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Jean-Christophe Bardout
Dans Revue philosophique de la France et de l'étranger 2015/4 (Tome 140), pages 473
à 490
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0035-3833
ISBN 9782130651499
DOI 10.3917/rphi.154.0473
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Le xviie siècle est, pour ainsi dire, la première époque des mondes
possibles. Qu’il s’agisse de la scolastique moderne ou des philosophies
post-cartésiennes, les spéculations sur le possible et le meilleur des
mondes possibles connaissent un développement incomparable1. C’est
à la métaphysique et plus spécialement à la théologie naturelle qu’il
revient de démontrer a priori que le monde actuel est le meilleur
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12. Jésus connaît les possibles par son union au Verbe, TNG II, XVII, add.,
OC V, p. 78 Le Verbe en tant que Verbe (entendons abstraction faite de la volonté
créatrice) est le lieu des possibles c’est-à-dire des essences. La volonté, distincte
du Verbe par une distinction de raison, est l’origine des existences : EMR VIII,
§ X, OC XII, p. 188 ; RV III, II, V, OC I, p. 435.
13. RV IV, XI, OC II, p. 98 ; voir Lettre à Arnauld du 19 mars 1699, OC IX,
p. 959, etc.
14. Lettre à Elisabeth, 15 septembre 1645, AT IV, p. 292.
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15. Ce trait (en lui-même devenu très classique) apparaît cependant sous la
plume de Malebranche : Ier Éclaircissement, OC III, p. 26 ; EMR VII, § VI, OC XII,
p. 156 : « Dieu ne peut faire l’impossible, ou ce qui renferme une contradiction
manifeste ».
16. Malebranche s’exprime lui-même en termes de combinaison, ce qui
implique la différenciation des éléments constituants de celles-ci que sont les pos-
sibles. Voir TNG II, LXIII, OC V, p. 116. Abrégé du TNG, VII, OC IX, p. 1086 ;
XIV, p. 1091.
17. « Dieu découvre dans les trésors infinis de sa sagesse une infinité
d’ouvrages possibles, et en même temps la voie la plus parfaite de produire chacun
d’eux », TNG I, LV, OC V, p. 57 ; TNG, IIIe Écl., XXII, OC V, p. 184 ; Réponse aux
vraies et fausses idées, OC VI, p. 48.
18. TNG I, LV, OC V, p. 57, nous soulignons. Cf. TNG II, L, OC V, p. 109.
19. Voir par exemple Méditations chrétiennes V, § XV, OC X, p. 54.
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23. Voir RV IV, XI, § II, OC II, p. 93. On notera, dans cette page, la traduction
de l’assertion : la montagne de marbre est possible, en affirmation d’une existence
possible.
24. RV IV, chap. XI, OC II, p. 98.
25. Abrégé du TNG, XIV, OC IX p. 1091 : « Dieu connaît parfaitement son
essence et toutes les manières possibles dont elle peut être limitée ou participée,
et par là il a des idées de tous les ouvrages possibles ».
26. Ainsi le TNG (I, XXIV) évoque, en parlant de la Sagesse divine « toutes
les créatures possibles, dont elle renferme les idées intelligibles », OC V, p. 38.
Si, en principe, le Verbe contient une pluralité d’idées, on va voir qu’en pratique,
la détermination du possible connaît plusieurs limitations.
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27. Voir le texte très riche du VIe Écl., OC III, pp. 65-66, ou encore Réponse
à Régis, OC XVII-1, p. 287.
28. Le possible est affecté d’un niveau de réalité comparable à l’être actuel
ou existant, ce que rappelle sans ambiguïté l’Entretien d’un philosophe chrétien et
d’un philosophe chinois, OC XV, p. 4.
29. Les Conversations chrétiennes évoquent « la réalité intelligible de votre
idée », III, OC IV, p. 74 ; Réponse à Régis, OC XVII-1, p. 295.
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30. Voir par exemple Entretiens sur la métaphysique, II, § II, OC XII, p. 51 :
« Lorsque vous contemplez l’étendue intelligible, vous ne voyez encore que
l’archétype du monde matériel que nous habitons, et celui d’une infinité d’autres
possibles ».
31. EMR II, § III, OC XII, p. 52. Cf. MCM IX, § IX, OC X, p. 99 : « L’étendue
intelligible est éternelle, immense, nécessaire. C’est l’immensité de l’Être divin, en
tant qu’infiniment participable par la créature corporelle, en tant que représentatif
d’une matière immense, c’est en un mot l’idée intelligible d’une infinité de mondes
possibles ». On notera que l’étendue intelligible fournit à la fois un moyen d’accès
épistémique aux possibles, mais aussi au monde actuel, ce que souligne le même
texte, dans les lignes qui suivent immédiatement.
32. Voir Entretiens sur la mort, II, OC XIII, p. 409.
33. L’étendue intelligible est, en ce sens, la condition de possibilité de la
représentation de tout corps possible, de tout mouvement possible entre les corps,
même si elle ne contient actuellement aucun corps ni aucun mouvement.
34. Les Entretiens sur la métaphysique (II, § III, OC XII, p. 52) livrent cette
formule qui sonne comme une sorte d’aveu : « L’étendue intelligible infinie n’est
l’archétype que d’une infinité de mondes possibles semblables au nôtre ».
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en nous à leur présence », Conv. Chrét., III, OC IV, p. 67. En un sens, la thèse
d’une intellection par et dans la volonté pourrait s’apparenter à une formulation
de la lettre de Descartes au Père Mesland du 2 mai 1644 (AT IV, p. 119), relative
à l’unité radicale en Dieu de l’entendre et du vouloir. En dépit de leurs diver-
gences, on retrouve cette doctrine d’une appréhension des existants dans et par
la volonté divine chez Fénelon, Démonstration de l’existence de Dieu (DED), II,
chap. V, § 116, éd. cit. p. 679.
47. Parmi de nombreux textes, voir Entretien d’un philosophe chrétien et chi-
nois, OC XV, p. 22 ; Réponse aux vraies et aux fausses idées, XIX, § III, OC VI,
p. 136.
48. La diatribe antimalebranchiste de Bossuet dans son oraison funèbre de la
reine Marie-Thérèse (1er septembre 1683), aurait, quoi qu’on en dise, valeur de
symptôme : « Que je méprise ces philosophes qui, mesurant les conseils de Dieu
à leurs pensées, ne le font auteur que d’un certain ordre général d’où le reste se
développe comme il peut ! » Et la suite est, pour nous, encore plus explicite :
« Comme s’il avait, à notre manière, des vues générales et confuses, et comme si
la souveraine Intelligence pouvait ne pas comprendre dans ses desseins les choses
particulières qui seules subsistent véritablement », Œuvres oratoires, éd. Lebarq,
rev. et augm. par Urbain et Levesque, Paris, Desclée, 1914, vol. VI, p. 176.
49. Il convient à cet égard de nuancer l’idée selon laquelle l’essence posséde-
rait par soi une aptitude à l’existence, ainsi que nous l’écrivions dans Malebranche
et la Métaphysique, p. 172, n. 4.
50. Op. cit., p. 217.
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51. On reconnaît les exemples pris par Leibniz notamment dans le Discours
de métaphysique, respectivement art. XIII et VIII, éd. de l’Académie, VI/4-B,
pp. 1548 et 1541.
52. Malebranche a du reste perçu la difficulté et adopte en quelque sorte, une
position de repli en reconnaissant que Dieu peut connaître une infinité de mondes
possibles auxquels nous n’avons pas accès, Entretien d’un philosophe chrétien et
chinois, OC XV, p. 34.
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les possibles. L’affirmation d’un choix parmi l’infinité des mondes pos-
sibles paraît traversée par une tension qui met en question la crédibi-
lité, et pour ainsi dire la consistance du concept de choix libre. La
conception de l’ordre et le principe de la simplicité des voies paraissent
supprimer, en dépit des déclarations de Malebranche, la liberté divine
dans l’exécution de son projet créateur. À supposer que Dieu soit libre
de créer un monde, il ne semble nullement l’être de choisir parmi des
mondes possibles. Autrement dit, le monde actuel apparaît, en défini-
tive, comme le seul réellement possible. C’est ce que confirme la lecture
que Fénelon a faite du système de Malebranche, dans sa Réfutation du
système du Père Malebranche sur la nature et la grâce, probablement
rédigée à la fin de 1687 à l’instigation de Bossuet53, mais demeurée
inédite jusqu’à sa publication en 1820 dans l’édition dite de Versailles.
Souvent restée quelque peu dans l’ombre en raison de son caractère
inédit jusqu’au xixe siècle, mais surtout de l’immense célébrité de la
polémique contemporaine entre Malebranche et le grand Arnauld, le
texte de Fénelon, en dépit de quelques longueurs, attaque lucidement
le système malebranchiste en quelques-uns de ses points névralgiques.
Il ne saurait s’agir ici d’en esquisser une analyse d’ensemble. Nous
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57. La distinction des deux moments est fréquente ; voir par exemple Abrégé
du TNG, XI, OC IX, p. 1088 ; XIII, p. 1089.
58. Voir le chap. VI, p. 351 sq., qui tente d’établir que l’ordre, tel que
Malebranche en construit le concept, détermine autant Dieu à créer, qu’à créer
ce monde plutôt qu’un autre. Voir chap. VII, pp. 357-358 ; chap. XXXV, p. 498 :
« L’ordre ayant tout réglé invinciblement, il est faux que Dieu ait choisi entre
plusieurs ouvrages possibles ; il n’y en avait qu’un seul de possible, il était plus
parfait de le produire que de ne produire rien ; d’où il faut conclure que l’ordre a
déterminé Dieu à le produire et qu’ainsi il n’a été non plus libre pour agir ou pour
n’agir pas, que pour préférer le moins parfait au plus parfait. Ainsi voilà la liberté
de Dieu entièrement détruite, voilà le monde nécessaire et éternel [...] ».
59. RS, chap. II, p. 336.
60. RS, chap. XXXV, p. 498.
61. Voir Méditations chrétiennes, VIII, § X, OC X, p. 86.
62. RS, chap. III, pp. 341-342.
63. RS, chap. III, p. 341 : « Mais si l’ouvrage le moins parfait est impossible, il
est faux que Dieu ait choisi parmi plusieurs desseins possibles le plus parfait pour
faire son ouvrage. Dieu n’a pu voir comme possible que ce qui l’était véritablement. Il
n’y avait de possible que ce que l’ordre immuable et nécessaire permettait. Il n’y avait
de possible que ce que Dieu était capable de vouloir, et il n’était capable de vouloir
que ce qui était conforme à l’ordre parce qu’il aime l’ordre, d’un amour substantiel et
nécessaire. Dieu ne pouvait donc rien voir de possible au-dessous du plus parfait ».
64. « Si l’auteur dit avec quelques scolastiques que les créatures ont une
possibilité objective hors de Dieu, du moins il avouera que cette possibilité est
dépendante de la puissance divine [...] » ibid.
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65. « Ainsi », note à juste titre H. Gouhier (op. cit., p. 43), « on ne saurait conce-
voir un être du possible qui, en Dieu, serait seulement objet de connaissance ».
66. RS, chap. III, p. 342.
67. « Tout était donc unique, et le dessein de l’ouvrage et la voie de
l’accomplir » (ibid.). Dieu n’avait qu’une seule chose à faire, il l’a faite et s’est
épuisé, pour reprendre la saisissante formule finale du chapitre (ibid.).
68. Rappelons que la théologie scolastique distingue la science de simple
intelligence, qui englobe tous les possibles (y compris ceux qui ne seront jamais
réalisés) et la science de vision qui porte sur les existants passés, présents et
futurs. Voir par exemple s. Thomas d’Aquin, Summa contra gentiles, I, chap. 66,
8 ; Sum. theol., Ia, q. 14, a. 9, resp.
69. RS, chap. V, p. 346 : « [...] tout ce qui n’existe pas et qui n’est pas compris
dans le dessein général de Dieu est impossible, or ce qui est véritablement impossible
est un néant, dont Dieu ne peut jamais avoir aucune idée » ; voir chap. V, p. 348 ;
concernant le repli de la science divine sur la seule science de vision, voir ibid.,
p. 349. Il convient en outre de refuser à Dieu la science des futurs non réalisés.
70. La sagesse de Dieu le rend pour ainsi dire impuissant, note Malebranche en une
formule souvent citée, TNG I, I, add. OC V, p. 12 ; I, XXXVIII, add., OC V, p. 47.
71. RS, chap. V, pp. 346-347.
72. Nous rejoignons les analyses d’Henri Gouhier, op. cit., pp. 48-49, qui va
jusqu’à rapprocher les formules féneloniennes sur le destin du paganisme (RS,
chap. II, p. 334, et XI, p. 373) de la doctrine de la création des vérités éternelles
refusant d’assujettir Dieu aux destinées (À Mersenne, 15 avril 1630, AT I, p. 145).
73. Une formule du chap. XVI de la RS (p. 401) est significative, qui évoque
« l’impossibilité de donner des bornes précises à une puissance infinie ».
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Le principe du meilleur est expressément rejeté dans les lignes qui suivent, p. 366 :
« La sagesse infinie de Dieu ne peut le déterminer à choisir le meilleur, quand
il n’y a aucun objet déterminé qui soit effectivement le meilleur par rapport à sa
perfection souveraine dont les choses les plus parfaites sont toujours infiniment
éloignées ».
80. DED II, chap. V, § 118.
81. La qualité de scrutateur des cœurs ne laisse aucun doute à ce sujet ; voir
notamment TNG II, XVII, add. OC v, p. 84.
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