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TÉMOIGNAGES

de Kerdaniel
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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Recherches sur l'Envoûtement, édition épuisée.


Sorciers de Savoie, édition épuisée.
Un soldat-poète du X V siècle : Jehan M eschinois
Jouve éditeur, Paris.
Un auteur dramatique du X V siècle : André de
La Vigne, Champion, éditeur, Paris.
Monitoires, procédures en malédictions, Librairie
du Recueil Sirey, Paris.
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EDOUARD L. DE KERDANIEL
Ancien Magistrat

TÉMOIGNAGES
La P s y c h o l o g i e d u t é m o i n

PARIS
L I B R A I R I E DU R E C U E I L S I R E Y
(Société Anonyme)
22, R u e Soufflot

1936
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TÉMOIGNAGES

Généralités. Importance du témoignage.


Sa fragilité. Sa sincérité dépend de nombreux
facteurs physiques et psychologiques : Réalité,
Certitude, Vérité.

« Le témoignage, écrit Boirac 1 est avec


l'expérience et le raisonnement, une des trois
sources de la connaissance humaine : il consiste
dans la communication d'un fait par un témoin
c'est-à-dire par quelqu'un qui a vu ou entendu le
fait à d'autres personnes qui n'ont pu l'entendre
ni le voir ; c'est en somme une transmission
sociale de connaissance essentiellement indivi-
duelle ».
On doit, toutefois, se garder de confondre le
témoignage avec l'autorité, car si tous les deux
ont un fondement commun qui est la confiance
de l'homme dans la parole d'un autre homme, ils

1. Dans la Grande Encyclopédie, au mot témoignage.


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se différencient nettement par leur objet et


par leur rôle.
Si l'autorité, en effet, nous fait croire à une
idée, adopter une doctrine, le témoignage nous
conduit à la certitude d'un fait.
«Le témoignage continue le même philosophe,
a une importance extrême dans la vie humaine : il
met au service de chaque individu les sens et la
mémoire de ses semblables, contemporains et
devanciers : il étend ainsi indéfiniment ses con-
naissancesà la fois dans l'espace et dans le temps:
aussi a-t-on pu comparer sa fonction dans l'ordre
intellectuel à celle du commerce dans l'ordre
économique, il est le fondement, non seulement
de l'Histoire, mais encore de la plupart des insti-
tutions sociales et en particulier de la Justice ».
Avec les aveux spontanés ou obtenus et les
expertises ordonnées dans certains cas, les témoi-
gnages recueillis constituent, en effet, les élé-
ments fondamentaux de la conviction du juge.
Toutes ces mesures propres à établir la culpa-
bilité d'un accusé ou à faire éclater son inno-
cence ont donc une importance capitale ; mais,
hélas, combien ces modes de preuve sont fra-
giles et souvent trompeurs. En pratique, il
s'en faut de beaucoup que le témoignage, par
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exemple, nous amène à une complète certitude ;


si des erreurs judiciaires ont pu être commises,
c'est surtout à lui qu'on doit les attribuer ; des
dépositions sciemment mensongères ou invo-
lontairement inexactes et tendancieuses en sont
les uniques causes. De quelles précautions con-
vient-il d'entourer l'enregistrement des décla-
rations de ceux qui auront constaté un fait
ou entendu des conversations ou des propos
compromettants. Un criminaliste averti n'a-t-il
pas écrit ces lignes décevantes : « On sait que la
présomption devrait être presque celle de l'in-
sincérité du témoin. Au mensonge pathologique,
au besoin de mentir qu'éprouvent certaines
personnes, aux erreurs d'observation qui en
trompent d'autres, aux causes psychologiques,
qui peuvent intercepter les sensations ou les
fausser, s'ajoutent tant d'autres causes d'erreur
que le témoignage tend à perdre l'importance et
l'efficacité qu'on avait coutume de lui attribuer
Il n'en reste pas moins, à notre époque, le moyen
d'information le plus employé, parfois le seul
employé, dans les cabinets d'instruction, devant

1. R . GARRAUD, T r a i t é théorique et p r a t i q u e d ' i n s -


t r u c t i o n criminelle et de procédure pénale. P a r i s , 1909,
t. II, p. 2 en n o t e .
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les tribunaux, les Cours d'assises et même auprès


des commissions parlementaires.
Ce qui fait le danger du témoignage c'est que
sa sincérité dépend de multiples facteurs, qu'on
est parvenu à discerner, les uns d'ordre phy-
sique, les autres d'ordre psychologique, agissant
sur l'individu, le plus souvent à son insu ;
circonstances qui les rend d'autant plus redou-
tables et difficiles à déceler.
Il s'agit donc, ici, d'un sujet vaste, peut-être
inépuisable, auquel des philosophes, des juris-
consultes éminents ont consacré de nombreux
et savants ouvrages : le lecteur curieux, qui
aura consulté ces travaux, pourra méditer
ensuite sur le degré de confiance que peuvent
inspirer les affirmations, les impressions, les
appréciations venant de personnes, par ailleurs
sérieuses et pondérées.

On estimait, jadis, que les dires d'un témoin


ne sauraient être contestés, si celui-ci se mon-
trait sain d'esprit, pourvu d'organes, de sens, en
bon état; s'il jouissait d'une parfaite considé-
ration et s'il était capable de se rendre compte
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d'un événement qu'il avait pu observer à loisir


et qu'il n'avait jamais cessé de tenir pour cons-
tant. C'étaient là de périlleuses illusions.
Certes, d'après la seule commune renommée,
il est permis de ne pas mettre en doute l'exis-
tence des chutes du Niagara, des Pyramides
d'Egypte ou de la tour Eiffel ; mais, par contre,
que de fois, le fait se produit brusque, subit,
inattendu, augmentant ainsi les chances d'erreur.
On connaît le cas, souvent cité, de Walter Ra-
leigh, le grand favori d'Elisabeth, reine d'Angle-
terre et qui devait être, dans la suite, exécuté
sous Jacques I Ce Walter Raleigh, tour à tour
écrivain, diplomate, navigateur et homme d'Etat
s'étant trouvé à même, par conséquent d'acqué-
rir beaucoup d'expérience, avait entrepris de
publier u n e Histoire du Monde; pour la composer,
il avait fouillé des archives, amassé des documents
désirant présenter une œuvre sérieuse, impar-
tiale et sûre.
Or, un jour, qu'il travaillait, dans le silence
de la Tour de Londres, à la dernière partie du dit
ouvrage, son attention fut attirée par un bruit
de voix venant de l'extérieur ; s'étant mis à la
fenêtre, il vit des gens qui se querellaient et
échangeaient des coups ; poussé par la curiosité,
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l'historien resta un certain temps à considérer


les assaillants, notant mentalement les diverses
phases de la rixe, qui constituait un spectacle
nouveau pour lui. Ayant distingué parmi les
assaillants, une personne de sa connaissance, et
le hasard lui ayant fait rencontrer cette personne,
dès le lendemain, il se mit, bien entendu, à lui
parler, avec force détails, de la scène de la veille,
dont il avait été le témoin attentif ; mais, toutes
les constatations qu'il avait faites, à ce ce sujet,
se trouvèrent à sa grande surprise, formelle-
ment contredites par cet ami qui, assaillant,
avait vu les choses, sous un tout autre aspect.
Doutant, alors, d'avoir décrit exactement, des
événements remontant à des temps anciens,
alors qu'il s'était complètement mépris sur des
faits se passant sous ses yeux, il se serait empressé
de jeter a u feu le volumineux manuscrit de son
Histoire du Monde. Admirons un tel sacrifice,
car les historiens n'éprouvent pas toujours, hélas,
ces scrupules d'exactitude et d'impartialité !
Faut-il encore rappeler ce qu'a noté le philo-
sophe et l'homme d ' E t a t , Jules Simon, à propos
d'une journée d'émeute, dont il avait été le té-
moin constant ; il avait observé ces tristes scènes
de désordre avec l'application et l'attention
qu'il avait coutume d'apporter à chaque chose.
Or, quand il voulut faire le récit des troubles
auxquels il avait assisté, il se trouva en désaccord
sur presque tous les points, avec les nombreuses
personnes qui, comme lui, avaient été à même
d'observer ce qui s'était passé.
« J'ai raconté plusieurs fois, écrit-il, la journée
du 31 octobre 1870. Chacun l'a racontée à sa
manière. C'est une chose dont on ne saurait
trop s'étonner que tant d'honnêtes gens se contre-
disent entre eux en racontant des faits dont ils
ont été les témoins. Je retrouve à chaque pas
ce spectable effrayant. Ce dont l'homme est
le moins sûr c'est de son propre esprit, il n'est
pas sûr de ses yeux. C'est que ses yeux et sa
mémoire sont sans cesse en lutte avec son ima-
gination. Il croit voir, il croit se souvenir et il
invente ».
En effet, parmi les gens « sains d'esprit » dont
nous parlions plus haut, il s'en rencontre de plus
ou moins intelligents, de plus ou moins capables
de discernement : chez les uns, on ne le niera pas,
l'imagination est beaucoup plus vive que chez
les autres ; d'aucuns sont crédules ou sceptiques,
à l'excès; que dire de l'acuité des sens, qui
varie suivant les individus ; les facultés d'obser-

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