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La langue et l'intégration
des immigrants
L'HARMATTAN
Ouvrages des mêmes auteurs:
@ L'HARMATTAN, 2007
James Archibald
Université McGill
Jean-Louis Chiss
Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle (DILTEC)
Langue(s) et immigration(s)
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(vieillissement de la population) et le travail clandestin, sur les
politiques de regroupement familial et le cas des demandeurs d'asile,
sur les alternatives entre régularisations plus ou moins massives et
retour dans les pays d'origine, sur les « modèles» qu'une rhétorique
antagonise nécessairement: immigration familiale vs immigration de
travail, immigration « subie» vs immigration « choisie». La référence
aux conceptions et pratiques d'autres pays alimente stratégiquement
les discussions: système de points à la canadienne, approche par les
quotas à l' américaine (États-Unis). ..
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l'expérience hexagonale. Cet état à majorité francophone où se
marient traditions françaises et britanniques fait partie du Canada, un
état fédéral à majorité anglophone. Officiellement bilingue, sis en
Amérique du Nord, ce grand pays compose tous les jours avec
l'influence omniprésente de la culture américaine et de la langue
anglo-américaine. Contre vents et marées, le Québec a réussi à
maintenir son identité francophone depuis le premier établissement
des colons venus de France au XVIe siècle jusqu'au XXIe siècle,
époque où une nouvelle société culturellement et linguistiquement
plurielle se modernise à pas de géant en français, mais dans le respect
parfois difficile d'une diversité qui ne cesse de se renouveler. Le
visage du Québec d'antan n'est certes plus celui que l'on voit
aujourd'hui ni dans les rues de Montréal ni dans celles des villes et
villages du Bas-Saint- Laurent.
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Typique d'un état faisant partie d'une confédération, le Québec
partage certaines compétences avec le gouvernement central. Deux
champs juridictionnels sont des clefs de voûte relativement à la
question d'intégration: l'immigration et la politique linguistique.
C'est une des caractéristiques uniques de la situation politique du
Québec, car ses pratiques d'immigration «choisie» et de langue
officielle permettent de cibler des populations immigrantes en vue de
leur intégration sociolinguistique éventuelle dans la vie de cette
société. Le Québec veille constamment à l'équilibre démographique et
linguistique du pays et gère les flux migratoires et l'intégration
linguistique des migrants, ce qui ne passe pas sans déranger de temps
en temps. Cependant, le principe directeur de la gestion de la
glottopolitique québécoise est le reflet d'une notion partagée de
citoyenneté responsable, car tout néo-Québécois se doit de respecter
les valeurs communes d'un Québec pluriel tout en assumant la
responsabilité de maîtriser la langue commune si bien que la langue
elle-même constitue enfin l'une des valeurs communes de la société
québécoise. Cette éthique collective se traduit dans les pratiques
d'intégration scolaire -l'école joue un rôle clef d'intégrateur - et dans
la reconnaissance du statut des professionnels par l'État - la
connaissance de la langue officielle et commune est en effet une
compétence professionnelle. Ces politiques se reflètent dans les lois de
l'État québécois: la Charte de la langue française et le Code des
professions pour ne mentionner que ces deux. Et l'administration
publique a veillé à ce que ces lois soient respectées par la mise sur
pied d'organismes paraétatiques dont l'Office québécois de la langue
française (OQLF) et l'Office des professions du Québec (OPQ), par
exemple. Par ailleurs, un ministère fut créé de façon à promouvoir le «
mieux vivre ensemble» de tous les Québécois quelles que soient leurs
origines: le ministère de l'Immigration et des Communautés
culturelles (MICC).
Il
En conclusion, la gestion volontariste d'une immigration
« choisie» et responsabilisée se traduit dans une politique
d'intégration linguistique qui est le reflet de toute une société.
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Mise en situation
James Archibald
Université McGill
La langue choyenne
Droits et obligations linguistiques des migrants en France et au
Canada
La citoyenneté
1
Le droit canadien, suivant les principes du bilinguisme fédéral utilise comme
équivalents anglais les termes citizen et citizenship. Le terme citizen se distingue
également du terme subject que l'on retrouve dans les textes britanniques.
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conséquent, lorsque nous parlons d'une « approche citoyenne» de la
langue ou de la «langue citoyenne» elle-même, nous évoquons
nécessairement une personne qui s'implique, s'engage et participe. Par
voie de conséquence, la «langue citoyenne» est une langue
« habilitante» qui devient l'outil utilisé pour favoriser l'implication
personnelle et organisationnelle, l'engagement sociopolitique et la
participation de la personne à la gouvemance de la société au sens
large.
Les enjeux
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assimilables risqueront de former des sous-groupes linguistiques et
socioculturels, de se marginaliser et même de précariser une culture
d'accueil qui se veut rassembleuse. Par contre, la mixité des
populations peut enrichir le pays d'accueil, la culture d'accueil et sa
langue en apportant du nouveau. On n'a qu'à évoquer l'évolution des
langues et des cultures dans des sociétés où deux ou plusieurs
traditions linguistiques et culturelles se côtoient. L'argot français ne
serait pas ce qu'il est aujourd'hui sans le riche apport des immigrants
venus du Maghreb, et l'anglais n'aurait jamais atteint sa richesse
lexicale sans l'apport des Normands après la conquête de 1066.
2 Voir à cet effet l'exemple de la communauté turque en France cité dans Archibald,
J. « Immigrant Integration: The Ongoing Process ofReform in France and Québec ».
Language Policy: Lessonsfrom Global Models. Steven J. Baker, dire Monterey:
Monterey Institute ofIntemational Studies, 2002, 30-58.
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De nos jours, nous sommes de plus en plus confrontés à une
situation socioculturelle et linguistique en évolution. La langue d'hier
n'est plus celle d'aujourd'hui. En plus, la culture d'hier se fait
remplacer progressivement par une culture mixte sous l'effet du
mouvement des populations et de la mondialisation. On constate par
conséquent qu'une pérennité socioculturelle et linguistique statique
n'est pas un objectif réalisable ni du côté du migrant ni du côté de la
nation d'accueil. Les peuples cherchent normalement à se doter d'une
langue et d'une culture relativement pérenne, mais la donne des
migrations nous oblige aujourd'hui à repenser ce paradigme de
stabilité, voire même le mythe de la permanence. Tout change; tout
évolue, mais une «approche citoyenne» de la langue devrait nous
permettre de gérer avec intelligence ce changement dans le meilleur
intérêt de tous les intervenants: et les personnes physiques et les
personnes morales dans tous les secteurs de la société.
Le cadre
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premiers objectifs de l'immigration québécoise consiste à favoriser la
sélection d'immigrants potentiels qui ont au préalable une
connaissance du français ou qui sont estimés par les autorités
québécoises être francophiles, francisables ou « francophonisables ».
Cet aspect de la politique d'immigration est d'autant plus important
que le taux de natalité de ce que certains historiens ont appelé les
« naturels Français» est en deçà du taux de remplacement et que le
poids démographique des francophones canadiens - et par voie de
conséquence du Québec - est en régression dans la fédération
canadienne. Or il ne s'agit pas simplement d'une «approche
citoyenne» ; il s'agit plutôt d'une raison d'État.
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comme le moyen privilégié pour le migrant ou l'immigrant de
participer activement à la vie nationale. Sans une connaissance de la
langue nationale (officielle), le primo-arrivant, le nouvel arrivant ou le
naturalisé s'isole, se marginalise et ne participe par conséquent pas à
la vie de la société d'accueil.
C'est dans cet esprit, qu'il faut essayer de cerner les milieux où
s'exerce la citoyenneté.
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l'arrondissement, du conseil scolaire, etc. Il est par ailleurs question
de permettre aux citoyens de la Communauté européenne de participer
aux élections locales dans leur pays de résidence dont ils ne possèdent
pas la nationalité. Par contre, l'immigrant qui n'a pas encore été
naturalisé au Canada n'a en aucun cas le droit de vote. Il faut dire que
la participation éventuelle du migrant à la vie politique de sa région ou
ville de résidence relève de 1'« approche citoyenne », mais pour
participer à bon escient, il faut aussi évoquer une maîtrise appropriée
de la « langue citoyenne ».
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meilleure intégration des étudiants non francophones dans les
établissements d'enseignement supérieur? La maîtrise de la « langue
citoyenne» assure une meilleure participation du migrant à
l'éducation nationale et une plus grande efficience du réseau éducatif
dans son ensemble. Cela explique les raisons pour lesquelles et l'État
et le milieu associatif investissent dans l'acquisition de la langue
commune, la langue d'enseignement et la langue de l'École au sens
large du terme. Le Québec se félicite ainsi de ses mesures, car elles
expliquent en grande partie les transferts linguistiques qui s'opèrent
par rapport à la langue d'usage dans les foyers des familles
immigrantes. C'est l'un des succès reconnus d'une glottopolitique qui
a inspiré les mesures éducatives découlant de la mise en application de
la Charte de la langue française.
3
Voir à cet effet: Borzeix, Annie et Fraenkel, Béatrice, dir. Langage et travail -
Communication, cognition, action. Paris: CNRS Éditions, 2001 ; Chevrier, Sylvie.
Le management des équipes interculturelles. Paris: Presses Universitaires de
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citoyenne» ne peut passer sous silence le milieu du travail et sa
puissance intégratrice. Faute d'intégrer et faute d'une «approche
citoyenne» le milieu du travail risque de souffrir dans son ensemble
des effets pervers de cette grande liberté sociolinguistique qui semble
caractériser de nos jours un milieu de travail mondialisé qui perd peu à
peu sa spécificité linguistique, culturelle et nationale. Une nouvelle
identité internationalisée s'installe à pas feutrés, et les instances des
gouvernements et de la société civile devront ménager des tendances
souvent contradictoires dans l'espr it d'une « approche citoyenne» qui
protège à la fois les droits individuels et collectifs. Pensons, par
exemple au nouveau droit à l'apprentissage de la langue française
conçu dans l'intérêt du migrant et de la société4.
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Québec 7. Que ce soit en France ou au Québec on peut douter de la
responsabilité des journalistes qui ne s'abreuvent pas à la source de la
« langue citoyenne », car leur sens de déontologie professionnelle ne
reflète pas cette «approche citoyenne» face à la langue. Par leur
manque de rigueur, le modèle linguistique s'écarte peu à peu de la
langue normative de la nation et présente un réel danger sur les plans
sémantique et cognitif.
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au Musée des Beaux-Arts ont ceci en commun: le langage créé pour
décrire ces réalités consistera en l'outil cognitif et sémantique que les
citoyens utiliseront pour apprivoiser cette réalité et pour ensuite
articuler et véhiculer leur propre pensée. Si ce langage ne relève pas
de la « langue citoyenne », il risque d'avoir un effet désintégrateur au
lieu de promouvoir l'intégration, la cohésion et la participation à la vie
culturelle par tous les utilisateurs de la langue commune. C'est dire
que la portée de la « langue citoyenne» est très considérable.
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« hypercentrale ». Cette tendance risque de se renforcer à l'avenir
compte tenu de l'élargissement du groupe de pays membres dont la
langue administrative commune tend à être la langue « hypercentrale »
et du recul marqué de certaines langues comme langues étrangères
enseignées dans le système scolaire des pays membres. Cette
monoculture linguistique en devenir des organisations internationales
constitue une menace réelle qui amoindrira sans doute le rayonnement
de grandes langues internationales comme le français et l'espagnol si
bien que les obligations linguistiques finiront par ne plus se faire
respecter en règle générale et que le respect des droits des travailleurs
migrants de langues autres que l'anglo-américain ne sera plus que
purement théorique dans la pratique quotidienne.
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« langue citoyenne» dans les milieux de travail virtuel. On verra sortir
de ce processus un nouveau sens des obligations et des droits
linguistiques et culturels des travailleurs qui évolueront dans le
cyberespace qu'ils proviennent de pays développés ou de pays en
développement. Ceux qui participent à ce processus auront intérêt à
s'inspirer de l' « approche citoyenne ».
L'approche citoyenne
8 Gray, Chris Hables. Cyborg Citizen, pp 26-29. New York: Routledge, 2002.
9 Parmi ces droits, on peut citer: la liberté d'expression électronique, le droit à
l'égalité, le droit à l'accès à l'information. Tous ces droits et libertés ont un volet
culturel et linguistique dans le monde virtuel et feront l'objet de plusieurs débats
dans le cadre des négociations menant à la déclaration de Tunis en 2005.
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