1984) proposent le
modèle transactionnel du stress pour rendre compte des dispositions
personnelles stables (ressources) et des modalités comportementales
(réponses) à l’œuvre dans la relation (la transaction) entre l’individu
et l’environnement. De cette transaction peut émaner du stress. Les
stresseurs physiques ou psychologiques produisent des réponses de
stress seulement après avoir été évalués par le sujet comme excé-
dant ses propres ressources et mettant en danger son bien-être.
Selon ce modèle, un stimulus n’est pas considéré à priori comme
un stresseur, tout dépend de l’évaluation du sujet. L’accent est ici
mis sur le travail cognitif d’évaluation des situations rencontrées face
auxquelles le sujet va chercher à s’adapter. On parle alors de straté-
gies d’adaptation ou coping qui renvoient à « l’ensemble des efforts
cognitifs et comportementaux, constamment changeants, déployés
(par une personne) pour gérer les exigences internes et/ou externes
perçues comme consommant ou excédant ses ressources » (Lazarus
et Folkman, 1984, p. 141). Le coping remplit deux fonctions prin-
cipales : la gestion émotionnelle (retour à l’équilibre émotionnel) et
la résolution de problème (stratégies d’ajustement à l’événement
menaçant). D’après ce modèle, deux processus d’évaluation visent
à définir le potentiel stressant de la situation (évaluation primaire)
et les ressources de coping mobilisables (évaluation secondaire). Ces
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

processus sont influencés par les ressources personnelles antérieures


et les variables environnementales, contextuelles (Folkman et Lazarus,
1988). Ceci expliquerait pourquoi une mutation professionnelle peut
être vécue comme une chance (défi, opportunité d’un nouveau départ)
par un individu et comme une menace (changement déstabilisant)
par un autre.
Même si l’appartenance du stress au répertoire des émotions fait
débat, nous verrons plus loin (cf. chapitre 4) en quoi le concept de

19
Psychologie et psychopathologie des émotions

coping a donné naissance à celui de régulation émotionnelle et quelles


sont les relations complexes qu’ils entretiennent.

Après ce rapide survol des différents courants ayant compté dans


l’étude psychologique des émotions, nous allons voir plus précisé-
ment les termes habituellement employés dans ce cadre et les réalités
auxquelles ils renvoient en fonction des conceptions présentées.

20
Chapitre 2
Approches des émotions et
des affects
Sommaire
1. Définitions : proximités et différences .................................... 23
2. L’expérience émotionnelle ...................................................... 26
3. Psychobiologie et développement des émotions...................... 34
4. Psychosociologie et socio-anthropologie des émotions ........... 44
5. Approches psychanalytiques des affects ................................. 48
1. Définitions : proximités et différences
Si dans la vie courante comme dans la littérature scientifique
les termes d’« émotion », d’« affect », de « sentiment » ou encore
d’« humeur », peuvent être utilisés de manière interchangeable, ils
renvoient pourtant à des concepts différenciés, dépendants d’une
époque, d’une langue, d’un champ disciplinaire.
Concernant l’époque, alors que l’émotion constitue un objet de
recherche depuis plus d’un siècle, nous assistons à l’entrée progressive
de ce terme dans notre quotidien. Nous pouvons remarquer l’essor
grandissant d’émissions de télévision, de livres pour enfants, de maga-
zines de presse, d’ouvrages appelant au développement personnel ou
professionnel, consacrés aux émotions. Ce terme semble être une
notion « fourre-tout », devenue « vendeuse » dans une société de plus
en plus confrontée aux injonctions de bien-être, voire de bonheur (le
bien-être émotionnel au travail ou à l’école constitue également des
objets de recherche à l’intérêt croissant).
Concernant la question de la langue, le terme d’« affect » est
souvent employé dans la littérature scientifique anglo-saxonne
comme synonyme ou à la place du terme d’« émotion ». En France,
le terme d’« affect » est par contre presque exclusivement employé en
psychanalyse, tandis que celui d’« émotion » est davantage réservé aux
recherches menées en psychologie et en neurosciences.
Du point de vue des disciplines, les éléments historiques sur l’étude
scientifique des émotions exposés plus haut nous montrent que les
approches sont riches et variées. Même si définir les contours concep-
tuels de l’émotion pose problème au point qu’il semble exister autant
de définitions que de théories de l’émotion ou même de chercheurs
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans le domaine, il paraît toutefois commun de lui conférer un rôle


central dans le fonctionnement humain.
L’émotion est décrite, de façon consensuelle, selon trois compo-
santes : la composante subjective, la composante comportementale et
la composante physiologique. Si la dernière peut être mesurée de façon
tangible, les deux autres, qui entretiennent des liens étroits, sont plus
complexes à appréhender. C’est pourquoi Jouvent et Carton (1994),
qui sont respectivement professeur de psychiatrie et professeure

23
Psychologie et psychopathologie des émotions

de psychopathologie, s’intéressent essentiellement à la composante


subjective de l’émotion (qu’ils nomment « l’affect ») et qu’ils définissent
comme « la subjectivité d’un état psychique élémentaire, inanalysable,
vague ou qualifié, pénible ou agréable, qui peut s’exprimer massivement
ou sous la forme d’une nuance, d’une tonalité » (p. 562). Lorsqu’une
émotion nous traverse, nous ne sommes pas toujours capables de la
nommer (la gêne par exemple), mais nous pouvons dire que ce que l’on
ressent est désagréable ou très pénible. Cette définition met l’accent
sur l’émotion en tant que produit d’une subjectivité.
Pour Sifnéos (1973), ancien professeur de psychiatrie à Harvard,
l’émotion (ou affect dans le texte original en langue anglaise) comporte
deux versants : les visceral emotions (dimension biologique) et les
feeling emotions ou sentiments (dimension psychologique). Selon
Sifnéos, l’affect est un état interne possédant à la fois des composantes
biologiques et psychologiques ; il est un produit de l’émotion et du
sentiment. La définition du sentiment selon Sifnéos est à rapprocher
de celle de la composante subjective de l’émotion donnée par Jouvent
et Carton (1994).
Au-delà des subtilités terminologiques propres à chaque définition,
celle proposée par Jouvent et Carton permet de préciser les différentes
caractéristiques subjectives de l’émotion :
– la notion d’état qui suppose un éprouvé subjectif survenant dans
un temps limité, opposée à celle de trait qui suppose le ressenti
chronique (proche de la notion d’humeur) : « À cet instant, je me
sens bien » ;
– la notion de précision qui renvoie à un éprouvé subjectif dont
la spécificité est plus ou moins grande (le sujet ressent quelque
chose de précis qu’il peut nommer ou au contraire un état de
tension positive ou négative mais dont il n’a qu’une connaissance
globale) : « Je me sens joyeux » ;
– la valence positive ou négative renvoie à la possibilité pour un
individu quelle que soit l’émotion ressentie de la catégoriser dans
l’une ou l’autre : « Je ne sais pas encore ce que je ressens mais je
sais qu’il s’agit d’une émotion positive » ;
– enfin, l’intensité émotionnelle considérée comme une dimension
sur laquelle toutes les nuances d’une émotion vont pouvoir être

24
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

ressenties. Par exemple, on peut se représenter un continuum


allant de la joie à l’extase en passant par le bonheur.
Quant au terme d’affect, il relève plus généralement du champ de la
psychanalyse. Freud (1915) le définit comme un phénomène écono-
mique attaché à une représentation : « les affects et les sentiments
correspondent à des processus de décharge dont les manifestations
finales sont perçues comme des sensations » (p. 84). Il peut alors subir
différents mécanismes qui vont le modifier comme la conversion, le
déplacement, l’inhibition ou encore la transformation (voir chapitre 4,
la partie consacrée aux devenirs de l’affect).

Pour bien différencier les concepts d’émotion et d’humeur, un des


premiers critères est la durée de l’épisode.
Pour Frijda (1994), les émotions doivent être considérées sur un
continuum allant de l’état à l’humeur. Cette dernière correspondrait
à la chronicisation d’une émotion.
Avec Lazarus (1991) on retrouve le critère distinctif de durée mais
ce qui importe, ce sont les réponses émotionnelles d’un individu face
à son environnement, ainsi que les processus (activités) psychiques
qui les sous-tendent. Dans ce cadre, l’émotion doit être considérée
comme un état très passager qui apparaît et disparaît en fonction des
circonstances. Cet état émotionnel conduit à une préparation à l’action
et à un ensemble de réactions brèves adaptatives en réponse à certaines
caractéristiques de l’environnement à un moment donné.
Par contraste, l’humeur est un état diffus qui comporte davantage
d’implications existentielles. En effet, quand notre humeur est néga-
tive, ce n’est pas suite à une situation particulière que nous avons
rencontrée mais plutôt parce que la vie, de manière générale, nous
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

paraît grise et sans intérêt. Exemple : « Peu importe ce qui se passe


dans ma journée, de toute façon je suis de mauvaise humeur, rien ne
me fera plaisir. »
D’après les modèles développés en psychologie cognitive (comme pour
les troubles dépressifs, voir chapitre 3), si cette humeur négative persiste
dans le temps, c’est notre système de croyances qui est en cause. Ceci
dans la mesure où il ne s’agit pas de « réaction » objective de l’individu
face à une situation donnée mais d’un ensemble de réactions spécifiques

25
Psychologie et psychopathologie des émotions

induit par des schémas cognitifs pouvant être dysfonctionnels. De ce


fait, une humeur dépressive entraînera une perception erronée de l’envi-
ronnement (comme la perception du temps), par la mise en œuvre de
biais négatifs. On parlera de trait émotionnel lorsqu’on assiste à une
récurrence élevée d’un état émotionnel dans des circonstances diverses
et qui répondent à certaines caractéristiques spécifiques.

2. L’expérience émotionnelle
2.1 Le sentiment subjectif :
une composante de l’émotion

Klaus Scherer (2001), professeur honoraire de psychologie à l’uni-


versité de Genève, propose une définition intéressante de l’émotion car
intégrative de données issues des courants biopsychologique, physio-
logique et cognitif énoncés dans le chapitre précédent. Plus largement,
la théorie de Scherer fournit un cadre de travail qui permet de situer
les phénomènes affectifs (affects, sentiments, humeurs, motivation
entre autres) habituellement convoqués dans l’étude des émotions.
Ainsi, d’après Scherer (2001), l’émotion peut être considérée comme
« un ensemble de variations épisodiques dans plusieurs composantes
de l’organisme en réponse à des événements évalués comme impor-
tants pour l’organisme » (p. 296).
L’émotion comporterait alors cinq composantes (Scherer, 1984) :
1. l’évaluation cognitive (processus rapide, souvent non conscient)
d’un stimulus ou d’un événement particulier,
2. les changements psychophysiologiques (toutes les réactions corpo-
relles) qui peuvent précéder, accompagner ou suivre une des autres
composantes,
3. l’expression motrice (signaux en provenance du visage, du corps et
de la voix) qui remplit une fonction majeure dans la communication
et les réactions émotionnelles,
4. les tendances à l’action (état de préparation dans le but d’exécuter un
certain type d’action), concept développé par Frijda (1986), sont plus

26
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

à considérer du côté de la motivation que des actions (envisagées


comme des conséquences comportementales de l’émotion),
5. le sentiment subjectif (reflet de l’expérience émotionnelle vécue et
réflexion des changements se produisant dans toutes les compo-
santes du processus émotionnel) est à différencier de l’émotion
proprement dite.
Ces cinq composantes peuvent être regroupées en trois niveaux de
composantes « cognitive-expérientielle », « comportementale-expres-
sive » et « physiologique ». L’exemple de la peur ressentie face à un
danger (par exemple un animal dangereux) est souvent employé pour
décrire la composante cognitive de cette séquence (je mobilise dans
mes connaissances les informations sur cet animal en même temps que
je ressens de la peur, justifiée !), et les réponses comportementales (je
recule face à l’animal puis cours le plus vite possible) et physiologiques
(mon cœur s’accélère, j’ai les mains moites, le souffle court, etc.) qui
l’accompagnent.
Cette théorie de l’émotion permet alors de situer le sentiment dans
la composante cognitive-expérientielle de l’émotion. En d’autres
termes, le sentiment n’implique pas nécessairement de modifications
comportementales et physiologiques. Par sa composante essentiel-
lement cognitive, le sentiment est habituellement retrouvé dans le
discours sans qu’il y ait forcément de contenu émotionnel qui lui soit
rattaché. Par exemple lorsque l’on raconte, après coup, une expérience
qui nous est arrivée, c’est la représentation de ce que l’on a ressenti
(« j’étais énervé, en colère »), plus que les manifestations physiolo-
giques (le rythme du cœur qui s’accélère, la tension musculaire) qui
ont accompagné ce ressenti qui va être communiqué.
Pour Scherer (1984, 2001), l’émotion est un processus dynamique
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’une durée relativement brève (un épisode émotionnel plutôt qu’un


état émotionnel) qui recrute la plupart des systèmes psychologiques
du sujet. Il s’agit d’une phase au cours de laquelle s’effectuerait une
synchronisation temporaire de cinq systèmes de l’organisme : la cogni-
tion, la régulation physiologique, la motivation, l’expression motrice,
les sentiments. Dans le cas où le sujet est confronté à un événement
de l’environnement, il fait d’abord une évaluation cognitive de ce
dernier avant que ne se produise la synchronisation des cinq systèmes.

27
Psychologie et psychopathologie des émotions

Un épisode émotionnel débute par la mise en route du processus de


synchronisation et prend fin avec le retour à un fonctionnement indé-
pendant des sous-systèmes. Si les différentes sphères de l’organisme
fonctionnent habituellement de manière relativement autonome
pour réguler les comportements, dans les situations émotionnelles,
les systèmes s’articulent et permettent à l’organisme de produire des
réponses adaptées à l’environnement.
Dans cet ensemble de systèmes, on peut penser que lors d’un
événement émotionnel, le système sentiment subjectif est celui le
plus important de l’émotion (considérée comme la phase au cours
de laquelle est mis en œuvre l’ensemble des systèmes énoncés). En
effet, les sentiments correspondent à l’éprouvé subjectif, composante
de l’émotion. Cette composante serait la résultante de la conscience
réflexive des modifications se produisant dans tous les autres systèmes.
C’est l’expérience consciente de l’émotion qui permet au sujet d’af-
firmer qu’il ressent une émotion.
Dès lors, toute émotion est le produit d’un traitement cognitif
puisqu’elle fait l’objet d’un processus de traitement comme tout autre
type d’information. Dans ce traitement cognitif, la part réflexive appa-
raît comme une activité importante qui est censée prendre en compte
toutes les modifications susceptibles de se produire dans les autres
systèmes afin de moduler les réponses de l’organisme. Mais Scherer
(2001) ajoute que ce processus réflexif ne permettrait pas une prise
de conscience totale de tous les éléments en jeu dans une situation
émotionnelle. Il serait donc possible de faire le distinguo entre une
part accessible et une autre non accessible à la conscience, lors de
l’éprouvé subjectif (système « sentiment »).
Tout comme Lazarus et Mandler, Scherer avance que les processus
d’évaluation ne sont pas systématiquement conscients dans le
traitement cognitif de l’émotion. En effet, certains éléments neuro-
physiologiques, moteurs ou composantes de la motivation, peuvent
connaître des variations et sont susceptibles d’évoluer au cours d’un
épisode émotionnel sans que le sujet en prenne conscience. Ainsi,
l’éprouvé subjectif de l’émotion se décomposerait en deux facettes,
l’une « inconsciente » et l’autre « consciente ». La partie consciente
serait constituée des « représentations générales » des éléments

28
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

intervenant dans l’émotion. En d’autres termes, les représentations


générales assurent « le relais » lorsque celles plus complexes viennent
à faire défaut (exemple proposé plus haut : « je ne sais pas ce que je
ressens précisément, de la colère, de l’anxiété ou de la peur, mais je
peux dire que ce que je ressens est désagréable »). Il faut ici différencier
la non-conscience (cognitive) des émotions de la vie affective incons-
ciente à laquelle s’intéresse la psychanalyse.

2.2 Structure de l’éprouvé subjectif

Dans le cadre de l’étude psychologique des émotions, les théories


dimensionnelles se sont intéressées à l’aspect fonctionnel des réponses
émotionnelles. Selon cette approche fonctionnaliste, l’émotion peut
être décrite par des dimensions élémentaires indépendantes qui
permettraient de rendre compte des propriétés phénoménologiques
basiques de l’expérience affective.
Pour les tenants de ce courant, catégoriser les émotions constitue un
obstacle à la compréhension de ce que sont les émotions et comment
elles fonctionnent. C’est pourquoi, il semble plus opérationnel de
chercher à établir les caractéristiques de l’expérience émotionnelle.
Que cette dernière soit dysfonctionnelle ou non, les chercheurs sont
parvenus à définir des facteurs appelés « dimensions de l’émotion »,
permettant de décrire selon quelles modalités les individus font l’ex-
périence des émotions. Il s’agit d’une approche fonctionnaliste des
émotions se basant sur un postulat structural de l’expérience émotion-
nelle. Ce type d’approche a connu des remaniements au cours des
dernières années.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

D’un point de vue méthodologique, les études du domaine se


fondent sur des analyses factorielles afin d’extraire les facteurs
communs aux différents phénomènes évalués et ainsi isoler les axes
de facteurs pouvant expliquer les émotions. Ceci pour rendre compte
de la structure de l’expérience émotionnelle. Ces analyses reposent
sur deux techniques :
– l’auto-questionnaire où les participants doivent classer
leurs humeurs ;

29
Psychologie et psychopathologie des émotions

– l’échelle multidimensionnelle où il faut d’abord qualifier l’humeur


ressentie par une série d’adjectifs avant d’évaluer leur degré de
similarité.
Ces deux techniques sont jugées similaires par la communauté
scientifique dans la mesure où elles donnent des résultats comparables.
La première dimension émotionnelle qui apparaît correspond
à ce qui est appelé la « tonalité hédonique » (hedonic tone ou HT)
ou la « valence de l’humeur » (mood valence), ou encore le « bien-
être émotionnel » (emotional well-being) (Diener, Sandvik, Pavot et
Fujita, 1992). La dimension émotionnelle de tonalité hédonique, ou
la manière « agréable ou désagréable » dont les individus vivent les
expériences subjectives, est représentée par un axe ayant pour « pôle
positif » (positive pole) des émotions agréables comme le bonheur, et
un « pôle négatif » (negative pole) regroupant les émotions désagréables
qu’un individu peut ressentir, comme la tristesse, par exemple.
Au sein de la même structure de l’expérience émotionnelle, une
deuxième dimension a été isolée par les analyses factorielles. Il s’agit
de l’« intensité émotionnelle » (affect intensity ou AI), l’« activation »
(arousal) ou encore de l’« engagement » (engagement) (Watson et
Tellegen, 1985) émotionnel. Cette dimension d’intensité se caracté-
rise par la force avec laquelle une émotion est vécue par un individu.
Elle se compose d’un « pôle de niveau haut » (high pole) se référant à
une expérience émotionnelle forte et profonde pour le sujet, et d’un
« pôle de niveau bas » (low pole) ayant trait à une expérience qualifiée
de faible et légère.
Le modèle circulaire (circumplex model of affect) de Russell (1980)
offre un aperçu de cette bidimensionnalité de l’éprouvé subjectif. Il
permet de représenter les émotions autour d’un cercle composé de
deux dimensions indépendantes : la valence (plaisir-déplaisir) et l’acti-
vation (faible/forte).

30
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

Surprise
Activation
Fear
Tense Alert

Anger Nervous Excited

Stressed Elated
Disgust Happiness
Upset Happy
Unpleasant Pleasant
Sad Contented
Sadness
Depressed Serene

Lethargic Relaxed

Fatigued Calm

Desactivation

Figure du modèle « circumplex » des émotions de Russell


(Russell et Feldman Barrett, 1999)

Même s’il existe un consensus sur l’existence de ces deux dimen-


sions, les théories de l’émotion varient à l’endroit des relations qu’elles
entretiennent et des modèles pouvant les représenter.
Pour Watson et Tellegen (1985), l’expérience émotionnelle subjec-
tive se fonde sur deux variables représentées par les facteurs séparés
d’émotions positives et d’émotions négatives. Il s’agit de l’« affectivité
positive » (positive affectivity ou PA) encore appelée « émotionnalité
positive », et de l’« affectivité négative » (negative affectivity ou NA)
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

également appelée « émotionnalité négative ».


La première dimension (PA) renvoie à la tendance des individus à
vivre des émotions intenses agréables. Cette dimension est caractérisée
au pôle de niveau haut par des émotions telles que l’enthousiasme et
l’excitation, et au pôle de niveau bas les émotions positives tendent à
être absentes mais l’émotion négative n’est pas nécessairement présente.
La deuxième dimension (NA) de cette structure des émotions
correspond à la tendance des individus à vivre des émotions intenses

31
Psychologie et psychopathologie des émotions

désagréables ou « affectivité négative ». Le pôle de niveau haut corres-


pond à des émotions négatives telles que l’anxiété et la colère, et au pôle
de niveau bas on retrouve des émotions négatives presque absentes
mais les émotions positives ne sont pas forcément présentes.
Selon Watson et Tellegen (1985), ces deux dimensions NA/PA sont
à considérer de manière distincte. Le fait d’avoir un score élevé sur la
dimension NA ne présuppose en rien un score faible sur celle d’affecti-
vité positive. En cas de score très élevé sur la dimension NA, on observe
cependant une tendance à obtenir en parallèle un score très faible
pour PA. Il apparaît que les deux facteurs HT (tonalité hédonique)
et AI (intensité émotionnelle) sont croisés pour ensuite former deux
facteurs distincts que sont PA et NA.
L’affect intensity (AI) appelée « intensité émotionnelle » est un
concept qui a été défini par Larsen en 1984. Le modèle de Larsen est
fondé sur une vision unidimensionnelle du concept d’intensité émotion-
nelle. Il a d’ailleurs mis au point une échelle de mesure pouvant tester
la validité de son modèle théorique (l’affect intensity measure, AIM).
Une étude a montré que le modèle unidimensionnel, c’est-à-dire
en un facteur, de Larsen n’était pas suffisant pour rendre compte des
réponses des sujets évalués à l’aide de l’AIM (Weinfurt, Bryant et
Yarnold, 1994). Ces auteurs ont alors réalisé des analyses de données
venant de l’AIM. Celles-ci ont suggéré qu’un modèle oblique en quatre
facteurs serait plus approprié pour rendre compte des données empi-
riques. Il s’agit de l’« intensité positive » (PI), de l’« intensité négative »
(NI), de la « réactivité positive » (PR) et de la « réactivité négative » (NR)
où NI et NR se réfèrent au modèle de l’affect intensity reactivity (AIR).
Une autre recherche a montré qu’un modèle en trois facteurs
(Bryant, Yarnold et Grimm, 1996) offrait une mesure supérieure de
l’AIM par rapport aux modèles précédents. La validité de ce modèle
a été évaluée en référence au score total de l’AIM.
Les données de Weinfurt, Bryant et Yarnold (1994) ont d’abord
suggéré que deux distinctions conceptuelles concernant l’intensité
émotionnelle sont importantes à effectuer :
– En opposition à la conception de Larsen (1984), les individus
ne ressentent pas nécessairement les émotions positives avec
la même intensité qu’ils ressentent les émotions négatives. En

32
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

mettant en relation PA avec NI et NR, Weinfurt, Bryant et


Yarnold (1994) ont obtenu des résultats significatifs.
Cette distinction entre les émotions positives et négatives est
centrale dans de nombreux modèles sur l’émotion (Tellegen,
1985 ; Russell, 1980). De plus, ceci est cohérent avec la relative
indépendance entre l’expérience émotionnelle positive et négative
(Watson, Clark et Carey, 1988).
– Une autre distinction implique les concepts de « réactivité
émotionnelle » (force avec laquelle les individus réagissent
émotionnellement à des stimuli évoquant des émotions) versus
« intensité émotionnelle » (force avec laquelle les individus vivent
les émotions). Les relations entre les deux concepts sont faibles.
En d’autres termes, tous ceux qui ont « un niveau de réactivité
négative haut » n’ont pas forcément « un niveau d’intensité haut ».
Par exemple, on peut être dérangé initialement par des événe-
ments indésirables (NR), mais on peut ensuite faire baisser ce
niveau élevé par des efforts de « coping actif » (voir les chapitres 1
et 4 pour une présentation du concept de coping) et parvenir à
« un niveau d’intensité bas » (Weinfurt, Bryant et Yarnold, 1994).
De ce fait, la distinction entre réactivité et intensité peut être utilisée
pour comprendre les différences individuelles pouvant exister dans
des réponses émotionnelles à des stimuli similaires. Il a été défini que
la réactivité reflète une prédisposition à répondre émotionnellement
à des stimuli émotionnels, alors que l’intensité reflète le caractère fort
des émotions vécues (émotionnalité dispositionnelle versus situation-
nelle, respectivement). Par exemple, les individus ayant une intensité
négative élevée peuvent apprendre à éviter, supprimer ou réduire des
réactions négatives initiales à des stimuli aversifs, de sorte qu’ils vivent
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

les émotions à un niveau de réactivité bas.


Bryant, Yarnold et Grimm (1996) se sont ensuite servis des données
obtenues par Larsen (1984) et par Weinfurt, Bryant et Yarnold (1994)
pour effectuer une analyse de facteur confirmatoire (CFA) des résultats
de chaque modèle. Les résultats montrent que le modèle AIR en quatre
facteurs de Weinfurt, Bryant et Yarnold (1994) est bien supérieur à
celui en un facteur de Larsen (1984). Les modèles traduisent respec-
tivement 85 % contre 60 % de variance commune.

33
Psychologie et psychopathologie des émotions

Cependant, les facteurs PI (Positive Intensity) et PR (Positive


Reactivity) avaient une corrélation proche de l’unité (.92). Ces facteurs
ont donc été combinés en un seul facteur constitué par l’affectivité
positive. Il en résulte un modèle AIR en trois facteurs : « affectivité
positive » (PA), « intensité négative » et « réactivité négative ».

Ces approches constituent un courant de pensée fertile pour de


nombreux chercheurs. Les travaux quantitatifs actuels testent ces
modèles émotionnels sur différentes populations, saines comme
cliniques, afin d’explorer les fonctionnements émotionnels (a priori)
spécifiques à chacune. Cependant, même si ce courant a ouvert la voie
à une représentation plus fine et nuancée de l’expérience émotionnelle,
il tend à être critiqué. L’une d’elles concerne la vision « normalisante »
des émotions que ce modèle tend à instaurer : la « nostalgie » par
exemple, classée parmi les émotions négatives, n’est pas forcément
le signe d’un vécu négatif (selon les personnes et selon les cultures
notamment), tout comme la « peur » peut être une émotion que l’on
aime provoquer en allant voir des films d’horreur.

3. Psychobiologie et développement
des émotions
Dans l’étude psychologique des émotions, le rôle accordé aux
processus culturels et sociaux a retenu l’attention de chercheurs
venant de différents champs. Les chercheurs en psychobiologie et en
psychologie du développement ont voulu rendre compte des dimen-
sions sociales inhérentes au développement du répertoire émotionnel,
mais également des processus d’identification, de description et d’ex-
pression des émotions.

34
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

3.1 « Émotions de base » ou « primaires »

Les théories qui nous fournissent une représentation de l’évolution


du répertoire émotionnel s’inscrivent dans une approche psychobio-
logique « catégorielle » des émotions appelées « émotions de base »,
développée dans les années 1970 et dont les principaux représentants
sont les chercheurs américains Paul Ekman, Wallace Friesen, et Carroll
Izard.
Ce courant d’inspiration darwinien a, entre autres, permis de définir
le nombre d’émotions caractéristiques du vécu émotionnel. Il repose
sur plusieurs postulats :
1. il existe un nombre limité d’émotions fondamentales (même si la
liste est variable selon les auteurs, elles comptent au moins la joie, la
tristesse, la colère, la peur, le dégoût et la surprise), bien différenciées
(dites « discrètes ») ;
2. elles sont universelles dans leur expression (d’abord faciale) ;
3. elles ont chacune une fonction évolutionnaire pour l’espèce humaine
(elles permettent l’adaptation) ;
4. les émotions plus complexes sont le résultat de la croissance et
des interactions sociales, elles proviennent d’une combinaison des
émotions de base (elles sont donc moins facilement identifiables
que ces dernières).
Au-delà de l’aspect phylogénétique des émotions défendu par
ce courant, Ekman (1984) postule également que les expressions
faciales seraient gouvernées par des displays rules (règles sociales)
qui prescrivent l’affichage ou le camouflage de certaines émotions ou
l’existence de certains mélanges d’émotions inédits et liés aux normes
locales. Mais seules les formes d’expression (faciale) peuvent varier et
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

les catégories d’émotion restent inchangées selon cette approche qui


a été plusieurs fois remise en question (notamment par James Russell
dont le modèle circulaire des émotions est présenté plus haut).
Pour Lewis (1993, 2000), il existerait sept émotions primaires : la peur,
l’intérêt, la joie, le dégoût, la colère, la tristesse, et la surprise. À partir
de la deuxième année, l’enfant développerait trois nouvelles émotions :
l’empathie, l’envie et la gêne. On parle alors d’émotions ayant trait à
la conscience de soi (self-conscious emotions). Leur apparition dans

35
Psychologie et psychopathologie des émotions

le développement de l’enfant est consécutive à la constitution d’une


représentation de lui-même et d’une conception de soi (self). Ensuite
apparaissent, aux alentours des trois ans, les émotions dites « évalua-
tives en fonction du soi » (self-conscious evaluative emotion), issues
de la capacité de l’enfant à établir une comparaison entre lui-même,
son self, ses comportements et des attitudes ainsi que des valeurs qu’il
aura internalisées. À ce niveau de développement les émotions qui s’y
ajoutent sont l’euphorie, la fierté, la honte, la culpabilité et l’embarras.
Ainsi, l’évolution des émotions vers un registre plus complexe
dépend du développement subjectif et réflexif (au sens cognitif) de
l’enfant. Il s’agit ici de la capacité de l’enfant à se décentrer de soi pour
adopter un point de vue différent du sien (va de pair avec le dévelop-
pement de la théorie de l’esprit).

3.2 Rôle de l’environnement social

Les théories développementales attribuent à l’environnement social


dans lequel évolue le jeune enfant un rôle central dans le dévelop-
pement de ses émotions. Pour Lewis et Saarni (1985), par exemple,
les expressions d’émotion, leurs déclencheurs et les représentations
cognitives qui y sont associées dépendent d’un ensemble élaboré de
règles de socialisation. Plusieurs auteurs sont également d’avis que
la socialisation intervient dans la construction même de l’expérience
subjective de l’émotion, dans l’élaboration des liens entre les diverses
composantes de l’émotion et dans le processus de différenciation des
émotions (Sroufe, 1996 ; Lewis, 2000). Il existe, selon Lewis et Saarni
(1985), deux grandes catégories de mécanismes de socialisation des
émotions : les mécanismes directs et les mécanismes indirects.
Les mécanismes directs incluent les réactions ou les réponses des
partenaires sociaux aux états et aux expressions affectives de l’enfant
(le conditionnement classique, l’enseignement didactique et l’étique-
tage) alors que les mécanismes indirects impliquent l’observation des
comportements et des expressions émotionnelles d’autrui. Comme
l’enfant est soumis à la plupart de ces mécanismes dès sa naissance, le
processus de socialisation des émotions s’amorce très tôt.

36
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

Concernant les toutes premières étapes de la socialisation des


émotions, le langage maternel semble jouer un rôle dans ce processus
(Cossette, Leveille, Gaudreau, et Cote, 2001). Les interprétations faites
par la mère concernant les états affectifs de son enfant joueraient un
rôle primordial dans la construction de l’expérience subjective de
l’émotion et dans le processus de différenciation des émotions (Sroufe,
1996 ; Lewis, 2000).
D’autres recherches concernant l’effet de la variable sexe sur l’expé-
rience subjective des émotions ont montré qu’en amont, les parents
ont tendance à encourager davantage l’expression des émotions néga-
tives lorsqu’il s’agit d’une fille, à l’exception de la colère qui est plus
encouragée chez les garçons (Brody et Hall, 1993). Ce pattern de socia-
lisation peut faire que les filles sont plus enclines à exprimer leurs
sentiments négatifs en réaction à des événements aversifs alors que
les garçons auraient tendance à supprimer ou dénier leurs réponses
émotionnelles. De ce fait, les garçons manifesteraient des émotions
négatives essentiellement en rapport avec la colère alors que les filles
pourraient montrer une plus grande réactivité émotionnelle en rapport
avec l’anxiété et les affects dépressifs.

3.3 Développement de la conscience des émotions

Une autre conception développementale a été proposée par Lane et


Schwartz (1987) avec leur modèle des niveaux de conscience émotion-
nelle. De ce modèle est issu le concept de conscience émotionnelle
développé pour décrire la capacité d’un individu à faire l’expérience
d’états subjectifs différenciés, à les interpréter, ainsi qu’à les imaginer
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

et les identifier chez les autres. Il s’agit d’un traitement cognitif des
émotions structuré par cinq niveaux de transformations opérant prin-
cipalement durant le développement de l’enfant et de l’adolescent.
Les auteurs s’appuient sur les théories du développement cognitif de
Piaget (Flavell, 1963) et du développement du langage et de la symbo-
lisation de Werner et Kaplan (1963) et postulent que l’émergence
de la symbolisation (liée aux capacités d’abstraction) et l’apprentis-
sage progressif du langage présideraient à la formation des schémas

37
Psychologie et psychopathologie des émotions

cognitifs complexes permettant de traiter de plus en plus finement


les informations émotionnelles. Avec ces stades de développement,
l’individu passerait de la conscience de ses sensations corporelles
à celle d’un mélange de sentiments et à la capacité à distinguer les
nuances de l’éprouvé. Par exemple, le traitement complexe des diffé-
rentes émotions ressenties à l’occasion d’un conflit interpersonnel
peut d’abord se traduire par la conscience de sensations de tension
qui laissent place à de l’angoisse, puis à de la peur et à de la colère.
Selon Lane et Schwartz (1987), le fonctionnement émotionnel
suivrait une ligne développementale hiérarchique qui se caractérise
par une succession de niveaux de conscience émotionnelle.
– Dans le premier stade de ce modèle, appelé « sensorimoteur
réflexe », l’enfant répond par une activité physiologique et expres-
sive quand il est exposé à une situation comportant un stimulus
émotionnel. À ce stade, l’émotion est ressentie uniquement
comme une sensation physique, corporelle et peut être évidente
pour autrui par l’expression faciale qu’elle entraîne chez l’enfant.
– Le stade suivant est le stade « sensorimoteur effectif ». Ici le
sujet a maintenant recours au langage verbal pour traduire ses
états émotionnels mais seulement sur un mode binaire d’états
agréables versus désagréables. La conscience des autres comme
des êtres séparés de lui-même est encore minimale à cette étape
de développement.
– Le troisième stade est celui « préopératoire » où la représentation
mentale de l’émotion devient possible. L’expérience émotionnelle,
jusqu’ici essentiellement basée sur des marqueurs somatiques,
s’enrichit de facteurs psychologiques. Le registre des états
émotionnels face à des événements particuliers est encore limité
et non complexifié par la combinaison d’émotions simples telles
que la joie et la tristesse par exemple. De plus, la conscience des
autres reste peu développée.
– Au quatrième stade appelé « opératoire concret », les expé-
riences émotionnelles se complexifient. L’enfant est capable de
ressentir différents états émotionnels lors d’un même événement.
L’enfant devient aussi capable de décrire ses états affectifs à son
entourage et de prendre en compte ceux d’autrui. Cependant, la

38
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

compréhension des états d’autrui est limitée au propre registre


qu’offrent les perceptions et expériences propres.
– Enfin, le cinquième et dernier stade est celui appelé « opéra-
toire formel ». Il correspond à l’enrichissement des capacités de
différenciation des états émotionnels, autant dans leur recon-
naissance que dans leur ressenti et expression. Le sujet peut alors
distinguer ses émotions selon des critères d’intensité, de qualité
et de nuance. Il sait recourir à la métaphore pour décrire son
état émotionnel. Il parvient aussi à intégrer dans ses schémas les
expériences émotionnelles complexes d’autrui.
De nombreuses études utilisant l’échelle des niveaux de conscience
émotionnelle (Levels of Emotional Awareness Scale, LEAS ; Lane,
Quinlan, Schwartz, Walker et Zeitlin, 1990) ont fourni des preuves
cumulatives de la validité de ce modèle LEA, notamment pour son lien
avec l’alexithymie (voir chapitre 3, point 4) chez le sujet adulte (Lane
et al., 1996). En effet, cet outil peut être utile pour rendre compte des
différences dans la capacité à construire des schémas cognitifs (repré-
sentations mentales) des émotions.
Plus récemment, une version pour enfants a été développée afin
d’évaluer la conscience émotionnelle des enfants âgés de 8 ans ou plus
(Levels of Emotional Awareness Scale for Children, LEAS-C ; Bajgar,
Ciarrochi, Lane et Deane 2005). Le questionnaire est composé de
douze scénarios, basés sur des situations sociales quotidiennes, chacun
impliquant deux personnes, soi et un autre. Chaque participant est
invité à répondre en indiquant ce que lui et l’autre pourraient ressentir
dans chaque situation. Les scénarios sont organisés autour de quatre
émotions (parmi les émotions de base décrites par Izard, 1977) : la
colère, la peur, le bonheur et la tristesse. Certaines d’entre elles se
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

déroulent en milieu scolaire, d’autres sont axées sur la sphère domes-


tique. La cotation de l’échelle est basée sur la complexité des mots de
vocabulaire relatifs aux émotions et à leur différenciation les unes des
autres par les répondants. Ce questionnaire n’a pas une visée norma-
tive dans la mesure où il n’y a pas de réponses « correctes » attendues,
tant du point de vue de la forme (erreurs grammaticales et/ou ortho-
graphiques) que du fond. Il vise à évaluer les différences individuelles
dans la complexité (ou le degré d’intégration et de différenciation) des

39
Psychologie et psychopathologie des émotions

schémas permettant de traiter plus ou moins finement les informa-


tions émotionnelles (internes et externes), considérés comme le reflet
du langage émotionnel acquis. Cependant, un manque de différences
d’âge robustes entre les niveaux de conscience émotionnelle chez
l’enfant a conduit certains chercheurs à proposer une version réduite
de l’échelle (six scénarios retenus) ainsi qu’une adaptation des instruc-
tions et de la procédure de cotation (Veirman, Brouwers et Fontaine,
2011 ; Veirman, Fontaine et Van Ryckeghem, 2016). Celle-ci s’appuie
d’ailleurs sur l’approche des composantes émotionnelles développée
par Scherer (voir plus haut dans ce chapitre).
Par ailleurs, parce que le traitement conscient de l’information
émotionnelle soutient le développement émotionnel et intellectuel
adaptatif, la conscience émotionnelle est considérée comme fonda-
mentale à l’intelligence émotionnelle (Lane, 2000). En effet, elle
recouvre les dimensions de perception (reconnaître les expressions
émotionnelles faciales, vocales et gestuelles des personnes qui nous
entourent) et de compréhension (connaissance conceptuelle des
émotions basée sur la pensée propositionnelle et le langage) des
émotions, deux des quatre domaines de compétences décrits comme
relevant de l’intelligence émotionnelle.

3.4 Compétence(s) ou intelligence émotionnelle(s) ?

Sur la base d’une conception adaptative des émotions, Salovey et


Mayer, deux psychologues nord-américains, vont introduire en 1990
les termes d’intelligence émotionnelle afin de rendre compte d’« un
ensemble de compétences supposées contribuer à l’évaluation et à
l’expression précises de l’émotion chez soi et chez les autres, à la régu-
lation efficace de l’émotion en soi et chez les autres, et à l’utilisation
des sentiments pour motiver, planifier et réussir dans sa vie » (p. 185).
En examinant la littérature sur l’intelligence, ils se rendent compte
que l’émotion est quasiment absente des conceptions traditionnelles
de l’intelligence centrées exclusivement sur les compétences cogni-
tives. Ils proposent alors un cadre d’intégration de la recherche sur
les compétences liées aux émotions qui leur permet de définir une

40
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

nouvelle forme d’intelligence, en référence aux travaux de Gardner


du début des années 1980. Cette conceptualisation trouve peu d’écho
jusqu’à ce qu’un journaliste scientifique, Daniel Goleman, ne popu-
larise ce concept en titrant en 1995 son livre Emotional Intelligence,
Why it Matters more than QI. L’idée était semble-t-il d’élargir le champ
de l’intellect au-delà de la seule raison. Le succès fut immédiat et cet
engouement eut un fort retentissement dans le milieu scientifique
où la définition du concept était loin de faire consensus. On préfère
maintenant lui donner deux sens (voir Sander et Scherer, 2019 pour
une présentation plus détaillée et commentée de cette catégorisation) :
celui de compétence et celui de trait de personnalité.
Ainsi, on parlera d’intelligence émotionnelle au sens de compé-
tences émotionnelles lorsqu’on s’intéresse aux différences d’habiletés
dans la manière dont les individus (1) perçoivent, (2) comprennent,
(3) utilisent et (4) gèrent leurs émotions et celles d’autrui (la compé-
tence expressive peut être considérée comme une cinquième habileté
émotionnelle en fonction des définitions considérées). Des outils de
mesure de ces compétences fondées sur le modèle théorique de l’intel-
ligence émotionnelle (Mayer, Salovey et Caruso, 2002) fournissent des
données sur le rôle de ces compétences dans la qualité des interactions
sociales (Lopes et al., 2004) ou encore dans la performance au travail
(Lopes et al., 2006).
L’intelligence émotionnelle en tant que trait est définie par des
caractéristiques de personnalité bénéfiques au fonctionnement social
et à la réussite de l’individu. Les mesures fournies par des auto-ques-
tionnaires comme l’inventaire de quotient émotionnel (Emotional
Quotient-Inventory, EQ-I ; Bar-On, 1997) mixent des variables rele-
vant de diverses habiletés cognitives et émotionnelles (par exemple,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

la résolution de problème, la gestion du stress, l’inhibition), de traits


de personnalité (par exemple, l’indépendance, l’estime de soi) et
d’humeurs (le bonheur et l’optimisme). L’intelligence émotionnelle-
trait est surtout utilisée dans les recherches liées au monde du travail
et de l’éducation (par exemple, Vesely, Saklofske et Leschied, 2013).
Ces caractéristiques reprennent en fait les habiletés émotionnelles
énoncées plus haut mais dans une vision plus stable et enracinée carac-
téristique de ce courant de pensée.

41
Psychologie et psychopathologie des émotions

Même si dans la recherche en psychologie le modèle des compé-


tences émotionnelles est plus facilement admis et utilisé que celui
de l’intelligence émotionnelle-trait (le premier renvoie davantage
aux potentialités d’entraînement et de progression que le second), il
n’en reste pas moins qu’introduire la notion de compétence dans le
champ des émotions pose un rapport à la « norme ». Que signifient
être « compétent », émotionnellement parlant, et favoriser le dévelop-
pement de compétences dites émotionnelles ? Est-ce qu’un éprouvé
subjectif peut/doit-il être « normalisé » ? Si la norme représente la majo-
rité, s’agit-il d’apprendre à traiter son ressenti selon des us et coutumes
émotionnelles habituellement pratiquées ? Quelle méthode prodiguée
par quel professionnel (ayant reçu une formation ? si oui, laquelle ?) est
la plus indiquée au développement des compétences émotionnelles ?
Pour quel mieux-être (celui de la société, celui de l’entreprise ou celui
du sujet) ? Ces questions et encore d’autres se posent notamment dans
le domaine de l’éducation où depuis 2015 les programmes scolaires
français demandent aux enseignants d’aborder les émotions en classe
dès la maternelle. Peut-on éduquer aux émotions ? Nous avons pu voir
jusqu’ici qu’il existe presque autant de définitions de l’émotion (et des
dimensions qui la composent et l’influencent) que de chercheurs qui
s’y intéressent. Comment parvenir à définir et « enseigner » ce qu’elle
est (doit être ?) et les façons « efficientes » de l’identifier, l’utiliser, la
décrire, l’exprimer, la gérer ? Notre époque est-elle productrice de
normes venant influencer le développement et l’expression émotion-
nelle ? Les prochaines études auraient grand intérêt à intégrer ces pistes
de réflexion dans la discussion des données de recherche portant sur
les compétences émotionnelles.

3.5 Développement des compétences émotionnelles


et langagières

Le rôle joué par le langage dans le développement des processus


émotionnels est de plus en plus étudié car c’est par le langage que les
individus peuvent se représenter, communiquer et donner du sens à
leurs expériences subjectives et ce dès le plus jeune âge.

42
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

Dans les approches développementales, l’émergence des capa-


cités d’abstraction et l’enrichissement du langage accompagnent les
transformations constitutives des capacités de différenciation et d’in-
tégration de l’expérience émotionnelle au cours du développement.
D’après Saarni (1999), la capacité à utiliser le vocabulaire des émotions
est la plus importante des huit sous-compétences qui se rapportent à
la compréhension des émotions.
Dès 1980, le courant socio-constructiviste de Vygotsky ou de Bruner
place les interactions sociales, la culture et le langage au centre du
développement cognitif et socio-émotionnel de l’enfant.
Les modèles constructionnistes psychologiques des émotions consi-
dèrent également l’importance du langage dans la construction des
phénomènes psychologiques tels que les émotions mais s’appuient
davantage sur les données expérimentales issues des neurosciences
notamment. Dans ces modèles, les émotions sont conçues comme
des composantes résultantes de la combinaison d’éléments psycho-
logiques plus fondamentaux (tels que les représentations du corps,
les sensations extéroceptives, visuelles ou auditives par exemple, et
les connaissances conceptuelles sur les catégories d’émotions), non
spécifiques aux émotions (voir Gendron et Barrett, 2009, pour une
revue historique des approches de la construction psychologique de
l’émotion). De ce type d’approche découlent des théories comme celle
de l’acte conceptuel (Conceptual Act Theory, CAT ; Barrett, 2006) où
les émotions sont considérées comme des états mentaux construits,
au même titre que les cognitions et les perceptions dont ils ne sont pas
fondamentalement distincts. Le langage joue ici un rôle constitutif qui
dépasse la seule description des émotions dans l’après-coup. Il soutient
l’acquisition et le développement des connaissances conceptuelles qui
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sont utilisées pour donner du sens aux émotions (Barrett, Lindquist et


Gendron, 2007 ; Lindquist, Mac Cormack et Shablack, 2015).
Un nombre grandissant de recherches fournit les preuves évidentes
de relations positives entre compétences langagière et émotionnelle
chez l’enfant (Beck, Kumschick, Eid et Klann-Delius, 2012 ; Bosacki et
Moore, 2004 ; Cutting et Dunn, 1999 ; Grazzani, Ornaghi, Conte, Pepe
et Caprin, 2018 ; Pons, Lawson, Harris et de Rosnay, 2003 ; Ruffman,
Slade, Rowlandson, Rumsey et Garnham, 2003). Le niveau de langage

43
Psychologie et psychopathologie des émotions

est la plupart du temps identifié comme une variable de contrôle ou


comme une variable explicative de différences individuelles dans les
étapes de développement des compétences émotionnelles, de sorte
que plus les compétences linguistiques sont élevées, meilleure est la
compréhension des émotions (Pons, Lawson, Harris et de Rosnay,
2003). Mais si la plupart des travaux ont tendance à identifier cette
association entre compétences langagière et émotionnelle par un effet
de la première sur la seconde (Bohnert, Crnic et Lim, 2003 ; Izard et al.,
2001 ; Schultz, Izard, Ackerman et Youngstrom, 2001 ; Trentacosta et
Izard, 2007), la nature de ces liens ne semble pas pour autant claire et
unidirectionnelle (Beck, Kumschick, Eid et Klann-Delius, 2012). Selon
d’autres chercheurs, l’émotion peut avoir un impact sur le langage. En
effet, l’apprentissage précoce du langage reposerait sur l’intention des
enfants de deux ans de partager leurs pensées et sentiments (Bloom,
1998). De même, la sensibilité aux signaux émotionnels soutiendrait
le développement du vocabulaire chez les enfants de 18 à 24 mois
(Tomasello et Barton, 1994 ; Tomasello, Strosberg et Akhtar, 1996).
D’autres recherches ont montré que les conversations explicatives des
émotions dans des contextes interactionnels quotidiens améliorent les
compétences émotionnelles et sociales des enfants dès le plus jeune
âge (voir par exemple Ornaghi, Brockmeier et Grazzani, 2011). La
conversation est alors repérée comme un puissant mécanisme de
développement psychologique (Turnbull, Carpendale et Racine, 2009).
Explorer l’influence du développement de la compétence émotionnelle
sur le niveau de langage chez les enfants d’âge scolaire constitue une
piste de recherche à venir (voir Pasquier, Ponthieu, Papon, Bréjard et
Rezzi, 2021).

4. Psychosociologie et socio-anthropologie
des émotions
Les chercheurs en psychosociologie et socio-anthropologie s’inté-
ressent à la façon dont les facteurs sociaux et culturels influencent
ce que les individus pensent et font de leurs émotions, c’est-à-dire

44
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

comment ils évaluent et gèrent ce qu’ils ressentent compte tenu


des règles et normes sociales qui régissent le ressenti et l’expression
émotionnels.
L’interactionnisme est un axe de recherche né de la confrontation
entre différents courants issus de la psychologie, de l’anthropologie,
de la sociologie. Les tenants de cette approche conçoivent les relations
interindividuelles comme une dimension essentielle aux comporte-
ments sociaux des individus. Ces derniers se construisent dans leurs
relations aux autres, et plus largement dans leur environnement (social,
familial, affectif, matériel, etc.). Dans les modèles interactionnistes que
nous allons voir, la place de l’acquis est centrale et dominante sur l’inné.

4.1 Psychosociologie des émotions

Pour Arlie Hochschild, sociologue américaine, si la perspective


psychobiologique s’intéresse à l’origine des émotions et à l’effet de l’en-
vironnement sur ce que l’individu ressent (passivement), les modèles
interactionnistes supposent que les interactions sociales affectent
fondamentalement les émotions. Dans cette dernière perspective,
les émotions sont parfois énoncées comme un moyen d’adaptation
psychobiologique (exemple de la peur et du réflexe de fuite d’un indi-
vidu face à un danger) mais pas seulement. Les émotions dépassent
ce statut de mécanisme physiologique d’adaptation dans la mesure où
la pensée, la perception et l’imagination qui y sont intrinsèquement
liées sont soumises à l’influence des normes ou des situations sociales.
D’après Hochschild (2003), il existe des liens importants entre la
structure sociale d’un individu, les « règles de sentiments » (feeling
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

rules), la gestion des émotions (ou « travail émotionnel » : emotion


work) et l’expérience émotionnelle. Elle définit alors une émotion
(sans faire de distinction majeure avec un sentiment) comme le fruit
d’une coopération consciente entre le corps et une image, une pensée
ou un souvenir.
Par « travail émotionnel », il faut entendre l’acte par lequel l’indi-
vidu essaie de changer le degré ou la qualité d’une émotion ou d’un
sentiment. Il existe diverses techniques de travail émotionnel qui

45
Psychologie et psychopathologie des émotions

s’entremêlent souvent dans la pratique : l’une d’elles est cognitive


(tentative de changer les images, les idées ou les pensées dans le but
de changer les sentiments qui y sont rattachés. Exemple : se persuader
de mauvaises choses sur une personne pour ne pas céder à l’amour
qu’elle nous inspire), une deuxième est corporelle (tentative de changer
les symptômes somatiques ou d’autres symptômes physiques des
émotions. Exemple : essayer de respirer plus lentement pour ne pas
trembler devant un auditoire), et enfin le travail émotionnel expressif
(tenter de changer d’expressivité pour changer de sentiment intérieur.
Exemple : tenter de sourire pour ne pas pleurer).
Il ne s’agit pas d’une suppression ou d’un contrôle émotionnel
mais bien d’une tentative de l’individu d’évoquer (l’évocation étant
définie comme la cognition qui vise un sentiment désiré initiale-
ment absent) ou de façonner ou encore de réprimer un sentiment. Le
travail émotionnel devient un objet de conscience lorsque les senti-
ments ressentis ne conviennent pas à la situation, ce qui signifie que
ce « travail » s’opère compte tenu des « règles de sentiments ». Par
exemple on s’attend à ce que les gens soient heureux à leur mariage
et tristes à des funérailles. Si ces règles sont bafouées, l’individu est
généralement sujet à une censure sociale.
Lorsque nous ressentons des émotions, nous vivons un moment
de rupture avec notre environnement qui pousse à la mobilisation
de différentes composantes aussi bien physiologiques que cognitives
dans toute la complexité que celles-ci comportent (Scherer, 2001).
Nous cherchons à rétablir, non pas un niveau d’activation modéré
mais, bien plus, l’adéquation de nos émotions avec les règles sociales
en la matière.
De façon générale, on parle d’anxiété « positive » lorsqu’elle nous
pousse, nous motive à accomplir des tâches, à atteindre des buts. Par
contre, l’anxiété n’est plus socialement valorisée lorsqu’elle paralyse
l’individu et le plonge dans un état d’inquiétude permanent. De ce
fait l’individu en proie à ce type d’émotions négatives ne retire aucun
bénéfice à exprimer socialement son vécu émotionnel ; au contraire,
exprimer ses émotions négatives ne ferait qu’accroître la rupture avec
son environnement et augmenter le niveau d’intensité émotionnelle.

46
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

4.2 Approches socio-anthropologiques

David Le Breton, anthropologue et professeur de sociologie à


Strasbourg, définit le concept d’émotion comme un représentant de
l’individualité intimement lié à un univers social de sens et de valeurs.
D’après lui, « l’émotion ne relève pas d’une nature mais d’une culture »
(2004, p. 4). Le répertoire émotionnel humain a une origine phylogéné-
tique. Même si le ressenti est propre à chacun, il s’actualise, se manifeste
et s’exprime selon des codes sociaux propres à une culture, à un contexte
particulier. « Elle [l’émotion] est donc une émanation sociale rattachée
à des circonstances morales et à la sensibilité particulière de l’individu.
[…] Elle relève de la communication sociale » (2004, p. 4).
Selon lui, les processus cognitifs conscients mais aussi inconscients et
la vie affective sont étroitement liés. Pour autant, il souligne la part active
de l’individu vis-à-vis de son affectivité. C’est « la signification conférée
à l’événement [qui] fonde l’émotion ressentie ». L’émotion ressentie est
une émotion en contexte, au regard d’un événement donné et de l’inter-
prétation que l’individu lui-même fait de cet événement. En effet, « on
n’est pas ému par le déclenchement inopiné d’un processus biologique,
mais face à une implication particulière dans une situation donnée qui
mobilise alors un état physiologique reconnaissable » (2004, p. 4).
L’émotion relève de la dimension symbolique, comme résultante
ou plutôt concomitante à la signification donnée à l’événement qui l’a
suscitée. Les manifestations affectives quant à elles sont « virtuellement
signifiantes » aux yeux d’autrui, parce qu’elles se sont construites dans
un jeu de miroirs. Le sociologue Marcel Mauss (cité dans Le Breton,
2004) montre comment l’individu est imprégné sans le savoir de la
société dans laquelle il évolue et qui induit une « expression obliga-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

toire des sentiments ». Ainsi, contexte et culture jouent respectivement


un rôle majeur dans l’émergence et l’expression des émotions, qui
« traduisent sur un mode significatif aux yeux des autres la résonance
affective de l’événement ».
On voit ici, dans une approche socio-anthropologique des émotions
soutenue par Le Breton, l’influence du facteur culturel sur le ressenti
des individus, influence comparable à l’acteur qui, par son jeu d’inter-
prétation, instaure des croyances sur son état affectif au public auquel

47
Psychologie et psychopathologie des émotions

il s’adresse. Mais l’acteur, semblable au sujet, peut lui-même adhérer


à ce jeu de signes et croire en la vérité des émotions ressenties parce
qu’il les manifeste alors qu’il ne les ressent pas.
Ce point de vue rappelle et complète celui des philosophes comme
Bernard Forthomme ou encore Pierre-Henri Castel sur ce que l’on
pourrait appeler le « facteur culturel internalisé ».
Pour Forthomme (2004, p. 6) : « l’émotion se joue à un niveau d’arti-
culation de soi, d’autrui, d’une décence sociale, du corps et de la nature,
de la nature et de la relation excédentaire, qui reste indiscernable ».
Castel (2004), en référence à Lacan, soutient que l’individu est dupé
par ses propres croyances sur son ressenti qu’il érige comme vérité
alors que le senti-ment, et il ajoute : « Rien de plus banal (de plus hysté-
rique ?), cependant, que la croyance, que la vérité de la souffrance, serait
la souffrance même – rien de plus perturbant (de plus soulageant ?)
que l’idée inverse, qui pose d’abord que la vérité de la souffrance est
d’abord une vérité, et ensuite autre chose que de la souffrance » (p. 7).
Ce tour d’horizon des différents courants, ayant donné lieu aux
modèles des émotions, laisse apparaître l’intérêt de chacun d’entre
eux en même temps que leur complémentarité. Il est difficile en effet
de ne pas prendre en compte la part d’influence des facteurs sociaux
et culturels sur ce que l’on pense de notre ressenti et sur ce que l’on
en fait, puisqu’après tout, les émotions sont au cœur de nos interrela-
tions : elles sont « adressées » aux autres (de façon plus ou moins brute,
nuancée, transformée, dissimulée…).

5. Approches psychanalytiques des affects


Pour l’historien, philosophe des sciences, et psychanalyste
Pierre Henri Castel, il s’agit d’une tâche difficile voire stérile de cher-
cher à différencier les termes d’affect, d’émotion et de sentiment.
Castel (2004) soutient que l’on doit les aborder comme des concepts
(« termes de la langue », différents des « mots de la langue ») dans le
but de bien différencier les significations de chaque mot. Cependant,
cela reviendrait à « découper le vocabulaire comme on disséquerait les

48
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

processus mentaux au scalpel » dans un souci de délimiter de façon


« objective » ce qui est une émotion et ce qui ne l’est pas. Pour quelle
raison ? Qu’est-ce qui pousse le chercheur à vouloir appréhender,
définir de façon formelle ces termes de la langue qui sont censés nous
aider à qualifier (vraiment ?) ce que l’on ressent ?
Selon Castel, lorsque l’on cherche à faire ce travail de définition
de concepts, on n’aboutit qu’à des opérations de « redescriptions
logiques » et « des automanipulations mentales » qui ne sont que le
reflet de « notre vie morale ou érotique ». En d’autres termes, définir les
concepts de sentiment, d’affect et d’émotion revient à faire une analyse
métacognitive mais sur une matière autre que la cognition. C’est
comme un chercheur en psychologie clinique qui ne prendrait pas
en compte dans son travail d’analyse la part d’influence des motions
transférentielles et contre-transférentielles. « Ce travail de distinction
entre ces notions entremêlées n’est rien d’autre qu’une forme d’explici-
tation à nos propres yeux du contenu de notre propre esprit » ; « Nous
n’avons plus, alors, une “théorie” ni un “modèle” de la vie affective
mais, de manière immanente, une articulation de nos émotions, de
nos sentiments et de nos affects, et une articulation profondément
rationnelle » (2004, p. 7).
Castel s’appuie sur la conception de Freud selon laquelle « l’affect
est une dimension intrinsèquement subjective du vécu psychique, et
c’est la nature étrange de cette subjectivité qui rend si difficile la saisie
correcte de ce qu’il dit de l’amour, du deuil, de l’angoisse, du plaisir
et de la douleur, ou de la culpabilité » (p. 7). Dans une cure, les affects
sont suspects, appréhendés comme instruments de mensonge, à soi-
même mais aussi aux autres. Pourquoi ces mensonges ? Sûrement,
nous dit Castel, parce que « l’affection, ou l’être affecté, ne supporte
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

pas de voisiner de trop près l’affectation » (p. 7). Ainsi, l’individu est
dupé par ses propres croyances sur son ressenti qu’il érige comme
vérité alors que le senti-ment.
Ainsi, pour sortir de ce travail stérile de distinction entre les concepts
d’émotion, d’affect et de sentiment, il faut se tourner vers une théorie
ancienne, celle de l’acte et de l’action chez Freud. Cela amène à se
poser la question de la fonction des affects et non pas de leur effet sur
l’individu. Et Freud, à ce propos, a montré combien le sujet pouvait

49
Psychologie et psychopathologie des émotions

chercher à transformer le devenir de l’affect (destins des pulsions)


pour s’en préserver ou pour l’exprimer autrement, de manière plus
convenable (plus morale ?). « Du coup, non seulement il se pourrait
qu’il n’y ait rien de mal ou de dommageable à “agir sous le coup de
l’émotion”, mais que tout acte vrai de décision subjective s’alimente à
cette affectivité, laquelle ne nuit nullement à la raison, mais permet à
l’action de se transmuer en un acte où je me retrouve moi-même (là
où parfois je ne me soupçonnais pas). »
Par cette réflexion, Castel (2004) soutient l’idée selon laquelle les
travaux de recherche sur les émotions sont difficiles à mener, voire
impossibles par un sujet (un chercheur) qui est « barré » (au sens du
sujet barré par le langage chez Lacan) par le sceau de la culture, les
valeurs et la morale dont il est porteur.

5.1 L’affect dans l’œuvre de Freud

Il n’existe pas dans l’œuvre de Freud d’ouvrage spécifique sur l’af-


fect. Pourtant il opère entre 1893 et 1985 sa première classification
des névroses selon trois mécanismes de modification des affects : la
conversion de l’affect (hystérie de conversion), le déplacement de l’af-
fect (obsessions) et la transformation de l’affect (névrose d’angoisse,
mélancolie). Suivront ses travaux sur l’inconscient, le refoulement, les
pulsions et l’angoisse, autant de concepts très intriqués à celui d’affect.
Ce dernier apparaît largement dans le modèle théorique de la
« pulsion » proposé en deux temps par Freud. Les pulsions sont défi-
nies comme des processus dynamiques, des excitations internes. Dans
la première distinction des pulsions opérée par Freud en 1905, il existe
plusieurs sortes d’excitations internes : les excitations physiologiques
(ou « besoins » dans le sens courant), comme par exemple la sensation
de soif consécutive aux signaux physiologiques de déshydratation (il
s’agit des pulsions d’autoconservation, appelées « pulsions du moi »,
qui assurent la survie de l’individu), et les excitations sexuelles (dites
« pulsions sexuelles ») qui correspondent au plaisir d’organe (pulsions
partielles) puis à la sexualité (par unification des pulsions partielles)
qui assurent la survie de l’espèce.

50
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

En 1915, Freud définit plus en détail ce concept de pulsion et le met


en lien avec celui d’affect : « Si la pulsion n’était pas attachée à une
représentation ou si elle n’apparaissait pas sous forme d’état d’affect,
nous ne pourrions rien savoir d’elle » (p. 82). La pulsion représente un
concept limite entre le psychique et le somatique : c’est un représentant
psychique des excitations issues de l’intérieur du corps et parvenant
au psychisme. Plus précisément, la pulsion s’exprime dans les deux
domaines de l’affect et de la représentation. La pulsion ne saurait donc
être réduite à l’affect, de même que l’affect ne peut en tout état de cause
être compris comme synonyme d’émotion.
L’affect est l’expression qualitative de la quantité d’énergie pulsion-
nelle et de ses variations : c’est la part énergétique dotée d’une quantité,
d’une qualité et d’une tonalité subjective mouvantes. C’est par la
décharge que l’affect se révèle au conscient. C’est aussi par la résistance
suivie de la levée de cette résistance à la tension somatopsychique
croissante qui le caractérise que l’affect se révèle au conscient. Partie
du corps pour revenir au corps, cette décharge est en majeure partie
orientée vers l’intérieur, vers le corps.
Freud distingue nettement l’aspect subjectif de l’affect et les
processus énergétiques qui le conditionnent. Aussi, il introduit la
notion de « quantum d’affect » (Affektbetrag) comme une composante
énergétique permettant à l’affect de s’exprimer à nous de manière
sensible. L’Affektbetrag est capable d’augmenter, de diminuer, de se
déplacer et se décharger, et il s’étend sur les traces mnésiques (repré-
sentations) comme une charge électrique à la surface d’un corps.
Freud fait là une comparaison avec les découvertes (de l’époque) de
la physique quantique qui soutenait l’existence d’un courant fluide
électrique. Sur la base de ce modèle thermodynamique, il distingue :
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

– la quantité mesurable d’affect ;


– la variation de cette quantité d’affect ;
– le mouvement lié à cette quantité d’affect ;
– la décharge de cette quantité d’affect.
Ce « quantum d’affect » exprime la solidarité entre un contenu
associatif de l’après-coup et son corrélat affectif. Le terme allemand
Affektbetrag a d’ailleurs été traduit en français par Freud lui-même
par « valeur affective », exprimant à la fois une notion qualitative

51
Psychologie et psychopathologie des émotions

et quantitative, par rapport à la notion strictement quantitative du


« quantum d’affect ».
Ainsi, la liaison (Bindung) entre l’affect et la représentation est celle
d’un appel réciproque : la représentation éveille l’affect dans l’après-
coup et, réciproquement, l’affect mobilisé demande la représentation.
Ce phénomène de l’après-coup, surtout à l’œuvre dans la cure, s’appuie
sur cette interpellation mutuelle entre l’affect et la représentation, et
introduit la notion d’« abréaction » développée très tôt par Freud.
L’abréaction est l’irruption dans le champ de la conscience d’un
affect jusque-là refoulé et maintenu dans l’inconscient en raison de
son lien avec le souvenir d’une expérience de douleur ou de déplaisir.
L’affect et le souvenir, ainsi liés, ont été refoulés et maintenus dans
l’inconscient en raison de leur caractère douloureux. Lorsque l’affect
et la verbalisation du souvenir font irruption en même temps dans le
champ de la conscience, l’abréaction se produit et se manifeste par des
actes et des paroles exprimant et explicitant ces affects. L’admission
de l’affect à la conscience est le plus souvent subordonnée à la liaison
avec un représentant substitutif qui prend la place du représentant
originel auquel l’affect était lié au départ.
Par exemple, dans la phobie, l’affect d’angoisse est délimité autour
de la représentation consciente d’un objet précis de la réalité (avoir la
phobie des araignées). À l’origine, cette angoisse naît du conflit œdipien
entre désir (pour le parent de sexe opposé) et interdit (de l’inceste). Un
déplacement de la représentation (d’abord liée aux désirs incestueux)
sur une représentation secondaire (les araignées) s’opère alors pour
diminuer l’angoisse, pour que le sujet puisse en dire quelque chose.
On voit ici comment la représentation initiale peut passer dans l’in-
conscient sous l’action du refoulement pour permettre qu’une autre
représentation (plus acceptable pour le sujet) se lie à l’affect. Cette
opération constitue un moyen (peu efficace) d’échapper à la douleur,
au déplaisir : le « bénéfice » est de courte durée car les avatars de l’affect
rejoignent les avatars de l’angoisse.
L’angoisse comme « état d’affect de déplaisir spécifique » est un concept
qui a été longuement décrit par Freud et qui a connu divers remanie-
ments. Dans la première théorie de l’angoisse (entre 1894 et 1915), Freud
considère d’abord l’angoisse comme une conséquence du refoulement :

52
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

« L’angoisse constitue donc la monnaie contre laquelle sont échangées


ou peuvent être échangées toutes les excitations affectives, lorsque leur
contenu a été éliminé de la représentation et a subi un refoulement »
(1917, p. 381). Seule la représentation est refoulée dans l’inconscient
alors que l’affect, lui, est réprimé puis transformé en angoisse (ou dans un
autre affect), ou encore déplacé sur une représentation anodine (phobie),
ou converti dans un symptôme physique (hystérie de conversion). En
d’autres termes, le refoulement de la représentation associée à un affect
peut engendrer de l’angoisse. Le symptôme constitue alors pour le sujet
un moyen de s’y soustraire et d’empêcher son développement. Exemple :
le sujet obsessionnel, empêché de faire ses rituels, angoisse !
Dans la seconde théorie de l’angoisse selon Freud (1926), celle-ci
n’est plus seulement considérée comme la résultante d’une perte de
la représentation (travail de déliaison) mais comme la résultante d’un
conflit psychique. Le moi réagit par de l’angoisse devant les exigences
de la libido (désirs inconscients) vécues comme un danger intérieur
(source de déplaisir). L’angoisse n’est pas la conséquence du refou-
lement (première théorie) mais bien la cause (seconde théorie). Le
refoulement fait partie des moyens, des défenses disponibles au moi
pour faire face à des situations de déplaisir. En réalité, il ne s’agit pas
que de moyens de défense contre le déplaisir pour le sujet, il s’agit plus
largement de défenses contre les exigences pulsionnelles.
Freud (1915) s’est intéressé aux différents destins des pulsions, et par
là aux devenirs des affects. Il part du postulat selon lequel les pulsions
sont capables d’opérations éloignées des actions imposées par les buts
originaires. Il existe plusieurs destins aux pulsions, plusieurs modes
de défense contre les pulsions, en d’autres termes plusieurs façons
d’organiser le ratage de la satisfaction car considérée comme contraire
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

aux attentes du sujet, son sens moral, etc. (ce que Lacan lui nommera
« le désir d’avoir un désir insatisfait »).
Freud décrit cinq destins aux pulsions (pour rendre compte des deux
premiers destins, Freud prend l’exemple de « couples » de perversions,
mais ces devenirs pulsionnels peuvent s’appliquer à d’autres fonction-
nements psychiques) :
1. le retournement de la pulsion sur la personne propre : le but reste
inchangé, c’est l’objet qui change. Exemple du « sadisme-masochisme ».

53
Psychologie et psychopathologie des émotions

Freud constate qu’il s’opère souvent un passage d’une perversion à


l’autre : le masochisme (plaisir retiré d’expériences douloureuses)
est l’expression des pulsions sadiques (agression contre un autre)
retournées sur le moi ;
2. le passage de l’activité à la passivité : renversement du but actif en
but passif. Exemple du « voyeurisme-exhibitionnisme ». L’action
« regarder » (pulsions scopiques) est retournée sur le corps propre
en même temps qu’il y a changement du but actif en but passif « être
regardé » ;
3. le retournement en son contraire par renversement du contenu de
la pulsion. Destin qui s’applique à un cas seulement : la transfor-
mation de l’amour en haine. Exemple : l’analyse du « cas Schreber »
(rédigée par Freud en 1911, en grande partie à l’origine des rema-
niements théoriques qui ont suivi) montre comment les désirs
homosexuels (« je l’aime ») de ce patient pour son médecin vont
d’abord être déniés (« je ne l’aime pas ») avant d’être renversés en
leur contraire (« je le hais ») et projetés sur l’extérieur (« je le hais
parce qu’il me persécute ») : l’objet auparavant aimé (le médecin)
devient le persécuteur ;
4. le refoulement : processus qui a pour but de mettre à l’écart du
conscient les incitations pulsionnelles (le représentant non encore
représenté) et qui est responsable de la formation des symptômes.
Exemple de la phobie cité plus haut ;
5. la sublimation : processus inconscient qui rend compte de l’aptitude
de la pulsion sexuelle à remplacer un objet sexuel par un objet non
sexuel (connoté de valeurs et idéaux sociaux) et à échanger son
but sexuel initial contre un autre but non sexuel sans perdre en
intensité. Exemple : la réponse souvent utilisée par les étudiants en
psychologie à la question du choix de leur future profession peut
être une forme de sublimation (?) : « je souhaite aider les autres ! »
(réponse socialement valorisée).
La Métapsychologie de Freud (1915), où le modèle des pulsions est
central, est la pièce maîtresse des discussions sur la notion d’affect.
D’autres écrits, comme celui de 1926 qui propose la seconde théorie
de l’angoisse, ont également grandement participé à faire évoluer
les conceptions de l’affect. Pourtant, beaucoup de conceptions

54
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

psychanalytiques contemporaines ont davantage tendance à s’appuyer


sur les travaux des psychanalystes de l’école anglaise.
À partir des « affects primaires » chez Melanie Klein, Jones (1929) a
montré qu’un affect peut en cacher un autre en se mobilisant contre
cet autre : la crainte peut couvrir la culpabilité, tout comme la haine
peut camoufler cette crainte, selon une sorte de succession de couches
sédimentaires dans les profondeurs allant du conscient à l’inconscient.
Ainsi la crainte superficielle est une angoisse rationalisée, tandis que la
crainte plus profondément enfouie est une angoisse archaïque évoquant
des dangers majeurs de nature douloureuse. Après Jones, d’autres ont
continué à s’intéresser aux affects primaires mais ces travaux ont été
fortement contrebalancés par l’influence des courants théoriques
venus d’Amérique du Nord (représentés principalement par Rapaport,
Hartmann et Jacobson) que nous développons plus loin (voir chapitre 4).

5.2 L’affect chez Lacan

Dans le Séminaire X consacré à l’Angoisse (1962-1963), Lacan


soutient que l’affect est une catégorie psychologique « fourre-tout »
qui n’a pas sa place dans la théorie analytique. Le seul affect qui l’inté-
resse est « l’angoisse », comme signal qui ne trompe pas (alors que le
senti-ment) et autour duquel tout s’ordonne.
Dans ce séminaire, Lacan va référer l’affect à « l’objet a » (objet cause
du désir), au désir et à la jouissance, manière tout à fait nouvelle de
parler de l’affect. Il parlera de l’angoisse comme de l’affect qui ne
trompe pas, dans la mesure où contrairement au sens commun, et
à la façon dont Freud définissait l’angoisse (peur sans objet) : ce n’est
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

pas tant lorsque l’homme est manquant qu’il éprouve l’angoisse mais
plutôt lorsqu’il est comblé ou en passe de l’être. D’où cette simple
phrase qui revient à maintes reprises dans le Séminaire X : « L’angoisse
n’est pas sans objet ». En d’autres termes, l’angoisse s’installe quand
surgit l’objet a : « L’angoisse surgit quand le manque vient à manquer. »
Dans cette théorisation de l’angoisse en 1962, l’affect constitue un
point de discorde pour le sujet du fait que celui-ci baigne dans le
langage : c’est du langage que nous sommes affectés.

55
Psychologie et psychopathologie des émotions

Plus tard, dans le Séminaire XVII (L’envers de la psychanalyse,


1969-1970), Lacan orientera sa conception de l’affect de la manière
suivante : « L’affect il n’y en a qu’un, à savoir le produit de la prise de
l’être parlant dans un discours en tant que le discours le détermine
comme sujet parlant. » Entrer dans le langage, c’est, pour le sujet,
accepter que le langage ne permet jamais de dire ce qu’il cherche à
dire (le sujet est soumis au langage). Le sujet est langage (ensemble
de signifiants), il permet de produire des discours (le discours est
régi par une logique formelle, il est la preuve que le sujet est aliéné
au langage).
Le discours se distingue du langage mais également de la parole qui,
elle, est produite par un sujet de l’énonciation, c’est la parole pleine
qui a valeur d’acte. D’où, pour Lacan, toute l’importance de la parole,
du « dire » (en tant qu’acte), plus que du langage employé, de « ce qui
est dit » (le contenu du récit). Par là, Lacan reprend l’idée formulée
par Freud concernant l’abréaction dans le phénomène de l’après-
coup : « L’être humain trouve dans le langage un équivalent de l’acte,
équivalent grâce auquel l’affect peut être abréagi de la même façon »
(p. 5). Ainsi, pour Lacan, l’affect est lié à la langue, ce qu’il nomme le
« motérialisme » (néologisme obtenu par la contraction de « mot » et
de « matérialisme »), dans un au-delà du sens.

5.3 André Green ou le « psychanalyste de l’affect »

Pour André Green (2004), l’affect est à appréhender dans ses


rapports avec le discours du sujet, le « discours vivant ». Il est rattaché
au concept de « représentation » (ce qui rappelle le dualisme raison-
passion, émotion-cognition), et au phénomène de l’après-coup.
L’après-coup renvoie au processus « diachronique » (terme grec qui
signifie : « à travers le temps ») du vécu et de la fabrication a posteriori
du sens de ce vécu. « Le moment du vécu et le moment de la signifi-
cation ne coïncident pas. Ce qui est signifié au moment du vécu est
pour ainsi dire en souffrance, en attente de signification. […] Le vécu
court après la signification sans jamais la trouver. La signification est
acquise quand le vécu est à jamais perdu » (p. 279).

56
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

Ce phénomène de l’après-coup est du registre temporel de la


théorie du traumatisme en deux temps (c’est la théorie de la séduc-
tion créée et abandonnée par Freud lui-même). Elle postule que
ce qui s’inscrit dans l’inconscient est seulement ce qui est dans la
relation entre deux expériences séparées dans le temps et par un
moment (aussi bien comme instant que comme rapport de force)
de mutation permettant au sujet de réagir autrement qu’au premier
événement.
Au premier temps est l’effroi ou l’émerveillement, la souffrance ou le
plaisir qui confronte le sujet non préparé à une expérience significative,
mais encore insignifiante, puisque le sujet est en état d’imprépara-
tion ou d’immaturité, c’est-à-dire un vécu indéchiffrable, un vécu dont
la signification ne peut être assimilée. Laissé en attente ou mis de
côté, le souvenir n’est pas en soi pathologique ou traumatisant. Il ne
le deviendra que par sa re-mémorisation, sa reviviscence, lors d’une
seconde expérience ou scène qui entre en résonance associative avec
la précédente expérience.
Au deuxième temps est une expérience qui rappelle la première.
Mais, du fait des nouvelles possibilités de réaction, c’est le souvenir
lui-même – et non pas la nouvelle expérience fonctionnant comme
déclencheur – qui agit comme une nouvelle « source d’énergie libi-
dinale » interne et autotraumatisante. En d’autres termes, c’est le
souvenir d’un vécu qui affecte plutôt que le vécu lui-même à l’époque
où il s’est passé.
En psychanalyse, la conception de l’affect s’est d’abord appuyée sur
le modèle théorique de la pulsion avant de se centrer sur la question
du développement de l’angoisse (signal d’alerte), de ses avatars (cause
du refoulement, séparation affect et représentation) et de ses rapports
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

au discours.

5.4 Affect et discours : comment reconnaître les affects

Jean-Louis Chassaing, psychiatre et psychanalyste, s’intéresse à


l’empreinte du social sur le psychisme et le discours des patients qu’il
reçoit quotidiennement. En 2003, il reprend la définition de l’affect

57
Psychologie et psychopathologie des émotions

faite par Lacan (Leçon du 21 janvier 1959 : « Le désir et son interpré-


tation » citée dans Chassaing, 2003) selon deux fonctions :
– l’affect est en « bordure du discours intérieur » sans être vraiment
du discours mais non désarrimé des signifiants, courant de l’un à
l’autre, en saisissant l’un, délaissant l’autre, etc. ;
– là où faute de mots il n’y a justement pas de discours, l’affect fait
consensus, il permet la compréhension, la sympathie, l’empathie,
la compassion même (exemple : la fameuse expression « on se
comprend »).
D’après la leçon précédente de Lacan (14 janvier 1959), il parle
des « affects positionnels » que sont l’amour, la haine et l’ignorance.
« L’affect n’est pas quelque chose de purement et simplement opaque
et fermé qui serait une sorte d’au-delà du discours […] mais pour
autant que l’affect est très précisément et toujours quelque chose qui
se connote dans une certaine position du sujet par rapport à l’être »
(p. 251).
L’affect est l’affectation à l’être de la dimension du symbolique ou
inversement irruption du réel dans un agencement symbolique bien
ordonné (dans ce cas, cf. exemple de Lacan sur la colère). L’affect est
donc un positionnement du sujet en ce que la dimension symbolique
affecte son être.
Une manière d’être dans son rapport éclipsé au signifiant, y retrou-
vant « sa place, sons sens par rapport au discours masqué qui est
intéressé dans un désir ». En d’autres termes, ce qui est à analyser est
le fantasme, la mise en rapport d’un sujet barré par le langage avec
l’objet a.
La définition que Lacan fait du symptôme comme d’un « effet du
symbolique dans le réel » est proche de cette intrusion évoquée par
l’affect. Dans les deux cas, c’est cet arrimage particulier entre réel et
symbolique qui semble jouer, mais dans le symptôme, le côté signifiant
est plus marqué que dans l’affect où prime l’aspect du mouvement
(cf. tableau à double entrée « Inhibition, symptôme, angoisse » du
Séminaire X de Lacan).
Chassaing soutient une hypothèse issue de sa pratique : les modalités
de présentation actuelles des patients s’effectuent plus dans le registre
de l’affect que dans celui d’un symptôme. Il prend pour exemple

58
Approches des émotions et des affects ■ Chapitre 2

« la dépression » (humeur triste principalement) comme « modalité


consensuelle », une manière d’être à moindre coût de paroles enga-
geant la dimension subjective. « Ces patients qui se présentent, soit
comme affectés par des événements de la vie courante soit comme
étant mal mais “sans histoires”, “sans passé particulier”, que viennent-
ils dire si ce n’est leur affect, et à qui si ce n’est à quelqu’un qui le
mettrait en mots ? Viennent-ils pour une restauration du signifiant,
cela à la lueur de quelle autorité ? L’affect sans symptôme est-il le
“nouveau” symptôme ? » (Chassaing, 2003, p. 163).
Dans la première rencontre clinique avec un patient, le « vous
comprenez » ou « je vous ai tout dit » après deux mots, l’attente impa-
tiente ou les réactions rapides de passage à l’acte, les mouvements
impulsifs, etc., ne sont-ils pas des débordements d’affects ?
D’après Chassaing, « et si justement l’affect venait se montrer
comme étant l’expression essentielle actuelle du sujet ». Mais cela
suppose dans les entretiens préliminaires avec les patients de « passer
du consensus, de l’affect, du signe au signifiant avec une prudence liée
à notre époque où les dimensions du manque et de la mort (inhérentes
au signifiant) sont devenues un bien vilain défaut ». Dans son rapport
à la culture, le sujet dit « dépressif » trouverait un moyen d’exprimer
son positionnement au moyen de l’affect, mais une position consen-
suelle, non singulière : « je suis dépressif comme beaucoup de gens de
nos jours… ».
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

59
Chapitre 3
Troubles des émotions
Sommaire
1. Du normal au pathologique :
une approche dimensionnelle................................................... 63
2. Rôle de l’intensité émotionnelle .............................................. 66
3. Les « troubles émotionnels » ................................................... 70
4. Troubles de l’expression des émotions,
des capacités à éprouver du plaisir
et à reconnaître ses émotions .................................................. 100
Le manque d’expressivité émotionnelle (émoussement affectif), la
perte de la capacité à éprouver du plaisir (anhédonie) et l’absence
de mots pour identifier et exprimer ses émotions (alexithymie)
sont conceptualisés comme des dimensions transnosographiques
(présentes dans différents troubles ou syndromes). Selon les études
et les auteurs, elles revêtent un statut soit de symptôme (anhédonie
comme signe de la dépression), soit de défense, de stratégie d’adap-
tation (ressentir moins pour se protéger des émotions négatives,
ici l’émoussement affectif a valeur adaptative), soit de trouble de la
personnalité (l’alexithymie comme facteur de vulnérabilité des mala-
dies psychosomatiques). L’anxiété et la dépression sont quant à elles
appréhendées comme des pathologies à part entière. Mais avant de
considérer ces différents troubles, voyons ce qui, en matière d’émo-
tions, permet de poser la limite entre le normal et le pathologique.

1. Du normal au pathologique :
une approche dimensionnelle
S’intéresser aux émotions d’un point de vue pathologique revient à
faire une analyse psychologique des phénomènes émotionnels patho-
logiques, donc à procéder à l’étude psychopathologique des émotions.
Il faut ici comprendre la psychopathologie (en tant que discours théo-
rique) comme un champ plus large que celui des maladies mentales (au
sens de catégories nosographiques, classées et codifiées par des orga-
nisations internationales comme l’American Psychiatric Association
[APA], ou encore l’Organisme Mondial de la Santé [OMS]) puisque
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans le domaine des émotions (comme en santé mentale), il n’existe


pas de normes permettant de statuer sur le caractère pathologique ou
non des émotions ressenties par les individus.
Ce qui signe la pathologie anxieuse n’est pas la présence de l’émotion
« anxiété » mais bien plus l’intensité de celle-ci et ses répercussions sur
la vie psychique et les capacités adaptatives du sujet.
Dans la dépression, la « tristesse » est le premier des symptômes
majeurs (repérés par les classifications syndromiques). Pourtant, elle

63
Psychologie et psychopathologie des émotions

fait partie des émotions du quotidien sans que cela n’entraîne néces-
sairement un trouble de l’humeur.
Les déficits émotionnels (troubles de l’expressivité émotionnelle, de
la capacité à éprouver du plaisir et de la reconnaissance/verbalisation
des émotions) sont quant à eux présentés comme des dysfonctionne-
ments temporaires (stratégie adaptative) ou permanents, ancrés chez
l’individu (type de personnalité). Dissimuler ses émotions, s’étonner
de ne rien ressentir ou encore être incapable d’identifier ce que l’on
ressent lors d’un événement en particulier ne sont pas pour autant
synonymes de déficit.
Quel que soit le discours théorique produit, les chercheurs s’ac-
cordent sur le fait que ce qui signe la pathologie se trouve bien plus du
côté d’un « vécu différent des émotions » (la notion d’intensité prend
ici toute son importance) que d’un « vécu d’émotions différentes »
(émotions particulières qui feraient partie d’une « catégorie patho-
logique » purement imaginaire). Se sentir anxieux, triste, coupable,
honteux, apeuré ou angoissé n’a rien d’« anormal » à partir du moment
où ce ressenti n’empêche pas l’individu de fonctionner au quotidien.
On a vu précédemment que les théories phylogénétiques et cogni-
tives des émotions se sont intéressées à leur fonction (Darwin, Izard,
Lazarus, etc.) et donc à la valeur adaptative des émotions dans le fonc-
tionnement global de l’individu.
Avec le postulat « adaptationnel », les émotions apparaissent comme
nécessaires à la survie d’une espèce dans son propre environnement.
Exemple : la peur qui a pour fonction de protéger l’individu face au
danger en suscitant chez lui une réponse comportementale du type
fuite, évitement. L’émotion prend place dans une relation dynamique
entre l’individu et son environnement, entre les exigences du dernier
et les capacités de réponse du premier.
Sur la base de ces théories, si les émotions se sont développées
autour d’un besoin d’adaptation alors toutes celles s’exprimant en
dehors de ce contexte peuvent faire apparaître une pathologie telle
qu’un trouble de l’adaptation, du type anxiété ou dépression (catégorie
nosographique identifiée dans le Diagnostic and Statistical Manual of
mental disorders [DSM], proposé par l’APA). Il s’avère qu’une émotion
exprimée hors de sa fonction d’adaptation, c’est-à-dire de manière

64
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

exagérée par rapport aux exigences de la situation, fait entrer l’individu


qui la ressent dans un trouble émotionnel aigu ou chronique.
Les approches fonctionnalistes, quant à elles, ont cherché à rendre
compte de la structure d’un éprouvé subjectif (Watson et Tellegen,
Russell, etc.). Même si les modèles théoriques qui en découlent
paraissent parfois artificiels au regard des méthodes quantitatives qui
ont permis de les obtenir, ils présentent l’avantage de proposer une
conception dimensionnelle des émotions. « Dimensions » dans le sens
de variables (facteurs) qui ont été isolées statistiquement (analyse de
variance ou analyse factorielle en composantes principales) et qui sont
censées représenter la structure du vécu émotionnel (modalités selon
lesquelles les individus font l’expérience des émotions).
Le terme « dimension » renvoie également au type d’approche déve-
loppée autour des émotions et qui se définit par opposition à une
approche catégorielle des émotions. La première permet de croiser les
variables « valence » et « intensité » des émotions (voir le chapitre 2) là
où la seconde catégorise les émotions propres à chaque trouble.
Par exemple, d’après l’étude de Power et Tarsia (2007), la peur, la
tristesse, la colère et une joie diminuée seraient les émotions les plus
représentatives du vécu anxieux. La dépression serait quant à elle en
lien avec la tristesse, la honte (dégoût de soi), la peur et la joie. Ces
données sont intéressantes car elles remettent en question les critères
diagnostiques du DSM-IV qui met l’accent sur les sentiments de tris-
tesse et de culpabilité dans la dépression.
Le modèle de Plutchik (1980) s’inscrit d’abord dans la lignée des
travaux phylogénétiques cités plus haut, mais introduit également
la notion de bipolarité du vécu émotionnel (valence et intensité des
émotions), étudiée dans les approches fonctionnalistes.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ainsi, comme le soulignent les psychopathologues, George Rouan


et Jean-Louis Pedinielli, « ce qui caractérise la maladie mentale, ce
n’est pas l’émotion en tant que telle mais l’intensité et la durée en tant
qu’elles appellent les souffrances psychiques et les dangerosités pour
soi ou pour les autres » (2002, p. 226-227).

65
Psychologie et psychopathologie des émotions

2. Rôle de l’intensité émotionnelle


Le modèle de Plutchik (1980) s’inscrit dans le postulat « adapta-
tionnel » : à chaque émotion sont associés une fonction adaptative, des
modifications physiologiques et des comportements. Mais selon lui,
la pathologie est directement liée à la dimension d’intensité émotion-
nelle dans la mesure où l’intensité maximale correspondrait à l’atteinte
d’un niveau émotionnel identifié comme pathologique. Dans le trouble
anxieux par exemple, l’intensité émotionnelle (tension nerveuse) est
telle que le sujet éprouve des difficultés à fonctionner. La définition de
l’anxiété pathologique met en effet l’accent sur cet « état émotionnel
de tension nerveuse, de peur, fort, mal différencié, et souvent chro-
nique » (Postel, 1998). Dans ce cas, les réactions sont exagérées et
ne contribuent plus à améliorer l’adaptation mais désorganisent les
comportements et les pensées du sujet.
Avec ce modèle, on comprend l’importance de la dimension d’activa-
tion émotionnelle dans le fonctionnement pathologique chez certains
individus. Cependant, sorties du champ de la pathologie mentale (à
entendre essentiellement sur le versant des troubles émotionnels)
ou des modèles basés sur le postulat adaptatif des émotions, les
recherches sur le rôle spécifique de l’intensité émotionnelle dans
le fonctionnement global de l’individu peinent à se développer. Ce
manque d’intérêt semble surprenant dans la mesure où la prise en
compte de cette variable d’activation est primordiale dès lors qu’on
cherche à comprendre (et donc à prévenir) le développement de
troubles émotionnels tels que l’anxiété et la dépression. C’est le carac-
tère plus ou moins intense des émotions, positives comme négatives,
qui ferait le lit d’une vulnérabilité chez les individus. Par exemple,
ressentir de la peur et de la colère ne constitue pas des facteurs de
vulnérabilité particuliers au développement d’un trouble anxieux.
Par contre, ressentir la peur de façon intense et répétée alors que
les émotions positives comme la joie et le plaisir se raréfient, voire
s’absentent du vécu, peut entraîner le sujet vers une fatigue morale
puis générale. L’intensité des émotions (souvent recherchée chez la
plupart d’entre nous : « qu’importe l’émotion, l’importance est de
vibrer »), en particulier négatives, aurait tendance à semer le trouble

66
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

dans le fonctionnement émotionnel : « Je ne sais plus vraiment ce


que je ressens. C’est tout embrouillé et ça m’angoisse fortement »
(un patient).
Un certain nombre de travaux en psychologie cognitive se sont inté-
ressés à la dimension d’intensité émotionnelle comme bon prédicteur
des réactions cognitives et des comportements sociaux des individus.
Une grande part de ces recherches qui s’intéressent aux réactions
cognitives d’un individu suite à l’exposition à une situation émotion-
nelle (l’intérêt est surtout porté sur des événements désagréables) a
donné lieu aux théories sur le « stress » et le « coping ». La question
de l’intensité émotionnelle n’y est pas vraiment apparente, elle est
diluée dans ce concept de « stress », censé être plus spécifique que celui
d’émotion (le « stress » correspondrait à la détresse affective, l’agace-
ment quotidien, etc.).
Pourtant, lorsque les auteurs parlent de « stratégies de coping » face
à des événements stressants, ils désignent l’ensemble des compor-
tements et cognitions qu’un individu interpose entre un événement
perçu comme menaçant en vue de maîtriser, diminuer l’impact de
celui-ci sur son bien-être physique et psychologique et lui (Folkman et
Lazarus, 1988). Il s’agit bien ici de la façon dont les individus cherchent
à gérer, de façon plus ou moins consciente, la charge émotionnelle
d’un événement, c’est-à-dire à faire baisser le niveau d’intensité des
émotions ressenties pour que celles-ci n’aient pas de retentissement
important sur leur vie personnelle ou sociale (on pourrait rapprocher
ce fonctionnement du principe d’homéostasie décrit par Freud en 1895
et selon lequel l’appareil psychique tend à éviter les expériences de
déplaisir en maintenant à un niveau aussi bas, ou aussi constant que
possible, la quantité d’excitation qu’il contient).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Par exemple, après une journée de travail stressante, on va plutôt


chercher à se divertir en sortant au cinéma avec des amis ou par la
lecture d’un bon livre. Ces moyens employés couramment par beau-
coup d’entre nous servent à rétablir la balance des émotions positives
et négatives, à nous apaiser. Les comportements (ou cognitions) que
nous interposons entre les événements stressants et nous sont appelés
« stratégies d’évitement » (type de coping) et elles ont pour but de
modifier l’attention en la détournant de la source anxiogène.

67
Psychologie et psychopathologie des émotions

D’autres recherches s’intéressent plus spécifiquement à cette ques-


tion de l’impact émotionnel (à entendre au sens de bouleversement
ressenti, d’intensité émotionnelle) d’un événement (sans que celui-
ci soit forcément de nature traumatique) et aux réactions cognitives
et sociales engendrées chez l’individu. Ces dernières correspondent
généralement, au niveau intrapersonnel, à la rumination mentale (ou
pensées intrusives) et, d’un point de vue interpersonnel, au partage
social des émotions (besoin de parler des émotions ressenties lors d’un
événement à d’autres personnes).
Rachman (1980) propose les termes de « traitement de l’informa-
tion émotionnelle » pour rendre compte des réactions habituellement
rencontrées suite à un événement vécu. Selon lui, tout événement
émotionnel doit être absorbé mentalement par l’individu. Ce travail
doit être rapide pour être efficace. Il doit rapidement permettre un
retour à un fonctionnement normal, c’est-à-dire exempt d’émo-
tions fortes qui viendraient perturber les agissements quotidiens de
l’individu.
Le concept de « rumination mentale » était surtout dévolu aux
travaux comme ceux d’Horowitz (1992) ou de Janoff-Bulman (1992)
sur l’impact des situations traumatiques (victimes d’accident grave,
de guerre, etc.). Il renvoie à la tendance cognitive manifestée par des
patients souffrant de stress post-traumatique par exemple, de revenir
sans cesse mentalement (dans une sorte de dialogue intérieur) sur le
même problème, la même situation qui a entraîné un vécu négatif.
Rachman l’a étendu à toutes les situations de la vie courante qui
déclenchent des émotions intenses. D’après lui, on observe, dans les
jours et les semaines suivants un événement identifié comme significatif
par un individu (exemple : un conflit avec un collègue de travail), un
besoin d’en parler, des pensées intrusives, la reviviscence des émotions
ressenties initialement, ou encore la répétition de cauchemars.
À court terme, ces différentes manifestations contribuent à l’adapta-
tion de l’individu, par contre, à long terme, leur persistance est associée
à un traitement émotionnel déficient. Autrement dit, les réactions
consécutives à un événement (y penser de façon répétée, éprouver
le besoin d’en parler) constituent pour tout un chacun des modes de
traitement de l’information émotionnelle qui peuvent être efficaces

68
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

si elles permettent rapidement de faire baisser le niveau de détresse


subjective ressentie par l’individu (baisse de l’intensité des émotions
ressenties et des manifestations physiologiques qui accompagnent
le rappel de l’événement cible). Chez les patients obsessionnels par
exemple, on observe une forte tendance à se parler à eux-mêmes. Une
sorte de dialogue intérieur qui tourne par moments à de véritables
idées fixes qui ont pour conséquence d’entretenir l’angoisse (réactivée
par le rappel de l’événement significatif) à laquelle les comportements
compulsifs tenteront de répondre.
Rachman a comparé les caractéristiques des pensées intrusives
entre un échantillon de patients obsessionnels et un autre non
clinique (Rachman et de Silva, 1978). Les résultats n’ont pas montré
de différence du point de vue du contenu de ces pensées. La popu-
lation « clinique » (patients obsessionnels) se différenciait de celle
contrôlée (population de sujets tout-venant) par le niveau d’intensité
émotionnelle ressentie (considéré comme plus élevé dans la popula-
tion clinique), la fréquence des pensées intrusives (obsessions) et les
conséquences de ces pensées (tentatives répétées de suppression des
pensées déclenchant une détresse subjective importante).
On voit bien dans ce type d’approche que la barrière entre le normal
et le pathologique n’est pas franchement définie et qu’elle repose en
grande partie sur cette notion d’intensité émotionnelle.
Nous reviendrons plus tard sur ces différents modes de traitement
de l’information émotionnelle pouvant être assimilés à des moyens
efficaces ou non de régulation émotionnelle, comme avec le concept de
partage social des émotions (voir dans le chapitre 4, la partie consacrée
à la régulation sociale de l’émotion).
Pour l’heure nous allons nous intéresser à ce qui est considéré
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme des troubles des émotions et nous verrons quelle place la


dimension d’intensité émotionnelle prend-elle dans ces fonctionne-
ments cognitif et émotionnel (cognitivo-émotionnels) spécifiques.

69
Psychologie et psychopathologie des émotions

3. Les « troubles émotionnels »


Si les émotions sont présentes dans tous les tableaux cliniques,
la psychopathologie cognitive des émotions s’est particulièrement
imposée comme paradigme de l’anxiété (dont le mécanisme cognitif
principal est l’inhibition des émotions) ou du stress (terme souvent
employé dans le langage courant comme synonyme d’anxiété alors
que son appartenance à la catégorie des émotions reste controversée
dans la littérature), de la dépression (formes expressives déficitaires ou
expansives) et des déficits de la reconnaissance et/ou de l’expression
des émotions (alexithymie, anhédonie, émoussement affectif).
Il s’agit de pathologies à part entière (troubles anxieux, troubles
de l’humeur) ou de modes de fonctionnement pouvant se retrouver
dans différents troubles, comme l’alexithymie qui est principalement
appréhendée en tant qu’impossibilité à traiter les émotions et/ou à
les verbaliser.

3.1 Anxiété

L’anxiété est un terme vague qui décrit une émotion, un état,


parfois difficile à distinguer de la peur et de l’angoisse dans le langage
courant comme en psychopathologie selon les définitions des auteurs.
L’angoisse est souvent considérée comme un synonyme de l’anxiété :
attente du pire, anticipation. L’anxiété renvoie aussi à la notion de
trouble, au sens d’une maladie qui peut être hyperinclusive.
À l’origine, l’anxiété est une émotion qui facilite l’adaptation même
si elle est déplaisante : elle peut servir à mobiliser les ressources pour
permettre des changements bénéfiques et peut faciliter le développe-
ment psychologique (Taylor et Gorman, 1992). En effet, l’anxiété peut
être normale, voire nécessaire à la vie par sa fonction adaptative, ou
au contraire pathologique et invalidante. Les limites entre la réaction
anxieuse normale qui mobilise le sujet pour affronter une situation
difficile et l’anxiété pathologique sont floues.
On considère en général que l’anxiété est « normale » lorsqu’elle est
bien tolérée par le sujet, qu’il peut la contrôler, qu’il ne la perçoit pas

70
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

comme une souffrance excessive, qu’elle n’a pas de retentissement


sur sa vie quotidienne et qu’elle est peu somatisée. L’anxiété normale
est l’expérience que chacun de nous a vécue : peur avant un examen,
inquiétude pour la santé d’un parent, réactions anxieuses lors d’acci-
dents, de catastrophes… L’anxiété est ainsi une émotion utile.
En tant que réaction psychologique à une situation stressante,
il s’agit d’un état qui fait partie de nos réactions d’adaptation aux
stimulations extérieures : il nous permet de mobiliser notre atten-
tion, d’élever notre vigilance dans des situations de nouveauté, de
choix, de crise ou de conflit. Dans ce cadre, l’anxiété est proche de
la définition donnée au concept de stress. En effet, dans une pers-
pective physiologique, le stress a d’abord été défini par Selye dans
les années 1930, comme une réaction non spécifique de l’organisme
confronté à des agressions physiques diverses appelées « stresseurs ».
Dans un second temps, un stresseur a été identifié comme pouvant
être d’ordre psychologique et ainsi considéré comme une partie
intégrante de la condition humaine (voir Rivolier, 1989, pour une
approche historique du concept). En somme, rien de plus normal
que de réagir aux événements comme ceux qu’imposent les étapes du
cycle de vie, par des efforts d’adaptation (la question de l’adaptation
face au stress renvoie au concept de coping traité dans le chapitre
suivant).

3.1.1 Clinique de l’anxiété chez l’adulte

L’anxiété en tant que symptôme est un « état émotionnel de tension


nerveuse, de peur, fort, mal différencié, et souvent chronique. On la
différencie habituellement de la peur par deux aspects essentiels »
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

(Postel, 1998). La différence se fait d’abord au niveau cognitif dans


la mesure où dans le cas de la peur, l’état qui en découle possède
un contenu émotionnel et représentatif de son objet (exemple : « J’ai
peur des insectes »). L’anxiété concerne quant à elle les situations où
l’objet est mal différencié cognitivement (exemple : « Je suis anxieux,
je me sens mal ») mais où l’éprouvé subjectif peut être tout de même
verbalisable chez l’adulte contrairement à l’enfant (voir point suivant).
La différence se fait aussi au niveau temporel car l’anxiété peut être

71
Psychologie et psychopathologie des émotions

appliquée à des peurs intenses ou répétitives, chroniques et donc


pathologiques (Graziani, 2003).
D’un point de vue clinique, les individus présentant un état anxieux
font bien la différence et décrivent eux-mêmes l’anxiété comme
quelque chose de « pire » que la peur parce qu’ils ne savent pas pour-
quoi ils sont dans « cet état-là ». D’ailleurs d’un point de vue langagier
on repère bien ce manque de représentant, de mots pour parler de
l’anxiété par rapport à la peur : « j’ai peur de X », expression compre-
nant un sujet, un verbe et son complément, alors que pour l’anxiété
on dira « je me sens tendu », « je suis anxieux » où il s’agit davantage
d’un état d’être, de mal-être.
La définition de Pichot (1978) met l’accent sur cette notion de
danger indéfini : « L’anxiété est un état émotionnel fait sur le plan
phénoménologique de trois éléments fondamentaux : la perception
d’un danger imminent, une attitude d’attente devant ce danger et un
sentiment de désorganisation lié à la conscience d’une impuissance
totale en face de ce danger. »
L’anxiété est pathologique, considérée comme un trouble quand :
– elle n’est plus liée à des événements de la vie et qu’elle survient
sans raison : inquiétudes injustifiées et excessives, sentiment
d’insécurité qui n’a pas besoin, pour se manifester, de la menace
d’un événement extérieur ;
– elle devient un état (d’alerte) permanent et invalidant qui a des
répercussions sur les plans psychique et somatique : la dépense
d’énergie est ininterrompue et provoque la série classique des
symptômes de la fatigue et de l’épuisement (difficulté de l’effort
psychique et physique, céphalées, insomnie, etc.).
L’anxiété est disproportionnée, permanente et concerne de
nombreux domaines de la vie du sujet. Elle génère des pensées toujours
teintées d’inquiétudes : « mon ami va être en retard au rendez-vous »,
« la réunion de famille va mal se passer », « mon patron, qui d’habitude
ne m’appelle pas, le fait parce qu’il veut me licencier », « seule chez
moi, je pourrais être attaquée », etc. Ici, l’anxiété est disproportionnée,
illégitime et fatigante.

72
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

3.1.2 Clinique de l’anxiété


chez l’enfant et l’adolescent

Il est habituel que l’enfant et l’adolescent passent par des périodes


d’anxiété liées au processus même de leur développement. Ce dernier
est fait de moments de séparation successifs au gré des prises en charge
en collectivité (crèche, école, centre de loisirs, etc.) comme autant de
lieux et de moments qui participent au processus d’autonomisation.
L’enfant va expérimenter et exprimer à sa manière l’anxiété générée
par les situations et les événements de vie auxquels il est confronté. Il
peut paraître tendu, soucieux ou préoccupé, mais dans la plupart des
cas, la sensation de tension, voire de mal-être, va plutôt s’exprimer
par le corps et ainsi par des plaintes somatiques et/ou des comporte-
ments. Il peut s’agir de plaintes banales, sans origine organique, telles
que les céphalées, les maux de ventre, les nausées, les palpitations par
exemple. Pour l’enfant, le corps constitue un lieu d’expression connu
et facilement disponible, d’une crainte voire d’une angoisse. En effet,
l’enfant est d’abord ancré dans son corps, ses sensations, comme autant
de maux (mots) facile à exprimer et auxquels les parents portent à
coup sûr attention.
L’anxiété peut également se manifester par des comportements.
Elle entraîne le plus souvent une agitation motrice (plus rarement un
engourdissement de l’activité, voire une inhibition totale). Elle peut
aller de la simple crispation à l’impossibilité de tenir en place. À l’in-
verse, l’anxiété peut se manifester par un calme inhabituel (ponctuel),
une timidité, voire une « invisibilité » sociale (chronique). Pour autant
tous les enfants « timides » ou « en retrait » socialement ne sont pas des
enfants anxieux. Le comportement moteur est un élément parmi tant
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’autres à prendre en compte avant de considérer si l’enfant manifeste


une anxiété préoccupante.
Chez l’adolescent, si la maturité cognitive diffère de celle de l’enfant
permettant (à priori) de mentaliser et d’exprimer plus aisément les
émotions ressenties, le corps reste tout de même un moyen d’expres-
sion plus « abordable » et tolérable. L’anxiété ainsi que le sentiment
dépressif peuvent être considérés comme inhérents au « travail »
de l’adolescence dans la mesure où les remaniements physiques

73
Psychologie et psychopathologie des émotions

(maturation pubertaire) et cognitifs propres à cette période poussent


le sujet vers une prise d’autonomie totale.
Lorsque l’anxiété s’installe et/ou a tendance à devenir envahis-
sante, le sujet (enfant, adolescent ou même adulte) peut développer
des comportements de réponse (dits de défense contre l’angoisse dans
les approches psychanalytiques) comme des comportements ritualisés,
voire obsessionnels (pour tenter de maîtriser l’anxiété), la recherche
de protection (d’un objet, d’une personne ou d’un lieu), ou encore
l’utilisation de substances apaisantes (nourriture, médicaments, alcool,
drogues par exemple, même chez les plus jeunes).
Pour résumer, pour l’enfant, l’adolescent et l’adulte, l’anxiété fait
partie de la vie et de ses étapes. Ce qui différencie l’anxiété habituelle,
de l’état et du trouble tient aux notions de contexte, de durée, d’inten-
sité, et d’envahissement des manifestations liées à l’anxiété dans le
fonctionnement quotidien.
Même s’il existe un relatif consensus autour de ces éléments de défi-
nition de l’anxiété pathologique, la question des termes utilisés dans les
différents systèmes de classification (nosographique, étiopathogénique
de type cognitif ou psychanalytique) pour la définir est pour le moins
complexe. Cette complexité tient au fait que chaque système de clas-
sification repose sur un système de catégorisation qui lui est propre.
Même si les classifications syndromiques (selon une approche noso-
graphique) proposées par les organisations internationales de santé ont
pour volonté d’être a-théorique, il paraît raisonnable de considérer que
les regroupements de manifestations et de symptômes en syndromes
impliquent des choix qui ne peuvent s’affranchir de préconceptions
(Pedinielli, Bertagne et Gimenez, 1999) et qui soulèvent des ques-
tions épistémologiques notamment concernant les classifications en
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Bursztejn, 2011).

3.1.3 Approche nosographique des troubles anxieux

On retrouve un ensemble de troubles dits anxieux dans les classi-


fications syndromiques des maladies mentales selon une approche
nosographique. Sur la base d’un consensus d’experts, une catégorisa-
tion et une description critériée des maladies mentales est proposée.

74
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

Les deux classifications syndromiques internationales dominantes


sont la Classification Internationale des Maladies (CIM) développée
par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le manuel diagnos-
tique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical
Manual of mental disorders, DSM) proposée par l’association améri-
caine de psychiatrie (American Psychiatric Association, APA). Malgré
quelques différences de termes et de catégories nosographiques, ces
deux manuels tendent de plus en plus à s’harmoniser.
Dans la quatrième version révisée du DSM (DSM-IV-TR), parue
en 2000 et traduite en français en 2003, il existe des critères géné-
raux (composantes classiques de l’anxiété) et des critères spécifiques
aux différents types de troubles anxieux (trouble panique avec ou
sans agoraphobie, phobie spécifique, phobie sociale ou trouble
d’anxiété sociale, trouble obsessionnel-compulsif, état de stress post-
traumatique, état de stress aigu, trouble anxiété généralisée).
Nous nous limiterons à présenter les critères généraux des troubles
anxieux ainsi que ceux spécifiques au trouble d’anxiété généralisée.
Les critères généraux des « troubles anxieux » concernent les senti-
ments intenses et prolongés de peur et de détresse qui sont hors de
proportion avec la menace ou le danger réel. Ces sentiments de peur
et de détresse empiètent sur le fonctionnement quotidien normal.
Les critères spécifiques du « trouble anxiété généralisée » sont au
nombre de six :
1. Anxiété ou inquiétudes excessives (attente avec appréhension) au
sujet de plusieurs événements ou activités (tels le travail ou les situa-
tions de performance). L’anxiété se manifeste la plupart du temps
sur une période d’au moins six mois.
2. La personne éprouve de la difficulté à contrôler cette préoccupation
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

(pensées intrusives).
3. L’anxiété et les inquiétudes sont associées à trois (ou plus) des six
symptômes (dont au moins certains symptômes présents la plupart
du temps durant les six derniers mois) : agitation (ou sensation d’être
survolté ou à bout), fatigabilité (difficulté à l’effort continu), diffi-
cultés de concentration (ou trous de mémoire), irritabilité, tension
musculaire, perturbation du sommeil (difficultés d’endormissement
ou sommeil interrompu ou sommeil agité et non satisfaisant).

75
Psychologie et psychopathologie des émotions

4. L’objet de l’anxiété et des inquiétudes n’est pas limité aux mani-


festations d’un autre trouble anxieux : la préoccupation n’est pas
celle d’avoir une attaque de panique (comme dans le trouble
panique), d’être gêné en public (comme dans la phobie sociale),
d’être contaminé (comme dans le trouble obsessionnel-compulsif)
ou ne survient pas exclusivement au cours d’un état de stress post-
traumatique par exemple.
5. L’anxiété, les inquiétudes ou les symptômes physiques entraînent
une souffrance cliniquement significative ou une altération du
fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines
importants.
6. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs
d’une substance (par exemple : un médicament) ou d’une affection
médicale générale (comme l’hyperthyroïdie), et ne survient pas
exclusivement au cours d’un trouble de l’humeur ou d’un trouble
psychotique.

Trouble d’anxiété généralisée (TAG)


(Observation tirée du DSM-IV-TR, 2008, p. 236-237)
« Un électricien, marié, âgé de 27 ans, se plaint de vertiges, de transpira-
tion des paumes, de palpitations et de sifflements dans les oreilles qui
persistent depuis plus de dix-huit mois. Il a aussi eu la bouche et la gorge
sèches et a connu des moments de tension musculaire extrême et un
sentiment d’être “crispé” et sur ses gardes en permanence qui l’a souvent
gêné pour se concentrer. Ces sensations ont été présentes la plupart du
temps au cours des deux dernières années et elles ne se sont pas limitées
à des périodes déterminées. Bien qu’il se sente parfois “découragé” par
ces symptômes, il affirme ne pas se sentir déprimé et il apprécie toujours
sa vie de famille.
En raison de ces symptômes, le patient a consulté un médecin de famille,
un neurologue, un neurochirurgien, un chiropracteur et un spécialiste ORL.
On lui a prescrit un régime hypoglycémique, il a suivi des séances de
physiothérapie pour un nerf coincé, et on lui a dit qu’il avait peut-être “un
problème à l’oreille interne”.
Il se fait aussi beaucoup de soucis. Il s’inquiète en permanence de la santé
de ses parents. Son père a eu effectivement un infarctus du myocarde, il y
a deux ans, mais se sent bien à présent. Il s’inquiète aussi de savoir s’il est
“un bon père” et si sa femme ne le quitte pas un jour (rien n’indique qu’elle

76
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

est insatisfaite de leur mariage), et aussi si ses collègues l’apprécient au


travail. Même s’il reconnaît que ses soucis sont souvent sans fondement,
il ne peut s’empêcher de s’inquiéter.
Depuis deux ans, le patient a peu de contacts sociaux à cause de ses
symptômes nerveux. Bien qu’il ait été obligé parfois de quitter son travail
quand les symptômes devenaient intolérables, il travaille toujours dans la
même société qu’il a rejointe lors de sa formation d’apprenti, une fois ses
études secondaires terminées. Il cherche à cacher ses symptômes à sa
femme et ses enfants auprès desquels il veut paraître “parfait” et signale
quelques problèmes avec eux provoqués par sa nervosité.
Discussion : Cet homme a consulté de nombreux praticiens pour ses symp-
tômes, mais il n’est pas préoccupé par la peur d’avoir une maladie physique
particulière, ce qui exclut le diagnostic d’Hypocondrie.
Il reconnaît que ses inquiétudes sont excessives mais elles n’ont pas les
qualités intrusive et inappropriée qui caractérisent les obsessions du
Trouble obsessionnel-compulsif.
Ses symptômes prédominants sont une anxiété et des soucis excessifs
et incontrôlables, présents la plupart du temps depuis deux ans. Ceci
évoque le diagnostic d’Anxiété généralisée. Il présente aussi les symptômes
caractéristiques associés : une sensation de crispation, des difficultés de
concentration et une tension musculaire. Ces soucis sont à l’origine d’une
souffrance marquée et le perturbent dans son fonctionnement social. »
Diagnostic proposé d’après le DSM-IV-TR : Anxiété généralisée (Trouble).

Les troubles anxieux font partie des entités les plus spécifiées des
systèmes de classifications syndromiques. Ils sont dits « purs » lorsque
le patient présente exclusivement les manifestations correspondantes
aux critères diagnostiques de cette catégorie ; ils peuvent faire partie
ou être « associés » à d’autres troubles comme la schizophrénie ou les
troubles de l’humeur.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

‡ Des catégories spécifiques à l’enfant


et l’adolescent ?

Dans le DSM-IV-TR, deux troubles anxieux, l’anxiété de séparation


et le mutisme sélectif, sont considérés comme habituellement diagnos-
tiqués durant l’enfance et l’adolescence. Pour les autres troubles
anxieux, les critères diagnostiques énoncés peuvent s’appliquer aussi
bien à l’enfant, qu’à l’adolescent ou encore l’adulte.

77
Psychologie et psychopathologie des émotions

Dans le DSM-5 paru en 2013 (2015 pour la version française), l’an-


xiété de séparation et le mutisme sélectif constituent des troubles qui
peuvent également s’appliquer aux adultes. Dans cette nouvelle version,
ils font donc partie de la liste des troubles anxieux aux côtés de la phobie
spécifique, l’anxiété sociale (anciennement phobie sociale), du trouble
panique, de l’agoraphobie (maintenant distincte du trouble panique)
et de l’anxiété généralisée. Le trouble obsessionnel-compulsif et celui
appelé « état de stress post-traumatique » sont sortis de la catégorie des
troubles anxieux pour en constituer deux nouvelles : la catégorie des
« trouble obsessionnel-compulsif et troubles reliés » (parmi lesquels
figurent le trouble obsessionnel-compulsif, la dysmorphophobie, la
trichotillomanie, le trouble d’accumulation et la dermatillomanie),
et la catégorie des « troubles liés aux traumatismes et au stress » (qui
regroupe l’état de stress post-traumatique, le trouble réactionnel de
l’attachement, l’état de stress aigu et les troubles de l’adaptation).
La relative spécification des troubles anxieux pouvant débuter avant
l’âge de 18 ans présente dans la version 4 du DSM a donc été finale-
ment abandonnée.
Pour répondre aux critères diagnostiques du Trouble d’Anxiété de
Séparation (TAS) selon le DSM-5, un enfant doit présenter une anxiété
excessive et inappropriée à son stade de développement, concernant la
séparation d’avec la maison ou les personnes auxquelles il est attaché,
et ce, pour une durée d’au moins 4 semaines. Cette anxiété est la source
d’une détresse cliniquement significative et/ou d’une altération du
fonctionnement social ou scolaire. Au moins trois des symptômes
suivants doivent être présents :
– détresse excessive et récurrente dans les situations de séparation
ou l’anticipation de ces situations ;
– peur qu’un malheur touchant l’enfant ou les parents ne rende la
séparation définitive ;
– réticence persistante ou un refus d’aller à l’école ou ailleurs, de
rester seul, ou d’aller dormir seul ou hors de la maison ;
– cauchemars à thème de séparation ;
– plaintes somatiques répétées lors de la séparation.
Les critères diagnostiques du trouble d’angoisse de séparation de la
CIM-10 (OMS, 1993) diffèrent peu de ceux du DSM-5, hormis pour l’âge

78
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

considéré (avant 6 ans pour la CIM-10) et le terme utilisé (« angoisse »


remplace « anxiété »). Cependant, la CIM-10 met davantage l’accent
sur la dimension développementale de certains troubles anxieux
qu’elle regroupe dans une catégorie dite « des troubles émotionnels
apparaissant habituellement durant l’enfance ». Il s’agit de l’angoisse de
séparation, du trouble anxieux phobique, de l’anxiété sociale, et d’autres
troubles émotionnels de l’enfance dont fait partie l’hyperanxiété. On
peut voir dans cette catégorie des troubles émotionnels apparaissant
spécifiquement dans l’enfance, une volonté de la CIM-10 d’insister
sur le critère d’intensité de tendances habituelles de développement.

Ces classifications syndromiques sont régulièrement mises à jour


(par exemple, la CIM prépare sa version 11 pour une utilisation en
2022), ce qui donne lieu à des changements de termes et de catégori-
sation parfois subtils dont nous venons de voir un court échantillon.
Pour autant, le DSM comme la CIM recommandent d’utiliser les
mêmes catégories et les mêmes critères chez l’enfant et chez l’adulte.
Les spécificités cliniques liées au développement ne sont que très peu
prises en compte. C’est pourquoi des critiques sont régulièrement
formulées à l’encontre de ces manuels, et ont conduit des profession-
nels de l’enfance à proposer des manuels alternatifs comme en France
avec la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et
l’Adolescent [CFTMEA]. Celle-ci prend appui sur une conception du
développement et du fonctionnement psychique issue de la psycha-
nalyse, là où les classifications syndromiques relèveraient plutôt d’un
modèle biomédical (même si celui-ci n’est pas explicitement justifié)
où la notion de trouble est centrale.
Mais qu’en est-il de l’état anxieux, de cet ensemble de symptômes
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui ne satisfait pas à tous les critères d’un trouble d’anxiété généra-
lisée ? Une autre conception psychopathologique de l’anxiété nous
propose une classification différente.

3.1.4 Psychopathologie de l’anxiété

La psychopathologie est considérée ici comme l’ensemble des


discours produits selon une approche épistémologique (par exemple

79
Psychologie et psychopathologie des émotions

la psychologie, la psychanalyse) qui vise à fournir une explication ou


une interprétation des phénomènes psychologiques comme l’anxiété
qui nous intéresse dans cette partie.

‡ Anxiété-état versus anxiété-trait

Dans les modèles cognitifs, l’anxiété est d’abord considérée comme


une émotion, caractérisée par l’ambiguïté de l’information disponible
ou l’incertitude constituée par l’état psychologique conséquent à cette
ambiguïté (Lazarus, 1991).
Spielberger (1966) propose de définir l’anxiété selon deux termes
qui renvoient à deux réalités distinctes : l’« anxiété-état » et l’« anxiété-
trait ». Non sans rappeler le critère de chronicité des classifications
nosographiques, c’est la notion de durée qui va d’abord permettre de
les différencier.
L’anxiété-état est définie comme une émotion transitoire caracté-
risée par une activation physiologique et la perception de sentiments
d’appréhension, de crainte et de tension. Elle est réactionnelle, transi-
toire et d’intensité modérée : elle ne constitue pas un handicap dans la
vie sociale, amicale, professionnelle et personnelle. C’est l’expérience
qu’a priori nous faisons tous (à différents degrés) face à des situa-
tions objectivement angoissantes (parler en public, être au cœur d’un
conflit, etc.). Cependant, lors de certains états anxieux dits « aigus »,
le sujet peut vivre d’authentiques expériences de dépersonnalisation
(impression de perdre son identité) et/ou de déréalisation (perte de
l’intimité avec le monde environnant habituel). Il peut alors avoir
peur de devenir « fou » sans pour autant qu’existe une pathologie
psychotique.
L’anxiété-trait est une prédisposition à répondre sur un « mode
anxieux » défini comme la tendance à répondre par la peur à des
stimuli stressants (Cottraux, 1995). Ici, l’anxiété est douloureuse et
correspond à l’expression permanente de caractéristiques intrin-
sèques de l’individu, stables dans le temps. Elle ne constitue pas un
état temporaire d’une durée de quelques jours, de quelques semaines
ou de quelques mois ; elle investit les années, voire la vie entière. Ce
« caractère anxieux pathologique » est assimilable au trouble d’anxiété

80
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

généralisée décrit dans les classifications syndromiques évoquées plus


haut. 80 % des patients présentant ce diagnostic médical déclarent ne
pas se souvenir du début de leurs troubles : ils ont l’impression d’avoir
toujours été anxieux et inquiets.
Cette définition de l’anxiété-trait émane de modèles cognitifs qui
s’intéressent aux liens entre anxiété et trait de personnalité.
De manière générale, un trouble de la personnalité peut être consi-
déré comme un facteur de vulnérabilité pouvant :
– soit prédisposer un individu à manifester des conditions cliniques
d’anxiété, de rejet ou de faible estime de soi (McCranie, 1971) ;
– soit augmenter la probabilité de vivre de façon répétée des condi-
tions de vie précaires entraînant le développement d’épisodes
cliniques (Akiskal, Khani et Scott-Strauss, 1979) ;
– soit encore diminuer sa résistance face à la pression des stresseurs
psychosociaux.
Contrairement à l’approche nosographique, les modèles cognitifs
permettent d’introduire une nuance entre un ensemble de symptômes
anxieux assimilables à l’anxiété-état et un ensemble de critères plus
stables considérés comme intrinsèques à l’individu et marqueurs d’une
anxiété-trait. Ce point de vue est proche des conceptions psychana-
lytiques structurales qui perçoivent les traits de personnalité comme
étant antérieurs à l’expression de symptômes comportementaux.

‡ Anxiété-trait : un mode
de fonctionnement spécifique

Sur la base de cette distinction entre anxiété-état et anxiété-trait,


un certain nombre de caractéristiques cognitives ont été identifiées
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme spécifiques au trait anxieux. Il s’agit de travaux qui ont cherché


à identifier le fonctionnement cognitif de sujets présentant ce type de
personnalité (Beck, 1984 ; Rachman, 1998).
Certaines études tendent à montrer que ces caractéristiques peuvent
également être responsables du développement et du maintien des
états anxieux pathologiques (Bardel et Colombel, 2009).
Les principales caractéristiques correspondent à un « biais systéma-
tique de l’attention » et une « hypervigilance » : l’attention est biaisée,

81
Psychologie et psychopathologie des émotions

elle est systématiquement tournée vers les problèmes (souvent insi-


gnifiants). Le sujet anxieux est hypervigilant, comme attiré par les
situations qui peuvent susciter de l’inquiétude : il ne voit et ne pense
qu’à ce qui peut l’angoisser.
Exemples : si, dans une conversation, quelqu’un est silencieux ou
intervient peu, c’est qu’il n’est pas d’accord. Si, à un concert, un ami
ne manifeste pas une joie débordante, c’est qu’il n’a pas aimé.
De plus, cette pensée est marquée par une « automaticité » et un
« pessimisme ». Tel un logiciel installé sans défaillance, le programme
« anxieux » fonctionne sans relâche et trouve toujours une raison de
déclencher l’inquiétude. C’est un état d’esprit permanent et incontrô-
lable où l’anxiété n’est pas engendrée mais nourrie par les événements ;
ce qui amène le sujet à chercher dans les circonstances extérieures
une justification de sens à ce qui l’inquiète sans se rendre compte des
interprétations pessimistes qu’il produit. Il en est parfois conscient.
Il lutte alors contre ce programme tyrannique qui le fait souffrir, le
rend négatif et l’épuise. Mais, le plus souvent, il n’en a pas conscience
tellement ce mode de fonctionnement lui est devenu familier.

‡ Psychopathologie de l’angoisse

D’un point de vue psychanalytique, lorsque l’angoisse devient patho-


logique (lorsqu’elle est vécue comme une souffrance qui déborde les
capacités de maîtrise du sujet), on passe dans le champ de la « névrose »
(appréhendée comme une construction de personnalité, une « struc-
ture », différente de la « psychose »).
La métapsychologie freudienne rend compte à sa manière de ce
qu’on désigne sous le terme de « personnalité anxieuse ». Dès 1895,
Freud décrit la « névrose d’angoisse » (la plus proche, d’un point de
vue descriptif, de la catégorie médicale de trouble d’anxiété généra-
lisée) parmi les névroses actuelles (origine sexuelle actuelle du conflit
psychique) qui sont à différencier des psychonévroses de transfert
(origine infantile du conflit).
Selon la classification psychanalytique de Freud, on retrouve :
– les psychonévroses de transfert : hystérie de conversion, névrose
obsessionnelle, hystérie d’angoisse (phobie) ;

82
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

– les névroses actuelles : névrose d’angoisse (anxiété pathologique),


neurasthénie (forme de « fatigue chronique »), hypocondrie,
névrose traumatique ou névrose de guerre (« état de stress post-
traumatique » des classifications actuelles).
– La classification psychiatrique française qui s’inspire fortement
de celle psychanalytique distingue la névrose d’angoisse de la
névrose phobique et de la névrose traumatique, aux côtés des
autres névroses (hystérie, obsession, hypocondrie).
L’angoisse est constante dans les états névrotiques :
– soit elle constitue l’essentiel de la symptomatologie clinique,
comme dans la névrose d’angoisse où l’on dit que l’angoisse est
« libre » et « flottante » ;
– soit elle est moins manifeste, car elle est convertie en symp-
tômes somatiques comme dans l’hystérie, elle n’émerge que dans
certaines situations ou à l’occasion de certaines représentations
mentales comme dans les phobies ou les obsessions. Dans ces
cas-là, on dit que l’angoisse est « liée » (voir Pedinielli et Bertagne,
2010, pour des apports plus détaillés sur les névroses).
La première théorie de l’angoisse chez Freud rend compte du
mécanisme de production de l’état anxieux. Il s’agit d’une théorie
physiologique (source endogène de la sensation d’angoisse) qui tente
d’expliquer la survenue de la névrose d’angoisse. Le mécanisme de
production de l’angoisse dite « flottante » est un surplus d’excitation
provenant d’une tension sexuelle méconnue par le sujet. La psyché
« tombe dans la névrose d’angoisse lorsqu’elle se voit incapable de
régler l’excitation d’origine endogène (sexuelle) ».
La seconde théorie de Freud (1926) concerne cette fois plus spéci-
fiquement le mécanisme d’activation de l’angoisse. Freud ne cherche
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

plus à savoir ce qui produit l’angoisse mais tente de décrire un ensemble


d’opérations mentales représentant la réponse à un événement dont le
contenu est consciemment ou inconsciemment conflictuel pour le sujet
(voir dans le chapitre 4, la partie consacrée aux devenirs de l’affect).

83
Psychologie et psychopathologie des émotions

3.2 Dépression

Le terme de « dépression » décrit également différentes réalités telles


qu’un symptôme, un syndrome, un épisode ou un trouble, une maladie.
La dépression en tant que symptôme est un sentiment de détresse et
de désespoir qui caractérise une modification plus ou moins longue de
l’humeur de l’individu. C’est ce que l’on a coutume d’appeler l’humeur
dépressive, la tristesse. En effet, la dépression s’est toujours caracté-
risée par la tristesse pathologique considérée comme son symptôme
fondamental.
La dépression en tant que syndrome fait référence à un ensemble
de symptômes qui, en plus de l’humeur dépressive, renvoie également
au ralentissement psychomoteur, à la perte d’énergie (asthénie), à des
sentiments de dévalorisation et de culpabilité, ainsi qu’à des troubles
du sommeil et de l’alimentation (restriction alimentaire ou hyper-
phagie). Ce syndrome, plus important qu’une modification passagère
de l’humeur, peut survenir consécutivement à un deuil, un événement
de vie, un épuisement professionnel, voire une pathologie somatique.
La dépression en tant que trouble trouve sa place parmi les classifica-
tions nosographiques. À ce titre, le DSM-IV-TR propose de décrire la
dépression dans la catégorie des « troubles de l’humeur ». Cette section
est divisée en trois parties :
– la première partie décrit les épisodes thymiques comprenant
l’épisode maniaque, l’épisode dépressif majeur, l’épisode mixte
et l’épisode hypomaniaque ;
– la deuxième partie décrit les troubles de l’humeur qui comptent
les troubles bipolaires, les troubles dépressifs et les autres troubles
de l’humeur (par exemple celui induit par une substance) ;
– la troisième partie décrit les spécifications montrant l’épisode le
plus récent selon son évolution, sa forme, ses caractéristiques, etc.

3.2.1 Clinique des « états dépressifs »

Pedinielli et Bertagne (2010) soulignent à juste titre la nécessité


d’une ouverture terminologique vers les « états dépressifs », permet-
tant d’appréhender les différents aspects de la dimension clinique de

84
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

la dépression. Cependant, le terme d’« états dépressifs » est très large


et hyperinclusif. En effet, « on imagine sans peine que les signes qui
permettent de les reconnaître ou qui les décrivent sont extrêmement
divers et d’intensité très variable ».
L’état dépressif apparaît comme un état généralement transitoire,
formé des quatre composantes que sont l’humeur dépressive, le ralen-
tissement ou l’inhibition, les idées de suicide (et/ou comportement
suicidaire) et les signes « objectifs » comme l’anxiété, l’insomnie, l’as-
thénie, etc. Il n’est pas nécessaire de présenter tous les signes pour être
déprimé. Selon l’arrangement spécifique de chaque tableau clinique et
l’intensité des manifestations, on peut rencontrer des formes proches
de la normalité ou d’autres plus atypiques.

État dépressif : Anne, 26 ans


(Présentation extraite de Pedinielli et Bernoussi, 2011, p. 24-25)
« Elle nous décrit ainsi son état dépressif : “C’est arrivé sans que je m’en
rende compte. J’avais des problèmes au travail, mais rien de bien grave.
Mais je crois que ça venait de moi… J’avais plus envie de travailler, la
moindre tâche me coûtait, alors qu’avant j’étais plutôt active. Je n’étais
pas triste réellement mais la moindre chose me faisait pleurer, j’avais
l’impression que mon mari ne s’occupait plus de moi, que je passais au
second plan. Quelques souvenirs revenaient, tous mauvais… C’est moi qui
les trouvais mauvais, en fait ils étaient neutres. Je n’avais envie de rien,
de me coucher, mais les nuits je dormais mal, que le jour finisse, que la
nuit finisse… que tout finisse. Rien ne me plaisait et je pensais que vivre
n’avait plus de raison, que j’étais une charge. Je pensais à mes enfants,
puis j’ai pensé que j’étais un obstacle à leur bonheur. Je ne riais plus, les
conversations me fatiguaient, parler était un effort. Je me reprochais tout
ça mais sans effet” » (p. 24).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Discussion : L’humeur triste (« la moindre chose me faisait pleurer »), les


ralentissements psychiques (« parler était un effort ») et moteurs (« la
moindre tâche me coûtait »), les idées de suicide (exprimées par le souhait
que « tout finisse », que « vivre n’avait plus de raison ») et la perte d’intérêt
et de plaisir (« j’avais plus envie de travailler », « envie de rien ») sont prin-
cipalement présents chez cette patiente.
L’anxiété et la dépression sont considérées et souvent étudiées comme
des troubles émotionnels distincts tant d’un point de vue sémiologique que
psychodynamique. Pourtant l’anxiété est très souvent présente dans les
tableaux dépressifs. Elle accompagne l’humeur triste au même titre que

85
Psychologie et psychopathologie des émotions

les « troubles du sommeil », les « troubles alimentaires », ou les « symp-


tômes somatiques ». Elle peut se traduire par exemple par une « agitation
motrice » qui dissimule en réalité le « ralentissement psychomoteur » ou
par une « inhibition massive ».

3.2.2 Approche nosographique


des troubles dépressifs

Le DSM-IV-TR indique que l’épisode dépressif majeur (décrit dans


les épisodes thymiques) ne peut être diagnostiqué comme une entité
autonome. Les éléments de repérages suivants sont utilisés pour
construire les diagnostics des troubles de l’humeur (comme le trouble
dépressif majeur par exemple) :
a) Au moins cinq des symptômes (dont au moins un des deux
premiers symptômes) suivants doivent avoir été présents pendant une
même période d’une durée de deux semaines et avoir représenté un
changement par rapport au fonctionnement antérieur :
– humeur dépressive ;
– diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir ;
– perte ou gain de poids significatif ;
– trouble du sommeil ;
– agitation ou ralentissement psychomoteur ;
– fatigue ou perte d’énergie ;
– sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou
inappropriée ;
– diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision ;
– idées de mort, idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou
tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
b) Les symptômes induisent une souffrance cliniquement signifi-
cative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou
dans d’autres domaines importants.
Rappelons que cette description syndromique proposée par le
DSM repose sur une organisation catégorielle où un certain nombre
de critères cliniques doivent être rencontrés pour poser le diagnostic
d’épisode dépressif.

86
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

3.2.3 Point de vue clinique versus nosographique

D’un point de vue clinique, il est courant de repérer la coexistence


de symptômes anxieux et dépressifs qui conduit le clinicien à employer
le terme de « syndrome anxio-dépressif ».
Cependant, dans les classifications nosographiques, l’anxiété et la
dépression sont décrites comme des pathologies distinctes. Le terme
de « syndrome anxio-dépressif » ne renvoie à aucune catégorie noso-
graphique en tant que telle.
Le DSM-IV-TR utilise de manière imprécise le terme de « troubles
de l’adaptation » pour rendre compte de symptômes apparus dans
les registres émotionnels et comportementaux, en réaction à un (ou
plusieurs) facteur(s) de stress identifiable(s), au cours des trois derniers
mois suivant la survenue de celui-ci (ceux-ci). Ces symptômes sont
cliniquement significatifs, comme en témoignent :
– soit une souffrance marquée, plus importante qu’il n’était attendu
en réaction à ce facteur de stress ;
– soit une altération significative du fonctionnement social ou
professionnel.
De plus, les symptômes ne sont pas l’expression d’un deuil, du moins
considéré comme « normal » (il n’est pas donné d’autres précisions dans
le DSM-IV-TR sur ces « facteurs de stress » ni sur la durée du « deuil
normal » mais elle peut être interprétée comme étant de deux mois).
Enfin, une fois que le facteur de stress (ou ses conséquences) a
disparu, les symptômes ne persistent pas au-delà de six mois.
Parmi les sous-types mentionnés, on retrouve « les troubles de
l’adaptation avec à la fois anxiété et humeur dépressive » où la manifes-
tation prédominante est une combinaison de dépression et d’anxiété.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les exemples auxquels le manuel renvoie peinent à rendre compte


des associations entre les deux ensembles de symptômes. En effet,
l’association de symptômes anxieux et dépressifs peut tout aussi bien
correspondre à une anxiété compliquée d’éléments dépressifs, à une
dépression avec des symptômes anxieux, à deux pathologies réellement
comorbides ou surajoutées, à un diagnostic d’atteinte pour des symp-
tômes légers non encore décompensés ou identifiés, etc. (Pelissolo,
2006). De ce fait, la définition plus rigoureuse d’entités syndromiques

87
Psychologie et psychopathologie des émotions

distinctes a permis jusqu’ici de les étudier de manière indépendante,


même s’il existe d’un point de vue clinique des formes intermédiaires
ou de transition.
De nombreux travaux ont montré que « dépression » et « anxiété »
ne s’associent pas par hasard, au contraire, elles ont beaucoup de
points communs. En effet, d’un point de vue psychopathologique, un
certain nombre de symptômes (cf. tableau 1), comme les expressions
somatiques, les troubles du sommeil, les inquiétudes pour l’avenir, les
crises d’angoisse, constituent des éléments de rapprochement entre les
deux entités. Ils n’ont cependant pas typiquement la même façon de
s’exprimer au sein de chaque tableau clinique. Par exemple, on parle
plus de difficultés d’endormissement dans les troubles anxieux alors
qu’il s’agit de réveils précoces dans la dépression.
La place de la symptomatologie anxieuse n’est naturellement pas la
même dans les deux types de trouble. Les peurs, les inquiétudes, les
angoisses sont centrales dans les troubles anxieux et elles organisent
les autres symptômes alors qu’elles sont plutôt secondaires (mais pas
légères) dans la dépression.

88
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

Tableau 1 : Principales différences entre troubles anxieux


et troubles dépressifs (Pelissolo, 2006)

Symptômes
Troubles anxieux Troubles dépressifs
principaux
Humeur normale, Tristesse très souvent
Humeur et émotions
sans tristesse majeure présente
Énergie Normale Diminuée
Motivation Normale Diminuée voire absente
Normale, sauf Diminuées
Concentration
dans les phases anxieuses en toutes circonstances
Image de soi Préservée Altérée
Inquiétudes Grand pessimisme,
Vision de l’avenir
mais avec projets possibles absence de projet

Pensées suicidaires Rares Fréquentes

Intérêts et plaisirs Conservés Diminués (anhédonie)

Tous types d’insomnie,


Agité, difficultés
Sommeil réveils précoces,
d’endormissement
hypersomnie possible
Réduit le plus souvent
Appétit Rarement modifié (anorexie), perte de poids,
parfois hyperphagie
Au 1er plan, continus Souvent présents
Symptômes anxieux et/ou crises d’angoisse, en arrière-plan, anxiété
phobies, obsessions, etc. diffuse, crises d’angoisse
Durée longue
(plusieurs années),
Épisodes de plusieurs
début jeune, aggravation
Évolution mois, suivis d’un retour
par phases.
à la normale
Fond anxieux persistant
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

(tempérament).

Dans le DSM-5 (2015), même si les critères diagnostiques d’un


épisode dépressif caractérisé (EDC) restent sensiblement les mêmes
que ceux décrits dans le DSM-IV, deux changements sont à noter.
Le premier concerne la possibilité de spécifications de l’épisode
dépressif. D’après le DSM-5, ces spécifications doivent permettre
d’augmenter la précision du diagnostic et sont au nombre de sept
(avec détresse anxieuse, caractéristiques mixtes, mélancoliques,

89
Psychologie et psychopathologie des émotions

atypiques, catatoniques, début lors du péripartum, caractère saison-


nier). Concernant l’épisode dépressif caractérisé avec détresse anxieuse,
cette spécification s’applique lorsqu’au moins deux des symptômes
suivants sont présents la plupart du temps :
– sentiment d’énervement ou de tension ;
– sentiment d’agitation inhabituel ;
– difficultés de concentration dues à des soucis ;
– peur que quelque chose d’horrible ne survienne ;
– sentiment d’une possible perte de contrôle de soi.
Comme pour le trouble dépressif majeur (survenue d’un EDC
unique ou de plusieurs) sans spécification, il est possible de préciser
le niveau de sévérité de la détresse anxieuse en la qualifiant de légère
(présence de deux symptômes anxieux), moyenne (trois), moyenne-
ment grave (quatre ou cinq) et grave (quatre ou cinq avec agitation
motrice). Il semble alors que, dans le DSM-5, la spécification « avec
détresse anxieuse » a été introduite pour qualifier certains épisodes
dépressifs dont la gravité est accentuée par la présence de symptômes
anxieux. Cette nouvelle possibilité de repérage systématisé de l’anxiété
dans la description des épisodes dépressifs ne fait pourtant pas l’éco-
nomie des écueils inhérents à ce type de classification concernant les
patients, nombreux en médecine générale, dont les signes anxieux et
dépressifs n’atteignent pas le seuil pathologique de l’une ou l’autre
catégorie (voir par exemple les éléments cliniques en médecine géné-
rale décrits par Bertin Persichini, 2015).
Le deuxième changement introduit dans la dernière version du
DSM concerne la place accordée au deuil dans le diagnostic de dépres-
sion. En effet, on constate que le critère d’exclusion du deuil présent
dans la version précédente a été retiré. Il est alors mentionné que les
réactions à une perte significative comme le deuil (mais également
la ruine, les pertes liées à une catastrophe naturelle, une affection
médicale grave ou un handicap) peuvent se manifester par des senti-
ments de tristesse intense, des ruminations à propos de la perte, de
l’insomnie, une perte d’appétit et de poids. Enfin, le DSM-5 précise que
« bien que de tels symptômes soient compréhensibles ou puissent être
considérés comme liés à la perte, la présence d’un épisode dépressif
caractérisé, associée à la réponse normale à une perte significative,

90
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

doit être évaluée avec soin ». Les auteurs du DSM-5 veulent par ce
changement répondre à un certain nombre de critiques formulées
à l’encontre d’un traitement normatif du deuil (seulement ?), lisible
dans la version précédente. En effet, certains relevaient que si le « deuil
normal » devait durer deux mois, alors la persistance des réactions à la
perte (courante au-delà de cette période) pouvait être trop rapidement
considérée comme étant une dépression (Zisook et al., 2012).

3.2.4 La dépression chez l’enfant et l’adolescent

Comme vu précédemment avec les troubles anxieux, les classifica-


tions syndromiques (DSM et CIM) s’adressent aussi bien aux adultes
qu’aux enfants ou aux adolescents. Le diagnostic d’épisode dépressif
caractérisé repose donc sur les mêmes symptômes que ceux énoncés
plus haut pour l’adulte.
Le DSM-5 ainsi que les deux versions précédentes se contentent de
proposer deux adaptations liées au développement. Elles concernent
l’humeur dépressive qui peut être éventuellement remplacée par de
l’irritabilité chez l’enfant et l’adolescent, et l’absence de prise de poids
attendue chez l’enfant qui doit davantage retenir l’attention que la
perte ou le gain de poids. Hormis ces deux symptômes, il n’existe pas,
selon le DSM, de distinction majeure entre les manifestations dépres-
sives de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte.
Il est pourtant évident que l’évaluation de certains symptômes peut
s’avérer particulièrement délicate chez l’enfant (par exemple, concer-
nant le sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou
inappropriée), ce qui amène à interroger un tiers (le plus souvent les
parents et parfois les enseignants) et à introduire des biais de subjectivité.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pourtant l’épisode dépressif existe chez l’enfant même s’il est


souvent méconnu, voire dénié, et qu’il comporte des spécificités et des
comorbidités identifiées bien que discutées (Nezelof et Vandel, 2018).
Cette méconnaissance peut s’expliquer par le fait que les changements
émotionnels sont monnaie courante au cours du développement au
regard des étapes maturatives traversées (séparation-individuation,
autonomisation) et qu’il est souvent difficile de poser un diagnostic de
trouble (quel qu’il soit), qui pourrait être trop hâtif et catégorique à un

91
Psychologie et psychopathologie des émotions

moment si mouvant. Cela tient alors probablement à « la complexité


clinique, théorique, épistémologique au centre de laquelle se trouve
la question de la dépression chez l’enfant » (Marcelli, 2004, p. 1438).
Pourtant, un tableau dépressif peut s’exprimer, s’installer et être
repérable par un clinicien. Celui-ci veille d’abord à développer avec
l’enfant un contexte d’interaction bienveillant permettant de recueillir
toutes les informations nécessaires à l’établissement d’un diagnostic
s’il y a lieu d’en poser un (plus utile aux « institutions » qu’au clinicien
qui travaille avec des dynamiques de fonctionnement individuel plutôt
que des catégories syndromiques).
L’une des principales difficultés rencontrées par le clinicien dans le
repérage de la dépression chez l’enfant réside dans la variabilité des
symptômes et l’articulation changeante de leur expression. En effet,
il est possible que de l’instabilité psychomotrice, des comportements
de refus ou d’opposition et des difficultés d’apprentissage (liées à des
difficultés attentionnelles, de mémorisation et d’inhibition intellec-
tuelle) dominent le tableau clinique et relèguent au second plan les
symptômes plus « classiques » de la dépression.
Notons qu’après les troubles anxieux (qui s’expriment principale-
ment par de l’agitation motrice chez l’enfant), ce sont les troubles du
comportement (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyper-
activité, trouble oppositionnel avec ou sans provocation, trouble des
conduites) qui sont le plus souvent associés à la dépression.
Il est également possible que la tristesse soit exprimée par l’enfant
mais de façon très changeante, fluctuante et qu’elle soit minorée et
associée à un comportement psychomoteur ralenti, inhibé. Quelles que
soient les manifestations externes, on comprend aisément que l’enfant
triste ressente des difficultés à se consacrer aux activités faisant appel
à ses capacités de concentration et d’attention là où un vécu difficile-
ment mentalisable (voir les étapes de développement de la conscience
émotionnelle dans le chapitre 2) occupe une place importante. Les
sphères comportementales et somatiques vont donc souvent consti-
tuer les lieux d’expression premiers des difficultés vécues par l’enfant.
Le sommeil et l’alimentation peuvent être perturbés et des plaintes
somatiques diverses et sans explication physiologique peuvent aussi
être souvent rencontrées chez l’enfant déprimé.

92
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

D’un point de vue clinique, les symptômes de l’épisode dépressif


chez l’adolescent peuvent être considérés comme plus proches de ceux
de l’adulte comparativement à l’enfant, même si là encore il faut faire
preuve de prudence (ne pas pathologiser des remaniements psychiques
inhérents à cette période de développement) et de vigilance (aux signes
de souffrance qui doivent être entendus).
L’humeur dépressive se caractérise par une tristesse d’intensité
importante mais est rarement présentée d’emblée par l’adolescent, du
fait là encore de capacités d’identification et d’expression émotionnelle
propres à son développement (les filles sont repérées comme étant
plus à même d’exprimer leur malaise) et à sa personnalité (Bréjard,
Bonnet, Pasquier et Pedinielli, 2011).
L’humeur dépressive peut également prendre la forme de senti-
ments de vide, d’ennui profond mais est majoritairement associée à de
l’irritabilité, des attitudes de rejet, des réactions négatives (opposition
active ou passive) qui constituent habituellement le noyau central
de la sphère dépressive à l’adolescence. La difficulté, voire l’incapa-
cité à éprouver du plaisir au quotidien (l’anhédonie, décrite de façon
détaillée plus loin dans ce chapitre), accompagnée de la perte générale
d’intérêt pour des thèmes ou activités auparavant investis et valo-
risés par l’adolescent, sont fréquemment rencontrées dans le tableau
dépressif de cette période de développement. La vision négative de soi
(notamment du corps), de l’environnement et du futur vient compléter
ce tableau.
Les comportements de l’adolescent comme l’abus de substances et
les comportements auto et hétéro-agressifs peuvent également être
considérés comme une expression symptomatologique des troubles
de l’humeur spécifiques à cette période (voir Corcos et Jeammet,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

2005, pour une revue plus détaillée). Enfin, des symptômes relevant
des sphères cognitive (avec une inhibition intellectuelle ou à l’inverse
une intellectualisation importante) et somatique (perturbation du
sommeil, des conduites alimentaires, de l’image du corps, céphalées,
douleurs abdominales, digestives répétées et sans explication physio-
logique) peuvent compléter le tableau dépressif de l’adolescent.
En résumé, une approche dimensionnelle des manifestations
dépressives de l’enfant et l’adolescent est à privilégier, allant d’affects

93
Psychologie et psychopathologie des émotions

dépressifs modérés et passagers qui relèvent du développement habi-


tuel, aux troubles dépressifs avérés.

3.2.5 Psychopathologie de la dépression

La psychopathologie est considérée ici comme l’ensemble des


discours produits selon une approche épistémologique (par exemple
la psychologie, la psychanalyse) qui vise à fournir une explication ou
une interprétation des phénomènes psychologiques comme la dépres-
sion qui nous intéresse dans cette partie.

‡ Anxiété et événements de vie :


facteurs de vulnérabilité à la dépression

De nombreux arguments permettent d’affirmer notamment que


bien souvent l’anxiété précède la dépression. Les études épidémiolo-
giques (qui s’intéressent à la survenue des maladies dans la population
et au rôle des facteurs qui les déterminent) rapportent que presque
la moitié des patients souffrant d’un trouble d’anxiété généralisée
présente également des symptômes dépressifs récents (Guelfi et Crocq,
2003). Un repérage précoce est donc nécessaire pour tenter de prévenir
cette évolution négative.
Beaucoup de « réactions » anxieuses face à des événements stres-
sants ou pénibles (difficultés professionnelles, problèmes de santé pour
soi-même ou pour un proche par exemple) ne donneront pas lieu à
l’établissement d’un diagnostic de trouble anxieux si elles ne durent
que le temps de ces événements, ou quelques jours. D’un point de vue
nosographique, il s’agirait alors d’une anxiété réactionnelle, voire d’un
trouble de l’adaptation (avec anxiété) nécessitant une prise en charge
temporaire comme un soutien psychologique ponctuel par exemple.
Cependant, les travaux tendent à montrer que si ces symptômes
isolés ne sont pas pris en charge précocement, et si de surcroît des
événements de vie fragilisants viennent à se répéter, ces « réactions »
anxieuses peuvent tendre vers une évolution de type « trouble anxieux »
avec l’apparition brève de symptômes dépressifs au cours de la vie du
sujet pouvant amener à un épisode dépressif majeur (Pelissolo, 2006).

94
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

L’idée sous-jacente à la mise en évidence des relations pouvant


exister entre l’anxiété et la dépression est que des interventions sur
l’anxiété aideraient à réduire les risques d’une dépression par la suite.
De ce fait, l’anxiété jouerait un rôle dans le développement de la
dépression même si la nature de ce rôle reste encore à être éclaircie
(Flannery-Schroeder, 2006). En effet, les liens entre les deux troubles
sont probablement complexes et différentes hypothèses peuvent être
énoncées :
– les symptômes anxieux peuvent représenter des facteurs de risque
dans le développement d’une dépression (nature du rôle déclen-
cheur à élucider) ;
– l’anxiété et la dépression partagent des facteurs de vulnérabilité
communs (biologiques, physiologiques, génétiques), le premier
constituant la phase prodromique du deuxième ;
– l’anxiété et la dépression auraient des composantes à la fois
uniques et communes. Selon le modèle tripartite de Watson
et Clark (1991), l’anxiété et la dépression partageraient une
composante non spécifique appelée « détresse généralisée » et
des composantes spécifiques d’hyperactivation physiologique
(pour l’anxiété) et d’affectivité positive faible (pour la dépression).
Il faut cependant retenir que les recherches échouent à démontrer
la nature causale de l’anxiété dans la dépression. En effet, même s’il est
fréquent de retrouver au même moment ou à des moments différents
de la vie des symptômes dépressifs et anxieux, il existe une proportion
importante d’anxiété généralisée « pure », c’est-à-dire sans dépression
associée (Guelfi et Crocq, 2003). Cela signifie qu’il est possible d’être en
présence de symptômes anxieux sans symptômes dépressifs associés
alors que l’inverse semble difficilement envisageable. En effet, comme
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

on l’a vu précédemment, l’état anxieux est souvent retrouvé comme


étant un signe des états dépressifs, alors que ces derniers ne font pas
partie des signes permettant de définir l’état anxieux. « La seule conclu-
sion possible à l’heure actuelle est que l’anxiété joue un rôle dans le
développement de la dépression » (Flannery-Schroeder, 2006).

95
Psychologie et psychopathologie des émotions

‡ Troubles dépressifs
et schémas cognitifs dysfonctionnels

La psychopathologie cognitive des troubles dépressifs a surtout été


marquée par les travaux du psychiatre américain Aaron Beck. Son
postulat de départ (comparable à celui développé concernant les
troubles anxieux) est le suivant : le sujet dépressif possède des schémas
cognitifs (représentations de l’individu et de son environnement) qui
dysfonctionnent. Il se perçoit et s’estime comme incapable et sans
valeur (vision négative de soi) ; ses milieux de vie (socioprofessionnel,
familial, etc.) lui paraissent incompréhensibles et loin de ses préoc-
cupations présentes (vision négative du monde extérieur) ; et le futur
devient « sans espoir » (vision négative du futur).
Ces schémas ont pu se mettre en place parce que le traitement de
l’information est biaisé et donne lieu à de mauvaises interprétations,
qui sont au nombre de cinq :
– interprétations fausses de l’environnement et des attitudes de
l’entourage (l’inférence arbitraire) ;
– centration sur un détail d’une situation au détriment des autres
éléments du contexte amenant à des conclusions néfastes pour
le sujet (abstraction sélective) ;
– attribution à toutes les situations nouvelles les éléments d’un
échec malheureux faisant dire au sujet que tout ce qu’il entre-
prend est voué à l’échec (surgénéralisation) ;
– tout acte, fait ou vécu négatif, est amplifié et ressassé sans cesse
et tout ce qui est positif est dévalorisé ou évité (maximalisation
et minimalisation) ;
– toute défaillance ou échec est endossée par le sujet même si la
problématique vient d’un tiers (personnalisation).
Ces erreurs touchent aussi la personne normale et la personne
anxieuse quand il s’agit de résoudre une situation dans l’urgence. C’est
le caractère répétitif, la fréquence et l’intensité de ces erreurs qui leur
confère leur caractère pathologique.
On retrouve également ces perturbations cognitives et cette triade
négative (idées négatives sur le monde, soi-même et l’avenir) chez
l’enfant et l’adolescent déprimés qui se sentent facilement dévalorisés,

96
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

abandonnés ou en échec. Le sentiment d’incapacité à répondre aux


exigences en provenance de l’environnement (familial, scolaire) peut
conduire à une perte de confiance et d’estime de soi, entraînant ou
renforçant des difficultés scolaires qui entretiennent le sentiment de
dévalorisation et qui peuvent se transformer en situation d’« échec
scolaire » si le repérage n’est pas fait à temps.

‡ Expérience de perte et « travail de deuil »

Les premiers travaux psychanalytiques se sont surtout intéressés au


mécanisme de la dépression conçue comme une réaction à la perte
d’objet consécutive à la mort mais également à une séparation, à un
échec ou à un décalage entre le sujet et son idéal, comme un processus
(mélancolique) de deuil à élaborer. Freud (1917) affirme que le deuil
(et l’affect douloureux qui l’accompagne) est une « réaction à la perte
d’une personne aimée ou d’une abstraction mise à sa place : la patrie,
la liberté, un idéal ».
Ce phénomène de la vie quotidienne oblige le sujet à opérer un
travail qui consiste en un désinvestissement progressif de l’objet
aimé. Après une période de repli sur soi, de solitude et d’anéantisse-
ment, le sujet pourra investir à nouveau son environnement, le travail
de deuil étant accompli. Ce dernier est donc un processus à la fois
normal car logique, et pathologique car il génère de la souffrance. La
vie est une sommation de microdeuils qui sont autant de ruptures
avec les objets significatifs qui nous entourent (parents, contextes de
vie, partenaires, etc.) et que le sujet essaie d’intégrer psychiquement
selon l’intensité du choc subi. Cette série de deuils a même, au cours
du développement, une fonction maturative car elle permet les chan-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

gements d’investissements tout au long de la vie, mettant à l’épreuve


les capacités d’adaptation du sujet (voir Pedinielli et Bernoussi, 2011,
pour une revue plus détaillée des conceptions psychanalytiques de la
dépression chez l’adulte).

97
Psychologie et psychopathologie des émotions

‡ Le travail de deuil à l’adolescence :


entre dépression et élaboration psychique

Si en psychanalyse, l’expérience de perte est liée au deuil et à la


dépression, cette relation constitue même l’axe de compréhension prin-
cipal du processus dépressif et du travail psychique qui l’accompagne.
C’est pourquoi, l’adolescence, considérée comme une période de sépa-
ration et de perte majeure dans plusieurs domaines (deuil du corps de
l’enfance, deuil du « refuge maternel » imposé par la prise de distance
physique et psychique d’avec les parents, modification de l’ordre social
introduite par une autonomie grandissante) peut être éclairée par l’ex-
périence de la perte et du processus mélancolique qui l’accompagne.
La dépressivité est propre à l’adolescence. Le sentiment dépressif
apparaît d’abord comme « normal » car selon Gédance, Ladame et
Snakkers (1977), « un adolescent qui évolue normalement vit des
moments de dépression inhérents au processus développemental dans
lequel il se trouve engagé » (son absence constituerait davantage un
phénomène pathologique à l’adolescence). Un vécu mêlant tristesse,
ennui, colère est très souvent rencontré chez l’adolescent et corres-
pond au répertoire habituel de la dépression (ou de la lutte contre
la dépression) chez le sujet adulte. Une distinction peut alors être
instaurée entre dépressivité (inhérente à la vie psychique) et dépression
(aléas d’un processus « normal »). Pour Fédida (2001), « la dépressivité
ou capacité dépressive » est régulatrice du développement indivi-
duel alors que la dépression se situe du côté d’une identification à la
mort, comme une expérience néantisante (une perte dévastatrice), en
même temps qu’elle appelle le sujet à remanier ses investissements et
constitue par là un processus dynamique et conflictuel. L’adolescence
constitue donc une étape clé dans le développement psychique du
sujet mais qui ne conduit pas forcément l’adolescent à entrer dans
une pathologie dépressive. Celle-ci surviendrait dans un contexte où le
travail de deuil est perturbé voire rendu impossible, et où l’adolescent
est dans l’incapacité d’élaborer le renoncement aux objets significatifs
(figures parentales).
En même temps, la question de la dépressivité à l’adolescence ne
peut se détacher des transformations corporelles spécifiques de cette

98
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

période considérée comme un moment de réactualisation de l’œdipe


en psychanalyse. Selon Freud (1925), les changements biologiques de
la puberté appellent l’enfant pubère à revivre son oedipe mais, cette
fois-ci avec les exigences que lui impose son corps, dans ses transfor-
mations biologiques et chimiques. La maturation physique, imposée
par la puberté, s’accompagne d’une réactualisation de l’œdipe et remet
en question les acquis de l’enfance dans le but d’établir une identité
sexuée stable.
Gutton (1991) définit deux processus propres à cette période : le
processus pubertaire et le processus adolescens. Le premier renvoie
au temps où la puberté (avec tous les changements biologiques qu’elle
implique) a pour effet d’instituer une génitalisation des représentations
incestueuses de l’enfance (en lien direct avec les désirs œdipiens issus
du complexe d’œdipe). Le processus adolescens est celui par lequel
s’opère une idéalisation organisatrice des représentations incestueuses.
Il a donc pour but de désexualiser les représentations incestueuses,
menant ainsi l’adolescent au choix d’objet potentiellement adéquat.
D’après Gutton, ces deux processus interviennent en même temps au
moment de l’adolescence ou de façon successive selon les individus,
mais le processus adolescens ne peut avoir lieu que si l’autre processus
est engagé.
Le moment de l’adolescence est donc une période décisive où l’ado-
lescent doit se détacher de ses parents pour trouver un autre avec lequel
il pourra mener une vie sexuelle. D’après Freud (1925), l’adolescent
va pouvoir renoncer au parent œdipien une fois qu’il l’aura retrouvé à
travers un autre, quand il sera convaincu qu’il est encore présent. Ainsi
le renoncement au parent œdipien semble possible à partir du moment
où l’adolescent « accepte » de le retrouver en quelqu’un d’autre. Cet
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

autre permettra à l’adolescent de retrouver quelque chose de « son


premier objet amour ». Gutton (1991) explique ce mouvement par le
recours à des mécanismes projectifs : c’est par projection des attributs
du parent œdipien que l’adolescent pense « retrouver » son premier
objet d’amour. Et il apparaît que plus le refoulement des désirs oedi-
piens est grand, plus la projection d’éléments du parent incestueux en
l’objet supposé adéquat est grande.

99
Psychologie et psychopathologie des émotions

4. Troubles de l’expression des émotions,


des capacités à éprouver du plaisir
et à reconnaître ses émotions
La perte de la capacité à éprouver du plaisir (ou « anhédonie », terme
proposé par Ribot en 1896), le manque d’expressivité émotionnelle
(« émoussement affectif » selon Kraepelin en 1899) et l’absence de mots
pour exprimer ses émotions (« alexithymie » d’après Sifnéos, 1973)
sont conceptualisés comme des dimensions transnosographiques
(présentes dans différents troubles ou syndromes).
Selon les études et les auteurs, elles revêtent un statut soit de
symptôme (exemple : anhédonie comme signe de la dépression ou
d’un trouble psychotique), soit de défense, de stratégie d’adaptation
(exemple : ressentir moins pour se protéger des émotions négatives,
ici l’émoussement affectif a valeur adaptative), soit de trouble de la
personnalité (exemple : l’alexithymie comme facteur de vulnérabilité
des maladies psychosomatiques). Ces entités ont été décrites, selon
ces modalités, dans les dépressions, les schizophrénies, les addictions
et chez le sujet indemne de trouble psychiatrique (population géné-
rale). Elles y sont abordées avec les mêmes a priori théoriques (statut
distingué par les termes « primaire », « secondaire » appliqués à l’an-
hédonie et l’alexithymie) même si elles correspondent à des réalités
différentes mais souvent interdépendantes (exemple : anhédonie consi-
dérée comme l’aspect subjectif de l’émoussement affectif).

4.1 Psychopathologie de l’anhédonie

L’anhédonie est un concept de Ribot (1896) désignant la perte de


la capacité de plaisir, plus précisément, la perte de l’élément subjectif
du plaisir indépendamment d’une sensibilité préservée à la douleur.
Ce phénomène se retrouve aussi bien dans la dépression, notam-
ment mélancolique (Kraepelin l’avait cité en 1906 dans les formes
peu intenses de mélancolie) que dans les schizophrénies, la neuras-
thénie (état d’inactivité ou de fatigabilité extrêmes), la psychasthénie
(autrefois réservée aux symptômes névrotiques comme l’angoisse, les

100
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

actes compulsifs et les obsessions), le syndrome de fatigue chronique


ou encore chez les usagers de substances psychoactives (drogues).

4.1.1 « Anhédonie » comme symptôme majeur


des troubles dépressifs

À l’origine, l’anhédonie était considérée comme un symptôme


fondamental de la schizophrénie (Rado, 1956 ; Stein et Trabasso,
1989). Maintenant, la plupart des auteurs s’accordent pour la consi-
dérer comme un symptôme inconsistant retrouvé chez certains sujets
schizophrènes seulement. Dans la dépression, la diminution ou l’inca-
pacité à éprouver du plaisir a acquis un statut central au cours de ces
dernières années. L’anhédonie fait partie des critères diagnostiques
principaux de l’épisode dépressif majeur selon le DSM-IV-TR.

Un jeune homme de 23 ans : perte d’intérêt et de plaisir


(Observation tirée du DSM-IV-TR, 2008, p. 206-207)
« Un jeune homme de 23 ans a été admis à l’hôpital. Il était presque tota-
lement muet. Ses parents ont raconté qu’il se portait apparemment bien
jusqu’il y a environ quatre ans, au moment de la rupture avec sa petite
amie. Depuis lors, il vivait à la maison, passait beaucoup de temps tout seul,
occupé à divers petits boulots et incapable de mener à bien un quelconque
projet. Environ quatre mois avant son admission à l’hôpital, il a décidé
d’aller en Californie pour y trouver un nouvel emploi et changer de mode de
vie. Toutefois, peu de temps après son installation là-bas, il a téléphoné à
ses parents qui ont trouvé qu’il avait “l’air d’aller mal”. Son père a pris l’avion
pour la Californie et l’a trouvé préoccupé, paranoïde et effrayé et n’ayant,
semble-t-il, pas mangé depuis plusieurs jours. Le père a ramené son fils à la
maison et il a été voir un neurologue qui, pour l’essentiel, l’a trouvé normal
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sur le plan neurologique. Peu de temps après, il a vu un psychologue qui lui


a conseillé de le faire admettre dans un hôpital psychiatrique.
Au moment de son admission, le patient dormait de dix à douze heures par
nuit, avait peu d’appétit et avait probablement perdu une dizaine de kilos
au cours des 2 derniers mois. Il a signalé qu’il avait une perte d’énergie
très importante et il ne parlait pas sauf pour répondre par quelques
monosyllabes aux questions de son interlocuteur. Au cours des premiers
jours d’hospitalisation, le patient ne montrait pratiquement aucun intérêt
ou plaisir à toute activité et passait la plupart de son temps assis sur
son lit à regarder dans le vide. Quand on l’a interrogé, il ne s’est plaint

101
Psychologie et psychopathologie des émotions

d’aucun sentiment particulier d’inutilité, de remords ou de culpabilité ni n’a


mentionné d’idéations de mort ou de suicide bien qu’il soit difficile d’établir
aucun de ces points avec certitude, tant ses paroles étaient succinctes.
À l’hôpital, le patient a été vu quotidiennement par un étudiant en méde-
cine qui s’est particulièrement intéressé à lui et qui a réussi petit à petit à
gagner sa confiance. Finalement, le patient a révélé à l’étudiant qu’il enten-
dait trois voix distinctes : la voix d’un enfant, celle d’une femme et celle
d’un homme se faisant passer pour une femme. Les trois voix discutaient
entre elles et parfois s’adressaient à lui directement. Certaines fois, elles
parlaient de lui à la troisième personne, et en diverses occasions, elles
semblaient faire écho à ses pensées. Les voix parlaient de toutes sortes
de sujets et ne se focalisaient pas sur des thèmes dépressifs, tels que la
culpabilité, le péché ou la mort.
Dès le 2e jour de son séjour à l’hôpital, un traitement par antipsychotique
et antidépresseur a été instauré. Au cours des deux premières semaines,
aucune amélioration n’a été observée. Au bout de la 2e semaine, il présen-
tait une certaine agitation, qui se traduisait par une incapacité à rester en
place. La dose d’antipsychotique a été diminuée jusqu’à l’arrêt complet vers
la troisième semaine. Au 23e jour d’hospitalisation, le patient a commencé
à ressentir une nette amélioration de son niveau d’énergie. Au bout de
la 4e semaine, il souriait et bavardait, il dormait et mangeait bien et était
capable de se souvenir de ses hallucinations qu’il a déclarées complète-
ment disparues à présent. Une semaine plus tard, il est sorti de l’hôpital
pour rentrer à la maison avec une prescription d’antidépresseur mais sans
aucun autre psychotrope. […]

Discussion […] : Ce jeune a apparemment traversé une période de quatre ans


durant laquelle il a eu des difficultés non spécifiques, c’est-à-dire un retrait
social et une incapacité à poursuivre un objectif à long terme, puis un
épisode de maladie avec un comportement paranoïde, des hallucinations
auditives bizarres, une perte d’intérêt et de plaisir, une anorexie avec une
perte de 10 kg, une hypersomnie, une perte d’énergie et un ralentissement
psychomoteur (pauvreté du discours et passant la plupart du temps sur
son lit à regarder dans le vide).
Par le passé (lors du DSM-III), on aurait pu porter le diagnostic de schi-
zophrénie, la période de quatre ans pouvant être considérée comme une
phase prodromale précédant la phase psychotique aiguë. La perte d’in-
térêt et de plaisir (soit l’anhédonie) ainsi que les autres symptômes non
psychotiques auraient été tout simplement considérés comme des carac-
téristiques associées. Selon le DSM-IV-TR, la perte d’intérêt et de plaisir
ainsi que les autres symptômes non psychotiques constituent en réalité
le tableau clinique complet d’un épisode dépressif majeur. Comme les
symptômes psychotiques n’ont été apparemment présents qu’au cours de
l’épisode dépressif majeur, ils sont considérés comme des caractéristiques
associées à un tel épisode. Ceci est vrai en dépit du fait que le thème des

102
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

idées délirantes ne soit pas congruent avec les thèmes dépressifs habi-
tuels tels que se sentir inutile, incapable, coupable, ou avoir le sentiment
de mériter ce châtiment. […]. »
Diagnostic selon le DSM-IV-TR : trouble dépressif majeur, épisode isolé,
sévère, avec caractéristiques non congruentes à l’humeur.

4.1.2 « Anhédonie primaire »


ou « anhédonie secondaire »

Certains auteurs ont plutôt cherché à appréhender l’anhédonie chez


le sujet sain et l’ont considérée comme un trait de personnalité pouvant
rendre compte de la vulnérabilité à la schizophrénie ou à la dépres-
sion. Les travaux de Chapman, Chapman et Raulin (1976), à partir des
hypothèses de Rado (1956), ont concerné la construction d’échelles de
mesure de l’anhédonie comme facteur de vulnérabilité aux troubles
affectifs. Cadenhead, Kumar et Braff (1996) ont mis en évidence que
les troubles les plus représentatifs d’une population anhédonique sont
la dysthymie, la boulimie, l’anxiété et une humeur dépressive. Par la
suite, Loas (1996) a proposé un modèle de vulnérabilité à la dépression
où l’anhédonie est l’élément central d’un profil de personnalité.
D’autres travaux, s’intéressant davantage aux liens entretenus entre
l’incapacité à éprouver du plaisir et des manifestations cognitives, ont
conduit les chercheurs à proposer la distinction entre « anhédonie
primaire » et « anhédonie secondaire ». Celle dite primaire serait une
caractéristique de la personnalité du sujet (un facteur de vulnérabilité).
L’anhédonie secondaire serait une adaptation à une situation aversive
et représenterait une manière de se protéger contre les émotions ou
les stimulations trop fortes (Pierson et al., 1996).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans le cas d’une anhédonie secondaire, les sujets présenteraient


des caractéristiques cognitives spécifiques : une hypervigilance dans
toute situation de stimulation (loin d’être indifférents aux stimulations,
ce sont en fait des individus « hypercontrôlés ») et une hyporéactivité
aux stimuli affectifs (sorte de stratégie de défense inhibitrice lorsque
le niveau de vigilance devient excessif).
Ici, le profil de fonctionnement de ces sujets anhédoniques « secon-
daires » est plutôt marqué par une hypersensibilité, une hyperémotivité

103
Psychologie et psychopathologie des émotions

et un fort niveau de réactivité émotionnelle. Dans une situation


conflictuelle avec un ami par exemple, ce type de sujet ne serait pas
en mesure de tolérer les tensions générées par le conflit (vécues comme
douloureuses) et adopterait alors des attitudes d’évitement. Dans le cas
cette fois d’une anhédonie primaire, les individus manifesteraient au
contraire un faible niveau de réactivité aux stimulations émotionnelles,
un faible niveau d’excitabilité et rechercheraient des stimulations pour
arriver à ressentir, compenser en quelque sorte ce défaut de base.

4.2 Psychopathologie de l’émoussement affectif

Le terme d’« émoussement affectif » désigne l’absence ou la diminu-


tion des réactions affectives. Ce terme a été introduit par Kraepelin dès
1899 pour décrire l’appauvrissement émotionnel du schizophrène et a
été retenu comme un des symptômes importants des schizophrénies
dans les classifications récentes (DSM-IV-TR). Il apparaît également
dans d’autres pathologies comme les dépressions et les maladies
neurologiques (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson).

4.2.1 « Émoussement affectif » comme symptôme


majeur des schizophrénies

D’un point de vue clinique, l’émoussement affectif se traduit par


une réduction importante de l’intensité de l’expression des affects.
Au niveau descriptif, selon les approches et les auteurs, les termes
d’« athymhormie », d’« émoussement affectif », d’« apathie » ou de
« symptômes négatifs » sont employés pour, tous, évoquer une dimi-
nution voire une disparition des émotions.
L’athymhormie (du grec a : privatif, thumos : « passion », « senti-
ment » et hormé : « élan », « essor ») est un terme inventé en 1922 par
deux psychiatres français, Maurice Dide (1873-1944) et Paul Guiraud
(1882-1974) pour désigner l’association d’une anhormie et d’une
athymie : l’athymhormie est la perte de l’élan vital, du dynamisme
intellectuel et affectif. Elle se rencontre essentiellement dans certaines
psychoses dissociatives, appelées ainsi les formes athymhormiques de la

104
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

schizophrénie. Chez ceux qui en souffrent, la désorganisation de la vie


affective et l’inadaptation des expressions émotionnelles se traduisent
par un désintérêt pour l’action (au moins en apparence) et une dévi-
talisation affective.
L’apathie est quant à elle définit comme une insensibilité aux causes
qui provoquent habituellement les émotions, entraînant par consé-
quence un recul important de l’initiative et de l’activité. Il manque
en quelque sorte le moteur (les capacités affectives) qui permet de
mettre le véhicule en mouvement (un attrait pour l’environnement,
les activités).
À l’origine, les symptômes négatifs font partie des critères diagnos-
tiques des schizophrénies. Il s’agit de l’association de plusieurs
manifestations, dont l’émoussement affectif, qui correspondent à la
perte de la capacité à agir, à exprimer et à ressentir. Ils sont caractérisés
par des alogies (incapacité à construire correctement des phrases),
une anhédonie ou « incapacité à ressentir du plaisir » (flat affect), une
apathie (affaiblissement de l’initiative et de l’activité, lié à une profonde
indifférence affective), un émoussement affectif ou « appauvrissement
affectif » (blunted affect), et des troubles de l’attention et de la concen-
tration, de l’abstraction, du langage et du jugement.

« La veuve » : on a « altéré sa forme d’émotion »


(Extrait d’un cas de démence précoce paranoïde publié en 1883 par Kraepelin.
Cf. les classifications de Kraepelin dans Pedinielli et Gimenez, 2009).
« La veuve, âgée de 35 ans, […] entend depuis plusieurs années des voix
qui l’insultent et qui mettent en doute ses bonnes mœurs. Ces voix
mentionnent certaines personnes qu’elle connaît, et lui disent qu’elle sera
déshabillée et violée. Ces voix sont très distinctes et doivent être relayées
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

à partir de chez elle par un télescope ou une machine. Ses pensées lui sont
dictées ; elle est obligée de les penser et elle les entend qui sont répétées
après. Elle est interrompue dans son travail et elle ressent toutes sortes
de sensations pénibles dans son corps, auquel “on fait quelque chose”.
En particulier, sa “matrice” est retournée comme un gant, les gens lui
envoient une douleur dans le dos, lui mettent de l’eau glacée sur le cœur,
lui serrent le cou, lui font mal à la colonne vertébrale, et la violent. Elle
a aussi des hallucinations visuelles – des silhouettes noires, et l’aspect
des gens qui change –, qui sont cependant bien plus rares. Elle ne peut
pas exactement dire qui cherche à la contrôler, ni dans quel but. Il s’agit

105
Psychologie et psychopathologie des émotions

parfois des gens qui habitent dans son immeuble ; à d’autres moments, ce
sont les médecins de l’hôpital psychiatrique où elle venait avant, qui ont
prélevé quelque chose de son corps.
La patiente tient ces propos bizarres avec peu d’émotions apparentes.
Elle pleure un peu, mais elle décrit ensuite son vécu pathologique avec
une satisfaction secrète, et même avec une tonalité érotique. Elle exige
sa sortie mais elle se laisse facilement convaincre qu’elle doit rester et
elle ne se fait pas de soucis quant à sa situation et à son avenir. Son
discours est marqué par le choix de mots inadaptés et par des phrases à
peine intelligibles. Elle est maltraitée “flagellement”, “affirmationellement”
et “terroristement” ; elle est “une image de la misère sous forme angélique”
et “une maman et une femme au foyer trompée du sens de l’ordre”. On “a
altéré sa forme d’émotion”. Elle est “persécutée par un insecte secret du
bureau du département”. »
Observations :
On retrouve chez cette patiente de nombreux symptômes caractéristiques
de la schizophrénie (selon le DSM-IV-TR) : idées délirantes de persécution
(« persécutée par un insecte secret »), des hallucinations auditives et des
perceptions corporelles délirantes (« sa matrice est retournée comme un
gant »). Son discours est incohérent et dénote un trouble du langage :
présence d’alogies (par exemple « une maman et une femme au foyer
trompée du sens de l’ordre ») et de néologismes (« flagellement », « affir-
mationellement », « terroristement »). Ses affects sont à la fois émoussés
(« peu d’émotions apparentes ») et inadaptés (« elle décrit ensuite son vécu
pathologique avec une satisfaction secrète, et même avec une tonalité
érotique »).

Ces symptômes négatifs constituent un déficit émotionnel composé


d’un ensemble de signes cliniques covariants qui, comme on vient de
le voir, expriment une perte de fonction dans différents domaines (le
langage, la vie affective, le comportement).

4.2.2 « Émoussement affectif »


comme « stratégie adaptative »

Dans une perspective psychodynamique, l’émoussement affectif


peut revêtir le statut de stratégie adaptative. En effet, dans le cas de la
dépression, ressentir moins pourrait être considéré comme une façon
de se protéger contre des émotions négatives, en d’autres termes pour
moins souffrir.

106
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

Il semble d’ailleurs que prendre en compte le degré d’indifférence


affective et la souffrance que cela provoque chez le patient permettrait
de distinguer les pathologies dans lesquelles l’émoussement affectif
peut apparaître (Carton, 2001).
Dans la dépression, l’indifférence affective est source de souffrance
pour le sujet. L’attachement aux choses et aux gens de l’entourage
subsiste, mais il n’en retire que peu de joie. Différemment, chez certains
patients schizophrènes, l’indifférence est totale, et celle-ci n’entraîne
pas de souffrance, sans doute parce qu’ils n’en sont pas « conscients ».
Enfin, il s’agit le plus souvent dans les démences d’un déficit expressif
et comportemental sans prise de conscience et de souffrance associée.

4.3 Psychopathologie de l’alexithymie

Depuis quelques années, un concept est largement étudié en


psychopathologie des émotions, notamment pour les liens qu’il
est susceptible d’entretenir avec l’anxiété et la dépression. Il s’agit
de l’alexithymie, terme proposé par Sifnéos à propos de patients
psychosomatiques et qui signifie littéralement l’« absence de mots
pour décrire les émotions » (du grec a : préfixe privatif, lexis signifiant
« mot » et thymos signifiant « humeur »). C’est un concept trans-
versal qui intéresse de nombreux domaines comme la neurobiologie,
la psychologie cognitive et développementale, et qui est également
transnosographique (phénomène rencontré dans différents tableaux
cliniques). De plus en plus de travaux posent même l’alexithymie
comme relevant du fonctionnement normal, ce qui remet en cause
son statut psychopathologique.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

4.3.1 Alexithymie et troubles psychosomatiques

À l’origine, Sifnéos développe ce concept à partir de sa pratique


clinique auprès de patients psychosomatiques. Le terme d’alexithymie
est alors utilisé pour rendre compte de phénomènes récurrents chez
ces patients : « Une vie fantasmatique pauvre avec comme résultat une
forme de pensée utilitaire, une tendance à utiliser l’action pour éviter

107
Psychologie et psychopathologie des émotions

les conflits et les situations stressantes, une restriction marquée dans


l’expérience des émotions et particulièrement une difficulté à trouver
les mots pour décrire leurs sentiments ont été repérés par un certain
nombre de chercheurs dans toute l’Europe et les États-Unis comme
caractéristiques d’un grand nombre de patients ayant des désordres
psychosomatiques. » (Sifnéos, 1973, p. 256).
Le profil alexithymique des patients psychosomatiques correspond
donc à trois phénomènes majeurs :
– un appauvrissement fantasmatique ;
– des difficultés à identifier et décrire ses émotions ;
– et un style de pensée tournée vers l’extérieur, le concret, le factuel
proche de la pensée opératoire décrite par Marty et de M’Uzan
(1963).
D’un point de vue clinique, les patients décrivent minutieusement
leurs symptômes physiques en réponse aux questions portant sur leurs
éprouvés émotionnels, ce qui laisse à penser une difficulté voire une
absence de symbolisation de leurs affects ne se traduisant que par les
voies physiologiques (sensations, douleurs).
Cependant, même si l’alexithymie a été longtemps considérée
comme propre aux populations psychosomatiques, plusieurs études
cliniques ont montré que les caractéristiques étaient également
présentes dans d’autres types de pathologies, comme les troubles
organiques, neurologiques mais aussi dans des troubles psychopa-
thologiques tels que les conduites addictives (Haviland, MacMurray
et Cummings, 1988), les stress post-traumatiques (Krystal, 1988) ou
les conduites à risque (Bréjard, Bonnet, Rouan et Pedinielli, 2002).
Par conséquent, on ne peut considérer l’alexithymie comme un
phénomène spécifique à un trouble en particulier, elle semble même
être présente dans la population générale où sa prévalence oscille
entre 8,1 et 23,5 % selon les études (Bertagne, Pedinielli et Marlière,
1992 ; Guilbaud, Corcos et Speranza, 2003). Phénomène assez courant
chez beaucoup d’entre nous d’éprouver des difficultés à démêler les
émotions que l’on ressent surtout lorsqu’elles sont fortes et de les
communiquer aux autres.
C’est pourquoi, l’alexithymie n’est plus considérée comme une
pathologie mais plutôt comme une modalité de fonctionnement

108
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

particulière, voire un trait de personnalité lorsque ce type de fonc-


tionnement est permanent, presque constitutif de la personne.

4.3.2 L’alexithymie : trait ou style cognitif

Il existe actuellement un consensus pour définir le concept d’alexi-


thymie par un ensemble de quatre dimensions : « une difficulté à
identifier et à distinguer les états émotionnels ; une difficulté à verba-
liser les états émotionnels à autrui ; une vie imaginaire réduite ; un
mode de pensée tournée vers les aspects concrets de l’existence au
détriment de leurs aspects affectifs, ou “pensée opératoire” » (Taylor,
Bagby et Parker, 1997). Ce découpage du concept unitaire initial en
plusieurs dimensions permet d’analyser divers aspects de l’alexithymie
de façon isolée ou conjointe pour une meilleure compréhension du
phénomène.
Mais s’il existe actuellement un consensus sur la définition du
concept d’alexithymie en sous-dimensions qui le composent et qui
sont susceptibles d’être évaluées, c’est loin d’être le cas des concep-
tions psychopathologiques développées dans ce domaine. On relève
l’existence de deux grandes théories qui s’opposent dans leur façon
de considérer ce phénomène.
L’alexithymie est définie par un ensemble de dimensions qui peuvent
tout aussi bien être interprétées comme relevant de processus cognitifs
et émotionnels stables ou comme survenant de façon contingente à
d’autres phénomènes ou situations.
Cette question du caractère stable ou variable de l’alexithymie est
sujette à débats, d’autant lorsque l’objectif des travaux est d’étudier les
relations qu’entretiennent anxiété, dépression et alexithymie.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour certains, elle serait un trait de personnalité stable qui ne


serait pas affecté par les variations de l’environnement. Il s’agit d’une
alexithymie appelée « primaire ». Des études ont montré que le score
d’alexithymie restait stable chez des patients souffrant de dépression
majeure qui après traitement présentaient des scores de dépression
fortement diminués (Saarijärvi, Salminen et Toikka, 2000). Pour
d’autres auteurs, elle varie de manière concomitante avec un certain
nombre de modifications des caractéristiques de l’environnement.

109
Psychologie et psychopathologie des émotions

On parle alors d’alexithymie « secondaire ». Les arguments qui sont


en faveur de cette conception proviennent en majeure partie d’études
dans lesquelles on observe une relation positive entre alexithymie d’un
côté et niveaux d’anxiété et de dépression de l’autre, sans que l’un ou
l’autre des phénomènes ne soit identifié comme la cause (Deary, Scott
et Wilson, 1997).
Pour Pedinielli, De Bonis, Somogyl et Lebart (1989), elle serait
davantage un style cognitif contingent de certaines situations plutôt
qu’une dimension permanente de personnalité. Elle relèverait de
processus adaptatifs et surviendrait en réaction à des situations
données (Pedinielli, 1992 ; Myers, 1995). Par exemple, suite à un choc
émotionnel, il n’est pas rare d’être dans l’impossibilité plus ou moins
passagère de faire le clair dans ce que l’on ressent. Dans cette pers-
pective, le phénomène d’alexithymie représenterait « une “voie royale”
d’accès aux relations entre cognitions et émotions » (Pedinielli, 1992).
Une hypothèse théorique a été avancée, permettant de préciser
le fonctionnement alexithymique selon deux composantes qui ne
possèdent pas le même statut (Loas, Otmani, Lecercle et Jouvent,
2000 ; Pedinielli, 1992) :
– d’un côté, une composante cognitive qui serait liée à la préoc-
cupation de l’individu pour le factuel et les caractéristiques de
l’environnement au détriment de l’intérêt pour ses propres états
subjectifs. D’un point de vue clinique, il s’agit de patients dont le
discours est principalement factuel et où on constate une limi-
tation de la vie imaginaire.
– d’un autre côté, une composante émotionnelle, qui serait plus de
l’ordre d’une difficulté de différenciation de ses sensations et de
ses émotions ainsi qu’une difficulté à la verbalisation de ses états
émotionnels. Les patients font référence à leurs sensations plus
qu’à leurs émotions qu’ils peuvent identifier mais de façon limitée.
Les deux composantes seraient liées et la composante cognitive a
été relevée comme pouvant être responsable d’une tendance à l’agir
chez certains individus.
Pedinielli, De Bonis, Somogyl et Lebart (1989) ont d’ailleurs fait
apparaître, à travers une analyse factorielle lexicale du discours de
patients alexithymiques, que le schéma narratif de ces sujets est plus

110
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

factuel, discret, court et pauvre que celui de sujets non alexithymiques.


On parlera même de « style alexithymique » pour rendre compte
d’un mode de réponse (forme de « coping ») à une situation donnée
(Pedinielli, 1992). Actuellement on envisage davantage l’alexithymie
sous l’angle d’un continuum de réponses sur lequel la population se
distribue normalement (Luminet, 2002).

4.3.3 Alexithymie et conscience émotionnelle

Le modèle de Lane et Schwartz (1987) des niveaux de conscience


émotionnelle (voir chapitre 2) se propose d’expliquer les différences
individuelles dans les capacités à différencier et identifier ses états
internes et ceux d’autrui.
Il s’agit d’une approche structurale des étapes de développement de
la conscience émotionnelle semblable à celles développées par Freud et
Piaget, chacun dans leurs champs épistémologiques respectifs. En effet,
on retrouve ici l’idée d’une évolution linéaire, pendant l’enfance, impli-
quant la possibilité d’une fixation à un stade plus ou moins précaire
qui détermine le fonctionnement émotionnel du sujet. C’est pourquoi
ce modèle a été appliqué aux faits pathologiques comme l’alexithymie
qui correspondrait à un développement inachevé de la conscience
émotionnelle (Lane et Schwartz, 1987). Les difficultés de différencia-
tion et de description de ses propres états émotionnels et de ceux
d’autrui rappellent les caractéristiques propres à cette pathologie.
D’autres travaux ont montré que les troubles émotionnels comme
l’alexithymie pouvaient s’expliquer par un développement affectif
particulier et notamment par des interactions précoces où la disponi-
bilité affective des « figures d’attachement » aurait été réduite (Schaffer,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

1992 ; Berenbaum et Prince, 1994). Ce type de relation mère-enfant


entraînerait un accès limité à la reconnaissance de certaines émotions.
Ainsi, des pans plus ou moins grands des expériences affectives ne
peuvent être intégrés dans les schémas affectifs et cognitifs élaborés
dans la relation, ce qui limite les capacités adaptatives du sujet. Pour
Speranza et Atger (2003) : « Les sujets alexithymiques, incapables
d’identifier certaines expériences émotionnelles et incapables d’utiliser
l’imaginaire pour communiquer et moduler les émotions, ne peuvent

111
Psychologie et psychopathologie des émotions

donc pas réguler leurs émotions ni par eux-mêmes ni par le recours


aux relations interpersonnelles » (p. 71).

4.3.4 Alexithymie, anxiété et dépression

La question des relations entre les troubles émotionnels anxieux,


dépressifs et alexithymique est complexe car les liens entretenus entre
ces variables fluctuent en fonction des études considérées, donc en
fonction des populations étudiées et des outils de mesure utilisés. Ceci
nous amène à penser qu’il faudrait procéder à une hyper-spécification
des profils de fonctionnement cognitivo-émotionnel en fonction de
la diversité des tableaux cliniques anxieux et dépressifs (en termes
d’arrangement et d’intensité des symptômes anxieux et/ou dépressifs).
Des études réalisées en population générale montrent que les indi-
vidus alexithymiques montrent généralement des niveaux d’anxiété
et de dépression plus élevés que les non alexithymiques (Hintikka,
Homkalampi, Lehtonen et Viinamaki, 2001 ; Honkalampi, Hintikka,
Tanskanen, Lehtonen et Viinamaki, 2000).
D’autres travaux s’intéressant aux capacités de différenciation et de
description des états émotionnels (évalués au moyen de l’échelle d’éva-
luation des niveaux de conscience émotionnelle, LEAS), montrent que
l’anxiété et la dépression entretiennent des relations spécifiques avec
ces dimensions de l’alexithymie. D’après une de nos études (Pasquier,
Bonnet et Pedinielli, 2009) réalisée en médecine générale, la symp-
tomatologie anxieuse serait positivement corrélée à la conscience
émotionnelle et aux dimensions d’affectivité positive, d’intensité et
de réactivité négative. En d’autres termes, plus le sujet est anxieux
et plus il est capable d’identifier et de décrire ses émotions et celles
d’autrui, en même temps qu’il ressent les émotions, positives comme
négatives, avec intensité. La symptomatologie dépressive ne serait
quant à elle pas associée à une conscience émotionnelle manifeste.
Elle semblerait plutôt liée aux dimensions d’intensité et de réactivité
négative. Autrement dit, plus la dépression augmente et plus le sujet
ressent et réagit aux stimuli émotionnels de façon intense et néga-
tive. La relation positive entre anxiété et compétences émotionnelles
obtenue dans notre étude semble contraire aux relations entre anxiété

112
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

et alexithymie retrouvée en population générale. Pourtant un niveau


plus élevé de conscience émotionnelle a également été retrouvé dans
une population d’individus présentant un trouble d’anxiété généralisée
(TAG) comparativement à des sujets sains (Novick-Kline et al., 2004).
Les auteurs de cette étude posent la question de l’évaluation proposée
par la LEAS par rapport aux outils habituellement utilisés pour
évaluer l’alexithymie (Toronto Alexithymia Scale, TAS). Les mesures
obtenues avec la LEAS reposent en grande partie sur les capacités
verbales (richesse du vocabulaire utilisé dans des réponses rédigées)
et abstraites (caractère très imaginatif des situations proposées dans
les scénarios évaluant la conscience émotionnelle) des participants.
Nous partageons cette remarque et soutenons l’idée selon laquelle
les sujets anxieux seraient, au niveau conceptuel, plus aptes à identi-
fier et décrire leurs états émotionnels, dans la mesure où ils ont une
bonne pratique de l’analyse cognitive de leurs émotions afin d’éviter
les situations sources d’anxiété.
L’alexithymie semble plus fréquemment associée aux troubles de
l’humeur (Saarijarvi, Salminen, Tamminen et Aarela, 1993). Elle peut
être envisagée comme la conséquence principalement cognitive de
l’humeur dépressive et comme faisant partie inhérente de l’émousse-
ment affectif (Hintikka, Homkalampi, Lehtonen et Viinamaki, 2001).
Il s’agirait d’un épiphénomène symptomatique des troubles dépres-
sifs. En d’autres termes, l’alexithymie, dans sa composante cognitive,
agirait comme un mécanisme de défense ou un moyen de faire face
aux affects dépressifs et se traduirait cliniquement par une absence
de manifestation émotionnelle (l’émoussement affectif). Le discours
factuel des patients alexithymiques pourrait donc être entendu comme
un moyen de protection contre un trouble de l’humeur.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour d’autres chercheurs, l’alexithymie entretiendrait des liens avec


les troubles de l’humeur mais par l’intermédiaire du trait de personna-
lité anxieux (anxiété-trait). L’alexithymie serait sous l’influence directe
de l’anxiété-trait alors qu’elle serait indirectement sous l’influence de
la dépression (Berthoz, Consoli, Perez-Diaz et Jouvent, 1999). En effet,
il n’y aurait pas de corrélations significativement positives entre la
dépression et l’alexithymie après avoir contrôlé l’effet de l’anxiété-
trait (en isolant l’effet de cette variable). De plus la dépression serait

113
Psychologie et psychopathologie des émotions

uniquement corrélée à la composante émotionnelle de l’alexithymie


lorsque l’anxiété-trait est prise en compte. Selon les auteurs, l’anxiété
aurait donc un lien direct avec l’alexithymie, contrairement à la dépres-
sion qui, elle, serait en lien direct avec l’anxiété. En d’autres termes,
l’alexithymie pourrait être envisagée comme une réponse adaptative
face à l’anxiété et aux émotions négatives qui l’accompagnent. Pour
certains il s’agirait d’un « coping évitant », d’une défense contre l’an-
xiété. Dans ce sens, le sentiment de détresse (terme plus général pour
parler de l’état de vulnérabilité commun aux troubles anxieux et de
l’humeur) pourrait interagir avec l’alexithymie, activant les processus
défensifs de cette dernière pour parer à l’humeur douloureuse.
Ainsi, la plupart des chercheurs du domaine convergent vers l’idée
d’appréhender l’alexithymie comme un phénomène d’adaptation
dépendant de l’anxiété et la dépression, autrement dit comme un fonc-
tionnement défensif, protecteur (mais sans être opérant quel que soit le
niveau des compétences émotionnelles qu’il revêt) chez des individus
en proie à une certaine vulnérabilité émotionnelle.

4.3.5 Alexithymie : stratégie adaptative


ou conséquence des sociétés occidentales ?

Corcos et Pirlot (2011) questionnent quant à eux l’influence des


facteurs socioculturels sur le développement et le maintien de cette
« maladie sociale » de plus en plus répandue.
D’après ces auteurs qui s’appuient sur la conception d’une alexi-
thymie secondaire, « cette stratégie adaptative peut être conçue à la
fois comme une cause et comme une conséquence de la barbarie “asep-
tisée” caractéristique des sociétés capitalistes du monde occidental »
(p. 17).
Ils s’inspirent des travaux de sociologues, philosophes et psycha-
nalystes qui tendent tous à souligner les dérives de notre mode de
vie moderne fondé sur le plaisir et l’accumulation de biens matériels.
Cette société qui a le pouvoir de tout nous offrir (à condition que l’on
travaille dur pour en avoir les moyens !) est composée d’individus qui
n’ont jamais présenté un tel mal de vivre (on voit même apparaître
des émissions de télé qui sont censées nous apprendre les « recettes »

114
Troubles des émotions ■ Chapitre 3

du bonheur !). Le fonctionnement alexithymique, avec son lot d’inca-


pacités à penser, ressentir et imaginer, constituerait un mécanisme
de défense adaptatif face aux normes de la société contemporaine :
les individus n’auraient pas d’autre choix que celui de s’y conformer,
s’y aliéner pour ne pas être (des) exclus (d’ailleurs de plus en plus
nombreux).

4.4 Intérêts d’une approche dimensionnelle


plutôt que catégorielle des troubles

De nombreux chercheurs soutiennent l’intérêt d’une approche


dimensionnelle des différentes variables constitutives du fonction-
nement émotionnel (anhédonie, émoussement affectif, alexithymie)
et plus largement du fonctionnement global des individus plutôt que
catégorielle. Avec cette dernière (classifications syndromiques, types
de personnalité), on assiste au découpage clinique des manifestations
du sujet (au découpage du sujet ?).
On a vu plus haut que l’alexithymie pouvait être considérée comme
un trouble de la personnalité préexistant à un certain nombre de
pathologies (anxiété, dépression, troubles psychosomatiques). On a
également souligné la place centrale accordée à l’anhédonie et l’émous-
sement affectif dans les classifications médicales. Cependant, « certains
patients apparaissent au clinicien “très émoussés” mais disent ressentir
du plaisir aux choses agréables, alors que d’autres patients participent
émotionnellement à l’entretien mais disent ne ressentir aucun plaisir
pour les choses agréables. […] Certains d’entre eux souffrent de cette
anhédonie et s’en plaignent ; ils sont capables de juger le caractère
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

agréable du stimulus, mais ont conscience de leur incapacité à en


retirer du plaisir. Il faut également souligner que généralement un
déprimé “émoussé” se juge aussi triste qu’un déprimé qui n’est pas
émoussé » (Bungener et Besche-Richard, 2006, p. 58).
C’est pourquoi on a considéré que ces troubles peuvent être appré-
hendés comme des dimensions émotionnelles, sans appartenance
nosographique spécifique. Par exemple, l’émoussement affectif
est défini comme une diminution des émotions aussi bien du côté

115
Psychologie et psychopathologie des émotions

du symptôme (au sens médical) que d’une stratégie d’adaptation


(défense contre les affects douloureux).
La variété des déclinaisons de ces concepts, tantôt comme symp-
tôme, tantôt comme critère diagnostique majeur, tantôt comme
facteur de vulnérabilité (au développement de troubles psychiques
et/ou somatiques), illustre le problème, en psychopathologie, de la
démarche classificatoire.
Utiliser exclusivement l’approche catégorielle, qui repose sur l’idée
d’une rupture entre le normal et le pathologique, introduit une perte
de sensibilité aussi bien pour le repérage que la compréhension des
manifestations cliniques.
Van Praag (1990) propose d’ailleurs que les « dimensions » corres-
pondent à des fonctions psychologiques défaillantes sans spécificité
nosologique et devraient être les unités de base d’une classification des
troubles psychopathologiques, chaque entité nosologique correspon-
dant à la combinaison, à des degrés divers, de plusieurs dimensions.
Au-delà d’un débat qui habite essentiellement le domaine de la
recherche, la prise en compte de l’approche dimensionnelle rappelle
au clinicien que la différence entre le normal et le pathologique n’est
pas franche et que le critère de souffrance doit être l’objet premier de
son attention : c’est l’intensité et la massivité (degré d’envahissement)
du phénomène source de souffrance (perçue ou non par le sujet lui-
même) qui signent la pathologie.

116
Chapitre 4
Régulation de l’émotion
et devenirs des affects
Sommaire
1. Coping versus régulation de l’émotion .................................... 119
2. Devenirs de l’affect ................................................................. 140
Une fois que l’émotion est née, que l’affect a mis en mouvement
le sujet, quel trajet va-t-il suivre ? Va-t-il s’exprimer directement,
par quelle voie (voix), ou bien être transformé, déplacé, inhibé voire
supprimé avant même d’avoir atteint la conscience ? Quels sont les
déterminants de ces devenirs ?
Quotidiennement, les événements suscitent en nous des émotions
que nous cherchons consciemment ou non à évacuer, à gérer (surtout
lorsqu’ils engendrent un ressenti négatif, voire douloureux) par diffé-
rents moyens afin de retrouver un « équilibre émotionnel » (état qui
nous permet de fonctionner comme à l’habituée).
Au regard de ces questions et constats, les approches cognitives,
sociales et psychanalytiques fournissent des éléments de réponse spéci-
fiques à leurs champs épistémologiques respectifs.
Concernant les émotions et le stress, un ensemble de travaux s’est
développé autour du concept de coping qui a ensuite donné naissance à
celui de régulation de l’émotion. Il s’agit de deux conceptions majeures
des moyens de gestion émotionnelle dont les individus disposent. Elles
sont habituellement distinguées alors qu’elles entretiennent des liens
complexes qui questionnent depuis peu la recherche.

1. Coping versus régulation de l’émotion


Nous avons vu plus haut que l’étude des émotions a suscité un
intérêt considérable en psychologie cognitive dans les années 1980, en
particulier avec la controverse entre Zajonc et Lazarus. Ce dernier a été
l’initiateur du concept de coping développé dans l’approche transac-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

tionnelle du stress (voir chapitre 1). Il s’agit d’un processus se référant


à un ensemble de cognitions et de comportements visant à réduire
les tensions nées du rapport entre l’individu et son environnement
(Lazarus et Folkman, 1984). Sur la base de ce modèle encore dominant
aujourd’hui, le concept de régulation des émotions a été développé dans
les années 1990 et est défini par Gross (1998) comme « les processus
par lesquels les individus influencent les émotions qu’ils ont, quand
ils les ont, et comment ils vivent et expriment ces émotions » (p. 275).

119
Psychologie et psychopathologie des émotions

Le coping et la régulation des émotions se distinguent essentiellement


par la nature des émotions visées : le coping concerne le stress alors
que les processus de régulation surviennent dans des circonstances
plus nuancées que celles du stress (Gross, 1998). D’après Compas et
al. (2014), la relation entre les deux concepts est complexe. C’est pour-
quoi, ils déclarent que « d’un côté, la régulation des émotions est une
construction plus large que l’adaptation (coping) car elle englobe tout
un ensemble d’événements émotionnels alors que l’adaptation, comme
sous-ensemble de la régulation des émotions, est mise en œuvre face
à des événements stressants. D’un autre côté, dans le contexte de
rencontres stressantes, l’adaptation comprend un plus large éventail
d’efforts de régulation que la régulation des émotions qui doit alors être
considérée comme un sous-ensemble des réponses au stress » (p. 14).
De plus, le coping et la régulation des émotions renvoient priori-
tairement à des processus individuels tout en intégrant des processus
cognitivo-sociaux (par exemple, le soutien social pour le coping). En
effet, de plus en plus de chercheurs soutiennent l’idée selon laquelle
la régulation des émotions est intimement liée au fonctionnement
interpersonnel (Dixon-Gordon, Bernecker et Christensen, 2015) et
proposent des modèles intégratifs des processus intra- et interperson-
nels de régulation des émotions (Zaki et Williams, 2013 ; Leroy, Delelis,
Nandrino et Christophe, 2014). Toutefois, le niveau social fait l’objet de
peu de travaux hormis ceux consacrés à la suppression émotionnelle
en contexte social (voir Butler et Gross, 2009).
Sur la base de ces constats, la place accordée aux aspects cognitivo-
sociaux dans les théories du coping et de la régulation des émotions
va être au cœur de l’analyse menée tout au long de la première partie
de ce chapitre. Ce travail se structure en trois parties. La première
examine la théorie cognitive du coping (ceux centrés sur le problème
et sur l’émotion) et plus spécifiquement l’aspect cognitivo-social du
coping avec le soutien social. La deuxième partie discute de la place
des processus cognitivo-sociaux au sein du concept de régulation
émotionnelle. Différents modèles sont présentés. Enfin, la dernière
partie propose de compléter l’étude de la régulation des émotions
par la prise en compte du niveau des représentations sociales et de
ses liens avec les modes de régulation interpersonnelle des émotions.

120
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

1.1 Théorie cognitive du coping

La notion de coping trouve son origine dans le modèle transac-


tionnel du stress de Lazarus et Folkman (1984). Le stress émane de la
transaction entre l’individu et l’environnement : une situation devient
stressante quand elle est évaluée par le sujet comme excédant ses
propres ressources et mettant en danger son bien-être. Le coping (ou
stratégie d’ajustement ou d’adaptation) est défini comme l’ensemble
des « efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants,
déployés (par une personne) pour gérer les exigences internes et/ou
externes perçues comme consommant ou excédant ses ressources »
(Lazarus et Folkman, 1984, p. 141). Il remplit deux fonctions prin-
cipales : la gestion émotionnelle (retour à l’équilibre émotionnel) et
la résolution de problème (stratégies d’ajustement à l’événement
menaçant).
D’après ce modèle, deux processus d’évaluation visent à définir
le potentiel stressant de la situation (évaluation primaire) et les
ressources de coping mobilisables (évaluation secondaire). Folkman
et Lazarus (1988) ajoutent que ces processus sont influencés par les
caractéristiques personnelles antérieures (les croyances, l’endurance
et l’anxiété-trait) et les variables environnementales, contextuelles (les
caractéristiques de la situation et les ressources sociales de l’individu).
Ceci expliquerait pourquoi un changement dans une situation peut
être vécu comme une chance (défi, opportunité) par un individu et
comme une menace (changement déstabilisant) par un autre.

1.1.1 Les coping « classiques »


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour s’adapter à une situation stressante, le sujet peut alors essayer


de modifier activement le problème ou ses représentations (coping
centré sur le problème). Les stratégies de confrontation et de résolution
de problème visent la modification de la situation (action indirecte
sur l’émotion). Différemment, l’individu peut chercher à diminuer la
tension émotionnelle induite par la situation, ne changeant en rien
le problème. Il s’agit des copings centrés sur l’émotion tels que l’évi-
tement, la mise à distance, le blâme de soi, la réévaluation positive, la

121
Psychologie et psychopathologie des émotions

recherche de soutien social et la maîtrise de soi. Ainsi, les deux phases


d’évaluation et le coping médiatisent les relations entre l’individu et
son environnement afin de réguler la détresse émotionnelle et gérer
le problème qui la cause.
Ce modèle transactionnel initial du stress de Lazarus et Folkman
contribue encore actuellement au développement de recherches dans
le domaine de la santé, physique et mentale. À ces deux types clas-
siques de coping s’ajoute le soutien social qui revêt un statut particulier
qui ne fait pas consensus (social support).

1.1.2 Le soutien social

‡ Définitions

Il existe plusieurs conceptions du soutien social. À l’origine, il est


défini comme une aide matérielle ou affective venant d’autrui, agissant
comme un facteur de protection contre la maladie (Cassel, 1976). Il a
ensuite été décrit comme une « méta-construction » composée de « sous-
constructions » (Heller et Swindle, 1983). Trois principales peuvent être
distinguées : l’intégration sociale ou le réseau social (social embeddedness
ou social network), le soutien social perçu (perceived social support) et
le soutien reçu ou effectif (received support ou enacted support) (pour
une revue, voir Barrera, 1986 et Haber, Cohen, Lucas et Baltes, 2007).
L’intégration sociale ou l’importance du réseau relationnel se réfère
aux relations que l’individu entretient avec des personnes significa-
tives de son environnement. Ces indicateurs de liens sociaux (statut
marital, contacts avec la famille, les amis) correspondent davantage
aux ressources potentielles que réelles car un réseau social important
n’est pas forcément pourvoyeur de soutien (Wellman, 1981).
Le soutien social perçu est défini comme la perception « d’être
connecté de façon fiable aux autres » (Barrera, 1986, p. 416). Il s’agit
de la dimension la plus couramment utilisée dans les recherches se réfé-
rant aux modèles classiques du stress et du coping. Pour l’évaluer, deux
dimensions sont distinguées : la disponibilité et l’adéquation du soutien.
Enfin, le soutien social effectif ou reçu correspond à toutes les mani-
festations actives de soutien mises en œuvre par autrui pour aider une

122
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

personne. On peut les distinguer par leur fonction (House, 1981) :


soutien émotionnel (amitié, amour, réconfort, etc.), soutien d’estime
(réassurance quant à sa valeur, ses compétences), soutien informatif
(conseils, suggestions, etc.) et soutien instrumental ou matériel
(services rendus, prêt ou don d’argent, etc.). Il s’agirait plus du soutien
réel fourni par l’environnement comparé au soutien perçu (voir Haber,
Cohen, Lucas et Baltes, 2007).
Même si le soutien cognitif joue un rôle protecteur plus efficace que
le soutien émotionnel, les individus auraient tendance à privilégier ce
dernier (voir Halbesleben, 2006, pour une revue complète).
Que le soutien social soit décrit comme perçu ou effectif (reçu) il
implique dans tous les cas une perception (représentation subjec-
tive provenant de sensations). En effet, un individu peut recevoir un
soutien social effectif sur la base d’un apport matériel conséquent (en
quantité) par exemple, et pourtant percevoir ce soutien reçu comme
insuffisant (en qualité). Comme le soulignait Barrera (1986), l’éva-
luation du soutien reçu relève plutôt d’une aide « perçue-reçue ». La
différenciation entre soutien social perçu et reçu semble alors sur le
plan terminologique peu opérationnelle.

‡ La recherche de soutien social

Une autre dimension du soutien social est également à prendre en


compte, celle de « recherche de soutien social » (seeking social support)
correspondant au comportement actif de recherche de sympathie ou
d’aide de la part d’autrui. Il ne s’agit plus ici des ressources sociales
potentielles (réseau social), perçues (soutien social perçu) ou reçues
(soutien social reçu) mais bien du comportement volontaire d’une
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

personne de faire appel (demande formulée) à autrui pour que ce


dernier l’aide à gérer, selon des moyens spécifiques (conseils, réconfort
et/ou aide matérielle, financière, etc.), un événement difficile.
À l’origine, Folkman et Lazarus (1988) avaient conceptualisé la
recherche de soutien social comme un comportement faisant partie
des coping centrés sur l’émotion. Ils vont ensuite préconiser de le consi-
dérer en fonction du but visé par l’individu : recherche d’aide dans
le choix des actions visant la résolution de problème ou la gestion

123
Psychologie et psychopathologie des émotions

émotionnelle (Folkman et Lazarus, 1991). Cette stratégie peut être


comportementale, mais aussi cognitive. Le soutien social peut être soit
activement recherché sur la base d’expériences passées ayant montré
les bénéfices d’un tel recours, soit se jouer à un niveau seulement
symbolique dans la mesure où les aides reçues dans le passé, stockées en
mémoire, agiraient comme un régulateur social endogène. En d’autres
termes, se souvenir de la façon dont a été géré un événement stressant
similaire dans le passé avec l’aide d’autrui suffirait à savoir comment
l’aborder dans le présent sans faire de nouveau appel au soutien social.
Pour certains, la recherche de soutien social est à considérer comme
un coping à part entière. Cette conception a été étayée par des travaux
mettant en évidence des différences de genre en matière de soutien
social (voir Taylor et al., 2004 ; Thoits, 1995 ; Greenglass, 1993). En
effet, de meilleures aptitudes relationnelles constatées chez les femmes
ont conduit certains chercheurs à concevoir le recours au soutien social
comme un moyen de gestion du stress professionnel (Greenglass,
1993). Cette approche reste cependant minoritaire et discutée.
Une conception alternative propose de définir le soutien social
comme une « aide au coping » (assistance coping) intervenant en amont,
dans le but de soutenir l’individu dans sa recherche de solutions face à
une situation stressante (Thoits, 1986). Ce coping participerait au choix
de stratégies appropriées relevant plus de la résolution de problème
ou de la gestion émotionnelle (Carver, Scheier et Weintraub, 1989).
Ceci place la recherche de soutien social dans une position particulière
vis-à-vis des coping classiques centrés sur le problème ou l’émotion.
Le concept de recherche de soutien social a été remanié pour être
considéré comme une compétence favorisant la sélection de telle ou
telle stratégie de coping en fonction du stresseur (Folkman et Lazarus,
1991). Cette évolution a sans doute conduit des chercheurs à en faire
un coping à part entière (Greenglass, 1993). Toutefois la conception du
soutien social comme faisant partie des ressources personnelles d’un
individu en situation de stress fait actuellement l’objet d’un consensus
dans la littérature internationale (par exemple, Uchino, 2009). C’est
ce que Stroebe confirme en déclarant que : « En tant que psychologue
social, je voudrais tout naturellement ajouter cette dimension sociale
(la recherche de soutien social) au coping. Cependant, Endler et Parker

124
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

(1990) ont probablement raison quand ils soutiennent que le soutien


social devrait être considéré comme une ressource pour les straté-
gies d’adaptation plutôt que comme un coping à part entière » (2011,
p. 274).

1.2 Traitement émotionnel et régulation de l’émotion

Parmi les premiers travaux sur la régulation de l’émotion, on retrouve


ceux consacrés au « traitement émotionnel » (emotional processing)
défini comme un « processus par lequel une perturbation émotionnelle
est absorbée et s’efface pour que d’autres expériences et comporte-
ments puissent se produire sans être interrompus » (Rachman, 1980 ;
p. 51). Dans la majorité des cas, ces expériences dérangeantes sont
absorbées de manière satisfaisante, mais, dans le cas contraire, il y a
certains indicateurs de l’échec du traitement émotionnel. L’indicateur
le plus évident est la persistance ou le retour de signes intrusifs d’acti-
vité émotionnelle (par exemple, des idées obsédantes, des cauchemars),
mais aussi des indicateurs indirects tels que l’irritabilité, les difficultés
de concentration ou les insomnies. Ainsi, le traitement émotionnel,
lorsqu’il est fructueux, contribue à maintenir un équilibre émotionnel
(en évitant des situations difficiles qui pourraient entraver le fonction-
nement quotidien) et favorise l’expression émotionnelle.
Plus en détail, le traitement d’une expérience émotionnelle
comprend plusieurs composantes qui ont été décrites par Kennedy-
Moore et Watson (1999). Il s’agit d’étapes par lesquelles le sujet prend
conscience de son expérience émotionnelle et va l’exprimer (de façon
verbale ou non verbale). Ce processus n’est pas linéaire (le sujet ne
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

passe pas forcément par toutes les étapes et dans l’ordre) mais il vise
toujours la régulation des émotions.
– Il débute par (1) une réaction automatique d’activation physiolo-
gique préconsciente (perception des sensations somatiques suite
à une stimulation interne ou externe à l’organisme).
– Vient ensuite (2) la conscience (awareness) de cette réaction,
c’est-à-dire la conscience de sensations corporelles spécifiques
(le « noyau affectif élémentaire » pour Russell, 2003).

125
Psychologie et psychopathologie des émotions

– Lorsque cette composante d’activation émotionnelle et ses indi-


cateurs corporels sont reconnus, le traitement cognitif permet
(3) de labelliser (d’étiqueter) et d’interpréter cette réaction affec-
tive de façon plus ou moins complexe. Certains pourront dire
presque immédiatement qu’ils ressentent de la joie ou de la colère,
voire les deux en même temps, là ou d’autres diront qu’ils se
sentent mal, tendus sans parvenir à donner plus de précisions (la
conscience, l’étiquetage et l’interprétation des réactions affectives
de façon plus ou moins complexe rappellent les processus cogni-
tifs appréhendés dans le modèle de la conscience émotionnelle
présenté dans le chapitre 2).
– Puis intervient l’étape (4) de validation du ressenti ainsi identifié,
selon qu’il est jugé acceptable ou non, en fonction des croyances et
buts personnels du sujet. Par exemple, « je n’exprime pas le malaise
ressenti dans mon couple en ce moment (pendant la période des
examens à l’université) pour ne pas être perturbée et atteindre
mon objectif qui est de réussir mon année » (une patiente).
– Enfin, l’étape (5) de l’évaluation de l’adéquation au contexte social
peut entraîner l’expression ou la non-expression émotionnelle
selon que le sujet se sente dans un environnement propice à
l’écoute ou que ses émotions soient celles attendues socialement
(cette idée rappelle les règles sociales des émotions notamment
présentées dans le chapitre 2).
Réguler ses émotions correspond alors à engager une ou des stra-
tégies actives de manière à ce que l’expression émotionnelle reste
appropriée au contexte social, et non utiliser le contexte social comme
moyen de régulation émotionnelle. Les croyances personnelles et les
règles sociales de partage des émotions contribuent à l’activité régu-
latrice. En cas d’échec de la régulation, la persistance ou le retour
d’émotions spécifiques, peut altérer le fonctionnement cognitif et
comportemental (par exemple Johnstone, Van Reekum, Urry, Kalin
et Davidson, 2007). La régulation émotionnelle correspondrait donc à
une modulation du comportement par les émotions dont l’expression
est elle-même régulée par les règles sociales d’intégration.
Dans les années 1990, Gross et Muñoz proposent un modèle de la
régulation des émotions encore dominant dans la recherche actuelle.

126
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

Même s’il a été à plusieurs reprises précisé par Gross et ses collabora-
teurs, il repose sur la définition selon laquelle la régulation de l’émotion
est un ensemble de processus conscients ou non par lesquels nous
influençons nos émotions dans le but de modifier la réponse émotion-
nelle. Dans ce modèle, deux catégories de régulateurs (ou stratégies de
régulation) sont identifiées en fonction du moment auquel ils inter-
viennent au cours d’une situation émotionnelle.
En amont (pendant la phase d’émergence des émotions), quatre
familles de stratégies de régulation peuvent agir sur le ressenti même
de l’émotion (Gross et Muñoz, 1995) :
– La sélection de la situation (situation selection) consiste à choisir
une situation émotionnelle (une situation sociale, un lieu en
particulier) plutôt qu’une autre. Par exemple, avant un examen,
l’étudiant qui choisit de passer la soirée à s’amuser avec des amis
plutôt que de réviser avec d’autres.
– La modification de la situation (situation modification) est la
stratégie qui vise à façonner la situation pour modifier l’impact
émotionnel, le ressenti. Exemple : demander à autrui de changer
le sujet d’une conversation trop émotionnelle.
– Le déploiement attentionnel (attentional deployment) est utilisé
pour sélectionner les aspects de la situation vers lesquels l’indi-
vidu porte son attention. Par exemple, je détourne sciemment
mon attention d’une conversation embarrassante en regardant
le plafond.
– La modification ou réévaluation cognitive (cognitive change,
reappraisal) fait référence à la signification retenue parmi les
différentes représentations possibles d’une situation source
d’émotions. Exemple : suite à un désaccord avec un collègue de
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

travail, je peux en conclure que l’autre a tort et que je ne retravail-


lerai plus avec lui tant qu’il n’aura pas compris son erreur à mon
égard. L’objectif du choix d’une représentation est de diminuer
ou d’augmenter la réponse émotionnelle. En fonction de la signi-
fication personnelle donnée, des actions seront ou non générées.
En aval (phase de réponse émotionnelle), une autre stratégie de
régulation peut intervenir, portant cette fois sur l’expression des
émotions. Elle revient à inhiber, réprimer (suppress) les émotions

127
Psychologie et psychopathologie des émotions

ressenties. Il s’agit, par exemple, de masquer de la tristesse par un


sourire forcé ou d’éviter de parler d’une situation de discorde pour ne
pas raviver le sentiment pénible ressenti à l’occasion. En fonction des
stratégies choisies, les conséquences sur la santé diffèrent. La rééva-
luation cognitive et l’inhibition émotionnelle semblent avoir des effets
directs opposés sur l’épuisement émotionnel par exemple (Tsouloupas,
Carson, Matthews, Grawitch et Barber, 2010).
Avec ce modèle, l’accent est mis sur l’expérience émotionnelle au
sens large et sur les possibilités d’action en deux temps (émergence des
émotions puis réponse émotionnelle), sans que la dimension sociale ne
soit présente. Toutefois, Butler et Gross (2004) affirment avoir pris en
compte le niveau social dans la régulation des émotions, spécifique-
ment concernant la suppression émotionnelle. À ce jour, les liens entre
les aspects cognitivo-sociaux et les autres stratégies de la régulation de
l’émotion, celles se situant en aval de la réponse émotionnelle d’après
le modèle de Gross, restent à investiguer.
Les processus impliqués dans la régulation émotionnelle chez
l’adulte sont avant tout conçus au niveau individuel. Depuis peu, des
chercheurs soulèvent les lacunes qu’une telle approche comporte (voir
par exemple Campos, Walle, Dahl et Main, 2011).

À l’issue de cet examen concernant les modèles cognitifs d’auto-


régulation du stress d’une part, et de l’émotion d’autre part, un point
commun entre ces deux conceptualisations est l’intérêt porté aux
processus cognitifs principalement intrapersonnels. Les facteurs
cognitivo-sociaux n’occupent qu’une place secondaire dans le cas du
coping, voire en sont absents dans celui de la régulation émotionnelle.
Il faut se tourner vers la psychologie sociale pour accéder à des modèles
permettant de prendre en compte d’autres mécanismes comme c’est
le cas avec la régulation interpersonnelle des émotions proposée par
le partage social.

128
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

1.3 Régulation sociale de l’émotion

Issue du champ de la psychologie sociale, la régulation interper-


sonnelle de l’émotion s’appuie sur le postulat suivant : l’émotion naît
de notre rapport aux autres et c’est par notre environnement que son
identification, son interprétation et sa gestion sont devenues possibles.
C’est pourquoi nous manifestons de telles propensions à vouloir
exprimer nos émotions aux autres.
Rimé (2005) a proposé l’expression de partage social des émotions
pour rendre compte de ce phénomène. Il est défini comme un
processus cognitivo-social qui implique deux éléments : la ré-évoca-
tion de l’émotion sous forme d’un langage socialement partagé et la
présence, au moins à un niveau symbolique, d’un partenaire auquel
cette ré-évocation est adressée. Il peut s’agir tout autant d’une peinture
ou d’une musique visant à exprimer une émotion que d’un échange
avec des amis autour d’une situation ayant suscité des émotions vives.
Les premières observations de ce phénomène sont issues de la
littérature sur les traumatismes émotionnels. En effet, plusieurs cher-
cheurs se sont intéressés aux réactions émotionnelles des personnes
confrontées à une catastrophe ou un événement de vie important et
ont montré une propension des victimes à parler de leur expérience
et à exprimer leurs émotions (Ersland et al., 1989 ; Pennebaker et
al., 1993 ; cités dans Rimé, 2005). Cependant, un certain nombre de
travaux ont mis en évidence que le partage social des émotions ne se
limite pas aux situations traumatiques mais concerne l’ensemble des
événements émotionnels. C’est pourquoi il s’agit d’une conséquence
typique de l’émotion, même d’un moyen de régulation (Rimé, 2007).
Plusieurs éléments récurrents ont été décrits concernant le partage
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

socio-émotionnel, comme autant de caractéristiques qui lui sont


propres :
– Il est positivement corrélé à l’intensité émotionnelle suscitée
par l’expérience vécue (plus un événement engendre un vécu
émotionnel intense chez le sujet, plus ce dernier aura tendance à
le partager socialement).
– Le délai après lequel les sujets initient le partage est (dans 58 %
des cas) court et intervient le jour même où s’est produit l’épisode.

129
Psychologie et psychopathologie des émotions

– Il est récurrent : 62 % à 84 % des sujets interrogés disent avoir


évoqué à « plusieurs reprises » l’événement source de partage.
– Le rappel de l’événement émotionnel suscite la réactivation des
réponses apparues lors de l’épisode initial (des images mentales,
des sensations corporelles, un vécu émotionnel intense). Et
contrairement aux attentes, il semble que seule une minorité des
répondants a considéré la ré-évocation d’un événement négatif
comme « douloureuse ou pénible ».
– Les partenaires privilégiés du partage social des émotions chez
l’adulte sont toujours plus ou moins les mêmes. Le premier desti-
nataire est le compagnon ou la compagne, viennent ensuite la
famille de premier degré (parents, enfants, grands-parents, oncles
et tantes), puis les amis et enfin d’autres personnes telles que les
collègues de travail.
– Malgré les stéréotypes existant sur les différences de propension à
exprimer ses émotions selon le sexe (du type, les femmes parlent
plus de leurs émotions que les hommes), il n’existe pas de diffé-
rences notables. En effet, les résultats montrent une homogénéité
des deux sexes en matière de partage social des émotions.
– Plus on avance en âge, plus le partage social des émotions est
important. Cependant, le traitement de l’information émotion-
nelle est moins approfondi chez les aînés par rapport aux plus
jeunes.
– Ce n’est pas un phénomène propre à la culture occidentale (on le
retrouve également dans les cultures orientales). Une exception à
cette règle concerne l’émotion de honte qui réduit, voire inhibe le
partage social des émotions, et ce dans toutes les cultures.

Self émotionnel : sommes-nous nos émotions ?

Plusieurs travaux de psychologie sociale montrent que la seule


émotion dont on ne parle pas à autrui, et ce qu’importe notre culture
d’origine, est la honte. Si la culpabilité relève plus de l’avoir, la honte
relève, quant à elle, de l’être, mais de l’« être au monde ».
Selon Scheff (1990, cité dans Lupton, 1998, p. 18-19), la fierté et la
honte sont des « émotions sociales primaires » parce qu’elles servent de

130
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

« signaux automatiques corporels et intenses de l’état d’un système qui


serait difficile à observer autrement, c’est l’état de nos propres liens aux
autres ». En fait, elles sont des « signaux instinctifs » qui renseignent
sur l’état du lien social des individus : la fierté est le signe d’un lien
social intact alors que la honte est celui d’un lien social menacé, voire
rompu. La honte serait générée par un mécanisme de « contrôle du
soi » constant, de ses propres comportements. C’est pour cette raison
qu’il s’agit de la plus importante émotion sociale, à cause de ses fonc-
tions de régulation du self (au sens de conscience de soi) et de ses
relations avec le fait de jauger ce que les autres pensent de notre propre
comportement. La conformité aux normes sociales (autre preuve du
contrôle du soi) est récompensée par le respect d’autrui et un senti-
ment de fierté, alors que la non-conformité est sanctionnée par du
non-respect et un sentiment de honte. De ce fait, si un sentiment de
honte est présent cela signifie que des émotions contraires aux normes
sociales, celles habituellement attendues selon les situations, sont aussi
présentes. Par exemple, on s’attend à ce que les gens soient heureux
le jour de leur mariage, et si pleurs il y a, ce sont « forcément » des
larmes de joie.
D’après Rimé (2007, 2009), le partage social remplit deux fonctions
principales aux conséquences différentes. La première est socio-affec-
tive : partager socialement un événement émotionnel négatif suscite
aide et réconfort de la part d’autrui et a pour effet de renforcer les liens
sociaux et de procurer un soulagement émotionnel à court terme. La
seconde est socio-cognitive, symbolique : parler des émotions liées à
un événement, les identifier et y faire le tri en présence d’autrui peut
modifier les représentations mentales (processus de distanciation,
de clarification, de réorientation des buts ou encore de production
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de sens). Cela permet une récupération émotionnelle à long terme.


Cependant, il semble que les individus ne font pas la différence entre
le soulagement et la récupération émotionnelle. Cela signifie qu’ils
manifestent une propension à rechercher l’empathie et le récon-
fort d’autrui plutôt que de s’engager dans un travail cognitif. Ce
dernier leur permettrait pourtant de modifier leurs représentations
et de récupérer émotionnellement, de manière stable, suite à un
événement douloureux.

131
Psychologie et psychopathologie des émotions

Concernant les expériences émotionnelles positives, il semble que


les individus cherchent plutôt à maintenir, à prolonger les effets posi-
tifs de l’expérience en la partageant avec autrui, et à consolider par là
une certaine confiance en soi. À l’opposé, les expériences négatives
conduiraient à éteindre le souvenir de l’expérience. Ne pas parler des
situations pénibles aurait comme effet escompté un renforcement des
liens avec l’entourage. En effet, dire que l’on est déprimé va faire le
plus souvent fuir les autres. Omettre, inhiber l’expression de certains
aspects d’un vécu douloureux, voire ne pas en parler du tout, peut
être lu comme la volonté de maintenir un lien social intact garant
d’une estime de soi. Ce point apparaît comme central dans la mesure
où le risque encouru par l’individu est grand. En effet, si les émotions
que nous ressentons conditionnent d’une part ce que nous pensons
de nous, par le jugement qu’autrui émet en rapport avec les normes
sociales, alors nos émotions peuvent constituer d’autre part ce que
l’on est (on constate l’importance grandissante des réseaux sociaux via
le net, et de ses dérives, notamment chez les adolescents). Il s’agirait
alors d’un « Soi émotionnel » (emotional Self) qui renvoie à l’idée que
« nous sommes nos émotions » (people are their emotions) : « ce qui
est dirigé dans une expérience émotionnelle ce n’est pas une émotion
mais le Soi dans l’émotion qui est éprouvée » (Denzin, 1984, cité dans
Lupton, 1998, p. 22).
Du point de vue psychopathologique, les troubles émotionnels
comme l’anxiété et la dépression engendrent la mise en place de stra-
tégies spécifiques de régulation socio-émotionnelle visant à protéger
le self. En inhibant totalement le partage social de leurs émotions,
les individus anxieux « se préservent » de la réactivation de leur vécu
négatif et, par là même, « évitent » de se confronter à une situation
sociale non valorisante où ils feraient état de leurs propres difficultés de
gestion émotionnelle. Dans le cas de la dépression, l’inhibition porte sur
une partie du vécu, celle la plus significative du vécu émotionnel (qui
implique un sentiment de honte), afin d’éviter l’activation d’une image
négative de soi au regard d’autrui (Pasquier, Bonnet et Pedinielli, 2008 ;
Pasquier et Pedinielli, 2010). On connaît le sentiment de dévalorisation
et les dépréciations récurrentes du tableau dépressif. Ainsi, l’inhibition
de l’expression émotionnelle pourrait s’apparenter à un mécanisme de

132
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

protection du self soumis à des perturbations émotionnelles qu’il ne


parvient pas à autoréguler. Dans l’anxiété comme dans la dépression,
autrui ne constitue pas le soutien potentiel habituel. Au contraire, les
échanges avec l’entourage ne viendraient que renforcer, voire accroître
l’émotionnalité négative, c’est-à-dire un « sentiment de soi » négatif.

« Je suis un mec, je m’en fous, comme tous les mecs ! »


Le patient, Patrick, est un jeune homme de 25 ans. Il vient consulter un
psychologue en libéral pour des problèmes de sommeil et d’alimentation
survenus suite au décès d’une tante dont il était proche. « J’ai perdu l’ap-
pétit. Tout s’embrouille dans ma tête et je n’arrive plus à dormir. Depuis
que c’est arrivé, ça m’a fait un coup. Les copains au boulot ne comprennent
pas. C’est ma tante, elle est décédée… c’est pas rien quand même ! On était
proche. »
Ce n’est que quelques séances plus tard qu’il mentionne le départ de sa
compagne deux mois auparavant. À cette occasion, il manifeste un certain
abattement puis se reprend en disant : « il n’y a aucun lien avec mon état
actuel ».
De cette tante présentée comme « une seconde mère », il n’en dit pas non
plus grand-chose mais il manifeste de la tristesse et évoque le regret de
ne pas avoir su lui montrer combien il l’aimait. « Depuis l’enterrement je
pleure comme un bébé. On me dit que c’est normal, j’ai perdu quelqu’un.
En fait, je ne la voyais pas beaucoup mais je tenais à elle et ça, elle ne le
sait pas. Je ne peux plus lui dire puisqu’elle est partie. »
Le patient mettra du temps à exprimer le vécu douloureux associé à la
séparation d’avec son ex-compagne. Il dira d’abord : « Elle est partie, et
alors… ce n’est pas la première qui s’en va ! Qu’est-ce que ça peut bien me
faire, à moi ? Je suis un mec, je m’en fous, comme tous les mecs ! »
Le décès de la tante semble faire écran à cette rupture. Parler de ses
émotions négatives, de la tristesse ressentie à l’occasion du décès d’un
membre de la famille est plus « acceptable » pour ce patient (qui a bien
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

intégré les conventions sociales d’expression des émotions) que d’évoquer la


peine et le manque provoqués par le départ de sa compagne. Premièrement
parce que c’est « un mec » et qu’un mec « se fout des histoires de cœur »,
du moins d’après le discours social et les stéréotypes qu’il véhicule. Et
deuxièmement parce que au fond le patient se sent responsable de ce
départ : « J’ai déconné. Je n’ai pas su lui montrer combien je l’aimais. C’est
de ma faute si elle est partie. Je faisais le fier, je ne m’occupais pas assez
d’elle mais elle, j’attendais qu’elle fasse attention à moi. » C’est précisément
de cette part de responsabilité dont il cherche à se protéger, pour ne « pas
perdre la face auprès des autres ».

133
Psychologie et psychopathologie des émotions

Avec la théorie du partage social des émotions, Rimé ne limite pas


sa perspective à un simple focus sur l’apport de la psychologie sociale
à la question de la régulation de l’émotion. Il replace les éléments
dans une perspective holistique selon laquelle « l’expérience émotion-
nelle est seulement le point de départ d’un enchaînement important
de processus faisant simultanément appel à des aspects cognitifs,
symboliques, émotionnels et sociaux » (Rimé, 2009, p. 81). Dans le
large champ des études consacrées à la compréhension des phéno-
mènes émotionnels, il semble incontournable de prendre en compte
les dimensions cognitives et sociales inhérente à l’expression des
émotions.

1.4 Relation entre les niveaux individuels et sociaux

De plus en plus de travaux de recherche tendent à démontrer


l’intérêt de se tourner vers les éléments de réponse de champs épisté-
mologiques variés mais néanmoins complémentaires de la régulation
des émotions. Ils ont donné lieu à la proposition de modèles intégratifs
des processus internes et externes de la régulation de l’émotion.

1.4.1 Modèles intégratifs

‡ Régulation interpersonnelle de l’émotion

Zaki et Williams (2013) remarquent que l’intérêt s’est jusqu’ici


porté sur les processus intrapersonnels de la régulation des émotions
au détriment des processus interpersonnels. Ces auteurs proposent
le modèle de la « régulation interpersonnelle de l’émotion » (inter-
personal emotion regulation) dans le but de rendre compte des
différents processus et types de régulation intra- et interpersonnelle
mis en œuvre durant un échange social. Ils soutiennent alors que la
recherche de soutien social et le partage social des émotions sont des
processus de régulation interpersonnels indissociables des autres
modes de régulation des émotions. Pour preuve, un individu A partage
ses émotions afin de solliciter des ressources sociales, alors que la

134
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

personne B régule l’état de la personne A en fournissant un soutien.


Ces individus déploient clairement différentes stratégies de régulation,
mais les deux sont désignés comme impliqués dans des procédés de
régulation interpersonnels. Avec ce modèle, la personne A utilise une
régulation interpersonnelle intrinsèque (pour A, le fait de s’adresser
à B, produit des effets de régulation) et la personne B une régulation
extrinsèque (par un soutien manifeste, B régule les émotions de A).
Cette distinction entre intrinsèque et extrinsèque permet d’unifier les
recherches préalables distinguant soutien social et partage social en
un cadre théorique unique.
Le modèle prévoit également de distinguer deux types de processus
qui participent à la régulation de l’émotion : ceux « dépendant de la
réponse » (response-dependent, noté RD) et ceux « indépendant de la
réponse » (response-independent, noté RI) du partenaire de partage.
Pour A, parler à B d’une expérience vécue en verbalisant les émotions
ressenties permet une régulation de ses émotions, peu importe la
réaction de B (RI). Le simple fait de parler constitue un moyen de
décharge de l’expérience vécue. Mais si B manifeste à A du soutien et
du réconfort lors de cet échange, un second processus de régulation
émotionnelle est mis en œuvre pour A (RD).
Zaki et Williams (2013) considèrent que la régulation intra- et
interpersonnelle se situe sur un continuum allant du cognitif à l’inter-
personnel, en passant par le socio-cognitif. En effet, une personne peut
choisir une activité de détente pour ne plus penser à un événement
stressant, ou solliciter le réconfort d’un proche ou enfin privilégier la
recherche de conseils. À partir des travaux existants dans le domaine
de la régulation de l’émotion, cette approche a pour but d’identifier et
de rassembler dans un seul et même modèle, l’ensemble des processus
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de régulation à l’œuvre dans une interaction sociale. Ceci dans le but


d’aider la recherche à progresser dans cette voie.

‡ Régulation endogène et exogène des émotions

Un autre modèle opère cette fois une distinction entre régula-


tion endogène et exogène des émotions. D’après Leroy, Delelis,
Nandrino et Christophe (2014), les stratégies endogènes de régulation

135
Psychologie et psychopathologie des émotions

intra-individuelle concernent l’ensemble des processus émanant de


l’individu et ayant une fonction intra-individuelle (principalement
décrites dans les modèles du coping et de la régulation des émotions).
Les stratégies endogènes de régulation interpersonnelle, comme la
recherche de distraction ou de soutien social, concernent les processus
de régulation intra-individuels alimentés par les ressources venant
d’autrui recueillies au moyen de stratégies interpersonnelles. Ces
dernières (issues du champ de la psychologie sociale) compléteraient
les stratégies endogènes intra-individuelles potentiellement insuffi-
santes ou défaillantes.
La régulation exogène des émotions se définit comme « un ensemble
de processus auxquels l’environnement social recourt activement pour
inhiber ou encourager le partage d’informations émotionnelles au sein
du réseau social, et réguler les états émotionnels des individus qui le
composent » (Leroy, Delelis, Nandrino et Christophe, 2014, p. 189).
En d’autres termes, les réactions des partenaires de partage social, de
même que les normes sociales concernant les émotions (ce que l’on
peut ressentir, comment, et avec quelle expression comportementale)
vont influencer le type de stratégie de régulation endogène mis en
place par un individu suite à une expérience émotionnelle.
Comme dans le modèle précédent, le rôle tenu par chaque inter-
locuteur d’échanges est pris en compte dans la compréhension du
phénomène régulatoire. Par contre, l’influence des processus cogni-
tivo-sociaux est ici prise en compte de manière plus significative
notamment par l’accent mis sur le réseau social et l’intégration à
celui-ci. Il intervient dans la régulation des émotions de chacun par
la prescription directe ou indirecte des stratégies endogènes de régu-
lation à utiliser, et ce avant même qu’une situation d’échange social
ne soit envisagée. En somme, l’intérêt de la position du modèle de
ce deuxième modèle est de mettre en perspective l’action conjointe
de deux types de processus de régulation endogène et exogène où
un compromis s’opère sans relâche entre des objectifs de régulation
émotionnelle et d’intégration sociale (but adaptatif).
En effet, les données obtenues par Rimé (2009) concernant les
attentes du locuteur de partage montrent que ce dernier peut par
exemple chercher à prolonger les effets positifs d’une expérience

136
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

agréable en la partageant avec autrui. Mais il semble évident que des


attentes du locuteur dépendent les réactions de cet autre pour que
les bénéfices escomptés soient rencontrés. En effet, les conséquences
ne seront pas les mêmes selon que l’interlocuteur manifeste écoute et
enthousiasme ou au contraire, désintérêt voire agacement. Dans ce
deuxième cas, la réactivation du vécu positif mais aussi la confiance
personnelle et la consolidation des liens sociaux attendus ne seront
pas obtenus pour le locuteur d’un partage socio-émotionnel. En ce
sens, l’influence de l’intégration sociale sur le choix de la stratégie de
régulation émotionnelle est indéniable et doit être prise en compte.
Enfin, d’après Leroy et ses collaborateurs, les ressources sociales
doivent être considérées comme des suppléants aux ressources
internes potentiellement défaillantes. Cette conception pousse à
opérer une dichotomie entre processus intra- et interpersonnels où
les premiers seraient les plus utilisés, la relation sociale venant en
second recours.

1.4.2 Vers une approche cognitivo-sociale


de la régulation de l’émotion

Il nous semble que les modèles présentés plus haut s’engagent sur
une voie courageuse en cherchant à composer avec les données issues
de différents domaines s’intéressant à la régulation émotionnelle.
Cependant, la schématisation des processus de régulation de l’émotion
sur la base d’une distinction entre intra- et interpersonnel ou entre
endogène et exogène, intrinsèque et extrinsèque, avec les problèmes
de terminologie que cela entraîne (Dixon-Gordon, Bernecker et
Christensen, 2015), mène à un découpage systématique des niveaux
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

cognitif, émotionnel et social qui ne peut être réalisé sans perdre de


vue les dynamiques de régulation à l’œuvre.
Nous pouvons penser que les processus de régulation de l’émotion
sont toujours influencés par des processus cognitivo-sociaux symbo-
liques et/ou réels (par exemple la présence physique ou imaginaire d’un
interlocuteur de partage), la qualifiant nécessairement de régulation
sociale de l’émotion. Au niveau symbolique, les croyances, représen-
tations et expériences de partage émotionnel passées (réponses et

137
Psychologie et psychopathologie des émotions

réactions fournies par l’entourage) influencent les moyens de régula-


tion mis en œuvre dans chaque nouvelle situation d’adaptation. Ces
processus cognitivo-sociaux imprègnent la dynamique de régulation et
participent au choix d’une stratégie de régulation se produisant concrè-
tement à un niveau interpersonnel ou non. Par conséquent, utiliser
une stratégie de régulation cognitive habituellement qualifiée d’intra-
personnelle (sans recherche active d’un interlocuteur de partage) ou
d’interpersonnelle (recherche à minima de la présence d’autrui et à
maxima d’un soutien sociocognitif de sa part) pourrait dépendre, de
deux niveaux importants : celui des représentations sociales et celui des
modes de partage émotionnel dont l’efficacité dépendra de l’interlocu-
teur choisi et de ses réactions.
Comme le soulignait Moscovici (1984), la conversation est l’outil
par lequel les gens développent un stock implicite d’images et d’idées
qui participent à la production de représentations sociales au sein
d’un groupe d’individus. Cette production de représentations sociales
permettrait d’absorber quotidiennement les menaces véhiculées par
des événements nouveaux ou peu familiers. On peut en conclure que
les représentations sociales agiraient comme un régulateur des expé-
riences émotionnelles connues. L’individu peut y faire appel via la
mémoire sans convoquer la présence réelle d’autrui. La conversation
permettrait quant à elle de transformer et d’absorber des éléments
inconnus dans la représentation sociale (Rimé, 2009) et de jouer par là
un rôle de régulation de l’émotion. Ainsi, les représentations sociales
imprégneraient largement les stratégies de régulation de l’émotion, et
permettraient de maintenir l’adaptation – jusqu’à un certain seuil –
sans la présence réelle d’un partenaire.
Par ailleurs, les modes habituels de partage émotionnel avec l’en-
tourage de l’individu jouent également un rôle dans le choix de la
stratégie de régulation émotionnelle. Ils n’auront pas le même effet
sur l’état émotionnel de l’individu selon que l’interlocuteur le récon-
forte ou l’aide à produire du sens. Parler à quelqu’un de proche de son
ressenti négatif sur le plan émotionnel n’a d’effet que si les réponses
de l’interlocuteur conduisent le sujet à opérer un retraitement cognitif
de l’information. Pour preuve, Nils et Rimé (2012) remarquent des
effets de soulagement à court terme (régulation socio-affective de

138
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

l’émotion avec augmentation de l’intégration sociale) ou de récu-


pération à plus long terme (régulation cognitive de l’émotion) en
fonction des réponses et réactions de l’interlocuteur. Ces données
nous poussent à considérer que partager avec autrui ses ressentis
est insuffisant à une régulation efficace. Comme le signalent Nils et
Rimé (2012), leurs résultats vont à l’encontre du mythe de l’« effet
libérateur » (venting effect) qui serait de fait opéré par le partage de
son vécu. D’autres aspects doivent être pris en compte. Notamment
la manière dont une personne peut être amenée à restructurer, avec
l’aide d’autrui, sa propre perception d’un événement sur la base de
représentations sociales alternatives, à valence positive. Ainsi, l’étude
de Nils et Rimé (2012) permet d’obtenir des données inédites et inté-
ressantes concernant l’influence du comportement du partenaire de
partage. Autrui doit participer activement à l’échange et si possible
sur le versant d’une restructuration cognitive. Cependant, l’attitude
permettant le travail cognitif correspond dans cette étude (contexte
d’induction émotionnelle artificielle en laboratoire) à une restructu-
ration cognitive avec focalisation sur les éléments positifs (démarche
similaire aux méthodes utilisées dans les thérapies comportementale
et cognitive). Un travail de régulation cognitive efficace et durable
consisterait, selon nous, plutôt à amener l’individu à intégrer les
émotions négatives et positives liées à l’expérience vécue. En effet,
il ne s’agit pas de procéder à une simple substitution des émotions
négatives par des émotions positives, mais plutôt d’aider l’individu à
reconstruire sa propre représentation et par conséquent sa propre
narration de l’événement, si possible à distance des représentations
sociales communément admises, d’autant plus dans le cas d’une
confrontation à un événement de la vie réelle.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il est impératif à notre sens de prendre en compte l’influence


conjointe des deux niveaux : celui des représentations sociales et
celui des modes de partage social, sur la régulation émotionnelle,
sans oublier la nature de l’événement en lui-même (à l’origine de
l’éprouvé subjectif appelant la régulation). Les éléments contextuels
jouent un rôle dans le processus global de régulation de la vie affective
et nécessitent en effet d’être considérés, notamment dans le milieu
professionnel. Dans ce sens, nous avons récemment montré l’intérêt

139
Psychologie et psychopathologie des émotions

d’explorer la manière dont la vision d’un métier (en l’occurrence


celui d’enseignant du premier degré) est construite en fonction des
contextes dans lesquels il s’exerce et des liens de ces représentations
sociales avec l’état émotionnel (anxieux et/ou dépressif) des profes-
sionnels considérés (Pasquier, Bréjard, Tavani et Lo Monaco, 2020).

Au terme de cette analyse de la littérature consacrée aux différentes


conceptions des processus de régulation de l’émotion, il apparaît que
des modèles récents intégrant les niveaux cognitif, émotionnel et
social permettent une approche plus complète de ces phénomènes.
La modélisation du coping apparu dans les années 1980 a constitué
un terreau fertile aux recherches visant l’exploration des déterminants
cognitifs de l’adaptation des individus. Le concept de soutien social,
intégré initialement au coping, a été rapidement considéré comme
une dimension confuse peinant à être opérationnalisée. Comme
pour les autres modes de coping, son exploration concerne surtout
les contextes stressants. Le concept de régulation des émotions est
venu, à partir des années 1990, s’imposer comme une approche
plus générale que le coping. En insistant sur une approche positive
des processus de régulation des émotions, les travaux sont allés en
direction du versant adaptatif de stratégies émotionnelles jusqu’ici
considérées comme dysfonctionnelles. Toutefois, ils se sont concen-
trés sur les aspects intra- et interpersonnels sans se situer à un niveau
social. Le concept de régulation de l’émotion (dont le stress) appa-
raîtra plus heuristique que celui de coping pour autant qu’il prenne
en compte les processus cognitivo-sociaux, autrement dit l’ensemble
des composantes et processus sans distinction entre ceux qui relè-
veraient d’un « soi » où un « autre » intervient (réellement) ou pas
(symboliquement).

2. Devenirs de l’affect
Dans la littérature psychanalytique moderne, les postfreudiens
anglo-saxons se sont particulièrement intéressés à l’affect. Nous

140
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

allons essentiellement nous tourner vers les apports théoriques venus


d’Amérique du Nord qui correspondent à ce que l’on peut appeler la
seconde phase des travaux postfreudiens, la première était dominée
par l’influence de Melanie Klein et de Winnicott. Ces derniers ont peu
décrit l’affect, du moins de façon spécifique, contrairement à Rapaport
(il a consacré en 1953 un ouvrage entier à l’affect : La Conception
psychanalytique de l’affect) et Jacobson qui ont marqué la littéra-
ture psychanalytique. Enfin, André Green, psychanalyste français, a
consacré une grande partie de son œuvre au concept d’affect et en a
développé une approche originale.

2.1 Point de vue structural et adaptatif

Rapaport s’appuie sur les travaux de Freud qui dans une première
conception présente l’affect comme équivalent des pulsions et des
investissements d’objets. Le point de vue de Freud à ce moment-là
est essentiellement économique : l’intérêt est porté sur les moyens
de décharge des pulsions dont la relation d’objet fait partie (celle-ci
est considérée comme le moteur de l’économie psychique du sujet :
j’investis la réalité autour d’un objet de désir). La pulsion est un concept
carrefour entre le somatique et le psychique. En fait, l’affect et la repré-
sentation sont des « médiateurs », des représentants nécessaires qui
nous rendent potentiellement consciente la pulsion : représentant-
sensations (affect), et représentant-idées (représentation). C’est ce que
Freud tend à montrer en 1915 : « Toute la différence vient de ce que
les représentations sont des investissements – fondés sur les traces
mnésiques – tandis que les affects et sentiments correspondent à des
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

processus de décharge dont les manifestations finales sont perçues


comme des sensations » (p. 84).
Dans une deuxième conception, l’affect est abordé comme une
soupape de sûreté, un signal du moi en cas de tension (le signal d’an-
goisse), qui s’oppose à la représentation. Les points de vue topique et
dynamique dominent ici : il s’agit d’appréhender dans quelles instances
psychiques se manifestent l’affect et les conflits entre instances qui
en découlent.

141
Psychologie et psychopathologie des émotions

C’est à partir de cette deuxième vision de l’affect développée par


Freud (1926) que Rapaport va proposer sa propre conception qui vise
à intégrer un point de vue structural et adaptatif : à l’origine (avant la
différenciation entre le moi et le ça), les affects utilisent « des seuils
et des voies innées de décharge » (Rapaport, 1953, cité dans Green,
2004, p. 110) en même temps qu’ils ont un rôle socio-communicatif
qui s’exprime selon des prédispositions héréditaires.
À ce stade où le principe de plaisir domine, l’affect survient lorsque
les tensions provoquées par l’absence de l’objet primaire (la mère ou son
représentant) ne peuvent être complètement déchargées. L’évolution
du moi et son unification progressive amènent une augmentation du
seuil de tolérance et permettent de différer la décharge des tensions.
Ce passage correspond au développement des processus secondaires
et s’accomplit par l’intermédiaire de l’activité de liaison qui instaure
une prévalence de l’idée sur l’affect.
Selon Rapaport, le travail de liaison entre représentation et pulsion
permet peu à peu la maîtrise des affects jusqu’à leur neutralisation
(lorsque les charges affectives sont soumises à des contre-investis-
sements qui ajournent ou détournent les pulsions en fonction des
intérêts du sujet). Pour autant, ce fonctionnement dit normal (permet
l’adaptation du sujet au principe de réalité, et par là à son environne-
ment) est souple et modulable de sorte que des retours (régressions)
à un fonctionnement en processus primaires sont possibles, laissant
place à des « orages affectifs » (preuves que les anciennes structures,
celles de l’enfance, persistent au-delà des contre-investissements).
Les états pathologiques quant à eux sont caractérisés par la rigidité,
l’intensité et la massivité des productions d’affect.
On peut voir dans cette conception psychanalytique, l’idée, déve-
loppée dans l’approche cognitivo-développementale (voir chapitre 2),
d’un développement de la personnalité du sujet, d’une structure qui
détermine le fonctionnement émotionnel et ses avatars.

142
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

2.2 Une « classification des affects »

Jacobson (1953) développe une approche également originale et


spécifique du concept de l’affect. Elle propose une classification des
affects selon qu’ils proviennent du monde interne ou externe au sujet.
On retrouve, d’un côté, (1) les affects naissant de tensions intrapsy-
chiques : ce sont les affects représentant les pulsions proprement
dites (les tensions de l’instance du ça comme par exemple l’excitation
sexuelle, la rage) et les affects qui naissent directement des tensions
dans le moi (exemples : la peur d’un élément issu de la réalité comme la
peur de la douleur physique, et les sentiments tels que la haine, l’amour
d’objet, l’intérêt pour certains domaines). De l’autre côté, (2) les affects
provenant des tensions externes à l’organisme du sujet : ceux nés de
tension entre le moi et le ça (par exemple, les ressentis de dégoût, de
honte ou de pitié) ou des tensions entre le moi et le surmoi (sentiment
de culpabilité, composantes dépressives).
Dans cette conception, les affects sont conçus comme des réponses,
des réactions aux stimuli internes ou externes. Dans ce sens Jacobson
s’oppose à Rapaport (affect comme signal d’une tension non déchargée)
et propose que l’affect provienne aussi bien de phénomènes de tension
que de phénomènes de décharge (investissement et contre-investisse-
ment coexistent). Au-delà de la théorie de Rapaport, c’est le principe
d’homéostasie (et par conséquent le principe de plaisir) développé
par Freud qui est remis en question. D’après Jacobson, l’expérience
de satisfaction (le plaisir) peut être associée à l’amorce d’une décharge
de tension en même temps que cette tension continue de croître. Le
couple tension-décharge ne se situe pas sur un même axe, mais plutôt
sur deux axes distincts qui fonctionnent de façon indépendante et
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sont tous deux à l’origine de l’affect. Ainsi, « le plaisir de tension peut


induire le besoin d’une plus grande excitation, le plaisir maximal, celui
d’un apaisement, et le plaisir d’apaisement, la nostalgie d’un plaisir
de tension » (Jacobson citée dans Green, 2004, p. 113) (ce qui est une
ouverture à la nécessité d’une théorie de la jouissance).

143
Psychologie et psychopathologie des émotions

2.3 Affect et structures

Green (2004) propose d’identifier, dans le sillage de Freud, la place


de l’affect dans les diverses structures psychiques (principalement les
névroses et les psychoses). « L’affect, tel qu’il se présente dans l’orga-
nisation psychique de tel ou tel individu, est ce qui s’identifie le plus
volontiers à ce que cet individu présente de plus irréductiblement
singulier, de plus singulièrement individuel » (p. 145). Pour ce faire, il
va explorer l’affect et son devenir dans les grandes formes cliniques :
l’hystérie de conversion, la névrose obsessionnelle et la phobie (appelée
« hystérie d’angoisse » par Freud) pour le champ des névroses (voir
l’ouvrage de Pedinielli et Bertagne, 2010, consacré aux névroses) et
la psychose maniaco-dépressive, la schizophrénie et la paranoïa pour
celui des psychoses. Il ne s’agit pas pour l’auteur de s’intéresser aux
formes cliniques psychiatriques (description des symptômes signant la
maladie) mais aux modèles structuraux de ces pathologies (intérêt porté
aux formes d’organisation de la personnalité spécifique à chacune).

2.3.1 L’affect dans les structures névrotiques

Green (2004) choisit de s’intéresser essentiellement aux psycho-


névroses de transfert (selon la classification freudienne), c’est-à-dire
à l’hystérie de conversion, la névrose obsessionnelle et la phobie, car,
à la différence des névroses actuelles (la névrose d’angoisse, l’hypo-
condrie, la neurasthénie), le conflit psychique a une origine infantile
et l’énergie psychique est élaborée (elle n’est pas transformée direc-
tement en angoisse comme c’est le cas dans les névroses actuelles
où l’origine est située dans « l’actuel »). Le conflit psychique se joue
entre « désir » (pulsions sexuelles du ça) et « interdit » (principalement
l’interdit de l’inceste constitutif du surmoi et héritier du complexe
d’Œdipe), ce qui provoque de l’angoisse, cause du refoulement (voir
la seconde théorie de l’angoisse chez Freud présentée au chapitre 2).
L’angoisse va connaître des destins différents selon la pathologie
psychique.
Dans l’hystérie, le mécanisme principal est la conversion. Celle-ci
correspond à une transformation de la somme d’excitation (la libido)

144
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

détachée de sa représentation (refoulée dans l’inconscient) en quelque


chose de somatique (conversion sur le corps).
Les symptômes de conversion sont d’allure somatique (exemples :
troubles de la vision, de l’équilibre sans explication médicale) mais sont
à différencier des somatisations (au sens psychosomatique). Il s’agit
d’une mutation de la libido qui « continue d’opérer dans le registre du
symbolisable » et qui permet à l’hystérique de faire l’économie (mais à
quel prix !) du conflit psychique, donc de l’angoisse.
Comprendre le sens du symptôme revient à suivre le trajet de l’af-
fect : s’opère d’abord (1) l’inversion de l’affect qui revient à en changer
le signe (le désir est remplacé par le dégoût), puis (2) la signification
des symptômes comme fantasmes incarnés (mise en scène, en acte des
souvenirs et des fantasmes plutôt que leur remémoration dans la cure).
Ces fantasmes portent la marque des mécanismes de condensation
(travail de compression qui élit « la catégorie à laquelle sont subor-
données toutes les autres » selon Freud).
Pour Green, il y a condensation des fantasmes mais aussi des affects
de sorte à accroître la « densité énergétique » qui pousse à la décharge
par une mise en acte du somatique qui n’est pas le fruit du hasard. Le
symptôme hystérique vient se couler dans le lit (du corps) qui lui a été
préparé, comme « une vieille outre remplie de vin nouveau » (Freud,
1911 : à propos de Dora dans les Fragments d’une analyse d’hystérie).
Freud parle de « complaisance somatique » : terme qui désigne ce qui
ne relève pas des seules circonstances constitutionnelles mais de la
valeur érogène (source d’excitation sexuelle) prise par l’organe en jeu
dans le symptôme hystérique.
Prenons l’exemple du trouble psychogène de la vision : l’œil en tant
qu’organe assure les fonctions d’information et d’orientation dans l’es-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

pace (fonctions d’autoconservation selon la dichotomie de Freud entre


les pulsions du moi – d’autoconservation – et les pulsions sexuelles)
en même temps qu’il peut procurer une satisfaction (des pulsions
sexuelles) par le plaisir de regarder. La complaisance somatique vient
alors traduire la domination de la pulsion sexuelle sur l’organe. L’œil
se met au service du plaisir (de voir), plaisir qui déborde tellement la
fonction première (d’information-orientation) qu’il finit par l’annuler :
le moi perd sa domination sur l’organe, c’est Éros qui s’en empare.

145
Psychologie et psychopathologie des émotions

Avec la névrose obsessionnelle, le devenir de l’affect diffère. Ici, il


n’y a pas de conversion permettant de « faire faux bond » au conflit
mais bien plus (1) une dissociation des éléments du conflit, puis (2) un
déplacement de la représentation (à l’origine du conflit psychique) sur
une autre représentation d’importance secondaire, dans le présent et
non sexuelle (exemple : obsessions de la propreté).
Le premier temps qui instaure une dissociation du représentant et de
l’affect se fait sous l’influence de la pulsion de mort (force de déliaison,
de séparation), laissant le champ libre aux mouvements destructeurs qui
visent l’objet du fantasme. Cette dissociation a pour effet le remplacement
du sexuel par le non-sexuel qui laisse place à l’agressivité (par inversion
du plaisir) et à la toute-puissance de la pensée (dans un fantasme de
maîtrise) habituellement rencontrées dans la névrose obsessionnelle.
C’est ce que l’on retrouve avec les idées obsédantes de propreté qui
amènent le sujet à répéter de façon compulsive des comportements
de nettoyage ayant pour but de contrôler tous les objets (tout ce que
les autres ont pu toucher et par là contaminer) avec lesquels il entre
en contact quotidiennement. Ces rituels sont orchestrés par des règles
arbitraires (« je dois laver précisément huit fois l’objet à la javel pour
qu’il soit acceptable ») qui procurent à l’obsessionnel une maîtrise
(par sa pensée) de son environnement et par conséquent des affects
(surtout l’angoisse) : « si je ne peux pas accomplir mes rituels, je ne me
sens pas bien et très vite l’angoisse arrive ! » (un patient).
La phobie quant à elle propose une situation intermédiaire : « l’hysté-
rique enterre la condensation des affects dans la conversion somatique
tandis que l’obsessionnel subtilise ceux-ci dans le déplacement et la
toute-puissance de la pensée. Aussi ne serait-il pas étonnant que l’étude
par excellence de l’affect doive être recherchée dans cette voie tierce où
le sujet n’échappe plus à l’affect, mais est inlassablement confronté à
lui » (Green, 2004, p. 154). L’affect de la phobie est l’angoisse à laquelle
le sujet ne peut échapper. Cependant, l’angoisse est bordée, délimitée
autour d’une représentation, d’un objet précis de la réalité (exemple :
la phobie des araignées).
Comme dans la névrose obsessionnelle, il y a déplacement de la
représentation (d’abord liée aux désirs incestueux) sur une représen-
tation secondaire mais cette fois l’angoisse subsiste. Celle-ci naît pour

146
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

une part du conflit entre désir et interdit, mais elle provient également
des mouvements ambivalents (affects de tendresse et d’hostilité à la
fois) à l’égard de l’objet. « L’affect de tendresse est conservé, tandis
que l’affect d’hostilité est dirigé sur un substitut. Mais en revanche
apparaît le danger de rétorsion : crainte d’être agressé par l’objet du
désir d’agression » (Green, 2004, p. 156).
Dans ce sens, la phobie serait pour le sujet une tentative de résolution
du conflit d’ambivalence : les mouvements tendres dominent les relations
aux autres pendant que ceux hostiles sont subis (je n’agresse pas l’objet,
c’est lui qui m’agresse) et localisés sur l’objet ou la situation phobique.

2.3.2 L’affect dans les structures psychotiques

Dans les « structures psychotiques », l’affect domine (Green, 2004).


Contrairement aux devenirs névrotiques décrits précédemment, il
ne s’agit pas de différencier les mécanismes qui séparent l’affect de
la représentation. Ici, l’affect est brutal, puissant, non élaboré, c’est-
à-dire qu’il n’est pas lié à des représentations (qui permettraient de
l’évacuer) car les pulsions agressives, destructrices (pulsions de mort)
sont largement à l’œuvre. Le moi est le premier objet des attaques :
trop-plein déplaisant de tensions indétournables, intraitables du fait
d’une incapacité à franchir les frontières du narcissisme et à investir
les objets externes. Il s’agit d’une « stase de la libido » (Freud, 1914 :
Pour introduire le narcissisme). Les pulsions stagnent dans le moi, faute
d’une distribution des excitations entre libido du moi et libido d’objet.
Le tableau de la mélancolie est dominé par l’affect de deuil et la
douleur. Le travail du deuil décrit par Freud en 1915 dans Deuil et
Mélancolie concerne l’objet perdu (perte ou rupture d’avec l’objet
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’amour), dont le sujet doit se séparer, détacher la libido investie. Mais


dans la mélancolie, ce détachement ne s’opère pas du fait de l’investis-
sement narcissique de l’objet (l’autre, c’est moi). La perte de ce dernier
signifie une perte au niveau du moi (le moi s’est identifié à l’objet
maintenant perdu), et au lieu d’attaquer l’objet source de déplaisir
(l’objet frustrant, celui qui est parti), la haine se retourne sur le moi.
C’est le surmoi (instance issue du moi) qui reprend à son compte
cette agressivité exprimée contre le moi. Celle-ci se manifeste dans

147
Psychologie et psychopathologie des émotions

les autodépréciations qui peuvent aller jusqu’à la tentative de suicide,


comme issue potentielle à cette situation impossible : « Je ne suis bon
à rien, je ne mérite plus de vivre. »
Une autre issue est le renversement de la mélancolie sous une forme
maniaque : pôle opposé à la mélancolie, pouvant le compléter (voir
l’ouvrage de Pedinielli et Bernoussi, 2011, consacré aux états dépres-
sifs). Ici, le tableau est dominé par l’euphorie : l’espérance « folle » et
l’hyperactivité du sujet témoignent d’un moi grossi par l’objet (dont
la perte est déniée) qui lui dicte ses exigences.
« Dans la mélancolie, le surmoi traite le moi comme le moi (ou le
ça) aurait souhaité pouvoir traiter l’objet ; aussi par la même opération
il assouvit la haine du moi pour l’objet et la haine du surmoi pour le
moi. Dans la manie, le surmoi est réduit à néant par le moi omnipotent.
L’euphorie du moi vient donc de ce qu’ayant absorbé l’omnipotence
attribuée à l’objet, il peut par le même coup avaler le surmoi né de
l’introjection de l’objet. Curieusement, l’affect de triomphe (et l’eu-
phorie) de la manie est encore plus exigeant que l’affect de deuil, il lui
faut tout » (Green, 2004, p. 165).
Dans les schizophrénies, les affects sont désorganisés et désorga-
nisateurs : la haine domine largement l’appareil psychique. En effet,
d’un point de vue clinique, on assiste à l’expression (quand il y en a)
d’une affectivité paradoxale (les émotions sont intenses et ne sont
pas congruentes au contexte dans lequel elles surviennent). L’analyse
psychopathologique (psychanalytique) des affects fait apparaître leur
nature destructrice (pulsions de mort).
Tout est infiltré de haine d’après Green : l’affect, la réalité interne
(psychique) et externe (réalité dite objective). Sur le plan interne,
les attaques portent essentiellement sur les processus psychiques de
liaison entre affect et représentation. Ainsi, l’énergie (les pulsions)
venant de l’inconscient est libre, elle n’est pas maîtrisée par le moi et
attaque à loisir la pensée du sujet. Ces agressions permanentes venant
du ça rendent compte du vécu de désintégration, de morcellement qui
menace sans cesse le psychotique.
Par conséquent, tout ce qui émane du sujet est « à la fois de nature
idéique et émotionnelle. Toute séparation entre le sensible et l’intel-
ligible n’a plus cours ici. Seule est opérante la tentative de scission

148
Régulation de l’émotion et devenirs des affects ■ Chapitre 4

entre des fragments bons (à préserver, à incorporer) et des fragments


mauvais (à détruire, à expulser) » (Green, 2004, p. 168).
En d’autres termes, le moi, qui subit les attaques et se retrouve
au dépourvu (ne peut assurer le travail de liaison entre contenu
émotionnel et idée, même si cette dernière n’est pas toujours celle
d’origine comme on l’a vu dans le cas de la névrose obsessionnelle),
n’a d’autres moyens de défense que la scission, le clivage entre des
fragments bons du moi et d’autres mauvais. Ces derniers sont néces-
sairement projetés à l’extérieur, expulsés hors du moi, de sorte que
certains objets externes présenteront des caractéristiques identifiées
comme nocives, dangereuses par le sujet schizophrène (l’agressivité
destructrice ainsi rejetée à l’extérieur est largement mise en lien avec
l’angoisse d’intrusion souvent décrite dans la schizophrénie de type
paranoïde).
Enfin, l’affect principalement à l’œuvre dans la paranoïa est la
passion d’un objet. Il s’agit en fait de la passion du double de soi :
l’autre est un double, il est choisi comme un « Autre-Même ». Mais
cet autre ne peut rester l’objet de passion, il va rapidement devenir
le lieu de projection des pulsions haineuses intolérables à l’intérieur
du moi. Ainsi, la projection des affects haineux est une solution au
conflit d’ambivalence (inéluctable !). Freud a montré avec le président
Schreber les mécanismes de transformation des pulsions (les diffé-
rents destins des pulsions) qui permettent d’entendre le délire du
paranoïaque autrement (voir l’ouvrage de Pedinielli et Gimenez, 2009,
consacré aux psychoses de l’adulte).
L’affect est doublement inversé (en son contraire et vers l’autre) :
« Je ne l’aime pas – je le hais » (retournement en son contraire), « Je
le hais, il me hait » (projection vers l’autre), et « Puisqu’il me hait, je le
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

hais pour me défendre ». Ainsi, selon Green (2004), « le but du para-


noïaque n’est pas tant cette possession amoureuse destructrice de
l’objet passionnel que l’autodestruction par anéantissement de l’image
du double inversé qu’est son objet » (p. 170).

149
Chapitre 5
Prises en charge des troubles
des émotions
Sommaire
1. Préalables thérapeutiques à la prise en charge ....................... 155
2. Techniques thérapeutiques ..................................................... 157
Il nous semble nécessaire en introduction de ce chapitre de préciser
ce que recouvrent les notions de « subjectivité » et d’« identité ».
Différentes approches, comme la psychanalyse, ont proposé des défini-
tions. Les conceptions phénoménologiques et existentielles retiennent
ici notre attention car elles offrent l’avantage d’intégrer, dans l’ana-
lyse des phénomènes psychopathologiques, l’influence des facteurs
sociaux, culturels et psychologiques. En d’autres termes, ces notions
mettent l’accent sur une façon d’« être global » qui ne peut être saisie
que dans l’intersubjectivité de la relation et qui n’a de sens que dans
celle-ci.
Selon Alfred Kraus (1977), psychiatre phénoménologue allemand,
l’identité est une organisation de la subjectivité (perception ou ressenti
propre à un sujet). Plus précisément, l’« identité humaine » est une
sorte d’équilibre entre deux pôles : une « identité de rôle social »
(« Rôle ») et une « identité égoïque » (« Je »).
Nous exerçons tous une fonction sociale, professionnelle ou fami-
liale, nous jouons ainsi un rôle. Nous nous identifions plus ou moins
à ce rôle mais notre identité ne se résume pas à une seule fonction
puisque nous pouvons en changer, nous identifier à un autre rôle
ou même nous en défaire totalement sans pour autant perdre notre
identité propre. Entre l’identité de rôle et celle du moi il existe un
mouvement, une dialectique qui permet d’être autre que soi tout en
restant soi, ou d’être soi en étant différent de soi. Cependant, encore
faut-il qu’il reste un creux, un espace entre ces deux identités, c’est-
à-dire une distance au rôle social. Cette distance constitue l’enjeu d’un
équilibre dynamique entre « Je » et « Rôle » où l’individu évite les alié-
nations à l’autre mais aussi à soi.
Face au paradoxe de l’identité humaine, d’une distance savamment
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

dosée entre le Je et le Rôle, le sujet peut consentir (pour un temps ou


non) à confondre son identité de Je avec son identité de Rôle pour
s’économiser le maintien d’une distance source d’efforts constants.
Cependant, au-delà de ce gain d’énergie, le sujet cherche à ne pas être
exclu d’un environnement dont il dépend. Si l’individu tend à être un
« être-pour-autrui » dans le respect constant des valeurs sociales, c’est
bien plus par souci de « normalité » : une sorte de difficulté à soutenir,
face à autrui, son « originalité d’être » au risque d’aller à l’encontre

153
Psychologie et psychopathologie des émotions

des codes attendus par la société (voir le cas Patrick présenté dans le
chapitre 4).
D’après Ricœur (philosophe du soi), il convient de considérer
Soi-même comme un Autre (titre de son ouvrage paru en 1990), ce qui
sous-entendrait que l’autre est construit comme soi et sur son modèle
ou l’inverse, ou encore que les deux relations sont possibles dans une
sorte de cercle fonctionnel. Cette conception souligne l’importance
de l’intersubjectivité où autrui occupe une place centrale.
Le soi constitue l’autre mais l’autre constitue aussi le soi dans un
équilibre réciproque qui n’est d’ailleurs jamais complètement achevé
puisqu’il se réinstaure tout au long de la vie. Les rencontres que nous
faisons et les produits de ces intersubjectivités peuvent nous aider à
évoluer ou au contraire nous mettre en difficulté. De même que l’envi-
ronnement qui est le nôtre, au moment où nous vivons des événements
émotionnels significatifs, peut constituer un support à notre évolution.
L’expression de Ricœur, « Soi-même comme un Autre », peut être
rapprochée d’un principe premier de la pratique du psychologue :
l’empathie. Cette notion reprise par Rogers, en 1963, dans le cadre
thérapeutique de la « relation d’aide », désigne le mouvement qui
consiste à se mettre à la place de l’autre comme si c’était soi, sans jamais
perdre la dimension « comme si ». Cependant, « il se peut que, grâce à
Rogers et à ses écrits, il existe aujourd’hui une plus grande conscience
de l’importance de l’écoute et de l’empathie dans la relation thérapeu-
tique, mais une plus grande conscience n’implique pas nécessairement
un progrès dans l’aptitude de la plupart des thérapeutes à écouter et à
manifester de l’empathie » (cité dans Thorne, 1994, p. 132). C’est pour-
quoi cette notion fondamentale nous amène à proposer des préalables
thérapeutiques aux différents types de prise en charge (principalement
les psychothérapies d’orientation cognitive et comportementale, ainsi
que psychanalytique) des troubles émotionnels.

154
Prises en charge des troubles des émotions ■ Chapitre 5

1. Préalables thérapeutiques à la prise en charge


L’anxiété et la dépression font l’objet de nombreux travaux visant à
appréhender l’étendue des tableaux symptomatologiques. Mais il n’y
a pas deux « anxieux » qui se ressemblent, selon l’intensité des symp-
tômes présentés et leur arrangement ; un même constat est fait avec
les dépressions. Hormis les formes graves (risque suicidaire majeur,
perturbations importantes des fonctions vitales : sommeil et alimen-
tation) pour lesquelles l’hospitalisation s’impose, d’autres formes
existent, plus ou moins bien identifiées. Aujourd’hui, on constate une
inflation de ces diagnostics en médecine générale (effet de culture ?).
Plusieurs études montrent que la plupart des individus anxieux
ou dépressifs ont tendance à consulter exclusivement leur médecin
généraliste sans chercher à s’engager dans une démarche de prise en
charge psychologique. Les médecins sont les interlocuteurs privilé-
giés des souffrances (somatopsychiques ?) du quotidien. Ils se sentent
d’ailleurs souvent « démunis » lorsqu’il s’agit de statuer sur l’état
psychologique du patient et de proposer une orientation psychothé-
rapeutique adaptée (en médecine, très peu d’heures de formation sont
consacrées au repérage des symptômes anxieux et dépressifs, et aux
techniques de suivi psychologique spécifiques). L’information systé-
matique par les médecins sur les risques de rechute des patients traités
par la seule pharmacologie (sans psychothérapie associée) participerait
sans doute à une meilleure prise en charge (ce qui ferait également
baisser la consommation annuelle d’anxiolytiques et d’antidépresseurs
en France).
Pour ces patients, en passer par le somatique (« je viens vous voir
docteur parce que j’ai mal au dos, j’ai des maux de ventre », etc.)
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

constitue une première demande « rassurante » où la possibilité de


rester dans l’évocation des maux plutôt que celle d’« autres mots »
leur est offerte. C’est comme s’il revenait au médecin de parvenir à
décrypter ce qui se cache derrière le « visible » du somatique et de
décider ou non d’amener son patient sur le versant de la parole (autre
que celle du corps) : se pencher sur son vécu, sur ce que l’on ressent
sans crainte d’être « happé » par nos émotions. Il s’agit là d’une tâche
qui n’est pas simple car nous avons tendance à traiter le matériel

155
Psychologie et psychopathologie des émotions

verbal des émotions au même titre que n’importe quel autre maté-
riel verbal. Pour autant, parler de ses émotions n’est-il pas l’une des
choses les plus difficiles qu’il soit ? L’alexithymie si souvent repérée
et étudiée dans les tableaux anxieux et dépressif ressemble à ce que le
psychologue rencontre dans sa pratique, c’est-à-dire les « résistances »
du patient à parler de lui. Là où nous voyons des difficultés d’identifi-
cation et de verbalisation des émotions (sur le plan conceptuel), nous
pourrions parler de gêne à exprimer son vécu (au niveau clinique) ; là
où nous voyons une tendance au discours factuel (laissant présager un
manque de préoccupation pour son monde interne), il serait possible
d’entendre une façon de se préserver d’une image négative de soi
véhiculée par une stigmatisation (sociale) des termes d’anxiété et de
dépression.
La profession de psychologue véhicule, malgré elle, l’image d’une
autorité ayant le « pouvoir » de statuer sur la santé mentale d’autrui
(image sans doute héritée de l’époque de la « psychiatrie fermée »
comme l’illustre le film Vol au-dessus d’un nid de coucou). Pour
exemple, lorsque vous dites à quelqu’un (qui n’est pas forcément sensi-
bilisé à la psychologie et ses pratiques) de « consulter » s’il éprouve des
difficultés au quotidien dont il ne sait plus comment se sortir, vous
obtenez souvent comme réponse : « je ne suis pas malade, je n’en ai
pas besoin », ou encore « je ne suis pas fou, je ne vois pas pourquoi
j’irais consulter ».
Aussi, une fois la démarche entamée, le psychologue doit être vigi-
lant à ne pas « pathologiser » des manifestations dont la limite entre le
normal et le pathologique est souvent difficile à distinguer. Un patient
qui se parle à voix haute quotidiennement attire l’attention du clinicien
qui n’y voit pas forcément les signes d’une psychose.
Revenons-en aux présupposés de base sur lesquels toute technique
thérapeutique doit s’appuyer. En premier lieu, il s’agit de proposer
au patient ce qui fonde la rencontre clinique, c’est-à-dire l’accepta-
tion inconditionnelle de l’autre dans sa spécificité mais aussi dans la
part commune qu’il possède en tant qu’être social. Comment peut-on
amener l’autre à accepter ce qu’il ressent et par là même ce qu’il est ?
Classifier les manifestations humaines ne revient-il pas à instaurer
une distance entre soi et l’autre, excluant ce dernier du monde social

156
Prises en charge des troubles des émotions ■ Chapitre 5

dont le psychologue fait lui-même partie ? Il ne s’agit pas de considérer


que nos systèmes d’approche des phénomènes psychopathologiques
sont en tout point mauvais. Au contraire, ils nous aident souvent
à comprendre ce qui est très éloigné de nous par les repères qu’ils
instaurent là où nous aurions des difficultés à en percevoir (surtout
pour l’œil novice). C’est leur utilisation à outrance, détachée d’une
clinique de la subjectivité, qui peut comporter des limites.
Ainsi, « l’écoute bienveillante » et « l’empathie » constituent les
fondements de notre approche et sont évidentes à nombre de psycho-
logues. Pourtant, ce qui semble évident peut être le plus difficile à
percevoir et à intégrer. L’écoute empathique et la neutralité ont pour
but d’aider le patient à vivre ses émotions dans une relation à l’autre
détachée de tout jugement, où il pourra faire l’expérience de ses
émotions sans que cela n’entache le sentiment de soi.

2. Techniques thérapeutiques
Nous avons présenté plus haut (voir chapitre 3) les troubles
émotionnels (anxiété, dépression), les troubles de la reconnaissance
et de la verbalisation des émotions (alexithymie), ceux de l’expressivité
émotionnelle (émoussement affectif), et ceux de la capacité à ressentir
du plaisir (anhédonie). Ils sont considérés comme des pathologies à
part entière (troubles anxieux, troubles de l’humeur) ou des modes
de fonctionnement pouvant se retrouver dans différents troubles.
Le manque d’expressivité émotionnelle (émoussement affectif), la
perte de la capacité à éprouver du plaisir (anhédonie) et l’absence
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de mots pour exprimer ses émotions (alexithymie) sont conceptua-


lisés comme des dimensions transnosographiques (présentes dans
différents troubles ou syndromes). Elles revêtent un statut soit de
symptôme (anhédonie comme signe de la dépression), soit de méca-
nisme de défense, de stratégie d’adaptation (ressentir moins pour se
protéger des émotions négatives, ici l’émoussement affectif a valeur
adaptative), soit de trouble de la personnalité (l’alexithymie comme
facteur de vulnérabilité des maladies psychosomatiques).

157
Psychologie et psychopathologie des émotions

Les approches psychothérapeutiques se sont principalement


intéressées aux troubles anxieux, aux troubles dépressifs et au fonc-
tionnement alexithymique (en tant que trouble de la personnalité).
Plus largement, la reconnaissance des émotions, leur expression (ou
plutôt leur absence) et les différents moyens de régulation mis en
œuvre par les patients sont au centre des préoccupations des cliniciens.

2.1 Patients anxieux

2.1.1 Pharmacologie

Aujourd’hui, il existe essentiellement deux catégories de médica-


ments des troubles anxieux : les anxiolytiques et les antidépresseurs.
Les tranquillisants (ou anxiolytiques) réduisent, dans les minutes
qui suivent leur prise, l’angoisse psychique, et agissent sur les symp-
tômes somatiques dus à la tension émotionnelle (palpitations, tensions
musculaires, troubles du sommeil, etc.). Leur durée de prescription
doit être limitée dans le temps et un risque de dépendance (évalué
comme faible) est à prendre en considération.
Les antidépresseurs réduisent classiquement les symptômes dépres-
sifs. Aujourd’hui, ces médicaments sont également recommandés
comme traitement de fond de l’anxiété et en particulier du trouble
d’anxiété généralisée et du trouble panique. Les troubles anxieux sont
devenus une indication reconnue de ces médicaments dont on pour-
rait remettre en cause l’appellation actuelle (comme l’utilisation des
catégories « troubles anxieux » et « troubles dépressifs » est discutée
par les cliniciens qui préconisent une approche dimensionnelle des
tableaux anxio-dépressifs ; voir chapitre 3).
Ces médicaments (anxiolytiques comme antidépresseurs) sont de
plus en plus prescrits, par des médecins généralistes ou des psychiatres,
à des personnes présentant surtout des difficultés « nerveuses » passa-
gères. Lorsque le caractère pathologique (c’est-à-dire « handicapant »)
est net, le choix du médicament adapté est également difficile pour des
médecins peu formés à l’évaluation des symptomatologies complexes
car très diversifiées.

158
Prises en charge des troubles des émotions ■ Chapitre 5

De manière générale, le traitement chimique de l’anxiété est réservé


aux cas de crise aiguë ou d’état douloureux psychiquement intense
et bien déterminé. Il doit être accompagné (ou l’inverse ?) d’un suivi
psychothérapeutique.

2.1.2 Psychothérapies

Il existe plusieurs types de psychothérapies d’orientation psycha-


nalytique, d’autres d’orientation cognitive et comportementale, ainsi
que des nouvelles techniques cherchant à associer des composantes
de ces deux grands types d’approches. Les spécialistes considèrent de
plus en plus que les approches peuvent s’associer ou se succéder pour
aboutir au meilleur résultat possible. Le choix dépend avant tout de
ce que souhaite le sujet concerné, de ce qu’il peut concrètement faire,
et des conseils retenus auprès des personnes à qui il a demandé de
l’aide. Le médecin joue ici un rôle important : il doit avant tout être le
décodeur des mots du patient qui le consulte, sans que ses angoisses
soient forcément présentées de façon explicite.
Les thérapies d’inspiration analytique regroupent les psychothé-
rapies d’inspiration psychanalytique (patient et thérapeute sont assis
« face à face ») et la cure type (le patient est allongé sur un divan et ne
voit pas le thérapeute qui est assis derrière lui). Le principe premier
repose sur l’évocation du vécu du patient tel qu’il arrive à sa conscience.
Cette parole ainsi produite dans l’espace de la rencontre rend possible
(autant que les résistances le permettent) la mise en lien, l’association
(libre) d’idées entre des éléments présents et d’autres appartenant au
passé de la vie du sujet. Le thérapeute soutient ce travail d’élaboration
(mise en lien d’éléments en apparence distincts, en attente de significa-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

tion) dans la relation avec le patient. Au-delà de ces principes premiers


qui fondent la technique analytique, il revient à l’analyste d’évaluer la
place de chaque manifestation, de chaque symptôme dans l’économie
psychique du sujet. L’attention et les attitudes du thérapeute changent
à l’endroit de ces repérages. Dans le cas de l’anxiété « pure » (sans
dépression associée), le psychanalyste (ou le psychologue d’orientation
analytique) va accompagner le patient à rechercher les sources de son
angoisse. Celle-ci provient généralement d’un débordement pulsionnel,

159
Psychologie et psychopathologie des émotions

c’est-à-dire d’un déficit dans les processus psychiques de pare-excita-


tion (lié à un traumatisme infantile ?). Il s’agit ici de rechercher plus le
sens que les causes réelles, d’éléments présents dans l’histoire du sujet,
comme la répétition d’un traumatisme (selon la première théorie de
l’angoisse) ou l’effet du refoulement (seconde théorie de l’angoisse).
Les thérapies cognitivo-comportementales se sont développées
largement ces dernières années. Elles sont dites « brèves », en référence
à la durée du traitement (quelques mois tout au plus). Il est question
d’agir sur les schémas de pensée et les comportements du patient en
se basant sur ses problématiques actuelles. Elles sont indiquées dans
le cadre des symptomatologies anxieuses et, en particulier, pour les
crises de panique, les phobies simples et sociales, ainsi que les obses-
sions et compulsions.
La technique consiste en une exposition progressive aux situations
anxiogènes, après les avoir affrontées en imagination (exemple : le
patient souffrant d’agoraphobie se passe « le film » d’une sortie dans
un centre commercial un samedi après-midi, lors de séances avec son
thérapeute, dans le but de prendre conscience des pensées anxiogènes
et inadaptées qui lui viennent à l’esprit). Cette approche constitue
surtout une pédagogie centrée sur les prédictions funestes de l’anxieux
(impressions de mort imminente au milieu de la foule par exemple) et
la vérification de leur erreur par l’épreuve de réalité (l’exposition à la
foule entraîne de l’angoisse qui se traduit par des sensations d’étouffe-
ment, la gorge qui se serre, la tête qui tourne : sensations qui ont pour
effet de renforcer l’angoisse dans une sorte de cercle vicieux duquel
le patient peut s’extraire).
La plus grande partie des séances est consacrée au travail sur les
prédictions : souci anticipé d’une situation, du jugement supposé des
autres et de soi-même, comportements qui risquent d’en résulter, etc.
Autant de réactions en chaîne qui renforcent et conditionnent le sujet.
Des schémas alternatifs de pensées sont alors recherchés, évalués puis
mis à l’épreuve de la réalité. Les objectifs poursuivis sont de plusieurs
ordres :
– l’établissement et le renforcement constant d’une relation de
confiance entre le patient et son thérapeute : il s’agit d’identifier
ensemble les pensées automatiques, les croyances, mais aussi les

160
Prises en charge des troubles des émotions ■ Chapitre 5

émotions liées à la peur du rejet ou du jugement d’autrui qui sont


responsables des comportements d’évitement du patient anxieux ;
– l’accroissement du contrôle émotionnel : en identifiant mieux
le ressenti, le but est d’augmenter la tolérance du patient aux
situations anxiogènes, d’abord pendant les séances puis en dehors
de celles-ci ;
– l’amélioration de l’affirmation de soi en situations sociales pour
modifier les « schémas centraux » : en dispositif groupal, il s’agit
de réaliser des jeux de rôle mettant en scène des situations de la
vie courante pour confronter les participants à leurs croyances
et énoncer les moyens de les modifier. Ces situations consti-
tuent une expérience de meilleur contrôle émotionnel dans le
cadre protégé et artificiel de la psychothérapie, et contribuent
à aider ces patients à sortir de leur angoisse considérée comme
« apprise ».
À cette approche essentiellement mentale et comportementale, on
associe souvent une technique de relaxation. Elle doit être encadrée par
un thérapeute formé et elle est à envisager comme un « complément »
du suivi psychothérapeutique.
La relaxation consiste à conjuguer deux états qui ne coexistent pas
naturellement : la concentration et la détente musculaire. En général,
lorsqu’on est concentré, on est tendu sur le plan musculaire ; inver-
sement, lorsqu’on a une bonne détente musculaire, l’esprit s’évade et
on s’endort. Se relaxer est un entraînement qui permet de conjuguer
les deux états, en se basant sur la respiration abdominale pour induire
l’état de relaxation.
Pourtant, le sujet anxieux éprouve toutes les difficultés à se « laisser
aller » : baisser le contrôle vigilant est source d’anxiété et l’accentue.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

C’est une concentration volontaire de l’esprit, sur une représentation


du corps source de capacité à se détendre, qui est visée. La relaxation
permet alors d’améliorer le contrôle émotionnel : lorsqu’on se sent
submergé par ses émotions, se concentrer sur autre chose que ses
appréhensions habituelles permet de détourner son attention de l’envi-
ronnement anxiogène pour se concentrer sur soi. Elle conditionne
l’acquisition d’une habitude : éviter la réflexion (pensées en boucle)
qui renforce l’angoisse et la tension nerveuse.

161
Psychologie et psychopathologie des émotions

2.2 Patients dépressifs

2.2.1 Pharmacologie

Dans le cas des états dépressifs, l’utilisation complémentaire de


traitements « chimique » (antidépresseurs) et « psychique » (théra-
pies brèves ou analytiques) est recommandée. Il s’agit de fournir aux
patients l’étayage nécessaire pour évoluer vers un mieux-être et d’ins-
crire ce dernier dans le temps (les risques de rechute sont d’autant
plus importants lorsque seul un traitement pharmacologique est
administré).
Les antidépresseurs réduisent classiquement les symptômes dépres-
sifs : ils agissent avant tout sur le ralentissement, diminuent la tristesse,
limitent la survenue des crises de larmes, apaisent la douleur morale,
et espacent les ruminations morbides (idées suicidaires). Au bout de
quelques semaines, le plus souvent, on observe dans une majorité des
cas, une amélioration franche de l’humeur et une levée des inhibitions :
le patient retrouve de l’intérêt pour certaines activités, le ralentisse-
ment psychomoteur s’estompe, le sommeil devient plus régulier et
l’appétit revient. Ils sont donc un support intéressant dans les dépres-
sions franches où la « récupération émotionnelle » permettra d’autant
mieux l’investissement du patient dans un suivi psychologique.

2.2.2 Psychothérapies

D’un point de vue psychothérapeutique, plusieurs approches


existent et elles peuvent être complémentaires. Il n’est pas question
pour autant de multiplier les prises en charge et par conséquent les
thérapeutes, au risque de diluer la parole singulière du patient comme
celle du praticien (même si la tendance actuelle de notre société pousse
à la consommation. Le message véhiculé par le « discours capitaliste »
est formulé comme une promesse : « multiplier les objets vous rendra
plus heureux » !). Il revient au thérapeute d’être formé (donc « ouvert »)
à différentes techniques de sorte qu’il puisse proposer une prise en
charge adaptée à chaque patient. De façon générale, on distingue les
thérapies d’inspiration analytique des thérapies brèves.

162
Prises en charge des troubles des émotions ■ Chapitre 5

Les psychothérapies cognitives et comportementales visent à trans-


former le traitement des informations considéré comme inadapté (non
efficace pour l’individu).
Un premier temps d’identification des représentations mentales
« erronées » (pensées négatives) par le patient, avec l’aide du théra-
peute, a pour but de prendre conscience des procédures de traitement
d’informations mises en place (biais d’interprétation de la réalité).
Un second temps « pédagogique » a pour objectif de rétablir un
fonctionnement adapté (exempt de symptômes) en substituant les
pensées non conformes à la réalité (« Je suis en échec professionnel
parce que je suis nul ») à d’autres plus réalistes et adéquates aux situa-
tions passées et futures (« Je n’étais pas épanoui dans ce travail. Le
manque de motivation ne m’a pas poussé à donner le meilleur de
moi-même »).
Avec les thérapies d’inspiration analytique (cf. plus haut), il revient
au thérapeute d’évaluer la place de chaque manifestation, chaque
symptôme dépressif dans l’économie psychique du sujet. Différents
auteurs (praticiens psychanalystes ou d’orientation analytique)
proposent de s’atteler à l’analyse fine des symptômes dépressifs afin
d’adapter au mieux les attitudes thérapeutiques.
Widlöcher (psychiatre psychanalyste français) a suggéré que le
ralentissement psychomoteur pourrait représenter au-delà d’un symp-
tôme un élément central et organisateur de la dépression. Il situe ce
dernier dans un modèle de causalité réciproque : la dépression est une
maladie dont les causes peuvent être organiques et/ou psychiques, et
qui réagit, quelle qu’en soit l’origine, à des médicaments chimiques
et à une action psychothérapeutique (le symptôme, au sens médical,
comporte un soubassement biologique sur lequel les antidépresseurs
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

peuvent agir ; en psychanalyse, il constitue un compromis entre désir


inconscient et défense).
Dans la thérapie, il s’agit d’être attentif à ce ralentissement (présent
à des degrés différents) bien plus qu’à l’inhibition de l’affectivité
(l’émoussement affectif) qui n’est pas systématique dans les tableaux
dépressifs. L’hypothèse de Solange Carton est la suivante : « il [le ralen-
tissement psychomoteur] peut être surinvesti dans l’objectif d’éteindre
l’affectivité, voire de servir de contre-investissement aux scénarios

163
Psychologie et psychopathologie des émotions

fantasmatiques inconscients qui cherchent à s’activer. Ce surinves-


tissement du manque d’énergie, de la fatigue aussi bien psychique
que corporelle aurait pour objectif, et pour effet, d’éteindre l’émotion,
d’abraser la réactivité émotionnelle » (Carton, 2011, p. 69).
Cette conception s’appuie sur le modèle freudien de la mélancolie
où la perte de la capacité d’aimer (retrait de la libido investie sur
l’objet) et l’inhibition psychique dominent. « Il se pourrait alors que la
modalité de surinvestissement du ralentissement que nous proposons
serve, avant tout, à contre-investir la haine et le lien aux objets qu’elle
contient » (Carton, 2011, p. 71). Le patient dépressif est ralenti pour
ne pas être haineux envers l’objet frustrant : le ralentissement serait
une forme de défense au conflit d’ambivalence.
Les médicaments antidépresseurs agissent directement sur le ralen-
tissement. Si ce symptôme revêt une valeur adaptative comme le
souligne Carton, alors il n’est pas inhabituel de voir apparaître le risque
de passage à l’acte suicidaire que la levée du symptôme (par l’action
pharmacologique) induit. Ici réside toute l’importance de la prise en
charge psychothérapeutique analytique qui cherchera à comprendre
ce qui détermine la dépression et ce que le sujet en dit.

2.3 Patients alexithymiques

2.3.1 Pharmacologie

Il n’existe pas de traitement chimique de référence de l’alexi-


thymie. Une approche purement pharmacologique n’est d’ailleurs
pas envisageable (symptôme multifactoriel). Il existe une variété de
psychotropes utilisés dans le traitement chimique des troubles de
la régulation des émotions : benzodiazépines, antidépresseurs de
plusieurs sortes, thymorégulateurs et neuroleptiques. Les indications
sont liées au repérage de symptômes spécifiques : anxiété, attaque de
panique, dépression, humeur instable, irritabilité, impulsivité, etc.
Il existe des effets positifs rapides mais les rechutes sont fréquentes
lors de l’arrêt du traitement sans accompagnement psychologique.
Ici, comme avec les états dépressifs, le traitement chimique (effet sur

164
Prises en charge des troubles des émotions ■ Chapitre 5

l’instabilité émotionnelle) peut venir en complément d’une prise en


charge psychothérapeutique.

2.3.2 Psychothérapie individuelle

D’après Corcos et Speranza (pédopsychiatres français spécialisés


dans le suivi des patients alexithymiques), la prise en charge indivi-
duelle la plus efficace serait une modalité de soin organisée qui intègre
des phases successives de techniques cognitives et comportementales
(TCC) et de technique psychanalytique :
– avec les TCC, le travail porte sur une tolérance progressive des
affects et un renforcement des performances d’intégration des
défauts de régulation émotionnelle ;
– avec la technique psychanalytique, c’est l’interprétation et l’éla-
boration des dimensions inconscientes de la singularité qui sont
visées.
De façon générale, le thérapeute doit faire un choix clinique entre
les deux étymologies du terme « alexithymie » (voir chapitre 3) :
– privatif (qui signifie « absence »), lexis- (de « lecture »), thymos
(des « émotions ») ;
– alex- (« protection contre ») et thymos (des « émotions »).
Si l’alexithymie est repérée par le clinicien comme un symptôme (au
sens psychanalytique : formation de compromis), le premier temps de la
prise en charge va concerner avant tout le « holding » (terme qui renvoie
aux notions d’empathie et de compréhension). Il s’agit premièrement
d’accueillir le symptôme sans a priori idéologique en privilégiant la
fonction « contenante » et « liante » plutôt qu’« interprétante » ; deuxiè-
mement, d’éviter les frustrations synonymes de réactivation des
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sentiments d’abandon (pas trop de silence, pas trop de changements


du cadre, pas trop d’interprétations) ; d’éviter tout sentiment d’intru-
sion en travaillant sur le matériel inconscient de la relation présente
(sans référence au passé) ; d’avoir des « représentations d’attente »
(selon l’expression de Freud), c’est-à-dire une forme d’interprétation
à disposition, que le patient choisit de faire sienne ou pas.
Le thérapeute doit viser à rester un « objet consistant » (investis-
sement régulier du patient) source d’identifications (appui pour son

165
Psychologie et psychopathologie des émotions

identité) tout en veillant à conserver la « bonne » distance. Le risque


serait que le patient établisse une relation de dépendance symbiotique
avec la personne extérieure jouant le rôle de régulateur interne défail-
lant (et une confrontation trop brusque à cette dépendance sollicitée
dans le transfert peut être catastrophique pour les patients confrontés
à la mesure de leurs besoins).
Corcos et Speranza soulignent également l’importance du regard du
thérapeute pendant les séances : porter et répondre du regard et de la
parole à ce patient mutique, en brisant la glace (du miroir) « où il vous
perçoit comme une imago parentale ». Le patient impose dans le trans-
fert un mode de relation en miroir de ce qu’il a subi (une sorte d’abandon,
une carence de soutien représentationnel du vécu émotionnel).
Il s’agit « de toucher, avec toute la précaution nécessaire, le patient
dans des dimensions affectives inconnues donc terrorisantes pour lui
et qui vont mobiliser des réactions violentes à la mesure de leur inten-
sité » (Corcos et Speranza, 2003, p. 234).
Si l’alexithymie est appréhendée comme une défense, le thérapeute
doit s’en arranger et aider le patient à potentialiser certains éléments
affectifs restés à l’état de germe (carence de valorisation) et nuancer
d’autres toxiques (carence de contenance). Il s’agit d’un processus
long et progressif où des observations directes portant sur l’expression
comportementale de leurs émotions seront pour ces patients une source
importante d’informations qui les aidera à découvrir leurs affects.
De façon générale, l’approche thérapeutique ne doit pas être centrée
sur l’interprétation des symptômes somatiques souvent présents chez
les alexithymiques (liens entre processus psychiques et somatiques). Au
contraire, elle doit viser l’amélioration de la perception des émotions
et les capacités de représentation que les patients alexithymiques ont
de leur vécu affectif (évolution progressive de la conscience émotion-
nelle). L’amélioration du traitement émotionnel aidera à diminuer
les décompensations somatiques ainsi que les « décharges comporte-
mentales » comme la prise de toxiques ou les crises de boulimie par
exemple (Gross et Muñoz, 1995). Avec ce type d’aménagement, le
thérapeute devient un véritable auxiliaire du moi (et non une réponse
en miroir) pour le patient : il lui permet de reconnaître ses émotions
et l’autorise à vivre des expériences affectives nouvelles.

166
Conclusion

Les émotions repérées en psychopathologie se présentent aussi


sous des formes dites normales : elles signent une perturbation de
la subjectivité sans pour autant être une maladie mentale (exemple :
l’anxiété, la tristesse, etc.). Une catégorisation qui permettrait d’isoler
les « bonnes » des « mauvaises » émotions est vaine et n’a pas de sens :
la pathologie survient lorsque l’émotion est dérégulée, que l’affect est
transformé, camouflé, réprimé, qu’il connaît des aléas qui empêchent
son expression directe à l’autre. La « psychopathologie des émotions »
tente de comprendre et d’expliquer ces perturbations qui font partie
du quotidien.
La « psychopathologie » est une science carrefour qui se nourrit de
savoir provenant de différentes disciplines : neurobiologie ; psychia-
trie ; psychanalyse ; psychologies cognitive, sociale, clinique ; etc.
Concernant « les émotions », les modèles théoriques, ainsi que les
implications cliniques et thérapeutiques qu’ils proposent sont riches.
Chaque conception apporte sa pierre à l’édifice dans la compréhension
des phénomènes émotionnels et affectifs. Certaines cherchent à ériger
les lois d’un fonctionnement émotionnel « normal » afin de mieux
comprendre le développement et le maintien des pathologies des
émotions, pendant que d’autres sont plus soucieuses de comprendre
et d’entendre l’expérience subjective des émotions.
La psychopathologie actuelle des émotions est de moins en moins
« clivée » (en France, du moins) : les chercheurs qui s’intéressent à
la question des émotions sont également des cliniciens (au sens de
la « clinique », être au chevet du malade) qui tentent d’établir des
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

passerelles entre les approches humanistes de l’affect (psychana-


lyse, phénoménologie, etc.), les approches naturalistes (biologique,
cognitiviste, béhavioriste, etc.) et environnementalistes (sociale, déve-
loppementale, anthropologique, etc.) des émotions pour concevoir une
psychopathologie intégrative des phénomènes affectifs.

167
Bibliographie

Akiskal, H. S., Khani, M. K., & Scott- Bardel, M. H., & Colombel, F. (2009).
Strauss, A. (1979). Cyclothymic Rôles spécifiques de l’anxiété
Temperamental Disorders. Psy- trait et état dans l’apparition et le
chiatric Clinics of North America, maintien des biais attentionnels
2, 527-554. associés à l’anxiété : état des lieux
American Psychiatric Association et pistes d’investigation. Encé-
(2003). DSM-IV-TR : manuel dia- phale, 35(5), 409-416.
gnostique et statistique des Bar-On, R. (1997). The EQ-I: Bar-On
troubles mentaux (4e éd. rév. ; tra- Emotion Quotient Inventory,
duit par J. D. Guelfi & M. A. Crocq). technical manual. Toronto: Multi-
Paris : Masson. Health Systems.
American Psychiatric Association Barrera, M. J. (1986). Distinctions
(2008). DSM-IV-TR. Cas cliniques between social support concepts,
(traduction coordonnée par M. A. measures, and models. American
Crocq). Paris : Masson. Journal of Community Psycho-
American Psychiatric Association logy, 14(4), 413-445.
(2015). DSM-5 : manuel diagnos- Barrett, L. F. (2006). Solving The Emo-
tique et statistique des troubles tion Paradox: categorization and
mentaux (5e éd. ; traduit par J. D. the experience of emotion. Per-
Guelfi & M. A. Crocq). Paris : Mas- sonality and Social Psychology
son. Review, 10, 20-46.
Arnold, M. (1960). Emotion and Perso- Barrett, L. F., Lindquist, K. A., & Gen-
nality (vol. 1 & 2). New York: Colum- dron, M. (2007). Language as
bia University Press. context for the perception of emo-
Averill, J.-R. (1980). A constructivist tion. Trends in Cognitive Sciences,
view of emotion. In R. Plutchik & 11, 327-332.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

H. Kellerman (Eds.), Theories of Beck, A. T. (1984). Cognitive Approaches


Emotion (pp. 305-340). New York: to Stress. In C. Lerher & R. L. Wool-
Academic Press. folk (Eds.), Clinical Guide to Stress
Bajgar, J., Ciarrochi, J., Lane, R. D., & Management. New York: Guilford
Deane, F. P. (2005). Development Press.
of the Levels of Emotional Aware- Beck, L., Kumschick, I. R., Eid, M., &
ness Scale for Children (LEAS-C). Klann-Delius, G. (2012). Relation-
British Journal of Developmental ship Between Language Compe-
Psychology, 23, 569-586. tence and Emotional Competence

169
Psychologie et psychopathologie des émotions

in Middle Childhood. Emotion, 12(3), Neuropsychiatrie de l’enfance et


503-514. de l’adolescence, 59, 157-162.
Berenbaum, H., & Prince, J. D. Bréjard, V., Bonnet, A., Rouan, G.,
(1994). Alexithymia and the Inter- Fernandez, L., & Pedinielli, J.-L.
pretation of Emotion-Relevant (2002). Alexithymie, disposition
Information. Cognition and Emo- émotionnelle et comportement
tion, 8, 231-244. à risque. L’Information psychia-
trique, 6(78).
Bertagne, P., Pedinielli, J.-L. & Marlière,
C. (1992). Alexithymia. Evaluation, Brody, L. R., & Hall, J. A. (1993). Gender
quantitative and clinical Data. and Emotion. In M. Lewis & J. Havi-
Encéphale, 18, 121-30. land (Eds.), Handbook of Emotions.
New York: Guilford Press.
Bertin Persichini, C. (2015). Détec-
tion des symptômes anxieux et Bryant, F. B., Yarnold, P. R., & Grimm,
dépressifs en médecine générale, L. G. (1996). Toward a Measure-
ment Model of the Affect Intensity
thèse de doctorat en médecine,
Measure. A Three Factor Structure.
Université de Paris Descartes.
Journal of Research in Persona-
Berthoz, S., Consoli, S., Perez-Diaz, F., lity, 30, 223-247.
& Jouvent, R. (1999). Alexithymia
Bungener, C., & Besche-Richard, C.
and Anxiety. Compounded Rela-
(2006). Psychopathologies, émo-
tionships ? A Psychometric Study.
tions et neurosciences. Paris :
European Psychiatry, 14, 372-378.
Belin.
Bloom, L. (1998). Language develop-
Bursztejn, C. (2011). Les classifications
ment and emotional expression.
en psychiatrie de l’enfant et de
Pediatrics, 102, 1272-1277. l’adolescent : questions épistémo-
Bonhert, A. M., Crnic, K. A., & Lim, K. G. logiques. L’Information psychia-
(2003). Emotional competence and trique, 87(5), 363-367.
aggressive behavior in school-age Butler, E. A. & Gross, J. J. (2004). Hiding
children. Journal of Abnormal feelings in social contexts: Out of
Child Psychology, 31, 79-91. sight is not out of mind. In P. Phi-
Bosacki, S., & Moore, C. (2004). Pre- lippot & R. S. Feldman (Eds.), The
schoolers’ understanding of Regulation of Emotion (pp. 101-
simple and complex emotions: 126). Mahwah: Erlbaum.
Links with gender and language. Butler, E. A. & Gross, J. J. (2009).
Sex Roles, 50, 659-675. Emotion and Emotion Regula-
Bréjard, V., Bonnet, A., Pasquier, A., tion: Integrating Individual and
& Pedinielli, J.-L. (2011). Sympto- Social Levels of Analysis. Emotion
matologie dépressive à l’adoles- Review, 1(1), 86-87.
cence : rôle de la personnalité et Cadenhead, K., Kumar, C., & Braff, D.
de la conscience émotionnelle. (1996). Clinical and Experimental

170
Bibliographie

Characteristics of “Hypotheti- Castel, P.H. (2004). Émotions, senti-


cally Psychosis Prone” College ments et affects : un point philo-
Students. Journal of Psychiatric sophique, puis psychanalytique.
Research, 30, 331-340. Les Nouvelles d’Archimède, 7-7.
Campos, J. J., Walle, E. A., Dahl, A. & Chapman, L. J., Chapman, J. P., & Rau-
Main, A. (2011). Reconceptualizing lin, M. L. (1976). Scales for Physical
emotion regulation. Emotion and Social Anhedonia. Journal of
Review, 3(1), 26-35. Abnormal Psychology, 85, 374-382.
Cannon, W. B. (1927). The James-Lange Charland, L. C. (2006). La psychopatho-
theory of emotions: A critical logie et le statut d’espèce natu-
examination and an alternative relle de l’émotion. Philosophiques,
theory. American Journal of Psy- 33(1), 217-230.
chology, 39, 106-124.
Chassaing, J. L. (2003). Pas d’histoire :
Carton, S. (2001). Aspects psycho- ça m’affecte ! La clinique laca-
logiques de la régulation émo- nienne, 1(6), 157-164.
tionnelle dans la dépendance
Compas, B. E., Jaser, S. S., Dunbar,
tabagique. Annales de médecine
J. P., Watson, K. H., Bettis, A. H.,
interne, 152(3), 1S60-1S66.
Gruhn, M. A., & Williams, E. K.
Carton, S. (2011). Silence des émo- (2014). Coping and Emotion Regula-
tions, silence des affects dans les tion from Childhood to Early Adul-
dépressions. In S. Carton, C. Cha- thood: Points of Convergence and
bert & M. Corcos (Eds.), Le Silence Divergence. Australian Journal of
des émotions. Clinique psychana- Psychology, 66(2), 71-81.
lytique des états vides d’affects.
Corcos, M., & Jeammet, P. (2005). Les
Paris : Dunod.
dépressions à l’adolescence.
Carton, S., & Widlöcher, D. (2012). Emo-
Paris : Dunod.
tions et affects en psychanalyse.
Corcos, M., & Pirlot, G. (2011). Qu’est-ce
Gériatrie et Psychologie Neuro-
psychiatrie du Vieillissement, que l’alexithymie ? Paris : Dunod.
10(2), 177-186. Corcos, M., & Speranza, M. (2003). Psy-
Carver, C.S., Scheier, M. F. & Wein- chopathologie de l’alexithymie.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

traub, J. K. (1989). Assessing Paris : Dunod.


Coping Strategies: a Theoretically Cossette, L., Leveille, E., Gaudreau, M.
Based Approach. Journal of Per- & Cote, N. (2001). La socialisation
sonality and Social Psychology, des émotions chez le nourris-
56(2), 267-283. son : le rôle du langage maternel.
Cassel, J. (1976). The contribution of Canadian Journal of Behavioural
the social environment to host Science, 4, 1-19.
resistance. American Journal of Cottraux, J. (1995). Modèles comporte-
Epidemiology, 104,107-123. mentaux et cognitifs des troubles

171
Psychologie et psychopathologie des émotions

anxieux. Confrontations psychia- Depression. American Journal of


triques, 36, 231-260. Preventive Medecine, 31(6S1), 136-
Cutting, A., & Dunn, J. (1999). Theory 142.
of mind, emotion understanding, Flavell, J. H. (1963). The Developmental
language, and family background: Psychology of Jean Piaget. Lon-
Individual differences and inter- don: D. Van Nostrand Company.
relations. Child Development, 70, Folkman, S., & Lazarus, R. S. (1988). The
853–865. relationship between coping and
Darwin, C. (1872). The Expression of emotion: implications for theory
the Emotions in Man and Animals and research. Social Science and
(ed. 1965). Chicago: University of Medicine, 26(3), 309-317.
Chicago Press. Folkman, S., & Lazarus, R. S. (1991).
Deary, I. J., Scott, S., & Wilson, J. A. Coping and emotion. In A. Monat
(1997). Neuroticism, Alexithymia & R. S. Lazarus (Eds.), Stress and
and Medically Unexplained Symp- Coping: An anthology (pp. 207-
toms. Personality and Individual 227). New York: Columbia Univer-
sity Press.
Differences, 22, 551-564.
Forthomme, B. (2004). L’émotion. Les
Diener, E., Sandvik, E., Pavot, W., &
Nouvelles d’Archimède, 6-6.
Fujita, F. (1992). Extraversion and
Subjective Well-being in a US Freud, S. (1905). Trois essais sur la
National Probability Sample, Jour- théorie sexuelle (éd. 1987). Paris :
nal of Research in Personality, 26, Gallimard.
205-215. Freud, S. (1911). Le Président Schreber
Dixon-Gordon, K. L., Bernecker, S. L. (éd. 2004). Paris : PUF.
& Christensen, K. (2015). Recent Freud, S. (1915). Métapsychologie (éd.
innovations in the field of inter- 1968). Paris : Gallimard.
personal emotion regulation. Freud, S. (1916-1917). Leçons d’introduc-
Current Opinion in Psychology, 3, tion à la psychanalyse (éd. 2013).
36-42. Paris : PUF.
Ekman, P. (1984). Expression and the Freud, S. (1917). Introduction à la psy-
nature of emotion. In K. Scherer chanalyse (éd. 1983). Paris : Payot.
& P. Ekman (Eds.), Approaches to Freud, S. (1925). La vie sexuelle (éd.
Emotion (pp. 319-343). Hillsdale: 1985). Paris : PUF.
Lawrence Erlbaum Associates. Freud, S. (1926). Inhibition, symp-
Fédida, P. (2001). Des bienfaits de la tôme, angoisse (éd. 2002). Paris :
dépression: éloge de la psycho- PUF.
thérapie. Paris : Odile Jacob. Frijda, N. H. (1986). The Emotions.
Flannery-Schroeder, E. C. (2006). Redu- Cambridge and New York: Cam-
cing Anxiety to Prevent bridge University Press.

172
Bibliographie

Frijda, N. H. (1994). The Nature of Emo- M. Corcos & M. Speranza (Eds.),


tions: Fundamental questions. Psychopathologie de l’alexithy-
New York: Oxford University Press. mie. Paris : Dunod.
Gédance, D., Ladame, F. G., & Snak- Guelfi, J. D., & Crocq, M. A. (2003). La
kers, J. (1977). La dépression chez place des DSM dans l’enseigne-
l’adolescent. Revue française de ment de la psychiatrie. Confron-
psychanalyse, 41(1-2), 257-259. tations psychiatriques, 44, 177-192.
Gendron, M., & Barrett, L. F. (2009). Gutton, P. (1991). Le pubertaire. Paris :
Reconstructing the past: a cen- Gallimard.
tury of ideas about emotion in Haber, M. G., Cohen, J. L., Lucas, T.
psychology. Emotion Review, 1, & Baltes, B. B. (2007). The rela-
316-339. tionship between self-reported
Graziani, P. (2003). Anxiété et troubles received and perceived social
anxieux. Paris : Armand Colin. support: A meta-analytic review.
Grazzani, I., Ornaghi, V., Conte, E., American Journal of Community
Pepe, A., & Caprin, C. (2018). Psychology, 39, 133-144.
The Relation Between Emotion Halbesleben, J. R. B. (2006). Sources
Understanding and Theory of of Social Support and Burnout: A
Mind in Children Aged 3 to 8: The meta-Analytic Test of the Conser-
Key Role of Language. Frontiers in vation of Resources Model. Jour-
Psychology, 9, 724. nal of Applied Psychology, 91(5),
Green, A. (2004). Le Discours vivant. 1134-1145.
Paris : PUF. Haviland, M. G., MacMurray, J. P., &
Greenglass, E. R. (1993). The contribu- Cummings, M. A. (1988). The Rela-
tion of social support to coping tionship between Alexithymia and
strategies. Applied Psychology: Depressive Symptoms in a Sample
An International Review, 42(4), of Newly Abstinent Alcoholic Inpa-
323-340. tients. Psychotherapy and Psy-
Gross, J.J. (1998). The emerging field of chosomatics, 49, 37-40.
emotion regulation: An integrative Heller, K., & Swindle, R. W. (1983).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

review. Review of General Psy- Social networks, perceived social


chology, 2(3), 271-299. support, and coping with stress.
Gross, J.J., & Muñoz, R. F. (1995). Emo- In R. D. Felner, L. A. Jason, J. N.
tion Regulation and Mental Health. Moritsugu, & S. S. Farber (Eds.),
Clinical Psychology: Science and Preventive Psychology: Theory,
Practice, 2(2), 151-164. research and practice (pp. 87-103).
Guilbaud, O., Corcos, M., & Speranza, New York: Pergamon.
M. (2003). L’alexithymie dans les Hintikka, J., Honkalampi, K., Lehto-
conduites de dépendance. In nen, J., & Viinamaki, H. (2001). Are

173
Psychologie et psychopathologie des émotions

Alexithymia and Depression Dis- James, W. (1884). What is an emotion ?


tinct or Overlapping Construct ?: Mind, 19, 188-205.
A Study in a General Population. Janoff-Bulman, R. (1992). Shattered
Comprehensive Psychiatry, 42, Assumptions: Towards a New
234-249. Psychology of Trauma. New York:
Hochschild, A. R. (2003). Travail émo- Free Press.
tionnel, règles de sentiment et Johnstone, T., Van Reekum, C. M., Urry,
structure sociale. Travailler, 9, H. L., Kalin, N. H., & Davidson, R.
19-49. J. (2007). Failure to Regulate:
Honkalampi, K., Hintikka, J., Tanska- Counterproductive Recruitment
nen, A., Lehtonen, J., & Viinamaki, of Top-Down Prefrontal-Subcorti-
H. (2000). Depression is Strongly cal Circuitry in Major Depression.
Associated with Alexithymia in Journal of Neuroscience 1, 27(33),
the General Population. Journal 8877-8884.
of Psychosomatic Research, 48, Jones, E. (1929). Fear, Guilt and Hate.
99-104. International Journal of Psychoa-
Horowitz, M. J. (1992). Stress Res- nalysis, 10, 383-397.
ponse Syndromes (3rd ed.). Nor- Jouvent, R., & Carton, S. (1994). L’émo-
thvale: Jason Aronson. tion dérégulée. In D. Widlöcher
House, J.S. (1981). Work Stress and (Ed.), Traité de psychopathologie
Social Support. Boston: Addison- (pp. 561-581). Paris : PUF.
Wesley. Kennedy-Moore, E., & Watson, J.C.
(1999). Expressing Emotion: Myths,
Izard, C., E. (1977). Human Emotions.
Realities, and Therapeutic Stra-
New York: Plenum Press.
tegies. New York: Guilford Press.
Izard, C.E., Fline, S., Schultz, D.,
Kraus, A. (1977). Sozialverhalten und
Mostow, A., Ackerman, B. P., &
Psychose Manisch-Depressiver.
Youngstrom, E. A. (2001). Emotion
Stuttgart: Enke.
knowledge as a predictor of social
behavior and academic compe- Krystal, H. (1988). Integration and
tence in children at risk. Psycho- Selfhealing: Affect, Trauma, Alexi-
logical Science, 12, 18-23. thymia. Hillsdale: Analytic Press.

Jacobson, E. (1953). The Affects Lacan, J. (1962-1963). Le séminaire,


and Their Pleasure-Unpleasure livre X. L’angoisse (éd. 2004).
Qualities in Relation to the Psy- Paris : Seuil.
chic Discharge Processes. In Lacan, J. (1969-1970). Le séminaire,
R. M. Loewenstein (Ed.), Drives, livre XVII. L’envers de la psycha-
Affects, Behavior (pp. 38-66). nalyse (éd. 1991). Paris : Seuil.
Madison: International Universi- Lane, R. D. (2000). Levels of emo-
ties Press. tional awareness: Neurological,

174
Bibliographie

psychological and social perspec- Lazarus, R. S., & Folkam, S. (1984).


tives. In R. Bar-On & J. D. A. Parker Stress, Appraisal and Coping. New
(Eds.), Handbook of Emotional York: Springer.
Intelligence (pp. 171-191). San Fran- Le Breton, D. (2004). La construction
cisco: Jossey-Bass. sociale de l’émotion. Les Nou-
Lane, R. D., Quinlan, D. M., Schwartz, velles d’Archimède, 4-5.
G. E., Walker, P. A., & Zeitlin, S. Leroy, T., Delelis, G., Nandrino, J.-L.,
B. (1990). The Levels of Emotio- & Christophe, V. (2014). Régula-
nal Awareness Scale: A cogni- tions endogène et exogène des
tive developmental measure of émotions : des processus com-
emotion. Journal of Personality plémentaires et indissociables.
Assessment, 55, 124-134. Psychologie française, 59, 183-197.
Lane, R. D., & Schwartz, G. E. Lewis, M. (1993). The Emergence of
(1987). Levels of Emotional Aware- Human Emotions. In M. Lewis &
ness: a Cognitive-Developmental J.M. Haviland (Eds.), Handbook of
Theory and its Application to Psy- Emotions (pp. 223-235). New York:
chopathology. American Journal Guilford Press.
of Psychology, 144, 133-143. Lewis, M. (2000). Self-conscious emo-
Lane, R. D., Sechrest, L., Riedel, R., Wel- tions: Embarrassment, pride,
don, V., Kaszniak, A., & Schwartz, shame, and guilt. In M. Lewis &
G. E. (1996). Impaired verbal and J. M. Haviland-Jones (Eds.), Hand-
nonverbal emotion recognition in book of Emotions (2nd ed., pp. 623-
alexithymia. Psychosomatic Medi- 636). New York : Guilford Press.
cine, 58, 203-210. Lewis, M. & Saarni, C. (1985). Culture
Larsen, R. J. (1984). Theory and Measu- and Emotions. In M. Lewis & C.
rement of Affect Intensity as an Saarni (Eds.), The Socialization
Individual Difference Characteris- of Emotions (pp. 1-17). New York:
tic. Dissertation Abstracts Inter- Plenum Press.
national, 85, 2297B. Lindquist, K. A., Mac Cormack, J. K., &
Lazarus, R. S. (1966). Psychological Shablack, H. (2015). The role of lan-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Stress and Coping Process. New guage in emotion: predictions from


York: McGraw Hill. psychological constructionism.
Lazarus, R. S. (1982). Thoughts on the Frontiers in Psychology, 6, 444.
relations between emotion and Loas, G. (1996). Vulnerability to depres-
cognition. American Psychologist, sion: a model centered on anhedo-
37(9), 1019-1027. nia. Journal of Affective Disorders,
Lazarus, R. S. (1991). Emotion and 41(1), 39-53.
Adaptation. New York: Oxford Loas, G., Otmani, O., Lecercle, C. &
University Press. Jouvent, R. (2000). Relationships

175
Psychologie et psychopathologie des émotions

between the Emotional and Cogni- Moscovici, S. (1984). The phenome-


tive Components of Alexithymia non of social representations. In
and Dependency in Alcoholics. R. M. Farr & S. Moscovici (Eds.),
Psychiatry Research, 96, 63-74. Social Representations (pp. 3-69).
Lopes, P. N., Brackett, M. A., Nezlek, J. Cambridge: Cambridge University
B., Schütz, A., Sellin, I., & Salovey, Press.
P. (2004). Emotional intelligence Myers, L. B. (1995). Alexithymia and
and social interaction. Personality Repression: The Role of Defensi-
and Social Psychology Bulletin, 8, veness and Trait Anxiety. Perso-
1018-1034. nality and Individual Differences,
Lopes, P. N., Côté, S., Grewal, D., Kadis, 19(4), 489-492.
J., Gall, M., & Salovey, P. (2006). Evi- Nezelof, S., & Vandel, P. (2018). La
dence that emotional intelligence dépression à travers les âges.
is related to job performance and In F. Bellivier & E. Haffen (Eds.),
affect and attitudes at work. Psi- Actualités sur les maladies
cothema, 45, 129-135. dépressives (pp. 105-114). Cachan :
Luminet, O. (2002). Psychologie des Lavoisier.
émotions : confrontation et évi- Nils, F., & Rimé, B. (2012). Beyond the
tement. Bruxelles : De Boeck Uni- mythe of venting: Social sharing
versité. modes determine the benefits of
Lupton, D. (1998). The Emotional Self: emotional disclosure. European
A Sociocultural Exploration. Lon- Journal of Social Psychology, 42,
don: SAGE Publications. 672-681.
Marcelli, D. (2004). La dépression chez Organisation Mondiale de la Santé
l’enfant. In S. Lebovici, R. Diatkine (1993). Classification internatio-
& M. Soulé (Eds.), Nouveau traité nale des troubles mentaux et des
de psychiatrie de l’enfant et de troubles du comportement, 10e éd.
l’adolescent (pp. 1437-1461). Paris : (CIM-10). Paris : Masson.
PUF. Ornaghi, V., Brockmeier, J., & Graz-
Marty, P., & de M’Uzan, M. (1963). La zani, I. (2011). The role of language
pensée opératoire. Revue fran- games in children’s understan-
çaise de psychanalyse, 27, 345- ding of mental states: a training
356. study. Journal of Cognitive Deve-
Mayer, J. D., Salovey, P., & Caruso, lopment, 12, 239-259.
D. (2002). Mayer-Salovey-Caruso Pasquier, A., Bonnet, A., & Pedinielli,
Emotional Intelligence Test J-L. (2008). Anxiété, dépression et
(MSCEIT), Version 2.0. Toronto: partage social des émotions : des
Multi-Health Systems. stratégies de régulation émotion-
McCranie, E. J. (1971). Depression, nelle interpersonnelle spécifiques.
Anxiety, and Hostility. Psychiatric Journal de Thérapie Cognitive et
Quarterly, 45, 117-133. Comportementale, 18(1), 2-7.

176
Bibliographie

Pasquier, A., Bonnet, A., & Pedinielli, Pedinielli, J.-L., Bertagne, P., & Gime-
J-L. (2009). Fonctionnement nez, G. (1999). Classifications
cognitivo-émotionnel : le rôle de syndromiques et classifications
l’intensité émotionnelle chez psychopathologiques. L’informa-
les individus anxieux. Annales tion psychiatrique, 3, 289-295.
Médico-Psychologiques, 167, 649- Pedinielli, J.-L., De Bonis, M., Somogyl,
656. M., & Lebart, L. (1989). Alexithymie
Pasquier, A., Bréjard, V., Tavani, J. L., et récit de la maladie : contribu-
& Lo Monaco, G. (2020). La santé tion de la statistique textuelle à
au travail des enseignant.e.s l’analyse des conduits langagiers
français.e.s du premier degré : en psychopathologie. Revue de
étude des représentations sociales psychologie appliquée, 39(1),
du métier et des liens avec l’an- 57-67.
xiété et la dépression. Education Pedinielli, J.-L., & Gimenez, G. (2009).
& Formations, 101, 181-214. Les psychoses de l’adulte (2e édi-
Pasquier, A., Ponthieu, G., Papon, tion). Paris : Armand Colin.
L., Bréjard, V., & Rezzi, N. (2021). Pelissolo, A. (2006). Anxiété, dépres-
Working on the identification sion. Des troubles anxieux à la
and expression of emotions in dépression. Paris : Phase 5.
primary schools for better oral Pichot, P. (1978). Les dépressions : pro-
production: an exploratory study blèmes de vocabulaire et noso-
of links between emotional and logie. Les voies nouvelles de la
language skills. Education 3-13. dépression. Paris : Masson.
Prépublication.
Pierson, A., Ragot, R., Van Hoof, J., Par-
Pasquier, A., & Pedinielli, J.-L. (2010). tiot, A., Renault, B., & Jouvent, R.
Relations entre conscience émo- (1996). Heterogeneity of Informa-
tionnelle, partage social des tion Processing Alterations Accor-
émotions et états anxieux et ding to Dimensions of Depression:
dépressifs : des fonctionnements An Event Related Potentials Study.
émotionnels qui diffèrent. L’Encé- Biological Psychiatry, 40, 98-115.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

phale, 36(S2), 97-104.


Plutchik, R. (1980). Emotion: Theory,
Pedinielli, J.-L. (1992). Psychosoma- Research, and Experience. New
tique et Alexithymie. Paris : PUF. York: Academic Press.
Pedinielli, J.-L., & Bernoussi, A. (2011). Pons, F., Lawson, J., Harris, P. L., &
Les états dépressifs (2e éd.). Paris : de Rosnay, M. (2003). Individual
Armand Colin. differences in children’s emotion
Pedinielli, J.-L., & Bertagne, P. (2010). understanding: Effects of age and
Les névroses (2 e éd.). Paris : language. Scandinavian Journal
Armand Colin. of Psychology, 44, 347–353.

177
Psychologie et psychopathologie des émotions

Postel, J. (1998). Dictionnaire de psy- Rouan (Eds.), Émotions et Cogni-


chiatrie et de psychopathologie tions (pp. 225-255). Bruxelles : De
clinique. Montréal: Larousse-Bor- Boeck.
das. Ruffman, T., Slade, L., Rowlandson, K.,
Power, M. J., & Tarsia M. (2007). Basic Rumsey, C., & Garnham, A. (2003).
and Complex Emotions in Depres- How language relates to belief,
sion and Anxiety. Clinical Psycho- desire, and emotion understan-
logy & Psychotherapy, 14,19-31. ding. Cognitive Development, 18,
Rachman, S. (1980). Emotional Pro- 139-158.
cessing. Behaviour Research and Russell, J. A. (1980). A Circumplex
Therapy, 18, 51-60. Model of Affect. Journal of Perso-
Rachman, S. (1998). Anxiety. East Sus- nality and Social Psychology, 39,
sex: Psychology Press. 1161-1178.
Rachman, S., & de Silva P. (1978). Russell, J. A. (2003). Core Affect and
Abnormal and Normal Obsessions. the Psychological Construction of
Behaviour Research and Therapy, Emotion. Psychological Review,
16, 233-238. 110(1), 145-172.
Rado, S. (1956). Psychoanalysis of Russell, J. A., & Feldman Barrett, L.
Behaviour. New York: Grune & (1999). Core Affect, Prototypical
Stratton. Emotional Episodes, and Other
Ribot, T. (1896). La Psychologie des Things Called Emotion: Dissecting
sentiments. Paris : L’Harmattan. the Elephant. Journal of Persona-
Rimé, B. (2005). Le partage social des lity and Social Psychology, 76(5),
émotions. Paris : PUF. 805-819.
Rimé, B. (2007). Interpersonal emo- Saarijärvi, S., Salminen, J. K., Tam-
tion regulation. In J.J. Gross (Ed.), minen, T., & Äärelä, E. (1993).
Handbook of Emotion Regulation Alexithymia in Psychiatric Consul-
(pp. 466-485). New York: The Guil- tation-Liaison Patients. General
ford Press. Hospital Psychiatry, 15, 330-333.
Rimé, B. (2009). Emotion Elicits the Saarijärvi, S., Salminen, J. K., & Toikka,
Social Sharing of Emotion: Theory T. B. (2000). Alexithymia and
and Empirical Review. Emotion Depression: A 1 Year Follow-Up
Review, 1(1), 60-85. Study in Outpatients with Major
Rivolier, J. (1989). L’Homme stressé. Depression. Journal of Psychoso-
Paris : PUF. matic Research, 51, 729-739.
Rouan, G., & Pedinielli, J.-L. (2002). Saarni, C. (1999). The Development Of
Émotion et psychopathologie Emotional Competence (1st ed.).
cognitive. In H. Channouf & G. New York: Guilford Press.

178
Bibliographie

Salovey, P., & Mayer, J. D. (1990). Emo- Psychosomatic Patients. Psycho-


tional intelligence. Imagination, ther. Psychosom., 22, 255-262.
Cognition and Personality, 9, Speranza, M., & Atger, F. (2003).
185-211. Approche développementale
Sander, D., & Scherer, K. R. (2019). de l’alexithymie. In M. Corcos &
Traité de psychologie des émo- M. Speranza (Eds.), Psychopatho-
tions. Paris : Dunod. logie de l’alexithymie (pp. 65-77).
Schaffer, H. R. (1992). Early Experience Paris : Dunod.
and the Parent-Child Relationship: Spielberger, C. D. (1966). Anxiety and
Genetic and Environmental Inte- Behaviour. New York: Academic
ractions as Developmental Deter- Press.
minants. In B. Tizard & V. Varma Sroufe, A. (1996). Emotional Develop-
(Eds.), Human Resilience and ment: The Organization of Emo-
Vulnerability (pp. 39-53). Londres: tional Life in the Early Years. New
Jessica Kingsley. York: Cambridge University Press.
Scherer, K. R. (1984). On the nature and Stein, N. L., & Trabasso, T. (1989). Child-
function of emotion: a component ren’s Understanding of Changing
process approach. In K. R. Scherer Emotional States. In C. Saarni
& P. Ekman (Eds.), Approaches to & P. L. Harris (Eds.), Children’s
Emotion (pp. 293-317). Hillsdale: Understanding of Emotion. New
Erlbaum. York: Cambridge University Press.
Scherer, K. R. (2001). Appraisal Consi- Stroebe, W. (2011). Social Psychology
dered as a Process of Mutilevel and Health. UK: Open University
Sequential Checking. In K. R. Press.
Scherer, A. Schorr et T. Johnstone Taylor, G. J., Bagby, R. M., & Parker,
(Eds.), Appraisal Process in Emo- J. D. A. (1997). Disorders of Affect
tion: Theory, Methods, Research Regulation. Alexithymia in Medi-
(pp. 92-120). New York: Oxford Uni- cal and Psychiatric Illness. Cam-
versity Press. bridge: Cambridge University
Schultz, D., Izard, C. E., Ackerman, Press.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

B. P., & Youngstrom, E. A. (2001). Taylor, S. E., Sherman, D. K., Kim, H. S.,
Emotion knowledge in econo- Jarcho, J., Takagi, K., & Dunagan,
mically disadvantaged children: M. S. (2004). Culture and Social
Self-regulatory antecedents and Support: Who Seeks It and Why ?
relations to social difficulties and Journal of Personality and Social
withdrawal. Development and Psychology, 87(3), 354-362.
Psychopathology, 13, 53-67. Taylor, L., & Gorman, J. (1992). Theo-
Sifnéos, P. E. (1973). The Prevalence ritical and Therapeutic Consi-
of Alexithymic Characteristics in derations for Anxiety Disorders.

179
Psychologie et psychopathologie des émotions

Psychiatric Quaterly, 63(4), 319- Barber, L. K. (2010). Exploring the


342. association between teachers’
Tcherkassof, A. (2009). Les émotions perceived student misbehavior
et leurs expressions. Grenoble : and emotional exhaustion: The
PUG. importance of teacher efficacy
beliefs and emotion regulation.
Tellegen, A. (1985). Structures of
Educational Psychology, 30, 173-
Mood and Personality and their
189.
Relevance to Assessing Anxiety,
with an Emphasis on Self-Report. Turnbull, W., Carpendale, J. I. M., &
In A. H. Tuma & J. D. Maser (Eds.), Racine, T. P. (2009). Talk and Child-
Anxiety and the Anxiety Disorders ren’s Understanding of Mind. Jour-
(pp. 681-706). Hillsdale: Erlbaum. nal of Consciousness Studies,
6-8(16), 140-66.
Thoits, P.A. (1986). Social support as
coping assistance. Journal of Uchino, B.N. (2009). Understanding
Consulting and Clinical Psycho- the Links Between Social Support
logy, 54, 416-423. and Physical Health: A Life-Span
Perspective With Emphasis on
Thoits, P.A. (1995). Stress, coping, and
the Separability of Perceived and
social support processes: Where
Received Support. Perspectives
are we ? What next ? Journal of
on Psychological Science, 4(3),
Health and Social Behavior, 35,
236-255.
53-79.
Van Praag, H. M., Asnis, G. M., & Kahn,
Thorne, B. (1994). Comprendre Carl
R. S. (1990). Monoamines and
Rogers. Paris : Dunod.
Abnormal Behaviour: a Multi-Ami-
Tomasello, M., & Barton, M. E. (1994). nergic Perspective. British Jour-
Learning words in non-ostensive nal of Psychiatry, 157, 723-734.
contexts. Developmental Psycho-
Veirman, E., Brouwers, S. A., & Fon-
logy, 30, 639-650.
taine, J. R. J. (2011). The assess-
Tomasello, M., Strosberg, R., & Akhtar, ment of emotional awareness in
N. (1996). Eighteen-month-old children: Validation of the Levels
children learn words in non- of Emotional Awareness Scale
ostensive contexts. Journal of for Children. European Journal of
Child Language, 23, 157-176. Psychological Assessment, 27(4),
Trentacosta, C. J., & Izard, C. E. (2007). 265-273.
Kindergarten children’s emotion Veirman, E., Fontaine, J. R. J., & Van
competence as a predictor of Ryckeghem. D. M. L. (2016). A Com-
their academic competence in ponential Emotion Approach for
first grade. Emotion, 7, 77-88. the Assessment of Emotional
Tsouloupas, C. N., Carson, R. L., Awareness in Youth. Psychologi-
Matthews, R., Grawitch, M. J., & cal Assessment, 28(11), 1416-1426.

180
Bibliographie

Vesely, A., Saklofske, D. H., & Leschied, Search of a Measurement Model.


A. D. W. (2013). Teachers – The Vital Journal of Research in Persona-
Resource: The Contribution of lity, 28, 314-331.
Emotional Intelligence to Teacher Wellman, B. (1981). Applying network
Efficacy and Well-Being, Canadian analysis to the study of sup-
Journal of School Psychology, port. In B. H. Gottlieb (Ed.), Social
28(1), 71-89. Networks and Social Support
Watson, J.B. (1919). Psychology from (pp. 171-200). Beverly Hills: Sage.
the standpoint of a behaviorist. Werner, H., & Kaplan, B. (1963). Symbol
Philadelphia: Lippincott. Formation: An organismic deve-
Watson, D. & Clark, L. A. (1991). On lopmental approach to language
Traits and Temperament: General and the expression of thought.
and Specific Factors of Emotional New York: Wiley.
Experience and their Relations to Zajonc, R. B. (1980). Feeling and Thin-
the Five-Factor Model. Journal of king: Preferences Need no Infe-
Personality, 60(2), 441-476. rences. American Psychologist,
Watson, D., Clark, L. A., & Carey, G. 35(2), 151-175.
(1988). Positive and Negative Affect Zaki, J., & Williams, W. C. (2013). Inter-
and their Relation to Anxiety and personal Emotion Regulation.
Depressive Disorders. Journal of Emotion, 13(5), 803-810.
Abnormal Psychology, 97, 346-353.
Zisook, S., Corruble, E., Duan,
Watson, D., & Tellegen, A. (1985). N., Iglewics, A., Karam, E. G.,
Toward a consensual structure Lanouette, N., Lebowitz, B., Pies,
of mood. Psychological Bulletin, R., Reynolds, C., & Seay, K. (2012).
98(2), 219-235. The Bereavement Exclusion and
Weinfurt, K. P., Bryant, F. B., & Yarnold, DSM-5. Depression and Anxiety,
P. R. (1994). The Factor Structure 29(5), 425-443.
of the Affect Intensity Measure: in
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

181
79913 – (I) – OSB 80° – SOF – MGS

Dépôt légal : 2021

evé d’imprimer par la Nouvelle Imprimerie Laballery


58500 Clamecy
N° d’impression :

Vous aimerez peut-être aussi