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ment qui permettra de prouver la réalité et l’essence des sphères closes sur
elles, car la connaissance « se perdra nécessairement dans le néant » (ibid.).
Kant, rappelons-le, se contentait d’affirmer la finitude irréductible et radi-
cale de toute connaissance, c’est-à-dire l’impossibilité d’atteindre effective-
ment la réalité concrète et singulière d’une essence, donc de faire un usage
transcendant de la raison.
Rosenzweig a déjà établi que Dieu était immortel et inconditionné, et
que le monde était universel et nécessaire ; il affirme maintenant l’irréducti-
bilité de la sphère « homme » en affirmant que son être est « être dans le par-
ticulier » (§ 55), dont l’essence est le fait d’être éphémère, c’est-à-dire le fait
d’être mortel au sens où la mort est toujours la mort particulière, qui touche
tel individu, sans qu’on puisse vouloir la nier en quelque sorte en la faisant
passer à un niveau d’universalité. Le savoir est « au-dessus de » l’homme
comme être particulier, lequel est « en deçà de la validité et de la nécessité de
savoir ; il n’est pas quand le savoir s’arrête, mais avant qu’il ne débute »
(ibid.). On retrouve ici la variation sur le préfixe méta- : du fait que l’homme
est mortel, on ne peut déduire la mortalité de Socrate, car cette dernière lui
est propre, et rien de la singularité de Socrate ne peut dériver de cette géné-
ralité. L’homme en tant qu’individu particulier ne peut donc pas être consi-
déré comme appartenant à une sphère générale. Le propre de l’homme est
d’être « une singularité qui ne sait rien des autres singularités autour
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Mais si le soi est capable d’imprimer son sceau aux éléments de la particula-
rité, et si ce sceau tient compte du rapport entre l’individu et l’état du
monde, encore une fois le soi ne peut être totalement replié sur lui-même.
Même si c’est seulement l’âme qui meure avec le monde brisé, que serait un
soi perdurant1 ? Sans le monde, ce défi muet qu’il est ne saurait lui non plus
être voué à une quelconque éternité.
Le héros tragique est la figure païenne du soi. Et c’est par la notion de
silence que Rosenzweig ouvre sa réflexion esthétique : « Et pourtant il existe
un monde où ce silence lui-même est déjà parole (...) une parole d’avant la
parole, parole de l’inexprimé, de l’inexprimable » (§ 72). C’est le silence élo-
quent du soi qui est au fondement de la compréhension sans parole, et c’est
grâce à cette dernière que l’art peut devenir réalité. Le fond qui permet que
s’établisse un rapport entre la personne de l’artiste et l’artiste comme créa-
teur doit être quelque chose que tout individu puisse reconnaître sien sans
médiation préalable d’un monde – ce fond, c’est le soi.
L’opposition et la dépendance de Rosenzweig à l’égard de Cohen est ici
obvie. L’esthétique de Cohen a pour centre l’orientation de la conscience
qu’est le sentiment (la logique a pour noyau la pensée, et l’éthique, la
volonté) – le sentiment pur, c’est-à-dire le soi ; mais, de même que, dans
l’Éthique de la volonté pure, le soi est une tâche, un fieri, de même, dans l’Esthé-
tique, le soi est une dynamique réflexive qui produit le sentiment et son
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1. Cf. § 72-73.
Le sens du préfixe méta- dans L’Étoile de la Rédemption 177
1. Cf. M. Heidegger, Être et temps, § 34 ; c’est l’Erschlossenheit qui est soulignée à cette
occasion et non le repliement sur soi.
Le sens du préfixe méta- dans L’Étoile de la Rédemption 179
1. Cf. L. Strauss, « Sur l’interprétation de la Genèse », in Pourquoi nous restons juifs. Révéla-
tion biblique et philosophie, Paris, La Table ronde, « Contretemps », 2001, trad. franç. et préf.
d’Olivier Sedeyn.