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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral

Adil Moussebbih
Dans Revue française de droit constitutionnel 2017/2 (N° 110), pages 437 à 464
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1151-2385
ISBN 9782130788393
DOI 10.3917/rfdc.110.0437
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L’office du Conseil constitutionnel marocain,


juge électoral

ADIL MOUSSEBBIH
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Dans une démocratie, le pouvoir doit être fondé sur la volonté du
peuple. L’élection constitue le principal moyen par lequel le peuple
exprime sa volonté et façonne son gouvernement. Toute élection suppose
donc que soient définis, le corps électoral, le mode de scrutin, le calen-
drier de la compétition, l’encadrement administratif et financier du pro-
cessus électoral ainsi que le mode de contrôle de la régularité des élections
et de proclamation des résultats1. Dans un État de droit, les contesta-
tions relatives relèvent d’un type de contentieux spécial que l’on qualifie
couramment de contentieux électoral et qui a pour objet de v­ érifier la
­régularité des actes et l’authentification des résultats de l’élection2.
En réalité le contentieux électoral désigne l’ensemble des litiges nés
des protestations qui sont dirigées contre l’organisation et le résultat des
élections3. Dans ce contexte, la régularité est une exigence fondamentale
à laquelle doivent satisfaire les opérations électorales. Toute la législation
relative aux élections consacre cette exigence comme une nécessité en vue
d’éliminer tout acte ou tout comportement susceptible de porter atteinte
à la liberté, à l’objectivité et à la sincérité du scrutin.
Le contentieux est donc consubstantiel aux élections tout comme l’élec-
tion le serait à la démocratie selon la célèbre formule de Jean Gicquel4.
Il purge, en effet, le scrutin de tous les vices susceptibles d’entacher la légi-
timité interne et internationale des élus. Ce contrôle est donc indispensable

Adil Moussebih, professeur de droit public à l’université Chouaib Doukkali-Eljadida


1. Voir J.-Cl. Masclet, Droit électoral, Paris, Puf, 1989 ; sous une autre approche, voir
D. Kokoroko, « Le droit des élections libres et démocratiques dans l’ordre régional africain »,
RJPIC, avril-juin 2004, p. 152
2. F. Delpérée, Le contentieux électoral, Paris, Puf, collection Que sais-je ?, 1998, 127 p.
3. En ce sens, voir F. Robbe, « Contentieux des élections locales », Juris Classeur Administratif,
fasc. 1132, 26 octobre 2007, p. 4.
4. J. Gicquel, « Le contentieux des élections parlementaires en droit comparé », Nouveaux
Cah. Cons. const., n° 41, octobre 2013, p. 191.

Revue française de Droit constitutionnel, 110, 2017

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dans l’intérêt des candidats et des électeurs qui sont de plus en plus atta-
chés à un contrôle rigoureux de ces opérations, afin que leur choix s’exerce
dans des conditions suffisantes de liberté et de sincérité. Les règles du
contentieux électoral sont à la fois valorisantes pour les élus qui s’y sou-
mettent et sécurisantes pour les citoyens qui en sont les bénéficiaires.
Ainsi que le souligne M. Ardant, « y a-t-il de contentieux plus impor-
tant que celui de la désignation par le peuple des représentants chargés
d’exprimer sa volonté. C’est en réalité le contrôle majeur puisque c’est
celui de démocratie5 ».
Ainsi, l’existence des recours électoraux en matière électorale présente
une garantie fondamentale dans un système démocratique. Le conten-
tieux électoral interpelle directement le juge. Il lui pose la question de la
signification de son action6. En intervenant de façon plus ambitieuse en
matière de contentieux électoral, le juge se contente de vérifier l’appli-
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cation conforme, transparente et loyale, des règles du jeu politique.
Il n’est pas aisé d’apprécier l’attitude du Conseil constitutionnel marocain
dans sa tâche délicate de juge des élections de sanctionner l’élu, en cas de
grief confirmé, ni de cerner exactement la nature de sa mission. Le juge
électoral marocain n’est-il pas un juge de la régularité ? Sera-t-il un strict
applicateur du droit ou plutôt un simple juge « de la sincérité de l’élec-
tion » ou est-il moralisateur de la vie politique ? Le juge constitutionnel
marocain en tant que juge électoral s’est-il acquitté de son obligation de
veiller au respect du choix des électeurs ?
Le juge électoral doit-il valider l’élection en dépit des atteintes por-
tées à la loi ? Doit-il ne prendre en considération que les plus graves des
actes ou uniquement ceux qui ont une incidence déterminante sur le
scrutin ?

I – LE JUGE ÉLECTORAL MAROCAIN N’EST PAS JUGE


DE LA RÉGULARITÉ DE L’ÉLECTION

Il faut commencer par dire que toute élection est présumée être régu-
lière. Et le juge électoral ne peut se saisir de lui-même d’un scrutin quand
bien même il l’estimerait irrégulier.
Même si la Constitution marocaine dans son article 132 assigne à la
haute juridiction constitutionnelle marocaine de « veiller à la régula-
rité » des élections, en réalité la haute instance ne peut qu’en assurer

5. P. Ardant, « Le contentieux électoral devant le Conseil constitutionnel et le Conseil


d’État », in Conseil d’État et Conseil constitutionnel, Colloque du Sénat, Paris, janvier 1988,
LGDJ, 1988, p. 55.
6. Francis Delpérée, op. cit., p. 12

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la sincérité. Cela implique que toute violation des textes législatifs et


réglementaires lors du processus électoral n’entraîne pas systématique-
ment une remise en cause des résultats du scrutin.
Saisi par les requérants, le juge de l’élection ne sanctionne pas la
moindre peccadille entachant les opérations électorales. En fait, la seule
hypothèse dans laquelle on peut dire avec certitude que le juge annu-
lera une élection est celle ou une cause d’inéligibilité frappe le candidat
élu7. En dehors de cette hypothèse, les infractions se révèlent le plus sou-
vent sans conséquence sur les résultats du scrutin. En conséquence, nous
pouvons constater à travers plusieurs exemples jurisprudentiels que le
Conseil constitutionnel marocain, adopte l’idée de la présomption de la
validité du scrutin. Une présomption qui l’amène davantage à rejeter par-
fois la quasi-totalité des demandes d’annulation des élections en présence
même de certains éléments qui devraient le pousser à lancer une enquête.
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Dans le même sens, il lui appartient d’apprécier la force probante des
divers documents produits par les parties. À ce propos, il n’est jamais
tenu de convoquer les témoins allégués, même si les requérants le lui
demandent. La juridiction constitutionnelle s’accroche à la prudence en
opposant l’irrecevabilité quand les requêtes dénoncent des irrégularités
graves (composition irrégulière des bureaux de vote8, intervention de l’adminis-
tration9, renvoi des scrutateurs10… etc.). Généralement, le juge demande
plus de précisions dans les preuves. Les prétentions avancées et soutenues
à travers un certain nombre de requêtes sont rejetées lorsque les griefs
se ramènent à l’allégation que le requérant n’a présenté aucune preuve
concernant la distribution d’argent11. Le même sort attend les plaintes et
déclarations12 ; une plainte adressée au procureur du Roi, une déclaration,
une photo et un exemplaire d’un journal13, une plainte adressée au gou-
verneur14, un procès-verbal de police où le juge signale que le requérant
n’a pas précisé la suite réservée à cette poursuite judiciaire15… La position
adoptée par le juge de l’élection est la même lorsque les moyens présentés
à l’appui de la requête ne sont assortis d’aucun commencement de preuve.
À cet égard, le contentieux électoral ne saurait prétendre à une cer-
taine infaillibilité car en dépit de la gravité des faits invoqués, ceux-ci ne
sont pris en considération que s’ils peuvent être prouvés matériellement.

7. L’inéligibilité est d’ailleurs l’un des rares moyens à pouvoir être soulevé d’office par le
juge électoral. Voir dans ce sens la décision du CC marocain n° 802/2010. Voir également la
décision du CC marocain n° 762-09 du 2 juin 2009.
8. Décision du CC marocain n° 582 en date du 3 août 2004.
9. Décision du CC marocain n° 763 en date du 8 juin 2009.
10. Décision du CC marocain n° 692 en date du 13 mai 2008
11. Décisions du CC marocain nos 179, 184, 186,188, 189, 196…
12. Décisions du CC marocain n° 283/99 et 332/99)
13. Décision du CC marocain n° 327/99
14. Décision du CC marocain n° 356/2000
15. Décisions du CC marocain n° 260/98, n° 358/2000

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D’un côté, l’exigence de la preuve part d’une préoccupation de sécurité


électorale du mandat dans la mesure où elle met l’élu à l’abri des recours
dilatoires ou malveillants, et contribue alors à protéger ses droits16. D’un
autre côté – facette nettement moins avenante – l’obligation de fonder la
requête et de mettre en exergue les moyens, fragilise le recours jusqu’à
l’annihiler.
Le juge constitutionnel procède en effet à une lecture très prudente des
éléments avancés par les demandeurs de l’annulation17. Il évalue la gravité
des irrégularités pour apprécier leur impact sur le résultat de l’élection
concernée. Par la suite, il recalcule, le cas échéant, les voix en écartant les
bureaux suspects et apprécier le réel impact sur les résultats (annulation
ou maintien des résultats en raison de l’écart important des voix obtenues
par le candidat élu).
En effet, et on touche ici un fait central, pour affecter le scrutin il
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convient que les irrégularités aient une influence tangible sur le résultat
des opérations électorales en profitant au candidat élu18. C’est dire qu’une
petite infraction – comme peut l’être une affiche électorale apposée sur un
emplacement prohibé — n’est pas par elle-même suffisante pour influer
sur les résultats et ne saurait en conséquence justifier l’invalidation d’une
élection19.
Ainsi, de nombreuses raisons sont susceptibles d’expliquer le faible
taux d’invalidation des épisodes électoraux. Les chiffres sont éloquents ;
deux décennies d’exercice jurisprudentiel, le juge électoral a annulé
73 élections sur 727 recours représentant 10 % du nombre total des
requêtes électorales couvrant la période de 1994-2014. En fait, le juge
constitutionnel est animé du principe libéral selon lequel une pré­
somption de régularité habille toute élection, présomption ne tombant
qu’avec l’apport d’une preuve, produite dans les délais et ayant une
influence déterminante sur l’issue du scrutin.

16. N. Bernoussi., Le contrôle de constitutionnalité au Maghreb, Thèse d’État, Université


Mohamed V Rabat, 2 tomes, Rabat, faculté des sciences juridiques, économiques et sociales,
1998.
17. Il convient de souligner que le pouvoir du juge constitutionnel dans l’évaluation des
faits et des preuves est entaché d’ambigüité. Il est en disette de normes qui puissent l’amener
à enclencher une procédure d’inspection dans les opérations électorales. Au lieu de répondre
favorablement aux demandes qui lui ont été formulées, le juge constitutionnel s’est contenté
de faire allusion, dans le contenu des décisions en matière électorale, de l’inutilité d’une quel-
conque enquête. Cet état des faits suscite des interrogations sur la notion d’enquête dans le tra-
vail du juge constitutionnel marocain. S’agit-il d’une simple audition des témoins (électeurs
et membres des bureaux de vote) au sein d’une circonscription électorale objet de litiges ou
d’un simple examen des procès des bureaux de vote au sein du tribunal de première instance
de la circonscription où l’élection a eu lieu ou bien va-t-elle jusqu’à la mise en place de tous
les moyens nécessaires pour mener une véritable enquête dont le Conseil mobilisera tous les
moyens nécessaires pour enquêter dans toute sorte de litige.
18. Décision du CC marocain 570/2004 du 25 mai 2004
19. Décision du CC marocain n° 49 en date du 22 novembre 1994

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Ce « trop peu » d’annulation lui est reproché au nom des exigences


démocratiques ; de la déontologie démocratique, notamment. Certains
spécialistes20 du contentieux électoral ont repris et gardé le qualificatif
« amoral », pour dénoncer la tendance générale consistant à ne retenir
certaines irrégularités qu’en fonction de l’arithmétique générale du vote.
Les comportements frauduleux ne sont pas retenus lorsque le nombre
de voix annulables ne change rien au résultat final. Mais dans ce cas,
ne s’agit-il pas d’une sorte d’incitation à la fraude voire à une suren-
chère dans la fraude, puisque le candidat concerné aurait tout intérêt à
­beaucoup frauder pour creuser l’écart avec le suivant !

II – L
 E JUGE ÉLECTORAL, JUGE DE LA SINCÉRITÉ DES RÉSULTATS
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DU SCRUTIN

Une des exigences essentielles des régimes démocratiques est l’ins-


tauration de l’État de droit. Le corollaire de cette exigence est la tenue
régulière d’élections transparentes et sincères. La notion de « sincérité du
scrutin » est, sans doute, l’une des plus répandues du droit électoral. Le
juge électoral, quel qu’il soit, l’utilise très fréquemment dans ses décisions
et lui fait même jouer un rôle majeur puisque c’est son respect ou son
atteinte qui détermine, le plus souvent, le sort du contentieux en cours.
Ainsi après avoir déterminé la portée et les contours du concept de la
sincérité du scrutin et les principes garantissant son respect, il importe
de préciser par la suite la notion de la technique de l’influence déter-
minante, d’en rechercher les fondements juridiques et les finalités dans
­l’appréciation de la sincérité du scrutin.

A - LA NOTION DE SINCÉRITÉ DU SCRUTIN

La notion de sincérité du scrutin a pour unique objet de préserver


la volonté des électeurs. Le juge doit vérifier que le vote du corps élec-
toral, qui n’est autre que la traduction matérielle de sa pensée, n’a pas été
trompé ou modifié par des agissements ou des manœuvres frauduleuses.
C’est pourquoi la régularité des opérations électorales n’est pas une fin en
soi mais seulement un critère permettant d’apprécier la sincérité globale
d’une élection21.
Il convient de souligner que la mission du juge électoral n’est donc pas
de s’assurer que la réglementation a fait l’objet d’une stricte application

20. J.‑P. Camby, Le Conseil constitutionnel, juge électoral, Sirey, Paris 2009, p. 80.
21. B. Maligner, op. cit., p. 75.

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mais de vérifier que la sincérité du scrutin a été préservée et que l’élec-


teur a clairement et librement manifesté sa volonté. C’est pour cela que
les infractions au Code électoral donneront donc lieu à l’annulation de
l’élection à la seule condition qu’elles aient pu par leur gravité, leur répé-
tition ou leur nature, porter atteinte à la liberté et la sincérité du scrutin ;
et donc à la liberté de choix des électeurs22. L’annulation n’est donc pas
dictée par le nombre d’irrégularités, ni même — contrairement à ce que
l’on pourrait penser — par leur gravité intrinsèque, mais en raison de
l’impossibilité d’attester de la réalité des résultats électoraux23.
La méthode utilisée par le juge électoral est qualifiée de réaliste car
elle ne vise pas seulement à rechercher et à sanctionner les irrégularités.
Le juge s’attache uniquement à vérifier que les résultats des opérations
électorales n’ont pas été modifiés par des faits altérant la sincérité du
scrutin24.
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Ainsi en délaissant le terrain de la régularité des opérations électorales
au profit de la seule sincérité du scrutin, le juge se pose non en gardien
de la loi électorale — mais en garant de l’expression démocratique25. De
la sorte, il n’est plus tant la « bouche de la loi » que celle du suffrage.
Reste qu’il ne faut pas laisser penser que la mission du juge est réduc-
tible à la seule bonne fin du processus démocratique qui fait de lui la
voix des électeurs26. Le juge de l’élection assume aussi une mission plus
classique, proprement juridictionnelle, celle d’arbitre entre deux parties
qui en appellent aux juges pour trancher leur litige. Or cet arbitrage juri-
dictionnel, conditionné par la théorie de l’effet utile, se fonde non sur la
loyauté mais, plus modestement, sur l’équité de la compétition électorale
et révèle en conséquence une approche restrictive de la mission du juge ;
quitte à mettre au second plan la protection des électeurs27.
Toute la question est alors de savoir ce qui permet de garantir cette
sincérité du scrutin. Et il faut bien reconnaître, qu’ici, la réponse n’est pas
aisée tant les cas retenus par la jurisprudence du Conseil constitutionnel
marocain sont nombreux et variés. En réalité, en y regardant de près,

22. Décision du CC marocain n° 646/2007 ; voir également la décision du CC marocain


n° 706/2008.
23. C. Parent, « Office du juge constitutionnel », RDP, n° 5-2011.
24. Comme le souligne Laurent Burdeley en matière électorale, le juge est tenu d’adopter
des solutions ou priment le réalisme. En effet, le juge se trouve face à un dilemme puisqu’il
doit sanctionner les irrégularités sans remettre trop souvent en cause le résultat des urnes.
Une attitude trop rigide lui imposerait d’annuler de très nombreuses consultations, ce qui
consisterait à soigner un mal par un autre qui serait aussi préjudiciable à la démocratie. Ainsi
Marcel Waline affirme : « si l’on voulait annuler toutes les élections ou n’ont pas été scru-
puleusement respectées les prescriptions légales relatives à l’affichage électoral, c’est presque
toutes les élections qu’il faudrait annuler » in L. Favoreu et L. Phillip, Grandes décisions du
Conseil constitutionnel, Dalloz 14e éd., 2007, p. 17.
25. C. Parent, op. cit.
26. L. Phillip, « Le Conseil constitutionnel, juge électoral », Pouvoirs, n° 13, 1980.
27. J.‑P. Camby, op. cit. p. 102.

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on s’aperçoit que cette notion en apparence éclatée trouve son unité


autour du principe de l’égalité, la liberté du vote, la loyauté du scrutin, la
moralité et la dignité du scrutin. Ces principes sont d’ailleurs si impor-
tants qu’ils font l’objet, dans la plupart des démocraties respectueuses de
l’État de droit d’une consécration constitutionnelle.

B – LES PRINCIPES GARANTS DE LA SINCÉRITÉ DU SCRUTIN

La démocratie ne se conçoit pas sans des élections respectant les prin-


cipes sur lesquels repose le droit électoral. Les cinq principes du patri-
moine électoral européen sont le suffrage universel, égal, libre, secret et
direct ainsi que la périodicité des élections. S’inscrivant dans la même
lignée que ses congénères européens, le juge constitutionnel marocain se
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livre à des analyses de sincérité en se prononçant sur des droits politiques
– ceux des électeurs, des éligibles et des élus — en vue de rétablir à tout
prix la vérité électorale par le biais de la mise en place de l’égalité et
de la liberté qui doivent gouverner toute l’opération électorale. D’autres
principes récemment répertoriés par le juge constitutionnel viennent les
compléter, à savoir, ceux de loyauté, de moralité du scrutin et de dignité
du scrutin.
Quelle est donc la portée de ces principes, leur contenu et finalité.
Celles-ci peuvent être identifiées que par un examen minutieux de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel et des situations de fait qui en
sont à l’origine.

1 – Le principe d’égalité
D’une manière générale, le principe d’égalité joue un rôle majeur dans
la conception démocratique de l’État de droit, comme l’atteste la place
que le Conseil constitutionnel marocain lui accorde dans sa jurisprudence.
À ce niveau, le juge constitutionnel resserre les mailles de son contrôle
pour éviter tout arbitraire ou atteinte au principe d’égalité.
L’égalité se traduit donc doublement en matière électorale puisqu’elle
concerne à la fois les acteurs en jeu notamment les électeurs (a) et les
candidats (b). Leur respect doit être de rigueur afin de permettre à ces
derniers de s’organiser pour accomplir leurs droits civiques.
a) L’égalité des candidats
Le principe d’égalité des candidats connaît de nombreuses applications
dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel marocain. Les exemples
étant infinis, autant ne s’en tenir qu’à quelques illustrations.
Ce principe a été mis en valeur par le Conseil à raison du refus de
l’autorité administrative d’inscrire un candidat ayant obtenu gain de cause

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devant le tribunal de première instance. Le Conseil constitutionnel consi-


dère que le refus de l’autorité locale en la personne du gouverneur d’appli-
quer une décision judiciaire annulant sa propre décision constitue une
violation manifeste d’un « droit fondamental garanti par la Constitution
et les lois qui la complètent, outre le fait qu’exclure irrégulièrement un
candidat de la concurrence électorale est susceptible de porter préjudice
au libre choix des électeurs et à la crédibilité du scrutin »28.
Attendu que ces agissements portent une atteinte injustifiée et discri-
minatoire à l’égalité des candidats des formations politiques et au libre
choix par les citoyens de leurs représentants. De telles prises de position
ne peuvent qu’être de nature à renforcer la crédibilité du juge constitu-
tionnel et à rassurer les acteurs du jeu électoral quant à sa capacité à tenir
en respect les acteurs qui foulent aux pieds les règles électorales29.
L’importance d’une telle décision dans la consolidation de la démo-
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cratie est de taille dans la mesure où le juge constitutionnel ne peut nul-
lement contribuer au renforcement de la démocratie et à la construction
de l’État de droit qu’à partir du moment où il bénéficie de la possibilité
de s’opposer au pouvoir en place notamment le pouvoir judiciaire.
b) L’égalité des électeurs
L’égalité entre les électeurs constitue un autre principe sur lequel le
Conseil constitutionnel marocain insiste dans ses décisions. Ainsi, la pro-
longation dans la même circonscription, le vote dans certains bureaux en
excluant d’autres, porte atteinte au principe d’égalité entre électeurs et de
chance entre candidats. Mais il faut préciser que cela ne peut donner lieu
à annulation du scrutin que si l’écart des voix entre l’élu et son concurrent
est étroit en sorte qu’il a une influence sur les résultats.
Un bon exemple de cette illustration nous est donné par la déci-
sion du Conseil n° 70-95 du 3 avril 1995. Le Conseil constitutionnel
a considéré que l’écart était de 98 voix tandis que la non-prolongation
du scrutin dans les bureaux a révélé la non-participation de 1774 élec-
teurs, ce qui avait une influence décisive sur le scrutin. On constate donc
que l’égalité entre électeurs constitue un revirement jurisprudentiel sans
précédent. Il imprègne le raisonnement du juge constitutionnel dans le
­dessein d’assurer une véritable représentativité politique des citoyens.
Des décisions similaires témoignent de son audace en veillant au respect
des règles d’équité, d’égalité des conditions de la compétition électorale
entre candidats30.
Le juge accomplit ici une tâche difficile qui consiste à veiller à ce que
ne se produisent pas de ruptures d’égalité flagrantes entre les candidats.

28. Voir dans ce sens les décisions du CC marocain n° 185-98 et n° 401/2000.


29. Voir également les décisions du CC marocain n° 795, 796 et 800/2010.
30. Il en est le cas des décisions du CC n° 72/95, n° 253/98 et n° 404/2000

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 445

Pour réaliser cette mission, il a dû faire preuve d’adaptabilité : « souvent


confronté à l’imprécision du droit écrit, le juge a été contraint de forger quelques
règles d’éthique pour lesquelles il a entendu conserver une marge d’appréciation
certaine, liée aux circonstances de chaque espèce »31.
Jean Pierre Camby souligne qu’« en réaffirmant le principe de l’égalité de
traitement, le juge électoral marque également le caractère précis de son contrôle,
étendu aux circonstances concrètes qui, seules permettent d’assurer l’effectivité de
cette égalité des chances dans la compétition électorale »32. Selon Jean-Claude
Masclet, c’est dans le domaine de la rupture d’égalité entre les candi-
dats, et précisément dans les moyens de propagande dont ils disposent
aujourd’hui, qu’apparaît avec le plus de clarté le divorce entre le droit
et la réalité33. Lorsque le juge brandit le principe d’égalité, il se réfère
aux dispositions écrites censées assurer son respect mais il doit aussi faire
preuve de créativité pour sanctionner les atteintes non répertoriées et qui
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sont susceptibles d’entacher la sincérité du scrutin34. De cette manière le
juge se délie des règles écrites pour les réajuster à des situations qu’elles
n’avaient pas prévues. Cette méthode semble donc correspondre à l’un des
critères de création d’un principe général du droit.

2 – Le principe de la liberté des électeurs


Le principe de liberté est, quant à lui, plus difficile à cerner que le
principe d’égalité car il n’est pas évident de déterminer le sens qui doit
être donné à la notion de liberté en matière électorale et à qui elle doit
s’adresser ?
En fait, la liberté doit ici s’appréhender très largement35 car elle
constitue un élément majeur de la démocratie36. Elle s’adresse à la fois aux
électeurs37 et aux candidats38. Les premiers doivent pouvoir se prononcer
en dehors de toutes contraintes et d’assumer pleinement les résultats des
votes. Les seconds39 doivent pouvoir postuler aux fonctions électives sans
que l’appareil étatique n’entrave leur volonté. Ainsi pour que le scrutin

31. L. Burdeley in S. Gauthier, Le juge judiciaire, juge électoral, vers une harmonisation du
contentieux de l’élection, PUAM, 2007 p. 505
32. J.‑P. Camby, « L’utilisation des listes électorales à des fins de propagande » op. cit., p. 20
33. J.-C. Masclet, Droit des élections politiques, op. cit., p. 74
34. L. Philip, « Les attributions et le rôle du Conseil Constitutionnel en matière d’élections
et référendums », RDP, 1962, p. 69 : « La loi est souvent incomplète et n’interdit pas cer-
taines pratiques susceptibles d’altérer la liberté ou la sincérité de l’élection ».
35. J.-C. Masclet, Le droit des élections politiques, op. cit., p. 8
36. B. Genevois, « Le nouveau rôle du juge de l’élection », op. cit., p. 77 : « L’office du juge
de l’élection est de vérifier si telle irrégularité a été ou non de nature à altérer la liberté ou la
sincérité du scrutin ».
37. J.-C. Masclet, Droit électoral, op. cit., pp. 268-270
38. J.‑P. Camby, « La liberté ou la sincérité du scrutin » op. cit. p. 25
39. Il convient à cet égard de rappeler que la mise en œuvre du principe de liberté pour les
candidats se confond assez largement avec celui de l’égalité.

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446 Adil Moussebbih

soit sincère, il est indispensable que les électeurs pris dans leur ensemble
soient à l’abri de toute pression de l’État et plus généralement de l’auto-
rité publique. Cette garantie de liberté passe par la neutralité et l’objecti-
vité de l’État et le libre choix de la volonté du corps électoral. L’État a une
mission d’organisation des élections, et du bon déroulement du scrutin et
ne doit nullement faire pencher la balance au profit de tel ou tel candidat
ou de telle ou telle formation politique que ce soit de manière directe ou
indirecte.
a) La liberté du suffrage à travers la neutralité de l’État
La libre expression de la volonté des électeurs exige de l’État non
seulement qu’il s’abstienne de faire pression sur les électeurs pour qu’ils
votent d’une manière ou d’une autre, mais surtout qu’ils prennent toutes
les mesures nécessaires au bon déroulement du scrutin.
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Cependant la libre formation de la volonté des électeurs peut être
violée si l’autorité contrevient à son devoir de neutralité40. Une grande
panoplie de dispositions de la loi organique relative à la chambre des
représentants41 et du code électoral42 est destinée à garantir la neutra-
lité de l’administration et à empêcher les corruptions et autres violences
destinées à perturber le déroulement du scrutin ou à fausser son résultat.
Il ressort des textes que le juge dispose d’une marge de manœuvre impor-
tante pour rechercher et sanctionner les atteintes qui pourraient entacher
la validité de l’élection. Le caractère souvent imprécis des dispositions
textuelles lui laisse un large pouvoir d’appréciation pour identifier et
caractériser les irrégularités ; elles reflètent aussi fortement les limites du
rôle du pouvoir législatif en matière électorale. L’inhérente faiblesse des
dispositifs pour contrer certains agissements a eu pour conséquence de
favoriser l’extension des attributions laissées à la haute juridiction. Cette
dernière est venue pallier les involontaires mais également les inévitables
lacunes textuelles43.
Force est de constater que l’intervention de l’administration dans
la propagande électorale et dans le déroulement du scrutin est souvent
déboutée par le Conseil constitutionnel marocain qui considère que les
requêtes des plaignants sont démunies de preuves ou que celles-ci n’ont
pas pu avoir sur les électeurs une influence de nature à porter atteinte à la
liberté et à la sincérité du scrutin.
Plusieurs requêtes font état d’une implication des autorités dans
l’achat des voix44 ou, soudoiement et pression sur les électeurs45, campagne

40. Décision du CC marocain n° 399/2000.


41. Art 54 de la LO CR 27/11 relative à la Chambre des représentants.
42. Art 53 du Code électoral marocain.
43. S. Gauthier, Le juge judiciaire, juge électoral, PUAM, 2007 p. 250.
44. Décision du CC marocain n° 704 en date du 28 mai 2008.
45. Décision du CC marocain n° 680/2008 CC du 11 mars 2008.

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 447

électorale fortement bouleversée par les partisans du candidat élu46 et uti-


lisation de la violence à des degrés variables. Le juge repousse ces griefs
pour différents motifs. Tel est le cas des procès-verbaux où aucune obser-
vation concernant cette intervention n’est mentionnée47 ; ou le requérant
ne fournit aucune preuve quant à l’utilisation des moyens ou matériel
appartenant à la commune48 ou lorsque la nomination des membres de
la commission de recensement parmi les fonctionnaires de la préfecture
n’a pas été jugée incompatible avec le principe de neutralité de l’admi-
nistration49 ou enfin il est considéré que les déclarations ne peuvent, à
elles seules, constituer des preuves à l’appui du moyen invoqué50. Pour le
Conseil, il n’est pas établi que les opérations électorales ont été troublées
par des manœuvres ou des pressions de nature à porter atteinte à la liberté
et à la sincérité du vote des électeurs.
En revanche d’autres décisions où le juge a reconnu le bien-fondé des
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griefs. La décision 646/2007 en est une parfaite illustration. En l’espèce,
le Conseil a affirmé que la présence d‘agents de l’administration dans les
bureaux de vote est une « atteinte au principe même de la démocratie ». Cette
décision peut être qualifiée de hardiesse puisqu’elle constitue l’une des
décisions phares où le Conseil avait incombé la responsabilité à l’adminis-
tration dans son emprise sur le libre choix des électeurs.
b) La protection de la liberté de l’électeur : une garantie à la sincérité du scrutin
La sincérité du vote est le corollaire évident de la liberté du vote. On
ne peut attester de la sincérité du scrutin que si l’on est en mesure de
connaître clairement le choix, et donc la volonté, de l’électeur. L’expression
du suffrage ne doit être altérée par aucun facteur quel qu’il soit. Le droit
électoral doit être envisagé comme un droit réaliste51. Le principe qui le
domine est que le juge doit contrôler si l’électeur a clairement et libre-
ment manifesté sa volonté52. La libre expression de la volonté des électeurs
a pour objet de garantir le caractère facultatif du vote et une protection
à l’égard des pressions qu’ils peuvent subir, celles-ci pouvant être autant
morales que physiques.
Le soudoiement est l’un des grands facteurs d’altération de la sincé-
rité du vote. Les exemples sont infinis, il suffit d’en donner ici quelques
illustrations : mobilisation par l’élu dont l’élection est contestée d’un

46. Décision du CC marocain n° 337/1999 du 20 février 1999.


47. Décisions du CC marocain nos 252/1999 et 381/1999.
48. Décisions du CC marocain n° 191 en date du 20 mars 1998.
49. Décisions du CC marocain n° 580 en date du 4 juillet 2004.
50. Décisions du CC marocain nos 771/2009, DC n° 309/2000…
51. B. Stirn, « Rumeurs calomnieuses et régularité des élections », conclusions sur CE,
section, 18 mai 1990, élections municipales de Saint Vincent-de Paul, p. 807.
52. L’électeur doit être en mesure d’effectuer son vote en toute conscience et en suivant sa
seule volonté.

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448 Adil Moussebbih

groupe de personnes ayant des précédents judiciaires en vue d’user de


la violence, à l’encontre de ses adversaires et d’imposer son hégémonie
sur la région, ce qui a créé un climat malsain ayant empêché les élec-
teurs de voter librement53 ; annulation des résultats du scrutin par le juge
constitutionnel lorsqu’il dispose des preuves fournies par les requérants
et vérifiées par la police judiciaire lors des procès relatifs aux élections
sur l’usage de la menace, de la pression et des moyens frauduleux par
les partisans du candidat élu, ce qui a influencé le libre choix des
électeurs, constituant par conséquent un alibi pour l’annulation de
l’élection54… etc.
Ainsi, il convient de souligner que le libre choix et la libre volonté des
électeurs sont protégés par le souci constant du juge électoral de contre-
carrer les manœuvres, les fraudes et divers actes d’intimidation et de cor-
ruption. Il a la lourde et périlleuse tâche de déjouer les multiples procédés
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par lesquels la volonté du corps électoral peut être faussée voire dénaturée
ou destinée à induire en erreur les électeurs ou à les tromper à quelque
moment que ce soit du processus électoral.
Ces exemples jurisprudentiels permettent d’apprécier clairement
l’étendue de la mise en œuvre du principe de liberté. Tous les domaines
de l’élection peuvent être contrôlés au regard de ce principe qui,
constitue sûrement le rempart essentiel contre les atteintes portées à
la démocratie.

3 – La loyauté et la dignité
Nous sommes ici sur un terrain moins technique et plus subjectif que
les deux principes précédemment cités.
S’agissant tout d’abord du premier principe, il est bon de rappeler
que dans une démocratie, l’élection n’est pas un combat mais plutôt
une compétition où chaque concurrent doit se comporter d’une manière
loyale. Autrement dit, la loyauté semble être une règle fondamentale
qui doit encadrer la propagande électorale et qui interpelle le juge à en
assurer le respect.
Indépendamment des actes de violence qui ne sauraient être admis,
le juge attend des candidats et plus largement de tous les participants
au processus électoral (électeurs, administration, partis politiques…)
qu’ils se comportent loyalement55. En dépit de la passion qui caractérise
la période électorale, il y a des limites que la polémique électorale ne
doit pas dépasser. C’est sur le contenu des tracts que la jurisprudence du
Conseil constitutionnel se prononce le plus.

53. Décision du CC marocain n° 738/2009 en date du 18 février 2009


54. Décision du CC marocain n° 363/2000 rendue le 18 janvier 2000
55. B. Maligner, Droit électoral, Ellipses, 2007, p. 885

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 449

Les moyens les plus utilisés sont de nature très différente : il peut
ainsi s’agir de tracts qui ont vocation à diffuser les fausses informations à
caractère politique destinées à tromper l’électeur56 : fausses déclarations
de soutien, fausses déclarations du candidat… sont malheureusement des
techniques utilisées en période électorale et dont le caractère déloyal ne
fait pas de doute.
De la même manière, dans sa décision n° 888-2012 rendue le
29 ­septembre 2012, le Conseil constitutionnel marocain considère que
la communication de fausses informations sur les aptitudes scientifiques
et professionnelles d’un candidat constitue une manœuvre frauduleuse
tendant à induire en erreur les électeurs et qui est incompatible avec le
principe de la liberté, de la loyauté du scrutin appelant ainsi à l’annula-
tion de l’élection de l’intéressé en tant que membre de la Chambre des
représentants.
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La haute juridiction énonce que ces agissements conduits par le can-
didat élu sont incompatibles avec les principes d’honnêteté et la loyauté
du scrutin et ont été de nature à porter atteinte à la liberté des électeurs57.
Cette jurisprudence nous semble être novatrice puisqu’elle évoque un
principe général nouveau non consacré par la Constitution. L’énonciation
du principe de la loyauté peut aussi s’expliquer par la volonté du juge de
clarifier les fondements de ses décisions. Si ce principe se trouve rattaché
à celui de la liberté, il aurait pu directement s’y référer sans donner plus
de détails. Il exprime un nouveau pan du contrôle qu’il réalise sur le fon-
dement du principe de liberté.
Un autre principe « pilier » dans la jurisprudence du Conseil consti-
tutionnel marocain de 2011 est le principe de la dignité du scrutin.
Concept habituellement attaché à la personne humaine, ce principe
n’est explicitement prévu par aucun texte, mais il est consubstantiel au
bon fonctionnement de la démocratie. Aussi le Conseil constitutionnel
s’est-il fondé sur une atteinte à la « dignité du scrutin et à l’honneur du
­candidat» pour annuler les résultats du scrutin.
Il s’agit en l’occurrence de la décision 934/2014 rendue le 18 février
2014 à l’occasion du scrutin partiel qui s’est déroulé le 3 octobre
2013 dans la circonscription électorale de « Moulay Yacoub » (province
de Moulay Yacoub). Cette décision peut être qualifiée de prouesse. Elle
constitue l’une des décisions phares où le Conseil fait face à la médiocrité
du contenu du discours politique. Le requérant (PJD58) a obtenu l’annu-
lation de l’élection de l’élu Istiqlalien à Moulay Yaacoub dans le cadre de
l’élection partielle qui a eu lieu le 3 octobre 2013. Le plaignant avance
plusieurs griefs parmi lesquels figurent des actes qui portent atteinte

56. Décision du CC marocain n° 888-2012 rendue le 29 septembre 2012


57. Voir également la décision du CC marocain n° 874/2012 du 06 septembre 2012
58. Parti de la justice et du développement.

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450 Adil Moussebbih

à sa réputation et à celle du secrétaire général du parti au nom duquel il


se présente. Le vocabulaire utilisé notamment durant le meeting de ladite
Circonscription, incitait à la haine.
En guise de preuve, le plaignant a présenté à la haute juridiction,
un Cd-Rom retraçant la campagne électorale de l’élu dont l’élection est
contestée et qui pour sa part n’a pas réfuté la véracité de l’enregistrement.
En visionnant le CD, le Conseil constitutionnel a relevé la diffama-
tion, les invectives et propos avilissants contenus dans le discours tenu
par Hassan Chehbi à l’encontre de Mohamed Youssef et Abdelilah
Benkirane. A été prise en considération également, l’insolence des slogans
clamés par l’assemblée présente. Des slogans répétitifs et déplacés sans
qu’aucun membre du parti organisateur du meeting n’ait eu la sagesse
d’endiguer cette violence verbale qualifiée par le Conseil de scandaleuse
et inadmissible.
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Pour les sages, l’esprit de concurrence, propres aux périodes électorales
ne doit en rien outrager les règles de respect et de dignité. Il en va des
principes de la liberté d’expression et de la critique autorisée durant la
campagne.
Par ailleurs, le Conseil relève l’aspect négatif de ce genre d’exercice et
considère que le langage irrévérencieux et les insinuations à connotation
péjorative sont à bannir de la scène politique. Il décide alors de mettre un
terme aux incartades de nos politiciens.
Ces écarts de conduite, aux yeux du Conseil, peuvent compromettre
l’encadrement politique des citoyens et leur participation à la vie poli-
tique. Une mission pourtant attribuée par la Constitution aux partis
politiques. L’article 7 de la loi suprême et l’article 118 de la loi 57-11
relatives aux listes électorales générales proscrivent l’atteinte à la dignité
humaine et à la vie privée ainsi que la mise en danger délibérée de la
personne d’autrui durant les programmes des campagnes électorales. Le
Conseil rappelle, par cette décision, que les règles en vigueur en matière
d’utilisation des médias publics restent de mise au niveau des meetings
politiques.

4 – Le principe de la moralité électorale


Le droit électoral est-il saisi par la morale ? Si la question paraît sin-
gulière, elle répond à un constat. Est-ce que le juge constitutionnel maro-
cain à l’instar de son homologue français peut franchir le Rubicon et
rendre des jugements allant jusqu’à assumer une fonction morale59 ?
En effet, l’analyse de la jurisprudence de la juridiction constitution-
nelle française montre qu’elle est marquée par un « aspect moralisateur ».

59. N. Bernoussi, op. cit.

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 451

Ainsi, dans plusieurs de ses décisions, le juge constitutionnel français,


s’affranchissant du cadre électoral, fait des condamnations morales. Ces
dernières apparaissent dans le qualificatif « pour regrettable » qu’elles
soient, « pour condamnable qu’il soit », et faute d’avoir eu une influence
déterminante sur les résultats, ne peut altérer la sincérité du scrutin60.
Pour autant, si on peut facilement se satisfaire de cette indulgence à
l’égard d’infractions mineures, un tel mariage de décisions de rejet et de
condamnations morales devient intenable lorsque les reproches au juge
deviennent acerbes61.
Le tract est perçu comme un élément non dissociable de l’ensemble de
la campagne et la possibilité de réponse qui s’offre aux candidats pour y
répondre. C’est une jurisprudence qui est fondée sur l’analyse de la diffu-
sion dans un contexte qui est celui d’une campagne électorale où prime le
principe de la liberté d’expression.
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Le juge électoral, est très souvent confronté à la délicate question de la
nécessaire conciliation entre les principes du droit électoral notamment
la sincérité du scrutin et la libre expression du corps électoral. Selon le
Professeur Ghevontian, le respect de la liberté d’expression, qui constitue
aux dires répétés comme un leitmotiv de la Cour européenne des droits de
l’homme « est une exigence absolue voire l’un des fondements essentiels
de la société démocratique62. »
Contrairement à son homologue français, le juge constitutionnel
marocain est dispensé de faire toute condamnation morale de certains
comportements. L’examen de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
marocain révèle que les candidats ont le droit – de par la loi — d’user
d’une large liberté de propagande électorale sans pour autant transgresser
les normes et la moralité électorale, sinon l’élection est annulée.
Le Conseil précise que le non-respect de ces règles consiste à détourner
les suffrages des électeurs par des moyens contraires à la loi63. Le Conseil
a annulé l’élection lorsque le candidat élu use d’expressions injurieuses et
diffamatoires au cours de la campagne électorale. À ce propos, le Conseil
constitutionnel rappelle « que la loi organique relative à la chambre
des représentants a consacré des règles substantielles dans le domaine des
normes et de la moralité électorale. Elle accorde aux candidats concur-
rents une large liberté de propagande électorale, qu’elle a entourée de
garanties, et qui ne serait enfreinte que par l’abus viciant les élections par
des manœuvres frauduleuses afin d’influencer les électeurs et la liberté du
scrutin ».

60. CC, décis. n° 88-1072 du 21 octobre 2007, AN, Hauts de seine (6e circ.)
61. CC, décis. n° 67-432 du 29 juin 1967, AN, Indre (1re circ.)
62. R. Ghevontian, Dossier : « La liberté d’expression et de communication », Nouveaux
cah. Cons. const. n° 36, juin 2012.
63. Décision n° 393/2000 du 3 mai 2000, RCC, n° 2/2002, p. 240-244.

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452 Adil Moussebbih

Ainsi, le juge constitutionnel dans ce cas d’espèce a fait preuve de


rigueur pédagogique en restant ferme aux exigences démocratiques quand
il a considéré que le contenu des tracts distribués à l’ensemble des élec-
teurs, pendant la campagne électorale, par les expressions injurieuses et
diffamatoires de trahison, qu’il contient, sans tenir compte de ce qu’elles
sont vraies ou non, s’est écarté des normes et de la moralité électorale
pour constituer des manœuvres frauduleuses tendant à vicier l’opération
électorale et à influencer les électeurs afin de détourner leurs suffrages par
des moyens contraires à la loi.
Sont donc réprouvés les excès de langage non seulement lorsqu’ils ont
donné lieu à une condamnation pénale64, mais encore les propos inju-
rieux65, diffamatoires et même les allégations mettant en cause la mora-
lité et l’honnêteté des candidats. À ce titre, ne sauraient être admises des
imputations personnelles visant un candidat avec des tracts contenant
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des propos excessifs, outrageux et avilissants relatifs aux origines ou à
l’honorabilité d’un candidat ou moyennant des actes de harcèlements et
sévices de la part des partisans de l’élu. Selon le Conseil, ces actes qui sont
destinés à discréditer un candidat auprès de l’électorat constituent des
pratiques contraires à la loyauté et à la crédibilité du scrutin66.

C – LE PRINCIPE DE L’INFLUENCE DÉTERMINANTE, UNE TECHNIQUE


CARACTÉRISANT LE CONTENTIEUX ÉLECTORAL

Le principe de l’influence déterminante est avant tout une technique


de jugement qui sert de ligne directrice pour le juge et qui lui rappelle
avec insistance la spécificité du contentieux qu’il est amené à traiter. Pour
comprendre cette technique, il est nécessaire de se plonger au cœur des
enjeux du contrôle de l’élection. C’est en effet la spécificité du conten-
tieux électoral qui justifie l’utilisation du principe de l’influence déter-
minante (1). Cependant, seule une étude de sa mise en œuvre permet de
mesurer la lourde responsabilité qu’elle fait peser sur le juge électoral (2).

1. Une technique justifiée par la spécificité du contentieux électoral


L’originalité du contentieux électoral résulte du fait que le juge n’est
pas tenu de sanctionner toutes les irrégularités67. La matière électorale
étant à l’origine de cette spécificité, il est intéressant d’en expliquer les
causes pour comprendre la mise en œuvre de la technique de l’influence

64. Décision du CC marocain n° 363 en date du 18 janvier 2000.


65. Décision du CC marocain n° 704/2008 CC du 28 mai 2008
66. Voir dans ce sens la décision du CC marocain n° 393/2000
67. L. Phillip, Le contentieux des élections aux assemblées politiques françaises, LGDJ 1961,
p. 70 et s.

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 453

déterminante. Cette dernière tente de répondre aux antagonismes du


contrôle électoral (a) et permet d’apprécier la sincérité du scrutin (b).
a) Une réponse appropriée aux antagonismes du contrôle électoral
Le contentieux des élections doit être traité avec une attention par-
ticulière car cette matière présente une différence fondamentale avec la
majorité des autres contentieux68. Le juge doit ici contrôler un processus
démocratique, c’est-à-dire qu’il doit s’assurer que le choix du corps élec-
toral n’a pas été altéré. Le contrôle qu’il opère constitue le dernier rempart
contre les atteintes à la démocratie et présente une véritable particula-
rité. En effet, le droit électoral impose au juge de se conformer à certains
impératifs. D’une part, il doit sanctionner les irrégularités, d’autre part,
il doit modérer ses ingérences afin de ne pas compromettre trop souvent
le processus démocratique69.
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Le juge électoral se voit donc attribuer deux missions qui peuvent
paraître antagonistes puisqu’il doit garantir la sincérité des résultats du
scrutin tout en limitant ses interventions dans les consultations. Le pre-
mier de ces objectifs est classique car il consiste à savoir « si les person-
nalités dont l’élection est contestée ont bien été librement choisies par le
corps électoral70 ». Quant au second, il est inhérent à la matière électorale
et impose au juge de se montrer moins rigoureux et plus pragmatique.
L’annulation de toutes les élections entachées d’irrégularités risquerait de
faire vaciller l’ensemble du processus électoral. Au regard de la difficulté
de mobiliser le corps électoral et du coût de l’organisation du scrutin,
autant pour les contribuables que pour les candidats, le système, tel qu’il
se présente aujourd’hui, se trouverait en grande difficulté.
De ce fait, le rôle du juge électoral se trouve donc compliqué par
la nature même de la matière qu’il est en charge de contrôler. S’il se
comporte de façon trop complaisante, il risque d’encourager la fraude et
les résultats des consultations peuvent s’en trouver affectés ; s’il effectue
un contrôle trop minutieux, il est conduit à remettre en cause nombre de
scrutins où il a pu constater des anomalies, ce qui nécessitera d’organiser
une nouvelle consultation avec toutes les conséquences qui en découlent
(coût exorbitant, mobilisation des moyens humains et matériels…). Dans
les deux cas, le juge électoral serait la cible de critiques puisqu’il porterait
finalement atteinte au processus démocratique.

68. F. Delpérée, Le contentieux électoral, op. cit., p. 5 : « Le contentieux électoral, n’est cepen-
dant, pas un contentieux comme les autres. Le temps, l’espace, l’action ne se présentent pas
ici comme ailleurs ».
69. Jean-Yves Vincent et Michel de Villiers, Code électoral, Litec, Paris, 7e éd 2004, Introduction,
p. XVIII : « On peut comprendre que le juge hésite à remettre en cause une élection qui parait
acquise malgré les irrégularités, voire les fraudes commises-et le désintérêt de la chose publique
qui transforme l’électeur en abstentionniste ne peut que renforcer sa circonspection ».
70. L. Phillip, Le contentieux des élections aux assemblées politiques françaises, op. cit., p. 135.

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454 Adil Moussebbih

Il faut noter que l’application du principe de l’influence détermi-


nante est celle qui soulève les critiques les plus acerbes formulées à
l’encontre du juge électoral. La jurisprudence électorale de « l’effet
utile » comporte à cet effet un nombre hypertrophié de décisions où
la haute juridiction après avoir reconnu l’existence d’irrégularités
estime que ces irrégularités n’ont pas une influence sur le résultat
du scrutin71.
Cette technique peut avoir un effet pervers puisque le juge se
montre très réticent à annuler des scrutins irréguliers dont les résul-
tats font apparaître un grand écart de voix, cela peut inciter certains
candidats peu scrupuleux à utiliser des moyens illégaux qui leur confé-
reraient une confortable avance. Cette dernière devant théoriquement
les mettre à l’abri de toute annulation. Plusieurs auteurs dénoncent ce
risque de dérive. Pour Bernard Maligner, « Cette jurisprudence incite
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les fraudeurs à faire toujours plus, de manière à créer un grand écart de
voix72 ». Quant à Dominique Rousseau, il pense que « Plus la fraude
est importante, plus elle est productive de voix et plus l’élu se met
à l’abri d’une annulation73 ». Enfin, François Luchaire souligne que
« Toute élection acquise à une faible majorité devient suspecte et le
contrôle du juge paraît dans ce cas plus minutieux. À l’inverse, une
élection acquise avec une confortable majorité est difficilement atta-
quable, sa présomption de sincérité est considérable puisque celle-ci se
mesure à l’importance de celle-là, le contrôle du juge paraît dans ce cas
beaucoup plus lâche74 ».
Certains qualifient de regrettables les décisions du juge électoral
basées sur l’utilisation abusive du principe de l’influence déterminante
et de l’écart des voix. Les recours systématiques à ces techniques altèrent
l’image du juge électoral. D’ailleurs, dans un témoignage récent portant
sur la vie interne du Conseil constitutionnel français, J. Robert exprime
le malaise résultant de l’application de ce principe. Il écrit à cet égard
que : « […] de toutes les missions confiées au Conseil constitutionnel, cette qui
m’a laissé, après neuf années de mandat, une curieuse impression de malaise, pour
ne pas dire un sentiment désagréable d’insatisfaction, est, à n’en point douter, le
contrôle de la régularité des élections législatives et présidentielles75 ».
Ces critiques sont néanmoins à modérer car le juge ne se laisse pas
totalement enfermer dans ces considérations lorsqu’il se trouve face à
une situation qui ne laisse aucun doute sur la réalité de la fraude. Il

71. Voir dans ce sens la décision du CC marocain n° 379/200 en date du 7 mars 2000.
72. B. Maligner, La fraude électorale, Economica, Paris, 1986, p. 50.
73. D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 389-390.
74. F. Luchaire, « Commentaire de l’article 60 de la constitution » in La constitution de la
République française, Economica, Paris, 1979, p. 749-750.
75. J. Robert, La garde de la République. Le Conseil constitutionnel raconté par l’un de ses membres,
Paris, Plon, 2000, p. 154.

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 455

prononcera l’annulation sur son intime conviction et redonnera la parole


aux électeurs76. Cette situation lui permet simplement de disposer
d’une méthode d’analyse pour se forger son opinion lorsqu’il éprouve
un doute. Le juge électoral apprécie souverainement les faits et les
preuves et le pousse à rechercher si les circonstances critiquées sont
de nature à avoir altéré d’une manière déterminante les résultats de la
consultation.
Le principe de l’influence déterminante ayant été précisé, il importe
d’en rechercher également ses fondements juridiques. Pour se faire, il faut
revenir sur les éléments antagonistes qui gouvernent ce contentieux et
qui ont été à l’origine de la consécration de ce principe.
b) Une technique d’appréciation de la sincérité du scrutin
La sincérité du scrutin77 justifie la méthode d’analyse adoptée par
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le juge et, par là même, la possibilité de se référer à la technique de
l’influence déterminante. La sincérité du scrutin implique, que le résultat
de l’élection soit l’exact reflet de la volonté, exprimée par la majorité du
corps électoral. Elle est, sans doute, l’une des plus répandues du droit
électoral. Le juge électoral, quel qu’il soit, l’utilise très fréquemment
dans ses décisions et lui fait même jouer un rôle majeur puisque c’est
son respect ou son atteinte qui détermine, le plus souvent, le sort du
­contentieux en cours.
Plusieurs irrégularités fondées sur le principe de sincérité avaient
été retenues par le juge électoral. C’est en application du principe de
sincérité du scrutin que le Conseil annule une élection pour fraude.
Et l’on sait que sur ce plan, celle-ci peut couvrir une multitude de
domaines et, bien entendu, tout est question de preuves fournies par
le requérant et convaincantes pour le juge. Cela peut aller de la ferme-
ture prématurée des bureaux de vote78 jusqu’à la signature à blanc des
procès-verbaux que le Conseil a constatée suite à une enquête79, en pas-
sant par l’achat des voix80, la présence des agents de l’administration
dans les bureaux de vote81 et la différence entre les procès-verbaux des
bureaux de vote et ceux établis à la préfecture82. Le Conseil constitu-
tionnel n’a pas hésité à sanctionner ces pratiques qui, en plus de revêtir
un caractère déloyal, avaient pour effet de porter atteinte à la sincérité
de la consultation.

76. CC, décis. n° 81-936, 3 décembre 1981, AN, Paris, 2e circ.


77. R. Ghevontian, « La notion de sincérité du scrutin », Cah. Cons. const., n° 13, p. 63.
78. Décision du CC marocain n° 272-99 du 09 février 1999.
79. Décision du CC marocain n° 274-99 du 10 février 1999.
80. Décision du CC marocain n° 447/2000. Voir également les décisions du CC marocain
n° 646/2007 et n° 706/2008.
81. Décision du CC marocain 399-00 du 13 juin 2000
82. Décision du CC marocain n° 371-00 du 8 février 2000

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456 Adil Moussebbih

La sincérité donne au juge d’intervenir de manière pragmatique et glo-


bale sur les faits soumis à son contrôle83. Au-delà du respect des règles qui
gouvernent le droit électoral, le juge va pouvoir prendre en compte d’autres
éléments qui ont pu nuire à la sincérité du scrutin tels que la liberté du
scrutin, l’égalité et disposer d’un large pouvoir dans leur appréciation.
Le Conseil constitutionnel marocain prend soin de vérifier la matérialité
des faits quand c’est nécessaire. Il examine toujours si les fraudes commises
ont eu une influence déterminante sur les résultats du scrutin.
Il est à souligner que la mission du juge électoral n’est donc pas de
s’assurer que la réglementation a fait l’objet d’une stricte application mais
de vérifier que la sincérité du scrutin a été préservée. Le Professeur Phillip
affirme, à propos des attributions électorales de la juridiction constitu-
tionnelle, que « le Conseil constitutionnel n’est pas, comme on le pense
trop souvent, juge de la régularité de l’ensemble de l’opération électorale,
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mais uniquement juge de la régularité de la proclamation de l’élu84 ».
Le contentieux n’a pas la prétention de substituer le verdict au juge
au verdict de l’électeur. Il a des ambitions plus limitées. Il se donne pour
objectif de faire respecter des règles élémentaires de loyauté. De ce point
de vue, il entreprend de rectifier les erreurs, de corriger les irrégularités,
de faire respecter les règles de forme et de fond qui régissent le processus
électoral.
Cette approche oblige cependant le juge électoral à un exercice
délicat : estimer les effets des infractions sur les résultats de l’élection.
Le juge regarde avec attention, dans chaque cas, si le résultat reflète sin-
cèrement la volonté des électeurs. Ce résultat risque donc d’être d’autant
plus facilement altéré que l’écart de voix entre les candidats est faible ».
On constate donc que la subjectivité de la notion de sincérité est ainsi
contrebalancée par le recours à l’arithmétique. Cet état de fait étaye l’idée
du Professeur Ghevontian qui souligne le caractère substantiel de ce cri-
tère : « L’écart de voix est souvent un critère décisif. Un écart important
amortit ainsi considérablement les effets des irrégularités, sauf si celles-ci
sont massives85 ». Dans le même registre, Bruno Genevois relève que :
« L’office du juge de l’élection est de vérifier si telle ou telle irrégula-
rité a été ou non de nature à altérer la liberté ou sincérité du scrutin…
Le Juge dispose d’une marge d’appréciation. Il prend en compte l’ampleur
des irrégularités, les comportements respectifs des candidats en lice et
l’importance des écarts de voix les séparant86. ».

83. O. Henry, « La sincérité du scrutin outre-mer : observations sur les élections dans les
départements français d’Amérique », RFDA, 2002, p. 1054
84. L. Phillip, Le contentieux électoral, op. cit.
85. R. Ghevontian, obs. sous Conseil constitutionnel 97-2113, 20 février 1998, art préc.,
p. 56
86. B. Genevois, « Le nouveau rôle du juge de l’élection », in Revue Pouvoirs, n° 70, sep-
tembre 1994, p. 69-71

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 457

La méthode utilisée par le juge électoral est qualifiée de réaliste car


elle ne vise pas seulement à rechercher et à sanctionner les irrégularités.
Comme le souligne Laurent Burdeley en matière électorale, le juge est
tenu d’adopter des solutions où prime le réalisme. En effet, le juge se
trouve face à un dilemme puisqu’il doit sanctionner les irrégularités sans
remettre trop souvent en cause le résultat des urnes. Une attitude trop
rigide lui imposerait d’annuler de très nombreuses consultations, ce qui
consisterait à soigner un mal par un autre qui serait aussi préjudiciable à
la démocratie. En adoptant une telle attitude, il ne pourrait pas concilier
son activité de contrôle avec les autres impératifs qui gouvernent cette
matière87.
Pour mener à bien la lourde tâche qui lui incombe, le juge s’en remet
à la règle de l’influence déterminante. Toutefois, il ne le fait que lors-
qu’il a un doute, c’est-à-dire quand, de prime abord, il ne peut mesurer
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les conséquences des irrégularités sur la sincérité des résultats. Le prin-
cipe de l’influence déterminante émane donc des paramètres antagonistes
qui encadrent l’intervention juridictionnelle en matière d’élections poli-
tiques et c’est pour répondre aux contraintes de sa mission, qui lui impose
de ne s’attacher qu’à sanctionner les atteintes au principe de sincérité du
scrutin, qu’il a élaboré cette technique. Celle-ci peut apparaître comme
une « procédure » lui permettant une meilleure appréhension des faits
qui lui sont soumis sans pour autant lui ôter le large pouvoir d’apprécia-
tion dont il dispose. L’application de cette méthode d’analyse lui permet
de limiter considérablement les sanctions lorsque la volonté des électeurs
n’a pas été remise en cause.
Par l’utilisation du principe de l’influence déterminante, le juge
« paraît avoir défini dans sa jurisprudence une sorte d’équité électorale
faisant donc référence à la fois au fait et au droit88 ».

2 – La mise en œuvre de la technique de l’influence déterminante


Le principe de l’influence déterminante est une technique propre au
droit électoral. Le juge doit disposer pour la mettre en œuvre d’un large
pouvoir d’appréciation (a) puisque c’est à l’occasion du contrôle de la
validité du scrutin qu’il peut décider d’y recourir. La jurisprudence élec-
torale de la juridiction constitutionnelle va permettre d’illustrer sa mise
en œuvre (b).

87. M. Waline affirme : « si l’on voulait annuler toutes les élections ou n’ont pas été scru-
puleusement respectées les prescriptions légales relatives à l’affichage électoral, c’est presque
toutes les élections qu’il faudrait annuler », Préface, in L. Favoreu et L. Phillip, Grandes
­décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz 14e éd., 2007, p. XVII.
88. G. de Grandmaison et M.-F. Boulte, p. 58 in S. Gauthier, Le juge judiciaire, juge électoral,
vers une harmonisation du contentieux de l’élection, PUAM, 2007 p. 282.

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458 Adil Moussebbih

a) Un juge électoral bénéficiant d’une grande liberté pour juger les conséquences d’une
irrégularité
Le pouvoir d’appréciation dont jouit le juge électoral pour juger les
conséquences d’une irrégularité caractérise son travail et sa liberté d’éva-
luer les faits et les preuves. Il dispose d’une grande marge de manœuvre
pour apprécier les requêtes déférées devant lui. La démarche du Conseil
constitutionnel marocain est caractérisée par une logique finaliste et
s’appuie sur une appréciation réaliste des faits, ce qui le conduit toujours
à un examen des circonstances d’ensemble dans lesquelles s’est déroulée
l’élection. Le juge est notamment libre des moyens de former sa convic-
tion. Cette liberté est le résultat de la démarche adoptée par le juge et de
son raisonnement. Ainsi pour dégager l’impact d’un fait et pour en appré-
cier l’influence sur le cours de l’élection, il l’intègre dans son contexte et
le confronte à plusieurs données. Le résultat qu’il en tire diffère d’une
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élection à une autre ; ainsi l’application qu’il peut faire de la diffusion
d’un tract au cours de la campagne électorale ou d’une intervention de
l’administration diffère d’une affaire à une autre.
Le juge bénéficie surtout d’une grande liberté pour juger des consé-
quences d’une irrégularité constatée. La spécificité du contentieux élec-
toral fait qu’une irrégularité n’entraîne pas pour elle-même et de manière
automatique l’annulation de l’élection. Le juge se pose la question de
savoir si cette irrégularité aussi grave soit-elle a eu une influence sur le
résultat. Pour cela il se demande si les résultats seraient les mêmes dans
l’hypothèse où ces irrégularités n’avaient pas été commises89. Seules les
irrégularités de nature à influencer d’une manière déterminante le résultat
de l’élection sont retenues. Plus l’écart de voix est faible, plus les réper-
cussions de l’irrégularité sont flagrantes aux yeux du juge. Cet élément
n’est naturellement pas le seul : le Conseil doit situer en toute hypothèse,
un grief dans son contexte, ce qui l’amène à dégager des critères précis.
En usant du principe de l’influence déterminante, le juge doit disposer
pour la mettre en œuvre d’un large pouvoir d’appréciation. Son examen
doit s’effectuer en deux phases. La première étape consiste à déterminer
les irrégularités à partir des faits qui lui sont soumis. Pour cela, il va uti-
liser les dispositifs textuels et parfois les principes généraux qu’il a consa-
crés. Une fois qu’il a découvert des irrégularités, il doit procéder, dans la
majorité des cas, à une analyse complémentaire. Cette dernière constitue
la seconde phase, elle a pour objet de mesurer les conséquences des irré-
gularités constatées lors de la première90. Le juge électoral se livre donc
à une double appréciation des éléments litigieux. Après avoir relevé les
irrégularités, il les analysera afin de connaître leurs effets sur le résultat

89. CF. J.-P. Camby, op. cit. et J.-C. Masclet, op. cit.
90. S. Gauthier, op. cit., p. 286.

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 459

du scrutin. Dans cette dernière phrase, il mettra en œuvre le principe de


l’influence déterminante qui n’est autre qu’une méthode d’appréciation
de la sincérité des résultats.
Si le pouvoir du juge constitutionnel marocain est délimité en matière
électorale par des règles de procédures liées aux conditions de formes pour
la présentation de la requête, du fait de l’existence de conditions prédé-
terminées par le législateur, ce même juge jouit d’un large pouvoir dis-
crétionnaire lors de l’examen du fond et du contenu des requêtes91. Cette
large marge de manœuvre lui est utile pour évaluer les circonstances, pour
éclairer son interprétation des faits ainsi que pour déterminer si les abus
commis lors des opérations électorales ont pu atteindre le degré d’une
violation d’une des normes les organisant. Par ailleurs cette opération
d’appréciation et d’adaptation des faits comme étant une activité qu’exerce
le juge constitutionnel relève de ses compétences propres pratiquées à la
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lumière des exigences de chacune des requêtes qui lui sont présentées.
Il s’agit là d’une opération juridique du fait qu’elle est liée à la recherche
de la règle juridique applicable. En effet, si les requérants peuvent déposer
devant le juge constitutionnel tous les documents et les griefs lui deman-
dant de statuer à la lumière du contenu des griefs avancés, le juge consti-
tutionnel reste le seul en mesure de décortiquer la relation reliant les faits
du litige électoral à la règle de droit. Le fait est que les codes électoraux
qui se sont succédé n’ont pas fixé, de façon irréfutable, les éventuels cas qui
mènent systématiquement à l’annulation de l’opération électorale objet
de requête. Il s’agit d’un exercice intellectuel où le juge concilie entre les
faits du contentieux électoral et l’esprit de la règle électorale voulue par le
législateur dans une quête « obstinée » d’une issue jurisprudentielle.
Si le juge s’en remet souvent au principe de l’influence déterminante
et à la méthode d’analyse qui le caractérise, il peut tout aussi bien s’en
dispenser quand il considère que son utilisation est superflue. Il dis-
pose donc d’une totale liberté dans les moyens à mettre en œuvre pour
­accomplir sa mission.
Ce large pouvoir d’appréciation peut faire l’objet de critiques. La
question soulève plus d’intérêt. Jean-Yves Vincent et Michel De Villiers
relèvent la contradiction entre la fréquence des méconnaissances des pres-
criptions électorales et le pourcentage très minime des annulations qu’elles
entraînent. Sans remettre totalement en cause le système, ils déplorent
le manque de rigueur dont fait parfois preuve le juge électoral92. Quant à

91. En matière de justice constitutionnelle électorale, le fait que la loi organique relative
au Conseil constitutionnel, dans son volet inhérent au contentieux électoral, ne soit qu’une
procédure pour la maîtrise des mesures de forme déterminant la relation entre le juge consti-
tutionnel et le requérant, est problématique. Or, le fond des griefs des requérants s’inscrit dans
le domaine des lois organiques des élections et à propos duquel le législateur avait donné au
juge constitutionnel un pouvoir discrétionnaire particulier.
92. S. Gauthier, op. cit., p. 284.

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François Luchaire, il voudrait que le juge se limite à sanctionner la fraude


sans se soucier des conséquences de celles-ci sur le scrutin93. Selon lui, le
respect de la règle qui impose au juge d’interférer le moins possible dans
le processus électoral met plus en jeu la démocratie qu’il ne la protège.
Afin de mieux comprendre les difficultés que peut engendrer la liberté
d’appréciation dont le juge dispose, il est nécessaire de rappeler que
lorsque l’écart de voix entre deux candidats est faible et que des irrégu-
larités, mêmes légères, ont été commises par le vainqueur, le juge va se
montrer assez tatillon et sera enclin à annuler plus facilement le scrutin.
Si cette technique de l’écart des voix repose sur une solution logique, son
application est sûrement à améliorer. En effet, il n’est jamais précisé à
partir de quel seuil une irrégularité devient grave, à partir de quel chiffre
un écart est considéré comme faible. Cette jurisprudence semble être dis-
cutable. Elle ne permet de préserver réellement la sincérité du vote en ce
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sens qu’elle implique que plus la fraude est grande plus le résultat du vote
sera considéré comme sincère94.
Ainsi plusieurs interrogations s’imposent ? Il n’est pas précisé ce qu’il
faut entendre par écart important ? En se fondant sur l’arithmétique,
il n’a jamais précisé ou simplement dit à partir de quel « seuil » un écart
est considéré faible : 100, 200, 300 ? Qu’est-ce qu’un faible écart de
voix ? Faible par rapport à quoi ? À l’importance du corps électoral ? À la
nature de la fraude ? À la fragilité supposée de l’électeur ?
Livré à son propre entendement, le juge électoral dispose donc, quant
au contenu de la décision d’une large gamme de solutions. C’est au gré de
sa jugeote qu’il fixe le seuil de tolérance ou le degré d’incidence intelli-
gent et intelligible à partir duquel il déclenche la sanction. Il peut dès lors
confirmer l’élection s’il estime que les faits allégués ne sont pas établis où
qu’ils ne sont pas de nature à avoir modifié le résultat. De même qu’il peut
l’annuler dans le cas contraire. La particularité du contentieux électoral est
que le juge se voit accorder un pouvoir exorbitant dans sa quête de l’objec-
tivité, de la liberté, de l’impartialité et de la sincérité du scrutin.
b) L’application de la technique de l’influence déterminante par le juge constitutionnel
Au regard de la pratique jurisprudentielle devenue constante, l’office
du juge électoral est particulier car, au-delà de la matérialité de la
fraude, il garde son libre arbitre, celui de déterminer le degré d’inci-
dence de la fraude alléguée sur le résultat final du scrutin ; ce que Henry
Roussillon qualifie de « jurisprudence de l’influence déterminante »95, ou

93. F. Luchaire, « Le Conseil constitutionnel en accusation », Le monde, 20-21 août 1978.


94. R. Ghevontian, Dossier : « La sincérité du scrutin », Cah. Cons. const. n° 13, janvier 2003.
95. H. Roussillon, op. cit., p. 115. Aussi en ce sens, L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions
du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 1995, p. 27 ; C. Sietchoua Djuitchoko, « Introduction
au contentieux des élections législatives camerounaises devant la Cour Suprême statuant
comme Conseil constitutionnel », Juridis Périodique, n° 50, avril-mai-juin 2002, p. 89

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 461

de « ­jurisprudence de l’effet utile » pour reprendre une expression de


Ferdinand Mélin-Soucramanien96. De là s’est développé, au moins sur un
plan prétorien, un principe qui guide l’action du juge dans le contentieux
électoral, celui de « l’incidence significative sur le résultat du scrutin »,
qualifié par certains de « nouvelle tendance du juge électoral »97 ou de
« tradition jurisprudentielle » pour d’autres98. Il peut aujourd’hui, eu
égard à son étendue et à sa prégnance, s’intégrer dans le « patrimoine
commun des sociétés politiques modernes »99.
L’examen des décisions relatives au contentieux électoral des der-
nières législatives de 2011 dénote que le Conseil constitutionnel maro-
cain continue toujours, à se réclamer d’une présomption de régularité
qui l’amène à rejeter parfois la quasi-totalité des demandes d’annulation
des élections même en disposant d’éléments susceptibles (ou à même) de
donner lieu à une enquête100.
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En effet, le juge adopte une jurisprudence constante dans le temps et
considère que « même en présence des irrégularités entachant l’opération électo-
rale, on ne peut pas conclure à l’existence d’un impact sur le résultat du scrutin »101.

96. F. Mélin-Soucramanien, « Le Conseil constitutionnel, juge électoral », Pouvoirs, n° 105,


2003, p. 124.
97. A. D. Olinga affirme en effet qu’une autre tendance du contentieux électoral est
­l’objectivation progressive de la notion d’irrégularités n’entachant pas la sincérité du scru-
tin, in La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, Presses de l’UCAC, 2006,
p. 253 peut toutefois se poser la question de savoir si l’on peut objectiver une telle notion
sans courir le risque de dénaturer le contentieux électoral qui, par nature, laisse une très large
marge de manœuvre à l’appréciation du juge.
98. B. Maligner, « Les tribunaux administratifs et le contentieux des élections municipales
ou la sérénité juridictionnelle et la passion politique », Les Petites Affiches, n° 116, 19 octobre
1983, p. 13.
99. Sur l’ensemble de cette problématique, voir L. Sindjoun, La formation du patrimoine
constitutionnel commun des sociétés politiques. Éléments pour une théorie de la civilisation
politique internationale, CODESRIA, Dakar, 1997. En ce sens aussi, voir P. Garrone, « Le
patrimoine électoral européen, une décennie d’expérience de la commission de Venise dans le
domaine électoral », RDP, 2001, n° 5, p. 1417-1454.
100. On ne peut que faire le constat patent que le requérant se résigne à une présomption
de fraude et ne parvient à fournir que des bribes d’information. Pour défaut de preuve, ou
manque de précision, le Conseil est ainsi acculé à rejeter le plus souvent ces recours. Ce senti-
ment de déni de justice se renforce davantage chez le requérant lorsque le Conseil rechigne de
considérer des irrégularités établies dont les preuves ne sont apportées que par ses assesseurs ou
ses délégués. Voir à titre d’exemple la décision du CC marocain n° 683 en date du 09/04/2008
101. Il convient de souligner que l’examen de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
marocain révèle sa démarche par étapes. Dans un premier temps, le juge recherche l’existence
d’infractions avérées. Et de façon déjà restrictive d’ailleurs, puisque la charge de la preuve
qui pèse sur le requérant est souvent difficile à fournir. Dans un deuxième temps, le juge
va chercher si ces irrégularités avaient pour but ou pour effet de favoriser des fraudes. Si tel
est le cas, ces irrégularités ont-elles profité à un candidat et étaient-elles constitutives de
manœuvres ? Le juge exige ici, pour une annulation, que ces manœuvres aient été sinon per-
sistantes du moins systématiques. Dans un troisième temps, est-ce que cette manœuvre avérée
a pu ­tromper l’électeur ? À l’issue de ce parcours seulement, le juge se pose la question finale :
ces manœuvres frauduleuses ont-elles été de nature à modifier le résultat des élections ? C’est
la réunion de l’ensemble de ces éléments qui peut être constitutive de ce que le juge appelle
« une altération grave de la sincérité du scrutin ». Voir dans ce sens les décisions du CC marocain
n° s 847/12 ; 884/12 ; 894/12 ; 888/12.

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462 Adil Moussebbih

Le Conseil constitutionnel semble avoir trouvé dans la « théorie de


l’influence déterminante » et de l’écart de voix un refuge confortable102.
Il y recourt presque systématiquement.
On imagine en effet difficilement le juge annuler un scrutin, et ainsi
effacer le choix des électeurs, pour des violations minimes du droit
électoral (sauf dans le cas d’affichage de tracts électoraux en dehors des
emplacements qui leur ont été réservés et usage partiel de lieux de culte
dans des tracts électoraux par un candidat103). Cette mansuétude bien
compréhensible peut affecter toutes les étapes de l’élection, du dérou-
lement de la campagne au scrutin lui-même et à la détermination des
résultats.
On constate donc que le réalisme électoral interdit tout autant au juge
de l’élection de faire droit aux requérants demandant l’annulation pour
moult motif tels que l’intervention de l’administration104 ou que le bureau
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de vote, ait fermé quelques minutes avant l’heure réglementaire105, ou que
des bulletins comptabilisés comme blancs ou nuls mais sans être joints
aux procès-verbaux ou sans être signés par les membres des bureaux de
vote106… etc. Ces griefs sont déclarés aux yeux du juge sans influence sur le
résultat du scrutin dès lors que ces omissions n’ont pas revêtu un caractère
systématique.
Il importe de souligner que la grande lacune qu’on a pu soulever
dans la position du Conseil que ce soit pour débouter la requête ou
pour lui faire droit en l’annulant, a pratiquement toujours pris en
considération le critère de l’écart des voix en considérant que cet écart
est non lié à la gravité de l’infraction (le degré de manœuvres frau-
duleuses) mais plutôt au critère arithmétique c’est-à-dire au faible
écart de voix entre le candidat élu et le candidat battu qui s’avère
déterminant107.
Ainsi, le juge recourt à une logique presque comptable : il soustrait à
l’avance du candidat élu le nombre de bulletins hypothétiquement viciés.
Si l’avance du candidat élu est inférieure au nombre de voix soustrait,
le juge est alors en mesure de restituer la volonté réelle de l’électorat en
annulant l’élection.

102. Voir dans ce sens les décisions du CC marocain n° s 847/12 ; 884/12 ; 894/12 ;
888/12…
103. Dans l’ancienne jurisprudence du Conseil constitutionnel (avant la réforme
constitutionnelle de 2011), l’apposition d’affiches de propagandes en dehors des empla-
cements spéciaux réservés à cet effet en méconnaissance de l’article 29 de la loi orga-
nique relative à la chambre des représentants n’est pas un grief justifiant l’invalidation
du scrutin (voir à ce sujet la décision du CC marocain n° 49 en date du 22 novembre
1994).
104. Décision du CC marocain n° 891/12 en date du 04 octobre 2012.
105. Décision du CC marocain n° 847/12 en date du 18 avril 2012.
106. Décision du CC marocain n° 891/12 en date du 04 octobre 2012.
107. Voir dans ce sens les décisions du CC marocain précitées n° s 847/12, 894/12.

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L’office du Conseil constitutionnel marocain, juge électoral 463

En revanche, le juge électoral, est en mesure de disculper une manœuvre


frauduleuse dès lors que, compte tenu du nombre limité d’électeurs que
ces faits concernent, ils n’ont pu avoir « une influence déterminante sur
le résultat du scrutin108 ».
L’influence de la jurisprudence électorale française se fait nettement
sentir. Le juge électoral n’y est pas vu comme un redresseur de torts, un
juge répressif ou un juge de l’orthodoxie électorale, mais comme « un
juge de plein contentieux, doté de larges pouvoirs – dans le but de veiller
à la liberté et à la sincérité du scrutin »109.
Il en découle donc de ce qui précède, que le contentieux de 2011 se
veut plus circonspect et pondéré. La Haute instance s’accroche toujours
à la prudence en opposant l’irrecevabilité quand les requêtes dénoncent
des irrégularités graves (composition irrégulière des bureaux de vote110,
intervention de l’administration111, procès-verbaux signés à blanc112,
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impossibilité pour les délégués d’exercer leur contrôle et de consi-
gner leur réclamation aux procès-verbaux ou encore le cas d’expulsion
du bureau de vote des délégués des candidats113, atteinte au secret de
vote114…
Ainsi il s’avère de l’analyse jurisprudentielle que le juge électoral
fait preuve d’inertie, de plus de timidité en cherchant des échappatoires
moins convaincantes au détriment de la sauvegarde ou de la continuité
des exigences démocratiques. Le constat suivant bien que réaliste demeure
inquiétant : le juge électoral s’est abstenu d’annuler un scrutin alors que
des occasions n’ont pas manqué.
Une telle position du juge électoral est de nature à frustrer les requé-
rants qui voient leurs dénonciations dépourvues d’effet du fait de circons-
tance extérieures à leur requête telles que l’écart de voix entre les candidats.
Cependant, considérant la longue liste d’irrecevabilité, le juge électoral
doit-il rester imperturbable devant des entraves au processus électoral
même si celles-ci ne doivent modifier l’issue du scrutin ? L’utilisation du
principe donne l’impression qu’une élection est une affaire de change : on
peut commettre des irrégularités pourvu qu’on ait la chance de devancer
sérieusement le candidat le plus proche.
Il s’agit d’une démarche intellectuelle parfois méandreuse, que le jus-
ticiable non spécialiste du contentieux électoral, ne saurait comprendre,

108. Décision du CC marocain n° 863/12 en date du 25 juin 2012.


109. B. Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit. p. 329.
110. Décision du CC marocain n° 863/12 en date du 25/06/2012. Le juge considère dans ce
cas d’espèce que malgré l’annulation des voix dans ces bureaux de vote, il n’est pas établi que
cela ait un effet déterminant sur les résultats du scrutin.
111. Décision du CC marocain n° 843/12 en date du 11 avril 2012
112. Décision du CC marocain n° 902/12 en date du 24 octobre 2012
113. Décision du CC marocain n° 847/12 en date du 18 avril 2012
114. Décision du CC marocain n° 843/12 en date du 11 avril 2012

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d’où le caractère très acerbe des critiques faites parfois au juge électoral115.
Le juge doit alors concilier la rigueur juridique avec d’autres paramètres
propres à cette matière. Les solutions juridictionnelles « réalisent un équi-
libre entre la nécessaire stabilité des institutions et l’exigence de sincérité dans la
désignation des élus116 ». Le principe de l’influence déterminante n’est que
la face émergée du processus de contrôle des élections, il est la résultante
du mode particulier de traitement de ce contentieux qui relève lui-même
de la spécificité du droit régissant les élections politiques.
La jurisprudence relative au contentieux électoral, mérite d’être prise
au sérieux. C’est dans ce cadre que le Professeur Dominique Rousseau,
soutenu par Dominique Chagnollaud, estime que le Conseil constitu-
tionnel devrait exercer un contrôle plus ferme des irrégularités électorales
afin de maintenir la croyance en la vertu de la légitimité démocratique117.
Le juge est appelé dans sa quête incessante de la vérité électorale de
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contrôle à concilier fermeté, pragmatisme et réalisme afin de participer
plus amplement à l’édification de l’État de droit en notre pays.

115. Voir A. D. Olinga, « Contentieux électoral et État de droit au Cameroun », Juridis


Périodique, éd. spéciale, janvier-février-mars 2000, n° 41, p. 35-52 ; C. Keutcha Tchapnga,
op. cit., p. 45. Sur les éléments de discussion concernant le Conseil constitutionnel fran-
çais, voir D. Rousseau, Droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 6e éd., 2001, p. 364 et s.
D. Chagnollaud, RDP, n° 1, février 2002, p. 514 et 515 ; J. Robert, op. cit., p. 154.
116. P. Ardant, op. cit., p. 81
117. D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ, p. 364.

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