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COVID-19, INSPIRONS-NOUS DE L’OPEN SOURCE POUR MANAGER LES

ACTIVITÉS COLLABORATIVES À DISTANCE

Véronique Sanguinetti-Toudoire, Vincent Chauvet, Kiane Goudarzi

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2020/8 N° 293 | pages 161 à 170


ISSN 0338-4551
ISBN 9782746249325
DOI 10.3166/rfg.2020.00488
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2020-8-page-161.htm
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DOSSIER
VÉRONIQUE SANGUINETTI-TOUDOIRE
Université polytechnique Hauts-de-France ;
IAE Valenciennes ; lab. CRISS

VINCENT CHAUVET
Université de Toulon, IAE Toulon ; lab. CERGAM

KIANE GOUDARZI
Université de Lyon, univ. Jean Moulin Lyon 3,
iaelyon, lab. Magellan

Covid-19, inspirons-nous
de l’Open Source pour
manager les activités
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collaboratives à distance
La pandémie de Covid-19 conduit les organisations à accélérer
les pratiques de travail collaboratif à distance. L’article propose
de s’inspirer des organisations qui pratiquent l’Open Source
pour manager ces activités. À partir d’une analyse de seize
entretiens d’experts, la recherche identifie trois caractéristiques
clefs transférables aisément à d’autres industries – le rôle de la
communication, la reconnaissance des apports de chacun,
l’utilisation d’outils et principes collaboratifs – et deux autres
envisageables à moyen terme – la décomposition des tâches en
modules et le développement d’un modèle d’affaire spécifique.

DOI: 10.3166/rfg.2020.00488 © 2020 Lavoisier


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L
a pandémie de Covid-19 a boule- efficacement les activités collaboratives
versé les pratiques usuelles du à distance.
travail à distance. Traditionnelle-
ment les activités de réflexion sont menées
I – L’OPEN SOURCE, UNE RÉPONSE
à distance (Fernandez et al., 2014) et les
AUX DÉFIS MANAGÉRIAUX
activités collaboratives sont réalisées au
RÉVÉLÉS PAR LA PANDÉMIE
bureau (Olson et Olson, 2000). La pandé-
DE COVID-19
mie de Covid-19 et le confinement ont
forcé les organisations à basculer à Depuis plus de 25 ans, l’Open Source est un
distance toutes les activités, y compris mouvement qui s’est développé grâce à la
les activités collaboratives. Les activités collaboration d’acteurs distants plutôt indé-
collaboratives à distance regroupent des pendants. C’est un réel cas de réussite de ce
personnes qui participent à un but commun type de collaboration et les grandes entre-
grâce aux TIC. Vécues au début comme prises du secteur du logiciel l’ont investi.
une contrainte, elles sont apparues comme IBM a ainsi racheté RedHat pour 34
une opportunité à condition de savoir les milliards de dollars en 2018. La majorité
appréhender efficacement. L’enjeu est ainsi des logiciels, dont Linux, sont construits sur
de continuer à mobiliser l’intelligence cette base (Cohendet et al., 2003).
collective, alors que la dématérialisation
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Dans cette industrie, les organisations
des échanges peut rendre la collaboration rassemblent des utilisateurs et contributeurs
plus difficile. sur toute la planète, en se fondant sur le
Le monde du logiciel Open Source fonc- volontariat et la collaboration à distance
tionne de façon mondialisée et dématéria- (Gandal et Stettner, 2016). Ces organisa-
lisée depuis plus de 25 ans grâce au travail tions mutualisent les développements via un
collaboratif à distance. C’est un cas exemp- co-développement avec des communautés
laire de collaboration d’acteurs distants et externes de projets (Pénin et al., 2011) et
indépendants qui peut nous donner des clés s’appuient sur des licences de partage
pour adapter le travail à distance des spécifiques, fondées sur le principe du
organisations (Mainguy, 2017). L’Open copyleft. Celui-ci stipule que le propriétaire
Source est d’abord une philosophie définie du code source accorde à ceux qui le
par l’ouverture et le partage du code source souhaitent les droits d’exécuter le code, de
de logiciels (Loilier et Tellier, 2011). Mais il le consulter, de le modifier et de le
s’agit surtout d’une organisation différente redistribuer, suivant les caractéristiques
du travail qui mutualise les développements des licences choisies. Cela s’oppose au
via un co-développement des offres « copyright » qui est le droit de propriété
avec des communautés de projet (Demil classique (Loilier et Tellier, 2011). Il
et Lecocq, 2006). fonctionne sur le principe de la superposi-
L’objectif de la recherche est d’identifier les tion, chaque contributeur venant apporter
caractéristiques clés des organisations qui son amélioration à une brique donnée
pratiquent l’Open Source avec succès afin (Howison et Crowston, 2014).
de mettre en évidence des pratiques trans- Cette démarche de développement collabo-
férables à d’autres industries pour manager ratif est présente en dehors du secteur du
Covid-19, inspirons-nous de l’Open Source pour manager à distance 163

logiciel, par exemple avec des partages de 2002 ; Pénin, 2011), le but est de l’appré-
plans ouverts pour une fabrication distri- hender empiriquement.
buée par imprimantes 3D (Kyriakou et al.,
2017). Avec l’épidémie, plusieurs entrepri-
II – L’OPEN SOURCE DES
ses industrielles comme les très médiatisées
PRATIQUES COLLABORATIVES
Decathlon et Medtronics, ont ainsi rendu
À DISTANCE TRANSFÉRABLES
disponibles les plans de respirateurs, venti-
lateurs et masques nécessaires dans les
hôpitaux (Pearce, 2020). Ces pratiques de Les experts interrogés ont mis en exergue
collaboration à distance s’inscrivent dans cinq caractéristiques critiques et transféra-
une démarche Open Source mais elles sont bles des organisations qui pratiquent l’Open
principalement centrées sur la diffusion Source avec succès.
de l’innovation plutôt que sur la mise à
contribution d’une communauté d’acteurs.
1. Le rôle essentiel de la communication
La mise en place d’une démarche de
collaboration « à la Open Source » dans L’importance de la communication est
le secteur du logiciel fait face à treize exacerbée. Les organisations qui pratiquent
challenges qui limitent à la fois l’intérêt et la l’Open Source ont des dirigeants qui passent
possibilité de coopérer (Stol et al., 2011,
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beaucoup de temps à expliquer ce qu’ils
p. 1324-1327). Nous les regroupons en cinq font, vers où ils comptent aller, souvent par
catégories : 1) le manque de documentation le biais d’un leader incarné. Elles conçoi-
et de connaissances communes qui empêche vent la roadmap, une feuille de route
d’accéder au projet ; 2) l’incertitude sur le stratégique collaborative, afin que les
comportement coopératif des équipes qui objectifs à court et à moyen terme soient
favorise les comportements individualistes ; clairs et compris.
3) le manque d’interfaces d’intégration des « Il faut toujours beaucoup, beaucoup
améliorations successives ; 4) la présence communiquer (...) pour que les gens
de composants trop spécifiques et 5) les comprennent où on va, pourquoi on le fait,
contraintes légales entraînées par les et essayer qu’une majorité de la commu-
composants Open Source qui limitent nauté soit d’accord avec les choix. »
l’intérêt pour le projet. Tous ces facteurs (r15 pour répondant 15).
découragent la volonté individuelle de L’Open Source peut également ôter certai-
coopérer. Ils empêchent ou limitent la nes barrières communicationnelles par une
constitution de communautés de contribu- culture du partage d’informations qui
teurs nombreux et réguliers. engendre une dynamique d’échanges forte
Au-delà du partage des plans et de et permet une communication franche et
l’ouverture des sources, nous cherchons directe qui fait défaut dans de nombreux
ce qui est capital pour la réussite de cette échanges professionnels.
démarche collaborative et qui serait trans- « [Nos nouveaux membres] sont très surpris
férable à d’autres industries. Cette trans- par le fait que nous soyions si ouverts dans
férabilité est envisagée théoriquement nos discussions. (...) Quand vous avez une
(Demil et Lecocq, 2006 ; Lerner et Tirole, discussion avec un fournisseur et que vous
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MÉTHODOLOGIQUE

Une étude qualitative exploratoire sous forme d’entretiens semi-directifs a été menée avec
16 experts académiques ou managériaux pour générer des données indépendantes et
constructives (Evrard et al., 2009 ; Hussler et al., 2011). Ces entretiens ont abordé les thèmes
relatifs aux facteurs d’adoption de l’Open Source, aux challenges et facteurs clefs de succès du
travail collaboratif via de l’Open Source, à son fonctionnement collaboratif et à sa
transférabilité dans d’autres secteurs.
Les entretiens se sont déroulés en face à face, en visioconférence et par téléphone, pour
une durée d’une demie heure à deux heures chacun, et un total de 269 pages et 151 786
mots. Ils ont été enregistrés et retranscrits (tableau 1). Puis nous avons réalisé une analyse
de contenu avec un double codage, à l’aide de l’outil Open Source de traitement de
donnée qualitative RQDA1. Notre codage se fonde sur notre regroupement en cinq
thématiques des treize challenges de l’implémentation de démarches Open Source
(Stol et al., 2011).
À l’issue d’une première analyse, nous avons adressé à nos experts une vidéo de 13 minutes
présentant les résultats et nous avons ainsi pu recueillir des informations et des exemples
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plus précis. En ce sens, notre démarche s’inspire de la méthode Delphi en invitant les
experts à réagir aux résultats obtenus, ce qui a permis de mettre en évidence une
convergence de leurs opinions (Ekionea et al., 2011). Nous avons également analysé des
sources secondaires et participé à des événements organisés sur le logiciel et la mobilité
Open Source.

êtes un utilisateur client, il y a souvent un 2. La reconnaissance des apports


calcul quant à la quantité d’informations que de chacun
vous délivrez et parfois vous dissimulez des
éléments importants. Nous en fait nous ne Les organisations qui pratiquent l’Open
cachons rien » (r10). Source reconnaissent l’expertise et les
Ce temps passé à communiquer permet de contributions individuelles par plusieurs
développer et cultiver la culture commune et moyens, tels le système de copyleft, les
le socle partagé (Cohendet et al., 2003 ; pull-requests popularisés en 2010 qui sont
Olson et Olson, 2000) qui sont nécessaires des communications de l’intention de
pour mettre en place des pratiques collabo- modifier un composant ou encore les
ratives à distance. innombrables réponses données dans les

1. Huang Ronggui (2016). RQDA : R-based Qualitative Data Analysis. R package version 0.2-8. http://rqda.r-forge.r-
project.org/
Covid-19, inspirons-nous de l’Open Source pour manager à distance 165

Tableau 1 – Caractéristiques des répondants

Experts 8 chercheurs 8 managers

Caractéristiques Enseignants-chercheurs Fonctions : 3 dirigeants ou directeurs


individuelles français et américains en généraux, 3 responsables de communautés,
gestion spécialisés en stratégie 1 expert sécurité, 1 responsable innovation
et business models ouverts Secteurs d’activité : 5 informatique, dont 4
Open Source, 1 robotique, 1 automobile,
1 loisirs

forums. En effet, les contributeurs indépen- « Beaucoup d’outils ont émergé pour faci-
dants potentiels ont besoin de voir leur liter la contribution à plusieurs : Github, est
empreinte pour avoir envie de contribuer. un gestionnaire de sources, qui permet de
« Les gens vont commencer sur un petit synchroniser les sources, un peu comme
design, la personne a eu un impact, et son Google drive, mais appliqué au code.
empreinte, elle la voit tous les jours sur [le [Ensuite], des suites de tests automatisés,
site web]. Et cette formule-là fait des avant de fusionner des “pull request”, on a de
montagnes, parce que du coup les gens l’intégration continue, pour s’assurer que
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sont presque plus engagés que des salariés tout fonctionne bien. [On a aussi] des outils
(…), je pense qu’une personne qui a envie de méthodologie et outils de documentation,
de s’engager, il faut que dans les 15 minutes, il y a plusieurs types de documentation, le
elle ait eu un impact concret, visuel. » (r16). descriptif général, comment contribuer au
La reconnaissance de ce travail et des projet, les règles sur comment coder, le
contributions apportées permet de renforcer descriptif des fonctions. Pour tout ça on
les activités collaboratives et l’engagement utilise des outils de documentation, qui sont
des acteurs au fur et à mesure du dévelop- proches des outils des linguistes. [Enfin, on a]
pement du projet (Frimousse et Peretti, des outils de déploiement continu, pour que
2019, p. 102 ; Toma et al., 2013). tous les environnements soient mis à jour en
même temps. » (r2).
Elles adoptent également des principes
3. L’utilisation d’outils et principes
collaboratifs sous forme de codes de
collaboratifs
conduite2 développés à partir de 2014 et
Les organisations qui pratiquent l’Open qui permettent de favoriser l’inclusion.
Source mettent en place de nombreux outils « On doit avoir un “code of conduct”. Le plus
de collaboration synchrone et asynchrone à utile aujourd’hui s’appelle le “covenant”,
distance, de méthodologies, de documenta- c’est un document qui permet de régir, pas
tions, de suivi des versions, de tests et l’organisation de la communauté, mais en
d’intégration des innovations proposées. tous cas, ce qu’on peut faire, pas faire. » (r15).

2. Par exemple le « Linux code of conduct » sert de référence à toutes les communautés : https://www.kernel.org/doc/
html/latest/process/code-of-conduct.html;https://www.contributor-covenant.org/version/1/4/code-of-conduct/
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La description de ces outils et principes que tout est secret, mais en fait, pour ce qui
collaboratifs permet de donner corps à la n’est pas le cœur, vous pourriez obtenir du
notion de langage commun (Cohendet et al., feedback, des commentaires constructifs. »
2003) et de montrer que le travail collabo- (r10).
ratif à distance nécessite des méthodes et des À partir de ces éléments ouverts, les
principes rigoureux. organisations développent de nouveaux
business models qui peuvent prendre des
formes très différentes.
4. La décomposition en modules
Les organisations qui pratiquent l’Open
5. La construction de business models
Source décomposent les tâches en modules
basés sur des éléments ouverts
qui peuvent être ensuite confiés à de
multiples personnes. Cette pratique de Les organisations qui pratiquent l’Open
modularisation permet une progression Source développent de nouveaux business
pas-à-pas, avec des étapes précises notam- models, fondés principalement sur des
ment pour le contrôle du développement services et de la double licence. Ces modèles
apporté. Elle permet de superposer rapide- s’apparentent à celui du freemium : les
ment des micro-améliorations voire de fonctionnalités basiques sont gratuites ; les
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nouvelles briques, ce que l’on appelle fonctionnalités plus sophistiquées, voire
l’open superposition des micro-tâches même adaptées aux besoins du client, sont
(Howison et Crowston, 2014). Cela facilite payantes, soit fonctionnalité par fonctionna-
ainsi l’intégration des améliorations appor- lité, soit sous forme d’abonnement.
tées par chacun. « On vend du développement, de la custo-
« Si on se rend compte qu’il y a une misation, de l’adaptation, des améliorations,
amélioration à faire, on fait ce qu’on appelle mais sur cahier des charges, sur demande
une pull request, donc il y a une personne spécifique du client ; et puis la deuxième
qui va faire une review, qui va regarder partie du mix, c’est la maintenance générale
est-ce que c’est conforme à ses attentes, est- de l’ensemble des composants qu’on a
ce que le code est d’assez bonne qualité, développés. (...) La société éditrice ou la
est-ce que ça ne va pas tout casser, et elle société de services est là pour apporter des
pourra ou non décider de fusionner le code engagements au client final. » (r14).
et donc d’intégrer la requête. » (r2). Ces business models s’appuient sur des
La modularité permet également de dis- éléments ouverts en perpétuelle améliora-
tinguer ce qui est générique de ce qui est tion pour développer des marchés et créer
spécifique à chaque entreprise, et de des services de maintenance et de person-
partager de façon totalement ouverte ce nalisation (Muselli, 2008). De nouveaux
qui est générique. business models consistent à faire payer des
« L’exercice de l’open source, est très sain organisations pour participer à l’évolution
pour votre process interne car il vous force à des produits et non pas pour les acheter.
identifier ce qui est votre cœur de propriété « Je vais prendre le cas d’Imio en Belgique.
et ce qui ne l’est pas. Si vous ne le faites pas, (...) Vous avez plus de 200 communes
vous pouvez penser que tout est nécessaire, derrière qui utilisent ce logiciel-là, avec un
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Tableau 2 – Cinq bonnes pratiques à emprunter à l’Open Source

Challenges Bonnes pratiques Open Source

Place essentielle de la communication pour attirer


les contributions
Le manque de documentation Objectifs et projets explicités
et de connaissances communes Leader incarné
Roadmap stratégique collaborative
Accès aux sources

Reconnaissance des apports de chacun pour stimuler


les comportements coopératifs
Des comportements
Système de copyleft avec la précaution « use it at your own
individualistes
risk »
« Pull-request », réponses données dans les forums

Mise en place d’outils pour faciliter l’intégration à


distance
Outils de collaboration synchrone et asynchrone à distance
Le manque d’interfaces
Outils de documentation, de suivi des versions
d’intégration
Outils de méthodologies, de tests et d’intégration
des innovations
Codes de conduite pour favoriser l’inclusion
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Modularisation des tâches en distinguant ce qui
Des composants développés est générique et spécifique
trop spécifiques Ouvrir et superposer les tâches
Partager ce qui est générique

Business models pour supporter l’ouverture


La prise en compte stratégique Des services de support, expertise et de personnalisation
et légale de l’ouverture de composants Open Source en perpétuelle évolution
Des systèmes de double licence

mode de fonctionnement incroyable, en fait CONCLUSION


chaque commune paye un abonnement, pas
pour l’usage, mais pour pouvoir siéger à des La crise du Covid-19 a révélé la nécessité
instances de décision sur l’avenir du pour les organisations de gérer les activités
logiciel, de nouvelles fonctionnalités, etc. collaboratives à distance. La recherche
Et ça, ça permet de faire vivre une trentaine montre que l’Open Source constitue un
de personnes. » (r8). champ fécond pour appréhender la gestion
Nous proposons dans le tableau 2 une vue de ces activités et met en exergue cinq
synthétique des caractéristiques transféra- caractéristiques. La question est alors de
bles des organisations qui pratiquent l’Open savoir si ces pratiques sont transférables
Source avec succès selon notre regroupe- dans d’autres environnements.
ment en cinq catégories des challenges L’industrie du logiciel est caractérisée par le
identifiés par Stol et al. (2011). fait que ce sont des biens d’information.
168 Revue française de gestion – N° 293/2020

Ceux-ci nécessitent une recherche et déve- Ces trois premières caractéristiques sont
loppement couteuse mais sont très faciles à donc transférables à toutes les activités
reproduire, ce qui empêche de profiter des collaboratives à distance. Elles demande-
effets d’échelle d’une production en grande ront un temps de mise au point pour
série. De plus, les pratiques de codification déterminer les outils et mécanismes per-
créent une fine modularité qui permet le tinents. En revanche, les deux dernières
développement « superposé » et facilite les caractéristiques semblent plus difficiles à
contributions (Demil et Lecocq, 2006 ; transférer directement.
Howison et Crowston, 2014). – Si la modularisation des tâches dans
Qu’en est-il alors dans d’autres environne- l’informatique paraît « naturelle », elle est
ments ? en fait organisée par les développeurs pour
– Le besoin exacerbé de communication éviter de refaire toujours les mêmes blocs
auquel les entreprises du logiciel Open et s’appuyer ainsi sur le travail des autres.
Source ont dû faire face semble aisément La modularité des activités collaboratives
généralisable à toute activité collaborative à à distance supposerait de réorganiser
distance. Le positionnement du leader et la entièrement le travail. Cela est envisa-
constitution d’objectifs partagés qui pren- geable mais demande du temps pour
nent en compte les bonnes idées de chacun reconcevoir les processus et les pratiques
sont déjà des défis dans la collaboration « en sous-jacentes.
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face à face ». La collaboration à distance en – La mise en place de nouveaux business
a encore davantage besoin. models est à envisager à partir du moment
– La distance rend les personnes invisibles. où les organisations souhaitent inclure des
Reconnaître les apports de chacun par membres extérieurs dans leurs collabora-
différents mécanismes permet de maintenir tions à distance. Dans ce cas, on peut
chez les individus la volonté de coopérer. envisager des business model ouverts
Cette pratique apparaît également trans- (Demil et Lecocq, 2014) qui doivent être
férable. adaptés à chaque activité. Cette reconfigu-
– Les outils collaboratifs mis au point ration n’est envisageable qu’à moyen
progressivement par l’industrie du logiciel terme.
Open Source sont potentiellement utiles à Au-delà des apports identifiés dans la
toutes les organisations qui veulent prati- recherche, les démarches Open Source
quer la collaboration à distance, que ce soit témoignent de la possibilité de créer des
des outils de communication synchrone ou connaissances lors d’activités collaboratives
asynchrone, des outils de suivi des micro- à distance. Les démarches ouvertes de type
améliorations individuelles, ou des codes Open Science offrent ainsi d’importants
de conduite pour réguler les échanges potentiels d’innovation que ce soit dans les
à distance. domaines managériaux ou médicaux.
Covid-19, inspirons-nous de l’Open Source pour manager à distance 169

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© Lavoisier | Téléchargé le 22/09/2021 sur www.cairn.info via Université d?Angers (IP: 195.68.88.26)

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