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François Richard
Dans Revue française de psychosomatique 2015/1 (n° 47), pages 91 à 106
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1164-4796
ISBN 9782130651390
DOI 10.3917/rfps.047.0091
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FRANÇOIS RICHARD
Fr
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Quoi qu’aucun ouvrage ne lui soit spécifiquement consacré, l’adoles-
cence est paradigmatique dans l’œuvre winnicottienne parce que s’y arti-
culent la quête subjective du vrai et de l’assise corporelle de l’existant :
« Lorsque l’enfant atteint la puberté, il a un besoin accru de vérité. Il est
inutile d’étudier les problèmes propres à l’adolescence si on ne reconnaît
pas le fondement biologique des pulsions qui surgissent alors » (1955,
p. 187).
Cette croisée de lignées habituellement séparées laisse entrevoir un
espoir de diminution, peut-être même de levée totale, du clivage entre
psyché et soma qui se trouverait, selon Winnicott, au soubassement de
la vie psychique. La psyché se sent toujours peu ou prou « malade »,
malade de vivre justement, car vivre c’est éprouver un douloureux sen-
timent d’exil par rapport à une origine rétrospectivement idéalisée, où le
corps et l’âme ne seraient pas séparés – alors qu’au tout début du déve-
loppement, en fait, il y a surtout du morcellement, nous dit Winnicott.
La puberté revivifie les expériences sensorielles intenses et morcelées du
début de la vie en même temps qu’elle propulse en direction d’une unifi-
cation génitale objectale. Il faut, pour saisir en quoi le vécu corporel à
l’adolescence est facteur de santé mais aussi de maladie, s’imprégner de
la conception winnicottienne du développement du bébé.
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particulière qui lui est concédée » (Winnicott, 1971a, p. 138) par un
environnement « suffisamment bon », permet au bébé d’accéder à la
santé psychique et physique. Dit encore autrement : le moi, au début de
la vie, n’est pas unifié, il varie en fonction des réponses de l’entourage et
de la multiplicité de ses perceptions internes et externes – on peut se le
représenter comme une topologie de noyaux pluriels. Si « Le début théo-
rique est marqué par un stade de non intégration » (Winnicott, 1954, p. 152)
1
, l’unité du moi émerge dans la dynamique plurielle des sensations ressenties
par le bébé lorsqu’il est « aéroporté » d’une place à l’autre par sa mère
ou dans le jeu où le père le fait voler en l’air puis le rattrape. « L’érotisme
musculaire » donne consistance à l’intégration de son vécu morcelé pri-
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mitif, mais l’unification peut rester de surface et comporter des failles
dissociatives – le sujet s’enferme alors dans « le souhait d’être mort »,
dans une « solitude d’avant la dépendance ». Entre non-intégration
et intégration il semble « pris dans un retard indéfini ou “infini” ». Cet
indéfini concorde, par sa nuance mystique, avec une « absence de psy-
chose » en « continuité de la crudité de l’état initial » (ibid., pp. 153-
162-172-174-187-193-200). Contrairement à Melanie Klein, Winnicott
ne fait pas la supposition d’une phase schizo-paranoïde (« il n’est pas
nécessaire de postuler un état de chaos », p. 176) mais d’un état de
non-intégration normal, très vite engagé dans un jeu constant avec une
« couche… faite de substance maternelle et de substance infantile… qui
unit en même temps qu’elle sépare » (p. 201). Il valorise l’intégration
spontanée, « naturelle », par le moi de ses expériences psychiques, par
exemple celle de l’effondrement que « le moi n’a pu […] recueillir dans
l’expérience temporelle de son propre présent » (1967a, p. 230). Le
paradoxe de l’effondrement qui a déjà été éprouvé sans avoir trouvé son
lieu (psychique) d’élaboration, appelle une parole qui dit les choses tout
simplement plus qu’elle n’interprète : « Il y a des moments où un patient
a besoin qu’on lui dise que l’effondrement, dont la crainte détruit sa
vie, a déjà eu lieu », parce que « l’angoisse disséquante sous-jacente
est impensable ». La « maladie psychotique […] organisation défensive
dirigée contre une angoisse disséquante primitive » (ibid., p. 209), sur-
vient lorsque l’état primitif normal de non-intégration de la pluralité
du moi du bébé n’a pas pu évoluer en jeu de différenciation/indiffé-
renciation avec la « substance maternelle » – terme qui inclut le corps
et le psychisme de la mère. Dans la mesure où Winnicott se fait une idée
1. Cet ouvrage est le seul véritable livre de Winnicott, tous les autres sont des recueils d’articles.
C’est dire son importance métapsychologique.
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ché et soma risque de perdurer, en particulier ses formes bénignes, non
psychotiques quoique issues d’une même défense primaire contre l’état
originaire morcelé. Un tel reste inanalysé peut susciter des états limites
ou schizoïdes, ainsi qu’une disposition aux décompensations psychoso-
matiques tardives.
Si le « premier repas » est théorique (Winnicott, 1954, op. cit., p. 147)
comme le propose Winnicott en une métaphore audacieuse, c’est qu’il n’y
a pas à l’origine d’unité mais une page blanche : « On aurait une halluci-
nation d’un objet si le processus de création disposait d’un matériel mné-
sique, mais rien de tel ne peut être postulé par rapport au premier repas
théorique » (ibid., p. 136). Ce « début théorique […] marqué par un
stade de non-intégration » (idem, p. 152) peut évoluer favorablement :
« la mère s’adapte suffisamment bien, le bébé fait l’hypothèse que bout
de sein et lait sont […] le résultat d’une représentation qui chevauchait
la crête de la vague de la tension pulsionnelle » (idem, p. 145) – mais le
clivage précoce psyché/soma constitue la réponse prévalente, corollaire
d’un affect de détresse puis d’un repli du vrai-self sous l’écorce du faux-
self. On voit bien que si la crainte d’un effondrement dépourvu de repré-
sentation psychique – mais qui a bien « eu lieu » – dont parle Winnicott,
peut en effet faire penser, comme le dit Jacques Press (2010, p. 242), à la
dépression essentielle et aux mécanismes opératoires selon Pierre Marty,
elle s’en distingue parce que cet effondrement n’est pas un état primaire,
mais une défense – certes onéreuse : dépression catastrophique poten-
tiellement générative d’une désorganisation psychosomatique – contre
ce qui est vraiment premier pour Winnicott : un état pluriel et passif
du moi. La métapsychologie winnicottienne implique une épistémê de la
complexité, celle de Marty se maintient dans une problématique unaire,
dont ses successeurs se sont éloignés pour retrouver la façon dont Freud
raisonne en termes d’alliage et de conflit entre les pulsions de vie et les
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WINNICOTT ADOLESCENT
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dences autobiographiques : son père l’envoie en pension loin de sa famille
lorsqu’il a treize ans, ce qu’il dit avoir été pour lui une rupture doulou-
reuse. Mais, une fois arrivé à la Leys School à Cambridge :
Toute sa famille était là pour y assister ; il leur faisait des signes et se sentit
très malheureux de partir jusqu’au moment où il disparut à leur vue, le train
pénétrant dans un long tunnel juste à la sortie de Plymouth. Pendant la tra-
versée du tunnel, il se fixa sur cette idée de départ mais, une fois de l’autre
côté, il n’y pensa plus et se réjouit d’aller à l’école. Il a souvent béni ce
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tunnel parce qu’il avait pu, jusqu’au moment où le train s’y était engouffré,
manifester sa tristesse en toute honnêteté (ibid., p. 32).
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et prendre conscience que la destructivité peut être mise au service de la
guérison.
Dans un autre fragment autobiographique, il fait mention d’une série
de rêves survenue au cours de son analyse avec James Strachey. L’un
d’entre eux semble faire écho à la cassure vécue à treize ans dans le
sombre tunnel et au clivage qui en résulta – dont on doit supposer qu’il
fait écho à un clivage de l’enfance :
Ce rêve eut pour moi une importance toute particulière parce qu’il ré
solut le mystère d’un élément de la psychologie que l’analyse ne pouvait
atteindre, à savoir le sentiment que j’irais bien si quelqu’un pouvait ouvrir
ma tête en deux, d’avant en arrière, et en extraire quelque chose (une
tumeur, un abcès, un sinus, une suppuration) qui s’y trouve et se fait
sentir juste au centre derrière la racine du nez […] Le rêve peut être donné
en trois parties : 1. Il y avait une destruction absolue […] 2. […] J’étais
l’agent destructeur […] 3. Puis la troisième partie prenait place et, dans
le rêve, j’étais réveillé. En me réveillant dans le rêve, je savais que j’avais
rêvé à la fois 1. et 2. J’avais donc résolu le problème […] Il n’y avait pas
de dissociation (1969, pp. 243-244).
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du temps et la croissance vers la maturité que seul le temps peut favo-
riser » (1968a, p. 262). Ces phases que l’on a souvent reprochées à leur
auteur, signifient tout simplement qu’il faut avant tout savoir accompa-
gner un travail de transformation dialectique2 : à la fois préserver le plus
longtemps possible l’« immaturité » – l’infantile freudien – et favoriser
l’adultité, ce qui suppose de se confronter au complexe d’Œdipe.
2. Ce que Winnicott qualifie de « paradoxal » correspond souvent, en fait, à une dialectique des
contraires.
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narcissique, l’écart entre l’ampleur des désirs et des attentes à l’égard
des objets externes et la fragilité du monde intérieur, expliquent les alter-
nances entre emballements et coups de foudre d’une part et fugues et
retraits de l’autre. Le paradoxe est ici celui de cette « seconde latence »
dont parle Green : une désexualisation qui succède à la puberté.
Toute dysrégulation dans les relations précoces mère-enfant et dans
la réponse maternelle aux besoins du bébé donnera lieu à une détresse
spécifique lors de l’adolescence. L’anorexie mentale de l’adolescence
répond, à cet égard, à une méconnaissance par la mère des besoins ali-
mentaires et corporels de sa petite fille. Plus généralement, l’exacerba-
tion des conduites d’opposition et de rejet (traduisant au fond un besoin
éperdu de l’objet et une angoisse d’abandon) serait précurseur d’un état
limite de l’adulte caractérisé par une difficulté à se représenter l’exis-
tence des objets absents – ce qui bien sûr génère une intolérance à la
séparation, donc une dépendance, puis une négation violente de celle-ci,
par une affirmation identitaire négative qui prétend ne rien devoir à
autrui, et qui empêche de correctement faire la part de ce qui est « objec-
tivement perçu » et de ce qui est « subjectivement conçu » (Winnicott,
1951, p. 44) : l’adolescent qui présente des fonctionnements limites ne
sait pas créer et sans cesse recréer le sein à l’intérieur de lui à partir de
ses besoins instinctuels lesquels sont d’abord connus comme des éprou-
vés corporels – l’illusion que ceux-ci ont une partie commune avec le
sein, a sans doute été rompue lorsque l’adolescent était un bébé, de sorte
que maintenant les éprouvés pubertaires sont ressentis comme mauvais
et pouvant rendre fou, car issus de pulsions destructrices. Parfois la ten-
tative de suicide cherche à réaliser un circuit pulsionnel court en direc-
tion d’une « extinction régressive » (voir Chervet, 2009) qui maintient
une relation avec les objets parentaux internalisés entrainés par le sujet
dans un destin fusionnel mortifère à valence incestueuse. La tentative
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vie d’un corps.
À l’adolescence, il y a, selon Raymond Cahn, qui se réclame de
Winnicott tout en proposant une théorie originale, des états communs
au repli narcissique et à la rupture psychotique avec la réalité (1991),
caractérisés par un vécu d’« inquiétante étrangeté » et de sidération face
à la nouveauté, qui reproduisent un vécu originaire symbiotique avec
la mère. Dans un tel vécu, l’angoisse de castration est indistincte d’une
angoisse de néantisation du moi tout entier identifié au moi corporel. La
thématique œdipienne, souvent déformée et même distordue, n’est pas
absente, mais la dépression est au centre du tableau clinique. Le rapport
à la réalité est fragilisé par une perception saturée de projections. Le
sujet se sent menacé par l’excès de présence d’objets internes excitants et
fusionnels : le processus de subjectivation, dit Cahn, est alors suspendu
en un état limite se situant entre danger de décompensation psychotique
franche et processus d’adolescence réussi. Affirmer que l’on n’est rien,
s’adonner à des expériences corporelles intenses variées, sont des façons
de travailler le clivage précoce psyché/soma réactualisé par la puberté
qui oblige à endurer les fantasmes sexuels comme abstraits, déréels, en
manque de chair, au moment où pourtant le réel pulsionnel s’affirme.
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suicides. Les comités de direction doivent apprendre à se résigner aux
suicides, aux fugues et aux accès maniaques occasionnels comportant
un élément très semblable au meurtre, aux fenêtres cassées et à la des-
truction des objets » (Winnicott, 1963, p. 237). Il précise :
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« bizarres » que les adolescents subissent autant qu’ils les sollicitent.
La recherche du self authentique est la barrière corporelle d’une sen-
sorialité démantelée. Il ne faut pas, je crois, trop mettre l’accent sur le
fait que l’adolescence aurait ce privilège de nous mettre en contact avec
une réceptivité primitive pas encore dénaturée. Green parle de seconde
latence, Winnicott insiste sur le « calme plat » et le « pot au noir » comme
passages obligés : ces deux phénomènes cliniques recouvrent un mélange
spécifique de deuil mélancoliforme des objets infantiles et d’angoisse
sexuelle propre à une névrose actuelle pubertaire où le sujet discrimine
mal les objets externes de ses pulsions propres (voir Richard, 2001,
op. cit.). Winnicott rationalise sans doute un principe maternel idéalisé,
et antisexuel, sous l’appellation de « féminin pur », comme le suggère
Denys Ribas (2000). Le « féminin pur » correspondrait à être, tandis que
ce qui est masculin relèverait du faire. Notons la proximité avec la pro-
blématique de l’œdipe adolescent comme fantomatique et décorporé : to
be or not to be.
Avec un adolescent de seize ans il prend tout son temps, ne l’aide pas
trop, avec l’idéal implicite que quelques consultations thérapeutiques
(pouvant durer plus que trois quarts d’heure) produiront autant d’effet,
voire plus d’effet, qu’une analyse :
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dialogique susceptible de générer une atmosphère détendue, mais il solli-
cite en contrepoint son « très grand besoin […] d’une figure paternelle ou
même d’un frère aîné ». Winnicott préconise de ne pas trop interpréter et
choisit le luxe d’interventions interprétatives abondantes : dialectique-
ment plus que paradoxalement. Il critique, on le sait, les interprétations
trop intellectuelles mais ne répugne pas à se lancer dans des discours
explicatifs pour accompagner le mouvement spontané du patient qu’il
compare à celui du bébé en direction du sein comme s’il « plongeait ou se
frayait un passage dans le corps de la mère », poussé par « la pulsion qui
fait chercher à atteindre (searching impulse) » (Winnicott, 1941, p. 50).
Avec sa patiente Sarah, âgée de seize ans, il adopte une technique de
convocation de sa capacité de mobilisation subjective :
Je dis : « C’est toi n’est-ce pas ? » [à propos d’un dessin] […] Je dis : « C’est
triste non ? ». C’était une manière de lui montrer que j’avais entendu
ce qu’elle me disait et que je ne restais pas insensible à ce qu’elle me
racontait […] Je lui demandai : « Comment te rêves-tu ? » […] Je l’incitai
à essayer de me dire le pire […] elle avait besoin de mon aide […] Nous
discutâmes très sérieusement de tout ce qui s’était passé […] Je dis : « Très
bien, mais j’aimerais que tu saches que je vois quelque chose en toi que toi tu
ne vois pas » (Winnicott, 1971b, p. 220).
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l’adolescence, on y trouve la mort de quelqu’un […] on finit par découvrir
que la mort et le triomphe personnels sont inhérents au processus de matu-
ration et à l’acquisition du statut d’adulte (Winnicott, 1968a, pp. 259-260).
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est ici indistincte du caractère « poussant » de la pulsion, tentée par
la fuite vers les procédés auto-calmants par saturation d’excitation.
Comparaison certes n’est pas raison, mais l’analogie est troublante. Y
a-t-il une dimension psychosomatique et opératoire non pas de la pulsion,
mais du pubertaire comme instinct et comme affection corporelle ? Ou
bien ne s’agit-il que d’une névrose actuelle ? Lorsque les processus pri-
maires ne sont pas liés par les processus secondaires, ils se désexualisent,
deviennent destructeurs, et ressemblent à la mécanicité comportemen-
tale opératoire – théorisée par Smadja et Szwec – qui vise à réprimer des
affects insupportables plutôt que des désirs. Un adolescent, dont parle
Gérard Szwec, joue de la batterie hard rock et établit ainsi « un premier
niveau de lien avec des sensations dans le corps et dans le perceptum
sensoriel d’une excitation traumatique jusque-là “inliable” par un sys-
tème de représentations pensées » (1998, p. 16). Cette opération vise à
lier des traces post-traumatiques précoces avec des inscriptions senso-
rielles actuelles plus qu’à contenir un débordement d’excitation sexuelle
pubertaire. Que cherchent les adolescents qui s’acharnent sur leur bat-
terie, écoutent de la musique à un niveau sonore dépassant leur capa-
cité perceptive, par exemple des rythmes plus rapides que leur rythme
cardiaque normal ? On trouve dans ces conduites des logiques variées
et parfois adverses : alternance répétitive de la mise en tension et du
retour au calme qui échoue à réintriquer les pulsions de vie et de mort,
comme le postule l’approche psychosomatique, mais aussi jouissance
de l’excès lorsque les vibrations des ondes sonores les plus basses sont
ressenties comme traversant le corps sans être entendues, jusqu’à un
substitut masochiste à l’appropriation subjective du sexuel. Le sadoma-
sochisme propre au pubertaire – choc interne de l’irruption pulsionnelle
et fascination pour des objets perçus comme grandioses dans un pro-
cessus de régression vers les modalités de relation d’objet de la première
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en passant par les conduites agies. Il existe des chemins variés, du moins
économique au plus économique, pour supporter l’accroissement d’exci-
tation consécutif à l’effort d’« ajournement de la décharge » et de « sus-
pension, devenue nécessaire » (Freud, 1911, p. 138) à la constitution
d’un moi capable de connaître et de contrôler les processus primaires, la
rétention procurant l’espace psychique intérieur où un désir personnel
pourra être subjectivé.
FRANÇOIS RICHARD
19, rue de Rochechouart
75009 Paris
France
BIBLIOGRAPHIE
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proximité des pathologies adolescentes avec les états limites, la spécificité de l’Œdipe à
l’adolescence, la prégnance du vécu corporel, et enfin les modalités corollaires du tra-
vail psychanalytique. En conclusion, une discussion avec l’approche psychosomatique
est engagée.
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the processes of adolescence. The hypothesis of a desexualized “second latency” in ado-
lescence, the proximity of adolescent pathologies to borderline states, the specificity of
Oedipus in adolescence, the pervasiveness of bodily experience, and finally the corollary
modalities of psychoanalytic work are discussed. In conclusion, a discussion with the psy-
chosomatic approach is engaged.
PALABRAS CLAVE –
Adolescencia. Clivaje cuerpo/mente. Cuerpo. Estados límite. Edipo
deformado. Pubertad. Segunda latencia. Winnicott.