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TOMBOUCTOU

ET
L'EMPIRE SONGHA y
@ L'Harmattan
ISBN: 2-7384-4384-2
Sékéné Mody CISSOKO

TOMBOUCTOU
ET
L'EMPIRE SONGHA y
Épanouissement du Soudan nigérien
aux xve-XVle siècles

L'Harmattan L 'Harmattan Inc.


5-7, rue de l'École Polytechnique 55, rue Saint -Jacques
75005 Paris - FRANCE Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9
A la mémoire de mon père Sékéné qui m'enseigna
la sagesse des traditions du terroir,
A mes étudiants, à la jeunesse d'Afrique espoir
pour le renouveau du vieux Continent.
AVANT-PROPOS

Ce livre, nous le destinons à ceux qui veulent connaître l'histoire


de l'Afrique et non à Cetlx qui prétendent la connaître. En premier
lieu, nous le destinons à la jeunesse studieuse, espoir de I Afrique
libre, que nous devons former à la source pure de la culture d'une
Afrique devenue maîtresse de SQn devenir. La jeunesse aime l'his-
toire du pays et elle cherche en elle des leçons et des motifs de
fierté. Elle est souvent déçue de ce qu'elle trouve en l'histoire afri-
caine: des tableaux sans vie, des films accélérés d'événements, des
lacunes sans limites, des questions sans réponses, des récits plus
épiques qu'historiques, etc. Ce sont là les épines de la CLIO afri-
caine. Des progrès se font pourtant chaque jour. Des mémoires,
des thèses, divers travaux de recherche révèlent par tranches les
strates du passé africain et l'enseignement de l'histoire de l'Afrique
tend de plus en plus à devenir le centre majeur des programmes
des sciences de la société.
En second lieu, nous osons espérer atteindre les responsables du
devenir de notre continent. L'action s'appuie sur la connaissance.
L'action, pour le développement intégral d'une communauté, ne
peut aboutir que par une connaissance approfondie de son passé.
La culture n'est pas une création ex-nihilo mais la continuation
d'une tradition. Que de discours officiels basés sur les vagues
généralités de « notre histoire », que d'appels au jugement de cette
histoire, que d'espoirs accumulés en elle alors qu'en réalité, l'his-
toire africaine est encore peu connue!
Quant au peuple qui ne lit presque pas, il faut lui restituer ce qui
lui est dû : son histoire. Le plus grand danger qui peut menace.r
l'histoire africaine est l'académisme. Affaire des spécialistes, géné-
ralement non africains, l'histoire telle qu'elle paraît dans les
ouvrages savants - nécessaires certes à son développement - ne
peut tOll-cher le peuple africain qu'elle doit servir en premier lieu;
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elle n'aurait ainsi aucun sens dans le développement de la cons-


cience collective. Notre étude, sans aucunement faillir à la rigueur
scientifique peut intéresser le grand public dont l'etzgouement pour
l'histoire africaine est une chose certaine.
Depuis plus de dix ans d'indépendance, le monde est intéressé à
connaître l'Afrique authentique et les civilisations africaines. Nos
amis, à travers tous les continents, nous aident à illustrer notre
culture et à apporter plus de lumière à la connaissance de notre
passé. Leur effort qui doit être encouragé ne suffit plus dans beau-
coup de domaines et plus spécialement en histoire. L'histoire
concerne en effet le destin d'une nation, dans son passé comme
dans son avenir. Ce serait une véritable aberration si les autorités
culturelles du continent africain restent des étrangers, quels que
soient leur bonne foi et leur dévouement. L'Asie a résolu ce pro-
blème et l'Afrique doit le résoudre dans les années à venir.
Notre propos concerne l'histoire de Tombouctou et de l'Empire
songhay aux xve et XVIesiècles. Le sujet n'est pas nouveau et l'on
peut nous reprocher de reprendre ce qui est connu. Cette critique
ne serait pourtant pas fondée.
Parmi les travaux sur l'Empire songhay, nous retenons d'abord
le Haut-Sénégal-Niger de Delafosse 1 qui vient d'être réédité à cause
de son importance historique. Nous sommes grand admirateur de
Delafosse qui, malgré ses lacunes, apparaît aujourd'hui comme un
des meilleurs historiens de l'Afrique noire qu'il a aimée. Il a contri-
bué à faire connaître les civilisations africaines à un monde scep-
tique qui niait alors l'histoire des peuples noirs. Delafosse a donné
une fresque grandiose des civilisations nigériennes qui l'ont fas-
ciné. Et pourtant, son œuvre, dans ce domaine reste incomplète.
L'étude est fondamentalement centrée sur l'histoire politique, évé-
nementielle,. les hypothèses dérivaient de cette théorie chère à
Delafosse que toutes les initiatives historiques qui ont fécondé le
Soudan étaient étrangères et généralement arabo-berbère. La partie
consacrée à l'Empire songhay et à Tombouctou est, du reste, som-
maire et se limite à deux ou trois chapitres. Delatosse n'épuise pas
le sujet.
Béraud Villars, administrateur des colonies, écrit vers 1942,
l'Empire de Gao, un Etat soudanais aux Xve-XVIesiècles. L'ouvrage
est intéressant, facile à lire et a le mérite de donner une synthèse
plus développée que celle de Delafosse. Cependant l'auteur n'est
pas un historien. Il ne dégage pas la civilisation songhay dans sa
globalité sinon dans ses aspects fondamentaux. Il étudie l'histoire
politique et réserve près du tiers de l'ouvrage à la domination
marocaine postérieure au XVIesiècle. L' œuvre est, somme toute,
très incomplète et superficielle. Elle a certes son utilité mais ne
peut servir d'autorité pour l'Empire songhay.
Jean Rouch, dans ses travaux sur les Songhay et plus particu-
lièrement dans sa Contribution à l'histoire de l'Empire de Gao, en
1953, apportait une lumière nouvelle. Il tenta de situer la civilisa-
tion songhay dans le contexte culturel, authentique, des croyances

1. Voir bibliographie à la fin de l'ouvrage.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y Il

traditionnelles. Son œuvre pèche sur le plan historique. Elle


n'aborde que l'histoire politique et, tout en mettant en relief le
rôle de la religion traditionnelle, elle néglige en fait l'élément isla-
mique et n'aborde pas les autres aspects de la civilisation nigé-
rienne. C'est presque dans la n1.ême catégorie qu'il faut placer ['œu-
vre de Bonlnois et Boubou Hama, l'Empire de Gao, Histoire, cou-
tumes et magie des Songhai, publiée en 1954. L'étude historique
est très sommaire; celle des croyances traditionnelles songhay per-
met cependant de mieux comprendre l'histoire de l'empire songhay
jusqu'ici trop exclusivement comprise sous l'angle de l'Islam.
L'historien du Niger, le Président Boubou Hama, a essayé de
renouveler l'histoire et la vision même de l'histoire du Soudan
occidental. Dans ses ouvrages dont l'Histoire des Songhay (Présence
Africaine, 1960), il s'appuie sur les traditions songhay, sur une docu-
mentatio1'l arabe inédite et tente d'élargir l'histoire des Songhay en
cherchant leurs origines, leur parenté avec tous les peuples du
Soudan Tchado..nigérien, les migrations des populations. Il for-
mule des hypothèses hardies et fécondes, s'efforce de ressusciter
l'histoire en donnant vie à ses héros, à son peuple. L'œuvre de
Boubou Hama est une source considérable de documents pour
aborder avec profit l'histoire de l'Empire songhay.
Il y a d'autres travaux comme The ~rimitive city of Tombouctou
d'Horace Miner, plus ethnologique qu historique et dont le titre est
révélateur de l'esprit qui l'anime, l'article de Péfontan sur l'His-
toire de Tombouctou, les ouvrages de Ch. Monteil sur Djenné, de
R. Mauny, de Cheikh Anta Diop et d'autres mentionnés dans notre
bibliographie. Malgré cette production, l'histoire de Tombouctou
et de l'Empire songhay est mal connue. Les ouvrages qui le concer-
nent n'étudient généralement que l'aspect politique de la question.
[Is n'épuisent nullement le sujet et ont le dangereux mérite de
donner l'illusion d'une connaissance véritable de la civilisation
nigérienne à son apogée.
Notre objectif est de les reprendre et de donner une synthèse
globale de la civilisation nigérienne avant l'invasion étrangère. Il
est, du reste, temps que l'Afrique indépendante réinterprète son
histoire en fonction de sa situation actuelle. L'Histoire contribue
plus qu'aucune autre discipline au développement de la culture
et de la conscience africaines. Par la connaissance des civilisations
de l'Afrique, de l'Egypte pharaonique à la vallée nigérienne, nous
devons briser les chaînes dans lesquelles la colonisation nous a
enfermés, et nous nous asseyons d'emblée au grand concert des
civilisations, non en parents pauvres, mais en héritiers d'un riche
passé plusieurs fois millénaire. Après un siècle de domination
étrangère, il est plus que jamais urgent de donner à la nouvelle
génération d'Africains la mentalité d'hommes libres, responsables
de leur devenir et de celui de toute l'Humanité. L'Histoire, plus que
toute autre discipline, doit tendre à former cette conscience, à la
développer par ce qu'elle lui apporte, par sa méthode rationnelle
et critique. Loin de nous cependant l'idée d'un nationalisme chau-
vin, dépassé par l'évolution de notre continent et de notre planète.
Il n'en reste pas moins que nos jeunes nations ont un besoin urgent
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de s'épanouir en s'enracinant profondément dans leur culture,


c'est-à-dire, au premier chef, dans leur histoire.
L'historien africain devient un responsable. Il ne peut s'isoler,
se couper de son peuple mais il doit au contraire contribuer au
développement commun. Il est responsable de la cité d'hier, c'est-
tl-dire des fondements de la cité d'aujourd'hui et de son devenir.
Lourde responsabilité qui rend la tâche difficile I L'historien afri-
cain doit écrire ce qui n'est pas écrit, réinterpréter, quand cela est
nécessaire, ce qui est déjà écrit. Il doit connaître l'âme et les ~ro-
blèmes de son peuple pour mieux comprendre son histoire. L his-
toire ne saurait être une science des faits inertes que le spécialiste
manie selon des méthodes plus ou moins adéquates. Quand il s'agit
des peuples africains qui luttent pour réparer sans amertume les
injustices des autres, l'Histoire prend une autre dimension, une
autre signification. Qu'on ne nous décourage pas par le reproche
de chauvinisme et de manque d'objectivité. Ces slogans ne peuvent
que cacher des arrière-pensées dont on connaît le nom. Formés à
la Sorbonne, à Cambridge ou ailleurs, les jeunes historiens africains
dignes de ce nom connaissent suffisamment les méthodes de la criti-
que historique pour qu'on n'ait pas à les mettre en garde contre les
excès de l'Histoire et à les rappeler à l'objectivité scientifique. Il
ne s'agit pas de dénaturer le passé ni de le falsifier mais de l'étu-
dier en responsable conscient de la collectivité. Aucun historien
sérieux ne rejette plus les thèses de Cheikh Anta Diop dont l'ini-
tiative ouvre une voie féconde à la recherche historique africaine et
qui nous dote d'une partie du patrimoine combien riche de l'Egypte
ancienne, berceau de nombre de civilisations méditerranéennes.
Cheikh Anta est précisément un historien africain conscient qui,
par son courage et son dédain des honneurs et des postes univer-
sitaires et autres, a gardé la liberté d'écrire l'histoire de son pays.
Le sujet que nous développons ici répond à un des besoins de
l'Afrique libre. La civilisation nigérienne aux quinzième et seizième
siècles est celle d'une Afrique maîtresse de son destin et qui, par
son propre effort, était parvenue au même niveau que les grandes
civilisations de son temps. Les villes où cette civilisation a brillé
existent encore et, malgré les péripéties des siècles postérieurs, la
continuité historique ne fut pas interrompue. Les Soudanais occi-
dentaux, pour ne citer que leur exemple, « descendent d'une grande
histoire ». Les Etats nouveaux qui les encadrent sont jeunes dans
leurs structures, mais les peuples continuent de vivre selon des
traditions fondamentales qui plongent leurs racines dans des
temps très anciens. Après une longue maturation, le Soudan occi-
dental s'épanouit de la deuxième moitié du xve siècle jusqu'à la
fin du XVIesiècle et élabora une civilisation que nous tentons de
eerner dans cette étude sous tous ses aspects: organisation de
l'Etat et son fonctionnement, vie économique générale, activités
des villes de plusieurs dizaines de milliers d'habitants, sociétés
urbaines et traditionnelles, populations et peuples, croyances reli-
gieuses, islamiques et traditionnelles, épanouissement de l'esprit,
etc.
Une lelle entreprise est difficile à cause même de son ambition.
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Elle est fondamentalement basée sur la source écrite des Tarikhs :


le Tarikh el-Fettach et le Tarikh es-Soudan de Tombouctou. Nous
pensons que les Tarikhs n'ont pas été suffisamment exploités. Du
reste, ils ne sont connus que d'un public très restreint de cher-
cheurs. Nous les avons exploités à fond. Pour certaines pages, nous
avons procédé au mot à mot afin de dégager le moindre fait utile à
la compréhension du passé. Les Tarikhs écrits au milieu du XVIIe
siècle continuent la tradition historique de Tombouctou. Ils dépas-
sent la simple chronique. Les auteurs étaient conscients de leurs
responsabilité de restituer un passé vrai. Ils procèdent souvent en
vrais historiens: ils donnent leurs sources, plusieurs versions d'un
même fait, formulent des jugements très atténués, datent les évé-
nements, etc. Des pages entières sont consacrées à la société, à
l'économie et à l'Etat. Certes, les auteurs étaient de leur temps et
ils partageaient les croyances surnaturelles de leurs contemporains.
En dehors des Tarikhs, nous avons consulté et exploité à la loupe
les sources arabes connues, tel qu'El Bekri, Ibn Battouta, El
Oufrani, les auteurs portugais peu abondants sur le sujet. Nous
avons complété ces sources écrites par les traditions anciennes et
actuelles des villes de Tombouctou et Djenné.
Il est certes inutile de dire que cette étude n'eût pas été enrichis-
sante sans la constitution d'une riche historiographie du Soudan
occidental accumulée dans de nombreux articles et ouvrages dont
nous donnons la liste à la fin de ce livre. Malgré tout, notre étude
s'appuie, dans son ensemble, sur des sources insuffisantes. Les
Tarikhs écrits par des ulémas sont souvent laconiques là où nous
les voudrions abondants. Aussi notre étude reste-t-elle incomplète.
Notre synthèse, que nous avons voulue globale, demeure schémati-
que. De nombreuses lacunes ne sont pas comblées faute de documen-
tation. Des hypothèses et des suppositions réduisent la rigueur de
nos reconstitutions. Nous en sommes conscient mais pas sceptique
ni pessimiste. Nous pensons qu'il faut avoir l'audace de poser les
problèmes et de publier les résultfl.ts des recherches en attendant de
nouvelles découvertes. Nous avons suivi, pour la transcription des
noms propres, celle de o. Boudas, traducteur des Tarikhs. Les
noms ainsi transcrits tels que Askia Mohammed - lycée du nom
à Bamako - sont devenus courants et nous préférons les garder.
Il y a certes une mauvaise transcription de beaucoup de noms pro-
pres et chaque fois que nous avons pu faire des corrections, nous
n'y avons pas manqué.
L'Empire songhay étant largement étendu, notre étude met en
relief la zone où la civilisation s'est le plus implantée: la vallée du
Niger, de Djenné à Gao et leurs régions. Les autres parties de l'Em-
pire ne S011t pas pour autant négligées mais la documentation que
nous avons ne permet pas de les étudier à fond. Dans la vallée du
Niger, Tombouctou joua un rôle primordial avant et après l'Empire
songhay. Sa civilisation mieux connue à cause de sa tradition écrite
représente la civilisation nigérienne et soudanaise à son apogée au
XVIesiècle. Notre premier dessein était de nous limiter à l'histoire
de Tombouctou mais, chemin faisant, nous nous sommes rendu
compte que Tombouctou est profondément liée à l'Empire songhay,
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que son histoire ne peut être séparée de celle de l'Empire de Gao,


dont elle ne constituait qu'un aspect.
Nous devons exprimer ici notre reconnaissance au Professeur Vin-
cent Monteil qui nous avait aidé et encouragé dans nos travaux.
Par ailleurs, nous adressons nos remerciements au Président Léo-
pold Sédar Senghor et à son Gouvernement pour l'hospitalité qu'ils
nous ont apporté depuis 1967 sur cette terre de tolérance et
d'humanisme qu'est le Sénégal. Puissent nos amis de Tombouctou,
de Djenné, nos maîtres R. Mauny, Cheikh Anta Diop, trouver ici l'ex-
pression de notre gratitude et la joie d'une œuvre achevée grâce à
leur concours.
Dakar, le 7 août 1974.
PREMIERE PARTIE

Tombouctou,
des origines à l'avènement
des Askia (XIIe-xve siècles)
I.
LES ORIGINES
DE TOMBOUCTOU

A - La fondation de Tombouctou.

On admet aujourd'hui, à la suite du Tarikh es-Soudan, que Tom-


bouctou a été fondée au début du XIIe siècle par des tribus touareg.
Quant au nom de la ville, à son emplacement, à l'identification de
ses tribus, il y a désaccord entre les auteurs qui ont abordé la
question.
10 - Le site et le nom
Selon le Tarikh es-Soudan, les Touareg Maghcharen de la région
d'Araouan amenaient, chaque été, paître leurs animaux dans la
vallée du fleuve aux environs des dunes d'Amadia et retournaient
chez eux dès les premières pluies d'hivernage. Ils finirent par se
fixer dans le site actuel de Tombouctou lié au Niger, pendant les
hautes eaux, par le marigot de Kabara qui en fait une région
humide et herbeuse. Une vieille esclave avait la garde du campe-
ment pendant leur séjour au Nord; elle s'appelait Tombouctou
« mot qui dans la langue du pays, signifie la « vieille» et c'est d'elle
que ce lieu (la ville) béni a pris son nom» 1.
Par sa position géographique, Tombouctou attira les marchands
et les gens de toutes parts et devint un centre important de com-
merce. Telle serait l'origine de Tombouctou selon Es Sacdi, l'au-
teur du Tarikh es-Soudan, originaire de la ville. Elle n'a rien d'in-
vraisemblable. Le nomadisme, tel que nous le connaissons aujour-
d'hui même dans la Boucle du Niger, confirme ce mouvement
périodique des tribus entre la vallée du fleuve, le Sahel Nord et
le Gourma. Ce que le Tarikh ne dit pas, c'est peut-être l'existence
1. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 36.
18 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

dans la vallée du fleuve des villages des Noirs sédentaires (agricul-


teurs, pêcheurs) qui, dès cette époque, devaient vivre en symbiose
avec les nomades touareg et qui auraient pu former le premier
noyau de Tombouctou. La vieille femme, Tombouctou, si tel était
le nom de la gardienne du campement, ne devait pas être seule
avec les impedimenta de ses maîtres. Elle devait être en compa-
gnie d'autres esclaves noirs attachés aux cultures vivrières. Cela se
vérifiait encore au début du siècle, dans la région de Diré et Goun-
dam, entre les Kel Antassar et leurs Béla noirs.
Ainsi donc, quels que soient le nom de la ville et l'origine de ses
fondateurs, nous pouvons formuler la conclusion provisoire sui-
vante: Tombouctou était à son origine un petit campement de
Touareg nomades et de leurs esclaves; elle se développa par un
apport des populations noires sédentaires de la vallée du fleuve.
Selon Barth: Le point de vue de Barth n'est pas très éloigné de
cette conclusion. Tombouctou serait, d'après lui, peuplée dès le
début, en grande partie des populations songhay qui habitaient la
vallée du Niger. Dans cette hypothèse, il rejette l'explication que Es
Sacdi donne du nom de la ville qui serait, selon lui, un nom songhay
et non berbère. « ... La forme primitive du nom de la ville était
« Tombouctou» (littéralement « corpS» ou « cavité» en son-
ghay) qui s'appliquait aux excavations existant dans les dunes de
sable de la contrée 2.» La topographie du site de Tombouctou
confirme en partie cette explication. Etablie en effet sur une double
dune NIS, le centre de la ville forme un fond de cuvette qu'inon-
dèrent à plusieurs reprises les crues du Niger. Les tarikhs mention-
nent les nombreuses inondations de la ville surtout aux XVII-XVIIl:e
siècles. Le quartier, situé dans ce bas-fond, est appelé Badjindé ou
Banga dunde « marigot aux hippopotames» (en songhay).
L'explication topographique du nom Tombouctou nous paraît
plus conforme à la vérité que celle donnée par Es Sacdi. Il faut
d'ailleurs remarquer que les explications des noms propres de
clans, de familles, de villages, etc., sont très souvent fantaisistes
dans les traditions africaines dont les tarikhs reflètent des échos.
L'opinion de Barth est néanmoins contestée par certaines tradi-
tions orales. A plusieurs reprises, nos informateurs de Tombouctou
nous ont répété que le noyau originel de la ville se trouve vers Je
Sud et l'Ouest dans le quartier de Jingereber, donc du côté du
fleuve et d'Amadia. Or, cette partie n'est pas dans le bas-fond mais
sur la dune ouest. Le quartier de Jingereber, comme nous le ver-
rons plus loin, paraît être un des plus anciens sinon le plus ancien.
C'est là en tout cas que se trouvent les plus vieux monuments,
c'est-à-dire la mosquée de Jingereber qui existait très probable-
ment avant l'arrivée de Kankou Moussa en 1325 et celle de Sidi
Yaya qui devait être aussi ancienne. C'est aux environs de ce quar-
tier, à quelques cents mètres au N.-E. de Sidi Yaya que Péfontan
2. Dr Henri Barth: Voyages et découvertes dans ['Afrique septentrionale et cen-
,trale pendant les anées 1849 à 1855. Paris, A. Bohné Libraire et Bruxelles, A.
Lacroix Van Meenen et Cie, Editeurs, 1861, T. IV, p. 5-6.
3. Péfontan, Lieutenant: Histoire de Tombouctou, de sa fondation à l'occupation
française (xue siècle). BCEHSAOF - 1922, p. 81-113.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 19

place le Tombouctou-koi batouma (la cour du chef de Tombouc-


tou) qu'il considère comme l'emplacement du campement de la
vieille gardienne. Ainsi donc, l'ancienneté de ce quartier par rap-
port à ceux du centre situés dans la dépression centrale comme le
Badjindé, détruit, à notre avis, l'explication topographique de
Barth et l'origine songhay de la ville.
L'étymologie berbère. Tombouctou fut vraisemblablement ber-
bère à sa fondation. Le nom serait berbère et se compose de la
racine tin ou ten (lieu de) et bouctou : Timbouctou signifierait
donc, « lieu de Bouctou ». Mais qui est Bouctou ? que signifie ce
mot? Communément on en fait une vieille femme selon la tradi-
tion d'Es Sacdi. L'auteur du tarikh es Soudan nous donne la forme
« Tombouctou» qui n'est pas berbère mais plutôt songhay d'où
l'étonnement du traducteur, Houdas, qui remarque: « si elle était
exacte, cette étymologie indiquerait que les Touareg n'auraient
pas désigné cette ville par un nom appartenant à leur propre lan-
gue »4. Ce qui confirmerait le point de vue de Barth. Péfontan et
d'autres traduisent improprement le mot berbère Timbouctou par
« femme au gros nombril» pour désigner la vieille gardienne.
Certains voient dans Tombouctou deux mots: tim forme fémi-
nine berbère de ln, signifiant « celui de », « lieu de » et « bouctou »
qui est une contraction du mot arabe nekba « petite dune ». Tom-
bouctou signifierait donc « lieu couvert de petites dunes» 5. Cette
remarque est pleine d'intérêt car l'étymologie ainsi définie corres-
pond à la topographiè du site. Le premier campement berbère
aurait été établi sur les dunes d'Amadia, près du fleuve et le
deuxième qui est probablement Tombouctou sur une autre dune.
Cependant, il eut fallu beaucoup d'imagination aux fondatetlrs
pour trouver ce nom composite et savant formé de berbère et
d'arabe pour désigner leur campement. La réalité est peut-être
plus simple. De toutes façons, l'origine berbère du nom « Tim...
bouctou » et, par suite, de la ville est incontestable. Tombouctou
demeure une création berbère. La prononciation du mot varie
selon les langues: Tombouctou ou Toumbouctou en Songhay, Tim-
bouctou ou Timboktou en arabe dérivé de la terminologie tama-
cheg, Timbuctoo en anglais et Tombouctou en français. Quant au
site primitif de Tombouctou, toutes les traditions recueillies le
placent au Sud-Est, au lieu dit « Tombouctou koi batouma »,
« cour du roi de Tombouctou », à cheval entre le quartier de Saré-
keina et celui de Jingereber, à quelque cent mètres à l'Est de la
mosquée de Sidi Yaya. Ce lieu, situé sur la deuxième dune, n'attire
l'attention par rien d'autre que son nom « koi batouma », « cour
du chef ». Ce nom ne se trouve pas dans les Tarikhs et il est possi-
ble que son origine soit postérieure à la fondation de Tombouctou
et qu'elle n'apparaisse qu'au xve ou XVIesiècle, sous la domination
targui ou songhay. Le lieu serait très probablement l'emplacement

4. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 36, note 2.


5. Renou E. : La ville de Tomboktou et sa jonction avec l'Algérie, in Nature
1894, p. 375.
Gaston Rouvier dans la même revue, 1894, p. 350, le nom de Timbouctou.
20 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

de la maison de la famille de Mohammed Naddi qui a fourni, pen-


dant près d'un siècle, les Tombouctou-koÏ. Cela est d'autant plus
vraisemblable que le koi-batouma est tout près de la mosquée de
Sidi Yaya construite par le Tombouctou-koi Mohammed Naddi.
A l'ouest de ce quartier, non loin, est le deuxième monument de
la ville, la mosquée de Jingereber considérée comme la plus
ancienne de Tombouctou. Comme nous le verrons plus loin, elle est
antérieure à 1325 et aurait cristallisé autour d'elle la ville naissante
située, dans son ensemble, dans la partie ouest de la ville actuelle.
D'autres arguments viennent à l'appui de cette hypothèse. Selon les
Tarikhs, le monument de l'époque mandingue (XIII-XIve siècle), le
Madougou est situé à l'Ouest de la ville, tout près du marigot. De
même, toutes les traditions reconnaissent l'ancienneté du cime-
tière ouest, de l'autre côté du marigot. Aussi arrivons-nous à
retenir deux sites anciens probables, l'un au Sud-Est centré sur le
Tombouctou-koï batouma et le Sidi Yaya, l'autre à l'Ouest, autour
du Jingereber. En fait les deux sites étaient contigus et consti-
tuaient les quartiers de l'ancienne cité de Tombouctou située vers
le Sud entre Sidi Yaya et le Jingereber. La ville a dû s'étendre vers
l'ouest au XIII-XIvesiècles avec la conquête des Mandingue, gens de
l'Ouest.

2° - Les fondatettrs berbères. Problèmes chronologiques


Es Sacdi attribue aux Touareg Maghcharen la fondation de Tom-
bouctou. Ce nom « Maghcharen » qui n'est mentionné que dans le
Tarikh es-Soudan a fait couler beaucoup d'encre. On ne connaît
aujourd'hui aucune tribu de ce nom dans la Boucle du Niger et les
auteurs arabes du Moyen Age tels qu'El Bekri (1068) et Edrissi
(1154) 6 qui nous ont donné les premiers renseignements sur la
région, ne mentionnant pas de tribus maghcharen. Dès lors on a
émis plusieurs hypothèses. Delafosse voit en eux une importante
tribu targui 7. Paul Marty, dans son étude sur les Bérabiches 8, consi-
dère les Maghcharen comme un conglomérat de tribus berbères,
Lemta, Lamtouna et autres qui seraient descendues, une partie
dans la région de Tombouctou qu'elles auraient fondée et l'autre
partie dans l'Azaouad où elles se seraient fondues dans les tribus
iguellad. Il appartint au Dr Richier 9 de résoudre le problème. Ayant
vécu plusieurs années parmi les Touareg, connaissant bien leurs
mœurs et leur langue, Richier aboutit à la conclusion qu'il n'existe
pas de tribus maghcharen. Partant de l'étude linguistique berbère,
il conclut, comme Houdas, le traducteur du Tarikh es-Soudan, que

6. Al Bakri (Cordoue 1068) routier de l'Afrique blanche et noire du Nord-Ouest.


Traduction et commentaires V. Monteil, B. IFAN n° 1, 1968, p. 39 à 116.
Edrissi : Description de l'Afrique et de l'Espagne. Texte arabe et traduction fran-
çaise, R. Dozy et M.-J. de Goeje, Leyde, Brill, t 866.
7. Delafosse, M. : Haut-Sénégal-Niger (Soudan français). Paris, Larose, 1912,
T. II.
8. Marty (paul) : Etudes sur l'Islam el les tribus au Soudan, Paris, Leroux, 1920,
T. I, p. 180.
9. Dr A. Richier: Les Oulliminden, Touareg du Niger, région de Tombouctou-Gao.
Paris, Larose, 1924.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 21

le mot Maghcharen est un nom générique déformation de imochar,


immajerem, immakeren, et qui désigne, non une tribu, mais la
classe sociale guerrière de la société targui. Après la dernière
mise au point de Lhote 10,il ne subsiste plus de doute sur la défi-
nition de Houdas et de Richier. Le problème est alors d'identifier
les tribus touareg dont les Maghcharen constituaient l'aristocratie
et qui habitaient la région de Tombouctou à l'époque de la fonda-
tion de la ville. Richier se basant sur El Bekri et les traditions
touareg, prétend que les Maghcharen étaient un mélange de tribus
Idnane, Messoufa, Medaça et lmmedreden qui nomadisaient dans
l'Azaouad avant le XIIe siècle. Lhote pense que les Idnane et les
Immédreden n'ont jamais habité la région occidentale de la Bou-
cle, c'est-à-dire le quadrilatère Tombouctou, Ras-el-Ma, Araouan,
Oualata, où Belkri plaçait les Messoufa et les Medâça. En effet,
Belkri écrit concernant les Medâça « De là (d'Awghâm) à quatre
jours de marche, on gagne la " Source" « Ras el mâ » d'où sort
le Nil du pays des Noirs. Des tribus musulmanes berbères, les
Mdâça, vivent à cet endroit. En face, sur l'autre rive, ce sont les
Noirs polythéistes Il.>> Plus loin, El Bekri, mentionne une ville
appelée Bûghrât où se trouvait une tribu de Sanhâja connue sous
le nom de Mdâsa. Les choses ne sont pas précises; les Mdâsa
habitaient alors à proximité de Tombouctou. Edrissi 12vers le milieu
du XIIe siècle, donne la même information mais fait de Mdâsa,
une petite ville commerçante entre Ghana et Tirekka (mal locali-
sée). Il est donc hors de doute qu'aux XI-XIIesiècles, la tribu toua-
reg dominante dans la région même de Tombouctou est Medâça,
d'origine sanhaja. C'est probablement les « Maghcharen », fonda-
teurs de Tombouctou. La deuxième tribu qui parcourait }'Azaouad
à l'époque et à qui on attribue la fondation de la ville était celle des
Messoufa qui nomadisaient au temps d'Ibn Haouqal vers 951 entre
Sidjilmessa et les pays des Noirs. Ils formaient « le groupe le plus
nombreux vivant au cœur du continent» 13 donc à travers le Sahara
central. Ils étaient alors les maîtres des routes sahariennes et
vivaient des taxes perçues sur les caravanes. Leur zone d'expansion
était à peu près la même au temps d'El Bekri qui écrit: «Pour
aller de Sidjilmâsa au pays des Noirs (Bilâde as Sûdân) à Ghâna,
on doit traverser pendant deux mois un désert vide où errent quel-
ques nomades qui ne se fixent nulle part. Ce sont les Banû massûfa
(qui sont) des Sanhâja. Ils n'ont pour se réfugier d'autre ville
qu'Oued Drâ, à cinq étapes de Sidjilmasa 14. » Maîtres des routes
caravanières, les Messoufa contrôlaient le commerce du sel de
Talental (Teghazza ?) et descendaient vers le Sud jusqu'à la Boucle
du Niger. A la fin du XIIe siècle, ils étaient maîtres des mines qu'ils

10. Lhote, H. : Contribution à l'étude des Touareg soudanais. Les Sagmara, les
Maghcharen, les expéditions de l'Askia Mohamed dans J'Aïr et la confusion de
Takedda Tademekka. in B. [FAN n° 3-4, 1955, p. 334-370.
11. Al Bakri, 1968, p. 76.
12. Edrissi, 1866, p. 10.
13. Ibn Haouqal, Configuration de la Terre, introduction et traduction, par J.H.
K.rammers et G. Wiet, Paris, 1964, p. 99.
14. Al Bakri, 1968, p. 43.
22 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

faisaient exploiter par leurs esclaves. Ils formaient alors l'élément


riche et dominant de certaines villes sahéliennes comme Oualata.
En 1353, Ibn Battouta nous apprend qu'ils constituaient la masse de
la population de Tombouctou et il est probable qu'ils aient fondé
cette ville comme débouché de leur commerce de sel. On rejoint
alors la version sacdienne qui identifie les Maghcharen avec les Mes-
soufa.
Lhote avance le nom d'une troisième tribu nigérienne, les Beni
Antassar, comme ancêtres probables des Maghcharen. Il s'appuie
sur El Bekri qui mentionne l'existence des Banû Yantasir 15,tribu
nomade sanhaja vivant dans le grand désert entre le Ghana et le
Drâ. Il réfute P. Marty qui place l'arrivée des Antassar dans la
région nigérienne vers 1550 et pense qu'ils y étaient établis depuis
des siècles et seraient parents des Medâça. En tout cas, de son
hypothèse, nous pouvons conclure à l'existence non d'une tribu
mais de plusieurs tribus sanhaja comme de nos jours, s'échelon-
nant entre le Sahara et le fleuve.

Conclusion:

Ainsi on peut admettre que les « Maghcharen» fondateurs de


Tombouctou étaient les fractions nobles des tribus sanhaja,
Medâça, Messoufa, Antassar et probablement d'autres tribus toua-
reg. Il est possible que la ville fût fondée plus particulièrement par
une fraction des Medâça dont l'habitat était précisément dans les
environs de Tombouctou. Les Messoufa, caravaniers et commer-
çants seraient venus renforcer le noyau primitif et en firent un
centre commercial, débouché du sel destiné à la Boucle du Niger.
Il faut maintenant déterminer la date et les circonstances de la
fondation de la ville liées à l'évolution générale des pays noirs et
sahéliens limitrophes.

B - Tombouctou dans le cadre du Soudan occidental aux XI-XIIe


siècles.

On ne peut en effet comprendre la fondation et le développement


de Tombouctou qu'en les situant dans le cadre de l'histoire du Sou-
dan occidental, du Sahel et même de l'Afrique du nord. La vocation
fondamentale de la ville étant le commerce, son existence est liée
à l'univers sahélo-soudanais, aire des grands empires de l'Ouest
africain. Avec El Bekri et Edrissi, nous pouvons esquisser un
tableau sommaire de cette région à l'époque qui nous préoccupe.
Son trait fondamental est son développement commercial et urbain.
Toute la zone sahélienne est sillonnée de centres de commerce,
lieux d'échanges entre les produits sahariens et méditerranéens

15. Al Bakri, 1968, p. 58.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 23

d'une part et ceux venant du Soudan intérieur. C'est ce commerce


transsaharien qui explique en partie leur émergence ou leur
déclin.
Au milieu du XIe siècle, deux régions commerciales se déga-
geaient nettement: la région occidentale avec deux grandes métro-
poles, Ghana et Aoudaghost, et la région orientale avec Koukia et
Tadmekka. La Boucle du Niger, comme nous le verrons, était alors
une région intermédiaire peu éveillée à la vie commerciale.

1°) Le pôle occidental avant le mouvement almoravide


Le Ghana était, selon l'auteur andalou, l'Etat le plus puissant des
pays noirs. Se fondant sur des voyageurs et des auteurs des dixième
et onzième siècles, El Bekri nous loue la puissance et les richesses
des rois du Ghana dont la fortune était fondée en partie sur le com-
merce entre le Soudan et le Sahara. Ghana était, à cette époque, le
grand port sahélien, point d'aboutissement des caravanes chargées
de produits du Sud marocain, de Sidjilmessa mais surtout de sel
venant de Talental (Teghazza ?). Elle ravit alors à Aoudaghost le
monopole que celle-ci avait du sel avant le XIesiècle. Ainsi, la route
directe Sidjilmessa-Ghana d'un mois d'étapes l'emporta au milieu
du XIe siècle sur l'ancienne route qui passait par Aoudaghost, le
grand entrepôt du commerce transsaharien dans l'extrême Occi-
dent. Les deux métropoles véhiculaient vers les pays méridionaux
c'est-à-dire vers les vallées du Sénégal et du Niger non seulement
le sel mais des produits sahariens ou maghrebins (tissus, armes,
dattes, etc.) et en exportaient, entre autres marchandises, l'or du
Soudan. Le métal jaune venait sûrement du Bambouk et de la
Falémé. D'excellente qualité, il était très recherché dans tout le
Maghreb tant pour la frappe de dinars que pour les bijoux et les
trésors publics et privés. Aotldaghost et Ghana étaient, pour les
voyageurs maghrebins, les pays de l'or qui était, pour ainsi dire,
le nerf de toute la vie économique. Ainsi, l'éveil économique du
Sahel occidental permit le développement des villes et autres cen-
tres de commerce sur le Sénégal et le Moyen Niger, débouchés
et zones d'alimentation de Ghana et Aoudaghost. Selon El Bekri,
sur tout le long de la vallée du fleuve Sénégal, le pays du Tekrour,
il y avait de riches cultures de mil, de coton, des centres com-
merciaux et politiques fréquentés par les marchands berbères.
C'était d'Ouest en Est, Sungana, Tekrour, capitale du royaume du
même nom et dont le roi Quar Djabi s'est converti à l'Islam dans le
premier tiers du XIesiècle, Silla ou Silli, grand centre de commerce
de sel, d'anneaux, de cuivre, de cotonnades, de mil, Qualambou,
Taranga et, plus à l'Est, Giarou (non identifié). Tous ces centres,
fréquentés par les marchands arabo-berbères, étaient à quelques
exceptions près touchés par l'Islam au milieu du XIe siècle. Ils
étaient en relations avec les pays méridionaux: le Bambouk, le
Manding, où les marchands noirs allaient chercher l'or qu'ils
échangeaient contre du sel.
L'autre débouché méridional de Ghana était le moyen Niger sur
lequel El Bekri ne donne malheureusement que de maigres ren-
24 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONOHA y

seignements. Le sel et les marchandises de Ghana étaient en tout


cas ventilés dans le delta central nigérien, le Niger-Bani et gagnaient
probablement la Boucle du Niger.
A l'Est de Ghana vers le Niger, El Bekri mentionne Awgham
qu'on n'a pas encore pu localiser ni identifier. De là, il Y avait la ville
de Safangû à trois jours de marche, dernière province de Ghana
située sur le fleuve 16. Cette ville était probablement dans le delta
central mais la durée du trajet, si elle était exacte, nous éloignerait
bien du Niger. Ainsi les centres de commerce n'étaient pas nom-
breux dans cette région qui semblait peu fréquentée par les mar-
chands maghrebins, informateurs d'El Bekri. Est-ce à dire que le
commerce ghanéen s'intéressait peu au Moyen Niger, qu'il était
plutôt axé sur la région occidentale et tekrourienne?

2° - Le pôle oriental.
La zone Koukia-Tadmekka connut au x:re siècle une activité com-
merciale aussi importante que la zone occidentale Aoudaghost-
Ghana. El Bekri et plus tard Edrissi insistent sur les deux cités
orientales fréquentées par les marchands du Nord du continent.
Koukia ou Kaw Kaw, d'orthographe et de localisation impréci-
ses, était une des plus anciennes cités nigériennes. Probablement
fondée au VIle siècle selon Delafosse, rassemblant des Songhay et
des Berbères, elle connut l'Islam peut-être avant le XIe siècle.
Contrairement aux grandes métropoles de l'Ouest dont la vie était
presque uniquement liée au mouvement caravanier et transsaha-
rien, Koukia était située sur le plus grand fleuve soudanais qui en
fit une région de cultures et de pêche. Elle dut cependant sa pros-
périté et sa renommée au commerce régional et transsaharien. Elle
était le débouché du sel qui servait « de monnaie d'échange» 17
dans le pays. Ce sel provenait des mines de Tawtek dans le Sahara
central. II était alors acheminé à Tadmekka puis à Kaw-kaw et de
là vers le Sud, dans la Boucle du Niger. Koukia était ainsi, depuis
le IXe siècle probablement, le carrefour du grand commerce entre
l'Ifriquia et l'Egypte d'une part, et le Soudan occidental, de l'autre.
Avec l'avènement des Fatimides qui avaient grand besoin d'or pour
leur politique impériale 18,le commerce s'est développé dans cette
zone. Tadl1zekka constituait le nœud de toutes les routes orientales,
l'entrepôt qui redistribuait entre Koukia et Ghana les marchan-
dises ifriquiennes et égyptiennes. Comme son nom l'indique, Es-
Souq, elle était, avant tout, un marché, né depuis des siècles au
carrefour des routes entre les pays arabo-berbères au Nord et les
pays noirs au Sud. Deux routes principales partaient de Tadmekka
vers le Nord: la route de Ouargla vers Kairouan, celle de Ghada-
mès-Djebel-Nefousa, Tripoli et Augila vers l'Egypte. Vers le Sud,

16. Al Bakri, 1968, p. 77. Ce fleuve à l'Est de Ghana est très probablement le
Niger et non le Sénégal.
17. Pour toute cette région, voir Al Bakri, 1968, p. 79-80.
18. D. et S. Robert - J. Devisse: Teghaoust I, Recherches sur Aoudaghost. Paris,
Arts et métiers graphiques, 1970, chap. IV, la quesûon d'Audagust, p. 141 et sui-
vantes.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONOHA y 2S

Koukia constituait, pour ainsi dire, le port soudanais de Tadmekka.


Les deux cités vivaient en symbiose. La première envoyait à la
seconde des vivres, céréales surtout, de l'or qui faisait la réputa-
tion du pays. Tadmekka était très célèbre pour ses dinars « chau-
ves Ji 19 et elle était l'unique place de frappe de monnaie dans le
Sahel soudanais. Elle était d'autre part reliée au Ghana et à Aouda-
ghost par une route qui longeait le Niger, dans sa boucle centrale.
L'axe Tadmekka-Koukia était peut-être plus éloigné des sources
d'approvisionnement d'or et de sel; les mines de Tawtek ne devait
pas avoir l'importance de celles d'Idjil ou de Talental. Les auteurs
contemporains mentionnent peu de villes dans cette région qui
était alors le domaine des tribus touareg vassales, les Saghmara et
les Begama d'El Bekri.

3° - La région centrale: la dorsale de la Boucle du Niger.


La vallée du Niger, de Ras-el-Ma à Bourem, est peu connue à
l'époque qui nous intéresse. Flanquée entre les deux grandes zones
commerciales, elle dépendait en partie de l'Est et de l'Ouest. C'est
une région intermédiaire qui n'avait pas d'activités commerciales
propres et n'avait pas de liaisons transsahariennes Nord-Sud. Elle
se définissait, somme toute, par la piste Ghana-Tadmekka en pas-
sant ou non par Koukia. Deux centres seulement étaient connus
d'El Bekri. Le premier est Bûghrat qu'il plaçait sur le Niger à la
sortie du Ras-El-Ma, dans le pays des Medâça. C'était un petit
centre commercial fréquenté par les marchands qui prenaient la
route Ghana-Tadmekka. Edrissi, au milieu du XIIe siècle ne men-
tionne plus cette ville mais parle d'une autre qu'il appelle Madaça
sur la rive nord du Niger, presque au même endroit que Bûghrat.
Il la décrit comme une petite bourgade qui vivait de la culture
(du riz, du mil), de la pêche sur le Niger et surtout du commerce
de l'or. Medaça et Bûghrat devaient désigner la même cité. Nous
savons que Medaça était non une ville mais une tribu sanhaja qui
devait habiter Bûghrat. La localisation de cette ville n'est pas
facile. Le Ras-El-Ma ne devait pas être celui que nous connaissons
aujourd'hui, c'est-à-dire la pointe occidentale du Lac Faguibine.
El Bekri écrit « De là (d'Augham) à quatre journées de marche, on
gagne la « source» (Ras-El-Ma) d'où sort le Nil du pays des
Noirs» 20. A notre avis, le «Ras-El-Ma» pouvait aussi désigner le
delta central situé dans les « pays des Noirs », ou plus sûrement le
complexe lacustre Horo-Faguibine. C'est à la sortie de ce complexe
que se trouverait Bûghrat, ville des Medaça sur la rive nord face aux
noirs païens sur la rive Sud. Ainsi nous pouvons localiser cette
ville dans le triangle allant de Goundam sur le marigot du même
nom, à El Oualadji et à Kabara-Tombouctou sur le Niger. On serait
même tenté de rapprocher Bûghrat de Tombouctou!

19. Al Bakri, 1968, p. 78. c On dit de leurs deniers d'or pur qu'ils sont c chauves :.
(sul) parce qu'ils n'ont pas été frappés. :8>Cette traduction semble légèrement différer
de celle de Slane: c Les dinars dont ils se servent sont d'or pur et s'appellent solâ :
chauves parce qu'ils ne portent pas d'empreintes ~, in El Bek.ri, Description de
l'Afrique septentrionale, trade M. G. de Slane, Alger, Jourdan, 1913, p. 339.
26 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHAY

Tombouctou fut très probablement une fondation medaça comme


Bûghrat. Il est possible qu'à l'époque d'El Bekri, Bûghrat fût le
premier centre berbère au Nord du fleuve dans la région d'Amadia
où Sacdi situe le premier campement des «Magcharen». Pour des
raisons que nous ignorons, les nomades se seraient éloignés des
crues du Niger et se seraient installés à Tombouctou dont la réso-
nance n'est pas sans évoquer Bûghrat. C'est là une hypothèse pos-
sible.
A six jours à l'Est de Bûghrat, El Bekri mentionne Tirrega ou
Tirka ou Yettre ga à l'endroit « où le Nil se dirige vers le Sud et
rentre dans le pays des Noirs ». Ce qui nous permet de localiser
Tirrega aux environs de Bourem malgré l'avis de Delafosse 21.
Edrissi du reste, brouille tout, en situant Tirka sur le « Nil» dans
le pays Wangara, à six jours de Ghana au Nord et à six jours de
Madaça (entendez Bûghrat) à l'Est, donc dans le Delta nigérien.
Nous suivrons la version d'El Bekri mieux informé qu~Edrissi.
Selon cette version, Tirka était un important marché et surtout
un nœud de routes reliant l'une Ghana à Tadmekka et l'autre
Ghana à Koukia. Son marché était le lieu d'échange entre les mar-
chandises de l'Est et de l'Ouest.
Ainsi donc la région où devait naître Tombouctou n'avait qu'une
importance secondaire dans le Soudan occidental aux XI-XIIe siè-
cles. Il n'y avait pas de centres politiques et économiques impor-
tants sinon Tirka dont la localisation est encore problématique. Le
commerce Nord-Sud plus rémunérateur ne semblait pas animer la
région au temps d'El Bekri. Il en sera différemment aux XII-XIIIe
siècles.

C - Naissance et développement de Tombouctou aux XII-XIIIe


siècles.

Trois facteurs semblent nous expliquer sinon la naissance du


moins le développement de Tombouctou: le changement d'orien-
tation des routes transsahariennes occidentales, le bouleversement
du Sahel soudanais à partir du mouvement almoravide et le déve-
loppement de l'axe nigérien où se constituent de puissants Etats
tels que le Mali et le royaume de Gao.

10 - Primauté de la route centrale.


Aux neuvième et dixième siècles, la route occidentale qui, de
Sidjilmessa et du Drâ, reliait le Maghreb à Aoudaghost faisait de
cette dernière le vrai port sahélien du Soudan 22. Il semble que
cette route commença à perdre de son importance dès le XIe siècle
avec l'exploitation des mines de sel gemme de Talentai au cœur du
20. Al Bakri, 1968, p. 76.
21. Delafosse : Haut Sénégal Niger, 1912, p. 269, note 1, place Tirakka, « non
loin de l'emplacement de Tombouctou 1>.
22. D. et S. Robert - J. Devisse, Tegdaoust I, 1970.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 27

Sahara. Ce Talental qu'on a identifié avec Teghazza était, selon


Mauny, d'exploitation très ancienne -
remontant à l'arrivée des
Arabo-berbères au Ville siècle; la mine connaissait au milieu du
xve siècle une intense activité et ravitaillait aussi bien le Nord
(Sidjilmessa) que le Soudan. « Les marchands, écrit El Bekri,
affluent à cette mine qui ne chôme jamais et rapporte énormé-
ment 23.» A partir de cette époque, Talental-Teghazza devint le
plus important centre minier du Sahara. Les caravanes du Maghreb
partaient de Sidjilmessa pour Talental où elles faisaient leur
chargement en sel qu'elles allaient échanger au Soudan contre
de l'or et des esclaves. La route aboutissait alors au Ghana
et non à Aoudaghost, ce qui à la longue, devait ruiner la prospé-
rité de la ville berbère avant la conquête almoravide 24. Cette
route, malgré la traversée d'un désert torride l'emporta cepen-
dant sur les anciennes routes occidentales. Ce déplacement
vers l'Est aboutit au milieu du XIe siècle à la constitution d'un
grand axe oblique, plus oriental que les précédents, entre le Maroc
et le Niger, et qui passait par Teghazza. Cet axe avec quelques
modifications sera la grande voie transsaharienne entre le Maghreb
et le Soudan pendant tout le Moyen Age. Elle aboutit au Ghana au
XIe siècle, puis à Birou-Oualata aux XIIe et XIIIe siècles. Elle tra-
versait une région aride. Ibn Battouta qui l'a suivie en 1352
mentionne un seul point d'eau qu'il nomme Tâsarahlà et qui était
à mi-chemin entre Teghazza et Oualata. Une dérivation de cette
voie plus favorable aboutissait à la Boucle du Niger par Araouan.
Elle traversait en effet des points d'eau presque à chaque étape.
Elle ne devait pas avoir grande importance aux onzième et dou-
zième siècles car, ni El Bekri, ni Edrissi ne la mentionnent. Et
pourtant elle fut un des facteurs décisifs dans le développement
et la pérennité de Tombouctou. Au XIIIe siècle avec la main-mise
des Messoufa sur les Mines de Teghazza, leur contrôle de la route
transsaharienne, leur descente vers la Boucle du Niger, cette voie
s'anima et entra en concurrence avec cellè passant par Birou ou
Oualata. Par elle, la Boucle du Niger s'éveilla dès les douzième et
treizième siècles à la vie commerciale et transsaharienne. Tom-
bouctou put alors naître et se développer.
20 - Le mouvement des peuples dans le Sahel soudanais
aux XI-XIIe siècles.
Le mouvement almoravide au milieu du XIe siècle est un tour-
nant important dans la répartition des peuples du Sahel souda-
nais. Il rompt l'ancien équilibre politique entre les tribus berbères
elles-mêmes, entre les Noirs et les Berbères, entre l'Islamisme et
En effet, l'empire soninké de Ouagadou ou Ghana qui s'étendait
sur une grande partie du Sahel soudanais encadrait certaines tri-
bus berbères et toutes les populations noires des régions sahé-
l'Animisme.

23. El Bakri, 1968, p. 66.


24. D. et S. Robert - J. Devisse, 1970, p. 116.
28 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

liennes comprises entre les vallées moyennes du Sénégal et du


Niger. Au-delà, au Nord comme à l'Ouest et à l'Est, c'était le
domaine des Berbères sanhaja généralement pasteurs et nomades:
les tribus Goddala vers la côte atlantique, les Lemtouna, les Lamta
dans l'Adrar et le Tagant, les Madaça à l'Est vers le Ras el Ma, Mes-
soufa plus au Nord dans le Sahara central. Ces tribus étaient
généralement indépendantes les unes des autres. Certaines d'entre
elles, tels les Messoufa, étaient des vrais sahariens, libres de toute
domination et maîtres des routes caravanières. Celles du Tagant
et du Hodh formèrent une confédération très lâche centrée
autour de leur grande métropole, Aoudaghost et qui, au temps du
Roi Goddala Tiloutane (xe siècle) fut le centre d'un grand empire,
rival de Ghana. L'union des Berbères fut éphémère et les tribus
reprirent leur liberté. La guerre sainte almoravide scella à nouveau
l'unité des tribus sanhaja et bouleversa l'ancien ordre des choses.
Le mouvement almoravide fut de courte durée. Avant même son
aboutissement complet, quelques tribus y renoncèrent, firent séces-
sion et prirent les armes contre l'hégémonie lemtouna. C'est le cas
des Goddala qui se révoltèrent en 1056-57 contre Yaya Ibn Omar
après le départ du gros de l'armée almoravide vers le Nord. Nous
savons la suite: la mort de Yaya à la bataille de Tin Ferella, la
révolte générale des autres tribus, lamta, messoufa et le retour
précipité du Maroc d'Abou Bekr Ibn Omar qui mata les dissidents
et pacifia la région. Après cette victoire, Abou Bekr tourna ses
armes contre l'empire animiste de Ghana dont les richesses fabuleu-
ses étaient convoitées. Il s'empara de la capitale, convertit les habi-
tants à l'islam et poursuivit ses conquêtes vers le Sud. Appelé vers
1076 au Tagant par une révolte de Goddala, Lemta et Messoufa, il
périt mortellement blessé en 1087. Avec lui s'écroula l'empire almo-
ravide du Sud et les tribus berbères reprirent leurs luttes fratri-
cides ; certaines émigrèrent vers l'Est et le Sud.
Les Messoufa se déplacèrent du Draa vers l'Est où ils monopo-
lisèrent, au XIIIe siècle, les mines de sel de Teghazza et surtout vers
la Boucle du Niger, précisément dans le quadrilatère Oualata-
Araouan-Ras el Ma et Tombouctou. Il est mème possible, selon Es
Sacdi, qu'ils aient fondé Tombouctou non loin des campements
Medaça. Ils étaient en tout cas une des principales tribus berbères
dans cette région au milieu du XIve siècle.
Des tribus Lemtouna et Goddala abandonnèrent le Tagant et
émigrèrent vers le Hodh, l'Azaouad et la Boucle du Niger et vinrent
renforcer le noyau des Sanhaja, Medaça et Messoufa. La Boucle du
Niger reçut ainsi à la fin du XIe siècle un peuplement important de
Sanhaja qui auraient fondé le petit village de Tombouctou à la fin
du siècle. La date donnée par Sacdi « fin du ve siècle de l'hégire »,
1100 environ de l'ère chrétienne, correspond à ce mouvement
Sanhaja vers la Boucle du Niger et peut-être retenue comme une
des dates les plus valables. Les « Maghcharen » constitueraient
alors la couche supérieure de ces Berbères de l'Ouest, fondateurs de
la ville.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 29

3° - Nouveaux débouchés du commerce transsaharien


Une autre conséquence du mouvement almoravide fut la rupture
de l'équilibre politique et religieux. L'occupation et l'islamisation
de Ghana provoquèrent la sécession des provinces comme le Diâra,
le Sosso, le Méma, et l'émigration vers le Sud de nombreuses tribus
noires. Ces provinces méridionales s'érigèrent d'autant plus facjle-
ment en royaumes indépendants, qu'après la mort d'Abou Bekr, les
conflits internes mirent fin à l'Etat almoravide soudanais. Le
grand commerce transsaharien entre le Soudan et le Maghreb-
Espagne n'en souffrit pas cependant et se développa même. Ghana
était au milieu du XIIesiècle aussi riche et belle qu'avant la conquête.
Elle était, si l'on en croit Edrissi, le plus grand marché transsaha-
rien, la place d'or traditionnelle du Soudan. Elle devint alors l'objet
des convoitises des rois soninké ou malinké du Sud qui avaient
consolidé leur indépendance avec la conquête almoravide.
Le roi animiste de Sasso, sur lequel nous savons peu de choses en
dehors de la légende de Soumangourou, exerçait à l'époque une
sorte d'hégémonie politique dans le Kaniaga, région située entre le
Moyen Niger et la ville actuelle de Nara. Il aurait même conquis le
Manding, pays des mines d'or du Bouré. Le Nord l'attirait et vers
1203, l'armée sosso s'empara de la capitale de Ghana et en tira un
énorme butin. Désormais Ghana subit le joug des Sosso dont le
pillage et les persécutions nuisirent à la bonne marche des affaires.
Alors un grand nombre des habitants de la ville, sous la direction
du Cheik Ismaël, auraient émigré vers 1224 dans le village de Birou
qu'ils auraient alors fondé ou agrandi 25. Birou ou Oualata devint
très rapidement le grand centre économique de la région, le prin-
cipal débouché méridional des caravanes du Nord et du sel de
Teghazza.
L'orientation de l'axe commercial vers l'Est devint ainsi chose
faite avec l'avènement de Birou-Oualata. Les anciens marchés de
l'Ouest tels que Aoudaghost, Ghana, cédèrent définitivement à
ceux de l'Est, Oualata et la Boucle du Niger. La piste passant par
Araouan vers la Boucle du Niger fut alors appelée à une grande
fortune à cause des nombreux points d'eau qu'elle comportait. La
Boucle du Niger, région intermédiaire, tiraillée entre les marchés
occidentaux et orientaux, devint dès la fin du XIIe siècle le pôle d'un
axe commercial Nord Sud et allait jouer dès lors un rôle capital
dans le Soudan occidental. Elle avait le double avantage d'appar-
tenir au Sahel et à la vallée du Niger. Elle était à proximité du
riche delta central du Niger, à quelques jours de navigation de la
métropole soudanaise, Djenné. Du reste l'histoire du Soudan occi-
dental, à partir du XIIIe siècle, a basculé du Sahel et du Sénégal vers
l'Est et le Niger.

25. Jacques Mennié (Mme) : Cités anciennes de Mauritanie, Tichite et Oualata,


compte rendu des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, avril-juin
1954.
30 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

-
4° Le bourg avant la conquête mandingue
De l'étude des voies commerciales, des migrations des popula-
tions à la suite du bouleversement du Sahel au XIe siècle, des infor-
mations données par Es Sacdi, nous pouvons dresser une esquisse
de la Tombouctou primitive. A coup sûr, Tombouctou était, au début
du XIIesiècle, une fondation des Berbères sanhaja. Elle devait grou-
per des tribus medaça, messoufa et autres sanhaja, leurs escla-
ves, quelques agriculteurs songhay de la vallée du fleuve et
quelques marchands étrangers. Avec l'accroissement du trafic de
Teghazza, la ruine d'Aoudaghost, l'avènement de Birou-Oualata, le
hameau berbère devint un petit marché qui attira des marchands
venant de différentes régions du Sahel soudanais et surtout de
Ouagadou. Ecoutons ce qu'en dit Es Sacdi : « Au début c'est là que
se rencontraient les voyageurs venus par terre et par eau; ils en
avaient fait un entrepôt pour leurs ustensiles et pour leurs grains.
Bientôt cet endroit devint le carrefour des voyageurs qui y pas-
saient à l'aller et au retour. Plus tard on commença à s'établir à
demeure en cet endroit où par la volonté de Dieu, la population
alla croissant. On y venait de toutes parts et de tous lieux et bientôt
ce fut une place de commerce. Tout d'abord les gens du Ouagadou
étaient ceux qui s'y rendaient en plus grand nombre pour trafiquer,
puis il vint des négociants de toutes les régions voisines... » 26. Il est
bien probable que dès cette époque, une partie du sel de Teghazza
ait pris la voie directe vers Tombouctou au lieu de transiter par
Birou qui en était alors le grand entrepôt sahélien. Certes cette voie
était encore secondaire et c'était Oualata qui approvisionnait Tom-
bouctou. Les deux villes entretenaient des relations constantes
par les caravanes des tribus messoufa qui formaient à l'époque
l'essentiel de leurs populations.
De la ville même (son étendue, sa population, ses diverses fonc-
tions) nous ne connaissons presque rien. Nous n'avons aucune
mention de Tombouctou chez les auteurs de l'époque. En fait, la
cité sahélo-nigérienne n'avait pas encore une grande importance.
Elle n'émergea qu'au XVIesiècle, époque de l'hégémonie mandingue
dans le Soudan Occidental.

26. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 36.


ll.

TOMBOUCTOU
SOUS LA DOMINATION DES
MANDINGUE
(XIVe DEBUT xve SŒCLES)

A - Conquête mandingue
10 - L'hégémonie mandingue (XIIIe-XIvesiècles)
Le sort de Tombouctou allait être lié à celui d'une des plus
grandes formations politiques en Afrique tropicale: l'Empire du
Mali.
Né sur les Plateaux mandingue du Haut-Niger, vers le XIe siècle,
le petit royaume du Mandé devint, au milieu du XIIIe siècle, par
les conquêtes de Soundiata Keita un empire soudanais. A croire
Delafosse et les traditions orales, Soundiata aurait conquis l'em-
pire sosso et détruit Ghana vers 1240. Par l'action continue de ses
successeurs, l'Empire s'étendit démesurément et engloba, au nlilieu
du XIve siècle, tout le Soudan occidental, de l'Océan Atlantique aux
pays haoussa et même jusqu'à Takkeda près de l'Air, des régions
forestières jusqu'au cœur du Sahara. Cet empire était avant tout
nigérien. Le noyau, le Mandé ou Manding, est situé dans la savane
soudanaise, région plus humide que Ghana ou Aoudaghost. Ce
n'était pas un pays d'entrepôt ou de carrefour mais un terminus,
un producteur de grandes ressources: céréales (mil, riz, fonio) et
surtout du métal jaune dont abondaient les mines de Bouré au
Mandé même et celles de la Falémé et du Bambouk. D'abord mar-
ginal quant à la grande activité économique transsaharienne, le
Niger devint, à partir de la formation de l'empire mandingue, l'axe
dominant de l'Ouest africain. Les voies transsahariennes débou-
chèrent presque toutes sur le Niger qui devint la voie naturelle de
communication avec la capitale des mansa du Mali et des mines
d'or soudanais.
C'est sur le Niger que se situaient les principaux centres écono-
miques du Soudan, Djenné, Diaka, Tombouctou, Gao. Les marchés
32 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

sahéliens qui avaient encore un rôle actif comme Oualata, Tad.


mekka étaient, pour ainsi dire, directement branchés sur les villes
nigériennes.

2° - Tombouctou dans les sources du XIVe siècle.


L'essor de Tombouctou, ville nigérienne, date donc de l'époque
mandingue, du grand développement de l'axe nigérien. C'est sous
l'empire du Mali, en 1353, que nous avons mention pour la pre-
mière fois de Tombouctou par Ibn Battouta 1. Un des infonnateurs
d'Al Omari entre 1342 et 1349, « Abû Sacdi Othman ed Dukka]i...
qui a habité 35 ans la ville de Niani et a circulé dans tout le royau-
me »2 ne parlait pas de Tombouctou. El Marner, compagnon de
Mansa Moussa lors du retour du pèlerinage de ce dernier en 1325,
n'a mentionné à son ami Ibn-Khaldoun ni Tombouctou ni Gao
ni Djenné 3. Ce silence ne signifiait pas que Tombouctou n'existait
pas mais qu'elle n'avait pas encore conquis l'importance que lui
réservait l'avenir. Entre Al Omari (1342-1349) et Ibn Khaldoun
(1390) Ibn Battouta a passé en 1353 par Tombouctou qu'il nous
montre comme une ville berbère, résidence du tarin mandingue.
Tombouctou était, à la fin du XIve siècle un marché connu des pays
méditerranéens. L'Atlas catalan de Charles V mentionne vers 1375
la ville de Tenbuch 4 au Sud de Teghazza, entre la ville de Melli et
Geugeu (Gao). C'est en effet au XIve siècle que le Tarikh es-Soudan
situe la fondation des premiers monuments de la ville. C'est donc
l'époque où Tombouctou sort de l'ombre; elle se présentait
comme un important marché nigérien et un chef-lieu politique
mandingue. L'époque de son intégration à l'empire du Mali est
cependant difficile à déterminer.

3° - Date de la conquête mandingue.


Dans les Empires du Mali 5, Ch. Monteil critique la chronologie
du Tarikh es-Soudan généralement admise pour la conquête de
Tombouctou et du royaume de Gao par les Mandingue et nous
propose une nouvelle chronologie.
Le Tarikh es-Soudan et ses commentateurs, Barth, Dubois 6,
Delafosse, Péfontan, pour ne citer que ceux-là, assignent la conquête
de Tombouctou au règne de Kankou Moussa ou plus précisément
à l'époque de son pèlerinage vers les années 1324-1325. En effet

1. Textes et doculnents relatifs à l'histoire du Soudan, extraits tirés des voyages


d'Ibn Battuta, Dakar, Faculté des Lettres, 1966, p. 69.
2. Ibn Fadl Allah alOmari, L'Afrique moins l'Egypte, trade et annote par Gaude-
froy Demombynes, Paris, Geuthner, 1927, p.
3. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères..., trade de Slane, Paris, 1925, T. II, p. 112-
114.
4. De la Roncière (Charles), La découverte de l'Afrique au Moyen Age, cartogra-
phes et explorateurs, Le Caire, soc. Roy de Géographie d'Egypte, 1925-1927, T. I,
planche XI.
s. Montei! (Charles), Les Empires du Mali in BCEHSAOF, 1929. Nouvelle édition,
Maisonneuve et Larose, 1968.
6. Dubois F., Tombouctou la mystérieuse, Paris, Flammarion, 1897.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 33

Sacdi écrit: «Le sultan Kankou Moussa fut le premier des rois de
Melli qui s'empara du Songhay », et plus loin: « ce fut après le
départ de Kankan Moussa se rendant en pèlerinage que les gens
du Songhay se soumirent à son autorité. » « Ensuite Kankan
Moussa prit la route de Tombouctou; il s'empara de cette ville et
fut le premier souverain qui s'en rendit maître 7. » Les informa-
tions recueillies au Caire par Ibn Khaldoun de la bouche d'El Hadj
y Dunos interprète Tekrourien nous précisent que le farin Saga-
mendia aurait conquis Gao et implicitement Tombouctou durant le
pèlerinage de Mansa Moussa. Se fondant sur ces deux sources,
Delafosse, en grand visionnaire, brode le tableau devenu classique:
pendant le pèlerinage de Kankou Moussa en Lieux Saints, son
général Sagamendia conquit Tombouctou et le Songhay. Le Mansa
passa, lors de son retour, par Gao d'où il emmena en otage les
deux enfants du Roi Dia Yassiboi, par Tombouctou où il fit cons-
truire par le poète Andalou Es Sahéli la Grande Mosquée et le
palais du Madougou...
Cette hypothèse ne vaut plus depuis les critiques formulées par
Charles Monteil qui lui oppose le texte anonyme traduit par Dela-
fosse en appendice du Tarikh el Fettach. S'appuyant sur cette
source et avançant d'autres arguments tels que le pillage de Tom-
bouctou par les Mossi en 1336-1337 à la fin du règne de Kankou
Moussa, les propos de ce dernier au Caire sur sa possession des
mines de cuivre de Takkeda, Monteil fait remonter à une époque
antérieure à 1275 une première conquête mandingue de Tombouc-
tou et de Gao, et situe une deuxième sous le règne de Sakoura
(1285-1300) 8.
Ainsi on ne peut plus retenir la version sacdienne. Du reste
Es Sacdi ignorait la date exacte du pèlerinage de Kankou Moussa
qu'il plaçait « dans les premières années du neuvième siècle de
l'hégire}) 9 c'est-à-dire vers 1398-1400. La chronologie proposée par
Monteil correspond au règne du premier successeur de Soundiata,
son fils Mansa Oulé (1255-1270). Or nous ignorons presque tout de
ce roi sinon qu'il a fait le pèlerinage à La Mecque. Quant à l'auteur
anOD.yme de l'Appendice, il est du milieu du XVIIesiècle! Ses sour..
ces nous sont inconnues. On ne peut le suivre que prudemment.
Il est, d'autre part, difficile d'écarter les témoignages du Cheick
Othman qui connaissait bien le Mali pour avoir séjourné plus de
20 ans à Gao. Cheick Othman attribuait à Sakoura la conquête de
Gao entre 1285-1300. Après Soundiata, Sakoura fut en effet le
grand conquérant de l'empire. Comme on peut le supposer sans
trop d'erreur, il accéda au pouvoir avec l'aide de l'armée et
repoussa les limites de l'Empire jusqu'à l'Atlantique à l'Ouest et
à Gao à l'Est.
L'hypothèse de Monteil est donc la plus sérieuse mais elle doit
être encore atténuée. Après ses critiques, on ne peut plus situer
la conquête mandingue de Tombouctou et de Gao sous le règne de

7. Pour toutes citations, voir Tarikh es-Soudan, 1964, p. 12 à 14.


8. Monteil, Les Empires du Mali, 1968, p. 80-82.
9. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 13.
34 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Kankou Moussa. Son hypothèse d'une première conquête avant


1275 n'est pourtant pas très convaincante; par contre, la domi-
nation mandingue dans la Boucle du Niger ne fait aucun doute
sous le règne de Sakoura (1285-1300).

4° - Tombouctou sous la domination mandingue.


Depuis la conquête mandingue, le sort de Tombouctou fut
désormais lié à celui de l'Empire du Mali. Tombouctou subit la
fortune et les malheurs des Mandingue qui lui donnèrent ses pre-
mières institutions et ses premiers éléments de civilisation comme
nous le verrons plus loin.
L'Empire du Mali contrôlait presque tout le Soudan occidental
à l'exception des pays mossi, au Sud de la Boucle du Niger. Les
royaumes mossi sauvegardèrent par les armes leur liberté et leur
religion (l'animisme) face aux mansa musulmans du Mali. La
guerre devait être fréquente entre les Mandingues et les Mossi.
Mansa Moussa parlait au Caire d'un peuple: « qui était les enne-
mis acharnés de son empire 10. » C'était probablement les Mossi
qui avaient mille raisons de rester hostiles au Mansa. Les riches-
ses du Delta nigérien, la prospérité des villes sahéliennes, atti-
saient la convoitise des cavaliers mossi qui faisaient des incur-
sions périodiques (razzia) dans l'Empire du Mali. Ainsi à l'apogée
même du Mali, c'est-à-dire vers 1337, au début du règne de Mansa
Maghan, successeur de Kankou Moussa, les Mossi saccagèrent
Tombouctou. Es Sacdi relate l'événement: « le sultan du mossi,
à la tête d'une forte armée, fit une expédition contre cette ville.
Saisis d'effroi, les gens du Melli prirent la fuite et abandonnèrent
Tombouctou aux assaillants. Le sultan du Mossi pénétra dans la
ville, la saccagea, l'incendia, la ruina et après avoir fait périr
tous ceux qu'il put atteindre et s'être emparé de toutes les riches-
ses qu'il trouva, il retourna dans son pays Il. » Ce sac de la ville
resta dans la mémoire des habitants de Tombouctou qui en par-
laient encore à la fin du XVIesiècle. Il dut arrêter l'essor naissant
de la métropole nigérienne. Il atteste cependant l'importance
économique de la ville, dès le début du XIVCsiècle.
Aussitôt les Mossi partis, les Mandingue revinrent prendre
possession de la ville. Pendant près d'un siècle, Tombouctou jouit
de la paix mandingue. De l'Océan Atlantique à Takkeda, l'empire
mandingue assura une paix relative, favorisa une grande acti-
vité commerciale dont profita Tombouctou pour s'enrichir, se
développer. Les tarin mandingue, à la tête des garnisons, assu-
raient l'ordre et la justice dans tous les grands centres de l'Em-
pire. Des tribus berbères même, celles du Sahel occidental, maî-
tresses des routes caravanières, obéissaient la plupart au Mansa
qu'Ibn Khaldoun considérait comme le Roi du Soudan, « Malek
es Soudan ».
De graves problèmes se posèrent cependant au Mali vers la fin

10. Al Omari, 1827, p. 52-93.


11. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 16-17.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 35

du XIve et le début du xve siècles. Au niveau central, des conflits


de succession éclatèrent entre les différents prétendants et l'auto-
rité impériale en souffrit. De 1387 à 1390, le pouvoir impérial s'ef-
frita dans la contestation sanglante entre prétendants armés.
Mansa Maghan III finit par l'emporter mais l'Empire avait
changé de physionomie. Il est certain que cet affaiblissement du
pouvoir impérial laissa plus de liberté aux farin qui finirent par
ne plus obéir aux ordres impériaux et se constituèrent des royau-
mes indépendants. Déjà quelques tributaires comme Gao s'étaient,
à plusieurs reprises, révoltés contre la domination mandingue.
Gao était en fait indépendant vers la fin du XIve siècle. L'expé-
dition de Mari Djata, ministre de Moussa II, dans les confins
orientaux de l'Empire n'était pas seulement dirigée contre Tak-
keda mais tendait aussi probablement à rappeler à l'ordre et Gao
et les provinces voisines. Son échec libéra les Songhay, affaiblit
l'autorité mandingue dans la Boucle du Niger.

B - Développement et organisation de la ville


à l'époque mandingue.
Tombouctou doit cependant tout à la paix mandingue. Elle
n'apparut dans l'histoire qu'au XIve siècle, à l'époque de la domi-
nation mandingue. A en croire Ibn Battouta qui l'a visitée en
1353, elle était alors une véritable ville déjà orientée dans sa triple
fonction historique: commerciale, religieuse et intellectuelle. Les
Mandingue contribuèrent à son développement, à son embellis-
sement et lui donnèrent sa première organisation politique.

1° .. Tombouctou, petit marché sur le Niger.


'fombouctou demeurait un marché de second rang au XIVesiècle.
Oualata à l'Ouest, Gao à l'Est lui ravissaient l'essentiel du trafic
transsaharien. Ibn Battouta, source essentielle pour l'époque,
décrit Gao comme une « grande cité... parmi les plus belles, les
plus grandes et les plus riches du Soudan» 12, abritant des mar-
chands du Maghreb et de l'Egypte. Le réseau routier dont Gao
était le débouché n'avait rien perdu de son activité. La dynastie
des Sonni qui régna à partir du XIVesiècle dut encourager l'essor
de la ville qui allait grandissant et qui s'imposa comme la grande
métropole de l'Est nigérien.
Vers l'Ouest, Tombouctou ne pouvait se développer qu'au détri-
ment de la grande cité de Oualata. Elle avait, en effet, les mêmes
sources de ravitaillement que celle-ci: sel de Teghazza, produits
sahariens et maghrebins. Elles étaient toutes deux l'aboutisse-
ment de la même voie Sidjilmessa-Teghazza. Oualata, héritière
de Ghana, l'emportait cependant sur sa jeune rivale; elle rece-
vait en outre le sel des mines d'Aoulil et d'IdjiI. Elle approvi-
sionnait non seulement le centre de l'empire du Mali, les pays
12. Ibn Battouta, 1966, p. 72.
36 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

aurifères du Bambouk mais aussi ceux du moyen Niger (le Diakha,


Djenné), et l'intérieur. Une grande partie du ravitaillement de
Tombouctou devait même passer par Oualata. Une voie directe
reliait les deux villes et les commerçants, les lettrés se dépla-
çaient continuellement de l'une à l'autre. Les Messoufa qui peu-
plaient la ville de Oualata et qui monopolisaient le commerce du
sel de Teghazza constituaient aussi la majorité de la ville de Tom-
bouctou, leur marché nigérien à l'Est. Oualata était alors le grand
port sahélien de l'empire du Mali. Les caravanes transsahariennes
y transitaient, inondant le Mali des marchandises venant du Nord.
La fameuse compagnie des frères Al Maqqari qui trafiquaient
entre Tlemcen et le Soudan y avait établi son siège 13. Ils n'étaient
certainement pas les seuls et d'autres compagnies transsaharien-
nes avaient sans doute des succursales à Oualata et apportaient
des impôts importants au mansa du Mali qui y était représenté
alors par un farin. Tombouctou n'aurait été elle-même qu'une
succursale commerciale de Oualata sur le Niger. La base de son
commerce était naturellement le sel. Les Messoufa étaient en
effet des sauniers et ils animaient le commerce de la ville. Le
sel transporté par caravanes soit de Oualata soit directement
de Teghazza était embarqué dans des pirogues à destination de
Djenné, des pays du Moyen Niger et du Bani. Le Niger fut
l'atout majeur du développement de Tombouctou. Djenné, que ne
mentionne pas Ibn Battouta, était dès le XIve siècle une impor-
tante cité marchande dépendant de l'empire du Mali. Une grande
partie du commerce avec le Soudan intérieur passait nécessaire-
ment par son marché. Les caravanes de Oualata, si l'on suit le
trajet d'Ibn Battouta, aboutissaient dans le Delta central (le
Zagari) et très sûrement à Djenné.
La voie fluviale moins coûteuse reliait, presque toute l'année,
Djenné à Tombouctou et favorisa cette dernière; elle provoqtla
peut-être l'installation des marchands messoufa à Tombouctou.
Nous sommes peu instruits sur ce commerce de sel et sur le
commerce en général de Tombouctou à l'époque. Par référence à
Oualata qui en était la métropole au XIVesiècle, l'on peut pe11ser
que le commerce portait sur les mêmes produits d'échange:
peaux, ivoire, noix de cola, esclaves et surtout la poudre d'or qui
faisait ]a réputation des villes sahéliennes 14.
En glanant dans les rares sources, l'on voit qu'au XIve siècle
le commerce de Tombouctou était orienté vers leNord: mines de
sel de Teghazza et surtout vers le Touat dont les originajres
commençaient à peupler le quartier de Jingereber. Par-delà le
Touat, Tombouctou était en relation avec Sidjilmessa, Tlemcen et
le port d'Honein où son nom a pu parvenir aux marchands eltrO-
péens avant 1375. Ibn Battouta mentionne des colonies de mar-
chands marocains dans les centres commerciaux du Soudan. Tom-
bouctou sur laquelle il ne nous dit rien ne faisait certainement pas

13. Pères H : Relations entre le Tafilelt et le Soudan à travers le Sahara du xue


au XIve siècle, in Mélanges de géographie et d'orientalisme, 1937, p. 409-414.
14. Idem.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 37

exception puisque la route de Tombouctou à Teghazza aboutissait


naturellement dans le Tafilelt (Sidjilmessa) et dans le Draa. Ibn
Battouta mentionne le tombeau de Sirâg ad-Din Ibn KU1vayk, un
marchand d'Alexandrie mort dans la ville. Tombouctou, dès cette
époque, entretenait des relations commerciales avec l'Egypte et
l'Orient par Tadmekka et Gao. En effet, s'il est vrai, selon Ib11
Khaldoun, que l'Empire du Mali recevait annuellement d'Egypte
des caravanes de près de 12 000 chameaux, il est évident qu'une
grande partie de ce trafic transitait par Tombouctou où vivait une
colonie égyptienne. Tombouctou demeurait cependant au XIVesiè-
cle un marché de seconde zone. Sa vocation commerciale était cer-
taine mais la ville ne pouvait supporter la concurrence de Oualata
plus centrale dans l'Empire du Mali et de Gao qui lui enlevait
l'essentiel du commerce avec l'Orient.

2° - Croissance et organisation de la ville.


On aurait dû trouver dans l'œuvre d'Ibn Battouta suffisamment
de renseignements sur Tombouctou au milieu du XIVe siècle. Il
n'en est rien. L'auteur maghrebin consacre à peine un paragraphe
à la petite ville nigérienne. Pourtant Tombouctou semblait être au
XIVesiècle une véritable « ville ». Ibn Battouta qui sait faire la
part des choses la qualifie comme telle. Elle avait son marché,
sa mosquée, son cimetière, son palais royal, des maisons en terras-
ses qui se dégageaient des chaumières...
Le fond de la population demeurait encore berbère. Les Mes-
sauta, tribus sanhaja, qui occupaient la région Oualata-Tombouc-
tau formaient la majorité de la population. Ibn Battouta les décrit
comme des musulmans tièdes, organisés en sociétés de type matriar-
cal et bons commerçants. Ils étaient voilés comme les Touareg
d'aujourd'hui. Avec eux vivaient des esclaves noirs et des commer-
çants songhay. La conquête mandingue provoqua une importante
immigration de gens de l'Ouest, surtout des Soninké ou Wakoré
originaires probablement du Delta central du Niger et de la région
de Néma. Ils auraient renforcé l'ancien noyau soninké venu du
Ouagadoll au XIIIe siècle. Des Malinké ou Wangara, commerçants
ou lettrés, seraient venus également à l'époque mandingue. Ces
gens de l'Ouest s'étaient installés aux environs de l'emplacement
de la mosquée actuelle de Sidi Yaya appelé depuis longtemps Wall-
garacotlnda (quartier des \Vangara). Le quartier ancien de Jinge-
reber aurait également accueilli nombre de Mandingue et des
Peuls mais surtout une importante colonie de gens venus de Touat.
Les Songhay qui habitaient la vallée du Niger et les régions envi-
ronnant Tombouctou devaient former, dès cette époque, l'élément
don1inant parmi les ethnies noires de la ville.
Tombouctou sous l'occupation mandingue comprenait les quar-
tiers anciens c'est-à-dire le Jingereber et une partie du Badjindé
certainement COllverts de maisons à terrasses dans un style
importé par l'importante colonie arabo-berbère. Du reste, Abû
Ishâq as Sâhili al Garnâti, compagnon de Kankou Moussa et qui
a construit au Mali, pour ce souverain, une salle d'audience selon
38 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

le style oriental, se fixa à Tombouctou 15. Avec la grande fortune


que lui avait donnée le Mansa, il a dû construire une demeure
qui ne fût pas une paillotte. Malgré le témoignage de Léon l'Afri-
cain 16 un siècle plus tard, il nous semble bien que le centre
de la ville de Tombouctou présentait des maisons bâties, espa-
cées certes les unes des autres. Autour, vers le Nord et l'Est,
devaient s'étendre des paillottes et des campements nomades.
Les Mandingue ornèrent Tombouctou de ses premiers monu-
ments dont la mosquée de Jingereber qui est aujourd'hui encore la
plus vénérable de la cité.
Tous les auteurs attribuèrent au Mansa Kankou Moussa la
construction de la mosquée de Jingereber vers 1325, lors de son
retour de pèlerinage. Barth en 1855 aurait même vu une inscrip-
tion indiquant que la mosquée fut construite en 1327 par Kankou
Moussa 17. Delafosse précise que le Mansa fit construire le Jinge..
reber par son compagnon, le poète architecte Es Sahéli qui aurait
ainsi introduit le style dit soudanais dans l'Ouest africain. Ces
différentes thèses ont été exposées et critiquées par R. Mauny
dont nous partageons le point de vue quand il écrit « on ne sait
à quelle époque au juste fut édifiée la première construction, mais
il y a des fortes chances pour qu'au XIIIe siècle, il s'élevât déjà à
cet emplacement une mosquée suffisante pour les besoins alors
modestes de la ville... Des remaniements importants durent avoir
lieu vers 1325 lors du passage dans la ville du roi mandingue
Mansa Moussa 18... » Cette hypothèse est fondée sur Es Sacdi
qui pense que l'empereur du Mali n'a, en fait, construit que le
minaret d'une mosquée préexistante. Il est plus que vraisemblable
que le mansa ait agrandi une ancienne mosquée. Nous verrons
plus loin le plan de la mosquée. Les Mandingtle, fervents musul-
mans, maintinrent le Jingereber dans un bon état, lui donnèrent
des imams et en firent, dès cette époque, la grande mosquée du
vendredi.
Le deuxième monument mandingue est le Madougou, mot à
mot « ville du Maître », c'est-à-dire Palais du mansa ou de son
représentant. Les auteurs des Tarikhs sont d'accord pour le sittler
à l'endroit où se trouvait le marché des bouchers au XVIIesiècle,
c'est..à-dire à l'extrémité nord-ouest de la ville actuelle, juste à
quelque 200 mètres du bras du Niger. II est aujourd'hui extéricllr
à la ville. Dubois le localisait aussi au même endroit. La localisa-
tion faite par Barth est assez contestable. Le palais dont il parle
dans le Sarékeina ne peut pas être le Madougou qui a dû tomber
en ruines au cours du xve siècle, faute d'entretien. Les Tombouctou..
koï de l'époque targui habitaient aux alentours de ce qui sera la
mosquée Sidi Yaya et non pas dans le Madougou. Le « palais
somptueux» dont parlait Léon l'Africain, au début du XVIe siècle,
ne devait pas être, non plus, le Madougou.

15. Ibn Battouta, 1966, p. 70.


16 Jean Léon l'Africain, Edit. Epaulard, 1956, T. II, p. 467.
17. Barth H., Voyages, 1861, p. 37. La date du retour du pèlerinage est 1325 et
non 1327.
18. Mauny R., Notes d'archéologie sur Tombouctou, in B. IFAN n° 3, 1952, p. 901.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 39

Les remparts de Tombouctou.


Es Sacdi prétend que la ville était entourée de murailles à
l'origine. Il est possible qu'après le sac des Mossi en 1337, ou
pour prévenir les attaques surprises des tribus nomades, les Man-
dingue aient construit une muraille qui fut débordée par la crois-
sance accélérée de la ville. Tombouctou à son apogée au XVIesiècle
n'avait pas de remparts.

Les cimetières.
La tradition orale prétend que le cimetière le plus ancien de la
ville est Hamia bangu « mare de Hamia » à l'extrémité nord de
la ville, presque disparu aujourd'hui. A considérer de près cette
version, on comprend difficilement pourquoi les habitants du
noyau ancien, méridional, allaient enterrer leurs morts si loin,
dans le Hamia bangu, contrairement aux traditions ultérieures.
Hamia bangu devait correspondre, comme nous le verrons plus
loin, à l'apogée de la ville au XVIesiècle lorsque celle-ci s'étendit
au nord d'Al Barajou. Les travaux du creusement des fondations
du nouveau château d'eau de la ville ont mis à jour, en mars 1971,
un cimetière jusque là inconnu des anciens de Tombouctou, à
l'emplacement de l'actuel dispensaire, près du tombeau d'un saint.
Le technicien des travaux nous a affirmé que sur une profondeur
de 2 m, il a trouvé 3 couches de squelettes. Les derniers sont très
abîmés sauf les crânes. Il pense qu'on en trouverait encore en
creusant plus profo11dément. Nous avons demandé aux anciens de
la ville s'ils avaient eu connaissance de l'existence d'un cimetière
à cet endroit. En dehors du tombeau isolé d'un saint et de deux
ou trois autres entre le dispensaire et le Palais de justice, tout le
monde ignorait l'existence d'un cimetière. Toutefois un projet de
construction d'un bâtiment administratif entre le Palais de justice
et la Poste avait été abandonné pendant la période coloniale, à
cause d'un nombre important de squelettes qu'on y avait trouvés.
Aussi il y aurait eu dans le triangle château d'eau, Palais de jus-
tice et Poste, un cimetière abandonné à une date très ancienne.
Ce cimetière qui se trouvait tout près du noyau ancien de la ville,
à 300 m à peine de Tombouctou-koï batouma, ne serait-il pas un
des plus anciens, sinon le plus ancien de la ville? Cette hypo-
thèse pourrait être un jour confirmée par des fouilles. On peut
aussi penser que ce cimetière était celui de la casbah marocaine du
XVIIesiècle sittlée dans les environs. Les Marocains auraient ainsi
utilisé l'ancien cimetière abandonné au XVIesiècle.
Les sources écrites ne donnent que peu d'informations sur les
cimetières de l'époque. Les traditions orales ignorent }'existence
de ce cimetière méridional et s'accordent toutes à reconnaître que
celui à l'Ouest de Jingereber est le plus ancien de la ville. Le
Tarikh es-Soudan indique qu'au XIve siècle de nombreux person-
nages étaient enterrés dans la cour de la mosquée de Jingereber.
Ibn Battouta mentionne en 1353 l'existence des tombeaux d'Es
Sahéli et de Sirag Ad-Din mais ne dit pas dans quel cimetière ils
40 TOMBOUCTOU E1' L'EMPIRE SONGHA y

se trouvaient. Quant aux stèles funéraires, elles ne sont pas de


coutume à Tombouctou. Aussi sommes-nous réduits à l'ignorance
sur les cimetières anciens de la ville.
On peut provisoirement conclure à l'ancienneté soit du cime-
tière méridional soit, en suivant la tradition orale, de celui de
l'Ouest. L'insuffisance des sources ne nous. permet de saisir de la
ville de Tombouctou du XIve siècle qu'une vue squelettique,
incomplète, imprécise. La ville cependant existait, elle se déve-
loppait avec rapidité dans les directions qui devinrent les sien-
nes.
Tombouctou fut conquise par les mansa du Mali, maîtres du
Soudan occidental, de l'Atlantique jusqu'à l'Est de Gao. Centre
commercial sahélien, elle formait avec sa région une province
dirigée par un gouverneur (tarin ou farba) représentant le mansa
et logé dans le palais du Madougou. Le farin disposait d'une gar-
nison militaire et dirigeait la province en véritable roi. Il avait,
comme celui de Oualata, sa cour, son conseil. Son éloignement
de la capitale lui laissait les mains libres dans son administration.
Son rôle était d'assurer l'ordre, de collecter les impôts perçus
sur les commerçants. Le farin gouvernait par l'intermédiaire des
chefs des différentes ethnies: Les Messoufa, formant à l'époque
la majorité de la population de la ville, avaient leur propre roi
qui recevait l'investiture du farine Ainsi Parin Moussa en 1353
investit du pouvoir le chef messoufa de la façon suivante: « Il le
revêtit d'un habit, d'un sirwâl, le tout de couleur et il le fit
asseoir StIr un bouclier de cuir. Les grands de sa tribu le portè-
rent sur leurs têtes 19. » Ce cl1ef dirigeait sa tribu, tranchait les
conflits. Il devait fournir des guerriers messoufa aux troupes du
farba. Comme Oualata, Tombouctou avait un percepteur des
taxes, un cadi nommé par le mansa. Les premiers imams de la
mosquée de Jingereber, généralement soudanais, assuraient les
fonctions de cadi, pet! importantes à cette époque.

3° - Essor religieux et intellectuel.


On connaît le passage du Tarikh es-Soudan où il est dit qu'un
lettré égyptien, du nom de Sidi Abderrahman Et Temini, venu
avec Kankou Moussa, trouva dans la ville des docteurs beaucoup
plus instruits que lui et qu'il dut partir à Fez achever ses études 20.
Sidi Abderrahman Et Temini, grand-père du cadi Habib mort en
1498, aurait en réalité vécu vers la fin du XIVesiècle et serait diffici-
lement contemporain de Mansa Moussa. Es Sacdi a pourtant le
mérite de montrer l'importance des études et de la religion à
cette époque. Les mansa lTIusulmans attirèrent des lettrés dans
l'Enlpire et ce furent Oualata et Tombouctou qui accueillirent la
plupart de ces docteurs sahariens, maghrebins et égyptiens. A
s'en tenir cependant au Tarikh es-Soudan, il semble que les pre-
miers docteurs de la ville étaient en grande partie des Soudanais.

19. Ibn Battuta, extraits tirés des Voyages, 1966, p. 10.


20. Tariklz es-Soudall, 1964.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 41

Ils fournirent en effet les imams de la grande mosquée jusqu'au


début du xve siècle. Sacdi mentionne spécialement Kâteb Jvlo11ssa,
« le dernier imam noir », qui assuma pendant quarante ans à
partir de 1422, la fonction d'imam avec une grande assiduité et
rendait la justice devant sa maison. Ces lettrés soudanais étaient
surtout des Soninké (Wakoré); Kâteb Moussa et ses deux frères
étaient du clan Touré. Tombouctou devait à cette époque dépen-
dre intellectuellement de l'Université de Fez. C'est à la Quarawin
qlle furent formés la plupart des lettrés soudanais. Kâteb l\1011ssa,
ses frères, le fameux Et Temini y firent leurs études. Cela se
comprend aisément dans le cadre des bonnes relations entre le
Mansa du Mali et les rois mérinides. Des ambassades avec des
cadeaux étaient périodiquement échangées entre le Mali et Fez.
La victoire d'AbDul Hassan sur Tlemcen en 1337 fut acclamée à
Niani. Le deuil, à la mort du souverain mérinide, fut célébré dans
la capitale mandingue lors du séjour d'Ibn Battouta en 1352. Les
relations diplomatiques étaient suivies d'échanges culturels et
économiques. Les marchands et lettrés marocains fréquentaient
tous les grands marcllés de l'Empire. Les terminus caravaniers
comme Oualata, Tombouctou, Gao, étaient alors des centres pri-
vilégiés pour les Marocains. La Fez mérinide devint naturellement
le lieu d'attraction des lettrés soudanais; des docteurs de la capi-
tale marocaine vinrent s'installer à Tombouctou et l'éveillèrent
dès lors à la vie intellectuelle et religieuse. Kâteb Moussa aurait
ainsi fait venir le jllrisconsulte Abdallah El Balbali au début du
xve siècle. On ne sait malheureusement presque rien de la vie de
ces lettrés ni de leurs études. Ce qu'on peut dire est que Tombouctou
était devenue alors un foyer de culture islamique animé aussi bien
par des noirs soudanais que par des Arabo-berbères, généralement
originaires du maghreb occidental, une ville commerciale à la lisière
du Sahara et du Soudan. Bien administrée, embellie par les mansa,
elle jouit de la paix mandingue mais elle était encore dans l'orbite
de sa grande rivale, Oualata.
In.
LE TOURNANT DU XVe SIÈCLE:
ASCENSION DE TOMBOUCTOU
ET DE LA DYNASTIE DES SONNI

Le quinzième siècle est très mal connu dans l'histoire du Soudan


occidental. Le déclin du monde arabe et le morcellement du Magh-
reb eurent pour conséquence, non un arrêt dans les relations
transsahariennes, mais une rareté d'œuvres écrites. C'est donc du
côté de l'Europe que nous viennent, surtout à partir du milieu
du siècle, les informations sur le Soudan. Les cartographes major-
quains et gênois connaissaient bien les voies du commerce vers la
Boucle du Niger et plaçaient Tenbuch sur le Nil (Niger) à l'Est
du « Rex Musse Melli» selon la première indication d'Abraham
Cresque 1 en 1375. L'Italien Beccaria donna en 1426, pour la pre-
mière fois, une forme plus exacte, Tumbettu 2. On voit à travers
ces cartes que Tombouctou était au xVCsiècle le grand débouché
de la plupart des routes transsahariennes. A partir du milieu du
siècle, plus précisément du voyage de Malfante au Toûat 3, les
navigateurs, portugais ou au service du Portugal comme le Véni-
tien Alvisse de Ca da Mosto 4 qui abordèrent les côtes atlantiques
donnèrent quelques renseignements sur le commerce transsaha-
rien et les villes sahéliennes. Tombouctou était, d'après eux, un
des plus grands marchés du Soudan, spécialisé dans le commerce
du sel et de l'or. Elle aurait supplanté Oualata qui devint une
misérable bourgade à la fin du siècle. Cette ascension de Tombouc-
tou s'explique par des changements importants intervenus dans
J'histoire du Soudan et de la Méditerranée auxquels est liée la vie
de la ville nigérienne.
1. De la Roncière (Charles), La découverte de ['Afrique au Moyen Age. Cartogra-
phes et explorateurs. Société Royale de géographie d'Egypte. Le Caire, 1925, T. J,
planche XI.
2. ldenl, I, p. 139.
3. Idem, p. 151-158. Relation de voyage expédiée du Touat à Gênes (1447), Antoine
M alfante, copie de la lettre.
4. Alvisse de Ca Da Mosto, Relation de voyages à la côte occidentale d'Afrique
de 1455 à 1457 publié par Scheffer, Paris, Leroux, 1895.
44 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y

A - Evolution de Tombouctou et du Soudan Nigérien


au XVe siècle.

Le fait majeur au xve siècle fut le déclin puis la disparition de


la domination mandingue dans les régions orientales. Pour des
raisons non encore éclaircies, le Mali, en proie à des crises de
successions dès la fin du XIVe siècle, fut impuissant à se défen-
dre contre l'invasion des ennemis extérieurs: les Mossi qui ont
toujours échappé à la conquête mandingue et qui n'ont jamais
cessé de menacer les riches cités nigériennes, les Touareg, tribu-
taires turbulents, qui ne se pliaient que devant la force, le royaume
de Gao mal soumis depuis l'avènement de la dynastie des Sonni.
Ainsi, au cours du premier tiers du xve siècle, les Malinké évacuè-
rent l'Est de la Boucle du Niger et furent même à leur tour mena-
cés, envahis par les Sonni de Gao.
10 - L'émergence des Sonni (XIV à 1464).
L'on connaît peu de choses de la dynastie Sonni de Gao avant
Sonni Ali. Les historiens, à la suite du Tarikh es-Soudan, situent
l'origine de la dynastie à Ali Kolon ou Golom qui aurait pris le
pouvoir à Gao en 1335 et libéré le royaume de la domination
mandingue 5. Rien de plus contestable. L'Appendice du Tarikh el
Pettach mentionne l'arrivée de Mansa Kankou Moussa à Gao en
720 H. (1321-1322) sous le règne du Sonni Makara Komsou qui
serait le se Sonni après Ali Kolon 6. Ce qui signifie que Ali Kolon
n'est pas le libérateur du royaume et que son règne se situerait
bien avant 1335! Cette assertion, si on ne veut pas la retenir, a
le mérite de mettre en cause l'origine traditionnellement admise
des Sonni. Rien ne nous permet actuellement, dans l'état des
sources sur l'histoire songhay, de trancher la question. Le Tarikh
es-Soudan est Je seul à donner l'année 1335 comme date de l'évé-
nement. Celle proposée par Monteil nous semble plus proche de
la réalité. En effet, les Tarikhs donnent une liste de 15 à 19 rois
Sonni jusqu'à l'avènement de Sonni Ali en 1464. En supposant une
durée moyenne de 10 à 15 ans pour chacun, nous pouvons situer
l'origine de la dynastie vers la fin du XIIIe siècle, vers 1295, date
donnée par Monteil.
Certes dans cette hypothèse, l'avènement des Sonni aurait eu
lieu non contre le Mali mais sous la domination mandingue puis-
que en 1325 Mansa Moussa passait par Gao et amenait en otages
des enfants du souverain. Pratiquement jusque vers la fin du
XIve siècle, Gao vivait plus ou moins nominalement sous la domi-
nation du Mali. Un curieux passage de l'Appendice du Tarikh el..
Fettach prétendait ainsi qu'Ali Kolon était né dans le Mali et avait

5. Tariklz es-Soudan, 1964, p. 9-12.


6. Deuxième Appendice, Tarikh el-Fettach, 1964, p. 335.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 45

grandi au service du Roi du Mali 7. II serait le fils de Dia Assiboï


mais il n'est pas certain qu'il fût le fondateur de la dynastie ou, en
tout cas, pas à la date de 1335 donnée par Es Sacdi. Ce qui paraît
sûr est la continuation de la dynastie des Dja dans la même
famille qui aurait seulement changé de titre, Dia ou za devenant
Sonni. Nous ignorons les circonstances et la date précise de ce
changement. Le titre royal est écrit dans les Tarikhs sous la forme
Soui ou Sii ou Chi ou Sounni (Sonni). On n'en connaît pas la
signification. De même on ne sait des premiers rois que leurs
noms; Es Sacdi mentionne 19 Sonni et l'Appendice du Tarikh el
Fettach 15.
Les Sonni libérèrent le royaume de la domination du Mali et uni-
fièrent la Boucle du Niger en un Etat puissant. La libération ne fut
complètement réalisée que vers la fin du XIvesiècle. Le royaume resta
dépendant du Mali jusqu'après la grande expédition de Mari Diata,
ministre de Mansa Moussa II, dans les provinces orientales vers
1380. D'après Boubou Hama 8, une scission se produisit dans le
royaume au temps des Mandingue: la partie Nord avec Gao recon-
nut la suzeraineté du Mali, tandis que les Sonni réfractaires se
réfugièrent à Koukia dans le Dendi où ils reconstituèrent leur ancien
royaume. Avec le déclin dl! Mali, ils remontèrent au Nord et
s'emparèrent de Gao.
Il semble, en tout cas, que les Sonni étaient des gens du Sud.
C'est là qu'ils se réfugièrent à la fin du xve siècle après l'échec de
leur dynastie. Leur attachement aux coutumes ancestrales, leur
islamisation superficielle s'expliquent en partie par cette origine
méridionale. Le Dendi était alors une région rurale, quelque peu
« barbare» par rapport à la région urbanisée de Gao et de l'Ouest.
Les Sonni jusqu'à l'avènement de Sonni Ali en 1464, résidaient tan-
tôt à Gao tantôt à Koukia.
Aguerris par les expéditions périodiques contre les Mossi,
Bariba, Haoussa et probablement contre les Mandingue et les
Touareg, les Sonni, dès la fin du XIve siècle furent attirés par les
richesses de l'Ouest et c'est de ce côté que s'orienta désormais
leur expansion. Trois d'entre eux jouèrent un rôle déterminant
dans le développement du royaume.
Le premier est le Sonni Ma Daou ou Moha11zed Da' 0, père de
Sonni Ali. Il devait encore être au pouvoir vers 1425. Le royaume
était alors assez puissant et exercait une certaine hégémonie dans
les territoires de la boucle du Niger. En effet, Sonni Ma Daou
organisa une grande expédition au début du xve siècle contre
l'Empire du Mali, parvint jusque dans la capitale où il fit un butin
considérable de prisonniers mandingue. Il enleva au Mansa 24
tribus serviles composées de Bambara, de Peul, de pêcheurs du
Niger (Sorko, Bozo, etc.), qui constituèrent pour la monarchie
Sonni une base matérielle importante. Le prestige de l'expédition
retentit dans tout le Soudan nigérien et la victoire sur le Mansa

7. Deuxième Appendice, Tarikh el-FettacJz, p. 334.


8. Boubou Hama, Histoire des Songhay, Présence Africaine, 1968, chap. V.
46 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONOHA y

du Mali donna à la monarchie de Gao la suprématie politique


dans la région.
Souleiman Dam ou Dâma, mort en 1464, régna au milieu du
xve siècle; il reprit la politique expansionniste vers l'Ouest, détrui-
sit Méma, capitale d'une riche province soninké au Sud du Lac
Faguibine. Il aurait, lui aussi, amassé des biens considérables et
accru les possibilités d'action des Sonni.
Ces deux Sonni furent des guerriers et non des conquérants.
Le royaume jouissait certes d'un grand prestige mais il ne sem-
blait pas dépasser le territoire de Gao-Koukia. Les régions envi-
ronnantes comme Tombouctou devaient reconnaître une certaine
suzeraineté de Gao pour se protéger contre les razzia songhay.
Du reste, l'affaiblissement du Mali profita à d'autres puissances
qui se heurtèrent aux Songhay dans la vallée du Moyen-Niger. Au
Sud les Mossi, au Nord les Touareg orientèrent leurs appétits vers
la riche vallée du fleuve, alors dominée par le grand marché de
Tombouctou.

2° - La domination des Touareg dans la région TOr1'zbouctou-


Oualata (1433-1468).
a) Les Touareg et Tombouctou.
Au moment où les Sonni affermissaient leur pouvoir à Gao et
pillaient la vallée au Niger, une puissante tribu berbère sanhaja
conquérait une sorte d'empire nomade entre Oualata, Tombouc-
tou et Araouan.
Ces Touareg, que les Tarikhs appellent Magcharen et que nous
avions identifiés avec les Medaça, les Messoufa et autres Sanhaja
occidentaux, après avoir fondé Tombouctou au début du XIIe siè-
cle, ne firent plus parler d'eux. A l'exception des Messoufa, les
autres étaient retournés à leur vie nomade et avaient abandonné
la ville grandissante aux sédentaires, commerçants et religieux.
Ibn Battouta en 1353 affirme que les Messoufa formaient la majo-
rité de la population de Tombouctou et de Oualata. Ces citadins
gouvernés par leurs propres rois et selon leurs lois étaient à l'épo-
que islamisés. Parmi eux on comptait des jurisconsultes, des théo-
logiens et des pèlerins. Ils s'occupaient surtout de commerce,
monopolisaient l'exploitation du sel de Teghazza, assuraient le
transport sur les pistes sahariennes.
La masse des tribus messoufa et autres sanhaja vivait en dehors
des villes et nomadisait entre le Hodh et }'Azaoud. Organisées
en confédération dirigée par un aménokal, ces tribus vivaient
dans l'orbite de l'Empire du Mali tant que celui-ci garda sa
toute-puissance. II est vraisemblable que l'aménokal recevait
l'investiture de l'autorité mandingue comme le chef messoufa de
Tombouctou en 1353. Avec le déclin de l'Empire à la fin du XIVe
siècle, nombre de tributaires et, en premier lieu, les berbères
nomades du désert, secouèrent le joug et se rendirent indépen-
dants. Bien plus, ils se mirent à piller des villes mal défendues
comme Tombouctou et Oualata ou à rançonner les caravanes
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 47

transsahariennes. Du reste, ils furent rejoints par d'autres tribus


sanhaja attirées vers l'Est soit par l'orientation générale de l'axe
économique vers le Niger, soit sous la poussée des tribus arabes
hassanides dont les premières vagues atteignirent l'Adrar à la
fin du XIve siècle sinon au début du xve siècle 9.
Ces tribus sanhaja, à dominante messoufa, nous les appelons
désormais Maghcharen selon la terminologie sacdienne pour les
distinguer des berbères Tadmekket. Leur confédération était diri-
gée au début du xve siècle par l'aménokal Akil Ag Mélaoul. E]le
réalisa la conquête de l'Azaoud, de Tombouctou, de Oualata et
fonda un véritable empire targui. Les Touareg ne s'emparèrent de
Tombouctou qu'après une période de pillage, d'épuisement de la
garnison malinké. Insaisissables grâce à leur grande mobilité,
imprévus car ils survenaient à tout moment, insatiables car ils
demandaient toujours, les guerriers touareg épuisèrent la région,
« ravageant le pays de tous côtés et dans tous les sens» 10. Les
habitants de Tombouctou qui, dès cette époque, n'étaient pas de
bons guerriers, mettaient leur espoir dans la garnison malinké
qui demeurait impuissante et déconcertée devant les nomades.
La conclusion logique de cette situation, Es Sacdi nous la trans-
met: « On dit qu'un prince qui n'est pas en état de défendre ses
Etats ne mérite pas d'y régner. Aussi les gens du Mali durent-ils
abandonner la contrée et retourner dans leur pays. Akil s'empara
alors de Tombouctou et en demeura le maître pendant quarante
ans Il. .» Les habitants en effet, commerçants et lettrés, avaient
besoin de la paix pour leurs affaires. Les Messoufa qui formaient
la majorité de la population étaient, du reste, parents des guer-
riers nomades. Des lettrés berbères, amis d'Akil, souhaitaient pro-
bablement une entente avec les « Maghcharen ». Tout cela a pu
jouer contre les Mandingue isolés. Akil a pu donc occuper une
ville qui, en fait, était à sa merci depuis des années.
b) Problème chronologique.
A la suite du Tarikh es-Soudan, on fixe à 847 H (1433-1434) la
date de l'occupation de Tombouctou par les Touareg et impliclte-
ment la fin de celle des Mandingue. Un problème demeure cepen-
dant : quand survint le départ des Mandingue? Fut-il immédja-
tement suivi de l'occupation targui?
Es Sacdi écrit: « La première dynastie qui régna à Tombouctou
fut celle des gens du Melli; elle dura cent ans à partir de l'année
737 H. (1336-1337) 12. » Ce passage, sur lequel on se base pour
fixer la fin de la domination mandingue, n'est pas aussi précis
qu'on pourrait le penser. D'après ce que nous avons dit plus haut
de l'Empire du Mali et des coups qui lui furent portés par ]es
Sonni Ma Daou et Souleiman Daman, l'on est en droit de penser
que la domination mandingue n'était plus que nominale au début

9. Colonel Modat, Portugais, Arabes et Français dans l'Adrar Mauritanien, in


BCEHSAOP, 1922, n° 4, p. 550-582.
10. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 17.
11. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 17.
12. [demI p. 17.
48 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y

du xve siècle. Es Sacdi fixe la date de l'occupation targui à 837 H.


ce qui découle logiquement de la première date 737, fixée comme
début de la domination mandingue et qui n'est pas exacte.
Cependant à défaut d'autres sources, la chronologie sacdienne ne
peut être rejetée. Certes la date 1433-1434 doit être considérée
comme très approximative. L'occupation targui ne s'est pas faite en
un jour mais, comme il est dit plus haut, progressivement; les
Touareg étaient maîtres présomptifs de la ville longtemps avant de
l'avoir occupée.
c) l'ordre targui
Tombouctou semble avoir bien profité de la domination targui
pour s'enrichir et s'épanouir. Elle le dut à l'aménokal Akil Ag
Mélaoul, tant que celui-ci eut l'autorité nécessaire sur la confédé-
ration qu'il dirigeait. En effet, le régime de l'aménokal berbère, tel
que nous le connaissons, est une institution où le pouvoir est très
décentralisé entre les mains des chefs de tribus jalouses de leurs
libertés et de leurs droits. L'ordre du souverain n'est généralement
accepté que lorsqu'il va dans le sens des intérêts particuliers. La
politique d'Akil Ag Mélaoul devrait se comprendre dans ce contexte.
Le Tarikh es-Soudan nous présente le roi targui, non comme un
« barbare », mais comme un musulman pieux qui vénérait et fré-
quentait les grands ulémas de Tombouctou. Devant la menace
songhay en 1468, il les protégea et les fit transporter à Oualata. Il
intervint à plusieurs reprises pour modérer le pillage de ses guer-
riers. En tout cas, après l'occupation de la ville, il se montra assez
généreux envers elle et lui laissa une autonomie plus large que celle
dont elle avait joui sous l'occupation mandingue. Il confirma dans
ses fonctions de chef (Tombouctou-koï) Mohamlned N addi qui
administrait la ville sous les Malinké. Il imposa aux commerçants
qui disposaient, à l'époque, de richesses considérables un tribut
annuel insignifiant de trois mille mitsqals. Et encore, de cette
somme, il distribuait les deux tiers aux chefs des principales tribus
et laissait le tiers au chef de la ville qui servait de collecteur. A voir
de près, Tombouctou rapportait peu aux Touareg, d'où peut-être
les pillages fréquents vers la fin de leur domination. Les Touareg
restaient avant tout des nomades auxquels répugnait le mode
de vie des citadins. « Ils continuèrent donc, comme par le passé,
d'habiter sous les tentes dans la campagne et de nomadiser à la
recherche des pâturages 13. » Ils ne venaient à Tombouctou qu'oc-
casionnellement ou pour percevoir le tribut annuel. Il est hors de
doute que des individus incontrôlés descendaient piller ou voler
dans la ville dont l'attraction était grande sur ses maîtres pauvres.
Akil, par le respect qu'il témoignait aux marabouts, protecteurs
spirituels des marchands, dut peut-être contenir pour quelque
temps la descente de ses sujets à Tombouctou. A la longue pour-
tant, les Touareg revinrent piller la ville opulente dont ils étaient
les maîtres. Es Sacdi le dit clairement: « La fin de la domination
des Touareg fut marquée par d'odieuses exactions sans nombre et

13. Idem, p. 37.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 49

des actes d'une violente tyrannie 14.» A la manière targui, ils vio-
laient les portes des maisons, volaient, pillaient et maltraitaient
les habitants. Akil, à qui l'on reprochait peut-être sa trop grande
libéralité envers une ville qui ne rapportait presque rien, dut chan-
ger d'attitude, en dirigeant ou en suivant le mouvement. II se heurta
alors au Tombouctou-koÏ, le vrai maître de la ville devenue une des
plus grandes cités de la vallée du Niger.
d) l'administration de la ville
La domination targui n'a été que trop bénéfique à l'épanouis-
sement de la ville. Nous verrons plus loin combien l'attitude bien-
veillante d'Akil Ag Mélaoul a attiré nombre de savants et de mar-
chands, combien la ville s'est étendue par de nouveaux quartiers
et quelle fut l'intensité de son commerce. Les Touareg assurèrent
d'autre part une paix relative dans la région, du moins dans les
premières décades de leur domination. Par la conquête de Oualata
en 1446, ils unifièrent la zone la plus importante du Sahel sou-
danais et atténuèrent la sourde rivalité entre Oualata et Tombouc-
tou. C'est l'époque, en effet, où nous voyons arriver de nombreux
immigrants de l'Ouest, des marchands sahariens ou maghrebins
se fixer à Tombouctou. L'occupation de Oualata et de Tombouctou
fit des Touareg les maîtres des régions environnantes et des pistes
transsahariennes. Ainsi pendant près de quarante ans, un royaume
sahélien sanhaja dont Tombouctou était le centre par ses relations
avec le Niger et les pays intérieurs, s'établit entre le Mali décadent
et le Songhay en pleine ascension. Tombouctou en tira grand pro-
fit. Son devenir fut orienté vers le Nord, d'où lui vinrent au xve
siècle ses richesses, ses habitants et ses lettrés. Le xve siècle nous
apparaît ainsi comme la grande époque de berbérisation de la ville.
Sur le plan administratif, Tombouctou jouit d'une autonomie
qu'elle ne retrouverait jamais plus. L'administration ancienne que
nous percevons mal à travers nos sources fut maintenue et amélio-
rée. Le Tombouctou-koï, gouverneur de la ville, devint un vérita-
ble roi détenant « tous les pouvoirs entre ses mains, pouvoirs
administratifs, financiers et autres» 15. Les relations avec les
Touareg se limitaient au paiement d'un tribut annuel prélevé sur
les commerçants de la ville. De ce tribut, il avait le tiers pour
subvenir à ses dépenses. Il prélevait aussi pour son propre compte
des taxes sur le marché, sur les transactions commerciales et
sur les caravanes entrant en ville. Il était assez riche, vivait en
roi, entouré de courtisans et disposait d'une armée non négligeable.
A en croire Léon l'Africain à la fin du siècle, le Tombouctou-koÏ
faisait de petites expéditions guerrières contre ses voisins en vue
de ramener du butin. En somme, le Tombouctou-koÏ n'était pas un
simple instrument dans la main des Touareg. Il était un roi vassal,
mais un roi. Une dynastie se forma à partir du premier, Mohammed
Naddi.

14. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 38.


IS. Idem, p. 40.
50 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Mohammed Naddi (1433-1465)


Mohammed Naddi était originaire de la région de Chinguetti, à
l'Ouest. Il occupa les fonctions de Tombouctou-koi sous la domina-
tion des Malinké. En fait il devait être le Chef des Messoufa, car le
vrai maître de Tombouctou demeurait le farin mandingue tel que
nous le rapporte Ibn Battouta. Berbère comme Akil, Naddi favorisa
peut-être l'occupation de la ville par les Touareg qui, en tout cas,
lui donnèrent l'autorité du farin. Il devint le vrai chef de Tom-
bouctou, le « Tombouctou-koï ». Il protégea la ville par une politi-
que de bonne entente avec les Touareg et avec ses voisins songhay.
II paya régulièrement le tribut aux Touareg et, quelques mois
avant sa mort en 1465, il reconnut la suzeraineté songhay à l'avène-
ment de Sonni Ali à Gao. Il favorisa la religion et attira dans la ville
de nombreux lettrés dont son ami, le shérif Sidi Yaya pour qui
il aurait édifié la mosquée du même nom. Devenu vieux et aveugle,
il mourut en 1465 dans l'estime de la population et fut enterré à
côté de Sidi Yaya dans la mosquée qu'il avait construite.
Ammar Ben Mohammed (1465-1468)
Ammar, fils aîné de Mohammed Naddi, fut investi de la fonction
de Tombouctou-koi par Akil Ag MélaouL Es Sacdi nous le montre
comme un « homme intelligent, fin et rusé» 16. Il hérita d'une
tradition royale et certainement d'une fortune importante. Il vou-
lut jouer un rôle politique indépendant et rencontra l'hostilité du
vieux roi Akil Ag Mélaoul contre lequel il appela Sonni Ali Ber. La
personnalité de ce dernier, ses vertus guerrières et politiques
allaient totalement changer la physionomie du Soudan nigérien
pour au moins deux siècles.

3° - La fondation
(1464-1492)
d'un empire nigérien par Sonni Ali Ber

Rompant avec la tradition de razzia de ses prédécesseurs, Sonni


Ali conquit un empire, et, du Dendi au Macina, imposa sa seule et
unique autorité à toutes les nations. Il reçut le titre de Ber, Grand.
a) Sonni Ali Ber
L'on a dit beaucoup de choses sur Sonni Ber à la suite des Tarikhs
de Tombouctou qui le chargèrent de tous les péchés du monde pour
des raisons que nous exposerons plus loin. Depuis lors, i1 y a eu un
problème Sonni Ali, un problème devenu passionnel, qui empêche
de voir la vraie physionomie du fondateur de l'Empire songhay.
Ainsi ses adversaires, en tête les ulémas de Tombouctou, le dépei...
gnent comme un «tyran» « cruel» et «sanguinaire », un païen
mais aussi un guerrier indomptable. Ses partisans 17 admirent son
16. Idem, p. 38.
17. En tête, Boubou Hama, le grand historien nigérien qui écrit, sur Sonni Ali des
pages élogieuses et épiques « Sonni Ali. mon ancêtre incomparable, tu réveilles en
moi l'Afrique, son courage sévère, mais aussi imperturbable, sa fidélité à elle-même,
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 51

génie politique et guerrier, justifient son anticléricalisme par des


raisons d'Etat et louent le réalisateur de l'unification des pays
nigériens. Tous ces jugements trouvent peut...être place dans la
riche personnalité de Sonni Ali qui a fasciné ses contemporains
pour qui il était le «Dâli» 18 l'être extraordinaire, le héros charis-
matique.
Il était fils de son temps et de son pays; il appartenait à une
époque où l'Islam, en dehors des grandes villes, n'était pas forte...
ment enraciné et laissait leur place primordiale aux croyances
ancestrales. Sonni Ali passa sa jeunesse dans le Farou, au Sokoto,
pays de sa mère où il reçut l'éducation du terroir animiste; il fut
initié au culte des Jins, des holé (génies) et à la magie 19.
Les Tarikhs ]ui reconnaissent une énergie débordante, une endu-
rance extraordinaire et un génie guerrier qui lui donna toujours la
victoire. Il était de tempérament violent, souvent impulsif et ses
méthodes étaient brutales, voire cruelles. La fondation de l'empire
n'eut pas été possible sans cette poigne, sans la peur qu'il inspira
dans toute la Boucle du Niger.
b) Le conquérant
Sonni Ali Ber (le Grand) guerroya durant tout son règne. Il fut
l'empereur conquérant, propre artisan de ses victoires et de sa
fortune. Bénéficiant de la tradition guerrière des Sonni, il cons-
titua une puissante cavalerie qui donna à ses troupes une extra-
ordinaire mobilité et déconcertait ses ennemis. Sur le fleuve, une
nombreuse flottille assurait le transport des troupes et du butin.
Des chefs de valeur tels le Dendi fari Afoumba, le Hi koi Boukar,
le Tondi-farma Mohammed, son frère le Katala fari Amar Komdiâgo
et bien d'autres encadraient les différents corps d'armée, leur don-
nant une supériorité certaine sur leurs adversaires. Les auteurs
des Tarikhs, malgré leur haine pour l'homme, ne purent s'empêcher
d'admirer le génie militaire de Sonni Ali, maître des toru (génies)
de la guerre. De 1464 à sa mort, il porta la guerre dans toutes les
directions et principalement contre les deux grandes puissances
nigériennes, les Touareg et les Mossi. Il refoula les Touareg au
Nord et aurait même détruit leur antique métropole, Tadmekka. Il
porta surtout ses efforts vers l'Ouest où il repoussa à trois reprises
les Mossi, conquit Tombouctou, Djenné, les pays du Delta central
nigérien, jusqu'aux pays bambara ou Sibiridougou, à la limite du
Mandé.

sa fougue qui envoûte mais encore son permanent souci de l'ordre, son glaive impi-
toyable mais constant, sa sagesse qui pardonne, ... Sonni Ali Ber, tu signifies force
stable, puissance cosmique, ... Sorti d'une dépendance, tu es l'Indépendance... Sonni
Ali le héros qui demeure le symbole de la bravoure magnanime pour le Songhoi, pour
l'Afrique, l'exemple intrépide de l'unité africaine... » Enquête sur les fondements et
la genèse de ['unité africaine, Présence Africaine, 1966, p. 330-331.
18. Ce titre, non arabe, est fréquent dans tout le Soudan occidental comme un
attribut de la royauté. Chez les Sérère, c'est un titre de louange et chez les Mandingue
de Kaabou, le Roi « dâli ~ « prophétise » le jour de son intronisation au pouvoir.
Le mot exprime le caractère sacré du Roi, Etre suprême. Voir notre article, M ansa
Dâli in Notes Africaines n° 120, 1968.
19. Tarikh es-Soudan, p. 105.
52 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

A sa mort en 1492, il était maître d'un empire qui s'étendait du


Dendi au Delta Central nigérien. Contrairement à ses devanciers, il
fut un organisateur. Il ne se contenta pas d'amasser du butin, il
créa des provinces qu'il confia à ses chefs de guerre. Il donna l'in-
vestiture aux rois qui reconnurent son autorité. Les Tarikhs men-
tionnent quelques-uns de ces territoires généralement situés à
l'Ouest et au Sud: le Bara, ancienne province mandingue sur la
rive gauche du Lac Débo, le Dirma au Nord du Lac Déba, le Tara-
ton (non identifié), le Bani (vallée du Bani au Sud de Djenné), le
Kala (Sud-Est du Lac Débo), Djenné, Baghena, le Tondi (région de
montagnes, Hombori), le Katala (non identifié), etc. Il faut men-
tionner les villes de Tombouctou, de Oualata et l'ancienne province
originelle de Dendi. Le Sonni contrôlait l'administration du jeune
empire par des voyages et des expéditions périodiques dans toutes
les régions. A cet effet, il fit construire trois résidences royales, une
à l'Est, à Koukia, une à Tila, près de Kabara et une autre à Wara,
plus à l'Ouest dans le Dirma. Il se déplaçait de l'une à l'autre avec
l'armée et la cour. Il résidait peu de temps à Gao devenue pourtant
la capitale de l'Empire. Il institua une administration centrale par
la constitution d'un secrétariat impérial, d'un corps de dignitaires
chargés des services de sa Maison, du Conseil royal composé de
grands chefs militaires.
Sonni Ali fonda ainsi l'Etat songhay, unifia la Boucle du Niger
et lui assura la paix. Tombouctou fut à nouveau la grande bénéfi-
ciaire de cette politique. Malgré les conflits qui l'opposèrent à
Sonni Ali, elle devint la capitale économique et intellectuelle du
Soudan nigérien. Il nous faut donc insister sur ses relations parti-
culières avec Sonni Ali Ber.

4° - Relations de Sonni Ali Ber avec la ville de Tombouctou


a) Tombouctou, vassale des rois songhay
Tombouctou ne pouvait ne pas provoquer la convoitise du jeune
souverain songhay. Sa renommée de ville riche s'était répandue
dans tout le Soudan. Ce qui est étonnant, c'est qu'elle n'eût pas été,
jusque là, attaquée par les souverains de la dynastie montante de
Gao qui la contournaient pour aller plus loin piller les villes du
Mali. Nous n'avons aucune mention de ses relations avec Gao jus-
qu'au milieu du xve siècle. Est-ce la crainte des Touareg, maîtres
de la ville, ou le respect des grands ulémas qui en éloigna les
conquérants songhay? On ne sait, mais probablement ni l'un ni
l'autre. Il est en effet possible que la subtilité politique de Moham-
med Naddi ait pu épargner à la ville les razzia songhay. Naddi
s'est efforcé de maintenir de bonnes relations avec Gao par des
cadeaux équivalant à un tribut périodique, par la reconnaissance
de la suzeraineté du roi songhay. Un passage du Tarikh es-Soudan
peut-être interprété dans ce sens. Naddi, comme tous les tributaires
songhay, salua l'avènement de Sonni Ali en 1464, lui envoya non
seulement une « lettre de vœux et de salutations» 19 mais des pré-
sents que ne mentionne pas Je Tarikh. Comme un vassal il sup-
plia son souverain de ne pas lui enlever ses droits. Ainsi Tom-
TOMBOUCTOU ET L'E?\-IPIRE SONGHA y 53

bouctou était, dans une certaine mesure, dépendante des princes


songhay. Elle reconnaîssait la suzeraineté de Gao non pas qu'elle
eût été conquise et soumise au droit du plus fort mais parce qu'elle
était dans la zone d'influence des Songhay. Comme tous les vassaux
du royaume naissant, le Tombouctou-koÏ participait avec son armée
aux expéditions guerrières des rois songhay. Le Tarikh el-Fettach
présente le vieux Mohammed Naddi accompagnant Sonni Ali en
1465, quelques mois avant sa mort, dans la campagne contre le roi
mossi Komdao. On peut donc parler d'une double domination sur
Tombouctou au xV: siècle: la domination effective des Touareg et
la suzeraineté nominale des Songhay. Par cette politique de sou-
mission et de bonne entente avec les deux maîtres du jour, les
Touareg au Nord, les Songhay à l'Est, Mohammed Naddi parvint
à sauvegarder l'autonomie de la ville. C'est peut-être la raison pour
laquelle Tombouctou fut épargnée par les Song11ay. Les choses
changèrent avec la mort de Naddi en 1465. Le lien fut rompu par
son fils et successeur, Ammar, qui cessa de reconnaître la suze-
raineté du roi songhay. On comprend mal les raisons de cette atti-
tude. Est-ce sous la pression des Touareg, jaloux de l'influence
grandissante des Songhay ou tout simplement parce qu'Ammar
estimait que le danger, en ce moment, était du côté des Songhay?
Tout était possible, mais il ne tarda pas à reconnaître son erreur.
Les Touareg, le voyant coupé de Gao, lui enlevèrent le pouvoir. Ils
le privèrent du tiers coutumier des impôts de la ville. Akil se passa
de ses services et fit pressurer la ville par ses guerriers. Ammar
revint alors à la politique paternelle et fit appel à Sonni Ali, roi de
Gao. L'intervention de Sonni Ali était, de toutes façons, inévitable.
Le défi lancé par Ammar mettant fin à la suzeraineté songhay sur
la ville laissait le champ libre à une véritable conquête. Sonni Ali
saisit donc l'occasion de l'appel d'Ammar pour conquérir la ville. Il
était déjà maître de la moyenne vallée du Niger et ses armées
étaient campées devant Djenné qu'il assiégeait depuis quelques
années.
b) Conquête de Tombouctou, janvier 1468
Le Tarikh es-Soudan qui décrit les péripéties de la prise de la
ville dit qu'Ammar, le Tombouctou-koÏ, envoya un messager à
Sonni Ali « J'engageant à venir à Tombouctou, lui promettant de
lui livrer la ville dont il deviendrait le souverain. Il lui dépeignit
la situation d'Akil en toutes choses, lui montrant la faiblesse de
l'autorité de ce prince, et son manque de vigueur physique »20.
Ammar agit en grand secret, cachant son jeu en se montrant
zélé envers les Touareg. Le bruit s'était répandu de la prochaine
arrivée de Sonni Ali; le vieil Akil, en homme prudent, fit venir
mille chameaux de Oua]ata pour le transport éventuel de ses
amis. En somme, les Touareg se préparaient à évacuer la vjlle
qu'ils ne pouvaient défendre contre la redoutable armée songhay.
Ils allaient quitter la ville de la même manière que les Malinké
qu'ils avaient chassés au début du xve siècle.

~o. [denz, p. 40.


54 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

Le quatrième ou cinquième jour du mois de redjeb 873 H (29


ou 30 janvier 1468) selon Es Sacdi 21,Sonni Ali et ses cavaliers firent
leur apparition sur la rive droite du Niger en face d'Amadia. On ne
sait si Akil qui se trouvait à ce moment sur une dune, en compagnie
d'Ammar, était dans son campement ou s'il y était venu pour barrer
la route de Tombouctou à Sonni Ali. De toutes façons, il n'attendit
pas l'armée songhay qui eut beaucoup de difficultés à traverser le
fleuve en crue. Il se précipita à Tombouctou et, hâtivement dans
le désarroi général, fit monter à dos de chameaux ses amis ulémas
et quitta la ville avec tous ceux qui lui restaient fidèles. Ammar qui
avait envoyé des pirogues à Sonni Ali calcula, au dernier moment,
ses chances auprès de l'empereur songhay et eut peur des repré-
sailles qu'il pouvait encourir à la suite de son attitude ancienne.
Aussi, décida-t-il de s'enfuir, après avoir conseillé auparavant à son
frère, El Moktar ben Mohammed Naddi, de se rallier à Sonni Ali
afin de préserver, dans leur famille, la chefferie de Tombouctou. La
ville évacuée par les Touareg n'offrit aucune résistance aux Son-
ghay. Elle fut livrée au pillage, une partie incendiée, des habitants
massacrés. Les ulémas, amis des Touareg, furent maltraités et
humiliés. Sonni Ali inaugura ainsi à Tombouctou une politique de
répression et d'anticléricalisme qui fut un des traits dominants
de son règne.
c). La politique de Sonni Ali Ber à Tombouctou
Sonni Ali ne séjourna pas longtemps à Tombouctou. Pendant
tout son règne, il n'y passa que rarement, entre deux campagnes.
C'était d'ailleurs à Kabara, où il avait fortifié la résidence de Tila,
qu'il s'installait lors de ses passages dans la région.
Il maintint les institutions de la ville et nomma El Mokhtar ben
Mohammed Naddi Tombouctou-koi; Habib, petit-fils d'Abderra-
haman Et Temini devint cadi. Par contre, il frappa la ville d'une
sorte d'ostracisme et lui fit subir toutes sortes d'avanies. Le fait le
plus marquant de sa politique fut son hostilité envers la classe des
lettrés. Les Tarikhs, un siècle et demi après, exprimaient encore l'in-
dignation et la colère de l'intelligentsia de Tombouctou contre
Sonni Ali qu'ils traitaient de «libertin », «tyran », «débauché »,
« maudit ». On peut distinguer trois périodes dans le conflit entre
l'empereur songhay et le clergé musulman.
Une première période allant de 1468 à 1473 est celle d'une dure
répression contre les ulémas de Tombouctou. Un certain nombre
d'événements que nous ne pouvons pas dater avec précision se
situent à cette époque.
Après la conquête et le pillage de la ville, Sonni Ali fit arrêter de
nombreux ulémas. Il s'attaqua à la famille des Anda Ag Moham-
med, une des plus illustres par la piété et le savoir et alliée à celle
des AqÎt non moins célèbre. Il emprisonna Sita, la fille du véné-
rable lettré Anda Ag Mohammed, tua ses deux frères, tous deux
21. Idem, p. 105. Le Tarikh el-Fettach, p. 93, situe l'événement au 48 jour du mois
de redjeb 873 H. (18 janvier 1469). Il Y aurait ainsi Il à 12 jours de différence entre
le 4&et le 58 jour du redjeb ! Il doit y avoir une erreur dans la concordance chrono-
logique établie par le traducteur.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 55

jurisconsultes, et terrorisa les autres lettrés. A une époque qu'on


ne peut situer, de sa résidence de Tila, où il était de passage, il
ordonna qu'on lui amenât trente filles d'ulémas dont il voulait faire
des concubines. Les habitants de Tombouctou qui se souviennent
encore de l'événement montrent au visiteur, près d'Amadia, l'en-
droit où furent massacrées, sur l'ordre de Sonni Ali les trente jeu-
nes vierges épuisées et incapables de continuer à pied le chemin
jusqu'à Kabara. La répression provoqua l'exode. De nombreux let-
trés quittèrent Tombouctou et se réfugièrent la plupart à Oualata,
d'autres à Tichit, à Takkeda et ailleurs. En 1471, un groupe impor-
tant d'habitants du quartier Sankoré, à l'instigation d'Akil ou
de leurs parents et congénères de Oualata, s'enfuit de Tombouc-
tou. Sonni Ali qui se trouvait alors à Djenné, ordonna au Tombouc-
tou-koÏ El Moktar, de poursuivre les fuyards et de les ramener à
Tombouctou. Et Moktar les rattrapa à Tadjit sur la route de Oua-
lata, leur livra un combat meurtrier mais sans succès. Sonni Ali
maltraita également les descendants du Cadi El Hay qui s'étaient
réfugiés à Alfa Konko qu'on ne peut localiser. Certains de ceux-ci
s'exilèrent à Tikda (Takkeda?) et ceux qui étaient restés à
Alfa Konko furent tous exterminés ou emprisonnés.
La deuxième période qui va de 1477 à 1485 est celle de la paix
entre Sonni Ali et le clergé musulman. Sonni Ali qui avait depuis
1472-1473 triomphé de Djenné, voyait son pouvoir affermi dans la
Boucle du Niger dont il devint le maître incontesté, du Dendi au
Macina. Il n'avait alors que deux grands ennemis, les Touareg au
Nord, à Oualata et les Mossi qui ne furent jamais définitivement
vaincus. Du côté des Touareg, il avait liquidé ou réduit à l'impuis-
sance les ulémas de Tombouctou qu'il considérait comme leurs
amis. En 1477 il revint à Kabara et semblait avoir fait la paix avec
les gens de Tombouctou. C'est l'époque où il entreprit le creuse-
ment d'un canal qui devait relier Ras-EI-Mâ à Oualata et lui per-
mettre de transporter par eau son armée pour aller combattre les
Touareg dans la ville sahélienne. Entreprise gigantesque digne des
ambitions du grand Sonni mais pratiquement impossible à réali-
ser! De toutes façons, Sonni Ali abandonna son projet devant la
nouvelle de l'arrivée des mossi à Oualata.
Le sac de Oualata. Les Mossi qui avaient été repoussés du Delta
central y revinrent en 1477, s'emparèrent de Sarna 22 et des princi-
paux centres. Ne pouvant s'orienter vers l'Est contrôlé par les Son-
ghay, ils montèrent vers le Nord Sahélien, précisément à Oualata
dont les richesses devaient susciter leurs convoitises. Le Tarikh es-
Soudan, confirmé par d'autres sources écrites et par les traditions
orales de la région 23 nous relate ainsi les faits. Ammar ben Moham-
med Naddi, l'ancien Tombouctou-KoÏ qui s'était réconcilié avec les
Touareg, défendit vaillamment la ville mais ne put empêcher les

22. Ce nom revient fréquemment dans les Tarikhs. Plusieurs lieux ont dû le porter
dans le delta central. Au temps d'Askia Mohamed Benkan, l'agglomération était à
la frontière de l'empire du Mali et appartenait à celui-ci. Le nom a une résonance
mandingue.
23. Les habitants de la région se souviennent de cette expédition mossi. Claude
Meillassoux en a recueilli des traditions orales.
56 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Mossi de s'en emparer et de la saccager. Pendant quatre mois, la


ville subit le joug des Mossi.. Quand ils se retirèrent, ils emmenè-
rent une grande partie des habitants en esclavage. Ammar les pour-
suivit en vain et ne put leur arracher leur butin. Oualata saccagée,.
son commerce ruiné, ne devait plus se relever. Par un hasard extra-
ordinaire, elle fut vengée par ce même Sonni Ali qui rêvait de
s'en emparer. Sonni Ali ayant abandonné le canal, se porta en 1483
à la rencontre des Mossi, les atteignit à Djinikito'oi près de Kobi
sur la rive droite du moyen Niger. Il les vainquit, leur enleva une
partie du butin et les poursuivit jusque dans leur pays. Les consé-
quences du sac mossi sont importantes pour notre propos. La
ruine de Oualata était le signe de la décadence puis de la fin de
l'Empire targui dans le Nord Sahel. Une certaine entente s'établit
entre Sonni Ali et les ulémas qui s'étaient réfugiés à Oualata. C'est
le moment où de nombreuses familles comme celles des Aqît, des
Anda Ag Mohammed revinrent à Tombouctou.
Le cadi de Tombouctou, Habib, et son cousin, le jurisconsulte
El Mamoun, contribuèrent activement à cet apaisement grâce au
respect qu'ils inspiraient au Sonni.
A partir de 1485 s'ouvre la troisième période qui se caractérise
par une reprise de la répression dont les raisons profondes nous
échappent. Les Tarikhs donnent quelques faits significatifs. Sonni
Ali continua à enlever aux ulémas leurs filles, ses soldats à ne pas
respecter leurs biens et leur honneur. Les emprisonnements repri-
rent dans les grandes familles. Le Tarikh el-Fettach signale la dépor-
tation, vers la fin du règne, de deux jurisconsultes de la famille
du vénérable mari Haougro. En 1485 Sonni Ali, de passage dans sa
résidence de Tila, ordonna l'arrestation du Tombouctou-koï El
Mokhtar pour des raisons que nous ignorons. Il ne nomma pas un
nouveau KoÏ et plaça peut-être son représentant personnel à la
tête de la ville. « On désespérait. écrit l'auteur du Tarikh el-Fet-
tach, d'arriver jamais à la délivrance car son règne durait depuis
si longtemps qu'on avait perdu tout espoir de voir le jour où ces
maux cesseraient et prendraient fin 24. » Ces phrases traduisent bien
le sentiment général des ulémas de Tombouctou qui maudissaient
le Sonni et le « maraboutaient » par toutes sortes de sortilèges. En
1487 même, les pèlerins de Tombouctou firent prononcer à Arafat,.
en terre sainte, des malédictions contre l'empereur Songhay.
Les Tarikhs racontent, comme un crime sans nom, l'évacuation
de Tombouctou ordonnée par le Sonni. Le Tarikh el-Fettach, de la
plume de Mohammed Baba ben Youssof, cousin du principal
auteur de l'ouvrage 25, décrit le fait avec force détails. Sonni Ali,.

24. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 98.


25. Il Y a plusieurs articles pour l'identification des auteurs du Tarikh el-Fettach.
Entre autres, on peut citer Joseph Brun, Notes sur le Tarikh el-Fettach, Anthropos,
1914, p. 590-596, Hunwick, Studies in the tarikh at Fattash, Its author and textual
history, Research Bullin, centre of Arabic documentation, University of Ibadan, Dec.
1969, Vol. V, n° 1-2, p. 57-65, Levzion, et Madina Ly, quelques remarques sur le
Tarikh el-Fettach, B. IF A N, n° 3, 1972, p. 471-493. D'après ces travaux, on peut
distinguer avec Madina Ly, trois auteurs principaux de l'ouvrage: le premier Mah-
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 57

pour châtier la population d'avoir cherché à fuir vers le Sahel,


ordonna aux habitants d'évacuer la ville en une journée, et de se
porter à Haoukiot, derrière le fleuve, à plus de 8 km. L'auteur situe
l'événement au moment du siège de Djenné, entre 1469 et 1473. Ce
qui correspond avec l'époque de la politique répressive de Sonni, de
l'exode des populations dans les premières années de la conquête
songhay. Le Tarikh es-Soudan, très laconique, donne une date diffé-
rente: « (l'affaire de) Tosoko eut lieu en 893 (1488). Ce fut au cours
de cette année que les gens de Tombouctou entrèrent à Hauki où ils
demeurent cinq ans 26. » Sacdi mentionne le jurisconsulte Mahmoud
ben Omar Aqît parmi les exilés. Or ce dernier ne revint à Tom-
bouctou qu'en 1480 et était âgé de 21 ans en 1488. Il n'aurait eu que
8 ans si l'on suit la date du Fettach.
Pourtant, la version sacdienne n'est pas claire. I] n'est pas vrai-
semblable que la ville fut évacuée pendant cinq ans, c'est-à-djre
jusqu'à la mort de Sonni en 1492. Un événement aussi important
aurait été clamé autr~ment que par la phrase laconique de Es Sacdi.
L'auteur du Tarikh el-Fettach qui a décrit l'évacuation se deman-
dait d'ailleurs avec naïveté si une pareille chose était possible!
Aussi, il nous semble qu'il y eut deux exodes à Hauki: le premier
vers 1471 où la population fut contrainte d'évacuer Tombouctou
pendant une courte période. La deuxième en 1488 où certaines
familles d'ulémas furent exilées et ne devaient revenir qu'après la
mort de Sanni. Nous en ignorons les raisons. Nous notons, en tout
cas, l'intensité de la lutte anticléricale jusqu'à la mort de Son11i
Ali en 1492.
Pouvons-nous savoir les raisons de cette politique? Pourquoi
cette hostilité contre les gens de religion? Presque tous les histo-
riens de l'empire songhay qui ont abordé cette question, deve-
nue classique, ont abouti, à la suite des Tarikhs, aux conclusions
suivantes: les ulémas de TOlnbouctou reprochaient à Sonni Ali
ses lnauvaises pratiques religieuses, son impiété frôlant J'infi-
délité. Sanni Ali était considéré non comme U11souverain musul-
man mais COlnme un païen. Maître en magie, Dâli, Sonni Ali était
au fond un animiste pratiquant un Islam de pure forme. D'autre
part le caractère violent et tyrannique du roi songhay se mariait
mal avec le respect et l'humilité exigés par les marabouts, juris-
consultes attacl1és aux principes malékites. Sa passion de la guerre
n'était pas non plus à l'écart des critiques des ulémas qui avaient
besoin de la paix pour leurs étlldes et leurs affaires. Tous les
auteurs admettent que la raison profonde de la répression des
ulémas est qu'ils étaient amis des Touareg, ennemis de Sonni Ali.
La plupart des ulémas venus de tous les coins du Sahel étaient des
Berbères, congénères des Touareg. Par delà ces raisons, il y a un
----
moud Kâti, l'Ancien, compagnon d'Askia Mohammed 1el", le deuxième, Mahmoud ben
El Hadj el A1otaollkkel, neveu du premier, contemporain d'Askia Daoud, mort en
1593, le dernier, Ibn El Mokhtar Gombelé, petit neveu du deuxième et auteur prin-
cipal de l'ouvrage qu'il élabora vers le milieu du XVIIe siècle.
26. Tarikh es-Soudan, 1964. p. 116.
58 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHAY

conflit de cultures, de civilisations. A travers Sonni Ali c'est la cul-


ture du terroir africain face aux valeurs islamiques. Le triomphe
de Sonni Ali consolida la monarchie dans ses bases traditionnelles.

B - Développement de Tombouctou dans la deuxième moitié


du XVe siècle.

Tombouctou l'emporta dans sa longue rivalité avec Oualata. Elle


était devenue à la fin du xve siècle le plus grand marché du Sahel
soudanais et attirait les marchands et les lettrés des régions voi-
sines.

10 - Déclin de Oualata
Défavorisée par le changement d'axe de la puissance politique de
l'Ouest vers la Boucle du Niger, Oualata n'en demeura pas moins
un grand centre économique jusqu'à l'événement de Sonni Ali. En
plus du sel de Teghazza qu'elle disputait à sa rivale Tombouctou,
elle semblait renforcer sa position par le transit du sel d'Idjil inten-
sément exploité au x~ siècle. Les sources européennes du milieu
du xve siècle ne parlent pas cependant de Oualata. Ni Malfante
(1447) ni Alvisse de Ca da Mosto (1455) ne font mention d'elle. Ils
accordent par contre une importance capitale à Tombouctou,
débouché principal du commerce transsaharien et point de départ
de l'or soudanais. Le grand marché à l'Ouest était alors Ouadane
lié à Tombouctou par Tichit et qui devint une autre rivale de
Oualata. Tichit était mentionnée sur les cartes du xve siècle sous le
nom de Teget ou Tesset 27.
Il Y avait donc une concurrence serrée entre Oualata et ses voi-
sins de l'Ouest et de l'Est; elle perdit ainsi une grande partie de
son trafic. Le sac mossi en 1480 précipita le déclin de la ville. Une
partie de sa population émigra vers Tombouctou qui attirait égale-
ment les marchands transsahariens. Par un renversement des cho-
ses, Tombouctou devint la métropole économique et intellectuelle
de Oualata. Conquise par les Songhay, très probablement vers la
fin du règne de Sonni Ali, Oualata devint une malheureuse bour-
gade caravanière sans grande activité commerciale.
A lire les auteurs européens du xve siècle, Tombouctou semblait
capter tout le commerce entre le Soudan et les pays méditerra-
néens. Elle devint le principal point de départ de l'or soudanais et
le point d'arrivée des marchandises maghrebines ou italiennes. En
effet le commerce soudanais était conditionné par Je marché médi-
terranéen qu'il faut brièvement évoquer.

'2.7. De la Roncière, La découverte de l'Afrique, T. I, carte p. 137.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 59

2° - La soif de l'or dans les pays méditerranéens


L'on sait que depuis le XIIIe siècle le Maghreb fut disloqué en
royaumes indépendants et que les tentatives d'unification ne réus-
sirent jamais plus. Les trois grands royaumes, les Hafcides de
Tunis, les Abdelwadides de Tlemcen et les Mérinides de Fez intensi-
fièrent leurs relations avec le Soudan d'où ils tiraient de l'or en
poudre, le tibar, entre autres produits d'importation. Les crises
internes de ces Etats ne semblent pas avoir ralenti le commerce
transsaharien. En effet on constate une implantation de plus en
plus importante du commerce européen sur les côtes maghrebines
et même à l'intérieur. Dans son magistral article sur la Méditerra..
née, Fernand Braudel28, repris par d'autres auteurs 29, analyse le
rôle mondial de l'or du Soudan avant le XVIesiècle. Il montre corn..
ment cet or enrichissait les trésors des Etats musulmans d'Afrique
et d'Espagne, comment il passait entre les mains des marchands
européens, italiens surtout, qui dans leur commerce déficitaire
avec le Levant, l'utilisaient pour leurs achats. Au xve siècle, les
mines européennes de faible importance étant presque épuisées, les
marchands des pays méditerranéens, en particulier Génois, Por-
tugais, Andalous, Majorquains, Florentins, Vénitiens développèrent
leur commerce dans les ports de la côte maghrebine pour recevoir
l'or du Soudan par exemple Ceuta aux mains des Portugais à Oran,
à Bône, à Tunis.
Cette ruée vers l'or soudanais provoqua des conflits entre nations
européennes et conditionna la conquête des côtes marocaines par
les Portugais qui s'emparèrent des principaux débouchés: Ceuta
en 1436, Safi, Agadir. Vitorino Magalhaës Godinho dans l'histoire
de l'ascension économique de l'Empire portugais 30, signale la
reprise de la frappe de l'or dès 1434. Les Portugais ne s'arrêtèrent
pas aux débouchés nord mais descendirent vers le Sud pour inter-
cepter sur la côte saharienne le commerce transsaharien de l'or.
Et c'est ainsi qu'ils fondèrent un comptoir dans l'lIe d'Arguin en
1446 en relation avec Ouadane et longèrent, au cours du siècle, les
côtes guinéennes.
L'entreprise portugaise tendant à monopoliser l'or soudanais
provoqua la réaction des autres nations méditerranéennes et en
particulier les Gênois qui, on le sait, lancèrent des agents commer..
ciaux comme Malfante (1447) à l'intérieur des pays, dans le Sous,
le Draa, le Tafilelt et surtout le Touat. De leur côté, les Florentins
qui fréquentaient les ports de Bône, Bougie, Alger, Oran, Tunis
envoyèrent des agents à l'intérieur. Ainsi Benedetti Dei de la Mai..

28. Braudel, Fernand, Monnaies et civilisations: de l'or du Soudan à l'argent


d'Amérique, in A nnales, économies, Sociétés, civilisations, n° 1, 1946, p. 9 à 22.
29. En particulier Heers, J'J Le Sahara et le commerce méditerranéen à la fin du
Moyen Age, in Annales de l'Institut d'Etudes orientales. T. XVI, 1958, p. 247 à
255.
30. Vitorino Magalhaës Godinho, L'économie de l'empire portugais aux xV' et xv t'
siècles. SEVPEN, Paris, 1969, 1re partie, chap. II.
60 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGH.A.y

son Mortinari aurait traversé le Sahara en 1469 et même atteint


Tombouctou 31.
On est en droit de penser, en tout cas, que jusqu'au milieu du
xve siècle, avant la descente portugaise sur les côtes guinéennes, la
soif de l'or en Europe favorisa le commerce transsallarien dont
Tombouctou était un des pôles les plus importants.

3° - Les relations commerciales de Tombouctou


La Boucle du Niger et plus précisément Tombouctou, favorisées
par l'effacement de l'empire du Mali, le déclin de Oualata, la for-
mation d'un empire nigérjen et la soif du métal jaune en pays
méditerranéen, allaient s'enrichir du commerce transsaharien.
A vec le Maghreb occidental.
Les relations de Tombouctou avec le Maghreb occidental, Tafi-
lelt, Draa, Sous, côte marocaine, passaient traditionnellement par
la voie centrale Teghazza-Sidjilmessa. Sans que celle-ci fût aban-
donnée, elle fut fortement concurrencée par une voie plus occi-
dentale qui allait de Tombouctou au grand marché saharien de
Ouadane par Tichit. Ca Da Mosto (1455) voit en Ouadane le relais
saharien de Tombouctou. L'or venu du Mali ou des côtes ashanti,.
les épices (malaguette) de Guinée étaient acheminés de Tombouc-
tou à Ouadane d'où ils étaient réexpédiés vers les principaux mar-
chés du Nord. Taghaost dans le Sous recevait les produits de
Ouadane et de Tombouctou et, à son tour, leur expédiait des métaux
et des toiles de fabrication locale. Les foires de Gouzoula dans le
Sous duraient trois mois et accueillaient les agents des marchands
de Tombouctou.
Messa, Marrakech, Fès, Arzile, Azazi, Ceuta, Honein, Oran,.
recevaient par Ouadane l'or de Tombouctou. Par ces villes fréque11-
tées par des marchands italiens ou par celles qui étaient aux mains
des Portugais (ex.: Ceuta, Safi, Santa Cruz), l'or de Tombouctou
atteignait les grands centres financiers de l'Europe comme Lis-
bonne, Grenade, Gênes, Venise, les marchés flamands du Nord. Par
Arguin occuppée depuis 1441, une partie de l'or d'Ouadane était cap-
tée par les Portugais. Godinho l'évalue entre 20 et 25 kg par an entre
le dernier quart du xve siècle et le premier du XVIe siècle 32.
Le deuxième élément du commerce nigérien à l'exportation était
les esclaves sans qu'on en puisse donner des chiffres. Godinho évalue
entre 800 à 1 000 par an les esclaves achetés à Arguin à la fin dlt
xve siècle et au début du XVIesiècle. A une époque où les souverains
songI1ay bouleversaient à leur avantage les pays de la Boucle du
Niger, on peut sans trop d'erreur affirmer que de nombreux escla-
ves partaient de Tombouctoll vers Ouadane et le Sud marocain. Au
retour, les caravanes apportaient le cuivre, l'argent et, comme tOll-
jours, le sel. Alvisse de Ca da Mosto insiste sur l'jmportance
vitale du sel pour les Soudanais. Ce sel venait des mines de Teghazza

31. De la Roncière, La découverte de L'A/rique..., T. I, p. 163.


32. V.~I. Godinho, L'Econonzie de l'empire portugais, 1969, p. 188.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 61

et d'Idjil, au nord de Ouadane, en grande activité au xve siècle. Il


était le principal produit du commerce de Tombouctou qui, dès
cette époque, tentait d'en monopoliser la distribution. La hausse
des prix du sel depuis Je XIve siècle était d'une ampleur démesurée:
la charge qui valait 20 à 30 mitqals en 1353 au Mali en valait 200
à 300 en 1455 ! Elle explique la grande prospérité de la ville de Tom-
bouctou au xve siècle.
Le Maghreb central et l'lfriquia.
La route de Teghazza qui était la grande voie centrale reliait
Tombouctou au Touat et à Sidjilmessa et, par delà, au Maghreb
central et à Tunis. Le Touat, oasis au milieu du Sahara, grand
carrefour saharien, était fréquenté par des marchands de tous pays
et de toutes nationalités. Les Juifs, avant les persécutions san-
glantes d'El Maghili, y vivaient en toute liberté et assuraient le
développement du commerce par le crédit et le change. Des mai-
sons italiennes, gênoises (Malfante, 1447) et probablement flore11-
tines (Benedetto Dei, 1469) venaient y vendre leurs marchandises.
Comme Ouadane à l'Ouest, le Touat constituait le grand relais
saharien de Tombouctou. Les marchands touatiens étaient au xve
siècle les plus nombreux parmi les étrangers à Tornbouctou. L'hôte
de Malfante prétendait y avoir passé trente ans et son frère était,
au milieu du siècle, un des plus riches de la ville.
Tombouctou de son côté constituait le débouché soudanais du
Touat qui la reliait à Sidjilmessa, à Tlemcen, à Honein, selon
l'ancien réseau qui fit la prospérité de Oualata. De Tamentit une
route allait à Ouargla, Touggourt et aboutissait à Kairouan et à
Tunis. C'était la grande route de l'or de Tombouctou vers l'Ifri-
quia. Elle était doublée par une route directe Tombouctou-ln Zize-
Ksar el Kebir (ln salah) Ouargla-Touggourt 33.
Dans tout ce secteur, le commerce portait essentieIJement sur
l'or qui était le nerf de toutes les activités. Il était échangé contre
le sel de Teghazza que les caravanes chargeaient vers Tombouctou
et vers le Touat, contre le cuivre qui proviendrait, selon Malfallte,
de l'empire byzantin. En outre Tombouctou envoyait des esclaves
en grande quantité. En 1447, l'esclave noir ne coûtait au Touat
que deux roubles en moyenne par tête. Malfante a constaté aussi
au Touat une importante consommation du beurre de karité venu
au Soudan par Tombouctou.
La Libye et l'Egypte.
Ce secteur était ravitaillé surtout par Gao, second point de
départ de l'or soudanais. D'après Malfante, le Touat était fré-
quenté par les marchands égyptiens qui venaient y vendre des
animaux (chameaux surtout) et qui allaient au Soudan chercher
de l'or. Tombouctou était, avec Gao, le fournisseur d'or au Fezzan
et à l'Egypte. Les relations semblaient être plus intenses par l'inter-
médiaire du Touat que par l'ancienne route Gao-Tadmekka-Fezzan.

33. De la Roncière (Charles), La découverte de l'Afrique, T. I.


62 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHAY

Somme toute, le commerce de Tombouctou couvrait tout le


Nord du continent, d'Arguin au Caire. Certes, il y avait d'autres
villes à la bordure sahélienne mais aucune n'avait cet éventail
commercial aussi large et aussi varié. Malgré l'ouverture du
commerce atlantique qui, à partir du dernier tiers du siècle, allait
accaparer une bonne partie du commerce soudanais, Tombouctou
continua son ascension que nous confirmera Léon l'Africain au
début du siècle suivant. On ne peut pas parler d'un déclin du
commerce nigérien dû à la concurrence de la caravelle atlantique.
Il semble que tout le commerce du Soudan occidental qui était,
au siècle passé disséminé entre diverses villes sahéliennes fut
concentré au xve siècle dans la Boucle du Niger et plus précisé-
ment à Tombouctou qui gagna donc en volume ce que perdaient
les autres. C'est là une des explications possibles de ce double
développement parallèle du commerce de Tombouctou et de celui
des côtes atlantiques.
Du côté du Sud, les sources manquent pour évaluer l'importance
du trafic de Tombouctou avec le Soudan intérieur. Et cependant
l'on sait qu'à l'époque, Djenné constituait un grand marché dont
la réputation atteignit les navigateurs portugais à la fin du siècle.
Selon Duarté Pacheco 34 (1505-1508), on trouvait à Djenné toutes
les marchandises du commerce transsaharien, cuivre, soieries,
draps, sucre, sel, etc. Jumelle de Tombouctou, Djenné était liée à
elle par une importante flotille de pirogues et recevait d'elle les
produits en transit. Son marché, fréquenté par les marchands
wangara qui sillonnaient tout le Soudan intérieur jusqu'à la côte
atlantique, centralisait l'or du Mali, d'Ashanti, les épices de Gui-
née, la malaguette, et ravitaillait Tombouctou, son port sahélien.
La capitale de l'empire du Mali, certainement Niani, constituait
dans l'extrême Sud-Ouest, le second relais de distribution des
marchandises de Tombouctou, en particulier le sel si recherché
dans ces régions et dont le prix en or avait décuplé depuis le
voyage d'Ibn Battouta.
Ainsi à la fin du xve siècle, Tombouctou était sans conteste la
grande ville commerciale dans le monde sahélo-soudanais. Sa voca-
tion commerciale esquissée au XIve siècle s'est maintenant affir-
mée. La ville s'accrut en population et en étendue.

4° - Développement de la cité.
La ville de Tombouctou se constitua au xve siècle dans ses prin-
cipaux quartiers. Elle put doubler ou tripler sa population. Sa
physionomie telle qu'elle nous paraît dans la photo aérienne fut
alors façonnée 35.

34. Duarte Pacheco Pereira (1506-1508), Esmeraldo de situ orbis (Côte occiden-
tale d'Afrique, du Sud marocain au Gabon). Trad et comma R. Mauny, n° 19,
Centro de estudos da guinéa portuguesa, Bissau, 1956, p. 51-53.
35. Manny, R., Photo aérienne de Tombouctou, Notes Africaines, 42, avril 1949,
p. 36.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 63

a) accroissement de la population.
L'accroissement de la population urbaine était effet et cause de
l'essor commercial. Le commerce attira à Tombouctou des Ber-
bères sanhaja de tous les centres du Sahara et du Sahel: mar-
chands, artisans, caravaniers, marabouts, etc. Ils venaient surtout
de l'Ouest: Ouadane, Tichit, Chinguetti, etc., et renforçaient l'an-
cien fond messoufa. Mention doit être faite de la famille de
Mohammed Naddi, le Tombouctou-koï dont le père ou le gral1d-
père serait venu de la région de Chinguetti à l'époque de l'occupa-
tion mandingue. La famille Naddi qui avait acquis le pouvoir dans
la ville a dû encourager l'immigration de ses congénères de l'Ouest.
Le gros des immigrants venait surtout de Oualata ou Biro. Avec le
déclin de la ville et après le sac mossi en 1483, de. nombreux habi-
tants quittèrent la ville de Oualata et sa région et se réfugièrent à
Tombouctou. Ce fut le cas des deux plus célèbres familles reli-
gieuses de la ville, les Aqît et les Anda Ag Mohammed. Des familles
plus humbles d'artisans, de marchands, suivirent le mouvement
et s'établirent dans le nouveau quartier appelé Biricounda.
L'ancien courant d'immigration des gens de Touat s'amplifia
avec l'intensification des relations particulières entre le Touat et
Tombouctou. La colonie touatienne devint très importante et joua
un rôle dominant dans les affaires, dans la direction spirituelle et
intellectuelle de la cité. L'hôte de Malfante y a accumulé une for-
tune colossale de près de 100000 roubles! Son frère était un des
plus riches marchands de la ville. Les Touatiens, vers la fin du
siècle, monopolisèrent l'imamat de la grande mosquée de Jinge-
reber, édifièrent un important cimetière du côté Sud-Ouest.
En dehors de ces groupes compacts, on trouve à Tombouctou au
xve siècle des marchands venus d'Afrique du Nord, du Maroc à
l'Egypte. Nous manquons malheureusement de renseignements
sur cette catégorie. Le dénominateur commun à tous ces immi-
grants arabo-berbères était l'intention de faire fortune pour retour-
ner chez eux. Ceux qui faisaient souche étaient surtout les gens
de l'Ouest sahélien.
L'immigration des Soudanais apparaît mal à travers les Tarikhs.
L'unification de la Boucle du Niger par la conquête songhay, les
relations commerciales prioritaires avec les pays environnants
étaient des éléments qui ont dû favoriser à cette époque la son-
ghaïsation de Tombouctou. Léon l'Africain constatait au début du
XVIesiècle que le Songhaï était la langue courante de Oualata! Si
cela était vrai, on peut penser que la songhaïsation de ces régions
avait précédé la conquête. En tout cas, avec la conquête songhay,
l'immigration à Tombouctou des Songhay (marchands, fonction-
naires royaux, marabouts, étudiants, serviteurs de tous genres,
épouses et concubines, etc.) devait être le courant le plus puissant
des immigrants noirs. Les marchands et lettrés wangara et wakoré
continuèrent aussi à venir de plus en plus nombreux. Des popu-
lations de la vallée, les Sorko, les Bozo, les Dâ fondateurs de
Kabara, tous pêcheurs sur le Niger, ravitaillaient, dès cette épo-
que, la ville. Sonni Ali ramena de ses guerres de nombreux captifs
64 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

faits sur les Mossi, les peuls et autres peuples de la Boucle et qui
devaient former une catégorie importante de la classe servile. Les
belles esclaves peul comme l'aïeule de Es Sacdi étaient épouses
ou concubines dans nombre de familles.
L'image que présentait ainsi la ville de Tombouctou au xV: siè-
cle est bigarrée. Toutes les ethnies et toutes les races du monde
soudanais et arabo-berbères vivant - réunies pour le commerce ou
pour l'étude, - coexistaient ou se mélangeaient dans un espace qui
s'agrandissait de plus en plus, à la lisière sahélienne.

b) extension de la cité:
Le.s quartiers.
L'afflux de la population finit par donner à Tombouctou sa
physionomie traditionnelle. Les grands quartiers se formèrent en
partie et allaient se développer par débordement.
Le Jingereber reçut de nombreux Touatiens, des gens de Oua-
lata et était devenu le quartier aristocratique. A l'Est était le
quartier de Tombouctou-koï bâtouma où se trouvait la résidence
du Tombouctou-koï Mohammed Naddi non loin de la mosquée
de Sidi Yaya. Aucune confusion n'est possible entre cette rési-
dence et celle du Madougou que le Tombouctou-koï n'a pas habi-
tée et qui, après la retraite des Mandingue, a dû être délaissée.
Le palais au centre de la ville, non loin de la grande mosquée,
dont par]e Léon l'Africain, devait être non le Madougou que nous
avions localisé à l'Ouest de la ville mais celui du Tombouctou-koï,
sinon du représentant du souverain songhay, dans le centre de
l'actuel Sarékeina. Quant à la place dite « Tombouctou-koï bâtou-
ma » qu'on fait remonter à la fondation de la ville, elle serait bien
du xve siècle. Le terme Tombouctou-koï n'est apparu qu'à l'époque
targui et la place est celle où le chef de la ville tenait ses audien-
ces. Elle n'était pas loin d'ailleurs de la maison des Naddi dans le
voisinage de Sidi Yaya. Ce quartier de Tombouctou-koï bâtouma
devait s'étendre vers l'Est et le Nord et il semble avoir accueilli
des immigrants songhay et soudanais en plus grand nombre. Le
quartier de Jingereber est prolongé au Nord par celui du Bajindé
correspondant à la partie basse et centrale de la ville actuelle.
« Bajindé » signifierait « marigot aux hippopotames» ; il est situé
entre le Jingereber au Sud et le Sankoré au Nord. Il reçut de
nombreux immigrants et était entièrement peuplé au début du
XVICsiècle.
Le quartier du Nord, le Sankoré, appelé à une destinée brillante,
apparut au xve siècle. Etymologiquement, Sankoré se compose de
« san» signifiant primitivement « blanc» et par suite « notable»
et de « koré » qui veut dire « quartier ». Le Sankoré remplaça
au xV: siècle le faubourg périphérique des paillotes. L'immigration
sanhaja et songhay le transforma; les paillotes furent remplacées
par des maisons à terrasses. Le quartier reçut en outre la masse
des immigrants de Oualata qui s'installèrent en grande partie
dans le Biricounda à la lisière du Sankoré et du Bajindé. Il semble
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SaNGHA y 65

d'ailleurs qu'une partie de la population du Sankoré se fût ins-


tallée dans le Bajindé et que les deux quartiers furent ainsi unis
par un lien de parenté aujourd'hui encore vivace.
La ville de Tombouctou, dans la deuxième moitié du xve siècle,
s'étendait d'un seul bloc de Jingereber à la Sankoré comme aujour-
d'hui. Des paillotes périphériques devaient la prolonger vers le
Nord et vers l'Est.
Le Sankoré, dès cette époque, eut une vocation religieuse. C'est
là en effet que les grandes famiJles religieuses, les Aqît, les Anda Ag
Mohammed se fixèrent. La construction d'une mosquée-université,
rivale de la Jingereber, favorisa l'éclosion intellectuelle du nou-
veau quartier. Porte des pistes sahéliennes, le Sankoré devait être
plus peuplé de Berbères que de Soudanais et l'on se demande si
son nom à l'origine ne traduisait pas la réalité du peuplement.
Dans le Sud, au contact avec le Bajindé, le Biricounda est encore
réputé pour l'art de ses maçons qui auraient contribué à l'embel-
lissement de Tombouctou en y introduisant l'architecture de leur
patrie d'origine. C'est pourtant, avant l'exode massif des .gens de
Oualata, dans la première partie du xve siècle, sous la domination
targui, que furent construites les deux grandes mosquées, celle de
Sidi Yaya et celle de Sankoré.
Les mosquées.
La mosquée de Sidi Yaya qui donna son nom au quartier envi-
ronnant aurait été construite, selon Es Sacdi, par le Tombouctou-
koi Mohammed Naddi pour son ami, le grand Chérif Sidi Yaya Et
Tadelsi venu à Tombouctou « au début du gouvernement des
Touareg» donc vers les années 1433. Péfontan rapporte une autre
version, quelque peu biblique, qui attribue à un certain marabout,
El Moktar Hamalla, la construction en 1440 de la mosquée desti..
née à un imalTI envoyé de Dieu, et qui fut Sidi Yaya 36. On ignore
quelle est la source de Péfontan.
De notre côté, nous avons recueilli à Tombouctou une version
orale selon laquelle la mosquée de Sidi Yaya serait la plus ancien-
ne de la cité, donc antérieure à la Jingereber. Nos informateurs
n'ont pas pu nous donner d'arguments valables à l'appui de cette
thèse, mais ils en sont très convaîncus. Leur thèse mérite d'être
considérée. En effet la. mosquée de Si di Yaya est située dans le
noyau ancien de la ville, à quelque deux cents mètres du Tom..
bouctou-koï bâtouma. Il est donc possible que les habitants de
Tombouctou, musulmans dès l'origine, aient édifié une petite
mosalla ou oratoire au milieu de leur petite cité. Cette mosalla que
l'on considère comme étant le premier édifice à l'emplacement de
Jingereber serait plus vraisemblablement le site premier de la
Sidi Yaya. Cela est plus conforme à la vérité, à la localisation du
site ancien de la ville autour du Tombouctou-koï bâtouma. Certes,
la mosalla n'avait qu'un rôle secondaire et elle dut être vite débor-
dée avec l'extension de la ville vers l'Ouest où le Jingereber, agrandi

36. Péfontan, Histoire de Tombouctou, BCEHSAOF, 1922, p. 85.


66 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

par les Mandingue, devint la mosquée du Farin et des riches


marchands berbères. Le Tombouctou-koi et ses courtisans conti-
nuèrent à prier dans la mosalla * de leur quartier jusqu'à l'édifi-
cation à sa place d'un bâtiment plus grand qui fut la mosquée
du Shérif Sidi Yaya. On ignore la date exacte de cette construc-
tion mais on peut, sans trop d'erreur, la situer dans les années
1433-1440 conformément à la chronologie du Tarikh es-Soudan.
Les travaux ne seront, du reste, complètement achevés qu'à la fin
du xve siècle par Amar Korndiâgo, frère du grand Askia.
Quant à la mosquée Sankoré, elle aurait été bâtie grâce à la
générosité d'une riche dame de la ville dans la première moitié
du xve siècle. Barth pensait cependant qu'elle était la plus ancienne.
Il ignorait l'histoire de l'évolution de la ville. Le quartier San-
koré n'apparut réellement qu'au xv= siècle. Les Tarikhs et les tradi-
tions orales de la ville contredisent la thèse de Barth. Un des
premiers imams de la Sankoré, sinon le premier mentionné par
le Tarikh es-Soudan, fut le jurisconsulte Moadibb Mohammed El
Kâbari venu à Tombouctou vers 1445-1446 et contemporain des
jurisconsultes Anda Ag Mohammed le Grand (première moitié du
xve siècle), Sidi Abderrahman Et Temini et Omar ben Mohammed
Aqît mort en 1464. On peut donc, à partir de ces indications, situer
la construction de la Sankoré à la même époque que celle de Moham-
med Naddi, c'est-à-dire vers la fin de la domination mandingue, dans
le premier tiers du xve siècle.
La fondation des nouvelles mosquées au xve siècle correspon-
dait à la prospérité et à une grande intensité de la vie religieuse
et intellectuelle dans la cité dont la vocation spirituelle était née
au XIve siècle.

S° - Animation religieuse et intellectuelle.


a) immigration des lettrés.
Parallèlement au développement des affaires, Tombouctou deve-
nait un foyer actif de culture islamique, animé par des marabouts
de grande réputation et de nombreux étudiants soudanais. Le xve
siècle fut un tournant dans la vie de la cité. L'importante immi-
gration des Arabo-Berbères contrebalança l'ancien courant souda-
nais du XIve siècle. C'est au xV: siècle que s'établirent les plus
grandes familles maraboutiques de la ville.
Mohammed A~ît, d'origine sanhaja, ancêtre de la célèbre famille
des Aqît, était d abord établi dans le Macina au début du xV: siè-
cle. Ne voulant pas se mêler aux Peul, nous dit un de ses descen-
dants, le grand Ahmed Baba, il émigra à Oualata puis dans la
région de Ras El Ma. Il était chef d'une grande famille et était
entouré de nombreux talibés. Il constituait une véritable force dans
la région; il s'allia à l'aménokal targui Akil Ag Mélaoul qui l'invita
à venir s'installer à Tombouctou, très ~'probablement avant 1440.

. Petite cour aménagée selon le plan d'une mosquée et entourée de pierres ou


d'Utl mur dépassant rarement la hauteur des genoux.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 67

Son fils Omar mort en 1464 fut le père et le grand-père des plus
illustres savants de Tombouctou au XVIesiècle.
Abou Abdallah Anda Ag Mohammed, le Grand, l'ancêtre de la
seconde famille maraboutique est moins connu. D'origine targui
comme le laisse deviner son nom, il est venu à Tombouctou, on ne
sait d'où, à la même époque que Mohammed Aqît. Sa fille épousa
Omar ben Mohammed Aqît et fut la mère du cadi Mahmoud le
Grand, d'Ahmed, le grand-père d'Ahmed Baba.
La grande période d'afflux des Berbères fut celle de l'occupa-
tion targui. Akil Ag Mélaoul, malgré les pillages de ses guerriers
vers la fin de leur occupation, encouragea l'immigration des let-
trés. Mohammed Naddi que le Tarikh présente comme un homme
pieux et ami des ulémas en appela beaucoup d'autres dont le
Chérif Sidi Yaya de Tadels37, dans la région de Chinguetti. Ce
Chérif avait une grande réputation de sainteté et sa venue aurait
été sollicitée par le vœu unanime des marchands et des ulémas.
La conquête songhay et l'anticléricalisme de Sonni Ali semèrent
le désarroi chez les ulémas dont beaucoup quittèrent la ville
comme nous l'avons dit plus haut. Après le sac de Oualata, les
anciens réfugiés revinrent et avec eux de nombreux lettrés qui
peuplèrent le quartier de Sankoré et en accentuèrent le caractère
berbère et religieux.
b) Lieux du culte.
L'élément berbère sanhaja fut dominant au xve siècle. Presque
tous les grands ulémas étaient sanhaja; ils habitaient générale-
ment le quartier de Sankoré dont ils monopolisèrent la mosquée
dès cette époque. A l'exception de Moadibb Mohammed el Kâbari
qui assura l'imamat de la Sankoré vers les années 1447-1450, on
ne connaît pas avec certitude les autres imams. Il est très pro-
bable que Abou Abdallah Anda Ag Mohammed le Grand qui fut
cadi après El Kâbari lui ait succédé aussi à l'imamat. Il en aurait
été de même pour son beau-fils Omar ben Mohammed Aqît jus-
qu'à sa mort en 1464. C'est à eux que devait remonter la tradition
qui réservait à leurs deux familles la direction exclusive de la
mosquée. Après leur fuite à Oualata, Sonni Ali nomma au poste de
Cadi Habib, petit-fils de Sidi Abderrahman-Et-Temimi. Il est pos-
sible que celui-ci ait aussi assuré l'imamat jusqu'à sa mort en 1498.
Nous ignorons l'importance de l'activité religieuse et intellec-
tuelle de la Sankoré au xve siècle. On ne peut que la deviner à tra-
vers les lignes du Tarikh es-Soudan. La Sankoré demeurait avant
tout un lieu de culte ordinaire. L'on y récitait chaque jour la
moitié d'un hizb du coran après la prière de l'asr et celle du soir.
Rien ne nous empêche de penser que les grands imams comme
Moaddibb el Kâbari, Anda Ag Mohammed et Omar Aqît aient
dispensé une partie de leur enseignement aux portes ou sous les
arcades de la Sankoré.
La mosquée de Sidi Yaya, de plus modestes dimensions, accueil..
lait un grand nombre de fidèles attirés par la sainteté de son

37. La localisation de Tadels dans le pays de Chinguetti est sujette à caution.


68 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

imam. Après la mort de Sidi Yaya, son tombeau placé sous le


minaret de la mosquée devint un objet de culte qui aurait la vertu
d'exaucer des vœux.
La Jingereber demeurait sans conteste la grande mosquée de
Tombouctou, celle de la prière du Vendredi. Elle était le foyer
d'une vivante activité religieuse. Son imam était choisi par la
communauté des fidèles et nommé par le cadi. Les Soudanais en
perdirent la direction au début de la conquête songhay. Sidi Abdal-
lah el Balbâli, originaire du Maroc, succéda au dernier imam
noir vers 1468. Il était, écrit Es Sacdi, un de ses descendants, « un
homme vertueux, un ascète d'une grande réserve» 38 qui jouissait
d'une réputation de sainteté. Son successeur fut Abdoul quasem
El Touati mort en 1516 et qui devait être le chef spirituel de l'im-
portante colonie touatienne installée dans le quartier de Jinge-
reber. Abdoul quasem habitait tout près de la mosquée; il assura
son office avec une grande autorité. Il ouvrit au Sud-Ouest de la
mosquée un cimetière qu'il entoura de mur et qui devint le mono-
pole des Touatiens... Il jnnova en matière de culte, « il eut Je
premier l'idée de faire faire une lecture complète du livre saint
(le Coran) après la prière du vendredi» 39, alors qu'à la Sankoré
on n'en lisait qu'un chapitre.
c) L'enseignement.
Quant à l'enseignement, il était dispensé par presque tous les
ulémas. « La ville était alors remplie d'étudiants soudanais, gens
de l'Ouest, pleins d'ardeur pour la science et pour la vertu.4o »
Les maîtres donnaient leurs cours devant leurs portes ou dans
leurs maisons. Les études portaient sur la Théologie, la Gram-
maire et surtout le Droit malékite. Parmi les nombreux ulémas
qui dispensaient le savoir, nous retenons Moadibb Mohammed Al
Kâbari et Sidi Yaya tous deux venus entre 1433 et 1450 dans la
ville.
Moaddibb Mohammed el Kâbari s'installa d'abord à Kabara
d'où il fut appelé à Tombouctou comme cadi et imam de la San-
koré. Il avait une réputation de sainteté et on lui attribua des
miracles. Il enseigna à Kabara et à la Sankoré. Il attira à ses cours
non seulement des jeunes étudiants mais des grands maîtres
comme Sidi Yaya et Omar ben Mohammed Aqît. Il enseigna sur-
tout le Droit malékite.
Sidi Yaya (1440-1464) fut le grand pôle de l'époque. Il acquit
une réputation exceptionnelle et est considéré, aujourd'hui encore,
comme le patron de la ville. Du témoignage du cadi Mahmoud,
père des cadis et des imams du XVIesiècle, Sidi Yaya fut le plus
éminent de tous les immigrés de Tombouctou. Cette réputation est
peut-être due à sa sainteté et à son origine sacrée de chérif. Sidi
Yaya aurait accompli de nombreux miracles. Son mausolée est
encore aujourd'hui un objet de vénération. L'homme, malgré la

38. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 93.


39. Idem, p. 94.
40. Idem, p. 78.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 69

protection et l'amitié du Tombouctou-koi Mohammed Naddi et


des notables de la ville, vivait modestement des bénéfices de son
commerce et de l'aumône apportée par ses étudiants. II fut un
grand maître. Il donnait ses cours, assis au pied du minaret de
sa mosquée oÙ accourait une foule d'étudiants venus de tous les
coins de la ville. Il devait enseigner les sciences fondamentales de
l'islam à savoir la Théologie, le Droit et la Grammaire. Le Tarikh es-
Soudan nous transmet par bonheur une ode funéraire que Sidi Yaya
écrivit à l'occasion de la mort de Moaddibb Mohammed El Kabari :
« Sotlviens-toi! le souvenir est plein d'enseignements utiles;
dans ses replis, il y a de quoi désaltérer l'élite de ceux qui
viennent boire.
N'as-tu pas vu que si la trace de ceux qui mettent de l'ardeur
à être généreux mérite d'être citée, la trace laissée par les
penseurs est plus digne d'être estimée encore!
Les parfums du vent d'Est rendent à l'homme la vigueur de
l'esprit,. il va alors rejoindre ses compagnons et les aider de
son bras (*).
La disparition d'une intelligence de ce monde est un deuil qui
se lnanifeste en tous pays et chez tous les hon1mes de valeur.
Les maîtres de la science ont été atteints par la mort du Cheik
et il y a dans cet événement la menace de prochains 1nal-
heurs ,.
o étudiants de la science du Droit, vous savez ce qu'était
parmi les 110mmes celui qui imprègne vos cœurs de tristesse.
La tristesse qui envahit vos cœurs vient de la perte de ce
maître, ce jurisconsulte bienveillant, porteur des joyatlx de
la science,
A l'enseignen1ent parfait, dont l'intelligence rapprochait tout
et qui découvrait dans le tehdib les plus heureuses indica-
tions.
Ce maître c'était Mohammed Moaddibb, ['homme prudent,
dont la persévérance et la patience élevaient sans cesse le
rang.
Est-il possible qu'après lui on trouve quelqu'un qui explique
to tl t ?
o Arabes, trouverons-nous après lui quelqu'un pour nous
faire marcher? (nous fouetter).
Si nous n'avions pour nOtiS consoler le Prop/zète, ses compa-
gnons, les grands nlaîtres de la religion et les guides spiri-
tuels,
Les larmes devraient couler de mes yeux comme une pluie
ininterrompue en voyant disparaître ces corps et s'éteindre
ces flal1zbeaux.
Le 1110nde s'est obscurci et ses tristesses se font jour dans
cette matinée où la nouvelle de sa mort s'est répandue parmi
les maîtres,.

(*) « Le texte de ces vers étant souvent altéré par les copistes, la traduction en est
pariois douteuse. » Note du traducteur, Tarikh es-Soudan, p. 80.
70 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Quel homme intelligent refuserait de venir le porter en terre


avec la foule? Les Anciens, eux aussi, ont eu la tristesse de ces
rudes épreuves
Lorsque les deux civières se sont rompues sous un homme
vertueux qui nous avait conduit à Médine plus d'une fois (*J,
En faisant cela, nous rendrons honneur et nous ferons un acte
de bonne éducation à l'égard de l'homme vertueux qui a été
fidèle, au pacte des maîtres (**J.
o mes frères, priez pour lui,. que Dieu lui fasse bon accueil
en lui accordant le repos et le calme d'un glorieux tombeau!
Qu'il jouisse d'une large demeure dans le paradis en témoi-
gnage de sa maîtrise et pour prix de sa soumission à la foi!
Qu'il reçoive du Clément, à qui appartient la gloire et la subli-
1nité un salut plein de bienveillance et d'un heureux profit;
Que le Seigneur, le Dieu du trône, daigne répandre ses béné-
dictions sur le meilleur de ses envoyés, son plus éminent
représentant, Mahomet, qui a été choisi pour achever l'œuvre
de miséricorde et parachever la tâche de ses nobles devan-
ciers.
Qu'il en soit ainsi également pour sa famille, ses c0111pagnol1s
et leurs successeurs, tous ceux pour l'anl0ur desquels s'élève
la prière du fidèle. 41 »

Le souffle biblique, la richesse des images, les références mora-


les et coraniques, la profondeur du sentiment qui se dégagent de
ce poème sont la marque d'un grand poète. Sidi Yaya et ses
confrères furent les maîtres de la deuxième génération des ulémas
de Tombouctou, celle de la première moitié du XVIe siècle. Ils
orientèrent les traditions scolaires et donnèrent à Tombouctou
l'éclat spirituel dont elle avait besoin. La ville enrichie par le
négoce, ornée de beaux monuments de la religion et de l'esprit
n'avait plus d'autres difficultés que celles nées de la politique des
souverains songhay.

(*) « Traduction incertaine. »


(**) Ce dernier mot est loin d'être sûr.
41. Idem, p. 80-81.
DEUXIEME PARTIE

L'Empire songhay sous la


dynastie des Askia
(1493 -1592).
Son évolution,
son organisation.
Avec l'avènement de la dynastie des Askia à la fin du xV: siècle,
l'histoire de Tombouctou déborde les cadres de la cité et s'intè-
gre dans celle des Askia et de leur empire. Tombouctou devint la
capitale religieuse, intellectuelle et économique de cet empire
musulman. Elle a œuvré de toutes ses forces à la fondation de la
dynastie musulmane dont elle devint le guide spirituel. L'histoire
des Askia de Gao, pendant un siècle, de 1493 à 1592, est insépa-
rable de celle de Tombouctou. Les conquêtes des souverains, les
crises de succession et les guerres civiles qui ont souvent secoué
l'empire, la politique religieuse et économique des Askia, eurent
leurs échos et leurs effets à Tombouctou. Plus que tout autre, Tom-
bouctou bénéficia de la politique de Gao et elle atteignit un niveau
élevé de développement dans tous les domaines de sa vie. Certes
cet épanouissement est lié à celui, plus général, de la vallée nigé-
rienne, de l'Empire songhay qui couvrait alors la majeure partie
du Soudan Occidental. C'est dans ce cadre que nous allons désor-
mais nous situer. Nous étlldierons la grande métropole non iso-
lément mais dans le contexte de la civilisation nigérienne et sou-
danaise de l'Empire songhay.

***
I.
LA DYNASTIE MUSULMANE
DES ASKIA, SON £VOLUTION.

L'Empire songhay, à la mort de Sonni Ali en 1492, était une


puissance considérable dans le Soudan et Tombouctou, malgré
tout ce que racontent les Tarikhs sur l'empereur songhay, en pro-
fita grandement pour s'enrichir et s'accroître. Le conflit entre
Sonni Ali et les lettrés était en réalité un conflit de culture; il
était donc profond et ne pouvait se résoudre par la simple volonté
des antagonistes.
L'Islam représenté par la classe des marchands, des lettrés,
somme toute par les citadins, constituait une force sérieuse face
à la monarchie dont les racines plongeaient dans les coutumes
traditionnelles du Dendi, dans le peuple des champs et du fleuve.
Le temps travailla donc pour l'Islam dont Tombouctou était le sym-
bole vivant. La mort accidentelle de Sonni Ali en 1492 ouvrit une
grande crise politique, étape d'une évolution inéluctable vers le
triomphe de l'Islam par l'avènement du champion de Tombouctou,
Mol1ammed Touré ou Silla 1, gouverneur de Hombori.

1. Le 110m clanique de l'Ask.ia 1v1ohammed n'est pas sûr. Les deux Tarikhs ne
concordent pas: le Tarikh es-Soudan, page 117, donne deux noms: Es Selleflki (Silla)
E Touri Crouré). L'auteur du Tarikh el-Fettach, page 114, dit que le père Je l'Askja
est du clan des Silla originaires de Toro. Cette version appuyée par Person (Y), Jes.
Ancêtres de Sa111ory, parce qu'émanant d'un familier de l'Askia ne résoud pas com-
plètement la question. Le nom Silla avait presque disparu de la Boude du Niger à
la fin du XVI siècle. Par contre, Touré semblait être celui de l'aristocratie au pouvoir
car le conquérant marocain dans sa politique de s'intégrer à la société songhay l'a
choisi conlme plus prestigieux. Aujourd'hui les descendants de l'Askia, tout en recon-
naissant l'origine soninké de leur dynastie, se disent N!aïga, nom typiquement son-
ghuy et non Touré ou Sylla. La question reste donc entière.
76 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

I . LA FIN DES SONNI ET LE REGNE D'ASKIA MOHAMMED 1er.

Le 6 novembre 1492, Sonni Ali Ber revenant d'une expédition


dans le Gourma, se noya dans une rivière. Son successeur légi-
time, son fils Aboukabar Da'ou alias Sonni Bâro ne fut proclamé
que trois mois après, vers la fin de janvier 1493. Pourquoi cé long
délai alors que l'interrègne était généralement au Soudan une
période d'anarchie? On peut sans trop d'erreur répondre que
Sonni Bâro fut contesté et sa nomination soumise à des conditions.
Les Musulmans, dont les chefs étaient le Hombori-koi Moham-
med et son frère Amar Komdiâgo, s'inquiétaient pour l'avenir de
la politiqlle religieuse de Sonni Bâro, peu respectueux des mara-
bouts et de l'Islam. Ils ne formaient malheureusement qu'une
minorité dans l'armée et ne furent pas suivis. La proclamation de
Sonni Bâro ne leur laissa d'autres ressources que la guerre. L'em-
pire se divisa en deux camps, les partisans de l'empereur légitime
et ceux de l'Islam.

A - La lutte pour le pouvoir.


10 - Constitution d'une ligue musullnane.
Tombouctou se rangea du côté des opposants et joua un rôle
déterminant dans la suite des événements. Il est fort probable que
l'initiative du Hombori-koi Mohammed lui fut inspiré par les ulé-
mas, ulcérés et résignés vers la fin du règne de Sonni Ali. Celui-ci
n'avait que trop humilié les ulémas dont un grand nombre se trou-
vait encore déporté à Hauki et dans les îles dll Niger. Sa mort fut
donc l'occasion pour les ulémas de prendre leur revanche, d'empê-
cher l'accession au pouvoir de Sonni Bâro, de renverser la dynastie
animiste du Dendi. Il est donc vraisemblable que des ulémas aient
demandé au Hombori-koï Mohammed de défendre la religion et
qu'ils aient confectionné pour lui les amulettes qui assureraient
sa victoire. Mohammed était en effet l'homme qu'il leur fallait.
Soninké, originaire du Fouta, homme de grande piété, respec-
tueux des hommes de la religion, il présentait toutes les garanties
pour être le souverain idéal des ulémas. Diplomate, maître de lui-
même, il avait su conquérir l'estime de Sonni Ali dont il désap-
prouvait pourtant la politique religieuse. Il avait un grand ascen-
dant sur l'armée qui comptait de nombreux musulmans. Dans la
province de Hombori qu'il gouvernait, il fit bon ménage avec les
marabouts. A la proclamation de Sonni Bâro, il prit la direction
de l'opposition et constitua une ligue armée sous le signe de
l'Islam. Le prétexte était d'obliger le souverain à se reconvertir
à l'Islam, mais l'objectif véritable était le renversement de la
monarcl1ie animiste des Sonni. Le conflit était enfin la continua-
tion de la lutte entre Sonni Ali et les ulémas de l'empire. Moham-
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 77

med visait le pouvoir souverain, et il estimait possible de le


conquérir à cause de l'impopularité du Sonni Bâro et du mécon-
tentement général des Musu]mans. « Dans ce but, écrit Es Sacdi,
il combina de nombreux moyens d'action 2. » La ligue armée
demeura l'instrument déterminant de cette politique. Elle ras-
semblait cependant peu de partisans: « En dehors des troupes de
son frère Amar Komdiâgo, chef de guerre, de celles de Moussa
Koura, roi de Bara dans le Macina, il n'avait que son corps d'ar-
mée et une légion d'intellectuels, gens de conseils et de prières
mais inaptes au maniement des armes. Ces intellectuels préparè-
rent cependant l'opinion populaire contre le Sonni; ils assurèrent
Mohammed d'une victoire certaine. Ils présentèrent la rébellion
comme une guerre sainte contre le paganisme et appelèrent tous
les bons Musulmans à se joindre à leurs rangs 3. »

2° - La victoire des Musulmans.


Face au Hombori-koi Mohammed et à ses partisans, Sonni Bâro
ralliait presque tous les grands dignitaires de l'empire. Moham-
med Kâti l'Ancien 4 témoin des événements a rapporté les péripéties
de cette guerre qui dura deux mois. Une première confrontation eut
lieu le 18 ou 19 février à Donagha 5 où campait l'armée du Sonni
qui mit en déroute les Musulmans. Mohammed ne perdit pas cou-
rage et déploya alors d'autres moyens. Pour gagner du temps,
accroître ses rangs et, vraisemblablement gagner à sa cause des
chefs de guerre du Sonni, il chercha à négocier. Il envoya coup sur
coup trois illustres ulémas au Sonni pour « l'inviter à embrasser
l'Islamisme» et présenter sa cause, non comme inspirée par l'am-
bition personnelle, mais pour servir l'Islam. Le doux Mohammed
Kâti, le dernier émissaire, citant un poète, pensait qu'il allait assu-
rer ce jour-là le triomphe de l'Islam par sa mort!
Toutes les tentatives ayant échoué, le combat décida du sort de
l'empire. Les « machinations» de Mohammed - le mot est d'Es
Sacdi - aidant, l'armée musulmane triompha le 2 avril 1493 à la
bataille d'Angao ou Anfao près de Gao. Sonni Bâro vaincu se
réfugia à Ayorou dans le Dendi, patrie d'origine des Sonni. La
dynastie des Sonni s'écroula à jamais; le Hombori-kC'Ï Moham-
med s'empara du pouvoir souverain et fonda une nouvelle dynas-
tie, celle des Askia 6. L'Islam et Tombouctou triomphèrent et
allaient s'épanouir pendant le XVIesiècle.

2. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 117.


3. Sékéné Mody Cissoko, l'Intelligentsia de Tombouctou aux XY'-xvt' siècles,
B. IF AN, n° 4, 1968, p. 945-946.
4. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 102 à 106.
5. Donogha ou Dono'a : lieu non identifié mais qui devait être dans la région de
Gao. M. Kâti, page 102, mentionne la rencontre des deux armées le 24 du mois de
Djômada II c'est-à-dire le 12 avril à An (ao. Le Tarikh es-Soudan ment:onne deux
rencontres: la première le 19 février à A nkogho (?) et la deuxième le 3 mars. D'après
le traducteur, la vraie date de cette dernière bataille serait le lundi, 14 djomâda JI
(2 avril). Kâti ne mentionne que la bataille décisive, celle d'An/ao dont la conso-
nance est bien proche d' .Angao ou Ankogho du T arikh es-Soudan.
6. Pour les titres et les institutions, voir chapitre suivant.
78 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

3° - Légitimation de l'usurpation du pouvoir par le pèlerinage.


Trois ans après l'usurpation du pouvoir, Askia Mohammed fit
le pèlerinage à la Mecque (1496-1497), soit pour légitimer aux yeux
du peuple l'usurpation du pouvoir des Sonni, soit par conviction
personnelle, car l'homme était d'une grande piété. Il se fit accom-
pagner d'un cortège considérable de 1 500 personnes, dont 800 cava-
liers et emporta un trésor de près de 300 000 dinars. Il passa par
l'Egypte où il fit la connaissance du jurisconsulte Es Souyouti qui
lui prodigua des conseils pour le gouvernement de son empire. Il se
rendit ensuite en Terre Sainte où il s'acquitta de ses devoirs reli-
gieux et reçut du chérif de La Mecque le titre prestigieux de Khalife
du Soudan et les insignes du nouveau pouvoir musulman: le bonnet
et le sabre. Il revint au Soudan consolidé dans son pouvoir, auréolé
d'une puissante mystique qui allait rejaillir aux yeux du peuple
sur la nouvelle dynastie.

B - Achèvement de la conquête de l'empire.

Askia Mohammed porta l'Empire songhay à ses frontières extrê-


mes et acheva ainsi l'œuvre de Sonni Ali Ber. Une grande partie
de son règne se passa en campagnes m~litaires.

1° - Campagnes à l'Ouest et au Sud-Ouest.


La plupart des expéditions à l'Ouest furent menées par son frère
Amar Komdiâgo principalement contre l'Empire du Mali. Dès
1494, Amar Komdiâgo envahit la province du Macina et fit pri-
sonniers près de 500 maçons de la ville de Dia qui allaient cons-
truire la plupart des palais des grandes villes nigériennes et impo-
ser le style soudanais si caractéristique des maisons de Djenné.
L'Askia érigea en vice royauté la province de Tendirma ou Kour-
n1ina qu'il confia à son frère Amar Komdiâgo.
Après le retour du pèlerinage, en 1498 l'Askia entreprit la guerre
sainte, le jihad, contre le royaume mossi du Yatenga mais il
échoua lamentablement et fut chassé par les Mossi. En 1499-1500,
le Bagana farin au service de }'Askia mena une expédition dans le
Macina et très probablement vers la région de Ségou tandis que
Amar Komdiâgo remonta vers le Diahra où il échoua devant le
farin mandingue à Dialan; Askia Mohammed vint à son secours
et détruisit la ville. De même en 1508, il poussa sa campagne jus-
qu'au Galambou au Fouta Tôro, son pays d'origine qui serait
devenu tributaire de Gao. L'Ouest ne fut pas cependant soumis.
Les Peuls dirigés par l'Ar do du nom de Koli, le père du fameux
Tenguella, s'emparèrent de Diahra où ils constituèrent un royau-
me. Amar Korndiâgo mena alors en 1512 une foudroyante cam-
pagne contre Koli, le tua et refoula ses partisans vers le Fouta;
ail1si la région de Diahra constitua, à partir de cette époque, la
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 79

limite extrême de l'Empire songhay à l'Ouest, la campagne de


Galambou ne nous paraît pas avoir été suivie de domination effec-
ti ve.

2° - Vers le Nord:
Depuis Sonni Ali, les régions occidentales sahéliennes étaient
sous la domination songhay; Oualata aurait même connu la lan-
gue songhay au début du règne d'Askia Mohammed. Les expédi-
tions les plus importantes dans le Sahel furent celles menées par
Askia Mohammed contre Agadès en 1501 et en 1515 7. Le sultan
d'Agadès paya un lourd tribut en or. Des colonies songhay furent
installées dans la région. Il est plus que certain que les tribus ber-
bères des régions sahéliennes, d'Agadès à Oualata, étaient tribu-
taires de !'Askia Mohammed; c'est aussi très probablement l'épo-
que de l'occupation des salines de Teghazza par les Songhay.

3° - Vers l'Est et le Sud-Est.


L'Empire de Gao était oriental sous la dynastie de Sonni; il
s'étendait à la fin du xve siècle sur les deux rives du fleuve jusqu'au
Dendi, dans le Nord du Haut-Dahomey. La nouvelle dynastie reprit
à son compte la politique d'expansion orientale vers les cités
haoussa alors très prospères et qui suscitaient la convoitise de Gao
et de Kanem-Bomou, mais qui étaient impuissantes à s'unir sous
une monarchie commune. Elles s'étaient constituées en petits
royaumes indépendants souvent en conflit entre eux. Askia
Mohammed profita donc de cette situation pour mener des expé-
ditions contre elles. A l'exception du royaume de Kebbi qui lui
résista victorieusement après avoir été son allié, il annexa les
cités les plus importantes telles que Katséna et Kano, leur imposa
tribut et plaça à leur tête ses propres agents qui devaient super-
viser les souverains locaux et collecter les tributs périodiques.
L'Empire songhay engloba ainsi tous les pays du Moyen Niger,
depuis les royaumes haoussa jusqu'à la région de Sibiridougou,
à la limite de l'empire du Mali. Il ne semble pas en effet qu'Askia
Mohammed ait annexé l'empire du Mali malgré ce qu'en dit Léon
l'Africain qui considère le Mansa du Mali comme un vassal de
l'Askia 8.
L'Askia continua l'œuvre administrative de Sonni Ali en divi-
sant les pays conquis en provinces, à la tête desquelles il plaça
ses propres agents. II réorganisa la cour impériale, le protocole,
l'armée, les finances et tous les grands services de l'Etat que nous
étudierons plus loin.

7. Lhote, Henri, Contribution à l'Etude des Touareg soudanais..., B. IFAN, n° 3-4,


1955, p. 355 et suivantes. Lhote fait la mise au point sur l'identification de Tildza
(fadéliza) et la chronologie des expéditions de l'Askia dans l'Aïr.
8. Léon l'Africain, Description de l'Afrique, 1956, T. II, p. 466.
80 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y

C - Politique envers les ulémas de Tombouctou.

10 - Séjottr de l'Askia à Tombouctou.


Le fondateur de la nouvelle dynastie accéda au pouvoir avec
le concours des ulémas de Tombouctou. Il devint le défenseur de
la religion et des hommes de religion. Nous aborderons plus loin
son œuvre religieuse qui contribua d'une manière décisive à l'ex-
pansion de l'Islam au Soudan. En attendant, nous ne pouvons ne
pas évoquer ses relations particulières avec Tombouctou et les
ulémas.
L'Askia, contrairement à ce que pensait Léon l'Africain, ne rési-
dait pas à Tombouctou. Sa capitale demeurait Gao. Il ne venait à
Tombouctou que de temps à autre, lorsqu'il était de passage dans
la région. Les Tarikhs nous décrivent le programme devenu tradi-
tionnel du séjour de l'Askia et de ses successeurs dans la grande
cité. Après avoir fait camper son armée entre Toya et Kabara,
l'Askia accompagné de quelques-uns de ses officiers se rendait à
Tombouctou dont l'entrée semblait être interdite aux soldats
armés. A en croire le Tarikh el-Fettach, il n'y avait pas de palais
résidentiel pour le souverain qui allait camper sur la place de
Bajindé, au centre Est, où les autorités de la ville aménageaient
un campement en son honneur. Là il recevait la visite des chefs
politiques de la ville et, après s'être reposé, se rendait à cheval
chez le cadi qui l'attendait avec sa cour. Après les formalités pro-
tocolaires, le cortège impérial accompagné du cadi allait à la
grande mosquée de Jingereber où les autorités religieuses, les
grands ulémas lui présentaient leurs salutations et leurs homma-
ges. De retour à son campement sur la place de Bajindé, les nota-
bles et les commerçants de la ville venaient à leur tour lui présen-
'ter leurs salutations. Des repas d'hospitalité étaient apportés alors
par toutes les familles importantes de Tombouctou. PE:ndan.t son
séjour, l'Askia et ses compagnons recevaient d'innombrables pré-
sents et il tranchait sur place certains problèmes pendants comme
nous le verrons plus loin. Ce programme rituel n'était pas tou-
jours suivi; très souvent le séjour était écourté et }'Askia campait
près du grand marché au Sud-Ouest de la ville.
On comprend mal pourquoi les Askia ne séjournaient pas long-
temps à Tombouctou. Ils n'y paraissaient somme toute qu'en pas-
sant et restaient étrangers à la ville. Ils n'y avaient même pas un
palais semblable au Madougou mandingue. Ils s'occupèrent néan-
moins de Tombouctou et aidèrent à son embellissement et à son
épanouissement. Tombouctou fut une donnée importante de leur
politique.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 81

2° - La politique religieuse de l'Askia à Tombouctou


Après la victoire de l'armée musulmane et l'usurpation du pou-
voir royal, Askia Mohammed réagit contre la politique de Sonni
Ali Ber. Il libéra les prisonniers, mit fin à la déportation des
ulémas à Hauki et leur rendit leurs biens. Il travailla à réparer les
injustices, arrêta nombre des compagnons du Sonni et, sur les
conseils des ulémas, confisqua leurs biens, leurs enfants et leurs
concubines.
Il affranchit de l'esclavage tous les hommes qui pouvaient jus-
tifier leurs droits. En somme, cette politique favorable à Tom-
bouctou expliqtle la renommée du grand Askia encore très vivante
dans la ville.
L'Askia Mohammed est parvenu au pouvoir sous le couvert de
l'Islam. Par politique mais plus sûrement par conviction, il pré-
tendit gouverner au nom de l'Islam. Au début de son règne, il
chercha les conseils des ulémas qui se firent les champions de sa
cause et légitimèrent l'usurpation du pouvoir par la volonté de
Dieu. De son pèlerinage à La Mecque en 1496-1497, il reçut le titre
de Khalife du Soudan et allait œuvrer à l'implantation de l'Islam
dans les pays nigériens.
L'Askia avait le devoir impérieux de protéger la religion et les
hommes de religion. Contrairement à la plupart de ses succes-
seurs, il était pieux et son ami, Alfa Kâti l'Ancien lui attribua même
quelques miracles. II n'était pas lettré et ne connaissait de la reJigion
que le dogme, les pratiques obligatoires et ce que lui apprenaient
les ulémas dont il plaignait souvent les contradictions et le ver-
biage 9. Les auteurs de Tombouctou nous le présentent comme
l'homme des ulémas auxquels il vouait une grande vénération;
il les consultait sur les problèmes de l'heure. Son entourage était
composé pour la plupart d'hommes de religion. Son pèlerinage en
1496-1497 est significatif à ce sujet.
Dans sa nombreuse suite avaient pris place des ulémas soudanais
tels que Alfa Salih Diawara (Wakoré), Mori Mohammed Haougouro
(Wangara ?), Mohammed Toulé (Berbère Medaça), Zao-Zakaria (?),
Mori Mohammed Tenenkou (Wangara ?), Alfa Mohammed Kâti
(Wakoré), Ie cadi Mohammed Niédobogho (Wangara ?), etc. Cer-
tains de ceux-ci résidaient à Gao, d'autres à Tombouctou, dans
le Tendirma ou au Macina. Alfa Salih Diawara qui joua un grand
rôle auprès de l'Askia, était l'ami de son frère, le Kanfari Amar
Komdiâgo; il était originaire du Tendirma mais vivait à cette épo-
que à Tombouctou. Il en était de même de l'Alfa Mohammed Kâti
l'Ancien, Je premier auteur du Tarikh el-Fettach et de bien d'autres
qui n'étaient pas mentionnés explicitement dans les Tarikhs. Ces
ulémas, dont certains éblouirent le souverain par des miracles sur
le chemin du pèlerinage, travaillèrent à accréditer le caractère sacré

9. Un aperçu de l'Islam songhay ou réponses d'Al Magîli aux questions posées par
Askia Muhammad, Empereur de Gao, Trad et annoté par El Hadj Ravane Mbaye,
in B. IFAN n° 2, 1972, p. 243.
82 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y

du pouvoir de l'Askia, le Khalifat dont il fut investi par le Grand


Chérif de La Mecque. Ils s'efforcèrent d'en convaincre les scepti-
ques de l'Université de Sankoré où se formait alors l'opinion
publique nigérienne.
L'Askia, de son côté, ne ménagea pas son trésor et comblait les
ulémas de présents considérables tant en esclaves et villages de
culture qu'en argent et autres faveurs matérielles. De plus, il leur
accordait des charges dans son administration. Les lettrés avaient
une place privilégiée et le pas sur tout le monde dans le protocole
de la Cour. Ce qui est encore frappant c'est le comportement même
de l'Askia, vis-à-vis des ulémas. Le Tarikh el-Fettach en donne un
exemple dans l'entrevue de l'Askia et du cadi de la ville, Mahmoud
ben Omar Aqît. L'Askia campé près de la ville fit appeler le cadi
dont il avait à réprimander la conduite à l'égard des commissaires
impériaux à Tombouctou. Aux questions menaçantes de l'Askia, le
cadi avoua qu'il s'était opposé aux commissaires qui, abusant de
leur autorité, compromettaient le salut du Roi dont il avait la
charge d'assurer l'accomplissement selon les propres vœux de
]'Askia. Ainsi rassuré, l'Empereur de Gao remercia le cadi, lui baisa
humblement la main et se recommanda à nouveau à lui 10.Plus tard,
il alla lui-même à la rencontre du cadi qui revenait de La Mecque et
sollicita sa baraka. Il le confirma dans la fonction de cadi qu'il
enleva au suppléant Abderrahman. Il ne passait jamais dans la
région de Tombouctou sans aller saluer le cadi et les ulémas qu'il
comblait chaque fois de présents. Au cours d'un de ses séjours, il
offrit à la grande mosquée un coffret pour garder les soixante hizb
du Coran; il établit la coutume pour les Askia de se rendre à la
grande mosquée chaque fois qu'ils venaient à Tombouctou.
En 1519, l'Askia revint à Tombouctou offrir l'hospitalité au Ché-
rif Ahmed ben Abderrahman surnommé Es Seqli Il qu'il avait fait
venir de La Mecque. Le Chérif, arrivé le jour-même de la fête de
Tabaski en 1519, fut accueilli par le cadi Mahmoud avec les hon-
neurs dus à son rang. Il reçut l'hospitalité de toute la ville et présida
le jour-même la prière de la fête. L'Askia, à son tour le combla de
présents, l'installa à Tombouctou où il épousa une femme arabe
et fit souche. Plus tard, }'Askia le fit venir auprès de lui à Gao, où
il lui offrit des présents considérables. L'Askia, en vrai croyant,
espérait obtenir la bénédiction sur son empire par la présence d'un
descendant du prophète. Son frère, le Kanfarin Amar Komdiâgo,
gouverneur de la grande province de Tendirma, ne ménagea pas
non plus ses faveurs à la ville de Tombouctou où il se rendait sou-
vent. Il fréquentait les ulémas et plus particulièrement Alfa Salih
Diawara originaire de sa province. Il fit venir à Tombouctou les
maçons qui avaient construit sa ville de Tendirma et leur fit ache-
ver ou réparer la mosquée de Sidi Yaya. Il favorisa ainsi le déve-
loppement de la ville qui était le grand centre de sa province. Ses
nombreuses conquêtes dans l'Ouest alimentèrent le commerce des

10. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 117.


Il. On le surnomme Es Seqli « à cause de son habitude de traîner ses sandales
sur le sol,>, Tarikh el-Fettach, p. 32 et 39.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 83

esclaves, facilitèrent les relations de Tombouctou avec les pro-


vinces occidentales.
Le règne de l'Askia Mohammed fut, à tous points de vue, favo-
rable à la ville de Tombouctou et se traduisit par une intime
alliance du « trône et de l'autel ». Le « clergé », jouissant des pré-
sents de toutes sortes, de la protection du prince, travailla à la glori-
fication de l'Askia. Les Tarikhs de Tombouctou et plus spécialement
le Tarikh el-Fettach sont de véritables apologies de l'Asia dont le
règne est présenté comme une sorte d'âge d'or des pays nigé-
riens. Alfa Mahmoud Kâti, l'ancien compagnon de l'Askia, a fixé
pour la postérité l'image d'un souverain pieux, défenseur de la
religion, de la science, des ulémas, des causes justes, d'un prince
préoccupé du bonheur de son peuple, d'un conquérant victorieux,
maître d'un empire paisible. Cette image opposée à celle de Sonni
Ali et des successeurs du grand Askia est aujourd'hui encore
vivante à Tombouctou.

II . LES SUCCESSEURS D'ASKIA MOHAMMED.

Après l'éviction d'Askia Mohammed en 1528, l'Empire songhay


allait être troublé par des crises périodiques de successions qui
opposèrent entre eux ses fils et ses neveux, entraînant et provo-
quant l'affaiblissement progressif de la dynastie.

A - Askia Moussa (1528-1531)

En 1528, l'Askia Mohammed avait près de 90 ans. Il était impo-


tent, malade et aveugle. II cachait son infirmité avec l'aide de son
favori, le Peul Ali qui, en fait, gouvernait le pays; or c'est une
tradition bien africaine qu'un aveugle ne règne pas. Les enfants
de l'Askia, mécontents, chassèrent Ali qui se réfugia au Tendirma
auprès de Yaya, frère de l'Askia, investi de la dignité de Kour-
mina fari depuis la mort de Amar Komdiâgo. L'Askia mis en
tutelle par ses enfants en appela à son frère qui vint à Gao mais
trouva la mort dans un complot tramé par ses neveux. Le jour de
la fête de l'année 1528, les conjurés sous la direction de l'aîné, le
fari Mondzo Moussa, obligèrent le vieil Askia à abdiquer.
Moussa fut proclamé Askia. II relégua son père dans un coin
du palais royal et épousa ses jeunes femmes. Cet acte infâme fut
unanimement désavoué par les ulémas. Les auteurs de Tarikhs,
admirateurs du grand Askia, traitèrent Askia Moussa « de vil et
irresponsable ». L'Askia Moussa fut l'objet de malédictions et, lors
de son entrevue en 1529 avec le cadi Mahmoud de Tombouctou,
celui-ci refusa de le voir de face et lui tourna le dos en lui parlant.
Askia Moussa rencontra de multiples difficultés durant tout son
règne. Il fut contesté par beaucoup de ses frères et, plus particu-
lièrement, par les fils de Amar Komdiâgo dont le kanfari Ousmane
84 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONG HA y

Youbabo qui prit la tête de l'opposition et marcha sur Gao en


1529. Les rebelles furent écrasés à Acalal dans la région de Tom-
bouctou et l'Askia se livra à une terrible vengeance. Il mit à mort
trente des fils d'Amar Komdiâgo et la plupart des conjurés. Cer-
tains d'entre eux se réfugièrent auprès du cadi de Tombouctou
qui intercéda en leur faveur et obtint le pardon sauf pour le Binka
Farma Bella, qui avait dans le passé injurié le fari Mondzo. A son
retour à Gao, Askia Moussa continua sa politique de répression et
tua plusieurs de ses frères. En 1531, une nouvelle conjuration se
forma et, le 12 avril, l'Askia Moussa périt à Mansoura sous le
glaive de ses frères et de ses cousins. Après sa mort, les conjurés ne
purent se mettre d'accord sur le choix du successeur. L'aîné des fils
d'Askia Mohammed fut opposé à l'aîné des fils d'Amar Komdiâgo.
La force trancha en favellr de ce dernier.

B - Askia Mohammed II Benkan Kiriai (1531-1537)


Mohammed Benkan « Kiriai » « le Rouge », fils d'Amar Kom-
diâgo, était un homme de l'Ouest. Il passa une partie de sa jeunesse
à Tendirma et à Tombouctou; il étudia à l'Université de Sankoré
et acquit une grande popularité dans le monde étudiant. Cultivé,
spirituel, ami de la bonne conversation, des plaisirs de toutes sor-
tes, s'habillant avec magnificence, il représentait « l'honnête hom-
me » de la ville de Tombouctou du XVIesiècle. Il s'installa à Gao,
transforma la vie de la cour impériale, en fit l'école des plaisirs mon-
dains. Il se parait de bracelets, d'habits de drap, s'entourait d'une
cour raffinée, rehaussée par la présence des princesses songhay. Il
introduisit à la cour de nouveaux instruments de musique et se
faisait accompagner dans ses voyages par des chœurs de musiciens.
II accorda ses faveurs aux intellectuels et plus particulièrement
aux habitants de Tombouctou qui considéraient l'ancien étudiant
comme un des leurs. Il faisait grand cas de l'opinion des intellec-
tuels. Ainsi après sa défaite au Kanta, il s'inquiéta davantage des
commérages de la Sankoré que des conséquences mêmes du com-
bat.
Askia Mohammed Benkan ternit cependant son nom en ren-
voyant du Palais le vieil Askia et en l'exilant dans une île inhospi-
talière du Niger. Malgré sa politique d'apaisement, de réorganisa-
tion de l'armée, il ne réussit pas à attirer à lui les partisans du
vieux Mohammed qui formèrent un puissant parti légitimiste.
Ainsi Ismail, fils de Mohammed, parvint à entraîner dans sa conju-
ration deux grands dignitaires de l'Etat, le Hikoi, chef de la flotte
et le Dendi fari, troisième personnage de l'empire. En avril 1537 les
conjurés proclamèrent à Mansoura la déchéance de l'Askia qui se
réfugia à Sarna ou à Taba dans le territoire du Mansa du Mali.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 85

C - Askia Ismail (1537-1539)

Ismail succéda aussitôt à son cousin. Le Tarikh le présente


comme un souverain généreux, «un de ces hommes d'une conduite
irréprochable auquel convient l'exercice du pouvoir royal». Il fut
mêlé à la politique de ses frères. En 1528, il s'opposa au meurtre
de son oncle Yaya; en 1529, il participa à la conjuration contre
l'Askia Moussa. Après l'échec de ce mouvement et la répression
sanglante qui en était résultée, Ismail se réfugia chez les Touareg
de Oualata dont le roi avait épousé sa sœur. Il revint au Songhay
sous le règne de Mohammed Benkan qui le nomma fari Mondzo.
Malgré le serment de fidélité prêté à l'Askia, Ismail prit la tête
du parti légitimiste, corrompit les hauts fonctionnaires avec l'or
que son vieux père lui avait fait parvenir. Il fut le premier Askia
légitime; son père l'investit du pouvoir en lui remettant les insi-
gnes impériaux: le boubou, le bonnet vert et le sabre. L'Askia
confia les fonctions du Kourmina fari à un de ses partisans,
Hamadi qui conduisit une grande expédition militaire dans le
Gourma en 1538 et en ramena un butin considérable d'esclaves.
Le règne d'Askia Ismail connut une grande sécheresse qui pro-
voqua la famine dans toute la Boucle du Niger. Aussi laissa-t-il
un mauvais souvenir.

D - Askia Ishaq 1er (1539-1549)

Ishaq succéda à son frère Ismail. C'est un personnage très contro-


versé. Pour le Tarikh el-Fettach, Askia Ishaq est un homme pieux,
très apprécié des ulémas tandis que le Tarikh es-Soudan, qui semble
avoir raison, le présente comme un souverain autoritaire, cruel qui
éliminait physiquement ses ennemis. Il s'imposa par la terreur,
réduisit à l'obéissance tous les grands fonctionnaires de l'Etat. Il
fit tuer le Kourmina fari Hamadi et le remplaça par Ali Kasaï,
personnage vil et cruel qu'il ne tarda pas à chasser de son empire.
Pour des raisons que nous ignorons, il tua le Hikoi Bocar Ali
Doudo. Au poste de cadi de Djenné, il nomma de force l'Alla
Mahmoud Baghayogo qui, quelques temps auparavant, avait ouver-
tement critiqué sa politique injuste à l'égard de la population de
la ville. L'Asl(ia laissa la réputation d'un roi oppresseur. Il fit ran-
çonner les commerçants des grandes villes commerçantes. Il
envoyait par exemple à Tombouctou ses commissaires extorquer
aux marchands des « cadeaux» dont le montant à sa mort fut
évalué à quelque 75 000 pièces d'or.
A l'extérieur, il mena une politique active. Le grand ennemi de
l'Empire songhay était alors le Mansa du Mali. Malgré la perte de
la plupart de ses provinces, l'empire du Mali constituait encore au
milieu du XVIesiècle une puissance politique qui se consolida dans
86 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

ses marches occidentales par le commerce atlantique avec les Euro-


péens. Ainsi les provinces gambiennes 12 telles que le Niomi, le
Badibou, le KantoraJ le Wouli, le Gabu, etc. et nombre de petits
royaumes casamançais répondaient plus ou moins du Mandi Mansa
au début du XVIesiècle. Les souverains portugais, Jean II et Jean III,
on le sait, cherchèrent n1ême à entrer en relations avec le Mandi
Mansa par l'envoi de deux ambassades, dont celle bien connue de
Péros en 1534 13.
Le souverain songhay, après un voyage à Taba ou Sarna où il
assista aux funérailles de l'ancien Askia, Mohammed Benkan,
envoya en 1545-46 l'armée du Kourmina sous la direction de son
frère, le Kanfari Daoud, dans l'Empire du Mali. Daoud ravagea le
pays, s'empara de la capitale abandonnée par le Mandi Mansa, fit
un riche butin et épuisa les forces de l'empire mandingue qui ne
se releva jamais plus. Les difficultés 'depuis lors ne pouvaient venir
que du côté du Nord, du Sultan du Maroc.
La question de Teghazza.
Teghazza, au cœur du Sahara, grande saline d'approvisionnement
du Soudan occidental faisait la richesse des villes de l'Empire son-
ghay; elle fut conquise par les Songhay, très probablement à l'épo-
que de l'Askia Mohammed; elle était gouvernée par un agent impé-
rial, le Teghazza Mondzo, nommé par l'Askia généralement parmi
les tribus berbères de la région. Elle servait de relais entre le Sou-
dan et le Maghreb, surtout le Maroc et le Touat. Source considéra-
ble de richesse, elle devint naturellement l'objet des convoitises des
sultans marocains. Après une longue période de troubles qui per-
mirent l'occupation des régions côtières du Maroc par les Portugais,
une nouvelle dynastie originaire du Sud, du Tafilelt, celle des
Saadiens, lutta pour libérer le pays et l'unifier autour de Marra-
kech. Elle chercha les moyens de cette politique dans l'or du Sou-
dan qui était drainé vers les ports marocains. Le plus sûr moyen de
s'en procurer était l'appropriation des mines de sel de Teghazza.
La question de Teghazza se trouva ainsi posée entre le royaume du
Maroc et l'empire songhay. Les sultans revendiquèrent les salines
que les Askia s'étaient appropriées depuis le début du siècle.
II faut cependant reconnaître que jusqu'à cette date on ne sait
pas qui était propriétaires des mines de Teghazza. La domination
des sultans mérinides, des Wattassides n'atteignit jamais Teghazza.
Celle de l'empire du Mali qui s'étendait jusqu'à Ouargla eût peut-
être englobé la région 14. Il est bien possible que les salines de

12. Les auteurs portugais du xvre, en particulier, Fernandès Valentin, Description


de la côte occidentale, Bissau, 1951, Pereira Duarte Pacheco, Esmeraldo de situ orbis,
Bissau, 1956, Barros, (Joâo De) Asia, Lisboa, 1945, Almada André Alvarès d', Tratado
breve dos rios..., Lisboa, 1946, etc., mentionnent l'empire du Mandi mansa comme la
plus importante organisation politique de l'Ouest soudanais.
13. Barros (Joâo de), Asia, Edit. Hermani cidade, vol. I, Lisboa, 1945.
14. En remontant plus loin dans le temps, l'empire almoravide (xI:) avait unifié
tout le Sahara occidental et s'étendait de l'actuelle Mauritanie à l'Andalousie. Cette
unité fut éphémère. L'empire se scinda en une partie septentrionale avec Marrakech
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 87

Teghazza situées dans une région désertique et peu accessible


fussent jusqu'à la conquête songhay à la fin du Xveou au début du
XVIesiècle un no man's land entre l'Afrique noire et l'Afrique blan-
che, propriété des nomades messouffa, vrais maîtres du sel.
Le fondateur de la dynastie saadienne, Mohammed Ech Cheik
posa donc la question de Teghazza quand il demanda à Askia
Ishaq 1er la cession des mines de sel, comme étant la propriété du
Royaume du Maroc. Il n'appuya pas sa revendication d'une action
militaire. L'Askia répondit avec fierté 15. Il disposait alors dans le
Sahara occidental des milliers de chameliers et des guerriers ber-
bères ses tributaires. Il riposta à la revendication marocaine en
envoyant razzier par 2 000 Touareg la région du Draa, dans le SLId
marocain. Ainsi, la question de Teghazza fut posée et la solution
allait dépendre des rapports de force entre les souverains de Gao
et ceux de Marrakech.

E - Askia Daoud (1549-1582)


10
- Le souverain
Le long règne d'Askia Daoud correspond à l'âge d'or de la
civilisation nigérienne. Daoud, fils de l'Askia Mohammed, était un
personnage bien connu de ses contemporains; il avait été mêlé à
tous les événements importants du pays depuis l'abdication de
son père en 1528. Il avait servi tour à tour ses frères et il avait acquis
l'expérience des hommes et la connaissance des réalités de son
pays. Nommé Kourmina fari par Askia Ishaq I~r, il participa à des
campagnes guerrières et eut des relations avec les souverains voi-
sins. C'est donc un homme plein d'expérience qui prit le pouvoir
à la mort de l'Askia Ishaq 1er en 1549. Intelligent et subtil, connais-
sant à fond le cœur humain, il sut gouverner avec une grande auto-
rité mais aussi avec une grande réputation de modération et de
sagesse. En réalité, le Tarikh a bien raison de dire que « son père
Askia Mohammed et ses frères avaient peiné et semé pour lui, et
lorsqu'il arriva, il n'eut qu'à récolter... Il n'y avait plus alors dans
tout le Tekrour, du Mali jusqu'à Lôlo, personne qui ôsat lever la
main, et, le jour où il monta sur le trône, il ne trouva devant lui que
des esclaves soumis et obéissants. Aucune province n'aurait pu
affronter l'armée songhay, à l'exception seulement du Kourmina » 16.
L'Askia Daoud, selon la coutume, procéda au changement du
personnel politique en confiant les plus importantes fonctions à ses
amis. Il nomma un Kourmina fari, un Hi-koï, un Dendi fa ri et confia
les fonctions de fari Mondzo à un de ses fils. Il s'employa à mainte-
comme capitale et une partie méridionale et soudanaise qui ne survécut pas à Abou
Bekr Ibn Omar (t 1087). Cette dernière eût sftrement englobé les mines de sel de
Teghazza alias TalentaI.
15. « Le Ahmed qui a écouté (ces conseils) ne saurait être l'empereur actuel du
Maroc et quant à Ishaq qui l'écoutera, ce n'est pas moi. Cet Ishaq-là est encore à
naître. » Tarikh es-Soudan, 1964, p. 163.
16. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 176.
88 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

nir la paix et la prospérité générale. Il constitua même à Gao un


dépôt de numéraire, innovation sans précédent au Soudan occiden-
tal où les souverains n'avaient pas frappé monnaie. L'Askia, grand
propriétaire lui-même, encouragea l'agriculture et le commerce;
c'est l'époque où les villages de culture, éparpillés dans toute la
vallée du fleuve, procuraient annuelleme,nt à l'Askia plusieurs ton-
nes de grains, où le commerce transsaharien s'épanouissait malgré
l'intensité du trafic européen sur la côte atlantique.
20 - Sa politique religieuse
Les relations d'Askia Daoud avec Tombouctou se situaient dans
la tradition fixée par le Grand Askia, c'est-à-dire dans une entente
parfaite entre le souverain et les hommes de religion dont Tom-
bouctou était la capitale. Il voua à ceux-ci un respect, une vénéra-
tion peu ordinaires, souvent ostentatoires. Il ne semble pas avoir
eu la piété naturelle du grand Askia. On a l'impression que Daoud
cherchait son salut à travers les autres et non par lui-même, d'où
ce culte du marabout si manifeste dans sa conduite religieuse.
Kanfarin de Tendirma de 1545 à 1549, Daoud connaissait bien les
pays de l'Ouest et Tombouctou où il avait fréquenté les ulémas.
Askia, il devint le grand mécène, comblant les marabouts de tous
les égards et n'épargnant rien de son trésor pour les aider. Il se
comportait comme un de leurs confrères et devant certains d'entre
eux comme un talibé. Entre mille exemples, le Tarikh el-Fettach
rapporte ce que nous pouvons appeler le Canossa de l'Askia
Daoud. Le cadi El Aqîb, après avoir restauré la mosquée de Si di
Yaya en 1569, entreprit l'année suivante de reconstruire la Jinge-
reber. Soit qu'il eût pris cette initiative sans consulter }'Askia, soit
qu'il eût prononcé des propos malveillants à son égard, le cadi fut
réprimandé dans un message auquel il répondit en termes violents
que «seul pouvait supporter un prince tel que Daoud» 17. A son
passage à Tombouctou, l'Askia se rendit à la maison du cadi selon
la coutume. Il resta planté devant la porte fermée. Ce n'est que
sur l'intervention de ses amis que le cadi consentit à recevoir
l'Askia, le maître du plus grand empire du Soudan Occidental!
D'après Kâti, «le prince se présenta au cadi dans une attitude
insinuante, humble et modeste et se pencha pour lui baiser la tête,
tandis que le cadi l'accueillit restant assis; l'Askia se montra si
affable qu'il finit par amadouer le cadi» 18. Ils se réconcilièrent
ainsi et l'Askia obtint du cadi l'autorisation de construire une par-
tie de la Mosquée. Par la suite, l'Askia Daoud ne passait jamais
dans la région sans venir saluer le cadi. Il l'aida matériellement
dans les œuvres pieuses de restauration de la Sankoré et lui envoya
plus tard 100 esclaves qui firent souche à Tombouctou. Il honora
les membres de sa famille dont il invitait certains à Gao.
Ahmed Baba nous montre l'Askia veillant toutes les nuits au che-
vet de son père, Ahmed ben Omar, tombé malade à Gao. Sur

17. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 202.


18. Idem, p. 202.
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 89

l'intervention de Ahmed ben Said, petit fils du cadi Mahmoud,


}'Askia accorda son pardon aux deux frères Mohammed et Ahmed
Baghayogo qui avaient refusé en 1566 le poste de cadi de Djenné
qu'il leur avait proposé.
A Tombouctou, l'Askia venait en aide au cadi pour l'entretien
des pauvres de la cité. Il lui envoyait chaque année 4000 sounnoll19
de mil, près de 20 tonnes. Bien plus, il établit pour eux dans la
vallée du fleuve un jardin habou appelé jardin des pauvres, entre-
tenu par 30 esclaves. Il constitua une bibliothèque impériale où il
collectionnait des ouvrages de tous genres qu'il faisait reproduire
par une légion de scribes.
Sa libéralité à l'égard des ulémas remplit des pages entières du
Tarikh el..Pettach dont l'un des auteurs, l'Alfa Mahmoud Kâti
dans son entourage et bénéficia de nombreux présents. Alfa Kâti
prétend même qu'on ne pouvait trouver dans l'immense ville de
Gao aucun lettré qui ne reçût quelque chose de l'Askia ! Contraire-
ment à l'Askia Mohammed, l'Askia Daoud n'associa pourtant pas
les ulémas au pouvoir. II ne les consultait pas sur les affaires de
son royaume. Il leur donnait ce qu'ils désiraient le plus, c'est-à-dire
des présents et les égards dus à leur rang.

3° .. Œuvres de conquête et de pacification


L'ancien Kanfari Daoud, bien au courant des problèmes de son
temps et du Soudan occidental, continua la politique de conquêtes
et donna à l'Empire songhay ses frontières définitives. Il reprit la
politique traditionnelle de lutte contre les infidèles et plus particu-
lièrement contre les Mossi. II mena en 1549-1561 et en 1562 des
expéditions contre les Mossi. D'après ce que nous savons, il en
ramena un grand butin mais ne put s'emparer des royaumes mossi
qui sauvegardèrent leur indépendance vis-à-vis de l'empire son-
ghay.
Malgré sa décadence, l'Empire mandingue demeurait au milieu
du siècle une puissance avec laquelle il fallait compter. Après la
perte de ses provinces orientales, il fut réduit à son noyau originel
et à ses provinces de l'Ouest qui s'étendaient jusqu'à l'Océan atlan-
tique. Il y a, dans les Tarikhs, une grande imprécision sur les
limites de l'empire songhay à l'Ouest. Il semble que l'empire du
Mali devait atteindre le sud du Delta nigérien c'est-à-dire la région
de Ségou. En effet l'Askia Daoud mena une série d'expéditions
contre le Mali et lui arracha ses dernières provinces orientales
en 1550 ; une armée songhay envahit le Bakhounou, mata les rébel..
lions du Fondoko (Roi) Diadé Toumane et la province rentra
définitivement dans le domaine songhay. En 1558..59, une autre
expédition dirigée par l'Askia lui-même attaqua le roi de Souma ou
Sarna qu'on n'arrive pas à localiser avec exactitude mais qui devait
être situé au Sud du Delta central. L'Askia pénétra dans l'Empire,

19. Sounnou : grand sac de cuir de 45 à 70 kg environ. Par extension, mesure de


capacjté très usitée chez les Songhay. Cf. note du traducteur du Tarikh el-Fettach,
n° 1, p. 179.
90 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONG HA y

vainquit l'armée madingue et, pour conso]ider la paix épousa la


fille du Mansa, la belle Naren, dont le trousseau de mariage témoi-
gnait encore de la richesse des Mansa. L'empire du Mali devint
ainsi tributaire des Songhay, au moins durant le règne de Daoud.
La région occidentale ainsi pacifiée, la langue et la culture son..
ghay gagnèrent progressivement du terrain jusqu'au-delà de
Djenné. Le royaume :peul du Macina cependant résista. Les Fon-
doko, soumis depuis 1Askia Mohammed et investis du pouvoir par
les Askia, ne furent jamais des vassaux sûrs et le royaume était
mal contrôlé. Ainsi en 1582, les guerriers du Fondoko Boubou
Mariama n'hésitèrent pas à piller les pirogues de l'Askia sur le
Niger. Les représailles furent terribles; le Kourmina fari Moham-
med Benkan, fils de l'Askia Daoud, en quête de gloire militaire,
envahit la région et fit couler tant de sang que l'Askia lui-même
le désapprouva.
Au Sud et à l'Est, les armées songhay furent moins heureuses.
Une expédition dans les montagnes de Hombori échoua. Le royau-
me de Kebbi ne put être soumis et son Kanta (Roi) conclut avec
l'Askia un traité de paix. De même, les cavaliers songhay échouè-
rent en 1553 devant Katséna, la grande métropole haoussa qui
s'était révoltée contre Gao. Ils s'emparèrent par contre de la ville
de Boussa sur le Niger et la ruinèrent sérieusement. Le Tarikh es-
Soudan signale en 1570-71 une grande expédition de l'Askia lui-
même avec près de 24 000 guerriers Kel Antassar et « Maghcha-
ren », ses tributaires berbères, contre des tribus nomades du Sahel
occidental.

4° - La question de Teghazza
Le grand fait de la politique extérieure demeurait cependant la
question de Teghazza posée sous le règne précédent. En effet le
sultan du Maroc, Mohammed ech Cheikh, en difficulté avec ses
adversaires, ne riposta pas contre le pillage de la région de Draa
par les Touareg de l'Askia Ishaq 1er.Devenu maître de tout le Maroc
au milieu du XVIesiècle, il résolut de régler militairement la ques-
tion de Teghazza. II fut aidé du reste par les circonstances. Mécon..
tent d'avoir été écarté de la fonction de Teghazza Mondzo au profit
d'un de ses cousins, un chef filali, Ez Zobeïri, fit appel au sultan
du Maroc qui trouva l'occasion belle de s'emparer des salines. Une
expédition dirigée par le Fi1ali occupa en 1556-57 Teghazza, mas-
sacra le chef de la saline et de nombreux touareg. Les survivants,
avec l'autorisation d'Askia Daoud, abandonnèrent le lieu et parti-
rent ouvrir, non loin, de nouvelles salines à Teghazza el Ghislan.
On ne sait pas la suite de cette affaire, mais il semble que l'Askia
Daoud ait accepté le fait accompli, non par manque de moyens -
il disposait de 24000 guerriers touareg - mais dans un esprit de
négociation. Les relations entre Gao et Marrakech restèrent ami-
cales. Le fils du Sultan Mohammed ech Cheikh, le fameux Moula)'
Ahmed el Mansour, devenu sultan en 1578 pratiqua envers Gao une
politique «d'entente cordiale» entretenue par des cadeaux et de
belles paroles. Dans un passage obscur du Tarikh es-Soudan, l'au-
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 91

teur rapporte que le Sultan aurait envoyé 10 000 pièces d'or en


cadeau à l'Askia mais qu'en même temps, il lui demandait la
cession pour une année de l'exploitation des mines 20. D'après ce
que l'on sait par la suite, la demande marocaine ne fut pas agréée
mais l'entente dura entre les deux pays; le sultan marocain porta
le deuil à la mort de l'Askia Daoud. Teghazza continua de produire
malgré les événements et rien ne semblait assombrir l'horizon
quand éclata en 1582-83 une terrible épidémie de peste qui s'étendit
dans toute la Boucle et fit mourir beaucoup de personnes dont
l'Askia Daoud et le cadi El Aqîb de Tombouctou.

F - Askia El Hadj Mohammed III (1582-1586)


10 - Politique intérieure
Dès la mort de son père, Mohammed III, aîné de ses frères pré-
sents à Gao, s'empara du pouvoir en l'absence du prince héritier,
le Kourmina Fari Mohammed. Il obligea tout le monde à lui prêter
serment de fidélité, ouvrant ainsi une crise grave de succession. En
effet, le Kourmina fari ne renonça pas à ses droits. Il prit la tête de
l'armée de l'Ouest et se dirigea sur Gao, puis par un de ces revire-
ments fréquents dans l'histoire des royaumes soudanais, le Kour-
mina fari, conseillé par ses amis ulémas, renonça à son projet à la
surprise générale et décida de se fixer à Tombouctou pour se
consacrer à l'étude et à la science. Sur l'intervention du cadi de
la ville, il obtint pour un temps le pardon de l'Askia.
Mohammed III El Hadj est décrit par les Tarikhs comme un
prince énergique, audacieux et brave. Il était malheureusement
atteint d'une maladie de peau et ne régna que peu de temps.
Son règne fut marqué par d'importants événements. Après la
révolte de son frère, ce fut le tour du Kourmina fa ri Hadi, qu'il
avait nommé à ce poste. La rébellion fut écrasée et Hadi amené pri-
sonnier à Gao où il fut exécuté. Ses complices furent exécutés ou
punis de bastonnade. L'Askia nomma de nouveaux dignitaires aux
commandements de l'Ouest. Le Macina mal pacifié prit également
les armes sous la direction de son Fondoko Boubou Mariama. Il
fut envahi et le Fondoko condamné à l'exil à Gao pour le reste de sa
vie. L'Askia Mohammed III dirigea lui-même une grande expédition
de pacification dans le Ouagadou, à l'extrême limite Nord-Ouest de
l'empire. Il en ramena un grand butin d'esclaves soninké qui allaient
renflouer le noyau ancien de cette ethnie dans la Boucle du Niger.
Cette expédition fut la dernière des Askia vers l'Ouest. Les diver-
ses révoltes dans les provinces occidentales dénotent la faiblesse de
l'emprise songhay dans la région. Une démarcation était donc
apparente entre la partie orientale et la partie occidentale de
l'Empire. L'Ouest plus islamisé, plus urbanisé, plus riche, tendait
vers l'autonomie. Malgré son titre d'El Hadj qui devait lui venir

20. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 180.


92 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

de son grand homonyme, Mohammed III n'a pas fait le pèlerinage.


Il respecta cependant la politique traditionnelle de l'alliance du
« trône et de l'autel ». Le grand événement de son règne fut la crise
engendrée par la vacance du poste de cadi de Tombouctou. Après la
mort d'El Aqîb, le 31 juillet 1583, la fonction du cadi devenue héré-
ditaire dans la famille des Aqît, devait passer à son frère, Abou Hats
Omar, fils du grand cadi Mahmoud. Le Tarikh es-Soudan rapporte
qu'Omar rejeta à deux reprises sa nomination par l'Askia et qu'il
ne consentit que sous la menace de voir le poste attribué à un
ignorant. II semble que la version du Tarikh el-Fettach qui dit que
l'Askia refusa de nommer le cadi Omar soit plus exacte. Soit parce
qu'il eut des démêlés avec le jurisconsulte Omar, soit parce qu'il
voulait réduire l'influence du cadi devenu, en fait, le maître de la
ville, l'Askia ne nomma personne et le poste resta vacant jusqu'au
1er février 1585. Cette situation était pénible pour une ville de plu-
sieurs dizaines de milliers d'habitants et mauvaise pour les affaires.
Deux jurisconsultes de bonne volonté, le professeur wang ara
Mohammed Baghayogo et le mufti Ahmed Maghya prirent sur
eux la responsabilité de trancher quelques conflits, le premier
devant la mosquée de Sidi Yaya et le second dans le quartier de
Sankoré. Mais leur office ne suffisait pas. Des interventions mul-
tiples tant de Tombouctou que de Gao finirent par tempérer l'As-
kia et obtenir de lui la nomination du jurisconsulte Omar.

2° - La question de Teghazza
La question de Teghazza se posa de nouveau d'une manière plus
dramatique; en effet le nouveau sultan du Maroc, Ahmed El Man-
sour, prince énergique et ambitieux, orienta ses ambitions vers le
Sahara et le Soudan. Il voulut se rendre maître des richesses saha-
riennes et capter à son profit le commerce transsaharien. En 1581,
il s'empara des plus importants débouchés commerciaux de Tom-
bouctou, le Touat et le Gourara 21. Il prépara la conquête du Sou-
dan par une active diplomatie et des expéditions militaires. Il
envoya à Gao en 1584 une ambassade chargée de présents pour
l'Askia mais qui avait la mission de recueillir des renseignements
et d'acheter des amitiés dans la cour impériale. L'ambassade à
peine rentrée, il expédia une armée de 20000 hommes vers Oua-
dane et le fleuve Sénégal et une autre de 200 hommes dirigée par
un caïd vers les salines de Teghazza 22. La première échoua lamen-
tablement et la seconde trouva les salines abandonnées. L'Askia,
ne pouvant pas défendre Teghazza, avait décidé de l'abandonner
mais d'en empêcher l'exploitation par les Marocains. Ce fut un
coup grave porté au commerce de Tombouctou et aux exploitants
et transporteurs berbères, les ldlelaï qui, ne pouvant se résigner,
allèrent ouvrir en 1585 de nouvelles exploitations à Tenaoudara

21. El Oufrani, Nozhet el Hâdi ou Histoire de la dynastie saadienne au Maroc


(1511-1670). Trad. O. Houdas, Paris, E. Leroux, 1889, p. 154-155.
22. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 194. C'est la deuxième expédition marocaine vers
Ouadane. La première eut lieu sous le règne de Mohamed Ech Cheik vers 1544-1545.
Cf. Mauny, R., L'expédition marocaine..., B. IF AN, 1949.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 93

que l'on identifie avec Taoudéni, à 150 km environ au Sud de


Teghazza. Celle-ci fut définitivement abandonnée et tomba en
ruines. Sa disparition marqua une rupture dans le commerce de
Tombouctou. Avant que l'exploitation de Taoudéni n'eût atteint
son maximum, un certain ralentissement des affaires dans une
conjoncture marquée par les dernières secousses de l'épidémie
des années 1582-83, annonça la fin de la grande prospérité de la
ville. Cependant, Taoudéni est plus près de Tombouctou et du Sou-
dan que Teghazza. La qualité de son sel, l'occupation des pays
mauritaniens par les tribus arabes rendant difficiles l'achemine-
ment du sel d'Idjil vers la Boucle du Niger, donnèrent rapidement
à la saline de Taoudéni un essor inattendu et un avenir certain. A
long terme, la disparition de Teghazza ne gêna pas le commerce de
la cité et elle fut vite oubliée.

G - La lin de la dynastie des Askia : la guerre civile.

Née avec le siècle, la dynastie Askia allait mourir avec le siècle.


En effet, le règne des deux derniers Askia fut marqué par la guerre
civile et une certaine récession économique. Des souverains qui
étaient des personnalités de second ordre ne purent pas faire face
à cette situation et, par leur faiblesse même, précipitèrent l'évolu-
tion des choses.

1° - Askia Mohammed IV (1586-88) et la révolte du Balama Es


Sadeq
Mol1ammed IV Bâni ou Bâno qui règna de 1586 à 1588 fut peut-
être le souverain le plus impopulaire de la dynastie songhay. Gros
ventru, impulsif, considéré comme indigne et incapable par pres-
que tous les Grands de l'empire, il provoqua une contestation géné-
rale dès son intronisation. Les raisons de cette opposition n'appa-
raissent pas dans les Tarikhs. L'Askia était pourtant bien légitime.
C'était probablement sa faiblesse de caractère bien connue qui
encouragea l'ambition de ses frères tous prêts à briguer le pouvoir.
Ainsi, dès son intronisation, une conjuration ourdie par son frère, le
Bental-Farma Nouhou et rassemblant nombre de princes et de
grands dignitaires se proposa de le renverser. Elle fut dévoilée
à temps, les conjurés malmenés et Nouhou emprisonné 23. La rébel-
lion la plus grave fut celle en 1588 du Balama de Tombouctou,
Mohammed Es Sadeq. Elle provoqua une véritable guerre civile
et affaiblit la monarchie songhay à un moment où la menace du
Sultan du Maroc se précisait d'année en année. Elle se situait, du
reste, dans un contexte économique et social assez mauvais. En
effet, depuis 1583 une crise latente de subsistances sévissait dans
le Soudan nigérien, provoquée soit par des années successives de
sécheresse, soit par des inondations prolongées. On ne sait pas très

23. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 195-196.


94 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

bien la cause; les récoltes furent déficientes et l'approvisionne-


ment des villes insuffisant. Ainsi, à Tombouctou les Tarikhs par-
lent de famine suivie d'épidémie qui fit mourir beaucoup de monde.
Les classes populaires étaient excitées, mécontentes et elles impu-
taient la crise au règne de l'Askia impopulaire; le roi, même dans
cette société islamisée, devait être une source de prospérité et de
fécondité. La crise politiq.ue allait donc être amplifiée par la mau-
vaise conjoncture économique et sociale.
Le point de départ de la crise fut le conflit qui opposa au
Balama Mohammed Es Sadeq, le Kabara farma Alou. Mohammed
Es Sadeq, fils d'Askia Daoud, était le Balama, c'est-à-dire le com-
mandant militaire de la région de Tombouctou avec résidence à
Kabara. C'était un prince réputé pour sa bravoure et son caractère
violent. Le Kabara farma Alou représentant de !'Askia à Kabara,
était «un homme méchant, grossier, menteur... ignorant, orgueil-
leux et entêté» 24. Dans un excès de colère, le Balama le tua et
s'empara de tous ses biens. Conscient de l'impopularité de l'Askia
et des difficultés dues à la crise économique, le Balama se démas..
qua et décida de renverser l'Askia Mohammed Bâni. Il fit appel à
la principale force militaire de l'Empire, le Kourmina fari qui était
alors son propre frère Saliou. Celui-ci à la tête de son armée se
rendit donc à Kabara. Sadeq l'exhorta à ,marcher contre l'Askia et
à s'emparer du pouvoir. Dans des circonstances mal éclairées, le
Balama tua accidentellement son frère et se trouva seul à la tête
d'une armée de près de 6 000 hommes dont 4 600 cavaliers. Il décida
de marcher contre l'Askia et de prendre le pouvoir pour son propre
compte. II reçut l'appui unanime des habitants de Tombouctou et
surtout du petit peuple de la ville que la disette générale avait jeté
dans le rang des mécontents. II fut proclamé Askia par l'Armée et
le peuple. « Les commerçants lui fournirent des subsides et, du
haut de leurs chaires, les Imams des mosquées firent en son nom
le prône du Vendredi 25.» Les tailleurs et autres artisans se joi-
gnirent à son armée pour la réparation du matériel. Les autorités
de la ville lui prêtèrent serment. Mohammed Es Sadeq devint en
fait l'Askia de Tombouctou et de la partie occidentale de l'Empire.
En effet, en tuant le Kabara farma, Mohammed Es Sadeq avait
libéré la ville de la tyrannie que celui-ci faisait peser sur elle.
II apparut au peuple comme la solution à ses difficultés de vie
chère, comme l'homme capable de rétablir la situation, car tout le
monde considérait l'Askia Mohammed Bâni comme un sot, indigne
de régner.
A la tête donc de la puissante année de l'Ouest, l'Askia de
Tombouctou quitta Kabara le 27 mars 1588 et arriva près de Gao le
15 avril 1588. II fut aidé par les événements. L'Askia Mohammed
Bâni qui se préparait à le rencontrer mourut subitement à la tête
de son armée. Son frère [s}zaq II fut alors immédiatement pro-
clamé Askia par les grands dignitaires de l'armée et allait continuer
la lutte. Le 15 avril, la rencontre eut lieu dans une mêlée générale;

24. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 231.


15. Idem, p. 238-239.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 95

le Balama fut battu, son armée en partie capturée. Le Balama et


quelques compagnons purent s'enfuir vers Tombouctou dans une
chevauchée prodigieuse et échappèrent aux gens de l'Askia.

2° - Askia Ishaq II (1588-1591)


Les conséquences de cette rébellion furent lourdes. Les parti-
sans du Balama furent arrêtés et l'on en tua dans tout l'empire. La
répression, impitoyable, se prolongea jusqu'à l'arrivée des Maro-
cains en 1591. Les autorités de Tombouctou, le chef de la ville et
celui des Touareg furent déportés à Gao et exécutés. Tous les grands
chefs de l'Ouest, le BarakoÏ, le Kalacha, le Binka farma, le Baghéna
fari, pour ne citer que ceux-là, furent les uns exécutés, les autres
emprisonnés. L'Askia décapita l'élite militaire et politique de la
région occidentale et, à en croire le Tarikh, « de ceux qui étaient
partis pour suivre le Kanfari Saliou, il ne revint que quelques indi-
vidus appartenant à la classe inférieure de la population » 26. Ainsi
la rupture entre l'Ouest et l'Est fut consommée; Tombouctou ne
parlait plus le même langage que Gao. Le consensus « national» fut
détruit au moment où le sultan marocain se préparait à envahir
l'Empire. L'entente entre les deux villes, l'alliance des Askia avec le
« clergé» musulman dirigé par Tombouctou, pierre angulaire de la
politique des souverains songhay depuis le grand Askia, s'effritè-
rent et la dynastie perdit une de ses principales forces.
L'Askia Ishaq II fut un prince faible, indécis, qui ne put com-
prendre la gravité de la situation. Il reprit en 1589-90 la politique
traditionnelle de guerre contre les Mossi. Il ne chercha pas les
moyens de refaire l'unité morale de l'empire et de prévenir la
menace beaucoup plus importante qui se préparait au Maroc. II
fut victime d'une conjoncture générale défavorable qu'il ne sut ni
comprendre ni surmonter.

En conclusion, l'Empire songhay à la veiIle de l'invasion maro-


caine était entrée dans une phase décadente. La dynastie Askia
avait été affaiblie par la guerre civile. Elle y avait perdu nombre
de cadres et de partisans; elle avait accru le nombre des mécon-
tents parmi les princes, dont certains se rallièrent, dès la première
heure, à l'envahisseur marocain, trahissant sans le savoir la cause
« nationale» dans le simple but de s'opposer à l'Askia. Cet affaiblis-
sement de la monarchie Askia s'explique aussi, dans une certaine
mesure, par les ambitions des princes, plusieurs centaines sur trois
générations, tous vaillants, courageux et candidats au pouvoir sou-
verain.
La fin du siècle se caractérise, d'autre part, par un épuisement
progressif des villes et des ressources vivrières, dû à une récession
économique qui va s'amplifiant et qui marquera un fossé entre les
XVIeet XVIIesiècles. Les institutions mises en place par les Askia

26. Idem, p. 258.


96 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

étaient en vigueur mais le développement de la puissance du


Kourmina fari confiée à des princes de sang devint un pendant
dangereux et incontrôlable par les Askia. Le Kourmina fari tendait
à être, non un vice-Roi, mais un roi rival. C'est donc dans cette
situation générale de crise politique et sociale que l'envahisseur
marocain fit son apparition en 1591.
ll.
ORGANISATION
DE L'ETAT SONGHAY
AU XVIe SIECLE

La vie politique mouvementée de la cour de Gao, les fréquents


complots et les répressions qui en découlaient ne doivent pas mas-
quer la brillante civilisation songhay qu'on peut saisir à travers les
structures politiques, économiques et sociales, à travers l'activité
quotidienne des hommes, leurs croyances et leur niveau intellec-
tuel. Somme toute, il y a lieu de faire l'inventaire de la civilisation
songhay dans sa globalité.

A .. Organisation politiqzte et administrative de l'Empire songhay.

L'Empire songhay est peut-être la plus vaste organisation poli-l,


tique que le Soudan Occidental ait connue. II couvrait presque
tout l'Ouest africain depuis le Dendi, dans le Nord du Dahomey,
jusqu'au Ouagadou dans le Sahel mauritanien, depuis les pays
mossi dans le Sud jusqu'au cœur du Sahara. II était essentiellement
axé sur le Niger qui lui donnait une certaine unité et lui assurait des
moyens de subsistance réguliers dans une région défavorisée par
le climat. C'était aussi un empire soudano-sahélien car, comme on
le voit, il était en majeure partie situé dans ]a zone sahélienne, donc
ouvert à la civilisation méditerranéenne avec laquelle il a eu des
échanges de tous ordres. Ses franges méridionales étaient souda-
naises. Une grande partie des pays soudanais au Sud de la Boucle
du Niger et du Delta Central était soit du domaine des Mossi indé-
pendants soit englobée dans l'Empire du Mali qui fut à deux ou
trois reprises soumis aux Songhay. Quant à la domination des Son-
ghay sur le Tekrour, il n'y a rien qui permette de l'affirmer, sinon
l'expédition militaire de l'Askia Mohammed dans le Galambou en
1508 mais qui ne sembla pas avoir été suivie de conquête territo..
98 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

riale. L'emprise politique et culturelle des Songhay fut donc limi-


tée au Soudan nigérien.
L'empire était puissamment structuré. Tout le pouvoir se trou-
vait centralisé entre les mains du souverain qui disposait d'une
armée permanente, de ressources financières régulières, assurait,
par de nombreux cadis, une justice musulmane fondée sur le droit
écrit, et avait sous ses ordres une multitude d'agents d'exécution. Il
s'agit ici d'un Etat soudanais évoluant par sa propre dynamique,
appuyé sur une puissante aristocratie politique et religieuse, garan-
tissant l'ordre et le développement de la société. Malheureusement,
son évolution fut brisée à la fin du siècle par l'invasion étrangère
qui édifia un ordre nouveau tout en conservant des institutions
vidées de leur substance et de leur force.
Le régime politique était, comme dans tout le Soudan, la monar-
chie. La dynastie des Sonni avait instauré une monarchie tradi-
tionnelle d'essence plus animiste qu'islamique. Elle eut le mérite
de conquérir un empire et de mettre en place les premières insti..
tutions de l'Etat dont bénéficia la monarchie des Askia qui, dans
son inspiration et dans son jdéal, était une monarchie musulmane.
Le pouvoir askia était en effet l'expression de l'islamisation très
poussée de la vallée nigérienne, du développement commercial et
urbain du Soudan nigérien. Elle était donc l'émanation de la société
nouvelle, urbaine, face à la société traditionnelle rurale qu'avaient
connue les Sonni. Cette opposition n'était pas cependant absolue.
On trouve à la base de la monarchie des Askia l'héritage négro-
africain de l'ancienne dynastie. Le pouvoir Askia, dans son esprit,
dans sa forme, plongeait dans les mêmes sources africaines que
celui des Sonni. L'Islam se combina avec l'élément traditionnel
pour le voiler, l'inserrer dans le cadre coranique et l'orienter vers
une nouvelle forme de civilisation. La symbiose ne réussit qu'un
moment. L'Islam assimilé finit, avec l'évolution, par céder à l'an-
cienne forme de civilisation traditionnelle. L'analyse des institu-
tions le montre bien.
10 - L'Askia et son pouvoir
L'Askia était le maître de l'Empire songhay. Son pouvoir n'avait
de limites que celles imposées par le respect des préceptes reli-
gieux et des coutumes africaines.
La nouvelle dynastie est née de l'usurpation du pouvoir par le
Hombori-koï Mohammed. Après sa victoire, Mohammed prit le
titre d'Askia. Ce mot reste énigmatique. L'explication du Tarikh
el Fettach ne satisfait pas l'esprit. On se demande pourquoi un
général victorieux aurait pris ce titre fantaisiste de Askia. « Il ne
le sera pas! » lancé par les filles indignées de Sonni Ali. II y a dans
le Tarikh un passage où il est dit que le terme « Askoo Soûba »
désigne les premiers souverains blancs de l'Empire de Ghana 1. Le
mot serait donc soninké ou berbère, mais sa signification nous
échappe. C'est, en tout cas, un titre princier dès les temps les plus

1. Tarikh el-Fettaclz, 1964, p. 78.


TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHAY 99

anciens de l'histoire du Soudan. Avant l'avènement de l'Askia


Mohammed, ce titre était porté par un des grands dignitaires appelé
Askia Baghéna sous le règne de Sonni Ali. Le Baghéna ou Bakhou-
nou était un pays soninké et peul situé entre Diahra et le Moyen
Niger et qui fut conquis par Sonni Ali. Après l'avènement de l'Askia
Mohammed, le dignitaire du Baghéna reçut le titre de Baghéna
farma ou fari et celui de Askia fut réservé à l'Empereur. Pourtant,
le Tarikh el-Fettach donne le titre d' « Asia» au chancelier Bokar
Lambaro dans la deuxième moitié du XVIesiècle. Il y a là certaine-
ment une erreur du chroniqueur non contemporain des faits rela-
tés. Le titre d'Askia demeure au XVIesiècle l'apanage des souverains.
On ne sait pourquoi, ni dans quelles circonstances, Mohammed prit
ce titre! Une chose semble certaine, c'est l'origine soninké de la
dynastie. Askia Mohammed est un Soninké du clan Touré ou Silla.
Le titre semble avoir une signification mystique comme c'est le cas,
bien souvent, dans les monarchies africaines; du reste, le Soninké
jusqu'à la fin de la dynastie est demeuré la langue secrète, celle de
l'initiation et celle aussi de la geste des Askia, dont les griots
authentiques étaient des géséré soninké 2.

a) Fondement et limites du pouvoir impérial


L'usurpation du pouvoir des Sonni par Askia Mohammed fut
légitimée, dès le départ, par les ulémas de l'Empire qui présen-
tèrent l'avènement de la nouvelle dynastie comme émanant de la
volonté divine. Les ulémas démontrèrent que l'usurpation était le
résultat de la guerre sainte voulue par Allah contre la dynastie
païenne qui avait fait tant souffrir les musulmans. L'Askia par son
pèlerinage en terre sainte, légitima l'usurpation et obtint le titre
de Khalife du Soudan. La nouvelle dynastie était donc, contraire-
ment à la précédente, une monarchie musulmane; le Roi était le
chef de la communauté musulmane qu'il devait gouverner selon les
principes coraniques. Askia Mohammed s'appuya sur l'Islam. Il
demanda constamment des conseils de gouvernement aux ulémas
et les associa ainsi à la direction des affaires. Certes les ulémas ne
participaient pas directement à l'exercice du pouvoir, sauf en ce
qui concernait la justice, mais ils inspiraient la politique impériale.
Ils étaient les agents zélés de la cause des Askia dans tout l'Empire.
Sans exagération, on peut ainsi parler d'une alliance entre le « trône
et l'autel» comme base de la politique impériale des Askia de Gao.
Il serait cependant erroné de ne voir dans cette monarchie que
son aspect musulman. L'Askia Mohammed fut avant tout le suc-
cesseur et l'héritier de Sonni Ali Ber, d'un pouvoir vieux de plu-
sieurs siècles, riche de traditions du terroir africain. Ainsi dans la
réalité des choses, la monarchie des Askia revêtait nombre de traits
des monarchies animistes africaines. Par exemple l'Askia était
considéré, dans les croyances populaires, non certes comme un dieu,
2. Plusieurs passages des Tarikhs appuient la thèse de l'origine soninké des Askia.
Grâce à l'amabilité du Président Boubou Hama, nous avons pu écouter en 1967 à
Niamey un griot songhay qui nous chanta les gestes des Askia en soninké, langue
qu'il ne parlait pas mais qui lui servait de langue initiatique.
100 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

mais comme un personnage sacré devant lequel l'on devait se pros-


terner et se couvrir de poussière, comme le principe d'ordre et de
paix. Il était le dépositaire du din-touri 3 symbole de feu sacré,
et de la propriété du sol. Après sa mort et avant l'intronisation de
son successeur, nous voyons le même phénomène, chez les Mossi,
l'anarchie, la société comme ébranlée dans son fondement où
quiconque pouvait se livrer à n'importe quel acte criminel, ou
se venger de ses ennemis 4. Le désordre cessait dès l'intronisation du
nouvel Askia. Principe d'ordre, l'Askia était aussi source de fécon-
dité et de prospérité. Les Tarikhs insistent sur les calamités, les
sécheresses ou la prospérité sous le règne de tel ou tel Askia. Cela
était conforme aux croyances populaires sur la nature sacrée du
Roi. Il y avait donc une combinaison heureuse d'éléments islami-
ques et traditionnels dans la monarchie des Askia de Gao.
L'Askia, contrairement à la plupart des souverains africains, était
un monarque presque absolu. Détenteur unique du pouvoir sou-
verain, reconnu et accepté par tous, il déléguait l'autorité, mais ses
agents étaient révocables à tout moment. Cette concentration du
pouvoir dans les mains de l'Askia était, nous le répétons, unique
dans le Soudan médiéval. A son avènement, le nouvel Askia recevait
le serment de fidélité de son peuple, de tous les grands dignitaires,
et il renouvelait comme bon lui semblait les titulaires des postes.
Cet absolutisme n'était pas cependant sans limites. L'Askia, roi
musulman, devait respecter les principes de sa religion. A ce sujet
El Maghili faisait à Askia Mohammed la recommandation sui-
vante: « Sachez que Dieu nous assiste tous, que la royauté appar-
tient à Allah et qu'il n'y a de triomphe si ce n'est de Dieu; sois son
serviteur en lui rendant le culte, il sera ton maître, il te protègera
et t'aidera. Tu n'es qu'un esclave propriété d'autrui, ne possédant
rien. Ton seigneur t'a élevé au-dessus des autres serviteurs afin que
tu sois leur guide aussi bien sur le plan spirituel que sur le plan
temporel et non point pour que tu sois leur maître et leur seigneur.
Considère-toi comme un pasteur sur toute l'étendue de ton royaume
et non point comme leur maître, or tout berger est responsable de
son troupeau 5. » L'Askia était donc tenu de respecter la liberté des
musulmans, leurs biens, ]eurs familles et de ne leur imposer que
ce qui est permis. Les ulémas de Tombouctou, malékites intransi-
geants sur le principe coranique, le lui rappelaient d'ailleurs cons-
tamment. Le cadi de Tombouctou, Mahmoud, alla même jusqu'à
s'opposer à l'exécution des ordres impériaux qui lui semblaient
contraires à la religion. Mahmoud Baghayogo de Djenné adressa en
1546 des remontrances audacieuses et sévères à l'Askia Ishaq 1er en
critiquant la mauvaise administration impériale et les exactions des

3. c Tison éteint », symbole du premier feu allumé dans le pays. Il fait de rAskia
le maître du feu et des foyers, le premier occupant du pays. Cette tradition est certes
beaucoup plus ancienne que la dynastie des Askia et plonge dans les croyances ani-
mistes des Songhay. Une coutume semblable existe chez les Malinké: une fille de
Roi apporte dans son trousseau de mariage un tison allumé qui doit communiquer le
feu à tous les foyers du royaume de son mari.
4. Cheikh Anta Diop, Afrique précoloniale, 1960, p. 50-51.
5. Un aperçu de l'Islam songhay, B. IFAN, 1972, p. 243.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 101

agents impériaux dans la ville. Ainsi la religion constituait un pen-


dant libéral à l'absolutisme. D'un autre côté, la monarchie des Askia
devait compter avec les coutumes des Songhay et des autres peu-
ples. Le respect de celles-ci ainsi que les privilèges accordés à des
dignitaires ou à des provinces devaient nécessairement tempérer
l'absolutisme. Au début de son règne, Askia Mohammed reconnut
des privilèges aux dignitaires de son empire. Ainsi, le Dendi fan
reçut le droit de faire des remontrances sur tous les actes impé-
riaux, le Bara-Koi celui du véto et tous les grands dignitaires eurent,
à des degrés divers, un privilège. L'on sait que, par la suite, certains
de ceux-ci tombèrent en désuétude. Les Askia et plus particulière-
ment Askia Mohammed Ii$rétablirent des coutumes nouvelles pour
tel ou tel personnage limitant, dans une certaine mesure, l'absolu-
tisme impérial. L'Askia Mohammed 1er accorda des territoires
entiers avec leurs habitants à des grands dignitaires religieux et
exempta certains des impôts de l'Etat. Dans cette société aristo-
cratique et hiérarchisée, chacun tenait à ses coutumes et, par cela
même, freinait l'absolutisme impérial. Comme ailleurs, au Soudan,
le pouvoir était tempéré par la participation à son exercice à tous
les niveaux, de toutes les catégories de la société.

b) La Cour de l'Askia
Gao était la capitale du royaume songhay depuis le XIIe siècle. La
dynastie des Askia s'y établit et Askia Mohammed 1er construisit
un grand palais qui devint le siège de son gouvernement. L'Askia
était entouré d'une nombreuse cour qui rehaussait son prestige. Il
siégeait sur un trône, plateforme élevée, sorte d'estrade sur laquelle
était étendu un tapis aux mille couleurs. Il s'asseyait seul sur ce
trône, mais y admettait dans certaines circonstances des hommes
de religion comme les chérifs. Il s'étendait sur des coussins posés
par ses eunuques, domestiques castrés qui surveillaient ses moin-
dres gestes pour agir. Il était en effet entouré de 700 eunuques
dont la présence n'était pas sans évoquer une influence orientale.
La cour assistait l'Askia dans ses audiences. Elle était composée
de gens de toutes sortes: de grands dignitaires politiques et admi-
nistratifs de l'empire et de la ville de Gao, des membres de la
famille impériale, des marabouts, ceux de Gao ou ceux venus en
quête de présents, de notables et d'hommes de caste. Ces derniers
comptaient parmi eux les griots traditionnels de la cour, les géséré
dont l'ancien avait l'insigne privilège d'appeler l'Askia par son nom,
les mabé d'origine peule qui avaient mission de rehausser la gloire
du souverain par leurs chants et leur musique. Ces griots, comme
partout dans le Soudan, jouaient un rôle incontestable dans la
direction des affaires du pays. Le Ouandou était chargé de répéter
à haute voix les paroles du Souverain.
A partir de Mohammed II Benkan, les femmes firent leur appari-
tion à la cour et il est possible que la tradition ait été mainte-
nue par la suite. Mohammed II Benkan, en bon épicurien, y intro-
duisit de nouveaux instruments de musique, obligea les courtisans
à s'habiller avec faste et égaya la cour autrefois austère sous l'As-
102 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

kia Mohammed. Cette cour était régie par un protocole qui a évolué
avec le temps. Chacun y avait sa place selon son rang dans la
hiérarchie politique; par exemple pour saluer le souverain, le
simple courtisan devait se prosterner et se couvrir de poussière,
tandis que les grands personnages comme le Dendi fari en étaient
exemptés.
La cour exerçait des fonctions politiques importantes. Un Conseil
impérial restreint, le Sounna 6, assistait l'Askia dans la direction
générale de l'Empire. La cour était aussi une école d'initiation à
la vie politique. Les grands dignitaires ou leurs parents y avaient
presque tous passé avant d'obtenir leurs postes. C'est là en
effet qu'il fallait avoir des amis puissants pour chercher une
place et accéder aux honneurs. Les dignitaires provinciaux entre-
tenaient des relations avec les Grands de la cour et leur envoyaient
périodiquement des présents pour plaider leur cause auprès de
!'Askia. L'ambiance était aux intrigues, aux rivalités entre clans;
de fréquents complots ébranlèrent à maintes reprises la monarchie
songhay.

c) Su.ccession au pouvoir
En réalité, les documents que nous avons ne nous permettent
pas de définir avec précision le système successoral des Askia.
D'une manière générale les femmes étaient exclues du pouvoir. Les
Tarikhs ne font aucune mention de reines même à titre de régentes
dans l'Empire songhay. La succession royale avait lieu de frère à
frère selon le droit d'aînesse et non de père en fils. La généalogie
des rois nous le prouve. A l'exception de Mohammed Benkan, fils
d'Amar Komdiâgo, les fils d'Askia Mohammed se sont succédé au
pouvoir jusqu'en 1582 et ce fut ensuite le tour des enfants d'Askia
Daoud jusqu'à la conquête marocaine en 1591.
Le droit coutumier de collatéralité ne semble cependant pas avoir
été respecté. Le plus populaire, le plus audacieux, même s'il avait des
frères aînés, pouvait élever ses prétentions, provoquer une crise de
succession allant jusqu'à la guerre civile. Le prétendant était pro-
clamé en principe dans la ville de Koukiya, l'ancienne capitale des
Songhay, par les grands dignitaires de la Sounna qui lui prêtaient
le serment de fidélité. Le nouveau souverain devenait le Chef de la
maison impériale, héritait de l'Askia défunt dont il épousait les
femmes. L'on connaît le fameux dialogue, dans le Tarikh el-Fet..
tach, entre le Hi-koÏ et l'Askia Ishaq II qui s'enfuyait dans le
Gourma après sa défaite à Tondibi: «0 Askia, voici que tu empor-
tes le trésor du nouvel askia! Tu emportes aussi des choses que
n'a jamais emportées aucun des rois de la dynastie des askia
déposés ou chassés avant toi: c'est nous qui en sommes respon-

6. Sounna. On ne connaît pas la signification de ce mot bien qu'on soit tenté de le


rapprocher de la Sunna, tradition prophétique. Les conseillers auraient-ils juré
fidélité sur un livre sacré des traditions prophétiques? On ne sait. Le mot qui a
une résonance religieuse dénote en tout cas l'influence de l'Islam sur la monarchie
des Askia. Il y a un autre Sounna, la garde impériale, qui doit elle aussi être fondée
sur le serment.
TOMBoucrou ET L'EMPIRE SONGHAy 103

sables et qui serons punis à ce sujet par celui qui te remplace au


pouvoir. - Quelles sont ces choses? demanda Ishâq. - Ces éten-
dards, répondit le hi-koÏ. - Tu as raison I » dit Ishâq et il les res-
titua, en ajoutant: « Ai-je encore autre chose (à rendre) ? - Oui,
dit le hi-koï, ces chevaux, qui sont les chevaux de selle de l'askia. »
Il en rendit alors quinze et, gardant l'autre moitié, demanda: « Et
que veux-tu encore? Ce din-toûri », dit le hi-hoÏ. Ishâq le rendit et
demanda de nouveau: « Reste-t-il quelque chose?» - « Ton fils
Albarka, répondit le hi-koÏ; tu n'as pas le droit de l'emmener, car
ce n'est pas la coutume: si un prince déposé prend la fuite, il laisse
son fils car cet enfant est la propriété du roi qui lui a succédé et
devient le fils de celui-ci. - Ce que tu viens de rappeler, lui répon-
dit l'Askia Ishâq (. . .) n'est pas un secret pour moi; je n'ignore pas
que l'askia déposé ne doit pas emmener son fils avec lui, mais
seulement s'il n'a pas eu d'autres successeurs au pouvoir que l'un
des enfants de son père: dans ce cas, l'enfant doit demeurer auprès
du successeur et devient son propre fils. Mais, pour l'instant, je
n'ai pas au pouvoir d'autre successeur que Djouder, et je ne lui
laisserai pas mon fils pour qu'il le traite comme son esclave ou le
vende 7. » L'Askia qui parlait ainsi fut déposé par l'armée après ses
échecs devant l'invasion marocaine en 1591. C'est le deuxième
exemple de détrônement effectif de roi Askia. Le premier est celui
de Mohammed Benkan détrôné en 1537 par la conjuration d'Askia
IsmaÏl. A part ces deux. cas, aucune des autres tentatives de révolte
armée en vue de s'emparer du pouvoir souverain n'aboutit.

2° - Le Gouvernenlent de l'Askia
Le gouvernement d'un empire aussi étendu que celui édifié par
les Songhay était un problème. Les souverains de Ghana et du Mali
en avaient trouvé la solution dans le système de fédération de
royaumes assujettis. Les Songhay furent plus originaux et érigè-
rent un Etat centralisé, plus structuré et disposant de moyens per-
manents qui lui donnaient une autonomie plus grande. L'Etat était
constitué d'un gouvernement central et d'un gouvernement de
provinces. Il mobilisait de nombreux agents lettrés ou secondés de
lettrés provenant de toutes les catégories de la société. Certes les
plus hautes fonctions étaient réservées à l'aristocratie nobiliaire
qui jouissait d'un privilège politique et militaire. Les esclaves
jouèrent peu de rôle politique dans l'Empire songhay. Les agents de
l'Etat étaient hiérarchisés. Ils étaient nommés par l'Askia qui pou-
vait les révoquer à tout moment. Ainsi chaque investiture impé-
riale s'accompagnait de révocations et de nominations d'agents aux
postes-clé de l'Etat. Jusqu'à la fin de l'Empire, }'Askia resta maître
du pouvoir et aucune féodalisation politique n'a pu se constituer
par héritage.

Î. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 274.


104 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

a) Gouvernement central
L'Askia était assisté à Gao d'un important personnel de gou-
vernement dont certains membres faisaient partie de la Sounna
et d'autres étaient chargés des départements particuliers. Certaines
fonctions avaient un large éventail d'attributions et concernaient
l'administration générale de l'Empire, d'autres se limitaient à la
ville de Gao et au Palais impérial. La spécialisation était cependant
inconnue et un agent impérial pouvait avoir plusieurs charges à la
fois. Au sommet de la hiérarchie était le Sounna ou Conseil impérial
~ui comprenait les grands dignitaires de la Cour et qui, dirigé par
1Askia lui-même, débattait tous les problèmes de l'Empire et
siégeait souvent en Cour d'Etat. La Sounna investissait le nouvel
Askia mais lui était inconditionnellement subordonné par serment.
Ses décisions étaient exécutées par de nombreux agents 8 du gouver-
nement dont les principaux étaient les suivants:

- Le chancelier.
Le secrétaire de J'Askia assurait les fonctions d'un véritable
chancelier. Il tenait la correspondance officielle, recevait les cour-
riers des provinces et écrivait les réponses de l'Askia. Il s'occupait
de la correspondance diplomatique, de la rédaction et de l'exécu-
tion des actes impériaux surtout au temps de l'Askia Mohammed 1er.
D'une manière générale, sa signature était nécessaire pour la vali-
dation des diplômes et des chartes délivrés par l'Askia. Bokar
Lambar ou Lambaro occupa le poste depuis le règne d'Askia Daoud
jusqu'à l'invasion marocaine. C'était un homme intelligent, rusé, qui
sut conquérir la confiance des Askia et leur soutira des biens consi-
dérables. Il joua un rôle funeste à l'arrivée de l'armée marocaine en
trahissant la cause de son roi et de son pays et en se ralliant aux
nouveaux conquérants.

- Le Hi.Koï.
Le Hi-Koï était le « maître de l'Eau », chef de la flottille du Niger.
Il était le plus important des dignitaires au temps de Sonni Ali et,
comme le note J. Rouche, il fut le dernier défenseur de l'Empire,
de la cause songhay à Tentyi en 1591 9. Son nom était intimement
lié à la nation songhay, peuple vivant du Niger. La fonction perdit
quelque peu de son importance au temps des Askia. On voit cepen-
dant le Hi-koï, sous l'Askia Ishâq 1er,réprimander le Kourmina Pari
Daoud venu sans ordre à Gao et lui ordonner de retourner immé-
diatement dans sa province. On se demande si le Hi-Koï n'exerçait
pas alors la fonction de ministre de l'intérieur.

8. Kodio Georges Niamkey, Ishaq Il et la fin de J'empire songa; (1588-1593).


Thèse, Paris, p. 270-272.
9. Rouch Jean, Contribution à J'histoire des Songhay, 1953, p. 216.
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y lOS

- Le Fan mondzo et leI agents ruraux.


Le Fari mondzo, ministre de l'agriculture, devait s'occuper de
nombreux domaines de l'Askia dans la vallée du Niger, de la sur-
veillance des fanfa (régisseurs) de la rentrée des redevances impéria-
les, de la distribution des grains que l'Askia ordonnait pour secourir
les pauvres. Très probablement c'était le fari mondzo qui jugeait les
affaires des terres et les conflits entre les paysans. Ses fonctions
n'étaient pas bien précises. Il apparaît toutefois comme un person-
nage considérable dans l'Etat songhay. Le poste fut généralement
confié à des princes de sang et même à des dauphins. Le premier
titulaire connu fut Askia Moussa sous le règne de son père. Askia
Ismaël, Askia Mohammed III occupèrent également le poste avant
leur avènement au pouvoir.
Le fari mondzo devait être secondé par de nombreux agents. On
ne sait si le Hari Farma, inspecteur des Eaux et des Lacs, le Sao-
farma, celui des forêts, le Ouerneï responsable de la Propriété, etc.,
lui étaient subordonnés ou étaient autonomes.

- Le Hou-Kokorei-Koi.
Le Hou KokoreÏ-KoÏ était une sorte de Maire de Palais. II diri-
geait les eunuques et les différents services domestiques du Palais
assurés par les esclaves impériaux: service d'approvisionnement,
d'écuries, de surveillance des épouses de l'Askia, etc. Le Hou Koko-
reï-KoÏ, confident de l'Askia assurait également la direction du
Protocole et se vit même confier des fonctions militaires.

- Le Kalissi farma « chef du Trésor ».


Le Kalissi farma était le trésorier de l'Askia. La fonction est
imprécise dans les Tarikhs. L'on connaît cependant l'importance
des finances de l'Askia et la constitution même d'un dépôt de numé-
raire par l'Askia Daoud. Le Kalissi farma avait la garde et la ges-
tion de la fortune de l'Askia et il contrôlait ses dépenses. On ne sait
si le banna farma (responsable des salaires), le dei farma (chef des
achats) étaient dépendants du Kalissi farma, du Hou KokoreÏ-KoÏ
ou autonomes.

- Le Préposé à la garde-robe impériale"


Comme son titre l'indique, ce fonctionnaire était chargé des
habits du souverain. Au temps d'Asia Ishaq II, la garde-robe impé-
riale comprenait 70 sacs de peaux de panthère contenant chacun
30 costumes de draps, de soieries, de cotonnades, soit plus de deux
mille costumes 10!

- Le Balama.
Le balama était un chef militaire. Il devait être, à l'origine, le
chef de l'armée royale songhay. Au XVIesiècle, le balama cornman-
10. Tarik el-Fettach, 1964, p. 260-261.
106 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

dait le corps d'armée de la région de Tombouctou, résidait à Kabara


et dépendait probablement du Kourmina fari. La fonction fut
confiée à des princes de sang dont le fameux Es Sadeq, l'âme de la
guerre civile de 1888 et Mohammed-Gao le dernier Askia songhay
de Gao.

- Le Korei farma, chef des Blancs.


Il était chargé des affaires des étrangers arabo-berbères établis
dans l'Empire et probablement des relations avec les ambassades
marocaines ou autres envoyés en mission auprès de !'Askia.
Outre ces fonctionnaires qui résidaient tous à Gao à l'exception
du Balama, l'empereur envoyait dans tout l'Empire des commis-
saires pour trancher les problèmes urgents, prélever des contribu-
tions extraordinaires sur les marchands des grandes villes et
contrôler les agents locaux, les administrateurs des provinces.

b) Gouvernement des provinces


Les Songhay adoptèrent deux systèmes d'administration pour le
gouvernement de leur vaste empire: les provinces songhay ou
songhaysées, généralement situées de part et d'autre du Niger et
celles annexées par droit de conquête furent directement régies par
les représentants de l'Askia. Elles constituaient à proprement parler
le domaine impérial. Des royaumes vaincus confiés à leurs souve-
rains traditionnels étaient fédérés à l'empire et jouissaient d'une
grande autonomie.
L'administration du domaine impérial était assurée par des
agents nommés par l'Askia et révocables par lui. Les provinces
étaient hiérarchisées selon leur importance économique et mili-
taire. Leurs titulaires portaient des titres: fari ou farma provenant
de l'ancienne organisation mandingue et désignant les gouverneurs
des grandes provinces, koi ou mondzo, « chef », d'origine songhay,
appliqué aux chefs de circonscriptions ou de communautés de
faible envergure. D'autres titres comme le « cha », le « Marenfa »
étaient d'origine étrangère. Les gouverneurs, véritables rois en pro-
vince, avaient tous les pouvoirs de l'Askia excepté la justice
confiée à des cadi indépendants. Ils avaient leur cour, leur armée,
leur tambour de commandement, levaient les impôts pour le compte
de l'Askia, exécutaient ses ordres. Ils devaient périodiquement
rendre visite à l'Askia à Gao et, en ces occasions, entraient dans
la capitale sans tambour ni garde armée.
Les deux plus grandes provinces étaient le Kourmina à l'Ouest et
le Dendi au Sud-Est, dirigées l'une et l'autre par des tari ou farma.
La province de Kourmina fondée par Sonni Ali Ber était située à
l'Ouest du lac Faguibine dans la région lacustre.
Elle flIt commandée pour la première fois par Amar Komdiâ-
gho, qui construisit de toutes pièces la capitale Tendirma. Le Kour-
mina fari ou Kan/ari était un personnage considérable, le premier
dignitaire de l'Empire. La fonction fut souvent confiée à des prin-
ces de sang, voire à des héritiers du trône comme Askia Moham-
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 107

med II Benkan, Askia Daoud, son fils aîné Mohammed Benkan.


Le Kourmina fari avait un grand commandement. Pratiquement il
dirigeait toutes les provinces de l'Ouest dont les chefs étaient
nommés par Gao. A la fin du XVIesiècle, on voit le Kourmina fari
à la tête de toutes les forces de l'Ouest marcher sur Gao. Sa pro-
pre armée était, après celle de Gao, la plus importante de l'Em-
pire et elle lui donnait une grande autorité. Le Kourmina fari assu-
rait la défense de l'Ouest et, à plusieurs reprises, il reçut l'ordre de
}'Askia de mener des expéditions dans les pays limitrophes comme
le Ouagadou, le Mali et les royaumes de Yatenga. II intervint plus
d'une fois pour réprimer le turbulent royaume du Macina. Il
était donc le vrai chef de l'Ouest dont les richesses commerciales
et la prospérité rurale lui assuraient des ressources sûres et abon-
dantes.
Quant à la province du Dendi, elle était située dans le Sud-Est,
entre la région de Niamey et le Nord du Dahomey, au pays d'ori-
gine des Songhay. Dendi tari ou Dendi farma venait après le Kour-
mina fari et la fonction fut confiée à de grands dignitaires de la
cour, comme le Hi-koÏ. C'était une province militaire. Elle avait
mission de défendre les marches orientales de l'Empire.
Les autres provinces avaient moins d'envergure. Les plus connues
étaient: la province de Dirma dirigée par un Dirma-koï, celle de
Bara par un Bara-koÏ qui portait autrefois le titre de «mansa»
sous la domination du Mali. A l'Ouest, étaient le Kala, le Baghena
et surtout le royaume du Macina dont le roi portait les titres de
Fondoko. Jusque sous l'Askia Daoud, le Fondoko recevait l'inves-
titure selon les traditions de son pays, mais à partir de ce sou-
verain, il fut nommé par l'Askia de Gao. Dans la boucle du Niger,
nous avons le Bangu dirigé par des princes de sang. Il était limité
au Sud-Est par le Hombori dont le premier titulaire fut Askia
Mohammed I~r sous le règne de Sonni Ali. L'Arabinda au Sud-Est
avait un farma.
Les grandes cités et leurs territoires étaient dirigés par des
chefs, « koï » ou « mondzo », nommés par l'Askia. On peut citer entre
autres le Djenné-koï, le Teghezza Monclzo, etc. Tombouctou, comme
auparavant, continuait à être dirigée par le Tombouctou-koi ou
Mondzo. On ne sait si la fonction était encore héréditaire dans la
famille de Mohammed Naddi, si Bokar qui l'exerçait vers 1587 était
de cette famille. En tout cas, à la fin du siècle, le poste était confié
à Yaya QuId Bordam d'origine targui. Le Tombouctou-mondzo était
alors nommé par l'Askia; il avait perdu toute autonomie et demeu-
rait l'agent d exécution de la politique des Askia à Tombouctou.
Il était secondé par les chefs des quartiers et des ethnies dont le
Berbouchi-mondzo, chef des Bérabiches, le Maghcharen-koÏ qui
devait être le représentant du groupe targui installé dans la ville, car
la masse des tribus «maghcharen» vivait de nomadisme dans
l'Azaouad. D'autres agents comme le Youbo-koi, commissaire au
marché, secondé de percepteurs, Je chef de la police, l'assara
modzo, le koirabanda mondzo, chef de la banlieue, constituaient
avec le Tombouctou-koï le noyau de l'administration impériale. En
réalité, J'essentiel du pouvoir était dans la main du cadi nommé par
108 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

l'Askia et indépendant du Tombouctou-koÏ. Le cadi était le juge


suprême, comme nous le verrons plus loin, gardien de l'ordre et
censeur des mœurs. Il s'opposait souvent aux agents de l'adminis-
tration impériale et, grâce à l'influence dont il jouissait auprès de
l'Askia, il était toujours écouté et respecté.
Le port de Kabara dont la vie était inséparable de celle de Tom-
bouctou, avait une direction indépendante confiée au Kabara-farma
nommé par l'Askia. Une garnison militaire sous le commandement
du balama installée à Kabara protégeait la région de Tombouctou.

c) Pays tributaires
Les pays tributaires de Gao étaient dirigés par leurs propres
souverains. Tel était le cas des Etats haoussa, des confédérations
berbères (les Kel Antassar, les Touareg « magcharen» d'origine
sanhaja), du Mali pendant la courte domination songhay, du Macina
jusqu'au règne de Boubou Mariama vers 1583-86 et d'autres terri-
toires dans la Boucle du Niger. Le roi, investi selon les coutumes
du pays, était reconnu et confirmé par l'Askia. Quand il y avait
contestation ou conflits entre les prétendants, l'Askia intervenait
et imposait le candidat de son choix. La rébellion contre l'autorité
impériale était réprimée par une expédition militaire et le souve-
rain perdait ou la vie ou le pouvoir. Ainsi le fondoko (Roi) Boubou
Mariama du Macina fut détrôné et exilé à Gao. Le souverain tri-
butaire était soumis au pouvoir de l'Askia. Il devait payer des
« coutumes» périodiques, fournir des guerriers chaque fois qu'une
expédition était organisée dans sa région. Il semble, d'après Léon
l'Africajn Il, que l'Askia avait son représentant auprès du souverain
tributaire. Des liens de mariage se nouaient souvent entre les prin-
ces ou les princesses de Gao avec les familles royales tributaires.
Des cadeaux et des visites périodiques étaient échangés entre eux.
C'était là une manière de rendre acceptable et moins pesante la
domination de Gao. Directe ou indirecte l'administration songhay
parvint ainsi à encadrer les populations et à assurer la sécurité
nécessaire aux personnes et aux biens.

8 - L'Armée.
Kâti écrivait: « Les grands du Songhay étaient versés dans l'art
de la guerre. Ils étaient très braves, très audacieux et très experts
dans les ruses de la guerre 12.» Effectivement, l'Empire songhay
fut moins le résultat d'aIJiances ou de fédérations de royaumes que
de conquêtes. Les guerres, d'abord défensives contre les Man-
dingue et les Mossi de l'Est au XIve siècle, devinrent offensives et
impérialistes avec Sonni Ma Daou, Souleiman Daman et surtout
Sonni Ali Ber qui conquit toute la Boucle du Niger. L'Askia

Il. Léon l'Africain (J.), Description de l'Afrique, 1956, T. I, p. 477.


12. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 146.
TOMBOUCTOU E'T L'EMPIRE SONGHA y 109

Mohammed hérita donc d'une tradition guerrière et militaire. L'ar-


mée songhay se perfectionna au fur et à mesure des conquêtes et le
royaume de Gao devint la plus redoutable puissance militaire du
Soudan occidental.
Les Tarikhs ne sont pas d'accord sur les effectifs de l'armée son-
ghay. Au xve siècle, sous Sonni Ali, l'armée fut considérable. Sonni
Ali enrôlait les guerriers de toutes les provinces, les prisonniers
faits sur l'ennemi et obligeait ses alliés à lui fournir des contin-
gents. L'armée se transforma sous les Askia par deux réformes
capitales. L'Askia Mohammed établit un noyau permanent de
3 000 guerriers résidant auprès de lui à Gao et constituant son
armée personnelle. Le noyau était sa garde personnelle, la Sounna
dont les guerriers richement vêtus et bien nourris étaient d'une
fidélité inconditionnelle. Askia Mohammed II Benkan augmenta ces
effectifs de 1 700 guerriers. Ainsi l'empereur disposait dans sa capi-
tale d'une troupe régulière et permanente de près de 5000 hommes,
force essentielle du trône. L'Askia était maître de ces soldats.
II pouvait marier leurs filles et, à leur mort, prenait leur héritage.
L'autre partie de l'armée impériale était dispersée dans les pro-
vinces sous la direction des gouverneurs. La plus importante était
celle du Kourmina qui avait pour charge de défendre la région de
l'Ouest. Elle était dirigée par le Kourmina Fari et comprenait
6000 hommes environ. Les Kourmina Fari devenaient de fait des
rivaux dangereux pour les Askia et nous avons déjà vu qu'à plu-
sieurs reprises, ils ont contesté le pouvoir de Gao et mis en péril
l'unité de l'empire. La deuxième armée, celle du Dendi, était moins
importante. Il y avait également l'armée du Balama dépendante
du Kourmina Fari stationnée dans la région de Kabara près de
Tombouctou, celles des autres provinces sous la direction de leurs
gouverneurs, chefs civils et militaires à la fois.
L'armée étajt rarement rassemblée dans sa totalité. En 1591,
à l'arrivée des Marocains, l'occasion fut donnée de réunir toutes
les forces armées songhay pour combattre l'ennemi à Tondibi. Les
auteurs ne sont pas d'accord sur les effectifs ainsi rassemblés: Es
Sacdi les évaluait à 12 000 cavaliers et 30000 fantassins, et l'auteur
du Tarikh el-Fettach à 18000 cavaliers et 9700 fantassins. De ces
chiffres, ce qui est certain est que les effectifs de l'armée songhay
devaient atteindre près de 10000 cavaliers; les hommes à pied
dépassaient cet effectif du double ou du triple.
L'armée traditionnelle comprenait l'infanterie, la cavalerie et la
flottille. L'empire possédait des zones favorables à l'élevage des
chevaux. Le Bagana, le Ouagadou, le Delta central du Niger et le
Dendi, procuraient à l'Askia les meilleurs chevaux du Soudan. La
cavalerie donna à l'armée des Askia une grande mobilité et facilita
la conquête de régions lointaines. L'empereur disposait également
d'une flottille importante pour le transport des troupes et des
bagages. En 1591, il avait à Gao près de 2000 pirogues, sans comp-
ter celles des princes et des particuliers qu'il pouvait réquisitionner
en cas de nécessité. Cette flotille naviguait sur le Niger, de Gao
jusqu'au Macina avec deux grands ports d'attache, Gao et Kabara
(Tombouctou).
110 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Quant à l'armement traditionnel, il n'avait pas changé: c'était


l'arc avec les flèches, le sabre, le couteau et surtout la lance. Cer-
tains guerriers portaient des bâtons. Le cavalier était armé de
sabre et de lance. Pour se protéger, les guerriers utilisaient le
bouclier en cuir ou en métal et, chose étonnante dans ce pays d'ex-
cessive chaleur, certains portaient des cuirasses métalliques sous
leurs tuniques 13. L'armée avait sa fanfare constituée de longues
trompettes, appelées kakaki, et de tambours. Il n'y avait pas d'ar-
mes à feu. Le Maroc qui était en relation avec les Songhay connais-
sait depuis longtemps les mousquets et les canons mais nous
n'avons aucune mention que cette arme ait été importée au Songhay
avant l'expédition de Djouder en 1591.
D'après les Tarikhs, l'armée était dirigée par des chefs hiérarchi-
sés, dont les plus grands étaient le Kourmina fari, le Dendi fari, le
Hi-koÏ, chef de la flottille, le Balama. La hiérarchie était scrupuleu-
sement respectée. A ce propos, le Tarikh es-Soudan relate une scène
bien significative. L'Askia Ishaq 1er qui voulait se débarrasser du
Hi-koÏ Bokar Ali lui intima l'ordre, au cours d'une marche de
l'armée, de suivre le Hombori-koÏ de rang inférieur. Le Hi-koÏ refusa
d'obéir protestant que le Hi-koÏ ne pouvait se mettre derrière le
Hombori-koÏ selon la hiérarchie du commandement 14. L'Askia dut
destituer le Hi-koi pour qu'en simple particulier, il suive le Hom-
bori-koÏ.
Nous ignorons l'organisation des services d'intendance. Nous
savons que l'approvisionnement de l'armée de Kourmina en 1587,
lors de la rébellion de Balama Es Sadeq, fut assurée par près de
300 bœufs et que beaucoup de grains avaient été rassemblés par le
balama à Kabara. Il est possible donc que chaque fois qu'une
armée était en campagne, elle fût à la charge du gouverneur qui
lui procurait la nourriture et les moyens de transport. Quant aux
armes, le guerrier se les procurait lui-même. L'armée permanente
de la capitale faisait exception. C'était l'Askia qui pourvoyait à l'ar-
mement du soldat et qui héritait de lui à sa mort. Les tribus ser-
viles de forgerons, dont les Diam Téné, les Diam Ouali, les Soro-
banna, et les Samatséko, étaient chargées de fournir à l'Askia
100 lances et 100 flèches par famille. Or, ces tribus étaient nom-
breuses. D'autre part, dans les provinces et dans les centres impor-
tants, les forgerons travaillaient également pour l'Askia. Certaines
armes étaient achetées aux marchands étrangers. Léon l'Africain
mentionne l'achat par l'Askia aux marchands venus d'Afrique du
Nord de chevaux et d'armes te]les que des sabres et des lances.
La cavalerie réunissait une élite; le cheval coûtait cher et seuls
les hommes fortunés pouvaient se le procurer. L'Askia donnait des
chevaux ou des armes à sa garde (la Saunna) et à ceux qu'il vou-
lait récompenser.
L'armée en campagne était accompagnée d'ouvriers, de forge-
rons, de tailleurs, de cordonniers, etc. Nous avons vu la mobilisa-
tion de tous ces gens au moment de la rébellion d'Es Sadeq en

13. Tarikh es-Soudan, p. 199.


14. Idem, p. 159.
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 111

1587. L'armée était suivie également d'animaux de trait et d'escla-


ves qui transportaient les bagages et les vivres. Les chefs de guerre
faisaient campagne en compagnie de leurs femmes, de leurs enfants
et de leurs concubines. Des marchands suivaient les troupes ven-
dant aux soldats ou achetant une partie du butin fait sur l'ennemi.
La guerre devenait ainsi une entreprise économique.
Les Songhay allaient en guerre chaque année après la saison des
pluies. L'Askia dirigeait lui-même l'expédition ou bien la confiait à
un dignitaire qui n'était pas nécessairement le Balama ou un grand
chef militaire. L'objectif était le butin ou la pacification. Ces expé-
ditions, généralement menées contre le Mali et les païens, c'est-à-
dire les Mossi, le Borgou, les habitants des rnontagnes de Hombori,
procuraient à l'Askia de nombreux esclaves.
L'armée suivait un certain ordre de marche: A l'avant était
}'Askia, puis venaient l'armée du Kourmina, celle de Dendi et ainsi
de suite jusqu'aux chefs de second ordre. Des éclaireurs rensei-
gnaient sur le mouvement de l'ennemi. Au combat, l'armée se
déployait en ailes gauche et droite de part et d'autre du Roi ou de
son représentant. La rencontre commençait par le tir et se termi-
nait par la mêlée. La plupart des cités étant puissamment fortifiées,
la guerre languissait en longs sièges. Le cas de Djenné assiégé pen-
dant près de sept ans par Sonni Ali est devenu légendaire. La garde
de l'empereur, la Sounna, composée de 90 guerriers n'avait pas le
droit de fuir. Ainsi, lors de la rencontre de Tondibi (1591) avec les
Marocains, le roi fuit sans sa garde qui fut massacrée par l'ennemi.
Les royaumes tributaires et alliés devaient participer aux cam-
pagnes des Askia. Le « Maghcharen » koi et le roi des Kel Antas-
sars, par exemple, devaient fournir chacun plusieurs milliers de
guerriers quand l'Askia faisait campagne dans leurs zones. Ainsi
Ishaq Itlr, pour montrer sa puissance au Sultan du Maroc, envoya
2 000 Touareg montés ravager la région du Draa dans le Sud Maro..
cain. Les alliés tributaires avaient la charge de leurs armées diri-
gées par leurs propres chefs. On ne sait quelle était leur part du
butin mais il semble que l'Askia ne leur concédait que ce qu'il vou-
lait; d'où le conflit de l'Askia Mohammed 1er avec son allié, le Roi
du Kebbi, qui réclamait le partage du butin après leur commune
victoire en 1515 sur la ville d'Agadès.

C - Les ressources et les dépenses de l'Askia.

D'après les Tarikhs, l'Askia de Gao disposait de ressources


considérables qu'on ne peut malheureusement pas chiffrer avec
précision, mais dont on peut se faire une idée à partir de certains
faits. Lors de son pèlerinage en 1496-1497, Askia Mohammed 1er
partit avec 300 000 mitsqal d'or avec lesquels il fit des dons en
Terre Sainte et construisit même une maison pour les pèlerins
soudanais à La Mecque. Cette somme était une partie du trésor de
Sonni Ali. A la fin du XVIesiècle, après son échec devant l'armée
de Djouder, Askia Ishaq II chercha à négocier avec le Sultan du
112 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Maroc et lui promit un tribut de 100 000 pièces d'or et 1 000 escla-
ves. D'autres faits comme les donations de l'Askia Mohammed 1er
faux ulémas sont indicatifs. L'Askia Mohammed donna par exemple
au shérif Es Seqli une somme colossale de 100 000 dinars, 2200
esclaves et 100 chameaux.
10 - Les Ressources
Ainsi, il est possible d'esquisser un tableau des ressources aux
origines et à la nature bien diverses:
Il y avait d'abord le butin de guerre. Tous les Askia eurent leurs
guerres qui avaient pour but ]a recherche du butin, source essen-
tielle du trésor impérial. Les exemples abondent dans l'histoire
songhay. Askia Mohammed imposa un tribut de 100 000 dinars
d'or au sultan d'Agadès lors de sa campagne dans l'Air. Les Mansa
du Mali furent rançonnés de la même façon par Askia Ishaq 1er
et l'Askia Daoud.
La guerre procurait surtout des captifs. Au xve siècle, les expé-
ditions au Mali des Sonni Madaou et Souleymane Dama rappor-
tèrent 24 tribus serviles appartenant au Mansa mandingue. Sous
l'Askia Mohammed, Amar Komdiâgo enleva à la ville de Dia, dans
le Macina, 500 maçons en plus des autres prisonniers qui furent
acheminés vers la Boucle. Vers la fin du XVIesiècle, Askia Moham-
med II fit une expédition dans le Ouagadou et en rapporta tant
de prisonniers que le prix de l'esclave baissa à Gao et à Tom-
bouctou. L'Askia était ainsi le plus riche propriétaire de captifs de
l'empire. Il en avait à Gao et dans toute la Boucle du Niger.
L'Askia Mohammed distribua à ses amis ulémas de nombreux
villages de culture peuplés de captifs. Les plus belles femmes, les
plus belles filles allaient peupler les palais des Askia et des princes.
Es Sacdi nous apprend que son arrière-grand-mère était une cap-
tive que Sonni Ali avait donnée à son aïeuL
De nombreux impôts frappaient les sujets de l'Askia. Il y avait
la zakat, d'origine islamique. Askia Mohammed 1er écrivit à El
Maghili pour demander s'il avait le droit de le percevoir: « Dieu
m'a confié ce pays: la terre couverte par l'eau. Avant moi, les habi-
tants ne connaissaient que l'injustice et le passe-droit. Ils n'avaient
jamais été invités à croire en Dieu et en Son Envoyé. Quand, grâce
à la faveur de Dieu, ils furent placés sous mon autorité, je leur fis
embrasser la religion musulmane. Un grand nombre se convertit
par peur du sabre, Dieu merci. Maintenant ils disposent de nom-
breux champs et d'un fleuve immense et productif. Je voudrais
savoir si j'ai le droit de leur réclamer sur ces terres les tributs
que prélevait Sunu'Ali, par injustice à leur égard, et s'il m'est
permis d'y installer un savant digne de confiance qui y assumera
les fonctions de percepteur de zakat sur le bétail et sur les récoltes,
et qui, se fondant sur son effort personnel en matière de législa-
tion, distribuera la zakat, une fois perçue, aux ayant droit, à savoir
les huit types d'hommes. » El Maghili répondit: « Pour ce qui est
de l'aumône légale, les gens ont le devoir de les remettre à l'Imam
ou à ses agents tant que ces derniers en feront la distribution aux
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 113

ayant-droit mentionnés dans le Coran (chapitre IX, 61). Ceux qui


refuseront de les remettre à l'Imam seront contraints à le faire et
l'on ne devra pas hésiter à les tuer si jamais ce refus occasionne un
affrontement. A l'unanimité, les jurisconsultes exigent le prélève-
ment de l'aumône légale. Ils ont même prévu l'échelle des peines
applicables aux réfractaires. Toutefois il sera laissé à l'Imam le
soin d'apprécier la mesure adéquate. Un imam, qui veille sans pas-
sion aux intérêts des Musulmans, ne doit pas hésiter à prendre
les mesures qui font respecter les commandements de la religion,
tant pour écarter le mal que pour attirer le bien. D'ailleurs, la
charge d'un imam et ses semblables ne consiste qu'en cela 15. »
Cette zakat était donc prélevée sur tous les sujets musulmans de
l'empire. Les règles de distribution ne furent longtemps pas
observées et les Askia durent accaparer une partie considérable de
ces biens destinés à la communauté musulmane.
Du reste, tous les sujets de l'Askia, musulmans ou non payaient
des impôts sur leurs récoltes et leur bétail. Les Tarikhs donnent les
cas de certains artisans et captifs de l'Askia qui payaient des rede-
vances en nature proportionnellement à leur avoir. Ce régime
devait être général et les impôts en nature étaient collectés par les
chefs des provinces aidés de leurs collecteurs.
La taxe sur les affaires était une ressource importante: elle était
perçue sur les marchandises importées ou exportées dans les gran-
des villes frontalières par des agents spécialisés. A Teghazza, par
exemple, le Teghazza Mondzo avait la charge de prélever les impôts
sur le sel; à Kabara, un percepteur recevait des taxes sur les pro-
duits transportés par les pirogues à l'importation comme à l'expor-
tation. Dans toutes les villes, dans tous les marchés on trouvait
les percepteurs de l'Askia.
La fraude, très répandue, était sévèrement réprimée par les
amendes. De même l'Askia, dans son propre Conseil, imposait sou-
vent des amendes à se~ ennemis ou confisquait leurs biens. Il sem-
ble, d'autre part, que les biens des étrangers morts sans héritiers,
passaient au trésor de l'Askia. Il en étaIt de même des serviteurs
'de l'Askia. Nous avons le cas, bien connu, de Diango Moussa Sagan-
saro, un serviteur de l'Askia dans le Dendi (on ne sait rien de ses
attributions) mort sans héritiers. Il laissa des biens considérables:
500 esclaves, 1 500 sounou de grains (75 tonnes environ), 7 trou-
peaux de bœufs, 30 troupeaux de moutons, 15 chevaux, dont 7 bons
coursiers, sans compter les habits, les armes, et 30 bolo (gourdes)
remplies de lances. Ce cas ne devait pas être unique.
Les revenus des domaines impériaux constituaient des ressources
sûres et périodiques. L'Askia avait des villages de culture qui
envoyaient chaque année à Gao leurs redevances. Au temps d'Askia
Daoud, nous savons qu'un de ses fanfa (régisseur du domaine) au
Dendi, Missakoulallah, envoyait chaque année 1 000 sounou de
grains (50 tonnes environ) provenant d'un village de culture et
ce cas n'était pas unique.
L'Askia possédait également des troupeaux de bœufs, de mou-

15. Un aperçu sur l'Islam songhay, B. IFAN, 1972, p. 258-259.


114 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

tons, de chameaux. On ne sait ~'il participait au grand commerce


transsaharien mais il est bien possible que ses animaux étaient
loués aux transporteurs bérabiches ou autres marchands.
Des dons venaient des grands dignitaires de l'Empire, avant
ou après leur investiture. D'autre part, les marchands établis dans
l'Empire, tant à Gao qu'à Tombouctou et Djenné, faisaient des
cadeaux périodiques à l'Askia qui, souvent même, leur en récla-
mait. Dans le diplôme que l'Askia Mohammed 1er délivra aux
descendants du grand marabout Mori Haougaro, il les exempta de
toutes contributions d'Etat et même du droit d'hospitalité. Il sem-
ble en effet que lors des voyages des Askia (et ils voyageaient
beaucoup) des droits d'hospitalité étaient exigés dans tous les
centres où ils séjournaient. Les cadeaux étaient des droits déguisés
qui devenaient obligatoires quand ils n'étaient pas donnés libre-
ment.
L'Askia était donc un souverain fortuné disposant des moyens
matériels importants pour imposer sa volonté et accroître ses res-
sources.

2° - Les dépenses de l'Askia.


L'Askia était riche mais il ne dépensait pas utilement ses revenus
pour le bien-être de son empire. La notion, que l'Etat a mission
d'assurer le développement économique et social, était inconnue à
cette époque. Nous voyons, à travers les Tarikhs, qu'une partie
seulement des ressources impériales était employée au bien public.
Elles allaient surtout aux dépenses pour l'équipement et l'entre-
tien de l'armée impériale. L'Askia contribuait quelquefois à la
construction des mosquées. A Tombouctou, l'Askia Daoud envoya
pour la restauration de la Jingereber 4 000 poutres et une somme
importante. Il devait en être ainsi pour les autres villes. En dehors
de ces dépenses d'utilité publique, les Askia dépensaient pour leur
prestige personnel, pour le rayonnement de leur cour. Ils don-
naient continuellement aux marabouts et aux ulémas des sommes
colossales, des milliers d'esclaves, des villages de culture. L'Askia
entretenait ses courtisans par des donations périodiques et l'octroi
des postes politiques. En effet, dans la mentalité de ces temps, la
gloire d'un roi se mesurait à sa capacité de donner.
D'autres dépenses concernaient l'étranger. II y eut des relations
étroites entre les Askia et les sultans du Maroc. Ils échangeaient
des ambassades et des cadeaux tant en esclaves qu'en tissus et
en pièces d'or.
L'entretien des pauvres était financé théoriquement par la zakat
perçue par l'Askia qui avait le devoir de nourrir les pauvres de la
communauté musulmane. A Tombouctou par exemple sur laquelle
nous sommes mieux renseignés, l'Askia faisait entretenir par des
captifs un jardin destiné à la nourriture des pauvres et il envoyait
périodiquement des grains au cadi de la ville pour être distribués
aux nécessiteux.
Comme on le voit, les dépenses du trésor public ne condui-
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 115

saient pas au développement du pays. Les Askia ne construisirent


même pas de beaux palais et n'effectuèrent pas de grands travaux
dignes de leur puissance.

D . Organisation de la justice

L'étude de la justice met en relief l'influence profonde de l'Islam


sur la civilisation nigérienne. On voit, à travers les Tarikhs, que
presque toutes les villes de quelque importance avaient une juri-
diction musulmane qui, certes, n'était pas exclusive. Nombreuses
étaient les populations qui vivaient sous le régime de la coutume
locale. II y a donc lieu de discerner les deux juridictions qui coexis-
taient en se juxtaposant souvent.

10 - La justice n1usulmane.
La justice musulmane est un droit régalien. L'émir, investi du
droit de rendre la justice, en confiait l'exercice au cadi, homme
compétent par sa science et son équité. Les Askia de Gao ayant
trouvé cette tradition l'ont respectée. Askia Mohammed, dans son
effort de répandre l'Islam en luttant contre certaines coutumes se
servit de la juridiction musulmane de rite malékite, pour imposer
les valeurs musulmanes. II fut aidé dans cette action par des doc-
teurs malékites, étrangers comme AI Maghili du Touat, Es Soyouti
du Caire, mais surtout par la pléiade de jurisconsultes formés à
l'Université de Tombouctou qui fournit les agents de l'expansion
islamique et diffusa le droit malékite, base des juridictions musul-
manes du Soudan occidental. Dès son avènement, l'Askia nomma
des cadis dans les villes qui n'en avaient alors pas, leur donna des
pouvoirs étendus, les rendit libres des administrations locales et
les combla d'honneurs.
Le cadi est le symbole même de l'islamisation. La fonction était
redoutée et les candidats au poste étaient rares. Les bons musul-
mans de ces temps considéraient la justice comme un des attributs
d'Allah d'où la crainte d'en être indigne. L'Askia fut parfois amené
à user de la force pour nommer des officiels. Ainsi, à la mort du
cadi de Djenné en 1539-1540 l'Askia Ishaq let" envoya un commis-
saire extraordinaire pour nommer de force le grand érudit Mah-
moud Baghayogo, père du célèbre professeur de Tombouctou. Ecou-
tons Kâti : « A l'arrivée de l'envoyé [de l'Askia], le chef de Djenné
et ses subalternes rassemblèrent tous les habitants de la ville ainsi
que les jurisconsultes qui s'y trouvaient et convoquèrent Mahmoud
Baghayogo qui ignorait ce dont il s'agissait. On se saisit de sa
personne et, en le maintenant de force, on lui passa sur les épaules
les deux boubous que l'Askia avait envoyés pour lui et on le ceignit
d'un turban, tandis qu'il se lamentait et versait des larmes comme
un enfant. On l'investit malgré lui et on lui donna lecture de la
lettre de l'Askia. Puis comme l'ordonnait celui-ci, on lui amena un
116 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

r
cheval et on l'y fit monter] pour le transporter à la maison 16. »
Ce cas n'était pas unique. Sous le règne d'Askia Daoud, les deux
frères Baghayogo, fils de Mahmoud, se réfugièrent à la mosquée
pendant plusieurs jours pour échapper à la nomination forcée aux
fonctions de cadi de Djenné.
Les Tarikhs nous donnent de nombreux renseignements sur les
cadis de Tombouctou. Le poste fut détenu pendant tout le XVIe
siècle par la grande famille des Aqît, les maîtres de la Sankoré. Les
deux grands imams de la mosquée, Mahmoud et son fils El Aqîb,
furent aussi les deux plus célèbres cadis du XVIesiècle. Il semble
que les Aqît tirèrent leur pouvoir et leur prestige de la fonction de
cadi qui faisait d'eux les maîtres incontestés de la ville. Le cadi était
en effet le premier magistrat de la cité. Aujourd'hui encore, le juge
de Paix jouit de cette tradition et il est entouré d'un grand respect.
Les Tarikhs sont d'accord sur la liste des cadis du XVIe siècle.
A la mort du cadi Habib en 1498, Askia Mohammed 1er le fit
remplacer par Mahmoud ben Omar Aqît qui régna véritablement
sur la cité jusqu'à sa mort en 1548. Le cadi Mahmoud, considéré
aujourd'hui comme un des patrons de la cité, était un juriscon-
sulte compétent qui contribua largement à l'épanouissement intel-
lectuel et religieux de Tombouctou. Il réforma la justice par la
répression des abus, la corruption dans les tribunaux. Il enseigna
le droit et diffusa le précis de Sidi Khelil qui devint le manuel des
jurisconsultes de Tombouctou. Imam de la Sankoré et cadi, il était
aussi l'ami de l'Askia Mohammed 1er qui sembla lui abandonner
l'administration de la ville. Ses fils lui succédèrent pendant le reste
du siècle: Mohammed (1548-1565), El Aqîb (1565-1583), Abou Hafs
Omar (1585-1592). Le pJus célèbre d'entre eux fut El Aqîb, un malé-
kite intransigeant et un puriste intolérant. Il assura la justice avec
fermeté et ne tolérait pas la moindre faute. Il aurait même, selon
le Tarikh el-Fettach, condamné à mort un muezzin qui refusait de
prononcer correctement les formules d'appel à la prière. Après
son pèlerinage en Terre Sainte où il obtint de nombreux diplômes
d'enseignement de droit malékite} il procéda à la restauration des
mosquées de la ville, la Sankoré, le Jingereber. Il reconstruisit
même totalement la Sankoré dont il était l'Imam. Une crise de
succession s'ouvrit à sa mort en 1583. Pour des raisons relatées
plus haut, Abou Hafs Omar, frère d'El Aqîb ne fut nommé par
!'Askia El Hadj qu'en 1585. Il fut le dernier cadi de la cité libre.
Son arrestation et son exil au Maroc en 1592 par les Marocains
marquèrent la fin de la dynastie des Aqît mais aussi du pouvoir
civil à Tombouctou.
Le cadi était secondé dans sa tâche par de nombreux auxiliaires:
les jurisconsultes, les mufti, assistaient aux audiences et avaient
droit à la parole, l'huissier, le secrétaire qui rédigeait les actes
judiciaires, les notaires chargés des inventaires et de la validation
des actes de tous genres. Les sentences étaient aussitôt exécutées
par l'assara moundio, le chef de la Police. Le cadi prononçait le
plus souvent des peines de bastonnades, d'amendes ou d'empri-

16. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 168-169.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONOHA y 117

sonnement. Les actes de vol, les crimes étaient bien rares dans
cette ville où les mœurs étaient raffinées et où le port d'armes était
presque interdit. Les affaires courantes concernaient les héritages,
les différends entre marchands, les problèmes d'ordre social. C'était
le cadi qui enregistrait les reconnaissances de dettes, les contrats
de vente et d'achat, les actes d'affranchissement des esclaves 1'1,etc.,
il procédait à la répartition des héritages, validait les donations.
II était le chef de la religion et sa signature était nécessaire pour
toute validation. Le cadi assumait d'autres fonctions civiles. Il était
le premier magistrat de la ville, gardien de la liberté des hommes
et de la cité. C'est ainsi que le grand cadi Mahmoud invectiva le
Kourmina fari Ali Kochya et lui reprocha de vendre des hommes
libres. De même, le cadi intervenait dans les crises de succession
de Gao soit pour réconcilier les frères ennemis soit pour plaider en
faveur du plus faible. Maître de la ville de Tombouctou, il surveil-
lait les pratiques religieuses, sévissait contre les mauvaises mœurs,
confirmait la nomination des imams des mosquées.
Outre le cadi de la ville, certains quartiers ou certains carrés
habités par des groupes ethniques donnés avaient des cadis char-
gés de juger les affaires du groupe ou du quartier. Leur procédure
était plutôt un arrangement entre membres du groupe qu'une
véritable justice avec décision exécutoire. On pouvait toujours
s'adresser au cadi de la ville dont la justice était souveraine.
Le cadi tirait des revenus importants de sa fonction. Il était ùn
des personnages les plus riches de la cité, non seulement par ses
affaires personnelJes gérées par ses talibés et ses esclaves, mais
aussi par les recettes tirées de la fonction. En principe, la justice
était gratuite; c'était un devoir de piété de réconcilier les Musul-
mans. En pratique, le cadi percevait des droits d'enregistrement
et certaines amendes lui servaient de rémunération. La corruption
étant réprimée, il est pourtant difficile de dire la signification des
cadeaux que recevait le grand maître religieux qui était en même
temps cadi!

2° - Justicecoutumière.
Quant à la justice couttlrnière, non musulmane, elle était de pra-
tique générale chez les populations soudanaises. On la trouve aussi
dans les villes et à la Cour de Gao pour les affaires qui ne tombaient
pas sous la compétence des cadis. L'islamisation des Songhay
n'étant pas pleinement réalisée, des régions entières, surtout celles
de l'Est et du Sud, vivaient sous le régime de leurs coutumes, et
la justice était rendue par les chefs traditionnels assistés des
anciens du village ou de la province. Il en était ainsi de Djenné,
pourtant islamisée, jusqu'à l'avènement d'Askia Mohammed 1er qui
nomma le premier cadi. Les coutumes variaient d'un peuple à
l'autre et réglementaient la vie sociale et l'éthique du groupe.

17. Nous avons collecté à Tombouctou certains de ces actes datant de la première
moitié du XIxe siècle. Ils ne sont que la continuation d'une tradition remontant au-delà
de œtte période.
118 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

A Gao, le Conseil de l'Askia jouissait d'un pouvoir judiciaire


souverain. Il siégeait pour les affaires politiques, pour juger les
grands dignitaires de l'Etat, les complots et les hautes trahisons.
La décision appartenait à l'Askia dont la volonté souveraine était
respectée. Les peines étaient généralement sévères: noyade, bas-
tonnades à mort, emprisonnement perpétuel. Vers la fin du siècle,
Askia Ishaq II institua un tribunal des mœurs à Gao pour juger
des affaires d'adultère. Le juge avait un tambour de souveraineté
devant lequel se tenait le tribunal; les sentences prononcées étaient
immédiatement exécutoires. Il devait exister d'autres tribunaux
mais les Tarikhs ne les mentionnent pas. De toutes façons, malgré
les lacunes de la documentation, l'on voit que des dispositions
juridiques étaient en place pour assurer l'ordre.
L'Etat songhay était ainsi une réalité vivante. Il était assez struc-
turé, possédait des moyens de subsister, de contraindre et d'assu-
rer une certaine sécurité aux populations qu'il encadrait. Ainsi, il
réalisa les conditions favorables à un développement économique,
intellectuel et religieux.
TROISIEME PARTIE

La vie économique
au XVIe siècle
L'étude de la vie économique de Tombouctou et de l'Empire
songhay au XVIesiècle est une entreprise difficile à cause de l'insuf-
fisance de la documentation. Les principaux travaux, en effet, sur
l'Empire concernaient jusqu'à présent l'évolution politique. C'est
dans les Tarikhs qu'il faut glaner les quelques rares renseigne-
ments sur l'activité économique et, autant que possible, chercher
dans les sources extérieures, marocaines et portugaises, d'autres
éléments d'information. On peut également tenter, à partir de
l'économie de la période plus proche de nous, malgré la décadence
de la région, de reconstituer le passé dans ses éléments essentiels.
Comme aujourd'hui, l'économie nigérienne au XVIe siècle était
conditionnée par la géographie. L'Empire songhay, dans sa partie
ce11trale, était situé dans la zone soudano-sahélienne peu favorisée
par le climat. C'est la région des chaleurs torrides, des pluies insuf-
fisantes et irrégulières, des sols pauvres et infertiles. Vers le sud
de la boucle du Niger, la nature se fait plus clémente et la pluvio-
sité s'accroît de plus en plus vers le climat soudanais. L'agriculture
et l'élevage deviennent alors plus rentables. Le Niger, grand fleuve
nourricier, traversait l'Empire d'Ouest en Est et permettait non
seulement une importante activité agricole dans sa vallée mais
aussi les communications entre les deux grandes parties de l'Em-
pire. Région soudano-sahélienne, la vocation de la Boucle du Niger
fut avant tout commerciale. Eveillée à la vie des échanges bien
avant le XIe siècle grâce à sa situation de contact entre l'Afrique
blanche et l'Mrique noire, elle vit naître et se développer d'impor-
tantes agglomérations urbaines qui attirèrent au Soudan les hom-
mes, les produits et les valeurs du Nord du continent.
La caractéristique fondamentale de l'économie nigérienne, c'est
d'être une économie ouverte d'échanges où l'agriculture ne joua
qu'un rôle secondaire par le surplus qu'elle apportait au marché
pour la nourriture des centaines de milliers de citadins et de
Sahariens. Ce caractère apparaît dans l'analyse des différentes acti-
vités des populations nigériennes.
I.
ACflVIT£S RURALES

Nous entendons par activités rurales l'agriculture, l'élevage et


la pêche. Les conditions climatiques semblent avoir peu changé
depuis le XVIesiècle. L'agriculture était concentrée dans la vallée
du fleuve et dans les régions méridionales; elle était fondamentale-
ment orientée vers une production d'auto-consommation. Cepen-
dant une partie non négligeable du surplus était objet de com-
merce.

A - Agriculture.

L'agriculture dans l'Empire songhay était généralement défavo-


risée par les conditions climatiques. Il ne tombe que 200 mm de
pluies par an à Tombouctou, 300 mm à Gao; la pluviosité s'accroît
jusqu'à 500 et 800 mm de Djenné vers le pays du Bani. La majeure
partie des pluies tombe au mois d'août dans la Boucle du Niger;
l'hivernage ne dure qu'un ou deux mois et bien souvent il y a séche-
resse. Dans ces conditions, les cultures sont insuffisantes et irré-
gulières. Le salut vient du Niger. Chaque année, les crues du fleuve
qui commencent au mois de Décembre apportent dans toute la
vallée et dans les nombreux lacs des terres d'alluvion qui, après les
décrues, constituent des sols propices à la culture des céréales.
Il arrive souvent des inondations ausi dévastatrices que les séche-
resses dont parlent les Tarikhs. Dans le Sud-Ouest, le vaste Delta
central du Niger qui commence dans la région de Ségou et se ter-
mine à Goundam, englobant le Macina, est encore la grande région
de culture et d'élevage. C'était le grenier de l'Empire avec le Dendi,
région arrosée, céréalière. Le fleuve fut donc sans exagération la
mère nourricière de l'Empire songhay, comme elle l'est aujour-
d'}lui des pays nigériens.
124 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

Quant aux techniques agricoles employées, elles ne semblent pas


avoir évolué depuis le XVIe siècle et celles utilisées aujourd'hui
dans la Boucle du Niger étaient semblables à celles du passé.
L'agriculture soudanaise n'a pas connu de révolution par manque
d'une technique ou d'un outil capable de bouleverser tout le
système.
L'outil de base est demeuré la houe ou kaumo en songhay. II
y a certes différentes sortes de houes, petites ou grandes à manche
recourbé ou droit, à versoir étroit ou large, selon les régions et
les sols. Cette houe, adaptée au sol peu profond de la savane sou-
danaise, a un rendement limité. Le Soudan médiéval et même
précolonial n'a pas utilisé la charrue. Le terroir n'était pas, d'autre
part, aussi aménagé qu'on peut le penser. Dans la plupart des
régions, on pratiquait l'agriculture itinérante. Dans la vallée du
fleuve et autour des grands lacs, des champs étaient aménagés en
parcelles aux formes irrégulières. Sonni Ali Ber et Askia Moham-
med auraient construit des digues et des canaux le long de la vallée
du fleuve et principalement dans la région de Tombouctou pour
permettre des cultures régulières. Mais cela n'est pas très sûr. La
maîtrise de la nature était très incomplète et l'agriculture resta
conservatrice, les rendements irréguliers dépendant des conditions
naturelles.
Il faut, d'autre part, considérer les conditions sociales, c'est-à-
dire le régime de la propriété rurale. D'une manière générale, la
terre appartenait aux habitants et non au conquérant. C'est dire
que les Askia n'étaient pas les maîtres de tout le sol de leur Empire,
chaque collectivité gardant la propriété de ses terres. Dans sa
réponse à Askia Mohammed, le docteur du Touat, El Maghili, lui
recommandait de ne pas porter atteinte à la propriété et de per-
mettre à tous les Musulmans de faire paître leurs animaux sur les
terres laissées en friche dans une certaine région de la vallée du
Niger 1. On sait qu'au Macina, il y avait à côté du souverain, le
maître de la terre, descendant des anciens princes de Méma. Il
devait en être de même dans nombre des régions. La propriété
du sol était généralement le lot d'une ethnie, d'un village ou d'une
famille. Dans les Tarikhs, les seules informations sur l'agriculture
concernent les villages de culture appartenant à de grands proprié-
taires,- Ces villages étaient habités par des captifs qui travaillaient
en commun, sous la direction de leur chef, la terre, propriété indi-
vise. La propriété familiale à cette époque où la famille demeu-
rait solidement structurée était la règle courante. Les marabouts
et les princes constituaient une véritable aristocratie de grands
propriétaires terriens, rentiers de la majorité des terres fertiles.
L'aristocratie songhay sans être en effet attelée à la terre, possédait
de nombreux domaines, principalement dans la vallée du fleuve.
L'Askia était parmi eux le plus grand propriétaire de la terre. Il
disposait dans tout l'Empire, du Dendi au Delta central du Niger,
de domaines exploités par ses captifs. Le système d'exploitation
était proche du métayage. Ainsi l'Askia Daoud possédait à Abda,

1. Aperçu sur l'Islam songhay, B. IFAN, 1972, p. 251.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 125

dans le Dendi, un domaine important exploité par une communauté


servile de deux cents captifs dirigés par quatre chefs qui portaient
le titre de fanfa. Les captifs travaillaient librement, recevant cha-
que année de l'Askia des semences et des « coutumes» (sel, colas,
vêtements) et payant une redevance fixe de près de 50 tonnes de
riz l'an 2. Le fanfa en recevait une partie et envoyait le reste à
Gao dans de grandes pirogues. Les domaines exploités de la même
manière faisaient de l'Askia le plus riche propriétaire de l'Empire.
Le fameux Diango Moussa Sagansoro dont l'héritage échut à l'Askia
Daoud devait être un de ces riches fanfa impériaux. Son héritage
procura à l'Askia des biens considérables tant en animaux qu'en
grains et en armes.
L'aristocratie religieuse et politique possédait également de nom-
breux domaines. Les Tarikhs abondent en détails sur les terres que
les Askia et, principalement l'Askia Mohammed le Grand, ont don..
nées à leurs amis de Tombouctou. Ainsi tous les grands ulémas
des villes nigériennes étaient propriétaires fonciers dans la vallée
du Niger. Comme pour l'Askia, leurs terres étaient exploitées par
des captifs qui leur payaient des redevances régulières fixées par la
coutume. L'existence de la grande propriété terrienne exploitée par
des sortes de métayers captifs était donc une réalité au XVIesiècle.
Une partie de la population vivait ainsi de rentes agricoles; les sur-
plus soustraits à l'auto-consommation traditionnelle étaient desti-
nés à faire vivre l'aristocratie politique, religieuse et marchande.
L'agriculture songhay n'était donc pas en circuit fermé.
Dans la vallée du fleuve où les possibilités agricoles sont très
bonnes, il y avait les cultures d'hivernage, de juin à octobre, et celles
des décrues à partir de décembre. Les céréales, petit mil et sorgho,
constituaient la culture dominante comme dans toute la savane
soudanaise. La terre d'élection du riz était, comme de nos jours,
le delta central du Macina et la vallée du fleuve. Le riz constituait
la nourriture par excellence de l'aristocratie alors que le mil était
plutôt réservé au peuple. Le blé dur cultivé aujourd'hui dans la
région de Tombouctou-Goundam était très vraisemblablement
connu. C'est une culture de décrue dans la vallée et au bord des
lacs; il est employé pour faire du couscous et des galettes réputées
de Tombouctou et des grandes villes nigériennes. Les céréales
constituaient un élément de base du commerce nigérien surtout
dans les exportations vers les villes et les oasis sahéliennes telles
qu'Arouane, Taoudéni et d'autres.
Dans la vaJlée, on cultivait toutes les plantes existant au Soudan:
légumineuses, courges, melons, indigo, oignons, haricots, coton,
etc. Les pastèques et les melons devaient faire la réputation de
la région de Tombouctou. Il est difficile de suivre, sans un certain
doute, Léon l'Africain qui nie l'existence de jardins autour de
Tombouctou au début du XVIesiècle. Les Tarikhs en signalent dans la
Vallée non loin de la ville. Comme aujourd'hui, ils étaient arrosés
avec l'eau du Niger et ravitaillaient la ville.

2. Tarikl1 el-Fettach, 1964, p. 179-180.


126 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y

En conclusion:
L'agriculture demeura au XVIe siècle la grande activité de la
masse de la population nigérienne; elle produisait un surplus qui
alimentait le commerce, nerf moteur de l'économie de la région.
Elle était certes attardée par ses techniques traditionnelles, mais
la constitution de grands domaines, cultivés par des milliers de
captifs, permit d'importantes productions de grains et le Soudan
nigérien ignora durant le XVIesiècle les grandes famines qui, au
siècle suivant, allaient le ruiner et le dépeupler.

B - Elevage.

Malgré l'insuffisance de la documentation, on peut penser que


l'Empire songhay, presque entièrement situé dans la zone sahé-
lienne, était à cette époque une région d'élevage. Les Tarikhs nous
en donnent d'importants indices. En effet, depuis le xre siècle et
même bien avant, des nomades sanhaja descendaient périodique-
ment du Sahel vers la vallée du fleuve. Ce fut l'origine de Tom-
bouctou et probablement d'autres cités. Ce mouvement de trans-
humance a continué et continue toujours, drainant vers le Niger
de nombreux troupeaux de petit bétail et de bœufs. La vallée du
fleuve et surtout la rive droite de la Boucle du Niger ou Gourma
est, en effet, une région de pâturage et nourrit de nombreux trou-
peaux. Vers le Sud au Macina, aujourd'hui région privilégiée d'éle-
vage de la République du Mali, il y avait un peuplement important
de Peuls vivant les uns de nomadisme et les autres d'agriculture
mais élevant des troupeaux de bœufs. Certes, cet élevage était
extensif et son apport devait être faible dans Ips échanges. A l'Est
où les tribus des Touareg Tadmekket n'avaient pas encore envahi
la vallée du fleuve, on notait la présence de transhumants nomades
isolés.
L'élevage n'était pas le monopole des nomades. La plupart des
paysans soudanais avaient, comme de nos jours, quelques têtes de
bétail ou même des troupeaux qu'ils confiaient à la garde de leurs
esclaves 011 des Peuls ambulants. Certains membres de l'aristo-
cratie avaient en bétail des fortunes considérables. Dans l'héritage
de Diango Moussa Sagansoro, le Tarikh mentionnait 7 troupeaux
de bœufs dans lesquels l'Askia Daoud prit 100 vaches qu'il donna
à un chérif de la ville. Le même Tarikh relate la donation de 100
chameaux au chérif Es Seqli par le grand Askia. Ces chameaux
devaient venir la plupart de l'Ouest, de la région de Oualata
ou du Sud marocain. On peut mentionner aussi l'élevage si impor-
tant de chevaux dans la région du Macina, de Baghena, de Diahra
et probablement dans le nord du Dendi. Il assurait à l'armée
une cavalerie permanente, instrument de conquête des empereurs
songhay. D'une manière générale, l'élevage constituait une source
de bien-être pour la région, d'approvisionnement en viande, lait,
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 127

peaux pour les habitants et plus particulièrement pour les grandes


métropoles commerçantes.

C - Pêche.
La pêche est une donnée traditionnelle de l'économie nigé-
rienne 3. Dans les temps les plus reculés, les riverains du Niger ont
exploité cette ressource qui demeure aujourd'hui encore un des
éléments fondamentaux de l'économie de la république du Mali.
La pêche pratiquée avec les instruments traditionnels, filets, har-
pons, hameçons, était le monopole de certaines populations consi-
dérées comme les maîtres du fleuve. Les Sorka qui formaient une
fraction importante du peuple songhay étaient les maîtres de l'Eau.
Ils vivent exclusivement de la pêche depuis l'aube de l'histoire des
Songhay. Du Dendi, ils émigrèrent progressivement en longeant le
Niger vers le Nord et vers l'Ouest et fondèrent par-ci par-là des
colonies de pêcheurs tels que Koukia, Gao, Bamba, Saraféré. Ils
rencontrèrent alors d'autres pêcheurs d'origine différentes, les
Bozo qui détenaient le monopole de l'exploitation du Delta central.
Les autres ethnies de pêcheurs, les Da ou Do dans la Boucle du
Niger, les Gouna étaient aussi maîtres des eaux. Tous ces pêcheurs
sillonnaient le fleuve dans des pirogues de toutes dimensions et
pêchaient des poissons qui étaient fumés, séchés et vendus dans
toute la Boucle du Niger et transportés jusqu'aux oasis sahariennes
et très probablement, comme aujourd'hui, dans tout le Soudan
occidental jusque dans la région forestière. Les pêcheurs étaient
généralement castés, et considérés comme doués de pouvoirs sur-
naturels sur l'Eau. Ils exécutaient les sacrifices nécessaires aux
Génies du fleuve pour les rendre favorables aux riverains et éloi-
gner les crocodiles et autres animaux malfaisants.

3. Michal Tymowski, Le développement et la régression chez les peuples de la


Boucle du Niger à l'époque précoloniale, wydawnictwa uniw warszawskiego, 1974,
2e partie.
TI.
ACTMTES ARTISANALES

A - Généralités.

Dans le livre qu'il a écrit au début de notre siècle sur les métiers
dans la région de Tombouctou, le Père Dupuis Yacouba 1 met en
relief le rôle moteur de l'activité artisanale dans la vie économique
de la cité. Si nous nous reportons au XVIesiècle, l'époque où les
villes nigériennes étaient peuplées et prospères, la production
artisanale devait être alors plus considérable. En effet, malgré les
apparences, tout le monde travaillait et gagnait quelque pécule.
Tous les auteurs ont insisté sur l'activité commerçante des habi-
tants de Tombouctou. A juste raison, Felix Dubois prétendait que
tout le monde dans la ville était commerçant car, d'une manière ou
d'une autre, tous participaient à l'activité économique, à la satis-
faction des besoins immédiats de la grande agglomération, qui à
l'habitat, qui à l'alimentation, qui à l'habillement, qui à la cons-
truction, etc. Cette activité multiforme alimentait le petit com-
merce de détail, permettait la circulation et la distribution des
denrées, des biens, du numéraire. Les activités artisanales étaient
généralement héréditaires selon un système de castes. De nom-
breux métiers étaient pratiqués par des hommes, des femmes, ou
par les deux sexes, individuellement ou en groupes familiaux ou
professionnels. Dans des cités comme Tombouctou et Djenné des
corporations groupaient les gens de même métier. L'entreprise

1. Dupuis Yacouba, Industries et principales professions des habitants de la région


de Tombouctou. Paris, Larose, 1921.
Sans ignorer ni minimiser les dangers de la méthode par analogie, nous nous
sommes fort inspiré de l'étude méticuleuse de Dupuis Yacouba. La situation qu'il
décrit n'est certes pas celle du XVIesiècle car les conditions économiques et sociales
ont changé. Les structures cependant, telles qu'elles apparaissent à travers les Tarikhs,
resfiemblent grosso modo à celles décrites par Dupuis Yacouba.
130 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONOHA y

familiale groupant les membres d'une famille ou d'un clan était la


plus courante. Elle comprenait les ouvriers et les apprentis géné-
ralement parents. L'apprentissage était long, l'enfant apprenant
élément par élément tout le savoir-faire du père. Il devenait ouvrier
avec la circoncision et entrait dans le groupe des hommes; géné-
ralement il travaillait pour le groupe familial jusqu'à son mariage,
du moins dans la ville de Tombouctou. Les conditions de travail
telles que nous pouvons les imaginer ne semblaient pas différer
de celles qui existaient il y a encore quelques années. Le travail
avait lieu à l'atelier et durait toute la journée, du matin au soir,
avec une brève interruption à midi pour le repas commun. Les
ouvriers travaillaient généralement sur commande. Souvent, le
client apportait lui-même le matériel. Le salaire était le résultat
d'une discussion entre le patron des ouvriers et le client. II pouvait
être donné en nature ou en monnaie et le patron payait à son tour
les ouvriers. Très souvent, chef de la famille, il gardait pour lui-
même la presque totalité du salaire.

B - Différents métiers.
D'organisation corporative ou familiale, les métiers étaient nom-
breux dans la Boucle nigérienne et principalement dans les agglo-
mérations urbaines qui vont nous servir de cadre d'études.

10 - Les maçons:
Le métier de maçon était très répandu à cause même de l'im-
portance des villes architecturalement bien bâties. L'ancienneté de
cette profession remonte aux premières villes de la bordure saha-
rienne. De l'Atlantique au Niger, les villes soudano-sahéliennes,
Aoudaghost, Ghana ou Koumbi Salé, Oualata, Tekrour, Silla,
Djenné, Tombouctou, Gao, les grandes cités sahariennes telles que
Tadmekka, Takkeda, etc., témoignent d'un art architectural exis-
tant avant le XVIesiècle. Les ruines impressionnantes de Koumbi
Salé (XI-XIIIesiècles) donnent l'image d'une ville gigantesque, maçon-
née en pierres selon un style que l'on rencontre aujourd'hui encore
dans maintes cités sahéliennes. C'est dire que le Soudan Occidental
a connu une architecture très évoluée bien avant l'arrivée du
fameux Es Sahéli en 1325. Les traditions architecturales sahélien-
nes se répandirent avec le commerce vers le Sud et l'urbanisation
gagna la vallée du Sénégal et plus particulièrement celle du Niger.
Les maçons, gens de métier, architectes et artistes, inventèrent à
partir des traditions anciennes le style architectural soudanais qui
devint la caractéristique fondamentale des villes nigériennes. Au
début du XVIesiècle, l'Askia Mohammed et son frère Amar Kom-
diâgo, après la conquête du Delta central, ramenèrent près de 500
maçons de la ville de Dia, au Macina, vers la Boucle du Niger. Cer-
tains de ceux-ci construisirent de toutes pièces la ville de Ten-
dirma, capitale du Kourmina fari; d'autres furent installées à
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 131

Tombouctou où ils participèrent à la restauration de la mosquée de


Sidi Yaya et les autres furent acheminés vers Gao et les autres
villes nigériennes.
Par cet exemple, l'on voit que la diffusion du style soudanais
était chose faite au XVIesiècle dans la Boucle du Niger et peut-être
dans tout le Soudan occidental. De même, après le sac de Oualata
par les Mossi, les maçons de la ville vinrent s'installer à Tombouc-
tou dans le quartier de Biricounda qui demeura le leur jusqu'au-
jourd'hui. Ils formèrent une sorte de corporation qui peut nous
servir de modèle pour les autres villes nigériennes. Ces corporations,
véritables fraternités, comprenaient plusieurs familles sous la direc-
tion d'un chef. Le travail se faisait en groupe et sur commande.
Elles avaient le monopole de la réparation des minarets des princi-
pales mosquées de la ville. Les apprentis transportaient les bri-
ques (adhor ou pierre blanche de Tombouctou) de la mare d'Adhor,
à quelques kilomètres au Nord de la ville. Les ouvriers construi-
saient les maisons selon un style architectural approprié, le style
soudanais, que nous étudierons plus loin. La corporation avait ses
propres fêtes, ses instruments de musique et ses coutumes particu-
lières. Les membres s'entr'aidaient; ils réparaient gratuitement la
maison du chef et lui assuraient l'aide dans toutes les circonstan-
ces importantes de sa vie. Le métier n'était pas cependant casté et
ne comportait aucune initiation secrète. Il y avait dans la ville
d'autres maçons différents de ceux de Biricounda. Ils étaient orga-
nisés selon le type familial et non en corporation professionnelle.

2° - Les menuisiers-charpentiers:
Les menuisiers-charpentiers répandus dans toutes les villes nigé-
riennes travaillaient aussi bien le fer que le bois. Prenons l'exem-
ple de la famille des Jamai-Kounda 2 à Tombouctou qui assure
aujourd'hui la presque totalité de la charpenterie de la ville. Elle
fait remonter ses origines au xve siècle et prétend même se ratta-
cher à Askia Mohammed. C'est une famille castée comme tous les
travailleurs de bois et de fer. Elle travaille dans un grand atelier
sous la direction du chef de famille; elle fabrique des portes et des
fenêtres dont elle a aujourd'hui le monopole. Le matériel venait
autrefois de la région de Goundam et du Sud. Les ouvriers fabri-
quent également des clous de charpente, des barres de fer utili-
sées dans l'encadrement des portes et fenêtres. Ainsi la forge et la
menuiserie se trouvent sous le même toit.

3° - Les tailleurs et tisserands:


L'on connaît le fameux passage du Tarikh el-Fettach disant que
Tombouctou, à son apogée, avait 26 ateliers (tendé) de tailleurs
comprenant chacun 50 apprentis soit environ 1300 personnes. Ce
nombre n'était qu'un minimum puisque la couture était assurée
à l'intérieur des maisons par les femmes libres et leurs esclaves.
Le métier de tailleur était ~énéralement réservé aux lettrés, alfa,
et il est considéré aujourd hui comme un métier de paresseux.
132 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

Les tailleurs travaillent non seulement à la couture mais à la bro-


derie des habits d'homme ou de femme. Ils ne sont pas castés car
toute personne peut devenir alfa, quelle que soit son origine, à
condition de n'avoir jamais exercé un métier casté. On ne sait si les
tailleurs formaient ou non une corporation au XVIe siècle. Au
métier de tailleur se rattache celui des tisserands alors nombreux
dans toutes les villes nigériennes. Les techniques du métier ne sem-
blent pas avoir changé depuis le XVIesiècle. Les tisserands utili-
saient les fils de coton ou de laine travaillés par les femmes, et
tissaient des étoffes aux couleurs et aux dessins variés. Les coton-
nades nigériennes, fort recherchées, étaient même exportées vers
l'Afrique du Nord. Elles étaient souvent teintes à l'indigo (bleu),
en rouge, jaune, noir, vert, couleurs obtenues à partir des végétaux
ou de l'ocre selon des combinaisons que seules connaissaient les
teinturières généralement non castées.

4° - Les
forgerons:
Les travailleurs de métaux que nous appelons forgerons sont
castés et endogames ; on les appelait diam ou garassa. Comme dans
tout le Soudan Occidental, les forgerons étaient craints et on leur
attribuait un pouvoir surnaturel. Ils travaillent les métaux sous
toutes les formes: instruments aratoires, haches, couteaux, coupe-
coupe, marteaux, pointes de flèches, lances, sabres et aussi des
outils de ménage. C'était parmi eux également que se recrutaient les
bijoutiers travaillant le cuivre, l'or et l'argent. Les bijoutiers ber-
bères étaient habiles dans la fabrication des objets en bois (instru-
ments de ménage) des selles et de tout le harnachement du cavalier.
Le Tarikh mentionne cinq tribus serviles de forgerons que l'As-
kia Mohammed avait héritées de Sonni Ali et qui lui devaient cha-
que année une redevance de 100 lances par famille: ce sont les
diam Téné, les di am Ouali, les Sorobonna, les Samatséko qui
seraient descendants d'un forgeron venu de l'Ouest.

5° - Les potiers:
La poterie est toujours le monopole des femmes castées soit
épouses de forgerons soit mabé. Elles façonnaient toutes sortes de
vases, des grands canaris aux petits encensoirs. Leur poterie raffinée
de couleur généralement rouge foncé circulait dans la Boucle du
Niger. La région de Djenné était réputée pour ses vases et elle en
exporte encore par pirogues entières vers le Nord et le Sud.

6° - Les bouchers et les métiers annexes:


Les grandes villes populeuses entretenaient de nombreux bou-
chers qui pourvoyaient à l'approvisionnement en viande avec les
animaux qu'ils achetaient aux nomades. Ils faisaient aussi rôtir des
brochettes. Les bouchers non cas tés au XIXesiècle à Tombouctou,
ne devaient pas l'être aUtxxve et XVIesiècles. Leur corporation avait
à sa tête un chef respecté qui défendait les intérêts du groupe et
tranchait les conflits entre ses membres.
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 133

Les peaux des animaux abattus étaient vendues aux tanneurs,


femmes et hommes non castés qui travaillaient en relation avec
les cordonniers. Les belles babouches caractéristiques de la civili-
sation musulmane et nigérienne n'étaient pas toutes importées.
Beaucoup étaient façonnées par les cordonniers songhay ou ber-
bères. L'on ne sait pas si les cordonniers étaient castés à cette
époque, mais tout porte à croire qu'ils ne devaient pas l'être puis-
que les conquérants marocains, un siècle plus tard, choisirent ce
métier et en firent leur monopole. Les Kourounkoi dont parle le
Tarikh el-Fettach étaient une tribu servile spécialisée dans le tra-
vail du cuir. Les lanières de cuir qui servaient à lier les barres
de sel, à faire des cordes pour les seaux des puits, à fabriquer diffé-
rents objets, étaient façonnées par les tanneurs ou les cordonniers.
Quant aux selliers, ils étaient aussi bien cordonniers que forge-
rons.

7° .. Autres petits métiers urbains:


L'alimentation dans les villes nigériennes mobilisait de nombreux
petits métiers 3. On peut, à juste raison, faire remonter à cette épo-
que le pullulement des boulangères non castées qui faisaient les
galettes pour le ravitaillement des villes. Un des traits caractéris-
tiques de la Tombouctou d'aujourd'hui est l'existence de nombreux
petits fours côniques, à tous les coins de rues, entretenus par des
ménagères qui y font cuire de petits pains, des galettes plates
faites avec de la farine de blé dur. Ces pains sont utilisés dans toutes
les familles de la ville au petit déjeuner et au déjeuner. Dans cette
catégorie d'activités, il faut également mentionner les porteurs
d'eau généralement esclaves, qui vendaient à travers la ville l'eau
puisée dans le fleuve ou dans les mares, les charbonniers et les
marchands de bois, esclaves ou nomades qui ravitaillaient les villes
sahéliennes où le bois était chose rare, les lavandières payées à la
tâche, les coiffeurs généralement castés, installés dans les marchés
ou au coin des rues. Quant aux coiffeuses, elles appartenaient à
toutes les classes de la société et leur art produisait une grande
variété de modèles de coiffures de femmes songhay et berbères.
On peut prolonger cette liste en citant de nombreux métiers d'appa-
rence futile mais qui procuraient le moyen de vivre à ceux qui les
exerçaient. C'est le cas des mesureurs qui, avec des vases en bois,
mesuraient les denrées une fois le marché conclu e11tre le vendeur
et l'acheteur, des peseurs spécialisés dans le pesage des métaux
précieux, des manœuvres qui se chargeaient de lier les barres de
sel avec des lanières de cuir.
Il faut faire U11eplace à part à la vannerie, très importante dans
la vallée du Niger. Ce métier était généralement exercé par des
femmes de toutes les classes sociales. Avec des feuilles de roniers,
des tiges de plantes du Bourgou, elles tressaient toutes sortes de
nattes, d'éventails, de paniers, des sacs petits et grands, et une
grande partie du matériel domestique. On ne peut épuiser la liste
de ces activités.
134 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

On ne peut malheureusement évaluer l'importance de la produc-


tion artisanale dans le volume des échanges. Destinée surtout à la
consommation locale, elle était certes un facteur d'enrichissement
mais ne semble pas avoir été un moteur de la vie économique géné-
rale ni avoir alimenté les échanges dans une forte proportion.

2. Nous avons recueilli les traditions de cette famille à Tombouctou en 1969.


3. Dupuis Yacouba, Industries et principales professions, 1921.
ill.
LES ECHANGES

Les échanges constituaient le secteur le plus important dans


l'économie du Soudan nigérien au xv:re siècle. Ils concernaient les
grandes villes à rayonnement interrégional, dégageaient de la pro-
duction agricole un surplus et tendaient à rompre le cadre de
l'économie traditionnelle d'auto-consommation.
La Boucle du Niger, plus particulièrement la région entre Gao et
Djenné, axe économique de l'Empire songhay, connut une véritable
économie marchande fondée sur le commerce transsaharien et le
commerce soudanais. Les conditions générales de l'époque (paix
assurée par le gouvernement des Askia, unification du Soudan
occidental, installation d'une puissante monarchie au Maroc,
contrôle des pistes sahariennes), favorisèrent le développement des
échanges dont nous allons exposer les différents aspects.

10 .. Moyens de transport
L'époque n'a pas connu la roue, ni de grands moyens de commu-
nication. L'énergie animale était seule utilisée. Des centaines sinon
des milliers d'animaux de bât transportaient dans toutes les direc-
tions les produits de commerce. Le Sahara était traversé dans les
deux sens par les caravanes de chameaux dans des conditions
bien connues. Certains marchands de Tombouctou ou du Touat
possédaient des milliers de chameaux; les tribus bérabiches qui
monopolisaient le transport transsaharien à l'époque étaient aussi
de grands éleveurs de chameaux.
Quant aux ânes, ils étaient très utilisés dans le commerce sou-
danais. A Tombouctou, par exemple, une corporation d'âniers
assuraient le transport des marchandises entre la ville et le fleuve
par un va et vient continuel. Les marchands soudanais, comme
au XIXe siècle, circulaient en véritables caravanes avec des ânes
136 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

et des bœufs porteurs, sur toutes les pistes du Soudan. Les escla-
ves transportaient les produits moins lourds ou de petit volume.
Alvisse de Cada Mosto signalait au milieu du xve siècle des escla-
ves marchant en file indienne et portant sur la tête les marchan-
dises de leurs maîtres, les marchands Wangara 1. L'utilisation des
esclaves comme porteurs était courante jusqu'à une époque
récente.
Le transport fluvial demeurait très important dans la Boucle
du Niger. Une véritable flottille de pirogues circulait sur le fleuve
pendant près de dix mois, entre Djenné et Tomb'ouctou et entre
Gao et les villes haoussa. Certaines de ces pirogues étaient très
grandes et pouvaient tJ;'ansporter six tonnes de marchandises en
plus de nombreux voyageurs. Le port de Kabara était, à l'arrivée
de Léon l'Mricain au début du XVIesiècle, encombré de pirogues
de toutes dimensions appartenant les unes aux pêcheurs bozo ou
sorko les autres aux gros marchands des villes riveraines.
Ainsi, bien qu'élémentaires, les moyens de transport suffisaient
au transport des marchandises dans toutes les directions et vers
les centres importants.

2° - Voies commerciales
Il y avait deux sortes de voies commerciales: les voies trans-
sahariennes et les voies méridionales:
a) Voies transsahariennes:
Le Sahara fut depuis les temps les plus anciens traversé par
diverses voies, Nord-Sud, Est-Ouest 2. Aux XVe-XVlesiècles, il y eut
prédominance des voies aboutissant à la Boucle du Niger. En
effet les voies occidentales, mauritaniennes, avaient progressive-
ment décliné avec la ruine des empires de Ghana, du Tékour et
du Mali au profit de la voie centrale passant par Teghazza. Cette
voie centrale avait deux pôles dans l'Empire songhay, Tombouc-
tou et Gao qui devinrent le relais entre le Maghreb et le Soudan.
Tombouctou était liée à la grande région économique du Touat,
dans le Sahara, par une voie qui passait par les mines de sel de
Teghazza et dont le second tronçon aboutissait à Gao par Tad-
mekka. Le Touat était devenu, depuis le déclin de Sidjilmessa, la
grande région commerciale du Sahara et mettait ainsi en relation
les deux villes soudanaises avec les marchés importants de l'Afri-
que du Nord. Il communiquait avec le Nord par diverses voies,
dont une aboutissait au Tafilelt et au Sud Marocain, une à Tlemcen
dans l'Est Algérien, une à Touggourt, en Tunisie et une autre vers
l'Est au Fezzan 3. Aussi, le commerce soudanais concernait tout
le Sahara et le Nord du continent.
Les relations avec le Maroc furent plus importantes à cause du

1. Alvisse de Cada Mosto, Relation de l'Afrique occidentale, 189.


2. Manny R., Tableau géographique, 1961, p. 426-441.
J. Cheikh Anta Diop, Afrique noire précoloniale, 1960.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 137

voisinage et des rapports anciens entre ce pays et les souverains


soudanais.
A l'Est, l'Empire songhay était lié à l'Egypte et aux Lieux Saints
par plusieurs pistes avec pour point de départ la ville de Gao. La
plus ancienne de ces voies passait par Tadmekka, grand carrefour
saharien depuis le Haut Moyen Age, rejoignait Rhadamès et la
Côte libyenne. Un de ses tronçons passait par Rhat (Ghat) pour
aboutir en Egypte. Une voie plus orientale reliait Gao au Darfour
et à Djédda en Terre sainte. Elle connut au XVIesiècle une grande
affluence de pèlerins, d'intellectuels soudanais allant vers l'Egypte,
mais aussi de caravanes de marchands.
b) Voies méridionales:
Différentes pistes conduisaient les marchandises de l'Afrique du
Nord vers les principaux marchés du Soudan intérieur. Nous
avons mentionné la voie naturelle du Niger qui permettait les
échanges entre les régions orientales et occidentales de l'Empire,
et qui faisait de Djenné la plus grande métropole commerciale
du Soudan. Djenné jouait le même rôle que le Touat dans la diffu-
sion et la concentration de marchandises de toutes les régions.
Elle était en effet en relation directe avec les Mines d'or de Bouré
dans le Mali, avec les marchés situés sur le Niger, sur le Bani et
tout l'intérieur du pays jusqu'à la côte atlantique, jusqu'en Gam-
bie où parvint sa réputation de richesses aux navigateurs portu-
gais du Xve-XVIesiècle 4. Djenné approvisionnait également la Bou-
cle du Niger, les pays mossi par une voie qui se dirigeait vers le
nord du Ghana actuel et atteignait les pays de l'or Ashanti, le
Bitou des Tarikhs.
De l'autre côté, Gao était liée par le Niger au pays haoussa et,
au-delà, à ceux du Kanem-Bornou, du Benin et des cités yorouba.
Ainsi donc le commerce au XVIe siècle disposait d'assez de
moyens certes modestes de transport et de communication pour se
développer. II n'existait pas de vraie infrastructure routière (pas de
routes mais cependant des pistes), pas d'œuvres d'arts (pas de
ponts) et la roue n'était pas connue. L'Etat n'avait pas de pro-
gramme de travaux d'intérêt public et tout était laissé à l'initiative
des marchands eux-mêmes. Cependant l'Etat assurait la paix géné-
rale. La conquête et l'unification des pays de la savane soudanaise
permit l'expansion de plus en plus grande du commerce vers des
marchés nouveaux et l'acquisition des richesses nouvelles.

B - Les march~ands.

Le commerce à cette époque était assuré par des marchands


étrangers et soudanais. Les plus grands habitaient les villes mar-
chandes et les autres se trouvaient disséminés dans toute la savane

4. Pereira Duarte Pacheco (vers 1506-1508), De Situ orbis, 1956, p. 51-33.


138 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

souda:~aise. Selon des critères on peut les classer en plusieurs


catégories.

10 - Classification
Par leurs origines, il y avait les Arabo-berbères et les Souda-
.nais; les premiers constituaient des véritables colonies de mar-
chands spécialisés dans le grand commerce transsaharien. On peut
distinguer parmi eux plusieurs groupes: Ceux du Sahel Occidental,
en particulier les Messoufa et les Bérabiches qui' s'occupaient du
commerce et du transport du sel. Un deuxième groupe, celui des
marchands venant des grands centres sahariens tels que le Touat, le
Tafilelt, le Fezzan, etc. constituait l'élément le plus dynamique des
villes soudano-sahéliennes. Ainsi à Tombouctou, le quartier de Jin-
gereber groupait un nombre important de Touatiens marchands ou
lettrés. A la fin du siècle, lorsque Djouder arriva à Tombouctou
et qu'il voulut construire une casba, il porta son choix sur le
quartier des riches marchands de Rhadamès, au Sud-Est de la
ville.
Un troisième groupe était constitué de marchands du Maghreb
ou de l'Egypte. Ibn Battouta, en 1352, nous donne quelques indi-
ces sur l'implantation de ces marchands dans l'Empire du Mali.
Il voyagea avec une caravane de marchands jusqu'à Oualata où il
trouva des Maghrebins comme son hôte originaire de Salé. A
Dia, dans le Delta central du Niger, il mentionne une colonie de
marchands originaires du Touat ou du Maghreb. A son arrivée
dans la capitale Mandingue, il trouva une autre colonie blanche
ayant son propre quartier et qui vivait surtout de commerce. Son
hôte, un Marocain, jouissait même d'une grande influence dans
la cour du Mansa Souleymane dont il avait épousé la sœur. Ibn
Battouta mentionne également deux Egyptiens, un habitant de
Marrakech et un lettré de Tlemcen. Sur le chemin du retour, il
passa par Tombouctou où il vit le tombeau de Siradj Eddin, un
riche marchand égyptien. A Gao, il trouva un véritable quartier de
Maghrebins certainement marchands et lettrés, dont un habitant
de Mecknès et un de Taza. Ainsi, dans toutes les villes du Soudan
étaient installés des marchands et des lettrés maghrebins. Avec le
développement du commerce au XVIe siècle, ces colonies se sont
multipliées et fournirent un nombre important de marchands à
l'Empire songhay.
La deuxième catégorie des marchands est celle des Soudanais.
En effet, depuis l'Empire du Ghana, le développement économique
a donné naissance à des marchands dans les grands centres du
Soudan. Les plus anciens étaient les Wakoré ou Soninké installés
un peu partout dans l'Empire songhay et principalement dans le
Delta central du Niger, à Dia, à Djenné et à Tombouctou. Appa-
rentés à eux, les Wangara ou Mandingue que nous appelons aujol1r-
d'hui dioula, étaient au XVIesiècle des :tparchands très dynamiques
sur les marchés de l'Ouest africain. Ainsi à Tombouctou, les Wan-
gara avaient leur propre quartier, le Wangara-Counda, autour de la
mosquée de Sidi Yaya. On peut mentionner également les mar-
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 139

chands songhay mais il semble qu'ils n'aient pas eu l'importance


et le dynamisme des étrangers. Il existe aujourd'hui peu de tradi-
tions commerciales chez les Songhay. Des marchands mossi,
haoussa ou marraba venaient également trafiquer sur les marchés
nigériens pendant une bonne partie de l'année.
Les marchands soudanais ou berbères, comme nous l'avons vu,
étaient groupés dans les villes par ethnies ayant leurs -quartiers,
leurs coutumes, leur chef.
En partant du critère de la fortune, on peut aussi discerner
plusieurs catégories de marchands. Il y avait les plus riches, les
gros marchands, habitant en général les grandes villes telles que
Djenné, Tombouctou, Oualata, Gao, où ils avaient leurs sièges,
leurs magasins et leurs boutiques. Ils fondaient des succursales
dans les autres villes ou dans les marchés de moindre importance
et les approvisionnaient périodiquement par leurs propres moyens
de transport. Ils avaient un personnel important de commis
voyageurs, boutiquiers, transporteurs qui travaillaient pour eux
et étaient rétribués selon les bénéfices réalisés. Ils utilisaient la
technique des lettres de change et suivaient les fluctuations des
prix tel qu'il apparaît dans le fameux document relatif aux frères
El Maqari au XIve siècle 5. Ces gros marchands se rencontraient
aussi bien parmi les Soudanais que les Arabo-Berbères. Ils étaient
généralement marchands de sel et réalisaient des bénéfices exorbi-
tants.
Les courtiers des villes formaient une seconde catégorie. Dans
leur rôle d'hôtes et d'intermédiaires entre vendeurs et acheteurs,
ils se faisaient de gros bénéfices. C'était ainsi par courtage qu'une
grande partie de la population de Tombouctou participait au
grand commerce inter-régional. La plupart des chefs de famille
avaient des magasins, des maisons qu'ils louaient aux marchands
et servaient d'intermédiaires entre les étrangers et les acheteurs
éventuels. Très souvent ils achetaient eux-mêmes la marchandjse
qu'ils stockaient, attendant la hausse des prix pour faire de gros
bénéfices. Malfante disait que les courtiers au Touat réalisaient des
bénéfices s'élevant jusqu'à 100/1006. Ceux de Tombouctou n'en
devaient pas faire moins.
La troisième catégorie des marchands était moins riche.
C'étaient des colporteurs soudanais ambulants allant de village
en village comme aujourd'hui. Ils achetaient et vendaient un peu
de tout, depuis les barres de sel jusqu'aux menus objets de paco-
tille. Les détaillants prenaient leur relais dans les villes et les
marchés villageois. A Tombouctou, le marché local était surtout
l'affaire de ces détaillants qui vendaient des condiments, du lait,
des morceaux de sel, des dattes, des graines, etc.
Le commerce donna ainsi naissance à une classe marchande qui
était fondamentalement urbaine. En dehors des grandes villes
comme Djenné, il ne semble pas que les colporteurs et les mar-

5. Pères, H., Relations entre le Tafilelt et le Soudan à travers le Sahara au XIVe


siècle. Mélanges géographiques et orientalistes, 1937, p. 409-414.
6. De la Roncière, De la découverte de l'Afrique au Moyen Age, p. 117.
140 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

chands, disséminés à l'intérieur du Soudan au milieu des popu-


lations rurales, fussent parvenus à constituer une classe ou même
un groupe cohérent. Venus du milieu rural, les marchands souda-
nais établis dans les villes gardèrent leur structuration sociale tra-
ditionnelle. Ils ne purent donc bouleverser l'ordre social à leur
profit.

2° - Organisation
Le type courant d'organisation des marchands demeurait l'en-
treprise familiale. A Tombouctou ou à Djenné, la famille mar-
chande était dirigée par un chef qui travaillait avec ses frères, ses
fils, ses neveux, ses esclaves et ses clients. Si l'entreprise était
importante, tout ce monde était employé dans les succursales
ou dans les boutiques des quartiers, toujours sous la direction du
chef de famille auquel étaient rapportés les bénéfices qui ne fai-
saient pas l'objet de partage. Le chef de famille avait le devoir de
pourvoir chaque parent majeur d'une maison et des moyens de
vivre, et à la longue, ce dernier pouvait jouir des bénéfices qu'il
réalisait sur ses affaires.
Outre l'entreprise familiale, il y avait des tribus marchandes,
surtout parmi les berbères qui travaillaient sous la direction d'un
chef. C'était le cas des Bérabiches qui, au XVIesiècle, monopoli-
saient le transport du sel saharien. L'entreprise individuelle n'était
pas cependant ignorée et la plupart des petits marchands étran-
gers géraient leurs propres affaires, souvent secondés par leurs
esclaves otl leurs employés. L'entreprise anonyme n'existait pas.
L'on voit donc que l'entreprise familiale était l'organisation
courante des associations commerciales nigériennes. Elle était plus
adaptée à cette société soudanaise très patriarcale qu'elle consoli-
dait dans son fondement. Les marchands, par leur nombre res-
treint et surtout par ce qu'ils étaient pour la plupart des étran-
gers, restaient un élément marginal.

C - Moyens de mesure.

Les poids et les autres unités de mesure employés dans l'Empire


songhay était généralement ceux du monde musulman et sou-
danais. Ils étaient d'une grande variété selon les lieux, selon les
marchés d'une même ville et évidemment selon les époques. Mauny
a fait le point de la question et a établi la liste et l'évolution de
ces mesures '1. Nous ne retiendrons ici que l'essentiel.
Pour les mesures de poids, le mitqal était le plus usité dans les
unités de compte au Soudan. Il devait valoir 4,72 grammes environ.
Il est subdivisé en tiers, quart, dixième, etc. Sa valeur monnaie, le
dinar qui, en 1510 au temps du voyage de Léon l'Africain, valait
4,238 g, était la monnaie de compte dans les transactions commer-

7. Mauny R., Tableau géographique, 1961, p. 410 et suivantes.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 141

ciales. Le quintal « 45,333 kilogrammes» n'était pas utilisé. Le


pesage se faisait avec des bascules à deux bras et une multitude de
poids soit en métaux, soit en dénéraux, soit en grains divers.
Les mesures de capacité étaient les plus généralement employées
et suppléaient même au poids. Elles étaient d'une grande variété:
le moudd avait ses multiples et sous-multiples. Il était générale-
ment en bois et variait d'un marchand à un autre. Son contenu en
grains pèse 1,250 à 1,500 kg. A Djenné et à Tombouctou on
employait, par exemple pour le mil, le sawal qui valait 4 moudds
(3 kg environ), le sounnou que nous trouvons mentionné très fré-
quemment dans les Tarikhs valait 60 à 100 moudds environ, donc
45 à 75 kg. C'était la mesure principale aussi bien pour le poids
que pour la capacité. Le sedjeuné, sac rond en cuir contenait
environ 10 litres. Le djoto mesure des petites quantités (1/7 ou
1/8 de moudd) comme la farine, le lait. Il y avait d'autres mesures
de capacité selon la nature des produits. Ainsi pour le lait, on
employait toutes sortes de mesures, des écuelles aux petites cale-
basses. Pour les mesures de longueur on se référait en général
aux différentes parties du corps. C'est ainsi qu'on a le coudé ou
ICaZa qui valait environ 0,50 m ou 0,60 m, le doigté 0,20 m, etc.
Les Tarikhs ne font pas mention du mille arabe (1 900 - 2000 m).
Les pays nigériens ne frappèrent pas de monnaie. En dehors du
troc, ils utilisaient comme monnaie les cauris, la poudre d'or, le
cuivre, les cotonnades, etc. Le dinar était la monnaie de compte
en or, de la valeur d'un mitqal, 4,72 g. Il était le plus généralement
employé par les commerçants surtout dans les grandes affaires.
Les cauris (cyprea moneta) qui venaient des îles Maldives en
Indonésie étaient la monnaie par excellence dans tout le Soudan
occidental. Ils étaient importés jusqu'au xve siècle par les com-
merçants du monde musulman et, à partir du XVIesiècle, par les
Européens. C'était une monnaie utilisée dans les petites affaires,
sur les marchés urbains. Sa valeur a varié au cours du siècle. En
1510, le taux d'échange était de 1 dinar contre 400 cauris. Avec
le développement du commerce atlantique, vers la fin du siècle,
il y eut une baisse du taux qui fut de 1 contre 3 000.
Tous les instruments de mesure étaient rigoureusement contrô-
lés par l'autorité impériale. Dans les grands marchés, les Inspecteurs
(Youbo-Koï) avaient fonction de veiller à l'exactitude des poids
et mesures et réprimaient la fraude alors de pratique courante.
Dans sa lettre à Askia Mohammed, El Maghili lui recommandait
vivement ce contrôle car la fraude était contraire non seulement à
la bonne marche des affaires, mais aux principes même de la reli-
gion coranique.

D - Marchés et relations commerciales.

L'économie nigérienne était au XVIesiècle une économie libérale.


Les prix étaient déterminés par le jeu nature] de l'offre et de la
demande et l'Askia n'intervenait dans les transactions commer-
142 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

ciales que pour surveiller la bonne conduite du marché et juger


les différends entre marchands. Ainsi put se développer une véri-
table économie de marché depuis le Haut Moyen Age.
Comme nous l'avons dit plus haut, la Boucle nigérienne était
devenue le centre de tout le commerce soudanais. C'est là que se
tenaient les plus grands marchés dont trois attirent particulière-
ment l'attention: Djenné au sud, grande métropole commerciale
de tout le Soudan, sa jumelle Tombouctou, entrepôt sahélo-sou-
danais, monopolisant pour ainsi dire tout le commerce sahélien
et maghrebin, Gao à l'Est, capitale de l'Empereur et d'une brillante
aristocratie, mais aussi ville commerçante et débouché oriental
de tous les produits de l'Afrique du Nord et du Soudan. L'exem-
ple de Tombouctou illustre bien cette grande activité commer-
ciale. La ville était un immense marché où toute la population
vivait directement ou indirectement du commerce. Elle avait un
grand marché permanent à l'Est du quartier de Jingereber où se
rencontraient les marchands de tout le Soudan. Mais chaque
quartier avait son petit marché local et quelques rues étaient bor-
dées de boutiques et de magasins appartenant aux notables ou
aux marchands étrangers.
Diverses méthodes étaient employées dans les échanges. Par le
troc, on échangeait produit contre produit, par exemple, du sel
contre des grains. La monnaie consistait en cauris ou en poudre
d'or. Les commerçants de Tombouctou pouvaient traiter des affai-
res à Djenné ou à Gao en utilisant des lettres de change. Le crédit
était fréquemment employé et accroissait les fortunes. Le prêt à
intérêt étant interdit par l'Islam, les commerçants, par de nom-
breux détours, pratiquaient le placement des capitaux ou des
produits avec participation aux bénéfices réalisés par l'emprun-
teur.
Il existait à l'intérieur de l'Empire un important commerce
local et des échanges entre les différentes régions. Pratiquement
toutes les agglomérations avaient un marché périodique qui
rassemblait les paysans des environs et les colporteurs ambulants.
Dans ces marchés les paysans échangeaient leurs denrées et
s'achetaient les produits de première nécessité comme le sel et
des marchandises d'importation, tissus, bijoux, épices. Djenné,
Coro 8, Tenenkou, Bamba, Hombori, Tendirma, Sama et bien
d'autres agglomérations pratiquaient ce commerce qui permit de
briser les cadres de l'auto-consommation paysanne et de véhicu-
ler dans le commerce un surplus agricole.
De même, les échanges interrégionaux que les documents étran-
gers laissent dans l'ombre devaient avoir une grande importance.
On sait que les grains du Delta Central, du Dendi étaient achemi-
nés vers les villes sahéliennes. Les cotonnades de Djenné, du Mali,
des cités haoussa, les bois et les épices du Sud, la cola de la forêt,
les babouches et les produits importés de Tombouctou, de Oualata

8. De Situ orbis, p. 53. Le commentateur, R. Mauny, note 91, ne put situer ce


centre. Il rejette Korhogo et Koulikoro. Peut-on évoquer le village Koro dans le cercle
de San (Mali) pour identifier Cooro?
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 143

et de Gao, l'or, les poissons séchés et fumés du Niger, les calebasses,


la poterie de la vallée du Niger, etc., constituaient des produits
d'échanges entre les différentes régions du Soudan à toutes les
époques.
Quant aux relations extérieures, répétons-le, l'Afrique du Nord
demeurait la partenaire privilé~iée du Soudan. Les grands mar-
chés soudanais, comme nous 1avons vu, trafiquaient avec ceux
de l'Afrique du Nord par les relais sahéliens. Ainsi, dans le Draa
marocain, Tagaost recevait au xvt= siècle les marchands de Tom-
bouctou dans les foires célèbres qui duraient près de trois mois.
De même, le Touat et Rhadamès constituaient des lieux de ren-
contre des marchands soudanais et maghrebins. De là, les pro-
duits soudanais étaient ventilés dans toute l'Afrique du Nord jus-
qu'aux ports de la Méditerranée ou de l'Atlantique. Dans les ports
de Santa Cruz au Sous, de Safi, port de Marrakech, de Séta, de
Honein, de Tunis, de la côte libyenne, les marchands européens
venaient trafiquer et, indirectement, entretenaient un intéressant
commerce avec le Soudan nigérien.
Au xve siècle, prédominaient les Italiens et les Portugais. Au
XVIesiècle, les Anglais intensifièrent leur commerce avec le Maroc
et, en 1585 même, créèrent la Barbary Company et inondèrent les
marchés marocains et soudanais de draps et d'autres produits
européens 9. Ils furent rejoints au cours du siècle par les Hol-
landais et les Français dans la recherche des produits soudanais et
surtout de l'or, le tibar. Ainsi donc, par delà l'Afrique du Nord, le
commerce nigérien atteignit la Mer du Nord et la Baltique; Léon
l'Africain mentionne toute une gamme de marchandises euro-
péennes sur les marchés soudanais.

E . Produits du commerce.
Le commerce nigérien portait sur de nombreux produits, cer-
tains venant du Soudan intérieur, d'autres du Sahara, du bassin
de la Méditerranée ou des pays de l'Europe du Nord. Pour plus
de clarté, nous en dégageons les principaux par ordre d'impor-
tance.
10 - Deux produits clé: le sel et l'or
Ces deux produits généralement échangés l'un contre l'autre
constituaient la clé de voûte du commerce nigérien et ont fait la
fortune des marchands et des villes. Pour se faire une idée de
l'importance du sel au XVIe siècle, il faudrait le comparer au
pétrole dans le monde contemporain. C'était l'or blanc par com-
paraison avec l'or noir. Il était recherché par les population~ du
Soudan et constituait une denrée princière qui n'était pas à la

9. De Castries (Henri), Les sources inédites de l'histoire du Maroc, 11'8série, T. If


II, III.
144 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

portée de toutes les classes sociales. Certains auteurs arabes, exagé-


rant cette importance, nous disent même qu'il s'échangeait contre
son poids d'or dans les pays méridionaux. En tout cas, le sel était
l'élément de base de tout le commerce transsaharien.
Nous mettrons de côté le sel marin qui n'était pas ignoré des
populations mais qui était peu utilisé à l'intérieur du continent.
Le sel gemme du Sahara était le plus recherché et jouissait d'une
réputation de qualité qui n'a pas encore disparu dans les pays
soudanais. Il était exploité bien avant le XIe siècle probablement,
dans la région d'Aoulil sur la côte atlantique. Au XVIesiècle, il pro-
venait des trois mines principales, Idjil, Teghazza et ensuite Taou-
déni. Dans son Tableau géographique 10 de l'Ouest Africain, Mauny
a étudié avec force détails ces trois mines: Aoulil, long de 80 kilo-
mètres sur 10 mètres de large, dans le nord-ouest mauritanien,
vers le Rio-de-Oro, avait du sel en couches discontinues presque
à fleur du sol. Ce sel d'excellente qualité, exploité depuis le XIve siè-
cle, était acheminé au XVIesiècle vers Ouadane, son grand entre-
pôt. C'était de là que les caravanes le transportaient vers Chin-
ghetti, le pays de Diahra et surtout vers Tombouctou.
La deuxième saline était celle de Teghazza, au cœur du Sahara,
à plus de 800 kilomètres de Tombouctou. La saline profonde de
3 mètres 50 environ produisait un sel de qualité supérieure et fit
la fortune de Oualata dans l'Empire du Mali et ensuite de Tom-
bouctou. Accaparé par les Marocains pour des raisons que nous
avons déjà évoquées, la saline fut abandonnée en 1585 au profit
de Taoudéni située à 160 kilomètres à l'Est. La mine de sel de
Taoudéni est la continuation du bassin de Teghazza mais elle est
plus profonde. L'exploitation n'est possible qu'à 5 fi de profon-
deur. Ce sel, qui est exploité aujourd'hui encore, était transporté
dans les entrepôts sahéliens par des caravanes de chameaux appe-
lés aujourd'hui Azalai et conduites par les tribus bérabiches qui
détiennent une sorte de monopole sur son transport. L'on sait que
chaque chameau porte généralement quatre barres de sel, deux
barres de chaque côté, environ 100 à 120 kilos, la barre pesant 20
à 35 kilos et mesurant 1,20 m de long sur 0,50 m ou 0,60 m de
large environ. Arrivé à destination, ce sel est partagé dans la
proportion de 5 à 9 barres au transporteur contre 5 à 1 au pro-
priétaire. L'on voit que le grand bénéficiaire de l'opération est le
transporteur. Un informateur bérabiche nous expliquait cela en
insistant sur la justice de l'opération, car, nous disait-il, le sel
n'est qu'une pierre à Taoudéni et c'est le transport qui lui confère
son prix. Ce sel était stocké dans des magasins par les marchands
ou vendu aussitôt à ceux qui en attendaient l'arrivée. Il pro-
curait des bénéfices colossaux. Tous les gros marchands de
Tombouctou d'hier et d'aujourd'hui sont des sauniers qui ont
embelli la ville par des constructions majestueuses et. ont aidé à
l'éveil de la vie culturelle et religieuse.
Le commerce de l'or constituait la deuxième clé de voûte du
commerce saharien. Les historiens de la Méditerranée et du Sahara

10. MauDY R., Tableau géographique, 1961, p. 325-334.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 145

ont insisté sur l'importance de l'or du Soudan dans l'histoire de


ces régions. Dans des articles devenus classiques, Braudel, Gautier,
Heers 11 ont fait le point de cette question. Au xve siècle, les mines
d'or de Bohème, de Germanie, de Serbie étaient presque épuisées et
le commerce européen déficitaire en or, pendant tout le Moyen Age
fut approvisionné par le Soudan. Tentant d'évaluer la quantité
d'or ainsi extraite du Soudan, Mauny l'estima à un minimum de
3 500 tonnes du XVIesiècle à nos jours 12 c'est-à-dire à une époque
où l'exploitation de l'or soudanais était en déclin! La conclusion
de J. Heers n'est que trop juste: « Le Soudan est la seule région
à produire du métal d'une façon appréciable et régulière. On peut
dire, que du point de vue des échanges, l'économie mondiale est
draînée par l'or d'Afrique, ceci longtemps encore après les grandes
découvertes, car l'Amérique espagnole du XVIe siècle n'a donné
que peu d'or 13. »
L'or du Soudan au XVIe siècle provenait des mines que nous
avons plusieurs fois mentionnées: l'or mandingue exploité sous
forme de pépites dans le Bouré, en Haute-Guinée, au cœur même
de l'Empire du Mali, est d'excellente qualité, celui de la Falémé
(Bambouk) et de la Haute Gambie (Kantor) est exploité dans les
rivières ou dans des mines de faible profondeur sous forme d'al-
luvions qu'on lave pour en extraire la poudre, le tibar, très recher-
chée des marchands maghrébins et européens. La deuxième région
aurifère est le Bitou, probablement en pays Ashanti, dont l'or est
semblable à celui du Bouré et qui devint le principal pourvoyeur
des Européens à partir de la fin du xve siècle. Dans les pays mossi
et lobi, dans le Wassoulou, sur la côte de Sierra Léone, etc., étaient
également exploités des filons d'or d'excellente qualité.
L'or était acheminé vers les principaux marchés de l'Empire et
plus principalement à Djenné qui en était le grand entrepôt sou-
danais. De là, il gagnait Tombouctou et Gao. De ces villes souda-
naises, il était transporté par les marchands maghrebins vers les
grands centres du Sahara, Ouadane, Arguin et Tagaost à l'Ouest,
le Touat au centre, Rhadamès et Ghat (Rhat) à l'Est. Le réseau
décrit par Alvisse de Ca da Mosto au milieu du xve siècle ne semblait
pas avoir changé et, des marchés sahéliens, l'or aboutissait aux
ports atlantiques et méditerranéens et devenait le nerf moteur
de l'économie monétaire européenne selon J. Reers.

Il. Braudel (Fernand), Monnaies et civilisations: de l'or du Soudan à l'argent


d'Amérique. Ann. Ec. Soc. Civil. n° 1, 1946, p. 9-22.
Gautier E.F., L'or du Soudan dans l'Histoire, in Ann. d'Hist. écon. et Soc., 1935,
p. 113-123.
Heers J., Le Sahara et le commerce méditerranéen à la fin du Moyen Age, A nn. de
l'[nstÎt. d'Etudes orientales, XVI, 1958, p. 247-255.
12. Mauny R., Tableau géographique, 1961, p. 300-301. L'auteur pense que pour
chacun des siècles, XVIe,xvlf , XVIIIe,on peut évaluer la production ouest-africaine
à 900 tonnes soit 2,5 tonnes par an. Comme il le reconnaît lui-même, ces chiffres,
cités sont loin de la réalité. La production médiévale nous paraît par contre beaucoup
plus considérable que celle de la période XVle..Xlxesiècles.
13. Heers J., Le Sahara et le commerce méditerranéen à la fin du Moyen Age.
Ann. de l'Instit. d'Etudes orientales, XVI, 1958, p. 248-249.
146 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

2° -Deux atouts: ['esclave et le cheval


L'esclave est un produit ancien du commerce transsaharien très
probablement depuis l'Antiquité.
Au Xv:re siècle, ce commerce était prospère, alimenté par les
guerres annuelles que portaient les Askia dans les régions péri-
phériques chez les populations animistes. Les prisonniers étaient
pour la plupart vendus sur les marchés nigériens et conduits vers
le Nord. Nous n'avons malheureusement pas de statistique et il
est impossible de chiffrer l'importance de cette traite. Mauny dans
son Tableau géographique l'a évalué à quelque 20 000 esclaves par
an: soit 2000000 par siècle 14. II a reconnu lui-même le caractère
relatif de ces chiffres, probablement inférieurs à la réalité.
Le cheval qui coûtait plusieurs esclaves était demandé par
l'aristocratie. On ne peut insister assez sur l'importance du che-
val dans la civilisation nigérienne. Le cheval était non seulement
l'animal de transport, de voyage, mais aussi l'animal princier
qui rehaussait le prestige de son propriétaire. Il était surtout
destiné à la guerre et l'on sait que le fer de lance de l'armée son-
ghay fut la force montée dont les effectifs se chiffraient à la fin
du siècle à quelque 10000 cavaliers. Les chevaux soudanais, géné-
ralement de petite taille et employés surtout pour les voyages,
procuraient de gros bénéfices mais les plus recherchés étaient les
chevaux arabes importés d'Afrique du Nord. Léon l'Africain au
début du XVIesiècle dit que l'Askia se réservait une sorte de mono-
pole sur l'achat de ces chevaux et que les particuliers n'achetaient
qu'après lui. Malgré les conditions pénibles de la traversée du
désert, le cheval était amené au Soudan par les caravaniers dès
les temps les plus anciens.

3° .. Autres produits du commerce


Les étoffes constituaient un article de premier ordre dans le
commerce transsaharien. Le Soudan en était approvisionné par le
Maghreb, le Bassin méditerranéen et même l'Europe atlantique. A
travers Léon l'Africain, au début du XVIesiècle, l'on voit sur le
marché nigérien toutes sortes de tissus. Les draps italiens (véni-
tiens surtout), les soieries, la mercerie étaient vendus à des prix
exorbitants. Vers la fin du siècle, les tissus anglais et principale-
ment les draps bleus exportés par la Barbary Company dans le
Sous étaient expédiés au Soudan et à Tombouctou. Les haïks et
les étoffes du sud marocain, de Tagaost et du Tafilelt étaient aussi
très courants sur les marchés nigériens. A l'exportation, le Soudan
envoyait ses fameuses cotonnades généralement teintes à l'indigo
qui faisaient la renommée des marchés de Djenné et des villes
haoussa.
Les métaux étaient importés' du Nord sous forme de barres,
d'armes, de bijoux ou de quincaillerie. C'était surtout le cuivre et

i4. Mauny R., Tableau géographique, p. 379.


TOMBOUcrOLT ET L'EMPIRE SONGHA y 147

l'argent venant de Tagaost et de la Mauritanie. Th. Monod a trouvé


une charge de barres de cuivre d'une caravane perdue dans le
Sahara mauritanien 15. Ces barres destinées au Soudan devaient
servir à faire des armes, des bijoux et des instruments aux mul-
tiples usages.
Les armes, sabres, poignards, lances, généralement importées
étaient vendues très cher sur les marchés de Tombouctou et de
Gao. Les verroteries, les perles venaient surtout de l'Italie et les
cauris de l'Extrême Asie. Léon l'Africain nous apprend que le
commerce du livre et du papier était un des plus lucratifs de
Tombouctou et qu'il favorisait l'animation intellectuelle des villes
nigériennes.
Le Soudan exportait à son tour de nombreux produits précieux.
Des régions forestières, les villes sahéliennes importaient des épices
de toutes sortes. C'est un fait étonnant, la grande variété des épices
à Tombouctou et l'alimentation très épicée dans une région au cli-
mat torride! Les marchands mandingue ou soninké allaient cher-
cher plus au Sud, dans les pays forestiers, l'ivoire et surtout les noix
de cola devenues indispensables aux Musulmans des grandes cités
sahéliennes. Il faut mentionner aussi dans les exportations du Sou-
dan, les grains et le beurre de karité qu'on expédiait dans les mines
et dans les oasis sahariennes.
Le commerce soudanais était donc intense avec l'Mrique du
Nord. Comme on le voit, il était plutôt déficitaire en volume du
côté soudanais. Ce déficit, exception faite de l'esclavage, facteur éco-
nomique négatif, n'appauvrissait nullement le Soudan; il était
financé avec les produits naturels et miniers. Le grand commerce
transsaharien ne puisa cependant que faiblement dans la production
agricole et artisanale soudanaise mais stimula le commerce local
qui, à son tour, lança dans le circuit des échanges le surplus rural
et permit un certain progrès matériel dans les sociétés du Soudan
nigérien.

F - Prix et concurrence atlantique.

L'économie nigérienne était une économie libérale. Les prix étaient


libres et dépendaient des fluctuations naturelles du marché. On
ne peut malheureusement pas les étudier avec précision par man-
que de documents. A cause du caractère variable et imprécis des
unités de mesure qui changeaient de valeur avec les lieux et l'épo-
que, on ne peut faire que des évaluations approximatives sur les
tendances du marché pour les trois produits de base. D'abord le
sel: d'après Ibn Battouta, la charge de sel coûtait 20 à 40 dinars
au Mali au XIve siècle. Léon l'Africain donnait 80 ducats (ducat ==
1 dinar) pour la même charge au début du XVIesiècle à Tombouc-
tou. Il y eut donc une hausse considérable au XVIesiècle par rap-
port au XIve siècle. Le xve siècle est mal connu et les chiffres don-

15. Ces barres sont conservées au département de Préhistoire, à l'IF AN, Dakar.
148 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

nés par Ca da Mosto, 200 à 300 ducats la charge de sel au Mali au


milieu du xve siècle sont très contestables. Il est possible cependant
qu'avec le bouleversement de l'Empire mandingue à cette époque,
le sel fût devenu une denrée rare qui valait son pesant d'or, mais
sûrement moins que les chiffres avancés par l'auteur vénitien.
Pour ]es esclaves, nous avons quelques chiffres. Malfante en 1447
évaluait le prix de l'esclave à 2 dinars au Touat, Léon l'Africain à
6 vers 1510 à Gao. Dans les Tarikhs, l'on a mention en 1537-1539
de 300 cauris ou 1 dinar par tête d'esclave et, sous le règne de
}'Askia Daoud (1549-1583) un marchand avança 5000 dinars pour
acheter 500 esclaves soit 10 dinars par tête. Il y avait donc une
grande variabilité dans les prix de l'esclave et cela à cause même
des fluctuations des sources d'approvisionnement. Les esclaves
étaient généralement des prisonniers faits à la guerre alors pério-
dique.
Quant aux chevaux, nous avons peu de chiffres. Léon l'Africain
au début du siècle donnait 40 à 50 ducats comme prix d'un cheval
à Gao, soit 7 à 8 esclaves. Il est possible, en tout cas, que le prix
du cheval fût en constante hausse à cause même des difficultés
d'aprovisionnement et des besoins accrus de l'aristocratie nigé-
rienne.
Il y a donc manifestement une tendance séculaire à la hausse des
prix des produits de base. Cette hausse était également visible avec
le taux d'échange de l'or/cauris qui monta de 1/400 en 1510 à
1/3 000 à la fin du siècle. L'économie nigérienne paraissait ainsi en
expansion au XVIesiècle. C'est ce qui explique la prospérité et l'épa-
nouissement des villes de l'intérieur malgré la concurrence atlan-
tique.
A partir du milieu du xve siècle, le commerce transsaharien connut
la concurrence des Européens établis sur la côte atlantique. L'his-
torien portugais, Magalhâes Godinho, parle de concurrence entre
la caravelle et la caravane 16. Le commerce atlantique approvi-
sionna en effet tout l'Ouest africain de la plupart des marchandises
qui transitaient par le Nord et en particulier en étoffes, métaux,
cauris et importa par la voie maritime les produits soudanais prin-
cipalement l'or et les esc]aves. De l'île d'Arguin sur la côte mauri-
tanienne, jusqu'au Golfe du Benin, les Européens, Portugais d'abord,
Anglais, Français, Hollandais ensuite, établirent des points de com-
merce pour acheter les produits africains. Les produits destinés aux
villes de l'intérieur transitaient par les côtes. Les rois portugais
envoyèrent même des ambassades aux souverains de l'intérieur pour
établir avec eux des relations commerciales.
Le commerce transsaharien perdit incontestablement une grande
partie de ses marchés. l.,e tableau de l'évolution du commerce por-
tugais de l'or soudanais dressé par Godinho est une mise au point
significative 17. Le commerce de l'or, monopole royal, était assuré
par les agents du roi du Portugal. Pour la Mine sur la côte ashanti,
l'auteur donne les chiffres suivants: de la fin du xve siècle à 1520,

16. Vitorino Magalhâes Godinho, L'économie de l'empire portugais..., 1969.


17. Idem, 1re partie, chap. III, p. 209...226.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 149

la Mine a procuré au roi du Portugal 410 kg d'or par an. C'est


la grande période du commerce de l'or. De 1520 à 1530 il Y eut
baisse, de 1530 à 1544, reprise mais sans jamais atteindre le niveau
de la première période. A partir de 1544, il Y a baisse générale et
définitive du commerce de la Mine. Les chiffres donnés traduisent
mal l'importance du commerce réel de la Mine car la fraude des
particuliers était courante et devait être aussi importante. L'au-
teur donne un minimum de 700 tonnes importées par an au Portu-
gal jusqu'à la date 1520. Il est évident que le commerce réel dépasse
de loin cette évaluation 18. Il faut noter cependant avec Godinho
que la baisse du commerce de l'or de la Mine correspondait avec
la stabilisation de la monarchie saadienne au Maroc et l'apogée
de l'Empire de Gao sous l'Askia Daoud. Ainsi donc à partir du
milieu du XVIesiècle selon la terminologie de Godinho, la caravane
a vaincu la caravelle.

Conclusion générale.

Le commerce transsaharien a enrichi l'Empire songhay et a


contribué à la transformation de la vie des cités et des hommes.
Les bénéfices réalisés ont aidé à l'embellissement des villes nigé-
riennes qui se dressèrent majestueuses et splendides dans la vallée
du Niger. L'importation des produits du Nord, les soieries, les draps
italiens, les babouches, etc. ont contribué à façonner un homme
nouveau, « l'honnête homme» de Tombouctou, correct dans sa
tenue et ami du bien-être, du savoir, etc. L'alimentation abondante
et variée, avec des épices de toutes sortes, témoigne d'une vie aisée
et d'un certain développement économique. Somme toute, le com-
merce transsaharien a donné une teinte de modernité à la Boucle
du Niger par rapport à l'ensemble du Soudan occidental.

18. Idem, p. 218.


QUATRŒME PARTIE

Population. Société.
I.
LA POPULATION

A - Généralités.

C'est une tentative bien ambitieuse que d'étudier la population


au XVIesiècle, car les documents manquent, les statistiques S011t
impossibles à établir, le mouvement interne et externe de la popu-
lation insaisissable. Le peuplement est ici conditionné par le climat
qui est d'une grande rigueur. La zone est presque entièrement
sahélienne avec des chaleurs torrides, des pluies insuffisantes, et
des sols, excepté les vallées, généralement pauvres. Comme de nos
jours, le climat semblait conditionner les modes de vie et le cli-
vage racial. Les populations blanches et nomades habitaient en
majeure partie dans la région sahélienne tandis que les noirs séden-
taires peuplaient la vallée et les régions méridionales 1.
Il est impossible d'établir précisément les chiffres de la popu-
lation nigérienne au XVIe siècle. On peut glaner quelques rares
indices dans les Tarikhs pour se faire une idée de l'importance du
peuplement à cette époque. Le Tarikh es-Soudan prétend que la
région de Djenné était densement peuplée et qu'elle comprenait
7 077 villages rapprochés les uns des autres à tel point que les
ordres impériaux étaient transmis d'un village à l'autre par la voix
de crieurs publics 2. Par région de Djenné, il faut entendre tout le
Delta central du Niger, depuis le lac Débo jusqu'à la rive droite
du Bani, à San. Si l'on prend à la lettre ce chiffre, l'on peut formu-
ler une évaluation de la population. En effet, nous savons que la
population moyenne des villages du Soudan précolonial était de
200 à 300 habitants. De ces chiffres nous pouvons conclure à une
population qui se situait entre 1 million 500 et 2 millions d'habi-

1. Brasseur (G.), Les Etablissements hllnlains au Mali, Mémoire IFAN, 83, Dakar.
2. Tarikh es-Souda1l, 1964, p. 24-25.
154 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA Y

tants pour la région de Djenné. Ces chiffres ne sont pas loin de la


réalité. Ils donnent une idée de la densité démographique au XVIe
siècle, surtout si nous les comparons à l'état actuel de la région.
Cette population était composée de nombreux peuples qui s'in-
terpénétraient depuis des siècles. Elle était fondamentalement
rurale sauf dans la vallée du Niger et les régions sahéliennes qui
connurent un développement de villes cosmopolites, creusets de
peuples de toutes races et de toutes langues.

B - Le peuplement.
10 - Le peuplement ancien.
Le ~euplement plonge ses racines au-delà du Néolithique. L'hom-
me d Asselar, dans le Sahel soudanais vivait vers 4440 av. J.-C. *
Avec le dessèchement progressif du Sahara, de nombreuses tribus
noires se réfugièrent au Sud et principalement dans la vallée nigé-
rienne. Les peuples mandingue, soninké, songhay et bien d'autres
auraient, selon le Tarikh el-Fettach et Boubou Hama 3, une même
origine, saharienne. A l'époque historique, les peuples méditerra-
néens ont tenté de traverser le Sahara et de Douer des relations
avec les Noirs soudanais, probablement nigériens. D'après Héro-
dote (484-420 av. J.-C.) 4, ces Noirs seraient de petite taille, proba-
blement des Négrilles. II est en tout cas probable que les pays
furent habités à une époque très ancienne par des Noirs que peu de
choses différenciaient de ceux d'aujourd'hui. Certes, de nombreu-
ses tribus subirent le métissage avec les nomades blancs sahariens.
Boubou Hama voit dans le peuple songhay le résultat d'un métis-
sage noir et berbère 5. L'influence des civilisations plus évoluées de
l'Egypte ancienne, de la Nubie et surtout de Méroé ne fut pas
sans atteindre la vallée du Niger et le Soudan occidental. Cheikh
Anta Diop pense que l'archéologie découvrira un jour dans ces
régions des documents qui bouleverseront les données actuelles
de l'histoire de l'Occident africain. Il voit dans l'art le style archi-
tectural de la pyramide soudanaise (le tombeau des Askia, la
colonne et les façades des maisons) une marque de l'Egypte pharao-
nique 6. Les fouilles des tumulis de la Boucle du Niger par Des-

. G. Camps: Les civilisations préhistoriques de l'Afrique du Nord et du Sahara,


Paris, 1974, p. 241.
3. Tarikh eJ-Fettach, repris et commenté par Boubou Hama, Histoire des 5011-
ghay, 1968, p. 39.
4. On n'est pas parvenu à situer exactement le Nil soudanais dont parle Hérodote.
D'aucuns l'identifient au Niger et d'autres au Lac Tchad, pays situés au Sud du
Sahara et pouvant correspondre à l'itinéraire décrit par Hérodote.
5. Boubou Hama, Histoire des Songhay J 1968, chap. II.
6. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, 2e édit., 1965, Afrique Noire pré.
coloniale, 1961. Nombreux entretiens avec le génial historien africain dont la méthode
d'analyse est un instrument efficace pour saisir le génie des civilisations africaines par
dessus l'événementiel. La thèse de Cheikh Anta sur l'Egypte ancienne ouvre la voie
la plus féconde à la recherche des civilisations de l'Afrique Antique.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y lSS

plagnes, Mauny 7 et d'autres montrent une civilisation néolithique


et protohistorique déjà très avancée qui utilisait les métaux (cuivre,
fer) et dont l'organisation sociale était déjà structurée et dominée
par une aristocratie guerrière.
Les traditions orales et leurs commentateurs donnent les noms
des premières ethnies noires de la région à l'époque historique.
Les pêcheurs sorko, fraction du peuple songhay, les Bozo dans le
Delta central, les agriculteurs sédentaires comme les Gourmantché,
les Koromba, les habitants des montagnes auraient fourni les pre-
miers noyaux du peuplement à une époque difficile à déterminer,
très probablement au milieu du premier millénaire de notre ère.
Certaines de ces tribus auraient certainement été les constructeurs
des tumulis si nombreux dans la zone.
De toutes façons, la culture des régions nigériennes préislami-
ques est le fait de peuples et d'influences culturelles divers. Le
royaume de Koukia, décrit par El Bekri au milieu du XIe siècle,
était l'aboutissement d'une évolution millénaire. L'arrivée de l'Islam
dès le IXe siècle 8 et les relations qui se tissèrent avec le Nord du
continent ouvrirent une ère nouvelle au cours de laquelle se forma
la physionomie de la région dans son peuplement et dans ses tradi-
tions.
Le peuplement a depuis lors très peu changé. L'Empire songhay
encadra divers peuples et tendit à une unification culturelle et
politique de la zone soudano-sahélienne.

2° - Les différentes populations.


Les Songhay.
On ignore l'origine des Songhay. Le nom même pose un pro-
blème. Il est prononcé « songhaï » ou so~ai ou « SonraÏ » selon
les régions 9. La langue songhay n'est pas classée dans le groupe
soudanais où elle est considérée comme étrangère 10. La thèse de
Boubou Hama sur les origines des Songhay 11 mérite d'être consi-
dérée. L'auteur pense que ce peuple aurait habité le Sahara, la
région de l'Aïr, à une époque ancienne, qu'il aurait subi de multiples
influences et se serait métissé avec les Berbères touareg, les Gober,
et les Noirs Gobir. Puis les Songhay descendirent vers le Sud, dans

7. Desplagnes, Le Plateau central nigérien, Paris, Larose, 1907 et d'autres travaux


archéologiques.
Mauny R., Tableau géographique, 1961, surtout les pages 92 à 111.
8. Il devait exister, dès cette époque, des colonies musulmanes dans les grandes
cités comme Ghana, Koukia, Tadmekka. Ainsi l'Homme à l'âne, Abou Yazid, la
terreur des Fatimides, serait né au Soudan vers 885. Voir aussi le célèbre article de
Lewicki Tadeusz, Quelques extraits inédits relatifs aux voyages des commerçants et
des missionnaires Ibadites... au Soudan occidental, Folia orientales, 1961, vol. n,
p. 27.
9. Selon le dialecte de Tombouctou le mot est prononcé son!Jaï (avec la nasale
velaire); Songhoï désignerait le peuple et songhaï la langue. Nous avons adopté la
transcription devenue courante de Songhay pour désigner et le peuple et la langue.
10. Etude sur la classification des langues africaines, par J.G. Greenberg. Traduit
par C. Tardits, B. IFAN XVI, 1954.
Il. Boubou Hama, Histoire des Songhay, 1968, ch. II.
156 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

la région de Kebbi où ils fondèrent entre le lIe et le ve siècles après


J.-C. leur premier royaume, celui de Katouka et se mêlèrent aux
Haoussa et à d'autres tribus soudanaises. Leur capitale était alors
Weiza-Goungou et ils étaient régis par des reines. Vers le VIe siè-
cle après J.-C., avec l'annexion de Weiza Goungou par la reine de
Daoura, une fraction des Songhay, les Sorko, pêcheurs, remontè-
rent le fleuve et fondèrent des colonies dont la plus importante
fut Koukia-Bentia. Vaincus et chassés par les Dia, autre fraction
songhay, les Sorko remontèrent au Nord, fondèrent Gao, Bamba.
Ils se divisèrent à leur tour en deux sous-groupes ennemis, les Sorko
Faran les plus puissants et les Sorko FonD qui furent refoulés à
l'Ouest et qui remontèrent le fleuve jusqu'au lac Débo et fondèrent
Saraféré. Ils entrèrent en conflit avec les pêcheurs bozo et furent
aidés par l'arrivée de leurs parents, les Faran. Ces pêcheurs noma-
des vivaient en coexistence avec des populations sédentaires d'agri-
culteurs, et leur fusion aurait donné un élément important de la
population nigérienne qui fut malheureusement tour à tour asservi
par les envahisseurs mandingue, les Dia et les Sonni. C'est ainsi
qu'au XVIesiècle les Sorko étaient généralement considérés comme
une catégorie inférieure de la société songhay. Beaucoup d'entre eux
étaient d'ailleurs esclaves depuis des générations. Quant à la masse
du peuple songhay, elle émigra progressivement du Dendi vers le
Nord et l'Ouest en suivant, comme les Sorko, la vallée du Niger.
Cette émigration fut aidée par l'impérialisme militaire qui fit de la
Boucle du Niger le pays des Songhay. Délivrés de la domination
mandingue à la fin du XIVesiècle sous la dynastie des Sonni, les Son-
ghay, cavaliers infatigables conquirent sur le Mali toutes ses pro..
vinees orientales. L'impérialisme militaire les amena jusqu'au
royaume de Diahra, au contact du Tékrour. Il eut pour conséquence
une expansion marchande vers l'Ouest, vers Tombouctou, Djenné; il
atteignit Oualata au début du XVIesiècle. Les Songhay étendirent
leur influence aussi dans les régions nord-sahéliennes, de l'Adrar des
Iforas jusqu'à Agadès où Askia Mohamed transplanta de véritables
colonies songhay 12.
Les souverains menèrent délibérément une politique de songhay-
sation des autres peuples. Outre l'encadrement politique des popu-
lations vaincues ou vassales, la langue songhay s'imposa comme
la langue dominante aussi bien à Gao qu'à Djenné jusqu'à nos
jours.
Les Soninké.
Les Soninké constituaient à l'Ouest de l'Empire le groupe le plus
important et peut-être le plus ancien. Nous savons que l'Empire
de Ghana atteignait le Delta central du Niger; des colonies soninké
étaient installées dans cette zone depuis des temps très anciens.
Avec la destruction de l'Empire de Ghana, la suprématie politique
passa aux royaumes de Diahra, de Sosso, qui furent à leur tour

12. Idem, p. 54. Boubou Hama pense que la langue songhay était parlée dans
l'Aïr avant la conquête. Elle serait le vestige de l'installation ancienne des Songhay
dacs ce pays.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY 157

intégrés à l'Empire songhay au XVIesiècle. Une migration massive


des Soninké vint aux douzième et treizième siècles accroître les
anciennes colonies établies dans la vallée du Niger. Certaines tra-
ditions affirment même la parenté d'origine des Songhay et des
Soninké 13.
En tout cas, au XVIesiècle, les provinces occidentales de l'Empire
étaient peuplées en majorité de Soninké : c'étaient le Diahra, le
Kala, le Ouagadou, le Delta central jusqu'à Tendirma. Les villes
de Dia, de Tendirma, de Djenné constituaient de grandes métro-
poles soninké de l'Empire. La vocation de ce peuple fut, depuis
l'Empire de Ghana, orientée vers le commerce; les marchands
soninké ou wakoré furent aussi les premiers disciples de l'Islam
et ils fournirent des hommes de culture de grande réputation
telles les falnilles de Mohammed Kâti, Salih Diawara et d'autres
mentionnés dans les Tarikhs.
Les Peul.
Les migrations peul venant de l'Ouest atteignirent la Boucle d'u
Niger bien avant le xve siècle et se continuèrent durant le XVIesiè-
cle toujours vers l'Est. Des clans Sangaré se fixèrent au Guimbala,
à l'Ouest du lac Débo. C'est au XIve siècle que les Peul fondèrent le
petit royaume du Macina sous la direction du clan Diallo. Ancien
tributaire du farin mandingue de Kala, le Macina fut conquis par
Askia Mohammed au début du XVIesiècle. Les clans peul, nomades
et pasteurs, étaient alors groupés ou disséminés dans tout l'Empire.
Le peuplement le plus important était dans le Bakhounou (Baga-
na), le Diahra, le Homori.
Dans le Macina, les Peul sédentarisés habitaient des hameaux
de culture ou d'élevage. Le seul ce11tre important était Ténenkou
où vivaient de nombreux lettrés. On trouve également dans les prin-
cipales villes du Niger des lettrés et des femmes peul réputées pour
leur beauté. Es Sacdi, l'auteur du Tarikh es-Soudan, nous apprend
que sa grand-mère était une peul du Macina et qu'elle avait été
donnée à son aïeul par Sonni Ali.
Les groupes arabo-berbères.
Les Touareg Tadmekket de l'Adrar des Iforas n'étaient pas
encore massivement descendus dans la vallée du Niger au XVIe
siècle. Les Touareg d'origine sanhaja que les Tarikhs appellent
« Magcharen » et qui auraient formé au xve siècle une grande confé-
dération, sous la direction de Aqil Ag Mélaoul, entre Tombouctou et
Oualata, furent au XVIesiècle dominés par les Songhay. Ils retour-
nèrent à leur vie pastorale dans le Sahel sous la direction des des-
cendants d'Aqil Ag Mélaoul. Beaucoup d'entre eux furent du reste
sérieusement arabisés. A partir du xve siècle, en effet, des vagues
de tribus arabes, les Bani Hassan et les Maqil qui avaient déferlé

13. Idem, p. 39. Boubou Hama voit dans les Soninké et les Songhay deux peuples
de même origine. Fili/ing Sakho qui a mené plusieurs enquêtes historiques dans la
Boucle du Niger nous apprend qu'il a abouti aux mêmes conclusions.
158 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGH ~ y

en Afrique du Nord au XIe siècle, envahirent progressivement la


Mauritanie 14 et atteignirent Oualata. Les Bérabiches s'installè-
rent à Tombouctou au milieu du XVIesiècle et monopolisèrent, à
partir de cette époque, le transport du sel saharien. Les Kounta,
qui se disent Arabes et qui sont, en tout cas, fortement arabisés,
s'éloignèrent de la région de Oualata où ils étaient parvenus au Xve
siècle et certaines de leurs tribus s'établirent dans l'Azaouad au XVIe
siècle 15. Le peuplement blanc dans le Sahel soudanais était ainsi
constitué de Berbères et d'Arabo-Berbères généralement pasteurs,
commerçants et lettrés. Sans que le Tarikh nous le dise ouverte-
ment, les tribus tadmekket ou touareg qui étaient jusque là can-
tonnées dans l'Adrar des Iforas, avaient amorcé leur descente vers
la vallée du Fleuve attirées par les riches pâturages ou les affaires.
Il faut mentionner des îlots de populations noires (haratines) inti-
mement mêlées aux nomades blancs dans certaines oasis saha-
riennes.
Les Malinké ou Wangara.
Les Malinké ou Wangara avaient dominé la région au XIVesiècle
sous l'Empire du Mali. Ils se fixèrent dans les villes et surtout dans
le Delta central sous le nom de Wangara. Dans le Bara, le roi por-
tait encore le titre mandingue de Mansa. Dans la région de Nia-
founké, et dans celle de Sarna, très probablement au Sud du Delta,
les Wangara généralement commerçants et agriculteurs furent très
tôt islamisés. Comme les Wakoré, ils fournirent au XVIesiècle de
grands docteurs en Droit, tels les Bagayokho de Djenné et de Tom-
bouctou.
Les Bambara.
Les Bambara constituaient un élément nouveau dans la région.
Installés dans la vallée du Bani, au sud de Djenné, ils remontèrent
progressivement vers le Delta central et atteignirent Djenné pro-
bablement avant le milieu du XVIesiècle 16. Les Tarikhs fixent la
limite du Mali entre Ségou et Bamako, région qui devait être, dès
cette époque, peuplée de Bambara. Animistes intransigeants, orga-
nisés en clans autonomes, les Bambara allaient envahir toute la
région du Bani et du Moyen Niger par une expansion progressive et
silencieuse d'agriculteurs et de chasseurs.
A utres peuples.
Les Bozo étaient parmi les plus anciens habitants du Delta cen-
tral du Niger. Comme les Sorko à l'Est, ils étaient pêcheurs et
vivaient du Niger. Leur migration le long du fleuve les porta au XVIe
siècle jusqu'à Kabara. Les Bozo demeuraient animistes bien que

14. Modat (Colonel), Portugais, Arabes et Français dans l'Adrar mauritanien,


BCEHSAOF, 1922, p. 550-582.
15. Marty, Paul, Les Kounta de l'Est, coll. Revue du monde musulman, Paris,
Leroux, 1920, T. I.
16. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 172.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY 159

l'Islam semblât avoir gagné certains d'entre eux. Dia, dans le


Macina, peuplée aussi de Soninké (Wakoré) musulmans et commer-
çants était leur grande métropole.
En dehors de ces peuples autochtones il faut mentionner de
nombreux étrangers dans les centres marchands de l'Empire. Parmi
eux les commerçants et les lettrés venant des oasis sahariennes
(Draa, Tafilelt, Touat, Ghadamès, etc.), du Maghreb, des pays
haoussa, mossi et peut-être même de la côte atlantique. Les cap-
tifs enlevés dans tout le Soudan occidental et principalement chez les
Mossi et les Bambara formaient une grande partie de la population.
Le Songhay fut l'élément unificateur de tous ces groupes. Sa lan-
gue était la plus parlée. Elle subit de multiples influences surtout
de l'Arabe, langue écrite, qui enrichit son vocabulaire dans les
domaines littéraire, philosophique et commercial.

C - Population urbaine.

La civilisation nigérienne est caractérisée par l'importance de


l'urbanisation. Plus que partout ailleurs en Afrique occidentale,
cette région connut des villes populeuses et riches.
Gao.
Gao, située à quelques kilomètres au Nord du Niger, était la
capitale politique et administrative des Askia. Ses origines remon-
tent probablement au VII:re siècle. Elle était au XVIe siècle une
'grande ville sans murailles; le centre était bâti de maisons à terras-
ses et à étages; autour s'étendait une banlieue illimitée de pail-
lottes comme de nos jours. Un recensement fortuit effectué à Gao
sous le règne de l'Askia Ishaq II (1588-1591) donne une estimation
de sa population. En effet, à la suite d'une contestation entre étu-
diants sur la population de Gao, ceux-ci effectuèrent pendant trois
jours le recensement de la ville. Ils comptèrent 7 626 maisons bâties
à l'exclusion des paillottes de la banlieue. Nous pouvons évaluer
à partir de ces chiffres la population de la ville à 76268 habitants
en prenant comme moyenne 10 habitants par concession. Cela est
vraisemblable dans une société patriarcale qui comprenait de nom-
breux parents, des clients et des esclaves. En y ajoutant la popu-
lation des paillotes (banlieue), Gao pouvait atteindre 100 000 habi-
tants.
Tombouctou.
Tombouctou était la capitale marchande, intellectuelle, reli-
gieuse de l'Empire songhay. La ville située à une dizaine de kilo-
mètres du Niger était très étendue dans le sens Sud-Nord, comme
nous l'avons décrite plus haut. Les auteurs ne sont pas d'accord sur
le chiffre de la population à l'apogée de la ville. Mauny l'estime à
25 000 et Dubois à 50000 habitants. Au déclin de la ville au Xlxe
siècle, les explorateurs européens donnent des chiffres très bas.
160 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

René Caillé en 1828 l'estime de 10 à 12000 habitants, Barth en


1854 de 13 à 23000, Lenz en 1887 de 18 à 2000017. Il est évident,
qu'à son apogée au XVIesiècle, Tombouctou était une ville aussi
considérable que Gao. La photographie aérienne 18 prise par Mauny
qui limite les dimensions de la ville à ce qu'elles sont à peu près
aujourd'hui, ne peut cependant donner une idée exacte de l'impor-
tance de la population. L'ensablement continuel engloutit progres-
sivement la ville, surtout du côté Nord; toutes les traditions ora-
les concordent pour reconnaître que la ville s'étendait, depuis la
place où se trouve le dispensaire au Sud, jusqu'au-delà du tom-
beau du Cadi Mahmoud qui serait enterré dans sa maison dans le
quartier de Sankoré aujourd'hui réduit à peu de chose par l'ensa-
blement. La fameuse mosquée du nom est engloutie en partie dans
le sable.
II est à noter d'autre part que la plupart de ces villes sahéliennes
s'élevaient en hauteur. Aujourd'hui, à Tombouctou, les habitants
les plus pauvres pensent à s'élever un étage; le beau quartier
des marchands ghadamesiens, dans le Badjindé, n'était peut-être
pas sans rappeler, par l'importance de ses maisons, les villes du
Maghreb.
Ainsi donc la population n'était pas sans quelque importance.
La superficie habitée, à cause de l'ensablement depuis trois siècles,
ne devait pas correspondre avec celle de la photo aérienne. L'habi-
tat en hauteur qui est caractéristique de la ville rend difficile l'éva-
luation chiffrée de la population. Nous avons pourtant d'autres
indices. Le Tarikh el-Fettach, dans un passage bien connu, dit
qu'il y avait au XVIesiècle à Tombouctou 26 maisons de tailleurs
« tindi » employant chacun 50 à 100 apprentis c'est-à-dire 1 300 à
2 600 apprentis! Le Tarikh mentionne également 150 à 180 éco-
les et, en décrivant celle d'Ali Takaria, il évalue son effectif à 123
élèves. En prenant une moyenne de 100 élèves, la population
estudiantine s'éléverait donc à près de 15 000; ce qui est un
chiffre considérable à l'époque mais vraisemblable pour une ville
célèbre par ses lettrés et son enseignement. D'autre part, d'après
ce que nous savons de la ville actuelle de Tombouctou, nous ne
nous tromperons pas de beaucoup, en disant que la société était
constituée des grandes familles comprenant 10 à 15 membres en
moyenne par concession. A partir de ces chiffres on pourrait tenter
quelques évaluations. On peut estimer la population estudiantine
au 1/4 ou au 1/5 au moins de la population totale qui serait alors
de 70 à 80000 habitants, chiffre encore plus vraisemblable en tenant
compte de la population flottante saisonnière et de celle des pail-
lottes. C'est l'hypothèse minimale. La réalité était bien supérieure et
la ville abritait probablement cent mille personnes sous le règne
d'Askia Daoud.

17. Caillé, René, Journal d'un voyage à Tombouctou, Paris, 1830.


Barth (Dr Henri), Voyages et découvertes en Afrique... Trad. Ithier, Paris, Bruxel-
les, 1861.
18. Mauny R., une photographie aérienne de Tombouctou in Notes Africaines,
Dakar IFAN n° 42, 1949.
Lenz (Dr Oscar), Tombouctou, ... Traduction P. Lehantcourt, Paris, 1887.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SaNGHA y 161

Kabara.
Fondée par les pêcheurs Dô sur un bras du Niger, Kabara est un
des ports de Tombouctou 19. Sa population était de 1200 habitants à
son déclin en 1828. A son apogée au XVIesiècle, le port était encom-
bré de navires venant de l'amont et de l'aval du Niger, qui trans-
portaient les marchandises des commerçants de Tombouctou. La
ville était alors étendue et peuplée de quelques milliers d'habitants.
On ne sait avec exactitude si le port de Koriomé, situé à 12 kms
de Tombouctou et utilisable presque toute l'année, était en usage
au XVIesiècle. Il y a de fortes probabilités qu'il le fût.
Djenné.
Djenné est une des plus anciennes villes de l'Occident africain.
Sa fondation remonterait au IXe siècle. La ville, située dans une île
du Bani dans le Delta nigérien, n'a jamais changé d'emplacement.
La ville ne prit de l'importance qu'au XIII-XIvesiècle sous l'Empire
du Mali. Elle devint alors le dépôt soudanais du commerce trans-
saharien qui transitait par Oualata puis par Tombouctou. La ville
devint prospère sous le règne de Koï Komboro qui se convertit
à l'Islam et construisit au XIve siècle la fameuse mosquée, joyau de
l'architecture soudanaise. La ville conquise par Sonni Ali vers 1468
devint la jumelle de Tombouctou et centralisa tout le commerce
entre le Sud et les pays sahéliens. Malgré son insularité, elle demeu-
rait la métropole d'une région très peuplée. Malheureusement, aucun
document ne nous permet d'évaluer sa population au XVIesiècle.
René Caillé en 1828 donna le chiffre de 10000 habitants mais cette
époque correspondait au déclIn du Sud nigérien. De toutes façons,
la population de Djenné était bien inférieure à celle de Tombouctou
au XVIesiècle et pouvait être estimée à quelques dizaines de mil-
liers.
Oualata ou Birou.
Oualata aurait succédé à la capitale du Ghana, à la suite du
bouleversement de l'empire soninké au XIe siècle. Nous avons vu
plus haut son évolution et son déclin à la fin du Xvesiècle au profit
de Tombouctou. Elle végétait au début du XVIesiècle, formée de trois
gros bourgs d'aspect misérable et servant de campement aux cara..
vanes fatiguées.
Tendirma.
La ville de Tendirma sur le lac Débo était la capitale du Kour-
mina fari, gouverneur des provinces de l'Ouest. A en croire l'au-
teur du Tarikh el-Fettach, Tendirma aurait été fondée par les Juifs
à une époque qu'on peut situer au XIve siècle. Elle aurait été alors
une ville considérable de plusieurs milliers d'habitants vivant du jar-
dinage et du commerce. Détruite de fond en comble dans des

19. Léon l'Mricain, Description de l'Afrique, 1956.


162 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

conditions que nous ignorons, la ville fut rebâtie au début du


XVIe siècle par Amar Korndiâgo, frère d'Askia Mohammed. Elle
se développa vite et devint un grand centre religieux où vivaient
des docteurs réputés dont la famille de Kâti, auteur du Tarikh-el-
Fettach et le pieux Salih Diawara, l'ami du Kourmina fari. La ville
de Tendirma fut ruinée à la fin du siècle après la révolte du
Balama es Sadeq.
L'Empire songhay comprenait d'autres villes comme Tenenkou
dans le Macina, Goundam, Diré, Bamba situées dans la vallée
nigérienne, les capitales politiques comme Hombori, les villes des
pays vasseaux comme Agadès dans l'Aïr, les grandes villes mar-
chandes des pays haoussa, Katséna et Kano.
Comme on le voit, la partie occidentale de l'Empire était beau-
coup plus urbanisée que le Dendi et le Sud. Elle avait une tradi-
tion marchande plus ancienne et un développement des échanges
transsahariens plus intense. La zone haoussa était importante
mais marginale quant à l'Empire.

D - L'état de la population.

Les Tarikhs nous décrivent une population saine et vigoureuse


au XVIe siècle. Les conditions de vie dans la Boucle du Niger
étaient alors meilleures qu'aujourd'hui; le grand commerce véhi.
culait dans la région tous les produits du Soudan et du Maghreb.
Du reste, les deux grands greniers de l'Empire, le Delta central
et le Dendi approvisionnaient les populations urbaines en grains et
autres denrées alimentaires. L'élevage et la pêche prospéraient
grâce à la paix générale. Ainsi les endémies, nées des grandes
famines qui sont devenues aux siècles suivants des phénomènes
périodiques dans la Boucle du Niger 20, étaient facilement maî-
trisées. Les Tarikhs ne citent qu'un seul fléau le « gafé » ou jau-
nisse qui, en 1583-85, fit quelques ravages. Les disettes de 1536 et
de 1548 furent vite enrayées et n'eurent pas de conséquences pro-
fondes. Les conditions biologiques du climat sahélien sont du
reste très favorables. Dans les biographies données par les Tarikhs,
on peut constater que les docteurs mouraient à un âge très avancé,
entre 70 et 80 ans. Certes, c'était là une aristocratie de privilégiés
vivant dans l'abondance. Les classes pauvres étaient pourtant assis-
tées dans les villes par les cadi et l'Askia. Ainsi l'Askia Daoud
envoyait chaque année 400 sounnou de mil (près de 20 tonnes) au
Cadi de Tombouctou pour les pauvres et il avait constitué pour eux
dans les environs un jardin entretenu par trente esclaves. A croire
cependant Léon l'Africain, les populations rurales étaient miséra-
bles, écrasées d'impôts de toutes sortes 21. Les Tarikhs semblent
contredire ce tableau et présentent les paysans jouissant d'une

20. Cissoko, Sékéné Mody, Famines et épidémies à Tombouctou et dans la Boucle


du Niger du xvf au XVIIIesiècle, B. IFAN, n° 3, 1968, p. 806-821.
21. Léon l'Africain (Jean), Description de l'Afrique, 1956, p.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 163

grande partie de leurs récoltes après le paiement des redevances


coutumières aux propriétaires.
L'étude de la population ne peut, en conclusion, être qu'une
esquisse, et les chiffres des estimations, à cause de l'insuffisance de
documents. Le tableau présente cependant une population dense
et saine dans la vallée et dans les régions méridionales, de gran-
des villes riches et bien peuplées, foyers de culture soudanaise et
islamique.
II.
LA SOCIÉTÉ

La société songhay du XVIesiècle était, dans ses grandes lignes,


peu différente de celle d'aujourd'hui. Elle se présente sous trois
aspects: patriarcal et communautaire, hiérarchisé et aristocrati-
que, raffiné dans ses mœurs par une profonde urbanité.

A - Société patriarcale et cOlnmllnautaire.

C'est une société qui dans ses structures fondamentales est


constituée non d'individus mais de groupes. L'individu était,
comme partout au Soudan, profondément intégré à tous les
niveaux de l'organisation, l'élément de base étant la famille éten-
due, patriarcale, englobant non seulement le père, la mère, leurs
enfants, mais aussi les frères, les neveux, leurs enfants, les escla-
ves, les clients de tous genres. Les Tarikhs nous permettent d'étu-
dier la structure sociale à trois niveaux:
La famille princière, celle des Askia, était un exemple typique
dans cette société. Les Askia comme tous les membres de l'aris-
tocratie étaient généralement polygames. En plus des quatre
femmes légitimes, ils avaient de nombreuses concubines; les
Tarikhs prétendent même que tous les Askia, en dehors du fonda-
teur de la dynastie, étaient fils de concubines. Ce système fournit
de nombreux enfants qui constituèrent un véritable clan. Ainsi
!'Askia Mohammed eut plus de cent fils et autant de filles. Son
fils, l'Askia Daoud, en eut autant. L'Askia était le chef de l'aristo-
cratie princière. Dans un passage du Tarikh que nous avons cité
plus haut, l'auteur fait savoir que la coutume songhay était que
l'Askia succédant à son frère défunt prît en même temps la direc-
tion de la famille de celui-ci, épousant ses femmes, devenant le
père de ses enfants et héritant de ses biens.
166 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Dans la société songhay, patriarcale bien avant le XIe siècle,


l'héritage passait au plus âgé de la famille. Ce système n'était pas
général chez la plupart des peuples qui constituaient l'Empire au
XVIesiècle. En effet, dans sa lettre à El MaghiJi au début de son
règne, Askia Mohammed le Grand nous apprend que de nombreux
peuples de son empire vivaient encore sous le régime matrilinéaire
et que le neveu prenait tout l'héritage de son oncle au détriment
de la famille de celui-ci 1. Ce système dénote la faible implanta-
tion des pratiques coraniques dans l'Empire, et El Maghili conseil-
lait à l'Askia de le combattre et d'établir le partage de l'héritage
entre les membres de la famille, femmes comprises, étant bien
entendu que la plus grande part reviendrait au chef de famille.
Le deuxième exemple de ces grandes familles était celui des
marabouts. Il y avait dans les grandes villes nigériennes de véri-
tables dynasties maraboutiques dont certains monopolisèrent les
imamats des mosquées et fournirent les meilleurs savants de
l'époque. La famille des Aqît en était la plus célèbre. D'origine san..
haja, venue s'installer dans la ville de Tombouctou au xve siècle
sous le règne de Sonni Ali Ber, les Aqît habitèrent le quartier du
Sankoré et le dominèrent au XVIesiècle non seulement sur le plan
religieux et intellectuel mais par leur nombre. La famille était une
véritable tribu, entretenant de nombreux clients et possédant un
nombre considérable d'esclaves appelés gabibi. Elle devint si puis..
sante dans la cité qu'elle effraya les conquérants marocains en
1593. C'est pourquoi les Marocains, pour faire un exemple et réduire
toute velléité de résistance de la ville frappèrent les Aqît en arrêtant
les membres les plus influents de leur famille. De fait, l'affaiblisse-
ment des Aqît affermit l'emprise marocaine.
Le troisième exemple. que nous donnent les Tarikhs est celui
des familles serviles; dans toutes les provinces de l'Empire son-
ghay s'étaient constitués des villages d'esclaves habités par de
grandes familles ou des tribus sous la direction de leurs chefs.
Les membres en étaient gél1éralement nombreux car ils n'étaient
pas libres de leurs mouvements et étaient astreints à l'habitat fixe.
Le Tarikh el-Fettach mentionne, parmi les esclaves de Diango
Moussa, une famille de 27 membres. Ces familles serviles étaient
organisées de la même manière que les autres et le père exerçait
une autorité toute puissante.
La société nigérienne était donc fondamentalement marquée
par la structure familiale. Celle-ci avait au XVIesiècle dépassé le
stade de l'organisation tribale qui ne devait subsister que sous
forme résiduelle dans quelques régions ou chez les Berbères. Les
noms de familles reflétaient encore l'antique organisation cIani..
que mais le clan s'était réduit à des familles étendues. Nous trou-
vons des noms à résonance soninké: Cissé, Tounkara, Kébé,
Daramé, Diawara, Touré, Sylla, etc., des noms wangara tels que
Bagayogo, Konaté, des songhay tels que Mayga. Les tribus ber..
bères, d'islamination ancienne, adoptèrent la nomenclature de
filiation directe par les particules (ag) et (ben), « fils de». L'étude

1. Un aperçu sur l'Islam songhay, B. IF AN n° 2, 1972, p. 260.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY 167

des noms claniques pose le problème des origines. Il est à remar-


quer que la majorité des noms songhay était d'origine soninké.
L'expansion soninké dans la Boucle du Niger apporta beaucoup
aux Songhay. Les Soninké se fondirent dans la culture songhay
et donnèrent au peuple songhay la dynastie des Askia. Askia Mo-
hammed, Soninké d'origine et Songhay de culture, illustre bien le
processus de synthèse qui aboutit à l'élargissement du groupe
songhay.
Un autre aspect de cette société patriarcale était l'existence de
communautés non-familiales ayant pour fonction d'encadrer les
individus. On peut citer les sociétés religieuses, les groupes d'âges,
etc. Elles assuraient la protection, l'éducation, l'entraide maté-
rielle et morale. A Tombouctou, les groupes d'âge de même tur-
ban 2 se sentaient solidaires et entretenaient des relations de fra-
ternité et d'entraide.

B - Société hiérarchisée.

La société nigérienne était au XVICsiècle composée de trois caté-


gories figées comme des castes. Les structures horizontales ne
rendent pas compte de la nature profonde de la société et ellcs
s'entrecoupent avec les strtlctures verticales si caractéristiques de
l'organisation sociale soudanaise. L'élément urbain, bourgeois et
intellectuel était de plus en plus important mais son développement
n'a pas été un facteur de dislocation de la société traditionnelle
dans laquelle il s'est simplement intégré. Les différentes catégories
de la société loin de se subordonner d'une manière bien nette sont
souvent juxtaposées quoique gardant chacune son contour propre
et ses fonctions. Nous en dégageons les catégories suivantes:

10 .. La noblesse
Comme dans toutes les sociétés soudanaises, la noblesse était
définie par le sang ou par la liberté. On était noble lorsqu'on était
de parents nobles et, dans cette société patriarcale, lorsqu'on
était de père noble. Certes la noblesse pouvait être contestée lors-
que la mère faisait partie de tribus serviles de la couronne. L'on
a, à ce sujet, les mises en garde d'Askia Mohammed à ceux qui
prendraient femme parmi ces tribus 3.
La noblesse se perdait avec la liberté; les prisonniers de guerre,
quel que fût leur statut d'origine, tombaient en servitude. La
noblesse songhay ou San était l'élément dominant de la société.
Ici plus qu'ailleurs, elle formait une classe consciente d'elle-même,
jalouse de ses privilèges et assumant presque à elle seule les
grandes responsabilités politiques et militaires. Certes, les autres

2. Voir la cérémonie du port du turban, 5c partie, chap. II.


3. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 140-141. L'Askia accorde, comme un privilège, la
liberté aux enfants nés de femmes serviles et des descendants de Mori Haougaro.
L'asservissement était donc la coutume pour cette catégorie de personnes.
168 TOMBOUCTOU ET L-EMPlRE SONGHA y

catégories de la société n'étaient pas exclues de l'exercice du pou-


voir, mais elles étaient généralement subordonnées à la noblesse
qui restait la classe dirigeante. Cette noblesse n'était pas uni-
forme. Au sommet il y avait la noblesse impériale, les descendants
d'Askia Mohammed et de ses frères. Par polygamie et concubi-
nage, ce clan se multiplia rapidement et accapara les fonctions
les plus importantes de l'Etat. Les grandes fonctions politiques
tels que les gouvernements de provinces, les grands services de
l'Etat et de l'Armée étaient entre les mains des princes impériaux.
Leur patrimoine était généralement constitué non de terres mais
d'esclaves qui les faisaient vivre par la culture des terres.
Guerriers par excellence, les nobles étaient des cavaliers remar-
quables, des chevaliers qui avaient le culte de l'honneur; ils cons-
tituaient autour d'eux de nombreux clients, hommes libres ou
cas tés pour rehausser leur réputation et leur gloire. Cette noblesse
était batailleuse et ses membres, rivaux les uns des autres, ne
s'entendaient jamais entre eux. Des conflits, à maintes reprises,
aboutirent à des luttes sanglantes et même à la guerre civile.
Les nobles de souche ancienne ou terrienne, maîtres du sol,
ceux qui gouvernaient les provinces ou les villages selon les cou-
tumes locales, ceux qui recevaient leur pouvoir de l'Askia et peu-
plaient l'administration impériale constituaient, pour ainsi dire,
une deuxième catégorie de noblesse. Ils avaient les mêmes droits
civils et militaires que la noblesse impériale avec laquelle ils
étaient souvent liés par mariage. Ils constituaient la clientèle des
Grands de l'empire. Au dessous d'eux, était la masse des hommes
libres de toutes conditions, considérés aussi comme nobles. La
liberté définissait en effet la noblesse. Certes, ces hommes libres
étaient assujettis à la haute aristocratie mais, par leur condition,
ils pouvaient contracter mariage avec elle et accéder aux fonctions
administratives les plus importantes selon les faveurs des Grands
dont ils étaient les clients. Parmi eux les Tarikhs mentionnent sou-
vent les diagaroni ou diagoral11é qui exercèrent souvent les fonctions
politiques auprès des souverains; on ne sait pas s'ils étaient cas-
tés.

2° .. Les castes
L'existence des castes caractérise les sociétés dll Soudan occi-
dental. Sont généralement « cas tés » les gens exerçant un métier
manuel ou ceux qui vivent de la parole ou de la musique. Ils sont
libres mais frappés par une tare sociale qui les enferme dans une
endogamie plus ou moins stricte selon les différentes catégories.
La société songhay n'ignorait pas les castes. Certes les musi-
ciens et les griots mentionnés par les Tarikhs étaient d'origine
étrangère chez les songhay. Les géséré étaient des griots soninké et
les l11abo des Peul venus du Macina. Les tribus serviles castées
qui constituaient l'essentiel du patrimoine des Askia étaient d'ori-
gine mandingue. On ne sait si la masse de gens de métier qui
peuplaient les villes nigériennes était alors castées ou non. D'après
les traditions orales, certains forgerons et menuisiers de Tom-
TOMBOUCTOU ET L"EMPIRE SONGHA y 169

bouctou sont castés et sont l'objet d'un respect craintif de la part


de la population. Ainsi les métiers traditionnels étaient castés,
mais ceux spécifiquement urbains comme la maçonnerie, la bou-
cherie, la boulangerie, etc. ne l'étaient pas. Les hommes de caste
assuraient en tout cas un rôle économique important qui a été
évoqué plus haut et des fonctions politiques non négligeables.
Ainsi les griots géséré étaient parmi les courtisans les plus écoutés
de la Sounna et ils assuraient les missions spéciales des Askia
auprès des gouverneurs de provinces ou des marchands des gran-
des villes. A noter la familiarité qui existait entre l'Askia et le chef
des géséré qui, dans le protocole impérial, avait seul le droit
d'interpeller l'Askia par son nom.

3° - Les esclaves
Les esclaves devaient constituer à cette époque l'élément le plus
nombreux de la population. Chaque famille, selon son ilnportance,
en était possesseur. L'on peut distinguer deux catégories d'escla-
ves : ceux de l'Askia et ceux des particuliers.
La dynastie Askia a hérité des Sonni vingt-quatre tribus d'escla-
ves enlevées au Mansa du Mali par Sonni Madaou et qui assu-
raient tous les travaux, depuis le ménage domestiquè jusqu'à la
fabrication des armes. Chaque tribu, étant spécialisée dans un
travail donné, finit par être castée dans cette activité. C'est le cas
des trois premières, d'origine bambara, les descendants de Diarra
Koré Boukar, les Kassambara et les Ngaratibi 4. Elles étaient atta-
chées à la glèbe et devaient fournir annuellement par tête dix à
trente mesures de grains selon leurs revenus. La quatrième,
malinké, portant le nom de Tyindiketa 5, assurait le ravitaillement
de l'écurie impériale. La cinquième que l'auteur appelle d'un
terme arabe, zendji (esclave) s'était spécialisée dans la pêche sur
le Niger, payant à l'Askia une redevance annuelle de dix paquets
de poisson séché et lui fournissant des pirogues avec équipage.
Cette tribu était très nombreuse dans la vallée du Niger. Un de ses
ancêtres, Farantaka, aurait eu, selon le Tarikh, une descendance de
près de 2700 membres au début du XVIesiècle. La sixième tribu
appelée Arbi s'occupait de travaux du palais, fournissait des servj-
teurs et des domestiques au Roi et aux princes, assurait la garde
personnelle de l'Askia lors de ses voyages. Les autres tribus, celles
des Diam Téné, Diam Ouali, Sorobanna, Samatséko, Komé, sem-
blaient, d'après la résonance de leur nom, être d'origine peule.
Elles seraient issues d'un mêlne ancêtre et formaient la caste des
forgerons; leur charge était de fournir chaque année à l'Askia cent
lances et cent flèches par famille. L'Askia Mohammed donna plu-
sieurs membres de ces tribus serviles à ses amis ulémas comme

4. Tarikh el-Fettach, p. 107. Le premier est typiquement bambara, le deuxième et


le troisième dont les noms ne sont pas traduisibles ont aussi une résonance bam-
bara.
5. L'auteur du Tarikh el-Fettach, pense que ce mot signifie « coupeur d'herbe 1}
en mandingue, p. 109. Nous n'avons pas pu le traduire mais sa résonance est cepen-
dant mandingue.
170 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

nous le verrons plus loin. Outre ces douze tribus traditionnelles,


l'Askia avait des milliers d'esclaves dans des villages de culture
disséminés à travers l'Empire, depuis le Dendi jusqu'au Macina.
Chaque expédition guerrière accroissait le nombre des captifs et
favorisait l'implantation dans la Boucle du Niger de villages entiers
d'ethnies vaincues, mossi, bambara, soninké, bariba, peul, etc.
Selon leur fortune et leur rang, les particuliers disposaient de
nombreux esclaves. Les ulémas, les princes, les marchands et les
simples particuliers entretenaient à la campagne ou dans leur mai-
son des esclaves achetés, acquis par donation ou comme butin de
guerre. Les esclaves de traite étaient objet de spéculation sur
tous les grands marchés nigériens. Ils étaient vendus et expédiés
vers le Nord au Sahara et au Maghreb.
Les conditions de vie des esclaves ne devaient pas être à l'épo-
que aussi misérables qu'elles le furent du XVIIeau XIXesiècles. Les
esclaves des villages de culture jouissaient d'une certaine liberté.
Ils étaient maîtres de leurs récoltes après paiement des redevan-
ces et libres dans leurs activités. Certains maîtres affranchissaient
leurs esclaves pour les récompenser de leur fidélité ou par piété.
Ces affranchissements étaient enregistrés par les cadi et leurs
assesseurs.
L'esclave jouait un rôle prédominant dans la production rurale,
exerçait certains métiers et formait la masse de la population. Il
n'est pas cependant juste de parler ici de société esclavagiste.
L'importance de l'économie urbaine d'échanges, le travail produc-
teur des hommes libres, le rôle directeur de la noblesse dans
l'armée et la fonction publique sont des facteurs plus détermi-
nants que la production esclavagiste dans la société songhay. Les
esclaves participaient peu aux fonctions politiques. Ils ne consti-
tuaient pas l'élément dominant dans l'armée et n'avaient aucun
droit de regard dans la nomination des Asika.

4° - L'élément urbain
Le citadin était l'élément nouveau dans la société songhay.
C'était l'intellectuel, le marchand, l'artisan. Il était ou étranger ou
issu de la société traditionnelle, toujours fruit de l'activité commer-
ciale urbaine. La religion et l'instruction étaient l'apanage de tou-
tes les catégories de la société et elles annoblissaient. Nous avons
dans le Tarikh un passage curieux qui illustre bien la qualité anno-
blissante de la religion. L'Askia Daoud accueillit des pèlerins
venant de La Mecque et salua parmi eux un esclave en lui serrant
la main; ses courtisans menacèrent J'esclave pour avoir osé don-
ner la main à l'Empereur. C'est alors que le sage Mohammed Kâti
intervint ironiquement pour demander qu'on coupât la main qui,
après avoir touché le tombeau sacré du Prophète, a eu l'impudence
de serrer celle de l'Askia! L'Askia déplora l'incident, pardonna à
l'esclave et le traita en homme libre 6.
Les Askia vouaient un grand respect aux marabouts et aux horn-

6. Tarikh el-Fettach, p. 204-205.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 171

mes de culture. Ainsi dans le protocole impérial, les shérifs avaient


seuls le droit de manger avec l'Askia, de s'asseoir sur son estrade,
etc. L'on connaît les libéralités des Askia et plus particulièrement
de l'Askia Mohammed et de l'Askia Daoud vis-à-vis des ulémas de
Tombouctou qui jouissaient de l'immunité fiscale. Les lettrés
vivaient presque tous dans les villes et exerçaient une grande
influence sur la société songhay.
La bourgeoisie marchande, constituée pour sa plus grande part
d'étrangers, vivait dans les villes. Les marchands soudanais, peu
importants par le nombre, loin de faire éclater la société tradi-
tionnelle s'intégrèrent à elle selon le clivage ancien. La bourgeoi-
sie, du reste, ne fut pas créatrice de richesses locales, n'eut pas un
rôle moteur pour transformer la société globale comme ce fut
le cas en Europe.

C . La vie sociale.

Les auteurs des Tarikhs ont beaucoup insisté sur l'intensité de


la vie sociale dans la Boucle du Niger. A les suivre, on peut bien
parler d'une certaine douceur de vivre. Es Sacdi chante la ville de
Tombouctou, «exquise, pure, délicieuse, illustre, cité bénie, plan-
tureuse et animée... »7 et Kâti la compare à Basra pour l'anima-
tion, la richesse et la douceur de la vie! Ahmed Baba exilé chanta
en des termes émouvants la nostalgie de son pays. Pour le marchand
harassé de la traversée transsaharienne, la Boucle du Niger était
un véritable mirage et exerçait une attraction considérable sur
les esprits. Là les étrangers se reposaient et pouvaient s'adonner
aux « plaisirs de ce monde », surtout à Tombouctou et à Djenné
qui connaissaient des mœurs quelque peu dépravées. C'est là que
le broussard soudanais pouvait voir des maisons à terrasses et à
étages, des marchés grouillants et bigarrés où s'entassaient des
richesses. Des agglomérations humaines abritant des milliers d'habi-
tants, ornées de grandes mosquées frappent nécessairement l'ima-
gination de celui qui ne connaît que la case ronde de son village!
Tombouctou au XVIesiècle est un témoignage de cet épanouissement
de la vie urbaine. Le tableau que nous présente Léon l'Africain au
début du XVIesiècle n'a pas aujourd'hui tellement changé. Ce que
nous voyons aujourd'hui n'est qu'un pâle reflet de Tombouctou à
son apogée. La ville était très animée. Les scènes de mariages
avec tambours battants, les danses nocturnes, les chants corani-
ques dans les quartiers constituaient les agréments quotidiens de
la ville.
Les deux grandes fêtes de l'année, la Tabaski - l'Aid el Kebir
- et le Ramadan étaient célébrées avec faste; la plus grande
fête mustllmane dans la Boucle du Niger et surtout à Tombouc-
tou demeure aujourd'hui encore le Maouloud. La ville de Tom-
bouctou est, ce jour-là, encombrée des gens de toute la région;

7. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 36.


172 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

les prières ont lieu à la Sankoré, à la Jingéreber toute la nuit. Des


lectures de coran, des panégyriques du prophète se déroulent à
grand bruit à travers la ville. Il y a lieu de parler d'un vérita'ble
carnaval religieux!
D'une manière générale, avec le climat très chaud de ces régions,
les gens aiment sortir; les après-midi, les citadins vont prendre
le frais tout autour de la ville et sur les dunes. On voit également
quelques personnes se promenant à cheval dans les rues. Des
ulémas appuyés sur leurs bâtons, fonnent de petits groupes et
palabrent de toutes choses. Dans ces villes, on aime les conversa-
tions ininterrompues, autre moyen de diffusion des idées et de
la culture.
Les mœurs ne sont pas cependant à l'abri des critiques dans les
grandes villes. Askia Mohammed dans une lettre à El Maghili
déplorait les scènes d'impudence sur les places publiques et la
prostitution qui faisait la réputation de Djenné et de Tombouc-
tou. A la fin du siècle, l'adultère était devenu si fréquent que
l'Askia Ishaq II dut instituer un tribunal chargé de juger en la
matière. A Djenné, au début du XVIe siècle, des jeunes filles ne
portant qu'une bande de cotonnade se promenaient presque nues
dans la ville. L'Askia Mohammed et ses successeurs réprimèrent
ces tenues incompatibles avec l'Islam.
Comme on le voit, la société nigérienne était complexe et assez
équilibrée. Le nombre des hommes libres semblait faire pendant à
celui des esclaves. L'aristocratie restait dominante, non par ses
richesses mais par sa suprématie politique et militaire. Les esclaves,
maîtres de leurs champs et d'une partie de leurs récoltes, n'étaient
pas con1parables à ceux des siècles suivants. Les citadins, malgré
leur nombre infime dans l'ensemble de la population, introduisent
l'urbanité dans la culture nigérienne, une des plus raffinées aujour-
d'hui du Soudan occidental.
CINQUffiME PARTIE

Croyances traditionnelles
Religion musulmane
~

Epanouissement
in tellectuel et artistique
I.
CROYANCES TRADITIONNELLES

L'histoire des empires du Soudan médiéval a été quelque peu faus-


sée par le rôle excessif accordé à l'Islam. Ces sociétés sont pré-
sentées comme fortement islamisées, comme une prolongation du
monde musulman et oriental en Afrique noire. Cette interpréta-
tion dérive des sources arabes qui, avant le xve siècle, furent les
seules' à nous renseigner sur le Soudan occidental. Les pèlerinages
fastueux des souverains africains à La Mecque et la réputation de
certaines cités religieuses comme Tombouctou, Oualata, Djenné,
privilégièrent, du reste, le rôle de l'Islam. Pour l'Empire songhay,
les deux sources fondamentales de son histoire, les Tarikhs de
Tombouctou, écrits par des alfa orthodoxes et dédaigneux de
tout ce qui rappelle l'animisme, se situent dans une perspective
islamique. Elles n'abordent les faits et les hommes qu'en fonction
de l'Islam. Ainsi elles passent sous silence un large secteur de la
civilisation du Soudan nigérien, celui des croyances populaires, de
l'animisme traditionnel qui constituaient l'élément le plus carac-
téristique des sociétés soudanaises et sans lequel l'Islam lui-même
ne pouvait se comprendre.
On doit louer l'effort des historiens zermaisant, Boubou Hama,
Jean Rouch 1, qui ont réagi contre la tradition des Tarikhs, et,

1. Boubou Hama demeure le grand historien des Songhay. Son érudition dans la
connaissance des tradition~ nigéro-sahéliennes, écrites ou orales, sa vaste capacité de
synthèse, son intention délibérée de situer l'histoire africaine dans l'ensemble des
valeurs de civilisations africaines donnent une vision grandiose, quelque peu épique
de l'histoire des Songhay. On doit regretter chez ce grand historien le mépris de la
composition, du style historique et l'utilisation consciente, sans critiques préalables,
des légendes et des traditions orales éparses du monde sahélo-nigérien. Parmi ces
œuvres, on peut citer:
- BouInois Dr. J. et Boubou Hama. Empire de Gao, Histoire, coutumes, magies,
1954.
- Enquête sur les fondements et la genèse de l'Unité Africaine, Présence Mri-
caine, 1966.
176 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

à partir des traditions songhay actuelles, ont cllerché une autre


explication de l'histoire. Ils vont jusqu'à expliquer l'évolution de
l'Empire par la lutte entre l'élément traditionnel, indigène, repré-
senté par la dynastie des Sonni, les provinces orientales (Dendi) et
l'élément musulman, étranger, représenté par Askia Mohammed
et les grandes villes marchandes. Ils voient la victoire finale des
valeurs traditionnelles en 1591 par l'écroulement de l'Empire dans
sa partie la plus islamisée et le retour des Songhay à leur patrie
d'origine, le Dendi.
Cette réaction anti-tarikh a élargi les dimensions de l'histoire
de l'Empire songhay. Certes la dualité islam-animisme n'était pas
un fait nettement tranché. Il y avait interpénétration de deux
croyances. L'Islam imprégna certaines pratiques animistes et les
Songnanké (magiciens guérisseurs) dont le grand maître fut
Sonni Ali n'ignoraient pas l'Islam. La religion musulmane n'eut
pas une égale implantation dans toutes les provinces. Venu du
Nord, l'Islam resta d'abord marginal quant aux sociétés souda-
naises; il demeura cantonné dans les agglomérations marchandes
ou isolé dans les campagnes autour d'un grand marabout. Ainsi
son extension fut plus importante dans la région occidentale
(Tombouctou, Djenné, Oualata, Dia, etc.) que dans le Sud, le
Dendi, moins urbanisé et plus attaché aux anciennes coutumes
songhay. Les peuples qui. constituaient l'Empire songhay au XVIe
siècle, malgré l'effort d'islamisation du grand Askia, restèrent
dans leur masse attachés aux croyances traditionnelles du ter-
roir soudanais. Les farouches idolâtres bambara du Sud du Delta
central nigérien, les Bozo et les Sorko du Niger, les nomades peul
éparpillés dans l'Empire songhay, les nombreux esclaves razziés
dans les pays mossi, bariba, etc. tout ce monde vivait selon les
croyances traditionnelles. Les paysans formant la masse de la
population continuaient à pratiquer le culte des divinités protec-
trices de leurs villages, sources de fécondité et de bonnes récol-
tes. Les croyances animistes, malgré la diversité des peuples et
malgré quelques différences de détails selon le milieu, reposent
sur la même conception de l'Univers et de l'Homme. Nous allons
prendre l'exemple des Songhay, non seulement parce que ce peu-
ple fut le fondateur de l'Empire mais aussi parce que sa religion
fut l'objet de travaux remarquables. Rien ne nous empêche de
remonter plus haut et de considérer que les croyances que nous
constatons aujourd'hui plongent leurs racines dans un passé loin-
tain. Le Tarikh es-Soudan prétend même que la ville de Koukia
avait acquis une si grande réputation dans la pratique de la magie
qu'un pharaon d'Egypte fit appel à ses magiciens pour affronter
le prophète Moïse. Les Tarikhs mentionnent quelques faits de
magie à tous points identiques à ceux que nous appelons aujour-

- Histoire traditionnelle d'un peuple: les Zarma-Songhay, Présence Africaine,


1967.
-- Histoire des Songhay, Présence Mricaine, 1968.
Rouch (Jean), Contribution à l'histoire des songhay, Mémoire IF AN, 1953.
- La religion et la magie songhay, Paris Presses Universitaires, 1960.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 177

d'hui maraboutage. Le grand Askia Mohammed lui-même croyait


aux génies et aux jinns et sur le chemin de son pèlerinage, il
consulta le chef des jinns appelé Chamharouch.

A - Croyances songhay.

Les Songhay considèrent en effet l'Univers (la Terre plate et


circulaire entourée d'Eau recouverte par une coupole de pierre ou
Ciel) comme peuplé de génies ou divinités (halé), de jinns et d'es-
prits bons ou malfaisants 2. Certes ils croient en Dieu, Irke, « notre
Maître », mais ils le trouvent inaccessible à l'homme qui doit
s'adresser aux divinités inférieures (holé) qui régissent la vie sur
terre. Celles-ci sont hiérarchisées; les divinités de l'eau (Niger)
sous la direction de la puissante reine Haraké Dicko « la maî-
tresse des eaux, l'Aînée », sont les plus importantes du panthéon,
le Niger étant source de vie pour le peuple songhay. Dongo, dieu
de la pluie et de la foudre, le plus populaire après Haraké, est
redouté et très vénéré. Les méchantes divinités de la brousse (les
gaji ou ganjibi), celles du ciel sont d'un ordre inférieur.
Les holé sont invisibles, immortels. Chacun a un double qui
prend une forme humaine et peut s'emparer de certaines personnes.
Les Songhay, comme beaucoup de peuples africains, ont une
conception originelle de la personnalité 11un1aine. L'être se compose
de trois éléments: la matière (le corps) périssable, le souffle vital,
(le houndi), qui anime le corps, le double ou l'ombre, «byia », qui
est l'image du corps. « Le double n'est pas la vie mais toute cette
partie spirituelle de l'homme qui est conscience sous toutes ses for-
mes: pensée, souvenir, sensibilité, physique et morale, caractère,
etc.3. » Ce double immortel a une forme et peut se déplacer comme
dans le rêve. La mort est la séparation du double avec le corps -
souffle vital. Le double d'un ancêtre peut se réincarner chez un de
ses descendants. Cette notion du double, commune à la pensée
traditionnelle soudanaise, est un élément important de l'animisme
des Songhay. Ceux-ci croient que les halé s'emparent des dou-
bles des personnes malades (névrosés) et en font leurs «escla-
ves» « holé-tam». De là naît un véritable culte des holé, très
répandu, non seulement chez les Songhay, mais dans tout le Sou-
dan occidental jusque chez les Lébou du Cap-Vert 4. Des cérémo-
nies d'initiation des « holé-tam », dirigées par le chef du culte, le
Zi111111a,entouré des membres de l'association, des musiciens pro-
fessionnels, ont périodiquement lieu dans les communautés son-
ghay et sont accompagnées de sacrifices, de divinations, mais
aussi de bonne chère. L'initié danse; son holé détecté, reconnu et
vénéré d'un sacrifice, parle à travers lui et prédit l'avenir. Il y a

2. Boulnois et Boubou Hama, L'Elnpire de Gao: Histoire, coutumes et lnagie des


SOllrai, Paris, Maisonneuve, 1954, chap. II.
3. BouInois J. et Boubou Hama, 1954, p. 79.
4. SilIa Ousmane, Langage et techniques thérapeutiques des cultes de possession
des Lebou du Sénégal, B. IFAN, 1, 1969.
178 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

de bons et de mauvais holé. C'est le rôle du Zimma de faire les


sacrifices expiatoires et de défendre la communauté contre les
mauvais holé, contre les doubles vengeurs «les Wei haï» - fem-
mes mortes en couches, adolescents morts accidentellement -
contre les sorciers, « tierkei », mangeurs de doubles.
Les holés auraient été découverts par l'ancêtre légendaire des
pêcheurs sorko du nom Faran Maka Boté, sorte de géant hercu-
léen dont les exploits fondent la mythologie songhay. Faran Maka
Bo~ vainquit les halé, découvrit la magie et la mit au service de
la communauté.

B . Les Sonni, maîtres de la magie.

Les vrais maîtres de la magie étaient les Sonni ou Chi ou Si


dont les descendants prirent le titre de Songnanké et habitent
aujourd'hui les pays de l'Anzarou, de Téra.
On a beaucoup parlé, sans le résoudre, du problème de l'origine
des Sonni. Les Tarikhs les rattachent directement à la dynastie des
Dia. Pour Boubou Hama, les Sonni seraient une fraction du peu-
ple songhay, celle qui avait la pratique de la magie, du culte des
génies et qui habita dans le Sud à Weiza goungou et ensuite à Kou-
kia. L'occupation mandingue n'aurait pas dépassé Gao et aurait
laissé libre cette partie du territoire des Songhay. C'est de là
donc que plus tard les Sonni animistes remontèrent pour enlever
le Nord aux Malinké et à leurs vassaux, les Dia. Le dernier et le
plus grand des rois Sonni, Ali Ber, illustre bien la thèse de Bou-
bou Hama. Comme ses prédécesseurs, malgré son vernis islami-
que, Sonni Ali, le vrai Songhay du Sud, connut la religion ances-
trale des holé et acquit une réputation de « maître » dans la magie
soudanaise. Il était «dâli », maître supérieur de la géomancie, de
la divination. Sa réputation d'invincibilité dans les batailles ne
peut autrement s'expliquer. On prétend même que son cheval
zinzinbadou se transformait en vautour et s'envolait dans les
combats. Sonni Ali connaissait l'avenir; il était maître du pré-
sent, chef religieux de la communauté qu'il protégeait par ses
korté (charmes magiques). Il exerça sur les esprits une puissante
influence mystique qui explique la rapidité de ses conquêtes. Dès
lors, son nom était invoqué par les grands magiciens avant toute
séance de divination. Ses descendants et ses compagnons chassés
du pouvoir par Askia Mohammed se réfugièrent au Sud dans
leur pays d'origine et continuèrent la tradition animiste sous le
nom de Songnanké. Ils jouirent d'un prestige extraordinaire dans
la magie et la confection des korté, sérieuse compensation à la
perte du pouvoir temporel! Les Tarikhs ne les mentionnent pas
pour notre époque mais cela ne signifie pas qu'ils n'existaient
plus. Sonni Barou et les autres Sanni ont continué la tradition
animiste de Sonni Ali, et leur éloignement du pouvoir leur a
permis de s'adonner entièrement à leur science. Les Songnanké,
formant aujourd'hui une véritable caste, sont considérés comme
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 179

protecteurs de la communauté contre les esprits malfaisants, les


sorciers et, par leurs korté, captent toutes les forces de la nature
et des génies au service de l'homme et de la collectivité. Leur
« science» est nécessairement bienfaisante et c'est peut-être la
raison du succès de leur dynastie qui, à l'origine, se posa en libé-
ratrice face à l'Empire du Mali.

C - Le culte.
Comme d'autres peuples soudanais, les Songhay rendent un
culte aux ancêtres. Les doubles de ceux-ci ne meurent jamais et
peuvent causer du mal à leurs descendants si on les négligeait.
Aussi, sous la direction des chefs de familles ou des premiers habi-
tants d'un lieu, des sacrifices ont périodiquement lieu à des
endroits consacrés qui ne sont pas nécessairement des tombeaux.
Des cérémonies similaires se déroulent pour apaiser les jinns ou
les génies par le sacrifice d'animaux en des lieux spécifiqu.es
comme les termitières, les cavités de tronc d'arbres, les carrefours,
etc. « Ils vénèrent aussi comme le constate l'Askia Mohammed en
1502, certains arbres, font des sacrifices en immolant des bêtes à
leur intention 5... » Il en était ainsi au pays maternel de Sonni AIL..
qu'Askia Mohammed décrit en ces termes: « Sa mère (de Sonni
Ali) était originaire du pays des Fâra 6 qui sont des adorateurs
d'idoles, en arbres ou en pierres devant lesquelles ils déposaient
des offrandes et leur demandaient de satisfaire à leurs besoins. Et
chaque fois qu'ils obtenaient satisfaction, ils disaient que c'était
leurs dieux qui leur accordaient cette grâce. Si par contre leurs
prières n'étaient pas exaucées, ils disaient que les dieux ne les
autorisaient pas à faire la guerre et qu'il fallait attendre une
seconde consultation. De même, aussitôt revenus d'un voyage, ils
se faisaient obligation d'aller déposer leurs bagages devant elles
avant de regagner leurs domiciles 7... »
Le culte est fonction de la divinité concernée. Il n'a pas une
organisation nationale. Chaque collectivité villageoise ou familiale
a ses prêtres (Zîmma), ses cases-temples où sont gardés les objets
du culte. Les Sorko, serviteurs de la déesse Haraké, maîtres des
eaux, ont une sorte de prééminence dans la direction des cultes
où ils sont généralement préférés à tous autres.
D'une façon générale, la religion songhay révèle un optimisme
fondamental8. L'homme n'est pas tourmenté par un péché origi-
nel et hanté par la crainte d'un au-delà (Paradis-Enfer) qui fonde
la morale dans les grandes religions révélées. Bien au contraire, la
magie peut utiliser toutes les ressources de la nature au service de

5. Un aperçu de l'Islam songhay, B. IF AN n° 2, 1972, p. 253.


6. On le localise dans le Nord Dendi, au pays de Sokoto.
7. Un aperçu de l'Islam songhay, 1972, p. 249.
8. C'est la conclusion à laquelle est parvenu Jean Rouch, La religion et la I1lagie
songhay. Cet optimisme est commun aux populations animistes du Soudan occi-
dental.
180 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

l'homme. Elle a un objectif essentiellement social: protéger la


société contre le mal, lui procurer le bonheur et l'équilibre néces-
saire à son épanouissement. Elle nous donne un reflet des croyan-
ces traditionnelles du Soudan Occidental et peut-être de l'Afrique
noire en dehors des valeurs islamiques qui constituent l'autre volet
de la civilisation soudanaise.
ll.
RELIGION MUSULMANE

Au xve siècle, l'Islam était vieux de près de cinq siècles dans la


vallée du Niger. Venu du Nord avec le commerce, il s'est implanté
dans nombre de communautés marchandes et a tenté de péné-
trer à l'intérieur du Soudan par le commerce et par le prestige ou
l'action des princes islamisés comme Kankou Moussa ou Souley-
mane, mansa du Mali. Le Xve-XVlesiècle constitue un tournant capi-
tal de son évolution dans le Soudan nigérien.

A - Evolution de l'expansion islamique aux XV-XVIe siècles.

L'expansion et la consolidation de l'Islam dans l'Empire son-


ghay sont dues à la politique des souverains de Gao, à l'action mis-
sionnaire des ulémas des grandes villes, en particulier de ceux de
Tombouctou et de Djenné, et à celle des marchands musulmans,
Wangara et Wakoré surtout, qui sillonnaient l'Ouest africain. On
peut distinguer deux grandes périodes.
10 .. Avant Askia Mohammed ]tJr
L'Islam restait contenu dans les grandes villes marchandes qu'il
avait conquises avant et pendant la consolidation de l'Empire du
Mali. Tombouctou était fière de n'avoir jamais connu d'autres cul-
tes que l'Islam. Comme il est dit plus haut, elle était devenue dès
le xve siècle la plus grande métropole religieuse du Soudan tant
par le nombre de ses saints, la magnificence de ses trois mosquées
que par son université dont la réputation dépassait les limites du
Soudan. Djenné, sa jumelle dans le Delta central nigérien, était,
elle aussi, une grande cité musulmane qui, au dire de Es Sacdi,
182 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y

avait près de 4200 ulémas au XIve siècle 1; malgré l'exagératiol1


manifeste du chiffre, il est certain qu'une partie de la population
pratiquait l'Islam et l'on comprend, dans ces conditions, la conver-
sion du roi KoÏ Komboro vers 1 300 et la construction de la plus
belle mosquée du Soudan occidental, majestueuse et rayonnante,
reflet de la foi et de la richesse de la grande métropole noire du
Delta central au XIVesiècle.
A l'autre bout de la Boucle du Niger, la ville de Gao, capitale de
la dynastie des Sonni, point d'arrivée des marchandises et des
idées du Nord connut très tôt l'Islam bien avant la conversion du
roi Dia KossoÏ vers 1010. La communauté musulmane se développa
vite grâce à l'installation dans la ville de nombreux ressortissants
arabo-berbères; la description que donna Ibn Battouta ne laisse
pas de doute sur l'importance de l'islamisation de la population.
Ibn Battouta rencontra dans toutes les agglomérations de quelque
importance des colonies musulmanes étrangères ou soudanaises.
Les mansa du Mali et, en particulier, Mansa Kankou Moussa, ont
ouvert leur empire aux marchands et aux lettrés du monde musul-
man et ont œuvré à l'expansion de l'Islam. Le Tarikh el-Fettach
prétend même que Kankou Moussa a construit des mosquées dans
toutes les villes nigériennes traversées en retournant de son pèle-
rinage. C'est probablement aux XIIIC-XIvesiècles que l'Islam se
répandit des villes sahéliennes vers la vallée du Niger et le Sud.
Il fut aidé par l'accroissement du commerce dans l'Empire man-
dingue. Les marchands wangara (malinké) ou wakoré (soninké)
musulmans furent les premiers missionnaires de l'Islam dans les
régions méridionales où ils allaient vendre le sel et les produits du
Nord.
Il n'est pas certain pourtant que l'Islam ait débordé, au début
du xV: siècle, des centres marchands pour atteindre les populations
rurales. Les rares renseignements que nous avons sur la campagne,
qui devait abriter la presque totalité des populations, semblent
montrer le contraire. Malfante en 1447, Léon l'Africain à la fin du
siècle, les insinuations et le silence des Tarikhs nous incitent à
croire que les paysans étaient peu touchés par l'Islam et qu'ils
continuaient à pratiquer les croyances ancestrales que nous avons
décrites plus haut.
Ainsi, l'Islam évolua durant le xve siècle dans son cadre tradi-
tionnel, c'est-à-dire dans les agglomérations urbaines et marchan-
des. Comme nous le verrons, il se consolida sur ces bases qui
allaient servir de point de diffusion à l'intérieur du Soudan occi-
dental. Son expansion dut être quelque peu gênée par la situation
politique même du Soudan. A l'Ouest, l'Empire du Mali était en
crise interne; les mansa se désintéressèrent des provinces orien-
tales qui, malgré les résistances des farin, furent victimes de leurs
ennemis, les Touareg, les Sonni de Gao, les Mossi du Yatenga.

1. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 24. Ce chiffre est exagéré. Comme nous le verrons
par la suite, Djenné n'eut son premier cadi qu'au temps d'Askia Mohammed. La
liste de savants donnée par Es Sacdi comporte à peine une dizaine de noms pour Je
xV' et le XVIPsiècles.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 183

:\insi les grands centres névralgiques de l'Empire, Oualata, Djenné,


Tombouctou et leurs régions échappèrent, au milieu du siècle,
au Mansa du Manding. Les autres provinces de l'Est et du Nord,
tels le Kala, le Macina, le Diahra, le Ouagadou, etc. étaient, à
l'époque, autonomes du Mansa; leur farin, vassaux plutôt que
fonctionnaires, s'étaient érigés en véritables souverains. Il est
probable qu'au milieu du XVCsiècle, beaucoup d'entre eux n'étaient
plus musulmans et que, s'ils l'étaient, c'était tièdement comme les
Sonni de Gao.
Ces derniers à en juger par la politique du dernier et du plus
grand de leur dynastie, ne semblaient pas avoir favorisé l'expan-
sion de l'Islam. Par leur origine méridionale, ils étaient des vrais
Songhay et ils avaient acquis une grande réputation dans l'exercice
de la magie. Ils ne changèrent pas après leur accession au pouvoir
royal. Certes, la tradition à Gao exigeait que le souverain fût musul-
man depuis la conversion de Dia KossoÏ au XIe siècle. Les rois
Sonni ne brillèrent pas par leur foi islamique. Ils n'eurent pas une
politique musulmane. En tout cas, les Tarikhs ne les louent pas
et l'on sait tout le mal qu'ils disent de Sonni Ali. L'Islam semblait
donc se cantonner sur le terrain conquis et ne fit pas de grands
progrès. Avec Sonni Ali, il perdit même du terrain. L'anticlérica-
lisme du grand Sonni a fait fuir nombre d'ulémas et arrêta l'immi-
gration des lettrés arabo-berbères. Les docteurs s'employèrent à
discréditer le souverain songhay dans le monde musulman, à
donner une dimension extraordinaire à ses persécutions et à ter-
rifier les pèlerins étrangers sur ce qui se passait dans l'Empire
songhay. Certes la situation évolua à partir de 1477 et nombre de
lettrés revinrent dans l'Empire mais l'Islam ne s'épanouit pas;
les musulmans se tinrent tranquilles pendant tout le règne.
Par contre, Sonni Ali, vénéré des peuples pour sa puissance
mystique de maître magicien qui fit de lui le combattant suprême,
l'égal des génies, encouragea directement ou indirectement les
croyances ancestrales. Askia Mohammed dans sa lettre à El
Maghili, nous décrit fort bien le Sonni, son entourage, et le pays
de sa mère 2. Sonni Ali était illettré, mauvais musulman; il ignorait
le dogme, travestissait les pratiques islamiques et violait toutes les
prescriptions coraniques. Il n'était peut-être pas kharejite dans le
sens originel de ce mot, car le Kharejisme implique une rigueur
religieuse inconnue du Sonni. Il faut comprendre ce mot comme
le contraire de l'orthodoxie religieuse et Mauny a bien raison de
le traduire tout simplement par « mauvais musulman ». « Ni Sonni
Ali, ni son entourage n'ont jamais assisté aux prières de vendredi
ni aux autres prières dites dans les mosquées. En outre, nul parmi
les siens, qui se chiffrent à des milliers d'hommes et de femmes,
n'ose faire une seule prière, ni observer le jeûne d'une seule jour-
née de Ramadan par peur d'être châtié 3. »)
En 1591, dans la lutte qui opposa Sonni Baro à la ligue musul-
mane, tous les grands de l'Empire, sauf deux ou trois, se ralliè-

2. Un aperçu de l'Islam songhay, B. IFAN, n° 2, 1972.


3. Un aperçu de l'Islam songhay, B. IF AN, n° 2, 1972, p. 250.
184 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

rent au fils du Sonni soit par loyalisme soit pour se défendre contre
l'Islam envahissant. Cela montre que même dans les villes, l'aris-
tocratie politique était à l'image du Sonni. Elle n'était musulmane
que de nom et prenait des libertés avec le dogme et les pratiques
islamiques. Les musulmans de l'époque, en dehors d'une mino-
rité lettrée d'origine arabo-berbère ou wangara-wakoré, étaient
pour la plupart illettrés et, comme de nos jours, ne comprenaient
dans la religion que les pratiques formalistes et rituelles. Askia
Mohammed déplorait à la fin du xve siècle, comme un grand mal-
heur pour l'Islam, la pléthore de marabouts ignorants et préten-
tieux : « Un malheur nous frappe et éprouve durement notre pays
à cause de la malhonnêteté de ceux à qui l'on attribue la science
dont voici quelques traits caractéristiques. II s'agit des non-Arabes
qui comprennent à peine la langue arabe par suite de voisinage
avec les Arabes. Non seulement ils éprouvent beaucoup de difficul-
tés à parler mais ils escamotent les mots et leur donnent souvent
des significations qui leur sont étrangères. Comment peuvent-ils
donc comprendre le sens des lois ou l'intention des jurisconsultes,
voire être à même de décéler des imperfections? Et malgré cela,
ils ont des livres qu'ils étudient, des histoires et des chroniques
qu'ils se transmettent les uns aux autres 4. »
Ce tableau paraît un peu trop sombre. Il nous permet d'appré-
cier l'importance de l'Islamisation à la fin du xve siècle. L'Islam
était le fait d'une minorité, certes puissante et honorée, géné-
ralement d'origine étrangère. Il dépassait à peine les limites des
villes marchandes plus nombreuses dans la région occidentale,
de Gao à Djenné que dans la partie sud-est, le Dendi. Il ne fut pas
encouragé par la situation générale et plus particulièrement par ]a
politique des rois Sonni.

2° - Epanouissement de l'/slaln à partir d'Askia Mohamnzed 1*'.


La victoire en 1492 de la ligue musulmane dirigée par Askia
Mohammed est un tournant dans l'histoire de la vallée nigérienne.
Askia Mohammed s'empara du pouvoir souverain sous le couvert
de l'Islam et sa politique fut au service de la religion. Il fut secondé
dans cette œuvre d'islamisation par l'action missionnaire des ulé-
mas des grandes villes, par les marchands qui profitèrent de la
paix générale pour étendre leurs réseaux commerciaux. Il s'em-
pJoya avec une grande ferveur à implanter l'Islam dans le Soudan
occidental. On voit dans sa politique religieuse trois préoccupations
majeures: honorer les musulmans par le respect qui leur est dû
et par des faveurs de toutes sortes, imposer le sunnisme et le malé-
kisme par l'enseignement et par le sabre, convertir les populations
païennes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Empire.
a) action missionnaire d'Askia Mohammed.
Nous n'insisterons pas sur le premier point que nous avons
exposé dans la deuxième partie de cet ouvrage. Quant au second
4. Idem, p. 242-243.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 185

l'Askia Mohammed s'employa à le réaliser de diverses manières.


Il s'attacha les grands docteurs malékites de son époque et les
consultait périodiquement sur les problèmes de son empire. « Il
décida encore de consulter les ulémas pratiquants sur les traditions
de l'Envoyé de Dieu (...) et de suivre leurs recommandations 5. »
Sa cour comprenait un certain nombre d'ulémas résidant à Gao
ou qui s'y rendaient périodiquement. L'Askia était en liaison avec
les grands docteurs de Tombouctou et plus particulièrement avec
le cadi Mahmoud ben Omar Aqît auquel il se « recommanda»
et qui devait l'aider dans sa difficile tâche de gouverner les hom-
mes selon les préceptes coraniques. Il lia correspondance avec les
pôles de l'Islam, Abou Abdallah EI-Maghili, le grand docteur du
Touat, Es-Souyouti, le jurisconsulte cairote et le shérif de la Mec-
que, Moulay El-Abbas; il leur exposait les problèmes de son Empire
et leur demandait des solutions conformes à l'Islam. Le Tarikh el-
Fettach relate quelques-unes de ses consultations, celles par exem-
ple relatives au sort des vingt-quatre tribus serviles héritées de
Sonni Ali. Il reçut des recommandations presque identiques d'EI-
Maghili et d'Es-Souyouti. Il fit venir entre 1497 et 1502 EI-Maghili
dans son Empire et lui posa par écrit un certain nombre de ques-
tions concernant les problèmes urgents à résoudre selon l'école
malékite 6. Par ce questionnaire et par les Tarikhs, on voit qu'un
des sOtlcis majeurs de l'Askia fut de combattre les mauvais musul-
mans et de les ramener à l'orthodoxie. Sur les conseils d'EI-Maghili
et aussi par conviction, il traqua les compagnons de Sonni qui
professaient la Shahada, qui avaient des mosquées et qui adoraient
en même temps des idoles et pratiquaient la magie, et les obligea
à revenir à la voie orthodoxe. II guerroya contre les princes païens
qlli gouvernaient des communautés musulmanes, contre ceux même
qui étaient musulmans et qui oppressaient leurs peuples et pillaient
les caravanes. Les expéditions de l'Askia dans l'ouest du Macina,
au Diahra, devaient se situer dans cette optique. Dans les rangs
Inêmes de l'Islam, il s'efforça, selon les recommandations de son
ami El..Maghili, d'encourager les bons marabouts et d'éloigner des
fonctions juridiques et administratives les gens douteux et les igno-
rants. Il obligea les nouveaux convertis à payer la zakat. Contre les
infidèles, contre ceux qui ont renié la religion musulmane, il fit la
guerre sainte, - la ji/lad. Ses amis ulémas l'encourageaient dans
cette entreprise. EI-Maghili le pressait: « La guerre à livrer à ces
gens (les renégats) est donc plus urgente que celle que l'on doit
mener contre les mécréants qui se refusent à prononcer la formule
du témoignage... Combattez-les en tuant les hommes, en réduisant
en esclavage les femmes et leurs enfants, et en pillant leurs biens...

5. Tarikh el-Fettach, p. 15.


6. El Hadj Ravane Mbaye, dans Aperçu sur l'Islam songhay, B. IF AN, n° 2, 1972,
donne une traduction de ce questionnaire « Réponses d'Al Magîli aux questions
posées par Askia Muhamad ~. Le traducteur utilisa les manuscrits arabes du fonds
Brevié. IFAN Dakar: l'un, le cahier n° 22 a 14 feuilles de format 155X220, l'autre,
le cahier n° 23 a 23 pages 160 X 220 dont 44 pages écrites. Ce document est bien
connu mais la traduction n'était donnée que partiellement par des auteurs traitant de
Askia Mohammed.
186 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Au cas où ils s'obstinent avec acharnement dans leurs pratiques


polythéistes, il faudra brûler vifs les gardiens de leurs temples
ainsi que leurs divinités 7. »
On ne sait si Askia a suivi à la lettre ces recommandations du
redoutable persécuteur des Juifs du Touat. Ce qui est certain, c'est
qu'il n'attendit pas ces conseils pour faire la guerre sainte. En effet
au retour de son pèlerinage à La Mecque, le nouveau khalife du
Soudan leva l'étendard de la jihad contre les infidèles tant à l'inté-
rieur qu'à l'extérieur de l'Empire. Ainsi en 1498-1499, entouré d'une
légion de docteurs musulmans, dont son ami Alfa Salih Diawara, il
se mit à la tête d'une innombrable armée et envahit le royaume des
Mossi animistes pour les convertir à l'Islam. Il envoya Alfa Salih
Diawara au roi mossi Nassiré jtJr pour l'inviter à se convertir.
Devant le refus mossi, il engagea le combat, saccagea le pays.
Mais n'étant pas parvenu à détruire l'armée mossi, il fit retraite,
ramenant avec lui un grand butin d'esclaves. La tentative de jihad,
la seule que nous connaissions dans l'histoire du Soudan avant
celle des Poulo-toucouleurs aux XVIII-Xlxe siècles, fut en effet un
lamentable échec. Les Mossi restèrent farouchement réfractaires à
l'Islam. L'Askia entreprit également en 1504-1505 une expédition
dans le Borgou animiste, au Sud du Dendi. Il ne s'agissait pas à
proprement parler de guerre sainte, mais la campagne de }'Askia
dans ce pays animiste, à la limite de l'Empire, était aussi dirigée
contre les idoles et les idolâtres. Malheureusement pour }'Askia,
son armée fut défaite et il se sauva lui-même à grand-peine.
L'Askia et son frère Amar Komdiâgo étendirent au loin l'Empire
de Sonni Ali. Ils s'employèrent à implanter les valeurs islamiques
dans les pays nouvellement conquis, à combattre les anciennes
croyances animistes, le système d'héritage matriarcal que prati-
quaient nombre de peuples de l'Empire. De même, l'Askia fit dispa-
raître les mœurs réprouvées par l'Islam. Il obligea les femmes à
s'habiller et à ne pas laisser paraître leurs « parties honteuses }),

comme c'était la coutume au Mali et même à Djenné. EI-Maghili


l'invita même à imposer le port du voile mais cette recommanda-
tion ne fut pas suivie d'effet. L'Askia nomma des censeurs de
mœurs dans les grandes villes pour lutter contre le libertinage, la
prostitution et les mauvais garnements. Pour éclairer les popula-
tions et faire respecter la loi coranique, il plaça dans toutes les
communautés importantes des cadi aux pouvoirs étendus, encou-
ragea les marabouts à ouvrir partout des écoles et contribua ItlÎ-
même à la construction de nombreuses mosquées. Il institua des
poids et mesures, nomma des inspecteurs pour les contrôler et
combattre la fraude selon l'esprit coranique.
L'Askia Mohammed mérite bien son titre de khalife du Soudan.
Grâce à son action énergique, l'Islam s'épanouit, se consolida et
pénétra dans tout l'Empire. Les valeurs islamiques commencèrent
à imprégner toute la société. Le prjncipe fondamental de l'Etat
étant d'inspiration coranique, les institutions héritées des Sonni et
du Mali tendirent à se rapprocher des modèles musulmans. Les

7. Idem, p. 254.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 187

grands dignitaires de l'Etat, les gouverneurs des provinces et des


villes, les chefs de l'armée, les juges, les conseillers étaient généra-
lement musulmans. La cour même de l'Askia, la Sounna, austère
et solennelle, régie par un protocole rigide, avec ses eunuques, des
coussins étendus sur tapis, n'était pas sans rappeler quelque peu
les cours des souverains musulmans du Nord. La centralisation de
l'Etat, plus systématisée que dans les royaumes africains, était con-
forme à l'esprit coranique qui fait de l'Emir le responsable unique
du pays dont il devrait répondre le jour du jugement dernier.

b) action missionnaire des ulémas et des marchands.


L'œuvre d'islamisation n'était pas le fait unique de l'Askia, mais
aussi des marabouts missionnaires qui sillonnèrent l'Empire son-
ghay avec leurs livres et leur prestige. Il n'y avait pas, à propre-
ment parler, une organisation missionnaire. Les marabouts voya-
geaient la plupart du temps pour rendre visite à des amis, à des
talibés ou disciples. Ils en profitaient pour enseigner et éclairer
les musulmans sur la Théologie et le Droit. Les rares sources que
nous possédons montrent d'ailleurs que les lieux de destination
étaient des pays plus ou moins islamisés et le rôle des ulémas fut
de consolider l'implantation de l'Islam. Le pays haoussa (surtout
Katséna, Kano) le Macina étaient les lieux de prédilection de la
plupart des marabouts. Les centres de départ étaient les métro-
poles sahéliennes dont Takkeda, Tombouctou, Oualata, le Touat
et le Maroc. Djenné, au cœur du Soudan, aurait aussi joué un rôle
déterminant dans l'islamisation du Macina, des pays du Bani jus-
qu'à la lisière de la zone forestière. Ses commerçants et ses mara-
bouts auraient ainsi introduit l'Islam dans les pays mossi et bien
au-delà.
Dans cette légion de missionnaires musulmans, une place doit
être réservée à Mohammed ben Abd el-Krim ben Mohammed El-
Maghili 8, que nous avons maintes fois cité sous le nom d'El..Maghili
et qui est célèbre dans l'histoire de l'Islam occidental, tant par ses
persécutions des Juifs au Touat que par l'étendue de sa science.
Il devint à son époque le pôle du malékisme occidental. Il voyagea
à travers le Soudan de 1497 à 1502 et séjourna longtemps dans les
pays haoussa (Katséna, Kano) où il attira une foule d'étudiants
à ses cours publics. Il vint à Gao sur l'invitation du grand Askia
qui lui demanda par écrit les réponses à un certain nombre de
questions relatives au gouvernement des 110mmes et à la religion.
Le voyage d'EI-Maghili a beaucoup contribué à l'enracinement du
malékisme dans l'Islam soudanais. Ses nombreux disciples propa-
gèrent sa doctrine dans toute la zone sahélo-soudanaise. Parmi eux,
citons le fameux Aida Ahmed de Takkeda (Mohammed ben Ahmed
ben Abi Mohammed EI-Tazakhti t 1530) qui, après son fructueux
séjour à Al-Azhar et à La Mecque où il obtint ses diplômes, s'établit

8. Cherbonneau A., Histoire de la littérature arabe au Soudan d'après Tekmilet-ed


d;badje d'Ahmed Baba le Tombouctien, Recueil de la Société d'Archéologie de
Constantine, 1854-1855, p. 10-14.
188 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

comme cadi à Katséna et continua à enseigner la doctrine de son


maître. De même son compatriote, El Aqît ben Abdallah el-Ans am-
mani, mort en 1543, s'imposa comme une des grandes autorités
malékites et fut consulté par le cadi de Tombouctou et l'Askia
Mohammed sur des questions juridiques.
Les plus grands érudits de l'Islam soudanais semblent être les
ulémas de Tombouctou dont le renom était grand dans tout le
Soudan occidental. Ils attiraient dans leur université des étudiants
venus de tous les coins du Soudan et qui, à leur retour, répan-
daient la religion dans leur pays. Le commerce et la réputation
des saints de Tombouctou firent de la ville un lieu de pèlerinage
pour beaucoup de musulmans soudanais. Le jour viendra où l'on
découvrira l'abondante littérature de l'époque qui permettra d'étu-
dier les réseaux de relations de la ville avec l'intérieur de l'Afrique.
Les Tarikhs peu intéressés à cet aspect du problème ne mention-
nent que les voyages de quelques ulémas aux pays haoussa et à
Djenné. Il est permis de penser que le rayonnement religieux de la
ville atteignit des pays aussi lointains que le Tekrour sénégalais
et la zone forestière. En effet les marchands d'une grande partie
du Soudan faisaient la navette entre Tombouctou-Djenné et l'inté..
rieur du continent, jusqu'à la côte. Ils donnèrent ainsi aux premiers
navigateurs portugais du xve siècle des rellseignements sur les
deux villes. C'étaient les missionnaires qui, partout et en tOtlS
temps, ont servi à la propagation de l'Islam.
Le résultat de l'action islamique fut l'implantation définitive de
l'Islam comme valeur africaine dans le Soudan nigérien. L'Islam
cessa d'être till élément étranger. Il fut assimilé au cours du siè-
cle par des populations qui l'adaptèrent aux valeurs traditionnelles.
Ayant pénétré la campagne et des régions anciennement animistes,
il perdit de sa pureté pour s'accommoder avec les survivances ani-
mistes. Le marabout et le magicien cohabitèrent et eurent souvent
des pratiques identiques. Le musulman non citadin, généralement
illettré, continua de croire en même temps aux fétiches et au Coran.
Ainsi donc est revenu avec force ce qu'Askia Mohammed a voulu
éliminer. Sur ce point, il a échoué. Par contre, l'Islam est devenu
un phénomène universellement soudanais et il a transformé les
valeurs morales et spirituelles des populations du Soudan nigérien.
Certes, il y a lieu de considérer deux régions différentes quant à la
profondeur de l'implantation islamique. La région nordique et
occidentale de l'Empire, c'est-à-dire les pays situés entre Oualata,
Tombouctou, Djenné et Gao, était profondément islamisée. Ses
villes étaient les foyers de culture islamique et elles étaient ouver-
tes aux influences maghrébines. La partie sud et est, de Gao au
Dendi, patrie d'origine des Songhay, peu urbanisée, moins ouverte
aux influences arabo-berbères, resta faiblement islamisée. Il n'y eut
pas cependant rupture entre les deux parties jusque vers la fin
du siècle. Les StlCCesseurs du grand Askia, à l'exception de son fils
Daoud, ne suivirent pas sa politique d'islamisation systématique.
Ainsi le Dendi continua à vivre ses croyances traditionnelles tout
en faisant bon ménage avec les préceptes coraniques. A Gao même,
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 189

les Askia et leur entourage n'étaient pas des exemples de vertus


musulmanes, et la dépravation des mœurs dans les villes, à la fin
du XVIesiècle, était le signe d'une certaine dégénérescence morale.

B - Le culte musulman.
Les Tarikhs décrivent la civilisation nigérienne du XVIe siècle
comme un modèle idéal de l'Islam soudanais. Ils furent certes
écrits au XVIIe siècle à une époque où l'Islam avait perdu de sa
splendeur et les auteurs rêvaient avec nostalgie du passé. Il faut
cependant convenir avec eux que jamais, dans son histoire, le
Soudan ne connut un nombre si élevé de docteurs, de saints, d'ag-
glomérations musulmanes, d'écoles et de mosquées aussi célèbres.
Le XIXe siècle connut peut-être une ferveur religieuse semblable
qui se manifesta par les jihad et la fondation d'empires musul-
mans mais l'Islam n'eut pas l'épanouissement et l'éclat qui avaient
été les siens au XVIesiècle. Appuyé sur une monarchie musulmane
et une classe marchande et urbaine riche, encadré par une aristo-
cratie de lettrés aux traditions islamiques séculaires, l'Islam s'épa-
nouit dans la Vallée du Niger avec plus ou moins d'envergure selon
les régions.
La doctrine était vécue selon le degré d'islamisation et d'ins-
truction des fidèles. Dans les villes, les cadi veillaient à l'orthodoxie
des pratiques religieuses conformément à la doctrine malékite.
Toute déviation était sévèrement blâmée et punie. C'est ainsi qu'un
muezzin, qui s'obstinait à prononcer le « b » à la place du « y »,
déformant ainsi le sens d'un mot d'un texte religieux et qui refu-
sait de s'amender, fut condamné à mort par le terrible cadi, El
Aqîb, de Tombouctou 9. Le problème qui se posait et qui se pose
encore était celui de la compréhension des textes sacrés écrits en
arabe. L'instruction n'avait pas gagné la masse des croyants. Le
grand Askia Mohammed lui-même était illettré! Il déplorait cette
situation au début du XVIe siècle et il dénonçait les marabouts
qui prétendaient connaître la Loi et la religion sans comprendre
la langue arabe. La situation dut changer à la fin du siècle car le
mouvement didactique et missionnaire a eu une grande ampleur
à partir de l'élan donné par Askia Mohammed. La masse des fidèles
restait cependant illettrée sauf peut-être dans certaines villes
comme Tombouctou et Oualata. La religion n'en avait pas tellement
souffert car la ferveur religieuse était vive et l'Islam put facile-
ment s'adapter aux croyances traditionnelles. Dans les grandes vil-
les, la solidarité musulmane était forte; l'aumône était une prati-
que quotidienne. Certains ulémas de Tombouctou dépensaient leur
fortune à nourrir les étudiants pauvres, à acheter des esclaves pour
les rendre à la liberté. Des marchands agissaient avec discrétion
autant pour secourir les marabouts et les nécessiteux que pour
subvenir aux dépenses des mosquées. L'Askia donnait lui-même

9. Tarikh cl-Fctfach. 1964, p. 226-227.


190 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

l'exemple par ses présents intarissables atL~ lettrés et l'approvi-


sionnement régulier en vivres des pauvres des communautés musul-
manes. Quant au pèlerinage aux lieux sains de l'Islam, malgré les
difficultés du voyage, il intéressait toute la société. Il était très
courant et continuait une tradition fort ancienne au Soudan. Les
pèlerins soudanais étaient bien connus à La Mecque où Askia Moham-
med leur avait acheté une maison. Le courant ne tarit pas au
cours du XVIesiècle et des centaines de Soudanais se rendaient
chaque année à La Mecque. Nous savons que le cortège d'Askia
Mohammed comprenait en 1496-1497 plus de 2300 pèlerins, soldats
et civils compris et qu'il emporta avec lui une fortune considéra-
ble pour ses dépenses. Comme il ressort des Tarikhs, les candidats
au pèlerinage étaient surtout les ulémas. Presque tous ceux de
Tombouctou avaient effectué le fameux voyage. Certains même,
comme un oncle d'Ahmed Baba, se fixèrent définitivement en Terre
sainte. Des marchands, des simples particuliers, surtout parmi les
talibé et les petits marabouts, participaient aussi aux caravanes
des pèlerins.
Dans le Tarikh el-Fettach, nous avons mention d'un esclave qui
aurait effectué le pèlerinage sous le règne d'Askia Daoud. Son cas
n'était pas unique. Les grands ulélnas et les marabouts voyageaient
avec tout un cortège de talibés, de clients qui devaient former
le gros des caravanes de pèlerinage. Les Tarikhs ne mentionnent
pas de princes ni de hauts fonctionnaires. Aucun Askia, en dehors
du fondateur de la dynastie et de son fils Moussa, ne semble avoir
effectué le saint voyage. Cette lacune ne doit pas masquer la réa-
lité; le pèlerinage était universellement pratiqué et toutes les clas-
ses de la société, à des degrés divers, y participaient. Il présentait
un grand intérêt sur le plan religieux et intellectuel. Comme nous
le verrons plus loin, les pèlerins passaient par Le Caire où ils s'entre-
tenaient avec les grands ulémas et complétaient leur formation
dans tous les domaines du savoir. La religion y a beaucoup gagné.
L'Islam soudanais resta ainsi en contact permanent avec les sour-
ces même de la religion; les docteurs revenus chez eux s'efforcè-
rent de répandre la religion, de la maintenir dans sa pureté. Loin
de s'isoler et de s'étioler en particularismes, l'Islam soudanais resta
ainsi branché sur le courant islamique universel. Ses docteurs et
ses saints s'élevèrent au niveau des sommités de l'Islam occi-
dental.
Aux XV-XVIesiècles, de grandes mosquées furent édifiées selon
le style architectural soudanais que nous étudierons plus loin.
Elles n'étaient pas cependant les seuls lieux du culte. Dans les
grandes villes comme Tombouctou, il y avait un nombre consi-
dérable de petits mosalla aux carrefours ou devant les maisons de
quelques grands marabouts. Cela se voit aujourd'hui encore, et
bien souvent, les gens du voisinage y font leurs prières surtout
celles du futr. Les prières des fêtes (Ramadan et Tabaski) avaient
lieu en dehors de la ville, en plein air sur une grande place. A Tom-
bouctou, elles se déroulent de nos jours en trois endroits différents
selon les tendances spirituelles qui ont vu jour dans la ville au
cours de son évolution. La majorité de la population prie à l'Est
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 191

de la ville, en face du tombeau d'Ahmed Maya, une minorité au


Nord vers le tombeau du cadi Mahmoud. Les dime11sions actuelles
de la ville étant bien différentes de celles du XVIesiècle, il est diffi-
cile de situer les lieux exacts de la prière de fête.
La communauté islamique s'organise démocratiquement et confie
les responsabilités du culte à l'homme compétent par son savoir
et sa piété. A Tombouctou, le Cheikh est le chef le plus populaire
de la communauté du quartier qui le choisit pour ses qualités parti-
culières. Il a charge de convoquer les fidèles chaque fois que cela
est nécessaire. Il préside généralement toutes les cérémonies de
caractère religieux de son quartier, le baptême, les funérailles,
l'investiture d'imam, etc.
Les responsables du culte, les imams sont également choisis par
la communauté dont la décision est entérinée par l'Autorité supé-
rieure. Il y eut cependant, au XVIe siècle, déviation du principe
démocratique dans certaines cités comme Tombouctou où l'héré-
dité établit des dynasties à la direction du culte. L'imamat de la
mosquée de Sankoré exercé dans la deuxième moitié du xve siècle
par les deux familles berbères alliées par mariage, les Anda Ag
Mohammed et les Aqît, devint au XVIesiècle leur monopole exclu-
sif. La liste que nous donnent les Tarikhs, des imans de la Sankoré,
reflète cette suprématie berbère: Mahmoud ben Omar ben Moham-
med Aqît, le grand cadi de la ville de 1498 à 1548, assura les fonc-
tions d'imam de la Sankoré. Son cousin maternel, Anda Ag Moham-
med ben El Moktar, vieux et malade, lui succéda pour quelques
temps. L'office revint alors aux Aqît avec le grand jurisconsulte
El Aqîb, fils du cadi Mahmoud, qui fut lui-même nommé cadi en
1565. El Aqîb assuma les deux fonctions avec une grande cons-
cience et procéda en 1578 à la restauration de la mosquée. A sa
mort en 1583, le poste resta vacant faute de candidats dans les
deux familles. L'office d'imam, comme celui de cadi, était consi-
déré comme difficile et dangereux. L'officiant qui portait sur lui
le fardeau du salut des musulmans devait faire preuve d'exacti-
tude, de piété et de savoir. Il avait donc la préoccupation conti-
nuelle de ne pas faillir à la tâche. C'est ainsi que des imams pres-
sentis se dérobèrent et l'un d'eux, Abou Bekr ben Ahmed Bir,
s'enfuit de la ville dès la tombée de la nuit. Pour remédier à cette
situation grave, Ab,derrhaman fils du cadi Mahmoud, se sacrifia
et occupa le poste jusqu'en 1592.
Les imams qui, pendant ce siècle, exercèrent l'imamat de la
Sankoré furent des hommes de grande valeur et dominèrent pour
ainsi dire leur époque. Le cadi Mahmoud et son fils EI-Aqîb firent
de la Sankoré un foyer de culture et de piété. En dehors des années
de pèlerinage, malgré leurs fonctions de cadi, ils dirigèrent avec
ponctualité leur office d'imam et attirèrent à la mosquée un grand
nombre de fidèles. Ils encouragèrent, par l'exemple, les maîtres à
venir enseigner leur science et portèrent haut le renom de la mos-
quée. Quelques membres de leurs familles se spécialisèrent dans
les panégyriques, et, par leurs chants et leurs poèmes, animaient
les prières surtout à la fête de Maouloud célébrée avec un éclat
particulier à la Sankoré.
192 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

La mosquée de Sidi Yaya, plus petite, fut monopolisée par la


célèbre famille des Wangara, les Bagayokho, qui se succédèrent à
l'imamat, du XVIesiècle à nos jours. Le plus célèbre d'entre eux
fut le grand Mohammed Bagayokho, maître d'Ahmed Baba, consi-
déré, dans la deuxième moitié du XVIesiècle, comme un des pôles
de l'Islam soudanais. Sa vie et son œuvre seront étudiées plus
loin.
Pour la Jingereber, il n'y eut pas de violation du principe démo-
cratique de la nomination des imams. Les Touatiens ayant
perdu leur influence à la fin du xVCsiècle, le choix de la commu-
nauté entérinée par le cadi se porta sur des hommes d'ethnies
différentes: Ahmed (1516-1517), songhay probablement, Ali EI-
Djézouli (1517-1535) étranger, Seddiq ben Mohammed TagWi (1535-
1559) originaire de Kabara, Otsman ben El Hasen-et-Tichiti (1559-
1570), de Tichit, le peul Mohammed ben Kedad (ou Godad) ben
Abou Bekr (1570-1580), et Ahmed ben Seddiq-Mohammed-Taghli
(1582-1602). Nous connaissons peu de choses de ces directeurs spi-
rituels de la mosquée mais leur compétence était hors de doute.
La Jingereber ne perdit rien de sa réputation; elle resta jusqu'à
nos jours la grande mosquée de la ville, celle du vendredi qui réu-
nit tous les fidèles même les grands ulémas de la Sankoré. Elle
recevait, selon la tradition, la visite des Askia chaque fois qu'ils
venaient à Tombouctou.
Les Tarikhs ne notts parlent pas de l'organisation des autres mos-
quées, celles de Djenné ou de Gao. La nomination démocratique
de l'imam était cependant de règle à Djenné. Cela apparaît à
travers la liste des cadi dont certains exercèrent aussi les fonc-
tions d'imam. Ahmed Torfo fut, au milieu du XVIesiècle, cadi et
ilnam. A sa mort, la charge passa à son suppléant Yaya et, très
probablement de celui-ci au grand cadi Mohammed Bamba Konaté
que les Marocains trouvèrent en fonction en 1593.
L'imam, dans toutes les mosquées était aidé dans sa tâche par
des auxiliaires qu'il choisissait dans la collectivité avec l'approba-
tion des fidèles: le suppléant qui le remplaçait en cas de maladies
ou de voyage, le prédicateur dont la fonction est mal définie dans
les Tarikhs mais qui semblait avoir été un personnage important
chargé de dire les sermons les jours de grandes prières, le muezzin,
les panégyristes, les lecteurs du Coran, le collecteur des aumônes,
etc. Aucune de ces fonctions n'était rémunérée. On les exerçait par
piété. Cependant la conlmunauté musulmane veillait à décharger
l'imam de certains soucis matériels. Ainsi, chaque année l'imam de
la Jingereber recevait 500 mitsqal d'or de ses fidèles, sans compter
les cadeaux particuliers, les zakat de certains commerçants de la
ville, l'aumône du Vendredi, du Jour de l'An, les présents des
Grands de la vjlle. Du reste, les imams, comme bien d'autres ulé-
mas, n'étaient pas sallS fortune personnelle acquise dans les affai-
res ou auprès de leurs amis.
Les grandes mosquées étaient pourvues de biens propres et
d'esclaves donnés en habou par des fidèles. Ce passage du Tarikh el-
Fettach relatif à un don de l'Askia Daoud se passe de commen-
taire: « Le Prince (Daoud) fit choisir vingt-sept (autres) esclaves
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONOHA y 193

et dit: « ceux-ci, j'en fais don à la grande mosquée. » Et il les


expédia à l'imam sous la conduite d'un messager avec ordre de les
employer pour le service de la mosquée, les femmes devant tresser
les nattes et tisser les tapis de la mosquée et les hommes devant,
les uns apporter l'argile nécessaire à son entretien, et les autres
couper du bois de charpente 10. » Les esclaves ne devaient pas
constituer les seuls biens habou. Les mosquées et plus particuliè-
rement celles de Tombouctou devraient avoir leur bibliothèque.
L'on sait que le grand Askia avait affecté à la Jingereber un boîtier
pourgarder les différents sourates du Coran. Cela est un indice de
l'existence d'une bibliothèque de mosquée. Où pouvait-on mieux
garder qu'à la mosquée les ouvrages que l'Askia Daoud faisait
recopier par les scribes? Les ulémas de la Boucle nigérienne qui
fréquentaient les grandes universités-mosquées d'Al-Azhar et de
Quarawain ne pouvaient ignorer le rôle des bibliothèques de mos-
quée.
Les aumônes étaient, certaines destinées à l'entretien et à l'épa-
nouissement de la mosquée, d'autres aux pauvres, orphelins, veu-
ves et malades, etc. qui étaient moralement à la charge de la com-
munauté musulmane. La zakat est l'un des piliers fondamentaux
de l'Islam et l'un des plus sûrs moyens de gagner le ciel, objectif de
croyant.

C - La mort et les cimetières.

Il Y a dans les Tarikhs la hantise perpétuelle de la mort, de l'au-


delà. Tous ]es actes des ulémas étaient guidés par la crainte de
Dieu et des feux de l'Enfer. Ils avaient un sentiment aigu de la
précarité de la vie humaine, de la vanité de l'homme d'où le mépris
des « biens de ce monde» surtout à l'époque du grand Askia. Ce
pessimisme des Tarikhs ne devait cependant concerner qu'une élite
et il cadrait mal avec ce que nous savons de la grande prospérité
nigérienne et de la vie intense des grandes cités surtout à partir
du milieu du XVIesiècle. Autrement dit, les Tarikhs présentent un
idéal musulman et non une réalité vécue. La mort est déplorée
comme un grand mal. Le rituel funéraire n'a pas tellement changé
depuis le XVIesiècle. La description que Yoûssouf Kâti fait des
cérémonies funéraires du Kanfarin Salih mort accidentellement à
Kabara, le 24 mars 1588, est presque d'actualité.
« On s'occupa ensuite de laver le corps du défunt et on apporta
trois pièces d'une riche étoffe de Sous pour lui servir de linceul;
l'imam de Kabara, Môri ag-Samba, l'enveloppa dans l'une des trois
pièces et emporta les deux autres; ce fut lui qui présida au lavage
du corps et au transport de la civière à Tombouctou (pour l'en-
terrement)... puis il (le balama frère du défunt) versa une aumône
pieuse pour faire réciter le coran sur le défunt, fit égorger un
grand nombre de vaches et fit don aux tâleb qui avaient récité le

10. Idem, p. 197.


194 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Coran de dix vaches et de cent mille cauris 11. » Ces funéraiIJes


princières ne différaient pas dans le rituel de celles des simples
particuliers. Les grands maîtres ou les gens influents étaient, le
plus souvent, enterrés dans les mosquées soit à l'intérieur soit
dans une cour extérieure contigüe. Les traditions orales de Tom-
bouctou sont unanimes à reconnaître que certains grands saints,
comme le cadi Mahmoud, étaient enterrés dans leurs maisons. Ce
qui explique que quelques tombeaux se trouvent aujourd'hui en
pleine ville. D'une manière générale cependant, le cimetière était
en dehors de la ville. Tombouctou au XVIesiècle utilisa deux grands
cimetières: le Ha1na bangu, au Nord, et celui de l'Ouest derrière
le marigot de Kabara. Le premier aurait été abandonné à la fin
du siècle et beaucoup de gens prétendent que Mahommed Bagayo-
kho fut le dernier à y être enterré en 1594. Le tombeau d'Ahmed El
Moya qui est aujourd'hui dans un cimetière, était en fait la mai-
son d'un haratin. Le cimetière du Sud, le plus ancien, ne semble
pas avoir été utilisé au XVIesiècle et son site était intégré à la ville
qui s'étendait plus loin qu'aujourd'hui.
Les tombeaux des grands saints comme Sidi Yaya, le cadi Mah-
moud, Ousmane Daramé de Tendirma, Mohammed Bagayokho
étaient des lieux de pèlerinage; on leur attribuait le pouvoir d'exau-
cer les vœux et ils sont, de nos jours encore, consultés. Les cime-
tières musulmans du Soudan nigérien ont quelque chose de déso-
lant et reflètent bien la doctrine islamique du néant de l'homme.
Les tombes sont sans inscription et disparaissent vite dans le sable.
Il n'est pas aujourd'hui possible d'identifier, sauf peut-être pour
Sidi Yaya et le cadi Mahmoud, aucun des tombeaux de ces saints
dont les noms ont défié les temps.

D - Influence de la religion sur la société.

L'influence de l'Islam sur la société variait selon les régions.


L'Islam a, dans l'ensemble, imprégné la société nigérienne et les
modes de vie, même des populations les moins profondément isla-
misées. Nous avons exposé plus haut l'exemple des Songhay de
l'Est qui, malgré leurs pratiques animistes ne demeurent pas moins
touchés par l'Islam dans tous les événements de leur vie. Pourtant
l'islamisation ne fut totalement réalisée qu'à Tombouctou dont le
nom évoque encore aujourd'hui les splendeurs du Soudan islamisé.
La religion y a modelé la vie des habitants. Tout reflète la culture
islamique depuis la manière de s'habiller jusqu'aux pensées
les plus personnelles. La conduite privée et publique s'inspire des
principes religieux. L'éducation est religieuse. L'enfant, dès le jeune
âge, est confié à un marabout qui lui inculque les notions essen-
tielles du Coran et des pratiques religieuses. Après la lecture du
Coran, l'adolescent entre dans la communauté des hommes par la
cérémonie du turban qui est ici l'équivalent des initiations des

Il. Idem, p. 237.


rrOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 195

sociétés traditionnelles. Le port du turban dont nous parle l'Alfa


Mohammed Kâti est bien révélateur de l'imprégnation de la vie
sociale par la religion. A l'origine, il était réservé aux enfants des
shérifs et des grands ulémas mais par la suite, il concerna toutes les
classes de la société. Le jeune candidat est présenté, au cours de
plusieurs cérémonies religieuses, aux ulémas de la ville, aux imams
des mosquées de Sankoré et de Sidi Yaya, aux tombeaux des saints
et il reçoit leur baraka. A la mosquée de son quartier, les ulémas
réunis bénissent le turban blanc que le Cheik enroule autour de sa
tête en prononçant des formules consacrées. L'adolescent devient
alors un homme responsable, membre de la communauté musul-
mane. Il a droit au respect, peut participer à tous les actes impor-
tants de la société, rompt avec sa conduite d'enfant. La cérémonie
est un des grands événements de la vie d'un homme. Elle a lieu au
moment du mariage pour les enfants des laïcs. Elle occasionne des
dépenses souvent élevées. Les parents dotent généralement leurs
enfants de tout le nécessaire. Alfa Kâti nous en donne une idée
dans sa requête à Askia Daoud: « quant à mes fils, je voudrais leur
donner le turban et je désirerais que le roi me fournisse de quoi
les habiller selon la coutume générale, c'est-à-dire (pour chacun)
deux boubous, deux turbans, et deux bonnets, plus deux montures
(un cheval et une jument de race) puis un terrain de culture avec
les esclaves et les grains nécessaires pour les mettre en valeur et
enfin quarante vaches laitières 12. »
En dehors du port du turban, on constate dans tous les moments
de la vie de l'homme, baptême, mariage, funérailles, héritage, occu-
pations journalières, fêtes, etc., l'influence de l'Islam.

l 2. Idem, p. 200
HI.
EP ANOUISSEMENT
INTELLECTUEL

La culture islamique connut au XVIe siècle un développement


extraordinaire dans le Soudan nigérien. Par le nombre et l'anima-
tion des centres d'enseignement, par l'érudition et la piété des
docteurs soudanais, par l'abondance et la qualité des œuvres nées
de l'effort créateur, le Soudan nigérien devint au XVIesiècle un des
grands foyers de culture islamique. Des noms comme Ahmed Baba,
Mohammed Bagayokho appartiennent à la pensée universelle.
Ainsi Je Soudan, comme l'Europe renaissante, comme d'autres
civilisations dans d'autres parties du monde, apporta sa contri-
bution à la civilisation commune de l'Humanité selon son génie
et ses conditions de vie.

A . L'humanisme soudanais.

La Boucle du Niger au XVIesiècle, par l'intensité de la vie intel-


lectuelle, évoque l'Europe renaissante de la même époque. La com-
paraison est cependant superficielle. Il n'y a pas eu au Soudan
renaissance d'une culture morte mais épanouissement de la cul-
ture islamique en gestation depuis trois siècles. Implanté dès le XIe
siècle dans les principales villes de la zone sahélo-soudanaise, l'Is-
lam chercha à conquérir, non par les armes mais par le prestige
et l'intérêt, les élites politiques et marchandes. C'était chose faite
aux XIve et xve siècles comme nous l'avons montré plus haut. La
culture islamique eut alors son premier éclat dans les grandes
villes commerçantes comme Oualata, Tombouctou, MalijNiani. Ce
mouvement ne fut pas interrompu malgré le bouleversement de
l'Empire du Mali. Il fut même encouragé par le développement du
commerce et des villes. Ainsi donc, depuis le XIve siècle, le courant
islamique allait s'amplifiant et il s'épanouit dans toute sa spIen-
198 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

deur au XVIesiècle. II cessa alors d'être uniquement réceptif, ayant


sécrété, dans les grands centres nigériens, une nombreuse élite qui
fut à même de diriger la religion, de lui permettre d'évoluer de
son propre mouvement. Bien plus, les docteurs du Soudan devin-
rent même des autorités religieuses, responsables de l'Islam uni-
versel. Ainsi Mohammed Bagayogho se fit un devoir de corriger
tous les commentaires anciens de l'ouvrage fondamental du malé-
kisme, le Précis de Sidi Khalil. Ahmed Baba attira à ses cours, à
la mosquée des chorfa à Marrakech, toute l'intelligentsia de la
ville et fut reconnu par les docteurs du Maghreb comme un des
plus grands érudits de son temps. Somme toute, l'Islam soudanais
entra dans sa phase de maturité. Il fut animé par ses propres let-
trés; de récepteur, il devint créateur.
Contrairement à la Renaissance européenne qui fut fondamellta-
lement le triomphe de la Raison, le mouvement intellectuel souda-
nais fut essentiellement d'essence religieuse. Le but de la connais-
sance était avant tout Dieu, son Prophète, ses lois et, somme toute,
la Vérité. La vie humaine était tout entière dominée par l'idée de
l'Au-delà, du Salut. Le bon musulman n'est pas esclave « des biens
de ce monde» selon l'expression si courante dans les Tarikhs. Le
véritable humanisme musulman et soudanais découlait ainsi du
Dogme. L'homme, par le biais de la Religion, devint le souci majeur
de la Connaissance, de la Science. Pour parvenir au Salut, l'homme
devait étudier la Religion, les lois qui devaient régir la communauté
musulmane et la conduite du fidèle. La connaissance profonde de la
langue arabe, de ses finesses, la possession des moyens d'expres-
sion, de raisonnement sont des instruments nécessaires pour attein-
dre la Vérité. L'humanisme musulman est donc axé sur le dévelop-
pement de toutes les qualités spirituelles et intellectuelles de l'Hom-
me. Sa démarche est scientifique dans son effort de connaître et
d'expliquer. Cet humanisme musulman universel, nous le voyons
dans les Tarikhs soudanais avec un cachet particulier. Outre la
Science, les Tarikhs insistent sur les qualités morales et spirituelles
de l'Homme. Ils vantent la piété, considérée comme fondement de
la sagesse. L'humaniste soudanais se présentait comme un homme
de mesure: il devait être modeste, « réservé », « couvert du man-
teau de la discrétion» 1. Les grands maîtres de la Sankoré se pré-
sentaient comme de simples particuliers dans leur conduite quoti-
dienne et ils étaient d'une grande sociabilité et d'un commerce
agréable. Les Tarikhs louent également leur calme et leur sens de
la dignité, émanation de l'équilibre de l'être, de la paix de l'âlne.
Musulmans, ils font l'aumône et la charité. La bonté est louée
comme une qualité supérieure très recherchée car elle suppose une
élévation d'âme qui libère des faiblesses et des petitesses de la vie
quotidienne. Par la bonté, l'humanisme nigér~en aboutit à un opti-
misme universel et à la tolérance, trait caractéristique de l'Islam
soudanais. Ahmed Baba écrit en parlant de son maître, le grand
docteur Mohammed Bagayogho, une des plus belles pages de la
morale universelle: « Il était tellement porté au bien et à croire que

1. Ce mot revient fréquemment sous la plume d'Ahmed Baba.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY 199

tout le monde était comme lui qu'il avait une excellente opinion
des autres et qu'il les considérait pour ainsi dire comme étant ses
égaux en bons sentiments et n'ayant aucune connaissance du mal. .J
Ahmed Baba n'avait certainement pas lu Platon mais il y a une
constante de la pensée et de la morale que l'on trouve chez tous les
peuples. La bonté porte naturellement à la tolérance, au respect
des opinions d'autrui. Aujourd'hui encore, l'habitant de Tombouc-
tou est d'un commerce agréable et ne heurte jamais son interlo-
cuteur même s'il n'est pas d'accord. Il préfère suspendre son juge-
ment et se taire quand il n'approuve pas. C'est un homme de paix.
En effet, Tombpuctou n'a pas connu de guerre ou de persécutions
religieuses enflehors de celles dont elle fait l'objèt de la part de
Sonni Ali Ber.
Les qualités intellectuelles de l'homme étaient aussi appréciées.
Dans la biographie des docteurs de la ville, Ahmed Baba met l'ac-
cent sur l'intelligence, « la promptitude à comprendre », la luci-
dité, la sagacité. II décrit les docteurs comme des gens passionnés
du Savoir, consacrant leur vie au service de Dieu et de la Science
apprenant toutes les connaissances de leur époque et se spécialisant
peu. Ils achetaient des ouvrages de toutes sortes ou se faisaient
recopier ceux qu'ils ne trouvaient pas dans le commerce. Ainsi
malgré des moyens modestes, car l'imprimerie n'était pas encore
utilisée pour l'écriture arabe, les docteurs disposaient de cen-
taines d'ouvrages pour apprendre et enseigner. Ainsi l'effervescence
intellectuelle, par la diffusion du savoir, consolida l'enseignement
de l'école malékite dans le Soudan nigérien.

B - Causes et conditions de l'épanouissement intellectuel.


On doit chercher les raisons qui ont permis au mouvement
intellectuel de se surpasser et de s'épanouir au XVIesiècle, princi-
palement dans la vallée du Niger et les pays environnants. Les
traditions anciennes de l'Islam au Soudan que nous avons évoquées
ne suffisent pas à l'explication. L'analyse révèle d'autres faits.
10 - La Tichesse des cités marchandes.
Le mouvement intellectuel demeura au XVIesiècle un phénomène
presque uniquement urbain. Il y avait certes des marabouts qui
habitaient avec leurs élèves (talibés) à la campagne mais ils avaient
fait leurs études en ville. Tous fréquentaient périodiquement
Tombouctou, Djenné, Gao, Oualata, les cités haoussa. La. ville sou-
danaise connut au XVIesiècle une grande prospérité. Le commerce,
les activités annexes permirent à tout le monde de vivre honnête-
ment.
L'accumulation des richesses dans les grandes villes profita aux
marabouts qui recevaient des cadeaux, des zakat, des aumônes,

2. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 71, reproduit le Tekmilet ed. Dihadjé d' Hamed Baha
200 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

diverses largesses émanant des fidèles à l'occasion des cérémonies


religieuses ou éducatives: prières, récitation du Coran, cérémonies
funéraires, baptêmes, etc. Ainsi d'une manière ou d'une autre, les
lettrés, dans une ville comme Tombouctou, n'avaient pas de grands
problèmes matériels et pouvaient s'adonner à plein temps à leurs
études. Le cadre urbain par son infrastructure était tout désigné
pour faciliter le développement des études: grandes mosquées où
l'on pouvait enseigner, concentration humaine avec des besoins spi-
rituels stimulants, marché où l'on pouvait trouver à acheter les
ouvrages rares, etc.

2° - Lapolitique des souverains songhay


Le rôle d'Askia Mohammed fut décisif aussi bien dans l'expan-
sion de l'Islam que dans l'épanouissement intellectuel qui en fut
la conséquence. L'Askia aida le mouvement amorcé au XIve siècle
à aboutir et à s'épanouir avec une amplification progressive au
cours du XVIesiècle. Nous avons plus haut développé son action
religieuse. II faut ici insister sur son mécénat, le respect accordé
aux hommes de Dieu et de Science qu'il honora par toutes sortes
d'égards et de présents. Quelques exemples suffisent pour illus-
trer cette politique. L'Askia fit venir, de La Mecque, le shérif Es-
Seqli. A en croire le Tarikh el-Fettach, il lui donna en premier lieu
100 000 dinars, 500 esclaves, 100 chameaux et plus tard 1 700 escla-
ves répartjs dans des villages de culture. De même il donna 20 vil-
lages de culture au marabout soninké Mohammed Toulé (Touré ?)
et autant à son ami, Alfa Salih Diawara, et à bien d'autres encore.
Il les exonérait généralement de tout impôt vis-à-vis de l'Etat. Ses
successeurs suivirent cette politique avec des fortunes diverses.
Askia Daoud tenta d'égaler son père par les libéralités et les
honneurs qu'il accordait aux docteurs musulmans.
D'un autre côté, Askia Mohammed associa les lettrés au pou-
voir. Dans sa Sounna (cour) siégeaient quelques lettrés. Dès son
avènement, il nomma des cadis à la tête de la justice dans tous ]es
centres importants et il les choisit parmi les docteurs les plus
réputés par leur piété et leur science. Sa chancellerie était dirigée
par un lettré et il est bien probable que les fonctions administra-
tives des villes fussent entre les mains des anciens talibé lettrés.
Le règne du grand Askia fut bien l'époque des lumières. Il stimula
le mouvement intellectuel et lui fraya la voie vers l'épanouisse-
ment.

30 - L'immigration des savants étrangers


La grande immigration des marabouts arabo-berbères eut lieu
surtout au Xve siècle. Nous avons mentionné plus haut l'arrivée
à Tombouctou dans la première moitié du xve siècle des deux
grandes familles de lettrés, les Aqît et les Anda Ag Mohammed.
Elles se sont enracinées dans ]a ville au XVIesiècle et leurs fils se
considéraient comme des Soudanais à part entière. Ahmed Baba
était aussi Tombouctien que son maître mandingue Mohammed
TOMBOUCTOU ET L'l!MPIRE SONGHA y 201

Bagayokho. Il est fallacieux d'opérer aujourd'hui un clivage entre


les Blancs et les Noirs et de dire que l'essor intellectuel était un
fait arabo-berbère. Tous étaient Soudanais et Tombouctiens, nour-
ris à la même source culturelle. Ahmed Baba proclamait avec
force son patriotisme soudanais à la face du Sultan marocain! Il
ne fut jamais guéri de la nostalgie de son pays natal où il préféra
retourner malgré la gloire qui l'entourait à Marrakech.
La seconde vague d'immigrants à Tombouctou se situe au début
du XVIesiècle. Elle est due à l'attraction qu'exerçait la ville sur le
monde sahélo-soudanais tant par sa prospérité que par la répu-
tation de ses docteurs. Ainsi vinrent de Tichit, de Takkeda, du
Touat, de Djenné et du Macina nombre de docteurs célèbres dont
les frères Bagayokho. Ils s'installèrent dans la ville; ils furent
aussitôt adoptés et s'adonnèrent aux études, à l'enseignement. A
la même époque vint de La Mecque le shérif Es-Seqli qui fit sou-
che dans la Boucle nigérienne. Ces nouveaux venus constituaient
une immigration d'élites, de « cadres» selon l'expression moderne.
Ils apportaient avec eux un savoir tout prêt à servir et partici-
pèrent à l'animation de la vie intellectuelle et religieuse. Certains
furent imans et d'autres comptèrent parmi les plus grands noms
de la ville.
40 - Influences étrangères
Les docteurs de Tombouctou et des grandes villes sahéliennes
n'ignoraient pas ce qui se passait dans le reste du monde musul-
man. Ville cosmopolite et commerçante dès ses origines, Tom-
bouctou s'ouvrit au monde et accueillit toutes les idées et toutes
les marchandises. Ses docteurs furent en relations fréquentes avec
les grandes universités musulmanes, avec les maîtres de l'Orient
comme ceux du Maghreb.
Il faut cependant reconnaître avec les historiens du monde
musulman que la civilisation islamique au XVIesiècle avait perdu
sa vitalité créatrice. Malgré l'effort de restauration de l'Etat par
les Saadiens, le Maroc ne présentait au XVIe siècle que des doc-
teurs de second ordre, des poètes de cour 3. Il ne constituait pas
un modèle pour le Soudan. Bien au contraire le docteur de Tom-
bouctou, Ahmed Baba, par ses cours à la mosquée des Chorfa à
Marrakech et ses célèbres fetwa contribua à l'animation intellec-
tuelle du Maghreb.
Les grands pôles d'attraction des Soudanais étaient Le Caire
et la Terre Sainte. Là aussi, malgré quelques noms célèbres comme
Es Soyouti mort en 1505, il Y a déclin de la brillante civilisation du
siècle passé. Al-Azhar restait toutefois la plus importante université
musulmane de l'époque. Elle continuait la tradition ancienne et
dispensait un savoir classique, base de l'humanisme universel
de l'Islam. Elle émerveilla les docteurs de Tombouctou et du
Soudan, non seulement en leur enseignant ce qu'ils ne savaient

3. Deverdun G., Marrakech, des origines à 1912, Rabat, Edit. Techniques nord-
africaines, 1959, T. I, p. 423-436.
102 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

pas, mais en mettant le sceau de la véracité à ce qu'ils avaient


appris à l'autre bout du monde musulman. Tous les grands ulé-
mas de la ville y ont séjourné et ont suivi auprès des grands maî-
tres des cours de Droit, de Logique et de Grammaire. Les doc-
teurs d'Orient étaient écoutés et vénérés aussi bien à cause
des Lieux Saints que de l'antiquté de leur université. Nous rete-
nons Es Sou\'outi Abou-I-Fadl Abd al-Rahman b. Aboubakr B.
Mohammed D;elal din AI-Khoudairi Al-Shâfi (1445-1505) dont le
nom revient souvent dans le Tarikh sous la forme Es-Souyouti.
« Es-Souyouti, écrit Brocklemann, est l'écrivain le plus fécond
de l'Egypte à l'époque des Mamlûks et l'est peut-être aussi de
toute la littérature arabe en général 4.» Professeur dans une
grande medersa du Caire, Es-Souyouti était d'une érudition ency-
clopédique. Il rédigea près de 561 ouvrages concernant tous les
domaines de la science. Il se distingua surtout dans l'enseignement
des sciences fondamentales tels que le Droit, l'Exégèse coranique,
les Traditions prophétiques (Sunna), mais aussi la Linguistique,
la Grammaire, l'Histoire. C'était un esprit universel qui se déga-
geait nettement de ses collègues. Il eut des relations suivies avec
les docteurs du Soudan, soit par correspondances soit à la suite
de pèlerinages et il exerça une grande influence sur eux. Il accueil-
lit en 1497-98 Askia Mohammed et ses compagnons. Il entra dans
l'amitié du grand Askia, lui donna des conseils pour le gouverne-
ment de son empire, sur la politique à suivre pour répartir les
esclaves hérités de Sonni Ali, etc.
AI-Bakri Mohammed ibn Abderahman 5 (1492-1545) fut un
grand poète mystique. Il séjournait alternativement au Caire et à
La Mecque. II connut des pèlerins soudanais et se lia d'amitié avec
le grand-père d'Ahmed Baba auquel il envoyait ses poèmes. J~es
autres docteurs connus des Soudanais étaient le grammairien
Cheik Khaled el ouaqqad el Azhari, Burhân ad-Din Al Qalqasandi,
traditionniste mort en 1516, Burhân Ad-Din Ibn Abi Sharif, Zaka-
ria (logicien ?), les deux frères Al Lakkani et Tadhouri el Djemal,
fils de Zakaria, El Biskri, Aboul Hassan el Bekri, etc. En Terre
Sainte les Soudanais fréquentèrent Aboul Bakarat En-Novairi,
Abou Taïb EI-Bousti, Ali ben Nacer, Amin Ad-Din El Mimouni,
Ibn Hadjar El Melali, Abel Aziz El-Methari, Es-Sekraoui, Abdei
Kader EI-Fakili 6, etc.
On peut prolonger cette liste de lettrés orientaux dont beaucoup
demeurent inconnus et dont le rôle historique fut simplement de
transmettre l'héritage classique mais qui ne firent guère briller la
science musulmane. C'était donc une source qui ne pouvait désal-
térer la soif des savants soudanais. On le verra d'ailleurs, les
docteurs de TombouctOtl allant souvent aux sources originelles
'de l'Islam réfutèrent nombre de commentaires de leurs devan-
ciers. Le Caire et l'Orient, par leurs riches traditions univer-
4. Encyclopédie de l'Islam, T. IV, p. 601-603. Cf. Hunwick, Notes on a late fif-
teenth century document concerning Al Takrour. African Perspectives, Cambridge
University, 1970.
S. Encyclopédie de l'Islam, T. I, p. 620.
6. Noms donnés par les Tarikhs et non identifiés.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 203

sitaires et religieuses, les ont aidés dans la maîtrise de la langue


arabe, instrument indispensable pour accéder à la Science. Ils
leur ont délivré des diplômes et ont servi de modèles, imités et
souvent dépassés. Leur apport n'est donc pas à minimiser dans le
développement intellectuel du Soudan au XVIesiècle. L'université
de Tombouctou fut, dans une large mesure, identique à celle d'Al-
Azhar où ses maîtres ont suivi des cours et obtenu des diplômes.
Le modèle marocain qui leur a servi au XIve siècle fut quelque peu
délaissé. De toutes façons, il n'y a pas rupture avec la culture
islamique du Nord mais prolongement et enrichissement.

C - L'université.
L'université doit être comprise dans son sens général et médié-
val, c'est-à-dire l'ensemble des centres d'études et d'enseignement
concernant toutes les connaissances acquises de l'époque. Dans
ce sens et toutes proportions gardées, on peut légitimement par-
ler d'universités soudanaises. Au xve et surtout au XVIesiècle, les
grandes villes soudanaises abritèrent une multitude d'écoles qui
dispensaient un enseignement humaniste. Deux d'entre elles,
Djenné et Tombouctou avaient une place de choix par leur rayon-
nement au Soudan et dans le monde musulman, la première étant
le prolongement de la seconde. Nous examinerons ici celle de
Tombouctou. Son organisation et les études qu'on y faisait étaient
à peu de choses près analogues à celles des autres villes. Notre
étude sera certes sommaire, incomplète car, de l'abondante litté-
rature de la ville, il ne nous est parvenu, pour le moment, que peu
de choses.
L'université est apparue progressivement au fur et à mesure
que la ville se développait et s'enrichissait. Les écoles de quartier,
de carré, se multiplièrent avec l'accroissement de la ville et, dès
le début du XIve siècle, avec l'enseignement à la grande mosquée
de Jingereber, l'université était à peu près constituée. L'arrivée
de grands maîtres au xve siècle et la construction des mosquées
de Sankoré et de Sidi Yaya à la même époque donnèrent à l'uni-
versité sa physionomie définitive et ses structures telles que nouS
les trouvons au XVIesiècle et même après.

10 - Organisation
L'université n'était pas ici une institution étatique. Elle n'avait
pas à proprement parler une direction administrative. Certes le
cadi, chef spirituel de la ville, avait la responsabilité de veiller à la
religion et au développement des études. En réalité l'organisa-
tion dépendait de la structure de l'université. Nulle part au Sou-
dan, nous n'avons une université institutionnalisée avec ses fon-
dations, ses médersas, son régisseur, etc. Ici l'école libre triom-
phait. L'université de Tombouctou était constituée par l'ensem-
ble des écoles libres et des mosquées-écoles dont la plus célèbre
204 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

était la Sankoré. Chaque établissement était donc dépendant de


son chef, maître ou imam.
En règle générale, chaque marabout entretenait une école avec
les quelques enfants qu'on lui confiait. C'est la fameuse école
coranique qu'on trouve aujourd'hui dans tout le Soudan. Elles
foisonnaient à Tombouctou où elles comportaient tous les niveaux
de l'enseignement. Kâti en évaluait le nombre à 150-180 mais ce
chiffre devait être inférieur à la réalité. L'école n'avait pas de lieu
fixe. C'était en principe chez le maître que les cours avaient
lieu soit devant la porte, dans le vestibule soit dans la cour inté-
rieure. Il y avait aussi de petites mosalla aménagées pour la prière
et l'enseignement. L'école était donc généralement en plein air.
Cela se comprend dans une ville où les conditions climatiques étant
rigoureuses pendant une grande partie de l'année, la population
préfère vivre dehors. Est-ce là une des raisons de l'absence de
médersas qui ne répondaient à aucune nécessité d'enseignement
et de logement? Bien que les Tarikhs mentionnent souvent des
« médersas », il semble qu'il faut donner à ce mot le sens général
d'école et non de vrai médersa tel qu'ils existent ailleurs dans le
monde musulman.
De même, Tombouctou n'eut pas de zaouia. Par contre toutes
les mosquées étaient utilisées pour l'enseignement surtout au
niveau supérieur. Nous avons déjà souligné l'ancienneté du Jin-
gereber. Le grand maître Sidi Yaya établit la tradition de l'ensei-
gnement sous le minaret de sa mosquée donc en plein air. La
Sankoré demeura le grand établissement universitaire qui finit par
donner son nom à l'université de la ville. Elle était grande et spa-
cieuse surtout après sa reconstruction en 1578 sur le modèle de la
Kaaba par le cadi EI-Aqib. Elle comportait des rangées parallèles
de piliers massifs qui la compartimentaient en sortes de loges
ouvertes. Les parties Nord et Ouest sont considérées comme ayant
été animées au XVIesiècle par les grands docteurs et leurs talibés.
La mosquée attira un grand nombre d'étudiants et de maîtres.
Elle était administrée par l'imam qui fut souvent cadi de la ville.
Or, on le sait, les familles des Aqît et des Anda Ag Mohammed
monopolisèrent cette fonction jusqu'à la conquête marocaine. La
Sankoré fut liée à ces familles qui lui fournirent ses meilleurs pro-
fesseurs.
La liberté d'enseigner était totale. Tout lettré titulaire d'un
diplôme de licence (idjâjat) avait la possibilité d'enseigner et d'ou-
vrir école. Il y avait cependant une grande différence entre les
maîtres des écoles coraniques et les grands docteurs, titulaires de
plusieurs diplômes, érudits dans les disciplines fondamentales. Les
maîtres jouissaient d'un grand prestige, non seulement pour leurs
qualités intellectuelles, leur piété mais aussi par leur contenance
aujourd'hui encore imposante, vénérable. Le maître porte le grand
boubou sur une blouse aux longues manches, un turban blanc et
un long bâton à bout pointu dans sa main droite. Sa démarche est
lente, sa voix basse et ses paroles reflètent une humilité, une condes-
cendance qui imposent le respect.
Les maîtres n'étaient ni organisés, ni rémunérés. Ils enseignaient
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 205

par piété islamique ou par devoir envers la société. Leur situa-


tion matérielle n'était pas cependant mauvaise; nous l'avons mon-
tré plus haut. De leur enseignement, ils tiraient aussi quelques
profits. Les élèves leur apportaient chaque mercredi les fruits de
leurs quêtes. L'auteur du Tarikh el-Fettach rapporte qu'un maître
du nom d'Ali Takaria recevait ainsi chaque mercredi 1 725 cauris
selon la coutume en vigueur dans la ville. De même à l'achèvement
de l'étude du Coran, à la cérémonie du turban, les maîtres étaient
récompensés par les parents de l'élève. En outre ils recevaient des
présents de temps à autre. Il était aussi dans la nature des cho-
ses que le cadi de la ville distribuât aux docteurs les aumônes
faites à la mosquée par de riches personnages, princes ou mar-
chands surtout aux grandes cérémonies comme le mawlud.

Quant aux élèves et étudiants, thaleb (talibé), ils étaient très


nombreux aux xV: et XVIesiècles. En dehors des citadins, la majeure
partie venait surtout des provinces occidentales plus islamisées.
Mais il y avait aussi ceux venant de Gao et des villes haoussa, ceux
du Sahel soudanais. L'université était l'image de la ville, cosmo-
polite, multiraciale. La population estudiantine ne peut actuelle-
ment être chiffrée, faute de documents. Le fameux passage du
Tarikh el-Fettach qui mentionnait 150 à 180 écoles coraniques est
la seule indication. L'auteur évalue à 123 élèves les effectifs de
l'école d'Ali Takaria mais ce chiffre ne concerne que l'enseigne-
ment primaire. On ne connaît rien de ce Ali Takaria qui ne devait
pas être un grand maître. Les grands docteurs devaient avoir
davantage d'élèves et d'étudiants. D'ailleurs l'effectif des écoles
donné par le Tarikh ne devait concerner ni la Sankoré ni les autres
mosquées mais uniquement les écoles coraniques répandues à
travers la ville. Il nous permet néanmoins de nous faire une idée
de la population scolaire qui devait se situer entre 15 000 et 20000
élèves. Rien n'est pourtant sûr. Aucune évaluation n'est possible
pour le cycle supérieur. Les étudiants devaient être cependant très
nombreux dans la ville qui compterait quelque 70 à 80 000 habi-
tants.
Leurs conditions matérielles de vie, à l'instar des maîtres, étaient
bonnes. Les citadins étaient logés chez leurs parents ou chez leurs
maîtres. Pour les étrangers, il n'y avait pas de médersa ni d'inter-
nat. L'état de la société et le sens de l'hospitalité permettaient l'in-
tégration des étrangers dans les familles. L'étudiant qui venait à
Tombouctou était considéré comme un hôte. Il était recommandé
ou « confié », selon la terminologie soudanaise, à un maître ou à
un notable. Ainsi la masse des étudiants étrangers avait le gîte et
le couvert assurés. Ils satisfaisaient leurs menues dépenses par
les cadeaux et les aumônes qu'ils recevaient et les petits travaux
qu'ils pouvaient exécuter en ville. Les textes nous manquent pour
nous faire une idée de l'état d'esprit des étudiants. Il ne semble
pas, à la lecture des Tarikhs, qu'ils fussent organisés, bruyants,
braillards et contestataires comme ailleurs. On a l'impression que
ces futurs jurisconsultes, marqués par la fréquentation des horn-
206 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

mes pieux, avaient une haute conscience de leurs études, un grand


respect pour les autres et pour la tradition. Enturbannés comme
leurs maîtres, passionnés de savoir et amis des livres, les étudiants
avaient bonne réputation. Certes la Sankoré comme tout établis-
sement du genre n'ignorait pas les rivalités entre professeurs, les
conflits entre étudiants et autres mouvements du genre. Les moque-
ries, les jeux d'esprits, les singeries de tel professeur, les commé-
rages avaient libre cours. Nous en avons une évocation dans le
Tarikh es-Soudan par !'Askia Mohammed II Benkan, ancien étu-
diant de la Sankoré : « Cette défaite que je viens de subir (il
venait d'être battu dans le Kebbi) et toutes les peines qu'elle m'oc-
casionne m'irritent moins que ce que vont dire les gens de Tom-
bouctou quand ils apprendront la nouvelle, surtout ce que diront
les uns aux autres certains mécontents qui se réunissent derrière
la mosquée de Sankoré. » Il en nomma quelques-uns: Bouzoudaya,
un tel, un tel, etc. car il connaissait bien l'état d'esprit des gens à
Tombouctou, ayant habité Sankoré dans sa jeunesse pour y faire
des études. Puis il ajouta: « L'un d'eux dira: Jeunes gens, avez-
vous entendu parler de ce qui est arrivé à Marakan Kirai avec
Kanta? - Qu'est-il arrivé? demandera l'auditoire. - Eh bien,
poursuivra le narrateur, il a été si bien défait qu'il a failli périr lui
et toute son armée. - Ah ! répondra l'assistance, il n'arrivera plus
malheur maintenant à celui qui fera opposition à Askia Moham-
med ; c'est contre lui-même qu'il a dirigé cette expédition. » Il me
semble, continua-t-il que je les vois débiter ces discours. Ainsi
»
l'université constituait une force dans l'opinion publique nigé-
rienne et les étudiants et intellectuels commentaient les événe-
ments politiques et prenaient parti. Les ulémas de Tombouctou,
en tête le cadi, eurent plusieurs fois à intervenir dans les conflits
qui divisèrent les princes de Gao.
Les Tarikhs ne nous décrivent pas de cérémonies, de fêtes par-
ticulières d'étudiants. Le port du turban et la mémorisation du
Coran étaient cependant de grands moments de la vie de l'étu-
diant. En effet le port du turban devait coïncider avec la fin du
cycle d'études. L'étudiant, qui recevait le turban selon un rite que
nous avons écrit plus haut, accédait à un degré élevé du savoir et
il devenait un homme respectable comme ses maîtres. Tout en
continuant à étudier à la Sankoré, il pouvait ouvrir une école et
commencer à enseigner.
Les programmes d'enseignement comme les horaires étaient à
la discrétion de chaque maître. La journée du grand maître
Mohammed Bagayokho était ainsi répartie, les cours ayant lieu
entre les prières du matin, de l'après-midi et de la nuit.
. De la prière du matin au grand Duhâ: approxima-
tivement de 5 à 9 h 30 : cours à la mosquée;
. 9 h 30 vers Il h : pause;

.
. Il h vers midi: cours dans sa maison.
De la prière du Zuhr à celle de l'Asr, c'est-à-dire
de 14 h 30 vers 17 h : cours à la mosquée;
7. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 146...147.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 207

. De l'Asr au Maghreb: 17 h 30 vers 18 h 30: cours


en ville.
. Nuit: cours à la Mosquée.
La journée était pratiquement consacrée à l'enseignement (près
de 10 heures) et à la prière. Les mercrdis et les grandes fêtes
étaient fériés. A l'occasion du maouloud, les étudiants prenaient de
grandes vacances dont la durée n'est pas mentionnée dans les
Tarikhs.

2° - Les études
Les études faites à Tombouctou ne différaient pas de celles des
autres universités du monde musulman. Elles concernaient la
religion, les sciences sociales et constituaient ce que nous appe-
lons aujourd'hui les Humanités. L'objectif était d'acquérir les
connaissances relatives à la religion, à la conduite de l'homme, à
la cité, d'éduquer en développant les valeurs spirituelles et mora-
les. Le monde musulman avait abandonné depuis quelques siè-
cles la science désintéressée, profane, les sciences exactes, orien-
tées vers la connaissance de la Nature et des choses qui entourent
l'homme. Les Tarikhs ne mentionnent jamais les sciences (mathé-
matique, chimie ou autres). La Connaissance, la vraie pour les
ulémas de l'époque, n'était pas destinée à la satisfaction de l'esprit
mais à servir Dieu et à vivre selon les préceptes religieux. Tom-
bouctou n'en faisait pas exception.
L'enseignement comportait deux niveaux: l'un élémentaire
(école coranique) et l'autre supérieur. Au premier niveau, l'élève
apprenait par. cœur le Coran et les notions essentielles de la pra-
tique religieuse. Il était initié à lire et à écrire l'arabe, seule langue
utilisée pour la vraie connaissance. L'enseignement supérieur, dis-
pensé par les grands maîtres de l'époque, surtout à la Sankoré,
abordait la même science islamique qu'à El Azhar et à Fès qui
étaient les universités sœurs de Tombouctou. Il comportait les
sciences traditionnelles: Théologie (Tawhid), Exégèse (Tafsir),
Traditions (Hadit), Droit (Fiqh) et les sciences de l'esprit: Gram-
maire, Rhétorique, Logique, Astrologie, Histoire, etc.
Si l'on se réfère au Tarikh es-Soudan pour faire l'inventaire des
ouvrages utilisés à Tombouctou, l'on se rend compte qu'ils consti-
tuaient les bases fondamentales de la science islamique classique.
Comme nous les verrons plus loin, les professeurs de Tombouctou
comme Ahmed Baba et Mohammed Bagayokho étaient de grands
érudits, des esprits universels ouverts à toutes les connaissances
de leur époque.
L'université de Tombouctou avait même une grande célébrité
pour l'enseignement du Droit (Fiqh) malékite. Les ulémas que les
Tarikhs n'appellent autrement que jurisconsultes, étaient nourris
de la culture classique. Le Tarikh es-Soudan nous donne les ouvra-
ges fondamentaux de cet enseignement qui sont les mêmes dans
tout l'univers musulman. Nous retenons le Mou.watta, base théo-
rique du Droit de Malek ibn Anas, la Madawwana d'Ibn Qâsim et
208 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y

Sahnoün et le fameux AI-Mokhtasar de Khalil, ouvrage fondamen-


tal de l'enseignement juridique et manuel usuel des étudiants de
Tombouctou. La Risala d'EI-Kairouani était aussi lu que le Kha-
IiI; la Tohfat el-hokkam, traité de droit, les ousoûl, méthodologie
juridique, les Muqaddima (introductions) d'Abdel Baridal, d'Et-
Tajuri et autres, constituaient les bases de cet enseignement clas-
sique. Ils étaient lus, commentés aussi bien oralement que par
écrit.
Dans le domaine du Tawhid (Théologie dogmatique), les Tarikhs
mentionnent quelques ouvrages tels que le Soghra d'Es-Senoussi,
(petit traité sur le dogme de foi), Eldjezairiya (poème sur l'unicité
de Dieu) et différents ouvrages de commentaires du Coran. Les
ouvrages de base de la théologie tels que le Kobra d'Es-Senoussi,
les traités d'AI-Akhdari, d'Ibn Hachem, d'Ibn Atâ Allah, le maître
du mysticisme occidental, ceux d'Es-Souyouti l'ami des ulémas
de Tombouctou, sans être mentionnés dans le Tarikh es-Soudan,
ne pouvaient pas ne pas être connus dans l'université nigérienne
au XVIesiècle. Il faut d'ailleurs noter que l'auteur du Tarikh ne
mentionne les ouvrages cités qu'incidemment, pour faire l'éloge
du professeur Mohammed Bagayokho. La vaste littérature de
Tombouctou n'est pratiquement pas mentionnée dans les Tarikhs.
Des 1 600 ouvrages que détenait Ahmed Baba, le Tarikh ne men-
tionne qu'une quinzaine de titres.
De la science de la Tradition (Hadit) il cite les ouvrages clas-
siques: les Sahih d'EI-Bokhari et Moslem, le Chifâ (biographie du
Prophète), des traités de morale tels que la Khortobiya (devoirs
du musulman) les Hikem (morale et mysticisme). L'université de
Tombouctou, composée dans sa majeure partie de non-Arabes,
attachait une' grande importance aux études linguistiques. La lan-
gue arabe était étudiée dans ses subtilités grammaticales. Les
mentions d'ouvrages d'Aljiya 8, des poèmes didactiques tels que
le Khazredji reviennent souvent dans le Tarikh. Sidi Yaya (xve
siècle), Moadibb EI-Kabari (xve siècle), Ahmed Ben Ahmed Aqît,
père d'Ahmed Baba, AI-Mokktar, cousin de son père, Ahmed Baba
lui-même, etc., étaient considérés comme de grands maîtres de
la langue arabe.
Le Tarikh el-Fettach mentionne Gao-Zaccaria à la fin du xve
siècle comme un grand dialectitien. En effet, comme ailleurs,
Tombouctou et les universités soudanaises étudiaient la Logique
et la Rhétorique. Les as-sullam (échelle), dérivé de la logique
aristotélicienne, les Redjez d'EI-Maghili, poème sur la Logique, les
djomel d'EI-Koundji, traité de logique, étaient étudiés à la San-
korê. On comprend dès lors la juste admiration de l'historien
africain, Cheikh Anta Diop qui écrit: « Quatre siècles avant ]a
rédaction de la "Mentalité primitive" de Levy Brühl, l'Afrique
noire musulmane commentait la "Logique formelle" d'Aristote
et était dialecticienne 9.» La Rhétorique dans ses principes de
base, les Telkhis d'el miftâh, l'abrégé du miftâh (clé de Rhétorique),

8. Alfiya : traité de grammaire arabe en mille vers.


9. Cheikh Anta Diop, Afrique noire précoloniale, 1960. p. 133.
TOMBOUC1'OU ET L'EMPIRE SONGHA y 209

les tekhmis qui sont des poèmes composés à partir d'un vers d'un
autre poème, les ouvrages d'El Akhdari et d'autres auteurs étaient
enseignés à Tombouctou 10. On peut compléter cette liste des étu-
des par celle de l'Astrologie, de la Géographie et de l'Histoire, qui
sont des matières annexes aux enseignements fondamentaux.

3° - Méthodes d'enseignement, diplômes


La pédagogie ne semble pas avoir changé depuis le XVIesiècle.
Pour ce qui est de l'enseignement supérieur, l'explication et le
commentaire de texte constituaient la base de cette méthode scho-
lastique. La classe comprenait non seulement les étudiants ordi-
naires mais d'autres venus suivre la leçon et surtout des collè-
gues du maître qui venaient s'instruire et qui animaient le cours
par des questions et des discussions. L'esprit était souvent sacri-
fié au mot. L'exégèse l'emportait sur la pensée féconde. L'élève
lisait et le maître expliquait, commentait, puis posait des ques-
tions sur la forme et le fond. A son tour, l'étudiant interrogeait,
posait des questions et, par une sorte de dialectique à laquelle
l'auditoire prenait activement part, la leçon s'animait et le texte
était explicité, assimilé. Il était de règle que l'élève étudiât le
même ouvrage plusieurs fois et très souvent avec des maîtres
différents. Ainsi Ahmed Baba suivit pendant dix ans les cours de
Mohammed Bagayokho, étudia huit fois le Mokhtasar de Khalil,
trois fois le Teshil d'Ibn Malek, et les ousoûl d'Es-Sebki 11,
etc. Le maître donnait une licence (idjâjat) sur chaque matière
étudiée et l'étudiant avait alors la possibilité d'enseigner. C'est dire
qu'un étudiant pouvait avoir plusieurs licences délivrées par divers
maîtres sur la même matière, d'où la recherche continuelle des
professeurs célèbres. La connaissance n'a pas de limites et l'in-
tellectuel apprend toujours, maître en même temps qu'élève; l'en-
seignement était soutenu et nourri par la recherche. Ecoutons
Ahmed Baba parlant de son maître: « Je lui ai communiqué un
certain nombre de mes ouvrages; il Y a mis de sa main des anno-
tations flatteuses pour moi; il a même reproduit les résultats de
certaines de mes recherches et je l'ai entendu en citer quelques-
unes dans ses leçons, ce qui prouve son impartialité, sa modestie
et son respect pour la vérité en toute circonstance 12. » Cette
méthode ne diffère en rien de celle que nous employons aujour-
d'hui dans nos universités. C'est la méthode scientifique. « La
pensée était consciente d'elle-même; elle devenait donc scientifi-
que13. »
L'Université de Tombouctou fut un grand foyer de production
10. Ces ouvrages constituent à un degré peut-être inférieur la base de l'enseigne-
ment actuel au Soudan occidental. El Hadj Ravane Mbaye, dans sa brillante maî-
trise, Contribution à l'étude de l'Islam au Sénégal, Dakar, juillet 1973, a établi le
bilan de cet enseignement et recensé des ouvrages que nous trouvons à Tombouctou
au xv~ siècle. Ce qui a alors changé, c'est le contexte et la qualité de cet enseigne-
ment.
Il. Tarikh es-Soudan, p. 175.
12. Idem, p. 176.
13. Cheikh Anta Diop, A/rique noire précololliale, p. 133.
210 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

littéraire. Les Tarikhs mentionnent de nombreuses œuvres aujour-


d'hui disparues. Elles proviennent des grands maîtres de l'uni-
versité, car la création littéraire était intimement liée à l'ensei-
gnement.

4° - Les grands professeurs et les œuvres


Dans le Tekmilet ed-dibadje 14, dont une partie nous est trans-
mise par le Tarikh es-Soudan, Ahmed Baba retrace la biographie
des grands docteurs malékites du Soudan occidental et plus pré-
cisément de ceux de Tombouctou dont il est lui-même le symbole.
On peut établir deux générations de savants correspondant aux
deux moments de la vie intellectuelle du Soudan nigérien. La
première génération est celle de la fin du xve siècle au milieu du
XVIesiècle. Elle correspond au développement de la cité et de la
vie intellectuelle. Elle est dominée par le cadi Mahmoud (t 1548).
Elle forma la deuxième génération (deuxième partie du XVIesiècle)
qui porta à l'apogée l'université et les études. Mohammed Baga-
yokho, Abdoul Abbas Ahmed Baba sont les représentants de cette
période et leurs noms restent liés à l'épanouissement de la culture
tombouctienne et soudanaise.
En centrant notre étude sur trois noms, le cadi Mahmoud,
Mohammed Bagayokho et Ahmed Baba, nous pouvons donner
une idée générale sur l'enseignement et les œuvres au XVIesiècle.
Mahmottd ben Omar Aqît (1463-1548), cadi de Tombouctou
depuis 1498-99, fut le maître incontesté de la ville pendant la
première moitié du XVIesiècle. Nous l'avons montré dans ses fonc-
tions de cadi et d'imam de la Sankoré. Il était le chef de la grande
famille des Aqît d'origine sanhaja. Ses frères Ahmed et Abdallah,
ses nombreux fils Qont El Aqîb, Abou Hafs Omar, ses neveux et
petits neveux dont le fameux Ahmed Baba exercèrent une vérita-
ble hégémonie intellectuelle dans la grande cité et fournirent de
grands maîtres. Cette famille était alliée par mariage à celle des
Anda Ag Mohammed, d'origine targui qui, elle aussi, donna de
grands maîtres comme le grammairien EI-Mokhtar, cousin du
cadi Mahmoud, Abdoul Abbas Ahmed Boryo, professeur à la San-
koré. Mahmoud, éduqué à Oualata puis à Tombouctou, profita de
son pèlerinage pour étudier à Al-Azhar et à La Mecque auprès des
maîtres célèbres. Son petit neveu Ahmed Baba nous le présente
ainsi: « Doué d'une nature calme et d'une intelligence qui n'eut
d'égale que sa mémoire infaillible, il jouissait d'une grande consi-
dération. Mais c'est plutôt à sa science, pour ainsi dire, universeJle,
qu'à la pureté de ses mœurs et à la dignité de son caractère qu'il
dut la célébrité dont brillait son nom dans le monde musulman...
On voyait répandu dans toute sa personne ce je ne sais quoi qui
commande le respect et même l'obéissance 15. »
Malgré ses obligations de cadi et d'imam, Mahmoud s'adonna

14. Ahmed Baba, in Cherbonneau A., Essai sllr la littérature arabe au Soudan
d'après le Tekmilet ed dibadje, 1854-1855, p. 15.
15. Idem, p. 15
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 211

toute sa vie à l'enseignement, fit de Tombouctou le grand foyer de


Droit malékite et contribua à former la génération de la deuxième
moitié du XVIesiècle. En introduisant l'enseignement du Khalil à
l'Université, il donna aux études de Droit l'ampleur et la profon-
deur qui leur manquaient. Il enseigna les auteurs classiques du
Droit malékite. Ahmed Baba insiste aussi sur son enseignement de
la grammaire, plus spécialement de l'Altiya d'Ibn Malek « règles
de la grammaire arabe en mille vers». Il attira à ses cours un
auditoire nombreux à cause de son érudition mais aussi de son
art d'enseigner qui est le signe des grands maîtres. Ecoutons
Ahmed Baba: « 1;t quel charme pour ceux qui écoutaient ses
leçons! Quelle lucidité dans les explications! Quel guide sûr et
facile que sa méthode 15! » Mahmoud écrivit deux ouvrages sur le
Mokhtasar de Khalil pour le commenter et l'expliquer. Son activité
judiciaire de cadi devait fournir ries documents qui éclaireraient
l'histoire de la grande cité si on les retrouvait un jour. Tombouc-
tou a gardé la mémoire du grand maître dont le tombeau, au Nord
tie la ville actuelle, est le seul de son temps à émerger des siècles.
Quant à Mohammed Bagayokho (1523-1594), son nom remplit la
deuxième partie du siècle. Il était Wangara, c'est-à-dire Malinké.
Le nom clanique Bagayokho est typiquement malinké et se rat-
tache au grand clan des Boula caractérisé par la terminaison okho
et qui comprend les Soussoukho, les Bagayokho, les Koutoubou-
layokho, les Dangnokho, etc. se réclamant tous du héros légendaire,
Fakoli, compagnon de Soundiata. Le clan Boula est encore réputé
pour son animisme et son attachement aux traditions mandingue.
Il n'échappa cependant pas à la grande vague d'islamisation du
XIve siècle. De nombreux clans mandingue, particulièrement dans
l'aristocratie, se convertirent à l'Islam d'autant plus facilement
que les clans avaient éclaté très tôt et les membres s'étaient dis-
persés du Bambouk au Delta Central nigérien. Les ancêtres de
Mohammed Bagayokho, islamisés depuis longtemps: s'établirent
au milieu des Soninké dans Je Delta central nigérien, puis à
Djenné. Il est très possible qu'ils se fussent ainsi soninkisés.
Boubacar, grand-père de Mohammed certainement établi à
Djenné dans la deuxième moitié du xve siècle, vivait du commerce
et des études. Son fils Mohammed, au début du XVIesiècle, devint
célèbre pour son érudition et sa piété. Nous avons relaté plus
haut ses remontrances courageuses à l'Askia Ishaq 1er qui lui
imposa en revanche les fonctions de cadi de la ville. Mohammed
eut deux fils, Ahmed et Mohammed notre jurisconsulte. Ils furent
'élevés par leur oncle maternel qui les amena à Tombouctou où ils
continuèrent leurs études. Ils se rendirent ensuite en pèlerinage
et restèrent longtemps en Orient où ils étudièrent à El-Azhar et
'fréquentèrent les grands docteurs de l'Islam.
Ils revinrent à Tombouctou qu'ils ne quittèrent jamais plus.
Leur maison se trouvait dans le quartier de Wangaracounda, à
quelque cent mètres de la mosquée de Sidi Yaya. Ils continuè-
rent leurs études avec les maîtres célèbres de la ville, surtout avec
le père d'Ahmed Baba. Mohammed enseignait en même temps et
finit par s'imposer comme la plus grande autorité intellectuelle de
212 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

la ville. II dût interrompre ses cours en 1566 à la suite d'un diffé-


rent avec l'Askia Daoud. Pour pourvoir, en effet, aux fonctions de
cadi de Djenné, vacantes à la mort de son titulaire, l'Askia, sur la
demande des habitants de la ville, nomma l'un des frères Baga-
yokho qui se récusèrent et se réfugièrent dans la Mosquée. L'affaire
fut résolue grâce à l'intervention d'un jurisconsulte de Tombouc-
tou auprès de l'Askia Daoud. Quelques temps après, Ahmed mou-
rut. Mohammed continua seul à enseigner. Il assumait en même
temps les fonctions de l'imamat de la Mosquée de Sidi Yaya, assis-
tait avec assiduité le cadi de la ville dans ses audiences judiciaires.
En 1583-1584, lors de la crise de vacation du poste de cadi, Moham-
med Bagayokho s'offrit spontanément pour rendre la justice et
éteindre les causes de discorde. Il intervint directement, à plu-
sieurs reprises, auprès de l'Askia pour la nomination d'Abou Hafs
Omar au poste de cadi.
Il fut, en 1593, un des rares ulémas à être épargné par les
conquérants marocains. Après l'arrestation et la déportation au
Maroc des docteurs de la ville, le désespoir et la peur s'emparè-
rent des habitants de Tombouctou. Egal à lui-même, confiant en
son Dieu, Mohammed Bagayokho s'employa à rassurer ses com-
patriotes, à les éveiller à l'espoir. Il devint le maître spirituel de la
ville. Le conquérant marocain lui-même dut s'incliner devant sa
grandeur d'âme. Le Tarikh el-Fettach relate à son sujet une anec-
dote significative. Le cruel pacha marocain, Mahmoud ben Zer-
goun, menaça Mohammed Bagayokho pour obtenir de lui la signa..
ture d'un faux témoignage contre les ulémas arrêtés. «Quiconque,
dit-il, aura refusé d'inscrire son témoignage, nous lui couperons le
bras au niveau de l'épaule. » Mohammed répondit en souriant:
« Je trouve meilleur et plus digne d'avoir la main coupée par toi
que d'écrire un faux témoignage 16.» Il mourut un an après en
1594.
Son disciple Ahmed Baba a fait de lui un des portraits les plus
élogieux dans son ouvrage: « C'était un jurisconsulte habile dans
toute.s les branches du Droit, juste et craignant Dieu... Doué d'un
cœur pur et innocent, il aimait à supposer que tous les hommes
sont bons... Plein d'empressement à rendre service, il se sacrifiait
pour le bien du prochain et souffrait des peines d'autrui... La
modestie l'avait revêtu de son manteau précieux; il s'avançait
environné de toutes les lumières de la vérité, plein de calme, d'af-
fabilité et d'une pudeur que rehaussait la plus exquise délicatesse.
Tous les cœurs éprouvaient pour Mohammed Barirou une vive
sympathie... Mohammed (Barirou) était un homme rempli d'intel-
ligence, de pénétration et de lucidité dans les idées, pouvant s'éle-
ver aux plus grandes choses comme descendre aux plus petits
détails; prompt à la répartie, alerte à saisir le sens des paroles;
d'un coup d'œil sûr, d'une discrétion à toute épreuve et ayant des
manières pleines de dignité. Parfois, cependant il aimait à plaisan-
ter et à dilater son cœur dans la conversation. Du reste, vraie

16. Tarikh el-Fettach, p. 310.


TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 213

merveille de Dieu pour la vivacité de la conception et l'étendue de


l'esprit, sa réputation s'est établie par toute la contrée 17. »
Mohammed Bagayokho fut le type idéal du docteur tombouc-
toutien. II se voua tout entier au service de sa société et de son
Dieu. Loin de s'enfermer dans une solitude pieuse et individualiste,
il s'engagea irrémédiablement au service de sa communauté. Il
s'adonna à l'enseignement comme à un sacerdoce. Il avait le don
d'enseigner. « Sa prodigieuse patience à enseigner pendant la jour-
née entière, même aux intelligences les plus rétives, sans dédain
comme sans ennui... allait jusqu'à faire souffrir les auditeurs de
son excès de bonté. » Le programme de sa journée tel que nous
donne Ahmed Baba est quelque peu terrifiant par l'ampleur du
travail fourni. Ecoutons le disciple: « Tel était l'emploi de sa
journée (j'en parle en témoin) : dès les premières heures du jour,
il se mettait à professer, et faisait de suite plusieurs cours diffé-
rents jusqu'à dix heures du matin. Alors il se rendait chez lui pour
s'acquitter de la prière. Après l'avoir achevée, il rentrait chez le
cadi pour les affaires de ses clients ou bien il jugeait à l'amiable
entre les parties. Ensuite, après la prière qu'il récitait en public, il
professait jusqu'à trois heures dans sa propre maison, faisait la
prière de l'Asr et sortait pour aller enseigner dans un autre local
jusqu'aux dernières heures du crépuscule; et, après le coucher du
soleil, il terminait la journée à la mosquée par une autre leçon.
C'est à neuf heures seulement qu'il retournait chez lui. De plus,
je ne crains pas d'affirmer qu'il a toujours passé en prières la
dernière veille de la nuit 18. »
Son enseignement portait sur les disciplines classiques et plus
spécialement sur le Droit malékite. Ahmed Baba nous donne la
liste des auteurs étudiés qui correspondait pratiquement à toutes
les connaissances de l'Islam classique avec une prédilection parti-
culière pour le Droit. Mohammed Bagayokho fut considéré comme
une des sommités soudanaises du Droit malékite. Il fut, après le
cadi Mahmoud, le grand spécialiste de Sidi Khalil, base des études
juridiques et il attira à ses leçons toute l'intelligentsia de la ville.
Il semble avoir aussi abordé le Droit hanéfite. Il a peu écrit. Son
œuvre est un travail d'érudition: correction des textes fondamen-
taux, tel le Khalil, avec notes marginales, commentaires et expli-
cations. L'ensemble de ses travaux fut rassemblé par Ahmed Baba
en un ouvrage qui ne nous est pas parvenu. Mohammed Bagayokho
demeura avant tout un pédagogue, un homme du verbe. Ahmed
Baba, le plus connu et peut-être le plus grand des docteurs de Tom-
bouctou reconnaît en lui son maître: « Mohamed Barirou fut mon
guide et mon précepteur dans la carrière des lettres, et nul autre,
j'ai le droit de dire, ne m'a été aussi utile que lui 19. » 'Sous la plume
de son disciple, le grand maître mandingue se présente comme un
homme parvenu à un grand équilibre moral et intellectuel. Il a
17. Cherbonneau, Essai, p. 25-27. A noter le nom transcrit dans le Tekmilet :
BGY OU avec £ (g) gayn : Les noms africains sont généralement mal transcrits par
l'alphabet arabe. Le Bg you est bien la transcription de Bagayokho.
18. Idem, p. 27.
19. Idem, p. 30.
214 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

assimilé et assumé la culture islamique sans en être aliéné comme


d'autres Soudanais. Le fait même d'avoir gardé le nom clanique
Bagayokho, rare chez nombre de lettrés, est significatif de la matu-
rité spirituelle de notre docteur, de l'enracinement d'un islam
négro-africain dans le Soudan nigérien du XVIesiècle.
De l'avis de tous les auteurs, le plus grand docteur soudanais et
tombouctoutien du XVIesiècle est Abdoul Abbas Ahmed Baba 20. Il
symbolise à lui seul l'apogée de la culture nigérienne. Il est l'abou-
tissement de l'évolution intellectuelle de la grande ville nigérienne,
la quintescence de la civilisation soudanaise à son apogée. Il est
aussi le fruit de la culture soudanaise livrée à elle-même, car,
contrairement aux maîtres de la génération précédente, Ahmed
Baba n'a étudié qu'à Tombouctou. Il est donc 1étalon d'évaluation
de l'Université soudanaise dans la deuxième moitié du XVIesiècle.
Ses origines expliquent dans une large mesure l'éclosion de son
génie. II était en effet de la troisième ou même de la quatrième
génération d'intellectuels tombouctoutiens et hérita, comme ceux
de sa génération, d'une somme considérable de connaissances, d'un
état d'esprit général entièrement orienté vers les études. De plus, il
appartenait à la plus grande famille intellectuelle de la ville, les
Aqît, dont nous avons maintes fois parlé. Il est né à Araoun vers
1556. Ahmed ben Ahmed Aqît (1522-1583), son père, était un des
plus illustres érudits de la ville et il enseigna la Rhétorique, la
Logique, la Morale, la Théologie, le Droit, et écrivit de nombreux
commentaires sur les ouvrages enseignés. Sa bibliothèque person-
nelle contenait sept cents volumes. Il donna à son fils ses premiers
diplômes. Ahmed ben Omar Aqît (t 1536), grand-père d'Ahmed
Baba, fut aussi célèbre que son frère le cadi Mahmoud. Il fit des
études en Orient où il se lia d'amitié avec le poète El Bekri, suivit
les cours d'Es-Souyouti à El-Azhar et ênseigna le Droit, la Gram-
maire, la Rhétorique à Tombouctou et dans les pays haoussa. L'au-
tre branche de la famille des Aqît, issue du cadi Mahmoud ben
Omar Aqît, fournit un nombre considérable de docteurs, cousins
ou neveux du père d'Ahmed Baba. Du côté maternel, les Aqît étaient
liés par mariage aux Anda Ag Mohammed qui constituaient une des
familles intellectuelles de Tombouctou. Ainsi donc, par ses ori-
gines, Ahmed était la convergence de deux grandes familles intel-
lectuelles de Tombouctou. L'on comprend,. dans ces conditions,
qu'il ait réussi.
En remontant plus loin, nous avons vu que l'ancêtre de la famille,
Mohamed Aqît était d'origine sanhaja, établi dans le Macina vers
la fin du XIve siècle début du xve siècle. Deux siècles d'installation
à Tombouctou et des intermariages avec les Noirs - le cadi Mah-
moud était beau-fils d'Askia Mohammed - ont fait d'Ahmed Baba
un Soudanais, El-Soudanii, authentique, universellement connu

20. Il existe de nombreux articles sur Ahmed Baba. Nous retenons ici outre l'Essai
de Cherbonneau, les travaux de Hunwick J.O. : A New source of the biography of
Ahmad Bàbà al Tinbukti (1556-1627) in Bull. of School of Oriental and Alric. Stu-
dies, Univer. London, vol. XXVII, part 3, 1964.
El Oufrani, Histoire de la Dynastie saadienne au Maroc. Traduction O. Houdas,
Paris, Leroux, 1889.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 215

comme tel. Le problème de couleur était un faux problème dans


ces grandes familles soudano-berbères où les épouses étaient aussi
bien des noires que des blanches! Ahmed Baba n'a étudié ni à Fès
ni à Al Azhar ni ailleurs qu'à Tombouctou qui abondait alors en
maîtres qualifiés. Il suivit les cours de son père, de ses oncles, de
Mohammed Bagayokho et acquit la plus solide érudition de son
temps. Les auteurs ne nous donnent pas la physionomie de l'hom-
me. Ahmed Baba nous apparaît cependant comme un homme d'une
intelligence supérieure, doué d'une extraordinaire capacité de tra-
vail. Sa mémoire prodigieuse avait retenu les moindres détails des
auteurs classiques. Esprit rompu à la rigueur malékite, Ahmed
Baba était un caractère entier, un homme au parler franc et à la
conscience droite, très exigeant pour lui-même et pour les autres.
Juriste dans l'âme, il était profondément attaché à la liberté, confor-
mément aux préceptes religieux. Son opposition à l'envahisseur
marocain, ses remontrances au Sultan El-Mans our lors d'une
audience avec celui-ci attestent le mâle courage du docteur de
Tombouctou.
Le fait dominant de sa vie fut son exil au Maroc en 1594. En
effet, après l'invasion marocaine et la conquête de l'empire son-
ghay, le Sultan Ahmed EI-Mansour ordonna l'arrestation des doc-
teurs de Tombouctou, âme de la résistance nationale aux conqué-
rants. Le pacha Mahmoud ben Zergoun arrêta dans la mosquée de
Sankoré, le 20 octobre 1593, le cadi Abou Hafs Omar et les mem-
bres de sa famille dont notre auteur, les enchaîna et les fit dépor-
ter à Marrakech où ils demeurèrent en prison jusqu'en 1596. A
cette date, grâce à l'intervention des ulémas de la ville, le Sultan
consentit à libérer les prisonniers qui furent consignés à résider
au Maroc. Alors s'ouvrit une nouvelle période pour Ahmed Baba,
celle de l'apothéose. Il reprit ses études et émerveilla le Maghreb
par l'ampleur de SOIl érudition. Par un de ces changements si
fréquents en Histoire, ce fut le Soudan, à travers Ahmed Baba, qui
apporta sa science au Maghreb à qui il était grandement redevable.
Certes le Maghreb ne manquait pas de docteurs mais Ahmed Baba
était une autorité universelle du malékisme comme l'avaient été
EI-Kairouani, EI-Maghili et bien d'autres du Maghreb. L'Islam ne
fait pas de discrimination dans le domaine du savoir. Après la mort
d'EI-Mansour, Moulay Zidan autorisa Ahmed Baba à revenir en
1607 à Tombouctou. La ville, sous la domination marocaine, avait
changé: nombre d'amis, de confrères du jurisconsulte étaient
morts. Ahmed Baba reprit son enseignement dans un climat intel-
lectuel peu vivant. Les Tarikhs ne nous donnent aucun renseigne-
ment sur la vie du grand jurisconsulte pendant cette période si ce
n'est sa mort, le 28 avril 1627 à Tombouctou.
Ahmed Baba fut la fierté de l'université soudanaise. Par son
enseignement, ses fétwa et ses écrits, il fit connaître au Maghreb
la valeur de l'université de Tombouctou et du Soudan dont il n'était
pourtant pas le seul maître. Ahmed Baba était versé dans tous les
domaines du Savoir de son temps. Il s'imposa comme le plus grand
maître en Droit malékite de son époque dans l'Islam occidental
mais il enseigna aussi d'autres branches de la Science. C'est au
216 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Maroc que nous saisissons le mieux son activité intellectuelle.


Libéré en 1596, il fut invité par les ulémas de Marrakech à donner
'des courts publics. Il s'installa à la mosquée des chérifs, Djama
ech-chorfa, où accourut toute l'intelligentsia de la ville. Ce fut un
véritable triomphe! Marrakech garde aujourd'hui encore le sou-
venir d'Ahmed Baba et le compte parmi ses maîtres du XVIesiècle.
Ahmed Baba, le Soudanais, el-Soudanii, enseigna avec brio les
disciplines de l'université islamique: la Grammaire, la Rhétorique,
les Hadits, la Morale et le Droit. Il ne semblait pas cependant
avoir abordé les études juridiques fondamentales tels que le Khalil
dont il était pourtant le spécialiste. En tout cas, ces cours confir-
mèrent la réputation dont il jouissait dans l'Islam occidental. Du
Maroc, d'Algérie, on le consultait sur des points de Droit et il
puisait dans sa vaste érudition des réponses précises, les fétwa,
qui furent de véritables « arrêts sans appel» 21.Ahmed était d'une
grande impartialité aussi bien à l'égard des faibles que des puis-
sants. Il devint en quelque sorte le mufti suprême de l'Occident
musulman.
Une partie de son œuvre put nous parvenir et permet d'évaluer
le degré des études de l'université soudanaise au XVIesiècle. Ahmed
Baba fut d'une grande fécondité. Son œuvre est un témoignage de
l'érudition et de l'effort créateur des docteurs de Tombouctou. Le
problème fondamental qui se posait alors à tous les docteurs de
l'Islam était surtout l'interprétation exacte des textes. Ahmed s'y
employa avec passion et écrivit plus de dix ouvrages de commen-
taires et d'interprétation sur l'œuvre magistrale de Sidi Khalil. Il
devint un grand spécialiste du droit malékite. Cherbonneau men-
tionne dans son Etude quinze ouvrages écrits par Ahmed Baba sur
des sujets divers comme les règles de Grammaire, la Rhétorique,
l'Astronomie, l'Astrologie, le Droit surtout, la Théologie, l'Histoire.
L'auteur du Fath al Shakûr établit une liste de trente..neuf ouvra-
ges de tous genres 22. L'œuvre la plus connue aujourd'hui est le
Tekmilet ed dibadj écrit à partir de 1596. C'est une sorte de diction-
naire bibliographique qui complète l'ouvrage, le Dibâj d'Ibn Fer-
houn, sur la vie des docteurs malékites de l'Occident musulman et
qui nous renseigne sur les grands événements de l'histoire du Sou-
dan, sur l'intensité de la vie intellectuelle et surtout nous permet
de saisir la vie de l'auteur et ses qualités de narrateur. Certains
portraits, tournant à l'hagiographie, révèlent le style d'un grand
écrivain qui a le don de saisir les traits caractéristiques d'un per-
sonnage, et de l'idéaliser dans l'Absolu. Dans l'ouvrage d' EI-Ou-
frani, nous avons une poésie d'Ahmed Baba, reflet de la vaste
littérature soudanaise.
C'est du Maroc que l'exilé évoquait sa patrie lointaine. « 0 toi
'qui vas à Kaghou (Gao), fait un détour vers ma ville natale. Mur-
mure mon nom à mes amis et porte leur le salut parfumé de l'exilé
qui soupire après le sol où résident ses amis, sa famille et ses voi-
sins. Console là-bas mes proches chéris de la mort des seigneurs

21. L'expression, percutante, est de Cherbonneau, Essai, p. 33.


22. HUDWickJ.O., A new Source..., 1964.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SaNGHA y 217

qui ont été ensevelis dans mon pays, de celle de Abou Zeid, le
prince des vertus et de l'orthÇJdoxie, le modèle de mes concitoyens,
celui à qui je voudrais le plus ressembler.
A cause de leur disparition, le glaive de la séparation est levé
sur moi et la mort menace mon soutien et mon appui.
N'oublie pas Abdallah, l'homme vaillant et généreux. Ma tris-
tesse est profonde depuis que j'ai perdu mes concitoyens et mes
amis;
Les jeunes gens de ma famille, tous jusqu'au dernier, sont allés
rejoindre le Roi des rois pendant mon exil.
Quelle douleur et quelle tristesse m'envahissent à cause d'eux!
o mon Dieu, fais-leur une large part de ta miséricorde 23! »
Ce poème lyrique est malheureusement un des rares à nous être
parvenu de l'abondante littérature poétique soudanaise que la
recherche découvrira un jour.
L'on voit, par ces trois personnages, la valeur de l'Université
soudanaise, l'universalisme auquel elle était parvenue. L'esprit
brillait de la même lueur sur les bords du Tibre et de la Seine que
sur ceux du Niger. La Renaissance européenne qui se vante d'lIn
Erasme ou d'un Michel-Ange ne doit pas faire oublier, qu'à la
même époque, l'Afrique noire produisit des Mohammed Bagayokho
et des Ahmed Baba 24. Certes, les contextes et les traditions sont
différents d'un pays à un autre, mais l'essentiel est cette activité
créatrice de l'esprit qui élargit les champs de la Connaissance et
développe les facultés de l'homme.
D'aucuns ont contesté la créativité de l'Université soudanaise et
n'ont vu dans les docteurs de Tombouctou que de pâles compila-
teurs, des exégètes d'une science sans vie. Rien de plus faux qu'un
tel jugement. Il faut situer les hommes et les faits dans leur
contexte historique pour les évaluer. L'université de Tombouctou,
loin de se vouer à une simple compilation, a fait l'effort louable de
retrouver la Vérité première par une réinterprétation savante de
la science de l'Is]am universel. Elle ne consomma pas un savoir
tout fait mais elle chercha elle-même à retrouver les sources ori-
ginales de la Vérité. Ainsi fut-elle amenée à connaître à fond la
langue arabe, à repenser ses règles, sa syntaxe, son esprit, à réflé-
chir sur la démarche de la Raison. Elle s'efforça, par l'exégèse, le
commentaire, à établir les textes exacts, à donner une interpréta-
tion orthodoxe, j'allais dire scientifique, de la pensée islamique
universelle. Elle réussit merveilleusement. L'œuvre la mieux
connue, celle d'Ahmed Baba, en est un témoignage universellement
admirée. Les Renaissants européens de la première heure, les
Marsile Ficin, les Erasme, les Lefèvre d'Etaples, les Luther, pour
ne citer que ceux-là, ne firent pas autrement. Cependant leur
œuvre contribua d'une manière incontestable au renouveau de la
civilisation occidentale.
On ne saurait jamais insister avec trop de force sur le fait que

23. El Oufrani, 1889, p. 171.


24. Kaké Ibrahima : un grand érudit de la Négritie du xvt' siècle, Ahmed Baba
le Tombouctien, Présence Africaine, 60, 1966.
218 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

le Soudan occidental parvint, par trois siècles d'animation intel-


lectuelle, à découvrir et à assimiler une grande partie du savoir
qui a fleuri sur les bords de la Méditerranée. Comme nous l'avons
vu, la Rhétorique grecque, la Linguistique, la Philosophie, la Théo-
logie, l'Astronomie, le Droit, l'Histoire, etc., toutes sciences huma-
nistes furent étudiées, assimilées, repensées par les Soudanais plu-
sieurs siècles avant l'ouverture, par les colonisateurs européens,
des lycées et des universités. Bien des esprits ont peine à croire,
de bonne foi, que là où règnent aujourd'hui misère et ignorance,
une telle civilisation a pu exister. Ils oublient certes que les civi-
lisations sont « mortelles », que les communautés humaines sui-
vent une dialectique implacable qui les fait passer par des phases
de prospérité et de déclin.
Une contradiction de cette brillante culture soudanaise fut qu'elle
demeura une culture d'élite, aristocratique ou bourgeoise, margi-
nale à la société globale. Elle fut avant tout un fait urbain. Les
ulémas et leurs talibés formaient une minorité privilégiée vivant
dans les villes qui leur créèrent les conditions favorables à leur
épanouissement. Malgré l'afflux d'étudiants venant de l'intérieur,
ils ne constituèrent qu'une infime minorité, une aristocratie du
savoir au cœur de la cité 25. Certains eurent certes une action mis-
sionnaire à l'intérieur de l'Empire et étendirent leur influence reli-
gieuse dans les régions les plus lointaines. Ils réussirent ainsi à
diffuser l'Islam dont l'implantation ne fut malheureusement pas
aussi uniforme dans la ville que dans la campagne. Bien au
contraire, l'Islam se noya dans les traditions animistes locales et
aboutit à un syncrétisme religieux encore vivace dans le Soudan
intérieur. Certes, les langues africaines y ont gagné en s'enrichis-
sant d'un arsenal de concepts nouveaux. La langue songhay ren-
ferme aujourd'hui un vocabulaire arabe considérable dans le
domaine des études, de la religion, de l'art, de la cuisine, de la vie
économique, etc.
Une autre contradiction de l'intelligentsia soudanaise fut son
refus d'utiliser sa propre langue dans le développement de la cul-
ture islamique. Elle resta rigoureusement puriste, attachée à la
langue étrangère, l'arabe, seule reconnue capable d'exprimer la
Vérité. Ce faisant, la culture ne put toucher les masses et n'eut
donc pas le support nécessaire à sa continuité, à son enrichissement
progressif. Elle fut le fait d'une minorité citadine et ne survécut
pas à celle-ci. Bien plus, elle apparut aux yeux des masses comme
un élément étranger et l'effort d'interprétation des ulémas des villes
ne put rien changer à cela. Elle s'effondra donc avec les cités mar-
chandes au cours de la deuxième moitié du XVIIe siècle. L'esprit
humaniste, lui, survécut et les villes nigériennes d'aujourd'hui
demeurent les héritières de cette brillante civilisation du Soudan
médiéval qui a donné au monde des hommes comme Mohammed
Bagayokho, Ahmed Baba et un style architectural qui demeure
encore la fierté du Soudan occidental.

25. Sékéné Morly Cissoko, L'intelligentsia de Tombouctou aux xv-xv~ siècles. B.


IFAN, 4, 1970.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 219

D . Les arts.

La documentation actuelle ne permet pas une étude approfon-


die des arts en dehors de l'architecture et probablement de la
musique. L'Empire songhay étant très étendu et englobant des peu-
ples divers aux niveaux d'évolution différents, il est évident que
l'Islam n'a pu éliminer les arts traditionnels tels que la sculpture,
la musique et la danse. Dans la vallée nigérienne où s'étaient épa-
nouies de grandes agglomérations urbaines, il y eut une floraison
d'arts d'ornementation (décoration de murs, de portes et fenêtres,
reliure de livres et calligraphie, arts de poterie) de bijouterie, de
vannerie, etc. Cependant, excepté les poteries, peu d'objets de
l'époque nous sont parvenus.
Par contre, les Tarikhs et les traditions nigériennes donnent
quelques informations sur la passion pour la musique au XVIesiè-
cle. La civilisation très raffinée de la vallée nigérienne est héri-
tière de la tradition musicale des siècles passés. A Tombouctou,
aujourd'hui encore, le violon est joué par les dames de l'aristo-
cratie qui, dans l'intimité de leurs appartements, endorment leurs
amants avec la douce harmonie des cordes. L'influence marocaine,
après la conquête de l'Empire songhay à la fin du XVIe siècle, a
fortement marqué la civilisation tombouctitierlne dans tous les
domaines et plus particulièrement dans celui de la musique.

1. - La Musique.
Il faut remonter au-delà pour saisir la civilisation nigérienne
prémarocaine. Les auteurs insistent beaucoup sur la douceur de
vivre à Tombouctou au XVIesiècle et sur la gaieté des habitants.
Léon l'Africain fut impressionné par la musique et la danse au
clair de lune. Les instruments utilisés ne semblent pas avoir telle-
ment changé depuis lors. Dans les Tarikhs, nous avons mention
des tam-tams, des tambourins, des instruments à vent tels les
kakaki qui étaient de longues trompettes guerrières. Le violon
(njarka), caractéristique de la musique actuelle de la Boucle du
Niger, devait être alors moins perfectionné. Son extension semble
être de l'époque marocaine c'est-à-dire postérieure au XVIesiècle.
Par contre, la guitare à trois cordes, le bidiga (boîte munie de fers
sonores) des gabibi, étaient d'usage courant. La musique comme
tout art, reflète le goût de la société, ses valeurs et ses préoccupa-
tions. On peut ainsi discerner une musique de cour avec des
musiciens professionnels castés, les géséré et les mabé. La cour
de l'Askia à Gao était animée par les chants, la musique des guita-
res et les récitations des gestes des Grands du Songhay. L'Askia
Mohammed II Benkan a donné un éclat particulier à la cour impé-
riale en y introduisant de nouveaux instruments, le folorifa, une
sorte de trompette venue de l'Aïr, le gabtanda, tambour au « son
220 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY

plus grave» 26. La cour se déplaçait au chant des géséré, au son


des tam-tams et des trompettes. Les cours des farin, gouverneurs
de provinces, vivaient sur le modèle de celle de Gao et le même
cérémonial devait les régir.
Ahmed Baba, dans ses Biographies, nous apprend la passion
pour la musique et la poésie de certains docteurs de Tombouctou.
Ainsi Aida Ahmed se délectait en écoutant chanter les panégyries du
Prophète par des bardes professionnels. Ces derniers non castés
étaient soit des talibé soit des lettrés spécialisés dans les biogra-
phies du Prophète. Ils ne transcrivaient pas en notes musicales
leurs poèmes ou les récits des livres sacrés mais les déclamaient à
la manière des griots. Un chant populaire à Tombouctou nous
apprend que le grand maître mandingue, Mohammed Bagayokho,
était lui aussi un passionné de la musique: « Ecouter le violon
était le seul plaisir de Mohammed Bagayokho. Cela ne l'el1zpêche
pas de lire le Coran et d'adorer Dieu. Il a hérité d'une bosse en
or, d'un escalier en argent et des connaissances... 27.» Comme il
est devenu de coutume dans tout le Soudan, des chants religieux
étaient organisés non seulement aux trois grandes fêtes religieuses,
le Maouloud, le Ramadam, et le Aïd el-Kebir, mais le plus souvent
par les marabouts et leurs talibé, dans les maisons ou à la mos-
.
quée.
La musique populaire, celle qui fait danser, constitue aujour-
d'hui un riche répertoire de chants traditionnels d'une beauté
exquise. Cette musique n'était pas le monopole d'une caste ou d'un
groupe donné mais elle émanait de toutes les classes de la société.
Les Gabibi, esclaves des Aqît, étaient réputés pour leurs chants
et leurs danses grotesques et licencieuses, expression de leur état
de servitude.
La musique abordait les thèmes les plus divers: épopées guer-
rières, chants religieux, louanges des grands, idylles amoureuses,
sujets philosophiques et moraux, etc. Nous avons traduit du Son-
ghay certains de ces chants dont l'origine devait plonger dans le
XVIesiècle. Ainsi, la consolation à Askia Mohammed 1er le Grand:
« Tamala, Tamala, calme-toi! tu as les sagaies en main.
Tamala, Tamala, calme-toi! tu as le pouvoir en main.
Tamala, Tamala, calme-toi! tout ce qui t'entoure t'appartient,
Maiga !
Tamala, Tamala, calme-toi! tu es le maître du Yemen
Car tu n'es ni sot ni idiot 28.»
Le cadi Mahmoud ben Omar Aqît, le patron de la ville de Tom-
bouctou, n'est pas oublié. On pleure sa mort:
« Nous les amis de Sidi Mahmoud que pouvions-nous faire le

26. Tarikh el-Fettach, 1964, p. 158.


27. Chants recueillis à Tombouctou auprès d'une vieille musicienne de l'aristocratie
de la ville. Il existe un important répertoire de chants qui forment un riche folklore
musical dans toute la Boucle du Niger.
28. Idem.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 221

jour de la mort du Saint? Il 1l0US rtal! impossible de monter au


ciel, il nous était impossible de descendre sous la terre. Nous les
amis de Sidi Mahmoud que pouvions-nous faire... ? 29 »
De façon générale, la musique n'était pas transcrite. Les auteurs
des Tarikhs ne mentionnent pas de traité de musique par les ulémas
de Tombouctou. Il faut donc attacher cette culture musicale à la
musique soudanaise, à celle de l'oralité dans une civilisation
urbaine qui prétend se fonder sur le livre. En réalité, la civilisation
des vines nigériennes reste liée au terroir africain. Le livre est
réservé à une élite. L'essentiel de la culture est orale. La musique
est le fait du peuple qui, en ville ou à la campagne, vit dans l'ora-
IÎté.

2. - L'architecture soudanaise.
Le Soudan occidental est un vieux pays. Il a une tradition urbaine
vieille de près de mille ans. Les villes de Djenné, de Tombouctou
qui existent encore sur leur emplacement ancien, celles de Oualata,
de Gao, pour ne citer que celles-là, sont plus vieilles que toutes les
villes d'Amérique et nombre de villes d'Europe. En réalité, on ne
peut situer la tradition urbaine du Soudan à l'arrivée des Arabes,
à partir du VIle siècle. Les civilisations du Bénin connurent un déve-
loppement urbain sans que cela fût le fait des Arabes et des Euro-
péens. L'influence de l'Egypte ancienne et un peu plus tard de
Méroé, les relations avec le Nord du continent qui connut les civi-
lisations carthaginoise et romaine, la constitution au Soudan
même des Etats monarchiques dont les plus connus, Gana et Kou-
kia, etc., furent des facteurs favorables à la constitution d'agglo-
mérations urbaines. L'origine de Ghana n'est pas encore connue et
il est possible qu'elle plonge dans un temps antérieur au IVesiècle.
La présence au Soudan d'éléments proches de l'architecture de
l'Egypte pharaonique permet de formuler l'hypothèse d'une implan-
tation urbaine très ancienne, bien antérieure à l'arrivée des Arabo-
Berbères.
L'urbanisme est donc incontestablement un fait très ancien au
Soudan. Les villes médiévales encore vivantes, les résultats des
fouilles archéologiques des villes ensevelies nous donnent une idée
de l'urbanisme soudanais ancien 30.Le plan de la ville n'était jamais
géométrique. La ville se développait en désordre selon les péripé-
ties de son histoire à partir d'un noyau bâti. Les paillotes entou-
rant le noyau se dilataient au fur et à mesure de la croissance de
la cité et étaient refoulées vers la périphérie. Aussi on distingue
toujours la ville proprement dite de la banlieue de paillotes. La
ville était généralement ouverte de tous côtés. Les rues étroites et
sans ordre serpentaient entre les carrés des maisons. Certaines
aboutissaient à des places publiques ou à des marchés. Les cana-
lisations n'existaient pas et la propreté des rues laissait à désirer.

29. Idem.
30. Voir Jacques Meunié, Cités anciennes de Mauritanie, Paris, 1961.
222 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

Les maisons en argile ou en banco étaient généralement concen-


trées, sauf vers les périphéries. Elles présentaient une terrasse et
s'exhaussaient souvent d'un étage ou deux. La façade était géné-
ralement ornée, le mur comportant souvent un banc de terre, près
de la porte. Celle-ci conduisait au vestibule carré et de là à une
cour intérieure sur laquelle ouvraient généralement les portes des
chambres du rez-de-chaussée. L'étage était réservé à l'habitation
des maîtres. Le mobilier très simple était en bois ou en terre. Les
égouts se déversaient dans des fosses creusées au pied du mur, dans
la rue. Cette structure de la maison, commune à toute la zone sahé-
lienne, a fait penser à une origine arabo-berbère du style architec-
tural soudanais, expression typique des villes du Soudan nigérien.
a) Le style soudanais: ses origines.
Le style soudanais caractérise l'architecture nigérienne. Au ren-
dez-vous de l'universel, le Soudan peut apporter, en plus d'autrès
choses, cette marque de son génie.
Les premiers Européens qui ont visité les pays nigériens furent
émerveillés de trouver au cœur du Soudan cette civilisation archi-
tecturale de marque universelle. Ils n'en croyaient pas leurs yeux,
tant les préjugés de l'époque avaient dénié au Noir tout esprit
créateur. Dubois, dans sa naïve sincérité de poète, traduit ce sen-
timent général des coloniaux en posant la question cruciale des
origines.
« L'apparition [de ce style] est si inattendue en plein pays nègre,
si étonnante en pleine barbarie que cette question se dresse aussi-
tôt: d'où vient cet ensemble de vie inconnue? Quelle est cette réa-
lisation qui s'est affirmée assez intense pour marquer son œuvre
au gralld jour, pour l'empreindre d'un sceau public - d'un sty-
le ? 31 » Diverses réponses furent données à cette question, dont le
dénominateur commun est que l'origine du style n'est pas souda-
naise mais étrangère. Nombreux sont ceux qui voient dans le style
soudanais une marque arabo-berbère. Delafosse pense même qu'il
daterait du pèlerinage de Kankou Moussa en 1324-1325. Le Mansa
aurait amené au Soudan le poète-architecte Es-Sahéli qui aurait
construit les mosquées de la Boucle nigérienne et un palais dans
la capitale mandingue. Cette thèse fut magistralement réfutée par
Cheikh Anta Diop qui conclut: « Il existe autant de différence
entre le style arabe de tous les temps (Espagne comprise) et celui
du Soudan qu'entre la cathédrale gothique et la basilique romai-
ne 32. » L'architecture soudanaise est bien antérieure à l'arrivée
d'Es-Sahéli au Mali. Koumbi Saleh était au XIesiècle une ville colos-
sale et la cité des Tounka, différente de la cité musulmane, devait
très probablement contenir des maisons construites selon le style
soudanais. Les tombeaux à colonnes découverts par Bonnel des
Mezières à Koumbi Saleh, la structure des tumulus nigérien du pre-
mier millénaire appuient cette hypothèse. Le Soudan ignore }'es-

31. Dubois F., Tombouctou la mystérieuse, 1875, p. 101.


32. Diop Cheikh Anta, L'Afrique noire précoloniale, p. 151.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 223

sentiel de l'architecture arabo-berbère : la coupole, les arcs et les


arcatures, la colonnade, le chapiteau, la riche décoration des sta-
lactites, des arabesques et autres préciosités qui plongent leurs
racines dans l'art gréco-romain et oriental. L'idée d'une origine
arabe n'est pas sans arrière-pensée. Il y a certes quelque chose
de commun à tout l'art architectural de la bordure saharienne. La
maison carrée avec toit de terrasse plate de banco se trouve dans
toute la zone sahélienne, aussi bien dans le sud marocain et algé-
rien qu'en Mauritanie et au Mali. Cette construction n'est pas néces-
sairement du style soudanais qui a certes subi l'influence des civi-
lisations du Nord, surtout à partir de la conquête marocaine de
la fin du XVIesiècle. La marque marocaine est manifeste dans la
structure et la décoration des portes et fenêtres et dans l'aménage-
ment intérieur.
Félix Dubois, et avant lui Barth, avait donné une explication
que la recherche avait abandonnée comme fantaisiste. Elle doit
cependant retenir l'attention et peut éclairer sur la nature pro-
fonde de l'art et des civilisations soudanaises. Dubois voit dans le
style soudanais la marque de l'Egypte pharaonique. En effet, la
forme pyramidale qui est l'essentiel du style soudanais, l'emploi
des pylônes sur les façades des maisons, la toiture en terrasse et
non en voûte sont communs à l'Egypte ancienne et au Soudan
nigérien. Cheikh Anta Diop reprend l'hypothèse de Dubois et met en
relief les caractères du style soudanais. Il élargit les cadres de la
comparaison. Dans sa magistrale thèse, Nations nègres et cultures,
reprise et développée dans l'Antériorité des civilisations nègres, il
pose le problème fondamental de l'origine africaine et noire de
l'Egypte ancienne. De l'Egypte, la culture née sur le bord du Nil
déborda et se répandit pendant des millénaires dans toute l'Afri-
que intérieure. Le style soudanais serait une forme inspirée de
l'architecture égyptienne. La thèse de Cheikh Anta, d'abord contestée
et méconnue, regagne aujourd'hui du terrain. L'historien congolais
Obenga 33, spécialiste de la culture des Pharaons, l'étoffe d'une
puissante argumentation tirée de la langue et de la civilisation égyp-
tiennes et voit une parenté évidente entre les peuples bantou et
l'antique civilisation du Nil.
Ces travaux qui ouvrent une voie féconde à la recherche histo-
rique africaine ont le mérite de montrer l'antiquité, l'unité et la
continuité de la culture du monde noir. L'Egypte ancienne n'a
jamais été coupée de l'Afrique intérieure; sa civilisation rayonna
sur une grande partie du continent. Les traditions des Songhay,
leur langue, leur donnent une origine orientale. Il ne faut peut-être
plus prendre à la légère le passage du Tarikh es-Soudan disant que
la ville de Koukia sur le Niger était en relation avec l'Egypte pha-
raonique. Le style en tous cas, le plus proche du soudanais, est
plus égyptien qu'arabo-berbère.
II est cependant impossible dans l'état actuel des choses de
déterminer les modalités et la chronologie de la pénétration des

33. Obenga, Th., L'Afrique dans l'Antiquité, Egypte pharaonique et Afrique noire,
Ed. Pres. Afrie., 1973.
224 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y

influences égyptiennes dans le Soudan nigérien. Tout ce qu'on peut


affirmer est une certaine parenté évidente entre les deux styles,
égyptien et soudanais. Le dernier, conditionné par le matériau
employé (l'argile) et par le milieu écologique des peuples nigé-
riens, présente un cachet bien particulier par rapport aux éléments
de l'art égyptien. En effet, la pyramide soudanaise ou plutôt la
forme pyramidale est plus petite, moins harmonieuse et moins
imposante que celles de l'Egypte ancienne.
L'essentiel pourtant, la forme, est conservée. La pyramide, dont
la massivité exprime l'idée de solidité, de force, d'attachement à
la terre, correspond à la mentalité des Noirs soudanais, hommes de
la terre, solidement attachés à la Terre nourricière. La forme pyra-
midale devient plus nette dans les pays méridionaux (Djenné)
qu'elle ne l'est dans le Nord (Tombouctou) où elle a subi l'influence
arabo-berbère. Comme nous le verrons, la mosquée de Djenné réa-
lise mieux le style soudanais que la Sankoré.

b) Ses caractères.
La forme pyramidale qui caractérise le style soudanais classique
est la résultante d'une combinaison harmonieuse des lignes verti-
cales et horizontales avec prédominance des premières. Elle est
mieux exprimée dans les façades des maisons.
La façade a généralement une forme de pyramide tronquée. Elle
est massive à la base, svelte et légère au sommet. Elle se présente
comme un pylône inachevé, sans décoration mais simple et robuste.
Elle émerge du mur dénudé comme un bas-relief gigantesque qui,
par une ingénieuse combinaison des piliers verticaux et des ban-
deaux traversaux, donne à l'édifice un air de virilité, de puissance
énigmatique. L'architecture soudanaise utilise abondamment le
pilier qui a généralement une forme pyramidale et quelques fois
même se présente comme une sorte de stèle faisant corps avec le
mur. Le pilier n'est pas forcément droit mais haut et anguleux. Il se
termine toujours effilé, en pointe, triangulaire ou conique. On peut
discerner trois sortes de piliers selon l'emplacement. Le pilier des
angles des maiSOl1Sest très haut et massif. Pour renforcer les murs,
une série de piliers est placée en contreforts et enserre l'édifice
comme dans un étau. Ils ont une forme triangulaire et sont tou-
jours extérieurs aux murs. La troisième catégorie est celle des
piliers de façades, plus minces que les autres. La façade présente
deux hauts piliers pyramidaux qui encadrent la porte et sont cou-
pés au niveau du plafond par un bandeau transversal. L'ensem-
ble forme, selon les façades un relief pyramidal ou rectan-
gulaire. Au-dessus du bandeau, sorte de frise transversale, des
piliers plus petits surplombent les murs de la terrasse et pointent
dans le ciel. Un deuxième bandeau transversal parallèle au pre.
mier enserre les piliers juste à la limite du mur du toit qui est
orné des créneaux triangulaires équidistants. Il y a ainsi une
alternance de piliers verticaux et de bandeaux transversaux à
deux ou trois niveaux selon les façades. Les bouts des charpentes
du plafond, perpendiculaires aux piliers, projettent leur ombre sur
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 225

la pyramide et concourent à l'ornementAtion d'ensemble de la


façade. Très souvent, la porte est surmontée d'un énorme auvent
qui épouse les formes des deux piliers et rend encore plus expres-
sive la massivité de l'édifice. Quant aux murs, faits de terre glaise
ou de briques spéciales, ils sont épais, crépis avec de l'argile. Ils
sont généralement longés à la base par des banquettes en banco
servant de structures de soutènement.
Les maisons de Djenné ont de petites fenêtres et des portes
étroites. La maison y gagne en fraîcheur. Quant au toit, il est tou-
jours plat. Les charpentes de bois superposées les unes sur les
autres et recouvertes d'argile débordent de chaque côté du toit.
Quant à la décoration, elle est rare. Elle se dégage en réalité des
éléments mêmes du style. De la simplicité et de la sobriété, carac-
téristiques du style et reflets de l'âme soudanaise, naît une impres-
sion de puissance et de beauté.
Le style soudanais, à y regarder de près, présente deux varian-
tes: une sahélienne et une djennéenne. Dans le Nord et plus spé-
cialement à Tombouctou, la forme pyramidale tronquée n'est pas
toujours nette. Elle épouse souvent une forme géométrique pro-
che du rectangle. Les piliers et les bandeaux transversaux sont
plus droits et mieux aménagés. L'emploi des briques en calcaire
(la pierre de Tombouctou) y est certes pour quelque chose, mais
il semble que l'influence maghrébine a beaucoup joué dans le polis-
sage géométrique des éléments du style. A Djenné par contre, le
style est parfaitement réalisé selon le modèle que nous avons
décrit. L'emploi de la terre glaise et la main de l'artiste moins
influencée, ont permis de garder un style original. Aussi, il y a lieu
de penser que, loin d'être une création arabo-berbère, le style
soudanais probablement inspirée de l'Egypte ancienne est une éma-
nation de la culture soudanaise. Les maçons de Djenné et de Dia
construisirent à Tombouctou, à Gao et dans d'autres villes de la
Boucle du Niger nombre de palais qui n'ont malheureusement pas
survécu. Seuls nous sont parvenus du Moyen Age les tombeaux
des Askia, les mosquées de Jingereber, de Sankoré, de Sidi Yaya
et de Djenné. Nous n'insisterons pas sur ces mosquées trop
bien connues. Pour les plans, nous retenons ceux relevés par
Mauny en 195034.
Les mosquées soudanaises sont construites sur le même plan
que celles du monde musulman. Elles ont gardé cependant une
puissante originalité. Elles n'ont pas de coupole. Les minarets
sont des pyramides robustes, imposantes, peu élevées et surmon-
tées à leur sommet d'une petite colonne centrale. Ils sont placés sur
l'un des flancs du bâtiment. Le mirhab est généralement couronné
d'une petite tour qui domine de quelques mètres seulement la ter-
rasse. Dans le style tombouctitien, les piliers sont plus intégrés
dans le mur et des créneaux triangulaires sont ingénieusement
placés sur le mur de la terrasse comme motifs d'ornementation.

34. Mauny R., Notes d'archéologie sur Tombouctou, B. IF AN, n° 3, 1952, p. 899-
918.
226 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SaNGHA y

Les piliers-contreforts, volumineux, sont plus distants les uns des


autres.
A Djenné, au contraire, chaque côté de la mosquée carrée pré-
sente trois groupes de contreforts géants qui émergent au-dessus
du toit. Les sommets pointus des piliers verticaux intégrés dans
le mur alternent harmonieusement avec ceux des contreforts, le
tout donnant au bâtiment une allure de légèreté. L'intérieur des
mosquées est fort simple. Le plafond est formé de traverses de
bois posées sur des piliers parallèles qui laissent entre eux des
couloirs où les fidèles s'assoient pour la prière. Le nombre res-
treint d'ouvertures (fenêtres, portes) aux -dimensions réduites per-
met de conserver la fraîcheur; la faible lumière incline à la médi--
tation et à la prière.
Le problème que posent tous ces monuments, vestiges des splen-
deurs du Soudan nigérien, est celui de leur atlthenticité. Ils ont
tous été remaniés au cours des âges, et les plans actuels ne sont
certainement pas ceux des origines. Il n'en reste pas moins qu'ils
continuent une tradition et que l'essentiel du style a survécu par'
l'effort continuel des habitants. Djenné et Tombouctou où fleurit
le style soudanais n'o.nt jamais été évacués ni abandonnés depuis
leur fondation. Sous nos yeux, la tradition se continue et le styl~
soudanais se répand dans une grande partie de l'Occident africain.
La mosquée de Djenné, reconstituée selon le dessin de 1897 de
F. Dubois est le modèle, jamais pleinement réussi, de nombreuses
mosquées du Soudan intérieur, de la Haute-Volta à la côte atlan~'
tique.
Le style soudanais est le cachet d'une civilisation qui a brillé
aux XIVe-XVIesiècles, une civilisation- équilibrée qui donnait aux'
valeurs de l'esprit un prix inestimable. Il. se répand mais il doit
dépasser le cadre des mosquées et inspirer une nouvelle architec-
ture à l'Afrique moderne qui a renoué avec son passé.
CONCLUSION G£N£RALE

Au cours de cette étude, nous avons cherché à mettre en relief


la civilisation du Soudan nigérien pendant deux siècles, à donner
yie aux grandes cités et à dégager les principaux aspects de l'évo-
lution. Nous ne sommes pas Sllr d'y être parvenu; notre essai a
été incapable, sur bien .de points, de dégager le vrai visage du
passé. Cela est dû, dans l'état actuel de la recherche historique afri-
caine, au drame que constitue l'insuffisance de la documenta-
tion surtout pour \ln passé très ancien.
. De l'histoire de l'Empire songhay, se dégage l'idée de grandeur,
d'épanouissement. On l'avait attribuée au caractère apologétique
des Tarikhs qui ~n constituaient la sourc~ fondamentale. La gran-
deur e~t cep~nd~nt inhérente à la civilisation nigérienne elle-
même. D'abord, il y eut l'unificatio~, non pas de quelques peuples
de la vallée du grand fleuve, :mais de presque tOllS les peuples du
Soudan occidental, des pays haoussa jusqu'au \Vagadou, du cœur
du Sahara jtlsqu'à la forêt méridionale. Tous ces pays reconnu-
rent à des degrés divers la même Autorité et les mentalités furent
façonnées par les mêmes influences de civilisations. L'espace sou-
danais fut organisé, contrôlé par 1111Etat ptlissant et complexe.
Les fari et les rois vassallX travaillèrent à l'implantation de la
notion de l'Etat dans tout le Soudan occidental p3r la reconnais-
sance d'un pouvoir souverain et procurèrent la paix et la sécurité
aux populations du vaste empire. La royauté était devenue une
institution, anonyme, indépendante de la personne du Roi.
Ainsi a pu se développer une civilisation urbaine sans précédent
dans l'Occident du monde noir. Les grandes villes nigériennes,
foyers de commerce et d'Islamisme, ont produit des valeurs spi-
rituelles et intellectuelles universellement reconnues.
On se demande ce que serait devenue cette civilisation sans la
conquête étrangère. Sans pouvoir répondre à cette question, il est
228 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

à noter que les contradictions étaient nombreuses et constituaient


les véritables faiblesses de l'Empire songhay. En effet, le trône
était continuellement menacé par l'absenc~ d'un véritable sys-
tème de succession royal. Tout au cours du XVIesiècle, nous avons
assisté à des crises de succession dont la dernière, celle de 1588,
aboutit à la guerre civile et mit en cause le sort de l'Empire. La
force de l'Etat résidait principalement dans l'essor commercial
des pays contrôlés. Or, ce commerce n'était rien d'autre que la
traite. Les produits soudanais étaient exportés contre des mar-
chandises de consommation et les bénéfices réalisés n'étaient pas
investis dans la production artisanale locale mais exportés à
l'étranger ou dépensés pour le prestige, les femmes et les immeu-
bles. Ces traditions ne sont pas encore mortes en Afrique noire.
Ainsi. le commerce n'a pu bouleverser ni les structures de la
société traditionnelle ni le conservatisme, vestige du terroir.
L'Islam s'est greffé sur cette réalité. Il n'eut pas la chance de s'im-
planter uniformément dans tout l'empire, l'Ouest demeurant plus
islamisé que le Sud-Est. L'Islam eut le tort d'être une culture
d'élite et non de masse, plus urbaine que rurale. II ne sut pas
implanter une civilisation écrite par J'intégration des langues afri-
caines, véhicules de culture. Le Soudan, malgré les foyers brillants
de culture écrite, resta fondamentalement une civilisation de
I'ora Hté.
Les derniers souverains Askia, entourés de leurs courtisans
dénensprent inutilement leurs fortunes, ne cherchèrent pas à moder-
niser l'Etat et l'armée. L'arme à feu utilisée au Maroc depuis plus
d'un siècle eût pu défendre l'Empire Songhay en 1591. Les derniers
SOUVert1;l1Sne comprirent pas les !!raves problèmes qui mena-
çaient l'Empire. Cotlpés des réalités, ils ne prirent aucune mesure
sérieuse pour parer à l'éc]atement aui se dessinait entre la partie
occidentale et Gao, pour préparer la défense face aux revendica-
tions de pItts en plus pressantes du Sultan du Maroc.
C'est dans ces conditions que la conquête marocaine fut pos-
sible. Les troupes marocaines sous la direction du pacha Diouder
envahirent l'Empire et le 13 mai 1591 mirent en déroute à Ton-
dihi l'Askia Ishaq II. Après ouelques mois de résistance, J'Empire
sonfThav s'écroula selon 1a fêltlre ouest-est. La partie occidentale,
du Macina à Gao, tomba sous 1a domination des Marocains tandis
Que la résistance songhay dirigée par l'Askia Nouhou arrêta la
marche ennemie et sauva de la servitude la partie orientale de
l'empire, Ie Dendi.
En fait. l'empire songnav a cessé d'exister. La civilisation ni~é-
rienne, dans un long déclin, allait s'évanouir dans l'insécurité, les
famines, les épidémies.
BIBLIOGRAPHIE

I. PRINCIPALES SOURCES

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238 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

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2. ... Plan de la Djllguéréber (Jingereber):


J in R. Mauny, B. IFAN, n° 3, 1952, p. 903.
Malgré les nombreuses restaurations au
cours des siècles, ce plan ne doit pas trop
différer de celui de la grande mosquée du
XVIe siècle. A l'intérieur, de nombreux
piliers massifs alignés N IS forment plu...
sieurs couloirs où s'assoient les fidèles pour
la prière. La cour extérieure de l'Ouest
qui servait de cimetière aux Touatiens au
XVIe siècle a été intégrée à la mosquée.
Elle est aujourd'hui presque en ruines.

3. - Plan de la mosquée de Sankoré in : R. Maull)', B. IFAN, n° 3, 1952, p. 906.


La Sankoré a été construite dans le premier tiers du xV' siècle. Restaurée par le cadi El
Agib selon le modèle de la Kaba et progressivement envahie par le sable surtout dans la
partie Est et Nord, elle ne donne qu'un pâle reflet de la célèbre mosquée du xY'-XVIesiècle.
Remarquer le grand minaret latéral de forme pyramidale, deux mirhab dont un dans la
cour.
La Sankoré, plus que
le Jingereber, est ornée
d'une myriade de pi-
liers massifs orientés
N /S de part et d'autre o Puits
de la cour centrale et
E/O dans le côté PLACE
Nord. C'est dans la
partie Ouest et Nord
de la cour centrale
qu'avaient lie u les
cours des maîtres célè-
bres du xvt siècle.
L&J
...J
...J
L&J
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TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 239

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4. A10squée de Sankoré, photo prise par Dubois (f'élix), Tombouctou la Mystérieuse,
Paris, 1896. p. 317.
Cette photo est la plus ancienne que nous possédons de la Sankoré à l'époque de la
ruine de la grande cité sahélienne. La mosquée a l'aspect délabré surtout dans sa partie
Nord où elle était progressivement envahie par les dunes de sable. Le grand minaret
pyramidal, les piliers sobrement intégrés dans les murs et les créneaux surplombant
légèrement le toit, dénotent certaines caractéristiques du style soudanais,

5. - Croquis de la mosquée de Djenné (Jenne') par Dubois (Félix) ell 1896 ill : TO/1l-
bouctou la mystérieuse.
Ce croquis reconstitue la mosquée d'après les ruines visitées par Dubois en 1896. On
a depuis lors restauré la mosquée sur ce plan. Joyau de l'architecture soudanaise, la
mosquée de Djenné exprime le mieux les caractéristiques du style soudanais: les pilIers
pyramidaux, effilés au sommet, enserrant ou intégrés dans les murs et alternant au
niveau du toit avec des traverses horizontales; donnent une expression à la fois d'enra-
cinement dans le sol et de sveltesse.
6. - Maison type de TOl1zbouctoll restaurée, in : Dubois (Félix), Tombouctou la Inys-
térieuse, 1896, p. 415.
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Ce type de maison avec un étage est encore le plus répandu à Tombouctou. Les piliers,
de forme régulière et harmonieusement agencés donnent à la face une expression de
beauté sobre et d'une élégance presque classique. Les murs très épais ne laissent
entrouvrir que de petites fenêtres et conservent à la maison une plus grande fraîcheur.
Notons le banc de banco au pied de la façade pour les causeries du soir. La porte
grande a généralement un battant en bois finement ciselé et protégé par des clous de
fer. Elle conduit au vestibule, lieu de séjour de la famille et qui ouvre sur une cour
intérieure généralement réservée aux travaux de ménage, à la domesticité.
L'étage est l'appartement véritable des maîtres de la maison; c'est là que l'on trouve
les chambres à coucher, le salon du maître et la salle de toilette.

7. - Clzalneallx
chargés de barres
de sel,
photo S. M. Cissoko,
1969.
Des azalaÏ, caravanes de sel continuent encore à exécuter le mouvement saisonnier
entre les mines de sel saharien, principalement Taoudéni et les villes méridionales
surtout Tombouctou, l'emporium de sel pour tout le Soudan occidental. Chaque cha-
meau de la caravane porte 4 barres de sel pesant chacune 2S à 30 kg, deux barres de
chaque côté. L'azaIaÏ peut compter souvent des centaines sinon des milliers de cha-
meaux se suivant en file indienne.
y 241
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA

8 - 9. .. Façades des maisons de Djenné (Jenné) in : Dubois (Félix), Tombouctou la


mystérieuse.
Ces façades robustes en forme pyramidale avec des auvents massifs expriment nette-
ment les caractéristiques du style soudanais méridional.
242 'fOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y

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10 -
Carte économique du Soudan Occidental au Moyen Age, in : R. Mauny, Tableau
géographique de l'Ouest africain au Moyen Age, 1961, p. 226.
Cette carte montre le réseau économique entre le Soudan et le monde saharien et au-delà
de la Méditerranée. Taoudeni, non mentionné se trouve à quelque 150 km à l'Est de
Teghazza qu'elle remplaça à partir de 1505. Notons que les relations commerciales avec
le Maroc étaient prédominantes au XV~ siècle.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 243

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10 000-
prise
par R. Mauny,
IFA N, 23-5-1948).
On peut discerner trois grandes étapes dans l'évolution de la cité:
- le noyau ancien dans le Sud autour de la mosquée de Sidi Yaya (2).
- la grande extension pendant la domination mandingue et targui (XIve-XV siè-
cles) et
- l'apogée au xvr" siècle, époque où la ville s'étendait jusqu'au nord de l'AIba-
radiou actuel.
Les principaux monuments historiques sont:
Le Tombouctou-Koi-Batouma (1), la mosquée de Sidi Yaya (2), celle de Jingere-
ber (3), le Madougou (4) qui n'a pas laissé de traces et que l'on localise dans le
nord-ouest de la ville actuelle, la mosquée de Sankoré (5).
LE NIGER DEVANT TOMBOUCTOU
Echelle: 1 100000!

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OUCTOU TOM
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Lat. 16.43'
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12. - Le Niger devant Tombouctou.


Tombouctou est en réalité situé à 10 km de Kabara sur le Niger et reçoit l'eau du
fleuve pendant les hautes eaux Guillet-novembre). Pendant les basses eaux (janvier-
juin) la ville est reli~e au fleuve par le port de Kabara et son avant-port de Day et par
celui de Kariumé sur le Niger. Le chenal creusé entre Kabara et Day aurait été réalisé
par un pacha marocain et non par El Hadj Omar. On creusait peu de puits à Tom-
bouctou. Son approvisionnement en eau s'effectuait par les mares situées à l'Ouest de
la ville.
TABLE DES MATIERES

Av.ANT-PROPOS ...... 9

PREMIÈRE PARTIE

TOMBOUCTOU, DES ORIGINES A L'AVENEMENT DES


ASKIA (XIIe..xve SIECLES) ............................ 15
I. - Les origines de Tombouctou... ............... 17
II. - Tombouctou sous la domination des mandingue
(XIve début xve siècles) .......................... 31
III. - Le tournant du xve siècle: ascension de Tombouc..
tou et de la dynastie des Sonni .............. 43

DEUXIÈME PARTIE

L'EMPIRE SONGHA y SOUS LA DYNASTIE DES ASKIA


(1493-1592). SON EVOLUTION, SON ORGANISATION. . . . 71
I. - La dynastie musulmane des Askia, son évolution 75
II. - Organisation de l'Etat Songhay au XVIesiècle. . . . 97

TROIXI~{E PARTIE

LA VIE ECONOMIQUE AU XVIe SIECLE 119


I. - Activités rurales. ............................. 123
II. - Activités artisanales 129
III. - Les échanges 135
QUATRIÈME PARTIE

POPULATION - SOCIETE.. 151


.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . . . . .. .. .. .. . .. . . . . . . . . . ..
I. - La population. . . ... . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
II. - La société ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 165

CINQUIÈME PARTIE

CROY ANCÈS TRADITIONNELLES - RELIGION MusuL-


MANE - EPANOUISSEMENT INTELLECTUEL ET ARTIS-
TIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
I. - Croyances tradi tionnelles . . . . . . . . . . . . . . . 175
II. - Religion musulmane ~ ............. 181
III. - Epanouissement intellectuel 197
CONCLUSION GÉNÉRALE 227
BIBLIOGRAPHIE.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .... 229

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