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La notion d’exécution des décisions de justice

administrative
Christophe Fardet
Dans Civitas Europa 2017/2 (N° 39), pages 13 à 27
Éditions IRENEE / Université de Lorraine
ISSN 1290-9653
DOI 10.3917/civit.039.0013
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La notion d’exécution
des décisions de justice administrative

Christophe FARDET
Professeur de droit public
Université de Lorraine
IRENEE – EA 7303

« La justice sans la force est impuissante ;


la force sans la justice est tyrannique »,
B. PASCAL, Pensées, Hachette 1904, t. II, p. 224.

Si l’on s’intéresse à la définition de l’exécution, l’usage constaté par l’Académie


la consacre comme l’« action de faire passer des dispositions dans les faits1 » alors
que les dictionnaires de langue la définissent comme « l’accomplissement d’une
obligation, d’un jugement2 ». Les définitions juridiques y voient « la réalisation
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d’une obligation ou un devoir juridique, le processus qui permet de faire passer le
droit dans les faits, de faire coïncider ce qui est et ce qui doit être3 ».
Sans délai, on note l’acception réaliste de ces définitions.

Le champ de l’exécution est, lui, plural quant aux domaines et quant aux actes
concernés.
Le droit constitutionnel est concerné puisque le Pouvoir exécutif est chargé
de l’exécution des lois. Cette dernière est d’ailleurs mal distinguée d’une notion
voisine qu’est l’application des lois ainsi qu’en témoigne la jurisprudence du
Conseil constitutionnel relative aux pouvoirs de réglementation et de sanctions
confiés aux autorités indépendantes qui amalgame sous l’expression de « mise en
œuvre de la loi » les notions pourtant bien distinctes d’exécution et d’application
de la loi. Si l’exécution de la loi nécessite de préciser les conditions de mise en
œuvre de cette dernière pour la doter d’un effet direct, l’application de la loi, elle,
n’est possible que si la loi est d’effet direct et n’a donc besoin d’aucune mesure
d’exécution.
Le droit administratif est également convoqué notamment en raison de la
théorie jurisprudentielle de l’exécution forcée4. Il l’est aussi à raison de la décision
exécutoire théorisée par Hauriou.

1 Ac. Fr., Dict., 9e éd.


2 Dict. Larousse
3 Ph. THERY, « Exécution », Dic. Culture juridique, Puf, coll. Quadrige, 2003, p. 678.
4 TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône, p. 713, concl. ROMIEU.

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La notion d’exécution est également appréhendée sous l’angle de la CEDH


dès lors que le caractère déraisonnable du délai de jugement engage en droit
interne la responsabilité de l’État sur le fondement des articles 6, §§ 1 et 13, de
la CEDH5, dans la mesure où la Cour rappelle « que le droit à l’exécution d’une
décision de justice est un des aspects du droit d’accès à un tribunal (…) et que
l’exécution doit être complète, parfaite et non partielle 6».
Déjà trois champs disciplinaires recouvrant notamment l’ensemble du droit
public interne et toutes les catégories d’actes unilatéraux (lois, décisions de
justice, décisions administratives) sont pris en compte.

Quant aux modalités de l’exécution, elles sont également très diversifiées.


Elles peuvent être classées selon leur caractère passif ou actif7. La disparition
d’un acte annulé dès lors qu’il « est réputé n’avoir jamais existé 8 » est la modalité
d’exécution passive la plus topique puisqu’elle interdit à l’administration
d’appliquer ou de modifier l’acte annulé9. Concernant les modalités d’exécution
active, les hypothèses n’ont de limites que les illustrations jurisprudentielles,
allant de l’édiction d’une nouvelle décision lorsque, notamment, l’acte annulé était
une réponse à une demande d’un administré10, en passant par la reconstitution
de la situation juridique de l’intéressé11, jusqu’à une panoplie kaléidoscopique
d’injonctions adressées à une personne publique12, même lorsqu’un acte
détachable d’un contrat de droit privé13 a été annulé.
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Mais dans toutes les hypothèses, le même constat peut être fait. L’exécution
d’un acte dépend d’un autre. Autrement dit, l’exécution d’un acte nécessite un
acte dérivé. À la vérité, ce mécanisme fonde très vraisemblablement la théorie
réaliste de l’interprétation. Si un acte primaire doit être interprété par un acte
secondaire pour révéler sa norme jusqu’à ce qu’il soit finalement exécuté, c’est
parce qu’il doit être précisé dans ses conditions « d’exécution ». On pourrait
donc estimer qu’au final, la théorie réaliste de l’interprétation est une théorie de
l’exécution.
À la réflexion, et quelles que soient les hypothèses et les définitions retenues de
l’exécution, il apparait que la notion d’exécution comprend deux caractéristiques
remarquables :

5 CE, ass., 28 juin 2002, Garde des sceaux, ministre de la Justice c. Magiera, n° 239575, p. 247.
Pour une application récente précisant que « lorsque des dispositions applicables à la matière
faisant l’objet d’un litige organisent une procédure préalable obligatoire à la saisine du juge, la
durée globale de jugement doit s’apprécier, en principe, en incluant cette phase préalable »,
cf., CE, 13 juill. 2016, Jarraud, n° 389760.
6 CEDH, 31 juin 2005, Matheus c. France, n° 62740/00, pt 56 et s.
7 M. GUYOMAR et B. SEILLER, Contentieux administratif, Dalloz, Hypercours, 3° éd., n° 983.
8 CE, 30 mars 2005, SCP médecins Reichfeld et Sturtzer, p. 128.
9 CE, 20 mai 1988, Nardin, p. 198.
10 CE, 17 octobre 1997, Rubet, n° 176800.
11 CE, 26 décembre 1925, Rodière, p. 1065.
12 CE, 1er juin 2017, SCI La Marne Fourmies, n° 406103.
13 CE, 29 décembre 2014, Cne d’Uchaux, n° 372477. Pour un exemple récent : CE, 25 janvier 2017,
Assoc. Avenir d’Alet et a., n° 372676.

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La notion d’exécution des décisions de justice administrative 15

La première est qu’il faut distinguer la décision de recourir à l’exécution


que l’on appellera le titre d’exécution, de la réalisation de l’exécution que l’on
nommera l’exercice de l’exécution.
La seconde caractéristique – mais elle n’est à la vérité que la conséquence
mécanique du respect dû au principe de la séparation des Pouvoirs – est que le
titre et l’exercice de l’exécution ne relèvent en principe jamais du même Pouvoir.
Car ainsi que le constate la doctrine en matière d’exécution des décisions de justice,
« en dernière analyse l’exécution des décisions de justice par l’administration
condamnée suppose toujours un tant soit peu de bonne volonté de sa part »14.

En combinant ces deux caractéristiques, il apparait que si le titre d’exécution est


consubstantiel – c’est-à-dire intrinsèque – à la décision de justice administrative,
l’exercice de l’exécution est étranger – c’est-à-dire extrinsèque – à la juridiction
administrative.

I. Le titre d’exécution, notion intrinsèque à la décision de


justice administrative
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S’il est exact de dire que la décision de justice porte en elle-même son
titre d’exécution c’est essentiellement parce qu’elle est une décision. Espèce
particulière du genre décisoire, la décision de justice comporte un « titre
d’exécution » spécifique.

A. Le titre d’exécution intégré à toute décision

Érigé par le Conseil d’État comme « la règle fondamentale du droit public »15
– ce qui n’est tout de même pas rien – le caractère exécutoire des décisions
administratives permet d’édicter des obligations indépendamment du recours
préalable à un juge.

De ce point de vue, apparait que seules les décisions contiennent leur


titre d’exécution. Peu importe qu’elles soient définitives. Même provisoire, une
décision doit pouvoir être exécutée. Le sursis à exécution en son temps, le
référé-suspension aujourd’hui (voire le référé liberté) démontrent que la décision
provisoire peut être réellement exécutée. C’est par principe le cas de toute
décision avant l’expiration du délai de recours.
Dès lors, on ne sera pas surpris qu’un acte non décisoire, quel qu’il soit, ne
contienne pas ce titre d’exécution. Aucune obligation juridique ne découle de

14 A. GARCIA et J. GOURDOU, Exécution des décisions de justice administrative, Rép. Cont. Adm.,
Dalloz, n° 1.
15 CE, Ass, 2 juillet 1982, Huglo, p. 257.

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cet acte : aucune exécution ne peut juridiquement en naitre. Seul une norme
décisoire extérieure pourra sanctionner l’irrespect de cet acte ne comportant en
lui-même aucun titre d’exécution. Le cas s’illustre à propos tant à propos d’actes
administratifs qu’à propos d’actes juridictionnels.
Parmi les actes administratifs non décisoires, les actes de droit souple sont
révélateurs. Bien que stricto sensu les actes de droit souple « ne créent pas par
eux-mêmes de droits ou d’obligations 16 », le Conseil d’État a décidé en 2016
que le recours pour excès de pouvoir était ouvert contre certains actes pourtant
non décisoires au motif qu’« ils sont de nature à produire des effets notables,
notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière
significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent »17.
C’est donc par dérogation prétorienne, que fut écartée la règle énoncée à
l’époque par le CJA selon laquelle « La requête doit, à peine d’irrecevabilité, être
accompagnée (…) de la décision attaquée18 ». Un acte peut donc faire grief sans
que la cause juridique de ce grief soit le titre d’exécution attaché à la décision,
puisque décision il n’y a pas. De ce point de vue, la modification par le décret du
2 novembre 2016 du CJA ne fait que conforter l’idée selon laquelle la « création
de droits ou d’obligations » est un monopole décisionnel lié au titre d’exécution
contenu dans la décision, puisque ce n’est plus ce critère qui fonde la recevabilité
de la requête concernant un acte qui peut ne plus être décisoire.
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Les actes juridictionnels sont également concernés. Tel est le cas des avis
contentieux rendus par le Conseil d’État. N’étant pas décisoires, ils ne comprennent
ipso facto pas de titre d’exécution. Ces avis qui ne relèvent donc pas de la
catégorie « jugement » ne sont pas exécutoires19. De ce point de vue, la disposition
réglementaire permettant de rejeter les requêtes présentant des questions
identiques à celles déjà « examinées ensemble par un même avis rendu par le
Conseil d’État »20, semble avoir doté cet avis des effets « d’une pseudo-décision » en
lui accordant un fondement similaire à un titre d’exécution. Bien que la procédure
administrative contentieuse relève en principe de l’article 37 de la Constitution, il
ne parait pas impossible de se demander si, ce faisant, le pouvoir réglementaire
n’est pas intervenu dans une matière relevant des « garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » : est-ce bien au
règlement de doter un avis contentieux d’une « force contraignante » ?
Mais au final, compte tenu de l’importance rétrospective de ces avis sur
les décisions rendues par les TA, les CAA et les ordonnances de rejet, ces avis
contentieux ne forment-ils pas le droit souple juridictionnel puisque, somme toute,
« ils sont de nature à produire des effets notables (…) ou ont pour objet d’influer

16 Étude annuelle CE, Le droit souple, Doc. Fr., 2013, p. 61.


17 CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et a., n° 368082, 368083,
368084.
18 Art. R. 412-1 CJA. Le décret du 2 novembre 2016 a remplacé l’expression « décision attaquée »
par celle d’« acte attaqué ».
19 Art. L. 11 CJA : « les jugements sont exécutoires ».
20 Art. R.222-1 CJA

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de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils


s’adressent », c’est-à-dire essentiellement les juridictions administratives ?

Toute décision contient son titre d’exécution. C’est là, la conséquence


mécanique et nécessaire du privilège du préalable.
Une précision préalable s’impose toutefois. Il convient de distinguer la
décision exécutoire au sens de la définition qu’en donne Hauriou ou qu’illustre le
Conseil d’État, du titre d’exécution dont toute décision est nécessairement dotée.
La décision exécutoire vise : soit la décision entrée en vigueur, soit la décision
modifiant l’ordonnancement juridique21 et non seulement la décision enrichissant
ledit ordre, soit la décision susceptible d’exécution forcée.
Dès lors que, par la manifestation de volonté de son auteur, une norme
impérative enrichit l’ordonnancement juridique soit par la modification de ce
dernier soit par son renouvellement (par ex., décisions de refus), son caractère
décisoire est établi et elle est, ipso facto, dotée du privilège du préalable. Pour
autant, son caractère exécutoire dépendra d’autres conditions sans lien aucun
avec la définition de la décision ni avec le privilège du préalable. De ce point de
vue, le « caractère exécutoire, règle fondamentale du droit public » ne renvoie pas
aux seules décisions exécutoires au sens que lui donne Hauriou mais bien au
contraire à toutes les décisions. Car ce qui est fondamental en droit public, c’est
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le pouvoir de
« décider en édictant des obligations ou des interdictions ou en conférant des droits,
sans avoir à saisir préalablement un juge de ses prétentions. On ne saurait évidem-
ment qualifier de fondamental le fait que les décisions prises, ou du moins certaines
d’entre elles, seront exécutoires 22».

Il en est de même de toutes les décisions de justice, même celles qui ne sont
pas dotées de l’autorité de chose jugée comme les ordonnances de référé qui
sont provisoires23, lesquelles sont, conformément au principe rappelé à l’article
L. 11 CJA, exécutoires24 et obligatoires25. Il en est de même des décisions de
justice susceptibles de recours juridictionnels, sauf à déterminer le caractère
suspensif du recours26. En conséquence et ainsi que le considère le Conseil d’État
« le représentant de l’État… doit prêter le concours de la force publique en vue de
l’exécution des décisions de justice ayant force exécutoire27».

21 CE, Ass., 23 janvier 1970, Min. Aff. sociales c. Amoros, n° 77861.


22 R. CHAPUS, Droit Administratif Général, T. 1, 15e éd., n° 672.
23 Art. L. 551-1 CJA
24 CE, sect., 5 novembre 2003, Assoc. Convention vie et nature pour une écologie radicale et
Assoc. pour la protection des animaux sauvages, n° 259339, 259706 et 259751.
25 CE, Sect., 7 oct. 2016, Cne de Bordeaux, n° 395211.
26 Pour un cas rare et récent de recours suspensif de plein droit : art. L. 77-10-25 CJA relatif à
l’action de groupe « L’appel formé contre le jugement sur la responsabilité a, de plein droit, un
effet suspensif ».
27 CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.

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B. Le titre d’exécution spécial des décisions de justice administrative

Ce titre d’exécution que comportent toutes les décisions de justice adminis-


trative est remarquable à deux points de vue.

D’une part, le pouvoir totalement discrétionnaire qu’à la justice administrative


de « modifier » sur le fondement de ses pouvoirs propres caractérise le caractère
exécutoire de ses décisions. En effet, c’est sans autre fondement que les décisions
de justice administrative qui les posent, que sont apparus notamment, les pouvoirs
de modulation dans le temps des annulations28 ou qu’ont été consacrées en
matière de sanctions administratives, la reformatio in mitius 29 puis la reformatio
in pejus30. Ces exemples démontrent s’il en était besoin que le juge administratif
décide du champ d’application temporel ou matériel du titre d’exécution de ses
décisions31. En effet, décider que les effets de l’annulation seront reportés à une
date postérieure à la date de l’annulation interdit l’exécution de l’annulation entre
ces deux dates. Le pouvoir de substitution, dès lors qu’il peut être en plus ou en
moins, permet également au juge de renforcer ou d’atténuer le titre d’exécution
de sa décision. De même, la jurisprudence du « si mieux n’aime » démontre encore
que lorsque le juge permet à la personne condamnée de s’en tenir à son obligation
première32, le fondement de l’exécution de l’obligation n’est pas identique : soit il
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s’agira de la décision de justice si la personne condamnée « n’aime mieux pas »,
soit dans l’hypothèse inverse il s’agira de l’acte fondant son obligation première
(en l’espèce le contrat puisqu’il s’agit de respecter les obligations liées à la mise
en œuvre de la responsabilité contractuelle).
Ainsi, s’il n’est pas possible de renoncer au titre d’exécution des décisions
de justice administrative à moins d’un déni de justice, il peut être modulé par la
décision elle-même.
Cette spécificité ne se retrouve bien évidemment pas en ce qui concerne les
décisions administratives car, moduler le titre d’exécution desdites décisions
reviendrait à devoir recourir au juge pour qu’il agisse au lieu et place de
l’administration. Cela, on le sait depuis 1913, n’est en principe pas possible.

D’autre part, les décisions de justice voient leur expédition alourdie d’une
formule exécutoire. La différence tient à ce que cette formule exécutoire permet
l’exécution forcée des décisions de justice, ce dont ne sont pas généralement

28 CE, Ass., 11 mai 2004, Assoc. AC !, n° 255886.


29 CE, Ass., 16 févr. 2009, Sté Atom, n° 274000.
30 CE, 6 avril 2016, M. E, n° 374224.
31 Cf., Association Internationale des Hautes Juridictions Administratives (AIHJA), L’exécution des
décisions des juridictions administratives, VIIIe congrès, Madrid 2004.
32 CE, 1er juillet 1970, Cne de Sainteny Manche, n° 70820 : « considérant qu’il sera fait une exacte
appréciation du préjudice résultant pour la commune de Sainteny des malfaçons commises par
le sieur X... dans la confection de la toiture en condamnant ce dernier à verser à la commune une
somme de 1.200 f, si mieux n’aime le sieur x... procéder lui-même aux travaux nécessaires ».

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dotées les décisions administratives33.


De ce point de vue, la répartition des contraintes (c’est-à-dire leur équilibre)
semble optimisée. Administration et juge ont réciproquement besoin l’un de
l’autre car ainsi que le déclare C. Milhat34
« dans le domaine de l’exécution de ses actes, l’administration se trouve en présence
d’une contrainte et d’un interdit majeur : la contrainte résultant de l’impossibilité de
demander par voie de justice l’édiction ou l’exécution de mesures qu’elle est seule
apte à prendre en vertu du “privilège du préalable”35 ; l’interdit l’empêchant de recourir,
sauf exception, à des procédés d’exécution forcée, parce qu’il est “un principe fonda-
mental de notre droit public que l’administration ne doit pas mettre d’elle-même la
force publique en mouvement36”».

L’administration doit donc, en principe, recourir au juge seulement pour


obtenir l’exécution forcée de ses décisions. Cela signifie d’abord qu’elle ne peut
pas demander au juge de se substituer à elle pour délivrer le « titre d’exécution ».
De l’arrêt « préfet de l’Eure37 » à l’arrêt « Dpt de l’Eure38 », la solution est constante :
une personne publique « est irrecevable à demander au juge administratif de
prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre39 ». Cela signifie ensuite
que l’administration doit demander au juge l’exécution forcée de ses décisions.
Le juge n’exécute donc pas matériellement sa décision : il ne possède aucun
moyen pour « faire passer des dispositions dans les faits ». C’est à la puissance
publique que revient cette fonction.
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En résumé, et par un mouvement circulaire, en accordant l’exécution d’office
aux décisions administratives par le truchement de la formule exécutoire
adossée à ses propres décisions, le juge administratif devient le bras séculier
de l’administration. Mais cette exécution forcée autorisée par le juge nécessite
elle-même l’action administrative car aucune juridiction administrative ne peut
auto-exécuter ses propres décisions.

II. L’exercice de l’exécution, notion extrinsèque


à la juridiction administrative

Apparaissent 3 raisons qui peuvent expliquer cette extranéité.


Raison factuelle : la juridiction administrative ne dispose pas d’un corps
d’agents permettant l’auto-exécution de ses décisions.

33 TC, 2 décembre 1902, Sté immobilière St Just, préc.


34 Entre contraintes et interdits : l’administration et l’exécution de ses actes, Droit et Cultures,
57/2009-1, n° 4.
35 CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, R. 583.
36 J. ROMIEU, concl. sur TC, 2 décembre 1902, Sté immobilière de Saint-Just, S. 1904, III, p. 17,
note M. HAURIOU.
37 CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, n° 49241, p. 583, S. 1915, 3, p. 9, note HAURIOU.
38 CE, 24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194.
39 Idem.

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Raison historique : jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 24 mai 1872, la


justice retenue permettait d’exécuter les décisions de justice émanant du Chef
de l’État sous l’empire du devoir d’obéissance hiérarchique. Cette caractéristique
organique présentait l’avantage de régler, et la question de la séparation des
Pouvoirs et la question du refus d’exécution.
Raison juridique : l’exercice de l’exécution relève de l’exécutif, c’est-à-dire d’un
autre pouvoir que le pouvoir juridictionnel. Mais il faut comprendre que l’exercice
de l’exécution nécessite la collaboration des Pouvoirs : l’administration a besoin
de la formule exécutoire pour recourir à l’exécution forcée, mais la formule
exécutoire a besoin de l’administration pour être réalisée. Car exécuter ses
propres décisions semble, au final et par principe, porter atteinte à la séparation
des Pouvoirs.
Compte-tenu de ces éléments, la formule de Romieu dans ses conclusions
sous l’arrêt « société immobilière de Saint-Just » raisonne juste :
« Nous nous trouvons en présence de la question suivante, qui est, à notre avis, une
des plus graves et des plus importantes du droit administratif : qu’est-ce que l’exé-
cution forcée par la voie administrative des actes de puissance publique sur les per-
sonnes et sur les biens ? »40.

À cette question, l’état du droit apporte une réponse en deux temps.


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A. La séparation des Pouvoirs opposée à l’auto-exécution des
décisions de la juridiction administrative

La formule exécutoire accolée aux décisions de justice est depuis l’origine


claire. Et un détail apparait, mais est-ce un détail ?, l’ordre d’exécution est
donné non par une juridiction mais par la République. La question d’ailleurs
pourrait être clairement posée : toute juridiction interne – donc toute juridiction
administrative –n’est-t-elle pas que le mandataire de l’État en ce qui concerne
l’ordre d’exécution forcée puisque « la justice est rendue de façon indivisible » en
son nom41 ?
Aujourd’hui formulée à l’article R751-1 CJA, elle précise que les expéditions de
la décision délivrées aux parties portent la formule exécutoire suivante :
« La République mande et ordonne au (indiquer soit le ou les ministres, soit le ou les
préfets soit le ou les autres représentants de l’État désignés par la décision) en ce qui
le (les) concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies
de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente
décision ».

Prévue dès l’article 44 du règlement intérieur du Conseil d’État du 16 juin

40 Concl. ROMIEU sous TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône,
p. 713.
41 CE, Sect., 27 février 2004 Dme Popin, n° 217257.

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La notion d’exécution des décisions de justice administrative 21

1850, elle n’en différait que fort peu42. Quant aux conseils de préfectures
– premières juridictions administratives puisqu’ayant reçu de la loi la justice
déléguée (le Conseil de préfecture prononcera…) –, l’article 7 de la loi du 28
pluviôse an VIII prévoyait que « l’expédition est donnée par le secrétaire général
de la préfecture ». Elle ne sembla pas avoir compris de formule spécifique.

Le droit international reconnait cette absence d’auto exécution par la


juridiction administrative de ses propres décisions. Révélatrice est l’hypothèse
de la CEDH lorsque, de manière prétorienne bien qu’en les fondant sur l’article
39 de la CEDH, elle prononce des mesures provisoires43. Ainsi, et de ce point
de vue l’affaire Lambert est topique, la CEDH fut saisie la veille de la décision
rendue par le Conseil d’État « d’une demande d’article 39 du règlement de la
Cour en sollicitant… la suspension de l’exécution de la décision du Conseil d’État
prévue pour le 24 juin au cas où celle-ci autoriserait l’arrêt de l’alimentation et de
l’hydratation de Vincent Lambert »44. En conséquence, après avoir
« pris connaissance de l’arrêt rendu par le Conseil d’État, la chambre à laquelle l’affaire
a été attribuée a décidé de demander au gouvernement français, en application de l’ar-
ticle 39 du règlement de la Cour, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de
la procédure devant elle, de faire suspendre l’exécution de l’arrêt rendu par le Conseil
d’État pour la durée de la procédure devant la Cour »45.
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Or, en adressant pareille demande, non pas à l’État ni au Conseil d’État
mais au gouvernent français, la CEDH reconnait que le pouvoir d’exécution des
décisions de justice ne relève pas du pouvoir judiciaire.

En droit interne, la séparation des pouvoirs explique la césure entre le titre


d’exécution et son exercice, en conséquence de quoi la juridiction administrative
ne peut procéder elle-même à l’exécution de ses décisions.
Certes, l’apparence – même dotée d’un statut légal dans la mesure où le livre
IX de la partie législative du CJA est relatif à « l’exécution des décisions » – porte à
croire que le juge administratif est organiquement l’exécuteur de ses décisions. On
pourrait ainsi affirmer que « si le champ de l’exécution juridique est entièrement
administratif, celui de l’exécution matérielle est exclusivement juridictionnel46».
Or, si cette formule a le mérite de dissocier ce qui relève de l’administration (le

42 « L’expédition des décisions est délivrée par le secrétaire général ; elle porte la formule exécutoire
suivante : “La République mande et ordonne au ministre de (ajouter le département ministériel
désigné par la décision), en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne
les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente
décision” ». Rec. Duvergier, Lois décrets ordonnances et réglements, 1850, p. 279.
43 Sur les mesures provisoires prononcées par la CEDH, Cf. S. WATTHEE, Les mesures provisoires
devant la CEDH, La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?, Nemesis-
Anthémis, Coll. Droit et justice, n° 107, 2014.
44 CEDH, communiqué de presse du 25 juin 2014, n° CEDH 183 (2014).
45 Ibid.
46 C. MILHAT, « Entre contraintes et interdits : l’administration et l’exécution de ses actes », Droit et
Cultures, 57/2009-1, n° 3.

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22 Christophe FARDET

titre d’exécution) de ce qui relève du juge (l’exécution forcée), elle n’est toutefois
pas juridiquement exacte.
Car l’apparence est trompeuse et l’expression n’est qu’un commode abus de
langage. Conformément à la formule exécutoire, le juge n’est pas l’administrateur
de l’exécution de ses décisions. Quand bien même le législateur aurait renforcé
ses pouvoirs notamment d’injonction ou d’astreinte, ceux-ci ne lui permettent,
selon les termes de René Chapus, que d’« expliciter ce à quoi la chose jugée
oblige, mais, ce faisant, il reste juge »47. Sans doute serait-il plus conforme à la
logique juridique de poser que le juge administratif est le juge de la précision des
obligations découlant du caractère exécutoire de ses décisions48. Preuve en est
attestée par les pouvoirs dits « d’exécution » limités à ce que la décision de justice
« implique nécessairement ».
Ainsi, tant la loi du 16 juillet 1980 instituant la possibilité de demander au
Conseil d’État, statuant au contentieux, de prononcer une astreinte pour assurer
l’exécution des décisions rendues par les juridictions administratives, que la loi
du 8 février 1995 qui institue une procédure d’injonction d’exécution, ou même
plus spécialement et tout récemment la loi du 9 décembre 2016 habilitant la
juridiction à
« prescrire de réintégrer toute personne ayant fait l’objet d’un licenciement, d’un non-
renouvellement de son contrat ou d’une révocation en méconnaissance du deuxième
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alinéa de l’article L. 4122-4 du code de la défense, du deuxième alinéa de l’article
L. 1132-3-3 du code du travail ou du deuxième alinéa de l’article 6 ter A de la loi
n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires »,

ne confèrent de pouvoirs d’auto-exécution à la juridiction administrative. Cette


dernière peut « prescrire à une personne (…) de prendre une mesure d’exécution
dans un sens déterminé », elle peut « prescrire de réintégrer » une personne, elle
peut « prescrire qu’une nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé »,
elle peut même « liquider une astreinte », ou encore « enjoindre ». Mais la
juridiction ne prend pas la mesure d’exécution, ne réintègre pas, ne procède pas
au paiement de l’astreinte. Elle n’est pas le bras séculier de ses propres ordres.
Quant aux procédures d’éclaircissement « sur les modalité d’exécution de
la décision de justice » adressées tant aux présidents des TA et CAA49 qu’à la
Section du Rapport et des études du Conseil d’État50, à considérer même qu’il
s’agisse d’un réel pouvoir d’exécution (ce qui n’est pas), la saisine soit du
président de la juridiction soit de la section du rapport et des études empêche

47 R. CHAPUS, débats, La revue adm., n° spécial 1 : « Évolutions et révolution du contentieux


administratif », 1999, p. 82.
48 Les pouvoirs reconnus au juge administratif par le livre IX du CJA ne sont pas limités à la seule
exécution de la chose jugée. Ils permettent également au juge de préciser les obligations
découlant nécessairement d’une ordonnance de référé (pour le sursis à exécution : CE, Sect.,
20 décembre 2000, Ouatah, n° 206745 ; pour le référé-suspension : CE, 5 mars 2001, Saez et
a., n° 230045).
49 R. 921-1 et s. CJA.
50 R. 931-1 et s. CJA.

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La notion d’exécution des décisions de justice administrative 23

de considérer que le juge auto-exécuterait ses propres décisions puisque ni le


président de la juridiction saisie ni le Conseil d’État ne sont alors saisi dans leur
fonction juridictionnelle51. Au surplus, penser le cumul successif d’intervention
de la juridiction administrative en terme exclusivement juridictionnel pourrait
méconnaitre « le principe d’impartialité et le droit à exercer un recours juridic-
tionnel effectif 52» puisque, le cas échéant, chaque juridiction après avoir statué
de manière définitive pourrait « ultérieurement avoir à se prononcer comme
juge53 ».

Cela explique d’ailleurs la présence de circulaires du premier ministre aux


préfets et aux ministres afin de leur rappeler la nécessité d’exécuter les décisions
de justice : elles sont la preuve que l’exécution ne relève pas de la compétence
des juridictions.

B. L’exécution forcée, compétence in fine exclusive du pouvoir


exécutif

Sans doute parce la réalité l’impose, les solutions juridiques ont toujours limité
– c’est-à-dire justifié de la manière la plus restreinte qui soit – cette compétence.
Le Conseil d’État l’a explicitement exprimé « le justiciable nanti d’une sentence
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judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur
l’appui de la force publique pour assurer l’exécution du titre qui lui a été ainsi
délivré54 ».

Concernant l’hypothèse de l’exécution forcée des décisions de justice,


Laferriere l’a clairement affirmé :
« l’exécution à donner à l’arrêt rentre dans les attributions de l’administration active,
puisqu’elle se lie étroitement à l’exercice de la puissance publique. Elle ne saurait donc
relever que de l’autorité et de la responsabilité ministérielles et non de la juridiction
contentieuse »55.

La mise en œuvre des voies d’exécution (régies notamment par le code de


procédure civile lorsqu’elles visent des personnes privées) ne relèvent que de
l’administration active56, c’est-à-dire in fine du gouvernement.

51 CE, 29 décembre 2000, Colombeau, p. 1141.


52 CC, QPC n° 2017-624, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Durée maximale de l’assignation à résidence
dans le cadre de l’état d’urgence].
53 Ibid.
54 CE, 30 novembre 1923, Sieur Couitéas, n° 38284.
55 E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault,
t. 1, 2e éd., 1896, pp. 350-351.
56 Concernant la vente des biens des communes, E. Laferrière rappelle qu’elle est prévue depuis
la loi du 18 juillet 1837 et qu’elle autorise tout créancier porteur d’un titre exécutoire à obtenir
par décret une « vente forcée, une sorte de saisie et d’expropriation par la voie administrative »
tant pour les meubles que pour les immeubles, mais uniquement s’il s’agit de biens « autres que
ceux servant à un usage public » (Traité de la juridiction, t. 1, 2e éd., p. 353). La parenté avec la

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24 Christophe FARDET

On comprend alors pourquoi la doctrine a développé tout les argumentaires


pour lier ce pouvoir d’exécution : il y va du respect de la séparation des Pouvoirs
(l’administration ne pouvant pas ne pas respecter la chose jugée) il y va des
garanties d’un État de droit (la norme individuelle devant se fonder sur une norme
générale).

Selon Laferrière,
« Il ne faut pourtant pas conclure de cette absence de sanction légale, que le ministre,
en exécutant les condamnations prononcées contre l’État, n’accomplit qu’un acte de
déférence envers la juridiction qui les a prononcées, un acte de justice envers la partie
qui les a obtenues, et qu’il lui appartient d’apprécier l’opportunité d’un ordonnance-
ment ou d’une demande de crédit. Il a le devoir strict, le devoir juridique de pourvoir à
cette exécution, parce qu’elle lui est prescrite par une autorité supérieure à l’autorité
ministérielle et qui s’impose à tous les pouvoirs de l’État : « Au « nom du peuple fran-
çais », porte la formule exécutoire, la République « mande et ordonne au ministre... »
de pourvoir à l’exécution de la « présente décision ». Cette injonction ne laisse place à
aucune appréciation portant sur le mérite de la décision ou sur les avantages ou les
inconvénients de son exécution »57 ».

Selon Carré De Malberg :


« Si les administrateurs ont le devoir de se conformer aux décisions des tribunaux admi-
nistratifs, […] c’est parce que, dans le système de l’unité de l’État, tout acte fait par une
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autorité opérant dans le cadre de sa compétence régulière doit normalement valoir
au regard des autres autorités étatiques même si elles sont indépendantes, et à la
condition toutefois qu’elles ne soient pas elles-mêmes hiérarchiquement supérieures,
comme une manifestation de l’activité de la personne État une et indivisible »58.

Le fondement juridique sur lequel reposent les argumentations de Laferrière


et de Carré de Malberg est la séparation des Pouvoirs. Toutefois il est étonnant
de constater qu’ils y parviennent sur des arguments quasiment opposés. Alors
que selon Laferrière, l’exécution des décisions de justice par le ministre est une
obligation juridique en ce qu’elle est énoncée par une « autorité supérieure à
l’autorité ministérielle qui s’impose à tous les pouvoirs », selon Carré de Malberg
en revanche, l’obligation réside dans l’indépendance entre autorités étatiques
qui oblige chacune d’entre elles (chaque Pouvoir) à appliquer les décisions des
autres.
Ce fondement constitutionnel est d’ailleurs explicitement consacré en
jurisprudence ainsi que le rappelle le Conseil d’État
« le représentant de l’État, saisi d’une demande en ce sens, doit prêter le concours de
la force publique en vue de l’exécution des décisions de justice ayant force exécutoire ;
que seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l’ordre public, ou

jurisprudence « société fermière de Campoloro » (CE, Sect., 18 novembre 2005, n° 271898) est
patente.
57 E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault,
t. 1, 2e éd., 1896, p. 348.
58 R. CARRE de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, t. I, p. 725.

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La notion d’exécution des décisions de justice administrative 25

des circonstances postérieures à une décision de justice ordonnant l’expulsion d’occu-


pants d’un local, faisant apparaître que l’exécution de cette décision serait de nature à
porter atteinte à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans
qu’il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le
concours de la force publique »59.

D’ailleurs, il n’est pas anodin de constater que le rappel juridictionnel de cette


obligation d’exécution des décisions de justice est périodique60. Ce qui ne peut
que poser question : une norme aussi solennelle que la séparation des Pouvoirs
inscrite dans le marbre constitutionnel ne devrait pas avoir besoin de donner lieu
à un quelconque rappel : alors pourquoi cette réitération, sinon parce la « piqure
de rappel » semble nécessaire ?
Et la nécessité est double. Elle est d’abord juridique – et c’est conforme au
droit – dès lors qu’au principe de l’obligation d’exécuter les décisions de justice,
déroge « le devoir d’apprécier les conditions de cette exécution et le droit de
refuser le concours de la force61 » tant que l’administration « estime qu’il y a danger
pour l’ordre et la sécurité ». Dès lors, la tentation administrative de s’exonérer de
l’obligation en invoquant l’exception doit être sans cesse cadenassée par le rappel
jurisprudentiel, lequel peut aller jusqu’à distinguer la compétence du juge des
référés administratifs : si dans le cadre d’un référé suspension le juge des référés
ne peut pas ordonner l’exécution, le juge du référé-liberté peut, « si le refus de
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concours est manifestement illégal, enjoindre au préfet d’accorder ce concours
dans la mesure où une telle injonction est seule susceptible de sauvegarder
l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte62 ».
Elle est ensuite politique – et la conformité au droit peut ne pas s’imposer avec la
force de l’évidence – car pour reprendre le doux euphémisme du président Théry,
si l’exécution de la décision nécessite l’édiction d’un décret, elle « fait échec à un
acte de nature politique et les choses deviennent plus compliquées63».
C’est, en tout état de cause, dire que l’exécution des décisions de justice
échappe au juge.
Concernant l’exécution forcée des décisions administratives – hypothèse
plus problématique car c’est alors un cas d’auto-exécution – Romieu l’ayant
parfaitement identifié, a cherché à le délimiter au plus près :
« si les citoyens n’obéissent pas, s’ils n’obtempèrent pas volontairement au comman-
dement qui est obligatoire pour eux, comment assurera-t-on l’exécution matérielle des
actes de puissance publique ? Quels sont les procédés de coercition ? L’Administration

59 CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.


60 Sans prétendre à l’exhaustivité, Cf., CE, 26 juin 1968, Martinod, p. 399 ; CE, 17 mars 1971,
Durand, p. 219 ; CE, 3 mars 1976, Ep. Renaudin, p. 131 ; CE 14 déc. 1983, Jacq, p. 510 ;
CE, sect., 5 nov. 2003, Assoc. « Convention vie et nature pour une écologie radicale », p. 444 ;
CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.
61 CE, 30 novembre 1923, Sieur Couitéas, n° 38284.
62 CE, 1er juin 2017, SCI La Marne Fourmies, n° 406103.
63 J.-F. THERY, débats, La revue adm., n° spécial 1 : Évolutions et révolution du contentieux
administratif (1999), p. 78.

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qui commande, se trouvant d’ailleurs disposer de la force publique, il y aurait pour


elle, une tentation bien naturelle de se servir directement de la force publique, qui
est dans sa main, pour contraindre les citoyens à se soumettre aux ordres qu’elle a
donnés ou qu’elle est chargée de faire exécuter. Mais on voit sans peine combien un
pareil régime serait dangereux pour les libertés publiques, à quels abus il pourrait
donner lieu. Aussi est-ce un principe fondamental de notre droit public, que l’Adminis-
tration ne doit pas mettre d’elle-même la force publique en mouvement pour assurer
manu militari l’exécution des actes de puissance publique, et qu’elle doit s’adres-
ser d’abord à l’autorité judiciaire qui constate ta désobéissance, punit l’infraction,
et permet l’emploi des moyens matériels de coercition »64.

Ainsi, l’auto-exécution par l’autorité administrative de ses propres décisions


est en principe exclue. Par dérogation, dans certaines hypothèses sériées par
Romieu – véritable « code de l’exécution forcée » – où le recours à la juridiction
pour délivrer le titre d’exécution est impossible (urgence, absence de voie de droit
sanctionnant le comportement du justiciable récalcitrant, habilitation légale),
l’administration est fondée à recourir elle-même à l’exécution forcée, c’est-à-dire
à auto-exécuter ses décisions.

Au final et en toute hypothèse, l’exercice de l’exécution ne peut relever que de


la compétence administrative, c’est-à-dire que d’une fonction exécutive.
Cela amène deux réflexions.
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La première concerne la théorie réaliste de l’interprétation. Affirmer que le
juge est l’auteur final de la norme au motif qu’il est l’interprète authentique parait
fragile. Car évidemment, exécuter c’est interpréter. L’auteur final de la norme n’est
donc pas le juge, mais l’autorité administrative en ce qu’elle exécute la décision
de justice. Est alors posée l’horrible question de savoir si la théorie réaliste de
l’interprétation ne consacre pas l’État de police puisque seules des normes de
police existent, et au final des normes seulement individuelles.
La seconde concerne la théorie du gouvernement des juges. La doctrine
s’est focalisée sur le risque d’atteinte au principe de la séparation des Pouvoirs
dans les hypothèses où le juge posait des règles, par des arrêts (voire des avis)
de règlement. Mais le gouvernement des juges réside-t-il véritablement dans
l’édiction des normes générales ? N’est-ce pas plutôt s’il pouvait exécuter ses
propres décisions que le juge exercerait une fonction exécutive, c’est-à-dire un
véritable gouvernement des juges ?

Résumé

Pouvant se définir comme « l’action de faire passer le droit dans les faits »,

64 Concl. ROMIEU sous TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône,
p. 714.

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La notion d’exécution des décisions de justice administrative 27

l’exécution irrigue l’ensemble du droit public (Pouvoir exécutif, exécution des


lois, exécution forcée, décision exécutoire, etc.). Pour autant, il apparait qu’il faut
distinguer le titre d’exécution de son exercice. Si le titre d’exécution est intrinsèque
à toute décision de justice, c’est parce qu’il est consubstantiel à l’existence de
toute décision mais qu’il est renforcé concernant les décisions de justice par la
formule exécutoire. Quant à l’exercice de l’exécution, la séparation des Pouvoirs
exclut l’auto-exécution de ses décisions par le juge, pouvant seulement en
ordonner l’exécution par l’administration. En conséquence, l’exécution forcée des
décisions relève toujours du pouvoir exécutif, compétence découlant de la formule
exécutoire pour les décisions de justice, compétence en principe interdite sans
habilitation juridictionnelle concernant ses propres décisions. Au final, l’exercice
de l’exécution nécessite la collaboration des Pouvoirs : l’administration a besoin
de la formule exécutoire pour recourir à l’exécution forcée, mais la formule
exécutoire a besoin de l’administration pour être réalisée.

Abstract

Defining itself as “the action of putting the law into practice”, the execution
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irrigates the whole of public law (executive power, execution of laws, enforced
execution, enforceable decision, etc.). However, it appears that the title of execution
must be distinguished from its exercise. If the execution title is intrinsic to any court
decision, it is because it is consubstantial to the existence of any decision but it
is reinforced with regard to court decisions by the enforcement formula. As for the
exercise of execution, the separation of powers excludes self-execution of its decisions
by the judge, who can only order its execution by the administration. Consequently,
the enforcement of decisions always falls within the competence of the executive
branch, a competence deriving from the enforceable formula for judicial decisions,
which is in principle prohibited without judicial authorization for its own decisions.
In the end, the exercise of execution requires the collaboration of the Powers:
the administration needs the enforcement formula to resort to enforcement,
but the enforcement formula needs the administration to be carried out.

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