Vous êtes sur la page 1sur 8

Alice TAISSON Conférence de Droit public approfondi

20/05/2003

Exposé : Le juge administratif est-il indépendant ?

Introduction

I- La conception de « l’administrateur-juge » demeure encore en partie


aujourd’hui, mettant en cause l’impartialité du juge administratif

A. Les critiques sur l’indépendance organique du juge administratif

 L’emprise du pouvoir sur le recrutement


 Les liens privilégiés du juge administratif avec l’administration active

B. L’exigence par la Convention européenne des droits de l’homme d’un « tribunal


indépendant » pourrait rendre des adaptations de la juridiction administrative française
nécessaires

 Le procès équitable posé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de


l’homme
 Le cumul d’attributions consultatives et juridictionnelles: une atteinte à l’impartialité du
juge administratif ?

II- Le juge administratif bénéficie néanmoins d’une indépendance


effective, qui le met en mesure de s’acquitter de ses fonctions avec l’objectivité et
l’impartialité qui s’imposent à tout magistrat

A. L’impartialité et l’indépendance du juge administratif sont aujourd’hui assurées

 La jurisprudence du Conseil d’Etat a imposé l’indépendance et l’impartialité du juge


administratif
 L’indépendance de la juridiction administrative vis-à-vis des pouvoirs est
constitutionnellement consacrée depuis 1980

B. Les règles de statut et les conditions de gestion de la juridiction administrative,


quoique moins définies par les textes que garanties par la pratique, viennent
conforter l’indépendance du juge administratif

 Un statut d’indépendance inégalement garanti entre les juges administratifs, mais effectif 
 L’autogestion de la juridiction administrative par le Conseil d’Etat

Conclusion

1
Introduction

L’affirmation du juge administratif et son indépendance vis-à-vis des pouvoirs


résultent d’un long processus : le Conseil d’Etat était, à son origine, dépourvu de rôle
juridictionnel : la justice était « retenue » par le pouvoir exécutif, même si les avis étaient
rarement contredits. C’est finalement sous la troisième République que la haute juridiction
acquiert son indépendance en matière contentieuse : le système de la « justice retenue » est
abandonné au profit de la « justice déléguée » par la loi du 24 mai 1872. Ce texte confère au
Conseil d’Etat, qui devient une véritable juridiction, le pouvoir de trancher les litiges qui
mettent en cause l’administration.
Mais l’affirmation du Conseil d’Etat en tant que juge administratif de droit commun
résulte de sa propre jurisprudence. Après les arrêts Bougard [du 24 mai 1881] et Ville de
Cannes [du 28 avril 1882], l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889 consacre l’émancipation du
Conseil d’Etat qui se proclame « juge de droit commun des litiges administratifs », rejetant la
théorie du « ministre juge ».
L’indépendance de fait de la juridiction administrative s’est donc juridiquement affirmée
au terme d’une longue évolution ; cependant, l’impartialité du juge administratif demeure
encore remise en question, notamment du fait de sa proximité avec l’administration et du
manque de garanties textuelles de son indépendance. On se demandera donc si l’on peut
véritablement parler d’indépendance du juge administratif aujourd’hui, en voyant dans un
premier temps les remises en cause dont le juge administratif continue à faire l’objet ; puis on
verra dans une deuxième partie que l’indépendance du juge administratif apparaît néanmoins
comme effective.

I- La conception de « l’administrateur-juge » demeure encore en partie


aujourd’hui, mettant en cause l’impartialité du juge administratif

A. Les critiques sur l’indépendance organique du juge administratif

 L’emprise du pouvoir sur le recrutement

Si tous les auditeurs de seconde classe sont recrutés par concours, à l’issue de la scolarité
à l’ENA, et si les auditeurs de première classe se recrutent exclusivement parmi les
précédents, la possibilité de nommer au « tour extérieur » une fraction des maîtres des
requêtes et des conseillers d’Etat donne au gouvernement une certaine emprise sur la
composition du Conseil d’Etat. Justifié par le souci de faire entrer au Conseil des personnes
ayant acquis une expérience professionnelle dans d’autres corps de fonctionnaires ou dans
d’autres professions et pouvant de ce fait apporter au Conseil d’Etat, notamment dans sa
fonction consultative, des compétences précieuses, l’existence du tour extérieur est souvent
présentée comme une entorse évidente au principe d’indépendance et contribue à alimenter le
soupçon de politisation de la justice administrative.
Néanmoins, si les personnes nommées au tour extérieur sont rarement choisies en fonction
de critères exclusivement politiques, l’impact du tour extérieur sur la composition du corps est
limité en pratique par le fait que les membres nommés au tour extérieur, plus âgés en
moyenne que leurs collègues à ancienneté égale, quittent plus rapidement le Conseil d’Etat, ce
qui diminue leur importance numérique ; et surtout, à la suite de la polémique qu’ont

2
provoquée les nominations au tour extérieur, des textes sont venus encadrer l’exercice des
compétences gouvernementales1.

 Les liens privilégiés du juge administratif avec l’administration active

On reproche aussi au juge administratif de faire encore partie intégrante de


l’administration et d’apparaître comme un démembrement de l’exécutif. En particulier, la
dualité d’attributions du juge administratif français entraîne le fait que la mission consultative
du Conseil d’Etat fait de lui le collaborateur direct du pouvoir exécutif, tandis que sa mission
de juge le pose au contraire en censeur potentiel de ce même pouvoir.
Enfin, tandis que le tour extérieur permet de faire entrer au Conseil d’Etat ou dans les
tribunaux administratifs des fonctionnaires ayant occupé antérieurement d’autres emplois
dans l’administration, les membres de la juridiction administrative sont fréquemment appelés
à exercer des tâches dans l’administration active. On peut objecter que juger l’administration
suppose de bien la connaître ; il n’en reste pas moins que cette imbrication entre juridiction
administrative et administration active est souvent considérée comme portant atteinte à
l’indépendance du juge administratif.

B. L’exigence par la Convention européenne des droits de l’homme d’un


« tribunal indépendant » pourrait rendre des adaptations de la juridiction administrative
française nécessaires

 Le procès équitable posé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de


l’homme

Le principe du droit à un procès équitable, posé par l’article 6-1 de la Convention


européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 2, a pour
conséquence que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal
indépendant et impartial. Cette règle, qui s’applique à une partie notable du contentieux
administratif, a des impacts majeurs sur le fonctionnement des juridictions administratives.
Ainsi, la Cour attache une grande importance à l’inamovibilité des juges, tout en admettant
que celle-ci n’a pas besoin de consécration expresse en droit ; une reconnaissance de fait
suffit.

Les pans qui subsistent d’immunité de juridiction ou d’irresponsabilité interpellent la


Cour et devraient l’obliger à préciser sa jurisprudence, ce qui ne manquera pas d’avoir des
conséquences sur la jurisprudence administrative française. Enfin, deux séries de précédents
(les arrêts de la Cour relatifs à la procédure suivie devant les Cours suprêmes, et l’arrêt
Procola) soulèvent de nombreuses interrogations, voire des inquiétudes.

 Le cumul d’attributions consultatives et juridictionnelles : une atteinte à l’indépendance


du juge administratif ?

1
La loi du 28 juin 1994 prévoit d’une part que le vice-président fait connaître chaque année au PM les besoins
du corps et d’autre part qu’il est appelé à donner un avis individuel - rendu public – sur chaque nomination au
tour extérieur. Le CE statuant au contentieux s’est aussi reconnu le droit, dans des affaires qui concernaient des
nominations au tour extérieur dans les corps d’inspection, de censurer une nomination entachée d’erreur
manifeste d’appréciation en raison de l’absence évidente d’adéquation des compétences des personnes nommées
avec les tâches qui leur sont confiées.
2
« toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement […] par un tribunal indépendant et
impartial, établi par la loi »

3
Dans une affaire Procola c/ Luxembourg, jugée en 1995, la Cour européenne des droits de
l’homme a en effet estimé que le fait que, au sein du CE luxembourgeois, certaines personnes
exerçaient successivement, à propos des mêmes décisions, des fonctions consultatives et des
fonctions juridictionnelles, était de nature à mettre en cause l’impartialité de l’institution, en
violation de l’art. 6-1 de la CEDH.
Or, le Conseil d’Etat en France cumule également des fonctions consultatives et des
fonctions juridictionnelles:  il peut ainsi être amené à se prononcer, en formation
administrative, sur un projet de décret dont il aura à connaître par la suite au contentieux, dans
le cadre d’un recours pour excès de pouvoir formé contre ce décret. On peut dès lors se
demander jusqu’à quel point ce manque d’impartialité, s’applique au Conseil d’Etat français
et si ce dernier ne sera pas obligé, à terme, d’évoluer vers une plus grande « indépendance »
des juges administratifs du contentieux. Toutefois, on considère généralement que le Conseil
d’Etat n’encourrait pas, compte tenu de ses règles de fonctionnement, les mêmes reproches
que son homologue luxembourgeois : il compte en effet plus de membres, et il est
relativement aisé de faire en sorte que ceux qui jugeraient de la légalité de l’acte ne soient pas
ceux qui auraient eu à en connaître en formation administrative.
Par ailleurs, un deuxième problème majeur soulevé par la CEDH est l’institution du
commissaire du gouvernement, qui semble être mise en cause du fait de l’égalité entre les
parties. En effet, la Cour européenne pourrait se fonder sur le fait que le commissaire a
connaissance du rapport du magistrat rapporteur, dans laquelle une solution au litige est
proposée. Il apparaît toutefois qu’il n’est pas le représentant du gouvernement, mais un
membre de la juridiction à laquelle il appartient, désigné à seule fin de donner publiquement,
en droit et en conscience, son avis sur la solution qu’appelle, selon lui, chaque litige. Il n’est
donc la voix d’aucun pouvoir et ne défend ni le gouvernement, ni l’administration, ni la
société. Il ne juge pas ; le tribunal ou la cour administrative reste totalement libre de retenir
une solution différente de celle qu’il propose.

II- Le juge administratif bénéficie néanmoins d’une véritable


indépendance, qui le met en mesure de s’acquitter de ses fonctions avec
l’objectivité et l’impartialité qui s’imposent à tout magistrat

A. L’impartialité et l’indépendance du juge administratif sont aujourd’hui assurées

 La jurisprudence du Conseil d’Etat a imposé l’indépendance et l’impartialité du juge


administratif

Des arrêts anciens du Conseil d’Etat ont dégagé les principes et les règles de
l’indépendance et de l’impartialité du juge administratif ; ainsi, de nombreuses obligations
s’imposent aux juridictions administratives :
- elles doivent être composées de personnes ayant qualité pour siéger et le quorum doit être
atteint (CE, 16 déc. 1955, Dame Bourokba ; CE, 21 mars 1947, Drouard) ;
- tout jugement doit mentionner le nom des juges ayant siégé (CE, 23 janvier 1948, Bech) ;
- un magistrat qui a conclu devant une juridiction en qualité de commissaire du
gouvernement n’a pas le droit de siéger ensuite au sein de la formation délibérante dans la
même affaire (CE, 21 octobre 1966, Société française des mines de Sentein) ;
- l’auteur d’une décision (ou le membre d’un organe collégial ayant pris une décision) ne
peut siéger dans la formation de jugement statuant sur un recours dirigé contre cette
décision (CE, 2 mars 1973, Dlle Arbousset) ;

4
- le secrétaire ou greffier peut assister au délibéré, sans voix délibérative, de même que le
commissaire du gouvernement3 (CE, 15 janvier 1937, Mac-Gée ; CE, 15 octobre 1954,
Société financière de France / CE, 24 janvier 1930, Brohon-Régnier).
Le Conseil d’Etat veille donc fermement à l’impartialité des membres des juridictions
administratives. Les principes selon lesquels l’administration ne peut exercer aucune pression
sur le juge administratif et ne peut réformer ses décisions sont ancrés dans le droit public
français, au moins depuis le Second Empire. Ce n’est que dans des circonstances très
exceptionnelles de crise que l’Etat a refusé de s’incliner devant l’autorité de la chose jugée par
le Conseil d’Etat, comme dans le cas de l’arrêt Canal de 1962.

 L’indépendance de la juridiction administrative vis-à-vis des pouvoirs est


constitutionnellement consacrée depuis 1980

- La consécration de l’inamovibilité du juge administratif

Sans l’exigence d’indépendance, il n’y a pas de justice véritable. C’est ce qu’a rappelé le
Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 juillet 1980 : saisi à propos d’une loi de
validation à laquelle il était fait grief de constituer une intervention du législateur dans le
fonctionnement de la justice contraire au principe de la séparation des pouvoirs, il a ainsi eu
l’occasion de préciser que la garantie de l’indépendance des juridictions résultait « des
dispositions de l’article 64 de la Constitution en ce qui concerne l’autorité judiciaire et des
principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la
loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative ». Bien que le Conseil constitutionnel n’ait
fait expressément référence qu’à l’indépendance fonctionnelle des juridictions, la décision a
été interprétée comme érigeant l’indépendance de la juridiction administrative d’une façon
générale en principe de valeur constitutionnelle ; et le législateur en a tiré les conséquences
par la loi du 6 janvier 1986.

- Enfin, la loi du 31 décembre 1987 parachève l’indépendance de la juridiction


administrative puisqu’elle crée un nouveau degré de juridiction, les CAA, pour
alléger les tâches contentieuses du Conseil d’Etat.

Désormais constitutionnalisées, l’existence et l’indépendance de l’ordre juridictionnel


administratif ne peuvent donc plus être menacées par le législateur.

B. Les règles de statut et les conditions de gestion de la juridiction administrative,


quoique moins définies par les textes que garanties par la pratique, viennent
conforter l’indépendance du juge administratif

 Un statut d’indépendance inégalement garanti entre les juges administratifs, mais effectif

- La situation particulière des membres du Conseil d’Etat :

3
La participation du commissaire au délibéré des juridictions administratives est mise en cause dans une instance
pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme : c’est l’affaire Kress c/ France, qui a été jugée par la
Grande Chambre le 7 juin 2001.

5
 
Les membres du Conseil d’Etat sont des fonctionnaires de droit commun, même soumis à
un statut particulier dérogatoire. A ce titre, c’est le décret du 30 juillet 1963 qui applique aux
membres du Conseil d’Etat les règles générales de la fonction publique en matière de
positions statutaires, de congé ou encore de discipline sans leur conférer l’inamovibilité.
Les garanties d’indépendance des membres du Conseil d’Etat existent pourtant et reposent
sur les règles non écrites d’organisation et de fonctionnement du corps, au titre d’une pratique
considérée comme une véritable coutume administrative. Bien que la présidence du Conseil
d’Etat soit assurée en droit par le Premier Ministre, et en son absence par le Garde des
Sceaux, il s’agit d’une présidence de pure forme, qui n’implique aucune participation à
l’exercice effectif de la fonction consultative et encore moins contentieuse non plus qu’à la
gestion de l’institution : c’est le vice-président qui assure à la fois la présidence effective du
Conseil et les fonctions d’un chef de corps.
D’autre part, la tradition veut que, depuis le Second Empire, aucun Gouvernement n’ait
jamais cherché à sanctionner l’activité des membres du Conseil d’Etat. Même si, avant la
réforme de 1963, un membre du Conseil d’Etat, M. Jacomet, a été durement sanctionné en
raison de ses fonctions extérieures. 
Bien qu’il se fût agi en l’espèce de fonctions exercées à l’extérieur du Conseil d’Etat, cette
« affaire » a montré les limites des garanties qu’en l’absence de texte, la pratique peut
apporter aux membres du Conseil. L’inamovibilité des membres du Conseil d’Etat n’est en
effet inscrite dans aucun texte.
Il est, en tout cas, une règle coutumière à laquelle les membres du Conseil et les autorités
qui les gèrent sont très attachés, car elle leur apparaît comme une garantie fondamentale de
leur indépendance : c’est celle selon laquelle, sous réserve du tour extérieur, l’avancement de
grade jusque et y compris au grade de conseiller se fait en pratique à l’ancienneté au fur et à
mesure des vacances, ce qui assure aux membres du Conseil d’Etat une grande indépendance,
tant à l’égard des autorités politiques qu’à l’égard des autorités du Conseil d’Etat elles-
mêmes.

Enfin, l’indépendance fonctionnelle du Conseil d’Etat dans l’exercice de ses attributions


contentieuses est scrupuleusement respectée : ainsi, les conseillers d’Etat en service
extraordinaire, choisis « parmi les personnalités qualifiées dans les différents domaines de
l’activité nationale » et qui sont le plus souvent des hauts fonctionnaires qui continuent à
assurer parallèlement leurs fonctions d’origine, ne peuvent siéger dans les formations
contentieuses.

- Juridictions subordonnées :

Mis à part les magistrats des juridictions des comptes, les membres des juridictions
subordonnées ne jouissaient jusqu’à récemment d’aucune garantie spécifique par rapport à
celles de l’ensemble des fonctionnaires, sans pour autant bénéficier des effets protecteurs dont
bénéficient les membres du Conseil d’Etat.
En effet, lors de la création de la Cour des comptes en 1807, la nomination à vie des
membres de la Cour était expressément prévue. Il y avait là un principe d’inamovibilité qui
signifiait que toute mutation, même en avancement, était liée à une demande du magistrat
intéressé. Lors de la création des chambres régionales des comptes, ces dispositions seront
textuellement transposées par la loi du 2 mars 1982, l’ensemble étant repris par l’article 11 de
la loi du 10 janvier 1984.
Quant aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel,
ils sont demeurés en 1963 des fonctionnaires avec un statut inspiré de celui des

6
administrateurs civils. Mais à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet
1980, le législateur a inséré dans la loi du 11 janvier 1984 portant statut des fonctionnaires de
l’Etat un article 9 qui disposait que « la loi fixe les règles garantissant l’indépendance des
membres des tribunaux administratifs », annonçant ainsi l’intervention prochaine de la loi du
6 janvier 1986 qui fixe les règles garantissant l’indépendance des membres des
tribunaux administratifs, et qui est désormais également applicable aux membres des cours
administratives d’appel.
Au premier rang des garanties figure d’abord l’inamovibilité. Elle est consacrée
par la disposition selon laquelle « lorsqu’ils exercent leurs fonctions de magistrats dans une
juridiction administrative, (les conseillers des tribunaux et des cours administratives d’appel)
ne peuvent recevoir, sans leur consentement, une affectation nouvelle, même en
avancement ».
La loi institue par ailleurs un Conseil supérieur des tribunaux administratifs, conçu comme
devant être le garant de l’indépendance des magistrats administratifs. 
Enfin, la loi du 25 mars 1997 – portant dispositions statutaires relatives au corps des
tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel – n’est pas revenue sur ce
principe, mais elle a doté les membres des tribunaux administratifs et des cours
administratives d’appel d’un statut, non inspiré par celui des magistrats de l’ordre judiciaire,
mais tiré directement de celui des corps d’inspections générales, mieux adapté au respect de
l’indépendance des magistrats.

 L’autogestion de la juridiction administrative par le Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a une tradition d’autogestion : rattaché budgétairement au ministère


de la Justice depuis 1963, il est géré par ses organes internes : vice-président, bureau et
secrétaire général. Le vice-président est le véritable chef de corps. C’est lui qui est ainsi
ordonnateur des crédits budgétaires affectés au Conseil ou qui exerce le pouvoir réglementaire
pour toutes les mesures d’ordre intérieur non prévues par des dispositions particulières ; de
même, c’est lui qui exerce le pouvoir disciplinaire pour les avertissements et les blâmes ou
encore qui autorise les membres du Conseil à participer à des activités administratives ou
extérieures. En outre, le vice-président du Conseil d’Etat est l’autorité gestionnaire du corps
des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, juridictions
inférieures dont il est également l’ordonnateur principal des dépenses de fonctionnement et
d’investissement.
En conséquence, depuis les lois du 6 janvier 1986 et du 31 décembre 1987, trois
instances exercent en commun la responsabilité de la gestion administrative et financière des
tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, veillant à garantir au mieux leur
indépendance :
- le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives
d’appel ;
- la mission permanente d’inspection des juridictions administratives ;
- le Conseil d’Etat : sous l’autorité du vice-président du Conseil d’Etat, cette gestion
est assurée par le secrétaire général du Conseil d’Etat, auprès de qui sont placés,
d’une part, un secrétaire général adjoint spécialement chargé des tribunaux
administratifs et des cours administratives d’appel, d’autre part, le service des
tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (STACAA).

Conclusion

7
La justice administrative a mis longtemps à s’émanciper de sa soumission à l’exécutif
et à se soustraire à l’influence du pouvoir. De fait, l’emprise du pouvoir sur le recrutement des
membres de la juridiction administrative n’a pas complètement cessé, puisque les nominations
dites « au tour extérieur », laissées à l’entière discrétion du Gouvernement, prêtent encore à
discussion. Il est donc parfois encore reproché à la juridiction administrative de conserver
aujourd’hui certaines marques de son statut initial. Par ailleurs, si les membres des juridictions
subordonnées bénéficient ainsi désormais de garanties inscrites par la loi, il n’en va pas de
même des membres du Conseil d’Etat, dont seules des règles non écrites adossées à la
tradition et l’appartenance protectrice à un grand corps garantissent l’indépendance.
Quoi qu’il en soit, on peut dire aujourd’hui que la juridiction administrative est
caractérisée par l’indépendance et le souci de dire le droit avec précision et objectivité. Le
procès administratif n’est jamais le procès fait à une personne, mais toujours le procès fait à
un acte, une décision de l’administration. Le procès administratif y gagne de ce fait en
sérénité et en indépendance.
Par ailleurs, l’indépendance du juge administratif est aujourd’hui confortée dans son
principe. L’administration accepte d’être jugée ; elle conserve la garantie de l’être par un juge
particulier et plus proche d’elle, mais pour autant sans complaisance ni complicité avec elle.
La position spéciale du juge administratif est devenue sa force, même si le système de la
juridiction administrative reste encore à perfectionner.

Vous aimerez peut-être aussi