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DE LA
CONDITION HUMAINE
Christine MARSAN
1999 - 2000
1
A Nicolas, pour m’avoir éclairé sur la différence.
A mes grands-parents, pour m’avoir ouvert les yeux sur la
souffrance.
A mes parents pour m’avoir permis d’être et de comprendre ce que
veut dire aimer.
Remerciements :
Je tiens également à remercier tous les amis qui ont bien voulu
donner de leur temps pour lire cet essai et lui apporter les
commentaires et suggestions nécessaires : mon père qui a su
prendre la patience de lire, Carole, sans qui rien n’aurait pu se
faire, Christine, Gérard, Michèle et les autres…
2
3
4
Du KOSOVO à la
TCHETCHENIE
ou le sens du mal revisité.
5
6
INTRODUCTION
8
Pourtant à ce jour, aucune guerre n’était déclarée et les attaques de
l’OTAN n’avaient pas eu lieu1.
1
Cet essai ayant été commencé fin février et terminé fin décembre, les
commentaires de même que les illustrations de la réalité suivent le cours
de l’actualité. Ce qui place l’ouvrage en amont de la guerre du Kosovo,
pendant et après.
2
Emission : le singe et l’homme. Arte 1999. Exemple également cité dans
l’ouvrage La culture est-elle naturelle ?
3
En référence au dogme chrétien.
4
En référence au cartésianisme.
9
l’anonymat et du silence. Un silence sans nul doute involontaire, en
tous cas pour beaucoup, mais sûrement inconscient comme si nous
avions pu être aseptisés, anesthésiés, déshumanisés par la menace
directe de la mort.
Il est donc facile, rétrospectivement, utilisant le recul des années, la
distance de l’événement fini et le confort de notre quotidien, de
condamner et de trouver inadmissible ou incroyable, que les uns et
les autres n’aient pas réagi plus tôt.
Et nous, dans ces conditions, qu’aurions-nous fait ?
***
***
Tout en écrivant cet essai, je parcours plusieurs ouvrages pour
éclairer mon discours de références classiques ou contemporaines
et aussi pour connaître l’opinion de divers auteurs, de disciplines
variées et d’époques distinctes pour apprécier la nature et le
cheminement de leur pensée et de leur point de vue sur la question
du mal comme sur celle de la condition humaine. Quelle ne fut pas
ma surprise de découvrir cet extrait de la discussion sur le péché,
comportant en préambule le commentaire suivant, rappelé par
François L’Yvonnet.
« Il est assez remarquable, notons-le, que personne dans cette
assemblée prestigieuse5, au cours d’une discussion consacrée, tout
5
Discussion sur le péché (extraits), présentée par François L’Yvonnet, in
Question de. Le mal. Voici la liste des participants à cette discussion :
Maurice de Gandillac, Pierre Klossowski, Jean Hyppolite, Arthur
Adamov, le père Maydieu, Louis Massignon, Pierre Burgelin, Jacques
Madaule, Gabriel Marcel, Jean-Paul Sartre… et ceux qui sont restés
10
de même, au mal et au péché, n’ait fait, en ce début 1944, la
moindre référence, fut-ce sous forme de « contrebande », à la
guerre et à l’occupation allemande » !
6
Et par celui encore actuel en Tchétchénie.
12
Le choix des références correspond à mes convictions et à ma
sensibilité, en effet, sans être philosophe moi-même, c’est une
discipline à laquelle je me suis frottée régulièrement depuis
plusieurs années avec passion et amateurisme, je l’avoue. Je
souhaite que cet essai soit transdisciplinaire pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, parce qu’il m’apparaît fondamental de faire
dialoguer, par exemple, la philosophie avec la psychologie et la
psychanalyse, que je connais un petit peu mieux. Par ailleurs, un
sujet aussi complexe que le mal peut s’examiner et se comprendre
avec l’éclairage de plusieurs disciplines et de divers champs qui
s’entrecroisent ou se heurtent car ils parlent tous d’un même sujet
principal qu’est l’homme. Et enfin, la dernière raison est que je
pense profondément qu’être spécialiste d’un domaine est la preuve
d’une expertise remarquable mais que la complexité de notre
monde empêche que l’on s’y enferme. En effet, le risque
d’enfermement est grand et avec lui son cortège de radicalismes,
d’aveuglements et d’intolérances. Ainsi, il est possible de
s’intéresser à des champs connexes aux siens propres et visiter la
pluralité des points de vue pour parvenir à une opinion personnelle
qui facilite l’argumentation. Donc, j’avoue que je ne propose pas
de définition, dans le sens académique du terme, mais plutôt une
réflexion argumentée sur le thème du mal. J’espère y entraîner mes
lecteurs et susciter argumentation, dialogue et controverses.
7
Signes gris : en référence au vocabulaire de l’Intelligence Economique,
les signes gris sont des bribes d’informations éparses qui peuvent
exprimer une orientation, mais qui ne sont pas en assez grand nombre
pour dégager du sens ou une tendance particulière, quel que soit le
domaine d’application (économique, philosophique, sociologique, ...).
13
leur rechercher un point commun ne sert en rien à en diminuer les
effets ou à en faciliter la résolution.
8
Il s’agit des hypothèses formulées par ceux qui pensent que le mal réside
dans notre potentiel agressif et notre méchanceté animale. Voir Konrad
Lorenz à ce sujet, cité plus loin.
14
Partir de la tentative de définition du mal a pour finalité d’indiquer
justement qu’à partir d’une réalité incontournable qu’est le mal
comme composante du libre-arbitre humain, l’homme peut aussi
faire le choix d’un autre chemin. Il décide alors, de l’orientation
qu’il lui semble juste pour lui-même et pour son environnement. Il
ne s’agit pas d’un message d’espoir, ressemblant plutôt à un vœu
pieux, mais de démontrer la réalité d’une évolution lente mais bien
réelle.
Nombre d’ouvrages essayistes ou polémiques sont parfois, à mon
goût en tous cas, trop entachés d’amertume ou de cynisme pour
que l’on y trouve l’étincelle d’enthousiasme qui peut être
déterminante pour décider de changer quelque chose à sa vie ou à
sa conduite. Parfois, également le manque de proposition
constructive m’incite à chercher, en toute modestie, des pistes
ouvrant la voie davantage sur la construction que sur la destruction.
Voilà d’ailleurs, à titre d’illustration quelques remarques d’auteurs
contemporains.
Avec, tout d’abord, François L’Yvonnet qui lance à la fin de son
article9 un message d’espoir, au travers d’une phrase d’un croyant,
il ouvre ainsi la perspective sur le fait que l’on décide de voir le
monde différemment, « il est alors possible d’entrevoir le soleil à
travers les nuages ».
Et aussi ces deux autres citations qui nous invitent à trouver en
nous la force de puiser, au-delà du désespoir, l’énergie nécessaire
pour envisager le futur sous d’autres auspices.
« Mais c’est au fond de cette nuit, et du fond de cette nuit, dans les
ténèbres mêmes, égaré dans les dédales infernaux de l’effroi, au
cœur de l’Abîme, que l’homme découvre « la joie dans le
désespoir », que l’Irrévocable du désespoir - le pacte satanique et
sa « paralysante affreuseté » - se fait Irrévocable de la joie, par une
réversibilité essentielle qui convertit le mal en bien, le temps en
Eternité… ».
9
Mare Tenebrosum. François L’Yvonnet.
15
« Le désespoir porté assez loin complète le cercle et redevient une
sorte d’espérance ardente et féconde ». Léon Bloy citant une
phrase de Carlyle10.
Enfin, écrire sur un sujet comme le mal est une expérience très
troublante. En effet, il est rare de s’intéresser à ce sujet sans l’avoir
préalablement rencontré d’un manière ou d’une autre, ce qui
revient à dire que c’est la rencontre avec la douleur ou la
souffrance qui fait s’interroger sur la question du Mal comme étant
cet obstacle à la joie, au bonheur ou au Bien. Pour ma part, c’est la
mort brutale d’êtres proches qui m’a fait prendre conscience de la
profondeur de leur détresse et de leur souffrance et m’a fait
réfléchir d’abord à celle du fils restant seul, au cœur déchiré et
pour lequel j’ai essayé d’apporter réconfort et soutien. Puis, j’ai
regardé en moi ce que cette mort avait d’atroce et ce qu’elle
soulevait d’insoutenable et je pense qu’écrire aujourd’hui
correspond à l’exhortation de cette douleur et à la volonté d’en
finir avec un mal trop longtemps subi.
Parfois, cet obstacle est justifié, car nous sommes responsables des
malheurs qui nous arrivent et bien souvent, c’est cette souffrance
subie, ce mal causé par autrui qui rend la douleur intolérable car en
plus elle est injuste. Je pense, à titre d’exemple, au récent film
Kadosh sur la condition féminine, qui, dans une société de juifs
orthodoxes, décrit le quotidien de la condition féminine avec son
cortège d’oppressions et d’injustices. J’imagine qu’alors, tout du
moins en tant que spectateur, la question de la souffrance injuste se
pose. Ensuite, peut-être celle du mal ?
10
François L’Yvonnet, ibid.
16
le regard de la réalité contemporaine, donne l’impression de perdre
de son acuité, de sa substance, car jamais ce que j’écris aujourd’hui
ne conserve de sens et d’intérêt, puisque c’est obsolète, au regard
de l’actualité et pourtant toujours permanent, au regard du mal.
***
L’essai est organisé de la manière suivante : la première partie est
divisée en deux sous parties dont l’une consiste à survoler certaines
des positions ou définitions classiques du mal. L’autre sous
division comprend différentes interrogations quant à la possibilité
d’identifier le mal dans diverses autres perspectives. Je conclurai
sur la position que je retiens comme étant ma définition du mal.
Ensuite, la deuxième partie de l’ouvrage présentera les différents
éléments que nous pouvons identifier pour illustrer comment le
mal peut aujourd’hui être combattu et en quoi l’humanité de notre
condition humaine évolue et se développe, modestement peut-être,
mais constamment.
17
LE MAL
18
C’est dans cette perspective démocratique et laïque que s’inscrit
cet essai.
Chercher à définir le mal, folle entreprise ! Et si tentante pourtant !
Folle entreprise puisque tous s’accordent à dire qu’elle pose la
limite de la pensée, de la théologie, de la philosophie et de
l’homme lui-même. Tentation ! Par définition, parler du mal et être
tenté semble reproduire si justement la dynamique même du mal11
dans le sens biblique, en tous cas. Donc, je me laisse tenter par le
fait de vouloir comprendre ce qu’est le mal, peut-être pour mieux
le déjouer.
Cet aspect multiple du mal fait se demander, s’il ne serait pas déjà
à l’œuvre dans la tentative de définition même de celui-ci, comme
l’ingrédient de confusion intrinsèque à la pensée et insidieusement
11
Anthropomorphisme du mal.
12
Même si c’est un peu le cas de tous les concepts en philosophie, comme
le dit Comte-Sponville, il n’empêche que le concept du mal semble
encore plus difficile que d’autres à définir.
13
Désespérément vertueux. André Comte-Sponville. in Questions de. Le
mal. Albin Michel. 1996.
14
Bernard Sichère. Histoires du mal.
19
logé en son sein. Pour éclairer cette hypothèse, nous reprendrons le
fameux récit de la Tour de Babel et essaierons de montrer le lien
entre cette allégorie et le mal lui-même.
15
La tour de Babel. Genèse 11-1 : « La terre entière se servait de la même
langue et des mêmes mots. Or en se déplaçant vers l’Orient, les hommes
découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar (ancienne Mésopotamie)
et y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! Moulons des briques
et cuisons-les au four. » Les briques leur servirent de pierre et le bitume
leur servait de mortier. « Allons ! dirent-ils, bâtissons-nous une ville et
une tour dont le sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne
pas être dispersés sur toute la surface de la terre . » Le Seigneur descendit
pour voir la ville et la tour des fils d’Abraham. « Eh, dit le Seigneur, ils ne
sont tous qu’un peuple et qu’une langue et c’est là leur première œuvre !
Maintenant, rien de ce qu’ils projetteront de faire ne leur sera
inaccessible ! Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu’ils ne
s’entendent plus les uns les autres ! » De là, le Seigneur les dispersa sur
toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi lui
donna-t-on le nom de Babel car c’est là que le Seigneur brouilla ( en
hébreu, il y a jeu de mots entre le nom de Babel – Babylone – et le verbe
traduit par brouilla) la langue de toute la terre, et c’est de là que le
Seigneur dispersa les hommes sur toute la surface de la terre ».
La signification de ce passage est que l’homme, présomptueux, ayant
voulu s’élever démesurément, au-delà de sa condition humaine, en
utilisant le stratagème et le symbole d’une tour gagnant le ciel. La
réaction de Dieu est donc décrite comme punitive, en effet, cela constitue
encore un affront, une provocation, une démesure des hommes contre
Dieu, une désobéissance par rapport à la condition humaine établie et
Dieu alors sème la confusion par la dispersion, de manière, pourrait-on
dire à diminuer les « forces » des hommes mais surtout pour leur rappeler
ce qui est humain et ce qui est divin. Dans leur Dictionnaire des
Symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, décrivent cet épisode de la
Genèse comme le fait que « le manque d’équilibre entraîne la confusion
sur les plans terrestre et divin, et les hommes ne s’entendent plus : ils ne
parlent plus la même langue, c’est-à-dire qu’il n’y a plus entre eux le
moindre consensus, chacun ne pensant qu’à lui-même et se prenant pour
un Absolu ». De cette interprétation, on peut voir que Dieu a brisé le
phénomène de groupe qui poussait les hommes à unir leurs forces pour le
20
du mal, que lorsque Dieu a frappé les humains de la tour de Babel
en rendant chacun dans l’impossibilité de comprendre son prochain
à cause de la perte d’un langage commun et l’avènement de
différentes langues.
Par ailleurs, ce qui est écrit dans la Bible, sous la forme de récit,
comportant acteurs, situations, et lieux réels ou imaginaires, illustre
en fait très bien, au travers du mythe, la réalité de ce que nous
vivons. Pour expliquer l’analogie que nous y voyons, nous allons
faire un détour par un autre champ que la philosophie : la
psychologie. Dans la psychosociologie existe ce que l’on appelle la
théorie de la dynamique des groupes, qui consiste dans
l’observation de groupes de personnes travaillant ensemble16 ou
ayant à agir et à décider ensemble. Ce que les théoriciens de ce
champ ont apporté, c’est la distinction entre le contenu et le
22
Si la diminution des actes délictueux et surtout des atrocités n’a
pas, sans doute, comme seule origine la confusion initiale de sa
définition, il semble plausible qu’un plus grand consensus aurait
pour effet de clarifier ce dont on parle et qui sait, si le mal se
sentait plus sûrement circonscrit, peut-être que la tentation de mal
agir serait moindre ? Vous m’excuserez cette parenthèse
anthropomorphique, mais la tentation était trop forte de
personnaliser le mal pour mieux pouvoir le combattre !
***
17
Voici quelques éléments plus détaillés visant à définir le mal moral,
toujours extraits du Littré. « Il signifie la corruption et la dépravation. Le
23
On comprend, au travers de ces quelques lignes, que définir le mal
ne peut se limiter à ce type d’exposé qui a plutôt tendance à
mélanger les genres qu’à faciliter la compréhension, c’est
d’ailleurs ce qui fait dire à Paul Ricoeur que ce qui « fait toute
l’énigme du mal », c’est que nous « plaçons.. des phénomènes
aussi disparates, en première approximation, que le péché, la
souffrance et la mort. »18
19
Question qui préoccupait Saint Augustin depuis le début de ses
réflexions : « Comment Dieu n’est-il l’auteur d’aucun mal et comment, si
Dieu est tout puissant, se commet-il cependant tant de mal ? Le mal a-t-il
toujours existé ou a-t-il commencé avec le temps ? Et s’il a toujours
existé, était-il sous la dépendance de Dieu ? S’il l’était, est-ce que ce
monde a toujours existé, en lequel le mal était sous la domination de
l’ordre divin ? Si au contraire ce monde a commencé d’exister, comment
avant ce commencement, le mal est-il maintenu sous la puissance de
Dieu ? » Saint Augustin. Serge Lancel. Autant de questions qui hantent
tout philosophe ou toute personne en quête de sens.
26
Puisque tout être en tant qu'être est bon ou appétible, la négation
du bien, le mal comme tel n'existe pas, il n'est pas une entité, une
réalité en soi. Il ne peut être qu'absence d'un bien qui devait être
présent, privation d'un bien. Une telle privation est inconcevable
au niveau substantiel, puisque tout être subsistant est le terme
immédiat de l'acte créateur.
Sans doute certaines substances sont corruptibles et leur
corruption est un mal, mais c'est précisément parce qu'elles sont
bonnes.
Le mal n'est possible que dans l'activité de la créature, c'est là
qu'on retrouve des actes déficients privés de la perfection qui leur
convient. »
20
Vous m’excuserez ce raccourci dans la démonstration.
27
Ce qui pose problème, c’est justement ce mal qui vient tenter
l’homme et lui apporte l’accès à la connaissance et, ce faisant, la
conscience du bien et du mal. C’est là, qu’envisageant le mal
comme étant relatif au bien et que ces deux propositions sont
irréductibles l’une à l’autre, comme un ressort, aucune des
dimensions ne peut tendre vers son extrême sans attirer la réaction
inverse. « On ne peut penser ni le bien ni le mal isolément. Ils
n’existent que l’un par rapport à l’autre et comme deux contraires
dont chacun appelle l’autre et l’exclut »21. Alors le mal apparaît
comme ayant une fonction, celle de servir de faire-valoir au bien,
celle de permettre de savoir ce qu’est le bien par l’expérience de
son contraire et ainsi de l’apprécier, ce qui n’était pas possible dans
le cas de l’ignorance de cet état de positivité. Ce n’est que parce
que le bien manque qu’il devient désirable. Le mal apparaît en tant
que tel, condamnable et répréhensible, et l’homme peut choisir
entre ces deux tendances pour décider de la forme et du sens à
donner à sa vie.
21
Louis Lavelle. Le mal et la souffrance.
28
C’est en voulant faire le bien…
22
Olivier Abel. Justice et mal. In La justice et le mal. sous la direction
d’Antoine Garapon et Denis Salas.
29
notre système nous paraît plus rationnel c’est, en vérité, parce
qu’il est plus strictement conforme au principe de vengeance.
L’insistance sur le châtiment du coupable n’a pas d’autre sens. Au
lieu de travailler à empêcher la vengeance, à la modérer, à
l’éluder, ou à la détourner sur un but secondaire, comme tous les
procédés proprement religieux, le système judiciaire rationalise la
vengeance, il réussit à la découper et à la limiter comme il
l’entend ; il la manipule sans péril. Il en fait une technique
extrêmement efficace de guérison et, secondairement, de
prévention de la violence »23.
23
René Girard. La violence et le sacré.
24
On ne se souvient que trop des excès et des abus de la loi du Talion,
que le Christ condamna et qui fait d’ailleurs rupture entre Ancien et
Nouveau Testament.
30
pas plus que les résultats plus macabres et terrifiants les uns que les
autres.
31
DE L’ORIGINE DE LA QUESTION A LA QUESTION DES
ORIGINES
Unde malum25?
25
Unde malum : d’où vient le mal ? selon les Gnostiques.
32
Le symbolique comme accès à la compréhension des
origines
Il est probable que l’erreur dans laquelle nous tombons tous, tour à
tour, est de rechercher justement, une cause ou une origine au mal.
Pourtant, nous allons chercher à comprendre, tout d’abord, à quoi
correspond ce besoin pour l’homme.
33
mais ce principe n’est pas premier réellement, il ne l’est que sur le
plan mythologique.
Néanmoins, le problème de l’origine du monde reste bien entier.
26
Propos retrouvés chez Mircea Eliade, Paul Ricoeur et aussi Eugen
Drewermann dans Le mal, tome I et II.
34
« ..Le mythe doit changer de registre : il lui faut non seulement
raconter les origines, pour expliquer comment la condition
humaine en général est devenue ce qu’elle est, mais argumenter,
pour expliquer pourquoi elle est telle pour chacun. C’est le stade
de la sagesse. la première et la plus tenace des explications
offertes par la sagesse est celle de la rétribution : toute souffrance
est méritée parce qu’elle est la punition d’un péché individuel ou
collectif, connu ou inconnu. Cette explication a au moins
l’avantage de prendre au sérieux la souffrance en tant que telle,
comme pôle distinct du mal moral ».
Le récit de la Chute
35
« Le Seigneur modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il
insuffla dans ses narines l’haleine de la vie, et l’homme devint un
être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’Orient,
et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Le Seigneur fit germer du
sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au
milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bonheur et du
malheur »27. […] « Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans
le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder. Le Seigneur Dieu
prescrivit à l’homme : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin,
mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bonheur
et du malheur car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir ».
[…]
« Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être
seul ». […] « Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur
l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les
chairs à sa place. Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait
prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. » […]
« Tous deux étaient nus, l’homme et sa femme sans se faire
mutuellement honte. Or le serpent était la plus astucieuse de toutes
les bêtes des champs que le Seigneur Dieu avait faites. Il dit à la
femme : « Vraiment ! Dieu vous a dit : Vous ne mangerez pas de
tout arbre du jardin… » La femme répondit au serpent : « Nous
pouvons manger du fruit des arbres du jardin mais du fruit de
l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez
pas et vous n’y toucherez pas afin de ne pas mourir ». Le serpent
dit à la femme : « Non, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le
jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez
comme des dieux possédant la connaissance du bonheur et du
malheur ».
La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder,
précieux pour agir avec clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle
mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il en
mangea. Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils surent qu’ils
étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des
pagnes. Or ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se
promenait dans le jardin au souffle du jour. L’homme et la femme
27
Genèse II jusqu’à IV.
36
se cachèrent devant le Seigneur Dieu au milieu des arbres du
jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu ? »
Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur car
j’étais nu, et je me suis caché. » « Qui t’a révélé dit-il que tu étais
nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais prescrit de ne
pas manger ? » L’homme répondit : « La femme que tu as mise
auprès de moi, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai
mangé. » Le Seigneur Dieu dit à la femme : « Qu’as-tu fait là ! »
La femme répondit : « Le serpent m’a trompé et j’ai mangé. »
Le Seigneur Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu
seras maudit entre tous les bestiaux et toutes les bêtes des champs ;
tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous les
jours de ta vie. Je mettrai l’hostilité entre toi et la femme, entre ta
descendance et sa descendance. Celle-ci te meurtrira à la tête et toi,
tu la meurtriras au talon.
Il dit à la femme : « Je ferai qu’enceinte, tu sois dans de grandes
souffrances ; c’est péniblement que tu enfanteras des fils. Tu seras
avide de ton homme et lui te dominera. »
Il dit à Adam : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que
tu as mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne
pas manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine
que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi
l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs. A la sueur
de ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au
sol car c’est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la
poussière tu retourneras ».
37
Pourtant, cette piste du mal défini comme principe premier pouvant
s’incarner ne tient pas sous la plume d’un théologien tel que Saint
Augustin.
Et c’est à lui que nous devons la réfutation du mal comme n’étant
ni une chose, ni une entité, ni une substance, il est le résultat du
choix délibéré de l’homme de commettre ou non des actes
nuisibles pour lui ou pour autrui.
Pour lui, comme le rappelle Ricoeur28, le mal passe dans « la
sphère de l’acte, de la volonté, du libre-arbitre ». Alors la question
unde malum se transforme en unde malum fasciamus ?29
28
Ricoeur dans le Mal un défi à la philosophie et à la théologie.
29
Unde malum fasciamus : d’où vient que nous fassions le mal ?
30
Nouveau Testament. Saint Jean. Premier Epître. Chapitre III-4.
38
donne Jacques POHIER31 : « La qualification de péché désigne le
fait qu’un acte est nuisible à la vie dont Dieu veut faire vivre les
hommes au sein de l’Alliance selon laquelle il désire rassembler en
communion avec lui et entre eux. » L’auteur précise par ailleurs,
que l’Alliance comme le péché sont révélés par Dieu et que par
conséquent, ce n’est que par la parole de Dieu que l’homme peut
prendre conscience des péchés qu’il commet contre l’Alliance et le
salut divin. « Il en résulta que la source première de l’expérience
chrétienne du péché n’est pas ce que l’homme peut expérimenter
par lui-même en matière de honte, de culpabilité, si valables que
puissent être par ailleurs toutes ces expériences, mais la parole de
Dieu sur le péché et la foi en cette parole ».
31
Jacques Pohier. Péché. In Encyclopédie Universalis. 1992.
32
La culpabilité est définie par le dictionnaire de psychanalyse comme
suit : « Le sentiment de culpabilité a d’abord été mis en évidence par
Freud dans la névrose obsessionnelle, dans laquelle il met au jour la
révolte du moi contre la critique dont l’accable le moi idéal. Ce sentiment
peut être qualifié « d’inconscient » dans la mesure où le sujet, qui en
perçoit les manifestations sous forme d’idées obsédantes, ignore tout sur
la nature des désirs inconscients qui les sous-tendent. […] Le caractère
névrotique du sentiment de culpabilité est lié à l’impossibilité, pour le
sujet, de dépasser la problématique oedipienne ».
39
que c’est au sein de l’individu, plus exactement de sa psyché, que
différentes instances psychiques34 se livrent un conflit permanent,
particulièrement entre la recherche de la satisfaction immédiate et
continue de ses désirs (le Ça) et les interdits moraux et sociaux qui
nous en empêchent (le Surmoi).
Le Moi cherche à établir l’équilibre psychique entre les deux autres
instances, le Ça et le Surmoi, se livrant un conflit sans merci, dont
justement l’issue peut être le refoulement des sentiments de
culpabilité (lié à l’Œdipe par exemple).
Notre finalité n’est pas de faire le détail des principes
psychanalytiques de la culpabilité, nous préférons vous renvoyer à
d’autres auteurs35, mais plutôt de démontrer que si la culpabilité
persiste et existe, au travers de plusieurs champs disciplinaires ou
de divers axes de croyance, c’est qu’elle doit correspondre à
quelque chose qui visiblement dépasse le cadre de la religion, mais
semble, par contre, totalement correspondre à la nature humaine.
Comme, par exemple, quand l’homme commet des méfaits vis-à-
vis de lui-même ou des autres. Et lorsqu’il les a commis, à moins
d’être psychologiquement malade36, il ressent remords et
culpabilité.
Démontrer que le sentiment de culpabilité est bien une réalité pour
l’homme, celle-ci prise successivement dans le sens moral,
religieux, philosophique ou psychanalytique signifie qu’il y a acte
répréhensible. Mais par rapport à quel système de pensée peut-on
définir qu’un acte est répréhensible et que pour celui qui l’a
commis il est normal de se sentir coupable ? Il est probable que
mentir, voler, abuser de quelqu’un peut être décrit ou perçu
33
Sexualité à comprendre au sens psychanalytique.
34
Les instances psychiques : le Moi, le Ça et le Surmoi.
35
Freud, Lacan, Klein, Roudinesco, Nasio, etc.
36
Ce sont principalement les structures de la personnalité psychotique qui
ne connaissent pas les limites entre le Ça et le Surmoi qui vont commettre
des passages à l’acte (crimes, actes de violence contre soi ou autrui) et
pour lesquelles toute notion de responsabilité comme de légalité
n’existent tout simplement pas. Mais pour les autres structures, dites
névrotiques qui constituent l’immense majorité des personnes, l’éducation
et la culture donnent ces bases qui amènent l’individu à s’interroger sur le
sens de ses actes et lui permettent de ressentir culpabilité, remords, etc.
40
différemment selon le point de vue juridique, moral ou
psychologique en fonction de ce que l’on entend par la notion de
responsabilité et celle de délit.
On peut aussi se poser la question de la pertinence du raisonnement
de Freud, dans la mesure où il appartient lui aussi à la culture
judéo-chrétienne et en tant que tel, le poids culturel de la
culpabilité peut en partie expliquer pourquoi il a pu chercher à
comprendre son mécanisme spécifique.
37
Jacques Pohier.
41
précédées. « Dieu châtie l’iniquité des pères sur les fils jusqu’à la
troisième et la quatrième génération ».
38
Avec, malgré tout, les réserves d’une démocratie à deux vitesses
puisqu’elle reposait à l’époque sur l’esclavage. On pourrait aussi se poser
la question aujourd’hui du degré de démocratie que nous avons atteint et
des nouvelles formes d’esclavage ou de marginalisation du corps social
démocratique. Mais je laisse cette question en suspens, ceci n’étant pas le
cœur de la démonstration de cet essai.
43
plus qu’un soulagement passager mais n’est en rien résolutoire ou
explicatif.
C’est ainsi que le deuxième sens du péché apporté par la religion
chrétienne définit ce dernier comme étant une œuvre individuelle
et il s’agit alors pour l’homme d’agir correctement vis-à-vis de la
morale.
39
J. Pohier. Ibid.
44
grande de rétablir un créateur, même dans la tentative de prise de
recul que représente le raisonnement philosophique ou essayiste.
40
Décrit par André-Marie Dubarle, in Péché Originel. Encyclopédia
Universalis. 1992.
45
Le délitement de la foi et l’avènement de la laïcité ont eu raison de
l’omnipotence du dogme chrétien comme cadre de références
principal de la pensée ou de la philosophie. C’est, principalement,
le concept de généralisation du péché originel sur tous les hommes
qui suivent Adam et la notion de culpabilité qui ont fait rendre
l’âme au principe originel du péché et qui ont, par dessus tout, mis
Dieu au banc des accusés. Le principal accusateur est Nietzsche :
« Avec la moralisation des concepts de dette et de devoir […] les
hommes devront se retourner contre le « créancier », le principe
de l’espèce humaine, l’ancêtre dorénavant affligé d’anathème
(Adam – péché originel - privation du libre arbitre) […] jusqu’à ce
que nous nous trouvions tout d’un coup devant le paradoxal, le
terrible expédient grâce auquel l’humanité martyrisée a trouvé un
soulagement temporaire, coup de génie du christianisme : Dieu
lui-même s’offrant en sacrifice pour payer nombre d’entre nous
sont encore sous le joug psychologique et moral du devoir et de la
dette de l’homme ! » Tout de même, encore aujourd’hui, aux
abords du troisième millénaire, la culpabilité fait encore obstacle
au plaisir (sexuel ou non d’ailleurs) et à la satisfaction personnelle.
La proposition faite par la Bible et théorisée par la religion
chrétienne a eu une tendance un peu trop manichéenne à diaboliser
ce qui est particulièrement humain et à encenser ce qui est plutôt de
l’ordre du transcendantal et du supra-humain. Ce qui d’ailleurs a
mené les premiers théologiens, inspirés par les philosophes grecs, à
rechercher la perfection comme étant un des biens absolus
conduisant à la transcendance et de ce fait étant la meilleure chose
pour l’homme. Cette quête de la perfection mettait encore une fois
à mal la condition humaine elle-même, elle qui est si peu parfaite
et qui y tend désespérément dans l’élan pathétique de son énergie
en conflit.41
41
L’énergie est ici prise en référence aux principes pulsionnels de
l’homme, dans le champ psychanalytique, à savoir la pulsion de vie : Eros
en conflit avec la pulsion de mort : Thanatos.
46
prétexte de ce délire de perfection, nombre d’horreurs ont pu être
commises, comme l’eugénisme, le racisme, le sectarisme, ...
47
Le récit de la Chute pourrait-il dire autre chose ?
42
On citera à ce propos le commentaire de Guy Bechtel dans Les quatre
femmes de Dieu. C’est cette version du récit de la naissance de la femme
dans la Genèse « qui fut le plus souvent tenu pour essentiel et commenté
par les théologiens chrétiens. Ce récit permet de mettre la femme à la
place que lui assignait la société du Moyen Age ».
48
Eve est créée de manière à être une compagnie pour l’homme. Elle
n’est pas alors vraiment considérée comme un être à part entière,
puisqu’elle n’est pas créée pour avoir une existence propre.
Ensuite, c’est à la femme que le serpent s’adresse, on peut en
déduire plusieurs choses, est-ce qu’elle serait plus à même
d’écouter un discours autre que celui du père ? Est-ce qu’elle serait
plus à même de prendre des risques ? Est-ce qu’elle serait plus
indisciplinée ? L’explication séculaire l’a plutôt diabolisée en
supposant qu’elle était l’œuvre ou l’instrument du diable
puisqu’elle a su l’écouter.
49
diffère43, en tous cas il a été réduit44, ce qui est souvent le cas dans
toute situation de communication. C’est pourquoi le serpent répond
sur le seul argument que restitue la femme : « vous ne mourrez
pas », il la rassure « ils ne mourront pas » et mentionne le fait
qu’en mangeant du fruit défendu, ils pourront accéder à la
connaissance, ce que nous ne savons pas, au vu du récit, c’est si la
femme était au courant de ce point ou non. Par conséquent, elle a
été séduite par l’attrait de la connaissance, étant rassurée, à tort, sur
le fait de ne pas mourir, et nous savons combien en tant qu’homme
nous sommes curieux de nature et attirés comme des lucioles par la
lumière de la connaissance. Donc, il y a bien transgression de
l’interdit, mais il y a une foule de nuances dans le texte de la
Genèse qui semblent être passées assez inaperçues au grand
bénéfice de tous ceux qui ont diffusé ce message pour n’en
conserver que ce qui les arrangeait !
43
Pourtant, sans cet espoir de perfection, ce besoin d’idéal, l’agir de
l’homme stagnerait et ne chercherait pas à progresser, à améliorer son
environnement et à se poser des questions sur son action justement.
Encore un paradoxe, croire en la perfection peut conduire à commettre le
mal et est aussi une illusion qui est également un bon moteur pour
combattre le mal lui-même. Nous voilà encore face aux paradoxes de
l’être humain. Une même chose peut à la fois être bénéfique ou nuisible et
il peut utiliser une même énergie ou une motivation dans différents axes
possibles dont les effets peuvent être bons, neutres ou mauvais pour lui-
même ou son entourage.
44
Extrait de ce que dit Eve au serpent :
« La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger du fruit des
arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu
a dit : Vous n’en toucherez pas afin de ne pas mourir ».
50
Et au lieu d’apercevoir la faiblesse d’Adam qui n’assume pas sa
part de responsabilité, nombre de lecteurs dont des Pères de
l'Eglise se sont engouffrés dans cette brèche si facile à saisir et si
pratique socialement, c'est la femme qui est mauvaise ou
diabolique, c'est sa faute, elle s'est laisser tentée et a tenté Adam.
Cette manière de se disculper en accusant l’autre peut largement
dépasser le cadre des rapports hommes / femmes pour se retrouver
entre n’importe quel individu et dans n’importe quelle situation. Et
nous retrouvons alors tous les discours philosophiques sur le libre-
arbitre et la responsabilité individuelle de sa décision.
52
Par ailleurs, cette mise en scène prise dans le contexte social de
l’époque reflète les rôles typiques de l’homme, de la femme et
nous transmet aussi l’image négative que le serpent avait déjà à
l’époque45 : sournois, qui file entre les doigts, froid, etc.
Et c’est alors de cette créature, déjà décriée par tous, qu’il devient
alors plus facile de faire un personnage à part entière qui
représenterait le mal.
Et de là, la question de savoir si le mal existe avant Dieu, en même
temps, ou comme principe absolu ne se pose même pas.
Par contre, celle du péché et de la faute restent entières dans le
cadre de la foi et doivent se repenser dans le contexte existentiel.
Désormais, nous devons faire sans Dieu et parvenir à comprendre
notre condition seulement à partir de nous-mêmes !
45
Images et représentations du serpent chez les Mayas, en Egypte, etc.
53
Et si le mal était la symbiose ?
46
Genèse 1-26-31 jusqu’à 3-24.
47 Voir à ce sujet les stades du développement affectif de l’enfant : Freud.
Et aussi Mélanie Klein La psychanalyse des enfants.
La définition de la symbiose qu’en donne S. Schiff dans Personality,
development and Symbiosis « est qu’une symbiose se produit quand deux
ou plusieurs individus se comportent comme s’ils ne formaient qu’une
seule personne ». Par extension, lorsque l’enfant grandit et devient
physiquement plus autonome, la symbiose se déplace d’un niveau
purement physique à un niveau symbolique où l’absence est toujours
perçue comme douloureuse, et a fortiori la rupture de la relation d’amour,
rupture amoureuse ou deuil d’un être cher sont perçus comme les étapes
les plus douloureuses de la vie. Pourtant la symbiose n’est plus physique
mais elle est devenue symbolique et affective. C’est pourquoi ce
phénomène de symbiose peut se retrouver dans n’importe quelle situation
sociale comme, par exemple, un environnement professionnel entre un
manager et son employé. Alors se recrée ce besoin de dépendance de l’un
vis-à-vis de l’autre, auquel se greffe la relation d’autorité, également
présente dans les premiers instants de la vie. La mère et ensuite les deux
parents ayant pour fonction de protéger et d’éduquer l’enfant, exercent sur
lui une autorité, d’ailleurs dite parentale, qui vise justement à le protéger
des périls qui l’entourent et à lui permettre de grandir, de se développer et
d’apprendre enfin le comportement adapté en situation sociale. Cette
symbiose retrouvée à l’état adulte sur le plan affectif au niveau du couple
et de la famille comme au niveau professionnel, peut être perçue comme
négative ou néfaste selon la manière dont elle est vécue et entretenue. La
preuve en est que dans bien des situations délicates, les personnes,
couples ou managers, font appel à des individus neutres pour les aider à
54
psychologie qui décrit cet état dans lequel est le petit enfant,
indifférencié de sa mère, et qui le rend incapable de savoir qui il
est. A ce stade, il n’a pas conscience de sa propre identité et se
confond lui-même avec sa mère et son entourage. C’est le cas
d’Adam et Eve dans le jardin d’Eden, avant de manger la pomme
de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. En effet, à ce
stade, ils n’ont pas conscience de leurs différences, pas plus que du
fait qu’ils sont faits à l’image de Dieu, c’est comme si cet état de
symbiose était le bonheur parfait, exactement comme l’enfant
ressent un grand plaisir à être proche de sa mère et à ce qu’elle
réponde à ses moindres besoins. Et il est alors symétriquement
triste et mal à l’aise dès qu’elle s’éloigne48.
49
En parlant de symbiose, nous ne pouvons résister à la tentation (sic !)
de placer cet extrait de Saint Augustin qui illustre bien la notion de
symbiose qui existe dans la foi. « Mais même en vous imitant ainsi, ils
font voir que vous êtes le Créateur de l'Univers, et que, pour cette raison,
il est impossible de se séparer tout à fait de vous ».
50
« Il dit à Adam ; « parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu
as mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne pas
manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en
nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l’épine et le
chardon et tu mangeras l’herbe des champs ».
56
est une invention de l’homme)51 des souffrances de la femme dans
l’accouchement. Comme de celles du déchirement physique de
l’enfant sorti du ventre de sa mère et ceci dans la douleur, car
l’harmonie est rompue.
Ainsi pour expliquer la souffrance aberrante qu’il y a dans le fait
merveilleux de donner la vie et en même temps que ce soit dans la
douleur, il s’agit pour le récit biblique de légitimer ce paradoxe en
plaçant chronologiquement la tentation, le péché, la punition et
enfin la conséquence qui est que la femme pour expier sa faute doit
souffrir dans l’enfantement.
51
Ce qui n’exclut pas d’envisager un principe créateur de l’univers, qu’il
soit considéré comme physique ou spirituel.
52
De manière à ne pas rompre le fil du discours, je me permets une
aparté. Je voudrais mettre en perspective deux hypothèses qui démontrent
un résultat qui semble opposé au premier abord.
J’ai évoqué plus haut la fonction du Père, au sens psychanalytique. Il
correspond au tiers séparateur dans la symbiose entre la mère et l’enfant
et c’est par cette rupture dans la relation qu’il crée pour ce dernier l’accès
au symbolique et donc au langage. Ramené au contexte de la Genèse,
nous venons d’envisager qu’il puisse y avoir symbiose entre l’homme et
Dieu et que le mal, à la fois sous les traits du serpent et de la personne
tentée, la femme, a pour fonction finale de créer la rupture de ce lien par
l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis.
Ce qui revient à dire, en première déduction, que la fonction du Père
serait le mal. Et ceci en passant par un grossier syllogisme que voici.
Si le père est le tiers séparateur et le mal est ce qui sépare de la symbiose
et cause la souffrance alors le père serait le mal. Je n’irai pas plus loin
car on voit bien l’ineptie de la comparaison, mais il ne s’agit pas d’une
notion opposée à un rôle, mais plutôt des fonctions de chacun. La
confusion a lieu du fait que ces deux effets séparateurs n’ont pas lieu dans
les mêmes champs.
Les deux éléments ne sont pas superposables, car ils ne sont pas sur le
même plan. La fonction du Père vise à expliquer l’un des facteurs
permettant le développement affectif et émotionnel de l’individu, alors
que l’autre, le mal, cherche à nous leurrer sur la finalité de la
connaissance. C’est-à-dire qu’en lisant la Bible, au premier degré, on
pourrait croire qu’en étant tenté par le mal, celui-ci nous fait accéder à la
57
En fait succomber à la tentation symbolisée par le serpent c’est
accéder à la connaissance. Et acquérir le savoir dessille de l’état de
naïveté et d’innocence et fait prendre conscience du bien comme
du mal, du bonheur comme du malheur.
A ce stade, nous pouvons dire que nous plaçant dans le cadre laïc,
nous ne pouvons pas retenir les interprétations du mal décrites par
la théologie. Si l’on élude Dieu comme principe créateur, il n’y a
plus lieu de reconnaître un principe initial transcendantal et
infiniment Bon, qui n’aurait pas pu, logiquement créer aussi le mal.
Nous récusons aussi le postulat du mal comme étant une entité
autonome, car selon notre parti pris, ce serait personnifier une
tendance et lui attribuer une intelligence et des intentions propres,
qu’illustrent fort bien, le serpent du jardin d’Eden - par ailleurs -
mais qui comme nous l’avons vu peut aussi être une projection de
notre culpabilité ou de notre perplexité à expliquer le mal. Il n’y a
donc pas d’argument raisonnable à croire dans cette proposition
d’un mal qui serait quand même une créature de Dieu mais qui
connaissance qui est alors taboue, puisque interdite. Et c’est justement dès
l’instant que l’homme sait qu’il prend conscience du mal.
Parler de la fonction du Père, comme séparateur de la symbiose affective
c’est se placer dans le champ du développement psychologique de
l’individu. Tandis que parler du mal qui sépare l’homme de Dieu, c’est se
placer sur le plan de la philosophie et de la théologie et il s’agit alors de
donner une explication mythologique pour expliquer la genèse d’un mal
endémique à l’homme et pour lequel il s’accommode d’une cause externe.
Ce développement prouve à nouveau la grande complexité que nous
avons à chercher à comprendre, à cerner, à définir le mal. Sans doute est-
il constitutif de nous-mêmes, de telle sorte que l’accès à sa
compréhension se heurte, non pas au mystère de la religion chrétienne,
mais au mystère de la condition humaine elle-même qui peut être ne
permet pas d’avoir accès à la totalité de la compréhension de ses
composantes. C’est comme si en cherchant à comprendre on se heurtait à
d’immenses aberrations ou contradictions, un peu comme la fonction
réflexive du mal, au premier abord. Il est, à la fois, à l’origine, de la prise
de conscience de l’homme et l’aboutissement de sa connaissance.
Curieuse similitude du raisonnement. Alors éviter le piège du cercle
vicieux du raisonnement, c’est rompre avec la croyance que la cause du
mal nous est étrangère. Comprendre et savoir prennent alors tout leur sens
puisque cela permet de discerner et de choisir.
58
aurait en son sein cette flagornerie et cette malice qui l’amène à
tenter Eve. Car persister dans cette voie amènerait à se demander :
comment se fait-il que le serpent, pourtant créature de Dieu, puisse
tenter la femme et l’homme et les conduire à succomber avec les
conséquences que nous connaissons ?
60
Pour nombre d’entre nous se joue, à la fois la quête du sens de la
vie, de l’action, … et aussi notre propre place face à l’autorité et
notre rapport à la loi. La Genèse illustre alors un trait
caractéristique de l’humain, il peut être rebelle, transgresser
l’interdit, braver la loi et remettre en cause l’autorité au péril même
de sa vie.
La Genèse n’est-ce pas d’ailleurs l’enfantement de l’humanité ? Et
comme nous l’avons vu l’enfantement devient pour la femme,
après la chute, une cause continue de souffrances et de joies
mêlées.
Alors la Genèse apparaît comme l’enfantement le plus douloureux
et radical qui soit. Celui de l’humanité.
53
Le concept du meurtre du père a été présenté par Freud dans Totem et
Tabou pour expliquer pourquoi les peuples primitifs avaient besoin de
totems et de tabous pour faire respecter les lois sociales et favoriser les
échanges de femmes tout en respectant les caractéristiques de l’inceste,
61
argument n’est pas typiquement humain puisque toute
communauté animale voit ses mâles s’affronter pour obtenir le
pouvoir suprême pour pouvoir jouir des femelles. D’ailleurs les
femelles entre elles se disputent, souvent aussi, plutôt pour la
protection des petits et du territoire, mais parfois aussi pour des
conflits de pouvoir et de place sociale dans le groupe.
même si celui-ci recouvre des formes différentes selon les sociétés et les
cultures. Voici en quelques mots le récit du meurtre du père ainsi que sa
portée symbolique.
62
La dynamique de la culpabilité et ses conséquences
sociales
54
Ainsi en France, il a fallu attendre 1948 pour que le droit de vote soit
accordé aux femmes !
63
combattant le Père que nous démontrons notre capacité à faire
évoluer le principe d’humanité et que nous pouvons
individuellement et collectivement nous diriger vers l’autonomie.
Ironie historico-mythologique ?
65
Parler de péché, c’est rentrer dans la catégorie du mal moral,
toutefois ce dernier reste à définir plus précisément pour mieux
comprendre ce qu’il recouvre.
LE MAL MORAL
55
Voir à ce sujet Kant, cité par Rosenfield : « …comment connaître
l’intention qui a présidé à une action, puisqu’une bonne intention peut
causer du tort à autrui ». Kant et le problème du mal. Olivier Reboul.
66
mais aussi comme l’acte individuel qui brave consciemment les
lois morales et sociales. Saint Augustin a voulu attirer notre
attention sur le fait que le mal peut résider en nous pour la simple
motivation de rechercher le plaisir contre l’autre, d’aimer et de
savourer la transgression de l’interdit.
Saint Augustin nous rappelle que l'on ne veut jamais que son
propre bonheur, et que, si l'on choisit quelque chose qui est
manifestement un mal, c'est par une sorte d'erreur, qui nous interdit
de situer les choses à leur juste place.
Sa position est de dire que l’on commet une faute en préférant un
bien inférieur à un bien supérieur59, l'honneur par rapport à la
sagesse, ou le pouvoir à la justice. Il est donc très difficile de
caractériser le mal comme tel, aussi longtemps que l'on s'en tient
aux objets de son désir ou de sa crainte et aux motivations de ses
conduites.
56
Les Confessions. Livre II, Chapitre VI.
57
Ce récit fait écho au péché originel et à l'épisode du fruit défendu.
58
Nous conservons le terme de faute car il exprime ici le fait de
commettre le mal, mais pour Saint Augustin, cela s’inscrit dans le dogme
chrétien et donc lié au principe divin et à la Genèse.
59
Ce qui renvoie aussi au concept de perfection jamais atteint.
68
Nous voyons aussi ici, que cette philosophie plaçait le mal comme
relatif au bien et comme la quête d’un bien toujours supérieur, qui
parfois, peut alors conduire à commettre le mal.
60
Compulsion de répétition.
61
Cette expression « encore et encore » fait référence au séminaire de
Lacan Encore.
69
Et si le mal était l’envie
62
L’envie. Helmut Schoeck. Belles Lettres. 1995.
63
Mélanie Klein.
70
plongée dans une situation analogue, elle rejoue, en temps
qu’adulte cette fois, les mêmes comportements agressifs et
nuisibles pour l’autre qu’elle a ressenti jadis contre elle-même.
Toutefois, aujourd’hui, ce sera avec la force de la puissance adulte
que les actions seront commises et par conséquent l’importance des
dommages à autrui sera bien plus significative.
***
Un autre trait de l’envie, décrit par Shoeck, est qu’il existe une
espèce de tabou qui interdit d’exprimer clairement et ouvertement
son envie à autrui. Il est concevable, qu’au moins dans la
présentation imaginaire que nous nous en faisons socialement, les
effets d’une telle déclaration mettrait la personne mal à l’aise par le
fait d’être considérée comme objet de désir et non plus uniquement
comme sujet. Cette conception fondamentalement égoïste est
surtout destructrice pour le lien interindividuel.
71
Pourtant, après avoir décrit les travers et les torts causés par
l’envie, Shoeck dit qu’en fait si l’on cherche à tuer l’envie on
anéantit, par la même occasion, le moteur de la créativité
individuelle et collective qui apporte l’évolution sociale.
«.. cet état d’équilibre (égalité des acquis et progression sociale
égalitaire) demeure un but idéal jamais atteint. Nombre de
propositions bien intentionnées visant à l’édification d’une
« société meilleure », d’une « société juste » s’égarent dès le
départ dans une pétition de principe : il s’agit pour elles d’une
société dans laquelle il ne subsiste plus rien qui puisse donner
naissance à l’envie. Pareille situation ne se présentera jamais, car
on ne peut prouver que l’homme inventera en cas de besoin un
objet d’envie à son usage. Dans l’utopie d’une société où, non
seulement nous porterions tous les mêmes vêtements, mais où nous
aurions les mêmes visages, chacun envierait encore à l’autre la
force d’âme supposée qui permettrait à cet autre de nourrir des
sentiments et des pensées personnelles sous le masque de
l’égalitarisme » et du communisme.
Nous avons évoqué plus haut le lien avec la psychanalyse. C’est ici
que la différence s’inscrit, le désir et aussi l’envie sont des moteurs
pulsionnels qui sous-tendent l’action et qui poussent l’individu
comme le groupe humain à vouloir toujours acquérir davantage de
biens comme plus de connaissances, de plaisirs, de découvertes, ...
Le désir, répondant à cette insatisfaction permanente que crée le
manque issu de notre condition humaine imparfaite et incomplète
pousse l’homme à chercher toujours plus et ceci dans tous les
domaines de sa vie : spirituel, affectif, scientifique, philosophique,
hédoniste, ... Cette pulsion de vie fait avancer et agir l’homme et
72
lui évite de tomber dans la pulsion opposée dite pulsion de mort64
qui conduit à la passivité, à l’inertie, à la dépression et par analogie
à la mort.65
64
Freud. Pulsion de vie : eros et pulsion de mort : thanatos.
65
C’est d’ailleurs bien de cette inertie, motivée par le dépassement des
liens charnels, dont il s’agit dans la description du Nirvana et non ce que
le sens commun en a fait : un lieu paradisiaque dans le sens orgiaque.
66
Maxime de La Rochefoucault cité par Shoeck.
67
Glucksman. Le bien et le mal.
73
conditions - économiques, politiques, sociales, intellectuelles ou
psychologiques - peut-être aurions-nous pu être Hitler ou tout du
moins ces éléments passifs et soumis qui se sont laissés entraînés
dans « la banalité du mal ». L’exercice est certes difficile pour un
juif mais sans doute d’une grande honnêteté intellectuelle qui est
de dire : regardons en face la « graine » de monstre que nous
sommes tous en puissance. C’est aussi reprendre sous une autre
forme le principe du mal radical kantien et le faire nôtre pour
pouvoir justement mieux le dépasser.
C’est sans doute pour cette raison que l’envie est l’un des sept
péchés capitaux. Nous ne rentrerons pas dans le détail de chacun
d’eux puisque l’ensemble s’inscrit dans le système moral
théologique chrétien.
Néanmoins, les sept péchés capitaux68 font particulièrement
référence à la religion chrétienne et donc au principe de péché, de
culpabilité, de châtiment et de rédemption. Ce que l’on peut
constater c’est que si les péchés ne sont pas à proprement parler le
mal, ils sont des intentions, des inclinations, des faiblesses
humaines qui vécues de manière extrême peuvent porter préjudice
à autrui. C’est cette atteinte contre l’ordre moral qui conduit à
identifier les péchés capitaux comme une des expressions du mal,
sans pour autant en conclure que ce soit le mal lui-même.
68
orgueil, envie, luxure, intempérance, paresse, colère et avarice.
74
Saint Augustin et le message que lui a laissé le vol des
poires
69
Sur ce point, au-delà du proverbe, l’oisiveté permanente conduit
souvent aux vices, en fait, principalement, par manque d’action autant que
de projet. L’autre aspect de l’oisiveté est d’ordre social. L’homme inactif,
de nos jours en tous cas, se sent mal à l’aise socialement et par
conséquence, psychologiquement. Aujourd’hui ne rien faire signifie ne
pas avoir d’activité, ne pas avoir de métier et donc ne pas avoir de raison
sociale de contribuer à la bonne marche de la société. Et ceci, conduit très
rapidement vers l’exclusion et la marginalité. Alors se pose la question de
la survie et de la raison d’être. Et souvent, l’intolérable de cette situation
amène à la dépression, parfois à commettre toute sorte de délits autant
pour subsister que pour exister, face ou contre les autres, qui eux, sont
dans le système.
70
L’Hortensius est un livre écrit par Cicéron que Saint Augustin découvre
lorsqu’il fait ses études de rhétorique et qui change totalement le cours de
sa vie lui révélant sa vocation et dit-il « il changea mes sentiments, il
changea mes prières et rendit tout autres mes vœux et mes désirs ». Cité
dans Saint Augustin de Serge Lancel.
75
philosophie de son temps, lui a révélé sa soif de connaissance et sa
vocation, pour réaliser le parcours philosophique qu’on lui
reconnaît à présent.
" ... mon Dieu, que je vous cherchais, non par cette lumière d'esprit
et d'intelligence que vous m'avez donnée par-dessus les bêtes... au
lieu que vous êtes plus intérieur à mon âme que ce qu'elle a de plus
caché au-dedans d'elle, et que vous êtes plus élevé que ce qu'elle a
de plus haut et de plus sublime dans mes pensées."
71
Naissance de Saint Augustin en 354 à THAGASTE entre Algérie et
Tunisie. Il meurt en 430 à Hippone.
76
A présent, la voie de Dieu, Amour, Créateur et Rédempteur,
devient difficile à considérer comme seule issue possible. En tous
cas le détour par le point de vue laïc est incontournable, car il est
devenu un épisode historique autant de la pensée que de la société.
Le libre-arbitre
72
Rosenfield.
78
On peut alors considérer qu’il s’agissait de rituels illustrant les
croyances et les valeurs d’un peuple.
Lors de la désagrégation de l’empire, les ressources ont commencé
à manquer en Egypte et les propres descendants de ces traditions et
de ces grands rois n’ont pas hésité à piller les tombes de leurs
monarques défunts pour enrichir les caisses de l’état.
L’exemple prend en considération le mélange de trois paramètres
totalement et typiquement humains : le religieux, le politique et
l’économique. La décadence politique et économique d’un pays,
envahi par d’autres peuples alors plus puissants et conquérants a
fait renier à une société son propre code, ses propres valeurs et ses
croyances au profit de l’argent et de subsides immédiats, plutôt
caractéristiques des nouvelles cultures envahissantes.
79
Dans son article « Mare tenebrosum » François L’Yvonnet fait
apparaître une autre forme du mal, un autre aspect de la limitation
qu’apporte le mal : le temps.
En effet, il émet l’hypothèse que, plus que le péché, ce que nous a
apporté la chute c’est la condamnation à la temporalité, à être sorti
de l’éternité.
« Nous sommes par le péché adamique tombés de l’Eternité dans
le temps. Alors commença la succession, la dure loi de la durée
[…], l’apparente captivité de son âme désolée dans chacune
d’elles (heures, années). » Pour Bloy que l’auteur cite, « le temps
est la rançon de la Chute » et corrélativement cette fragmentation
de la réalité empêche l’homme de distinguer la globalité que lui
permettait d’appréhender l’éternité. Il ne voit que des successions
d’instants, des répétitions et se trouve perdu dans cet espace
intermédiaire, le présent, coincé toujours entre le passé et le futur,
dont certains disent qu’ils s’agit d’un néant, angoissant car
éphémère, insaisissable et limitatif. « Le temps - qui ne peut être
qu’en cessant d’être - est rongé par le néant, il est cette tension
entre le « pas-encore » et le « déjà-plus », qui témoigne d’abord de
l’emprise du mal sur l’homme ».
Donc, pour l’auteur, cette condition temporelle de l’homme n’est
pas le mal mais plutôt le fait que l’homme est sous l’emprise du
mal.
73
Compulsion de répétition, voir à ce sujet Freud et Lacan. La répétition
est, selon le dictionnaire de psychanalyse, « dans les représentations du
sujet, dans son discours, dans ses conduites, dans ses actes ou dans les
situations qu’il vit, fait que quelque chose revienne sans cesse, le plus
souvent à son insu et, en tous cas, sans projet délibéré de sa part ».
74
Scénario de vie, concept développé par la théorie de l’Analyse
Transactionnelle.
82
L’échec à la mort repose davantage sur l’opposition entre le
principe de vie et le principe de mort75 et pour la raison citée ci-
dessus recommencer, répéter, serait un moyen illusoire et
imaginaire (et inconscient) d’échapper à la mort.
75
En référence à Eros et Thanatos (concepts de psychanalyse).
83
LE MAL EN S’AFFIRMANT COMME CONSUBSTANTIEL
DE L’HOMME ECHAPPE A DIEU
Ainsi donc, nous n'avons pas de preuve d'un début, pas plus que de
preuve de non-existence de commencement, seul l'enchaînement
des événements et le facteur de continuité est observable et valide
pour nous.
85
Je suis consciente que cette piste n’est que pure hypothèse pour
l’instant et qu’il n’existe pas de possibilité de vérification
scientifique, toutefois, c’est le projet de la quête de sens et
l’intention de comprendre qui me permet de formuler ces pistes de
réflexion afin de voir ce que le fait d’envisager un monde
atemporel aurait comme conséquence sur notre rapport au mal.
Mais pour autant, comment être sûr que l’homme, désœuvré, sans
limitations mais ayant toujours la possibilité d’exercer sa liberté
arrêterait pour autant de commettre le mal délibérément sur son
prochain ?
Bien entendu, il est impossible de répondre. Toutefois, au vu de ce
que nous connaissons de l’homme et de sa nature, nous pouvons
dire, que peut-être, malgré l’éternité, l’homme pourrait commettre
86
le mal pour le simple plaisir de le commettre. Et nous revenons
alors au principe du mal moral où seul l’agir éthique et la volonté
raisonnable de l’homme, comme chemin existentiel délibérément
choisi, pourraient avoir raison de ces pulsions spontanées et
premières de méchanceté et de nuisance envers autrui.
76
Le mal radical est décrit un peu plus loin.
88
humaine et qu’il est même l’expression suprême de son humanité.
Mais alors et Dieu dans tout ça ?
« Car si le mal est affaire de l’homme, si c’est à l’homme que
reviennent l’initiative et l’invention du péché, si le mal est même le
seul espace concret d’historicité où l’homme puisse agir de façon
autonome, totalement libre, en tant que pour soi, sans dette
d’aucune sorte, avec nulle transcendance, sans autres limites que
celles de son choix, de ses propres critères et maximes, n’est-ce
pas là faire du mal l’affirmation suprême de l’humanisme de
l’homme, de son humanité ?
N’est-ce pas là faire de l’innocence absolue de Dieu le signe, ou le
symptôme de sa disparition possible, par évanouissement, de ses
fonctions cosmologiques ; Dieu ne serait-il innocent que parce
qu’il risque d’être inexistant ? Non pas mort, bien entendu : la
pensée de la mort de Dieu demeure encore prisonnière de la
pensée théologique. Ou bien encore : l’innocence absolue de Dieu
ne serait-elle qu’une invention de la créature, au même titre que le
péché ? Dieu ne serait-il qu’une initiative de la liberté humaine, au
même titre que le mal ? Aussi radicale que le mal, par
ailleurs ? »77
Si Semprun pose la question et ne donne pas ici d’affirmation
définitive, pour ma part, c’est une conviction, l’homme aux prises
avec ses inquiétudes, ses angoisses et ses questionnements, ne peut
rester seul devant l’océan de l’incertitude et de l’inconnu qui nous
entourent, pas plus que devant l’intolérable du mal physique et
l’insoutenable du mal moral. Alors Dieu apparaît comme la
suprême et magnifique « invention » salvatrice et peut-être que le
concept de mal lui-même peut être conçu comme « inventé »
également dans le simple objectif de le nommer, de le définir et de
l’encercler pour moins le subir.
77
Jorge Semprun.
89
sur une période de l’histoire de la pensée. Nous ne reprendrons pas
le détail de la contribution de tous ceux qui ont conduit à passer de
la conviction théologique du mal à une conception où Dieu est
totalement exclu de sa définition. Mais brièvement, nous pouvons
évoquer que les différentes tentatives d’évangélisation (croisades et
inquisitions principalement) et, pendant de nombreux siècles, le
comportement global de l’Eglise a pu rebuter ses plus fervents
adeptes.78
En effet, c’est au nom de Dieu, qu’autant de turpitudes ont pu être
réalisées répondant davantage aux intérêts particuliers qu’à ceux
des croyants ou de l’Eglise elle-même. C’est alors que les
intellectuels successifs ont remis en cause la primauté de l’Eglise
comme maître à penser et surtout comme exemple de la bonne
conduite à suivre. De ce fait, la théologie n’a plus suffi à expliquer
l’origine du monde et le sens de la vie et l’Eglise n’a plus
représenter un exemple de moralité.
78
Nous développons ce point dans la deuxième partie de l’essai, toutefois
nous pouvons d’ores et déjà noter que le pape Jean-Paul II a très
récemment fait un mea culpa public, engageant la totalité de l’Eglise et de
la communauté chrétienne sur le repentir des exactions commises, durant
l’histoire.
79
Pour des raisons d’harmonie théâtrale, les échanges de textes entre le
dominicain Las Casas et le chanoine de Cordoue, Ginès de Sépulvéda, ont
été mis en scène sous forme d’un dialogue entre les deux hommes, arbitré
et jugé par un cardinal mandaté par le pape pour trancher la question de
savoir si les Indiens d’Amérique du Sud (Nouveau Monde) sont des êtres
humains comme nous, ou bien si ce sont des sous-hommes. La
controverse de Valladolid. Jean-Claude Carrière.
90
d’années, des rumeurs se sont répandues en Europe disant que les
indigènes de Mexico et des îles de la Nouvelle Espagne ont été très
injustement maltraités par les conquérants espagnols. […] Ce qui
a profondément troublé l’Eglise, depuis le début de la découverte,
c’est que la rumeur hostile répandue par les Hollandais, par les
Anglais, par les Français, persiste à dire que ces mauvais
traitements s’exerçaient sur les indigènes au nom de notre sainte
religion. […] Aujourd’hui le Saint Père m’a envoyé jusqu’à vous
avec une mission précise : décider, avec votre aide, si ces
indigènes sont des êtres humains achevés et véritables, des
créatures de Dieu et nos frères dans la descendance d’Adam. Ou si
au contraire, comme on l’a soutenu, ils sont des êtres d’une
catégorie distincte, ou même les sujets de l’empire du Diable ».
80
Voir à ce sujet l’historique de l’anthropologie et de l’ethnologie et
d’autre part les critiques sévères à l’encontre des anthropologues d’autres
cultures (que la culture occidentale) lorsque ceux-ci, au XXe siècle, ont
proposé leurs observations sur les mœurs des Européens ou des
Américains.
91
fourvoyer de sa mission initiale et générer le doute auprès de ses
fidèles au point de créer la rupture et le rejet.
Cela nous amène à une autre définition du mal qui serait encore
une fois liée à la limitation mais sous une autre forme. Excusez la
tautologie, mais l’homme est prisonnier de son histoire. A la fois
du poids de l’histoire qui le précède, mais aussi de l’époque dans
laquelle il vit et ceci est valable absolument pour tous, quel que
soit le niveau d’ouverture intellectuelle. En effet, qui, aujourd’hui,
si ce n’est quelqu’un n’étant plus tout à fait sain d’esprit, ose
prétendre que la terre est plate ou que le soleil tourne autour de la
terre ? Ce qui veut dire que si les connaissances s’élaborent, la
pensée aussi et ainsi chaque principe nouvellement pensé est lu,
discuté, remanié par les disciples du maître, puis construit et
enrichi au fil des différentes époques.
Ainsi, les philosophes existentialistes, ont-ils, à mon avis, été
prisonniers de l’angoisse affreuse de culpabilité, de honte qui a dû
parcourir le monde à la suite de la Seconde Guerre Mondiale. Les
différentes formes d’angoisse, dues à la colère et à révolte face à de
tels agissements, se sont manifestées, très probablement, par un
rejet en bloc, des propositions classiques permettant de gérer le
monde à reconstruire. Et concurremment au rejet c’est la perte des
croyances et des valeurs humanistes qui a amené le vide, le néant
et l’attirance entropique de la mort du genre humain, pour mieux le
repenser, par la suite.
En effet, comment, à cette époque là, ne pas être en révolte et
rejeter avec véhémence la notion d’amour de Dieu face aux
millions de personnes torturées et volontairement éliminées ?
Envisager un avenir serein ou parler de compassion ou encore de
pardon étaient impossibles. Chacun était déchiré et horrifié et seuls
des sentiments de haine et de colère, voire de peur trouvaient
encore leur place. C’est ainsi que nombre de paradoxes
intellectuels se sont vus se disloquer et la logique n’a plus prévalu
pendant quelques temps, seules les « tripes » ont dicté à la pensée
l’orientation des concepts.
93
D’ailleurs, aujourd’hui, on voit combien il serait ridicule de vouloir
cristalliser les horreurs de la guerre sur un seul peuple, car, comme
nous l’avons vu, combien de peuples actuels sont-ils coupables (et
capables) de génocide sur leurs voisins ou leurs frères ? L’atroce
est de constater qu’aucun de nous n’en est à l’abri.
94
Par ailleurs, la forme dominante de la pensée philosophique
occidentale nous conduit à une sorte d’enfermement intellectuel
linéaire et prônant le principe des causes et des effets. La logique
d’Aristote, le cogito de Descartes, la Raison Pure de Kant, comme
les syllogismes grecs nous enferment dans des formes de
raisonnement linéaires, où tout part d’une ou de plusieurs causes et
doit avoir une ou plusieurs conséquences.
Devant les dangers des radicalismes induits par la pensée logico-
déductive, il semble qu’envisager d’autres pistes de modes de
pensée soit la particularité de notre siècle.
Ainsi de nouveaux schémas de pensées se font jour. La mise en
perspective, parallèlement, des phénomènes du chaos, de la pensée
systémique, de la pensée complexe, ou encore du principe de
synchronicité de Jung apportent une révolution dans les possibilités
de la pensée. Nous reviendrons plus en détail, dans la deuxième
partie de l’essai sur les diverses applications de ce nouveau mode
de pensée.
Pour autant, d’ici quelques décennies, celui-ci sera à son tour
critiqué, remanié et l’on pourra apprécier ses aspects obsolètes du
simple fait que quelque chose d’autre et de nouveau aura pu
émerger. Ainsi, nos successeurs, verront-ils, comme chacun de
nous aujourd’hui, qu’il manquait une vision plus large, plus
distanciée par rapport aux problèmes, pour en comprendre la
complexité, la richesse et l’importance.
95
il s’agit à nouveau d’accepter les limites de notre condition, du
temps et de notre époque.
81
Henri Pasqua. Albert Camus et le problème du mal. Les études
philosophiques, N° 1 / 1990.
96
détruire en se dépassant. Seul le mal existe avec sa capacité
destructrice. C’est l’œuvre du Néant ». Le point de vue de Simone
Weil est de dire que « Dieu s’est vidé par la création et
l’incarnation avec la passion. La création est cette épaisseur que
Dieu a mise entre lui-même et lui-même : en créant, son être
bascule tout entier dans les êtres, il ne reste plus rien pour lui, il ne
lui reste plus rien. La création serait donc une espèce d’erreur,
elle serait le fruit de la nécessité, l’effet d’un amour fatal et non
l’œuvre de l’amour transcendant. En se produisant, elle a
provoqué l’anéantissement de Dieu ».
Il apparaît, au vu de la conclusion pathétiquement nihiliste de
l’auteur que, sans doute, la souffrance et l’horreur rencontrées par
la découverte de l’holocauste a vidé la pensée humaniste de son
sens et de sa direction. Et qu’il n’est plus possible, ni tolérable
d’envisager qu’il existe, dans ces conditions, un Dieu, Amour, qui
puisse avoir supporté ces horreurs. La faillite tragique des émotions
et du raisonnement que l’on peut entendre dans ces quelques
phrases illustre bien, combien au-delà de la position particulière
philosophique ou psychologique c’est toute la souffrance d’un
individu, d’un peuple ou d’une société entière qui crie au travers
d’idéologies et de positions radicales.
82
Eichmann à Jérusalem. Ce livre lu aujourd’hui ne semble pas
insupportable, s’il l’a été à son époque, c’est qu’au lieu de systématiser
sur autrui, en l’occurrence les nazis, le poids de la culpabilité, elle a
introduit la possibilité de la co-responsabilité des juifs. Elle rejoint là
aussi, le fameux « Hitler, c’est moi » d’André Glucksmann.
97
coupable idéal lorsqu’il abandonne les hommes devant les horreurs
fratricides qu’ils sont seuls à commettre à si grande échelle.
Dieu a abandonné les hommes, il n’a plus su les aimer
suffisamment pour leur porter secours, car, vidé de sa substance
par son acte créateur, il ne restait plus rien pour aider justement ses
créatures devant l’atrocité « inhumaine » du mal que le génocide
incarne. Sauf que tous les génocides de l’histoire ont été commis
par des hommes contre des hommes, parfois sous couvert
d’idéologie ou de religion, mais jamais le doigt de Dieu n’est venu
toucher quelques âmes, que ce soit pour commander tel ou tel
massacre.
98
que sais-je encore faisant partie des différences intrinsèques d’un
groupe humain à un autre.
Cette incapacité à tolérer, à respecter, puis à empêcher la violence
et finalement à faire cesser immédiatement et définitivement ce
type de massacres, rend toute la communauté des hommes
contemporains à ce type d’exaction co-responsables, au moins
moralement complices, de n’avoir pas su, pas pu ou pas osé agir.
Alors, la culpabilité va grandissante comme un fléau ou un virus et
semble avoir contaminé la pensée des philosophes des années 40-
60. Et l’on sent bien, dans leur éradication de Dieu, ou dans la
limitation qu’ils lui attribuent ou qu’ils lui confèrent, toute
l’horreur et la détresse dans lesquelles se trouve l’individu.
83
Cioran, Nietzsche, Sartre, …
100
Alors, la fréquence de l’information stimulant le spectaculaire et le
sanguinaire84 l’emporte sur les actes positifs, bénévoles, courageux
et gratuits que nombre d’êtres humains réalisent pour leurs
prochains.
C’est bien ce qui m’a amené à dire que, sans doute, la vision et la
description du mal, sont, au moins autant influencées par l’homme
ou la femme qui en parle, que par la justesse du raisonnement qu’il
ou elle présente. Et l’influence de son époque et des événements
déterminants de son histoire lui feront percevoir le mal d’une tout
autre façon qu’une autre personne. Même si la philosophie ne
retient de la multitudes des positions individuelles que certaines,
considérées comme vraiment apportant leur pierre à l’édifice de la
construction et de la compréhension de ce qu’est le mal. Par
ailleurs, régulièrement, les positions établies sur cette question sont
revisitées et souvent retravaillées ayant quelques difficultés à
résister à la créativité macabre et maligne des hommes.
Comme nous l’avons dit, nous sommes le produit d’un monde fini
et notre condition est mortelle et limitée. Nos productions sont
éphémères, à l’instar de notre condition biologique.
84
Hier encore (03/04/2000), au journal de 20h00, des images ont été
passées montrant les crimes et les massacres réalisés en Tchétchénie.
Malgré les précautions de circonstance, ce sont des images atroces qui
deviennent monnaie courante et qui n’offusquent plus grand monde. Elles
retombent dans la banalité du mal et n’exacerbent plus que les friands de
sensations fortes.
101
Seul l’art semble traverser les affres du temps comme étant peut-
être l’ultime expression du vivant sublimé contre la mort ?
85
Qu’est-ce qu’on ne sait pas ? Les rencontres philosophiques de
l’Unesco. Découvertes Gallimard.
102
jalouse le sort des plus vils animaux. Qui peuvent se plonger dans
un sommeil stupide. » Baudelaire. Les fleurs du mal.
86
Comte-Sponville.
87
Paul Ricoeur. Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie.
88
Pierre Gisel. préface de Paul Ricoeur. Ibid.
103
Puisqu’il apparaît que le mal est partout répandu dans le cœur de
l’homme, à la fois comme la condition de son humanité et
l’expression de sa liberté et qu’il est également ce qui le fait
souffrir quand il le conduit à s’éloigner de ses choix éthiques alors
on peut se demander si le mal est absolu ?
105
tout en le laissant dans une totale méconnaissance de ce bonheur.
Néanmoins, par amour, il a pu lui donner la possibilité du choix.
106
Le mal est-il le néant ?
89
Rappel : Dieu est le seul créateur, Dieu est bon et pourtant il y a le mal,
etc.
90
Une difficulté conceptuelle lorsque l’on parle de néant réside dans le
fait que souvent pour le comprendre, on cherche à le chosifier, à en faire
une entité agissante alors que le néant n’est rien. Si l’Etre est, le néant
n’est pas et ne peut se concevoir que comme absence d’Etre. Mais comme
nous sommes des êtres finis et que nous ne sommes pas l’Etre, nous
107
Je ne suis pas d’accord avec ce principe.
avons besoin du néant pour comprendre ce manque d’être qui nous rend
mortel. Et c’est là que d’aucuns, cherchant à comprendre le mal, le
placeraient du côté du néant, c’est-à-dire du manque à Etre, de l’absence
d’intention à Etre.
108
alors mieux l’apprécier et il existe une perception de mieux
ressentir ce que l’on peut appeler « son centre », ce qui revient à
dire que l’on se sent plus proche de l’essentiel de soi-même, plus
sage et plus calme.
91
Voir à ce sujet les théories sur le développement de l’enfant avec
principalement Freud et Wallon.
109
et un jour nous accédons au symbolisme et aussi à la prise de
conscience d’être distinct de l’autre92.
Donc, nous ne pouvons nous développer sans l’autre et sans son
regard qui nous permet de nous forger une image, de la corriger
aussi, l’autre nous permet autant l’amour que la critique et toujours
nous facilite la possibilité d’évoluer.
92
Allusion au célèbre stade du miroir décrit par Lacan. In Les Ecrits. J.
Lacan.
93
C’est en quelque sorte le message de Bouddha.
110
Bien entendu, la perspective classique s’inscrivait la plupart du
temps dans un cadre transcendantal ou théologique et la dialectique
de l’Etre et du Non-Etre. L’Etre s’inscrivant dans le principe du
divin et il ne restait guère de place pour le néant, si ce n’est d’être
cette notion, illogique, incompatible avec Dieu, mais qui pourtant
permettrait d’expliquer le mal sans rendre Dieu responsable, d’une
quelconque manière, de sa création. Mais ce discours était non
seulement prisonnier du discours théologique mais en plus
prisonnier de la lecture traditionnelle de la Bible, davantage dans
son aspect narratif et descriptif que comme allégorie mythologique
expliquant à l’homme ce qui manquait à son entendement pour
tolérer sa souffrance.
111
Le néant comme exclusion du champ social
112
"Il faut aller au-delà de notre conception de Dieu, car Dieu est
éternellement au-dessus de tout." Julien Green.
Il s'agit alors de foi réelle et inconditionnelle.
Tout ceci pour dire que, premièrement le mal n’a pas disparu.
Ensuite, le besoin existentiel de croire non plus. Mais notre ère
contemporaine a été agitée de tellement de vents contraires qu’il a
fallu en passer par la nécessité de tuer Dieu. Cependant, rester seul
sur la surface de la terre et face à l’univers conduit, très vite, à
exprimer toute la détresse du monde, et l’amertume liée à
l’abandon que chacun ressent pousse, certains, en tous cas, à se
tourner à nouveaux vers le spirituel et le mystique qu’elle qu’en
soit la forme.
L’évolution marquante que l’on peut ici pointer est que l’individu
est désormais considéré comme étant directement acteur et
responsable du mal comme du bien, sans qu’il y ait forcément
rattachement à un autre principe qu’il soit divin ou autre.
Alors, on peut considérer que le mal, s’il reste pour d’aucuns relatif
et non absolu, est, incontestablement, subjectif tant dans sa
perception, dans sa définition que dans sa gestion car il a pris
quelques distances avec son affiliation théologique.
94
André Comte-Sponville et Luc Ferry. La sagesse des modernes. Dix
questions pour notre temps.
95
J’avoue peu apprécier les jugements de valeur de cette sorte, induisant
que tout ce qui n’est pas philosophique est moins bien. Commentaire de
l’auteur.
96
Bernard Sichère. Ibid.
116
« Face au relativisme qui assure qu’il existe autant de morales
possibles que de cultures, face au subjectivisme qui affirme que le
mal est une catégorie du jugement, je crois juste de soutenir qu’il y
a une puissance et une énigme du mal situable au cœur du fait
humain et possédant une consistance propre par-delà toute
manifestation empirique ».97
97
Ibid.
117
Le mal et la subjectivité
Lorsque l’on pense le mal, sous les aspects que présente Sade, on
peut aussi comprendre une société en crise et voir l’avènement de
l’homme seul, qui se dresse, sans Dieu, commettant les pires
horreurs contre autrui pour le simple plaisir de sa propre
satisfaction (libertinage) et pour mettre à jour les diverses facettes
du mal.
98
Noël Herpe. In Le Siècle des Rebelles.
118
De plus, ces attitudes sont le produit des hommes et des femmes
les plus instruits, éduqués, civilisés et les plus au fait des préceptes
religieux, de leur époque. Ainsi, par les nouveaux axes de réflexion
qu’il propose, par exemple avec la philosophie dans le boudoir, il
ouvre la voie à une autre forme de philosophie, qui déplace les
idées, l’homme et la morale sur d’autres terrains. En particulier sur
celui de la rébellion, de la subjectivité, en un mot de
l’émancipation de l’homme sans Dieu, comme l’enfant s’évadant, à
l’adolescence de l’autorité parentale. C’est ainsi que l’on peut
mieux comprendre pourquoi on a pu dire de lui qu’il est un
symptôme.99
99
Pour reprendre l’expression de Sichère.
119
conviction qu’il existe une férocité de toujours, une part de nuit du
cœur humain qui appelle de nouveaux exorcismes ».
Nous sommes encore une fois sauvés de nos barbaries par les
productions particulières de l’artiste qui sait exprimer et
transcender le mal-être d’une époque particulière en les sublimant
par l’esthétisme. Pourtant, il cherche par son œuvre à exorciser le
mal dans un effort de mémoire qui n’aboutit pas toujours puisque
rares sont ceux qui voient autre chose dans les œuvres de Goya que
l’expression artistique aboutie !
Le message est criant, hurlant même, mais il s’époumone dans le
silence des galeries de peinture. Les raisons pour aller voir une
exposition sont multiples, on s’y rend par effet de mode, de
conformisme social ou de plaisir pictural et artistique mais
combien y vont pour comprendre le message politique, moral ou
humaniste que l’artiste a voulu laisser ? Et pourtant, au-delà de
l’esthétique c’est souvent un combat idéologique qui s’exprime ou
l’engagement éthique que l’artiste souhaite partager avec ses
admirateurs.
*
Le récent conflit du Kosovo nous éclaire sur les desseins des
hommes en tant que groupe et chaque individu est alors face à ses
propres décisions et peut y souscrire ou s’y opposer.
L’extraordinaire solidarité qui s’est manifestée dans les premiers
temps du conflit démontre le potentiel de solidarité que nous
121
pouvons mobiliser quand nous réalisons dans quelle détresse est
notre prochain.100 Et si nous pouvons sortir du mal « c’est à la
condition de dire clairement que la « Nature » n’est pas (la science
moderne permet assurément de le dire) mais qu’en revanche le mal
existe : à la guise d’un sujet qui y cède ou s’y refuse ».
100
Ensuite, l’exploitation faite par les médias et la politique va parfois
démontrer que différents gouvernements vont aider ces peuples en
déroute, mais pour combien s’agit-il d’un acte humanitaire et combien
d’autres y satisfont leurs intérêts particuliers, économiques, politiques et
carriéristes ? Pourtant, pour s’éloigner du purisme idéaliste, c’est par ces
actions, aux motivations diverses et aux finalités variées que des pays
sont reconstruits et aidés et que des progrès humanitaires et moraux
parviennent à être réalisés.
101
Emission télévisée montrant une succession de « gags » tirés de la vie
courante, filmés par des caméras amateurs et envoyés à la chaîne de
télévision qui diffuse les plus drôles, c’est-à-dire ceux qui mettent en
scène les autres dans des situations plus ridicules les unes que les autres.
122
Donc, la nature initiale de l’homme est cette bestialité, cette
animalité que Lorenz102 a si bien décrite dans l’éthologie des
comportements agressifs et violents des animaux d’abord et des
hommes ensuite. Mais si nous ne sommes que ça, nous ne sommes
pas encore des hommes. Notre nature a la particularité, nous
venons de le voir, d’être double. Notre condition définit nos limites
et nos possibilités et permet d’envisager un réel projet humain.
C’est alors l’accès unique de l’homme à la culture qui lui fait
dépasser ses penchants instinctifs pour se forger des règles de vie
en société, des lois, des normes et des valeurs communes. Ce
patrimoine de codes et de références le rend civilisé et capable,
alors, de savoir ce qu’est la liberté et de décider ou non de révéler
son humanité en fonction, justement, de l’inclination qu’il va
donner à sa liberté et à ses choix.
102
Konrad Lorenz. L’agressivité.
103
Ténèbres : en référence au Moyen Age et à l’opposition qui a régné
entre science et alchimie ou raison et obscurantisme, par exemple.
123
Le mal entre subjectivité et mal radical
104
Sichère. Ibid.
124
Dans son ouvrage, Sichère met en correspondance le mal et
l’histoire et permet de relire certains faits sous un éclairage
différent, ou tout du moins inhabituel. Nous allons reprendre l’un
de ses arguments pour à la fois lui donner raison et aussi se faire
l’avocat du diable.
Il induit, dans sa démonstration, que notre époque est celle de tous
les maux et que par le passé, les événements et les comportements
étaient moins terribles et moins nuisibles.
Ce message résonne comme un leitmotiv, en effet, depuis des
siècles, voire des millénaires, au vu de certains écrits historiques et
philosophiques, les gens pensent que leur époque est la pire de
toutes et que les valeurs traditionnelles se perdent, etc…
Ce genre de discours m’interpelle, par sa fréquence, sa récurrence
et pour la signification sociale qu’il nous donne et à laquelle il peut
être plus intéressant d’apporter du sens que de l’eau au moulin du
discours stérile de la critique.
Ainsi Sichère nous dit que notre époque produit des formes accrues
de pathologies. Et bien, je dirai oui et non. Examinons tout d’abord
les arguments qui vont dans son sens.
105
Nombre de recherches ont démontré, d’une part l’aspect apaisant et
lénitif de la nature et d’autre part, la concentration urbaine entraîne
promiscuité, donc manque d’espace et construction excessive, donc un
environnement artificiel et construit, facteurs qui contribuent à expliquer
l’agressivité qui s’observe dans les villes.
125
Ensuite, l’industrialisation génère plusieurs phénomènes
d’accélération des diverses composantes de notre vie : croissance
constante du rythme et de la cadence du travail pour des raisons de
profitabilité et aussi pour subvenir aux exigences du marché. Le
capitalisme qui en découle introduit des notions de performance, de
compétition, de comparaison de l’efficacité des individus.
Autant de facteurs qui sont générateurs de stress, qui accroissent
les différences interindividuelles et qui font la part belle à ceux qui
sont souples, flexibles, intelligents, cultivés, battants, gagneurs. Et
de ce fait laissent les autres sur le côté de la route du travail et du
succès et développent de manière frénétique et contrôlée le
phénomène d’exclusion et de marginalisation.
106
XY. Elisabeth Badinter.
126
opposée, c’est-à-dire l’anarchie et l’amour collectif en réponse à la
guerre et aux répressions en tout genres. Aujourd’hui, nous
sommes le produit de ces conflits sociaux et de ces tendances
extrêmes et de ce fait un certain nombre de choses sont à repenser
pour trouver un nouvel équilibre.
127
a dit)107, la pathologie qui deviennent les symptômes du désordre.
Cette frénésie et ce chaos sont les manifestations tant du
traumatisme que de la folie qui se sont emparés du corps social et
qui résonnent dans la psyché individuelle comme un écho
destructeur.
Mais qui nous dit, que durant les siècles qui ont précédé, les
pathologies, nommées aujourd’hui, n’existaient pas pour autant ?
On pourrait ainsi redéfinir les grands mythes de l’horreur comme
Dracula, le Loup Garou, et autres expressions populaires et y voir,
par exemple, l’œuvre particulière de tueurs en série.
Ensuite, par manque de taxinomie précise, c’est-à-dire, tant qu’il
n’existe pas de théorie ou de modélisation pour parler de quelque
chose, soit le phénomène est carrément nié, soit il est pris et
mentionné dans un référant plus large et donc plus diffus, ce que
pouvaient recouvrir les termes « d’idiot du village » ou de « fou ».
Ces termes caractérisaient pêle-mêle toute personne ayant un
comportement marginal (anormal) par rapport à la norme du
107
Petit clin d’œil sur le double sens des mots, qui est justement l’une des
pistes travaillées en psychanalyse.
108
Voir Charcot et Janet.
128
groupe social auquel elle appartenait, ceci étend alors,
considérablement, les frontières de la folie à la normalité ! 109
109
Canguilhem. Normal et pathologique.
129
Et ce point amène alors à expliquer pourquoi certains pensent que
ce siècle-ci est pire que les autres. Il existe tellement
d’informations sur ce que nous faisons, partout et instantanément
dans le monde, que l’on arrive à la conclusion, abusive, que nous
sommes plus monstrueux que la totalité de l’humanité qui nous a
précédés.
Peut-être qu’un peu de distance prise par rapport à cet
envahissement informatif et la possibilité de réaliser un retour vers
des sources historiques pour confronter notre époque aux siècles
passés donnerait une image plus objective et réaliste de ce que
nous sommes et de ce que nos prédécesseurs ont été.
En effet, les atrocités ne manquent pas, une guerre qui a duré cent
ans, l’Inquisition, les Croisades, le massacre de la Saint
Barthélémy, autant d’expressions diverses de notre intolérance et
de notre besoin de pouvoir au détriment des autres et de leurs
différences.
130
Certains éléments pourraient expliquer en quoi ces « pathologies »
étaient aussi abondantes jadis. Les mariages consanguins seraient
une des causes principales de folie du corps social. La fréquence de
ce type d’unions était due aux faibles déplacements des
populations et avait pour conséquence que chacun se mariait avec
une personne de son village, donc il y avait peu de renouveau.
Ensuite, le protectionnisme des classes sociales et les intérêts
politiques et financiers ont amené, principalement les nobles à se
marier entre eux parfois même entre frères et sœurs, comme jadis
les Egyptiens.
Ceci entraînait peu de remise en cause des schémas tant
biologiques que sociaux, moraux et psychologiques et explique
combien de monarques ont pu être « malades » au point de sombrer
dans la folie. Le peuple, prenant exemple sur l’aristocratie qui les
dirigeait, faisait de même, c’est pourquoi on retrouve le personnage
de l’idiot du village, dans chaque groupe humain, qui
géographiquement correspondait à des villages.
Par ailleurs, les épidémies en tout genres et certaines maladies
vénériennes telle que la syphilis conduisaient très vite l’individu
vers la folie.
131
*
Constater l’importance comme l’étendue des déséquilibres
psychiques pourrait être considéré comme l’exercice du mal radical
mais pris dans le sens de sa manifestation au travers de
l’inconscient.
133
Le mal radical
110
Cité par Jorge Semprun.
111
Idem.
112
Rosenfield.
134
d’appartenance et plus généralement transgresser les impératifs
catégoriques qui consistent à préserver la vie d’autrui. Ceci est
parfaitement illustré par les actes des criminels, des assassins ou
des terroristes, toute personne enfreignant consciemment113 les lois
morales pour le seul bénéfice de son intérêt propre.
113
Il est, malgré tout, nécessaire d’apporter une nuance. Il existe deux
catégories de criminels, dont la justice distingue, à juste titre, la nature des
actes et donc le châtiment. Il y a ceux qui sont conscients de leurs actes et
choisissent de mal agir, c’est ceux dont on parle ici et ceux qui, atteints
par certaines pathologies mentales, ne savent pas ce qu’ils font et sont
alors qualifiés d’irresponsables au plan pénal.
135
radical est « inscrutable » : « il n’existe pas pour nous de raison
compréhensible pour savoir d’où le mal moral aurait pu tout
d’abord nous venir »114.
J’ai le vertige lorsque je pense que l’Europe est aussi bien le foyer
des pensées philosophiques les plus abouties, la pensée grecque et
sa démocratie, le siècle des Lumières et son humanisme,
l’avènement de la morale avec Kant et qu’elle est aussi le théâtre
d’une grande majorité de guerres et de la plupart des génocides et
des fascismes (franquisme, nazisme, stalinisme).
Quelle conclusion ?
Aucune, pour ne pas tomber dans le comparatisme abusif entre les
cultures et les sociétés, il s’agit, juste d’une ouverture sur la
réflexion que nous sommes bien capables du meilleur comme du
pire et que, franchement, nous n’avons guère de vergogne à vouloir
conquérir le monde avec nos préceptes (évangélisme, colonialisme,
christianisme et surtout l’universalité de la civilisation).
114
Ricoeur. Ibid.
136
Et c’est toujours cette civilisation qui a pu aussi nous conduire aux
pires barbaries autant physiques que psychologiques, telles que cet
exemple de la Seconde Guerre Mondiale : « … ces Polonais qui
regardaient passer les trains de la mort, qui « savaient » et qui
baissaient le pouce en riant devant ceux qui ne reviendraient
pas… ».
115
Une résistance dont nous savons combien elle a été limitée dans la
réalité à une poignée d’individus, la plupart décimés par la Gestapo. Et
comment elle est devenue, pourtant, l'emblème du comportement de tous
les Français occultant tranquillement l'importance, tout aussi significative,
de la collaboration de la milice ou de la majorité ayant opté pour la
passivité égoïste.
116
Karl Jaspers cité par Jorge Semprun. Ibid.
117
Cité par André-Marie Dubarle, in Péché originel. Encyclopédia
Universalis. 1992.
138
perfection initial, mais il y a une tradition du mal, une connexion
interhumaine dans le mal. Quand un individu pèche, le mal était
déjà là : en lui par la convoitise, hors de lui par le milieu ».
Le mal est donc bien en nous, comme un potentiel, déjà là, une
sorte de gène qu’il nous suffit de manifester comme celui de
l’allergie, sauf que ce dernier dépend de notre ADN et que le mal
dépend de notre libre-arbitre et de notre degré d’éducation morale.
En effet, l’individu inconscient pourra commettre le mal, mais
comme il ne savait pas, il saura, après coup, ce qu’il a commis et
quelles en sont les conséquences. Ce n’est que dans la récidive que
le choix aura été réalisé. Ainsi, Adam et Eve étaient bien avertis,
mais la tentation a eu raison de l’entendement.
Ainsi, nous soucier de l’origine n’a guère de sens, ce qui semble
davantage primordial c’est de savoir comment développer notre
savoir, notre autonomie et notre conscience pour éviter les
penchants et les tentations.
Le mal subi est toute souffrance infligée par soi-même ou par les
autres, et qui, surtout, rend l’acteur subissant et souvent
impuissant. On peut penser principalement aux maux causés par la
nature, ou plus exactement aux avatars que notre condition
humaine nous fait dire que nous subissons : maladie, infirmités,
mort.
118
Paul Ricoeur. Ibid.
139
Pour Ricoeur, ce qui complique les choses, c’est que ces deux
formes du mal sont enchevêtrées : en effet, une peine affligée à une
personne ayant commis un méfait sera perçue comme une
souffrance (prison, peine de mort) et ainsi initialement le mal
commis se transforme en mal subi. A l’inverse, la souffrance des
hommes, (prenons les cas de guerre et de génocide, pour choisir les
cas les plus explicites) il s’agit là pour un certain nombre d’acteurs
de « mal faire » en commettant le mal moral, toujours à l’encontre
d’autrui et pour ceux qui subissent la souffrance infligée par les
premiers, il s’agit bien de mal subi. Et lorsque les victimes se
retourneront contre leurs bourreaux pour obtenir châtiment et
réparation, ces derniers se retrouveront eux aussi dans la réalité du
mal subi.
119
Puritain mais dans le bon sens. Clément Rosset. In Question de. Le
mal.
120
En fait, il y a eu une crise de la morale, décrite par Roland Quilliot
dans le Mal et la conscience éthique moderne, in Les études
philosophiques. La perte de la morale ou la crise intellectuelle de
l’éthique est due au fait que « cette morale était constituée de règles,
imposées par la coutume et acceptées sans réflexion critique, dont la seule
justification officielle faisait appel à une volonté divine devenue avec le
temps problématique : si le Bien n’est tel que parce que Dieu le veut,
qu’arrive-t-il si l’existence de Dieu devient incertaine ? »
140
je reproche à la morale, c’est son irrespect pour la réalité ». En
effet, il dit que la réalité peut être tragique et que nous pouvons
sans doute agir sur notre futur, mais en ce qui concerne le passé, le
fait de décrier l’immoralité des actes commis empêche de penser et
d’analyser les faits pour justement pouvoir décider autrement de
l’orientation de nos actes à venir. « La seule chose qui me choque
moralement c’est la morale elle-même, parce que j’y vois une
illusion, une duperie et un mensonge éhonté, une manière vraiment
bien facile de se débarrasser de la réalité au nom des principes ».
« Je ferai valoir encore un autre argument contre la morale en
général : parmi les nombreuses raisons pour lesquelles il me
paraît opportun de mépriser le souci du bien et du mal, il y a ce
défaut intellectuel […] qui consiste à s’épargner une analyse de ce
qui s’est passé, de ce qui se passe, de ce qui est, de la réalité, au
profit d’une approbation ou d’une réprobation. Faire de la morale,
c’est aussi une manière de ne pas penser ».
Ce point de vue est assez surprenant et toutefois intéressant, car il
dit vouloir privilégier la pensée sur le conformisme des
conventions. De plus, il met en garde sur l’aveuglement qu’il y
aurait à juger plutôt qu’analyser et en déduire les comportements
opportuns à avoir dans des conditions similaires.
Enfin, son point de vue va plus loin, il dit que se focaliser sur les
malheurs ponctuels, dans le sens accidentel et exceptionnel comme
l’holocauste, empêche d’identifier les maux permanents de
l’homme que sont la maladie, la vieillesse et la mort. Bien entendu,
ce point de vue peut paraître choquant, tant il s’oppose aux
horreurs commises, durant les guerres ou les génocides, qui font
hurler d’horreur et d’effroi devant l’ignominie de l’homme.
Pourtant, ce mal là qui serait proprement humain fait ombrage
peut-être à un mal plus endémique qui serait celui de la condition
humaine : finie et mortelle qui est une souffrance permanente et
réelle, dépassant les occasions du mal radical exercé délibérément
sur autrui.
141
Le mal et la souffrance
Un autre aspect que prend le mal est que lorsque l’on souffre, il
devient impossible de garder les yeux ouverts sur l’extérieur et
d’être réceptif à autre chose qu’à sa douleur intérieure, c’est-à-dire,
d’être vigilant à l’autre. « Toutes les ouvertures du sujet sont peu à
peu obturées par la souffrance, le moi devient le centre d’un
monde dont la rumeur nous vient étouffée, et c’est ainsi que le mal
éprouvé peut être l’occasion de la méchanceté : la souffrance rend
égocentrique »121. Face au mal, la réaction de l’individu est en
quelque sorte une défense, un repli sur soi, qui justement entraînent
121
Voici un autre point de vue sur l’égoïsme comme pouvant être une
expression du mal à part entière.
« Je crois que la vérité du mal c’est l’égoïsme : non le fait de s’aimer plus
que tout, voire de n’aimer que soi au point d’être prêt à faire souffrir
l’autre, ou à le laisser souffrir, pour augmenter ou pour ne pas
compromettre son bien propre ». Comte-Sponville.
En quoi l’égoïsme est-il proche du contraire de ce que l’on désire ? On
pourrait dire, pour prendre d’autres références langagières que l’égoïsme
est le désir à court terme, par opposition à ce qui est bon pour soi qui peut
être perçu comme une quête à long terme. Alors l’égoïsme pourrait être
une sorte d’hédonisme pris dans l’immédiateté et l’éphémère. L’autre
point, connu de tous, est que l’égoïste est, par principe, peu enclin à
respecter autrui, ainsi si l’égoïsme n’est pas encore un mal pour soi, en
est-il un au moins pour autrui. Il pourrait être alors le résidu du désir de
l’enfant, englué dans son illusion de toute puissance, et amènerait
l’homme adulte à s’étourdir par des plaisirs précaires et par l’insouciance.
Ce qui peut être de l’égoïsme pour certains ou l’expression d’une certaine
malveillance calculée pour d’autres. Mais dans tous les cas, il est le reflet
d’une immaturité émotionnelle et affective, qui place l’autre dans une
position parentale (en référence à l’enfant en relation avec ses parents),
c’est à dire dans une place d’objet et non de sujet. C’est-à-dire un
« objet » convoité immédiatement pour sa propre et immédiate
satisfaction. Ce besoin de satisfaire immédiatement son désir place notre
sujet égoïste dans une relation dépendante vis-à-vis de cet autre. Celui-ci
n’étant alors considéré que comme source de satisfaction et de réponse
des désirs du sujet afin de satisfaire un narcissisme exacerbé et pas encore
capable d’être dans la réalité sociale de l’interaction.
142
l’enfermement, l’impossibilité à se départir de cette souffrance et
qui conduit à l’égoïsme. Pourtant, paradoxalement, pour dépasser
le mal et sentir sa disparition progressive, il apparaît selon Abel
que ce soit en le « sentant », ce qui revient à dire en vivant,
jusqu’au bout, la souffrance qu’il nous cause, que l’on a quelque
chance de ne pas en rester prisonnier et de pouvoir s’en départir le
plus efficacement. « Sentir le mal, le sentir vraiment, sans
anesthésie, ni ressentiment, c’est la seule chose qui permette de ne
pas le répéter, et de faire face au mal à venir, sans chercher à le
« pressentir », à lui donner d’avance un visage ».
144
mal semble bien résider dans cette capacité à nous122 plonger dans
l’illusion, soit en masquant une partie de la réalité, c’est-à-dire en
nous empêchant de voir la multiplicité de ces facettes, soit en
tordant notre sensibilité et en nous rendant hermétiques à toute
objectivité. Ceci pouvant conduite à des raisonnements faux et à
des prises de décisions totalement déraisonnables.
C’est un peu à cela que Viviane Forrestier123 s’attaque, dans son
ouvrage, au manque d’anticipation et de décision de quelques
dirigeants, pour les uns en conscience et pour d’autres en toute
bonne foi. Néanmoins, compte-tenu de l’ampleur des paramètres à
prendre en considération, par exemple dans le champ de
l’économie, les erreurs de jugement sont parfois inévitables. Ce qui
l’est alors moins, c’est l’intention de les corriger ou de laisser faire.
122
La personnalisation que je fais parfois du mal, comme par exemple,
ici, en le rendant comme autonome et capable de pouvoir, volontairement,
nous plonger dans l’illusion et l’aveuglement, n’est pas un point de vue
théorique, mais plutôt un clin d’œil à la position théologique qui ramenait
le mal à être avant l’homme et quelque part en marge de Dieu, telle une
substance à part entière. J’ai écris, dans un autre paragraphe, que l’apport
de Saint Augustin a été justement d’éliminer cette idée fausse que le mal
est une substance. C’est un point de vue auquel je me rallie volontiers, je
mêle ici volontairement, la tentation superstitieuse que nous avons tous
d’externaliser, facilement, la responsabilité de nos lacunes et de nos
misérabilismes sur un substrat malin, différencié de l’homme. C’est
d’ailleurs pour cela que j’utilise à ces moments-là, l’expression, « c’est
comme si » pour bien montrer la distinction qu’il y a entre la réalité du
raisonnement, l’adhésion à certaines opinions et la tendance spontanée à
diaboliser le mal et surtout à le personnifier.
123
Viviane Forrestier. L’horreur économique.
145
comme son ombre, pour en souligner l’échec : échec à protéger la
victime des suites du mal subi ».
146
Et le pouvoir ?
124
En référence à l’émission passée au printemps 1999 : « Les singes et
les hommes ».
148
excessive qui les a souvent conduit aux pires délires et dénote
clairement de pathologies mentales dévastatrices.125
Mais le problème n’est pas uniquement de reconnaître leur folie,
dont on réalise qu’elle n’est reconnue qu’après coup, mais plutôt
de s’inquiéter du fait, que leur environnement immédiat et le
peuple, après coup, les a suivis, en toute confiance et en totale
démission de jugement critique et objectif. C’est bien cet
environnement qui a contribué à leur donner les moyens humains
de leurs folies des grandeurs ou de leurs projets démoniaques
d’extermination.
Un chose est sûre, aujourd’hui être fasciné par Hitler ou Staline est
franchement socialement mal vu, car leurs exactions sont encore
proches de nous, par contre en ce qui concerne Alexandre, dit « Le
Grand » ou Attila, ceux-ci sont cités sans que personne ne sourcille
125
Il s’agit la plupart du temps de psychoses. C’est aussi fréquemment le
cas des génies dont on reconnaît que très fréquemment, la folie
accompagnait leurs exceptionnelles qualités ou talents. Ainsi pour
Einstein, le voile a été levé, il s’agit d’une malformation d’une partie de
son cerveau qui explique son extraordinaire génie. En conclusion, toute
personne extraordinaire, a bien, neurologiquement ou
psychologiquement, des éléments différents de la normale. Et donc la
normalité est insignifiante, banale et ne permettant pas de dégager des
compétences ou des dons franchement particuliers, ceci explique la
fascination des hommes et des femmes « normaux » pour ceux qui ont
l’air si différents et qui le sont finalement.
149
plus. On peut alors aisément supposer que d’ici deux siècles on
pourra parler d’Hitler avec le même détachement !
Nous en retenons le nom, l’impact des réalisations et des
conquêtes, et le reste, devient presque excusable, comme si le
génie de leur vision et la grandeur de leurs réalisations pouvait
pardonner l’autre facette du personnage.
Ainsi, je dis que le pouvoir est l’apanage d’une âme faible qui n’a
pas encore su vaincre ses peurs et qui ne sait pas considérer l’autre
à la place juste et légitime à laquelle il devrait le prendre en
compte. Ce manque de considération est aussi un manque de
respect fondamental de la personne, de l’autre, de sa personnalité,
de ses capacités, de ses potentialités.
126
En référence à la dialectique du maître et de l’esclave.
150
dépendance est aussi forte à subir qu’à faire subir. C’est pourquoi
nous pouvons affirmer que le besoin de pouvoir est l’expression
d’un fantasme de toute puissance qui s’effondre, un jour ou l’autre,
devant la réalité de l’altérité.
Nous voilà encore parmi les sept péchés capitaux, et nous allons
voir en quoi l’orgueil peut amener l’homme à commettre le mal.
Heidegger dénonçait au moment de l’entre-deux guerres la
technicité comme l’expression du mal même, « l’invasion
démoniaque » comme tuant l’art tout autant que l’authenticité de
l’homme et pouvant lui causer les pires torts. L’histoire lui a donné
raison. « La même frénésie sinistre de la technique déchaînée et de
l’organisation sans racines [semble s’être emparée] de l’homme
normalisé ».
En quoi ceci a à voir avec l’orgueil de l’homme me direz-vous ? Et
bien dans le fait que nous observons, particulièrement ce siècle-ci,
que l’homme utilise la technique et la science, bien au-delà de la
recherche de confort ou d’amélioration des conditions de vie, mais
surtout pour tout faire pour rendre l’homme immortel.
Que ce soit par les médicaments visant à maintenir la jeunesse ou à
préserver de la vieillesse, par la chirurgie esthétique rendant les
hommes et les femmes plutôt stéréotypés, exemple de la côte ouest
des Etats-Unis, sur le même moule d’un idéal de la beauté qui
n’existe pas dans la nature. Cette quête de l’idéal existe depuis la
nuit des temps, les plus célèbres exemples sont les Grecs qui en ont
fait l’éloge et qui ont organisé leur société autour des trois grandes
vertus : Beau, Bien et Bon. Mais leurs idéaux n’ont pas tenu face à
la réalité de l’histoire. On sait aussi, comment la société allemande
du début du siècle associant certaines caractéristiques de la
151
barbarie germanique avec l’esthétique grecque a amené une
certaine frange de l’intelligentsia à privilégier l’homosexualité, la
beauté, la virilité, la violence et la dureté et a fait un terrain idoine
au développement du nazisme. Revoir, à nouveau, surgir ce genre
d’idéaux, contre nature, dans le sens du manque de capacité à
accepter notre condition humaine qui est mortelle et éphémère me
fait dire, sans référence théologique ou écologique, que nous nous
fourvoyons. Et ceci par un orgueil incroyable qui nous fait croire
que nous allons tout maîtriser et que nous sommes sur cette terre
pour l’asservir à nos moindre désirs. Là, pour moi, il existe un
manque flagrant de sagesse, une illusion totale et une méprise
dangereuse et par conséquent, l’expression paroxystique de
l’orgueil dont la Bible s’était fait l’écho avec l’exemple, cité au
début de l’ouvrage, de la Tour de Babel.
C’est au nom de cet orgueil que bien des hérésies ont été mises en
scène, par la science fiction, pour nous mettre en garde des folies
de certains excès et des issues tragiques qu’elles pourraient avoir.
Au lieu, d’être des éléments facilitant la mise en garde et
l’évitement de ces débordements, c’est exactement vers ceux-ci
que nous allons : clonage de l’humain, aujourd’hui c’est possible,
cyber-robot, cellules animales dans les ordinateurs, des ordinateurs
qui apprennent tout seuls. Mon propos n’est pas de passer pour une
conservatrice invétérée mais de remarquer qu’une fois de plus,
l’homme ne sait pas anticiper les conséquences de ces rêves
hégémoniques et a tort de se prendre pour Dieu.127 L’étrange c’est
que croyant ou non, l’homme se considère comme immortel ou
cherche par tous les moyens techniques possibles à le devenir.
Outre l’orgueil qui pourrait qualifier cette attitude et qui placerait à
nouveau l’homme dans un état de pécheur, c’est surtout le fait qu’il
est inconscient des effets de ses extravagances qui est déplorable.
Tout d’abord, à titre individuel, ce besoin d’immortalité l’éloigne
de la sagesse et du bonheur intérieur, ensuite c’est vis-à-vis
d’autrui que cette quête peut être vraiment dommageable. Par les
manipulations génétiques telles que le clonage la distinction entre
le cobaye et l’être humain n’existe plus. C’est alors tout le genre
127
Sans message théologique pour autant.
152
humain et son humanité qui sont mis en danger, faisant s’éloigner
chacun du développement salutaire de l’âme.
L’histoire est pleine des revers que nous avons essuyés à nous
prendre pour ce que nous ne sommes pas et surtout à refuser notre
condition, c’est-à-dire savoir "faire avec" au lieu de chercher à
"faire contre". La bombe H est la dernière grande catastrophe et le
plus récent exemple d’une science qui se développe pour elle-
même en vase clos et qui, de plus, est pilotée par l’armée qui a
comme visée principale la conquête, la guerre et l’anéantissement
des ennemis. Et justement, à partir de quel moment l’autre peut-il
être défini comme ennemi et comment répondre à ces agressions ?
154
Le social source du mal
128
Alexandre Adler. Les racines psychologiques de la barbarie, in
Psychologies. Mai 1999.
155
valeurs qui constituent leur identité et leur spécificité. Toucher au
système de valeurs et de croyances est perçu comme la pire des
menaces, celles-ci s’étant élaborées dans la petite enfance, à la fois
comme apprises et copiées de l’entourage immédiat, familial la
plupart du temps. La raison principale qui en fait un système
délicat à ébranler et auquel nous semblons si affectivement
attachés, est que lors de notre évolution de bébé à petit enfant, nous
apprenons conjointement à aimer nos proches et à les imiter. A la
fois pour devenir « grand » et aussi pour être aimé et reconnu par
ceux-là mêmes. Ainsi, le modèle opératoire qui va nous permettre
de devenir autonome129 est-il une fidèle reproduction des moyens
que les parents ont trouvé pour savoir survivre, se débrouiller et
réussir dans la vie. Mais à ces moyens particuliers mis en place par
l’adulte pour réussir, l’enfant copie son environnement proche et
fait également l’amalgame avec ses émotions, ses personnalités,
ses capacités et ses défauts. Enfin, nous intégrons totalement aussi
ses valeurs, ses croyances, ses opinions et mélangeons très vite :
« papa aime l’honnêteté et toucher à l’honnêteté, c’est toucher à
papa ». Avec ce type d’équation, il est simple d’entrevoir quelle est
la charge affective qui est corrélée à chacune de nos valeurs
familiales.
129
Autonome est à prendre ici au sens commun, c’est-à-dire la capacité à
ne plus être dépendant de manière alimentaire et motrice. Nous savons
alors manger seul, nous habiller, nous déplacer, jouer. Mais cette
autonomie n’a rien à voir avec celle couramment utilisée en psychologie
qui veut dire l’autonomie affective et émotionnelle qui permet de pouvoir
vivre les deuils et les ruptures de manière adulte et mature et qui permet
de dépasser la dépendance symbiotique que nous vivons,
systématiquement, avec l’Autre. L’Autre étant au départ la mère, puis
ensuite toutes les autres personnes sur lesquelles nous investissons
affectivement beaucoup de nous-même, comme par exemple le conjoint,
un ami ou un collègue de travail.
156
« Troisièmement, une montée au pouvoir d’un groupe qui doute de
sa légitimité et qui, de ce fait, a besoin de l’asseoir sur des actes de
violence explicitement tournés vers le dehors, implicitement
menaçants pour son propre peuple. Quatrièmement, la volonté
d’un noyau criminel de diffuser le plus largement possible sa
propre culpabilité en impliquant le plus grand nombre dans ses
forfaits ». Ici, nous voyons le comportement typique d’une
minorité qui, comme l’individu, ayant peu confiance en elle-même
ou ayant une image d’elle-même dévalorisée, va chercher à
s’affirmer de manière agressive ou rebelle. Une des manifestations
de la rébellion lorsqu’elle prend sa place au sein d’un groupe, est
l’action terroriste ou armée, ce qui est alors la manifestation
évidente de son mal-être et qui s’exprime par la détérioration de
son environnement. En un mot, toute forme de violence pouvant
causer tort à autrui, mais souvent de manière lâche, c’est-à-dire
sans se montrer ouvertement mais tout en se réclamant des actes
commis, et en restant dans la clandestinité. A nouveau l’angoisse
d’être peu ou pas reconnu rend le groupe agressif et la tension
interne étant trop forte, la violence comme la culpabilité sont
reportées à l’extérieur du groupe, comme pour rendre les autres
responsables et victimes, à leur tour, de leurs maux réels ou
imaginaires.
Du groupe à la foule …
130
Le Bon. Psychologie des foules. Quadrige.
131
Adulte n’est pas à prendre, ici, comme un âge spécifique de l’individu
par opposition à l’enfance mais cet état naturel et responsable qui fait
prendre à chacun des décisions en toute conscience.
158
permet de respecter les impératifs catégoriques132 de la vie en
société.
C’est pourquoi le groupe ou la foule sont si dangereux. Ainsi, dans
le champ de l’entreprise, l’individu perdu dans l’anonymat d’une
bureaucratie peut se sentir aux prises avec les mêmes sentiments et
alors se conduire de la pire des manières en se disant obéissant aux
ordres reçus et se perçoit comme non-responsable des décisions
communiquées par sa hiérarchie. C’est ainsi que l’on peut mieux
comprendre les actes commis dans les régimes totalitaires.
« Le génocide s’accomplit dans une sorte d’anonymat d’usine, où
les responsabilités s’enfuient et se transfèrent, échappant au sujet
moral »133.
En effet, dès lors que l’individu est pris dans le corps social, son
libre-arbitre se dissout dans les contingences socio-économiques, le
privant de la capacité à prendre du recul, à apposer son jugement
critique sur les décisions ou les actes du groupe. Il perd la mesure
et la portée des actes du groupe auquel il appartient. Pourtant seul
ou en groupe, porté par une loi sociale ou non, l’homme devrait
être capable de maintenir la responsabilité de son libre-arbitre.
132
Expression en référence à la philosophie morale de Kant.
133
Xavier Tilliette. Du mal et de la souffrance. Etudes philosophiques.
Juin 1988.
134
Jorge Semprun. Mal et Modernité. Micro-Climats. 1995. Un essai
superbe relatant les discussions du bloc 56 du camp de Buchenwald où se
traitait diverses questions philosophiques, dont celle du mal, entre divers
auteurs, rassemblés là, par hasard !, Jorge Semprun, Maurice Habwachs,
Henri Maspero et d’autres encore.
159
« La démocratie serait inactuelle parce qu’incapable de répondre
positivement à la massification des sociétés industrielles, au
déferlement de la technique planétaire, au bouleversement des
processus de production et d’échange des valeurs, aussi bien
spirituelles que matérielles ». L’auteur explique comment en ce
début de siècle il y a eu faillite du régime capitaliste et libéral et
qu’une partie du monde s’est opposée à ce courant en croyant aux
principes de l’extrême gauche et en rejetant, avec le libéralisme, la
démocratie. N’oublions pas qu’avec celle-ci, depuis sa création,
coexiste l’esclavage. Certes, les formes se sont adoucies avec les
années, mais il n’empêche qu’aujourd’hui encore une démocratie
actuelle a du mal à assurer une dignité à tous, un peu comme s’il
s’agissait d’un concept à plusieurs vitesses. Là encore, on peut voir
resurgir le mythe de Babel, divisant lorsque l’unité paraît resurgir
comme le mal endémique de la condition humaine de ne pas
parvenir à l’unification135.
135
Nous faisons référence ici au principe d’unicité de Parménide.
160
l’utilisation des techniques au service du pire. Ce qui l’amène à
parler de « l’archaïsme des dirigeants anglais par rapport à la
modernité des nazis ». Et enfin, Léon Blum dans son ouvrage A
l’échelle humaine nota la chose suivante : « La révolution
politique, l’héroïque, l’éloquente, en créant l’Etat moderne, en
dressant face à face l’Etat et l’individu, avait rompu les rapports
de la solidarité qui l’unissait à l’homme. La révolution industrielle,
la fatale, la muette, en créant la technique moderne, en dressant
face à face la machine et l’individu, rompait les rapports de
dépendance qui l’unissait à la matière ».
136
ceci nous amènera à revoir la définition du mal radical de Kant, que
nous allons examiner dès la fin de ce passage sur totalitarisme et mal.
137
Nous faisons ici référence à Paul Watzlawick, John Weakland et
Richard Fish dans leur ouvrage changements, paradoxes et
psychothérapie. En effet, un des problèmes que cette situation de
totalitarisme soulève est le principe de Changement décrit par les auteurs.
Le totalitarisme vise à apporter radicalement autre chose et surtout un
« Bien Absolu » et pour y parvenir, il est fait référence, en majorité, à de
petits changements, comme faire davantage la même chose plutôt que de
faire radicalement différemment. Ceci a pour conséquence de ne rien
changer du tout, ce qui explique le proverbe : « l’histoire est un éternel
recommencement ».
162
violence est alors exercée par le groupe entier, la culpabilité réelle
n’étant pas assumée par chacun et étant, néanmoins, sous-jacente
dans l’esprit de chaque individu. Elle peut contribuer à exacerber
l’agressivité. L’emballement du phénomène de groupe conduisant
à ne pouvoir identifier aucun coupable.
Le groupe social, nous l’avons vu, induit que personne n’est
responsable et que chacun se doit d’obéir à l’autorité même lorsque
celle-ci a perdu la raison. C’est ainsi que l’on se trouve face à un
ou plusieurs peuples se comportant comme une entité
« psychopathe », c’est-à-dire commettant passages à l’acte sur
passages à l’acte parce qu’ils ne peuvent plus gérer le conflit
« intrapsychique » qui les tiraille - le groupe étant considéré ici
comme une personne, une entité solidaire et cohérente-. L’objectif
idéal du bonheur collectif provoque, en confrontation avec
l’horrible réalité le mal collectif. La seule issue est alors
l’externalisation du problème et le déplacement, comme en
psychanalyse, sur un objet extérieur, en l’occurrence l’ennemi juré,
historique, celui qui empêche, depuis la nuit des temps, d’obtenir le
bonheur absolu, (nous évoquons les Juifs). Puis par extension, ce
sont tous les indésirables du corps social qui sont mis à l’index,
traqués et exterminés, les tziganes, les homosexuels, les
handicapés, bref tous ceux qui empêchent d’obtenir une société
parfaite, saine et homogène, ici par rapport à l’idéal arien.
Nous pouvons apprécier, dans le même esprit, l’intransigeance du
rêve américain, qui en excluant tout ce qui n’était pas blanc,
protestant et américain d’origine a ouvert la brèche du racisme et
des ghettos.138
138
Pour la petite histoire, le principe du ghetto a été « inventé » par les
Vénitiens, au XVIeme siècle, pour isoler les Juifs du centre de la cité
riche, prospère et homogène, éthniquement et religieusement !
163
occidental et les intellectuels voyaient dans cette fissure du modèle
démocratique se glisser l’expression du mal odieux incarné par le
Dieu Argent.
Mais ce qui a suivi, soi-disant pour y remédier, à savoir le
totalitarisme, s’est avéré très rapidement être une figure, ô combien
plus noire et sanguinaire du mal, et c’est ainsi que par le
radicalisme de ses positions anti (sémites, et toute autre expression
divergente du modèle unique proposé), il s’est vu apparenté au mal
moral. C’est ainsi que la comparaison s’est faite entre dictature et
mal radical.
164
Le mal et la violence
139
Voir à ce sujet, Roger Dadoun. La violence.
140
Malraux. Antimémoires, cité par Sichère. Ibid.
165
à dépasser sa condition limitée, ses passions comme les nommaient
les philosophes et humanistes des XVII° et XVIII° siècles. Ce n’est
pas en éliminant ses défauts ou ce qu’il pourrait considérer comme
défauts que l’homme tend vers la perfection. Puisque cette tension
est inéluctable, ce serait davantage dans l’acceptation de ses limites
que par leur destruction que l’homme pourrait se dépasser.
166
mangé par l’homme et que le mal sévit141 justement en privant
l’homme de son humanité et en le maintenant prisonnier de ses
pulsions destructrices, essentiellement à l’égard de l’autre.
141
Pour des raisons de style, il semble que le mal soit ici à nouveau
personnifié, soyons clairs. L’illusion que ces situations donnent, c’est que
le mal paraît nous pousser à agir de telle ou telle manière, mais ce mal est
en nous, c’est donc bien de nous-même qu’il s’agit, décidant
volontairement ou non de maltraiter l’autre.
142
Rosenfield. Du mal. Essai pour introduire en philosophie le concept
de mal.
167
d’un groupe d’hommes prêts à se haïr et à se faire les pires
violences. « La guerre ferait alors partie de ces phénomènes dont
l’origine se trouve dans une animalité non-maîtrisée, et peut-être
non-maîtrisable, de l’homme ».
143
Ibid.
168
Pour Kant, l’humanité n’existe que pour autant qu’elle respecte ce
qui la constitue principalement, à savoir sa morale et c’est
pourquoi, ce dernier condamne, par exemple, une exécution par
rapport à un assassinat. Kant considère et en cela René Girard
reprend sa théorie dans Violence et Sacré en disant qu’une
exécution est la sanction apportée par les garants de la loi pour
punir un délit. Et ce faisant, croyant servir les intérêts de la justice,
il la transgresse justement en ouvrant la brèche de la non-moralité
et c’est là que s’engouffre la bestialité de l’homme, toujours là,
avide de pouvoir prendre le dessus sur l’homme raisonnable. Il est
facile de succomber à ses pulsions, si fortes et si prégnantes, que
leur résister implique de prendre le parti de l’humanité sur celui de
l’homme particulier.
C’est pourquoi certains régimes politiques peuvent concourir à la
réalisation de l’humanité de l’homme et que d’autres la mettent en
péril. Si la philosophie édicte quelle est la voie par laquelle
l’homme peut se réaliser vers et dans son humanité, c’est ensuite le
politique qui va permettre sa mise en œuvre réelle et quotidienne
dans la réalisation pragmatique de l’agir social codifié.
144
A ce sujet, le sommet de l’OCDE, qui s’est récemment tenu à Seattle,
a été l’occasion, par l’expression rebelle des détracteurs de la
mondialisation, de poser la question d’un projet de société. Qu’en est-il ?
Comment sera-t-il mis en œuvre ? Ce sont des questions qui me semblent
importantes à garder à l’esprit pour la viabilité et le sens de l’avenir de
l’humanité.
170
acceptable. Il y a un siècle, cette même situation aurait entraîné une
guerre où le plus fort, militairement, à coup sûr les Etats-Unis
aurait pu imposer son diktat en légitimant son action par le principe
suivant. Le libéralisme est plus souhaitable que le communisme.
Néanmoins, il s’est imposé avec tant de violence et
d’intransigeance que l’on ne sait plus exactement, au regard de
l’histoire, quel est le régime le plus démocratique des deux. Il n’y a
pas de guerre145 actuellement, mais la répression de l’embargo
place la population entière dans un état de pauvreté et de misère
affolant. Ceci dure depuis plusieurs décennies et il n’y a plus grand
monde pour s’en émouvoir et réagir à présent.
Le mal et la vengeance
145
Mais l’incident de la baie des Cochons est malgré tout l’expression
armée d’un état dominant sur un autre.
146
Les Etats-Unis ont fait preuve, ce siècle-ci, à plusieurs reprises,
d’intolérance : chasses aux sorcières, Mac Carthisme, le racisme entre
blancs et noirs avec le paroxysme démontré par le Ku Klux Klan…
171
vengeance est parmi les plus prisés car il permet le suspense et
attise les possibilités de spectaculaire.
Si, comme nous l’avons vu plus haut, l’envie peut être un des
moteurs du mal, les souffrances psychologiques peuvent elles aussi
expliquer le penchant de certains à vouloir faire souffrir autrui. La
souffrance ouvre la porte à la vulnérabilité intellectuelle et
explique comment certains ont pu se retrouver « embrigadés », par
des leaders fous, gourous en tout genres, séduits par leur charisme
et leur enthousiasme délirant. Il s’agit, souvent, d’êtres incrédules,
en pleine désillusion amoureuse, philosophique, existentielle,
idéologique ou politique, qui vont alors commettre des actions
innommables et inexplicables. Affaiblis, souvent en quête d’un
idéal à retrouver, et malheureux, ils deviennent la proie de
l’influence et de la manipulation.
172
sont surtout ses méfaits qui sont omniprésents et qu’aucun effort de
mémoire ne parvient à endiguer147.
A ce stade, je dis que pour moi le mal est tout ce que l’homme peut
faire comme manifestations d’intolérance à l’égard d’un autre
homme gratuitement et sans aucun remords des atrocités
commises.
147
Discours d’introduction de Cannes 1999 par Kristin Scott-Thomas
insistant sur le devoir de mémoire que doit avoir le cinéma et qu’il doit
témoigner encore plus vivement, en ces jours où la guerre sévit toujours
au Kosovo, pour empêcher de sombrer dans l’oubli et de recommencer.
Ou encore Claude Birman dans l’alliance mise à mal. Notion du mal et
tradition juive, in Question de. Le mal. « C’est la mémoire du mal
commis et par là du mal possible, qui peut seule nous préserver de son
retour ».
173
revendiquant leur originalité et au nom de ces particularités
n’hésitant pas à sacrifier des vies humaines, la plupart du temps,
innocents. Et d’ailleurs quand bien même leurs cibles ne seraient
pas innocentes, est-ce qu’au nom de ces différences, quelles
qu’elles soient, il est légitime de tuer ou d’assassiner ? Surtout que
souvent ces régionalismes essaient de faire reconnaître par la
grande majorité, à laquelle ils appartiennent, leurs spécificités
régionales comme s’ils représentaient des races pures.
Quel mythe encore que celui-là !
L’histoire atteste de constantes migrations, de mélanges de races
incessants pour des motifs de guerre, de persécution,
d’envahissement, de fuite, de viols et autres interférences qui ont
pour conséquence qu’aucun peuple ne peut prétendre avoir un sang
pur. On pourrait alors s’attendre à plus de complaisance face à la
différence et à toute forme d’immigration, manifestation sociale
actuelle des mélanges de populations.
Eh bien, il n’en est rien !
148
A ce sujet, nous proposons un extrait de Violence et sacré de René
Girard qui relate bien le cercle vicieux que représente la vengeance.
« La vengeance constitue donc un processus infini, interminable. Chaque
fois qu’elle surgit en un point quelconque de la communauté elle tend à
s’étendre et à gagner l’ensemble du corps social. Elle risque de
provoquer une véritable réaction en chaîne aux conséquences rapidement
fatales dans une société de dimensions réduites. La multiplication des
174
Néanmoins le constat est bien là, la différence de l’autre est si
angoissante que la réponse est la violence et l’agressivité.
149
CF. Hannah Arendt.
150
Cette réflexion sur le temps sera développée plus loin.
151
Je ne pense pas que notre siècle soit davantage indifférent que
d’autres. Mais le phénomène de l’information, plus accessible, diffusée
mondialement et instantanément, rend tout comportement d’indifférence
encore plus odieux qu’auparavant. Odieux car encore moins excusable. Je
crois malheureusement que l’indifférence est vraiment un mal de la
176
pour un système, une plus grande victoire que toute adhésion
partielle, fut-elle considérable. Et c’est, en vérité, l’indifférence qui
permet les adhésions massives à certains régimes dont on connaît
les conséquences ».
Ou encore :
152
Voir au sujet du cerveau, De Broca, Mintzberg, Karli…Au sujet de
l’intelligence Piaget, Howard Gardner dont les bibliographies sont riches
179
et le cortex. Ici, encore on constate que ce qui nous différencie de
l’animal et de l’animalité est le cortex qui s’est développé
lentement depuis nos origines d’homo habilis153. Et c’est là
pourtant que réside la pensé symbolique, la capacité du langage
articulé et bien entendu, la capacité de penser et de concevoir,
l’intelligence logico-déductive qui nous permet d’élaborer notre
raisonnement.
De l’ignorance à la lâcheté
S’il est tout à fait exact que l’ignorance est liée à la peur, je trouve
moins juste d’amalgamer la peur avec la lâcheté. Il est vrai que
souvent la peur peut engendrer la lâcheté mais comme nous l’avons
vu, elle peut aussi engendrer l’agressivité et la violence, c’est-à-
dire la réaction active et combattante.
Dans le système grec de l’Antiquité, cette violence pouvait être
bien vue puisque elle était synonyme d’esprit guerrier.
156
Celle-ci était d’ailleurs fort peu concernée par les caractéristiques de la
philosophie et de la définition de la Vertu. Il ne faut pas oublier que les
Grecs classiques ont « inventé » la démocratie uniquement valable pour
les hommes d’origine grecque et l’accès à la philosophie était
conditionnée à la naissance et au rang des individus. De plus, la
démocratie reposait sur l’esclavage, nécessaire pour l’équilibre de la Cité
et de l’empire. Cette notion continuée par les Romains valut leur perte
lorsque le christianisme condamna toute forme d’esclavage et proposa
l’égalité des hommes devant Dieu. Le socialisme et le communisme
apparaissent alors comme des reprises contemporaines des principes
philosophiques à la fois pris à la Grèce Antique et au christianisme. Je
doute que cette parenté intellectuelle et idéologique leur convienne et
pourtant…
157
Voir à ce sujet la littérature abondante des actes héroïques décrits dans
la mythologie grecque.
182
comme l’instrument permettant de renverser la tendance de
l’exercice du mal.
158
Passage à l’acte signifie en psychanalyse le fait de commettre un acte
nuisible vis-à-vis de soi-même ou à l’égard d’autrui à la place de
l’expression d’une émotion ou d’un sentiment trop douloureux pour rester
à l’intérieur de soi. Exemple : la colère au sein d’un couple peut conduire
un conjoint à fuir, ou à claquer les portes violemment, à boire ou à frapper
sa femme. Pour des personnalités plus malades (psychotiques) c’est le
développement « affectif » de l’enfant qui s’est mal déroulé et qui a laissé
un individu dans un stade de maturité affective inférieur au stade
« normal » que l’on doit atteindre et qui peut expliquer certains passages à
l’acte, comme étant l’expression unique que possède l’individu, à cause
de son trouble psychologique lui-même. Dans tous les cas, le passage à
l’acte est ce qui se passe à la place de la parole et qui est l’expression
aiguë d’une souffrance intérieure.
184
De ce malaise, la parole, qui est la substance principale et
fondamentale du travail thérapeutique, va permettre au patient de
dire ce qu’il vit et ce qui lui pose problème en le plaçant dans le
champ du symbolique et non plus du réel. Par le fait de l’exprimer,
ce qui signifie le dire pour lui-même, utilisant l’analyste
uniquement comme surface neutre159 facilitant l’extériorisation de
sa parole, les mots vont permettre de dégager la souffrance de
l’immédiateté de la situation et surtout de la répétition des
situations enfantines problématiques. Et ce que vise principalement
la psychanalyse, c’est de faciliter l’expression de l’angoisse
primordiale de l’individu qui est le nœud gordien autour duquel se
sont enroulés comportements insatisfaisants, souffrances, échecs.
La liste est longue, souvent autant que la cure elle-même.
159
Voir à ce sujet le rôle de l’analyste dans sa pratique de la cure
psychanalytique. Voir les écoles de psychanalyse freudienne ou
lacanienne.
185
Celle-ci peut donc être comprise comme intrinsèquement liée à la
condition d’homme.
186
L’angoisse de la mort
160
Phrase d’un malade Tchétchène, citée aux informations télévisées, qui
voulait savoir pourquoi les Russes les persécutent.
187
L’angoisse vient donc de la peur de la mort, manifestation de
l’issue de l’homme, composante déterminante de la condition
humaine, étape départageant les justes des impies, passage ultime
vers le Paradis ou l’Enfer.
191
L’humanité mature en émergence
192
193
DECIDER DE CHANGER DE PERSPECTIVE : RETABLIR
L’ESPOIR DANS L’HUMANITE
Pourquoi écrire ?
La plupart des ouvrages rédigés sur la question du mal, soit pour
condamner l’holocauste et dire « plus jamais ça », soit pour faire
l’éloge du bien, le sont par des personnes qui ont directement
souffert.
En ce qui me concerne, je n’ai eu aucune privation, je ne suis pas
juive, personne dans ma famille n’a subi le moindre traumatisme
racial ou sectaire. Et pourtant, je m’insurge contre tous ces actes
barbares, je pleure régulièrement devant les images ou les récits de
toute forme d’oppression des êtres humains, pour le simple grief
qu’ils sont différents.
Ainsi cet extrait de La force du Bien161 m’a-t-il fait sangloté
pendant plusieurs minutes à la seule pensée que l’on puisse vouloir
faire brûler des gens parce qu’ils sont Juifs (ou simplement
différents) et en plus trouver du plaisir à le faire !
« Quand on longeait le Ghetto en tramway et qu’on voyait une
mère jeter son enfant par la fenêtre d’un immeuble en flammes
dans l’espoir que quelqu’un le ramasse, il aurait fallu être de
pierre pour ne pas s’émouvoir ».
161
Marek Halter. La force du Bien. Robert Laffont. 1995.
194
diffuser le respect et la tolérance et qu’ils modifient les attitudes
d’un plus grand nombre d’entre nous.
162
Mais comme j’ai fini cet ouvrage tardivement, depuis, la guerre en
Tchétchénie a été déclarée et aujourd’hui les représentants de la Douma
russe ont été élus, principalement grâce à l’influence de la guerre sur les
esprits et c’est toujours grâce aux victoires guerrières que le pouvoir
politique a reçu l’aval des électeurs ! Ainsi, dès qu'un pas est franchi vers
plus d’humanité, une nouvelle épreuve survient pour remettre en question
la réalité de la paix et ébranler, une fois encore, nos convictions.
163
Encore que de récents mouvements de violence au Kosovo, moins
d’un an après le début de la guerre, illustrent bien que rien n’est vraiment
résolu. Ceci pourrait éclairer la communauté internationale, qu’il est
effectivement tout à fait déterminant que les peuples s’allient pour
combattre, à l’échelle du monde, tous les dérapages qui nuisent au respect
des Droits de l’Homme, néanmoins l’ingérence pose le problème de
savoir jusqu’où il est juste d’aller et dans quelle mesure la pression
militaire va avoir raison des haines fratricides, surtout lorsqu'elles sont
séculaires.
195
Egalement, il faudra bien longtemps avant que tous les réfugiés
puissent rentrer chez eux et bien entendu, le pays qu’ils avaient
connu aura bien changé et peu d’éléments de leur passé restera
encore debout pour témoigner de leur histoire. La déchirure restera
vivace encore longtemps, le traumatisme d’avoir être rejeté, exclu,
banni de chez soi, tué et massacré pour avoir été différent ne
pourra pas sombrer dans l’oubli aussi aisément et peut-être faudra-
t-il encore du temps pour envisager le pardon.
164
Quoique l’argument contraire pourrait être, en référence à la
sémantique, à la linguistique et à la psychologie, qu’en changeant un
signifiant on modifie les symboles et les représentations. Peut-être
qu’avec le temps, ce changement de vocabulaire aura une incidence
significative sur la guerre.
196
est à l’origine de l’impulsion des télécommunications, d’Internet,
du spatial, de la recherche industrielle en général, de
l’aéronautique, et de tant d’autres secteurs. Certes, par la suite,
celles ci vont s’émanciper et se tourner aussi vers le civil,
néanmoins, combien de pans de l’économie restent encore régis
premièrement par le militaire, comme par exemple les méthodes de
l’intelligence économique ?
197
En effet, elle permet de dégager toutes les tensions agressives et
violentes d’un peuple sur l’autre, elle stimule les différentes armées
des belligérants, permet de démontrer la puissance des dernières
innovations de l’armement pour de futurs contrats. Elle favorise la
reconstruction, une fois la paix signée sur le papier, mais bien
entendu, pas forcément dans les esprits ni dans les cœurs. Elle
permet de créer une diversion pour les hommes politiques qui
pourraient, parfois, avoir besoin d’étouffer ou de faire oublier un
scandale financier ou d’une autre nature. (On se rappellera ainsi du
raid aérien lancé sur l’Irak par le président Clinton pour détourner
l’opinion de l’affaire Lewinski ou encore, la médiatisation de la
guerre du Kosovo qui a permis de faire s’atténuer l’affaire Elf et
ses nombreuses ramifications.)
165
Il ne s’agit pas là d’une simple prise de position, nombre de
constructeurs militaires (équipementiers ou systémiers) reconnaissent
198
aisément la réalité des conflits armés de par le monde à la fois pour
justifier des inventions, créations et commercialisation des nombreuses
machines et moyens mis à la disposition de la guerre et pour tester de
nouveaux produits, techniques et matériaux pour de nouvelles
productions. Aujourd’hui l’économie mondiale repose, surtout pour les
pays industrialisés, sur la continuité des guerres. Récemment, à la
télévision, lors d’une émission concernant l’évolution du monde, un
journaliste commentant la presse américaine, disant que la guerre au
Kosovo était bâclée car elle n’était pas correctement chiffrée et que sa
durée n’avait pas été fixée. Ceci signifie que l’on peut décider d’un début,
comme de la durée comme de la fin d’une guerre, ce qui est en général le
propre de celui qui commande et dirige quelque chose et qui n’est pas
concerné par la réaction de l’autre. En effet, si la guerre du Kosovo n’était
que ce qui est présenté socialement et publiquement, on pourrait dire,
avec une certaine assurance, au vu des moyens déployés, qu’elle ne
devrait pas durer trop longtemps, puisque les Nations Unies ont allié leurs
forces pour faire plier Milosevic. Mais néanmoins, rien ne permet de dire
de manière certaine comment ce conflit peut évoluer et quelle en sera la
durée, si l’on avait affaire à un belligérant qui s’oppose au nom de
principes et de convictions. Par ailleurs, il aurait été plus simple et moins
coûteux en drames humains et en armes utilisées d’enlever ou
« d’extrader » Milosevic et de le juger pour crimes contre l’humanité et
cela permettrait de limiter les pertes à quelques hommes jugés et
condamnés. Seulement, voilà, qui aurait pu avoir intérêt à éviter la
guerre ? A la place, voici ce que l’on entend de la part des
commentateurs : c’est que la Chine ne peut pas décemment s’indigner
trop longtemps des frappes faites sur son ambassade, car elle a trop
d’intérêts économiques avec les Etats-Unis et l’Europe pour risquer un
blocage économique ou diplomatique. La Russie, à laquelle on laisse
apparemment et publiquement la possibilité de négocier avec la Serbie,
n’est en fait qu’un moyen pour préserver la dignité d’Eltsine vis-à-vis du
monde de manière à pouvoir revoir la dette russe dans les prochains mois
et éviter que la Russie ne se défile de ses engagements. Enfin, aujourd’hui
déjà, avant qu’aucune issue n’ait été trouvée pour les Kosovars, les
économistes disent que ce conflit engageant massivement les Américains
dans la guerre en termes de moyens, d’hommes et surtout de
financement, permettra de réduire les tensions économiques existant entre
l’Europe et les Etats-Unis. Ce qui aurait alors pour conséquence de faire
baisser la garde de l’Europe, en matière d’échanges commerciaux. Alors
défendre la cause de l’humanité ou s’intéresser à son évolution passe bien
entendu, comme une utopie inconsciente ou naïve. Il s’agit de la lutte
entre idéologie et économie, entre argent et humanité. La lutte est inégale
199
changer de perspective, en sachant que les résistances sont énormes
mais que les bénéfices le seront bien davantage.
et ne se situe absolument pas sur le même plan, à peu près comme mettre
sur un pied d’égalité l’évolution darwinienne et la Genèse pour expliquer
l’origine de l’homme. De cette manière, il y en a forcément un qui doit
rendre les armes, et le sens des valeurs et des croyances détermine
justement à quelle tendance on va plutôt croire.
166
Freud. Why War ? Standard Editions. Tome 22. Londres. Hogarth
Press. 1964.
200
actes de barbarie à l’encontre de l’être humain. Cette fin de
millénaire apparaît comme la conclusion des différentes prises de
conscience humanitaire qui se sont forgées au fil des siècles et qui
aboutissent aujourd’hui à l’émergence de la conscience
individuelle. Celle-ci ouvrant la voie démocratique à l’engagement
idéologique, politique, humanitaire ou spirituel avec pour objet
principal de combattre les crimes commis contre l’humanité.
C’est ainsi que l’ouvrage Le siècle rebelle, outre son parti pris et
son positionnement idéologique, fait montre d’une autre manière
de prendre conscience, de décider de penser, d’agir et de croire.
Pour certains, l’éveil s’est fait par la rébellion et pour d’autres,
autrement.167 Ce qu’illustre ce livre, par nombre d’exemples, c’est
que la Révolution française a amené, par-dessus tout, la possibilité
de repenser l’homme, sa place et son intention citoyenne,
philosophique, existentielle.
« Des hommes et des femmes, parce qu’ils étaient en vie, ont su
résister aux totalitarismes, des communistes antibolchéviques aux
maquisards de la Seconde Guerre Mondiale. D’autres ont voulu
lutter contre le chaos ordinaire, «changer la vie », « faire quelque
chose ». […] Ces hommes et ces femmes rebelles n’appartiennent
pas toujours aux avant-gardes. Ce sont aussi des hommes et des
femmes de tous les jours, du quotidien, et leur révolte rapportée à
la banalité en a changé le sens : celui des rapports entre les
générations, entre les sexes, entre l’homme et la technique,
l’homme et la nature ; celui du statut de la jeunesse, de la place
des cultures minoritaires en démocratie ».
167
Par la foi, l’engagement humanitaire ou encore par la prière ou la
méditation, c’est-à-dire par le mystique, le spirituel ou encore la quête
existentielle
201
système168 est une grande nouveauté. Pour certains, la marque
d’une grande liberté, sans aucun doute, et certainement le
frémissement vers l’autonomie qui aujourd’hui encore s’observe
plutôt comme des à-coups consécutifs que comme une voie
mûrement choisie et assurée. Cette tendance observable montre
bien qu’il existe de l’espoir dans l’humanité ou plutôt, pour tenir
compte de la critique de Comte-Sponville169 sur l’espoir, nous
sommes témoins d’un changement réel et profond qui avance
chaotique, titubant d’une extrême à l’autre mais toujours se
relevant, fier et glorieux de ne pas avoir succombé à la tentation de
l’anéantissement de l’homme.
168
Un système qui peut être économique, politique ou religieux.
Néanmoins, mon propos est de dire qu’il existe de nos jours une liberté de
choix. Mais, en revanche, il n’est pas possible, comme par le passé, de
faire partie du système – social – tout en n’en faisant pas partie. La
différence principale réside dans le fait de pouvoir agir autrement que par
le passé, c’est-à-dire, qu’aujourd’hui il est possible d’être en désaccord ou
opposé au système, de vivre en marge de lui sans pour autant encourir
des peines dommageables.
169
Commentaires sur l’espoir. « Désespérément vertueux » in Le Mal –
Collectif. F. L’Yvonnet.
202
Ainsi, cette deuxième partie vise à montrer comment les personnes
et la société, ensemble ou séparément, réagissent à la question du
mal et quelles sont les réponses apportées pour le combattre.
170
Les droits de l’Homme. Anthologie proposée par Jean-Jacques
Gandini.
203
Article 26 : Toute personne a droit à
l’éducation.
171
Voir à ce sujet De la tolérance aux droits de l’homme. Textes
présentés par Michel Kneubühler.
Concernant les droits de l’homme et les crimes contre l’humanité, seuls
quatre pays sur soixante ont ratifié le traité de Rome permettant de
confirmer le Tribunal International dans ses fonctions et d’envisager alors
que tout crime contre l’humanité soit puni.
204
à trois fois par trajet. Et là je ne parle que de ceux qui quémandent
explicitement une pièce, il existe aussi toute la détresse de ceux
dont on perçoit les blessures, visiblement trop béantes et
impossible à refermer. Là, le cortège des souffrances s’alourdit,
auquel on peut ajouter toutes ces personnes qui, mornes ou
agressives, expriment bien leur désarroi et leur difficulté à
supporter leur quotidien lugubre ou insatisfaisant.
Alors survient la lassitude, la monotonie, et de nouveau la banalité
du mal qui nous empêche d’oser regarder en face une misère qui
nous choque car elle nous renvoie trop violemment sans doute, à
celle, potentielle, qui pourrait nous toucher, si l’un des paramètres
de notre vie se trouvait durablement atteint, tel que l’emploi ou de
manière générale, nos ressources.
Je crois qu’il faut oser ouvrir les yeux et se mettre en colère devant
cette honte que nous nous faisons à nous-mêmes. A quoi cela sert-
il que nous apprenions, que nous nous cultivions, que nous
cherchions quelque chose de meilleur, intellectuellement, si cela ne
sert que nos intérêts propres et la contemplation de notre nombril
égocentrique ?
L’autre c’est moi, un jour.
C’est possible, si ce n’est pas par la misère, cela peut être par la
maladie ou aussi par les souffrances des meurtrissures de la vie et
des blessures narcissiques en tout genres, alors si « Hitler c’est
moi »172, le plus misérable c’est aussi moi.
Et si je m’instruis, si je saisis l’énergie et la force de me battre, de
gravir les « échelons » de la vie et si je parviens à dépasser les
aigreurs de ses facéties, alors je peux utiliser cette puissance
intarissable et cette confiance dans notre potentiel à tous pour
172
En référence à l’ouvrage de Glucksmann, le Bien et le Mal.
205
décider de partager, de permettre l’évolution des autres vers cette
clairvoyance qui rend le monde meilleur. Un univers aux couleurs
chatoyantes pour tous et non plus ce théâtre de chaos et d'insécurité
où seuls gagnent ceux qui écrasent plus férocement leurs voisins.
173
Bien entendu, pour autant que ces changements soient sincères et
répondent à des convictions profondes et qu’ils ne soient pas le résultat
d’un opportunisme de circonstance.
174
Marek Halter. Ibid.
208
L’humanité, c’est l’absence de mots, ce sont les actes qui sauvent,
sans justification, sans motif, pour la simple raison que d’autres
êtres humains sont opprimés et qu’alors un élan anime l’individu et
le pousse à aider son prochain.
« C’est cela, c’est cette disposition à la compassion immédiate que
les pires systèmes totalitaires et leur exterminateurs ne pourront
jamais tuer en l’homme. »175
175
Idem.
176
Emmanuel Kant.
209
même, jamais comme moyen » montre bien comment l’autre
s’inscrit dans cet espace de respect propre à la liberté humaine.
En fait, ce qu’il faut comprendre, c’est que la liberté se définit
comme un but à l’action non comme un moyen ou une fin en soi
empirique. Ce but n’est pas une « denrée » à expérimenter de
manière égoïste, c’est une éthique à atteindre, un but existentiel. Le
projet social consiste alors à créer des lois et des structures sociales
et politiques qui permettent à chacun de pouvoir accéder à un statut
d’individu et de société libres.
177
Schelling.
210
c’est-à-dire, la difficulté que rencontre l'homme face à
l'indétermination de l’alternative.
Pour sortir de cette condition, il doit justement se déterminer,
mission dont s'est chargée la raison sur le plan intelligible et
qu'applique la liberté sur le plan de l'action.
178
Robert Stewart Les idées qui ont changé le monde .
211
sciences). Bien entendu, nous remarquons qu’au XX° siècle les
progrès médicaux, scientifiques et techniques ont connu une
explosion spectaculaire et qu’il existe une accélération
exponentielle des découvertes et des modifications technologiques.
Ceci peut s’expliquer par le nombre croissant de personnes
agissant et interagissant simultanément, à l’évolution des
recherches dans tous les domaines. En cela, l’avènement des
moyens de communication toujours plus performants rendent
l’information immédiatement accessible, partout dans le monde, et
accentue encore ce processus.
« L’histoire enseigne qu’une phase de forte croissance179 se
déclenche quand des progrès scientifiques réussissent à satisfaire
des demandes nouvelles du marché ».180
179
Il s’agit aussi bien de croissance économique que sociale.
180
Jacques Attali Fraternités. Une nouvelle utopie. Fayard.
181
Le peuple hébreu détermine son origine avec la naissance d’Abraham
2100 avant J.C.
182
La démocratie moderne, esclavage mis à part.
212
espèces (Aristote), tout ceci était déjà découvert. Toutefois, ce
n’est que depuis le XIXe siècle, avec la mécanisation et le début de
l’industrialisation que les progrès scientifiques et techniques, en
amélioration constante, apportent des modifications significatives à
notre environnement et ce, de manière continue.
183
Jostein Gaarder. Le Monde de Sophie.
213
une réflexion et une introspection qui bien souvent ont des
conséquences sur sa vie quotidienne et parfois aussi dans son
engagement professionnel.
Ce sont ces micro actions, ces minuscules modifications d’un
nombre croissant d’individus, qui permettent de dire que
l’humanité grandit chaque jour un peu plus, la plupart du temps à
l’état de germe au sein de la plupart des gens et puis pour
quelques-uns, la fleur éclot et la maturité de la réflexion se
transforme en éthique de vie.
L’évolution des
connaissances
Capacité d’ évolution
L’évolution affective
de l’individu
L’évolution de
l’humanité de l’homme
Temps
214
Evolution des connaissances
184
Les différents stades du développement affectif chez Freud.
185
Voici quelques exemples pour percevoir l’évolution de la notion
d’ethnocentrisme. Dans Des Jugements, La Bruyère185 voulant décrier la
barbarie et démontrer la tolérance fait l’éloge de la civilisation et illustre
l’ethnocentrisme le plus radical. « Avec un langage si pur, une si grande
recherche dans nos habits, des mœurs si cultivées, de si belles lois et un
visage blanc, nous sommes barbares pour quelques peuples ».
Todorof, à son tour, relate l’ethnocentrisme scientifique en illustrant son
propos extrait de la Société des Observateurs, premiers ethnologues
français. Premièrement, parlant des autres cultures à observer, il les
appelle « sauvages », ceci permet de comprendre le postulat de non-
216
Plus récemment encore, les balbutiements de l’anthropologie qui
avait enfin reconnu l’homme comme objet d’étude a remis au goût
du jour et systématisé l’observation métrique186 des différences
ethniques. On a pu apprécier par la suite avec l’Affaire Dreyfus et
la Seconde Guerre Mondiale, l’utilisation raciste qui en a été faite.
Si la différence entre les races humaines est constatée depuis
longtemps, la considération pour l’égalité de droit et de principes
entre elles est loin d’être acquise.
Toute l’histoire de l’ethnographie et de l’anthropologie reposent
sur un ethnocentrisme forcené, des tentatives d’universalisation des
218
Le plus compétent, le plus intelligent, le plus brillant et le plus
beau (avec les canons esthétiques du moment) et en résumé le plus
performant, celui-là aura le droit de vivre187.
On comprend clairement qu’il n’y aura pas de place pour tout le
monde.
Les réflexions éthiques visent à contrôler ces dérapages, mais nous
sommes encore dans l’ère de l'hégémonie économique ou la morale
et le droit sont relégués au statut de parent pauvre.
187
Durant les conférences de l’Université de tous les Savoirs au CNAM,
certaines présentations ont été faites sur les nouvelles organisations des
entreprises et les styles de management associés. Ce qui ressortait assez
systématiquement, c’est la recherche des talents et la mise en exergue de
compétences hors du commun. Plusieurs personnes ont alors soulevé la
question du risque d’élitisme. Une évidence qui risque d’isoler un certain
nombre d’acteurs du système économique et qui m’avait fait dire à
l’époque de l’Horreur Economique que, sans repenser la notion de travail
et de principe de rétribution de l’activité, quelle qu’en soit la forme, le
risque majeur serait une accélération de l’élitisme, une sélection par la
compétence drastique et impitoyable. La conséquence : un radicalisme de
l’exclusion de la majorité des acteurs les plus stratégiques de l’économie
de demain.
Il s’agit en fait de la polémique que peut soulever la nouvelle économie,
mais je m’arrêterai là dans le cadre de cet essai.
219
La déclaration, de Séville sur la violence
221
A l’exception de rares pathologies, les gènes ne produisent
pas des individus nécessairement prédisposés à la violence
[...] Pas plus qu'ils ne déterminent l’inverse […]
« IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT d’affirmer qu’au
cours de l’évolution humaine les comportements agressifs
ont été sélectionnés dans une plus large mesure que les
autres comportements. Chez toutes les espèces étudiées, le
statut à l’intérieur d’un groupe est obtenu par l’habileté à
coopérer et à accomplir des fonctions sociales reliées à la
structure de ce groupe. La position de « dominance »
implique des liens et des affiliations ; elle n’est pas une
simple affaire de possession et d’utilisation d’une puissance
physique supérieure, bien qu’elle entraîne des
comportements agressifs. Lorsqu’une sélection génétique
selon des comportements agressifs a été artificiellement
effectuée chez les animaux, elle a rapidement réussi à
produire des individus hyperagressifs, ce qui indique que
l’agression n’a pas été sélectionnée d’une façon maximale
dans les conditions naturelles. Lorsque ces animaux
hyperagressifs et créés expérimentalement sont présents
dans un groupe social, ils perturbent la structure sociale ou
sont repoussés à l’extérieur…
« IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT d’affirmer que les
humains ont un « cerveau violent ». Bien que nous
possédions un appareil nerveux nous permettant d’agir
violemment, il n’est pas activé automatiquement par des
stimulii internes ou externes. Comme les primates supérieurs
et à la différence des autres animaux, nos processus
neuronaux supérieurs filtrent ces stimulii avant d’agir sur
eux. Notre conduite est façonnée par la manière dont nous
avons été conditionnés et socialisés. Il n’y a rien dans notre
neurophysiologie qui nous oblige à réagir violemment.
« IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT d’affirmer que la
guerre est causée par un « instinct » ou toute motivation
unique. L’émergence de la guerre moderne a suivi une
trajectoire débutant par la primauté de facteurs
222
motivationnels et émotionnels, quelquefois appelés
« instincts » et conduisant à la primauté des facteurs
cognitifs. La guerre moderne implique un usage
institutionnel de caractéristiques personnelles telles que
l’obéissance, la sensibilité à la suggestion et l’idéalisme,
d’habiletés sociales comme le langage, et de considérations
rationnelles telles que le calcul du coût, la planification et le
traitement de l’information.[…]
« Nous concluons que la biologie ne condamne pas
l’humanité à la guerre. […] De la même façon que « les
guerres débutent dans l’esprit des hommes », la paix débute
également dans nos esprits. La même espèce qui a inventé
la guerre est capable d’inventer la paix. La responsabilité
réside en chacun de nous.
Dans son livre La violence et le sacré, René Girard nous dit que
l’homme est constitué de violence comme étant un ingrédient
parmi d’autres. Certes, toutefois il existe une violence latente qui
n’hésite pas à exploser dès que l’être humain est en présence d’un
223
autre et donc en situation sociale. Ceci est un fait. Nombre de
recherches ont été réalisées sur le sujet188.
Mais le plus important est que l’homme, conscient de cette nature
première, de ce mal radical contre lequel il ne peut rien d’autre,
apparemment, que le subir, essaie justement de lutter.
Alors, ce que Girard dénonce dans son livre, c’est que, souvent
perçu dans notre civilisation occidentale comme un acte de
188
Pierre Karli L’homme agressif, Averill, JR Anger and agression. An
essay, Konrad Lorenz, L’agression.
189
Genèse 22-1. « Or après ces événements, Dieu mit Abraham à
l’épreuve et lui dit : « Abraham » (…) « prends ton fils, ton unique, Isaac,
que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l’offriras en
holocauste sur celle des montagnes que je t’indiquerai. » […] 22-9.
« Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait indiqué, Abraham y
éleva un autel et disposa les bûches. Abraham tendit la main pour prendre
le couteau et immoler son fils. Alors l’ange du Seigneur l’appela du ciel
et cria : « Abraham ! Abraham ! » (…) « N’étends pas la main sur le
jeune homme. Ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu,
toi qui n’as pas épargné ton fils unique pour moi ».
224
barbarisme et un geste païen, le sacrifice est beaucoup plus capable
d’arrêter la spirale de la violence, que la justice que nous avons
instaurée qui, en fait, a établi un principe de rétribution plus proche
de la loi du Talion et faisant écho à la violence par le même
procédé qu’un moyen efficace de l’enrayer.
« Si le primitif paraît se détourner du coupable, avec une
obstination qui passe à nos yeux pour de la stupidité ou de la
perversité, c’est parce qu’il redoute de nourrir la vengeance. Si
notre système nous paraît plus rationnel c’est, en vérité, parce
qu’il est plus strictement conforme au principe de vengeance.
L’insistance sur le châtiment du coupable n’a pas d’autre sens. Au
lieu de travailler à empêcher la vengeance, à la modérer, à
l’éluder, ou à la détourner sur un but secondaire, comme tous les
procédés proprement religieux, le système judiciaire rationalise la
vengeance, il réussit à la découper et à la limiter comme il
l’entend. Il la manipule sans péril. Il en fait une technique
extrêmement efficace de guérison et, secondairement, de
prévention de la violence »190.
190
René Girard. La violence et le sacré.
225
nous pouvons peut-être combattre cet instinct destructeur de notre
espèce et développer alors toute notre humanité.
191
Au sens légal.
226
différents conflits de l’histoire sont socialement réprimés et
connaissent une sanction légale et morale. Nous nous dirigeons pas
à pas, à la vitesse possible et supportable pour faire évoluer les
mentalités des populations d’une planète (!) vers la légalisation de
la condamnation de la guerre elle-même. Si ceci n’est pas un
progrès de l’humanité et la démonstration de la domestication
progressive de la tendance barbare et brutale du mal qui est en
nous, ou plutôt qui est nous, qu’est-ce que c’est alors ?
192
Jacques Attali. Fraternités.
227
Je suis d’accord, nous sommes tous responsables de vouloir le
changement ou de ne rien faire. Si nous nous plaignons sans rien
faire, nous méritons le sort que nous nous sommes créé. En
revanche, si nous aspirons à autre chose, rien ne nous empêche de
le rêver, de le concevoir, de le penser puis de le vouloir et de le
dire au point de le rendre vivant, réel et tangible.
L’utopie de la fraternité
228
Il apparaît ainsi, en première lecture, qu’il faudra bien du temps
avant que le principe démocratique prévale sur les intérêts
économiques ou politiques.
Néanmoins, malgré les radicalismes des extrêmes que notre siècle
a pu connaître, il semble que la tendance générale soit davantage
au courant continu de l’expansion du système égalitaire de la
démocratie qu’à celui, injuste et répressif, des dictatures.
La polémique autour de l’extradition récente du général Pinochet,
même si elle n’a pas aboutie193, démontre bien, en tous cas,
qu’aujourd’hui tout tyran, tout dictateur est identifié et dénoncé par
le droit international. Pour nombre d’entre eux, les jugements sont
engagés, pour certains les intérêts politiques prévalent encore
notablement sur les intérêts de l’humanité, mais la tendance semble
s’inverser et surtout l’opinion publique milite pour ce
renversement. C’est la pression de la société, en marche contre les
brutalités faites au nom de régimes favorisant la richesse de
quelques minorités au détriment du respect de la personne qui
apparaît comme avoir gain de cause. Le poids de l’opinion
publique pousse le droit et les décideurs politiques à envisager
autrement les comportements de certains dirigeants.
Ainsi, l’élection récente, en Autriche, d’un représentant d’extrême
droite au pouvoir, a-t-il soulevé l’indignation générale de l’Europe
et certains ministres ont carrément refusé de lui parler ou tout
simplement de rester dans un même lieu public en sa présence.
Cette réprobation unanime démontre bien ce renversement de
tendances sociales vis-à-vis des injustices et des extrémismes en
tout genres. Pour autant, le radicalisme de certaines réactions fait-il
penser, comme un effet miroir, au déploiement des mêmes talents
de sectarisme que les personnes mises en cause.
193
Depuis, l’actualité et les contingences politiques en ont décidé
autrement.
229
guerre de Tchétchénie. Les enjeux économiques et politiques194
sont tels que le statu quo valait mieux qu’un conflit diplomatique
ouvert avec la Russie. Il aura fallu plusieurs mois avant que cette
guerre soit vraiment officiellement condamnée. Mais elle l’est,
maintenant.
Si l’on compare le temps qu’il a fallu à la communauté
internationale pour intervenir à l’époque, en Yougoslavie, il semble
que les Droits de l’Homme deviennent aujourd’hui une vraie
variable dont il faut tenir compte dans le comportement social
international. Peut-être parviendrons-nous bientôt à ce que cela
devienne une priorité sociale et internationale ?
Du devoir au plaisir
Nous avons vu, plus haut, que Kant propose pour combattre le mal
moral d’avoir un agir juste, conduit par la raison, le devoir, la
morale et la volonté. Il est fort probable qu’au-delà du génie de sa
pensée et de la richesse de ses démonstrations, sa théorie puisse
194
La poigne de fer qu’annonce Poutine et qu’il a cherché à démontrer
par son action « d’éclat » en Tchétchénie risque de garantir le retour
d’une économie forte en Russie. Le monde entier en a besoin, pour
certains, pour contrebalancer l’hégémonie américaine, pour d’autres, pour
satisfaire leurs propres objectifs de croissance. Il est donc évident que la
perspective autocratique du gouvernement de Poutine en satisfait plus
d’un, à tel point que tout le monde ferme les yeux sur les crimes contre
l’humanité commis en Tchétchénie, les intérêts économiques primant à
nouveau.
230
reposer sur une conception de la vie qui lui était toute particulière.
Au vu des différents récits bibliographiques, il apparaît clairement
que Kant s’adonnait peu aux plaisirs de la chair et avait une vie
réglée tel un célibataire endurci, dont les habitudes faisaient penser
clairement à une personnalité obsessionnelle.
La corrélation d’une personnalité, d’une histoire personnelle avec
le développement d’une théorie brillante a fortement marqué les
esprits en imprimant dans les mentalités, à nouveau, le poids de la
notion de devoir prévalant sur celle de plaisir.
Le XVIIIe siècle a, par ailleurs, été le théâtre des tendances
extrêmes en la matière, ici en prônant une morale fondée sur le
devoir et dans le même temps le libertinage faisait rage mélangeant
mœurs légères et philosophie de boudoir.195
Nous l’avons également vu avec l’examen de l’influence de la
Genèse sur notre pensée contemporaine, l’interdit du plaisir,
émanant de la Chute et surtout radicalisé depuis par les différents
Pères de l’Eglise a amené notre culture européenne, et française en
particulier, à avoir honte de tout ce qui est charnel et à ne pas se
reconnaître la possibilité d’un quelconque plaisir, jusqu’à la
satisfaction qu’il est possible de retirer de son travail. Ce
sectarisme a conduit aux excès du XVIIIe précédemment décrits et
a continué au XIXe siècle avec l’hypocrisie bourgeoise. Celle-ci
faisait prévaloir des valeurs telles que la virginité, la fidélité ou la
pudeur et mettait aux bans des accusés l’amour charnel sous toutes
ses formes, en particulier avant le mariage. C’était également
l’époque où l’homme pouvait se permettre tous les écarts et le
jugement sur les filles-mères était intraitable. Un très bel exemple
en est donné par le roman de Thomas Hardy, Tess.
195
En référence à Histoire de ma vie de Casanova et Philosophie dans le
boudoir de Sade.
231
occidental trop longtemps brimée par des interdits, si peu respectés
par ailleurs.
Les deux guerres du XXe siècle ont fait exploser le modèle social
en faisant accéder les femmes au monde du travail, à la suite de la
pénurie de main d’œuvre masculine. En effet, un événement que
l’on aurait pu considérer comme simplement économique et
devenu très vite sociologique. Dès lors que les femmes ont vu
qu’elles pouvaient faire le travail de leurs maris et qu’elles
196
Là aussi, beaucoup d’illusions et d’abus.
232
pouvaient les remplacer sur de nombreux points, elles n’ont pu se
satisfaire des inégalités et des injustices.
Les premiers mouvements féministes datent du début du siècle
pour aboutir principalement au droit de vote en 1948 et à
l’autorisation de l’I.V.G. et à la pilule dans les années 70.
233
Si le modèle social oscille vers des valeurs plus « féminines » telles
que l’amour, la famille, le respect, peut-être qu’alors, les
ingrédients se modifiant, la recette finale sera probablement plus
généreuse et conciliante et le nouveau modèle social pourra-t-il
alors générer moins de violences.
Pour autant, il s’agit que les femmes qui essaient d’acquérir leur
autonomie ne prennent pas comme modèle l’idéal masculin pour
être reconnues par eux, et de ce fait faciliter leurs accession
sociale. Auquel cas, nous n’aurons plus deux sexes, avec leurs
particularités psychologiques et sociologiques, mais deux sexes
biologiques et un sexe social. Mais, justement, le changement du
rôle de la femme laissant l’homme pantelant et devant se
reconstruire dans son identité et sa manière de vivre, on constate un
accroissement significatif de l’homosexualité masculine,
recherchant dans cette perversion sexuelle197 l’expression de la
féminité jusqu’ici réprimée et qui atteint là son paroxysme, au
point d’éteindre significativement la masculinité qui est en eux.
197
Perversion sexuelle à comprendre au sens psychologique, perversion
par rapport à la norme sexuelle qui est hétérosexuelle, il n’y a pas ici de
jugement de valeur.
234
Les idéologies socialistes
Le ras-le-bol de la guerre
235
Les apports de Mai 1968
C’est donc avec les générations qui les ont suivies que la distance a
pu se prendre. Le fait d’avoir les mains « dans le cambouis » du
travail acharné de la reconstruction empêchait de revisiter ce temps
funeste de la Seconde Guerre Mondiale. Et d’ailleurs, c’était trop
tôt, trop à vif pour qu’une prise de recul soit possible. Les moyens
de communication se développaient à l’allure de la croissance
économique et les jeunes de Mai 1968 n’avaient pas faim, ni mal,
mais ils avaient le cerveau plein des promesses et des idées de
Sartre, de Lacan, d’Althusser ou de Foucault et alors l’ancien
modèle, après s’être craquelé, explosa en miettes.
La guerre du Viêt-nam a fait le reste.
Il y en avait assez des guerres, du devoir, de l’austérité et de l’ordre
qui visiblement n’avaient pas démontré leur total bien-fondé.
La place était nette et Mai 1968 a pu fleurir au bruit des grèves, des
barricades, sous les coups des jets de pierre et des slogans autant
anarchistes que trotskistes.
La jeunesse de 1968, éprise d’idéal, meurtrie dans sa chair par les
guerres qui amputent les amoureux d’avenir et les jeunes hommes
d’un bras ou d’une jambe, avait soif de liberté, de paix, et d’amour.
Les résultats, l’histoire en a fait état et comme pour toute
évolution, les excès sont inévitables, car la foule hirsute et bestiale
prend le pas sur les idéologies à défendre et passe son rouleau
compresseur de barbarie jusqu’aux frontières de l’indicible. Il
n’empêche que ce raz de marée, dont les ondes de choc ne sont pas
encore terminées, a forcé à repenser le modèle social dans son
ensemble, l’humanité, les rôles et les fonctions de tous les acteurs
sociaux.
236
La transition du millénaire
198
Il s’agissait de l’été 1999, le nombre de pèlerins a été accru, en partie,
par l’effet millénariste.
237
demandent « si c’était bon » est typique de l’empêchement dans
lequel elles sont de ne pas savoir dire « je t’aime » et de ne pas
savoir le demander.
Ces quelques jours qui nous séparent de l’an 2000 nous font voir
un monde, qu’il soit intellectuel, religieux, profane ou économique,
qui repense son agir dans un souci d’éthique. On ne parle plus de
morale, trop usitée et connotée de ce dont nous avons déjà parlé,
c’est-à-dire d’un carcan rigide et parfois accompagnée de sa
cohorte d’hypocrisies excessives. L’éthique apparaît comme plus
épurée et moins galvaudée et répond mieux aux besoins
contemporains d’une existence saine, (écologique), juste, plus
simple (vie plus sportive) et qui reconnaît la réalité des sentiments
et des émotions. Nous ne sommes plus dans l’ère cartésienne où le
poids judéo-chrétien faisant condamner les désirs et les passions,
portes ouvertes sur le péché, mais nous reconnaissons davantage la
réalité et la présence de nos sentiments et nous commençons, à
peine, à savoir en parler et à les exprimer. Pour cela, l’avènement
de la psychanalyse est un grand pas pour l’humanité, mettant à jour
le fonctionnement psychologique de chacun, osant parler des
souffrances individuelles et surtout donnant les moyens de les
traiter et de les dépasser.
199
Rosenfield. Politique et liberté.
239
Les ingrédients de l’évolution de la conscience de
l’humanité.
La Révolution française
200
Roland Quilliot dans le Mal et la conscience étique moderne, in Les
études philosophiques. N°1/1990.
201
Nous voulons dire ici que l’abolition des privilèges est un progrès alors
que l’anéantissement de la noblesse est un des événements sectaires de
l’histoire. Aussi barbare que cela puisse paraître, ce sont les prérogatives
que cette classe sociale s’arrogeait au détriment des autres qui les a
conduit à leur perte et que la Révolution française a cherché à abolir.
C’est cette injustice qui a été condamnée, pas forcément contre une classe
sociale ou des hommes et des femmes particuliers, même si l’on sait que
la Révolution n’a pas su faire de distinction, comme un flux social
incontrôlé, elle a tout détruit sur son passage. Et pourtant, des cendres de
l’excès ont jailli trois valeurs : liberté, égalité, fraternité, qu’il nous
appartient aujourd’hui de rendre réelles et vivantes, comme un patrimoine
humanitaire accessible à tous.
240
Dans le même esprit, l’abolition de l’esclavage est la décision la
plus belle et significative de la reconnaissance de la valeur des
hommes. Bien entendu, dans les faits, un racisme cruel s’est
développé qui a empêché longtemps de pouvoir apprécier
réellement la réalité du respect et de la tolérance.
Utopie et liberté
242
Le livre de Nostradamus retrouve un franc succès où chacun y va
de son interprétation créant un climat de psychose du futur
permettant de projeter à l’extérieur de soi, des peurs liées à
l’incertitude chronique de toute changement.
Les personnes ne trouvent pas de réconfort face à leurs incertitudes
que ce soit auprès des politiques comme avec l’Eglise, dont les
messages ne correspondent pas toujours à ce que les fidèles veulent
entendre. De plus, l’Eglise catholique ne peut répondre à leurs
angoisses dans la mesure où son histoire chaotique et
intransigeante la discrédite quant à son message eucharistique
initial. Ensuite ses valeurs sont parfois décalées par rapport à celles
de la société actuelle.
Ce vide, ce manque de confiance et d’espoir fait tourner les gens
en rond, allant alternativement de la religion à la politique et
parfois de celle-ci à l’ésotérisme.
Mais les désillusions sont pires car les pratiques ésotériques sont
parfois l’objet de toutes les manipulations mentales et mercantiles
possibles et respectent peu l’être humain.
Alors, désabusés, certains reviennent vers Dieu, perdus.
Le déclin de l’universalisme
244
manière significative la langue allemande pour qu’elle retrouve
autonomie et reconnaissance.
202
Colloque de l’ARIC. 1999. Paris.
203
Pascal et Descartes.
245
passions et désirs a fait mourir la réalité ambivalente, pour certains,
de ce qu’est l’homme. Un être, d’un côté, en proie à des instincts,
sujet à la violence, emprunt de désirs et de passions et, de l’autre,
usant de la pensée et de la raison pour comprendre et de la foi pour
croire.
« L’homme ne peut plus se reconnaître dans les chaînes
dégradantes de la logique … mais dans un tournant extatique –
dans la virulence de ses fantasmes 204».
Si cette position est aussi extrême que la position religieuse de
l’époque qui condamnait le plaisir physique comme étant un péché
et si aussi, il faut tenir compte de la réalité de la folie de Nietzsche
pour expliquer ses positions théoriques, il est incontestable que
depuis « Dieu est mort », ses contemporains et ses descendants ont
du se mettre à réfléchir de gré ou de force pour repenser leurs
croyances, revisiter le sens de la foi comme les principes du
religieux. La suite, on la connaît.
Pourtant le chaos des extrêmes s’étant un peu tassé, d’un
radicalisme à l’autre, d’un anarchisme à la laïcité intégriste au
conservatisme primaire, l’apport de Nietzsche, entre autres, est
d’avoir permis de réintégrer pour l’homme la totalité de ses
facettes. C’est une vision plus holistique que nous découvrons
alors.
Il définit, avec la pensée de Kirkegaard, la possibilité d’un homme
aux prises avec sa totalité, face à lui-même, seul, découvrant
l’existentialisme et peut alors ouvrir la voie de l’autonomie
intellectuelle et plus tard de l’éthique laïque.
204
Nietzsche cité par Emmanuel Sales in Le Siècle Rebelle.
246
Nous prendrons à titre d’exemple le domaine particulier du
management des entreprises.
205
Ricardo SEMLER, Maverick 1993.
247
Mais de quelle culture américaine parle-t-on ?
206
Cf. Le Figaro. Fin avril 2000.
249
synergie exponentielle du besoin de connaître, de comprendre et
d’accepter autant soi-même que l’autre pour faciliter l’ouverture à
la différence et alors progresser ensemble.
250
Dans ces deux exemples, les valeurs de considération, de respect et
de confiance en l’autre sont dominantes et sont bien différentes de
celles en vigueur pendant nombre de siècles.
251
LES SOLUTIONS SOCIALES AU COMBAT CONTRE LE
MAL
Sport et humanité
207
Les publicitaires les appellent les jeunes consommateurs : les
nouvelles cibles sont les 4-6 ans, enfin, dès qu’ils comprennent un spot
télévisé. D’ailleurs, les meilleurs ouvrages et manuels scolaires sont ceux
253
où s’engouffrent une foule d’autres acteurs économiques
(opérateurs téléphonique, produits et services NTIC, hi-fi, etc…).
La valeur (marchande) sûre c’est le sport aujourd’hui, quand
Jacques Chirac veut augmenter son audimat il se montre serrant la
main à Zidane ou à Barthez. Volvic vente la pureté en associant
son image à Zidane… Les exemples foisonnent.
Un autre aspect, qui bien entendu, peut être examiné sous d’autres
angles, est celui de la composition pluriculturelle (au sens d’ethnies
différentes) des équipes de sport, notamment, de football. Cette
diversité, rejetée parfois par d’aucuns comme non représentative de
la France, reflète en fait la pluralité des cultures existant dans notre
pays, comme dans la plupart des autres d’ailleurs. Le mythe de la
race pure est justement bien un mythe, obsolète depuis nombre de
siècles et qui fait preuve d’un protectionnisme frileux n’ayant pas
encore saisi l’intérêt de l’enrichissement des différences que
produit la variété ethnique et culturelle.
255
Cette pluralité organisée que représente l’équipe de football
française rend compte de la possibilité de gagner ensemble en
sachant combiner les différences. Ceci introduit la notion de
dynamique, de progrès, de réussite, de défi, de saine émulation et
permet d’élaborer tout un système de valeurs : respect, tolérance,
équipe, complémentarité,… qui donne un cadre structurant dans
lequel la population se projette massivement par besoin de croire et
par soif de succès. Ce qui peut la conduire à idolâtrer certains
acteurs du système mais qui d’une part, facilite la cohésion sociale,
d’autre part structure le collectif et enfin développe les valeurs
humanistes conduisant à l’évolution massive de l’humanité.
Le bémol à apporter est celui de l’application par les actes des
adhésions spontanées et enthousiastes, initialement portée au sport
aux nouveaux principes d’humanité.
En faisant un odieux raccourci, le sport facilite la fraternité et le
consumérisme permet la réalisation des utopies.
L’effort de mémoire
209
Rosenfield. Ibid.
257
impunis les actes barbares, les sauvageries qui s’exercent contre
l’homme, quel qu’en soit le prétexte.
Nous avons acquis la conscience de ce qu’est l’humanité, de ce que
veut dire la liberté et il apparaît du devoir de chacun de prendre sa
responsabilité pour condamner l’intolérable et faire en sorte que
cela n’existe plus. A chacun de définir d’un agir propre qui lui
corresponde, artiste, auteur, acteur politique ou humanitaire, mais
nous pouvons et nous devons chacun combattre ce mal possible qui
est en nous et celui que nous risquons de commettre sur autrui et
sur notre propre dignité.
Les livres, les mots, les journaux sont parfois bien pauvres face aux
images. Les Allemands l’ont bien compris et en visitant des villes
allemandes et particulièrement Berlin, j’ai été frappée par la force
et la puissance des photos et des images.
210
Jean-marie Bouissou in le Siècle des Rebelles, ibid.
261
étaient recouverts de photographies prises à la suite des
bombardements et accompagnées de celles illustrant les réparations
et les reconstructions. Aucun mot, aucune légende, pas l’ombre
d’un message pour commenter ces photos. Seules les images
parlent, et alors c’est bien dans les tripes que résonne l’émotion
soulevée par ces clichés fixant les anéantissements causés par la
guerre. Il est frappant de voir comment l’art, le graphisme, la
peinture, les tags, les sculptures et toute forme d’expression
picturale se substituent aux discours et aux livres pour s’adresser
directement et plus vivement à nos cœurs.
D’ailleurs, plus de cinquante ans après l’émotion et l’horreur, la
honte ou l’affliction sont indemnes alors que les mots ont tendance
à jaunir comme les pages sur lesquelles ils sont écrits. Cela
fonctionne, c’est sans doute la méthode la plus efficace pour faire
et continuer ce travail de mémoire si indispensable pour que nous
n’oubliions pas ce dont nous sommes capables.
211
Marek Halter. Ibid.
262
contemporaine renvoyant à chaque visiteur le poids du passé et la
volonté de reconstruire comme sur la Post Damerplatz sans pour
autant oublier.
Et quoi de plus parlant que des ruines, des barbelés et des impacts
de balles ?
Le malaise atteint les cœurs et l’histoire se dresse, encore vivante
et hurlante de ses errances et de ses atrocités. Je trouve que la
manière dont les Allemands gardent la trace de ces moments
douloureux est poignante et bien plus parlante que tous les musées,
les monuments à la mémoire et les longs discours.
Espérons simplement que cette trace indélébile saura combattre
encore longtemps les tentations de certains à vouloir reproduire, à
nouveau, ces ignominies.
La banalité du mal
263
C’est pourquoi, nous verrons dans ces quelques pages la place que
prend la pensée humaine pour combattre le mal et sa banalité.
« L’absence de pensée, comprise comme une des sources de la
banalité du mal »212, est justement ce contre quoi les intellectuels
luttent, car un monde sans pensée risque de sombrer dans le
barbarisme des instincts et l’intolérance aveugle.213
L’histoire se répète-t-elle ?
212
Ce qui a permis à Hannah Arendt d’écrire plus tard La pensée.
213
Jean-Claude Eslin. Hannah Arendt. L’obligée du Monde.
214
Un peu comme le processus de répétition pour l’individu, déjà évoqué.
215
Engels cité par Marek Halter.
216
Ibid.
264
D’ailleurs cette dimension globale du sens qui peut se dégager de
l’histoire est très bien décrite chez Hegel. « L’histoire n’est pas un
lieu quelconque, elle est le lieu de la réalisation de l’esprit, cet
endroit où il crée et fait venir au jour ses déterminations. Si
l’histoire est définie en tant qu’histoire mondiale, cela est dû au
fait qu’elle y gagne une dimension rationnelle, celle de l’Idée de la
liberté qui s’y développe progressivement et parfois à dures
peines ». Et oui, tout dépend du rôle des monarques, des présidents
et des responsables politiques, de leur besoin d’hégémonie. Plus le
responsable politique engage son action pour le bien de son peuple
et dans le dessein de faire évoluer le bien public et plus l’histoire
est le témoin de l’avance de l’humanité. A l’inverse, plus elle est la
proie de fous mégalomanes qui la manipulent et s’en servent pour
satisfaire leur ego et plus « elle progresse à dures peines ».
265
Le seul ancrage possible devient notre époque contemporaine et ne
permet donc pas de profiter de l’ampleur du sens qui se dégage de
la continuité.
Il est donc nécessaire d’envisager l’histoire à la fois comme un
continuum et aussi comme le cheminement de l’humanité qui
grandit à chaque génération des progrès de ses aïeux, tout à
l’opposé de ce que le sens commun à l’habitude de dire. Car
souvent nos yeux sont englués dans l’immédiateté et nous
manquons de cette distance à nous-mêmes, à l’histoire, aux
événements qui nous permet alors d’y voir le sens et la profondeur
du cheminement.
217
Jean-Claude Eslin. Ibid.
266
drame, on comprend mieux pourquoi aujourd’hui la tendance est à
l’individualisme. Pourtant, il est nécessaire de ne pas tomber dans
un autre travers aussi nuisible que le précédent qui serait
l’égoïsme.
218
Paul Valadier. La Pensée politique de Hannah Arendt. Revue Sens
N°8-9.1988. Cité in Hannah Arendt. L’obligée du monde. Ibid.
267
La vacuité, synonyme d’évolution interculturelle et
œcuménique de l’humanité
219
Guy Bechtel. Ibid.
220
Saint Thomas d’Aquin : 1225-1274.
269
de nouvelles valeurs telles que la laïcité, la démocratie ou encore la
république en rejetant catégoriquement tout signe religieux. Le
socialisme du début du siècle et surtout le communisme ont, eux
aussi, rejeté la religion en général comme étant « l’opium du
peuple » ; il est naturel qu’en ce début de siècle les esprits soient
encore bien marqués. Etre fidèle à certains principes idéologiques
ou politiques signifie renoncer à la religion ancestrale.
Mais le plus incroyable est que ce sont les prêtres eux-mêmes qui
ont contribué à la déchristianisation de la France par leur adhésion
massive au communisme.
« Inénarrable page d’histoire que celle des chrétiens marxistes des
années 1970 ! Il reste qu’elle n’est pas seulement anecdotique :
toute une génération du clergé français a été imprégnée par leurs
idées. Ce phénomène, greffé sur une crise générale de l’Eglise, a
bouleversé le catholicisme français, accélérant la
déchristianisation du pays. »221
Pourtant, idéologiquement, le rapprochement entre le christianisme
et le communisme n’est pas une aberration. En effet, les idées qui
sous-tendent ces deux courants humanistes reposent bien sur l’idée
de partage, cette notion de fraternité qui a converti il y a deux mille
ans tant d’âmes. Mais le problème est que le marxisme vomit la
religion et qu’il est alors très difficile d’être croyant et camarade.
Très vite un choix doit s’effectuer et pour celui qui s’est engagé
dans le clergé, il y a conflit d’intérêt, de rôle, de missions, de
valeurs et d’idéologies. Portés dans l’euphorie des temps
gauchistes, la foi n’a pas résisté.
221
Jean Sévilla. Le Terrorisme Intellectuel. Perrin. Mars 2000.
270
est davantage symbolique qu'historique a pour autant empoisonné
la vie quotidienne de générations de chrétiens. Aujourd’hui, les
mœurs ont changé et il existe plus de liberté des mœurs qui rendent
obsolètes les principes religieux. Le bouddhisme apparaît plus
proche de l’évolution des valeurs de notre société.
222
Les contingences correspondent aux désirs des choses de ce monde qui
sont cause de souffrance et c’est en sachant se détacher, que l’on prend de
la distance par rapport à toute forme de désir et que l’on souffre alors
moins et qu’il est alors possible d’atteindre le nirvana, en particulier par la
méditation.
271
des principes éprouvés et solides, au contraire de certaines
pratiques mentionnées précédemment.
223
Plus l’Occident génère de stress par sa quête effrénée de la
performance et de l’excellence, et plus les moyens ou solutions de le gérer
ou de l’éliminer sont recherchés.
272
pas d’origine mais une constante d’un système interdépendant de
principes de vie qui engendrent par ricochet l’illusion de
l’existence.
273
Nous pouvons constater d’autres parallèles entre les systèmes de
pensée des deux cultures.
La similitude entre la pensée systémique et la philosophie
bouddhiste réside dans le fait d’envisager la vie comme un principe
interdépendant de désirs qui, lorsqu’ils s’expriment, se
matérialisent sous les formes matérielles et charnelles que nous
connaissons de manière sensible, mais qui ne sont que des illusions
dont il faut se détacher pour obtenir une vision d’ensemble plus
large, permettant de retrouver le sens (la connaissance)224 de la vie,
du monde et de l’essence.
Cette systémie du sens se retrouve aussi chez les chrétiens, nous
reprendrons en guise d’illustration ce que rapporte François
L’Yvonnet des propos de Bloy.225
« Toute la philosophie chrétienne est dans cette possibilité de
penser ensemble la liberté humaine et la nécessité de l'acte libre
pris dans une solidarité universelle qui lui confère un sens. En
réalité, tout homme est symbolique et c’est dans la mesure de son
symbole qu’il est un vivant. Il est vrai que cette mesure est
inconnue, aussi inconnue et inconnaissable que le tissu des
combinaisons infinies de la Solidarité universelle […]. Ce que
l’Eglise nomme la Communion des saints est un article de foi et ne
peut pas être autre chose. Il faut y croire comme on croit à
l’économie des insectes, aux effluves de germinal, à la voie lactée,
en sachant très bien qu’on ne peut pas comprendre […] Il n’y a
pas un être humain capable de dire ce qu’il est, avec certitude. Nul
ne sait ce qu’il est venu faire en ce monde, à quoi correspondent
ses actes, ses sentiments, ses pensées ».
Nous pouvons être d’accord avec l’auteur sur le fait que nous ne
savons pas avec certitude qui nous sommes, pourtant le message
particulier de la philosophie bouddhiste, comme des courants
humanistes occidentaux est justement d’encourager l’homme à
découvrir par lui-même le sens de sa vie, sans l’envisager de
manière relative à Dieu ou à quelque principe extrinsèque, mais
bien en comprenant, seul, quel sens il peut donner à sa vie et à son
être. L’entreprise est difficile, car bordée d’incertitudes et de
224
Au sens de la Genèse.
225
Léon Bloy. Méditations d’un solitaire, in mare tenebrosum ibid.
274
douleurs inhérentes à la solitude « désespérée » de ne jamais savoir
si l’on a tort ou raison. Envisager sa vie de manière relative peut
engendrer la colère de l’incompréhension parfois du dessein de
Dieu, par exemple, mais rassure aussi car forcément il y a un sens,
qui nous échappe peut-être, mais qui justement, est inscrit
mystérieusement dans le mystère de la Foi et la Passion du Christ.
Cet engouement pour les philosophies orientales correspond au
besoin de l’homme occidental de comprendre par lui-même, dans
le courant individualiste que l’on constate socialement, son
dessein, sa raison de vivre et le sens qu’il entend donner à sa vie.
226
Jean-Paul Milou. Le bien et le mal dans la taoïsme, in Question de. Le
mal. Albin Michel.
275
le parti de les mêler car trouvant la nature et la nature humaine
particulièrement indissociables, confuses, complexes et mélangées,
comme une « synthèse dialectique ». Ce qui est ici décrit par le
principe bien connu du Yin et du Yang où chaque élément est tout
autant distinct et aussi indissociable de l’autre qu’intimement et
intrinsèquement lié à l’autre. Pour nous, Occidentaux, nous
appelons ces mêmes principes des couples d’opposés et de
contraires, qui, si nous les visualisions, nous amèneraient plus à
dessiner des droites ayant des extrêmes, qu’un cercle présentant la
dynamique de l’évolution. Si la description du phénomène est
différente, qu’en est-il de l’issue ?
227
J’ai beaucoup mis l’accent sur la culture asiatique mais il est
intéressant de noter que basées sur d’autres croyances, d’autres cultures se
rejoignent dans leurs principes fondamentaux. Ainsi les peuples
d’Amérique Latine ont leur manière particulière de lutter contre le mal et
curieusement les principes sur lesquels ils se basent recoupent ceux du
taoïsme. Pour les populations indigènes d’Amérique Latine, c’est-à-dire
de tradition indienne et non hispanique, la croyance fondatrice de la
civilisation est que l’homme et la nature de font qu’un. L’être humain, les
animaux, les plantes et les éléments sont en totale osmose et leurs univers
s’interpénètrent sans cesse.
Lorsqu’un dysfonctionnement apparaît dans la société ou qu’une
manifestation du mal est identifiée, le Chamane, équivalent du sorcier
africain animiste, ou du prêtre dans les religions du Livre, va s’incarner
dans l’animal, la plante ou l’élément qui facilitera la communication avec
les esprits de la Nature ou des morts les plus à même de faciliter la
résolution du problème.
Dans cette civilisation comme dans les convictions sous-jacentes des
sociétés asiatiques, tout est mêlé, en interaction continue. Il n’existe pas
de frontière entre le monde visible et invisible, entre le réel et l’imaginaire
pas plus qu’entre la vie et la mort.
276
Pourtant un doute persiste, sommes-nous vraiment capables de
comprendre des concepts et des mots qui s’inscrivent dans une
autre langue, et surtout dans une culture dont les valeurs, les
conceptions, et les coutumes nous laissent parfois si perplexes et
remettent en cause des siècles de démonstration rationnelle ?
Pour autant, si les raisonnements et les principes qui sous-tendent
la manière d’envisager le bien et le mal comme son dépassement,
semblent bien différents, un point commun peut néanmoins être
mis en lumière. Il s’agit de l’action humaine. Dans toutes ces
cultures occidentales, orientales, amérindiennes ou africaines, le
développement du mal comme la possibilité d’atteindre le repos
éternel s’acquièrent par un culte du bien agir individuel. C’est en
commettant le moins de méfaits à autrui et en sachant dépasser
souffrances et désirs instinctuels que le Bien devient un objectif et
le moyen d’agir universel.
Cette tendance à privilégier le Bien à faire à son prochain,
commune à toutes les civilisations devient un but à atteindre autant
individuellement que collectivement. Se détachant progressivement
de ses attaches philosophiques et religieuses, on peut considérer
que sous ces diverses formes, écologie, développement personnel,
actions caritatives, elle devient un projet de société, une réalité du
progrès d’humanité.
***
278
Ces deux informations sont mises en perspective par le hasard du
calendrier de l’information et montre que la lutte pour l’humanité
et la dignité n’est pas encore gagnée.
Pourtant, l’acte de Jean-Paul II est d’une extraordinaire portée
symbolique, c’est le premier pape à officialiser une telle cérémonie
et à dire publiquement que le passé de l’Eglise n’a pas toujours été
glorieux et à reconnaître publiquement toutes les atrocités
commises au fil des siècles et en son nom.
Ceci ouvre la fenêtre de la justice morale, de l’équité, de la
responsabilité individuelle et sociale de la communauté humaine,
même s’il ne s’agit des actions que d’une de ses composantes. Il
apparaît que dès lors qu’un repentir est ainsi officialisé, on passe à
un niveau de conscience et de responsabilité totalement différent et
alors certaines actions ne pourront plus avoir lieu, elles n’auront
plus l’aval de l’Eglise et deviennent officiellement condamnables.
C’est comme si l’escarcelle de la justice s’étoffait chaque jour un
peu plus et qu’avant d’être capable « d’aimer son prochain, comme
soi-même » le droit et la morale nous amènent progressivement à
le respecter et à le tolérer, (peut-être bientôt comme soi-même).
228
Au sens donné par l’Analyse Transactionnelle.
279
La métamorphose individuelle, seule, prévient du mal et
construit le libre-arbitre
« Connais-toi toi-même »
281
Se connaître, c’est dépasser ses meurtrissures narcissiques
229
Cette notion d’abandon fait écho à l’angoisse existentielle
fondamentale qui est la séparation du corps de la mère provoquée par la
naissance. Cette souffrance d’incomplétude conditionnera toute la vie
affective, l’individu cherchant absolument à être Un.
282
A ceci se rajoute la peur de la solitude, liée à l’abandon, la peur de
ne pas être, ne plus savoir-vivre et d’éprouver le manque et c’est
souvent contre ce vide que les couples restent liés, l’un à l’autre
plutôt que de devoir vivre cette souffrance et d’affronter en plus le
regard des autres.
230
Rosenfield. Ibid.
284
frustré et d’apparaître comme victime d’un système quelconque
professionnel, relationnel, affectif ou sentimental ? Lorsque nous
décidons, en conscience de nous regarder en face avec nos besoins
réels et non imaginaires, nos valeurs, nos croyances, nos attentes,
nos capacités et nos défauts, alors les décisions en découlent.
Celles-ci pouvant être parfois douloureuses, car elles peuvent
impliquer des départs, des ruptures, des mutations, des
changements plus ou moins radicaux mais qui au moins
correspondent vraiment à la nature profonde de l’individu. Un
moyen de savoir si nous y sommes parvenu, correspond au
moment où nous nous saisissons des événements quotidiens et que
nous n’attribuons pas la responsabilité de leur avènement ou de
leurs conséquences à l’extérieur, c’est-à-dire essentiellement aux
autres, comme des personnes clairement identifiées de notre
entourage ou à la globalité des autres : le système, la société ou
encore mieux « ils ».
231
Les principales étapes du processus de deuil sont : le choc, le déni
émotionnel, la séparation, la colère, la tristesse et le chagrin, l’acceptation
intellectuelle et l’acceptation globale.
285
La parole comme avènement de la subjectivité et
dépassement du mal
232
Olivier Abel. Justice et mal.
233
Abel. Ibid.
286
d’étendre le discours christique et de le prendre pour modèle de
l’amour de son prochain et de la charité.
234
Pour apprécier quelles sont les caractéristiques qui sont proprement
humaines, je vous renvoie au collectif : La culture est-elle naturelle ?
235
Lacan déjà cité.
236
Cette utilisation minimale de nos capacités a déjà été démontrée dans
le cadre des recherches sur le cerveau humain.
288
s’ouvrent en terme de choix, d’options de vie, et alors de nouveaux
comportements sont possibles.
Appliqué au domaine psychologique et affectif on peut dresser la
liste des limitations à notre propre épanouissement telles que des
comportements négatifs ou conduisant à l’échec, certains
dysfonctionnements ou encore des lacunes dans tel ou tel domaine.
Celles-ci ne pourront être dépassées que par la prise de conscience
de leur existence et ensuite par la décision de vouloir modifier
quelque chose à ces situations inconfortables ou dérangeantes.
La crainte principale des personnes lorsqu’on parle de
développement personnel est de croire que quelque chose de
négatif risque de se produire, ou alors qu’elles pourraient perdre
une partie de leur façon d’être ou encore qu’il y aura de nouvelles
souffrances. Bref, la peur de changer ou de déstabiliser l’équilibre
existant est souvent plus forte que la volonté de se mobiliser à faire
ce parcours initiatique.
289
Plus on se connaît et plus on s’accepte et plus les problèmes se
résolvent facilement. Si je devais donner un conseil, ce serait :
« Acceptez-vous, aimez-vous » et vous verrez le champ de vos
possibilités s’épanouir comme un bourgeon au printemps.
S’accepter soi-même avec ses forces et ses faiblesses et surtout
avec les limites liées à notre condition, voilà un élément de sagesse
qui prend bien une vie entière pour fleurir dans toute sa plénitude.
L’extraordinaire paradoxe qui existe dans la perception de la
limitation est que tant que l’on se sent prisonnier de ses contours et
que l’on reste aveuglé par des rêves de conquête et de puissance
extériorisés sur le monde et sur autrui alors l’enveloppe charnelle
devient insupportable. Elle paraît trop étroite et conduit aux pires
exactions. Lorsqu’on franchit le seuil de l’acceptation, décidant de
développer ce qui est à l’intérieur de soi, alors tout devient possible
et les frontières s’agrandissent sans cesse. Le terrain des possibles
s’élargit et s’étend ne rencontrant pour limites que nos peurs et ce
que nous n’avons pas encore décidé d’accepter et de dépasser.
Le plus difficile c’est de faire le premier pas !
Je prendrai pour l’illustrer une fable énoncée par l’un de mes amis
dans ses séminaires sur les mythes et les symboles. Il s’agit d’une
vieille femme qui cherche depuis un certain temps une épingle
dans la rue. Des passants, compatissants se mettent à chercher avec
elle. Après un certain temps ne trouvant rien, ils lui demandent si
elle est bien sûre d’avoir perdu son épingle dehors. Alors elle leur
répond : « Non, j’ai fait tomber mon épingle dans la maison ».
Alors les passants s’exclament « Mais pourquoi chercher dans la
rue votre épingle, si vous savez qu’elle est dans votre maison ? »
Elle leur répond : « Eh bien, je fais comme vous, vous êtes des
gens cultivés et brillants et cela fait des années que vous cherchez à
l’extérieur ce qui est à l’intérieur ».
La réalisation de soi
290
Dans la littérature sur la motivation, une modélisation bien connue
est celle d’Abraham Maslow237. Dans ce modèle, la motivation de
l’homme passe par cinq étapes distinctes qui visent à satisfaire
chacune des besoins différents. Nous considérerons seulement la
dernière étape qui est celle de la réalisation de soi238. Celle-ci se
définit d’autant de manières qu’il existe d’individus. Pour certains,
se réaliser peut passer par l’abandon de certaines des étapes
intermédiaires. Ainsi, une de mes amies s’est engagée dans une
association caritative, faisant son deuil de sa situation
professionnelle, de son statut social, de ses revenus, de la sécurité
de l’emploi pour être en phase avec ses convictions et ses
croyances religieuses et consacrer sa vie à aider son prochain.
C’est aussi dans l’étape de la réalisation de soi que l’on peut
rencontrer des êtres qui se sentent bien dans une solitude décidée
qui leur permet de s’accomplir pleinement, d’être créatif, de se
consacrer à leur idéal ou à leur foi. Ou encore de développer leur
talent artistique et d’être en accord avec leur éthique de vie, hors
du brouhaha factice des illusions de bonheur après lesquelles nous
avons tous couru, un jour ou l’autre, dans notre existence239.
237
Abraham Maslow. Son modèle a depuis été contesté et surtout
considérablement étoffé, mais ce n’est pas ici le propos que de refaire
l’historique de la motivation, d’autres l’ont fait auxquels nous vous
renvoyons. Claude Levy-Leboyer dans son excellent ouvrage sur la
motivation : La motivation dans l’entreprise.
238
La pyramide des besoins.
239
Voir à ce sujet le parcours initiatique de Saint Augustin. Sa vie est
largement décrite dans le charmant ouvrage de Serge Lancel. Voir aussi
Solitude. Les vertus du retour à soi-même. d’Anthony Storr.
291
Le Changement :
De la rébellion à la décision
292
Cet exemple fait montre, à la fois, d’une réaction rebelle face à un
ordre perçu comme injuste et aussi de la preuve d’une grande
créativité dans la prise de décision240.
Il illustre également que la meilleure manière de faire changer
radicalement le choses, c’est en étant capable soi-même d’une
remise en cause de ses propres habitudes et de son mode de penser.
240
D’ailleurs, la première utilité de la rébellion est de développer le sens
créatif par la nécessité de dépasser l’obstacle ou la contrainte.
241
Chris Argyris. Savoir pour agir. Surmonter les obstacles de
l’apprentissage organisationnel. Interéditions.
242
Il fait état de la notion d’apprentissage en simple boucle et
d’apprentissage en double boucle. C’est ce dernier qui permet de
réellement apprendre, car il permet, à la suite des stratégies identifiées, de
remettre en cause les schémas d’apprentissage initialement utilisés par
293
sur le cœur d’un problème pour pouvoir le résoudre. En proposant
des méthodes pour l’analyser et le gérer, elles incitent à oser
«l’affronter », le dominer, le domestiquer et finalement résoudre le
problème lui-même en y faisant face.
Donc, s’il n’existe pas l’envie et les moyens pour chaque individu
de pouvoir évoluer dans sa capacité à gérer la différence et
l’étranger et si dans le même temps les Etats, dans une concertation
internationale pour garantir tout débordement civil ou militaire
contre le respect de la dignité humaine, alors le mal reprend ses
droits par l’exaspération de la peur, la généralisation de la violence
et des barbaries.
295
Combattre l’ignorance : développer le savoir, la
connaissance et la culture
De la paix à la culture
243
En quelque sorte un pléonasme, en effet, est-il possible de parler
d’homme sans le considérer comme culturel ? C’est justement le
dépassement de l’état naturel par la maîtrise de l’environnement d’une
part et l’intention de le modifier pour satisfaire ses différentes fins que
l’homme accède à la culture, en tout cas comme premier élément de
distinction. Ce point de vue est celui de l’anthropologie, ensuite selon les
champs disciplinaires, la notion de culture est bien plus travaillée et
malmenée mais c’est un autre débat que je n’entamerai pas ici.
297
l’éclairement, l’illumination comme le religieux le peut aussi par la
foi.
Il devient alors possible de choisir et de décider sa liberté par la
raison ou par la foi.
Mais s’il est un moyen qui délivre du mal, c’est bien
paradoxalement, si l’on reprend les éléments décrits sur la notion
même de mal : le libre arbitre, c’est-à-dire le choix éclairé que
l’homme peut faire de son destin et de sa vie.
Un choix qui, s’il repose sur une pensée éclairée par la raison, la
compréhension et la culture, devient responsable et ne peut
supporter la projection sur autrui des causes ou des conséquences
de ses actes.
299
La connaissance et le savoir, les remparts contre la
barbarie
244
Jean Sévilla. Ibid.
303
d’intellectuels. Ceux-ci majoritairement convertis au communisme,
d’abord comme réaction « saine » au nazisme et à toute forme de
fascisme, puis comme « remède » aux excès perçus du capitalisme
ont pu rester aveuglés, des décennies durant, sans s’apercevoir ni
accepter la forme totalitaire que cette idéologie avait pu revêtir.
Les dictatures qui ont vu le jour sous son égide ont créé bien plus
de morts et de terreur que le nazisme lui-même. Mais le besoin de
croire dans un idéal fraternel a frappé de cécité même les plus
brillants défenseurs de la liberté. « Une dictature populaire : c’est
donc cela, la liberté ».
305
L’avènement de la pensée individuelle ou le
développement de l’autonomie intellectuelle
245
Je parle ici du champ de la psychanalyse et des difficultés pour les
psychanalystes lacaniens de pouvoir se détacher du maître à penser qu’est
Lacan. Les critiques sont encore minces et les comportements de certains
laissent à penser qu’ils sont encore bien soumis à son emprise. Ils ont pu
tuer, symboliquement Freud, mais pas encore Lacan, ça viendra. Tout
maître s’est vu conspué par ses disciples pour être ensuite replacé
dignement parmi ses pairs quand la rébellion nécessaire a pu finir de
s’exprimer, un peu comme une crise d’adolescence.
307
devise exprime l’essence philosophique de la pensée 68 : un
individualisme radical. Toute autorité est contestable. Toute
contrainte est suspecte. La morale, les structures sociales, les
traditions, la culture classique sont considérées comme
asservissantes. Ce qui compte, c’est d’assouvir les exigences de
chacun. Un seul idéal : « se réaliser », en ne reculant devant
aucun tabou. Plus de normes objectives du bien et du mal : la
notion de faute se vide de son contenu. Ce n’est pas le délinquant
qui est coupable, c’est la société ».246
246
Jean Sevilla. Ibid.
308
généralisation de l’accès que ce soit à la littérature, à la philosophie
ou la psychanalyse rend chacun porteur potentiel d’une idée. Il
peut s’exprimer et débattre partout s’il le souhaite. Dernier point, la
démocratisation et la généralisation d’Internet rend le débat
philosophique accessible à tous, mondial et instantané. Bien sûr,
l’illusion de la toute puissance guette, ainsi que le risque de dire
n’importe quoi. Mais ce dont nous parlons ici étant le manque ou
non d’intellectuels, je crois que ceux qui sont porteurs de
propositions émergent de la masse plus difficilement qu’avant.
247
Chris Argyris, Savoir agir. Peter Senge. La cinquième discipline.
Edgar Morin. La complexité humaine ou Introduction à la pensée
complexe.
309
raisonnement linéaire où chaque élément aurait principalement une
cause et aboutirait à une conséquence qui serait prépondérante. Ce
que les théoriciens de l’organisation apprenante et du changement
ont modélisé c’est la complexité de la réalité, la multiplicité de la
causalité comme des conséquences.
Ainsi, rien n’est simple, binaire ou manichéen et ceci appliqué à la
question du mal, explique autant les diverses possibilités
d’expression du mal comme la variété des réponses possibles pour
le combattre.
Ramené au sujet humain lui-même, chacun est, à la fois, capable
du meilleur comme du pire.
248
Sandokai, in la Pratique du zen. Deshimaru. Albin Michel.
310
« L’image du mal est de faire coexister en nous deux attitudes,
toutes deux légitimes, et qui pourtant semblent s’exclure. D’une
part l’attitude éthique, qui dénonce le fait (le mal) au nom du droit,
et exige de nous la transformation d’un monde inacceptable ; de
l’autre, l’attitude purement « métaphysique » ou mystique, qui
pose au contraire qu’il y a un ordre ultime de l’univers, par-delà le
bien et le mal, qui rend vaines récriminations et protestations, et
exige de nous un acquiescement sans conditions. »249
***
249
Quilliot. Ibid.
311
Nous continuerons à cheminer dans les méandres de l’évolution de
la pensée pour montrer comment elle permet finalement d’être un
instrument pour lutter contre le mal.
250
E. Kant. Fondement de la métaphysique des mœurs.
312
Si la morale conditionne et détermine les mœurs des hommes, elle
n'intervient pas dans l'action elle-même, elle n'est que le principe
sur lequel la liberté s'appuie pour fonder le choix de son libre-
arbitre, mais il faut encore la volonté pour arriver à l'exécution de
l'action.
251
Un récent reportage à la télévision, mars 2000, faisant mention
justement des actions mises en place pour aider les familles de
délinquants à renouer avec l’autorité, la loi et les règles.
313
Combien de voitures sont incendiées dans les banlieues, sans
qu’aucune punition n’ait lieu (ou presque) ? En réponse, les médias
s’emparent de ces événements pour réaliser de l’audimat, en
cherchant toutes sortes d’excuses à ces comportements, ceci ayant
alors pour conséquence de développer la valorisation et la
reconnaissance sociale des dits délinquants. Ceux-ci, au lieu de
percevoir leurs actes comme délictueux, recueillent tantôt la
compassion tantôt l’admiration et le plus souvent un silence
complice, ce qui les incitent à continuer. « Qui ne dit mot
consent ».
314
Car si l’individu n’est plus conscient des limites sociales, il sera le
premier à commettre agressions et délits sans trouver cela
autrement préjudiciable.
252
D’ailleurs, en psychologie, la seule manière d’aider les structures de
personnalité les plus pathologiques, c’est en instaurant des pratiques
visant à restaurer la Loi et les limites. Ceci permet de reconstruire le
Surmoi défaillant et ce ne sera que plus tard qu’il sera, peut-être, possible
d’envisager le développement de l’autonomie.
253
« Impudique » est à comprendre dans le sens de l’adultère.
315
de manière à faire se disputer les gens, en n’ayant pas de jalousie,
en n’ayant pas de haine, en n’éveillant pas d’idées fausses254 ».
Voici en comparaison un extrait des dix commandements - on
remarquera la symétrie du nombre dix - des principes à respecter.
« […]Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas
d’adultère. Tu ne commettras pas de rapt. Tu ne témoigneras pas à
tort contre ton prochain. Tu n’auras pas de visée sur la femme de
ton prochain. Tu ne convoiteras pas ni la maison de ton prochain,
ni ses champs, son serviteur, sa servante, son bœuf ou son âne, ni
rien qui appartienne à ton prochain[…] »255.
Ou encore le célèbre commandement : « Le commandement que je
vous donne, est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai
aimés256 ».
***
254
Paroles de Bouddha. Textes choisis, présentés et traduits du chinois
par Jean Eracle.
255
Deutéronome 5 - 17 à 21.
256
Le Saint Evangile selon Saint Jean. Chapitre XV. Suite du discours de
Jésus Christ. 12.
316
« Les garants de la Loi chancellent » ou « l’exigence
vis-à-vis de soi-même »
257
Ceci entraîne depuis un débat disciplinaire intéressant entre les
prescripteurs d’une entreprise envisageant les hommes et les femmes qui
la composent comme les acteurs d’un système (Crozier et Sociologie des
Organisations) et les défenseurs du fait de favoriser le développement et
l’épanouissement de la personne prônée plutôt par les psychologues.
317
C’est en assurant la réalité d’un homme entier, ayant des droits et
des devoirs, tout autant qu’une propension au plaisir, que
l’acceptation peut se faire dans la totalité de son humanité, celle-ci
pouvant alors tendre vers le Bien.
258
A contrario, la rigidité sociale « contenait » les expressions impulsives
des individus les censurant et les culpabilisant tour à tour, les forgeant
indiscutablement à une forme sociale (« politiquement correcte » dirait-on
aujourd’hui) d’exigence de soi : celle de ne rien laisser paraître. Et aussi
de permettre de canaliser et de normaliser les comportements afin d’éviter
au maximum déviations et contestations.
318
chemin. Aujourd’hui, l’Etat perd de son pouvoir chaque jour, pour
de nombreuses raisons, privatisations, mondialisation et autres et
l’Eglise n’est plus qu’un choix individuel.
320
différence fait que la personne se sent plus cohérente et qu’elle sera
davantage encline à aller jusqu’au bout de ses décisions.
Le pardon
259
A considérer sans logique chronologique.
322
Mais lorsque l’on y parvient, quel calme, quelle sérénité ! Le
bonheur s’aperçoit au détour des chemins et il devient palpable, la
lumière calme de la sérénité nous emplit d’un seul coup et alors la
chance sourit et le mal s’éloigne, comme n’ayant plus prise.
260
Désespérément vertueux . Rencontre avec André Comte-Sponville, in
Question de. Le mal. Collectif sous la direction de François L’Yvonnet.
Albin Michel. 1996.
261
Voir en particulier l’Ethique de Spinoza.
262
Cette notion d’éthique existe aussi en psychanalyse mais a comme
moteur le désir.
323
De plus, c’est comme si le mal avait une fonction face à la morale
et à l’inverse devenait inutile devant l’amour.
Là, le mal a du sens car il fait obstacle à la morale. Alors qu’avec
l’amour, le mal n’a plus de sens, c’est comme si l’amour avait cette
capacité à transcender la souffrance et le mal.
C’est ainsi que la Passion du Christ prend tout son sens. Celui-ci
étant venu, entre autres, combattre le mal a donné sa vie par amour
autant de Dieu que des hommes. C’est l’amour qui a vaincu le mal
– en l’occurrence, ceux qui l’ont trahi et crucifié – en se
manifestant par la résurrection. Grâce à cet acte exceptionnel, le
Christ a certes diffusé la parole de Dieu et a aussi donné
l’indication du trajet éthique à suivre. Chacun doit redécouvrir le
message d’amour qu’il nous a livré et parcourir le chemin qui
conduit à comprendre le sens de ses paroles. Car « aimer son
prochain » et « l’aimer comme soi-même », n’est pas uniquement
un acte de foi mais surtout un acte d’humanité et d’amour.
263
Clément Rosset dit dans le même sens : « est-ce que l’amour libère de
la morale ? Je dirai qu’il est la condition de cette libération. On est
moraliste par insuffisance d’amour ». Ibid.
324
C’est pourquoi, il n’est pas inutile de rappeler avec l’auteur :
« Pour le dire dans les termes de l’histoire de la philosophie, je
dirais que dans toutes les situations où nous ne sommes pas
capables d’être spinozistes, c’est-à-dire d’agir joyeusement,
librement, par amour, il nous reste à peu près à être kantiens,
c’est-à-dire à accomplir notre devoir. Ou encore, dans les termes
de l’histoire des religions : dans toutes les situations où nous ne
sommes pas capables de vivre à la hauteur du Nouveau Testament,
c’est-à-dire à la hauteur de cette éthique de l’amour qu’est
l’éthique évangélique, il nous reste à respecter au moins l’Ancien
Testament, c’est-à-dire à nous soumettre à la Loi. »
C’est par la barbarie réapparue, par les atrocités commises par les
nazis, que la nécessité de repenser le mal et la nature humaine s’est
révélée nécessaire. On comprend comment et pourquoi Sartre a pu
dire : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » et que « sans guide
et sans appui, l’homme doit réinventer ses valeurs ».
C’est alors qu’élaborant une nouvelle conception de ses valeurs,
l’homme doit aussi revisiter la notion de liberté. Une fois,
repensée, elle correspond au choix éthique et cette construction
philosophique se fait alors par le jugement moral seul.
Si je suis d’accord avec le fait que « la valeur essentielle, c’est
précisément d’assumer complètement, et sans faux-fuyant, sa
liberté - c’est-à-dire refuser toute chosification, mais même toute
justification de soi, sociale ou religieuse », je n’avalise pas du tout
la dérive anarchiste. En effet, toute idéologie qui remplace les
démons d’hier par de nouveaux et qui substitue la soumission
aveugle à une morale puritaine par l’anéantissement des lois
commet une grave erreur. On connaît aujourd’hui les conséquences
du mirage des utopies égalitaires.
On sait qu’elles entraînent toujours autant de carnages et
d’atrocités264.
264
Par exemple, entre 30 et 60 millions de morts durant les purges
staliniennes. La pratique de l’extermination est différente selon Staline,
« il s’agit d’une pratique extensive : tous, sans exclusive aucune, de façon
parfaitement égalitaire, sont bons pour le goulag ; les massacres
326
L’éthique : la conception individuelle et contemporaine
de l’engagement
L’éthique et l’autonomie
328
Qu’entend-on par éthique ?
265
Badiou. Ibid.
329
La fonction de l’éthique
266
Référence au stade du miroir de Lacan et à la théorie psychanalytique
de construction du sujet et du moi.
331
soit l’épiphanie d’une distance à l’autre proprement infinie, dont le
franchissement est l’expérience éthique originaire ».267 Cette
description correspond à l’expérience même de la fin de la cure
analytique où l’Autre est en fait reconnu comme tel, dans toute sa
différence et non plus comme « surface de transfert » ou simple
reproduction de soi ou de ses attentes.
Et c’est d’ailleurs à ce moment que l’analysant se soucie de
l’éthique de la psychanalyse, avant de devenir lui-même
psychanalyste.
Ainsi donc si nous avons été dans l’erreur de croire que l’éthique
est une attitude qui peut s’envisager collectivement, en revanche,
c’est bien l’agir éthique individuel qui peut permettre à la condition
humaine de se modifier.
Au lieu d’ériger l’éthique comme une nouvelle idéologie qui
permettrait de rallier les hommes et les femmes en quête d’idéal et
leur fournir une cause commune pour laquelle se battre, il semble
plus opportun de démontrer en quoi, pour un individu, agir
éthiquement est le garant d’un bonheur individuel. C’est le
changement de son attitude qui aura pour effet un bien-être
collectif. En ce qui concerne les répercussions sociales d’un tel
comportement, dès lors qu’un individu s’est tracé une voie éthique
qu’il entend suivre et respecter, c’est en se respectant d’abord lui-
même et l’autre par la suite, qu’il pourra faire le bien autour de lui.
Ce sera par la démonstration de ses décisions et de ses actes qu’il
illustrera ce que veut dire faire le choix du libre-arbitre. Il
dispensera, de fait, l’aura généreuse de l’exercice de la liberté
respectant celle de l’autre.
267
Levinas cité par Badiou.
332
Récemment et à diverses occasions, j’ai personnellement été mise à
l’épreuve de ma détermination et de ma liberté. Dans deux
occasions principales, l’une professionnelle et l’autre personnelle.
Si je vous livre ici ces deux exemples, c’est bien pour partager
avec vous les aléas et les dilemmes qui m’ont habitée et qui ont été
présents lors de ces choix. En vous faisant partager mes états
d’âme alors en conflit avec mes décisions, vous pourrez ainsi
apprécier combien la détermination de l’orientation éthique de
l’action et de la vie sont des choses simples en terme objectif et
difficiles à réaliser en terme subjectif.
334
et que les reproches avaient été clairement exprimés de part et
d’autre pour ne pas en rajouter à ce moment là.
Mais il est difficile, au cœur de soi quand celui-ci peut être en proie
à la colère, à la haine ou à tout autre sentiment négatif, de ne pas
réagir. Il est terrifiant de voir se dresser devant soi la cohorte
d’odieuses pensées et d’abominables idées qui accompagnent ces
émotions. C’est contre l’emprise du mal qui tord les boyaux, rend
le cœur misérable et le comportement de tout être humain
déplorable que je cherche à lutter pour maintenir l’attitude que je
me fixe, à savoir juste, impartiale et éthique. Vaste programme !
Bien entendu, je suis loin d’y parvenir tous les jours mais c’est une
direction ferme et décidée donnée à mes actions.
Combien la maxime « le cœur a ses raisons que la raison ne
connaît pas » est vraie. Que ce soit pour expliquer l’amour comme
pour rendre compte des égarements dans lesquels nos émotions
nous placent, en proie à nos pulsions les plus folles celles-ci nous
éloignent d’une action libre et humaine. Mais être humain n’est-ce
pas justement être un corps, un cœur et une âme, c’est-à-dire tout
autant un être charnel que spirituel ?
Vouloir malgré tout continuer à jouir des plaisirs quotidiens de la
vie, vouloir vivre l’amour, sans être l’instrument des turpitudes, de
la haine ou des souffrances multiples, voilà qui est un désir et une
ambition bien difficiles à satisfaire.
335
je peux ressentir alternativement vis-à-vis de moi-même ou des
autres selon les occasions.
Voilà qui est alors un défi que je veux croire accessible.
336
L’agir éthique c’est aussi accepter ses limites tout en
respectant l’autre
340
Afin d’éclairer mon propos, j’utiliserai un autre exemple personnel
qui est malgré tout à la source de nombre de questionnements
récents et de transformations radicales pour moi. Je citerai
l’exemple de la mort de mes grands-parents qui a fait l’effet d’une
décharge électrique au sein de la famille.
Pendant longtemps, j’avais dit avec mon père que mes grands-
parents s’étaient suicidés jusqu’au jour où j’ai pris conscience que
dans les faits, mon grand-père avait tué ma grand-mère et s’était
suicidé dans la foulée à l’arme à feu. J’arrêterai là les détails,
simplement, j’avais besoin de ces premiers éléments de contexte
pour expliquer la suite. La douleur qu’a ressenti mon père a rejailli
sur moi évidemment et cet événement a été le déclencheur d’une
initiative de travail personnel actif, en l’occurrence une
psychanalyse. J’avais depuis longtemps ce projet, notamment parce
que je voulais exercer l’activité de psychanalyste, et là, l’ampleur
des émotions et des souffrances m’a permis de me décider. Les
prises de conscience se sont faites à plusieurs niveaux ;
premièrement j’ai réalisé, tardivement, la détresse dans laquelle se
trouvait mes grands-parents, ensuite j’ai cherché à accompagner
mon père à surmonter sa douleur pour finalement me soucier de la
mienne.
268
Conférence 139. Management et imaginaire social. Jean-Pierre Le
Goff.
342
plus supporter l’opinion différente alors elle tombe, à son tour,
dans le radicalisme.
Comme je l’ai déjà dit, une des formes que peut prendre le mal est
de s’enraciner dans les sectarismes car ils conduisent à
l’intolérance et à la violence. Et si j’ai pu apprécier pendant un
temps l’impulsion donnée par cette conférence, remettant en cause
nos pratiques et nos représentations pour éviter de nouvelles
formes d’endoctrinement, je constate que le manque de respect
fondamental des opinions divergentes démontre que l’acceptation
inconditionnelle de la différence de l’autre est loin d’être acquise
pour tous. C’est un pari, un enjeu de tous les instants qui nécessite
une vigilance constante, car dès lors que mes convictions peuvent
être ébranlées, comment ne pas réagir émotionnellement à la
perception que j’ai qu’il s’agit d’une attaque de mes valeurs ? Et
pourtant, en quoi mes valeurs sont-elle plus ou moins des vérités
par rapport à celles de l’autre ?
Je crois fondamentalement que le problème n’est pas d’avoir des
convictions, mais de s’y attacher. En d’autres termes, il pourrait
être salutaire de dissocier pensée et passion, comme de brillants
philosophes ont pu le suggérer depuis longtemps. Ce qui se
traduirait par la capacité à pouvoir envisager le débat sur ses
opinions, sans pour autant se sentir attaqué ou investi de la mission
de défendre quelque chose lors d’une confrontation de points de
vue. Mais croire se construit assez naturellement sur les valeurs par
le phénomène d’attachement lié à l’importance allouée à un point
de vue. Si cette différenciation était possible, nous pourrions
débattre sans nous battre. Toutefois, la réalité est autre et je crois
que l’appel de Le Goff à la vigilance intellectuelle, à la
distanciation par rapport au réel comme à nos convictions et à nos
représentations est juste, elle doit seulement être totale. Et c’est là
que le bât blesse. Je peux facilement me mettre à distance du
comportement d’autrui mais moins aisément du mien. Je peux tout
aussi bien critiquer facilement des convictions ou des pratiques qui
différent des miennes, mais comment remettre en cause les
miennes ? Pourtant, sans cette auto critique rigoureuse, je prends
parti contre et je m’inscris alors en faux quant à mon objectif de
distanciation et de recul pris sur les dérives sociologiques ou
autres.
343
Le combat contre le mal passe, inexorablement, par le ménage fait
au sein de mon être propre, que ce soit dans mes pensées, dans mes
états d’âme, dans mes valeurs, mes convictions et mes
comportements.
344
Conclusion
Cette société là est peut-être prospère pour les rares élus qui se sont
mis du côté du développement capitaliste égoïste, mais elle n’est
pas encore humaine dans le sens humaniste. En effet, il est sans
cesse nécessaire de légiférer pour lutter contre les débordements de
toutes les inventions technologiques visant à créer de la richesse
mais pas forcément pour apporter le bonheur à chacun.
Une société qui a pour base principale le rapport de force et la
violence n’est pas une société humaine, elle ressemble encore trop
à une société animale.
J’ai le sentiment que les différents millénaires qui nous précèdent
ont vu émerger lentement le potentiel de l’humain et aujourd’hui, à
l’aube du troisième millénaire, selon le calendrier chrétien, on peut
se donner les moyens d’augurer d’une vraie humanité.
Mais dans les premiers temps, les luttes vont être longues et dures,
le pouvoir, l’argent ayant encore les moyens d’asservir nombre
d’entre nous. Pourtant, j’aime à citer Machiavel269 sur ce point, car
je trouve que l’espoir de la possibilité réelle d’accomplir notre
humanité réside dans ces propos.
« La douceur et la modération rendent tout facile, embellissent
tout, donnent à tout un aspect agréable, et finissent à la longue par
triompher du caractère le plus dur et le plus âpre ».
Je trouve vraiment cocasse que cette citation ait pu être écrite par
Machiavel et a fortiori dans le Prince. Par ailleurs, je l’ai choisie
car je suis intimement convaincue qu’une éthique décidée en
accord avec soi-même et conduite jusqu’au bout, est la seule voie
vers l’humanité et que tout le reste n’est que poudre aux yeux et
269
Machiavel. Le Prince.
346
illusion. J’apprécie, dans cette citation, la notion de long terme, ce
qui rend pour celui qui fait le choix du respect de l’autre comme
base de vie – une tâche assez rude en soi - car sans cesse, la
tentation d’être détourné de son chemin peut survenir et alors il
s’agit de puiser en soi la conviction et la détermination pour
continuer face aux assauts, railleries et critiques en tout genres.
Mais il me semble que ce n’est qu’à ce prix que le mal peut être
évité et détourné et que l’humanité a une chance de progresser pour
le bien de chacun et de tous.
347
348
TABLE DES MATIERES
DU KOSOVO A LA
TCHETCHENIE................................................... 5
OU LE SENS DU MAL REVISITE.................. 5
INTRODUCTION ...................................................................... 7
UN ETAT DU MAL EN CETTE FIN DE SIECLE ........................ 12
LE MAL ...................................................................................... 18
LE MAL PEUT-IL SE CONCEVOIR SEUL OU EST-IL RELATIF ?25
C’EST EN VOULANT FAIRE LE BIEN… ................................. 29
DE L’ORIGINE DE LA QUESTION A LA QUESTION
DES ORIGINES ........................................................................ 32
LE SYMBOLIQUE COMME ACCES A LA COMPREHENSION DES
ORIGINES .................................................................................. 33
LE RECIT DE LA CHUTE.......................................................... 35
LA NOTION DE PECHE AU SENS RELIGIEUX ......................... 38
De la continuité sociale à la transmission du péché .... 41
Le péché originel vu par Hegel ........................................... 45
La fin du péché originel ? ...................................................... 45
LE RECIT DE LA CHUTE POURRAIT-IL DIRE AUTRE CHOSE ?48
Du peu de crédit accordé à la parole d’Eve ................... 48
L’autorité remise en cause .................................................... 49
La responsabilité des fautes est rejetée sur autrui ........ 50
Des nuances du vocabulaire ................................................. 51
La signification symbolique du serpent ............................ 52
ET SI LE MAL ETAIT LA SYMBIOSE ? .................................... 54
LE PECHE OU LA TRANSGRESSION DE L’INTERDIT : LA REMISE
EN CAUSE DE L’AUTORITE ..................................................... 59
349
LA TRANSGRESSION DE L’INTERDIT : UNE COMPOSANTE DE
LA PSYCHE HUMAINE ............................................................. 60
LA DYNAMIQUE DE LA CULPABILITE ET SES CONSEQUENCES
SOCIALES ................................................................................. 63
L’ACTUALITE ECLAIRE NOTRE REFLEXION ........................ 64
LE MAL MORAL .................................................................... 66
Et si le mal était l’envie .......................................................... 70
Saint Augustin et le message que lui a laissé le vol des
poires ............................................................................................ 75
LE LIBRE-ARBITRE.................................................................. 77
LE MAL EST-IL LA TEMPORALITE ? ...................................... 79
LE MAL EN S’AFFIRMANT COMME
CONSUBSTANTIEL DE L’HOMME ECHAPPE A DIEU
....................................................................................................... 84
LE MONDE / LE MAL A-T-IL UNE ORIGINE OU EST-CE L’HOMME
QUI A BESOIN DE SE COMPRENDRE EN CHERCHANT LES
SIGNES DE L’ORIGINE ? .......................................................... 84
DE « DIEU EST MORT » A DIEU A DISPARU......................... 88
Exister ne devenait plus synonyme de croire .................. 92
L’homme est prisonnier de son histoire............................ 93
Chaque époque produit son cadre de références
spécifique : enfermement ?.................................................... 94
LE MAL EST DEFAISANT ET SIGNIFIE LA FIN DE DIEU :
PARADOXE DE LA CREATION QUI VIDE DE SA SUBSTANCE96
L’HUMANITE MATURE EN
EMERGENCE ...................................................... 192
DECIDER DE CHANGER DE PERSPECTIVE :
RETABLIR L’ESPOIR DANS L’HUMANITE ............. 194
DE LA GUERRE A LA PAIX, ENCORE BIEN DU CHEMIN ..... 196
L’APPORT PARADOXAL DES MEDIAS ................................. 200
L’ENGAGEMENT COMME MOYEN DE LUTTER CONTRE LE MAL
................................................................................................. 201
351
EXTRAITS DE LA DECLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET
DU CITOYEN. ......................................................................... 203
Un cri de colère qui pousse la plume .............................. 204
Les Droits de l’Homme et la paix ..................................... 207
ET D’AILLEURS QU’EST-CE DONC QUE CETTE
HUMANITE ? ......................................................................... 208
POUR DEPASSER LA CROYANCE QUE LE SALUT NE PASSE QUE
PAR LA CROYANCE EN DIEU ............................................... 210
L’EVOLUTION DE L’HUMANITE : ENTRE PROGRES
TECHNIQUES ET CONSCIENCE DE L’HUMANITE. ............... 211
353
Se connaître, c’est dépasser ses meurtrissures narcissiques
...................................................................................................... 282
Se connaître, c’est accepter ses limites et ses faiblesses284
La parole comme avènement de la subjectivité et
dépassement du mal ............................................................... 286
Prendre possession de soi : s’accepter ........................... 288
La réalisation de soi .............................................................. 290
LE CHANGEMENT : ........................................................... 292
DE LA REBELLION A LA DECISION ...................................... 292
Les deux versants du changement : facteur d’évolution de
l’humanité ................................................................................. 294
COMBATTRE L’IGNORANCE : DEVELOPPER LE
SAVOIR, LA CONNAISSANCE ET LA CULTURE ... 296
DE LA PAIX A LA CULTURE.................................................. 296
L’ECOLE POUR TOUS ............................................................ 298
LA CONNAISSANCE ET LE SAVOIR, LES REMPARTS CONTRE LA
BARBARIE .............................................................................. 300
PLUS ENCORE QUE LA CONNAISSANCE, DEVELOPPER L’ESPRIT
CRITIQUE ................................................................................ 301
LA PERTE DE L’ESPRIT CRITIQUE NOUS GUETTE TOUS UN JOUR
OU L’AUTRE ........................................................................... 303
Contre l’évidence des faits : le besoin de croire subsiste304
ET, COMMENT CRITIQUER SANS AUTO-CRITIQUE ? ......... 305
L’AVENEMENT DE LA PENSEE INDIVIDUELLE OU LE
DEVELOPPEMENT DE L’AUTONOMIE
INTELLECTUELLE ............................................................. 306
DE LA DEMOCRATISATION DE L’ACCES A LA CULTURE A
L’ORGANISATION APPRENANTE ......................................... 309
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