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THÉOPHILE OBENGA :
COMBAT POUR LA
RE-NAISSANCE AFRICAINE
Collectioll Études Africaines
Dernières parutions
9
plus appréhendés avec acuité par un n0111bre croissant
d'Afit<icains. Aussi par111i tous ceux qui partagent ce
constat et ont agi ou agissent en conséquence avec
abnégation, pal~fois dans I 'anonYlnat et dans la discrétion,
voudrais-je penser tout particulière111ent à certains de mes
calnarades : Ie lTlathé111aticien c~. Khadi111 !-Sylla, ,lean
Eloka, co.fondateur du C~ollect?f' des S'ftructures
Panaj;tficaines (C,~.S.P.),Marc Bruno Mayi, pro.fesseur de
psychologie à l'Université de YYaoundé, Mahougnon
Kakpo, pro.fesseur de littératures à l'Université
d'AboI11ey-C~alavi au Bénin, la sociologue Altiné Traoré
qui .fut l'e,fficace !-Secrétaire Générale du C~.S.P., Léo]Jold
Nouind, Thierry Abessolo-Ondo.
D()UE GN()N!-SEA
JO
INTRODUCTION
I
Ailné Césaire~ Discours sur le ('%nialisJ71e, Présence Africaine,
Paris, ] 955~ pp. 33-34.
II
ethnographiques coloniaux. Il jetait par la même occasion
les bases d'une nouvelle école scientifique (notamment
historique) africaine. Pendant longtemps, sa démarche
intellectuelle courageuse et ses découvertes sciel1tifiqlles
furent acclleillies avec incrédulité par beaucoup de ses
compatriotes africains et aussitôt assimilées à un racisme à
rebours par les non-Africains, les Européens en particulier.
Il faut dire qlle pour ces derniers, les conséquences de
l'irruption des idées de Cl1eil<h Al1ta Diop dans le débat
historique mondial étaient à terme un cl1angement de la
position du Nègre sur l' échiqllier culturel (et donc
politique) planétaire. En effet, la vérité gênante était que le
Nègre à qui on déniait toute civilisation, était celui-là
même qui el1 fut le premier dépositaire de 1'11ulnanité
avant de la transmettre aux autres peuples et notamment
aux Grecs, ancêtres culturels de ses fllturs bourreaux de
l'aventure esclavagiste et coloniale. Et cette vérité avait
comme corollaire la destruction des dogmes politico-
religieux sur lesquels reposaient jllsqu'alors la don1ination
de l'Afrique et l'asservissement du Monde noir par
l' Occidel1t.
12
apportées au débat par la plupart des africanistes et
certains intellectllels africains chez qui l'aliénation
résistait alors à 11'illlporte quel antidote.
2
Ce sont souvent les idées sin1ples qui paraissent les l'nains évidentes.
13
cette unité historique et culturelle de l'Afrique, le savant
noir allait tout naturellement poser, avec la plus grande
lucidité, les fondements mêmes de l'avenir politique
incontournable des nations nègres contemporaines: l'unité
politique de l'Afrique noire sous forme d'un État fédéral
avec la nécessité d'adopter une langue négro-africaine
comme langue panafricaine de gouvernement et de
communication, et l'unité du Monde noir par-delà les
conséquences de la Traite des Noirs. L'antériorité des
civilisations nègres constitue également un autre grand
thème issu des travaux scientifiques de Cheikh Anta Diop.
Ce thème est lié à celui de l'origine Ilègre de l'humanité
qu'il soutint courageuseme11t à l'époque, contre vents et
marées. Aujourd'hui, d'une part la génétique est venue
confirmer les données paléoanthropologiques qui avaient
permis de placer le berceau de I'humanité en Afrique noire
(et donc le peuplen1ent de l'Égypte a11tique ne pouvait être
que le fait des Noirs), et d'autre part, le développement de
l'égyptologie mondiale, plus particulièrement les travaux
de l'école africaine d'égyptologie, permettent de
confirmer, une fois de plus, que c'est dans la Vallée du Nil
qu'apparurent les premières et les plus brillantes
civilisations de l'humanité à l'époque antique. Les Grecs à
qui les études hellénistiques avaient attribué à tort la
première civilisation consciente d'elle-même, étaient en
fin de compte allés puiser tous les éléments de celle-ci en
Égypte antique, sur la terre des pharaons, c'est-à-dire chez
les Noirs de l' Arltiquité.
14
situer le débllt à la mise à sac de Tl1èbes par les Assyriens
en 663, suivie de la conquête de l'Égypte par Cambyse II
en 525 avant notre ère, et la fin à la défaite de l'empereur
Samory Touré (1837-1900) contre l'envahisseur européen
en 1898. Dans la première moitié du XXè siècle, le
mouveme11t de Re-naissance Africai11e, qui avait Vllle jour
dans la Diaspora Africail1e, atteignait sa pleine mesure
sous la bannière du Panafricanisme. La restauration de
l'histoire et la culture authentiques des Noirs s'inscrit be]
et bien dans la Inêlne perspective que ce mouvemel1t de
Re-naissance du Monde 110ir. La restitution sciel1tifique
des expériences historiqlles vécues par les Noirs, le
caractère scientifiqlleme11t opérationnel du cOl1cept d'
«antiquité négro-égyptie11ne» et le fondeme11t clllturel de
toute émancipation politique, toutes ces nouvelles dOl1nées
apportées par les travaux de Cheil(h Anta Diop,
constituent la contribution décisive (011peut dire que ces
travaux étaie11t en quelque sorte les pièces fondame11tales
manquantes du puzzle) à ce cOll1bat pour la Re-naissance
Africaine.
15
religieuses par exemple, fut le point de convergence de
toutes les élites européel1nes et le repère de toute
entreprise intellectuelle et scientifique. Pour étudier
Aristote Olt faire œuvre scientifique, il fallait se référer
obligatoiremel1t à la Bible et aux nombreux dogl11es
chrétiens. S'écarter de cette façon de procéder revenait à
s'exposer au sort que l'lnquisitiol1 réserva au savant italien
Galilée (1564-1642). Le mouvel11el1t de la Re-naissal1ce
Européenl1e va ron1pre brutalement avec cette période de
domination intellectuelle~ Inorale et sociale de l'Église
romaine en renouant avec les SOllrces 11011chrétiennes de
I'histoire et de la culture des peuples européens que sont
les Antiquités grecques et latines. Cette démarche se fera
d'abord dans le domaine des arts et de la littérature, puis
s'étendra à la philosophie, à l' arcl1itectllre, à la science, à
la politique, etc.
16
conditions indiscutables d'une renaissance religiellse,
scientifique, politique et économique du continent noir. La
Re-naissance Africaine, parce qu'elle sera avant tout une
révolution culturelle, va d'abord contrebalancer la
domination politique, économique, religieuse et
intellectuelle que l'impérialisme exerce sur l'Afrique, ptlÏs
permettra l'éradication de l'obscurantisme dans lequel
certains tentent de maintenir les sociétés africaines sous
des dehors d'ouverture à la culture mOlldiale. La Re-
naissance Africaine est donc un projet multidimensionnel
qui vise à la résurrection intégrale de l'homl11e Africail1.
]7
Dura11t sa solitude, le 11asard a voulu qu'il
rencontre celui qui n'était encore qu'un étudiant,
Théophile Obenga, et qui deviendra plus tard son ami, son
collaborateur et son disciple le plus célèbre. Théophile
Obenga n'était pas stricto sensu l'élève de Cheikh Anta
Diop puisque ce dernier n'enseignait pas à l'époque, et
n'avait pas d'équipe autour de lui. En fait, Théophile
Obenga~ après avoir lu, C0111111e tant d'autres étudiants, les
ouvrages de Cl1eil(h A11ta Diop, fut acquis à la
problématique posée par l'illustre cl1ercheur de l'IF AN
(Institut Fondame11tal d'Afrique Noire) de Dal(ar. Il
entama ses recherches dans ce sens et entra en contact
avec Cheikl1 Anta Diop. C'est à partir de ce moment qu'il
bénéficia des encouragements et des conseils de celui
qu' 011 appelait déjà le Maître. À eux deux, ils allaient
former la paire de savants la plus performante et la plus
crédible sur le plan de la rechercl1e africaine el1 sciences
humaines. D'autres chercl1eurs en Afrique et da11s la
Diaspora viendront grossir leur rang et contribuer à la
restauratiol1 de la tradition scientifique africaine et donc à
la Re-11aissance Africaine sur la base des travaux de
Cheikh Anta Diop. Théophile Obel1ga va prolonger et
approfondir un certain n0111bre d'idées et de concepts
méthodologiques esquissés par Cheikh Anta Diop et va en
parachever l'élaboration dans les domaines de la
linguistique et de la philosophie notamme11t. Avec ses
travaux sur l'espace bantu, T11éop11ile Obenga va aussi
c011tribuer~ par une n1éthodologie rigoureuse, à dél11011trer
la péren1ption et 1~inutilité des tecl1niques de rechercl1es
etl1nocentristes européen11es utilisées dans les étlldes
africaines. Depuis leur victoire C0111n1uneau colloque
égyptologique du Caire en 1974, le 110m de Tl1éophile
Obenga restera à jamais attaché à celui de Cheil<h Anta
Diop, de la même façon qu'on ne pourra pas évoquer la
mémoire de ce dernier, sa solitllde des débuts, sans penser
18
inéluctablel11ent à celui qui eut ce cOllrage extraordinaire
de défendre son œuvre (pendant que d'autres Africains
osaient à peine prononcer le 110111de Cheil<h Anta Diop)
avant de devenir son disciple. L'expérience intellectuelle
que ces deux Africains proposent à leur communauté est à
la base même de la solidité de leur école scientifique.
Celle-ci est l'une des rares, sinon la seule, à démontrer
d'une part la possibilité d'une i11dépendance scientifique
du Monde noir vis-à-vis des paternalislnes et
impérialismes de tous genres, et d'autre part la capacité
des Noirs à prendre eux-l11êmes en main leurs destinées
scientifique et culturelle.
19
et intellectuelle des Noirs. Et e11fin~ il nous a semblé
important de poser le problèn1e des responsabilités
africaines face à cette voie de libération définitive du
colonialisme et du néo-colonialislne que propose11t ces
deux illustres compatriotes Africains.
20
Prelnière Partie
C11eil<11A11ta Diop,
Les.fàndements écono111iques et culturels
d'un État.fedéral d'Afi;oique noire,
Présence Africai11e, Paris, 2è éd., 1974, p. 28.
Théophile Obenga,
L '4f;;oiquedans l'Antiquité. Égypte pharaonique - Af;;oique
nOIre,
Présence Africaine, Paris, 1973, p. 448.
I
DES GENERATIONS SPONTANEES
I-Première génération
23
il eks'tresté tel. Le nègre représente l 'h0111111enaturel dans
toute sa harbarie et son absence de discipline.»3
~
Hegel, Lu raison dans l 'histoire, éditions 10/ 18, Paris~ 1979, p. 25 1.
Il faut noter au passage que certains intellectuels africains se
n
défi ni sse n t co lYllTIe des" he gel iens !
4
Hegel, op. cit., p. 269.
:' Hegel, op. cit., p. 247.
24
«Nègre - Dans l'espèce nègre, le cerveau est /110ins
développé que dans l'espèce blanche, les circonvolutions
5;ont lnoins jJro.fÔndes et les nel~fs'qui én'lanent de ce centre
pour se répandre dans les organes des sens sont heaucoup
plus volu111ineux. De là un degré de pel~fectionnement bien
plus prononcé dans les organes, de sorte que ceux-ci
paraissent avoir en plus ce que l'intelligence possède en
n10ins. En e.ffet les nègres ont l 'oule, la vue, l'odorat, le
goût elle toucher hienplus déveloj)pésque les Blancs (...).
Dans les danses, on les voit agiler el la .f'ois toutes les
parties du corps,' ils y tréjJignent (i 'allégresse et s y
/110ntrent i'1f'atigables. Ils distinguent un hon1n1e, un
vaisseau el des distances où les Européens peuvent elpeine
les apercevoir avec une lunette d'approche. Ils .flairent de
très loin un serpent et suivent souvent el la piste les
animaux qu'ils chassent. Le bruit le plus faible n'échajJpe
point à leur oreille aussi les nègres /11arrOns ou .fugit?f~'
"
savent très hien découvrir de loin et entendre les Blancs
qui les poursuivent. Leur tact est d'une subtilité étonnante,
/11ais parce qu'ils sentent beaucou}), ils r~fléchissent jJeu :
lout entier el leur sensuLllité, ils s J,' abandonnent avec une
e.~pèce de .fureur. La crainte des J)lus cruels, de la /110rt
/1'lên1e, ne les e111pêche jJas (ie se livrer el leurs jJassions.
Sous le fÔuet J11ên1ede leur 111aÎtre, le son du Tan1- Tan1, le
hruit de quelque n1auvaise nFusique les .fclit tressaillir (le
volupté (...). Tout en proie aux senk\'ations actuelles, le
passé et l'avenir ne sont rien el leurs yeux aussi leurs
"
chagrins sont-ils passagers ils s'accoutun'lent el leur
"
/11isère, quelque L?ffi/'eusequ'elle soit (...j. C'est en vain
que quelques philLlnthropes ont essayé de prouver que
l'e.spèce nègre est aussi intelligente que l'e.spèce hlanche
(...). Mais cette supériorité intellectuelle, qui selon nous ne
peut être révoquée en doute" donne-t-elle aux Blanc5; le
droit de réduire en esclavage la race iy?/erieure. Non,
Inille .fois non. Si les Nègres se rapprochent de certaines
25
espèces anÙnales par leurs ,j'or/11eSanato/11iques, par leurs
instincts grossiers, ils en d?ffèrent et se rapprochent des
hommes blancs sous d'autres rapjJorts dont nous venons
de tenir C0/11pte. Ils sont doués de la _parole, et par la
parole nou.s' pouvons nouer avec eux des relations
intellectuelles et /110rales, nous jJouvons essayer de les
., , 6
e' Iever.lusqu a nous.))
26
degrés divers, dal1s la COl1sciel1ceoccidentale, cette image
du Nègre dépourvu de raison, sauvage, inapte à toute
production cllltllrelle digne de ce nom. Et ce fllt tOlIt
naturellement que l'éducation coloniale s'évertuera à
marteler dans l'esprit des colonisés, et des Noirs en
général, ces «vérités évidentes», véritables ersatz d'une
prophétie des temps anciens. Et c'est justement un Noir,
Léopold Sédar Senghor, gui va le 111ieuxtraduire cet état
des choses dans Ul1 vers célèbre classé depuis lors au
panthéon de la littérature de soumission à l'idéologie
coloniale et néo-coloniale : «L 'én1otion est nègre et lu
raison est hellène.»
27
mentalité prélogique qui ne le prédisposait ni à la raison~
ni à la création d~une quelcollque civilisation, et ce faisant~
l'amélioration de son sort ne pouvait venir que de sa
rencontre avec les hommes blancs~ mais seulement après
avoir au préalable été contraint de sauver son âme en se
convertissant à la religion cololliale. Le verdict de la
consciellce européenlle façoIlnée par tant de préj ugés
racistes était sans appel et devait ainsi gltider la vision du
monde. QUicollque osait s'écarter de la «vérité officielle»
et de ces «évidences admises par tous» pour restituer aux
Noirs leur culture et leur histoire authelltiques, était
purement et simplement livré à la vÏ1ldicte académique
avant de subir le supplice du bannissement. C'est dans
tous ces préjugés racistes et ce terrorisme intellectuel de
tradition qu'il faut chercher les fondements de l' essellce de
l'africanisme dll XXè siècle. Théophile Obellga précise
Inême que «c'est dans I '().~uvre de Lucien Lév)J-Bruhl
(J 857-1939) que naÎt réelle111ent l'épisté1110logie des
4fj;oicanistes, prqfèssionnels ou d'occasion» 9.
<)
Théophile Obenga, «Les derniers rein parts de l'africanisllle», in
Revue Présence Afi.icaine, n0157, Paris, 1er selnestre 1998, pp. 47-65.
28
Io.
africaines Mais ces évocatiolls et cette prise de
conscience s'étaient estompées aussi vite qu'elles avaiellt
été émises~ ceci peut-être à cause du caractère intuitif et
éphémère de leur énollciation ou d'une argumentation
scientifique insuffisallte. La répression raciale un peu
partout dans le Inonde et l'illlplacable dOlnÎ1lation
culturelle coloniale~ avaiellt aussi filli de dissuader les
bonlles VOIOlltés de se lallcer dans de telles voies de
recherches pour la réhabilitation de l'homme noir.
29
gou-mack»). Il fréquentera ensuite l'école prin1aire
régionale française à Diourbel. Après l'obtention de son
certificat d'études primaires en 1937, il va poursuivre ses
études secondaires à Dakar au lycée Van V ollenhoven
puis au lycée Faidherbe de Saint-Lollis. En 1945, il obtie11t
ses baccalauréats séries mathélnatique et p11ilosop11ieIl .
Puis, au cours de l'année 1946, il m011te à Paris pour
entreprendre des études supérieures. Arrivé en Fral1ce avec
la fern1e intentio11 de deve11ir ingénieur c011seil en
aéronautique, les circo11stances l'obligeront à faire
d'autres cl10ix qui lllÎ d011neront ce destin exceptionnel.
Il
La volonté de Cheikh A. Diop de réhabiliter l~Atl'ique fut précoce:
((
Durant ces années passées au lycée, il élahore un alphahet conçu
pour transcrire toute langue afi"icaine et il entreprend égale171ent la
rédaction el'une histoire du Sénégal. Dans cette 111ê11U! période
apparaissent ses prel11ières r~flexions qui plus tard déboucheront sllr
son prqjel de renaissance culturelle et ci'indépendance politique de
l'Afil'ique noire. fi se destine néan/110ins à un 111étier scientifique
appréhendé C0l1l111e un devoir de découverte et d'invention vis-à-vis de
l 'hulnanité.)) (Cheikh M Backé Diop et Mariétou Diongue, «Cheikh
~
30
Cheikh Anta Diop. C'est là une contribution majeure à
l'émancipation des peuples noirs.
12
Voir l'article de Théophile Obenga «Méthode et conception
historiques de Cheikh Anta Diop», in Revue Présence A.fi~icaine, n074,
2è trÏ111estre 1970, pp. 3-28.
31
aux jeunes Européens ainsi qu'aux Africains qui
complétaient de cette façon leurs connaissances
historiques qui avaient pour point de départ l'assimilation
des aventures de lellrs "ancêtres gaulois" . Avec et après
Cheikh Anta Diop, la supercherie s'arrête. Les Africains
peuvent désormais, grâce au fil C011ducteur qui les rall1.ène
à leurs ancêtres les plus lointains, les Égypto-nubiens,
appréhender toute leur histoire dans sa totalité et sans
solution de continuité. L'Afrique n'est plus ce continent
frustre habité par des petites tribus anthropophages, elle
n'est plus une partie allistorique du monde comme le
voulait un certain Hegel. Les Africains Noirs ont un passé
comme tous les naturels des autres contrées du mOI1de, et
de ce fait, ils peuvent s'assumer comIne les autres. «A vec
C1heikh Anta Diop, écrit Théophile Obenga, le traitement
du passé C{fi;oicaine5/t rentré dans la voie sûre de la
. 13 .
E t «cette route k)'ure de Ia SCIence», «cette
A
SCIence.»
route royale», Cheil<h Anta Diop «se l'est créée lui-n1ên1e
(...) au 711ilieu de tant d'obstacles et de pr~jugés
. 14
et h nograp h Iques» .
32
maximum les effets de ses travaux considérés comme
dangereux et remettant en cause la domination culturelle,
donc politiq11e et économique des Blancs sur les Noirs.
Faire le vide autour de Cheikh Anta Diop signifiait dans
l'esprit des Européens, éviter la propagation de ses idées
vers d'autres Africains, et en même temps, mettre en avant
des personnalités ou chercheurs africains plus conciliants,
plus dociles, et dont l' infantilislne et la naïveté étaient
salués com111e un signe d'ouverture à l'esprit u11iverselle
qui, bien entendu, est fondé sur les valeurs de la culture
occidentale. C'est la grande qualité de ses travaux et son
autorité croissante dans le Inonde qui pern1ettront à Cheikh
Anta Diop de briser le mur du silence qui avait été érigé
autour de lui.
historiques~ et que d' autre part~ iI ait réuss i à fonder une éco le
scientifique capable de rivaliser avec eux (voir chapitre VI).
33
organisé par le ("entre d'Action Culturel de la
Guadeloupe dont j'étais le Directeur, je ne pouvais
imaginer le retentisse/rzent qu'aurait eu dans les
consciences une telle initiative. L 'i111pactJut tel que la
plupart des Guadeloupéens furent .fclscinés par l'érudition
du savant, par la hardiesse intellectuelle de l'idéologue et
par la grandeur d'â111e et la sÏ111plicité de l 'homme. Du
coup, les librairies ne purent .faire .face à la demande
concernant les œuvres de C,"heikhAnta Diop et une .fierté
nouvelle se levait dans la conscience de n0111hreux
16
G ua d e Ioupeens.»
" '
16
Ernest Pépin, in Le Mois de l 'A.fi~ique, publication du Cercle d'Étude
Cheikh Anta Diop, 9 janvier-1 0 février 1991, p. 8.
17
Théophile Obenga, Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.,
p. 12.
34
son exposé. Les ~faits, les ch~ffres, les lieux, les époques
sortaient de sa bouche C0111111e d'un livre ouvert. Je sentais
ton émotion à travers une imperceptible palpitation de tes
narines. Je voyais alors s'allumer dans tes yeux la brève
lueur d'une élnotion venue des pro.fondeurs de ton être. Tu
111eregardais en hochant la tête d'un air qffirlnat?f'
Souviens-toi. La soirée avait c01111nencé par un 1110t
d'introduction de Théophile ()benga, présentant l'illustre
visiteur avec heaucoup de d~rérence et en mê111ete111ps
d'affection. L'année suivante, en 1983, Cheikh Anta Diop
allait .fêter son 60è anniversaire, et toi, ton 20è
anniversaire. Depuis tu (lS eu ton Bac et tu es entré à
l'université, tu lne cOl1fiais, il y a 2 ans que ta vocation
scient[fique
, ,
t'est venue ce ] soir-là. en 1982, après avoir
( . . 8
ecoute 'th el kh A nta D lOp.))
35
Cheikh Anta Diop qll'ils allaient conslllter à Dal(ar avant
d'entreprendre leurs séjours de rec11erches en Égypte.
36
Cheikh Anta Diop avait aussi été élu en 1976
membre du Bureau de l'Union International des Sciences
Préhistoriques et Protohistoriques (UISPP).
3-Deuxième génération
19
Lilyan Kesteloot, Anthologie négro-a./ÎAicaine. La littérature de J9 J8
à J98 J, Marabout, Alleur, 1987, p. 428.
37
désert, nous n'avons eu qu'un C0l11pagnon, Théophile
Obenga, il.l'aut le dire. ))20
38
africaines. Ces ul1iversitaires européens terrorisaient
intellectuellement les jeunes étudiants africains~ et leurs
menaces avaient Inêlne souvent des répercussions sociales
grâce à la complicité obligée des pouvoirs néo-colo11iaux
en place. À l~occasion de l~organisation d'un colloque sur
quelques questions essentielles pour l'Afrique noire,
Alioune Diop, alors Secrétaire Gé11éral de la SAC (Société
Africaine de Culture), reçut de la part de l'africaniste Jean
Devisse, qui enseignait 1'11istoire à l'Université de Dal(ar,
la lettre slÜvante :
39
ceux que je peux connaître sur ce point - à extrapoler les
quelques exelnples déjà acquis pour conduire à je ne sais
quel sché7na abstrait.
("ette n1éthode de l'abstraction à tout prix en vue
d'aboutir à des .systèmes satisfaisants pour l'esprit mais
radicalen1ent inexacts sur le plan historique a conduit à
des quantités de déboires les historiens occidentaux du
XIXè siècle. Peut-être .faudrait-il éviter d'in1iter l'Euroj)e
sur ce point.
Je crois que l 'histoire des états de conscience, qui
est certe.,' extrên1en1ent i711portante et intéressante, est la
plus difficile à jaire et que c'est celle qui doit COllronner
toutes les reclzerclzes sérieusement entreprises sur tous
les autres plans. Je me permets donc {le vous dire mon
scepticisme en ce qlli concerne les résultats scientifiques
que vous pourrez obtenir sur ce point. S'il s'agit
simplen1ent de se gargariser de quelque .formule clgréahle,
la chose n'a aucun intérêt historique, je vous le dis avec
heaucoup de netteté et la .fi/fanchise brutale que j'adopte
dans toutes nIes relations avec nIes étudiants et an1is
aji/ficains.
2. L 'enseignen1ent de l 'histoire et l 'i711pérat?j'de la
conscience nationale.
3. L 'enseigne711ent de I 'histoire et les aspirations à
l'unité qf;/ficaine.
40
particulier au résultat que vous énoncez. Mais cela ne doit
s'accompagner en aucun cas d'une insertion de l 'histoire
dans un programn1e d'instruction civique. Il y a là une
tendance à quoi tant de régin1es ont cédé pour le plus
grand dommage du dialogue historique international que
je ne peux rester ind?fférent à un tel danger. Peut-être
d'ailleurs ai-je une n1auvaise con1préhension de vos
intentions. S'il en est ainsi, je n1'en excuse.
41
souhaitable des problèmes aussi cruciaux que ceux de
l'Afrique avec le monde. » (Les passages en gras sont de
Jean Devisse)22.
22
Lettre de Jean Devisse à Alioune Diop~ citée par Bougoul Badji, Les
e'?fants de C'han? Les A//"icains Noirs sont-ils Inal/dits :) Silex /
Nouvelles du Sud, Paris / Dakar, 1997, pp. 16-18.
n
Extrait de la Préface de l'ouvrage de Théophile Obenga l'A//tfique
dans l'Antiquité, Présence Africaine, Paris~ 1973.
42
Africains. Écout011S encore Cheik.h Anta Diop: «(...J les
conditions d'un vrai dialogue scient?fique n'existent pas
encore dans le domaine si délicat des sciences hUl11aines,
entre l'Afi;tique et l'Europe. En attendant, les spécialistes
africains doivent prendre des 111eSUresconservatoires. Il
s'agit d'être apte à découvrir une vérité scient~fique par
ses propres moyens, en se passant de l'approbation
d'autrui, de savoir conserver ainsi son autonol11ie
intellectuelle jusqu'à ce que les idéologues qui se couvrent
du manteau de la science se rendent compte que l'ère de
la supercherie, de l'escroquerie intellectuelle est
d~finitivel11ent révolue, qu'une page est tournée dans
I 'histoire des rapports intellectuels entre les peuples et
qu'ils sont condal11nés à une discussion scient?fique
sérieuse, non escal110tée dès le déjJart. ()benga a c0l11pris
que la c0l11pétence devient la vertu suprêlne de l'Afj;ticain
. ., 24
quz veut d esa
' I zener son peup Ie.))
43
d'autres méthodes d'investigations scientifiques au moins
comparables à celles de Cheikh AI1ta Diop complétées et
approfondies par Théophile Obenga. AlI contraire, lellr
attitude s'est soldée par Ul1 paradoxe navrant qui n'était
autre que la signature de ce complexe d'infériorité bien
développé chez les Noirs colonisés (y compris l'élite des
diplômés). Ce paradoxe cOl1sistait à refuser la tutelle
intellectuelle de Cheil(h Al1ta Diop pour accepter sans
ambiguïté celle des Inaîtres européel1s, qui comIne on le
sait, avait toujours été (et le restera d'ailleurs) stérilisante
pour la capacité africaine de création et d'inventio11.
Nombre de ces diplômés n'ont pas pu comprel1dre (ou ne
l'ont pas voulu) que' 'tutelle intellectuelle" ne signifiait
guère" suivisme". Du reste, il suffit de voir les travaux et
la contribution scientifique de Théophile Obel1ga pour se
cOl1vail1cre qu'il fut loin d'être Ul1adepte du "suivisme".
S'il souligne bien le fait que le professeur Clleikh Anta
Diop lui a appris à «s'affijOanchir très tôt sur le plan
intellectuel et scient[fique,
,
en visant à l'autonon1ie de la
r . 2~
pensee, par- d e la Ies recettes seo Iazres)) -, c'est en 'I
44
Africaine sont tels, que l'on peut af11rmer, avec très peu de
chance de se tromper, qu'il n'y aura plus besoi11 de
nouvelles générations spontanées pour développer
scientifiquen1ent toutes ces vérités tant connues dans le
passé, puis enfouies sous un monceau idéologique de
mensonges d'où les a tirées Cheikh Anta Diop.
45
beaucoup d'Africai11s restés sceptiqtleS avaient fait
l'économie, lui permit de se rendre compte du scandale
scientifique organisé autour de l' œuvre du savant africain
par tous ces soi -disant savants européens qui le
critiquaient de façon acerbe, voire même haineuse, alors
que la gra11de majorité d'entre eux~ dans leur for intérieur,
connaissaient la vérité des choses.
26
C'est ce qui lui pennettra d'écrire plus tard son article «Doculnents
ilnprilnés arabes, source de l'histoire africaine» in ,1fiAiea Za/71ani,
revue d'histoire afi'"ieaine, revielV (~f Cf/j-iean histu/J), n04, Yaoundé,
juillet 1974, pp. 3-51.
46
l'Histoire de l'Afrique organisé par l'UNESCO. Il avait
alors 33 ans et Cheikh Anta Diop 46. Un courant de
sympathie réciproque s'instaura aussitôt entre les deux
hommes et celui qu'on appelait déjà le ~~pharaon dll
savoir" invita son jeune admirateur à suivre les débats. À
l'occasion de cette première renCo11tre, Théophile Obenga
lui présenta son travail du Inon1ent qui deviendra plus tard
son premier ollvrage L 'Ajj;<iquedans l'Antiquité27. Cheik.h
Anta Diop l' encollragea et accéda à sa demande de lui
promettre la rédaction de la préface. Ce premier contact
direct e11treCheikh Anta Diop et Théophile Obenga sera le
point de départ d'u11e des collaborations scientifiques les
plus fructueuses pour l'Afrique contemporaine.
47
()benga n 'a pas eu, n1algré les précisions contenues dans
le docu111ent de travail préparatoire envoyé par
I 'UNES(~() (voir Annexe 3), une contrepartie toujours
égale. Il s'en est suivi un réel déséquilibre dans les
discussions.»29 En d'autres terlnes, contre toute attente, ce
furent les thèses des savants noirs qui l' empolièrent sur
celles des autres savants présents.
29
Actes du colloque du Caire, op. cit., p. 101.
JO
Voir Cheikh Anta Diop, A lerte sous les tropiques, Présence
Africaine, Paris, 1990. Pour le rôle élninent joué par Cheikh Anta
Diop au sein des Inouvelnents d'étudiants africains en France, on
consultera avec beaucoup d'intérêts l'ouvrage Le rÔle des J7]ouvelnenls
d'étudiants qfi"icains dans l'évolulion politique et sociale de f'AfiAique
de 1900 à 1975, UN ESCO / L' Hannattan, Paris, 1993.
JI
La F.E.A.N.F., créée en 1950 à Paris, Inilitait à l'époque pour
l'indépendance et l'Unité Africaine. Son activisme finira par inquiéter
le gouvernelnent français qui décida de la dissoudre par décret le 5
Inai 1980.
48
suite de Robert Dossou. Il n1ilita également dans
l'Association des Étudiants Congolais qui était une sous-
section de la F .E.A.N.F.
31
Cheikh Anta Diop décida de créer des partis d'opposition au
gouvernelnent de Senghor, car il estilnait que celui-ci - et c'est vrai -
ne défendait pas les intérêts de l'Afrique. Ses deux prelniers partis, le
Bloc des Masses Sénégalaises (B.M.S.) et le Front National
Sénégalais (F.N.S.), créés successivelnent au début des années
soixante, furent dissouts. Son troisièn1e parti, le Rasselnblelnent
National Délnocratique (R.N.D.), après des délnêlés judiciaires avec
Senghor, fut légalisé sous la présidence d'Abdou Diouf.
Théophile Obenga sera Ministre des Affaires Étrangères dans le
gouvernelnent du Président Marien Ngouabi qui, à l'époque, était très
populaire en Afrique parce qu'il défendait les intérêts des Africains.
Théophile Obenga qui n'était pas n1elnbre de son parti, avait fait sa
connaissance en 1970 et avait une grande estilne pour lui. II a
d'ailleurs écrit la biographie de ce grand hOlnlne d'État att'icain
assassiné en 1977 : La vie de Marien Ngollabi 1938-1977, Présence
Africaine, Paris, 1977. Théophile Obenga occupera égalelnent des
portefeuilles Ininistériels pendant la présidence de Pascal Lissouba.
49
culturelle étrangère33, les deux 110mmes ont réussi avec
bonheur à s' affral1c11ir mentalement de cet environl1en1ent
pour produire des œuvres révolutionnaires. Il faut aussi
souligner que grâce à la forte personnalité collective de
leurs peuples, ils avaient pu préserver beaucoup, sinon
l'essentieL de leurs patrimoines culturels wolof et lnbochi.
Ainsi, maitrisant parfaitement leurs langues materl1elles34,
et parlant d'autres langues africaines, ils ont pu restituer
I'histoire culturelle de leurs commllnautés respectives et
en même temps entamer leur projet culturel cOl1tinental.
Cette cOl1naissance multidime11sionnelle de plusieurs
peuples africains, ainsi que les 11écessités politiqlles du
moment, les ont amenés très tôt à défendre aisément l'idée
de l'unité culturelle de l'Afrique comme fondemel1t de SOl1
unité politiqlle35, et à proposer aux peuples d'Afrique un
destin contine11tal, garant d'une indépendance concrète.
50
II
SCIENCE ET COMPETENCES
AU SERVICE DE L'AFRIQUE
5J
Sonchès (professeur du grec Pythagore de Samos), etc., en
passant par les savants Ahmed Baba, Mohamed
Bagayogo, les savants dogons, les savants de Zimbabwe,
etc. - les Noirs, comme d'autres peuples, se sont
pleinel11ent investis dans la pratique et le développement
de la science notamment dans les hauts lieux africains de
la recherche scientifiqlle que furel1t les Per-ankh (111aisol1s
de vie), les universités de Tombouctou (dont la plus
célèbre fut celle de Sankoré), de Gao, de Djénné, de Kong,
les écoles astronomiques dogons, l'école de Guédé dans le
'1(-,
Baol, etc.-'
52
résultats et de réussite. C'est ail1si qu'en plus de sa
formation en sciel1ces physiques, Cheikh A11ta Diop
s'astreint à des formations cohérentes el1 égyptologie, en
préhistoire, en philosophie, en histoire, en anthropologie,
en linguistique auprès d'émi11el1ts professeurs tels que
Gaston Bachelard, André Aymard, André Leroi-Gourhan,
Marcel Griaule, Frédéric Joliot-Cllrie. Contrairement à
certains Africains qui le font par prestige, Cheikh Anta
Diop suit toutes ces formations par nécessité, de façon à
pouvoir étayer solidement les idées avancées dans ses
travaux.
53
Finalement~ le 9 janvier 1960~ dans la salle Louis Liard de
la Sorbo11ne, deva11t un im111ense public, CheikJ1 Anta
Diop soutient de"ux nouvelles
, t11èses en vue de l'obtention
18
du grade de doctellf d'Etat ès lettres-' .
- Théophile Obenga
54
Leclant en égyptologie, Rodolpl1e Kasser en Copte et
Lionel Balout en paléontologie humaine. Comme Cheikh
Anta Diop, il a donc été formé dans les plus grandes
sphères académiques occidentales du savoir. Comme lui, il
a été enseigné par quelques grands maîtres de la place.
Comme lui, il terlnine sa formation par l' obtentio11 du
grade de docteur d'État ès lettres (Université de
Montpellier).
39
Cheikh Anta Diop, entretien accordé à la revue La vie (!/it'icaine,
n06, Inars-avril, 1960, pp. 10-11.
55
à des postes d'enseignants dans leurs propres pays
dépendait du bon vouloir des puissances coloniales. Tant
et si bien que sur les fermes recon1mandations de certains
professeurs de l'État français, Cheil(h Anta Diop se verra
interdire l'accès à l'Université de Dal(ar où il avait
postulé. Léopold Sédar Seng110r alors Président tout
puissant du Sénégal, allait veiller personnellement, durant
tout son règne~ all respect et à l'application de cette
décision grave édictée par ses maîtres et dont les
conséquences pour l'Afrique furent considérables:
mauvaise orientation des jeunes dans la recherche,
persistance de la donlination étrangère dans
l'e11seignement africain, des générations entières privées
de la connaissance de la véritable histoire africaine,
persistance de l'inconsistance de la cOJ1science historique
africaine, etc. Ainsi donc, malgré tous ses diplômes,
Cheikh Anta Diop sera nOlllmé, le 1er octobre 1960,
simple assistant de recherche attaché à l'IF AN (I11stitut
Fondamental d'Afrique Noire).
56
- de réunir dans ses musées., ses archives et sa
bibliothèque les collections scie11tifiques et la
documentation nécessaires à la connaissance et à l'étude
des questions intéressant l'Afrique noire;
- de participer à l'application des règleme11ts
concernant le classement des m011uments historiques, les
fouilles, l'exploitation des objets ethnographiques ou d'art
africain, la protection des sites naturels., de la faune et de
la flore;
- de collaborer à r orga11isatio11de colloques et de
congrès internationaux et à l'établissement d'une
coopération et d'échanges avec les Î11stituts nationaux ou
internationaux similaires ~
- de participer à la ren.aissance culturelle de
l'Afrique et à l'africanisation des programmes
d"enseignemerlt, notamment en diffusant par tous les
moyens, Ies resu ' Itats de ses etu
' des.» 40
40
IF AN, «Spécial Cheikh Anta Diop», in Notes AfÎ;<icaines, n° 192,
Dakar, aoÜt 1996.
57
des ,fàihles ,radioactivités. devant regrouper à ter/ne
. . 41
d ~r;erentes
ff"
n1eth 0 d es d e datatlOn)) .
41
Cheikh M'Backé Diop et Mariétou Diongue, «Cheikh Anta Diop,
jalons biographiques». in Théophile Obenga, C"heikh Anta Diop
Volney et le Sphinx, Présence Africaine / I(hepera, Paris, 1996, p. 454.
Aujourd'hui un autre laboratoire de datation par Carbone 14 existe à
N iall1ey au Niger.
58
également faire «l'étude de la dernière période hU111idedu
~Sahara» 42.
59
l'humanité fondé sur le respect mutuel de chaque peuple
qlli intéressait le plus Cheikh Anta Diop.
60
Diop dans ce laboratoire. Sentiment que partage en
d'autres termes Jacques Labeyrie, Directeur du Centre des
Faibles Radioactivités au CNRS à Paris: «('fheikh Anta
Diop le dirigea (le Laboratoire de radiocarbone de
l'Institut Fondalnental d'A.fjl'ique Noire, Université de
Dakar, aujourd'hui Université C1heikhAnta Diop) avec
. ,, . . 46
ta IentJusqu a sa mort i1y a troiS ans.»
61
renommée d'Ufl laboratoire ne se juge11t pas à la taille de
celui-ci, mais bien par ses résultats et la compétence de ses
chercheurs.
62
égypto-nubienne, la formation des peuples africains avec
identification des grands courants migratoires, l'utilisation
de la linguistique historique en tant que méthode nouvelle
d'investigation sur le terrain africain, identification du
moteur de 1'histoire dans les sociétés africaines
précoloniales, etc. Et tous les travaux de ses nombreux
continuateurs à travers le monde sont la preuve de la
permanence et de l'actualité de sa pensée et de son œuvre.
- Théophile Obenga
63
la recherche, le CICIBA, Ce11tre International des
Civilisations Bantu dont le siège se trouve à Libreville au
Gabon, en Afrique Centrale. Il y fut Directeur de la
recherche et en a assuré la Direction Générale jUSqll'à fin
juin 1991.
64
l'axe de recherche scientifique Vallée du Nil/Afrique
noire, son ouvrage L 'Afj~ique dans l'Antiquité, a
approfondi la connaissance de la réalité de la pare11té
sociale et intime entre l'Afrique contemporaine et celle du
temps des pharao11s. Ce livre «d'une valeur singulièrelnent
remarquahle» comme l'écrit Gattore-Oswald, «nous a
.fourni des instrUl11ents n1éthodologiques qui nous ont
permis de comprendre ICIportée et la sign?fication de la
logique de l 'histoire ajj~icaine»5o. Théophile Obe11ga a
égaleme11t contribué de façon décisive à l'émergence de la
linguistique historique africai11e e11ta11t que science à part
entière. Il est d' aillellrs l'auteur du prernier traité de cette
nouvelle discipline51 qui marque aussi un tournant décisif
dans les études linguistiqlles africaines. En philosop11ie, il
a permis d'asseoir définitivement le concept Inêlne de
«philosophie africai11e» que Cheikh Anta Diop avait déjà
abordé dans son ouvrage ('ivilisation ou Barbarie, et que
beaucoup d'Africains n' osaie11t envisager52. En réalisant
une 110te de lecture pour l'ouvrage La philosophie
C!fi~icainede la période pharaonique de Théophile Obenga,
Jean Ziegler écrit:
65
contemporaine. l)On a111bition : rétablir la tradition
réflexive de l '~frique, dans l'e.space et le temps.»53 Et il
poursuit: ((Je voudrais dire l'actualité de la pensée
d '()benga, son i111portance capitale et Ùnmédiate pour la
réconciliation de la conscience collective, de l'identité et
de la tradition culturelle afi;<icainesnoires. »54
66
continent noir. Sa n1éthode n'est ni inductive ni déductive,
elle cOlnbine les deux clla.fois»57.
57
Gattore-Oswald, Op. cit.
58
Gattore-Oswald, Op. cit.
59
Gattore-Oswald, Op. cit.
60
Gattore-Oswald, Op. cit.
67
que «c'est pour cette raison qu'il vise el une Inéthodologie
nouvelle capable d'appréhender et de comparer
l'ensemble des sociétés C?fi;,icaines.Sa n1éthode historique
singularisante et généralisante constitue un véritable d~fi
aux critères occidentaux puren1ent ethnocentristes, nourris
pa;;, l'évolutionnisn;ze classique étroit, par le structuralisn1e
schén1atique et ahistorique et par le néo-évolutionnislne
actuel»61. Théophile Obenga recevra en 1982 le Prix
National de la Recherche pour ses travaux scientifiques.
61
Gattore-Oswald, op. cit.
68
possible le renouvellement des études africaines,
l'édification d'un corps de SCIences humaines, le
développement d'une école africaine d'histoire et
d'égyptologie, etc.
69
Deuxième partie
,
«Toutes sortes de ' 'réponses' C{fi;4icaines ont été
esquissées, pour vaincre le 111alheur, ICI dépossession, la
traulnatisation p.\ychologique et sociale, la tragédie, le
cri111e occidental contre I 'hu111anité en ~/rique. L'histoire
C!fjt<icainesaigne encore de cette énOr111eharbarie 1110derne
de l'Occident.))
l.héophile Obenga,
Le sens de la lutte contre l 'C{jjt<fcanis111eeurocentrfste,
Khepera / L'Harmattan, Paris, 2001, p. 89.
III
l-L'affaire Ramsès II
I
Martine Castello, «L'affaire RalTIsès II>>,in Science et Avenir, n0441,
novembre 1983, pp. 38-42. RalTIsès II, hOlTIlTIed'État africain, fils de
Séthi I, fut pharaon sous la XIXè dynastie négro-égyptienne. C'est
l'un des personnages les plus célèbres de I'histoire négro-africaine.
73
plus marquants du XXè siècle. La nature même de ce
scandale éclaire, en tout cas, sur la portée considérable de
l'œuvre de Cheil<hAnta Diop. De quoi s'agit-il?
74
genre nicotiana. Une diagnose supplémentaire est même
demandée en Al1gleterre au laboratoire du professeur
Metcalfe qui cOl1firrne à son tour les faits observés par
Lescot et Paris. Il n'y a plus de doute possible, cette plante
appartient bien à la famille des solanacées et au genre
nicotiana. C'est donc du tabac. Or, comme l'a souligné
Martine Castello, ce nicotiana «est originaire d'Alnérique
et n 'a été introduit en Europe qu'au XVIè siècle», et «ce
n'est qu'au XVIIè siècle qu'il .l'ait son apparition en
Égypte [l'Égypte Inoderne]»3.
:; ~
Martine Castello, «L Affaire RalTIsès Il>>, in Science et Avenir~ op.
cit.
75
On saisit déjà ici les enjeux qu'entraînerait la
découverte de la vérité sur les rapports entre RalTIsèsII et
le tabac retrouvé dans son estomac. Et Martine Castello de
se demander: «Qui a peur de Ran1sès II ?» À propos de
~
cette attitude pour le moins ~curiellse" ~ la journaliste
scientifique écrit:
4
Science et Avenir, op. cit.
76
Ramsès II~ c'est tOllt simplement parce que les Égyptiens
de l'Antiquité ont été la chercher là-bas eI1AI11érique.
77
Amérique précolombienne devenait un lieu commun pour
la communauté Ino11diale et plus particulièrement pour les
Africains~ il s'ensuivrait des c011séquences terribles pour
l'Occident. E11 effet~ da11s ce cas, l'aventurier Christophe
Colomb ne serait plus le premier à avoir été en Alnérique
(comme il est enseigné), et du même coup, les statues
négroïdes, le système hiéroglyphique, le procédé de
momification, la forme des pyramides de certaines
civilisations américaines précolo111biennes trouveraie11t
leurs explications).
:)
Pour écarter la lTIoindre possibilité d'une influence nègre dans le
développelTIent de ces civilisations précololTIbiennes, certains
idéologues n'hésiteront pas à attribuer la réalisation de celles-ci à
d'hypothétiques extraterrestres qui se seraient ensuite évaporés dans la
nature sans laisser de traces.
6
Ivan Van SeliilTIa, Ils y étaient avant C"hristophe C"olo/nb,
FlalTIlTIarion, Paris, 1981, p. 76. Cet ouvrage parut pour la prelYtière
fois en 1976 dans l'édition originale en langue anglaise.
78
De mêlne~ en 1976~ Ivan Van Sertima publiait son
livre dont le titre ne laissait aUCU11eplace à l'équivoque:
Ils y étaient avclnt Christophe ("ololnb 7. «Ils», c'est -à-dire
les Noirs de l'Égypte pharaonique et ceux de l'Afrique
précoloniale. Dans cet ouvrage relnarquable, il démontre,
~
79
l'An1érique.» Cette fameuse phrase symbolise la volonté
hégémonique d'un Occiderlt qui, par son processus de
colonisation, croit toujours décollvrir les autres pays en
déniant allX habitants de cellx-ci la capacité de faire la
démarche inverse. En outre., cette phrase montre bien le
caractère agressif de la prétendue ~~mission diviI1e" de
propagation violente de sa civilisatiol1 aux autres peuples
qui, évidemll1ent, sont considérés comme des sauvages.
80
l'autorisation de prélever 1 mm2 de la peau de Ramsès II~
afin de démontrer, par le test du dosage de la mélanine
dans l'épiderme, que ce pharaon était bien un Noir.
Pourquoi donc ce refus opposé à Cheikh Anta Diop si ce
n'est la peur de voir la vérité d'un Ramsès noir éclatée au
grap.d jour? Une vérité qui mettrait ainsi fin au mensonge
sur l'Égypte antique. On saisit ici, en tout cas~
l'importance considérable de la rupture opérée par les
travaux du savant africain.
9
Christiane Desroches-NoblecouI1, «La Illolnie de Ralnsès II livre ses
secrets», in Historia, hors série, n09612, pp. 96-99.
L'histoire de l'égyptologie occidentale est jalonnée de scandales
scientifiques du Inêlne genre que celui concernant Ralnsès II. On Iira
ainsi avec intérêt l'ouvrage du Pr Aboubacry Moussa LaIn L 'c?flàire
des J110111ies
royales. La vérité sur la Reine AhJ11ès-N~rertari.Khepera /
Présence Africaine, Paris, 2000.
81
Ramsès Il était «roux» et que les Égyptiens de l'Antiquité
étaient tous métissés ou encore qu'ils étaient identiques
aux habitants arabes de l'Égypte d'aujourd'hui...
10
Dieu de la lnythologie négro-africaine antique. À la fois frère et
époux d'Isis, il fut l'un des dieux noirs les plus vénérés de l'Antiquité
négro-égyptienne.
82
ethnocentrisme religiellx se retrouvait allssi chez les
adeptes de l'Islam pOlIr lesqllels toute la période
antéislamiqlle était considérée comme obscure, et devait
faire l' 0bj et d'un renien1e11t total. Chemin faisant, le dil(tat
néo-colonial élevé au rang de «vérité scientifique
irréfutable», allait aliéner des générations d'Africains qui
finissaient par se persuader que l'Afrique n'avait pas pu
inventer de religiol1 authentique.
83
Noir" (Ke111 our en lal1gue pharaonique). Cette
réhabilitation entraîne une autre conséqllence
insupportable pour l' in1périalisme : la mise au grand jour
de l'influence du culte et de la personnalité d'Osiris sur
d'autres religions, notamment le Christianisme. C11eil<h
Anta Diop écrit dans son ouvrage (1ivilisation ou Barbarie
qu' «en tout cas, ()siris est bien le dieu qui, trois 111illeans
avant le (1hrist, 111eurt et ressuscite pour sauver les
h0111111es.Il est le dieu réde111j7teur de I 'hul11anité il
"
lnontera au ciel à la droite de son j7ère, le grand dieu, Ra.
Il est.fils de Dieu. Dans le Livre des Morts, il est dit 1500
ans avant J (". : "("eci est la ]7rOpre chair d'Osiris' '.
Dionysos, réplique d '()siris en Méditerranée
septentrionale dira 500 ans avant J (1. : "Bois, ceci est
. . , ,12
1110nsang" 111ange,ceCI est 711ac h aIr. P en d al1t 1a 111esse
chrétienne de nos jours, l'officiant paraphrase le
personnage de Jésus en ces termes: «Prenez, et 111angez-en
tous, ceci est 1110ncorps livré pour vous (oo.), prenez, et
.
h uvez en tous, car ceCI est Ia coupe de Inon sang.)) }')-
L'emprunt fait par le Christianislne est sans équivoque.
Dans le cas précis qui nous intéresse ici, cela est loin
d'être tout. Laisso11S encore la parole à Cheil<h A11taDiop:
«Le ter111e "C1hrist" ne serait pas une racine indo-
euroj7éenne. Il viendrclit de l'expression égYj7tienne
pharaonique Kher Sesheta : "celui qui veille sur les
111ystères", et qui était appliquée aux divinités, ()siris,
12
Cheikh Anta Diop~ Civilisation Oll Barbarie~ Présence Africaine~
Paris, 1980~ p. 391. "Christ" est le surnOln donné à un personnage
nOlnlné Jésus et qui est le personnage central de la religion chrétienne.
Il vécut à la basse antiquité, et d'après les adeptes de cette religion, j,1
aurait été crucifié. À la fois dieu et hOlnnle~ il aurait subi, d'après la
dogmatique chrétienne~ un phénolnène de résurrection avant de
Inonter au ciel et s'asseoir à la droite de son père, le dieu Yahvé.
I]
Pierre Jounel (présenté par), Missel de la sel1utine~ Desclée~ Paris,
1983, p. 592.
84
Anubis, etc. Il n 'a été appliqué à ~Jésus qu'au IVè siècle
. . 14
par contan1lnatlon re l 19zeuse.))
"
14
Cheikh Anta Diop, (~ivi/isation Oll Barharie, op. cit., p. 391. Une
note de Cheikh Anta Diop indique au lecteur de se reporter au
Worterhllch der A egypt ischen Sprache, /1 " Akadelnie Verlag, Berl in,
1971.
15
Sarwat Anis AI-Assiout y, Recherches cOll1parées slIr le
(~hristianisI11e prÙnit{j"ell'lslaI11 prel11ier, vollone Il: Jésus le non-ju{f~
Letouzey & Ané, Paris, 1987, p. 114. Voir aussi les pages Ill, 112 et
113. Pour l'influence de la religion négro-égyptienne sur le
Christianislne et l' Islaln, voir aussi les travaux Ï1npol1ants du PI'
Mubabinge Bilolo.
16
Cheikh Anta Diop, C1ivi/isation ou Barbarie, op. cit., p. 414.
85
I7. Rappelons
sur le Christianisl11e et bien d'autres religions
seulement que «le culte d'Isis persista jusqu'à la .fin du
IVè siècle. En 391, l'évêque Théophile, sur injonction de
l'enlpereur Théodose, ordonne de hrûler le Sérapetlln
d'Alexandrie, centre principal du culte d'Isis (..). Au VIè
siècle, Justinien ordonna de tran.~'fornler le ternple d'Isis
, . 18 ., , 19 .
en eg IISe». C est par ces Inet l10d es b ar b ares,
>
qUI,
d'ailleurs., doivel1t faire méditer les Noirs, que fut
programmée la disparition de cette religion nègre.
86
Nous reviel1drons sur tout ceci dans le chapitre VII~ au
paragraphe consacré à la <<levéedes tabous».
87
les malheurs de 1"Afrique, n'y trouve pas du tout son
compte, c"est le moins que l''on puisse dire2o.
20
Avec un cours, Inêlne sOlnlnaire, d'histoire des religions, cette
capacité d'un certain nOlnbre d'Africains, l'aliénation aidant, à
ingurgiter rapidelnent le discours néo-colonial, pourrait ainsi
s'anéantir, au grand daIn de l' Î1npérial iSllle culturel et pour le grand
bien de l'Afrique de deInain.
88
relève pour tenter de circonscrire au maximum les effets
des travaux de Cheikh Anta Diop sur les Africains,
espérant ainsi préserver ses intérêts, et maintenir le
paternalisme et la domination de l'Occident sur 1'Afrique
noire. C'est l'expression de ce comportement que nous
allons analyser dans le cl1apitre qui suit.
89
IV
REPONSES ET RIPOSTES DE
L'AFRICANISME
De R. Manny à F.-X. Fanvelle21
91
En ce qui concerne la plupart des saval1ts,
chercheurs et intellectuels occidentaux, le poids de leur
éducation qui faisait de l'Afrique Ul1continent frustre allait
instinctivement et terriblement se répercuter sur leurs
capacités d'appréciation de l' œuvre des deux savants
africains. Aussi leurs réactions seront -elles d"abord et
avant tOllt le reflet de l' attitllde des enfants du maître qui
ne supporte11t pas l'audace spontanée des e11fa11tsdes
esclaves, c~est-à-dire ceux qu'on pensait guider et
encadrer éternellen1ent. ComIne nous allons le n10ntrer à
travers quelqlles exemples choisis dans leurs répertoires de
récriminatioI1s, ces réactions de diverses person11es et
autorités africanistes présel1tel1t des aspects et des
structurations souveI1t identiques et parfois permanentes
dans le temps. En outre, contraireInent à ce qll'affirment
leurs auteurs., ces réactions n'ont pratiquement rien avoir
avec une critique sciel1tifique digne de ce nom.
92
négro-africains con1me lIn devoir et une tâche louable
devant, avant tout, servir l'intérêt suprême de I'hlImanité
et de la science. Écout011S quelques-uns d'entre eux:
93
«L 'œuvre de Diop ne nous lnontrait que ses
tern1Înaisons de savoirs, nous voulons en dén1êler les
racines. Elle qff;/'e une .façade, nous voudrions en "visiter
les caves", n1ên1e si cette intention sen1ble porter atteinte
à sa re.spectabilité.» (François-Xavier Fauvelle, 1996, p.
20).
94
apprécier ces travaux montrent biel1 une volonté de ne pas
se situer sur un terrai11 scientifique:
95
«Il ne s'agit pas de suhstituer une .fàls~fication
historique à une autre.» (AlaÜ1 Frol11e11t~1988).
96
Nègres à la civilisLltion.)) (Fra11çois-Xavier Fauvelle, 1996~
p. 147).
97
par Raymond Mauny Ul1 al1 plus tard: «Des calembours
linguistiques qui donneraient des' 'résultats" aussi
surprenclnts entre toutes les langues du 1110nde.»Lorsque
Alain FrOInel1t parle de «111ani]Julation d'Ù11age»,
François-Xavier Fauvelle lui fait pratiquelnent éc110 8 ans
plus tard en parlant de «111ani]Julations visuelles». Alain
Froment accusait Cheil<h Anta Diop de (~rals?fication
historique», et curieuselne11t, 7 al1S après, Luc Bouquiaux
parlera d' «argUl71ent large111ent.fàllacieux» à propos des
travaux de T11éopl1ile Obenga. C'est sans doute à la source
d'lAlain Froment qu'ira puiser encore Luc Bouquiaux
lorsqu'Iii écrit, toujours à propos dll travail de Théophile
Obenga, qu'il faut «éviter la prol?fération de travaux
.fantaisistes». En effet, 7 ans plus tôt, Alain Froment,
"critiquant" l' œllvre de Cheikh Anta Diop, écrivait
«COln111ent.faire pour éviter que la littérature SClvante ne
soit envahie de contribution .fantaisiste». De la même
façon, lorsqu'en 1963 Erica SÜllon écrit que le travail de
Cheil<h Anta Diop est une «œuvre de c0111bat», François-
Xavier Fauvelle ne trouve pas Iniellx en 1996 et parle de
«conception de c0111bclt».Il faut rappeler que RaYInond
Maul1Y parlait déjà en 1960, de «livre de cOlnbat» à propos
. 21
d e 1- ouvrage N atzon.\' negres et ( u Iture . Ce melne
~f
~
'1
"
98
Cornevin, «une nouvelle bible que lisent les étudiants
originaires d '~fi;tique noire» (1961) et pour François-
Xavier Fauvelle, «une sorte de vade-mecuJ11 de I '4fi;<icain
éclairé» (1996, p. 36). De mên1e que Froment (1988)
demandait d' «éviter toute dérive idéologique», de même
Fauvelle (1996) entreprendra de découvrir ce «relpport
qu'entretient C'fheikh Anta Diop avec I ~'idéologie», afin de
démontrer commel1t «ce qui pouvait se présenter au
départ C0/11/11eune hypothèse (. ..), est devenu une
idéologie en .faveur de laquelle il s'agit de .faire des
adeptes» (Bouquiallx, 1995).
99
«lSanS conteste, le bouillonnen1ent intellectuel et
révolutionnaire dans la con1n1unauté des étudiants
a.fricains en France, lui o.ffi;<eson véritable public: un
public apte à l'entendre et à lui .faire écho.)) (François-
Xavier Fauvelle, 1996, p. 36).
100
peuvent être conduits par l'ignorance de la ,néthode
111arxiste.» (B.I. Sharevskaya, 1960).
101
soul11ise à son jugel11ent direct. c:~'est à lui de déceler les
tricheries de la raison, les raccourcis de la pensée, les
banales supercheries qui se ,fondent sur les archétypes du
genre, les présentations badines et tendancieuses, les
contournel11ents, les évitel11ents, bre.f' tout ce qui ne passe
pas, au sens propre par les 1110tsdu texte.» (François-
Xavier Fallvelle~ 1996~ p. 21).
102
«Ne l'ayant souvent pas lu, ou mal, lnais
connaissant ses principales têtes de chapitre (l'Égypte
nègre et l'unité culturelle de l'~fj'.ique), ils [les étudiants
africains qui lisent Diop] en attendent un con1plén1ent de
savoir dont ils se sentent .tj~ustrés.» (François-.Xavier
Fauvelle, 1997).
103
«approxin1ations helsardeuses», «5,péculation», «thèses de
complaisance tout juste bonnes à 111ettre au panier»,
«r0111antis111enational»., «divagations étY1110logiques des
plus joyeuses)), etc., sont autant de termes et d'expressions
qui montrent bien la volonté de nos africanistes qui,
agacés par une œuvre dont ils il' ont pas pu atténuer
l'impact en l' Î11fluençant., ont décidé de concentrer leurs
attaques en dehors du terrain scie11tifique. Ce qui dévoile
aussi la difficulté qu'ils 011t à attaquer cette œuvre.
Lorsque Georges Bala11dier affirlne que Nations nègres et
(~1ulture est lIn livre «to~(ffit C0111111ela.forêt équatoriale))., il
est difficile de 11e pas voir là Ul1e volonté d'user
d'épithètes pour tenter de discréditer d'emblée l'auteur
africain. Rappelol1s qlIe Georges Balandier est présenté
par ses pairs comme un éminent africaniste à la source
duquel s'est abrellvée une multitude d'autres africanistes.
Ainsi, on peut découvrir qu'une grande partie sinon la
totalité du "langage scie11tifique" de ces africanistes est
composée de calon1nies, de propos l1aineux, de préjugés
négatifs., d'allusions et d' Î11sinuations à peine déguisées.
Souvel1t, la diatribe, quelques rares fois Ul1 tantinet
lénifiée, se substitue à la critique scientifique.
104
parenté linguistique entre I égyptien ancien et les langues
~
105
«Je ne suis ]Jas C0111pétent,]Jar contre po ur juger la
partie linguistique de l'ouvrage, en particulier la parenté
de l'égyptien ancien et du ouol(~/' 1110derne, et laisse ce
soin aux linguistes. Mais je dois avouer à l'avance que je
suis quelque peu sceptique lorsque .le vois, par exemple,
un toponY111e du pays songai~ Tondidarou, site que je
connais bien, avec ses 111égalithes (et dont l'étYlnologie
évidente est songaY : tondi daru - grosse pierre) eX]Jliqué
par le sérère tundi daro - les collines de l-'union.»
(Raymond Mauny~ 1960).
106
abordées dans la problématique soulevée par le savant
africain, on se demande comment peut-elle bien s'y
prendre pour détecter cette «analyse curieuse». Ailleurs,
elle écrit encore: «J'ai exposé la thèse principale du
111ythe chclJ1'zitiqueparce que, bien que Diop ne le dise
nulle part, sa théorie sur le 111atriarcat et le patriarcat 111e
sel11ble être ICIréplique exacte de ce 111ythe- la réplique
inversée, tournée à l'avantage des Noirs.» TOlItes ces
critiques, venant de la part de quelqu'un qui se déclare
non-spécialiste dans aUCU11des domaines des études
africaines~ S011t tout simplement édifiantes. Le lecteur
pourra en juger. Qllant à François-Xavier Fauvelle, qui a
consacré un ouvrage entier à sa critique de Cheikh Anta
Diop, sa profession de foi d'incol11pétence est tellement
explicite (n'étant ni égyptologue, ni linguiste, ni
anthropologue) que nous ferons l'économie de la
soulig11er ici, d"auta11t plus que nous consacrerons
spécialel11ent le paragrap11e 4 de ce cl1apitre à "l' œuvre"
de cet africa11iste.
107
il lit couralnn1ent les hiéroglyphes et connaît 1)al~fàiten1ent
le wolo.j,' sa langue 711aternelle. ))24
14
Lilyan K.esteloot~Anthologie négro-c!fi-icaine, la littérature de J9/8
à J98 J. Marabout~ Al1eur~ 1987 ~p. 427.
15
Voir la Postface de l'ouvrage de Cheikh Anta Diop Parenté
génétique de l'égyptien pharaonique et des langues négro-qf;"icaines~
NEA~ Dakar / Abidjan~ 1977.
108
D011C,pour délllontrer par exemple qu'il y a ou non
un lien e11tre l'égyptien pharaonique et le wolof, il faut
maîtriser à la fois ces deux langues. C'est là une condition
élémentaire que ne remplissent pas les africanistes qui se
permettent de dénigrer Cheil(h Anta Diop et Théophile
Obenga. Cependant, mêllle s'ils ne connaissent pas
l'égyptien pharaoniq'ue, leur formation scientjfique devrait
leur permettre d'accéder à la compréhension des
démonstrations de Cheikl1 A11ta Diop et de Théophile
Obenga. Tout au contraire, le propre de la plupart de ces
africanistes est que, par une sorte de réflexe de Pavlov, les
œillères de leur éducation prenl1e11t le pas sur les armes
d'analyses que devrait normalelnent leur conférer leur
formation scientifique. Ainsi, dès qU'UI1 Noir expose ses
découvertes sciel1tifiques, il faut le dénigrer
immédiate111e11tet refuser systématiquement de regarder la
vérité e11face26. On aurait pu s'attendre aussi à U11eautre
démarche de la part de ces africa11istes non convaincus
d'emblée par les travaux de Cheikh Anta Diop : ç~aurait
été de les vérifier à nouveau en apprenant les la11gues
africaines (le wolof et le I11bochi par exelllple) qu'ils
auraient cOlllparé ensuite à l'égyptien p11araonique, pour
ce qui est du volet li11guistique. Et on aurait été curieux de
savoir ensuite leurs réponses all la nature de leurs
26
Cette attitude est générale dans tous les dOlnaines. La contribution
des chercheurs et savants noirs à la science est toujours passée sous
silence ou ll1inill1isée. Car, il faut toujours continuer à entretenir le
tnythe bien cOlnlnode selon lequel les chercheurs et savants blancs
sont les seuls à pouvoir créer, à inventer et à être dignes de foi. Un
ouvrage récent, Inventeurs et savants noirs (L' Hannattan, Paris, 1998)
d'Yves Antoine vient de rappeler encore la contribution à la science
des Noirs de la Diaspora. Ce qui tOli le cou, une fois de plus, à ce
vieux Inythe raciste de l'incapacité intellectuelle des Noirs entretenu
par l'africanislne.
109
critiques27. Mais c'est une autre attitude qui a été adoptée.
À côté de la méthode du dénigrement, ces africanistes,
dans une sorte de réflexe eurocel1triste, ont fait tout au
plus l'effort de convoquer exclusivement d'autres
africanistes censés être des spécialistes plus qualifiés
qu'eux-mêlnes. Ai11si, pour ses arguments
anthropologiques, Raymond Mauny renvoie le lecteur à
«l'un des ouvrages les 711eiIleurs qui ont traité de la
question de l'Égyptien antique» ou encore à F. M.
S110wden, un auteur qui est aussi convoqué par Alain
Froment. A. Lhote et Arpag Mekl1itarian sont également
sollicités par Mauny. Alain Frome11t semble exceller en
tout cas dans cet exercice. Pour la paléontologie, il fait
appel à Wainscoat, Excoffier~ Langaney, Nei et
Roychoudl1l1ry, Bel1veniste et Todaro; Pour l'égyptologie,
il s'en ren1et à Leclant, Yoyotte, Vercoutter, Sauneron,
Save-Soderbergh, Abdalla, Ghallab, Al Bakr, El Nadury,
G. Mokhtar. Pour l'arcl1éologie, il s'adresse à l'égyptien11e
Adam. Pour critiquer certains aspects des travallX
lÎ11guistiques de Théophile Obenga, Luc Bouquiaux (qui
est pourtant li11gllÏste) cite J. Thomas, F. Cloarec- Heiss ou
encore J. Vergote. Erica Simon, quant à elle, s'adresse à
Georges Balal1dier. Le problème n~est pas tellelnent qu'ils
se réfèrent à d'autres africanistes pour juger
~~scientifiquement'~ les œuvres de Diop et Obenga, mais
c'est le fait qu'ils le fassent systén1atiquement, sa11Savoir
proposé eux-mêmes, à propos des thèmes qll'ils critiquent,
une thèse alternative issue de leurs recl1erches
perso1111elles. C'est parce que cela est beaucoup plus
27
À propos de la vérification du caractère nègre des lTIOnlies
égyptiennes, Cheikh Anta Diop écrit ceci à propos d'un de ces
africanistes: ((R. Mauny a eu le loisir d'exan1iner dans /11on
laboratoire tous ces échantillons. Je fui faisse le soin de révéler ses
i1npressions s'if le juge nécessaire.)) (Antériorité des civilisations
nègres, op. cit., p. 23 1).
110
difficile pour les raisons que nous avons expliquées.
Quand bien même s'avisent-ils de s'essayer à cet exercice,
cela tombe parfois dal1s un ridicule des plus navrants
comme en témoignent les extraits qui vont suivre:
28
Hubel1 Deschalnps, ancien colon, fut Inelnbre du jury de thèse de
Cheikh Anta Diop à la Sorbonne. Avant de retrouver l' enseignelnent
universitaire dans son pays, il fit une "'brillante" carrière dans
l'adlninistration coloniale. Il déclarait en 1938 : ((Les puissances
coloniales, peut-être sans l'avoir voulu, unt pris en charge l'éducation
des sociétés attardées de la planète. Suyons de bons éducateurs et
préparons de bons Européens.)) (cité par Papa Ibrahiln Seck, La
stratégie culturelle de la France en Afi"ique, L'Hannattan, Paris, 1993,
p. 54).
111
«Des tentatives comme celles de ('fheikh Anta Diop
(traduction de Langevin en vvolof) sont peut-être
déphasées.» (Louis-Jean Calvet, 1979, p. 136).
112
«Il s'agit n1aintenant pour l'auteur [Cheil<h Anta
Diop] de soun1ettre ses idées à l'examen des spécialistes,
qui seuls sont qual~fiés pour dire ce qu'on pourra en
retenir.» (Raymond Mauny~ 1960).
113
d'eurocentrisme est encore, une fois de plus, bel et bien
constitué. Dans ces conditions, quel crédit peut-on
accorder aux critiques de ces africanistes dès lors qu'ils
dénient d'emblée à des linguistes africains le droit de
pouvoir être des spécialistes de leur propre langue
maternelle ou lorsqu'ils s'adjugent à eux seuls la qualité
«d'historieI1 de l'Afrique noire». C'est ce paternalisme
ambiant que l'africal1islne croit POllvoir faire perdurer, et
contre lequel les Africains doiveI1t être vigilants et
intransigeants.
114
Écoutons deux d'entre eux qui se sont particulièrement
plaints de ce sentiment:
115
scientifique~ afin que celtlÏ-ci soit le plus fructueux
possible. Ce qui prOllve bien qu~en se préservant de la
paresse et des préjugés de l'éducation juvénile, on peut
donner son POi11tde vue et exprÎ111er son désaccord avec
une œuvre par des argun1ents autres que le dénigrement et
les invectives. C'est une telle attitude qui, parce que
relevant réelleme11t de la démarche scientifique, enrichit le
débat pour le plus grand intérêt de I'humanité et de la
fraternisatio11 des peuples.
116
prestigieuses sont éviden1111ent les plus exigeantes: Nature
et Science re./ilsent plus de 90% des articles qui lui sont
soumLs) est lu par un ense111bled'experts dans le d0111aine
considéré, les referees, qui élnettent chacun un
commentaire critique anonY111e. L'éditeur de la revue
prend alors la décision d'accepter ou non, avec ou sans
documentation de l'auteur, le texte proposé. Autant que
l'on sache, C~"heikhAnta Diop n'est jan1ais passé par ce
canal, et i/ n 'a donc ja111ais vu ses travaux diffusés par les
grandsjourn(lux scientfjiques.» (Alain Fron1ent, 1988).
((.. .ANKH, Revue d'Égyptologie et des
Civilisatiol1s africaines, qui est la tribune - sur beau
papier glacé - des disciples de C"heikh Ant(l Diop et
Théophile Obenga.» (Luc Bouquiaux, 1995).
Il 7
les langues négro-africaines moder11es, et donc à pouvoir
se prononcer sur la validité de leur comparaison, sont des
Africains: Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga bien
sûr, mais aussi Aboubacry Moussa Lam, Coovi Jean-
Charles Gomez, Gilbert Ngom, Alain Anselin, Babacar
SalI, Oscar Pfouma, Mubabinge Bilolo, Oum Ndigi, Marc
. 29
B runo M aYl, etc.
29
Oscar Pfoulna, est l'auteur d'une relnarquab le Histoire culturelle de
l'A/;''ique noire (Publisud, Paris, 1993 . Avec un Avant-propos de
Théophile Obenga et une Introduction de Alain Anselin). Le Pr
Aboubacry Moussa LaIn est un savant de J'Université Cheikh Anta
Diop de Dakar ~ avec son volulnineux ouvrage De l'origine
égyptienne des Peuls (I(hepera / Présence Africaine, Paris, 1993), il a
appol1é une contribution et un éclairage décisifs sur une question
jusque-là très controversée. Le Pl' Babacar Sail est un chercheur érudit
appal1enant égalelnent à l'Université Cheikh Anta Diop ~ dans son
ouvrage Racines éthiopiennes de L'Égypte Ancienne (I(hepera /
L'Hannattan, Paris, 1999. Préface du Pl' Théophile Obenga), il a
étudié les relations qui ont existé entre l'Éthiopie, l'Égypte et la
Libye, a Inis en évidence l'unité géographique, ethnique et culturelle
des pays nilotiques, et a Inontré l'influence fondatrice de la région
Nubie-Soudan (appelée jadis Éthiopie) sur l'Égypte. D'une Inanière
générale, il faut bien dire qu'aujourd'hui~ l'école historique créée par
Cheikh Anta Diop est incontournable.
Il 8
propre culture. Cela se compre11d aisément, car s'ils
venaient à perdre leur contrôle il1tellectuel total sur les
Noirs (ce qui est d'ailleurs déjà le cas pour les chercheurs
africains C011scients), leur fonction n'aurait plus de raison
d'être et ils se retrouveraient immédiatement au cllômage.
En effet, il est beaucoup plus facile de se désigner
africaniste que d'étudier les contradictions de sa propre
société qllÏ a engendré la Colonisation, l'Esclavage, le
nazisme et le fascisrrle, etc. Lorsqlte Froment affirme que
Cheikh A11ta Diop «n'a donc jan1ais vu ses travaux
d?ffitsés par les grands journaux scient?/iques)), il omet
bien évidement de rappeler que le jOllrnal français
d'informations gé11érales Le Mon{ie refusa «poliment» un
droit de répoI1se au savant africain à propos d'un compte
rendu de ses thèses réalisé par Philippe Decraerle le 4 mars
1965. Alain Froment aurait pu également souligner le fait
que les amis des spécialistes dont lui et ses acolytes
parlent 011t opposé une fi11de 110n recevoir à la delnal1de
de Cheikh Anta Diop de prélever 1 mm2 de la peau des
momies de Ramsès II, Séthi 1er et Tholltmès III, afin
d'effectuer son test de dosage de la mélanine dans
. 30
l 'epI d erITIe .
"l'
119
européens opposé à l'époque aux thèses de Cheikh Al1ta
Diop, en l'occurrel1ce Jean Devisse) notait que «la très
111inutieuse préparation des C01111nunications des
professeurs Cheikh Anta Diop et ()benga n 'a pas eu,
111algré les précisions contenues dans le document de
travail préparatoire envoyé ]Jar l'UNESC1(), une
contrepartie toujours égale. Il s'en est suivi un réel
déséquilibre dans les discussions»31. Ceci aurait dû
intéresser nos africal1istes. Mais'l en bons eurocentristes
qu'ils SOI1t,iInbus de leur con1plexè de supériorité, ils se
gardent bien de citer cette conclusion du colloque.
., ,~ ,
travaux n ont riel1 avoir avec l' africanisme' , ces
appellations étant réservées à des 110n-Africains et à leurs
travaux, comme il a déjà été dit au début de ce chapitre.
En ce sel1S d'ailleurs, I'11istorieI1, égyptologue et
philosophe Coovi Jean-Charles Gomez a raison de bien
insister sur cette distinction et ses répercussions au l1iveau
JI
UNESCO, «Le peuple.luent de l'Égypte ancienne et le déchtffi"el11ent
de l'écriture Inéroïtique)), actes du colloque du Caire (28 janvier-3
février 1974). Collection «Histoire générale de l'Afrique, Études et
doculnents», n° L Paris, 1986.
120
de l'historiographie: «Par historiographie africaine, nous
entendons l'ense111ble des recherches effectuées pCll;4les
historiens C!fricains ou d'origine C{j;/ficaine,et ce quelle que
soit leur approche 111éthodologique de I 'histoire du
continent. Réciproque111ent, les travaux des chercheurs
étrangers en général et occidentaux en particulier, seront
.systé111atique111ent regroupés sous la catégorie
d 'historiographie africaniste (...J. Loin d'être théorique et
pUre111ent abstraite, une telle distinction corre.spond à
deux conceptions .fond{1111entale111ent d~fférentes et souvent
divergentes de notre passé. »32 E11effet, rfhéophile Obenga
rappelle, par exemple, que «L 'histoire C{f;;4icclinedes
«fricanistes lnanque souvent d'unité, de sens, de continuité
et de prqfondeur. Le sentÙ11ent est que l'on reste
consta111111entsur des récits anec(1otiques, des hanalités,
des .faits alignés hout el hout, sans aucune explication
historique causale))33. Il poursuit en précisant que dans
l'approche africa11iste du passé africain, il y a une
«incapacité lnéthodologique d '(lller au-delà de la
"période coloniale ", le reste relevant des" siècles
obscllrs" (qui sont pourtant les siècles les plus glorieux du
passé C{f;;4icain)~ il 11'y a "aucune préoccupation pour
raccorder l 'histoire actuelle de l '~j;;4ique el un ]Jassé
lointain quelconque. Ainsi tout esl attribué à des agents
civilisateurs étrangers ~)u111ériens, Asiatiques,
C"arthaginois, etc. et (Jutres "Blancs 111ythiques", auteurs
des bronzes du Bénin, des constructions cyclopéennes de
. 14
Z lln h (l h vve, etc.. ))- .
32
Coovi Jean-Charles GOlllez, «Étude cOlllparée de ]' écriture sacrée
du DanXOlllé et des hiéroglyphes de rancienne Égypte», in ANKH,
Revue d'Égyptologie el des C'ivi/isations L?/i-icaines, n° 1, février 1992
pp. 59-78.
33
Théophile Obenga, C'TheikhAnta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.,
p.87.
34
Théophile Obenga, C'TheikhAnta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.,
p.30.
121
Le thème dlJ «déjà vu»
122
raisons qu'il serait utile d'éclairer quelque jour, ce n'est
qu'avec lui que cette conscience se répand.)) (François-
Xavier Fauvelle~ 1996~p. 41).
123
paraissaient saugrenues et très peu de gens pouvaient ))
adhérer à l'époque.» (Cheikh Anta Diop, conférence de
Yaoundé, jal1vier ] 986).
124
Donc, le dessein de Cheikh Anta Diop était,
comme il le dit lui-même clairement, de rétablir une vérité
évidente déjà connue de tous et qui avait fait
honteusement l'objet de falsification de la part de la
«lignée des égyptologues de 111auvaise,foi», qui se sont
ainsi rendus coupables de «crÙne contre la science». En
réalité, ce sont ces faits que nos africanistes ont du mal à
accepter, car, ces falsificatellrs et autres coupables de ces
crimes contre la science f011t partie de leurs ancêtres
scientifiques qu'ils ont tant admirés dans leur tendre
enfance et qui 011t largement contribué à l'édification du
complexe de supériorité des peuples occidentaux. Ces
phrases et les travallX de Cheikh Allta Diop sont terribles
pour eux et portent un coup fatal à leur orgueil. En tentant
de relativiser l' iInpact de la contribution du grand penseur
noir, ils espèrent couvrir, si ce n'est dissimuler, les
bavures de leurs ancêtres, et détourner l'attention du reste
de 1'hu1na11ité lucide. Ce faisant, ils n'hésitent pas à
cautionner toutes ces grandes libertés prises avec la
science, allant mêlne jusqu'à justifier certaines
falsifications. Ainsi, à propos du célèbre faux spécimen de
1'homme de Piltdown35, Alain Froment, qui prétend
d'ailleurs que «l'(luteur [de la fraude] n 'a du reste pas été
ident~fié avec certitude », écrit:
35
Il s'agit d'un faux crâne fossile fabriqué par un chercheur anglais
pour déplacer Ie berceau de I'holTIITIede l'Afrique vel'S l' Europe. Voir
Cheikh Anta Diop, C'1ivilisation ou Barharie, op. cit., pp. 40, 43, 80,
82.
125
et n'avait nul besoin de se fonder sur un débris d'os.»
(Alain Froment, 1988).
126
domaine du «déjà vu». Normalen1ent, ils devraient être
d'accord avec Cheil(h Anta Diop et l'encourager. Mais les
réflexes inhérents à l'éducation reçlle depuis la plus tendre
enfance sont tenaces: les Nègres l1e sont rien, n'o11t rien
été et ne doivent jamais être sans autorisation préalable
des Blancs, etc.36 Théophile Obenga a mille fois raison de
dire que «toute c0l11ptabilité bien .faite, C1heikh Anta Diop
apparaît, dès le déJ7art, C0711711ele véritable inventeur, de
nos jours, de I 'histoire qf;;<icaine»37.
Le renversement de perspectives
:;6
Aujourd 'hui on invite les Noirs à ~~ll1ondialiser" leur conscience en
tournant le dos à leurs propres valeurs, de 111anÎère à toujours rester
sous la dépendance étrangère.
:'7 Théophile Obenga, in Postface à Cheikh Anta Diop, I ',1fi-ique noire
précoloniale, Présence Africaine, Paris, 2è éd., 1987.
127
«Mais cette .fàçon de prendre le problè111e, à Jnon
avis erronée, n'est jJas inattendue. Elle constitue en .f'ait le
pendant au discours colonial: vous jJrétendez que nos
langues sont pauvre,)', inco111plètes, nous allons vous
déJnontrer le contraire.» (Louis Jea11 Calvet, 1974, p.
136).
128
racisme à rebours. Et voilà comment par simple décret de
ces africanistes, la victime de la falsification devient
l'agent de celle-ci. Le lecteur ne manquera pas d'être
frappé par U11tel raccourci de la pensée et une telle
précarité du raisol1nement. Que l'hllmanité de Fauvelle
voit sa perception de la réalité être transformée et c'est la
fin du n10nde~ c'est la catastrophe, c'est l'ébranlement de
ces points de repères si commodes, qui per111ettaient de
maintenir le statu quo de la domination européenne sur les
Africains. On s'était tellement fait à l'idée que les l~oirs
n'avaiel1t pas d'l1istoire autre que celle que lui avait
conférée l'Esclavage et la Colo11isation, que le
rétablissellle11t d'ul1e sirn.ple vérité apparaît Oll est perçu
comme U11e te11tative de se donner une belle ou une
meilleure histoire dans laquelle les Égyptiens qllÎ étaient
blancs S011t noircis pour les besoins de la cause.
Heureuseme11t, ce raisonnement Î11fantile et stérile qui ne
contriblle e11rien all dialogue entre les peuples, ne fait pillS
recette auprès des Africains lucides qui ne se laissent plus
distraire par des Î11quisitellrs de service (alltoproclalllés ou
téléguidés) de la culture et de 1'histoire africai11es.
129
La critique des sources
130
«. ..la relcltive caducité de ses ]Jroblén1atiques
[celles de C. A. Diop], e711pruntées aux vestiges d'une
science pour partie dix-neuvié111iste.» (Fral1çois-Xavier
Fauvelle, 1996, p. 129).
131
francopho11e de sa génération à avoir publié un livre
consacré entièrement à la détection de l'idéologie dans
l'œuvre de Cheikh Anta Diop. Il s'agit d'un ouvrage dont
le titre a le mérite d'informer d' elnblée les lecteurs sur les
intentions réelles de l'auteur: L '~fj;oique de (1heikh Anta
. 38
D lOp.
132
Anta Diop, U11e nouvelle ère s'ouvre pour la nouvelle
école de détracteurs africanistes qui ont au moins un point
commun avec leurs aînés: l'illusion d'arriver à dissuader
les Noirs d'assumer leurs responsabilités, et de prendre en
charge eux-mêmes leur propre destÎ11.
",,,,
1jj
«Au.tond il Y a toujours de l'idéologie. (l'est jJlutôt
sa prétendue (zbsence qui est suspecte.)) (p. 27).
134
«A quoi sert ce travail? (/Yertainen1entpas à jllger
("h. A. Dio]], /11ais à le situer.» (p. 27).
135
même explique avec délectation que son intention peut
«sembler porter {(tteinte à la relspectabilité)) de Cheil(h
Anta Diop.
136
pour qu'on puisse y reconnaître Ul1equelconque intention
de critique scientifiqlle sereine et sérieuse.
137
«EJ11prunts gratuits, retournement sans
conséquence, les jeux du vrai et j'aux se règlent chez Diop
selon une logique stricteJ11ent binaire.» (p. 111).
138
Nous allons arrêter là cette énumération, de peur de
devoir citer tout l'ouvrage de Fauvelle. C'est avec llll tel
discours que Fauvelle voudrait nous faire croire qu'il fait
œuvre de critique scientifique. On est vraiment loin dll
compte. Il s'agit plutôt de vociférations de la part d'un
africaniste qui voit ses repères africains voler en éclats
sous l'effet des travaux scientifiques de Cheil<h Anta
Diop. Les rapports de forces si cOInmodes qui pouvaient
lui perInettre de parler pour les Noirs, comme le firent
jadis ses ancêtres scientifiques~ SOIlt définitiveIneIlt
inopérants à cause d'un seul homnle, un savant, de SllrcroÎt
un Africain. Et on peut affirmer aujourd'hui qu'avec de
telles dispositions mentales, Fauvelle qui poursuit des
recherches sur... l'Afrique australe, sera incapable de
produire un quelconque travail susceptible d'être retenu
sérieusement comme une contriblltion honnête au progrès
des homInes.
139
qfi;<icaines39. Il ne figure pas dans la liste des abréviations
des ouvrages de Diop (page 14) cités en long et en large
par Fauvelle. Il est seulement consigné discrètement dans
le catalogue des ouvrages et articles de Cheil(h Anta Diop
à la page 217. De même, François-Xavier Fauvelle n'a pas
lu non plus l'ouvrage posthume de Cheil(h Anta Diop
Nouvelles recherches sur l'égyptien ancien et les langues
, . .,
.
negro-ajrlCalnes
{'"
/110dernes. 40 C et ouvrage, qUI 11'est pas
non plus dans la liste des abréviations page 14, est
simplement cité, par exemple, en note allx pages 162 et
163. La volonté de Fauvelle de passer sous silence Parenté
génétique... est évidente. Ceci est tout à fait
compréhensible, car il ne peut pas le lire, dans la mesure
où il s'agit d'un ouvrage technique dont la lecture critiqlle
nécessite au n10ins la 111aîtrise de la langue égyptie11ne
pharaonique. Cette remarque vaut aussi pour Nouvelles
recherches... Donc, ne pas parler de Parenté génétique...
(ou faire comme si ce livre n'était pas Î111portant) dans un
travail critique se voulant scientifique et, qui, de surcroît,
préte11d recherc11er l'idéologie da11s toute l' œuvre de
Cheil(h Anta Diop, relève puren1e11t et simplement d'une
procédure fondée sur la malhonnêteté intellectuelle.
Fauvelle a égaleme11t passé sous silence les ouvrages de
physique nucléaire de Cheil(h Anta Diop, domaine de la
science qlÜ lui a per111isd'étayer certaines de ses thèses et
pour leqlIel il avait aussi créé et dirigé un laboratoire de
radiocarb011e. C'est vrai que contrairement à Diop,
Fauvelle 11'est 11ipl1ysicie11, 11icI1Î111iste.Quand on sait e11
plus qu'il se déclare incompéte11t en égyptologie, en
linguistique et en anthropologie, 011pelIt dire que cela fait
39
Cheikh Anta Diop, Parenté génétique de l'égyptien pharaonique et
des langues négr()-a.fi~Ù;aines, IFAN / NEA, Dakar-Abidjan, 1977.
40
Cheikh Anta Diop, Nouvelles recherches sur l'égyptien ancien et les
langues négro-qfi/'icaines Inodernes, Présence Africaine, Paris, 1988.
Ouvrage posthulne.
140
quand Inêlne beaucoup de care11ces et de lacunes pour
quelqu'un qui entreprend de mettre au grand jour
l'idéologie qllÏ serait dissimulée dans l'œuvre de Cheikh
Anta Diop. Donc, il serait plus exact et plus 110nnête que
Fauvelle dise qu'il ne connaît en fin de compte que très
partielle111e11t et sOlllmairement 1"œuvre de ce penseur
africain.
141
el l'unaniJ11ité. (1'est la raison jJour laquelle C1heikh Anta
n 'ajaJ11ais J11isles pieds à I 'AsseJ11hlée nationale. »41
41
Ely Madiodio Fall~ L 'œuvre politique de C1heikh Anta Diop~
CREFG-Dakar~ p. 33.
142
Les insinuations l11enso11gères de Fauvelle se
retrouvent a1lssi dans U11e certaÏ11e façon d'llser des
ponctuations. À la page 181, il écrit:
143
épisode de la vie politique du Sénégal, Fauvelle disposait
du témoignage de Cheil<h Anta Diop lui -même. Voici de
quelle ma11ière. En note 3 dll bas de la page 123 de son
ouvrage, Fauvelle cite la revue N0111ade n° 1 pour faire
allusion à la conférence donnée par Cheil<h Anta Diop all
Centre Pompidou à Paris le 7 juin 1985. Or, justement,
dans cette même revue, de la page 208 à 231, il Y a une
très longue interview du savant noir qlle Fauvelle n'a
certainelTIeIlt pas pu manquer de lire puisque l'objet de ses
travaux était la recllerche de l'idéologie daIls les savoirs
produits par Cheil<h Anta Diop. Au cours de cette
interview', Cheil<h Anta Diop s'exprime en ces termes sur
son séjour dans les geôles de Sengl10r :
144
su;ffisa111mentla réalité)) (p. 176), on a vraiment envie de
sourire. En effet, il faut rappeler que c'est lui Fauvelle qui
n'hésitait pas à écrire, à propos de Cheikh Anta Diop, qlle
«le 1110insqu'on ]Juisse attendre d"un historien est tout de
111ên1ed'exercer un certain contrôle sur ce qu'il incorpore
à sa pensée)) (p. 175). Inutile de dire que ces phrases de
Fauvelle s'appliquent plutôt à lui-même, qui, faut-il le
rappeler, est... diplôlTIé en histoire. Théophile Obenga
écrira à propos du livre de Fra11çois-Xavier Fauvelle : ((son
texte est le J7lus 111inable que j'aie jan1ais lu sur (". A.
. 42
D lOp. ))
42
Théophile Obenga, «Les derniers relnparts de l'africanislne>>, in
Revue Présenc:e A.fi"ic:aine, n° 157, 1el selnestre, 1998, pp. 47-65. Pour
une autre critique de l'ouvrage de François-Xavier Fauvelle, voir aussi
Grégoire Biyogo, Aux sources égyptiennes du savoir. Vol. I.
Généalogie et enjeux de la pensée de C"heikh Anta Diop, Héliopolis,
1998.
145
L'africaniste Fauvelle et le courant néo-
universaliste
146
consiste, comme nous l'avons déj à souligné, à prétexter un
axe de recherche africaniste pour stign1atiser par tous les
moyens les AfricaÏ11s intellectuellement indépendants et
affranchis de la tutelle académique occidentale. Tout ceci
s'accompagnant, comme il fallait s'y atten.dre, d'llne
rhétorique agressive véhiculant à satiété ironies médiocres
et ,autres i11sinuations mensongères. François-Xavier
Fauvelle~ tout comme AlaÏ11 Frolllent et bien d'autres
d' ailleurs~ fait partie de cette 110uvelle vague d' africal1istes
détracteurs décidés à prendre la relève des Sllret-Canale,
Mauny, T110ll1as, Cornevin, Balal1dier, etc., aujourd'}1LÜ
réduits au silence el1 raison de la péremptio11 de leurs
,
'critiques" .
147
Aussi deva11t la puissante propagation des idées et
de la pensée de Cl1eil(h AI1ta Diop que ses aînés n'ont pu
empêcher, un africaniste COInme François-Xavier Fauvelle
s'inquiète-t-il et se met-il à resseI1tir cette frayeur qui le
fait accoucher d'un exposé non seulement marqué par le
poids de son il1compétence, mais aussi ponctué par des
insinuatio11s 1nensongères qui 11'ont d'autres buts que de
jeter le trouble dans les esprits. «Discrédite ce qlle tu es
incapable de critiquer» pourrait être la devise de François-
Xavier Fauvelle et de beaucoup d'africanistes de service.
148
Fauvelle~ tel un chasseur 110cturne~ rôdait autour de ces
jeunes Africains afin de tenter de leur distiller '~ses
conseils" à la l110indre occasion qui se présenterait. Il
réussit à se faire inviter lors de la première réunion-débat
qui eut lieu le mardi 27 février à partir de 22 heures dans
la salle du réfectoire de l'ENAM où il était présel1t avec
l'autre Î11vité du jour, le n1arxiste An1ady Aly Dieng~ qui,
dans un élan d' antidiopisme bien connu chez lui43, était
deve11u son allié de circo11stance. Les jeunes Africains
présents ce soir-là appartel1aient à plusieurs associations
panafricai11es~ notamment la Génération Cheikh Anta Diop
du BurkiI1a Faso, la Jeunesse Cl1eik.h Anta Diop du Mali~
le Collectif des Structures Pal1africaines, etc. Il faut noter
que François-Xavier Fauvelle était d~ailleurs le seul Blanc
présent dans la salle. Avec An1ady Aly Diel1g, ils ont tel1té
en vain de dissuader les jeunes Africains d'emprunter les
voies tracées par CheikJ1 Anta Diop~ et leur ont maintes
fois suggéré d'accueillir ses idées avec nuances.
D'ailleurs, FalIvelle ne cessait de répéter que «ce qui est
vrai111ent ,fàr111Llteur en histoire, c'est juste111ent le
c0111plexe, c'est la nuance». Heureuselllent pOlIr l' Afrique~
ce soir-là~ ils furent surpris de trouver el1 face d'eux des
jeunes Africains solidel11el1t forn1és et maîtrisant
parfaitement la problématique posée par Cheikh Anta
Diop. Ce fut véritablen1ent Ul1 écl1ec et une déroute
intellectuelle pour Fauvelle et Dieng. Devant la
détermination de ces jelInes~ Alllady Aly Dieng, qllÎ
déclara défensivelllent pel1dant le débat qu'il n'était pas
«un pk~ychiLltre pour les jeunes troublés ou perturbés»,
préféra se dérober Sllr la poil1te des pieds, COl11meun
4]
Pathé Diagne disait d'ailleurs d'Alnady Aly Dieng qu'il était (d'un
des universitaires c{fi'Ù;ains les plus critiques pour ne pas dire hostiles
à l 'œuvre de ("heikh Anta Diop)) (Pathé Diagne, C"heikh Anta Diop el
l'Afi"ique dans I 'histoire du 171()nde~Sankoré / L' Hal1nattan~ Paris,
1997~p. 126.
149
combattant d'arrière-garde, trois qllarts d'heure seulement
après le début des discussions. Quant à François-Xavier
Fauvelle, pIllS patient, il poursuivit péniblement les débats,
mais fut malmené il1tellectuellemel1t. Entêté, il se pointa le
lendemain soir vers 21 heures 30 pour assister à un
nouveau débat et essayer d' accon1plir la petite besogrle
pour laquelle il était vel1U. Dès qu'il ouvrit la porte de la
salle de réunion en espérant se faire inviter de nouveau,
certains jeunes, qui estimaient qu'ils n'avaient plus de
~
temps à perdre~ s écrièrent: «encore lui!)) François-
Xavier Fauvelle se ravisa aussitôt et préféra ne pas entrer.
Il avait apparelnlnel1t cOlnpris que SOl1petit jeu n'aurait
aucun effet sur ces jeunes.
150
des jeunes Européens ou des jeunes An1éricains. Et c'est
une contestation globale, il n'est J)as possible d'adlnettre
et je ne J)arle pas en 1110nnon1, que l 'humanité ait une
origine noire. Il n'est pas J)ossible d'admettre que les
capacités techniques des Af;;<icains soient égales ou
supérieures el celle.\' des gens du Nord, etc.»44
44
Jean Devisse cité par Joseph-Marie ESSOlllba, Cheikh Anta Diop el
son dernier 171essage à l'A.fi"ique et au l77onde, AMA / CaE, Yaoundé,
1996, p. 88.
45
Jean Devisse, cité par Joseph-Marie ESSOlllba, op. cit., p. 88.
15 1
I
réalité, lu notion d' I«f;/ficaniste " corre~pondait à une
phase du dévelo}Jpelnent culturel et j)olitique de l '~rrique
noire dLlns les ten1j)S n10dernes, à une situation spéc~tîque
con1n1e l'étaient naguère la notion de sinologue pour la
C~hine et dans une grande n1esure encore celle
d'orientaliste pour l'Asie occidentale. Elle suppose une
tutelle culturelle et intellectuelle. Elle sera dépassée aU.fitr
et à J11eSUreque les ~fricains prendront en lnain leurs
., .. 46
d estznees j)(} Iztzques et cu Iture Iles)) .
152
~,
contradictoires
~ 10
à opposer à l' œuvre de Cheikh Anta
Diop. Pour paraphraser ce der11ier~on dira qu'ils ont perdu
la bataille scientifique. Obnubilés par leurs préjugés, ils se
laissent volontiers guider par leurs réflexes paternalistes,
leurs incohérences et leur mauvaise foi, une attitude qui
les conduit parfois à la défense de l'indéfendable qll' est le
crime contre la science. AussL leurs dépits se lise11t
~
aisén1ent dans des Ï11ca11tationsd un avenir qui viendrait
~
153
De toute façon, les Africains le savent déjà, il y
aura touj ours des africanistes pOlIr refuser d'admettre les
travaux de Cheikh Anta Diop avec la mauvaise foi et
l'incompétence que l'on sait. Après tout, ce n'est là
qu'une des nombreuses lois du ge11re humain. D'autres
grands savants con1me Sigmund Freud, Albert Einstein,
Karl Marx, Galilée, etc., qtli eux atlssi 011trévolutionné la
pensée moderne, possèdent encore aujourd'hui leur
minorité d'adversaires de mauvaise foi qu'il faut bien
distinguer de la 1ninorité réclamant le 111inimum de réserve
scientifique nécessaire au débat.
47
COl11111eau bon vieux tel11ps de la Colonisation.
154
de la science, et travailler avec les savants non africains
qui, par des travaux et critiques scientifiques désintéressés
et constructifs, sans préjugés ni arrière-pensées, montrent
leur souci d'une coopératio11 sincère entre les différentes
nations de ce monde. Cet état d'esprit humaniste, qui fut
présent chez des savants comme Volney, Griaule,
AmélÎ11eau, Masson-Oursel etc., se retrouve aujourd'hui
chez des personnalités scientifiques éminentes tels que
Ferran I11iesta, GÜ11ter Braller, Hartwig Attenmüler, Jean
Ziegler, etc.48 Et il n'est pas inutile de rappeler encore ces
propos de Jean Devisse:
«( 1
48
D'ailleurs, ce n'est pas étonnant qu'ils ne soient pas l11is en avant
par les institutions acadél11iques et politiques de leurs pays respectifs.
49
Jean Devisse, cité par Joseph-Marie Essolnba, op. cit., p. 88.
50
Jean Devisse, cité par Joseph-Marie Essolnba, op. cit., pp. 92-93.
155
Mais les tares de l'africanisme eurocentriste raciste
sont tenaces, comn1e en témoigne l'ouvrage collectif
publié par François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jeal1-Pierre
Chrétien et Claude-Hélène Perrot: Afjt<ocentrisnle.
L'Histoire de.s' Afj~icains entre Égypte et Alnérique,
Karthala, Paris, 2000. La publication de cet ouvrage qui
réunit les cOl1tributions d'un groupe international de 19
auteurs dont la médiocrité scientifique de certains d'entre
eux est de 110toriété, a, en réalité, pour objectif, d'essayer
de contrecarrer, Ul1efois de plus, la forl1lidable dynal11iqlle
de restallration de la conscience négro-africaine entreprise
par la Re-naissance Africaine contemporaine.
156
~
Africains, I incompétence devient la première compétence
des africanistes. Comme d'habitude, plutôt que de faire
l'effort de se mettre strictement sur le terrain scientifique,
le groupe d'africanistes dirigé par Fallvelle-Aymar, Perrot
et Chrétien a préféré déverser sa haine raciale et ses
ironies malsaines sur l'avant-garde scientifique de la Re-
naissance Africaine. Mais toutes ces procédures minables
et puériles sont devenues inopérantes.
157
(p. 81). «Dépassés, jaloux', inco111pétents, ils entendent
semer néan1110ins la c011fùsion auprès du grand public et
des étudiants en .for111ation. Ils /11entent, caricaturent, .font
des c1l11alg(J111eSincroyahles et (les ]Jrocès d'intention
regrettahles.» (p. 97). On l1e saurait être plus clair.
158
v
UNIVERSALISME ET
NOUVELLE CONSCIENCE AFRICAINE
l-Universalisme ou impérialisme?
159
appelait cette catégorie d'Africail1s les cosmopolites-
scientistes-nl0dernisants, c'est-à-dire des personnes dont
l'attitude se caractérise., entre autres., par une ({tendance à
déprécier tout ce qui énlane de nous [Africains]», et à
assumer totalement tout ce qui vient de l'extérieur, sous
prétexte de gagner du temps, afin de se lnettre au diapason
de l' évoltltion du monde occidental dont les valeurs de
civilisation seraient éprouvées, ptlÎsque celui-ci est à
l'avant-garde de l'humanités1. Dans une al1alyse des
rapports el1tre les civilisations du monde, SalTIuel
51
Aujourd'hui, devant l'attitude paradoxale de certaines nations
européennes qui réclalnent l'exception cu Iturelle face à l' hégélnonie
des États-Unis d'Alnérique, alors qu'elles-Inêlnes ilnposent leurs
valeurs culturelles à l'Afrique, beaucoup d'Africains prennent
conscience, et sont prêts à prendre en cOlnpte leur propre histoire et
leur propre culture. Cependant, cela se fait encore trop souvent dans
des lilnites tolérables pour la conscience de l'Occident dont on espère
quelques Iniettes d'aide écononlique : ouÏ- on accepte que l'Afrique ait
une histoire, Inais il ne tàut pas la faire relnonter trop loin, à l'Égypte
antique, par exelnple, dont le caractère trop nègre pourrait indisposer
les bailleurs de fonds ~oui, les Africains ont une culture, nlais il faut la
folkloriser pour épancher la soif d' exotisllle des détenteurs de devises
et faire financer quelques projets pittoresques par les bonnes âlnes et
autres organisations caritatives étrangères ~ oui, on ose dire que
l'Esclavage des Noirs est un crilne contre l'hulnanité, Inais on insiste
pour ne pas delnander de réparations nlatérielles, afin de ne pas
heu11er la susceptibi lité de ceux sans l'aide desquels, pense-t-on,
l'Afrique serait en retard. On cOlnlnélnore la prétendue abolition de
l'Esclavage avec la bienveillance des descendants des esclavagistes
qui, eux, prennent bien soin de Ininiiniser le nOlnbre de victilnes et
l'ilnpact de ce Crilne. etc. Quant à la dénonciation de l'Esclavage
passé et présent perpétré par les Arabes envers les Noirs, elle attendra.
Il s'agit là d'une nouvelle façon de faire l'autruche. On fait dans la
delni-lnesure pour être en adéquation avec le degré de soulagelnent
que l'Occident accepte d' ilnposer à sa conscience. Cette attitude
donne l' ilnpression de faire progresser la fraternisation des peuples,
Inais en réalité, elle Inasque les effets d'une Inanœuvre de ce Inêlne
Occident qui, en faisant ll1ine de faire des concessions, alnorce en
réalité une nouvelle phase de dOlnination du Monde noir.
160
Huntington explique que «le concept de civilisation
universelle est caractéristique de l'Occident. Au XIXè
siècle, l'idée de "la responsabilité de I 'homme blanc" a
servi à justifier l'expansion politique occidentale et la
domination écono111ique sur les sociétés non occidentales.
À la .fin du llè siècle, le concept de civilisation
universelle sert à justtfier la dOlnination culturelle de
l'Occident sur les autres sociétés et présuppose le besoin
qu'elles auraient d'imiter les pratiques et les institutions
occidentales. L 'universalislne est l'idéologie utilisée par
l'Occident dans ses confi~ontations avec les cultures non
occidentales» 52.
161
"en 12 volumes" , etc. Cette forme pernICIeuse
d'impérialisme dont l'Occident est l'un des grands
spécialistes, fut dénoncée en son telnps par le grand
penseur africain Alioune Diop (1 907 -1980) : «C1e que
l '()ccident aJ7pelle l'universalité de la science, de
l'histoire ou de la philosophie, n'indique souvent que le
sens de son propre confort de vivre et de dOlniner. Le
degré d'universalité qu'il se co'?lère mesure le poids
d'in1périalislne
, .
qu'il
.
est prêt - en toute bonne conscience -
S3
aJeter sur nos vIes.»-
162
purement et simplement en négateur de la diversité raciale
même en tant que donnée immédiate, donl1ée
sociologique, et défend le concept uniformisant d' "une
seule race", "la race hlImaine" .
163
tranquillement passé sous silence. Il importe que les
Africains s'opposent à cette tentative de destruction totale
de leur consciel1ce historique. Car, on imagil1e mal,
aujourd~11ui, un individu ren1ettre e11 cause la race des
Grecs et des Ron1aÜ1s de l'A11tiquité ou encore essayer de
faire croire aux Jllifs qu~ils n'ont pas été victimes de
l'antisén1itisme.
164
possible. TOLIte autre attitude ne serait qu'un acte de foi
impérialiste, donc raciste. Comme le dit Cheikh Anta
Diop, «I 'hu711anité ne doit pas se.fàire par l 'e.ffclcement des
')4
uns au pr(~ f zt' d es autres»- .
54
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et ('ullure, op. cit., p. 17.
55
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, /71ythe Olt
vérité historique~ op. cit.~ 2è éd., 1993, p. Il.
56
Cheikh Anta Diop, op. cit., p. Il.
165
résolue à reconnaitre explicite111ent les erreurs
d 'interprétations scient~fiques, 111ê111e dans le do/naine très
délicat de l'Histoire, à revenir sur les falsifications, à
dénoncer lesfi/lustrations de patri111oines. Elle s'illusionne,
en voulant asseoir ses constructions morales sur la plus
monstrueuse .fals?ficcltion dont I 'hu111anité ait jamais été
coupable tout en de111an(iant aux victi111es d'oublier pour
711ieux aller de l'avant. »57
57
Cheikh Anta Diop~op. cit.~p. 12.
58
Pour les besoins de leurs causes, les Noirs peuvent privilégier, avec
vigilance, des alliances stratégiques circonstancielles avec les
cOlnlnunautés qui n ont aucun contentieux avec eux. Ce ne sont pas
~
166
particulièrement les Africains qui doutent de leurs
capacités de créatio11~ et ql1Ï sont prêts à soutenir des
idéologies pseudo-fraternisantes qu~on leur propose~ et à
développer une culture foll<lorique de complémentarité
bien appréciée de l'et11nographie touristique occide11tale en
mal d'exotisme. Ils doiverlt con1pre11dre que c~est en
~
assumant d abord pleinement leur culture intrinsèqlIe~
authe11tique~ qu'ils pourroI1t être le Inieux à même de
donner à l'autre~ c'est-à-dire d~être véritablelnent au
"rendez-vous du dOI1ner et du recevoir,,59, comme disent
certains. Car, «renoncer pré111aturélnent et d'une .façon
unilatérale, à sa culture nationale pour essayer d'adopter
celle d'autrui et appeler cela (..) un .\'ens du progrès, c'est
se condcllnner au suicide» 60.
167
Histoire est .!onda111entale111ent p.sychiqueJ culturelle. La
grandeur humaine de la Nouvelle Histoire ne saurait ni se
. ., . 62
concevozr, nz s exp Izquer autre111ent.»
62
Théophile Obenga, op. cit., p. 161.
63
Jean Ziegler, «Aux sources du PatrilTIoine intellectuel africain», in
Jeune A/i,oique, n° 1579, 3-9 avril 1991, pp. 34-35.
64
Théophile Obenga, Pour line Nouvelle Histoire, Présence Africaine,
Paris, 1980, p. 161.
65
Cheikh Anta Diop, C'ivi/isation ou Barharie, Présence Ati'icaine,
Par is, 198 1, p. 16.
168
Troisième partie
RESPONSABILITES AFRICAINES:
LE TEMPS DE LA RE-NAISSANCE
Théophile Obenga,
La géoJ11étrie égyptienne. (,lontribution de I '~fil'ique
clntique à la MathéJ11atique J110ndiale,
L'Harmattan / Khepera~ Paris, 1995, p. 14.
VI
I
Voir chapitre II, paragraphe 2.
171
«Le grand théoricien de la Négritude, n1ais encore
un savant authentique, n1ais surtoul un hUlnaniste au plein
sens du n10t.»2 C'est en ces termes que Léopold Sédar
Senghor livre quelques-unes des appréciations qu'il porte
sur la personne de Cheikh Anta Diop, à l''occasion de
"I 'hommage'" qu'il ente11dait re11dre à ce dernier., e11
associant sa plun1e à celles d"alltres personnalités
africaines.
:2
Léopold Sédar Senghor, in Préface à Éthiopiques, revue trÙl1estrielle
de culture négru-afi'icaine, nouvelle série, 2è trilnestre 1987, volunle
IV, n°1.2, pp. 7-87.
:;
Cette question est traitée par Chris Gray dans son ouvrage
Cunception (~l Histor.y : C~heikh Anta Diup & Théuphile ()henga,
I(arnak House, London, 1989, pp. 36-52.
172
de la responsabilité des Noirs dans la Re-naissance
africaine.
173
d'organisation»., qu'il essayera «d'assin1iler tout au long
de ses études»).
5
Léopold Sédar Senghor, C~e clue je crois. Négritude, Francité et
(~ivilisation de l'Universel, Grasset, Paris, 1988, p. 22.
6
Lilyan Kesteloot, Anthologie négro-({f;~icaine, la littérature de 1918
à 198/, Marabout, Alleur, 1987, p. 109.
174
coloniale. Tout au contraire~ les circonstances politiques
de l'époque aidant, il va s'installer délibérément dal1s une
logique de collaboration avec le pouvoir et les structures
coloniales et néo-coloniales. Par conséquent,
contrairement à ce qu'on pourrait penser, chez lllÎ, poésie
et politique seront toujours inti111ement liées. Ce qui
signifie, en d'autres terllles, que sa défense de la culture
française, de la «francité», est intin1emel1t liée à sa défense
du systèlne politiqlle français et des intérêts français non
seulemel1t en Afrique, n1ais partout dal1s le n10nde. C'est
pour cette raison que son adlnission à l'Académie
française, plus qlle la consécration d'lIn quelconque génie
littéraire, signifie surtout et aval1t toute la reconnaissance
du paterl1alisme européel1 envers un serviteur fidèle et
docile des valeurs occidel1tales.
175
intimement liés: participation active au développelTIent de
la politique française en Afrique, et défense de la langue et
la culture françaises.
176
représental1t du Sénégal au Sél1at de la Communauté
française en avril 1959. Trois 1110isplus tard, el1 jltillet
1959, il est nommé Ministre-Conseiller chargé des
Affaires Culturelles auprès du Président de la
Communauté française. Il dissimulait à peine sa
satisfaction d'avoir participé, d'après ItlÎ, à la rédaction
des constitutions françaises: «("0711711e député du ~)énégal,
j'ai appartenu aux deux C0711/11issionsqui, en 1946 et en
1958, ont préparé des C1onstitutions pour la France.» R
Après l'éclatement de la Fédératio11 du Mali qu'il n'a pas
vigoureusel11el1t empêché, il devient Président de la
nouvelle Républiqlle du Sénégal le 05 septembre 1960.
Après vÎ11gt al1S d'U11 pouvoir sa11S partage, de
mystérieuses raisol1s liées probablement à un contexte
politico-social particulièrement difficile, et qui n' 011trien à
voir avec U11e quelconqlle qualité de démocrate, le
poussent à quitter son pays pour aller s'installer en France,
dans le petit village normal1d de Verson. Le 02 juin 1983,
dans l'indifférence générale des Africains et de bien des
Européens, il est coopté pour siéger à l' Acadél11ie
française. Voici une de ses impressio11S à propos de cette
promotion: «Pour 711'en tenir à 1110nélection à l'Acadé711ie
.fj;4ançaise, sur laquelle on insiste, et lourden'lent, si.i 'avais
re.fitsé, le geste eût été grossier: si règne to~U.ours, en
8 Senghor, (1e que je crois, op. cit., p. 162. Quelques lignes plus loin,
Senghor se targue d'avoir été le prelnier à delnander l'indépendance
pour son pays. Ce qui relève, pour le Inoins, d'une contre-vérité. Car,
carnine l'écrit Delnba Jacques Habib Sy, pour Léopold Sédar
Senghor, «l'indépendance en dehors de la C'oJ1l111unauté./il'anco-
a./il'icaine est ilnpensable)), et que «le général De Gaulle sait d~jà alors
qu'i! peul C0171ptersur des .figures de proue C0l7l171eSenghor pour
a1710rCer en douceur la phase néo-coloniale de la dOI11ination
fi'"ançaise en .1fi~ique)) (<<Quelques repères dans la pensée politique de
Cheikh Anta Diop», in Carbet, Revue I\lfartiniquaise de Sciences
HUl11aines et de Littérature, n08, sciences el civilisation C(fil'icaine,
h0l1l171ageà C1heikh Anta Diop, pp. 25-60).
177
~f;;tique, le ''prin1Llt de la susceptihilité et de I 'honneur ",
on n 'y pratique pCIS n10ins cette vertu cardinale qu'est la
courtoisie. Il reste que, si je suis entré à l'Acadé,nie
.fj;tançaise, c'était pour Y.faire entrer, en n1ême tenlps et en
convivialité, ICINégritude el côté de la Francophonie. Je
veux dire: lu C"ivilisLltion de l'Universel, si chère el Pierre
Teilhard (ie C"hardin.»9
9
Senghor, C~eque je crois, op. cit., p. 201.
10
Le lecteur pourra se repo11er à l'ouvrage de Théophile Obenga,
Cheikh Anta Diop, Volney et le sphinx, op. cit., pour avoir la liste
exhaustive des a11icles de Cheikh Anta Diop. Voir égalelnent Cheikh
Anta Diop, Alerte SOl/S les tropiques, Présence Africaine, Paris, 1990.
178
de l'Association des Étudia11ts du Rassemblelnent
Démocratique Africain, il orga11ise le premier Congrès
Panafricain Politiq ue d'Étudiants d'après-guerre au cours
duquel on pouvait l10ter la participation remarquée de la
West African Student Union. Lorsqu'il rentre en vaca11ces
au Sénégal, il met son temps à profit pour les activités les
plus diverses concernant l'avenir de l'Afrique, telle que sa
proposition, entre autres, d'U11 pla11 de reboisement du
Sénégal, afiI1 de faire face à la sécheresse. Il faut aussi
rappeler que déjà, avec ses ouvrages Nations nègres et
C1~tlture, paru en 1954 et l'Unité culturelle de l'Af;l'ique
noire, publié en 1960, Cheikl1 Anta Diop avait posé
scientifiquelnent les bases culturelles de l'unité politique
de l'Afrique noire. Son ouvrage Les ,fÔndelnents
économiques et culturels d'un État .fedéral d'Afil'ique noire
tire ((les conclusions pratiques de tant d'années d'études
des prohlèn1es [{f;l'icains».
Il
Cheikh Anta Diop, Les .!()/u.iel77enls écono/77iques el clIlturels d'lin
Élat fedéral d .,1fi'iéJue noire, Présence l\ fricaine, Paris, 2è éd.~ 1974,
p. 31.
12 Senghor cité par Axelle K.abou, El si l'AfiAique refîlsait le
développel71ent, L' Hannattan, Paris, 1991, p. 197.
179
Les idéologies senghoriennes à l'épreuve des
études diopiennes
La défense de la civilisation occidentale et plus
particulièrelnent de la culture et de la langue françaises
aura été le grand chantier de la vie de Léopold Sédar
Senghor. Le zèle qu'il met à accomplir cette tâche que ses
maîtres lui ont suggérée et imposée est tel, que parfois il
suscite, outre l'admiration de beaucoup de Blancs, un
certain étonnelnent et même un agacement de la part de
certains Européens face à ce type d'Africain qui se veut
plus francophile qu'eux-111êmes. C'est vrai, et il faut le
reconnaître, dal1s ce dOlnail1e de défense de la langue et de
la culture françaises, l' œuvre de Sel1g110rest prodigiellse.
D'abord, il se veut, avant tout, un apôtre défenseur de la
francophonie et Ul1 promoteur de la "Francité" ,
néologisme qu'il dit avoir co-inventé (~je crois
égalen1ent, J70ur l'avenir, à la Francophonie, plus
exacten1ent, à la Francité, n1ais intégrée (ians la Latinité
et, par-delà, dans la C~ivilisation de l'Universel, oÙ la
Négritude a d4jà C0111111encéde jouer son rÔle,
pri1110rdial. ))13Il définit la "Francité" comme «l' ensenlble
des valeurs de la langue et de la culture, partant de la
civilisation .f;;tançaise))14. Et il écrit entre autres: «la
Francophonie est un a5pect essentiel de la C1ivilisation de
l'Universel. (1e qui au de711eurant, est dans le génie de la
France, J7lus exacte711ent, de la Francité.)) 15 Aussi «la
Francophonie peut sign~fier :
180
cOJnmunication internationale, langue de travail ou de
culture ,.
2-L'ensen1ble des personnes qui emploient le
.français dans les d?fférentes~fonctions que voilà ,.
3-La comn1unauté d'esprit qui résulte de ces
d?fférents en1plois» 16.
181
bien sûr, 111aisaussi les universitaires en général, plus
.~pécialeI11ent savants et chercheurs, ingénieurs et
techniciens, écrivains el artistes, nous enrichiront la
langue .f;l'ançaise)) 19, Cheil<h A11ta Diop, quant à lui,
cherche à développer et à enricl1ir les langues africaines.
Pour ltlÎ, «cette nécessité apparaît dès qu'on se soucie de
.faire clcquérir à l'Afil'icain 1110yenune 111entalité 1110derne
(~'eule garantie d '[ldaptation [ru 1110nde technique) sans
être obligé de passer par une expre5;sion étr(lngère (ce qui
serait illusoire)))2o. Le raisonnelnent de Senghor est
contraire. Pour lui, l' Afriqtle ne peut participer à ce qtl'il
appelle la Civilisation de l'U11iversel21 qlle par le biais de
la Francophonie. Car pour ltlÎ «ce que la Frclnee nous a
apporté de prÙ110rdial, d'irreI11plaçable, plus qu'aucun
autre pays d'Europe, c'est l'esprit de mét110de et
d' organisatiofl))22. Alors qtle Se11g110re11ricl1it la la11gue
française avec ses mots en «itude» et «ité», Cheil<h Anta
Diop, quant à lui, enrichit les langtleS africaines à l'aide
d'u11e méthode scie11tifique rigoureuse. Il pense qu' «il est
plus e.tficLlce (ie dévelopJ?er une langue nationale que (le
cultiver art~ficiellel11ent une langue étrangère un
"
enseigne111ent qui serc/it donné dans une lang.ue 111aternelle
permettrait d'éviter des années de retard dans
l'acquisition de la connaissance. Très souvent
l'expression étrangère est C0111111e un revête111ent étanche
qui e111pêche notre e.~prit d'accéder [lU contenu des mots
qui est la réalité. Le développelnent de la r~flexion .félit
alors place à celui de la 111é1110ire»23. Senghor sait tout
ceci, mais il a délibérément choisi une atltre option et
persiste dans sa position. Il écrit: «Quand, pour parler de
19
Senghor~ (~e que je (;r()i,\'~op. cit.~ p. 195.
lU
Cheikh Anta Diop~ Na/ions nègres et (~lI!tZlre~op. cit., p. 415.
21
Disons plutôt~ «sa» civilisation de I~universel.
22
Senghor, C~eque je crois, op. cit.~p. 177.
n Cheikh Anta Diop~ Nations nègres el ('u/ture, op. cit.~ p. 4 J5.
182
ce que j'ai étudié et enseigné, je con1pare les langues
agglutinantes ci'A.f;l'ique aux langues el.flexion d'Europe,
ce qui n1e.fjl'appe le plus, c'est /110ins leurs vocabulaires,
voire leurs n10rphologies que leurs .syntaxes. À la .syntaxe
de coordination ou de juxtajJosition des langues
4fil'icaines, si pr~pre el la poésie, s'oppose la .syntaxe de
subordination des langues cllbo-européennes. c~'est dire
que celles-ci sont essentiellen1ent des langues scient?fiques
parce que de raisonnen1ent - je ne dis pas de
philosophie. »24 V oilà~ entre alltres raisol1s, ce qui explique
que pour Sel1ghor~ el1 Afrique, «il n'est pas question
d'écarter le .fil'ançais, pas /11ên1eci'en .faire une' 'langue
étrangère", /11ais bien une' 'langue o.fficielle" ou de
, ,»25.
'colnmunication internationClle '
14
Senghor~ C~eque je crois~ op. cit.~ p. 170.
15
Senghor~ C~eque je crois~ op. cit.~ p. 178.
16
Cheikh Anta Diop~ Les .fondel17ents éconon1iques et culturels d'un
État ./ëdéral d'Afi'"ique noire~ Présence Africaine~ Paris, 2è éd.~ 1974,
pp. 23-24.
183
la langue française ou une autre langue européenne a été
enrichie par l'apport gréco-latin.
27
Cheikh Anta Diop, Lesfonde/11ents..., op. cit., p. 19.
28
Cheikh Anta Diop, Les'/()ndel71ents..., op. ciL, p. 22.
29
Cheikh Anta Diop, Lesf'ondel71Cnts..., op. ciL, p. 25.
184
cette langue, que les progra111111eSdu secondaire et du
supérieur Ji seront intégrés, elle se substituera dans
l'enseigne111ent qfficiel aux anciennes langues
européennes C0111111e support de notre culture n(ltionale
111oderne.Ainsi, les langues européennes ne disjJaraissent
pas de notre enseigne111ent, n'lais elles t0111bent
progressivel1'lent au rang de langues vivantes .facultatives,
au niveau du secondaire. »30
185
s'en trouver c0111pliquées, C0111111e
on le voit, serait plutÔt
I: ' l ztees))- 12 .
/aCl "
:;2
Cheikh Anta Diop~ LesjondeI71ents..., op. cit.~ pp. 28-29.
:;:;
Senghor~ C~equeje crois, op. cit.~ p. 196.
:;4
Cheikh Anta Diop~ lVations nègres et C~lIlture, op. cit.~ p. 4 I9.
186
traditionnelles de l 'École .f;~ançaise : I JexjJlication de texte
et la dissertcltion. »35
35
Senghor~ C-Ye
que je crois, op. cit., p. 196.
187
Cette soumissio11 puérile et Î11défectible de Senghor
à la culture française va l'alnener~ entre autres, à être Vice-
Président du Haut Conseil de la Francophonie, à préfacer
un certai11 nombre d'ouvrages dont un Lexique dU.fjJ'ançais
du Sénégal (NEA-Edicef, 1979), à postuler et à être
coopter à l'Académie française, à sillonner le monde
comme «représentant de la France», etc. Pour prolnouvoir
davantage le français, tout dépend, dit-il, «de notre
courage, /11aissurtout, c'est le cas de le rappeler, cie notre
e.~prit de 111éthode et d'organisation: de notre francité,
pour tout dire. Il nous reste, par-delà la 111éthode
d'organisation, à créer l'e.sprit de ]7oésie, c'est-à-dire, au
sens étY/110logique du 1110t grec poïêsis, l'esprit de
création»36. Autrelllent dit, pOllr Senghor, les Africains ne
sauraient acquérir l'esprit de créatio11 sans la francopl1onie~
sans la méthode et l'organisation françaises
(caractéristique de «leur francité»), en lln n10t sans la
culture française.
188
radicalement le fossé qui le séparait de cette idéologie de
la Négritude. Dans son ouvrage Antériorité des
civilisations nègres, il écrit: ((Est-il besoin de se répéter
encore et de procla111er, une .jois (le plus, le sens de cette
étude? Il ne s'agit point {['une théorie de la Négritu{[e.
Notre intention est d'éclaircir un jJoint précis de I 'histoire
hU711aine,d'établir un .jait singulier de cette histoire, de le
dégager du 1110nCeau d '«ffir111ations .fausses sous
lesquelles il est enseveli. »38 Senghor lui-même a toujours
affirmé son opposition aux thèses de Cheikh Anta Diop.
Dans un livre d'entretiens avec Mohamed Aziza, il
déclarait ceci en 1980 : ((('Tequi nous ra711èneà la thèse de
C/~heikhAnta Diop. Pour lui, les Égyptiens de l'éj)oque
pharaonique étaient des ((Nègres», au sens où le sont,
aujourd 'hui, les Wolofs et les Sérères. C~'est là oÙ je ne
. .
. 19 . .
SUISpas d '([ccor.d avec IUl.»- Il t"aut b le11 sou 1Ig11er que
Seng110r qui affirn1e cela n' a fait aUCllne étude sur
l'Égypte ancienne, et qu"il n'ajalnais pu lire un seul signe
hiéroglyp11ique. Sa position est d011Cidéologique pour les
raisons que l'on devine. Pourtal1t., aussi paradoxale que
cela puisse paraître, cette négatiol1 des thèses de Cheil<h
Anta Diop l1e 1"a pas empêché" d'emprunter", parfois
mot pour mot, quitte à se contredire, quelques idées à ce
dernier., afin de tel1ter de redorer le blason d'une l1égritude
finissante. C'est ail1si qu'on pouvait lire cette phrase du
poète en 1988 : «Je sais que certains auteurs, ne ])()uvant
se consoler que les ÉgyjJtiens .jitssenf des nègres, ont
attribué l'invention de la pren1ière écriture aux
40 On croirait lire C11eil<h Al1ta Diop. Bref,
sUlnériens.»
d'après une des adn1iratrices de Sel1g11or,elle aussi apôtre
de la Francophonie, le plagiat ferait partie de la vie
3X
Cheikh Anta Diop, Antériorilé des civilisations nègres, op. cit., p. 9.
39
Léopold Sédar Senghor~ La poésie de I 'action~ Stock, Paris~ 1980~ p.
183.
40
Senghor~ C~eque je crois, op. cit., p. 204.
189
mouvementée des idées! Et Sengl10r pouvait encore écrire
ces phrases curieuses: «En /11ê/11etemps, je suivais les
cours de linguistique négro-afi;oicaine à l'École pratique
des Hautes Études, sous I '(l-;illucide et bienveillant de
Mlle Liliane H0/11burger, qui lançait, dans ces années-là,
quelques i(lées ./econdes, que nous S0/11/11eSen train
d'exploiter: la parenté de l'égyptien ancien et des langues
négro-ajj;oicaines, (les langues négro-qfi;oicaines et des
langues dravidiennes de l'Inde.» 41 Le «l10US» sigl1ifierait
donc que lui Senghor (soit selll, soit avec d'alltres) était en
train d'exploiter l'idée de la parenté de l'égyptien al1cien
et des lal1gues négro-africaines. Jusqu' ici el1 tout cas, à
notre conl1aissance, rien n'a été publié el1 ce sens. Il ne
s'agissait l1i plus l1i moins que d'Ul1e tel1tative, parmi tant
d'autres, de récupération d'un des nOlTIbreux succès
scientifiques de Cheil(h Anta Diop. Mais cette
récupération est impossible, car sa compromission avec les
doctrines coloniales et néo-colol1iales est telle qlle les
futures gél1ératiol1s reconl1aÎtront facilement le bon grain
de l'ivraie. Tout le l110nde le sait, sa spécialité à lui
Senghor, c'est pllÜôt la lexicologie du français qu ~il
considère d'ailleurs comme le «grec des te/11pS1110dernes)).
41
Senghor~ La poésie de l'action, op. cit.~ pp. 60-61.
190
pensée», et aussi «l'ensemble des valeurs de civilisation
du Monde noir, dont le sens de la C0l11l11unication,le don
de l'in1age analogique, le don du rythn1e ,fait de
,. 42
para Ile' 1ZSl11eS
' a.SYl11etrzques. »
42
Senghor, Interview à Arabie,~' n09 septelnbre 1987, p. 12 ~('e cIlieje
crois, op. cil., p. I39 ~La poésie de / 'action, op. cit., p. 88.
Et pour bien lnontrer que toutes ces définitions du Inot «Négritude» ne
souffrent pas de confusion avec d'autres concepts, il propose le Inot
«nègrerie» qui, selon lui, «désigne l'ensenlble des peuples noirs»
(Voir La poésie de / 'action, op. cil., p. 89).
43 Mongo Beti et Odile Tobnec Dictionnaire de la Négritude,
L'Hannattan, Paris, 1989, p. 206.
44
Alninata Barry, L'Afi"iqlle sans Ie capitaliSl71e, rr.S. Zed & Harris,
Angers, 1996, p. 126.
45 Senghor, La poésie de /' action, op. cit., p. 107.
191
Elle en est le con1plén1ent nécessaire»46. Ce besoil1 de
«réorienter le mouven1ent de la Négritude», expliqlle-t-il,
a germé en lui «depuis la Lfin de la Seconde Guerre
Mondiale», lorsqu'il a «découvert que toute grande
civilisation était lnétissage»47. On saisit mieux la distance
qui sépare les conceptiol1S d' Ail11é Césaire (comme 110US
le verrons plus loin) de celles de Senghor. On comprend
aussi pourquoi certains auteurs africains, dont les écrits
sont pourtant classés dans la fal11euse catégorie de la
«littérature africaine d'expression française», ont préféré
se démarquer nettel11ent du poète llltrafrancophile.
49
théorie dll l11étissage ~ et éveillé all postulat de la
46 Senghor, La poésie de l'action, op. cit., p. 97.
47 Senghor, La poésie de l'action, op. cit., p. 96.
48 Mongo Beti et Odile Tobner, Dictionnaire de la Négritude, op. cit.,
p.206.
49 Senghor s'est toujours targué d'avoir été l'élève de Paul Rivet à
l'Institut d'Ethnologie de Paris. Voici ce qu'il écrivaÜ à ce propos: ((À
1110n grand étonnel71ent, ce que 111'apprenaient Ines pro.fesseurs
coïncidait avec 1710nexpérience personnelle. Paul Rivet 111'a apporté
beaucoup parce qu'il avait le génie de découvrir le sang - et
l'influence - des Noirs un peu partout. /1171"a donné quelques grandes
idées. Toutes les grandes civilisations historiques, enseignait-il, ont
été des civilisations de l71étissage, biologique et culturel, depuis la
civilisation égyptiennejusqu'à la civilisation arahe, en passant par les
civilisations chinoise et indienne, 5;ans oublier celles de l'A 111érique
192
supériorité de la race blanche grâce aux œuvres de
Gobineau5o, l'Afrique et les Africains ont bien peu de
mérite. Il rappelle «qu'avec la Traite des Nègres, l '~fi;<ique
noire, avait déjà apporté à l'A711érique le plain-chant, la
polyphonie et ICIdClnse nègres» 51 et affirlne que ((lorsque
les Nègres .fitrent déportés, par lnillions, de leur continent
aux Amériques, ils n 'e711portèrent appare711711entque des
haillons. Il e711portèrent, avec eux, l'essentiel: leurs
richesses intérieures, culturelles, (iont le plain-chant et la
polyphonie ne .furent pas les 7110indre.~,52. Avec de telles
conceptions, on cOlnprend qll' il se soit engagé très vite
dans la voie de la défense de sa t11éorie du Inétissage dOl1t
la pierre aJlgulaire est justelnent la négation des capacités
de rationalité du Noir (((I 'élnotion est nègre et la raison est
hellène»), capacités que celui-ci peut néal1moins acquérir
en ,diluant sa persol1nalité dans celle du Blanc. Autal1t dire,
une fois de plus, que ces théories plus que frustrantes, que
Senghor s'est époumoné à défendre dural1t toute sa vie,
vont radicalement à l'encontre des idées de Cheil(h Anta
Diop. Ce dernier 11'a ell cesse de pourfendre
scientifiquement les t11èses dualistes de Senghor et de la
Négritude en générale. Dans Nations nègres et ("ulture, il
expliquait déjà les causes de la genèse de la littérature
véhiculée par les auteurs de la Négritude: ((Il est.fj;<équent
que des Nègres d'une haute intellectualité restent victi711es
de cette aliénation au point de chercher de bonne .l'oi à
cod?fier ces idées nClzies d'une prétendue dualité du Nègre
sensible et é7110t?f,'créateur d'art. et du Blanc .fait surtout
193
de rationalité. »53 Et il poursuit: «Ainsi s'est créée, peu à
peu, une littérature nègre de .'con1plélnentarité ", se
voulant e~fantine, puérile, bon e'1fant, passive, résignée,
. "4
P Ieurnzc h ar d e.))~
53
Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et ('l1lture, op. cit., pp. 54-55.
54
Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et C'lIlture, op. cit., p. 50.
55
Cheikh Anta Diop, Alerte sous les tropiques, Présence Africaine,
Paris, 1990, p. 33.
56
Cheikh Anta Diop, Alerte sous les tropiques, op. cit., p. 34.
57
Cheikh Anta Diop, A lerte sous les tropiques, op. cit., p. 34.
SR
Cheikh Anta Diop, Alerte ,~'ousles tropicjues, op. cit., p. 34.
59
Cheikh Anta Diop, Alerte sous les tropiques, op. cit., pp. 34-35.
194
Donc~ pour C11eil(h Anta Diop~ le développement
des langues africaÎ11es est la c011dition préalable d'llne
véritable re-naissa11ce africaine. La littérature et la culture
africaines doivent, pour cette raison, être obligatoirement
fondées sur les langues africaines. Ce qui est radicalement
opposé aux conceptions de Senghor pour qui l'Afrique ne
saurait avoir un autre avenir que celui qui consiste à
végéter da11s l'u11ivers de la Francophonie en y
~,
développant une culture" africaine artificielle axée sur le
français et la culture française. Ces deux positions ne
sauraient être complémentaires~ contrairement à ce
qu'affirment certai11es perS011nes~ et surtout les épigo11es
de Senghor obligés de reconnaître la force créatrice des
idées de (Iheikh Anta Diop.
60
Les Africains avertis ne se laissent plus distraire par ces procédés.
195
Africains qui 011t une telle attitude se rendent con1pte,
assez péniblement il est vrai, que, malgré leurs efforts
délibérés pour plaire à leurs ~~maîtres" en se faisant les
ambassadeurs de leurs langues et de leurs cultu.res, ces
derniers c011tinuent de les nier de façon implacable. Aussi
sans ren011cer complètelTIe11t à leur e11gagement littéraire,
et pour gagner un peu en dignité, mélangent-ils du
Senghor avec un peu de Diop (]a partie de ses travallX qllÎ,
selon eux, est la moins agressive pour les Blancs) et
pense11t le tour ai11si joué. Ils croie11t ainsi, avec cette
théorie de la con1pléme11tarité, avoir sauvé les apparences
et contribué au progrès de la condition des Noirs et de la
fraternisation des hOlTImes. Mais très vite, l'incohére11ce
du comportement et du discours inhérente à la soutenance
concomitante d'une idée et de S011c011traire reprend le
dessus, et aboutit, en fin de COlTIpte,aux mêmes complexes
d'infériorité et autres réflexes de subordination du Noir
vis-à-vis des autres peuples et des autres cultures.
L'échec de Senghor
196
européen comme «un nOln prestigieux dans la littérature
et dans la politique de I 'Afj;<ique»61.
197
appelle' 'ses pel1sées". Et «ce qui est générale111ent appelé
ses pensées, circule autour d'une utilisation incohérente
de n10ts que les autres ont en1ployés pour la pren1ière .f'ois
dans des circonstances historiques déter111inées !
Négritude --> (lésa ire, Balk{lnisation --> André Blanchet,
Francophonie --> Bourguiba, Détérioration des ter111esde
l'échange --> A111ani Diori (Nigel), L 'Eur4/j;eique --> le
Parti MRP et les indépendants d'outre-111er, Politique
. . .
po IItlclenne --> ( 1alnus» 63 .
63
Cheikh Anta Diop cité par Jalnes G. Spady~ «La fulgurance d'un
signe: Cheikh Anta Diop~ la Négritude et le Discours sur le
colonialislne», in C~arbet, revue 171artiniquaise des sciences hu/naines
et de littérature n08, science et civilisations c?/i-icaine,)',h0l7l171ageci
(~heikh Anta Diop~ 1989~ pp. 61-66.
64
Théophile Obenga~ C-'heikh Anta Diop, Volne.y et le Sphinx, op. cit.,
cOlnmentaire de la photo 17.
198
Sorbonne en 1956, «CYheikh Anta Diop jilt acclamé par des
centaines de participants, debout, et ,nains levées, comme
un des chan1pions de I 'anticolonialisme»65. On peut donc
dire que les compétences de Cheikh Anta Diop, sa
popularité, son incorrllptibilité politique, son combat
implacable contre le néo-colol1ialisme et l'impérialisme
culturel, sa volonté de restaurer la mémoire historique et
donc la dignité des Noirs dans le cadre d'un humanisme
sincère, sa critique négative et radicale de la Négritllde et
des théories frustra11tes basées sur le fameux vers de
Senghor «L'émotion est nègre et la raison est hellène»,
sont autant de faits qui constituèrent des crimes de lèse-
majesté pour celui qui allait gouverner d'une main de fer
le Sénégal pendant vingt a11S.
199
méditerranéennes". L'on invita sur le bout des lèvres, j7ar
l'entrel11ise de quelques dé111archeurs habiles dans le
double jeu, C1heikh Anta qui, après quelques réticences,
décide d y donner une cOJ?fërence sur' 'l'évolution de
I 'humanité de la préhistoire à la .fin de l'Antiquité". Le
Président lSenghor devait prononcer une allocution et
traiter en pro.fesseur et en ({fj;<icaniste du thème de
,
'Négritude et (1ivilisations 111éditerranéennes". Il s 'o.ffi;<ait
ainsi l'occasion, et la possibilité de préciser sa propre
contribution C0111111e ({fi;<icanistesur l'Égyptologie. Traitant
du thè111e,Senghor esti111ed'entrée de jeu devoir placer
son exercice dans la problé111atique de ce qu'il appelait
,
'l'École de Dakar". Celle-ci se devait, dans tous les
domaines, de dire la pClrt du Nègre aussi bien dans les
111athél11atiques, la philosophie, la 111édecine, le droit ou
l'anthropologie. Les' 'Écoles de Dakar" se devaient
égale111ent dans toutes les discij7lines, d'illustrer la
Négritude C0111111ehU111anis111e et la Francophonie C0111111e
cadre géopolitique. Les grands lnaîtres ,fj;<ançais de
l'Université devaient, dans ce contexte, encadrer les
jeunes et .fitturs pédagogues qfi;<icainsdont ils étaient les
directeurs de thèse. Dans les sciences hU111aines,il fallait
veiller contre tous les déborde111ents possibles,
singulière111ent contre l'iJ?fluence de (1heikh Anta et des
rares têtes chercheuses auton0111eS qui continuaient à
contester le discours o.fficiel. Le Président Senghor était
très iJ?/luent dans les lnilieux universitaires ,ji;<ançaisqui
géraient les carrières. acceptaient les thèses, distribuaient
les agrégcltions donnant accès à l'enseignement supérieur.
N0111bre d'intellectuels c?ji;<icainsdu continent et des
dia~sporas ou sénégalais, jeunes et 1110insjeunes, ,faisaient
égale111ent preuve d'un très grand zèle pour asseoir son
autorité sur ce plan. Il y avclit ainsi par111iles pro./esseurs
et assistants plu~\' n0111breux, des groupes d'intérêt ({ffiché
qui 111an(J;uvraienthabilelnent dans les 111ultiplescolloques
200
,
pour que la ''pensée du Président' soit par.f'aiten1entbien
servie. Ils pouvaient ainsi investir, avec l'appui (le
quelques professeurs expatriés déterlninés, les
associations afi;<icaines ou a.fi;<icanistes de critique
littéraire, d 'histoire, de philosophie, de droit ou
d'éconon1ie. ("ette politique o.fficielle, le Président
Senghor devait la préciser en ouvrant le colloque. Il y
,
s'agit, dira-t-il, 'd'exan1iner un problèn1e lnc~jeur de
civilisation dans l'e.sprit de l'École de Dakar, c'est-à-dire
par rapport à l'A.fi;<ique noire et pour son
aecon1plissement' '. Et pour souligner qu'il parle devant
les son11nités qui discutent dans le n10nde des thèses de
(1heikh Anta et de l'Égyptologie sur lesquelles il a son
propre point de vue, il se .felieite d'avoir invité' 'les
chercheurs noirs qui avaient c0111n1encédepuis nOlnbre
d'années de d~finir les apports nègres dans les
civilisations n1éditerranéennes", c'est-à-dire bien avant
(1heikh Anta. Rappelant sa prOjJre carrière dans ce
domaine, il se souvient du débat sur la présence noire
dans cette Méditerranée culturelle, cOf?fluence des rc/ces et
des cOf?flits d'appropriation historique. '~je voudrais
placer lnes réflexions, telles qu'elles se sont développées
depuis les années 1930 où je suivais parlni d'autres
enseignen1ents, des cours de l'Institut d'Ethnologie de
Paris et à l'École pratique des hautes Études où j'eus
COlnn1epro.fesseurs par111i d'autre", : Marcel Mauss, Paul
Rivet, affirn1ant en pleine lnontée du nazisme, qu'il y avait
4 à 20% de sang noir autour de la Méditerranée".
,
'Penché sur mon voisin, j'ajoutais en souriant: au n10ins
car je savais qu 'clvec 25% de sang noir on peut passer
pour un Blanc et inverse111ent. Mais c'est plus tard ajJrès
le désastre de J 940, que prisonnier de guerre, j'eus,
pendant deux (Ins le loisir de r~fléchir sur les langues et
civilisations n1éditerranéennes que depuis 1935 j'avais
enseignées sans chercher à jJénétrer leur sign~fication,
201
sinon leur sens intin1e. Je .finis par découvrir que le
miracle 111éditerranéen, des Égyptiens aux Arabes, Inais
d'abord le 111iracle grec c'était le 111iracle du métissage
culturel". Autren1ent dit, L. IS. Senghor, auteur
d'excellents articles de gramn1aire sur le );1}olo.f'et le
sereer, analyste précurseur des institutions j)olitiques
sereer et négro-c?li4icaines, hern1eneute de l'esthétique et
de l'ontologie nègre, aclepte dès 1936 d'une renaissance
qfjl'icophone, est donc pCll~/àiten1ent en accord avec C/1heikh
et ses én1ules sur les' 'liens du Monde noir et de la
Méditerranée pharaonique, grecques ou islan10-arabe ". Il
aurait pensé à ce lien alors n1ên1e que Cheikh Diop était
, ,
'un potache' de quinze ans, au plus. Mais nuance! Il Y a
seulen1ent que la civilisation qfil'o-n1éditerranéenne n'est
pas noire, comn1e le dit Cheikh Anta, elle est métisse car
,
'deux peuples el1 contact se n1étissent touj ours' '. Il
continue avec tOL(jours des sous-entendus. "D'ailleurs
toute grande civilisation est métissage culturel". C~ela
devrait aller de soi, le j)ro.lèsseur Frank I.).l.)no);1}denou le
révérend père Mveng s'accordent avec moi sur ce jJoint
désormclis acquis dans les cercles cie l'Égyptologie
o.fJicielle ! Et c'est du reste l'occasion de signaler l'article
suggestft'de Théophile ()benga intitulé: "Égyptien ancien
et négro-africain" : sous-entendu Parenté génétique, clé
de la dén10nstration de la pensée de ("h. Anta relative à
une Égyptologie d'expression négro-aj;l'icaine, c 'était d~jà
dans ICIr~/lexion senghorienne. Mieux: les disciples sont
plus convaincants que le Maître. Le texte de Senghor est
clair. La chronologie et la genèse de sa pensée en
contrepoint à I 'œuvre de ('fheikh Anta contre laquelle se
déploie cette polén1ique sourde et tenclce, mais tOL(jours de
haute tenue, repose certainelnent sur des,fàits. Il restait au
colloque et au lecteur de ses actes à entendre et à lire
l'auteur de N-ations nègres et Culture. (1ela pouvetit
per'!lettre de 111ieux peser l'intérêt de la pensée
202
senghorienne dans le développe111entde l'Égyptologie et
de I 'Histoire de l'Antiquité d'une part et de la mettre en
rapport avec le point de vue de (Yheikh Anta Diop. Il n'en
sera rien dans ce 1110111ent d'un dialoguisme per111anent
entre L. Senghor et ("heikh Anta Diop. Le colloque
entendra l'exposé (le (Yheikh Anta ciont il ne sera pas .fait
de C0111pterendu dans le "Soleil", quotidien national. Par
contre, le pro.fesseur Raoul Lonis, 111aÎtre d'(J~~uvredu
colloque et brillant ~pécialiste s 'il en est de l'Antiquité
gréco-latine, s'en ]7rendra publique111ent dans le "Soleil"
aux thèses de ("heikh Anta. C"elui~ci put publier sa
réponse. Senghor donnera le dernier 1110tCILonis dans le
"Soleil" qui par ailleurs re,fitsera de publier le second
texte de ('heikh Anta. Le Président /:';enghor avait déci(lé,
dira son directeur, de 111ettre.fin el la ]JoléI11ique. Il .fàut
regretter que la cO'1ference donnée par ("h. Anta en
réponse à cette lecture senghorienne sur les rapports de
I '~frique noire et de la Méditerranée n'ait pas elle-/11ê111e
été publiée dans les actes officiels d'un colloque qui se
soucie de le citer C0111111e participant muet. Si111ple
question de probité intellectuelle. Mais c 'eût été peut-être
aller à l'encontre des raisons et de la déontologie
,
politiques" du colloque. L'École de Dakar, c'est-à-dire
l'Université sénégalaise .fiJfancophone senghorienne,
n 'avail pas 111an~festel11entvocation à servir les thèses de
(1heikh Anta Dia]). ('le colloque 111eten évidence, 111ieux
que tout (lutre, la position et l'u111biance dans laquelle
l'Université d'État avait placé CYheikhAnta Diop de 1960
el 1980.»66
203
Il faudra atte11dre le départ du pouvoir de Senghor en
1980, pour que sa nomination comIne professeur associé à
l'Université de Dal<ar mette fin à l'un des plus tristes et
des plus absurdes épisodes de l'histoire universitaire et
intellectuelle de l'Afrique noire contemporaine.
204
~
C est Césaire, faut-il le rappeler, qui inventa le mot
«négritude». Il ne lui donnait pas le même contentl que
Senghor qui, du reste, n'hésitait pas à reconnaître, même
publiquement, cette divergence: «Nous avons, les uns et
les autres, singulièren1ent C~ésaire, Dan1as et n10i, donné
des définitions convergentes, n1ais pas toujours identiques
du n10t, qui ont varié selon le temps et les
. 67 , .
CIrconstances.)) D ' apres Seng h or., Cesalre
' d onne a' Ia
Négritude la définition suivante: «La Négritude est aussi
une certaine volonté et une certaine n1anière de vivre les
valeurs que voilà [celles de la civilisation du Monde
noir].)) 68 Contrairement à Senghor, Ail11é Césaire fut un
anticolonialiste infatigable. Sa dénonciation de
l'oppression coloniale atteignit son point culminant dans
des écrits comme Discours sur le colonialisme. C'est dans
cet ouvrage qu'il a livré ses impressions sur les travaux de
Cheikh Anta Diop: «tIe ne /11'étendrai pas sur le cas des
historiens, ni celui des historiens de la colonisation, ni
celui des égyptologues, le cas des j7ren1iers étant trop
évident, dans le cas des seconds, le Jnécanisn1e de leur
lnyst?fication ayant été d~finitivement dén10nté par C~heikh
Anta Diop, dans son livre: Nations nègres et Culture - le
plus [ludacieux qu'un Nègre ait jusqu'ici écrit et qui
comptera, à n'en pas douter, dans le réveil de
I 'Afj;oique.»69 Pour Césaire, les travaux de Cheil(h Anta
Diop devaient aider le courant de la Négritude à modifier
son jugel11ent quant à la capacité créatrice des Nègres;
jugement faussé, comme le rappelle Cheikh Al1ta Diop,
par «le clÙ11at d'aliénation)) entretenu par les historiens
coloniaux et autres égyptoJogues occidentaux, et qui «a
.fini par agir pr(~fondén1ent sur la personnalité du
205
Nègre» 70. Seng110r adopte une attitude complètelnent
différente de celle de Césaire. POlIr lui, la Négritude doit
s'exprimer dans le cadre occidental et surtout néo-
colonial, c'est-à-dire qu'elle doit se loger exactement dans
les limites d'émancipation du Nègre fixées Oll tolérées par
les Européens. En somme, 011peut dire qu'à la "négritude
de soumission" au paternalisme occidental prônée par
Senghor, Césaire oppose une' '11égritllde de combat",
utilisée pour pourfendre le colonialisme sous toutes ses
formes. Rien d' étonnal1t donc dans l'accueil que le
militant africain antillais a réservé à l' œuvre de Cheil<h
Anta Diop qui d'ailleurs 11'a pas manqué de lui rendre
hommage: ((Il y a lieu de rendre hUlnn'lage ici, au
courage, à la lucidité et à I 'honnêteté du génial }Joète,
AÙné C"ésaire : après avoir lu, en une nuit, toute la
première partie de l'ouvrage [Nations l1ègres et Culture],
il.fit le tour du PClrisprogressiste (le l'époque, en quête de
.spécialistes disposés à d~rendre, avec lui, le nouveau livre,
lnais en vain! C"e.fut le vide autour de lui.» 71
70
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et C'ulture, op. cit., p. 54.
71
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et C~ulture, op. cit., p. 5.
206
Anta Diop et les marxistes africains. Pour Amady Aly
Dieng, «l'audace et la .fécondité de (,lheikh Anta Diop ne
sign~fie ]Jas que toutes ses thèses sont justes et
scient~fiques» 72. Il expliqlle ainsi le succès de Cl1eil(h Anta
Diop «le contexte politique était .favorable au
développenlent des idées qui exaltaient le rôle des Nègres
dans l"édification de la civilisation htllnaine. C"'est ainsi
que la thèse de l'origine nègre de l'Égypte pharaonique,
lnère des sciences et des arts, d~fèndue par Cheikh Anta
Diop, a pu trouver un écho .favorable dans ce contexte
politique propice au développenlent de thèses
nationalistes. (,"e n'est pas un hasard si c'est Présence
~fil'icaine, organe d'expression de la Négritude et du
nationalis111e culturel, qui a servi de support CIla d?fJÛsion
73
des œuvres de C"heikh Anta Diop.»
207
comme le .fait (,1heikh Anta Diop.)) 75 Il semble donc bien
qlle «les directions critiques, en 711arxistes, vis-à-vis de
l'œuvre de C1heikh Anta Diop))76, réclamées par Y.
Enagnon se soient en tout et pour tout résumées aux
citations énumérées ci-dessus. Certains diront que c'est
déjà ça. Et bien soit! En tout cas, la problématiqlle
soulevée par Cheik~h A11ta Diop est te]lement dense et
importante qu'on ne salIrait se contenter de ces jugements
de valeurs gratuits qui n'apportent aucune argumentation
solide et concrète pOllvant c011tribller au débat. Les
discussio11s entre T11éophile Obe11ga et AlTIady Aly Dieng
à Dakar, en 1996, lors de la commélTIoration du Xè
anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop, ont été
significati ves à cet égard. Il n'est pas inutile de rappeler
que, dans le Paris de la fin des a1111éessoixante, le mêlTIe
Théophile Obenga était combattu intellectuellement par
les marxistes africains qlli lui reprochaient de préférer
Cheil<h Anta Diop à Karl Marx et de se faire, dans la
75
Alnady Aly Dieng, Le tvlarxisl11e et l'Afi'ique noire, op. cit., p. 30.
Il faut quand Inêlne souligner que c'est surprenant d'entendre un tel
reproche de la pal1 d'un Inarxiste.
76
Voir Alnady Aly Dieng, Le Marxis171e el l'Afi-ique noire, op. cit., p.
29. D'une Inanière générale, Babacar Sine, un autre Inarxiste, réSUlne
bien l'attitude des Inarxistes africains face à l' œuvre de Cheikh Anta
Diop: «Hélas! ils lui ont .fait un accueil réservé, voire quelquefois
hostile, et surtout tard(/.' A ccrochés à des dogl11eSscientistes surannés,
ils n ); ont c0l11pris, dans le IneiUeur cas, CllI'une tentative idéologique
de fonder le nationalisl11e culturel africain. Scientisl11e contre
culturalisl71e, voici les ter171eS étriqués entre lesquels beaucoup de
l11arxistes ont grossière171ent enfèr171éle débat ouvert par Cheikh Anta,
alors que, plus qu'une tentative idéologique, son œuvre pose pour la
prel11ière fois les bases seient(fiques de l'él11ergence des nations
négro-qfricaines. Ceux qui, par cécité théorique, n'ont rien vu de cela
ont o~jectivel11ent .fait chorus avec les idéologues de la réaction.))
(Babacar Sine, Le MarxisI11e devanl les sociétés qf;.icaines
conte/11poraines, Présence Africaine, Paris, 1983, pp. 32-33).
208
capitale française, le défenseur du savant africain, ce
dernier étant déjà rentré en Afrique depuis longtemps.
77
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et ('Zllture, op. cit., p. 23.
78
Cheikh Anta Diop, Lesf'ondeI77ents..., op. cit., p.S.
209
l'œuvre immense de Cl1eikh Anta Diop, parce qu'il était
un opposal1t farouche au régin1e de Léopold Sédar
Senghor. Et beaucoup de ses adversaires politiques qui
aujourd'hui tiennent un discollrs contraire (certains même
n'hésitant pas à se réclamer de SOl1nom), refusaient ses
thèses en raison de son engagement et surtout de son
éthique politique qui était différente de la leur. Il faut
toutefois reconnaître que ce phénomène se relativise
aujourd'hui. Théophile Obenga a également subi le même
sort. La critique des gouvernements auxquels il appartenait
s'accompagnait parfois du rejet de ses travaux. Le temps
ayant fait son effet, ces attitudes non fondées se sont
fortement atténuées aujourd'hui.
79
Cheikh Anta Diop rédigea dans le nUlnéro spécial de 1985 de la
Revue de Philosophie un ilnportant article intitulé «Philosophie,
Science et Religion», repris par une publication de l'IF AN. Il Y écrit
entre autres: ((La hiologie 1110derne a découvert et localisé la région
J
du cerveau qui est le siège de l'Ùnaginaire, et q'ui per/net à I H0l110
sapiens, et à lui seul, SUprêl11eparticularité, de concevoir l'inexistant,
des êtres Îlnaginaires. On pourra tOl~jours rétorquer qu'un pareil
raiSOnne171ent n'est qu'une /nanière habile de reculer à l'infIni la
dffficulté, au point qu'elle s'esto/npe dans l'esprit du penseur, car
171ê171el'existence d'un Univers éternel pose le 111ênle problè171e
ontologique. Par conséquent, la religion en tant que sofl de
210
du temps~ les thèses de Cheikh Anta Diop reçoivent Ul1
écho moins hostile aujourd'hui chez ces Africains. NOllS y
reviendrons plus loin au chapitre VII.
3-Disciples et continuateurs
Question de définition
211
son1mes tous redevables à e". A. Diop, et nous tous, nous
SOlnn1es ses héritiers. Tous, nous devons être ses disciples
(...j. ("heikh Anta Diop a travaillé pour tout le continent
. 80
,l''
C?Jrlcaln. »
212
des" critiques" négatives de ses détracteurs allaiel1t finir
par lézarder puis faire exploser le mur du silence érigé
autour de ses œuvres ici et là dans le l11onde. De nOl11breux
chercheurs allaient courageusement entrer en formation et
suivre ses conseils. Ce n'est qll' à partir de 1981, date de sa
nominatiol1 comme professeur associé à la faculté des
Lettres de Dal<ar82 que Cheikh Anta Diop commencera à
former les jeunes dans le cadre de l'llniversité.
X?
Cette nonlination s'est faite selnble-t-il sous la pression d'un certain
nOlnbre de personnes qui souhaitaient Inettre fin à cette situation
aberrante.
83Théophile Obenga, ('heikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.
84Le lecteur pourra s'y reporter s'il le souhaite.
213
véritable humanisme. Il n'est dOI1Cpas exagéré de dire,
qu'à l'heure actuelle, l'école scientifique née des travaux
de Cheikh Anta Diop et de Théop11ile Obenga est la plus
féconde et la plus à même de tenir scientifiquement la
dragée haute à n'importe qu'elle autre école dans le
monde. Il suffit de lire une revue scientifiqlle comme
ANKH (Revue d'Égyptologie et des Civilisations
africail1es) pour s'en convaÎ11cre.
214
requises pour ce nouvel esprit nécessaire de liberté
créatrice (...). (Jutil de travc/il, de solidarité et
d'ouverture, telle est la revue ANKH, au nom d'une idée
de I 'h0111111eet de son destin.))
85
op~cit.
215
ridicule. La riposte de l'avant-garde scientifique africaine
fut immédiate et magistrale. Théophile Obenga, le
premier, a pris la parole. Après avoir rappelé à FrOillent les
principes élémentaires de respect dû aux morts, il a
raconté à l'assistance, médusée, comment celui -ci, en
claquant la porte, sortit du palais des Congrès de Yaoundé
(Cameroun) lors de la conférence historique que Cheil(h
Anta Diop y donnait en 1986 - quelques selnail1es
seulement avant sa mort - démentant ainsi les allégations
du chercheur européell selon lesquelles il côtoyait
amicalement le grand saval1t africain. Ensuite, le
professeur Théopllile Obenga a Inis el1 évidel1ce ses
carences linguistiques el1 grec, puis lui a rappelé, en n1ême
temps qu'à François-Xavier Fauvelle, les notions
méthodologiques de base en sciences historiques, notions
normalelnent dispel1sées da11s les premiers cycles d'études
universitaires. Un concert d'applaudissements a
longuelnent salllé l'interventjon dll professeur africain.
216
l'assistance qui avait bien compris qu'elle vivait là un des
instants les plus haletants de la marche inexorable de
l'Afrique vers sa Re-naissance.
217
d'inquiétude des détracteurs actuels de Cheil(}1 Anta Diop
et de Théophile Obenga86.
86
Un grand nOll1brede détracteurs n'ose plus affronter directell1ent les
111ell1bresde l'école de Cheikh Anta Diop. On ne COll1pte plus ceux
d'entre eux (Européens COl11111e Africains) qui décOl11111andent leurs
invitations à des colloques ou congrès lorsqu'ils apprennent que
Théophile Obenga ou l'un des 111ell1bresde cette école est présent.
218
programmes d'activités, elles deviennent incontrôlables
par l'ordre académique néo-coloniale. Et il n'est pas
exagéré de dire que, pour l'instant, c'est grâce à ces
Associations plus qu'aux pouvoirs et instances
illstitutionnels, que beaucoup de Noirs en Afrique et dans
la Diaspora découvrent directemellt les idées de Cheil<h
Anta Diop et de Théophile Obenga. Parmi toutes ces
Associations, aussi volontaires les unes que les autres,
raction de quelques Ulles d'entre elles sera évoquée ici à
titre d'exemple.
87
Cercle d'Étude Cheikh Anta Diop, Le /7iois de l'Afi"ique, 1993, p. 1.
88
Il s'agit, entre autres, du Centre Municipal Socio-Culturel Cheikh
Anta Diop à Morne-à-l'Eau, de la Bibliothèque Municipale Cheikh
Anta Diop des AbYlnes, de la Bibliothèque Cheikh Anta Diop du
lycée professionnel de Blanchet Gourbyere, de la place Cheikh Anta
Diop à Pointe-Noire, etc.
219
d'annihiler en elle tout désir de restaurer sa Inémoire
historique et sa conscience culturelle, deux éléments qui
permettent à l'homme dominé de retrOtlVerla dignité et la
liberté.
220
restauration de la conscience historique chez des
personnes qui ne pouvaient pas accéder à ces idées de la
Re-naissance Africaine faute de pouvoir acheter des livres.
221
au fait des idées développées par Cheil(h Anta Diop~ il
fallait profiter de lellr séjour en France pour les
sensibiliser et les gagner aux thèses de Cheil(h Anta Diop.
De cette façon~ dotés d'une nOllvelle conscie11ce (la
conscience panafricaine), ils participeraient, une fois
rentrés en Afrique, à la sensibilisation de ceux qllÎ étaiellt
restés là-bas~ et contribueraie11t ainsi à l'émancipation
réelle des Noirs. En I~ espace de 5 années d'activités
ponctuées par des conféren.ces, des projections de films,
des écrits, etc., la quasi-totalité des Africains de la région
d~Angers avait entendu parler de Cheik11 A11ta Diop et
savait désormais qlle RalTIsès II était U11pharaon nègre.
Comme pour les autres Associations, il s'agissait de
pallier les insuffisances d'un systèlne d'enseigneme11t qui
n'avait pas encore suffisan1111e11tintégré les résultats des
recherches du savant africain. 1~11éophile Obenga~ alors
Directeur Général du Centre International des Civilisations
Bantu (CICIBA), avait ell, dans U11elettre à ses membres,
ces mots d'encouragements pour cette Association: «,Je
vois que le "("ercle Ran1sès" que vous ani111ezest digne
d'éloges. Je suis personnelle111ent très .fier et très heureux
de votre travail (..). La grande bCltaille doit être
111aintenant la concrétisation de l'idée de C"heikh Anta
Diop sur l'enseigne111ent de l'Antiquité égypto-nubienne
C0111111e base de nos Antiquités classiques. Le "C~Yercle
A 91
R alnses .' a un ro l e a'. Jouer d ans ce sens.» - L orsque
'.'
9:;
Lettre du Pr Théophile Obenga aux l11elnbres du Cercle Ralnsès,
n0002513/DG/CICIBA/NFY /89, du 22 novelnbre 1989.
?I?
À partir des années 1993-1994~ le Cercle Ramsès
allait connaître un regain d'activité avec l'arrivée au sein
de son équipe dirigeante de Ayao Dossou, Geneviève
Deffo Mabé et Momar Diop. Aux côtés de Doué Gnonsea,
ils initièrent la création du C'Iontinent, le journal du Cercle
Ramsès. Ce jOllrnal, qu'ils animèrent avec talent et
riguellr, fut tout entier consacré à la vulgarisation des
œuvres de Cheil<h Anta Diop et à la proll10tion de la Re-
naissance Africaine. C'est toute cette expérie11ce qui
permit au Cercle Ramsès d'aller facilement à la re11co11tre
d'un certai11 nombre d'Associations défendant l'héritage
diopien.
223
En 1994, à l'initiative et sous la houlette de la
Commission Cheikh Anta Diop de Bordeaux, et en
collaboration avec le Cercle Ramsès d'Angers et le
Comité d'Action Panafricaine de Poitiers, se tint, pendant
trois jOllrs (17, 18 et 19 juin), à Ville11ave d'Ornon, le
premier Colloque des Structures Panafricaines qui donnera
naissance à une fédération d'Associations Panafricaines
ayant pour nom le Collectif des Structures PanafricaÎ11es
(C.S.p.)94. Le C.S.P. organisa trois autres Congrès à
Poitiers (1995), Angers (1996) et Bordeallx (1997)95. Il
faut rappeler qu'au Congrès d'Angers, Mubabinge Bilolo
et Jean-Charles Coovi Gomez furel1t les invités d'honneur.
94
La COlnlnission Cheikh Anta Diop, le Cercle Ralnsès et le COlnité
d'Action Panafricaine seront rejoints par les Associations suivantes:
La COlnlnission de Recherche et d'Études sur l'Afrique (CREA) de
Tours dirigée par Léopold Nouind, Ahoefa Agbagla et Wisdonl
Dohnahi, L'Alliance I(alnit de Bordeaux dirigée par Méyé Mé Mvé,
L'Association les Dossiers Panafricains de Lilnoges, Le Mouvelnent
Kamit (Paris), Le Mouvelnent Cheikh Anta Diop (Calneroun), La
SESA (Bordeaux), La Comlnission Osiris (Angers).
95
À ce IV è Congrès du Collectif des Structures Panafricaines tenu à
Bordeaux les 18 et 19 avril 1997, Diallo Abdoulaye Ménès
représentait la Génération Cheikh Anta Diop (G.C.A.D.) du Burkina
Faso dont il présenta la candidature d'adhésion. Celle-ci fut acceptée à
l'unaniInité par le Congrès du C.S.P. et la G.C.A.D. fut nOlnlnée
coordonatrice du C.S.P. pour le Burkina Faso.
224
-La mise en place d'un programme commun de
diffusion des idéaux élaborés par les penseurs
panafricains.
225
lnieux résister à I aliénation
~
néo-coloniale~ canaliser
durablement la prise de conscience née de leurs travaux~
créer des cadres de réflexiol1., arriver à contourner les
insuffisances africaines en mettant à la disposition du
maximum d'Africains les ouvrages et la pensée de Cheil(h
Anta Diop, réconcilier toutes les couches des populations
noires avec le véritable passé et la culture allthentique de
I Afrique~ participer à 1"el1seignelnel1t de l' Al1tiquité
~
96
D'une Inanière générale, un hOlll1llageappuyé doit être rendu à
toutes les Associations qui, en Afrique COlll1lle dans la Diaspora,
défendent I'héritage de Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga, et
111ènent sur le terrain, souvent dans la discrétion, l' anonYlllat et
l'abnégation, un véritable travail de conscientisation auprès des
cOInpatriotes.
226
faits., et d'en avoir permis la prise de conscience. Par
con~équent, il faut le redire, cet héritage appartient à tous,
à ceux qui admirent Cheik11 Al1ta Diop et Théophile
Obenga comme à ceux qui ne les aiment pas97., à leurs
amis comme à lellrs ennemis. Car nOllS avons tous pour
ancêtres ces N airs de la Vallée du N il. Cette prise de
conscience historique concerne aussi bien 1"Afrique
urbaine que l'Afrique rurale., le ric11e COl11mele pauvre., le
bourgeois comme le prolétaire., le croyant comme le non
croyant, etc. De la l11ême façon que Cheil(h Anta Diop et
Théophile Obenga ont pris leurs responsabilités face à leur
peuple, celui-ci tend - et beaucoup de signes le montrent -
à prendre les siennes vis-à-vis de leur héritage., n'el1
déplaise aux africanistes néo-colonialistes et racistes.
97
C~est Djibril Salnb qui écrivait que «/'ceuvre scientifique» de
Cheikh Anta Diop ((est versée d'(~fflCe all patrÙ710ine C0l1l111Un
de la
Science)). (Oj ibril Salnb~ Cheikh Anta Diop~ Les Nouvelles Éditions
Africaines du Sénégal~ Dakar~ 1992, p. 136).
227
VII
1-Le Panafricanisme
229
doit y avoir ni idéologie capitaliste~ ni communiste~ ni
socialiste, ni aUCUl1eautre idéologie étrangère, mais notre
vision propre de la société tirée de l'analyse de
l'expérience multimillénaire des peuples africains. Ce sont
toutes ces raisons qui font aussi que la jeunesse africaine
considère la contribution à la pensée panafricaine de
Cheil<h Anta Diop et de Théophile Obenga comme
véritablement stimlllante et Ollvrant les perspectives de cet
enthousiasme général qui caractérise toute renaissance
culturelle.
230
Pour les premiers, ce sera la dilution identitaire
dans ces territoires lointains à la suite de la disparition du
contact direct avec la culture négro-africaine authentique.
La perte de la langue maternelle ollvrira inévitablement la
voie au processus de créolisation qui fait dire, aujourd'hui,
à certains de nos frères, qu' «ils ne sont pas noirs mais
créQles)). Cette entreprise de désintégration humaine
menée par la politique esclavagiste va toutefois se heurter
à la résistance culturelle africaine à la laquelle il faut
attribuer la survivance et la persistance, ici et là, dal1s les
~
Caraïbes, des clIltes religieux de 1 Afrique-Mère tels que
le Vodun haïtien, les Candomblés du Brésil, la Santeria de
Cuba, etc. Il en va de même de 1'h-umanisme l1ègre resté
pratiquement intact tout au long de ces siècles de
persécution.
231
Toutefois, le se11time11t de frustration qui a]lait
naître d'une telle conception de l'histoire, deviendra de
plus en plus insupportable au fur et à mesure que les Noirs
de la Diaspora, excédés par la domination culturelle
blanche, iront à la recherche de leurs véritables racines.
Cette sorte d'histoire artificielle proposée aux Noirs par
les Blancs devenait un peu trop simpliste.
232
historiques et culturelles ne pouvait avoir comme point de
départ que la réconciliation avec la mère patrie, l'Afrique.
Ainsi, au fur et à mesure de cette redécollverte de soi par
les Noirs des Amériques~ Sltr la base de leurs propres
recherches, cette Afrique n'apparaissait plus comme une
contrée frustre et sauvage. Les travaux de Cheikh A11ta
Diop et de Théophile Obenga vont permettre de
parachever cette redécouverte de soi, en restituant
scientifiquenlent l'intégralité de cette expérience
historique vécue par tous les Noirs depuis l'Antiquité de la
Vallée du Nil jusqu'à nos jours. Expérience historique
commune au cours de laqllelle l'Esclavage et la
Déportatioll sont des momellts douloureux., des
~
'accidents" tragiques et non U11point de départ. De là, va
renaître le sentiment de fierté et de dignité qlle confère
toute référence cultllrelle et historiqlte. Et, en même
temps, cette restauration de la conscience africaine va
renforcer, chez tous les Noirs de la Diaspora, le sentiment
d'appartenir à la même mère patrie, au même peuple, par-
delà les petites spécificités bien conlpréhensibles.
233
Africain expliquait en substance que les Noirs des États-
Unis avaiel1t eu la chance d'être des descendants
d'esclaves, car leur situation écol1omique actuelle était
nettement meilleure que celle des Noirs d'Afrique
aujourd'hui. De même, lors de la première Conférence des
Africains et Africains Américains, certains responsables
politiques d'Afrique noire se demandaient ce que pouvait
signifier ce type de rencontre. On peut aussi regretter qlle
les commémorations et autres mOnUlTIents à la mémoire de
l'Esclavage et la Déportation des Noirs soient encore
insignifiants, voire inexistants, dans beaucoup de pays
africains.
234
décret colonial de son attributio11 à un pays tutélaire
européen. Par conséquent, il n'y avait plus d'histoire de
l'Afrique au-delà de quelques siècles. Parler même
d'histoire africaine était une imposture. Les Africains l1e
devaient donc exister qu'à travers ces nationalités définies
pour eux par la colonisation etlropéenne. L'éducation
coloniale~ en divisant ainsi les Africains, va développer
insidieusement la haine entre les Noirs d'Afrique,
a11éa11tissant au plus haut degré le f011d culturel comlnU11
qui pouvait le plus les rapprocher et les faire travailler
ensemble. Séparer culturellement et matériellement les
éléments naturels d'une mêlYle famille, telle fut
l'entreprise préalable à l'exploitation et au pillage de
l'Afrique par l'Europe.
235
anéantie par toutes ces tragédies qui se sont abattues sur le
Monde noir. Pour les deux savants africains, il y a les
Africains tout court, dont I'histoire commence depuis les
premiers temps de la Vallée du Nil. Par conséquent, il faut
rappeler, une fois encore, que la Diaspora Africaine n'est
que la fraction du peuple noir résidant 110rs d'Afrique.
Écoutons plus précisément Cheikh Anta Diop à ce sujet:
100
Charles Finch, «Rencontre avec le pharaon: conversation avec
Cheikh Anta Diop», in Carbet, Revue /nartiniquaise de sciences
hu/naines et de littérature n08. "Sciences et civilisations «fricaines,
h0J11/11age
à Cheikh Anta Diop ", 1989, pp. 17-23.
236
heaucoup plus qu'ici. Là-bas il y a une école formidable,
des jeunes qui sont en train de .t'aire de la recherche aux
Antilles (...). En A111érique mê111e,des Noirs ont acquis le
niveau de la connaissance directe (...). Il y a là-bas, un
noyau capable de prolnouvoir la science dans ce domaine.
Et j'en suis très heureux. Depuis quinze ans, ils venaient
ici chaque année, restaient avec 1110ipendant quinze jours.
. ..,. ]
T
,Je Ieur preparaIS
' un ztInerazre pour (JIl el' en E' gypte. » 0 I
101
Cheikh Anta Diop~ entretien avec Thellla lobby Valente, in
Diaspora A.fi~icaine, Tribune internationale indépendante. Paris,
PrintelllPs 1990~ pp. 4-6.
102
Cet ouvrage fait la synthèse de quarante années de recherche
scientifique Inenée avec opiniâtreté.
103
D'autres livres de Cheikh Anta Diop ont été traduits en anglais. Il
s'agit de : L'Unité culturelle de I 'A.fi~iqlle noire (The Cultural VJlity
of Black A.trica, Chicago~ Third World Press, 1974, - London, Karnak
House, 1990) ~ Antériorité des civilisations nègres, 171ythe ou vérité
historique? et Nations nègres et Culture (The A.fricaJl OrigiJl (~f
CivilisatioJl : Myth or Reality? New York, Westport, Laurence Hill
& COlllpany, 1974) ; L 'A.frique noire précoloniale (Precolonial Black
A.frica, New York, Westpoli, Laurence Hill & COlllpany, 1986); Les
fondel11ents éconol11iques et culturels d'un État.fédéral d 'A.fi~iquenoire
(Black A.frica, The ECOJlOnlic and Cultural Basis .for a Federated
State, New York, Westpoli, Laurence Hill & COlllpany, 1978).
104
Théophile Obenga, Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.,
p.330.
237
ceux de la Diaspora. Les titres et sous-titres de certains de
ses ouvrages sont à cet effet révélateurs:
105
Cheikh Anta Diop, entretien avec Thelna lobby Valente, op. cit., p.
5.
238
aux USA, dans le cadre de nos C0711munes préoccupations
. .. 106
lnte Ilectue Iles et SClent?/{"lques...»
IOÔ
Théophile Obenga, ['heikh Anta Diop. Volney et le Sphinx, op. cit.,
p. 12.
107
Théophile ()benga, C'heikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.,
p.329.
108
Cheikh Anta Diop, Alerte sous les tropiques, op. cil., p. 104.
239
Ainsi donc, il apparaît clairement que les travaux
pionniers des professeurs Cheil<h Anta Diop et 'Théophile
Obenga dans le domaine de I'histoire, de l'égyptologie, de
la linguistique, et des sciences humaines en général,
constituent une contribution fondamentale à la
resolidarisation du Monde noir. Comme une famille trop
longtemps dispersée, les Noirs se retrouvent ainsi sur la
base de leur conscience historique restituée et de leur
mémoire collective restaurée. Ces deux éléments
apparaissent désorlnais indispe11sables à l'édification
d'une entité politique efficaceme11t protectrice qui ne peut
être ni plus ni moins qu'un État fédéral d'Afrique noire.
109
Cheikh Anta Diop, L'Unité culturelle de l'Afi'ique noire, Présence
Africaine, Paris, 2è éd., 1982, p. 7.
240
Colonisation qui, faut-il le rappeler, avait démantelé les
grands royaumes fédéraux africains. Voilà, une fois
encore, des raisons supplémentaires qui valurent à Cheikh
Anta Diop d'être voué aux gémonies. La conscience
culturelle comme base de la conscience politique: ce
schéma d'émancipation, que tous les peuples libres se S011t
appliqués à eux-mê1nes, ne devait surtout pas inspirer les
Noirs. L'une des premières tâches de l'impérialisme était
justement de veiller à ce qu'il en soit ainsi. Cela, Cheil<h
Anta Diop n'a eu cesse de le déno11cer sa11Sambages:
241
postface de Les .fànde711ents écono711iques et culturels d'un
État .fédéral d'Afrique noire. Justement, cette mémoire
nous conduit à réaliser, comme le dit Cheikh Anta Diop~
que «plusieurs.faits prouvent que les ~fi;eicains ont grouillé
d'abord, vécu C0711711e une sorte de grappe, dans le bassin
du Nil depuis les Grands Lacs, avant d'essaimer lentement
et réce711711entà l'intérieur du continent» 111. T11éophile
Obenga rappelle également ce fait: «De cette Vallée du
Nil, des hon1n1es et des .fem/nes ont gagné, par vagues
n1igratoires successives, differents points du continent
I12
noir.» Ce qui signifie qu'on peut «localiser ainsi dans
la Vallée du Nil, depuis les Grands Lacs, le berceau
primit?f de tous , les peuples nègres qui vivent aujourd'hui
. fj:.£' . . Il:)
a' l "etat d z"sperse sur Ies d ?Jerents
' }Joznts d u contznent» -.
Par conséquent, «c'est dans cette perspective qu'il
convient de s'attendre à voir se restaurer dans l'avenir la
. . . . 114
consczence h zstorzque des peup Ies L{/rzcazns»
.1" .
III
Cheikh Anta Diop~Alerte sous les tropic/ues, op. cit., p. 118.
112Théophile Obenga~ L 'Afi-ique dans l'Antiquité, Présence Africaine~
Paris, 1973~ p. 446.
113
Cheikh Anta Diop~ Nations nègres et C~lIlture, Présence Africaine~
Paris, 1979~ p. 378.
114
Cheikh Anta Diop, Alerte sous le.)'tropiques, op. cit., p. 118.
liS Théophile Obenga, L 'A.fi~iquedans l'Antiquité, op. cit., p. 448.
242
l'ont souvent rappelée. Cheikh Anta Diop y a consacré un
ouvrage entier où il écrit:
243
d'actualité. En effet~ dans un monde rendu de plus en plus
précaire par le vandalislne économique de certaines
nations culturellement, politiquelnent et militairement
arrogantes, «I 'Unité qf;~icaine, seule, garantira la sécurité,
la dignité, l'existence du peuple qfi~icain tout entier» 119.
C'est le projet le plus efficace qui évitera aux générations
futures de ((vivre un e1?fersur cette terre)) 120.
119
Théophile Obenga, L 'A.fi"ique dans l'Antiquité, op. cit., p. 448.
120
Cheikh Anta Diop, interview à la télévision calnerounaise,
Yaoundé, 10 janvier 1986.
244
ville de Bouta, ICIcapitale prédynastique de Basse-Égypte.
Ainsi, pClr ce geste rituélique du SEMA TA WY, SETH et
H()RUS se réconcilièrent et constituèrent une seule .force
.spirituelle pour donner au souverain de KEMET vie
[ANKH}, stabilité [DJEDET} et pouvoir [WAS} ({fin qu'il
puisse accon1plir sa .fonction dans la paix [H()TEP) et la
prospérité [OUDJA}. L'Unité apporte la vie, la stabilité,
le pouvoir, la paix, la prospérité. En termes d 'at(-jourd 'hui,
on dira que l'unité apporte à la .fois développen1ent,
progrès, et épanouisselnent. Le secret du bonheur du
peuple égyptien est à trouver clans l'unité politique du
pays (..J. Les anciens Égyptiens avaient clairen1ent
conscience que leur unité politique et culturelle est le
.fonden1enf de la grandeur de leur Nation. Le .sy,nbole
l)EMA TA WY est par conséquent l'expression de la
continuité historique de KEMET et de la conscience
121
historique du peuple de KEMET»
121
Théophile Obenga, leçon inaugurale sur l' œuvre de Cheikh Anta
Diop. Voir Coovi Jean-Charles GOlnez. Dossier et cOlnpte rendu du
colloque de Dakar sur ((L'œuvre de C"heikh Anta Diop et la
Renaissance de l'Afi-iC/ue au seuil du troisièl11e 11'1illénaire)),in Racines
& Couleurs (Paris), n0126, trilnestre IV, 1997, pp. 193-V-206-XVIII.
245
Langue panafricaine et Re-naissance Africaine
122
Voir Cheikh Anta Diop, CïvilisalÎon ou Barbarie, op. cit.,
troisièlne paliie, «l'identité culturelle», p. 270 et suivantes.
ln
Théophile Obenga, Origine C0I77117Une de l'égyptien ancien, du
copte, et des langues négro-a.fi"icaines /11odernes, L' Hannattan, Paris,
1993, p. 374.
246
rôle d'éternels pasticheurs ayant /nanqué leur mission
.. 124
h Istorlque en ce mon d e» .
124
Cheikh Anta Diop, Les.fonde/l1ents..., op. cit., p. 25.
125
Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barharie, op. cit., pp. 276-277.
247
temporelle» 126. Donc, le comparatisme qui découle de la
prise en compte de la dimension l1istorique dans l'étude
des langues africaines doit permettre à chaque Africain de
saisir la parenté existant entre sa langue et celle d'un de
ses compatriotes africains, parenté qui s'explique par une
autre parenté, celle existant eI1tre les langues africaines
modernes et la langue égyptienne: «parenté génétique de
l'égyptien pharaonique et de.)' langues négro-C{.fj;oicaines»,
dit Cheikh Anta Diop, «origine C0111111une de l'égyptien
ancien, du copte et des langues négro-C{.{i;oicaines
modernes», réaffirme Théophile Obenga.
126
Théophile, Obenga, Origine C0/77171une...,op. cit., p. 373.
248
linguistique avec I' Afrique-Mère.
D' ailleurs~ cette
démarche a déjà commel1cé avec bonheur chez certains de
ces Africains de la Diaspora.
127
Cheikh Anta Diop, Lesfondenlents..., op. cit., p. 23.
249
secondaire et du supérieur y seront intégrés, elle se
substituera dans l 'enseignen1ent o.fficiel aux anciennes
langues européennes con1lne support de notre culture
128
nationale moderne.»
250
devenir den1ain pour l'Afrique noire un?fiée, une langue
132
de gouvernen1ent et de culture.»
132
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres..., op. cit., p.
113.
Ln
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres..., op. cit., p.
1 13.
251
~~al-qasr" qui signifie le palais; l'alizari, racine non
encore broyée de la garance, dérive de l'arabe "al-'usara"
qui signifie le jus; l'algarade vient de l'arabe Io'al-ghara",
,. ,
attaque a maIn armee etc. 134
134
Voir Dictionnaire de la langue .fi-ançaise lexis, Larousse, Paris,
1989.
252
racines historiques, si elle doit être differente des
135
caractères actuels.»
135
Cheikh Anta Diop, Nouvelles recherches sur l'égyptien ancien et
les langues négro-a.fi~icaines 1110dernes, Présence Africaine, Paris,
1988, p. 153.
253
actuelle évitera de se livrer à des critiques religieuses. La
religion est une qflaire J7ersonnelle. Ici il est question
uniquen1ent des problèn1es concrets qui doivent être
résolus pour que chaque cro)Jant puisse pratiquer
librement sa religion dans des conditions lnatérielles les
lneilleures. Il serait donc n1alhonnête de lire ce livre avec
l'intention secrète d'y trouver un seul n10tper111ettant cie le
. . 136
Jeter en crzant au bl asp h e111e.»
'
136
Cheikh Anta Diop~ N alions nègres el (1ulture~ op. cit., p. 23.
On peut faire relnarquer qu~en Afrique noire, d'une Inanière générale,
le problèn1e du prosélytislne religieux et donc de l'intolérance, ne se
pose pas avec les religions africaines.
137
Cheikh Anta Diop~Alerte sous les Tropiques, op. cit.~p. 121.
254
commandes des États, allait imposer, dans les médias et au
monde, l'image de pays africaiI1s dits ~~chrétiens" ,
contrairement à la réalité où la très grande majorité des
Africains avaient toujours conservé les religions africaines
malgré la farouche répression coloniale. À l'exception de
quelques régions, le prosélytisme musulman s'appuya sur
l'aristocratie et quelques chefs africai11s pour aboutir aux
mêmes rés-ultats que le Christianislne.
255
de la civilisation antique négro-égyptiel1ne qui est le
fondement de cette Re-naissance~ nous montrerons les
perspectives que la prise en compte de cette Antiquité
africaine peut offrir au spiritualisme contemporain africain
et, pourquoi pas, à la rénovation de la pensée religieuse
négro-africaine lTIoderne.
256
religieuse l'ennenli de la vraie ,foi - celle des Hébreux en
. ., .
I
captIvIte, pUIS ce Ile d es nlUSUnlLlns -» 138. Il sera perçu
comme l' Ï11carnation du mal au fil des siècles. En lisant la
sourate VII du ("oran, notamment le passage relatif à la
confrontation entre Moïse et le Pharaon (particulièrement
les versets 112 à 126), on ne peut manquer d'être frappé
par le mépris exprimé à l'égard de ceux qui sont appelés
«les sorciers» égyptiens, ceux qui «effrayaient les gens
par un grand déploiement de sorcellerie», et qui, en fin de
compte, seront «vaincus et hUI11iliés», avant de se
«prosterner» et de faire allégeance au «l)eigneur des
Mondes» malgré les admonestations de leur Pharaon. Pour
Serge Jodra, «Le Coran partage le !Joint de vue qui ,jait de
l'Égypte ancienne le pays des sortilèges et des
'~.r 139
Ina l eJ ICeS» .
138
Serge Jodra, «L'alnbiguïté égyptienne», in Les cahiers de Science
et Vie, hors série, n040, août 1997, pp. 92-93.
139
Serge Jodra, op cit.
257
Il n'est pas vain de rappeler que ce passage
biblique servira aussi de caution morale à l'Esclavage et à
la Colonisation et constituera une des bases du racisme
anti-noir et de l' Apartheid. Avec l'implantation de ces
religions en Afrique, la femme noire aussi verra son rôle et
sa place complètement remis en cause, contrairement à ce
qu'ils étaient dans la période antique égyptienne et d'une
manière générale dans la culture négro-africaine 140. Dans
le Christianisme, c'est la femme qui introduit le péché qui
condamnera le monde judéo-chrétiel1. Et, con1ll1e le
rappelle Théophile Obenga, «1'Afii9ique ne connaît pas de
tels mythes de la déchéance de I 'humanité par la
./èmme» 141. Pour lui, «la notion de culpabilité collective
.fondée sur une .faute ancienne relève strictement de
.. . .. 142 .
I 'h lstolre natlona Ie JUlve» . Il se deman de «pourquol en
140
Concernant la condition des felnlnes~ on peut lire les phrases
suivantes dans La Bible (Traduction œculnénique. Édition du Cerf /
Société biblique française, Paris-Pierrefitte~ 1988) : « Une .leJ1l1ne
acceptera n'Ùnporte quel hOJ11/nepour Inari, Inais il y a des filles
pr~férahles à d'alltres)) (Siracide 36, 26)~ «Épollses, soyez souJ11ises à
vos J11aris, COI71J11e il se doit dans le Seigneur)) (Colossiens 3~ 18).
Certains passages du Coran sont de la Inêlne veine: «Les h0J11/71eSont
autorité slIr les.feJ1l171eSà cause des pr~férences de Dieu et à cause des
dépenses des hOlnJ11eS (...). Celles dont vous craignez la
désobéissance, exhortez-les, reléguez-les dans leurs chaJnbres,
fi"appez-Ies, /nais si elles vous écoutent ne les querellez plus, car Dieu
est sublÙne et grand.)) (Le Coran, sourate 4, verset 34, traduit de
l'arabe par Jean Grosjean. Éditions Philippe Lebaud, Paris, 1979).
Les felnlnes noires qui voudront jouer un rôle essentiel dans la Re-
naissance Africaine ne resteront certainelnent pas indifférentes à de
telles conceptions.
N.B.: En toute rigueur~ il faut préciser que le passage relatif à la
"condalnnation de Canaan'", cité plus haut, est tiré de La Bihle éditée
par l'Alliance biblique universelle, Paris-Bruxelles, 1959.
141
Théophi1e Obenga~ interview à la revue Alnina~ n03 18~ octobre
1996,pp.28,64~ 65.
142Théophile Obenga~ interview à la revue AJ17Ù7a,op. cit.
258
{; . . .
./azre un dogn1e unzverse I !» 143 et rappe Il e aUSSI que « I e
<J
143
Théophile Obenga, interview à la revue Al11ina, op. cit.
144
Théophile Obenga, interview à la revue An1lna, op. cit.
145
Cheikh Anta Diop écrivait que (da culture nationale est le seul
rel11part sérieux, vrai1nent i'?fi"an ch iss able, entre le Inonde extérieur et
nous...)) (Alerte sous les tropiques, Présence Africaine, Paris, 1990, p.
102). Dans son ouvrage Civilisation ou Barbarie (op. cit., p. 272), il
répétaÜ encore: ((Devant les agressions culturelles de toutes sortes,
devant tous les .facteurs désagrégeants du Inonde extérieur, l' arlne
culturelle la plus efficace dont puisse se doter un peuple est ce
sentÙnenl de continuité historique.))
259
En effet, la religion étant et devant rester une
affaire strictement personnelle, il appartient à chaque
Africain désirant contribuer à la Re-naissance Africaine de
se déterminer en son âme et conscience. Il ressort en tout
cas, à la lumière de l' œuvre de Cheil<h Anta Diop et de
Théophile Obenga, que la connaissal1ce de la religion et de
la vie spirituelle de nos ancêtres amène inéluctablement à
reconsidérer certaines pratiques religieuses grossièrem.ent
et violemment transplantées en Afrique noire. Cela l1e doit
en rien être perçu comme une atteÎ11te à la foi de ceux qui
ont décidé de donner à leur vie Ul1edimension spirituelle
avec l'aide de ces religions étrangères.
146
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et C~ulture, op cit., p. 46.
147 SiglTIUnd Freud, L 'h0l7l171e Moi~'e et la religion 177onothéiste,
Gallimard, Paris, 1986.
260
cité avec cette femlne nommée Marie~ mère de Jésus
surnommé ~'le Christ"~ personnage central du
Christianisme. Cette religion raconte qu'une annonce
aurait été faite à cette femme par un envoyé de son dieu,
l'ange Gabriel, pour lui signifier qu'elle mettra au monde
le fils du dieu des cl1rétiens :
148
La Bihle (traduction œculllénique~ op. cit.)~ Luc L 26 à 35.
261
un enfant qui gouvernera l'Égypte. JI en avise l'assemblée
des dieux. Thot est chargé d'en il?forn1erla .future mère:
la reine Ahmosis, l'épouse du souverain de Haute et
Basse-Égypte: le roi Aakheperkaré, Thoutmosis 1er. Thot
conduit le dieu An10n qui a pris l'apparence du roi
régnant vers la reine Ahn10sis. Le dieu et la reine sont
assis, .face à .face, sur un lit dont les montants sont
terminés par des pattes de lion, .syn1bolisantla naissance
aussi bien que la n10rt. Le dieu .fait respirer à la reine la
. , .,
crolX ansee, Ieurs n1eln bres sont entrecrOlses...» 149
~
149
M. Della l'v1onica, Thout/110sis III, le plus grand des pharaons,
Léopard d'or, Paris, 1991, p. 36-38.
150Eugen Drewenrlann, De la naissanc:e des dieux à la naissance du
("hrist, Seuil, Paris, 1992, p. 78.
151
Voir à ce sujet Sarwat Anis Al-Assiout y, ()rigines égyptiennes du
(1hristianisJ11e et de l'fslânl, op cit.
262
Amenhotep IV ou Amé110phis IV (XVIIlè dynastie, XIV è
siècle av. notre ère), plus connu sous le nom d'Akhenaton,
qui systématisa la pratique du monothéisme152. Jusque-là,
ce dernier cohabitait (en le coiffant), si on peut dire, avec
ce que beaucoup de savants occidentaux s'empressèrent
d'appeler "polythéisme". En réalité, l'Égypte antique
nègre n'était pas polythéiste153. Tous ces autres dieux
n'étaient que des di\'inités intermédiaires, manifestations
multiples du Dieu Unique. Fra11çois-Xavier Héry explique
que «l'Égyptien dans son i'?finie sagesse, admit qu'il n y
avait aucun non? assez grand pour qU(II~fier l'Unique (..).
L'Égyptien SClVClifqu'Al1?on-Ré ne ]J()uvait parczftre de
.façon identique lorsque végétant, il germinait avant
l'explosion de sa renaissance: il était alors ()siris.
Kheper, il était ICI.fornle divine du renouveau matinal.
Horakty, il était la ]Juissance du ra)J()nnelnent et ainsi sous
des millions de .fOr111eS,Neter s'eXpri111ait à l 'hOln111equi
152
La réfonne religieuse introduite par le pharaon Akhenaton reposait
sur le culte d'un seul dieu, le Dieu Unique Aton, représenté par un
disque solaire. «Aton n'avait point d'apparence autre que celle du
disque. Point de statues, point d'insignes con1pliqués. Seulenlent, de
ses longs rayons tern1inés par des Inains effilées, il tendait au couple
royal, et à travers lui, au l110nde entier, la vie créatrice. Ses ten1ples
ne possédaient point de sanctuaires obscurs et Ù11pénétrables : le saint
des saints était ouvert à la IUl11ière du soleil et on y exposait les
(~U;"andes sur des autels. Il n ~v avait point de processions puisqu'on
avait supprÙl1é les Ù11ages.Seul, pal:/ois, le roi, reproduction fidèle de
son père A ton, se présentait à son peuple, qui pouvait ainsi se
représenter en quelque Inanière le dieu, l17an(j'esté seulelnent dans le
Disque divin du jOllr.)) (François Daulnas~ Les Dieux de l'Égypte,
Presses universitaires de France, Paris~ 3 éd. 1977~ p. 116). Le pharaon
Akhenaton abandonna la résidence royale de Thèbes pour s'installer
dans une capitale nouvellelnent créée, Tell el-Alnarna, oÙ il fit
construire un ÏInlnense telnple tout entièrelnent consacré au culte
d'Aton.
153
Contrairelnent à ce que continue d' affinner une certaine trad ition
falsificatrice.
263
savait l'identifier» 154.L'égyptologue Erik Hornung, qui a
beaucoup travaillé sur la religion négro-égyptienne, écrit
aussi que «l'essence du dieu prinl0rdial est que, tout
d'abord, il est [Jn et qu'ensuite, avec la création et la
diversité qu'il engendre, il devient 111ultiJ)le»155.
~
Théophile Obenga rappelle qu en fait, «A111énophis
IV, en renouant avec le culte du Soleil érigé en une entité
divine unique, toute-puissante et universelle, ne fais(lit que
rejoindre, pour l'essentiel, un vieux courant spirituel de
ses propres ancêtres de l'Ancien Elnpire (2780-2280 avo
notre ère)>>I56.Et, il fait remarquer, d'autre part, que
«presque tous les auteurs adnlettent, de bonne .foi, que
I 'Hymne à Aton d'Anlénophis IV-Akhnaton a pu inspirer
des passages dU.fu111eUX PSaU111e ]04 de la Bible»)l5?
Il est singulier de rell1arquer que toutes ces
religions qui ont emprunté à l'Égypte nègre quasiment
tous leurs f011dell1e11tstl1éologiques sont celles-là même
qui, à l'époque contemporai11e, Î111posero11tau C011tÜ1ent
noir, par une évangélisatio11 des plus implacables, des
ersatz de religions dont la philosophie n'a rien à voir avec
1'humanisllle négro-africain. Il appartiendra d011C à
l'Afrique re11aissa11te de ne plus se laisser abuser par le
colonialisme religieux.
264
n'interdirait, a priori, d'imaginer un rétablissement de
cette continuité historique entre la religion négro-
égyptienne et ces religions postérieures. Restaurer la
source négro-africail1e de ces cultes serait sans doute un
des moyens les plus efficaces de leur ôter le caractère
impérialiste qu'ils véhiculent et qui fait tant de mal aux
Africains. C'est là une qllestion de responsabilité
africaine 158.
265
Théophile Obenga~ (~jusque dans les termes, les pratiques,
les rites, les idées, les phrases, l'Afrique noire prqfonde
renvoie en ligne directe à l'Égypte pharaonique, à son
rituel funéraire plusieurs Lfois 111illénaires. L'héritage
pharaonique survit de diverses manières en Afrique noire,
au sein des sociétés qui n'ont pas encore perdu leur ân1e
ancestrale ou, comme on dit, leur' 'identité culturelle' "
leur' 'authenticité historique' '» 159. Par conséqllent, 011
peut très bie11 imagi11er et l11êl11esouhaiter que cette
parenté théologique entre l'Afrique 110ire et l'Égypte nègre
antique devienne~ un jour~ la base d'un nouveau courant
ou mouveme11t spirituel dans le cadre de la Re-naissance
Africaine.
159
Théophile Obenga, La philosophie a.fi"icaine de la période
pharaonique, op. cit., p. 197.
266
Quoi qu'il en soit, il appartient aux Noirs qui
refusent le colonialisme re]igieux, en s'engageant dans la
voie de la Re-naissance Africaine, de prendre leurs
responsabilités face aux enjeux de l' élnancipation
africaine à l'aube du troisième millénaire. La levée
progressive du taboll de la religion, que devrait
accompagner la diffusion croissante de la pensée de
C11eikh A11ta Diop, doit enfin perlnettre aux Africains de
bâtir eux-mêmes leur ave11ir spirituel et religieux, au lieu
de laisser le SOi11 de la réalisation de cette tâche à
l'impérialisme religieux dissimulé sous le label imposteur
de "syncrétisme universel'~, qui 11'est autre chose que le
,
nouveau fond de commerce de certaines" saintetés' .
267
Ainsi., par exemple, en 1971, Amadou-Mahtar
M'Bow, dans la présentation qu'il fit de l'ouvrage
collectif Le Nouveau Dossier Afrique de S. et J. Comhaire-
Sylvain, Fernand Bézy, Francis 0111Ol(ediji, Pierre L. Van
den Berghe, utilise une citation en omettant d'en citer
l'auteur. Il écrit à la page 25 : «Un de nos intellectuels qui
ont le plus contribué à l'é111ergence du .fait culturel
~fi;oicaindisait "serait-on arn1é d'une n1éthode scient?fique
d'analyse aussi .feconde que la dialectique n1arxiste - el
supposer qu'on l'ait s~!ffisan11nent assin1ilée - qu'on
l'appliquerait en vain à une réalité que l'on ignore
totalelnent ' '.» Cette citatio11 est bie11évidement de Cheikh
Anta Diop et se trouve au tout début de l'introduction de
son livre Les fonden1ents éconon1iques et culturels d'un
État fédéral d'Afi;oique noire. A.-M. M'Bow met bien entre
guillemets cette citation qu'il rapporte, pour bien montrer
qu'elle n'est pas de lui. Cependant, l'usage aurait voulu
qu'on citât., si possible, quelque part dans le texte, en bas
de page, en fin de chapitre ou e11 fi11 d'ouvrage par
exemple, le nom de l'auteur dont 011rapporte la citation.
A.-M. M'Bo'w ne pouvait l'ignorer., puisque., s'agissant de
Senghor et Bourguiba qu'il cite dans le même texte, il a
pris soin de respecter scrupuleusement cette règle
d'écriture. Cette manière de procéder s'explique par le
terrorisme intellectuel et social que Se11ghor exerçait au
Sénégal. Pathé Diagne témoigne bien de ce dilemme qui
se posait à certaines élites africaines et notamlnent
sénégalaises: «("on1n1ent s'accon11110der de ce chercheur
[Cheikh Anta Diop] ? (...) ('fon1n1entl'inviter el un ('fongrès
des ~f;;oicanistes à Dakar? (...) ('f0111mentl'associer à ICI
.fondation de l'Association des historiens C?fj;oicainscréée el
Dakar sans heurter [Senghor, tout puissant Président du
Sénégal et adversaire déclaré de C. A. Diop] ?» 160Edern
160
Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop et f'Afl"ique dans I 'histoire du
Inonde, Sankoré / L' Hannattan, Paris, 1997, p. 37.
268
Kodjo, dans son article intitulé «(Yheikh Anta Diop ou la
pensée à contre courant», avait eu aussi cette phrase
révélatrice: «On en con1pte, des Africains lnêlne, qui
rasent honteusen1ent les lnurs de JJeur de passer pour ses
. . 161
d ISClp Ies» .
269
entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines
162
de la science, de ICIculture et de la religion.»
162
Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barharie, op. cit., p. 16.
163
François-Xavier Fauvelle, «Cheikh Anta Diop~ dix ans après:
l'historien et son double», in A.frique C~ontel11poraine n° 181, 1er
trilnestre 1997, pp. 3-Il.
164
Ferran Iniesta rappelle que ('ouvrage de Théophile Obenga La
Philosophie A./i"icaine de la période pharaonique a été retiré de la
vente à la librairie du Musée du Louvre (Paris) en 1992. (Voir Fen"an
Iniesta, L'univers C!fi"icain, approche historique des cultures noires,
L'Hannattan, Paris, 1995, p. 16).
270
des populations noires sont touchées par cette dynamique
de quête d'une authentique identité culturelle et historique.
271
primordiale du développement et de la liberté. Des
Associations à caractère" ésotérique" existent, mais aussi
des groupes propre111ent scient?fiques, telle l'Académie
Harlem des Mathé111atiques (' 'T11e Harlem Mathématique
Academy"), dirigée par Frederick A. Reese: c'est Ie
premier Institut scient?fique d'Harle111, à Nevv York, dont
le leit1110tiv est: "Connaissance-Créativité-Discipline".
Des librairies <~pécialisées en études afi;<icaines existent
dans toutes les grandes villes universitaires: les ouvrages
de ('1heikh Anta Diop et toute sorte de documentation sur
l'égyptologie sont ]Jrivilégiés au plus haut point. Le travail
au niveau des médias est tout clussi considérable. "La
Nile V alley Conference" el'Atlanta est chaque .f'ois un
événelnent national.» 165
Et il C011Clut :
165
Théophile Obenga, (~heikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cil.,
p.349.
166
Théophile Obenga, ("heikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.,
p.350.
272
cette occasion, il a été organisé un colloque international
sur «L 'œuvre de ("heikh Anta Diop et la Renaissance de
l'Afi;<iqueau seuil du troisiè111e111illénaire». Ce mémorable
colloque rassembla environ 250 intervenants venus du
monde e11tier : Afrique du Sud, France, Éthiopie, Nigeria,
Gabon, Cameroun, USA, A11gleterre, République
Démocratique du Congo, République du Congo, Burkina
Faso, Bénin, Pays-Bas, Espagne, Canada, Allemagne,
Belgique, Zimbabwe, Togo, Mauritanie, Maroc, Namibie,
Martinique, Mali, Niger, Sénégal, Égypte, Côte d'Ivoire~
Australie, Burundi., etc. À ces intervenants il faut ajouter
les participants célèbres ou anonymes, dont une grande
partie de jeunes vellUS aussi bien du Sénégal que
d'Afrique et du monde. Pendant cette semaine historique,
on vit s'affro11ter et se côtoyer pêle-mêle des disciples de
Cheikh Anta Diop, ses amis et adversaires politiques, ses
critiques, ses détracteurs déclarés qui, eux, n'étaient qu'au
nombre de deux: Alain f'roment et François-Xavier
Fauvelle. Le second a mêlne été jtlsqu'à Caytu, pOtlr voir
où reposait celui dont il n'arrivait pas à se convaincre que
la simple évocatio11 du nom rassemble autant de personnes
et de personnalités venues d'horizons aussi divers. Étaient
également présents à ces manifestations commémoratives
les collègues de Cheikh Anta Diop, dont certains, qui
n'osaient pas le côtoyer de son vivant, se sont soudain
rendus compte, qu'au-delà des petites jalousies mesquines
et professionnelles, c'était d'abord de l'intérêt de la Re-
naissance Africaine qu'il s~agissait. Les membres du
gouverneme11t, les leaders de l'opposition, les
représentants des grandes instances nationales et
internatio11ales telle que l'UNESCO, les délégations des
jeunesses panafricaines (Génération Cheil(h Anta Diop,
Jeunesse Cheikll Allta Diop, Collectif des Structures
Panafricai11es, Organisation de la JeU11essePanafricaine...),
etc., tout ce monde était là pour apporter la pretlVe vivante
273
et éclatante de l'actualité de l' œuvre et de la pensée de
Cheikh Anta Diop.
167COlTIlTIélTIOration
du Xè anniversaire de la disparition du professeur
Cheikh Anta Diop. Colloque international sur l'œuvre de Cheikh Anta
Diop et la Renaissance de l'Afrique au seuil du troisièlne Inillénaire~
«Le sens de la célébration du Xè anniversaire», Université Cheikh
Anta Diop, Dakar, Sénégal, p. 3.
274
En fait, cette dynamique créée par l'œuvre de
Cheikh Anta Diop montre que de plus en plus d'Africains
ont pris conscience que les choses ne se faisaient pas
toutes seules et que l'Afrique ne pouvait attendre son salut
de la bonne volonté de ceux qui furent jadis ses bourreaux
et qui continuent insidieusement à vouloir freiner sa
marche inéluctable vers un nouveau destin. Pour les
Africains, il s'agit bel et bien d'une lutte po'ur lellr
émancipation" d'un combat pour la Re-naissance
Africaine~ dont les armes ont été fournies par Cheil<h Anta
Diop sur la base de ses découvertes scientifiques. L'arme
culturelle est sans conteste la plus fondamentale, pour la
simple raison qu'elle conditionne l'arme politique et
économique. En d'autres termes, avoir compris le sens de
l' œuvre de Cheikh Anta Diop, c'est aussi avoir conscience
que dans la mesure où la domination exercée sur l'Afrique
est d'abord culturelle, il va de soi qu'en détruisant
préalablement celle-ci, on empêche les dominations
politiques et économiques de maintenir leurs lits dans
notre pays. L'influel1ce décisive de rœuvre de Cheil(h
Anta Diop et le désir de connaissance qui lui est inhére11t
permettent de prévoir, avec optimisme, la contribution
majeure des AfricaÎ11s da11s le cOl11bat pour leur propre
survie: le combat pour la Re-naissance Africaine.
275
possibilités, Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga ont
eu, de tout temps, le SOllCide former cette jeunesse noire
que tout le monde est d'avis de présenter comme l'avenir
de l'Afrique et du Monde noir. (]1eikh Anta Diop écrit
ainsi en parlant de son ouvrage Nations nègres et ('Tulture :
168
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et ('ulture, op. cit., p. 6.
169
Théophile Obenga, ('Theikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.
276
Pour Théophile Obenga, «il appartient donc à la
jeunesse C?fil'icaine d'assulner pleinement le legs de
l 'histoire depuis l'Égypte ancienne en soignant sa
.formation intellectuelle, en C?ffir111antson autono111ie de
pensée, et en reprenant l'initiative historique à l'échelle
. 170
du contznent (..)>> .
170
Théophile Obenga, Leçon inaugurale sur l'œuvre de Cheikh Anta
Diop. Voir Coovi Jean-Charles GOlllez. Dossier et cOlllpte rendu du
colloque de Dakar: ((L'œuvre de (~heikh Anta Diop et la Renaissance
de l'A/j''ique au seuil du troisiè111e 111illénaire», in Racines & Couleurs
(Paris), n0126, trilllestre IV, 1997, pp. 193-V-206-XVIII.
277
inaugurale prononcée en ouverture du colloque organisé
pour la commémoration du Xè anniversaire de la
disparition de Cheikh Anta Diop, l''éminent professeur fut
purement et sinlplement assailli par les jeunes Africains
dont certains étaient porteurs, pour l'occasion, de
magnétophones, camescopes et autres blocs-notes171. Le
plus célèbre des disciples de Cheil<h Anta Diop répondit,
avec une patience Ï111pressionnante., à toutes les questions
que lui posaient tous ces jeunes Noirs venus des quatre
coins du monde. Les responsables du protocole étaient
pratiquement obligés de l'extraire du milieu de ceux-ci
pour aller le faire déjeuner. L"entretien se poursuivit
quelques heures après avec toutes sortes de questions sur
l'Afrique. Quelques jours plus tard, lorsqu'il administra à
Alain Froment cette correction scientifique qui restera
dans les annales de ce colloque., il fll! acclamé avec une
ferveur réconfortante pour l' ave11ir de l'Afrique. Il faut
dire que, pour tous ces jeunes, Théophile Obenga est
comme une seconde vie de Cheikh Anta Diop. Aussi, la
profonde admiration et le grand respect qu'ils lui
expriment sont dus au fait qu'e11 plus du grand savant, ils
reconnaissent en lui le premier garant et continuateur
fidèle de l' œuvre de Cheil<h Anta Diop.
171
Déjà, dès son arrivée à l'aéroport international de Dakar, les jeunes
chargés de l'accueil des pa11icipants, après avoir identifié Théophile
Obenga, se sont précipités sur lui, chacun voulant se faire
photographier avec le célèbre savant.
278
D'abord, il y al' originalité de ces œuvres. En effet,
pour la première fois, les problèmes de l'Afrique et du
Monde noir sont posés dans leur globalité culturelle.
L'agression et la spoliation d011t ont été victimes les
Africains, bien que 11'étant pas le point de focalisation
essentiel des deux penseurs africains, sont d'autant plus
perçues par la jeunesse noire que celle-ci, comme les
jeunesses du monde, est sensible à toute sorte d'i11justice.
Ensuite, le dessein naturel proposé, et qui n'est en fait
qu'une conséquence logique de leurs travaux de recherche,
trouve auprès de ces jeunes les artisans de son
accomplissement.
172
Cheikh Anta Diop~ Lesf()ndelnents, op. cit.~ p. 5.
279
se dissimulent à peine derrière des idéologies
uniformisantes pompeuses émanant de la volonté du plus
fort. La jeunesse africaine en quête de moyens de
désaliénation a compris aujourd'hui la supercherie du
discours africaniste; voilà sa11Sdoute aussi pourquoi elle
est autant en phase avec l' œuvre de Cheikh Anta Diop et
de Théophile Obenga. Ces œuvres, qui marquent une
rupture radicale avec tout ce qui avait été jusque-là écrit
dans le cadre de l'émancipation de l'Afrique, S011tperçues
par les jeunes comme salvatrices et salutaires. Car, lorsqlle
Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga affirment et
démontrent que les Égyptiens a11ciens étaient des Noirs et
que l'Antiquité égypto-nubienne est le point de départ de
la conscience historique africaine, il ne s'agit pas là d'lIn
dogme à caractère religieux. Il s'agit tout simplen1ent
d'une vérité scientifique claire, que les jeunes peuve11t
eux-mêmes vérifier, pour peu qll'ils fournissent l'effort
minimum nécessaire. C'est là que se situe la différence
avec le discours africaniste sur l'Égypte ancienne. Tandis
que Cheikh Anta , Diop et Théop11ile Obenga demandent
. . 173 .
aux Jeunes d e verI fi1er 1eurs travaux SIS
' 1 ne sont pas
convaincus, les africanistes, eux, leur enjoignent de ne pas
croire un mot de ces «contributions .fantaisistes» qui
«envahissent la littérature savante». Alors que les deux
savants incitent ces jeunes à acquérir la connaissance
directe, afin de juger par eux-mêlnes, les africanistes de
service les invitent à persévérer dans leur docilité et
l'ingurgitatio11 des thèses conformistes émanant de
173
Cheikh Anta Diop n'hésitait pas non plus à écrire, à propos de
Nations nègres et Culture, que «1'enseI11ble du travail n'est qu'une
esquisse oÙ /nanquent toujours les pe/~fèctions de détail. Il était
hUl11aine/nent Ùnpossible à un seul individu de les y apporter: ce ne
pourra être que le travail de plusieurs générations a.fricaines. Nous en
SOl1l1neSconscients et notre besoin de rigueur en sOll;fJi~e: cependant,
les grandes lignes sont solides et les perspectives justes» (Nations
nègres et ("ulture, op. cit., pp. 29-30).
280
«spécialistes européens». Dans ces conditions, on
comprend donc bien que le jeune Africain ne peut qu'être
en phase avec le discours et l' œuvre de Cheikh Anta Diop
et de Théophile Obenga dès qu'il prend conscience de la
situation dans laquelle il se trouve et surtout, lorsqu'il
éprouve la nécessité d'éliminer de son cerveau les
dernières séquelles du colonialisme pour se prémunir
mentalel11el1t contre le l1éo-colonialisme.
174
Patrice LUlTIUlTIba,extrait de la lettre envoyée à son épouse Pauline~
peu de temps avant qu'il ne soit assassiné. Cité par G. Heinz et H.
Doilnay, Patric:e LUl7lll/71ba,les cinquante derniers jours de sa vie~
Seuil / C.R.I.S.P., Paris-Bruxelles, 1966.
281
Anta Diop et de Théophile Obenga. Si~ comme on le dit~
les jeunes sont l'avenir de l' Afrique~ alors ce sont eux,
plus que la majorité des adultes d'aujourd'hui, qui
amorceront les différentes réformes du système éducatif
africain. R~éformes indispensables à l'introduction et la
diffusion de ces œuvres de la Re-naissance Africaine que
constituent les travaux de Cheikh Anta Diop, Théophile
Obenga et leur école.
282
VIII
DEFENSE ET ACTUALITE
DE LA RE-NAISSANCE AFRICAINE
283
malheureusement, qu'ils contribuent aInSI à la
"fraternisation de 1'humanité".
'"
175
Théophile Obenga, Pour une Nouvelle Histoire, Présence
Africaine, Paris, 1980, p. 100.
284
période de renaissance de la pensée du philosophe chinois
Confucius (1er siècle de notre ère) se produisit à la fin du
XIXè siècle. On parle de la Inême façon des Renaissances
juive, arabe, celte, slave, etc.
176
Théophile Obenga rappelait encore qu' ((at(}ourd'hui la ,nédecine
indienne ajoute à son héritage 111illénaire les plus récentes
acquisitions scient(fiques /110dernes...» (Pour une Nouvelle Histoire,
op. cit., p. 102).
,
À propos de ITIodernislTIe, Cheikh Anta Diop écrit: ((' 'ModernisI71e'
n'est pas 5ynonYl11e de rupture avec les sources vives du passé. Au
contraire, , qui dit ' 'Modernislne " dit' 'Intégration d' élé171ents
nouveaux' pour se Inettre au niveau des a'Lttres peuples, Inais qui dit
"Intégration d'élél11ents nouveaux" suppose un /11ilieu intégrant
lequel est la société reposant sur un passé, non pas sur sa partie
Inorte, Inais sur la partie vivante et .forle d'un passé st(fjisal7l1nent
étudié pour que tout un peuple puisse s y reconnaÎtre.)) (Nations
nègres et Culture, op. cit., p. 16).
285
ce que l'impérialisme européen veut faire crOIre aux
Africains.
177
Théophile Obenga~ C"heikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, op. cit.,
p.7.
286
Égypte ancienne. Cette reconnaissance collective est la
traduction du lieu commun que sont devenues les études
diopiennes.
178
Cheikh Anta Diop, L'Unité culturelle de l 'Afi'ique noire, op. cit., p.
9.
179
Théophile Obenga, Pour une Nouvelle Histoire, op. ciL, p. 84.
287
Qu'est-ce que la Maât ? Écoutons Théophile
Obenga à ce sujet: «Les anciens Égyptiens C{ffirn1aient
l'existence d'un ()rdre supérieur, vivant et éternel: Maât,
soit la Justice- Vérité, c'est-à-dire l'ordre cosn1ique dé?fié.
Dès lors, la vie intérieure, son appro.fondisse111ent, sa
per.fèction, sera l'exercice lnême de l'intelligence. D'où la
série de "règles" à observer pour mériter l'éternité et
vivre à jan1ais la vie des dieux, en compagnie des
Bienheureux (...J. Maât est un logos; la justice qui est à la
.f'ois éthique et .spéculative, une manière d'être de la
conscience, de l'intelligence (...). Les anciens Égyptiens,
rois et lnasses de toutes conditions, ont vécu sous le signe
de Maât, ,Justice- Vérité, le chen1in 111ên1edu vrai honheur,
de la paix, de la becluté, de la vie déch?ffrée. Pour cela, le
. ., ., .
sIgne d e maat" est Iun1Iere, Iun1Iere so IaIre.))
180
180
Théophile Obenga~ La Philosophie afi.icaine de la période
pharaonique~ op. cit.~ pp. 179-180.
]8]
Théophile Obenga~ op. cit.~ p. 512.
182Théophile Obenga~ op. cit., p. 181.
183Guy Rachet~ Dictionnaire de la civilisation égyptienne~ Larousse~
Paris~ 1992~ p. 147.
288
panthéon: elle n'est pas, à propre711ent parler, une déesse,
lnais plutôt une entité abstraite. Elle représente l'équilibre
auquel l'univers est arrivé grâce à la création, c'est-à-
dire sa cOl1:formité à la vérité de sa nature. En tant que
telle, elle est la /11eSUrede toutes choses, de la justice à
l'intégration de l'â711edu lTlort dans l'ordre universel lors
du juge711ent dernier. Elle lui serI alors de contrepoids
pour équilibrer sa pesée sur la balance de Thot. Elle est
égale711ent la nourriture des dieux, auxquels elle apporte
son harn10nie. Ainsi le règne de Maât est l'Âge d '()r que
chaque souverain va entreprendre de .faire régner CI
nouveau en qffi;oontclntles .forces négatives traditionnelles
qui cherchent chaque jour à entraver la course du soleil:
;\ A . .. . I84
lVlaat est Ie pOInt d e d epart
'" ' d ' une h Istolre cyc IIque» .
289
perpétuent ainsi un héritage éthique multi-millénaire, sur
l 8~ . . . .
cette terre d es h ommes» ~. A InSI 1' AfrIque anCIenne
'"
290
et à l'accumulation de réalisations technologiques qui ne
profitent qu'à une minorité. Lorsqu'on analyse les travaux
de Cheikh Anta Diop, on voit bien l'intérêt qu'il portait au
développement harmonieux et à l'épanouissement matériel
de 1'homme noir. C'est dans cette perspecti\Te que le
concept de Maât devient opératoire en tant que sous-
bassement théorique d'un futur modèle de société où la
transformation intérieure de 1'homllle doit le rendre apte à
créer une harmonie avec toutes les dimensions du réel:
harmonie cosmique, harmonie sociale, harmonie politique,
justice, rectitude, etc. Les Africains nouveaux doivent être
des hommes qui accomplissent la Maât et chaque Africain
doit être un amoureux de la Maât. La Maât doit être au-
dessus de tout, doit être la ligne de démarcation avec les
autres. En tant qu'Africains Noirs, notre force réside
inéluctablement dans cette conception de 1'homme qui
pourrait aussi constituer un des apports de l'Afrique à la
civilisation planétaire.
291
. . 188
prlmor d la Ie» . En'autres
d"
.
terl11es, ce N Dun cOl1tel1aIt.,
comme le dit Cheil(h Anta Diop, «la loi de tran~formation,
le principe d'évolution de la n1atière à travers le temps,
considéré également comme une divinité: kheper» 189.
«Entraînée ainsi dans son propre n10uven1ent d'évolution,
la matière éternelle, incréée, à .force de franchir les
paliers de l 'orgclniscltion, finit par prendre conscience
d'elle-même. La première conscience émerge ainsi du
Noun prin10rdial, elle est Dieu, Ra, le démiurge qui va
,. 190 . . .
ac hever Ia creatIon.» A Insl d onc, Ia connaIssaI1ce d e
cette notion du Noun montre bie!1 que dans la vision
africaine de la création, les conceptions matérialistes (le
Noun primordial contient la loi de sa propre évolution à
travers le temps) et idéalistes (du }/oun primordial surgit le
démiurge Ra, dieu autogène qui il"a pas été créé mais crée
tout ce qui vierlt à l''existence) sont liés. Et, comme l''écrit
Théophile Obenga, «les anciens Égyptiens ont cependant
eu l'imn1ense avantage sur la n1ythologie sun1érienne, la
création platonicienne et la genèse biblique en ne posant
pas de dén1iurge créateur, distinct de la création et
antérieur à celle-ci: ils ont au contraire posé la n1atière à
l'origine n1ême, une n1atière de nature très différente de
celle qui sortira par la suite de ,cette , matière .
. .
prln10r d la Ie» 191. E n son1lne, pour Ies N egro-egyptlens,
c"est «la n1atière avant toute autre chose, avant le
démiurge et les autres dieux créés de lui, à sa suite ,. avant
le ciel et la terre, avant les êtres vivants et leur évolution,
avant l'enselnble de l'Univers, avant Ie Tout
188
Théophile Obenga, La philosophie afi'icaine de la période
pharaonique, op. cit., p. 30.
189
Cheikh Anta Diop, C'ivi/isation ou Barharie, op. cit., p. 389.
190
Cheikh Anta Diop, C'ivilisation ou Barharie, op. cit., p. 389.
191
Théophile Obenga, La philosophie qfiAicuine de la période
pharaonique, op. cit., p. 32.
292
(~osmique» 192. Peut-être faut -il rechercher dans cette
conception philosophique africaine (l'antériorité de la
matière sur le démiurge) le caractère démocratique et non
fanatique des religions intrinsèquement africaines et leur
refus de tout prosélytisme. De toute évidence, il est certain
que l'enseignement aux Africains de la notion de Noun,
dès le plus jeune âge, à l'école, mettrait nOl1seltlement en
évidence des conceptions similaires entre l'Afrique
al1tique et l'Afrique contemporaine, mais permettrait aussi
et surtout d'éviter que l'intolérance, le sectarisme et le
fanatisme religieux d'importation ne s' installellt
durablement en Afrique noire par l'entremise des
Africains eux-mêmes.
293
état premier de la 111atière(c'est-à-dire non organisé) qui
précède l'existence de l'Univers (111atièrequi s'organise et
qui prend conscience de son existence) et qui le contient à
l'état potentiel. Le Noun précède la cos1110genèse.
L'introduction du Noun en cos111010gie constitue pour
nous son actualisation en un concept scient~fique
opératoire: cette phase antérieure d'un Univers appelé à
l'existence a pour li111ites.spatio-te111porelles la longueur et
193
le temps de Planck.» Qui~ Inieux qu'un Africai11,
pouvait réussir une telle réactualisation de cette grande
pensée pharaonique nègre? Car, comme le disait Cheil<h
Anta Diop~ «aujourd 'hui encore, (le tous les peuples de la
terre, le Nègre d '~fi;<iquenoire, seul, peut démontrer de
.fàçon exhaustive, l'identité d'essence de sa culture avec
celle de l'Égypte pharaonique (00). Il est le seul, à pouvoir
se reconnclître encore de .façon indubitable dans l'univers
culturel égyptien ,. il sy sent chez lui ,. il n y est point
dépaysé C0111111ele serait tout autre h0111111e,qu'il soit indo-
européen ou sémite. Autant un ()ccidental, aujourd 'hui
encore, en lisant un texte de ('faton, ressent l'écho de
l'âme de ses ancêtres, autant, la p.sychologie et la culture
révélées par les tex.tes égyptiens s'ident?jient à la
." negre» 194 .
personna ILte
193
Jean-Paul Mbelek, «Interaction entre photons et gravitons.
LiInitations ilnposées aux Inéthodes radiolnétriques de datation», in
Ankh, revue d'Égyptologie et des Civilisations a.fricaines n° 1, février
1992, pp. 89-103.
194
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, op. cit., p.
12.
294
à la .fois, pensé chez les anciens ~fi;ticains de l'Égypte
pharaonique C0J11J11eNoun et Maât, interviendra
nécessairen1ent dans la lutte actuelle pour prôner la
transcendance de l 'holnn1e par rapport à tous les
déterminisn1es de la nature et de la société» 195.
195
Théophile Obenga~ La philosophie afi~ic()inede la période
pharaonique, op. cil., pp. 513-514.
196
Aktoès~ cité par François-Xavier Héry~ Paroles de l'Égypte
ancienne, Albin Michel, Paris, p. 25.
295
. ,,197 . .
hom111escur D leu te C0111ultra
b de 111eI11e» ., on vOlt b len
que nous sommes là en présence de preuves qui
démontrent bien l'aptitude des Africains à cOl1cevoir des
pensées humanistes qui n'ont absolument rien à envier aux
autres peuples, surtout pas aux peuples colonialistes. De
même, il faut faire découvrir aux jellnes Noirs les savants
tels que Imhotep (médecin., grand architecte et homme
d'État., patron des médecins et des architectes), A11111ès
(célèbre n1athématicien), S011chès (qui fut un des
professeurs de Pythagore comme le rappelle encore Oscar
Pfouma dans son admirable ouvrage Histoire culturelle de
l'Afrique noire) et les autres illustres personnages qui
furent leurs ancêtres.
197
Ptahhotep, cité par François-Xavier Héry, op. cit., p. 19.
296
dans le quotidien Fraternité Matin: «Tout concourt dans
ce spectacle à vous donner le sentin1ent de faire une
plongée d'un réalisme bouleversant dans les teJ1lpS
198 ' . . ,
recu Ies.»
' A propos des Jeunes Interpretes, Ie n1eme "
journaliste écrit: «Les acteurs conllne Assir?fix Arnland,
dans le rôle cie Ranlsès II et Loya Mobio Bruno, dans celui
de Raken, qui ont ohtenu re,~pectivenlent le 2è et le 1er
prix des nleilleurs acteurs nationaux, ont .fortement
. ., . 199 .
ImpressIonne Ie pu bl IC.)) 0 n peut encore cIter J ean
Samba, sociologue et karatéka africain du Congo, qui créa
le premier club de boxe des pharaons, réactualisant ainsi
cet art martial pratiqué jadis par la noblesse noire de
l'Égypte antique. Après Théophile Obenga au Congo, les
égyptologues A. M. Lam et B. SalI assurent des
enseignements d'égyptologie à l'Université Cheil(h Anta
Diop de Dakar au Sénégal. A. M. Lam est égalell1ent
l'auteur avec Ayi Kwei Armah d'une revue destinée à
apprendre la langue pharaonique aux tous petits et dont la
valeur didactique et pédagogique est saluée par tous:
Hieroglyphes .f'or Babies / Les Hiéroglyphes dès le
berceau, I1lanuel de dessin et d'écriture à l'usage des
enjelnts du préscolaire, des nlaÎtres et des jJarents ; c'est le
premier document en Afrique noire qui permet aux petits
Africains d'apprendre les signes sacrés. Le physicien
Cheil(h M'Backé Diop a égaleme11t élaboré, sur ordinateur
MACINTOSH, une police de caractères lliéroglyphiques à
laquelle il a donné le nom gé11érique d'Anl0nFont2oo. C'est
198
Kakou H., «Un règne pharaonique», cOlnpte rendu du 6è Festival
National du Théâtre Scolaire et Universitaire de Côte d'Ivoire, in
Fraternité Inatin (Abidjan) du vendredi 24 avril 1987, p. 10.
199I(akou H., op. cil.
200
L'intérêt de cet outil est triple: «L 'autonul11ie de l'égyptologue, du
chercheur et / ou de l'enseignant» qui ((peut C0l11pOSerlui-111êI11e,sur
ordinateur, ses articles, ses livres, les exercices destinés à ses
étudiant.s'...)) ((un gain de teI11pS))considérable dans la cOlnposition de
"
textes en égyptjen ancjen ~ une contribution à l'édition et à (da
297
le premier travail de ce genre réalisé par un c11ercheur
africain. En Fra11ce, en Grande-Bretagne, il existe
plusieurs structures où des cours d'égyptologie et des
civilisations africaines sont dispensés aux Africains par
des chercheurs africains, etc. À tout cela, il faut ajouter
l'immense travail effectué par la Diaspora Africaine des
Amériques et des Antilles qui, d'ailleurs, sur ce point, est
très avancée, car, depuis longtemps, elle refuse de se
laisser distraire par ces «africanistes spécialistes de
l'Afrique».
298
vêtements à motifs négro-égyptiens, de l'enseignement,
paliout où c'est possible, des Antiquités nègres aux
fresques cinématographiques, en passant par la restitution
des noms et des coiffures néo-antiques, etc., tout peut
concourir~ chez les Noirs, à la restauration actualisée de
cet imme11se patrimoine culturel antique, afin de permettre
l'éradication définitive de ces complexes d'infériorité et
autres frustrations qui constituent encore un frein à la
construction irréversible d'une nouvelle personnalité
africaine imperméable à toute forme de colonialisme et
d'impérialisme.
299
États modernes, paree qu'elle est celle qui pose le plus de
. 202
pro ble111espour
' Ia e0111pre' henslon d u passe
' ' "
rlU111aln» .
300
"ivoirien", "malien", "burkinabé", etc., bref, il est tout
simplement africain et appartient en tant que tel à la
mémoire collective et à la conscience historique africaines.
203
Théophile Obenga, «Méthode et conceptions historiques de Cheikh
Anta Diop», in Revue Présence A.fiAicaine, n074, 2è trilllestre, 1970,
pp. 3-28.
301
des réalisations de nos ancêtres de l'Afrique post-antique.
Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga ont d'ailleurs
consacré plusieurs articles et ouvrages à cette période204. Il
est certain que parallèlement à la connaissance de
l'Antiquité africaine, l'introduction dans l'enseignement
actuel de tous ces faits scientifiquement restitués de la
période précoloniale, ainsi que la familiarisation avec ses
acteurs tels que les savants Ahmed Baba (1556-1627),
Kâti (1468-1593), Sâdi (1596-1656), etc., contribueraient
à restaurer chez les Africains le sentiment d'avoir toujours
été capables de se prendre en charge, depllis le
balbutiement de leur aventure humaine jusqu'à l'agression
esclavagiste et colo11iale, et qu ~il n'y a pas de raison que
leur avenir n'obéisse pas à cette logique. Cette façon de
procéder prendrait défi11itivement le contre-pied de
l'enseignement colonial et néo-colonial.
204
L'Af;"ique noire précoloniale pour Cheikh Anta DÎop et l'Af;"ique
centrale précoloniale pour Théophile Obenga.
302
naturelles~ mutations démocratiques, lutte contre la néo-
colonisation et I'impérialisme~ santé primaire,
scolarisation~ mal-développement~ maîtrise énergétique,
communication~ lutte contre le fanatisme religieux
d'importation, alphabétisation africaine~ etc. Devant tant
de problèmes, d'aucuns se réfugient dans ce qu~une
certaine littérature nomme 1-«afro-pessimisme» et
devie11nel1t convail1cus d'une lnalédiction des Noirs qui
rendrait I Afrique incapable de "décoller". En fait, cette
~
303
~
205
Sur ce point précis, il faut souligner qu'on ne peut pas à la fois
dénoncer les savants européens qui ont ou qui continuent de falsifier
notre histoire et, en lnêllle telnps, leur faire appel pour nous aider à la
restaurer et à la rédiger.
304
En général, dans la relation oppresseurs-opprimés,
ce ne sont pas les oppresseurs qui contribuent à
l'amélioration de la condition des opprimés. Ce sont plutôt
ces derniers qui, par la quête de dignité, finissent par se
libérer de l'oppression, à arracher leur liberté au terme de
luttes terribles et souvent dramatiques, mais toujours
victorieuses. Beaucoup d'Africairls pensent pouvoir faire
l'éconolnie de ces sacrifices. C'est méconnaître l'état du
Monde noir et la nature insidieuse des oppressions des
temps modernes qu'il subit. Les travaux de Cheil<h Anta
Diop et de Théophile Obenga SOl1tjustement les fruits de
ces sacrifices inhérents au recouvrement de la liberté et de
la dignité de 1'110mme noir. La conscience historiqlle
conditionne l'activité présente de l'homme. Parce que la
première étape du processus de domination ilnpérialiste
consiste à ôter la COl1science historique au peuple colonisé,
on peut dire que l''enseignement de I'histoire constitue la
première thérapeutique des peuples dominés qui veulent se
libérer de l'influence coloniale et néo-coloniale. Certains
compatriotes africains s"inscriront en faux contre cette
assertion et diront que la priorité actuelle des Noirs n'est
pas la culture mais la nourriture. Comment expliquent-ils
alors que beaucoup d'Africains préfèrent parfois se priver
de nourriture en mettant tous leurs salaires dans la
construction d'édifices religieux (mosquées, églises,
temples, etc.) et dans la pratique de cultes antiques
étrangers tels que le Christianisme et l'Islam, pour ne citer
que ces religions? C'est parce que, justement, «I 'holnn1e
, . . 206
n a pas que IJesozn d e nourrzture» .
206
Théophile Obenga, Pour une Nouvelle Histoire~ op. cit.~ p. 84.
305
peuples à l'époqlle contemporaine. Comme récrivait
Cheikh Anta Diop, «depuis l'implantation du colonialisme
en A.fj~ique, ce sont les grandes idées directrices d'une
action générale qui nous lnanquent le plus. ()n a réussi à
nous en dégoûter, et pour masquer cette carence nous
nous .faisons passer volontiers pour des réalistes. Toute
attitude qui tend à transcender la situation quotidienne
pour avoir une vue d'ensemble de problèmes réels,
o~jectif:s, qui existeraient même en dehors de celui qui les
. ." . 207
examIne, est.Jugee !JpecuIatIve» .
207
Cheikh Anta Diop, Alerte sous les tropiques, op. cit., p. 79.
306
travail de Cheikh Anta Diop et de Théophile Obenga
rompt justement avec cet état des choses. Il dérnontre que
seules la mémoire collective et la conscience historique
peuvent permettre cette resolidarition des Africains.
L'intégration culturelle africaine qu'il met en évidence
doit permettre «le passage de la conscience tribale à la
conscience nationale>>208.
lOS
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, op. cit., p.
278.
109
Thabo Mbeki, «Éloge de la rébellion»~ in Jeune A.frique, n° 1970~
du 13 octobre 1998, pp. 26-27.
307
insolubles, parce qu'envisagés localelnent, trol1vent des
solutions dès qu'on les pose à l'échelle africaine. Prenons
par exemple le domaine de la santé et plus
particulièrement celui du coût de la fabrication des
médicaments dans l'industrie pharmaceutique.
L'investissement financier nécessaire à la recherche pour
la conception d'un se.ul médicament est trop élevé pour les
faibles budgets des États africains2lo. Ce qui signifie que
ceux-ci n'ont d'autre choix que de mettre leurs efforts en
commun pour doter l'Afrique d'une industrie du
médicament capable de satisfaire les besoins des
populations, tout en réduisant, dans le même temps, la
dépendance de celles-ci vis-à-vis de l'extérieur. C'est la
même nécessité de solidarité qui se présente encore aux
Africains dans le domaine de l'agriculture où r Afiique
doit se doter des moyens les plus n10dernes de production.
La télédétection par satellite, par exemple, peut jouer tIn
rôle majeur dans le développelne11t d'une agriculture
africaine moderne. Cette technologie, pour qu'elle serve
totalement les intérêts des Africains, exige que l'Afrique
se dote d'un véritable programme spatial. Prétendre que ce
n'est pas là la priorité ou que les Africains sont incapables
de réaliser une telle ambition, reviendrait à penser que
ceux -ci sont intellectuellement inférieurs aux autres
peuples. Ce qui est bien évidelnment une hérésie. Les
Africains, comme tous les autres peuples de la terre,
peuvent lancer des fusées qui iraient placer en orbites letIrS
satellites. Plus que l'attente misérable d'un hypothétique
210
À titre d'exelnple, on peut rappeler que l'Agence alnéricaine du
développell1ent international (AID) a investi quelque 63 111illions de
dollars dans sa tentative (infructueuse du reste) de 111iseau point d'un
vaccin antilnalaria. (Voir à ce sujet Mohanled Larbi Bouguerra, La
Recherche contre le Tiers Monde. Multinationales et illusions du
développel11ent, Presses Universitaires de France, Paris, 1993, pp. 190-
192).
308
transfert de technologie~ dans le cadre d'une pseudo-
coopération humiliante, c'est la conscience et la volonté
politiques nées de la conscience historique des capacités
africaines qui permettront de réaliser ce projet.
309
inventions de ces sa\/ants l1e font que corroborer
l'évidel1ce de la capacité créatrice des Africains qui, pour
le moment, s'exprime surtout hors de l'Afrique pour des
raisons d'instabilité politique. Par conséquent, pour son
propre bien-être, pour assurer son autonomie, l'Afrique
peut et doit intervenir avec beaucoup de déterminatiol1
dans des domaines scientifiques aussi variés que la
génétique, la recherche médicale et pharmaceutique, la
310
recherche aéronautique et l'industrie spatiale, la maîtrise
énergétique~ la communication~ la chimie fine, la physique
atomique, la biologie moléculaire, la technologie
informatique, etc.212~tous ces domaines qui font d'un pays
une grande nation et une entité véritablement
indépendante et responsable quant à sa préocc-upation de
l'avenir de ses citoyens. Pour se moderniser~ l'Afrique n'a
pas besoin d-es'occidentaliser.
311
peuples africains. Cette solidarité africaine permettrait
aussi à l'Afrique noire de retrouver son dynamisme
économique perdu avec l'invasion et l'occupation
coloniales européennes.
312
Notre conviction est que ce sont les Africains eux-
mêmes qui doivent se battre pour construire une Afrique
plus libre, plus démocratique, comme l'a fait justement au
Sénégal Cheikh Anta Diop en créant un parti d'opposition
au pouvoir absolu et totalitaire du Président Senghor
Léopold Sédar. Dans ce pays, par exemple, contrairement
à ce qu'écrit une presse occidentale de propagande, les
acquis telles que la liberté politique et la libre expression
ont été le résultat de la lutte sur le terrain, dans les années
soixante~ de Cheikh Anta Diop et d'autres patriotes
africains dont certail1s furent emprisonnés avec lui dans les
geôles de Senghor. On pourrait encore citer d'autres luttes
comme celles des compatriotes d'Afrique du Sud qui, par
leurs propres moyens, ont fait plier le régime blanc
d'apartheid, etc. L'histoire africail1e restaurée par Cheikh
Anta Diop et Théophile Obenga montre que dans
beaucoup de régions de l'Afrique noire précoloniale, les
rois ou les chefs d'États n~arrivaient pas ail pouvoir
n'importe comment, ni par la grâce de pays étrangers au
continent. Certains souverains, à cause des constitlltions
de leurs pays, régnaient souvent moins d'une dizaine
d'années et devaient se remettre en question ou
démissionner. De surcroît, ils devaient rendre des comptes
à leurs peuples. Tout cela n'a rien à voir avec les petits
dictateurs et autres Présidents ""démocratiquement éllls à
vie" que connaît l'Afrique post-coloniale avec la
bienveillance active et la complicité de ceux-là même qui
nous donnent des leçons de démocratie. Combien de chefs
d'États africains actuels peuvent se promener librement
parmi leurs concitoyens, sans Ul1e armée de gardes du
corps, comme le faisait jadis les souverains de l'Égypte
antique ou de l'Empire de Ghana par exemple? Dans Les
.fondements éCOn0111iques et culturels d'un État .fedéral
313
d'A.frique noire, Cheikh Anta Diop propose de remettre à
l'ordre du jour le bicaméralisme africain ancestral214.
Pourquoi pas? Cela constituerait déjà, en tout cas, une
solution originale qui éviterait que les hommes ne
continuent de dicter leurs conduites aux femmes qui sont
aussi sinon plus nombreuses qu'eux; et dont la
contribution efficace à la vie économiqlle de l'Afrique est
reconnue par tous, contrairement à ce qui se passe dans le
domaine politique où leur influence a reculé, du fait de
l'impact du colonialisme et des religions chrétienne et
musulmane qui célèbrent la toute puissance de 1'homme et
sa supériorité sur la femme.
214COlnlne l'écrit Cheikh Anta Diop, ((de l'étude de notre passé, nous
pouvons tirer une leçon de gouvernel77ent. Le régÙne 171atriarcal
aidant, nos ancêtres, antérieurel11ent à toute influence étrangère,
avaientfail à la fèl7l111eline place de choix. Ils voyaient en elle, non la
courtisane, Inais la 111ère de .fcl/nil/e. C~eci est vrai depuis l'Égypte
pharaoniquejusqu 'à nos jours. Aussi, les.fèl1l111eSparticipaient-elles à
la direction des qflaires publiques dan.f.,'le cadre d'une assen1blée
,[énÛnine, siégeant à part, n7ais jouissant de prérogatives analogues à
celles de l' assel11blée des h0l1ll11es. Ces .[aits sont dell1eurés sans
changelnent jusqu'à la conquête coloniale, en particulier dans les
États non islan1isés yoruba et daholnéen)) (Cheikh Anta Diop. Les
,[ondell1ents op. cit., p. 53).
Il Y a lieu de rappeler la différence entre le bicalnéralislne africain et
européen: le prelnier est constitué cOlnlne on vient de le voir d'une
asselllblée d'holnllles et d'une asselnblée de felnlnes avec les Inêllles
prérogatives, tandis que dans le second on a deux asselnblées où les
hOlnlnes sont Inajoritaires la plus part du telnps (France, Grande-
Bretagne, Allelllagne, USA, etc. Il faudra le plus souvent des lois pour
ilnposer dans ces asselnblées une parité entre hOlnlnes et felnlnes).
314
présent et le flltur. C'est pour cette raison que tout projet
politique et économique ne peut se concevoir durablement,
ne peut être authentique et non dén1agogique, s'il n'a pas
d'abord une assise culturelle, c'est -à-dire s'il ne tient pas
compte de la réalité culturelle africaine. En d'autres
termes, la Re-11aissa11ce politique et économique de
1'Afrique doit passer d'abord par sa Re-naissance
culturelle.
315
CONCLUSION
317
En mettant en échec l'africanisme paternaliste
(donc raciste) qui avait étendu ses tentacules sclérosantes
sur le développement intellectuel des Noirs, en ralnenant
la négritllde sengl10rienne à ce qu'elle est réellement,
c'est-à-dire une idéologie puérile de soumission aux
valeurs de la civilisation judéo-chrétienne, idéologie
incompatible avec tout projet d'émancipation des Noirs,
Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga ont contribllé de
façon décisive à la mise en place des conditio11s
d'émergence d'un homme africain nouveau, digne,
conscient de sa capacité créatrice et de son passé,
convaincu de sa capacité à se prendre lui-même en charge,
et sachant apprécier dans sa juste proportion ce que
1'humanité doit à ses ancêtres.
318
Comme l'aurait expliqué en substance le grand
leader noir Malcom X (1925-1965), on ne peut pas
détester ses origines sans finir par se détester soi-même.
Donc, pour les Noirs Africains, renier leurs racines
historiques égypto-nubiennes reviendrait à se renier eux-
mêmes et à rester ainsi dans cet état dans lequel la
politique de destruction coloniale a toujours voulu les
111aintenir~ c'est-à-dire des Ï11dividus sans histoire~ au
destin de feuilles mortes, prêts à être happés par les
discours démagogiques sur l~universalisme et le
n1011dialisl11e. Chaque peuple doit d'abord et avant tout
assumer sa culture et sa propre histoire. Et cette culture
nationale~ cornme le dit Aliollne Diop, «ne saurait
s 'aCC0I1111'loder de subordination à une culture
étrclngère»l. ((Le dialogue des civilisations passe d'abord
jJar le dialogue des civilisations qf;;<icaines entre elles»2
rappelle Théophile Obenga. Une telle attitude n'est pas du
tout incol11patible avec la fraterl1isation des peuples, car,
comme le disait justement Cheikh Al1ta Diop, «la
plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus
apte à contribuer au progrès général de l 'hul11anité et à se
rapprocher des (lutres peuples en connaissance de
')
cause» -' .
I
Alioune Diop, «Colonialislne et nationalislne culturels», in Revue
Présence A.f;'icaine, n04, octobre-novelnbre 1955, pp. 5-15.
2
Théophile Obenga, Pour une Nouvelle Histoire, op. cit., p. 75.
3
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, op. cit., p.
12.
319
parents, intellectuels et autres responsables et acteurs de la
vie africaine. Le message de Cheikh Anta Diop et de
Théophile Obenga, si fidèle à l'idéal de la Maât négro-
égyptien11e~ est juste et légitin1e. Il révèle le vrai visage de
1'humanisme africain trop souvent masqué par la
folklorisation de la culture africaine. La force créatrice et
le souffle salutaire véhiculés par cette œuvre monumentale
sont à la base même du succès grandissant qu'elle
rencontre auprès des Africains et dans le Monde noir en
général. C'est l'essentiel et c'est tant miellx. Tant pis pour
ceux qui refusent encore de comprendre que les temps ont
changé et que les Africains, dotés d'uIle nouvelle
conscience~ entendent désormais devenir les acteurs
lucides de leur Re-naissance qui passe, entre autres, par
l'enseig11ellle11t des Antiquités nègres égypto-nubien11es~
l'enseig11emerlt de I'histoire autl1e11tique des peuples noirs
et la revalorisation de la culture négro-africaine, le ré-
el1racinen1el1t de la science en Afrique, la maîtrise de
l'économie, le développement des tecl111ologies lllodernes,
le développen1ent des langues nationales et le choix du
swahili comme langue panafricaine de culture, de
gouvernement et de communication, l'édification d'un
État fédéral d'Afrique noire, etc., autant d'impératifs dont
dépend la survie des peuples noirs.
320
QUELQUES POINTS DE REPERES)
321
égyptienne aux problèn1es culturels de l'Afrique noire
d 'aujourd 'hui. Cet ouvrage, vigoureusement combattu à
ses débuts par les africanistes eurocentristes comme par
une grande partie de l'élite négro-africaine profondément
aliénée à l'époque, marque pourtant le début de la
restauration de 1'histoire authentique et de la conscience
collective des peuples noirs. L011gtemps interdit dans
beaucoup d'établissements scolaires et universitaires
d'Afrique noire., il est devenu aujollrd'hui un lieu commun
dans le monde entier.
C'est cette année aussi que Cheil(h Anta Diop publie ses
ouvrages L'Unité culturelle de l'Afrique noire, L'Afrique
noire précoloniale, Les fondenlents économiques et
culturels {['un Étatfédéral d'Afrique noire.
322
1961. Persécution et emprisonnement de Cheil<h Anta
Diop par le Président du Sénégat Léopold Sédar Senghor~
en raison de ses opinions politiques.
Création par Cheikh Anta Diop d'lIn parti d'opposition, le
Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) qui refusait toute
compromission avec le néo-colonialisme défendu par le
Président Senghor.
323
1967. C11eikl1 A11ta Diop publie un autre ouvrage
fondamental, Antériorité des civilisations nègres, mytlle
ou vérité Ilistorique ? Dans l'annexe, il rend
définitivement caduques les critiques des africanistes
Mauny, Suret-Canale, Thomas, Devisse, Cornevin, etc.
324
la conclusion générale de ce colloque, pourtant rédigée par
un africaniste (le Pr Jean Devisse) alors farouchement
opposé aux thèses africai11es, résume, à elle seule, la
nature de l'issue des débats: <<La très minutieuse
préparation des comnlunicatiolls des professeurs CIleikll
Anta Diop et Obenga Il' a pas eu, malgré les précisions
contenues dans le document de travail préparatoire
envoyé par l'UNESCO (voir annexe 3), une contrepartie
toujours égale. Il s'en est suivi Ull véritable déséquilibre
dans les discussions.» (Actes du colloque sur le
peuplement de l'Égypte a11cienne et le déchiffrement de
l' écriture 111éroïtique~Ï11Histoire générale de 1~Afrique~
Étude et documents 1~UNESCO~ 1986, p. 101).
325
Diop. Cet ouvrage clôture 40 an11ées de recherche
scientifiqlle et de réflexion sur le devenir de l'Afrique.
Cette mêlne année, soit un an après le départ de Senghor
de la Présidence de la République, il est nommé
professeur associé à l'Université de Dakar où il
enseignera en maîtrise, DEA et dirigera des thèses.
326
Cheikh Anta Diop est reçu triomphalement aux USA.
Il donne de nombreuses conférel1ces en public et à la
télévision. Andrew Young~ ancien ambassadeur des USA
aux Nations Unis et Maire d~Atlanta~ ainsi que
l'Association Martin Luther King le décorel1t et le
récompensent pour l'ensemble de son œuvre et sa
contributiol1 à l' anlélioration du devenir du Monde noir.
Le 4 avril 1985 est décrété «Cheikh Anta Diop Day» et
une rue de la ville est baptisée de son nom.
327
mesurer avec succès aux contradicteurs et autres
détracteurs venus pour l'occasion.
328
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340
TABLE DES MATIERES
Avant-propos 9
Introduction Il
Pre111ière partie:
3-Deuxième génération 37
4-L'histoire d'une re11contre 45
Deuxiè111e partie:
341
2-0siris le Grand Noir: un prédécesseur
encombrant 82
342
Troisièlne partie:
RESPONSABILITES AFRICAINES:
LE TEMPS DE LA RE-NAISSANCE
343
VII-Impact de C. A. Diop et T. Obenga :
Pérennité ou effet de mode? 229
1-Le Panafricanisme 229
- Resolidarisatiol1 et Unité du
Monde noir 230
- L'Unité de l'Afrique sous forme
d'lIn État fédéral 240
- Langue panafricaine et Re-naissance
Africaine 246
2-La levée des tabous 253
- Religions et Renaissance Africaine 253
- Des gémonies à la postérité 267
3-Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga
et la jeunesse africail1e 275
Conclusion 317
Quelques points de repères 321
Bibliographie 329
344