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Esthétique de la spéculation

L'effort sublime de la pensée


Anna Longo
Dans MétaphysiqueS 2018, pages 371 à 383
Éditions Presses Universitaires de France
ISBN 9782130798279
DOI 10.3917/puf.alloa.2018.01.0371
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 05/04/2024 sur www.cairn.info via Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IP: 93.22.148.255)

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Esthétique de la spéculation
L’effort sublime de la pensée

Anna LONGO

Toute philosophie constitue un effort visant, d’une manière ou


d’une autre, à libérer la pensée, afin de lui permettre d’atteindre
réellement son objectif ultime. À ce titre, toute philosophie doit à
la fois identifier ce qui l’entrave (le monde sensible, les passions, la
superstition, l’autorité, l’irraison, l’ignorance, le profit, les
dogmes, l’opinion, la bêtise, le spectacle, etc.), et établir une
méthode permettant de poursuivre la vérité, c’est-à-dire de réali-
ser la raison. Or si l’on adopte le point de vue du scepticisme, on
le sait, la réponse à ces problèmes est toute trouvée : ce dont il faut
se libérer, c’est de l’illusion qu’il soit possible d’atteindre une
vérité autre que celle concernant l’impossibilité de toute vérité :
toute connaissance est une représentation dont on ne prouvera
jamais la correspondance avec la chose telle qu’elle est en soi.
Cette position philosophique a l’avantage d’affranchir le sujet de
beaucoup de contraintes et de fausses croyances. Mais établit-elle
les bonnes conditions pour l’exercice de la pensée ? La position
sceptique satisfait-elle vraiment le désir et le besoin de parvenir à
une représentation à laquelle on puisse reconnaître une valeur de
vérité ? Permet-elle effectivement de poursuivre l’ambition de la
raison dans son effort de liberté et d’autodétermination ? Afin de
libérer la pensée de sa dépendance d’une réalité transcendante
– qui fournirait alors le critère de vérité par correspondance avec
les choses en soi – et d’attribuer simultanément une valeur de
vérité universellement valable à ses productions, le criticisme
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considère la représentation comme dérivant nécessairement de


l’application des concepts a priori. Ainsi, la pensée ne suivrait-elle
que ses propres règles : elle avancerait en s’autodéterminant pour
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construire une réalité phénoménale qui soit consistante du point
de vue rationnel.
Face à la réponse du criticisme, le sceptique pourrait encore
se demander si on ne devrait pas se libérer de la prétention uni-
versaliste des a priori rationnels : peut-on effectivement prouver
leur nécessité ? Peut-on prouver que les concepts employés pour
construire une certaine réalité phénoménale (un monde d’expé-
riences possibles) sont les seuls qu’on doive accepter ? Comme
Salomon Maïmon l’a établi sans équivoque, l’introduction des
jugements synthétiques a priori permet de se libérer du critère de
vérité par correspondance. En revanche, cela ne permet pas de
leur substituer un critère fondé sur la pleine autonomie de la
raison : la finitude assumée de l’entendement empêche de justifier
son pouvoir d’autodétermination.
Confrontés à cette limite de la philosophie transcendantale, il
semble que l’on ne dispose alors que de deux choix : soit on
refuse la contrainte de l’universalisme et l’on affirme, avec la
finitude, la liberté d’accepter toute représentation possible 1, soit
on refuse la contrainte de la finitude pour pousser la pensée vers
ses propres limites, c’est-à-dire là où elle touche à ce qu’elle est
en soi. La première alternative conduit au relativisme sceptique
selon lequel il n’y a d’autre vérité en dehors de la finitude, et
par conséquent, la représentation sera relative à une pluralité de
points de vue qu’on n’a pas le droit de classer selon une hiérar-
chie de valeurs (cela impliquerait l’accès à un paradoxal point de
vue sur les points de vue). La seconde alternative conduit quant
à elle à une science du relatif qui défie la finitude, puisqu’en
assumant un point de vue fini on n’est pas en droit d’affirmer la
nécessité de la finitude, ce qui contraint de dépasser la finitude
afin d’atteindre les conditions nécessaires à l’institution de tout
point de vue comme d’un possible s’inscrivant dans un ensemble

1. Ce qu’implique une classification des réalités admissibles sur la base des


conditions qui le rendent possibles a priori, par exemple la description scienti-
fique, celle qui relève d’une culture particulière, d’une fiction, d’un langage
spécifique, de certaines capacités cognitives, etc.
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idéal ou totalité virtuelle 1. La première stratégie, qui fait suite


aux constats de Schulze et Maïmon concernant l’impossibilité de
légitimer non seulement la prétention universaliste de la connais-
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sance, mais encore la nécessité de la relativité de toute vérité,
trouve aujourd’hui un écho dans l’attitude qui a été rangée sous
le titre de « corrélationisme 2 ». La seconde stratégie, qui fait
suite à la philosophie postkantienne de Fichte (et Schelling) pour
ce qui concerne l’effort d’accéder au principe qui autorise les
connaissances possibles et la vérité du point de vue fini, émerge
aujourd’hui comme un nouveau courant spéculatif, qui se veut
en même temps réaliste.

LA PENSÉE COMME CHOSE EN SOI

L’opposition au relativisme sceptique n’implique pas pour


autant qu’il faille soutenir l’existence d’une seule et unique
connaissance absolument vraie. Il en va plutôt d’un effort pour
libérer la raison du présupposé dogmatique de la finitude. Car
de fait, le relativisme sceptique condamnait la raison à une
contradiction insoluble : si toute représentation possède la même
valeur que n’importe quelle autre, comment justifier que la fini-
tude qu’on attribue à l’entendement ne soit qu’une manière de le
représenter ? Cette impossibilité de fonder les conditions a priori
de la connaissance sur un principe d’ordre supérieur conduira
donc inévitablement à une frustration dogmatique du désir du

1. Si le « possible » désigne l’expérience dont les conditions a priori sont les


concepts de l’entendement, on définit comme « virtuel » le champ organisé
par une idée ou un principe légitimant les différentes structures conceptuelles
rationnellement admissibles et actualisables dans des expériences concrètes.
2. En suivant la définition de Quentin Meillassoux, on entendra par « corré-
lationiste » toute philosophie qui, ne pouvant s’assurer de la correspondance
entre vérité et chose en soi, n’est pas non plus capable d’accéder au principe
légitimant les a priori employés dans la représentation sans les considérer,
d’une manière contradictoire, comme des objet empiriques (par exemple en
faisant des lois la nature ou de l’histoire des conditions de la connaissance de
la nature ou de l’histoire).
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vrai. Ce désir est celui qui caractérise la pensée, laquelle se trou-


verait ainsi obligée d’accepter tout et n’importe quoi, puisque
toutes les descriptions du monde se valent (tout au plus, ces
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descriptions sont définies dans leur utilité par rapport à des inté-
rêts extra-philosophiques). S’opposer au relativisme sceptique
signifie alors tendre vers un principe qui permette d’affirmer de
manière non-dogmatique la finitude de l’activité représentative.
Comme expérience réalisée de ce qui est possible a priori,
l’expérience s’avérera donc nécessairement limitée par rapport à
l’idée d’un ensemble virtuel infini et inépuisable de possibles,
c’est-à-dire par rapport à la perspective d’une connaissance
effectivement absolue, capable de saisir les conditions génétiques
des différents concepts ou conditions de tout monde rationnelle-
ment consistant (et qui ne doit pas nécessairement s’actualiser
dans une expérience effective ou réelle). Il s’agit dès lors de
s’engager dans la recherche d’un point de vue infini permettant
de justifier l’actualisation des points de vue finis comme autant
de perspectives auxquelles on peut attribuer une valeur de vérité
par leur conformité à la pensée en soi (plutôt qu’aux choses en
soi). S’opposant au relativisme sceptique, cet effort spéculatif
pourrait se nommer « science du relatif », une connaissance des
règles selon lesquelles des points de vue rationnellement consis-
tant peuvent être établis par rapport à un point de vue idéal. Il
s’agit d’une science de la connaissance, qui, comme la Doctrine
de la science de Fichte, vise à fonder les concepts a priori en
montrant le principe non conceptuel de leur genèse, c’est-à-dire
ce qui caractérise la pensée en soi dans sa capacité de se déter-
miner dans un point de vue particulier et fini.
Une telle attitude spéculative, à la fois réaliste et anti-
dogmatique, n’est pas sans écho aujourd’hui. On pourrait même
considérer que d’une certaine façon, certains courants de la
pensée spéculative contemporaine témoignent d’une reprise du
projet postkantien face à la menace sceptique qui, sous prétexte
de libérer la pensée de l’irrationalité métaphysique, réduit celle-ci
à une opération de création de fictions. Parmi ces exemples, on
peut citer la philosophie deleuzienne 1 où les concepts, et la repré-
sentation qu’ils rendent possible, sont considérés du point de vue
1. Telle qu’elle est présentée dans Différence et Répétition, Paris, Puf, 1968,
et dans Logique du sens, Paris, Minuit, 1969.
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de leur genèse comme faisant suite à la rencontre violente avec


des intensités réelles dont les différentielles sont accessibles par
voie spéculative et constituent l’impensé, moteur idéal de toute
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pensée (l’irreprésentable, condition de toute représentation). Cet
impensé – ce qu’on appelle ici la « pensée en soi » – est le plan
d’immanence virtuel où la distribution des singularités détermine
l’actualisation des intensités sensibles et, par conséquent, la
genèse empirique des concepts, c’est-à-dire de l’expérience pos-
sible comme solution valable relativement aux conditions du pro-
blème idéal. En tant que réalité actuelle, toute représentation
constitue un point de vue exprimant la vérité du relatif par rap-
port à la perspective spéculative de survol du plan d’immanence.
Au sein du plan d’immanence, la distribution des singularités
implique une totalité virtuelle de l’expérience dont seul un sous-
ensemble s’actualise à travers des expériences à chaque fois effec-
tives, mettant en jeu des différenciations d’intensités sensibles.
La philosophie de Meillassoux illustre d’une autre manière, et
en composant un tableau bien différent, cette attitude spéculative
antidogmatique. On peut en effet considérer que le « principe de
factualité » est atteint chez lui en passant par la nécessité de la
contingence. Une telle nécessité caractérise la pensée en soi et,
par extension, les mondes qui peuvent se donner à l’expérience
comme actualisation d’une totalité virtuelle de possibles – ce que
Meillassoux désigne par l’expression d’« hyper-chaos ». En effet,
c’est par rapport à l’idée de l’ensemble transfini virtuel des
mondes rationnellement admissibles que le monde dont on fait
effectivement l’expérience s’actualise comme mathématiquement
représentable, c’est-à-dire comme l’objet d’un entendement fini
qui ne connaît que ce qui est donné dans la perception. Le monde
nous est à chaque fois donné d’une manière contingente ; nous
pouvons le connaître comme tel, mais les limites de cette connais-
sance sont génétiquement établies à partir du principe de factua-
lité. Il faut noter à ce propos que dans le matérialisme spéculatif,
la finitude n’est pas transgressée vers la transcendance des choses
en soi, c’est-à-dire vers une réalité différente par rapport à celle
des phénomènes décrits par la science, mais à travers l’intuition
intellectuelle (ou intuition noématique, comme Meillassoux pré-
fère l’appeler) qui donne accès à la contingence de la pensée
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comme chose en soi, ce qui permet de légitimer la représentation


scientifique de la réalité qui se donne à l’expérience.
Enfin, on pourrait encore mentionner un troisième exemple,
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venant d’une tout autre tradition encore : la philosophie de Wil-
frid Sellars. La pensée de Sellars représente effectivement un
effort spéculatif similaire puisqu’elle vise à situer la représenta-
tion produite par la physique actuelle par rapport à son accom-
plissement idéal, qui rendrait possible l’explication scientifique
de l’émergence de la science elle-même comme fait naturel. Or
cette perspective implique d’accéder à la pensée en soi comme
condition d’un processus évolutif susceptible de se conclure par
l’autocompréhénsion.
Ce genre de spéculation, qui trouve son modèle dans la philo-
sophie postkantienne, est considéré comme réaliste par diffé-
rence avec le relativisme sceptique auquel elle s’oppose. Pour
autant, elle ne cherche pas à rétablir un critère de vérité par
correspondance. De ce point de vue, les choses en soi ne sont pas
comprises comme une réalité dogmatique et transcendante, mais
bien comme la limite positive de la pensée, limite fonctionnelle
et nécessaire à son exercice, lequel consiste dans la production
d’une représentation nécessairement limitée, d’une connaissance
forcément relative par rapport à l’idée d’une perspective absolue.
Le réalisme souvent attribué à la spéculation contemporaine ne
concerne donc pas l’objet de la représentation – qu’il faudrait
alors imiter ou copier –, mais bien la représentation même dont
les conditions a priori sont légitimées par la réflexion et justifiées
sur la base de leur cohérence avec un certain usage de la raison,
avec l’en-soi de la pensée. Plutôt que de soutenir l’équivalence de
toute représentation sur la base de l’impossibilité de fonder la
structure transcendantale sur une quelconque vérité d’ordre
supérieur, la spéculation réaliste, comme science de la connais-
sance, consiste dans une réflexion qui s’élève au-dessus de la
structure transcendantale afin d’établir le principe fondant son
unité, le principe génétique qui non seulement justifie l’usage de
certains concepts, mais nous assure également de la réalité de
l’expérience qu’ils rendent possible (dans la mesure où un monde
phénoménal n’est qu’une partie de l’idée de la totalité absolue
de l’expérience rationnellement admissible).
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La spéculation, cette activité que les rationalistes contempo-


rains comparent à une activité de « navigation » dans l’espace du
réseau conceptuel 1, voire dans l’espace logique des raisons 2, doit
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être orienté par un sentiment qui concerne la manière dont une
certaine forme de l’expérience s’approche de l’idéal de la raison.
Or une telle réflexion – et voilà l’argument que nous souhaiterions
introduire, afin de montrer à quel point les débats postkantiens
sont encore cruciaux aujourd’hui – ne peut pas procéder par
jugements déterminants, comme ceux que l’on emploie pour
obtenir une description scientifique par exemple (autrement dit,
quand un concept déjà donné est employé pour l’appliquer à un
cas particulier). Une réflexion réellement libre requiert au
contraire des jugements d’un autre type. Une pensée qui ose
la spéculation doit apprendre à manier des jugements qui
permettent de réunifier le divers de l’expérience sous un universel
qui n’est pas (ou pas encore) donné. Ces jugements ont reçu un
nom dans la tradition : il s’agit des jugements réfléchissants.

ESTHÉTIQUE DE LA SPÉCULATION

La faculté qui prend pour objet l’activité de représentation


même, afin de la fonder, c’est la faculté de juger. Il ne s’agit toute-
fois pas de faire du transcendantal un objet de connaissance, car

1. La notion de navigation, pour indiquer l’activité du survol du champ


conceptuel, est utilisé souvent par Reza Negarestani, voire, par exemple,
« What Is Philosophy ? », E-flux journal, #67, novembre 2015 et #69,
janvier 2016.
2. « L’espace logique des raisons » est une notion introduite par Wilfrid
Sellars dans Empirisme et philosophie de l’esprit, Paris, L’Éclat, 1992, pour
indiquer le champ métalinguistique où l’on peut critiquer les concepts
employés dans le langage et leur connexions logiques afin de modifier cette la
structure transcendantale.
« Le point crucial est […] qu’en caractérisant comme connaissance un épi-
sode ou un état, nous n’en offrons pas une description empirique de cet épisode
ou état, mais nous le situons dans l’espace logique des raisons, des justifications
et des aptitudes à justifier ce que l’on affirme », W. Sellars, Empirisme et philo-
sophie de l’esprit, op. cit., § 37, trad. p. 80.
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cela serait paradoxal. Pour éviter le regressus ad infinitum impli-


qué par l’autoréférence, sans abandonner pour autant l’exigence
systématique de la philosophie, il faut s’élever à ce que Fichte
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appelle le « point de vue transcendantal », celui à partir duquel
le jugement réfléchissant peut rapporter la forme de l’expérience
au sentiment subjectif. Comme on lit à ce propos dans l’essai Sur
le concept de la doctrine de la science : « il résulte de cela que le
philosophe a non moins besoin du sentiment obscur de ce qui
est juste ou du génie que le poète ou l’artiste ; cela a seulement
lieu sur un autre mode. Le dernier a besoin du sens de la beauté,
le premier de celui de la vérité 1 ». Or, en effet, dans la dernière
partie de la Doctrine de la science Nova Methodo, une correspon-
dance est établie entre ce point de vue transcendantal, ou point
de vue du philosophe, qui sera désormais nommé le « point de
vue esthétique ».
C’est le point de vue esthétique par lequel on s’élève au point de vue
transcendantal ; il en découle que le philosophe devrait avoir un sens
esthétique, c’est-à-dire de l’esprit ; il n’est pas pour autant poète, écri-
vain ou orateur ; mais l’esprit par la formation duquel on s’élève au
point de vue esthétique doit également animer le philosophe ; sans cet
esprit on ne parviendra jamais à rien en philosophie 2.
Ce point de vue transcendantal qui est donc en même temps
un point de vue esthétique permet non seulement de s’élever au-
dessus de la structure conceptuelle, mais encore de s’engager
dans la recherche du principe rassemblant le divers sous un uni-
versel non donné. Il s’agit là, on l’a dit, de la perspective de la
faculté de juger qui vise à accomplir la synthèse entre la faculté
théorique (l’intelligence ou activité de représentation) et la
faculté pratique, mais il s’agit aussi du point de vue de la philoso-
phie elle-même comme science de la connaissance visant à fonder
la perspective limitée du sujet représentant.
Quel passage y a-t-il entre les deux points de vue ? C’est la question
de la possibilité de la philosophie. Les deux points de vue sont en effet

1. Johan Gottlieb Fichte, « Sur le concept de la doctrine de la science ou ce


que l’on appelle philosophie », in Essais philosophiques choisis, Paris, Vrin,
1984, p. 61.
2. J. G. Fichte, La Doctrine de la science Nova Methodo, trad. I Radrizzani,
Lausanne, L’Âge d’Homme, 1989, p. 309.
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Esthétique de la spéculation 379

directement opposés l’un à l’autre. […] il est cependant factuellement


prouvé qu’il existe une philosophie transcendantale ; les deux points
de vue ne doivent pas être opposés absolument l’un à l’autre, mais
ils doivent être réunis par un certain moyen terme : ce moyen terme
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est l’esthétique 1.
Le point de vue esthétique est donc celui auquel s’élève la
spéculation pour contempler tout savoir, théorique et pratique,
afin de réunifier les deux séries et montrer qu’il n’y a pas de
contradiction entre la nature décrite comme un mécanisme
nécessaire et comme lieu d’expression d’une volonté libre. Après
avoir expliqué que la nature comme représentation (non-Moi
absolu) et la nature comme puissance d’engendrer des représen-
tations (Moi absolu) se trouvent dans un rapport de détermina-
tion réciproque, Fichte remarque que la nécessaire limitation de
l’activité libre est ce qui est ressenti par le Moi représentant
comme un effet de la causalité d’un Non-Moi indépendant. Par
conséquent, la matière de la représentation, c’est-à-dire le donné,
correspond au sentiment de la limitation, ou de l’autodétermina-
tion, de l’activité absolue. À la différence d’un kantisme littéral,
la raison n’est plus conçue à la manière d’une faculté limitée,
qui ne saurait s’exercer légitiment au-delà de l’expérience ; elle
constitue au contraire la véritable chose en soi. En tant qu’acti-
vité absolue à laquelle aspire l’entendement limité, la raison
s’autodétermine librement comme conscience et se pose conco-
mitamment comme activité théorique, c’est-à-dire comme sujet
représentant. L’expérience constitue donc l’effet nécessairement
limité du pouvoir d’autodétermination de l’activité absolue, si
bien que l’activité absolue constituera le point limite, l’asymptote
inatteignable visée par la connaissance du sujet posé comme fini.
Telle est la perspective du philosophe, le point de vue transcen-
dantal à partir duquel la représentation est rapportée à l’idée de
l’activité absolument libre et indéterminée à laquelle il aspire :
plus il s’en rapproche, plus grand est le plaisir. Dans les lettres
adressées à Schiller, Fichte nomme « instinct esthétique » la ten-
dance à rechercher ce plaisir particulier, lequel ne dérive ni de
l’adéquation de la représentation à la chose, ce qui satisfait

1. Ibid., p. 308.
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l’instinct théorique, ni de l’adéquation de la chose à la représenta-


tion, ce qui satisfait l’instinct pratique. De fait, le plaisir proprement
esthétique est engendré par l’adéquation de la représentation à la
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liberté, à la puissance créatrice autonome, ainsi, du point de vue
esthétique, « la représentation est à elle-même son propre but 1 ».
Et en effet, Fichte explique que
L’imagination […] s’élève bientôt à la totale liberté ; une fois parvenue
dans le domaine de l’instinct esthétique elle y demeure même lorsque
celui-ci s’écarte de la nature et présente des formes, non pas du tout
telles qu’elles sont, mais telles qu’elles devraient être selon l’exigence
de cet instinct : ce libre pouvoir de créer se nomme l’esprit. […] le but
infini et illimité de notre instinct se nomme Idée, et lorsqu’une part de
celui-ci est présentée dans une image sensible, cette image se nomme
un idéal. L’esprit est donc le pouvoir des idéaux 2.
En ce sens, le point de vue esthétique, condition de la spécula-
tion philosophique s’il en est, permet d’une part de justifier la
limitation de la connaissance, c’est-à-dire de l’expérience possible
a priori, et de l’autre d’éviter de frustrer le désir de liberté de la
pensée, sans pour autant retomber sur des positions dogma-
tiques : envisagée comme limite de la pensée, la chose en soi
permet de comprendre la raison comme ensemble virtuel infini
de toutes ses possibles déterminations finies. Ainsi, ce que l’esthé-
tique appelle le beau concernera toute représentation dont la
forme a été produite par un exercice de l’imagination qui
s’affranchit, autant que faire se peut, de toute donnée empirique,
tandis que le sublime se dit de l’effort même de la pensée qui
s’élance vers ses propres limites pour atteindre l’impossible
connaissance absolue.
Pour revenir alors aux tendances réalistes contemporaines, on
peut sans doute apprécier l’effort véritablement sublime visant à
dépasser la finitude et à légitimer par cette voie le point de vue
limité du sujet de la représentation. Cette légitimation du point
de vue fini implique une évaluation esthétique de l’activité théo-
rique dont les bornes nécessaires sont perçues avec plaisir à

1. J. G. Fichte, « Sur l’esprit et la lettre dans la philosophie », in Essais


philosophiques choisis, op. cit., p. 91.
2. Ibid., p. 100-101.
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Esthétique de la spéculation 381

l’instant même où celles-ci s’élargissent, lorsque l’activité néces-


sairement limitée tend vers l’illimité.
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SPÉCULATION ET ART CONTEMPORAIN :
UNE ESTHÉTIQUE INDÉPENDANTE DU DONNÉ SENSIBLE

Or si du point de vue ordinaire la nature apparaît comme


nécessaire, du point de vue esthétique au contraire, la réalité
apparaît comme libre, vivante et active, et c’est ce qui la rend
belle.
Au sens esthétique, la volonté apparaît comme libre, au sens commun
comme produit de la contrainte ; par exemple, toute limitation dans
l’espace est résultat de la limitation de la chose par d’autres, car elles
sont pressées les unes contre les autres ; mais d’un autre côté, toute
extension est également résultat d’un effort interne dans le corps, elle
est partout plénitude, liberté. Le premier point de vue est inesthétique,
le second est le point de vue esthétique 1.
La beauté de la nature, donc, est un effet de la manière dont
elle est représentée par l’imagination qui, opérant ici d’une
manière indépendante par rapport aux déterminations de
l’entendement, produit une image où se reflète sa propre liberté,
la liberté d’une aspiration à une création autonome des formes.
La nature apparaît alors comme un tout organique, comme un
organisme vivant où les parties s’intègrent harmonieusement
comme si, à travers ces formes, la nature pouvait exprimer sa
propre liberté, sa propre finalité. Mais pour créer cette représen-
tation, l’imagination agit d’une manière qui tend à s’émanciper
du donné sensible afin d’exprimer, dans ces formes finalisées, sa
propre liberté : l’image est alors produite comme si elle était
effectivement le lieu de révélation de l’activité absolue.
Cette image finaliste d’éléments s’harmonisant progressive-
ment pour former un tout, au cours d’un processus d’interaction
– ou encore, pour emprunter l’expression chère à Simondon, un
processus d’individuation – se trouve au cœur de la production
1. Nova Methodo, op. cit., p. 309.
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382 Anna Longo

artistique contemporaine. Il suffit de penser aux œuvres du Land


art, par exemple, qui suggèrent la possibilité d’une collaboration
créative entre l’artiste et la nature. La liberté créatrice humaine
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est montrée comme si elle se plaçait dans une continuité parfaite
avec la liberté naturelle, comme si les deux productions pouvaient
s’intégrer harmonieusement dans la production des formes. Dans
ce cas, il faut le souligner, ce qui est jugé en tant que « beau »,
ce ne sont pas les œuvres de Land art en tant qu’objets, mais le
dégrée de liberté auquel s’élève l’imagination dans son effort de
représenter non pas une forme, mais la puissance génératrice de
toute forme. Un autre exemple qui va dans ce sens, ce sont les
« happenings », où l’interaction non planifiée entre l’artiste et
des objets donne lieu à des situations insolites, des formes qui
tendent à se définir librement dans des dynamiques imprévi-
sibles : rien ici de sensible n’est beau par soi mais, encore une
fois, ce qui est beau est l’effort de l’imagination se libérant de
mieux en mieux de la contrainte consistant à former des impres-
sions sensibles particulières. Ces observations sont également
valables, nous semble-t-il, pour ce que l’on appelle « art relation-
nel 1 », où l’accent est mis sur la forme des relations qui se
constituent, à l’instar d’un réseau, entre différents acteurs en
interaction. Dans ce cas, ce qui est beau, ce n’est pas la sensation
engendrée par l’interaction physique (une telle sensation n’est, à
la limite, qu’agréable), ni même la forme du réseau lui-même (qui
n’est jamais accessible dans sa totalité aux participants, dont le
point de vue demeure forcément interne), mais bien le sentiment
dérivant de la réflexion de l’imagination sur cette activité –
réflexion qui rend vivant, changeant, sensible ce qu’elle produit.
Dans l’art relationnel, on apprécie l’idée de faire partie d’un
réseau d’éléments animé par une sorte de cause finale que l’on
identifie avec notre propre intégration harmonieuse et dyna-
mique dans un tout organique. Ainsi, comme Fichte le rappelait

1. « Art relationnel » se réfère à un ensemble de pratiques artistiques


contemporaines dont l’essence repose sur la question très vaste de la relation.
Ce concept se distingue de l’esthétique relationnelle, bien que dans l’usage il
y ait une confusion entre les deux concepts. En effet, l’art relationnel ne se
limite pas à l’esthétique relationnelle qui se réfère à un corpus précis d’œuvres
défini par Nicolas Bourriaud dans son ouvrage Esthétique relationnelle, Dijon,
Les Presses du réel, 1998.
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Esthétique de la spéculation 383

à Schiller dans l’une de ses lettres, l’appréciation esthétique ne


concerne pas l’expérience sensible d’un objet mais l’inscription
de l’expérience, en tant qu’expérience possible, dans une dyna-
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mique créatrice, libre et autonome :
[La représentation] ne doit pas sa valeur au fait qu’elle coïnciderait
avec l’objet qui n’entre pas ici en considération, mais elle possède sa
valeur en elle-même. On ne s’interroge pas sur ce qui est copié, mais
sur la libre forme indépendante de l’image elle-même. […] Il est
possible qu’une représentation de l’image esthétique dans le monde
soit exigée ; mais cela ne s’effectue pas par l’instinct esthétique, dont
la tâche est totalement déterminée lorsqu’il y a une image dans l’âme 1.
Une telle esthétique spéculative, au sein de laquelle le donné
sensible est effectivement inessentiel, résonne tout particulière-
ment avec les productions de l’art conceptuel. Prenons comme
exemple les « instruction pieces » réalisées par des artistes comme
Lawrence Weiner, Sol LeWitt ou Yoko Ono : il s’agit de consignes
écrites pour la production d’objets qui ne doivent pas être forcé-
ment réalisés, d’œuvres qui ne demandent pas à être évaluées par
rapport à une expérience sensible ou physique, mais dont la liste
des conditions d’existence s’adresse directement à l’intellect.
L’effectuation réelle de l’objet n’est pas nécessaire, de sorte que
ce qui est considéré comme « beau », c’est une fois de plus le
travail de l’imagination qui produit des formes d’une manière
quasiment indépendante par rapport au donné sensible.
Dans tous ces exemples, le plaisir esthétique dérive du fait que
l’imagination, activité du sujet fini, imite et réfléchit l’activité
infinie de la liberté absolue dans sa capacité de poser les condi-
tions de l’expérience possible. De façon générale, c’est l’accès au
point de vue transcendantal qui caractérise la spéculation dans
son effort pour fonder la finitude nécessaire de notre perspective
sur le réel. À l’opposé du relativisme sceptique, cette perspective
n’est pas une simple fiction plus ou moins fonctionnelle par rap-
port à des intérêts extra-philosophiques, mais elle constitue au
contraire l’objet véritable de la philosophie.

1. J. G. Fichte, « Sur l’esprit et la lettre dans la philosophie », art. cit.,


p. 91-92.

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