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LE CONTROLE DE L'ACTION

ADMINISTRATIVE

Section 1 : Les auteurs du contrôle

Pour des raisons historiques, il existe en France deux ordres de


juridictions. Tandis que la Cour de Cassation se trouve à la tête de l’ordre
juridictionnel judiciaire, le Conseil d’Etat assure la fonction de cour
suprême de l’ordre juridictionnel administratif.

§ 1 : L’existence d’un ordre de juridiction spécialisé

La dualité de juridictions résulte de la loi des 16 et 24 août 1790 qui


interdit aux tribunaux judiciaires de connaître des actes de
l’administration. Cette loi très défavorable au juge judiciaire est une
réaction des révolutionnaires contre l’opposition systématique à toute
tentative de réforme des Parlements de l’Ancien Régime qui exerçaient
alors la fonction judiciaire. A titre de rappel, les litiges auxquels
l’administration était partie furent dans un premier temps confiés à
l’administration elle-même ; c’est le système de l’administrateur juge.
C’est depuis la loi du 24 mai 1872 que l’on passe officiellement en
France d’un système de justice retenue par le Roi à celui de la justice
déléguée par le peuple souverain au Conseil d’Etat. Le système de
l’administrateur juge perdura toutefois jusqu’en 1889, date à laquelle la
compétence de droit commun en premier ressort fut transférée au Conseil
d’Etat. Si la loi qui confère la justice déléguée au Conseil d’Etat est donc
déjà fort ancienne, ce n’est que nettement plus récemment que le juge
administratif s’est vu accordé un statut constitutionnel. En effet, il a fallu
attendre la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 pour
que l’existence de la juridiction administrative soit constitutionnalisée.
Encore faut-il préciser le juge administratif ne voit son existence
constitutionnellement garantie qu’au travers de sa compétence exclusive
pour annuler ou réformer les actes de l’administration.

§ 2 : La répartition des compétences

Le dualisme juridictionnel n’est pas sans soulever quelques difficultés.


La principale réside dans la détermination de l’ordre juridictionnel
compétent, car il n’existe pas de critère unique pour définir la
compétence du juge administratif par rapport à la compétence du juge
judiciaire.

A : Le partage des compétences

Brièvement, on peut dire qu'un litige est de la compétence du juge


administratif lorsqu’une est en cause une activité administrative : ceci
entraîne l'exclusion de la compétence du juge administratif des litiges
entre particuliers, des litiges mettant en cause le parlement et
dernièrement des litiges relatifs au fonctionnement de la juridiction
judiciaire. Mais cet exposé sommaire de la répartition des compétences
est très insuffisant en pratique. Dans les faits, les praticiens se fondent
sur une pluralité de critères comme la nature des actes de
l'administration, la nature de l’activité exercée, la nature des choses
utilisées, l’emploi de prérogatives de puissance publique…

B : Le Tribunal des Conflits, gardien de ce partage des compétences

La complexité des règles de compétence peut être source de conflit


lorsque juridictions judiciaires et administratives se déclarent toutes deux
compétentes ou incompétentes. Lorsqu'un pareil conflit de compétence
se produit, aucune des juridictions administratives ou judiciaires ne peut
imposer sa solution à l'autre car aucune n'a prééminence sur l'autre. C’est
pourquoi a été créé par une loi du 24 mai 1872 (qui reprend un texte de
1849) le Tribunal des Conflits. C’est une juridiction paritaire présidée
par le garde des sceaux ou les deux ordres de juridiction sont représentés
à égalité. Le Tribunal des Conflits intervient exclusivement pour trancher
une question de compétence entre le juge administratif et le juge
judiciaire. Il peut être saisi suivant deux hypothèses :

Tout d’abord il peut connaître des conflits positifs ; il y a conflit positif


d'attribution lorsqu'un tribunal de l'ordre judiciaire prétend être
compétent à propos d’un litige alors que l'administration soutient au
contraire que ce litige relève de la compétence du juge administratif. En
pareil cas, le préfet peut adresser au tribunal judiciaire saisi, un
déclinatoire de compétence. Si le juge judiciaire rejette ce déclinatoire, le
préfet dispose d'un délai de 15 jours pour élever le conflit en adoptant un
arrêté de conflit qui oblige le juge judiciaire à surseoir à statuer. Une fois
saisi, le Tribunal des Conflits peut soit approuver l'arrêté de conflit et
donc refuser la compétence au juge judiciaire, soit annuler l'arrêté de
conflit et confirmer la compétence de l’ordre judiciaire.

Le Tribunal des Conflits peut aussi connaître des conflits négatifs ; pareil
conflit existe quand les deux ordres de juridiction se sont déclarés
successivement incompétents. Dans ce cas le dernier tribunal saisi doit
lui même saisir le TC qui indiquera la juridiction compétente.

Sauf hypothèse exceptionnelle, le Tribunal des Conflits ne tranche que


des questions de compétence ; il ne règle pas le litige au fond, il ne
donne pas de solution définitive ; il se contente de préciser quel juge est
compétent.

§ 3 : L’organisation des juridictions administratives

Chaque ordre juridictionnel forme un ensemble distinct, hiérarchisé dont


chacun a au sommet un tribunal suprême (Cour de Cassation et Conseil
d’Etat). L'ordre juridictionnel administratif se décompose en trois
niveaux de juridiction auxquels il faut adjoindre des juridictions
spécialisées.

Le Conseil d'Etat : c'est sans doute l'institution administrative la plus


importante. Il comporte 6 sections dont une seulement s'occupe du
contentieux administratif. Les 5 autres sections administratives jouent le
rôle de conseiller juridique du gouvernement. Elles ont des activités
purement consultatives et non juridictionnelles. La Section du
Contentieux est organisée en 10 sous-sections qui sont les formations de
jugement de base. Le Conseil d’Etat est la juridiction suprême de l'ordre
juridictionnel administratif ; il est juge d'appel pour certaines décisions
juridictionnelles, mais est surtout le juge de cassation de tout l'ordre
administratif.

Les cours administratives d'appel (CAA) : contrairement au Conseil


d’Etat qui a été créé au XIXème siècle, les CAA sont une création
récente car elles ont été instaurées par la loi du 31 décembre 1987. Elles
sont dirigées chacune par un Conseiller d'État et sont au nombre de 7
( Paris, Nancy, Lyon, Nantes, Bordeaux, Marseille, Douai). Ce sont les
juridictions d'appel de droit commun de l'ordre juridictionnel
administratif, c'est-à-dire qu'elles connaissent des appels contre
l'essentiel des jugements des Tribunaux administratifs.

Les tribunaux administratifs : ils sont les héritiers des anciens conseils de
préfecture auxquels ils ont succédé en 1953. Il existe 35 Tribunaux
administratifs en France ; ils sont juge de 1er ressort, sauf hypothèse
particulière, c'est-à-dire qu’ils sont juge de droit commun dans leur
ressort territorial.

A coté des ces juridictions administratives de droit commun, il existe des


juridictions spécialisées : celles-ci sont fort nombreuses et il est
pratiquement impossible d'en faire une classification homogène. Ces
juridictions spéciales peuvent comporter soit un ou deux degrés ; le seul
point commun dans cette mosaïque de juridictions est leur soumission
systématique au contrôle de cassation du Conseil d’Etat.

Section 2 : Le contrôle de la légalité

Le juge administratif est susceptible de connaître de plusieurs types de


recours contentieux. Malgré cette diversité, il existe des règles
communes à tous les recours portés devant un juge administratifs.
Tout d’abord le contentieux devant les juridictions administratives est
toujours subordonné, à l'exception de la matière des travaux publics, à
l'existence d'une décision préalable de l'administration. Cette règle
signifie que le requérant doit d’abord susciter une décision de
l’administration et ensuite seulement saisir le juge administratif. Le
plaideur qui néglige de solliciter une décision préalable est irrecevable.

Ensuite, la procédure administrative contentieuse présente un caractère


écrit. Les parties ne peuvent en effet que déposer des requêtes et
mémoires par lesquels elles exposent leurs prétentions et conclusions et
développent les moyens qu'elles articulent à l'appui des ces conclusions.
Des observations orales peuvent certes être formulées, mais l’essentiel de
la procédure demeure écrit.

Enfin la procédure administrative est inquisitoriale. Cela signifie qu’il


appartient au seul juge administratif de diriger l'instruction : il
communique les pièces aux parties et détermine le délai de production
des pièces et fixe les mesures d'instruction et d'expertise. Il joue donc un
rôle actif dans la recherche des preuves. Bien sûr cette procédure est
aussi secrète puisque les tiers à l'affaire ne peuvent avoir accès au
dossier.

§ 1 : Le Recours en excès de pouvoir et les recours de plein contentieux

A. Présentation des principaux types de contentieux administratif

Le contentieux administratif se divise en deux grands types de recours


qui sont fonction des pouvoirs dont dispose le juge. Il est possible
d’identifier tout d’abord le contentieux de l'annulation qui permet au juge
administratif de reconnaître l'illégalité d'un acte administratif et d'en
prononcer l'annulation. A ce contentieux de l’annulation, on oppose le
contentieux de la pleine juridiction : ce type de contentieux permet au
juge d’employer la plénitude de ses pouvoirs juridictionnels et d’aller au-
delà de la simple annulation de la décision attaquée (notamment en
accordant des indemnités). Le contentieux de pleine juridiction se
caractérise par son hétérogénéité ; il concerne notamment le contentieux
de la responsabilité, le contentieux contractuel, le contentieux fiscal, le
contentieux électoral, le contentieux des installations classées et le
contentieux des édifices menaçant ruine… A titre accessoire, il existe
deux autres catégories de recours contentieux ; le contentieux de la
répression qui permet au juge de condamner pénalement des personnes
ayant commis ce qu’on appelle des contraventions (de grande voirie).
Enfin, il faut mentionner le contentieux de l'interprétation qui correspond
aux hypothèses où le juge administratif doit apprécier la validité d'un
acte ou l'interpréter mais sans l’annuler. C’est l’hypothèse dans laquelle
le juge administratif est saisi d’une question préjudicielle posée par le
juge judiciaire quant à l’interprétation ou à l’appréciation de la légalité
d’un acte.

B. Le Recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir se présente comme un procès fait à


l'acte selon formule de Edouard LAFERRIERE. En effet, il peut se
définir comme un recours tendant à l’annulation d’un acte administratif
en raison de sa violation d’une règle de droit. Le recours pour excès de
pouvoir n’est pas la seule voie de droit existant au sein du contentieux de
l’annulation. Il existe d’autres recours, mais ceux-ci sont nettement
moins fréquent que le recours pour excès de pouvoir et ne constituent en
fin de compte que des variantes.

Lors d’un recours pour excès de pouvoir, la question posée au juge


administratif est purement objective : l'acte attaqué est-il légal ? Il ne
s'agit pas pour le juge administratif de dire si le requérant est titulaire de
droits ou d’obligations à l'encontre de l'administration, mais seulement
de dire si l’acte a violé ou non une règle de droit supérieure. Cette
objectivité du contentieux de l’excès de pouvoir emporte certaines
conséquences :

Autorité absolue de la chose jugée ; l'annulation de l’acte illégal joue


erga omnes c'est-à-dire qu’elle vaut à l'égard de tous et pas seulement à
l’égard des parties au litige.

Recours d'utilité publique : le recours pour excès de pouvoir ayant pour


objet la sauvegarde de la légalité des actes administratifs, il n’est pas
nécessaire qu’il soit prévu par un texte. C'est également ce caractère de
recours d'utilité publique qui explique que les requérants soient dispensés
du ministère d'avocat

Recours d'ordre public : les administrés ne peuvent renoncer ni à


l'exercice du recours, ni au bénéfice de la chose jugée. En d'autres
termes, le consentement donné par un particulier à une décision
administrative ne supprime pas le droit de cet administré de contester
ultérieurement l’acte.

S’agissant de la recevabilité du recours pour excès, il faut préciser qu’un


administré ne peut intenter un tel recours qu’à l’encontre d’actes
administratifs unilatéraux, c'est-à-dire contre des actes présentant un
caractère décisoire faisant grief. Ne peuvent donc faire l’objet d’un
recours pour excès de pouvoir les contrats administratifs, les circulaires,
les directives, les mesures préparatoires ou encore les mesures d’ordre
intérieur. Lorsque le requérant attaque bien un acte administratif
unilatéral, encore faut-il qu’il respecte les délais : en effet, le recours est
recevable seulement s’il a été formé dans les deux mois suivant la
publication ou la notification de l’acte attaqué. Si le recours est jugé
recevable, reste alors au juge à se prononcer sur la légalité de l’acte et
seulement sur la légalité.

§ 2 : Les cas d’annulation

Les moyens d’annulation d’un acte administratif unilatéral sont


nombreux. Depuis Edouard LAFERRIERE, ces moyens sont regroupés
en deux grandes causes juridiques ; les moyens légalité externe qui
permettent théoriquement d’apprécier la validité de l’acte sans lire son
contenu, et les moyens légalité interne qui nécessitent la lecture du
contenu de l’acte.

A : Les moyens de légalité externe.

1. L’incompétence

C’est l’illégalité tenant à l’auteur de l’acte. Le Conseil d’Etat a très tôt


sanctionné les moyens tirés de l'incompétence (CE 28 mars 1807, Dupuy
Briace). On estime qu’il y a incompétence de l’auteur de l’acte attaquée,
lorsque celui-ci n’avait pas l'aptitude juridique pour l’adopter. Cette
incompétence est de plusieurs ordres :

incompétence matérielle : c’est l’hypothèse dans laquelle l’auteur de


l’acte intervient dans une matière étrangère à ses attributions.

incompétence territoriale : c’est l’hypothèse dans laquelle l’autorité


administrative a édicté un acte qui dépasse le domaine territorial de ses
compétences.

incompétence temporelle : c’est l’hypothèse dans laquelle l’autorité


administrative a édicté un acte administratif unilatéral alors quelle n’était
pas encore ou n’était plus compétente pour édicter cet acte au moment où
elle a pris cet acte.

2. Les vices de procédure et les vices de procédure.

Le vice de procédure est la violation d'une des règles organisant la


procédure d'élaboration des décisions administratives. Bien qu’il n’existe
pas en France de code de procédure administrative, ces règles sont
nombreuses et diverses ; il s’agit par exemple pour l’autorité
administrative de solliciter parfois un avis préalable ou encore de
procéder à une enquête publique. La violation des règles de procédure
entraîne normalement l’annulation de l’acte ; Cependant, le juge
administratif estime que l’annulation systématique de l’acte pour
violation des règles de procédure n’est pas dans l’intérêt de la justice :
c’est pourquoi il distingue entre formalités substantielles et formalités
accessoires. Selon le juge administratif, il n'y a lieu d’annuler l’acte que
si la formalité prescrite par les textes était substantielle. Présentent un tel
caractère substantiel les procédures et formalités ayant d’une part, une
influence essentielle sur le contenu de la décision et d’autre part, celles
qui ont été créées pour protéger les administrés.

Contrairement au vice de procédure qui affecte le processus de


l'élaboration de l'acte, le vice de forme concerne la présentation externe
de l'acte. Il s’agit notamment des obligations tenant à la signature l’acte,
au contreseing, aux mentions obligatoires ou encore à la motivation de
l’acte. La violation de ces obligations est de nature à entraîner
l’annulation de l’acte, mais le juge fait souvent preuve d’une certaine
souplesse (à l’exception de l’obligation de motivation qui est
rigoureusement contrôlée).

B : Les moyens de légalité interne.

1. Le détournement de pouvoir : illégalité tenant au mobile de l’acte.

C’est un des moyens les plus graves d’annulation d’un acte administratif
unilatéral. Il consiste à sanctionner l'administration ayant usé de ses
pouvoirs en vue d'un objectif autre que celui pour lequel ses pouvoirs lui
ont été confiés. Si l'administration agit avec une intention ne
correspondant pas au but qu'elle devait poursuivre, elle accomplit un
détournement de pouvoir. Est ainsi annulé l’acte ayant pour mobile les
préoccupations d’ordre privé de l'auteur de l'acte (vengeance ;
concussion ; volonté de nuire), l’acte pris dans l'intérêt d'une personne
privée ou d'un groupement privé (volonté de favoriser des tiers ; motifs
politiques), l’acte pris à raison de préoccupations d’intérêt public mais
dans un intérêt public qui n’était pas celui pour lequel la compétence a
été conférée.

2. Violation directe de la loi.


La violation directe de la loi est la méconnaissance d'une norme de fond
établie par une source supérieure. C’est donc une illégalité tenant au
contenu lui-même de l’acte qui est contraire aux prescriptions de textes
d’une valeur supérieure. C'est la situation la plus caractéristique de
l'excès de pouvoir : l'action administrative viole les principes qu'elle doit
respecter.

3. Erreur de droit.

L'erreur de droit concerne non pas le contenu de l’acte proprement dit


mais les motifs de droit qui le fondent. En effet, dès lors que l'autorité
administrative applique un texte ou un principe de façon erronée, elle
commet une erreur de droit. Plusieurs hypothèses peuvent être
observées :

application d'un texte autre que celui qui était normalement applicable.
Le juge administratif estime qu'il y a erreur quant à la base légale sur
laquelle l'acte considéré a été pris.

acte administratif unilatéral pris sur le fondement d’un texte


réglementaire illégal.

acte administratif pris sur le fondement d’un texte légal et applicable


mais interprété de manière incorrecte par l’autorité administrative.

L'illégalité d'une décision pour défaut de base légale n'est pas


irrémédiable car elle n’emporte pas ipso facto l’annulation. Le juge
administratif peut régulariser la décision en la rattachant à un fondement
adéquat, c'est-à-dire en opérant une substitution de base légale.

4. Erreur sur l’exactitude matérielle des faits.

Cette erreur concerne aussi les motifs du fondement. Ce contrôle, institué


en 1916 par l'arrêt Camino, consiste pour le juge administratif à vérifier
que les faits avancés par l’administration pour motiver sa décision
existent réellement : c’est pourquoi on qualifie également ce contrôle de
contrôle de matérialité des faits. Si le fait sur lequel l'acte déclare se
fonder ne s'est pas produit, n'a jamais existé, alors l'acte administratif
perd sa justification en l'absence de motif réel et doit être annulé.

5. Contrôle de la qualification juridique des faits.

C’est le contrôle le plus délicat à effectuer par le juge. Il consiste à


vérifier que les faits invoqués par l’auteur de l’acte administratif sont
bien de nature à fonder juridiquement sa décision. En d’autres termes, il
faut que l’autorité administrative compétente ait bien apprécié les faits et
leur ait donné une correcte qualification juridique : le juge examine que
ces faits "sont de nature à justifier" l'acte pris.

Ce type de contrôle n'est apparu qu'en 1914 avec la jurisprudence


Gomel. Ce n’est pas un contrôle uniforme. En effet, s’agissant de la
qualification juridique des faits, il faut constater une intensité variable du
contrôle qui est fonction de la nature des pouvoirs de l’administration.

Ce contrôle de la qualification juridique des faits ne pose pas de


difficultés quand la compétence l’administration est liée, c'est-à-dire
lorsque l’administration n’a pas le choix du contenu et du sens de sa
décision. En effet dans ces hypothèses le juge ne risque pas d’opérer un
contrôle d’opportunité car l’administration elle-même n’a aucun marge
de manoeuvre. Tel était le cas l’arrêt Gomel.

Au contraire, la question est beaucoup plus délicate lorsque l’autorité


administrative n’est pas liée par les textes : elle bénéficie alors d’un
pouvoir discrétionnaire et prend ses décisions au regard de
considérations d’opportunité. Le juge peut-il alors contrôler ces motifs,
ce qui reviendrait pour le juge à substituer son appréciation à celle de
l’administration et à incorporer des éléments d’opportunité dans son
contrôle ; longtemps négative, la réponse est dorénavant variable. Dans
des hypothèses très rares, le juge se refuse toujours à tout contrôle de la
qualification juridique des faits. Plus fréquemment, les juridictions
administratives pratiquent un contrôle de l’erreur manifeste
d’appréciation ; c’est un contrôle restreint (aussi appelé contrôle
minimum) puisque le juge renonce à contrôler la proportionnalité de la
décision administrative aux circonstances, mais vérifie seulement que la
décision n’est pas manifestement disproportionnée. Enfin lorsque l’acte
de l’administration porte atteinte à une liberté ou au droit de propriété, le
juge n’hésite pas à pratiquer un contrôle plus approfondi qui constitue un
véritable contrôle de la proportionnalité de la mesure prise par
l’administration.

Parfois, la simple annulation de l’acte administratif est insuffisante pour


donner satisfaction aux requérants ; aussi ces derniers peuvent-ils quitter
le domaine du recours pour excès de pouvoir et se placer sur le terrain du
plein contentieux. C’est notamment le cas lorsqu’un requérant sollicite
réparation des dommages causés par l’administration et engage la
responsabilité de l’administration

Section 3 : La responsabilité de l’administration

Comme toute autre activité, l'activité de l'administration peut être


génératrice de dommages. Mais ce risque est d'autant plus fréquent et
lourd de conséquence que l’administration met en oeuvre de puissants
moyens. Aussi engager la responsabilité de l’administration peut de nos
jours sembler une solution naturelle en cas de réalisation d’un dommage
du fait de l’administration : tel n’a pas toujours été le cas. A l’origine,
l’administration est apparue totalement irresponsable au nom du principe
selon lequel l’Etat ne peut mal faire. Cette irresponsabilité de la
puissance publique apparaissait dans la première moitié du XIXème
siècle comme un corollaire de la souveraineté de l'Etat. Une telle
situation était acceptable tant que l'administration limitait ses rares
interventions dans le cadre de l'Etat gendarme.

La responsabilité de l'Etat et des personnes publiques en général ne fut


admise en principe qu'en 1873 avec le célèbre arrêt Blanco. Dans cette
décision le Tribunal des Conflits affirme : " la responsabilité qui peut
incomber à l'Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait de
personnes qu'il emploie dans le service public […] n'est ni générale ni
absolue ; elle a ses règles spéciales… " Bien que restrictive, cette
formule n'en consacre pas moins l'existence d'une responsabilité de la
puissance publique. Elle montre aussi la volonté du juge des conflits de
ne pas insérer cette responsabilité dans le cadre du droit civil, mais d’en
faire une construction du droit public avec ses règles propres.

§ 1 : Le partage de responsabilité entre l’administration et ses agents

Si l’arrêt Blanco affirme qu’il existe une responsabilité de la puissance


publique, il ne faut pas oublier que l'administration est un être abstrait
qui agit par l'intermédiaire de ses agents. Dès lors, les conséquences
dommageables de leurs actes doivent-elles incomber à l'administration
ou aux agents eux-mêmes ? Or, dans l’arrêt Blanco, le Tribunal des
Conflits n’a pas réglé cette question de savoir comment doivent être
indemnisés les dommages causés à une victime par un agent de
l’administration. Il n’aurait pas été absurde de voir dans ce contentieux
indemnitaire un litige opposant deux personnes privées et relevant donc
du juge judiciaire. Mais généraliser cette responsabilité civile de l’agent
présente de nombreux inconvénients : " elle serait à la fois injuste, car
généralement il agit dans l’intérêt de l’administration, trop lourde, étant
donnée la disproportion possible entre la faute commise et les sommes
en jeu, et préjudiciable à l’administration, le fonctionnaire n’osant plus
agir ". Au demeurant, cette solution aurait abouti à remettre en cause la
politique jurisprudentielle du Tribunal des Conflits de créer une
responsabilité de la puissance relevant du seul juge administratif. C’est
pourquoi le Tribunal des Conflits a pris soin de définir les hypothèses de
responsabilité de l'agent et de responsabilité de l'administration.

A : La distinction faute personnelle, faute service.

La distinction entre responsabilité de l'administration et responsabilité de


l'agent repose sur l'opposition fondamentale entre la faute service de
service et la faute personnelle mise en évidence par l’arrêt Pelletier du 30
juillet 1873 : depuis, quand un dommage est causé à un administré, la
première question à se poser est de savoir si on est présence d'une faute
personnelle d'un agent ou d'une faute de service afin de déterminer quel
est l’ordre de juridiction compétent. La faute personnelle emporte
compétence du juge judiciaire et application du droit privé, la faute de
service emporte compétence du juge administratif et application de la
responsabilité spécifique affirmée dans l’arrêt Blanco. Reste à préciser
ces deux notions. Selon LAFERRIERE, la faute personnelle est celle qui
fait apparaître l’agent avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences :
inversement la faute de service est celle qui est anonyme, d’où le fait que
c’est l’administration qui est responsable. Plus précisément, on peut
considérer comme une faute personnelle, d'une part les fautes commises
par l’agent en dehors de l'exercice de ses fonctions et d'autre part les
fautes commises dans le service mais qui s’en détachent du fait de leur
particulière gravité ou de leur intention malveillante. En revanche les
fautes de service ne permettent pas d’individualiser un agent et ne sont
pas détachables du service ; c’est ce dernier qui a causé le dommage et
c’est à lui de l’indemniser.

B : Le cumul de responsabilités

A la suite de l'arrêt Pelletier, les deux systèmes de responsabilité étaient


exclusifs l'un de l'autre : si le dommage était du à une faute personnelle,
la responsabilité de l'agent était seule engagée, celle de l'administration
ne jouant qu'en cas de faute de service. C'est le système du non-cumul de
responsabilité. Mais, en pratique ce système présentait de graves
difficultés pour la victime d'une faute personnelle car elle n'était pas
assurée que l'agent public, auteur de la faute personnelle soit solvable.
Aussi, dans un souci d’équité, le Conseil d’Etat a multiplié les
hypothèses de cumul de responsabilités.

Tout d’abord, dans un arrêt Anguet de 1911, le Conseil d’Etat a admis


qu’en cas de cumul fautes à raison de faits différents, l'une personnelle et
l'autre imputable au service, la victime se voit reconnaître la faculté de
choisir entre les deux responsabilités. Elle peut donc demander la
réparation de la totalité du préjudice, soit à l'administration devant le
juge administratif, soit à l’agent devant le juge judiciaire. Bien sûr, en
cas de moindre doute quant à la solvabilité de l’agent, la victime
actionnera toujours l’administration. En 1918 dans l'arrêt Lemonnier, le
Conseil d’Etat se montre encore plus favorable à la victime. Il admet
qu’un même fait puisse simultanément constituer une faute personnelle
et une faute de service, d’où un cumul de responsabilités. Pour le
commissaire du gouvernement BLUM, lorsque la faute personnelle n'a
pu être commise par l'agent qu'au moyen des instruments ou des
pouvoirs mis à sa disposition par le service, la faute se détache du service
mais le service ne se détache pas de la faute. Dans l’arrêt de 1918, le
Conseil d’Etat ne va pas jusqu’au bout de la logique de Léon BLUM : il
mentionne encore l’existence d’une faute de service et exige que la faute
personnelle soit commise à l’occasion du service. Du moment que la
faute personnelle a été commise en service, la victime aura une option
actionner l’agent devant le juge judiciaire et actionner l’administration
devant le juge administratif. Peu à peu, la référence à une faute de
service va disparaître et la jurisprudence va admettre un cumul de
responsabilités sans même qu’il y ait faute de service. Dès lors il y a
cumul de responsabilités sans même cumul de fautes. La dernière
évolution a lieu en 1949 dans trois arrêts, Mimeur, Defaux et
Besthelsemer : tirant toutes les conséquences de l’analyse de Léon
BLUM, le Conseil d’Etat admet un cumul de responsabilités alors même
que la faute personnelle n’a même pas été commise dans le service. Il
suffit désormais que la faute personnelle ne soit pas dépourvue de tout
lien avec le service pour ouvrir l’option à la victime. Or ce lien entre la
faut personnelle et le service est entendu de manière très large : il peut
être temporel, géographique ou instrumental. En pratique, les victimes
vont donc privilégier l’engagement de la responsabilité publique car elles
sont sûres de la solvabilité de l’administration. Cette solution peut
sembler choquante à première vue : l’administration qui n’a commis
aucune faute indemnise la victime en lieu et place de son agent fautif.
Cependant cette "injustice" est corrigée par l’existence d’actions
récursoires ; lorsque l'administration a été déclarée responsable à raison
d'une faute personnelle d'un de ses agents elle peut ensuite se retourner
contre cet agent afin qu’il lui rembourse les sommes déboursées.
Finalement, le système du cumul de responsabilités est empreint d’une
grande justice : la victime en actionnant l’administration est sûre de la
solvabilité de son débiteur, et l’administration peut récupérer
l’indemnisation qu’elle a versée en se retournant contre le seul fautif
c'est-à-dire l’agent.

§ 2 : Les conditions d’engagement de la responsabilité

Avec la jurisprudence Blanco s’est donc affirmée une responsabilité


publique différente de la responsabilité civile. Cependant, le juge
administratif n’a pas fait table rase : il s’est largement inspiré des
principes de droit privé de la responsabilité. Comme en droit privé, la
mise en œuvre de la responsabilité administrative suppose la réunion de
trois éléments : un préjudice, un fait générateur — d’ordinaire une faute
— et un lien de causalité.

A : Le préjudice

Tout dommage n’a pas vocation à être réparé ; seuls les préjudices réels
et certaines sont de nature à ouvrir droit à indemnisation. De ces deux
caractéristiques on peut déduire que sont admis les préjudices futurs
lorsque leur réalisation apparaît inévitable : par opposition un préjudice
seulement éventuel ne saurait être indemnisé.

Cependant il ne suffit pas toujours que le préjudice soit réel et certain. Il


doit tout d’abord porter sur une situation juridiquement protégée ; dans
un premier temps, le Conseil se montrait excessivement rigoureux et
exigeait la lésion d'un droit pour admettre l'existence d'un préjudice.
Cependant en 1951, il a abandonné cette exigence et s'est contenté de la
simple atteinte à un intérêt légitime pour accorder réparation à des
victimes. Cette condition qui lui a longtemps permis d’exclure
l’indemnisation des concubines des victimes, lui permet désormais
d’exclure l’indemnisation de personnes se trouvant dans une situation
illégale.
Une dernière condition tient au caractère appréciable ou évaluable en
argent du dommage. Pour être indemnisé, un préjudice doit pouvoir être
chiffré. S’agissant des dommages causés aux biens il n’y a pas de
difficultés car le préjudice patrimonial ou plus largement économique est
par définition appréciable en argent. En revanche la douleur physique et
la douleur morale sont plus difficiles à évaluer pécuniairement : c’est
pourquoi leur indemnisation n’a été que tardivement acceptée. Ainsi ce
n’est qu’en 1958 que le juge administratif a accepté l’indemnisation des
souffrances physiques ; quant à la douleur morale, son indemnisation n’a
été admise qu’en 1961.

B : L’imputabilité du dommage à l’administration et lien de causalité


avec le fait générateur

Même lorsque le préjudice est réel et certain, il ne sera réparé que s’il est
possible de l'imputer à une personne en raison de ses activités. En effet,
tout régime de responsabilité suppose qu'il existe un certain lien objectif
entre l'activité de la personne déclarée responsable et le dommage. Cette
condition comporte deux aspects ; primo déterminer la personne
publique concernée et secundo rattacher le dommage à l'activité d'une
personne publique ?

Se pose donc tout d’abord le problème de l'imputabilité du préjudice.


Quelle est la personne responsable ? Le principe est la personne publique
normalement responsable est celle dans la compétence de laquelle entre
l'activité qui a engendré le dommage. Le juge doit donc se montrer
particulièrement attentif quant à la détermination de la personne à
l’origine du dommage ; l’opération n’est pas toujours facile. Mais
l’opération suivante est encore plus délicate.

Une fois que l’on peut imputer le dommage à une personne publique
clairement identifiée, encore faut-il démontrer l’existence d’un lien de
causalité directe entre ce dommage et l’activité de cette administration.
Selon le juge administratif, il y a lien de causalité directe lorsque
l’activité de l’administration avait une vocation particulière à provoquer
le dommage, c'est-à-dire lorsque le cours normal des choses fait
apparaître une relation de cause à effet entre l’activité de l’administration
et le préjudice. Inversement cela signifie qu’il n’y aura pas de
responsabilité de la puissance publique lorsque la cause est étrangère à
l’administration, qu’il s’agisse d’une faute d’un tiers, d’une faute de la
victime ou encore d’un cas de force majeure.

C : Le fait dommageable.

Même lorsqu’il existe un lien de causalité, tout préjudice n'entraîne pas


automatiquement pour son auteur l'obligation de le réparer. Le fait
générateur du préjudice doit lui aussi présenter certaines
caractéristiques : ainsi, en droit privé, seul un acte fautif est susceptible
d’engager la responsabilité. De même, la mise en oeuvre de la
responsabilité de la puissance publique suppose normalement que le
comportement de l’administration soit fautif. Mais la faute
administrative, c'est-à-dire la faute de service présente par rapport à la
faute de droit privé des caractères originaux. L’originalité du fait
dommageable ne s’arrête d’ailleurs pas à la faute de service.
Exceptionnellement, il peut arriver que la responsabilité de
l’administration soit engagée même en l’absence.

1. La faute de service

Ainsi que cela a déjà été dit, la faute de service apparaît comme une
carence, dans le fonctionnement normal du service, qui n’est pas
personnellement imputable aux agents. S’agissant d’une faute anonyme
et collective, les individus s’effacent pour faire place à la seule
responsabilité de l’administration. Concrètement la faute de service peut
consister en un dysfonctionnement de l'appareil administratif, un
manquement à une obligation préalable, l’adoption d’un acte illégal, le
défaut d’entretien d’ouvrage public, un défaut de surveillance ou de
contrôle, une maladresse, un retard, etc…
Normalement la responsabilité pour faute de l’administration est une
responsabilité pour faute prouvée : c’est la victime qui a la charge de la
preuve de la faute qu'elle allègue. Mais cette preuve lui est facilitée par le
caractère inquisitorial de la procédure. De plus, et ceci est particulier au
contentieux de la responsabilité, des présomptions de faute peuvent être
instituées. Ces présomptions ont pour effet de renverser la charge de la
preuve en imposant au défendeur de prouver qu'aucune faute qui lui
serait imputable n'est à l'origine du dommage. Une telle technique est
très favorable aux victimes qui n'ont plus besoin de démontrer le
comportement fautif de l’administration. On trouve un exemple d’une
pareille présomption en matière de dommages de travaux publics : en
effet les usagers d’un ouvrage public qui sont victimes d’un accident du
fait dudit ouvrage bénéficient d’une présomption de défaut d’entretien
normal de cet ouvrage, c'est-à-dire d’une présomption de faute.

En droit privé " tout fait quelconque " d’une personne, qui cause à autrui
un dommage oblige son auteur à le réparer ; peu importe que la faute soit
légère. En droit administratif, les données de base sont assez différentes
car le juge administratif subordonne parfois la responsabilité de la
puissance publique à la gravité de la faute. Ainsi, lorsque
l’administration exerce certaines activités particulièrement difficiles ou
agit dans le cadre de missions régaliennes, sa responsabilité ne sera
engagée que si elle a commis une faute lourde. L’exigence d’une faute
lourde s’explique en partie par le souci d’éviter un engagement trop
systématique de la responsabilité de l’administration à raison de ses
missions les plus délicates, phénomène qui risquerait de paralyser le
service en favorisant un certain renoncement à l'action chez les agents.
Cependant cette justification n’est pas totalement satisfaisante : c’est
pourquoi, le juge administratif sans renoncer pour autant à l’exigence
d’une faute lourde, a singulièrement restreint son domaine.

Le domaine de la faute lourde se résume de nos jours :

aux activités des services pénitentiaires


aux activités de police s’exerçant dans des conditions délicates

aux activités des services fiscaux présentant des difficultés particulières

à certaines activités de contrôle et de tutelle

aux activités liées au fonctionnement du service public de la justice

La question est en constante évolution : ainsi jusqu’en 1998 la


responsabilité des services de secours et de lutte contre l’incendie et des
services de secours en mer était subordonnée à l’exigence d’une faute
lourde. Depuis deux arrêts (CE, 13 mars 1998, Améon ; CE 29 avril
1998, Commune de Hannapes) cette faute lourde n’est plus exigée ;
une faute simple suffit pour engager la responsabilité de la puissance
publique en raison de ces activités.

2 ) La responsabilité sans faute

Si le principe est celui de la responsabilité pour faute, le juge


administratif et le législateur admettent de manière subsidiaire
l’engagement de la responsabilité de la puissance publique en l’absence
de toute faute de sa part. Il est possible d’identifier deux fondements à
cette faveur reconnue aux victimes de l’administration : d’une part le
risque et d’autre part, la rupture de l’égalité devant les charges publiques.

a / La responsabilité sans faute fondée sur le risque

La responsabilité pour risque est une notion classique tant en droit privé
qu'en droit public. Elle illustre l’hypothèse dans laquelle le dommage est
le résultat de la réalisation d'un risque spécial qui a été créé par
l’administration ou qui a profité à l’administration. Dès lors que
l’administration expose, dans l'exercice de sa mission et
indépendamment de toute faute, une personne à un pareil risque, il
semble logique et juste qu’elle en supporte les conséquences. Les
hypothèses de responsabilité sans faute fondée sur le risque sont
nombreuses et variées :

Responsabilité sans faute à raison d'une chose dangereuse utilisée par


l'administration : par exemple, il y a engagement de la responsabilité
sans faute de l’Etat pour les dommages causés par l’explosion de
munitions entreposées dans un fort (C.E. 28 mars 1919, Regnault-
Desroziers). Il y a aussi responsabilité de l’Etat en cas d’utilisation
d'armes à feu par les forces de police blessant des personnes tiers (C.E.
24 juin 1949, Consorts Lecomte).

Responsabilité sans faute à raison d'une méthode dangereuse utilisée par


l'administration. La responsabilité sans faute de la puissance publique a
été reconnue en raison des dommages causés par prisonniers ou des
malades mentaux ayant fait l’objet de méthodes libérales de rééducation,
d'éducation surveillée, de réinsertion des prisonniers (C.E. 3 février 1956
Thouzellier ; C.E. 13 juillet 1967, Département de la Moselle)

Responsabilité sans faute de la puissance publique au profit des


collaborateurs bénévoles (occasionnels) du service public. Née entre
1943 et 1946 cette jurisprudence s'est développée et vise l'indemnisation
des préjudices éprouvés par le collaborateur requis ou sollicité et dont la
coopération a été acceptée par l'administration (C.E. 22 novembre 1946,
Commune de Saint Priest-la-Plaine).

b / La responsabilité sans faute pour rupture de l'égalité devant les


charges publiques

La responsabilité sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges


publiques est spécifique au contentieux administratif et n’a pas son
semblable en droit privé. Elle concerne des hypothèses où les dommages
ne présentent pas un caractère accidentel, mais sont la conséquence
naturelle et même nécessaire et prévisible de certaines situations ou de
certaines mesures " par l'effet desquelles des membres de la collectivité
sont sacrifiées aux exigences de l'intérêt général ". Pour bénéficier de
cette responsabilité sans faute, la victime doit toujours se prévaloir d’un
dommage anormal et spécial. Par spécialité, on entend le dommage qui
n’atteint qu’un nombre réduit de personnes. Quant à l’anormalité, elle
concerne souvent le degré de gravité du préjudice : on estime en effet
que les administrés doivent supporter sans compensation les gènes et
inconvénients ordinaires de la vie en société ; ce n’est qu’au-delà d’un
certain seuil d’anormalité que leurs intérêts sont sacrifiés au nom de
l’intérêt général et qu’ils méritent une réparation.

Les hypothèses de responsabilité sans faute fondée sur la rupture de


l’égalité devant les charges publiques sont nombreuses :

Responsabilité du fait des décisions administratives régulières : la


responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même
sans faute sur le fondement du principe de l'égalité des citoyens devant
les charges publiques lorsqu’une mesure légale crée un préjudice spécial
et d'une gravité certaine. Cette solution vaut pour les actes
réglementaires (C.E. 22 février 1963, Commune de Gavarnie) et pour
les actes non réglementaires (C.E. 28 octobre 1949, Société des ateliers
du Cap Genêt).

Responsabilité du fait de l'abstention non fautive de l'administration :


l'hypothèse la plus fréquente est celle dans laquelle l'administration
refuse d'exécuter une décision de justice, car cette exécution aurait de
graves répercussions (C.E. 30 novembre 1923, Couitéas).
L'administration a le droit de refuser d'exécuter une décision de justice,
c'est-à-dire qu'elle a le droit de refuser de prêter le concours de la force
publique quand l'exécution de cette décision de justice aurait pour effet
de troubler gravement la paix publique. Dans un tel cas les personnes qui
ont bénéficié de la décision de justice sont sacrifiées au nom de la paix
publique : il est normal qu'ils soient indemnisés. La jurisprudence
Couitéas ouvre plus ordinairement droit à réparation aux bénéficiaires de
jugement prescrivant l'expulsion des grévistes occupant indûment les
lieux de travail… lorsqu'ils se sont heurtés à un refus légal de concours
de la force publique.

Responsabilité du fait des lois et des conventions internationales ; si la


loi prévoit une réparation ou exclut toute indemnisation il n'y a pas de
problème car le juge administratif sera lié par les termes de la loi. Dans
le silence de la loi, la situation est plus délicate. Pendant tout le début du
XXème siècle a prévalu un principe d'irresponsabilité de l'Etat du fait de
l'activité du législateur. Cette irresponsabilité était fondée sur le caractère
incontestable de la loi et sur le dogme selon lequel le législateur ne peut
mal faire. En 1938, le Conseil d’Etat opère un revirement et admet la
responsabilité sans faute de l’Etat. (C.E. 14 janvier 1938, Société
anonyme des produits laitiers La Fleurette). Cependant le juge
administratif pose des conditions très strictes pour l’engagement de la
responsabilité. En effet, pour que l’Etat soit déclaré responsable, il faut
primo que le préjudice subi par la victime doit être spécial et
suffisamment grave c'est-à-dire anormal, secundo que l'activité sacrifiée
ne doit être ni illicite, ni immorale, ni dangereuse pour la collectivité, et
tertio que le texte même de la loi et ses travaux préparatoires ne
permettent pas de penser que le législateur a entendu exclure toute
indemnisation. Ainsi les lois qui sont prises dans l'intérêt général sont
interprétées comme excluant toute volonté de réparation.

La solution en matière de responsabilité du fait des lois a été transposée


en matière de responsabilité sans faute du fait des traités internationaux
signés par la France (C.E. 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie
radioélectrique). "

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