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UNIVERSITE DE YAOUNDE II

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques

Année Académique 2023-2024

LICENCE III DPR

Cours de Contentieux Administratif

Pr. Jean – Calvin ABA’A OYONO

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Il est toujours utile de commencer par établir un lien entre le droit


administratif et le contentieux administratif. Le droit administratif a vocation à
établir les principes de droit relatifs à la fixation des prérogatives dont
bénéficient aussi bien l’administration que la puissance publique. En d’autres
termes, le droit administratif s’appréhende comme cette balise automatique qui
détermine les limites du pouvoir de l’administration face au champ de liberté du
citoyen. Sous une autre formule, le droit administratif est un rempart contre
l’arbitraire administratif mettant en péril le fragile administré. On est donc en
présence de ce qui est convenu d’appeler le droit substantiel.

Parallèlement, le contentieux administratif peut se prétendre comme ce


bouclier juridique qui permet à l’administré, au moyen d’une saisine préalable
du juge, de se faire rétablir dans la jouissance de sa prérogative rompue par
l’arbitraire de l’administration. Le contentieux administratif apparait dès lors
comme une soupape de sécurité qui préserve contre les habitudes dictatoriales
du pouvoir administratif. On compare dès lors la formule heureuse de René
CHAPUS selon laquelle existe, entre le droit administratif et le contentieux
administratif, un lien de « droit protecteur à droit protégé », étant entendu que,
martelons-le, le droit administratif est le droit protégé et le contentieux
administratif le droit protecteur.

En dépit de ce lien consubstantiel, il est tout de même important de faire


observer que ces deux disciplines juridiques bénéficient d’une autonomie
pédagogique. Le droit administratif substantiel enseigné au niveau 2 restitue les
données théoriques de l’organisation et du fonctionnement administratif. A
l’échelle supérieure du niveau 3, on en vient au contentieux administratif, encore
appelé droit processuel, qui est révélateur des outils techniques nécessaires à
l’implémentation du droit administratif devant le juge.

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Par comparaison, c’est la même distinction pédagogique que l’on rencontre
entre le droit pénal et la procédure pénale.

Deux idées forces vont meubler notre introduction : comment en est-on


arrivé au contentieux administratif ? Et que faut-il entendre par là ? Autant
dire que la formation historique de la discipline juridique (I) et la définition
même du contentieux administratif (II) en seront l’armature de cette
introduction.

I- LA FORMATION HISTORIQUE DE LA DISCIPLINE JURIDIQUE


Le contentieux administratif est une célèbre invention du système juridique
français en contexte de monarchie et d’essor de la théorie de la séparation des
pouvoirs (A) par l’aléa colonial, le mécanisme contentieux a fait l’objet de
transposition (B).

A- Invention juridique du système français en conteste de monarchie et


d’essor de la théorie de la séparation des pouvoirs

La France monarchique, encore appelée ancien régime, était un système de


gouvernement de rebelles dans lequel le roi ou le monarque faisait l’autorité
juridique et concentrait entre ses mains l’ensemble des fonctions de juger,
d’administrer et de légiférer. Les auteurs comme John LOCKE (en
Grande-Bretagne) et MONTESQUIEU (en France) au commencement des
siècles de lumières qui faisaient prévaloir la raison, ont commencés par
déconstruire cet absolutisme royal en fixant dans les esprits le fait qu’il n’était
pas bon de permettre une telle concentration de prérogatives entre les mains
d’un seul dirigeant. Ainsi naquis la théorie de la séparation de pouvoirs.
Et ce dans ce contexte de distinction fonctionnelle et organique de pouvoirs
que sera créé le contentieux administratif et ce en deux temps. Premièrement,
une série de textes en France ne permettra plus au juge judiciaire de monopoliser
la scène juridictionnelle (1). Deuxièmement, il sera institué un système de
juridiction administrative chargé de la résolution des litiges administratifs (2).
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1- La fissuration de la position monopolistique du juge judiciaire dans
les énoncés textuels
Plusieurs textes en droit français ont interdit au juge judiciaire de continuer
à contrôler l’administration mais on en retiendra que trois significatifs :
- D’abord l’Edit de Saint Germain en Laye de 1641 interdisait au juge
judicaire d’examiner les actes « qui peuvent concerner l’Etat administration au
gouvernement d’icelui, que nous réservons à notre seule personne ».
- Ensuite, il y’a la loi des 16-24 Août 1790 sur l’organisation judiciaire qui
dispose en son article 13 : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et
demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges,
(judiciaires ne pourront à peine de forfaiture troubler de quelque manière que ce
soit les opérations de corps administratifs ni citer devant eux administrateurs
pour raison de leurs fonctions ».
- Il y’a le décret du 16 fructidor an 03 de 1792 qui dispose en son article
unique : « défense itérative sont faites aux tribunaux de connaître des actes
d’administrations de quelque espèce qu’ils soient aux peines de droit ».
Ces trois textes ont un dénominateur commun, c’est qu’ils instituent la
séparation organique et fonctionnelle de l’administration et des tribunaux
judiciaires. Le boulevard qui nous mène à la création de la juridiction
administrative est ainsi fixé.

2- L’institution d’un système juridictionnel administratif sur le modèle


d’un édifice étagé
L’interdiction faite au juge judiciaire de contrôler l’administration a alors
donnée lieu à la création des juridictions spécialisées appelées juridictions
administratives :
- Dans un premier mouvement, le conseil d’Etat a été créé au niveau
national par les constituants de l’an 08 (1872) à l’article 52 qui charge cette

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haute juridiction nationale de : « résoudre les difficultés qui se lèvent en matière
administrative. » Malgré cette consécration du Conseil d’Etat, la juridiction
connue de fortunes diverses.
Le Conseil d’Etat a d’abord connu l’époque de la justice reconnue qui fait
encore référence à la théorie du Ministre juge. Ici, l’administration continue à
se juger elle-même, les recours administratifs étant examinés par le chef de
l’Etat où certaines autorités administratives. On dit alors que, l’administration
est juge et partie.
Par la suite, on est passé à la justice déléguée, l’administration consentant
finalement à se plier au contrôle juridictionnel. Une loi du 24 Mai 1872 érige
alors le Conseil d’Etat en véritable juridiction administrative.
C’est ainsi que le célèbre arrêt CADOT du conseil d’Etat en date du 13
DECEMBRE 1893 fixera en jurisprudence la compétence de la haute juridiction
à contrôle l’administration : « Considérant que du refus du maire ou du conseil
municipal de Marseille de faire droit à la réclamation du sieur CADOT, il est né
entre les parties un litige dont il appartient au conseil d’Etat de connaître ».
Cet affranchissement du Conseil d’Etat avait été suggéré dans la cause par
le commissaire du gouvernement JAGERSCHMITT en ces termes : « partout où
il existe une autorité ayant un pouvoir propre…un débat contentieux peut naître
et le conseil d’Etat peut être directement saisi ».
- Dans un deuxième mouvement, il a été mis en place le conseil de
préfecture à l’échelle interdépartementale du premier ressort par la loi du 28
pluviôse an 07. Les tribunaux administratifs ont par la suite remplacé ce conseil
de préfecture en application d’une réforme de contentieux administratif du 30
Septembre 1953.
- Dans un troisième mouvement enfin, la loi du 31 Décembre 1987 créé au
niveau inter-régional les recours administratifs dans cinq villes de France que
sont : Paris, Nantes, Bordeaux, Lyon, Nancy, lesquelles cours fonctionneront à
partir du 01 Janvier 1989.

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B- Le destin national du mécanisme contentieux : « aléa colonial »

La réception du mécanisme français du contrôle juridictionnel de


l’administration sera tributaire de l’évolution politique du Cameroun. Autrement
dit, aux séquences de la dépendance politique de l’autonomie interne, de
l’indépendance, de la marche vers l’unité institutionnelle de l’Etat unitaire, ont
correspondu des formes particulières des juridictions administratives.

1- Le Conseil du contentieux administratif à l’époque de la dépendance


politique (1920-1959)
La France coloniale a pris l’habitude d’instituée les conseils du contentieux
administratifs dans ses territoires d’outre-mer de nouvelles Calédonie, la
Polynésie française, Wallis-et-Futuna.
Le territoire du Cameroun est sous mandat conféré par la société des
nations (SDN) par la France.
- Un décret du mandataire français en date du 14 Avril 1920 perpétue la
tradition juridictionnelle, observable dans plusieurs pays l’Afrique francophone
comme le Tchad par création de deux institutions : le Conseil du contentieux
administratif (CCA) et le Conseil d’administration du territoire (CAT).
- Un décret du 16 Avril 1921 vient fixer le droit applicable devant le
(CCA). Les deux conseils sont cloisonnés au plan fonctionnel, l’un étant
juridictionnel (CCA) et l’autre purement administratif (CAT). Cependant, il y
régnait une dépendance organique, l’administration active se confondant à la
juridiction administrative.
A l’occasion des procès administratifs, le censeur du litige était juge et
partie ce qui causait un réel problème de la dépendance de la justice
administrative.
- Un décret du 13 Avril 1927 modifié par un autre de 1928 vient amorcer le
réaménagement de la structure organique du CCA en ces termes :

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Président : haut-commissaire de la République, autorité administrative
supérieure du territoire camerounais.
Assesseurs : administrateurs en chef d’économie, le chef des travaux
publics (de préférence licencié en droit) et deux magistrats.
- L’amorce du visage indépendantiste sera perceptible avec le décret
N°52/0815/ du 08 Juillet 1952 portant modification du décret du 13 Avril 1927
réorganisant le CCA et le CAT (le journal officiel de la République française
du 12 Juillet 1957, P.73).
Avec cette amorce dépendantiste, la confusion des compétences entre la
juridiction judiciaire, l’administration active et le CCA sera soigneusement
écartée. L’article 11(nouveau) du décret de 1952 confirme désormais la
présidence de la juridiction à : « un magistrat du siège de la Cour d’appel de
Yaoundé », et celle du commissaire du gouvernement près du conseil à l’un des
administrateurs en chef des colonies ou de la France d’outre-mer
impérativement juriste de formation.
Cependant, l’autonomie du CCA sera freinée par sa constante inféodation
au Conseil d’Etat métropolitain (France) en ce sens que les décisions du CCA
font l’objet de réformation en France comme dans le système du double degré de
juridiction. Bien plus remarquable est le fait que le CCA ne pouvait connaître du
contentieux impliquant le service public de la République française pour tout
recours en annulation pour excès de pouvoirs. (Cf. Conseil d’Etat du 12 Juillet
1956 Sieurs M’PAYE, NGONE ET MOUNIER, rec., P333). En l’espèce, le
Conseil d’Etat avait déclaré l’incompétence du CCA pour connaître d’une
requête en annulation du décret du 13 Juillet 1957 portant dissolution du parti
politique UPC de RUBEN UM NYOMBE.
En revanche, la compétence du CCA se limitait aux litiges se rapportant
aux services publics locaux, au contentieux électoral, domanial, aux dommages
de travaux publics, aux statuts des fonctionnaires locaux et aux contraventions
des voiries.

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2- Le tribunal d’Etat à l’époque de l’autonomie interne (1959-1965)

Le nouveau statut politique du territoire camerounais change par décret


N°57/501/ du 16 Avril 1957. L’ordonnance N°58/1375/du 30 Décembre 1958
portant statut du Cameroun exprime cette orientation en son préambule : « Le
présent statut, qui assure la pleine autonomie de l’Etat du Cameroun,
marque la dernière étape de l’évolution des institutions…jusqu’à
l’accession du Cameroun à l’indépendance ». En conséquence de ce qui
précède, un décret N°59/83 du 04 Juin 1959 donne naissance à un tribunal d’Etat
souverain préservé de toute emprise du conseil d’Etat français. Le changement
amorcé est manifeste. Les actes juridictionnels comportant la mention :
« administration du territoire », à l’époque du CCA, font désormais place à
celle d’« Etat du Cameroun ».

Mutandis mutandis, l’article 1er du décret de 1959 fait du tribunal d’Etat


(TE) la juridiction de premier et de dernier ressort de tout le contentieux
administratif :

● Premier ressort : la décision est susceptible d’appel par devant la


juridiction supérieure.
● Deuxième ressort : la décision est susceptible de pourvoi.
On y voit les « Recours en annulation pour excès de pouvoir contre les
actes de diverses autorités administratives,…litiges relatifs aux contrats et
quasi-contrats administratifs ainsi qu’aux concessions de services
publics,…litiges intéressant le domaine public,…actions mettant en cause la
responsabilité des personnes morales de droit public,…recours en
interprétation et en appréciation de légalité, … litiges expressément
attribués à une loi ou un décret ».

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Les juges administratifs nommés par décret du Premier Ministre sont
recrutés parmi les fonctionnaires, contractuels d’administration et magistrats de
profession. Le Président et les deux assesseurs constituent la charpente
organique de la juridiction administrative.
Président et commissaire au gouvernement doivent avoir au moins des
licences en droit.
Le tribunal d’Etat fonctionne de 1959 à décembre 1965 avec cette curiosité
juridique que le texte de création reste silencieux sur le mécanisme de
réformation éventuelle des décisions. Bien plus, à la date de création du tribunal
d’Etat, au Cameroun occidental francophone exclusivement, le Cameroun
occidental anglophone reste en marge du contentieux administratif.
Le 1er Janvier 1960, le premier Cameroun accède à l’indépendance. La
brève transition de l’autonomie interne (1959-1960) sera alors l’opportunité
d’assurer un réaménagement juridictionnel à même de résoudre les deux
questions en suspens.

3- La première et éphémère cour suprême du Cameroun oriental libre


(1961-1965)

C’est la loi N°61/12/ du 26 juin 1961 qui la créée. L’article 1er reprend
intégralement les compétences énumérées par le décret de 1959 au profit du
tribunal d’Etat. L’article 2 dispose : « la cour suprême connait des pourvois en
annulation formés par les arrêts du tribunal d’Etat. Elle assure la
compétence de celui-ci par les autres juridictions. » Par cette disposition de
l’article 2, le législateur du Cameroun indépendant maintient l’existence
juridictionnelle du tribunal d’Etat. La cassation est inscrite au registre des
rapports entre le tribunal d’Etat et la cour suprême. La cour suprême devient
juridiction des conflits de compétences entre la juridiction administrative et les
juridictions de l’ordre judiciaire à l’image du tribunal des conflits français.

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Le rapprochement institutionnel du Cameroun anglophone et celui
francophone impulsera un visage renfermé de la justice administrative.

4-La cour fédérale de justice dans un Cameroun solidaire (1961-1972)

L’article 33 de la constitution fédérale du 1er septembre 1961 crée la haute


juridiction. La conséquence immédiate en est que l’Etat fédéré du Cameroun
oriental est embarqué dans l’histoire de la justice administrative, alors
qu’auparavant, les litiges où l’administration était partie demeuraient jugés par
les tribunaux ordinaires conformément à la Common Law. La cour fédérale de
justice est érigée en juridiction administrative centrale dès lors que l’alinéa 3 de
l’article 33 susvisé l’habilite à « statuer sur les recours en indemnité ou en
excès de pouvoir dirigés contre les actes administratifs des autorités
fédérales ».

Quelle est donc la juridiction compétente pour connaître des contentieux


futurs relatifs aux actes administratifs émis par les autorités de l’Etat fédéré du
Cameroun francophone oriental ?

C’est le tribunal d’Etat en application de l’ordonnance N°62/OF/01. Du 12


janvier 1962 qui précède à l’extension de plein droit de la compétence de la
(CFJ) uniquement pour ce qui est « des recours pendants devant la cour
suprême et le tribunal d’Etat du Cameroun oriental, lequel tribunal d’Etat
fonctionnera jusqu’à décembre 1965 ».

S’agissant à contrario de ce même contentieux du Cameroun anglophone,


la compétence des tribunaux de la « Common Law » demeure requise. La
première cour suprême est donc mise hors circuit institutionnel, mais en rupture
du principe du parallélisme de la forme et des compétences.

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Créée par la loi, elle sera dissoute par un décret du 19 juin 1964.

La cour fédérale de justice sera successivement reformée par deux lois,


l’une N°61/LF/29 du 19 novembre 1965 portant réforme du contentieux
administratif et celle N°69/LF/01 du 14 juin 1969 fixant la composition des
conditions de saisine et la procédure devant ladite cour. Aux termes de l’article 3
de loi de 1965, repris par l’article 14 de la loi de 1969, « la CFJ connait de
l’ensemble du contentieux administratif à l’encontre de la République
fédérale, des Etats fédérés, des collectivités publiques et des établissements
publics. » Il se pose, dès lors, un problème de constitutionnalité desdites lois,
« l’article 33 de la constitution fédérale n'ayant confié à celle-ci que la
charge du contentieux administratif fédéral. »

Statuant au contentieux administratif, la CFJ empruntera son personnel à la


magistrature juridictionnelle voire à l’administration active. Une assemblée
plénière siège à Yaoundé alors que deux chambres administratives sièges
respectivement à Yaoundé et à Buea.

Sur la compétence de la CFJ, tout justiciable pouvait la saisir pour des «


recours pour excès de pouvoir et en matière non répressive, recours
incidents en appréciation de légalité, actions en indemnisation, litiges
intéressant le domaine public, litiges qui lui sont expressément attribués par
la loi ».

Emprise irrégulière, voie de faite administrative, responsabilité des agents


publics demeureront alors dans le giron de la compétence des tribunaux de droit
commun qui statut conformément au droit privé et la cour, enfin, « ne peut
connaître des actes de gouvernements ».

Le droit applicable à la chambre administrative de Yaoundé était le droit


administratif, tandis que celui applicable à la chambre administrative de Buea
était la Common Law. C’est ce qui ressort du reste de l’article 22 de la loi du 14

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juin 1969 en ces termes : « en attendant les mesures d’application, la
chambre administrative de Yaoundé applique la procédure antérieurement
en vigueur devant le tribunal d’Etat. La chambre administrative de Buea
applique la procédure civile de droit commun en vigueur pour les litiges
entre les particuliers ».

La cour fédérale de justice instituée dès le 1er septembre 1961,


fonctionnera jusqu’au 2 juin 1972, date de l’indépendance de l’Etat unitaire sous
les cendres de l’Etat fédérale.

5- Première séquence : la cour suprême du Cameroun unitaire de


1972 (1972-1996)

Le contentieux administratif post Etat fédéral est, en première séquence, la


résultante de la constitution du 02 juin 1972, élaborée pour les besoins politiques
de l’Etat unitaire puis adopté par voix d’appel au peuple (référendum du 20 mai
1972). La loi fondamentale institue ladite cour et charge le législateur d’en
assurer les régimes organisationnel et procédural (art. 32 de la constitution de
1972), notamment l’ordonnance n° 72/06 du 26 Août 1972 portant organisation
de la cour suprême et la loi n° 75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédure
devant la cour suprême statuant en matière administrative. Exception faite de la
disposition de la chambre administratif de Buea, l’article 10 (nouveau) de
l’ordonnance de 1972 instaure une nouvelle organisation en ces termes : « la
cour suprême, exclusivement pour l’exercice des compétences (en matière de
contentieux administratif) comprend une assemblée plénière jugeant en appel et
une chambre administrative jugeant en premier ressort ».

C’est encore les juges judiciaires, en l’absence d’une véritable magistrature


administrative, qui statuent au contentieux administratif comme à l’accoutumée.
La compétence matérielle reste inchangée. Par conséquent, le classicisme
structurel se poursuit mais, la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996
imprimera un visage remarquablement novateur de la justice administrative.
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6- Deuxième séquence : la cour suprême réforme de la 4eme république de
1996

La constitution, en son article 38, maintien une « cour suprême (qui) est la plus
haute juridiction de l’Etat en matière judiciaire… » avec, en son sein, une
chambre administrative. Cette dernière se substitue désormais à l’assemblée
plénière d’antan car, en vertu de l’article 40 de la constitution, elle « statue
souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions
inférieures en matière de contentieux administratif », lesquelles sont
précisément, les « tribunaux administratifs » crées à l’article 42 alinéa 2 de la
constitution.

En résumé, la chambre administrative de la cour suprême et tribunaux


administratifs constitue la charpente organique de la justice administrative
actuelle.

Il faut cependant faire observer que ces tribunaux administratifs ont connu un
début de fonctionnement de mi-avril à décembre 2013. Ce sont les dispositions
transitoires de l’article 67 de la constitution qui ont permis la continuité du
contentieux administratif qui impose de le définir.

II- DEFINITION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

Le contentieux administratif peut être défini comme l’ensemble des règles de


droit administratif qui organise l’accès à la juridiction administrative puis
décline la procédure en vigueur devant elle dans le jugement des affaires. Le
contentieux administratif met au prise le justiciable, qui peut être une personne
physique ou une personne morale de droit privé ou de droit public, contre une
administration publique ou alors une personne privée chargé de l’exécution
d’une mission du service public suscitant un problème de droit.

S’agissant des développements qui nous intéressent dans le présent


enseignement de contentieux administratif, il sera perçu sous le double angle du

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litige administratif (Première partie) et du règlement approprié par la
juridiction (2ème partie).

Première partie : Le litige administratif

La juridiction administrative en est l’organe suprême de censure


(Chapitre 1). Le champ d’intervention de la juridiction administrative
correspond à ses titres de compétence (Chapitre 2). La juridiction susvisée
examine la contestation sur la base du recours à elle déféré (Chapitre 3).

Chapitre I : L’organe suprême de censure – La juridiction administrative

Une étude sur les formes de la juridiction administrative mérite que l’on
revienne, une fois de plus, brièvement sur ce qu’est la « juridiction
administrative », afin d’en préciser le sens (Section I). Il faut, par la suite,
distinguer la forme de juridiction administrative établie depuis l’ordonnance du
26 août 1972 portant organisation de la Cour Suprême (Section II) de celle
résultant de la constitution révisée du 18 janvier 1996 et de l’alliage d’avec les
textes législatifs qui s’y rattachent (Section III).

Section I : Esquisse de compréhension du concept de « juridiction


administrative »

En l’absence d’une définition textuelle de l’expression « juridiction


administrative », il sied d’en fixer les repères.

La juridiction renvoie à une institution qui exerce une fonction


juridictionnelle et, au besoin, jurisprudentielle qui consiste à dire le droit. Le

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caractère de juridiction reconnu à un organisme dérive d’une qualification
textuelle provenant de l’autorité compétente. Une telle qualification peut être
directe dans le cas où l’organisme est présenté comme une « juridiction »,
comme un « tribunal » ou une « cour ». Elle peut également être indirecte
lorsque les décisions rendues par l’organisme sont appréhendées comme des
« jugements » ou « arrêts » et, ce faisant, jouissant de « l’autorité de chose
jugée ». Mais il faut dire que l’affirmation du caractère juridictionnel d’un
organisme ne repose sur aucun fondement de théorie juridique. Il se pose donc la
question de savoir comment gérer pareille hypothèse où une qualification
textuelle fait défaut. La jurisprudence du Conseil d’Etat fait recours à deux
conditions cumulatives : il faut, d’une part, que l’organisme à qualifier dispose
d’un « pouvoir juridictionnel ». Ainsi, un organisme qui tend juste à exprimer
des avis ou formuler des propositions ne saurait être qualifié de juridiction. Il
faut, d’autre part, que l’organisme agisse en « autorité collégiale », même si
l’hypothèse du juge unique reste de mise, notamment lorsque le président de la
juridiction administrative rend des ordonnances.

Si l’on écarte du champ de définition du concept de juridiction certaines


structures intégrées dans l’administration active centrale, la juridiction, dans son
sens élémentaire, devrait être appréhendée comme un organisme principalement
composé de personnels ayant la qualité de magistrat stricto sensu ou,
exceptionnellement, de « membres … de réputation professionnelle établie … et
d’une compétence (technique) reconnue », lesquelles personnes sont
spécifiquement chargées, au terme d’une procédure contradictoire entre les
parties, du règlement des litiges au moyen de décisions recouvertes de
« l’autorité de chose jugée ».

Pour finir sur la question, on retient que la juridiction administrative


renvoie à tout organisme, à l’image d’un tribunal ou d’une cour, au sein duquel
siègent originellement les personnels magistrats stricto sensu ou de préférence

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les juges et représentants du Ministère public ou, de plus en plus, des personnels
non magistrats reconnus techniquement habiles pour des questions de droit, qui,
à l’issue d’une procédure contradictoire de droit public garantie aux parties,
prennent des actes recouverts de « l’autorité de chose jugée » à l’occasion de
litiges soulevés par l’action administrative. Il sied, ce faisant, de mettre en
exergue la forme de juridiction administrative fixée depuis l’ordonnance du 26
août 1972 portant organisation de la Cour Suprême.

Section II : La forme juridictionnelle issue de l’ordonnance du 26 août 1972

C’est l’ordonnance n°72/6 du 26 août 1972, modifiée par la loi n°76/28


du 14 décembre 1976, qui, à l’origine, avait mis sur orbite, dans certaines de ses
dispositions, ce qu’il convient de nommer « juridiction administrative » du
Cameroun. L’article 10 (nouveau) de ce texte affirmait que « la Cour Suprême,
exclusivement pour l’exercice des compétences (relevant du contentieux
administratif) énumérées dans l’article 9 … comprend une Assemblée plénière
jugeant en appel et une Chambre administrative jugeant en premier ressort ».

La Chambre administrative et l’Assemblée plénière, basées à Yaoundé et


intégrées à la haute Cour, conséquence du classique double degré juridictionnel,
étaient donc les formations contentieuses qui avaient, pendant longtemps, rendu
la justice administrative sur toute l’étendue du territoire. Ces formations
administratives de la Cour Suprême ont survécu jusqu’au jour de la réforme de
la justice en général, initiée le 18 janvier 1996 par le constituant et parachevée le
29 décembre 2006 par le législateur. L’article 11 (2) de l’ordonnance n°72/6 du
26 août 1972 déterminait clairement la structuration organique de la Chambre
administrative. Elle comprenait ainsi « un des conseillers titulaires ou l’un des
suppléants à la Cour Suprême, Président de la chambre, assisté de deux
magistrats ayant voix délibérative, assesseurs de la chambre, choisis parmi les
magistrats du siège des Cours ou Tribunaux, le Procureur Général ou l’Avocat

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Général ou l’un des substituts du Procureur Général près la Cour Suprême, un
des greffiers de la Cour Suprême ».

Ainsi, cinq (05) membres constituaient la charpente organique de la


« juridiction administrative » de premier degré. Si le Président et les assesseurs,
jouissant des prérogatives de juge administratif, étaient nommés par décret du
Président de la République, le greffier était « désigné par ordonnance du
Président de la Cour Suprême parmi le personnel en service dans le greffe de sa
juridiction ». Le Procureur général ou l’avocat général était également nommé et
affecté pour statuer au contentieux administratif par le canal des conclusions du
Ministère public.

L’Assemblée plénière était l’instance contentieuse administrative, comme


sus indiqué, jugeant en appel, par voie d’arrêt, à l’opposé de la Chambre
administrative qui rendait des jugements, des affaires déjà tranchées en premier
ressort par la Chambre administrative. La composition de la Chambre
administrative était fixée par l’article 11 (1) de l’ordonnance du 26 août 1972.
Elle se déployait ainsi qu’il suit « cinq (05) magistrats de la Cour Suprême,
exception faite de celui ou de ceux d’entre eux qui auraient participé au
règlement de l’affaire en première instance, le procureur général ou l’avocat
général près la Cour Suprême ou un substitut du procureur général près ladite
cour, le greffier en chef de la Cour Suprême ou un greffier de ladite cour ».

Le législateur du 26 août 1972 n’a pas mis en place un ordre de


juridictions administratives séparé de l’ordre judiciaire. Ce dernier s’était rangé
dans la direction déjà tracée par le constituant du 02 juin 1972. Ce dernier créait
ainsi une Cour Suprême multifonctionnelle chargée, entre autres attributions, des
« recours en indemnité ou en excès de pouvoir dirigés contre les actes
administratifs ». La justice administrative était donc intégrée au sein de la haute
juridiction qu’est la Cour Suprême. La chambre administrative et l’assemblée
plénière jouissaient donc pleinement du pouvoir de décision à travers, ici, les

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jugements et, là, les arrêts, qui étaient rendus par ces formations administratives,
lesquels étaient recouverts de « l’autorité de chose jugée ». La réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 ainsi que les suites législatives de 2006
feront émerger des constats et une incidence sur la forme juridictionnelle issue
de ladite rénovation.

Section III : La forme juridictionnelle résultant de la constitution révisée du


18 janvier 1996 et de l’alliage avec les textes législatifs de 2006

Si l’on fait fi des contradictions plurielles qui existent entre la loi


fondamentale du 18 janvier 1996 et les lois de 2006, toute chose qui brouille
l’orientation et la dynamique du contentieux administratif, on fera cependant
observer une série de constats concernant la réforme de la justice administrative.
En quoi consistent-ils exactement pourrait-on s’interroger ?

Au titre de premier constat, on remarque un maintien de la haute


juridiction multifonctionnelle qu’est la Cour Suprême. La constitution, à son
titre cinquième, traitant « du pouvoir judiciaire », dispose que celui-ci est, entre
autres instances juridictionnelles que sont les cours d’appel et les tribunaux,
« exercé par la Cour Suprême … ». Cet état de choses est repris par l’article 2,
alinéa 2 de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation
judiciaire. Dans le même sens, l’article 38, alinéa 1 de la constitution fait de la
Cour Suprême « la plus haute juridiction de l’Etat en matière judiciaire,
administrative et de jugement des comptes ». L’article 2 de la loi n°2006/016 du
29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour
Suprême réaffirme que « la Cour Suprême est la plus haute juridiction de l’Etat
en matière judiciaire, administrative et (de jugement) des comptes ». C’est,
enfin, l’article 3 de la loi n°2006/015 qui postule d’une « organisation
judiciaire » chapeautée par la Cour Suprême. La Cour Suprême apparait ainsi
clairement comme l’instance de règlement des contentieux judiciaire,

18
administratif et des comptes publics, toute chose qui ravive son caractère
multifonctionnel. C’est d’ailleurs ce qui explique que la « chambre
administrative », la « chambre judiciaire » et la « chambre des comptes » soient
intégrées au sein des formations de ladite cour en application de l’article 38,
alinéa 2 de la constitution.

Le deuxième constat est relatif à la nouvelle envergure de la nouvelle


chambre administrative. La chambre administrative, nouvelle en l’occurrence,
tient à sa dimension rénovée au double plan de sa constitution et de son rôle. La
chambre administrative est désormais dotée d’une composition compartimentée
qui innove quelque peu relativement aux personnels affectés à la nouvelle
chambre administrative. Elle est davantage novatrice quant à son organigramme.
Ainsi, les nouveaux juges administratifs pouvant officier au sein de la chambre
administrative jouissent d’un caractère hétéroclite. L’article 5 de la loi
n°2006/016 du 29 décembre 2006 en donne la quintessence.

Dans la même lancée, on note le rôle grandissant de la nouvelle chambre


administrative qui officie désormais comme juges d’appel et/ou de cassation
suivant une organisation interne clairement établie par la loi. En effet, la
nouvelle envergure de la chambre administrative tient justement à ce double. La
Cour Suprême reformée a en effet accouché d’une formation du contentieux
administratif qui statue en appel et en cassation. Cette institution du double
degré de juridiction fonde et déclenche les mécanismes de l’appel et de la
cassation qui s’imposent aux juges eux-mêmes lorsque les justiciables décident
d’en faire usage à titre de prérogative, toute qui participe d’une bonne
administration de la justice.

Le troisième constat que l’on opère est relatif à la mise hors service
juridictionnel de l’Assemblée plénière, même si l’on déplore le fait que cette
instance juridictionnelle ait continué à officier jusqu’à une époque relativement
récente. En effet, l’hypertrophie de la fonction administrative contentieuse de la

19
nouvelle chambre administrative a eu pour effet d’ordre structurel de frapper
d’inexistence l’institution qu’est l’Assemblée plénière.

Le quatrième constat tient au tribunal administratif qui officie


désormais comme juridiction de première instance. Cette lecture, tracée par
le constituant du 18 janvier 1996, est réitérée par la loi n°2006/022 du 29
décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux
administratifs, notamment en son article 2, alinéa 1. Le tribunal administratif
bénéficie d’un ressort territorial. Il existe désormais un tribunal administratif par
région. Exceptionnellement, un tribunal administratif peut couvrir le territoire de
plusieurs régions par le fait, non pas du législateur, mais plutôt curieusement
d’un décret présidentiel. L’article 6 de la loi n°2006/022 fixe la composition du
tribunal administratif qui jouit d’une charpente organique allégée. On y lit
également, au terme de l’article 8 de la même loi, une reconduction de l’aspect
composite des juges administratifs de fond. Dans l’opération de « distribution
de la justice administrative », la juridiction administrative y voit la participation
des membres du parquet et du greffe chacun à son niveau (Niveau national
supérieur – une chambre (sections réunies – cinq sections isolées) ; Niveau
régional inférieur – 10 tribunaux administratifs dont 1 par région), suivant le rôle
qui lui incombe.

L’option d’une juridiction administrative animée par des juges de


formation privatiste reste néanmoins problématique, lorsqu’on sait notamment
que le maintien de la technique de dédoublement fonctionnel du juge appelé à
connaître du contentieux administratif est l’objet d’un vif débat doctrinal, le juge
judiciaire, nonobstant l’hypothèse du « contentieux de l’administration » où ce
dernier est forcément conduit à collaborer avec le juge de la puissance publique,
n’étant pas à proprement dit habilité à traiter du contentieux administratif qui
relève de la compétence du juge administratif dont il faut en déterminer la
compétence matérielle.

20
Chapitre II : Le champ d’intervention de la juridiction administrative – Les
titres de compétences

En droit public, le vocable de compétence recouvre une triple dimension.


Il y a d’abord ce que l’on appelle la compétence rationae loci, encore appelée
compétence territoriale. Cet aspect de la notion de compétence désigne la sphère
géographique ou territoriale à l’intérieur de laquelle s’inscrit l’activité d’une
autorité. Il y a ensuite la compétence rationae temporis, encore appelée
compétence temporelle. Elle indique le moment qui encadre le déploiement du
pouvoir dont est investie un organisme ou une autorité. Il y a, enfin, la
compétence rationae materiae, encore appelée compétence matérielle, qui est la
traduction des matières ou attributions qui se rapportent à l’action publique
d’une autorité ou d’un organisme.

La technique juridique qui contribue de la répartition des compétences


contentieuses entre l’ordre juridictionnel administratif et celui judiciaire, est
appréhendée, en droit positif de France, par ce que l’on nomme « le système …
de la clause générale de compétence », lequel postule de la mise en exergue de
critères à partir desquels on peut circonscrire la latitude pour le juge
administratif de trancher les litiges, parallèlement au juge judiciaire. Mais à la
vérité, la mise en œuvre de cette opération est complexe. Le droit positif
camerounais en la matière se distingue de l’option du droit français,
administratif en l’occurrence. D’un côté comme de l’autre, les titres de
21
compétence de chaque ordre de juridiction sont certes quasi-identiques.
Cependant, la technique de détermination textuelle de compétence entre les
juridictions reste la caractéristique fondamentale du droit local, si l’on consent à
mettre de côté les flagrantes contradictions entre le texte constitutionnel et la loi
notamment pour ce qui est du procédé de distillation des compétences
contentieuses. Le droit positif national afférant à la dévolution de la compétence
matérielle du juge est donc essentiellement d’excroissance textuelle, par
opposition au contexte français où il est principalement prétorien. Au regard de
ce qui précède, on avance l’idée que la juridiction administrative, statuant en
instance, en appel ou en cassation, sans que besoin soit de spécifier ses
compétences, directes ou incidentes, est le juge d’attribution du contentieux
administratif, si l’on s’en tient à l’inventaire fondamentalement textuel des titres
de compétence, des litiges tenant aux actes normateurs des administrations
publiques (Section I) et de ceux relatifs à des faits matériels imputables à la
même puissance publique (Section II).

Section I : Le contentieux des actes normateurs

Les activités des personnes morales de droit public sont juridiquement


véhiculées par les actes administratifs. Lorsque ces derniers supports normatifs
sont à l’origine des contestations soulevées par leurs destinataires, il y naît un
contentieux qui appelle la censure du juge administratif. On distingue ainsi les
litiges qui y naissent selon qu’ils portent sur l’acte administratif unilatéral (I)
et/ou sur le contrat administratif (II).

I – Le litige tenant à l’acte administratif unilatéral à caractère décisoire

Le précédent en matière de litige relatif à l’acte administratif unilatéral


est fourni par l’affaire NGONGANG NJANKE Martin (Cf. CFJ/AP, arrêt n°20

22
du 20 mars 1968), laquelle recevra par la suite une confirmation
jurisprudentielle (Cf. CS/CA, jugements n°s 23 du 03 février 1977, YEYAP
NJOYA Joseph Marie et 1 du 19 décembre 1975, NKONG Emmanuel).
Dans l’affaire pionnière NGONGANG NJANKE sus citée, le juge administratif
appréhende ainsi la décision administrative comme « un acte juridique
unilatéral, pris par une autorité administrative, dans l’exercice d’un pouvoir
administratif, et créant des droits et des obligations pour les particuliers ». Que
faut-il en retenir, dans les détails utiles, de cette définition juridictionnelle de
l’acte administratif unilatéral ?

Un acte administratif unilatéral à caractère décisoire s’analyse,


premièrement, comme un acte juridique, c’est-à-dire un procédé de fabrication
régulière du droit. C’est, deuxièmement, un acte qui émane d’une autorité
administrative. C’est ce que l’on appelle le critère organique.

Dans le jugement NKONG Emmanuel sus évoqué, le juge


administratif camerounais, reprenant à son compte une maxime du Conseiller
d’Etat français Maxime LETOURNEUR, dit que « la définition des actes
administratifs unilatéraux… écarte les actes du corps du pouvoir législatif (et
du) judiciaire sur la base du principe de la séparation des pouvoirs ». Le
principe est donc que l’autorité administrative a compétence pour prendre une
décision administrative. Et afin d’expliciter la notion d’autorité administrative, il
faut, globalement, regarder du côté des agents du pouvoir exécutif qui ont la
possibilité de décider et, exceptionnellement, du côté des autorités qui appuient
l’œuvre du législateur à travers le personnel du Secrétariat Général de
l’institution parlementaire ou, si l’on veut, de l’administration parlementaire et
même du côté du juge lorsqu’on parvient à isoler l’exercice de la fonction
contentieuse qui le met aux prises avec le justiciable, pour ne regarder le juge
que dans son dédoublement fonctionnel d’administrateur, dans ses relations

23
intra-institutionnelles entre des collègues supérieurs et subordonnés (Procureur –
Substituts du Procureur ou Président du Tribunal et juge).

Ce critère organique a aujourd’hui évolué aussi bien en droit


administratif français qu’en droit administratif local. En effet, le critère
organique est désormais fissuré au point où l’on admet exceptionnellement que
les personnes privées sont susceptibles de prendre des décisions administratives
à la condition qu’elles soient chargées, par la personne publique, de l’exécution
d’une mission de service public, implicitement ou explicitement (Cf. CE, 20
décembre 1935, Etablissements VEZIA, 13 mai 1938, Caisse primaire, aide
et protection, 02 avril 1943, BOUGUEN, 28 juin 1946, MORAND, 27 juillet
1984, Jacques KESSLER, 15 mai 1991, Association Girondins de
Bordeaux ; TC, 13 janvier 1992, Préfet de la Région d’Aquitaine C. /
Association Nouvelle des Girondins de Bordeaux).

Par mimétisme juridique, le juge administratif camerounais a repris, à


son compte l’exception, qui veut que les personnes privées puissent émettre des
décisions administratives si, au préalable, elles ont été investies de l’exécution
d’une mission de service public par la personne publique. En l’état actuel du
droit administratif du Cameroun, les ordres professionnels et les fédérations
sportives sont ces personnes privées qui interviennent dans le champ normatif
administratif (Cf. CFJ/ CAY, arrêt n° 50 du 27 juin 1968, Bernard
AUTEROCHE ; CS/CA, arrêt n° 7 du 31 mars 1977, FEUMI JANTOU
Jacques ; CS/CA, jugement n° 48 du 25 mars 1989, Aigle Royal de Dschang
– El Pacha ; CS/CA, jugement n° 117 du 31 mai 1991, TIAKO Félix). Il
suffit, en tout état de cause, qu’une personne publique implique celle privée au
service public pour que les décisions de cette dernière soient considérées comme
administratives (Tribunal Administratif du Littoral, Ordonnance de sursis à
exécution n° 62 du 04 juillet 2019, Société BLESSING PETROLEUM SA C.
/ Cameroon Publi-Expansion).

24
L’acte administratif unilatéral à caractère décisoire a une finalité
créatrice de droit et/ou d’obligation. Ceci veut dire que lorsque l’administration
décide, son acte modifie l’ordonnancement juridique, relativement à un droit
subjectif, qu’elle octroie, abroge ou retire, ou à une obligation de faire ou de ne
pas faire. En définitive, on dira d’une dira d’une décision administrative qu’elle
est un acte juridique unilatéral, édicté par l’autorité administrative ou par une
personne privée chargée par la personne publique de l’exécution d’une mission
de service public, en vue de produire des effets de droit soit en conférant à son
destinataire une prérogative, soit en le soumettant à une obligation,
alternativement ou concomitamment, et ce à l’exclusion du consentement dudit
destinataire.

Au sein de la catégorie générique qu’est l’acte administratif unilatéral,


il faut distinguer celui à caractère décisoire de celui à caractère non décisoire.
Selon la jurisprudence administrative, l’acte à caractère non décisoire est celui
qui ne fait pas grief, c’est-à-dire qui ne porte pas atteinte à un intérêt
juridiquement protégé comme le droit subjectif, ou encore qui ne porte pas
préjudice. A contrario, l’acte à caractère décisoire fait grief, c’est-à-dire qu’il
peut porter atteinte à un droit et peut, dès lors, faire l’objet d’un débat
contentieux devant le juge administratif. Dans un jugement ADD n° 21, en date
du 24 novembre 2004, Société ELF-SEREPCA, la Chambre Administrative
affirme que « le juge administratif n’est compétent de statuer sur un acte déféré
devant lui que si… celui-ci est décisoire, à savoir qu’il porte atteinte aux droits
et intérêts légaux du recourant ».

Sur l’identification des actes administratifs unilatéraux à caractère


non décisoire, les « mesures d’administration intérieure » permettent de cibler
leur champ d’application. Il s’agit de ce que, d’abord, l’on appelle les mesures
de préparation des actes qui laissent entendre que l’administration se dispose,
dans un futur proche, à prendre une décision. Tel est le cas, par exemple, d’une

25
convocation à un conseil de discipline suite à une tricherie présumée à la suite
d’un examen. Ce genre d’acte ne produit pas d’effet juridique, ne fait pas grief à
qui que ce soit et n’est donc pas une décision administrative. Il peut encore
s’agir, à titre d’illustration, des recommandations, des avis consultatifs, des
vœux, des projets de certaines catégories de procès-verbaux, des bulletins de
notes des agents publics (Cf. CS/CA, jugements n°s 10 du 22 février 1979,
Frédéric NDJONFANG, 38 du 25 février 1982, MBARGA Richard, 73 du
31 janvier 1991, OTTO Simon PONDI). La demande d’explication écrite
adressée à un agent public répond à cette nomenclature.

Bien plus, et ensuite, les mesures postérieures et corrélatives aux


décisions administratives participent encore des actes à caractère non décisoire,
à l’exemple des actes de notification des décisions (CS/CA, jugement n° 42 du
02 février 2005, TONKAM Benjamin SEMFO C. / Université de Yaoundé).
Enfin, les mesures d’administration intérieure les plus fréquentes, que l’on
appelle circulaires et directives, ont vocation à caractère non décisoire. Leur
valeur juridique pose problème, car au lieu d’être rigoureusement circonscrites
dans le périmètre de l’administration, les circulaires et les directives
transgressent parfois ces frontières afin de toucher à la situation extérieure des
administrés. S’agissant de la circulaire, le principe jurisprudentiel en la matière
(CE, 29 janvier 1952, Notre Dame du KREISKER) veut que celle-ci se limite
à interpréter des dispositions législatives et réglementaires afin de donner aux
agents de l’administration une lecture aisée de la conduite à tenir dans
l’application des textes. En conséquence, la circulaire ne crée aucun élément
nouveau à la légalité puisqu’elle se borne à interpréter. C’est ce que l’on appelle
la circulaire interprétative. Elle a le caractère d’un acte administratif unilatéral
à caractère non décisoire. Mais, lorsque, sous le couvert de l’interprétation, la
circulaire ajoute un élément nouveau qui n’est pas contenu dans la loi ou dans le
règlement, cette circulaire devient réglementaire, c’est-à-dire se transforme en

26
une décision de nature à faire grief et, ce faisant, à faire l’objet d’un débat
contentieux.

Par mimétisme normatif, le juge administratif local a repris, à son


compte, cette distinction de la circulaire interprétative et de celle réglementaire.
La circulaire interprétative se borne à rendre plus explicite les dispositions du
texte législatif ou réglementaire et, de ce point de vue, ne constitue pas un
élément de la légalité susceptible de donner lieu à un recours contentieux (Cf.
CS/CA, jugement du 27 décembre 1979, HAYATOU SOUAÏBOU ; CS/CA,
jugement n° 21 du 18 décembre 1980, TATA David CHOO). Par contre, la
circulaire réglementaire dissimule mal l’émergence d’une norme de droit,
modifie l’ordonnancement juridique en ajoutant une prescription nouvelle à la
loi ou au règlement (Cf. CS/CA, jugement n° 53 du 07 avril 1983, KOUOH
Emmanuel Christian, confirmé en appel par arrêt du 21 novembre 1985 ;
CS/CA, jugement n° 14 du 15 novembre 1984, Paul PANKA et Simon
ZEBAZE).

Parallèlement à la circulaire, les mesures d’administration intérieure


intègrent également ce qu’il convient de nommer la directive. En droit
administratif camerounais, il s’agit d’une notion marginale, c’est-à-dire qui n’est
pas encore suffisamment prise en compte par la jurisprudence. Quelle est
cependant la valeur qu’il faut accorder à une directive ? En droit administratif
français, les autorités administratives supérieures, usant de leur pouvoir
discrétionnaire, peuvent prendre des directives visant à indiquer aux autorités
inférieures le contenu même des décisions lorsque leur appréciation n’est pas
déterminée à l’avance par le texte à appliquer. L’arrêt Crédit Foncier de
France, rendu par le Conseil d’Etat en date du 11 novembre 1970, a pu
mettre en évidence le régime de la directive. Il sied de rappeler les faits de cette
espèce. Le Code l’urbanisme, qui est une loi en France, charge un fonds national
d’amélioration de l’habitat de faciliter, par des aides financières, l’entretien des

27
immeubles d’habitation. Ces allocations sont décidées par diverses commissions
dans des conditions très vaguement fixées par le code de l’urbanisme. La
commission nationale ayant donc défini les orientations globales en vue de
diriger les orientations du fonds, il fallait se prononcer sur la validité et sur la
valeur juridique de tels actes d’orientation.

L’arrêt reconnaît que l’administration possède un pouvoir de


détermination de directive qui intervient dans la circonstance d’exercice du
pouvoir discrétionnaire. Mais l’orientation contenue dans la directive ne prive
pas l’administration de sa liberté d’appréciation qui peut et doit même s’en
écarter pour des motifs dérivés de l’intérêt général ou de la spécificité du cas à
régler. Comme le disait si bien René CHAPUS, la directive permet ainsi à
l’administration « … de choisir entre deux décisions ou deux comportements
également conformes à la légalité ». Ce qui revient à dire que la directive n’est
pas une décision administrative. Elle n’impose pas absolument le respect des
orientations qu’elle contient, sauf à se muer, se transformer en circulaire
réglementaire. Dans l’arrêt Crédit Foncier de France, le juge indique que les
directives n’ont « aucun caractère réglementaire », car « elles ne modifient pas
par elles-mêmes la situation juridique des administrés ». Les diverses décisions
catégorisées et théorisées se présentent, concrètement, selon un canevas bien
établi.

Au regard de l’ensemble des observations qui précèdent, on retiendra que


la décision administrative, objet du débat contentieux devant le juge
administratif, est une source formelle de la juridicité administrative au même
titre que le contentieux administratif.

II- La réclamation contentieuse portant sur le contrat administratif

28
L’administration a la latitude de conclure des contrats de droit privé et/ou
des contrats administratifs. Les contrats de droit privé sont de la compétence du
juge judiciaire lorsqu’ils suscitent un litige (Cf. CS/CA, jugements n°s 105 du
25 mars 2009, Dame veuve FONDJO née HAMANKON Jacqueline et 145
du 22 juillet 2009, WANDJI NKUIMY Jean-Pierre). Quant aux contrats
administratifs, ils relèvent, à l’occasion d’une contestation, des attributions
contentieuses du juge administratif. Le contrat administratif se justifie par des
nécessités de service public. Pour ainsi appréhender ou qualifier un contrat
administratif, les apports textuel et jurisprudentiel sont à considérer. On parle
ainsi de la qualification textuelle et de la qualification jurisprudentielle du
contrat administratif.

La qualification textuelle dérive de ce que c’est au législateur ou au


détenteur de l’impérium administratif qu’il revient de déterminer la nature du
contrat. Ce n’est donc qu’en cas de vide textuel qu’intervient la jurisprudence
pour déterminer la nature du contrat et, ce faisant, d’indiquer le juge compétent
pour en connaître au plan contentieux. Ainsi, au titre de contrats administratifs
objet de détermination textuelle, on peut citer : les marchés publics, les contrats
de partenariat, les contrats-plans entre l’Etat et les régions ou les communes,
entre l’Etat et les entreprises et/ou établissements publics, les contrats de ville,
les conventions passées entre l’Etat et les collectivités territoriales décentralisées
sur le fondement de la réglementation en vigueur en matière de décentralisation.
C’est par conséquent un texte qui détermine, dans ses dispositions, que tel ou tel
contrat est administratif. Lorsque la qualification textuelle fait défaut, la
qualification jurisprudentielle reste la parade.

Le juge administratif camerounais a eu l’opportunité de connaître au


fond d’un abondant contentieux contractuel sans éclairer la question des critères
jurisprudentiels (Cf. CS/CA, jugements n° s 50 du 1er février 1955,
TAMEGHI Boniface, 53 du 31 mars1988, Groupements d’Entreprises

29
DRAGAGES – SATOM, 07 du 27 octobre 1988, Compagnie Forestière
SANGHA OUBANGUI, 72 du 29 juin 1989, FOUDA ETAMA, 44 du 28 juin
1990, Entreprise Amsecom, 110 du 30 mai 1991, Entreprise Amsecom –
Amseconcom, 28 du 26 mars 1992, Amsecom – Amseconcom, 01 du 31
décembre 1992, Société Intercontinental Business, 58 du 29 juillet 1993,
PALLADINO Lucien, 62 du 29 juin 1995, The Big Brothers Trading
Company, 53/ADD du 23 mars 2005, Clinique Vétérinaire du Mfoundi
SARL C./ SODECAO, 59 du 23 mars 2005, Etablissements LIPA Sports ;
CCA, arrêt n° 83 du 22 décembre 1951, RENUCCI).

Dans une affaire RENUCCI, sus évoqué, le juge ébauchait ainsi la


définition du contrat administratif en ces termes : « considérant que le Conseil
est bien compétent pour interpréter un contrat passé par une administration
publique, en vue de participer au fonctionnement d’un service public et qui, par
les clauses exorbitantes de droit commun qu’il renferme, présente le caractère
de contrat administratif ». Il faut cependant relever que, d’une part, cette
définition n’a pas, pendant longtemps, fait jurisprudence, le Tribunal d’Etat, les
sections administratives de la Cour Fédérale de Justice et la Cour Suprême en
constante mutation n’ayant nullement repris l’orientation suscitée dans les litiges
contractuels futurs. D’autre part, le contenu de l’affaire RENUCCI est
insuffisamment édifiant à l’égard de celui qui veut saisir le sens précis d’un
contrat administratif. Les repères établis par le droit jurisprudentiel français en la
matière, du reste effleurés dans cet arrêt, semblent dès lors instructifs.

En droit public français, c’est l’activité prétorienne des Conseil d’Etat


et Tribunal des Conflits qui a pu, théoriquement, spécifier l’administrativité d’un
contrat sur la base de la combinaison d’un critère organique et de critères
matériels alternatifs. L’évocation du critère organique établit lui-même une
sous-distinction : les contrats conclus entre personnes publiques bénéficient de
la présomption d’administrativité, sont présumés être des contrats administratifs,

30
car pour le juge « … un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en
principe un caractère administratif, impliquant la compétence des juridictions
administratives pour connaître des litiges portant sur les manquements aux
obligations en découlant, sauf dans les cas où, eu égard à son objet, il ne fait
naître entre les parties que des rapports de droit privé » ; les contrats entre une
personne publique et une ou plusieurs personnes privées peuvent être des
contrats administratifs, la présence d’une personne publique étant en effet une
condition nécessaire (TC, 19 janvier 1972, SNCF C./ Entreprise SOLON et
BARRAULT). Il ne s’agit guère d’une condition suffisante, encore faut-il que le
contrat réponde aux critères matériels alternatifs (CE, 07 décembre 1984,
Centre d’études maritimes avancées) ; les contrats conclus entre personnes
privées ne peuvent en principe être des contrats administratifs. Ils sont
normalement des contrats de droit commun dont le contentieux relève du juge
judiciaire. Il en est ainsi même s’ils répondent aux critères matériels attachés aux
contrats administratifs (CE, 13 décembre 1963, Syndicat des praticiens de
l’art dentaire du Nord et Sieur Merlin, 17 juin 1985, Société anonyme de
Paniagua).

A titre exceptionnel, le juge admet les situations dans lesquelles la


personne privée est considérée comme représentant la personne publique, ce qui
fonde le caractère administratif du contrat qu’elle conclut. Deux ordres de
circonstances restituent cette notion de représentation : il y a, d’une part, le
mandat au terme duquel la personne publique charge la personne privée de
conclure, en son nom, un contrat qui peut alors être administratif (CE, Sect., 02
juin 1961, Le DUC, 14 octobre 1966, Ville De Montdidier ; TC, 16 mai 1983,
Société anonyme Toulousaine de Transports C. / Semvat). Il y a, d’autre part,
l’hypothèse des contrats relatifs aux travaux publics relevant par essence de
l’Etat. Dans ce cas, le concessionnaire chargé de leur réalisation agit pour le
compte de l’Etat et les contrats qu’il passe avec les entrepreneurs, quoique

31
conclus entre personnes privées, sont des contrats administratifs. A ces
considérations organiques, faut-il adjoindre des critères matériels alternatifs pour
qu’un contrat soit qualifié d’administratif.

Une analyse synthétique des données de jurisprudence répute contrats


administratifs, soumis en cette qualité aux règles du droit public et à la
compétence du juge administratif, d’une part, tous les contrats, considérés dans
leurs formes ou dans leurs clauses, qui ont pour objet d’associer directement le
cocontractant d’une personne morale de droit public à l’exécution même d’un
service public et, d’autre part, ceux des contrats passés par une personne morale
de droit public qui contiennent des clauses exorbitantes de droit privé. Le contrat
administratif à raison de son objet, l’exécution d’un service public, correspond à
trois données : soit la personne publique confie au cocontractant l’exécution
d’un service public (CE, 20 avril 1956, Epoux BERTIN), soit le contrat
constitue une modalité d’exécution du service public (CE, 14 novembre 1958,
Ministre de l’Economie et des Finances C. / Union meunière de la Gironde),
soit le contrat engage un emploi pour participer directement à l’exécution d’un
service public administratif (TC, 25 novembre 1963, Dame Veuve
MAZERAND C./ Commune de Jonquière). Le contrat est également
administratif à raison d’éléments exorbitants de droit commun qui peuvent
résider dans le contenu du contrat (CE, 31 juillet 1972, Société de Granits
Porphyroïdes des Vosges), ou qui peuvent tenir au régime auquel la loi a
soumis les relations entre les parties du contrat.

Afin de rendre explicite la « clause exorbitante de droit commun », le


Conseil d’Etat parle de « clause ayant pour objet de conférer aux parties des
droits qui sont insusceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le
cadre des lois civiles et commerciales ». La doctrine éclaire que « la très grande
majorité des clauses exorbitantes est constituée par des stipulations qu’aucune
impossibilité, aucune illicéité n’affecteraient dans un contrat privé, mais qui y

32
sont inaccoutumées, et partant, peu vraisemblables ». Dans sa tentative de
définition jurisprudentielle de l’acte administratif bilatéral, la Chambre
Administrative relève que « l’administration dispose de prérogatives
exorbitantes en matière (de contrat administratif telle la) résiliation unilatérale
d’un contrat de marché public » (CS/CA, jugement n° 41 du 05 décembre
1996, DZONGANG Albert, C. / Etat du Cameroun). Dans une autre espèce,
le juge administratif affirme qu’: « attendu que suivant l’article 1ier de cette
convention le consultant s’engageait à s’occuper de l’animation culturelle de la
célébration de la journée mondiale de l’environnement du 04 u 05 juin 1989 de
manière active et efficace pour une réussite totale de l’événement… ; que
l’animation culturelle dont il s’agit était réalisée non pas dans l’intérêt
particulier mais dans l’intérêt public comme afférente à la célébration de la
journée mondiale de l’environnement… ; attendu au surplus qu’il résulte de la
combinaison des clauses de la convention reprises ci-dessus que le consultant de
l’administration n’était pas libre de choisir un programme déterminé
d’animation culturelle, mais qu’il devrait se conformer à celui qui lui était
imposé par la puissance publique qui, de surcroit, avait le pouvoir de résiliation
unilatérale de la convention en cas de non-respect par l’intéressé du programme
ainsi imposé… ; attendu que pareilles stipulations ne se rencontrent pas dans un
contrat de droit privé » (CS/CA, Jugement n° 147/ADD du 31 août, UM
NTJAM François Désiré).

Dans une énième espèce, connexe à la précédente sus désignée, la


Chambre Administrative constate que « l’Etat du Cameroun n’a pas contesté
l’existence de (la) dette (résultant du règlement partial des prestations liées à
l’animation culturelle) mais a essayé de soutenir que l’animation culturelle et le
management ne constituaient pas un service public en vain ». Le droit
administratif camerounais amorce ainsi l’une de ses importantes mutations. Car
à travers cette production jurisprudentielle, DZONGANG et UM NTJAM auront

33
finalement donné leur nom à de principales décisions de justice administrative
relatives à l’émergence des critères organique et matériel du contrat
administratif, quoique les juges de la seconde espèce aient regrettablement
consacré le cumul des critères matériels (CS/CA, jugement n° 80 du 18 juin
2008, UM NTJAM François désiré). En définitive, la production normative de
l’administration, d’essence consensuelle en l’occurrence, est susceptible d’être à
la base d’un litige dont la connaissance incombe au juge administratif.

Les parties au contrat sont soumises à l’obligation de respecter leurs


engagements. L’exécution du contrat administratif doit alors, si l’on emprunte au
droit privé, s’opérer en lien étroit avec les dispositions de l’article 1134 du code
civil : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les
ont faites ». Le régime de l’exécution du contrat administratif est dominé par
l’importance des prérogatives dont dispose l’administration et ceci même sans
texte. L’administration concède en contrepartie des droits à son cocontractant.
Lorsque l’intérêt général l’exige, l’administration peut mettre fin au contrat.
L’administration dispose ainsi du pouvoir de modification unilatérale du contrat,
de résiliation du contrat, avec pour obligation impartie à ladite administration
d’indemniser intégralement le cocontractant par application pure et simple de la
théorie du « fait du prince ». Si la résiliation va à l’encontre de l’intérêt général,
signe évident d’un excès de pouvoir, elle peut faire l’objet de contestation
devant le juge administratif.

L’administration contractante a le pouvoir d’infliger des sanctions


au cocontractant pour cause d’inexécution, de mauvaise exécution, de
méconnaissance des clauses du contrat ou pour inobservation des instructions
qui lui ont données. Ces sanctions interviennent après une mise en demeure
régulière. Il s’agit des sanctions pécuniaires prises sous forme de pénalités pour
retard d’exécution ou sous forme d’amendes lorsque les sanctions prévues par le
contrat ne sont pas adaptées aux comportements du cocontractant. Les sanctions

34
coercitives tendent autant à punir qu’à surmonter la défaillance ou le
comportement grave du cocontractant sans qu’il soit nécessaire de mettre fin au
contrat. Ici et là, on parle de sanctions non résolutoires. Quant aux sanctions
résolutoires, elles permettent à l’administration de rompre le contrat en cas de
faute grave commise par le cocontractant. C’est le cas de la résiliation que
d’ailleurs la jurisprudence considère comme une prérogative exorbitante de
l’administration (Cf. CS/CA, jugement n° 50 du 01er février 1985, Affaire
TAMEGHI Joseph C. / Etat du Cameroun (affaire dit Amsecom –
Amseconcom). Si la mesure de résiliation n’est pas justifiée, le juge
administratif peut l’annuler. En cas de faute de l’administration, le cocontractant
doit poursuivre l’exécution du contrat, mais, en retour, il a droit à une indemnité
(Cf. CS/CA, jugement n° 50 du 01er février 1985, affaire TAMEGHI
Joseph ; CS/CA, jugement n° 44 du 28 juin 1990, Entreprise Amsecom C. /
Etat du Cameroun). De même, en cas de « rupture abusive » du contrat, le
cocontractant a droit à la réparation par le versement d’une indemnité (Cf.
CS/CA, jugement n° 59 du 23 mars 2005, Etablissements LIPA - SPORTS
BTP C. / Etat du Cameroun).

Le cocontractant a des droits auxquels l’administration est tenue :


le droit au règlement du prix du contrat, au versement des avances en vue de la
réalisation des opérations nécessaires à l’exécution des prestations prévues par le
contrat, au versement périodique des acomptes pendant l’exécution du contrat,
sauf si ce dernier en dispose autrement, à des intérêts moratoires lorsque le
retard dans le règlement des prestations objet du marché est imputable à
l’administration (Cf. CS/CA, jugement n° 139 du 27 juillet 2005, Société
SOTRACOME C. / Etat du Cameroun), à des indemnités éventuelles en cas
d’« aléa administratif » ou « fait du prince », en cas d’« aléa économique » ou
« imprévision » et en cas d’« aléa technique ». Le contrat peut prendre fin du fait
de l’administration, comme sus évoqué, à la suite d’une résiliation provoquée

35
par une faute grave du cocontractant ou par une exigence d’intérêt général, à
charge pour l’administration de réparer le préjudice subi par le cocontractant. Le
contrat peut également prendre fin par voie juridictionnelle à la demande soit de
l’administration, soit du cocontractant, soit du fait de l’une ou l’autre partie au
contrat, justifié par le changement de circonstances par lesquelles
l’administration impose unilatéralement au cocontractant des charges nouvelles
excédantes, l’hypothèse d’un cas de force majeure, un cas de déchéance qui
échappe à la compétence de l’administration, un bouleversement de l’équilibre
économique du contrat généré par des circonstances comme un fait naturel, un
fait économique, un fait politique.

Le champ d’intervention du juge administratif s’étend davantage avec


l’activité extra-juridique de la puissance publique qui résulte, notamment, des
faits matériels qui lui sont imputables, soit par l’action matérielle des agents
publics, soit par les désagréments que ses biens causent aux usagers du service
public.

Section II : La réclamation contentieuse relative aux faits matériels


imputables à l’administration

L’activité des agents publics ne consiste pas seulement à la fabrication de


la norme. Ces derniers, en l’occurrence les agents publics qui s’y déploient,
posent également de simples actes matériels. Dans la même logique,
l’administration est propriétaire d’un certain nombre de biens, meubles ou
immeubles, destinés à une utilisation des potentiels usagers. Il s’agit là de biens
tangibles qui n’ont rien à voir avec la norme. Ici et là, il s’agit d’éléments
matériels qui, susceptibles de causer un préjudice à autrui, peuvent donner lieu à
matière contentieuse devant la juridiction administrative. Ces faits matériels de
l’administration ne sont pas méthodiquement inventoriés dans un texte dévolutif
de compétence. Néanmoins, on peut noter qu’ils émergent respectivement des

36
dommages causés par les biens du domaine public (I) mais également de ceux
qui dérivent de certaines opérations électorales (II).

I- Les dommages résultant des biens du domaine public

L’article 2, paragraphe 1 de l’ordonnance n°72/2 du 06 juillet 1974 fixant


le régime domanial dispose que « font partie du domaine public, tous les biens
meubles et immeubles qui, par nature ou par destination, sont affectés soit à
l’usage direct du public soit aux services publics ». Si l’on fait abstraction de la
définition énumérative contenue dans les articles 3 et 4 de l’ordonnance et que
l’on s’attache uniquement à la définition conceptuelle du domaine public, ce
dernier s’appréhende à partir de critères afférant à la propriété d’une personne
publique, à la nature du bien incorporé ainsi qu’à l’affectation de celui-ci.
L’article 2, paragraphe 3 de l’ordonnance de 1974, en considération de ces
critères, donne une définition nettement plus descriptive du domaine public qui
« … se divise en domaine naturel et (en) domaine public artificiel ». Ce sont
donc les biens qui intègrent ces différentes composantes du domaine public
(biens maritime, fluvial, terrestre et aérien ; biens offerts par la nature et
nécessairement raffinés par le travail de l’homme) qui peuvent causer des
dommages aux particuliers. Le juge administratif s’y attèle aux fins de
réparation.

L’administration dispose du droit de propriété sur les biens du domaine


public. C’est d’ailleurs la raison fondamentale qui fonde les particuliers à se
prévaloir du droit à la réparation du préjudice qui pourrait y découler dans les
cas de défaillance manifeste, étant entendu que les biens du domaine public
reposent particulièrement sur les exigences d’hygiène et/ou de sécurité. Ces
considérations, en l’occurrence de sécurité, indispensables à l’affectation du
bien, sont à la base de l’espèce Dame FERRIERE Marie (Cf. CFJ/AP, arrêt
n°15 du 16 mars 1967). Il en a également été le cas dans l’espèce TCHANY

37
Jean-Pierre (Cf. CFJ/CAY, arrêt ADD n°25 du 15 novembre 1966, vidé par
jugement n°113/CFJ/CAY du 02 décembre 1970). D’autres sentences
juridictionnelles viendront consolider cet état du droit jurisprudentiel mettant en
exergue les carences et défaillances de l’Etat à assurer la sécurité attachée aux
biens du domaine public (Cf. CS/CA, jugement n°45 du 27 mai 1982,
DZIETHAM Pierre ; en appel, voir CS/AP, arrêt n°8/A du 17 novembre
1983 ; CS/CA, jugement n°86 du 26 juin 1986, KONTCHOU Lévi Bord ;
CS/CA, jugement ADD n°90 du 28 février 1991, ONDOUA ATANGANA et
jugement de fond n°12 du 26 décembre 1991, confirmé en appel par arrêt
n°28/A du 27 juin 1996 ; jugement n°91 du 30 juin 2004, Paul ONDOUA
ATANGANA).

En l’absence d’une typologie des « litiges intéressant le domaine


public », on fait observer que les contentieux de l’entrée et de la sortie d’un bien
du domaine public, détermination et affectation en l’occurrence, générés par
divers actes juridiques et phénomènes extérieurs à l’homme, selon le caractère
artificiel ou naturel du domaine querellé, rentrent dans ce registre, quoiqu’en
réalité, lesdits contentieux demeurent embryonnaires ou virtuels , à l’observation
même de la jurisprudence administrative. Les modalités d’acquisition des
dépendances du domaine public permettent de restituer l’aspect de la
détermination du domaine public, c’est-à-dire la technique d’incorporation d’un
bien dans le domaine public par la personne publique administrative. Cet état de
chose n’est cependant pas exclusive des désagréments à l’égard des tiers, toute
chose susceptible de donner lieu à contentieux. Le contentieux de la
détermination du domaine public correspond à cette catégorie des réclamations
contentieuses nées de l’entrée d’un bien dans le domaine public. Les litiges en la
matière dérivent soit des biens appartenant au domaine public naturel, soit au
domaine public artificiel.

38
L’incorporation d’un bien dans le domaine public s’opère par le procédé
exorbitant de droit commun qu’est la décision formelle. Elle fait l’objet d’un
acte juridique explicite : loi, décret, arrêté, délibération. L’acte juridique
d’incorporation prend le nom d’« acte de classement » lorsque l’opération est
opérée dans la catégorie des voies publiques. La décision formelle doit de ce fait
être suivie d’une affectation matérielle du bien à l’utilité publique, à raison de
son usage direct par le public ou par les services publics. On constate cependant
que la décision formelle d’incorporation du bien dans le domaine public
artificiel suscite une contestation lorsqu’elle fait état d’un décalage par rapport à
l’affectation matérielle par des procédés comme l’alignement de l’expropriation,
le droit de préemption, la réquisition et la nationalisation. L’assouplissement du
principe d’inaliénabilité des biens du domaine public, qui, entre autres
caractéristiques fondamentales, sont imprescriptibles et inaliénables, fait
cependant en sorte que « les dépendances du domaine naturel ou artificiel
reconnues sans utilité compte tenu de leur affectation initiale peuvent être
déclassées et intégrées par décret au domaine privé de l’Etat ou des autres
personnes morales de droit public ». Ce sont donc les conditions dans lesquelles
est agencée la sortie d’un bien qui fondent et enclenchent le contentieux de
l’affectation ou de la sortie du domaine public. A ce sujet, il faut distinguer la
matière contentieuse portant sur l’acte juridique d’affectation ou de sortie du
bien du litige circonscrit à l’exclusive opération matérielle de sortie.
Parallèlement à la domanialité publique, la matière électorale offre également
quelques terrains de faits matériels susceptibles d’être déféré à l’endroit du juge
administratif.

II- Le contentieux parcellaire des opérations électorales

Le juge administratif s’est arrogé un pan important de contentieux


électoral général. Pour l’essentiel, ce contentieux électoral porte précisément sur

39
la contestation des opérations liées au déroulement proprement dit du scrutin,
c’est-à-dire en fait à la régularité de l’élection et non pas des questions se
rapportant à la préparation de la consultation du peuple, à l’exemple du
contentieux de l’électorat, de l’éligibilité ou des bulletins de vote de chaque
candidat ou parti politique. Au rang de ces contentieux, on relève ainsi le
contentieux électoral municipal, le contentieux électoral dans les ordres
professionnels, le contentieux électoral dans les chambres consulaires et dans les
régions.

Pour ce qui est du contentieux électoral municipal, celui-ci correspond au


litige préélectoral, au litige électoral et à celui post-électoral. Sur le premier cas,
la compétence du juge administratif tient ici à la contestation de la décision
administrative par laquelle le Ministre de l’administration territoriale et de la
décentralisation (MINATD) accepte ou rejette une liste de candidats
conformément à la réglementation en vigueur. Ainsi, il peut advenir que le juge
administratif ordonne le « rejet de la liste » validée par l’autorité administrative
(Cf. jugements n°s 59/CE du 12 juin 2007, SOHNA BIYONG Emmanuel
UPC C. / Commune d’Eseka, 62/CE du 12 juin 2007, FEUTHEU
Jean-Pierre RDPC et 68/CE du 12 juin 2007, ABEY Napoléon (Registered
voted and candidate of the CPDM list EYUMO JOCK) ou alors
« l’acceptation de la liste » non validée ou son rejet par l’autorité querellée (Cf.
jugements n°s 7/CE du 12 juin 2007, ELOUNDOU NDONGO Louis Coty et
MBASSI EBENDE Jean-Claude RDPC Lobo et 103/CE du 12 juin 2007,
OBIEGNI Thomas Dupont Commune de Ndikiniméki). A contrario, la
chambre administrative se déclare incompétente affirme son incompétence à
connaître des demandes tendant au contrôle de l’investiture interne au parti
politique (Cf. jugements n°s 66/CE du 12 juin 2007, BRAHAM alias
MADAM MAGRA UNDP Commune de Blangoua et 72/CE du 12 juin
2007, MBATA Yvon RDPC), à celles visant la « disqualification des liste » (Cf.

40
jugements n°s 243/CE du 29 août 2007, NDI AMOUGOU Isidore et 292/CE
du 26 septembre 2007, BELIBI NKOA François), seule la commission
électorale, conformément à la loi électorale, est habilitée à en connaître (Cf.
CS/CA, jugements n°s 01 du 31 octobre 1996, SDF District de Balikumbat
et 35 du 05 décembre 1996, UPC – Manidem).

Pour ce qui est du litige électoral, la chambre administrative statue sur les
demandes « d’annulation des opérations électorales » pour raison de fraude (Cf.
jugements n°s 181/CE du 29 août 2007, SILATCHOM Pierre, 236/CE du 29
août 2007, ZONGO AMOUGOU Lin Dieudonné, 250/CE du 29 août 2007,
KAMMI Nazaire C. / Etat du Cameroun et Commune de Douala II, 288/CE
du 29 août 2007, KOSNA BADÏ (UNDP) Commune de Mokolo, 191/CE du
29 août 2007, ISSOLA Blaise et Autres. Dans le même sens, voir les
jugements des 29 août 2007 n°s 283, KALAMBACK KOLLO Jean
Débonnaire C. / Etat du Cameroun et KADJI DEFOSSO Joseph et 284/CE,
DOUO Boniface et Autres C. / Etat du Cameroun et Madame FONING
Françoise – Commune de Douala Ve). Par contre, lorsqu’il est question du
déroulement du scrutin, le juge administratif affirme son incompétence à statuer
sur les demandes tendant à la proclamation des résultats électoraux des
conseillers municipaux (Cf. jugement n°193/CE du 29 août 2007, MEUTCHI
Joseph Marie) ou sur la demande de « rectification des résultats » (Cf.
jugement n°181/CE du 29 août 2007, SILATCHOM Pierre). Il y a enfin,
pour le compte du contentieux électoral municipal, le litige post-électoral. A ce
sujet, le juge administratif affirme sa compétence à connaître de la contestation
de l’élection du maire et de ses adjoints, en l’occurrence l’exécutif municipal, au
terme de l’élection des conseillers municipaux (Cf. jugement n°136/CE du 29
août 2007, MOUKOUELLE Joseph Raymond). Il affirme par contre son
incompétence à connaître de la « rectification des résultats électoraux ».

41
Le juge administratif connaît également du contentieux électoral au sein
des ordres professionnels (Cf. CS/CA, jugement n°117/90-91 du 31 mai 1991).
Il en va de même du contentieux électoral dans les chambres consulaires (Cf.
CS/CA, jugements n°s 5 du 26 novembre 1982, ESSOME Jean, 6 du 26
novembre 1982, MONTHE Honoré, 7 du 03 décembre 1982, NGALA
TAWONG Abel, 1 du 26 octobre 1983, NOUTCHOGOUING Jean Samuel,
3 du 26 octobre 1983, KEUATSOP TETAKEUA Pierre, 4 du 26 octobre
1983, DJOMO David) ainsi que du contentieux des élections régionales à venir.

Le contrôle juridictionnel de l’administration ne peut valablement se


déclencher que dans les hypothèses où le litige administratif rentre dans le
champ de compétence de l’autorité juridictionnelle qui devrait en connaître. Le
juge ne pouvant s’autosaisir, ce dernier ne peut effectivement agir que s’il est
actionné par le justiciable qui lui adresse directement une requête à cette fin.

Chapitre III : Le support de la contestation juridictionnelle - La typologie


des recours usuels

Il faut entendre par typologie des recours juridictionnels les différentes


techniques de saisine du juge administratif offertes au potentiel justiciable afin
qu’il puisse se faire rendre justice lorsqu’une affaire l’oppose à la puissance
publique administrative en général. Le recours juridictionnel est donc un acte de
procédure au moyen duquel le justiciable tend à faire respecter, auprès du juge,
la juridicité administrative mise à mal par l’action ou l’inaction malencontreuse
de l’administration. C’est Edouard LAFFERRIERE qui, au 19ème siècle, a opéré,
en fonction du critère des pouvoirs du juge administratif, une classification en
quatre branches du droit administratif processuel. On relève ainsi : le
contentieux de pleine juridiction, le contentieux de l’annulation, le contentieux
42
de l’interprétation et le contentieux de la répression. Léon DUGUIT, va, au 20ème
siècle, opposer à cette nomenclature du contentieux administratif une tout autre
classification qui se fonde sur la nature de la question posée au juge. Il
distinguait alors le contentieux objectif du contentieux subjectif.

Ici et là, le droit camerounais en la matière s’en est largement inspiré. Il


reste alors à envisager la classification des recours en étude sur le double plan
des recours en annulation pour excès de pouvoir (Section I) et en indemnisation
fondée sur la responsabilité publique (Section II), pour ce qui est des recours
usuels de fond. Mais au préalable, existent des recours de l’urgence contentieuse
(Section III).

Section I : Le recours en annulation pour excès de pouvoir

Aussi bien dans la vieille loi ordonnance de 1972 que dans les lois de
2006, relativement à ce qui concerne les requêtes adressées au juge
administratif, le recours en annulation pour excès de pouvoir figure en bonne
place. Qu’annule-t-on pour excès de pouvoir ? Que signifie par ailleurs excès de
pouvoir ? L’objet du recours en annulation (I) et la définition même du concept
(II) seront successivement analysés.

I- L’objet du recours en annulation

Emboitant le pas à Edouard LAFFERRIERE qui avait dit que le recours


pour excès de pouvoir est « un procès fait à un acte », le juge administratif local
a pareillement dit « le recours pour excès de pouvoir ne constitue pas un procès
entre les parties mais un procès contre un acte administratif » (Cf. CFJ/CAY,
arrêt n°98 du 27 janvier 1970, OBAME ETEME Joseph ; CS/CA,
jugements n°s 51 du 29 mars 1979, BABA YOUSSOUFA, 47 du 27 juin
1982, NLEND EBEBE Jean, 115 du 11 septembre 1986, EMMA

43
NDJENGUE C./ Etat du Cameroun, Lieutenant JAP ENOCH TATA et
Capitaine BALLA ONDOUA).

Si le recours pour excès de pouvoir ne vise pas un individu comme


personne physique, il importe également d’éviter d’utiliser le recours pour excès
de pouvoir contre la mise en cause des personnes morales de droit privé (Cf.
CFJ/AP, arrêt n°48 du 16 mai 1967, Compagnies d’Assurances Générales et
Sieur KEMAYOU C. / Commune mixte rurale de Bangou et Safra ;
CFJ/AP, arrêts n°s 3/A du 28 octobre 1971, Robert ABUNAW C. / Francis
Tommy Wilson et le Directeur des douanes et du cadastre, 6/A du 10 mars
1972, Cameroon Development Corporation (CDC) C./ SOCOPAO ; CS/CA,
jugements n°s 27 du 27 février 1992, DUTCHOU C./ FECAFOOT, 43 du 24
juin 1993, ZOGO MENYE Alphonse).

Le recours en annulation est limité à l’acte faisant grief, c’est-à-dire à


l’acte qui emporte des effets dommageables, c’est-à-dire qui porte préjudice (Cf.
CS/CA, jugement n°5 du 29 novembre 1979, TCHUNGUI Charles) ou alors
qui lèse son destinataire (Cf. CS/CA, jugement n°54 du 28 février 1985,
KAMGO Léon). En tout état de cause, l’objet du recours en annulation se situe
dans le périmètre des frontières d’une décision administrative préjudiciable, soit
qu’elle affecte un droit, soit qu’elle fait supporter une obligation supplémentaire
alternativement ou alors les deux hypothèses concomitamment, mais encore
faut-il clarifier ce que l'on entend par excès de pouvoir qui entache la décision
administrative.

II- La signification de l’excès de pouvoir

L’excès de pouvoir correspond à cette autre terminologie que


l’on appelle les « cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir »

44
ou encore les « moyens d’annulation ». La législation camerounaise en
matière de contentieux administratif a toujours disposé de manière
constante « est constitutif d’excès de pouvoir … le vice de forme,
l’incompétence, la violation d’une disposition légale ou réglementaire,
le détournement de pouvoir ».

● Le vice de forme

Le vice de forme doit être doublement perçu. D’une part, il est


toujours utile de rappeler que les actes pris par l’administration sont
toujours soit écrits, oraux, découlent de la gestuelle manuelle ou alors sont
tirés de l’interprétation du silence administratif. La loi n°90/56 du 19
décembre 1990 relative aux partis politiques contient une disposition
pertinente au terme de laquelle ‘’tout refus par le Ministre de
l’administration territoriale de légalisation d’un parti politique ‘’ « doit
être notifiée à l’intéressé en laissant (une) trace écrite ». En clair, la
décision administrative de refus de légalisation d’un parti politique doit
absolument revêtir la forme écrite. En conséquence, il y a vice de forme
lorsque l’autorité administrative décide sans poser un acte écrit.
Autrement dit, il y a vice de forme lorsque l’administration décide
oralement alors que la forme légalement prescrite doit être tiré de
l’instrumentum. S’agissant justement de l’instrumentum, c’est-à-dire
l’acte écrit, il faut dire que ce dernier comporte un certain nombre de
mentions qui conditionne la régularité formelle de l’agissement
administratif. Certaines mentions sont obligatoires alors que d’autres sont
facultatives. Le vice de forme est décelé dans un acte écrit lorsqu’une
mention substantielle fait défaut ou est omise. D’autre part, le vice de
forme ou exactement de procédure découle du non- respect par
l’administration de procédures instituées en vue de l’édiction de la

45
décision administrative (Cf. CS/CA, jugement n°11 du 14 janvier 2009,
OUMAROU SALLAHEDINE).

● L’incompétence

C’est un moyen d’annulation historiquement élaboré par la


jurisprudence du Conseil d’Etat français en date du 28 mars 1807,
DUPUIS Briace. L’incompétence ou vice de compétence signifie trois
(03) choses :
- Matériellement, c’est le fait pour une autorité administrative d’agir dans le
champ d’attributions qui n’est point le sien. C’est ce que l’on appelle
l’incompétence rationae materiae.
- Organiquement, c’est le fait pour une personne physique n’ayant aucune
qualité pour agir dans le champ administratif de décider en lieu et place de
l’administration. C’est ce que l’on appelle l’incompétence rationae
personae.
- Géographiquement, c’est le fait pour une autorité administrative d’agir
dans une portion du territoire qui ne sied pas à sa compétence. C’est ce
que l’on appelle l’incompétence rationae loci. Dans une catégorisation
autre, l’incompétence peut-être positive ou négative. D’après la
jurisprudence du Conseil d’Etat, l’incompétence est négative lorsqu’elle
naît de l’autorité administrative qui méconnaît l’étendue de ses propres
prérogatives (Cf. CE, 17 juin 1985, FLUCHERE). Par contre,
l’incompétence est positive lorsqu’elle tient à une décision administrative
émise par la personne publique qui n’avait pourtant pas compétence à la
prendre. Mais par ordre de gravité de l’incompétence, on distingue la
forme grave d’incompétence que l’on appelle l’usurpation des pouvoirs de
la forme simple d’incompétence que l’on appelle l’empiètement des
pouvoirs.

46
- L’usurpation de pouvoir : forme grave de l’incompétence

Il y a usurpation de pouvoir dès lors qu’une personne physique, publique


ou privée, émet un acte administratif en l’absence de toute habilitation juridique,
titre écrit ou coutumier (Cf. CE, 08 août 1919, LABONNE). L’exemple le plus
fréquent de l’usurpation de pouvoir est tiré de ce cas d’un individu qui, sans titre
ni qualité, et par conséquent sans dépouillé de toute autorité publique, agit en
s’immisçant dans l’activité administrative par voie de décision. Exemple :
Monsieur ANDJE, paysan d’Ebolowa, commet une usurpation de pouvoir, ce
qui est par ailleurs un fait d’ingérence pénalement punissable, en prétendant
émettre un décret instaurant l’état d’urgence dans la région du Sud, alors que le
Président de la République, seul en cette qualité, qui a compétence pour le faire
en vertu du titre juridique qu’est la constitution.

Que l’on ne se méprenne pas sur le domaine rationae personae de


l’usurpation de pouvoir qui ne saurait être l’apanage de la personne privée, car
même la personne publique peut être à l’origine de l’usurpation de pouvoir.
Lorsque l’administration s’approprie des compétences constitutionnelles du
législateur, il y a forcément usurpation de pouvoir (Cf. CS/CA, jugement n°43
du 07 avril 1983, KOUOH Emmanuel Christian). Il y a encore usurpation de
pouvoir lorsque l’administration s’immisce dans le champ de compétence des
autorités juridictionnelles. Dans une décision en date du 01er février 1964,
LACAMBRE, le conseil d’Etat a dit que l’administration ne peut annuler un
contrat de droit privé en prétendant se substituer au juge judiciaire. Dans le
contexte local, un arrêt n°107 du Tribunal d’Etat, en date du 29 avril 1960,
Sieur GLEIZAL Michel C. / Mairie de Douala a posé la même règle en disant
que « … le maire de la commune était incontestablement sans pouvoir pour
s’immiscer et annuler le contrat conclu avec M. Gleizal… S’il entendait
contester la validité dudit contrat, il devait nécessairement s’adresser au juge du
contrat pour faire constater la nullité de celui-ci ».

47
L’usurpation de pouvoir a pour conséquence d’entraîner l’annulation de
l’acte sauf dans l’hypothèse exceptionnelle d’application de la théorie du
fonctionnaire de fait qui présente l’avantage de valider la mesure prise par le
particulier qui n’a aucune qualité ni titre mais avec inconvénient pour
l’administration qu’elle est tenue de réparer les dommages issus de l’activité du
fonctionnaire de fait (Cf. CE, 05 mars 1948, MARION) repris au plan local
(Cf. les jurisprudences Dame CIVRA ; Dame KIEFFER Marguerite ;
KPWANG ESSIANE ; NDOUNDA Thomas).

- L’empiètement de pouvoir : forme simple d’incompétence

Trois (03) situations permettent de mieux rendre compte de


l’empiètement de pouvoir :

° L’empiètement du subordonné sur les pouvoirs de l’autorité


administrative supérieure (Cf. CS/CA, jugement n°36 du 06 mai 1982,
OYIE TSOGO Joseph).
° La seconde situation est celle de l’empiètement du supérieur sur les
pouvoirs d’une autorité inférieure (Cf. arrêt Sieur NDJOCK Paul du 27
décembre 1957).
° La troisième situation est celle de l’empiètement sur les pouvoirs d’une
autorité hiérarchiquement légale. Dans l’arrêt Sieur NDJOCK Paul sus
cité, le juge a clairement indiqué que les règles de compétence sont
d’ordre public.

● La violation d’une disposition légale ou règlementaire

Le problème ici est de savoir les modalités par lesquelles l’autorité


administrative viole une disposition légale ou règlementaire. Il y en a
plusieurs :

48
- L’auteur d’une décision administrative vicie sa décision lorsqu’il agit sans
se référer à la norme législative ou règlementaire qui canalise son
activité ;
- En toute connaissance des textes applicables, l’auteur de la décision en
vient à donner une interprétation erronée. Autrement dit, l’erreur sur le
sens exact que contient la disposition d’un texte de référence, la loi ou le
règlement en l’occurrence, entache la décision en question d’une illégalité
interne (Cf. CS/CA, jugement n°55 du 22 avril 1976, MBARGA
Emile).
- La violation de la loi ou du règlement est enfin recherchée par le juge de
l’excès de pouvoir à travers les motifs contenus dans la décision
administrative. Cette technique de contrôle des motifs a été amorcée dans
le contexte français à travers l’arrêt du Conseil d’Etat CAMINO en
date du 14 janvier 1914. Il était reproché au maire Camino d’avoir fait
introduire un cercueil par une brèche du mur d’enceinte du cimetière et
d’avoir fait creuser une fosse de dimension très insuffisante,
comportement destiné à manifester son mécontentement à l’égard du
mort. Il fut alors éjecté de sa fonction. Saisi du contentieux, le Conseil
d’Etat lui rétorqua « considérant que le Conseil d’Etat … peut vérifier la
matérialité des faits qui ont motivé ces mesures, et dans le cas où lesdits
faits sont établis, il peut encore rechercher s’il pouvait légalement motiver
l’application des sanctions ».

Le contrôle sur les motifs est à la fois un contrôle de droit et un


contrôle de fait. Lorsque l’administration fonde sa décision sur des motifs
non contenus dans la loi ou dans le règlement, il y a erreur de droit. Le
contrôle des motifs de droit se mue alors en défaut de base légale (Cf. TE, 23
décembre 1960, NGUENANG Jean ; CS/CA, jugement n°44 du 09
février 2005, OHANDJA Séverin). Le contrôle des motifs de faits peut

49
également constituer une source d’illégalité que l’on appelle l’erreur de fait.
Selon une jurisprudence constante, « est entachée d’excès de pouvoir, et
susceptible d’être annulée par le juge administratif, toute décision qui repose
sur des faits matériellement inexacts » (Cf. CS/CA, jugement n°17 du 03
février 1977, MINELI ELOMO Bernard Marie ; CS/CA, jugement n°52
du 23 février 2005, ENGAMBA EVOUNDOU Gaston).

● Le détournement de pouvoir

Il y a détournement de pouvoir lorsque l’autorité administrative


utilise ses pouvoirs à des fins autres que celles pour lesquelles ils lui ont
été confiés. Ce moyen d’annulation est d’essence jurisprudentielle,
puisqu’il a été fabriqué par le juge français à travers une décision du
Conseil d’Etat en date du 24 février 1864, LESBATS. Le détournement
de pouvoir émergent avec la juridicité biaisée, jonglée et avec
l’illégitimité des buts poursuivis. Le juge administratif a constamment
annulé les décisions administratives entachées d’excès de pouvoir lorsque
l’administration a utilisé ses prérogatives non point dans le sens de
satisfaire l’intérêt général mais plutôt dans le but d’apporter des faveurs
inavouées à un administré, soit dans le domaine du foncier, soit dans celui
de l’immobilier qui sont des terrains de prédilection du développement du
détournement de pouvoir (Cf. CFJ, arrêts n°s 120 du 08 décembre
1970, BILAE Jean, 160 du 08 juin 1971, FOUDA MBALLA Maurice ;
CS/CA, jugement n°85 du 14 juin 2006, EFFA Paul Marcel). A côté
du recours en annulation pour excès de pouvoir, on y voit également le
recours en indemnisation fondée sur la responsabilité publique.

Section II : Le recours en indemnisation fondée sur la responsabilité


administrative

50
A l’image de l’article 1382 du code civil, l’administration est
également susceptible d’être tenue pour responsable de ses actes et cette
responsabilité est engagée sur la base d’un recours en réparation qui tend,
sur la base du préjudice subi par le recourant du fait de l’action ou de
l’inaction administrative, à exiger l’allocation d’une compensation
financière.
En règle générale, la responsabilité de l’administration est engagée
sur la base d’une faute (I). Cependant, et à titre exceptionnel,
l’administration peut être amenée à réparer en dehors de toute idée de
faute (II). Dans un cas comme dans l’autre, le juge administratif n’est pas
le seul à pouvoir y statuer, car il existe un éclatement de la compétence
contentieuse entre les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre
administratif (III).

I- La responsabilité administrative fondée sur la faute

Ce visage de principe du recours en responsabilité administrative n’est


pas consacré par les textes mais plutôt par la jurisprudence. C’est dans ce sens
que dans un arrêt rendu par le Conseil du Contentieux Administratif (CCA),
sous le numéro 298, en date du 21 mai 1954, dans l’affaire OMBEDE
Philippe Louis C. / Administration du Territoire, le juge administratif a
considéré «… que le requérant est fondé à se prévaloir d’une faute
administrative qui a eu pour objet de lui causer un préjudice et dont
l’administration du territoire doit être tenue pour responsable ».

Deux questions principales jaillissent de cette articulation


jurisprudentielle de la responsabilité administrative pour faute : qu’est-ce que la
faute administrative ? Quelle est la conséquence juridique entrainée par
l’établissement de ladite faute ? Sur la notion de faute administrative, il convient
d’emblée de relever que dans un langage strictement littéraire la faute procède

51
de « l’action de faillir ». Dans quelles conditions peut-on juridiquement soutenir
que l’administration que l’on traduit en justice, sur la base d’une faute, est
entrain de faillir ? Il y a faute administrative, au plan strictement juridique, et
notamment celle susceptible d’engager la responsabilité de l’administration,
lorsque par l’action répréhensible des agents du service public, ceux-ci
n’observent pas, partiellement ou intégralement, les règles qui organisent le
service public et l’action qui s’y déroule. De manière plus ramassée, la faute
administrative révèle un agent administratif en mauvaise posture
professionnelle, celui-ci ayant fait preuve d’une défaillance dans l’observation et
dans l’exécution d’une ou de plusieurs obligations de service. A quoi correspond
concrètement cette définition théorique ?

La faute administrative correspond aux différentes formes d’illégalité sus


analysées, en l’occurrence le vice de forme et/ou de procédure, l’incompétence,
la violation d’une disposition légale ou règlementaire, le détournement de
pouvoir. Autrement dit, toute illégalité est fautive. Chaque fois que l’on parvient
à déceler une irrégularité dans l’action administrative, il y a automatiquement
faute de l’administration. L’illégalité fautive a d’abord été consacrée par le texte
bien avant que la jurisprudence administrative n’en fasse une récupération dans
le but de consolider le concept de l’illégalité fautive. L’article 2, alinéa 3 du
décret n°76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’octroi du titre foncier
constitue le fondement règlementaire de l’illégalité fautive en ce sens que le
Ministre en charge des domaines peut procéder au retrait du titre foncier
irrégulièrement délivré « … en cas de faute de l’administration résultant
notamment d’une irrégularité commise au cours de la procédure d’obtention du
titre foncier ».

Emboîtant le pas au texte, la jurisprudence administrative a


naturellement admis que l’illégalité était fautive (Cf. CS/CA, jugement n°54 du
23 juin 1981, NJIKIAKAM TOWA Maurice ; jugement confirmé en appel

52
en date du 24 mars 1983 ; CS/CA, jugement n°48 du 04 mars 1976, TAGNY
KAMENI Joseph ; CS/CA, jugement n°53 du 25 mai 2000, les familles
BEYISSA ; CS/CA, jugement n°34 du 29 décembre 2004, NOUMSI Jean
Bosco ; CS/CA, jugement n°73 du 27 avril 2005, ESSOUA Louis ; CS/CA,
jugement n°32 du 18 janvier 2006, ETOUNDI Thomas Paul). A contrario, il
n’y a point de faute administrative lorsque l’administration agit régulièrement,
légalement (Cf. CS/CA, jugement n°1 du 28 novembre 1974, BIKANDA
Jean ; CS/CA, jugement n°37 du 17 janvier 2007, NZONGANG Jean
Marie).

Il y a faute administrative lorsque l’administration est inerte ou alors


marque un retard dans l’action, alors même qu’elle a pouvoir lié (Cf. CFJ/AP,
arrêt n°15 du 16 mars 1967, Dame FERRIERE Marie ; CFJ/AP, arrêt n°21
du 16 mars 1967, ATANGANA Adalbert). La faute est constitutive d’une
opération matérielle de l’agent public (Cf. CS/CA, jugement n°13 du 23
novembre 1981, ENYENGUE DIPOKO Bernard Marie).

Sur la conséquence juridique attachée à la faute administrative, il faut


dire que celle-ci se résume à la réparation pécuniaire. Seulement, pour que
l’administration répare sur la base de la faute préalable commise, il faut réunir
trois (03) conditions à savoir : la faute, le préjudice et le lien de causalité entre la
faute et le préjudice, c’est-à-dire que ce soit la faute qui ait engendré le préjudice
ou alors que c’est le préjudice qui soit issu de la faute. Sans ce lien de cause à
effet, la victime de l’activité administrative ne saurait prétendre à réparation.

II- La responsabilité sans faute de la puissance publique

Dans un arrêt n°5 du 24 mars 1969, rendu par la Cour Fédérale de


Justice, dans l’espèce Dame NGUE André C. / Commune de pleine exercice
de Mbalmayo, le juge administratif a exceptionnellement admis que toute

53
victime de l’activité administrative pourrait « … engager la responsabilité de la
puissance publique en dehors de toute idée de faute ». S’il est donc consacré le
recours en réparation sans que l’administration ait commis de faute lorsqu’elle
agit, il y a lieu de s’interroger sur les règles qui gouvernent l’introduction d’un
tel recours. Ce qu’il faut savoir c’est que, d’une part, le champ d’application de
la responsabilité sans faute de la puissance publique est étroit, car il s’agit d’un
régime exceptionnel, dérogatoire et que, d’autre part, les conditions à fournir par
le requérant aux fins d’engagement de ladite responsabilité sont suffisamment
souples.

● L’étroitesse du champ d’application de la responsabilité sans faute

Dans la jurisprudence administrative du Cameroun, la responsabilité sans


faute de la puissance publique tient déjà à la réalisation du « risque social ».
Bien plus, la responsabilité sans faute de la puissance publique tient à
« l’atteinte à la règle de l’égalité devant les charges publiques ». La Cour
Fédérale de Justice avait expressément admis que la responsabilité sans faute
de la puissance publique pouvait être engagée en raison d’un « risque social »
encouru, présentant un préjudice à caractère spécial et anormal, dans une
espèce Société Industrielle et Commerciale Africaine (SINCOA C. / Etat du
Cameroun, arrêt n°14 du 04 novembre 1965).

● La responsabilité sans faute conditionnée par l’atteinte à la règle de


l’égalité devant les charges publiques

Il est injuste qu’un seul individu fasse les frais d’une mesure
administrative pourtant prise dans l’intérêt de tous les membres de la
collectivité. Réparer le dommage causé dans ce cas est légitime même en

54
l’absence de toute faute imputée à la puissance publique. L’idée de rupture
de l’égalité de tous devant les charges publiques explique cet aspect de la
responsabilité sans faute. C’est la substance de trois (03) décisions
rendues ce même jour du 25 mars 1969 (Cf. Dame NGUE Andrée C. /
Commune de plein exercice de Mbalmayo, CFJ/CAY, arrêt n°5 ;
MORTANT Théophile C. / Commune de plein exercice de Douala,
CFJ/CAY, arrêt n°52 ; NGOMHA Salomon C. / Commune de plein
exercice de Douala, CFJ/CAY, arrêt n°59). Dans l’espèce Dame NGUE
Andrée, la chambre administrative avait en effet considéré que « qu’un
préjudice souffert par un particulier à raison de l’exécution des travaux
d’intérêt général n’ouvre droit à réparation que s’il est exceptionnel,
c’est-à-dire revêt une gravité particulière ; qu’en ce cas en effet, il y a
atteinte au principe de l’égalité de tous les citoyens devant les charges
publiques, ce qui suffit à engager la responsabilité de la puissance
publique en dehors de toute idée de faute ».

La victime qui entend engager la responsabilité de la puissance


publique soit sur la base du « risque social », soit sur le fondement de
la « rupture de l’égalité devant les charges publiques » doit réunir
quelques conditions qui contribuent à assouplir le régime juridique de la
responsabilité sans faute de la puissance publique. La victime n’a plus
besoin d’établir une quelconque faute pour que soit engagée la
responsabilité de l’administration. Cette dernière l’est automatiquement à
partir du moment où un lien de causalité directe naît entre l’activité
administrative non fautive et le préjudice subi.
Pour toutes précisions utiles, il faut rappeler qu’il existe une
responsabilité spéciale, sans faute, imputable à l’administration en raison
de certains actes dérivés des pouvoirs législatif et judiciaire.

55
En substance, la responsabilité de la puissance publique peut être
engagée sur la base d’une faute ou même en l’absence de faute. Mais
devant quel juge doit-on en référer pour obtenir réparation ? Le juge
administratif n’ayant pas l’exclusivité du contentieux de la responsabilité
administrative, le partage de cette matière avec son homologue judiciaire
amène à conclure aisément à l’éclatement de ce contentieux.

III- L’éclatement de la compétence juridictionnelle en matière de


recours en réparation

S’agissant de la compétence du juge administratif en matière de


contentieux de la responsabilité administrative, on citera tour à tour : les
actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif,
décisions ou contrats administratifs en l’occurrence, les dommages causés
par les biens du domaine public et ces autres actions en indemnisations
expressément confiées par la loi. Quant au juge judiciaire, toutes autres
actions ou litiges parallèles à ceux sus énumérés ressortissent à sa
compétence. Il s’agit, sélectivement, de la voie de fait administrative, de
l’emprise « irrégulière », du contentieux de l’indemnisation en matière
d’expropriation pour cause d’utilité publique, des injures ou des coups
infligés à un usager par un agent public. Quid des recours de l’urgence
contentieuse ?

Section III : Les requêtes de l’urgence

Il faut distinguer l’urgence accessoire (I) de l’urgence de fond (II).

I- L’urgence accessoire

Il s’agit de la requête aux fins de sursis à exécution (1) et du recours en


référé administratif (2).

56
1- La requête aux fins de sursis à exécution

L’article 30 de la loi n° 2006/022 du 29 Décembre 2006 portant


organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs fixe la procédure du
sursis à exécution. En son alinéa 2, il y est indiqué que « … Toutefois, lorsque
l’exécution est de nature à causer un préjudice irréparable et que la décision
attaquée n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique,
le Président du tribunal administratif peut, saisi d’une requête, après
communication à la partie adverse et conclusion du ministère public, ordonner
le sursis à exécution ». Il convient de relever, au titre des conditions essentielles
(de forme et de fond) d’octroi du sursis à exécution, que si la mesure querellée
ne doit point être une mesure de police administrative, elle doit cependant
causer un préjudice irréparable au recourant, ce dernier devant justifier de
l’exercice préalable d’un recours gracieux, même si, au terme de l’article 30,
alinéa 1, « le recours gracieux contre un acte administratif n’en suspend pas
l’exécution ».

2- Le recours en référé administratif

L’article 27 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant


organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs, dispose, en son
alinéa 1, que « Dans les cas d’urgence, le président du tribunal ou le magistrat
qu’il délègue peut, sur requête et si le demandeur justifie de l’introduction d’un
recours gracieux, les parties convoquées et après conclusions du ministère
public, ordonner, en référé, toutes les mesures utiles, sans faire préjudice au
principal ». Entre autres condition de forme et de fond, dès lors que le recourant
justifie de l’introduction d’un recours gracieux, de l’irréparabilité du préjudice
subi et que le recours querellé ne préjudicie point le fond, le juge unique peut lui
octroyer la mesure sollicitée.

II- L’urgence de fond

57
Le contentieux de l’urgence de fond, pour rester bref, se distingue du
contentieux accessoire de l’urgence. A titre de précision, certaines formalités
exigibles dans le contentieux de l’urgence accessoire sont purement et
simplement inexistantes dans le cadre du contentieux de l’urgence de fond. On
relève également une plus grande célérité en termes de saisine et de traitement
contentieux. Au titre de ces contentieux, on peut lister :

- Le contentieux de la reconduction des étrangers à la frontière. Il est


institué par la loi n°97/012 du 10 janvier 1997 relative aux conditions
d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers du Cameroun qui, en son
article 37, alinéa 1, dispose que « la juridiction administrative est tenue de
statuer dans les 8 jours qui suivent sa saisine » ;
- Le contentieux du refoulement des étrangers et le contentieux de
l’expulsion des étrangers. Ici et là, les délais réservés au juge administratif
pour se prononcer ne sont pas suffisamment clairs ;
- Le contentieux des partis politiques. Aux termes de l’article 8, alinéa 3, de
la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 sur les partis politiques, le juge
administratif dispose de 30 jours pour se prononcer ;
- Le contentieux des associations. Le juge dispose de 10 jours (Cf. article
13, alinéa 3 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 sur la liberté
d’association) ;
- Le contentieux des ONG. Le juge dispose de 10 jours (Cf. article 13,
alinéa 3 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 sur la liberté
d’association) ;
- Le contentieux relevant du déféré préfectoral (Cf. article 77, alinéa 3, de
la loi du 24 décembre 2019 sur les CTD). Le juge dispose de 30 jours
pour se prononcer à compter de sa saisine.

Quoiqu’il en soit, et pour ce qui est du contentieux administratif


proprement dit, le juge administratif, saisi d’une requête contentieuse,

58
redressera les torts subis par les potentiels justiciables conformément à la
procédure juridictionnelle instituée à cet effet. C’est le domaine du
règlement du litige administratif au prétoire, de la décision de justice
administrative ou, si l’on veut, de la solution juridictionnelle.

Deuxième partie : Le règlement au prétoire

59
L’accès au juge administratif fait l’objet d’un encadrement rigoureux par
l’entremise d’un certain nombre de procédures dont le respect s’impose à qui
veut bien faire prévaloir la justice administrative. Comme il a été plus haut
indiqué, l’organisation juridictionnelle administrative au Cameroun a connu une
évolution manifeste, toute chose que viennent d’ailleurs confirmer, d’une part, la
constitution révisée du 18 janvier 1996 qui en a posé les bases, et, d’autre part,
ce que l’on pourrait appeler les lois de 2006 qui sont la traduction concrète de la
réforme amorcée par le constituant. Pour parler plus brièvement, on dira alors
qu’en dépassement de l’organisation juridictionnelle administrative passéiste, on
a abouti, aujourd’hui, à une organisation nouvelle qui fait du tribunal
administratif juge d’instance du contentieux administratif, à charge d’appel et de
cassation devant la chambre administrative de la Cour Suprême. A cet effet, il
faut ainsi distinguer la procédure devant le tribunal administratif (Chapitre I) de
celle opérée devant la chambre administrative (Chapitre II). L’achèvement du
procès administratif s’opère par l’usage des voies de recours devant et la
chambre administrative (Chapitre III).

Chapitre I : La procédure devant le tribunal administratif

60
Le recours juridictionnel devant le tribunal administratif exige que le
justiciable se conforme préalablement à certaines exigences processuelles. La
plus remarquable et significative tient à l’introduction préalable d’un recours
gracieux (I). L’accomplissement de cette phase procédurale enclenche l’examen
de la demande par le juge (II).

I- L’introduction préalable d’un recours gracieux

Le préalable à la saisine du tribunal administratif tient à


l’accomplissement de la mesure processuelle qu’est le recours
gracieux. Que faut-il entendre par recours gracieux et, par ricochet,
quel est l’objectif de son exercice ? Quel est le régime juridique du
recours gracieux ? Telle est la double interrogation à laquelle il faut y
répondre.

Le recours gracieux, comme l’indique son nom, est un


« préalable » qui contraint l’administré ou potentiel justiciable qui
prétend avoir subi un préjudice du fait de l’activité administrative, en
l’occurrence juridique ou matérielle, de s’adresser en priorité à ladite
administration aux fins de règlement précontentieux du désaccord qui
les oppose. C’est de l’échec de cette phase précontentieuse que le
justiciable est habilité à saisir le tribunal administratif. Ainsi, le recours
gracieux exige du recourant que celui-ci s’adresse préalablement à
l’administration mise en cause, dans l’intérêt de porter à sa
connaissance l’existence d’un litige entre les deux parties, en
l’occurrence la demanderesse et l’administration en situation de
défenderesse, afin d’y trouver la solution qui sied. C’est d’ailleurs la
raison pour laquelle on dit que le recours gracieux lie le contentieux,
car en cas d’échec de la tentative d’arrangement entre les parties, le
recourant est en droit de saisir le tribunal administratif.

61
Du point de vue de son régime juridique, l’autorité
adressataire du recours gracieux doit être clairement déterminée. A cet
effet, l’article 17, alinéa 1 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006
portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs
dispose que « … le recours gracieux devant le tribunal administratif
n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux adressé à
l’autorité auteur de l’acte attaqué ou à la celle statutairement habilitée
à représenter la collectivité publique ou l’établissement publique en
cause ».

Quant aux délais d’introduction du recours gracieux, ceux-ci


varient en fonction de la nature du litige. Ainsi, en cas de demande
d’annulation, le recours gracieux doit être adressé à l’autorité habilitée
à le recevoir dans les trois mois qui suivent la publication ou la
notification de la décision litigieuse (Cf. article 17, alinéa 3 (a) de la
loi n°2006/022). En cas de demande d’indemnisation, le recours doit
être introduit dans les six mois qui suivent la réalisation du dommage
ou sa connaissance (Cf. article 17, alinéa 3 (b) de la loi n°2006/022).
Lorsqu’il s’agit d’un cas d’abstention d’une autorité administrative
ayant compétence liée, le recours est recevable dans les quatre ans à
partir de la date à laquelle ladite autorité était défaillante (Cf. article
17, alinéa 4 (c) de la loi n°2006/022). Cependant, il est des matières
contentieuses où le recours gracieux n’est point exigé. On cite,
sélectivement, le contentieux électoral municipal, le contentieux
spécial de l’urgence, le contentieux des décisions du Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière (C.D.B.F). L’appréciation formelle
de la requête conditionne l’examen de fond de celle-ci.

62
II- L’examen de la demande par le juge

La saisine du tribunal administratif est subordonnée à la


réalisation, d’une part, des conditions s’imposant à la personne du
requérant et aux délais d’introduction de la demande contentieuse,
toutes choses qui, d’autre part, ouvrent le boulevard vers l’instruction
et le jugement de l’affaire en procès. Il faut tout de même indiquer que
le recourant doit verser une provision lors du dépôt de la requête
contentieuse, une provision supplémentaire pouvant être exigée. La
requête doit être rédigée sur papier et timbrée, signée par le recourant
ou son mandataire ou avocat. Elle doit contenir le nom, le prénom, la
profession et le domicile du demandeur, la désignation du demandeur,
l’exposé des faits qui servent de base à la demande, les moyens et
l’énumération des pièces produites à l’appui du recours.

● Les conditions ayant trait à la personne du requérant

Au rang des conditions, qui s’imposent au recourant, conditionnant


ainsi l’examen de ladite demande, il faut distinguer la capacité, la qualité
et l’intérêt pour agir en justice administrative. La capacité est
l’aptitude légale à disposer et à jouir des droits et obligations. Une
personne imaginaire ne peut ester en justice. La personne qui entend
présenter ses prétentions au juge administratif doit donc exister,
c’est-à-dire être en vie au moment de l’introduction de la requête devant
le tribunal administratif, toute chose qui lui confère une personnalité
juridique. C’est d’ailleurs pour cette raison fondamentale que la personne
dont l’existence est douteuse ou remise en cause, c’est-à-dire une
personne dont on a de forts soupçons qu’elle soit morte, ne peut voir sa
requête déclarée recevable devant la juridiction administrative. Ainsi, est
considérée comme incapable, toute personne physique dont les capacités

63
mentales sont réduites. L’âge de 21 ans est donc exigé (Cf. CCA, arrêt
n°662 du 25 octobre 1957, KAMDEM NINYIM Pierre C. / Etat du
Cameroun), sauf en matière électorale où elle est de 20 ans. Les
personnes morales doivent juridiquement exister, c’est-à-dire jouir d’une
personnalité civile.

L’intérêt pour agir en justice administrative est généralement


requis. L’exigence d’un intérêt pour saisir le tribunal administratif permet
de désengorger le prétoire en éliminant les prétentions sans fondement de
certains justiciables qui tendent manifestement à influencer inutilement le
cours de la justice. Cet état de chose répond bien à l’adage « pas d’intérêt,
pas d’action ». L’intérêt se reconnaît par le préjudice souffert par le
recourant (Cf. CFJ/CAY, arrêt n°188 du 28 mars 1972, WAMBO
Télesphore C. / Etat du Cameroun). L’intérêt s’apprécie également à
partir du gain escompté dans la cause juridique. Il peut donc s’agir d’un
avantage moral, pécuniaire ou statutaire que le recourant entend faire
prévaloir. L’intérêt, sauf situations exceptionnelles, revêt un caractère
personnel, direct ou certain.

Le recourant doit également justifier de la qualité pour agir en


justice administrative. C’est le cas des personnes privées. La qualité qu’on
leur impute naît de l’association de la capacité et de l’intérêt à agir lorsque
le recourant est plaideur. A contrario, la qualité dérive de l’habilitation à
représenter du représentant lorsque le recourant se fait représenter (Cf.
CS/CA, jugement n°51 du 29 novembre 1979, Elites BANKA
représentées par MBOUENDEU Jean De Dieu C. / Etat du
Cameroun). Lorsque le recourant remplit les conditions relatives à la
capacité, intérêt et qualité pour saisir le tribunal administratif, il doit
s’assurer qu’il a respecté les délais de saisine dudit tribunal, au risque
de voir sa requête déclarée irrecevable.

64
Aux termes de l’article 18, alinéa 1 de la loi n°2006/022 du 29
décembre 2006, le tribunal administratif doit être saisi dans un délai de 60
jours à compter de la décision de rejet du recours gracieux. Les délais sont
prorogés si le recourant a, dans l’intervalle, déposé une demande
d’assistance judiciaire ou a saisi une juridiction incompétente. Dans ce
cas, le recours devant le juge est valablement introduit dans les 60 jours
qui suivent la notification de la décision statuant sur la demande
d’assistance judiciaire ou sur la compétence (Cf. article 19 de la loi
n°2006/022). L’accomplissement de ces exigences ouvre le boulevard qui
mène à l’instruction puis au jugement de l’affaire en procès.

● L’instruction et le jugement de l’affaire en procès

Au titre des éléments que le tribunal administratif prend en


compte et qui devraient logiquement le conduire à procéder à une
instruction de l’affaire puis au jugement de celle-ci, il faut, au préalable,
relever que l’instruction devant le tribunal administratif est
essentiellement écrite, contradictoire et inquisitoriale. Il s’agit là de
l’instruction. Cette dernière est rendue effective par un certain nombre de
mesures que sont l’enquête, les descentes sur les lieux, l’audition des
parties, la vérification des écritures et, éventuellement, l’expertise. On y
voit également les demandes incidentes, le désistement, l’acquiescement,
la péremption et la reprise d’instance qui peuvent s’y ajouter en tant que
de besoin. Dans le cadre des procédures d’urgence, le tribunal sera guidé
par l’urgence. Ainsi, l’instruction sera abrégée en vue de la protection
d’un intérêt qui serait remis en cause si les mesures d’instruction normales
étaient appliquées.

L’instruction s’active davantage par l’échange des mémoires et


conclusions. Dès lors que l’instruction est considérée comme close, le
juge rapporteur dresse le rapport, l’envoie au greffier qui le transmet, y
65
compris le dossier, au Procureur général. Il formule son avis dans ses
conclusions et le communique sous pli confidentiel au Président du
tribunal. Ce dernier fixe la date de l’audience qui sera communiquée à
toutes les parties prenantes. L’audience, sans huis-clos exceptionnel, est
publique. La police d’audience doit être respectée autant par les parties
que pour les personnes assistant à l’audience. A l’issue de l’audience, le
jugement est prononcé. Il est contradictoire et est rendu après délibération
à la majorité des voix des juges ayant suivi les débats. La sentence, après
enregistrement, est notifiée aux parties. Quid de la procédure devant la
chambre administrative de la Cour Suprême ?

66
Chapitre II : La procédure devant la chambre administrative

La réforme du contentieux administratif a été amorcée par le constituant


en 1996 (Cf. articles 38 et 40 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant
révision de la constitution du 02 juin 1972). Le législateur en a presque
parachevé le processus en fin 2006 (Cf. lois n°s 2006/016 du 29 décembre
2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême et
2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement
des tribunaux administratifs). Et c’est la chambre administrative qui s’en
trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Avant 1996, la chambre
administrative de la Cour Suprême statuait comme instance de premier ressort
en matière de contentieux administratif (Cf. article 10 (nouveau) de
l’ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour
Suprême, modifiée par la loi n°76/28 du 14 décembre 1976). Depuis la
réforme de 1996, la chambre administrative, encore insérée comme une instance
de contentieux administratif au sein de la Cour Suprême, devient instance de
second ressort, connaissant du contentieux administratif en appel et en cassation,
suivant une organisation interne à ladite chambre, tandis que les tribunaux
administratifs, comme sus indiqué, nouvellement institués, tiennent désormais
lieu de formation de jugement de premier ressort.

La place de la chambre administrative dans le nouvel édifice


juridictionnel a donc changé. Dans la réforme de 2006, la définition du cadre de
la compétence matérielle de la chambre administrative atteste qu’elle officie,
dans certains cas, comme juge d’instance : les exceptions préjudicielles
soulevées en matière de voie de fait administrative et d’emprise « irrégulière »
(Cf. articles 38 c de la loi n°2006/016 et 3, alinéa 2 de la loi n°200/022 des 29
décembre 2006), la récusation (Cf. articles 104 et 105 (2) de la loi n°2006/022)

67
et cette « autre matière qui lui expressément attribuée par la loi » (Cf. article 38
d de la loi n°2006/016) en sont de parfaites illustrations.

La procédure ou, si l’on veut, la description des étapes de traitement des


recours, traduite par « l’examen des demandes », impose donc que l’on se réfère
utilement aux lois de 2006 mais également à la jurisprudence administrative en
tant que de besoin. « L’examen des demandes », selon la jurisprudence, est régi
par un sacro-saint principe au terme duquel « la forme prime sur le fond » (Cf.
CS/CA, jugement du 01er février 1985, SENDE Joseph). Les règles de
recevabilité des requêtes constituent par conséquent l’étape initiale et
incontournable qu’il importe de maîtriser (I). Lorsque la demande est déclarée
« recevable en la forme », la chambre administrative peut valablement alors
s’attaquer au fond de la requête sous le contrôle des règles législative et
jurisprudentielle de fond (II).

I- La recevabilité de la demande en la forme

Au titre de la recevabilité de la requête en la forme par la chambre


administrative, on note, ici, que la personne même du requérant doit satisfaire à
certaines conditions précises et, là, le dossier contentieux proprement dit doit
faire état d’un certain formalisme et être introduit dans les délais légaux.

● Pour ce qui est des conditions relatives à la personne même du demandeur


ou de la demanderesse, elles sont au nombre de trois (03) à l’image de
celles classiquement connues devant le tribunal administratif et dont
l’analyse a été précédemment faite. Il s’agit des exigences de :

- Capacité d’ester en justice ;


- Qualité pour agir ;
- Intérêt pour agir.

68
● Quant aux règles applicables au dossier contentieux proprement dit, on
note les exigences ci-après :
- L’administration de la preuve d’un accomplissement régulier du recours
gracieux lorsqu’il est exigé ;
- La présence des mentions impératives de la requête et leur concordance
avec la compétence matérielle de la chambre administrative ;
- Le respect des délais d’introduction des demandes ;
- Le paiement de la consignation, initiale ou supplémentaire.

L’observation de l’ensemble des règles de forme sus décrites donne lieu


à la recevabilité de la demande déposée, enregistrée et enrôlée au greffe, puis
décidée par les juges. Le chemin qui mène à l’examen de fond de la requête est
alors fluide.

II- L’examen au fond de la demande

A ce stade, on distingue ici l’instruction de la demande et de sa finalité


recherchée qu’est le jugement même de la cause juridique.

● L’instruction

L’instruction menée par la chambre administrative est à la fois écrite,


contradictoire, relativement gratuite, secrète et inquisitoire. Concrètement, le
déroulement de l’instruction s’opère suivant le cheminement ci-après :

- La saisine de la chambre administrative déclenche l’instruction qui est


ouverte dès la désignation du rapporteur par le président de la chambre, à
charge pour le juge instructeur de ficeler un dossier contentieux
permettant d’éclairer la recherche de la vérité juridique ;
- La juridiction administrative a une parfaite maîtrise de la conduite de
l’instruction, car c’est elle qui requiert les parties à fournir les documents
de preuve demandés par le rapporteur. Demandeur et défendeur peuvent
alors être requis à cet exercice (Cf. CS/CA, jugement n°24 du 29 mars
69
1996, Conseillers municipaux de la Commune rurale de NANGA
EBOKO) ;
- Le greffier en chef assiste le rapporteur durant la phase d’instruction que
coordonne l’autorité du président de la chambre administrative ;
- A l’issue du montage de l’affaire, le rapporteur dresse un rapport qui est
communiqué au président et au procureur général ;
- Ce dernier y émet des conclusions dans lesquelles figure une proposition
de solution, lesquelles sont par la suite communiquées au président ;
- L’instruction normale de l’affaire peut être perturbée par des recours à
l’expertise pouvant éclairer la juridiction, les demandes incidentes, le
désistement, l’acquiescement, la péremption et la reprise d’instance ;
- L’instruction normale est par contre fluide lorsqu’à son terme est fixée
une date d’audience déterminée par le président, ce qui ouvre la voie au
jugement ou, plus concrètement, à l’édiction d’un arrêt.

● L’arrêt

L’examen d’une requête devant la chambre administrative s’achève par


l’émission d’un arrêt. Quelles en sont les modalités ?

- Les parties sont notifiées, par les soins du greffier en chef, de la date de
jugement entrepris par la collégialité ;
- Les audiences sont publiques, sauf si la juridiction estime que la publicité
du jugement serait dangereuse pour l’ordre public ou les bonnes mœurs,
ordonnant ainsi le huis-clos ;
- Le jugement est contradictoire dès lors que les parties sont toujours
appelées à faire valoir leurs moyens dans la cause, soit personnellement,
soit représentées à l’instance ;

70
- Le président de la chambre veille au respect de la discipline durant la
phase de jugement afin que le public garde le silence requis et que les
parties s’expriment avec modération ;
- Le prononcé même du jugement est effectué à l’issue d’une délibération
secrète, le délibéré étant acquis à la majorité des voix des juges ayant
suivi les débats ;
- Le jugement s’opère par le prononcé en public de la décision de justice
administrative ;
- Les mentions qui y figurent sont des plus classiques et l’« instrumentum »
est notifié aux parties par le greffe après enregistrement.

Le justiciable, demandeur ou défendeur, qui n’est pas satisfait de la


sentence rendue par le juge de fond dispose de la latitude d’user des voies de
recours.

71
Chapitre III : L’achèvement du procès administratif – L’usage des voies
de recours devant la chambre administrative

Une fois que le juge de fond s’est prononcé et que l’une des parties,
en l’occurrence la demanderesse ou la défenderesse, estime ne pas être
satisfait par la décision de ce dernier, il est en droit d’actionner la hiérarchie
juridictionnelle. Il s’agit concrètement des voies de recours. Graduellement,
on y voit l’appel (I) et la cassation (II). A côté de ces deux principales voies
de réformation, il faut de même rappeler l’existence des autres voies de
rétractation (III).

I- L’introduction de l’appel devant la chambre administrative de la


Cour Suprême : conditions et modalités

Le double degré de juridiction est le signe manifeste d’une


hiérarchisation des juges. Ainsi, distingue-t-on le juge d’instance du juge
supérieur, siégeant respectivement au sein du tribunal administratif et à la
chambre administrative nouvelle de la Cour Suprême. Avant la réforme du
contentieux administratif de 1996, le juge d’instance siégeait dans l’ancienne
formule de la chambre administrative, alors que le juge administratif supérieur
se retrouvait au sein l’Assemblée plénière. Le passage du palier juridictionnel
de base à l’échelle contentieuse haute s’opère par l’une des voies de recours
appropriée que l’on nomme l’appel. De quoi s’agit-il exactement ?

Sur un plan général, l’appel s’analyse comme une voie de réformation


du contentieux administratif s’étant déroulé devant les premiers juges. Plus
précisément, c’est l’acte de procédure par lequel le plaideur déclare, au greffe de
la juridiction d’instance, qu’il attaque devant la juridiction d’appel la décision de
72
première instance qui lui fait grief. L’appel est par conséquent une prolongation
du procès administratif initiée par qui de droit.

Quelles sont alors les conditions requises pour interjeter appel devant la
chambre administrative de la Cour Suprême ? Quelles sont par ailleurs les
modalités par lesquelles l’on introduit la requête devant la chambre
administrative statuant comme juge d’appel ? Si les conditions de recevabilité du
recours en appel présentent un double visage, l’on dira encore que le greffe de la
chambre administrative est l’unique porte visant à garantir l’introduction
régulière de la requête en appel.

● Le double visage des conditions de recevabilité du recours en appel

Qui est habilité à interjeter appel devant la chambre administrative ? La


requête même présentée par le sus visé obéit à quelles règles ? Autant dire qu’en
matière d’appel devant la chambre administrative, il importe de distinguer les
conditions relatives à la personne de l’appelant de celle tenant à la requête
proprement dite.

Relativement aux conditions tenant à la personne de l’appelant,


cette dernière met en exergue une triple situation :

- « La déclaration d’appel … est faite par le demandeur en personne » (Cf.


articles 112 de la loi n°2006/022 et 74, alinéa 2 de la loi n°2006/016 des
29 décembre 2006) ;
- « La déclaration d’appel est faite par l’avocat (du demandeur sus visé) …
ou par un mandataire muni, à peine d’irrecevabilité, d’un pouvoir
spécial » (Cf. articles 112 de la loi n°2006/022 et 74 (2) de la loi
n°2006/016 sus cités) ;
- « L’appel du procureur général » est prescrit à l’article 114, alinéa 4 de la
loi n°2006/022.

73
Pour ce qui est des conditions tenant à la requête proprement dite,
trois situations juridiques se doivent néanmoins d’être mentionnées :
- Sur le délai d’introduction de la requête en appel. L’article 73 de la loi
n°2006/022 dispose : « l’appel est, à peine de forclusion et sauf
dispositions spéciales contraires, formé dans un délai de quinze (15) jours
à compter du lendemain de la notification de la décision de la juridiction
inférieure ». L’appelant bénéficie alors d’une prorogation de délai lorsque,
dans l’intervalle, il a déposé une demande d’assistance judiciaire par
exemple.

- Sur le domaine rationae materiae de la requête en appel. L’article 112


de la loi n°2006/016 en donne l’indication, certes laconique, en parlant de
« …déclaration d’appel contre tout jugement du tribunal
administratif… ». Mais il faut se reporter à l’article 114, alinéa 1, pour en
avoir une énumération : « les décisions rendues en premier ressort, celles
rendues en premier ressort en matière électorale et en matière de référé
sont susceptibles d’appel devant la chambre administrative » (La matière
électorale se rapporte aux élections municipales et régionales pour
lesquelles l’article 40 de la constitution confie la connaissance du
contentieux y relatif à la chambre administrative).

- Sur les mentions de la requête en appel. Celles-ci sont clairement


énoncées par l’article 76, alinéa 1 de la loi n°2006/016 : « le mémoire doit
contenir les noms, prénoms, professions et domicile de l’appelant,
l’exposé des faits qui servent de base à l’appel, les moyens ainsi que
l’énumération des pièces y annexées ». L’alinéa 2 de l’article 76 apporte
d’autres précisions sur le quantum de l’« instrumentum » qu’est le support
du recours en appel : « le mémoire et les pièces annexées sont déposés en
quatre exemplaires et accompagnés de trois copies de déclaration de
recours ». Les mémoires et documents connexes ainsi confectionnés par
74
qui de droit peuvent alors être valablement reçus au greffe de la chambre
administrative, service qui restitue les modalités par lesquelles l’on
introduit la requête en appel.
● Le greffe de la chambre administrative au centre des modalités
d’introduction du recours en appel

Comment le service du greffe gère-t-il le processus d’introduction du


recours en appel devant la chambre administrative ? On se doit, à cet effet, de
distinguer les modalités d’introduction vis-à-vis de l’appelant de celles en
rapport avec les organes internes à la juridiction.

Relativement aux modalités d’introduction à l’égard de l’appelant,


il faut dire que l’introduction de la requête devant la chambre administrative de
la Cour Suprême statuant comme juge d’appel met en évidence les modalités par
lesquelles le greffe agit sur le processus hors procès. Le greffier en chef de la
chambre administrative intervient au plan de l’enrôlement, mis à part ses
interventions financières rencontrées en première instance (Cf. article 34, alinéa
1 et 2 de la loi n°2006/022). S’agissant de l’enrôlement, le mécanisme obéit aux
étapes ci-après :

- Le greffe reçoit la déclaration d’appel (Cf. articles 112 de la loi


n°2006/022 et 74, alinéa 1 de la loi n°2006/016) ;
- Le greffe enregistre l’appel, dresse un procès-verbal et en délivre
immédiatement une expédition au déclarant (Cf. articles 113 de la loi
n°2006/022 et 74, alinéa 3 de la loi n°2006/016) ;
- Le greffe de la chambre administrative délivre le récépissé de dépôt de
mémoire lorsque le demandeur a accompli la formalité dans le délai légal
d’appel ;
- Le greffe notifie immédiatement au demandeur le mémoire en défense
ainsi que les pièces y annexées (Cf. article 81, alinéa 1 de la loi

75
n°2006/016). Le greffe assure, dans tous les cas, la notification des
différents mémoires ;
- Le greffe assure toutes les notifications nécessaires et « assure la
confection et l’affichage du rôle » (Cf. article 47 de la loi n°2006/022).

Les modalités d’introduction sus visées de la requête en appel, assurées


et coordonnées par le greffe, se prolongent dans sa perception de ses relations
avec les autres organes internes de la juridiction administrative.

Sur les relations du greffe et des autres organes juridictionnels en


matière d’introduction du recours en appel, il faut rapporter que
l’enregistrement du recours en appel introduit par le déclarant est opéré par
apposition d’un timbre indiquant la date d’arrivée et le numéro d’enregistrement
(Cf. article 77, alinéa 1 de la loi n°2006/016). Dès cet instant, le greffier en
chef de la chambre administrative ventile le dossier contentieux ainsi introduit
auprès du président de la chambre administrative et du procureur général près la
Cour Suprême. Vis-à-vis du président de la chambre, l’article 77, alinéa 3 de la
loi n°2006/016 fait obligation au greffier en chef de la chambre administrative
de transmettre le dossier au président de la chambre. A l’égard du procureur
général près la Cour Suprême, l’article 77, alinéa 2 de la loi n°2006/016 prescrit
au greffier en chef de la chambre administrative de transmettre un exemplaire du
dossier contentieux au Ministère public « dans les cinq (5) jours de la réception
du mémoire ».

Au total, la combinaison des actions menées par l’appelant et les actes


posés par le greffier délimite la frontière des conditions et des modalités
d’introduction de l’appel devant la chambre administrative. L’autre palier
juridictionnel supérieur est la cassation dont il sied à présent d’examiner.

76
II- Les conditions et modalités de saisine de la chambre
administrative de la Cour Suprême statuant comme juridiction de
cassation

La procédure de cassation est-elle une innovation dans le droit réformé


du contentieux administratif ? L’histoire du droit administratif processuel peut
dès lors servir de rampe de lancement qui mène à la réponse.

Par décret n°59/83 du 04 juin 1959, un Tribunal d’Etat souverain est


créé sur les cendres du défunt conseil du contentieux administratif et désormais
déconnecté de l’emprise du conseil d’Etat français (J.O du Cameroun, 1959, p.
832). Le 1er janvier 1960, le Cameroun francophone accède à la souveraineté
internationale qui met fin à la brève transition de l’autonomie interne. La
première Cour Suprême de l’ex Cameroun oriental matérialise ce saut
politico-juridique en matière de réaménagement juridictionnel.

La loi n°61/12 du 20 juin 1961 crée la Haute juridiction sus visée. A


l’article 1er, les compétences du Tribunal d’Etat fixées par le décret de 1959
reçoivent confirmation. Le jeu des rapports entre le Tribunal d’Etat et la Cour
Suprême est fixé à l’article 2 qui dispose « la Cour Suprême connaît des
pourvois en annulation formés contre les décisions du Tribunal d’Etat … ». Par
cette articulation juridique d’une indiscutable clarté, le principe de la cassation
est inscrit dans les relations de ces instances juridictionnelles. D’ailleurs dans un
arrêt n°1/A du 04 janvier 1966, Etat du Cameroun C. / BIBA Théophile et même
dans un autre n°11/A du 21 juin 1966, Brasseries du Cameroun C. / Commune
mixte rurale de MBANGA, on y tient des expressions et phrases comme
« défendeur en cassation », puis « demandeur en cassation » et, enfin, « par ces
motifs, casse et annule l’arrêt rendu par le Tribunal d’Etat et renvoie la cause et
les parties devant la section de Yaoundé de la Cour Fédérale de Justice pour
être statué à nouveau ». La procédure de cassation apparaît donc ce faisant

77
comme une résurrection en contentieux administratif local (voir arrêt de
cassation n°1 du 17 février 2010, NATADJOM Boniface). Le rôle dual
imparti à la nouvelle chambre administrative (juge d'appel et de cassation)
confirme la remise sur orbite de cette institution mise simplement en état de
latence de 1972 à 1996.

Depuis 1996 en effet, l’article 40 de la constitution en parle dans une


clarté mitigée. Outre la fonction d’appel à elle assignée, la chambre
administrative « … statue souverainement sur les décisions rendues en dernier
ressort par les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif ».
C’est l’expression juridique de « dernier ressort » qui permet d’enchaîner avec
la cassation, laquelle trouve un fondement juridique explicite dans les n°s
2006/016 et 2006/022. Ici et là, ces lois instituent clairement « le pourvoi en
cassation » ou alors évoquent « … la chambre administrative statuant en
cassation ». De quoi s’agit-il exactement, s’agissant de la cassation ?

La cassation s’analyse comme un acte de procédure initié par le


justiciable après épuisement de la procédure d’appel de la procédure d’appel ou
qu’il n’ait pas de possibilité juridique directe d’en faire usage, et qui s’en
distingue à la fois par l’objet et par le but poursuivi. De par son objet, la
cassation porte aussi bien sur les jugements et autres dénonciations de décisions
(Ordonnances de référé administratif et de sursis à exécution) rendus « en
premier et/ou dernier ressort » par les juridictions inférieures initialement
saisies, que sur les arrêts rendus « en dernier ressort » par le juge supérieur, la
possibilité d’appel étant épuisée dans le cas puisqu’elle porte sur les jugements
rendus « en dernier ressort » par les soins du juge inférieur initialement saisi. De
par son but, et selon la formule d’Edouard LAFFERIERE, « le juge de cassation
n’est pas appelé à juger les procès, mais seulement à se prononcer sur la
légalité des décisions qui les jugent », sauf mise en œuvre discrétionnaire du
pouvoir d’évocation qui entraîne la prise en charge ou la rétention du litige

78
même par la juridiction de cassation (Cf. article 104, alinéa 4, de la loi
n°2006/016).

Mais la question qui se pose consiste, d’une part, à déterminer les


conditions requises à l’effet de saisir valablement la juridiction de cassation, en
l’occurrence la chambre administrative de la Cour Suprême : celles-ci sont
assurément duales. D’autre part, comment saisir concrètement la susdite
juridiction ? Il s’agit là de restituer l’aspect dynamique des modalités de saisine
du juge de cassation à travers la relation avec le service du greffe.

● La dualité des conditions de recevabilité du recours en cassation

Il est question de mettre en évidence l’aspect statique des conditions à


réunir avant de se rendre au greffe à l’effet de saisir valablement le juge de
cassation. Qui est donc habilité à former le pourvoi devant la chambre
administrative ? Et quelles sont les règles qui gouvernent la présentation
proprement dite des recours en cassation ? Aussi, importe-t-il de dissocier les
conditions tenant à la personne du requérant en cassation des règles relatives à la
présentation du recours en cassation.

A propos des conditions relatives à la personne du requérant en


cassation, on note que « le pourvoi est fait par déclaration … (du) demandeur
en personne » (Cf. article 90, alinéas 1 et 2 de la loi n°2006/016). « Le pourvoi
est fait par déclaration … (de l’) avocat (du demandeur sus visé) ou par un
mandataire muni, à peine d’irrecevabilité, d’un pouvoir spécial » (Cf. article
90, alinéa 1 et 2 de la loi n°2006/016). En tout état de cause, la personne du
requérant en cassation ne peut être que celle ayant déjà été partie au procès
initial.

Pour ce qui est des conditions tenant à la requête en cassation


proprement dite, on note que :

79
- Sur le délai d’introduction du pourvoi, l’article 89 de la loi n°2006/016
fixe qu’ « à peine de forclusion (la requête en cassation doit être
introduite) dans un délai de quinze (15) jours à compter du lendemain de
la notification de la décision de la juridiction inférieure en matière de
contentieux administratif » ;
- Sur les matières susceptibles de recours en cassation, on relève que
l’article 116 de la loi n°2006/022 dispose que « les décisions rendues en
premier et dernier ressort par le tribunal administratif sont susceptibles
de pourvoi devant la chambre administrative …. » ;
- Sur les mentions du recours en cassation, celles-ci sont clairement
énoncées par l’article 92, alinéa 1 de la loi n°2006/016 : « le mémoire
dûment timbré par feuillet doit contenir : les noms, prénoms, profession et
domicile du demandeur, l’exposé des faits qui servent de base au pourvoi,
les moyens ainsi que l’énumération des pièces y annexées ». A l’alinéa 2
de l’article sus visé, « le mémoire et les pièces annexées sont déposés en
04 exemplaires accompagnés de trois copies de la déclaration de
recours ».
L’exigence du paiement d’une consignation, initiale ou
supplémentaire le cas échéant, s’impose au requérant alors que les
plaideurs administratifs en sont exemptés. Les mémoires et documents
connexes ainsi confectionnés par le requérant en cassation peuvent alors
valablement être reçus au greffe de la chambre administrative, service qui
restitue le trait d’union entre le requérant et la saisine effective du juge de
cassation.

● Le greffe de la chambre administrative : trait d’union entre le


requérant et la saisine effective de la juridiction de cassation

Comment le service du greffe gère-t-il le processus d’introduction du


recours en cassation devant la chambre administrative ? Il faut, à cet effet,

80
distinguer les modalités d’introduction vis-à-vis du requérant de celles en
rapport avec les autres organes internes à la juridiction.

Du point de vue des modalités de saisine à l’égard du requérant en


cassation, il faut relever que l’introduction de la requête en cassation
devant la chambre administrative met en évidences les modalités par
lesquelles le greffe agit sur le processus hors procès. Le greffier en chef
intervient au plan de l’enrôlement et de l’intervention financière.
S’agissant de l’enrôlement, le mécanisme obéit aux étapes
suivantes :
- Le greffe reçoit le requérant muni de l’ensemble du dossier contentieux et
l’enregistre en y apposant un timbre indiquant la date d’arrivée et le
numéro d’enregistrement (Cf. article 94, alinéa 1 de la loi n°2006/016).
- Le greffe assure la communication de l’ordonnance du président de
section, laquelle vise à transmettre au défendeur les copies de recours, du
mémoire et des pièces annexées (Cf. article 94 de la loi n°2006/016). Le
greffe assure, dans tous les cas, la notification des différents mémoires ;
- Le greffier en chef de la chambre administrative notifie aux parties une
convocation qui précise la date et l’heure d’introduction de l’affaire en
audience publique.

Les modalités d’introduction sus visées de la requête en cassation,


assurées et coordonnées par le greffe, se prolongent dans sa perception de ses
relations avec les autres organes internes de la juridiction.

● Les relations du greffe et des autres organes juridictionnels en matière


de saisine du juge de cassation

L’enregistrement de la requête en cassation permet au greffier en chef de


la chambre administrative de ventiler le dossier contentieux ainsi introduit
auprès du président de section de la chambre administrative et du procureur

81
général près la Cour Suprême. A l’égard du procureur général, obligation est
faite au greffier en chef de la chambre administrative de transmettre un
exemplaire au sus visé dans un délai de cinq jours à compter de la réception du
mémoire. Après enregistrement du mémoire, le président de section reçoit du
greffier en chef de la chambre administrative le même dossier dans un délai non
spécifié par la loi, le président pouvant alors inviter le requérant à procéder, « à
peine d’irrecevabilité », aux régularisations nécessaires du dossier défectueux
(Cf. article 95, alinéa 2 de la loi n°2006/016).

Le président de section peut encore, après régularisation, « réclamer au


demandeur communication de tous documents dont la production paraît utile à
la solution du litige » (Cf. article 96 de la loi n°2006/016). La combinaison des
faits et gestes du requérant et des actes posés par le greffier en chef hors procès
délimitent les frontières des conditions et des modalités de saisine de la chambre
administrative statuant comme juridiction de cassation.

III- Les autres voies de recours : Les voies de rétractation

Au-delà de l’appel et de la cassation qui sont des voies de réformation, il


y a également ce qu’il est convenu de nommer les voies de rétractation. Il
s’agit de l’opposition (Cf. article 107 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006
portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs), de la tierce
opposition (Cf. article 115 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant
organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs), de la révision (Cf.
article 118 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et
fonctionnement des tribunaux administratifs), et de la rectification d’une
erreur matérielle (Cf. article 117 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006
portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs). La
particularité de ces voies de recours est que ces dernières tendent à un réexamen
de l’affaire initiale par la même instance qui a eu à la connaître. L’opposition est

82
une voie de recours contre un jugement rendu par défaut. La tierce opposition
est la voie de droit ouverte aux tiers subissant un dommage du fait d’un
jugement auquel ils ont été étrangers. La révision est une voie de recours
destinée à faire rétracter un jugement passé, pour cause d’irrégularité de
l’instance initiale, pour qu’il soit à nouveau statué. Quant à la rectification d’une
erreur matérielle, elle est, à l’image de la révision, une voie de droit qui tend à
faire corriger une irrégularité dont est porteuse une décision de justice
précisément lorsque celle-ci est entachée d’une erreur matérielle. Dans un cas
comme dans l’autre, les requérants doivent se conformer aux délais légaux
prescrits en la matière.

Conclusion sur le double visage vertueux et vicieux du contentieux


administratif

La conclusion qu’on en tire, au terme de cet enseignement de


contentieux administratif, et sans qu’il soit encore besoin de s’y éterniser, est
que le contentieux administratif fait l’objet d’un paradoxe. Alors même que,
initialement, et eu égard à ses origines françaises, il a été conçu dans une
dimension vertueuse tendant à faire de ce dernier un véritable rempart, au
bénéfice de la protection des fragiles justiciables, contre l’arbitraire
administratif, on se rend malheureusement compte que ce dernier cède, de plus
en plus, vers un versant vicieux qui tend à jouer en faveur de l’administration.
En effet, même lorsque l’administration en vient à perdre le procès administratif
face à un justiciable, l’exécution de la chose jugée, pourtant devenue définitive,
par cette dernière prend des proportions inquiétantes par l’effet d’une puissance
publique qui refuse parfois de se plier à la sentence juridictionnelle. Et quand
bien même, elle entend le faire, c’est selon son bon vouloir, toute chose qui
contraint nécessairement à la collaboration d’avec cette dernière, alors même

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qu’il est tout simplement question de se conformer à une chose jugée. La
situation est telle que celle-ci est amplifiée par une absence de voies d’exécution
forcée contre l’administration.

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