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FÉVRIER 2013 NUMÉRO 3
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comprendre
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point

HORS-SÉRIE
problèmes économiques
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les conventions collectives
des JRXUQDX[RI¿FLHOV
Des documents de référence pour vos dossiers en droit du travail.
A chaque convention, les spécificités du métier. Un outil de négociation pour vos clients employeurs,
un cadre sur les conditions d’emploi pour les salariés.

CONVENTIONS COLLECTIVES

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UN MARCHÉ
Direction de l’information
légale et administrative
EN DÉSÉQUILIBRE PERMANENT
26, rue Desaix
75015 Paris Dans la grande majorité des économies avancées, la crise a provoqué une onde de choc
sur le marché du travail. Tandis que la France renoue avec le seuil symbolique des 3
Rédaction
millions de chômeurs et que les États-Unis en comptent plus de 12 millions, ce n’est pas
Olivia Montel-Dumont
Édition moins d’un actif sur quatre – et plus d’un sur deux parmi les jeunes – qui se retrouve sans
Julie Wargon emploi en Espagne et en Grèce. Cette montée en flèche du chômage en lien avec la crise
Promotion ne doit toutefois pas occulter le caractère structurel de ce déséquilibre : depuis la fin des
Amandine Danlos Trente Glorieuses, le chômage de masse est la règle dans les grandes économies d’Europe
Secrétariat
Marie-France Raffiani
continentale et les gouvernements successifs semblent impuissants en la matière.
Paule Oury Ce désajustement persistant entre offre et demande d’emplois incite à considérer le
marché du travail comme un marché à part. C’est pourquoi ce numéro hors-série de
29, quai Voltaire
75344 Paris cedex 07
Problèmes économiques, consacré à en décrypter les rouages, commence par analyser
Tél. : 01 40 15 70 00 ses spécificités  : outre le fait que le travail n’a jamais vraiment été assimilé à une
pe@ladocumentationfrancaise.fr marchandise comme les autres en raison de la difficulté à l’isoler de la personne
http://www.ladocumentationfran- qui l’accomplit, le marché sur lequel s’échange ce bien spécial se caractérise par un
caise.fr/revues-collections/
rapport de force inégal entre offreurs et demandeurs et par d’importantes asymétries
problemes-economiques/
index.shtml d’information. En découlent une forte réglementation des relations entre salariés et
Abonnez-vous à la newsletter employeurs, et plus généralement des modes de coordination alternatifs à la régulation
marchande particulièrement présents.
Avertissement
Les opinions exprimées Ces éléments se conjuguent toutefois de manière très différente d’un pays à l’autre. Les
dans les articles reproduits comparaisons internationales montrent en effet une grande diversité des règles, que ce
n’engagent que les auteurs
soit en matière de protection de l’emploi, de rémunérations, de négociation collective
Crédit photo : ou de gestion des conflits sociaux. Même dans un espace économique de plus en plus
© Direction de l’information légale intégré comme l’Union européenne, les configurations du marché du travail restent
et administrative. Paris, 2010
fortement ancrées aux traditions nationales.
Conception graphique Un mouvement de convergence internationale se dégage néanmoins : depuis les années
Célia Petry
Nicolas Bessemoulin
1980, les pays avancés ont été contraints d’accroître la flexibilité de leurs économies,
En vente en kiosque et en librairie
particulièrement dans le domaine de l’emploi. En Europe, le modèle de la « flexicurité »,
(Adresses accessibles en ligne) alliant plus de flexibilité pour les employeurs et plus de sécurité pour les salariés, a
servi de référence pour réformer les marchés du travail. Cela s’est notamment traduit
par une réorientation des politiques de l’emploi en faveur des mesures dites « actives »,
ciblées sur la reprise d’activité. Dans le contexte récent de crise économique et de
difficultés budgétaires, les systèmes d’indemnisation du chômage, dont les effets et
les fonctions sont au cœur de débats économiques et politiques, sont devenus moins
généreux. D’un autre côté, des efforts ont aussi été entrepris pour sécuriser davantage
les parcours professionnels des salariés. L’accord national sur l’emploi du 11 janvier
2013 s’inscrit dans cette logique.
Si la flexicurité est présentée comme la voie à suivre, les travaux des économistes
rappellent toutefois qu’il n’existe pas de modèle ni de politique unique en matière de
marché du travail, mais que ce sont les configurations institutionnelles prises dans
leur ensemble qui sont déterminantes.
Olivia Montel-Dumont
COMPRENDRE
LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Un marché pas comme les autres ?
P. 5 Les spécificités du marché du travail et leurs conséquences
(Jean Vercherand)
P. 15 Le travail marchandise : une fiction aliénante et émancipatrice
(François Vatin)
P. 22 Recrutement et détermination du salaire : l’importance
des règles et des conventions (Guillemette de Larquier)
P. 29 Un  marché fortement réglementé. Les grandes lignes du droit
du travail en France (Jean-Michel Lattes)

Un ou « des » marchés du travail ?


P. 36 La segmentation des marchés du travail dans les pays avancés :
états des lieux, évolutions (Aline Valette-Wursthen)
P. 43 Inégalités et discriminations sur le marché du travail
(Dominique Meurs)
P. 50 Les marchés du travail en Europe : entre diversité
et convergence (Mathilde Guergoat-Larivière)
P. 58 Conflits sociaux, négociation collective et marchés du travail.
Une comparaison internationale (Michel Lallement)

Chômage et politiques de l’emploi


P. 70 La mesure du chômage : un enjeu de société (Jacques Freyssinet)
P. 78 Comment les économistes expliquent-ils la persistance
du chômage ? (Arnaud Chéron)
P. 84 Lutter contre le chômage dans un contexte de crise :
comparaisons internationales (Dominique Redor)
P. 97 Quel avenir pour les aides à l’emploi ? (Yannick L’Horty)
P. 103 L’assurance chômage : une institution au cœur du marché
du travail (François Fontaine)
P. 111 La formation professionnelle : quelle place dans les politiques
de l’emploi ? (Eric Verdier)
P. 119 Immigration et marché du travail (Manon Domingues Dos Santos)
Les économistes néoclassiques ont représenté le marché du travail sur le même modèle que
le celui des biens et services. Si cette représentation permet de comprendre certains méca-
nismes, elle a très vite révélé de fortes défaillances, ce qui a poussé les économistes à affiner
le modèle ou à proposer des analyses radicalement différentes.
Jean Vercherand fait un tour d’horizon des analyses économiques du marché du travail, des
classiques anglais du XVIIIe siècle à la nouvelle microéconomie des années 1970. Une des
failles communes à l’ensemble des théories est selon lui de supposer, de manière plus ou
moins implicite, que l’offre de travail est entièrement libre, alors qu’elle est contrainte du fait
de l’asymétrie entre employeurs et salariés. La prise en compte de cette spécificité permet de
mieux comprendre le degré de conflictualité entre offreurs et demandeurs sur ce marché, si
élevé que leurs relations sont encadrées par un ensemble juridique élaboré.
Problèmes économiques

Les spécificités du marché


du travail et leurs conséquences
 JEAN VERCHERAND lourde et récurrente depuis l’Antiquité. Déjà,
dans le Code de Hammourabi (17 à 18 siècles
Économiste et historien avant J.-C.), il était l’un des seuls marchés fai-
INRA LISTO Dijon sant l’objet de tarifs affichés. Sous Rome, dif-
férentes règles régissaient le travail salarié,
préfigurant les corporations du Moyen Âge
européen. Ces dernières, qui ont fonctionné
Un marché conflictuel pendant sept siècles, édictaient pour chaque
corps de métier un ensemble de règles qui,
et juridiquement encadré aujourd’hui, peuvent être rattachées à dif-
férentes branches du droit, en particulier à
[1]
Avec, selon nous, les Un étudiant débutant en économie consta-
celle du travail.
marchés des denrées tera rapidement que le travail constitue un
agricoles de base et le
commerce de l’argent,
domaine spécifique d’analyse parmi l’un des À la fin du XVIIIe siècle, les premiers pays
c’est-à-dire les marchés plus controversés de toute la discipline (avec industriels ont libéralisé totalement leur
monétaires et financiers l’économie de la croissance). marché du travail, tirant un trait sur cette
d’aujourd’hui. On
peut ajouter aussi les S’il a la curiosité de se tourner vers les histo- très longue histoire d’encadrement juridique.
marchés des droits riens, il découvrira qu’il est l’un de ces rares Les corporations sont supprimées (France) ou
d’usage ou de propriété
du bien de nature qu’est marchés1 qui ont quasiment toujours donné bien vidées de leur contenu (Royaume-Uni).
la terre. lieu à une intervention publique spécifique, Ensuite, les coalitions, c’est-à-dire les grèves

5 LES SPÉCIFICITÉS DU MARCHÉ DU TRAVAIL ET LEURS CONSÉQUENCES


et ce qu’on nommera plus tard les syndi- consubstantiels qu’ils donnent lieu à un
cats, sont déclarées illégales car considérées recensement par les statistiques officielles et,
comme des entraves à la libre concurrence de ce fait, à des comparaisons internationales.
sur le marché du travail. Or, ce marché, qui Dès lors, tout économiste devrait être conduit
semblait satisfaire, a priori, aux conditions à se poser les questions suivantes :
d’une concurrence pure et parfaite, se révèle
très conflictuel. Les revendications sont – Pourquoi le marché « libre » du travail, tel
récurrentes pour hausser les salaires mais qu’il avait été institué à la fin du XVIIIe siècle,
aussi pour réduire la durée du travail. En s’est-il révélé aussi conflictuel avec des reven-
dépit des interdits, des grèves éclatent, les- dications récurrentes sur les salaires mais
quelles peuvent dégénérer en affrontements, aussi sur la durée du travail ?
émeutes, voire insurrections quand les forces – Pourquoi le législateur en est-il venu à
de l’ordre interviennent pour faire respecter accepter les comportements de monopole des
le droit. L’histoire du marché du travail est acteurs (les coalitions) et à bâtir un droit spé-
parsemée d’épisodes violents et tragiques cifique pour le travail salarié en commençant
dans tous les pays industriels, ce qui n’est par une limitation de sa durée ?
pas banal pour un marché. Parallèlement,
émerge une série de courants idéologiques,
critiquant le libéralisme économique (et par- Un marché aux représentations
fois politique), et qui entendent résoudre cette
« question sociale ». Cela va des différents économiques controversées
courants socialistes et anarchistes, jusqu’au
néo-corporatisme du catholicisme social, en L’analyse des classiques
passant par des courants intermédiaires – Dès le début, les économistes classiques ont
tel le solidarisme d’un Léon Bourgeois – ne convenu que la relation salariale était inéga-
remettant en cause ni la propriété privée, ni litaire. Ainsi, Adam Smith explique dans La
les grands principes libéraux, mais jugeant Richesse des Nations, en 1776, que, dans la
nécessaire de protéger les travailleurs. négociation des salaires « les maîtres sont
Finalement, dans tous les pays démocra- en état de tenir ferme plus longtemps […]
tiques, s’impose l’édification d’un droit du sur les fonds qu’ils ont déjà amassés. [En
travail afin – dit le législateur – de pacifier les revanche], beaucoup d’ouvriers ne pourraient
relations de travail. Ce droit s’ébauche par pas subsister sans travail une semaine, très
une limitation de la durée du travail (c’est- peu un mois […]. À la longue, il se peut que
à-dire de l’offre). Ensuite, les comportements le maître ait autant besoin de l’ouvrier, que
d’entente (ou de coalition) des salariés sont celui-ci a besoin du maître ; mais le besoin
dépénalisés puis reconnus constitutionnelle- du premier n’est pas si pressant » (livre 1,
chapitre 8). Cette inégalité a pour effet, selon [2]
ment2. Enfin, le législateur impose un salaire Parfois, ce droit
minimum en certains pays et, surtout, géné- lui, d’orienter les salaires vers le minimum peut être limité
voire interdit pour
ralise la négociation collective des conditions vital  ; mais ce constat ne le conduit pas à certaines catégories
de travail et de rémunération, afin de pallier – prôner une intervention publique spécifique de travailleurs.
dit-il – l’état d’infériorité de l’un des contrac- sur le marché du travail. Jean-Baptiste Say
tants vis-à-vis de l’autre, en l’occurrence du reprend l’analyse de Smith tout en récusant
salarié face à l’employeur. une telle intervention car, explique-t-il, les
Ainsi, le travail est l’un des très rares mar- bas salaires se répercuteront sur les prix de
chés où l’offre des acteurs est limitée par la vente des marchandises, ce qui profitera en
loi ; le seul où les comportements de mono- retour aux salariés.
pole (les coalitions) sont légaux ; le seul Sismondi considère pour sa part que cette
dont les conflits (les grèves) sont tellement inégalité de rapport de force est à l’origine

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 6


des crises cycliques de surproduction qui demandeurs et des offreurs (indépendam-
apparaissent alors tous les 8-9 ans. De fait, ment les uns des autres) selon le prix unitaire
les historiens ont montré que, pendant la proposé. La courbe de demande est décrois-
phase d’expansion de ces cycles (qui ont sante : les quantités demandées (c’est-à-dire
rythmé les économies industrielles jusqu’à la achetées) augmentent quand le prix baisse.
Seconde guerre mondiale), les profits (et les En revanche, la courbe d’offre est croissante :
investissements) des entreprises augmen- les quantités offertes (c’est-à-dire proposées
taient plus rapidement que les salaires, puis à la vente) augmentent quand le prix s’élève
il s’ensuivait une crise de surinvestissement (car pour les producteurs, il devient ainsi de
et surproduction, enfin une dépression au plus en plus rentable et profitable de pro-
cours de laquelle se produisaient les phéno- duire). Le point d’intersection représente le
mènes inverses à ceux de la phase d’expan- prix (en ordonné) qui permet d’équilibrer les
sion (Asselain, 1985)3. quantités offertes et demandées (en abscisse).
Ainsi, dès le début du XIXe siècle, les éco- Ce schéma repose sur de nombreuses hypo-
[3]
Les historiens ont nomistes classiques se divisent à propos du thèses que l’on ne présentera pas, sauf une,
également montré que
le taux de salaire réel marché du travail tout en convenant, plus ou tellement implicite qu’elle n’est pas men-
augmentait en phase moins, d’une certaine inégalité de la relation tionnée dans les manuels de microéconomie4
de dépression (du fait parmi les conditions définissant une concur-
salariale. Les uns, majoritaires, s’inscrivent
de la baisse des prix
des biens) et souvent dans la logique de Say et font confiance au rence pure et parfaite : les courbes traduisent
davantage au XIXe siècle caractère autorégulateur des marchés. Les le fait que les demandeurs et les offreurs
que pendant la phase optimisent leurs choix et donc, pour ce faire,
d’expansion, alors
autres, à l’instar de Sismondi, prônent une
même que le chômage intervention publique plus ou moins radicale. sont parfaitement libres et autonomes.
progressait. Cela, en des Examinons successivement comment sont
périodes où les coalitions
Avec la rupture épistémologique de la « révo-
étaient interdites et lution marginaliste » (ou néoclassique), l’ap- déterminées l’offre et la demande globales de
l’intervention publique proche des classiques se trouve modifiée. Le travail, sachant que la théorie de l’offre est
inexistante (Asselain,
1985). raisonnement à la marge, avec les notions beaucoup plus controversée que celle de la
d’utilité marginale et de coût marginal, a per- demande.
[4]
La microéconomie mis de représenter de manière beaucoup plus
– qui est d’essence La théorie de l’offre de travail
néoclassique – est fine et formalisée les mécanismes de marché
L’offre individuelle, c’est-à-dire le nombre
considérée comme le et a ouvert la voie à tous les calculs d’opti-
« noyau dur » de la d’heures de travail qu’un ménage est disposé
science économique ;
misation économique. C’est ce qui a fait la
force du courant néoclassique, bien que ses à fournir pour un taux de salaire donné, cor-
un noyau relativement
stable et moins déductions normatives restent souvent très respond à l’optimisation de l’utilisation de
controversé que la
controversées. son temps. Il travaillera jusqu’au point où
macroéconomie. Le l’utilité marginale de son travail – qui tra-
point de départ de
la microéconomie Le modèle néoclassique duit la satisfaction, assimilable dans le cas
est l’analyse des du travail à la rémunération, apportée par la
comportements de référence
individuels des agents
dernière unité de travail fournie – tend à être
économiques qu’elle L’économie néoclassique représente commu- surpassée par sa désutilité marginale – le
s’applique ensuite à nément un marché (d’un bien, d’un service, coût de l’effort. Intuitivement, on comprend
agréger pour en déduire ou d’un facteur de production tel le travail)
des phénomènes que les premières heures de travail revêtent
globaux. par une croix de Saint-André dans un repère une grande utilité pour un ménage car, grâce
orthonormé, symbolisant ainsi la confron- au revenu ainsi acquis, elles lui permettent
tation de l’offre et de la demande. C’est le de satisfaire ses besoins les plus prioritaires.
schéma de base de la construction néoclas- Cependant, au fur et à mesure que les heures
sique (schéma 1). de travail augmentent et que les besoins les
Les deux segments de droite (en réalité des plus impérieux se couvrent, l’utilité addi-
courbes) traduisent les comportements des tionnelle de chaque nouvelle heure de travail

7 LES SPÉCIFICITÉS DU MARCHÉ DU TRAVAIL ET LEURS CONSÉQUENCES


diminue. Simultanément, plus les heures de Cette théorie de l’offre individuelle de travail,
travail s’accumulent, plus la désutilité (i.e. le développée en 1872 par Stanley Jevons, est
coût) de chaque heure additionnelle s’élève. aujourd’hui présentée comme un cas particu-
Un ménage rationnel continuera à travailler lier d’application de la théorie des choix du
consommateur, avec utilisation des courbes
tant que l’utilité additionnelle d’une heure de
d’indifférence : c’est le modèle d’arbitrage
travail en plus reste supérieure à sa désutilité
travail / loisir (cf. encadré)
et, une fois l’égalité atteinte, il s’arrêtera. Cela
dit, ces fonctions d’utilité et de désutilité sont Quant à l’offre globale de travail sur le mar-
influencées par de nombreux paramètres. En ché, elle correspond à une simple agrégation
additive des offres individuelles des ménages.
particulier, celle d’utilité du travail dépend
du taux de rémunération et des satisfactions La théorie de la demande de travail
non monétaires qui peuvent être retirées du
La demande individuelle de travail par une
travail. Celle de désutilité du travail dépend entreprise concurrentielle correspond à la
de sa pénibilité et du coût d’opportunité que courbe de productivité marginale en valeur
constitue l’utilité, elle-même, du temps libre du travail en son sein. Cette productivité mar-
sacrifié. ginale est décroissante au-delà d’un certain

ZOOM conséquenc
onséquence
loisir : le
e de rrendr
le salaire
endre
salaire que l’on
e plus cher lele bien
l’on abandonne en ne
bien

LE MODÈLE
trav
tr availlant
aillant pas, donc en prenant prenant du loisir
loisir,,
s’él
’élè
ève. Et quand le le prix d’un bien s’éls’élè
ève,
D’ARBITRAGE
D’ARBITRAGE les quantités
quantités demandées diminuent tout touteses

TRAVVAIL/L
TRA AIL/LOISIR
OISIR
choses égales
égales par ailleur
ailleurs.
s. C’est
C’est ce
ce que l’onl’on
appelle
appell e ll’’effet de substitution.
substitution. Or,
Or, précisément,
précisément,
les choses ne res resttent pas égales,
égales, car
car
Il s’agit,
s’agit, pour le le ménage, d’arbitrer
d’arbitrer son temps temps l’augment
’augmentation ation du taux
taux de salaire
salaire entraîne
entraîne un
disponible
disponibl e entre
entre deux biens : le le lloisir
oisir (pris revenu plus éle élevé et donc permet d’acheter
d’acheter
au sens de temps temps libre)
libre) et le le rreevenu (tiré
(tiré du davant
dav antage
age de tempstemps de loisir
loisir : c’est
c’est l’effet de
trav
tr avail).
ail). La seule
seule différ
différenc
ence e av
avecec le
le modèle
modèle revenu.. A priori,
revenu priori, on ne peut savoir
savoir lequel
lequel de ces ces
général
génér al d’arbitrage
d’arbitrage est est que l’un l’un des biens, le le deux effets
effets l’emport
l’emporte e sur l’autr
l’autre
e et donc quel
loisir
oisir,, n’est
n’est pas illimité
illimité en quantité,
quantité, mais est est sera
ser a lle
e rrésult
ésultatat global.
global. Celui-ci dépend de la
borné par l’unit
l’unité é de ttemps
emps dont on se propose propose forme des courbes courbes d’indiffér
d’indifférenc
ence,
e, c’est-à-dir
c’est-à-dire e
d’étudier l’empl
l’emploi oi : on ne peut prendr prendre e plus des préf
préfér érenc
enceses de chaque ménage.
de 24 heures
heures de loisirloisir (de non-trav
non-travail) ail) par jour,
jour,
plus de 7 jours
jours par semaine, ou encor encore e plus de Cependant, sur la base d’études
365 jours
jours par an ! Le ménage est est donc censé
censé expériment
xpérimental ales,
es, une majorité
majorité d’économis
d’économisttes
maximiser l’utilit
l’utilitéé de son emploi
emploi du temps,temps, considèr
onsidère e que cett
cettee courbe
courbe d’offre
d’offre individuelle
individuelle
entre
entr e le
le re
revenu et le le lloisir
oisir,, compt
compte e ttenu
enu du de trav
travail
ail est
est cr
crois
oissant
sante e jusqu’à un cert
certain
ain
taux de rémunér
rémunération ation de son temps temps de trav travail
ail point : le
le volume
volume de trav
travail
ail offert
offert augmente
augmente
(on suppose par commodit commodité é que ce ce tr
trav
avail
ail est
est avec
avec son taux
taux de rémunér
rémunération
ation puis, à partir
uniquement salarié). d’un cert
certain
ain niveau,
niveau, décroît.
décroît.
La forme
forme de cett
cette
e courbe
courbe d’offre
d’offre individuelle
individuelle
La forme
forme de la courbe
courbe d’offre
d’offre individuelle
individuelle de
de trav
travail
ail a ét
été
é très
très débattue hist
historiquement et
trav
travail
ail est
est a priori indét
indéterminée
erminée car
car jouent
res
estte encor
encoree contr
controover
ersée
sée aujourd’hui.
aujourd’hui.
deux phénomènes de sens contr contrair
aire.
e. En effet,
effet,
une augmentation
augmentation du tauxtaux de salaire
salaire a pour Jean Vercherand

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 8


niveau d’emploi de facteur. Si ce phénomène les quantités demandées de travail. Un pro-
ne jouait pas, chaque entreprise aurait inté- cessus inverse jouera dans le cas d’une exten-
rêt à accroître indéfiniment sa taille, si bien sion de la demande de travail.
que l’on aboutirait dans tous les secteurs de Le chômage involontaire ne peut donc pro-
l’économie à une seule entreprise, en mono- venir que d’influences perturbatrices empê-
pole sur chaque marché, ce qui ne correspond chant la flexibilité du taux de salaire et
pas à la réalité. ne permettant pas d’égaliser les quantités
Aussi, une entreprise augmentera la quan- offertes et demandées de travail. Deux types
tité engagée de facteur de production, par d’influences sont plus particulièrement
exemple de travail, tant que le produit addi- signalés :
tionnel permis par chaque unité supplémen- • Les syndicats, en exigeant des salaires plus
taire de facteur reste supérieur à son coût. élevés (supérieurs au taux d’équilibre, sinon
On montre plus précisément en microéco- leur action dans ce sens n’aurait aucun inté-
nomie que la courbe de demande de travail rêt), ou bien en s’opposant à une baisse du
d’une entreprise est la réciproque de sa taux de salaire quand la demande globale de
courbe d’offre de biens, puisque les deux biens se contracte, engendreront une distor-
courbes sont issues d’une même fonction sion entre les quantités offertes et deman-
de production, qui relie la quantité produite dées, c’est-à-dire du chômage.
[5]
à la quantité de facteurs employée. Ensuite, • L’État, enfin, en instaurant un salaire mini-
Sur longue période,
l’investissement,
chaque entreprise ajuste son offre de biens mum ou des minima salariaux6 (supérieurs
lissé de ses variations (donc sa demande de travail) en fonction de également au taux d’équilibre, sinon cela
conjoncturelles, l’évolution au fil du temps de la demande de n’aurait pas davantage de sens), engendrera
représente une
proportion relativement ses clients. inévitablement un certain chômage, corres-
constante de la
Quant à la demande globale de travail, pondant au segment GH sur le schéma 1.
consommation (ce
constat fait partie elle correspond à l’agrégation (plus com- 1. Le modèle néoclassique du marché du travail :
des « faits stylisés » plexe qu’un simple processus additif) des équilibre et chômage
de l’économie). Aussi,
sur longue période,
demandes individuelles de toutes les entre- Taux de
on peut dire que c’est prises. Au total, la demande de travail dans salaire (w)
la dynamique de la une économie découle à long terme, de la O
consommation qui Chômage
imprime l’évolution de demande globale de biens5, via la producti-
la demande globale de vité du travail au sein des entreprises. G H
w
biens (de consommation
et d’investissement). L’équilibre du marché du travail
et ses distorsions we E
[6]
Les minima
salariaux sont inclus La confrontation de ces courbes d’offre et de
dans les conventions
collectives, lesquelles demande de travail détermine à l’équilibre un
sont conclues au départ, taux de salaire et un volume de travail jugés D
par les syndicats
optimaux : les quantités de travail demandées
représentatifs d’une
branche professionnelle. par les entreprises sont exactement égales à 0 LD LO Volume de
L’État peut étendre celles offertes par l’ensemble des individus travail (L)
ensuite ces conventions
à toutes les entreprises
souhaitant travailler. Dans ces conditions, le
de la branche par arrêté chômage involontaire ne devrait pas exister. Les critiques de Keynes
ministériel (procédure
de l’extension). Il peut Ainsi, une contraction de la demande globale Dès les premières pages de la Théorie géné-
également les étendre en biens finaux se répercutera sur la demande rale, Keynes examine les fondements néoclas-
à d’autres branches qui
de travail et un nouvel équilibre sera trouvé siques du marché du travail. Il en accepte
en étaient jusque-là
dépourvues (procédure avec un taux de salaire plus faible permettant la théorie de la demande basée sur la pro-
de l’élargissement). à nouveau d’égaliser les quantités offertes et ductivité marginale mais en rejette celle de

9 LES SPÉCIFICITÉS DU MARCHÉ DU TRAVAIL ET LEURS CONSÉQUENCES


l’offre. Tout d’abord, il lui paraît totalement • L’hétérogénéité du facteur travail est à la
improbable que les syndicats puissent être la source des théories sur les imperfections
cause du chômage. Ensuite, il considère que d’appariement8, sur la segmentation du mar-
les individus ne sont pas à même d’optimiser ché du travail9.
leurs choix en matière d’offre de travail en
raison d’une imperfection de l’information : • L’information imparfaite ou asymétrique
quand les individus concluent leur contrat de a débouché sur une vaste production scien-
travail ex ante, ils ne peuvent pas connaître tifique avec les théories des contrats impli-
le taux de salaire réel qu’ils percevront ex cites, des salaires d’efficience, des salaires de
post (du fait d’une inflation peu prévisible) ; réservation (prospection d’emploi), des négo-
et donc, ils ne peuvent souscrire ex ante à une ciations salariales (cf. zoom p. 12).
[7]
L’atomicité d’un
offre optimale de travail. • Les coûts de fonctionnement des marchés marché désigne la
inspirent directement la théorie des « coûts présence d’un grand
Le volume global de travail engagé ne pou- nombre d’offreurs et
vant correspondre aux offres optimales des d’étiquette » appliquée aux salaires : les rup- de demandeurs, de telle
individus, Keynes le déduit de la demande tures de contrat induisent des coûts pour sorte que personne
l’entreprise ; en effet, un salarié qui a de l’an- ne puisse avoir une
globale de biens en amont. Or, l’incertitude, influence sur les prix.
qui entoure les décisions des agents en cienneté est généralement plus productif, et
[8]
matière de demande de consommation et, sur- l’entreprise a souvent investi dans sa forma- Sur ce point, voir
tion. Certains salariés sont donc en mesure dans ce même numéro
tout, d’investissement, fait qu’une situation la contribution de
de sous-emploi peut perdurer en cas d’anti- d’imposer des rémunérations plus élevées Guillemette de Larquier,
cipations pessimistes de leur part. Keynes que celles qui prévaudraient sur un marché pp. 22-28.

rejette également la loi de Say en considérant concurrentiel, ce qui explique la persistance [9]
Sur ce point, voir
que nul n’oblige les agents à dépenser leurs d’un certain niveau de chômage. La théorie dans ce même numéro
revenus et que l’épargne a une utilité en tant de l’opposition insiders/outsiders peut être la contribution d’Aline
Valette-Wursthen,
que telle. Aussi préconise-t-il des politiques rattachée à cette catégorie de relâchement pp. 36-42.
d’expansion monétaire et budgétaire pour d’hypothèse : les salariés en poste peuvent
combattre le chômage (taux d’intérêt bas et contrer la concurrence de ceux qui seraient
dépenses publiques accrues). à même de les remplacer à des conditions
de rémunération plus intéressantes pour
Les efforts d’amélioration l’employeur.
du modèle néoclassique de base Ces nouvelles approches peuvent combiner
plusieurs relâchements d’hypothèses. Elles
Les différentes hypothèses relâchées peuvent également donner lieu à des déve-
Naturellement, les économistes sont loppements hétérodoxes qui se situent hors
conscients des insuffisances du modèle néo- du postulat néoclassique de rationalité indi-
classique de base du marché du travail. De viduelle et de la démarche d’individualisme
nouvelles représentations théoriques ont été méthodologique (cf. certaines théories de la
développées à partir d’un relâchement des segmentation du marché du travail ou des
hypothèses définissant la concurrence pure négociations salariales).
et parfaite. Les nouvelles analyses microé-
Sans entrer dans les détails, ces théories ne
conomiques du marché du travail proposent
permettent pas de comprendre la variation
des explications au chômage persistant, en
du chômage au cours du temps et en par-
identifiant des rigidités endogènes au fonc-
ticulier l’apparition et la persistance d’un
tionnement du marché.
chômage de masse à partir de la fin des
• Le relâchement de l’hypothèse d’atomicité7 années 1970. La plupart des économistes qui
des acteurs a conduit aux théories du monop- ont réalisé des synthèses de ces modèles en
sone et du monopole bilatéral. (cf. zoom p. 11). conviennent.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 10


ZOOM du fact
facteur
inférieur
inf
eur et donc à fix
érieur à celui
fixer un niveau
celui qui résult
résulter
niveau d’emploi
erait
d’emploi
ait d’un équilibre
équilibre

MONOPSONE
concurr
oncurrentiel.
entiel. Aussi,
Aussi, c’est
c’est lle
e seul cas
cas vraiment
vraiment
rec
econnu
onnu dans la cons
construction
truction néoclassique
néoclassique
ET MONOPOLE BILA
BILATÉRAL où l’action
l’action des syndicats
salaires
salair
syndicats et l’ins
es minima peuvent
peuvent avoir
l’insttaur
auration
avoir un effet
ation de
effet positif,
à la ffois
ois sur les
les salaires
salaires et sur le le volume
volume de
La théorie du monopsone décrit une entrepriseentreprise
l’empl
’emploi.
oi. Cependant, il serait
serait irréalis
irréalistte de
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concurrencence
e parfait
parfaitee sur le
le marché
marché de son
soutenir
sout enir qu’une tell
telle
e situation estest dominante
dominante
produit,
pr oduit, mais en en situation de monopsone
dans l’éc
l’économie
onomie et que les les syndicats
syndicats y
(unique acheteur)
acheteur) sur lele marché
marché du travtravail
ail :
trouv
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eraient
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leur seule
seule justifi
justificcation.
c’estt l’unique
c’es l’unique emplo
employeur d’un bassin
bassin d’emploi
d’emploi
donné. ParPar sa demande, elle elle influenc
influence e donc lele Dans le
le cas
cas du monopole
monopole bilatér
bilatéral,
al, le
le résult
résultat
at
salaire.
salair e. Le monopole
monopole bilatér
bilatéral
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correspond
espond à la des transactions
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entre les
les deux parties
situation où un seul acheteur
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syndicat qui indéterminé.
indéterminé.
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ait un monopole
monopole sur la fournitur
fournituree de Dans les
les deux cas,
cas, l’absenc
l’absencee de concurr
concurrenc
ence e
trav
travail
ail (donc sur les
les embauches). sur le
le marché
marché du trav
travail
ail aboutit à un équilibre
équilibre
sous-optimal.
Pour maximiser son profi
profit,
t, le
le monopsone a
intér
intérêt
êt à être
être « malthusien » dans l’empl
l’emploi
oi Jean Vercherand

Les modèles de négociations salariales à la fois, hausser les salaires et combattre le


chômage.
Dans le prolongement des travaux de J.-T.
Dunlop (1944), le courant néoclassique a
beaucoup développé l’analyse économique
des syndicats et des négociations collectives.
Deux grandes questions
En général, le syndicat est censé maximiser
pour ses adhérents une fonction d’objectifs
de régulation :
portant sur le niveau du salaire et sur celui salaires et durée du travail
de l’emploi (la durée du travail étant une
donnée institutionnelle exogène). Il s’agit de Une offre de travail contrainte
rechercher (de négocier) l’arbitrage optimal La faille du modèle néoclassique est sa repré-
entre le salaire et l’emploi. sentation théorique de l’offre de travail. Si
En réalité, le mouvement ouvrier n’a jamais chaque individu est libre de louer sa force
considéré, historiquement, que le niveau des de travail sur le marché – on n’est pas en
salaires était contradictoire avec l’emploi régime de travail forcé ! – ce n’est pas pour
et qu’il devait arbitrer entre les deux. D’ail- autant qu’il sera en mesure d’optimiser (en
leurs, comment les salariés auraient-ils pu durée et en intensité) le volume de travail
poursuivre, depuis deux siècles, des grèves qu’il devra fournir. Cela, en raison de l’asy-
récurrentes pour obtenir des augmenta- métrie de rapport de force qui prévaut sur le
tions de salaires tout en s’accommodant du marché du travail, comme en ont convenu les
fait qu’une partie d’entre eux se retrouve au juristes et certains économistes classiques.
chômage une fois satisfaction obtenue ? En La plupart des salariés sont placés devant
revanche, le mouvement ouvrier a revendiqué le dilemme suivant : accepter les exigences
une réduction de la durée du travail pour, tout de l’employeur ou bien les refuser et quitter

11 LES SPÉCIFICITÉS DU MARCHÉ DU TRAVAIL ET LEURS CONSÉQUENCES


ZOOM Ces modèles
modèles peuvent
peuvent expliquer
expliquer différ
aspects des politiques salariales
différents
ents
salariales et, en théorie,

INFORMATION
INFORMA TION
la rigidité
rigidité des salaires
salaires réels
réels et le
le chômage
invol
involont
ontair
aire.
e. Cependant, ils sont très
très discutés
discutés :
IMPARF
IMPARFAITE
AITE OU ASYMÉTRIQUE la car
carott
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otte
e (le
e remplac
(le « sur-salaire
remplacé
sur-salaire ») peut très
é par le
le bâton,
très bien
bâton, c’est-à-dir
c’est-à-dire e la
Depuis les
les années 1970, de nombreux
nombreux menace
menac e de sanctions diver
diverses,
ses, pour obtenir
obtenir le
le
modèles
modèl es théoriques intégr
intégrant
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défaillances
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informationnelles
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été
dévvel
dé eloppés.
oppés. Théorie des contrats implicites
Dans cesces modèles,
modèles, l’imperf
l’imperfection
ection de
Théorie de la prospection d’emploi l’inf
’information
ormation porte
porte sur la conjonctur
conjoncture e
et des salaires de réservation économique
éc onomique future.
future. Des contr
contrats
ats peuvent
peuvent
Dans les
les modèles
modèles de prospection
prospection d’emploi,
d’emploi, porter
port er sur la garantie
garantie des salaires,
salaires, cece qui, lor
lorss
l’asymétrie d’information
d’information est est en déf
défav
aveur
eur des fluctuations
fluctuations de l’activit
l’activité,
é, conduit
conduit à des
des salariés qui connais
connaissent
sent moins bien que « sous-salaires
sous-salaires » en phase d’expansion
d’expansion et à
les emplo
employeur
eurss l’ét
l’état
at du marché
marché du trav
travail
ail et des « sur-salaires
sur-salaires » en phase de dépres dépression.
sion.
les salaires
salaires pratiqués.
pratiqués. Chercher
Chercher un emploi
emploi Ainsi se trouv
trouvererait
ait expliquée,
expliquée, sans trop trop déroger
déroger
entraîne
entr aîne donc des coûts
coûts (en temps
temps et en à la llogique
ogique du modèle
modèle néoclassique
néoclassique de base,
argent).
ar gent). Estimant
Estimant sa propr
propree vval
aleur
eur marchande,
marchande, l’apparition d’un chômage invol involont
ontair
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un salarié res
restter
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echerche
che d’emploi
d’emploi tant
tant phase de dépres
dépression.
sion. Cependant, les les contr
contrats
ats
qu’il n’en aura
aura pas trouv
trouvéé un ccorr
orrespondant
espondant peuvent
peuv ent porter
porter sur la pérennit
pérennité é de l’empl
l’emploioi
à ses souhaits en matière
matière de rrémunér
émunération
ation acccompagnée d’une modulation des salaires,
ac salaires,
(salaire
(salair e de réserv
réservation).
ation). Ces modèles
modèles ou d’une garantie
garantie de rémunér
rémunération
ation moy
moyennant
expliquent l’e
l’exis
xisttenc
ence e d’un chômage volvolont
ontair
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e un prél
prélè èvement assur
assuranciel
anciel sur les
les salaires
salaires
lié aux coûts
coûts de recher
recherche
che d’emploi
d’emploi subi par afin
afi n d’indemniser le le chômage en phase de
les salariés. dépres
dépr ession.
sion. Ces contr
contratsats individuels peuvent
peuvent
aussi
aus si être
être repris
repris à un niveau
niveau coll
collectif
ectif.. Ces
Théorie du salaire d’efficience
d’efficience approches
appr oches théoriques permettent
permettent de rendrrendree
compt
ompte e des politiques salariales
salariales mais pas
Dans la théorie du salaire
salaire d’efficienc
d’efficience,e, ce
ce sont vraiment
vr aiment de l’origine
l’origine du chômage.
les emplo
employeureurss qui pâtissent
pâtissent d’un désavant
désavantageage
en matière
matière d’information
d’information : ils savent
savent moins Jean Vercherand
bien que lesles salariés quelles
quelles sont leur
leurss
(1) Une incertitude sur la qualité des biens conduit
aptitudes ex ante (risque de sélection adverse)adverse) à un risque de sélection advadvererse
se : si l’employ
l’employeur
et ils ne peuvent
peuvent connaîtr
connaître e ou éévvaluer en propose
pr opose le salaire
salaire d’équilibre
d’équilibre correspondant
correspondant la
permanence
permanenc e leur
leur niveau
niveau d’effort
d’effort (risque
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retirer
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marché. L’emplo
’employ yeur
ou aléa moral).
moral). L’empl
L’emplo oyeur peut alor
alorss être
être a donc intérêt
intérêt à proposer
proposer une rém
rémunér
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conduit à ververser
ser des salaires
salaires plus éle
élevés que élev
éle vée.
ceux de l’équilibr
l’équilibre e cconcurr
oncurrentiel
entiel pour attirer
attirer
(2) Un salaire
salaire plus élev
élevé incite les salariés à produir
produire
e
les meilleur
meilleurss trav
travaill
ailleur
eurss (1) ou pour obtenir
obtenir un plus d’efforts
d’efforts car cela augmente les coûts liés à la
plus grand
grand niveau
niveau d’effort
d’effort (2). perte de l’emploi.

l’entreprise à leurs risques et périls. Même le Certains économistes conviennent que les
droit du travail – limitant le pouvoir de fait salariés ne sont pas libres de leurs horaires
de l’employeur – a toujours reconnu que ce de travail mais qu’ils ont néanmoins la possi-
dernier est « le maître des horloges ». bilité de se rattraper, par exemple en partant

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 12


à la retraite plus tôt ou en prenant des congés employeurs sont en mesure de peser sur
sans solde. Et donc, l’hypothèse d’optimisa- l’offre de travail, donc sur les taux de salaire,
tion de l’offre de travail resterait pertinente. oblige à repenser la façon dont fonctionne ce
Observons, tout d’abord, que la prise de marché sur le plan microéconomique.
congés sans solde n’est pas sans risque pour D’emblée, on entrevoit les raisons de ces
le salarié : il peut perdre son emploi s’il passe revendications sur les salaires et sur la durée
outre un refus de son employeur. Quoi qu’il en du travail, et pourquoi le législateur a été
[10]
soit, dirait-on d’un individu dont on rationne- contraint d’intervenir. À ce propos, notons
Rappelons que la
première hypothèse
rait l’alimentation pendant qu’il est en activité cette contradiction majeure : depuis deux
de toute la science mais qu’on laisserait libre de manger à satiété siècles, la théorie économique dominante n’a
économique est celle de quand il est en repos qu’il optimise ses choix
rationalité des acteurs. jamais validé l’idée que l’État doive inter-
Elle ne signifie pas que
en matière d’alimentation ? Non évidemment ! venir pour hausser les salaires et surtout
les gens ne se trompent En matière de représentation microécono- réduire la durée du travail alors qu’il s’agit là
jamais mais qu’ils ne
peuvent pas reproduire mique du marché du travail, cela signifie : d’une histoire revendicative et d’intervention
indéfiniment les
– non seulement que les salariés ne sont pas publique récurrente sur cette même période.
mêmes erreurs.
en état d’optimiser leurs choix dans leur offre Si ces revendications avaient été une erreur
[11] d’appréciation du fonctionnement de l’éco-
Le cycle économique de travail
de Juglar (du nom de nomie comme, de fait, la théorie le considère,
l’économiste français qui – mais, au contraire, que les employeurs sont on peut penser que les salariés auraient été
les a particulièrement
étudiés) a été constaté
en mesure de peser, au gré de leurs intérêts et conduits à y renoncer depuis longtemps, de
dans les pays industriels du rapport de force dont ils disposent (limité même que le législateur10.
durant le XIXe siècle et précisément par le droit), sur le volume de
première moitié du XXe.
travail fourni, c’est-à-dire sur sa durée et sur Le mouvement ouvrier a revendiqué de façon
Sa durée moyenne est
de 8 à 9 ans. Il comporte son intensité (cadences, pression mentale) ; et récurrente une réduction de la durée du tra-
4 phases : expansion, ainsi, de peser sur les salaires. vail pour une raison sociale (avoir du temps
crise, dépression (ou libre pour profiter de la vie) mais surtout
récession), reprise. L’offre de travail n’est donc pas autonome pour deux raisons économiques :
[12] vis-à-vis de la demande mais subordonnée à
Le cycle de
Kondratieff (du nom de celle-ci. C’est là, selon nous, la grande spécifi- – augmenter les salaires globaux et ainsi,
l’économiste russe qui cité du marché du travail qui le distingue fon- régulariser le cycle économique dit de
les a étudiés) s’étend
damentalement de tous les autres marchés. Juglar11. Cet objectif donne lieu à des grèves
sur une cinquantaine
d’années. Il comporte
offensives pendant les phases d’expansion de
Aussi, il est totalement erroné de représen-
2 périodes, l’une de ce cycle (Perrot, 1973). Toutefois, après l’ins-
ter l’offre de travail salarié sous la forme
croissance vive, l’autre tauration de la négociation collective, cet
de croissance ralentie. d’une courbe (cf. schéma 1). Une telle forme
Selon l’économiste
objectif est remplacé par une stratégie plus
de représentation présuppose que les indivi-
Schumpeter, ce directe sur les salaires pour les augmenter ;
cycle serait dû à des dus sont à même d’optimiser leurs choix, en
innovations majeures l’occurrence leur emploi du temps, en toute – combattre le chômage car la productivité
affectant l’économie. autonomie. D’ailleurs, si ces derniers optimi- du travail est jugée s’accroître plus rapide-
Beaucoup d’économistes
préfèrent parler saient leur offre de travail, comment expli- ment, en certaines périodes, que la consom-
de fluctuations de quer la conflictualité du marché, avec ces mation. Cela signifie que la satisfaction de
longue période dites
revendications récurrentes sur les salaires et la demande de consommation, même en
de Kondratieff, plutôt
que de cycles, car le sur la durée du travail ? hausse au fil du temps, peut s’accompagner
caractère régulier d’un volume de travail en baisse. Cet objectif
des fluctuations est donne principalement lieu à des campagnes
discuté. Les périodes
Une asymétrie qui oblige
de croissance ralentie à repenser la représentation d’opinion qui culminent lors des phases de
reconnues généralement croissance ralentie des fluctuations de longue
par les historiens sont du marché du travail période dites de Kondratieff12 : cf. les cam-
les suivantes : 1815-1848,
1873-1896, 1920-1945, L’asymétrie de rapport de force qui prévaut pagnes en faveur de la journée de travail de
enfin depuis 1974. sur le marché du travail et qui fait que les 10 heures dans la décennie 1840, de la journée

13 LES SPÉCIFICITÉS DU MARCHÉ DU TRAVAIL ET LEURS CONSÉQUENCES


de 8 heures dans les décennies 1880-1890, de sont contraints, pour vivre, de vendre leur
la semaine de 40 heures dans les années 1930 force de travail à des employeurs dont ils
et, enfin, d’une nouvelle réduction du temps dépendent économiquement. Le travail est
de travail dans les années 1980-1990, débou- donc un marché au sein duquel le rapport de
chant en France sur la semaine de 35 heures. force entre les parties est fondamentalement
Ces deux objectifs syndicaux peuvent être asymétrique, d’où sa conflictualité intrin-
validés sur le plan microéconomique moyen- sèque. Dès lors, l’action syndicale et politique
nant la prise en considération de certaines des travailleurs salariés peut être vue comme
hypothèses13. une recherche collective et tâtonnante pour [13]
Voir pour cela :
optimiser leur activité productive – optimisa- Vercherand J. (2006) ;
*** ou bien, pour une
tion que leur condition de dépendance écono-
Le marché du travail n’existe que parce présentation plus
mique sur le marché du travail ne leur permet concise dans le cadre
qu’existe en amont une asymétrie dans les pas d’atteindre spontanément et individuel- d’un cours de micro-
dotations en facteurs de production pos- lement. Quant au législateur, il s’est employé macro économie :
Vercherand J. (2004).
sédés par les individus. Certains, possé- à réduire, tant bien que mal, cette « question
dant capital et force de travail, disposent sociale » en agissant sur les salaires mais
d’une autonomie économique en tant que aussi sur la durée du travail.
producteurs indépendants ou producteurs
employeurs. D’autres, dépourvus de capital,

POUR EN SAVOIR PLUS


Économie générale ™VERCHERAND J. (2006), Le ™ FRIDENSON P. et REYNAUD B.
et du travail Travail. Un marché pas comme (sous la dir.) (2004), La France
les autres, Rennes, Presses et le temps de travail (1814-
™ BORJAS G.-D. (2008), Labor
e universitaires de Rennes. 2004), Paris, Odile Jacob.
Economics, 4 éd., Boston,
McGraw-Hill. Histoire économique et sociale ™ LE GOFF J. (2004), Du silence
™ CAHUC P. et ZYLBERBERG A.
à la parole : Une histoire du
™ ASSELAIN J.-C. (1985), Histoire droit du travail des années
(2004), Labor Economics, économique : De la révolution
Cambridge (Mass.), London, 1830 à nos jours, Rennes,
industrielle à la première Presses universitaires de
The MIT Press. guerre mondiale, Paris, Rennes.
™ REDOR D. (1999), Économie Presses de la FNSP et Dalloz.
™ KAPLAN S.-L. (2001), La fin
du travail et de l’emploi, ™ CROSS G. (1989), A quest for
Paris, Montchrestien. des corporations, Paris,
time. The reduction of work Fayard.
™ SMITH S. (2003), Labour in Britain and France, 1840-
economics, 2e ed., Londres, 1940, Berkeley, University of ™ PERROT M. (1973), Les
Routledge. California Press. ouvriers en grève : France
1871-1890, Paris, Mouton.
™ VERCHERAND J. (2004), ™ FOHLEN C. et BEDARIDA F.
Économie politique. Une (2000), L’ère des révolutions, ™ THOMPSON E.-P. (1988),
articulation entre la théorie Tome III d’Histoire générale La formation de la classe
néoclassique, Marx, Keynes et du travail (sous la dir. PARIAS ouvrière anglaise, Paris,
Schumpeter, Rennes, Presses L.-H.), 2e éd. mise à jour, Paris, Gallimard.
universitaires de Rennes. Nouvelle librairie de France.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 14


Si le terme de « marché du travail » laisse entendre que le travail est, comme les biens et ser-
vices, une marchandise soumise aux lois de l’offre et de la demande, il s’agit d’une marchan-
dise bien particulière : considéré comme une « peine » par les économistes, le travail est aussi
synonyme de réalisation de soi et d’intégration sociale dans les sociétés contemporaines ;
mais surtout, il est difficilement dissociable de la personne qui l’accomplit. François Vatin ana-
lyse comment il a néanmoins pu être représenté comme une marchandise, notamment à la
suite de la distinction de Marx entre le « travail » et la « force de travail ». Cette représentation
est pour l’auteur une fiction aliénante – dans le sillage de la théorie de Marx – mais également
émancipatrice, dans la mesure où la possibilité de vendre son travail au plus offrant, de façon
impersonnelle, permet d’échapper à des formes sujétion plus dures.
Problèmes économiques

Le travail-marchandise :
une « fiction »
aliénante et émancipatrice
 FRANÇOIS VATIN d’autres façons de penser le travail : c’est
d’abord une activité productive ; il confère
Professeur de sociologie un statut social ; il est éventuellement peine,
à l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense mais aussi accomplissement de soi… Quel
Chercheur au laboratoire « Institutions et dynamiques sens donner alors à sa représentation comme
historiques de l’économie », UMR CNRS 8533 marchandise ?
La question relève de la théorie économique ;
elle est aussi morale. Car comment disso-

Le travail-marchandise : cier le travail de la personne qui le porte, le


« travailleur » ? La théorie du travail-mar-
une « fiction » ? chandise adoptée par l’économie politique
anglaise au début du XIXe siècle ne nous
L’expression de « marché du travail » est ramène-t-elle pas à l’esclavage, c’est-à-dire à
entrée dans le langage courant. Elle sous- une « choséification » de l’homme, juridique-
entend que le travail est un bien qui s’échange ment réduit au rang de bien mobilier comme
sur un marché. Mais qu’est-ce à dire ? On le posait le Code noir promulgué en 1685 par
se convaincra facilement qu’il y a quantité Louis XIV pour régir les « esclaves nègres

15 LE TRAVAIL-MARCHANDISE : UNE « FICTION » ALIÉNANTE ET ÉMANCIPATRICE


de l’Amérique » ? Cette question a été posée politique4. Ce que l’employeur achète n’est
en 1840 par un économiste français, Eugène selon lui qu’une potentialité de travail,
Buret (1810-1842) : « L’économie politique n’a qu’une promesse de travail en quelque sorte.
vu dans le salaire qu’une valeur d’échange, L’ouvrier, qui vend ce travail en puissance,
une marchandise dont le prix, comme celui perd tout droit sur son produit ; c’est pour-
de toutes les autres, se règle par le rapport de quoi il s’« aliène ». Ce régime salarial est pour
l’offre et de la demande. Suivant cette théorie, Marx un progrès par rapport aux formes pré-
le travail est considéré abstraitement comme capitalistes (esclavage, servage), qui étaient
une chose, et l’économiste qui étudie les fondées sur une sujétion personnelle du
variations de l’offre et de la demande, oublie travailleur à son maître. Mais elle permet à
que la vie, la santé, la moralité de plusieurs l’employeur capitaliste de bénéficier, comme
millions d’hommes sont engagées dans la il en était pour le propriétaire d’esclaves ou le
question (…). La théorie du travail marchan- seigneur médiéval, d’un surplus économique
[1]
dise n’est-elle autre chose qu’une théorie de (d’une « plus-value ») prélevé sur le travail Buret E. (1841), De
servitude déguisée ? »1. Mais Buret déclarait des ouvriers. En effet, la valeur produite par la misère des classes
laborieuses en France et
cette théorie fausse, car pour lui, le travail la force de travail est supérieure à sa propre en Angleterre, reprint,
n’avait pas les propriétés caractéristiques valeur, qui correspond, pour Marx, au coût de Paris, Edhis, p. 43.
d’une marchandise : « La valeur du travail est sa « reproduction » (c’est-à-dire au coût des [2]
Ibid., p. 49-50.
complètement détruite, s’il n’est pas vendu à biens nécessaires à la vie matérielle et sociale
[3]
chaque instant. Le travail n’est susceptible ni de l’ouvrier et de sa famille). En achetant la Cf. Marx K.,
Manuscrits de 1844,
d’accumulation, ni même d’épargne, à la dif- « force de travail », le capitaliste a acheté la Paris, GF-Flammarion,
férence des véritables marchandises. Le tra- « poule aux œufs d’or » : une marchandise qui 1996.
vail c’est la vie, et si la vie ne s’échange pas produit du travail, et donc, de la valeur. [4]
Marx K. (1865),
chaque jour contre des aliments, elle souffre « Salaire, prix et plus-
et périt bientôt. Pour que la vie de l’homme Une analyse conciliable value », Le capital, livre 1
(1867), in Marx K. (1965),
soit une marchandise, il faut donc admettre
l’esclavage »2.
avec les théories libérales Œuvres, Economie, tome
1, Paris, Gallimard.
du travail-marchandise
La distinction marxienne entre
La solution de Marx est élégante. Elle permet
« travail » et « force de travail » de tenir en tension les dimensions marchande
Marx a cherché pendant vingt ans une solu- et non-marchande du travail dans la société
tion aux questions léguées par Buret3 : com- capitaliste et de saisir la forme particulière
ment penser l’existence d’un marché d’un de sujétion du travailleur dans cette société :
bien aussi insaisissable ? Comment conce- une sujétion limitée par sa liberté mar-
voir une marchandise-travail dissociée de la chande, celle de vendre sa « force de travail »
personne du travailleur ? Comment définir au plus offrant. Sans doute Marx montre, à
la forme propre d’assujettissement des tra- la suite de Buret, mais aussi d’Adam Smith
vailleurs dans la société capitaliste qui la qui, dès 1776, soulignait ce point dans ses
distingue des formes antérieures (esclavage, Recherches sur la nature et les causes de la
servage) ? La solution de Marx, formulée dans richesse des nations, que le marché du tra-
un article en 1865, puis développée dans le vail est dissymétrique, car le travailleur est
livre premier du Capital en 1867, repose sur forcé de vendre sa force de travail chaque
une distinction subtile entre deux notions : le jour pour survivre, alors que le capitaliste
travail, proprement dit, qui est l’action pro- dispose de réserves. Pourtant, il prend au
ductive du travailleur, c’est-à-dire l’action sérieux la dimension libérale du salariat, qui
créatrice de valeur, et la « force » ou « puis- le distingue des formes précapitalistes d’as-
sance » de travail qui est la marchandise faus- sujettissement : soit son caractère imperson-
sement dénommée « travail » par l’économie nel (« [le travailleur] n’appartient pas à tel

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 16


bourgeois ; il appartient à la bourgeoisie, à la payer le travail ex ante (il faudrait mieux dire
[5]
Marx K. (1845), classe des bourgeois »5) et sa limitation spa- la « force de travail ») à un prix supérieur au
« Travail salarié et tio-temporelle (il insiste beaucoup notam- prix d’équilibre pour inciter le travailleur à
capital », in Œuvres,
ment sur la limitation temporelle du contrat fournir plus de travail ex post.7
op. cit., p. 199-232.
de travail). En ce sens, sa théorie du salariat
[6]
Courcelle-Seneuil converge avec celle qu’élaborent, parallè- Les critiques des conceptions
J.-G. (1858), Traité
théorique et pratique
lement, des auteurs libéraux tel, en 1858, marxiennes et libérales
d’économie politique, Jean-Gustave Courcelle-Seneuil : « Le contrat
Paris, Guillaumin, de prestation de travail n’établit entre ceux Le concept marxien de « force de travail »,
t. II, p. 130. Cet auteur
s’inspirait d’un passage
qui y concourent qu’une dépendance limitée issu de la critique par Buret du « travail-
du troisième volume par l’usage et temporaire puisqu’à la fin du marchandise » apparaît donc in fine soluble
(1839) de la Démocratie contrat, chacun d’eux se trouve libre d’obliga- dans la théorie libérale du marché du tra-
en Amérique d’Alexis de
Tocqueville. tion et civilement égal à l’autre. Si les mœurs vail. Ce constat peut justifier la critique que
n’ont pas accepté cette notion, c’est parce Karl Polanyi faisait en 1944, dans La grande
[7]
Voir Perrot A. (1992), que nous sommes peu éloignés d’un temps transformation, de la théorie de Marx, dont
Les nouvelles théories
du marché du travail, où les relations de maître à serviteur étaient il jugeait qu’il « adhérait trop étroitement à
Paris, La Découverte. déterminées, non par un contrat, mais par un Ricardo et aux traditions de l’économie libé-
Sur la redécouverte rale8 ». Dans cet ouvrage, Polanyi dénonce le
arrangement d’autorité durable qui impri-
par les économistes de
l’économie du travail mait en quelque sorte un caractère au servi- caractère délétère d’une soumission totale
en acte, voir Berthe B. teur et à celui qui recevait ses services »6. de la société à un « marché autorégulateur »,
(2001), L’effort au travail,
c’est-à-dire où, non seulement les biens, mais
Rennes, PUR. La distinction opérée par Marx entre le tra-
aussi les « facteurs de production », sont trai-
[8] vail-activité et le travail-marchandise consti-
Polanyi K. (1944), La tés comme des marchandises. Or, pour lui, les
grande transformation, tue une clarification conceptuelle importante,
Paris, Gallimard, 1983,
facteurs de production (le travail, la terre et
qui tranche avec l’usage souvent ambigu du
p. 173. la monnaie), qui ne sont pas produits pour
mot « travail » par l’économie politique tout
[9]
le marché, ne sont que des « marchandises
Keynes J.-M. (1936), au long du XIXe siècle. Il est suggestif de noter
Théorie générale de fictives ». Si on le suit – et il rejoint Buret,
à cet égard qu’à la fin du XIXe siècle, certains
l’emploi, de l’intérêt et par-delà Marx –, il n’y aurait donc pas de
de la monnaie, Paris, auteurs libéraux ont repris à leur compte
« marché du travail ».
Payot, 1969. l’expression marxienne de force de travail.
Le discours moderne de gestion a développé Quelques années plus tôt, John Maynard
un vocable similaire : celui de « ressources Keynes avait développé une thèse conver-
humaines ». Après avoir longtemps pensé, gente dans sa Théorie générale de l’emploi,
dans la filiation de la théorie de l’équilibre de l’intérêt et de la monnaie9. Il reproche aux
général de Léon Walras, qu’ils pouvaient se « classiques » (ce qui désigne pour lui tous les
dispenser d’analyser le travail en acte (tâche économistes, de Ricardo à Walras et à leurs
laissée aux psychologues, aux sociologues disciples contemporains) d’admettre que le
ou aux gestionnaires), pour se consacrer au salaire résulte d’un équilibre sur le marché
seul moment marchand, les économistes ont du travail entre l’offre des travailleurs et la
récemment redécouvert le problème. Dans la demande des employeurs. De ce fait, un chô-
théorie économique contemporaine dite « de mage involontaire de masse pérenne serait
l’agence », il se formule en termes d’«  aléa impossible ; il ne pourrait exister que du chô-
moral » : l’employeur ne peut connaître ex- mage frictionnel (passager) ou « volontaire »
ante la quantité et la qualité du travail qui (retrait du marché du travail). Mais, nous
sera fourni par le travailleur. Le travail en explique-t-il, ce marché n’existe pas, car le
acte n’est donc pas réductible au bien vendu travailleur n’est pas en mesure de négocier
sur le marché. La théorie du « salaire d’effi- son salaire « réel » (son pouvoir d’achat) ;
cience », énoncée en 1974 par Janet L. Yellen, il ne négocie qu’un « salaire nominal » (son
montre que l’employeur peut avoir intérêt à montant monétaire). Les entreprises peuvent

17 LE TRAVAIL-MARCHANDISE : UNE « FICTION » ALIÉNANTE ET ÉMANCIPATRICE


en effet récupérer par une hausse des prix les secteurs, comme il en fut des informaticiens
augmentations nominales de salaire concé- dans les années 1970-1980. L’attrait consé-
dées. Le niveau de l’emploi (et donc du chô- cutif pour ces professions entraîne un retour
mage) n’est pas déterminé sur un « marché progressif à une norme salariale plus géné-
du travail », inexistant, mais sur le marché rale. De même, les différences de niveau de
des biens qui détermine le besoin de main- salaire expliquent pour une part la mobi-
d’œuvre. C’est pourquoi un équilibre éco- lité internationale de la main-d’œuvre. Mais
nomique sur le marché des biens peut se d’autres logiques pèsent sur la détermination
traduire par une situation de sous-emploi des salaires. On peut n’y voir que des « imper-
durable. fections du marché ». Une telle interprétation
est toutefois trop restrictive.

Les salaires sont-ils De nombreux « marchés du travail » sont plus


ou moins « fermés », soit par des cadres régle-
déterminés sur le marché ? mentaires stricts (en France, par exemple,
l’exercice de la médecine ou la détention
Y a-t-il donc un « marché du travail » (ou de la d’une licence de taxi), soit par dispositifs de
« force de travail ») ? Autrement dit, le concept protection collective des travailleurs (ainsi,
de marché permet-il de comprendre com- longtemps en France, les professions de doc-
ment se fixent les rémunérations salariales ker ou de typographe). Depuis Turgot, qui,
ou est-il totalement inadapté à cet effet ? Il en 1776, avait aboli les jurandes (les corpo-
ne faut probablement pas trancher entre ces rations d’Ancien Régime), les penseurs libé-
deux postures antagonistes. Une remarque raux se sont attachés à dénoncer et à réduire
de Keynes peut nous éclairer à cet égard. Il ces entraves au libre marché qui nuiraient à
s’interroge en effet sur la « rigidité du salaire l’intérêt général11. La loi Le Chapelier adoptée
[10]
nominal à la baisse »10. Autrement dit, pour- en 1791 fournissait une interprétation stricte Keynes J.-M. (1936),
op. cit., p. 43.
quoi les salariés qui acceptent de voir leur de ce principe de liberté du travail, associé
salaire réel (leur pouvoir d’achat) baisser par au rejet de tout « corps intermédiaire » et [11]
Turgot A. R. (1844),
l’effet de l’inflation résistent-ils si on tente de autorisait, par exemple, le libre exercice de « Édit du Roi portant
suppression des
baisser leur salaire nominal ? C’est, nous dit la médecine. Ce cas extrême montre la limite jurandes », in Œuvres,
Keynes, qu’ils luttent alors pour le maintien de l’idéal libéral : le patient peut-il, confor- Paris, Guillaumin, t. II,
de leur salaire « relatif », c’est-à-dire de leur p. 302-316.
mément au principe marchand, être consi-
niveau de rémunération en comparaison de déré comme le juge exclusif de la compétence [12]
Granovetter M.
celui d’autres travailleurs ou catégories de médicale ? (1974), Getting a Job,
travailleurs. Si on suit Keynes, on voit que des Chicago, University of
De même, le recours aux réseaux, dont Mark Chicago Press.
logiques marchandes locales peuvent être
Granovetter a montré l’importance sur le
puissantes, sans que, pour autant, la régula-
« marché du travail »12, montre que celui-ci ne
tion d’ensemble de la société salariale puisse
fonctionne pas conformément aux principes
être expliquée par le modèle marchand.
de la théorie économique, puisqu’il témoigne
que l’information sur les emplois à pourvoir
Des salaires soumis à des logiques
comme sur les compétences disponibles est
marchandes et non-marchandes largement opaque. On comprend donc que,
Concrètement, il serait infondé de ne pas depuis le XIXe siècle, de nombreux pen-
reconnaître l’effectivité de pures logiques seurs libéraux aient promu des institutions
marchandes dans certaines configurations ou facilitant la circulation des informations en
segments du « marché du travail ». Ainsi, des matière d’emplois. Ainsi, Joseph-Marie de
tensions sur le marché (rareté d’un certain Gérando recommandait-il en 1839 la créa-
type de qualifications) peuvent-elles entraî- tion, dans chaque ville, « d’une institution
ner une hausse des salaires dans certains [publique] propre à diriger le placement et le

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 18


classement des hommes de travail » à l’ins- l’explication marchande. Il en est ainsi,
tar des bureaux de placement qui existaient notamment, de la référence à une norme de
alors pour les domestiques, afin que « l’équi- subsistance, dont on a vu qu’elle était consti-
libre |soit] mieux établi entre la demande et tutive de la théorie marxiste de la valeur de
[13]
Gérando (de) l’offre du travail »13. De tels bureaux publics la force de travail. En France, la fixation par
J.-M. (1839), De la
bienfaisance publique,
seront effectivement créés en France dans l’État depuis 1950 du SMIG (salaire minimum
Paris, t. 3, p. 311-314. l’entre-deux-guerres. Ils conduiront à la interprofessionnel garanti), devenu en  1970
Quelques années plus création en  1967 de l’Agence nationale pour SMIC (salaire minimum interprofessionnel
tard, en 1844, Gustave
de Molinari proposait
l’emploi (ANPE), devenue Pôle emploi en 2008 de croissance) témoigne d’une forte tradition
plus explicitement après sa fusion avec les Assedic. de gestion politique du salaire. De même, la
l’instauration d’une hiérarchie des salaires ne peut qu’en partie
« bourse du travail »,
à l’imitation de la bourse Les logiques non marchandes, être expliquée par une logique marchande.
du capital. non réductibles Sans doute, la théorie du capital humain
développée par Gary Becker en 1964 vise à
[14]
Coase R. (1937), « La à des « imperfections de marché »
nature de la firme », ramener l’explication de la hiérarchie sala-
trad. Revue française Faut-il interpréter l’existence de cadres riale à un mécanisme marchand : le salaire
d’économie, II, hiver ne serait que l’intérêt produit par un capital
réglementaires et de modalités non-mar-
1987 ; Williamson O.
(1985), Les institutions chandes d’appariement des travailleurs et humain, composé des propriétés génétiques
de l’économie, Paris, des emplois sur le mode négatif de l’« imper- du travailleur, mais aussi des compétences
InterEditions, 1994.
fection » de marché ? C’est, à l’évidence, qu’il a acquises au cours de sa formation15.
[15]
Becker G. (1964), réducteur. Ainsi, un « libre marché » du soin Mais cette théorie n’est pleinement explica-
Human Capital, Chicago, médical ne fournirait probablement pas une tive que si le travailleur a lui-même financé
University of Chicago
Press, 1993.
garantie de qualité aux consommateurs, rela- sa formation, outre simplement le temps qu’il
tivement à ce service vital. Des institutions lui a consacré. Si le coût de la formation est
[16]
Naville P. (1956), Essai de travail non-marchandes sont assurément pris en charge par la collectivité, comme c’est
sur la qualification du
travail, Paris, Rivière, nécessaires à l’équilibre social. À certains largement le cas en France, le travailleur ne
p. 130. égards, les entreprises elles-mêmes sont de saurait revendiquer en totalité le produit de
celles-là. L’institution salariale n’est en effet cet investissement. On perçoit aisément que,
que partiellement marchande. Les dispositifs au-delà de la question de l’investissement
contractuels, qui déterminent droits et obli- en formation, s’imprime, dans la hiérarchie
gations des parties dans la durée, comme le salariale, des valeurs sociales à l’œuvre rela-
contrat de travail, excèdent le principe du tives au « rang » des personnes. Le marché
marché, par nature ponctuel. C’est dans cet est fondé sur un principe de « justice com-
esprit qu’il faut prendre en considération mutative » (« à chacun selon son dû ») ; la hié-
l’existence au sein des grandes entreprises de rarchie salariale relève pour une part d’un
« marchés internes du travail », c’est-à-dire principe de « justice distributive » (« à chacun
de dispositifs d’appariement interne des tra- selon son rang »). Ainsi que l’écrivait Pierre
vailleurs et des emplois, associé à un principe Naville en 1956, « les “échelles de prestige
de « carrière » des travailleurs. Le recours au professionnel” ne sont pas dénuées de sens,
« marché interne » a des avantages et des mais il est trop évident que dans l’ensemble,
inconvénients pour les deux parties, qui elles reflètent le jugement social exprimé en
limitent ainsi l’espace des possibles, tout en hiérarchies et formes de revenus, c’est-à-dire
réduisant les « coûts de transaction », c’est- de consommation, de jouissance16 ».
à-dire des coûts du recours au marché, dont
La question va bien au-delà de la seule hié-
la présence explique, selon Richard Coase et
rarchie des qualifications. Ainsi, il peut
Oliver Williamson, l’existence de la firme14.
apparaître normal que le salaire soit, confor-
D’autres dimensions déterminant le niveau mément à un principe de « carrière », indexé
des salaires ne relèvent clairement pas de sur l’ancienneté, et donc, de fait, corrélé

19 LE TRAVAIL-MARCHANDISE : UNE « FICTION » ALIÉNANTE ET ÉMANCIPATRICE


avec l’âge, comme il en est dans la fonction important que le salariat a perdu la conno-
publique française. D’autres distinctions tation négative qui fut longtemps la sienne,
de ce type, selon le sexe, voire la race, sont comme en témoigne ce propos de Louis Say,
aujourd’hui clairement considérées comme le frère de Jean-Baptiste, industriel et éco-
« discriminatoires ». Elles n’en ont pas moins nomiste, daté de 1836 : « En français, le mot
eu droit de cité dans l’institution salariale, salaire est presque toujours pris en mauvaise
avec, par exemple, des « tarifs » affichés dif- part. On dit qu’il a reçu un salaire pour cette
férents pour les hommes et les femmes. De mauvaise action ; on dit le salaire du crime et
telles discriminations salariales sont irra- pas le salaire du travail »18. En 1932 encore,
tionnelles du point de vue du marché, qui ne le juriste Jean Lescudier devait s’excuser de
devrait différencier les travailleurs que selon l’usage de ce terme : « On a une tendance plus
leur productivité. Comme l’a bien souligné ou moins affirmée dans les milieux moyens
Octave Mannoni à propos de l’exploitation à considérer seul l’ouvrier comme un sala-
coloniale de la main-d’œuvre17, de telles dif- rié avec tout ce que ce terme peut comporter
[17]
férentiations ne peuvent exister qu’en raison de péjoratif parmi les masses… »19. En fait, Mannoni O. (1950),
Psychologie de la
de la prégnance de normes de hiérarchisation le salarié a longtemps désigné le « prolé-
colonisation, Paris, Seuil,
sociale indépendantes qui ne relèvent pas du taire », c’est-à-dire le non-propriétaire, celui p. 25.
marché. Elles ne peuvent se pérenniser que qui n’a « rien d’autre à vendre que sa force [18]
Say L. (1836), Études
par l’action de forces sociales extérieures au de travail » selon la formule de Marx, dans sur la richesse des
marché, puisque le mécanisme de l’offre et une société où la propriété était au fonde- nations et réfutation
de la demande tend, au contraire, à les sup- ment de l’ordre social. La pensée sociale du des principales erreurs
en économie politique,
primer (les employeurs ont en effet intérêt à XIXe siècle, opposant « travail » et « capital », Paris, Librairie du
employer de préférence la catégorie discrimi- définissait ainsi négativement le salariat par commerce, p. 81.
née au détriment de la catégorie privilégiée). l’absence de propriété. [19]
Lescudier J. (1932),
e Le salarié. Notion
A contrario, le XX siècle a été caractérisé par
Le « marché du travail » : une extension sans précédent du salariat, qui
juridique, Paris, Dalloz,
p. 6.

aliénation et émancipation est devenu le statut social de référence et, par


les droits directs et indirects qu’il confère, le
Cette dernière considération met en évidence garant de la sécurité économique et sociale,
l’ambiguïté fondamentale du traitement mar- en lieu et place de la propriété. Les plus hauts
chand du travail. Nous avons d’abord montré, revenus, comme ceux des traders ou des
dans le sillage de Buret, de Marx et de Pola- grands sportifs, relèvent du salariat. Récipro-
nyi, que la réduction du travail au rang de quement, l’exclusion du salariat est devenue
marchandise était aliénante. Pourtant, paral- la principale cause de pauvreté. Le salariat,
lèlement, l’accès au « marché du travail », naguère associé à la figure du proscrit, est
c’est-à-dire à un régime de travail « libre », aujourd’hui devenu l’expression d’une pleine
soit à la possibilité de se vendre au plus intégration sociale.
offrant, a, pour le travailleur, une dimension L’histoire du salariat féminin fournit une
émancipatrice. En effet, il s’agit d’un régime illustration de ce mouvement. Au XIXe siècle,
de sujétion partielle, tempérée, contractuali- dans les milieux ouvriers, les femmes tra-
sée et surtout impersonnelle, qui, souvent, lui vaillaient par nécessité, ce qui n’était pas,
permet d’échapper à des formes antérieures d’ailleurs, sans susciter la réprobation de
de sujétion plus personnelle et pérenne. nombre de philanthropes qui jugeaient que
On comprend alors le rôle émancipateur l’atelier n’était pas un lieu fréquentable
de l’accès au travail salarié, c’est-à-dire à pour une jeune fille ou une mère. À la fin du
la vente de sa « force de travail » selon l’ex- XIXe siècle, l’accès à plus d’aisance d’une
pression de Marx. Celui-ci est d’autant plus partie de la classe ouvrière a conduit à un

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 20


retrait partiel du salariat féminin, au pro- Comme en Europe autrefois, l’exode rural
fit d’un modèle familial « bourgeois », où la draine vers les villes, mais aussi vers l’étran-
femme a la charge de la tenue de la maison et ger, une population à la recherche de travail.
de l’éducation des enfants. Au XXe siècle, et, Les moteurs de ces grandes migrations, qui
surtout, après la Seconde Guerre mondiale, poursuivent un mouvement déjà séculaire,
on a vu se développer en revanche un modèle sont, bien sûr, les problèmes rencontrés dans
de salariat féminin bourgeois, associé à une les régions d’origine (en particulier en cas
volonté d’émancipation financière et sociale de conflit armé), mais aussi l’attrait de la vie
des femmes. Ce modèle a bientôt gagné l’en- « moderne », associée au statut de salarié. Le
semble des sphères de la société. travail-marchandise est une « fiction » qui
Aujourd’hui, dans les pays développés, le tend à s’étendre à l’échelle de la planète ;
salariat s’est universalisé. Ce statut repré- cette expansion ne peut se comprendre si
sente aujourd’hui en France plus de 90 % de on ne prend pas en considération sa dimen-
la population en activité. En revanche, dans sion émancipatrice par-delà sa dimension
de nombreux pays en développement, qu’ils aliénante.
soient ou non « émergents », le salariat est
encore en phase d’essor, parfois accéléré.

21 LE TRAVAIL-MARCHANDISE : UNE « FICTION » ALIÉNANTE ET ÉMANCIPATRICE


Le modèle néoclassique « standard » du marché du travail le représente comme un lieu où une
offre et une demande de travail homogènes s’ajustent grâce à un prix flexible, le salaire. Dans
le sillage de l’économie des conventions, Guillemette de Larquier met en évidence l’impor-
tance de modes de coordination alternatifs à la régulation marchande. Loin d’être une variable
permettant l’égalisation de l’offre et de la demande de travail, le salaire apparaît plutôt comme
le résultat de règles élaborées, juridiques et/ou contractuelles. De la même façon, offreurs et
demandeurs de travail ne se coordonnent pas simplement par le signal du prix : complexes,
les procédures de recrutement renvoient à des conventions de qualité du travail, c’est-à-dire
à des modes d’évaluation implicites de ce que constitue une bonne relation d’emploi.
Problèmes économiques

Recrutement et détermination
du salaire : l’importance
des règles et des conventions
Ce texte part du postulat que le marché du  GUILLEMETTE DE LARQUIER
travail n’est pas, comme dans le modèle néo-
Maître de conférences en économie
classique « standard », un lieu où une offre et
une demande de travail homogène s’ajustent
à l’Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense
grâce à un prix flexible, le salaire. D’une part, Chercheuse associée au Centre d’études de l’emploi (CEE)
la fixation du salaire obéit à un ensemble de
règles plus qu’à des mécanismes marchands.
D’autre part, les travailleurs et les emplois, Le salaire est une règle
fortement hétérogènes, cherchent à s’appa-
rier, c’est-à-dire former des « paires » que les L’impasse du salaire comme moyen
deux parties souhaitent de bonne qualité. Or, de coordination sur un marché
ce qu’est une relation d’emploi de bonne qua- D’après la modélisation standard du mar-
lité relève largement d’évaluations implicites, ché du travail, le salaire est un moyen de se
plus ou moins partagées par les différents coordonner. Selon le niveau du salaire et ses
agents concernés, que l’on nomme conven- variations à la hausse ou à la baisse, les tra-
tions de qualité du travail. Ces conventions vailleurs savent s’ils doivent augmenter ou
varient selon le type d’entreprise. diminuer leur offre de travail, tandis que les

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 22


entreprises ajustent de même leur demande une gazette, La Bourse du Travail, qui dispa-
de travail, sans avoir à communiquer entre raît au bout de quelques mois, mal accueillie
eux. C’est l’hypothèse classique d’efficience aussi bien par les ouvriers que par les
des marchés qui suppose que ces derniers employeurs qui n’apprécient pas la diffusion
transforment des informations éparpillées publique des taux de salaire (Larquier, 2000).
(les plans individuels de chaque offreur ou Penser que le salaire est une variable permet-
demandeur) en une information simple, un tant de se coordonner sur le marché du tra-
prix, qui permet à tous de se coordonner vail mène ainsi à une impasse, au moins sur
efficacement. le plan pratique.
La détermination du salaire est plus un pro-
Un tel schéma théorique a pu alimenter des
blème à résoudre qu’une solution au bon
projets utopiques d’organisation des vrais
fonctionnement du marché. Communément,
marchés du travail, comme le projet de Gus-
son calcul est résolu par l’application d’un
tave de Molinari (1819-1912). À partir de
grand nombre de règles, légales ou contrac-
1842, grâce à l’essor des chemins de fer ren-
tuelles (contrat de travail et conventions col-
dant possible la mobilité du travail, Moli-
lectives) ; bien sûr, ces règles peuvent être
nari pense qu’un tel schéma est désormais
d’inspiration marchande, mais c’est un cas
applicable. Il suffit d’instaurer un réseau de
particulier.
bourses où le travail serait coté et cette cota-
tion publiée dans les journaux. Les travail-
L’exemple du salaire minimum
leurs éviteraient ainsi les lieux où le salaire
est faible (preuve d’un excédent de l’offre) et français
se dirigeraient vers les régions où la cote est L’exemple du salaire minimum en France,
élevée (preuve d’une demande non satisfaite). qui concerne un salarié sur dix en 2012, est
Sur le plan pratique, c’est un échec. Réfugié intéressant. Bien que relevant de l’applica-
en Belgique sous le Second Empire, il fonde tion de règles fixées par la loi, son niveau

ZOOM conv
onventionnel
entre
entr
entionnel dans la mesure
e ceux
ceux qui le
mesure où il vva
le partagent,
partagent, tout
a de soi
tout en étant
étant

LES NOTIONS
NOTIONS DE « RÈGLE »
arbitrair
arbitr aire
e puisqu’il exisexistte d’autres
d’autres modèles
modèles
aussi
aus si conc
conce evabl
ables
es et défendabl
défendables es pour
ET DE « CONVENTION
CONVENTION » coor
oordonner
donner les
1999). Par
Par ex
les repr
exempl
représent
emple,
ésentations
ations (Fav
e, derrière
(Faver
derrière la rrèglègle
ereau
eau
e « le
le
Selon la définition
Selon définition de S.B. Shimanoff*, « une salaire
salair e progr
progres esse
se avec
avec l’anciennet
l’ancienneté é », la
règle es estt une prescription
prescription à laquelle
laquelle il es
estt conv
onvention
ention d’év
d’évaluation en usage est est que la
possibl
pos sible e de se cconf
onformer
ormer,, et qui indique quel val
aleur
eur de l’individu
l’individu augmente
augmente avec avec lele temps.
temps.
comport
omportementement est
est requis
requis ou préf
préfér
éréé ou prohibé
prohibé En re
revanche, la règl règle e « le
le salaire
salaire est
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es déterminés
déterminés ». Par Par ex
exempl
emple,e, des performanc
performances es individuelles
individuelles » rrenvenvoieoie à
« si ll’infl
’inflation
ation dépasse
dépasse 2 %, alor
alorss lle
e SMIC sera
sera une autre
autre conv
convention,
ention, plus « marchande
marchande », qui
reval
alorisé
orisé » est
est une règl
règle
e édictée
édictée par la loi.
loi. interpr
interprètète
e le
le coll
collectif
ectif de trav
travail
ail comme
comme un lieu
de mise en concurr
concurrenc encee des salariés entre entre eux
Par ailleur
ailleurs,
s, on appelle
appelle convention le (Reynaud
(Re ynaud 1993).
modèle
modèl e d’év
d’évaluation sous-jacent
sous-jacent à ttout
outee
Guillemette de Larquier
règl
ègle
e qui permet d’interpr
d’interprététer
er le
le cont
conte
ext
xtee
dans lequel
lequel s’applique
s’applique la règl
règle
e et qui, par * cité par Fa
Faver
ereau
eau (1986) « La formalisa
formalisation
tion du rôle
rôle
des conv
conventions dans l’allocation
l’allocation des ressour
ressources
ces »,
là-même, justifi
justifiee la rrègl
ègle
e pour sa légitimit
légitimitéé dans Le tra
travail. Mar
Marchés,
chés, règles, con
conv
ventions, Salais et
et son effic
efficacit
acité.
é. Le modèle
modèle d’év
d’évaluation est
est Thé
hévvenot (éds.), Economica.

23 RECRUTEMENT ET DÉTERMINATION DU SALAIRE : L’IMPORTANCE DES RÈGLES ET DES CONVENTIONS


est âprement discuté à chaque revalorisa- « paquets » indivisibles de caractéristiques
tion lors de la consultation des partenaires hétérogènes cherchant à former des paires,
sociaux par l’État ; les règles laissent donc ou appariements. Dans ce cadre, soit le
place à une marge d’interprétation. Par ail- salaire est une des caractéristiques données
leurs, le SMIC (salaire minimum interprofes- de l’emploi vacant, soit il est négocié lors de
sionnel de croissance) d’aujourd’hui ne suit la formation de l’appariement.
pas les mêmes règles que le SMIG (salaire Or, les appariements peuvent être consi-
minimum interprofessionnel garanti) insti- dérés comme des « biens d’expérimenta-
tué en 1950. Fixé sur la base d’un panier de tion ». Leur qualité n’est pas donnée avant
consommation ouvrier, le SMIG était indexé la signature du contrat ; elle se révèle avec le
uniquement sur l’inflation ; la règle visait temps. Les relations d’emploi peuvent s’in-
ainsi à garantir un revenu minimum vital. En terrompre sans remettre en cause la qualité
1968, le SMIG est revalorisé d’un seul coup du travailleur ou de l’emploi : ils n’étaient
de 35 % pour rattraper l’écart, creusé avec pas faits l’un pour l’autre. Dans ces condi-
la croissance, entre le salaire minimum et le tions, la question du recrutement, qui est à
salaire moyen ouvrier. En 1970, les règles de l’origine un concept ignoré des économistes,
revalorisation changent afin que le problème devient cruciale, puisqu’il s’agit d’appa-
ne se reproduise plus. Le nouveau SMIC reste rier le travailleur adéquat à l’emploi qui lui
indexé sur l’inflation, mais à cela s’ajoutent i) convient. L’incertitude liée à la qualité de
la possibilité d’un « coup de pouce » décrété l’appariement (qui ne sera véritablement
par l’État, et ii) le principe suivant, inscrit révélée qu’a  posteriori) explique en particu-
dans le Code du travail (article L.141- 5) : « en lier le comportement de l’employeur qui va
aucun cas, l’accroissement annuel du pouvoir chercher le plus de signaux possibles sur la
d’achat du SMIC ne peut être inférieur à la compétence du travailleur qu’il recrute. Un
moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat poste vacant peut être long à pourvoir, même
des salaires horaires moyens ». Dorénavant, avec un grand nombre de chômeurs, car ils
la règle vise à faire participer les travailleurs ne sont pas considérés comme parfaitement
les moins bien rémunérés au partage des substituables. Le temps du recrutement, plus
fruits de la croissance. Ainsi, changent non ou moins long et coûteux, sert à les trouver
seulement les règles salariales, mais égale- et à les départager. Cela renvoie à l’interpré-
ment les conventions qui les sous-tendent tation frictionnelle du chômage. Mais il peut
(ici, le sens que l’on donne au salaire mini- être également structurel, si les employeurs
mum : un minimum vital ou une part mini- considèrent que les travailleurs n’ont pas les
male du gâteau qui croît). caractéristiques requises pour occuper les
postes disponibles sur le marché.

Le marché du travail produit Ce que les employeurs entendent par « bon


candidat », c’est-à-dire les caractéristiques
des appariements incertains qu’ils jugent indispensables chez un can-
didat pour prendre le risque de former un
Après avoir délaissé l’hypothèse d’un salaire appariement incertain avec lui, a donc un
variable d’ajustement ou de coordination, effet sur le chômage. Or, les manières d’éva-
nous abandonnons à présent la modélisa- luer ces caractéristiques et anticiper la qua-
tion d’un marché mettant face à face des lité de l’appariement varient d’une entreprise
courbes continues d’offre et de demande de à l’autre. En effet, en reprenant la démons-
travail homogène. On conçoit plutôt que le tration de Salais (1989) qui l’applique direc-
marché du travail est un marché bilatéral où tement au salaire, il n’existe pas de mesure
se font face deux types d’agents complémen- naturelle de la qualité de l’appariement (et
taires, les travailleurs et les postes vacants, donc du salaire associé) parce qu’il n’existe

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 24


pas de mesure naturelle de la valeur du pro- sur une capacité à évoluer dans l’entreprise
duit de cet appariement. Plusieurs facteurs et non pas seulement sur sa capacité à occu-
expliquent cette impossibilité : par exemple, per le poste, objet du recrutement. Du point
la difficulté à isoler le travail d’un salarié au de vue d’un intermédiaire du placement, il
sein d’une équipe, ou l’impossibilité à obser- peut y avoir un malentendu. L’intermédiaire
ver directement le résultat du travail, en par- propose un candidat compétent pour le poste,
ticulier quand l’activité est immatérielle. La mais l’entreprise le refuse, car non seulement
qualité ou la rentabilité de l’appariement elle recrute pour pourvoir un poste spéci-
relève donc nécessairement d’une interpré- fique, mais elle anticipe également l’apparie-
tation de la productivité qu’on lui attribue, ment du candidat à une séquence de postes
autrement dit d’une « convention de produc- dans le temps, c’est-à-dire une carrière plus
tivité » (Salais 1989). Cette convention qui ou moins balisée. Or, le candidat peut man-
évaluera a posteriori la qualité de la relation quer du « potentiel » souhaité. De même,
d’emploi dans l’entreprise, induit au moment à l’entrée d’un marché interne, le salaire
du recrutement la convention de qualité attendu par les postulants est conventionnel-
du travail mobilisée pour juger le candidat lement plus faible que sur un marché profes-
a priori. sionnel2. Dans le premier cas, la convention
partagée est que le salaire augmentera tout
[1]
au long de la carrière ; dans le second cas, les
Anticiper la qualité de la relation
Pour le concept
d’épreuve, voir les professionnels passeront d’une entreprise à
chapitres de G. de
Larquier et E. Marchal,
« La légitimité des
d’emploi par des conventions l’autre, en les mettant en concurrence ; il est
donc convenu que les meilleurs ne viendront
épreuves de sélection :
apports d’une enquête
statistique auprès des
de qualité du travail qu’en contrepartie d’un salaire plus élevé.

entreprises », et de Pour anticiper la qualité de la relation d’emploi, Modèles d’entreprise


F. Eymard-Duvernay
les agents concernés (salariés, employeurs,
et D. Remillon, La pluralité des conventions de qualité du
« Généalogies intermédiaires de recrutement…) se réfèrent
travail se déduit également des « modèles
du chômage : à des « conventions de qualité » qui facilitent
les biographies d’entreprise » (Eymard-Duvernay, 1989).
professionnelles comme
leur coordination au sein de l’« épreuve »1
L’entreprise est un espace qui articule trois
parcours d’épreuves », qu’est le recrutement  : par exemple, com-
marchés (marchés des produits, du travail et
in Eymard-Duvernay F. ment se comporter pendant un entretien
(éd.) (2012), Épreuves financier), et la notion de « modèle » suggère
d’évaluation et chômage.
d’embauche ? Quelles sont les argumenta-
qu’il existe une cohérence entre les manières
tions autorisées et celles qui sont déplacées ?
[2]
Voir C. Bessy (2012), de coordonner les activités sur ces trois mar-
Il existe toutefois différentes conventions de
« Salaire d’embauche, chés. Sur le marché des produits, on identifie
négociation du qualité en usage dans le monde du travail.
trois grands supports de la coordination avec
contrat de travail et Laquelle choisir pour cadrer l’épreuve d’un
intermédiaires du les consommateurs : le prix, la norme et la
recrutement donné ? Étant donné la relation
recrutement », Relations marque. Si la qualité du produit est résumée
industrielles, vol. 67, asymétrique entre le candidat et l’employeur,
par son prix sur un marché concurrentiel, on
n° 3. en particulier en période de chômage massif,
s’attend à ce que ce modèle « marchand » de
[3] on conçoit que c’est le mode de fonctionne-
Voir le chapitre l’entreprise se répercute sur l’évaluation du
de G. de Larquier, ment de l’entreprise qui conditionne le modèle
travail, certainement lui aussi réduit à son
« Approche macro- d’évaluation pertinent.
économique du prix. Si le produit est évalué à l’aune d’une
marché du travail et norme « industrielle », on s’attend à ce que le
pluralité des modes Recrutements internes et externes candidat soit jugé sur la base de sa qualifi-
d’appariement » in
Bessy C. et Eymard- Par exemple, l’existence d’un marché interne cation ou certification. Dans le dernier cas,
Duvernay F. (éds.) (1997), d’entreprise implique des recrutements la réputation de la marque de l’entreprise
Les intermédiaires du
marché du travail, Paris, externes peu nombreux qui seront situés en « domestique » nécessite celle du travailleur
PUF. bas de la hiérarchie. Le candidat sera évalué dans un réseau de gens de métiers3.

25 RECRUTEMENT ET DÉTERMINATION DU SALAIRE : L’IMPORTANCE DES RÈGLES ET DES CONVENTIONS


Au moment du recrutement, la convention de la capacité à négocier le salaire d’embauche
qualité du travail se concrétise par la mobi- varie selon la nature de l’intermédiaire5. Un
lisation d’un certain nombre de signaux de candidat soutenu par un cabinet de recrute-
la compétence et de vecteurs de l’informa- ment privé bénéficie d’un jugement a priori
tion. Marchal et Rieucau (2010) les qualifient positif qui lui permet de négocier son salaire.
de repères de la coordination. Les candidats En revanche, quelqu’un recommandé par un
sont ainsi différemment évalués selon que ami, s’il cherche à négocier, brise la confiance
l’employeur mobilise les titres scolaires, les que lui confère le réseau.
traits de caractère personnels, les recomman- La valorisation du demandeur d’emploi varie
dations issues d’un réseau de connaissances, ainsi avec la nature de la mise en relation (Lar-
ou encore leur intuition, soit quatre registres quier et Rieucau, 2010). Quand un intermé-
de jugement isolés par Eymard-Duvernay et diaire du placement intervient, il produit des
Marchal (1997) : l’institution, le marché, le repères standardisés destinés à circuler entre
réseau et l’interaction. les différentes personnes qui participent à
l’évaluation (typiquement le code ROME de
Le rôle des intermédiaires Pôle emploi). Dans le cas des réseaux, les per-
sonnes se coordonnent entre elles sur la base
du marché du travail d’informations personnalisées et localisées ;
la confiance interpersonnelle est essentielle
Dans ce texte, les intermédiaires du mar- pour donner de la crédibilité aux parcours.
ché du travail ont été évoqués deux fois : les Dans le cas d’une absence de médiation (can-
bourses qui cotent le prix du travail dans le didatures spontanées), les individus résu-
projet de Molinari et le possible malentendu ment leurs atouts et leurs compétences dans
entre un intermédiaire qui envoie un candidat les rubriques du CV (diplôme, expérience) et
pour un poste alors que l’entreprise cherche défendent eux-mêmes leur parcours. À partir
quelqu’un pour une carrière. De fait, les inter- des enquêtes Emploi de l’INSEE, Larquier et
médiaires jouent un rôle important dans la Rieucau (2010) montrent que chaque type de
mesure où ils doivent aider à l’ajustement médiation sur le marché du travail corres-
réciproque d’une offre et d’une demande, pond à un profil socio-économique spécifique
non pas à la manière d’une bourse de cota- de candidats. Ce ne sont pas les mêmes per-
tion qui publie une information unique, le sonnes qui bénéficieront de la valorisation
prix, mais en permettant au candidat et son positive de tel ou tel intermédiaire.
éventuel employeur de se coordonner sur les
mêmes repères, le prix étant rarement le plus
important. L’intermédiaire peut jouer le rôle La diversité des recrutements
de « traducteur » entre l’employeur, attaché
L’enquête française Ofer (Offre d’emploi et
à sa convention d’évaluation, et un deman-
recrutement) de la DARES, réalisée en 2005,
deur d’emploi dont la candidature, sans
offre un aperçu chiffré de la diversité des [4]
cela, semblerait mal ajustée au recruteur Voir le chapitre
recrutements dans les établissements fran- de G. de Larquier et
(en l’aidant à réécrire son CV, en valorisant
çais du secteur privé. En premier lieu, on G. Rieucau, « Les canaux
une expérience qu’il oublie de mentionner). de recrutement »,
constate la diversité des intermédiaires, et
Dans le cas où l’employeur a confiance dans dans Pratiques de
plus largement des canaux (tableau 1). Les recrutement et
la capacité de l’intermédiaire à traduire ses
candidatures spontanées sont le premier sélectivité sur le marché
attentes, l’intermédiaire pourra élargir les du travail, Rapport de
moyen utilisé par les établissements (23,4 %).
horizons du recruteur ; il peut l’ouvrir à des recherche du Centre
Viennent ensuite les relations profession- d’études de l’emploi,
publics de candidats vers lesquels il ne se 2012.
nelles et personnelles (22,8 %) et, en troisième
tourne pas naturellement, permettant ainsi
position, les intermédiaires publics (18,6 %). [5]
Voir C. Bessy (2012),
de lutter contre la discrimination4. De même,
Le quatrième canal, les annonces (12,3 %), op. cit.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 26


s’avère très faible en comparaison avec le Les canaux diffèrent fortement par le nombre
poids qu’elles occupent sur les marchés hol- de candidatures qu’ils fournissent aux recru-
[6]
Voir Larquier et landais (44,6 %) et britannique (24,7 %) (Bessy teurs6. Dans 35 % des cas, l’établissement n’a
Marchal (2012), op. cit. et Marchal, 2009). reçu ou examiné qu’une seule candidature
par poste à pourvoir. À l’opposé, dans un
cas sur cinq, l’établissement a disposé d’un
1. Part des recrutements imputés à chaque canal
large choix, puisqu’il a reçu plus de dix can-
(en %)
didatures par poste. Dans le premier cas, ce
Candidatures spontanées 23,4 sont le plus souvent des relations profession-
Intermédiaires publics 18,6 nelles ou personnelles qui sont intervenues.
Le marché
Autres intermédiaires 10,8 Dans le second, l’essentiel des candidatures
41,7 provient du marché. Certains canaux ferment
Annonces 12,3
tandis que d’autres ouvrent l’épreuve du
Relations recrutement.
13,9
Le réseau professionnelles
En fait, le tableau 2 met en évidence que
32,6 Relations personnelles 8,9
l’organisation de la sélection varie selon que
Réembauches 9,8 l’employeur a trouvé le « bon » candidat via
Autres cas 2,3 le marché, via le réseau ou via des candida-
Total 100 tures spontanées (Bessy et Marchal 2009).
D’après Bessy et Marchal (2009) Les établissements qui ont recruté via leurs
Source : DARES, Enquête Ofer, 2005. relations sont les moins équipés en personnel

2. Caractéristiques de la procédure de recrutement selon l’origine de la candidature


La candidature de la personne
recrutée est arrivée :
via via une via
candidature
le marché spontanée le réseau
Taille du département ressources humaines
de l’établissement
aucun département 20,5 23,0 30,5
1 personne 28,9 29,5 35,8
2 personnes et plus 50,6 47,5 33,7
Description écrite du poste à pourvoir 71,9* 47,3 33,2
Nombre d’entretiens passés par la personne recrutée
au plus 1 34,9 50,9 58,1
2 42,5 39,7 28,6
3 et plus 22,6 9,4 13,3
Durée totale du recrutement
au plus une semaine 18,1 37,9 41,4
2 à 4 semaines 45,5 44,2 41,1
plus d’un mois 36,4 17,8 17,4
La personne recrutée était déjà connue d’un membre
de l’établissement 11,1 27,4 75,7
D’après Bessy et Marchal (2009)
Source : DARES, Enquête Ofer, 2005.
* Lecture : parmi les recrutements effectués via le marché, 71.9 % ont donné lieu à une description écrite du poste à pourvoir

27 RECRUTEMENT ET DÉTERMINATION DU SALAIRE : L’IMPORTANCE DES RÈGLES ET DES CONVENTIONS


RH et ont des procédures assez légères en ***
moyens mis en œuvre. L’évaluation du candi- Les travaux cités dans cet article proposent
dat a en fait déjà eu lieu, elle est distribuée différentes typologies, théoriques ou empi-
dans le réseau et le temps : dans 75,7 % des riques, de « façons de recruter » ; ces typolo-
cas, le candidat était déjà connu d’un membre gies se recoupent sans vraiment se recouvrir,
de l’établissement. Cela est rarement le cas mais une conclusion générale demeure.
quand il y a médiation par le marché qui Eymard-Duvernay et Marchal (1997) insistent
ouvre l’épreuve. Les établissements qui pro- sur l’indispensable pluralité des conventions,
cèdent ainsi sont les plus équipés ; ils ont le recruteur passant fréquemment de l’une à
également très majoritairement formulé une l’autre pour équilibrer son jugement lors de
description écrite du poste à pourvoir avant l’épreuve. Si, au contraire, le recruteur adopte
de lancer le recrutement, qui est donc d’em- de manière exclusive une seule convention,
blée plus formalisé. De plus, comme le marché sa décision est déséquilibrée car elle renvoie
[7]
amène plus de candidatures, il nécessite des à un seul jugement de qui est compétent et Voir le chapitre
de G. de Larquier et
investigations poussées (plus d’entretiens) qui ne l’est pas. Si cette convention est sui- M. Salognon (2006),
et entraîne une durée de recrutement plus vie par toutes les entreprises, un groupe de « Conventions de qualité
longue. Les recrutements via les candida- personnes jugées irrémédiablement « inem- du travail et chômage
de longue durée », in
tures spontanées ressemblent à ceux passant ployables » apparaît7 ; ce serait le cas des non Eymard-Duvernay F.
par les réseaux (plus légers en moyens) mais diplômés, des personnes de plus de 50 ans ou (éd.), L’Économie des
les candidatures spontanées, plus ouvertes, des chômeurs de longue durée qui seraient conventions, Méthodes
et résultats – Tome 2 :
mènent moins souvent à l’embauche d’une systématiquement écartés lors de la sélection développements, Paris,
personne déjà connue. sur CV. La Découverte.

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BESSY C. et EYMARD- « Conventions de qualité et et en Grande-Bretagne au
DUVERNAY F. (éds) (1997), Les formes de coordination », XXe siècle », Travail et Emploi,
intermédiaires du marché Revue économique, vol. 40, n° 84.
du travail, Cahiers du Centre n° 2. ™ LARQUIER G. DE et RIEUCAU G.
d’Études de l’Emploi n° 36, ™ EYMARD-DUVERNAY F. et (2010), « Trouver ou créer
Paris : Presse Universitaire de MARCHAL E. (1997), Façons de son emploi : compter sur
France recruter : le jugement des soi, sur autrui ou sur les
™ BESSY C. et MARCHAL E. compétences sur le marché institutions ? », Travail et
(2009), « Le rôle des réseaux du travail, Métailié. Emploi, n° 124.
et du marché dans les ™ EYMARD-DUVERNAY F. (éd.) ™ MARCHAL E. et RIEUCAU G.
recrutements. Enquête auprès (2012), Épreuves d’évaluation (2010), Le recrutement,
des entreprises », Revue et chômage, Toulouse, Octarès. Paris, La Découverte, coll.
française de socio-économie, « Repères ».
™ FAVEREAU O. (1999), « Salaire,
n° 3.
emploi et économie des ™ REYNAUD B. (1992), Le salaire,
™ CENTRE D’ÉTUDES DE conventions », Cahiers la règle et le marché, C.
L’EMPLOI (2012), Pratiques de d’économie politique, n° 34. Bourgois.
recrutement et sélectivité sur ™ LARQUIER G. DE (2000), ™ SALAIS R. (1989), « L’analyse
le marché du travail, Rapport « Emergence des services économique des conventions
de recherche n° 72. publics de placement et du travail », Revue
™ EYMARD-DUVERNAY F. (1989), marchés du travail en France économique, vol. 40, n° 2.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 28


Du fait de l’asymétrie entre le salarié et son employeur, le marché du travail est un marché
fortement réglementé. Entre les premières lois du milieu du XIXe siècle, encadrant notamment
le travail des femmes et des enfants, et les lois Auroux de 1982, une construction juridique
ambitieuse a été élaborée, alliant protection individuelle des salariés et droits collectifs. Jean-
Michel Lattes en présente les grandes lignes, avant d’analyser comment, à partir des années
1980, les logiques du droit du travail ont été remises en cause par les mutations économiques
et le revirement vers des politiques plus libérales. Le souci de protéger le salarié cède alors le
pas à celui de préserver l’emploi face aux difficultés économiques.
Problèmes économiques

Un marché fortement réglementé.


Les grandes lignes
du droit du travail en France
 JEAN-MICHEL LATTES La mise en évidence du lien étroit qui existe
entre sa situation dans l’emploi et le contexte
Maître de Conférences en droit privé juridique dans lequel il se trouve1 permet de
à l’Université Toulouse 1-Capitole justifier l’impérieuse nécessité de protéger
Chercheur à l’Institut de droit privé le salarié contre les atteintes subies dans le
cadre de ses activités professionnelles2. Celui-
ci travaille le plus souvent dans un lieu déter-
miné, la Manufacture du XIXe, sous l’autorité
d’un chef d’atelier et, cela, dans le contexte
[1]
Despax M. (1956), On ne peut évoquer le droit du travail en
L’entreprise et le droit,
d’une fragilité juridique caractérisée. L’offre
France et la réalité de son influence sur le
thèse, Toulouse 1, LGDJ. de travail est confrontée à la demande d’em-
marché de l’emploi sans se projeter dans ploi sans autre garde fou que celui des règles
[2]
Lattes J.-M. (2001), notre histoire juridique. Le niveau de notre marchandes organisées par le Code civil
« Le corps du salarié
dans l’entreprise », réglementation sociale a connu de multiples de 1804. Le droit du travail et le droit de la
Mélanges Despax, évolutions, liées dans un premier temps à la protection sociale se combinent alors pour
Presses de l’Université
Toulouse 1, p. 297 à 322.
nécessaire protection du salarié, puis des- construire progressivement le socle d’une
tinées dans une seconde phase à préserver identité nouvelle faisant du salarié une per-
l’emploi face aux conséquences de la crise sonne juridiquement protégée dans son rôle
économique. social grâce à un outil juridique nouveau :

29 UN MARCHÉ FORTEMENT RÉGLEMENTÉ. LES GRANDES LIGNES DU DROIT DU TRAVAIL EN FRANCE


[3]
le contrat de travail3. Entre la première loi un véritable statut du salarié ouvrant de Castel R. (1996), Les
sociale de 1841 sur l’interdiction du travail nouveaux champs juridiques. métamorphoses de la
question sociale, Paris,
des enfants et les lois Auroux de 1982 renfor- Le droit social est cependant placé au cœur Fayard.
çant les droits des salariés et confortant la de mutations dont il est difficile de mesu- [4]
Supiot A. (1994),
représentation du personnel, une construc- rer les conséquences sur le long terme5. La Critique du droit du
tion juridique ambitieuse et originale aboutit volonté du législateur de favoriser l’emploi le travail, Paris, PUF.
à l’élaboration d’un nouvel ordre juridique conduit, dès les années 1980, à assouplir des [5]
Meda D. (1995), Le
mêlant protection individuelle et droits col- règles qui, jusque-là, encadraient strictement travail, une valeur en
lectifs. Le droit du travail organisé autour de la relation de travail alors qu’à l’inverse, le voie de disparition, Paris,
la protection du salarié constitue la matrice Alto-Aubier. Schnapper
contrôle du juge sur la rupture du contrat de D. (1998), Contre la fin du
de cette évolution. travail ne cesse d’être renforcé. Le droit social travail, Paris, Textuel ;
L’évolution du social se heurte cependant Boissonnat J. (1995), Le
européen participe à ces mutations en intro- travail dans vingt ans,
au mur des réalités économiques. Les poli- duisant dans notre législation de nouvelles Paris, Odile Jacob.
tiques dites de déréglementation ou de flexi- orientations dont il convient de prendre la
bilité destinées, à partir des années 1980, mesure.
à lutter contre le chômage, aboutissent à
la remise en cause de la protection quasi-
statutaire progressivement élaborée au pro- La construction
fit de l’homme au travail4. La mutation du
droit du travail vers de nouvelles logiques d’un droit protecteur du salarié
permettant de le qualifier désormais de droit La nature même du travail humain est en
de l’emploi n’est pas sans conséquence sur constante évolution. La fonction de fabri-
le pouvoir juridique attribué à l’employeur cation, base de l’activité industrielle du
dans la libre gestion de son personnel. Sans XIXe siècle, voit sa part peu à peu réduite au
qu’il ne soit possible de parler de boulever- profit des activités de service et la rémuné-
sements, on constate alors l’émergence de ration du salarié est complétée par des pres-
processus contradictoires faisant évoluer tations sociales au détriment des revenus
les perspectives précédentes. L’apparition directs du travail.
d’un droit « à plusieurs vitesses » facili-
tant les choix et les alternatives permet de Le droit du travail participe à ces mutations,
considérer qu’à côté du droit traditionnel du même s’il convient de considérer qu’il les
travail se développe une sorte de deuxième accompagne plus qu’il ne les organise. Le
marché de l’emploi ne respectant pas les passage dans l’entreprise d’un droit exclusi-
fondements de la protection sociale au nom vement civiliste fondé sur la reconnaissance
de la nécessité de créer des postes nouveaux du droit de propriété à un droit nouveau
ou de maintenir l’activité de l’entreprise. Le organisant la place de l’homme au travail, le
droit du travail n’est plus uniquement un droit social, constitue le témoignage évident
outil de protection, il devient un outil de de ces évolutions fondamentales. La régle-
gestion. C’est l’intérêt économique de l’en- mentation du marché du travail est dominée
treprise qui domine, le statut du salarié ne par la volonté de protéger le salarié. Le droit
constituant plus un élément déterminant civil est inadapté, un droit nouveau doit être
dans les relations contractuelles liant les inventé.
partenaires sociaux.
Les fondements patrimoniaux
Le droit du travail a été mis en place pour
réguler le pouvoir de gestion de l’employeur.
de la relation de travail
Le passage d’une logique purement civiliste à Le Code civil de 1804, directement inspiré des
une nouvelle perspective sociale éloignée des orientations prises par le législateur révolu-
référents patrimoniaux a permis d’élaborer tionnaire, maintient le travail humain dans

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 30


[6]
Ewald F. (1989), la catégorie réductrice des biens marchands6. Une mutation est nécessaire qui, sans
Naissance du code civil, Seuls deux articles du nouveau code sont remettre en cause la légitimité de l’interven-
Paris, Flammarion.
consacrés au « contrat de louage de service », tion de l’employeur, en limitera les excès. La
[7]
Avec Germinal, Émile l’objectif du législateur de l’époque étant doctrine juridique prend conscience de la
Zola décrira, quelques
décennies plus tard, la
d’organiser l’étendue et les limites de l’exer- nécessité de désentraver le contrat de tra-
terrible situation des cice du droit de propriété dans ses rapports vail de son carcan civiliste. La perception du
ouvriers de l’époque avec les diverses espèces de biens. L’em- travail évolue et on en vient à considérer que
et les conséquences
de l’absence de droit
ployeur est propriétaire des biens meubles et l’employeur n’achète pas une simple quan-
protecteur. immeubles de l’entreprise. Il peut « en jouir tité de travail mais qu’il dispose en réalité
de la manière la plus absolue ». Pour faire d’une forme de pouvoir sur une personne
fonctionner ses machines, il recrute des sala- qualifiée de productive. De ce constat nova-
riés qui, en s’engageant, se soumettent à son teur naît la nécessité de mettre en place des
autorité sans aucune protection juridique. logiques juridiques originales tenant compte
Cette situation consacre le règne de l’auto- de contraintes que le droit civil ne pouvait
nomie de la volonté, au profit exclusif de intégrer du fait de ses fondements. C’est la
l’employeur, en continuité directe avec les création de la législation du travail.
réflexions dominantes des économistes du Les principales orientations de la première
XVIIIe siècle prônant les vertus du libéra- grande loi sociale, la loi du 22 mars 1841,
lisme. Ce droit marchand du travail demeure témoignent de la prise en compte de la
très éloigné de l’idée même de protection dimension humaine du travail salarié et de la
sociale, les rapports entre les partenaires au volonté affirmée de préserver les ouvriers de
contrat se réduisant à une sphère exclusive- l’emprise excessive du pouvoir patronal. En
ment économique. L’employeur est le « seul interdisant le travail des enfants de moins
maître » dans son entreprise et son pouvoir de huit ans, le droit prend acte du caractère
est sans limite dans une relation d’emploi inacceptable de leur participation physique
par nature déséquilibrée. En ne privilégiant à un dispositif industriel. Les textes qui
personne, le législateur néglige la protection prolongent ces premières orientations par-
des faibles et les règles juridiques égalitaires ticipent à ce mouvement en préservant les
apparaissent dramatiquement inefficaces femmes et, surtout, les mères dans leurs acti-
dans leurs objectifs supposés de correction vités au sein de l’entreprise. Le pouvoir de
des discriminations. l’employeur n’est pas remis en cause mais il
Les conséquences de cette situation sont est encadré lorsqu’il risque de porter atteinte
révélées par le rapport du docteur Villermé de aux personnes.
1840. En dressant le « Tableau de l’état phy- Le rôle de l’État est au cœur de ces débats.
sique et moral des ouvriers employés dans L’autorité publique doit-elle préserver l’en-
les  manufactures de coton, de laine et de treprise en tant qu’entité autonome et ne se
soie », ce médecin décrit la réalité tragique de consacrer qu’à l’organisation et à la régula-
la vie sociale des ouvriers de l’époque, consé- tion de la société qui l’entoure ou, doit-elle,
quence directe de l’absence d’encadrement à l’inverse, participer directement au rééqui-
juridique du pouvoir de direction de l’em- librage des rapports professionnels ? Malgré
ployeur. Rémunérations dérisoires et aléa- l’opposition forte de nombreux responsables
toires, conditions de travail harassantes et économiques, le choix de mettre en place de
dangereuses, journées de travail sans limite nouvelles logiques sociales s’impose pro-
dans le temps, absence de protection des gressivement. Au-delà du seul contrat qui lie
femmes et des enfants, licenciements libres, l’employeur à ses salariés, l’État impose – par
grèves illicites… Au-delà de ces carences le moyen de règles sociales impératives – la
sociales, l’organisation civiliste du travail reconnaissance de nouvelles voies juridiques
humain révèle toutes ses limites7. très éloignées des concepts civilistes.

31 UN MARCHÉ FORTEMENT RÉGLEMENTÉ. LES GRANDES LIGNES DU DROIT DU TRAVAIL EN FRANCE


Le droit du travail, constituent les principaux jalons d’une évo-
outil de protection du salarié lution qui connaît son apogée avec les lois
Auroux. C’est la reconnaissance d’une véri-
L’histoire de la construction du droit du tra- table citoyenneté du salarié au sein de son
vail permet de mesurer les mutations pro- entreprise qui est affirmée dans ces derniers
fondes générées par ces nouvelles logiques textes. « Citoyens dans la cité, les travailleurs
sociales. Sur le terrain des droits collectifs, doivent aussi l’être dans leur entreprise »
la reconnaissance de contrepouvoirs syndi- affirme le ministre de l’époque, témoignant
caux ouvre la voie à l’organisation de rap- ainsi de l’aboutissement d’une évolution
ports sociaux plus équilibrés alors que sur sociale inscrite dans une perspective juri-
celui des droits individuels, le législateur éla- dique totalement autonome.
bore un véritable statut du salarié avec pour
Toutes ces transformations s’inscrivent dans
objectif d’en faire un véritable sujet de droit
le cadre de réflexions fortes centrées autour
et non plus uniquement un être soumis à la
du devenir de la notion d’entreprise. Celle-
loi des marchés et du libéralisme sauvage.
ci n’est plus seulement un patrimoine, elle
La loi du 27 décembre 1890 précise que « la constitue une véritable communauté, cer-
résiliation du contrat par l’effet d’un seul tains préférant parler d’institution sociale8. [8]
La théorie de
peut donner lieu à des dommages et intérêts ». Cette construction, séduisante, ne résiste pas l’institution reprise
dans les travaux de
L’employeur n’a plus la possibilité de rompre à la montée du chômage qui se substitue à M. Hauriou est adaptée
unilatéralement et, surtout, abusivement, la protection du salarié dans les préoccupa- à l’entreprise par
la relation de travail. Les lois sur le repos tions du législateur. P. Durand. Elle est à
l’origine d’un vaste et
obligatoire et le temps de travail, la loi du riche débat doctrinal
27 décembre 1892 relative au règlement des
conflits sociaux, la loi du 25 mars 1919 ins- L’avènement du droit de l’emploi autour de la valeur
du travail de l’homme
(M. Despax, L’entreprise
tituant le régime des conventions collectives et le droit, LGDJ, 1957).
La nécessaire protection de l’emploi entraîne
constituent le socle d’une nouvelle orienta-
le législateur vers des chemins nouveaux,
tion du droit français s’éloignant définitive-
bien différents de l’évolution ayant conduit à
ment des principes fondateurs du droit civil.
l’élaboration des normes sociales destinées à
Le pouvoir de l’employeur ne vient plus du
protéger le salarié. Cette mutation des choix
droit de propriété, il participe aux nécessités
politiques et économiques conduit le légis-
de fonctionnement du nouvel ensemble social
lateur à libérer le pouvoir de l’employeur au
que constitue l’entreprise. Ses droits ne sont
détriment de certains droits parfois anciens
plus « personnels et absolus » – par référence
reconnus aux salariés.
au Code civil – mais « sociaux et relatifs ». La
prise en compte de la dimension humaine de la Pourtant, s’il voit sa tâche facilitée dans ses
relation de travail fragilise des choix contrac- choix de gestion, il subit à l’inverse un enca-
tuels contraints de respecter de nouvelles pro- drement de plus en plus étroit de ses déci-
tections élaborées en vue de créer un véritable sions économiques lorsque celles-ci sont
statut protégeant la personne du salarié. susceptibles de déboucher sur des sup-
pressions de postes. Les conséquences sont
Le Front populaire entraîne une accélération
aisément mesurables, tant au niveau de la
de ce processus. La réduction du temps de
situation personnelle des salariés que dans
travail, les garanties de rémunération, la libre
le fonctionnement même de l’entreprise.
détermination collective des relations de tra-
vail, l’organisation et le renforcement de la Le retour à des logiques
représentation du personnel, la participation
des salariés aux résultats de l’entreprise,
économiques
l’encadrement du droit du licenciement, l’or- Le droit du travail est aujourd’hui soumis à
ganisation de la prévention dans l’entreprise de nouvelles logiques qui se révèlent à la fois

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 32


évolutives et contradictoires. Afin de favori- Le mythe du contrat stable disparaît, les rela-
ser l’emploi, le législateur en a fait un outil de tions professionnelles devenant majoritaire-
gestion technique, au risque de renoncer à sa ment précaires. Ce mouvement est amplifié
fonction première de protection des salariés. par de nouveaux contrats, tous inscrits dans
Le droit social devient le principal moyen cette perspective de précarité, facilitant de
de favoriser, chez l’employeur, la décision plus en plus la liberté de gestion de l’em-
de créer des emplois. Les règles impératives ployeur. Le droit de l’emploi participe direc-
qui constituaient la force des grands textes tement à la « désinsertion professionnelle »
sociaux sont peu à peu remplacées par des de l’homme au travail. Le salarié n’intègre
dispositifs « évitables », l’employeur se voyant pas véritablement l’entreprise. Il n’en par-
offrir des alternatives et des choix dans la tage pas les valeurs et, de fait, il ne peut en
gestion du personnel de son entreprise. comprendre des finalités dont il se sent exclu.
L’étude de l’évolution de la mesure du temps
On peut situer au début des années 1980 de travail confirme notre analyse. Les textes
cette mutation fondamentale de notre régle- récents renforcent les capacités d’interven-
mentation sociale. En effet, si les lois Auroux tion des employeurs dans la recherche de
constituent, dans leur mise en place, un corps l’amélioration de la rentabilité de la produc-
de règles parfaitement inscrites dans la tra- tion de leur entreprise. Les cadres tradition-
dition juridique française antérieure, elles nels de l’organisation du temps du travail
apparaissent aujourd’hui dans notre histoire (journée de 8 heures, semaine de 39 heures
sociale comme l’ultime aboutissement d’une puis de 35 heures…) cèdent le pas à des
logique révolue. Dans un contexte de crise horaires qualifiés de « dérogatoires ». De la
où le chômage devient le problème majeur modulation du temps de travail, on passe à
de nos sociétés, l’excès de règles protectrices son annualisation, le schéma classique de
est analysé comme un facteur majeur de la l’activité insérée dans un espace délimité et
dégradation du marché du travail en décou- commun à tous étant désormais inscrit dans
rageant les initiatives des entrepreneurs. La l’exception. La rémunération du salarié n’est
crainte de ne pouvoir assumer un recrute- pas épargnée par ce grand mouvement de
ment et, surtout, de ne pouvoir alléger libre- flexibilité. Sans que l’on puisse considérer
[9] ment la masse salariale, semble participer au que les bases du droit social en général, le
L’exemple des
contrats à durée maintien d’une situation de sous-emploi. SMIC en particulier, ont subi le même sort
déterminée (CDD) que les textes relatifs au choix du type de
illustre particulièrement Pour les responsables politiques, la finalité contrat de travail ou que ceux permettant de
cette tendance. Alors
que l’ordonnance de la norme sociale ne doit plus être de pro- déterminer le temps de travail, le problème
Mauroy du 6 février 1982 téger le salarié mais, en priorité, de facili- du coût du travail n’en constitue pas moins
s’efforce d’en limiter ter son employabilité par l’assouplissement
l’usage pour éviter
une préoccupation majeure, les dirigeants
le développement de des contraintes juridiques pesant sur l’em- d’entreprise n’hésitant plus à mettre le main-
l’emploi précaire, la loi ployeur. Le mot « flexibilité » s’inscrit peu à tien des emplois dans la balance des négocia-
du 25 juillet 1985 et
les textes qui suivent
peu dans le langage social au point de deve- tions salariales.
vont, au contraire, nir un critère majeur dans la mise en œuvre Trois groupes de salariés se détachent de
ouvrir le champ de leur de mutations juridiques inscrites dans l’évo-
utilisation. La nécessité
notre dispositif juridique : les salariés
de relancer le marché lution de nos sociétés, tenues de prendre en « stables » bénéficiant des dispositifs sociaux
du travail s’impose compte le poids de l’environnement inter- anciens, les salariés « précaires » inscrits
face aux réflexions
alarmistes relevant
national. Le rapport traditionnel de subor- dans des logiques flexibles et fragiles et les
les conséquences dination caractérisant la relation de travail salariés « externalisés » ne bénéficiant plus
générées par la fragilité ne résiste pas à cette évolution ; un droit de des protections mises en place par notre
sociale dans laquelle se
trouvent les titulaires de l’activité se substitue peu à peu à un droit dispositif social. Le droit du travail cède,
ce type de contrats. protecteur des salariés9. comme au siècle dernier, à la domination des

33 UN MARCHÉ FORTEMENT RÉGLEMENTÉ. LES GRANDES LIGNES DU DROIT DU TRAVAIL EN FRANCE


penseurs libéraux. L’échange « rémunération Le contrôle de la procédure du licenciement
contre travail » n’est plus organisé autour du économique peut sembler, a priori, détaché
salarié mais correspond à une simple prise du contrôle du motif de la rupture. Les exi-
en compte de « capacités ou de produits ». Le gences nouvelles des juges sur ce terrain par-
droit n’est plus qu’un moyen d’optimisation ticipent, en fait, très largement au contrôle
de cet échange. du pouvoir de gestion de l’employeur. La loi
du 27 janvier 1993 permet au juge d’étendre
La recherche son intervention sur deux domaines essen-
de nouveaux équilibres tiels : l’obligation de reclassement et le
devoir d’adaptation. L’arrêt Expovit illustre
Par opposition aux tendances qui précè- cette nouvelle donnée, la Cour affirmant que
dent, il est nécessaire de mettre en évidence « l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi
l’orientation spécifique prise par le droit de le contrat de travail, a le devoir d’assurer
la rupture de la relation de travail du fait de l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs
l’intervention de juges désormais placés au emplois ». Au-delà du contrôle, déjà envisagé,
cœur de nouvelles problématiques sociales du motif du licenciement, c’est un véritable
en raison de leurs responsabilités dans le contrôle de l’attitude de l’employeur face à
[10]
contrôle des licenciements économiques10. des difficultés économiques que développe Lattes J.-M. (1999),
Cette mutation apparaît comme directement « L’évolution du contrôle
le juge, le licenciement ne devant apparaître judiciaire de la décision
liée à la mise en place d’un droit protégeant que comme une solution ultime. Les syndi- de licenciement », Actes
en priorité l’emploi. Le juge se voit attribuer cats d’employeurs s’insurgent contre cette du colloque « Décisions
une responsabilité de plus en plus impor- et Gestion », Presses de
évolution en considérant que l’on retrouve l’Université Toulouse 1,
tante par des textes réduisant, en la matière, dans l’entreprise l’omniprésence d’un pou- p. 405.
l’autonomie de l’employeur. voir judiciaire sans lien avec les réalités éco- [11]
Ce terme apparaît
Si le juge ne conteste que rarement la réalité nomiques. Les manifestations de ce pouvoir comme une contraction
du motif invoqué par l’employeur, celui-ci sont aisément mesurables dans la jurispru- entre flexibilité et
sécurité. On utilise
doit demeurer précis et sérieux. Les arrêts dence contemporaine : contrôle de la mesure
parfois la contraction
TRW Repas et Videocolor illustrent cette même de la réalisation de l’obligation de « flexicurité ». Ce
situation, la Cour de Cassation considérant reclassement y compris dans la recherche de modèle, issu des pays
de l’Europe du Nord,
qu’une « réorganisation ne peut constituer solutions diversifiées non prévues par l’em- s’efforce de combiner
un motif économique que si elle est effectuée ployeur, vérification du respect de l’ordre des la flexibilité de la
licenciements, contrôle de l’élaboration et du gestion économique
pour sauvegarder la compétitivité du sec- de l’entreprise avec la
teur d’activité ». Les difficultés économiques respect du plan social… nécessaire protection
doivent s’apprécier au regard de l’activité des salariés.
C’est un véritable « droit de l’alternative au Cf. Charpail C. et
du groupe auquel appartient l’entreprise où Marchand O. (2008), « La
licenciement » qui se met en place, les juges
s’organise la suppression d’emploi. La Cour flexisécurité en Europe »
ne faisant que s’inscrire dans une évolution in L’Emploi, nouveaux
remet en cause la qualification économique
juridique globale. La loi dite de « modernisa- enjeux 2008, INSEE
invoquée en cas de « simple ralentissement Références ; Morange P.
tion du marché du travail » du 27 juin 2008
des ventes », de « légère baisse d’activité », (2010), La flexisécurité à
constitue, en la matière, un nouvel exemple la française, Rapport de
du « coût élevé d’un salaire pourtant compa-
de flexibilisation du droit du travail. La loi l’Assemblée Nationale
tible avec la situation économique de l’entre- du 28 avril 2010.
crée, en effet, un nouveau mode de rupture du
prise »… Les juges n’hésitent plus à contrôler
contrat de travail, la rupture conventionnelle,
jusqu’à l’origine de certaines difficultés éco-
traduisant la recherche d’un point d’équilibre
nomiques pour remettre en cause le motif
entre la gestion et la protection des salariés :
avancé par l’employeur. Le motif économique
« la flexisécurité »11.
est alors admis pour sauvegarder la compé-
titivité de l’entreprise et non dans le simple
but d’en augmenter les bénéfices. ***

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 34


[12]
Si le traité de Rome Le droit du travail est aujourd’hui placé La réglementation du marché du travail a
du 25 mars 1957 est au cœur de mutations qui participent à sa longtemps permis de protéger l’homme au
avant tout un texte à
finalité économique, déconstruction, même si l’intervention des travail. Placé dans un environnement juri-
l’Acte unique de juges permet, dans certains domaines, d’en dique de qualité, le salarié pouvait trouver un
1986 mais, surtout, le
traité de Maastricht
limiter les effets. Le droit européen aboutit, véritable équilibre entre les contraintes pro-
de 1992 permettent de son coté, à atténuer ces évolutions en intro- fessionnelles qu’il subissait et les avantages
l’introduction et le duisant de nouveaux modes de régulation. qu’il retirait de son travail. Le mal-être au
développement d’un
véritable droit social
Alors qu’il est d’usage de constater, le plus travail traduit la dégradation de conditions
européen. Cf. Lyon- souvent pour s’en plaindre, l’absence d’Eu- d’emploi dans lesquelles les contraintes
Caen A. (2012), Droit rope sociale12, la mise en place par l’Union économiques dominent à nouveau la créa-
social international et
européen, Paris, Dalloz.
européenne de règles juridiques protectrices tion juridique malgré l’intervention correc-
des salariés dans les dispositifs profession- trice des juges sociaux et l’émergence d’une
[13]
La formalisation du nels constitue une réalité dont il est possible Europe sociale en devenir.
contrat de travail, les
prémices de la mesure de mesurer les premiers effets13.
du temps de travail, la
mise en place de règles
contraignantes dans le
domaine de l’hygiène
et de la sécurité, la
prise en compte des
mutations d’entreprise,
l’organisation
d’un embryon de
représentation du
personnel… stabilisent
quelque peu un droit
dont les orientations
nationales amènent
à s’interroger sur la
finalité. Cf. Desbarats
I. (1995), « À propos du
Comité d’entreprise
européen », Les Petites
Affiches du 30/06/1995 ;
Teyssié B. (1996), « Le
comité d’entreprise
européen : de la directive
à la loi », Semaine sociale
Lamy du 13/05/1996,
no 792, p. 2 ; Supiot A. et
al. (1996), Manifeste
pour une Europe
sociale, Paris, Desclée de
Brouwer.

35 UN MARCHÉ FORTEMENT RÉGLEMENTÉ. LES GRANDES LIGNES DU DROIT DU TRAVAIL EN FRANCE


Une des spécificités du marché du travail est d’être fortement segmenté, de telle sorte qu’il
n’y a pas un mais des marchés du travail, fonctionnant selon des règles de rémunération et de
mobilité différentes. Les économistes distinguent notamment un marché primaire, sur lequel
l’emploi est stable et les salaires progressent à l’ancienneté ; et un marché secondaire carac-
térisé par une précarité de l’emploi et des rémunérations faibles, qui servent aux entreprises
à absorber les chocs conjoncturels. Après une comparaison entre les principales économies
avancées, Aline Valette-Wursthen fait le point sur les évolutions récentes de la segmentation
du marché du travail français, notamment dans le contexte de la crise. Si la segmentation des
emplois n’a pas beaucoup progressé, celle des salariés s’est renforcée, avec des chances de
mobilité d’un segment à l’autre plus faibles qu’auparavant.
Problèmes économiques

La segmentation des marchés


du travail dans les pays avancés :
état des lieux, évolutions
Si on parle de « marché » du travail pour
désigner le lieu virtuel où s’échangent une
 ALINE VALETTE-WURSTHEN
offre et une demande de travail, il n’en reste Économiste
pas moins que c’est un marché tout à fait Chargée de mission partenariats régionaux au CEREQ
particulier, qui ne fonctionne pas selon les
règles économiques classiques. C’est dans
les années 1950 (Kerr, 1954), puis surtout
au début des années 1970, qu’ont été for- différents segments du marché du travail et
malisées les théories dites de la segmen- leur structuration, nous présenterons la seg-
tation du marché du travail (Doeringer et mentation du marché du travail français, à la
Piore, 1971). Traiter de ce thème conduit à fois dans ses aspects de long terme et dans
évoquer l’éclatement de ce marché, et, au- les tendances plus récentes liées à la crise
delà, à décrire son fonctionnement. Après économique. En parallèle, les cas d’autres
être revenu rapidement sur les éléments de pays seront abordés (Royaume-Uni, États-
base de la théorie de la segmentation, les Unis, Allemagne, Japon).

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 36


La théorie de la segmentation interne. Doeringer et Piore (1971) définissent
le marché interne comme « une unité admi-
du marché du travail nistrative dans laquelle le prix et l’allocation
du travail sont gouvernés par une gamme
Dans la théorie néo-classique du marché de règles administratives et de procé-
du travail, celui-ci est considéré comme un dures » et non directement par des variables
marché comme un autre où offre et demande économiques.
se régulent en fonction du prix. Or, dès les – le segment secondaire possède les carac-
années 1950, dans les États-Unis de l’après- téristiques opposées : les salaires y sont
guerre, Kerr (1954) met en avant son caractère faibles, les emplois précaires et la rotation
« balkanisé », c’est-à-dire le fait qu’il n’existe importante, et les salariés ne disposent pas,
pas un mais des marchés du travail. S’op- en général, de perspectives de carrière au
posent alors : sein de l’entreprise. Les entreprises du mar-
– un marché du travail externe où offre et ché secondaire sont plutôt de petite taille.
demande se rencontrent de façon classique et Il s’agit donc autant, voire plus, d’une parti-
s’ajustent en fonction du prix ; tion entre types d’entreprises qu’entre types
– et un marché institutionnalisé, ou fermé, d’emploi, puisque ce sont les règles que se
sur lequel ce sont des règles administratives donne l’entreprise qui définissent le marché
(de recrutement, d’avancement, de fixation du primaire. Le phénomène de segmentation du
salaire…) qui régissent le marché et non le marché du travail est lié au fait que la mobi-
prix. Il prend deux formes : lité des travailleurs entre les deux catégories
d’emploi est très limitée, les premiers étant
• un marché organisé « selon le métier », sur
rationnés.
lequel la mobilité se fait de façon horizon-
tale, entre entreprises sur la base d’une forte
reconnaissance de la qualification ;
De nombreux segments
Un peu plus tard, les auteurs à l’origine de
• et un marché organisé « selon la produc-
la théorie du dualisme ainsi que d’autres, ont
tion » qui favorise la mobilité verticale des
évolué vers une représentation du marché du
salariés au sein d’une même entreprise.
travail qui comporte un plus grand nombre
Ces trois formes de marché du travail seront de segments et/ou de types de marché du
reprises ensuite par les différents courants travail.
hétérodoxes.
Tout d’abord, la segmentation entre marché
interne et marché externe a été mise en avant
Le dualisme du marché du travail
à l’intérieur même de l’entreprise. Celle-ci,
Au début des années 1970, Doeringer et Piore pour une partie de son activité, va constituer
(1971) développent la théorie du « dualisme un marché interne, stabiliser des salariés
du marché du travail » et opposent ainsi et, pour d’autres activités, va proposer des
deux segments qui différencient deux types emplois de courtes durées, instables, notam-
d’entreprises. ment compte tenu des incertitudes de son
– sur le segment primaire, les salaires sont environnement. Par exemple, une entreprise
élevés, les emplois stables et les perspectives industrielle peut fonctionner avec des sala-
de carrière importantes. Ce secteur est sur- riés permanents en CDI occupant des emplois
tout formé de grandes entreprises, qui ont qualifiés et employer, en parallèle, un grand
constitué un marché interne du travail : la nombre d’intérimaires ou de salariés en CDD
promotion des individus, leur carrière et leur pour d’autres activités.
rémunération sont déterminés en grande par- Dans les années 1980, l’analyse sociétale
tie par leur évolution au sein de ce marché développée par Maurice, Sellier, Silvestre

37 LA SEGMENTATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL DANS LES PAYS AVANCÉS : ÉTAT DES LIEUX, ÉVOLUTIONS
(1982) en France, ou ses enrichissements par
Marsden (1989) au Royaume-Uni, distinguent Un tour d’horizon de la segmentation
outre le marché secondaire, deux autres seg-
ments, qui rappellent la typologie de Kerr
du marché du travail
(1954) : le marché interne et le marché profes-
sionnel. À partir de travaux de comparaison France et Royaume-Uni
internationale, notamment dans le cas de la Dans les années 1970 et 1980, la France se
France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, caractérise par des marchés internes domi-
sont définis : nants : pour la majorité des salariés qualifiés,
la relation d’emploi est stable ; le Royaume-
– un marché professionnel sur lequel les
Uni se distingue en revanche par la prévalence
qualifications sont reconnues à l’extérieur de
des marchés professionnels, d’une mobilité
l’entreprise, les emplois qualifiés ouverts au
plus grande. Entre les années 1980 et 2000, la
recrutement externe et la mobilité des sala-
structure du marché du travail français a peu
riés qualifiés élevée du fait des perspectives
évolué (Valette, 2007). Il se compose, en 2001,
de carrières liées à la mobilité externe ;
de trois principaux segments : un marché dit
– un marché interne sur lequel les qualifi- interne « supérieur » caractérisé par une forte
cations s’acquièrent par l’expérience dans stabilité de l’emploi (définie à partir du rap-
l’entreprise et ne sont donc pas directement port entre l’ancienneté dans l’entreprise et
transférables. La carrière se construit dans l’ancienneté sur le marché du travail) et des
l’entreprise par la mobilité interne, et la salaires élevés ; un marché interne dit « infé-
main-d’œuvre qualifiée est stabilisée dans rieur » qui, certes, témoigne d’une forte sta-
l’entreprise par un ensemble de règles ; bilité d’emploi, mais de niveaux de salaire et
de qualification faibles ; et enfin, un marché
– un marché secondaire, tel que défini dans secondaire sur lequel l’instabilité d’emploi
les premières théories de la segmentation. Il est forte, les mobilités principalement liées
regroupe des emplois précaires, peu qualifiés, à des fins de contrats, et les salaires faibles.
avec des niveaux de salaire faibles. Le marché professionnel, avec des salariés
Au-delà des différences de dénomination qualifiés, de hauts niveaux de rémunération
des segments du marché du travail, deux et une forte mobilité au sein d’une même pro-
éléments essentiels sont à retenir : chaque fession n’apparaît que faiblement.
segment du marché du travail est caractérisé Au Royaume-Uni, les évolutions entre les
par des procédures spécifiques et la mobilité années 1980 et le début des années 2000 sont
entre segments est faible. également marginales. On retrouve, aux deux
[1]
Notre panorama
ne rend pas compte
1. Les principales catégories de marché du travail1 de l’ensemble des
analyses développées
Auteurs Segments du marché du travail et des différents
courants au sein des
Marché institutionnalisé théories traitant de
Kerr (1954) Marché externe la segmentation du
Selon la production Selon le métier marché du travail, mais
Marché primaire uniquement de ceux
mentionnés dans le
Doeringer et Piore sur lequel se trouvent les texte. Si le lecteur veut
Marché secondaire
(1971) entreprises ayant construit approfondir ce domaine,
des marchés internes des auteurs comme
Osterman (1982, 1994),
Maurice, Sellier, Grimshaw et Rubery
Silvestre (1982) Marché externe Marché interne Marché professionnel (1998), Michon (1981)
ou Petit (2002) sont à
Marsden (1989) étudier.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 38


dates, les trois segments suivants : un mar- et d’activités pour assurer plus de flexibilité
ché interne supérieur qui combine stabilité aux entreprises. L’opposition binaire entre
en emploi et salaires élevés, un marché pro- cœur et périphérie se renforce, certains sala-
fessionnel sur lequel des salariés qualifiés riés sont toujours sur des marchés primaires
réalisent leur carrière par le biais de la mobi- mais leur nombre se réduit face à une montée
lité entre entreprises et donc allient faible des salariés de la périphérie.
stabilité et haut salaire, et un marché externe
combinant instabilité d’emploi, précarité et
bas salaire. Vers une généralisation
Allemagne
de l’instabilité de l’emploi
Le cas allemand se rapproche de cette situa-
et des marchés secondaires ?
tion, avec un marché du travail composé de Si on revient au cas français, des études plus
trois segments. Un marché primaire, sur récentes ne démontrent pas de façon signifi-
lequel les salariés évoluent au sein de leur cative la fin des marchés internes, de la sta-
entreprise par l’intermédiaire d’un marché bilité dans l’emploi, notamment à travers
interne protecteur. C’est le cas du service les anciennetés moyennes des salariés. Pour
public, des grandes industries et des ser- autant, le discours d’une instabilité crois-
vices de type banque-assurance. Un marché sante sur le marché du travail reste prégnant.
professionnel en lien direct avec le système Comment l’interpréter ?
éducatif dual allemand, dans lequel l’appren-
Si l’instabilité sur le marché du travail ne
tissage est très développé et la reconnais-
s’est pas autant développée qu’on a pu le dire,
sance des qualifications professionnelles très
tout particulièrement pour les salariés d’âge
grande. La mobilité des salariés qualifiés, du
médian (30-55 ans), deux phénomènes ali-
bâtiment ou des secteurs de haute technolo-
mentent cette idée. D’un côté, les embauches
gie, entre entreprises, est donc profitable et
se font très largement sur la base de contrats
très développée. Enfin, on trouve un marché
précaires, à durées déterminées. Ainsi, les
du travail secondaire lié à des emplois peu
flux d’entrée sur le marché du travail alimen-
qualifiés et précaires.
tent plutôt un marché de type secondaire et
les jeunes en sont les premiers affectés. D’un
États-Unis autre côté, ce n’est pas la stabilité de certains
Dans le cas des États-Unis, si la situation des salariés qui baisse mais c’est la polarisation
années 1990 se caractérise par un triptyque qui s’accroît entre d’un côté des salariés tou-
marché primaire supérieur, marché primaire jours aussi stables et d’autres qui sont tou-
inférieur et marché secondaire, la recherche chés par une précarité croissante. On assiste
de flexibilité amène les analystes à parler in fine à un renforcement de la segmentation
d’une situation duale pour ces dernières du marché du travail au début des années
années. Les entreprises développant des mar- 2000, avec des différences plus tranchées
chés internes sont moins nombreuses et le entre salariés stables et instables.
marché primaire se réduit comparativement Des transformations apparaissent aussi
au marché secondaire qui s’étend. Les emplois dans le mode d’organisation des segments
stables se réduisent, les évolutions internes du marché du travail. Ainsi, sur le marché
sont bien moins nombreuses et l’insécurité interne, le fait de demeurer dans la même
de l’emploi grandit. La logique de marché entreprise n’apporte plus autant d’avan-
régule de façon croissante les relations sur tages salariaux qu’avant et l’ancienneté pro-
le marché du travail, à l’instar de l’externa- tège moins du risque de chômage. Le recul
lisation d’un nombre croissant de fonctions des marchés internes, s’il est pris au sens

39 LA SEGMENTATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL DANS LES PAYS AVANCÉS : ÉTAT DES LIEUX, ÉVOLUTIONS
de la fin d’une rémunération systématique à socio-professionnelles mais pas au sein d’une
l’ancienneté, peut difficilement être contre- même catégorie ; or, ce sont ces mobilités qui
dit. Pour autant, il s’agit plus d’un phéno- sont les plus fréquentes.
mène d’individualisation des rémunérations,
Le marché interne reste donc important et
moins généralisé qu’on pourrait le penser
structurant sur le marché du travail français.
et qui n’exclut pas un principe de séniorité,
Pour autant, le marché externe se développe
et d’augmentations individuelles de rému-
également. Comme nous l’avons évoqué plus
nération en parties liées à l’ancienneté. Par haut, les évolutions de ces dernières années
contre, la question de la mobilité interne, du vont dans le sens d’une cohabitation au sein
fait qu’elle se maintienne, recule ou se déve- d’une même entreprise, d’une logique de mar-
loppe, ne peut pas réellement être tranchée ché interne d’un côté, et d’un volet de sala-
au vu des études disponibles. Trop de fac- riés gérés selon les règles du marché externe
teurs entrent en jeu sans pouvoir être isolés de l’autre. Les firmes cherchent à s’assurer
(vieillissement de la population, effets de la un volant de main-d’œuvre flexible pour
conjoncture, effet du déclassement en début absorber des chocs conjoncturels sans avoir
de carrière…) et les nomenclatures sont trop à « toucher » au marché interne. Le marché
agrégées pour réellement appréhender les externe concerne également les plus petites
mobilités internes. À titre d’exemple, on peut entreprises qui n’offrent souvent pas ou peu
rendre compte des mobilités entre catégories de perspectives d’évolution en interne.

1. L’évolution des degrés de stabilité en emploi en France et au Royaume-Uni entre 1982 et 2001


% FRANCE % ROYAUME-UNI
60,00 60,00

50,00 50,00 48,5 49,7

40,00 40,00
33,6 32 32,1
30,00 30,00
26,3
22,7 21,5 22,1 21,8
20,00 17,5 18,4 20,00
15,2 15,3
13,2
10
10,00 10,00

0,00 0,00
moins d’1/4 de 1/4 à 1/2 de 1/2 à 3/4 plus de 3/4 moins d’1/4 de 1/4 à 1/2 de 1/2 à 3/4 plus de 3/4

1982 2001

Note : Le degré de stabilité dans l’emploi présenté ici est calculé à partir du ratio entre l’ancienneté dans l’emploi actuel et
l’ancienneté sur le marché du travail (ou expérience professionnelle potentielle puisqu’il s’agit de la différence entre l’âge de
fin d’études et l’âge au moment de l’enquête). Ce ratio est donc compris entre 0 et 1 : 1 si l’individu a passé l’ensemble de sa vie
professionnelle dans le même emploi, ½ s’il a passé la moitié de sa vie professionnelle son emploi actuel et ainsi de suite.

Commentaire : Ces graphiques illustrent la polarisation sur les marchés du travail : en France, notamment, on constate une
forte proportion de salariés stables (degré de stabilité supérieur ¾) et une forte proportion de salariés instables (degré de
stabilité inférieur à ¼). Entre 1982 et 2001, on observe une progression de la part des salariés situés à chaque extrémité, ce qui
montre que cette polarisation s’est renforcée.

Sources : GHS 1983 et LFS 2001, in Valette (2007).

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 40


Une segmentation des individus De façon parallèle, des travaux sur le marché
du travail japonais pointent une dualisation
plus que des entreprises : croissante de celui-ci. D’un côté, se maintient
un ensemble d’emplois permanents, à temps
une opposition stabilité/insécurité plein, avec de bons niveaux de salaires qui
offrent des perspectives d’évolution, de for-
exacerbée par la crise mation… et de l’autre, se développe un pan
d’emplois précaires, souvent à temps partiels,
Il apparaît donc que les marchés du travail associés à de faibles niveaux de rémunéra-
sont de plus en polarisés, entre d’un côté des tions, à l’absence de perspectives d’évolution
salariés stables, qui le sont toujours autant ou d’accès à la formation.
qu’avant, et des salariés pris dans le cercle
Le contexte actuel de crise économique a ten-
de la précarité, pour qui les emplois, et les
dance à maintenir, voire à renforcer la seg-
passages par le chômage se succèdent et qui
mentation des marchés du travail.
ont moins de chances qu’auparavant d’inté-
grer les marchés internes. Ainsi, la mobi- Le chômage se concentre dans un premier
lité des salariés en général ne s’accroît pas temps sur la main-d’œuvre la plus éloignée
de façon spectaculaire mais, en revanche, la des marchés internes, les jeunes et les sala-
part des mobilités subies se renforce, parti- riés les moins qualifiés. Les emplois précaires
culièrement celles liées aux fins de contrats le deviennent de plus en plus (temps de tra-
temporaires, ainsi que les passages par le vail courts, périodes d’emploi limitées), et les
chômage entre deux séquences d’emploi. Le passages par le chômage s’accroissent faute
marché du travail français se caractériserait d’opportunités d’emploi. Les salariés fragili-
donc plus par une segmentation au sein de sés sont maintenus en situation de précarité,
la population active, entre individus stables voire de chômage. La première phase d’ajus-
et individus inscrits dans le long terme sur tement sur le marché du travail liée à la crise
le marché externe, voire en situation d’exclu- est donc celle d’un ajustement, via le mar-
sion du marché du travail et donc durable- ché externe (moins d’emplois d’intérim, de
ment au chômage. CDD…), qui fait glisser une partie des sala-
riés du marché externe vers le chômage. Une
L’analyse des Enquêtes emploi de l’INSEE sur seconde phase se caractérise par un dévelop-
la période 1982-2009 met en avant cette dua- pement de la flexibilité interne (ajustement
lisation (Amossé, Ben Halima, 2010). « D’un du temps de travail, chômage partiel ou tech-
côté, on observe une hausse de la mobi- nique), avant de passer à une troisième phase
lité (changements d’employeur, transitions qui correspond à des suppressions de postes
depuis ou vers le chômage), qui est restée et/ou les non-renouvellements au sein même
au cours des années 2000 à un niveau plus des emplois stables du marché interne (plans
élevé qu’antérieurement ». Cette hausse de sociaux, encouragement des départs volon-
la mobilité s’est concentrée sur les emplois taires, non remplacement des départs à la
les moins qualifiés et le secteur privé. « De retraite…).
l’autre, la part des travailleurs stables, i.e. Les effets de la crise sur les marchés du tra-
qui ont passé plus des trois-quarts de leur vail, même si leur segmentation est très lar-
carrière chez le même employeur, a aussi gement structurelle et évolue peu, se font
augmenté ». L’accroissement de la stabilité a sentir via la contraction des embauches, le
surtout profité aux emplois qualifiés (cadres faible dynamisme des marchés internes, qui
et professions intermédiaires) et se retrouve renvoient nombre de salariés vers le marché
dans les grandes entreprises ou le secteur externe. De façon cumulative, les constats
public. de dualisation croissante entre emplois

41 LA SEGMENTATION DES MARCHÉS DU TRAVAIL DANS LES PAYS AVANCÉS : ÉTAT DES LIEUX, ÉVOLUTIONS
stables d’un côté, et hausse des mobilités de devient la règle. La crise économique actuelle
l’autre, croisent des « effets de génération ». renforce donc la polarisation du marché du
La hausse de la stabilité concernerait un travail et accroît les difficultés des salariés
nombre limité de générations (nées entre 1944 les plus précaires.
et 1963) alors que la part des mobilités croît De façon générale, dans l’ensemble des pays
au fil des générations. Entre 2008 et 2010, les européen, et au-delà, la crise économique
effets de la crise se ressentent à travers une se caractérise par une crise de l’emploi. Les
baisse des contrats à durée indéterminée et emplois à durée limitée, des temps partiels
une progression des contrats à durée déter- courts et les pertes d’emplois (fin de contrats
minée. La qualité des emplois retrouvés par courts mais également licenciements) se mul-
les victimes de la crise se dégrade, l’accès aux tiplient et renforcent ainsi la part que repré-
emplois stables est « bloqué » et le maintien sentent les marchés externes du travail.
sur le segment externe du marché du travail

POUR EN SAVOIR PLUS


™ AMOSSÉ T. et BEN HALIMA M. Market », in Bake et al., Labor ™ VALETTE A. (2007),
(2010), « Mobilité et stabilité and Economic Opportunity, Renouvellement de la
sur le marché du travail : une MIT Press, Wiley. segmentation des marchés
dualisation en trompe-l’œil », ™ MAURICE M., SELLIER F. et du travail français et
Connaissances de l’emploi, SILVESTRE J-J. (1982), Politique britannique ? Une approche
4 pages du CEE, n° 75. d’éducation et organisation par les salaires et la stabilité
™ DOERINGER P. et PIORE M. industrielle en France et en d’emploi, Thèse de doctorat,
(1971), Internal Markets Allemagne, Paris, PUF. Université de la Méditerranée.
and Manpower Analysis, ™ MARSDEN D. (1989), Marché
Lexington. du travail. Limites sociales
™ KERR C. (1954), « The des nouvelles théories,
Balkanization of Labor Economica, Paris.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 42


Le marché du travail est traversé par de multiples inégalités, portant sur les salaires, l’ac-
cès à l’emploi et à certains postes ou professions, et touchant des catégories de population
variées (femmes, jeunes, seniors, immigrés…). Ces inégalités reflètent-elles des effets de
structure entre les différents groupes ou sont-elles le résultat de discriminations de la part
des employeurs ? Cette question, fondamentale pour les sociétés démocratiques, se révèle
particulièrement épineuse, tant il est difficile, à la fois de définir et de mesurer ce qui renvoie à
de la discrimination. Dominique Meurs fait le point sur la manière dont les économistes appré-
hendent, analysent et évaluent les discriminations sur le marché du travail. Quelles conclu-
sions peut-on en tirer en termes de politiques publiques ?
Problèmes économiques

Inégalités
et discriminations
sur le marché du travail
poste occupé, secteur d’activité, etc.). Les
 DOMINIQUE MEURS deux volets nécessaires pour mesurer la dis-
EconomiX-Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense crimination (catégoriser, départager entre le
(UMR 7235) justifié et le non-justifié) sont complexes et
INED requièrent une grande attention théorique
et méthodologique. Mener ces analyses est
un préalable indispensable pour mettre au
point et évaluer l’efficacité de politiques
L’étude des inégalités sur le marché du tra- correctrices.
vail recouvre classiquement l’analyse des
différences face au risque de chômage et des
écarts de rémunération entre les salariés. Des inégalités aux discriminations
Passer du constat d’inégalités entre deux
[1]
Article 1er de la loi groupes au diagnostic de discrimination Quelles inégalités ?
n° 2008-496 du 27 mai demande de définir quels groupes sont sus-
2008 portant diverses
La loi française de 20081 énonce que : « consti-
dispositions d’adaptation ceptibles d’être traités différemment, puis tue une discrimination directe la situation
au droit communautaire d’identifier dans les écarts constatés d’em- dans laquelle, sur le fondement de son appar-
dans le domaine de
la lutte contre les
ploi ou de salaires ce qui ne peut s’expliquer tenance ou de sa non-appartenance, vraie
discriminations. par les variables habituelles (qualification, ou supposée, à une ethnie ou une race, sa

43 INÉGALITÉS ET DISCRIMINATIONS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL


religion, ses convictions, son âge, son handi- groupe que pour les autres d’accéder aux
cap, son orientation sexuelle ou son sexe, une niveaux d’éducation supérieurs parce que
personne est traitée de manière moins favo- les meilleures écoles ne sont pas accessibles
rable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne à tous sur la seule base des talents, la dif-
l’aura été dans une situation comparable ». férence des rémunérations entre les deux
On voit ici que la loi étend au maximum les groupes peut être « expliquée » par cet écart
catégories susceptibles d’être discriminées. des diplômes mais n’en est pas pour autant
Certains groupes sont facilement identi- « justifiée ». Cet élargissement des points de
fiables (sexe, âge) ; d’autres posent plus de vue conduit à réintégrer dans le champ de
problèmes de délimitation de leur contour l’analyse ce qui se passe en amont du marché
[2]
comme l’ethnie, la race, la religion2… Or, cette du travail ainsi que les comportements hors Simon P. et Piché V.
(2012), « Accounting
question de la catégorisation est inséparable marché du travail, comme le partage inégal
for Ethnic and Racial
de la discrimination et des politiques correc- des tâches domestiques au sein des ménages. Diversity : the Challenge
trices à mettre en œuvre, puisqu’il s’agit tou- of Enumeration », Ethnic
and Racial Studies,
jours de comparer la situation d’un groupe à Pourquoi des discriminations ? vol. 35, n° 8.
un autre. Quelles sont les principales théories de la
Définir la discrimination sur le marché du discrimination proposées par les écono-
travail comme un traitement moins favorable mistes ? On distingue traditionnellement
entre deux personnes semblables à un fac- deux grandes approches, l’une qui repose
teur près (l’origine, le sexe, la couleur de la sur les goûts et les préjugés des acteurs sur
peau…) requiert de savoir ce que l’on entend le marché du travail, l’autre sur les imperfec-
par deux personnes « équivalentes ». Dans tions de l’information. Elles montrent toutes
l’acception la plus étroite, on peut compa- deux que la discrimination est un coût pour
rer des personnes occupant le même emploi, toute la société, car des compétences poten-
dans la même entreprise, avec la même charge tielles sont laissées de côté.
horaire, la même ancienneté, la même expé-
rience, etc. Mais des personnes travaillant Discrimination par goût
à un même poste peuvent être rémunérées L’un des premiers économistes à s’emparer
strictement à l’identique et il peut exister explicitement de cette question est Gary Bec-
néanmoins une inégalité systématique des ker dans sa thèse de 1957 sur la discrimina-
salaires moyens entre deux groupes. Si cette tion salariale. Son apport est double : Becker
inégalité résulte du fait qu’un groupe a plus avance que c’est « le goût » qui pousse à reje-
de difficultés que l’autre à accéder aux postes ter ou préférer certains types de travailleurs,
les mieux rémunérés, il paraît difficile de ne indépendamment de leur capacité produc-
pas qualifier le phénomène de « discrimina- tive, et que ces comportements entraînent des
tion ». On peut alors élargir la définition de pertes économiques que l’on peut chiffrer.
la discrimination sur le marché du travail à Becker se place dans un cadre général
des situations où l’on compare des personnes d’échanges entre deux communautés, les
ayant les mêmes caractéristiques produc- Blancs et les Noirs. Les deux groupes dis-
tives (éducation, expérience), mais qui ne posent de facteurs travail et capital, mais
se retrouvent pas dans les mêmes emplois, avec des dotations différentes. Ils ont donc
un groupe apparaissant systématiquement intérêt, d’un point de vue strictement éco-
désavantagé dans l’accès aux meilleures nomique, à travailler ensemble, tout comme
positions. les différents pays ont intérêt à échanger.
S’arrêter à ce qui se passe sur le marché du Côtoyer quelqu’un de l’autre groupe entraîne
travail n’est toutefois pas suffisant pour sai- cependant pour chaque individu un coût
sir toutes les facettes de la discrimination. psychologique : l’employeur blanc est prêt
S’il est plus difficile pour les membres d’un à abandonner une partie de son profit pour

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 44


ne pas employer des Noirs, le salarié blanc la formation des comportements et des pré-
exige une compensation s’il travaille avec des férences et font pour cela appel aux acquis
Noirs, le consommateur blanc est prêt à payer de la sociologie et de la psychologie. Si l’on
[3]
Akerlof G. et Kranton plus cher pour ne pas être servi par un Noir, suit Akerlof et Kranton (2000)3, l’identité (la
R. (2000), « Economics
and Identity », The
etc. L’analogie avec la théorie des échanges perception de soi comme femme ou comme
Quaterly Journal of commerciaux peut être poursuivie en inter- immigré par exemple) entre comme une
Economics, vol. 115, n° 3. prétant l’aversion à l’encontre d’un groupe variable de la fonction d’utilité et détermine
[4]
Pour Becker, plus de
comme un coût de transport. L’intérêt de donc en partie le bien-être individuel. Pour
concurrence devrait cette comparaison est de souligner que tout une femme (un homme), s’engager dans une
réduire la discrimination le monde est perdant dans cette situation, voie professionnelle considérée comme mas-
car les employeurs
les plus enclins à la même si la minorité est davantage pénalisée. culine (féminine) par les pairs entraîne d’une
discrimination font Les individus ne sont pas identiques dans part un coût direct lié à la transgression de la
moins de profit en norme sociale et d’autre part des externalités,
surpayant les salariés leurs goûts ; ce sont ceux qui ont l’aversion
qu’ils souhaitent la plus faible qui travaillent le plus avec les car les autres salariés réagissent en retour en
conserver et devraient
minorités. La marge de discrimination contre pénalisant ceux ou celles qui transgressent,
donc faire faillite à plus
les Noirs dépend du goût moyen de ceux qui ce qui entraîne ensuite d’autres ajustements
ou moins long terme.
sont appelés à les côtoyer. Elle sera plus éle- en retour.
vée dans une société où le capital et le tra-
Selon Akerlof et Kranton, le choix d’une iden-
vail sont complémentaires que lorsqu’ils sont
tité et des prescriptions qui y sont associées
substituables, puisque dans le dernier cas, la
« pourraient être la décision économique
ségrégation permet d’éviter les contacts sans
individuelle la plus importante ». Ces auteurs
réduire la production.
soulignent également que les limites impo-
Becker introduit une distinction dans la défi- sées aux individus pour choisir une identité
nition de la ségrégation et de la discrimina- sont peut-être aussi les déterminants les
tion qui permet de comprendre le lien entre plus importants de leur bien-être. Cette ana-
les deux. La ségrégation est le refus d’être en lyse permet de renouveler les approches en
contact avec l’autre tandis que la discrimi- termes de politique économique : changer les
nation est le dédommagement demandé pour normes sociales affecte les comportements et
avoir un échange avec l’autre. La ségrégation a des répercussions économiques.
apparaît comme une situation limite, celle où
aucune collaboration n’est possible, même La discrimination statistique
moyennant finances. Si l’on part d’une situa-
tion idéale sans discrimination, le produit Le deuxième grand courant théorique de la
de la société est maximal. Il décroît avec la discrimination prend acte de la persistance
montée de la discrimination : la ségrégation des comportements discriminatoires en dépit
augmente jusqu’au point où le préjugé est si de leur coût pour la société et les entreprises4.
fort qu’il n’y a plus aucun intérêt à commer- La discrimination statistique (Arrow, 1971 ;
cer entre les deux communautés. L’isolement Phelps, 1972) cherche à concilier ce constat
est alors maximal et le produit commun est avec l’hypothèse de rationalité des agents. Elle
au plus bas. introduit pour cela l’imperfection de l’infor-
mation au moment du recrutement du salarié.
Les normes sociales : En raison du coût pour obtenir une évaluation
l’hypothèse d’identité sexuée individuelle de la performance, l’employeur
Plus récemment, les économistes se sont va se fier à un trait facilement observable (la
appuyés sur les normes sociales pour couleur de la peau, le sexe…) et attribuer à la
rendre compte des discriminations. Au lieu personne les caractéristiques moyennes de
de poser comme Becker l’existence d’un son groupe. Le comportement discriminatoire
« goût » a  priori, ils tentent de comprendre apparaît alors rationnel et peut perdurer.

45 INÉGALITÉS ET DISCRIMINATIONS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL


Toutefois, comme l’ont montré Aigner et entraîne une pénalisation pour le groupe le
[5]
Cain (1977)5, le pouvoir explicatif de cette plus hétérogène, car le recruteur pense qu’il Aigner D. et
Cain G. (1977),
approche est limité et ne résout pas la ques- peut embaucher plus fréquemment quelqu’un
« Statistical Theories
tion de savoir pourquoi les deux groupes dif- en dessous de la moyenne dans ce groupe que of Discrimination in
fèrent statistiquement. Pour ces auteurs, la dans l’autre. the Labour Markets »,
Industrial and Labour
discrimination salariale se définit par le fait Relations Review, vol. 30,
que le salaire moyen d’un groupe n’est pas Les prophéties autoréalisatrices n° 2.
proportionnel à sa productivité moyenne ; en
L’introduction des prophéties auto-réali- [6]
Merton R. K. (1948),
revanche, à l’intérieur d’un groupe, il peut y « The self-fulfilling
satrices dans les modèles de discrimina-
avoir des gens plus ou moins payés par rap- prophecy », The Antioch
tion statistique montre que des différences Review, vol. 8.
port à leur productivité, mais cela ne relève
moyennes entre deux groupes peuvent
pas de la discrimination. Leur raisonnement [7]
Farmer A., Terrell D.
naître et être entretenues par les a priori des
est fondé sur le modèle proposé par Phelps. (1996), « Discrimination,
employeurs. Le concept est emprunté aux Bayesian Updating
L’entreprise voudrait connaître la « vraie »
sociologues. Dans un célèbre article de 1948, of Employer Beliefs
valeur productive d’un candidat mais ne peut and Human Capital
Robert Merton6 définit la prophétie auto-réa-
l’apprécier que de manière indirecte comme Accumulation »,
lisatrice comme une situation dans laquelle Economic Inquiry,
avec le score d’un test de recrutement. Elle
une croyance erronée a priori entraîne des vol. 34.
sait qu’il y a une marge d’erreur entre ce
comportements qui la rendent vraie a poste-
que révèle le test et la réalité. Entre les deux
riori. L’exemple cité est celui de la faillite ban-
groupes, trois cas sont possibles :
caire : un doute non fondé sur la solvabilité
– un groupe est en moyenne plus performant d’une banque provoque un vent de panique
que l’autre ; et des retraits de liquide par les clients qui
– les deux groupes ont la même moyenne de mènent effectivement la banque à la faillite.
productivité mais une distribution différente Un premier modèle de ce type est celui de
des vraies capacités productives (la disper- Farmer et Terrell (1996)7. S’appuyant sur le
sion des compétences est plus grande dans fait que les préjugés à l’encontre d’un groupe
un groupe que dans l’autre) ; sont largement diffusés dans la société et
que les entrepreneurs ne sont pas différents
– les deux groupes ne diffèrent que par la de ce point de vue du reste de la société, ils
distribution de la marge d’erreur du test de posent l’hypothèse que l’employeur a un a
recrutement. priori sur la productivité de certains groupes
Supposer que les performances soient dif- mais peut réviser son jugement et modifier
férentes sort du champ de la discrimina- le salaire en fonction de ce qu’il observe de
tion salariale pure, puisque cela revient à la production effective du salarié. Les sala-
trouver des différences de performance qui riés sont informés de ces croyances et ceux
expliquent les écarts salariaux constatés. Cela qui appartiennent au « mauvais groupe »
pousse par ailleurs à rechercher en amont les sont moins incités que les autres à se former
causes de ces différences, comme la qualité en raison du handicap initial, car ils savent
de l’éducation, les stéréotypes à l’école ou qu’ils auront plus de mal que les autres à être
les prophéties auto-réalisatrices (cf. infra). recrutés sur des profils de carrière attractifs.
Par conséquent, la discrimination statistique Ainsi, des croyances qui étaient a priori non
dans ce cadre s’observe uniquement lorsqu’il fondées sur leur insuffisante productivité
y a des différences entre deux groupes sur mènent à une discrimination effective per-
l’information apportée par le test de recrute- sistante. Cette explication est souvent appli-
ment et si cette imprécision influence le com- quée à la situation des femmes sur le marché
portement des employeurs. Dans le modèle du travail et aux préjugés de l’employeur sur
d’Aigner et Cain, cette influence passe par l’engagement à long terme de ces salariées :
une aversion au risque des employeurs qui le risque qu’elles partent en congé parental

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 46


les cantonne dans des emplois moins promet- Une méthode économétrique devenue stan-
teurs, ce qui rend plus avantageux le congé dard est celle développée la même année mais
[8]
Oaxaca R.L. (1973), parental, et donc confirme a posteriori les séparément par R. Oaxaca (1973)8 et A. Blin-
« Male-Female Wage préjugés de l’employeur. der (1973)9. Elle consiste à décomposer l’écart
Differentials in Urban
Labor Markets », moyen de rémunération entre deux groupes en
International Economic
Review, vol. 14, n° 3. Comment mesurer deux composantes : une partie « expliquée »,
qui correspond à l’écart de rémunération que
[9]
Blinder A.S. (1973),
« Wage Discrimination :
les discriminations l’on peut attribuer à des effets de structure
(différences de diplôme, d’expérience, d’an-
Reduced Form and
Structural Estimates »,
The Journal of Human
sur le marché du travail ? cienneté…), et une partie résiduelle ou non
expliquée. Cette dernière composante est un
Resources, vol. 8, n° 4. Si comprendre les mécanismes de la discrimi- indicateur d’une discrimination potentielle,
[10] nation est complexe, les mesurer est un exer- sous réserve que toutes les caractéristiques
Cf. Babcock L. and
Laschever S. (2003), cice tout aussi difficile qui donne lieu à une pertinentes aient été prises en compte.
Women Don’t Ask : abondante littérature, actuellement en pleine
Negotiation and
évolution. Trois méthodes complémentaires Largement utilisées, ces analyses ne sont
the Gender Divide, cependant pas sans défauts ; la principale cri-
Princeton, Princeton peuvent être employées. La première part
University Press. des inégalités constatées entre les groupes tique repose sur le lien supposé entre « part
et cherche à identifier un écart de rémunéra- inexpliquée » et « discrimination ». D’une
tion ou d’accès à l’emploi qui n’est pas expli- part, l’interprétation des résultats n’est pas
cable par des caractéristiques observables. évidente et dépend du cadre théorique que
La seconde (le testing) consiste à partir de l’on adopte et des caractéristiques que l’on
situations fictives identiques, à une dimension juge structurelles. Par exemple, raisonner à
près (le sexe, l’origine, l’âge…) et observer les catégorie socio-professionnelle égale revient
performances sur le marché du travail. Enfin, à dire que l’on considère que les choix des
empruntant un peu aux deux démarches précé- professions ne font pas partie de la discrimi-
dentes, les expériences contrôlées reviennent nation, alors que certains groupes peuvent se
à partir de vraies situations et à faire varier voir découragés d’entrer dans certains sec-
les modes de recrutement pour comprendre teurs ou métiers alors qu’ils en auraient les
les comportements des recruteurs. compétences. D’autre part, quelles que soient
les précautions méthodologiques prises et la
Des inégalités constatées richesse des données, il est toujours possible
d’opposer que des variables ont été omises
aux inégalités non expliquées qui expliqueraient ces différences sans être
Mesurer l’ampleur de la discrimination de la discrimination de la part de l’employeur
revient ici à rendre comparable ce qui ne l’est au sens strict. Si l’on constate que, pour un
pas au départ et à estimer une différence des même emploi, les augmentations salariales
rémunérations moyennes ou des probabili- sont significativement supérieures pour les
tés moyennes d’avoir un emploi entre deux hommes que pour les femmes, cela peut venir
groupes, une fois pris en compte l’effet des du fait que les femmes négocient en moyenne
caractéristiques individuelles productives avec moins d’efficacité que les hommes10.
et des facteurs contextuels. Cela revient à se
demander quelle est la part non expliquée Partir de populations
de la rémunération entre, par exemple, les artificiellement identiques
hommes et les femmes, si les deux groupes
pour mesurer des inégalités
avaient les mêmes diplômes, les mêmes
expériences professionnelles, la même loca- Une autre grande voie pour mesurer les biais
lisation géographique, les mêmes types d’em- de discrimination à l’embauche de la part des
ployeurs, etc. employeurs est celle du testing. Employée

47 INÉGALITÉS ET DISCRIMINATIONS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL


depuis une trentaine d’années dans les pays contribué à augmenter significativement la
[11]
anglo-saxons11, elle a été développée plus proportion de femmes recrutées, ce qui ten- Cf. par exemple un
récemment en France (Petit, 2003 ; Duguet dait à montrer que les recruteurs tenaient des plus cités : Bertrand
M., Mullainathan S.
et al., 2010). Elle consiste à répondre à des compte du sexe en plus des qualités musi- (2004) « Are Emily and
annonces effectives par des paires de CV fic- cales pour évaluer les candidats. Greg More Employable
than Lakisha and
tifs et avec des caractéristiques identiques à
Récemment, une expérience assez similaire Jamal ? A Field
une près (le nom/prénom qui permet d’inférer Experiment on Labor
a été conduite en France avec l’utilisation de
l’origine ou le sexe). Il est ainsi possible de Market Discrimination »,
CV anonymes via l’ANPE comparée à l’envoi The American Economic
comparer les taux de réponse des employeurs
de CV complets pour un ensemble de postes14. Review, vol. 94, n° 4.
aux deux groupes et de mesurer avec exac-
L’anonymisation des CV a été faite de manière [12]
Cf. Neumark
titude les différences de réaction des
aléatoire pour avoir un groupe de compa- D. (1996), « Sex
employeurs à des candidatures strictement
raison aux caractéristiques identiques. Les Discrimination in Hiring
identiques. Le testing peut être prolongé par in the Restaurant
résultats obtenus sont paradoxaux  pour les Industry : An Audit
des audits, consistant à envoyer des couples
candidats aux patronymes maghrébins car, Study, » Quarterly
de candidats à des entretiens d’embauche12. Journal of Economics,
contrairement aux attentes, l’anonymisation
vol. 111, n° 3.
Le testing a l’avantage d’être une mesure des CV a diminué leurs chances d’être appe-
[13]
directe du comportement des recruteurs et lés pour un entretien. Il est difficile de com- Goldin C., Rouse C.
prendre ce qui s’est exactement passé ; une (2000) « Orchestrating
révèle leur éventuelle différence de réaction
Impartiality : The Impact
à la lecture d’un même CV provenant de deux hypothèse avancée par les auteurs est que of « Blind » Auditions
groupes différents ; il prouve ainsi l’existence les recruteurs interprétaient plus négative- on Female Musicians »,
ment les successions de périodes de chômage The American Economic
ou l’absence d’une discrimination à l’em- Review, vol. 90, n° 4.
bauche. Mais cette méthode a des limites. En ou les scolarités perturbées quand ils ne
[14]
premier lieu, cela ne peut s’appliquer qu’aux connaissaient pas l’origine via le patronyme Barbanchon T.,
Behaghel L., Crepon B.
situations d’embauche, non aux différences des candidats. (2011), « Discrimination
de rémunération. Ensuite c’est une procédure in Hiring and
délicate à mener et qui nécessite une très Anonymous CVs in
grande rigueur à toutes les étapes du pro- Mener des politiques correctrices France, First results »,
Working Paper.
tocole. Enfin, les résultats ne sont pas géné-
L’analyse et la mesure de la discrimination [15]
En théorie, il serait
ralisables, ils ne sont valables que pour une
n’ont de sens que si elles sont mises au ser- aussi possible de le
période, une région, une profession données. faire en fonction de
vice de politiques correctrices. Deux points l’origine mais cette
seront soulignés ici. donnée ne peut pas
Exploiter ou mener être collectée dans les
des expériences naturelles En premier lieu, il est tout à fait possible de fichiers entreprises. Des
mettre en œuvre en entreprise les méthodes méthodes pourraient
être utilisées qui
Une autre voie, plus rarement explorée mais statistiques présentées ci-dessus et d’établir respecteraient à la
en plein essor, est celle consistant à utiliser un diagnostic de discrimination salariale fois la confidentialité
des expériences naturelles pour évaluer le à l’encontre des femmes15. C’est ce qu’avait de cette information
et l’estimation de la
comportement des recruteurs. L’expérience la fait effectivement R. Oaxaca pour une grande discrimination, mais
plus célèbre dans ce champ est celle menée organisation internationale. La question du cela supposerait des
sur le recrutement de musiciens d’orchestre responsable des ressources humaines à la opérations relativement
lourdes et impossibles à
aux États-Unis13. Les auteurs ont utilisé le remise du rapport le prit de court : quelle réaliser dans les petites
fait que les pratiques de recrutement avaient devait être la politique salariale à mettre en entreprises.
évolué pour les mêmes orchestres : les musi- œuvre pour corriger la discrimination ? Deux
ciens candidat(e)s sont auditionnés derrière difficultés existent : la première est que si
un rideau au lieu d’être face au comité de certains sont sous-payés par rapport à une
recrutement, si bien que celui-ci se déter- norme, d’autres sont sur-payés. Éliminer
mine uniquement en fonction du jeu de l’ins- totalement la discrimination dans l’entre-
trumentiste. Ce changement de méthode a prise demanderait de réduire le salaire de

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 48


certains/es, ce qui n’est pas envisageable. En second lieu, la question des discriminations
La seule chose possible est de calculer des ne peut être isolée de l’ensemble du fonction-
compensations pour ceux et celles qui sont nement du marché du travail et, dans le cas
en dessous et réduire ainsi le taux de dis- des femmes, de l’articulation de la vie profes-
crimination intra-entreprise. La deuxième sionnelle et familiale. En France, l’écart moyen
difficulté est quasi insoluble : on peut cal- non expliqué entre les hommes et les femmes a
culer pour quelqu’un qui a eu un blocage de été estimé à 7 % pour 2002, pour une inégalité
carrière la rémunération qu’il/elle aurait dû moyenne de 25 %, tous salariés confondus, y
[16]
Cf. Meurs D., percevoir si les choses s’étaient passées nor- compris temps partiel16. La réduction des iné-
Ponthieux S. (2006), malement, mais on ne peut pas compenser galités passerait donc davantage par un rap-
« L’écart des salaires
entre les hommes et les cette injustice du jour au lendemain. En effet, prochement des temps travaillés et des choix
femmes peut-il encore la rémunération supérieure est associée à un de formation que par la lutte contre la discri-
baisser ? », Économie et poste pour lequel il faut des compétences qui mination pure. Ainsi, des politiques de conci-
Statistique, n° 398-399.
Rappelons qu’il n’y a pas n’ont pas été acquises et verser un salaire liation entre vie professionnelle et vie familiale
de mesure unique de supérieur sans changement d’emploi créerait favorisant un partage des tâches domestiques,
la discrimination mais
plusieurs estimations
une inégalité au sein des travailleurs de même une lutte contre les stéréotypes de genre dès
possibles, selon les niveau hiérarchique. Il faut donc considérer l’école, pourraient réduire de manière ample
bases de données et les que la discrimination salariale produit des les inégalités de salaires et avoir également un
modèles utilisés.
situations d’irréversibilité ou, tout au moins, impact indirect sur les comportements discri-
demande du temps pour être corrigée. minatoires résiduels.

POUR EN SAVOIR PLUS


™ ARROW J.K. (1971), The ™ DUGUET E., LÉANDRI N., française d’économie, vol. 17,
Theory of discrimination, L’HORTY Y. et PETIT P. (2010), n° 3.
working paper n° 30A, « Are Young French Jobseekers ™ PHELPS E. S. (1972), « The
Princeton University, repris of Ethnic Immigrant Origin Statistical Theory of Racism
in Aschenfelter O. et Rees A. Discriminated Against ? A and Sexism », American
(eds) (1974), Discrimination in Controlled Experiment in Economic Review, vol. 62.
Labor Markets, NJ Princeton the Paris Area », Annals of
University Press. Economics and Statistics,
™ BECKER G. (1971), The n° 99-100.
Economics of Discrimination, ™ PETIT P. (2003), « Comment
Chicago, University of Chicago évaluer la discrimination
Press, 2e éd. à l’embauche ? », Revue

49 INÉGALITÉS ET DISCRIMINATIONS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL


Plusieurs modèles institutionnels du marché du travail, qui recoupent en grande partie les dif-
férents types de capitalisme ou encore de « modèles sociaux », coexistent au sein de l’Union
européenne (UE). Ils se distinguent notamment sur les questions de protection de l’emploi, du
salaire minimum, des négociations collectives, des mesures actives ou passives pour com-
battre le chômage… Un mouvement de coordination a néanmoins été lancé dès 1997 à travers
la stratégie européenne pour l’emploi, et on observe au cours des années récentes certaines
tendances communes, l’« activation » des politiques de l’emploi étant l’exemple le plus carac-
téristique. Si la pluralité des modèles incite à leur comparaison, la question de la performance
de certaines institutions du marché du travail par rapport à d’autres demeure, selon Mathilde
Guergoat-Larivière, une question complexe : les travaux récents montrent que ce sont les
configurations institutionnelles plus que des éléments pris de façon isolée qui sont détermi-
nantes, et que des voies tout à fait différentes peuvent conduire à de bonnes performances.
Problèmes économiques

Les marchés du travail


en Europe :
entre diversité et convergence
Les marchés du travail des pays de l’Union
européenne (UE) sont caractérisés par une
 MATHILDE GUERGOAT-LARIVIÈRE
forte diversité institutionnelle, encore renfor- Centre d’études de l’emploi et Centre d’économie
cée par l’arrivée de nouveaux pays membres de la Sorbonne (Université Paris 1)
en  2004 et  2007. En dépit de cette diversité
et de la souveraineté des États en matière de
politiques de l’emploi et de protection sociale,
emploi s’articule en outre avec les objectifs
depuis 1997, un mouvement de coordination
sur ces questions a été lancé dans le cadre de plus généraux affichés par l’UE dans le cadre
[1]
la stratégie européenne pour l’emploi (SEE). de la stratégie « Europe 2020 »1. La stratégie Europe
2020 a pris le relais de
En l’absence de pouvoir coercitif de l’UE dans Celle-ci fixe en particulier comme objectif aux la stratégie de Lisbonne
ce domaine, ce mouvement s’appuie sur un pays de l’UE d’atteindre d’ici à 2020 un taux qui avait pour horizon
l’année 2010.
outil original : la méthode ouverte de coordi- d’emploi de 75 % pour les 20-64 ans, paral-
nation (MOC). La stratégie européenne pour lèlement à un renforcement des compétences

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 50


(réduction du décrochage scolaire et encoura- le système d’indemnisation du chômage,
gement à la poursuite d’études supérieures) le salaire minimum mais également le rôle
et à une baisse de la pauvreté et de l’exclu- des syndicats ou encore les politiques dites
sion sociale. Ces « grands objectifs » sont « actives » de l’emploi peuvent être considé-
complétés par des « objectifs stratégiques » rées comme autant d’institutions du marché
qui insistent davantage sur les moyens à du travail.
mobiliser et notamment sur le fait de donner
un nouvel élan à la flexicurité. Ce concept au La protection de l’emploi
cœur de la SEE déjà mis en avant tout au long
Les pays de l’UE présentent des situations
de la décennie 2000, consiste à combiner plus
hétérogènes. La réglementation sur l’utilisa-
de flexibilité pour les employeurs et plus de
tion des contrats de travail ou des procédures
sécurité pour les salariés. L’UE décline sous
de licenciement est par exemple très différente
ce vocable une grande partie de ses orienta-
[2]
d’un État à l’autre. Une manière de s’en rendre
Les « principes » tions en termes de politique de l’emploi2. Si
de flexicurité mis en
compte consiste à comparer les niveaux de
l’UE insiste sur les résultats souhaités en
avant par l’UE dans l’indice de législation protectrice de l’emploi
le cadre de la SEE matière d’emploi, elle met donc également en
(LPE) proposé par l’OCDE4. Il apparaît que le
sont ainsi présentés : avant des stratégies à développer.
« des dispositions Royaume-Uni et l’Irlande constituent les pays
contractuelles souples Après avoir rappelé la diversité institution- où la législation du travail est la plus flexible.
et fiables ; des stratégies nelle des marchés du travail européens, cet À l’inverse, les pays du Sud de l’Europe dis-
globales d’apprentissage
article tentera de montrer la complexité posent des réglementations de protection
tout au long de la vie ;
des politiques actives du des liens entre ces institutions et les per- de l’emploi les plus strictes, suivis par cer-
marché du travail ; des formances économiques, avant de s’interro- tains pays continentaux (France, Allemagne,
systèmes de protection
sociale modernes ».
ger sur la présence d’une certaine forme de Belgique). Les pays du Nord de l’Europe ne
convergence au sein de l’Union. constituent pas à cet égard une classe homo-
[3]
Blau F.D., Kahn L.M.
(1999), « Institutions
gène, le Danemark affichant par exemple une
and Laws in the Labor
Market », in Ashenfelter
Un aperçu des institutions législation assez souple, tandis que celle de la
Suède demeure assez stricte, notamment sur
O., Card D. (eds.),
Handbook of Labor
Economics, chap. 25,
du marché du travail en Europe les contrats permanents.

vol. 3, Elsevier Science Les institutions du marché du travail peuvent L’indemnisation du chômage
B.V : « laws, programs, être définies comme un ensemble de lois, de
conventions, which et les mesures actives
can impinge on labour programmes et de conventions qui affectent
market behaviour and les comportements sur le marché du travail
en faveur de l’emploi
cause the labour market et impliquent que ce marché fonctionne dif- Un autre facteur important de différen-
to function differently
from a spot market » féremment d’un marché concurrentiel3. Ainsi, ciation des marchés du travail européens
(p. 1400). le droit du travail, les règles de licenciement, concerne l’indemnisation du chômage. Les
[4]
Notons cependant
que ces indicateurs 1. Indice de législation protectrice de l’emploi
synthétiques sont à
utiliser avec précaution. Royaume-
Voir Bertola et al. (2000). Danemark Suède Pologne Italie Allemagne France Espagne
Uni
Indice de
1,09 1,91 2,06 2,41 2,58 2,63 2,90 3,11
LPE
Indice de
LPE pour
1,17 1,53 2,72 2,01 1,69 2,85 2,60 2,38
les contrats
pérennes
Source : OCDE, 2008.

51 LES MARCHÉS DU TRAVAIL EN EUROPE : ENTRE DIVERSITÉ ET CONVERGENCE


1. Taux de remplacement net de l’indemnisation du chômage

80

70

60

50

40
Taux de remplacement
net à court terme
30 (12 mois)

Taux de remplacement
20 net moyen sur 60 mois

10

0
ne

li e

e
ce

ni

e
ar

gn

gn

èd
U
an

Ita
ag

em

e-

Su
lo
pa

Fr
m

um
Po
Es
an
ll e

ya
A

Ro

Source : OCDE, 2007. Note : Dans les pays où le système d’indemnisation du chômage fonctionne essentiellement sur un prin-
cipe d’assistance et non d’assurance, l’indemnisation n’est accordée que sous certaines conditions de ressources. Pour plus de
détails, voir : http://dx.doi.org/10.1787/706364844714 / ou OCDE (2009), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2009, p. 82-85.

situations sont là encore très contrastées, dont les systèmes sont financés par l’impôt,
à la fois en termes de montant et de durée qui s’appuient sur une logique d’assistance
d’indemnisation. (système beveridgien représenté en Europe
Le taux de remplacement net proposé par par les pays du Nord et les pays libéraux), de
l’assurance chômage, défini comme le mon- ceux où l’indemnisation repose sur un prin-
tant touché en situation de chômage en pour- cipe d’assurance et où le droit à l’indemnisa-
tion dépend donc des cotisations antérieures [5]
centage des gains nets en situation d’emploi5, Ce pourcentage est
(système bismarckien représenté par les pays calculé à court terme
est élevé dans les pays nordiques et dans une (c’est-à-dire pour les
moindre mesure dans les pays continentaux continentaux tels que la France, l’Allemagne, personnes arrivant au
alors qu’il est faible dans les pays libéraux la Belgique…). chômage) et en moyenne
sur 60 mois de chômage.
(Royaume-Uni et Irlande) et dans ceux du
Sud de l’Europe (hormis au Portugal). Les Les politiques de l’emploi dites « actives »,
nouveaux États membres pour lesquels des par opposition aux politiques « passives »
données comparables sont disponibles (Hon- d’indemnisation du chômage (et de pré-
grie, Slovaquie, République tchèque, Pologne) retraites) ont pour objectif général d’amé-
présentent également les taux de rempla- liorer le fonctionnement du marché du
cement nets relativement faibles. En outre, travail. Elles comprennent des mesures de
les systèmes d’indemnisation du chômage nature très diverses telles que la formation
et plus largement les systèmes de protec- des chômeurs, les incitations à l’emploi, la
tion sociale des différents pays européens création directe d’emplois et plus largement
ne reposent pas sur les mêmes principes. les dépenses de fonctionnement du service
On peut en particulier distinguer les pays public de l’emploi.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 52


2. Dépenses actives et passives des politiques de l’emploi (en % du PIB)

2,5

1,16
2
0,72
0,74 0,94
1,5

0,65 0,68
1,06 Dépenses actives

1 Dépenses passives
0,41
1,5 1,46 0,5
1,29 1,24
0,5 0,96 1
0,69 0,65 0,33
0,51
0,15
0
7

ne

li e

e
ce

ni
ar
E1
E2

gn

gn

èd

U
an

Ita
ag
em
U

e-
U

Su
lo
pa

Fr
m

um
Po
Es
an

ll e
D

ya
A

Ro
Source : Eurostat, 2007.

La part des mesures « actives » dans les de l’Union européenne, malgré de fortes dis-
dépenses totales des politiques de l’emploi parités en termes de montant. La rémunéra-
est inégale en Europe. Les dépenses actives tion mensuelle minimale s’échelonne ainsi
sont en moyenne plus développées dans les de 138  euros en Bulgarie à 1 801  euros au
pays du Nord et dans les pays libéraux tandis Luxembourg. La prise en compte des pari-
que les dépenses passives demeurent relati- tés de pouvoir d’achat réduit cet écart mais
vement plus importantes dans les pays du l’hétérogénéité entre pays de l’UE en termes
Sud et les pays continentaux. Ces divergences de rémunération minimale reste forte. En
sont le résultat des mesures d’« activation » outre, certains pays ne possèdent pas de
des politiques de l’emploi qui ont été privilé- salaire minimum réglementaire au niveau
giées notamment par l’UE au cours des der- national. C’est le cas notamment de l’Alle-
nières années et qui se sont développées dans magne, même si sa création est actuellement
tous les pays européens, bien que de manière envisagée, mais aussi des pays du Nord de
plus ou moins importante et selon des moda- l’Europe (Danemark, Suède, Finlande) ainsi
lités différentes.
que de l’Autriche, de l’Italie et de Chypre.
Cette absence de législation nationale est
Le salaire minimum cependant palliée dans la plupart des cas par
Un autre élément caractérisant le fonction- des accords sectoriels sur les rémunérations
nement des marchés du travail est la présence minimales (systématiques dans certains pays
éventuelle d’un salaire minimum. Il existe un ou seulement dans certains secteurs dans
salaire minimum dans la majorité des pays d’autres).

53 LES MARCHÉS DU TRAVAIL EN EUROPE : ENTRE DIVERSITÉ ET CONVERGENCE


2. Taux de syndicalisation et taux de couverture par accords collectifs
Royaume-
Danemark Suède Pologne Italie Allemagne France Espagne
Uni
Taux de
syndicali-
27,1 67,6 68,3 15,6 33,4 19,1 7,6 15,0
sation
(en %)
Taux de
couverture 34,6 92 83 14,4 96 48 97,7 70
(en %)
Sources : Taux de syndicalisation (OCDE, 2004), Taux de couverture (ILO, Social Dialogue Indicators, 2004 à 2008 http://
laborsta.ilo.org/applv8/data/TUM/TUD%20and%20CBC %20Technical%20Brief.pdf hormis Suède, OCDE, 1990).

Les négociations collectives baltes, Bulgarie, Slovaquie, Hongrie) ainsi


que le Royaume-Uni. À l’inverse, dans les
Plus largement, les négociations collectives
pays du Nord, dans certains pays continen-
ne sont pas menées de la même manière et
taux (France, Belgique, Autriche) ainsi qu’en
aux mêmes niveaux dans tous les pays euro-
Italie et en Roumanie, le taux de couverture
péens : si, dans la majorité des pays de l’UE,
est proche de 100 %.
le niveau sectoriel constitue le niveau de
négociation des salaires le plus important,
certains pays se caractérisent par des négo-
ciations menées à un niveau très centralisé
Institutions du marché du travail
(Finlande, Irlande, Slovénie) tandis qu’au et performances économiques :
Royaume-Uni, dans la plupart des pays de
l’Est mais aussi en France, la négociation se des liens complexes
déroule prioritairement au niveau de l’entre- Cette présentation des principales caracté-
prise (Du Caju et al., 2008). ristiques des marchés du travail des pays
La place et le rôle des syndicats sont égale- européens montre qu’il existe une très forte
ment très hétérogènes selon les pays de l’UE. hétérogénéité institutionnelle au sein de
Les taux de syndicalisation s’étendent ainsi l’UE. Parallèlement à cette diversité institu-
de moins de 8 % en France ou en Estonie à tionnelle, le constat d’une hétérogénéité des
plus de 65 % en Finlande, au Danemark et en performances en termes d’emploi et de chô-
Suède. mage dans les pays européens au cours des
dernières décennies invite donc à réfléchir au
Cette grande disparité dans les taux de syn-
lien susceptible d’exister entre institutions
dicalisation ne reflète cependant pas tou-
du marché du travail et performances en
jours la même réalité en termes de taux de
termes d’emploi. Autrement dit, certaines ins-
couverture selon les pays. La France consti-
titutions seraient-elles plus favorables que
tue ainsi l’exemple le plus extrême d’une
d’autres et expliqueraient-elles les faibles
situation où le taux de syndicalisation est
taux de chômage et les forts taux d’emploi
très faible mais où le taux de couverture des
constatés dans certains pays européens ?
salariés par des conventions collectives est
proche de 100 %. Parmi les pays où le taux de
D’une vision libérale des
couverture est proche du taux de syndicali-
sation et où la couverture est de fait la plus institutions du marché du travail…
faible (moins de 40 %), on retrouve la plupart Cette question reste débattue parmi les éco-
des nouveaux pays membres de l’UE (pays nomistes. La position des organisations

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 54


internationales telles que la Commission d’équivalences fonctionnelles, c’est-à-dire le
européenne ou l’OCDE a évolué sur ce sujet. fait que des dispositifs institutionnels dif-
En effet, si elles ont d’abord défendu la flexi- férents puissent mener à des résultats sem-
bilisation du marché du travail comme seule blables (Amable, 2005).
politique susceptible d’améliorer les perfor- L’observation empirique des situations com-
mances économiques, elles adoptent désor- parées des pays européens semble corrobo-
mais une position un peu plus nuancée. Ce rer cette idée : on observe notamment que les
glissement correspond à l’évolution des pays présentant les meilleures performances
études dans ce champ. Jusqu’au début des en termes de taux d’emploi et de taux de chô-
années 2000 environ, la plupart des études mage sont caractérisés par des institutions
académiques, s’appuyant sur le modèle théo- du marché du travail très différentes (Gau-
[6]
Le modèle WS-PS (ou rique WS-PS6, concluaient en effet à un impact tié, 2009). En particulier, il apparaît que les
« wage setting-price négatif des institutions mentionnées pré-
setting ») est un modèle pays nordiques d’une part et les pays libé-
du marché du travail cédemment sur les performances en termes raux d’autre part présentent des résultats en
mettant en évidence la d’emploi. Ces travaux tendaient donc à mon- matière d’emploi relativement meilleurs que
fixation d’un taux de
chômage structurel ou
trer que toute institution qui empêche ou ceux des autres États européens. Au sein des
d’équilibre, qui dépend limite l’ajustement entre l’offre et la demande pays nordiques, le « modèle danois » a ainsi
notamment des rapports de travail doit être supprimée ou réduite souvent été mis en avant, caractérisé par le
de force entre salariés
et employeurs et de leur
au minimum pour parvenir à l’équilibre du célèbre « triangle d’or » de son marché du
capacité à influencer la marché (Erhel, 2009). Si l’on reprend la liste travail associant une législation de l’emploi
fixation des salaires et des institutions présentées précédemment,
des prix. assez flexible, une indemnisation généreuse
il s’avère alors que le salaire minimum, la du chômage et des politiques actives de
[7]
Tels que la protection présence syndicale, la législation protectrice l’emploi très développées. La Suède qui pré-
sociale, le système de l’emploi et l’indemnisation du chômage
éducatif, le système sente des caractéristiques proches, bien que
financier et la régulation constituent toutes des institutions suscep- la législation sur l’emploi y soit peu flexible,
des marchés de produits tibles de freiner l’ajustement sur le marché affiche également des bonnes performances.
(Amable, 2005). du travail et donc de générer du chômage. Mais il en est de même pour le Royaume-Uni,
avec des caractéristiques – un marché du tra-
… à des approches mettant vail fortement dérégulé, une faible indemni-
en avant les complémentarités sation du chômage et des politiques actives
institutionnelles et les développées – très différentes. Il semble donc
qu’il soit difficile d’identifier un seul modèle
équivalences fonctionnelles
efficace.
Plus récemment, le développement de travaux
mettant en avant l’importance des interac-
tions entre institutions du marché du travail Quel rôle pour l’UE
et ceux proposant plus largement d’obser-
ver les complémentarités entre les institu-
dans un espace aussi hétérogène ?
tions du marché du travail et celles d’autres Comme mentionné précédemment, le rôle
champs7 ont montré qu’il n’était pas simple de l’Union européenne est mineur dans
d’identifier les effets propres à chaque insti- le domaine de l’emploi et de la protection
tution. Les approches en termes de « variétés sociale. Les États demeurent en effet souve-
du capitalisme » montrent ainsi que chaque rains. La méthode ouverte de coordination
pays fonctionne avec un ensemble d’institu- (MOC) mène néanmoins à la définition de
tions qui sont le fruit de son évolution his- « lignes directrices pour les politiques de
torique et politique et qui présentent de ce l’emploi » qui sont ensuite retranscrites par
point de vue une certaine cohérence. Ces tra- chaque pays dans un programme national de
vaux mettent en outre en avant la possibilité réforme (PNR). Les avancées de chaque pays

55 LES MARCHÉS DU TRAVAIL EN EUROPE : ENTRE DIVERSITÉ ET CONVERGENCE


sont ensuite discutées et évaluées par leurs côté des seniors, pour lesquels la hausse est
pairs – c’est-à-dire les autres pays de l’UE – la plus marquée, l’abandon des dispositifs de
dans le cadre de la MOC. S’il semble difficile pré-retraite et les réformes des systèmes de
de mettre en avant un unique « modèle » du retraite (modification de l’âge de départ légal
marché du travail favorable à l’emploi, l’UE a et des durées de cotisation) observés dans la
toutefois fixé des objectifs dans le cadre de la plupart des pays européens ont joué un rôle
stratégie européenne pour l’emploi et suggéré important.
des pistes pour les atteindre. On peut donc
se demander si ces objectifs sont atteints par L’activation des politiques
les pays membres, ou tout au moins si des de l’emploi
efforts sont faits dans ce sens, et s’il existe
de ce fait une certaine forme de convergence L’« activation » des politiques de l’emploi a
européenne en matière d’emploi. également constitué une tendance de réforme
importante en Europe au cours des der-
La hausse des taux d’emploi nières décennies, sans pour autant qu’elle
recouvre exactement les mêmes éléments
Les objectifs fixés dans le cadre de la stra-
selon les pays. Les mesures dites « actives »
tégie de Lisbonne pour la période 2000-2010
de l’emploi comprenant des dispositifs de
comprenaient notamment la hausse des taux
nature très diverse, cette volonté de réforme
d’emploi (objectif de 70 %), en particulier
a conduit d’une part au développement de
celui des femmes (60 %) et des seniors (50 %).
mesures de formation et d’accompagnement
Bien que ces taux restent encore hétéro-
des chômeurs et d’autre part à des mesures
gènes au sein de l’UE – échelonnés en 2010
visant à durcir les critères d’éligibilité aux
pour les 15-64 ans entre 55,5 % en Hongrie
dispositifs d’indemnisation du chômage, à
et 74,5 % aux Pays-Bas – on observe une cer-
rendre le travail davantage payant, à renfor-
taine convergence sur cette période. Le taux
cer les sanctions à l’égard des chômeurs en
d’emploi total (15-64 ans) a ainsi augmenté
cas de non-respect des critères de recherche
entre 2000 et 2010, de 62,1 % à 64,1 %, poussé
d’emploi, etc.
par une augmentation du taux d’emploi
féminin de près de 5 points de pourcentage
(de 53,6 % à 58,2 %) et par un accroissement Des politiques de « flexicurité »
de près de 10 points du taux d’emploi des Parallèlement, l’encouragement par l’UE à
seniors (de 36,8 % à 46,3 %). mettre en œuvre des politiques de flexicurité
Ces résultats en termes d’emploi sont à relier déjà développées aux Pays-Bas ou au Dane-
aux encouragements de l’UE à mettre en œuvre mark a trouvé un écho dans certains pays.
des politiques visant à accroître l’emploi des Ainsi, en France, la loi de modernisation du
populations les plus souvent inactives. Du marché du travail (2008) et la réforme de la

3. Taux d’emploi des femmes en 2000 et en 2012 (en %) et écart (en points de %)
Royaume-
UE 27 Danemark Allemagne Espagne France Italie Pologne Suède
Uni
2000 53,6 72,1 57,8 41,2 54,8 39,3 49,3 69,7 64,5
2010 58,2 71,1 66,1 52,3 59,7 46,1 53,0 70,3 64,6
Écart 4,6 – 1,0 8,3 11,1 4,9 6,8 3,7 0,6 0,1
Source : Eurostat, 2000 et 2010, Labour Force Survey.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 56


formation professionnelle (2009) ont mis l’ac- ne dispose pas de pouvoir coercitif dans
cent sur la sécurisation des parcours profes- le domaine de l’emploi et de la protection
[6]
Notamment : une sionnels6 parallèlement au renforcement de sociale, elle tente tout de même de fixer dans
meilleure indemnisation
la flexibilité du marché, avec par exemple la le cadre de la stratégie européenne pour l’em-
du chômage y compris
pour les jeunes, mise en place de la rupture conventionnelle ploi des objectifs communs aux différents
la réduction de du contrat de travail. pays membres et suggère des politiques pour
l’ancienneté requise
pour bénéficier On peut également noter que la protection y parvenir. Ces réflexions et ces recomman-
d’indemnités pour de l’emploi a eu tendance à faiblir sur cette dations semblent rencontrer un certain écho
maladie et pour
même période, en particulier dans les pays où dans les politiques nationales si l’on observe
licenciement, la
portabilité du elle était la plus forte (Italie, Grèce, Portugal). l’évolution institutionnelle et les taux d’em-
droit individuel ploi des pays de l’UE au cours de la décennie
à la formation…
S’il est impossible d’attribuer à la politique
passée.
européenne en matière d’emploi toutes les
évolutions constatées, on peut penser que la Pourtant, nous avons vu qu’il n’existe pas de
fixation d’objectifs et la promotion de cer- voie unique pour parvenir à de bons résul-
taines politiques par la Commission euro- tats. En outre, le rôle joué par des politiques
péenne jouent comme une caisse de résonance autres que celles de l’emploi – conjoncturelles
pour les travaux économiques allant dans le et industrielles par exemple – ne doit pas être
même sens. sous-estimé pour expliquer les divergences
entre les pays. Les complémentarités institu-
*** tionnelles mises en avant dans la littérature
récente jouent en effet un rôle déterminant,
L’hétérogénéité concernant le marché du les performances en termes d’emploi ne pou-
travail demeure donc importante au sein de vant être expliquées par les seules institu-
l’Union européenne aussi lieu sur le plan tions du marché du travail, mais bien par la
des institutions que sur celui des résultats prise en compte plus large d’un ensemble de
en termes d’emploi et de chômage. Si l’UE politiques économiques.

POUR EN SAVOIR PLUS


™ AMABLE B. (2005), Les cinq ™ DU CAJU P., GAUTIER E., ™ GAUTIÉ J. (2009), Le chômage,
capitalismes. Diversité des MOMFERATOU D. et WARD- Paris, La Découverte, coll.
systèmes économiques WARMEDINGER M. (2008), « Repères ».
et sociaux dans la « Institutional Features
mondialisation, Seuil, Paris. of Wage Bargaining in
™ BERTOLA G., BOERI T. et 23 European Countries, the
CAZES S. (2000), « La protection US and Japan », European
de l’emploi dans les pays Central Bank Working Paper
industrialisés : repenser Series, n° 974, décembre.
les indicateurs », Revue ™ ERHEL C. (2009), Les
Internationale du Travail, politiques de l’emploi, Paris,
vol.139, n° 1. PUF, coll. « Que sais-je ? ».

57 LES MARCHÉS DU TRAVAIL EN EUROPE : ENTRE DIVERSITÉ ET CONVERGENCE


L’une des particularités du marché du travail est son caractère fortement conflictuel. Dans les
économies avancées, cette conflictualité est largement institutionnalisée, mais le rôle et les
relations qu’entretiennent les différentes forces en présence – syndicats de salariés, orga-
nisations d’employeurs, représentants de l’État – diffèrent fortement. En Europe, cette diver-
sité recoupe en partie celle des formes du capitalisme. On observe toutefois aussi, comme le
montre Michel Lallement, des tendances communes : partout, le virage libéral des années 1980
s’est accompagné d’une baisse des taux de syndicalisation et de transformations des relations
professionnelles en lien avec les politiques de flexibilisation. De la même façon, depuis 2007-
2008, la plupart des États ont mis en œuvre, dans la foulée de la crise économique et de la crise
des dettes souveraines, des politiques de l’emploi et des réformes du marché du travail. Les
stratégies face à la crise témoignent cependant d’un maintien de la diversité du capitalisme et
des modes de gestion des relations professionnelles.
Problèmes économiques

Conflits sociaux, négociations


collectives et marchés du travail.
Une comparaison internationale
Les relations professionnelles désignent
l’ensemble des interactions qui, à tous les
 MICHEL LALLEMENT
niveaux de l’économie, mettent en présence Professeur de sociologie au CNAM (Paris),
des syndicats de salariés, des organisations membre du Lise-CNRS
d’employeurs et, le cas échéant, des représen-
tants de l’État. Par l’entremise du conflit et
de la négociation, les acteurs des relations
professionnelles discutent et se mettent de traditions nationales dont les sources
d’accord sur des règles relatives aux condi- puisent dans la longue durée. Certains pays
tions de travail et d’emploi. Aujourd’hui, possèdent cependant des traits suffisamment
en dépit d’évolutions significatives liées proches pour que l’on puisse les associer
aussi bien à la mondialisation qu’à la crise dans une même famille. On peut ainsi distin-
économique, les façons de s’opposer et de guer plusieurs variétés de relations profes-
négocier demeurent toujours dépendantes sionnelles et brosser le tableau des grandes

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 58


évolutions contemporaines des conflits du grève aux États-Unis, en Europe occidentale
travail et des négociations collectives jusqu’à et au Japon indique par exemple à quel point
la période de turbulences qui s’est ouverte en ce dernier pays se distingue des deux autres
2007-2008. espaces. Comme l’indique le graphique  1,
les conflits du travail y sont extrêmement
faibles, en raison au premier chef de la puis-
Variété des relations professionnelles sance des compromis qui lient les salariés à
et conflits du travail leurs employeurs.

Pays anglo-saxons, Japon 1. Évolution des conflits du travail en Europe,


aux États-Unis et au Japon (nombre annuel
et Europe continentale : de jours perdus pour 1 000 salariés de l’industrie
un premier triptyque et des services)
Vu de très haut, plusieurs variétés de rela- 180
tions professionnelles se distinguent. La États-Unis
160
première rassemble les pays anglo-saxons UE14
(Australie, Canada, États-Unis, Royaume- 140 Japon

Uni, Nouvelle-Zélande) où des syndicats, 120


souvent de métiers, agissent pour partici- 100
per à la détermination des salaires et des
conditions d’emploi. Dans ces pays, l’État est 80
plutôt économe en matière de dispositions 60
législatives et l’entreprise est le lieu privilé- 40
gié de la négociation. Ailleurs, au Japon par
20
exemple, les choix ont été différents. Après
les années 1950, pour mener la lutte sociale 0
[1] 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Bouissou J.-M. (1998),
L’envers du consensus.
et discuter avec les employeurs, l’action coor-
Les conflits et leur donnée entre syndicats d’entreprise d’une UE 14 : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne,
gestion dans le Japon même industrie a longtemps été de règle. À Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas,
contemporain, Paris, Portugal, Royaume-Uni, Suède.
Presses de Science Po.
la fin du siècle dernier, la stratégie adoptée
conduit vers davantage de coopération et de Source : BIT, Eurostat, statistiques nationales.
modération1. Sur le continent européen, les
options retenues sont encore autres. Là, les La diversité européenne
syndicats se sont progressivement organisés
par industries. L’État est plus souvent actif Trois modèles européens
et il peut intervenir comme un acteur à part de syndicalisme…
entière dans le cadre d’actions concertées tri- Ce coup de sonde macroscopique n’est pas
partites. Les négociations prennent vie enfin sans limites. L’Europe, en effet, est elle-même
à des échelons plus élevés que l’entreprise, un puzzle. Trois modèles composent sa par-
que ce soit au sein des branches, des régions tie occidentale, dont Richard Hyman (1997) a
ou encore, à un cran supérieur, au niveau souligné les spécificités pour ce qui concerne
national. D’autres variétés de relations pro- les syndicats. Dans un premier cas de figure,
fessionnelles pourraient bien sûr être évo- les organisations de défense des intérêts
quées. Ce seul triptyque est déjà révélateur, à salariés concentrent plutôt leur action sur le
lui seul, de la multiplicité des formes de régu- marché du travail. Elles sont avant tout des
lations sociales qui gouvernent les relations coalitions d’intérêts, des « syndicats d’af-
entre salariés et employeurs. La comparaison faire ». Le second cas correspond à un syn-
du nombre de journées perdues pour fait de dicalisme d’intégration sociale, préoccupé

59 CONFLITS SOCIAUX, NÉGOCIATIONS COLLECTIVES ET MARCHÉS DU TRAVAIL


en priorité par le statut des salariés dans la centre et du Nord de l’Europe : l’Allemagne, la
société ainsi que par les possibilités d’évo- Suisse, l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark,
lution et de promotion qui leur sont offerts. la Suède ou encore la Finlande.
La troisième figure est marquée, au nom des
P.  Hall et D. Soskice reconnaissent l’exis-
oppositions de classe, par la propension à
tence d’une troisième variété de capitalisme,
la lutte sociale. Chaque pays européen asso-
les économies méditerranéennes, dont l’Ita-
cie plus ou moins fortement chacune de ces
lie, l’Espagne et la France fournissent de
dimensions : le Royaume-Uni lie par exemple
bonnes illustrations empiriques. Dans ce
logique de marché (premier cas de figure) et
cas de figure, l’État joue un rôle-clef dans les
logique de classe (troisième cas), l’Italie celle
régulations de la vie économique et sociale.
de la classe et de la société, l’Allemagne celle
Il existe par ailleurs une bonne complémen-
de la société et du marché.
tarité entre le système de protection sociale,
… qui font écho aux différentes formes moins développé que dans les économies
de capitalisme coordonnées, et un niveau de protection de
l’emploi beaucoup plus élevé en revanche
Cette typologie se marie assez bien avec qu’en Allemagne, en Autriche et dans les pays
celle des variétés du capitalisme que pro- nordiques. Les économies méditerranéennes
posent Peter Hall et David Soskice (2001). se caractérisent par ailleurs par une relative
Ceux-ci opposent fondamentalement deux faiblesse des systèmes éducatifs et par une
types-idéaux : celui des économies de marché difficulté à établir des stratégies industrielles
libérales et celui des économies de marché qui favorisent des produits et à haute valeur
coordonnées. À la façon du Royaume-Uni ou ajoutée. Parce qu’elle donne la priorité aux
de l’Irlande, les économies libérales asso- niveaux intermédiaires comme les branches,
cient des dépenses publiques sous contrôle, la négociation collective est moins centra-
des redistributions limitées, des prestations lisée que dans les économies coordonnées
sociales peu généreuses et destinées avant mais plus centralisée que dans les économies
tout aux plus pauvres et, enfin, un recours libérales. Les luttes sociales relatives au tra-
prioritaire des entreprises aux marchés vail s’expriment enfin de façon souvent plus
financiers. Du point de vue des relations pro- vive qu’ailleurs, que ce soit sous la forme de
fessionnelles, la forte décentralisation de la grèves ou de manifestations dans l’espace
négociation collective facilite la pratique des public. Il n’est pas étonnant, par conséquent,
ajustements économiques flexibles, tant pour que dans la décennie qui a précédé la crise,
ce qui concerne le salaire, l’emploi ou encore l’évolution des conflits du travail oppose des
le temps de travail. pays à forte conflictualité comme l’Espagne
Le modèle des économies coordonnées repose et l’Italie à d’autres, proches du modèle des
sur des dispositifs qui échappent davantage économies coordonnées (Autriche, Allemagne,
à la logique du marché. Il cumule les traits Danemark, Pays-Bas, Suède) où la paix sociale
suivants : un État plus actif que dans le cas est davantage la règle, les économies libérales
précédent ; un niveau de prélèvement obliga- (Irlande, Royaume-Uni) s’inscrivant dans un
toire élevé et, plus généralement, un système entre-deux.
de sécurité sociale relativement généreux ; un
poids important des banques dans le finan-
Quelques exceptions
cement de l’économie… Les relations profes- Il faut se défier toutefois des lois générales. La
sionnelles sont caractérisées par l’existence Finlande et le Danemark, où le taux de conflic-
de partenaires sociaux autonomes et dotés tualité est plus élevé que dans les autres pays
d’un sens du compromis. Les déclinaisons nordiques, échappent par exemple à la ratio-
empiriques de ce type idéal sont variées nalité du classement qui vient d’être sug-
puisqu’elles concernent nombre de pays du géré. En raison à l’inverse d’un faible taux

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 60


de conflictualité, la France semble aussi faire nombreuses mutations. Le taux de syndica-
exception. En réalité, elle signale surtout lisation, premier indicateur intéressant pour
les limites de comparaisons opérées à l’aide sonder l’importance des transformations,
d’indicateurs parfois extrêmement fragiles. présente deux caractéristiques majeures. Il
Les statistiques du ministère du Travail fran- varie d’abord fortement d’un pays à l’autre.
çais souffrent de biais multiples, liés notam- En 2010, il oscille entre moins de 20 % (en
ment à la difficulté à faire remonter par voie France, aux États-Unis, en Espagne…) et près
administrative des informations fiables sur de 70 % dans les pays nordiques (Danemark,
les conflits du travail en entreprise. Pour Suède, Finlande…), avec un taux moyen d’en-
cette raison, le ministère a d’ailleurs cessé, viron 30 % pour l’ensemble des économies de
après 2006, de publier l’indicateur des jour- l’OCDE (graphique 2). La vivacité des mouve-
nées individuelles non travaillées qui ser- ments syndicaux n’est pas la seule variable
vait jusqu’alors pour évaluer la conflictualité explicative de ces différences. L’écart entre
française. les taux nationaux reflète aussi des concep-
tions multiples de l’engagement syndical. Par
[2]
Visser J. (1991),
« Tendances de la
syndicalisation »,
Les relations professionnelles exemple, comme l’a remarqué Jelle Visser2,
l’équivalent français du syndicaliste britan-
Perspectives de l’OCDE,
Paris, OCDE.
à l’épreuve nique serait le travailleur qui vote pour le
syndicat lors de l’élection des comités d’en-
treprise. Par ailleurs, les incitations et les
Des taux de syndicalisation
effets associés au fait d’être membre d’une
variables d’un pays à l’autre… organisation syndicale étant aussi inégaux,
Depuis les années 1980 au moins, les rela- les taux d’adhésion varient en conséquence.
tions professionnelles ont été le siège de Au Canada, au début des années 2000, le taux

2. Taux de syndicalisation en 2005 et 2010


%
100
90 2010 ou dernière année disponible
80
2005
70
60
50
40
30
20
10
0
Ét C nie
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Lu
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N

Pour 2010 : 2009 pour Belgique, Chili, République tchèque, Danemark, Irlande, Corée, Pays-Bas, Norvège, Slovénie, Espagne,
Suisse et Turquie ; 2008 pour Brésil, France, Grèce, Hongrie, Islande, Luxembourg, Russie, Slovaquie et Afrique du Sud ; 2007
pour Indonésie et Israël. Pour 2005 : 2006 pour Israël, 2003 pour Slovénie ; 2002 pour Islande et 2001 pour Russie.
Source : OCDE.

61 CONFLITS SOCIAUX, NÉGOCIATIONS COLLECTIVES ET MARCHÉS DU TRAVAIL


d’accès aux différents régimes de protec- à 69 % chez les ouvriers mais, dans le même
tion sociale passe par exemple du simple au temps, a augmenté d’un point (pour atteindre
double selon que les salariés sont affiliés ou 73 %) du côté des cols blancs (employés et
non à un syndicat. cadres), etc.

… mais orientés à la baisse Ici et là, par ailleurs, s’inventent de nouvelles


formes de conflictualité dans le travail qui
La baisse tendancielle est une seconde carac-
échappent aux statistiques habituelles. En
téristique majeure de l’évolution des taux
France, mesurée en termes de journées de
de syndicalisation des principaux pays de
grève, la conflictualité semble avoir atteint
l’OCDE. L’érosion est visible sur le court
son étiage le plus bas depuis les années 2000
terme (graphique 2) comme sur le moyen
(avec, par exemple, à peine 200 000 journées
terme. Même les pays à forte tradition syndi-
non travaillées en 2004 contre un million
cale s’inscrivent sur une pente descendante.
et demi en moyenne annuelle au début des
En Allemagne, la Réunification a fait grimper
années 1980). Or, les enquêtes sur les rela-
le nombre d’adhérents au DGB (principale
tions sociales en entreprise (Amossé et al.,
confédération syndicale du pays) de 8  mil-
2008) signalent la montée de comportements
lions avant la chute du mur à un peu moins
de 12 millions immédiatement après. Depuis, protestataires, tels que le refus des heures
la décrue est constante. Le nombre des adhé- supplémentaires ou la signature de pétitions,
rents est comparable aujourd’hui à celui du qui échappent aux modes d’action anciens.
début des années 1950 (6  millions environ). En Allemagne, la courbe des journées perdues
Les pays nordiques ne dépareillent pas. Alors pour fait de grève demeure fidèle à la philo-
qu’elles franchissaient la barre des 80 % au sophie qui structure les relations profession-
milieu des années 1990, la Suède et la Fin- nelles dans ce pays : aux pics de conflictualité
lande affichent au début des années 2010 (plus de 310 000 jours ouvrables non travail-
des taux de syndicalisation proches de 70 %, lés en 2002, près de 430 000 en 2006) succè-
niveau comparable à celui du Danemark. dent des périodes de paix sociale d’au moins
La Norvège, quant à elle, est passée dans le une ou deux années. Cela n’empêche pas les
même temps de 60 % à un peu plus de 50 %. salariés allemands d’inventer eux aussi de
Ailleurs, le bilan ne détonne pas davantage : nouveaux modèles de contestation. En 2010,
baisse du taux de syndicalisation aux États- la Cour fédérale du travail a dû se pronon-
Unis, au Canada et au Royaume-Uni, stagna- cer sur le cas des Flashmobs (actions éclairs)
tion en France et en Espagne… dans le secteur du commerce des produits
alimentaires. Pour protester contre la poli-
Des relations professionnelles tique menée par certains employeurs, des
en mutation militants se contactent par emails et SMS et,
durant leur temps libre, se rendent dans un
Nouvelle base syndicale magasin où ils réalisent de concert de menus
et nouvelles formes de conflictualité achats, bloquent les caisses avec leurs char-
Ces tendances générales occultent cependant riots… La Cour a statué en faveur de la léga-
des mutations qui méritent d’être consi- lité de telles actions. Si l’on ajoute d’autres
dérées. Le syndicalisme n’est plus d’abord formes encore de mobilisation (actions spec-
une affaire qui regarde principalement les taculaires à valeur symbolique en direction
ouvriers de l’industrie. En France, au début des médias, recours à l’expertise pour contes-
des années 2000, le taux de syndicalisation ter les décisions des employeurs, coordina-
est d’environ 5 % chez les ouvriers, 6 % chez tions internationales…), tout indique que,
les employés et 13 % chez les cadres. En plus qu’un déclin des conflits du travail, c’est
Suède, entre 2008 et 2010, il est passé de 71 % un nouveau répertoire d’action collective qui

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 62


s’invente aujourd’hui dans la plupart des les économies européennes sont en position
pays industrialisés. honorable (la France est à 95 %, l’Espagne et
l’Italie à 80 %), les économies libérales occu-
Recul et transformation pant plutôt la queue de peloton (35 % environ
des accords collectifs pour le Royaume-Uni) et les économies coor-
Cette mutation ne freine pas pour autant les données une place symétrique (plus de 90 %
évolutions propres aux accords collectifs, dont en Finlande et en Suède). Dans ce tableau
l’examen révèle de fortes disparités nationales d’ensemble, l’Allemagne constitue un cas inté-
(tableau 1). Élément caractéristique des chan- ressant à considérer. Comme presque partout
gements qui affectent les relations profession- ailleurs, on constate une diminution du taux de
nelles aujourd’hui, on constate plus encore couverture des conventions collectives. Piliers
une baisse du taux de couverture des conven- du système de relations professionnelles alle-
[2]
Le taux de couverture tions collectives3, qui, en 2008, varie entre mand, les accords de branche couvraient 64 %
rapporte le nombre de
travailleurs couverts
presque 100 % en Autriche et 13 % aux États- des salariés des régions de l’Ouest en 2001 et
par une convention Unis avec un dégradé régulier au sein duquel 45 % de celles de l’Est. En 2011, les taux ont
collective (de branche,
d’entreprise…) à la
population totale des 1. Les conventions collectives dans les pays de l’OCDE (2009) : taux de couverture,
salariés. niveaux et extension
Taux de
Principal niveau Possibilité d’extension des
Couverture
de négociation conventions collectives
(en %)
Allemagne 63 branche oui
Autriche 99 branche oui
Danemark 82 branche/entreprise non
Espagne 80 interprofessionnel/branche/ oui
entreprise
États-Unis 13 entreprise non
Finlande 90 branche (accord-cadre oui
interprofessionnel)
France 95 branche/entreprise oui
Grèce 85 branche oui
Hongrie 35 entreprise oui
Irlande nd interprofessionnel/entreprise non
Italie 80 branche pour les salaires
Japon 16 entreprise non
Norvège 72 interprofessionnel/branche oui
Pays-Bas 82 branche oui
Pologne 35 entreprise/branche oui
Portugal 62 branche oui
République 44 entreprise/branche oui
tchèque
Royaume-Uni 35 entreprise non
Slovaquie 35 branche/entreprise oui
Slovénie 100 Interprofessionnel/Branche Oui
Suède 92 Branche Non
Source : Social International, n° 712, avril 2011, p. 27.

63 CONFLITS SOCIAUX, NÉGOCIATIONS COLLECTIVES ET MARCHÉS DU TRAVAIL


chuté à, respectivement, 54 % et 37 %. Mais la 2011). Dans tous les cas, le rôle des relations
novation vient aussi d’une décision du 24 juin professionnelles s’est avéré essentiel pour
2010 de la Cour fédérale du travail qui a remis les choix d’adaptation du marché du travail
en cause le principe de convention collective face à la crise. Les pays les plus proches de
unique. Plusieurs syndicats pourraient signer l’idéal-type des économies libérales (Irlande,
des conventions collectives différentes (selon Royaume-Uni) ont opté pour un double ajus-
les segments professionnels) au sein d’une tement par le marché, à la fois par les quanti-
même entreprise, ce qui aurait alors pour tés de travail (recours aux licenciements et au
effet de transformer en profondeur le mode de sous-emploi) et par son prix (austérité sala-
fonctionnement des relations professionnelles riale). Au Royaume-Uni, dans la mesure où la
allemandes. réglementation sur les licenciements est l’une
Ailleurs qu’en Allemagne, les transforma- des moins draconiennes d’Europe, le marché
tions des règles relatives à la négociation du travail a rapidement réagi au choc de l’au-
signalent plus généralement une volonté tomne 2008 sans que les organisations syndi-
commune à de nombreux pays. L’objectif cales ne puissent faire barrage aux stratégies
est une plus grande flexibilité du travail et des employeurs. Le taux de chômage, qui était
de l’emploi. En accordant la prééminence à passé sous la barre des 5,5 % depuis le début
des niveaux de régulation décentralisés, en de la décennie 2000, a grimpé en quelques
permettant aux entreprises de déroger plus mois à près de 8 %. En moins d’un an égale-
facilement qu’auparavant aux normes édic- ment, le taux d’emploi des personnes en âge
tées par le droit du travail ou par les conven- de travailler a chuté de 2,5 points.
tions de niveau supérieur (interprofessionnel, La seconde stratégie repérable est celle adop-
branche…), en autorisant des accords de type tée par les économies, comme l’Allemagne,
donnant-donnant (gel salarial contre main- le Danemark, etc., qui, en cohérence avec la
tien de l’emploi par exemple), la tendance qui logique qui fonde les économies coordonnées,
se dessine nettement au cours de ces deux ont joué la carte de la flexibilité interne. Pour
dernières décennies favorise l’adoption de pouvoir conserver une main-d’œuvre qua-
règles négociées localement pour pouvoir lifiée, et rare par ailleurs sur le marché du
s’adapter à des réalités diversifiées. travail, les acteurs des relations profession-
nelles ont favorisé le recours à deux disposi-
tifs complémentaires : la réduction du temps
Crises économiques et relations de travail (usage des comptes de temps indi-
professionnelles : permanences viduels) et le chômage partiel (Kurzarbeit).
Dans l’ensemble de l’économie allemande,
et inflexions depuis 2008 cette dernière formule a été multipliée par
près de dix entre novembre 2008 et le milieu
Des stratégies face à la crise de l’année 2009. En juin 2009, l’Agence fédé-
rale pour l’emploi allemande estimait que
conformes aux modèles de
1,4 million de salariés avaient déjà été mis au
capitalisme et de relations chômage partiel, soit l’équivalent d’un sala-
professionnelles rié sur vingt et d’une réduction du temps de
La crise économique, puis celle des dettes travail de 30 %.
souveraines, ont largement contribué à La dernière stratégie que l’on a pu observer
l’amplification des évolutions qui viennent en 2008 et 2009 a consisté, comme en France
d’être signalées. En Europe, les réactions ou en Espagne, à reporter sur les franges
face à la première crise ont d’abord révélé les plus précaires du salariat le poids de
l’importance des trois variétés de capita- la crise. Dans ces pays, proches du modèle
lisme décrites précédemment (Lallement, des économies méditerranéennes, les plus

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 64


vulnérables (travailleurs intérimaires, sala- Plus que jamais, donc, les cadres qui struc-
riés sous contrat à durée déterminée…) ont turent les relations professionnelles sont
été les premiers à être écartés de l’emploi. mis à mal. Les réformes sont à ce point bru-
En France, les entreprises industrielles les tales qu’en Grèce, en Espagne et au Portugal,
plus immédiatement et directement affec- là où la contrainte est la plus pesante, elles
tées par la chute des commandes ont certes provoquent régulièrement des éruptions de
évité des licenciements pour garder leur colère collective. En Grèce et en Espagne, les
main-d’œuvre qualifiée en ayant recours au syndicats ont même introduit des recours
chômage partiel. Mais l’intérim a aussi servi auprès de l’Organisation internationale du
d’amortisseur aux dépens des personnes qui travail (OIT) et du Conseil de l’Europe pour
n’appartiennent pas au « noyau dur » du sala- protester contre la manière dont leurs États
riat. Plus d’un poste d’intérimaire sur trois a respectifs ont empiété sur le domaine de la
été éliminé entre le début de l’année 2008 et le négociation collective.
second trimestre 2009. En Espagne, le tableau
En France, le changement est moins radical
est similaire. Entre juin  2008 et juin  2009,
mais il n’échappe pas plus qu’ailleurs à l’exi-
90 % des pertes d’emploi sont imputables à
gence de « flexisécurité ». Le projet d’accord
des disparitions de contrats temporaires.
sur la « sécurisation de l’emploi » signé le
11 janvier 2013 par les organisations repré-
Réformes du marché du travail sentant les employeurs et trois confédéra-
et des politiques de l’emploi tions syndicales de salariés (CFDT, CFTC,
CGC) en fournit une belle illustration. Grâce
Passé le temps du choc initial, tous les pays à un tel accord, les employeurs obtiennent
européens ont mis en chantier d’importantes la possibilité de procéder plus aisément à
réformes du marché du travail et des poli- des licenciements. Le texte leur offre aussi
tiques d’emploi. Qu’elles aient une portée davantage de latitude pour imposer plus de
structurelle ou non, qu’elles soient ou non la mobilité interne aux salariés. En cas de dif-
conséquence directe des crises, la liste des ficultés conjoncturelles graves, il leur est
mesures adoptées est impressionnante : gel enfin possible, désormais, de négocier une
ou réduction des salaires dans la fonction baisse des rémunérations et/ou du temps de
publique, diminution du montant d’indem- travail en échange d’un engagement à ne pas
nisation ou de la durée d’indemnisation de licencier. En contrepartie à tous ces supplé-
certaines prestations sociales, augmentation ments de flexibilité, les salariés acquièrent
de la TVA, réforme des retraites, révision du de nouveaux avantages : bénéfice des droits
statut de la fonction publique, évitement du à l’assurance-chômage non utilisés en cas de
recours au juge en cas de licenciement, pri- reprise d’activité par un chômeur, généralisa-
vilège donné à la négociation d’entreprise… tion de la couverture complémentaire santé,
En résumé, dans la grande majorité des pays amélioration de la couverture prévoyance
européens, ex-pays de l’Est compris, quatre des chômeurs. Les risques d’une trop grande
grands types de réforme ont été discutées et/ précarité sont tempérés par ailleurs par une
ou menées entre  2008 et  2012. Elles visent, taxation des emplois à faible durée (majora-
respectivement, à favoriser toujours davan- tion des cotisations d’assurance-chômage des
tage les négociations d’entreprises (aux contrats de travail de moins de trois mois).
dépens des accords de branche et des accords
interprofessionnels), à faciliter les modalités ***
de licenciements individuels et collectifs, à
assouplir la législation sur le temps de tra- Dans le mouvement de recomposition que
vail et, enfin, à faciliter le recours aux emplois les crises récentes viennent d’accélérer, l’Eu-
précaires (tableau 2). rope sociale serait-elle la grande absente ?

65 CONFLITS SOCIAUX, NÉGOCIATIONS COLLECTIVES ET MARCHÉS DU TRAVAIL


2. 2008-2012 : le temps des réformes (projets et réalisations)
Réformes des Changements
Changements rela-
relations profes- relatifs aux règles Changements
tifs aux règles des
sionnelles et des de licenciements relatifs aux règles
contrats de travail
systèmes de négo- individuels du temps de travail
atypiques2
ciation collective1 et collectifs
Allemagne + +
Belgique + + +**
Bulgarie + +**
Chypre +
Espagne + + + +/+**
Estonie + + +
Finlande +
France + +**
Grèce * + + + +**
Hongrie + + + +**
Italie + + +**
Irlande* +
Lettonie + +
Lituanie + + +
Luxembourg +
Pays-Bas + +
Pologne + + +*
Portugal * + + + +
Roumanie + + + +/+**
République
+ + +*
slovaque
Slovénie + + +*
Suède + +**
République
+ + +*
thèque
Royaume-Uni + + +
1. Y compris la décentralisation des négociations collectives.
2. Y compris la création de nouveaux types de contrats (+*), en particulier pour les jeunes (+**).
(*) Pays ayant conclu un protocole d’accord avec l’UE, le FMI et le BCE.
Source : Clauwaert S., Schömann I., « La crise et les réformes nationales du droit du travail – Bilan », Étui, Working Paper 2012-
04, p. 10.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 66


Répondre trop rapidement par l’affirmative et début 2011, le dialogue social sectoriel a
serait exagéré. Les directives du Conseil de fait l’objet pour sa part de quatorze décla-
l’Union européenne, les préconisations issues rations jointes relatives à la crise (dans le
des dialogues sociaux interprofessionnels commerce, la chimie, les services publics, les
et sectoriels constituent autant de règles à transports…). Le problème est que toutes ces
même de peser sur les régulations du travail discussions aboutissent à des préconisations
et de l’emploi. Après vingt mois de négocia- qui restent encore trop peu suivies d’effets.
tions intensives, les acteurs syndicaux et C’est donc certainement un des grands défis
patronaux européens (CES, Businesseurope, des années et des décennies à venir que de
UEAPME et CEEP) ont ainsi signé, le 25 mars parvenir à la mise en place d’un système de
2010, un accord sur les marchés du travail relations professionnelles européen (et pour-
inclusifs, qui s’inscrit dans la logique d’une quoi pas mondial ultérieurement) capable de
stratégie post-Lisbonne. L’objectif est d’aider peser véritablement à tous les niveaux sur les
les personnes défavorisées à entrer, à rester et choix opérés pour gérer le travail et l’emploi.
à évoluer sur le marché du travail. Entre 2008

POUR EN SAVOIR PLUS


™ AMOSSÉ T., BLOCH-LONDON Oxford, Oxford University ™ LALLEMENT M. (2011),
C. et WOLFF L. (dir.) (2008), Press. « Europe and the Economic
Les relations sociales ™ HYMAN R. (1997), « La Crisis. Forms of Labour
en entreprises, Paris, La géométrie du syndicalisme : Market Adjustment and
Découverte. une analyse comparative des Varieties of Capitalism »,
™ HALL P. et SOSKICE D. (2001), identités et des idéologies », Work, Employment and
Varieties of Capitalism : The Relations industrielles/ Society, Vol. 25, n° 4,
Institutional Foundations Industrial Relations, vol. 52, décembre.
of Comparative Advantages, n° 1.

67 CONFLITS SOCIAUX, NÉGOCIATIONS COLLECTIVES ET MARCHÉS DU TRAVAIL


ZOOM conjoncturelles » de baisser les rémunérations
et/ou le temps de travail ; en contrepartie,

L’ACCORD
elles s’engagent à ne pas licencier. L’accord,
qui nécessite le feu vert du ou des syndicat(s)
DE SÉCURISATION représentant au moins 50 % du personnel,

DE L’EMPLOI
est conclu pour une durée maximale de deux
ans. Les salariés qui refusent de se plier à ces
DU 11 JANVIER 2013 nouvelles conditions de travail sont licenciés.
L’employeur doit leur proposer « des mesures
L’accord modifie en profondeur des pans d’accompagnement » mais il n’est pas soumis
entiers du code du travail. Certaines mesures aux obligations liées à un licenciement
donnent une plus grande liberté d’action économique collectif (offre de reclassement,
aux entreprises qui veulent se restructurer. etc.).
D’autres renforcent la protection des salariés.
Mobilité interne
Licenciements
Les entreprises peuvent mettre en place
Les règles de contestation des licenciements
une organisation qui contraigne, en cas
économiques collectifs sont bouleversées. Le
de besoin, les salariés à changer de poste
but est de limiter le contrôle des tribunaux,
ou de lieu de travail. Celui qui refuse cette
qui débouche parfois sur l’annulation du
nouvelle affectation est licencié « pour motif
plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, plan
personnel » ; il a droit à des « mesures de
social) ou sur le versement de dommages et
reclassement » mais les obligations pesant sur
intérêts aux salariés. Désormais, la procédure
l’employeur sont moins fortes que celles liées
et le contenu du PSE feront l’objet soit d’un
à un licenciement économique.
accord majoritaire, soit d’une procédure
d’homologation par l’administration. Des Droits rechargeables
recours devant le juge sont possibles, contre
Cette mesure cherche à encourager le retour
la procédure elle-même ou contre la teneur
sur le marché du travail des chômeurs. Elle
du PSE. Le salarié peut également saisir la
leur permet, quand ils reprennent une activité,
justice si le motif du plan social ne lui paraît
de garder les droits à l’assurance-chômage
pas valable – mais dans des délais plus courts
non utilisés. Toutefois, ce dispositif ne doit
qu’avant. Pour fixer l’ordre dans lequel les
pas « aggraver le déséquilibre financier » de
salariés sont licenciés, le chef d’entreprise
l’Unedic. À cet effet, des études d’impact
aura la possibilité de « privilégier la compétence
seront conduites et suivies de mesures
professionnelle ».
correctrices en cas de dérapage. La
Conciliation construction du dispositif sera aussi tributaire
L’objectif est d’accélérer la résolution de négociations sur la convention d’assurance-
des litiges liés à un licenciement. Lors de chômage, qui doivent s’ouvrir cette année.
l’audience de conciliation, qui se tient au début
Généralisation de la complémentaire
de la procédure devant les prud’hommes,
santé
le patron et son salarié peuvent mettre fin à
leur différend, moyennant le versement à ce Les entreprises devront souscrire un
dernier d’une indemnité forfaitaire, qui varie en contrat auprès d’un organisme (mutuelle,
fonction de son ancienneté. assurance, institution paritaire…) pour
proposer à leur personnel une couverture
Accords de maintien dans l’emploi collective complémentaire des frais de santé.
Ils consistent à permettre aux entreprises Le financement de ce mécanisme sera
confrontées « à de graves difficultés partagé par moitié entre les salariés et les

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 68


employeurs. Les salariés qui perdent leur CDD d’usage (propres à certains secteurs)
emploi bénéficieront de la couverture santé sont soumis au même traitement (0,5 point
et prévoyance pour une durée portée à un an en plus, à 4,5 %). Échappent à ces ponctions
(contre neuf mois jusqu’à maintenant). l’intérim et les CDD liés à des remplacements
ou à des activités saisonnières. Le but est de
Temps partiel
museler la très forte croissance des contrats
Pour mieux encadrer l’exercice du temps courts depuis une dizaine d’années, tout en
partiel, des négociations s’ouvriront, encourageant le développement de postes
notamment dans les branches très concernées durables en faveur des jeunes. Les CDI signés
par le phénomène (au moins un tiers des pour embaucher une personne de moins de
effectifs). Les salariés ne pourront pas 26 ans seront ainsi exonérés de cotisations
travailler moins de vingt-quatre heures par patronales d’assurance-chômage pendant
semaine (excepté ceux qui sont employés par trois mois (quatre mois dans les plus petites
des particuliers et les étudiants de moins entreprises).
de 26 ans). Toutefois, une durée d’activité
inférieure est possible si le salarié le demande Mais le dispositif est loin de faire l’unanimité.
pour être au service de plusieurs employeurs. « Je le trouve logique, sur le plan du financement
de l’assurance-chômage. Mais il n’est pas du
Compte personnel de formation tout certain que cela soit bénéfique en termes
Dès son entrée sur le marché du travail et de création d’emplois, surtout dans une période
jusqu’à son départ à la retraite, toute personne où la conjoncture est très dégradée », observe
aura un compte individuel de formation, quel Éric Heyer, de l’Observatoire français des
que soit son parcours professionnel. conjonctures économiques. L’économiste
se demande même si le renchérissement
Information et représentation des charges sur les contrats courts ne va
des salariés pas entraîner une hausse du chômage : les
L’accord instaure une « base de données patrons, au lieu de faire appel à des CDD plus
unique » sur l’entreprise, consultable par coûteux, pourraient choisir d’augmenter le
les représentants du personnel et par les temps du travail des salariés en place. Ou,
délégués syndicaux. Ces informations visent comme le pointe Stéphane Lardy (FO), être
à donner « une présentation pédagogique (…) tentés d’accroître le recours aux intérimaires –
des options stratégiques » de la société. Dans puisque ceux-ci sont exclus des mécanismes
les entreprises employant au moins 10 000 de surcotisation. (*)
personnes dans le monde ou au moins 5 000
en France, il est prévu d’accorder un ou deux Bertrand Bissuel
postes d’administrateur aux salariés (avec voix
délibérative).
(*) Article choisi par Problèmes économiques, paru dans
L’enjeu-clé de la taxation Le Monde du dimanche 13-lundi 14 janvier 2013. Titre
des contrats courts original : « Licenciements, droits des salariés… Ce qui va
changer ». © Le Monde.
La taxation des contrats courts constitue l’une
des dispositions emblématiques de l’accord.
Les cotisations d’assurance-chômage de
certaines catégories de contrats à durée
déterminée (CDD) seront majorées :
le prélèvement passe à 7 % pour les CDD de
moins d’un mois (+3 points) et à 5,5 % pour
les CDD de un à trois mois (+1,5 point). Les

69 CONFLITS SOCIAUX, NÉGOCIATIONS COLLECTIVES ET MARCHÉS DU TRAVAIL


La polémique autour des chiffres du chômage de 2006 montre à quel point la mesure de ce
phénomène, loin de se réduire à des problèmes techniques, soulève des enjeux politiques et
sociaux importants. Ces enjeux sont liés à la fois aux droits sociaux conférés par la recon-
naissance du statut de chômeur et au pouvoir politique exercé par l’évaluation statistique du
chômage.
Après un bref rappel concernant l’historique de ce débat, Jacques Freyssinet en présente les
aspects contemporains. La principale difficulté réside dans la définition des frontières entre
chômage, emploi et inactivité, que le développement du temps partiel et certaines politiques
de l’emploi contribuent à rendre de plus en plus floues. Si l’adoption de critères précis par le
Bureau international du travail (BIT) a facilité les comparaisons internationales, la définition
du chômage adoptée reste très restrictive, contribuant à l’apparition de mesures alternatives.
Seule une multiplicité d’indicateurs peut permettre de rendre compte de la complexité du
phénomène.
Problèmes économiques

La mesure du chômage :
un enjeu de société
La mesure du chômage a été, dès l’appari-
tion de cette notion, l’objet d’un débat social
 JACQUES FREYSSINET
souvent conflictuel. Ce débat est d’abord lié à Professeur émérite à l’Université Paris I,
l’enjeu de l’évaluation du chômage : en quel président du Conseil scientifique
sens doit-elle peser sur les décisions de poli- du Centre d’études de l’emploi
tique économique et sociale ? Il prend ensuite
une forme plus technique lorsqu’il porte sur
le tracé des frontières du chômage : est-il pos-
sible de définir une partition entre la position trouver un accord sur une « vraie » mesure du
de chômeur et d’autres statuts sociaux ? Les chômage. Les progrès à réaliser portent sur
statisticiens ont défini des conventions qui la définition d’une batterie d’indicateurs per- [1]
Pour une
offrent des références de base acceptées mal- mettant d’identifier les différentes formes de présentation d’ensemble
de ces débats, cf.
gré leur caractère partiellement arbitraire. Il sous-utilisation ou de mauvaise utilisation Freyssinet (1999) ; Gautié
est aujourd’hui admis qu’il est vain d’espérer des capacités de travail1. (2009) ; Maruani (2002).

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 70


Un débat récurrent une actualisation mensuelle était réalisée sur
la base du nombre de demandeurs d’emploi
inscrits à l’Agence nationale pour l’emploi
Faute de pouvoir retracer ici toutes les péri-
(ANPE). En 2006, un écart important apparaît
péties historiques, il est utile de montrer que
entre les résultats de l’enquête sur l’emploi et
si les termes du débat ont changé depuis un
les évaluations établies sur la base des don-
siècle, ses enjeux politiques et sociaux sont
nées de l’ANPE. Début 2007, l’INSEE décide
toujours demeurés conflictuels.
de suspendre la publication des résultats de
La fin du XIXe siècle est le moment de l’enquête sur l’emploi de 2006 et de fournir
l’« invention du chômage » (Salais et alii, 1986) provisoirement des taux de chômage men-
ou de la « naissance du chômeur » (Topalov, suels actualisés avec les chiffres de l’ANPE à
1994). L’élargissement du secteur capitaliste partir des résultats de l’enquête de 2005. Cette
entraîne le recul accéléré des activités indé- décision, qui conduit à réduire de près d’un
pendantes, des exploitations familiales, de la point le taux de chômage officiel, provoque
production domestique. Il s’accompagne de une polémique. La critique centrale porte sur
la croissance de la fraction des travailleurs le fait que les données d’enquête sont écar-
qui ne peuvent avoir d’autres moyens d’exis- tées au profit de données administratives qui
tence que le salaire tiré d’un emploi régulier. sont sensibles aux modes de classement des
C’est à leur propos seulement qu’apparaît demandeurs d’emploi, aux règles d’indemni-
dans les recensements de population, à partir sation du chômage et au mode de fonctionne-
de 1896, la catégorie de chômeur. Le recen- ment du service public de l’emploi (Debauche
sement définit d’abord les « sans-emploi » : et al., 2008). C’est la définition des frontières
ceux qui occupaient régulièrement et ont du chômage qui est au centre de la contro-
perdu un emploi salarié au sein d’un établis- verse. Elle provoque la saisie par le gouverne-
[2]
L’une des décisions sement. Sont donc exclus les non salariés, ment des Inspections générales des Finances
importantes qui en
résulte est l’abandon
les travailleurs à domicile, les travailleurs à et des Affaires sociales (Durieux et al., 2007)
des données de emploi irrégulier. Parmi les « sans-emploi », et la création par le Conseil national de l’in-
l’ANPE (aujourd’hui seuls sont classés comme chômeurs ceux qui formation statistique (CNIS) d’un groupe de
Pôle emploi) pour le
suivi du chômage. Le
ont moins de 65  ans et dont l’interruption travail sur ce sujet (de Foucauld et al., 2008).
chômage est désormais d’emploi n’est pas supérieure à un an. Le cri- Ce sont leurs deux rapports qui, pour l’essen-
uniquement mesuré tère est donc celui de l’interruption provisoire tiel, ont fixé les méthodes actuelles de mesure
sur la base de l’enquête
sur l’emploi de l’INSEE. d’une insertion régulière dans l’emploi sala- du chômage2.
Malheureusement, rié. Il s’agit d’identifier un problème social né
comme l’enquête du développement d’un salariat dépourvu de
ne fournit que des
résultats trimestriels, ressources alternatives et rendu menaçant Mesurer : pour quoi faire ?
la publication par la combativité d’un mouvement ouvrier
mensuelle du nombre Ces controverses ne sont pas pures querelles
en essor.
des demandeurs de statisticiens. Elles traduisent les enjeux
d’emploi inscrits à
Un siècle plus tard, une vive controverse politiques du diagnostic porté sur la nature
l’ANPE continue à
être interprétée dans sur les chiffres du chômage confirme la et l’ampleur du chômage. Dès l’origine, le
les media comme récurrence des débats sociaux associés à sa chômage a été mis en relation d’une part
l’indicateur d’évolution
du chômage.
mesure. Conformément à des propositions avec la « question sociale », c’est-à-dire avec
présentées en 1986 dans un rapport d’Ed- les risques d’exclusion et de conflictualité,
[3]
Le chômage mond Malinvaud, un dispositif de mesure d’autre part avec l’efficacité du fonctionne-
frictionnel est celui qui
est provoqué par les
du chômage avait été adopté. Il reposait sur ment du marché du travail. L’affirmation, au
mobilités sur le marché l’enquête sur l’emploi de l’INSEE qui four- lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
du travail et les délais nissait une mesure annuelle en appliquant d’un objectif de plein-emploi apparaissait
qui accompagnent les
passages d’un emploi à la définition dite du BIT (Bureau internatio- comme un engagement d’élimination du chô-
un autre. nal du travail) (voir infra). Dans l’intervalle, mage (autre que frictionnel3). Les noms de

71 LA MESURE DU CHÔMAGE : UN ENJEU DE SOCIÉTÉ


Keynes et de Beveridge sont associés à ce
concept ; or, les définitions qu’ils proposent Critères et frontières :
illustrent la dualité des problématiques qui
sous-tendent la mesure du chômage.
les définitions du BIT
Pour Keynes, le plein-emploi est défini par Les définitions dites du BIT7 établissent au
l’élimination du chômage involontaire : « le sein de la population d’âge actif une partition
plein-emploi est atteint lorsque l’emploi en trois groupes :
global cesse de réagir élastiquement à la – l’emploi rassemble ceux qui exercent un
demande des produits »4 c’est-à-dire dès que travail rémunéré, salarié ou non, quels que [4]
Keynes J.M. (1936),
l’augmentation de la demande entraîne celle soient son taux de rémunération et la durée Théorie générale de
l’emploi, de l’intérêt
des salaires nominaux. On trouvera plus tard du travail8. S’y ajoutent ceux qui, bien que et de la monnaie,
une version dynamique de cette conception sans emploi au moment de l’enquête, ont Paris, Payot, 1966 (trad.
conservé un lien formel avec leur employeur française), p. 48.
dans la définition du NAIRU5. Les banques
centrales ont toujours accordé une grande qui leur assure un revenu9. Il s’agit donc [5]
Non accelerating
importance au chômage en tant qu’outil de d’une définition volontairement extensive ; inflation rate of
unemployment :
lutte contre l’inflation. Le mécanisme n’opère – le chômage réunit les personnes sans taux de chômage non
que si les chômeurs sont activement pré- emploi qui sont à la fois à la recherche d’un accélérateur d’inflation.
sents sur le marché du travail et exercent une travail rémunéré et disponibles pour l’occu- [6]
Beveridge W. (1944),
pression effective sur la détermination des per. Selon la sévérité de leur application, ces Du travail pour tous
salaires par la concurrence qu’ils font aux deux critères engendrent une mesure plus ou dans une société
titulaires d’emplois. Cette approche conduit moins restrictive du chômage ; libre, Paris, Domat-
Monchrestien, 1945
donc à une mesure restrictive du chômage – la troisième catégorie, celle des inactifs, est (trad. française), p. 17.
dont nous verrons l’illustration dans la défi- résiduelle. [7]
Plus précisément,
nition dite du BIT.
Sensibles aux critiques qu’ont engendrées il s’agit de définitions
Pour Beveridge, le plein-emploi suppose la ces définitions, les statisticiens ont choisi adoptées par
les conférences
réalisation de deux conditions : d’abord, il y non de les modifier, mais de les compléter : internationales de
a toujours plus d’emplois vacants que de per- statisticiens du travail
– la notion de sous-emploi lié à la durée du
sonnes en chômage ; ensuite, « les emplois convoquées par le BIT.
travail (précédemment appelé sous-emploi
sont offerts dans des conditions de salaires [8]
En pratique, au moins
visible) regroupe les personnes qui ne sont
acceptables ; ils sont tels et situés à de tels une heure durant la
pas occupées à plein temps mais souhaitent semaine sur laquelle
endroits que le chômeur puisse normale-
travailler plus et sont disponibles pour le porte l’enquête.
ment les prendre »6. Cette définition se situe
faire ; [9]
dans une problématique toute différente. Elle Par exemple, les
repose sur la reconnaissance du droit à l’em- – plus récemment, la notion d’emploi inadé- salariés en chômage
quat a été introduite pour caractériser des technique.
ploi pour tous ceux qui le souhaitent et sur la
garantie d’une qualité minimum des emplois situations de travail « qui diminuent les apti- [10]
En août 2008, alors
offerts. Elle implique une mesure extensive tudes et le bien-être des travailleurs ». Si la que le taux de chômage
définition est encore trop imprécise pour per- était à un niveau
du chômage qui recouvre tous ceux pour les- historiquement bas, une
quels le droit à un emploi de qualité accep- mettre une mesure statistique, trois sources loi a mis en extinction
table n’a pas été satisfait. Ainsi, elle conduit d’inadéquation de l’emploi ont été spéci- les DRE d’ici 2012. Il sera
intéressant de suivre
à prendre en compte toutes les formes de gas- fiées : la mauvaise utilisation des qualifica- sa mise en œuvre dans
pillage quantitatif ou qualitatif de capacités tions, l’insuffisance des revenus et le nombre un contexte de retour
de travail. Nous en trouverons la trace dans d’heures de travail excessif. au chômage massif.

les notions de sous-emploi et d’emploi inadé- Ainsi, partant d’une définition restrictive,
quat élaborées dans le cadre du BIT. qui se réduit aux forces de travail totale-
ment inutilisées et immédiatement dispo-
nibles, les statisticiens du travail élargissent
leur perspective aux différentes formes de

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 72


sous-utilisation ou de mauvaise utilisation
des capacités de travail, mais sans employer Les frontières entre chômage
le terme de chômage pour les désigner. Si on
se limite à la mesure du chômage proprement
et inactivité
dit, les débats engendrés par l’utilisation de Pour être classé comme chômeur, il faut vou-
la définition du BIT portent principalement loir travailler et être disponible pour occuper
sur le tracé des frontières. un emploi. La traduction de ces exigences
en catégories statistiques laisse de vastes
Les frontières entre chômage marges d’appréciation, donc de débat.

et emploi La recherche active d’emploi


La difficulté principale concerne la durée du La volonté de travailler est démontrée
travail. Une heure de travail rémunéré par par le fait qu’une personne accomplit des
semaine suffit pour être classé dans l’emploi. démarches actives pour obtenir un emploi.
Cette convention heurte la perception com- Quels seront les comportements jugés suffi-
mune de ce qu’est un emploi. sants pour prouver une recherche active ? Par
Elle requiert d’abord une réflexion sur la exemple, est-il suffisant de déclarer consul-
nature du travail à temps partiel. Logique- ter les offres d’emploi dans les journaux ou
ment, s’il est l’expression d’un libre choix, sur des sites Internet ou faut-il leur donner
il traduit une décision de partage du temps suite par des candidatures ? Est-il suffisant
entre l’emploi et l’inactivité. Si le temps par- de renouveler chaque mois son inscription
tiel est contraint ou subi, il juxtapose l’emploi auprès du service public de l’emploi ? La
partiel et le chômage partiel. Or, il est diffi- réponse à cette dernière question montre la
cile de distinguer le choix de la contrainte : part d’arbitraire qui existe dans la fixation
une personne n’opère des choix que dans le de la frontière et l’impact politique de cor-
cadre des contraintes auxquelles elle est sou- rections présentées comme techniques. En
mise. En pratique, on se borne à enregistrer France, le renouvellement de l’inscription à
la déclaration des personnes sur leur souhait l’ANPE (aujourd’hui Pôle emploi) était consi-
d’augmenter la durée de leur travail. Il faut déré comme un indice suffisant de recherche
être conscient du fait que des contraintes active d’emploi, mais ce n’était pas le cas
objectives (par exemple, l’absence de crèches) pour Eurostat, l’organe statistique de l’Union
peuvent conduire une personne à déclarer ne européenne, qui rectifiait à la baisse le taux
pas souhaiter accroître sa durée de travail, de chômage calculé par l’INSEE. Conformé-
entraînant ainsi son classement en temps ment aux préconisations du rapport des deux
partiel volontaire. Inspections générales (Durieux et al., 2007),
l’INSEE a décidé fin 2007 de s’aligner sur
La deuxième modalité importante de sous- la position d’Eurostat au moment même où
emploi est constituée par le chômage partiel. le service public de l’emploi entreprenait la
Qu’il s’agisse d’une réduction provisoire de la généralisation de l’entretien mensuel avec
durée du travail ou d’une période de chômage les demandeurs d’emploi, donc se donnait
technique (interruption complète d’activité), la possibilité d’une vérification régulière de
les personnes concernées sont classées dans la réalité de recherche d’emploi des deman-
l’emploi. deurs inscrits. Ce choix a entraîné une baisse
L’INSEE regroupe ces deux modalités pour d’environ 0,5 point du taux de chômage ; il
mesurer le sous-emploi. Ces choix sont cohé- est difficile de distinguer dans cette décision
rents avec la définition du chômage. Ils en le poids respectif des arguments techniques
illustrent le caractère restrictif. et de l’opportunité politique.

73 LA MESURE DU CHÔMAGE : UN ENJEU DE SOCIÉTÉ


Une autre face de la même question ren- pratique, il est requis une disponibilité dans
voie directement à des choix de politique de un délai de quinze jours. Mis à part les cas
l’emploi. Durant les décennies 1970 et 1980, d’accidents ou de maladie, ce critère exerce
l’une des solutions les plus massivement principalement son impact par l’intermé-
employées pour faire face aux menaces de diaire des dispositifs de formation des chô-
licenciements collectifs a été le recours aux meurs. Bien que ces formations aient pour
préretraites. À partir de 60 puis de 55  ans, objet explicite d’aider au retour à l’emploi et
les salariés pouvaient obtenir un revenu qu’elles soient souvent accompagnées d’une
de substitution supérieur aux allocations aide à la recherche d’emploi, leurs bénéfi-
de chômage à condition de renoncer à la ciaires sont classés comme inactifs dès lors
recherche d’un emploi. Ce système, jugé trop qu’ils ne sont pas jugés disponibles11. Quelle
coûteux, a été remplacé par celui de la « dis- que soit leur qualité, fort inégale, les stages
pense de recherche d’emploi » (DRE) : les chô- de formation ont ainsi pour effet de « dégon-
meurs âgés, dont on juge qu’ils n’ont qu’une fler » les statistiques du chômage.
espérance minime de retrouver du travail, Les exemples qui viennent d’être présentés
peuvent abandonner la recherche d’emploi prouvent l’importance des chevauchements
tout en conservant leurs droits aux alloca- entre chômage, emploi et inactivité, ou, autre-
tions chômage. Dans un cas comme dans ment dit, du « halo » autour du chômage.
l’autre, l’abandon de la recherche d’emploi Ils montrent aussi que l’imbrication est
fait sortir du chômage pour entrer dans la constante entre les débats techniques sur les
population inactive. Les effectifs concernés critères de mesure et les enjeux associés à la
ont fluctué depuis trente  ans, mais ils ont sensibilité politique des chiffres du chômage.
toujours dépassé plusieurs centaines de mil- Peut-on donner une base statistique crédible
liers de personnes. Il est difficile de supposer à un débat nécessairement politique ?
que le recours à ces dispositifs s’est prati-
qué en ignorant l’impact qu’ils avaient sur la
mesure du chômage10. Quelles mesures alternatives ? [10]
En août 2008, alors
que le taux de chômage
Au-delà de ces deux situations bien caracté- La définition dite du BIT présente l’avantage
était à un niveau
historiquement bas, une
risées, une incertitude plus grande pèse sur d’avoir été mise au point conjointement par loi a mis en extinction
le phénomène des travailleurs dits « décou- les statisticiens des différents pays, d’être les DRE d’ici 2012. Il sera
ragés ». Il s’agit de personnes qui déclarent maintenant partout utilisée, permettant
intéressant de suivre
sa mise en œuvre dans
souhaiter travailler, mais ont abandonné ainsi des comparaisons internationales et un contexte de retour
la recherche, considérant qu’elle était sans l’établissement de séries chronologiques sur au chômage massif.
espoir dans l’état présent du marché du tra- des bases homogènes. Elle présente, par son [11]
Alors que les
vail. Une catégorie voisine est celle des tra- caractère restrictif, l’inconvénient de minorer formateurs savent
vailleurs dits « empêchés » : ils déclarent les degrés de sous-utilisation des capacités d’expérience que les
souhaiter travailler mais ne pas rechercher stagiaires n’hésitent
de travail immédiatement ou potentiellement pas à abandonner une
activement d’emploi faute, par exemple, de disponibles et les degrés de non-respect du formation dès lors qu’ils
possibilités de garde d’enfant ou de moyens droit à l’emploi reconnu comme un droit ont trouvé un emploi.
de transport. humain fondamental. Plusieurs stratégies
sont possibles pour faire face à cette lacune.
La disponibilité
pour occuper un emploi Un inventaire extensif
La recherche active d’emploi est une condi- Dans cette première démarche, on ne cherche
tion nécessaire, mais non suffisante pour pas à proposer une autre mesure du chômage
être classé comme chômeur ; il faut de plus que celle du BIT, mais à situer celle-ci dans
être disponible pour occuper un emploi. En une constellation de situations qui peut être

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 74


1. Le halo du chômage et le sous-emploi
Critère Regroupements Détail
C1 Chômage
Recherche active Chômage BIT*
PSERE
C2-1 Travailleurs
découragés**
Disponible C2-2 Travailleurs
Pas de recherche actuellement sans
active recherche
Être sans travail C2-3 Travailleurs
et souhaiter Postulant sans
actuellement sans
travailler recherche et/ou non
recherche
disponibles (appelé ici
« halo du chômage ») C3 Personnes non
Recherche active disponibles cher-
chant un emploi
Non
disponible C4 Personnes
Pas de recherche non disponibles
active ne cherchant pas
d’emploi
C5 Sous emploi
Avoir un travail Disponible Pas de recherche
Sous-emploi BIT*** C6 Sous emploi
(à temps partiel) active
et souhaiter Recherche active C7 Sous emploi ?
travailler plus Non
disponible Pas de recherche
C8
active
* Le chômage au sens du BIT comprend aussi les personnes ayant trouvé un emploi qui commence plus tard (dans un délai
de moins de trois mois).
** La distinction entre travailleurs découragés et travailleurs empêchés repose sur les raisons de non recherche effective
d’emploi :
– les travailleurs découragés considèrent que leur recherche serait vaine (en raison de la conjoncture ou de la sélectivité du
marché du travail) ;
– les travailleurs empêchés indiquent d’autres raisons pour expliquer leur non recherche d’emploi (par exemple absence de
possibilités de garde d’enfant, défaut de moyens de transport…) ;
– la question sur les raisons de non-recherche n’est pas posée aux travailleurs actuellement sans recherche (ils attendent le
résultat de démarches antérieures ou ont suspendu momentanément leur recherche).
*** Le sous-emploi au sens du BIT comprend aussi les personnes (à temps complet ou à temps partiel) ayant travaillé moins
que d’habitude pour des raisons économiques.
La catégorie C7 fait partie du sous-emploi selon la définition française, alignée sur la définition BIT de 1982 ; elle n’en fait
plus partie selon la définition 1998 du BIT, pas encore appliquée par l’Insee.

Note. PSERE : personnes sans emploi à la recherche d’un emploi.

construite à partir des critères du BIT. On en précis des situations qui posent problème et
trouve un bon exemple dans les propositions de laisser à chacun le choix des catégories
du rapport de Foucauld qui figurent dans le ou des regroupements qu’il juge pertinents.
[12]
Cézard M. (1986), tableau ci-après (op. cit., p. 33). Une telle perspective avait été proposée de
« Le chômage et son
halo », Économie et L’intérêt de cette méthode est de fournir aux longue date au sein de l’INSEE12, mais n’avait
statistique, n° 193-194. acteurs sociaux une typologie et un chiffrage été mise en œuvre que de façon épisodique.

75 LA MESURE DU CHÔMAGE : UN ENJEU DE SOCIÉTÉ


Depuis le rapport de Foucauld, elle est appli- conception plus large de la privation d’em-
quée dans les publications trimestrielles de ploi, il a un caractère aussi conventionnel que
l’INSEE pour tous les éléments qui peuvent celui qui est critiqué. Il est donc souhaitable
être chiffrés à partir de l’enquête sur l’emploi. que l’affrontement « chiffre contre chiffre »
serve à amorcer un débat qui porte sur les
Un autre chiffre global catégories composantes.
Si chacun reconnaît l’intérêt de cette première
démarche, elle pose un problème d’appro-
Une batterie d’indicateurs
priation dans le débat public. Face à l’attrac- Le service chargé des statistiques du travail
tion irrésistible exercée par le chiffre unique, aux États-Unis (Bureau of Labor Statistics)
un riche tableau reflétant l’hétérogénéité a retenu une option différente (Bregger et
des situations risque de n’attirer l’attention Haugen, 199515). La diversité des définitions
que des seuls spécialistes. Certains acteurs possibles du chômage est reconnue. Elle se
de la société civile estiment donc nécessaire traduit par la publication de six taux de chô-
d’avoir un autre chiffre à opposer à la statis- mage au sein desquels le chômage au sens du
tique officielle. Donnons-en deux exemples. BIT (U-3) occupe une position intermédiaire.
CERC-Association a proposé en 1997 la Le taux le plus restrictif (U-1) ne porte que
notion de « personnes privées d’emploi ». Elle sur les personnes en chômage depuis au
regroupe avec les demandeurs d’emploi trois moins quinze semaines. L’idée implicite est
catégories statistiquement inactives (les dis- qu’un chômage de très courte durée a un
pensés de recherche d’emploi, les chômeurs caractère frictionnel et ne pose pas un pro-
en formation et en conversion, les préretrai- blème social. Le taux le plus large (U-6) ajoute
tés) et une catégorie statistiquement dans aux chômeurs au sens du BIT les travailleurs
l’emploi (les emplois aidés du secteur non découragés, les personnes sans emploi « mar-
marchand). Pour 1995, on passait d’environ ginalement attachées » au marché du travail,
trois millions de chômeurs BIT à environ ainsi que les travailleurs à temps partiel pour
cinq millions de « privés d’emploi » (CERC- raisons économiques. Sont donc réunis tous
ceux qui souffrent d’une insuffisance des [13]
Association, 199713). Cette tentative a été CERC-Association
poursuivie par la suite avec diverses adap- possibilités d’emploi16. (1997), Chiffrer le
chômage : des enjeux de
tations pour tenir compte des changements Il n’y a pas d’incompatibilité entre les trois société, Dossier n° 1.
institutionnels. démarches : la première donne les éléments [14]
CGT (2007), Cinq
Du côté syndical, la CGT a entrepris dès pour alimenter la troisième ; cette dernière millions d’exclus du
1987 de donner une évaluation des « privés peut fournir aux partisans de la seconde travail pour des raisons
économiques, Montreuil,
d’emploi » ou des « sans emploi » qui a évo- méthode une mesure extensive opposable à Agence d’objectifs IRES.
lué dans le temps pour aboutir à la notion de celle du BIT. La difficulté est d’arbitrer entre
[15]
« chômage réel » ou d’« exclus du travail pour la complexité requise pour une approche Bregger J.E.,
Haugen S.E. (1995),
des raisons économiques » (CGT, 200714). En rigoureuse des phénomènes et l’exigence de « BLS introduces new
partant des chiffres de demandeurs d’emploi lisibilité afin que chacun puisse s’approprier range of alternative
inscrits à l’ANPE et en ajoutant diverses caté- les instruments de mesure nécessaires au unemployment
measures », Monthly
gories non prises en compte (DRE, préretrai- débat social. La tension s’aggrave lorsqu’on Labor Review, October,
tés…), on aboutit à un total de cinq millions entreprend de diversifier la gamme des indi- p. 19-26.
début 2006 alors que le chômage BIT est infé- cateurs proposés. [16]
À titre d’illustration,
rieur à trois millions. lorsque ces nouvelles

Des voies de perfectionnement


définitions ont été
On perçoit bien la fonction qu’exerce dans le introduites en 1994,
débat social un chiffrage global qui conteste U-1 = 2,2 % ; U-3 = 6,1 % ;
le monopole exercé par la définition du BIT. Si En premier lieu, la compréhension du chô- U-6 = 10,9 %.

le chiffre alternatif est justifié au nom d’une mage est améliorée lorsque sa mesure est

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 76


mise en relation avec d’autres variables éco- qui sont réalisées dans ces directions ren-
nomiques et sociales. Le chômage peut être forcent la conclusion précédemment esquis-
mesuré selon l’âge, le sexe, la profession, le sée : si la mesure du chômage doit constituer
niveau de diplôme, la branche d’activité, un élément fiable et significatif du débat
le territoire… En second lieu, les mesures social, le problème ne doit pas être posé en
statiques doivent être complétées par des termes de définition d’une mesure unique qui
mesures dynamiques qui décrivent des tra- serait la « vraie » représentation du phéno-
jectoires : risque d’entrée en chômage ou mène. L’hétérogénéité croissante des formes
probabilité de sortie du chômage, risque d’emploi et l’intensification des mobilités
de chômage de longue durée, de chômage professionnelles requièrent une gamme de
récurrent… mesures complémentaires pour identifier les
Nous n’insistons pas sur ces points parce différentes modalités de sous-utilisation des
qu’ils font l’objet d’un accord général. Leur capacités de travail ou de non reconnaissance
degré de réalisation est fonction de la qua- du droit à l’emploi. (*)
lité de l’appareil statistique. Les avancées

POUR EN SAVOIR PLUS


™ DEBAUCHE E., DEROYON TH., ™ FREYSSINET J. (1999), ™ TOPALOV CH. (1994),
MIKOL F. (2008), Retour sur Comparaison internationale Naissance du chômeur 1880-
l’évolution du nombre de de la mesure du chômage : 1910, Paris, Albin Michel.
demandeurs d’emploi inscrits le cas de la France, IRES,
PUBLICATIONS RÉGULIÈRES :
à l’ANPE en 2005 et 2006, Document de travail n° 99.02.
DARES, Document d’études, ™ INSEE, trimestriel,
™ GAUTIÉ J. (2009), Le chômage,
n° 142. « Chômage au sens du BIT
Paris, La Découverte,
™ DURIEUX B., DU MESNIL DU collection « Repères ». et indicateurs sur le marché
BUISSON M.-A. ET ALII (2007), du travail », Informations
™ MALINVAUD E. (1986), Sur rapides, Série « Principaux
Les méthodes statistiques
les statistiques de l’emploi indicateurs ».
d’estimation du chômage,
et du chômage, Paris, La
Inspection générale des ™ DARES, mensuel,
Documentation française.
finances – Inspection générale « Demandeurs d’emploi
des affaires sociales. ™ MARUANI M. (2002), Les inscrits et offre collectées
mécomptes du chômage, par Pôle emploi », Premières
™ DE FOUCAULD J.B., REYNAUD
Paris, Bayard. informations.
M., CÉZARD M. (2008), Emploi,
chômage et précarité, Rapport ™ SALAIS R., BAVEREZ N.,
d’un groupe de travail du REYNAUD B. (1986), L’invention
CNIS, n° 108. du chômage, Paris, PUF.

(*) Texte publié initialement dans Cahiers français n° 353, Travail, emploi, chômage, Paris, La Documentation française.

77 LA MESURE DU CHÔMAGE : UN ENJEU DE SOCIÉTÉ


Au cours des Trente Glorieuses, la macroéconomie keynésienne interprétait le chômage
comme un déséquilibre sur le marché du travail lié à l’insuffisance de la demande sur le mar-
ché des biens. Dans les années 1970, les travaux sur les fondements microéconomiques de la
macroéconomie et la persistance du chômage dans les pays avancés ont conduit à de pro-
fonds renouvellements de son analyse. La théorie économique « moderne » du chômage, dont
Arnaud Chéron présente ici les grandes lignes, ne considère plus le phénomène comme un
déséquilibre mais comme le résultat d’un équilibre issu des interactions stratégiques d’agents
économiques sur des marchés imparfaits.
Problèmes économiques

Comment les économistes


expliquent-ils la persistance
du chômage ?
L’analyse économique du chômage a fait l’ob-
jet d’un bouleversement important au cours
 ARNAUD CHÉRON
de ces trente dernières années. Jusque-là, le Professeur des Universités (Le Mans)
chômage était principalement conçu comme Directeur de Recherche (EDHEC Business School)
un phénomène caractérisant une situation de
déséquilibre sur le marché du travail, associé
à une insuffisance de demande sur le marché besoin d’une théorie susceptible d’expliquer
des biens. Cette conception keynésienne du la persistance du chômage.
chômage, reprise dans la synthèse néoclas- Le manque de fondements microécono- [1]
Clower R. (1967),
sique, a dominé la pensée macroéconomique miques de la macroéconomie « à l’ancienne » « A Reconsideration of
pendant la période des Trente Glorieuses. Si the Microfoundations
est également rapidement apparu comme un of Money », Western
elle trouve encore aujourd’hui une certaine point faible de la synthèse néoclassique. À la Economic Journal, vol. 6.
légitimité, cette approche reste néanmoins suite des travaux de Robert Clower (1967)1, [2]
Benassy J.-P. (1975),
cantonnée à une analyse des ajustements de puis de Jean-Pascal Benassy (1975)2, il a été « Neo-Keynesian
très court terme. Par ailleurs, face à l’obser- proposé une relecture du keynésianisme via Disiquilibrium Theory in
a Monetary Economy »,
vation de taux de chômage durablement éle- la construction de modèles d’équilibre non- Review of Economic
vés, notamment en Europe, s’est exprimé le walrasiens microéconomiquement fondés, et Studies, vol. 42.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 78


[3]
Phelps E. (1970), où la fixité des prix supposée peut conduire à et les recommandations en matière de poli-
« Microeconomic des schémas de rationnement, en particulier tiques de l’emploi.
Foundation of
Employment and sur le marché du travail. Pourtant, puisque La question de la persistance du chômage,
Inflation Theory », New cette théorie repose sur l’hypothèse pour le dans le cadre DMP, peut s’entendre de dif-
York, Norton.
moins contestable d’un système de prix fixes, férentes manières et recouvre plusieurs
[4]
Friedman M. (1968), c’est une autre voie de recherche ouverte par problématiques. Comment expliquer que,
« The Role of Monetary Edmund Phelps (1970)3 et Milton Friedman
Policy », American durablement, il existe (persiste) du chômage à
Economic Review, vol. 58. (1968)4 qui va, parallèlement au développe- long terme ? Dans cette perspective, comment
[5]
ment de la « Nouvelle économie classique », le taux de chômage optimal est-il déterminé
Mortensen D. (1970),
« A Theory of Wage and contribuer plus profondément au renouvel- et quelle place accorder aux instruments de
Employment Dynamics », lement de l’analyse du chômage. L’objectif régulation du marché du travail ?
in Microeconomic est alors de formaliser dans un cadre micro-
Foundation of
économique rigoureux l’ensemble des idées
Employment and
Inflation Theory, New
York, Norton.
regroupées dans la définition du taux de Les déterminants du taux
[6]
Diamond P. (1971),
chômage naturel de Friedman (encore appelé
Non Accelerating Inflation Rate of Unem- de chômage à long terme
« A Model of Price ployment – NAIRU). Une rupture « paradig-
Adjustement », Journal L’approche DMP s’inscrit dans la lignée des
of Economic Theory, matique » est donc intervenue à cette période, travaux de Holt et David (1966)7 et Alchian
vol. 3. considérant qu’il peut y avoir du chômage (1970)8 qui s’attachent à modéliser les
[7]
Holt C. et David M.
persistant à long terme, résultat d’un phéno- échanges sur le marché du travail comme un
(1966), « The Concept mène d’équilibre. processus non coordonné, prenant du temps :
of Jobs Vacancies in
a Dynamic Theory of Ce sont ensuite les travaux de Dale Morten- il existe des délais de rencontre entre offreurs
the Labor Market », in sen (1970)5 et Peter Diamond (1971)6, relayés et acheteurs, à l’origine de coûts, résultant
The Measurement and de multiples imperfections (problème de
Interpretation of Job par ceux de Christopher Pissarides durant
Vacancies, New York, les années 1980, qui sont véritablement coordination, d’information…). Il en découle
Colombia University venus poser les fondations de la théorie que l’échange sur un quelconque marché, et
Press. en particulier sur le marché du travail, est
moderne du chômage. La « théorie du chô-
[8] par nature frictionnelle. Le chômage est ici
Alchian A. (1970), mage d’équilibre » souligne que le chômage
« Information Costs, appréhendé comme un état transitoire par
Pricing and Ressource
est le résultat de la confrontation des com-
Unemployment », portements optimisateurs d’agents ration- lequel tout individu peut passer.
ouvrage « Microeconomic nels, qui interagissent stratégiquement, sur Pour Mortensen (1970)9 et Lucas et Prescott
Foundation of
Employment and un marché du travail caractérisé par des (1974)10 tout d’abord, le chômage est plus
Inflation Theory », New imperfections, notamment des coûts de tran- spécifiquement supposé résulter du compor-
York, Norton. saction. De ce fait, il existe un taux optimal tement optimal de recherche des chômeurs,
[9] en deçà duquel il n’est pas socialement sou- dans un environnement où les rencontres se
Mortensen D. (1970),
op. cit. haitable de chercher à réduire le chômage. font de manière aléatoire et où les travailleurs
[10]
Lucas R. et L’approche de Diamond-Mortensen-Pis- sont embauchés à leur salaire de réservation,
Prescott E. (1974), sarides (DMP) fait aujourd’hui autorité au c’est-à-dire au plus petit salaire acceptable
« Equilibrium Search
and Unemployment »,
sein de la communauté des économistes et étant donné les opportunités extérieures des
Journal of Economic au-delà : l’attribution du prix Nobel d’éco- chômeurs. L’accent est ici mis sur la dimen-
Theory. nomie à ces trois chercheurs américains en sion volontaire  du chômage. Ces premiers
[11]
Diamond P. (1982), 2010, précisément pour leurs recherches sur travaux ont toutefois rapidement été com-
« Aggregate Demand les déterminants du chômage, a finalement plétés par des analyses soulignant le carac-
Management in Search
Equilibrium », Journal of
consacré la place prépondérante de leur tère involontaire du chômage, tout en restant
Political Economy. analyse. Les nombreux développements aux- dans cette conception des échanges sur le
[12] quels elle a donné lieu sous-tendent en effet marché du travail, imparfaitement coordon-
Mortensen D. (1982),
« The Matching Process aujourd’hui la plupart des analyses du chô- nés. Les travaux de Diamond (1982)11, Morten-
as a Noncooperative/ mage, de la dynamique du marché du travail, sen (1982)12 et Pissarides (1985)13 proposent

79 COMMENT LES ÉCONOMISTES EXPLIQUENT-ILS LA PERSISTANCE DU CHÔMAGE


en effet d’intégrer simultanément l’existence chômage et d’emplois vacants, alors qu’un Bargain Game », in
The Economics of
de coûts de transactions sur le marché du positionnement dans le haut de la courbe de Information and
travail et d’une formation non concurren- Beveridge renvoie à une situation conjonctu- Uncertainty, Chicago,
tielle du salaire. relle relativement favorable, avec beaucoup University of Chicago
Press.
d’emplois vacants et peu de chômage.
Courbe de Beveridge [13]
Pissarides C.
Les échanges sur le marché du travail sont (1985), « Short-Run
et processus d’appariement appréhendés comme une activité économique Equilibrium Dynamics
L’approche théorique retenue se fonde égale- coûteuse, liée aux disparités de qualification, of Unemployment,
Vacancies and Real
ment sur l’observation d’une régularité empi- à la dispersion géographique de la main- Wages », American
rique, la courbe de Beveridge, largement d’œuvre et des emplois vacants. D’un point de Economic Review, vol. 75.
documentée : il coexiste dans l’économie du vue formel, pour traduire cette relation empi- [14]
Il est toutefois
chômage et des emplois vacants, ces deux rique, et afin de passer outre les problèmes délicat de parfaitement
variables faisant l’objet d’une corrélation d’agrégation, Diamond, Mortensen et Pissa- dissocier ces deux
phénomènes.
négative. Le schéma 1 atteste cette relation rides proposent de modéliser les interactions
empirique pour la zone euro sur la période sur le marché du travail par une fonction [15]
Mortensen et
1995-2011. De manière quelque peu stylisée, d’appariement qui exprime le nombre total Pissarides (1994)
sont les premiers
on considère traditionnellement que la posi- d’embauches dans l’économie comme une à proposer cette
tion sur la courbe de Beveridge (décroissante) fonction des stocks d’emplois vacants et de modélisation endogène
représente un indicateur conjoncturel, alors chômeurs. Selon cette technologie de tran- des licenciements,
jusqu’alors supposés
que le déplacement de la courbe vis-à-vis de sactions, le nombre de recrutements M survenir selon une
l’origine des axes donne pour sa part une s’apparente à l’output d’un processus de pro- fréquence exogène.
indication de l’efficacité du processus duction dont les inputs seraient les emplois
d’échanges sur le marché du travail, condi- vacants V et les chômeurs U. La fonction
tionnée par les institutions qui régulent son d’appariement M = m(V, U) rend ainsi compte,
fonctionnement14. Typiquement, on a donc au niveau macroéconomique, des défauts de
une courbe de niveau propre à chaque pays, coordination engendrés par l’hétérogénéité
et des déplacements le long de chacune de ces des travailleurs et les imperfections d’infor-
courbes au gré de la conjoncture économique. mation. Il en résulte que le processus d’appa-
Une courbe de niveau élevé caractérise un riement engendre des délais durant lesquels
marché du travail particulièrement inefficace certains emplois sont détruits. Ces destruc-
où coexistent structurellement beaucoup de tions résultent de chocs transitoires surve-
nant aléatoirement, impactant la rentabilité
1. Courbe de Beveridge en zone euro (1995-2011) des postes de travail, et pouvant conduire les
entreprises à se séparer de leur travailleur15.
12
Ceci implique donc que, même à long terme,
10 à l’équilibre de flux (créations d’emplois =
T1 1999- destructions d’emplois), il existe du chômage
T3 2001
T1 2008
8 T3 subi par les travailleurs.
2001
T4
2011
6
T4 2001-
Une détermination non
T1 2008 T1 1995-
4 T4 1998 concurrentielle des salaires
T4
1998 Cette modélisation des échanges sur le mar-
2 ché du travail pose par ailleurs le problème
T2 2008- de la détermination des salaires. L’apparie-
T4 2011
0 ment entre un chômeur et un emploi vacant
7,0 7,5 8,0 8,5 9,0 9,5 10,0 10,5 11,0
est en effet à l’origine d’une rente pour le
Source : Bulletin Banque de France n° 187 travailleur et l’entreprise considérés. Cette

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 80


rente comprend non seulement l’écart entre salaires qui est le plus souvent retenu dans
la production marchande de l’employé dans les modèles d’appariement (cf. Pissarides,
l’entreprise et la production domestique de 2000). Il a toutefois donné lieu récemment à
ce même travailleur s’il reste au chômage, une importante controverse, Shimer (2005)20
mais aussi l’économie des coûts de recherche remettant en cause la capacité du cadre DMP
permise par l’appariement. Les développe- avec négociation individuelle des salaires
ments de la théorie du marché du travail ont à rendre compte, non pas de la persistance
principalement mis l’accent sur deux modes du chômage à long terme, mais de l’ampleur
de fixation non concurrentielle du salaire : le des fluctuations du chômage au cours du
premier laisse à la firme, en situation d’infor- cycle économique. Shimer souligne l’intérêt
mation asymétrique, le pouvoir unilatéral de prendre en compte, en sus, l’existence de
de fixer le salaire, alors que le second cor- rigidités salariales.
respond à un mode de gestion concerté du Quoi qu’il en soit, les théories du salaire
salaire entre l’entreprise et l’employé. d’efficience et de la négociation décentralisée
des salaires, en impliquant un salaire d’équi-
Les théories dites du salaire d’efficience
libre supérieur au salaire de réservation des
reposent sur l’idée qu’un employeur peut
travailleurs, contribue à générer un chômage
avoir intérêt à payer de hauts salaires afin
persistant à long terme, au même titre que le
d’encourager ses employés à être efficaces.
processus d’appariement
Autrement dit, il existe une relation crois-
sante entre la productivité des employés et le
salaire versé. En fait, il existe trois grandes
approches du salaire d’efficience : celui qui
Optimalité du taux de chômage
décourage les tire-au-flanc en augmentant le de long terme et instruments
[16]
Shapiro C. et Stiglitz
coût d’opportunité associé au licenciement
(Shapiro et Stiglitz, 198416), celui qui consti- de régulation du marché du travail
J. (1984), « Equilibrium tue un outil de sélection des offreurs de tra-
Unemployment as a D’un point de vue normatif, l’approche
Worker Discipline vail (Weiss, 198017), et celui qui accroît l’effort frictionnelle du marché du travail, par les
Device », American des travailleurs via le sentiment d’un salaire modèles dits d’appariement, a donné nais-
Economic Review, vol. 74. plus juste (Akerlof, 198218). Quelle que soit la sance à deux messages qui, loin d’être contra-
[17]
Weiss A. (1980), motivation considérée, les entreprises ont dictoires, s’avèrent être complémentaires : (i)
Efficiency Wages, intérêt à ne pas embaucher des travailleurs à il existe un taux de chômage optimal positif,
Princeton, Princeton
University Press.
leur salaire de réservation. et (ii) l’intervention publique est une question
[18]
de première importance : il est nécessaire de
Akerlof G. (1982), Le second mode de fixation du salaire sup-
« Labor Contracts as
réguler le marché du travail soumis à des
pose que les entreprises et les employés
Partial Gift Exchange », imperfections et des défaillances de fonction-
Quarterly Journal of jouent un jeu non coopératif, dont la solu-
nement impliquant que le taux de chômage
Economics, vol. 97. tion est un salaire qui partage la rente totale
d’équilibre est sous-optimal.
[19]
générée par l’appariement, en fonction des
Macdonald I.
pouvoirs de négociation respectifs des deux
et Solow R. (1981), Externalités d’échanges
« Wage Bargaining and parties. Pour Macdonald et Solow (1981)19, ce
Employment », American sont bien les interactions stratégiques entre et taux de chômage optimal
Economic Review, vol. 71.
employés et employeurs qui déterminent, La technologie et les coûts de transaction
[20]
Shimer R. (2005), après négociation, le salaire. Dès lors que le supposés dans un modèle d’appariement
« The Cyclical Behaviour
of Equilibrium
travailleur dispose d’un pouvoir de négocia- impliquent que le marché du travail est carac-
Unemployment and tion non nul, il bénéficie d’une partie de la térisé par un certain volume de chômage à
Vacancies », American rente générée par l’appariement et obtient l’optimum social. Si on se place en effet du
Economic Review, vol. 95.
un salaire supérieur à son salaire de réser- point de vue d’un planificateur centralisé, qui
vation. C’est ce mode de détermination des chercherait à maximiser le bien-être social, il

81 COMMENT LES ÉCONOMISTES EXPLIQUENT-ILS LA PERSISTANCE DU CHÔMAGE


apparaît qu’une diminution du chômage est externes, modifiant les coûts de recherche
souhaitable jusqu’à un certain niveau. Toute espérés pour les autres acteurs du marché.
diminution du chômage induit des coûts de La recherche des chômeurs est d’autant plus
transaction (recrutement, formation), coûts facile que les entreprises postent beaucoup
qui deviennent extrêmement élevés quand les d’emplois vacants, et il est d’autant plus
difficultés de recrutement sont fortes pour facile pour une entreprise de pourvoir un
les employeurs (taux de chômage faibles). emploi vacant que le nombre de chômeurs
est important. On parle ici d’externalités
Cet argumentaire renvoie aux propriétés
inter-branches. Mais il existe aussi des exter-
caractérisant la fonction d’appariement
nalités intra-branches, caractérisant des
et le processus d’échanges sur le marché
phénomènes de congestion. La concavité de
du travail. La fonction m(V, U) qui donne le
la fonction d’appariement par rapport à ses
nombre d’appariements par période, en fonc-
deux arguments implique que plus il y a de
tion du nombre d’emplois vacants (V) et du
chômeurs, moins il est facile pour chaque
nombre de chômeurs (U), est en effet suppo-
chômeur d’être recruté ; et de la même façon,
sée croissante et concave en fonction de ses
plus il y a d’emplois vacants, moins il est
deux variables. À nombre d’emplois vacants
facile de pourvoir chaque emploi. Les déci-
inchangé, le nombre d’appariements pro-
sions individuelles de recherche d’emploi,
gresse quand U augmente, (mais de moins
tant du point de vue des entreprises que des
en moins vite). La probabilité de pourvoir un
travailleurs, n’internalisent pas ces effets
emploi vacant augmente donc avec le nombre
externes sur l’ensemble des autres acteurs,
de chômeurs, et le délai moyen pour pourvoir
contrairement à ce que ferait un planificateur.
un emploi vacant décroît avec U. Le coût de
recrutement est alors d’autant plus grand Le second motif relève des modalités de fixa-
que le chômage est faible. Par conséquent, à tion du salaire. Qu’il renvoie au problème
mesure que U diminue, ce coût espéré aug- d’asymétrie d’information (salaire d’effi-
mente jusqu’à un point où il devient supé- cience) ou d’interactions stratégiques dans
rieur au gain social généré par l’emploi, le cadre de jeux non coopératifs (négocia-
c’est-à-dire supérieur à l’écart entre la pro- tion), le mode de détermination des salaires,
duction marchande du travailleur en emploi non concurrentiel, n’est pas en mesure de
et sa production domestique s’il reste au garantir que les échanges sur le marché du
chômage. En ce sens, l’existence de coûts de travail se fassent à un prix conforme à l’opti-
transaction sur le marché du travail signifie malité. In fine, cela implique que le taux de
qu’il y a un taux de chômage optimal positif chômage d’équilibre à long terme est géné-
à long terme. ralement inefficace, et qu’il est socialement
souhaitable de mettre en place des politiques
Dans ce contexte, l’objet des instruments
publiques.
de régulation du marché du travail (fisca-
lité, subvention, législation de la protection
des emplois…) doit se concevoir comme un Les instruments de politiques
moyen de faire coïncider autant que faire se d’emploi privilégiés
peut le taux de chômage effectif (d’équilibre)
Sans aller trop en avant dans le détail des
avec le taux de chômage optimal. Et il existe
instruments, on peut souligner un certain
plusieurs motifs de divergence entre ces deux
nombre d’outils que l’approche DMP du chô-
taux.
mage d’équilibre a particulièrement mis sur
Le premier relève des externalités d’échange le devant de la scène (cf. Pissarides, 2000).
inhérentes au processus d’appariement On pourra en premier lieu noter la fiscalité
modélisé : les décisions individuelles de du travail, et plus spécifiquement la possibi-
recherche d’emploi génèrent des effets lité de moduler le degré de progressivité de

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 82


l’imposition en combinant taxation ou trans- constituent un levier efficace de l’interven-
ferts forfaitaires avec un impôt proportionnel tion publique. Alourdir les coûts de licen-
sur les salaires. Par ce biais, il est possible de ciement permet de réduire les destructions
réguler les salaires, et donc le chômage struc- d’emplois, et donc de diminuer le chômage,
turel : par exemple, plus le taux marginal mais ce type de mesure a des effets pervers
d’imposition du salaire des employés est en matière d’embauches du fait de l’augmen-
élevé, plus le salaire d’équilibre est faible. tation des coûts de séparation anticipés. D’où
Une hausse du taux marginal d’imposition l’intérêt d’y associer des subventions. Ces
distord en effet la règle de partage de la rente, effets négatifs induits par la protection des
solution du jeu de négociation, puisqu’elle emplois, rationalisés microéconomiquement
réduit la valeur d’une augmentation margi- par l’approche DMP, sont de façon récurrente
nale du salaire brut pour l’employé, relative- avancés, en particulier en France, pour repen-
ment à la perte que cette augmentation induit ser la législation entourant les licenciements.
pour l’employeur. Au bout du compte, cette Plus généralement, la contribution du cadre
progressivité de la fiscalité du travail sur les DMP aux réflexions portant sur la mise en
employés entraîne une baisse des salaires, œuvre des politiques de l’emploi dépassent
donc du coût du travail, et est de ce fait favo- largement ces quelques analyses norma-
rable à l’emploi. tives. Ce cadre est aujourd’hui devenu l’outil
Mais c’est certainement aux analyses de la de référence pour analyser la persistance du
protection des emplois que l’approche DMP a chômage, penser et évaluer les différentes
le plus contribué. Il est montré que les coûts politiques économiques du marché du travail
de licenciement et subventions à l’embauche, au sein des pays de l’OCDE.
dès lors qu’ils sont utilisés en parallèle,

POUR EN SAVOIR PLUS


™ CAHUC P. et ZYLBERBERG A. ™ PISSARIDES C. (1990, 2000),
(2003), Microéconomie du « Equilibrium Unemployment
marché du travail, Paris, La Theory », MIT Press.
Découverte, coll. « Repères ».

83 COMMENT LES ÉCONOMISTES EXPLIQUENT-ILS LA PERSISTANCE DU CHÔMAGE


Le marché du travail des économies développées s’est fortement dégradé sous l’effet de la
crise. Depuis 2008, le chômage progresse de façon quasi constante dans la plupart des pays,
et la crise des dettes souveraines réduit les marges de manœuvre des États pour y faire face.
On constate toutefois des différences importantes d’un pays à l’autre, aussi bien au niveau de
l’impact de la crise sur le marché du travail qu’en termes de politiques de l’emploi. Dominique
Redor compare les situations et les stratégies des principales économies de la zone euro et
des États-Unis, en distinguant les mesures conjoncturelles destinées à amortir le choc de la
crise, des politiques structurelles visant à améliorer à long terme le fonctionnement du marché
du travail. Bien que ces dernières n’aient pas vocation à évoluer au gré de la conjoncture, les
crises incitent souvent à repenser des pans entiers de l’action publique.
Problèmes économiques

Lutter contre le chômage


dans un contexte de crise :
comparaisons internationales
La crise économique a eu un impact impor-
tant sur le marché du travail des économies
 DOMINIQUE REDOR
occidentales, entraînant une forte augmen- Université de Paris-Est-Marne-La-Vallée.
tation du chômage et des destructions mas-
sives d’emplois. Les effets sont cependant
différents suivant les pays, y compris à l’inté-
rieur de la zone euro.
Dans un premier temps, nous caractérisons la
La présente contribution examine les poli- situation du marché du travail et de l’emploi
tiques de lutte contre le chômage mises en dans les pays de l’UE et aux États-Unis. Dans
place par les pays développés, en premier lieu un second temps, nous examinons les poli-
ceux de l’Union européenne, et fait le point tiques qui, à court terme, ont été déployées
sur leur efficacité, alors que la crise finan- pour amortir le choc de la crise sur le marché
cière internationale, et plus spécialement du travail. Enfin, nous étudions les mesures
celle de l’euro, ont fortement contraint les prises pour agir à long terme sur le chômage
marges de manœuvre budgétaires des États. structurel.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 84


L’impact de la crise Enfin, à titre de comparaison, nous fournis-
sons des données statistiques sur les États-
sur les marchés du travail Unis tirées de la base de l’OCDE.

en Europe et aux États-Unis Des situations contrastées


Notre analyse part du premier trimestre Le graphique 1 montre des situations très
2008 qui correspond au point le plus bas du contrastées à l’intérieur de l’UE. Ce sont les
chômage en Europe, et s’arrête au second pays d’Europe du Sud (Espagne, Grèce, Por-
trimestre 2012, dernier trimestre dispo- tugal) et l’Irlande qui ont subi le choc le plus
nible. Nous utilisons les bases de données dur. Ceux d’Europe du Nord (Pays-Bas, Fin-
d’Eurostat. Les données concernant l’Union lande, Suède) ont connu une augmentation
européenne (UE) correspondent à la moyenne relativement faible du taux de chômage, à
des 27 pays membres. Nous avons retenu l’exception toutefois du Danemark. D’autres
les plus grands pays de l’Union : Allemagne, se trouvent dans une situation intermé-
France, Royaume-Uni, Italie, Espagne. Un diaire, avec une augmentation sensible du
autre facteur qui a déterminé notre choix de chômage, mais qui reste contenue aux alen-
pays concerne ceux qui suivent des modèles tours de 10 % : la France, l’Italie, la Pologne
particuliers et dont on peut penser qu’ils et le Royaume-Uni. L’Allemagne est dans une
ont recours à des politiques de lutte contre situation exceptionnelle puisque le taux de
le chômage originales : les pays scandinaves chômage a régressé au cours de la période
(Danemark, Finlande, Suède), auxquels nous considérée.
rattachons les Pays-Bas, qui se caractérisent En termes de variation de l’emploi total, le
par un faible taux de chômage. Nous étudions diagnostic est parfois différent du précédent.
aussi les pays qui ont connu la plus forte Si les pays les plus rudement touchés par la
montée du chômage en Europe : l’Irlande, la hausse du chômage (Irlande, Grèce, Espagne)
Grèce et le Portugal. Nous considérons égale- enregistrent une baisse drastique de leurs
ment un pays d’Europe centrale plus récem- effectifs employés, on trouve également une
ment entré dans l’Union (2004), la Pologne. baisse relativement marquée parmi ceux dont

1. Taux de chômage en Europe en %


30
25
20
15
10
5
0
ne

ne

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premier trimestre 2008 deuxième trimestre 2012

Source : Eurostat, base de données disponible sur : http//epp.eurostat.ec.europa.eu

85 LUTTER CONTRE LE CHÔMAGE DANS UN CONTEXTE DE CRISE : COMPARAISONS INTERNATIONALES


2. Variations de l’emploi total en %, 2e trimestre 2012/2e trimestre 2008
10

–5

– 10

– 15
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U

Source : Eurostat, base de données disponible sur : http//epp.eurostat.ec.europa.eu

le chômage a augmenté modérément. C’est le années de crise a été de 6,3 %, pourcentage


cas de la Finlande et des Pays-Bas. À l’inverse, supérieur à celui de la plupart des pays euro-
malgré la montée du chômage, la Pologne a péens (et si l’on fait abstraction des pays
connu de 2008 à 2012 une croissance sou- d’Europe du Sud et de l’Irlande).
tenue des effectifs employés. Ces tendances
contrastées s’expliquent par des évolutions La crise immobilière à l’origine
différentes de la population active. Rap- de nombreuses pertes d’emplois
pelons que le taux de chômage rapporte le
nombre de chômeurs au nombre d’actifs. Si la L’évolution de l’emploi par grands secteurs
population active diminue pour des raisons d’activité montre que la crise immobilière
démographiques (diminution de la popula- est le facteur le plus important de la hausse
tion en âge de travailler), toutes choses égales du chômage. En effet, les quatre pays qui
par ailleurs, le taux de chômage se réduit. En ont connu les plus grandes difficultés sont
Pologne, c’est la situation inverse qui se pro- ceux qui ont perdu de 30 % (Portugal) à 60 %
duit : la croissance de l’emploi n’a pas suffi (Irlande) de leurs emplois dans le secteur de la
à absorber la progression de la population construction. La bulle financière et immobi-
active. lière qui s’est formée dans ces pays, du début
des années 2000 à 2007, a entraîné une crois-
Les États-Unis, quant à eux, ont connu un sance artificielle de ce secteur, dont la chute
doublement du taux de chômage, de 5 % fin a été particulièrement forte lorsque la spécu-
2007 à 9,9 % fin 2009. Cette très forte augmen- lation financière et immobilière a été stoppée
tation a été suivie par une lente décroissance par la crise et s’est transformée en récession.
(8,3 % au deuxième trimestre 2012). La baisse De plus, par le biais des échanges inter-indus-
de l’emploi au cours des deux premières triels, cette baisse a eu un impact négatif sur

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 86


1. Variation de l’emploi par grands secteurs d’activité
(en milliers d’emplois et en %, 2e trimestre 2012/2e trimestre 2008)
Variation de l’emploi dans Variation de l’emploi Variation de l’emploi
l’industrie manufacturière dans la construction dans les services
Ensemble de l’UE – 4 176,3 (– 11,9 %) – 2 888,7 (– 15,7 %) + 1 800 (+ 1,2 %)
Danemark – 84,3 (– 20,3 %) – 46,5 (– 23 %) – 46,8 (– 2,3 %)
Allemagne – 97,2 (– 1,2 %) + 145,8 (+ 5,8 %) + 1 141,9 (+ 4,4 %)
Irlande – 49,4 (– 20 %) – 140,1 (– 59,1 %) – 90,4 (– 6,4 %)
Grèce – 176,6 (– 33,2 %) – 185,8 (– 46,8 %) – 366,3 (– 12,3 %)
Espagne – 813,2 (– 27,3 %) – 1 355 (– 53,3 %) – 707,5 (– 5,5 %)
France – 398,3 (– 10,8 %) – 25 (– 1,1 %) + 166,4 (+ 0,9 %)
Italie – 565,5 (– 10,7 %) – 169,7 (– 8,6 %) + 89,5 (+ 0,6 %)
Pays-Bas – 171 (– 18,4 %) – 73,2 (– 14,4 %) + 62,4 (+ 1,0 %)
Pologne – 181,9 (– 5,8) + 84 (+ 7 %) + 779 (+ 9,5 %)
Portugal – 131,8 (– 14,3 %) – 181,6 (– 32,7 %) – 122,9 (4,1 %)
Finlande – 60,6 (– 12,9 %) – 17,5 (– 9,6 %) + 37,8 (+ 2,2 %)
Suède – 79,4 (– 12,9 %) + 10,9 (+ 3,6 %) + 111,5 (+ 3,3 %)
Royaume-Uni – 469,1 (– 14,9 %) – 428,9 (– 17%) + 299,5 (+ 1,4%)
Source : Eurostat, base de données disponible sur : http//epp.eurostat.ec.europa.eu

l’industrie (matériaux de construction, bois,


plastique), voire sur le secteur des services Les politiques conjoncturelles
(secteur bancaire et financier). À noter que le
Danemark et le Royaume-Uni, qui se trouvent
de lutte contre le chômage
hors de la zone euro et qui ont connu eux Nous étudions ici les politiques qui visent à
aussi une bulle immobilière importante, ont absorber à court terme le choc sur l’emploi
enregistré leurs pertes d’emplois relatives les créé par la crise. Il s’agit en premier lieu des
plus élevées dans l’immobilier. politiques budgétaires. Celles-ci consistent à
Enfin, aux États-Unis, d’où est partie la bulle accroître les dépenses destinées à atténuer
financière et immobilière, sur 7,1  millions l’effet du chômage sur les revenus : ce sont
d’emplois perdus du premier trimestre 2008 des mesures qualifiées de « passives » (Redor,
au premier trimestre 2011, 2,3 l’ont été dans 1999). S’y ajoutent les politiques « discré-
le secteur de la construction. tionnaires » dont la finalité est d’améliorer
indirectement la situation générale de l’em-
Les moins qualifiés touchés ploi par la relance des dépenses publiques,
en priorité quelle que soit leur forme (travaux publics
par exemple).
L’augmentation du chômage concerne surtout
les travailleurs les moins qualifiés. En effet, Enfin, les entreprises prennent elles-mêmes
le taux de chômage des plus qualifiés a peu des mesures pour sauvegarder leurs emplois,
augmenté (cf. tableau 2). Cette caractéristique en réduisant la durée du travail, en dévelop-
importe pour évaluer la pertinence et l’effica- pant le chômage partiel, avec ou sans l’aide
cité des politiques de lutte contre le chômage. de l’État.

87 LUTTER CONTRE LE CHÔMAGE DANS UN CONTEXTE DE CRISE : COMPARAISONS INTERNATIONALES


2. Taux de chômage selon le niveau de qualification (en %)
1er trimestre 2008 2e trimestre 2012
Personnes haute- Personnes Personnes haute- Personnes
ment qualifiées1 non qualifiées2 ment qualifiées1 non qualifiées2
Ensemble de l’UE 3,7 11,4 5,9 18,5
Allemagne 3,4 15,7 2,2 12,9
Espagne 5,7 12,8 14,7 33,5
France 4,4 12,1 5,2 15,8
Italie 4,8 9,0 6,9 14,1
Royaume-Uni 2,5 9,6 4,1 14,3
N.B. : Le niveau de qualification est ici appréhendé par le niveau de diplôme. Les deux notions ne se recoupent pas exactement –
la qualification peut s’acquérir par l’expérience et la mobilité professionnelle – mais sont très liées.
1
Personnes diplômées de l’enseignement supérieur.
2
Niveau d’études primaire et début secondaire
Source : Eurostat, base de données disponible sur : http//epp.eurostat.ec.europa.eu

3. Taux de chômage dans l’UE (en %) et dépenses de politique de l’emploi (% du PIB)

10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
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2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

Taux de chômage Union européenne

Dépenses de politique de l’emploi


Allemagne Danemark
Grèce Irlande
France Espagne

Source : Eurostat, base de données disponible sur : http//epp.eurostat.ec.europa.eu

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 88


Renforcement des mesures 3. Pourcentage du PIB consacré aux dépenses
passives, stagnation actives de l’emploi
des mesures actives 2006 2008 2010
Le graphique 3 montre que les dépenses en Ensemble de l’UE 1,12 0,96 1,35
faveur de l’emploi suivent le plus souvent Danemark 1,86 1,21 1,58
l’évolution du chômage, comme on pouvait
Allemagne 1,72 1,10 1,32
s’y attendre. Elles atteignent leur minimum
au début de l’année 2008 et augmentent Irlande 0,85 1,34 3,03
sensiblement ensuite. Les pays les plus tou- Grèce 0,38 0,46 0,70
chés sont généralement aussi ceux dont les Espagne 1,44 1,88 3,10
dépenses, en pourcentage du PIB, ont le plus
France 1,38 1,17 1,44
progressé : ainsi, en Espagne et en Irlande,
leur part dans le PIB a doublé en deux ans. Dépenses actives : formation des chômeurs, aides aux
conversion d’activité, à la création d’entreprises, subven-
En Allemagne, ces dépenses ont régressé, en tions à l’embauche dans le secteur privé, créations d’emplois
lien avec la légère diminution du chômage au publics).
cours de la période considérée. Toutefois, en Source : Eurostat, base de données disponible sur : http//
Grèce, où le chômage a très fortement aug- epp.eurostat.ec.europa.eu
menté (graphiques 1 et 2), les dépenses de
politique de l’emploi ont stagné. Ceci s’ex-
plique par les très fortes restrictions impo-
sées aux dépenses sociales par les différents Les mesures discrétionnaires
plans d’austérité. Il en découle deux consé- Par ailleurs, les mesures « discrétionnaires »,
quences  néfastes : une baisse très forte du c’est-à-dire ne résultant pas de mécanismes
niveau de vie des chômeurs et une aggrava- existants de protection sociale, relèvent
tion de la dépression du fait de la baisse de la de politiques générales de soutien à l’acti-
demande interne. vité d’inspiration keynésienne. Au cours des
C’est la hausse des dépenses passives qui années 2008-2010, elles ont été importantes
explique en grande partie l’augmentation des aux États-Unis, en Australie, au Canada, et
dépenses en faveur de l’emploi, les dépenses en Europe dans les pays scandinaves (entre 4
« actives » ayant peu progressé entre 2008 et 6 % du PIB), alors qu’elles sont restées très
et 2010, lorsqu’on les rapporte au PIB (cf. faibles dans les pays les plus contraints par
tableau 3). leur endettement public (Irlande, Italie, Por-
Les « stabilisateurs automatiques » qui tugal, Grèce), et dans une certaine mesure en
mettent en jeu les dépenses passives ont per- France (COE, 2012, pp. 30-32).
mis d’amortir les effets de la stagnation, voire
de la régression du PIB, sur le revenu des
Le chômage partiel
ménages, en évitant ainsi un effondrement de Parmi les autres mesures visant à amortir
la demande interne. Néanmoins, les pays les conjoncturellement l’impact de la crise sur
plus endettés et les plus touchés par l’austé- l’emploi, il faut analyser le chômage partiel.
rité, en réduisant les dépenses sociales, n’ont C’est un dispositif public qui a pour objectif
pas pu profiter de cet amortisseur. C’est sur- d’inciter les entreprises à réduire le nombre
tout le cas pour la Grèce. De plus, du fait de d’heures travaillées, et à éviter ainsi les
la stagnation des dépenses actives, les États licenciements. Les salariés conservent leur
européens contraints dans leur politique contrat de travail et perçoivent une indem-
budgétaire ont été privés d’un instrument nité en compensation des heures non travail-
pour agir durablement sur les structures du lées (en France, cette indemnité s’élève à 75 %
marché du travail (tableau 3). du salaire brut depuis 2009, à la charge de

89 LUTTER CONTRE LE CHÔMAGE DANS UN CONTEXTE DE CRISE : COMPARAISONS INTERNATIONALES


l’employeur et de Pôle emploi). L’indemnité qui lui est assigné, puisque ce dispositif a
peut être versée par l’employeur (France, Alle- pour effet de repousser les licenciements
magne et Italie), qui est ensuite remboursé de quelques mois, sans parvenir à les éviter
par le service public de l’emploi, ou bien (Calavrezo et al., 2009).
directement par ce dernier (cas de la plupart Pour ce qui est de l’Allemagne, de nombreux
des autres pays). Les programmes de chô- analystes et commentateurs ont avancé l’idée
mage partiel sont très inégalement subven- que le recours au chômage partiel était à
tionnés par les administrations publiques, l’origine du succès de ce pays dans la lutte
selon les pays (COE, 2012). Le coût pour l’em- contre le chômage. Il apparaît en fait que
ployeur des heures non travaillées en cas de ce dispositif a joué un rôle marginal. Tout
chômage partiel est totalement pris en charge d’abord, son usage est relativement peu
par la puissance publique en Belgique, à 90 % répandu. En effet, le taux mensuel de recours
en Allemagne, à 60 % en France. Ces diffé- au chômage partiel a été de 3 % en 2009, mais
rences dans l’aide publique, mais aussi dans il est revenu à 1 % en 2010. De plus, une ana-
les conditions d’éligibilité aux dispositifs lyse précise du cas allemand montre que de
publics nationaux, font que le recours au nombreux accords collectifs sectoriels ou
chômage partiel a été disparate au cours des d’entreprises ont mis en place des périodes
premières années de crise. Le taux mensuel de réduction du temps de travail, selon des
moyen de recours au chômage partiel par modalités différentes du chômage partiel.
rapport au total de l’emploi salarié a été en Par exemple, de nombreuses entreprises ont
2009 de 6 % en Belgique, de 3 % en Allemagne, depuis longtemps instauré des formules de
et de 1 % en France (COE, 2012). Ajoutons que compte épargne-temps. Les salariés accu-
pour la France, le chômage partiel, lorsqu’il mulent des heures en période de forte activité
est adopté, ne semble pas atteindre l’objectif et réduisent leur temps de travail en puisant
sur le compte lorsque l’activité baisse (COE,
2012). On voit ici les avantages d’une négocia-
tion collective décentralisée, sur le modèle de

ZOOM l’Allemagne et de l’Europe du Nord, qui peut


aboutir à des accords de réduction du temps

POLITIQUES ACTIVES,
de travail adaptés à la situation de chaque
secteur d’activité, voire de chaque entreprise
POLITIQUES PA
PASSIVES (Fitoussi et al., 2000, Pisani-Ferry, 2000).

Les économis
économisttes distinguent,
distinguent, au sein
des politiques de l’empl
l’emploi,
oi, les
les mesures
mesures Les politiques structurelles de lutte
passiv
pas sives
premièr
pr
es des mesures
emières
mesures actives.
actives. Les
es visent à maintenir
maintenir le le niveau
niveau contre le chômage
de vie des personnes
personnes touchées
touchées par le le
Les politiques structurelles visent à agir à
chômage. Il s’agit
s’agit essentiell
essentiellement
ement des
mesures
mesur es d’indemnisation du chômage.
long terme sur les causes du chômage. Elles
Les secondes
secondes ont pour finalit
finalitéé de limiter
limiter ne sont donc pas spécifiques aux périodes de
le nombre
nombre de chômeurs
chômeurs : progr
programmes
ammes de crise. Néanmoins, les crises exacerbent les
formation prof
profesessionnell
sionnelle,e, subventions
subventions à difficultés économiques et sociales liées au
l’embauche et au maintien dans l’empl l’emploi
oi chômage ; c’est pourquoi elles sont aussi des
dans le
le secteur
secteur privé,
privé, créations
créations d’emplois
d’emplois périodes de remise en cause et de réformes
dans le
le secteur
secteur public… des mesures structurelles en faveur de l’em-
ploi. En théorie, elles portent sur de nombreux
Problèmes économiques
domaines tels que les institutions, le droit et
la réglementation du marché du travail. Nous

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 90


analysons ci-après quatre domaines  dans partielle d’activité. Ces mesures d’activation
lesquels les pays confrontés à la crise de ont parfois été accompagnées d’un contrôle
l’emploi ont essayé d’améliorer les structures renforcé de la recherche d’emploi par les chô-
et institutions du marché du travail : le ser- meurs (Irlande, Royaume-Uni, Portugal).
vice public de l’emploi (SPE), « l’activation »
des chômeurs (mesures visant à responsabi- La flexibilisation
liser les chômeurs et à les inciter à retourner du marché du travail
en emploi), la flexibilisation des contrats de
travail, et le système de formation. La flexibilité du marché du travail, c’est-à-
dire du temps de travail et de la réglemen-
Le service public de l’emploi tation des contrats de travail – en particulier
l’embauche et le licenciement – fait l’objet,
Pour ce qui est du SPE, la politique du « gui- depuis longtemps, de débats et de contro-
chet unique » a pour objectif de mieux servir, verses entre experts et organismes spécia-
mieux informer les chômeurs et finalement lisés (OCDE, Commission européenne). Les
d’améliorer leur placement. Cette politique réformes structurelles engagées ces der-
s’est développée ou renforcée en Irlande, au nières années visent à supprimer, ou tout au
Danemark, et au Royaume-Uni (avec la mise moins diminuer la segmentation du marché
en place d’une allocation sociale unique dans du travail, qui repose notamment sur la diffé-
ce pays). Il en est de même en France, avec la rence de traitement entre les contrats à durée
création de Pôle emploi en 2009 qui regroupe déterminée (CDD) et à durée indéterminée
les fonctions d’indemnisation et de place- (CDI). Le but est de rendre ainsi le marché du
ment des chômeurs. Cette création avait été travail plus concurrentiel. Cet objectif se tra-
cependant décidée et organisée avant la crise. duit par l’assouplissement des contraintes
Ajoutons que dans certains pays européens, juridiques qui pèsent sur le CDI et la limi-
tels que l’Allemagne, le Danemark, les Pays- tation du recours aux CDD. C’est ainsi qu’en
Bas, le Royaume-Uni, la Suède, le placement Italie, en Espagne, et au Portugal, les récentes
des chômeurs est partiellement confié à des réformes visent à réduire les coûts des licen-
sociétés privées, avec un financement public. ciements (diminution des indemnités de
En France, cette pratique a été introduite en licenciements, et des contrôles de l’adminis-
2010, sans que l’on puisse à l’heure actuelle tration). Parallèlement, la durée maximale
en dresser un bilan précis. des CDD a été réduite (de trois à deux ans en
Espagne). En France, la loi de juin 2008 ins-
Les mesures d’« activation » taure la rupture conventionnelle du contrat
de travail, qui donne la possibilité, en cas
Les mesures d’« activation » des chômeurs
d’accord entre l’employeur et le salarié, d’une
prennent la forme d’incitations financières
rupture aux formalités considérablement
à la reprise d’emploi. Ce type de dispositif
allégées. En outre, les personnes qui sont au
existe parfois depuis longtemps mais a été
chômage à l’issue de cet accord ont droit à
renforcé depuis la crise. Il peut s’agir de la
indemnisation (Dayan, Kerbourc’h, 2010).
prime à l’emploi (France, Royaume-Uni), ou
Cette innovation institutionnelle a connu un
encore de l’autorisation de cumul des indem-
franc succès puisqu’un million de ruptures
nités de chômage avec une activité à temps
conventionnelles ont été enregistrées au bout
partiel et une faible rémunération (Portugal,
de quatre ans d’existence du dispositif.
Belgique) (COE, 2012, pp. 52-53). Il en est de
même en France avec le Revenu de solida- L’accord sur la flexicurité signé le 11 janvier
rité active (RSA) qui a remplacé le revenu 2013 par les représentants des salariés et des
minimum d’insertion (RMI). Une part du employeurs, et qui doit être entériné par la
RSA continue à être perçue en cas de reprise loi, peut changer fondamentalement et pour

91 LUTTER CONTRE LE CHÔMAGE DANS UN CONTEXTE DE CRISE : COMPARAISONS INTERNATIONALES


une longue période, les règles et procédures (Espagne, Portugal) et en France, les condi-
qui régissent la relation d’emploi en France. tions d’accès et les subventions allouées à
En effet, les partenaires sociaux se sont l’apprentissage ont été améliorées.
entendus pour décentraliser de nombreuses
décisions concernant les relations de tra- ***
vail. Désormais, la négociation collective, au
niveau de chaque entreprise, peut fixer elle- Face à une même crise, à présent mondiali-
même les modalités des « accords de maintien sée, la situation du marché du travail dans
dans l’emploi » (avec possibilité de réduction les pays développés demeure très contras-
du temps de travail et des salaires pendant tée. Ces différences proviennent certes du
une durée de deux ans en cas de difficultés fonctionnement général des économies, mais
conjoncturelles graves). De plus, les modalités aussi du fait que les causes du chômage sont
des licenciements collectifs (plans sociaux) multiples : certaines proviennent de la crise,
peuvent être négociées entre employeurs et d’autres sont antérieures. Il serait donc naïf
syndicats dans chaque entreprise et, dans ce de penser qu’en agissant sur un seul levier, ou
cas, se substituer aux dispositions générales sur un petit nombre, certains pays vont mieux
du Code du travail. En contrepartie, certains sortir de la crise que d’autres. Les expériences
droits attachés à la personne des salariés étrangères plutôt vertueuses (pays d’Europe
sont développés. C’est ainsi qu’est créé pour du nord et Allemagne) montrent que c’est une
chaque salarié un compte individuel de for- ensemble complexe, coordonné et cohérent de
mation qui reste valide même en cas de chan- moyens qu’il faut mettre en oeuvre pour lut-
gement d’employeur ou de chômage. De plus, ter contre le chômage. De ce fait, une mesure
un chômeur qui reprend une activité profes- ou quelques mesures qui ont connu un cer-
sionnelle conserve ses droits non utilisés à tain succès ne sont pas directement trans-
l’assurance chômage, au cas où il perd cet posables d’un pays à l’autre. Par exemple, la
emploi. réduction du temps de travail et le chômage
partiel qui se sont développés en Allemagne
ne sont pas nécessairement « importables »
Les systèmes d’éducation en France.
et de formation professionnelle
Si l’on raisonne à plus long terme, sur l’après-
Du côté des systèmes d’éducation et de for- crise, pour la France, les changements souhai-
mation, la crise n’a pas entraîné de réformes tables doivent porter sur plusieurs éléments
ou de remises en question radicales, peut- stratégiques à mettre en cohérence : le sys-
être en raison des restrictions budgétaires, tème d’éducation (100 000 jeunes sortent
mais aussi parce qu’il s’agit de réformes qui sans diplôme du système d’éducation chaque
ne portent leurs fruits qu’à très long terme. année), le système de formation continue (qui
Les principales mesures prises visent à déve- profite aux plus qualifiés), la politique du
lopper davantage l’apprentissage, et de ce logement (à définir en fonction des bassins
fait, à mieux insérer les jeunes dans l’emploi. d’emplois existants et futurs), la protection
C’est ainsi que dans les pays d’Europe du Sud sociale et le système fiscal.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 92


POUR EN SAVOIR PLUS
™ CALAVREZO O., DUHAUTOIS disponible sur : www.coe. en Europe, Rapport du CAE,
R., WALKOWIAK E. (2009), gouv.fr. n° 23, Paris, La Documentation
« Chômage partiel et française.
licenciement économique », ™ DAYAN J.L., KERBOURC’H
Connaissance de l’emploi, J.Y. (2010), « La rupture ™ PISANI-FERRY J. (2000), Plein
Centre d’études de l’emploi. conventionnelle du contrat de emploi, Rapport du CAE n° 30,
travail », Note d’analyse du Paris, La Documentation
™ CENTRE D’ORIENTATION DE
CAS, octobre, n° 108. française.
L’EMPLOI (COE) (2012), L’emploi
et les politiques de l’emploi ™ FITOUSSI J.P., FREYSSINET J., ™ REDOR D. (1999), Économie
depuis la crise, une approche PASSET O. (2000), Réduction du travail et de l’emploi,
comparative, mimeo, mars, du chômage, les réussites Paris, Montchrestien.

¶ COMPLÉMENT conséquences très bénéfiques : le taux de


chômage de longue durée a fortement reculé,
le taux d’activité des seniors a nettement
L’EXCEPTION augmenté (de 40 à 60 %), et surtout, les

ALLEMANDE
inégalités de revenus, en augmentation depuis
les années 1990, ont entamé un net recul sur
En Allemagne, entre 2005 et 2012, le niveau le court terme depuis 2005 grâce à la hausse
du chômage a été divisé par deux. Cette des revenus du tiers des moins biens payés.
performance est à la fois singulière et
Modification structurelle du rapport PIB/
remarquable. Singulière, car c’est le seul
chômage
pays développé qui a réussi un tel exploit –
partout ailleurs, la tendance était à la hausse ; Il existe une relation négative entre la
remarquable, car cette évolution s’est produite croissance du PIB et l’évolution du chômage,
sur fond de crise économique : au plus connue sous le nom de loi d’Okun : une
profond de la Grande Récession, la croissance accélération du taux de croissance correspond
allemande avait chuté de près de 5 points. à une baisse du taux de chômage. Dans le
passé, le taux de croissance nécessaire pour
Le miracle en chiffres stabiliser le chômage était souvent proche de
Selon les données fournies par l’Agence 3 %. Le ralentissement de la productivité, mais
allemande du travail, le nombre de personnes aussi la plus grande flexibilité sur le marché
sans emploi s’est établi à 2,897 millions du travail ont rendu la croissance plus riche en
sur l’ensemble de l’année 2012. Le taux de emplois.
chômage atteint 6,8 % – le plus bas niveau Pour l’Allemagne, le taux de croissance
depuis 22 ans. Selon Eurostat, il est encore nécessaire pour stabiliser le chômage n’est
plus bas : 5,4 % contre 7,8 % au Royaume-Uni, plus qu’à environ 1,5 % (il est un peu plus élevé
10,5 % en France et 11,8 % pour la zone euro. en France, mais également très inférieur aux
Seuls l’Autriche et le Luxembourg parviennent 3 % d’autrefois). Entre 2005 et 2011, le taux
à faire encore mieux. de croissance moyen réel a cependant été
Entre 2004 et 2012, l’Allemagne a créé inférieur à 1,2 %. Le nombre de chômeurs
2,4 millions d’emplois, ce qui a eu des aurait donc dû augmenter outre-Rhin. Comme

93 LUTTER CONTRE LE CHÔMAGE DANS UN CONTEXTE DE CRISE : COMPARAISONS INTERNATIONALES


l’observe l’OCDE dans son dernier rapport a accru l’efficacité du service pour l’emploi en
sur l’Allemagne, il y a eu une modification élargissant l’autonomie des agences locales et
structurelle du rapport entre la croissance du stimulé l’offre et la demande du travail via la
PIB et le chômage qui s’est produite dans ce libéralisation du travail temporaire (jusque-là
pays. très peu répandu) et l’allègement du coût du
travail (notamment l’introduction de mini jobs
Les quatre raisons du miracle allemand – emplois à quinze heures par semaine
La baisse du chômage allemand s’est effectuée maximum).
sur fond d’une évolution démographique
En proportion du PIB, les dépenses allouées
particulière : la population active a très
aux politiques de l’emploi sont aujourd’hui
certainement atteint son maximum et
légèrement plus élevées en Allemagne
stagne, voire recule légèrement depuis
qu’en France, notamment grâce à la part
2009. Entre 2005 et 2010, elle est passée de
plus significative allouée au service public
42,6 millions à 41,9 millions. Cette baisse est
de l’emploi quand la France finance plus
toutefois largement insuffisante pour expliquer
largement des emplois aidés. Bien qu’il soit
à elle seule la réduction du chômage d’environ
indéniable que les réformes Hartz ont eu un
2,3 millions de personnes.
impact positif, on a tendance à surestimer
Outre la diversification croissante de l’appareil leur effet. Elles ont permis de réduire les
exportateur allemand, le facteur essentiel pour coûts supportés par l’assurance chômage
améliorer la situation sur le front de l’emploi a et de séparer les prestations d’assurance
été l’ensemble des mesures adoptées au sein (payées par les cotisations) des prestations
des entreprises ou des branches économiques. d’assistance (payées par l’impôt). Mais les
Elles découlent de la solidarité conjointe entre évaluations concluent à un faible impact
patronat et salariés, constitutive du modèle direct sur les taux d’activité et la croissance
allemand et dépassant largement les seules de l’emploi. Enfin, les réformes ont surtout
mesures politiques touchant au marché du eu une vertu symbolique d’encouragement
travail. Dès 2006, le taux de chômage a ainsi pour la société allemande en prouvant que des
entamé son recul et la crise n’a pas brisé cette mutations, même douloureuses, sont possibles
dynamique, bien au contraire. dans la concertation.
Les réformes Hartz Réduction du nombre d’heures travaillées
Entre 2003 et 2005, le gouvernement durant la crise
Schröder a conduit une ambitieuse réforme Confrontée au choc de la Grande Récession,
du marché du travail ayant pour objectif les entreprises allemandes ont privilégié la
d’accroître l’incitation à l’emploi et de réaliser réduction du nombre d’heures travaillées aux
des économies pour diminuer le niveau des licenciements. Ce choix a été favorisé par les
cotisations chômage. Cette réforme a réduit accords d’entreprises et le dispositif public
la durée d’indemnisation (elle varie désormais de chômage partiel. Bien avant la crise, les
entre 12 et 18 mois pour l’allocation-chômage entreprises, aidées par leur solide trésorerie
I – AC-I) et modifié les conditions pour et des syndicats coopératifs, avaient conclu
l’allocation forfaitaire (AC-II) qui prend le relais des accords pour mieux s’adapter aux cycles
de l’AC-I. Elle a également durci les conditions économiques : réduire temporairement le
d’acceptabilité des emplois, renforcé les temps de travail et les rémunérations et
dispositifs à la promotion de la création répartir les compte-épargne-temps (en
d’entreprises individuelles et à l’employabilité Allemagne, un salarié sur deux en est doté) sur
des personnes, surtout de celles disposant plusieurs années en échange d’une garantie
d’un parcours professionnel particulièrement de l’emploi. En général, ces accords prévoient
précaire. Dans un deuxième volet, la réforme une baisse des salaires proportionnelle à la

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 94


réduction du temps de travail. Ces pertes de synthèse entre concurrence et État social.
salaires sont ensuite compensées par des Cette doctrine, qualifiée d’« ordo-libéralisme »,
transferts de l’Agence de l’emploi, ne modifiant permet de libérer la dynamique du marché
ainsi pas les droits acquis à l’assurance- tout en garantissant la cohésion et la stabilité
maladie et à la retraite. sociales. Elle est partagée par tous les partis
Au plus fort de la crise, l’Allemagne comptait de rassemblement (CDU, CSU et SPD),
1,5 million de chômeurs partiels contre permettant ainsi la reconduite des mesures en
300 000 en France. Le coût total de cette cas de changement de majorité politique.
mesure s’élève à plus de 9 milliards d’euros Un élément fondamental de cette
en Allemagne (1 milliard en France). Ces « constitution ordo-libérale » est le système
différences s’expliquent par plusieurs raisons : de relations entre partenaires sociaux.
le choc conjoncturel plus fort en Allemagne, la L’ensemble des partenaires sociaux assument
meilleure situation financière des entreprises une politique globale de compétitivité. Les
et la plus grande simplicité dans la mise en négociations consensuelles sur les trois
place du chômage partiel. Les avantages composantes du triptyque « emploi-salaire-
de la solution allemande sont certains : les durée du travail » au niveau de la branche
salariés sont maintenus dans l’emploi et les et de l’entreprise sont la règle, aidées par la
entreprises peuvent plus facilement faire pratique de la codétermination : les salariés
redémarrer leur activité après la crise. d’entreprises de plus de cinq salariés peuvent
constituer un conseil professionnel qui doit
Absence de bulle immobilière et de déséquilibres
le cas échéant être informé de toutes les
macroéconomiques
décisions et peut signer avec le patronat des
Contrairement à certains pays, l’Allemagne accords complétant les accords collectifs. Dans
n’a pas connu de boom récent dans le secteur les grandes entreprises, jusqu’à la moitié des
de l’immobilier. Le dernier remonte à vingt sièges dans les conseils d’administrations est
ans, porté par l’euphorie de la Réunification et détenue par les représentants des salariés.
les nombreux dispositifs publics de soutien.
Dix ans plus tard, les surcapacités du secteur Un revers de la médaille ?
de la construction ont été résorbées. Il n’y a À l’étranger, on pointe souvent la face
donc pas eu de bulle immobilière. Les prix de cachée du miracle allemand : multiplication
l’immobilier – favorisés par une démographie des emplois précaires, augmentation de la
peu dynamique – ont globalement peu pauvreté, rythme de travail effréné, absence
augmenté comparativement aux autres d’un salaire minimum global, existence d’un
pays européens, ce qui a facilité la mise en « deuxième marché du travail » (précaire et
[1]
Politique visant à place des politiques de modération salariale1 mal payé) qui toucherait près d’un tiers de la
contenir l’augmentation entre 2004 et 2010.
des salaires (et non à population active. Il est vrai que le pays compte
baisser les salaires). La culture économique et la politique de toujours près d’un million de chômeurs de
compétitivité globale longue durée et que le nombre de contrats de
travail atypiques (à temps partiel, mini job ou à
Le « modèle d’économie sociale de
durée déterminée) a augmenté de 20 à 25 % de
marché » développé dans les années de
la population active sur la dernière décennie.
reconstruction, est devenu un véritable facteur
Ces chiffres doivent cependant être interprétés
de compétitivité. Inspiré de la doctrine sociale
dans leur contexte.
de l’Église catholique, des économistes
comme Alfred Müller-Armack et des hommes Le chômage de longue durée a en effet
politiques comme Ludwig Erhard ont fondé baissé de 40 % depuis 2007 (plus fortement
une approche pragmatique et évolutive de encore chez les populations immigrées,
l’économie de marché en cherchant une ce qui constitue un vecteur d’intégration

95 LUTTER CONTRE LE CHÔMAGE DANS UN CONTEXTE DE CRISE : COMPARAISONS INTERNATIONALES


important). Par ailleurs, le boom des contrats notamment de patrimoine, depuis les années
atypiques n’a quasiment pas modifié le 1990. Cependant, celles-ci ne sont pas liées
nombre de contrats classiques. Le nombre de au modèle allemand mais aux mutations
mini jobs est assez stable et tourne autour de économiques qui touchent tous les pays
7 millions depuis 2004. Ces contrats sortent européens, comme la libéralisation d’anciens
une importante partie de la population de services publics, l’extension du secteur des
l’inactivité car ils correspondent à ce que services et le boom des prestations exigeant
cherche cette population : une petite activité de faibles qualifications. Cependant, ni ces
d’appoint. Outre des retraités (1,3 million de modifications, ni le « miracle allemand
mini jobbers) et des jeunes de moins de 25 ans de l’emploi », n’ont modifié la hiérarchie
(1,1 million), le profil type du mini jobber est européenne en matière d’inégalité :
féminin, issu de la classe moyenne avec un l’Allemagne se situe toujours entre les pays
partenaire qui travaille à temps plein. Certes, scandinaves et le reste de l’Europe.
de ces emplois ne découlent pas des retraites
Markus Gabel
élevées ; mais sans ces emplois, les personnes
concernées n’auraient probablement pas
de retraite du tout. Par ailleurs, ces emplois Bibliographie
ont tendance à déformer les statistiques
d’inégalité si on considère l’ensemble des Bach H.-U. et Spitznagel E. (2012), « Le coût
salariés car ils conduisent mécaniquement économique du chômage est en baisse en
à une augmentation de la part des moins RFA », Regards sur l’économie allemande,
rémunérés. Mais si on considère la population n° 105, été.
globale, ces emplois permettent à des Bizimanna O. et Lacan A. (2010), « France :
personnes qui n’avaient aucun revenu d’avoir récession historique, chômage atypique »,
une petite rémunération. Éclairages – Crédit agricole, n° 5, mars.
En ce qui concerne le reste des salariés dont Bundesministerium für Arbeit und Soziales
le temps de travail se situe en dessous de (2012), 4. Armutsbericht der Bundesregierung,
la moyenne des pays de la zone euro, leurs 17 septembre.
salaires demeurent parmi les plus élevés
Kramarz F. et al. (2012), Les mutations du
du monde et sont régulièrement réajustés
marché du travail allemand, rapport du Conseil
– mais toujours en deçà de la progression
d’analyse économique, n° 102.
de la productivité. Enfin, il est vrai que
l’Allemagne connaît comme d’autres pays OCDE (2012), Étude économique de l’OCDE sur
une hausse tendancielle des inégalités, l’Allemagne, Paris.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 96


Les politiques de l’emploi regroupent un ensemble varié de mesures : certaines sont générales
– exonérations de cotisations, incitations financières à l’emploi… – tandis que d’autres portent
sur des publics ou des secteurs bien particuliers – contrats aidés pour les jeunes ou les chô-
meurs de longue durée, allègements fiscaux pour certains types d’entreprise… –.
Bien qu’elles appartiennent à l’ensemble des politiques « structurelles », dont l’orientation n’est
pas modifiée au gré de la conjoncture, elles ont été profondément réorientées, selon Yannick
L’Horty, face à la dégradation continue du marché du travail depuis 2008 et la vulnérabilité de
certains publics et certains territoires. Les mesures ciblées, notamment, sont en forte expan-
sion malgré des évaluations souvent critiques, en raison de leurs effets rapides sur le marché
du travail. Les mesures générales, pour leur part, restent dans les grandes lignes de la période
d’avant-crise : les politiques « actives » sont privilégiées par rapport aux politiques « passives ».
Problèmes économiques

Quel avenir
pour les aides à l’emploi ?
transformations récentes du marché du tra-
 YANNICK L’HORTY vail. En particulier, le rôle des contrats aidés
Professeur à l’Université de Paris-Est - Marne-La-Vallée mérite un examen attentif. Les experts recon-
naissent à ces dispositifs la vertu d’avoir des
effets rapides sur le marché du travail, avec
pour contrepartie de ne pas agir durable-
ment et de ne pas toujours favoriser l’accès
La crise pose en des termes profondément aux emplois non aidés. Cela en fait un outil
renouvelés la question des aides à l’emploi. privilégié de réponse à une dégradation de la
La dégradation continue du marché du tra- conjoncture, a fortiori lorsqu’elle est excep-
vail depuis juin 2008, avec une montée sans tionnelle par son ampleur et sa durée.
précédent du chômage, amène à réinterroger
le rôle des politiques publiques destinées à En France, la stratégie des différents gou-
améliorer la situation de l’emploi. La ques- vernements depuis l’entrée en crise a été de
tion n’est pas facile puisqu’elle implique combiner ces actions de court terme avec des
notamment de prendre la mesure des actions réformes plus structurelles dont les effets
effectivement mises en œuvre et celle de leurs se font sentir à plus long terme. La récente
effets. Mais il importe de la poser dans le montée en puissance des contrats d’avenir du
contexte actuel, compte tenu de l’ampleur des gouvernement de Jean-Marc Ayrault en est

97 QUEL AVENIR POUR LES AIDES À L’EMPLOI


une nouvelle illustration. Mais les moyens Ces dernières affectent en premier lieu les
mis en œuvre sont-ils à la hauteur des nou- contrats de travail à durée déterminée et le
veaux défis imposés par la crise ? Ne faut-il travail temporaire dans lesquels les moins
pas redéfinir aujourd’hui à la fois le volume de 25  ans sont surreprésentés. Mais la part
et la nature des dispositifs pour l’emploi ? des moins de 25  ans au sein de l’ensemble
Quelles directions privilégier ? des demandeurs d’emploi a ensuite diminué
au fur et à mesure que la durée du chômage

Nouveaux besoins, nouveaux publics s’est allongée. Au final, la part des jeunes a
rejoint son niveau initial, autour de 16 % de
Il est tout d’abord nécesaire d’agir à une l’ensemble des demandeurs d’emploi.
nouvelle échelle compte tenu de l’ampleur C’est la catégorie des seniors qui a été la plus
de la dégradation du marché du travail. Si affectée par la crise. Il y a quinze ans, les plus
l’on considère par exemple le nombre de de 50  ans représentaient moins de 15 % des
demandeurs d’emplois des catégories A, B demandeurs d’emploi de catégorie A. Ils sont
et C, c’est-à-dire l’ensemble des personnes 22 % aujourd’hui. Leur part a ainsi augmenté
inscrites à Pôle emploi qui recherchent un de près de 50 %. Cette hausse est spectacu-
emploi, qu’elles exercent ou non une acti- laire et sans commune mesure avec le vieillis-
vité à temps partiel, la hausse dépasse 55 % sement de l’ensemble de la population active
entre le point bas de juin 2008 et la situation qui ralentit depuis 2005 avec l’entrée en
d’octobre 2012. On dénombre désormais plus retraite des classes d’âge nombreuses issues
de 4,6 millions de demandeurs d’emplois de du baby boom. La hausse a eu lieu pour l’es-
ces catégories, plus de 3  millions si l’on se sentiel depuis le début de la crise, entre fin
restreint aux demandeurs de catégorie A qui 2008 et 2012. Il s’agit là d’un mouvement qui
n’exercent aucune activité réduite, et plus de va sans doute être très persistant. En cas de
5  millions si l’on inclut les demandeurs qui reprise, la part des plus de 50  ans devrait
ne recherchent pas activement un emploi, continuer à augmenter, si la reprise profite
parce qu’ils suivent une formation ou bénéfi- prioritairement aux jeunes, au moins dans un
cient d’un contrat de courte durée. La dégra- premier temps.
dation est à la fois massive et générale. Aucun
département de France n’y a échappé, même
si des différences existent, les zones qui Un redéploiement réel
concentrent une activité industrielle ayant
été plus touchées. En outre, la durée du chô- des aides à l’emploi
mage s’est fortement allongée, ce qui signale En théorie, les politiques de l’emploi ne sont
le caractère profond et persistant de la dégra- pas redéfinies en fonction du climat écono-
dation du marché du travail. Les différents mique général car ce ne sont pas des poli-
indicateurs de durée du chômage publiés tiques conjoncturelles. Elles appartiennent
par le ministère du Travail ont retrouvé les à la grande famille des politiques structu-
niveaux les plus élevés atteints au début des relles, dont l’orientation ne change pas avec
années 2000. la position de l’économie dans le cycle d’ac-
Ensuite, il y a dans le même temps une tivité. Si elles sont devenues massives dans
recomposition des publics cibles. Certes, les dernières décennies, leurs effets ne sont
toutes les catégories de demandeurs d’emploi pas très rapides. Il faut plusieurs mois, voire
sont concernées par la hausse du chômage, plusieurs années pour changer en profondeur
mais des différences existent. La hausse a les dispositifs d’aides à l’emploi et en récol-
au début été subie le plus fortement par les ter les fruits. La fonction de ces politiques est
jeunes, qui sont traditionnellement les plus de soutenir les créations d’emploi, de faciliter
sensibles aux fluctuations conjoncturelles. les appariements sur le marché du travail et

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 98


de favoriser l’accès à l’emploi des chômeurs, changements car l’arsenal des dispositifs
autant d’objectifs relevant plutôt d’actions pour l’emploi comprend de très nombreuses
structurelles inscrites dans un cadre tempo- actions qui poursuivent des finalités variées.
rel de longue période. Le ministère du Travail en effectue un suivi
Pour autant, les politiques de l’emploi ont régulier au travers du tableau de bord des
[1]
Le tableau de effectivement été réorientées depuis l’en- politiques de l’emploi1 qui est obtenu en
bord rénové des
trée en crise. En France, les aides à l’emploi agrégeant des données de la DARES, de Pôle
politiques d’emploi et
d’accompagnement marchand ont été maintenues et même pour emploi et de l’Unédic. Ce tableau distingue
des restructurations certaines, amplifiées. Les mesures d’ac- six catégories d’actions qui rassemblent au
est une application qui
compagnement ont été renforcées avec la total 74  dispositifs pour former la liste des
permet la consultation
et le téléchargement réforme du chômage partiel intervenue dès « principales mesures pour l’emploi », ce
de données de flux décembre  2008, puis avec le développement qui illustre bien l’ampleur et la variété de
et de stock au niveau ces actions. Les emplois aidés dans les sec-
départemental, régional des conventions de reclassement person-
et national sur les nalisé, un dispositif coûteux mais très ciblé teurs marchands rassemblent à eux seuls
politiques de l’emploi
sur les entreprises les plus en difficultés. Les 41 dispositifs et prennent pour l’essentiel la
(http://travail-emploi. forme d’exonérations de cotisations sociales
gouv.fr). mesures ciblées sur les jeunes ont également
été renforcées, avec la mise en œuvre des et de primes à l’embauche ciblées sur des
contrats d’autonomie et des contrats d’inser- publics particuliers (les jeunes, les deman-
tion dans la vie sociale (CIVIS). deurs d’emploi de longue durée) ou sur des
types d’entreprises particulières (les toutes
Ce redéploiement, qui paraît contraire à la petites entreprises, celles situées en zones
vocation structurelle des politiques de l’em- rurales, les nouvellement créées, celles créées
ploi, s’explique par les spécificités des effets par des chômeurs). Rentrent également dans
de la crise sur le marché du travail. Comme cette catégorie les contrats en alternance
nous l’avons vu, si tous les publics ont été (7  types de contrat), l’accompagnement des
affectés dans tous les territoires, certains restructurations (6 dispositifs), et l’insertion
publics dans certains territoires l’ont été par- par l’économique (5 dispositifs). La catégorie
ticulièrement, ce qui nécessite des politiques des emplois aidés dans les secteurs non mar-
en mesure de cibler ces catégories les plus chands comprend quant à elle 10 dispositifs
touchées. Or, les politiques conjoncturelles qui sont autant de formules différentes de
sont impuissantes en la matière car elles contrats aidés. Les mesures de formation des
sont indifférenciées dans l’espace et selon les demandeurs d’emploi réunissent 11 disposi-
bénéficiaires. Les politiques de l’emploi, qui tifs qui permettent de former les chômeurs
combinent des actions catégorielles et des afin de prévenir ou de remédier au risque
actions territorialisées, sont beaucoup mieux de chômage de longue durée. Les autres
adaptées. catégories couvrent l’accompagnement des
licenciements économiques (6  dispositifs),
Expansion des contrats aidés l’accompagnement des jeunes (3) et l’incita-
tion au retrait d’activité (2 dispositifs).
et des mesures ciblées Toutes ces mesures sont qualifiées de
« dépenses ciblées » en faveur du marché du
La variété des dispositifs d’aide travail. Le dernier recensement du coût de
à l’emploi et plus particulièrement ces dépenses remonte à l’année 2009 et a été
publié en 2012 (DARES, 2012a). Il était alors
des actions ciblées de 46 milliards d’euros, soit 2,4 points de
Quels ont été les changements effectifs PIB. Ces dépenses s’avèrent très sensibles à
des politiques de l’emploi ? Il est difficile la situation du marché du travail. Avec l’en-
de disposer d’une vue d’ensemble sur ces trée en crise, elles ont connu une forte hausse

99 QUEL AVENIRPOUR LES AIDES À L’EMPLOI


(+17 % en euros constants en 2009) alors qui étaient en repli relativement aux années
qu’elles étaient en baisse depuis cinq  ans. précédentes. Ce chiffre a été porté à 113 227
Les dépenses pour l’indemnisation du chô- pour le CUI-CIE en 2010.
mage en constituent plus de la moitié (59 %),
loin devant les emplois aidés (15 %), la forma- 1. Effectifs en contrats aidés
tion professionnelle des demandeurs d’em-
Nombre de conventions signées
ploi (15 %) et les moyens consacrés au service
public de l’emploi (11 %). 2007 2010
Secteurs marchands :
37 605 113 227
Des mesures en expansion malgré Du CIE au CUI-CIE
des évaluations mitigées Secteurs non marchands :
266 322 376 970
du CAE au CUI-CAE
Les évaluations des emplois aidés indiquent
Source : DARES (2012-b).
généralement que l’impact en termes de créa-
tions nettes d’emploi est faible et que les
bénéficiaires du dispositif ont des difficultés Les nouveaux contrats d’avenir s’inscrivent
à en sortir pour accéder à un emploi non aidé. dans cette expansion des mesures ciblées.
Plusieurs mécanismes expliquent pourquoi 150 000 contrats de un à trois ans, destinés
les subventions données aux employeurs aux secteurs non marchands et financés aux
pour créer des emplois aidés ne produisent trois quarts par l’Etat sont prévus d’ici 2014
pas tous les effets attendus. Les entreprises pour un coût de 2,3  milliards d’euros. Lan-
peuvent bénéficier d’un effet d’aubaine, en cés en novembre 2012, ces nouveaux contrats
touchant une subvention pour un emploi aidés sont destinés aux jeunes, qu’ils soient
qu’elles auraient créé de toute façon. Elles qualifiés ou non, et privilégient les quar-
peuvent recruter un salarié dont les caracté- tiers prioritaires des politiques de la ville,
ristiques correspondent aux critères deman- les zones rurales, les DOM. Il s’agit bien
dés au détriment d’une autre embauche ; on de répondre aux exigences de la crise en se
parle alors d’effet de substitution. Quand les donnant des instruments ciblés à la fois sur
mesures sont ciblées dans l’espace, il peut certains publics et sur certains territoires,
y avoir une création d’emploi dans la zone particulièrement touchés par la crise.
ciblée au détriment de celles qui ne le sont
pas ; on parle alors d’effet de déplacement.
Néanmoins, et malgré ces critiques adressés
Stabilité des mesures générales
aux mesures ciblées, le mouvement est bien Le spectre des dépenses générales
celui d’une expansion des contrats aidés
dans le contexte de crise, parce que ce sont
d’aide à l’emploi
les seuls dispositifs ayant un effet rapide sur Il existe aussi des « dépenses générales » en
le marché du travail. Dans les secteurs non faveur de l’emploi et du marché du travail
marchands, on comptait 266 322 conventions qui atteignent 41  milliards d’euros en 2009,
signées de contrats d’accompagnement dans soit 2,2 points de PIB. Parmi ces dépenses, les
l’emploi (CAE) en 2007 et 124  201 contrats allégements généraux de cotisations sociales
d’avenir (tableau  1). Ces contrats ont été sur les bas et moyens salaires représentent
abrogés et remplacés par le contrat unique de loin le plus gros budget, avec 22 milliards
d’insertion (CUI) dont on recensait 376 970 d’euros. On dénombre aussi 4  milliards
conventions signées en 2010 (et 391 153 d’euros au titre des exonérations sur les
en 2011). Dans les secteurs marchands, on heures supplémentaires. Les autres postes
dénombrait 37 605 conventions signées pour sont les incitations financières à l’emploi
les contrats initiative emploi (CIE) en 2007 (prime pour l’emploi et RSA « activité ») et

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 100


les mesures d’exonération dans certains sec- lequel l’objet est de donner un rôle incitatif
teurs d’activité ou dans certaines zones géo- aux dépenses de protection sociale jugées
graphiques. Selon la DARES, le montant de passives (Erhel, 2011).
ces dépenses générales a au total augmenté
En particulier, aucune réforme n’est program-
de 5 % en euros constants en 2009, soit nette-
mée pour les dispositifs généraux d’exonéra-
ment moins que les dépenses ciblées. À côté
tion qui constituent et de très loin la première
de ces politiques, certaines dépenses sociales
des politiques pour l’emploi en France. C’est
(minima sociaux dont le RSA « socle » princi-
le cas en termes de masse budgétaire comme
palement) représentent en sus 14  milliards
pour les effectifs salariés concernés, avec
d’euros en 2009.
plus d’un salarié sur deux qui bénéficie des
Si la crise s’est accompagnée d’une montée exonérations. Dans le contexte de dégrada-
en puissance des dépenses ciblées, d’abord tion continue du marché du travail, on peut
de façon quasi automatique avec la montée s’interroger sur la soutenabilité d’un tel dis-
des dépenses passives liées à l’indemnisation positif dont le barème, unifié par la réforme
du chômage, puis de façon plus volontariste Fillon de 2003, consiste en une réduction
avec les contrats d’avenir, elle n’a donc pas dégressive avec le niveau du salaire jusqu’à
eu le même effet du côté des dépenses géné- s’éteindre à 1,6 SMIC. L’exonération est de
rales. Par exemple, force est de constater que 26 points de cotisations au niveau du SMIC
ni le contenu, ni le calendrier de la réforme (28 points pour les entreprises de moins
de décembre 2008 qui a organisé la mise en de 20 salariés), soit la presque totalité des
œuvre du RSA à partir de juin  2009 n’ont charges patronales hors assurance chômage
été modifiés par la crise. Il en a été de même et retraite complémentaire.
pour la réforme des grands intermédiaires
S’il est tentant de reconsidérer ces disposi-
sur le marché du travail instituant la même
tifs, il convient aussi de demeurer très pru-
année la fusion des agences de l’ANPE et des
dent. Une évaluation récente de leurs effets
Assédic pour créer Pôle emploi. Rétrospecti-
sur l’emploi (Bunel et al., 2012) souligne leur
vement, il apparaît qu’il ne pouvait y avoir
forte contribution à l’enrichissement de la
de période plus défavorable pour effectuer
croissance en emplois dans notre pays. C’est
de telles réformes. C’est au moment où les
grâce aux exonérations générales que l’em-
files d’attente s’allongent durablement aux
ploi s’est globalement maintenu en France
guichets de l’assistance et à ceux de l’assu-
à des niveaux très supérieurs à ceux des
rance chômage que l’on choisit de rénover en
années 1980, dans un contexte de croissance
profondeur leurs fonctionnements.
modérée et malgré l’entrée en crise depuis
2008. Dans le fond, on peut se réjouir du fait
Le modèle de l’activation maintenu que l’emploi se soit finalement si peu dété-
rioré en France depuis le début de la crise. On
On ne constate pas de mouvement de redé-
dénombre toujours seize millions d’emplois
ploiement du côté des mesures générales. Si
salariés marchands en 2012, contre quatorze
la crise a donné lieu à des réactions automa-
millions vingt ans plus tôt.
tiques des stabilisateurs sociaux et à une cer-
taine réorientation des politiques passives, La principale conclusion de cette étude est
d’ampleur modérée, elle n’a pas remis en que pour minimiser l’effet négatif d’une
question les politiques structurelles d’activa- remise en question des exonérations géné-
tion du financement de la protection sociale. rales, il faudrait que les réductions d’exonéra-
Il ne s’agit pas ici d’une exception française. tion épargnent les secteurs d’activité les plus
Partout en Europe, les mêmes tendances s’ob- intenses en main-d’œuvre, ce qui revient à
servent. La crise n’a pas remis en question privilégier les barèmes d’exonération les plus
le modèle dominant dit de l’activation dans ciblés sur les bas salaires. Tant que l’objectif

101 QUEL AVENIRPOUR LES AIDES À L’EMPLOI


est bien d’améliorer les chiffres du chômage, aménage ainsi un compromis entre la quan-
il importe de concentrer les exonérations sur tité des emplois créés, qui plaide pour un
les plus bas salaires et partant, d’avantager ciblage étroit, et la qualité des emplois et le
les secteurs les plus riches en main-d’œuvre. niveau des salaires, qui justifient à l’inverse
Pour autant, ici comme ailleurs, il faut se une fenêtre d’exonération élargie. Un nouvel
défier des recettes miracles. Une exonéra- équilibre peut toujours être recherché, pour
tion trop concentrée au voisinage du salaire répondre à l’urgence budgétaire et à celle des
minimum rend plus coûteuse toute hausse de contraintes du temps présent, mais pour être
salaire pour les employeurs, ce qui pénalise pérenne, il doit être favorable à l’emploi d’au-
à la fois le pouvoir d’achat et la qualité des jourd’hui sans négliger celui de demain.
emplois. Un barème d’exonération optimal

POUR EN SAVOIR PLUS


™ BUNEL M., C. EMOND ET Y. et du marché du travail ™ ERHEL C. (2011), « Les
L’HORTY (2012), « Évaluer les en 2009 », DARES Analyse, politiques de l’emploi
réformes des exonérations Janvier, n° 005 en Europe : le modèle de
générales de cotisations ™ DARES (2012-b). « Les l’activation et de la flexicurité
sociales », rapport de contrats d’aide à l’emploi face à la crise », Économies et
recherche TEPP, n° 12-4. en 2011 », DARES Analyse, sociétés, série socio-économie
™ DARES (2012-a). « Les novembre, n° 88. du travail, n° 8/2011.
dépenses en faveur de l’emploi

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 102


L’assurance chômage est parfois perçue comme une institution encourageant le chômage
volontaire : en assurant aux salariés ayant perdu leur emploi des conditions matérielles relati-
vement généreuses, elles réduiraient leurs incitations à trouver un emploi. Ainsi, l’indemnisa-
tion du chômage serait non seulement coûteuse mais inefficace.
Or, s’il est aujourd’hui empiriquement établi, selon François Fontaine, qu’une indemnisation
généreuse accroît la durée du chômage, cela n’implique pas qu’il faille réduire le montant des
allocations. L’assurance chômage a de nombreux effets bénéfiques au niveau collectif : outre
le fait qu’elle permet aux chômeurs de financer la recherche d’un nouvel emploi, elle accroît
la qualité et la productivité des emplois occupés et permet aux économies d’absorber plus
facilement les chocs conjoncturels.
Problèmes économiques

L’assurance chômage :
une institution
au cœur du marché du travail
Lorsqu’un travailleur est licencié ou qu’il
 FRANÇOIS FONTAINE, arrive en fin de contrat, il perçoit, s’il a suf-
Professeur à l’Université Nancy 2 fisamment cotisé, une indemnisation chô-
Membre du BETA – UMR 7522 du CNRS mage généralement calculée en fonction de
et du CREST- LMA (ENSAE) sa rémunération passée. Le graphique 1 pré-
sente pour plusieurs pays les taux de rem-
placement nets durant la première année
de chômage, c’est-à-dire ce que représente
L’assurance chômage remplit des fonctions l’allocation chômage par rapport au dernier
bien plus larges que le terme d’assurance ne salaire. La moyenne des pays de l’OCDE se
le laisse supposer. Il n’en demeure pas moins situait à 65 % en 2007. Ainsi, même si les pays
que sa fonction première est bien de proté- anglo-saxons offrent généralement une assu-
ger les travailleurs face aux risques du mar- rance chômage moins généreuse que les pays
ché du travail en leur permettant d’amortir d’Europe continentale, elle reste néanmoins
les pertes de revenu en cas de licenciement. substantielle dans tous les pays développés.

103 L’ASSURANCE CHÔMAGE : UNE INSTITUTION AU CŒUR DU MARCHÉ DU TRAVAIL


1. Taux de remplacement net durant la première année de chômage (2007)

90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Danemark France Allemagne OCDE Royaume-Uni États-Unis

Source : OCDE.

Les travaux s’intéressant aux effets de l’in- même nombre d’emplois sont créés2. Ces
demnisation ont parfois adopté un point de mouvements sont essentiels car la croissance
vue très macroéconomique. Les allocations passe par le redéploiement des travailleurs
chômage étaient vues soit comme la cause vers les postes à plus forte valeur ajoutée.
de salaires trop élevés et peu flexibles, soit, Bien entendu, celui-ci doit être accompagné.
à l’inverse, comme un soutien important de En effet, il n’y a pas de raison de supposer
la demande, notamment en temps de crise. a priori qu’il puisse se faire sans heurts et
Si ce débat reste présent dans la littérature il affecte très certainement un grand nombre
économique, la majeure partie des recherches de travailleurs qui, ayant perdu leur emploi,
récentes adopte un angle d’analyse plus connaissent un épisode de chômage.
microéconomique. De nombreux auteurs, Si l’on raisonne de cette manière, il faut
s’appuyant notamment sur l’existence de alors prendre en charge non seulement la
données statistiques au niveau désagrégé, perte de revenu, mais l’accompagnement
se sont interrogés sur la manière dont le de la personne au chômage. Il s’agit notam-
fait d’être indemnisé modifiait les comporte- ment de l’aider à retrouver un emploi qui,
ments de recherche d’emploi. autant que faire se peut, corresponde à ses
Un premier angle d’analyse a alors souvent compétences, ou l’amener à faire évoluer
été celui de l’incitation à la recherche d’em- celles-ci. En France, les dépenses au titre du
ploi1. Un travailleur bien assuré durant ses service pour l’emploi (hors indemnisation) [1]
Les travaux
représentaient en 2010, 0,3 % du PIB contre l’économiste américain
épisodes de chômage pourrait ne pas être Steven Shavell, dès les
0,16 % en moyenne pour les pays de l’OCDE.
incité à retrouver un emploi rapidement. années 1970, furent
Elles incluent les services de placement, de
Néanmoins, s’arrêter à ce problème serait précurseurs sur ce point.
conseil, ainsi que les formations proposées
négliger ce qui donne à l’assurance chômage [2]
Sur la question
aux demandeurs d’emploi.
la place centrale qu’elle occupe dans nos éco- générale du processus
nomies. Il est important de rappeler l’exis- Ainsi, les effets de l’indemnisation chô- de création et de
destruction des emplois,
tence d’un incessant processus de création mage sur l’emploi, et plus généralement sur on pourra consulter
et de destruction d’emplois : chaque jour, l’économie, peuvent se comprendre à deux l’ouvrage de Cahuc P. et
Zylberberg A. (2004).
10  000 emplois sont détruits tandis qu’un niveaux. À l’échelon microéconomique, la

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 104


question est de connaître ses conséquences d’être licencié. Ne pas se prémunir contre
sur l’efficacité de la recherche d’emploi. Il ne ces risques signifie alors ne pas faire suffi-
s’agit pas seulement de savoir si elle accé- samment d’efforts pour retrouver un emploi
lère la sortie du chômage mais si elle permet ou ne pas prendre assez de précaution pour
également d’améliorer la qualité des emplois garder celui qu’on occupe. Ce deuxième point
[3]
On pourra néanmoins obtenus. Ce dernier élément déplace naturel- a été peu étudié3 et l’ampleur du phénomène
citer les travaux de lement le point de vue au niveau macroécono- reste mal connue. Nous nous concentrerons
Wang C. et Williamson S.
mique : l’indemnisation du chômage pourrait donc sur le premier, qui a engendré une vaste
(1996), « Unemployment
Insurance with Moral affecter la productivité agrégée puisqu’elle littérature théorique et empirique ayant à la
Hazard in a Dynamic modifie la qualité des emplois trouvés. Son fois quantifié le phénomène et réfléchi à la
Economy », Carnegie-
Rochester, Conference
rôle de stabilisateur automatique, qui n’est manière de le limiter.
Series. que le pendant macroéconomique de l’assu-
rance procurée aux individus, complète alors Les stratégies pour limiter l’effet
ce tableau. désincitatif de l’assurance chômage
Il est intéressant de remarquer que la mise en
Quels effets sur l’effort place de stratégies pour limiter le problème
d'aléa moral a précédé de longue date l’exis-
de recherche d’emploi ? tence d’évaluations fiables sur son ampleur.
Ces stratégies peuvent être classées en deux
Suivant en cela le développement qu’a connu catégories, éventuellement combinables.
la recherche académique, nous débuterons Tout d’abord, la décroissance du montant des
par l’impact de l’assurance chômage sur allocations avec la durée au chômage : c’est
les comportements de recherche d’emploi. le système qui a prévalu en France entre 1992
Comme nous l’avons déjà rappelé, la raison et la mise en place du plan d’aide au retour
première de l’assurance chômage est de pro- à l’emploi (PARE) en 2001. L’idée implicite
téger les travailleurs contre de trop fortes est que la durée du chômage serait un indi-
pertes de revenu en cas de licenciement. cateur des efforts de recherche entrepris par
Pour ce faire, elle mutualise les risques. Tout l’individu. Les travailleurs ayant les durées
d’abord, les chômeurs sont indemnisés grâce les plus longues seraient ceux qui font le
aux cotisations des travailleurs en emploi. moins d’effort pour retrouver un emploi. Par
Obligatoire dans la grande majorité des pays, ailleurs, la baisse des allocations au cours
elle permet de rendre solidaires des individus du temps incite à intensifier son effort dès
à haut risque et d’autres ayant peu de chance le début du chômage. La difficulté pratique
d’être licenciés. C’est une condition impor- est que la durée observée est assez peu cor-
tante de sa viabilité, notamment lorsque ces rélée aux efforts entrepris. La dégressivité
risques sont difficiles à évaluer a priori. De sanctionne à la fois les demandeurs d’emploi
ce point de vue, c’est une assurance peu dif- malchanceux et ceux qui n’ont pas fait suffi-
férente d’une assurance maladie ou même samment d’efforts. Par ailleurs, cette baisse
accident. défavorise davantage ceux qui, du fait de
Or, comme toute forme d’assurance, elle peut leur qualification ou de leur âge, trouvent
conduire à ce que l’assuré ne se prémunisse plus difficilement un emploi. Autre stratégie
pas contre les risques pour lesquels il est possible face à l'aléa moral, le contrôle direct
assuré, problème que les économistes qua- de l’effort de recherche par le service public
lifient d‘« aléa moral ». Dans le cas d’une pour l’emploi et la mise en place de sanc-
assurance automobile, ce sont les risques tions. En France, en 2001, le PARE a ainsi
d’accidents de la route. Dans le cas qui remplacé la dégressivité des allocations par
nous intéresse, ce sont les risques de ne un système de contrôle et de sanctions. Ce
pas retrouver d’emploi immédiatement ou système évite a priori de sanctionner sans

105 L’ASSURANCE CHÔMAGE :UNE INSTITUTION AU CŒUR DU MARCHÉ DU TRAVAIL


discernement comme le font des allocations Les évaluations empiriques
chômage dégressives. Cependant, se pose de la désincitation
le problème du contrôle de l’effort. Quelles
à la recherche d’emploi
preuves peut-on apporter de son effort de
recherche ? À partir de quels manquements Un certain nombre de problèmes méthodolo-
doit-il y avoir des sanctions ? giques ont pendant longtemps rendu délicate
l’émergence d’un consensus sur la question.
In fine, la mise en place de sanctions ou la De nouvelles méthodes et bases de données
dégressivité des profils d’indemnisation l’ont permis (cf. zoom).
devraient être conditionnées à des évalua-
tions empiriques du lien entre montant des Il est aujourd’hui accepté que des allocations
allocations et durée de chômage. Dans quelle plus généreuses (par leur montant ou leur
[4]
mesure une indemnisation plus généreuse durée) allongent les épisodes de chômage4. Les intervalles
Tout d’abord, il a été estimé qu’une hausse présentés sont repris de
allonge le délai de retour à l’emploi ? Fremiggacci (2011) et de
de la durée maximale d’indemnisation d’une la revue de la littérature
semaine entraînait une augmentation de la proposée par Tatsiramos
K. et van Ours J. C.
(2012).

ZOOM plus emplo


employabl
elle-même.
elle-même.
ables,
es, et non à l’indemnisation
l’indemnisation en

LES MÉTHODES Un ccert


été
ét
ertain
ain nombr
nombre e de méthodes ont donc
é mises au point pour cont contourner
ourner cce e type
D’ÉVALUA
D’ÉVALUATION
TION DE L’IMP
L’IMPACT
ACT de probl
problème
ème (*). La plus simple
simple esestt ccell
elle
e

DES ALLOCA
ALLOCATIONS
TIONS CHÔMAGE des e
compar
expérienc
xpériences
omparaison
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ontrôl
aison d’un groupe
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ées, fondée
fondée sur la
groupe de trait
traitement
ement et
SUR LLAA RECHERCHE D’EMPL
D’EMPLOI
OI d’un groupe
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contrôlôle.
e. Le premier
premier,, choisi
de manièr
manière e al
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e dans la population des
La méthode naïv naïve e ser
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omparer er lles
es chômeurs,
chômeur s, se voit
voit proposer
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mesure – par
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emple, e, des alloc
allocations
ations plus généreuses
généreuses –
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salaire
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passé, c’est-à-dir
c’est-à-dire e sel
selon on lleur
eur rratio
atio aussi
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oire
e et donc a priori compar
omparablable,
e,
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emplacement.
ement. Le probl problèmeème es estt qu’en n’en bénéfi
bénéficiecie pas. Comme les les deux groupes
groupes
pratique,
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avant llee « tr
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allocations
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d’empl oi passée.
passée. Or Or,, cett
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dur ée de chômage entre entre lles
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exogène ; elle
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peuvent êtr êtree observ
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d’autres méthodes, plus
d’autres
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inobservabl ables.es. Ell
Elles
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affect
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omple exes, permettent
permettent de ss’affr
’affranchir
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général
génér alement
ement à la ffoisois la dur durée ée en emploi
emploi mais une ccert
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mesure e des diffi
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és évoquées.
plus largement
largement les les performanc
performances es du tr trav
availl
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eur Additionnées à des données précisesprécises sur llee
sur lle
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ché, notamment
notamment lleur eur ffacilit
acilité éà destin
des tin des individus au chômage et en emploi, emploi,
trouv
trouver
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emploi. Imaginons que l’on l’on observ
observe e elles
elles permettent
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avec
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généreuses soient assur
as suranc
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problème
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moral.
al.
coupl
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ées à des ttaux aux de sortie du chômage plus François Fontaine
éle
él evés. Cela pourrait
pourrait êtr être e dû au ffait
ait que lesles (*) Pour
Pour un panorama
panorama de ces méthodes, cf. Fremigg
emiggacci
acci
individus lles
es mieux indemnisés sont aus aussi si lles
es (2011).

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 106


durée du chômage de 0,3 à 1,7 jour. De même, des assurés, ne fait que s’ajouter au bénéfice
une progression de 10 % du taux de remplace- assurantiel.
ment des allocations correspond à un allon- Ainsi, comme l’a fait remarquer l’économiste
gement de la durée de 4 à 18 %. L’ampleur de Raj Chetty6, dans un contexte où de nombreux
cette augmentation est très variable selon les ménages sont très contraints financièrement,
pays et les individus concernés. Cela est dû l’allongement de la durée du chômage avec
à plusieurs facteurs. Tout d’abord, les pays la générosité des allocations peut n’être que
étudiés ont différents systèmes de contrôle la contrepartie du desserrement de cette
laissant plus ou moins d’espace au problème contrainte et correspondre à un gain « légi-
d’aléa moral. En outre, la composition de la time » en termes de bien-être. Les agents n’ont
main-d’œuvre n’est pas la même selon les plus à accepter n’importe quel emploi ni à
pays. Au niveau individuel, les contraintes limiter drastiquement leur consommation. Il
et opportunités sur le marché du travail n’est pas certain, du point de vue du bien-être
dépendent des caractéristiques du travailleur collectif, qu’une baisse de l’indemnisation
et affectent sa réactivité au ratio de rempla- soit bénéfique. Si l’on devait décomposer l’al-
cement. Quoi qu’il en soit, les effets estimés longement de la durée du chômage entre l’ef-
sont substantiels. fet « hasard moral » (compris comme un pur
effet d’opportunisme qui existe même si les
agents ne sont pas contraints financièrement)
Des gains en termes et l’effet relâchement des contraintes finan-
de bien-être collectif cières, Chetty montre à partir de données
américaines – où le taux de remplacement
des allocations est en moyenne de 50 % – que
Il serait alors tentant de penser que l’assu-
seule 40 % de l’augmentation de la durée du
rance chômage est néfaste au bon fonctionne-
chômage serait attribuable à l’aléa moral.
ment de l’économie. Ce serait une erreur.
[5]
La contrainte de ressources des agents a
On pourra se référer,
pour plus d’information,
Si l’indemnisation chômage existe, c’est que d’autres conséquences. En effet, la recherche
à Algan Y., Decreuse B., beaucoup de travailleurs ne peuvent s’auto- d’emploi est un processus coûteux. Les chô-
Fontaine F. et Tanguy assurer, c’est-à-dire financer leurs épisodes meurs doivent par exemple financer leurs
S. (2004), « Épargne de
précaution, réseaux
de chômage par de l’épargne ou par le cré- déplacements et leurs habillements pour
sociaux et assurance dit. Elle a un rôle important pour limiter participer aux entretiens d’embauche ; ils
chômage publique », les pertes de bien-être. De ce point de vue, doivent aussi entretenir leurs réseaux de
Revue française
d’économie, vol. 19, n° 1. ce n’est pas le fait que la durée du chômage relations. L’indemnisation chômage peut
soit plus longue qui importe. Il est bien éta- alors être vue comme une manière de financer
[6]
Chetty R. (2008), bli empiriquement qu’entre deux individus les investissements nécessaires pour trouver
« Moral Hazard vs.
Liquidity and Optimal identiques, celui qui dispose de l’épargne un emploi. La réduire diminuerait cet inves-
Unemployment la plus abondante (et qui peut donc finan- tissement et donc la rapidité avec laquelle
Insurance », Journal of
cer plus facilement sa période de chômage) certains travailleurs sortent du chômage7.
Political Economy, vol.
116, n° 2. mettra plus de temps à retrouver un emploi5.
[7]
Ce problème est
traité un peu plus en
Il n’y pas de raison de penser que cela pose
problème et l’épargne mobilisée va servir à Un impact positif
détail dans Algan Y.,
Decreuse B., Fontaine
limiter la baisse de la consommation consé-
cutive à la perte d’emploi. On voit bien ici que
sur la qualité des emplois
F. et Tanguy S. (2006),
« L’indemnisation
l’assurance chômage se substitue à l’épargne Nous venons de montrer que le critère du
chômage, au-delà privée pour les agents contraints financière- taux de sortie du chômage n’est pas néces-
d’une conception ment. Le problème d’aléa moral, qui provient sairement pertinent pour juger des béné-
désincitative », Revue
d’économie politique, du fait qu’il est difficile pour l’assurance fices retirés de l’indemnisation chômage,
vol. 116, n° 3. chômage de contrôler l’effort de recherche notamment lorsqu’on prend comme critère

107 L’ASSURANCE CHÔMAGE :UNE INSTITUTION AU CŒUR DU MARCHÉ DU TRAVAIL


final d’évaluation le bien-être de la société. emplois proposés9. Dit autrement, le niveau
Nous allons maintenant montrer que même des allocations affecterait la productivité
si l’on retient des critères plus terre à terre, des emplois créés. Pour le comprendre, il faut
tels la productivité des emplois ou même le d’abord remarquer qu’embaucher a un coût,
niveau d’emploi, des allocations raisonna- qui s’accroît avec la durée nécessaire pour
blement généreuses peuvent être efficaces. trouver un candidat adéquat. Si, du fait d’un
On commencera simplement par remarquer niveau très faible d’allocations, les chômeurs
qu’au-delà de la rapidité avec laquelle un prennent le premier emploi qui se présente,
individu sort du chômage, il est aussi impor- il devient paradoxalement difficile pour
tant de mesurer la stabilité de l’emploi qu’il les postes à plus forte valeur ajoutée d’être
retrouve. Une diminution de l’indemnisation pourvus. Les chômeurs ne peuvent prendre
chômage peut augmenter les sorties du chô- le risque d’attendre que ce type de poste
mage mais raccourcir la durée des emplois et se présente et postulent en priorité sur des
donc accroître les entrées au chômage. L’effet emplois peu rémunérateurs mais où ils ont
total peut être nul, voire négatif. des chances d’être embauchés rapidement.
L’indemnisation chômage peut donc être vue
L’indemnisation du chômage comme une manière de subventionner un
augmente la qualité et comportement d’attente des travailleurs qui
rend profitable pour les entreprises la créa-
la productivité des emplois
tion d’emplois plus productifs mais difficiles
Avant d’aller plus en avant dans le raisonne- à pourvoir.
ment, prenons le temps de réfléchir à ce qui
affecte les chances de sortie du chômage. En Un phénomène difficile à mesurer
premier lieu, la fréquence des offres d’em-
Ce type d’effet macroéconomique est très
ploi. Elle dépend des conditions du marché
compliqué à identifier empiriquement. En
du travail et de l’effort de recherche d’emploi [8]
particulier, le système d’indemnisation du Marimon F. et
de l’individu. Ensuite, l’acceptation ou le Zilibotti F. (1999),
chômage n’est jamais une institution isolée « Unemployment
refus de l’offre sachant le salaire proposé, les
sur le marché du travail. Les pays ayant des versus Mismatch of
conditions de travail et les perspectives dans Talents : Reconsidering
allocations chômage généreuses affichent
l’entreprise. Si le chômeur est bien indem- Unemployment
souvent d’autres différences institutionnelles Benefits », Economic
nisé, il sera plus exigeant. Cela diminue la
(protection de l’emploi, place des syndicats Journal, vol. 109.
probabilité qu’il accepte et sa sortie du chô-
etc.). Ils diffèrent aussi en termes de niveau [9]
mage est plus lente. Cependant, lorsqu’une Un article influent
d’éducation, de taux d’activité, etc. Si l’on ayant donné lieu
offre est acceptée, l’emploi est de meilleure
observe des différences dans la productivité à de nombreux
qualité. Par exemple, il correspondra davan- développement est :
moyenne des emplois créés, comment savoir
tage aux compétences du travailleur. Or, on Acemoglu D. et Shimer
ce qui provient de l’indemnisation chômage R. (1999), « Efficient
peut penser que plus un emploi est de bonne
séparément du reste ? Une manière moins Unemployment
qualité et plus il est pérenne. En outre, il est Insurance », Journal
ambitieuse de tester notre idée serait d’ob-
très probable que si l’emploi est plus proche of Political Economy,
server à l’échelon individuel si le niveau de vol. 107, n° 5.
des compétences et des savoir-faire de celui
l’indemnisation affecte la durée des emplois [10]
qui l’occupe, sa productivité est aussi plus Caliendo M.
qui succèdent à la période de chômage. Pour Tatsiramos K. et
élevée8. Le niveau des allocations affecte la
l’instant, les études existantes sont peu Uhlendorff A. (2012),
productivité des emplois trouvés et donc « Benefit Duration,
concluantes. On citera cependant le travail de
occupés dans l’économie. Unemployment
Marco Caliendo, Konstantitnos Tatsiramos et Duration and Job Match
Ce raisonnement a un pendant, sorte de Arne Uhlendorff qui montrent dans une étude Quality : A Regression-
suite logique. En effet, plusieurs chercheurs récente10 que les chômeurs qui voient la date Discontinuity
Approach », Journal of
ont montré qu’une indemnisation chômage de fin de leurs allocations approcher ou qui Applied Econometrics,
trop faible conduisait à une dégradation des viennent d’en perdre le bénéfice trouvent en n° 2293.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 108


moyenne des emplois moins stables avec un parfois que lorsqu’un effet positif est trouvé,
salaire plus faible. C’est sans doute la preuve il corresponde à un effet de menace : le chô-
qu’il existe bien un arbitrage entre le niveau meur est parfois obligé, sous peine de sanc-
d’allocation, la durée au chômage et la qua- tions, de participer à un certain nombre de
lité des emplois retrouvés. L’ampleur de ce dispositifs. On observe souvent que les sor-
lien, qui pourrait n’être significatif que pour ties du chômage s’accroissent avant que le
les chômeurs en fin de droit, reste cependant chômeur n’entre dans le dispositif mais après
à confirmer. qu’il a reçu une notification l’enjoignant d’y
participer. On parle d’un effet de menace car

Indemnisation chômage le chômeur anticipe les contraintes imposées


par la participation au programme et accé-
et accompagnement lère sa recherche d’emploi pour l’éviter12.
Lorsqu’il est possible d’évaluer séparément
L’assurance chômage ne se réduit pas un l’impact de l’accompagnement, l’effet trouvé
[11]
La difficulté est
transfert financier vers la personne indemni- est généralement positif si cet accompagne-
que cette différence sée. Elle est dans la plupart des pays liée à ment est régulier et personnalisé. On notera
peut porter sur des un accompagnement du demandeur d’emploi.
caractéristiques que sur données françaises, l’efficacité des
observables par le Cette dimension a été renforcée en France dispositifs est d’autant plus importante
statisticien (niveau depuis la réforme de 2001. Sont ainsi propo- que les individus ont a priori des difficultés
d’éducation, âge…) sés au chômeur indemnisé des bilans de com-
comme inobservables importantes sur le marché du travail. Le cas
(appétence pour la pétences, des aides à la définition de projet des formations est un cas à part dans le sens
formation, productivité professionnel ou à l’écriture de curriculum où il existe une littérature très importante sur
en emploi…). vitae, une assistance à la recherche d’emploi le sujet. Bruno Crépon, Marc Ferracci et Denis
[12]
C’est un effet en tant que telle ou des formations. C’est en Fougère (2012)13 ont montré que si les forma-
couramment repéré dans quelque sorte la contrepartie de l’engage- tions à destination des chômeurs n’augmen-
les études existantes.
Un exemple récent
ment du chômeur à rechercher activement un taient pas leur taux de retour à l’emploi, voire
peut être trouvé dans emploi. Il s’agit de lever les difficultés pra- augmentaient les durées du chômage, elles
Graversen B. K. et van tiques de la recherche d’emploi et d’améliorer
Ours J. C, « How to Help induisaient en moyenne des durées d’emploi
Unemployed to Find Jobs
l’employabilité de la personne. plus longues. Cela signifie sans doute que ces
Quickly : Experimental Il est vraisemblable que l’efficacité des dif- périodes de formation, financées à la fois par
Evidence from a
Mandatory Activation férents services proposés soit très variable l’indemnisation en tant que telle (elle per-
Program », Journal et il est souvent délicat de quantifier l’im- met au chômeur d’attendre) et par le service
of Public Economics, pact des politiques d’accompagnement. Une public pour l’emploi, ont un effet positif sur
vol. 92, n° 10-11. Sur
données françaises, on première raison est qu’elles sont générale- la productivité des emplois retrouvés.
regardera avec intérêt ment mises en place en même temps qu’un Ces résultats montrent que lorsque l’indem-
l’article de Fougère D., renforcement du contrôle et des sanctions.
Kamionka T. et Prieto nisation se double d’un accompagnement
A. (2010), « L’efficacité Il est alors délicat d’isoler leurs effets de ce renforcé, elle permet à la fois de limiter le
des mesures renforcement. En outre, les chômeurs qui coût individuel des périodes de chômage et
d’accompagnement sur
participent à tel ou tel dispositif sont généra- d’améliorer la qualité des postes occupés par
le retour à l’emploi »,
Revue économique, vol. lement différents de ceux qui n’y participent la suite.
61, n° 3. pas11. Par exemple, un chômeur aura d’autant
plus envie de suivre une formation qu’il sait
L’indemnisation chômage face
[13]
Crépon B., Ferracci
M. et Fougère D. qu’il en retirera un grand bénéfice. Estimer

aux turbulences macroéconomiques
(2012), « Training the le rendement des formations sur ceux qui les
Unemployed in France :
How Does it Affect
suivent sans prendre en compte ce biais de
Unemployment Duration sélection conduit généralement à surestimer Nous avons vu que l’assurance chômage per-
and Recurrence ? », le bénéfice qu’auraient les formations pour
Annals of Economcis and mettait de prémunir les salariés face aux
Statistics, à paraître. l’ensemble des chômeurs. Enfin, il s’avère risques individuels liés à la perte d’emploi.

109 L’ASSURANCE CHÔMAGE :UNE INSTITUTION AU CŒUR DU MARCHÉ DU TRAVAIL


Elle limite donc les variations trop brusques du chômage est d’autant moins sensible au
de la consommation. Ce point a son impor- niveau des allocations que le niveau du chô-
tance au niveau macroéconomique : l’as- mage est élevé. Cela peut signifier que les allo-
surance chômage contribue à ce que les cations chômage devraient varier au cours du
économies absorbent les chocs, en limitant cycle et être plus généreuses en bas du cycle
les baisses trop rapides de consommation, économique, à la fois pour des raisons de
d’emploi et de revenu agrégé. Pris sous cet lissage de la consommation et parce que les
angle, il s’agit d’une institution importante problèmes d’incitation y sont plus faibles.
pour comprendre les différences en termes
de stabilisation du revenu face aux chocs ***
entre les États-Unis et certains pays d’Eu-
Comme nous venons de le voir, l’indemni- [14]
rope comme les pays nordiques14. Nous avons Dolls M., Fuest
sation chômage a un rôle important à jouer C. et Peichl A. (2012),
vu que les taux de remplacement pouvaient
au sein des processus de création et de des- « Automatic Stabilizers
varier de 50 % aux États-Unis à plus de 70 % and Economic Crisis : US
truction d’emplois que connaissent nos éco-
au Danemark. Cet écart important peut en versus Europe », Journal
nomies. C’est bien entendu une assurance, of Public Economics,
partie expliquer pourquoi la contraction du
cruciale pour un grand nombre de ménages vol. 96.
PIB a été plus violente dans le premier pays
contraints financièrement et pour une écono- [15]
Même s’il faut
que dans le second lors de la crise récente.
mie parfois affectée par des chocs violents. prendre avec prudence
Bien entendu, il ne s’agit que l’une des clés des résultats sur un
C’est aussi un outil pour améliorer l’appa-
d’explication. sujet de recherche
riement des travailleurs et des emplois. L’in- aussi nouveau, on
L’indemnisation chômage peut donc avoir un demnisation chômage peut alors être perçue pourra regarder avec
impact sur le cycle économique. De manière comme finançant un comportement d’attente intérêt le travail de
intéressante, certains travaux récents ont Kroft et Notowidigdo,
efficace. Doublée d’un accompagnement du « Should unemployment
montré un lien inverse. Plus précisément, il demandeur d’emploi, elle accroît de plus insurance vary with the
semblerait que la tension que nous avons les chances de retrouver un emploi stable et local unemployment,
rate ? Theory and
présentée au début de cet article entre le productif. De ce point de vue, le problème de évidence », mimeo, 2011.
motif d’assurance et les problèmes d’incita- l’incitation à la recherche, qu’il ne faut pas
tion se modifie au cours du cycle économique. nier mais plutôt évaluer et interpréter, ne doit
Lorsque l’activité économique est faible, c’est pas être le seul aiguillon pour améliorer les
le motif d’assurance qui l’emporte. Ainsi, systèmes existants.
certaines études15 ont estimé que la durée

POUR EN SAVOIR PLUS


™ CAHUC P. ET ZYLBERBERG A. Revue française d’économie,
(2004), Le chômage, fatalité ou vol. 26, n° 1.
nécessité ?, Paris, Flammarion ™ TATSIRAMOS K. ET VAN OURS
™ FREMIGACCI F. (2011), J. C. (2012), « Labor Market
« Évaluer l’impact de Effects of Unemployment
l’assurance chômage sur les Insurance Design », Journal of
trajectoires individuelles : Economic Surveys, à paraître.
de la théorie à la pratique »,

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 110


La formation professionnelle est stratégique au sein des politiques de l’emploi dans la mesure
où elle est censée permettre la reconversion des salariés et leur adaptation aux changements
économiques. Elle a de plus un rôle à jouer du point de vue des inégalités sociales, en donnant
à ceux sortis sans diplôme du système scolaire une sorte de « seconde chance ». Or, malgré
les objectifs ambitieux formulés dans la stratégie de Lisbonne, sous le vocable d’« éducation
et formation tout à au long de la vie », la formation professionnelle en France nécessite encore
de nombreuses améliorations, selon Eric Verdier. Tandis que la formation professionnelle des
jeunes donne à voir des résultats mitigés, la formation continue demeure fortement inégalitaire
et échoue en grande partie à prévenir les risques de l’emploi. La formation des demandeurs
d’emploi reste quant à elle encore insuffisante.
Problèmes économiques

La formation professionnelle :
quelle place dans
les politiques de l’emploi ?
de la formation professionnelle sont commu-
 ERIC VERDIER nément abordés, y invitent explicitement.
Directeur de recherche au CNRS
Laboratoire d’économie et de sociologie du travail,
Université d’Aix-Marseille Par-delà les segmentations
institutionnelles
[1]
Contribuant à la mise La réponse à la question posée ne saurait Ces deux récits conduisent à dépasser une
en forme cognitive d’une faire l’économie d’une réflexion sur le rôle de double séparation souvent confortée par les
politique publique,
ces récits visent à
la formation professionnelle dans la régula- cadres et les nomenclatures institutionnels :
donner du sens, à tion des systèmes nationaux d’insertion et d’une part, entre la formation profession-
fournir des normes de d’emploi. D’ailleurs, depuis une quarantaine nelle initiale et la formation professionnelle
comportement ou encore
à doter cette politique d’années, les deux grands « récits » politiques1 continue ; d’autre part, entre la formation des
de perspectives (Raedelli, 2010) au prisme desquels les enjeux actifs occupés et celle des chômeurs.

111 LA FORMATION PROFESSIONNELLE : QUELLE PLACE DANS LES POLITIQUES DE L’EMPLOI


Des traditions nationales anglaise « Lifelong learning », ce second
diversifiées récit est appelé à étayer la construction
d’une « société de la connaissance », à la fois
La question de « l’éducation permanente », innovante et inclusive pour tous, qui est au
portée notamment par de grandes organisa- cœur de la stratégie de Lisbonne adoptée
tions internationales (UNESCO, Conseil de par l’Union européenne en 2000 et devenue
l’Europe, OCDE), émerge durant les années « Europe 2020 ». Nourrie des désillusions
1960  en vue de promouvoir « l’autonomie engendrées par les différentes versions natio-
du sujet apprenant » (Faure, 1970) ; il donne nales de l’éducation permanente, l’EFTLV est
lieu à des traductions nationales aux fortes censée soutenir les stratégies européennes
spécificités  sociétales : les pays scandi- de l’emploi, d’inclusion sociale, d’innovation
naves favorisent une « seconde chance » et de flexicurité en prenant en compte l’inté-
pour les moins dotés en formation initiale ; gralité des trajectoires d’apprentissage des
les pays germanophones cherchent à déve- individus, du plus jeune âge à la retraite, et
lopper la qualification de salariés massive- donc l’ensemble des formes de savoirs et de
ment détenteurs de brevets professionnels connaissances. Il s’agit de mettre sur pied une
acquis en apprentissage, en leur facilitant action publique plus préventive des risques3
l’accès à des certifications articulées à des qui affectent les parcours de formation (lutte
emplois à plus haute responsabilité tech- contre le décrochage scolaire) et profession-
nique ; la France, quant à elle, opte avec la nels (remédier à la faible qualification, pré-
loi de 1971 pour l’« entreprise  formatrice », venir l’obsolescence des compétences source
en instituant une obligation annuelle pour de chômage).
tout employeur d’affecter une fraction de
la masse salariale au financement de la for- La traduction nationale
mation des salariés2. Ainsi, cette loi installe des objectifs de Lisbonne morales (par exemple,
le recours à l’éducation
durablement une dualité profonde entre la permanente permettra
S’agissant d’un domaine de compétence
formation des salariés durant le temps de de compenser les
relevant des États membres, il revient à inégalités sociales
travail et la formation des chômeurs qui
chacun d’entre eux de rendre effective cette transmises par le
incombe aux acteurs publics (État, régions système scolaire).
orientation. Formellement, la France n’a pas
et Pôle emploi). Faut-il en conclure que seul
été avare de textes puisque ses partenaires [2]
Aujourd’hui, 1,6 %
le second volet relèverait des politiques
sociaux ont adopté deux accords interpro- pour les entreprises de
de l’emploi ? Dans le contexte français, ce 20 salariés et plus, 1,05 %
fessionnels, en  2003 et  2009, prolongés par
serait une profonde erreur dans la mesure pour celles de 10 à 19,
deux lois en  2004 et  2009, la seconde étant 0,55 % pour les moins
où cette réglementation de la formation en
relative « à l’orientation et à la formation de 10.
entreprise – enrichie par de très nombreux
professionnelle tout au long de la vie » [3]
Autrement dit, un
accords conventionnels et lois depuis 1971
(OFTLV). Plus d’une centaine d’accords de « État social actif » ou
– a partie liée avec la régulation du marché
branches adaptent les stipulations interpro- Social Investment State
du travail : en effet, elle a de facto cherché en anglais (Esping-
fessionnelles aux spécificités des branches Andersen, Palier, 2008).
à organiser une gestion interne des risques
tandis que les contrats de plan régionaux
de l’emploi, anticipant – mais très partielle-
pour le développement de la formation pro-
ment – sur l’actuelle thématique de la sécu-
fessionnelle (CPRDF) font de l’OFTLV un
risation des parcours professionnels, très
axe central des stratégies de développe-
présente dans le second « grand récit ».
ment  régional. Ces divers textes visent peu
ou prou l’accès de tous à une qualification
L’impulsion européenne professionnelle, à soutenir les reconversions
Sous le vocable européen d’éducation et de et mobilités afin de sécuriser les parcours
formation tout au long de la vie (EFTLV), tra- des actifs du marché du travail, ainsi qu’à
duction officielle à Bruxelles de l’expression favoriser la promotion sociale. En France,

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 112


la traduction opérationnelle de ces objectifs néo-corporatiste « à l’allemande », confiant
généraux confie un rôle directeur aux par- aux entreprises un rôle majeur dans la for-
tenaires sociaux de branche (Méhaut, 2005) mation des jeunes, est attestée par la propa-
et s’avère ainsi profondément marquée par gation de l’apprentissage à tous les diplômes
le sillon de « l’entreprise formatrice » ; mais à vocation professionnelle, y compris les
face aux pesanteurs de cette « dépendance titres d’ingénieurs et les masters univer-
[4]
Le concept de de sentier » institutionnelle4, la création en sitaires5. Il est désormais inscrit dans les
« dépendance
de sentier »
2009 d’un fonds paritaire de sécurisation textes puisque le code de l’éducation décrète
institutionnelle (path des parcours professionnels vise à mutua- que « l’acquisition d’une culture générale et
dependency) traduit liser des financements venant des pouvoirs d’une qualification reconnue est assurée à
l’idée que certains
choix institutionnels
publics et des entreprises au profit de la for- tous les jeunes, quelle que soit leur origine
faits dans le passé mation des demandeurs d’emploi. En outre, sociale, culturelle ou géographique », sachant
conditionnent ensuite le la référence explicite à l’orientation tout au que les enseignements ont notamment pour
futur, les modifications
de trajectoire ayant des long de la vie a conduit l’action publique en objet de « concourir à leur perfectionne-
coûts importants. matière de formation professionnelle à se ment et à leur adaptation au cours de la vie
[5] saisir ouvertement de la question du décro- professionnelle ». D’une formation profes-
En 2010-2011, non
seulement la population chage scolaire (Bernard, 2010) et à dépas- sionnelle initiale inscrite dans l’alternance
d’apprentis atteint ser un peu plus le cloisonnement entre ses école-entreprise, il est attendu une meilleure
426 000 contre 230 000
vingt ans auparavant,
composantes « initiale » et « continue », insertion dans l’emploi et la production de
mais sa composition a rejoignant des perspectives ouvertes d’assez compétences ajustées aux attentes du marché
profondément changé : longue date maintenant par les politiques de du travail.
la préparation du CAP (et
secondairement du BEP)
formation des jeunes.
ne concerne plus que
Pourtant, les résultats d’ensemble de cette
politique restent mitigés : dans l’enseigne-
La professionnalisation
45 % des effectifs contre
94 % et à l’inverse, 26 % ment secondaire, la filière professionnelle
des apprentis visent un
titre de l’enseignement
supérieur des effectifs, de la formation des jeunes : demeure marquée par une orientation par
défaut, souvent subie. Il en résulte un taux
ce qui était rarissime il y
a vingt ans (0,57 %). des résultats mitigés d’abandon élevé (environ un quart des effec-
tifs) ; en outre, malgré son caractère massif
Sous la pression conjuguée du chômage juvé- (40 % des jeunes intègrent la filière profes-
nile et d’une demande de démocratisation de sionnelle après la scolarité obligatoire) et le
l’enseignement, une succession de réformes relatif succès des spécialités industrielles,
a développé des formations et certifications cette professionnalisation de l’enseignement
professionnelles intégrées dans la hiérarchie ne parvient pas à remédier au chômage struc-
des niveaux d’enseignement général, en favo- turel des jeunes : en 2010, près d’un quart
risant la formation en alternance, tant en des actifs de 15 à 24 ans sont au chômage,
apprentissage qu’en lycée sous la forme sco- une proportion près de trois fois supérieure
laire alors que ces deux voies relevaient his- à celle des 25-64 ans ; enfin, cette politique
toriquement de deux politiques différentes : ne parvient pas à endiguer le flux de sans
celle de l’éducation et celle de l’emploi. La diplômes (17 à 18 % d’une génération, soit
création en 1985 du baccalauréat profession- 130 000 jeunes par an) qui se retrouvent mas-
nel, qui comporte aujourd’hui 87 spécialités, a sivement au chômage (40 % trois ans après
constitué un tournant majeur. Ce compromis avoir arrêté leurs études). De plus, ces inéga-
entre une régulation académique de l’école lités initiales ne sont pas compensées par la
fondée sur la sélection et une convention formation continue.

113 LA FORMATION PROFESSIONNELLE : QUELLE PLACE DANS LES POLITIQUES DE L’EMPLOI


Une formation continue toujours peu à la formation continue, bien éloignées d’une
« seconde chance » à la scandinave.
préventive des risques de l’emploi … malgré de nouveaux dispositifs
L’instauration d’un droit individuel à la for-
De fortes inégalités d’accès mation (DIF) en 2003-2004, ouvrant un crédit
à la formation continue… de 20 heures par an cumulable en principe sur
six ans, n’a guère changé la donne : le nombre
Dans le cadre de marchés internes du travail de bénéficiaires reste limité (6,4 % des sala-
structurés de longue date par des organisa- riés l’an en 2010) tandis que les durées de
tions du travail fortement hiérarchisées, les formation sont trop courtes (22 h) pour per-
inégalités d’accès à la formation continue mettre l’accès à une formation qualifiante
restent très marquées : la probabilité pour qui soit ensuite un facteur de mobilité et de
un ouvrier non diplômé de suivre un stage est sécurisation des parcours en cas de reconver-
trois fois inférieure à celle d’un cadre déten- sion. Si le congé individuel de formation, créé
teur d’un diplôme de l’enseignement supé- dès les années 1970, concerne le plus souvent
rieur. Globalement, un actif non diplômé a 3,1 des formations diplômantes, il touche moins
fois moins de chances d’accéder à une forma- de 40 000 salariés l’an faute de financements
tion continue qu’un diplômé post-bac, contre suffisants, alors que la loi de 2009 dispose [6]
À cet égard, comme le
1,8 fois en Suède. En outre, la durée moyenne qu’au cours de sa vie active, toute personne note le rapport Larcher
des formations – 22  heures – est particuliè- doit pouvoir suivre une formation lui permet- (2012), le fonds paritaire
de sécurisation des
rement faible en France (trois fois moins tant de progresser d’au moins un niveau de parcours professionnels
longues qu’en Allemagne, presque cinq fois qualification : à ce jour, cette ambition n’est (FPSPP), créé par la
moins qu’en Suède). Elles revêtent donc une loi de novembre 2009,
pas encore étayée par des instruments effec- ne semble pas être
portée avant tout adaptative aux exigences tifs6. Tant qu’un droit différé à l’éducation suffisant : si l’un de ses
des postes de travail à court terme. Au mieux, n’aura pas été mis en place – par exemple, principes fondateurs
elles renforcent des qualifications spécifiques est louable – pour
garantir l’équivalent d’une année de for- pouvoir bénéficier
à l’employeur du moment ; de ce fait, en cas mation diplômante à toute personne sortie de financements
de mobilité subie ou volontaire, leur transfé- sans un niveau de diplôme jugé suffisant –, complémentaires
venant de ce fonds,
rabilité est tout sauf garantie. Aussi, malgré la situation n’a guère de raison de changer. Il les organismes
les dispositions – confirmées par la jurispru- est symptomatique que l’État n’ait pas repris paritaires en charge
dence – introduites par le législateur en 2002, dans la loi de 2004 sur le dialogue social et de la mutualisation
des contributions des
selon lesquelles l’employeur doit adapter les la FTLV l’appel des partenaires sociaux à entreprises doivent
qualifications de ses salariés aux évolutions instaurer une telle disposition. Dans un tel consacrer 40 % de
des emplois, la capacité de ces politiques de contexte, quels qu’aient pu être les avatars leurs ressources
à des actions de
formation interne à préparer des transitions de la gestion interne, il semble paradoxal que formation qualifiantes
ultérieures sur le marché du travail s’avère l’avenir de l’Association nationale pour la ou diplômantes –, sa
faible en France, tout particulièrement pour capacité réelle d’action
formation professionnelle des adultes (AFPA) reste limitée : alors
les salariés les moins diplômés et les moins soit aujourd’hui en suspens alors qu’il s’agit qu’il devait former
qualifiés. Cette configuration est d’autant du premier organisme de formation quali- chaque année 500 000
salariés et 200 000
plus problématique que le bénéfice en cours fiante : il accueille environ 170 000 stagiaires demandeurs d’emploi
de carrière d’une formation diplômante reste par an dont plus de 100 000 demandeurs supplémentaires,
fort rare : en 2007, il n’avait concerné que d’emploi et permettait à plus de 63 000 can- les projets soutenus
en 2010 et 2011 n’ont
2,6 % des 30-39 ans contre 12,9 % en Suède, didats d’obtenir un titre du ministère du Tra- concerné au total que
8 % au Danemark et 5,9 % au Royaume-Uni. vail (Larcher, 2012). Par ailleurs, la validation 272 000 chômeurs,
Ainsi, aux inégalités scolaires très marquées des acquis de l’expérience (VAE) ne saurait 139 000 salariés de bas
niveau de qualification
par l’origine sociale (Baudelot, Establet, encore tenir lieu d’alternative crédible à la et 173 000 salariés en
2009), se cumulent de fortes inégalités d’accès formation professionnelle pour accéder à la chômage partiel.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 114


certification et élargir les horizons de mobi- de formation courte, le domaine est plus sou-
lité d’une part significative des salariés : ses vent imposé au stagiaire, ce qui accroît les
procédures  de validation prennent insuffi- risques d’abandon.
samment en compte la diversité des certifica- En outre, pour ce qui est des jeunes, la part
tions professionnelles et imposent des délais des dépenses allouées aux formations certi-
[7]
En 2010, par la VAE, d’instruction trop longs7. fiantes régressent au profit de celles destinées
environ 30 000 candidats
ont obtenu une à l’accompagnement lors du processus d’in-
certification publique
sachant que depuis 2007, Une formation des demandeurs sertion : hors crédits pour l’apprentissage,
elles représentent désormais le premier poste
le nombre de certifiés
« oscille entre 29 000 et
32 000 » (cf. Bèque L.
d’emploi assez modeste de dépenses de l’État en faveur des jeunes
avec une hausse de 72 % en 2010 (+  16 % en
(2012), « La VAE en 2010 Dans un contexte de chômage croissant 2009). Celle-ci tient à la mise en œuvre des
dans les ministères
depuis 2008, la part des dépenses totales de plans lancés en 2009 en faveur des jeunes les
certificateurs. Environ
30 000 titres et diplômes formation professionnelle continue destinée plus en difficulté : tout d’abord, le « plan
délivrés », DARES aux demandeurs d’emploi est structurelle- d’urgence » d’avril  2009 (avec notamment le
Analyses n° 37). p. 2).
Pour la seule Éducation
ment faible et, qui plus est, sa part a régressé contrat d’accompagnement formation qui,
Nationale, sur 107 000 significativement depuis 2001 malgré une destiné à l’obtention d’un meilleur niveau de
diplômes obtenus hors hausse en 2010 consécutive à la crise. Dans qualification ou à l’adaptation des compé-
formation initiale en
2010, seuls 11 400 l’ont
ce cadre, les demandeurs d’emploi accèdent tences aux besoins du marché du travail, a
été par la VAE. moins souvent à une formation que les sala- bénéficié à 25 000 jeunes en 2010) puis le plan
[8]
riés8 ; certes, leur durée moyenne de forma- « Agir pour la jeunesse » de septembre  2009
33 % sur un an contre
44 % pour les salariés, tion est quatre fois plus élevée, mais souvent, par lequel l’État renforce les moyens des per-
d’après l’enquête elle reste trop courte pour accéder à une manences d’accueil, d’insertion et d’orien-
complémentaire à certification reconnue ; là encore, les moins
l’enquête emploi sur tation (PAIO) et des missions locales, qui
la formation continue diplômés sont sous-représentés9 : il est frap- accompagnent les jeunes les plus en diffi-
menée en 2006 par pant de constater que parmi les jeunes chô- culté (au moyen notamment de l’allocation
l’INSEE. meurs en formation, les moins qualifiés sont CIVIS11). Pour nécessaire qu’elles soient dans
[9]
En décembre 2011, ceux qui visent le moins souvent l’obtention la conjoncture du moment, ces interventions
d’après Pôle emploi, les d’un diplôme10 (Aude, 2011) ; de plus, en cas
chômeurs sans diplôme
représentent 38,3 % des
entrées en formation
alors qu’ils représentent 1. Dépenses de formation professionnelle continue par publics bénéficiaires
58,6 % des demandeurs
d’emploi (Larcher, ibid., (en millions d’euros et en %)
p. 13).
Bénéficiaires 2001 2006 2010 2010/2001
[10]
Cf. Aude J. (2011),
« Les demandeurs
Jeunes* 2 198 (14,6 %) 2 365 (13,8 %) 2 654 (13,6 %) + 20,7 %
d’emploi stagiaires . Alternance et professionnalisation 1 446 (9,6 %) 1 234 (7,2 %) 1 201 (6,2) %) – 16,9 %
de la formation
professionnelle : quelles . Accompagnement et autres 752 (5,0 %) 1 131 (6,6 %) 1 453 (7,4) %) + 93,2 %
formations pour quels
stagiaires ? », DARES Demandeurs d’emploi 3 514 (23,3 %) 3 447 (20,0 %) 3 924 (20,2 %) + 11,7 %
Analyses n° 86.
Actifs occupés du privé 9 351 (62,1 %) 11 382 12 500 + 32,6 %
[11]
Contrat d’insertion (66,2 %) (66,2 %)
dans la vie sociale.
Total** 15 063 (100 %) 17 194 (100 %) 19 478 (100 %) + 29,3 %
* Hors apprentissage. Une partie des dépenses pour les jeunes est classée avec les actifs occupés (plan de formation) ou les
demandeurs d’emploi.
** Hors dépenses d’investissement pour la formation des actifs du privé et du public qui représentent moins de 1,2 % du total
des dépenses.

Source : DARES, 2012.

115 LA FORMATION PROFESSIONNELLE : QUELLE PLACE DANS LES POLITIQUES DE L’EMPLOI


ne s’inscrivent guère dans une logique pré-
ventive mais plutôt réparatrice, qui plus est Une activation des politiques
conçue dans l’urgence, à rebours de l’élabo-
ration de perspectives durables de sécurisa-
de l’emploi toute relative
tion de l’insertion des jeunes. En outre, il est Trois modèles nationaux
frappant de constater que dans un contexte
de politiques de l’emploi
de chômage croissant, les contrats de pro-
fessionnalisation, qui débouchent à 89 % sur Cadrés par une nomenclature des « politiques
une certification reconnue au moins égale au du marché du travail » arrêtée par l’OCDE et
CAP, se font de plus en plus sélectifs, comme Eurostat, les dispositifs « ciblés » se répar-
si ces dispositifs ne pouvaient que renfor- tissent entre :
cer les tendances spontanées du marché du – les mesures de « soutien au revenu »
travail : 72,6 % des bénéficiaires avaient au (indemnisation du chômage et préretraites) ;
moins le bac en 2011 contre 69,3 % en 2009 – les services relatifs au marché du travail
(respectivement 75 % et 72,6 % pour les moins (frais de structure du service public de l’em-
de 26 ans). Pourtant, parmi les 17 % d’une ploi au sein desquels sont identifiés, au prix
génération qui quittent chaque année le sys- de certaines difficultés statistiques l’accom-
tème éducatif sans diplômes, à un horizon de pagnement personnalisé des demandeurs
cinq ans, seuls 10 % de ces jeunes obtiennent d’emploi) ;
une certification reconnue (Steedman et al.,
2010) de nature à faciliter leur insertion – et enfin les mesures qualifiées d’« actives »,
professionnelle. qui ont pour but de favoriser l’accès à l’em-
ploi (aides à l’emploi des travailleurs handi-
capés ainsi qu’à la création d’entreprise par
les chômeurs, contrats aidés dans les secteurs

2. Coût des politiques du marché du travail (en % du PIB, en 2010)


Royaume-
Allemagne Danemark* France
Uni*
Dépenses totales d’intervention
2,28 3,48 2,59 0,71
sur le marché du travail
. Dépenses actives (yc. service public
0,94 1,91 1,14 0,3
de l’emploi)
Dont Formation 0,31 0,42 0,38 0,02
. Dépenses passives 1,34 1,57 1,45 0,32
Taux de chômage (en % de la population
5,9 7,6 9,3 7,8
active)
Taux d’effort politique actif
0,05 0,06 0,04 €
par la formation
Taux d’effort politique actif 0,16 0,25 0,12 0,05
*en 2009. Note : Dans une perspective comparative, le calcul de taux d’effort permet d’annuler l’effet lié à l’importance du
taux de chômage car a priori, plus ce taux est élevé, plus – toutes choses égales par ailleurs –, on peut attendre des dépenses
pour les chômeurs. Ainsi à taux de chômage donné, l’effort danois en politiques actives dédiées à la formation des demandeurs
d’emploi est 3,3 fois plus élevé qu’en France et qu’en Allemagne.
Source : OCDE, 2010.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 116


marchand ou non marchand et formation Des mesures actives
professionnelle des demandeurs d’emploi). dont le poids se réduit
Au regard de cette typologie, on peut identi-
Pour apprécier pleinement le poids de la for-
fier trois modèles nationaux (Gautié, 2009) :
mation des chômeurs, il importe d’élargir le
– les pays scandinaves promeuvent des dis- point de vue aux mesures qualifiées de « géné-
positifs universalistes qui visent à la fois à rales » par la nomenclature du ministère du
soutenir généreusement le revenu des popu- Travail et qui visent notamment à réduire le
lations en difficulté sur le marché du travail coût du travail pour certaines catégories de
et à favoriser l’accès à l’emploi et à la qualifi- salariés, certaines activités et certains ter-
cation par des politiques actives diversifiées ; ritoires. Il en ressort qu’au fil du temps, les
mesures dites actives tournées vers les indi-
– s’y opposent, assez radicalement, les pays vidus pèsent de moins en moins lourd dans
dont l’action publique d’inspiration néo-libé- les politiques de l’emploi13, en raison notam-
rale se caractérise par une indemnisation ment de la place donnée aux exonérations de
du chômage très réduite et une politique charge sociales et autres dépenses fiscales
[12]
Toutefois, le d’activation contraignante pour les intéres- engendrées, par exemple, par la création de
renforcement du sés  puisqu’elle est essentiellement tournée zones franches censées favoriser la création
suivi des chômeurs vers une aide à la recherche d’un emploi, quel
indemnisés avec, à d’emplois dans certains territoires où se
compter de 2001, le qu’il soit, jugé préférable au bénéfice d’une cumulent difficultés économiques et tensions
plan d’aide au retour prestation sociale (Barbier, 2002) ; sociales.
de l’emploi (PARE)
appuyé sur un plan – la France et l’Allemagne sont dans une
d’action personnalisé situation intermédiaire, produit d’un empile- Les freins à l’activation, par la formation,
(PAP) semble avoir fait ment de mesures diversifiées, faiblement hié- des politiques du marché du travail ne sont
reculer la récurrence
du chômage. Ceci reste rarchisées et dont la cohérence d’ensemble pas que d’ordre financier mais aussi orga-
toutefois controversé est souvent problématique (Ehrel, 2009)12. nisationnels. Une enquête du ministère du
(Erhel, 2009). Travail (Aude, 2011) montre que si « près
[13]
Cf. Roguet B., Pessoa des deux tiers des stagiaires ont contacté
e Costa S. (2012), « Les au moins deux points d’information diffé-
dépenses en faveur de
l’emploi et du marché 3. Dépenses des politiques du marché du travail rents (ANPE, AFPA, mission locale ou PAIO,
du travail en France en et de soutien à l’emploi (en % du PIB) organisme de formation, entreprise) », 43 %
2009 », DARES Analyses « déclarent qu’au final, ils se sont orien-
n° 5. 2005 2009
tés eux-mêmes vers la formation suivie » et
Politiques du marché 45 % signalent « avoir éprouvé des difficultés
2,49 2,42
du travail
pour [y] accéder » (ibid., p. 2-3) ; s’y ajoutent,
. Services du marché du pour beaucoup, d’excessives complexités
0,23 0,26
travail
administratives engendrées par une forte
. Mesures d’activation 0,67 0,72 balkanisation institutionnelle, l’éloigne-
dont formation 0,29 0,36 ment du lieu de formation, source de frais
. Soutien du revenu 1,59 1,44 supplémentaires (déplacement, restauration,
Mesures générales 1,50 2,20 hébergement), ainsi que la longueur du délai
. Exonération de charges d’entrée en stage (plus de 3 mois pour 28 %
0,99 1,44
sociales des stagiaires), au point de décourager cer-
. Incitations à l’emploi tains bénéficiaires potentiels, souvent ceux
et mesures en faveur qui auraient le plus besoin de cette ressource
0,51 0,76
de l’emploi dans certains (Kaisergruber, 2012). Enfin, pour nombre de
territoires et secteurs salariés peu qualifiés auxquels la formation
Total 3,99 4,62 initiale n’a pas laissé que de bons souvenirs,
Source : DARES, 2012. la nécessité de proposer une offre adaptée

117 LA FORMATION PROFESSIONNELLE : QUELLE PLACE DANS LES POLITIQUES DE L’EMPLOI


[14]
s’impose. À cet égard, les « écoles de la deu- exemple intéressant – mais coûteux14 – ins- C’est le prix à payer à
xième chance », qui sont encore beaucoup crit dans la perspective d’un droit différé à l’incapacité grandissante
du système éducatif
trop rares (Larcher, 2012), constituent un l’éducation qui reste à construire. à apporter à chacun
les compétences de
base sans lesquelles le
passage en formation
continue peut s’avérer
inutile ou inadapté : de
2000 à 2009, la part des

POUR EN SAVOIR PLUS jeunes français de 15 ans


considérés comme
mauvais lecteurs au test
PISA de l’OCDE est ainsi
™ AUDE J. (2012), « La Providence, Paris, Seuil, coll. ™ RADAELLI C. (2010), « Récits passé de 15,2 % à 19,8 %.
Formation professionnelle « La République des idées ». (Policy Narrative) », in
des demandeurs d’emploi en ™ FAURE E. (1972), Apprendre à Boussaguet L., Jacquot S.,
2010 », DARES Analyses n° 24. être, Paris-Londres, Unesco- Ravinet P. (eds) Dictionaire
™ BARBIER J-C. (2002), « Peut- Harrap. des politiques publiques,
on parler d’« activation » Paris, Presses de Sciences Po.
™ GAUTIÉ J. (2009), Le chômage,
de la protection sociale en Paris, La Découverte, coll. ™ STEEDMAN H., VERDIER E.
Europe ? », Revue française « Repères ». (coord.) (2010), Les élèves sans
de sociologie vol. 43, n° 2. qualification : La France et les
™ KAISERGRUBER D. (2012), Le
™ BERNARD P-Y. (2010), Le pays de l’OCDE, rapport pour
culte du diplôme, La Tour
décrochage scolaire, « Que le Haut conseil de l’éducation,
d’Aigues, Les éditions de
sais-je ? », PUF, Paris. décembre. http://www.hce.
l’Aube.
education.fr
™ BAUDELOT C., ESTABLET R. ™ LARCHER G. (2012), La
(2009), L’élitisme républicain. ™ VERDIER E. (2008),
formation professionnelle :
L’école française à « L’éducation et la formation
clé pour l’emploi et la
l’épreuve des comparaisons tout au long de la vie : une
compétitivité, Document
internationales, Paris, Seuil, orientation européenne, des
remis à Monsieur Le Président
coll. « La République des régimes d’action publique
de la République, http://www.
idées ». et des modèles nationaux
emploi.gouv.fr/files/files/
en évolution », Sociologie et
™ ERHEL C. (2009), Les Rapport_Larcher.pdf
Sociétés, vol. 40, n° 1.
politiques de l’emploi, Paris, ™ MÉHAUT P. (2005),
PUF, coll. « Que-sais-je ? ». « Reforming the training
™ ESPING-ANDERSEN G., PALIER system in France », Industrial
B. (2008), Trois leçons sur l’État Relation Journal, vol. 36, n° 4.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 118


La question de l’incidence de l’immigration sur le marché du travail se trouve régulièrement au
cœur de l’actualité. L’immigration peut-elle faciliter les ajustements entre offre et demande sur
certains segments ?
Dégrade-t-elle les conditions d’emploi des travailleurs natifs ?
Selon Manon Domingues Dos Santos, l’immigration est susceptible d’influencer le chômage
par deux biais : d’une part si la population immigrée est davantage affectée par le chômage
que les natifs ; d’autre part, si l’immigration affecte les taux de chômage des autres travailleurs,
notamment ceux dont les caractéristiques productives sont proches. Les travaux théoriques
et empiriques montrent que si la propension au chômage des immigrés est substantiellement
supérieure à celle des natifs, l’immigration n’aurait en revanche qu’un effet transitoire et limité
sur les opportunités d’emploi de ces derniers.
Problèmes économiques

Immigration
et marché du travail
d’activité comme le bâtiment et la restaura-
 MANON DOMINGUES DOS SANTOS tion, ou la nécessité d’asseoir la croissance
Université Paris-Est-Marne-la-Vallée sur une main-d’œuvre qualifiée abondante
ERUDITE (EA437), UPEMLV, UPEC, TEPP sont autant de facteurs qui confèrent à cette
question un enjeu économique substantiel.

Plus précisément, notre contribution propose


L’économie française a-t-elle besoin de tra- d’expliciter l’incidence de l’immigration sur
vailleurs immigrés ? Avec un taux de chômage le chômage, qui peut s’exprimer par deux
qui avoisine les 10,2 % au deuxième trimestre biais. En premier lieu, si les immigrés ont une
2012, cette question pourrait a priori sembler propension au chômage différente de celle
incongrue. Pourtant, l’opportunité de recourir des autochtones, l’immigration induit un
à l’immigration pour pallier certains besoins effet de composition contribuant à modifier
en main-d’œuvre de l’économie française le taux de chômage moyen. En second lieu,
revient dans le débat public de façon récur- l’immigration peut affecter les taux de chô-
rente. Le spectre du vieillissement démogra- mage catégoriels, et plus particulièrement
phique qui met en péril le financement de la l’emploi des travailleurs ayant des caracté-
protection sociale, la persistance de difficul- ristiques productives proches de celles des
tés de recrutement dans certains secteurs immigrés.

119 IMMIGRATION ET MARCHÉ DU TRAVAIL


La situation des immigrés celui des seconds. Dans tous les pays scandi-
naves, en Belgique et au Pays-Bas ainsi qu’en
sur le marché du travail Autriche et en Allemagne, le taux de chômage
des immigrés s’élève à plus du double de
Les immigrés ont-ils une propension au chô- celui des autochtones.
mage différente de celle des autochtones et, le
cas échéant, pourquoi ? Les explications avancées
Les différences de conditions d’emploi entre
Une plus forte propension au autochtones et étrangers peuvent trouver
chômage des travailleurs immigrés deux fondements. En premier lieu, les travail-
Au regard de la propension au chômage, les leurs de ces deux communautés peuvent dif-
différences entre communautés autochtones férer au regard de certaines caractéristiques
et immigrées sont quasi univoques (gra- productives influençant la productivité et
phique 1). En France, alors que le taux de l’employabilité. Certains travailleurs étran-
chômage des autochtones avoisine les 9 % gers pourraient également être victimes de
en 2010, celui des immigrés atteint 16 %, les discrimination à l’embauche : à caractéris-
immigrés d’origine extra-européenne ayant tiques identiques, leurs opportunités d’em-
une propension au chômage de près de 20 %. ploi pourraient être moindres. Isoler ces deux
Dans tous les pays européens, à l’exception phénomènes nécessite au préalable d’esti-
de la Pologne et de la Hongrie, le taux de mer la productivité individuelle. À cette fin,
chômage des travailleurs immigrés est éga- les économistes ont usuellement recours à
lement toujours nettement supérieur à celui certaines caractéristiques observables telles
de leurs homologues natifs. En moyenne, le que le niveau de qualification et l’expérience
taux de chômage des premiers excède de 70 % professionnelle.

1. Taux de chômage des autochtones et des immigrés en Europe

30,0

25,0

20,0

15,0

10,0

5,0

0,0
e

pu ue

ne

de

ce

ni

rie

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lie

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Lu
Ro

Taux de chômage des autochtones Taux de chômage des immigrés


Taux de chômage des immigrés à structure par qualification Taux de chômage des immigrés à struture par taux de chômage
des autochtones selon la qualification des autochtones

Source : OCDE, 2006. Calculs de l'auteur.

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 120


La répartition relative des populations peut évaluer que si la répartition par diplôme
autochtones et immigrées par niveau de qua- de la population immigrée était analogue à
lification déclaré montre une forte hétérogé- celle de la population autochtone, dans la
néité entre pays. La proportion des immigrés quasi-totalité des pays européens, les diffé-
ayant un niveau d’éducation au plus primaire rences de taux de chômage entre immigrés
est plus faible que pour les natifs, notamment et autochtones ne seraient que faiblement
dans les pays d’Europe du Sud (Espagne, affectés tandis qu’elles deviendraient négli-
Portugal, Italie, Grèce), en Hongrie et Répu- geables si les taux de chômage par niveau de
blique Tchèque, au Royaume-Uni ainsi qu’en qualification étaient les mêmes dans les deux
Irlande. En revanche, les pays européens sont populations (graphique 1).
plus homogènes au regard de la part rela- Sans nier l’existence de pratiques discrimi-
tive entre communautés des individus ayant natoires, on notera que certaines caractéris-
acquis un niveau d’éducation tertiaire. tiques, usuellement non observées, affectant
L’examen des taux de chômage par niveau l’employabilité et la productivité des tra-
de diplôme au sein des populations natives vailleurs pourraient contribuer à expliquer
et immigrées nous amène à deux constats une partie des écarts rémanents. En premier
(graphique 2). En premier lieu, pour les deux lieu, parmi les non diplômés, une plus large
communautés, la propension au chômage fraction des immigrés n’a jamais été scola-
diminue globalement avec le niveau de qua- risée. Par ailleurs, les compétences acquises
lification, ce lien étant toutefois plus marqué par les immigrés dans leur pays d’origine ne
pour les autochtones. En deuxième lieu, à sont que partiellement transférables dans
niveau de diplôme donné, le taux de chômage leur pays d’accueil. Enfin, les populations
des étrangers est toujours substantiellement autochtones et immigrées se distinguent au
plus élevé que celui des autochtones. Ainsi, on regard du degré de maîtrise de la langue, des

2. Qualification relative des immigrés

1,80
1,60
1,40
1,20
1,00
0,80
0,60
0,40
0,20
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Da


x

Lu
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Rapport entre la part des autochtones et des immigrés ayant un niveau d'éducation primaire

Rapport entre la part des autochtones et des immigrés ayant un niveau d'éducation secondaire

Rapport entre la part des autochtones et des immigrés ayant un niveau d'éducation tertiaire

Source : OCDE, 2006. Calculs de l'auteur.

121 IMMIGRATION ET MARCHÉ DU TRAVAIL


secteurs d’activité vers lesquels se concentre À court-terme
leur recherche d’emploi ou de la densité de La contribution originelle analysant l’inci-
leurs réseaux d’entraide, autant de facteurs dence des migrations sur le chômage est, sans
susceptibles d’influencer les opportuni- aucun doute, celle de Harris et Todaro1. Cette [1]
Harris J. et Todaro
tés d’emploi et l’efficacité du processus de contribution considère une économie duale M. (1970), « Migration,
recherche. Unemployment and
où la région d’accueil est caractérisée par la Developement : A
En résumé, la population immigrée affiche présence d’un salaire minimum contraignant. Two-Sector Analysis »,
une propension au chômage significative- En substance, les entreprises déterminant American Economic
Review, Vol. 60.
ment supérieure à celle de la population leur demande de travail de façon à égaliser
autochtone dans la quasi-totalité des pays la productivité marginale du travail au coût
européens : l’immigration contribue donc, via du travail, le niveau d’emploi est entièrement
un effet de composition, à accroître les taux déterminé par la technologie et le niveau du
de chômage nationaux. Toutefois, notre ana- salaire minimum. Le chômage résultant de
lyse des fondements de ces disparités nous la confrontation entre l’offre et la demande
amène à insister sur un point : si une partie de travail, toute immigration accroît l’offre
de la plus forte vulnérabilité au chômage des de travail sans en augmenter la demande, ce
étrangers peut notamment s’expliquer par un qui se traduit in fine par une augmentation
niveau de compétences effectives plus faible, du niveau et du taux de chômage. La contri-
une part importante des différentiels de chô- bution de Harris et Todaro repose toutefois
mage demeure inexpliquée par les caractéris- sur un modèle statique où prix et salaires de
tiques usuelles. la région d’accueil sont totalement rigides à
court terme comme à long terme.

L’incidence de l’immigration Les modèles néo-keynésiens supposent éga-


lement que les prix, les salaires et le capi-
sur les opportunités d’emploi tal productif sont rigides, mais seulement
à court terme. En substance, à court-terme,
des autochtones c’est la demande globale qui détermine la
production et l’emploi. À plus long terme, les
L’immigration porte-t-elle préjudice aux
salaires et les prix s’ajustent sous l’impulsion
opportunités d’emploi des autochtones ? Pour
d’une modification du taux de chômage : le
certains, en effet, les travailleurs immigrés se
taux de chômage influence les revendications
substitueraient aux travailleurs autochtones,
salariales et l’évolution des salaires se réper-
contribuant ainsi à détériorer leurs condi-
cute sur les prix. L’inflation rétroagit alors
tions d’emploi. Pour d’autres, en revanche,
sur la demande de biens. Dans le cadre de
les immigrés occuperaient des emplois que
ces modèles d’inspiration néo-keynésienne,
les natifs n’acceptent pas ou généreraient, à
l’immigration peut être assimilée à une
terme, une demande de travail équivalente
augmentation exogène de l’offre de travail.
au nombre d’emplois qu’ils occupent. Afin
Elle induit instantanément une augmenta-
d’évaluer la pertinence de ces deux a priori, il
tion du nombre de travailleurs sans affecter
nous faut tout d’abord comprendre les méca-
le niveau d’emploi, puisque les prix et les
nismes économiques sous-jacents avant d’ex-
salaires sont fixés. L’afflux de travailleurs se
poser les principaux résultats des travaux
traduit donc par une augmentation du chô-
empiriques.
mage, puisqu’un même nombre d’emplois
doit être réparti entre un plus grand nombre
Les mécanismes à l’œuvre
de travailleurs. Cependant, cette augmen-
La rigidité temporelle des comportements tation n’est que transitoire. L’augmentation
conditionne les conséquences des migrations du taux de chômage modère les revendica-
à l’horizon temporel retenu. tions salariales : les salaires diminuent et les

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 122


prix suivent. Ceci stimule alors la demande En résumé, lorsque les salaires et les prix
de biens et donc de travail, ce dernier effet affichent un certain délai d’ajustement aux
contribuant à diminuer à nouveau le taux de modifications de l’environnement économique
chômage. À terme, la diminution des prix est et que les travailleurs mettent un certain
telle que l’effet initial sur le taux de chômage temps à trouver un emploi adapté à leur com-
est totalement évincé. L’immigration n’a donc pétence, l’immigration est susceptible d’aug-
qu’une incidence transitoire sur le taux de menter transitoirement le taux de chômage.
chômage qui perdure d’autant moins que les
À long-terme
prix et les salaires s’ajustent rapidement. À
titre d’illustration, pour le cas de la France, Comme nous l’avons précisé, l’immigration
en se fondant sur les estimations de la rela- augmente la taille de la population active
tion de Phillips sur la période 1970-1998, on présentant des caractéristiques productives
peut évaluer qu’une immigration augmentant similaires à celles des immigrés. Dans cette
de 1 % le taux de croissance de la population optique, évaluer l’impact des migrations sur
active augmenterait de 0,625 points le taux le taux de chômage revient à s’interroger sur
de chômage à court terme. Toutefois, l’esti- les liens entre taux de chômage et taille de la
mation d’un délai moyen d’ajustement des population active.
salaires sur les prix inférieur à un semestre Les enseignements récents de l’économie
laisse augurer la faible persistance de cet du travail nous éclairent sur les sources du
effet. chômage catégoriel à long terme. Les négo-
Si les prix et les salaires peuvent néces- ciations salariales ou les politiques de rému-
siter certains délais d’ajustement, il faut nération des entreprises confrontées à des
également un certain temps pour qu’un tra- coûts de rotation de la main-d’œuvre ou à
vailleur trouve un emploi adapté à ses com- des asymétries d’information induisent une
pétences et qu’une entreprise trouve un rigidité à la baisse des salaires engendrant
travailleur adapté au poste de travail qu’elle du chômage3. De façon générale, expliciter
désire pourvoir. Comme nous l’enseignent les déterminants des salaires contribue à
les modèles d’appariement, ces délais d’adé- limiter l’incidence des migrations sur les
quation impliquent qu’à tout moment sur taux de chômage catégoriels à long terme. En
le marché du travail, coexistent des chô- effet, dans les modèles de chômage d’équi-
meurs recherchant un emploi et des emplois libre, les taux de chômage catégoriels d’équi-
[2]
Sur ce point, voir vacants2. Dans ce cadre, si l’on considère libre s’avèrent indépendants de la taille de
dans ce même numéro un afflux d’immigrés, les nouveaux venus la population active considérée. Un résultat
l’article d’Arnaud s’impose donc : l’immigration d’un certain
Chéron, pp. 78-83. peuvent mettre un certain temps à trouver
un emploi conforme à leurs attentes. L’immi- type de travailleurs augmente le nombre
[3]
Sur ce point, voir
gration se traduit alors instantanément par d’actifs de ce type mais cette augmentation
dans ce même numéro n’aurait aucune incidence sur le taux de chô-
l’article d’Arnaud une augmentation équivalente du nombre
Chéron, pp. 78-83 ainsi de chômeurs qui accroît le taux de chômage. mage de long terme de la catégorie de main-
que le zoom p. 12.
Néanmoins, cette augmentation du vivier de d’œuvre considérée.
recrutement augmente la probabilité pour
une entreprise de pourvoir rapidement un Les résultats empiriques
poste vacant, ce qui en diminue le coût. Ainsi, Différentes méthodes économétriques sont
en augmentant le profit associé à la création utilisées afin d’apprécier l’incidence de l’im-
d’un emploi, l’immigration stimule cette der- migration sur les conditions d’emploi des
nière. Ce processus reste opérant tant que le autochtones. Les plus usitées sont l’approche
profit associé au postage d’un emploi vacant en termes de corrélations spatiales, l’exploi-
demeure positif, c’est-à-dire jusqu’à ce que le tation d’expériences naturelles et l’approche
taux de chômage retrouve son niveau initial. en termes de proportions de facteurs.

123 IMMIGRATION ET MARCHÉ DU TRAVAIL


Les corrélations spatiales avril et septembre  1980. La moitié de ces
Cette méthode consiste à évaluer les corréla- migrants s’installant à Miami, la popula-
tions existant entre conditions d’emploi des tion active de la ville crût de près de 7 %. Afin
autochtones et présence de travailleurs immi- d’évaluer les conséquences de cette immigra-
grés au sein de différents marchés locaux du tion massive, l’évolution des taux de chômage
travail à un instant donné. En substance, s’il à Miami est comparée à celles observées
s’avère que les régions où les opportunités entre 1979 et 1985 dans d’autres villes ayant
d’emploi des autochtones sont les plus défa- des caractéristiques proches. La similarité
vorables sont également celles où la présence des marchés du travail de Miami (ville test),
de travailleurs immigrés est la plus impor- et des autres villes (villes de contrôle), per-
tante, cette méthode consiste à interpréter met d’attribuer à l’immigration cubaine
cette corrélation comme un lien de causalité. les différences de performance du marché
Toutefois, si de nombreux travaux mobi- du travail éventuellement observées. Cette
lisent la méthode des corrélations spatiales, expérience permet de conclure que les évolu-
les méthodologies, données, variables d’inci- tions du taux de chômage à Miami sont très
dence et variables de contrôle utilisées sont proches de celles observées dans les autres
très hétérogènes, ce qui rend difficile toute localités. À terme, l’incidence sur le chômage
comparaison rigoureuse des résultats. et les salaires de cette immigration, pourtant
massive, aurait donc été négligeable.
Toutefois, les évaluations utilisant la
méthode des corrélations spatiales montrent Une autre expérience porte sur les consé-
généralement que l’incidence des migrations quences de l’afflux des rapatriés d’Algé-
sur les opportunités d’emploi des natifs rie en France au cours de l’année 1962. À la
peu qualifiés est relativement modérée. Une suite de la signature des accords d’Évian le
méta-analyse synthétisant 165 estimations 18 mars 1962, consacrant l’indépendance de
émanant de 9 études récentes sur les pays de l’Algérie, 900 000 rapatriés débarquèrent en
l’OCDE, évalue qu’en moyenne, une augmen- France métropolitaine au cours de la même
tation de 1 % du nombre d’immigrés diminue année, principalement dans les régions du
d’au plus 0,024 % l’emploi des autochtones. Sud. Afin d’évaluer l’impact de cette vague
Elle conclue néanmoins que cet impact migratoire sur les opportunités d’emploi
est vraisemblablement plus important en des autochtones, cette expérience compare
Europe, où les marchés du travail sont plus l’évolution des taux de chômage dans les 90
rigides et les travailleurs moins mobiles. départements métropolitains en contrôlant
Les expériences naturelles un ensemble de variables externes pouvant
également influencer les variables étudiées.
Certaines études fondent leurs estima-
Elle estime qu’une augmentation de 1 % de la
tions sur des expériences dites naturelles
population active induite par cette immigra-
en exploitant notamment les conséquences
tion aurait augmenté le taux de chômage des
de mesures politiques ayant généré des flux
non-rapatriés de 0,2 %.
migratoires intenses et ponctuels dans cer-
taines régions. La comparaison de ces deux études conduit
Une première expérience concerne « l’exode à penser que le marché du travail américain
de Mariel ». En 1980, à la suite d’un dif- aurait une capacité d’absorption plus forte
férent entre les gouvernements cubain et que le marché français. Les rigidités du mar-
péruvien, Fidel Castro proclame l’ouverture ché du travail européen, caractérisé notam-
du port de Mariel, tout Américano-cubain le ment par une protection de l’emploi plus
désirant pouvant quitter Cuba. Cette décla- marquée et des taux de remplacement plus
ration provoqua une déferlante de plus de élevés, peuvent être évoquées pour expliquer
125 000  Cubains vers les États-Unis entre l’incidence plus forte de l’immigration sur les

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 124


taux de chômage. Afin de tester cette asser- quelles auraient été les conditions d’emploi
tion, une troisième expérience considère l’in- en l’absence de migrations.
cidence des exodes consécutifs aux guerres De par son caractère contre-factuel, cette
de Bosnie et du Kosovo sur chacun des pays démarche est toutefois sujette à plusieurs
d’accueil en utilisant une base de données critiques. La plupart des études concernent
couvrant la période 1983-1999. Leurs résul- les États-Unis et se concentrent sur l’impact
tats suggèrent qu’une augmentation de 10 % de l’immigration sur les salaires. Une étude
de la proportion d’immigrés induit une baisse appliquant cette méthode à l’Allemagne
du taux d’emploi des autochtones comprise conclut néanmoins que l’arrivée substantielle
entre 0,2 et 0,7 %. Cette baisse est d’autant d’immigrés en Allemagne dans les années
plus prononcée que le pays considéré se 1990 n’aurait pas eu d’impact significatif
caractérise par un marché du travail rigide. sur l’emploi des natifs. Toutefois, ces flux
L’examen des travaux fondés sur l’exploita- auraient sensiblement dégradé les opportu-
tion d’expériences naturelles met en évidence nités d’emploi des immigrés antérieurs. Tra-
une incidence modérée de l’immigration sur vailleurs autochtones et immigrés seraient
les conditions d’emploi des autochtones. donc imparfaitement substituables tandis
L’apparente capacité des économies d’accueil que nouveaux et anciens immigrés le seraient
à absorber de nouveaux venus apparaît tou- parfaitement.
tefois plus faible en présence d’institutions Si les travaux empiriques fondés sur la
limitant la flexibilité du marché du travail, méthode des corrélations spatiales ou l’ex-
constat contribuant à valider les enseigne- ploitation d’expériences naturelles mettent
ments théoriques. Les travaux fondés sur en évidence un effet relativement modéré de
une approche dite « en termes de proportion l’immigration sur les conditions d’emploi
de facteurs » n’aboutissent pas aux mêmes des autochtones, d’autres études fondées sur
conclusions. des séries temporelles agrégées suggèrent un
impact plus néfaste.
L’approche en termes
de proportion agrégée de facteurs ***
Certains auteurs arguent que seules les esti-
Au terme de cette contribution, deux princi-
mations s’appuyant sur des séries tempo-
paux constats s’imposent. En premier lieu,
relles agrégées s’avèrent pertinentes pour
dans la plupart des pays européens, les
analyser l’incidence de l’immigration sur les
immigrés affichent une propension au chô-
conditions d’emploi des autochtones.
mage supérieure à celle des autochtones. Ce
En s’appuyant sur des séries temporelles constat est patent, même après stratifica-
nationales, certains travaux adoptent une tion des populations par niveau de qualifica-
démarche contre-factuelle en deux étapes. tion déclarée. Une part de cet écart pourrait
Dans une première étape, cette méthode s’expliquer par un niveau de qualification
consiste à comparer l’offre effective de tra- effectif plus faible dans le contexte de leur
vailleurs pour différents niveau de qualifi- économie d’accueil. Toutefois, seules des sta-
cation à l’offre que l’on aurait observée en tistiques individuelles sur plusieurs périodes
l’absence de migration. Dans une seconde détaillant notamment la situation des immi-
étape, en s’appuyant sur la valeur des élas- grés sur le marché du travail en sus de leur
[4]
Les élasticités de
ticités de substitution4 entre facteurs usuel- schéma migratoire et des durées, lieux et qua-
substitution mesurent le lement retenues dans la littérature et en lités de leurs formations pourrait rigoureuse-
degré de substituabilité supposant que les autochtones et les immi- ment permettre d’évaluer les fondements de
entre deux biens
ou deux facteurs de grés d’un même niveau de qualification sont cette plus grande vulnérabilité des immigrés
production. des substituts parfaits, les auteurs simulent au chômage.

125 IMMIGRATION ET MARCHÉ DU TRAVAIL


En second lieu, les travaux théoriques infir- de personnes qui y résident et y consomment,
ment la thèse du remplacement selon laquelle les immigrés contribuant à créer à terme un
les immigrés occuperaient les emplois des nombre d’emplois proportionnel à la taille
natifs. Il apparaît en effet que si l’immigra- de leur communauté. Force est néanmoins
tion peut accroître à court terme le taux de de constater que la pertinence empirique de
chômage, ces effets ne sont que transitoires. cette assertion demeure toujours aujourd’hui
En substance, une économie aurait tendance l’objet de vifs débats.
à créer des emplois en proportion du nombre

¶ COMPLÉMENT des incitations économiques, comme la


possibilité d’une meilleure rémunération et
d’une progression de carrière, et l’accès à
LA MOBILITÉ INTERNATIONALE un meilleur financement de la recherche,

DES TRAVAILLEURS
les talents mobiles recherchent également
des infrastructures de recherche plus
HAUTEMENT QUALIFIÉS performantes, l’opportunité de travailler avec
les « stars » de la recherche scientifique et une
La croissance de la mobilité plus grande liberté de débat. Ils sont moins
internationale des ressources humaines sensibles aux politiques publiques, ce sont
en science et technologie… plutôt les attaches familiales ou personnelles
Avec une croissance soutenue de qui attirent les talents vers certaines
l’investissement direct étranger (IDE), des destinations.
échanges et de l’internationalisation de la
recherche-développement (R&D), la mobilité … peut avoir un impact important
des ressources humaines en science et sur la création et la diffusion du savoir…
technologie (RHST) est devenue un aspect Une fois dans un autre pays, les travailleurs
essentiel de la mondialisation. Les migrations diffusent leur savoir. Sur leur lieu de
jouent désormais un rôle important dans le travail, ils le diffusent à leurs collègues, en
façonnage de forces de travail qualifiées dans particulier à ceux avec lesquels ils sont en
l’ensemble de la zone OCDE. contact étroit. Les individus et organisations
géographiquement proches bénéficient des
L’importance de la mobilité tient à sa
retombées de ce savoir et peuvent contribuer
contribution à la création et à la diffusion
à l’émergence de concentrations locales
du savoir. Non seulement elle aide à la
d’activité. La mobilité des RHST constitue
production et à la diffusion du savoir mais
également un complément essentiel du
elle est un mode important de transmission
transfert de connaissances par le biais de flux
du savoir tacite. Au sens le plus large du
transfrontaliers de biens et de capitaux.
terme, le savoir tacite est le savoir qui ne
peut être codifié et transmis sous la forme … dans les pays d’accueil comme
d’informations via des documents, des dans les pays d’origine…
rapports académiques, des conférences ou Pour les pays d’accueil, l’afflux de talents a
autres formes de communication. C’est entre des effets positifs en termes de circulation du
individus appartenant au même milieu social savoir, avec notamment la possibilité d’une
et ayant une certaine proximité physique que le activité économique et de R&D accrue du fait
transfert de ce savoir est le plus efficace. de l’arrivée de travailleurs qualifiés, d’une
Différents facteurs contribuent aux flux de augmentation des flux de connaissances et
travailleurs hautement qualifiés. En plus de la collaboration avec les pays d’origine,

Problèmes économiques FÉVRIER 2013 126


d’un plus grand nombre d’inscrits dans les ainsi les flux potentiels de retour de savoir.
programmes d’études supérieures, enfin Ils peuvent ainsi accroître le stock global de
de la création potentielle d’entreprises et connaissances.
d’emplois par les entrepreneurs immigrés.
La mobilité peut aider à relier les entreprises … indiquant qu’il ne s’agit pas
nationales au savoir étranger et à stimuler les nécessairement d’un jeu à somme nulle
retombées de la R&D étrangère sur les unités La « circulation des cerveaux » stimule le
locales de R&D et l’ensemble de l’économie. transfert de connaissances aux pays d’origine.
Parallèlement, les pays d’accueil doivent faire Cela peut signifier le retour des émigrés
en sorte que l’afflux de scientifiques et de qualifiés dans leur pays d’origine après une
chercheurs ne retarde pas les réformes de période passée à l’étranger ou un schéma de
politiques qui limitent probablement l’offre migrations temporaires et circulaires entre le
nationale de RHST. pays d’origine et l’étranger. Les professionnels
diffusent dans leur pays d’origine le savoir
Pour les pays d’origine, les travaux sur les qu’ils acquièrent et entretiennent des
effets de l’émigration se sont souvent focalisés réseaux, facilitant ainsi l’échange continu de
sur les envois de fonds des migrants et la fuite connaissances. Pour tirer le meilleur parti de
des cerveaux, mettant tout particulièrement cette circulation des cerveaux, le pays d’origine
l’accent sur l’impact pour les pays en doit avoir une capacité d’absorption suffisante
développement. Ces envois d’argent sont et les migrants de talent retournant dans leur
une source importante de revenus pour de pays doivent pouvoir réintégrer le marché local
nombreux ménages à revenus faibles et du travail à un niveau qui corresponde à leurs
moyens des pays en développement. Les compétences et à leurs connaissances.
principales inquiétudes que génère la fuite des
cerveaux sont la perte d’une main-d’œuvre L’existence d’une diaspora accroît encore le
productive et de la production correspondante, transfert de connaissances. La présence à
le coût fiscal de la formation de travailleurs l’étranger d’un stock de RHST qualifiées peut
qui partent ensuite à l’étranger, et l’impact faciliter le retour d’information et de savoir
potentiel sur le développement nécessaire des vers le pays d’origine et les liens, sociaux et
institutions et le changement structurel. Mais autres, augmentent la probabilité que les flux
ces inquiétudes doivent être mises en balance de retour du savoir continueront même après
avec la question de savoir si ces chercheurs le retour ou le départ des travailleurs. Dans
et scientifiques auraient pu trouver un emploi certaines économies émergentes, les réseaux
productif dans leur pays. des diasporas jouent un rôle essentiel dans le
développement d’une capacité en science et
L’émigration de travailleurs qualifiés, tels technologie. L’ensemble de ces effets donne
que les chercheurs et scientifiques, peut à penser que les flux de savoir associés à
également être bénéfique pour la création et l’émigration de chercheurs et de scientifiques
la diffusion de savoir dans leur pays d’origine. peuvent être bénéfiques aux pays d’origine.
En particulier, les possibilités d’émigration La mobilité des chercheurs n’est donc pas
peuvent encourager le développement de nécessairement un jeu à somme nulle dans
compétences. De plus, lorsque des individus lequel les pays d’accueil seraient les gagnants
qualifiés émigrent vers des pays dont l’activité et les pays d’origine les perdants. (*)
économique est plus dense, ils peuvent
en faire bénéficier leur pays d’origine en
produisant des connaissances « supérieures »
à celles qu’ils produisaient chez eux, en (*) Extrait choisi par Problèmes économiques dans OCDE
(2008), Attirer les talents. Les travailleurs hautement
accumulant plus vite du capital humain et qualifiés au cœur de la concurrence internationale, pp. 9-13.
en améliorant leur productivité, augmentant © OCDE.

127 IMMIGRATION ET MARCHÉ DU TRAVAIL


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LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Le chômage est le problème le plus persistant des économies avancées
depuis les années 1980. S’il est remonté en flèche sous l’effet de la crise,
il se maintient structurellement au dessus de 7 % depuis des décennies
dans les principaux pays d’Europe. Comment fonctionne le marché
du travail ? Pourquoi le chômage résiste-t-il de façon durable aux politiques
de l’emploi ? Qu’est-ce qui explique que certains pays, à l’instar des Etats-
Unis et du Royaume-Uni entre 1995 et 2007 ou de l’Allemagne aujourd’hui,
parviennent néanmoins à tirer leur épingle du jeu ?
Ce numéro hors-série de Problèmes économiques décrypte les rouages du
marché du travail et fait le point sur les questions d’actualité liées à l’emploi.

Prochain numéro à paraître :


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Directeur de la publication
Xavier Patier
Direction de l’information
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Dépôt légal 75059, février 2013
DF 2PE32750
ISSN 0032-9304
CPPAP n° 0513B05932

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