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MARS
MAR S 20
2016
16 NUMÉRO 9
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LA FIS
ISCC
comprendre
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
problèmes économiques
HORS-SÉRIE
4 REVUES POUR ÊTRE IEN
B INFORMÉ
ÉCONOMIE SOCIÉTÉ - débat public
Tous les 15 jours, le meilleur de la presse et des Tous les deux mois,
revues pour comprendre l’actualité économique les grands sujets qui nourrissent le débat public

problèmes économiques c a h i eç r s c a h i eç r s

Cahiers français 390


Cahiers français 391
• Droit des animaux ou devoirs envers les animaux ? • Faut-il alléger le code du travail ?

fran ais fran ais


• L'avenir du système de retraites complémentaires • À la recherche du prix du pétrole
Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité
N° 3126 • L’ouverture à la concurrence des lignes d’autocar • L’avenir de la filière nucléaire
PREMIÈRE
QUINZAINE
02.2016

COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES PAUVRETÉ
LE NOUVEAU La nouvelle donne ET VULNÉRABILITÉ
RÔLE DES
BANQUES SOCIALE
DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF

CENTRALES
S

Janvier-février 2016
Mars-avril 2016
PARTENARIAT TRANSLANTIQUE
ET TENSIONS AGRICOLES
MARQUES COMMERCIALES
5€ 10,10 €

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ET RÉSEAUX SOCIAUX

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ALLEMAGNE, RÉFORME DE
L’ASSURANCE DÉPENDANCE
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EUROPE - INTERNATIONAL HISTOIRE - GÉOGRAPHIE


Tous les deux mois, Tous les deux mois,
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M A R S | AV R I L 2 0 1 6
H I S T O I R E
Questions Questions
La Bosnie, vingt ans après Dayton
internationales
internationales

internationales internationales
L’activisme turc en Afrique Le droit d’asile en Europe
La Birmanie après les élections États-Unis et changement climatique
La SDN vue par Céline et Albert Cohen Wall Street au cinéma
Questions
Questions

Iran
le retour
Le transport SABINE EFFOSSE, LAURE QUENNOUËLLE-CORRE

aérien
N° 77 Janvier-février 2016

N° 78 Mars-avril 2016

10,10 € Une mondialisation réussie


11,90 €
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LA FISCALITÉ - LE LONG CHEMIN
Direction de l’information
légale et administrative
26, rue Desaix
75015 Paris
VERS LA CONCORDE
Rédaction
Contribuer à l’effort collectif dont tout le monde retire, au moins indirectement, un
de Problèmes économiques
Patrice Merlot (Rédacteur en chef) bénéfice ou subir, sans contrepartie directe, la confiscation d’une partie de ses avoirs :
Markus Gabel tel est « l’arc de tension » dans lequel la perception de la fiscalité s’inscrit depuis
(Analyste-rédacteur, rédacteur des siècles. La multiplicité des notions utilisées à son égard témoigne de l’effort
en chef des hors-série) de communication dont elle fait l’objet – impôt, taxe, cotisation, droit, retenue ou
Stéphanie Gaudron
(Analyste-rédactrice)
contribution… – sans pour autant modifier le constat de fond : la taxation demeure le
plus souvent associée à un sentiment peu plaisant, un acte imposé par le Pouvoir, un
Secrétariat de rédaction
Anne Biet-Coltelloni versement perçu par voie d’autorité.
Promotion Même les désignations les plus positives portent en elles cette réalité. Prenons, à titre
Anne-Sophie Château d’exemple, le terme apparemment si innocent de « contribution ». Si elle fait en effet appel
Secrétariat à l’idée de la participation à une œuvre commune, à l’intérêt collectif, sa signification
Paul Oury originelle est néanmoins tout autre : dans la Rome antique, les peuples vaincus, pour
29, quai Voltaire ne pas subir un sort tel que l’esclavage, devaient verser un « tributum » au Trésor public
75344 Paris cedex 07 romain. C’est également à la société romaine que fait référence le sens étymologique du
Tél. : 01 40 15 70 00
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mot « fiscalité » : du « fiscus », qui désignait à l’origine un panier pour presser le raisin, il
http://www.ladocumentation n’y a qu’un pas pour arriver à la « pression fiscale ». Plus tard, le Moyen Âge et les Temps
francaise.fr/revues-collections/ modernes ont apporté leur lot de notions plus ou moins flatteuses : du mot « impôt »,
problemes-economiques/ dérivé de l’usage de la force (« imposer ») jusqu’au percepteur, dont l’appellation officielle
index.shtml
était « imposteur » et dont le sens d’aujourd’hui est encore plus péjoratif.
Abonnez-vous à la newsletter
Ainsi, depuis son origine et pendant des siècles, la fiscalité était surtout l’expression
Avertissement
Les opinions exprimées
d’une contrainte imposée par une autorité, bien éloignée de l’idée de l’intérêt général
dans les articles reproduits ou de la justice. Pour arriver à cette autre lecture de la fiscalité, il a fallu un travail de
n’engagent que les auteurs réflexion en profondeur, toujours en cours d’ailleurs, afin d’en définir les principes et les
Crédit photo : objectifs. Les économistes ont apporté la notion de l’efficacité : en creusant l’écart entre
Couverture : AKG-IMAGES/Fotolia le prix que l’acheteur paie pour ce qu’il acquiert et la somme qui revient au vendeur, la
© Direction de l’information légale fiscalité modifie ou peut même empêcher une transaction avantageuse de part et d’autre.
et administrative. Paris, 2016 L’impôt doit donc réduire autant que possible cette perte de bien-être, la distorsion
Conception graphique fiscale comme disent les économistes. Mais cet objectif n’est pas le seul, les « bons »
Célia Pétry choix en matière fiscale doivent également tenir compte de l’incidence de l’impôt  –
Nicolas Bessemoulin c’est-à-dire de celui qui supporte réellement la charge fiscale –, de la lutte contre la
En vente en kiosque et en librairie fraude, des coûts de collecte tout comme de l’équité fiscale. C’est ce dernier sujet qui fait
(Adresses accessibles en ligne)
aujourd’hui beaucoup débat, qu’il s’agisse d’équité verticale, ou d’équité horizontale. Le
# Retrouvez-nous sur problème est toujours le même : les principes paraissent d’abord limpides, mais quand
Facebook et sur Twitter
@ ProbEcoPE
il faut leur donner une forme concrète, les avis divergent très largement. Rares sont les
cas où les divers objectifs convergent et où un consensus s’installe. La recherche d’une
telle concorde est cependant plus que jamais indispensable face à la mondialisation et
IMPACT-ÉCOLOGIQUE
aux forces qu’elle enclenche : « La généralisation du capitalisme rend la fiscalité plus
www.dila.premier-ministre.gouv.fr indispensable que jamais. La mondialisation du capitalisme la rend plus précaire que
PIC D’OZONE 141 mg eq C2 H 4
jamais. » (Philippe Van Parijs). Cette phrase retrace exactement le périmètre dans lequel
se trouve la fiscalité aujourd’hui.
Pour un ouvrage

IMPACT SUR L’ EAU 1,5 g eq PO43-

CLIMAT 534 g eq CO2 Markus Gabel


Cet imprimé applique l'affichage environnemental.
COMPRENDRE LA FISCALITÉ
L’État et sa fiscalité
P. 5 La politique fiscale : objectifs et contraintes (Laurent Simula)
P. 13 L’État maximise-t-il les recettes ? (Alexandre Dumont)
P. 20 Fiscalité : une affaire de psychologie et de morale (Cécile Bazart)
P. 27 La fiscalité incitative : le cas de l’écofiscalité
(Mireille Chiroleu-Assouline)

Où en est la fiscalité française ?


P. 35 1916-2016 : un système fiscal en transition permanente
(Gilbert Orsoni)
P. 42 Fiscalité française et compétitivité : une alliance sous
contraintes (Sarah Guillou)
P. 50 Système de prélèvements : de l’ajustement permanent à la réforme
(Guy Gilbert, Étienne Lehmann et Thierry Madiès)
P. 57 Système de prélèvement et redistribution (Jacques Le Cacheux)
P. 64 Dépenses fiscales et complexité fiscale : un « choix public »
(Benoît Le Maux)

La fiscalité demain
P. 72 Quel système fiscal dans un monde ouvert ? (Laurent Simula)
P. 81 Prélèvements obligatoires et protection sociale : quels enjeux ?
(Michaël Zemmour)
P. 89 Crise des finances publiques et évasion fiscale
(Jean-Marie Monnier)
P. 97 Fiscalité des entreprises : des contraintes de plus en plus fortes
dans un contexte très international (Gauthier Halba)
P. 104 L’avenir peut-il être juste fiscalement ? (Michel Bouvier)
La politique fiscale peut être définie comme l’utilisation du système socio-fiscal à des fins de
politique économique. Ainsi, à l’objectif initial des impôts et des autres prélèvements, c’est-à-
dire financer les dépenses publiques afin de produire des biens et des services publics, se
superposent d’autres objectifs, in fine bien plus complexes à mettre en œuvre : favoriser une
meilleure allocation des ressources et inciter à l’efficacité économique, contribuer à la stabi-
lisation économique et, enfin, assurer une redistribution des richesses. Laurent Simula rappelle
que l’arbitrage à trouver entre ces objectifs est d’autant plus difficile qu’il faut faire face à des
contraintes importantes – outre l’impératif constitutionnel de légalité, avant tout les distorsions
et la perte sèche induite par l’imposition – auxquelles s’ajoute la dimension internationale.
Problèmes économiques

La politique fiscale :
objectifs et contraintes
nature, qui correspondent du point de vue de
 LAURENT SIMULA l’analyse économique à des « impôts néga-
Professeur à l’université Grenoble Alpes tifs ». Le périmètre de la politique fiscale peut
donc être identifié à celui du système socio-
fiscal (voir Zoom).
La politique fiscale renvoie bien évidemment
à l’utilisation de l’impôt par la puissance Une politique publique est un ensemble
publique. Afin de l’appréhender dans son cohérent de mesures mises en œuvre pour
ensemble, il convient d’adopter une définition atteindre les fins poursuivies. Dans le cadre
large de la fiscalité. Cette dernière regroupe de la politique fiscale, ces mesures s’appuient
les impôts et taxes proprement dits, payés par sur les impôts (taux et bases) et les cotisations
les contribuables sans contreparties directes, sociales. Les marges de manœuvre sont cepen-
mais également les cotisations sociales dant largement contraintes par la dépense
assises sur les salaires qui participent au publique incompressible ou préengagée.
financement de la sécurité sociale dans une Nous définirons ici la politique fiscale
logique assurantielle. Impôts, taxes et cotisa- comme l’utilisation du système socio-fiscal
tions sociales sont agrégés sous le terme de à des fins de politique économique. Le che-
« prélèvements obligatoires ». Le champ de minement logique qui la sous-tend procède
la fiscalité ne se limite pas cependant à celui en trois temps : s’entendre sur les objec-
des prélèvements ; il comprend également les tifs poursuivis, déterminer le domaine des
prestations et transferts, monétaires ou en possibles et choisir au sein de celui-ci la

5 LA POLITIQUE FISCALE : OBJECTIFS ET CONTRAINTES


ZOOM Cotisations sociales et taxe sur les salaires
• Cotisations sociales salariales et patronales
que l’on distingue traditionnellement des
PETITE TAXINOMIE impôts dans la mesure où elles ont une
SOCIO-FISCALE contrepartie (de type « assurantiel ») et sont
affectées au financement de la protection
Le système socio-fiscal français se compose sociale. Notons que la protection sociale n’est
essentiellement des éléments suivants. pas seulement financée par des cotisations,
la CSG représentant environ le cinquième
Impôts directs
des recettes du régime général de la sécurité
• Impôts sur le revenu : impôt sur le revenu sociale.
des personnes physiques (IRPP), contribution
sociale généralisée (CSG), contribution au • Taxe sur les salaires, due par les
remboursement de la dette sociale (CRDS). employeurs qui ne sont pas soumis à la TVA
sur la totalité de leur chiffre d’affaires. Elle est
• Impôts sur le patrimoine : impôt de affectée aux organismes de sécurité sociale
solidarité sur la fortune (ISF), taxe foncière en compensation des allégements
(TF), droits de mutation à titre gratuit et de cotisations sociales.
onéreux (DMTG/DMTO).
• Impôts sur le capital : impôt sur les sociétés Prestations et transferts monétaires
(IS) qui taxe les bénéfices des entreprises, et en nature
cotisation foncière des entreprises. Prestations maladie et familiales, allocations
• Taxe d’habitation (TH). de chômage, retraites et diverses autres
formes d’allocations et d’aides sociales.
Impôts indirects
Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), taxe Laurent Simula
intérieure de consommation sur les produits
énergétiques (TICPE qui a remplacé la TIPP),
droits d’accise (sur les tabacs, l’alcool, etc.)…

politique qui s’approche le plus des objec- la société pour l’inégalité et s’expriment à
tifs – selon la démarche de James Alexander travers le vote de la législation fiscale).
Mirrlees (prix Nobel 1996) : « A good way of Les économies modernes sont des éco-
governing is to agree upon objectives, disco- nomies ouvertes. Dans ce contexte, quels
ver what is feasible, and optimize1 ». agents le gouvernement doit-il prendre en
[1]
Mirrlees J. A.
(2005), « The Theory
compte lorsqu’il définit l’objectif social ? of Optimal Taxation »,

Les objectifs de la politique fiscale Faut-il se limiter aux citoyens qui résident
sur le territoire national et payent l’impôt ?
dans Handbook
of Mathematical
Economics, 2e édition 2,
Comme toute politique économique, la Prendre en compte le bien-être de tous les volume 3, chapitre 24,
politique fiscale a un objectif final et des nationaux ou plutôt se fonder sur celui des p. 1197 à 1249, Elsevier.
objectifs intermédiaires multiples, par- contribuables, qu’ils disposent ou non de
fois contradictoires. Dans les démocraties la citoyenneté ? Ou, dans un cadre dyna-
modernes, l’objectif ultime est sans doute de mique, maximiser le bien-être d’une géné-
maximiser le bien-être de la population (la ration entière ? L’objectif final est difficile
somme pondérée des utilités individuelles, à atteindre et se trouve décliné en objectifs
les pondérations représentent l’aversion de intermédiaires.

Problèmes économiques MARS 2016 6


Lever les ressources nécessaires consommation sur les autres agents. L’une
à la production de biens des façons de les corriger consiste à intro-
duire une fiscalité corrective afin d’égaliser
et de services publics
les coûts marginaux privés et sociaux dans le
Tout d’abord, il est nécessaire de lever un cas des externalités négatives. On peut don-
impôt afin d’assurer les fonctions réga- ner l’exemple de la contribution climat éner-
liennes de l’État (police, justice et défense gie (CCE) mise en place en 2014. Elle comporte
nationale). Ainsi, l’article 13 de la Décla- une « composante carbone » proportionnelle
ration des droits de l’homme et du citoyen aux émissions de CO2. La taxe intérieure de
de 1789 dispose que « pour l’entretien de la consommation sur les produits énergétiques
force publique, et pour les dépenses d’ad- (TICPE) a comme objectif principal de finan-
ministration, une contribution commune cer la dépense publique (14  milliards en
est indispensable : elle doit être également 20154). Au contraire, l’État peut subvention-
répartie entre tous les citoyens, en raison de ner les agents (investisseur ou consomma-
leurs facultés ». teur) en cas d’externalités positives, afin de
les inciter à augmenter leur activité. Le crédit
Le libre jeu du marché ne permet pas de four-
impôt recherche introduit en 1983 et le cré-
nir les biens publics en quantité suffisante.
dit d’impôt innovation destiné aux petites et
Ces biens ou services sont consommés col-
moyennes entreprises (PME) instauré en 2013
lectivement, sans rivalité ni exclusion entre
[2} s’inscrivent dans cette logique. Ces taxes ou
La police, la justice les usagers2. Dans la mesure où de nombreux
et la défense nationale subventions, destinées à corriger les exter-
agents peuvent profiter de ces biens sans en
sont donc des exemples nalités, sont dites « pigouviennes », en l’hon-
de biens publics purs, payer le prix, le marché les produit spontané-
comme également le
neur de Charles Pigou.
ment en quantité insuffisante par rapport au
savoir et les techniques
niveau Pareto optimal3. Les pouvoirs publics La fiscalité peut également corriger les
après l’expiration
des brevets. doivent donc financer leur production, ou « internalités » – notion qui résulte des
bien créer des institutions chargées de pro- avancées récentes de l’économie comporte-
[3]
Un optimum de Pareto mentale. Celle-ci a notamment souligné que
est un état de la société téger ceux qui les produisent des comporte-
dans lequel on ne peut ments de « passagers clandestins ». les agents prennent souvent à court terme
pas améliorer le bien- des décisions qui ne maximisent pas leur
être d’un individu sans utilité sur l’ensemble de leur cycle de vie
détériorer celui Inciter à l’efficacité économique
d’un autre. (horizon temporel trop court de certains
[4]
et optimiser l’allocation des ménages ou biais comportementaux). Par
Voir également
l’article de Mireille ressources exemple, les jeunes actifs ne pensent pas
Chiroleu-Assouline dans toujours à l’importance de disposer d’une
ce numéro (p. 27). La fiscalité modifie les prix relatifs. En réo- épargne (privée ou collective) leur garantis-
rientant le comportement des agents, elle sant une protection contre les risques santé
peut contribuer à une meilleure efficacité ou vieillesse. La mise en place de la sécurité
économique. Par exemple, des allégements de sociale, financée en France par les cotisa-
charges sociales sur les bas salaires (réduc- tions sociales et l’impôt, vise pour partie
tion des cotisations patronales dues au titre à corriger ce problème. L’introduction de
des assurances sociales et des allocations taxes sur les tabacs et les alcools a égale-
familiales) ont été mis en place afin de dimi- ment à dessein de prévenir une consom-
nuer le coût du travail et de réduire le chô- mation dont l’agent ne perçoit le coût qu’à
mage des agents peu qualifiés. long terme. Elle comporte par essence
La fiscalité est aussi utile en présence d’ex- une dimension paternaliste ou tutélaire,
ternalités. On parle d’externalité lorsque puisqu’elle présuppose que l’État dispose
les arbitrages individuels ne tiennent pas d’une meilleure information que l’agent qui
compte des effets de la production ou de la prend la décision de consommer.

7 LA POLITIQUE FISCALE : OBJECTIFS ET CONTRAINTES


Œuvrer à la stabilisation nomie 1998, la condamnation de certaines
de l’économie inégalités s’accompagne du consentement à
[5}
d’autres inégalités5. Le champ et la nature Voir par exemple
Repenser l’inégalité,
Face à un choc conjoncturel de demande des inégalités constituent ainsi un des enjeux coll. « Point économie »,
(positif ou négatif), la politique fiscale de du débat démocratique. Éditions Le Seuil, 2012.
stabilisation agit sur la demande globale
L’analyse économique doit simultanément
(consommation des ménages + investisse-
tenir compte de ces débats et les dépasser.
ment + demande publique + demande externe
Ainsi, à titre d’exemple, il peut être utile de
ou exportation). En cas de surchauffe (écart
distinguer les inégalités résultant de choix
positif entre le niveau de croissance poten-
individuels des inégalités subies. John Roe-
tielle et l’activité économique à court terme),
mer dans Theories of Distributive Justice
une augmentation des prélèvements obliga-
(1998) développe une théorie fondée sur la
toires réduit la demande ; inversement, si le
responsabilité et les circonstances. Il dis-
produit intérieur brut (PIB) effectif est infé-
tingue un individu qui choisit délibérément
rieur au PIB potentiel, une politique de « tax
de travailler peu en raison de sa forte pré-
cut » (baisse des impôts sur le revenu, sur
férence pour le loisir (il est ainsi respon-
la consommation ou la production) peut sti-
sable de son revenu relativement faible et la
muler la demande. L’efficacité de cette poli-
société ne devrait pas le compenser) d’une
tique dépend du multiplicateur fiscal, d’au-
personne qui dispose d’un revenu faible en
tant plus élevé que la propension marginale
raison de la dégradation du marché du tra-
à consommer est forte, que la propension
vail (il est victime des « circonstances » et
marginale à importer est faible, ou que les
la politique publique devrait corriger cette
agents anticipent une hausse de la demande
inégalité subie).
et n’anticipent pas une hausse future des
impôts. Pour atteindre leurs objectifs, les La fonction de redistribution de la poli-
politiques de relance doivent donc combi- tique fiscale s’inscrit au cœur de ce débat.
ner des mesures fiscales, budgétaires, moné- On peut distinguer différentes formes de
taires et de change. redistribution.
Une politique fiscale peut également avoir • La redistribution verticale cherche à cor-
pour objectif la stabilisation ou l’augmen- riger des inégalités qui naissent de dif-
tation à long terme du trend de croissance férences dans les revenus primaires des
potentielle. Dans le cadre des théories de ménages. Un impôt doit être progressif pour
la croissance endogène, ce n’est pas le rendre la distribution initiale des revenus
volume des prélèvements mais la nature plus égale. Cela signifie que le montant de
des dépenses (investissements en infra- l’impôt payé doit augmenter avec le revenu.
structures, capital technologique ou capital En d’autres termes, le taux moyen d’impo-
humain via l’éducation) qu’elles financent sition (ratio entre impôt payé et revenu)
qui joue un rôle essentiel. doit croître avec le revenu. Un impôt qui
aurait la propriété inverse est dit régressif.
Redistribuer les richesses Le taux moyen doit être distingué du taux
marginal qui correspond au taux d’impo-
Dans les démocraties modernes, la lutte sition acquitté sur un euro supplémentaire
contre les inégalités constitue l’un des objec- de revenu. Il est tout à fait possible qu’un
tifs de la politique fiscale. L’ampleur des impôt ait un taux marginal croissant mais
mesures mises en œuvre à cette fin dépend un taux moyen décroissant. Au sein du
de la conception de la justice sociale partagée système fiscal cohabitent des impôts pro-
par la société et exprimée par le vote. Comme gressifs et régressifs. En France, trois élé-
l’a souligné Amartya Sen, prix Nobel d’éco- ments contribuent à la redistribution verti-

Problèmes économiques MARS 2016 8


Taux global effectif moyen d’imposition en France, par centile, en 2010 (en %)

60

50

40 . . Cotisations sociales et taxes sur les salaires

Taux d’imposition Impôts sur la consommation : TVA + autres


Impôts sur le capital : IS + TF + ISF + DMTG
30 Classes
Impôts sur le revenu : CSG + IRPP très aisées
Les 1 % les plus hauts

20 Classes aisées
Classes populaires Classes moyennes Les 10 % les plus hauts
Les 50 % des revenus Les 40 % du milieu
10 individuels les plus bas

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Percentiles de revenu individuel

P9
TVA : taxe sur la valeur ajoutée ISF : impôt de solidarité sur la fortune CSG : contribution sociale généralisée
IS : impôt sur les sociétés DTMG : droits de mutation à titre gratuit IRPP : impôt sur le revenu des personnes
TF : taxe foncière et onéreux physiques

Lecture : dans l’encadré Zoom, nous avons distingué impôts sur le capital et impôts sur le patrimoine ; ils sont ici agrégés sous la forme du grand
impôt sur le capital.
Source : Landais L., Piketty T. et Saez E. (2011), Pour une révolution fiscale, Éditions Le Seuil/La République des idées.

cale : l’impôt sur le revenu et les transferts (système d’assurances sociales) ou la soli-
sociaux ont un effet immédiat tandis que darité (transferts de ressources financés par
les impôts sur le capital et le patrimoine l’impôt). Par exemple, un couple sans enfant
limitent l’accumulation des richesses et la gagnant 3 000 euros par mois ne dispose pas
reproduction d’inégalités intergénération- du même niveau de vie qu’un couple avec deux
nelles. Les impôts linéaires comme la taxe enfants percevant le même revenu monétaire.
sur la valeur ajoutée (TVA) jouent un rôle Le dispositif du quotient familial, combiné
régressif dans la mesure où la propension aux allocations familiales et logement, a pour
à consommer des ménages diminue avec les dessein de réduire cette inégalité.
revenus. En coupe instantanée, il apparaît • On peut également introduire l’idée d’une
[6]
On a coutume de que le système socio-fiscal français est glo- redistribution géographique ou spatiale,
découper la population
balement peu progressif, et devient même entre zones riches et zones pauvres. Par
entre tranches de taille
égale lorsque l’on étudie régressif pour les derniers centiles6 de la exemple, des zones franches urbaines béné-
la distribution des population (voir graphique). ficiant d’aides spécifiques sous la forme
revenus. Si on découpe
la population en cent • La redistribution horizontale cherche à d’exonérations sociales et fiscales ont été
tranches d’effectifs corriger les risques sociaux aléatoires affec- mises en place depuis 1996. Il ne s’agit fina-
égaux, on appelle
chacune d’entre elles un
tant le revenu des ménages. La société peut lement que de l’inscription dans l’espace de
« centile ». souhaiter les compenser, par l’assurance la redistribution verticale.

9 LA POLITIQUE FISCALE : OBJECTIFS ET CONTRAINTES


La politique fiscale a donc des objectifs non forfaitaires. Prenons l’exemple de l’im-
intermédiaires multiples. Dans la mesure pôt sur le revenu. Il modifie les arbitrages
où le nombre des instruments fiscaux est travail/loisir. En raison de l’effet de substi-
limité, il est en pratique nécessaire de les tution, un agent riche peut avoir tendance
hiérarchiser et donc d’opérer des arbitrages, à travailler moins ou à réduire son niveau
et ce d’autant plus que plusieurs contraintes d’effort. L’agrégation de ces effets induit une
viennent limiter les marges de manœuvre du perte sèche pour la société (voir Complé-
décideur public. ment). Cette perte sèche dépend de la façon
dont l’assiette d’imposition réagit au taux de

Des arbitrages sous contraintes taxe (résumée sous le terme d’« élasticité »).
Pour être plus précis, la perte sèche est pro-
Le domaine des possibles de la politique fis- portionnelle à l’élasticité et augmente avec
cale résulte de la combinaison de différentes le carré du taux de taxe. Minimiser la perte
contraintes. Les premières sont d’ordre sèche requiert donc de lever l’impôt sur des
constitutionnel : en France, le Conseil consti- bases peu élastiques, comme les biens de
tutionnel examine la loi fiscale à l’aune de consommation courante. À l’inverse, le capi-
l’article 13 de la Déclaration des droits de tal ou les travailleurs les plus qualifiés, plus
l’homme et du citoyen, mentionné plus haut. mobiles internationalement, ne devraient
Nous nous concentrons ici sur les contraintes pas être trop taxés. En outre, il est préfé-
d’ordre économique. rable d’utiliser plusieurs petites taxes plu-
tôt qu’une seule. Ainsi apparaît un arbitrage
Distorsions et perte sèche entre efficacité et équité, entre la richesse
nationale et la distribution des revenus. De
Comme on l’a vu, il existe différents instru- façon imagée, la société doit arbitrer entre
ments fiscaux. Les économistes opèrent une la taille du gâteau et l’égalité des parts dis-
distinction entre les impôts forfaitaires et les tribuées. La théorie de la fiscalité optimale
impôts non forfaitaires. Les premiers peuvent fondée par J. A. Mirrlees a pour objectif de
être non personnalisés. Ils correspondent trouver le meilleur compromis entre justice
alors à un paiement identique effectué par et efficacité, compte tenu d’une conception
chaque contribuable, à l’image de la commu- donnée de la justice sociale.
nity charge instaurée par le gouvernement de
Margaret Thatcher en 19897. Les impôts for- Dans certains cas cependant, les politiques [7]
Cet impôt locatif
faitaires peuvent aussi être personnalisés. Il de redistribution peuvent contribuer à une forfaitaire par tête
faut alors qu’ils soient assis sur des caracté- meilleure efficacité. On peut citer les mesures frappait les foyers sans
distinction de revenu ou
ristiques que les agents ne peuvent contrôler, facilitant l’accès des ménages pauvres aux
de richesse. Jugé trop
comme la taille, le sexe ou l’âge. L’avantage soins médicaux (couverture médicale univer- inégalitaire, il provoqua
des impôts forfaitaires est qu’ils n’affectent selle) et à l’éducation, qui corrigent les iné- des émeutes (les poll
tax riots) et fut abrogé
pas les prix relatifs dans l’économie. Ils galités, mais contribuent aussi à l’augmenta- en 1991.
n’induisent donc aucun effet de substitution. tion de leur productivité et permettent donc
Leur introduction n’a qu’un effet de revenu des gains d’efficacité. En outre, de façon plus
ou de richesse. Ces impôts ont reçu une atten- générale, il semble y avoir sur le long terme
tion particulière car ils interviennent dans le une corrélation positive entre le niveau de
second théorème fondamental de l’économie la croissance potentielle et la faiblesse des
du bien-être. Cependant, utiliser la taille ou inégalités : les sociétés les plus riches sont
le sexe comme base fiscale n’est pas politi- moins inégalitaires que les plus pauvres.
quement pertinent. À la perte sèche s’ajoutent les coûts adminis-
Ainsi, la politique fiscale mobilise essentiel- tratifs de collecte et de contrôle (audit). Leur
lement des impôts et prestations sociales existence rend difficile la mise en place d’un

Problèmes économiques MARS 2016 10


impôt sur le revenu dans les pays en dévelop- lement les salariés qui supportent l’essen-
pement. Ces coûts diminuent avec le consen- tiel des impôts sur le facteur travail. Dans la
tement à l’impôt, qui revêt certes une dimen- même logique, certains transferts et presta-
sion sociale et culturelle, mais dépend aussi tions peuvent ne pas bénéficier entièrement
de l’utilisation transparente des recettes fis- aux agents auxquels ils sont destinés. Aux
cales par le décideur public. États-Unis par exemple, certains États dis-
tribuent des bons alimentaires (food stamps)
Les paradoxes de l’incidence fiscale à destination des ménages pauvres le pre-
mier du mois. On a constaté que les super-
Nous avons présenté les différents objectifs marchés se trouvant dans les zones habitées
de la politique fiscale. À des fins de redis- par de nombreux ménages pauvres augmen-
tribution, le gouvernement pourrait par tent leurs prix au début du mois9. L’aide ali-
exemple décider de taxer davantage les reve- mentaire se transforme pour partie en béné-
nus du capital. De façon assez paradoxale, fices réalisés par les supermarchés, puis en
rien ne garantit que cette fiscalité supplé- revenus pour leurs propriétaires. Les aides
mentaire réduise finalement les inégalités : fiscales à la construction peuvent dans le
les propriétaires de capitaux peuvent com- même esprit favoriser l’augmentation du prix
penser cet impôt en augmentant leurs reve- du mètre carré à la vente. Afin de quantifier
nus (hausse des prix) ou en réduisant leurs les effets du système socio-fiscal sur la dis-
charges (baisse des salaires) et « reporter » tribution initiale des revenus, il faut donc
l’impôt sur autrui. Pour apprécier l’effet construire un modèle de microsimulation
redistributif du système socio-fiscal, il faut qui permet d’affecter les impôts, transferts
donc se demander « qui paie quoi ? » et « qui et prestations, aux agents qui en subissent le
reçoit quoi ? ». L’incidence économique est poids ou en bénéficient.
plus complexe que l’incidence juridique !
À première vue, la fiscalité porte à la fois sur De nouveaux enjeux
les ménages et sur les entreprises. Cette dis-
tinction entre impôts sur les ménages et sur Dans des économies de plus en plus ouvertes,
[8]
Voir par exemple les entreprises n’a cependant aucun sens éco- il est difficile de taxer au niveau national les
Simula L. et Trannoy A.
nomique. Ce sont bien en effet les personnes assiettes les plus mobiles (capital et ménages
(2009), « L’incidence de les plus riches). Si les politiques fiscales
l’impôt sur les sociétés », physiques « en chair et en os » qui paient
Revue française l’intégralité des prélèvements obligatoires. restent définies au niveau national, la concur-
d’économie, no 3.
On rejoint ici l’un des enseignements fonda- rence entre pays conduit à la diminution des
[9] mentaux de la théorie de l’incidence fiscale : taux de prélèvement sur les agents aux capa-
Hastings J. et
Washington E. (2010), peu importe qui « envoie le chèque » au fisc, cités contributives les plus grandes. Faute de
« The First of the Month
la question est de savoir quelles sont les per- pouvoir taxer les actifs « nomades », les États
Effect: Consumer
Behavior and Store sonnes physiques qui subissent réellement transfèrent la charge fiscale vers les agents
Responses », American la charge fiscale : l’entreprise fait peser la les plus « riches » parmi ceux qui ne peuvent
Economic Journal:
charge de ses impôts sur ses fournisseurs, menacer, de manière crédible, de migrer,
Economic Policy, 2(2),
ses clients, ses employés et ses propriétaires ; c’est-à-dire vers les classes moyennes10. Cela
p. 142 à 162.
au niveau agrégé, c’est donc sur les ménages, peut provoquer une défiance envers le poli-
[10]
Lehmann É, Simula L.
chacun consommateur, salarié et propriétaire tique et réduire le consentement à l’impôt.
et Trannoy A. (2014), Dans ce contexte, il apparaît plus que jamais
« Tax Me If You Can! en des proportions variables, que pèsent fina-
Optimal Nonlinear lement les impôts sur les entreprises. nécessaire d’accroître la coopération et la
Income Tax Between coordination en matière fiscale, notamment
Competing Les analyses théoriques et estimations empi- au sein de l’Union européenne (UE).
Governments », riques suggèrent qu’une partie très substan-
Quarterly Journal of
Economics, 129(4),
tielle de l’impôt sur les sociétés (IS) repose in
p. 1995 à 2030. fine sur les épaules des salariés8. Ce sont éga-

11 LA POLITIQUE FISCALE : OBJECTIFS ET CONTRAINTES


POUR EN SAVOIR PLUS
™ BÉNASSY-QUÉRÉ A., ™ SAINT-ÉTIENNE C. et ligne : http://www.cae-eco.fr/
COEURÉ B., JACQUET P. et LE CACHEUX J. (2005), IMG/pdf/056.pdf).
PISANI-FERRY J. (2012), Politique « Croissance équitable ™ TRANNOY A. (2012), Il faut
économique, Éditions de et concurrence fiscale », une révolution fiscale,
Boeck, 3e édition (chapitre sur Rapport du Conseil d’analyse Eyrolles Les Échos.
la « Politique fiscale »). économique (disponible en

¶ COMPLÉMENT ABP’ et EDP’’. Il y a donc transfert partiel des


surplus du consommateur et du producteur
vers le surplus de l’État. Cependant, le surplus
Perte sèche et arbitrage total est amputé de la surface BCD, que l’on
appelle perte sèche de l’impôt. La perte sèche
équité/efficacité est au fondement du « coût marginal des
Les impôts non forfaitaires donnent lieu à fonds publics » : collecter un euro
des distorsions économiques. Pour l’illustrer, supplémentaire de revenu coûte plus qu’un
considérons un marché particulier, sans tenir euro à la société. Il est donc nécessaire
compte des interactions éventuelles avec de recourir à l’impôt avec parcimonie.
les autres marchés (équilibre partiel). Les
Laurent Simula
courbes d’offre et de demande sont
représentées sur le graphique. L’équilibre La perte sèche du système fiscal
initial correspond au prix P et à la quantité Q.
Le surplus du producteur – différence entre Prix
Offre + taxe
le prix que le producteur s’est fixé pour vendre A
un bien et le prix obtenu – est donné par le
triangle PCE ; le surplus du consommateur
par le triangle PCA. Une taxe sur la B Offre

consommation est introduite. La courbe
d’offre se déplace vers le haut. Les C
P
consommateurs réduisent leur demande au
niveau Q’. Le prix TTC s’élève alors à P’. P˝ D
La taxe unitaire est d’un montant P’–P’’.
Par conséquent, les recettes fiscales (produit E
de la taxe et des quantités échangées Q’) sont Demande
représentées par le rectangle bleu P’BDP’’.
O Q’ Q Quantité
Les surplus du consommateur et du
producteur sont respectivement réduits à Source : Laurent Simula.

Problèmes économiques MARS 2016 12


La stabilité et la sécurité du financement de l’action publique sont une priorité absolue. Ainsi,
en matière de politique fiscale, les États ont intérêt à faire appel à des bases fiscales stables,
faciles à recouvrir et dont la demande est peu élastique au prix. La forte croissance des
dépenses publiques depuis 1950 et la multiplication des objectifs attribués à la fiscalité ont
conduit à une charge fiscale toujours plus élevée et à des systèmes fiscaux de plus en plus
complexes. Cette quête de rendement rencontre néanmoins des limites théoriques et pratiques,
comme le rappelle Alexandre Dumont, car « trop d’impôt tue l’impôt ». Aujourd’hui, la priorité
en matière de maximisation des recettes fiscales se trouve plutôt du côté de l’harmonisation
fiscale et de la lutte contre la fraude fiscale.
Problèmes économiques

L’État maximise-t-il
les recettes fiscales ?
 ALEXANDRE DUMONT tif de soutenabilité des finances publiques2 ».
Par conséquent, la question de l’optimisation
Doctorant à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, et de la maximisation des recettes fiscales de
Chargé de mission à Fondafip l’État apparaît aujourd’hui essentielle.
Dans de nombreux pays, le niveau de la charge
En 2015, selon l’estimation du ministère des socio-fiscale plafonne en effet à des niveaux
Finances et des Comptes publics, le taux des historiquement hauts : pour l’année 2014,
prélèvements obligatoires (TPO) a atteint l’Organisation de coopération et de dévelop-
44,6 % du produit intérieur brut (PIB), un pement économiques (OCDE) fait état d’une
taux qu’il convient de mettre en relation pression des prélèvements obligatoires – soit
avec la volonté de rééquilibrer les finances les impôts, taxes et cotisations  –  remontée
publiques. Dans cette logique – et l’analyse de à des niveaux record dans les pays dévelop-
l’évolution de la structure du système fiscal pés (34,4 % du PIB). Le précédent record était
français le montre –, la relative stabilisation enregistré en 2000 (34,2 %). La charge la plus
[1]
Voir tableau ci-joint. des recettes fiscales de l’État1 pourrait être élevée est enregistrée au Danemark (50,9 %
[2]
Bouvier M. (2013),
très prochainement remise en cause compte du PIB), suivi de la France (45,2 %3) et de la
« Un système fiscal en tenu de l’importance des déficits publics. Belgique (44,7 %). À l’autre extrémité du clas-
transition », Cahiers Ainsi, selon Michel Bouvier, « dans la récente sement figurent le Mexique (19,5 %), le Chili
français, no 373,
La Documentation période, la fiscalité a fait l’objet d’une mobili- (19,8 %), la Corée du Sud (24,6 %) et les États-
française, p. 2. sation accrue en liaison directe avec l’impéra- Unis (26 %).

13 L’ÉTAT MAXIMISE-T-IL LES RECETTES FISCALES ?


1. Évolution de la charge fiscale des ménages et des entreprises ainsi que du taux de prélèvements
obligatoires en France (2005-2015) (en % du PIB)

20,0 46,0
[3]
L’OCDE utilise
18,9 18,8 44,9 un classement de
19,0 45,0 prélèvement qui diffère
de celui utilisé par le
44,5 ministère des Finances et
44,1 17,9 des Comptes publics en
18,0 44,0
France, ce qui explique la
18,0 — 0,8 pt de PIB différence entre les TPO
de l’OCDE et celui fourni
17,0 17,1 43,0 par le ministère français.
17,3
La notion de prélèvement
obligatoire est un concept
42,6 16,0 dont les frontières
16,0 42,0
sont imprécises et dont
15,9 l’interprétation est
+ 1,4 pt de PIB complexe. C’est la raison
15,0 41,0 pour laquelle les analyses
des TPO sont susceptibles
41,0 d’évolutions différentes
d’un pays à un autre.
14,0 14,5 40,0 Voir : Conseil des
14,4
prélèvements obligatoires
14,1 (2008), Sens et limites
de la comparaison des
13,0 39,0
taux de prélèvements
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 obligatoires entre les
(p) pays développés, Rapport,
La Documentation
Charge fiscale des ménages (échelle de gauche) Taux de prélèvements obligatoires (échelle de droite) française, Paris, 80 p.
Charge fiscale des entreprises (échelle de gauche) (p) : prévision [4]
Le poids de l’État
français a évolué au cours
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données et du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances des années en fonction de
pour 2016), cité dans : Rapport général no 164 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, l’accroissement du PIB.
déposé le 19 novembre 2015.
13 % en 1913,
l’intervention financière

Les instruments de maximisation qui portent sur les biens et services dont la de l’État est actuellement
de 56 %.
demande est peu élastique aux variations du
des recettes fiscales
[5]
Conan M. (2008),
prix satisfont à ces critères. Cependant, les
« Gaston Jèze et l’utilité
premiers sont souvent mal acceptés par la de la dépense publique.
Avant de vouloir maximiser les recettes fis- population (question d’équité), les seconds L’élaboration d’une
cales, tout État ou collectivité doit d’abord théorie générale des
ont généralement un effet régressif (sur- dépenses publiques »,
s’assurer d‘un rendement fiscal stable et tout si les impôts touchent les biens de pre- Revue du Trésor, no 2,
rentable. Dans ce contexte, le choix de la mière nécessité). Ces contraintes conduisent p. 159.
matière fiscale est primordial. Il est ainsi à la multiplication des bases et taux et – in [6]
Bargain O. (2014),
dans l’intérêt de l’État de choisir des bases fine – à la complexification des systèmes Rapport particulier sur
les enjeux budgétaires
faciles à recouvrir qui minimisent les com- fiscaux. La recherche de financement est en et économiques de la
portements d’évitement (effet désincitatif même temps fondamentale pour les États, réforme de l’imposition
des revenus des ménages,
comme dans le cas de l’impôt sur le revenu, compte tenu de l’ampleur que représentent Partie 2 : Enjeux
effet de substitution comme dans le cas des aujourd’hui les dépenses publiques4. Ainsi, et principes d’une
impôts portant sur les biens et services) et et comme l’a si magnifiquement rappelé refonte du système
redistributif français,
qui ne varient pas trop avec le cycle éco- Gaston Jèze, « il y a des dépenses, il faut les Conseil des prélèvements
nomique. Des impôts forfaitaires et ceux couvrir5 ». obligatoires, octobre, 83 p.

Problèmes économiques MARS 2016 14


[7]
Le législateur a
Évolution des prélèvements obligatoires sur la période 2006-2015 (en milliards d’euros)
souhaité en premier lieu
accroître les taux de la 2015
taxe sur la valeur ajoutée 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
(prévision)
(TVA) et de l’imposition
sur le revenu des État 256,4 259,4 264,3 217,6 264,9 259,2 276,5 302,2 287,3 292,6
personnes physiques
(IRPP), avant de décider, Organismes divers
en second lieu, de limiter d’administration 10,4 10,8 10,6 11,5 12,9 16,4 16,9 19,9 15,579 14,252
cette hausse. centrale (ODAC)
[8]
Cette constatation a
Sources : Rapport sur les prélèvements obligatoires et leurs évolutions (PLF 2013) et Rapport sur l’évaluation des voies et
été mise en évidence dès
moyens, Tome 1 : Recettes (PLF 2015).
1844 par un ingénieur
et économiste français,
Arsène-Jules Émile La mobilisation des ressources fiscales de sous l’angle de la concurrence fiscale. Enfin,
Dupuis. Voir Bouvier M.
(2014), Introduction au
l’État peut prendre différentes voies. On il convient de s’interroger sur les méca-
droit fiscal général et peut observer que, en France, trois disposi- nismes de lutte contre la fraude fiscale.
à la théorie de l’impôt, tifs ont été pratiqués jusqu’alors. Le premier
LGDJ, coll. « Systèmes
fiscalité », 12e éd., p. 253
et suivantes.
concerne l’élargissement des bases impo-
sables. Ce dispositif est employé générale- La recherche d’un système fiscal
[9]
Orsoni G. (2014), « La
politique fiscale en
ment pour atteindre une meilleure réparti-
tion de la charge fiscale et assurer une plus
« optimal »
matière d’impôt sur le grande neutralité et équité de l’impôt sur La volonté pour un État de posséder un sys-
revenu. Quelle logique ?
Quelle perspective ? », le revenu6. Le deuxième consiste à accroître tème fiscal qui optimise le rendement est
RFFP, no 126, p. 27 et les taux de l’imposition. Comme la pression ancienne. La conception selon laquelle « des
suivantes ; Orsoni G. fiscale française est l’une des plus lourdes hauts taux tuent les totaux » se retrouve de
(2011), « Évolution de
la dépense fiscale », des pays développés, cette piste n’a été que tout temps lorsque l’on étudie avec précision
Gestion et Finances partiellement retenue7. Toutefois, le taux l’histoire de la fiscalité. Déjà, en 1705, le maré-
publiques, no 11, p. 838 doit rester justifié et maintenu à un niveau chal Sébastien Le Preste de Vauban, lorsqu’il
et suivantes.
considéré comme acceptable pour éviter une souhaitait établir son projet de dîme royale,
[10]
Actuellement, il
révolte fiscale. Cette conception est en par- a fondé une partie de son raisonnement sur
en existe plus de 400.
Ces exonérations tie étayée par les théoriciens américains de la rentabilité d’un impôt dont le taux devait
représentent une perte l’offre, comme Arthur Laffer. D’après eux, être simple et unique pour ne pas décourager
de revenu pour l’État
de 71 milliards d’euros
« trop d’impôts tue l’impôt8 » (voir infra). Le l’activité économique12. Adam Smith, quant à
en 2014. troisième, qui rejoint le premier, consiste à lui, soulignait en 1776 que « d’un côté l’impôt
[11]
Bouvier M. (2013), réduire les dépenses fiscales9. Appelées éga- oblige le peuple à payer, de l’autre il dimi-
« Un système fiscal en lement « niches fiscales » ou encore « fiscalité nue ou peut-être anéantit quelques-unes des
transition », op. cit., p. 7. dérogatoire », la finalité de ces allégements sources qui pourraient le mettre plus aisé-
[12]
Pour Sébastien est de soutenir l’activité économique10. ment dans le cas de le faire13 ». Enfin, selon
Vauban, son taux Jean-Baptiste Say, « un impôt exagéré détruit
marginal ne devait pas Selon Michel Bouvier, « il est indispensable
dépasser 30 %. Voir de concilier une fiscalité qui ne pèse pas la base sur laquelle il porte ».
Vauban S. Le Preste de Ces conceptions sont redécouvertes à la fin des
(2013), La Dîme royale,
trop sur la consommation des ménages et
L’Harmattan, coll. qui ne soit pas non plus un frein pour l’in- années 1970. L’École de la théorie de l’offre,
« Finances publiques », vestissement des entreprises11 ». Les trois courant néoclassique prenant son essor pra-
Paris.
voies que nous avons brièvement évoquées tique, d’une part, lors du gouvernement de
[13]
Smith A. (1991), rencontrent toutes certaines limites. C’est Margareth Thatcher en Grande-Bretagne,
Recherches sur la
nature et les causes de pourquoi nous proposons de considérer la d’autre part, lors de la présidence de Ronald
la richesse des nations, question de l’optimisation des recettes fis- Reagan aux États-Unis, dans un contexte
liv. 5, chap. II, sect. 2, cales de l’État sous trois angles différents. de déréglementation et de libéralisation des
« Des impôts », Paris,
Flammarion, D’une part, il s’agit de l’envisager sous un marchés, condamne toutes les politiques fis-
coll. « Champs ». axe théorique, d’autre part, de l’analyser cales d’inspiration keynésienne. Par consé-

15 L’ÉTAT MAXIMISE-T-IL LES RECETTES FISCALES ?


2. La courbe de « Laffer » fiscales sur les entreprises et de réduire la
[14]
pénalisation du travail et de l’épargne14. À par- Bouvier M. (2008),
« Il faut changer le
tir de ce moment, les animateurs des révoltes territoire de la fiscalité
Rentrées
fiscales fiscales ont pu justifier les revendications à en créant des taxes
l’encontre d’impôts iniques ou injustes comme internationales », Le
Monde, septembre.
en 1978 avec le référendum d’initiative popu-
Taux Taux
acceptables dissuasifs laire appelé « proposition  13 » en Californie, [15]
L’on peut citer, par
destiné à limiter la fiscalité foncière, lancé exemple, l’Economic
Recovery Tax Act, signé
0% 100 % par Howard Jarvis et l’association de contri- par Ronald Reagan
Taux d’imposition
buables Howard Jarvis Taxpayers Association. en 1981. Ce texte
comprenait plusieurs
Source : site internet L’Investisseur. La « courbe de Laffer » a connu une prospérité mesures qui aboutirent
inattendue tant dans le milieu politique qu’uni- à une baisse des taux
moyens et marginaux
quent, les économistes de l’offre s’élevèrent versitaire. Cette vision qui, on l’a vu, souligne des impôts sur le travail
contre la pression fiscale des États. Arthur l’idée qu’« à un moment donné l’impôt tue la et sur le capital. Entre
Laffer est, selon nous, considéré comme son confiance » a été le fondement conceptuel et 1981 et 1983, les recettes
de l’impôt sur le revenu
principal représentant. Présentant son gra- idéologique des politiques fiscales mises en fédéral avaient diminué
phique en 1978 (voir graphique 2), il envisa- place à partir de 198015. Toutefois, une partie de 2,8 % par an. Puis,
geait d’apporter une explication scientifique de la doctrine économique de l’offre l’a contes- entre 1983 et 1986, ces
recettes augmentèrent
au tassement des recettes des États et de tée et critiquée car, ne prenant pas en compte de 2,7 % par an en
montrer l’existence d’un plafond de recettes ni les coûts de bien-être de l’impôt ni l’utilité moyenne. Lors de la
fiscales. En liant le taux d’imposition et les marginale de la dépense financée, elle se limi- même période, le taux
marginal supérieur
recettes fiscales obtenues, A. Laffer analyse tait au final à justifier une volonté gouverne- de l’impôt sur le
l’évolution des recettes en fonction du taux mentale de baisse des recettes fiscales. revenu fédéral passa
progressivement de 70 %
marginal d’imposition. Il défend l’idée selon en 1981 à 28 % en 1988.
laquelle il existe un niveau maximal de taxa-
tion au-delà duquel le produit de l’impôt dimi- Éviter la concurrence fiscale Cette baisse du taux
d’impôt fut suivie
d’un accroissement
nue. Ainsi, lorsque le taux d’imposition est à des rentrées fiscales
zéro pour cent ou à son niveau maximum, son Le défi de l’harmonisation de plus de 30 % entre
rendement est évidemment nul. 1982 et 1989.
La quête de rendement en matière fiscale ne
Par ailleurs, il indique également que le com- peut pas s’étudier sans prise en compte de la
portement rationnel des agents économiques, concurrence fiscale. L’achèvement du marché
pour échapper à l’impôt, conduit à une perte unique européen, ainsi que l’amplification de
de ressource importante pour l’État. D’une la mobilité des capitaux, des sociétés et des
part, l’effet désincitatif de l’impôt sur le tra- personnes physiques à hauts revenus illustre
vail amène les agents à se consacrer à des ce point. L’intégration en 2004 des pays d’Eu-
activités moins taxées ou à épargner. D’autre rope centrale et orientale, aux coûts sala-
part, des contribuables sont tentés de procé- riaux plus faibles, a amplifié les risques de
der à des actions d’évasion et de fraude fis- « dumping fiscal ».
cales. L’exemple de la France donne une idée
Faute d’une véritable politique de solida-
de ces mécanismes : malgré la hausse du
rité financière européenne, ces pays sont
TPO, les recettes fiscales n’ont pas toujours
souvent acculés à des choix non coopéra-
suivi la même direction (voir tableau).
tifs. La France est concernée par ces choix.
A. Laffer, dans la continuité d’A. Smith, de En effet, selon les économistes Christian
David Ricardo ou de J.-B. Say, appelle de ses Saint-Étienne et Jacques Le Cacheux, les
vœux un impôt modéré qui, en étant lié à une faiblesses du système fiscal français face
politique de réduction des taux d’imposition, à la concurrence sont nombreuses : « La
permettrait de diminuer le poids des charges fiscalité directe pesant sur les revenus des

Problèmes économiques MARS 2016 16


ZOOM partie du montant de l’impôt sur le prix de vente
au consommateur). Cette fiscalité, considérée
comme neutre et indolore, est également plus
LE CHOIX DE LA MATIÈRE simple à recouvrer.

IMPOSABLE Dans l’absolu, tout peut être considéré comme


une matière imposable. L’histoire de la fiscalité
Selon Christophe de la Mardière, « la base nous enseigne, en effet, que la plupart des
imposable, ou base d’imposition, suppose biens et des possessions des contribuables ont
elle-même d’identifier la matière imposable, été soumis à l’impôt. L’on peut citer quelques
autrement dit le bien sur lequel l’imposition exemples à travers les différents régimes qui
va porter(1) ». Ainsi, elle peut être le revenu, se sont succédé :
le capital ou la dépense. – les impôts révolutionnaires concernaient
essentiellement le foncier (contribution foncière
En termes d’instruments, l’État et les
et contribution mobilière) ;
administrations territoriales ont recours à :
– les impôts de la IIIe République : le revenu
– l’impôt (un prélèvement obligatoire effectué par
(impositions générale et cédulaire sur le revenu) ;
voie d’autorité sur les ressources des personnes
– les impôts de la IVe République : le revenu des
résidentes ou y possédant des intérêts pour
personnes morales (impôt sur les sociétés) et la
couvrir les dépenses d’intérêt général à titre
consommation (la taxe sur la valeur ajoutée).
définitif et sans contrepartie) ;
– la taxe (un prélèvement assorti d’une Aujourd’hui, les principales ressources fiscales
contrepartie de l’utilisation effective d’un service de la France sont d’abord la taxe sur la valeur
public ou d’ouvrage public ; toutefois, cette ajoutée (TVA) (192,6 milliards d’euros en 2015).
contrepartie reste secondaire car elle peut être Elle est suivie de deux types d’imposition sur
exigée des usagers effectifs mais également le revenu (impôt direct) : l’impôt sur le revenu
des usagers potentiels) ; des personnes physiques (IRPP, 76 milliards
d’euros en 2015) et l’impôt sur les sociétés
– la redevance (un prélèvement non fiscal
(IS, son montant étant d’environ 60 milliards
demandé à l’occasion d’un service effectif
d’euros et son taux variant en fonction du résultat
rendu à l’usager).
des sociétés, 15 % ou 33,33 %). La taxe intérieure
L’impôt peut être direct ou indirect. Dans le de consommation sur les produits énergétiques
premier cas, il est dû nominativement par une (TICPE) assure à elle seule environ 14 milliards
personne physique ou morale. Taxant le capital ou d’euros ; elle est la quatrième ressource fiscale
le revenu, il est périodique et fait généralement de l’État. Enfin, la contribution sociale généralisée
l’objet d’un recouvrement par voie de rôle (CSG), instaurée en 1991 (91,5 milliards d’euros
(autrement dit établi par l’intéressé). L’impôt en 2014) et dont le rendement la place devant l’IR
direct est donc supporté et payé par la même est, quant à elle, affectée au financement de la
personne (cet individu ne pouvant pas transférer sécurité sociale et non pas au budget général.
sa charge fiscale). L’impôt indirect est, quant à
lui, collecté par une autre personne que celle qui Alexandre Dumont
en supporte le coût (la personne intermédiaire (1) Mardière C. de la (2012), Droit fiscal général,
qui paye l’impôt à l’État répercute tout ou une Flammarion, coll. « Champs université », Paris, p. 35.

ménages est progressive et très concentrée avec un impôt sur la fortune, les entreprises
sur un nombre relativement réduit de contri- supportent en France des taux d’imposition
[16}
Un cinquième des buables16, le taux marginal d’imposition sur effectifs du capital qui sont parmi les plus
foyers fiscaux les plus
élevés acquittent
le revenu des personnes physiques reste importants. Avec la globalisation financière,
pratiquement neuf supérieur en comparaison au barème prati- l’intégration croissante de l’UE, on le sait, a
dixième du produit de qué par les membres de l’Union européenne rendu plus facile la mobilité des assiettes
l’impôt sur le revenu des
personnes physiques.
(UE), la France est l’un des derniers pays à fiscales (changements de résidences, délo-
imposer le patrimoine des personnes privées calisation, manipulation des prix de trans-

17 L’ÉTAT MAXIMISE-T-IL LES RECETTES FISCALES ?


fert, déplacements comptables des béné- L’exemple le plus abouti de cette volonté
fices vers les pays les moins imposés)17. » d’harmonisation concerne le rapprochement [17]
Saint-Étienne C. et
Par conséquent, une pression s’est exercée des impôts indirects, avec le choix d’élaborer Le Cacheux J. (2005),
Croissance équitable
sur les systèmes fiscaux des différents pays des règles communes de taxe sur la valeur et concurrence fiscale,
membres et un nombre croissant a de ce ajoutée (TVA). Initiée par la première direc- Conseil d’analyse
économique, La
fait proposé des impôts à assiette large, à tive TVA de 1967 et sans cesse renouvelée, Documentation
barèmes simples et à taux marginaux extrê- l’harmonisation de la TVA a permis d’atté- française, Paris, 336 p.
mement bas et ce, tant sur les revenus des nuer les atteintes à la libre circulation des [18]
Plusieurs pays ont
personnes physiques que sur les bénéfices marchandises et à la libre prestation des ser- adopté la flat tax. Parmi
les exemples les plus
des entreprises. La flat tax a été élaborée vices. Néanmoins, l’assiette de la TVA n’a pas éloquents, l’on peut
dans cette optique comme un impôt direct à été totalement harmonisée à l’échelle euro- citer les pays baltes à
taux unique18. Face à ces évolutions, le gou- péenne. Quant à ses taux, s’ils ne sont tou- partir de 1990 (Estonie,
Lettonie et Lituanie avec
vernement français est contraint à accélérer jours pas fixés par les autorités européennes des taux respectifs de
ses projets de réforme fiscale19. et sont très hétérogènes selon les membres de 24 %, 25 % et 33 %),
la Slovaquie, avec un
Toutefois, l’harmonisation est explicite- l’Union, ils sont encadrés par les règles com-
taux de 19 % qui est
ment rejetée, d’une part, par le Royaume-Uni, munautaires (les taux standards varient de la pierre angulaire de
d’autre part, par l’Irlande. D’ailleurs, une 17 % pour le Luxembourg à 27 % pour la Hon- son système fiscal, la
Roumanie avec un taux
majorité des pays d’Europe centrale et orien- grie). La TVA reste cependant la seule harmo- de 16 % depuis le
tale souhaitent s’engager dans une concur- nisation qui se veut aboutie. 1er janvier 2005 et,
en dehors de l’UE,
rence fiscale afin d’accélérer leur rattrapage En ce qui concerne les impôts directs, la la Russie avec un taux
économique. Selon Christian Saint-Étienne et législation se révèle plus embryonnaire. En de 13 % depuis le
1er janvier 2001. Pour
Jacques Le Cacheux20, il est possible, dans un effet, qu’il s’agisse des impôts sur les socié- une analyse complète,
contexte de concurrence fiscale, de concevoir tés, sur l’épargne ou sur les hauts revenus, un Hall R. E. et Rabushka A.
des réformes fiscales en maintenant le mon- code de conduite a été adopté, mais ses effets (2007), The Flat Tax,
Hoover Institution
tant total des recettes publiques. En effet, sont extrêmement limités. Toutefois, c’est une Press ; Bouvier M.
d’après leur étude réalisée en 2005, le produit étape importante dans le processus d’harmo- (2014), Introduction au
droit fiscal général et
des impositions serait préservé tout en abais- nisation, car c’est par la discipline fiscale à la théorie de l’impôt,
sant les taux marginaux sur les revenus les établie par des règles de bonne conduite que LGDJ, coll. « Systèmes
plus mobiles des personnes tant morales que l’on pourra veiller au bon fonctionnement fiscalité », 12e éd.,
p. 255 à 256.
physiques. de la concurrence fiscale. Ainsi, faisant suite
[19]
au rapport Ruding de 1992, la Commission Voir l’article de
Guy Gilbert, Étienne

La coordination en pratique européenne a adopté le 1er décembre 1997


un « pack fiscal » qui s’engage dans une
Lehmann et
Thierry Madiès dans
ce numéro (p. 50).
L’UE, qui constitue un espace fortement inté- lutte contre la « concurrence fiscale dom-
[20]
mageable21 ». La question des hauts revenus, Saint-Étienne C. et
gré tant sur le plan économique que dans Le Cacheux J. (2005),
le domaine juridique, souligne la nécessité étant une compétence nationale, n’a toutefois op. cit.
d’une coordination fiscale plus intense, afin pas été abordée jusqu’alors. [21]
Les principales
d’assurer le maintien de l’équilibre euro- mesures de ce rapport
sont les suivantes : la
péen. L’instauration d’une discipline fiscale
passe en premier lieu par des réformes fis- La lutte contre la fraude et l’évasion rédaction d’un code
de conduite dans le
cales dans les États, afin de réduire les dis-
parités de systèmes d’imposition et de se
fiscales domaine de la fiscalité
des entreprises et la
détermination d’un taux
débarrasser d’archaïsmes. Cette propaga- La lutte contre la fraude fiscale et, par consé- minimum d’imposition
quent, le contrôle fiscal est l’un des enjeux des revenus de l’épargne.
tion de réformes des systèmes d’imposition
Concrètement, ces
est complétée par des mesures d’harmoni- majeurs de souveraineté et surtout de redres- dispositifs ont permis
sation des fiscalités européennes, dans le sement des comptes publics. D’ailleurs, c’est de révéler 96 régimes
dommageables, dont la
domaine de l’imposition sur les biens et les une condition fondamentale pour faire res- quasi-totalité ont été
services, sur les sociétés et sur le capital. pecter le principe d’égalité devant l’impôt. réformés ou supprimés.

Problèmes économiques MARS 2016 18


La fraude fiscale porte atteinte à deux élé- tion fiscale de réaliser des saisies simplifiées
ments que l’on pourrait penser comme en vue du recouvrement des créances. Il
opposés. D’une part, elle viole le principe existe plusieurs dispositifs de lutte contre
de solidarité nationale en faisant reposer la fraude fiscale. La Délégation nationale à
l’impôt sur les seuls contribuables qui res- la lutte contre la fraude, créée par décret du
pectent leurs obligations fiscales. D’autre 18 avril 2008 et placée auprès du ministre du
part, elle crée une rupture aux conditions Budget et des Comptes publics, a pour mis-
d’une concurrence loyale entre les acteurs sion le pilotage de la coordination des admi-
économiques. Ensuite, le contrôle fiscal nistrations et des organismes publics en
vise à recouvrer l’impôt éludé et à exercer charge, chacun dans son domaine, de la lutte
une fonction répressive via la sanction. Elle contre la fraude aux finances publiques.
suppose la réunion de plusieurs éléments, Cette délégation a pour but de profession-
le premier légal (le non-respect du droit naliser les démarches d’échange entre orga-
en vigueur), le deuxième matériel (l’impôt nismes, d’assurer l’absence de déperdition
éludé) et le troisième moral (faute intention- d’informations entre entités, de mettre en
nelle ou non intentionnelle). évidence les mesures à prendre pour com-
La fraude fiscale est constituée du manque à bler les lacunes juridiques ou les failles opé-
gagner provenant de sommes que l’État n’a rationnelles des dispositifs antifraudes.
pas perçues du fait de la violation du droit. Enfin, au niveau international, le projet le
[22]
On peut citer par
La volonté d’éluder l’impôt et ses modalités plus abouti actuellement de lutte contre la
exemple les pénalités pratiques diffère selon la gravité de la fraude. fraude est le BEPS (Base Erosion and Profit
simples, les pénalités Elle va de la « petite » fraude (travail non Shifting ou encore Érosion de la base d’impo-
exclusives de bonne
foi, les majorations
déclaré aux administrations sociale et fis- sition et transfert de bénéfices). Il représente
pour manœuvres cale) à la « grande » fraude (carrousel TVA) en l’ensemble de recommandations proposées
frauduleuses ou les passant par l’ignorance des règles juridiques par l’OCDE dans le cadre du projet OCDE/
sanctions pénales.
qui se traduit par un manquement aux obli- G20 pour une approche internationale coor-
[23]
Selon l’OCDE, gations fiscales. Dans ce cas, comme dans le donnée de la lutte contre l’évasion fiscale de
la planification et cas d’une fraude avérée et « volontaire », il y a la part des entreprises multinationales23. Ces
l’optimisation fiscales
des multinationales une rectification. Mais le panel des sanctions mesures ont pour objet d’établir un ensemble
coûtent, chaque applicables22 vient par la suite qualifier la unique de règles fiscales internationales pour
année, entre gravité de la fraude. mettre fin à l’érosion des bases d’imposition
100 milliards et
240 milliards de dollars Parmi ses objectifs, la lutte contre la fraude et au transfert artificiel de bénéfices vers cer-
qui ne rentrent pas
fiscale, on l’a vu, a bien une finalité budgé- tains pays ou territoires dans le but de se
dans les caisses des
États (www.oecd.org/fr/ taire. C’est pour cette raison que le législa- soustraire à l’impôt.
fiscalite/beps.htm). teur a donné la possibilité pour l’administra-

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BOUVIER M., ESCLASSAN M.-C. général et à la théorie de ™ NEURISSE A. (1978), Histoire
et LASSALE J.-P. (2015), Finances l’impôt, LGDJ, coll. « Systèmes de l’impôt, PUF, coll. « Que
publiques, LGDJ, coll. fiscalité », 12e éd., 304 p. sais-je ? », Paris, 118 p.
« Manuel », Paris, 14e éd., 895 p. ™ DELALANDE N. et SPIRE A. ™ RFFP no 124-2013 – La justice
™ BOUVIER M. (2014), (2010), Histoire sociale de fiscale au Canada et en
Introduction au droit fiscal l’impôt, La Découverte. France, LGDJ.

19 L’ÉTAT MAXIMISE-T-IL LES RECETTES FISCALES ?


En matière fiscale, le contribuable et son administration semblent d’emblée sur un pied
d’inégalité. Certes, le Code général des impôts fixe les droits et devoirs des deux parties,
mais l’acte d’imposition implique inévitablement une notion de morale et de psychologie.
Mieux comprendre la nature humaine et ses composantes cognitives et sociales en
matière fiscale est alors un élément qui mérite pleinement l’attention lors de la conception
des politiques fiscales. Cécile Bazart montre comment la psychologie fiscale permet plus
de réalisme dans l’analyse de l’acceptation du système et des réactions à la fiscalité. Le
consentement à l’impôt n’est par ailleurs pas une donne invariable. L’offre de service aux
contribuables afin d’établir un véritable « contrat fiscal » est un moyen de renforcer l’ac-
ceptabilité fiscale.
Problèmes économiques

Fiscalité : une affaire de


psychologie et de morale
La fiscalité est, comme bien d’autres ques-
 CÉCILE BAZART
tions, un sujet d’étude pour de nombreuses
sciences sociales : droit, économie, histoire, Maître de conférences en économie à l’université de Montpellier
sociologie, psychologie… Si le sujet étudié
est commun, c’est bien la technique d’étude
qui diffère. L’actuelle pression sur les bud-
gets publics, la multiplication des scandales
La psychologie fiscale,
plus ou moins médiatisés de fraude ou d’éva- parent pauvre des politiques fiscales
sion fiscale, ainsi que le retour des révoltes
fiscales (les « bonnets rouges ») ont remis le La perception et la représentation
prélèvement, son organisation et surtout sa de l’impôt
légitimité au centre des débats. Cela n’a fait
que mettre en exergue les synergies qu’en- L’impôt est par définition un prélèvement
tretiennent, en particulier, l’économie et la obligatoire, sans contrepartie directe,
psychologie pour définir et discuter le bien- acquitté par le citoyen pour financer l’État.
fondé du prélèvement, son efficacité comme Il découle d’une logique initiale de solidarité
son acceptabilité, ainsi que les opportunités et de participation à l’intérêt général. L’im-
d’amélioration du système. pôt est d’autant plus facilement accepté et
acquitté qu’il est compris et validé. La perte

Problèmes économiques MARS 2016 20


de sens du devoir en matière fiscale s’exprime et de la « psychologie économique » qui com-
à l’opposé par un évitement croissant, voire plètent l’approche économique standard. Car
banalisé, de l’impôt. L’acceptation de la fis- il apparaît clairement que les êtres humains
calité est donc, en premier, tributaire de la ont des capacités cognitives limitées, que la
culture, du pays et de l’époque à laquelle elle manière dont les choses nous sont présentées
est élaborée. Ensuite, les contraintes éco- change le résultat et que le contexte social
nomiques mais aussi le comportement des affecte les décisions ; sans parler de nos émo-
agents expliquent son évolution et celle de tions, donc de notre degré de contrôle, qui
son acceptation. Ainsi un impôt peut-il « mal interfèrent avec la raison. Cette convergence
vieillir ». Il convient alors de le réformer pour entre psychologie et économie débouche sur
garantir son adéquation au contexte et ren- des pistes qui permettent de repenser de
forcer sa légitimité. C’est, en substance, là manière pragmatique, humaine et ciblée la
[1]
C’est-à-dire par où en est la fiscalité française, alliance d’un fiscalité et sa mise en œuvre.
déclaration de la base enchevêtrement obscur de prélèvements, de
imposable.
réformes par touches de ces derniers, d’une
[2]
La motivation du contribuable
L’économie perte de légitimité et de ses corollaires (lob-
comportementale
bying, résistances et évitements de l’impôt), Pendant longtemps, l’économie a considéré
introduit les facteurs
psychologiques dans au profit d’un individualisme croissant. les décisions comme le produit d’un unique
la théorie économique, arbitrage entre des gains et des pertes moné-
elle permet d’en tester Il y a donc matière à s’interroger sur les
les prédictions et de taires. Elle intègre dorénavant le fait que nos
fondements, la mise en œuvre, mais aussi
générer des données comportements et nos décisions sont sous
inédites quant aux l’effet de la fiscalité sur les citoyens, tant de
des influences diverses, souvent éloignées
motivations et aux choix manière pragmatique et économique qu’au
des agents. des seules considérations matérielles. C’est
plan psychologique via la perception ou la
particulièrement vrai en matière fiscale ;
[3]
Pour plus de détail représentation de l’impôt. Se posent alors
cela ressort des nombreux travaux dédiés à
sur les définitions des questions de technique fiscale qui vont,
de l’évitement, de la l’acceptation fiscale et son corollaire, l’évi-
dans l’ordre, du type de prélèvement (direct
fraude, de l’évasion tement de l’impôt3, qui est le reflet de sa
et de leur mesure, ou indirect) à la nature de la base fiscale et
se reporter à Bazart perte de légitimité. Alors que les recherches,
du barème, au mode de prélèvement (par
C. (2000), « La fraude jusque dans les années 1990, portaient sur
fiscale : modélisation voie de rôle1 ou à la source) et aux mesures
l’évitement (« non compliance ») elles se
du face-à-face État- dérogatoires qui l’accompagnent (niches fis-
contribuables », thèse focalisent depuis sur la « tax compliance »,
cales…). Ces choix conditionnent l’effet éco-
de doctorat, université à savoir l’acceptation volontaire de la fisca-
Montpellier-I. nomique du prélèvement (progressif, neutre,
lité. Cette transition est le fruit du double
régressif), son côté indolore ou pas et enfin
[4]
Voir Alm J., constat auquel parvient l’économie expéri-
son degré de complexité. Reste que pour
Mc Clelland G. H., mentale : d’une part, les individus acceptent
Schulze W. D. (1992), parachever le prélèvement, il faut considé-
globalement de payer plus d’impôts que ce
« Why Do People Pay rer également la phase administrative qui
Taxes? », Journal que prédit la théorie économique4 ; d’autre
of Public Economics,
règle la collecte et son contrôle. L’efficacité
part, les comportements des contribuables
vol. 48, p. 21 à 38, pour un et la nature des procédures et des rapports
premier calcul avec les sont marqués d’une forte hétérogénéité.
à l’administration fiscale sont parties inté-
probabilités de contrôle On observe, en effet, que, dans une situa-
et pénalités relatives grantes du processus de prélèvement et de
tion où la fraude n’est pas réellement ris-
à la réglementation son impact sur les contribuables.
américaine. quée, tous les individus ne prennent pas
[5]
Au final, l’impôt est à la fois un fait légal, la même décision de frauder. C’est donc
Bazart C., Romaniuc R.
(2015), « Intrinsic and
technique, économique, politique et social. que des facteurs autres que les gains et
Extrinsic Motivation », Cette complexité explique la convergence pertes monétaires associés à cette décision
dans : Jürgen Backhaus progressive de l’économie et de la psycholo- entrent en jeu. La théorie de la motivation
(éd.), Encyclopedia of
Lawand Economics, gie pour l’étude du consentement à l’impôt2 démarre sur le constat de la complexité et
Springer NY. à l’aide de « l’économie comportementale » de la dualité de nos motivations5. Les moti-

21 LA FISCALITÉ : UNE AFFAIRE DE PSYCHOLOGIE ET DE MORALE


vations peuvent être classées en motiva- L’impôt et sa contrepartie
tions externes (comme le contrôle fiscal et
la peur qu’il engendre), ou en motivations Parmi les prélèvements obligatoires, on dis-
internes, propres à l’individu et fonction de tingue l’impôt qui n’a pas de contrepartie
ses caractéristiques individuelles (morale imputable identifiable et les contributions
fiscale, sens civique) ou sociales (groupe sociales. L’absence de contrepartie déconnecte
d’appartenance, normes). La complexité des le financement de son utilisation et gomme la
motivations vient également du fait que transparence quant à l’utilisation des fonds.
ces deux composantes sont susceptibles de Divers travaux d’économie expérimentale ont
s’opposer, le contrôle externe se substituant démontré que l’évitement de l’impôt dimi-
à l’autocontrôle. nue lorsque les contribuables perçoivent les
termes de l’échange fiscal, soit : l’existence et
le montant des contreparties qu’ils reçoivent
La morale fiscale sous influence suite à l’imposition6. Une communication, ou
une éducation allant dans ce sens sont donc
[6]
Bazart C., Pickhardt M.
(2011), « Fighting
Income Tax Evasion
L’impôt : un prélèvement souhaitables, mais elles doivent être bien with Positive Rewards »,
obligatoire ciblées, car toutes les dépenses publiques Public Finance Review,
volume 39, iss. 1,
ne sont pas valorisées de manière identique p. 124 à 149.
L’impôt revêt un caractère de contrainte, par les contribuables. Certaines sont même
[7]
ainsi sa collecte donne-t-elle lieu, a pos- décriées car associées à un fort sentiment de Torgler B. (2011), « Tax
Morale and Compliance:
teriori, à vérification pour en assurer sa gaspillage des fonds publics, comme le bud- Review of Evidence and
régularité. Nous évoquons ici l’impact get de fonctionnement de l’État ; alors que le Case Study for Europe »,
de la motivation externe. Au plan écono- financement du système social, en partie réa- Policy Research Working
Paper 5922, World Bank,
mique, intégrer le contrôle dans le calcul lisé par fiscalisation, remporte, lui, plus d’ad- 84 p.
du contribuable revient à mettre en balance hésions (Bazart et Blayac, 2015).
les gains et les pertes potentiels de l’évi-
tement en intégrant les probabilités d’être Le vote : facteur de morale fiscale
contrôlé, redressé puis pénalisé ou pour-
suivi. L’hypothèse sous-jacente est que les Le fait de se prononcer et d’accepter, ou
individus paient leurs impôts uniquement non, un impôt change l’acceptation que l’on
par peur de la sanction. Ce calcul, de nature a de celui-ci. Cela correspond à un engage-
purement financière, qui devrait mener à ment. Le simple fait d’exprimer son opinion
une fraude généralisée, est contrarié par déplace la responsabilité de la décision,
les faits, comment alors expliquer que les de la force publique à la communauté qui
individus paient leurs impôts ? Deux élé- aura validé le prélèvement. En impliquant
ments de réponse peuvent être avancés qui les contribuables, le vote accroît l’accepta-
concourent à améliorer la collecte. Le pre- tion de l’impôt et renforce sa légitimité. La
mier porte sur la psychologie du risque, sa démocratie directe favorise donc la morale
perception : naturellement, les individus fiscale. Les études l’attestent, la morale fis-
ont tendance à surestimer les faibles pro- cale (mesurée le plus souvent par le degré
babilités. Celles-ci sont donc subjectives. de tolérance de la fraude) est plus haute
Le second porte sur la valeur attribuée aux dans les pays où les institutions sont bien
événements positifs ou négatifs : à montant développées, fiables, donc peu corrompues
équivalent, la perte affecte plus l’individu et efficaces7. La légitimité du prélèvement
que le gain. Les contribuables ont donc peut ensuite être altérée par le jeu de ses
toutes les chances de surréagir au contrôle. caractéristiques techniques et donc des dis-
torsions qu’il est à même de générer au sein
de la population de contribuables. Les cri-
tères clés d’un « bon impôt » ou d’un « bon

Problèmes économiques MARS 2016 22


système fiscal » sont ceux de son efficacité et représente un poids bien moindre dans les
de son équité. La grande difficulté est qu’ils finances publiques, soit 19 % et 76 milliards
sont parfois en contradiction. À cela s’ajoute d’euros (LFI 2015 révisée). L’IR, il y a encore
la dimension administrative de l’impôt, peu de temps (notamment avant la déclara-
c’est-à-dire les modalités de sa collecte et de tion préremplie), était prélevé par voie de rôle
son contrôle. Lorsque le ressenti se dégrade et impliquait à la fois une déclaration préa-
ou que l’insatisfaction se généralise et que lable et une rétrocession (au sens de rendre
les contribuables ont de la défiance envers une partie du salaire perçu). La déclaration,
les institutions, on aboutit à la révolte. En qui assoit la responsabilité fiscale du contri-
France plusieurs mouvements se sont ainsi buable en cas d’inexactitude, est un ensemble
organisés dans l’idée de défendre les inté- de démarches d’autant plus coûteuses pour
rêts de groupes de contribuables dans un le contribuable que l’impôt et son calcul sont
contexte de crise et de réformes mal com- complexes. L’impôt français, caractérisé par
[8]
Divers types d’impôts prises et mal supportées de la fiscalité8. l’existence d’un grand nombre de mesures
ont été visés et des
contribuables se sont
dérogatoires, a ce défaut de laisser de l’es-
ainsi organisés ces Fiscalité et efficacité pace pour de fausses idées (un sentiment
dernières années d’injustice par exemple) (Bazart et Blayac,
(l’écotaxe pour les
bonnets rouges ;
L’efficacité en fiscalité concerne la collecte, 2015). La rétrocession, de son côté, est pro-
les « pigeons » et les mais également les distorsions de comporte- pice à une résistance d’ordre psychologique,
« moineaux » pour la ments soit souhaitées, soit générées, par un car il est toujours bien plus compliqué de
défense des intérêts
des entrepreneurs) déplacement du fardeau sur d’autres contri- rendre ce qui est perçu comme sien depuis
qui témoignent d’un réel buables. Cela soulève premièrement des ques- un an, que de ne pas le recevoir. Mais l’impôt
malaise, mais aussi tions de technique fiscale dans le choix du type
d’un certain
sur le revenu souffre aussi de l’ineffable suc-
individualisme fiscal. d’impôt : direct ou indirect, proportionnel ou cession de ses réformes (taux, tranches) qui
progressif. Les impôts indirects seraient plus en grèvent la logique d’ensemble. La décla-
indolores et susciteraient de moindres réac- ration préremplie a limité ces biais en repor-
tions. Les impôts les plus anciens seraient tant sur l’administration fiscale le poids de
mieux acceptés. Pour autant, nous pouvons la déclaration. Toutefois, en ne supprimant
nous interroger sur les limites de ce raison- pas la rétrocession, elle laisse encore une
nement en considérant le cas de la taxe sur place à la frustration, tout en diminuant la
la valeur ajoutée (TVA) ou de l’impôt sur le perception du risque encouru en révélant ce
revenu (IR). À partir de quel rendement l’impôt que l’administration fiscale connaît de cha-
indirect reste-t-il indolore ? La TVA est l’im- cun. La prochaine réforme, en instaurant le
pôt dominant de notre structure fiscale fran- prélèvement à la source (prévue pour une
çaise pour 51,1 % et 193,3 milliards d’euros de entrée en vigueur en 2018), devrait soula-
collecte selon la loi de finances 2015 (LFI). Cet ger les contribuables en levant le décalage
impôt a fêté récemment ses 60 ans mais il a temporel et en leur évitant des démarches
aussi acquis le rang de second impôt le plus fiscales qui leur pèsent. Elle transférera
fraudé, ex aequo avec l’impôt sur le revenu et néanmoins ces efforts – et peut-être avec, le
juste derrière l’impôt sur les sociétés. La per- mécontentement – sur leurs employeurs.
ception des contribuables est donc a minima
évolutive et elle mélange la dimension relative
au poids du prélèvement (selon l’adage bien Fiscalité et équité
connu de  Laffer selon lequel « trop d’impôt L’équité est traditionnellement étudiée dans
tue l’impôt »), mais aussi les aspects de tech- ses dimensions verticales et horizontales.
nique fiscale. Plus récemment, la justice « procédurale »
On peut évoquer à cet égard l’impôt sur le a pris une importance croissante. L’équité
revenu, peu apprécié des Français alors qu’il verticale et l’équité horizontale sont liées à

23 LA FISCALITÉ : UNE AFFAIRE DE PSYCHOLOGIE ET DE MORALE


la notion de capacité contributive qui fonde d’offrir également un effet de long terme. En
nos obligations fiscales. L’équité verticale outre, les individus sont plus sensibles aux
implique que des contribuables aux capa- injustices découlant de la fraude de certains
cités contributives différentes paient des concitoyens que de différentiels de taux
montants d’impôts qui reflètent ces diffé- d’imposition (Bazart et Bonein, 2014). Il
rences – avec toutes les difficultés de mesure existe donc un aspect éminemment humain
que cela sous-entend. L’équité horizontale dans ces comportements que l’on peut rap-
implique au contraire que des individus procher du biais de « comparaison systé-
identiques en termes de capacité contribu- matique » décrit par les psychologues, mais
tive acquittent des impôts identiques. Or qui nourrit aussi une dynamique sociale
toute iniquité du système amenuise l’accep- néfaste, telle que décrite par James Wilson
tabilité de l’impôt. C’est un argument bien et George Kelling en 1982, avec la théorie de
connu de justification de la fraude, ce qui la « fenêtre cassée9 ». Celle-ci stipule sim- [9]
Wilson J.Q.,
a comme conséquence simultanée de géné- plement que la visibilité d’un acte déviant, Kelling G.L. (mars 1982),
« Broken Windows: The
rer plus d’iniquité. Il s’agit donc d’un cercle qui reste impuni, favorise sa diffusion, que Police and Neighborhood
vicieux alimenté par les vices du système, cela s’explique par une distorsion de la pro- Safety », The Atlantic.
les opportunités de fraude, les failles des babilité subjective du risque associé à l’ac- [10]
C’est la fonction
mécanismes de contrôle, mais aussi les dif- tion ou que cela découle de la perception de expressive de la loi.
férentiels de morale fiscale. la norme en vigueur dans la société. Pour une application de
la réprobation sociale
Les normes sociales constituent l’ensemble en matière fiscale, voir

Établir un contrat fiscal de ces préceptes qui, au sein d’une société, Bazart C., Bonein A.
(2015), « La force du
détaillent ce qui est jugé acceptable ou non. symbole : est-on prêt à
La justice procédurale concerne les procé- L’impôt sera d’autant mieux accepté si la punir les fraudeurs »,
norme reconnaît son utilité et désavoue les Mimeo.
dures administratives et de contrôle fiscal,
leur justesse et leur justice. Le contrôle fraudes. On sait que le contrôle social, par
fiscal est globalement mal perçu et craint, la visibilité des actes, jouit d’une efficacité
ce qui fragilise la confiance dans les ins- indéniable. Il discipline les comportements
titutions et la morale fiscale existante. par deux canaux : la crainte de la désap-
Cibler les contrôles est donc un enjeu, car probation, donc du rejet par le groupe, et la
les erreurs administratives ont ici un réel diffusion de la norme. En s’internalisant les
coût. Afin d’éviter ces biais, on peut recou- normes passent alors de la dimension sociale
rir à des systèmes positifs de récompense à la valeur individuelle. Internaliser une
ou d’accompagnement. Qu’il s’agisse d’un norme d’honnêteté est alors à même de ren-
gain pécuniaire (Bazart et Pickhardt, 2011), forcer la morale fiscale. Cela implique tout à
ou de simples remerciements, les récom- la fois de communiquer avec soin sur l’impôt
penses apportent l’effet escompté. L’offre en tenant compte des perceptions qu’en ont
de service aux contribuables est très clai- les contribuables, mais aussi de prendre soin
rement un moyen de renforcer l’acceptation de renforcer la norme en vigueur. Pour cela la
fiscale. Il s’agit d’établir une vraie relation, punition, via la loi, est un vecteur important
un « contrat fiscal », par un contact cordial, qui donne le signal de ce qui est répréhen-
utile avec les contribuables. Cela tempère sible dans la société considérée10.
l’inquiétude face à la complexité, renforce
les liens et la confiance dans les institu-
tions, rend les démarches psychologique- Vers plus de réalisme
ment moins coûteuses. L’acceptation est
d’autant plus favorisée que cette prise de
en matière fiscale
contact intervient tôt dans l’histoire fiscale En conclusion, la psychologie fiscale a pour
du contribuable. Elle a l’extrême avantage premier bienfait d’avoir permis d’inclure plus

Problèmes économiques MARS 2016 24


de réalisme dans l’analyse de l’acceptation et À celles-ci vont s’ajouter des motivations
[11]
Kirchler E. (2009), des réactions à la fiscalité11. Elle permet de personnelles, nourries de l’histoire de nos
The Economic
Psychology of Tax
décrire, avec plus de précision, la diversité rapports personnels avec l’administration
Behaviour, Cambridge des types de contribuables. Car ni la morale fiscale et les interactions sociales avec nos
University Press, fiscale, ni la défiance envers les autorités, ni concitoyens. Leur étude s’avère nécessaire
Royaume-Uni.
le consentement à l’impôt ne sont répartis pour mieux adapter les mesures fiscales et
dans la population de manière homogène. renforcer leur légitimité. Cela est gage d’une
Chacun aborde la matière fiscale avec son meilleure collecte fiscale en même temps que
histoire, son bagage culturel, social et poli- d’une diminution des coûts d’administration
tique. Du coup, les représentations de l’impôt de l’impôt et ce sur le long terme.
vont forcément différer selon les individus.

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BAZART C. (2002), « Les ™ BAZART C. et BLAYA C. (2015), Psychology, Special Issue
comportements de fraude « Impôts mythes et réalités : Dynamics of Tax Evasion,
fiscale : le face-à-face enquête auprès des Français », volume 40 (C), p. 83 à 102.
contribuables-administration Mimeo. ™ DUBERGÉ J. (1990), Les
fiscale », Revue française ™ BAZART C. et BONEIN A. (2014), Français face à l’impôt :
d’économie, volume XVI, « Reciprocal Relationships in essai de psychologie fiscale,
p. 171 à 212. Tax Compliance Decisions », LGDJ, Paris, p. 319.
Journal of Economic

25 LA FISCALITÉ : UNE AFFAIRE DE PSYCHOLOGIE ET DE MORALE


¶ COMPLÉMENT Les chiffres rapportés par le Syndicat
national Solidaires finances publiques en
2013 mettent en exergue le faible nombre de
Le contrôle en chiffres : quelle contrôles menés et les difficultés à redresser
les contribuables à l’issue de ce contrôle. Le
place pour la subjectivité ? rapport dénombre 47 408 contrôles sur place
pour les 4,8 millions d’entreprises soumises à
Le recouvrement regroupe l’ensemble des la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en 2011
opérations qui concourent à la collecte de et seulement 4 033 vérifications des comptes
l’impôt une fois que celui-ci est liquidé. de particuliers soit au total 51 441 actions
Dans le système français, les contribuables pour un retour de 8 349 millions d’euros.
déclarent leurs revenus, bénéfices, ventes, Le contrôle sur pièce atteint, la même année,
patrimoine, déductions. Ces éléments le nombre de 71 487 sur les sociétés, 686 442
servent au calcul de l’impôt. De son côté, sur le revenu des personnes physiques et
l’administration a comme mission de vérifier 63 570 en matière de TVA pour un retour
l’exactitude et la sincérité des déclarations. global de 5 230 millions d’euros. Les effectifs
Pour cela, elle mène principalement deux et les moyens dédiés au contrôle en France
types d’actions : des contrôles sur pièces et renforcent ce constat ; ils sont faibles
des contrôles sur place. Ces actions visent : comparés aux autres pays, notamment aux
la dissuasion (de tous), le rendement (en pays européens, et concourent à expliquer
corrigeant la collecte de l’impôt) et le faible taux de couverture du tissu fiscal.
la répression (par la punition). Malgré cela, le contrôle est craint et très
La procédure sur pièces permet une mal vécu par les contribuables français
couverture large de la population des (Dubergé 1990 ; Bazart et Blayac 2015). Et,
contribuables. Il s’agit d’une analyse de leur curieusement, ce mal-être est parfois partagé
dossier ; procédure simple et moins lourde par les agents du fisc qui souhaiteraient avoir
que le contrôle sur place, elle est plus rapide les moyens de mener à bien leurs missions
mais moins approfondie. Lorsqu’il apparaît avec plus d’efficacité et de justice, mais qui
nécessaire d’approfondir l’analyse, on déplorent un combat inégal. En effet, ils
recourt au contrôle sur place. Ce dernier peut font face, dans certains cas, à une armée
toucher les particuliers (examen de situation d’avocats fiscalistes, d’experts-comptables
fiscale personnelle) comme les entreprises et de cabinets spécialisés nombreux et dotés
(vérifications de comptabilité). de moyens supérieurs. Dans d’autres cas, ils
peuvent être cibles du désarroi ou de la colère
Les suites des contrôles ont vocation à être de leurs concitoyens(1). Il faut néanmoins
graduées en fonction de la gravité de l’acte, insister sur les efforts que fait l’administration
jugée notamment sur le critère de mauvaise fiscale depuis deux décennies pour renouveler
foi. Ainsi elles vont de simples pénalités de ses relations avec les contribuables en
retard à des sanctions administratives, puis leur proposant en amont assistance et
éventuellement pénales. Une majoration accompagnement dans leurs démarches.
de 40 % est appliquée si la mauvaise foi C’est également là tout l’enjeu de l’acceptation
est établie, elle s’élève à 80 % en cas du prélèvement.
de manœuvres frauduleuses avérées. Il
en résulte que les poursuites sont peu Cécile Bazart
fréquentes. En outre, elles sont également
peu productives en termes de rendement (1) En 2014, l’instabilité fiscale se traduira notamment par
postredressement, puisque en deux ans, des incendies de trois centres des finances publiques, à
seulement 46 % des sommes dues sont Morlaix (Finistère), Questembert (Morbihan) et Albertville
récupérées. (Savoie).

Problèmes économiques MARS 2016 26


La fiscalité incitative cherche à modifier les comportements des agents en utilisant l’instru-
ment de l’impôt pour encourager des comportements jugés comme bons tels la recherche,
l’innovation ou certains investissements et pour dissuader d’autres, jugés néfastes. Du point
de vue économique, sa justification est avant tout la maximisation du bien-être social, lorsque,
en présence d’externalités négatives, le régulateur pousse à leur internalisation via un signal-
prix. Mireille Chiroleu-Assouline montre ici dans le cas de l’écofiscalité les multiples facettes
de cet instrument fiscal – ses effets distributifs ainsi que ceux sur la compétitivité, la diffé-
rence de nature entre fiscalité incitative et fiscalité de rendement – et dresse le cadre pour
qu’une réforme fiscale environnementale neutre budgétairement puisse déboucher sur une
situation de double dividende.
Problèmes économiques

La fiscalité incitative :
le cas de l’écofiscalité
 MIREILLE CHIROLEU-ASSOULINE consommation est considérée comme non
souhaitable, ou en réduisant le prix de ceux
Professeur des Universités, École d’économie de Paris, qui sont jugés préférables, introduit une dis-
université Paris-I Panthéon-Sorbonne et INRA (UMR Économie publique) torsion entre ces deux catégories de produits.
Les agents économiques réagissent alors,
En quoi la fiscalité incitative se distingue- dans la limite des contraintes exercées par
t-elle du commun des impôts et taxes ? La les technologies existantes et en fonction de
principale différence tient à ses objectifs. Là leurs préférences et contrainte budgétaire, en
où l’impôt est usuellement défini comme le reportant leurs achats sur les produits dont
moyen pour l’État de collecter les ressources le prix relatif diminue en réduisant leurs
qui lui permettront de financer l’exercice de dépenses concernant les produits dont le prix
ses fonctions régaliennes, ou plus générale- augmente.
ment les biens publics (éducation, défense, Selon la justification de ces objectifs, la fis-
sécurité), ou encore d’assurer une certaine calité incitative recouvre elle-même deux
redistribution des revenus, la fiscalité inci- réalités différentes. Elle est dite paternaliste
tative vise à modifier les comportements lorsqu’il s’agit de modifier des comporte-
des agents économiques. Le levier d’incita- ments individuels en corrigeant le manque
tion repose sur un signal-prix qui, en ren- d’information ou la myopie des agents, afin
chérissant un produit ou un service dont la d’éviter qu’ils ne prennent des décisions

27 LA FISCALITÉ INCITATIVE : LE CAS DE L’ÉCOFISCALITÉ


qu’ils pourraient regretter dans l’avenir. un produit joint de l’activité (comme, par
C’est le cas des taxes sur les tabacs ou sur exemple, la combustion de carburants, donc
les alcools, ou encore de la contribution sur la réaction chimique avec l’oxygène de l’air,
les boissons sucrées récemment introduite en qui émet forcément du dioxyde de carbone
France, dont le but est de limiter la consom- [CO2] en quantité stœchiométrique), et réduire
mation pour des raisons de santé publique. les émissions exigerait de trouver d’autres
C’est aussi le cas de la fiscalité sur les pro- modes de production ou d’autres combus-
duits financiers qui favorise l’épargne longue tibles. Si ceux-ci étaient moins coûteux, la
(assurance-vie, épargne retraite, épargne firme maximisatrice de profit les aurait déjà
logement) pour contrecarrer les effets d’une spontanément adoptés. Le régulateur, quant à
préférence pour le présent jugée trop forte, en lui, considère la totalité du coût social d’une
particulier pour les ménages aux revenus les activité, composé de la somme du coût privé
plus faibles. et du coût externe supporté par le reste de la
Il n’est plus question de paternalisme en société, lequel est mesuré en pertes de bien-
revanche, mais de maximisation du bien-être être pour les consommateurs ou en pertes de
social lorsqu’il s’agit de corriger des défail- profit pour des entreprises. L’existence d’ex-
lances du marché, comme la présence d’ex- ternalités empêche l’économie d’atteindre
ternalités, l’insuffisance de financement des l’optimum au sens de Pareto1 et justifie une [1]
Pareto V. (1848-1923)
intervention de l’État. définit l’optimum pour
biens publics ou la surexploitation de res- une économie comme
sources communes. Par conséquent, pour amener les pollueurs à une situation où il
prendre en considération le coût externe de n’est plus possibble
d’améliorer le bien-
leur activité, le mode de régulation proposé par
Fondements théoriques Arthur C. Pigou en 19202 consiste en la mise
être d’un agent sans
détériorer celui d’au

de l’écofiscalité en place d’une taxe dite « taxe pigouvienne », moins un autre agent

dont le taux unitaire doit être égal au dom- [2]


Pigou A. C. (1920),
Les externalités ou effets externes appa- mage marginal provoqué par les émissions The economics
of welfare,
raissent lorsque les décisions d’un agent polluantes à leur niveau optimal3. Elle four- McMillan and Co.,
économique affectent le bien-être d’autres nit le signal-prix qui assure l’internalisation London.
agents, de manière involontaire, malgré l’ab- des externalités. De la sorte, les agents privés [3]
Le niveau optimal
sence de toute transaction de marché entre à la source de l’externalité sont contraints de pollution est défini
eux. Les effets externes peuvent être positifs de prendre leurs décisions en fonction du comme celui qui
coût social total de la pollution. Ils arbitrent maximise le bien-être
(influence bénéfique) ou négatifs (détériora-
social : le dommage
tion de la situation). Une pollution constitue alors entre deux possibilités : payer la taxe marginal subi par les
une externalité négative car elle fait appa- sur chaque unité de pollution ou réduire leurs victimes est égal au coût
émissions polluantes pour diminuer le far- marginal de dépollution
raître une différence entre coûts privés et (de réduction de ses
coûts sociaux d’une activité, le pollueur ne deau fiscal. Tant que le taux unitaire de taxe émissions) du secteur
tenant pas spontanément compte dans ses est supérieur à son coût marginal de dépollu- polluant.
décisions du dommage, ou coût externe, qu’il tion, le pollueur choisit de réduire ses émis-
inflige aux victimes de la pollution. En effet, sions et il ne doit plus s’acquitter de la taxe
sous les hypothèses de rationalité écono- que sur la partie de sa pollution qui aurait été
mique et d’absence d’altruisme, une entre- trop coûteuse à supprimer (le coût marginal
prise maximise son profit en ne tenant compte de dépollution dépassant le taux de taxe uni-
que de son coût privé, de même qu’un ménage taire). Soumis au même taux de taxe, tous les
maximise son utilité privée sans intégrer les pollueurs minimisent leurs coûts et opèrent
impacts éventuels sur d’autres agents. Or, en donc au même niveau de coût marginal : c’est
règle générale, il est coûteux pour les pol- en cela que la taxe écologique est dite effi-
lueurs de réduire leurs émissions polluantes. cace et, en l’absence d’autres imperfections de
En effet, la plupart du temps la pollution est marché, l’équilibre décentralisé réalise l’opti-

Problèmes économiques MARS 2016 28


mum au sens de Pareto. Un signal-prix stable mation d’énergie, les taxes sur les véhicules,
et pérenne stimule également l’innovation en la taxation des pollutions et des déchets, les
poussant les industriels à chercher des solu- redevances sur la consommation d’eau ; et,
tions moins polluantes pour réduire leurs d’autre part, les dépenses fiscales favorisant le
coûts de production ou à proposer des pro- développement durable (dispositions législa-
duits moins polluants pour profiter des oppor- tives ou réglementaires dont la mise en œuvre
tunités de marché ainsi ouvertes par la régu- entraîne pour l’État une perte de recettes par
lation environnementale. De façon générale, rapport à ce qui serait résulté de l’application
l’augmentation du prix du bien polluant due à des principes généraux du droit fiscal) comme
la taxe provoque une hausse de son prix relatif les exonérations ou crédits d’impôt. Le dis-
par rapport aux autres biens. Ce signal incite positif de bonus-malus (subvention/taxe) mis
alors les acheteurs, consommateurs ou indus- en place pour l’immatriculation des véhicules
triels, à remplacer des produits polluants par automobiles neufs en fait également partie.
d’autres non polluants, ou à adopter des tech- La fiscalité environnementale est donc fon-
nologies moins polluantes. Modifiant ainsi damentalement définie par son assiette et
les prix relatifs, toute taxe écologique est par non par le mode d’utilisation de ses recettes,
[4]
Voir l’article de nature distordante4 – comme l’est tout impôt ni par l’intention ayant présidé à sa mise
Simula L. p. 5 à 12.
indirect  – mais cette distorsion est souhai- en place. Son importance quantitative est
tée justement parce qu’elle vient corriger une d’ailleurs toujours mesurée par son poids
défaillance de marché. dans les prélèvements obligatoires ou dans
La fiscalité écologique respecte donc le prin- l’activité économique. Par exemple, en 2013,
cipe du pollueur-payeur, défini par l’Organi- les recettes fiscales environnementales se
sation de coopération et de développement sont montées pour la France à 42,9 milliards
économiques (OCDE) en 1972, qui postule d’euros, soit 2,03 % du produit intérieur brut
que les frais résultant des mesures de pré- (PIB) et 4,29 % du total des prélèvements
vention, de réduction et de lutte contre la obligatoires (d’après l’Eurostat), ce qui la
pollution doivent être pris en charge par le place en dessous de la moyenne européenne.
pollueur. Ce ne serait pas le cas de subven- Une part importante dans les prélèvements
tions à la dépollution. obligatoires témoignerait certes d’un ver-
dissement de la fiscalité mais pourrait aussi
être due à une fiscalité d’ensemble modérée,
Fiscalité incitative ce qui explique que les comparaisons inter-
et fiscalité de rendement nationales mentionnent également toujours
la part dans le PIB. Le poids de la fiscalité
Il existe ainsi une véritable différence de environnementale est néanmoins loin d’être
nature entre fiscalité incitative, dont l’écofis- significatif de son impact sur les compor-
calité, et fiscalité de rendement. Et pourtant tements. Ainsi, de faibles recettes fiscales
cette différence apparaît difficilement à la pre- environnementales peuvent résulter aussi
mière observation. Il faut tout d’abord noter bien de taux faibles que de taux élevés qui
que la statistique publique française et euro- seraient parvenus à modifier les compor-
péenne (CGDD, Eurostat, OCDE) n’utilise pas tements d’achat des biens concernés ou à
le terme d’écofiscalité, ni celui de fiscalité éco- transformer les processus de production
logique, mais seulement celui de fiscalité envi- polluants. D’un autre côté, des différences
ronnementale. Au sens large, celle-ci englobe de taux de taxe peuvent expliquer des trans-
d’abord l’ensemble des impôts, taxes et rede- ferts de recettes fiscales d’un pays à un
vances portant sur des produits ou des actifs autre, les consommateurs transfrontaliers
ayant des effets nuisant à la qualité de l’envi- achetant certains produits, comme les car-
ronnement, comme les taxes liées à la consom- burants, là où les taxes sont les plus faibles.

29 LA FISCALITÉ INCITATIVE : LE CAS DE L’ÉCOFISCALITÉ


En France, l’écofiscalité est surtout composée
de taxes sur l’énergie et la structure du sys- Effets sur la compétitivité
tème fiscal français reflète plus une logique Toutes choses égales par ailleurs, la mise en
de rendement fiscal que d’incitations écolo- place isolée d’une fiscalité écologique, ou la
giques. Il a en effet été constitué par addi- hausse de ses taux, augmente les coûts de
tions et modifications successives d’impôts production des entreprises polluantes. Leur
initialement mis en place comme des impôts compétitivité s’en trouverait diminuée par
de rendement même s’ils sont aujourd’hui rapport à leurs concurrentes installées dans
considérés comme supports de la fiscalité des pays à la régulation environnementale
écologique. À titre d’exemple, citons la taxe moins stricte, ce qui les inciterait à la délo-
intérieure à la consommation des produits calisation et accroîtrait le chômage. Dans un
énergétiques (TICPE, anciennement TIPP) contexte de croissance faible et de chômage
dont une partie est désormais assise sur les élevé, c’est une objection importante, mais
émissions en carbone des produits concer- elle doit être relativisée. Certes, les hausses
nés : pour l’essence ordinaire, seulement de coût peuvent être importantes pour les
8 % du total de la TICPE en 2016 sont entreprises à forte intensité énergétique,
dus à l’introduction de la composante car- mais celles-ci ont souvent des possibilités de
bone (à un taux progressif depuis 2014, substitution qui leur permettent d’atténuer
depuis 7,5  euros/tonne de CO2 jusqu’à les effets de la hausse de la taxation, l’objec-
22 euros/tonne en 2016). tif de l’écofiscalité étant la modification des
La force des taxes sur l’énergie en tant comportements et des processus de produc-
qu’impôts de rendement tient à la caracté- tion. Ces possibilités de substitution sont
ristique de bien essentiel de l’énergie, dont augmentées sous l’effet des innovations tech-
[5]
la demande est relativement inélastique : les nologiques induites par la taxe5. La compé- La taxe (ainsi que
les autres instruments
produits énergétiques constituent donc une titivité et les délocalisations sont néanmoins
de marché comme
assiette s’érodant faiblement ce qui assure affectées par la totalité du coût global de la subvention à la
la stabilité des recettes fiscales. Or ce qui production, dont la fiscalité écologique n’est dépollution ou les
permis d’émission
fait la force d’un impôt de rendement fait la qu’une faible composante. L’ouverture sur négociables) exerce une
faiblesse d’un impôt incitatif : dans le pre- l’extérieur de l’économie n’en revêt pas moins incitation à l’innovation
mier cas, il suffit d’un taux faible appliqué à une grande importance pour l’efficience envi- et à l’adoption de
technologies moins
une assiette large pour garantir des recettes ronnementale elle-même de l’écofiscalité (ou polluantes dont
importantes alors que dans l’autre, seules de la régulation environnementale en géné- l’effet est plus fort
des hausses importantes des taux peuvent ral). En effet, la réduction des émissions dues que celui des normes
et standards : c’est
réduire significativement la consommation. au secteur productif dans un pays est sou- la propriété dite
L’élasticité de la demande de carburant vent réalisée grâce au report à l’extérieur des d’efficacité dynamique. 
au prix est cependant suffisamment forte productions les plus polluantes : dans le cas
pour que les comportements d’achat très de la taxation du carbone pour lutter contre
différents entre la France et les États-Unis les émissions de gaz à effet de serre respon-
s’expliquent essentiellement par le très fort sables du changement climatique, c’est ce
différentiel de prix entre les deux pays. que l’on appelle des fuites de carbone. Celles-
Comme la fiscalité en général, l’écofisca- ci sont clairement visibles au travers de la
lité suscite de nombreuses critiques et comparaison entre l’empreinte carbone de la
réticences. Les principales concernent son consommation et celle de la production. Par
impact sur la compétitivité des entreprises exemple, la France ayant réduit ses émissions
et ses effets distributifs aggravant poten- depuis sa ratification du protocole de Kyoto,
tiellement les inégalités. les émissions de dioxyde de carbone dues à sa
demande finale intérieure étaient en 2012 de
8,2 tonnes CO2/habitant tandis que ses émis-

Problèmes économiques MARS 2016 30


sions territoriales n’étaient que de 5,6 tonnes pour en réduire la portée. Leur capacité de
CO2/habitant (CGDD). Cette « délocalisation » réduire leurs émissions est donc également
des émissions s’explique par la tertiarisation limitée. En ce sens, la fiscalité écologique
de l’économie et le progrès technique, lequel apparaît comme régressive. Des travaux
abaisse les coûts unitaires de production et récents relativisent néanmoins cet aspect
provoque un effet rebond de la consomma- régressif de la fiscalité écologique, en
tion et donc des importations. tenant compte de la totalité du cycle de vie
Ce sont ces craintes qui motivent la réflexion des agents7 ou des effets d’équilibre géné-
au niveau européen sur des mécanismes ral résultant des impacts sur les salaires
d’ajustement fiscal aux frontières (BTA pour des différentes catégories de travail et des
Border tax adjustment), néanmoins difficiles substitutions sectorielles8.
à mettre en œuvre, qui permettraient de taxer Dans la mesure où la fiscalité écologique n’a
les émissions de CO2 quel que soit leur lieu pas pour objet premier de procurer un rende-
[6]
Cela a été l’un des d’émission6. ment fiscal à l’État, ce rendement n’est qu’un
arguments en faveur de produit joint de la politique menée et peut
l’instauration au niveau
donc être utilisé comme souhaité : réduction
Effets distributifs
européen d’un système
de permis d’émission du déficit public, financement de nouvelles
négociables (EU ETS). dépenses ou réduction d’autres impôts et
[7] De même que toute taxe indirecte, la mise en taxes. Si l’objectif jugé primordial est la
Sterner T. (2012),
« Distributional Effects place d’une taxe écologique provoque une protection de l’environnement, il est théori-
of Taxing Transport perte de pouvoir d’achat des consommateurs quement envisageable de financer grâce aux
Fuel », Energy Policy,
41, p. 75 à 83.
(effet-revenu), atténuée néanmoins par l’ef- recettes fiscales écologiques des subven-
fet-substitution, objectif recherché par l’éco- tions à la recherche et au développement,
[8]
Dissou Y. et fiscalité, qui les conduit à modifier la compo-
Siddiqui M. S. (2014),
orientées vers des technologies de produc-
« Can Carbon Taxes Be sition de leurs achats. Cet effet-substitution tion moins polluantes, des technologies de
Progressive? », Energy est d’autant plus important que l’élasticité dépollution (par exemple de séquestration
Economics, 42, de la demande du bien polluant à son prix est
p. 88 à 100.
du carbone) ou des dépenses de compensa-
élevée. Par conséquent, plus la fiscalité éco- tion des dommages causés ou d’adaptation
logique est efficace sur l’environnement, et au changement climatique (construction de
moins le pouvoir d’achat est affecté ex post. digues). Dans la lignée de l’Accord de Paris
La fiscalité écologique frappe relativement signé le 12 décembre 2015 (COP21), certains
plus les ménages pauvres dont la consom- pays pourraient ainsi financer l’aide au
mation de produits taxés constitue une part développement promise aux pays les moins
d’autant plus importante de leurs dépenses avancés, et souvent les plus vulnérables au
que leur revenu est faible. La taxe car- changement climatique.
bone par exemple élève le prix des carbu-
rants, donc le coût d’utilisation des auto-
mobiles, et celui des combustibles utilisés Réforme fiscale d’ensemble, double
pour le chauffage des logements et la cui-
sine. Comme ce sont surtout des dépenses
dividende et recherche d’équité
contraintes, et que les ménages les plus Si l’objectif est plutôt de limiter le coût macro-
pauvres ne disposent souvent pas des économique global de la régulation environ-
marges de manœuvre budgétaires néces- nementale en réduisant les pertes de pouvoir
saires pour investir dans un véhicule ou un d’achat des ménages et/ou les hausses de
mode de chauffage moins polluant, leurs coût unitaire de production des entreprises, il
possibilités de substitution sont faibles. convient de redistribuer les recettes fiscales
Ces ménages ont moins de latitude pour issues des taxes écologiques, à dépenses
échapper à la perte de pouvoir d’achat ou publiques inchangées (neutralité budgétaire).

31 LA FISCALITÉ INCITATIVE : LE CAS DE L’ÉCOFISCALITÉ


Le mode de redistribution dépend à son tour L’efficacité économique du verdissement
de la priorité donnée à l’efficacité écono- de la fiscalité repose sur le remplacement
mique ou à la recherche d’équité. d’une taxe frappant les salariés par une taxe
affectant tous les consommateurs, mais sur
La recherche de l’efficacité économique fait
une base plus étroite que celle de la TVA
l’objet d’une abondante littérature. David W.
qui frappe tous les produits de consomma-
Pearce (1991)9 fut le premier à suggérer que [9]
Pearce D. W. (1991),
tion. La correction des distorsions affec- « The Role of Carbon
la redistribution des recettes de la fiscalité
tant le marché du travail s’opère donc par Taxes in Adjusting
écologique sous la forme de la réduction des to Global Warming »,
le biais d’un transfert de charges fiscales
taux d’autres impôts distordants pourrait The Economic Journal,
vers certaines catégories de ménages : chô- 101, p. 938 à 948.
conduire à un double dividende composé
meurs, retraités, capitalistes. L’efficacité
d’un premier dividende, environnemental, [10]
Goulder L. H. (1995),
économique étant indépendante de l’équité,
dû à la réduction des externalités environ- « Environmental
le double dividende peut être obtenu au Taxation and the “Double
nementales si la fiscalité incitative permet
détriment de certaines catégories. Aucune Dividend”: A Reader’s
un découplage significatif de la croissance Guide », International Tax
réforme fiscale ne peut néanmoins être
économique et de la pollution (en particu- and Public Finance, 2,
socialement satisfaisante, et politiquement p. 157 à 183.
lier de la consommation d’énergie fossile)
acceptable, si elle accentue les inégalités.
et d’un second dividende, d’amélioration [11]
Bovenberg A. L. (1999),
du bien-être économique grâce à la réduc- Pour préserver l’équité, il est possible de « Green Tax Reforms and
limiter les pertes de pouvoir d’achat des the Double Dividend:
tion des distorsions fiscales existantes10. an Updated Reader’s
Ce second dividende peut revêtir les formes ménages et de contrebalancer l’effet négatif Guide », International Tax
complémentaires d’une stimulation de la relativement plus fort pour les plus pauvres, and Public Finance, 6,
en redistribuant aux ménages tout ou par- p. 421 à 444.
croissance économique, d’une amélioration
du pouvoir d’achat, d’une diminution du tie des recettes fiscales écologiques sous la [12]
Chiroleu-Assouline M.
chômage, etc. C’est le résultat obtenu par forme d’une compensation forfaitaire : un et Fodha M. (2014), « From
Regressive Pollution
le verdissement de la fiscalité suédoise du « chèque vert » (selon l’exemple de la Suisse). Taxes to Progressive
début des années 1990. Une telle redistribution est par nature Environmental Tax
progressive, procurant un supplément de Reforms », European
Dans la mesure où le double dividende revenu relativement plus important aux Economic Review, 69,
traduit un retour vers l’optimum, plus la juin, p. 126 à 142.
revenus les plus faibles. Mais un « chèque
situation est sous-optimale, et plus les vert », même ciblé sur les plus pauvres, ne
chances sont grandes qu’une réforme fis- règle que le problème de l’équité et ne pro-
cale environnementale neutre budgétaire- cure pas de second dividende. En revanche,
ment puisse déboucher sur une situation de ajouter la question de l’équité à celle de l’ef-
double dividende. C’est le cas en France et ficacité économique implique de rechercher
dans les autres pays européens, où il existe des modes de redistribution particuliers,
d’importantes distorsions fiscales, dues en comme de compenser la taxe écologique par
particulier aux prélèvements sur le travail. une baisse progressive des prélèvements
Le double dividende sera ainsi d’autant sur les salaires, c’est-à-dire une baisse uni-
plus probable que les biens taxés sont forme du taux le plus faible du barème pro-
importés ou que l’économie est affectée gressif (un « chèque vert » étant alors versé
par des imperfections de marché, comme aux ménages non imposables) accompagnée
la concurrence imparfaite ou l’existence de d’une hausse de la progressivité12. Augmen-
chômage11. ter la progressivité des prélèvements sur le
Le double dividende n’est pour autant qu’un travail permettrait en effet d’accroître les
bénéfice auxiliaire de la réforme fiscale écolo- recettes à redistribuer, ce qui fournit un
gique qui plaide en faveur d’un verdissement effet de levier pour renforcer l’acceptabilité
de la fiscalité sans pouvoir justifier la mise en de l’introduction de la taxe écologique.
place d’une taxe écologique.

Problèmes économiques MARS 2016 32


POUR EN SAVOIR PLUS
™ BAUMOL W. J. et OATES W. E. ™ BUREAU D. et MOUGEOT M. Publishing, http://dx.doi.
(1988), The Theory (2004), Politiques org/10.1787/9789264183933-en
of Environmental Policy, environnementales ™ SCHUBERT K. (2009),
Cambridge University Press, et compétitivité, Pour une taxe carbone !,
2e édition. La Documentation française. Éditions ENS.
™ BEAUMAIS O. et CHIROLEU- ™ OECD (2013), Taxing
ASSOULINE M. (2002), Économie Energy Use : A Graphical
de l’environnement, Bréal, Analysis, OECD
Paris.

Comprendre
les politiques publiques
Un titre incontournable pour parfaire ses
connaissances et construire son propre avis
sur les politiques publiques.
Réforme de l’État, décentralisation, fiscalité,
compétitivité de la France, famille, santé,
retraites, environnement, etc.
Cet ouvrage comprend 33 fiches synthétiques
de 6 à 8 pages.

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Oct. 2015, 272 pages, 20 € / 9782110100481
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33 LA FISCALITÉ INCITATIVE : LE CAS DE L’ÉCOFISCALITÉ


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Abonnement à 6 numéros : 50,20 € – Tarif spécial étudiants et enseignants : 42,20 €


Le système fiscal français ne constitue pas une structure figée, au contraire, il donne l’impres-
sion d’un chantier toujours ouvert, bien qu’inégalement actif. Si les désirs de changement
paraissent moins forts du côté de la taxation des biens et des services – au moins depuis la
généralisation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ainsi que la soumission de cet impôt à
l’harmonisation européenne –, les volontés réformatrices ou simples modifications, souvent
techniques, donnent l’impression d’une fiscalité en transition permanente. Gilbert Orsoni se
penche sur quelques-unes des grandes catégories d’impôt (imposition des revenus ; imposi-
tion des patrimoines ; impôts d’État et impôts locaux) et des techniques fiscales utilisées (degré
de progressivité ; modes de recouvrement) pour illustrer comment la fiscalité française – sur
la durée d’un siècle – a été un sujet de réflexion quasi permanent mais demeure en même
temps sous l’influence de quelques constantes fortes.
Problèmes économiques

1916-2016 : un système fiscal


en transition permanente
 GILBERT ORSONI d’années que la France se dota, par la réforme
Caillaux, d’un tel impôt, composé de deux
Professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille, doyen branches : l’impôt général (bien peu) pro-
honoraire de la faculté de droit et de science politique. gressif institué par la loi du 16 juillet 1914 et
des impôts cédulaires proportionnels (loi du
31 juillet 1917). Si dès la loi du 17 août 1948
Impôts d’État, impôts locaux : fut recherchée l’unité de l’IR, cette dernière
fut réalisée, au moins dans son principe, par
chantiers toujours ouverts la loi du 28  décembre  1959 qui décidait la
fusion taxe proportionnelle/surtaxe pro-
gressive. Encore fallut-il attendre le tout
Quelle(s) imposition(s)
début de la décennie 1970 pour que cette
pour le revenu ? fusion fût pleinement réalisée.
Les origines historiques d’un impôt sur le L’unité paraît certes encore la règle au regard
revenu (IR) sont lointaines (taille person- du seul impôt sur le revenu. Elle ne consti-
nelle, dixième, vingtième). Mais à la diffé- tua pourtant qu’une parenthèse puisque
rence de plusieurs pays européens (Angle- avec la loi de finances pour 1991 fut instituée
terre, Prusse, Suisse) qui s’en étaient dotés la contribution sociale généralisée (CSG),
dès le XIXe siècle, ce ne fut qu’après une laquelle relève (Conseil constitutionnel [CC],
longue bataille politique d’une quarantaine no 90-285 DC, 28 déc. 1990) de la catégorie des

35 1916-2016 : UN SYSTÈME FISCAL EN TRANSITION PERMANENTE


impositions de toutes natures dont la desti- Des formes d’imposition
nation, certes, n’est pas le budget de l’État, du patrimoine contestées
mais le financement de comptes sociaux. L’on
peut d’ailleurs ajouter à la CSG la contri- L’imposition des patrimoines, ou de cer-
bution pour le remboursement de la dette taines des formes que celle-ci peut revêtir, a,
sociale (CRDS) et le prélèvement social de 2 %. de très longue date aussi, constitué un enjeu
Nous disposons donc bien encore aujourd’hui dépassant le cadre purement fiscal, avec une
d’un système de superposition d’impôt sur symbolique d’autant plus remarquable que
le revenu. Un IR à base sans doute insuf- les rendements escomptés sont de caractère
fisamment large (un peu moins de 50 % des bien plus réduit. À cet égard, les dossiers les
contribuables l’acquittent réellement) et à plus sensibles et donc les plus susceptibles
taux progressifs, une CSG à base large mais de faire l’objet d’ajustements ou de réforme
à tarifs proportionnels, variables toutefois restent les droits de mutation à titre gratuit,
selon la catégorie de revenus considérés principalement les droits de succession et
(salariaux, de remplacement, patrimoniaux, l’imposition sur la fortune.
gains de jeux) dans une proportion, il est vrai, Si, dans le premier cas, depuis la réforme
modeste (entre 6,2 % et 9,5 %), sachant que la des droits de succession du 25 février 1901
CSG, bien moins médiatisée que l’IR (voir les (personnalisation et progressivité) et l’uni-
mises en avant récentes de baisses d’impôt, fication du régime fiscal des transmissions
comme d’ailleurs précédemment de leurs réalisée par la loi du 14  mars  1942, l’on ne
augmentations), est d’un rendement sensi- peut parler de « grande » réforme (il n’en est
blement supérieur (91,5  milliards d’euros pas, à notre connaissance, de sérieusement
en 2014 contre 76 milliards). envisagée), les ajustements ont été et sont
Rien ne dit au demeurant que le mouve- en revanche fréquents au gré d’alternances
ment de balancier superposition/unité soit politiques ou des contraintes financières du
achevé. Nombreux sont ceux, en effet, qui moment : alignement pour les droits de suc-
préconisent la fusion des deux afin de dis- cession des conditions de territorialité sur
poser de nouveau d’un IR unique et progres- celles de l’IR en 1977, élargissement de l’as-
sif. Réforme incontestablement profonde1 siette avec les modifications du régime de [1]
Landais C, Piketty T. et
puisque cette unicité, outre de mettre en l’assurance-vie, accentuation de la progres- Saez E. (2011), Pour une
révolution fiscale. Un
place un seul impôt progressif, induirait sivité en ligne directe, modifications, dans impôt sur le revenu pour
logiquement la disparition du foyer fiscal, des sens opposés, des règles d’abattements, le XXIe siècle, Le Seuil.
donc du quotient familial, avec le choix création d’un régime de dation en paiement,
assumé d’une imposition globalement plus sans omettre la perspective d’intégration
personnalisée (volonté de favoriser le travail dans le droit commun du régime applicable
féminin). Un crédit d’impôt remplacerait le en Corse, etc.
quotient familial, les allocations familiales Plus encore, l’imposition sur la fortune
et diverses autres allocations. Cette réforme illustre une certaine conception de l’impôt
impliquerait également (voir Zoom) la géné- à finalité plus égalitaire. Après un débat
ralisation de la retenue à la source, déjà à de plusieurs années révélateur de clivages
l’œuvre en matière de CSG. politiques profonds, mais occasion aussi
Si, sur ce point, l’avenir demeure incertain, de réflexions approfondies, fut institué par
l’on mesure aisément que le système français la loi de finances pour  1982 un impôt sur
d’imposition des revenus peut apparaître, les grandes fortunes, à assiette large, hors
sans même faire référence pour l’instant au œuvres d’art et outil de travail, applicable
détail des techniques applicables, comme un à des taux légers et faiblement progressifs,
chantier toujours actif et un sujet de réflexion comme il sied à une imposition annuelle sur
quasi permanent. les patrimoines. Le seuil de déclenchement de

Problèmes économiques MARS 2016 36


l’impôt ayant été fixé à l’époque à trois mil- foncière en bâtie et non bâtie était interve-
lions de francs. Supprimé avec l’alternance nue en 1890). Ces quatre impôts furent iné-
de 1986, il fut rétabli sous la forme très voi- galement modernisés sous la Ve République :
sine d’un impôt de solidarité sur la fortune l’ordonnance du 7  janvier  1959 donnant
(ISF) à compter de la loi de finances pour 1989. lieu, après révision des bases, aux lois des
S’il a depuis fait l’objet d’un certain nombre 31 décembre 1973, 18 juillet 1974 et 29 juil-
d’aménagements, notamment à l’occasion de let  1975 instituant les taxes foncières (TF)
nouvelles alternances, il demeure en vigueur. (propriétés bâties et non bâties), la taxe
L’on ne saurait être cependant trop affirma- d’habitation (TH) en place de la contribution
tif sur sa pérennisation dans la mesure où sa mobilière et la taxe professionnelle rempla-
future disparition figure au programme des çant la patente.
partis de droite et des principaux candidats Ce nouveau régime était loin de réaliser un
de celle-ci à la prochaine élection à la prési- grand bouleversement et fit très vite l’objet
dence de la République. de critiques. Les bases d’imposition, les
valeurs locatives, demeuraient à bien des
Une fiscalité locale en mouvement égards approximatives et inégalitaires, non
seulement entre communes, mais au sein
Plus encore que pour d’autres domaines, la même de celles-ci. Phénomène qui s’aggrava
revendication de la réforme fiscale est ici une ensuite considérablement puisque l’on se
donnée permanente. Revendication d’autant contenta de majorations annuelles forfai-
plus accentuée par le double sentiment d’une taires établies en lois de finances, pour tenir
fiscalité de plus en plus inadaptée (vieillisse- compte de l’inflation. Une révision intervint
ment des bases, inégalités récurrentes, sinon bien au début des années  1990, mais resta
incohérences) et de la quasi-impossibilité lettre morte par crainte du mécontente-
pour les pouvoirs publics de mener à bien sa ment qu’auraient pu provoquer, à prélève-
refondation. Ce qui ne signifie pas toutefois ment global équivalent, les augmentations
qu’aucune réforme soit jamais intervenue subies par de nombreux contribuables. Ce
(la dernière en date étant la création de la qui signifie que, au milieu de la présente
contribution économique territoriale [CET]). décennie, perdurent les bases d’imposition
Beaucoup de cela s’expliquant par l’histo- des années 1960.
rique des impôts directs locaux. Si l’on parle Quant à la taxe professionnelle (TP), dont
encore à leur propos des « quatre vieilles », l’assiette reposait principalement sur la
c’est bien parce que ces impôts sont issus valeur des immobilisations et la masse sala-
d’impôts d’État institués sous la Révolution, riale, elle fut d’emblée critiquée comme péna-
à la fin du XVIIIe siècle, contribution foncière, lisant et l’investissement et l’emploi. D’où
contribution mobilière, patente, auxquelles d’ailleurs, plutôt que de s’attaquer à une
s’était ajoutée la contribution sur les portes franche réforme de ces impositions (sur les-
et fenêtres. quelles les collectivités territoriales avaient,
Alors que, au XIXe siècle, des centimes (cen- depuis la loi du 10  janvier  1980, pouvoir de
tièmes) additionnels de ces impôts d’État voter les taux), particulièrement pour la taxe
alimentaient les budgets locaux, une authen- d’habitation et plus encore pour la TP, devait
tique fiscalité locale naquit avec le rempla- intervenir une succession d’aménagements/
cement de ces impôts par l’IR. Ainsi la loi allégements pris en charge par l’État. On sou-
du 31 juillet 1917 transféra-t-elle la contri- lageait ainsi les contribuables locaux en ren-
bution mobilière et la patente aux collecti- dant plus acceptables, mais pas moins iné-
vités locales avant que, en 1948, vint le tour quitables, ces impositions. De nombreuses
des deux contributions foncières, bâtie et mesures touchèrent la TP, les plus spectacu-
non bâtie (la séparation de la contribution laires étant la disparition progressive de la

37 1916-2016 : UN SYSTÈME FISCAL EN TRANSITION PERMANENTE


part salariale, laquelle représentait le tiers
de l’assiette, tandis que, en  2000, la part Quelles techniques
régionale de la TH fut supprimée, la TH béné-
ficiant, en outre, de nombre d’allégements
pour quelles utilisations de l’impôt ?
visant à prendre en compte la situation de L’évocation des techniques fiscales, ou de
contribuables modestes (l’État compensant certaines d’entre elles, ne se sépare pas de
chaque fois le « manque à gagner » pour les celle des impôts eux-mêmes et de leurs éven-
collectivités). tuelles réformes, tant pour la question des
tarifs (proportionnalité/progressivité) ou du
Une réforme intervint bien cependant, sans
mode de prélèvement que pour la question de
pour autant répondre à toutes les objections
la conduite des politiques fiscales et du choix
soulevées par le système fiscal local. La loi
de finances pour 2010 a supprimé la TP afin de certains instruments (degré d’interven-
de la remplacer par la CET, constituée prin- tionnisme et recours aux dépenses fiscales).
cipalement d‘une cotisation foncière des
entreprises (reposant encore sur des valeurs La querelle des tarifs
locatives), d’une cotisation sur la valeur
ajoutée des entreprises et, accessoirement Le débat proportionnalité/progressivité est
d’une imposition forfaitaire sur les entre- on ne peut plus classique et permet d’opposer
prises de réseau et d’une taxe sur les sur- deux visions de la justice fiscale, sinon même
faces commerciales. Réforme amenant deux du concept de justice. Et ce débat s’avère loin
conséquences notables, outre que le rende- d’être clos (voir supra le projet relatif à la
ment de la CET étant moindre que celui de fusion IR/CSG), d’autant que s’agissant de
la TP, la dépendance des collectivités terri- la seule progressivité, par-delà la question
toriales vis-à-vis de l’État s’est trouvée ren- de son existence et du nombre des impôts
forcée : auxquels elle s’applique, se pose celle de son
amplitude (de faible à confiscatoire) et de ses
– une plus grande spécialisation des impôts multiples modalités.
locaux (la région ne bénéficie plus des taxes
Si le débat relatif au niveau de la progres-
sur les ménages ni de la cotisation foncière
sivité est quasi permanent, peu d’impôts
des entreprises (CFE) ;
peuvent être considérés comme progressifs.
– une moindre capacité (concernant le dépar- L’IR d’abord, mais aussi, plus faiblement,
tement et plus encore la région) de choix des l’ISF ainsi que les droits de mutation à titre
taux d’imposition. Les taux de cotisation gratuit (ligne directe). D’autres étant propor-
sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) tionnels (impôt sur les sociétés [IS], CSG) ou
relèvent de la compétence de l’État et la région pratiquant une discrimination des taux (TVA),
n’a guère la maîtrise que de la tarification des lesquels évoluent non au regard de la quantité
cartes grises et permis de conduire et, partiel- de matière imposable, caractéristique de la
lement, de la taxe intérieure de consommation progressivité, mais en fonction de sa qualité
sur les produits énergétiques (TICPE). (taux différent selon la nature du produit ou
Reste que, malgré le nouveau dispositif, une du service concerné). Ajoutons de plus que, du
plus complète réforme de la fiscalité locale est moins dans le cadre de l’IR, la progressivité a
encore à venir. La révision des valeurs loca- connu une consécration constitutionnelle (CC,
tives, engagée pour les entreprises, demeure no 93-320 DC, 21 juin 1993). Cette garantie ne
à accomplir pour les ménages, sauf à envisa- concerne que l’IR et n’entre pas dans le détail
ger, au moins pour la TH, une prise en compte des modalités. C’est ainsi que l’on a assisté à
plus marquée des revenus. Rien ne garantit plusieurs reprises à une réduction du nombre
toutefois que ce type de réforme (ou d’autres) de tranches, mais l’on ne saurait dire à comp-
aboutisse dans de brefs délais. ter de combien de tranches le Conseil consti-

Problèmes économiques MARS 2016 38


ZOOM conjoncturelle, puisque immédiatement
répercutées sur le prélèvement ;

QUELLES MODALITÉS – la décharge, pour l’administration, de


nombre de ses tâches (gain de productivité
DE PRÉLÈVEMENT ? avec à la fois des économies budgétaires et
la capacité de redéployer des personnels
La controverse relative à la retenue à la vers des fonctions plus « rentables » comme
source est alimentée depuis au moins une le contrôle fiscal) ;
cinquantaine d’années par de nombreux
rapports qui, habituellement, concluent – enfin, et surtout, une meilleure capacité
en faveur de son introduction pour le offerte au contribuable dans le paiement
recouvrement de l’impôt sur le revenu (IR). de son imposition. Ce qui mettra fin à de
La technique, (le Pay As You Earn [PAYE] des nombreuses situations préjudiciables où, plus
États-Unis, 1942), presque partout utilisée d’un an après l’encaissement de ses revenus,
pour cet impôt, consiste en ce que l’impôt celui-ci va devoir débourser des sommes
soit prélevé directement sur le gain opéré qu’il n’est plus en situation de verser. D’où
par le contribuable, lequel bénéficie ainsi les nombreuses demandes de différer dans
d’une somme nette d’IR. le temps cette obligation.

Il convient également de préciser que, en À quoi les opposants répondent :


France, la technique s’applique pour d’autres – que le développement de la mensualisation
impositions (contribution sociale généralisée assure déjà largement la régularité des
[CSG]) et cotisations sociales, mais aussi déjà rentrées fiscales ;
pour certains revenus dans le cadre de l’IR
– qu’elle peut être source d’une anesthésie
(revenus distribués à des non-résidents). Il est
fiscale laquelle pourrait faire perdre de vue
donc évident que le projet de fusion IR/CSG
le poids réel de l’impôt ;
suppose dans le même temps la généralisation
de la retenue à la source pour le nouvel impôt – que difficile serait la gestion de « l’année
sur le revenu réunifié. Reste, et tel est pour blanche », celle du passage à la retenue à
l’instant le sens de la réforme envisagée, la source (si l’on passe à cette technique
que l’adoption de cette technique peut se voir lors d’une année N, en N–1, on aura payé
déconnectée de l’éventuelle fusion. l’impôt de N–2, donc N–1 ne serait pas
imposée, ce qui, selon les cas, serait source
Le débat n’étant pas nouveau, les termes en d’inconvénients ou d’avantages et parfois,
sont largement connus. Et peu renouvelés. de tentatives d’évitement par certains
Même si la portée de certains arguments contribuables) ;
a pu évoluer.
– que les employeurs, sur qui pèserait la
Ses partisans en font notamment valoir : charge des opérations, verraient leurs
– la plus grande régularité des rentrées obligations comptables accrues ;
fiscales ; – que ces mêmes employeurs risqueraient
– une acceptation plus aisée de l’impôt d’avoir une meilleure connaissance des
(« choc de simplification ») ; situations personnelles et financières de leurs
salariés et que le « foyer fiscal » serait plus
– une plus grande lisibilité, pour le redevable, difficile à prendre en compte.
de sa situation financière ;
Il existe aussi des réponses à ces arguments.
– la plus grande rapidité, et donc efficacité, Par exemple que le passage n’y serait pas si
des dispositions fiscales à finalité brutal, mais qu’une transition (certains ont

39 1916-2016 : UN SYSTÈME FISCAL EN TRANSITION PERMANENTE


même proposé quatre ans) permettrait un Demeure surtout, comme pour tout choix, qu’il
lissage évitant la fameuse année blanche. convient de peser avantages et inconvénients
Quant aux difficultés techniques, elles ont et de passer à l’acte. Choix opéré désormais(2).
bien été surmontées par tous les pays ayant
adopté ce mode de prélèvement, d’autant qu’il Gilbert Orsoni
ne ferait pas disparaître toute déclaration du
contribuable permettant des régularisations
a posteriori(1).
(1) Le Clainche M. (2012), « La retenue à la source, une (2) Voir l’annonce par F. Hollande, le 14 juin 2015, au journal
˝vraie˝ réforme fiscale », Revue Gestion et Finances Sud Ouest d’une « réforme engagée en 2016 pour être
publiques, nos 9 et 10. pleinement appliquée en 2018 ».

tutionnel considérait que l’exigence de pro- Un interventionnisme fiscal


gressivité ne serait plus remplie. à géométrie variable
Il faut aussi avoir conscience que, s’agis-
Si l’utilisation de l’impôt dans un but autre
sant des taux, et notamment du taux maxi-
que strictement budgétaire (incitation éco-
mum applicable à la tranche la plus élevée
nomique, réduction des inégalités, protection
du barème, non seulement la situation est
de l’environnement, comme peut l’illustrer le
différente d’un impôt à l’autre (la progres-
débat en cours sur la taxation du diesel, etc.)
sivité d’un impôt annuel sur la fortune, type
n’est pas une nouveauté, les cinquante der-
ISF, est nécessairement faible et plafonne
nières années ont enregistré une progression
actuellement à 1,5 %, car des tarifs élevés
notable de l’interventionnisme fiscal. Celui-ci
conduiraient à des amputations de la base
pouvant s’exprimer de deux manières, dissua-
même de l’impôt et s’avéreraient vite insup-
sive (pénalisante) ou incitative (procuration
portables), mais son degré d’acceptation a
d’un avantage). Si la première méthode n’a
pu varier selon les lieux et les époques. On a
pas manqué d’illustrations (mise en œuvre de
pu ainsi s’accommoder assez durablement
taux très progressifs, impositions sur la for-
de taux marginaux d’IR de 72 % (Belgique),
tune visant à faire contribuer les plus riches
70 % (Danemark), 65 % (France) et même
par souci de plus grande égalité, principe
91 % (États-Unis), lesquels ne seraient plus
pollueur-payeur), c’est principalement par la
guère imaginables aujourd’hui (voir le sort
voie de l’avantage fiscal (incitatif mais aussi
plus que précaire de la taxe à 75 %, avor-
à finalité purement catégorielle) que l’inter-
tée par décision du Conseil constitutionnel
ventionnisme se manifeste. Au moyen de
en  2013, appliquée après modification à
« dépenses fiscales » (l’expression « niche fis-
la seule année  2014 et mise à la charge de
cale », plus récente, exprime le même concept,
l’employeur). Sans oublier non plus certains
mais de façon péjorative).
mécanismes, ainsi le quotient familial, s’il
avait bien pour conséquence d’apporter une La dépense fiscale peut être vue « comme  le
réduction d’impôt pour les familles, voyait symétrique de l’expression dépenses bud-
cet avantage se matérialiser, pour celles à gétaires et comme le négatif de l’expression
[2]
revenus élevés, en une diminution de la pro- recettes fiscales2. Il s’agit donc d’une mesure Conseil des impôts
(1980), 4e rapport, p. 109.
gressivité. D’où, à compter de 1982, la limi- fiscale dérogatoire, allégeant (réduction ou
tation, récemment accentuée, d’un pareil crédit d’impôt, abattement, exonération)
avantage. l’imposition et ayant donc pour la puissance
publique un coût budgétaire, à l’instar d’une
dépense. Les données chiffrées sont élo-

Problèmes économiques MARS 2016 40


quentes et illustrent le recours massif à ce Entre constantes
procédé : 317 mesures en 1981, 454 en 1994, et environnement international
504 en  2011 (453 avaient un réel impact fis-
cal). On a cherché à plusieurs reprises à en L’existence de grandes constantes de notre
diminuer le nombre : 450 en 2015 (420 ayant fiscalité (imposition du revenu entre unicité
un réel impact). D’autant que le coût bud- et dualisme ; même modalité de taxation du
gétaire est élevé : 72,9  milliards d’euros chiffre d’affaires depuis la généralisation
en 2009, 70,7 milliards en 2013, 83,4 milliards de la TVA en  1968 ; fiscalité locale reposant
étant prévus pour  2016 avec, il est vrai, les encore sur des techniques centenaires) ne
13  milliards du crédit d’impôt compétiti- va pas sans le double constat de possibles
vité emploi (CICE). Cela malgré les limites réformes profondes à venir, touchant tant
apportées depuis 2013 pour l’IR avec un pla- le couple IR/CSG que la fiscalité locale, et
fonnement à 10 000  euros par foyer et sans de modifications quasi permanentes (certes
omettre que, la dépense fiscale s’analysant souvent de détail, mais si l’accumulation
comme dérogatoire à une norme, le maintien de détails ne produit pas une réforme, elle
sur une longue durée de certains dispositifs contribue à créer un sentiment préjudiciable
conduit à les assimiler à cette norme et à d’insécurité fiscale) intervenant annuelle-
ne plus les considérer comme dépenses fis- ment en lois de finances.
cales. Autre mesure de leur importance, dans Reste aussi que, de plus en plus, nombre de
plusieurs domaines (outre-mer, politique choix fiscaux ne pourront plus se séparer
des territoires, santé), la dépense fiscale est de l’environnement international et euro-
supérieure à la dépense budgétaire de l’État. péen, par-delà même la TVA, déjà harmoni-
Tout cela n’allant pas sans inconvénients sée, avec la nécessité d’éviter des formes de
(complexité croissante du système fiscal, concurrence par trop déloyales (limitation
risque de multiplication de mesures catégo- du dumping fiscal), de mettre un terme à
rielles, impression de saupoudrage nuisant l’évasion fiscale résultant des « creux » de la
à la lisibilité des politiques, faible cohérence législation, grâce à une plus active coopéra-
résultant de la multiplicité des dispositifs, tion (déjà bien amorcée) des administrations
efficacité difficilement évaluable). La commo- fiscales, sans omettre le rôle des juges euro-
dité d’y recourir, la popularité de certaines péens (Cour de justice de l’Union européenne,
mesures dont plusieurs, par elles-mêmes, ne Cour européenne des droits de l’homme) qui
sont pas critiquables, expliquent ces choix contribuent et contribueront encore davan-
et surtout la difficulté de revenir en arrière tage à assurer le respect d’un socle commun
une fois celles-ci introduites. On considérera de règles dont ne devront pas s’exonérer les
[3]
Voir sur le sujet donc qu’elles demeureront encore longtemps
des dépenses fiscales systèmes nationaux.
l’article de Benoît un instrument de politique publique, fût-il
Le Maux, p. 64. critiqué dans nombre de ses aspects3.

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BELTRAME P. (2014), général et à la théorie de de 1789 à nos jours,
La Fiscalité en France, l’impôt, 12e éd. LGDJ. Éditions Le Seuil.
Hachette, 20e éd. ™ DELALANDE N. (2011), : ™ LEROY M. (2010), L’Impôt,
™ BOUVIER M. (2014), Les Batailles de l’impôt : l’État, la société, Economica.
Introduction au droit fiscal consentement et résistances

41 1916-2016 : UN SYSTÈME FISCAL EN TRANSITION PERMANENTE


La France se caractérise par un niveau de prélèvements obligatoires relativement élevé, per-
mettant des investissements publics importants et des infrastructures souvent très compéti-
tives. Néanmoins, compte tenu de sa position vis-à-vis de ses partenaires commerciaux,
l’articulation entre fiscalité et objectif de compétitivité mérite d’être posée, comme le fait
remarquer Sarah Guillou. Les entreprises sont soumises à un barème d’imposition assez
élevé  – tant en termes de cotisations sociales qu’en matière de bénéfices – auquel sont
associées de nombreuses exceptions et exemptions aux fins de compétitivité. Le prix à payer
de ces régimes est un morcellement de la base imposable. La fiscalité du capital, quant à elle,
échappe partiellement à ce schéma, car elle donne la priorité au principe d’équité au détriment
de celui de la compétitivité.
Problèmes économiques

Fiscalité française et compétitivité :


une alliance sous contraintes
L’objectif de la compétitivité, devenu priori-  SARAH GUILLOU
taire dans les agendas des gouvernements,
se définit comme les aptitudes du système Économiste senior au département Innovation et concurrence de
productif à produire à un meilleur coût, mais l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
aussi à satisfaire les évolutions de la demande
domestique et mondiale. La compétitivité du
système productif est la résultante d’inves- des impôts relativement à cet objectif, nous
tissements publics et d’investissements pri- nous concentrerons sur la fiscalité des entre-
vés dans le capital humain et dans le capital prises en abordant le poids des cotisations
productif afin d’augmenter la productivité du sociales, l’impôt sur les bénéfices et la fisca-
système. Une fiscalité qui vise la compétiti- lité du capital.
vité doit donc permettre d’optimiser ces deux
dimensions de l’investissement.
L’articulation entre fiscalité et compétitivité Quelles articulations entre fiscalité
est complexe mais mérite pleinement d’être
posée dans le cas de la France, étant donné sa
et compétitivité économique ?
position relative vis-à-vis de ses partenaires, La fiscalité n’a évidemment pas pour seul et
tant en termes de fiscalité que de compétiti- premier objectif la compétitivité. La redistri-
vité. Afin de répondre à la question du niveau bution, le financement des aides sociales et le

Problèmes économiques MARS 2016 42


1. Total des recettes fiscales (en % du PIB)

60

50

40

30

2000
20
2013

10

0
k

ce

lie

de

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ni
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Fi

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Pa
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Lu

Ro
Note : Les pays sont rangés par ordre décroissant du pourcentage de 2013.
Source : OCDE (2015), Statistiques des recettes publiques.

financement des biens publics, de la sécurité taille du marché, la sophistication de la pro-


à l’éducation en passant par la santé et les duction et l’innovation.
infrastructures, sont un ensemble d’objectifs En ce sens, la fiscalité affecte toutes les
que doit couvrir un système fiscal. Mais il dimensions de la compétitivité. Mais cela ne
doit le faire de telle manière à ne pas entra- signifie pas que la compétitivité soit le prin-
ver la compétitivité productive au risque de cipe qui sous-tende l’élaboration de la fisca-
réduire la base imposable et donc à terme lité. Notamment, l’objectif de compétitivité
les ressources fiscales. En même temps, ces peut entrer en conflit avec l’objectif d’équité.
objectifs participent aussi à la construction Par ailleurs, l’objectif de compétitivité peut
de la compétitivité. être satisfait tout autant par une baisse de
Si l’on reprend la définition du « World Eco- la fiscalité que par une augmentation. La fis-
nomic Forum » qui édite tous les ans un rap- calité se traduit par des prélèvements sur les
port sur la compétitivité des pays, la com- revenus des agents, d’une part, qui peuvent
pétitivité est l’ensemble « des institutions, être de nature à affecter négativement la com-
politiques et facteurs qui déterminent le pétitivité parce qu’elle réduit les incitations à
niveau de la productivité » – ensemble qui investir, mais aussi par des ressources collec-
se décline sur « douze piliers » que sont les tives, d’autre part, qui peuvent financer des
institutions, les infrastructures, l’environ- biens collectifs de nature à affecter positive-
nement macroéconomique, la santé, l’édu- ment la compétitivité. C’est l’équilibre entre
cation primaire, l’éducation supérieure et ces deux rôles qui assure l’efficacité de la fis-
la formation professionnelle, l’efficacité des calité au regard de l’objectif de compétitivité.
marchés des produits, l’efficacité du mar- On est donc en présence d’un double arbi-
ché du travail, le développement du marché trage : équité versus compétitivité d’une part,
financier, l’appropriation technologique, la puis une fois l’objectif de compétitivité posé,

43 FISCALITÉ FRANÇAISE ET COMPÉTITIVITÉ : UNE ALLIANCE SOUS CONTRAINTES


1. Impôts sur les revenus et les bénéfices et cotisations sociales (2013)
Montants IR et IS Montants CS
% du PIB % des PO % du PIB % des PO
France 10,9 24 16,7 37
Allemagne 11,3 31 13,9 38
Italie 14,5 33 13,1 30
Japon 9,8 32 12,4 41
Royaume-Uni 11,7 35 6,2 19
États-Unis 12,0 47 6,1 24
OCDE 11,5 33 9,1 26
IR : impôt sur le revenu, IS : impôt sur les sociétés, CS : cotisations sociales, PO : prélèvements obligatoires.
Source : OCDE (2015), Statistiques des recettes publiques.

dimension publique ou privée de la compéti- déterminant des flux de capitaux et de la


tivité, d’autre part. localisation des investissements et de la
Enfin, le système fiscal est lui-même un élé- production. Or la France se caractérise par
ment de la compétitivité. La stabilité, la fiabi- un taux de prélèvement obligatoire (TPO)
lité, la transparence et l’efficacité sont autant parmi les plus élevés des pays de spécialisa-
de qualités du système fiscal qui peuvent tion productive comparable.
varier d’un pays à l’autre, et qui déterminent La France se classe en effet deuxième en 2013
la compatibilité de la fiscalité avec l’objec- parmi les pays de l’Organisation de coopé-
tif de compétitivité (voir Matthews, 2011). ration et de développement économiques
Nous ne discuterons pas ici de cet aspect et (OCDE) en termes de poids dans le produit
nous ferons l’hypothèse que relativement à intérieur brut (PIB) des recettes fiscales ou
ses principaux partenaires économiques le encore des prélèvements obligatoires. Ce
système fiscal français ne pose pas de pro- poids a augmenté entre 2000 et 2013, passant
blème à cet égard. Par ailleurs, la France de 43 % à 45 %. On distingue trois groupes :
se distingue dans les classements interna- les pays scandinaves qui, avec la France et
tionaux plutôt par la qualité de ses infras- l’Italie, présentent les taux les plus élevés ;
tructures publiques (World Competitiveness les pays d’Europe centrale avec des taux
Report, 20151). Ce qui révèle que l’usage des moyens ; les pays anglo-saxons avec les TPO [1}
World Economic
ressources fiscales ne fasse pas particuliè- les plus faibles (voir graphique 1). Forum (2015), World
Competitiveness
rement débat. En fait, le système fiscal fran- Si on se concentre sur les impôts portant sur Report, 2015.
çais se singularise surtout par un niveau des les revenus des ménages et des entreprises,
prélèvements obligatoires relativement élevé. on observe que le niveau des recettes fiscales
relativement au PIB est très semblable à celui
de ses partenaires commerciaux. Ce qui, étant
La position relative donné le poids des prélèvements obligatoires

de la fiscalité française (PO), porte la contribution des impôts sur


les revenus et les bénéfices au niveau le plus
La comparaison des niveaux d’imposition faible parmi le groupe de pays observés (voir
entre pays s’impose dans le contexte de tableau 1).
concurrence globale, d’augmentation de la Les cotisations sociales représentent de leur
mobilité des facteurs de production (capi- côté une part nettement plus importante des
tal, mais aussi travail) et d’optimisation recettes fiscales en France relativement à la
fiscale des grandes firmes multinationales. contribution des montants de l’impôt sur les
Le niveau d’imposition devient un élément sociétés (IS) et de l’impôt sur le revenu (IR).

Problèmes économiques MARS 2016 44


Ces quelques observations montrent que la 2. Répartition de la fiscalité qui pèse sur
fiscalité portant sur les revenus des ménages les entreprises par type d’impôt (en % du PIB)
et des entreprises n’a pas un rendement très
16
élevé en France. Cela s’explique, comme nous
14
allons le voir pour l’impôt sur les bénéfices Impôts sur les bénéfices
12
des entreprises, non par des taux d’imposi-
10 Impôts sur la production
tion faibles, mais par une base fiscale mor-
celée. Mais commençons par nous interroger 8
Cotisations sociales
sur le poids élevé des cotisations sociales. 6
4
2
Le poids des cotisations sociales et 0

la compétitivité-prix des entreprises

19 8
19 0
19 2
19 4
19 6
19 8
19 0
19 2
19 4
19 6
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20 8
20 0
12
7
8
8
8
8
8
9
9
9
9
9
0
0
0
0
0
1
19
Source : INSEE, Calculs DG Trésor dans Heyer (2015).

Le coût du travail
lité des cotisations se caractérise par de nom-
La compétitivité-prix des entreprises est breuses politiques d’exonérations qui ont été
principalement déterminée par le coût du mises en place par les gouvernements suc-
travail. Le prix des matières premières, et cessifs depuis 1993 à des conditions et des
notamment de l’énergie, compte également taux d’exonération variés : réduction Juppé
ainsi que le prix des biens et services incor- en 1995, lois Aubry en 1998 et 2000, puis allé-
porés dans le coût de production. La fiscalité gement Fillon en 2003, entre autres.
de l’énergie doit donc absolument intégrer les En général, le pourcentage de réduction de
politiques fiscales des partenaires commer- charges sociales est dégressif avec le salaire.
ciaux en la matière. Cette fiscalité, en voie de C’est notamment le cas de l’allégement
mutation en raison des efforts du côté de la général mis en place en 2003, et toujours en
transition énergétique, devrait se définir au vigueur, pour lequel le seuil d’éligibilité est
niveau européen afin d’assurer une harmoni- fixé à 1,6  SMIC (salaire minimum de crois-
sation fiscale à cette échelle. Quant aux prix sance), mais dont 90 % du montant est alloué
des biens et services domestiques, cela relève aux salariés sous 1,3 SMIC. Le but de ces
moins de la fiscalité que du bon fonctionne- mesures est de favoriser les embauches en
ment concurrentiel des marchés, notamment réduisant le coût du travail, et ce, en ciblant
dans les marchés où persistent de fortes bar- les emplois les moins qualifiés, plus sen-
rières à l’entrée. sibles à la baisse des charges. Pierre Cahuc
Nous considérerons donc que la marge de et Stéphane Carcillo (2012) rappellent en effet
manœuvre fiscale en matière de compétiti- que l’impact théorique sur l’emploi est plus
vité-prix porte sur le coût du travail. Or ce élevé dans le cas d’allégements au niveau du
[2]
Cahuc P. et coût est fortement impacté par les contribu- salaire minimum qu’au-delà2.
Carcillo S. (2012),
tions sociales, c’est-à-dire les PO qui portent
« Les conséquences des
allégements généraux de sur les salaires dont l’objet est de financer les
cotisations patronales dépenses de la sécurité sociale. Ces contribu-
Le CICE – une TVA sociale ?
sur les bas salaires »,
Revue française
tions ont un poids dominant dans la fiscalité Plus récemment, le gouvernement de François
d’économie, volume des entreprises (voir graphique 2). Hollande a mis en place une politique hybride
XXVII, no 2.
Elles affectent négativement la compétitivité- entre baisse des charges et crédit d’impôt. Il
prix relativement à des pays dont le coût du s’agit du crédit d’impôt pour la compétiti-
travail est plus faible et sont un frein à l’em- vité et l’emploi (CICE). En vigueur depuis le
ploi des moins qualifiés. À cet égard, la fisca- 1er janvier 2013, le CICE correspond à une dimi-

45 FISCALITÉ FRANÇAISE ET COMPÉTITIVITÉ : UNE ALLIANCE SOUS CONTRAINTES


nution de l’impôt des sociétés équivalant à 6 % que les ajustements des prix et des salaires
(4 % pour 2013) des rémunérations salariales sont eux déterminants à moyen-long terme.
brutes qui n’excèdent pas 2,5 fois le SMIC. Il En outre, en incluant une augmentation de
concerne les entreprises imposées d’après la TVA, la dévaluation fiscale peut comporter
leur bénéfice réel et équivaut donc à une un effet récessif à travers la baisse du pou-
baisse du coût du travail associé aux salariés voir d’achat des ménages.
concernés. Cette mesure procède de la volonté Le projet de TVA sociale du gouvernement
du gouvernement, à la suite du rapport Gallois Fillon – une dévaluation fiscale au sens
sur l’industrie (2012) et dans le contexte de la strict – suivait cette logique en proposant
dégradation de la balance commerciale, d’ai- d’allouer une partie des recettes de la TVA au
der les entreprises à restaurer leur compéti- financement de la protection sociale tout en
tivité. Par ailleurs, elle s’inscrit dans la lignée baissant les charges patronales. Déjà expé-
des politiques de réduction de charges patro- rimentées au Danemark à la fin des années
nales mises en œuvre par les gouvernements 1980, en Suède en 1993, et plus récemment en
successifs depuis les années 1990 en faveur de Allemagne en 2006, ces mesures sont de plus
l’emploi et qui se poursuit dans le récent Pacte en plus souvent mises en œuvre par les gou-
de responsabilité 2014-2017. vernements européens privés de politique de
Au final, le CICE procède d’une volonté de change. Le CICE est donc bien une mesure
restructuration du système d’imposition au qui relève « dans l’esprit » de la dévalua-
bénéfice des entreprises et au détriment des tion fiscale, mais comme il s’agit d’un crédit
consommateurs, assimilée assez souvent à d’impôt, il a vocation à agir aussi sur la com-
une « dévaluation fiscale » ou « TVA sociale ». pétitivité-hors prix des entreprises (Guil-
Celle-là consiste précisément à diminuer les lou et Treibich, 2014, 2015). Le problème de
charges sur les salaires afférentes aux entre- ces politiques est qu’elles sont, par nature,
prises et à reporter la charge du financement non coopératives et ne fonctionnent qu’au
de la protection sociale sur les consomma- détriment des partenaires commerciaux.
teurs par une augmentation de la taxe sur Si, à court terme, cela permet d’améliorer
la valeur ajoutée. Cela réduit les coûts des la balance commerciale, à moyen terme, les
entreprises, qui deviennent plus compétitives difficultés des partenaires peuvent jouer à
si leurs concurrents étrangers ont au même contresens. Ainsi, si l’Allemagne a indénia-
moment maintenu leurs coûts constants. Cet blement amélioré sa compétitivité-coût à
avantage de coût relatif est identique à celui l’égard de ses partenaires européens avec sa
engendré par une dévaluation monétaire, d’où politique de TVA sociale, elle a eu à pâtir des
le terme de dévaluation fiscale. Comme dans le difficultés économiques de ses partenaires
cas d’une augmentation des droits de douane dans un second temps.
associée à des aides à l’exportation, la déva-
luation fiscale permet aux gouvernements
sous régime de taux de change fixe d’obtenir
les effets d’une dévaluation monétaire par des
L’imposition des bénéfices
outils fiscaux (Fahri et alii, 20133). des entreprises [3]
Farhi E., Gopinath G. et
Itskhoki O. (2011), « Fiscal
Cependant, ce que l’on oublie souvent
d’ajouter, c’est que la dévaluation fiscale
et la compétitivité-hors prix Devaluations », NBER
Working Paper 17662.
est soumise aux mêmes écueils que la déva- L’impôt sur les bénéfices est déterminant en
luation monétaire : les comportements des ce qui concerne la compétitivité-hors prix.
entreprises sont décisifs pour juger de l’effi- Au niveau de l’entreprise, cette dernière est
cacité de la dévaluation sur la performance en effet le fruit des décisions d’investisse-
économique. À court terme, tout repose sur ment. Or, les capacités de financement de
l’amélioration de la compétitivité-prix, alors ces investissements dépendent du profit net

Problèmes économiques MARS 2016 46


d’impôt des entreprises. D’autres variables 2. Impôt sur les bénéfices des sociétés
déterminent la décision d’investissement, et
% du PIB % des PO Taux en 2015
notamment les anticipations de la demande
France 2,5 5,6 34,4
future qui s’adressera à l’entreprise, puis le
Allemagne 1,8 4,9 30,2
taux d’intérêt. Le taux d’imposition est donc
une variable parmi d’autres, mais il n’en est Italie 3,2 7,3 27,5
pas moins important, notamment pour tous Japon 4 13,2 23,9
les investissements risqués qui nécessitent Royaume-
2,5 7,6 20
Uni
des financements propres.
États-
Au sein de l’OCDE, non seulement les taux 2 7,9 39
Unis
légaux d’imposition des bénéfices sont très OCDE 2,1 8,8 -
variables, mais la dispersion est encore plus
PO : prélèvements obligatoires.
grande quand il s’agit de la part de cet impôt Note : Les taux d’imposition incluent les impôts des
dans les recettes fiscales. Ces différences sont institutions infra-étatiques.
imputables à l’existence d’une grande diver- Source : OCDE (2015), Statistiques des recettes publiques ;
Public sector, taxation and market regulation database,
sité de mécanismes dérogatoires et d’exemp- OECD.
tions qui peuvent fortement réduire la base
imposable. Le tableau  2 se concentre sur prix, notamment par des incitations à l’in-
quelques pays et on observe que les recettes vestissement et à l’innovation.
des impôts sur les sociétés représentent entre
Outre le CICE présenté plus haut, on signa-
2 % et 4 % du PIB et entre 5 % et 13 % des PO.
lera ainsi la politique de soutien à l’investis-
Au sein de ce groupe restreint de pays, le taux
sement énoncée le 8 avril 2015 qui différencie
légal d’imposition varie entre 20 % et 39 %,
les investissements selon leur nature afin de
mais dans l’OCDE, il peut descendre jusqu’à cibler précisément les investissements pro-
12,5 % pour l’Irlande. ductifs et non de renouvellement. La mesure
Ce taux fait l’objet aujourd’hui d’une forte met en place un suramortissement de 40 %
concurrence entre les pays et certains permettant aux entreprises d’amortir les
d’entre eux, comme le Royaume-Uni, ont investissements à hauteur de 140 % de leur
réduit leur taux afin d’attirer les investisse- valeur. Cinq catégories d’investissements pro-
ments productifs sur leur territoire. Dans la ductifs sont éligibles et devront être réalisées
plupart des pays de l’OCDE, le taux d’impo- entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016. Elle
sition sur les bénéfices a diminué depuis le induit une baisse de l’impôt sur les sociétés en
début du XXIe siècle. C’est le cas en France conséquence d’une déduction supplémentaire
aussi où il était de 37,8 % en 2000 ; mais la liée au suramortissement.
diminution a été beaucoup plus faible que Enfin, l’innovation et les investissements en
dans d’autres pays. R&D sont fiscalement soutenus, notamment
Bien que parmi les taux d’imposition sur par le crédit impôt recherche qui offre un cré-
les bénéfices les plus élevés, l’impôt sur les dit d’impôt de 30 % du montant des dépenses
bénéfices souffre de nombreuses exceptions de R&D éligibles dans la limite d’un pla-
associées à l’âge et à la taille des entreprises fond de 100 millions d’euros. Le crédit impôt
ou encore à leur statut (comme les jeunes recherche est le soutien indirect à la R&D le
entreprises innovantes). Par ailleurs, aux plus généreux des pays de l’OCDE (pour une
dispositifs qui visent à améliorer la compé- synthèse, voir Guillou et Salies, 2015).
titivité-prix par un abaissement du coût du Pour finir, nous aborderons la question de la
travail s’ajoutent les dispositifs ayant pour fiscalité du capital qui est déterminante pour
objectif d’améliorer la compétitivité-hors le dynamisme du tissu productif influençant

47 FISCALITÉ FRANÇAISE ET COMPÉTITIVITÉ : UNE ALLIANCE SOUS CONTRAINTES


tout à la fois l’orientation de l’épargne vers avec la Grèce, à conserver un ISF, alors que
des usages productifs, la création et la trans- tous les pays européens y ont renoncé.
mission d’entreprises. Par ailleurs, la fiscalité du capital va entrer
dans les déterminants de l’orientation de
l’épargne qui arbitre entre des usages direc-
La fiscalité du capital est dominée tement productifs (action, organismes de
placement collectif en valeurs mobilières
par le principe d’équité [OPCVM] entrepreneuriaux) ou des usages
La fiscalité du capital est un terme générique plus financiers. Le placement en actions sera
qui inclut la fiscalité qui frappe la valeur des d’autant plus incité que l’impôt sur les plus-
actifs détenus par les agents (impôt de soli- values mobilières et sur les dividendes res-
darité sur la fortune [ISF]) ou leur cession ou tera à un niveau raisonnable, compatible avec
transmission (droits de succession, imposi- la prise de risque.
tion des plus-values). Rappelons que l’impôt Enfin, la fiscalité relative à la cession inter-
sur le revenu taxe les revenus d’activité mais vient dans la transmission des entreprises et
aussi ceux du patrimoine (intérêts, loyers, joue parfois un rôle clé dans la pérennité du
dividendes…), mais pas le patrimoine lui- tissu productif. Les droits de mutation sont
même. La taxation des revenus du capital est un obstacle à la circulation du capital pro-
cependant souvent incluse dans la fiscalité ductif et à sa transmission. Ils ont été dimi-
du capital. nués depuis 2007.
En matière de fiscalité du capital, les compa-
Les revenus du capital pouvaient bénéficier
raisons internationales ne sont pas faciles
jusqu’en 2012 d’une fiscalité forfaitaire :
car les systèmes enchevêtrent de nombreuses
19 %, 21 % et 24 % pour les plus-values, divi-
dispositions (Harding, 2013). Toutefois, la
dendes et intérêts. Mais le gouvernement France se singularise par la conservation de
de F. Hollande a souhaité les soumettre au tous les outils d’imposition du capital : de
barème progressif de l’impôt sur le revenu l’ISF aux droits de mutation. En matière de
tout en gardant un régime spécifique pour fiscalité du capital, on peut constater que le
les plus-values. Le système forfaitaire est principe d’équité domine en France sur celui
le système majoritairement adopté par nos de compétitivité et qu’il existe ici de la place
partenaires économiques. pour des réformes qui arbitrent un peu plus
L’augmentation des impôts sur les revenus en faveur de la compétitivité.
du capital est une tendance des dix dernières
années en France, notamment via la hausse
des prélèvements sociaux (contribution Conclusion
sociale généralisée [CSG], contribution pour Le système fiscal français se caractérise par
le remboursement de la dette sociale [CRDS]). un niveau de PO élevé qui autorise un niveau
Cette tendance est confirmée par la volonté d’investissement public de qualité créant
affichée du gouvernement actuel d’aligner la des conditions d’infrastructures jugées le
fiscalité sur les revenus du capital sur celle plus souvent très compétitives. De leur côté,
portant sur les revenus du travail. Cette poli- les acteurs des investissements privés sont
tique sous-estime la différence de mobilité soumis à un barème d’imposition assez élevé
des facteurs de production sous-jacents. Une en règle générale. Toutefois, le système se
taxation trop élevée du capital peut induire caractérise par de nombreuses exceptions et
des sorties de capitaux ou de l’optimisation exemptions aux fins de compétitivité. Qu’il
fiscale pour déplacer les réalisations de plus- s’agisse du crédit d’impôt recherche (CIR),
values. La France est un des derniers pays, ou plus récemment du CICE et du régime de

Problèmes économiques MARS 2016 48


suramortissement, de nombreuses déroga- L’objectif de compétitivité reste en revanche
tions compensent généreusement la lourdeur en dehors des objectifs de la fiscalité du
de la fiscalité portant sur les bénéfices des capital et il y aurait matière à repenser cette
sociétés. La compétitivité s’introduit dans fiscalité dans le contexte de la concurrence
les objectifs de la fiscalité française à travers fiscale internationale.
des mécanismes dérogatoires et au prix d’un
grand morcellement de la base imposable.

POUR EN SAVOIR PLUS


™ GUILLOU S. et TREIBICH T. ™ GUILLOU S. et SALIES E. (2015), ™ MATTHEWS S. (2011), « What
(2014), « Le point sur le CICE », « Le CIR en débat », no 55/17, is a “Competitive” Tax
Cahiers français, décembre 2015, Note OFCE. System? », OECD Taxation
La Documentation française, ™ HARDING M. (2013), « Taxation Working Papers, no 2, OECD
mars-avril 2014. of Dividend, Interest, and Publishing.
™ GUILLOU S. et TREIBICH T. Capital Gain Income », OECD ™ OCDE (2015), Revenue
(2015), « Impôts, charges Taxation Working Papers, Statistics 1965-2014,
sociales et compétitivité, le no 19, OECD Publishing. Statistiques des recettes
CICE : un instrument mixte », ™ HEYER É. (2015), « La fiscalité publiques 1965-2014,
Revue de l’OFCE, numéro des entreprises », Revue de OECD/OCDE 2015.
spécial – no 139. l’OFCE, numéro spécial – no 139.

49 FISCALITÉ FRANÇAISE ET COMPÉTITIVITÉ : UNE ALLIANCE SOUS CONTRAINTES


La grande réforme fiscale est l’Arlésienne du débat économique en France : maintes fois
annoncée, elle n’a toujours pas vu le jour, malgré les critiques répétées et les dysfonctionne-
ments avérés du système fiscal. Néanmoins, l’ajustement de la fiscalité – pour ne pas dire
l’activisme fiscal – est permanent. Il commence à remettre en cause la cohérence d’ensemble
de l’édifice fiscal et menace le consentement à l’impôt. Par ailleurs, et hormis une simplifica-
tion radicale, la fiscalité demeure un système soumis à des contraintes multiples et très
variées. Guy Gilbert, Étienne Lehmann et Thierry Madiès en font l’analyse, à la fois sur la
fiscalité locale, sur l’imposition des revenus et sur les impôts sur les bénéfices des sociétés, et
proposent des critères en vue de leur réforme.
Problèmes économiques

Système de prélèvements :
de l’ajustement permanent
à la réforme
Le système fiscal français, pourtant soumis  GUY GILBERT
à des ajustements permanents, concentre les
critiques venues de tous bords qui en fus- Professeur (émérite) à l’École normale supérieure de Cachan
tigent aussi bien l’iniquité que la perte de  ÉTIENNE LEHMANN
rendement consécutive au mitage des bases
fiscales par de multiples mesures déroga- Professeur à l’université Panthéon-Assas Paris-II
toires aussi coûteuses que mal évaluées,  THIERRY MADIÈS
ou que l’illisibilité – à l’image de l’embon-
point croissant du Code général des impôts Professeur à l’université de Fribourg (Suisse)
ou de celui de la sécurité sociale – et qui en
réclament une réforme profonde. Hormis le
cas des principaux impôts sur les biens et l’activisme du législateur fiscal : les impôts
services (taxe sur la valeur ajoutée [TVA] et sur les profits des entreprises, soumis au
accises) désormais soumis pour l’essentiel à défi de la compétitivité internationale, de la
la législation européenne, et non traité dans concurrence et de l’optimisation fiscale ; les
cet article, trois domaines ont concentré impôts locaux, et notamment ceux pesant
dans les dernières décennies l’essentiel de sur les entreprises, pour les mêmes raisons

Problèmes économiques MARS 2016 50


que pour l’impôt sur le bénéfice des sociétés ; taux statutaires de l’impôt sur le bénéfice des
les prélèvements sur les revenus des per- sociétés restent un « signal » important aux
sonnes physiques enfin, constamment remo- yeux des investisseurs internationaux qui
delés sous l’effet notamment des mesures l’interprètent comme un reflet de l’attitude
de soutien aux bas revenus. Si aucun de des gouvernements vis-à-vis des entreprises.
ces domaines n’a fait l’objet d’une réforme Ils constituent aussi un élément de décision
de grande ampleur, ils illustrent en même important dans les choix d’optimisation fis-
temps la mécanique de la réforme et mettent cale des entreprises multinationales.
en lumière les obstacles à relever.
Le mode de calcul du bénéfice imposable est
tout aussi important pour évaluer la charge
L’impôt sur les sociétés : des fiscale effective pesant sur les entreprises et
il est très différent selon les pays. Les règles
ajustements graduels à la baisse fiscales les plus importantes concernent la
déductibilité des amortissements, des provi-
sous la pression de la concurrence sions et des charges d’intérêt ainsi que les

fiscale internationale règles de report en avant ou en arrière des


déficits. La déductibilité des charges (notam-
L’impôt sur les sociétés (IS) est au cœur des ment d’intérêt) est d’autant plus intéressante
discussions depuis de nombreuses années en que le taux d’IS est élevé. Il existe aussi de
France comme au niveau européen. Le taux nombreuses mesures fiscales dérogatoires
statutaire (ou facial) de l’impôt sur le bénéfice (« niches fiscales », voir infra) qui réduisent
des sociétés est de 33,33 %, soit un des plus sensiblement les taux effectifs d’imposition
élevés au sein de l’Union européenne (UE) à des entreprises. Pour 2014, le montant de
l’exception de la Belgique. Les États-Unis et l’IS s’élevait à 36,2 milliards d’euros. Sans
le Japon ont cependant des taux d’imposition niches fiscales, l’IS aurait rapporté environ
encore plus élevés. Sur les quinze dernières 15 milliards de plus. Tout cela se traduit
années, la tendance générale dans le monde dans les faits par des taux effectifs d’impo-
est à une baisse significative des taux sta- sition plus faibles que les taux statutaires.
tutaires. Ainsi, le taux moyen d’IS est passé Une étude de la direction générale du Trésor
de 32,6 % en 2000 à 25,3 % en 2014 dans les estimait avant la crise financière de 2007 que
pays de l’Organisation de coopération et de le taux effectif d’imposition des sociétés non
[1]
Partouche, H., développement économiques (OCDE). Mais financières s’élevait à 27,5 % en moyenne1. Il
Olivier M., (2011), « Le
taux implicite des des différences significatives persistent entre n’est donc pas étonnant que, malgré un taux
bénéfices en France », pays : l’Irlande affiche par exemple un taux statutaire élevé, la part des recettes fiscales
Trésor-Eco no 88, d’IS de 12,5 % et les pays d’Europe orientale prélevées au titre de l’IS rapporté au PIB soit
direction générale du
Trésor, ministère de en moyenne de 19 %. en baisse quasi continue et situe la France
l’Économie, des Finances au 12e rang européen.
et de l’Industrie. La comparaison internationale des taux
statutaires normaux n’est pas toujours per- Les caractéristiques de l’IS vont donc en
tinente. Il peut en effet exister des taux France à l’encontre des principes de l’effica-
réduits, en particulier pour les petites et cité économique : son assiette est trop étroite
moyennes entreprises (PME). Des contribu- et son taux statutaire est trop élevé. Il serait
tions additionnelles à l’impôt sur les sociétés plus judicieux de baisser son taux et d’élar-
en majorent parfois le poids de façon signifi- gir la base imposable comme certains pays
cative, ce qui est le cas en France. Dans cer- européens l’ont déjà fait. La déductibilité des
tains pays, des impositions additionnelles charges d’intérêt a été récemment encadrée
prélevées par les collectivités décentralisées en France. Le taux d’IS a été abaissé à 15 %
s’ajoutent au taux national. Cependant, les pour les PME. Cette baisse correspond à une

51 SYSTÈME DE PRÉLÈVEMENTS : DE L’AJUSTEMENT PERMANENT À LA RÉFORME


volonté de l’ensemble des partis politiques L’argument de la concurrence fiscale est
français d’améliorer les conditions-cadres recevable pour ce qui concerne l’impôt sur
pour les PME. Le Conseil des prélèvements les sociétés, mais doit cependant être rela-
obligatoires (2015) a montré que le taux tivisé. Les travaux empiriques montrent que
d’imposition implicite (impôt sur les béné- les investissements directs étrangers (IDE)
fices rapporté à l’excédent net d’exploita- sont sensibles aux écarts de taux d’impo-
tion – ce dernier est un indicateur de la ren- sition (une baisse de un point de pourcen-
tabilité économique des entreprises avant tage du taux d’impôt sur le bénéfice sur les
prise en compte de leur politique de finan- sociétés dans le pays hôte augmenterait les
cement) s’élevait à 8 % pour les entreprises IDE entrants de 3 % à 4 % environ). L’estima-
du CAC 40, soit bien moins que pour les PME tion de fonctions de réactions fiscales met
(22 %) et pour les très petites entreprises en évidence l’existence de comportements
(28 %). Deux « dépenses fiscales » embléma- mimétiques entre États qui ont tendance à
tiques contribuent à alléger le poids de l’IS et réduire leurs taux d’imposition sur les socié-
apparaissent comme particulièrement géné- tés quand les autres font de même. Les entre-
reuses : le crédit impôt pour la compétitivité prises, en particulier les multinationales,
et l’emploi (CICE), qui vise à réduire le coût développent aussi des stratégies d’optimisa-
du travail et améliorer le taux de marge des tion fiscale en transférant une partie de leurs
entreprises, réduit d’environ 10 milliards bénéfices vers des pays à fiscalité faible (cela
d’euros en année pleine le rendement de l’IS ; explique en partie la faible imposition des
le crédit impôt recherche dont le coût pour les groupes du CAC 40). Le risque de course au
finances publiques est estimé à 6  milliards moins-disant fiscal est cependant sans doute
par an. Ces deux dispositifs profitent surtout exagéré pour plusieurs raisons. Un taux d’im-
aux grandes entreprises. L’efficacité des dis- pôt sur le bénéfice des sociétés plus élevé que
positifs fiscaux dépend aussi de la lisibilité celui autres pays exerce un effet négatif sur
que les chefs d’entreprise ont de la fiscalité les flux d’IDE entrants, mais un taux plus
dans le temps. Des mesures ponctuelles et faible que la moyenne ne conduit pas néces-
des signaux contradictoires réduisent singu- sairement à davantage d’IDE entrants. La fis-
lièrement l’efficacité de ces dispositifs. Les calité est un élément parmi d’autres dans le
chefs d’entreprise et leurs représentants ont choix d’implantation des entreprises. Il inter-
maintes fois plaidé la nécessité de « stabili- vient souvent en aval dans le processus de
ser et sécuriser l’environnement fiscal » des décision. L’accès au marché ou la qualité de
entreprises. la main-d’œuvre et des infrastructures sont
Malgré ce constat partagé, l’IS n’a fait l’objet des variables clés dans les choix de locali-
d’aucune réforme fiscale de grande ampleur sation. L’existence d’externalités positives
en France au cours des dernières décennies, liées à la proximité avec d’autres entreprises
le seul véritable facteur d’ajustement étant la (notamment pour les activités de recherche
concurrence fiscale internationale. Le projet et développement) fait que les entreprises
de créer un nouvel impôt sur l’excédent brut localisées dans des clusters ne sont pas for-
(net) d’exploitation par la loi de finances de cément prêtes à se délocaliser pour des rai-
[2]
2014 n’a pas vu le jour. L’IS a fait tout au plus sons fiscales. Enfin, des études récentes ont Le « décrochage » de
la France par rapport
l’objet d’adaptations à la marge visant essen- montré que la complexité en matière fiscale à l’Allemagne depuis
tiellement à rendre la France plus compéti- décourage l’investissement direct étranger. le début des années
2000 en matière
tive dans un environnement de concurrence L’harmonisation fiscale européenne, même de performance
fiscale internationale2. Outre l’IS, l’imposition si elle reste modeste pour ce qui concerne commerciale a joué un
locale des entreprises était sur la sellette, ce les impôts directs, avait pour but initial de rôle important dans la
prise de conscience par
qui a conduit à la réforme de la fiscalité locale réduire les distorsions susceptibles d’entra- les pouvoirs des efforts
en 2009-2010 (voir infra). ver le bon fonctionnement du marché unique à consentir.

Problèmes économiques MARS 2016 52


européen : des systèmes fiscaux hétérogènes le poids (10 % aujourd’hui) des collectivités
peuvent affecter les choix de localisation des locales dans le produit intérieur brut (PIB). Le
entreprises opérant dans plusieurs États contexte fiscal enfin, qui avait vu disparaître
membres. La directive « société mère filiale » le principal impôt local à l’occasion de l’ex-
de 1990 (amendée en 2003) vise par exemple tension du champ de la TVA au commerce de
à éliminer les doubles impositions des divi- détail. Mais la réforme en était difficile dans
dendes entre sociétés affiliées. La Commis- un contexte institutionnel marqué par la
sion européenne a aussi proposé un code de conjonction d’un fort émiettement territorial,
conduite (non contraignant) dans le sillage de d’un pouvoir fiscal local étendu, donc par des
l’OCDE pour lutter contre les pratiques fis- écarts de richesse considérables d’une col-
cales des États jugées « déloyales ». Les diffi- lectivité à l’autre, et par une construction du
cultés budgétaires rencontrées par la plupart monde politique et de la représentation par-
des pays depuis la crise de 2007 expliquent lementaire faisant la part belle aux intérêts
que ces derniers se concentrent dorénavant des collectivités territoriales.
sur la lutte contre l’optimisation fiscale des
entreprises multinationales cherchant à pro- Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. De fait,
fiter des failles dans les systèmes de taxation les tentatives de réforme n’ont abouti qu’à
[3]
Guengant A. et
(voir le projet de lutte contre l’érosion de la deux reprises3. La réforme de 1975-1976 eut
Uhaldeborde J.-M. (1986),
base d’imposition et le transfert de bénéfices lieu dans un contexte de vive contestation de
Crise et réforme des
finances locales, Paris, [BEPS] lancé en 2013 par l’OCDE). la contribution des patentes par les profes-
PUF-GRALE. sions indépendantes. La taxe fut alors rem-
Les réformes futures pourraient viser à
placée par la taxe professionnelle (TP) assise
réduire encore le biais fiscal qui existe entre
sur la valeur locative des locaux profession-
le financement par emprunt et le financement
nels et sur la masse des salaires. Les autres
par fonds propres. Les intérêts sont en effet
impôts locaux directs (la contribution mobi-
déductibles de l’assiette de l’IS, contrairement
lière acquittée par les résidents, les contri-
aux dividendes. Enfin, les efforts pour lutter
butions foncières sur les propriétés bâties et
contre l’optimisation fiscale des multinatio-
non bâties, toutes trois assises sur les valeurs
nales vont dans le bon sens : les bénéfices
locatives) changèrent simplement de nom.
doivent être taxés dans la mesure du possible
Mais les collectivités conservèrent l’essentiel
là où le revenu a été engendré. Cela induira
de leur pouvoir de fixation des taux sur ces
davantage de transparence et participera à
nouvelles impositions. Dès sa naissance, la
une meilleure lisibilité du système fiscal.
nouvelle TP fut l’objet des plus vives contes-
tations, de la part des entreprises cette fois-
Réforme de la fiscalité locale : ci, sur qui la réforme avait déplacé le poids
de l’impôt. Contestations qui ne cesseront de
les deux sentiers de la réforme s’amplifier avec la montée en puissance de la
décentralisation et… de la hausse des taux
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale,
de fiscalité. Aucune des tentatives de réforme
la réforme des impôts locaux n’a cessé d’être
n’aboutira… avant 2009, bloquées alternative-
présentée comme un « serpent de mer ». La
ment par un Parlement soucieux de préserver
réforme était sans doute nécessaire, tant le
les avantages acquis des collectivités locales
contexte des collectivités locales s’était modi-
(par exemple, sur la question de la réévalua-
fié. Le contexte urbain d’abord, avec l’accueil
tion des valeurs locatives), ou par l’État (par
progressif de 80 % de la population dans des
exemple, sur la mise en œuvre de la taxe locale
villes qu’il a donc fallu étendre, aménager
à la valeur ajoutée votée pourtant en 1980).
et équiper. Le contexte administratif et poli-
tique ensuite, avec les deux vagues de décen- Deux stratégies de réforme ont permis cepen-
tralisation de 1982 et 2003 qui ont doublé dant l’évolution du système fiscal local, stra-

53 SYSTÈME DE PRÉLÈVEMENTS : DE L’AJUSTEMENT PERMANENT À LA RÉFORME


tégies en apparence opposées mais de fait constitue un exemple type. Elle a conduit
[4]
coordonnées4. à supprimer la TP et à la remplacer par une Gilbert G. (2010)
« La suppression de la
contribution sur la valeur ajoutée et une
La première stratégie a consisté à modifier, taxe professionnelle :
contribution foncière des entreprises assise antécédents, enjeux
étape par étape, les impôts existants dans un et débats », Regards
sur la valeur locative des immobilisations
sens qui anticipait la réforme future. C’est sur l’actualité, Paris,
foncières. La réforme visait prioritairement La Documentation
le cas de la TP. Devant les problèmes susci-
à alléger les charges fiscales des entreprises, française, no 359, 24-31.
tés par l’assiette de la TP, il n’y eut d’autre
ainsi qu’à réduire les charges de l’État, grâce
solution que d’introduire discrètement et
à la disparition des mécanismes de prise en
progressivement la valeur ajoutée, destinée
charge des allégements de fiscalité locale.
à lui succéder : en l’occurrence, en instituant
C’est donc entre l’État et les entreprises que le
des taux planchers (1,5 %) et plafonds (3,5 %)
contenu de la réforme fut élaboré en premier
définis non pas en référence à l’assiette légale,
lieu. Mais il convenait aussi que les ressources
mais en fonction de la valeur ajoutée. Il suffit
de chaque collectivité locale soient garanties.
alors d’attendre qu’une majorité d’entreprises
Pour ce faire, il fallut, d’une part, introduire
y fût soumise pour parachever la mutation de
des taxes nouvelles (sur les entreprises de
l’impôt. Cette condition se trouva satisfaite
réseau), et que, d’autre part, l’État abandonne
en 2009, alors que 60 % des entreprises se
au profit des collectivités locales des frais de
trouvaient assujetties soit au taux plancher,
gestion perçus à l’occasion de la perception
soit au taux plafond. La valeur ajoutée devint
des impôts locaux, que les principaux impôts
alors l’assiette de référence. La substitution
locaux soient redistribués entre niveaux de
graduelle de la valeur ajoutée à la base légale
collectivités et que, enfin, les recettes fiscales
a ainsi servi de laboratoire à la réforme. Celle-
des collectivités gagnantes à la réforme soient
ci était devenue d’ailleurs inéluctable. En
amputées à hauteur des pertes encourues par
effet, en 2009, plus de la moitié de la TP était
les collectivités perdantes.
remboursée par l’État aux collectivités en
compensation de la perte de recettes consécu- Le système fiscal local est-il ainsi parvenu
tive aux taux planchers et plafonds. à un stade idéal ? Sans doute pas. Il est
aujourd’hui à la croisée des chemins entre
À l’avenir, ce modèle gradualiste pourrait deux options. Celle de la poursuite d’un
s’appliquer à la mutation, en marche depuis équilibre précaire dans une carte des ter-
2000, de la taxe d’habitation. De fait, la TH ritoires émiettée entre l’autonomie fiscale
est aujourd’hui un impôt à deux régimes, locale et la maîtrise globale de la pression
un impôt plafonné en fonction du revenu fiscale locale, d’une part, et la voie suivie
pour les contribuables modestes, et pour les par tous les pays où le secteur public local
autres, un impôt assis sur les valeurs loca- est bien plus développé, celle d’une fiscalité
tives cadastrales. La pression financière locale empilée sur les mêmes bases larges
croissante conduira sans doute les collectivi- que la fiscalité nationale avec comme corol-
tés locales à en accroître les taux qui susci- laire de laisser se développer la concurrence
teront des demandes croissantes de dégrève- fiscale entre les territoires, d’autre part.
ments gracieux (à la charge de l’État). L’État
acquittera la totalité des demandes dans un
premier temps, puis mettra en place un « tic-
ket modérateur » jusqu’à ce que l’assiette de
L’imposition des revenus :
la TH soit réformée par extension à tous les un mille-feuille indigeste
contribuables du régime du plafonnement en
Alors que la France a une fiscalité particuliè-
fonction du revenu.
rement lourde, son impôt sur le revenu (IR)
Le second modèle de réforme fiscale est plus ne rapporte que 3 % du PIB en 2014 quand
frontal. La réforme fiscale de 2009-2010 en il en rapporte 9 % aux États-Unis ou en Alle-

Problèmes économiques MARS 2016 54


magne. Ce paradoxe s’explique par l’exis- bénéficie d’un dispositif spécifique. La prise
tence de la contribution sociale généralisée en compte du nombre d’enfants dans les
(CSG) qui taxe à 8 % tous les revenus d’acti- barèmes des allocations logement ou du RSA
vité. En additionnant les deux, on arrive à concerne les familles les plus modestes. Les
8,4 % du PIB. Comme les cotisations sociales familles les plus aisées sont directement
représentent 17,1 % du PIB dans notre pays, concernées par le quotient familial (QF). Or,
on comprend que le poids des prélèvements le paysage a profondément changé ces der-
obligatoires provient beaucoup plus des coti- nières années avec notamment le plafonne-
sations sociales et de la CSG que de l’IR. ment du QF. Aussi, malgré la superposition
des dispositifs à destination des familles, on
Pourtant, le débat public se concentre
se rapproche d’une situation dans laquelle
sur l’IR, car il est recouvré directement
chaque enfant supplémentaire ouvrirait le
auprès des ménages qui doivent remplir
droit à une aide dont le montant serait indé-
chaque année leur déclaration de revenu.
pendant du revenu familial6.
Au contraire, la CSG est prélevée à la source
et apparaît plus indolore. Il est donc élec- Le système de redistribution se caractérise
toralement très tentant de proposer des ainsi en France par la superposition de dis-
réformes de l’IR. C’est sans doute pourquoi positifs qui rend l’ensemble trop peu lisible.
[5]
Rapport du comité il existe près de 190 niches fiscales sur l’IR5. Il devient ainsi de plus en plus difficile de
d’évaluation des comprendre les effets distributifs de chaque
Plus récemment, la loi de finances pour les
dépenses fiscales et des
niches sociales, 2011. revenus de 2014 a non seulement supprimé dispositif pris isolément. La multiplication
[6]
la première tranche de l’IR à 5 %, mais a éga- des niches fiscales est par ailleurs de plus en
Boisnault D. et
Fichen A. (2015),
lement renforcé le mécanisme de la décote plus perçue comme des passe-droits obtenus
« Enfants, politique dont le seul intérêt est de pouvoir réduire le au bénéfice de groupes d’intérêts particuliers.
familiale et fiscalité : les nombre de foyers imposables à l’IR au prix Au final, c’est bien le consentement à l’impôt,
transferts du système
socio-fiscal aux familles d’un taux marginal d’imposition plus impor- fondement même de la vie démocratique, que
en 2014 », Trésor-Éco, tant en entrée de barème. cette complexité menace. Mais l’enjeu est
no 142. également économique avec des incitations
Les dispositifs de soutien aux emplois à bas
à la création d’emplois et à la reprise d’acti-
salaires, qui sont essentiels dans la lutte
vité qui sont trop souvent mal comprises par
contre le chômage, rendent l’ensemble encore
ceux-là mêmes que ces dispositifs visent.
plus complexe. Trois dispositifs différents
permettent de réduire le coût du travail : la Le débat ne peut porter exclusivement sur
réduction générale des cotisations patronales le débit des « robinets » de la « tuyauterie
sur les bas salaires (ex-réduction Fillon), les fiscale », c’est-à-dire sur les différents taux
dispositions du pacte de responsabilité et le d’imposition. Il doit également porter sur
crédit d’impôt pour la compétitivité et l’em- l’agencement des tuyaux. Se demander s’il
ploi (CICE) prenant la forme d’une réduction faut ouvrir ou fermer un robinet n’a plus
d’IS. Du côté salarial, la prime pour l’emploi grand sens quand on ne comprend même
(PPE) et le volet activité du revenu de solida- plus quel tuyau ce robinet contrôle. Il faut
rité active (RSA) coexistaient jusqu’au 1er jan- donc repenser la tuyauterie. La simplifica-
vier 2016, ils sont depuis remplacés par la tion que nous proposons s’articule autour de
prime d’activité. Néanmoins, cette dernière ne quatre propositions.
sera pas versée automatiquement, si bien que La fusion de l’ensemble des transferts assis
moins de la moitié des bénéficiaires poten- sur les revenus d’activité en un seul barème
tiels en feront sans doute la demande, ce qui non proportionnel est prioritaire. Dans cette
était déjà le défaut principal du RSA-activité. perspective, on pourrait instaurer un prélè-
La politique familiale est une autre source vement en deux temps : un prélèvement men-
de complexité. Chaque niveau de revenu suel « à la source » auprès des employeurs

55 SYSTÈME DE PRÉLÈVEMENTS : DE L’AJUSTEMENT PERMANENT À LA RÉFORME


au moment du versement des salaires, dont distribuant des prestations qui dépendraient
le montant ne dépendrait que du revenu du nombre et de l’âge des enfants et non du
d’activité du salarié ; et un rattrapage de fin revenu des parents. Ce serait la fin du système
d’année qui viendrait compléter la différence du quotient familial qui est une singularité
entre l’impôt déjà perçu chaque mois sur une française dans le paysage international.
base individuelle et le montant final d’IR que
Enfin, on pourrait remplacer une grande
l’on calculerait sur la base de l’ensemble des
partie des niches fiscales de l’IR en subven-
revenus du foyer. On rejoint alors l’idée défen-
tions dont les montants dépendraient des
due notamment par Alain Trannoy (2012) de
comportements économiques que l’on dési-
transformer la CSG en un acompte de l’IR7. [7]
Trannoy A. (2012),
rerait promouvoir, mais non du revenu des « Il faut une révolution
La deuxième proposition consisterait à contribuables. fiscale, qu’en pensent
fusionner les cotisations patronales, les allé- les économistes ? »,
gements Fillon, le CICE et les dispositifs du Au total, l’IR y gagnerait sans doute en lisi- Les Échos-Eyrolles.

pacte de responsabilité en un barème unique bilité.


non proportionnel de cotisations patronales.
La politique familiale pourrait par ailleurs être
sortie du système d’imposition des revenus en

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BÉNASSY-QUÉRÉ A., ™ CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS ™ LANDAIS C., PIKETTY T.
TRANNOY A. et WOLFF G. (2014), OBLIGATOIRES (2015), Impôt et SAEZ E. (2011), Pour une
« Renforcer l’harmonisation sur le revenu, CSG, Quelles révolution fiscale, Éditions
fiscale en Europe », Les réformes ?, Paris, Les Le Seuil/République des idées.
Notes du Conseil d’analyse Journaux officiels.
économique, no 14.

Problèmes économiques MARS 2016 56


L’idée de relier le système de prélèvement à la question de la répartition des revenus et des
richesses – et plus précisément à celle de la redistribution – est assez récente dans l’histoire
moderne. Elle a pris une forme concrète lors du développement de l’État providence et notamment
des Trente Glorieuses avec l’instauration d’une fiscalité directe très progressive. Depuis, on
constate un recul de la progressivité des systèmes de prélèvements directs dans la plupart des
pays développés, rendant les systèmes moins redistributifs. Cette baisse de la redistributivité –
notamment due au recul des taux marginaux maximums de l’imposition des revenus – est sans
doute liée à l’ouverture des économies et aux stratégies de concurrence fiscale qui en résultent.
Le système français s’inscrit dans cette tendance globale, rappelle Jacques Le Cacheux, qui
souligne que la redistribution opérée par le système est certes significative, mais davantage le
fait des transferts, le système fiscalo-social n’étant que modérément progressif.
Problèmes économiques

Système de prélèvement
et redistribution
 JACQUES LE CACHEUX la cohésion sociale des pays touchés, mais
également sur leur dynamisme économique
Professeur, université de Pau et des pays de l’Adour et leur croissance (OCDE, 2015 ; Dabla-Norris
(CATT/UPPA), conseiller scientifique, OFCE/Sciences Po et al., 2015).
La répartition des revenus et des patrimoines
Les constats se sont multipliés ces dernières résulte du fonctionnement des marchés et
années : les inégalités économiques  – de des règles, notamment juridiques, qui s’y
revenu et de patrimoine – se creusent dans imposent. Les gouvernements peuvent cher-
la plupart des pays développés et dans de cher à la modifier en agissant directement
nombreux autres pays, bien qu’à des degrés sur ces règles, par exemple en imposant un
divers. Le retentissement mondial de l’ou- salaire minimum. Mais ils peuvent également
vrage de Thomas Piketty, Le Capital au intervenir en aval pour la corriger en prati-
XXIe siècle, témoigne de l’intérêt porté au phé- quant ce que l’on appelle communément une
nomène. Nombre de travaux économiques, redistribution ; ils disposent, pour ce faire,
y compris au sein d’institutions internatio- de deux catégories d’instruments : les pré-
nales pourtant réputées libérales, telles que lèvements et les transferts. Les seconds sont
l’Organisation pour la coopération et le déve- aujourd’hui très nombreux et divers, dans les
loppement économiques (OCDE) ou le Fonds pays développés, et notamment dans les pays
monétaire international (FMI), confortent le membres de l’Union européenne (UE) qui ont
diagnostic et soulignent les menaces que fait tous, à des degrés divers et selon des moda-
peser une telle évolution, non seulement sur lités souvent spécifiques, mis en place depuis

57 SYSTÈME DE PRÉLÈVEMENT ET REDISTRIBUTION


quelques décennies des États providence ; lieu à des débats enflammés, y compris en
[1]
mais tous recourent aussi, à des degrés France1, et a été soutenue par de nombreux En France, l’impôt
sur le revenu n’a été
divers, à la fiscalité pour redistribuer revenus économistes au nom du principe d’utilité adopté qu’en 1914.
et patrimoines. L’écart entre la répartition marginale décroissante de la consommation, Les controverses
interpersonnelle des revenus et patrimoines donc du revenu, qui justifie à leurs yeux une sur la fiscalité en
France au cours des
avant impôts et transferts et la répartition fiscalité progressive, c’est-à-dire une égali- XIXe et XXe siècles sont
des revenus disponibles – parfois appelée sation du « sacrifice » ou de l’effort exigé de remarquablement
secondaire – après impôts et prélèvements chaque contribuable. analysées dans l’ouvrage
de Delalande N. (2011).
et transferts mesure la redistribution opérée
À la notion d’équité horizontale – traitement [2]
par le système fiscalo-social. Certains autres
égal des égaux – s’ajoute alors la notion instruments fiscaux sont
d’équité verticale : le poids de l’impôt – c’est- parfois utilisés à des fins

Redistribuer par l’impôt : à-dire le taux moyen d’imposition – doit aug-


menter avec le revenu et/ou le patrimoine du
redistributives. C’est
notamment le cas de la
TVA. Jusqu’à 1990,
notions d’équité fiscale contribuable. La fiscalité directe – prélève-
ments sur les revenus ou les patrimoines – per-
il existait dans certains
pays européens, dont la
L’utilisation des prélèvements obligatoires – France, un taux majoré
met de calibrer le prélèvement aux capacités applicable aux produits
impôts et cotisations sociales – pour modi- contributives du contribuable. Elle constitue « de luxe ». Mais
fier la répartition interpersonnelle des reve- donc le principal instrument de la redistribu- comment établir la liste
de ces produits ? Le
nus ou des patrimoines est relativement tion fiscale2. Encore faut-il définir l’assiette du « luxe » des uns peut
récente. Depuis les révolutions démocra- prélèvement et l’identité du contribuable. être l’ordinaire d’autres.
tiques européennes et américaine, l’idée En outre, en France et
dans nombre de pays
de consentement à l’impôt s’est imposée
Capacité contributive européens, il existe
comme l’un des fondements des démocraties plusieurs taux de TVA,
représentatives ; et la Révolution française et prélèvement fiscal dont des taux réduits –
à 5,5 % en France,
a affirmé le principe universel de contribu- Quel que soit l’objectif de redistribution, contre 20 % pour le taux
tion de chaque citoyen au financement de la calibrer le prélèvement fiscal à la « capacité normal – applicables
dépense publique selon ses « facultés », que aux produits de
contributive » du contribuable suppose de « première nécessité »
l’on a généralement traduit par « capacité définir l’assiette de l’impôt – le revenu ou le – alimentation,
contributive », c’est-à-dire les ressources patrimoine « imposable ». Généralement, le notamment ; mais,
économiques dont chacun dispose, revenu là encore, l’effet
revenu imposable inclut les revenus d’acti- redistributif n’est pas
et/ou patrimoine, individuel ou familial. vité – salaires, bénéfices non commerciaux, assuré, dans la mesure
Jusqu’à la fin du XIXe siècle dans les pays pensions, etc. – et les revenus du capital, qui où ce « rabais fiscal »
profite malgré tout
alors industrialisés, et jusqu’en 1914 en sont souvent imposés selon des règles dif- davantage aux
France, l’idée d’une fiscalité redistributive férentes, certains, tels les intérêts du livret contribuables aisés
qu’aux plus modestes.
était pratiquement inexistante. La fiscalité A étant même défiscalisés. Mais est-ce une
était jusqu’alors essentiellement constituée bonne mesure de la capacité contributive ?
de prélèvements indirects, et les quelques Certains avantages en nature – les tickets-
impôts directs existants – notamment en restaurants distribués par les employeurs
France les « quatre vieilles » instituées pen- ou les « loyers fictifs » que les proprié-
dant la Révolution – étaient assis sur des élé- taires-occupants se versent fictivement à
ments spécifiques du patrimoine ou des reve- eux-mêmes – doivent-ils être inclus dans
nus, mais sans chercher à évaluer la situation le revenu imposable ? Concernant l’impo-
économique globale du contribuable. L’idée sition du patrimoine, l’assiette de l’impôt
de redistribution fiscale est apparue dans les de solidarité sur la fortune (ISF) exclut
pays qui ont institué un impôt sur le revenu les œuvres d’art, les biens professionnels,
des personnes – le Royaume-Uni, à partir de etc. On le voit, la définition de la « capacité
1842, l’Allemagne et les États-Unis un peu contributive » est déjà une affaire de choix
plus tard. Dès la fin du XIXe siècle, elle a donné politique.

Problèmes économiques MARS 2016 58


Le foyer ou l’individu ? pour 1, le second adulte du couple compte
pour 0,5, un enfant de moins de 15 ans pour
De même, un choix important concerne l’unité 0,3, un enfant de 15 ans ou plus pour 0,4.
imposable, le contribuable. Deux grands Reposant sur l’observation, mais également
modèles coexistent en Europe – et même au sur des hypothèses – notamment des écono-
sein du système français de prélèvements mies d’échelle importantes pour le second
obligatoires : l’imposition familiale ou l’im- adulte, mais l’absence de telles économies
position individuelle. Dans le premier – qui pour les enfants au-delà du premier –, cette
est celui de l’impôt français sur le revenu des opération de « pondération » des individus
personnes et de l’ISF –, c’est le foyer fiscal composant le foyer fiscal est elle aussi dis-
qui est l’unité imposable. L’assiette est donc cutable. Mais elle révèle que les « quotients »
l’ensemble des revenus ou du patrimoine du (conjugal et familial) utilisés dans le calcul
foyer et, dans le cas de l’impôt sur le revenu, du revenu imposable de l’impôt français sur
le barème de l’impôt est appliqué à une frac- le revenu – 1 part pour chaque adulte, demi-
tion de ce revenu, appelé « quotient » – conju- part pour chacun des deux premiers enfants,
gal (pour les couples mariés ou pacsés) et 1 part pour le troisième et chacun des sui-
familial (pour les enfants). Dans le second – vants – sont très arbitraires : ils favorisent
adopté par la plupart des autres pays euro- les couples et les familles avec trois enfants
péens –, c’est le revenu de l’individu qui est ou plus (Allègre et Périvier, 2013).
l’assiette de l’impôt, et la situation conjugale
Pensé pour assurer une forme d’équité hori-
et familiale est prise en compte au moyen de
zontale – à revenu égal, une famille avec
crédits d’impôts ou de déductions fiscales.
enfants doit payer moins d’impôt qu’une
Alors que le premier modèle repose sur famille sans enfants –, le dispositif français
l’hypothèse d’une mise en commun des res- de quotients (conjugal et familial) apparaît
sources économiques au sein du foyer, le ainsi biaisé. Pourtant, le plafonnement de
second privilégie l’autonomie des individus. la réduction d’impôt que procure le quo-
Chacun de ces deux grands modèles présente tient familial, en vigueur depuis 2000 et dont
cependant des difficultés, dans la mesure où le montant a été abaissé à 1 508 euros par
les structures familiales ne sont pas stables demi-part pour chaque personne à charge en
et où plusieurs études montrent que la mise 2016, ne permet pas de corriger ce biais : il
en commun et le partage égalitaire des res- défavorise les familles relativement aisées
sources à l’intérieur des familles ne sont pas avec enfants, sans affecter les couples sans
la règle (Ponthieux, 2015). enfants et les célibataires.
En outre, dans le système français d’impo-
sition conjointe des membres du foyer fis-
cal, l’évaluation de la redistributivité des Des systèmes fiscaux
prélèvements suppose de pouvoir comparer
les situations économiques de foyers fis-
moins redistributifs
caux présentant des caractéristiques diffé- Pour évaluer l’ampleur de la redistribution
rentes, notamment en termes de composition opérée par le système fiscalo-social, c’est en
(nombre d’adultes, d’enfants d’âges diffé- principe l’ensemble des prélèvements obliga-
rents), ce qui ne peut être fait qu’en recou- toires et des transferts qu’il faut considérer
rant à des « échelles d’équivalence » permet- (Bourguignon, 1998), ce qui suppose de recou-
tant de convertir les différents individus du rir à des modèles de « microsimulation », qui
foyer en « unités de consommation » : selon prennent en compte les différents revenus des
l’échelle d’équivalence utilisée par l’Institut foyers fiscaux et leurs dépenses de consom-
national de la statistique et des études éco- mation (Bozio et al., 2012) ; pourtant, la plu-
nomiques (INSEE), un adulte seul comptant part des études disponibles se concentrent

59 SYSTÈME DE PRÉLÈVEMENT ET REDISTRIBUTION


Taux marginaux maximum d’imposition des revenus des personnes en Europe (en %)

65

60

55

50

45

40

35
95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15
19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20

Allemagne France Italie Suède Royaume-Uni UE-28

Taux marginaux maximum d'imposition des revenus des personnes dans 4 grands pays de l'Union européenne et la moyenne arithmétique EU28,
de 1995 à 2015 (les données Eurostat ne remontent pas avant). Ces taux incluent les surtaxes et, dans le cas de la France, la CSG.
Source : Eurostat 2015.

sur les seuls prélèvements directs (INSEE, études menées sur des découpages plus
2015). Il existe, en outre, différentes mesures fins de la répartition des revenus concluent
des inégalités économiques, qui fournissent, que la redistribution est faible en haut de
sur la redistribution, des éclairages complé- l’échelle des revenus : le taux d’imposition
mentaires. Le plus simple est l’indicateur moyen progresse peu avec le revenu pour les
synthétique usuel d’inégalités des revenus, très hauts revenus (les 1 % les plus aisés, par
le coefficient de Gini : la différence entre la exemple), parce que ceux-ci profitent davan-
valeur calculée sur la répartition des reve- tage des possibilités de défiscalisation de
nus avant et après impôt donne une indica- certains revenus et des diverses « niches
tion de l’action redistributive de la fiscalité. fiscales », désormais plafonnées il est vrai
Selon l’INSEE (2015), elle était, en France, en (Landais, Piketty et Saez, 2011 ; Bozio et al.,
2014, un peu plus importante que les années 2012). En bas de l’échelle, les prélèvements
précédentes, mais modeste, le coefficient de directs ne sont pratiquement pas redis-
Gini après prélèvements n’étant inférieur tributifs, puisqu’un peu plus de la moitié
à celui avant impôt que de 2,1 points, alors des foyers fiscaux ne sont pas imposables
que les dépenses de transferts le réduisent à l’impôt sur le revenu, seul instrument de
davantage (– 9,2). Le rapport interdéciles, prélèvement progressif, mais acquittent la
qui mesure l’écart entre le revenu moyen des contribution sociale généralisée (CSG) pro-
10 % les plus aisés et celui des 10 % les plus portionnelle dès le premier euro et non fami-
pauvres de la population, fournit une indica- lialisée (Le Cacheux, 2012).
tion complémentaire : en 2014, les prélève-
ments directs l’ont réduit de 20 à 16 (INSEE, La forte progressivité
2015).
des prélèvements directs
La redistribution opérée par le système fis- au cours des Trente Glorieuses
calo-social français est donc significative,
mais elle est bien plus le fait des trans- La légère remontée de la redistributivité en
ferts que des prélèvements, ceux-ci n’étant France au cours des années récentes est le
que modérément progressifs. En outre, les résultat de l’augmentation à 45 %, en 2012,

Problèmes économiques MARS 2016 60


du taux marginal du barème de l’impôt sur dans de nombreux autres, par des réformes
le revenu des personnes, de l’inclusion dans fiscales diminuant fortement les taux mar-
le revenu imposable au barème de certains ginaux maximums des barèmes, réduisant
revenus du capital et du plafonnement de le nombre de tranches, élargissant générale-
plusieurs dispositifs de réduction de l’im- ment l’assiette des prélèvements et ouvrant
pôt – niches fiscales et quotient familial. Cette souvent aux détenteurs de revenus et/ou de
remontée survient cependant après deux patrimoines élevés de généreuses réductions
décennies au cours desquelles la progressi- ou déductibilités d’impôts (Saint-Étienne
vité des prélèvements obligatoires avait été et Le Cacheux, 2005). À l’est de l’Europe, les
sensiblement réduite. Avec la création, en pays nouvellement convertis à la démocratie
1991, puis la montée en puissance à la fin des et à l’économie de marché ont, de leur côté,
années 1990, de la CSG, le système d’impo- pour la plupart adopté des systèmes fiscaux
sition directe des revenus des personnes est peu progressifs, voire, dans certains cas, une
effectivement devenu proportionnel et indivi- Flat Tax, c’est-à-dire un ou plusieurs prélève-
dualisé pour la moitié inférieure de la répar- ments à taux unique.
tition des revenus ; et, depuis le début des
années 2000, le taux marginal maximum de Libéralisme et concurrence fiscale :
l’impôt sur le revenu a été réduit à plusieurs la baisse des taux marginaux
reprises, tandis que le bouclier fiscal, qui pla-
fonnait les prélèvements directs des contri-
maximums
buables les plus aisés, institué en 2005, avait Comment comprendre ce recul généralisé de
été rendu plus généreux en 2007, avant d’être la redistributivité des systèmes fiscaux, qui a
aboli en 2011 (Bozio et al., 2012). beaucoup contribué au creusement des iné-
La progressivité d’un système de prélève- galités économiques (Piketty, 2013) ? Les opi-
ments directs est, en principe, évaluée par la nions publiques sont-elles devenues moins
relation entre le taux moyen d’imposition et le sensibles aux inégalités, moins enclines à
revenu du contribuable ; elle dépend donc du soutenir les politiques de redistribution ?
seuil à partir duquel les revenus sont impo- Cela ne semble pas être le cas, si l’on en juge
sables et de la pente du barème d’imposi- par les résultats des enquêtes menées en
tion – taux marginaux et largeur des tranches France notamment (Forsé et Parodi, 2015).
d’imposition. Le taux marginal maximum L’analyse économique suggère une explication
n’en donne donc qu’une idée approximative. possible. Elle a, en effet, longtemps été domi-
Selon ce critère, la progressivité des prélè- née, depuis le début du XXe siècle jusqu’aux
vements directs est moindre en France que années 1970, par la conception de la redistri-
dans la plupart des autres grands pays euro- bution proposée par Vilfredo Pareto : des pré-
péens (voir graphique). lèvements et transferts forfaitaires permet-
Dans presque tous ces pays, ainsi qu’aux traient, en théorie, de redistribuer les revenus
États-Unis, les taux marginaux du barème sans affecter les incitations des différents
avaient été fortement augmentés durant la agents participant à l’économie, de sorte
Grande Dépression des années 1930 et, plus que n’importe quel degré de redistributivité
encore, pendant la Seconde Guerre mondiale ; pourrait être choisi, sans qu’il en coûte quoi
ils avaient été maintenus, voire encore relevés, que ce soit en termes d’efficacité économique.
dans les années 1960-1970, atteignant 72 % Mais cela ne vaut que si les instruments de la
aux États-Unis et même 83 % au Royaume- redistribution sont forfaitaires, c’est-à-dire
Uni en 1979 (Piketty, 2014). À partir du début s’ils ne sont pas calculés sur la base de gran-
des années 1980, les « révolutions conser- deurs économiques – revenu, patrimoine ou
vatrices » et les politiques libérales se sont dépenses – dépendant des choix individuels
traduites, d’abord dans ces deux pays, puis du contribuable. Or aucun des instruments

61 SYSTÈME DE PRÉLÈVEMENT ET REDISTRIBUTION


utilisés en pratique par les gouvernements tibles d’accroître cette sensibilité du revenu
ne remplit cette condition, et notamment pas imposable au taux de prélèvement, comme
les prélèvements obligatoires : ils modifient le suggère la théorie de la concurrence fis-
tous les incitations – à travailler, à épargner, cale (Saint-Étienne et Le Cacheux, 2005). On
à acheter tel ou tel bien, etc. –, engendrant pourrait ainsi comprendre pourquoi, dans le
ainsi une désincitation, elle-même source monde plus ouvert qui s’est mis en place à
d’une perte d’efficacité pour la société tout partir des années 1980, avec la libéralisation
entière, appelée « perte sèche ». C’est préci- des marchés et des flux de capitaux, avec la
sément cette idée que traduit schématique- réduction des coûts des transports et avec la
ment la fameuse « courbe de Laffer », qui diffusion de technologies de l’information, la
indique qu’au-delà d’un certain seuil – empi- redistributivité des systèmes fiscaux natio-
riquement indéterminé –, les recettes fiscales naux est devenue moindre, non pas parce
diminuent lorsque le gouvernement accroît le que les électeurs n’en veulent plus autant,
taux d’imposition. mais parce qu’elle est devenue plus coûteuse
Dès lors, comme le montre la « théorie de la pour les pays qui la mettent en œuvre, ce qui
fiscalité optimale » développée à partir du favorise les stratégies de concurrence fiscale
début des années 1970 à la suite des travaux des États.
de James Mirrlees (1971), les gouvernements
doivent, s’ils se conforment aux souhaits
de leurs électeurs, arbitrer entre l’aspira- Un impôt mondial ?
tion à une plus grande justice fiscale – une Faut-il dès lors se résigner à ne pas redis-
redistribution ambitieuse des revenus et des tribuer les revenus ? Aller jusqu’à soutenir,
patrimoines – et l’objectif de maximiser le comme le font les plus libéraux, que l’enri-
revenu national, la croissance économique. chissement des plus riches profite, en défini-
Autrement dit, un arbitrage entre un partage tive, aussi aux plus modestes, selon la théo-
plus égalitaire du « gâteau » et la taille de ce rie du « ruissellement » ? Outre qu’elles sont
même « gâteau ». socialement de moins en moins tolérables,
Toute la question est alors de savoir quels des inégalités économiques croissantes ont,
sont les termes de cet arbitrage : doit-on elles aussi, des effets néfastes sur l’activité
sacrifier beaucoup de revenu national pour économique, comme l’indiquent de nom-
redistribuer un peu de revenu ? Ce « sacri- breuses études. Mais comment faire si les
fice » dépend de l’élasticité des offres de tra- pays n’ont plus vraiment les moyens de redis-
vail et d’épargne aux taux marginaux d’im- tribuer revenus et patrimoines ? Les parti-
position. Or les estimations disponibles sont sans d’une plus grande égalité (Atkinson,
loin d’être unanimes concernant ces valeurs. 2015 ; Piketty, 2013) ne s’y résignent pas et
Une étude récente sur la base de données plaident en faveur d’un impôt mondial. Uto-
françaises suggère cependant que l’élasti- pie ? Sans doute, mais peut-on laisser ainsi
cité du revenu imposable au taux marginal les inégalités se creuser sans frein, au risque
d’imposition est, en moyenne, faible, mais de voir le monde s’enfoncer dans la « stagna-
croissante avec le revenu. tion séculaire » ?
La mobilité internationale des personnes et
des patrimoines est l’un des facteurs suscep-

Problèmes économiques MARS 2016 62


POUR EN SAVOIR PLUS
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63 SYSTÈME DE PRÉLÈVEMENT ET REDISTRIBUTION


Les dépenses fiscales (et sociales), c’est-à-dire les dispositions législatives dérogatoires par
rapport aux normes fiscales (sociales) de référence, ont pris une place importante dans le
système français de prélèvements obligatoires. De par leur manque à gagner pour le gouver-
nement, elles constituent un enjeu non négligeable pour les finances publiques. Si les motiva-
tions pour recourir à ces instruments sont multiples – motivations électoralistes, objectifs
incitatifs, recherche d’équité verticale – leur efficacité est sujette à interrogation et il est
certain qu’ils contribuent largement à rendre le système fiscal plus complexe et moins trans-
parent. Benoît Le Maux analyse les chemins multiples qui conduisent à la multiplication de ces
régimes dérogatoires et propose des critères pour évaluer leur efficacité.
Problèmes économiques

Dépenses fiscales et complexité


fiscale : un « choix public »
À Bercy, l’ampleur des régimes déroga-  BENOÎT LE MAUX
toires et la complexité qui en résulte font
débat depuis longtemps. Comme le sou- Maître de conférences à l’université de Rennes 1,
ligne un des documents annexés au projet CREM-Condorcet Center for Political Economy
de loi de finances pour  2016, il est recensé
430 dépenses fiscales pour les seuls impôts
d’État pour un coût total estimé à 83  mil- Ce courant, fondé par certains grands noms
liards d’euros, soit près d’un tiers des de l’économie contemporaine, comme les Prix
recettes fiscales nettes perçues par l’État Nobel James Buchanan et George Stigler, ana-
(voir tableau). Les dispositifs dérogatoires lyse l’intervention de l’État en utilisant les
relatifs à la sécurité sociale (ou « niches concepts de la théorie néoclassique. Cepen-
sociales ») généraient quant à eux un coût dant, à la différence de l’économie du bien-
d’environ 52 milliards d’euros en 2013, « soit être (Arthur Pigou et les autres néoclassiques),
au minimum 12 % des ressources de la sécu- l´école des « choix publics » ne considère pas
rité sociale ou 2,6 points de PIB » (Cour des que les insuffisances du marché rendent
comptes, 2013). nécessaire l’intervention de l’État. Selon cette
Comment peut-on expliquer l’incroyable com- école, les décideurs du secteur public sont
plexité de notre système fiscal et les pertes de caractérisés par les mêmes comportements
recette qui y sont liées ? L’école des « choix que les agents du secteur privé. Par consé-
publics » (public choice) apporte de nom- quent, l’intervention de l’État peut également
breux éléments d’éclaircissement à ce sujet. générer des défaillances.

Problèmes économiques MARS 2016 64


Les principales dépenses fiscales par mission en 2016

Mission Coût en millions d’euros Nombre


Agriculture, alimentation,
2 884 37
forêt et affaires rurales
Aide publique au développement 1 1
Anciens combattants,
789 6
mémoire et liens avec la nation
Avances à l’audiovisuel public 719 3
Culture 292 21
Défense 66 5
Écologie, développement
2 976 37
et mobilité durables
20 255 (dont 13 010 attribués au crédit
Économie d’impôt en faveur de la compétitivité 74
et de l’emploi)
12 030 (dont 3 280 attribués au taux de
10 % pour les travaux d’amélioration,
Égalité des territoires et logement de transformation, d’aménagement et 53
d’entretien, portant sur des logements
achevés depuis plus de deux ans).
Engagements financiers de l’État et
5 180 29
direction de l’action du gouvernement
Enseignement scolaire 185 2
Gestion des finances publiques
65 2
et des ressources humaines
Justice 29 1
Médias, livre et industries culturelles 344 10
Outre-mer 3 927 26
Politique des territoires 872 38
6 301 (dont 5 510 attribués au crédit d’impôt
Recherche et enseignement supérieur 16
en faveur de la recherche).
Relations avec les collectivités
8 1
territoriales
3 317 (dont 2 460 attribués au taux de 2,10 %
applicable aux médicaments remboursables
Santé 11
ou soumis à autorisation temporaire
d’utilisation et aux produits sanguins).
Sécurité, immigration, asile et intégration 53 4
Solidarité, insertion et égalité 13 348 (dont 4 180 attribués à l’abattement
30
des chances de 10 % sur le montant des pensions).
Sport, jeunesse et vie associative 2 542 17
Travail et emploi 6 892 25
Total 83 375 449
Source : tableau créé à partir de l’annexe au projet de loi de finances pour 2016.

65 DÉPENSES FISCALES ET COMPLEXITÉ FISCALE : UN « CHOIX PUBLIC »


L’analyse économique des choix publics se ou médian joue un rôle significatif1. Comme [1]
On peut citer pour les
fonde sur les outils de la microéconomie tout bien privé, la demande de bien public et communes françaises
l’étude de Le Maux B.
pour expliquer le comportement des agents l’impôt qui lui est associé augmentent avec le (2007), « L’électeur
du secteur public. Dans les théories micro- revenu. On retrouve cette idée dans la loi de médian est-il vraiment
décisif ? Un examen
économiques conventionnelles, un consomma- Wagner selon laquelle la croissance écono- des communes
teur cherchera à maximiser la satisfaction qu’il mique s’accompagnerait d’une hausse iné- françaises », Revue
retire de la consommation de certains biens. Le vitable des dépenses publiques si les biens d’économie régionale
et urbaine, 5. ; pour les
producteur cherchera quant à lui à maximiser publics sont des biens supérieurs, qui plus est départements, voir :
sa fonction de profit. Une question importante de luxe (voir Alcouffe et Baslé, 2008). Le Maux B., Rocaboy Y.
soulevée en économie politique est celle de la et Goodspeed T.
Le modèle de l’électeur médian suppose des (2011), « Political
fonction-objectif des décideurs publics : que décisions politiques unidimensionnelles, Fragmentation, Party
cherchent-ils réellement à maximiser ? Com- c’est-à-dire dont la variable de choix est Ideology and Public
prendre les motivations de toutes natures des Expenditures »,
unique, tel un taux de taxe ou un niveau de Public Choice, 147.
décideurs est important puisque ce sont eux dépense. L’outil ne permet donc pas d’ex-
qui, in fine, choisissent le niveau des dépenses, pliquer la complexité croissante de notre
des taux d’impôt et des régimes dérogatoires. système fiscal. L’économie politique de la
taxation apporte néanmoins des éléments de
réflexion supplémentaires. L’analyse n’est
La complexité : une réponse plus basée sur des modèles de vote déter-
ministe. Elle suppose au contraire que de
à une demande sociale… nombreux facteurs influencent le choix de
vote des électeurs, tels le charisme et autres
L’outil le plus utilisé par les théoriciens du
caractéristiques personnelles des candidats
choix public est l’hypothèse de l’électeur en compétition. Les préférences des électeurs
médian. Celle-ci postule que tout choix col- sont alors plus difficiles à anticiper, ce qui
lectif voté à la majorité reflète les préfé- amène les candidats politiques à considérer
rences d’un électeur décisif, celui possédant les différents intérêts présents dans l’électo-
le revenu médian. L’application de ce résultat rat. Au lieu de maximiser la satisfaction d’un
aux régimes de démocratie représentative est agent décisif, les candidats vont à l’équilibre
simple : lorsque l’on s’intéresse à la distribu- se comporter comme s’ils maximisaient une
tion des revenus dans une économie, l’élec- fonction de bien-être social. Les stratégies de
teur médian est celui qui se trouve au milieu niche et la prise en compte des intérêts parti-
de cette distribution. Si un gouvernement culiers peuvent dès lors s’avérer profitables.
souhaite se faire réélire, il devrait donc Selon cette analyse, c’est donc l’hétérogénéité
essayer de maximiser la satisfaction de cet des préférences des électeurs et la différen-
électeur lors de son mandat. Il sera ainsi ciation des demandes qui seraient à l’origine
garanti d’atteindre au moins une majorité de la complexité fiscale observée.
des voix lors des prochaines élections.
Par exemple, Paola Profeta (2007) montre à
De nombreuses études empiriques valident travers un modèle de vote probabiliste que
l’hypothèse de l’électeur médian. Ce modèle les groupes d’électeurs les plus nombreux et
sert donc de référence pour expliquer les dis- donc les plus influents sont aussi ceux qui
parités de dépense publique et de taux de taxe bénéficieront des taux de taxe les plus faibles.
en régime de démocratie directe et représen- Dans ce cadre théorique, l’élasticité des
tative (Mueller, 2012). L’approche statistique votes joue également un rôle important. Les
est simple. Il s’agit de tester si les caractéris- électeurs qui sont les plus neutres ou les plus
tiques de l’électorat expliquent les différences susceptibles de changer leur vote en faveur
de budget observées d’une juridiction à une d’un autre parti seraient aussi ceux qui tire-
autre. On montre alors que le revenu moyen raient le système fiscal à leur avantage (Winer,

Problèmes économiques MARS 2016 66


2001). Enfin, ces modèles expliqueraient éga- Selon les théories du lobbying, les groupes
lement les raisons pour lesquelles les partis d’intérêt les mieux organisés pourraient égale-
politiques mettent en place des réformes fis- ment influencer les politiques via des actions
cales similaires. Un candidat purement inté- diverses (apport informationnel, financement
ressé par ses chances de réélection, qu’il soit des campagnes électorales, entretiens avec les
de gauche ou de droite, mettrait en place des élus, pots-de-vin). D’après la théorie de la cap-
politiques publiques favorisant les électeurs ture énoncée par G. Stigler en 1971, les groupes
les plus indécis au détriment d’une politique minoritaires peuvent utiliser les moyens de
économique efficace. C’est ce que montrent réglementation et le pouvoir coercitif des
notamment Micael Castanheira et al. (2012) États pour orienter les lois et les règles dans
à travers une étude concernant 27  pays de des directions qui les favorisent et ce, au détri-
l’Union européenne. ment de l’intérêt général. De par leur grand
nombre, la majorité des électeurs, ceux que
l’on n’entend pas, est confrontée à des difficul-
… accentuée par les stratégies tés organisationnelles telles qu’ils ne peuvent

politiques. pas s’opposer efficacement à la pression des


lobbies, qui, eux, sont très bien organisés.
Alors que les théories précédentes mettent Par exemple, en France, les organismes qui
en évidence un impact certain de l’électorat défendent les intérêts particuliers sont nom-
sur les décisions publiques, d’autres modèles breux et actifs. Selon l’association Regards
s’intéressent plus particulièrement aux com- citoyens, ce ne sont pas moins de 9 300 audi-
portements stratégiques des partis politiques tions qui ont été recensées entre 2007 et 2010
et des membres qui les composent. On peut sur les listes d’audiences annexées aux rap-
notamment citer les travaux précurseurs de ports parlementaires. Les propos de Gilles
Gordon Tullock selon lesquels l’échange de Carrez, rapporteur général de la commission
votes, plus communément appelé logrolling des finances de l’Assemblée nationale de 2002
dans la littérature anglo-saxonne, multiplie à 2012, sont aussi révélateurs du phénomène :
les projets. L’idée est simple : un élu votera « Dans chaque niche, il y a un chien qui mord. »
pour les projets des partis concurrents si
ces derniers votent également pour le sien.
À cela s’ajoute l’hypothèse de Nouriel Rou- Le cas de la France
bini et Jeffrey Sachs, établie en  1989, selon En  2003, un rapport du Conseil des impôts
laquelle un gouvernement serait affaibli par mettait en exergue le nombre élevé de
la fragmentation politique (weak govern- dépenses fiscales, c’est-à-dire de disposi-
ment hypothesis). L’idée est basée sur une tions législatives dérogatoires par rapport
« tragédie des biens communs » analogue aux normes fiscales de référence, plus com-
à celle qui caractérise les biens environne- munément appelées « niches fiscales ». La
mentaux. De la même façon qu’une ressource France comptait environ 200 dispositifs
naturelle devient surexploitée lorsque les dérogatoires de plus qu’au Canada, qu’en
agents du secteur privé satisfont leurs inté- Allemagne ou qu’au Royaume-Uni. La hau-
rêts propres, les partis politiques proposent teur globale du phénomène est néanmoins
des projets de politique publique sans se sou- à relativiser. La France se situait à l’époque
[2]
Voir : Conseil des cier de leur impact sur la contrainte budgé- dans la fourchette basse en matière de
impôts (2003), « La fiscalité
dérogatoire, pour un taire globale. Cela aboutit à une multiplica- coûts rapportés au produit intérieur brut
réexamen des dépenses tion des dépenses et dérogations, phénomène (PIB)2. Selon la Commission d’information
fiscales », http://www. d’autant plus accentué que le nombre de des finances, de l’économie générale et du
ladocumentationfrancaise.
fr/var/storage/rapports- sièges au parlement est important (Bradbury plan (2008), c’est la dynamique du phéno-
publics/034000554.pdf et Crain, 2001). mène qui est plus inquiétante. En moyenne,

67 DÉPENSES FISCALES ET COMPLEXITÉ FISCALE : UN « CHOIX PUBLIC »


pour les seuls impôts d’État (hors dépenses financement de la sécurité sociale pour 2013
fiscales affectant les impôts locaux et hors et 2014 ont remis en cause plusieurs exoné-
exonérations sociales), près de quatorze rations et exemptions de l’assiette sociale.
nouvelles mesures ont été créées chaque Le coût de l’ensemble des mesures d’exo-
année entre  2003 et  2008. Le rythme de nération de cotisations et contributions de
création se serait donc fortement accé- sécurité sociale, qu’elles soient compensées
léré, puisque seulement une centaine de ou non, atteint désormais 28,9 milliards
mesures avaient été créées entre le début d’euros en 2015, montant que l’on peut
des années 1980 et 2003, soit moins de cinq estimer toutefois incomplet, compte tenu
par an3. du niveau relaté par la Cour des comptes [3]
Voir : Commission
en 2013 (52 milliards d’euros). d’information des
Le coût des dépenses fiscales est extrême- finances, de l’économie
ment concentré. Pour  2016, treize mesures Étant donné le nombre élevé de dispositifs générale et du plan
(2008), Rapport
représentent à elles seules plus de 50 % du dérogatoires et les difficultés inhérentes à d’information sur
coût total des dépenses fiscales. Parmi les les supprimer, comment ne pas soupçonner les niches fiscales,
la présence des comportements politiques http://www.assemblee-
trois premières, nous avons le crédit d’impôt nationale.fr/13/pdf/
en faveur de la compétitivité et de l’emploi cités plus haut ? Apporter des éléments de rap-info/i0946.pdf
(CICE) (13 milliards d’euros), le crédit d’impôt réponse à cette question nécessite toutefois
en faveur de la recherche (CIR) (5 milliards) et une analyse approfondie. En effet, l’emploi
l’abattement de 10 % sur le montant des pen- de certaines dérogations peut être légitime
sions et des retraites (4 milliards). Parmi les eu égard à certains objectifs de politique
dépenses fiscales les plus connues, nous pou- publique. Sous cet angle, un bon système
vons également citer les nombreux disposi- fiscal n’est pas nécessairement un système
tifs en faveur de l’investissement locatif, por- fiscal simple (Baslé, 1989).
tant les noms des ministres et députés qui les Il est dès lors extrêmement difficile d’expli-
ont mis en œuvre : les réductions d’impôt du citer des exemples concrets de stratégies
dispositif Méhaignerie et Quilès-Méhaigne- partisanes, comme celles que nous avons
rie (1984-1997), le système d’amortissement citées plus haut. Chaque régime déroga-
du dispositif Périssol (1996-1999), le plafon- toire, de par sa construction, est spécifique
nement des loyers sous le dispositif Besson et l’évaluation de chacun demande du temps
(1999-2002) qui par la suite a été réduit dans et des travaux conséquents.
le dispositif Robien (2003-2006), les disposi-
tifs « Robien recentré » et « Borloo populaire »
destinés à favoriser l’investissement locatif
dans des zones spécifiques (2006-2009), sui-
L’évaluation des dispositifs
vis par les lois Scellier (2009-2012), Duflot  1 dérogatoires
(2013-2014) et Pinel (depuis 2015).
D’un point de vue normatif, les théories éco-
Les niches sociales recouvrent quant à nomiques de la fiscalité optimale mettent en
elles  l’ensemble des exonérations, réduc- avant un arbitrage entre deux critères que
tions et abattements d’assiette ou de taux sont l’efficacité et l’équité. Un taux de taxe
applicables aux prélèvements finançant la unique améliorerait par exemple l’efficacité
sécurité sociale. Sur ce point, la Cour des de l’impôt en imposant de manière identique
comptes (2013) fait apparaître un coût glo- les activités des agents et donc en modifiant
bal en très faible diminution de 2009 à 2012. le moins possible leurs comportements. Un
La dynamique propre de l’ensemble des impôt progressif fera au contraire suppor-
niches a en effet compensé l’essentiel des ter une charge fiscale plus importante aux
effets des mesures visant à leur diminu- agents disposant des revenus les plus élevés,
tion sur la période. Depuis lors, les lois de réduisant ainsi les inégalités de revenus et

Problèmes économiques MARS 2016 68


aboutissant à une plus grande équité verti- Comment dès lors faire la part des choses
cale. Par ailleurs, l’impôt peut être utilisé à entre « choix public optimal » et « inefficacité
des fins incitatives dans le but d’orienter les de l’intervention publique » ? Le comité d’éva-
comportements de certains agents écono- luation des dépenses fiscales et des niches
miques. À cela s’ajoutent des considérations sociales a créé une base de travail importante à
en termes de rendement et de coût, ainsi que ce sujet. Depuis 2011, le gouvernement dispose
de renforcement du respect des lois fiscales. d’une évaluation de l’efficacité de la plupart
des dépenses fiscales et des niches sociales. Le
La question se pose de savoir si les régimes rapport, connu aussi sous le nom de « rapport
dérogatoires satisfont les critères cités pré- Guillaume », porte sur les 60 milliards d’euros
cédemment. Comme le notent M.  Castan- de niches fiscales et les 40 milliards de niches
heira et Christian Valenduc, hors corrections sociales qui constituaient alors le périmètre
éventuelles d’imperfections du marché, le du comité d’évaluation. Comme l’a souligné
principe même de dérogation est contraire ensuite la commission des finances, le rapport
aux critères d’efficacité puisque les diffé- Guillaume est sans appel. Celui-ci concluait
rences de traitement peuvent perturber les que, environ 40 milliards d’euros de dépenses
[4]
Voir : Castanheira M. mécanismes du marché4. Il va également à fiscales et 15  milliards d’euros de niches
et Valenduc C. (2006), l’encontre du critère d’équité horizontale
« Économie politique sociales pouvaient être considérés comme peu
de la taxation », Reflets puisqu’il engendre un traitement différencié ou pas efficaces, ce qui représentait les deux
et perspectives de la des personnes de même capacité contribu- tiers des dépenses fiscales et près de la moitié
vie économique, 3. Voir tive. Par ailleurs, outre des coûts de recou-
également Valenduc C. des niches sociales.
(2004), « Les dépenses vrement et de gestion potentiellement élevés,
fiscales », Reflets et les niches fiscales et sociales entraînent pour
Les solutions envisagées
perspectives de la vie
économique, 1.
le citoyen un manque de transparence consé-
quent, phénomène amplifié par l’enchevê-
trement de certaines aides qui s’empilent Au-delà de la complexité accrue, de l’illisi-
du fait de leur durée d’application. bilité et de l’inefficacité du système fiscal,
la multiplication des régimes dérogatoires
L’emploi des dispositifs dérogatoires se jus-
entraîne un manque à gagner certain pour
tifie toutefois à deux titres. Tout d’abord,
le gouvernement. Trouver des solutions est
nombreuses sont les niches ayant un rôle
donc primordial. Celles préconisées par le
incitatif. C’est le cas du crédit d’impôt pour
rapport Guillaume peuvent être résumées en
la transition énergétique (CITE). Celui-ci a été
ces termes :
mis en place au 1er septembre 2014, en rem-
placement du crédit d’impôt développement Améliorer l’information. Une meilleure
durable (CIDD), afin d’inciter les particuliers connaissance des dispositifs dérogatoires et
à effectuer des travaux d’amélioration éner- de leur coût est une condition nécessaire à
gétique de leurs logements tout en soutenant leur maîtrise. L’information sur les effets des
les technologies émergentes. C’est également mesures est elle aussi fréquemment inexis-
le cas du nouveau dispositif CITE qui vise tante. Une stratégie plus rigoureuse d’esti-
à augmenter l’effort des entreprises privées mation du nombre de dispositifs, de leur coût
dans ce domaine. Deuxièmement, certains et de leurs effets s’impose donc comme une
dispositifs relèvent de la recherche d’équité priorité.
verticale, par exemple, il en va ainsi du taux Un meilleur pilotage. L’évaluation des dispo-
de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 2,1 % sitifs dérogatoires sera rendue plus efficiente
qui est réservé aux médicaments rembour- par la définition d’objectifs et de méthodes
sables par la sécurité sociale, bénéficiant aux clairement définis dès l’adoption de nou-
malades les plus modestes ne disposant pas velles mesures. La gouvernance de l’exercice
d’une complémentaire santé. futur d’évaluation gagnerait également à être

69 DÉPENSES FISCALES ET COMPLEXITÉ FISCALE : UN « CHOIX PUBLIC »


confiée à un comité présidé par une person- évolué ces dernières années et le nombre de
nalité indépendante et externe à la mise en dispositifs reste toujours élevé. Preuve en
œuvre pratique de l’exercice. est l’inventaire de l’ensemble des dépenses
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Dans les fiscales de l’État qui figure dans le dernier
faits, la Cour des comptes (2014) montre projet de loi de finances et les nombreuses
qu’il est difficile de satisfaire ces deux niches sociales inscrites dans le projet de
conditions : « Les évaluations réalisées sont loi de financement de la sécurité sociale.
très peu nombreuses ; la cohérence entre Depuis 2009, a toutefois été établi un dispo-
les objectifs des dépenses fiscales et ceux sitif général de plafonnement fiscal dont la
des programmes n’est pas assurée. » Selon mise en œuvre se veut complémentaire des
la Cour des comptes (2013), l’estimation plafonds déjà existants. L’annexe « Voies et
des pertes de recettes résultant des niches moyens » du projet de loi de finances n’éva-
sociales est quant à elle toujours floue. lue malheureusement pas encore l’effet de
Enfin, dans son ensemble, le coût total des cette mesure.
régimes dérogatoires n’a pas sensiblement

POUR EN SAVOIR PLUS


™ ALCOUFFE A. et BASLÉ B. ™ COUR DES COMPTES rapport-comite-evaluation-
(2008), « Adolph Wagner : (2013), Rapport annuel depenses-fiscales-et-niches-
d’un engagement militant sur l’application des lois sociales.pdf
nationaliste à la coévolution de financement de la ™ MUELLER D. (2012), Choix
“privé-public” », chapitre sécurité sociale, https:// publics, analyse économique
d’ouvrage, La Pensée www.ccomptes.fr/content/ des décisions publiques,
économique allemande, download/60167/1493393/ De Boeck.
Economica, p. 293 à 308. version/5/file/rapport_
™ PROFETA P. (2007), « Political
™ BASLÉ B. (1989), Systèmes securite_sociale_2013_
Support and Tax Reforms With
fiscaux, Dalloz. version_integrale.pdf
an Application to Italy », Public
™ BRADBURY J. C., ™ COUR DES COMPTES (2014), Choice, 131.
et CRAIN W. M. (2001), Les dépenses fiscales, note
™ ROUBINI N. et SACHS J. D.
« Legislative Organization and d’analyse de l’exécution
(1989), « Political and Economic
Government Spending: Cross- budgétaire, https://www.
Determinants of Budget
Country Evidence », Journal ccomptes.fr/content/
Deficits in the Industrial
of Public Economics, 82. download/82170/2017269/file/
Democracies », European
™ CASTANHEIRA M.,
neb-2014-depenses-fiscales.
Economic Review, 33.
NICODÈME G. et PROFETA P.
pdf
™ WINER S. (2001), « Normative
(2012), « On the Political ™ GUILLAUME H. (2011), Rapport Public Finance for Political
Economics of Tax Reforms: du comité d’évaluation des Economists », Handbook of
Survey and Empirical dépenses fiscales et des Public Finance.
Assessment », International niches sociales, http://www.
Tax and Public Finance, 19. economie.gouv.fr/files/

Problèmes économiques MARS 2016 70


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À l’instar d’un pays dans lequel les régions rivalisent pour être attractives, la mondialisation
conduit à la concurrence des bases fiscales les plus mobiles, c’est-à-dire du capital et du
travail qualifié. Dans ces deux domaines la concurrence conduit à une baisse tendancielle de
l’imposition de chacune de ces sources. Afin de compenser la diminution des recettes fiscales,
de nombreux États ont privilégié la hausse de la fiscalité sur la consommation dont la base est
peu mobile. Cette solution peut se justifier en s’appuyant sur la théorie de la fiscalité optimale,
comme le souligne Laurent Simula, mais elle a également des effets peu désirables en contri-
buant notamment à la hausse des inégalités observée dans la plupart des pays développés. La
concurrence fiscale est-elle alors une fatalité ? Comment peut-on encore redistribuer les
richesses dans une économie ouverte ? En recherchant des solutions fiscales qui permettent
de concilier les avantages de l’ouverture avec l’efficacité économique et la justice sociale.
Problèmes économiques

Quel système fiscal


dans un monde ouvert ?
Le droit de lever l’impôt est une prérogative  LAURENT SIMULA
régalienne essentielle car il ne peut exister
d’État sans ressources. Dans les démocra- Professeur à l’université de Grenoble Alpes
ties modernes, le système fiscal procède de
l’empilement de différentes couches. La pre- couche correspond aux prestations et trans-
mière est bien sûr constituée par les impôts ferts, monétaires ou en nature, que l’on peut
et taxes proprement dits, qui sont payés par appréhender comme des « impôts négatifs1 ». [1]
La prime d’activité,
instaurée en France
les contribuables sans contreparties directes. Le système fiscal a un double objectif : d’une au 1er janvier 2016, est
La seconde regroupe les cotisations sociales part, la réalisation d’une allocation plus juste l’exemple type d’un
assises sur les salaires qui participent au « impôt négatif ».
des richesses ; d’autre part, l’amélioration de
financement de la sécurité sociale dans une l’efficacité de l’économie par la fourniture de
logique assurantielle. Ces deux premières biens publics, la correction des défaillances
couches correspondent à ce que l’on appelle de marché et la stabilisation de la conjonc-
« prélèvements obligatoires » selon la défini- ture. Dans un monde ouvert, les entreprises
tion de l’Organisation de coopération et de et les ménages les plus qualifiés ont la possi-
développement économiques (OCDE). Cepen- bilité de migrer pour échapper à l’impôt. Ce
dant, le champ de la fiscalité ne se limite pas nomadisme instaure une concurrence entre
à celui des prélèvements. Ainsi une troisième États dont l’enjeu consiste à rendre le terri-

Problèmes économiques MARS 2016 72


1. Taux moyens effectifs de l’impôt sur donné doit-il adapter son système fiscal pour
les sociétés dans l’Union européenne (en %) répondre aux enjeux de l’ouverture ? Mais il
est aussi possible d’envisager cette question
33
d’un point de vue plus global, en se plaçant
31
directement au-dessus de l’échelon national.
29
Le défi qui se pose est alors de définir un sys-
27
tème fiscal qui permette de limiter les inéga-
25
lités entre nations. Compte tenu des réalités
23
actuelles, cette réflexion est davantage pros-
21
pective, voire utopique.
19
17
15

19
98 999 000 001 002 003 004 005 006 007
1 2 2 2 2 2 2 2 2
Une baisse tendancielle
Taux effectifs UE 12 Taux effectifs UE 27
Taux effectifs UE 15
de l’imposition du capital
Ensemble de l’UE (UE 27), se décomposant en UE 15 (15 États membres
et du travail qualifié…
avant 2004) et UE 12 (12 États ayant adhéré depuis 2004).
Source : Commissions européenne (2009), Taxation Papers: Corporate Le graphique 1 illustre la baisse tendancielle
Effective Tax Rates in an Enlarged European Union. de l’impôt sur les sociétés dans les pays de
l’Union européenne (UE), que l’on observe
toire national plus attractif pour attirer les depuis vingt ans. Il représente en effet le taux
facteurs les plus productifs. Ainsi, l’ouverture effectif d’imposition, qui résulte de la com-
rend plus difficile la taxation du capital et du binaison des effets de taux (taux nominal
travail qualifié. Parallèlement, la nécessité de apparent) et de base (« assiette » à laquelle
financer les dépenses publiques conduit les on applique le taux), et correspond donc au
États à augmenter la fiscalité sur les bases taux réellement acquitté par l’entreprise. Il
les moins mobiles, comme la consommation souligne également que les nouveaux États
[2]
Nouveaux pays ou le travail peu qualifié, ce qui limite encore membres2 appliquent des taux nettement
membres. En 2004 :
Chypre, Estonie, Hongrie, davantage les capacités de redistribution inférieurs aux quinze pays ayant adhéré à
Lettonie, Lituanie, Malte, des richesses au niveau national. La globa- l’UE avant 2004 (Allemagne, Autriche, Bel-
Pologne, République lisation semble donc exacerber les tensions gique, Danemark, Espagne, Finlande, France,
tchèque, Slovaquie
et Slovénie. En 2007 : entre les objectifs d’efficacité et d’équité du Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas,
Roumanie et Bulgarie. système fiscal. Dans ce contexte, quelles sont Portugal, Royaume-Uni et Suède). Une évo-
les marges de manœuvre à la disposition des lution comparable peut être observée aux
États ? Est-il encore possible d’opérer une États-Unis : si le taux nominal est plus ou
redistribution à la fois juste et efficiente au moins constant depuis le début des années
sein des nations ? Mais également, de façon 1990, le taux effectif acquitté par les entre-
plus large, entre États ? prises a diminué au cours des quinze der-
Cet article commence par un état des lieux nières années (voir graphique 2).
des évolutions récentes observées en matière Ce fait stylisé semble indiquer un phéno-
fiscale dans les pays développés. Celles-ci mène de nivellement vers le bas des taux
semblent conduire à une hausse des inégali- d’imposition du capital (ce que l’on qualifie
tés sur fond de concurrence fiscale. Nous pro- de « race to the bottom » dans la littérature
posons alors des pistes de réflexion afin de économique). Ce nivellement peut être lié à
limiter ces effets négatifs au sein des diffé- une concurrence fiscale accrue entre États
rents États concernés. Ce faisant nous abor- membres et, plus largement, au niveau mon-
dons la problématique de cet article du point dial. En raison du marché unique au sein de
de vue de chaque État : comment un État l’UE et de la globalisation, les entreprises

73 QUEL SYSTÈME FISCAL DANS UN MONDE OUVERT ?


2. Taux nominal et effectif de l’impôt sur particulièrement bénéfique pour le pays consi-
les sociétés aux États-Unis (en %) déré, mais elle sera également particulière-
ment néfaste pour les autres États.
55
On observe une évolution similaire de l’impôt
sur le revenu des ménages riches. Le taux d’im-
45 position marginal pour la dernière tranche a
fortement diminué des années 1960 à la fin des
années 2000 (voir graphique 3). Avec la Grande
35 Récession de 2008, cette tendance s’est très
légèrement inversée, mais les taux d’imposi-
tion cependant restent nettement plus faibles
25 que pendant les Trente Glorieuses.
1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
Taux d’imposition nominal ou statutaire Des travaux récents ont souligné que les
Taux d’imposition effectif median pour ménages riches sont relativement sensibles
les 500 plus grandes compagnies aux différences de fiscalité entre pays. Au
Source : Goldman Sachs.
Danemark, par exemple, une hausse de 10 %
du taux d’imposition pour les 1 % les plus
riches entraînerait le départ d’au moins
sont a priori plus mobiles internationale- 2,5 % de cette population3. Mais au sein de [3]
Kleven H. et al. (2014),
ment. La fiscalité constitue l’un des éléments ces 1 %, ce sont les expatriés qui sont les « Migration and Wage
qui influencent les conditions locales de pro- Effects of Taxing Top
plus réactifs : 10 % à 20 % d’entre eux déci- Earners: Evidence from
duction. Ainsi, un État (ou une région dans deraient de « voter avec leurs pieds » en the Foreigners’ Tax
les États fédéraux) peut décider de réduire réaction à cette hausse. Cela peut expliquer Scheme in Denmark »,
Quarterly Journal
l’imposition sur les sociétés afin d’attirer des la mise en place dans de nombreux pays de of Economics, no 129 (1),
entreprises localisées jusqu’alors à l’étran- l’Union européenne (à l’exemple de la Suède, p. 333 à 378.
ger. Cela permet au pays qui réduit son taux du Danemark, des Pays-Bas ou de la France)
d’imposition de générer sur son territoire de dispositions fiscales spécifiques s’appli-
une activité économique source d’emplois et quant aux travailleurs étrangers qualifiés.
de croissance, tout en élargissant sa base fis- En Suède par exemple, les travailleurs qua-
cale. Mais cette politique se fait au détriment lifiés étrangers recrutés pour moins de cinq
des autres pays. Pour éviter le départ de leurs ans peuvent bénéficier d’une réduction de
entreprises à l’étranger et attirer les entre- leur revenu imposable de 25 % pendant les
prises étrangères, ces derniers peuvent donc trois premières années. À la concurrence
à leur tour décider de réduire la pression fis- fiscale sur le capital semble donc s’ajouter
cale sur les entreprises. La concurrence fis- une concurrence fiscale sur le travail quali-
cale peut alors devenir particulièrement délé-
fié. En France existe depuis 2003 un régime
tère (« jeu à somme négative »).
fiscal particulier destiné aux « impatriés ».
Un État pourrait également être tenté d’opérer Le régime de l’impatriation vise à attirer
une différenciation des conditions fiscales en en France des cadres supérieurs et des diri-
fonction du pays d’origine et de la mobilité des geants d’envergure internationale en exo-
entreprises, dans une logique de modification nérant partiellement d’impôt une partie de
agressive des paramètres fiscaux. Par exemple, leurs revenus (« prime d’impatriation ») et
il ne modifiera pas l’impôt pour les entreprises en graduant leur assujettissement à l’impôt
se trouvant sur son territoire mais abaissera de solidarité sur la fortune (ISF). Les condi-
ses taxes sur les entreprises étrangères qui tions d’octroi ont été plusieurs fois assou-
décideraient de s’y installer. En l’absence de plies, le plus récemment en 2015 avec la « loi
réaction des autres États, cette politique sera Macron ».

Problèmes économiques MARS 2016 74


3. Taux marginaux supérieurs d’imposition sur le revenu de 1900 à 2013 (en %)

100
90
80
70
60
50
40
États-Unis
30
Royaume-Uni
20 Allemagne
10 France
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010

Source : Piketty T. (2013), Le Capital au XXIe siècle, Éditions Le Seuil, chapitre 14.

… associée à une hausse diaire passait de 7 % à 10 %, le taux réduit de


5,5 % restant inchangé.
de la fiscalité sur la consommation Cette triple évolution (baisse des taux d’im-
position sur le capital et le travail quali-
La baisse des taux d’imposition sur le capi- fié, hausse des taux sur la consommation)
tal et le travail qualifié conduit automati- n’est pas simplement le résultat de choix
quement à une diminution des recettes fis- contraints. On peut en effet la justifier en s’ap-
cales. Dans le contexte de crise des finances puyant sur la théorie de la fiscalité optimale.
publiques, il a donc fallu que les États Les impôts affectent les revenus disponibles
trouvent des recettes alternatives. Du point des agents ; mais ils modifient également les
de vue politique, on ne voit pas vraiment prix relatifs et donnent lieu à des effets de
comment un gouvernement pourrait explici- substitution. En raison de ces distorsions, les
tement augmenter l’imposition sur le travail impôts génèrent une « perte sèche », c’est-à-
peu qualifié alors qu’il est en train de réduire dire une diminution du surplus total de l’éco-
celle des ménages les plus productifs. La nomie. En d’autres termes, les impôts ne cor-
hausse de la fiscalité sur la consommation respondent pas seulement à un transfert de
[4]
En France, la CSG a donc été privilégiée4. La consommation est revenu des consommateurs ou producteurs
a également été
en effet une base fiscale peu mobile, à l’ex- vers l’État ; ils détruisent aussi une par-
augmentée.
ception de celle liée au tourisme (restaura- tie des richesses produites dans l’économie
[5]
Ramsey F. (1927), tion, hôtellerie, etc.). (voir Complément, page 12). Dans un article
« A Contribution to the
Theory of Taxation », Le graphique 4 montre l’évolution du taux célèbre de 19275, l’économiste et mathéma-
Economic Journal, moyen normal de la taxe sur la valeur ajoutée ticien anglais Frank Ramsey a montré que
vol. 37, no 145, p. 47 à 61.
(TVA) dans l’UE. Les taux sont restés quasi pour minimiser la perte sèche, il convenait
constants jusqu’en 2008, avant de connaître de taxer davantage les biens, services ou fac-
une hausse marquée. Depuis 2009, seule- teurs les moins mobiles. Si l’on retient pour
ment trois États membres ont eu recours à seul critère l’efficacité économique, il est
des baisses (transitoires) de la TVA et le taux donc logique que l’ouverture des économies
moyen a augmenté de 2 points. En France, le s’accompagne d’une baisse de la fiscalité sur
taux normal de TVA est passé de 19,6 % à 20 % le capital et le travail qualifié, assez mobiles,
le 1er janvier 2014, alors que le taux intermé- et d’une hausse de celle sur la consommation.

75 QUEL SYSTÈME FISCAL DANS UN MONDE OUVERT ?


4. Évolution du taux normal de TVA dans l’Union européenne (UE 28) (en %)
22,0

21,5

21,0

20,5

20,0

19,5

19,0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

La courbe représente la moyenne arithmétique du taux normal de la TVA au sein des 28 États membres de l’UE.
Source : Eurostat, Taxation Trends in the European Union, 2014.

La concurrence fiscale exacerbe années (voir graphique 5). En outre, en rai-


son des évolutions que nous avons décrites,
la hausse des inégalités au sein la courbe des taux moyens d’imposition tend
vers une forme en cloche (ou U inversé), le far-
des pays développés deau fiscal devenant maximal pour les agents
des classes moyennes, qui sont les agents les
Les impôts sont juridiquement payés par des plus productifs parmi les non mobiles. Cette
entreprises et par des personnes physiques. malédiction des classes moyennes est parti-
Cependant, cette distinction n’a aucun sens culièrement problématique car elle risque de
économique. Ce sont en effet toujours des fragiliser le consentement à l’impôt et donc,
personnes physiques, « en chair et en os », plus largement, la confiance des citoyens dans
qui supportent le poids de l’impôt. L’entre- le bien-fondé de l’action publique6. [6]
Lehmann É, Simula L.
prise fait en effet peser la charge fiscale sur et Trannoy A.
(2014), « Tax Me If
ses fournisseurs, ses clients, ses employés
et ses propriétaires. Au niveau agrégé, c’est
donc sur les ménages, chacun consommateur,
Comment redistribuer les richesses You Can! Optimal
Nonlinear Income Tax
Between Competing
salarié et propriétaire en des proportions dans une économie ouverte ? Governments »,
Quarterly Journal
variables, que pèsent finalement les impôts La redistribution des richesses se pose à of Economics, 129(4),
sur les entreprises. p. 1995 à 2030.
deux niveaux : au sein des États d’une part,
La baisse de la fiscalité sur le capital bénéficie et entre États, d’autre part. Nous examinons
a priori aux ménages qui le détiennent, c’est- tout d’abord le premier niveau. Puisque cer-
à-dire à la minorité de ménages détenteurs tains des effets de l’ouverture semblent dom-
d’un patrimoine de rapport. La baisse de la mageables, on pourrait alors être tenté de
fiscalité sur le travail qualifié réduit, quant à penser qu’il suffirait de « fermer » l’économie
elle, la redistribution opérée par l’impôt sur le pour que tout aille de nouveau pour le mieux
revenu. La hausse de la TVA enfin pèse davan- dans le meilleur des mondes possibles. Ce
tage sur les ménages pauvres et les classes serait oublier que la fermeture des frontières
moyennes qui affectent à la consommation s’accompagne, elle aussi, d’effets pervers. Il
une plus grande part de leur budget que les faut donc rechercher les solutions fiscales
ménages riches. Cela contribue à la hausse permettant de concilier les avantages de l’ou-
des inégalités observée dans la plupart des verture avec l’efficacité économique et la jus-
pays développés au cours des trente dernières tice sociale.

Problèmes économiques MARS 2016 76


5. Coefficient de Gini, calculé en fonction du revenu disponible des ménages
0,40

Plus d’inégalités
0,35

Royaume-Uni
0,30 Italie
France
Allemagne
Pays-Bas
0,25
Finlande
Suède
Danemark
0,20 Pologne

0,15
1985 1995 2000 2005 2008 2010

Le coefficient de Gini est un indicateur synthétique d’inégalité. Plus il s’approche d’un, plus les inégalités sont marquées.
Source : OCDE.

La concurrence fiscale l’Allemagne semblent compenser leurs taux


n’est pas une fatalité élevés par la fourniture de biens publics de
qualité. Cela suggère que la concurrence qui
Tout d’abord, la concurrence fiscale ne se joue entre les nations est multidimension-
conduit pas inéluctablement au moins-disant nelle. La fiscalité n’en est que l’un des volets
social. Les impôts ne constituent en effet que et doit, en particulier, être mise en regard de
l’un des nombreux déterminants de l’attrac- l’ensemble des politiques publiques. De la
tivité d’un territoire. Ainsi, le dernier rapport même façon, les ménages qualifiés font face
du Forum économique mondial consacré à la à des coûts de migration à la fois matériels
compétitivité des économies classe la France et psychologiques. Ils peuvent être attachés
au 122e rang mondial en ce qui concerne la à l’environnement socioculturel dans lequel
[7]
World Economic fiscalité7. Les impôts y généreraient de fortes ils ont grandi, ou ne pas souhaiter trop s’éloi-
Report (2015), The Global
Competitiveness Report
distorsions sur les décisions entrepreneu- gner de leur famille, etc. Les taux d’imposi-
2015-2016. riales. Cependant, lorsque tous les détermi- tion ne sont pas les seules variables qu’ils
nants de la compétitivité sont pris en compte, considèrent lorsqu’ils choisissent leur pays
la France remonte à la 22e place mondiale et à de résidence ! De la même façon que les entre-
la 11e place européenne. Ce classement prend prises ont un impératif de compétitivité-prix
en effet en compte 111 indicateurs regroupés ou qualité, les États ont donc un impératif
en douze piliers. Institutions, infrastructures, d’attractivité, soit par les taux d’imposition,
environnement macroéconomique, santé et soit par la qualité de l’environnement qu’ils
éducation, efficience des marchés et innova- offrent (qualité des biens collectifs, mais
tion constituent des éléments clés à prendre aussi des perspectives macroéconomiques).
en compte aux côtés de la fiscalité. Certains pays bénéficient en outre d’« éco-
Le graphique 6 met en rapport le taux légal de nomies d’agglomération ». Les entreprises
taxation des sociétés avec le niveau de capi- opèrent en effet un arbitrage entre les avan-
tal public par kilomètre carré dans 18 pays tages liés à la proximité (faibles coûts de
de l’Union européenne. Les deux éléments transport entre lieux de production et mar-
semblent liés par une relation croissante. chés) et ceux liés à la concentration spatiale.
En particulier, la France, le Royaume-Uni ou La présence de nombreuses entreprises en

77 QUEL SYSTÈME FISCAL DANS UN MONDE OUVERT ?


6. Taux d’imposition sur les sociétés et capital public par kilomètre carré en 2002 (en %)

45

Belgique

••
40
Italie
Allemagne
France
Grèce Espagne
35
•• •• Pays-bas

Portugal• Autriche
Taux légal

30 • Tchécoslovaquie
Finlande
• • •
••• Suède
Danemark Royaume-Uni Luxembourg

Pologne
25

20 Hongrie
• Irlande
15 •
0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6

Capital public par km


2

Source : Benassy-Quéré A., Gobalrajas N. et Trannoy A. (2007), « Tax and Public Input Competition », Economic Policy, p. 385 à 430.

un même lieu est source de recettes fiscales, de ses ressortissants, et contribue à la mise
qui permettent de financer des biens publics en place d’un jeu à somme positive à l’échelle
(infrastructures, santé, éducation, etc.), et des nations.
d’attirer de nouvelles entreprises (fournis-
seurs et clients), ce qui renforce les économies Réguler l’ouverture
d’agglomération. Ce processus cumulatif
modifie les conditions locales de production Afin de préserver les marges de manœuvre
et améliore la compétitivité des entreprises. en faveur de la redistribution, la concurrence
Ce gain de compétitivité peut compenser une multidimensionnelle qui se joue entre les
fiscalité plus forte du capital, mais égale- États a néanmoins besoin d’être encadrée.
ment du travail qualifié. En effet, la concen- Dans l’UE, le Conseil pour les affaires éco-
tration de capital augmente la productivité nomiques et financières (ECOFIN) a décidé,
marginale du travail qualifié et contribue à en 1997, de mettre en place un « code de
la hausse du salaire brut. À système fiscal bonne conduite » en matière de fiscalité des
inchangé, le taux moyen d’imposition du tra- entreprises. Ce code n’est pas un instrument
vail qualifié devient donc plus faible. juridiquement contraignant. Il a néanmoins
Il apparaît ainsi que le degré de mobilité une force politique incontestable. Il opère en
des facteurs est en partie endogène. Un État particulier une distinction entre une concur-
peut donc choisir d’investir stratégique- rence fiscale loyale, qui peut avoir des effets
ment dans les infrastructures, l’éducation, la bénéfiques, et une concurrence fiscale dom-
recherche, la santé, la culture, afin d’échap- mageable qui fausse la localisation des acti-
per à une concurrence dans laquelle seuls les vités économiques en accordant aux non-
taux d’imposition importeraient. Ce faisant, résidents un traitement fiscal plus favorable
il élève également sa croissance potentielle, que celui qui est normalement applicable
ce qui contribue au bien-être de l’ensemble dans l’État membre.

Problèmes économiques MARS 2016 78


On peut ici penser à la politique fiscale conduite fiscaux européens plus lisibles et cohérents.
par le Luxembourg et révélée par le scandale Elle contribuerait ainsi à une concurrence
du « Luxembourg Leaks » en novembre 2014. fiscale plus saine entre les États. En ce qui
De très grands groupes internationaux, parmi concerne le travail qualifié, il s’agirait dans
lesquels Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea et la un premier temps d’éviter la multiplica-
Deutsche Bank, avaient conclu avec l’adminis- tion des régimes de taxation dérogatoire au
tration fiscale des accords fiscaux très avan- bénéfice des expatriés. Ils s’inscrivent en
tageux. Le mécanisme des « rescrits fiscaux » effet dans une logique de concurrence pré-
permettait à ces entreprises de bénéficier de datrice entre États.
taux effectifs d’imposition très faibles sur les L’attractivité d’un territoire dépend certes,
bénéfices, bien inférieurs au taux officiel de comme nous l’avons vu, des politiques
29 %. Par des mécanismes de transferts entre publiques qui y sont conduites, mais pas
filiales, les groupes concernés localisaient seulement. Par exemple, on ne pourra
la majorité de leurs bénéfices au Luxem- jamais construire un port dans un territoire
bourg, alors même que les activités commer- enclavé. Tous les États ne bénéficient donc
ciales avaient lieu à l’étranger. Ces pratiques pas des mêmes opportunités de développe-
d’optimisation fiscale faussent le bon fonc- ment. L’harmonisation des bases de l’impôt
tionnement de la concurrence entre États et sur les sociétés pourrait constituer les pré-
conduisent à l’érosion des bases fiscales. Elles misses d’une fiscalité supranationale, par
constituent une menace pour l’exercice d’une exemple au niveau de l’Union européenne.
concurrence saine entre États. À long terme, cette fiscalité pourrait contri-
Au niveau mondial, l’OCDE a également pour buer à redistribuer les richesses entre États
objectif de contribuer à la lutte contre la membres, dans une logique plus fédérale.
concurrence fiscale dommageable, notamment
par l’amélioration de la transparence et de la
communication de renseignements. On peut Vers une redistribution globale
penser notamment à la lutte contre les paradis des richesses ?
fiscaux, qui détiendraient jusqu’à huit pour
[8]
Zucman G. (2013), cent de la richesse globale des ménages8. Toutes les solutions précédentes ont à dessein
« The Missing Wealth de limiter les effets néfastes de l’ouverture
of Nations: Are Europe sur les politiques nationales de redistribu-
and the U.S. Net Debtors
Or Net Creditors? »,
Coordonner les politiques fiscales tion. Cependant, une réflexion sur la fisca-
Quarterly Journal au sein de l’UE lité dans un monde ouvert ne peut ignorer la
of Economics, question de la redistribution entre nations.
p. 1321 à 1364. La concurrence multidimensionnelle ne jus-
tifie pas un alignement simultané des taux Les inégalités entre États sont en effet beau-
et des bases d’imposition dans l’ensemble coup plus fortes que celles observées au sein
des pays membres de l’Union européenne. des frontières nationales. Par exemple, les
Une harmonisation au sens strict (uniformi- cinq pour cent les plus pauvres des citoyens
sation) n’est donc pas indispensable. Néan- américains sont plus riches que soixante
moins, une harmonisation apparaît utile pour cent de la population mondiale, et un
pour limiter les pratiques d’optimisation milliard d’individus ne disposent pour vivre
fiscale des entreprises, dangereuses pour les que d’un dollar par jour.
finances publiques des États. Elle doit porter On peut donc voir dans l’aide internationale
en priorité sur l’adoption de bases d’imposi- au développement les prémices d’un système
tion communes. En effet, des taux nominaux « fiscal » mondial de redistribution. Cepen-
harmonisés n’ont aucun sens tant que les dant, beaucoup reste à faire en la matière et
bases ne sont pas similaires. L’harmonisa- les solutions envisageables sont diverses.
tion des bases fiscales rendrait les systèmes Par exemple, Eric Posner (Université de

79 QUEL SYSTÈME FISCAL DANS UN MONDE OUVERT ?


Chicago) et Glen Weyl (Microsoft Research) Tout l’enjeu est alors de savoir si les opinions
défendent la thèse que l’ouverture des fron- publiques nationales sont prêtes à faire du
tières constitue l’un des instruments les bien-être de tous, au niveau mondial, l’objec-
[9]
plus efficaces de redistribution9. Ils donnent tif principal de la politique fiscale, et plus Voir par exemple
Posner E. A. (2014),
l’exemple d’un travailleur philippin se ren- largement des politiques économiques dans The Twilight of Human
dant au Qatar. Alors qu’il gagnait 1 000 dol- leur ensemble. Rights, Oxford University
lars aux Philippines, il dispose maintenant Press.
de 5 000 dollars et envoie 75 % de cette
somme à la famille restée au pays.

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BENASSY-QUÉRÉ A., ™ FABRE A. (2011), « Les enjeux la pratique », in Fiscalité et
TRANNOY A. et WOLFF G. (2014), d’une stratégie fiscale croissance, édité par
« Renforcer l’harmonisation européenne », Question Aujean M. et Lorenzi J.-M.,
fiscale en Europe », Note d’Europe no 198, Fondation Presses Universitaires
du Conseil d’analyse Robert Schuman. de France.
économique. ™ SIMULA L. (2011), « Fiscalité
optimale : de la théorie à

Problèmes économiques MARS 2016 80


Dans presque tous les pays développés, les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire les impôts
et les cotisations sociales, servent avant tout à financer les dépenses sociales. Les structures
de financement de la protection sociale varient néanmoins assez largement dans l’espace et
dans le temps. L’ouverture des économies et les contraintes de la mondialisation mettent
aujourd’hui sous pression ces structures et obligent les États à chercher des nouvelles sources
de financement en direction des bases les moins mobiles. Michaël Zemmour montre que la
crise de la soutenabilité des dépenses sociales n’est cependant pas terminée, au contraire,
elle pourrait même prendre encore plus d’ampleur à l’avenir.
Problèmes économiques

Prélèvements obligatoires
et protection sociale : quels enjeux ?
 MICHAËL ZEMMOUR de la protection sociale a considérablement
évolué au cours des dernières décennies.
Maître de conférences en économie à l’université Lille-I Aujourd’hui, elle va vers une certaine forme
de convergence. Par ailleurs, la mondiali-
sation, la crise économique et les enjeux de
La protection sociale est l’une des institu- redistribution conduisent de nombreux pays,
tions centrales de l’État social tel qu’il s’est dont la France, à reconsidérer le financement
développé dans la seconde moitié du XXe siècle des dépenses sociales, alors même que les
dans tous les pays de l’Organisation de déve- besoins sociaux continuent de croître.
loppement et de coopération économiques
(OCDE). Dans l’immense majorité de ces pays,
plus de la moitié des dépenses publiques est
constituée de dépenses de protection sociale
Des structures de financement
(retraite, santé, chômage, famille, logement, qui varient dans l’espace
pauvreté, handicap, dépendance…). Ainsi, les
prélèvements obligatoires servent avant tout et dans le temps
à financer les dépenses de protection sociale. Malgré de nombreuses spécificités natio-
On peut distinguer, selon les pays, diffé- nales, on peut dessiner à grands traits les
rents modèles de protection sociale. Leur deux grands canaux de financement de la pro-
mode de financement est l’une des caracté- tection sociale présents dans la plupart des
ristiques qui distingue entre eux ces diffé- pays : les cotisations sociales et les dépenses
rents modèles. La structure du financement directes de l’État.

81 PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES ET PROTECTION SOCIALE : QUELS ENJEUX ?


Les cotisations sociales sont une part ou plus de 30 % en France2. La plupart des
socialisée de la rémunération des salariés : pays connaissent un financement mixte de
en parallèle du salaire direct qui leur est leur protection sociale : les pays où les coti-
versé (le salaire « net »), le travail salarié sations sociales sont totalement absentes
donne lieu au versement de cotisations qui sont rares (c’est le cas de l’Australie, de la
financent des prestations sociales (maladie, Nouvelle-Zélande)3. En effet, dans la plupart
vieillesse, famille, etc.). Elles sont calculées des pays, les prestations « contributives »
comme un pourcentage du salaire brut des comme l’assurance chômage et les retraites,
salariés : pour partie déduites de ce salaire dont les montants sont calculés en fonction
brut (cas des cotisations sociales « salarié ») du salaire antérieur, sont en partie financées
et pour partie payées en surcroît du salaire par des cotisations sociales. Les différences
brut (les cotisations sociales « employeur »). entre pays sont plus grandes concernant la
Les cotisations sont des prélèvements obli- manière dont ils financent les autres pres-
gatoires affectés : elles sont versées à des tations, celles dites « non contributives »
caisses de sécurité sociale et ne peuvent être (notamment famille et maladie).
utilisées pour pourvoir à d’autres dépenses
Historiquement, les cotisations sociales
publiques (dépenses de l’État, réduction des
jouent un rôle majeur dans les pays où la
déficits, etc.). Ces caisses de sécurité sociale
protection sociale s’est essentiellement
sont souvent gérées plus ou moins directe-
organisée autour du salariat, sous la forme
ment par les organisations de salariés (syn-
de caisses de sécurité sociale (ou d’« assu-
dicats) et d’employeurs.
rances sociales »), protégeant avant tout
Les dépenses directes de l’État (et des collec- les salariés et, par extension, leur famille.
tivités) sont l’autre grande source de finance- En Europe c’est notamment le cas des pays
ment des dépenses sociales. Elles sont effec- d’Europe continentale (Pays-Bas, Allemagne,
tuées directement sur le budget général de France), des pays méditerranéens (Portugal,
l’État (au même titre que les dépenses mili- Espagne, Grèce), ou de certains pays d’Eu- [1]
En principe, les
taires ou d’éducation par exemple), sans que rope de l’Est (Pologne, Hongrie, République impôts, au contraire des
l’on n’affiche directement si c’est l’impôt sur tchèque, République slovaque…). Dans ces cotisations sociales, sont
le revenu, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) régis par le principe de
pays, les cotisations sociales ont augmenté la non-affectation qui
ou l’impôt sur les sociétés qui finance telle ou régulièrement au cours des années 1950 à interdit l’attribution
telle prestation. 1980, à mesure que les dépenses de protec- d’une recette à une
dépense déterminée.
Enfin, il existe certaines ressources fiscales tion sociale augmentaient. C’est pour cette raison
affectées : sans être de réelles cotisations, ces que la CSG ne s’appelle
À l’inverse, les pays où la protection sociale pas « impôt » mais
« impôts et taxes affectés » (ITAF) alimentent publique relève avant tout de l’État (et des contribution.
directement les caisses de sécurité sociale collectivités locales) et protège davantage [2]
Ici et pour la suite :
en plus des cotisations sociales. C’est par l’individu en tant que citoyen (vision plus les données proviennent
exemple le cas en France de la contribution universaliste), le rôle des assurances sociales de la base SOCX et
sociale généralisée (CSG), qui est un prélève- est plus restreint et la part des impôts dans
l’OCDE.
ment proportionnel sur la plupart des reve- le financement de la protection sociale est [3]
Pour le Danemark,
nus (salaires, retraite, chômage, revenus du plus importante. C’est le cas notamment des les données OCDE
capital) ou d’une partie des recettes de TVA indiquent un niveau
pays scandinaves ou des pays anglo-saxons voisin de 0. Mais en
affectées directement au financement de la (États-Unis, Irlande, Royaume-Uni, Austra- réalité les cotisations
protection sociale1. lie, Nouvelle-Zélande). Comme indiqué pré- sont très faibles et
non pas totalement
Le niveau de dépenses sociales (publiques) cédemment, dans ces pays on ne peut pas absentes au Danemark
varie sensiblement d’un pays à l’autre : seu- tracer directement quel impôt finance quelle (taux de cotisations
« employeur » et
lement 10 % du produit intérieur brut (PIB) dépense sociale, mais on peut remarquer que, « salarié » de l’ordre de
au Chili ou en Corée, 19 % aux États-Unis parmi ces pays, ceux qui affichaient un haut 2 %).

Problèmes économiques MARS 2016 82


niveau de dépense (les pays scandinaves) se Les cotisations sociales
caractérisent par des niveaux d’imposition pèsent-elles sur le coût du travail ?
sur la consommation et sur le revenu des
ménages particulièrement élevés. Les cotisations sociales sont souvent soup-
çonnées de peser sur le coût du travail, et
Au début des années 1980, la distinction ainsi de dégrader la compétitivité-coût des
dans le mode de financement était encore pays qui y ont recours. Une telle relation
fortement marquée : la France finançait plus existe mais elle est bien plus modérée que ce
de 80 % de ses dépenses de protection sociale qui est parfois suggéré.
par des cotisations, l’Allemagne, l’Italie,
En effet, un euro d’augmentation des cotisa-
l’Espagne ou les Pays-Bas de l’ordre de 60 %.
tions sociales ne génère pas un euro d’aug-
De plus, la part des cotisations était indé-
mentation du coût du travail : lorsque les
pendante du niveau de dépense. Par exemple,
cotisations sociales augmentent, cela peut
les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et
notamment se traduire en partie par une
la Suède avaient des niveaux de dépenses
moindre augmentation des salaires bruts que
sociales comparables (environ 25 % du PIB),
ce qui était prévu (ou que ce qui aurait eu lieu
mais la part des cotisations sociales dans le
en l’absence d’augmentation de cotisations).
financement de ces dépenses était respecti-
Ainsi, le coût de ce un euro de cotisations
vement de 50 % pour la Belgique, 0 % pour
sociales est « partagé » entre modération des
le Danemark, 61 % pour les Pays-Bas et 49 %
salaires nets et augmentation du coût du tra-
pour la Suède.
vail. Les modalités de ce partage dépendent
Avec le temps, cette différence tend à beaucoup du pouvoir de négociation respectif
s’estomper : en effet, depuis le milieu des des employeurs et des salariés et du contexte
années 1990, la plupart des pays ont cessé dans lequel ils se trouvent : les salaires sont-
d’augmenter les cotisations sociales, soup- ils renégociés fréquemment ? Les employeurs
çonnées de pénaliser la compétitivité des ont-ils un rapport de force suffisant pour ne
entreprises (voir infra) ; certains les ont pas augmenter les salaires si les cotisations
même en partie diminuées (France, Pays- sociales ont augmenté ? Ou bien les salariés
Bas, Finlande par exemple). Or, dans le peuvent-ils menacer de changer d’entreprise
même temps, les dépenses sociales n’ont ou faire grève pour obtenir le maintien de
pas cessé d’augmenter : les populations leur augmentation (ce qui est peu probable si
vieillissent, les technologies médicales le chômage est important) ?
évoluent, le chômage augmente, ce qui De nombreuses études empiriques ont tenté
occasionne de nouvelles dépenses. Depuis de mesurer dans différents pays dans quelle
le milieu des années 1990, l’essentiel des mesure les cotisations sociales affectent le
nouvelles dépenses est donc financé dans coût du travail ; leurs résultats suggèrent
[4]
L’Allemagne, au tous les pays4 sur le budget de l’État et la qu’une augmentation de un euro de cotisations
moins, fait exception en
instaurant en 1994 un
part relative des dépenses financées par sociales augmente le coût du travail de moins
5e pilier de la protection cotisations sociales recule. Ainsi dans de de 50 centimes. Un cas particulier est celui des
sociale, l’assurance nombreux pays d’Europe continentale et salariés au salaire minimum : ces salariés ne
dépendance, financée
par cotisations.
méditerranéenne où les cotisations sociales négocient pas ce salaire, mais ont une garan-
jouaient un rôle central, le financement des tie légale qui concerne uniquement leur salaire
dépenses sociales se fait désormais pour brut. Dans ce cas, toute augmentation des
moitié via d’autres ressources. La France cotisations « employeur » se traduit intégrale-
reste un pays où la part des cotisations ment par une augmentation du coût du travail,
reste élevée, mais celle-ci a diminué de tandis que toute augmentation de cotisation
20 points en trente ans (elle est désormais « salarié » se traduit intégralement par une
d’environ 60 %). baisse du salaire net de même montant.

83 PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES ET PROTECTION SOCIALE : QUELS ENJEUX ?


En France, où le niveau des cotisations tection sociale peut donc modifier en partie
sociales est particulièrement élevé, les exoné- le niveau et la structure des coûts salariaux
rations de cotisations sociales « employeur » mais ne peut donc être considéré comme une
sur les bas salaires ont été au cœur de la « recette miracle ».
stratégie pour l’emploi depuis le début des Enfin, dans le cadre d’une comparaison inter-
années 1990. Les mesures se sont accumu- nationale, on ne trouve pas de lien immédiat
lées, de sorte qu’il y a désormais un écart entre les niveaux de cotisations sociales et de
de plus de 26 points de cotisations sociales coût du travail dans les pays européens : à
« employeur » entre le salaire minimum et le titre d’illustration en 2012, les trois pays euro-
salaire médian. Le coût annuel pour l’État péens dont le coût du travail par heure était le
est en 2015 de l’ordre de 1 % du PIB. Si les plus élevé étaient, dans l’ordre, le Danemark
économistes débattent entre eux des effets (41,8 euros de l’heure), la Suède (40,2 euros de
plus ou moins bénéfiques à la fois sur le l’heure) et la Belgique (40 euros de l’heure).
coût du travail et sur la création d’emploi, ils Cette même année, la part des cotisations
semblent s’accorder sur le fait que l’élargis- sociales au Danemark était de 0 % du PIB, de
sement répété de la cible des cotisations rend 10 % en Suède et de 14 % en Belgique.
la mesure à la fois plus coûteuse et moins
efficace. Certains économistes préconisent Financement de la protection
désormais de concentrer les exonérations
sur les bas salaires, où la mesure est jugée
sociale et mondialisation
la plus efficace ; d’autres préconisent un La mondialisation consiste en une intensifica-
changement de stratégie économique, pas- tion des échanges internationaux, à la fois sur
sant notamment par la création directe le plan commercial (davantage d’importations,
d’emplois et le soutien à des secteurs éco- d’exportations, moins de droits de douane,
nomiques susceptibles d’entraîner la crois- etc.) et sur le plan financier (extrême mobilité
sance française (santé, petite enfance, aide des capitaux, développement de firmes multi-
aux personnes dépendantes, etc.) nationales, concurrence fiscale entre les États,
Si les cotisations sociales affectent en partie etc.). En modifiant considérablement l’orga-
le coût du travail, les autres modes de finan- nisation des économies nationales, ces évolu-
cement ne sont pas non plus indifférents : tions mettent sous pression les systèmes de
par exemple, si l’on augmente l’impôt sur protection sociale qui se sont structurés à une
le revenu ou la TVA pour financer la protec- époque où l’ouverture était moindre.
tion sociale, les syndicats peuvent en réac- Sur le plan commercial, l’ouverture inten-
tion tenter de négocier des augmentations de sifie la concurrence à laquelle se livrent les
salaires pour essayer de maintenir le pouvoir différents pays sur les prix de vente et donc
d’achat des salaires nets, ce qui générerait indirectement sur le coût de la main-d’œuvre.
indirectement une augmentation des coûts Dans cette compétition les États sont ame-
salariaux. Là encore, savoir si cette augmen- nés à compresser les coûts salariaux, soit
tation pèsera au final sur le pouvoir d’achat par une modération salariale comme en Alle-
des salaires directs ou sur le coût du travail magne, soit par les réductions des cotisations
dépendra de l’issue de la négociation. Il en va sociales, en particulier sur les bas salaires,
de même lorsque la protection sociale est pri- comme en France ou en Belgique. Dans les
vée : dans les pays où une partie de la retraite deux cas, ces réformes limitent le montant des
est financée par cotisation, employeurs et cotisations sociales perçues. L’autre option,
salariés en tiennent compte dans les négo- c’est-à-dire le relèvement des taux de cotisa-
ciations salariales comme l’on tient compte tions pour faire face aux nouveaux besoins, a
des cotisations sociales en France. Le chan- été politiquement exclue depuis le milieu des
gement de mode de financement de la pro- années 1990 dans la plupart des pays.

Problèmes économiques MARS 2016 84


Sur le plan financier, la mondialisation tage de recettes que l’impôt sur le revenu
rend plus difficile la taxation des très hauts « traditionnel ».
revenus comme des profits des grandes
sociétés : de nombreux moyens légaux et Réduire les inégalités par la
illégaux permettent à ces deux catégories fiscalité ou par les prestations ?
de contribuables de diminuer considérable-
ment leur taux d’imposition en choisissant Pour réduire les inégalités, la fiscalité et les
de localiser leurs revenus dans les pays dont prestations sociales sont deux outils privilé-
les taux d’imposition sont les plus bas (même giés. La réduction des inégalités au moyen de
si ces revenus sont générés par une activité la fiscalité passe par des prélèvements obli-
économique basée ailleurs). Aussi, tant que la gatoires ciblés sur certains types de revenus,
législation n’est pas modifiée sensiblement ou par des taux de prélèvements progressifs
au niveau européen, le recours à la taxation (c’est-à-dire dont le taux augmente à mesure
des profits ou des très hauts revenus indi- que le revenu prélevé augmente).
viduels pour financer la protection sociale Généralement, l’impôt sur le revenu progres-
apparaît difficile à mettre en œuvre. sif est considéré comme le principal outil
Cette double contrainte conduit les gouver- fiscal de réduction des inégalités. À l’inverse,
nements à rechercher de nouvelles sources les prélèvements proportionnels ne réduisent
de financement en direction des bases fis- pas par nature les inégalités car ils imposent
cales les moins mobiles, et qui nuisent a les mêmes taux de prélèvements à tous. Par
priori le moins à la compétitivité-prix des ailleurs, certains impôts sont même considé-
entreprises : la consommation (via la TVA) rés comme régressifs : par exemple, la TVA
et le revenu de l’ensemble des ménages (via qui impose de la même manière les dépenses
différents impôts sur le revenu). Ce schéma de consommation de chacun. Comme les
de financement de la protection sociale était ménages modestes consacrent une part plus
déjà le mode de financement privilégié par les élevée de leur revenu à la consommation,
pays scandinaves. ils consacrent une part plus élevée de leur
revenu à payer la TVA que les ménages aisés
Ainsi, en 2007, l’Allemagne a transféré une
(dont l’épargne n’est pas soumise à la TVA).
partie des recettes de cotisations sociales vers
la TVA (réforme dite de la « TVA sociale »). La En France, le système de prélèvements obli-
France, qui avait envisagé une telle réforme gatoires, dans lequel la TVA, la CSG et les
[5]
Le Crédit Impôt en 2012, ne l’a finalement pas mise en place5. cotisations sociales jouent un grand rôle,
Compétitivité Emploi L’idée principale de la TVA sociale est qu’elle est particulièrement peu progressif. Certes,
mis en place en 2013
a conservé ce schéma exclut les exportations de l’assiette des pré- les cotisations sociales ne sont plus régres-
(baisse des prélèvements lèvements (les produits exportés ne paient sives comme elles pouvaient l’être au début
sur les entreprises pas la TVA), tandis qu’elle y inclut les impor- des années 1980 (elles sont même progres-
et hausse de la TVA)
mais il ne concerne pas tations. La TVA sociale peut être temporaire- sives sur la moitié la plus basse des salaires),
le financement de la ment un outil relativement efficace pour rega- mais l’impôt sur le revenu est peu progressif
protection sociale.
gner en compétitivité, à la condition expresse et son rôle dans le système fiscal français est
que les pays partenaires n’imitent pas la particulièrement faible ; de plus, une grande
mesure, auquel cas son efficacité s’annule. partie des très hauts revenus parviennent à y
échapper en jouant sur ses nombreux dispo-
Enfin, on peut interpréter la mise en place
sitifs dérogatoires.
et la montée en charge, au cours des années
1990, de la CSG comme la création d’un Les prestations sociales sont également un
second impôt sur le revenu des ménages, outil puissant pour réduire les inégalités.
dédié au financement de la protection Versées pour différents motifs (santé, retraite,
sociale. Aujourd’hui, la CSG génère davan- chômage, famille, etc.), les prestations sociales

85 PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES ET PROTECTION SOCIALE : QUELS ENJEUX ?


contribuent à alimenter le revenu disponible diminuent fortement, tandis que les dépenses
des ménages. En améliorant leur revenu sociales augmentent (en particulier l’assu-
disponible, et notamment celui des ménages rance chômage) générant un déficit important
les plus modestes, les inégalités se réduisent. dans les comptes publics.
Cela est vrai même lorsque les prestations
Au début de la crise, les dépenses sociales
sociales sont universelles et forfaitaires (le
ont augmenté « mécaniquement » et ont pu
même montant versé à tous). Lorsqu’une
jouer un rôle de stabilisateur automatique
même prestation de 100 euros est versée à
en limitant la baisse du pouvoir d’achat
tous les ménages, ce sont les ménages les plus
des ménages et en soutenant la consom-
modestes dont la situation s’améliore le plus
mation. Des mesures discrétionnaires ont
sensiblement, et les écarts relatifs de revenu
même volontairement augmenté les dépenses
se resserrent.
sociales pour amortir le choc de la crise dans
On peut également cibler les prestations certains pays (notamment les États-Unis avec
sociales sur les ménages les plus modestes pour l’allongement de la durée d’indemnisation
tenter de réduire les inégalités, par exemple chômage, et, très marginalement, la France,
en versant des prestations sous conditions de avec le versement en avril 2009 d’une « prime
ressource. Les comparaisons internationales de solidarité active » de 200 euros à 3,8 mil-
soulignent toutefois que ce sont les pays dont lions de ménages modestes).
les prestations sont généreuses et universelles
qui parviennent le mieux à réduire les inégali- Alors que la crise se prolonge, la question de
tés (les pays scandinaves), par opposition aux la soutenabilité des dépenses publiques de
pays dont les prestations sont très ciblées sur protection sociale est fortement posée dans
les plus modestes, mais peu généreuses (pays le débat public. Dans les années 1990 et 2000,
anglo-saxons). la plupart des propositions pour diminuer
les dépenses publiques suggéraient plus
Si prestations généreuses et prélèvements
ou moins explicitement qu’il fallait priva-
progressifs contribuent tous deux à réduire
tiser les dépenses sociales. Le débat portait
les inégalités, il semble qu’il y ait une limite
alors davantage sur les mérites respectifs
(au moins politique) à la combinaison des
des dépenses publiques contre les dépenses
deux outils. De nombreuses analyses ont en
privées. Dans le contexte actuel, les termes
effet remarqué que les systèmes qui affichent
du débat ont sensiblement évolué : la baisse
une progressivité relativement marquée de
des dépenses sociales n’a plus pour but prin-
leurs prélèvements obligatoires (les pays
cipal de faire baisser la dépense publique au
anglo-saxons, notamment), étaient également
profit du privé, mais de diminuer simplement
les pays dont le niveau de dépenses sociales
le niveau de vie des ménages pour rétablir les
était le plus faible. À l’inverse, les pays scan-
comptes publics.
dinaves et d’Europe continentale dont les
systèmes d’imposition sont relativement peu Depuis 2011, de nombreux États ont pris
progressifs ont des prestations plus géné- le parti de contenir l’augmentation des
reuses et parviennent par ce canal à une dépenses sociales, ce qui a nécessité des
meilleure réduction générale des inégalités. mesures de réduction des prestations : alors
que la population vieillit et que le chômage
La crise et la soutenabilité continue d’augmenter, geler les dépenses
des dépenses sociales sociales au niveau national nécessite de dimi-
nuer le montant des prestations au niveau
Avec la crise économique commencée en individuel. C’est, par exemple, le cas de la
2008 et redoublée depuis 2010, les dépenses France qui a réduit en partie les prestations
sociales sont particulièrement sous pres- familiales des ménages aisés, repoussé l’âge
sion. En période de crise, les recettes fiscales de départ à la retraite ou désindexé les pen-

Problèmes économiques MARS 2016 86


sions de retraite de l’inflation. Les baisses de du Sud. Ces mesures de baisse des dépenses
prestations ont été encore plus drastiques en sociales sont le pendant, dans le champ de
Espagne ou en Grande-Bretagne. la protection sociale, des mesures de baisse
Mais un cap supplémentaire a été franchi par des salaires qui ont eu lieu sur le marché du
certains États qui n’ont pas seulement gelé le travail ou dans la fonction publique. Cela
niveau de leurs dépenses sociales, mais ont signifie, de la part des gouvernements et de
été jusqu’à diminuer en valeur absolue les l’UE, que le retour de l’équilibre commercial
dépenses sociales (suivant en cela les recom- et budgétaire de ces pays n’est pas envisagé
mandations de la Commission européenne et d’abord par un retour de la croissance, mais,
des autres pays de l’Union européenne [UE]). au moins temporairement, par un appauvris-
En 2011 et 2012, cela a par exemple été le sement des ménages à travers la baisse des
cas de l’Estonie, de la Grèce, de l’Irlande, de dépenses sociales.
l’Islande et du Portugal, où la dépense sociale Jusqu’à présent, la France n’a pas franchi
mesurée en euros par habitant a baissé. le cap d’une baisse absolue des dépenses
Ces mesures de très forte austérité, qui se sociales : les diminutions des prestations
traduisent par des baisses de pensions de sont sensibles, mais relativement modérées
retraite, d’indemnité chômage ou de presta- en comparaison des pays du sud de l’Europe.
tions familiales, n’ont pas d’équivalent dans Mais compte tenu de la pression à réduire
le passé récent des pays de l’UE. Les don- le déficit public, on ne peut exclure qu’elle
nées pour les années 2013 et suivantes ne emprunte ce chemin si une croissance soute-
sont pas encore disponibles, mais ce proces- nue ne revient pas dans les prochaines années.
sus de contraction de l’État social n’est pas
terminé, notamment pour les pays d’Europe

POUR EN SAVOIR PLUS


™ ADEMA W., FRON P. et ™ EUROSTAT (2008), « Social ™ ZEMMOUR M. (2015),
LADAIQUE M. (2014), « How protection in the European « L’évolution des systèmes de
Much do OECD Countries Union », Statistics in Focus, financement de la protection
Spend on Social Protection no 46/2008 (rédigé par sociale en Europe », dans :
and How Redistributive are A. Petrasova). Finances Publiques, 4e édition,
Their Tax/Benefit Systems? », ™ HCFi-PS (2014), Analyse Jean-Marie Monnier
International Social Security comparée des modes de (sous la dir.), Les Notices,
Review, volume 67, p. 1 à 25. financement de la protection La Documentation française,
™ ALLÈGRE G. (2013), sociale en Europe, Rapport du 2015.
« Comment peut-on défendre Haut Conseil du financement
un revenu de base ? », de la protection sociale,
Les Notes du blog de l’OFCE 19 novembre.
(39), 1-13.

87 PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES ET PROTECTION SOCIALE : QUELS ENJEUX ?


¶ COMPLÉMENT diminuer la stigmatisation associée à
certaines prestations dites d’assistance :
si tout le monde bénéficie au titre de la
citoyenneté d’une même prestation, la
Le revenu garanti/universel, prestation sociale gagne en légitimité et cesse
une utopie ? d’être le marqueur économique, social et
politique d’une catégorie de la population. Les
Parmi les propositions portées concernant autres arguments dépendent de la version
l’avenir de l’État social, de nombreuses voix défendue : réduire le temps de travail, faire
avancent l’idée d’un revenu inconditionnel reculer la pauvreté, rémunérer la participation
pour tous les citoyens. Ce dispositif baptisé, aux activités sociales, passer d’une protection
selon les projets, revenu universel, revenu familiale à une protection individuelle(1), etc.
de base, revenu garanti, revenu citoyen, varie
Mais cette perspective connaît plusieurs
en forme et en montant selon les scénarios.
limites : d’une part, si les dispositifs sont
Pour certains, il s’agirait d’un revenu proche
divers aujourd’hui, malgré certaines
des minimas sociaux actuels (le revenu de
incohérences qu’il convient de corriger, c’est
solidarité active, [RSA], « socle » s’élève à
pour répondre à différents objectifs très précis
514 euros en 2015), mais qui serait versé
de politique économique et sociale (parent
à tous sans condition de ressource ; pour
isolé, travailleur pauvre, inactif, personne en
d’autres, il s’agirait d’un revenu d’un montant
situation de handicap, famille nombreuse) ; il
plus substantiel (au moins égal au salaire
n’est pas certain qu’un seul dispositif puisse
minimum interprofessionnel de croissance
prendre en compte plus efficacement la
[SMIC] net actuel, soit environ 1140 euros).
diversité des situations. En second lieu, s’il
Certains scénarios en font un transfert
s’agit de faire reculer la pauvreté, la refonte
universel, d’autres se contentent de remplacer
des dispositifs existants doit s’accompagner
les minimas sociaux par une première tranche
d’une hausse globale du montant des
négative de l’impôt sur le revenu.
prestations versées (par exemple pour
Dans tous les cas, il s’agit de modifier à la fois atteindre 1 000 euros), ce qui suppose une
l’organisation et le sens des prélèvements augmentation considérable des prélèvements
et prestations. En effet, dans le système obligatoires ; il n’y a pas nécessairement
actuel, la plupart des citoyens bénéficient, à d’obstacle économique ou technique, mais
différents titres, de prestations sociales ou de il s’agit alors de se demander si un tel
dispositifs fiscaux : des minimas sociaux, en changement peut bénéficier d’un soutien
passant par les compléments de revenu (RSA politique suffisant dans la population. Enfin,
complément d’activité), les abattements et une telle réforme peut être perçue comme une
crédits d’impôts, aux allocations familiales, ultime libéralisation du marché du travail : si
chacun est éligible à l’un ou l’autre des l’État pourvoit à la subsistance élémentaire de
dispositifs. chacun, les entreprises peuvent se contenter
Reconnaissant cet état de fait, le revenu de rétribuer le seul temps passé au travail
universel présente au moins deux avantages : en se dégageant de toute responsabilité
premièrement, simplifier les démarches économique et sociale concernant le niveau de
et la gestion, d’une part (chacun aurait un vie des salariés, leur protection sociale, etc.
dossier à faire une fois pour toutes, alors que, (1) Pour plus de détail, on pourra consulter la note de blog
aujourd’hui, certains dossiers sont à faire de Guillaume Allègre parue en 2013 : « Comment peut-on
tous les mois ou tous les trimestres), ce qui défendre un revenu de base ? ». Les Notes du blog de
n’est pas négligeable lorsque l’on sait que le l’OFCE (39), 1-13.
non-recours à certaines prestations dépasse
les 50 % des ayants droit. Deuxièmement, Michaël Zemmour

Problèmes économiques MARS 2016 88


L’évitement fiscal est un phénomène ancien. Longtemps cantonné à la fraude et à l’évasion
fiscales, il a pris un nouvel essor sous l’influence non seulement des politiques fiscales de ces
dernières années, qui, in fine, rendent les systèmes fiscaux de plus en plus complexes et instables,
mais également de la mondialisation et de l’essor des nouvelles technologies de l’information et
de la communication. Ainsi, l’optimisation fiscale, la déterritorialisation des bases taxables et le
développement de nouvelles activités sous-fiscalisées, dont les GAFA (Google, Apple, Facebook,
Amazon) sont le produit, provoquent un manque à gagner très important pour les finances
publiques. Dans ce processus, la vulnérabilité des ressources publiques s’en trouve accentuée
et la lutte contre la fraude devient impérative, conclut Jean-Marie Monnier.
Problèmes économiques

Crise des finances publiques


et évasion fiscale
 JEAN-MARIE MONNIER prélèvements obligatoires a subi une nette
dégradation au début des années 1980 qui
Professeur d’économie à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne n’a jamais pu être comblée depuis lors. Il a
au contraire fortement régressé au rythme
des chocs conjoncturels récessifs.
La crise de la dette publique et les difficul-
tés budgétaires consécutives à la grande Dans un contexte de détérioration aussi forte
récession de 2008 ont favorisé la prise de des finances publiques, l’évitement est sou-
conscience du fardeau que représentent vent apparu comme un refus d’assumer les
pour une majorité de citoyens par ailleurs responsabilités que les citoyens ont à l’égard
contribuables, les comportements de cer- de la nation. Malgré une profusion de publi-
tains individus consistant à contourner cations, un certain flou demeure cependant
l’impôt afin d’obtenir, souvent de manière sur la nature et la définition du contour-
indue, une réduction de leur contribution nement fiscal, ce qui produit à la fois de la
aux charges communes. Depuis les débuts confusion sur l’objet même que l’on prétend
de la crise du fordisme, la capacité des étudier et des difficultés à élaborer des plans
recettes publiques, et singulièrement des de lutte pertinents contre ce phénomène, dès
prélèvements obligatoires, à couvrir les lors qu’il ne repose pas sur des bases légi-
dépenses publiques est structurellement times. L’analyse économique et les travaux
compromise. Le taux de couverture des juridiques permettent pourtant de distinguer
dépenses publiques par les recettes des l’adaptation des comportements à l’impôt de
administrations publiques (APU) et par les l’évitement proprement dit.

89 CRISE DES FINANCES PUBLIQUES ET ÉVASION FISCALE


Taux de couverture des dépenses publiques par les recettes des APU
et par les prélèvements obligatoires, en France (en %)
100
95
90
85
80
75
70

65
80 82 84 86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14
19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20
Prélèvements obligatoires Recettes des administrations publiques

Source : Comptes de la nation 2015.

Les formes du contournement raison pour laquelle, pour limiter cette inci-
dence négative sur leur bien-être, ils modi-
de l’impôt fient leurs achats et leurs ventes et toutes les
décisions économiques impactées par l’impôt.
Considéré sous l’angle économique, l’impôt Ils préservent ainsi le plus possible la satis-
permet à l’État de substituer par la contrainte faction qu’ils retirent de leurs revenus.
ses préférences aux préférences individuelles Mais ils cherchent aussi à réduire la charge
des contribuables en détournant une frac- fiscale qu’ils supportent en la reportant
tion de leurs revenus d’emplois privés vers sur d’autres à travers les variables écono-
des emplois collectifs. En soustrayant ainsi miques qu’ils contrôlent et peuvent donc
du pouvoir d’achat aux agents économiques, manipuler. Ce faisant, le contribuable réel
les prélèvements obligatoires modifient la n’est plus le redevable légal. Par exemple,
répartition des revenus, influencent l’activité les propriétaires bailleurs de logements
économique globale et altèrent les comporte- sont redevables de la taxe foncière sur les
ments individuels. Les agents économiques propriétés bâties, mais ils la reportent géné-
adaptent en effet leurs comportements à ralement sur leurs locataires en majorant
l’impôt car ils tentent d’en réduire l’impact d’autant le loyer. Les locataires deviennent
sur leur bien-être. ainsi redevables de fait. C’est le phénomène
de la translation qui diffuse l’incidence de
L’adaptation des comportements la fiscalité à travers l’économie, provoquant
économiques à l’impôt en chaîne des modifications des décisions
d’achat et de vente et réduisant le bien-être
Selon le modèle simplifié de l’économie de l’ensemble des agents concernés. Même si
publique, l’une des principales caractéris- elle présente des similitudes avec l’optimi-
tiques des prélèvements obligatoires est sation, cette adaptation des comportements
qu’ils introduisent une rupture entre le prix à l’impôt doit cependant être distinguée de
payé par les acheteurs (clients ou employeurs) l’évitement fiscal.
et le prix encaissé par les vendeurs (fournis-
seurs ou salariés). Cette différence est appelée L’évitement fiscal [1]
le « coin fiscal »1. Il pèse sur le bien-être que Ou « coin social » dans
le cas des prélèvements
les agents économiques retirent de leurs acti- Pour réduire leur charge fiscale, certains sociaux. Voir l’article de
vités ou des emplois de leurs revenus. C’est la agents adoptent aussi une seconde catégo- Laurent Simula, p. 5.

Problèmes économiques MARS 2016 90


rie de comportements qui relèvent de l’évite- le compte d’une société mère relève bien de
ment. Pendant très longtemps, on se conten- l’évasion fiscale car elle n’a que l’apparence
tait de distinguer la fraude de l’évasion de la légalité.
fiscale, mais les contribuables, en particulier
– Quant à l’optimisation fiscale, elle se défi-
les entreprises, ont changé d’attitude dans
nit tout simplement par le recours à des pro-
les années 1990. Alors que la fiscalité appa-
cédés légaux dans le but d’alléger l’impôt à
raissait comme une charge financière et un
payer. Elle est donc le produit de l’habileté
ensemble de contraintes que l’on cherchait à
fiscale du contribuable ou de son conseiller
réduire, elle a progressivement été appréhen-
et ne peut être pénalisée dans la mesure où
dée comme un facteur de risque nécessitant
elle s’inscrit dans le droit fiscal en vigueur.
une prise en charge active dans le cadre de la
Le principe du droit à choisir librement les
stratégie globale de l’entreprise. Cela a donné
modalités d’imposition les plus faibles a
naissance à l’optimisation fiscale. C’est pour-
d’ailleurs été confirmé par la jurisprudence
quoi on distingue désormais ces trois formes
de la Cour de cassation et du Conseil d’État.
de comportement de la façon suivante :
Les entreprises se saisissent ainsi de toutes
– La fraude fiscale consiste à utiliser des les subtilités de la règle fiscale pour réduire
procédés irréguliers pour éluder l’impôt, en l’impôt : recours massif aux dépenses fis-
se soustrayant soit à son établissement soit cales, notamment le crédit d’impôt recherche,
à son paiement. Elle implique donc « néces- dont le coût pour les finances publiques est
sairement une violation de la réglementation passé de 1 milliard d’euros en 2005 à 5,5 mil-
en vigueur » (Assemblée nationale, 2013) de la liards d’euros en 2015 ; utilisation du régime
part du contribuable. Concrètement, elle peut d’intégration fiscale par les entreprises mul-
consister à ne pas se conformer aux obliga- tinationales qui permet de consolider les
tions déclaratives, à dissimuler une partie des résultats de l’ensemble des entreprises du
sommes taxables, à organiser son insolvabi- groupe, etc. Il reste que ce principe trouve
lité ou à s’opposer au paiement de l’impôt. ses limites dans la procédure de l’abus de
droit qui permet de réprimer les comporte-
– L’évasion fiscale est difficile à définir en rai-
ments visant exclusivement à éluder l’impôt
son de son caractère hybride. Elle s’appuie en
(Maata-Devaux et Devaux, 2015).
effet sur des procédés en apparence réguliers,
mais avec l’intention de contourner la règle Ainsi, la fraude et l’évasion fiscales ont en
fiscale afin d’éluder l’impôt. Il en va ainsi de la commun la mauvaise foi du contribuable qui
plupart des opérations conduisant au trans- cherche à minorer indûment l’impôt à payer,
fert des bases d’imposition des pays où les par des procédés formellement légaux ou
entreprises exercent effectivement leurs acti- illégaux, tandis que l’optimisation et l’éva-
vités (niveau élevé de prélèvement), vers des sion partagent l’utilisation de méthodes
pays où la fiscalité est faible, voire vers des légales, mais, dans le cas de l’optimisation
paradis fiscaux, où elles n’ont en fait aucune le contribuable est généralement de bonne
activité. Par exemple, la localisation par cer- foi et ne fait preuve que d’habileté fiscale.
tains groupes du secteur du numérique des Quoi qu’il en soit, ce qui sépare ces formes
droits de propriété intellectuelle (algorithme, de comportements est souvent difficile à
marque, etc.) dans une filiale située dans un apprécier et le comportement frauduleux
paradis fiscal qui en surfacture ensuite le délicat à établir. De fait, de manière plus
droit d’usage aux autres filiales du groupe générale, la ligne de partage entre le souci
permet de transférer dans ce paradis fiscal de ne pas payer plus d’impôt que ce que l’on
les bénéfices réalisés là où elles opèrent. La doit équitablement et la volonté de payer le
technique des prix de transfert couplée à moins d’impôt possible, y compris irrégu-
l’intervention de sociétés de facturation pour lièrement, pour préserver ses intérêts est de

91 CRISE DES FINANCES PUBLIQUES ET ÉVASION FISCALE


plus en plus incertaine. Les transformations tion de strates successives de prélèvements,
du droit fiscal et les mutations institution- chacune d’entre elles étant le résultat des
nelles et économiques ont en effet débouché politiques fiscales menées lors de leur for-
sur une aggravation de l’évitement fiscal. mation. Dans cet agencement particulier, les
nouveaux prélèvements ne remplacent pas
toujours les anciens, mais s’ajoutent à eux.
Les facteurs de l’aggravation En conséquence, le système de prélèvement

de l’évitement fiscal porte la trace des politiques fiscales passées,


avec leur rationalité propre et donc leur dyna-
Dans un ouvrage récent, Alexis Spire et mique propre. Ainsi, une grande partie des
Katia Weidenfeld (2015) soulignent la tolé- mécanismes fiscaux mobilisés pour financer
rance particulière dont bénéficierait en la protection sociale et les dépenses de l’État
France l’évitement fiscal. En se fondant est imprégnée des catégories dominantes
sur une approche historique des politiques à l’époque du fordisme (Monnier, 2015). Les
juridiques et sur une enquête sociologique réformes suivantes, par exemple la fiscalisa-
menée au cœur de l’appareil administratif, tion du financement de la protection sociale,
ils relèvent cette tradition singulière de la ont été opérées en conservant ces catégories.
France dont les origines se situent sous l’An- Cela a certes assuré l’autonomie relative des
cien Régime, mais que la République a faite administrations publiques entre elles durant
sienne. Ils mettent en particulier en évidence une longue période, mais il en est résulté un
deux constantes historiques dans l’attitude système fiscal à la fois atypique et complexe.
des pouvoirs publics à l’égard de la répres- Or la complexité dans le domaine fiscal favo-
sion de la fraude : d’une part, l’écart impor- rise le fraudeur ou le contribuable habile
tant entre les déclarations de principe sur dans le déploiement de stratégies d’optimi-
la condamnation des fraudeurs et la rareté sation. Il profite en effet des marges d’inter-
de leur sanction effective ; d’autre part, la prétation et de l’incertitude quant à la mise
défiance des contribuables à l’égard de l’ad- en œuvre concrète de certains prélèvements
ministration fiscale dont on redoute l’arbi- ou de dispositions peu précises. L’insécurité
traire, de sorte que la répression de la fraude fiscale est un risque également encouru par
fiscale n’est pas mise au même niveau que l’administration de l’impôt.
d’autres infractions. La résistance à l’impôt
Au rang des dispositifs responsables de la
serait perçue comme « une réponse légitime
complexité du système fiscal, les dépenses
à l’acharnement des collecteurs » (p. 22). [2]
fiscales2 occupent une place non négligeable Les niches fiscales et
Même si d’autres facteurs, de nature écono- parmi les outils à la disposition des contri- sociales.
mique, liés au progrès technique et à l’inser- buables pratiquant l’optimisation. Initiale-
tion accrue de la France dans une économie ment, elles devaient être comprises comme
mondialisée, ont constitué un terreau extrê- une alternative aux dépenses publiques, se
mement favorable au développement des distinguant simplement de celles-ci en ce
comportements frauduleux, cette remarque qu’elles mobilisent la règle fiscale. Introduites
préalable pointe vers les dimensions natio- en France par la loi de finances pour 1980, ces
nales, propres à la politique fiscale conduite dispositions législatives ou réglementaires
par les gouvernements successifs. entraînent pour l’État une perte de recettes et
donc, pour les contribuables, un allégement de
Les facteurs liés à la politique leur charge fiscale par rapport à ce qui serait
fiscale nationale résulté de l’application de la norme fiscale.
La construction du système fiscal français Leur rôle s’est d’autant plus fortement accru
est le produit d’un processus de superposi- qu’elles sont devenues l’un des instruments

Problèmes économiques MARS 2016 92


privilégié de la fiscalité comportementale. « chaînes de valeur mondiales » et la frag-
Mais elles font l’objet de nombreuses cri- mentation de la production entre différents
tiques portant sur leur coût et sur leur impact pays posent finalement la question de la
sur le système fiscal et l’économie. Selon localisation réelle de la création de valeur
Gerald J. Miller et Frederik B. Bogui (1999), (OCDE, 2013).
elles favoriseraient les plus hauts revenus, Ces mutations affectent la fiscalité à double
surtout lorsqu’elles sont associées à des com- titre. Les groupes mondialisés ont progres-
portements fortement corrélés avec le niveau sivement rompu leurs attaches nationales
des ressources des contribuables, engendre- pour conduire des stratégies globales dans
raient des effets d’aubaine et créeraient des lesquelles ils ont placé les pays en situa-
distorsions ce qui accentuerait l’inefficacité tion de concurrence fiscale dans le simple
globale de la fiscalité. but de minimiser le poids des impôts mis à
Même si elles modifient fréquemment les leur charge. Ils ont ainsi intégré la fiscalité à
comportements individuels, toutes les leurs objectifs, en particulier la réduction de
dépenses fiscales n’alimentent certes pas la base imposable et le transfert des béné-
l’évitement. Cependant, le recours aux méca- fices. Le déplacement de la base imposable,
nismes de défiscalisation procède souvent par exemple grâce à l’utilisation de la tech-
d’une stratégie d’optimisation de la part des nique des prix de transfert, s’inscrit ainsi
particuliers ou des entreprises. Ainsi, en va- dans ces stratégies globales visant à l’éro-
t-il du crédit d’impôt recherche ou du régime sion de cette base. Elle peut aussi être obte-
d’intégration fiscale déjà mentionnés, qui nue par d’autres procédés comme les mon-
avantagent clairement les grandes entre- tages juridiques agressifs qui permettent
prises par rapport aux petites et moyennes concrètement la mise en concurrence des
entreprises (PME). On peut enfin observer systèmes fiscaux nationaux. En bout de
que l’usage massif de ces mécanismes accré- chaîne, c’est finalement la question du recy-
dite l’idée que les pouvoirs publics ne sont clage des excédents financiers qui est posée.
pas opposés à l’évitement et le favorisent. Le Ici interviennent la finance offshore et les
sentiment d’arbitraire s’en trouve conforté, paradis fiscaux qui attirent les capitaux
[3]
Voir l’article de Benoît ce qui délégitime la conformité spontanée3. mobiles en quête d’asiles secrets, stables et
Le Maux (p. 64) sur les défiscalisés (Zucman, 2013).
rationalités multiples
derrière les dépenses L’évitement fiscal dans le nouveau Le monde économique mondialisé présente
fiscales, ainsi que celui
capitalisme ainsi l’aspect paradoxal de la juxtaposition
de Michel Bouvier
(p. 104) sur leur
de deux sous-ensembles nationaux : d’une
incidence sur Les bouleversements de la structure insti- part, le groupe des États-nations interdé-
la légitimité tutionnelle et économique du capitalisme pendants plus ou moins développés qui
de l’outil fiscal.
ont favorisé le développement de nouvelles sont les lieux de la création de la valeur (le
formes d’évitement qui déstabilisent au fur plus souvent enfermés dans des réglemen-
et à mesure l’ancien modèle fordiste. tations fiscales nationales dépassées, mais
concurrentes afin de capter une part des
Mondialisation et financiarisation bases d’imposition nomadisées par le jeu
L’expansion spatiale du capitalisme dans de l’évitement), d’autre part, les paradis fis-
le cadre de la mondialisation a provoqué caux, bénéficiaires de ce jeu et profitant de la
la décomposition des frontières physiques concurrence à laquelle se livrent les autres
et des barrières réglementaires et favorisé pays. La construction européenne peut être
l’expansion du commerce international regardée sous cet angle.
par les échanges intrafirmes, ainsi que le
recours à des fournisseurs multiples situés
dans différents pays. Dès lors, ces nouvelles

93 CRISE DES FINANCES PUBLIQUES ET ÉVASION FISCALE


Évitement : l’échec de la construction nouveaux circuits de défiscalisation au sein
européenne de l’Union ; d’autre part, les paradis fiscaux
L’état actuel de l’espace fiscal européen n’est présents au sein de l’UE ou à proximité ont
pas le simple prolongement de sa participa- favorisé l’expansion de la finance offshore et
tion à l’économie mondialisée. Il en ampli- la captation agressive des ressources fiscales
fie les effets délétères. Dans le livre blanc des pays voisins et/ou partenaires. Ainsi,
de 1987 issu des négociations préalables à sous le régime de la décision intégralement
l’ouverture du Marché unique, une réforme unanime, l’espace fiscal européen est non
institutionnelle et un programme de rappro- coordonné, soumis à la concurrence de pays
chement des législations fiscales nationales membres cherchant à capter les bases impo-
étaient notamment envisagés comme condi- sables mobiles et aux pratiques prédatrices
tions de la réalisation de ce grand marché. Il des paradis fiscaux présents en son sein.
s’agissait de sortir du recours systématique
Nouvelles technologies, économie
au vote à l’unanimité et d’engager l’harmo-
nisation des fiscalités comme élément néces-
numérique et évitement
saire à l’exercice des quatre libertés constitu- La révolution informationnelle et les outils
tives du Marché unique : harmonisation des fournis par le secteur du numérique per-
fiscalités de l’épargne, des entreprises (l’im- mettent à une entreprise opérant à partir
pôt sur les sociétés) et des taxes indirectes. d’un territoire situé hors de France, d’y déve-
Les rivalités nationales et le jeu des paradis lopper une activité économique sans y instal-
fiscaux déjà présents au sein de la Commu- ler d’établissement stable et sans acquitter
nauté économique européenne (CEE) n’ont la fiscalité française. Cela met donc en cause
pas permis la réalisation de ce programme. l’ensemble des recettes fiscales. Trois ten-
dances lourdes sont observables.
Finalement, la concurrence entre pays
membres de l’Union européenne (UE) l’a De nouvelles activités sous-fiscalisées
emporté, à peine tempérée en 1997 d’un code Très tôt, le numérique et les technologies de
de conduite visant à proscrire les « pra- l’information ont permis l’apparition de nou-
tiques dommageables » : l’harmonisation de velles activités, dont les fameux GAFA5 sont
la fiscalité de l’épargne a été abandonnée en le produit. Plus récemment, le développement
1989 et celle de la fiscalité des entreprises des plateformes dites « collaboratives » a
est toujours en discussion. La fiscalité indi- favorisé l’émergence d’une nouvelle généra-
recte a fait l’objet d’une harmonisation par-
tion d’activités regroupées sous l’appella-
tielle : le régime provisoire instauré en 1993
tion d’« économie collaborative ». Si ces pla-
a été maintenu faute d’accord et présente des
teformes ravivent la collaboration sociale et
défaillances de plus en plus graves liées en
l’échange interpersonnel donnant naissance
particulier à l’accroissement de la fraude.
à un véritable phénomène de société, elles ont
Le régime de la taxe sur la valeur ajoutée
encouragé aussi le développement d’activités
(TVA) intracommunautaire a ainsi débouché
économiques et commerciales6 défiscalisées [4]
Fraude à la taxe sur la
sur l’émergence de nouveaux schémas frau-
de manière frauduleuse parce que les procé- valeur ajoutée, organisée
duleux, comme la désormais célèbre fraude entre plusieurs
dures fiscales actuelles sont impuissantes à
« carrousel »4 (Aujean, 2010). entreprises au sein de
prélever l’impôt. l’Union européenne.
L’absence de coordination fiscale au sein de [5]
l’UE a provoqué l’intensification de l’évite- La déterritorialisation des activités Google, Amazon,
Facebook, Apple.
ment par deux autres canaux : d’une part, la et des bases imposables
[6]
concurrence fiscale entre pays membres de Le commerce en ligne, caractérisé par son Par exemple, le
transport de personnes
l’UE et la multiplication des comportements éclatement en raison de l’intervention d’un avec Uber ou la location
non coopératifs ont permis l’émergence de grand nombre d’acteurs localisés en France immobilière avec Airbnb.

Problèmes économiques MARS 2016 94


mais aussi très souvent à l’étranger et diffi- croissante du système fiscal et des méca-
ciles à identifier, favorise la déterritorialisa- nismes de contrôle aux transformations du
tion des bases imposables. L’intervention de capitalisme. Cela est cruellement souligné
nouveaux intermédiaires comme les market- par les résultats très décevants du contrôle
places, les sites d’enchères, etc. amplifie cette fiscal. En 2014, les droits simples rappelés
tendance. Enfin, le commerce en ligne a pro- à la suite d’un contrôle sur place ou d’un
voqué une multiplication des flux physiques, contrôle sur pièces se sont élevés à 15,3
des colis souvent de petite taille provenant de milliards d’euros, en quasi-stagnation par
France et de l’étranger, ce qui permet de limi- rapport aux années précédentes. Dans ce
ter grandement, voire de supprimer, les sites total, les droits simples rappelés en matière
de stockage dans les pays de destination, de taxes indirectes se sont élevés à 2,5 mil-
c’est-à-dire là où s’exerce l’activité commer- liards d’euros, en diminution de 14 % par
ciale. Ce sont les raisons pour lesquelles les rapport à l’année précédente. Or le coût de
mécanismes traditionnels de contrôle fonc- la fraude à la TVA avait été évalué en 2013
tionnent très mal. Quant aux règles fiscales, à 14 milliards d’euros pour la France et à
en particulier le régime européen de TVA 168 milliards d’euros pour l’UE dans son
applicable à ce type d’activité, elles sont très ensemble (Barbone, Bonch-Osmolovski et
complexes et difficiles à mettre en œuvre. En Poniatowski, 2015). Quant aux estimations
conséquence, la fraude fiscale (et pas seule- globales de la fraude fiscale, elles situent
ment l’évasion) tend à se développer et com- pour la France son coût annuel à 3 % du pro-
promet en particulier les recettes de TVA. duit intérieur brut (PIB), chiffre que certains
spécialistes considère sous-évalué car l’ex-
L’essor des stratégies d’évitement pansion de la finance offshore et les « pro-
par déplacement des bases taxables grès » de l’économie numérique accélèrent
Les entreprises du secteur du numérique, les processus de défiscalisation agressive
en particulier les GAFA, sont souvent dési- des revenus et des activités économiques. La
gnées pour leurs stratégies d’optimisation lutte contre la fraude fiscale est donc impé-
par déplacement des bases imposables. En rative si l’on souhaite préserver la pérennité
fait, les technologies du numérique ont décu- des finances publiques. De ce point de vue, il
plé l’évasion fiscale et l’usage des straté- est impératif de ne plus différer la mise en
gies d’optimisation, notamment à travers le œuvre d’une fiscalité destinée à interrompre
déplacement des bases taxables, et répandu l’hémorragie provoquée par les comporte-
les comportements de ce secteur dans un ments d’évitement liés au numérique et à
grand nombre d’autres activités. Dans des taxer les rentes indûment perçues par les
[7]
Une nouvelle systèmes fiscaux où la déclaration est restée GAFA7. Cette nouvelle fiscalité du numérique
proposition de TVA
payée à la source dans
l’élément central du déclenchement de l’im- devrait en outre constituer la première étape
le cas du commerce en position, l’irruption du numérique a multi- d’une adaptation du système fiscal français
ligne, avancée lors de la plié les opportunités de fraudes, déstabilisé au nouveau capitalisme. Par ailleurs, comme
discussion de la loi de
finances pour 2016, a
le contrôle fiscal, et amputé nettement les le proposait l’OCDE, l’harmonisation, voire
ainsi rejoint la liste déjà ressources publiques. l’unification des règles régissant l’impôt sur
longue des dispositions les sociétés, au minimum au niveau euro-
projetées mais en
péen, serait de nature à résorber la concur-
attente de finalisation.
Conclusion rence fiscale à laquelle se livrent les États
membres de l’UE. De manière générale, une
L’évitement fiscal, en particulier la fraude
véritable coopération fiscale au sein de l’UE
et l’évasion, provoque un manque à gagner
est indispensable pour lutter contre l’évite-
très important pour les finances publiques
ment et les paradis fiscaux.
nationales. Mais il prend désormais de nou-
velles formes qui soulignent l’inadaptation

95 CRISE DES FINANCES PUBLIQUES ET ÉVASION FISCALE


POUR EN SAVOIR PLUS
™ ASSEMBLÉE NATIONALE States, 2015 Report, Case ™ MONNIER J.-M. (2015),
(2013), Rapport d’information Network Reports, « Obsolescence et réforme
de la mission d’information no 124/2015, http://ec.europa. du système fiscal », in
sur l’optimisation fiscale des eu/taxation_customs/ Monnier J.-M. (sous la dir.)
entreprises dans un contexte resources/documents/ Finances publiques, Paris,
international, présenté par common/publications/ La Documentation française,
Pierre-Alain Muet, http:// studies/vat_gap2013.pdf p. 141 à 157.
www.assemblee-nationale. ™ MAATA-DEVAUX L. et ™ OCDE (2013), Lutter
fr/14/rap-info/i2023.asp DEVAUX C. (2015), « L’évitement contre l’érosion de la base
™ AUJEAN M. (2010), « Le fiscal », in Monnier J.-M. (sous d’imposition et le transfert
système de TVA et le marché la dir.) Finances publiques, de bénéfices.
unique européen », Reflets Paris, La Documentation ™ SPIRE A. et WEIDENFELD K.
et perspectives de la vie française, p. 181 à 191. (2015), L’Impunité fiscale,
économique, tome XLIX, no 2, ™ MILLER G. J. et BOGUI F. B. Paris, La Découverte.
p. 91 à 104. (1999), « Tax Expenditures », in ™ ZUCMAN G. (2013), La
™ BARBONE L., BONCH- Hildreth W. B. and Richardson Richesse cachée des nations,
OSMOLOVSKY M. et J. M. (éd.), Handbook on Paris, Éditions Le Seuil.
PONIATOWSKI G. (2015), Study Taxation, Marcel Dekker,
to Quantify and Analyse the New York, p. 801 à 810.
VAT Gap in the EU Member

Problèmes économiques MARS 2016 96


De nombreuses analyses de la fiscalité des entreprises, notamment celles menées dans une
perspective internationale, abordent le sujet sous l’angle de la compétitivité. Gauthier Halba
propose une autre perspective, celle d’un fiscaliste d’entreprise amené à satisfaire à un
maillage de prélèvements de plus en plus complexe. En effet, les obligations comptables et
documentaires vis-à-vis des entreprises ne cessent de croître et celles-ci se trouvent confron-
tées à un environnement d’une grande insécurité juridique, ainsi qu’à de fortes contraintes
liées aux systèmes d’information. Il ne fait aujourd’hui plus de doute que les administrations
fiscales ont compris l’enjeu de l’accès aux informations de l’entreprise pour percevoir l’impôt,
mais également pour mieux exercer leur pouvoir de contrôle. Par ailleurs, l’auteur fait état d’un
climat de défiance à l’égard de l’entreprise, nourri par l’absence d’une réflexion globale et
cohérente de la fiscalité des acteurs économiques.
Problèmes économiques

Fiscalité des entreprises :


des contraintes de plus en plus
fortes dans un contexte
très international
s’est accru. Dans ce contexte, les fiscalistes
 GAUTHIER HALBA
ont dû acquérir de nouvelles compétences,
Chargé de cours à l’université de Paris-Dauphine, notamment financières, et maîtriser les fis-
directeur fiscal groupe calités étrangère et internationale. De plus,
pour répondre aux nouvelles contraintes
documentaires et aux contrôles fiscaux plus
La fiscalité des entreprises fait appel à des
techniques et agressifs, une bonne connais-
connaissances techniques, comptables et
sance de la gestion des systèmes d’informa-
juridiques. Aujourd’hui, ces expertises ne
tion de l’entreprise est désormais essentielle.
sont cependant plus suffisantes, car les opé-
rations économiques se sont fortement inter- En effet, la fiscalité n’a pas échappé à la finan-
nationalisées et leur degré de complexité ciarisation de la vie économique ni à sa forte

97 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXTE TRÈS INTERNATIONAL
internationalisation. Dans le même temps, et En effet, la plupart des impôts créés [1]
Big data : expression
pour permettre aux administrations fiscales répondent à des enjeux principalement poli- anglaise pouvant être
traduite par données
d’exercer leurs pouvoirs de contrôle, les légis- tiques qui visent à orienter le comportement importantes ou
lateurs français et étrangers ont augmenté les des agents économiques et, accessoirement, à massives. L’expression
obligations documentaires mises à la charge financer le budget de l’État, d’une collectivité big data fait référence
à l’ensemble des
des entreprises et, principalement, les infor- publique ou d’une personne morale de droit informations collectées,
mations numériques ou « big data1 » fiscales public ou privé chargée de missions de ser- le plus souvent
numérisées et stockées
et comptables. Par ailleurs, si la fiscalité reste vices publics2. Par ailleurs, ces prélèvements qui ne peuvent plus être
un outil qui permet de financer l’État, les col- fiscaux ne sont plus cantonnés aux seules traitées ou analysées
lectivités locales et d’autres émanations de lois de finances car de très nombreuses lois sans faire appel à des
logiciels de tri.
l’État, les prélèvements fiscaux sont égale- instaurent des prélèvements. Cette inflation
[2]
ment devenus des instruments qui visent à législative rend particulièrement ardu le Par exemple, Ecofolio
est une société de
orienter le comportement des entreprises. suivi de toutes ces nouvelles taxes pour les droit privé qui gère la
Dans ce contexte, la fiscalité des entreprises a entreprises, et notamment pour les fiscalistes collecte d’une éco-
évolué en suivant trois axes principaux : chargés de ce travail. contribution acquittée
par tout organisme
– la multiplication des prélèvements à carac- Le Conseil des prélèvements obligatoires qui consomme plus de
cinq tonnes de papier
tère fiscal de plus en plus spécifiques à cer- (CPO) a mené une étude sur ces prélèvements
par an. Ecofolio dispose
tains secteurs économiques et insérés dans et a constaté la grande incertitude liée à d’un agrément et a
des textes autonomes non codifiés dans le certains de ces prélèvements : « Faute d’une pour mission d’agir
avec toutes les parties
code général des impôts (CGI) ; définition juridique précise, la fiscalité affec- prenantes pour amorcer
tée est un phénomène mal connu. Pourtant, un cercle vertueux
– une augmentation significative et toujours elle constitue aujourd’hui une importante de la croissance
croissante d’obligations de transmissions et/ catégorie de prélèvements3. » Selon le CPO,
verte et transformer
l’écocontribution en
ou de mises à disposition de l’administration la France accumule nombre de prélèvements investissement pour
fiscale d’informations comptables et fiscales ; qui frappent spécifiquement différents sec- des usines, des emplois
et pour la qualité
– la mise en place de dispositifs imprégnés de teurs d’activité ou transactions : écologique.
la fiscalité internationale afin de prendre en – plus de 200 prélèvements au profit de l’État [3]
Conseil des
compte un contexte économique de plus en ou des collectivités territoriales pour un mon- prélèvements
plus international. tant cumulé d’environ 876 milliards d’euros4 ; obligatoires (2013),
La Fiscalité affectée :
– plus de 300 taxes ou contributions non constats, enjeux et

L’inflation de prélèvements : affectées au budget de l’État ou des collecti-


vités territoriales, pour un montant cumulé
réformes, juillet, http://
www.ccomptes.fr/

l’insécurité juridique
content/download/
d’environ 112 milliards d’euros (plus de 5 % 57517/1464928/version/2/
file/20130704_

à son paroxysme du produit intérieur brut [PIB]5).


Le CPO a ainsi relevé que ces taxes étaient
communique_CPO_
rapport_fiscalite_
affectee.pdf
Originellement, l’impôt ne répondait qu’à un affectées à plus de 450 organismes pour un [4]
seul objectif : financer les dépenses de l’État. Source : « Rapport
montant total de 28 milliards d’euros6. L’ab- sur les prélèvements
Dans ce contexte, la technique de prélève- sence de réforme fiscale explique ce nombre obligatoires et
ment ne devait répondre qu’à deux impéra- de prélèvements, car le législateur crée sans leur évolution » ;
tifs principaux : la rentabilité et l’acceptabi- rapport rédigé par le
cesse de nouveaux prélèvements et n’en sup- gouvernement dans le
lité du contribuable. Si les économistes ont prime que très occasionnellement. cadre du projet de loi de
théorisé les contours des impôts et modélisé finances pour 2013.
les principes d’un prélèvement équitable et Dans ce contexte, les entreprises doivent
[5]
Conseil des
économiquement performant, les législateurs gérer en interne des prélèvements aussi
prélèvements
n’ont souvent pas cette réflexion et accu- variés qu’hétéroclites : obligatoires (2013),
La Fiscalité affectée :
mulent les impôts et taxes en fonction d’évé- – la taxe sur les transactions financières (loi constats, enjeux et
nements conjoncturels. de finances rectificative pour 2012) objectif réformes, juillet, op. cit.

Problèmes économiques MARS 2016 98


de rendement et de financement de l’aide au
développement ; Obligations de documentation
– des taxes à vocation économique : cen- accrues : des systèmes d’information
sées réguler le marché comme la taxe sur les
locaux à usage de bureau en Île-de-France sous tension
qui devrait en limiter le nombre ; La collecte d’informations est un enjeu
– des taxes sectorielles : comme la taxe spé- majeur tant pour les entreprises en termes
ciale sur la publicité télévisée ; de gestion interne que pour les administra-
tions fiscales pour le contrôle de l’impôt. Ces
– des taxes à vocation écologique7 : comme dernières ont compris l’enjeu de l’accès aux
la taxe générale sur les activités polluantes informations de l’entreprise pour exercer
(notamment la taxe sur le papier dite « contri- au mieux leur pouvoir de contrôle. Ainsi, les
bution Ecofolio ») ou la taxe sur la publicité obligations documentaires et déclaratives ne
extérieure. cessent de croître, soit pour s’assurer du res-
Chacun de ces prélèvements dispose de ses pect des normes fiscales par la société, soit
règles propres tant en matière d’assiette, de pour recouper les informations entre diffé-
taux, de procédure déclarative qu’en matière rents agents économiques :
de bénéficiaire et de contrôle. Cette hétérogé- – au niveau de la société elle-même (liasses
[6]
Taxes qui bénéficient néité conduit non seulement à des incompré- fiscales, déclarations de la taxe sur la valeur
aux agences de
l’État (14,6 milliards hensions, mais également à des risques pour ajoutée [TVA], déclaration d’une centrale de
d’euros), aux chambres les entreprises ; elles ont du mal à décla- trésorerie, mais également des obligations
consulaires rer une multitude de prélèvements qui ne de conservation des pièces comptables8 et de
(1,9 milliard d’euros),
aux organismes répondent pas aux mêmes définitions alors tenue des comptes)9 ;
techniques ou qu’ils peuvent concerner un même bien ou – au niveau des relations de la société avec
professionnels
une transaction identique. des tiers (la déclaration des commissions,
(1,4 milliard d’euros)
et aux dispositifs de courtages, ristournes, honoraires10, déclara-
À titre d’exemple, un immeuble peut être taxé
solidarité nationale tion d’échanges de biens ou déclaration euro-
tels que la contribution avec des définitions de surfaces taxables qui
péenne de services).
au service public de varient d’un impôt à l’autre. Ainsi, la taxe sur
l’électricité, le Fonds
les eaux fluviales, la taxe sur les surfaces com- Un très grand nombre d’informations finan-
national d’aide au
logement ou le Fonds merciales (Tascom), la taxe sur les bureaux en cières, juridiques, comptables et fiscales doit
national des solidarités Île-de-France, la taxe d’aménagement ou la être communiqué aux différentes adminis-
actives (10 milliards trations chargées du contrôle des impôts et
d’euros).
taxe foncière ont toute leur propre définition
des surfaces taxables. Cela nécessite que les taxes : soit de manière automatique (dates
[7]
Les taxes entreprises disposent de différents métrages fixes qui varient selon les obligations) ;
environnementales soit à la demande des administrations (lors
devraient s’élever à pour chaque taxe.
environ 65,5 milliards d’un contrôle, l’administration pourra exi-
d’euros en 2016, en Dans ce contexte, les entreprises font face à ger qu’on lui remette des documents papier
augmentation de l’ordre une forte insécurité et complexité juridiques, ou électroniques). Ces nouvelles obligations
de 2 milliards d’euros ainsi qu’à de fortes contraintes liées aux
par rapport à 2015. contraignent les entreprises à être particuliè-
systèmes d’information. En effet, ces pré- rement vigilantes concernant :
[8]
Article 54 du code lèvements nécessitent que les entreprises
général des impôts. – la justification des retraitements effectués
adaptent leurs systèmes d’information pour
pour les besoins des différentes présenta-
[9]
Art. L. 13 et L. 47 A déclarer et payer ces taxes ou pour répondre
du Livre des procédures
tions de comptes : comptes sociaux, comptes
aux différentes obligations déclaratives.
fiscales. consolidés et comptes fiscaux. En effet, tout
[10]
retraitement qui est imposé par les diffé-
Art. 240 du CGI et
art. 47 et 47 A de rentes contraintes légales ou réglementaires
l’annexe III au CGI. devra être expliqué et justifié ;

99 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXT FORTEMENT INTERNATIONAL
– la conservation des documents de travail à les obligations se sont accrues ces dernières
vocation interne et servant à l’établissement années et de nombreux textes obligent les
des comptes : tout document permettant de entreprises à fournir un grand nombre d’in-
justifier une écriture ou un traitement doit formations qui sont conçues comme autant
être conservé et archivé ; d’armes pour l’administration dans le cadre
– et enfin, les systèmes d’information : la d’un contrôle fiscal. En 2013, la loi contre
conception et le paramétrage doivent per- la fraude fiscale et la grande délinquance
mettre de procéder à des extractions pouvant économique et financière13 a, en dehors de
être transmises à l’administration. tout contexte de fraude fiscale, renforcé les
moyens de contrôle des administrations fis-
Tout document interne doit dorénavant être
cale et douanière.
élaboré avec l’idée qu’il pourra être trans-
mis à l’administration fiscale et utilisé par La volonté de lutte contre l’évasion fiscale
l’administration dans le cadre d’un contrôle internationale a conduit le législateur à
fiscal. Depuis le 1er janvier 2014, en cas de mettre à la charge des entreprises une obliga-
vérification de comptabilité, les entreprises tion de transmission annuelle de la documen-
sont désormais tenues de communiquer à tation sur les prix de transfert. Cette décla-
l’administration leur comptabilité analytique ration porte à la fois sur des informations
[11]
ainsi que leurs comptes consolidés11. Cette générales relatives au groupe et sur des infor- Article L. 13 du Livre
mations spécifiques à l’entreprise elle-même. des procédures fiscales.
obligation n’est pas sanctionnée12, mais il est
difficilement envisageable dans le cadre d’un Parallèlement, les administrations fiscales [12]
Le Conseil
contrôle fiscal de refuser de remettre ces élé- étrangères coopèrent davantage et mettent en constitutionnel a
invalidé les sanctions en
ments sans que le contrôle se tende. place des procédures d’échange de renseigne- cas de non-respect de
De même, dans le cadre d’un contrôle fis- ments à l’échelle internationale. En 2010, les cette mesure (Conseil
États-Unis ont instauré le Foreign Account constitutionnel,
cal, les entreprises doivent – depuis les avis 29 décembre 2013,
de vérification adressés après le 1er janvier Tax Compliance Act (FATCA) visant à déve- no 2013-685 DC).
2014 – remettre leur comptabilité sous forme lopper l’échange automatique d’informations
[13]
pour lutter contre la fraude fiscale interna- Loi no 2013-1117 du
dématérialisée (fichier des écritures comp- 6 décembre 2013,
tables [FEC]) au début des opérations de tionale. Il a des impacts significatifs pour les article 45 codifié à
contrôle fiscal aux vérificateurs. groupes internationaux. En 2013, la France a l’article 223 quinquies B
du CGI.
conclu un accord bilatéral franco-américain
L’administration fiscale dispose ainsi de
visant à améliorer le respect des obligations
fichiers électroniques qui sont censés lui
fiscales.
permettre un meilleur traitement des infor-
mations fiscales. Il convient de noter que Parallèlement, une norme d’échange automa-
l’administration pouvait déjà avoir accès à ce tique de renseignements relatifs aux comptes
type d’informations via ses brigades spécia- financiers, élaborée par l’Organisation de coo-
lisées en matière de contrôle des comptabi- pération et de développement économiques
lités informatisées. Toutefois, ce FEC normé (OCDE), a été adoptée par les ministres des
devrait permettre à l’administration fiscale Finances des pays du G20 en 2014 et approu-
une meilleure exploitation des données. vée par le Conseil de l’OCDE, qui prévoit
l’échange automatique annuel, entre États, de
renseignements relatifs aux comptes finan-
La recherche ciers déclarés aux différentes administra-
tions par les institutions financières.
de la transparence financière Ce courant international trouve son explica-
Ces obligations s’inscrivent dans un courant tion dans le présupposé que les entreprises
plus général de transparence financière ou de délocaliseraient de la base taxable dans les
lutte contre la fraude. Dans ce contexte, toutes pays à fiscalité plus favorable et frauderaient

Problèmes économiques MARS 2016 100


donc les États où la fiscalité est la moins fiscale n’est aucunement critiquable en tant
avantageuse, notamment en France et aux que telle, c’est la fraude ou l’évasion qui l’est.
États-Unis. Le cœur du débat est davantage la com-
pétition fiscale entre les différents États

La fiscalité internationale : que la volonté des opérateurs économiques


de payer l’impôt le plus juste possible. Les
la boîte de Pandore hommes politiques qualifient ces montages
de frauduleux et les législateurs réagissent
des administrations fiscales à ces opérations d’optimisation « agres-
sive » en adoptant des législations toujours
Le sujet de l’évasion fiscale dans les paradis plus contraignantes et en sanctionnant les
fiscaux est un mythe qui est entretenu par entreprises qui sont bien souvent leurs par-
des affaires fortement médiatisées comme tenaires. Il existe dorénavant une grande
[14]
Google, Apple, les optimisations fiscales des « GAFA14 ». méfiance à l’égard des entreprises et le dis-
Facebook, Amazon.
La structuration juridique et fiscale des cours politique laisse à entendre que chaque
[15]
Courrier GAFA permet en effet de réduire leurs bases entreprise est un fraudeur en puissance.
international, Catherine taxables dans certains pays et ces « mon-
Guichard, http://www. C’est dans ce contexte que le gouvernement
courrierinternational. tages », quand bien même ils sont légaux, et les parlementaires ne cessent de mettre en
com/article/2014/11/06/ sont considérés par l’opinion publique et les place des dispositifs appelés « anti-abus » ou
luxleaks-le-scandale- gouvernements comme agressifs.
qui-met-le-luxembourg- « anti-fraude ».
dans-l-embarras Plusieurs exemples ont été récemment Deux exemples récents suffisent à démon-
[16]
Un ruling fiscal est relayés par la presse internationale peu spé- trer cette défiance du politique à l’égard des
un accord ou agrément cialisée. Ainsi, les journaux ont pu écrire : « Il entreprises :
entre un État et une
société sur une situation
va y avoir du grabuge au Luxembourg, para-
– le dispositif de lutte contre l’optimisation
de fait permettant à dis de la fraude fiscale. Mais aussi parmi les
fiscale au titre des produits hybrides et de
l’entreprise de s’assurer grandes entreprises, comme Ikea, Pepsi ou
qu’elle respecte bien l’endettement artificiel : selon le gouverne-
les normes fiscales en
FedEx qui, avec 340 autres, ont passé des
ment qui a présenté cette mesure, ce texte
vigueur dans cet État. accords secrets avec le grand-duché leur
La France ne connaît vise « à agir contre certaines pratiques d’op-
permettant d’économiser des milliards de
pas cette forme générale timisation fiscale abusives17 ». En pratique, ce
d’agrément, mais lui
dollars d’impôt.15 » La journaliste conclut
dispositif conduit à ne pas déduire les inté-
préfère le rescrit, qui en indiquant : « Les révélations du scan-
consiste en une question rêts payés à un prêteur situé dans un pays
dale LuxLeaks viennent conforter ceux qui
générale sur une dans lequel ces intérêts sont imposables à
interprétation juridique. plaident pour l’adoption d’un plan de lutte
moins de 25 % de l’impôt français. Cette res-
contre l’optimisation fiscale au prochain
[17]
http://www. triction conduit à ne pas déduire les intérêts
sommet du G20. »
economie.gouv.fr/files/ de certains prêts afférents à des excédents de
plf2014-dossier-presse. Les schémas d’optimisation fiscale concer-
pdf, p. 147.
trésorerie de sociétés opérationnelles alors
nés par ces ruling16 sont parfaitement légaux. même que ces prêts ne sont nullement artifi-
[18]
Pour les exercices Pour s’en assurer, il suffit de lire ces der- ciels ou abusifs ;
ouverts à compter du
niers qui ont été publiés et qui démontrent
1er janvier 2014, 15 % – le rabot fiscal (limitation de la déductibi-
pour les exercices clos que les entreprises se sont bien conformées
lité des intérêts) sous certaines conditions,
le 31 décembre 2012 aux règles fiscales d’un État de l’Union euro-
et en 2013. les charges financières nettes n’étant déduc-
péenne.
tibles qu’à hauteur de 75 %18. Cette règle a
Considérer ces accords confidentiels comme été inspirée de dispositifs étrangers (notam-
frauduleux sans une analyse poussée de ment allemand) et est motivée par la grande
chaque schéma, c’est apporter un jugement défiance politique à l’égard de l’endettement
moral et remettre en cause la souveraineté des entreprises, considérée comme un levier
du Luxembourg. Par ailleurs, l’optimisation d’optimisation fiscale.

101 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXT FORTEMENT INTERNATIONAL
La présomption de fraude à l’encontre des Cet amendement s’inscrit dans le droit-fil
entreprises est principalement due à l’incom- des réformes fiscales de ces dernières années
préhension du gouvernement et du législateur motivées par la lutte contre la fraude et l’éva-
vis-à-vis des communications financières des sion fiscales20. Dans ce contexte de suspicion,
entreprises. En effet, nombre d’entreprises le législateur adopte de plus en plus de textes
françaises d’importance (sociétés cotées) qui reposent sur une présomption d’anorma-
[19]
communiquent leurs comptes selon les règles lité des relations internationales entre entre- Amendement au projet
prises liées. Le sujet n’est pas récent, car, dès de loi de finances pour
internationales d’information financière 2016, http://www.senat.fr/
(International Financial Reporting Standards 193321, il existait une réglementation sur les enseance/2015-2016/255/
[IFRS]). Or, un résultat consolidé n’est aucune- prix de transfert qui fut ensuite codifiée à Amdt_1.html

ment un résultat comptable, lui-même diffé- l’article 57 du CGI. [20]


« La fraude
consiste à contourner
rent d’un résultat fiscal. Ainsi, une entreprise Toutefois, les contrôles et les mesures visant volontairement la
peut tout à fait être en pertes significatives à remettre en cause les relations intragroupes législation fiscale,
comptables et/ou fiscales en France (donc à la différence de
dans un cadre international se sont significa- l’optimisation où cette
ne payer aucun impôt) et afficher d’excel- tivement accrus. La problématique des prix même législation fiscale
lents résultats consolidés sans frauder l’État de transfert a pris une ampleur inégalée à est utilisée dans le but
d’échapper à l’impôt
français. Cette communication financière, travers le monde, notamment avec l’émer- par différents moyens
qui a pour destinataire premier les marchés gence d’acteurs économiques majeurs dans légaux. » (...) « Selon le
Conseil des prélèvements
financiers et les investisseurs, conduit à une le numérique pour lesquels le rattachement obligatoires, il s’agit
incompréhension sans cesse grandissante d’un profit à un territoire est devenu particu- de “l’ensemble des
auprès des citoyens qui est relayée par nos lièrement complexe22. comportements du
contribuable qui visent
hommes politiques. La recherche d’une répartition équitable des à réduire le montant des
prélèvements dont il doit
profits taxables est sans nul doute un objectif normalement s’acquitter.
louable, mais ne doit pas être dictée par une
Un contexte de suspicion volonté de réaction à la fraude ou à l’évasion
S’il a recours à des moyens
légaux, l’évasion entre
alors dans la catégorie de
Dans ce contexte, la volonté de lutte contre fiscales qui restent un comportement margi- l’optimisation. À l’inverse,

la fraude fiscale est un objectif sans cesse nal pour les entreprises. si elle s’appuie sur des
techniques illégales
affirmé et affiché par le personnel politique Malheureusement, cette approche négative de ou dissimule la portée
véritable de ses acteurs,
(peu importe sa couleur politique) et a donné la répartition des recettes fiscales entre les l’évasion s’apparente
lieu, lors des débats sur la loi de finances pour États est loin d’être spécifique à la France. Elle à la fraude”. » http://
2016, à un nouvel amendement motivé de la est partagée par nombre de pays développés www.economie.gouv.fr/
facileco/evasion-fraude-
manière suivante : « De nombreuses entre- au sein de l’OCDE23, du G2024 et de l’Union optimisation-fiscale
prises détournent aujourd’hui les bénéfices européenne (UE)25. Ainsi, l’OCDE a récemment [21]
L’article 76 de la loi
qu’elles réalisent dans un pays en payant des publié des recommandations26 pour intro- du 31 mai 1933 portant
licences ou des redevances disproportion- duire une obligation de déclaration « pays par fixation du budget général
de l’exercice 1933.
nées à des sociétés mères localisées dans des pays d’implantation » (Country by Country
[22]
Report [CBCR]) à la charge des grandes entre- Collin P. et Colin N.
paradis fiscaux. Ces paiements colossaux ne (2013), Rapport sur la
correspondent à aucune activité économique prises. Elle propose la mise en œuvre de ce fiscalité du secteur
réelle. Ils n’ont comme seul objectif que d’évi- CBCR, pour les exercices ouverts à compter numérique, http://www.
economie.gouv.fr/files/
ter à ces entreprises de payer des taxes et des du 1er janvier 2016, soit un premier dépôt en rapport-fiscalite-du-
impôts dans les pays où elles exercent leur 2017, pour les groupes multinationaux dont numerique_2013.pdf
activité. Ce détournement de profits se fait le chiffre d’affaires consolidé excède 750 mil- [23]
L’OCDE, dans le
au détriment de l’État, des services publics, lions d’euros. cadre de ses travaux
sur le Projet de lutte
des entreprises locales concurrentes et des Ce texte s’inscrit dans le cadre de la réflexion contre l’érosion de la
citoyens. Des géants du fast-food à ceux d’in- sur le renforcement des moyens de lutte base d’imposition et le
transfert de bénéfices
ternet, les exemples ne manquent pas depuis contre la fraude fiscale : travaux BEPS (Base (BEPS), a publié plusieurs
cinq ans19. » Erosion and Profit Shifting). Il s’agit d’un rapports le 5 octobre 2015.

Problèmes économiques MARS 2016 102


[24]
Communication du plan d’actions qui vise à refondre les règles claire de la fiscalité des entreprises et ont
G20 en date du de la fiscalité internationale, principalement une approche de défiance à l’égard des
6 septembre 2013
relative à la lutte contre en matière de prix de transfert. Les informa- acteurs économiques.
la fraude et l’évasion tions seraient centralisées par la société mère Il n’existe pas de réflexion globale, cohé-
fiscales http://
www.g20.org/news/
du groupe et transmises aux administrations rente et novatrice de la fiscalité des entre-
20130906/ fiscales des pays d’implantation dans le cadre prises comme cela avait pu être le cas avec
782776427.html de l’échange automatique de renseignements. la création du système de TVA imaginé par
[25]
Proposition de Ces travaux sont menés en parallèle au sein de Maurice Lauré.
directive du Parlement l’UE et sont susceptibles d’entraîner la mise
européen et du Conseil
La fiscalité des entreprises est devenue une
modifiant les directives en œuvre de la norme de manière contrai- matière hautement incertaine qui ne permet
78/660/CEE et 83/349/ gnante pour les États membres. En France, plus de se projeter dans l’avenir. Ainsi, toute
CEE du Conseil en ce qui la publication d’informations pays par pays
concerne la publication décision prise aujourd’hui peut être remise
d’informations est obligatoire pour les établissements finan- en cause par de nouveaux textes et le sera
non financières ciers depuis la loi de séparation et de régu- sans nul doute. En conséquence, tout choix
et d’informations lation des activités bancaires de juillet 2013
relatives à la diversité fiscal doit intégrer cet aléa. Les schémas qui
par certaines grandes (transposition de la directive CRD IV), entrée nécessitent des obligations d’engagement ou
sociétés et certains en vigueur en 2015. Cette loi prévoit la même des durées de blocage ne peuvent plus être
groupes.
obligation pour les grandes entreprises, tous recommandés, ce qui rend la vie des affaires
[26]
Rapport du secteurs confondus, mais subordonnée à incertaine.
5 octobre 2015 relatif à l’adoption de la directive citée supra.
la documentation des
prix de transfert et

Le besoin d’un renouveau


déclaration pays par pays
ou CBCR (action 13).

de la fiscalité des entreprises


En conclusion, les législateurs et les admi-
nistrations fiscales n’ont pas une vision

POUR EN SAVOIR PLUS


™ CASTAGNÈDE B. (2015), Précis ™ GOUTHIÈRE B. (2014), Les administrations fiscales,
de fiscalité internationale, Impôts dans les affaires Éditions OCDE.
Éditions PUF. internationales, Éditions ™ OCDE (2015), Rapports
™ CHADEFAUX M., COZIAN M. Francis Lefebvre. finaux BEPS, http://www.
et DEBOISSY F., (2015), Précis ™ OCDE (2010), Principes oecd.org/fr/ctp/beps-
de fiscalité des entreprises, de l’OCDE applicables en rapports-finaux-2015.htm
Éditions Litec. matière de prix de transfert
à l’intention des entreprises
multinationales et des

103 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXT FORTEMENT INTERNATIONAL
La question du sens à donner à la fiscalité est aujourd’hui de retour car ses clefs de lecture
habituelles se révèlent de plus en plus insuffisantes à répondre aux défis actuels : la concep-
tion d’un impôt-solidarité sur la base d’une conception redistributive de la fiscalité, ainsi que
celle d’un contrat fiscal avec l’idée d’une justice fiscale distributive. Ainsi, sur fond de crises
économiques et de métamorphoses de la société et de l’État depuis la fin des Trente
Glorieuses, les fonctions traditionnellement attribuées à la fiscalité sont en perte de vitesse,
sans qu’un véritable débat sur la notion de justice fiscale soit lancé. L’enjeu véritable porte
ainsi sur la légitimité de la fiscalité. Michel Bouvier appelle à la nécessaire réflexion politique,
indispensable à mener selon lui si l’on souhaite fonder une éthique générale de laquelle
pourrait se dégager une nouvelle justice fiscale.
Problèmes économiques

L’avenir peut-il être juste


fiscalement ?
L’impôt occupe une place centrale dans le  MICHEL BOUVIER
fonctionnement des sociétés contemporaines.
Il constitue un dispositif clé du système poli- Président de Fondafip (www.fondafip.org), directeur de la Revue
tique économique et social. Néanmoins, le française de finances publiques
regard qui a été porté sur la fiscalité au cours
des quarante dernières années a essentielle- Toutefois, cette alliance du contribuable et
ment concerné ses aspects économiques et du citoyen n’a pas duré plus d’une trentaine
sociaux. Le temps semble loin, où, après la d’années. Elle s’est trouvée sérieusement
Seconde Guerre mondiale et sous l’égide de entamée par la crise économique qui s’est
l’État providence, les prélèvements obliga- amorcée au milieu des années 1970. Dénon-
toires relevaient d’un sens partagé et étaient cée en tant qu’elle nourrissait un État ten-
posés comme participant de la réalisation taculaire qui paralysait le marché, l’attitude
de l’intérêt général, du bien-être de tous, de envers la fiscalité changea alors du tout au
la solidarité sociale. Certes, si l’on pouvait tout, celle-ci étant condamnée d’avance.
[1]
clamer « Vive l’impôt !1 », ce n’était pas pour Néanmoins, sauf exception, l’on ne s’est Rivoli J. (1965),
autant que le contribuable s’acquittait avec interrogé ni sur l’intérêt ni sur la nécessité Vive l’impôt !,
Éditions du Seuil.
plaisir de sa dette, mais celle-ci paraissait de renouveler la notion de justice fiscale. La
juste et par conséquent légitime au plus complexité économique et sociale et l’urgence
grand nombre. semblaient interdire toute préoccupation de

Problèmes économiques MARS 2016 104


ce type. Le résultat est que l’existence de ce conditions que doit remplir l’impôt pour être
mode de prélèvement obligatoire ainsi que sa considéré comme juste4 ».
légitimité sont en jeu : une légitimité qui s’est
D’un autre côté, c’est bien souvent contre
largement nourrie des courants idéologiques
l’injustice fiscale que se sont dressés ou
qui se sont développés au cours du XIXe siècle,
[2] se dressent certains (des individus ou des
Sur cette idéologie, le libéralisme, le socialisme et le solidarisme2.
voir : Bouvier M. (1986), groupes). C’est, d’autre part, au nom de la
L’observation vaut particulièrement pour les
L’État sans politique, justice fiscale qu’a été proclamé le principe
LGDJ. doctrines et théories de l’impôt qui ont large-
de l’égalité devant l’impôt et celui de l’uni-
ment emprunté à ces idéologies et ont forgé
[3]
Bouvier M. (2013), versalité du prélèvement fiscal. Mais si cha-
Pour une mobilisation diverses représentations de la fiscalité qui
cun s’accorde pour associer justice et égalité
générale contre le imprègnent encore les débats contemporains.
désarroi fiscal !, in fiscales, le désaccord surgit immédiatement
Le Cercle Les Échos lorsqu’il s’agit d’en définir un sens partagé.
du 19 septembre :
http://lecercle. La justice fiscale, De fait, la notion de justice fiscale – et c’est la

une notion fondamentale


lesechos.fr/economie- difficulté – ne peut être rapportée à un réfé-
societe/politique-
eco-conjoncture/ rent objectif, trop variables sont les idées que
fiscalite/221180102/ Dans un environnement marqué par une l’on se fait de l’impôt et de la justice fiscale.
mobilisation-generale- La plus simple consiste à prétendre à une éga-
contre-desarroi ; voir métamorphose de la société qui, en qua-
également « Les Français rante années, a vu l’État se transformer en lité stricte, chaque contribuable devant s’ac-
face à l’impôt : quelle profondeur sous les effets d’une crise de quitter du même montant de cotisation, sous
fiscalité pour quelle
société ? » dans Revue ses finances, l’interrogation quant au sens forme par exemple d’un impôt de capitation,
française de finances à donner à la fiscalité resurgit aujourd’hui. sans qu’il soit tenu compte de sa situation
publiques, no 124-2013.
Les fonctions traditionnellement attribuées particulière. Mais ce point de vue apparaît
[4]
Jèze G. (1931), Cours à la fiscalité ont été remises en question. rapidement très fruste et contestable, soit au
de finances publiques, Sa fonction politique comme attribut de nom d’une nécessaire solidarité des citoyens
Giard, 1931. entre eux, ou bien encore d’un indispensable
la citoyenneté semble désormais en perte
de vitesse. Il en est de même pour sa fonc- respect du libre choix par chacun de l’utili-
tion sociale, celle qui le considère comme sation de son revenu. Ainsi, deux conceptions
un instrument de réduction des inégalités, de la justice fiscale ont dominé les débats au
autrement dit de solidarité. En revanche, sa XIXe siècle : celle de l’impôt-solidarité avec

fonction budgétaire est maintenant omni- une conception redistributive de la fiscalité


présente, ce qui pourrait constituer une et celle du contrat fiscal, basé sur l’idée d’une
menace pour l’impôt du fait que l’équilibre justice fiscale distributive.
des finances publiques tarde à se réaliser. Il
s’ensuit une incapacité à lui trouver un sens
commun ainsi qu’un réel désarroi3 de la part Justice fiscale et justice sociale
des contribuables conduisant, à terme, à une Dans le prolongement des idéologies socia-
perte de légitimité. listes et solidaristes, une conception de
Or il n’est pas de société moderne qui puisse la fiscalité s’est développée, à la fin du XIXe
être et se penser solidaire sans que ceux qui siècle, sous le terme d’impôt de solidarité.
en sont membres ne soient convaincus que la Cette conception considère l’impôt comme
justice constitue une réalité effective. La jus- un devoir nécessaire et s’appuie sur le prin-
tice fiscale figure en tête de ces convictions. cipe, posé comme objectif, qu’une société
Mais celle-ci représente un objectif particu- forme un tout dont les éléments sont en
lièrement difficile à atteindre si on ne la relie interrelation. Si l’un d’eux vient à montrer
pas à un référent philosophique ou éthique. quelque faiblesse, il s’ensuit que c’est l’en-
Assurément, « l’idée de justice (n’a) pas de semble qui s’en trouve affaibli. Par consé-
valeur absolue, l’accord n’exist(e) pas sur les quent, il convient de veiller à répartir cor-

105 L’AVENIR PEUT-IL ÊTRE JUSTE FISCALEMENT ?


rectement les richesses au sein de la société tions de la part de ceux qui jugeaient qu’elle
[5]
si l’on veut éviter des crises5. engendrerait un nivellement des fortunes Contrairement à l’idée
répandue, l’idéologie
Cette approche qui prétend construire la préjudiciable à l’économie et serait suscep- solidariste ne met pas
fiscalité sur les fondements de la justice tible, de surcroît, d’ouvrir les portes grandes la morale en avant,
à un régime socialiste collectiviste. mais tire sa conception
sociale conduit, d’une part, à tenir compte de d’une approche
la capacité contributive des contribuables et Indépendamment des critiques dont elle a qu’elle veut purement
à instituer une progressivité de l’impôt et, scientifique fondée sur
fait l’objet, cette dernière expression de la les découvertes des
d’autre part, à considérer celui-ci comme un justice et de l’égalité fiscales a connu une sciences de la nature
instrument de redistribution et d’égalisa- légitimité quasiment sans faille au cours des qui conçoivent les
tion des situations, et à faire en sorte que organismes vivants
Trente Glorieuses. Elle a même constitué l’un comme des ensembles
le sacrifice demandé soit égal pour tous en des attributs essentiels de l’État providence. solidaires. Voir
rapport de leur situation personnelle. Cette En même temps, loin d’avoir insidieusement Bouvier M., L’État sans
conception relève directement du principe politique, op cit.
conduit la société vers un nivellement par
posé initialement par Jean-Jacques Rous- le bas comme le craignaient les libéraux au [6]
« L’imposition n’en
seau6, qui figure à l’article 13 de la Décla- XIXe siècle, il semble au contraire que les effets
doit pas être faite
seulement en raison des
ration des droits de l’homme et du citoyen égalisateurs et redistributifs de la progressi- biens des contribuables
de 1789. Cet article énonce que, « pour vité de l’impôt ne se soient pas révélés aussi mais en raison composée
l’entretien de la force publique et pour les efficaces que l’on aurait pu, pour certains, le
de la différence de
leurs conditions et
dépenses d’administration, une contribu- souhaiter ou, pour d’autres, le craindre. du superflu de leurs
tion commune est indispensable : elle doit biens », Rousseau J.-J.
être également répartie entre les citoyens à Si l’on se penche sur les évolutions du sys- (1755), Discours sur
tème fiscal français, on doit constater que l’Économie politique,
raison de leurs facultés ». Ce dernier aspect Encyclopédie, 1755, dans
a pris une forme concrète lorsque, à la seule la progressivité n’est pas réellement au Rousseau J.-J. (1989),
proportionnalité consistant à affecter à rendez-vous8. Outre le fait que les niches Œuvres politiques,
fiscales se sont démultipliées d’année en Bordas.
la base d’imposition un taux fixe, le même
pour tous, il va être préféré un taux évo- année, la réduction de l’espace occupé par [7]
Comme on l’a dit, la
luant en fonction de la capacité contributive les impôts progressifs est incontestable. faculté contributive
n’est pas représentée
du contribuable conformément à la théorie Dans l’ensemble des prélèvements obliga- par le revenu mais par
économique de l’utilité marginale. Chaque toires, les prélèvements à taux proportion- l’utilité du revenu.
euro supplémentaire de revenu entraînant nel sont largement majoritaires (cotisations Ainsi, plus le revenu est
élevé, moins son utilité
une utilité allant en décroissant, l’égalité du sociales, taxe sur la valeur ajourée [TVA], est grande et plus la
sacrifice suppose que la charge fiscale aille impôts locaux, contribution sociale généra- capacité contributive
lisée [CSG]). Ainsi, c’est moins dans son prin- augmente.
ainsi croissant en fonction de l’élévation du
revenu. C’est le point de vue que développa cipe que dans ses modalités que la progres- [8]
Voir l’article
Francis Edgeworth en 1897. sivité a perdu du terrain, notamment par la de Le Cacheux J.
création et surtout la montée en puissance dans ce numéro (p. 57).
Cette conception solidariste de l’impôt
est donc intimement liée à une conception de la CSG, un impôt sur le revenu à taux pro-
redistributive de la justice fiscale qui vise à portionnel, ou encore avec la limitation du
réduire les inégalités de revenus. Selon cette nombre de tranches de l’impôt sur le revenu
optique, l’impôt, on l’a dit, doit être néces- (IR). D’un autre côté, on doit relever que le
sairement progressif, il doit être person- débat autour d’une justice fiscale redistribu-
nalisé et tenir compte de la faculté contri- tive se trouve implicitement relancé par la
butive7 du contribuable, le fleuron en étant question de la fusion IR/CSG qui aboutit de
l’impôt sur le revenu des personnes phy- facto à ce que se repose un vieux dilemme,
siques. C’est cette conception de la justice celui du choix entre impôt proportionnel et
fiscale qui prédomina avec la création de impôt progressif.
l’impôt sur le revenu au début du siècle der-
nier. Elle donna lieu à de violentes contesta-

Problèmes économiques MARS 2016 106


Justice fiscale et justice libérale 1748 pour qui les impôts sont « une portion
que chaque citoyen donne de son bien pour
La conception sociale et redistributive de la avoir la sûreté de l’autre ou pour en jouir
justice fiscale et son pendant, la théorie de agréablement10 ». On la retrouve également
l’impôt de solidarité ont été sérieusement chez les physiocrates, avec Honoré-Gabriel de
battues en brèche depuis le développement Mirabeau, Pierre-Samuel du Pont de Nemours
conjugué de la crise économique, d’une ou Anne Robert Jacques Turgot qui soutien-
conception entrepreneuriale de la gestion dront ce même point de vue qui sera repris
[9]
Voir Bouvier M. publique9 et d’un changement d’attitude des ensuite par l’Assemblée constituante dans
et alii, Manuel de contribuables vis-à-vis de l’impôt. À la faveur son « Adresse aux Français sur la contribu-
Finances publiques,
LGDJ-Lextenso, de la crise de l’État providence s’est instal- tion patriotique11 ».
14e édition, 2015. lée l’image d’un secteur public fournisseur de Tout au long du XIXe et jusqu’à nos jours,
[10]
Montesquieu C.-L.
services à l’égal d’une entreprise. Or, intégré le courant libéral classique va développer
(1979), De l’Esprit des dans un environnement marchand, l’impôt cette thèse en en faisant d’ailleurs, avec des
lois, Livre XII, chap. I, change alors de nature et apparaît comme le nuances selon les auteurs, l’une de ses idées
« GF », Flammarion, t. 1.
prix d’un service rendu et non comme l’ex- principales en matière de fiscalité. Cette
[11]
Ce document, rédigé pression d’un lien de solidarité ou d’un devoir conception de la justice est très éloignée de
par Mirabeau H.-G. en social. Parallèlement, le contribuable, plus
1789, définit l’impôt
l’idée de redistribution. Il s’agit d’une justice
comme « une dette soucieux qu’autrefois de l’utilisation faite de fiscale distributive qui relève d’une concep-
commune des citoyens l’argent public, autrement dit de ses impôts, tion proportionnaliste des rapports sociaux.
(...) et le prix des
se considère davantage comme un client. Elle pose en principe que les richesses doivent
avantages que la société
leur procure ». À la faveur de cette évolution, on se trouve être réparties proportionnellement aux
confronté à une tout autre conception de la mérites de chacun. Autrement dit, le citoyen
justice fiscale et de la nature de l’impôt, celle doit recevoir de la société en proportion de
d’un impôt-prix. Cette vision est associée à ce qu’il y amène et il en découle que ce même
une notion de justice dite distributive qui met citoyen, en tant que contribuable, doit être
en avant le libre choix du citoyen quant au plus ou moins taxé selon qu’il profite plus ou
financement des services publics. moins de la richesse produite. Dans ce cas, la
justice s’identifie à une égalité de rapports
La conception de l’impôt-prix (ou impôt- entre ce qui est apporté et retiré par chacun
échange) a prédominé pendant la seconde du produit de l’effort de tous. Selon cette
moitié du XVIIIe et au cours du XIXe. Elle pose conception, le système fiscal le plus adapté
l’impôt comme étant le prix payé par le contri- est celui qui s’organise autour d’impôts sur
buable pour la sécurité et les services que lui la dépense. T. Hobbes, dans son ouvrage inti-
apporte l’État. On doit la rattacher aux cou- tulé Léviathan (1651) en posait déjà les prin-
rants contractualistes selon lesquels un pacte cipes essentiels lorsqu’il écrivait : « L’égalité
aurait été conclu de manière tacite entre les d’imposition repose davantage sur l’égalité
individus et l’État, les premiers acceptant de ce qui est consommé que sur l’égalité de
d’aliéner une part de leur liberté et de leurs fortune de ceux qui consomment ces choses.
biens en échange d’une garantie de sécurité. Pour quelle raison en effet celui qui travaille
D’un tel point de vue, il peut être déduit l’exis- beaucoup et qui, épargnant les fruits de son
tence d’une sorte de « contrat fiscal ». travail, consomme peu, serait-il plus imposé
Présente dès le XVIIe siècle sous la plume de que celui qui, vivant à ne rien faire, a de
Thomas Hobbes puis au siècle suivant sous faibles revenus et les dépense intégralement
celle de John Locke, de J.-J. Rousseau ou alors que l’un ne reçoit pas de la République
d’Adam Smith, cette représentation contrac- plus de protection que l’autre ? Quand les
tuelle de la fiscalité a été parfaitement expri- impôts sont assis sur ce que les gens consom-
mée par Charles-Louis de Montesquieu en ment, chacun paie également pour ce dont il

107 L’AVENIR PEUT-IL ÊTRE JUSTE FISCALEMENT ?


use, et la République n’est pas frustrée par libéralisme politique, au XIXe sous celle du
[12]
le gaspillage de certains particuliers12 ». Pour libéralisme économique, du socialisme et du Hobbes T. (1972),
Léviathan, Sirey.
l’auteur, il paraissait équitable que chacun solidarisme et enfin dans l’immédiat après- Quelques pages
contribue en fonction de ce qu’il retire de la Seconde Guerre mondiale sous l’influence du auparavant, Hobbes T.
société ; le moyen le plus adapté pour satis- keynésianisme – se révèlent insuffisantes à écrivait également :
« Si la République
faire à cet objectif est bien, on l’a dit, d’impo- répondre aux défis actuels. impose une taxe à
ser la consommation. C’est aussi à cette thèse l’ensemble du corps,
De fait, l’univers fiscal traditionnel est celle-ci est réputée peser
que trois siècles plus tard s’est rallié John
aujourd’hui déséquilibré par les évolutions sur chaque membre en
Rawls pour qui un impôt proportionnel sur proportion de la mise
de son environnement. Les responsables
la dépense est juste car « il impose une charge qu’il a apportée à la
politiques sont confrontés à des questions Société, car il n’existe en
en fonction de la quantité de biens qu’une
inédites, de plus en plus complexes, qu’ils ne ce cas pas d’autres fonds
personne a prélevée sur le stock commun et communs que ceux qui
peuvent se borner à régler ni au cas par cas
non en fonction de sa contribution13 ». résultent des mises
ni avec des réponses qui ont pu être efficaces individuelles. »
autrefois. De leur côté, les contribuables,
Justice fiscale et légitimité
[13]
Rawls J. (1987),
particuliers ou entreprises, ont changé. Non Théorie de la justice,
seulement ils se perçoivent de plus en plus Éditions du Seuil.
de l’impôt : une réponse politique comme des usagers, voire même comme des
clients du secteur public, mais ils s’ouvrent
Pour l’auteur de la Théorie de la justice, la concrètement ou virtuellement à un univers
justice fiscale ne constitue pas une fin en globalisé. À travers internet et la circulation
soi ; elle procède d’une démarche institu- de plus en plus intense des personnes ou de
tionnelle globale se fondant sur une logique l’information, une culture internationale a
contractualiste. La pensée de J. Rawls a le
fait irruption au sein du système fiscal. Et
très grand mérite de faire ressortir la pré-
le désarroi ou les hésitations que l’on peut
séance du politique et de l’institutionnel
constater ne sont au final que le produit de la
dans la recherche de la justice en général et
transformation d’un ordre mondial en pleine
de la justice fiscale en particulier. En effet,
métamorphose et qui tarde à se réorganiser.
plus que des principes économiques, c’est
Se pose alors une question de fond qui est
une réflexion politique qui s’avère indispen-
certes celle de la justice fiscale mais derrière
sable afin de fonder une éthique générale
laquelle se profile une interrogation sur la
de laquelle pourrait se dégager une éthique
nature de la fonction et finalement de la légi-
fiscale. Dans ce sens, donner un contenu à
timité de l’impôt. Le caractère crucial de cette
la justice fiscale, suppose d’en soumettre les
question s’observe aujourd’hui au travers de
termes à un débat public afin d’en rendre
la banalisation de l’évitement de l’impôt et
la définition explicite à un moment donné,
par suite la perte de sens du devoir fiscal qui
pour une population donnée.
caractérise le contexte contemporain. Plus
La chose n’est pas simple car, il faut le sou- qu’une simple résistance à l’impôt, il faut y
ligner, la fiscalité s’inscrit maintenant dans voir le germe d’un refus qui tend à s’étendre
l’évolution d’un environnement qui se trans- par capillarité, faisant l’économie du fracas
forme très rapidement, qui se complexifie et des révoltes fiscales.
qui est de plus en plus incertain. Il en résulte
une crise de lisibilité et de compréhen-
sion de l’impôt et des nouveaux enjeux qui
sont les siens, peut-être même une remise
Un débat difficile, mais indispensable
en cause de ses fondements, et par consé- Redéfinir les facteurs de la légitimité de l’im-
quent de ce qui constitue sa légitimité. Les pôt aujourd’hui et, par conséquent, de sa jus-
clefs de lecture habituelles – forgées pour tice est donc un sujet qui concerne l’avenir de
l’essentiel au XVIIIe siècle sous l’influence du la fiscalité. La tâche n’est pas simple. La mon-

Problèmes économiques MARS 2016 108


dialisation des échanges, les délocalisations- cial, pour des raisons budgétaires et de jus-
relocalisations des entreprises et des hommes, tice fiscale, de savoir comment imposer les
la monnaie dématérialisée et le commerce élec- résultats des entreprises du numérique et où
tronique, l’espace restreint que forme désor- les imposer, comme de maîtriser l’économie
mais la planète du fait des nouveaux moyens souterraine, il est devenu urgent de relier un
de communication et l’instabilité croissante tel souci à la question fondamentale de l’exis-
des circuits économiques et financiers qui en tence de l’impôt et par conséquent, on l’a dit,
résulte rendent la matière imposable de plus de sa nature, de sa fonction, de son sens dans
en plus difficilement appréhendable. la société contemporaine15.
Le développement actuel des entreprises du On l’a compris, l’enjeu est tout aussi fonda-
numérique donne une dimension nouvelle à mental que difficile à atteindre. Débattre de
[14]
Voir « Crise des l’évasion fiscale14 et par conséquent au sen- ce que pourrait être la justice fiscale dans la
finances publiques et
timent d’injustice que peuvent ressentir ceux société d’aujourd’hui et de demain à la lumière
évasion fiscale », Revue
française de finances qui leur sont extérieurs. En effet, se déve- des diverses conceptions que l’on peut en
publiques, no 127-2014. loppe avec ces entreprises qui se déplacent avoir semble par conséquent indispensable
[15]
Sur ces questions,
dans un espace parallèle et dont le lieu d’ins- et même vital pour l’avenir. C’est en effet l’al-
voir Bouvier M. (2015), tallation devient insaisissable, une forme de liance citoyen/contribuable qui risque d’être
Introduction au droit déterritorialisation de la matière imposable détruite ou entamée si ne se dégage pas une
fiscal et à la théorie de
l’impôt, LGDJ, particulièrement redoutable. Elles remettent formulation cohérente. Car il importe de le
13e édition. fondamentalement en cause les cadres fis- souligner, la légitimité de l’impôt repose sur
caux, juridiques et administratifs habituels. une représentation bien admise qui pose la
Elles les menacent directement et en font fiscalité comme la concrétisation d’un lien
apparaître la faiblesse et la fragilité. social, d’une solidarité entre citoyens, d’une
Plus encore, cette forme inédite d’évasion participation matérielle à une même com-
fiscale internationale, qui épouse souvent munauté. C’est donc une réflexion politique
les dispositifs les plus classiques d’évite- au sens fort qui s’avère nécessaire, et ce en
ment de l’impôt en en décuplant les effets, se vue de dégager les principes d’une stratégie
surajoute à l’économie souterraine nationale et d’une éthique fiscale partagées permettant
qui prolifère sur le terreau de la crise. C’est d’envisager un avenir pour l’impôt et pour la
ainsi que la fiscalité est agressée et minée de justice fiscale.
l’extérieur comme de l’intérieur. S’il est cru-

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BOUVIER M. (2014), « Sens Revue française de finances ™ BOUVIER M. (2004), « Les
et légitimité de l’impôt », publiques, no 123. transformations de la
Pouvoirs, no 151-2014. ™ BOUVIER M. (2013), « Un légitimité de l’impôt », dans
™ BOUVIER M. (2013), « Justice système fiscal en transition », Bouvier M. (2004), Réforme
fiscale, légitimité de l’impôt Cahiers français, no 373, La des finances publiques,
et société postmoderne », Documentation française. démocratie et bonne
Revue française de finances gouvernance, LGDJ.
™ BOUVIER M. (2010), « Justice
publiques, no 124. fiscale : un enjeu éthique ™ BOUVIER M. (2003),
™ BOUVIER M. (2013), et philosophique », Revue « L’imaginaire fiscal : des
« Nouveau Moyen-Âge fiscal française de finances utopies fiscales à l’impôt
ou nouvel ordre fiscal ? », publiques, no 112. virtuel », Revue française de
finances publiques, no 84.

109 L’AVENIR PEUT-IL ÊTRE JUSTE FISCALEMENT ?


¶ COMPLÉMENT qui conclut à son remplacement par un impôt
sur la dépense globale.
• L’impôt unique sur l’énergie
Aperçu des idéologies et L’impôt unique sur l’énergie fut proposé
dans les années 1950 par le fondateur de
utopies fiscales (1)
l’entreprise L’Oréal, Eugène Schueller.
Celui-ci partit du principe que la quasi-
Une société sans impôt
totalité des opérations effectuées nécessite
Cette vision est développée par les l’utilisation d’une énergie. La taxation des
libertariens en combinant anarchisme sources d’énergie pourrait donc par sa
proudhonien et libéralisme. Leur anti- répercussion dans les prix toucher tous les
étatisme, qui est total, va de pair avec une produits et services. Un taux suffisamment
non moins totale condamnation de l’impôt. élevé permettrait de la substituer aux impôts
Détournant le fameux « La propriété, c’est existants. Elle concernerait le pétrole, le
le vol ! » de Pierre-Joseph Proudhon, les charbon, l’électricité.
libertariens adoptent le slogan : « L’impôt,
• La Flat Tax
c’est le vol ! ». Ils sont favorables à une
Le projet de Flat Tax a été porté par deux
privatisation de tous les services publics.
professeurs de l’université Stanford,
Robert E. Hall et Alvin Rabushka, dans un
L’impôt unique
petit ouvrage, intitulé The Flat Tax (1985).
• L’impôt unique sur la dépense globale L’idée est de substituer aux impôts existants
Nicholas Kaldor (1908-1986), économiste à la un seul impôt proportionnel. Favorables
London School of Economics, était un disciple à un élargissement des bases imposables
de John Maynard Keynes. Soucieux de limiter (suppression des abattements) ainsi qu’à
l’inégalité des ressources et favorable à une l’application d’un taux unique (19 %), les
augmentation de la consommation pour auteurs ont vu leur thèse se concrétiser dans
stimuler l’emploi, il élabora un projet d’impôt certains pays qui ont mis en place des impôts
unique sur la dépense globale qu’il publia sur le revenu à taux proportionnel souvent
sous le titre An Expenditure Tax (1955). qualifiés un peu rapidement de « Flat Tax »
L’impôt proposé n’est pas une taxe sur le car coexistant à côté d’autres impôts (Russie,
chiffre d’affaires, mais un impôt personnel Slovaquie, Estonie, Roumanie, Lettonie
et progressif sur les dépenses annuelles et Georgie).
des contribuables.
• L’impôt unique sur le foncier
Cette idée fut reprise par James Meade L’Américain Henry George (1839-1897) est
(1907-1995) dans la seconde moitié des l’auteur d’un ouvrage paru en 1879, intitulé
années 1970, période à laquelle l’impôt Progrès et Pauvreté. Il étudie le mode de
sur le revenu britannique était très lourd, répartition des richesses et constate que
ce qui avait pour effet de faire fuir les hauts la rente foncière augmente sans que les
revenus. Par ailleurs, le système d’allocation salaires suivent la même voie. Il en déduit
chômage incitait les bas revenus à cesser que la richesse est stockée dans le foncier du
de travailler lorsque leurs gains étaient fait de l’accroissement continu de sa valeur et
inférieurs à l’allocation une fois l’impôt payé. ce au détriment du développement industriel
J. Meade produisit en 1978 un rapport sur et de l’augmentation des salaires. Plutôt que
l’état de l’impôt sur le revenu et sa réforme la propriété du foncier, c’est celle de la rente

Problèmes économiques MARS 2016 110


que l’État doit réaliser, et cela par l’impôt : le capital assis sur les biens physiques
« Abolissons tous les impôts sauf celui sur durables. Il devait s’accompagner de la
les valeurs foncières », proclame-t-il. suppression de l’impôt sur le revenu,
de l’impôt sur les sociétés, des droits
• L’impôt unique sur le capital
de mutation et des impôts locaux.
Le chocolatier Émile-Justin Menier (1826-
1881) proposa un impôt unique sur le capital. Michel Bouvier
Cet impôt de répartition, proportionnel et
indiciaire, taxerait les capitaux fixes dont
l’évaluation serait effectuée au niveau local
par un conseil cantonal.
(1) Pour plus de détails sur les utopies et idéologies fiscales
Le Prix Nobel d’économie Maurice Allais
voir : Bouvier M. (2016), Introduction au droit fiscal et à la
(1911-2010) était partisan d’un impôt sur théorie de l’impôt. LGDJ, 14e édition.

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111 L’AVENIR PEUT-IL ÊTRE JUSTE FISCALEMENT ?


Statistiques des recettes fiscales des pays de l'OCDE
Poids des prélèvements obligatoires dans les pays de l'OCDE (moyenne non pondérée, 1965 à 2013) 1
35,0

32,0

29,0

26,0

23,0

65 68 71 74 77 80 83 86 89 92 95 98 01 04 07 10 13
19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20

1. L'ensemble des prélèvements obligatoires en % du produit intérieur brut.

Prélèvements obligatoires par habitant (en dollar) 2013 Prélèvements obligatoires en % du PIB en 2013

Luxembourg 47 997
Danemark 28 635 Espagne
Belgique 32,7
Suisse 22 957 Pologne 44,7
31,9
Suisse
Belgique 20 930 États- 26,9
Unis
France 19 836 25,94

Allemagne 16 873 Allemagne


36,5 Danemark
France
Italie 15 324 47,6
45
Moyenne OCDE 14 923

Irlande 14 667 Irlande


29 Moyenne
Royaume-Uni 14 094 OCDE
34,2
États-Unis 13 476 Royaume-
Uni Italie Luxembourg
Espagne 9 892 32,6 43,9 38,4
Pologne 4 412

Datavisualisation : Problèmes économiques © Dila. Source : OCDE (2015), Statistiques des recettes publiques,
tableaux comparatifs (données extraites le 9 février 2016).

Problèmes économiques MARS 2016 112


L’actualité internationale
décryptée par les meilleurs spécialistes

Questions
internationales

internationales
Le droit d’asile en Europe
États-Unis et changement climatique
Wall Street au cinéma
Questions

Le transport
aérien
N° 78 Mars-avril 2016

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Abonnement à 6 numéros : 50,20 € – Tarif spécial étudiants et enseignants : 42,20 €


problèmes économiques
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point

HORS-SÉRIE
MARS 2016 NUMÉRO 9

comprendre
LA FISCALITÉ
Lever l’impôt est une prérogative régalienne essentielle car il ne peut
exister d’État sans ressources. La mise en place réelle des systèmes fiscaux
est une tout autre problématique. Sur quelles bases fiscales l’impôt doit-
il reposer ? Quel doit être le niveau des taux appliqués ? Quelles sont les
techniques fiscales à privilégier et quelle est l’utilisation souhaitable
des recettes fiscales ?
Afin de répondre à ces questions, ce numéro hors-série de Problèmes
économiques commence par évoquer les principaux éléments théoriques de
la politique fiscale (objectifs, contraintes) et donne des éclairages sur
sa mise en œuvre pratique. Une deuxième partie est consacrée au système
fiscal français (son évolution, sa compétitivité, sa complexité). Enfin, une
troisième partie se penche sur les grands problèmes fiscaux de notre temps
(fiscalité internationale, évasion fiscale, fiscalité des entreprises…)
et apporte quelques éléments au sujet de l’avenir de la fiscalité.

Prochain numéro à paraître :


Comprendre la finance

Directeur de la publication
Bertrand Munch
Direction de l’information
légale et administrative
Tél. : 01 40 15 70 10
www.ladocumentationfrancaise.fr

Imprimé en France par la DILA


Dépôt légal 75059, mars 2016
DF 2PE41100
ISSN 0032-9304
CPPAP n° 0513B05932

9,10 €

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