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SEPTEMBRE 2014 NUMÉRO 6
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comprendre
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
L’ÉCONOMIE MONDIALE
problèmes économiques
HORS-SÉRIE
problèmes économiques
q Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l actualité
problèmes économiques
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Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l actualité
N° 3092
problèmes économiques
q
Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l actualité
N° 3093
DEUXIÈME DEUXIÉME
QUINZAINE QUINZAINE
06.
6.2
201
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4 08.2
08.2014
Chin
Chine
Géant aux pieds d’argile ?
LES VILLES
dans la globalisation
+ COMMENT FAVORISER + ZONE EURO : + CONSOMMATION :
L’INNOVATION FAUT-IL RESTER VERS UNE FRUGALITÉ
ET LA CROISSANCE ? OU EN SORTIR ? CHOISIE
+ PLANÈTE
DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF
DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF
FOOTBALL :
L’EUROPE
EXCELLE
+ DÉBAT
AUTOUR DU
CAPITAL AU
XXIE SIÈCLE
DE THOMAS
PIKETTY
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M 02299 - 3092 - F: 4,80 E
problèmes économiques
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
problèmes économiques
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
HORS-SÉRIE HORS-SÉRIE
MARS 2014 NUMÉRO 5
SEPTEMBRE 2014 NUMÉRO 6
comprendre
DOM : 9,40 € - MAROC : 100 MAD - TUN 19 DT - CFA 5900 - LIBAN 17500 LBP
L’ÉCONOMIE MONDIALE
DOM : 7,10 € - MAROC : 76 MAD - TUN 11 DT - CFA 4500
comprendre
LE CAPITALISME
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M 01975 - 5H - F: 9,00 E - RD
M 01975 - 6H - F: 8,00 E - RD
PIC D’OZONE 213 mg eq C2 H 4 1 Source : CNUCED. PIB en dollars, prix et taux de change 2005.
Pour un ouvrage
Tensions et déséquilibres
P. 58 Endettement et déséquilibres des balances courantes :
quels risques pour l’économie mondiale ? (Cécile Bastidon Gilles)
P. 68 La finance mondiale : maîtrisée ou porteuse de nouvelles
crises ? (Christophe Boucher)
P. 77 Les grandes monnaies internationales : guerre ou équilibre ?
(Jean-Pierre Patat)
P. 86 Les conflits autour du libre-échange (Bernard Guilllochon)
P. 95 La crise écologique mondiale (Romain Weikmans
et Edwin Zaccai)
P. 104 Les inégalités mondiales : recul ou creusement ?
(Florent Bresson)
P. 113 L’économie mondiale, un navire sans capitaine ?
(Jean-Marc Siroën)
La mondialisation a favorisé l’émergence de nouvelles puissances économiques, avec au pre-
mier rang la Chine, qui a profité de façon spectaculaire de son insertion dans les échanges
commerciaux. Bien que leur niveau de vie soit toujours très inférieur aux standards occiden-
taux, les « BRIC » – Brésil, Russie, Inde et Chine –, de par leur dynamisme et leur importance
démographique, sont devenus des poids lourds de l’économie mondiale, revendiquant à juste
titre un rôle accru au sein des institutions internationales et des forums économiques. Chris-
tine Rifflart fait le point sur l’affirmation de ces grands émergents sur la scène internationale,
qui s’est renforcée avec la crise. Si les BRIC y occupent désormais une place plus conforme à
leur poids économique, leurs difficultés de coopération ainsi que la réticence des puissances
occidentales à partager leur leadership ralentissent ce rééquilibrage des pouvoirs.
Problèmes économiques
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–5
Brésil Chine
– 10 Inde Russie
Économies avancées
– 15
Source : FMI.
mondiale, c’est leur dynamisme qui frappe. de succès : le Brésil sur l’Amérique latine, la
En 1992, les BRIC ne représentaient que 15 % Chine sur l’Asie de l’Est, l’Inde sur l’Asie du
du PIB mondial, contre respectivement 23 % Sud, et la Russie sur l’ex-empire soviétique.
et 26 % pour les États-Unis et l’UE. En dollars Ils possèdent d’importantes ressources en
courants, l’émergence des BRIC est encore matières premières, qu’elles soient agricoles,
plus spectaculaire : leur part dans l’économie minérales ou énergétiques.
mondiale est passée entre 1992 et 2013 de 5 % Très intégrés à l’économie mondiale, ces pays
à 21 % quand celles des États-Unis et de l’UE ont tiré parti de la mondialisation pour déve-
déclinaient respectivement de 27 % à 23 % et lopper leurs échanges et attirer des capitaux
de 33 % à 23 %. Avec des taux de croissance étrangers. D’anciens pays ateliers ou simples
moyens annuels supérieurs à 10 % en Chine, fournisseurs de matières premières, ils sont
de 7,5 % en Inde, 4,3 % en Russie et 3,5 % au devenus de dangereux concurrents pour les
Brésil au cours des dix dernières années, pays du Nord. L’essor des classes moyennes,
leur dynamisme contraste avec les piètres effectif depuis dix ans au Brésil, plus récent
performances des économies occidentales. en Chine et potentiel en Inde, ouvre égale-
Les BRIC ont également en commun de cou- ment de nouvelles perspectives de débouchés
vrir de vastes territoires (un quart de la sur- aux vieilles économies occidentales dont les
face terrestre) éclatés sur trois continents. marchés intérieurs sont saturés.
Si l’on ajoute l’Afrique du Sud, qui leur est Les BRIC sont pourtant loin d’être homogènes.
ponctuellement associée – on parle alors Avec un PIB supérieur de 30 % à celui des trois
des BRICS –, tous les continents du Tiers autres pays réunis, la Chine demeure le géant
Monde sont représentés. Chacun revendique du groupe. Deuxième puissance mondiale,
le leadership régional, avec plus ou moins elle produit 15,4 % de la richesse mondiale,
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Économies avancées
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Inde
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contre 2,9 % pour le Brésil et la Russie respec- Si la montée en puissance des BRIC a fini par
tivement. À sa puissance économique s’ajoute les imposer sur la scène internationale, c’est
une puissance commerciale (les exportations probablement à la lumière de la crise écono-
chinoises représentent 10,6 % des exporta- mique et financière qui sévit depuis 2007-
tions mondiales en 2013, devant les États- 2008 qu’il faut comprendre le basculement
Unis), financière (avec 4 000 milliards de qui s’est opéré ces dernières années en leur
dollars, le pays détient 90 % des réserves de faveur. La mise en faiblesse des économies du
change des BRIC, soit un quart des réserves Nord face aux jeunes économies émergentes
de change mondiale) et enfin militaire. Avec du Sud a accéléré le nécessaire rééquili-
plus de 1,3 milliard d’habitants, la Chine est brage des pouvoirs dans les rapports inter-
aussi le pays le plus peuplé. Mais face à l’évo- nationaux, dominés depuis l’après seconde
lution démographique de son voisin indien, guerre mondiale par les grandes économies
elle devrait être dépassée sur ce point dans occidentales.
les dix prochaines années. Le Brésil, et plus
encore la Russie, font figures de petits pays
avec 198 et 143 millions d’habitants respec- Les BRIC dans les instances
tivement. Enfin, aussi imposants soient-ils,
ces pays connaissent d’importants écarts de internationales : des revendications
développement. Avec un revenu par habitant
de 17 884 dollars PPA en 2013, le niveau de
et quelques résultats
vie de la population russe est deux fois plus Depuis une dizaine d’années, les revendica-
élevé qu’au Brésil et en Chine et 4,5 fois plus tions des BRIC en faveur d’un rééquilibrage
élevé qu’en Inde. des pouvoirs dans les grandes instances
La géographie du commerce
mondial : 1967-2012
DENIZ ÜNAL dans la triade des superpuissances écono-
miques, a exercé une forte attraction sur les
Économiste au CEPII zones d’influence des États-Unis et de l’Union
européenne. Le nouveau millénaire est ainsi
inauguré avec une nouvelle donne : l’affai-
blissement accéléré du bloc transatlantique.
Entre la fin des années 1960 et aujourd’hui,
le centre de gravité de la sphère réelle de
[1]
Ce texte est
une réactualisation
l’économie mondiale a basculé vers l’Asie1.
L’essor économique du continent asiatique Le basculement du centre de gravité
de l’économie mondiale vers l’Asie
d’un travail précédent
de l’auteur : est un phénomène « naturel » de rattrapage
« La géographie du qui est loin d’être achevé. Les échanges inter-
commerce mondial,
1967-2011 », Panorama
nationaux, dont le volume a décuplé lors des La géographie de l’économie mondiale peut
du CEPII, n° 2014-A-01, quatre dernières décennies, conservent un être représentée d’une manière simplifiée à
janvier 2014. Il s’appuie fort ancrage régional. Développé plus tardi-
sur les bases CHELEM
travers trois grands blocs :
et BACI du CEPII. vement qu’en Europe ou en Amérique, le com-
merce régional représente désormais plus – l’« Eurafrique », constituée de l’Union
de la moitié des échanges de l’Asie. L’inté- européenne et des zones géographiquement
gration asiatique, renforcée par l’émergence proches : autres pays d’Europe, Commu-
de la Chine, fut l’un des événements majeurs nauté des États indépendants (CEI), Afrique
qui ont modelé le commerce international à et Moyen-Orient ;
partir des années 1990, à l’instar de la chute – le continent américain ;
du mur de Berlin ou de la crise économique
récente. La Chine, qui a remplacé le Japon – l’ensemble Asie-Océanie.
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Note : Le commerce (somme des exportations et des importations de biens et de services), le PIB-PPA, la population et les PIB-
PPA par tête des grandes régions sont exprimés en % du monde. Les échanges intra-UE sont inclus dans le commerce mondial.
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zone qui s’élève à plus de 70 % des échanges
totaux depuis plus de quatre décennies (gra-
phique 2). Les échanges à l’intérieur du mar- Source : CEPII, base de données CHELEM-Commerce
ché unique européen y sont pour beaucoup, international.
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Note : Les échanges qui impliquent des zones non ventilées ne figurent pas ici (3 % du commerce mondial).
4. Part des grandes régions dans les échanges de la nouvelle triade, 1992-2012
(en % de la somme des exportations et des importations de biens du pôle économique)
a. Chine
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Asie-Est Afrique et MO Amér. autre
ALENA Asie autre CEI et Eur. autre
UE28
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velle donne depuis l’explosion de l’ex-URSS
a redessiné la carte commerciale de l’UE-28 (*) Exportations + importations de biens (hors intra-UE).
(graphique 4c). Le commerce de l’Union avec Source : CEPII, base de données BACI.
la CEI et le reste de l’Europe dépasse désor-
mais son commerce transatlantique. En 2012,
38 % du commerce mondial en 1992 (gra-
l’UE réalise 12 % de ses échanges avec la CEI
phique 5). Aujourd’hui, il n’est plus que de
contre 3 % en 1992. Par ailleurs, le commerce
29 %, contre 35 % pour le grand ensemble
de l’UE28 a augmenté bien plus avec les pays
asiatique ASEAN+6. La perte de vitesse sur
d’Afrique-Moyen-Orient (+ 3 points) qu’avec
le marché planétaire des deux anciens pôles
l’Asie-Océanie (+ 1 point sur la période). L’UE,
concerne aussi leur commerce bilatéral.
contrairement aux États-Unis, a intensifié ses
Leurs échanges mutuels s’élèvent aujourd’hui
échanges dans sa zone d’influence.
à moins de la moitié de leur commerce avec
L’émergence de la Chine comme troisième l’ASEAN+6 (respectivement 4 % et 9 % du
pôle de l’économie mondiale a atténué la commerce mondial en 2012). C’est dans un tel
suprématie commerciale du couple transat- contexte que les deux protagonistes du projet
lantique dans les années 2000. Le poids com- ont repris les négociations pour un accord de
mercial total des États-Unis et de l’Union libre-échange transatlantique en juillet 2013.
européenne (tous leurs flux bilatéraux, à l’ex-
ception des échanges intra-UE) représentait
Finance directe, finance indirecte : les épargnants et l’acquisition d’actifs émis [3]
Les emprunteurs
par les entreprises et les États. Celle-ci est (prêteurs) vont émettre
une distinction de moins en moins concomitante de l’essor de nouveaux inter- (souscrire) des titres.
opérationnelle médiaires financiers non bancaires, les inves- [4]
Cette activité permet
tisseurs institutionnels. Les banques, qui de dégager une marge
d’intermédiation
Selon Gurley et Shaw (1960)2, ce transfert et jusqu’alors avaient quasiment le monopole en qui dépend des
cet ajustement peuvent être assurés selon matière d’intermédiation de financement, ont taux d’intérêt entre
dû s’adapter en diversifiant leurs ressources fonds prêtés et fonds
deux modalités différentes à l’origine d’une
empruntés. Ces taux
distinction clé entre finance directe et finance (émission de certificats de dépôts) mais aussi ne sont pas fixes
indirecte et renvoyant à deux systèmes de leurs activités vers celles de l’intermédiation mais évoluent au
gré des conditions
financement complémentaires. Le premier de marché (bancassurance, filiales de gestion macroéconomiques.
s’opère sur les marchés financiers directe- d’actifs pour compte de tiers…).
[5]
Les banques
ment entre les deux types d’agents à besoin transforment
et à capacité de financement via l’émission3 L’essor d’une nouvelle forme des actifs courts (dépôts
et la souscription d’actifs financiers. Dans à vue) en emplois longs
d’intermédiation favorisé (emprunts bancaires).
le second cas, le transfert passe par un tiers,
par les imperfections de marché Par ailleurs, elles sont
un intermédiaire financier, via l’émission de les seuls intermédiaires
titres distincts, juxtaposant ainsi deux rela- L’émergence et l’essor de cette nouvelle forme financiers à pouvoir
prêter sans collecter
tions contractuelles. Une fonction essen- d’intermédiation au regard de la finance une épargne préalable
tielle des intermédiaires financiers consiste à directe peut s’expliquer par un contexte (création monétaire).
réaliser deux types de transformations4 des d’incertitude, d’asymétries d’information et [6]
Information parfaite,
caractéristiques des créances : une trans- d’incomplétude des contrats. En effet, l’exis- biens homogènes,
formation d’échéances en proposant aux tence d’intermédiaires financiers répond à un atomicité du marché,
libre entrée et sortie,
ménages des actifs à court terme et aux ensemble d’imperfections dans le domaine de libre circulation des
entreprises un financement à long terme, et la distribution de l’information, de la réparti- facteurs de production.
une transformation de nature en substi- tion des risques ou des attributs de la liquidité.
tuant leur propre dette à celle des agents non Si on se trouvait dans un univers économique
financiers déficitaires. Les ménages, dans le de concurrence pure et parfaite6, les intermé-
cadre de la finance indirecte, ne détiennent diaires financiers n’auraient aucune raison
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19 19 19 1 1 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2
Source: OECD Global Pension Statistics, Global Insurance Statistics and Institutional Investors databases.
(1) Les autres fonds comprennent notamment les endowments, private equity funds, hedge funds…
Note: Les compagnies d’assurance et les fonds de pension n’investissent qu’une petite partie de leurs portefeuilles directe-
ment sur les marchés financiers. Ils préfèrent acheter des actifs financiers indirectement en passant par les fonds de place-
ment collectifs.
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Portug
Sloven
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Kingdo
Belgiu
Hunga
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Repub
Austra
Germa
Switze
Nether
United
Czech
Slovak
United
Source : OECD Institutional Investors Database. GDP data from OECD National Accounts.
transformer leurs fonds de pension en fonds Avant la crise, les fonds de pension à pres-
à cotisation définies), une perte du capital tations définies (environ 11 000 milliards
des compagnies d’assurance aggravée par de dollars) et les compagnies d’assurance
les taux d’intérêt très bas sur longue période (18 000 milliards de dollars) représentaient
inférieurs au rendement minimum requis les deux catégories les plus importantes, soit
pour honorer les engagements de passif (inci- un peu moins de 50 % des actifs des institu-
tant les assureurs à privilégier des contrats tionnels (62 200 milliards de dollars). Leur
d’assurance non garantis). La crise a donc surface financière élevée (31 000 milliards de
précipité la conversion des passifs contrac- dollars) était alors comparable aux besoins
tuels dans des engagements qui rejettent d’investissement de long terme (45 000 mil-
le risque financier sur les épargnants qui liards de dollars). En 2009, malgré la hausse
n’ont pas les capacités de le gérer. On est de l’ensemble des investisseurs (65 000 mil-
donc à l’opposé du rôle théorique attribué liards de dollars), leurs encours ont baissé
à la finance et aux intermédiaires financiers à 27 000 milliards de dollars. Cette baisse,
qui est de mutualiser les risques. Ce report qui se confirme encore aujourd’hui, tranche
du risque participe à la remise en cause de avec l’augmentation des besoins de finan-
l’influence positive des marchés financiers cement de long terme. Un premier défi sera
sur la croissance économique (Cecchetti et alors de stimuler l’épargne de long terme
Kharroubi, 2012). des ménages dans les pays développés pour
compenser cette perte. Un second défi consis-
On peut également déplorer la baisse, dans les tera à inciter ces investisseurs à adopter un
pays développés, du poids des investisseurs comportement de long terme en réorientant
dits à long terme – c’est-à-dire capables de cette épargne vers l’investissement dans les
financer des projets sur un horizon long – au énergies de transition, l’industrie, l’efficacité
profit d’autres institutionnels (mutual funds énergétique, l’énergie bas carbone ou encore
et fonds de pension à cotisations définies). les infrastructures adaptées au changement
BIBLIOGRAPHIE
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OECD Corporate Governance investisseurs de long terme, Growth and Development,
Working Papers, n° 11, Paris, rapport du CAE n° 91, Paris, OECD Report for G20 Leaders,
OCDE. La Documentation française. Paris, OCDE.
Migrations internationales
et mondialisation des économies
Dans de nombreux pays, la maîtrise des JEAN-CHRISTOPHE DUMONT1
flux migratoires internationaux est au cœur
des préoccupations gouvernementales. Chef de la Division des migrations
Pourtant, globalement, le nombre total internationales de l’OCDE
d’immigrés2 dans le monde ne dépasse pas JEAN-PIERRE GARSON
232 millions en 2013 (Nations unies, 2013),
soit 3,2 % de la population mondiale, contre Économiste, ancien chef de la Division
2,9 % en 1990. Toutefois, ces effectifs d’im- des migrations internationales de l’OCDE
migrés varient considérablement selon les
grandes régions du monde (tableau 1) et,
au sein de chacune d’elles, selon les pays capitaux. Elle est aussi marquée par une ten-
considérés (ONU et OCDE, 2013). Alors qu’en dance à l’internationalisation des processus
1913, les immigrés représentaient près de de production. Enfin, elle se caractérise par
10 % de la population mondiale, leur part des formes plus ou moins développées d’inté- [1]
Les opinions
relative est en 2013 trois fois moins impor- gration économique (Union européenne) ou exprimées ici sont
tante. La raison principale de cette forte de coopération économique et commerciale celles des auteurs et
ne reflètent en rien
baisse est la croissance de la population entre des pays appartenant à une même région celles de l’OCDE et les
mondiale, notamment en Afrique et en Asie. (MERCOSUR, ALENA, ASEAN, CEI, CEDEAO3). autorités nationales
concernées
La mondialisation des économies est le Depuis le début des années 1990, ce proces-
[2]
résultat d’un processus de forte croissance sus de mondialisation des économies a pris Personnes nées à
l’étranger et résidant
des échanges commerciaux internationaux une plus grande ampleur. Qu’en est-il des dans un pays autre que
et de la libéralisation des mouvements de mouvements migratoires internationaux ? celui de leur naissance.
Peut-on vraiment parler d’une mondialisa- Les données sur les effectifs d’immigrés pro-
tion des migrations et, par ailleurs, peut-on viennent pour l’essentiel des recensements,
identifier le rôle que les migrations interna- des registres de population et/ou des statis-
tionales jouent dans la mondialisation des tiques administratives (titres ou permis de
économies ? séjour). Elles prennent parfois en compte une
partie des immigrés en situation irrégulière.
Par ailleurs, en Afrique et en Asie, une par-
L’évolution des migrations tie des réfugiés sont inclus dans les données
sur les effectifs d’immigrés. Le nombre des
internationales au cours réfugiés s’élève fin 2012 à environ 15,5 mil-
LES IMMIGRÉS
et le
le Brésil
Brésil (0,5 million). Dans les
les Caraïbes,
Caraïbes,
la République dominicaine
dominicaine et Puerto
Puerto Rico
Rico
En 2013, c’est
c’est en Europe
Europe que résident
résident le le plus En Asie, l’Inde
l’Inde est
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le plus grand
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nombre d’immigrés
d’immigrés (72,5 millions), d’immigration
d’immigr ation (5,3 millions) dev
devant la Thaïlande
contr
ontree presque
presque 71 millions en Asie, près près de (3,7 millions), le
le Kazakhst
Kazakhstan (3,5 millions),
62 millions en Amérique (dont 53 millions en Hong Kong, Chine (2,8 millions), et un peu
Amérique du Nord), Nord), 18,6 millions en Afrique et moins de 2,5 millions d’immigrés
d’immigrés résident
résident
environ
envir on 8 millions en Océanie
Océanie – dont 6,5 millions respectiv
espectivement
ement à Singapour,
Singapour, en Malaisie et au
en Austr
Australie
alie et 1,1 million en Nouvell
Nouvelle-Zélande.
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Rapportés à la population, les les Émirats
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d’immigrés (46 millions) suivis de la (74 %), du Kow
Koweit (60 %) et de Bahrein
Bahrein (55 %).
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des Émirats
Émirats arabes
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ement Chine (0,1 %), en Inde (0,4 %) et au Japon
11,10, 9 et 8 millions. L’ L’Afrique du Sud et la Côte
Côte (1,9 %). Il est
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inférieur à 0,5 % au Brésil
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près de 2,5 millions qu’à Madagascar
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d’immigr és, lele Nigéria 1,2 million. En Amérique Jean-Christophe Dumont
centr
entral
ale
e et du Sud (OAS,(OAS, 2012), l’l’Ar
Argentine,
gentine, et Jean-Pierre Garson
populations déplacées et les flux de réfu- internationales, elle n’est pas suffisante pour
giés. C’est en Afrique et en Asie que résident garantir une bonne évaluation des flux d’im-
les immigrés les plus jeunes avec des âges migration ou d’émigration. Parfois, la même
médians respectivement de 30 et 34 ans personne qui traverse la frontière à de nom-
(ONU/OCDE, 2013). Dans ces deux grandes breuses reprises dans l’année est comptabi-
régions du monde, les migrations revêtent lisée plusieurs fois comme ayant immigré. À
un caractère plus temporaire, comparées aux l’inverse, le nombre des immigrés en situa-
autres régions, dans lesquelles les migra- tion irrégulière, à l’exception de ceux qui ont
tions permanentes ou dites d’installation fait l’objet d’une régularisation, n’est pas
prédominent. connu ou mal estimé.
marché du travail en migrants qualifiés et concernés par les nouveaux flux migratoires.
la persistance des besoins en main-d’œuvre Ces flux tiennent en grande partie à l’ouver-
moins qualifiée (tableau 2). Des politiques ture des frontières des pays d’Europe cen-
migratoires plus sélectives de recrutement trale et orientale, mais aussi aux migrations
de travailleurs immigrés par le biais de sys- internationales qui ont accompagné la crois-
tèmes à points ont été mises en place dans ces sance économique de nombreux pays d’Asie.
pays (ainsi que dans certains pays européens) Dans cette région du monde, entre 2000 et
tout en ayant le souci d’encourager les migra- 2013, les effectifs d’immigrés sont passés de
tions simultanées des familles, contraire- 50 à 71 millions. En 2012, par exemple, plus
ment aux systèmes européens privilégiant les d’1 million de Philippins ont quitté leur pays
procédures plus tardives de regroupement pour aller travailler dans les pays du Golfe,
familial, une fois le migrant installé dans le à Singapour, à Hong-Kong ou en Chine. La
pays d’accueil. Les pays d’installation ont même année, 750 000 Indiens ont émigré vers
connu eux aussi une géographie changeante des pays hors de la zone OCDE, et environ
des pays d’origine des immigrés, le solde des 500 000 personnes ont quitté le Bangladesh,
entrées provenant majoritairement d’Asie, et l’Indonésie et le Pakistan pour travailler
dans le cas des États-Unis, d’Amérique latine dans les services domestiques, principale-
aussi. La diversification des flux concerne ment dans les pays du Golfe. Depuis 2008,
les Sri Lankais, Viêtnamiens et Indonésiens, en moyenne chaque année, ce sont environ
parallèlement au renforcement des courants 250 000 Sri Lankais et 100 000 Thaïlandais
en provenance des Philippines, de Chine et de qui émigrent vers d’autres pays d’Asie (OCDE,
l’Inde. 2012; ADBI, OCDE et OIT (2014).
C’est vers la fin des années 1990 et au Tous pays confondus, le regain d’intérêt pour
cours de la décennie qui a suivi que l’on a les migrations de travail, aussi bien tempo-
commencé à parler de mondialisation des raires que permanentes, a été l’une des carac-
migrations, avec l’augmentation des pays téristiques marquantes des années 2000.
4,1 4,3
3,2 3,5 3,7
2,6 2,8 3,0 3,1
2,1 2,1 2,4
2000 2011
1,6 1,6 1,9 2,1 2,3 2,4 2,4 2,5 2,6 2,8 3,2 3,3
Monde OCDE
Cette décennie a été aussi celle de la mobi- avec les pays d’origine. Dans le passé, l’exis-
lité croissante des étudiants internationaux. tence de diasporas a contribué à l’accroisse-
Les pays développés se sont rendu compte ment du nombre de nouveaux migrants venus
que cette population pouvait constituer une rejoindre les anciens. Aujourd’hui, le regain
source de revenus et de compétences déci- d’intérêt pour les diasporas s’explique par le
sives dans la mondialisation des économies rôle accru qu’elles pourraient jouer dans le
(graphique 1). Un plus grand nombre de pays développement économique et social de leur
ont modifié leur législation pour permettre pays d’origine. La mobilisation des diasporas
aux diplômés internationaux de rester sur pour le développement se heurte toutefois à
leur territoire après la fin de leurs études. de nombreux obstacles et ne se traduira pas
Une partie des étudiants internationaux ont par une inversion massive des flux migra-
pu, en changeant de statut, devenir des tra- toires, mais plutôt par une meilleure utili-
vailleurs immigrés dans les pays d’accueil, sation des compétences des membres de ces
qui se livrent une concurrence accrue pour diasporas en relation avec la mondialisa-
les attirer et aussi pour les retenir. tion des économies et l’émergence de pays
en développement (ministère français des
Un regain d’intérêt Affaires étrangères, 2012). L’Agence française
pour les diasporas de développement (AFD) et l’OCDE ont publié
en 2012 un panorama des compétences des
Si les effectifs d’immigrés dans le monde immigrés et de leurs enfants nés dans le pays
sont relativement peu élevés, il existe cepen- de destination (OCDE et AFD, 2012). Dans la
dant des communautés importantes ins- zone OCDE, la diaspora mexicaine concer-
tallées depuis longtemps à l’étranger. La nerait 20 millions de personnes, suivie de la
dimension familiale de la migration (familles diaspora italienne (5,2 millions) et allemande
accompagnantes, regroupement familial, (4,1 millions). Viennent ensuite des diasporas
constitution de familles dans les pays de dont les effectifs se situent entre 3 et 3,8 mil-
destination) a renforcé ces diasporas, dont lions, par ordre d’importance décroissante,
les membres entretiennent parfois des liens l’Inde, le Royaume-Uni, la Chine, la Pologne,
Le monde énergétique
de la décennie 2010 :
entre profusion d’hydrocarbures
et transition vers les renouvelables
Le paysage énergétique progressivement
dévoilé au fil des années 2010 est d’une com-
PATRICE GEOFFRON
plexité sans commune mesure avec celle des Université Paris Dauphine
décennies précédentes, y compris les années LEDa-CGEMP
1970, pourtant chaotiques du fait des chocs
pétroliers. Depuis 2000, les forces de la glo-
balisation sont venues bouleverser l’équilibre
des marchés des hydrocarbures : explosion de
la demande des pays émergents, exploitation durables et celles de long terme sont com-
de nouvelles ressources fossiles non conven- promises par le changement climatique. La
tionnelles. Dans le même temps, les pers- décennie 2010 est celle durant laquelle la
pectives de moyen terme sont hypothéquées transition vers des modèles de société sobres
par la crise économique et ses conséquences en carbone doit être amorcée, ce qui conduit
dans une nouvelle ère énergétique pétrole par 4. Cette rupture est intimement
liée à la globalisation – la Chine ayant rejoint
durant la décennie 2000 l’Organisation mondiale du commerce en
2001 – et a provoqué un choc pétrolier, com-
Une observation superficielle des fluctua- parable dans sa violence à ceux des années
tions du prix du pétrole depuis 2010, indi- 1970, si ce n’est qu’il a été induit par la
cateur usuel des tensions énergétiques, demande et non par l’offre. Les temps à venir
conduirait à conclure au « calme plat » : devraient prolonger cette tendance, l’Agence
l’amplitude mensuelle des variations du prix internationale de l’énergie (AIE) anticipant
du brut avoisine les 5 %, niveau le plus faible que, après 2030, la Chine consommera autant
depuis le milieu des années 1990, alors que d’énergie que l’ensemble de l’OCDE.
Eurasie
Europe
1 370
1 710 Chine
4 060 Japon
États-Unis 2 240
440
Moyen- 1 050
Orient
Asie du
Brésil 1 000 Sud-Est
1 540
480 1 030
Afrique Inde
100
80
60
40
20
0
1988
1989
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
1995
1996
1997
1998
1990
1991
1992
1993
1994
Légende
Bassins dont les ressources
sont évaluées
Bassins dont les ressources
ne sont pas évaluées
Légende :
Données non disponibles
< 3 dollars/mmBtu
(millions de British Thermal Units)
3 à 6 dollars/mmBtu
6,01 à 10 dollars/mmBtu
10,01 à 13 dollars/mmBtu
> 13 dollars/mmBtu
a injecté 20 milliards dans ce secteur pour exportations de l’UE a diminué de manière
[6]
Commission promouvoir l’usage des carburants alterna- significative »6.
européenne (2014), tifs. Un Natural Gas Act soutenant la moto-
« Prix et coûts de
l’énergie en Europe »,
Communication au
risation au gaz devrait voir le jour en 2014,
afin de favoriser l’utilisation de ce combus- Quelles conséquences
Parlement, DG Energie,
janvier, p. 16.
tible dans le transport. Les pouvoirs publics
seront d’autant plus incités à favoriser de
sur les équilibres géopolitiques ?
telles transformations structurelles que le Dès lors que la position nord-américaine sur
gaz non conventionnel a rapporté 31 mil- les marchés gaziers pétroliers se trouvera
liards de dollars en impôts et taxes fédéraux fortement influencée par le développement
en 2012. de ses ressources non conventionnelles, il
Les Européens sont en première ligne pour convient de prendre en compte le canal de
affronter cette phase nouvelle de la globa- diffusion via ces marchés, en matière éco-
lisation. Le diagnostic de la Commission nomique, mais également dans le champ
européenne est tranchant sur l’impact en géopolitique.
termes de compétitivité de la dégradation La stabilité du marché pétrolier dépend, his-
du différentiel de coûts du gaz et de l’élec- toriquement, de la présence américaine au
tricité : « Certes, l’énergie n’a jamais été bon Moyen-Orient. Qu’en sera-t-il, dès lors que
marché en Europe, mais l’écart de prix dans la production américaine pourrait dépasser
le domaine de l’énergie entre l’UE et ses prin- celle de l’Arabie saoudite dès 2020, a fortiori
cipaux partenaires économiques s’est encore avec les ressources disponibles au Canada ?
accentué au cours des dernières années. […] Pour la zone, la perte du client américain
Ces dernières années, toutefois, la part des devrait être compensée par les importations
biens à forte intensité énergétique dans les accrues de pays émergents comme la Chine
100 %
Gaz
Union européenne
60 %
40 % Chine
Brésil
Inde
20 %
00 %
Moyen-Orient
États-Unis
– 20 %
Asie du Sud Est
Russie
– 40 %
Afrique Indonésie
– 60 % Mer Caspienne
La division internationale
des processus de production
au cœur de la nouvelle géographie
des échanges
La théorie du commerce international s’est MICHEL RAINELLI
construite à partir d’un monde simple dans
lequel les nations produisent des biens
Université Nice Sophia Antipolis
qu’elles échangent entre elles, comme le vin GREDEG UMR 7321 CNRS et UNS
et le drap dans le célèbre modèle de David
Ricardo, à l’origine de la théorie des avantages [1]
Lassudrie-Duchêne B.
comparatifs. Il s’agit de biens entièrement (1982), « Décomposition
produits sur le territoire national, ce qui per- jusque dans les années 1970, où une pratique internationale des
des firmes a retenu l’attention d’économistes processus productifs
met d’établir une correspondance entre les et autonomie nationale »
caractéristiques des biens et celle des nations tels que Bernard Lassudrie-Duchêne qui, en in Bourguinat H. (éd.),
dont les avantages comparatifs expliquent la 1982, a introduit la notion de décomposition Internationalisation
et autonomie de
spécialisation internationale. Cette représen- internationale des processus productifs1. décision, Paris,
tation de l’échange international a prévalu La réalité à laquelle renvoie ce concept, qui Economica.
Pour apprécier l’importance de la spécialisa- une série de calculs, il est possible de savoir
[4]
Cf. Athukorala
P. et Yamashita N.
tion verticale dans le commerce international quel est le montant de biens intermédiaires (2006), « Production
des différentes nations, plusieurs méthodes (inputs) utilisé pour produire des biens (out- Fragmentation and
sont utilisées. La plus évidente est le recours put) dont une partie est exportée. On peut Trade Integration: East
Asia in a Global Context,
aux statistiques du commerce internatio- ainsi connaître le contenu en importations North American Journal
nal ; dans les nomenclatures détaillées des des exportations d’une branche pour un pays. of Economics and
biens, il existe la catégorie « commerce de Finance, vol. 17.
Le tableau suivant présente les dix premiers
parties et de composants ». Il est donc pos- pays connaissant une spécialisation verticale [5]
Athukorala P. et
sible de repérer des échanges internationaux Yamashita N. (2006),
mesurée à partir de cette méthode. op. cit.
correspondant à la spécialisation verticale ;
Ces données confirment le caractère récent de [6]
Voir Amador J.
il est certain, toutefois, qu’une partie signi-
la DIPP : à l’exception de Taiwan, le phéno- et Cabral S. (2009),
ficative du phénomène est alors ignorée, « Vertical Specialization
mène est inexistant à la fin des années 1960.
car la nomenclature n’identifie pas de tels Across the World: A
Par ailleurs, huit des dix pays concernés sont Relative Measure »,
mouvements dans le secteur de la chimie et
localisés en Asie de l’Est ; dans cet ensemble, North American Journal
pharmacie, par exemple, alors que les mouve- of Economics and
la dynamique de la Chine est remarquable : la
ments de demi-produits et de molécules sont Finance, vol. 20.
part de ses importations relevant de la spé-
fréquents4. Une étude réalisée sur la période
cialisation verticale est passée de 5 % dans
1992-2003 et utilisant cette méthode donne
la période 1986-1990 à 20,3 % dans la période
les principaux résultats suivants5 :
2001-2005. Enfin, deux pays font exception en
– la place du commerce mondial de « parties raison de leur appartenance géographique :
et composants » dans le total des échanges l’Irlande et la Hongrie, respectivement en 8e
est passée de 18,5 % en 1992 à 22 % en 2003 ; et en 10e position en 2001-2005. Pour l’une
– dans le commerce mondial de « par- comme pour l’autre, cette spécialisation s’ex-
ties et composants », la place des pays en plique par leur stratégie de développement
La DIPP au service
chaînes mondiales de chaîne de valeur par les firmes n’impliquent
valeur et influent sur la
gestion des entreprises pas nécessairement des investissements
des pays d’accueil sans
détenir de participation du développement ? en capital. La CNUCED évalue l’ensemble
de ces modes de production9 en 2009 à plus
au capital de ces
entreprises » (CNUCED, Les firmes ont mis en œuvre des stratégies de de 2 000 milliards de dollars, la sous-trai-
2011, op. cit.) DIPP pour les raisons présentées plus haut, tance manufacturière et l’externalisation de
3. Balance commerciale des États-Unis pour les iPhones en 2009 (en millions de dollars)
Corée Reste
Chine Japon Allemagne Monde
du Sud du monde
Mesure traditionnelle – 1 901,2 0 0 0 0 – 1 901,2
Mesure en valeur ajoutée – 73,5 – 684,8 – 259,4 – 340,7 – 542,8 – 1 901,2
Source : Miroudot S. (2011), Global Forum on Trade Statistics, 2-4 avril, cité par Maurer A., « Trade in Value Added : What is the
Country of Origin in an Interconnected World ? », http://www.wto.org/french/res_f/statis_f/miwi_f/background_paper_f.htm
Les interdépendances
entre les grandes économies
MICHEL DUPUY économies, notamment au sein des princi-
pales régions avancées1. Une étude relative-
Professeur à l’Université de Bordeaux
ment récente (Bayoumi et Bui, 2010) confirme
l’importance des interdépendances entre les
grandes économies sur longue période : à
partir de données sur la période 1970-2007,
L’idée selon laquelle « lorsque les États-Unis les auteurs montrent notamment qu’un choc
éternuent, c’est le monde entier qui s’en- de 1 % du PIB réel des États-Unis provoque,
rhume » a été confortée par la crise financière au bout de deux ans, une augmentation du
mondiale de 2007-2009 (graphique 1). Les cor- PIB réel des autres régions de 0,4 à 1 %.
rélations bilatérales des taux de croissance Au-delà du constat des interdépendances
entre pays, qui étaient faibles sur la période entre les grandes économies, cet article se
2004-2006, se sont fortement accrues durant propose d’aborder les questions qu’elles sou-
la crise pour atteindre un niveau supérieur à lèvent : quelles sont leurs origines, c’est-à-
0,5. En revanche, sur la période récente, ces dire, par quels mécanismes un événement se
[1]
corrélations ont de nouveau faibli. Elles sont produisant dans un pays va-t-il affecter les
Les interdépendances
entre pays peuvent donc volatiles à court terme : elles tendent autres économies? Qu’est-ce qui détermine
également être mises en à se renforcer en période de récession et à l’ampleur des effets de contagion entre pays ?
évidence en considérant
les corrélations des
diminuer dans les périodes de calme ; leur Quelles sont les implications de ces interdé-
consommations ou des tendance de long terme va toutefois dans le pendances pour la conduite des politiques
exportations. sens d’une synchronisation croissante des économiques ?
0,9
0,8
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0,0
Toutes les Paires Paires Paires
paires de pays de PA de PED de PA-PED
PA : pays avancés.
3,0 3,0
25 25
2,5 2,5
20 20
2,0 2,0
15 15
1,5 1,5
10 10
1,0 1,0
5 5 0,5 0,5
0 0 0,0 0,0
19961998 2000 20022004 2006 20082010 1980 1985 1990 1995 2000 2005
NB. Le commerce mondial est mesuré par les exportations mondiales de biens et services rapportées au PIB. Les positions
financières extérieures des pays sont estimées à l’aide des données trimestrielles disponibles. Mesurées par la somme absolue
des actifs et engagements extérieurs bruts de tous les pays (tirées de Lane et Milesi Ferretti 2007 et de FMI-BOPS après 2004) en
pourcentage du PIB mondial (tiré des Perspectives de l’économie mondiale du FMI).
Variation Variation
Nature du choc
de la production de la production dans
se produisant aux États-Unis
aux États-Unis (en %) le reste du monde (en %)
Choc financier
Augmentation de 1 de l’écart-type – 1,1 – 1,8
de l’indicateur de risque fondé
sur les marges des CDS1
Choc budgétaire
– 2,5 – 1,5
Hausse d’impôts de 1 % du PIB
Choc monétaire
Augmentation de 100 points de base – 1,7 – 0,7
des taux directeurs
1. Une augmentation de l’écart-type signifie que la volatilité augmente et donc que le risque financier s’accroît.
importante. Par ailleurs, compte tenu du rôle manœuvre des politiques économiques et
central joué par les États-Unis sur les mar- rend nécessaire la coordination entre les
chés financiers mondiaux, les répercussions États, notamment durant les crises.
de chocs financiers en provenance des États-
Unis sont nécessairement significatives. Ce phénomène renvoie en partie au triangle
d’incompatibilité de Mundell, configuration
Ensuite, les études empiriques récentes ont qui indique que l’on ne peut disposer à la fois
également montré que l’ampleur des réper- de la fixité du change, de la libre circulation
cussions internationales d’un choc dépend de des capitaux et de l’autonomie de la politique
sa nature. Il ressort principalement que les monétaire. Ainsi, si un pays doté d’un régime
chocs financiers ont des effets de contagion de changes fixes décide de mettre en œuvre une
plus importants que les chocs de nature bud- politique monétaire expansionniste, la baisse
gétaire et monétaire. C’est ce que l’on constate des taux d’intérêt qui en résulte va entraîner
lorsqu’on examine les effets de différents types des sorties massives de capitaux ; d’où des
de chocs survenant aux États-Unis (tableau 3). pressions à la baisse sur le taux de change,
Puisque les chocs financiers, à la différence que les autorités monétaires vont essayer de
des autres, se transmettent principalement par contenir en intervenant sur le marché des
le biais des liens financiers entre pays, leurs changes (ici, en vendant des devises contre la
répercussions internationales sont plus mar- monnaie nationale). Mais, le stock de devises
quées, compte tenu de l’importance des liens étant limité, les autorités ne peuvent soute-
financiers dans la transmission des chocs. nir indéfiniment leur monnaie. Elles devront
renoncer, tôt ou tard, à la fixité du change.
Les répercussions Face au triangle d’incompatibilité, certains
des interdépendances sur la conduite pays, comme la Chine au cours des dernières
décennies, ont mené une politique monétaire
des politiques économiques autonome en renonçant à la liberté des mou-
vements de capitaux ; d’autres, comme les
Le renforcement des interdépendances a pays membres de la zone euro, ont renoncé
considérablement réduit les marges de à leur autonomie monétaire afin de garantir
Endettement et déséquilibres
des balances courantes : quels
risques pour l’économie mondiale ?
Le décloisonnement des systèmes de finan-
cement domestiques constitue une caracté-
CÉCILE BASTIDON GILLES
ristique clef du processus de globalisation LEAD, Université de Toulon
financière. En pratique, il en résulte la capa-
cité pour un investisseur de prêter ou de pla-
cer où il le souhaite. De manière symétrique,
les gouvernements et les entreprises peuvent Or, contrairement à ce que la logique voudrait,
alors trouver des financements non seule- ce ne sont pas les économies avancées qui, glo-
ment au niveau domestique, mais également balement, investissent dans les pays en déve-
au niveau international. Ainsi, certains pays loppement et émergents. Au contraire, à partir
ont une balance courante excédentaire, donc de la fin de la décennie 1990, les économies
un excès d’épargne qui s’investit ensuite à en développement et surtout émergentes (en
l’étranger ; et d’autres une balance courante particulier, la Chine), en plein essor de leurs
déficitaire, donc un déficit d’épargne qui doit transactions commerciales, présentent des
être comblé par des investissements venus de excédents de balance courante qui viennent
l’étranger. s’investir dans les économies avancées (en
Immobilier (États-
Unis, Europe) 2013
Produits de
titrisation Actifs émergents Euro (au
2008-2009 (au détriments
Actifs émergents détriment du yen)
des économies Actif des
Euro, livre Dettes publiques périphériques
sterling, devises sans risque économies
de la zone euro) périphériques de
des émergents Dollar, yen, franc
suisse la zone euro (au
détriment des
2009-2012 actifs émergents)
pré-2008
DES PAIEMENTS ?
courantes et du compte de capital.
L’idée est que le pays, d’un point de vue
La balance des paiements est un document macroéconomique, est dans une situation de
statistique qui récapitule l’ensemble des besoin de financement : l’épargne nationale
transactions entre les agents résidents d’un est inférieure à l’investissement et les agents
territoire et les agents non-résidents. Elle résidents sont donc obligés de recourir aux
fonctionne sur le principe de la comptabilité non-résidents pour financer ce déficit ou
en partie double : toutes les opérations bien de puiser dans les réserves de change
comportent une contrepartie, ce qui fait que de la Banque centrale. Ces opérations de
la balance des paiements est équilibrée par financement, enregistrées dans le compte
construction. Lorsqu’on évoque un déficit de la financier de la balance des paiements,
balance des paiements, il s’agit donc d’un abus compensent le déficit.
de langage. Cela désigne en fait soit un déficit
Problèmes économiques
d’un des comptes de la balance des paiements
600
400
0 Économies avancées
Allemagne
– 200
Japon
– 400
États -Unis
– 600
– 800
1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
500
400
Brésil
300 Chine
200 Inde
Russie
100
Afrique du Sud
0
– 100
1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
pour trois raisons. D’abord, l’essentiel des les revendant massivement, d’en faire for-
entrées de capitaux qui viennent compen- tement baisser les prix et donc de réaliser
ser ce déficit correspondent à des achats des pertes importantes. Ensuite, les débi-
de titres, et non à du crédit. Les investis- teurs américains sont quasi exclusivement
seurs qui les détiennent risqueraient, en endettés dans leur propre monnaie. Enfin,
3. Dépréciation des actifs des marchés émergents entre mai et août 2013 (différence max-min, en %)
Obligations
Hongrie
Actions
Chine
Change (nominal)
Colombie
Mexique
Afrique du Sud
Malaisie
Inde
Brésil
Indonésie
Turquie
– 60 – 50 – 40 – 30 – 20 – 10 0
105
100
SSE (Chine)
95
CAC40
(France)
90
NASDAQ100
(Etats-Unis)
85
02/05/2013
09/05/2013
16/05/2013
23/05/2013
30/05/2013
06/06/2013
13/06/2013
20/06/2013
27/06/2013
04/07/2013
11/07/2013
18/07/2013
25/07/2013
01/08/2013
08/08/2013
15/08/2013
22/08/2013
29/08/2013
mai 2013 juin 2013 juillet 2013 août 2013
monétaires de celles-ci d’autre part. Cette vul- début de la décennie 2000, causant une accé-
nérabilité concerne particulièrement mais pas lération de leur endettement extérieur. La
exclusivement les économies dont l’épargne baisse de leurs cours de change, depuis l’été
domestique et les déficits de balance courante 2013, pourrait contribuer à résorber pro-
sont les plus élevés, moins indépendantes gressivement ces déséquilibres.Toutefois, en
financièrement, ainsi que l’illustre l’épisode l’état, ils constituent un facteur de fragilité
de crise de 2013 (graphique 3).
financière ; pour les économies concernées,
Or, la réduction des soldes de balance cou- dépendantes des flux de capitaux internatio-
rante n’a véritablement concerné que les naux ; pour les autres économies émergentes,
pays excédentaires : la Chine dans l’immé- que les investisseurs ont également tendance
diat après crise, et la Russie plus récemment à déserter en cas d’alerte (graphique 3) ; et
à partir de 2011-2012. En Chine, l’excédent
pour la stabilité financière internationale,
de la balance courante a, de nouveau, légè-
dans un contexte de globalisation financière
rement augmenté dès 2012. L’ajustement en
cours en faveur d’une croissance domes- où les systèmes bancaires et surtout les
tique tirée par la consommation ne devrait marchés de titres sont très largement inter-
pas atténuer cet excédent à brève échéance, connectés (graphique 4). Car c’est là une spé-
compte tenu des gains de parts de marché à cificité des épisodes de 2013 et 2014 : les flux
l’exportation. de capitaux internationaux qui finançaient
Les autres grandes économies de marché les déficits de balance courante allaient
émergentes, notamment au sein du groupe majoritairement vers les marchés de titres,
des BRICS (Inde, Brésil, et, dans une moindre alors que dans le cas des crises émergentes
mesure, Afrique du Sud) sont en situation de de la décennie 1990, il s’agissait de prêts des
déficit de balance des paiements courants, banques des économies avancées à celles des
et ce déficit s’est fortement accru depuis le économies émergentes.
30
20
En Mds de $
10
-10
-40
01 03 05 07 09 11 01 03 05 07 09 11 01 03 05 07 09 11 01
50
40
30 Juin 2008
Octobre 2013
20
10
0
T T+1 T+2 T+3 T+4 T+5 T+6 T+7 T+8 T+9 T+10 T+11 T+12
Note : Les T+x désignent l’échéance des titres, x années après la date d’émission. T+2 correspond aux titres arrivant à
échéance en 2010 (série 2008) ou en 2015 (série 2013).
LE RISQUE SYSTÉMIQUE
Ce choc sur une institution ou un marché affecte
négativement d’autres institutions (faillites
et/ou problème de sous-capitalisation) et/ou
Le risque systémique est le risque qu’un
entraîne la chute d’autres prix d’actifs. En cas
événement particulier (une faillite, un défaut,
de choc systémique, la relation entre faillites ou
un choc, etc.) entraîne par réactions en chaîne
baisses de prix d’actifs est différente de celle qui
des effets négatifs considérables sur l’ensemble
est observée en temps normaux. Les relations
du système financier pouvant occasionner
d’interdépendance s’intensifient. La propagation
une crise générale de son fonctionnement. Le
s’effectue le plus souvent dans le temps,
système financier est alors dans l’incapacité
on parle alors de « contagion » ou d’ « effet
d’assurer ses fonctions habituelles d’allocation
domino ». Pendant longtemps, les superviseurs
de l’épargne et des risques, au point d’affecter
ont privilégié la régulation micro-prudentielle
sévèrement la croissance économique et le
– qui considère que le risque pour le système
bien-être social. La faillite de Lehman Brothers
financier se résume à l’agrégation des risques
le 15 septembre 2008 constitue l’exemple
de chaque institution – et ont prêté peu
emblématique du risque systémique. Cette
d’attention au risque systémique. Aujourd’hui, la
faillite a en effet entraîné la paralysie du
nécessité de renforcer l’orientation
système financier dans son ensemble (chute
macroprudentielle de la réglementation et de la
des prix, crise de liquidité et fermeture de
surveillance financières est largement admise
certains marchés, fragilisation et faillites
par les autorités et les économistes.
d’autres institutions financières). Au départ,
Christophe Boucher
10 500
90
10 000 7 500
350
9 500
85
9 000 7 000
8 500 80 300
8 000 6 500
75
7 500
250
7 000 6 000
70
6 500
Source : FMI.
120
115
110
Moyennes
105
1999-2013
100
1964-2013
95
90
85
80
75
1964 1968 1972 1974 1978 1982 1984 1988 1992 2004 2008 2012 2014
Lecture : Le taux de change effectif réel est le taux de change moyen par rapport à un ensemble de partenaires,
corrigé par les prix relatifs à la consommation. Une hausse traduite une appréciation de l’euro.
l’insuffisance de demande dans la zone. L’euro Extrait choisi par Problèmes économiques,
n’étant pas surévalué au regard des différentes issu de : « L’euro dans la "guerre des
normes de longue période, il ne faut toutefois monnaies" », Note du Conseil d’analyse
pas s’attendre à une dépréciation durable. économique, n° 11, janvier 2014.
Agnès Benassy- Quéré,
Pierre-Olivier Gourinchas, Philippe Martin
et Guillaume Plantin
Les conflits
autour du libre-échange
Entre 1950 et 2012, le commerce mondial de
marchandises a crû quatre fois plus vite que la
BERNARD GUILLOCHON
production mondiale. Ce mouvement d’ouver- Professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine
ture concerne tous les pays, développés, émer-
gents, mais aussi ceux situés en bas de l’échelle
des revenus. L’économie mondiale évolue donc
plus en plus interdépendant mais continuel-
incontestablement vers le libre-échange. La
lement remodelé par le jeu des coopérations
situation actuelle n’est toutefois pas celle d’un
et des obstacles dressés par les firmes et les
libre-échange total car, d’une part, les pays
maintiennent de très nombreuses barrières, États, dans un contexte de profondes trans-
notamment sous forme d’obstacles non tari- formations de l’organisation productive et
faires, d’autre part, les spécificités productives d’émergence de nouveaux acteurs. Dans ce
et les réglementations étatiques propres à monde en mutation, on observe principale-
chaque nation ont un impact sur les échanges ment deux types de conflits : les affrontements
internationaux, alors que dans la conception durant les négociations multilatérales, qui les
théorique du libre-échange, le tissu productif paralysent ou les retardent, et les tensions
est homogène et l’État n’intervient pas dans autour des comportements jugés déloyaux et
le fonctionnement de l’économie. L’économie des mesures protectionnistes, les deux phéno-
mondiale est donc un système complexe, de mènes étant intimement liés.
350
300
200
Boissons tropicales
150
Graines oléagineuses
1000
Matières premières
50
d’origine agricole
0
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Source : CNUCED (2014).
60
50
40
Japon
30 UE à 27
États-Unis
20
Chine
10
0
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
des procès devant l’Organe de règlement des dernière catégorie, le dumping consistant,
différends (ORD) de l’OMC. dans la définition qu’en donne l’OMC, à
vendre à l’étranger un produit à un prix infé-
Les mesures contingentes rieur à son coût ou à un prix inférieur au prix
pratiqué par l’entreprise exportatrice sur son
Le protectionnisme emprunte aujourd’hui
marché domestique. La procédure anti-dum-
deux voies complémentaires, les mesures
contingentes et les obstacles non tarifaires ping est encadrée par des règles de l’OMC
(ONT). Les premières, acceptées par l’OMC, mais menée par des instances nationales sur
sont censées permettre aux pays membres de lesquelles, naturellement, les entreprises du
se défendre dans des situations où la pres- pays qui se considèrent lésées font assez faci-
sion de la concurrence étrangère est exces- lement pression. Cela permet de comprendre
sive, eu égard à leur situation, ou résulte d’un pourquoi le nombre d’enquêtes et de mesures
comportement déloyal. Trois cas sont pré- anti-dumping est si élevé : entre le 1er jan-
vus : les mesures de sauvegarde (protections vier 1995 et le 30 juin 2013, on dénombre
exceptionnelles si le secteur est menacé par 4 358 enquêtes et 2 795 mesures. Le seul fait
la concurrence étrangère) ; les mesures com- d’ouvrir une enquête peut inciter les entre-
pensatoires (pour faire obstacle au fait que prises exportatrices visées à accroître leurs
le pays exportateur subventionne ses expor- prix pour éviter de subir ensuite les véri-
tations pour pénétrer plus facilement sur le tables mesures (droits compensant en par-
marché national) ; les actions anti-dumping tie la marge de dumping pendant au moins
(s’il est prouvé que l’entreprise du pays expor- cinq ans). Ainsi, les enquêtes n’aboutissent
tateur adopte un comportement de dum- pas toutes à l’érection de barrières, mais
ping). Depuis 1995, plus des neuf dixièmes font bien partie d’une stratégie de défense à
des mesures contingentes relèvent de cette l’encontre de la concurrence étrangère.
individuelle (A pour affluence) et l’efficience tions de l’eau ou de l’air. En revanche, elles Hypothesis : A Survey »,
Ecological Economics,
de la production de richesses (T pour tech- n’ont pas permis de répondre à de larges vol. 49.
nology) déterminent l’ampleur de l’impact perturbations comme celles du climat ou de
d’une population sur l’environnement. Si l’on la biodiversité mondiale, qui s’aggravent de
considère par exemple les soixante dernières façon préoccupante.
années, les gains d’efficience dans certains Les analyses empiriques de la courbe envi-
processus de production ont été très large- ronnementale de Kuznets vont dans le même
ment « effacés » par l’accroissement de la sens5. Pour les tenants de cette théorie, les
population mondiale (qui a quasiment triplé impacts environnementaux seraient desti-
depuis 1950) et l’augmentation du PIB par nés à augmenter avec la croissance écono-
habitant (qui a été multiplié par presque cinq mique jusqu’à un maximum pour ensuite
sur la même période), avec des variations décroître. Mais ceci n’est vérifié que pour
Océan
Indien
Océan
Pacifique
Hausse du niveau de la mer
Côtes
particulièrement
vulnérables
Zones deltaïques
vulnérables
mondial entre nations tend à se rééquilibrer des rapports de force en partie déterminés
depuis la dislocation du Bloc soviétique, il est par la puissance économique de chacun, ce
en revanche beaucoup plus délicat de parve- qui justifie d’en étudier la distribution. Cette
nir à une conclusion pour les inégalités de puissance économique peut être appréciée de
niveau de vie dans la population mondiale. différentes manières, la plus courante étant
le PIB total.
COURBE DE LORENZ
Plus la courbe de Lorenz en est éloignée, plus
les indices d’inégalités utilisés indiqueront un
L’économie mondiale,
un navire sans capitaine ?
JEAN-MARC SIROËN Grande Dépression des années 1930 : les
Université Paris Dauphine limites des ajustements par les seuls mar-
chés et la nécessaire intervention des États.
Mais dans une économie mondiale toujours
plus intégrée, ces actions se doivent d’être
La mondialisation telle qu’elle s’est déve- coordonnées pour être efficaces. Qu’en est-il
loppée à partir des années 1970 reposait sur aujourd’hui ?
la croyance que les marchés s’auto-régule-
raient spontanément et plus efficacement
que ne le ferait n’importe quelle institution
L’ère hégémonique
étatique, qu’elle soit nationale ou internatio-
nale. Les déséquilibres de l’économie mon-
Un « nouvel ordre économique
diale étaient censés se résorber grâce à la mondial » piloté par le leadership
flexibilité des prix du travail, du capital, des américain
monnaies... Aujourd’hui, plus grand monde Pour l’historien de l’économie, Charles Kin-
ne partage un tel point de vue. Les crises dleberger, les crises économiques mondiales
économiques à répétition ont fait redécou- seraient d’abord dues à l’absence de pays lea-
vrir ce qui avait été bien perçu lors de la ders susceptibles d’imposer la coopération
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HORS-SÉRIE
SEPTEMBRE 2014 NUMÉRO 6
comprendre
L’ÉCONOMIE MONDIALE
Depuis plus de trente ans, l’économie mondiale est façonnée par une
tendance de fond : la mondialisation, commerciale et financière. La
libéralisation des mouvements de capitaux et la division internationale
des processus de production ont bousculé son centre de gravité, faisant
émerger de nouvelles puissances. Si ces transformations se sont
accompagnées d’une réduction massive de la pauvreté à l’échelle mondiale,
l’instabilité financière, les conflits commerciaux, la crise écologique ou
encore le creusement des inégalités montrent qu’elles sont également
porteuses de tensions et déséquilibres.
Ce numéro hors-série de Problèmes économiques fait le point sur l’ensemble
de ces évolutions et donnent les clefs pour comprendre les rouages
complexes de l’économie mondiale.
Directeur de la publication
Bertrand Munch
Direction de l’information
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