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ET
L'EMPIRE SONGHA y
@ L'Harmattan
ISBN: 2-7384-4384-2
Sékéné Mody CISSOKO
TOMBOUCTOU
ET
L'EMPIRE SONGHA y
Épanouissement du Soudan nigérien
aux xve-XVle siècles
Tombouctou,
des origines à l'avènement
des Askia (XIIe-xve siècles)
I.
LES ORIGINES
DE TOMBOUCTOU
A - La fondation de Tombouctou.
10. Lhote, H. : Contribution à l'étude des Touareg soudanais. Les Sagmara, les
Maghcharen, les expéditions de l'Askia Mohamed dans J'Aïr et la confusion de
Takedda Tademekka. in B. [FAN n° 3-4, 1955, p. 334-370.
11. Al Bakri, 1968, p. 76.
12. Edrissi, 1866, p. 10.
13. Ibn Haouqal, Configuration de la Terre, introduction et traduction, par J.H.
K.rammers et G. Wiet, Paris, 1964, p. 99.
14. Al Bakri, 1968, p. 43.
22 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
Conclusion:
2° - Le pôle oriental.
La zone Koukia-Tadmekka connut au x:re siècle une activité com-
merciale aussi importante que la zone occidentale Aoudaghost-
Ghana. El Bekri et plus tard Edrissi insistent sur les deux cités
orientales fréquentées par les marchands du Nord du continent.
Koukia ou Kaw Kaw, d'orthographe et de localisation impréci-
ses, était une des plus anciennes cités nigériennes. Probablement
fondée au VIle siècle selon Delafosse, rassemblant des Songhay et
des Berbères, elle connut l'Islam peut-être avant le XIe siècle.
Contrairement aux grandes métropoles de l'Ouest dont la vie était
presque uniquement liée au mouvement caravanier et transsaha-
rien, Koukia était située sur le plus grand fleuve soudanais qui en
fit une région de cultures et de pêche. Elle dut cependant sa pros-
périté et sa renommée au commerce régional et transsaharien. Elle
était le débouché du sel qui servait « de monnaie d'échange» 17
dans le pays. Ce sel provenait des mines de Tawtek dans le Sahara
central. II était alors acheminé à Tadmekka puis à Kaw-kaw et de
là vers le Sud, dans la Boucle du Niger. Koukia était ainsi, depuis
le IXe siècle probablement, le carrefour du grand commerce entre
l'Ifriquia et l'Egypte d'une part, et le Soudan occidental, de l'autre.
Avec l'avènement des Fatimides qui avaient grand besoin d'or pour
leur politique impériale 18,le commerce s'est développé dans cette
zone. Tadl1zekka constituait le nœud de toutes les routes orientales,
l'entrepôt qui redistribuait entre Koukia et Ghana les marchan-
dises ifriquiennes et égyptiennes. Comme son nom l'indique, Es-
Souq, elle était, avant tout, un marché, né depuis des siècles au
carrefour des routes entre les pays arabo-berbères au Nord et les
pays noirs au Sud. Deux routes principales partaient de Tadmekka
vers le Nord: la route de Ouargla vers Kairouan, celle de Ghada-
mès-Djebel-Nefousa, Tripoli et Augila vers l'Egypte. Vers le Sud,
16. Al Bakri, 1968, p. 77. Ce fleuve à l'Est de Ghana est très probablement le
Niger et non le Sénégal.
17. Pour toute cette région, voir Al Bakri, 1968, p. 79-80.
18. D. et S. Robert - J. Devisse: Teghaoust I, Recherches sur Aoudaghost. Paris,
Arts et métiers graphiques, 1970, chap. IV, la quesûon d'Audagust, p. 141 et sui-
vantes.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONOHA y 2S
19. Al Bakri, 1968, p. 78. c On dit de leurs deniers d'or pur qu'ils sont c chauves :.
(sul) parce qu'ils n'ont pas été frappés. :8>Cette traduction semble légèrement différer
de celle de Slane: c Les dinars dont ils se servent sont d'or pur et s'appellent solâ :
chauves parce qu'ils ne portent pas d'empreintes ~, in El Bek.ri, Description de
l'Afrique septentrionale, trade M. G. de Slane, Alger, Jourdan, 1913, p. 339.
26 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHAY
-
4° Le bourg avant la conquête mandingue
De l'étude des voies commerciales, des migrations des popula-
tions à la suite du bouleversement du Sahel au XIe siècle, des infor-
mations données par Es Sacdi, nous pouvons dresser une esquisse
de la Tombouctou primitive. A coup sûr, Tombouctou était, au début
du XIIesiècle, une fondation des Berbères sanhaja. Elle devait grou-
per des tribus medaça, messoufa et autres sanhaja, leurs escla-
ves, quelques agriculteurs songhay de la vallée du fleuve et
quelques marchands étrangers. Avec l'accroissement du trafic de
Teghazza, la ruine d'Aoudaghost, l'avènement de Birou-Oualata, le
hameau berbère devint un petit marché qui attira des marchands
venant de différentes régions du Sahel soudanais et surtout de
Ouagadou. Ecoutons ce qu'en dit Es Sacdi : « Au début c'est là que
se rencontraient les voyageurs venus par terre et par eau; ils en
avaient fait un entrepôt pour leurs ustensiles et pour leurs grains.
Bientôt cet endroit devint le carrefour des voyageurs qui y pas-
saient à l'aller et au retour. Plus tard on commença à s'établir à
demeure en cet endroit où par la volonté de Dieu, la population
alla croissant. On y venait de toutes parts et de tous lieux et bientôt
ce fut une place de commerce. Tout d'abord les gens du Ouagadou
étaient ceux qui s'y rendaient en plus grand nombre pour trafiquer,
puis il vint des négociants de toutes les régions voisines... » 26. Il est
bien probable que dès cette époque, une partie du sel de Teghazza
ait pris la voie directe vers Tombouctou au lieu de transiter par
Birou qui en était alors le grand entrepôt sahélien. Certes cette voie
était encore secondaire et c'était Oualata qui approvisionnait Tom-
bouctou. Les deux villes entretenaient des relations constantes
par les caravanes des tribus messoufa qui formaient à l'époque
l'essentiel de leurs populations.
De la ville même (son étendue, sa population, ses diverses fonc-
tions) nous ne connaissons presque rien. Nous n'avons aucune
mention de Tombouctou chez les auteurs de l'époque. En fait, la
cité sahélo-nigérienne n'avait pas encore une grande importance.
Elle n'émergea qu'au XVIesiècle, époque de l'hégémonie mandingue
dans le Soudan Occidental.
TOMBOUCTOU
SOUS LA DOMINATION DES
MANDINGUE
(XIVe DEBUT xve SŒCLES)
A - Conquête mandingue
10 - L'hégémonie mandingue (XIIIe-XIvesiècles)
Le sort de Tombouctou allait être lié à celui d'une des plus
grandes formations politiques en Afrique tropicale: l'Empire du
Mali.
Né sur les Plateaux mandingue du Haut-Niger, vers le XIe siècle,
le petit royaume du Mandé devint, au milieu du XIIIe siècle, par
les conquêtes de Soundiata Keita un empire soudanais. A croire
Delafosse et les traditions orales, Soundiata aurait conquis l'em-
pire sosso et détruit Ghana vers 1240. Par l'action continue de ses
successeurs, l'Empire s'étendit démesurément et engloba, au nlilieu
du XIve siècle, tout le Soudan occidental, de l'Océan Atlantique aux
pays haoussa et même jusqu'à Takkeda près de l'Air, des régions
forestières jusqu'au cœur du Sahara. Cet empire était avant tout
nigérien. Le noyau, le Mandé ou Manding, est situé dans la savane
soudanaise, région plus humide que Ghana ou Aoudaghost. Ce
n'était pas un pays d'entrepôt ou de carrefour mais un terminus,
un producteur de grandes ressources: céréales (mil, riz, fonio) et
surtout du métal jaune dont abondaient les mines de Bouré au
Mandé même et celles de la Falémé et du Bambouk. D'abord mar-
ginal quant à la grande activité économique transsaharienne, le
Niger devint, à partir de la formation de l'empire mandingue, l'axe
dominant de l'Ouest africain. Les voies transsahariennes débou-
chèrent presque toutes sur le Niger qui devint la voie naturelle de
communication avec la capitale des mansa du Mali et des mines
d'or soudanais.
C'est sur le Niger que se situaient les principaux centres écono-
miques du Soudan, Djenné, Diaka, Tombouctou, Gao. Les marchés
32 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
Sacdi écrit: «Le sultan Kankou Moussa fut le premier des rois de
Melli qui s'empara du Songhay », et plus loin: « ce fut après le
départ de Kankan Moussa se rendant en pèlerinage que les gens
du Songhay se soumirent à son autorité. » « Ensuite Kankan
Moussa prit la route de Tombouctou; il s'empara de cette ville et
fut le premier souverain qui s'en rendit maître 7. » Les informa-
tions recueillies au Caire par Ibn Khaldoun de la bouche d'El Hadj
y Dunos interprète Tekrourien nous précisent que le farin Saga-
mendia aurait conquis Gao et implicitement Tombouctou durant le
pèlerinage de Mansa Moussa. Se fondant sur ces deux sources,
Delafosse, en grand visionnaire, brode le tableau devenu classique:
pendant le pèlerinage de Kankou Moussa en Lieux Saints, son
général Sagamendia conquit Tombouctou et le Songhay. Le Mansa
passa, lors de son retour, par Gao d'où il emmena en otage les
deux enfants du Roi Dia Yassiboi, par Tombouctou où il fit cons-
truire par le poète Andalou Es Sahéli la Grande Mosquée et le
palais du Madougou...
Cette hypothèse ne vaut plus depuis les critiques formulées par
Charles Monteil qui lui oppose le texte anonyme traduit par Dela-
fosse en appendice du Tarikh el Fettach. S'appuyant sur cette
source et avançant d'autres arguments tels que le pillage de Tom-
bouctou par les Mossi en 1336-1337 à la fin du règne de Kankou
Moussa, les propos de ce dernier au Caire sur sa possession des
mines de cuivre de Takkeda, Monteil fait remonter à une époque
antérieure à 1275 une première conquête mandingue de Tombouc-
tou et de Gao, et situe une deuxième sous le règne de Sakoura
(1285-1300) 8.
Ainsi on ne peut plus retenir la version sacdienne. Du reste
Es Sacdi ignorait la date exacte du pèlerinage de Kankou Moussa
qu'il plaçait « dans les premières années du neuvième siècle de
l'hégire}) 9 c'est-à-dire vers 1398-1400. La chronologie proposée par
Monteil correspond au règne du premier successeur de Soundiata,
son fils Mansa Oulé (1255-1270). Or nous ignorons presque tout de
ce roi sinon qu'il a fait le pèlerinage à La Mecque. Quant à l'auteur
anOD.yme de l'Appendice, il est du milieu du XVIIesiècle! Ses sour..
ces nous sont inconnues. On ne peut le suivre que prudemment.
Il est, d'autre part, difficile d'écarter les témoignages du Cheick
Othman qui connaissait bien le Mali pour avoir séjourné plus de
20 ans à Gao. Cheick Othman attribuait à Sakoura la conquête de
Gao entre 1285-1300. Après Soundiata, Sakoura fut en effet le
grand conquérant de l'empire. Comme on peut le supposer sans
trop d'erreur, il accéda au pouvoir avec l'aide de l'armée et
repoussa les limites de l'Empire jusqu'à l'Atlantique à l'Ouest et
à Gao à l'Est.
L'hypothèse de Monteil est donc la plus sérieuse mais elle doit
être encore atténuée. Après ses critiques, on ne peut plus situer
la conquête mandingue de Tombouctou et de Gao sous le règne de
Les cimetières.
La tradition orale prétend que le cimetière le plus ancien de la
ville est Hamia bangu « mare de Hamia » à l'extrémité nord de
la ville, presque disparu aujourd'hui. A considérer de près cette
version, on comprend difficilement pourquoi les habitants du
noyau ancien, méridional, allaient enterrer leurs morts si loin,
dans le Hamia bangu, contrairement aux traditions ultérieures.
Hamia bangu devait correspondre, comme nous le verrons plus
loin, à l'apogée de la ville au XVIesiècle lorsque celle-ci s'étendit
au nord d'Al Barajou. Les travaux du creusement des fondations
du nouveau château d'eau de la ville ont mis à jour, en mars 1971,
un cimetière jusque là inconnu des anciens de Tombouctou, à
l'emplacement de l'actuel dispensaire, près du tombeau d'un saint.
Le technicien des travaux nous a affirmé que sur une profondeur
de 2 m, il a trouvé 3 couches de squelettes. Les derniers sont très
abîmés sauf les crânes. Il pense qu'on en trouverait encore en
creusant plus profo11dément. Nous avons demandé aux anciens de
la ville s'ils avaient eu connaissance de l'existence d'un cimetière
à cet endroit. En dehors du tombeau isolé d'un saint et de deux
ou trois autres entre le dispensaire et le Palais de justice, tout le
monde ignorait l'existence d'un cimetière. Toutefois un projet de
construction d'un bâtiment administratif entre le Palais de justice
et la Poste avait été abandonné pendant la période coloniale, à
cause d'un nombre important de squelettes qu'on y avait trouvés.
Aussi il y aurait eu dans le triangle château d'eau, Palais de jus-
tice et Poste, un cimetière abandonné à une date très ancienne.
Ce cimetière qui se trouvait tout près du noyau ancien de la ville,
à 300 m à peine de Tombouctou-koï batouma, ne serait-il pas un
des plus anciens, sinon le plus ancien de la ville? Cette hypo-
thèse pourrait être un jour confirmée par des fouilles. On peut
aussi penser que ce cimetière était celui de la casbah marocaine du
XVIIesiècle sittlée dans les environs. Les Marocains auraient ainsi
utilisé l'ancien cimetière abandonné au XVIesiècle.
Les sources écrites ne donnent que peu d'informations sur les
cimetières de l'époque. Les traditions orales ignorent }'existence
de ce cimetière méridional et s'accordent toutes à reconnaître que
celui à l'Ouest de Jingereber est le plus ancien de la ville. Le
Tarikh es-Soudan indique qu'au XIve siècle de nombreux person-
nages étaient enterrés dans la cour de la mosquée de Jingereber.
Ibn Battouta mentionne en 1353 l'existence des tombeaux d'Es
Sahéli et de Sirag Ad-Din mais ne dit pas dans quel cimetière ils
40 TOMBOUCTOU E1' L'EMPIRE SONGHA y
des actes d'une violente tyrannie 14.» A la manière targui, ils vio-
laient les portes des maisons, volaient, pillaient et maltraitaient
les habitants. Akil, à qui l'on reprochait peut-être sa trop grande
libéralité envers une ville qui ne rapportait presque rien, dut chan-
ger d'attitude, en dirigeant ou en suivant le mouvement. II se heurta
alors au Tombouctou-koÏ, le vrai maître de la ville devenue une des
plus grandes cités de la vallée du Niger.
d) l'administration de la ville
La domination targui n'a été que trop bénéfique à l'épanouis-
sement de la ville. Nous verrons plus loin combien l'attitude bien-
veillante d'Akil Ag Mélaoul a attiré nombre de savants et de mar-
chands, combien la ville s'est étendue par de nouveaux quartiers
et quelle fut l'intensité de son commerce. Les Touareg assurèrent
d'autre part une paix relative dans la région, du moins dans les
premières décades de leur domination. Par la conquête de Oualata
en 1446, ils unifièrent la zone la plus importante du Sahel sou-
danais et atténuèrent la sourde rivalité entre Oualata et Tombouc-
tou. C'est l'époque, en effet, où nous voyons arriver de nombreux
immigrants de l'Ouest, des marchands sahariens ou maghrebins
se fixer à Tombouctou. L'occupation de Oualata et de Tombouctou
fit des Touareg les maîtres des régions environnantes et des pistes
transsahariennes. Ainsi pendant près de quarante ans, un royaume
sahélien sanhaja dont Tombouctou était le centre par ses relations
avec le Niger et les pays intérieurs, s'établit entre le Mali décadent
et le Songhay en pleine ascension. Tombouctou en tira grand pro-
fit. Son devenir fut orienté vers le Nord, d'où lui vinrent au xve
siècle ses richesses, ses habitants et ses lettrés. Le xve siècle nous
apparaît ainsi comme la grande époque de berbérisation de la ville.
Sur le plan administratif, Tombouctou jouit d'une autonomie
qu'elle ne retrouverait jamais plus. L'administration ancienne que
nous percevons mal à travers nos sources fut maintenue et amélio-
rée. Le Tombouctou-koï, gouverneur de la ville, devint un vérita-
ble roi détenant « tous les pouvoirs entre ses mains, pouvoirs
administratifs, financiers et autres» 15. Les relations avec les
Touareg se limitaient au paiement d'un tribut annuel prélevé sur
les commerçants de la ville. De ce tribut, il avait le tiers pour
subvenir à ses dépenses. Il prélevait aussi pour son propre compte
des taxes sur le marché, sur les transactions commerciales et
sur les caravanes entrant en ville. Il était assez riche, vivait en
roi, entouré de courtisans et disposait d'une armée non négligeable.
A en croire Léon l'Africain à la fin du siècle, le Tombouctou-koÏ
faisait de petites expéditions guerrières contre ses voisins en vue
de ramener du butin. En somme, le Tombouctou-koÏ n'était pas un
simple instrument dans la main des Touareg. Il était un roi vassal,
mais un roi. Une dynastie se forma à partir du premier, Mohammed
Naddi.
3° - La fondation
(1464-1492)
d'un empire nigérien par Sonni Ali Ber
sa fougue qui envoûte mais encore son permanent souci de l'ordre, son glaive impi-
toyable mais constant, sa sagesse qui pardonne, ... Sonni Ali Ber, tu signifies force
stable, puissance cosmique, ... Sorti d'une dépendance, tu es l'Indépendance... Sonni
Ali le héros qui demeure le symbole de la bravoure magnanime pour le Songhoi, pour
l'Afrique, l'exemple intrépide de l'unité africaine... » Enquête sur les fondements et
la genèse de ['unité africaine, Présence Africaine, 1966, p. 330-331.
18. Ce titre, non arabe, est fréquent dans tout le Soudan occidental comme un
attribut de la royauté. Chez les Sérère, c'est un titre de louange et chez les Mandingue
de Kaabou, le Roi « dâli ~ « prophétise » le jour de son intronisation au pouvoir.
Le mot exprime le caractère sacré du Roi, Etre suprême. Voir notre article, M ansa
Dâli in Notes Africaines n° 120, 1968.
19. Tarikh es-Soudan, p. 105.
52 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
22. Ce nom revient fréquemment dans les Tarikhs. Plusieurs lieux ont dû le porter
dans le delta central. Au temps d'Askia Mohamed Benkan, l'agglomération était à
la frontière de l'empire du Mali et appartenait à celui-ci. Le nom a une résonance
mandingue.
23. Les habitants de la région se souviennent de cette expédition mossi. Claude
Meillassoux en a recueilli des traditions orales.
56 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
10 - Déclin de Oualata
Défavorisée par le changement d'axe de la puissance politique de
l'Ouest vers la Boucle du Niger, Oualata n'en demeura pas moins
un grand centre économique jusqu'à l'événement de Sonni Ali. En
plus du sel de Teghazza qu'elle disputait à sa rivale Tombouctou,
elle semblait renforcer sa position par le transit du sel d'Idjil inten-
sément exploité au x~ siècle. Les sources européennes du milieu
du xve siècle ne parlent pas cependant de Oualata. Ni Malfante
(1447) ni Alvisse de Ca da Mosto (1455) ne font mention d'elle. Ils
accordent par contre une importance capitale à Tombouctou,
débouché principal du commerce transsaharien et point de départ
de l'or soudanais. Le grand marché à l'Ouest était alors Ouadane
lié à Tombouctou par Tichit et qui devint une autre rivale de
Oualata. Tichit était mentionnée sur les cartes du xve siècle sous le
nom de Teget ou Tesset 27.
Il Y avait donc une concurrence serrée entre Oualata et ses voi-
sins de l'Ouest et de l'Est; elle perdit ainsi une grande partie de
son trafic. Le sac mossi en 1480 précipita le déclin de la ville. Une
partie de sa population émigra vers Tombouctou qui attirait égale-
ment les marchands transsahariens. Par un renversement des cho-
ses, Tombouctou devint la métropole économique et intellectuelle
de Oualata. Conquise par les Songhay, très probablement vers la
fin du règne de Sonni Ali, Oualata devint une malheureuse bour-
gade caravanière sans grande activité commerciale.
A lire les auteurs européens du xve siècle, Tombouctou semblait
capter tout le commerce entre le Soudan et les pays méditerra-
néens. Elle devint le principal point de départ de l'or soudanais et
le point d'arrivée des marchandises maghrebines ou italiennes. En
effet le commerce soudanais était conditionné par Je marché médi-
terranéen qu'il faut brièvement évoquer.
4° - Développement de la cité.
La ville de Tombouctou se constitua au xve siècle dans ses prin-
cipaux quartiers. Elle put doubler ou tripler sa population. Sa
physionomie telle qu'elle nous paraît dans la photo aérienne fut
alors façonnée 35.
34. Duarte Pacheco Pereira (1506-1508), Esmeraldo de situ orbis (Côte occiden-
tale d'Afrique, du Sud marocain au Gabon). Trad et comma R. Mauny, n° 19,
Centro de estudos da guinéa portuguesa, Bissau, 1956, p. 51-53.
35. Manny, R., Photo aérienne de Tombouctou, Notes Africaines, 42, avril 1949,
p. 36.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 63
a) accroissement de la population.
L'accroissement de la population urbaine était effet et cause de
l'essor commercial. Le commerce attira à Tombouctou des Ber-
bères sanhaja de tous les centres du Sahara et du Sahel: mar-
chands, artisans, caravaniers, marabouts, etc. Ils venaient surtout
de l'Ouest: Ouadane, Tichit, Chinguetti, etc., et renforçaient l'an-
cien fond messoufa. Mention doit être faite de la famille de
Mohammed Naddi, le Tombouctou-koï dont le père ou le gral1d-
père serait venu de la région de Chinguetti à l'époque de l'occupa-
tion mandingue. La famille Naddi qui avait acquis le pouvoir dans
la ville a dû encourager l'immigration de ses congénères de l'Ouest.
Le gros des immigrants venait surtout de Oualata ou Biro. Avec le
déclin de la ville et après le sac mossi en 1483, de. nombreux habi-
tants quittèrent la ville de Oualata et sa région et se réfugièrent à
Tombouctou. Ce fut le cas des deux plus célèbres familles reli-
gieuses de la ville, les Aqît et les Anda Ag Mohammed. Des familles
plus humbles d'artisans, de marchands, suivirent le mouvement
et s'établirent dans le nouveau quartier appelé Biricounda.
L'ancien courant d'immigration des gens de Touat s'amplifia
avec l'intensification des relations particulières entre le Touat et
Tombouctou. La colonie touatienne devint très importante et joua
un rôle dominant dans les affaires, dans la direction spirituelle et
intellectuelle de la cité. L'hôte de Malfante y a accumulé une for-
tune colossale de près de 100000 roubles! Son frère était un des
plus riches marchands de la ville. Les Touatiens, vers la fin du
siècle, monopolisèrent l'imamat de la grande mosquée de Jinge-
reber, édifièrent un important cimetière du côté Sud-Ouest.
En dehors de ces groupes compacts, on trouve à Tombouctou au
xve siècle des marchands venus d'Afrique du Nord, du Maroc à
l'Egypte. Nous manquons malheureusement de renseignements
sur cette catégorie. Le dénominateur commun à tous ces immi-
grants arabo-berbères était l'intention de faire fortune pour retour-
ner chez eux. Ceux qui faisaient souche étaient surtout les gens
de l'Ouest sahélien.
L'immigration des Soudanais apparaît mal à travers les Tarikhs.
L'unification de la Boucle du Niger par la conquête songhay, les
relations commerciales prioritaires avec les pays environnants
étaient des éléments qui ont dû favoriser à cette époque la son-
ghaïsation de Tombouctou. Léon l'Africain constatait au début du
XVIesiècle que le Songhaï était la langue courante de Oualata! Si
cela était vrai, on peut penser que la songhaïsation de ces régions
avait précédé la conquête. En tout cas, avec la conquête songhay,
l'immigration à Tombouctou des Songhay (marchands, fonction-
naires royaux, marabouts, étudiants, serviteurs de tous genres,
épouses et concubines, etc.) devait être le courant le plus puissant
des immigrants noirs. Les marchands et lettrés wangara et wakoré
continuèrent aussi à venir de plus en plus nombreux. Des popu-
lations de la vallée, les Sorko, les Bozo, les Dâ fondateurs de
Kabara, tous pêcheurs sur le Niger, ravitaillaient, dès cette épo-
que, la ville. Sonni Ali ramena de ses guerres de nombreux captifs
64 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
faits sur les Mossi, les peuls et autres peuples de la Boucle et qui
devaient former une catégorie importante de la classe servile. Les
belles esclaves peul comme l'aïeule de Es Sacdi étaient épouses
ou concubines dans nombre de familles.
L'image que présentait ainsi la ville de Tombouctou au xV: siè-
cle est bigarrée. Toutes les ethnies et toutes les races du monde
soudanais et arabo-berbères vivant - réunies pour le commerce ou
pour l'étude, - coexistaient ou se mélangeaient dans un espace qui
s'agrandissait de plus en plus, à la lisière sahélienne.
b) extension de la cité:
Le.s quartiers.
L'afflux de la population finit par donner à Tombouctou sa
physionomie traditionnelle. Les grands quartiers se formèrent en
partie et allaient se développer par débordement.
Le Jingereber reçut de nombreux Touatiens, des gens de Oua-
lata et était devenu le quartier aristocratique. A l'Est était le
quartier de Tombouctou-koï bâtouma où se trouvait la résidence
du Tombouctou-koï Mohammed Naddi non loin de la mosquée
de Sidi Yaya. Aucune confusion n'est possible entre cette rési-
dence et celle du Madougou que le Tombouctou-koï n'a pas habi-
tée et qui, après la retraite des Mandingue, a dû être délaissée.
Le palais au centre de la ville, non loin de la grande mosquée,
dont par]e Léon l'Africain, devait être non le Madougou que nous
avions localisé à l'Ouest de la ville mais celui du Tombouctou-koï,
sinon du représentant du souverain songhay, dans le centre de
l'actuel Sarékeina. Quant à la place dite « Tombouctou-koï bâtou-
ma » qu'on fait remonter à la fondation de la ville, elle serait bien
du xve siècle. Le terme Tombouctou-koï n'est apparu qu'à l'époque
targui et la place est celle où le chef de la ville tenait ses audien-
ces. Elle n'était pas loin d'ailleurs de la maison des Naddi dans le
voisinage de Sidi Yaya. Ce quartier de Tombouctou-koï bâtouma
devait s'étendre vers l'Est et le Nord et il semble avoir accueilli
des immigrants songhay et soudanais en plus grand nombre. Le
quartier de Jingereber est prolongé au Nord par celui du Bajindé
correspondant à la partie basse et centrale de la ville actuelle.
« Bajindé » signifierait « marigot aux hippopotames» ; il est situé
entre le Jingereber au Sud et le Sankoré au Nord. Il reçut de
nombreux immigrants et était entièrement peuplé au début du
XVICsiècle.
Le quartier du Nord, le Sankoré, appelé à une destinée brillante,
apparut au xve siècle. Etymologiquement, Sankoré se compose de
« san» signifiant primitivement « blanc» et par suite « notable»
et de « koré » qui veut dire « quartier ». Le Sankoré remplaça
au xV: siècle le faubourg périphérique des paillotes. L'immigration
sanhaja et songhay le transforma; les paillotes furent remplacées
par des maisons à terrasses. Le quartier reçut en outre la masse
des immigrants de Oualata qui s'installèrent en grande partie
dans le Biricounda à la lisière du Sankoré et du Bajindé. Il semble
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SaNGHA y 65
Son fils Omar mort en 1464 fut le père et le grand-père des plus
illustres savants de Tombouctou au XVIesiècle.
Abou Abdallah Anda Ag Mohammed, le Grand, l'ancêtre de la
seconde famille maraboutique est moins connu. D'origine targui
comme le laisse deviner son nom, il est venu à Tombouctou, on ne
sait d'où, à la même époque que Mohammed Aqît. Sa fille épousa
Omar ben Mohammed Aqît et fut la mère du cadi Mahmoud le
Grand, d'Ahmed, le grand-père d'Ahmed Baba.
La grande période d'afflux des Berbères fut celle de l'occupa-
tion targui. Akil Ag Mélaoul, malgré les pillages de ses guerriers
vers la fin de leur occupation, encouragea l'immigration des let-
trés. Mohammed Naddi que le Tarikh présente comme un homme
pieux et ami des ulémas en appela beaucoup d'autres dont le
Chérif Sidi Yaya de Tadels37, dans la région de Chinguetti. Ce
Chérif avait une grande réputation de sainteté et sa venue aurait
été sollicitée par le vœu unanime des marchands et des ulémas.
La conquête songhay et l'anticléricalisme de Sonni Ali semèrent
le désarroi chez les ulémas dont beaucoup quittèrent la ville
comme nous l'avons dit plus haut. Après le sac de Oualata, les
anciens réfugiés revinrent et avec eux de nombreux lettrés qui
peuplèrent le quartier de Sankoré et en accentuèrent le caractère
berbère et religieux.
b) Lieux du culte.
L'élément berbère sanhaja fut dominant au xve siècle. Presque
tous les grands ulémas étaient sanhaja; ils habitaient générale-
ment le quartier de Sankoré dont ils monopolisèrent la mosquée
dès cette époque. A l'exception de Moadibb Mohammed el Kâbari
qui assura l'imamat de la Sankoré vers les années 1447-1450, on
ne connaît pas avec certitude les autres imams. Il est très pro-
bable que Abou Abdallah Anda Ag Mohammed le Grand qui fut
cadi après El Kâbari lui ait succédé aussi à l'imamat. Il en aurait
été de même pour son beau-fils Omar ben Mohammed Aqît jus-
qu'à sa mort en 1464. C'est à eux que devait remonter la tradition
qui réservait à leurs deux familles la direction exclusive de la
mosquée. Après leur fuite à Oualata, Sonni Ali nomma au poste de
Cadi Habib, petit-fils de Sidi Abderrahman-Et-Temimi. Il est pos-
sible que celui-ci ait aussi assuré l'imamat jusqu'à sa mort en 1498.
Nous ignorons l'importance de l'activité religieuse et intellec-
tuelle de la Sankoré au xve siècle. On ne peut que la deviner à tra-
vers les lignes du Tarikh es-Soudan. La Sankoré demeurait avant
tout un lieu de culte ordinaire. L'on y récitait chaque jour la
moitié d'un hizb du coran après la prière de l'asr et celle du soir.
Rien ne nous empêche de penser que les grands imams comme
Moaddibb el Kâbari, Anda Ag Mohammed et Omar Aqît aient
dispensé une partie de leur enseignement aux portes ou sous les
arcades de la Sankoré.
La mosquée de Sidi Yaya, de plus modestes dimensions, accueil..
lait un grand nombre de fidèles attirés par la sainteté de son
(*) « Le texte de ces vers étant souvent altéré par les copistes, la traduction en est
pariois douteuse. » Note du traducteur, Tarikh es-Soudan, p. 80.
70 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y
***
I.
LA DYNASTIE MUSULMANE
DES ASKIA, SON £VOLUTION.
1. Le 110m clanique de l'Ask.ia 1v1ohammed n'est pas sûr. Les deux Tarikhs ne
concordent pas: le Tarikh es-Soudan, page 117, donne deux noms: Es Selleflki (Silla)
E Touri Crouré). L'auteur du Tarikh el-Fettach, page 114, dit que le père Je l'Askja
est du clan des Silla originaires de Toro. Cette version appuyée par Person (Y), Jes.
Ancêtres de Sa111ory, parce qu'émanant d'un familier de l'Askia ne résoud pas com-
plètement la question. Le nom Silla avait presque disparu de la Boude du Niger à
la fin du XVI siècle. Par contre, Touré semblait être celui de l'aristocratie au pouvoir
car le conquérant marocain dans sa politique de s'intégrer à la société songhay l'a
choisi conlme plus prestigieux. Aujourd'hui les descendants de l'Askia, tout en recon-
naissant l'origine soninké de leur dynastie, se disent N!aïga, nom typiquement son-
ghuy et non Touré ou Sylla. La question reste donc entière.
76 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
2° - Vers le Nord:
Depuis Sonni Ali, les régions occidentales sahéliennes étaient
sous la domination songhay; Oualata aurait même connu la lan-
gue songhay au début du règne d'Askia Mohammed. Les expédi-
tions les plus importantes dans le Sahel furent celles menées par
Askia Mohammed contre Agadès en 1501 et en 1515 7. Le sultan
d'Agadès paya un lourd tribut en or. Des colonies songhay furent
installées dans la région. Il est plus que certain que les tribus ber-
bères des régions sahéliennes, d'Agadès à Oualata, étaient tribu-
taires de !'Askia Mohammed; c'est aussi très probablement l'épo-
que de l'occupation des salines de Teghazza par les Songhay.
9. Un aperçu de l'Islam songhay ou réponses d'Al Magîli aux questions posées par
Askia Muhammad, Empereur de Gao, Trad et annoté par El Hadj Ravane Mbaye,
in B. IFAN n° 2, 1972, p. 243.
82 TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y
4° - La question de Teghazza
Le grand fait de la politique extérieure demeurait cependant la
question de Teghazza posée sous le règne précédent. En effet le
sultan du Maroc, Mohammed ech Cheikh, en difficulté avec ses
adversaires, ne riposta pas contre le pillage de la région de Draa
par les Touareg de l'Askia Ishaq 1er.Devenu maître de tout le Maroc
au milieu du XVIesiècle, il résolut de régler militairement la ques-
tion de Teghazza. II fut aidé du reste par les circonstances. Mécon..
tent d'avoir été écarté de la fonction de Teghazza Mondzo au profit
d'un de ses cousins, un chef filali, Ez Zobeïri, fit appel au sultan
du Maroc qui trouva l'occasion belle de s'emparer des salines. Une
expédition dirigée par le Fi1ali occupa en 1556-57 Teghazza, mas-
sacra le chef de la saline et de nombreux touareg. Les survivants,
avec l'autorisation d'Askia Daoud, abandonnèrent le lieu et parti-
rent ouvrir, non loin, de nouvelles salines à Teghazza el Ghislan.
On ne sait pas la suite de cette affaire, mais il semble que l'Askia
Daoud ait accepté le fait accompli, non par manque de moyens -
il disposait de 24000 guerriers touareg - mais dans un esprit de
négociation. Les relations entre Gao et Marrakech restèrent ami-
cales. Le fils du Sultan Mohammed ech Cheikh, le fameux Moula)'
Ahmed el Mansour, devenu sultan en 1578 pratiqua envers Gao une
politique «d'entente cordiale» entretenue par des cadeaux et de
belles paroles. Dans un passage obscur du Tarikh es-Soudan, l'au-
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 91
2° - La question de Teghazza
La question de Teghazza se posa de nouveau d'une manière plus
dramatique; en effet le nouveau sultan du Maroc, Ahmed El Man-
sour, prince énergique et ambitieux, orienta ses ambitions vers le
Sahara et le Soudan. Il voulut se rendre maître des richesses saha-
riennes et capter à son profit le commerce transsaharien. En 1581,
il s'empara des plus importants débouchés commerciaux de Tom-
bouctou, le Touat et le Gourara 21. Il prépara la conquête du Sou-
dan par une active diplomatie et des expéditions militaires. Il
envoya à Gao en 1584 une ambassade chargée de présents pour
l'Askia mais qui avait la mission de recueillir des renseignements
et d'acheter des amitiés dans la cour impériale. L'ambassade à
peine rentrée, il expédia une armée de 20000 hommes vers Oua-
dane et le fleuve Sénégal et une autre de 200 hommes dirigée par
un caïd vers les salines de Teghazza 22. La première échoua lamen-
tablement et la seconde trouva les salines abandonnées. L'Askia,
ne pouvant pas défendre Teghazza, avait décidé de l'abandonner
mais d'en empêcher l'exploitation par les Marocains. Ce fut un
coup grave porté au commerce de Tombouctou et aux exploitants
et transporteurs berbères, les ldlelaï qui, ne pouvant se résigner,
allèrent ouvrir en 1585 de nouvelles exploitations à Tenaoudara
3. c Tison éteint », symbole du premier feu allumé dans le pays. Il fait de rAskia
le maître du feu et des foyers, le premier occupant du pays. Cette tradition est certes
beaucoup plus ancienne que la dynastie des Askia et plonge dans les croyances ani-
mistes des Songhay. Une coutume semblable existe chez les Malinké: une fille de
Roi apporte dans son trousseau de mariage un tison allumé qui doit communiquer le
feu à tous les foyers du royaume de son mari.
4. Cheikh Anta Diop, Afrique précoloniale, 1960, p. 50-51.
5. Un aperçu de l'Islam songhay, B. IFAN, 1972, p. 243.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 101
b) La Cour de l'Askia
Gao était la capitale du royaume songhay depuis le XIIe siècle. La
dynastie des Askia s'y établit et Askia Mohammed 1er construisit
un grand palais qui devint le siège de son gouvernement. L'Askia
était entouré d'une nombreuse cour qui rehaussait son prestige. Il
siégeait sur un trône, plateforme élevée, sorte d'estrade sur laquelle
était étendu un tapis aux mille couleurs. Il s'asseyait seul sur ce
trône, mais y admettait dans certaines circonstances des hommes
de religion comme les chérifs. Il s'étendait sur des coussins posés
par ses eunuques, domestiques castrés qui surveillaient ses moin-
dres gestes pour agir. Il était en effet entouré de 700 eunuques
dont la présence n'était pas sans évoquer une influence orientale.
La cour assistait l'Askia dans ses audiences. Elle était composée
de gens de toutes sortes: de grands dignitaires politiques et admi-
nistratifs de l'empire et de la ville de Gao, des membres de la
famille impériale, des marabouts, ceux de Gao ou ceux venus en
quête de présents, de notables et d'hommes de caste. Ces derniers
comptaient parmi eux les griots traditionnels de la cour, les géséré
dont l'ancien avait l'insigne privilège d'appeler l'Askia par son nom,
les mabé d'origine peule qui avaient mission de rehausser la gloire
du souverain par leurs chants et leur musique. Ces griots, comme
partout dans le Soudan, jouaient un rôle incontestable dans la
direction des affaires du pays. Le Ouandou était chargé de répéter
à haute voix les paroles du Souverain.
A partir de Mohammed II Benkan, les femmes firent leur appari-
tion à la cour et il est possible que la tradition ait été mainte-
nue par la suite. Mohammed II Benkan, en bon épicurien, y intro-
duisit de nouveaux instruments de musique, obligea les courtisans
à s'habiller avec faste et égaya la cour autrefois austère sous l'As-
102 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
kia Mohammed. Cette cour était régie par un protocole qui a évolué
avec le temps. Chacun y avait sa place selon son rang dans la
hiérarchie politique; par exemple pour saluer le souverain, le
simple courtisan devait se prosterner et se couvrir de poussière,
tandis que les grands personnages comme le Dendi fari en étaient
exemptés.
La cour exerçait des fonctions politiques importantes. Un Conseil
impérial restreint, le Sounna 6, assistait l'Askia dans la direction
générale de l'Empire. La cour était aussi une école d'initiation à
la vie politique. Les grands dignitaires ou leurs parents y avaient
presque tous passé avant d'obtenir leurs postes. C'est là en
effet qu'il fallait avoir des amis puissants pour chercher une
place et accéder aux honneurs. Les dignitaires provinciaux entre-
tenaient des relations avec les Grands de la cour et leur envoyaient
périodiquement des présents pour plaider leur cause auprès de
!'Askia. L'ambiance était aux intrigues, aux rivalités entre clans;
de fréquents complots ébranlèrent à maintes reprises la monarchie
songhay.
c) Su.ccession au pouvoir
En réalité, les documents que nous avons ne nous permettent
pas de définir avec précision le système successoral des Askia.
D'une manière générale les femmes étaient exclues du pouvoir. Les
Tarikhs ne font aucune mention de reines même à titre de régentes
dans l'Empire songhay. La succession royale avait lieu de frère à
frère selon le droit d'aînesse et non de père en fils. La généalogie
des rois nous le prouve. A l'exception de Mohammed Benkan, fils
d'Amar Komdiâgo, les fils d'Askia Mohammed se sont succédé au
pouvoir jusqu'en 1582 et ce fut ensuite le tour des enfants d'Askia
Daoud jusqu'à la conquête marocaine en 1591.
Le droit coutumier de collatéralité ne semble cependant pas avoir
été respecté. Le plus populaire, le plus audacieux, même s'il avait des
frères aînés, pouvait élever ses prétentions, provoquer une crise de
succession allant jusqu'à la guerre civile. Le prétendant était pro-
clamé en principe dans la ville de Koukiya, l'ancienne capitale des
Songhay, par les grands dignitaires de la Sounna qui lui prêtaient
le serment de fidélité. Le nouveau souverain devenait le Chef de la
maison impériale, héritait de l'Askia défunt dont il épousait les
femmes. L'on connaît le fameux dialogue, dans le Tarikh el-Fet..
tach, entre le Hi-koÏ et l'Askia Ishaq II qui s'enfuyait dans le
Gourma après sa défaite à Tondibi: «0 Askia, voici que tu empor-
tes le trésor du nouvel askia! Tu emportes aussi des choses que
n'a jamais emportées aucun des rois de la dynastie des askia
déposés ou chassés avant toi: c'est nous qui en sommes respon-
2° - Le Gouvernenlent de l'Askia
Le gouvernement d'un empire aussi étendu que celui édifié par
les Songhay était un problème. Les souverains de Ghana et du Mali
en avaient trouvé la solution dans le système de fédération de
royaumes assujettis. Les Songhay furent plus originaux et érigè-
rent un Etat centralisé, plus structuré et disposant de moyens per-
manents qui lui donnaient une autonomie plus grande. L'Etat était
constitué d'un gouvernement central et d'un gouvernement de
provinces. Il mobilisait de nombreux agents lettrés ou secondés de
lettrés provenant de toutes les catégories de la société. Certes les
plus hautes fonctions étaient réservées à l'aristocratie nobiliaire
qui jouissait d'un privilège politique et militaire. Les esclaves
jouèrent peu de rôle politique dans l'Empire songhay. Les agents de
l'Etat étaient hiérarchisés. Ils étaient nommés par l'Askia qui pou-
vait les révoquer à tout moment. Ainsi chaque investiture impé-
riale s'accompagnait de révocations et de nominations d'agents aux
postes-clé de l'Etat. Jusqu'à la fin de l'Empire, }'Askia resta maître
du pouvoir et aucune féodalisation politique n'a pu se constituer
par héritage.
a) Gouvernement central
L'Askia était assisté à Gao d'un important personnel de gou-
vernement dont certains membres faisaient partie de la Sounna
et d'autres étaient chargés des départements particuliers. Certaines
fonctions avaient un large éventail d'attributions et concernaient
l'administration générale de l'Empire, d'autres se limitaient à la
ville de Gao et au Palais impérial. La spécialisation était cependant
inconnue et un agent impérial pouvait avoir plusieurs charges à la
fois. Au sommet de la hiérarchie était le Sounna ou Conseil impérial
~ui comprenait les grands dignitaires de la Cour et qui, dirigé par
1Askia lui-même, débattait tous les problèmes de l'Empire et
siégeait souvent en Cour d'Etat. La Sounna investissait le nouvel
Askia mais lui était inconditionnellement subordonné par serment.
Ses décisions étaient exécutées par de nombreux agents 8 du gouver-
nement dont les principaux étaient les suivants:
- Le chancelier.
Le secrétaire de J'Askia assurait les fonctions d'un véritable
chancelier. Il tenait la correspondance officielle, recevait les cour-
riers des provinces et écrivait les réponses de l'Askia. Il s'occupait
de la correspondance diplomatique, de la rédaction et de l'exécu-
tion des actes impériaux surtout au temps de l'Askia Mohammed 1er.
D'une manière générale, sa signature était nécessaire pour la vali-
dation des diplômes et des chartes délivrés par l'Askia. Bokar
Lambar ou Lambaro occupa le poste depuis le règne d'Askia Daoud
jusqu'à l'invasion marocaine. C'était un homme intelligent, rusé, qui
sut conquérir la confiance des Askia et leur soutira des biens consi-
dérables. Il joua un rôle funeste à l'arrivée de l'armée marocaine en
trahissant la cause de son roi et de son pays et en se ralliant aux
nouveaux conquérants.
- Le Hi.Koï.
Le Hi-Koï était le « maître de l'Eau », chef de la flottille du Niger.
Il était le plus important des dignitaires au temps de Sonni Ali et,
comme le note J. Rouche, il fut le dernier défenseur de l'Empire,
de la cause songhay à Tentyi en 1591 9. Son nom était intimement
lié à la nation songhay, peuple vivant du Niger. La fonction perdit
quelque peu de son importance au temps des Askia. On voit cepen-
dant le Hi-koï, sous l'Askia Ishâq 1er,réprimander le Kourmina Pari
Daoud venu sans ordre à Gao et lui ordonner de retourner immé-
diatement dans sa province. On se demande si le Hi-Koï n'exerçait
pas alors la fonction de ministre de l'intérieur.
- Le Hou-Kokorei-Koi.
Le Hou KokoreÏ-KoÏ était une sorte de Maire de Palais. II diri-
geait les eunuques et les différents services domestiques du Palais
assurés par les esclaves impériaux: service d'approvisionnement,
d'écuries, de surveillance des épouses de l'Askia, etc. Le Hou Koko-
reï-KoÏ, confident de l'Askia assurait également la direction du
Protocole et se vit même confier des fonctions militaires.
- Le Balama.
Le balama était un chef militaire. Il devait être, à l'origine, le
chef de l'armée royale songhay. Au XVIesiècle, le balama cornman-
10. Tarik el-Fettach, 1964, p. 260-261.
106 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
c) Pays tributaires
Les pays tributaires de Gao étaient dirigés par leurs propres
souverains. Tel était le cas des Etats haoussa, des confédérations
berbères (les Kel Antassar, les Touareg « magcharen» d'origine
sanhaja), du Mali pendant la courte domination songhay, du Macina
jusqu'au règne de Boubou Mariama vers 1583-86 et d'autres terri-
toires dans la Boucle du Niger. Le roi, investi selon les coutumes
du pays, était reconnu et confirmé par l'Askia. Quand il y avait
contestation ou conflits entre les prétendants, l'Askia intervenait
et imposait le candidat de son choix. La rébellion contre l'autorité
impériale était réprimée par une expédition militaire et le souve-
rain perdait ou la vie ou le pouvoir. Ainsi le fondoko (Roi) Boubou
Mariama du Macina fut détrôné et exilé à Gao. Le souverain tri-
butaire était soumis au pouvoir de l'Askia. Il devait payer des
« coutumes» périodiques, fournir des guerriers chaque fois qu'une
expédition était organisée dans sa région. Il semble, d'après Léon
l'Africajn Il, que l'Askia avait son représentant auprès du souverain
tributaire. Des liens de mariage se nouaient souvent entre les prin-
ces ou les princesses de Gao avec les familles royales tributaires.
Des cadeaux et des visites périodiques étaient échangés entre eux.
C'était là une manière de rendre acceptable et moins pesante la
domination de Gao. Directe ou indirecte l'administration songhay
parvint ainsi à encadrer les populations et à assurer la sécurité
nécessaire aux personnes et aux biens.
8 - L'Armée.
Kâti écrivait: « Les grands du Songhay étaient versés dans l'art
de la guerre. Ils étaient très braves, très audacieux et très experts
dans les ruses de la guerre 12.» Effectivement, l'Empire songhay
fut moins le résultat d'aIJiances ou de fédérations de royaumes que
de conquêtes. Les guerres, d'abord défensives contre les Man-
dingue et les Mossi de l'Est au XIve siècle, devinrent offensives et
impérialistes avec Sonni Ma Daou, Souleiman Daman et surtout
Sonni Ali Ber qui conquit toute la Boucle du Niger. L'Askia
Maroc et lui promit un tribut de 100 000 pièces d'or et 1 000 escla-
ves. D'autres faits comme les donations de l'Askia Mohammed 1er
faux ulémas sont indicatifs. L'Askia Mohammed donna par exemple
au shérif Es Seqli une somme colossale de 100 000 dinars, 2200
esclaves et 100 chameaux.
10 - Les Ressources
Ainsi, il est possible d'esquisser un tableau des ressources aux
origines et à la nature bien diverses:
Il y avait d'abord le butin de guerre. Tous les Askia eurent leurs
guerres qui avaient pour but ]a recherche du butin, source essen-
tielle du trésor impérial. Les exemples abondent dans l'histoire
songhay. Askia Mohammed imposa un tribut de 100 000 dinars
d'or au sultan d'Agadès lors de sa campagne dans l'Air. Les Mansa
du Mali furent rançonnés de la même façon par Askia Ishaq 1er
et l'Askia Daoud.
La guerre procurait surtout des captifs. Au xve siècle, les expé-
ditions au Mali des Sonni Madaou et Souleymane Dama rappor-
tèrent 24 tribus serviles appartenant au Mansa mandingue. Sous
l'Askia Mohammed, Amar Komdiâgo enleva à la ville de Dia, dans
le Macina, 500 maçons en plus des autres prisonniers qui furent
acheminés vers la Boucle. Vers la fin du XVIesiècle, Askia Moham-
med II fit une expédition dans le Ouagadou et en rapporta tant
de prisonniers que le prix de l'esclave baissa à Gao et à Tom-
bouctou. L'Askia était ainsi le plus riche propriétaire de captifs de
l'empire. Il en avait à Gao et dans toute la Boucle du Niger.
L'Askia Mohammed distribua à ses amis ulémas de nombreux
villages de culture peuplés de captifs. Les plus belles femmes, les
plus belles filles allaient peupler les palais des Askia et des princes.
Es Sacdi nous apprend que son arrière-grand-mère était une cap-
tive que Sonni Ali avait donnée à son aïeuL
De nombreux impôts frappaient les sujets de l'Askia. Il y avait
la zakat, d'origine islamique. Askia Mohammed 1er écrivit à El
Maghili pour demander s'il avait le droit de le percevoir: « Dieu
m'a confié ce pays: la terre couverte par l'eau. Avant moi, les habi-
tants ne connaissaient que l'injustice et le passe-droit. Ils n'avaient
jamais été invités à croire en Dieu et en Son Envoyé. Quand, grâce
à la faveur de Dieu, ils furent placés sous mon autorité, je leur fis
embrasser la religion musulmane. Un grand nombre se convertit
par peur du sabre, Dieu merci. Maintenant ils disposent de nom-
breux champs et d'un fleuve immense et productif. Je voudrais
savoir si j'ai le droit de leur réclamer sur ces terres les tributs
que prélevait Sunu'Ali, par injustice à leur égard, et s'il m'est
permis d'y installer un savant digne de confiance qui y assumera
les fonctions de percepteur de zakat sur le bétail et sur les récoltes,
et qui, se fondant sur son effort personnel en matière de législa-
tion, distribuera la zakat, une fois perçue, aux ayant droit, à savoir
les huit types d'hommes. » El Maghili répondit: « Pour ce qui est
de l'aumône légale, les gens ont le devoir de les remettre à l'Imam
ou à ses agents tant que ces derniers en feront la distribution aux
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 113
D . Organisation de la justice
10 - La justice n1usulmane.
La justice musulmane est un droit régalien. L'émir, investi du
droit de rendre la justice, en confiait l'exercice au cadi, homme
compétent par sa science et son équité. Les Askia de Gao ayant
trouvé cette tradition l'ont respectée. Askia Mohammed, dans son
effort de répandre l'Islam en luttant contre certaines coutumes se
servit de la juridiction musulmane de rite malékite, pour imposer
les valeurs musulmanes. II fut aidé dans cette action par des doc-
teurs malékites, étrangers comme AI Maghili du Touat, Es Soyouti
du Caire, mais surtout par la pléiade de jurisconsultes formés à
l'Université de Tombouctou qui fournit les agents de l'expansion
islamique et diffusa le droit malékite, base des juridictions musul-
manes du Soudan occidental. Dès son avènement, l'Askia nomma
des cadis dans les villes qui n'en avaient alors pas, leur donna des
pouvoirs étendus, les rendit libres des administrations locales et
les combla d'honneurs.
Le cadi est le symbole même de l'islamisation. La fonction était
redoutée et les candidats au poste étaient rares. Les bons musul-
mans de ces temps considéraient la justice comme un des attributs
d'Allah d'où la crainte d'en être indigne. L'Askia fut parfois amené
à user de la force pour nommer des officiels. Ainsi, à la mort du
cadi de Djenné en 1539-1540 l'Askia Ishaq let" envoya un commis-
saire extraordinaire pour nommer de force le grand érudit Mah-
moud Baghayogo, père du célèbre professeur de Tombouctou. Ecou-
tons Kâti : « A l'arrivée de l'envoyé [de l'Askia], le chef de Djenné
et ses subalternes rassemblèrent tous les habitants de la ville ainsi
que les jurisconsultes qui s'y trouvaient et convoquèrent Mahmoud
Baghayogo qui ignorait ce dont il s'agissait. On se saisit de sa
personne et, en le maintenant de force, on lui passa sur les épaules
les deux boubous que l'Askia avait envoyés pour lui et on le ceignit
d'un turban, tandis qu'il se lamentait et versait des larmes comme
un enfant. On l'investit malgré lui et on lui donna lecture de la
lettre de l'Askia. Puis comme l'ordonnait celui-ci, on lui amena un
116 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
r
cheval et on l'y fit monter] pour le transporter à la maison 16. »
Ce cas n'était pas unique. Sous le règne d'Askia Daoud, les deux
frères Baghayogo, fils de Mahmoud, se réfugièrent à la mosquée
pendant plusieurs jours pour échapper à la nomination forcée aux
fonctions de cadi de Djenné.
Les Tarikhs nous donnent de nombreux renseignements sur les
cadis de Tombouctou. Le poste fut détenu pendant tout le XVIe
siècle par la grande famille des Aqît, les maîtres de la Sankoré. Les
deux grands imams de la mosquée, Mahmoud et son fils El Aqîb,
furent aussi les deux plus célèbres cadis du XVIesiècle. Il semble
que les Aqît tirèrent leur pouvoir et leur prestige de la fonction de
cadi qui faisait d'eux les maîtres incontestés de la ville. Le cadi était
en effet le premier magistrat de la cité. Aujourd'hui encore, le juge
de Paix jouit de cette tradition et il est entouré d'un grand respect.
Les Tarikhs sont d'accord sur la liste des cadis du XVIe siècle.
A la mort du cadi Habib en 1498, Askia Mohammed 1er le fit
remplacer par Mahmoud ben Omar Aqît qui régna véritablement
sur la cité jusqu'à sa mort en 1548. Le cadi Mahmoud, considéré
aujourd'hui comme un des patrons de la cité, était un juriscon-
sulte compétent qui contribua largement à l'épanouissement intel-
lectuel et religieux de Tombouctou. Il réforma la justice par la
répression des abus, la corruption dans les tribunaux. Il enseigna
le droit et diffusa le précis de Sidi Khelil qui devint le manuel des
jurisconsultes de Tombouctou. Imam de la Sankoré et cadi, il était
aussi l'ami de l'Askia Mohammed 1er qui sembla lui abandonner
l'administration de la ville. Ses fils lui succédèrent pendant le reste
du siècle: Mohammed (1548-1565), El Aqîb (1565-1583), Abou Hafs
Omar (1585-1592). Le pJus célèbre d'entre eux fut El Aqîb, un malé-
kite intransigeant et un puriste intolérant. Il assura la justice avec
fermeté et ne tolérait pas la moindre faute. Il aurait même, selon
le Tarikh el-Fettach, condamné à mort un muezzin qui refusait de
prononcer correctement les formules d'appel à la prière. Après
son pèlerinage en Terre Sainte où il obtint de nombreux diplômes
d'enseignement de droit malékite} il procéda à la restauration des
mosquées de la ville, la Sankoré, le Jingereber. Il reconstruisit
même totalement la Sankoré dont il était l'Imam. Une crise de
succession s'ouvrit à sa mort en 1583. Pour des raisons relatées
plus haut, Abou Hafs Omar, frère d'El Aqîb ne fut nommé par
!'Askia El Hadj qu'en 1585. Il fut le dernier cadi de la cité libre.
Son arrestation et son exil au Maroc en 1592 par les Marocains
marquèrent la fin de la dynastie des Aqît mais aussi du pouvoir
civil à Tombouctou.
Le cadi était secondé dans sa tâche par de nombreux auxiliaires:
les jurisconsultes, les mufti, assistaient aux audiences et avaient
droit à la parole, l'huissier, le secrétaire qui rédigeait les actes
judiciaires, les notaires chargés des inventaires et de la validation
des actes de tous genres. Les sentences étaient aussitôt exécutées
par l'assara moundio, le chef de la Police. Le cadi prononçait le
plus souvent des peines de bastonnades, d'amendes ou d'empri-
sonnement. Les actes de vol, les crimes étaient bien rares dans
cette ville où les mœurs étaient raffinées et où le port d'armes était
presque interdit. Les affaires courantes concernaient les héritages,
les différends entre marchands, les problèmes d'ordre social. C'était
le cadi qui enregistrait les reconnaissances de dettes, les contrats
de vente et d'achat, les actes d'affranchissement des esclaves 1'1,etc.,
il procédait à la répartition des héritages, validait les donations.
II était le chef de la religion et sa signature était nécessaire pour
toute validation. Le cadi assumait d'autres fonctions civiles. Il était
le premier magistrat de la ville, gardien de la liberté des hommes
et de la cité. C'est ainsi que le grand cadi Mahmoud invectiva le
Kourmina fari Ali Kochya et lui reprocha de vendre des hommes
libres. De même, le cadi intervenait dans les crises de succession
de Gao soit pour réconcilier les frères ennemis soit pour plaider en
faveur du plus faible. Maître de la ville de Tombouctou, il surveil-
lait les pratiques religieuses, sévissait contre les mauvaises mœurs,
confirmait la nomination des imams des mosquées.
Outre le cadi de la ville, certains quartiers ou certains carrés
habités par des groupes ethniques donnés avaient des cadis char-
gés de juger les affaires du groupe ou du quartier. Leur procédure
était plutôt un arrangement entre membres du groupe qu'une
véritable justice avec décision exécutoire. On pouvait toujours
s'adresser au cadi de la ville dont la justice était souveraine.
Le cadi tirait des revenus importants de sa fonction. Il était ùn
des personnages les plus riches de la cité, non seulement par ses
affaires personnelJes gérées par ses talibés et ses esclaves, mais
aussi par les recettes tirées de la fonction. En principe, la justice
était gratuite; c'était un devoir de piété de réconcilier les Musul-
mans. En pratique, le cadi percevait des droits d'enregistrement
et certaines amendes lui servaient de rémunération. La corruption
étant réprimée, il est pourtant difficile de dire la signification des
cadeaux que recevait le grand maître religieux qui était en même
temps cadi!
2° - Justicecoutumière.
Quant à la justice couttlrnière, non musulmane, elle était de pra-
tique générale chez les populations soudanaises. On la trouve aussi
dans les villes et à la Cour de Gao pour les affaires qui ne tombaient
pas sous la compétence des cadis. L'islamisation des Songhay
n'étant pas pleinement réalisée, des régions entières, surtout celles
de l'Est et du Sud, vivaient sous le régime de leurs coutumes, et
la justice était rendue par les chefs traditionnels assistés des
anciens du village ou de la province. Il en était ainsi de Djenné,
pourtant islamisée, jusqu'à l'avènement d'Askia Mohammed 1er qui
nomma le premier cadi. Les coutumes variaient d'un peuple à
l'autre et réglementaient la vie sociale et l'éthique du groupe.
17. Nous avons collecté à Tombouctou certains de ces actes datant de la première
moitié du XIxe siècle. Ils ne sont que la continuation d'une tradition remontant au-delà
de œtte période.
118 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
La vie économique
au XVIe siècle
L'étude de la vie économique de Tombouctou et de l'Empire
songhay au XVIesiècle est une entreprise difficile à cause de l'insuf-
fisance de la documentation. Les principaux travaux, en effet, sur
l'Empire concernaient jusqu'à présent l'évolution politique. C'est
dans les Tarikhs qu'il faut glaner les quelques rares renseigne-
ments sur l'activité économique et, autant que possible, chercher
dans les sources extérieures, marocaines et portugaises, d'autres
éléments d'information. On peut également tenter, à partir de
l'économie de la période plus proche de nous, malgré la décadence
de la région, de reconstituer le passé dans ses éléments essentiels.
Comme aujourd'hui, l'économie nigérienne au XVIe siècle était
conditionnée par la géographie. L'Empire songhay, dans sa partie
ce11trale, était situé dans la zone soudano-sahélienne peu favorisée
par le climat. C'est la région des chaleurs torrides, des pluies insuf-
fisantes et irrégulières, des sols pauvres et infertiles. Vers le sud
de la boucle du Niger, la nature se fait plus clémente et la pluvio-
sité s'accroît de plus en plus vers le climat soudanais. L'agriculture
et l'élevage deviennent alors plus rentables. Le Niger, grand fleuve
nourricier, traversait l'Empire d'Ouest en Est et permettait non
seulement une importante activité agricole dans sa vallée mais
aussi les communications entre les deux grandes parties de l'Em-
pire. Région soudano-sahélienne, la vocation de la Boucle du Niger
fut avant tout commerciale. Eveillée à la vie des échanges bien
avant le XIe siècle grâce à sa situation de contact entre l'Afrique
blanche et l'Mrique noire, elle vit naître et se développer d'impor-
tantes agglomérations urbaines qui attirèrent au Soudan les hom-
mes, les produits et les valeurs du Nord du continent.
La caractéristique fondamentale de l'économie nigérienne, c'est
d'être une économie ouverte d'échanges où l'agriculture ne joua
qu'un rôle secondaire par le surplus qu'elle apportait au marché
pour la nourriture des centaines de milliers de citadins et de
Sahariens. Ce caractère apparaît dans l'analyse des différentes acti-
vités des populations nigériennes.
I.
ACflVIT£S RURALES
A - Agriculture.
En conclusion:
L'agriculture demeura au XVIe siècle la grande activité de la
masse de la population nigérienne; elle produisait un surplus qui
alimentait le commerce, nerf moteur de l'économie de la région.
Elle était certes attardée par ses techniques traditionnelles, mais
la constitution de grands domaines, cultivés par des milliers de
captifs, permit d'importantes productions de grains et le Soudan
nigérien ignora durant le XVIesiècle les grandes famines qui, au
siècle suivant, allaient le ruiner et le dépeupler.
B - Elevage.
C - Pêche.
La pêche est une donnée traditionnelle de l'économie nigé-
rienne 3. Dans les temps les plus reculés, les riverains du Niger ont
exploité cette ressource qui demeure aujourd'hui encore un des
éléments fondamentaux de l'économie de la république du Mali.
La pêche pratiquée avec les instruments traditionnels, filets, har-
pons, hameçons, était le monopole de certaines populations consi-
dérées comme les maîtres du fleuve. Les Sorka qui formaient une
fraction importante du peuple songhay étaient les maîtres de l'Eau.
Ils vivent exclusivement de la pêche depuis l'aube de l'histoire des
Songhay. Du Dendi, ils émigrèrent progressivement en longeant le
Niger vers le Nord et vers l'Ouest et fondèrent par-ci par-là des
colonies de pêcheurs tels que Koukia, Gao, Bamba, Saraféré. Ils
rencontrèrent alors d'autres pêcheurs d'origine différentes, les
Bozo qui détenaient le monopole de l'exploitation du Delta central.
Les autres ethnies de pêcheurs, les Da ou Do dans la Boucle du
Niger, les Gouna étaient aussi maîtres des eaux. Tous ces pêcheurs
sillonnaient le fleuve dans des pirogues de toutes dimensions et
pêchaient des poissons qui étaient fumés, séchés et vendus dans
toute la Boucle du Niger et transportés jusqu'aux oasis sahariennes
et très probablement, comme aujourd'hui, dans tout le Soudan
occidental jusque dans la région forestière. Les pêcheurs étaient
généralement castés, et considérés comme doués de pouvoirs sur-
naturels sur l'Eau. Ils exécutaient les sacrifices nécessaires aux
Génies du fleuve pour les rendre favorables aux riverains et éloi-
gner les crocodiles et autres animaux malfaisants.
A - Généralités.
Dans le livre qu'il a écrit au début de notre siècle sur les métiers
dans la région de Tombouctou, le Père Dupuis Yacouba 1 met en
relief le rôle moteur de l'activité artisanale dans la vie économique
de la cité. Si nous nous reportons au XVIesiècle, l'époque où les
villes nigériennes étaient peuplées et prospères, la production
artisanale devait être alors plus considérable. En effet, malgré les
apparences, tout le monde travaillait et gagnait quelque pécule.
Tous les auteurs ont insisté sur l'activité commerçante des habi-
tants de Tombouctou. A juste raison, Felix Dubois prétendait que
tout le monde dans la ville était commerçant car, d'une manière ou
d'une autre, tous participaient à l'activité économique, à la satis-
faction des besoins immédiats de la grande agglomération, qui à
l'habitat, qui à l'alimentation, qui à l'habillement, qui à la cons-
truction, etc. Cette activité multiforme alimentait le petit com-
merce de détail, permettait la circulation et la distribution des
denrées, des biens, du numéraire. Les activités artisanales étaient
généralement héréditaires selon un système de castes. De nom-
breux métiers étaient pratiqués par des hommes, des femmes, ou
par les deux sexes, individuellement ou en groupes familiaux ou
professionnels. Dans des cités comme Tombouctou et Djenné des
corporations groupaient les gens de même métier. L'entreprise
B - Différents métiers.
D'organisation corporative ou familiale, les métiers étaient nom-
breux dans la Boucle nigérienne et principalement dans les agglo-
mérations urbaines qui vont nous servir de cadre d'études.
10 - Les maçons:
Le métier de maçon était très répandu à cause même de l'im-
portance des villes architecturalement bien bâties. L'ancienneté de
cette profession remonte aux premières villes de la bordure saha-
rienne. De l'Atlantique au Niger, les villes soudano-sahéliennes,
Aoudaghost, Ghana ou Koumbi Salé, Oualata, Tekrour, Silla,
Djenné, Tombouctou, Gao, les grandes cités sahariennes telles que
Tadmekka, Takkeda, etc., témoignent d'un art architectural exis-
tant avant le XVIesiècle. Les ruines impressionnantes de Koumbi
Salé (XI-XIIIesiècles) donnent l'image d'une ville gigantesque, maçon-
née en pierres selon un style que l'on rencontre aujourd'hui encore
dans maintes cités sahéliennes. C'est dire que le Soudan Occidental
a connu une architecture très évoluée bien avant l'arrivée du
fameux Es Sahéli en 1325. Les traditions architecturales sahélien-
nes se répandirent avec le commerce vers le Sud et l'urbanisation
gagna la vallée du Sénégal et plus particulièrement celle du Niger.
Les maçons, gens de métier, architectes et artistes, inventèrent à
partir des traditions anciennes le style architectural soudanais qui
devint la caractéristique fondamentale des villes nigériennes. Au
début du XVIesiècle, l'Askia Mohammed et son frère Amar Kom-
diâgo, après la conquête du Delta central, ramenèrent près de 500
maçons de la ville de Dia, au Macina, vers la Boucle du Niger. Cer-
tains de ceux-ci construisirent de toutes pièces la ville de Ten-
dirma, capitale du Kourmina fari; d'autres furent installées à
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 131
2° - Les menuisiers-charpentiers:
Les menuisiers-charpentiers répandus dans toutes les villes nigé-
riennes travaillaient aussi bien le fer que le bois. Prenons l'exem-
ple de la famille des Jamai-Kounda 2 à Tombouctou qui assure
aujourd'hui la presque totalité de la charpenterie de la ville. Elle
fait remonter ses origines au xve siècle et prétend même se ratta-
cher à Askia Mohammed. C'est une famille castée comme tous les
travailleurs de bois et de fer. Elle travaille dans un grand atelier
sous la direction du chef de famille; elle fabrique des portes et des
fenêtres dont elle a aujourd'hui le monopole. Le matériel venait
autrefois de la région de Goundam et du Sud. Les ouvriers fabri-
quent également des clous de charpente, des barres de fer utili-
sées dans l'encadrement des portes et fenêtres. Ainsi la forge et la
menuiserie se trouvent sous le même toit.
4° - Les
forgerons:
Les travailleurs de métaux que nous appelons forgerons sont
castés et endogames ; on les appelait diam ou garassa. Comme dans
tout le Soudan Occidental, les forgerons étaient craints et on leur
attribuait un pouvoir surnaturel. Ils travaillent les métaux sous
toutes les formes: instruments aratoires, haches, couteaux, coupe-
coupe, marteaux, pointes de flèches, lances, sabres et aussi des
outils de ménage. C'était parmi eux également que se recrutaient les
bijoutiers travaillant le cuivre, l'or et l'argent. Les bijoutiers ber-
bères étaient habiles dans la fabrication des objets en bois (instru-
ments de ménage) des selles et de tout le harnachement du cavalier.
Le Tarikh mentionne cinq tribus serviles de forgerons que l'As-
kia Mohammed avait héritées de Sonni Ali et qui lui devaient cha-
que année une redevance de 100 lances par famille: ce sont les
diam Téné, les di am Ouali, les Sorobonna, les Samatséko qui
seraient descendants d'un forgeron venu de l'Ouest.
5° - Les potiers:
La poterie est toujours le monopole des femmes castées soit
épouses de forgerons soit mabé. Elles façonnaient toutes sortes de
vases, des grands canaris aux petits encensoirs. Leur poterie raffinée
de couleur généralement rouge foncé circulait dans la Boucle du
Niger. La région de Djenné était réputée pour ses vases et elle en
exporte encore par pirogues entières vers le Nord et le Sud.
10 .. Moyens de transport
L'époque n'a pas connu la roue, ni de grands moyens de commu-
nication. L'énergie animale était seule utilisée. Des centaines sinon
des milliers d'animaux de bât transportaient dans toutes les direc-
tions les produits de commerce. Le Sahara était traversé dans les
deux sens par les caravanes de chameaux dans des conditions
bien connues. Certains marchands de Tombouctou ou du Touat
possédaient des milliers de chameaux; les tribus bérabiches qui
monopolisaient le transport transsaharien à l'époque étaient aussi
de grands éleveurs de chameaux.
Quant aux ânes, ils étaient très utilisés dans le commerce sou-
danais. A Tombouctou, par exemple, une corporation d'âniers
assuraient le transport des marchandises entre la ville et le fleuve
par un va et vient continuel. Les marchands soudanais, comme
au XIXe siècle, circulaient en véritables caravanes avec des ânes
136 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
et des bœufs porteurs, sur toutes les pistes du Soudan. Les escla-
ves transportaient les produits moins lourds ou de petit volume.
Alvisse de Cada Mosto signalait au milieu du xve siècle des escla-
ves marchant en file indienne et portant sur la tête les marchan-
dises de leurs maîtres, les marchands Wangara 1. L'utilisation des
esclaves comme porteurs était courante jusqu'à une époque
récente.
Le transport fluvial demeurait très important dans la Boucle
du Niger. Une véritable flottille de pirogues circulait sur le fleuve
pendant près de dix mois, entre Djenné et Tomb'ouctou et entre
Gao et les villes haoussa. Certaines de ces pirogues étaient très
grandes et pouvaient tJ;'ansporter six tonnes de marchandises en
plus de nombreux voyageurs. Le port de Kabara était, à l'arrivée
de Léon l'Mricain au début du XVIesiècle, encombré de pirogues
de toutes dimensions appartenant les unes aux pêcheurs bozo ou
sorko les autres aux gros marchands des villes riveraines.
Ainsi, bien qu'élémentaires, les moyens de transport suffisaient
au transport des marchandises dans toutes les directions et vers
les centres importants.
2° - Voies commerciales
Il y avait deux sortes de voies commerciales: les voies trans-
sahariennes et les voies méridionales:
a) Voies transsahariennes:
Le Sahara fut depuis les temps les plus anciens traversé par
diverses voies, Nord-Sud, Est-Ouest 2. Aux XVe-XVlesiècles, il y eut
prédominance des voies aboutissant à la Boucle du Niger. En
effet les voies occidentales, mauritaniennes, avaient progressive-
ment décliné avec la ruine des empires de Ghana, du Tékour et
du Mali au profit de la voie centrale passant par Teghazza. Cette
voie centrale avait deux pôles dans l'Empire songhay, Tombouc-
tou et Gao qui devinrent le relais entre le Maghreb et le Soudan.
Tombouctou était liée à la grande région économique du Touat,
dans le Sahara, par une voie qui passait par les mines de sel de
Teghazza et dont le second tronçon aboutissait à Gao par Tad-
mekka. Le Touat était devenu, depuis le déclin de Sidjilmessa, la
grande région commerciale du Sahara et mettait ainsi en relation
les deux villes soudanaises avec les marchés importants de l'Afri-
que du Nord. Il communiquait avec le Nord par diverses voies,
dont une aboutissait au Tafilelt et au Sud Marocain, une à Tlemcen
dans l'Est Algérien, une à Touggourt, en Tunisie et une autre vers
l'Est au Fezzan 3. Aussi, le commerce soudanais concernait tout
le Sahara et le Nord du continent.
Les relations avec le Maroc furent plus importantes à cause du
B - Les march~ands.
10 - Classification
Par leurs origines, il y avait les Arabo-berbères et les Souda-
.nais; les premiers constituaient des véritables colonies de mar-
chands spécialisés dans le grand commerce transsaharien. On peut
distinguer parmi eux plusieurs groupes: Ceux du Sahel Occidental,
en particulier les Messoufa et les Bérabiches qui' s'occupaient du
commerce et du transport du sel. Un deuxième groupe, celui des
marchands venant des grands centres sahariens tels que le Touat, le
Tafilelt, le Fezzan, etc. constituait l'élément le plus dynamique des
villes soudano-sahéliennes. Ainsi à Tombouctou, le quartier de Jin-
gereber groupait un nombre important de Touatiens marchands ou
lettrés. A la fin du siècle, lorsque Djouder arriva à Tombouctou
et qu'il voulut construire une casba, il porta son choix sur le
quartier des riches marchands de Rhadamès, au Sud-Est de la
ville.
Un troisième groupe était constitué de marchands du Maghreb
ou de l'Egypte. Ibn Battouta, en 1352, nous donne quelques indi-
ces sur l'implantation de ces marchands dans l'Empire du Mali.
Il voyagea avec une caravane de marchands jusqu'à Oualata où il
trouva des Maghrebins comme son hôte originaire de Salé. A
Dia, dans le Delta central du Niger, il mentionne une colonie de
marchands originaires du Touat ou du Maghreb. A son arrivée
dans la capitale Mandingue, il trouva une autre colonie blanche
ayant son propre quartier et qui vivait surtout de commerce. Son
hôte, un Marocain, jouissait même d'une grande influence dans
la cour du Mansa Souleymane dont il avait épousé la sœur. Ibn
Battouta mentionne également deux Egyptiens, un habitant de
Marrakech et un lettré de Tlemcen. Sur le chemin du retour, il
passa par Tombouctou où il vit le tombeau de Siradj Eddin, un
riche marchand égyptien. A Gao, il trouva un véritable quartier de
Maghrebins certainement marchands et lettrés, dont un habitant
de Mecknès et un de Taza. Ainsi, dans toutes les villes du Soudan
étaient installés des marchands et des lettrés maghrebins. Avec le
développement du commerce au XVIe siècle, ces colonies se sont
multipliées et fournirent un nombre important de marchands à
l'Empire songhay.
La deuxième catégorie des marchands est celle des Soudanais.
En effet, depuis l'Empire du Ghana, le développement économique
a donné naissance à des marchands dans les grands centres du
Soudan. Les plus anciens étaient les Wakoré ou Soninké installés
un peu partout dans l'Empire songhay et principalement dans le
Delta central du Niger, à Dia, à Djenné et à Tombouctou. Appa-
rentés à eux, les Wangara ou Mandingue que nous appelons aujol1r-
d'hui dioula, étaient au XVIesiècle des :tparchands très dynamiques
sur les marchés de l'Ouest africain. Ainsi à Tombouctou, les Wan-
gara avaient leur propre quartier, le Wangara-Counda, autour de la
mosquée de Sidi Yaya. On peut mentionner également les mar-
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 139
2° - Organisation
Le type courant d'organisation des marchands demeurait l'en-
treprise familiale. A Tombouctou ou à Djenné, la famille mar-
chande était dirigée par un chef qui travaillait avec ses frères, ses
fils, ses neveux, ses esclaves et ses clients. Si l'entreprise était
importante, tout ce monde était employé dans les succursales
ou dans les boutiques des quartiers, toujours sous la direction du
chef de famille auquel étaient rapportés les bénéfices qui ne fai-
saient pas l'objet de partage. Le chef de famille avait le devoir de
pourvoir chaque parent majeur d'une maison et des moyens de
vivre, et à la longue, ce dernier pouvait jouir des bénéfices qu'il
réalisait sur ses affaires.
Outre l'entreprise familiale, il y avait des tribus marchandes,
surtout parmi les berbères qui travaillaient sous la direction d'un
chef. C'était le cas des Bérabiches qui, au XVIesiècle, monopoli-
saient le transport du sel saharien. L'entreprise individuelle n'était
pas cependant ignorée et la plupart des petits marchands étran-
gers géraient leurs propres affaires, souvent secondés par leurs
esclaves otl leurs employés. L'entreprise anonyme n'existait pas.
L'on voit donc que l'entreprise familiale était l'organisation
courante des associations commerciales nigériennes. Elle était plus
adaptée à cette société soudanaise très patriarcale qu'elle consoli-
dait dans son fondement. Les marchands, par leur nombre res-
treint et surtout par ce qu'ils étaient pour la plupart des étran-
gers, restaient un élément marginal.
C - Moyens de mesure.
E . Produits du commerce.
Le commerce nigérien portait sur de nombreux produits, cer-
tains venant du Soudan intérieur, d'autres du Sahara, du bassin
de la Méditerranée ou des pays de l'Europe du Nord. Pour plus
de clarté, nous en dégageons les principaux par ordre d'impor-
tance.
10 - Deux produits clé: le sel et l'or
Ces deux produits généralement échangés l'un contre l'autre
constituaient la clé de voûte du commerce nigérien et ont fait la
fortune des marchands et des villes. Pour se faire une idée de
l'importance du sel au XVIe siècle, il faudrait le comparer au
pétrole dans le monde contemporain. C'était l'or blanc par com-
paraison avec l'or noir. Il était recherché par les population~ du
Soudan et constituait une denrée princière qui n'était pas à la
15. Ces barres sont conservées au département de Préhistoire, à l'IF AN, Dakar.
148 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
Conclusion générale.
Population. Société.
I.
LA POPULATION
A - Généralités.
1. Brasseur (G.), Les Etablissements hllnlains au Mali, Mémoire IFAN, 83, Dakar.
2. Tarikh es-Souda1l, 1964, p. 24-25.
154 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA Y
B - Le peuplement.
10 - Le peuplement ancien.
Le ~euplement plonge ses racines au-delà du Néolithique. L'hom-
me d Asselar, dans le Sahel soudanais vivait vers 4440 av. J.-C. *
Avec le dessèchement progressif du Sahara, de nombreuses tribus
noires se réfugièrent au Sud et principalement dans la vallée nigé-
rienne. Les peuples mandingue, soninké, songhay et bien d'autres
auraient, selon le Tarikh el-Fettach et Boubou Hama 3, une même
origine, saharienne. A l'époque historique, les peuples méditerra-
néens ont tenté de traverser le Sahara et de Douer des relations
avec les Noirs soudanais, probablement nigériens. D'après Héro-
dote (484-420 av. J.-C.) 4, ces Noirs seraient de petite taille, proba-
blement des Négrilles. II est en tout cas probable que les pays
furent habités à une époque très ancienne par des Noirs que peu de
choses différenciaient de ceux d'aujourd'hui. Certes, de nombreu-
ses tribus subirent le métissage avec les nomades blancs sahariens.
Boubou Hama voit dans le peuple songhay le résultat d'un métis-
sage noir et berbère 5. L'influence des civilisations plus évoluées de
l'Egypte ancienne, de la Nubie et surtout de Méroé ne fut pas
sans atteindre la vallée du Niger et le Soudan occidental. Cheikh
Anta Diop pense que l'archéologie découvrira un jour dans ces
régions des documents qui bouleverseront les données actuelles
de l'histoire de l'Occident africain. Il voit dans l'art le style archi-
tectural de la pyramide soudanaise (le tombeau des Askia, la
colonne et les façades des maisons) une marque de l'Egypte pharao-
nique 6. Les fouilles des tumulis de la Boucle du Niger par Des-
12. Idem, p. 54. Boubou Hama pense que la langue songhay était parlée dans
l'Aïr avant la conquête. Elle serait le vestige de l'installation ancienne des Songhay
dacs ce pays.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY 157
13. Idem, p. 39. Boubou Hama voit dans les Soninké et les Songhay deux peuples
de même origine. Fili/ing Sakho qui a mené plusieurs enquêtes historiques dans la
Boucle du Niger nous apprend qu'il a abouti aux mêmes conclusions.
158 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGH ~ y
C - Population urbaine.
Kabara.
Fondée par les pêcheurs Dô sur un bras du Niger, Kabara est un
des ports de Tombouctou 19. Sa population était de 1200 habitants à
son déclin en 1828. A son apogée au XVIesiècle, le port était encom-
bré de navires venant de l'amont et de l'aval du Niger, qui trans-
portaient les marchandises des commerçants de Tombouctou. La
ville était alors étendue et peuplée de quelques milliers d'habitants.
On ne sait avec exactitude si le port de Koriomé, situé à 12 kms
de Tombouctou et utilisable presque toute l'année, était en usage
au XVIesiècle. Il y a de fortes probabilités qu'il le fût.
Djenné.
Djenné est une des plus anciennes villes de l'Occident africain.
Sa fondation remonterait au IXe siècle. La ville, située dans une île
du Bani dans le Delta nigérien, n'a jamais changé d'emplacement.
La ville ne prit de l'importance qu'au XIII-XIvesiècle sous l'Empire
du Mali. Elle devint alors le dépôt soudanais du commerce trans-
saharien qui transitait par Oualata puis par Tombouctou. La ville
devint prospère sous le règne de Koï Komboro qui se convertit
à l'Islam et construisit au XIve siècle la fameuse mosquée, joyau de
l'architecture soudanaise. La ville conquise par Sonni Ali vers 1468
devint la jumelle de Tombouctou et centralisa tout le commerce
entre le Sud et les pays sahéliens. Malgré son insularité, elle demeu-
rait la métropole d'une région très peuplée. Malheureusement, aucun
document ne nous permet d'évaluer sa population au XVIesiècle.
René Caillé en 1828 donna le chiffre de 10000 habitants mais cette
époque correspondait au déclIn du Sud nigérien. De toutes façons,
la population de Djenné était bien inférieure à celle de Tombouctou
au XVIesiècle et pouvait être estimée à quelques dizaines de mil-
liers.
Oualata ou Birou.
Oualata aurait succédé à la capitale du Ghana, à la suite du
bouleversement de l'empire soninké au XIe siècle. Nous avons vu
plus haut son évolution et son déclin à la fin du Xvesiècle au profit
de Tombouctou. Elle végétait au début du XVIesiècle, formée de trois
gros bourgs d'aspect misérable et servant de campement aux cara..
vanes fatiguées.
Tendirma.
La ville de Tendirma sur le lac Débo était la capitale du Kour-
mina fari, gouverneur des provinces de l'Ouest. A en croire l'au-
teur du Tarikh el-Fettach, Tendirma aurait été fondée par les Juifs
à une époque qu'on peut situer au XIve siècle. Elle aurait été alors
une ville considérable de plusieurs milliers d'habitants vivant du jar-
dinage et du commerce. Détruite de fond en comble dans des
D - L'état de la population.
B - Société hiérarchisée.
10 .. La noblesse
Comme dans toutes les sociétés soudanaises, la noblesse était
définie par le sang ou par la liberté. On était noble lorsqu'on était
de parents nobles et, dans cette société patriarcale, lorsqu'on
était de père noble. Certes la noblesse pouvait être contestée lors-
que la mère faisait partie de tribus serviles de la couronne. L'on
a, à ce sujet, les mises en garde d'Askia Mohammed à ceux qui
prendraient femme parmi ces tribus 3.
La noblesse se perdait avec la liberté; les prisonniers de guerre,
quel que fût leur statut d'origine, tombaient en servitude. La
noblesse songhay ou San était l'élément dominant de la société.
Ici plus qu'ailleurs, elle formait une classe consciente d'elle-même,
jalouse de ses privilèges et assumant presque à elle seule les
grandes responsabilités politiques et militaires. Certes, les autres
2° .. Les castes
L'existence des castes caractérise les sociétés dll Soudan occi-
dental. Sont généralement « cas tés » les gens exerçant un métier
manuel ou ceux qui vivent de la parole ou de la musique. Ils sont
libres mais frappés par une tare sociale qui les enferme dans une
endogamie plus ou moins stricte selon les différentes catégories.
La société songhay n'ignorait pas les castes. Certes les musi-
ciens et les griots mentionnés par les Tarikhs étaient d'origine
étrangère chez les songhay. Les géséré étaient des griots soninké et
les l11abo des Peul venus du Macina. Les tribus serviles castées
qui constituaient l'essentiel du patrimoine des Askia étaient d'ori-
gine mandingue. On ne sait si la masse de gens de métier qui
peuplaient les villes nigériennes était alors castées ou non. D'après
les traditions orales, certains forgerons et menuisiers de Tom-
TOMBOUCTOU ET L"EMPIRE SONGHA y 169
3° - Les esclaves
Les esclaves devaient constituer à cette époque l'élément le plus
nombreux de la population. Chaque famille, selon son ilnportance,
en était possesseur. L'on peut distinguer deux catégories d'escla-
ves : ceux de l'Askia et ceux des particuliers.
La dynastie Askia a hérité des Sonni vingt-quatre tribus d'escla-
ves enlevées au Mansa du Mali par Sonni Madaou et qui assu-
raient tous les travaux, depuis le ménage domestiquè jusqu'à la
fabrication des armes. Chaque tribu, étant spécialisée dans un
travail donné, finit par être castée dans cette activité. C'est le cas
des trois premières, d'origine bambara, les descendants de Diarra
Koré Boukar, les Kassambara et les Ngaratibi 4. Elles étaient atta-
chées à la glèbe et devaient fournir annuellement par tête dix à
trente mesures de grains selon leurs revenus. La quatrième,
malinké, portant le nom de Tyindiketa 5, assurait le ravitaillement
de l'écurie impériale. La cinquième que l'auteur appelle d'un
terme arabe, zendji (esclave) s'était spécialisée dans la pêche sur
le Niger, payant à l'Askia une redevance annuelle de dix paquets
de poisson séché et lui fournissant des pirogues avec équipage.
Cette tribu était très nombreuse dans la vallée du Niger. Un de ses
ancêtres, Farantaka, aurait eu, selon le Tarikh, une descendance de
près de 2700 membres au début du XVIesiècle. La sixième tribu
appelée Arbi s'occupait de travaux du palais, fournissait des servj-
teurs et des domestiques au Roi et aux princes, assurait la garde
personnelle de l'Askia lors de ses voyages. Les autres tribus, celles
des Diam Téné, Diam Ouali, Sorobanna, Samatséko, Komé, sem-
blaient, d'après la résonance de leur nom, être d'origine peule.
Elles seraient issues d'un mêlne ancêtre et formaient la caste des
forgerons; leur charge était de fournir chaque année à l'Askia cent
lances et cent flèches par famille. L'Askia Mohammed donna plu-
sieurs membres de ces tribus serviles à ses amis ulémas comme
4° - L'élément urbain
Le citadin était l'élément nouveau dans la société songhay.
C'était l'intellectuel, le marchand, l'artisan. Il était ou étranger ou
issu de la société traditionnelle, toujours fruit de l'activité commer-
ciale urbaine. La religion et l'instruction étaient l'apanage de tou-
tes les catégories de la société et elles annoblissaient. Nous avons
dans le Tarikh un passage curieux qui illustre bien la qualité anno-
blissante de la religion. L'Askia Daoud accueillit des pèlerins
venant de La Mecque et salua parmi eux un esclave en lui serrant
la main; ses courtisans menacèrent J'esclave pour avoir osé don-
ner la main à l'Empereur. C'est alors que le sage Mohammed Kâti
intervint ironiquement pour demander qu'on coupât la main qui,
après avoir touché le tombeau sacré du Prophète, a eu l'impudence
de serrer celle de l'Askia! L'Askia déplora l'incident, pardonna à
l'esclave et le traita en homme libre 6.
Les Askia vouaient un grand respect aux marabouts et aux horn-
C . La vie sociale.
Croyances traditionnelles
Religion musulmane
~
Epanouissement
in tellectuel et artistique
I.
CROYANCES TRADITIONNELLES
1. Boubou Hama demeure le grand historien des Songhay. Son érudition dans la
connaissance des tradition~ nigéro-sahéliennes, écrites ou orales, sa vaste capacité de
synthèse, son intention délibérée de situer l'histoire africaine dans l'ensemble des
valeurs de civilisations africaines donnent une vision grandiose, quelque peu épique
de l'histoire des Songhay. On doit regretter chez ce grand historien le mépris de la
composition, du style historique et l'utilisation consciente, sans critiques préalables,
des légendes et des traditions orales éparses du monde sahélo-nigérien. Parmi ces
œuvres, on peut citer:
- BouInois Dr. J. et Boubou Hama. Empire de Gao, Histoire, coutumes, magies,
1954.
- Enquête sur les fondements et la genèse de l'Unité Africaine, Présence Mri-
caine, 1966.
176 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
A - Croyances songhay.
C - Le culte.
Comme d'autres peuples soudanais, les Songhay rendent un
culte aux ancêtres. Les doubles de ceux-ci ne meurent jamais et
peuvent causer du mal à leurs descendants si on les négligeait.
Aussi, sous la direction des chefs de familles ou des premiers habi-
tants d'un lieu, des sacrifices ont périodiquement lieu à des
endroits consacrés qui ne sont pas nécessairement des tombeaux.
Des cérémonies similaires se déroulent pour apaiser les jinns ou
les génies par le sacrifice d'animaux en des lieux spécifiqu.es
comme les termitières, les cavités de tronc d'arbres, les carrefours,
etc. « Ils vénèrent aussi comme le constate l'Askia Mohammed en
1502, certains arbres, font des sacrifices en immolant des bêtes à
leur intention 5... » Il en était ainsi au pays maternel de Sonni AIL..
qu'Askia Mohammed décrit en ces termes: « Sa mère (de Sonni
Ali) était originaire du pays des Fâra 6 qui sont des adorateurs
d'idoles, en arbres ou en pierres devant lesquelles ils déposaient
des offrandes et leur demandaient de satisfaire à leurs besoins. Et
chaque fois qu'ils obtenaient satisfaction, ils disaient que c'était
leurs dieux qui leur accordaient cette grâce. Si par contre leurs
prières n'étaient pas exaucées, ils disaient que les dieux ne les
autorisaient pas à faire la guerre et qu'il fallait attendre une
seconde consultation. De même, aussitôt revenus d'un voyage, ils
se faisaient obligation d'aller déposer leurs bagages devant elles
avant de regagner leurs domiciles 7... »
Le culte est fonction de la divinité concernée. Il n'a pas une
organisation nationale. Chaque collectivité villageoise ou familiale
a ses prêtres (Zîmma), ses cases-temples où sont gardés les objets
du culte. Les Sorko, serviteurs de la déesse Haraké, maîtres des
eaux, ont une sorte de prééminence dans la direction des cultes
où ils sont généralement préférés à tous autres.
D'une façon générale, la religion songhay révèle un optimisme
fondamental8. L'homme n'est pas tourmenté par un péché origi-
nel et hanté par la crainte d'un au-delà (Paradis-Enfer) qui fonde
la morale dans les grandes religions révélées. Bien au contraire, la
magie peut utiliser toutes les ressources de la nature au service de
1. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 24. Ce chiffre est exagéré. Comme nous le verrons
par la suite, Djenné n'eut son premier cadi qu'au temps d'Askia Mohammed. La
liste de savants donnée par Es Sacdi comporte à peine une dizaine de noms pour Je
xV' et le XVIPsiècles.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 183
rent au fils du Sonni soit par loyalisme soit pour se défendre contre
l'Islam envahissant. Cela montre que même dans les villes, l'aris-
tocratie politique était à l'image du Sonni. Elle n'était musulmane
que de nom et prenait des libertés avec le dogme et les pratiques
islamiques. Les musulmans de l'époque, en dehors d'une mino-
rité lettrée d'origine arabo-berbère ou wangara-wakoré, étaient
pour la plupart illettrés et, comme de nos jours, ne comprenaient
dans la religion que les pratiques formalistes et rituelles. Askia
Mohammed déplorait à la fin du xve siècle, comme un grand mal-
heur pour l'Islam, la pléthore de marabouts ignorants et préten-
tieux : « Un malheur nous frappe et éprouve durement notre pays
à cause de la malhonnêteté de ceux à qui l'on attribue la science
dont voici quelques traits caractéristiques. II s'agit des non-Arabes
qui comprennent à peine la langue arabe par suite de voisinage
avec les Arabes. Non seulement ils éprouvent beaucoup de difficul-
tés à parler mais ils escamotent les mots et leur donnent souvent
des significations qui leur sont étrangères. Comment peuvent-ils
donc comprendre le sens des lois ou l'intention des jurisconsultes,
voire être à même de décéler des imperfections? Et malgré cela,
ils ont des livres qu'ils étudient, des histoires et des chroniques
qu'ils se transmettent les uns aux autres 4. »
Ce tableau paraît un peu trop sombre. Il nous permet d'appré-
cier l'importance de l'Islamisation à la fin du xve siècle. L'Islam
était le fait d'une minorité, certes puissante et honorée, géné-
ralement d'origine étrangère. Il dépassait à peine les limites des
villes marchandes plus nombreuses dans la région occidentale,
de Gao à Djenné que dans la partie sud-est, le Dendi. Il ne fut pas
encouragé par la situation générale et plus particulièrement par ]a
politique des rois Sonni.
7. Idem, p. 254.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 187
B - Le culte musulman.
Les Tarikhs décrivent la civilisation nigérienne du XVIe siècle
comme un modèle idéal de l'Islam soudanais. Ils furent certes
écrits au XVIIe siècle à une époque où l'Islam avait perdu de sa
splendeur et les auteurs rêvaient avec nostalgie du passé. Il faut
cependant convenir avec eux que jamais, dans son histoire, le
Soudan ne connut un nombre si élevé de docteurs, de saints, d'ag-
glomérations musulmanes, d'écoles et de mosquées aussi célèbres.
Le XIXe siècle connut peut-être une ferveur religieuse semblable
qui se manifesta par les jihad et la fondation d'empires musul-
mans mais l'Islam n'eut pas l'épanouissement et l'éclat qui avaient
été les siens au XVIesiècle. Appuyé sur une monarchie musulmane
et une classe marchande et urbaine riche, encadré par une aristo-
cratie de lettrés aux traditions islamiques séculaires, l'Islam s'épa-
nouit dans la Vallée du Niger avec plus ou moins d'envergure selon
les régions.
La doctrine était vécue selon le degré d'islamisation et d'ins-
truction des fidèles. Dans les villes, les cadi veillaient à l'orthodoxie
des pratiques religieuses conformément à la doctrine malékite.
Toute déviation était sévèrement blâmée et punie. C'est ainsi qu'un
muezzin, qui s'obstinait à prononcer le « b » à la place du « y »,
déformant ainsi le sens d'un mot d'un texte religieux et qui refu-
sait de s'amender, fut condamné à mort par le terrible cadi, El
Aqîb, de Tombouctou 9. Le problème qui se posait et qui se pose
encore était celui de la compréhension des textes sacrés écrits en
arabe. L'instruction n'avait pas gagné la masse des croyants. Le
grand Askia Mohammed lui-même était illettré! Il déplorait cette
situation au début du XVIe siècle et il dénonçait les marabouts
qui prétendaient connaître la Loi et la religion sans comprendre
la langue arabe. La situation dut changer à la fin du siècle car le
mouvement didactique et missionnaire a eu une grande ampleur
à partir de l'élan donné par Askia Mohammed. La masse des fidèles
restait cependant illettrée sauf peut-être dans certaines villes
comme Tombouctou et Oualata. La religion n'en avait pas tellement
souffert car la ferveur religieuse était vive et l'Islam put facile-
ment s'adapter aux croyances traditionnelles. Dans les grandes vil-
les, la solidarité musulmane était forte; l'aumône était une prati-
que quotidienne. Certains ulémas de Tombouctou dépensaient leur
fortune à nourrir les étudiants pauvres, à acheter des esclaves pour
les rendre à la liberté. Des marchands agissaient avec discrétion
autant pour secourir les marabouts et les nécessiteux que pour
subvenir aux dépenses des mosquées. L'Askia donnait lui-même
l 2. Idem, p. 200
HI.
EP ANOUISSEMENT
INTELLECTUEL
A . L'humanisme soudanais.
tout le monde était comme lui qu'il avait une excellente opinion
des autres et qu'il les considérait pour ainsi dire comme étant ses
égaux en bons sentiments et n'ayant aucune connaissance du mal. .J
Ahmed Baba n'avait certainement pas lu Platon mais il y a une
constante de la pensée et de la morale que l'on trouve chez tous les
peuples. La bonté porte naturellement à la tolérance, au respect
des opinions d'autrui. Aujourd'hui encore, l'habitant de Tombouc-
tou est d'un commerce agréable et ne heurte jamais son interlo-
cuteur même s'il n'est pas d'accord. Il préfère suspendre son juge-
ment et se taire quand il n'approuve pas. C'est un homme de paix.
En effet, Tombpuctou n'a pas connu de guerre ou de persécutions
religieuses enflehors de celles dont elle fait l'objèt de la part de
Sonni Ali Ber.
Les qualités intellectuelles de l'homme étaient aussi appréciées.
Dans la biographie des docteurs de la ville, Ahmed Baba met l'ac-
cent sur l'intelligence, « la promptitude à comprendre », la luci-
dité, la sagacité. II décrit les docteurs comme des gens passionnés
du Savoir, consacrant leur vie au service de Dieu et de la Science
apprenant toutes les connaissances de leur époque et se spécialisant
peu. Ils achetaient des ouvrages de toutes sortes ou se faisaient
recopier ceux qu'ils ne trouvaient pas dans le commerce. Ainsi
malgré des moyens modestes, car l'imprimerie n'était pas encore
utilisée pour l'écriture arabe, les docteurs disposaient de cen-
taines d'ouvrages pour apprendre et enseigner. Ainsi l'effervescence
intellectuelle, par la diffusion du savoir, consolida l'enseignement
de l'école malékite dans le Soudan nigérien.
2. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 71, reproduit le Tekmilet ed. Dihadjé d' Hamed Baha
200 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
3. Deverdun G., Marrakech, des origines à 1912, Rabat, Edit. Techniques nord-
africaines, 1959, T. I, p. 423-436.
102 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY
C - L'université.
L'université doit être comprise dans son sens général et médié-
val, c'est-à-dire l'ensemble des centres d'études et d'enseignement
concernant toutes les connaissances acquises de l'époque. Dans
ce sens et toutes proportions gardées, on peut légitimement par-
ler d'universités soudanaises. Au xve et surtout au XVIesiècle, les
grandes villes soudanaises abritèrent une multitude d'écoles qui
dispensaient un enseignement humaniste. Deux d'entre elles,
Djenné et Tombouctou avaient une place de choix par leur rayon-
nement au Soudan et dans le monde musulman, la première étant
le prolongement de la seconde. Nous examinerons ici celle de
Tombouctou. Son organisation et les études qu'on y faisait étaient
à peu de choses près analogues à celles des autres villes. Notre
étude sera certes sommaire, incomplète car, de l'abondante litté-
rature de la ville, il ne nous est parvenu, pour le moment, que peu
de choses.
L'université est apparue progressivement au fur et à mesure
que la ville se développait et s'enrichissait. Les écoles de quartier,
de carré, se multiplièrent avec l'accroissement de la ville et, dès
le début du XIve siècle, avec l'enseignement à la grande mosquée
de Jingereber, l'université était à peu près constituée. L'arrivée
de grands maîtres au xve siècle et la construction des mosquées
de Sankoré et de Sidi Yaya à la même époque donnèrent à l'uni-
versité sa physionomie définitive et ses structures telles que nouS
les trouvons au XVIesiècle et même après.
10 - Organisation
L'université n'était pas ici une institution étatique. Elle n'avait
pas à proprement parler une direction administrative. Certes le
cadi, chef spirituel de la ville, avait la responsabilité de veiller à la
religion et au développement des études. En réalité l'organisa-
tion dépendait de la structure de l'université. Nulle part au Sou-
dan, nous n'avons une université institutionnalisée avec ses fon-
dations, ses médersas, son régisseur, etc. Ici l'école libre triom-
phait. L'université de Tombouctou était constituée par l'ensem-
ble des écoles libres et des mosquées-écoles dont la plus célèbre
204 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
.
. Il h vers midi: cours dans sa maison.
De la prière du Zuhr à celle de l'Asr, c'est-à-dire
de 14 h 30 vers 17 h : cours à la mosquée;
7. Tarikh es-Soudan, 1964, p. 146...147.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 207
2° - Les études
Les études faites à Tombouctou ne différaient pas de celles des
autres universités du monde musulman. Elles concernaient la
religion, les sciences sociales et constituaient ce que nous appe-
lons aujourd'hui les Humanités. L'objectif était d'acquérir les
connaissances relatives à la religion, à la conduite de l'homme, à
la cité, d'éduquer en développant les valeurs spirituelles et mora-
les. Le monde musulman avait abandonné depuis quelques siè-
cles la science désintéressée, profane, les sciences exactes, orien-
tées vers la connaissance de la Nature et des choses qui entourent
l'homme. Les Tarikhs ne mentionnent jamais les sciences (mathé-
matique, chimie ou autres). La Connaissance, la vraie pour les
ulémas de l'époque, n'était pas destinée à la satisfaction de l'esprit
mais à servir Dieu et à vivre selon les préceptes religieux. Tom-
bouctou n'en faisait pas exception.
L'enseignement comportait deux niveaux: l'un élémentaire
(école coranique) et l'autre supérieur. Au premier niveau, l'élève
apprenait par. cœur le Coran et les notions essentielles de la pra-
tique religieuse. Il était initié à lire et à écrire l'arabe, seule langue
utilisée pour la vraie connaissance. L'enseignement supérieur, dis-
pensé par les grands maîtres de l'époque, surtout à la Sankoré,
abordait la même science islamique qu'à El Azhar et à Fès qui
étaient les universités sœurs de Tombouctou. Il comportait les
sciences traditionnelles: Théologie (Tawhid), Exégèse (Tafsir),
Traditions (Hadit), Droit (Fiqh) et les sciences de l'esprit: Gram-
maire, Rhétorique, Logique, Astrologie, Histoire, etc.
Si l'on se réfère au Tarikh es-Soudan pour faire l'inventaire des
ouvrages utilisés à Tombouctou, l'on se rend compte qu'ils consti-
tuaient les bases fondamentales de la science islamique classique.
Comme nous les verrons plus loin, les professeurs de Tombouctou
comme Ahmed Baba et Mohammed Bagayokho étaient de grands
érudits, des esprits universels ouverts à toutes les connaissances
de leur époque.
L'université de Tombouctou avait même une grande célébrité
pour l'enseignement du Droit (Fiqh) malékite. Les ulémas que les
Tarikhs n'appellent autrement que jurisconsultes, étaient nourris
de la culture classique. Le Tarikh es-Soudan nous donne les ouvra-
ges fondamentaux de cet enseignement qui sont les mêmes dans
tout l'univers musulman. Nous retenons le Mou.watta, base théo-
rique du Droit de Malek ibn Anas, la Madawwana d'Ibn Qâsim et
208 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y
les tekhmis qui sont des poèmes composés à partir d'un vers d'un
autre poème, les ouvrages d'El Akhdari et d'autres auteurs étaient
enseignés à Tombouctou 10. On peut compléter cette liste des étu-
des par celle de l'Astrologie, de la Géographie et de l'Histoire, qui
sont des matières annexes aux enseignements fondamentaux.
14. Ahmed Baba, in Cherbonneau A., Essai sllr la littérature arabe au Soudan
d'après le Tekmilet ed dibadje, 1854-1855, p. 15.
15. Idem, p. 15
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 211
20. Il existe de nombreux articles sur Ahmed Baba. Nous retenons ici outre l'Essai
de Cherbonneau, les travaux de Hunwick J.O. : A New source of the biography of
Ahmad Bàbà al Tinbukti (1556-1627) in Bull. of School of Oriental and Alric. Stu-
dies, Univer. London, vol. XXVII, part 3, 1964.
El Oufrani, Histoire de la Dynastie saadienne au Maroc. Traduction O. Houdas,
Paris, Leroux, 1889.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 215
qui ont été ensevelis dans mon pays, de celle de Abou Zeid, le
prince des vertus et de l'orthÇJdoxie, le modèle de mes concitoyens,
celui à qui je voudrais le plus ressembler.
A cause de leur disparition, le glaive de la séparation est levé
sur moi et la mort menace mon soutien et mon appui.
N'oublie pas Abdallah, l'homme vaillant et généreux. Ma tris-
tesse est profonde depuis que j'ai perdu mes concitoyens et mes
amis;
Les jeunes gens de ma famille, tous jusqu'au dernier, sont allés
rejoindre le Roi des rois pendant mon exil.
Quelle douleur et quelle tristesse m'envahissent à cause d'eux!
o mon Dieu, fais-leur une large part de ta miséricorde 23! »
Ce poème lyrique est malheureusement un des rares à nous être
parvenu de l'abondante littérature poétique soudanaise que la
recherche découvrira un jour.
L'on voit, par ces trois personnages, la valeur de l'Université
soudanaise, l'universalisme auquel elle était parvenue. L'esprit
brillait de la même lueur sur les bords du Tibre et de la Seine que
sur ceux du Niger. La Renaissance européenne qui se vante d'lIn
Erasme ou d'un Michel-Ange ne doit pas faire oublier, qu'à la
même époque, l'Afrique noire produisit des Mohammed Bagayokho
et des Ahmed Baba 24. Certes, les contextes et les traditions sont
différents d'un pays à un autre, mais l'essentiel est cette activité
créatrice de l'esprit qui élargit les champs de la Connaissance et
développe les facultés de l'homme.
D'aucuns ont contesté la créativité de l'Université soudanaise et
n'ont vu dans les docteurs de Tombouctou que de pâles compila-
teurs, des exégètes d'une science sans vie. Rien de plus faux qu'un
tel jugement. Il faut situer les hommes et les faits dans leur
contexte historique pour les évaluer. L'université de Tombouctou,
loin de se vouer à une simple compilation, a fait l'effort louable de
retrouver la Vérité première par une réinterprétation savante de
la science de l'Is]am universel. Elle ne consomma pas un savoir
tout fait mais elle chercha elle-même à retrouver les sources ori-
ginales de la Vérité. Ainsi fut-elle amenée à connaître à fond la
langue arabe, à repenser ses règles, sa syntaxe, son esprit, à réflé-
chir sur la démarche de la Raison. Elle s'efforça, par l'exégèse, le
commentaire, à établir les textes exacts, à donner une interpréta-
tion orthodoxe, j'allais dire scientifique, de la pensée islamique
universelle. Elle réussit merveilleusement. L'œuvre la mieux
connue, celle d'Ahmed Baba, en est un témoignage universellement
admirée. Les Renaissants européens de la première heure, les
Marsile Ficin, les Erasme, les Lefèvre d'Etaples, les Luther, pour
ne citer que ceux-là, ne firent pas autrement. Cependant leur
œuvre contribua d'une manière incontestable au renouveau de la
civilisation occidentale.
On ne saurait jamais insister avec trop de force sur le fait que
D . Les arts.
1. - La Musique.
Il faut remonter au-delà pour saisir la civilisation nigérienne
prémarocaine. Les auteurs insistent beaucoup sur la douceur de
vivre à Tombouctou au XVIesiècle et sur la gaieté des habitants.
Léon l'Africain fut impressionné par la musique et la danse au
clair de lune. Les instruments utilisés ne semblent pas avoir telle-
ment changé depuis lors. Dans les Tarikhs, nous avons mention
des tam-tams, des tambourins, des instruments à vent tels les
kakaki qui étaient de longues trompettes guerrières. Le violon
(njarka), caractéristique de la musique actuelle de la Boucle du
Niger, devait être alors moins perfectionné. Son extension semble
être de l'époque marocaine c'est-à-dire postérieure au XVIesiècle.
Par contre, la guitare à trois cordes, le bidiga (boîte munie de fers
sonores) des gabibi, étaient d'usage courant. La musique comme
tout art, reflète le goût de la société, ses valeurs et ses préoccupa-
tions. On peut ainsi discerner une musique de cour avec des
musiciens professionnels castés, les géséré et les mabé. La cour
de l'Askia à Gao était animée par les chants, la musique des guita-
res et les récitations des gestes des Grands du Songhay. L'Askia
Mohammed II Benkan a donné un éclat particulier à la cour impé-
riale en y introduisant de nouveaux instruments, le folorifa, une
sorte de trompette venue de l'Aïr, le gabtanda, tambour au « son
220 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY
2. - L'architecture soudanaise.
Le Soudan occidental est un vieux pays. Il a une tradition urbaine
vieille de près de mille ans. Les villes de Djenné, de Tombouctou
qui existent encore sur leur emplacement ancien, celles de Oualata,
de Gao, pour ne citer que celles-là, sont plus vieilles que toutes les
villes d'Amérique et nombre de villes d'Europe. En réalité, on ne
peut situer la tradition urbaine du Soudan à l'arrivée des Arabes,
à partir du VIle siècle. Les civilisations du Bénin connurent un déve-
loppement urbain sans que cela fût le fait des Arabes et des Euro-
péens. L'influence de l'Egypte ancienne et un peu plus tard de
Méroé, les relations avec le Nord du continent qui connut les civi-
lisations carthaginoise et romaine, la constitution au Soudan
même des Etats monarchiques dont les plus connus, Gana et Kou-
kia, etc., furent des facteurs favorables à la constitution d'agglo-
mérations urbaines. L'origine de Ghana n'est pas encore connue et
il est possible qu'elle plonge dans un temps antérieur au IVesiècle.
La présence au Soudan d'éléments proches de l'architecture de
l'Egypte pharaonique permet de formuler l'hypothèse d'une implan-
tation urbaine très ancienne, bien antérieure à l'arrivée des Arabo-
Berbères.
L'urbanisme est donc incontestablement un fait très ancien au
Soudan. Les villes médiévales encore vivantes, les résultats des
fouilles archéologiques des villes ensevelies nous donnent une idée
de l'urbanisme soudanais ancien 30.Le plan de la ville n'était jamais
géométrique. La ville se développait en désordre selon les péripé-
ties de son histoire à partir d'un noyau bâti. Les paillotes entou-
rant le noyau se dilataient au fur et à mesure de la croissance de
la cité et étaient refoulées vers la périphérie. Aussi on distingue
toujours la ville proprement dite de la banlieue de paillotes. La
ville était généralement ouverte de tous côtés. Les rues étroites et
sans ordre serpentaient entre les carrés des maisons. Certaines
aboutissaient à des places publiques ou à des marchés. Les cana-
lisations n'existaient pas et la propreté des rues laissait à désirer.
29. Idem.
30. Voir Jacques Meunié, Cités anciennes de Mauritanie, Paris, 1961.
222 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y
33. Obenga, Th., L'Afrique dans l'Antiquité, Egypte pharaonique et Afrique noire,
Ed. Pres. Afrie., 1973.
224 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONG HA y
b) Ses caractères.
La forme pyramidale qui caractérise le style soudanais classique
est la résultante d'une combinaison harmonieuse des lignes verti-
cales et horizontales avec prédominance des premières. Elle est
mieux exprimée dans les façades des maisons.
La façade a généralement une forme de pyramide tronquée. Elle
est massive à la base, svelte et légère au sommet. Elle se présente
comme un pylône inachevé, sans décoration mais simple et robuste.
Elle émerge du mur dénudé comme un bas-relief gigantesque qui,
par une ingénieuse combinaison des piliers verticaux et des ban-
deaux traversaux, donne à l'édifice un air de virilité, de puissance
énigmatique. L'architecture soudanaise utilise abondamment le
pilier qui a généralement une forme pyramidale et quelques fois
même se présente comme une sorte de stèle faisant corps avec le
mur. Le pilier n'est pas forcément droit mais haut et anguleux. Il se
termine toujours effilé, en pointe, triangulaire ou conique. On peut
discerner trois sortes de piliers selon l'emplacement. Le pilier des
angles des maiSOl1Sest très haut et massif. Pour renforcer les murs,
une série de piliers est placée en contreforts et enserre l'édifice
comme dans un étau. Ils ont une forme triangulaire et sont tou-
jours extérieurs aux murs. La troisième catégorie est celle des
piliers de façades, plus minces que les autres. La façade présente
deux hauts piliers pyramidaux qui encadrent la porte et sont cou-
pés au niveau du plafond par un bandeau transversal. L'ensem-
ble forme, selon les façades un relief pyramidal ou rectan-
gulaire. Au-dessus du bandeau, sorte de frise transversale, des
piliers plus petits surplombent les murs de la terrasse et pointent
dans le ciel. Un deuxième bandeau transversal parallèle au pre.
mier enserre les piliers juste à la limite du mur du toit qui est
orné des créneaux triangulaires équidistants. Il y a ainsi une
alternance de piliers verticaux et de bandeaux transversaux à
deux ou trois niveaux selon les façades. Les bouts des charpentes
du plafond, perpendiculaires aux piliers, projettent leur ombre sur
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 225
34. Mauny R., Notes d'archéologie sur Tombouctou, B. IF AN, n° 3, 1952, p. 899-
918.
226 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SaNGHA y
I. PRINCIPALES SOURCES
A) Sources soudanaises
Boubou Hama.
- Histoire des Songhay. Prés. Afr., 369 p., 1968.
- Histoire traditionnelle d'un peuple: les Zarma-Songhay. Prés.
Afr., 1967, 278 p.
A. Es Sacdi. - Tarikh es-Soudan. Texte arabe édité et traduit par
o. Houdas, Paris, A. Maisonneuve, 1964, Coll. Unesco, XIX +
534 pages.
Mahmoud Kâti ben El Hadj El Motaouakel Kâti et l'un de ses
petits-fils. - Tarikh el-Fettach fi Akbâr El Bouldàn Oua L .. -
Djouyoûch Oua.. Ahabir Ennas. [Chronique du chercheur pour
servir à l'histoire des villes, des armées et des principaux person-
nages du Tekrour.] Texte arabe, traduction française par o.
Boudas. Paris, A. Maisonneuve, 1964, ColI. Unesco, XX + 362
pages, 1 carte.
Palmer. - Sudanese memoirs being mainly translations of a
member of arabic manuscripts relating to the central and wes..
tern Sudan, Lagos, Gov. Printed, 1928, 3 vol.
B) Sources arabes
Cherbonneau A. - Essai sur la littérature arabe au Soudan d'après
le Tekmilet ed dibadji d'Ahmed Baba le Tombouctitien. Recueil
de la Société d'Archéologie de Constantine, 1854, 1855, p. 1 à 42.
Edrissi. - Description de l'Afrique et de l'Espagne. Texte arabe,
trade notes et gloss. par R. Dozy M.J. de Goeje, Leyde E.J. Brill,
1866, XXIII, 391 p. 242 + texte arabe.
El Oufrâni. - Nozhet El Hâdi: Histoire de la dynastie saadienne
au Maroc. Trad. française O. Houdas, Paris, E. Leroux, 1889,
560 p.
El Ketani (Mohammed Ibrâhim). - Les manuscrits de l'Occident
africain dans les bibliothèques du Maroc. ln : Hesperis Tamouda,
vol. IX, fasc. 1, 1968, p. 57-63.
Hunwick (J.O.). - The influence of Arabic in West Africa, pre-
liminary historical survey, Transactions of the Historical society
of Ghana, vol. VII, 1964, p. 24-41. - Notes on the late fifteenth
230 TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHAY
C) Sources européennes
Barros (J03.0 de). - Asia, Edit. Hermani Cidade, vol. I, Lisboa,
Agencia general des colonias, 1945.
Ca da Mosto (Alvisse de). - Relation de voyages à la côte occi-
dentale d'Afrique 1455-1457, publiés par Ch. H. A. Schefer, Paris,
Leroux 1895. XIX, 206 p.
Caillé (René). - Journal d'un voyage à Tombouctou et à Jenné
dans l'Afrique centrale. Paris, Imprimerie Royale, 1830, 3 T.
De Castries (Le Comte H.). - Les sources inédites de l'Histoire
du Maroc. 1re série, dynastie saadienne. Paris, E. Leroux et
Geuthner. - La conquête du Soudan par El Mansour, 1951.
In : Hesperis, 1923, p. 433-88.
Duarte Pacheco Pereira (1506-1508). - Esmeraldo de situ orbis.
(Côte occident. d'Mrique, du Sud marocain au Gabon.) Trad. et
comm. R. Mauny, n° 19, Centro de esttldos da Guinea Portu-
guesa. (CEGP) Bissau, 1956, 226 p., 5 cartes.
Fernandes (Valentim) (1506-1510). - Description de la côte occi-
TOMBOUcrOU ET L'EMPIRE SONGHA y 231
D) Sources archéologiques
Mauny (R.). - Tableau géog. de l'Ouest Africain au Moyen Age.
Mem. [FAN, Dakar, 1961, 587 p. + cartes, plans. - Notes d'ar-
chéologie au sujet de Gao. B. [FAN, 1951, p. 837 à 852, 6 fig. -
Notes d'archéologie sur Tombouctou, B. [FAN, n° 3, 1952.
Sauvaget (J.). - Notes préliminaires sur les épitaphes royales de
Gao. B. IFAN, 1950, p. 418-440.
Viré (Mme M. M.). - Notes sur trois épitaphes royales de Gao.
B. [FAN, 34, 1958, p. 368-376, 3 figures.
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4. A10squée de Sankoré, photo prise par Dubois (f'élix), Tombouctou la Mystérieuse,
Paris, 1896. p. 317.
Cette photo est la plus ancienne que nous possédons de la Sankoré à l'époque de la
ruine de la grande cité sahélienne. La mosquée a l'aspect délabré surtout dans sa partie
Nord où elle était progressivement envahie par les dunes de sable. Le grand minaret
pyramidal, les piliers sobrement intégrés dans les murs et les créneaux surplombant
légèrement le toit, dénotent certaines caractéristiques du style soudanais,
5. - Croquis de la mosquée de Djenné (Jenne') par Dubois (Félix) ell 1896 ill : TO/1l-
bouctou la mystérieuse.
Ce croquis reconstitue la mosquée d'après les ruines visitées par Dubois en 1896. On
a depuis lors restauré la mosquée sur ce plan. Joyau de l'architecture soudanaise, la
mosquée de Djenné exprime le mieux les caractéristiques du style soudanais: les pilIers
pyramidaux, effilés au sommet, enserrant ou intégrés dans les murs et alternant au
niveau du toit avec des traverses horizontales; donnent une expression à la fois d'enra-
cinement dans le sol et de sveltesse.
6. - Maison type de TOl1zbouctoll restaurée, in : Dubois (Félix), Tombouctou la Inys-
térieuse, 1896, p. 415.
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Ce type de maison avec un étage est encore le plus répandu à Tombouctou. Les piliers,
de forme régulière et harmonieusement agencés donnent à la face une expression de
beauté sobre et d'une élégance presque classique. Les murs très épais ne laissent
entrouvrir que de petites fenêtres et conservent à la maison une plus grande fraîcheur.
Notons le banc de banco au pied de la façade pour les causeries du soir. La porte
grande a généralement un battant en bois finement ciselé et protégé par des clous de
fer. Elle conduit au vestibule, lieu de séjour de la famille et qui ouvre sur une cour
intérieure généralement réservée aux travaux de ménage, à la domesticité.
L'étage est l'appartement véritable des maîtres de la maison; c'est là que l'on trouve
les chambres à coucher, le salon du maître et la salle de toilette.
7. - Clzalneallx
chargés de barres
de sel,
photo S. M. Cissoko,
1969.
Des azalaÏ, caravanes de sel continuent encore à exécuter le mouvement saisonnier
entre les mines de sel saharien, principalement Taoudéni et les villes méridionales
surtout Tombouctou, l'emporium de sel pour tout le Soudan occidental. Chaque cha-
meau de la caravane porte 4 barres de sel pesant chacune 2S à 30 kg, deux barres de
chaque côté. L'azaIaÏ peut compter souvent des centaines sinon des milliers de cha-
meaux se suivant en file indienne.
y 241
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA
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10.
@) çentre.$ induslriels
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Carte économique du Soudan Occidental au Moyen Age, in : R. Mauny, Tableau
géographique de l'Ouest africain au Moyen Age, 1961, p. 226.
Cette carte montre le réseau économique entre le Soudan et le monde saharien et au-delà
de la Méditerranée. Taoudeni, non mentionné se trouve à quelque 150 km à l'Est de
Teghazza qu'elle remplaça à partir de 1505. Notons que les relations commerciales avec
le Maroc étaient prédominantes au XV~ siècle.
TOMBOUCTOU ET L'EMPIRE SONGHA y 243
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par R. Mauny,
IFA N, 23-5-1948).
On peut discerner trois grandes étapes dans l'évolution de la cité:
- le noyau ancien dans le Sud autour de la mosquée de Sidi Yaya (2).
- la grande extension pendant la domination mandingue et targui (XIve-XV siè-
cles) et
- l'apogée au xvr" siècle, époque où la ville s'étendait jusqu'au nord de l'AIba-
radiou actuel.
Les principaux monuments historiques sont:
Le Tombouctou-Koi-Batouma (1), la mosquée de Sidi Yaya (2), celle de Jingere-
ber (3), le Madougou (4) qui n'a pas laissé de traces et que l'on localise dans le
nord-ouest de la ville actuelle, la mosquée de Sankoré (5).
LE NIGER DEVANT TOMBOUCTOU
Echelle: 1 100000!
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Av.ANT-PROPOS ...... 9
PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
TROIXI~{E PARTIE
CINQUIÈME PARTIE