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HUMBOLDT ET L’ORIENT.

CONFRONTATION DES INTERPRÉTATIONS DE


HUMBOLDT ET DE HEGEL DE LA BHAGAVAD-GÎTA

Jean Quillien

Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques »

2015/2 n° 113 | pages 239 à 258


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ISSN 0014-2166
ISBN 9782130651109
DOI 10.3917/leph.152.0239
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Humboldt et l’Orient.
Confrontation des interprétations
de Humboldt et de Hegel de la Bhagavad-Gîta
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L’époque est celle de l’attirance pour l’Orient et de la découverte du
sanscrit, plus précisément de son rôle dans le cadre des recherches linguis-
tiques1. L’initiateur en est Abraham Anquetil-Duperron. Parti pour l’Inde,
il en revient avec l’Avesta, livre sacré des zoroastriens, qu’il publie en 1771,
date importante car elle représente une approche indépendante des tradi-
tions classique et biblique, et cinquante Upanishads. Ses Recherches sur l’Inde
parurent en 1786 et le célèbre Oupanekhat, traduction latine commentée
des Upanishads, 1802. Anquetil ignorait le sanscrit et avait établi son texte à
partir d’une traduction persane. La découverte du sanscrit et la diffusion de
la pensée indienne sont dues à quatre personnes. En 1785 Charles Wilkins
(1749-1836) donne la première traduction complète de la Bhagavad-Gîta
(en anglais) et en 1787 celle de 1’Hitopadesa. William Jones (1746-1794)
traduit la Sacountalâ (1789), le Gitâ-Govinda (1792) et le texte connu sous
le nom de Lois de Manou (Manava-Dharmashâstra) en 1794 (traduction alle-
mande en 1797 par Huttner). H.T. Colebrooke (1765-1833) (sur lequel
s’appuie Humboldt dans ce texte) fait paraître en 1824 son Essay on the philo-
sophy of the Hindus (Transactions of the Royal Asiatic Society). H.-H. Wilson
(1789-1860), formé par Colebrooke, donne en 1819 le premier diction-
naire sanscrit valable (en anglais). L’Allemagne a été fortement marquée par
cette vague venue de l’Orient. Herder traduit en vers des fragments de la
Bhagavad-Gîta à partir de la version anglaise de Wilkins (Zerstreute Blätter) et
Georg Forster, l’ami de Humboldt, donne une traduction, avec une préface
de Herder, de la Sacountalâ, évoquée dans leur correspondance. Enfin paraît
en 1808 l’ouvrage de Fr. Schlegel Über die Sprache und Weisheit der Indier
(La langue et la sagesse des Hindous) qui a un grand retentissement. Toutefois

1. Ce texte a été écrit en janvier 1987 et publié dans Problématique, genèse et fondements
anthropologiques de la théorie du langage de Guillaume de Humboldt, Atelier national de repro-
duction des thèses, II, Lille, 1987, pp.715-729. La présente version ne comporte que des
corrections d’ordre stylistique et typographique ; la date de rédaction explique qu’il n’y soit
pas fait référence à des travaux ultérieurs sur le même sujet.
Les Études philosophiques, n° 2/2015, pp. 239-257
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Humboldt reste encore réservé : « Je ne puis nier que la philosophie indienne


ne me donne toujours un frisson sacré… Il m’est impossible de m’associer
à 1’éloge sans réserve de ceux qui prétendent y découvrir la vraie lumière,
bien supérieure à la sagesse grecque de tous les âges2. » On reconnaît là une
constante de sa nature, ne pas céder à un engouement passager tant que l’on
n’a pas acquis une connaissance sérieuse de la chose.
L’événement décisif sera pour lui la publication en 1816 de Über das
Konjugationssystem der Sanskritsprache in Vergleichung mit jenem der grie-
chischen, lateinischen, persischen und germanischen Sprache (Le système de
conjugaison du sanscrit, comparé à celui des langues grecque, latine, persane
et germanique). Cet écrit de Franz Bopp, qui fit date, est préfacé par Karl
Windischmann, qui l’avait initié au sanscrit lors de ses études secondai-
res à Aschaffenburg, et suivi d’un extrait du Râmayanâ (« Les pénitences
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(Büßungen) de Wiswamitra »), d’un extrait du Mâhabhârata (« Der Kampf
mit dem Riesen » - Le combat avec le géant) et de quelques passages des Védas
à partir de la traduction de Colebrooke. En 1819 Bopp édite et traduit (en
latin) un autre épisode du Mâhabhârata, le Nalus (Nalus, carmen sanscri-
tum e Mahâbhârata), qui fit une grosse impression sur Humboldt et dont
le compte rendu fut assuré par A.W. Schlegel dans la Indische Bibliothek
(vol. I). Il y développe une remarque sur les formes tvâ, qui sera à l’origine du
premier texte de Humboldt consacré au sanscrit. Grâce à cet écrit de 1816
Bopp, appuyé par Windischmann, obtient une bourse du roi de Bavière afin
de poursuivre ses recherches à Londres, auprès de Wilkins et de Colebrooke.
C’est là qu’il fait la connaissance de Humboldt, ambassadeur du roi de Prusse
dans cette capitale d’octobre 1817 à octobre 1818 et il l’enthousiasma assez
pour le sanscrit pour que ce dernier, de retour en Allemagne, fît créer les
deux premières chaires de sanscrit, l’une à Bonn pour A.W. Schlegel, l’autre
à Berlin pour Bopp.
Humboldt commence à travailler cette langue de manière approfondie à
la fin de 1820 et se consacre ensuite à son étude grammaticale et à la péné-
tration des œuvres littéraires. Bopp, de passage à Berlin pour trois semaines
en avril 1821, est son hôte ; ils lisent le sanscrit ensemble et discutent de
linguistique. Bopp commence son enseignement lors du semestre d’hiver
1821-22 et Humboldt est parmi ses premiers élèves3. Humboldt domine
très vite suffisamment le sanscrit pour que Chateaubriand, chargé d’affaires à
Berlin en 1821 et dînant chez lui, puisse écrire : « Si l’on fût tombé dans un
bon jour, on aurait pu deviser à table en sanscrit4. » Témoigne de cette maî-
trise rapidement acquise un article, longuement discuté avec Bopp et achevé
en octobre 1822, dirigé contre les grammairiens indiens et en accord avec

2. à Schweighäuser, 26 février 1812, Lettres à Geoffroy Schweighaeuser, Paris, Berger,


1893, p. 178.
3. Sur ce rapport Bopp-Humboldt, voir S. Lefman, Franz Bopp. Sein Leben und seine
Wissenschaft, Berlin, G. Reimer, 1891.
4. Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, III, 26, éd. M. Levaillant, Paris, Pléiade,
1951, t. II, p. 42.
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les vues de son cadet : Über die in der Sanskrit-Sprache durch die Suffixe twâ
und ya gebildeten Verbalformen5. A.W. Schlegel juge magistrale cette étude
« qui représente le premier essai pour pénétrer dans le domaine difficile et
complexe de la syntaxe du sanscrit6 ». L’article est publié dans la revue de
Schlegel Indische Bibliothek en 1823 et 1824. Bopp en fit la recension dans
les Göttingische gelehrte Anzeigen en 1825 et écrit : « Dans ce substantiel traité
nous admirons la clarté de la méthode, le cours logique, rigoureusement
scientifique du développement et de l’établissement des concepts et une
rare perspicacité pour saisir les différences les plus fines dans des construc-
tions apparemment semblables7. » L’article parut avec une note préliminaire
remarquablement pénétrante de Schlegel sur l’importance et la signification
des travaux de son auteur pour la linguistique8.
Humboldt a donc une excellente connaissance de ce nouveau domaine
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du savoir ; la langue lui est devenue familière et il est au fait de tous les travaux
des pionniers évoqués ci-dessus ; il utilise les grammaires alors connues, celles
de Colebrooke (1805), Carey (1806), Wilkins (1808), H.P. Forster (1810)
et le dictionnaire de Wilson (sanscrit/anglais, 1819), ainsi que les Asiatic
Researches or Transactions, publication de la Société asiatique du Bengale, fon-
dée en 1784 et présidée par William Jones (21 volumes paraissent de 1788
à 1839).
En 1821 est fondée la Société asiatique de Paris, présidée par Silvestre de
Sacy, qui devient le centre de la philologie orientale : à côté des Français,
avec lesquels Humboldt sera en correspondance, Sacy, Chézy, Rémusat,
Champollion, figurent, au titre de membres associés, les Anglais Wilkins,
Wilson et Colebrooke et les Allemands Kosegarten, Klaproth, Bopp,
A.W. Schlegel et les frères Humboldt. En 1823 la Société crée son propre
organe, le Journal asiatique. La seconde étude de Humboldt consacrée à
l’Inde est en relation avec un article publié dans cette revue9.

Über die Bhagavad-Gitâ (Sur la Bhagavad-Gitâ), 1825.10

A.W. Schlegel édite à Bonn en 1823 une traduction en latin de la


Bhagavad­Gîta. La recension en est assurée, pour le Journal asiatique, vol. I,

5. W. von Humboldt, « Über die in der Sanskrit-Sprache durch die Suffixe twâ und ya
gebildeten Verbalformen » (Les formes verbales formées par les suffixes twâ et ya en sanscrit),
in A. Leitzmann (éd.), Gesammelte Schriften (notées G.S.), IV, 7, pp. 360-419.
6. G.S., IV, p. 440
7. Idem.
8. Idem, pp. 360-361.
9. Sur tout ce contexte, voir R. Schwab, La Renaissance orientale, préface de Louis Renou,
Paris, Payot, 1950 et G. René, L’Orient et la pensée romantique allemande, G. Thomas, Nancy,
1963, notamment le chap. IV (sur Bopp, pp. 154-160).
10. L’article porte un sous-titre : Mit Bezug auf die Beurteilung der Schlegelsche Ausgabe
im Pariser Asiatischen Journal (Au sujet de la critique de l’édition de Schlegel parue dans le
Journal asiatique de Paris).
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par Langlois, qui publiera en 1827 les Monuments littéraires de l’Inde et en


1848-1851 la première traduction du Rig-Véda, longtemps la seule en France
jusqu’à celle de Louis Renou en 1937. Langlois soumet l’édition de Schlegel
à une critique virulente et Humboldt, qui la tient pour remarquable, rédige
cette réponse, en suivant pas à pas les arguments de Langlois, pour la dé­-
fendre, sans toutefois masquer ses divergences avec son auteur. Il écrit à
Welcker le 16 mai 1825 : « Depuis plusieurs semaines je suis plongé presque
sans discontinuer dans la Bhagavad-Gîta et la philosophie indienne, sur les-
quelles on ne possède que quelques traités très éclairants de Colebrooke. Plus
je l’approfondis, plus cette œuvre m’attire, et ce n’est pas chose facile que d’en
percer au jour (durchschauen) les rapports philosophiques ainsi que la termi-
nologie tout à fait spécifique et parfaitement philosophique. Langlois l’a le
moins comprise, lui qui a entrepris de jouer au maître d’école avec Schlegel
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dans le Journal asiatique. C’est un vrai bonheur qu’il nous ait épargné une
traduction de sa main. J’accorde qu’il connaît très bien le sanscrit et je lui
reconnais sur ce plan beaucoup plus de pratique que moi-même. Mais il n’est
pas entré, tant s’en faut, dans ce que l’œuvre contient de philosophique et ses
essais abondent, selon moi, en contresens. La traduction de Schlegel, bien
qu’elle comporte également de très nombreux passages en lesquels je ne puis
être d’accord avec lui, est, j’en suis convaincu, magistrale et personne, actuel-
lement, n’aurait pu en fournir une pareille. Toutefois un examen rigoureux
des mots et des idées m’a convaincu, et je crois pouvoir le prouver, qu’il est
également impossible, à partir de cette traduction à tous égards excellente, de
saisir et de comprendre vraiment la philosophie du poème11. »
Cette lettre est éclairante sous un double rapport. Certes elle situe la posi-
tion, qui n’est pas de complaisance envers Schlegel, de Humboldt par rapport
aux personnes ici en jeu. Mais, au-delà du fait, elle est un bon témoin de sa
démarche caractéristique, toujours allier le tout et le détail, la vue d’ensemble
et l’analyse particulière, le fait et le sens. On peut fort bien être le remar­-
quable spécialiste d’une langue et ne pas comprendre le contenu philoso-
phique d’une œuvre écrite en cette langue, comme, par exemple, Langlois et,
à la limite, Schlegel lui-même. à l’inverse il arrive qu’un philosophe prétende
saisir ce contenu philosophique sans connaître la langue, comme Hegel. On
le voit ici, comprendre une œuvre, c’est en pénétrer la substance philoso-
phique et non se borner à analyser des faits grammaticaux, mais cela ne peut
se faire que sur la base d’une maîtrise effective de cette langue. Humboldt a
essayé d’atteindre la signification profonde de la Bhagavad-Gîta, sans s’épar-
gner le labeur de l’étude approfondie du sanscrit en lequel il se hisse au niveau
des spécialistes. Sa critique de Langlois est publiée en 1823 et 1824 dans la
Indische Bibliothek, revue que A.W. Schlegel éditera de 1820 à 1830. « Je crois
pouvoir le prouver » est souligné par nous ; ce ne peut être qu’une allusion au

11. Wilhelm von Humboldts Briefe an F.G. Welcker, hg. R. Haym, Berlin, Gaertner, 1859,
pp. 125-126.
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travail en cours, qui sera l’objet d’une recension de Hegel. La lettre à Welcker
est du 16 mai, l’essai est lu à l’Académie le 30 juin (1re partie).

Über die Bhagavad-Gîta I et II

Dans l’article précédent Humboldt s’est surtout occupé de questions


d’ordre linguistique et d’interprétation de passages particuliers. Ici il vise le
contenu philosophique. Il a étudié à fond ce poème pendant l’été 1823, en
a ressenti une profonde impression et se déclarera reconnaissant au destin
de lui avoir permis de vivre assez vieux pour en prendre connaissance. La
première partie est donc lue le 30 juin 1825, la seconde le 15 juin 1826
à 1’Académie, et les deux ensemble le 3 juillet lors de la séance publique
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consacrée à Leibniz. L’impression est achevée en octobre 1826 et l’auteur
peut envoyer le cahier à ses amis ; la publication a lieu dans les Abhandlungen
de l’Académie en 1828.
Hegel en a assuré lui-même la recension, rédigée à la fin de 1826, dans
les Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik qu’il venait de créer12. E. Gans a
longuement relaté les différentes étapes de cette création13, parue en deux
articles, en janvier et octobre 1827. Cette recension cache, sous une forme
aimable, une critique sévère et une divergence d’interprétation profonde.
Lors de la parution du premier article, Humboldt put se faire illusion,
comme le montre sa lettre de remerciement à Hegel (je vous exprime « ma
plus vive gratitude pour la façon bienveillante et flatteuse avec laquelle vous
avez introduit mon travail auprès du public ») et son souhait de le rencontrer
prochainement pour discuter de la philosophie indienne14. Cet entretien
ne paraît pas avoir eu lieu et le second article (octobre) dissipa tout doute.
Humboldt écrit à F. Gentz le 1er mars 1828 : « Je ne puis nullement approu-
ver la longue recension que Hegel m’a consacrée. Elle mêle philosophie et
fable, authentique et inauthentique, antique et moderne - quelle sorte d’his-
toire philosophique cela peut-il donner ? Mais toute la recension est aussi
dirigée contre moi, quoique de façon dissimulée, et part clairement de cette
conviction que je suis tout autre chose qu’un philosophe15. » Cette lettre est
intéressante à plus d’un égard. C’est l’un des rares jugements de Humboldt
sur Hegel. Elle montre qu’il a parfaitement compris l’intention du recenseur.
Enfin et surtout, elle indique en toute clarté le lieu du débat fondamental
en jeu ici, à savoir la philosophie. Humboldt propose à Hegel de discuter
avec lui de philosophie ; celui-ci ne combat pas une thèse philosophique
- il le fait lorsqu’il s’agit de Schelling - mais présente, en philosophe, l’ana-
lyse d’un auteur pour lequel il a une haute estime, auquel il accorde « une

12. Cf. la lettre à sa femme du 25 juillet 1826 in G.W. F. Hegel, Correspondance, III, trad.
J. Carrère, Paris, Gallimard, 1967, p. 107.
13. Ibid., pp. 360-361.
14. Lettre de Humbold à Hegel du 25 janvier 1827. Ibid., p. 134.
15. Ibid., p. 365 – souligné par nous.
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connaissance approfondie de la langue originale, une familiarité intime avec


la philosophie et la réserve réfléchie qui invite à ne pas aller au-delà du sens
strict de l’original, à n’y voir rien d’autre ni rien de plus que ce qui s’y trouve
exactement exprimé16 » (souligné par nous), mais que, néanmoins, il situe en
dehors du champ de la philosophie. Humboldt est un « familier » : faut-il
lire qu’il n’est pas de la maison ? De fait c’est encore le linguiste que cite
l’Encyclopédie des sciences philosophiques (§ 459 R), à propos de sa dissertation
sur le duel. Il est clair, à l’inverse, que Humboldt revendique pour son essai
la qualité de « philosophique », qu’il dénie précisément à Langlois, voire à
Schlegel et, en retour, conteste au nom de la philosophie le mode hégélien de
son effectuation. Ce débat est particulièrement intéressant car la Bhagavad-
Gîta est le seul lieu où nous assistons une confrontation directe, à fleurets
mouchetés, entre Hegel et Humboldt, qui nous permette de mesurer l’écart
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entre les deux approches du philosophique.
Humboldt indique nettement son dessein dans une note préliminaire à
son texte de 182517 : « Le présent traité n’a pas d’autre but que de donner, de
la manière la plus concise possible et compréhensible même aux lecteurs non
avertis de la pensée indienne, une idée fidèle et complète du poème men-
tionné ci-dessus [dans le titre] et surtout du système philosophique qui y est
exposé. » L’enjeu du débat est donc le suivant : quelle est la signification phi-
losophique du poème et, de manière générale, de la philosophie indienne ?
Et, par-delà et à travers cette question : qu’est-ce que la philosophie ?
Avant d’y venir, rappelons la situation de Hegel par rapport à l’Inde.
On peut se référer à l’ouvrage de Michel Hulin, Hegel et l’Orient, suivi de la
traduction annotée de Hegel sur la Bhagavad-Gîta18. C’est à Berlin, en 1821-
1823, que Hegel se plonge véritablement dans l’étude de l’Orient ; il lui
consacre un cours en 1822-1823 et intègre la philosophie orientale dans son
histoire de la philosophie19. Sa documentation est considérable20 et il s’appuie
tout particulièrement, le suivant de très près, sur l’ouvrage de Colebrooke,
mais il ne lit pas le sanscrit. Sa recension est aussi longue que l’essai recensé
et elle est en fait prétexte à Hegel pour, tout en se référant à l’auteur, déve-
lopper sa propre conception de la culture indienne. Il l’avoue d’ailleurs lui-
même : « Telle est la manière dont il m’a paru possible - en m’appuyant
sur les recherches présentées par l’auteur et en les confrontant à d’autres
matériaux - d’établir une liaison entre les principes de l’esprit indien qui ont
fait l’objet de cet exposé21. » C’est donc clair : Hegel et Humboldt visent le

16. M. Hulin, Hegel et l’Orient, suivi de la traduction annotée de Hegel sur la Bhagavad-
Gîta, Paris, Vrin, 1979, p. 146.
17. G.S., V, p. 190.
18. M. Hulin, Hegel et l’Orient, op. cit. (Annexe : « Un essai de Hegel sur la Bhagavad-
Gîta », pp. 143-215)
19. Ibid., p. 39
20. Ibid., « Principales sources de Hegel », pp. 218-221
21. Ibid., p. 204
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Humboldt et l’Orient. Confrontation des interprétations 245

même but, saisir l’essence de la pensée indienne, chacun pense l’avoir dégagé
et estime que l’autre a manqué l’essentiel.
La toile de fond de la discussion est la fonction même de l’Orient et sa
signification au regard du développement de la civilisation. L’idéologie alors
largement dominante, diffusée par les Romantiques et, en particulier, par
les frères Schlegel et par Schelling, est la représentation de l’Orient comme
monde primitif, berceau de la culture, origine des sciences et des arts, foyer
de la sagesse primitive, thème développé notamment par Fr. Schlegel dans
son œuvre de 1808. Les Romantiques découvrent en Orient le peuple pri-
mordial, la langue primordiale, la religion primordiale et un état paradisiaque
perdu22. Cette manière de voir a suscité un engouement extraordinaire. Sa dif-
fusion a été favorisée par un disciple de Herder, F. Maier, qui publie en 1798
Kulturgeschichte der Völker et retraduit la Bhagavad-Gîta en entier ainsi que le
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Gîta-Govinda, publiés en 1802 dans le Magasin asiatique édité par Klaproth
à Weimar. À Weimar justement Maier, dont l’œuvre citée et le dictionnaire
mythologique23 font partie des sources de Hegel, a deux auditeurs importants :
Goethe et Schopenhauer. À la tête de ce mouvement se trouvent, bien sûr,
les Romantiques c’est-à-dire : dans le sillage de Herder, Jean-Paul, les frères
Schlegel, Novalis qui retraduit en vers un passage de la Gîta de Wilkins, ainsi
que le groupe de Heidelberg : Tieck, Brentano, Görres et Creuzer, auteur de
Symbolik und Mythologie der alten Völker24. Quant à Schelling, le Gîta-Govinda
lui révèle le mystère originel de l’esprit humain. Les Classiques eux-mêmes ne
sont pas épargnés, Schiller (Marie Stuart porte la trace du Meghadoûta), mais
il est mort trop tôt, et surtout Goethe (le Divan), bien que ce ne fût qu’une
direction, parmi d’autres, de sa pensée et qu’il n’aimât guère les dieux à plu-
sieurs têtes et plusieurs bras. Comme l’écrit Raymond Schwab25, « on peut
dire que tout l’idéalisme allemand porta dès lors un reflet indien ».
C’est cette illusion romantique que veut détruire Hegel. Il vise les
Romantiques lorsqu’il écrit : depuis que nous connaissons mieux l’Inde « on
a dû fortement rabattre de tout ce qu’on racontait de la sagesse indienne.
Dans la joie de la découverte, on fit grand état de la culture des Hindous ;
et comme d’ordinaire la découverte de nouveaux trésors fait regarder avec
mépris ceux que l’on possède déjà, on disait que la poésie et la philosophie
indiennes étaient bien supérieures à celle des Grecs26 ». Comme l’écrit Michel
Hulin, Hegel a cherché à « démythifier » la culture indienne : il était néces-
saire « d’abandonner les conceptions superficielles de la religiosité indienne et
de son contenu, conceptions issues tantôt de catégories prises au hasard dans

22. Cf. la présentation et la critique de cette conception in Hegel, La Raison dans l’his-
toire, trad. K. Papaioannou, Paris, Plon, « coll. 10-18 », pp. 187-191.
23. Allgemeines mythologisches Lexicon aus Original-Quellen bearbeit, Weimar, 1803-
1804.
24. Cf. Hegel à Creuzer, 30 octobre 1819, Correspondance, II, op. cit., pp. 193-196.
25. R. Schwab, La Renaissance orientale, op. cit., p. 222.
26. Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire, trad. Gibelin, Paris, Vrin, 1963, p. 122. Le
« on » est souligné par nous ; ce sont surtout les Romantiques.
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246 Jean Quillien

notre culture, tantôt d’une philosophie européenne elle-même confuse27 ».


Les Romantiques sont visés par le premier « tantôt », mais le second pour-
rait bien s’adresser à Humboldt, d’autant que, dans le même passage, Hegel
affirme que cette approche doit céder la place « aux caractères originaux de
l’esprit indien » (= sa propre analyse) et, un peu plus loin, se borne à louer
« l’érudition de l’auteur et son goût », ce qui n’est pas un éloge excessif.

Le débat

Nous pouvons en venir au fond du débat. Hegel, en fait, renverse complè-


tement le schéma romantique : loin d’être un âge d’or, d’heureuse innocence,
un paradis perdu, le monde primitif est celui de l’existence bestiale de laquelle
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l’homme doit s’arracher. L’état de nature est double, représenté par l’Afrique
et l’Orient. L’Afrique constitue une impasse : « L’homme, en Afrique, c’est
l’homme dans son immédiateté… C’est un homme à l’état brut… L’homme
naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline28. » L’Afrique ne
fait pas partie du monde historique : « Elle n’a pas, à proprement parler,
une histoire… c’est un monde anhistorique non-développé, entièrement
prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de
l’histoire universelle29. » Ce seuil est en Asie, qui inaugure « le vrai théâtre
de l’histoire », état de nature certes, mais qui renferme son propre dépas-
sement. Elle est le lever de soleil, l’aurore de l’Esprit, un commencement
absolu : « C’est là qu’est apparue la lumière de l’Esprit, la conscience d’un
élément universel et, par là même, l’histoire du monde30 », l’histoire qui est
unité du naturel et du spirituel, mais une histoire qui est encore essentiel-
lement sans histoire « car elle n’est que la répétition de la même ruine majes-
tueuse31 », c’est-à-dire sans progrès. L’Orient marque donc une rupture avec
l’état de nature et effectue le saut de la nature à l’histoire, mais en restant sur
le terrain même de la nature. Il est une « unité massive », une « spiritualité
naturelle », et, en Orient, l’Inde est le monde de la fantaisie et du sentiment,
caractérisé par l’intuition, rapport immédiat en lequel le sujet se déploie sur
le mode de l’immédiateté et ne parvient pas à affirmer sa liberté subjec-
tive ; cette intuition est identité abstraite avec soi, une intuition qui n’intui-
tionne rien, pas même le néant puisqu’elle n’a pas d’objet. L’idéalisme de
l’existence (l’unité de la subjectivité et de 1’être) existe bien en Inde, « mais
seulement comme un idéalisme sans concept de l’imagination… qui trans-
forme tout en objet de fantaisie32 ». Le principe de l’esprit hindou est le rêve,

27. Recension, p. 205.


28. La Raison dans l’histoire, op. cit., p. 251.
29. Ibid., p. 269.
30. Ibid., p. 270.
31. Ibid., p. 283.
32. Phil. Hist., op. cit., p. 109. Cf. Les Leçons sur la philosophie de la religion, II, 1, trad.
Gibelin, Paris, Vrin, 1959, pp. 112 sq. : « La religion de la fantaisie ».
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Humboldt et l’Orient. Confrontation des interprétations 247

non-séparation de moi et de l’autre, de l’intérieur et de l’extérieur et ce qu’on


appelle la félicité de l’Hindou n’est rien d’autre qu’« inertie parfaite, anéan-
tissement de toute sensibilité et de tout vouloir33 ». L’être pur de la pensée
hindoue, en lequel se résorbe tout le particulier, se traduit par le panthéisme,
la divinisation générale de tout le fini, mais c’est un panthéisme de l’imagi-
nation, non de la pensée et, puisque l’être pur est l’Un, ce panthéisme est
en même temps un monothéisme. Et ce panthéisme se traduit, la Bhagavad-
Gîta justement l’exprime la première, en panthéisme de l’art.
Telle est la conception hégélienne de la pensée orientale. Cependant
l’étude de la Bhagavad-Gîta en 1825 l’amena à nuancer son appréciation et
à ne plus identifier philosophie et religion indiennes (tel est le point de vue
de Humboldt) : ce poème nous fournit « ce qu’il y a de plus universel et de
plus élevé dans la religion indienne. Par là il échappe davantage à ce délire
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de l’imagination, sauvage et démesuré, qui règne dans la poésie indienne lors-
qu’elle prend un caractère narratif34 ». Hegel conserve entièrement son ana-
lyse du monde indien, mais considère maintenant que la Bhagavad-Gîta fait
dans une certaine mesure exception et qu’elle va au-delà de ce monde pris
en général, sans toutefois réussir à s’engager dans la voie de la réconciliation
entre la grandeur de la pensée à laquelle elle parvient et le particulier et le
concret : « On doit considérer comme une chose sublime que les Indiens se
soient élevés jusqu’à la séparation du sensible et de ce qui n’est pas sensible, de
la diversité empirique et de l’universel, des sensations, désirs, représentations,
volitions, etc., et de la pensée, et qu’ils se soient haussés à la conscience de la
grandeur de la pensée », mais l’esprit reste néanmoins chez eux « la démarche
chancelante qui, sans pouvoir se retenir à rien, oscille d’un extrême à l’autre et
dont finalement l’infélicité consiste à ne connaître la félicité que sous la forme
de l’anéantissement de la personnalité35 ». Hegel revient sur cette question
en 1830 à la fin de l’Encyclopédie des sciences philosophiques dans « L’Esprit
absolu », non dans la seconde étape consacrée à « La Religion révélée », mais
précisément dans la troisième et dernière (« La Philosophie ») et consacre une
très longue remarque au rapport entre religion et philosophie36. Il y définit à
nouveau la pensée hindoue comme un panthéisme, mais un panthéisme - et
ici Hegel reprend nommément à son compte la thèse de Colebrooke - qui
est un monothéisme ; simplement ce n’est pas un monothéisme pur puisque
« l’idée de Dieu n’est pas déterminée en elle-même37 ». Hegel, qui cite Schlegel
et Rückert, ne fait aucune allusion à Humboldt.
L’analyse hégélienne de 1’Inde est déterminée par sa représentation
de l’histoire universelle comme évolution par étapes (Stufengang), dont
le principe est la conscience de la liberté. L’Esprit parcourt trois grandes

33. Phil. Hist., op. cit., p. 116.


34. Recension, p. 147.
35. Recension, p. 188.
36. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, § 573 R, trad. M. de Gandillac, op. cit.,
pp. 489-499 ; trad. B. Bourgeois, III, Paris, Vrin, 1986, pp.488-499.
37. Hegel, Encyclopédie, op. cit., p. 493 ; trad. B. Bourgeois, op. cit., pp. 360-373.
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248 Jean Quillien

étapes : l’immédiateté, la conscience encore particulière de la liberté, enfin


l’élévation à la pure universalité. La première étape est représentée par le
monde oriental, celui de l’esprit enfantin, qui se tient encore sur le terrain de
la nature : « C’est l’âge infantile de l’histoire38. » Cette conception d’une part
soulève une difficulté sur le plan du mouvement dialectique, donc interne au
système, et d’autre part implique la question de la signification de l’histoire.
L’Orient est la sortie hors de la nature, mais à l’intérieur de la nature, et
il effectue le saut dans l’histoire. Comment se comprend ce commencement
absolu, qui n’est préparé par rien ? On ne peut que répondre : il faut bien que
l’Esprit se manifeste et commence son parcours.
Plus importante est l’autre question. Le cours de l’histoire, comme le
soleil, va d’Est en Ouest, comme l’individu, de la naissance à la vieillesse
en passant par l’adolescence et la maturité : « Le soleil se lève à l’Orient…
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L’histoire universelle va d’Est en Ouest, car l’Europe est véritablement le
terme et l’Asie, le commencement de cette histoire39. » Dès lors, la tâche du
philosophe est de dégager les traits enfantins de ce monde. Hegel emploie ici
une métaphore qui vaut comme telle, mais aussi contre les Romantiques dont
il se sépare totalement. Mais en fait, croyant s’opposer à eux, il reste entiè-
rement prisonnier de leur schéma. C’est par rapport à ce schéma, à cette pen-
sée commune, par-delà leur divergence, à Hegel et aux Romantiques, d’un
mouvement se comprenant en termes d’Est et d’Ouest, que se comprend la
position de Humboldt. L’esprit humain ne va pas d’Est en Ouest, pas plus
que d’Ouest en Est, mais il est tout lui-même là où il se manifeste. Le mode
hégélien est le type même de l’histoire a priori, qui détruit le sens historique,
contre laquelle il a mis en garde en 1821 : l’historien « doit plus que tout se
garder de plaquer sur la réalité des Idées arbitrairement forgées, ou encore de
sacrifier la moindre part de la richesse du particulier pour le seul profit d’une
recherche portant sur la connexion du tout40 ».
Il en résulte une divergence complète quant à l’interprétation de la
Bhagavad-Gîta, dont ils ont été parfaitement conscients l’un et l’autre.
La divergence se noue dans l’attitude même adoptée à l’égard de l’objet étu-
dié. Hegel, tout en reconnaissant que la B.G. s’élève au-dessus des représen-
tations communes, voit tout de même en elle une expression, certes réussie,
de l’indianité, en rapport avec le système des castes, et cherche à montrer,
à travers elle, ce qui est spécifiquement indien ; Humboldt met en relief
son caractère universel. Pour Hegel elle est l’expression d’une époque, pour
Humboldt celle de l’esprit humain ; pour l’un la B.G. est un reflet remarqua-
ble, mais un reflet parmi d’autres du monde indien, Humboldt tend à privi-
légier la B.G. par rapport aux autres productions de l’Inde. Deux exemples
suffiront, l’un relatif au devoir, l’autre à la connaissance.

38. La Raison, p. 282.


39. La Raison, p. 280.
40. La Tâche de l’historien, trad. A. Disselkamp et A. Laks, Lille, PUL, 1985, p. 87.
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Humboldt et l’Orient. Confrontation des interprétations 249

Analysant la notion de dharma, qu’il traduit par Pflicht, Hegel montre


qu’il ne faut pas la confondre avec notre devoir moral, mais y voir une obli-
gation particulière liée à une caste ; quand on loue si fort la morale et la
sagesse indiennes, on ne doit pas oublier que le fondement en est le système
des castes, ce qui n’implique nullement une élévation de la liberté morale :
« Le sens et la valeur de la religiosité indienne ainsi que de la théorie des
devoirs, qui forme un tout avec elle, ne se déterminent et ne se comprennent
qu’à partir de la loi des castes, de cette institution qui, chez les Indiens, a
rendu et continue à rendre éternellement impossibles la moralité et la véri-
table culture41. » L’appréciation de Humboldt est tout autre et vise à déga-
ger la haute valeur morale du comportement. En effet, « l’action enchaîne
l’esprit en le soumettant au monde de la condition et le détourne de la pure
méditation42 ». La libération a lieu quand on ne s’intéresse plus au résultat de
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l’action et « qu’on agit uniquement pour agir43 ». Le renoncement aux fruits
de l’action libère des chaînes de celle-ci et « qui l’exerce reste exempt de
péchés, tout comme la feuille de lotus flotte sur l’eau sans être mouillée44 ».
Ce renoncement caractérise « une disposition de l’âme (Seelenstimmung)
qui, incontestablement, sur le plan philosophique, confine au sublime et, en
même temps, produit un grand effet poétique45 ».
L’autre exemple se rapporte à la connaissance, ou plus exactement au
Nichtdenken. Pour Hegel le Yoga, centre de la religion et de la philosophie
indiennes, est bien, comme le dit Humboldt, absorption, mais c’est une
absorption sans contenu, l’abandon total de toute attention portée à ce qui
est intérieur, le silence complet de toute activité intérieure, l’absence de toute
image, de toute représentation, de toute pensée, ce qui « confine à l’incons-
cience46 » : « L’esseulement de l’âme indienne pénétrant dans la vacuité est
plutôt une manière d’abrutissement qui ne mérite peut-être même pas le
nom de mysticisme et qui ne peut conduire à la découverte d’aucune vérité
car il est dépourvu de contenu47. » Bref, ce n’est rien d’autre que l’immédia-
teté du savoir, lequel ne peut même pas être appelé pensée. Humboldt inter-
prète l’attitude de manière opposée : « On est enclin à envisager l’absence
de pensée (Nichtdenken) simplement au sens de la suppression de toutes les
pensées tournées vers des objets terrestres48. » La doctrine de Krischna, en
tant que méditation et recherche de la vérité, pose que « la pure vérité, celle
qui pressent (ahnden) ou connaît les choses en soi, ne peut être trouvée par
la voie de l’entendement discursif et ratiocinant (raisonnirend) »… mais qu’il
faut « diriger l’esprit vers le point où le Moi est en rapport avec les choses en

41. Recension, p. 165.


42. GS, V, 6, p. 193.
43. GS, V, 6, p. 194.
44. GS, V, 6, p. 195.
45. GS, V, 6, p. 195.
46. Recension, p. 163.
47. Recension, p. 171.
48. GS, V, p. 223 ; M. Hulin, Hegel et l’Orient, op. cit., p. 211.
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250 Jean Quillien

soi, en tant qu’il en fait également partie ». Et Humboldt ajoute, marquant


ainsi qu’il cherche à saisir le poème dans ce qu’il a d’universel : « Il semble
même que la vérité soit déposée originairement en l’homme49. »
Si nous poursuivions la confrontation, nous rencontrerions constamment
la même opposition, dont nous pouvons maintenant dégager la signification
fondamentale, en nous plaçant sur trois plans : le poème lui-même du point
de vue du spécialiste de l’hindouisme, sa place dans l’histoire de la culture, sa
valeur comme œuvre d’art.
Rapportons-nous à Michel Hulin pour le premier. Il conclut sa présen-
tation de l’analyse hégélienne de la philosophie Sâmkhya en se demandant si
Hegel en a saisi l’esprit et s’il a compris la philosophie indienne en général.
Il signale l’ampleur des aspects de la doctrine que Hegel est obligé, pour
soutenir son interprétation, de passer sous silence et il insiste sur la pro-
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fondeur du malentendu entre Hegel et l’hindouisme, car il le juge en fonc-
tion du projet de la philosophie occidentale : « dominer l’existence grâce au
savoir ». Ainsi Hegel illustre à la perfection « la limite historique des méta-
physiques de la subjectivité50 » ; par exemple, la « participation d’amour »,
thème majeur de la Bhagavad-Gîta, n’est comprise par Hegel que comme
une « ascèse purement physique qui mène à l’hébétude51 ». Or Humboldt fut
guidé, au contraire, par le souci de ne pas projeter les catégories occidentales
sur le passé, de saisir le poème en lui-même, sans l’altérer par la confron-
tation avec d’autres œuvres ou d’autres dimensions de la culture. Michel
Hulin reconnaît la valeur de son analyse : « La confrontation de l’essai de
Humboldt et de la recension montre que Humboldt donne du poème un
compte rendu plus complet, plus équilibré que Hegel52. » Pourtant, après sa
critique si sévère de Hegel, d’une manière assez curieuse, il renvoie, dans le
dernier paragraphe de son livre, les deux auteurs dos à dos. Il reconnaît à la
thèse hégélienne « une capacité d’intégration sans égale », mais qui ne peut
cependant « éviter de faire violence à la cohérence propre du poème », éloge
tout de même étonnant. À l’opposé l’interprétation de Humboldt « respecte
mieux l’équilibre des thèmes à l’intérieur du poème et demeure suffisamment
ouverte et souple pour laisser soupçonner l’originalité de son contenu », et
cela quoique cette interprétation soit « philosophiquement invertébrée »53.
On aimerait comprendre cette assertion.
Le second plan est celui du débat, que l’on retrouve encore de nos jours,
entre deux manières de considérer le sens de l’histoire, et en particulier celui
des œuvres d’art dans l’histoire. Ce débat a été clairement perçu, en leur
temps, par Hegel et Humboldt, et se résume dans l’opposition entre forma-
lisme et historicisme. Nous avons noté précédemment la critique que fait

49. GS, V, p. 225.


50. M. Hulin, Hegel et l’Orient, op. cit., pp. 119-121, p. 214.
51. Idem, p. 214.
52. Idem, p. 213.
53. Idem, p. 215.
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Humboldt et l’Orient. Confrontation des interprétations 251

Hegel de la conception romantique54. Dans la même optique 55, il développe


la critique du formalisme en histoire. Il entend par là la conception selon
laquelle, le génie, le talent, le comportement moral peuvent se trouver en
tout temps et sous toutes les latitudes, conception qui opère avec des notions
vagues telles que « génie », « poésie » et « philosophie », les découvrant dans
des œuvres à n’importe quelle époque. Cette manière de voir, d’appréhender
l’universel sans s’astreindre à la succession chronologique, ne dépasse pas le
plan de la réflexion et constitue ce qu’on appelle la culture ; elle est formelle
parce qu’elle fait abstraction du contenu. Il est vrai que l’on trouve chez
tous les peuples historiques une poésie, des arts, une science et même une
philosophie, mais ce qui diffère essentiellement c’est le fond, qui renvoie à
la différence suprême, celle de la rationalité. Selon Hegel, lorsque le contenu
est insignifiant, le « bon sens » refuse d’en faire abstraction et de trouver belle
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une forme. Humboldt paraît ici incontestablement visé dans les passages
suivants : « En ce sens, on peut comparer les épopées hindoues bien connues
à l’épopée homérique et leur donner la préférence puisque la grandeur de la
fantaisie est censée prouver le génie poétique56 » ; ou encore : « De même,
on reconnaît la sublimité avec laquelle la religion et la poésie de l’Inde… et
particulièrement sa philosophie, annoncent et prescrivent la mise à l’écart
et le sacrifice de l’élément sensible57. » En effet, la dissertation de Humboldt
s’achève par une comparaison entre l’Inde et la Grèce, en confrontant poé-
sie et philosophie58 : « La langue philosophique est, dans la Bhagavad-Gîta,
beaucoup plus élaborée (ausgebildet) qu’elle ne l’était en Grèce, du moins à
l’époque de Parménide59 » ; c’est lui aussi qui, à propos de la philosophie de
la Bhagavad-Gîta, a parlé de « sublime60 ». La perspective de Humboldt a
déjà été présentée : ce qu’il refuse, c’est la construction a priori et l’idée d’un
mouvement linéaire, uniforme et montant de l’histoire. Il s’est exprimé de la
façon la plus claire sur ce sujet : « Il existe plus d’une tentative pour ramener à
un unique point de vue les événements particuliers de l’histoire mondiale…
et pour les déduire les uns les autres selon un principe de nécessité. » Kant
a commencé et « nombreux sont ceux qui l’ont suivi sur ce terrain » et il
ajoute qu’il est impossible de croire que l’histoire est soumise « à la direction
d’une unique grande Idée » et de « nourrir la hardiesse de deviner quelle elle
est61 ». Toutes ces références pourraient se lire, n’était leur date, comme une

54. Supra, p. 245.


55. Phil. Hist., pp. 58 sq. ; La Raison, pp. 199 sq.
56. Phil. Hist., p. 58 ; La Raison, p. 200.
57. Phil. Hist., p. 61 ; La Raison, p. 206.
58. GS, V, pp. 337 sq.
59. GS, V, p. 340.
60. Supra, p. 249.
61. Betrachtungen über die Weltgeschichte, 1814, (fragment), GS, III, pp. 350-351 ; Werke,
I, p. 567 ; traduit dans La tâche de l’historien, Lille, PUL, 1985, pp. 47-48. Cf. « La philo-
sophie impose à ce qui advient un but, et cette recherche des causes finales… trouble et fausse
tout examen libre de l’action spécifique des forces. L’histoire téléologique n’atteint jamais la
vérité vivante des destins du monde » (La Tâche de l’historien, Lille, PUL, 1985, p. 77).
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252 Jean Quillien

critique de Hegel ; il suffit de traduire : « l’unique point de vue », c’est la


conscience de la liberté ; « le principe de nécessité », c’est le développement
de la conscience que l’Esprit a de sa liberté et de la réalité que produit cette
conscience, c’est le mouvement dialectique du concept.
Au fond ce que Humboldt condamne sans réserves c’est ce que nous
appelons historicisme, la progression nécessaire de la totalité qui passe, en
tous ses éléments constituants en même temps, de moments en moments.
Hegel et Humboldt se rapprochent en ce qu’ils veulent tous deux atteindre la
spécificité de l’esprit indien, mais ils se séparent au sujet de la fonction qu’ils
lui attribuent. Pour Hegel cette spécificité est de rester sur le plan de la nature
et de n’avoir pas atteint le principe de la subjectivité, c’est d’être encore enfant,
comprenant en soi, c’est-à-dire justement sans le comprendre, le principe de
son propre dépassement. Pour Humboldt cela signifie saisir le monde indien,
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considéré comme adulte même s’il est adulte autrement que nous, en ce qu’il
fut, pour lui-même, en lui-même, en nous gardant d’y projeter les catégories
occidentales ; c’est appréhender ce monde en tant qu’humain au sens plein
(c’est-à-dire non comme un enfant), dans son humanité propre, sous le seul
présupposé que : Homo sum : humani nil a me alienum puto62. Pour Hegel, le
monde indien a son sens dans ce qui vient après et s’achève en Europe ; pour
Humboldt, il l’a en lui-même. Pour l’un la Grèce est la vérité de l’Orient,
pour l’autre, admirateur pourtant passionné, en toutes ses productions, de
la Grèce, l’Inde a pu s’élever, justement dans la Bhagavad-Gîta, au-dessus
de l’épopée homérique. Donc comprendre ce poème indien, c’est à la fois
le saisir dans sa spécificité (l’indianité) et rechercher en quoi il transcende
le plan de la quotidienneté, ce qui en fait justement une œuvre d’art, une
production immortelle de l’esprit humain.
Hegel et Humboldt se sont parfaitement compris l’un l’autre et leur
divergence se montre le mieux sur le couple contenu-forme. Pour Hegel le
contenu est l’essentiel : « Même si l’on se plaisait à mettre au niveau des épo-
pées homériques celles de l’Inde pour une multitude de ces qualités formelles,
la grandeur de l’invention et de l’imagination, la vivacité des images et des
sentiments, la beauté du style, l’immense différence du contenu demeure63. »
Pour Humboldt, qui semble ici visé, contenu et forme ne peuvent être sépa-
rés : « Contenu et forme sont indissolublement fondus l’un dans l’autre et il
n’existe pas non plus l’ombre d’un indice que le poète aurait traité la forme
seulement en tant que telle64. »
Ceci nous conduit au troisième plan, la signification d’une production
humaine en tant qu’œuvre d’art. Toute œuvre d’art est un élément d’une
totalité, le tout complexe constitué par l’humanité en un moment donné
à partir duquel elle reconstruit son passé. Ce qui est proprement hégélien

62. Térence, Heautontimoroumenos, I, vers 77. Cité également par Cicéron, De Officiis,


I, 9, 30.
63. Phil. Hist., p. 60 ; La Raison, p. 205.
64. GS, V, p. 339.
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Humboldt et l’Orient. Confrontation des interprétations 253

c’est la conception de ce tout comme coprésence de tous ses éléments dans


le même temps. Le temps est der daseiende Begriff selbst65, le Concept qui
existe empiriquement, et chaque moment du temps est présence totale du
Concept à soi-même selon un certain mode, qui renferme le principe de son
propre dépassement. Le Concept est donc, à une époque historique donnée,
toujours présent à lui-même avec l’ensemble de ses déterminations (société,
état, art, religion, science, philosophie), qui coexistent dans le même présent
historique et sont contemporaines les unes aux autres. Dans une telle repré-
sentation d’un temps linéaire, continu et homogène, la Bhagavad-Gîta ne
peut être que contemporaine du système des castes, car, selon la formule
devenue célèbre, « nul ne peut sauter par-dessus son temps » ; chaque partie
est pars totalis, est l’expression de l’ensemble66, et il en résulte que les dif-
férences sont indifférentes. C’est en ce sens que la structure de l’existence
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historique de la totalité sociale permet ce que Louis Althusser appelle une
« coupe d’essence », puisque l’essence est coprésente à toutes ses manifes-
tations, c’est l’opération en vertu de laquelle on peut effectuer, à chaque
moment du temps, une « coupure verticale », autrement dit synchronique.
Le schéma est simple : il n’y a qu’une histoire, celle de l’Esprit dans son mou-
vement d’auto-révélation, la diachronie est une succession de synchronies67.
Or le temps de la création poétique est-il celui de l’histoire politique ?
Nous savons depuis Freud que le temps de l’inconscient diffère de celui de
la biographie et, plus récemment, avec Braudel, que sous l’histoire événe-
mentielle se dissimule un temps plus long, qu’il y a, non une histoire, mais
des histoires. Braudel nous a appris à décomposer l’histoire en plans étagés,
à distinguer dans le temps de l’histoire, un temps géographique, un temps
social, un temps individuel : l’histoire quasi-immobile, celle de l’homme dans
son rapport avec son milieu, histoire « presque hors du temps » ; l’histoire
sociale, « lentement rythmée », celle des groupes et des groupements, celle de
la longue durée ; l’histoire traditionnelle, événementielle, à dimension, non
de l’homme, mais de l’individu, « agitation de surface », histoire « à oscilla-
tions brèves, rapides, nerveuses », « ultra sensible »68. Mais il faut aller encore
plus loin. Il ne suffit pas de poser des temps différents, il faut aussi, dans la
longue durée et l’histoire événementielle, montrer les rythmes différents des
différents niveaux. Chaque niveau a une histoire relativement autonome, l’his-
toire de l’art ne correspond pas, en tout cas pas nécessairement, avec celle, par
exemple, de la structure sociale ou de l’état. « Autonomie relative » ne signifie

65. Phänomenologie des Geistes, Hambourg, Meiner, 1952, p. 38. Phénoménologie de


l’esprit, trad. J. Hyppolite, Paris, Aubier, 1939 ; trad. J.-P. Lefebvre, Paris, Aubier, 1991,
p. 56 ; trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2006, p. 89.
66. Cf. « L’expressionnisme est le postulat de la philosophie allemande » B. Parain,
Recherches sur la nature et les fonctions du langage, Paris, Gallimard, 1942, p. 137, cf. chap. IX,
« Leibniz » et chap. X, « Hegel ».
67. Sur la totalité chez Hegel, cf. L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1966, pp. 208
sq. ; Lire le Capital, t. II, Paris, Maspéro, 1965, pp. 38 sq.
68. F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen, Paris, Colin, 1963, 3e éd.,
1976, t. I, pp. 16-17.
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254 Jean Quillien

pas indépendance : ainsi Humboldt ne dit nullement que la Bhagavad-Gîta est


indépendante du système des castes, mais que celui-ci ne la détermine pas tota-
lement et, par suite, qu’elle n’est pas pour nous l’unique clé d’interprétation
(thèse de Hegel). Cela vaut, bien sûr, également pour l’histoire de la philoso-
phie : on peut bien soutenir que la philosophie de Heidegger, par exemple, est
une expression de la décomposition de la bourgeoisie, de la réaction du monde
bourgeois contre les forces du progrès social, qu’elle est « l’un des courants
idéologiques en Allemagne qui constituèrent par la suite 1’ idéologie officielle
de 1’état fasciste69 » ; il n’en reste pas moins que l’essentiel est la détermina-
tion de cette pensée en tant qu’événement philosophique et la saisie, en elle,
du spécifiquement philosophique. Au fond Hegel analyse la Bhagavad-Gîta,
bien que plus profondément, comme P. Gaidenko la pensée de Heidegger.
Et Humboldt, par-delà ses traits particuliers, c’est-à-dire proprement indiens,
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vise la portée universelle de l’œuvre, en tant qu’œuvre d’art.
Deux aspects sont donc à considérer : le rapport de l’œuvre d’art au
contexte social dans lequel elle surgit ; celui que nous entretenons, long-
temps après, avec elle. La position de Humboldt est assez proche de celle
de Marx (mais non, bien sûr, d’un marxisme qui réduirait toute la super-
structure à l’infrastructure). « En ce qui concerne l’art, on sait que certaines
époques de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec le dévelop-
pement général de la société, ni par conséquent avec celui de sa base maté-
rielle, qui est pour ainsi dire l’ossature de son organisation. » évoquant l’art
grec, Marx rappelle que son matériau, « la terre même qui l’a nourri », est la
mythologie, c’est-à-dire la maîtrise, dans le domaine de l’imagination et par
elle, des forces de la nature et des rapports sociaux, mais, d’une part ce n’est
pas n’importe quelle mythologie, d’autre part l’œuvre réside dans son élabo-
ration artistique, par exemple l’épopée. Mais la forme d’une époque ne peut
que disparaître avec le changement des conditions : ainsi le poème épique
n’est plus compatible avec l’apparition, nous dirions des hypermarchés et
des week-ends prolongés, encore qu’il ne nous paraisse pas évident qu’il ne
puisse y avoir d’épopée moderne, par exemple dans la conquête de l’espace.
Humboldt peut suivre Marx jusque-là, mais sûrement pas ensuite, et nous
arrivons au second aspect où Marx, qui vient de rompre, sous le premier
aspect, avec Hegel, se rencontre avec lui. Marx pose clairement le problème :
« La difficulté n’est pas de comprendre que l’art et l’épopée grecs sont liés à
certaines formes du développement social. La difficulté est qu’ils nous pro-
curent encore une jouissance artistique et valent encore pour nous, à certains
égards, comme norme et modèle inaccessible70. » Mais la réponse qu’il donne
est plutôt une manière d’éluder le problème : la Grèce est le miroir qui nous

69. P. Gaidenko, « La philosophie de l’histoire de M. Heidegger et les destinées du


romantisme bourgeois », Recherches Internationales, supplément au Cahier 33-34 (1962),
p. 14.
70. « Einleitung zur Kritik der politischen Ökonomie », 1857-1858, Werke, 13, Berlin,
Dietz, 1961, pp. 640-642, in Contribution à la critique de l’économie politique, Paris, Éd. Soc.,
1957, pp. 173-175.
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Humboldt et l’Orient. Confrontation des interprétations 255

reflète notre enfance que, devenus adultes, nous regardons à la fois avec nos-
talgie, une pointe de regret pour la naïveté perdue et un sourire indulgent,
en même temps que nous éprouvons de l’émotion pour ce qui fut et ne
reviendra jamais plus. C’est pourquoi cette recherche du temps perdu exerce
sur nous un « charme éternel ». Cette réponse n’explique rien, avec elle Marx
reste un homme du xviiie siècle, proche de Schiller. Œdipe, s’il renvoie à
l’enfance, relève-t-il de l’innocence ? Médée, cette œuvre si moderne, voire
moderniste, si « féministe », d’Euripide, est-ce de la naïveté ? Et d’ailleurs
l’enfance est-elle pure innocence ? En tout cas la position de Humboldt est
nette : « Il ne faut pas dire que c’est seulement dans son enfance que la philo-
sophie est la sœur (verschwistern) de la poésie. La sagesse de l’espèce humaine
dans sa première fraîcheur… mérite plutôt d’être appelée divine… un balbu-
tiement de l’enfance, c’est ce qu’elle n’est sûrement pas71. »
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En fait, toute la question est celle de la spécificité de l’œuvre d’art, ques-
tion que Humboldt a longuement discutée avec Schiller et qui fut un objet
important de sa réflexion. Ce qui est essentiel, c’est chez Hegel le contenu,
chez Humboldt la forme. Toute leur divergence sur la Bhagavad-Gîta est
comprise dans ce rapport contenu/forme. Privilégier le contenu est consi-
dérer que le mode de sa mise en forme n’importe pas fondamentalement
et on comprend que Hegel, malgré des nuances, ramène la Bhagavad-Gîta
au niveau de la culture indienne en général. Pour Humboldt au contraire
l’œuvre d’art transcende la quotidienneté ; au fond, le contenu importe peu,
tout dépend de sa transmutation de réel en idéel : « L’essentiel de l’art est
la forme. Quel que soit l’objet que l’artiste choisisse, grand ou petit, c’est
par sa manière de le traiter qu’il l’ennoblit, c’est en le transportant dans
une sphère élevée au-dessus de nos vues ordinaires72. » Chacun peut avoir
une tante, elle ne sera pas la tante Léonie, chacun a son enfance, une seule va
du côté de chez Swann. Parler d’une intemporalité de l’œuvre d’art ne signi-
fie pas l’absence d’histoire. Chez Hegel l’histoire est celle des contenus, chez
Humboldt elle est celle des formes. En résumé : Hegel a traité la Bhagavad-
Gîta comme une idéologie, Humboldt comme une œuvre d’art. L’œuvre
d’art c’est ce qui demeure quand son idéologie a disparu73.

71. GS, V, p. 338 – souligné par nous.


72. GS, III, 20, Selbstanzeige der Schrift über Hermann und Dorothea, annonce rédigée en
français par Humboldt à l’attention de Mme de Staël, repris dans W. von Humboldt, Essais
esthétiques, trad. C. Losfeld, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999,
pp. 237-264, ici p. 256.
73. Remarque. Notre propre référence pour la Bhagavad-Gîta est celle de Bhaktivedanta
Swami Prabhupada in « Les Grands classiques de l’Inde », vol. I, préface d’Olivier Lacombe,
Valençay, Ed. Bhaktivedanta, 1975 ; cette édition contient le texte sanscrit. Voir aussi l’édi-
tion de Shri Aurobindo, trad. C. Rao et J. Herbert, Paris, Albin Michel, 1970. – Quelques
précisions terminologiques peuvent être utiles ici :
– La Bhagavad-Gîta est la partie centrale du Mahabharata, c’est-à-dire « Grande geste des
Bharata », qu’on appelle plus simplement l’« épopée ». L’épopée comporte plus de cent mille
stances réparties en dix-huit chapitres. « Bharat » désigne un groupe de tribus organisées en
petits royaumes et remontant à un certain Bharata, lequel descend de Paru, roi de la lignée
lunaire (la tradition reconnaît deux lignées mythiques : lunaire et solaire – cette dernière est
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256 Jean Quillien

Humboldt retrouvera l’Orient à nouveau, en 1827 et l829,


en deux écrits de circonstance.

Mémoire sur la séparation des mots dans les textes sanscrits, 1827, GS, VI,
3, pp. 31-3674.
Humboldt énumère trois manières d’écrire le sanscrit : l’une (ne pas
séparer les mots) est attestée par l’usage ; la seconde a été adoptée par Bopp
et Schlegel ; une troisième, qu’il propose, consiste à séparer complètement
tous les mots, seule écriture conforme, à ses yeux, à la nature du langage
(p. 32). Cette proposition va contre la méthode suivie à son époque, comme
on le voit dans la Bhagavad-Gîta de Schlegel et le Nalus de Bopp. Bopp se
déclarera ensuite en faveur de cette écriture, qu’il adopte dans la traduction
latine de sa grammaire du sanscrit, en découvrant de nouveaux arguments en
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sa faveur. Mais Schlegel s’y oppose et défend l’usage traditionnel. Humboldt
lui répond dans une longue lettre du 16 juin 1829 et lui objecte que l’écri-
ture qu’il retient dans la Bhagavad-Gîta, à vrai dire, n’est pas indienne, mais
anglaise et qu’elle remonte au plus à cinquante ans (p. 222)75.
Anhang zu Rückerts Rezension von Dursch Ghatakarparam (Supplément à
la recension par Rückert de l’édition du Ghatakarparam par Dursch), 1829,
GS, VI, 9, pp. 94-110.
La mémoire de 1827 sur la manière d’écrire le sanscrit fut vivement
attaqué, dans sa préface à l’édition du poème sanscrit (Berlin, Dümmler,
1829), par G.M. Dursch, membre de la Société asiatique de Paris, dont
« la contestation, qui se donne de grands airs, n’est accompagnée absolu-
ment d’aucun examen de la chose en question76 ». Ceci conduit Humboldt

illustrée par le Ramayana (La Marche de Rama). Le poème aurait été composé par un certain
Vyasa.
– Bhagavad-Gîta signifie « Chant du Bienheureux Seigneur » (A.-M. Esnoul), « Le
Chant du Seigneur » (J. Varenne) ou « Le chant du Bienheureux » (O. Lacombe). Elle est
considérée comme l’évangile de l’hindouisme. Elle se présente sous la forme d’un dialogue
(sept cents stances en dix-huit chants – chants xxv à xlii du livre VI du Mahabharata). La
date de composition se situerait, selon A.-M. Esnoul, entre le iiie siècle avant et le iiie siècle
après notre ère.
– Le Gita-Govinda (« La célébration du bouvier ») est un poème lyrique du xiie siècle.
Sacountalâ ou Sakuntala (nom de l’héroïne) date du ive siècle. Création du poète le plus
célèbre de l’Inde, Kalidasa, auteur également de l’élégie Meghadoûta (« Nuage passager »),
elle est considérée comme le chef-d’œuvre de l’art dramatique indien. C’est lui qui fit s’écrier
Goethe en 1791 : « Nenn’ich Sakontala dich, und also ist alles gesagt » (« Je dis ton nom,
Sakuntala, et ainsi tout est dit »).
On peut consulter également les articles concernés de l’Encyclopaedia Universalis :
« Hindouisme » (A.-M. Esnoul, vol. VIII, pp. 407-412), « Inde. 4. Les doctrines philoso-
phiques et religieuses » (J. Filliozat, vol. VIII, pp. 827-836), « Langue et littérature sanscrites »
(J. Varenne, vol. XIV, pp. 658-662) ; « Mahabharata » (A.-M. Esnoul, vol. X, pp. 326-329),
« Bhagavad-Gîta » (A.-M. Esnoul, vol. III, pp. 233-235).
74. Ce mémoire fut publié dans le n° 11 du Journal asiatique, avec une note de Burnouf
(1801-1852), spécialiste de la langue de l’Avesta, alors appelée zend, qui le date de 1825.
75. Sur toute question ayant trait au sanscrit la correspondance avec Schlegel est un
document de choix : Briefwechsel zwischen Wilhelm von Humboldt und August Wilhelm
Schlegel, hg. A. Leitzmann, Halle a. S, Max Niemeyer, 1908.
76. Humboldt à Schlegel, 16 juin 1829, op. cit., p. 230.
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Humboldt et l’Orient. Confrontation des interprétations 257

à expliciter davantage sa thèse. Il le fait à l’occasion du compte rendu qu’en


donne Rückert dans les Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik (n° l, 1829), la
revue de Hegel. Friedrich Rückert (1788-1866), à la fois poète et traducteur,
élève, bien que plus âgé, de Bopp, professeur à Erlangen depuis 1826, avait
donné en 1828 Nal und Damajanti ; il était hautement estimé par Hegel, qui
considérait ses traductions à l’égal, par leur lyrisme, du Divan de Goethe77.
Humboldt ajouta au texte de Rückert un second article qui parut dans le
même numéro des Jahrbücher, en lequel il reprend en détail la question. En
même temps, il tient ainsi une promesse faite depuis longtemps de don-
ner un essai pour cette revue : « Je n’ai écrit mon tout récent article que
parce que les éditeurs des Jahrbücher commençaient à croire que mon silence
était intentionnel et parce que la manière superficielle et peu courtoise avec
laquelle M. Dursch envoie promener ma proposition m’a contrarié78. »
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L’Orient est encore une fois présent dans la dernière œuvre sur le kavi.
Humboldt y consacre un chapitre au bouddhisme79.
Cet article porte sur la part de la recherche humboldtienne qui a été le
plus généralement négligée, au point que l’édition Werke80 a pris le parti de
ne pas retenir toute cette dimension de l’œuvre. Ce passage par le sanscrit
a permis, sur un exemple privilégié, relativement bien délimité, d’apprécier
l’immense culture de Humboldt, d’approcher sa méthode, qui consiste d’une
part à ne traiter un sujet que lorsqu’on s’en est rendu réellement maître, et
d’autre part à l’aborder sans a priori. De fait, on a pu mesurer son degré de
compétence : il a lu toute la littérature existante sur la question, a acquis la
maîtrise de la langue et discuté d’égal à égal avec Langlois, Dursch et Rückert
comme avec Bopp et Schlegel, dont il se fait parfois même le maître. Cette
méthode, il l’a pratiquée dans toutes les aires linguistiques qu’il a abordées.
Sous un second angle, son analyse de la Bhagavad-Gîta et de l’œuvre d’art
en général témoigne d’une grande ouverture d’esprit qui nous le rend, sous
ce rapport, plus actuel que Hegel. C’est un fait que de grands esprits se
réclament de la pensée indienne et il ne s’impose plus à l’évidence que la
voie orientale et la voie occidentale soient incompatibles, celle de la mys-
tique et de la poésie, celle de la science, de la rationalité et de la philosophie,
comme nous n’admettrons plus que l’art ne soit qu’un mode inférieur de la
philosophie.
Jean Quillien

77. Cf. Encyclopédie, § 573 R, Meiner, pp. 456-458 ; trad. Gandillac, o.c., pp. 494-495. ;
trad. Bourgeois, o.c., pp. 367-369.
78. Humboldt à Schlegel, 3 juillet 1829, op. cit., p. 247.
79. Über die Kawi-Sprache auf der Insel Java, Erstes Buch : « Über die Verbindungen zwi-
schen Indien und Java », 3. Capitel : « Einführung und Einfluss des Buddhismus auf Java »,
édition de 1936 chez Dümmler.
80. Werke in fünf Bänden, hrsg. von Andreas Flitner und Klaus Giel, Darmstadt,
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1960-1981
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