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CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

ET JRISPRUDENCE
ADMINISTRATIVE

Pr. Driss BOUZAFFOUR

Université Ibn Zohr -FSJES-Agadir

Année 2019-2020
Le Droit du contentieux administratif est une matière centrale en droit public.
Elle est le complément inévitable d’une étude du droit administratif, général ou
spécial, dont les principes fondamentaux proviennent, pour l’essentiel, de
l’activité contentieuse des juridictions administratives. Elle est, par ailleurs,
d’une importance pratique déterminante.
En tant que discipline, Le droit du contentieux administratif a pour objet
d’étudier les conditions dans lesquelles se règlent les litiges qui peuvent s’élever
au sujet de l’application des règles du droit administratif. Ces litiges opposent, le
plus souvent, des administrés à leur administration – mais pas nécessairement,
dans la mesure où certains de ces litiges opposent des personnes publiques entre
elles, voire des personnes privées entre elles. En quelque sorte, le droit du
contentieux administratif est l’équivalent, en droit public, du droit de la
procédure civile. Le contentieux administratif possède néanmoins une originalité
marquée par rapport au droit judiciaire privé. Les juridictions ne sont pas les
mêmes, tout comme les règles qui s’appliquent devant elles.
Ce nom de « contentieux administratif », ainsi que tout ce qui précède, fait
inévitablement penser aux formes juridictionnelles de ce contentieux, à savoir la
figure d’un juge, chargé de trancher entre des prétentions contraires. Dans bien
des cas, seul le pouvoir « de dernier mot » reconnu au juge permet de mettre un
terme définitif aux contestations. Il est en effet inexact de penser que les litiges
administratifs se traitent par le seul recours au juge. D’abord parce que
l’administration elle-même peut être mise à contribution afin de résoudre le
différend – et, parfois même, doit l’être pour que le juge puisse être valablement
saisi par la suite. Elle assume ce rôle au travers, particulièrement, de ce que l’on
nomme les recours administratifs. Il a bien été question de la longue période de
justice administrative retenue. À cette époque, il n’y avait pas, à proprement
parler, de procès administratifs ; il existait en revanche des recours
administratifs, instruits et tranchés par l’administration dans les conditions que
l’on sait. L’avènement d’une justice administrative déléguée entre les mains du
juge n’a pas rendu sans objet ces recours administratifs. Il demeure loisible aux
administrés, avant toute saisine du juge, de former recours entre les mains de
l’administration.
Ces recours gracieux et hiérarchique sont donc le premier moyen d’éviter le
recours au juge administratif :
– le recours gracieux permet ainsi à l’administré de demander à l’auteur d’une
décision qui lui est préjudiciable de modifier cette décision, de l’abroger (c’est-
à-dire de la faire disparaître sans effet rétroactif) ou de la retirer (c’est-à-dire de

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la faire disparaître de façon rétroactive, et de tirer les conséquences du fait
qu’elle est donc réputée n’avoir jamais été prise) ;
– le recours hiérarchique, qui tend aux mêmes fins, est destiné à une instance
supérieure à l’auteur de la décision contestée, qui dispose de plein droit d’un
pouvoir de réformation et d’annulation des actes de ses subordonnés. En France,
si le recours administratif est toujours possible, il est parfois aussi une
obligation. Certaines dispositions imposent en effet un tel recours préalablement
à toute action juridictionnelle, à peine d’irrecevabilité de ladite action. On parle
alors de recours administratif préalable obligatoire.
Au Maroc, l’art.21 de la loi de 12 juillet 1991 stipule que la requête en
annulation pour excès de pouvoir doit être accompagnée d'une copie de la
décision administrative attaquée. Au cas où un recours administratif préalable a
été formé, la requête doit être également accompagnée d'une copie de la décision
rejetant ce recours ou, en cas de rejet implicite, d'une pièce justifiant son dépôt.
La grande ouverture, la variété et le régime juridique des recours administratifs
en font le moyen principal d’une entente amiable entre les autorités
administratives et les administrés. Et, de fait, leur efficacité est réelle lorsqu’il
s’agit de dissiper un simple malentendu ou de corriger une méprise de
l’administration. Mais le désaccord entre les parties est parfois plus profond, de
sorte que l’exercice du droit de former un recours administratif est insuffisant à
y mettre fin. Le recours au juge s’impose pour la résolution du conflit.
Ce cours vise à expliquer les mécanismes du procès administratif. Il propose une
présentation des origines de la justice administrative, montre les conditions dans
lesquelles sont organisées les tribunaux administratifs et a évolué le contentieux
administratif. Il étudie ensuite le déroulement du procès qui a lieu devant le juge
administratif, en exposant notamment en quoi consiste précisément le travail de
ce juge.
Chapitre 1 : L’évolution de la juridiction compétente en matière
administrative
I. Historique des juridictions à compétence administrative
Le contentieux administratif moderne est relativement récent ; son origine ne
remonte pas au-delà des dahirs de 1913 qui ont donné naissance au système
d'unité de juridiction et de séparation des contentieux. Mais c'est une histoire
qui comporte déjà de nombreuses étapes, la dernière d'entre-elles, est constituée par
la loi du 12 juillet 1991 qui a créé les tribunaux administratifs.
Avant le protectorat, la protection des administrés, dans le système de droit public
musulman, repose sur le principe de la justice retenue dans les mains du chef de

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la communauté et sur la délégation du pouvoir de juger en son nom à diverses
instances.
Les institutions chargées de la défense de l'intérêt public et des intérêts des
particuliers sont constituées par le gouverneur, le mohtassib, et surtout celui
que l'on appelle "le redresseur des torts", le Sahib Al Madhalim Wa chikayat
». Médiateur du Royaume. L'organisation judiciaire est complexe et
multiforme. La juridiction islamique est assurée par le cadi.
La justice makhzen, qui est subsidiaire par rapport à celle du cadi mais joue un rôle
important en matière pénale, relève des gouverneurs, pachas et caïds. La justice
coutumière est assurée en tribu par la voie de l'arbitrage et par
l’intermédiaire des jemaas en matière pénale.
Les juifs marocains possèdent leurs propres juridictions en matière civile et
commerciale ; en revanche, au pénal, ils relèvent des mêmes juridictions que les
musulmans.
Les réformes introduites par le protectorat vont naturellement s'inspirer du système
juridique français, et réduire l'espace effectif ou virtuel du droit musulman et les
institutions juridiques islamiques en mettant en place dans le cadre du traité de
protectorat de nouvelles institutions juridictionnelles inspirées du droit français ;
ce sont les juridictions issues du dahir sur l'organisation judiciaire (D.O.J.) et du
dahir sur la procédure civile (D.P.C.) qui sont ainsi à la base du système de
contrôle juridictionnel de l'administration. Ces réformes ont donc pour objectif,
d'une part, de réorganiser les juridictions existantes et, d'autre part, de créer des
juridictions nouvelles : "les tribunaux français".

L'indépendance a naturellement entraîné de nombreuses réformes qui ont


cependant laissé subsister le principe de l'unité de juridiction :
La conservation du système mis en place en 1913 dans toute la mesure où cela
était compatible avec la souveraineté nationale.
Le système juridictionnel de 1913 va être complété par le dahir de 1957.
Ce dahir est un texte capital pour trois raisons :
• En premier lieu, il dote le système juridictionnel marocain d'une juridiction
nationale suprême unique ; ce faisant, il confirme l'unité de juridiction.
Désormais, les décisions rendues en dernier ressort peuvent faire l'objet d'un recours
en cassation dont la chambre administrative de la Cour cassation
• La deuxième raison résulte de la création du recours en annulation pour
excès de pouvoir.

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Ce recours peut être porté devant la Cour cassation ; il peut être dirigé contre les
décisions des autorités administratives et, dans ces conditions, l'interdiction faite
aux juridictions ordinaires d'accueillir des recours tendant à faire annuler les actes
administratifs trouve un fondement logique.
Au sein de la Cour cassation sont créées des chambres spécialisées, et
notamment une chambre administrative qui est saisie des recours en cassation en
matière administrative et des recours en annulation pour excès de pouvoir. Mais
cette chambre, comme les autres d'ailleurs, malgré leur spécificité, ne
constituent pas des juridictions ; le législateur a d'ailleurs pris le soin d'indiquer que
« toute chambre peut valablement statuer sur tous recours ».
• Enfin la troisième raison réside dans le fait que le dahir de 1957 laisse intact le
dahir de 1913 et le principe de séparation des autorités judiciaire et
administrative.
La Cour cassation ne va d'ailleurs pas tarder à consacrer l'autonomie du
contentieux administratif.
C'est en effet ce qu'elle fait dans un arrêt (consorts Félix, 4 décembre 1958, R. p.
164), dans lequel elle rappelle que les juridictions doivent déterminer au début
de l’instance, si elles se trouvent ou non en matière ordinaire ou en matière
administrative.
C'est donc sur ces bases, à la fois confirmées et nouvelles, que le contentieux
administratif va désormais poursuivre son développement dans le domaine
ancien du contentieux indemnitaire de la pleine juridiction et dans celui,
presque totalement nouveau, de l'annulation.
D’autres réformes ont été faites entre 1965 et 1974 il s’agit de l'unification, la
marocanisation et l'arabisation de la justice.
II. Organisation des tribunaux à compétence administrative
L'article 1" de la loi 41-90 du 12 juillet 1991 dispose : « II est créé des tribunaux
administratifs dont le siège et le ressort sont fixés par décret. » C'est le décret du 3
novembre 1993 (BO 1993, p. 644) qui a crée sept tribunaux administratifs dont le
siège a été respectivement fixé au chef lieu des régions créées en 1971 : Rabat,
Casablanca, Fès, Marrakech, Meknès, Agadir et Oujda. Cette loi a été modifiée et
complétée par :
- Loi n° 80-03 du 14 février 2006, instituant des cours d'appel administratives
-Dahir n° 1.11.170 du 27 kaada 1432 (25 octobre 2011) portant promulgation de
la loi n° 58.11 relative à la Cour de cassation modifiant le dahir n° 1.57.223 du 2
rabii I 1377 (27 septembre 1957) relatif à la Cour cassation;

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- Dahir n° 1-09-23 du 22 safar 1430 (18 février 2009) portant promulgation de la
loi n° 46-08 modifiant la loi n° 80-03 instituant des cours d’appel
administratives.
La Cour de cassation est composé de plusieurs chambres dont la chambre
administrative, demeure compétente pour statuer en premier et dernier ressort
sur certains contentieux administratif qu’on traitera ultérieurement.
1. Organisation :
Le tribunal administratif comporte un président, plusieurs magistrats, un ou
plusieurs commissaires royaux à la loi et au droit désignés tous les deux ans par le
président sur proposition de l'assemblée générale annuelle des magistrats et un
greffier.
Article 5 : « Les audiences sont tenues et les jugements rendus par trois
magistrats. » La collégialité, qui avait disparu en 1974 en première instance,
est ainsi rétablie pour cette juridiction, ce qui est une décision satisfaisante
dans la mesure où la collégialité est une garantie à tous égards de la qualité des
décisions rendues par les juges.
Le tribunal administratif abrite une institution nouvelle commissaire royal à la
loi et au droit. Cette innovation s'inspire directement de l'institution
française du commissaire du gouvernement auprès des juridictions
administratives.
C'est cette mission qui est confiée au commissaire royal dont l'article 6
définit les attributions :
- Il expose ses conclusions oralement en audience publique ; sa présence est
donc obligatoire.
— Ces conclusions sont écrites et remises au tribunal.
-Ces conclusions peuvent être communiquées aux parties si elles en font la
demande.
-Le commissaire royal ne prend pas part au jugement.
Les magistrats qui vont composer ces juridictions sont régis par les
dispositions du dahir portant loi du 11 novembre 1974 modifié relatif au
statut de la magistrature. Et ce, afin de conserver l'unité de la magistrature et
d'éviter tout risque de concurrence et de surenchère corporatiste.
Les magistrats constituent un corps unique ce qui n'empêche nullement la
prise en compte de la spécificité de leurs fonctions.
2. Compétence :
La compétence des nouvelles juridictions revêt deux aspects ou deux
dimensions : c'est une compétence définie matériellement et c'est aussi une

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compétence définie territorialement. Naturellement, dès lors que l'on détermine
une compétence et ses limites, il faut prévoir les mécanismes permettant de
surmonter les difficultés que cela peut engendrer.
2.1. La compétence à raison de la matière
Les compétences générales des tribunaux administratifs sont :
- les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions
des autorités administratives ;
- Les litiges relatifs aux contrats administratifs ;
- Les actions en réparation des dommages causés par les actes ou les activités
des personnes publiques.
Mais cette compétence comporte des exceptions.
En effet, l'article 9 conserve à la Cour cassation la compétence pour
connaître :
-des recours en annulation dirigés contre les actes réglementaires et
individuels du Chef du gouvernement ;
-des recours en annulation dirigés contre les décisions des autorités
administratives dont le champ d'application s'étend au-delà du ressort
territorial d'un tribunal administratif.
La première exception se justifie par l'importance des décisions en cause et la
seconde par la difficulté qu'il y a, dans ce cas, à déterminer le tribunal compétent.
L'article 11 prévoit que les recours relatifs à la situation individuelle des personnes
nommées par dahir ou par décret sont portés devant le tribunal administratif de
Rabat,
Enfin, l'article 8 premier alinéa in fine exclut de la compétence de ces
juridictions les dommages causés sur la voie publique par un véhicule
quelconque appartenant à une personne publique. Cette exclusion se justifie par la
volonté du législateur de confier à un même juge la connaissance de l'ensemble
du contentieux des accidents provoqués par la circulation automobile ; mais la
limitation aux dommages causés sur la voie publique n'a pas de justification : elle
risque d'engendrer des contradictions, selon que l'affaire mettant en cause un
dommage causé en dehors de la voie publique sera dû à un véhicule appartenant à
une personne publique (compétence du tribunal administratif), ou à une personne
privée (compétence du tribunal ordinaire).
Outre sa compétence générale, la nouvelle juridiction administrative reçoit toute
une série de compétences particulières qui constituent un contentieux
administratif spécial -le contentieux de la situation individuelle des fonctionnaires
et agents de l'Etat, des collectivités locales et des établissements publics ;

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-les litiges en matière de pension et capital-décès des agents de l'Etat, des
collectivités locales, des établissements publics, du personnel de la Chambre
des représentants, ainsi que celui de la Chambre des Conseillers en vertu d'une
adjonction à la loi 41-90 réalisée par la loi 54-99 promulguée par le dahir du 25
août 1999;
- Le contentieux électoral ;
- Le contentieux de l'expropriation ;
- Le contentieux du recouvrement des créances du trésor public.

2.2. La compétence territoriale


En ce qui concerne la compétence territoriale, les règles posées par le code de
procédure civile en matière de compétence territoriale ont pour finalité de
simplifier la tâche du défendeur ; c'est pourquoi, dans de nombreux cas, la
juridiction compétente sera celle du domicile du défendeur ; mais en
matière administrative, le défendeur c'est, la plupart du temps,
l'administration, notamment en matière d'excès de pouvoir.
- La loi pose le principe selon lequel ce sont normalement les règles du code
de procédure civile qui s'appliquent. Ces règles ne sont pas d'ordre public,
elles ne concernent en effet que la répartition de compétences entre les
tribunaux administratifs. Toutefois, le législateur a prévu quelques exceptions
par rapport aux règles du code de procédure. La plus importante est posée par
l'article 10-2° ; alors que le code de procédure prévoit dans son article 27 que
le tribunal compétent est celui du domicile du défendeur, la loi décide que le
recours en annulation pour excès de pouvoir est porté devant le tribunal du
domicile du demandeur ou devant celui dans le ressort duquel la décision,
objet du recours, a été prise. Mais il est clair que le choix étant laissé au
requérant, cette règle est posée dans son intérêt, et ceci est très favorable
pour le rapprochement du justiciable et de son juge.
- En matière de contrat, ce sera le lieu de signature du contrat qui déterminera le
tribunal compétent.
- En matière de responsabilité, le lieu de survenance du dommage ou le lieu du
domicile du défendeur, au choix du demandeur ; en matière de travaux public, le lieu
des travaux (article 28 du code de procédure civile).
- Il faut indiquer que le tribunal administratif de Rabat a reçu une compétence
particulière à l'égard des recours contre les décisions des commissions d'appel en
matière de régime collectif d'allocation de retraite (articles 42 et 43).

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- Enfin, l'article 11-2° in fine lui confie également le soin de statuer sur les recours
relatifs à des affaires relevant de la compétence matérielle des tribunaux
administratifs mais nées en dehors de leur ressort territorial ; ce sera par
exemple le cas des litiges nés à l'étranger.
III. Les voies de recours
Les voies de recours sont de deux sortes : les voies tendant à la rétractation
du jugement et les voies de recours tendant à sa réformation : ce sont les
secondes qui sont les plus utilisées : l'appel et la cassation.
1. Les voies de rétractation
Elles sont tout d'abord l'opposition qui est ouverte à celui qui n'était pas
présent à l'instance ; le jugement rendu par défaut peut faire "objet d'une
opposition ; mais celle-ci n'est possible que si l'appel n'est pas ouvert ;
l'opposition suspend l'exécution du jugement.
La tierce opposition est un recours qui permet à une personne, ni présente ni
représentée dans une instance, de s'opposer à un jugement qui préjudicie à
ses droits.
On mentionnera enfin le recours en rectification d'erreur matérielle devant la
Cour cassation et le recours en rétractation (article 379 du C.P.C.) lorsque
l'arrêt a été rendu sur pièce fausse, ou bien encore si la partie a été condamnée
faute d'avoir pu présenter des pièces détenues par son adversaire, etc.
2. Les voies de réformation
2.1. L'appel
Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 80-03 instituant des cours d'appel
administratives en 11 février 2006, et sur la base de ce texte, les jugements
des tribunaux administratifs sont portés en appel devant la Cour d’appel
administratif selon les formes et délais prévus aux articles 134 à 139 du Code
de procédure civile.
Les jugements rendus par les tribunaux administratifs sont susceptibles d'appel
dans un délai de trente jours à compter de la date de notification du jugement
conformément aux dispositions prévues aux articles 134 à 141 du code de
procédure civile. Le même délai d'appel prévu par les articles 148 et 153 du
code de procédure civile s'applique aux ordonnances rendues par les présidents
des tribunaux administratifs.
L'appel est présenté au greffe du tribunal administratif qui a rendu le jugement
en appel par une requête écrite signée par un avocat, sauf lorsque l'appel est
interjeté par l'Etat et les administrations publiques auquel cas le recours à
l'avocat est facultatif. L’appel est dispensé du paiement de la taxe judiciaire.

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2.2. Le recours en cassation
Les décisions rendues par les cours d'appel administratives sont susceptibles de
pourvoi en cassation devant la Cour cassation, sauf les décisions rendues en
matière de contentieux électoral ainsi qu'en matière d'appréciation de la légalité
des décisions administratives.
Le délai du pourvoi en cassation est fixé à 30 jours à compter de la date de
notification de l'arrêt objet du recours. Sont applicables en matière de pourvoi en
cassation les règles prévues par le code de procédure civile.
Chapitre 2 : La procédure administrative contentieuse

La juridiction administrative est saisie par une « requête » qui répond à un


formalisme plus grand qu’en procédure civile, en lien avec la procédure
administrative non contentieuse, déjà formaliste et écrite. Le requérant doit donc se
plier à un ensemble de règles qui vont conditionner l’examen de la décision de
justice à venir.
L’article7 de la loi qui pose le principe selon lequel, sauf dispositions contraires, ce
sont les règles du Code de procédure civile de 1974 qui s'appliquent devant les
tribunaux administratifs.
Mais, l'administration n'est pas traitée comme un plaideur ordinaire, et l'administré
n'est pas, lui non plus, soumis aux mêmes règles que le requérant ordinaire. Ceci
revient à dire que le procès administratif est marqué par une spécificité qui se
traduit au plan de la procédure par quelques particularités.
Cependant spécificité ne veut pas dire différence complète ; c'est en ce sens que l'on
peut affirmer que l'unité de juridiction, bien qu'elle soit battue en brèche par la
création des tribunaux administratifs, conserve une certaine réalité qui se manifeste
de trois façons :
- L'unité de la Cour suprême
- L'unité du corps de la magistrature
- L'unité, de la procédure qui n'exclut pas certaines particularités des règles qui
régissent le procès administratif.

I. Originalités de la procédure administrative


Les traits caractéristiques de cette procédure sont : cette procédure est inégalitaire,
écrite, inquisitoire et contradictoire.
1. Procédure inégalitaire
La procédure administrative diffère de la procédure civile, qui vise à garantir
l’égalité entre les parties. En contentieux administratif, les intérêts du particulier

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sont respectés, mais restent à caractère individuel et s’affrontent à l’intérêt général
que défend l’administration, ce pourquoi il n’y a pas égalité entre les adversaires.
Les règles de procédure traduisent cette inégalité.

2. Procédure écrite
Elle est écrite. Les parties ne peuvent en principe présenter leurs conclusions et
leurs arguments que sous forme écrite. Ce principe rend la procédure administrative
moins souple, mais présente une garantie de sérieux et de sécurité. Le caractère
écrit de la procédure est renforcé dans le procès administratif par l'article 5-3° de la
loi de 1991 relatif au commissaire royal à la loi et au droit. Ce dernier doit en effet
communiquer ses conclusions écrites au tribunal auquel il les expose d'ailleurs
également oralement ; on sait par ailleurs que ces conclusions peuvent être
communiquées aux parties si elles le demandent ; il va de soi que cette
communication suppose qu'elles soient écrites.
Les parties ont l'obligation de faire appel à un avocat pour signer la requête
introductive d'instance qui est naturellement écrite.
L'administration est dispensée du recours à l'avocat, elle peut se faire représenter
par un de ses agents, mais cela laisse intacte l'obligation qui pèse également sur elle
de respecter le caractère écrit de la procédure dans la communication au juge de ses
arguments.
Cette obligation existe également devant la Cour cassation à plus forte raison ;
cependant, le requérant peut faire appel à un avocat non agréé.
3. Procédure inquisitoire
Le juge dirige la procédure afin de compenser le caractère inégalitaire de la
procédure. Pour engager le procès, le plaideur s’adresse au juge, qui convoquera
l’adversaire.
Au cours de l’instruction, le juge décide des mesures d’expertise, ordonne les
mesures d’instruction, assure la transmission des pièces à l’adversaire. Les
parties peuvent suggérer des mesures d’instruction, mais le juge refuse de les
ordonner s’il s’estime suffisamment informé ou si la mesure lui apparaît
aléatoire ou dilatoire.
Le juge décide seul du moment où l’affaire est en état, où il est suffisamment
informé pour juger. Il détermine la durée de l’instruction, qu’il clôt, décide de
ses mécanismes, admet ou rejette tel ou tel mode de preuve. Il fait montrer en
général d’un grand libéralisme : la charge de la preuve pèse sur le demandeur,
mais peut être renversée lorsqu’il apparaît que les allégations du requérant sont

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suffisamment fondées sans qu’il puisse en apporter la preuve formelle. Il fixe
aux parties des délais pour la production des observations, mémoires et pièces.
- En cas de nécessité, le juge peut utiliser les pouvoirs que donne la procédure des
référés. L'article 19 dispose que le président du tribunal administratif, ou celui qu'il
désigne, en sa qualité de juge des référés statue sur les requêtes provisoires et
conservatoires.
Le caractère inquisitorial de la procédure est justifié par le déséquilibre important
qui existe entre les deux parties (administré/personne publique) dans un procès
administratif

4. Procédure contradictoire
Le caractère contradictoire de la procédure est un principe fondamental de toute
procédure juridictionnelle fondamentale. Le contradictoire constitue l’un des
principes fondamentaux du contentieux administratif. Il traduit le principe général
des droits de défense et se subdivise en plusieurs obligations qui s’imposent au
juge.
L’obligation d’informer l’intéressé qu’une action est dirigée contre lui, notamment
lorsque la juridiction se saisit d’office (cas de juridictions statuant en matière
disciplinaire). Aucun document ne saurait être régulièrement soumis au juge sans
que les parties aient été mises à même d’en prendre connaissance.
Le principe du contradictoire gouverne l'ensemble des phases : l’instruction des
affaires, phase de constitution du dossier s’achevant par la clôture de l’instruction,
est contradictoire.
Dans le débat juridictionnel, aucune partie ne doit être défavorisée par rapport aux
autres. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence. Les
parties doivent être informées de l’instance et des éléments du dossier.
II. L'instance
La présentation des caractères généraux de la procédure nous donne déjà une bonne
idée de ce que sont les principaux moments du procès administratif.
Nous reprendrons ces différentes étapes en examinant l'introduction de l'instance,
puis l'instruction et le jugement.
1. L'introduction de l'instance
L'introduction de l'instance dépend d'une requête introductive d'instance qui doit
respecter certaines exigences de forme et de délai, le requérant doit par ailleurs
avoir qualité pour agir.
1.1. Les conditions de forme
Ce sont celles qui sont posées par l'article 32 du C.P.C.

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La requête est écrite et signée par un avocat ; elle doit comporter l'indication du
nom et du prénom du demandeur (et éventuellement ceux de son mandataire), son
domicile, sa profession ; s'il s'agit d'une personne morale, il faut en indiquer la
dénomination, la nature, le siège social. La requête doit préciser qui est le
défendeur : l'Etat et l'administration mise en cause, telle collectivité publique, etc.
La requête est enregistrée et donne lieu à délivrance d'un récépissé qui prouve le
dépôt de la requête et la date de celui-ci.
La requête doit naturellement contenir, au moins de façon sommaire, les
conclusions du requérant.
Elle doit préciser :
- L'objet de la demande : annulation ou indemnité
- Les moyens, c'est-à-dire les arguments du requérant ; ceci est important car le
juge ne peut statuer au-delà de la demande (ultra petita), sauf s'il se trouve en
présence d'un moyen d'ordre public. L'exposé des moyens peut être la requête, un
mémoire ampliatif peut les développer par la suite.
La requête doit être accompagnée des pièces invoquées : s'il s'agit d'un recours en
annulation pour excès de pouvoir, la requête doit obligatoirement être accompagnée
d'une copie de la décision attaquée, de la décision de rejet s'il y a eu recours
administratif ou d'une pièce prouvant le dépôt du recours administratif ou de la
demande si l'administration n'a pas répondu expressément.
1.2. Les conditions de délai
L'exigence d'un délai pour intenter le recours au juge se justifie par l'idée qu'il ne
convient pas de laisser s'éterniser des situations litigieuses ; ceci existe également
en droit privé où les actions en justice se prescrivent dans certains délais.
Mais en droit public, l'ordre public et l'intérêt général militent plus encore en faveur
d'un apurement rapide des situations de conflit.
Toutefois, il faut distinguer le contentieux de la légalité et le contentieux de pleine
juridiction.
En matière de légalité, ce qui est en cause, c'est la validité des décisions
administratives. Certes, le privilège du préalable permet l'application immédiate de
l'acte administratif, mais il n'est pas bon qu'un doute pèse trop longtemps sur sa
validité. L'acte doit disparaître rapidement ou devenir incontestable.
Le recours au juge est donc enfermé dans des délais très brefs : 60 jours à compter
de la publication ou de la notification de la décision ou de la date à laquelle est
acquise la décision implicite de refus de la demande initiale, ou du rejet du recours
administratif.

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En revanche, dans le contentieux de pleine juridiction, ce qui est en cause ce n'est
qu'une somme d'argent dans la plupart des cas, que la cause du litige se trouve dans
la violation d'un contrat ou dans un préjudice causé par tout acte de l'administration,
toute activité ou tout acte matériel ou juridique.
Dans ce cas, le recours n'est enfermé dans aucun délai (en France, la situation est
différente ; lorsque l'administration a fait connaître sa position par une décision, le
délai court à partir de la date de cette décision, sauf en matière de travaux publics
où ne sont exigés ni décision préalable, ni délai).
Mais l'absence de délai ne doit pas faire oublier l'existence de prescriptions
particulières :
- la prescription de l'action prévue par l'article 106 du dahir sur les obligations et
contrats qui est de cinq ans : C.S.A. n° 57 du 25/2/1977, Agent judiciaire du Maroc
c/Ahmed Thami Ben Hamou
- la déchéance quadriennale des dettes de l'Etat prévue par l'article 134-3°du décret
royal du 21 avril 1967 sur la comptabilité publique : « Sont prescrites
définitivement éteintes au profit de l'Etat toutes les créances qui n'ont pu être
liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années à partir de
l'ouverture de l'exercice pour les créanciers domiciliés au Maroc, et de cinq années
pour les créanciers résidant hors du territoire marocain. »
1.3. Conditions tenant à la qualité du requérant
Le requérant doit avoir la capacité d'agir en justice et justifier qu'il possède un
intérêt à agir.
1.1.1. La capacité
Pour les personnes physiques, il s'agit de la capacité juridique qui dépend de l’âge
et de la possession des droits civils ; le mandataire doit justifier l'existence du
mandat.
Pour les personnes morales, la capacité découle des règles statutaires qui
déterminent les organes capables de représenter valablement l'institution en justice.
Pour les personnes publiques, il faut distinguer l'Etat pour lequel l'article 515 du
Code de procédure civile prévoit qu'il doit être assigné en la personne du chef du
gouvernement ; celui-ci peut cependant se faire représenter par le ministre
compétent.
1.1.2. L'intérêt à agir
Le grand principe en procédure, c'est que nul ne peut agir en justice s'il n'a pas
intérêt à le faire ; "pas d'intérêt pas d'action". Mais cet intérêt n'est pas un intérêt
abstrait ou idéal. Cet intérêt doit se rattacher à un fondement juridique que le juge
apprécie plus ou moins rigoureusement selon le type de recours dont il est saisi.

13
La définition de l'intérêt à agir peut ainsi être plus ou moins large, et, par voie de
conséquence, le recours plus ou moins largement ouvert.
En résumé, on dira simplement ici que le recours en annulation est largement
ouvert parce que le juge exige seulement du requérant la preuve qu'il possède un
simple intérêt à agir, alors que dans le contentieux de pleine juridiction, le juge
exige du requérant qu'il possède un droit lésé : droit lié à un contrat, droit de
propriété, droit à l'intégrité physique, etc.
2. L'instruction et le jugement
L'évolution du procès se poursuit avec l'instruction dont la clôture s'accompagne de
la fixation de la date de l'audience ; enfin le procès s'achève avec le jugement.
2.1. L'instruction
Nous savons déjà qu'elle est largement dominée par l'office du juge rapporteur qui
dirige le procès.
La procédure est ici commune au procès administratif et au procès qui se déroule
devant le juge ordinaire dans certaines matières énumérées par l'article 45 du
C.P.C.
Les parties présentent leurs arguments dans les délais fixés par le juge rapporteur et
sous forme écrite.
Le juge prescrit d'office, ou à la demande des parties, les mesures d'instruction qu'il
estime de nature à éclairer le tribunal. A l'issue des délais qu'il a fixés, le silence des
parties vaut acquiescement aux arguments de l'adversaire.
Enfin, à l'issue des délais qu'il a également fixés, le juge prononce par ordonnance
la clôture de l'instruction, c'est-à-dire son dessaisissement ; il rédige son rapport et
transmet le dossier au tribunal ; il fixe la date de l'audience.
2.2. L'audience
Le tribunal de 1ere instance statue à juge unique, à la différence du tribunal
administratif qui comporte trois membres dans sa formation de jugement. Il siège
publiquement, sauf exception prévue à l'article 43 ; le tribunal peut en effet décider
le huis-clos « si l'ordre public ou les bonnes mœurs l'exigent ».
Le tribunal procède à l'audition du rapporteur, du commissaire royal, des avocats et
des représentants de l'administration.
Dans les instances tendant à faire déclarer débitrices les administrations publiques,
un office ou un établissement public, l'article 514 du C.P.C. prescrit l'audition de
l'agent judiciaire du Maroc qui est chargé de la défense des intérêts financiers de
l'Etat ; sa mise en cause est obligatoire.
2.3. Le jugement

14
Le jugement doit comporter un certain nombre d'énonciations prévues par l'article
50 du C.P.C.
Il est rendu au nom de Sa Majesté le Roi - Royaume du Maroc.
Il doit rappeler les indications relatives aux parties et comporter la mention des
auditions diverses : parties, rapporteur, commissaire royal.
Il mentionne la mise en cause de l'agent judiciaire du Maroc. Il rappelle les
conclusions des parties, l'analyse sommaire de leurs moyens, les pièces produites et
les textes dont il est fait application. Le jugement est daté et signé parle président et
le greffier. Le jugement ainsi rendu doit être notifié aux parties ; mention est faite
de la possibilité de faire appel et du délai (30 jours).
C'est seulement à l'expiration de ce délai que le jugement acquiert autorité relative
de chose jugée et qu'il peut être exécuté. Après expiration du délai du recours en
cassation, il passe en force de chose jugée
2.4. Le jugé de référé
Le juge des référés est le juge administratif de l’urgence. Le juge des référés est,
au sein de chaque tribunal, un juge qui statue seul. Il peut s’agir du président du
tribunal administratif, ou d’un magistrat qu’il désigne. Dès qu’il est saisi d’une
requête en urgence, il fixe la date de l’audience. Le délai peut varier, en fonction
du degré d’urgence, de quelques heures à quelques jours. Dès la fin de
l’audience, ou un peu plus tard s’il l’estime nécessaire, le juge annonce le sens
de sa décision. Il ne juge pas du principal (ex : il ne prononce pas l’annulation
d’une décision) mais permet d’obtenir des mesures provisoires, conservatoires et
rapides, destinées à sauvegarder les droits et libertés des administrés. Il se
prononce par ordonnances. Le juge administratif de référé utilise les procédures
d’urgence prévues par les articles 149 et 153 du CPC exactement comme le
référé civil.
L'article 19 de la loi 1991 dispose que le président du tribunal administratif,
ou celui qu'il désigne, en sa qualité de juge des référés statue sur les
requêtes provisoires et conservatoires.
Le juge peut ordonner toute mesure qui lui paraît nécessaire à titre
conservatoire, par exemple pour constater des faits qui risquent de disparaître,
pour enregistrer des témoignages, pour relever l'existence de documents, etc.
Le juge saisi par une requête en référé peut ainsi agir même en l'absence de
toute affaire engagée devant le tribunal à la condition que la mesure soit utile et
urgente.
Par ailleurs, et c'est là une innovation de la jurisprudence des tribunaux
administratifs finalement entérinée par le Cour cassation, c'est par un recours

15
en référé que l'administré, victime d'une voie de fait peut demander au juge
administratif d'enjoindre à l'administration de cesser son action constitutive
d'une voie de fait.
On indiquera enfin, que, par exception au principe du préalable et au
caractère non suspensif du recours en annulation pour excès de pouvoir,
l'article 24 de la loi permet au tribunal administratif d'ordonner,
exceptionnellement, le sursis à exécution des actes administratifs ; mais cette
possibilité n'existe que sur demande expresse du requérant et à la double
condition que la décision entreprise soit d'une illégalité à peu près certaine et
que son exécution entraîne des conséquences difficilement réversibles. Ces
deux dernières conditions ne figurent pas dans la loi, mais elles sont exigées
par le juge.
2.5. La voie de fait
La voie de fait peut être définie comme un acte de l'autorité administrative qui est
si gravement irrégulier qu'il n'apparaît pas possible de le rattacher à un pouvoir
appartenant à l'administration et qui a reçu, ou est sur le point de recevoir, une
exécution matérielle mettant en cause la liberté ou la propriété : cet acte se trouve
ainsi dénaturé en quelque sorte ; il ne constitue plus un acte administratif
bénéficiant des privilèges de l'acte administratif ; mais il constitue une simple voie
de fait.
Quelle est l'origine de la théorie, quel est le régime actuel de la voie de fait et quel
peut en être le devenir sont les trois questions qu'il convient d'examiner.
Les tribunaux de 1913 sont ainsi parvenus, malgré la prohibition des alinéas 4
et 5 de l'article 8 du D.O.J., à censurer les plus graves irrégularités commises
par l'administration.
Après 1957 La Cour suprême consacre l'existence de la voie de fait dans un
arrêt du 4 décembre 1958, Consorts Félix, R. 164.
L'intérêt de la voie de fait demeure intégralement malgré l'existence du recours en
annulation pour excès de pouvoir, car la règle de séparation demeure ; la théorie de
la voie de fait, permet ainsi de demander au juge des référés de prendre les
mesures d'urgence qu'impose la situation à la seule condition de ne pas «
préjudicier au principal » (article 148 du C.P.C).
Avec la création des tribunaux administratifs le problème s'est posé du devenir de
la voie de fait et surtout de son traitement contentieux.
Naturellement, l'utilité de la notion de voie de fait demeure intégralement puisqu'il
s'agit de renforcer la protection de l'administré face aux agressions les plus graves
de l'administration.

16
En revanche, il paraissait souhaitable de modifier son régime contentieux pour
éviter les complications de compétence que l'on rencontre en France, et qui n'ont
aucune raison d'être au Maroc.
En France, la constatation de la voie de fait peut-être effectuée
indifféremment par le juge administratif ou le juge judiciaire. En revanche, le juge
judiciaire est exclusivement compétent pour "faire cesser et réparer" les
conséquences dommageables de la voie de fait. Or au Maroc, le juge
administratif créé en 1991, est tout aussi qualifié pour qu’il puisse statuer en
cas de voie de fait sur tous les aspects de la cause.
Il lui appartiendrait de :
- Constater l'existence de la voie de fait ;
- Enjoindre l'administration de faire cesser la voie de fait ;
- Condamner l'administration à en réparer les conséquences.
C'est dans cette voie que s'est d'ailleurs orienté le juge des référés du
tribunal administratif de Casablanca dans sa décision du 26 avril 1994,
Kadalia Rachel et consorts c/Commune urbaine de Sidi Belyout.
Il faut noter que du fait des dispositions de l'article 19 de la loi 41-90, le
tribunal administratif comporte un juge des référés qui doit donc, en cette
qualité, « exercer les mêmes pouvoirs que ceux dont disposait le juge
ordinaire... parmi lesquels celui de statuer sur la demande tendant à faire
cesser une voie de fait ».
La Cour suprême a Infirmé une décision du tribunal administratif d'Agadir qui
s'était déclaré incompétent pour connaître du litige né d'une voie de fait, ou
motif qu'il n'y avait pas acte administratif, la Cour suprême décide que la
loi 41-90 a transféré aux tribunaux administratifs la compétence en matière
de réparation des dommages causés par les actes et activités des personnes de
droit public, y compris la réparation des dommages résultant d'une voie de
fait, et qu'elle a également transféré au président de ces juridictions les
attributions du président du tribunal de première instance en matière de référé
et donc la compétence pour statuer sur les demandes incidentes, telle la
demande de levée de la voie de fait ; la Cour en déduit que l'article 8 de la loi
« peut couvrir ledit cas et autres formes de voie de fait tant en ce qui concerne
l'indemnisation, qu'en ce qui concerne la levée de cette atteinte... »
Ainsi la voie de fait est "rapatriée" dans l’ordre juridictionnel administratif
tant en ce qui concerne sa constatation et sa cessation, qu'en ce qui concerne la
responsabilité et la réparation des dommages qui peuvent en résulter : CSA.
20 mai 1996, Ammouri Hafid, RJPIC, précité.

17
Chapitre 3 : Les branches de contentieux administratif

Le juge administratif a pour mission de faire respecter la règle de droit par les
personnes chargées de missions d’intérêt général. Les recours contentieux qui
peuvent être exercés devant lui se répartissent en quatre catégories, toujours
d’actualité, dégagées par Édouard Laferrière dans le Traité de la juridiction
administrative et des recours contentieux (1887).
Ces différentes voies de recours sont ouvertes devant la juridiction administrative ;
elles se distinguent notamment par la question posée au juge et les pouvoirs dont
celui-ci dispose. Les recours en annulation et de plein contentieux sont les plus
fréquents de ces différentes branches de contentieux.

I. Le recours pour excès de pouvoir


A. Définition
Le recours pour excès de pouvoir est un recours par lequel le requérant demande
au juge administratif de contrôler la légalité d’une décision administrative et d’en
prononcer l’annulation si elle est illégale. C’est le recours le plus connu, le plus
important, le plus original du droit administratif.
Le recours pour excès de pouvoir n'existait pas sous le protectorat ; on avait
seulement admis en 1928 que les agents des administrations néo-chérifiennes
pourraient porter devant le Conseil d'Etat français les litiges relatifs à l'application
de leurs statuts. C'est le dahir du 27 septembre 1957 créant la Cour suprême qui lui
donne naissance ; ses dispositions seront reprises par l'article 353-2° du C.P.C. de
1974.
Le recours en annulation pour excès de pouvoir est, par excellence, le moyen de
faire respecter la légalité. Mais en l'absence d'un code administratif, c'est le juge de
l'excès de pouvoir qui, progressivement, a dégagé un ensemble de règles et de
principes qui explicitent ce qui est conforme à la règle de droit et ce qui lui est
contraire.
C'est ce qui explique l'importance de la jurisprudence comme source du droit.
Le recours pour excès de pouvoir apparaît comme un recours qui existe de plein
droit, en effet l’art. du dahir du 27 septembre 1957 stipule que : II est institué une
Cour suprême « chargée de statuer, sauf si un texte l'exclut expressément, sur :
- Les pourvois en cassation ;
- Les recours en annulation pour excès de pouvoir contre les décisions émanant des
autorités administratives... ».

18
L’article 8 de la loi du 12 juillet 1991, dispose simplement que les tribunaux
administratifs sont chargés de juger « les recours en annulation pour excès de
pouvoir formés contre les décisions des autorités administratives ».
- Les requêtes en annulation sont dispensées du paiement de la taxe judiciaire.
- Pour ce qui des détails, le texte de 1991 a précisé un certain nombre de règles
dont la violation entraîne le rejet du REP, parmi ces règles:
• Le recours en annulation pour REP contre les décisions des autorités doit être
introduit dans le délai de 60 jours à compter de la publication de la décision
attaquée.
• Toutefois, les intéressés ont la faculté de saisir avant l’expiration de ce délai.
• Le silence gardé plus de 60 jours par l’autorité admin. sur recours gracieux ou
hiérarchique vaut rejet
B. Les caractères généraux
1. Le recours pour excès de pouvoir est un recours contentieux
Certes le recours pour excès de pouvoir est issu du recours hiérarchique ; mais il est
devenu peu à peu et surtout depuis 1872 un véritable recours juridictionnel ; il
garde cependant certaines traces de son ancien caractère hiérarchique.
2. Le recours pour excès de pouvoir est un recours de droit commun
Le recours peut être exercé en absence de tout texte. De plus le Conseil d’État a
estimé que lorsqu’un texte exclut « tout recours » il n’exclut pas par là le recours
pour excès de pouvoir (CE 17 févr. 1950, Dame Lamotte, Lebon 110). Il ne
pourrait être supprimé que par un texte de loi l’excluant expressément. Dans la
suite de cette jurisprudence, le Conseil d’État a estimé que le Gouvernement ne
peut ni dans l’exercice du pouvoir réglementaire autonome de l’art. 37 de la
Constitution, ni dans celui qu’il pourrait détenir par voie d’ordonnance, de l’art. 38,
soustraire certains actes au contrôle juridictionnel, soit en prononçant la validation
de certaines décisions, soit en excluant le recours pour excès de pouvoir (CE
24nov.1961, Féd. nat. synd. police, D. 1962, 44).
3. Le recours pour excès de pouvoir fait partie du contentieux de la légalité
Le recours pour excès de pouvoir est fondé sur la violation de la règle de droit. Ce
qui est mis en cause devant le juge, c’est la légalité même de l’acte dont le
requérant prétend qu’il est illégal. Certes, on a parfois l’impression que le juge se
conduit plutôt en supérieur hiérarchique contrôlant la « moralité administrative » et
l’opportunité des décisions prises par l’administration : en réalité, il faut donner à la
notion de légalité une extension très large, le juge administratif créant lui même
dans certains cas des règles de droit.

19
4. Le recours pour excès de pouvoir fait partie du contentieux objectif
Le recours pour excès de pouvoir est un procès fait à un acte et non à une personne
; il tend à la sanction d’une règle de droit et non à la reconnaissance d’un droit
subjectif (Hauriou : « Le recours pour excès de pouvoir est un moyen de nullité
objectif organisé dans un but de bonne administration. »). Par ailleurs, l’annulation
d’un acte produit des effets erga omnes. Enfin il suffit d’un simple intérêt lésé pour
faire un recours. Toutefois ce caractère objectif du recours a été fortement critiqué
: le recours pour excès de pouvoir apparaît fréquemment comme un instrument de
défense de droits patrimoniaux. Par ailleurs, la possibilité d’une tierce opposition,
la possibilité d’acquiescement, la nécessité de justifier d’un intérêt pour faire un
recours, ne sont guère compatibles avec le caractère objectif du recours.
5. Le recours pour excès de pouvoir constitue un recours en annulation
Le recours se définit par le fait que le particulier demande l’annulation de la
décision. L’importance que le juge attache à cet élément est telle qu’il entraîne
fréquemment la possibilité de se servir du recours pour excès de pouvoir même
lorsque le requérant se trouve dans une situation juridique subjective en
défendant par exemple de simples intérêts patrimoniaux. J. Arrêt Lafage (1912) :
alors que normalement le fonctionnaire qui réclame son traitement ou une
indemnité se trouve dans une situation qui ne lui permet d’exercer que le recours
de pleine juridiction, le juge a admis que ce fonctionnaire peut demander au
juge, par la voie de l’excès de pouvoir, d’annuler le refus de paiement dans la
mesure où il viole le texte instituant la rémunération (CE8 mars 1912,
S.1912.III. 7).
Mais la jurisprudence n’est guère uniforme. Dans la plupart des cas où le juge
est susceptible d’exercer de tels pouvoirs, il a tendance à considérer qu’il ne peut
être valablement saisi qu’en tant que juge de plein contentieux (concl. Genevois
sur CE, sect. , 8 janv. 1982, Aldana Barrena, GAJA, 19e éd. , p. 139).
C. Les conditions de recevabilité
Les conditions de recevabilité de l’acte ont une importance fondamentale. Quels
actes administratifs peuvent faire l’objet d’un recours ? Qui peut faire un recours
(problème de l’intérêt à agir) ? Il y a enfin la fin de non recevoir résultant de
l’existence d’un recours préalable
1. Les conditions relatives à l’acte
Les conditions relatives à l’acte ne présentent pas de particularités très
spécifiques en ce qui concerne le recours pour excès de pouvoir : il est bien
évident que seuls peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir les
actes qui sont de la compétence du juge administratif. Par ailleurs une décision

20
administrative n’est attaquable que si elle est susceptible de faire « grief ». Selon
l’art. 32 de l’ordonnance du 31 juillet 1945 « le Conseil d’État statue
souverainement sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formées
contre les actes des diverses autorités administratives ». Mais cette formule ne
rend pas exactement compte de la jurisprudence.
1.2. Il faut qu’il s’agisse d’un acte administratif
Cette exigence conduit à exclure les actes législatifs, les actes royaux, les
actes juridictionnels et les actes de gouvernement.

1.2.1. Exclusion des actes législatifs


II ne s'agit pas de la loi naturellement, qui est parfaitement identifiable et que
l'on ne peut confondre avec un acte administratif. Mais le problème est plus
délicat dans les périodes où le parlement cesse de fonctionner, et à plus forte
raison en a-t-il été ainsi avant qu'il ne soit créé.
- Avant 1962, le pouvoir législatif a été exercé par le Roi. Il en a été de même
sur la base des mesures transitoires prévues par les diverses constitutions en
attendant la réunion du parlement.
La constitution a prévu également en période d'état d'exception que le Souverain
pourrait exercer le pouvoir législatif, et c'est encore le Chef de l'Etal
Qui a exercé le pouvoir législatif sur la base de l'article 19 de la constitution
entre octobre 1983, date de l'expiration de la législature, et octobre 1984, date de
l'élection de la nouvelle assemblée ; dans ces diverses situations, les décisions
législatives du Roi ont reçu des appellations diverses : dahir avant 1962, décret
royal portant loi, puis dahir portant loi, ce qui est la terminologie actuelle.
Il faut par ailleurs rappeler l'existence :
- De l'article 70 de la constitution et des décrets-lois sur habilitation ;
- De l'article 81 de la constitution qui permet au gouvernement de prendre par
décret, pendant l'intervalle des sessions et avec l'accord de la commission
intéressée, des mesures relevant normalement de la loi.
Dans les deux cas, il y a ratification ultérieure. Mais on peut se poser la question
de la nature de ces décisions avant qu'elles n'aient fait l'objet d'une ratification. Il
n'y a pas de décision juridictionnelle relative à cette question ; on peut seulement
indiquer que, dans des cas de ce type, le Conseil d'Etat français a décidé qu'il
s'agissait d'actes administratifs jusqu'à la ratification.
1.2.2. Les actes du Roi en matière administrative
Sous le protectorat, le pouvoir normatif était aux mains du Sultan qui pouvait
également prendre un certain nombre de décisions individuelles. Une tentative

21
avait été faite de distinguer dans les actes du Sultan les dahirs-lois et les dahirs-
décrets, ces derniers ayant une nature administrative.
Cette distinction fut condamnée par la Cour suprême dans un arrêt du 18/6/1960
Abdelhamid Ronda, R. 136, relatif à la révocation d'un cadi. Cette solution fut
confirmée par une décision du 15/7/1963 Bensouda Abdallah, R. 173 : le recours
pour excès de pouvoir est irrecevable contre les décisions individuelles «
émanant du Souverain et prises en forme de dahir ».
Par la suite, la Haute juridiction devait formuler sa position de façon plus
radicale encore dans l'affaire Sté propriété agricole Abdelaziz 20/3/1970 :
l'irrecevabilité est générale, quelle que soit la forme que peut prendre la décision
: décret royal, décret, arrêté ou décision et à plus forte raison dahir.
« Attendu que... S.M. le Roi exerce ses pouvoirs constitutionnels en qualité
d'Iman des croyants conformément à l'article 19 de la constitution et qu'à cet
égard Elle ne peut être considérée comme une simple autorité administrative au
sens de l'article Ier du dahir du 27 septembre 1957. »
1.2.3. Les actes juridictionnels
Cette exclusion va de soi pour les décisions constitutives de jugements qui font
l'objet de recours spécifiques en appel ou en cassation. Celui-ci existe d'ailleurs
de plein droit sauf si un texte législatif l'exclut expressément : C.S.A. n° 62,
18/3/1977, Kadiri Abdelhafidfl).
Mais il peut y avoir difficulté lorsque l'on ne se trouve pas en présence d'une
juridiction intégrée dans la hiérarchie normale des tribunaux ; certains
organismes ont une nature qui n'est pas évidente : juridiction spéciale ou
organisme administratif, le problème peut se poser.
Tel est le cas :
• De la commission chargée de donner son avis sur les autorisations de transports
routiers : 19/12/1959, Jacob Hamouth, R. 83 ;
• Du conseil de la pharmacie statuant en matière disciplinaire : 18/5/1961, Israël,
R. 123, avec les conclusions du procureur général Zarrouck ;
• La Cour suprême utilise, pour déterminer la nature de ces organismes, la
méthode du faisceau d'indices :
• Acte de création : les catégories de juridiction doivent être créées par la loi :
article 46 de la constitution.
• La composition de l'organisme : comprend-il des magistrats, quel est leur
nombre et leur rôle ?
• L'organisme est-il indépendant ?

22
• Quels sont ses pouvoirs ? A-t-il un pouvoir de décision, et ses décisions
doivent-elles être motivées ?
• La procédure est-elle contradictoire ?
• Y a-t-il des recours contre ses décisions ? Quel type de recours ?
C'est en fonction des réponses que l'on peut apporter à ces diverses questions
que le jugement pourra conclure dans un sens ou dans l'autre sur la question de
la nature juridictionnelle ou administrative de l'organisme.

1.2.4. L’exclusion de certains actes administratifs


-Exclusion des actes de gouvernement : Ce sont des actes qui émanent
d'autorités administratives ou exécutives mais qui ne peuvent faire l'objet du
recours en annulation, parfois même qui sont insusceptibles de recours
juridictionnel.
Les actes peuvent être des actes pris par le gouvernement dans les rapports
avec le parlement : par exemple décision ou refus de déposer un projet de loi
ou un amendement à un tel projet, acceptation par le gouvernement ou refus
d'un amendement parlementaire, etc. Ce peut être aussi la décision (décret) de
clôture d'une session ordinaire ou de convocation d'une session
extraordinaire.
- Exclusion de décisions relatives au domaine des relations internationales et
diplomatiques, les autorités responsables peuvent prendre des décisions dont le juge
refusera de connaître : décisions d'engager des relations diplomatiques ou de les
rompre, ordres et instructions donnés aux diplomates, interprétation des traités.
– Exclusion de décisions relatives au domaine privé à condition qu’elles aient un
caractère purement individuel.
– Exclusion de certains actes relatifs au fonctionnement du service public de la
justice.
– Les contrats administratifs sauf les actes détachables (jurisprudence
traditionnelle, CE 4 août 1905, Martin, S., 1906. 3. 48).

1.3. Il faut que la mesure fasse grief


Seules peuvent faire l’objet d’un recours les décisions susceptibles de léser le
requérant dans ses intérêts, c’est-à-dire une décision susceptible de faire grief.
Seules peuvent faire grief les dispositions même d’une décision mais non pas les
motifs. Le problème de la décision faisant grief est distinct de celui de la
décision créatrice de droits. Une décision peut ne pas être créatrice de droits
mais faire grief (CE 3 mars 1967, Min. de la Construction c/ Sté BehrManning,

23
Lebon 105). Un refus de modifier un acte n’ayant pas d’effet juridique peut
faire grief (CE 11 janv. 1985, Raymond Camus, AJDA 1985. 161). Les refus
d’agir constituent souvent des actes faisant grief. Le juge s’attache au contenu
de l’acte et non à sa présentation. La décision de sélection d’un sportif en
équipe nationale est un acte administratif (CE 8 avr. 2013, Féd. fr. sports de
glace, AJDA 2013. 1555) (plutôt compétence). La distinction des décisions
faisant grief et des décisions ne faisant pas grief est extrêmement délicate.
Cette exigence « faisant grief » signifie que l'acte doit avoir une valeur
juridique suffisante pour s'imposer au requérant. Cette condition exclut
donc les actes de l'administration qui sont simplement préparatoires d'une
décision :
• Les circulaires qui n’ont pas un caractère réglementaire ou impératif
• Proposition de sanction : 15/12/1960, Ingarao Plinio, R. 24.
• Mise en demeure préalable à un retrait d'autorisation : 22/2/1961, Société
coopérative agricole vinicole d'Oujda, R. 34.
• Rappel de la réglementation en vigueur, 19/6/1962 ; R. 59, Ali Ou Mimoun.
• Cependant, l'avis notifié à l'intéressé a le caractère d'une décision, 30 mais
1963, Roubinet, R. 46.
• Les mesures préparatoires ne constituent pas en principe, des mesures faisant
grief : la prescription d’une enquête, CE 11 juill. 1947, Dewavrin, une mesure
d’information (CE 20 mars 1991, Assoc. Boulogne FM, RD publ. 1991.
• Les mesures d’organisation d’ordre intérieur (CE, ass., 28 oct. 1956, Assoc.
gén. , Administrateurs civils, Lebon 391) considérées comme de minimes
importances ou des mesures individuelles de caractère personnel ayant un aspect
disciplinaire (pouvoir disciplinaire sur certains usagers des services publics).
Seront également considérés comme des actes ne faisant pas grief les
mesures d'ordre intérieur : notes de service, circulaires, instructions.
Un problème se pose cependant pour les circulaires et autres directives.
Normalement, elles ne font pas grief car elles n'ajoutent rien à la
réglementation existante ; les ministres n'ont pas en effet de pouvoir
réglementaire, et ils ne peuvent pas ajouter quoi que ce soit à l'ordre juridique
par voie de circulaire ou de directive ; ceci explique l'irrecevabilité du
recours pour excès de pouvoir contre de tels actes.
Cependant si, outrepassant ses pouvoirs, le ministre rédige une circulaire qui
n'est pas seulement interprétative mais qui ajoute une obligation à celles qui
résultent de l'ordre juridique existant, le recours sera possible.

24
C'est ce qu'admet la Cour suprême dans une décision a contrario : 9/7/1960,
Mohamed Alem, le recours aurait été possible contre les opérations d'un
concours organisé par une circulaire illégale.
2. Les conditions relatives au requérant
Le recours n’est recevable que si le requérant a capacité pour agir en justice. Il
suffit d’appliquer les règles générales relatives à la capacité d’agir en justice.
Mais la procédure exigeait du requérant la démonstration d'un intérêt à l'action ;
ce principe, connu par l'adage "pas d'intérêt, pas d'action", signifie dans le
contentieux de la pleine juridiction : pas de droit pas d'action.
En revanche, la notion d'intérêt à agir dans le contentieux de la légalité présente
une spécificité.
Il convient tout d'abord d'indiquer que le juge distingue le droit de l'intérêt ; il
n'exige du requérant que la preuve qu'il a intérêt à contester la décision
administrative ; il est évident que cette exigence est moindre que celle d'un droit et
qu'ainsi le cercle de ceux qui peuvent intenter le recours s'en trouve
considérablement élargi.
Toutefois, cet intérêt n'est pas un intérêt purement abstrait et théorique que
tout individu peut avoir à savoir que la loi est respectée.
En effet, il doit être un intérêt que le requérant éprouve concrètement dans sa
situation matérielle ou morale qui se trouve menacée par la décision
administrative et qui le pousse à utiliser le recours pour excès de pouvoir ; ce
dernier est un moyen de se défendre, de défendre ce à quoi l’on est
concrètement attaché.
Il faut donc que le requérant fasse la preuve qu'il est concerné directement
par l'acte attaqué et que le recours va ainsi lui permettre de défendre sa
situation menacée.
L'intérêt du requérant s'apprécie à la date de la requête ; si l'intérêt vient à
disparaître du fait du retrait de la décision contestée postérieurement à
l'introduction de la requête, le juge décidera qu'il n'y pas lieu à statuer.
L'intérêt s'apprécie au regard du dispositif de la décision et non pas au regard
de ses motifs ; ceci explique qu'il ne soit pas possible de contester une
décision qui donne satisfaction à son destinataire.
L'intérêt pour agir présente un certain nombre de caractéristiques ; ce peut
être un intérêt matériel ou moral (I), il doit être un intérêt individualise (2) mais
il peut être aussi un intérêt collectif (3).
2.1. L'intérêt matériel ou moral
Les exemples d'intérêt matériel sont très nombreux et faciles à imaginer :

25
• La fermeture d'un garage en raison du bruit qu'il occasionne ;
• Le retrait de l'autorisation d'exercer une profession ;
• Le refus d'un permis de construire ou l'ordre d'interruption des travaux, etc.
L'intérêt moral est moins bien représenté en jurisprudence, bien qu'il puisse
être étroitement imbriqué avec l'intérêt matériel ; tel est le cas en matière de
sanction où la décision comporte un aspect moral incontestable qui se cumule
avec ses conséquences matérielles.
• Une décision portait atteinte à la réputation de l'Ecole de la magistrature :
CE. 13 juillet 1948,
• Un intérêt moral justifie ou pourrait justifier la recevabilité du recours.
2.2. L'intérêt doit être suffisamment individualisé
Le juge exige que le requérant fasse la preuve q u ' i l possède un intérêt
individuel, mais cela ne signifie pas qu'il doive être le seul à pouvoir faire
état de cet intérêt
L'habitant d'un quartier pourra critiquer un permis de construire délivré pour
un projet de construction dans le quartier. L'usager d'un service public
pourra critiquer les décisions qui concernent le fonctionnement du service :
fermeture d'une ligne ou déplacement d'un itinéraire. L'enseignant du
supérieur pourra critiquer les décisions organisant l'universi té (conseil
d'université) ou les élections universitaires, etc.
2.3. L'intérêt collectif
Si les individus sont largement admis à défendre un intérêt, collectif, l'intérêt d'une
catégorie, le problème est plus délicat lorsqu'il s'agit d'apprécier si un groupement a
un intérêt à agir.
Une association, un syndicat, un organisme professionnel (ordre des médecins,
des architectes, etc.) peut agir sans difficulté pour la défense des intérêts moraux
ou matériels qui sont communs à l'ensemble de ses membres. Exemples : la
Fédération nationale des transporteurs routiers, la Société hippique et des courses
marocaines, la Fédération nationale des agents généraux d'assurances, etc.
Dans ces différents cas, l'organisme collectif utilise ce que l'on appelle l'action
corporative pour défendre un intérêt Toutefois, il peut être difficile de distinguer
entre l'intérêt collectif et l'intérêt individuel, sans oublier que, parfois, il existe
des intérêts individuels à répercussion collective.

D. Les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir


Définition : on appelle cas d’ouverture ou moyens d’ouverture (ou d’annulation)
les différentes catégories d’irrégularités dont la constatation entraînera

26
l’annulation. Il s’agit là d’une des matières les plus intéressantes et vivantes du
droit administratif. Aujourd’hui, le recours pour excès de pouvoir peut être
soulevé en principe pour incompétence, vice de forme et de procédure,
détournement de pouvoir, et surtout pour violation de la loi qui comprend en
réalité tout le contrôle des « motifs » de l’acte administratif par le juge
administratif.
• Classification traditionnelle :
La classification d’origine historique, suivant le développement de la
jurisprudence du Conseil d’État distingue l’incompétence, le vice de forme, le
détournement de pouvoir et la violation de la loi. On a reproché à cette
classification d’être insuffisante, de ne pas tenir compte suffisamment des
différents éléments de l’acte (compétence, forme, motifs, objet, but).
• Classifications plus récentes :
Une première classification tient compte des éléments de l’acte : illégalité
relative à l’auteur (incompétence), aux formes et procédure (vice de forme), au
but poursuivi (détournement de pouvoir), à l’objet de l’acte, aux motifs de
l’acte.
Les cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir correspondent aux
différentes causes d'irrégularité qui peuvent entraîner l'annulation de l'acte.
Ces vices peuvent atteindre les différents éléments de l'acte ; on comprend ainsi
que le juge soit amené, à la suite du requérant, à s'interroger sur la régularité des
éléments qui constituent l'acte administratif.
Ces moyens d'annulation ont été dégagés empiriquement par la
jurisprudence, comme cela a été le cas en France de la part du Conseil d'Etat au
cours d'une longue évolution.
Ces cas d'annulation ont été systématisés par la loi du 12 juillet 1991 dont l'article
20 dispose :
« Une décision administrative est entachée d'excès de pouvoir soit en raison de
l'incompétence de l'autorité qui l'a prise, soit pour vice de forme, détournement
de pouvoir, défaut de motif ou violation de la loi. La personne à laquelle une telle
décision fait grief peut l'attaquer devant la juridiction administrative compétente.
»
Ces moyens d'annulation peuvent être classés en deux catégories : les moyens
touchant la légalité externe et les moyens concernant la légalité interne.
1. L'irrégularité externe de l'acte administratif
Ces irrégularités sont celles qui peuvent affecter la compétence ou la forme de
l'acte administratif

27
1.1. L’incompétence
Définition : il y a incompétence lorsque l’auteur de l’acte n’avait pas pouvoir
légal de prendre cette décision, ce pouvoir étant dans les attributions d’une autre
autorité.
C'est l'irrégularité qui concerne l'auteur de l’acte ; elle peut se manifester de trois
façons : usurpation de pouvoir, incompétence à raison de la matière,
incompétence temporelle.

1.1.1. L’usurpation de pouvoir


L’usurpation de pouvoir consiste selon Laferrière « soit à usurper un droit de
décision quand on n’en possède aucun, soit à exercer une attribution étrangère à
l’autorité administrative en empiétant sur l’autorité législative, judiciaire ou
gouvernementale ». C'est la forme la plus grave d'incompétence. Cette
usurpation de fonction peut dans certains cas, mais non pas dans tous, entraîner
l’application de la théorie de l’inexistence ou celle de la voie de fait, ce qui fait
sortir l’acte du champ d’application du recours pour excès de pouvoir. La
théorie de l’usurpation de fonction n’a donc qu’un intérêt très relatif d’autant
plus qu’en cas de circonstances exceptionnelles ou lorsque joue la théorie du
fonctionnaire de fait, les soi-disant usurpations de fonctions peuvent même être
considérées comme légales.
le fonctionnaire de fait, un agent qui n'a jamais été nommé dans ses fonctions, ou
qui l'a été irrégulièrement, et qui prend des décisions ; le juge a imaginé la théorie
du fonctionnaire de fait pour remédier aux conséquences redoutables qui
auraient découlé de l'annulation de décisions qui ont toute l'apparence de la
régularité pour leurs destinataires ; dès lors que l'auteur des décisions présentait
toutes les apparences d'un fonctionnaire régulièrement nommé, ses décisions
seront maintenues.
Cette théorie qui n'a jamais eu l'occasion d'être mise en œuvre par le juge est
utilisée par le législateur en matière de comptabilité publique.
Exemple de l'article 16 du dahir du 21/4/1967 sur la comptabilité publique :
« Toute personne qui effectue sans titre des opérations de recettes, de dépenses
ou de mouvements de valeurs intéressant un organisme public est constitué
comptable de fait ; le comptable de fait est soumis aux mêmes obligations et
assume les mêmes responsabilités qu'un comptable public. »
Naturellement, tout ceci ne joue qu'en l'absence de circonstances
exceptionnelles.

28
Exemples : Le ministre n’est pas compétent pour apporter des limitations à la
liberté contractuelle qui relève du seul législateur (CE 27 avr. 1998, M.
Cornette de StCyr, AJDA 1998. 831. 835).
1.1.2. L’incompétence ratione materiae
Une autorité administrative a pris une décision dans une matière relevant d’une
autre autorité administrative (ex. : CE 16 juill. 1915, Abbé Convenhes, Lebon
235). C’est le cas en particulier lorsqu’une autorité subordonnée empiète sur les
pouvoirs de l’autorité supérieure ou de tutelle (ex. : empiètement commis par un
maire sur les attributions d’un ministre : CE 17 oct. 1952, Syndicat climatique
de Briançon, Lebon 445) à moins évidemment que les conditions de la
délégation de compétence ou de signature ne soient réunies
Mais très fréquemment l’autorité supérieure ou de tutelle a compétence légale
pour annuler ou réformer la décision de l’autorité inférieure ou sous tutelle (CE
30 juin 1950, Quéralt, Lebon 413). C’est le cas enfin lorsque l’empiètement est
commis par une autorité sur les attributions d’une autre autorité vis-à-vis de
laquelle elle n’a ni pouvoir hiérarchique, ni tutelle (ex : empiètement d’un
ministre sur les attributions d’un autre ministre).
Décision du Ministre du Travail réglant un conflit social alors que cela relevait
de la compétence d'une commission de conciliation : 30/4/1959 Fédération
nationale des syndicats de transporteurs routiers du Maroc, R. 47.
- Décision prise par deux ministres sous forme d'arrêté interministériel alors qu'il
fallait un décret : 18/3/1963, Sté coopérative d'Oujda, R.M.D. 1965, p. 95.
1.1.3. L’incompétence ratione temporis
Il s’agit ici d’hypothèses variées relatives au moment pendant lequel l’autorité
pouvait prendre la décision. Il se peut tout d’abord qu’une autorité ait pris une
décision en dehors des dates précises pendant lesquelles elle pouvait les prendre
(ex. : assemblées délibératives délibérant en dehors des sessions légales). Il y a
aussi incompétence ratione temporis lorsqu’une autorité administrative n’est pas
encore investie ou est déjà désinvestie, lorsqu’elle prend la décision (à
remarquer toutefois qu’un gouvernement démissionnaire peut expédier les
affaires courantes, mais non les affaires non courantes, CE 4 avr. 1952,
Syndicat régional quotidiens Algérie, RD publ. 1952. 1029). En revanche
lorsque des textes imposent à l’administration un délai pour prendre une
décision, le non-respect du délai n’entraîne pas en principe l’annulation de la
décision à moins que le texte ne soit très formel sur cette question (ex. : 26 mai
1965, Min. Construction c/ Épx Fau, Lebon 306).
1.1.4. Les conséquences de l’incompétence

29
L’incompétence est le vice le plus grave pouvant entacher une décision
administrative. L’incompétence constitue un moyen d’ordre public que le juge
doit en principe soulever d’office. En réalité il semble que le juge use très
largement ici de son pouvoir discrétionnaire. L’incompétence ne peut pas être
couverte par une ratification provenant de l’autorité compétente. Il y a une
hypothèse au moins dans laquelle l’incompétence de l’auteur de l’acte n’entraîne
pas annulation ; c’est le cas de compétence liée lorsque l’acte pris par l’autorité
incompétente devait être pris obligatoirement dans les termes mêmes où il a été
pris (CE 26 mai 1950, Dirat, Lebon 322). Il n’y aura pas non plus annulation
pour incompétence, lorsque le juge fait jouer la théorie du fonctionnaire de fait.
Particulièrement intéressant en matière d’incompétence ratione temporis et
d’application de la théorie du fonctionnaire de fait est l’arrêt Mtimet (CE, sect. ,
16 mai 2001, AJDA2001. 647). Le préfet de police Massoni avait été maintenu
dans ses fonctions au-delà de la « limite d’âge ». Cette décision était
incontestablement illégale. Le sieur Mtimet ayant attaqué une décision du préfet
de police pour « incompétence » (délégation de signature pour reconduite à la
frontière) ; le juge fait jouer la théorie de fonctionnaires de fait. « Considérant
cependant qu’un fonctionnaire nommé aux fonctions qu’il occupe doit être
considéré comme légalement investi de ces fonctions tant que sa nomination n’a
pas été annulée. »
1.2. Le vice de forme et de procédure
Il y a vice de forme lorsque l’administration a omis des formalités ou les a
accomplies de façon irrégulière.
1.2.1. Les cas de vice de forme et de procédure
L’importance des décisions administratives paraît justifier l’existence d’une
procédure minutieuse ; contrairement à ce qui existe dans certains pays (États-
Unis, Autriche) une telle procédure n’existe pas en France. Mais à défaut d’un
Code de procédure ou d’une loi générale de procédure administrative il existe
cependant des règles établies par des textes variées ou par la jurisprudence. Une
des règles essentielles établies par la jurisprudence est celle du parallélisme des
formes. Elle signifie que si des textes ont prévu des formes pour prendre une
décision, la décision modificative ou la décision inverse ne peut intervenir
qu’après l’accomplissement des mêmes formes. Mais cette règle ne joue que si
les raisons qui justifient l’existence de règles de formes pour prendre la décision
existent aussi lorsqu’il s’agit de la modifier ou de prendre la décision inverse
(ex. : la consultation obligatoire d’un organisme pour nommer le titulaire de
certaines fonctions n’implique pas que la révocation soit précédée des mêmes

30
formalités, CE 10 avr. 1959, Fourré Cormeray, Lebon 233). Cette exception ne
semble valoir que pour les actes individuels.
La Haute juridiction sanctionne aussi la violation du principe du parallélisme
des formes et des compétences :
« Attendu qu'en vertu des principes généraux, les textes législatifs ou
réglementaires ne peuvent être modifiés ou abrogés que par un texte de même
nature et de la part de la même autorité. » 5/7/1984, Sté immobilière Zimani
c/préfecture de Casablanca, Revue de la Magistrature, novembre 1987, p. 104.
Un acte ne peut ainsi être modifié qu'en suivant les mêmes formes que celles
qui ont été suivies pour son édiction : la révocation d'un agent nommé par
dahir est illégale si elle est prononcée par arrêté ministériel ; n° 94 du
30/5/1985, Ahmed Al Farkli (cette décision concerne d'ailleurs plus
l'incompétence que le vice de forme).
Par exemple, dans la procédure d'expropriation, il faut une enquête publique
avant d'aboutir à la déclaration d'utilité publique ; le projet de décision de
cessibilité doit, de la même manière, être public et ne peut devenir définitif
qu'à l'expiration d'un certain délai.
La mise en demeure prévue en cas d'abandon de poste doit non seulement
avoir été envoyée, mais doit aussi avoir été reçue : n° 26/7/1984, Abdelmalek
Ami, R.M.D. n° 13,1987, p. 141, note Benabdallah A.
1.2.1.1. Les principales règles de forme
Ces règles de forme sont en fait relativement rares.
a. La forme écrite
Dans certains cas précis les textes obligent l’administration à recourir par
exemple à la forme écrite pour ses décisions. Mais ces cas ne sont pas
nombreux. Aussi admeton que l’administration puisse donner les formes les
plus variées à ses actes à condition que l’objet soit bien déterminé ;
généralement l’administration procède elle-même à une forme écrite de l’acte –
même si elle n’en a pas l’obligation – elle donne à ses actes une forme
solennelle comportant des visas, des motifs, le dispositif, la signature, etc. Mais
l’omission de certaines indications, l’erreur dans les visas, l’oubli de la date
n’ont pas toujours une influence déterminante sur la légalité de l’acte. En
revanche, l’absence de contreseing ministériel (considéré comme une règle de
forme et non de compétence) est sévèrement sanctionnée par le Conseil d’État
(CE 21 févr. 1958, Féd. nat. des travailleurs du soussol, Lebon 122)
b. La motivation

31
Particulièrement important est le problème de la motivation des actes
administratifs. Il était de règle en droit administratif que l’administration n’était
pas obligée de motiver ses décisions. Cette règle fut très critiquée et souvent
considérée comme une prérogative injustifiée de l’administration. Ce n’était
que dans certaines hypothèses que l’administration devait motiver ses décisions :
soit lorsqu’un texte l’a prévu (ex. : arrêtés de police relatifs à la circulation pris
par les maires, C. communes, art. L. 1314), soit dans certaines rares hypothèses
où la jurisprudence a imposé une telle obligation à l’administration (ex. : CE 27
nov. 1970, Agence maritime Marseille Fret.
Le juge peut exiger que l'auteur de ta décision lui communique les motifs
de la décision afin d'en contrôler la régularité. C.S.A. 20/11/1986, Sté
marocaine de transport rural c/gouverneur de Fcs et 1/3/1990, Jamila Sadiki :
si l'auteur de l'acte ne communique pas ses motifs, le juge en déduit que
ceux-ci sont inavouables, et il annule
1.2.1.2. Les principales règles de procédure
Il s’agit ici d’irrégularités dans les procédures précédant ou suivant l’acte.
• À l’heure actuelle des textes imposent très fréquemment le recours à des
procédures consultatives avant de prendre les décisions. L’administration est
alors obligée de prendre l’avis (CE 9 mai 1980, Sté des Éts Cruse, AJDA 1980.
482 ; CE, ass. , 23 oct. 1998, UFFACFDT, RFDA 1998. 127, no 3), mais non
pas de le suivre. Ce n’est que dans des hypothèses exceptionnelles que
l’administration est tenue de suivre l’avis (avis « conforme »). En dehors des
cas où l’administration est obligée de procéder à une consultation, elle est
toujours libre de procéder volontairement à une consultation, mais elle ne peut
en aucun cas se sentir liée par l’avis qui a été émis. Cas de vice de procédure :
avis donné par une Commission dont les règles statutaires ont été annulées (CE
1er juill. 1983, Raveau, Lebon 288)
Le prononcé des sanctions disciplinaires les plus graves doit être précédé de
la saisine de la commission administrative paritaire dont le caractère paritaire
doit être scrupuleusement respecté : n° 195, 22/6/1973, Abdelmajid
Marrakchi.
1.2.2. Les conséquences des vices de forme et de procédure
L’existence d’un vice de forme ou de procédure entraîne en principe
l’annulation de la décision. Mais en réalité la jurisprudence du juge
administratif est-elle plus nuancée : voulant éviter un formalisme trop étroit, le
juge ne procède à l’annulation de la décision que si le vice de forme ou de

32
procédure revêt une importance telle qu’il a été de nature à exercer une influence
déterminante sur la décision qui a été prise.
• La jurisprudence traditionnelle
La jurisprudence fait donc une distinction entre formalités substantielles et
formalités non substantielles : le non-respect des premières entraîne l’annulation
de la décision, le non-respect des secondes ne l’entraîne pas. Mais la distinction
entre formalités substantielles et formalités non substantielles est extrêmement
subtile. En principe le juge considère comme substantielle toute formalité
imposée par un texte (ex. : éventuellement la forme écrite, la motivation, la
consultation préalable) ou par un principe général du droit (ex. : le respect des
droits de la défense): tel est le cas du principe des droits de la défense :
9/7/1959, Ahmed Ben Youssef, R. 62. La Cour annule si l’intéressé n'a pas
été complètement informé des griefs articulés contre lui, ou si on ne lui a pas
laissé un temps suffisant pour préparer sa défense : n° 24, 8/5/1970, Khadija
Bousekri Alami.
Inversement sont considérées comme non substantielles, les formalités relatives
à une décision que l’administration était tenue de prendre (compétence liée) ou
les formalités postérieures à l’intervention de la décision. Mais entre ces cas
extrêmes, se situe toute la zone des formalités qui selon le cas peuvent être
considérées comme substantielles ou non, selon les hypothèses dans lesquelles
on se place. En fait le juge administratif considère une formalité comme
substantielle lorsqu’elle a pu avoir une influence sur la décision qui a été prise.
Aussi bien une même formalité peut être considérée comme substantielle dans
une hypothèse et non pas dans une autre (ex. : dans certains cas la présence
d’une personne étrangère à une séance d’une commission consultée vicie la
procédure, dans d’autres hypothèses cette présence ne vicie pas la procédure :
CE 30 juill. 1959, Didier, Lebon 394). Le juge dispose donc en la matière d’un
très grand pouvoir d’appréciation.
En dehors des règles ci-dessus énoncées, on peut admettre que n’entraîne pas la
nullité, le non-accomplissement d’une formalité prévue dans le seul intérêt de
l’administration ou le cas où il a été impossible de respecter les formalités
prévues (CE 22 nov. 1918, Samuel, Lebon 1037 : non-respect des droits de la
défense alors que l’intéressé était parti sans laisser d’adresse) (il y a des
hésitations de la part du juge sur le caractère substantiel de l’exigence de la
mention du nom et du prénom de l’auteur de l’acte : CE 30 déc. 2009, Cne du
Cannet les Maures, AJDA 2010. 1488).

33
En général, les avis sont toujours considérés comme des formalités
substantielles, ce qui est logique, car dans le cas contraire, on peut penser que
l'Administration se dispenserait de cette formalité.
De même, les mises en demeure en matière d'exécution forcée ou s'agissant
de fonctionnaire coupable d'abandon de poste : 11/10/1984 ; Ait Mri
c/Ministre du Commerce, Revue des Affaires administratives n° 5, p. 95
Dans certaines hypothèses, le juge admet la couverture du vice de forme.
L’administration peut procéder tardivement à l’accomplissement de la formalité
lorsqu’il s’agit d’une simple omission matérielle ; de même, dans certaines rares
hypothèses, l’acquiescement des intéressés peut couvrir le vice de forme.
2. L'irrégularité interne de l'acte administratif
Elle peut atteindre les différents éléments de l'acte administratif : but, objet, motifs.
Il est donc normal que le contrôle du juge porte sur ces différents éléments :
La violation de la loi, le détournement de pouvoir, le détournement de la
procédure
2.1.La violation de la loi
La violation de la loi constitue le moyen le plus important d’annulation en
matière de recours pour excès de pouvoir. On dit qu’il y a violation de la loi
lorsque l’administration n’a pas respecté les règles relatives au contenu (objet)
de l’acte, et aux motifs de fait et de droit dont il procède.
Il y a violation directe de la règle le droit lorsque l’administration méconnaît une
règle de droit qu’elle aurait dû respecter. Il suffit que le juge établisse le texte
applicable et constate la non-conformité de l’acte attaqué au regard des
dispositions du texte ou des principes généraux du droit.
On sait d'ailleurs qu'en vertu de l'article 50 de la loi du 12 juillet 1991 les
juridictions peuvent vérifier la conformité des décrets à la constitution.
La Cour a censuré des décisions dont l'objet n'était pas conforme à la règle
de droit :
Elle annule des sanctions disciplinaires qui ne figurent pas sur la liste de
celles qui peuvent légalement être prononcées.
De même, elle annule le refus de réintégrer un agent alors que la loi permet
cette réintégration.
Elle annule une décision d'interdiction alors que la loi permet seulement
d'assortir l'autorisation d'un certain nombre de conditions.
La Cour estime qu'un décret ayant prévu certains avantages pour les
médecins de santé publique, le refus d'en faire bénéficier un médecin

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contractuel étranger constitue une discrimination contraire aux dispositions
du décret : Rino, n° 201 du 21/6/1990.
Il en est de même pour une décision de sanction non comprise dans la liste
légale : n° 104, Bougrine du 6/6/1985.
Est une violation de la loi le fait pour un ministre de nommer des chefs de
service ne remplissant pas les conditions statutaires, en refusant de procéder à
la nomination du requérant qui postulait en remplissant ces conditions : n°
59 Yahya Al Ayyadi, 20/2/1981.
Le tribunal administratif de Marrkech a jugé que l'administration, en
l'espèce le caïd, était radicalement incompétente pour déclarer la nullité
d'une association et, pour ce motif invoqué à tort, refuser de délivrer le
récépissé prévu par la loi.

2.2. Le détournement de pouvoir


On dit qu’il y a détournement de pouvoir lorsque l’autorité administrative a
utilisé volontairement ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils
avaient été conférés. Le détournement de pouvoir sanctionne donc « la moralité
administrative ».
L’acte apparemment semble légal, les compétences, les formes ont été
respectées, le contenu lui-même est légal, mais c’est le but, c’est-à-dire la
représentation psychologique du but à atteindre qui n’est pas conforme au but
que légalement l’administrateur devait rechercher en exerçant ses pouvoirs. Le
juge sera donc amené à s’attacher à l’esprit de la loi et non seulement à sa lettre,
il sera amené à pénétrer la psychologie de l’administrateur qui a pris la mesure.
2.2.1. Détournement de pouvoir pour un but étranger à l’intérêt général
L’administration a agi dans un but totalement étranger à l’intérêt général :
l’auteur de la décision n’a pas recherché un but d’intérêt public mais un but
personnel, confessionnel ou politique.
• Intérêt pécuniaire : interdiction à un propriétaire d’organiser un bal pour
supprimer la concurrence ainsi faite à un autre bal (CE 14 mars 1934,
Demoiselle Rault, Lebon 337).
• intérêt personnel : C'est celui auquel pense le plus souvent l'administré
mécontent. Le juge procède à une investigation qui est toujours difficile, car
le détournement de pouvoir concerne le mobile de l'auteur de l'acte, c'est-à-
dire un clément psychologique qui n'apparaît pas nécessairement de façon
objective.

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Dans l'arrêt Société balnéaire, la Cour constate que le retrait de l'autorisation
d'occuper le domaine public « n'a d'autre cause que la promesse faite à des
tiers en vue de les autoriser à occuper le même emplacement du domaine
public maritime », ce qui n'avait rien à voir avec les exigences de la police et
de la conservation du domaine qui sont le but des mesures de ce type prévues
par le dahir de 1918.
De même dans l'arrêt 10/7/1986, Abdelaziz Belkhor, R.M.D. n° 12, p. 119.
Est irrégulière une mutation dans l'intérêt du service qui est en réalité une
sanction déguisée prise pour satisfaire un syndicat.
D'autres décisions de même nature ont censuré des mutations dans l'intérêt
du service qui apparaissent en fait comme poursuivant un autre but : CSA
18/3/1993, Kasrï, REMALD, n° 9, 1994, p. 67 et TA de Meknès, 22/6/1995,
Maria Tahm, REMALD,n° 12, 1995, p. 71 note MABcn abdallah
• Un intérêt général mais différent de celui que permet d'atteindre l'acte :
Le pouvoir de police existe dans le but de maintenir ou de rétablir l'ordre
public ; son utilisation dans le but de résoudre un conflit familial constitue
un détournement de pouvoir ; 26 mai I960, Lahcen Ben Abdelmalek
Soussi, R. 105. Il s'agissait d'une décision de fermeture de café prise par le
caïd de Khémisset.
Un cas très voisin se présente dans l'affaire jugée par la Cour suprême (CSA
14 janvier 1988. RMD, 1988, p. 105) où la suspension des travaux de
construction avait été ordonnée par le président d'un conseil communal non pas
pour infraction aux règles d'urbanisme, mais en raison d'une contestation
privée sur la propriété du terrain : en l'espèce il y avait également absence de
motif de droit.
En France, un maire avait interdit la circulation sur une voirie communale
pendant les mois d'hiver afin d'éviter les frais d'entretien pesant sur le budget
communal !
2.3. Le détournement de procédure
Utilisation par l’administration d’une procédure autre que celle prévue par la loi
(CE 26 nov. 1875, Pariset, Lebon 939). L’administration utilise une procédure
autre que celle à laquelle elle devrait recourir normalement afin d’éviter la
procédure normalement applicable mais qui se révèle plus longue, plus difficile
à appliquer et plus aléatoire. Exemples : Emploi de la réquisition dans un but de
police administrative pour limiter la liberté des personnes (CE 3 févr. 1956,
Keddar, Lebon 46). L’expropriation d’utilité publique est détournée de sa

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finalité lorsqu’elle sert des intérêts purement privés (CE 4 mars 1964, Dame
veuve Borderie, Lebon 157 ; but d’installer un cercle hippique privé).
La sanction prononcée par le gouverneur de Fès pour hausse illicite des prix
est illégale parce que la décision se fonde sur le texte relatif à la répression des
fraudes ; la Cour annule parce que ces deux textes organisent des procédures
de répression différentes, notamment au point de vue des garanties données
aux intéressés (expertise, droits de la défense) (C.S.A. 30/1/1970, Mohamed
Fraj, R. 1966/1970, p. 21 4 ) .
Le juge constate le détournement de procédure réalise par un gouverneur
qui se fonde sur ses pouvoirs de police judiciaire en matière d'atteinte à la
sécurité de l'Etat pour procéder à la saisie d'un journal alors qu'il aurait dû, en
l'espèce, utiliser les pouvoirs de police administrative, car il n'y avait aucune
atteinte à la sécurité de l'Etat. Mais l'utilisation des pouvoirs de police
administrative supposait qu'il y ait menace grave à l'ordre public et urgence, à
défaut de quoi l'a saisie aurait constitué une voie de fait.( Sté Frampar,
24/6/1960, p. 585).
E. Les pouvoirs du juge
Le juge saisi du recours n'a qu'un seul pouvoir, mais il est d'importance
puisqu'il peut annuler la décision exécutoire.
Cette annulation peut être totale ou seulement partielle en fonction de la
demande mais aussi de la nature et de l'ampleur de l'illégalité.
Le juge peut aussi rejeter le recours. Il faut donc examiner en détail les effets
de l'arrêt puis les conditions de son exécution.
1. Les effets de l'arrêt
II faut distinguer l'arrêt de rejet de l'arrêt d'annulation. L'arrêt de rejet n'a
qu'une autorité relative de chose jugée 1 et ne vaut qu'à l'égard du requérant ;
ceci est logique : en effet, qu'il s'agisse d'un rejet pour irrecevabilité ou d'un
rejet au fond, le rejet peut ne s'expliquer que par des raisons liées à la
personne du requérant ou à l'argumentation non pertinente qu'il a utilisée ; un
autre requérant pourra parfaitement être recevable et obtenir satisfaction par
une meilleure argumentation : on sait en effet que le juge ne statue pas au-
delà de la demande.

1
L'autorité relative de la chose jugée est une autorité à l'égard des parties : le jugement ou l'arrêt rendu par la
juridiction ne s'impose qu'aux parties au procès. Il ne s'impose pas aux tiers.
En vertu de l'autorité relative de la chose jugée, une personne qui intente un procès et le perd n'a pas le droit
d'intenter de nouveau le même procès contre la même personne en espérant que, cette fois, elle gagnera. Si elle le
faisait, sa demande serait rejetée et peut-être même jugée abusive.

37
Le rejet du recours laisse cependant intacte la possibilité d ' u t i l i s e r
éventuellement l'exception d'illégalité. 2
Enfin, la tierce opposition3 n'est pas recevable car le requérant éventuel peut
toujours utiliser le recours principal contre la décision : C.S.A. 20/7/1964 : Sté
huilière annexe : l'arrêt de rejet ne peut préjudicier à aucun droit appartenant à
des tiers.
Qu'en est-il maintenant de l'arrêt d'annulation ?
Ceci soulève deux questions : l'effet de l'arrêt pour le passé et l'autorité
absolue de chose jugée 4.
1.1. L'effet rétroactif de l'arrêt d'annulation
L'acte administratif annulé est sensé n'avoir jamais existé ; il s'agit certes
d'une fiction, mais d'une fiction qui entraîne d'importantes conséquences.
L'administration doit remettre les choses dans l'état initial comme si l'acte
n'avait jamais été pris.
Mais il faut naturellement distinguer le cas où l'acte portait atteinte à une
situation acquise : ce sera le cas pour une sanction disciplinaire, pour le
retrait de l'autorisation d'occuper le domaine public, la décision de fermeture
d'un établissement commercial, la décision d'interruption des travaux de
construction entrepris sur la base d'un permis de construire, etc.
L'administration doit dans tous ces cas remettre les choses en l'état initial
c'est-à-dire avant l'intervention de la décision annulée.
1.2. L'autorité absolue de chose jugée
On dit que l'arrêt d'annulation a effet à l'égard de tous. Cependant, le
législateur a prévu deux possibilités pour que les tiers puissent faire entendre
leur voix lorsque leurs intérêts risquent d'être mis en cause par la décision.

2
L'exception d'illégalité est le moyen de défense par lequel l'une des parties demande au juge, en cours
d'instance, de constater l'illégalité de l'acte administratif ou du texte de droit sur lequel se fonde l'autre partie, en
alléguant que celui-ci n'est pas conforme à une règle qui lui est hiérarchiquement supérieure.
3
Si des personnes n'ont pas été parties à la procédure ou qu'elles n'y ont pas été représentées, alors qu'elles
avaient intérêt à y défendre leurs droits, elles peuvent alors faire à nouveau juger les dispositions du jugement
qui leur font grief en introduisant une procédure dite " tierce-opposition ". Sont irrecevables à former tierce
opposition les personnes qui ont été représentées à l'instance et ceux qui sont recevables à former un recours ou
un appel
4
L'autorité absolue de la chose jugée est une autorité à l'égard des parties et des tiers : le jugement ou l'arrêt
rendu par la juridiction s'impose à tout le monde : les parties au procès (c'est-à-dire les adversaires qui
s'opposent), mais aussi les tiers.
L'autorité absolue de la chose jugée ne concerne que certaines décisions de justice.
Exemple : quand le juge administratif annule un acte administratif pour excès de pouvoir, cette annulation a
autorité absolue de la chose jugée. L'acte administratif déclaré illégal par le juge administratif ne peut pas
s'appliquer légalement à qui que ce soit.

38
Il existe un moyen préventif : l'intervention qui est prévue par le C.P.C.,
article 377 devant la Cour suprême.
« Peuvent intervenir devant la Cour suprême à l'appui des prétentions de
l’une des parties en cause toutes personnes qui ont, la solution du litige, des
intérêts indivisibles de ceux du demandeur ou du défendeur. »
Mais si le tiers n'a pas utilisé cette possibilité, il pourra, une fois l'arrêt rendu,
utiliser la tierce opposition : article 379 du C.P.C. Cependant, les conditions sont
plus restrictives.
Il faut en effet que le demandeur justifie de la possession d'un droit, et pas seulement
d'un intérêt, auquel la décision préjudicie.
Il faut en outre qu'il n'ait été ni présent, ni représenté à l'instance principale, ce qui
est logique : C.S.A. 8/6/1964, Benhaimc/Président du conseil, R.A.C.A.M.
1964, p. 451 : Les membres d'une société coopérative sont irrecevables dans leur
tierce opposition contre un arrêt rendu sur recours intenté par la société coopérative
à laquelle ils appartiennent. La loi de 1991 ne fait pas allusion à la tierce
opposition ; mais on sait qu'elle décide que le C.P.C. s'applique devant les
tribunaux administratifs sauf dispositions contraires.
2. L'exécution de l'arrêt
On sait que le juge de l'excès de pouvoir ne dispose que du pouvoir d'annuler
l'acte irrégulier. La règle de séparation du juge et de l'autorité administrative lui
interdit de substituer une décision régulière à celle qu'il a annulée et qu'il ne peut
pas adresser d'injonctions à l'administration.
Il ne peut que renvoyer le requérant devant l'autorité administrative
compétente pour que celle-ci tire les conséquences de la décision
juridictionnelle.
Parfois, il n'y a aucune difficulté parce que l'annulation entraîne à elle seule tous les
effets nécessaires. Par exemple, l'annulation d’un règlement ; par ailleurs, si
l'annulation est prononcée pour vice de forme ou incompétence, l'autorité
administrative n'éprouvera aucune difficulté à refaire son acte en respectant cette
fois les règles qu'elle avait méconnues.
Le problème peut en revanche être plus délicat si l'administration doit faire un acte
contraire à l'acte annulé : réintégrer l'agent révoqué, maintenir l'autorisation
d'occupation du domaine public lorsque le retrait de cette autorisation a été
annulé, reconstituer la carrière de l'agent sanctionné : Mallie, 18/7/1963, R. 183 ;
dans ce cas, le juge se reconnaît le droit de vérifier que la reconstitution a bien eu
pour effet de replacer l'agent dans la situation qui aurait été la sienne s'il n'avait pas
fait l'objet de la sanction irrégulière.

39
Mais comme la rétroactivité est une fiction, il peut se faire que la remise des choses
en l'état se heurte à une réelle impossibilité.
Lorsque le cas se présente, la seule issue peut être une validation législative5de la
décision annulée ; le cas l'annulation du concours de l'Ecole nationale de la
magistrature
Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de dire que la validation
législative ne pouvait être justifiée que par l'intérêt général et par les
nécessites du bon fonctionnement du service public.
Mais le vrai problème qui peut se poser est celui qui résulte de la mauvaise
foi de l'administration.
La Cour suprême ne manque pas de le dénoncer en des termes sans équivoque
:
« La méconnaissance par l'administration des jugements passés en force de
chose jugée constitue, sauf circonstances exceptionnelles, une violation des
lois fondamentales d'organisation et de procédure judiciaire dont l'ordre
public impose le respect... » Aboukacem Alaoui, 1967.
Le refus d'exécuter est naturellement une faute de nature à engager la
responsabilité de l'administration : C.A. Rabat, 2/3/1965, G.T.M. 1965 p. 74 :
« Le refus d'exécution, ou même le retard d'exécution, constitue une faute de
nature à engager la responsabilité de l'Etat. »
Il n'existe naturellement pas de procédure d'exécution forcée à l'encontre
des personnes publiques ; mais la Cour d'appel insiste sur le fait que ce
privilège est compensé par « un devoir juridique d'exécuter sans réserve ni
restriction ».
En France un mécanisme a été mis en place qui permet d'obtenir la
condamnation de l'administration à exécuter sous astreinte. Par ailleurs, le
juge peut, depuis une loi de 1995, adresser des injonctions à l'administration
d'avoir à prendre les mesures nécessaires pour donner plein et entier effet aux
décisions de justice.
On pourrait aussi imaginer des mécanismes automatiques de sanction
disciplinaire à rencontre des responsables de l'inexécution, voire la mise en
cause de leur responsabilité personnelle pour faute lourde dans l'exercice de
leurs fonctions

5La validation législative est le procédé par lequel le législateur valide rétroactivement un acte administratif
annulable (qui peut être annulé) par le juge administratif avant un recours pour excès de pouvoir. La validation
législative permet donc de « sauver » l'acte annulé.

40
II. Autres contentieux

Les autres contentieux sont importants et divers mais ne seront qu’assez


brièvement évoqués dans le cadre de cet ouvrage : le recours de pleine
juridiction, les contentieux déclaratifs, le contentieux de la répression, etc.
1. Le contentieux de pleine juridiction
Le contentieux de pleine juridiction est celui où le requérant demande au juge
d’utiliser l’ensemble des pouvoirs juridictionnels et même de prononcer des
condamnations. Ce recours peut être intenté directement dès lors que l'atteinte
au droit est réalisée. Il n ' y a aucune obligation de se tourner vers
l'administration pour provoquer une décision de sa part.
Mais il est clair que la victime a tout intérêt à le faire. L'administration peut
parfaitement reconnaître ses torts, et c'est ce qu'elle fera le plus souvent dès
lors que ceux-ci seront évidents.
La victime peut donc obtenir satisfaction sans avoir à assumer les difficultés
et les frais d'un procès. Ce n'est que si l'administration refuse totalement ou
partiellement de lui donner satisfaction que la victime devra agir en justice.
Cette exigence de la décision administrative préalable existe dans certains
contentieux particuliers, par exemple le contentieux fiscal ; le contribuable
doit s'adresser avant tout recours au juge à des commissions administratives.
De même dans le contentieux des marchés de travaux publics, le
cocontractant a l'obligation de s'adresser avant tout recours juridictionnel à
l'ingénieur en chef et, en cas de désaccord persistant, au ministre des Travaux
publics (articles 50-51 du cahier des charges des marchés de travaux). Ces
recours sont très utiles dans la mesure où ils permettent le règlement amiable des
litiges.
Dans le contentieux de pleine juridiction, ce qui est en cause ce n'est qu'une
somme d'argent dans la plupart des cas, que la cause du litige se trouve dans
la violation d'un contrat ou dans un préjudice causé par tout acte de
l'administration, toute activité ou tout acte matériel ou juridique.
La définition de l'intérêt à agir peut ainsi être plus ou moins large, et, par
voie de conséquence, le recours plus ou moins largement ouvert.
Le contentieux de pleine juridiction se compose de :
* Le contentieux relatif aux contrats administratif et la responsabilité
administrative
• Le contentieux de l’expropriation.
• Le contentieux fiscal.

41
• Le contentieux des pensions.
• Le contentieux des élections
On ne fera donc que rappeler certains éléments particulièrement importants et
spécifiques du contentieux de pleine juridiction.
• La recevabilité obéit à des conditions spéciales : exigence d’une décision
préalable, problèmes spécifiques en matière de délai.
• II s'agit d'un recours de pleine juridiction, ce qui signifie que le juge a des
pouvoirs étendus qui lui permettent d'apprécier l'existence du dommage, son
imputabilité compte tenu du comportement de la victime, des tiers et de
l'administration ; le juge peut également tenir compte des circonstances, de la
nature des activités en cause, etc.
• Le recours déclaré recevable, le juge devra s’interroger sur le fait de savoir s’il
est fondé : il sera amené à contrôler si le droit subjectif a été effectivement violé,
alors qu’en matière de recours en annulation il s’en tiendra à l’analyse des
éléments objectifs (ex. : en matière contractuelle ou en matière de responsabilité,
l’absence de préjudice exonérera l’administration même si elle a commis des
fautes).
• Le recours en annulation est largement ouvert parce que le juge exige
seulement du requérant la preuve qu'il possède un simple intérêt à agir, alors
que dans le contentieux de pleine juridiction, le juge exige du requérant qu'il
possède un droit lésé : droit lié à un contrat, droit de propriété, droit à
l'intégrité physique, etc.

• Les pouvoirs du juge sont ici particulièrement importants : en matière de


responsabilité, le juge peut condamner l’administration au versement d’une
indemnité ; en matière de contrats, aussi bien les parties privées que
l’administration peuvent être condamnées à verser une indemnité en cas de
violations d’obligations contractuelles. En matière de contrats, le juge dispose
éventuellement de certains autres pouvoirs (dans certains cas, il peut prononcer
la résiliation du contrat, infliger des sanctions au contractant) mais en principe,
le juge ne peut pas, pas plus dans le contentieux de pleine juridiction que dans
celui de l’annulation, substituer sa décision à celle de l’administration ou donner
des injonctions à l’administration.
• La responsabilité des collectivités publiques est fondée sur un texte général qui en
pose le principe et c'est le juge qui a mis en œuvre ce principe qui découle des
articles 79 et 80 du DOC.

42
Toutefois, dans certains cas, cette responsabilité découle de textes particuliers
; ainsi en est-il en ce qui concerne la responsabilité du service public de l'éducation
nationale pour les dommages subis ou causés par les enfants placés sous la
responsabilité des maîtres ; il en est de même de la responsabilité des collectivités
publiques à l'égard de leurs agents.
On doit aussi signaler, pour s'en étonner, la persistance d'un texte qui exclut en
pratique la responsabilité de l'Etat pour les dommages causés par une catégorie
d'agents publics qui assurent le fonctionnement d'un service public essentiel : les
conservateurs de la propriété foncière.
En effet, l'article 97 du dahir du 12 août 1913 sur l'immatriculation des immeubles,
prescrit la responsabilité personnelle du conservateur pour toutes les fautes
professionnelles qu'il peut commettre dans l'exercice de ses fonctions ; la victime
doit donc d'abord le poursuivre devant la juridiction ordinaire et ce n'est qu'en cas
d'insolvabilité qu'elle pourra rechercher l'indemnisation de son préjudice par une
action dirigée contre l'Etat dont la responsabilité pour mauvais fonctionnement du
service public n'est plus dès lors que subsidiaire
Il convient de ne pas oublier que si le service public est géré dans les conditions
du droit privé (S.P.I.C), sa responsabilité sera engagée sur la base du droit commun
(articles 78 et 88 du DOC).
2. Contentieux de l’appréciation de la légalité
Pour comprendre la portée de cette loi, il faut naturellement garder présent à
l'esprit le fait qu'elle a transféré aux tribunaux administratifs de très
importantes compétences dans des domaines du contentieux où se posait
précisément la question de l'appréciation de la légalité des actes
administratifs, question qui avait conduit la Cour suprême à adopter la
jurisprudence Borromet.
Le transfert de compétence a donc fait disparaître le problème de
l'appréciation de légalité des actes administratives dans tous les recours
correspondants qui relèvent désormais des tribunaux administratifs.
Cette loi comporte deux innovations complémentaires :
L'article 44 élargit considérablement le champ de l'appréciation de légalité
; mais il faut distinguer selon que la question se pose devant le juge civil ou
commercial ou devant le juge répressif.
2.1. Le juge statuant en matière civile ou commerciale doit surseoir à
statuer s'il se trouve devant une difficulté sérieuse en ce qui concerne la
légalité des actes administratifs qu'il doit appliquer et renvoyer la question

43
préjudicielle au tribunal administratif ou à la Cour cassation selon le cas ; la
juridiction est saisie de plein droit de la question préjudicielle.
Aucun délai n'est fixé pour le jugement de cette question ; mais on peut
estimer que la juridiction de renvoi devra statuer rapidement afin de ne pas
retarder outre mesure la solution de l'affaire portée devant le juge ordinaire.
2.2. Le juge répressif
L'article 44 de la loi pose le principe de la plénitude de juridiction du juge
répressif pour apprécier la légalité de tous les actes administratifs, qu'ils soient
invoqués comme moyens de poursuite ou comme moyens de défense.
Quant au juge non répressif, il peut seulement interpréter les actes
administratifs réglementaires ; pour l'appréciation de la légalité et
l'interprétation des actes individuels, il doit surseoir à statuer et renvoyer les
parties devant le juge administratif

44

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