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ROBOTIQUE ÉDUCATIVE POUR LA DÉCOUVERTE, LA RÉFLEXION ET LE

RAISONNEMENT

Olivier Masson et Fabien Ruggieri


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Presses Universitaires de France | « Enfance »

2019/3 N° 3 | pages 333 à 344


ISSN 0013-7545
ISBN 9782130821274
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-enfance-2019-3-page-333.htm
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Robotique éducative pour la découverte,
la réflexion et le raisonnement

Olivier Masson a et Fabien Ruggieri b

RÉSUMÉ
Le paradigme d’apprentissage par l’enseignement utilisant un robot
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permet la reprise des célèbres tâches de Piaget. Associée à un contrat
didactique dans lequel les rôles sont inversés, le robot prenant la place
d’élève et l’enfant de son professeur, la tâche de l’inclusion de classe de
Piaget est conduite avec des enfants âgés entre 5 et 6 ans. Afin d’éviter
tout impact des facteurs pragmatiques sur les réponses, comme les
attentes implicites de l’adulte pouvant être perçues par l’enfant en lui
posant la question ambigüe : « Y a-t-il plus de roses ou y a-t-il plus de
fleurs ? », NAO est présenté comme une entité stupide ignorant tout du
monde. NAO pose des questions à l’enfant sur les classes d’objet et
celui-ci doit lui enseigner les relations entre elles : fruits (« tout ») =
pommes + poires (« parties »).
MOTS-CLÉS : ROBOTIQUE ÉDUCATIVE, MÉTACOGNITION, TÂCHE
D’INCLUSION SEMANTIQUE.

ABSTRACT
Educational robotics for discovering, thinking and reasoning
The paradigm of learning by teaching using a robot allows the resump-
tion of the famous tasks of Piaget. Associated with a didactic contract
in which the roles are reversed, the robot taking the place of pupil and
the child of its teacher, the task of class inclusion task of Piaget is
conducted with children aged between 5 and 6. In order to avoid any
impact of pragmatic factors on the responses, such as the implicit expec-
tations of the adult that can be perceived by the child by asking the
ambiguous question: “Are there more roses or are there more flowers?”,
NAO is presented as a stupid entity ignorant of the world. NAO asks
the child questions about the object classes, and the child should teach
him about the relationships between them: fruits (“all”) = apples + pears
(“parts”).

a
École pratique des hautes études, CHArt-EPHE, Paris Reasoning, 4-14 rue Ferrus, 75014
Paris. E-mail : olivier.masson@paris-reasoning.eu
b
LUTIN, Cité des sciences et de l’industrie, 30 avenue Corentin Cariou, 75019 Paris. E-
mail : fabien.ruggieri@gmail.com

nfance no 3/2019 | pp. 333-344


334 Olivier MASSON et Fabien RUGGIERI

KEYWORDS: EDUCATIONAL ROBOTICS, METACOGNITION, SEMAN-


TIC INCLUSION TASK.

INTÉRÊT D’APPRENDRE EN ENSEIGNANT


ET BÉNÉFICE DE L’UTILISATION D’UN ROBOT
COMME ÉLÈVE

Depuis quelques années, l’apprentissage par l’enseignement (« learning by tea-


ching ») semble constituer une excellente approche d’apprentissage pouvant
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être utilisée à l’aide des robots. L’intérêt principal de l’apprentissage par l’ensei-
gnement est qu’il permet au tuteur (l’enseignant) d’augmenter conceptuelle-
ment son niveau de connaissances en expliquant lui-même à un apprenti les
notions à apprendre (Fiorella & Mayer, 2013 ; Mchugh, 2018). Nous voyons
dans la littérature un nombre croissant d’études dans lesquelles un être humain
enseigne à un robot humanoïde (Biswas et al., 2004 ; Masson et al., 2016). Les
enseignements (et donc les apprentissages) portent sur une grande variété de
domaines tels que la lecture (Yadollahi et al., 2018), l’écriture (Hood, Lemai-
gnan & Dillenbourg, 2015 ; Lemaignan et al., 2016 ; Chandra et al., 2017), le
langage (Tanaka & Matsuzoe, 2012 ; Tanaka et al., 2015), le raisonnement
(Masson et al., 2016 ; Masson, Baratgin & Jamet, 2017), mais aussi des capacités
métacognitives comme l’engagement dans une tâche et l’attribution des états
mentaux (Chase et al., 2009 ; Lindberg et al., 2017).
L’utilisation du robot humanoïde avec les enfants présente de nombreux
avantages. Un robot humanoïde facilite la prise en compte du robot en tant
que personne sociale par des enfants (Alemi, Meghdari & Ghazisaedy, 2015 ;
Chang et al., 2010) et semble aider les enfants à se concentrer (Han et al.,
2008). Par exemple, le robot NAO (Aldebaran, Softbank Robotics) présente de
nombreux avantages spécifiques qui peuvent être bénéfiques pour le travail
expérimental avec des enfants, en particulier dans le domaine de l’éducation
(Belpaeme et al., 2018) :
(1) Sa taille. Cette caractéristique est principalement avancée pour justifier
le choix de NAO afin d’établir la proximité, par sa ressemblance avec un enfant
(Erich, Hirokawa & Suzuki, 2017).
(2) La précision de ses mouvements. NAO a 25 degrés de liberté lui permet-
tant d’effectuer des mouvements proches des mouvements humains (marche,
gestes, inclinaison de la tête et faire semblant regarder quelque chose). NAO
est capable de manipuler des petits objets [Tanaka and S. Matsuzoe, 2012 ;
Masson et al., 2016], pour faire des gestes déictiques utiles pour l’apprentissage
(Yadollahi et al., 2018 ; Masson et al., 2016) et d’imiter des gestes ou des signes
(Akalin et al., 2013).
(3) Ses capacités d’interaction verbale. NAO dispose d’un module synthèse
vocale embarqué lui permettant de prononcer des phrases à voix haute et de
parler oralement à l’enfant (VanDerDrift et al., 2014). En outre, le débit et le
Robotique éducative pour la découverte, la réflexion et le raisonnement 335

ton de sa voix sont facilement paramétrables, ce qui est particulièrement utile


pour apprendre en enseignant, par exemple, pour apprendre à lire.
(4) Ses capacités d’interaction non-verbale et émotionnelle. Bien que
dépourvu d’expressions faciales, NAO peut exprimer des émotions (colère,
peur, joie, tristesse et surprise) comme tout autre robot ayant cette capacité, tel
que le robot iCat (Mwangi et al., 2017). NAO peut simuler des émotions à
travers les mouvements du corps et des LED autour des yeux (clignote et
change de couleur). L’absence d’expression faciale de NAO ne constitue donc
pas un obstacle à la proximité ressentie par l’enfant vis-à-vis du robot.
(5) Son accessibilité en termes d’utilisation et de programmation puisque
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NAO peut être programmé par des néophytes en robotique et en informatique
grâce au logiciel Choregraphe (Aldebaran, Softbank Robotics), présentant une
interface visuelle grâce à laquelle il est possible de programmer des comporte-
ments relativement complexes.

DÉFINITION DU RÔLE DE L’ENFANT ENSEIGNANT


ET DU RÔLE DU ROBOT APPRENTI :
LE « CONTRAT DIDACTIQUE »

Caractéristiques du robot comme « apprenti »


Le robot humanoïde peut être programmé pour faire des erreurs (Jimenez et
al., 2015 ; Jimenez et al., 2017). Les erreurs ne sont jamais aléatoires. Elles
correspondent toujours à des erreurs spécifiques observées dans le développe-
ment de la capacité étudiée : la lecture (Tanaka & Matsuzoe, 2012), l’écriture
(Yadollahi et al., 2018), et le raisonnement (Masson et al., 2016 ; Masson, Barat-
gin & Jamet, 2017). Ces erreurs diminuent pendant l’apprentissage et aug-
mentent la motivation du tuteur. Le robot doit montrer ses capacités en
améliorant ses compétences, affichant en conséquence son intelligence (Lane,
Wellman & Gelman, 2013). Dans toutes les expériences, le robot humanoïde
affiche une forte dimension sociale.
Tanaka et al. (2012) apporter une réelle valeur ajoutée en utilisant la possibi-
lité d’enregistrer en temps réel le nouveau comportement qui vient d’être
appris.
En outre, leur méthode permet l’intégration dans le robot de différents
types d’enseignement (verbal, gestuel, etc.) et ainsi de répondre plus avec préci-
sion aux différents besoins des élèves. Certains auteurs (Masson et al., 2016 ;
Baratgin & Jamet, 2017) donnent au robot humanoïde un statut d’entité igno-
rante afin de renforcer la position de l’enfant en tant qu’enseignant.
D’autres auteurs utilisent une classification fictive des performances du
robot pour montrer ses progrès (Chandra et al., 2018) et, ce faisant, afficher
l’efficacité de l’enseignement offert par l’enfant.

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336 Olivier MASSON et Fabien RUGGIERI

Caractéristiques de l’enfant comme tuteur


La position de l’enfant en tant que tuteur est relativement moins détaillée dans
la littérature. Dans les études sur l’apprentissage de tracé des lettres, l’expéri-
mentateur demande à l’enfant d’apprendre à tracer des lettres en minuscules et
en majuscules. L’expérimentateur raconte à l’enfant que Michael (nom du
robot) a besoin d’aide pour apprendre à écrire. Le contrat didactique est plus
implicite qu’explicite. Tanaka et al. (2012) ajoutent à l’approche de l’apprentis-
sage en enseignant le cadre « CRR » (care-receiving robot) où le besoin de soin
du robot par l’enfant est mis en avant. Ce concept est intéressant car cela
renforce la position d’enseignant de l’enfant. En revanche, l’enfant ne reçoit
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pas d’instructions explicites pour enseigner.
Masson et al. (Masson et al., 2016 ; Masson, Baratgin & Jamet, 2017)
apportent une autre valeur ajoutée évidente en élaborant un contrat didactique
clair et explicite entre l’apprenti (le robot) et le tuteur (l’enfant). La méthodolo-
gie utilisée et explicitée plus loin dans notre exemple d’application (tâche
d’inclusion de classes de Piaget) peut être généralisée à n’importe quelle forme
d’apprentissage. Le contrat didactique clarifie alors certains points : l’objectif
visé ; le rôle de l’enfant ; la différence de connaissances entre tuteur et apprenti
est quantifiée ; la position de l’enseignant est préparée (l’enfant est seul avec le
robot et peut s’exprimer sans aucune attitude de jugement). L’objectif visé est
explicite : l’expérimentateur donne à l’enfant l’instruction qu’ils doivent ensei-
gner à NAO beaucoup de choses. Sa fonction est définie : « L’enfant est l’ensei-
gnant de NAO » et NAO lui demande explicitement s’il veut être son
enseignant. La différence entre la connaissance de l’enfant et la connaissance
de NAO est à son maximum : « Tu sais beaucoup de choses, NAO ne sait
rien. » L’utilisation de cette quantification binaire de la connaissance est facile-
ment compréhensible pour l’enfant. Aussi, un expérimentateur ajoute un juge-
ment de valeur : « NAO est vraiment idiot ». Cet attribut du robot renforce
le rôle d’enseignant de l’enfant. Le poste d’enseignant est également préparé.
L’expérimentateur indique à l’enfant qu’il devra répondre à des questions qui
pourront paraître inattendues ; certains pourraient même ne pas avoir de sens.
L’enfant devrait ne pas être surpris de faire face à ce genre de questions, cela
lui évitant d’éprouver la nécessité de reformuler pour lui-même la question
dans un sens qui lui paraît cohérent.

UN EXEMPLE D’APPLICATION :
LA TÂCHE D’INCLUSION DE CLASSES DE PIAGET
La tâche de l’inclusion de classe permet d’évaluer les relations entre le « tout »
et les « parties » chez l’enfant. Le « Tout » est la somme de toutes les parties.
C’est Piaget (1921) qui est le premier à étudier le développement de cette
notion dans cette célèbre tâche en utilisant des fleurs. Il montre à l’enfant un
bouquet de fleurs composées de quatre roses et deux tulipes et lui demande :
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Figure 1.
Dispositif expérimental de la tâche d’inclusion de classe avec le robot NAO
comme élève et du matériel physique concret (fruits). Nao interagit avec l’enfant
en percevant et codant ses réponses selon le contenu du panier (figure du haut)
et en considérant comment l’enfant le perçoit comme apprenant au sujet du
contenu du panier.

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338 Olivier MASSON et Fabien RUGGIERI

« Y a-t-il plus de fleurs ou plus de roses ? ». Selon la littérature, est nécessaire


d’attendre jusqu’à l’âge de 8 ans pour que les enfants répondent correctement
« il y a plus de fleurs » tout en étant capable de l’expliquer. Avant l’âge de 7 ans, la
réponse majoritairement donnée est « Il y a plus de roses ». Piaget et Szeminska
(Piaget & Szeminska, 1941) expliquent la réponse incorrecte des enfants par
l’absence de réversibilité de la pensée de l’enfant, soit la classe fleurs = roses+
tulipes, puis tulipes + roses = fleurs.
Politzer (2016) suggère une nouvelle explication, d’ordre pragmatique, liée
à la pertinence linguistique. La tâche est difficile (Piaget & Szeminska, 1941)
car il faut que l’enfant maîtrise la logique des classes ainsi que les jugements
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de relations (« plus que », « moins que », « autant que »).
De plus, la question est ambiguë [Politzer, 2016] dans le sens que deux
interprétations sont possibles et pertinentes.
En effet, poser une question qui n’a pas de sens enfreint le principe de
coopération de Grice (Jacquet, Baratgin & Jamet, 2018). Dans la tâche d’inclu-
sion de classe, l’enfant est implicitement amené à répondre à une autre question
que celle qui a été initialement posée : « Y a-t-il plus de fleurs ou plus de roses »
implique une comparaison entre le nombre de fleurs et le nombre de roses. Si
l’on considère que cette question est surprenante du fait qu’il y a forcément
plus dans un « tout » que dans une de ces « parties », l’enfant est susceptible
de déduire que la vraie question est de comparer numériquement la sous-classe
« roses » à la sous-classe « les autres fleurs » (ce qui est « pas rose »).
Par cette reformulation implicite, la question reprend alors du sens pour
l’enfant. C’est en effet à cet âge que l’enfant apprend à compter et à comparer
des quantités et les adultes eux-mêmes, pour valoriser ses compétences,
peuvent demander ce genre de comparaison.
Si l’enfant interprète la notion de fleurs comme étant le « tout », alors il y a
plus de fleurs que de roses, mais si l’enfant interprète le terme fleurs comme
ce qui n’est pas une rose, alors la réponse « il y a plus de roses » devient
correcte. Du point de vue linguistique (lié à la pragmatique linguistique et non
au raisonnement), ces deux interprétations sont correctes. Du point de vue de
la pragmatique linguistique, les comparaisons se produisent généralement sur
des classes de même niveau.
Cela repose une question importante : les enfants maîtrisent-ils ou non, du
point de vue de la rationalité, la notion d’inclusion de classe avant 7 ans, quand,
pour Piaget et al. (1941), la majorité des sujets donnent la réponse « Plus de
roses ? ».

Reprise de la tâche à l’aide du robot humanoïde NAO :


présentation de la méthode
Les enfants de 5-6 ans sont parfaitement capables de comprendre qui est intelli-
gent et qui ne l’est pas, qui est qualifié et qui ne l’est pas (Lane, Wellman &
Robotique éducative pour la découverte, la réflexion et le raisonnement 339

Gelman, 2013). Il est alors possible que cette perception de l’intelligence de


l’autre influe sur l’objectif perçu de la question.
Masson et al. (2016) suggèrent un paradigme expérimental pour lever
l’ambiguïté pragmatique au sein de la question elle-même : après avoir présenté
NAO à l’enfant sous le nom de « Gros bêta », l’expérimentateur explique aux
enfants leur tâche : enseigner de nouvelles choses à NAO, qui ne sait rien.

Méthode
Participants et plan expérimental
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Ce paradigme a été appliqué dans une expérience réalisée avec 40 enfants dans
l’âge préscolaire, entre 5 et 6 ans. Les enfants ont été aléatoirement assignés à
deux conditions selon le type d’expérimentateur : une condition humain-
humain et une condition humain-NAO.

Procédure
Le fait que l’enfant soit seul devant un robot « idiot », plutôt que devant un
adulte, a été établi en vue de réduire les interférences pragmatiques (qualités
contextuelles pouvant impacter sur l’interprétation de ce qui est énoncé) et
rend à ce contexte pédagogique (comprenant des questions inattendues du
robot) son authenticité. Dans ce cadre l’enfant ne peut être jugé et ses réponses
sont plus naturelles, plus spontanées.
L’expérimentateur indique explicitement aux enfants qu’ils en savent beau-
coup plus que NAO et que celui-ci pourra leur poser des questions leur parais-
sant idiotes. Les enfants auront à y répondre spontanément sans avoir à penser
aux intentions du robot. L’expérimentateur insiste sur le fait que si les enfants
ne sont pas d’accord avec une réponse du robot, ils sont les bienvenus pour le
corriger. Ce rappel à l’enfant est important dans la mesure où celui-ci s’appro-
prie son rôle d’enseignant.
NAO est programmé pour poser dans une étape initiale des questions qui
devraient renforcer la confiance des enfants en eux et en la grande ignorance
du robot (« moi je ne sais pas lire », « moi je ne sais pas écrire », « moi je ne
sais pas dessiner »). L’enfant est donc placé en position d’enseignant, une per-
sonne qui sait, en opposition à NAO qui est son « jeune » élève, ayant tout à
apprendre du monde.
Un programme a été intégré au robot pour exécuter la tâche d’inclusion :
NAO, par ses questions, conduira subtilement la tâche selon les mêmes étapes
que la tâche princeps de Piaget et amènera l’enfant à lui enseigner le lien entre
classe et sous-classe. Pour l’expérience de Masson et al., cela concerne la classe
fruit : 5 pommes et 3 poires.
Le dialogue entre l’enfant et la NAO ne peut être réduit à un système de
questions-réponses préétablies, mais doit s’apparenter à une vraie conversation
entre deux interlocuteurs, ce pourquoi le robot est télé-opéré par un autre

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340 Olivier MASSON et Fabien RUGGIERI

expérimentateur situé derrière une cloison, à l’insu de l’enfant (méthode « Magi-


cien d’Oz »). Cela ne modifie en rien les étapes expérimentales et assure une
fluidité dans un échange conduit au rythme de chaque enfant.
Le deuxième expérimentateur fait sortir l’enfant de sa classe pour l’accom-
pagner dans la salle d’expérimentation. Ce faisant, l’expérimentateur accompa-
gnateur explique à l’enfant le contrat didactique durant le trajet.
L’enfant entre dans la pièce et s’assied à une table sur laquelle NAO est
placé en position assise. L’enfant et NAO sont face à face, NAO étant posi-
tionné au maximum à la même hauteur que l’enfant, afin d’éviter toute position
dominante du robot.
L’expérimentateur qui a accompagné l’enfant quitte ensuite la salle, laissant
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l’enfant seul avec le robot. NAO se présente également lui-même, demandant
à l’enfant son nom et s’il veut bien être son professeur.
NAO explique qu’il pense ne rien savoir et qu’il pourrait poser des questions
vraiment stupides. NAO pointe les différents « objets » posés sur la table (les
fruits) et demande à l’enfant de nommer chaque type, puis ensuite l’ensemble.
L’enfant répond. NAO assure à l’enfant qu’il a bien compris en pointant de
nouveau les fruits en répétant leur nom, mais il fait des erreurs.
L’enfant répète alors la phase d’enseignement jusqu’à ce que NAO puisse
identifier la classe (fruits) et les deux sous-classes (pommes et poires). Afin de
parfaire ses connaissances, NAO tente de connaître s’il y a plus de fruits que
de pommes : « Il y a plus de fruits ou il y a plus de pommes ? ». L’enfant
répond.
Quelle que soit la réponse donnée, NAO la reformule en disant le contraire :
si l’enfant dit « il y a plus de fruits », NAO reformule : « Oh d’accord donc il
y a plus de pommes. »
Si l’enfant dit « il y a plus de pommes », NAO reformule : « Oh, d’accord,
alors il y a plus de fruits. »
L’enfant corrige l’erreur du robot selon ce qu’il pense être la bonne réponse.

Principaux résultats et observations


Les résultats ont montré qu’un enfant sur cinq répond correctement en condi-
tion humain-humain, et plus de six enfants sur dix en condition humain-NAO.
La différence est significative et ces résultats montrent que : (1) les enfants
maîtrisent la notion d’inclusion de classe plus tôt que Piaget et al. (Piaget &
Szeminska, 1941) l’avaient indiqué dans la littérature et (2) les facteurs pragma-
tiques identifiés par Politzer (Politzer, 2016) constituent un réel obstacle dans
l’expérience originale.
Si au début de la conversation les enfants sont plutôt calmes et patients,
acceptant que NAO fasse des erreurs dans l’identification des différents fruits
(« c’est une pomme, c’est une poire »), cela ne doit pas prendre trop de temps.
En effet, les enfants prendront généralement l’initiative et montreront à la
NAO qu’un objet est une pomme et qu’un autre est une poire en les pointant
du doigt. Bien qu’ils restent polis, le ton de leur voix est ferme et décisif :
Robotique éducative pour la découverte, la réflexion et le raisonnement 341

« Écoute, petit robot, c’est une pomme et ça c’est une poire ». Ainsi, ils mettent
fin à toute ambiguïté. Ils disent implicitement à la NAO qu’il doit faire attention
et essayer comprendre ! Des expressions similaires sont trouvées lorsque NAO
affiche quelques difficultés avec le concept de fruit. Après le robot échoue
plusieurs fois pour répondre à la question : « y a-t-il plus de pommes ou plus
de fruits ? », les enfants se rapprochent de NAO et lui disent : « Écoute, petit
robot, tout ça sont des fruits. » Dans toutes les conversations, les enfants
restent polis et respectent le robot.
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DISCUSSION ET CONCLUSION

Les avantages de l’apprentissage par l’enseignement utilisant un robot sont


nombreux ; notamment :
– il devient possible de standardiser le comportement de l’élève auquel
l’enfant doit enseigner, celui-ci étant identique d’une expérience à une autre.
Cela permet d’isoler tout autre facteur lié à la variation du comportement de
l’expérimentateur.
– les erreurs commises par le robot sont entièrement paramétrables, classi-
fiables et quantifiables, tout en paraissant aléatoires pour l’enfant. Ces erreurs
pouvant être renforcées ou minimisées, cette possibilité apporte une base fiable
pour mesurer avec précision la compétence de l’enfant placé dans le rôle
d’enseignant.
– il est possible, par la programmation du robot placé dans le rôle d’élève,
de moduler la distance sociale entre le robot et l’enfant. La perception que
l’enfant a du robot peut également être modulée en fonction des capacités
supposées du robot : n’étant pas humain, le robot peut non seulement être
présenté comme une simple entité apprenante mais également totalement igno-
rante du monde partagé par les humains.
Outre ces bénéfices, le robot NAO possède de nombreuses qualités qui lui
sont propres liées à sa taille, à la précision de ses mouvements, à ses capacités
d’interactions verbale et non-verbale ainsi qu’à son accessibilité d’utilisation par
les chercheurs en psychologie. Par sa taille également, le son de sa voix pouvant
être modulé, l’enfant n’est pas placé de facto en situation potentielle et implicite
d’infériorité face à l’apprenant (humain ou adulte). L’ignorance de l’élève devient
alors crédible, un robot pouvant ne rien connaître si rien ne lui a été intégré
auparavant. L’enfant peut répondre à des questions paraissant inattendues,
dénuées de sens, cela lui évitant d’éprouver la nécessité de reformuler pour lui-
même la tâche demandée dans un sens qui lui paraît cohérent.
Les bienfaits de ces avantages sont renforcés quand le contrat didactique
est explicité par un objectif précis et un rôle pour l’enfant bien défini. Cet
apport est illustré ici par cette nouvelle méthodologie utilisée dans la tâche de
l’inclusion de classe de Piaget.

nfance no 3/2019
342 Olivier MASSON et Fabien RUGGIERI

La prise en compte nouvelle d’un autre type de facteurs pour expliquer


l’échec à la tâche, d’ordre pragmatique, lié à la pertinence de la tâche sur le
plan linguistique, comme l’a suggéré Politzer (2016) devient possible grâce au
recours à un robot pour endosser le rôle d’élève de l’enfant.
Dans cette tâche, l’enfant est susceptible de déduire que la vraie question
est de comparer numériquement la sous-classe « roses » à la sous-classe « les
autres fleurs », pour retrouver du sens à la tâche demandée. La réponse donnée
(« il y a plus de roses ») devient alors correcte si l’on tient compte de la refor-
mulation implicite de la question.
L’utilisation du robot NAO a alors permis de placer celui-ci dans le rôle
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d’une entité ignorante, renforçant ainsi le statut d’enseignant de l’enfant.
Le contrat didactique, qui pourrait présenter un caractère ambigu lorsque
l’élève de l’enfant est un humain, devient explicite avec un robot : la différence
de connaissance entre l’enfant et le robot est justifiée et devient quantifiable.
En outre, l’enfant peut s’exprimer et fournir des réponses sans la crainte
d’être jugé.
Étant donné que la tâche de l’inclusion de classes de Piaget, comme de
nombreuses autres tâches, est généralement conduite par un adulte, cette varia-
tion expérimentale a permis d’obtenir des résultats intéressants, une majorité
d’enfants réussissant la tâche avant l’âge de 7 ans, quand dans la littérature, l’âge
moyen obtenu pour la réussite à cette même tâche est de 8 ans en moyenne.
L’apprentissage par l’enseignement appliqué à cette tâche utilisant NAO en tant
qu’entité ignorante fournit deux apports importants : les enfants réussissent la
tâche plus tôt d’une part et, d’autre part a permis de mettre en évidence un
type de facteurs sans doute sous-estimé dans la littérature, indépendamment
des capacités cognitives propres : le contexte expérimental de la tâche.
L’utilisation d’un robot humanoïde associé à la méthode d’apprentissage
par l’enseignement semble être pertinente pour étudier le développement des
capacités des enfants et pourrait être proposée comme paradigme expérimental
pour reprendre d’autres tâches classiques comme par exemple l’ensemble des
tâches de Piaget ou encore les tâches de fausses croyances (mesure de l’acquisi-
tion de la théorie de l’esprit). Étant donné que ces mêmes tâches sont utilisées
dans les institutions scolaires ou pour la mesure du développement, les robots
pourraient constituer un outil apportant des résultats plus précis et aidant à
affiner la direction des apprentissages en fonction de chaque enfant, en classant
leur développement sur des facteurs plus exhaustifs.

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