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MARS
MAR S 20
2016
16 NUMÉRO 9
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LA FIS
ISCC
comprendre
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
problèmes économiques
HORS-SÉRIE
4 REVUES POUR ÊTRE IEN
B INFORMÉ
ÉCONOMIE SOCIÉTÉ - débat public
Tous les 15 jours, le meilleur de la presse et des Tous les deux mois,
revues pour comprendre l’actualité économique les grands sujets qui nourrissent le débat public
problèmes économiques c a h i eç r s c a h i eç r s
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ET RÉSEAUX SOCIAUX
La La
documentation documentation
Française Française
internationales internationales
L’activisme turc en Afrique Le droit d’asile en Europe
La Birmanie après les élections États-Unis et changement climatique
La SDN vue par Céline et Albert Cohen Wall Street au cinéma
Questions
Questions
Iran
le retour
Le transport SABINE EFFOSSE, LAURE QUENNOUËLLE-CORRE
aérien
N° 77 Janvier-février 2016
N° 78 Mars-avril 2016
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M 09894 - 77 - F: 10,10 E - RD
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LA FISCALITÉ - LE LONG CHEMIN
Direction de l’information
légale et administrative
26, rue Desaix
75015 Paris
VERS LA CONCORDE
Rédaction
Contribuer à l’effort collectif dont tout le monde retire, au moins indirectement, un
de Problèmes économiques
Patrice Merlot (Rédacteur en chef) bénéfice ou subir, sans contrepartie directe, la confiscation d’une partie de ses avoirs :
Markus Gabel tel est « l’arc de tension » dans lequel la perception de la fiscalité s’inscrit depuis
(Analyste-rédacteur, rédacteur des siècles. La multiplicité des notions utilisées à son égard témoigne de l’effort
en chef des hors-série) de communication dont elle fait l’objet – impôt, taxe, cotisation, droit, retenue ou
Stéphanie Gaudron
(Analyste-rédactrice)
contribution… – sans pour autant modifier le constat de fond : la taxation demeure le
plus souvent associée à un sentiment peu plaisant, un acte imposé par le Pouvoir, un
Secrétariat de rédaction
Anne Biet-Coltelloni versement perçu par voie d’autorité.
Promotion Même les désignations les plus positives portent en elles cette réalité. Prenons, à titre
Anne-Sophie Château d’exemple, le terme apparemment si innocent de « contribution ». Si elle fait en effet appel
Secrétariat à l’idée de la participation à une œuvre commune, à l’intérêt collectif, sa signification
Paul Oury originelle est néanmoins tout autre : dans la Rome antique, les peuples vaincus, pour
29, quai Voltaire ne pas subir un sort tel que l’esclavage, devaient verser un « tributum » au Trésor public
75344 Paris cedex 07 romain. C’est également à la société romaine que fait référence le sens étymologique du
Tél. : 01 40 15 70 00
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mot « fiscalité » : du « fiscus », qui désignait à l’origine un panier pour presser le raisin, il
http://www.ladocumentation n’y a qu’un pas pour arriver à la « pression fiscale ». Plus tard, le Moyen Âge et les Temps
francaise.fr/revues-collections/ modernes ont apporté leur lot de notions plus ou moins flatteuses : du mot « impôt »,
problemes-economiques/ dérivé de l’usage de la force (« imposer ») jusqu’au percepteur, dont l’appellation officielle
index.shtml
était « imposteur » et dont le sens d’aujourd’hui est encore plus péjoratif.
Abonnez-vous à la newsletter
Ainsi, depuis son origine et pendant des siècles, la fiscalité était surtout l’expression
Avertissement
Les opinions exprimées
d’une contrainte imposée par une autorité, bien éloignée de l’idée de l’intérêt général
dans les articles reproduits ou de la justice. Pour arriver à cette autre lecture de la fiscalité, il a fallu un travail de
n’engagent que les auteurs réflexion en profondeur, toujours en cours d’ailleurs, afin d’en définir les principes et les
Crédit photo : objectifs. Les économistes ont apporté la notion de l’efficacité : en creusant l’écart entre
Couverture : AKG-IMAGES/Fotolia le prix que l’acheteur paie pour ce qu’il acquiert et la somme qui revient au vendeur, la
© Direction de l’information légale fiscalité modifie ou peut même empêcher une transaction avantageuse de part et d’autre.
et administrative. Paris, 2016 L’impôt doit donc réduire autant que possible cette perte de bien-être, la distorsion
Conception graphique fiscale comme disent les économistes. Mais cet objectif n’est pas le seul, les « bons »
Célia Pétry choix en matière fiscale doivent également tenir compte de l’incidence de l’impôt –
Nicolas Bessemoulin c’est-à-dire de celui qui supporte réellement la charge fiscale –, de la lutte contre la
En vente en kiosque et en librairie fraude, des coûts de collecte tout comme de l’équité fiscale. C’est ce dernier sujet qui fait
(Adresses accessibles en ligne)
aujourd’hui beaucoup débat, qu’il s’agisse d’équité verticale, ou d’équité horizontale. Le
# Retrouvez-nous sur problème est toujours le même : les principes paraissent d’abord limpides, mais quand
Facebook et sur Twitter
@ ProbEcoPE
il faut leur donner une forme concrète, les avis divergent très largement. Rares sont les
cas où les divers objectifs convergent et où un consensus s’installe. La recherche d’une
telle concorde est cependant plus que jamais indispensable face à la mondialisation et
IMPACT-ÉCOLOGIQUE
aux forces qu’elle enclenche : « La généralisation du capitalisme rend la fiscalité plus
www.dila.premier-ministre.gouv.fr indispensable que jamais. La mondialisation du capitalisme la rend plus précaire que
PIC D’OZONE 141 mg eq C2 H 4
jamais. » (Philippe Van Parijs). Cette phrase retrace exactement le périmètre dans lequel
se trouve la fiscalité aujourd’hui.
Pour un ouvrage
La fiscalité demain
P. 72 Quel système fiscal dans un monde ouvert ? (Laurent Simula)
P. 81 Prélèvements obligatoires et protection sociale : quels enjeux ?
(Michaël Zemmour)
P. 89 Crise des finances publiques et évasion fiscale
(Jean-Marie Monnier)
P. 97 Fiscalité des entreprises : des contraintes de plus en plus fortes
dans un contexte très international (Gauthier Halba)
P. 104 L’avenir peut-il être juste fiscalement ? (Michel Bouvier)
La politique fiscale peut être définie comme l’utilisation du système socio-fiscal à des fins de
politique économique. Ainsi, à l’objectif initial des impôts et des autres prélèvements, c’est-à-
dire financer les dépenses publiques afin de produire des biens et des services publics, se
superposent d’autres objectifs, in fine bien plus complexes à mettre en œuvre : favoriser une
meilleure allocation des ressources et inciter à l’efficacité économique, contribuer à la stabi-
lisation économique et, enfin, assurer une redistribution des richesses. Laurent Simula rappelle
que l’arbitrage à trouver entre ces objectifs est d’autant plus difficile qu’il faut faire face à des
contraintes importantes – outre l’impératif constitutionnel de légalité, avant tout les distorsions
et la perte sèche induite par l’imposition – auxquelles s’ajoute la dimension internationale.
Problèmes économiques
La politique fiscale :
objectifs et contraintes
nature, qui correspondent du point de vue de
LAURENT SIMULA l’analyse économique à des « impôts néga-
Professeur à l’université Grenoble Alpes tifs ». Le périmètre de la politique fiscale peut
donc être identifié à celui du système socio-
fiscal (voir Zoom).
La politique fiscale renvoie bien évidemment
à l’utilisation de l’impôt par la puissance Une politique publique est un ensemble
publique. Afin de l’appréhender dans son cohérent de mesures mises en œuvre pour
ensemble, il convient d’adopter une définition atteindre les fins poursuivies. Dans le cadre
large de la fiscalité. Cette dernière regroupe de la politique fiscale, ces mesures s’appuient
les impôts et taxes proprement dits, payés par sur les impôts (taux et bases) et les cotisations
les contribuables sans contreparties directes, sociales. Les marges de manœuvre sont cepen-
mais également les cotisations sociales dant largement contraintes par la dépense
assises sur les salaires qui participent au publique incompressible ou préengagée.
financement de la sécurité sociale dans une Nous définirons ici la politique fiscale
logique assurantielle. Impôts, taxes et cotisa- comme l’utilisation du système socio-fiscal
tions sociales sont agrégés sous le terme de à des fins de politique économique. Le che-
« prélèvements obligatoires ». Le champ de minement logique qui la sous-tend procède
la fiscalité ne se limite pas cependant à celui en trois temps : s’entendre sur les objec-
des prélèvements ; il comprend également les tifs poursuivis, déterminer le domaine des
prestations et transferts, monétaires ou en possibles et choisir au sein de celui-ci la
politique qui s’approche le plus des objec- la société pour l’inégalité et s’expriment à
tifs – selon la démarche de James Alexander travers le vote de la législation fiscale).
Mirrlees (prix Nobel 1996) : « A good way of Les économies modernes sont des éco-
governing is to agree upon objectives, disco- nomies ouvertes. Dans ce contexte, quels
ver what is feasible, and optimize1 ». agents le gouvernement doit-il prendre en
[1]
Mirrlees J. A.
(2005), « The Theory
compte lorsqu’il définit l’objectif social ? of Optimal Taxation »,
Les objectifs de la politique fiscale Faut-il se limiter aux citoyens qui résident
sur le territoire national et payent l’impôt ?
dans Handbook
of Mathematical
Economics, 2e édition 2,
Comme toute politique économique, la Prendre en compte le bien-être de tous les volume 3, chapitre 24,
politique fiscale a un objectif final et des nationaux ou plutôt se fonder sur celui des p. 1197 à 1249, Elsevier.
objectifs intermédiaires multiples, par- contribuables, qu’ils disposent ou non de
fois contradictoires. Dans les démocraties la citoyenneté ? Ou, dans un cadre dyna-
modernes, l’objectif ultime est sans doute de mique, maximiser le bien-être d’une géné-
maximiser le bien-être de la population (la ration entière ? L’objectif final est difficile
somme pondérée des utilités individuelles, à atteindre et se trouve décliné en objectifs
les pondérations représentent l’aversion de intermédiaires.
60
50
20 Classes aisées
Classes populaires Classes moyennes Les 10 % les plus hauts
Les 50 % des revenus Les 40 % du milieu
10 individuels les plus bas
0
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Percentiles de revenu individuel
P9
TVA : taxe sur la valeur ajoutée ISF : impôt de solidarité sur la fortune CSG : contribution sociale généralisée
IS : impôt sur les sociétés DTMG : droits de mutation à titre gratuit IRPP : impôt sur le revenu des personnes
TF : taxe foncière et onéreux physiques
Lecture : dans l’encadré Zoom, nous avons distingué impôts sur le capital et impôts sur le patrimoine ; ils sont ici agrégés sous la forme du grand
impôt sur le capital.
Source : Landais L., Piketty T. et Saez E. (2011), Pour une révolution fiscale, Éditions Le Seuil/La République des idées.
cale : l’impôt sur le revenu et les transferts (système d’assurances sociales) ou la soli-
sociaux ont un effet immédiat tandis que darité (transferts de ressources financés par
les impôts sur le capital et le patrimoine l’impôt). Par exemple, un couple sans enfant
limitent l’accumulation des richesses et la gagnant 3 000 euros par mois ne dispose pas
reproduction d’inégalités intergénération- du même niveau de vie qu’un couple avec deux
nelles. Les impôts linéaires comme la taxe enfants percevant le même revenu monétaire.
sur la valeur ajoutée (TVA) jouent un rôle Le dispositif du quotient familial, combiné
régressif dans la mesure où la propension aux allocations familiales et logement, a pour
à consommer des ménages diminue avec les dessein de réduire cette inégalité.
revenus. En coupe instantanée, il apparaît • On peut également introduire l’idée d’une
[6]
On a coutume de que le système socio-fiscal français est glo- redistribution géographique ou spatiale,
découper la population
balement peu progressif, et devient même entre zones riches et zones pauvres. Par
entre tranches de taille
égale lorsque l’on étudie régressif pour les derniers centiles6 de la exemple, des zones franches urbaines béné-
la distribution des population (voir graphique). ficiant d’aides spécifiques sous la forme
revenus. Si on découpe
la population en cent • La redistribution horizontale cherche à d’exonérations sociales et fiscales ont été
tranches d’effectifs corriger les risques sociaux aléatoires affec- mises en place depuis 1996. Il ne s’agit fina-
égaux, on appelle
chacune d’entre elles un
tant le revenu des ménages. La société peut lement que de l’inscription dans l’espace de
« centile ». souhaiter les compenser, par l’assurance la redistribution verticale.
Des arbitrages sous contraintes taxe (résumée sous le terme d’« élasticité »).
Pour être plus précis, la perte sèche est pro-
Le domaine des possibles de la politique fis- portionnelle à l’élasticité et augmente avec
cale résulte de la combinaison de différentes le carré du taux de taxe. Minimiser la perte
contraintes. Les premières sont d’ordre sèche requiert donc de lever l’impôt sur des
constitutionnel : en France, le Conseil consti- bases peu élastiques, comme les biens de
tutionnel examine la loi fiscale à l’aune de consommation courante. À l’inverse, le capi-
l’article 13 de la Déclaration des droits de tal ou les travailleurs les plus qualifiés, plus
l’homme et du citoyen, mentionné plus haut. mobiles internationalement, ne devraient
Nous nous concentrons ici sur les contraintes pas être trop taxés. En outre, il est préfé-
d’ordre économique. rable d’utiliser plusieurs petites taxes plu-
tôt qu’une seule. Ainsi apparaît un arbitrage
Distorsions et perte sèche entre efficacité et équité, entre la richesse
nationale et la distribution des revenus. De
Comme on l’a vu, il existe différents instru- façon imagée, la société doit arbitrer entre
ments fiscaux. Les économistes opèrent une la taille du gâteau et l’égalité des parts dis-
distinction entre les impôts forfaitaires et les tribuées. La théorie de la fiscalité optimale
impôts non forfaitaires. Les premiers peuvent fondée par J. A. Mirrlees a pour objectif de
être non personnalisés. Ils correspondent trouver le meilleur compromis entre justice
alors à un paiement identique effectué par et efficacité, compte tenu d’une conception
chaque contribuable, à l’image de la commu- donnée de la justice sociale.
nity charge instaurée par le gouvernement de
Margaret Thatcher en 19897. Les impôts for- Dans certains cas cependant, les politiques [7]
Cet impôt locatif
faitaires peuvent aussi être personnalisés. Il de redistribution peuvent contribuer à une forfaitaire par tête
faut alors qu’ils soient assis sur des caracté- meilleure efficacité. On peut citer les mesures frappait les foyers sans
distinction de revenu ou
ristiques que les agents ne peuvent contrôler, facilitant l’accès des ménages pauvres aux
de richesse. Jugé trop
comme la taille, le sexe ou l’âge. L’avantage soins médicaux (couverture médicale univer- inégalitaire, il provoqua
des impôts forfaitaires est qu’ils n’affectent selle) et à l’éducation, qui corrigent les iné- des émeutes (les poll
tax riots) et fut abrogé
pas les prix relatifs dans l’économie. Ils galités, mais contribuent aussi à l’augmenta- en 1991.
n’induisent donc aucun effet de substitution. tion de leur productivité et permettent donc
Leur introduction n’a qu’un effet de revenu des gains d’efficacité. En outre, de façon plus
ou de richesse. Ces impôts ont reçu une atten- générale, il semble y avoir sur le long terme
tion particulière car ils interviennent dans le une corrélation positive entre le niveau de
second théorème fondamental de l’économie la croissance potentielle et la faiblesse des
du bien-être. Cependant, utiliser la taille ou inégalités : les sociétés les plus riches sont
le sexe comme base fiscale n’est pas politi- moins inégalitaires que les plus pauvres.
quement pertinent. À la perte sèche s’ajoutent les coûts adminis-
Ainsi, la politique fiscale mobilise essentiel- tratifs de collecte et de contrôle (audit). Leur
lement des impôts et prestations sociales existence rend difficile la mise en place d’un
L’État maximise-t-il
les recettes fiscales ?
ALEXANDRE DUMONT tif de soutenabilité des finances publiques2 ».
Par conséquent, la question de l’optimisation
Doctorant à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, et de la maximisation des recettes fiscales de
Chargé de mission à Fondafip l’État apparaît aujourd’hui essentielle.
Dans de nombreux pays, le niveau de la charge
En 2015, selon l’estimation du ministère des socio-fiscale plafonne en effet à des niveaux
Finances et des Comptes publics, le taux des historiquement hauts : pour l’année 2014,
prélèvements obligatoires (TPO) a atteint l’Organisation de coopération et de dévelop-
44,6 % du produit intérieur brut (PIB), un pement économiques (OCDE) fait état d’une
taux qu’il convient de mettre en relation pression des prélèvements obligatoires – soit
avec la volonté de rééquilibrer les finances les impôts, taxes et cotisations – remontée
publiques. Dans cette logique – et l’analyse de à des niveaux record dans les pays dévelop-
l’évolution de la structure du système fiscal pés (34,4 % du PIB). Le précédent record était
français le montre –, la relative stabilisation enregistré en 2000 (34,2 %). La charge la plus
[1]
Voir tableau ci-joint. des recettes fiscales de l’État1 pourrait être élevée est enregistrée au Danemark (50,9 %
[2]
Bouvier M. (2013),
très prochainement remise en cause compte du PIB), suivi de la France (45,2 %3) et de la
« Un système fiscal en tenu de l’importance des déficits publics. Belgique (44,7 %). À l’autre extrémité du clas-
transition », Cahiers Ainsi, selon Michel Bouvier, « dans la récente sement figurent le Mexique (19,5 %), le Chili
français, no 373,
La Documentation période, la fiscalité a fait l’objet d’une mobili- (19,8 %), la Corée du Sud (24,6 %) et les États-
française, p. 2. sation accrue en liaison directe avec l’impéra- Unis (26 %).
20,0 46,0
[3]
L’OCDE utilise
18,9 18,8 44,9 un classement de
19,0 45,0 prélèvement qui diffère
de celui utilisé par le
44,5 ministère des Finances et
44,1 17,9 des Comptes publics en
18,0 44,0
France, ce qui explique la
18,0 — 0,8 pt de PIB différence entre les TPO
de l’OCDE et celui fourni
17,0 17,1 43,0 par le ministère français.
17,3
La notion de prélèvement
obligatoire est un concept
42,6 16,0 dont les frontières
16,0 42,0
sont imprécises et dont
15,9 l’interprétation est
+ 1,4 pt de PIB complexe. C’est la raison
15,0 41,0 pour laquelle les analyses
des TPO sont susceptibles
41,0 d’évolutions différentes
d’un pays à un autre.
14,0 14,5 40,0 Voir : Conseil des
14,4
prélèvements obligatoires
14,1 (2008), Sens et limites
de la comparaison des
13,0 39,0
taux de prélèvements
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 obligatoires entre les
(p) pays développés, Rapport,
La Documentation
Charge fiscale des ménages (échelle de gauche) Taux de prélèvements obligatoires (échelle de droite) française, Paris, 80 p.
Charge fiscale des entreprises (échelle de gauche) (p) : prévision [4]
Le poids de l’État
français a évolué au cours
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données et du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances des années en fonction de
pour 2016), cité dans : Rapport général no 164 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, l’accroissement du PIB.
déposé le 19 novembre 2015.
13 % en 1913,
l’intervention financière
Les instruments de maximisation qui portent sur les biens et services dont la de l’État est actuellement
de 56 %.
demande est peu élastique aux variations du
des recettes fiscales
[5]
Conan M. (2008),
prix satisfont à ces critères. Cependant, les
« Gaston Jèze et l’utilité
premiers sont souvent mal acceptés par la de la dépense publique.
Avant de vouloir maximiser les recettes fis- population (question d’équité), les seconds L’élaboration d’une
cales, tout État ou collectivité doit d’abord théorie générale des
ont généralement un effet régressif (sur- dépenses publiques »,
s’assurer d‘un rendement fiscal stable et tout si les impôts touchent les biens de pre- Revue du Trésor, no 2,
rentable. Dans ce contexte, le choix de la mière nécessité). Ces contraintes conduisent p. 159.
matière fiscale est primordial. Il est ainsi à la multiplication des bases et taux et – in [6]
Bargain O. (2014),
dans l’intérêt de l’État de choisir des bases fine – à la complexification des systèmes Rapport particulier sur
les enjeux budgétaires
faciles à recouvrir qui minimisent les com- fiscaux. La recherche de financement est en et économiques de la
portements d’évitement (effet désincitatif même temps fondamentale pour les États, réforme de l’imposition
des revenus des ménages,
comme dans le cas de l’impôt sur le revenu, compte tenu de l’ampleur que représentent Partie 2 : Enjeux
effet de substitution comme dans le cas des aujourd’hui les dépenses publiques4. Ainsi, et principes d’une
impôts portant sur les biens et services) et et comme l’a si magnifiquement rappelé refonte du système
redistributif français,
qui ne varient pas trop avec le cycle éco- Gaston Jèze, « il y a des dépenses, il faut les Conseil des prélèvements
nomique. Des impôts forfaitaires et ceux couvrir5 ». obligatoires, octobre, 83 p.
ménages est progressive et très concentrée avec un impôt sur la fortune, les entreprises
sur un nombre relativement réduit de contri- supportent en France des taux d’imposition
[16}
Un cinquième des buables16, le taux marginal d’imposition sur effectifs du capital qui sont parmi les plus
foyers fiscaux les plus
élevés acquittent
le revenu des personnes physiques reste importants. Avec la globalisation financière,
pratiquement neuf supérieur en comparaison au barème prati- l’intégration croissante de l’UE, on le sait, a
dixième du produit de qué par les membres de l’Union européenne rendu plus facile la mobilité des assiettes
l’impôt sur le revenu des
personnes physiques.
(UE), la France est l’un des derniers pays à fiscales (changements de résidences, délo-
imposer le patrimoine des personnes privées calisation, manipulation des prix de trans-
Établir un contrat fiscal de ces préceptes qui, au sein d’une société, Bazart C., Bonein A.
(2015), « La force du
détaillent ce qui est jugé acceptable ou non. symbole : est-on prêt à
La justice procédurale concerne les procé- L’impôt sera d’autant mieux accepté si la punir les fraudeurs »,
norme reconnaît son utilité et désavoue les Mimeo.
dures administratives et de contrôle fiscal,
leur justesse et leur justice. Le contrôle fraudes. On sait que le contrôle social, par
fiscal est globalement mal perçu et craint, la visibilité des actes, jouit d’une efficacité
ce qui fragilise la confiance dans les ins- indéniable. Il discipline les comportements
titutions et la morale fiscale existante. par deux canaux : la crainte de la désap-
Cibler les contrôles est donc un enjeu, car probation, donc du rejet par le groupe, et la
les erreurs administratives ont ici un réel diffusion de la norme. En s’internalisant les
coût. Afin d’éviter ces biais, on peut recou- normes passent alors de la dimension sociale
rir à des systèmes positifs de récompense à la valeur individuelle. Internaliser une
ou d’accompagnement. Qu’il s’agisse d’un norme d’honnêteté est alors à même de ren-
gain pécuniaire (Bazart et Pickhardt, 2011), forcer la morale fiscale. Cela implique tout à
ou de simples remerciements, les récom- la fois de communiquer avec soin sur l’impôt
penses apportent l’effet escompté. L’offre en tenant compte des perceptions qu’en ont
de service aux contribuables est très clai- les contribuables, mais aussi de prendre soin
rement un moyen de renforcer l’acceptation de renforcer la norme en vigueur. Pour cela la
fiscale. Il s’agit d’établir une vraie relation, punition, via la loi, est un vecteur important
un « contrat fiscal », par un contact cordial, qui donne le signal de ce qui est répréhen-
utile avec les contribuables. Cela tempère sible dans la société considérée10.
l’inquiétude face à la complexité, renforce
les liens et la confiance dans les institu-
tions, rend les démarches psychologique- Vers plus de réalisme
ment moins coûteuses. L’acceptation est
d’autant plus favorisée que cette prise de
en matière fiscale
contact intervient tôt dans l’histoire fiscale En conclusion, la psychologie fiscale a pour
du contribuable. Elle a l’extrême avantage premier bienfait d’avoir permis d’inclure plus
La fiscalité incitative :
le cas de l’écofiscalité
MIREILLE CHIROLEU-ASSOULINE consommation est considérée comme non
souhaitable, ou en réduisant le prix de ceux
Professeur des Universités, École d’économie de Paris, qui sont jugés préférables, introduit une dis-
université Paris-I Panthéon-Sorbonne et INRA (UMR Économie publique) torsion entre ces deux catégories de produits.
Les agents économiques réagissent alors,
En quoi la fiscalité incitative se distingue- dans la limite des contraintes exercées par
t-elle du commun des impôts et taxes ? La les technologies existantes et en fonction de
principale différence tient à ses objectifs. Là leurs préférences et contrainte budgétaire, en
où l’impôt est usuellement défini comme le reportant leurs achats sur les produits dont
moyen pour l’État de collecter les ressources le prix relatif diminue en réduisant leurs
qui lui permettront de financer l’exercice de dépenses concernant les produits dont le prix
ses fonctions régaliennes, ou plus générale- augmente.
ment les biens publics (éducation, défense, Selon la justification de ces objectifs, la fis-
sécurité), ou encore d’assurer une certaine calité incitative recouvre elle-même deux
redistribution des revenus, la fiscalité inci- réalités différentes. Elle est dite paternaliste
tative vise à modifier les comportements lorsqu’il s’agit de modifier des comporte-
des agents économiques. Le levier d’incita- ments individuels en corrigeant le manque
tion repose sur un signal-prix qui, en ren- d’information ou la myopie des agents, afin
chérissant un produit ou un service dont la d’éviter qu’ils ne prennent des décisions
de l’écofiscalité en place d’une taxe dite « taxe pigouvienne », moins un autre agent
Comprendre
les politiques publiques
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Note : Les pays sont rangés par ordre décroissant du pourcentage de 2013.
Source : OCDE (2015), Statistiques des recettes publiques.
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Source : INSEE, Calculs DG Trésor dans Heyer (2015).
Le coût du travail
lité des cotisations se caractérise par de nom-
La compétitivité-prix des entreprises est breuses politiques d’exonérations qui ont été
principalement déterminée par le coût du mises en place par les gouvernements suc-
travail. Le prix des matières premières, et cessifs depuis 1993 à des conditions et des
notamment de l’énergie, compte également taux d’exonération variés : réduction Juppé
ainsi que le prix des biens et services incor- en 1995, lois Aubry en 1998 et 2000, puis allé-
porés dans le coût de production. La fiscalité gement Fillon en 2003, entre autres.
de l’énergie doit donc absolument intégrer les En général, le pourcentage de réduction de
politiques fiscales des partenaires commer- charges sociales est dégressif avec le salaire.
ciaux en la matière. Cette fiscalité, en voie de C’est notamment le cas de l’allégement
mutation en raison des efforts du côté de la général mis en place en 2003, et toujours en
transition énergétique, devrait se définir au vigueur, pour lequel le seuil d’éligibilité est
niveau européen afin d’assurer une harmoni- fixé à 1,6 SMIC (salaire minimum de crois-
sation fiscale à cette échelle. Quant aux prix sance), mais dont 90 % du montant est alloué
des biens et services domestiques, cela relève aux salariés sous 1,3 SMIC. Le but de ces
moins de la fiscalité que du bon fonctionne- mesures est de favoriser les embauches en
ment concurrentiel des marchés, notamment réduisant le coût du travail, et ce, en ciblant
dans les marchés où persistent de fortes bar- les emplois les moins qualifiés, plus sen-
rières à l’entrée. sibles à la baisse des charges. Pierre Cahuc
Nous considérerons donc que la marge de et Stéphane Carcillo (2012) rappellent en effet
manœuvre fiscale en matière de compétiti- que l’impact théorique sur l’emploi est plus
vité-prix porte sur le coût du travail. Or ce élevé dans le cas d’allégements au niveau du
[2]
Cahuc P. et coût est fortement impacté par les contribu- salaire minimum qu’au-delà2.
Carcillo S. (2012),
tions sociales, c’est-à-dire les PO qui portent
« Les conséquences des
allégements généraux de sur les salaires dont l’objet est de financer les
cotisations patronales dépenses de la sécurité sociale. Ces contribu-
Le CICE – une TVA sociale ?
sur les bas salaires »,
Revue française
tions ont un poids dominant dans la fiscalité Plus récemment, le gouvernement de François
d’économie, volume des entreprises (voir graphique 2). Hollande a mis en place une politique hybride
XXVII, no 2.
Elles affectent négativement la compétitivité- entre baisse des charges et crédit d’impôt. Il
prix relativement à des pays dont le coût du s’agit du crédit d’impôt pour la compétiti-
travail est plus faible et sont un frein à l’em- vité et l’emploi (CICE). En vigueur depuis le
ploi des moins qualifiés. À cet égard, la fisca- 1er janvier 2013, le CICE correspond à une dimi-
Système de prélèvements :
de l’ajustement permanent
à la réforme
Le système fiscal français, pourtant soumis GUY GILBERT
à des ajustements permanents, concentre les
critiques venues de tous bords qui en fus- Professeur (émérite) à l’École normale supérieure de Cachan
tigent aussi bien l’iniquité que la perte de ÉTIENNE LEHMANN
rendement consécutive au mitage des bases
fiscales par de multiples mesures déroga- Professeur à l’université Panthéon-Assas Paris-II
toires aussi coûteuses que mal évaluées, THIERRY MADIÈS
ou que l’illisibilité – à l’image de l’embon-
point croissant du Code général des impôts Professeur à l’université de Fribourg (Suisse)
ou de celui de la sécurité sociale – et qui en
réclament une réforme profonde. Hormis le
cas des principaux impôts sur les biens et l’activisme du législateur fiscal : les impôts
services (taxe sur la valeur ajoutée [TVA] et sur les profits des entreprises, soumis au
accises) désormais soumis pour l’essentiel à défi de la compétitivité internationale, de la
la législation européenne, et non traité dans concurrence et de l’optimisation fiscale ; les
cet article, trois domaines ont concentré impôts locaux, et notamment ceux pesant
dans les dernières décennies l’essentiel de sur les entreprises, pour les mêmes raisons
Système de prélèvement
et redistribution
JACQUES LE CACHEUX la cohésion sociale des pays touchés, mais
également sur leur dynamisme économique
Professeur, université de Pau et des pays de l’Adour et leur croissance (OCDE, 2015 ; Dabla-Norris
(CATT/UPPA), conseiller scientifique, OFCE/Sciences Po et al., 2015).
La répartition des revenus et des patrimoines
Les constats se sont multipliés ces dernières résulte du fonctionnement des marchés et
années : les inégalités économiques – de des règles, notamment juridiques, qui s’y
revenu et de patrimoine – se creusent dans imposent. Les gouvernements peuvent cher-
la plupart des pays développés et dans de cher à la modifier en agissant directement
nombreux autres pays, bien qu’à des degrés sur ces règles, par exemple en imposant un
divers. Le retentissement mondial de l’ou- salaire minimum. Mais ils peuvent également
vrage de Thomas Piketty, Le Capital au intervenir en aval pour la corriger en prati-
XXIe siècle, témoigne de l’intérêt porté au phé- quant ce que l’on appelle communément une
nomène. Nombre de travaux économiques, redistribution ; ils disposent, pour ce faire,
y compris au sein d’institutions internatio- de deux catégories d’instruments : les pré-
nales pourtant réputées libérales, telles que lèvements et les transferts. Les seconds sont
l’Organisation pour la coopération et le déve- aujourd’hui très nombreux et divers, dans les
loppement économiques (OCDE) ou le Fonds pays développés, et notamment dans les pays
monétaire international (FMI), confortent le membres de l’Union européenne (UE) qui ont
diagnostic et soulignent les menaces que fait tous, à des degrés divers et selon des moda-
peser une telle évolution, non seulement sur lités souvent spécifiques, mis en place depuis
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Taux marginaux maximum d'imposition des revenus des personnes dans 4 grands pays de l'Union européenne et la moyenne arithmétique EU28,
de 1995 à 2015 (les données Eurostat ne remontent pas avant). Ces taux incluent les surtaxes et, dans le cas de la France, la CSG.
Source : Eurostat 2015.
sur les seuls prélèvements directs (INSEE, études menées sur des découpages plus
2015). Il existe, en outre, différentes mesures fins de la répartition des revenus concluent
des inégalités économiques, qui fournissent, que la redistribution est faible en haut de
sur la redistribution, des éclairages complé- l’échelle des revenus : le taux d’imposition
mentaires. Le plus simple est l’indicateur moyen progresse peu avec le revenu pour les
synthétique usuel d’inégalités des revenus, très hauts revenus (les 1 % les plus aisés, par
le coefficient de Gini : la différence entre la exemple), parce que ceux-ci profitent davan-
valeur calculée sur la répartition des reve- tage des possibilités de défiscalisation de
nus avant et après impôt donne une indica- certains revenus et des diverses « niches
tion de l’action redistributive de la fiscalité. fiscales », désormais plafonnées il est vrai
Selon l’INSEE (2015), elle était, en France, en (Landais, Piketty et Saez, 2011 ; Bozio et al.,
2014, un peu plus importante que les années 2012). En bas de l’échelle, les prélèvements
précédentes, mais modeste, le coefficient de directs ne sont pratiquement pas redis-
Gini après prélèvements n’étant inférieur tributifs, puisqu’un peu plus de la moitié
à celui avant impôt que de 2,1 points, alors des foyers fiscaux ne sont pas imposables
que les dépenses de transferts le réduisent à l’impôt sur le revenu, seul instrument de
davantage (– 9,2). Le rapport interdéciles, prélèvement progressif, mais acquittent la
qui mesure l’écart entre le revenu moyen des contribution sociale généralisée (CSG) pro-
10 % les plus aisés et celui des 10 % les plus portionnelle dès le premier euro et non fami-
pauvres de la population, fournit une indica- lialisée (Le Cacheux, 2012).
tion complémentaire : en 2014, les prélève-
ments directs l’ont réduit de 20 à 16 (INSEE, La forte progressivité
2015).
des prélèvements directs
La redistribution opérée par le système fis- au cours des Trente Glorieuses
calo-social français est donc significative,
mais elle est bien plus le fait des trans- La légère remontée de la redistributivité en
ferts que des prélèvements, ceux-ci n’étant France au cours des années récentes est le
que modérément progressifs. En outre, les résultat de l’augmentation à 45 %, en 2012,
11,90 €
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Une baisse tendancielle
Taux effectifs UE 12 Taux effectifs UE 27
Taux effectifs UE 15
de l’imposition du capital
Ensemble de l’UE (UE 27), se décomposant en UE 15 (15 États membres
et du travail qualifié…
avant 2004) et UE 12 (12 États ayant adhéré depuis 2004).
Source : Commissions européenne (2009), Taxation Papers: Corporate Le graphique 1 illustre la baisse tendancielle
Effective Tax Rates in an Enlarged European Union. de l’impôt sur les sociétés dans les pays de
l’Union européenne (UE), que l’on observe
toire national plus attractif pour attirer les depuis vingt ans. Il représente en effet le taux
facteurs les plus productifs. Ainsi, l’ouverture effectif d’imposition, qui résulte de la com-
rend plus difficile la taxation du capital et du binaison des effets de taux (taux nominal
travail qualifié. Parallèlement, la nécessité de apparent) et de base (« assiette » à laquelle
financer les dépenses publiques conduit les on applique le taux), et correspond donc au
États à augmenter la fiscalité sur les bases taux réellement acquitté par l’entreprise. Il
les moins mobiles, comme la consommation souligne également que les nouveaux États
[2]
Nouveaux pays ou le travail peu qualifié, ce qui limite encore membres2 appliquent des taux nettement
membres. En 2004 :
Chypre, Estonie, Hongrie, davantage les capacités de redistribution inférieurs aux quinze pays ayant adhéré à
Lettonie, Lituanie, Malte, des richesses au niveau national. La globa- l’UE avant 2004 (Allemagne, Autriche, Bel-
Pologne, République lisation semble donc exacerber les tensions gique, Danemark, Espagne, Finlande, France,
tchèque, Slovaquie
et Slovénie. En 2007 : entre les objectifs d’efficacité et d’équité du Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas,
Roumanie et Bulgarie. système fiscal. Dans ce contexte, quelles sont Portugal, Royaume-Uni et Suède). Une évo-
les marges de manœuvre à la disposition des lution comparable peut être observée aux
États ? Est-il encore possible d’opérer une États-Unis : si le taux nominal est plus ou
redistribution à la fois juste et efficiente au moins constant depuis le début des années
sein des nations ? Mais également, de façon 1990, le taux effectif acquitté par les entre-
plus large, entre États ? prises a diminué au cours des quinze der-
Cet article commence par un état des lieux nières années (voir graphique 2).
des évolutions récentes observées en matière Ce fait stylisé semble indiquer un phéno-
fiscale dans les pays développés. Celles-ci mène de nivellement vers le bas des taux
semblent conduire à une hausse des inégali- d’imposition du capital (ce que l’on qualifie
tés sur fond de concurrence fiscale. Nous pro- de « race to the bottom » dans la littérature
posons alors des pistes de réflexion afin de économique). Ce nivellement peut être lié à
limiter ces effets négatifs au sein des diffé- une concurrence fiscale accrue entre États
rents États concernés. Ce faisant nous abor- membres et, plus largement, au niveau mon-
dons la problématique de cet article du point dial. En raison du marché unique au sein de
de vue de chaque État : comment un État l’UE et de la globalisation, les entreprises
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Source : Piketty T. (2013), Le Capital au XXIe siècle, Éditions Le Seuil, chapitre 14.
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La courbe représente la moyenne arithmétique du taux normal de la TVA au sein des 28 États membres de l’UE.
Source : Eurostat, Taxation Trends in the European Union, 2014.
Plus d’inégalités
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Royaume-Uni
0,30 Italie
France
Allemagne
Pays-Bas
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Finlande
Suède
Danemark
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Le coefficient de Gini est un indicateur synthétique d’inégalité. Plus il s’approche d’un, plus les inégalités sont marquées.
Source : OCDE.
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Belgique
•
••
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Italie
Allemagne
France
Grèce Espagne
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•• •• Pays-bas
•
Portugal• Autriche
Taux légal
30 • Tchécoslovaquie
Finlande
• • •
••• Suède
Danemark Royaume-Uni Luxembourg
Pologne
25
20 Hongrie
• Irlande
15 •
0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6
Source : Benassy-Quéré A., Gobalrajas N. et Trannoy A. (2007), « Tax and Public Input Competition », Economic Policy, p. 385 à 430.
un même lieu est source de recettes fiscales, de ses ressortissants, et contribue à la mise
qui permettent de financer des biens publics en place d’un jeu à somme positive à l’échelle
(infrastructures, santé, éducation, etc.), et des nations.
d’attirer de nouvelles entreprises (fournis-
seurs et clients), ce qui renforce les économies Réguler l’ouverture
d’agglomération. Ce processus cumulatif
modifie les conditions locales de production Afin de préserver les marges de manœuvre
et améliore la compétitivité des entreprises. en faveur de la redistribution, la concurrence
Ce gain de compétitivité peut compenser une multidimensionnelle qui se joue entre les
fiscalité plus forte du capital, mais égale- États a néanmoins besoin d’être encadrée.
ment du travail qualifié. En effet, la concen- Dans l’UE, le Conseil pour les affaires éco-
tration de capital augmente la productivité nomiques et financières (ECOFIN) a décidé,
marginale du travail qualifié et contribue à en 1997, de mettre en place un « code de
la hausse du salaire brut. À système fiscal bonne conduite » en matière de fiscalité des
inchangé, le taux moyen d’imposition du tra- entreprises. Ce code n’est pas un instrument
vail qualifié devient donc plus faible. juridiquement contraignant. Il a néanmoins
Il apparaît ainsi que le degré de mobilité une force politique incontestable. Il opère en
des facteurs est en partie endogène. Un État particulier une distinction entre une concur-
peut donc choisir d’investir stratégique- rence fiscale loyale, qui peut avoir des effets
ment dans les infrastructures, l’éducation, la bénéfiques, et une concurrence fiscale dom-
recherche, la santé, la culture, afin d’échap- mageable qui fausse la localisation des acti-
per à une concurrence dans laquelle seuls les vités économiques en accordant aux non-
taux d’imposition importeraient. Ce faisant, résidents un traitement fiscal plus favorable
il élève également sa croissance potentielle, que celui qui est normalement applicable
ce qui contribue au bien-être de l’ensemble dans l’État membre.
Prélèvements obligatoires
et protection sociale : quels enjeux ?
MICHAËL ZEMMOUR de la protection sociale a considérablement
évolué au cours des dernières décennies.
Maître de conférences en économie à l’université Lille-I Aujourd’hui, elle va vers une certaine forme
de convergence. Par ailleurs, la mondiali-
sation, la crise économique et les enjeux de
La protection sociale est l’une des institu- redistribution conduisent de nombreux pays,
tions centrales de l’État social tel qu’il s’est dont la France, à reconsidérer le financement
développé dans la seconde moitié du XXe siècle des dépenses sociales, alors même que les
dans tous les pays de l’Organisation de déve- besoins sociaux continuent de croître.
loppement et de coopération économiques
(OCDE). Dans l’immense majorité de ces pays,
plus de la moitié des dépenses publiques est
constituée de dépenses de protection sociale
Des structures de financement
(retraite, santé, chômage, famille, logement, qui varient dans l’espace
pauvreté, handicap, dépendance…). Ainsi, les
prélèvements obligatoires servent avant tout et dans le temps
à financer les dépenses de protection sociale. Malgré de nombreuses spécificités natio-
On peut distinguer, selon les pays, diffé- nales, on peut dessiner à grands traits les
rents modèles de protection sociale. Leur deux grands canaux de financement de la pro-
mode de financement est l’une des caracté- tection sociale présents dans la plupart des
ristiques qui distingue entre eux ces diffé- pays : les cotisations sociales et les dépenses
rents modèles. La structure du financement directes de l’État.
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Prélèvements obligatoires Recettes des administrations publiques
Les formes du contournement raison pour laquelle, pour limiter cette inci-
dence négative sur leur bien-être, ils modi-
de l’impôt fient leurs achats et leurs ventes et toutes les
décisions économiques impactées par l’impôt.
Considéré sous l’angle économique, l’impôt Ils préservent ainsi le plus possible la satis-
permet à l’État de substituer par la contrainte faction qu’ils retirent de leurs revenus.
ses préférences aux préférences individuelles Mais ils cherchent aussi à réduire la charge
des contribuables en détournant une frac- fiscale qu’ils supportent en la reportant
tion de leurs revenus d’emplois privés vers sur d’autres à travers les variables écono-
des emplois collectifs. En soustrayant ainsi miques qu’ils contrôlent et peuvent donc
du pouvoir d’achat aux agents économiques, manipuler. Ce faisant, le contribuable réel
les prélèvements obligatoires modifient la n’est plus le redevable légal. Par exemple,
répartition des revenus, influencent l’activité les propriétaires bailleurs de logements
économique globale et altèrent les comporte- sont redevables de la taxe foncière sur les
ments individuels. Les agents économiques propriétés bâties, mais ils la reportent géné-
adaptent en effet leurs comportements à ralement sur leurs locataires en majorant
l’impôt car ils tentent d’en réduire l’impact d’autant le loyer. Les locataires deviennent
sur leur bien-être. ainsi redevables de fait. C’est le phénomène
de la translation qui diffuse l’incidence de
L’adaptation des comportements la fiscalité à travers l’économie, provoquant
économiques à l’impôt en chaîne des modifications des décisions
d’achat et de vente et réduisant le bien-être
Selon le modèle simplifié de l’économie de l’ensemble des agents concernés. Même si
publique, l’une des principales caractéris- elle présente des similitudes avec l’optimi-
tiques des prélèvements obligatoires est sation, cette adaptation des comportements
qu’ils introduisent une rupture entre le prix à l’impôt doit cependant être distinguée de
payé par les acheteurs (clients ou employeurs) l’évitement fiscal.
et le prix encaissé par les vendeurs (fournis-
seurs ou salariés). Cette différence est appelée L’évitement fiscal [1]
le « coin fiscal »1. Il pèse sur le bien-être que Ou « coin social » dans
le cas des prélèvements
les agents économiques retirent de leurs acti- Pour réduire leur charge fiscale, certains sociaux. Voir l’article de
vités ou des emplois de leurs revenus. C’est la agents adoptent aussi une seconde catégo- Laurent Simula, p. 5.
97 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXTE TRÈS INTERNATIONAL
internationalisation. Dans le même temps, et En effet, la plupart des impôts créés [1]
Big data : expression
pour permettre aux administrations fiscales répondent à des enjeux principalement poli- anglaise pouvant être
traduite par données
d’exercer leurs pouvoirs de contrôle, les légis- tiques qui visent à orienter le comportement importantes ou
lateurs français et étrangers ont augmenté les des agents économiques et, accessoirement, à massives. L’expression
obligations documentaires mises à la charge financer le budget de l’État, d’une collectivité big data fait référence
à l’ensemble des
des entreprises et, principalement, les infor- publique ou d’une personne morale de droit informations collectées,
mations numériques ou « big data1 » fiscales public ou privé chargée de missions de ser- le plus souvent
numérisées et stockées
et comptables. Par ailleurs, si la fiscalité reste vices publics2. Par ailleurs, ces prélèvements qui ne peuvent plus être
un outil qui permet de financer l’État, les col- fiscaux ne sont plus cantonnés aux seules traitées ou analysées
lectivités locales et d’autres émanations de lois de finances car de très nombreuses lois sans faire appel à des
logiciels de tri.
l’État, les prélèvements fiscaux sont égale- instaurent des prélèvements. Cette inflation
[2]
ment devenus des instruments qui visent à législative rend particulièrement ardu le Par exemple, Ecofolio
est une société de
orienter le comportement des entreprises. suivi de toutes ces nouvelles taxes pour les droit privé qui gère la
Dans ce contexte, la fiscalité des entreprises a entreprises, et notamment pour les fiscalistes collecte d’une éco-
évolué en suivant trois axes principaux : chargés de ce travail. contribution acquittée
par tout organisme
– la multiplication des prélèvements à carac- Le Conseil des prélèvements obligatoires qui consomme plus de
cinq tonnes de papier
tère fiscal de plus en plus spécifiques à cer- (CPO) a mené une étude sur ces prélèvements
par an. Ecofolio dispose
tains secteurs économiques et insérés dans et a constaté la grande incertitude liée à d’un agrément et a
des textes autonomes non codifiés dans le certains de ces prélèvements : « Faute d’une pour mission d’agir
avec toutes les parties
code général des impôts (CGI) ; définition juridique précise, la fiscalité affec- prenantes pour amorcer
tée est un phénomène mal connu. Pourtant, un cercle vertueux
– une augmentation significative et toujours elle constitue aujourd’hui une importante de la croissance
croissante d’obligations de transmissions et/ catégorie de prélèvements3. » Selon le CPO,
verte et transformer
l’écocontribution en
ou de mises à disposition de l’administration la France accumule nombre de prélèvements investissement pour
fiscale d’informations comptables et fiscales ; qui frappent spécifiquement différents sec- des usines, des emplois
et pour la qualité
– la mise en place de dispositifs imprégnés de teurs d’activité ou transactions : écologique.
la fiscalité internationale afin de prendre en – plus de 200 prélèvements au profit de l’État [3]
Conseil des
compte un contexte économique de plus en ou des collectivités territoriales pour un mon- prélèvements
plus international. tant cumulé d’environ 876 milliards d’euros4 ; obligatoires (2013),
La Fiscalité affectée :
– plus de 300 taxes ou contributions non constats, enjeux et
l’insécurité juridique
content/download/
d’environ 112 milliards d’euros (plus de 5 % 57517/1464928/version/2/
file/20130704_
99 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXT FORTEMENT INTERNATIONAL
– la conservation des documents de travail à les obligations se sont accrues ces dernières
vocation interne et servant à l’établissement années et de nombreux textes obligent les
des comptes : tout document permettant de entreprises à fournir un grand nombre d’in-
justifier une écriture ou un traitement doit formations qui sont conçues comme autant
être conservé et archivé ; d’armes pour l’administration dans le cadre
– et enfin, les systèmes d’information : la d’un contrôle fiscal. En 2013, la loi contre
conception et le paramétrage doivent per- la fraude fiscale et la grande délinquance
mettre de procéder à des extractions pouvant économique et financière13 a, en dehors de
être transmises à l’administration. tout contexte de fraude fiscale, renforcé les
moyens de contrôle des administrations fis-
Tout document interne doit dorénavant être
cale et douanière.
élaboré avec l’idée qu’il pourra être trans-
mis à l’administration fiscale et utilisé par La volonté de lutte contre l’évasion fiscale
l’administration dans le cadre d’un contrôle internationale a conduit le législateur à
fiscal. Depuis le 1er janvier 2014, en cas de mettre à la charge des entreprises une obliga-
vérification de comptabilité, les entreprises tion de transmission annuelle de la documen-
sont désormais tenues de communiquer à tation sur les prix de transfert. Cette décla-
l’administration leur comptabilité analytique ration porte à la fois sur des informations
[11]
ainsi que leurs comptes consolidés11. Cette générales relatives au groupe et sur des infor- Article L. 13 du Livre
mations spécifiques à l’entreprise elle-même. des procédures fiscales.
obligation n’est pas sanctionnée12, mais il est
difficilement envisageable dans le cadre d’un Parallèlement, les administrations fiscales [12]
Le Conseil
contrôle fiscal de refuser de remettre ces élé- étrangères coopèrent davantage et mettent en constitutionnel a
invalidé les sanctions en
ments sans que le contrôle se tende. place des procédures d’échange de renseigne- cas de non-respect de
De même, dans le cadre d’un contrôle fis- ments à l’échelle internationale. En 2010, les cette mesure (Conseil
États-Unis ont instauré le Foreign Account constitutionnel,
cal, les entreprises doivent – depuis les avis 29 décembre 2013,
de vérification adressés après le 1er janvier Tax Compliance Act (FATCA) visant à déve- no 2013-685 DC).
2014 – remettre leur comptabilité sous forme lopper l’échange automatique d’informations
[13]
pour lutter contre la fraude fiscale interna- Loi no 2013-1117 du
dématérialisée (fichier des écritures comp- 6 décembre 2013,
tables [FEC]) au début des opérations de tionale. Il a des impacts significatifs pour les article 45 codifié à
contrôle fiscal aux vérificateurs. groupes internationaux. En 2013, la France a l’article 223 quinquies B
du CGI.
conclu un accord bilatéral franco-américain
L’administration fiscale dispose ainsi de
visant à améliorer le respect des obligations
fichiers électroniques qui sont censés lui
fiscales.
permettre un meilleur traitement des infor-
mations fiscales. Il convient de noter que Parallèlement, une norme d’échange automa-
l’administration pouvait déjà avoir accès à ce tique de renseignements relatifs aux comptes
type d’informations via ses brigades spécia- financiers, élaborée par l’Organisation de coo-
lisées en matière de contrôle des comptabi- pération et de développement économiques
lités informatisées. Toutefois, ce FEC normé (OCDE), a été adoptée par les ministres des
devrait permettre à l’administration fiscale Finances des pays du G20 en 2014 et approu-
une meilleure exploitation des données. vée par le Conseil de l’OCDE, qui prévoit
l’échange automatique annuel, entre États, de
renseignements relatifs aux comptes finan-
La recherche ciers déclarés aux différentes administra-
tions par les institutions financières.
de la transparence financière Ce courant international trouve son explica-
Ces obligations s’inscrivent dans un courant tion dans le présupposé que les entreprises
plus général de transparence financière ou de délocaliseraient de la base taxable dans les
lutte contre la fraude. Dans ce contexte, toutes pays à fiscalité plus favorable et frauderaient
101 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXT FORTEMENT INTERNATIONAL
La présomption de fraude à l’encontre des Cet amendement s’inscrit dans le droit-fil
entreprises est principalement due à l’incom- des réformes fiscales de ces dernières années
préhension du gouvernement et du législateur motivées par la lutte contre la fraude et l’éva-
vis-à-vis des communications financières des sion fiscales20. Dans ce contexte de suspicion,
entreprises. En effet, nombre d’entreprises le législateur adopte de plus en plus de textes
françaises d’importance (sociétés cotées) qui reposent sur une présomption d’anorma-
[19]
communiquent leurs comptes selon les règles lité des relations internationales entre entre- Amendement au projet
prises liées. Le sujet n’est pas récent, car, dès de loi de finances pour
internationales d’information financière 2016, http://www.senat.fr/
(International Financial Reporting Standards 193321, il existait une réglementation sur les enseance/2015-2016/255/
[IFRS]). Or, un résultat consolidé n’est aucune- prix de transfert qui fut ensuite codifiée à Amdt_1.html
la fraude fiscale est un objectif sans cesse nal pour les entreprises. si elle s’appuie sur des
techniques illégales
affirmé et affiché par le personnel politique Malheureusement, cette approche négative de ou dissimule la portée
véritable de ses acteurs,
(peu importe sa couleur politique) et a donné la répartition des recettes fiscales entre les l’évasion s’apparente
lieu, lors des débats sur la loi de finances pour États est loin d’être spécifique à la France. Elle à la fraude”. » http://
2016, à un nouvel amendement motivé de la est partagée par nombre de pays développés www.economie.gouv.fr/
facileco/evasion-fraude-
manière suivante : « De nombreuses entre- au sein de l’OCDE23, du G2024 et de l’Union optimisation-fiscale
prises détournent aujourd’hui les bénéfices européenne (UE)25. Ainsi, l’OCDE a récemment [21]
L’article 76 de la loi
qu’elles réalisent dans un pays en payant des publié des recommandations26 pour intro- du 31 mai 1933 portant
licences ou des redevances disproportion- duire une obligation de déclaration « pays par fixation du budget général
de l’exercice 1933.
nées à des sociétés mères localisées dans des pays d’implantation » (Country by Country
[22]
Report [CBCR]) à la charge des grandes entre- Collin P. et Colin N.
paradis fiscaux. Ces paiements colossaux ne (2013), Rapport sur la
correspondent à aucune activité économique prises. Elle propose la mise en œuvre de ce fiscalité du secteur
réelle. Ils n’ont comme seul objectif que d’évi- CBCR, pour les exercices ouverts à compter numérique, http://www.
economie.gouv.fr/files/
ter à ces entreprises de payer des taxes et des du 1er janvier 2016, soit un premier dépôt en rapport-fiscalite-du-
impôts dans les pays où elles exercent leur 2017, pour les groupes multinationaux dont numerique_2013.pdf
activité. Ce détournement de profits se fait le chiffre d’affaires consolidé excède 750 mil- [23]
L’OCDE, dans le
au détriment de l’État, des services publics, lions d’euros. cadre de ses travaux
sur le Projet de lutte
des entreprises locales concurrentes et des Ce texte s’inscrit dans le cadre de la réflexion contre l’érosion de la
citoyens. Des géants du fast-food à ceux d’in- sur le renforcement des moyens de lutte base d’imposition et le
transfert de bénéfices
ternet, les exemples ne manquent pas depuis contre la fraude fiscale : travaux BEPS (Base (BEPS), a publié plusieurs
cinq ans19. » Erosion and Profit Shifting). Il s’agit d’un rapports le 5 octobre 2015.
103 FISCALITÉ DES ENTREPRISES : DES CONTRAINTES DE PLUS EN PLUS FORTES DANS UN CONTEXT FORTEMENT INTERNATIONAL
La question du sens à donner à la fiscalité est aujourd’hui de retour car ses clefs de lecture
habituelles se révèlent de plus en plus insuffisantes à répondre aux défis actuels : la concep-
tion d’un impôt-solidarité sur la base d’une conception redistributive de la fiscalité, ainsi que
celle d’un contrat fiscal avec l’idée d’une justice fiscale distributive. Ainsi, sur fond de crises
économiques et de métamorphoses de la société et de l’État depuis la fin des Trente
Glorieuses, les fonctions traditionnellement attribuées à la fiscalité sont en perte de vitesse,
sans qu’un véritable débat sur la notion de justice fiscale soit lancé. L’enjeu véritable porte
ainsi sur la légitimité de la fiscalité. Michel Bouvier appelle à la nécessaire réflexion politique,
indispensable à mener selon lui si l’on souhaite fonder une éthique générale de laquelle
pourrait se dégager une nouvelle justice fiscale.
Problèmes économiques
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19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20
Prélèvements obligatoires par habitant (en dollar) 2013 Prélèvements obligatoires en % du PIB en 2013
Luxembourg 47 997
Danemark 28 635 Espagne
Belgique 32,7
Suisse 22 957 Pologne 44,7
31,9
Suisse
Belgique 20 930 États- 26,9
Unis
France 19 836 25,94
Datavisualisation : Problèmes économiques © Dila. Source : OCDE (2015), Statistiques des recettes publiques,
tableaux comparatifs (données extraites le 9 février 2016).
Questions
internationales
internationales
Le droit d’asile en Europe
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HORS-SÉRIE
MARS 2016 NUMÉRO 9
comprendre
LA FISCALITÉ
Lever l’impôt est une prérogative régalienne essentielle car il ne peut
exister d’État sans ressources. La mise en place réelle des systèmes fiscaux
est une tout autre problématique. Sur quelles bases fiscales l’impôt doit-
il reposer ? Quel doit être le niveau des taux appliqués ? Quelles sont les
techniques fiscales à privilégier et quelle est l’utilisation souhaitable
des recettes fiscales ?
Afin de répondre à ces questions, ce numéro hors-série de Problèmes
économiques commence par évoquer les principaux éléments théoriques de
la politique fiscale (objectifs, contraintes) et donne des éclairages sur
sa mise en œuvre pratique. Une deuxième partie est consacrée au système
fiscal français (son évolution, sa compétitivité, sa complexité). Enfin, une
troisième partie se penche sur les grands problèmes fiscaux de notre temps
(fiscalité internationale, évasion fiscale, fiscalité des entreprises…)
et apporte quelques éléments au sujet de l’avenir de la fiscalité.
Directeur de la publication
Bertrand Munch
Direction de l’information
légale et administrative
Tél. : 01 40 15 70 10
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