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LE MOI DES MOURANTS

Author(s): Victor Egger


Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 41 (JANVIER A JUIN 1896), pp. 26-
38
Published by: Presses Universitaires de France
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Accessed: 24-12-2015 08:22 UTC

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LE MOI DES MOURANTS

MoncherDirecteur,
Dansmonarticlesurles rêves(Revuephilosophique, juillet1895,
p. 55), j'ai parléincidemment des noyés,qui, dit-on,en présence
de la mortimminente, revoienten un instant leurvie toutentière;
ai
j'en parléd'après un seul fait,citépar Taine, qui l'emprunte à de
Quincey,lequelrépétait qu'once lui avait raconté ; ce témoignage
indirectm'a paruinsuffisant, et sur ce pointcommesur d'autres
j'ai émisdes doutescritiques, estimant que les faitsmerveilleux ne
doivent êtreadmisenpsychologie que s'ils sontabsolument prouvés;
qu'on établissed'abordleur authenticité; ceux-là seuls qui sont
indubitables méritent qu'ons'ingénieensuiteà en fairela théorie,
ou, commeon dit,à les expliquer.J'ajoutais : « Une étudecompa-
rativedes impressions des noyésoffrirait un intérêtréel; maissans
douteelle est encoreà faire.» Je voudraisaujourd'hui appelerl'at-
tentionde vos lecteurssur ce problèmepour en bien poser les
termeset pourprovoquer des observations.
Ettoutd'abord j'ai,grâceà vous,complété monérudition. Plusieurs
faitsde ce genresontsignalés dans vos Maladies de la mémoire
la
(1881, p. 141) et dans Pathologie des émotions de M. Féré
(1892, p. 171). Un seul vient d'un auteur :
français Macario,se
baignant dans la se
Seine,pensa noyer : ceDans cetinstant suprême,
dit-il, toutes les actions de ma vie se montrèrent commepar en-
chantement aux regardseffrayés de monesprit.» Les autressont
rapportés par des écrivains anglais,Winslowet Munk,ce dernier,
auteurpeut-être un peu fantaisiste d'une Euthanasia(1887).Un
ce
noyé aperçut toute sa vie antérieure se déroulant en succession
rétrograde avec des détails très précis; chaque événement était
accompagné d'un sentiment de bien ou de mal ». Un homme s'étendit
entreles deuxrailsd'un cheminde ferpouréviterd'êtrerenversé
paruntrainqui arrivait à toutevitesse; « pendantque le trainpas-
sait au-dessusde lui, le sentiment de son dangerlui remiten
mémoiretousles incidents desa vie,commesi le livredujugement
avaitété ouvertdevantses yeux. » D'autresfaitsse rapportent,

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paraît-il,à des pendusvolontaires, arrachéssans doutemalgréeux


àia mortmomentanément souhaitée.Vous avez soupçonnétrès
sagement que peut-être il y a quelqueexagération dansces récits,et
M. Féré,d'autrepart,assureque parfoisle phénomène est incom-
plet, la remémoration ne portant «que sur des épisodessans impor-
tance». M. Féré en rapprochecertainesremémorations qui se
produisent chez les épileptiques avantla criseet qui « constituent
uneforme d'auraintellectuelle ». Le rapprochement n'estlégitime,
à monavis,que si l'imminence de la criseproduit chezces malades
uneterreur vraiment mortelle, la criseprévueleurparaissant équi-
valenteà une mortpassagèreou définitive.
Voici maintenant un témoignagne tout récent.L'incomparable
vulgarisateur qui recueillepourle journalle Tempsla fleurintellec-
tuelle des périodiquesétrangers,M. F. de Wyzewa,analysait
dernièrement (4 septembre 1895)une conférence donnéeau Club
alpinde Zurichpar un savantsuisse, le professeur Heim,sur les
impressions des touristesqui ont faitdes chutesde montagne et
ontvu la mortde trèsprès.M. Heimlui-mêmea faitunechutede
ce genre,qui lui a fourniune observation tj;pe,autourde laquelle
il a groupédes faitsanaloguesrecueillisde la bouchede divers
voyageurs.
Il résultede cetteenquêteque les faitssuivantssontà peu près
constants dansces sortesd'accidents, depuisle moment oùl'onperd
piedjusqu'à celui où se produit le choc et l'arrêtphysique:
1. Un sentiment de béatitude;
2. L'anesthésiedu toucheret du sens de la douleur,la vue et
l'ouïegardant leuracuiténormale ;
3. Uneextrême rapidité de la penséeet de l'imagination ;
4. ceDansune foulede cas, l'âme revoittoutle coursde sa vie
passée. »
De ces quatrefaitsje ne retiensque les deuxderniers;ilsm'inté-
ressentparcequ'ilsm'embarrassent, étantcontraires aux vuescriti-
ques que j'ai exposées ici même dans l'article que je rappelaistoutà
l'heure.
ceCe que j'éprouvai, ditM. Heim,durantles quelques secondes
de ma chute,il mefaudrait maintenant une heurepourle raconter;
toutesles penséeset toutesles imagess'offraient à moiavecune
précisionet une clartéextraordinaires. » Suit une enumeration de
penséespratiques surles moyensd'atténuer les effets
de la chuteet
surses conséquencesprobables.« Ensuitej'aperçustous les faits
de ma vie passée se déroulantdevantmoi en d'innombrables
images.»

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Douterd'assertionsaussi nettesest périlleux.Deux remarques


pourtant :
Io Les penséespratiquesétaientsans douteexpriméestrès en
abrégédans la paroleintérieure de M. Heim; pourles fairecon-
naîtreclairement aux auditeursde sa conférence il lui auraitfallu
des expressionsanalytiqueset des explications fortlongues.Or
quiconqueveuts'expliqueret se raconterà autruiaprèsuneaction
un peu rapideet un peu émouvante se trouvedansle mêmecas.
2° « Tous les faitsde ma vie passée», c'estlà sansnuldouteune
expression hyperbolique pour: un choixde faitsde ma viepassée,
comprenant les plus caractéristiques, c'est-à-direles élémentsles
plusimportants de monmoiindividuel et temporel.
L'observation ainsirectifiée selonla vraisemblance, je suis tenté
de la rapprochernon pas des exaltationspathologiquesde la
mémoire que peuvent présenter les épileptiques ou d'autresmalades,
mais de phénomènes absolument normaux;je me demandesi le
faitestvraiment exceptionnel et si un adultecivilisépeutvoirla
mortsanséprouver d'unemanièreou d'uneautreun sentiment par-
ticulièrement vifde son moiindividuel. Je dis un adultecivilisé;
j'admetsdoncque les enfants, et aussi ces grandsenfants qui sont
les sauvages,peuvent courirles suprêmes sans
dangers éprouver rien
de pareil;ou bien,fauted'expérience, ils ne se doutentpas delà
gravitédu péril;ou bien,insouciants, ils pensentà la mortpossible
sans remplirl'idée de la mortdu sens qu'elle a pour un esprit
sérieux;or l'idée de la mortest un cadrevidesi on ne la remplit
parl'idéede la vie; la mort,c'estla findu moi,l'arrêtbrusquede
la sériedes étatsde conscienceconservésdansla mémoire;l'idée
que cettesérieva finir éveillel'idée de ce qu'elle fut,et, selonles
circonstances, cette idée est sentencieuse et abstraite, ou bienelle
consisteen unesuccessionrapidede tableauxà chacundesquels
correspond uneémotion, nuancetoutespécialeou dejoie ou de tris-
tesse.
Celuiqui meurtlentement et qui a eu le tempsde se préparer à
la morta eu le tempsde se définir pour lui-même, pourses héri-
tiers,pourla postérité ; il prononce alorsdesparolestestamentaires.
Qualis artifexpereo! dit Néron,réduisantson moi historiqueà
l'élément qu'ilen avaitcultivéavec complaisance.« J'aitropaimé
la guerre»,etc.,dit Louis XIV à l'enfantqui va lui succéder.Et
Dufaure,au bâtonnier des avocats: « Ditesà ces jeunesgens(les
avocatsstagiaires)que j'ai été un hommede secondordretoute
ma vie et en touteschoses,mêmeau barreau.» Peut-ond'ailleurs
faireson testament sans un vifsentiment intérieur du moi,senti-

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mentqui souventse trouveheureusement exprimédans récrit


destinéà prolongerau delà du tombeaul'efficacité du vouloirqui
va cesser?Et ceuxqui emploient leursdernières annéesà écriredes
Mémoires, racontant ce qu'ilsont faitet pensé,ce qu'ilsontvu et
entendu,que font-ils, sinonraconterleurmoi,et biensouventle
formuler, moinspoureux-mêmes que pourla postérité? Parfoisles
vieillardsdonton fêtel'anniversaire sontinvitésà prononcer des
paroles testamentaires et répondent avec complaisance au vœu de
la postérité qui les écoute;c'est ainsique Pasteur,troisans avant
sa mort,le 27 décembre 1892,parlantauxjeunesgensdu devoirde
l'effort constantpour le bien social,terminait par ces mots: « II
faut,quandon approchedu grandbut,êtreen droitde se dire: J'ai
faitce que j'ai pu » ; discrèteformule parlaquelleil résumait le trait
dominant de son caractère;sans doutePasteurfutune puissante
intelligence ; maissurtout il futunegrandevolonté, undeceshommes
tropraresqui donnenttouteleurmesure; il avaitdoncle droitde
se donnerlui-même commeexempleà la jeunessequi l'entendait.
De même, on trouve le moi de Socratedans YApologieplatoni-
cienne : Socrate ne se défend pas,il défieses juges; il ne craintpas
la mortet s'exposeàia rendreinévitable; ses parolessonttestamen-
taires; il se définit et se résume; une foiscondamné, si l'on enjuge
par le Criton et le Phédon, il se reprità vivre de la vie dialectique
qui avaitles préférences de sa pensée.Cicerón,lui aussi,prévitla
mortet la défia;toutson moi est contenudans ces phraseshau-
tainesdes Philippiques : « Mihisatisest quodvixi...Mihijametiam
optanda mors est perfuncto rebusiis quas adeptussum quasque
egi. » La littérature des anciens est pleinede formules analogues:
la mortprévueinspireun sentiment synthétique de la vie passée,
se
qui développerait aisément en formules ou en récits,si les cir-
constances y invitaient; et quand la vie écoulée fut heureuseou
bienremplie,on ne redouteplus la mortou naturelleou violente
qui va bientôtmettreun termeà une activitéconsciente donton
ressentmaintenant la satiété, et mêmeà des souvenirs dontlajouis-
sanceest presqueépuisée.
Je metsà partle témoignagne d'Épicuresurson dernierjour
danssa lettreà Idoménée,la dernièrequ'il ait écrite.C'està la fois
uneconfession et une sortede manifeste où il proclamel'efficacité
de sa doctrine. « Jevousécrisun jour heureux,pourtant le dernier
de ma vie.J'éprouvais de la vessie et du ventreles souffrances les
plusvivesqu'on puisseimaginer;mais unechosecompensait tout
cela, la joie de l'âme née du souvenirde toutce que nousavons
pensédansnosentretiens... Prendssoindes enfants de Métrodore. »
3 Vol. 41

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Epicure a donc employéses dernièresheures à prendreconscience


de son moi intellectuelau moyen d'un souvenir récapitulatif,à
demi spontané,puisqu'ilse sentaitmourir,à demi volontaire,puis-
qu'en attachantsa conscienceà cetterevue synthétiquede ses idées
il la détournaitde la douleur physique.
Les croyances populairesdes peuples anciens sur la vie future
semblentcontenirimpliciteune idée du moi qui diffèreun peu de
la précédente. Le mort, dans le tombeau qu'il s'est faitconstruire
à l'avance ou que ses héritierslui consacrent, doit être entouré
des objets qu'il aimaitpendantsa vie et qui servaientà lui rendre
l'existenceheureuse et facile; ses armes, ses parures, les instru-
ments de sa profession,des peinturesde ses occupations habi-
tuelles ornentet meublentla dernièredemeure de son corps, où
l'on croitque vient errerparfoisson âme inquiète et désœuvrée.
Pourquoitousces soins,sinonparce que la tombe,qui sauve le corps
d'une destructiontroprapide,doit aussi fournirà l'âme les moyens
de survivreà l'accidentde la mort?Entouréedes élémentsmatériels
de son individualitéterrestre,invitéeà les reconnaîtreet à les aimer
encore,l'âme revitpar la mémoire,et ne cesse pas d'êtreun moi
distinct;autrement, elle s'évanouiraitdans l'oubli,dans l'ennui,dans
l'inconscience; abstraction sans souvenirset sans joies, elle se dissi-
perait dans l'âme universelle. Cette conception du moi, produit
d'une réflexionnaïve, est comme traduiteaux yeux par le mobilier
funéraire;elle est donc concrète,au moins dans la formequi nous
la révèle,et peut ainsi servirde transitionentrele moi sentencieux
des mortssolennelleset le moi touten imagesdes mortsrapides.
Si la mortarrive imprévueet subite, on n'a pas le tempsde se
penser,de traduireson moi en conceptset en propositions;peut-
être aussi la pensée proprementdite est-ellecomme paralyséepar
la soudainetéde l'événement;on se voit donc simplementsous la
formeconcrèted'une série de souvenirsvisuels, dont chacun a un
sens profondet dont l'ensemblerésume la vie que Ton a vécue; il
ne fautpas croireque ces souvenirssoient« innombrables », comme
«UtM. Heim, ni qu'ils soient simultanés,commel'a dit de Quincey;
il suffît qu'il y en ait une pluralitéet que leur successionsoitrapide;
elle peut être rétrograde,commele dit un témoin,ou désordonnée;
peu importe;l'affluxdes souvenirs,quel qu'en soit l'ordre et le
nombre,signifiele moi qui va finir;et si le passé surgitainsi dans
la conscience,c'est qu'il est appelé par l'idée subitementconçue de
la mortimminente.
Craignonsde généraliserà l'excès. Dans bien des cas la mort
prochainene susciterani moi abstraitni moi imagé; mais ces cas,

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onpeutles préciser.D'abord,il arrivesouventque la conscience se


désagrège avec les fonctions vitaleset n'a plus qu'une activité ou
trèsrestreinte ou trèsanormale;alorsle mourant ne penseni à la
vie, ni à la mort. D'autre part,le mourant optimiste qui se croitguéri
et faitdes projetsd'avenir, n'ayantpas l'idéede la mort, n'a paslieu
de faireun retour sursonpassé,de concevoir ou d'imaginer ce qu'il
a été. De mêmele mystique,heureuxd'êtredélivrébientôtdes
chaînesdela vie corporelle, rêvede l'autrevie dontles portess'ou-
vrentdevantlui et dédaignele moi méprisable dontl'évanouisse-
mentprochainle ravit.Enfin,dans la consciencedu soldatqui
monteà l'assaut,il n'ya rienque sonactionmême,le butqu'ilveut
atteindre, les moyensqui l'y conduiront peut-être, l'effort qui tend
au butpar les moyens;celuiqui provoquela mortactivement est
toutà l'action.Maisle moivif,oserai-jedire,surgitnécessairement
dans la consciencede celui qui prévoitla mortavec regretsans
pouvoirl'éviter, l'attendantpassivement commeun effetinévitable
d'événements déjà accomplis, de circonstances déjà données.C'est
là le cas de l'hommequi se noie, de l'alpinisteà qui le pied a
manqué,du soldattombégravement blessésurle champdebataille,
et de biend'autres.
L'enfant en dangerde mort,ai-jedit,resteinsouciant. Voicideux
à
exemples l'appui. Un des cités
témoignages par M. Heim est celui
d'un enfantde huitans qui fitune chutede vingt-deux mètres;
celui-làne revitpas son passé, et il ne fautpas une heurepour
raconterses impressions; il n'eut qu'une seule idée : « Ma seule
préoccupation était de ne pointperdreun beau couteaude poche
dontmonpèrevenaitde mefairecadeau.» - Unde mescollègues
de l'enseignement supérieurm'a dictéautrefois une observation
semblable.Il avait huitans environ,et se tenaitau bord d'une
rivière,s'essayant à pêcherà la ligne;le miroitement de l'eau mou-
vantel'éblouit, l'endort, ses jambesfléchissent, il tombeà l'eau,et
le courantl'emporte. Réveillépar le froid,il ouvreles yeux,ne
comprend pas où il est, et se laisse aller;ses yeuxouvertsvoient
le litdelà rivière,etil se dit : « Les jolispetitscaillouxblancs!on
diraitdes pièces de dix sous. » Mais alorsdes herbesfrôlent son
visage;il prendpeur,veutcrier,boit,perdconnaissance. Un enfant
dequatreans,restésurle bord,avaitdéjàcrié: « Henrise baigne! »
0n accourait, onle repêchasanspeineavecunegaffe.
Qu'est-ceque le moid'unenfant de huitans?quelquechoseassu-
rément,mais peu de chose; c'est Vanimulablandulavagula du
poètelatin.Ce seraitmoinsencoresi l'enfantn'avaitpas appris
d'avancele motmoi,auquelil fautbienqu'il donneun peude sens.

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La mortestpourluile néant,l'inconscience, peut-être uneautrevie


mystérieuse, mais non pas l'arrêt brusque d'une destinée,le terme
d'unpassévécu,la cessationd'unehiérarchie de souvenirs bienliés
et groupéssous des conceptsqui les résument ; elle n'estpas non
plusla déceptiond'unefoulede désirset d'espérances parlesquels
le passé se continuedans un avenirrêvé. Le moi de l'enfant est
pauvreet dispersé.Plus onavanceen âge, plusle mois'enrichit, se
concentre et s'organise;plus aussiles idées d'avenirs'y mêlentau
sentiment du passé; et souventon s'attacheau passé surtoutparce
qu'il est gros d'un avenirmeilleur.Donc l'enfant,même s'il
comprend le dangeret conçoitla mortpossible,n'éprouvera pas
cetteréactionintellectuelle qui dansla consciencede l'adultefait
surgirbrusquement le passé à l'étatd'imageslorsquele tempsfait
défautpourle formuler en propositions.
à
Ce quimanque l'enfant, le vieillard, commeil est naturel,l'a en
excès. Qui n'a remarqué le moi des vieillards, toujoursprésentà
leurpensée, sans cesse exprimé dans leurs paroles?Ils onttropde
souvenirs, et des souvenirs trop souvent remémorés, tropbien
organiséspar une troplongue suite de réflexions ; leur moi estun
système d'idées autour desquellesgravitent des anecdotes choisies
qui commentent et confirment chaque élémentdu système;par
cettemassede souvenirs particuliers et générauxleur conscience
présente est comme opprimée ; ils tiennent si bienle passé que le
leur
présent échappe; ils ne peuvent plus apprendre, ils ne peuvent
plus observer; mais ilsse souviennent, ils racontent, ils disentleur
expérience; ils ne lisent plus, ils relisent; ils vivent leur passé,l'en-
tretenant toujoursactuel,le conservantcommedes avares,sans
l'enrichird'acquisitions nouvelles.Pourla jeunesseimpatiente, qui
vitsurtout l'actionprésenteet le succèsfutur, vivreainsi,c'est se
survivre. Maisl'agitation de la vie ne doit-ellepas s'apaiserpourse
connaître? Aprèss'êtredisperséeau coursdu temps,la conscience
se repliesurelle-même, se réfléchit, se résume,et du devenirdont
la tracesurvit elle faitde la pensée. L'être successif et conscient ne
se en
peut connaître, effet, que s'il réussit à se survivre;être,pour
lui,c'étaitdésireret vouloir,c'étaitagir,se mêlerau milieuphysi-
que et socialpours'en enrichir et s'en emparer, pourse plierà son
influence ou pourle soumettre à sa volonté,sans cesserecevoiret
sans cesse créerdes objetsnouveaux, jusqu'à s'étonner soi-même
de cet incessantrenouvellement; maintenant, à vraidire,il n'est
plus,il fut;maisil sait qu'il fut,et c'est ainsiqu'il est encore;se
connaître est une formede l'êtreet de la vie, la dernièreen date
selonles lois de la nature,et nonla moindre en dignitépeut-être,

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pourvuqu'elle vienneà sonheure.Autantle moi du jeunehomme


estinsupportable, moifactice etprématuré, autantle moidu vieillard
est respectable et légitime.Souventce mois'exprime pardesparoles
etdes écritsqu'on qualifiede testamentaires ; l'idéede la mortest,
en effet, son corrélatif naturel ; moi et aprèsmoi s'opposentsans
cesse dansla penséedu vieillard, et sans cesse il passede l'une à
l'autrede ces idées,la première conçueéveillant bientôt la seconde.
Auxadversaires de la psychologie intérieurequidemandaient avec
raisonsi unhommeen colèrepeutcontempler sa colère,StuartMill
a réponduque l'observation psychologique se faitpar souveniret
nonparconsciencedirecte.Le moi individuel, synthèseen chaque
consciencedes étatssuccessifsde cetteconscience, ne se faitpas
autrement que l'observation psychologique destinéeà construire la
sciencede ce qui est communà toutesles âmes.On ne connaîtun
faitde conscienceque par souvenir;on ne connaîtune âme, son
âme à soi,que par souvenir;plus doncon a vécu dansle passé et
moinson vitdansle présent, mieuxon pourrase connaître. Achille
ne pourradécrirela colèred'Achilleque s'il s'apaiseet réfléchit,
etjamaisil ne pourravraiment connaître Achille,puisqueles Dieux
ontdécidéqu'il mourrait en pleineactionet n'atteindrait pas l'âge
de Nestor;pourtant il pourras'apparaître, en quelquesorte,à lui-
même,si quelquerépitlui est laissé entrela blessuremortelle et
la mort.
Aristotene s'estoccupéni des mourants, ni mêmedu moi,caron
ne s'est avisé qu'aprèslui de trouverun sens philosophique au
petitmotje; découvrir dans ses écritsune confirmation des vues
qui précèdent peutdoncsemblerparadoxal.J'osepourtant penser
qu'il a traitésans s'en douterle problèmedu moi dans les deux
chapitrescélèbresoù il opposeles caractères du jeunehommeet du
vieillard(Rhétorique, II, 12 et 13), et, pour le montrer, je vaisen
traduirequelques passages, changeantun peu l'ordre de ses
phrasespourbienmettre en lumièresonidée maîtresse:
« Les jeunes gens viventsurtoutd'espérance ; carl'espérancea
pourobjetl'avenir,commela mémoirele passé; orauxjeunesgens
l'avenirestvaste,le passé court,et aux premiers âges de la vie on
ne trouverienà se rappeler, toutà espérer...Ils sontpromptsà
l'espérance,n'ayantpas encore été déçus... Ils sont crédules,
n'ayantpas encoreété trompés... Ils sontprésomptueux, courageux
jusqu'à l'imprudence... Ils croienttoutsavoir,et ils affirment... Ils
sontgénéreux..., amisdévouéset bonscamarades...,etc.
« Les vieillardsviventpar la mémoireplusque par l'espérance,
car la vie qui leurresteestcourte,la vie écouléelongue...Et c'est

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34 REVUE PHILOSOPHIQUE

là la raisonde leurbavardage : se plaisantà se souvenir,ils racon-


tentce qui leurest arrivéau coursdes années passées.. . Vu leurexpé-
rience,ils sontrebellesà l'espérance,soupçonneux,incrédules,pusil-
lanimes...Ayantété déçus et s'étant trompés,ils déprécienttoutes
choses et ils n'affirment rien; ils ne savent pas, ils croient;ils atté-
nuentpar des peut-être toutce qu'ils disent... Ils sont intéressés...,
attachésà la vie..., égoïstes..., etc. »
On voitqu'Aristote,toujoursdéductif, mêmedansles questionsde
fait,veut dériver, autantque possible, d'un principe unique les
différents traitsdu caractèrejuvénile et du caractère senile; pour
lui la prévisionoptimisteou l'espéranceest l'étatd'âme fondamental
du jeune homme,le souvenirpessimisteest l'étatd'âme fondamental
du vieillard;le jeune hommeest confiant,le vieillarddésabusé; ce
double principe explique à peu près tout le reste; d'où une sorte
de partipris qui nuit peut-êtreà la parfaiteexactitudedes deux
tableaux; on diraitqu'Aristoten'a connu ni le vieillardoptimisteet
généreux, Yonclede nos comédies, ni le vieillardsentencieux,le
Royer-Collard hautain et dogmatique,le bonze de nos assemblées
politiques, deux types qui devaient pourtantavoir leurs représen-
tants dans les sociétés helléniques. Ces réserves faites, une vue
généralese dégage des deux descriptions: on entredans la vie avec
une croyanceinstinctiveà la bontédes choseset des hommes,c'est-
à-direà une sorte d'harmonienaturelleentre le sujet intérieuret
l'objet, et, sous l'impulsionde cette croyance,le jeune homme se
projetteau dehors; il croitau succès de tous ses désirs,à la vérité
de tout ce qu'il imagine; l'expérience de la vie nous apprend que
cettecroyanceest fausse,et peu à peu nous nous replionssur nous-
mêmes; le vieillardse prendlui-mêmepour objet; il ne trouve de
bien relatifqu'en lui, de sécurité que dans ses souvenirs; tandis
que le jeune hommedit : « les choses sont ainsi », le vieillardcon-
sulte son expérience, et dit : « je crois »; même sa pensée des
choses est devenuesubjective;le probabilismeest né en lui du sou-
venirde l'erreur.Ainsi le jeune homme se disperse, se donne et
s'ignore,tandisque le vieillard se considère comme une richesse
qu'il faut connaître,entreteniret jalousementgarder. Aristotea
donc pensé commenous et dità sa manièreque le moi se développe
avec l'âge et que le vieillardse distinguedu jeune hommepar un
sentimentplus vif,plus intenseet plus continude sa personnalité
subjective.
Les peuples comme les individus ont leur adolescence, leur
maturité,leur vieillesse. Aristote,dans les lignes que j'ai citées,
sembleavoir définila philosophiede ses prédécesseurset prévu

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V. EGGER. - LE MOI DES MOURANTS 35

celle de ses successeurs. Avantlui, c'est Tage du dogmatismecon-


fiant;la penséegrecque se projettehardimentsur les choses et croit
s'unirà elles presque sans effort ; la sophistiquemême enseigne
que Tinstant individuel est maître de la vérité. Après Aristote,les
sages, désabusés de l'objet et de l'action, s'occuperont surtout
d'eux-mêmes;leur méditationprendra le sujet pour principal ou
pour unique objet; ayant replié le désir sur le milieu intérieur
où il prendnaissance, ils se ferontdes moi fermés,que les choses
ne pourrontplus troubler. Certains d'entre eux ne veulentplus
savoir; probabilistesou sceptiques, ils ont subjectivejusqu'à leur
pensée. Sans douteces penseurs moralistesveulent moins se con-
naîtreque se faire,mais pour se faireil fautau moinsse connaître
un peu ; sculpteursd'eux-mêmes,ils ne peuventignorerle marbre
brutque transforme leur sage volonté.
Le De Senectutede Cicerónest l'œuvre d'un moraliste,non d'un
philosophe;la psychologiedu grandRomainest aussi banale que sa
métaphysique,et il est assez inutile de relever dans cette œuvre
célèbre les formulesexactes que l'on y rencontreçà et là. Une
seule méritede retenirun instantnotre attention: « De quel prix
n'est-ce pas, après avoir accompli son temps de service, soldat
libéré de la volupté, de l'ambition,de la dispute,des rivalités,de
toutes les passions, d'être enfinà soi-mêmeet de vivre avec soi-
même » (secum esse secumque vivere;chap. xiv). Certainement,
Cicerónn'avait pas lu ou n'avait pas relu le chapitred'Aristote; il
est donc curieux de le voir retrouverpar lui-mêmeet traduireen
Romaindésanchantél'idée maîtresse du Stagirite.La rencontrea
d'autant plus de prix que la phrase de Cicerón semble être une
réminiscenced'un passage de la premièreTusculane (chap, xxxi),
écriteenvironun an auparavant; la phrase des Tusculanesétaitune
traduction libredu Phédon; maisces deux transcriptions successives
ontdénaturéla pensée de Platon; celui-ci disait que le philosophe
prépareson âme à la vie futureen la séparantdu corps à l'avance ;
par la forcede son bon sens, Ciceróntransforme une chimèreméta-
physique en une vérité de fait : il pose la vie intérieureet le moi
comme succédant naturellement avec l'âge à la vie dispersée de
Thommed'action.
J'auraistortpeut-êtred'insisterdavantage; car les faitsdontje
parle sontconnus de toutle monde.Pourtantil me reste à signaler
encoreune formespéciale du moi qui s'attendà disparaître; c'est la
forme strictementmorale. Au commencementde la République,
Platon faitparler sur la vieillesse un vieillardnomméCéphale, et
met dans sa bouche l'antithèse qui, depuis, sous l'influencedu

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36 REVUE PHILOSOPHIQUE

christianisme, est devenue banale : « Certainsvieillards,pensantà


ce qu'on racontedes enfers,se sont demandécompte de leur con-
duite passée, l'ont trouvée pleine d'injustices, et ils tremblent
d'effroicommedes enfants, jusqu'à en perdrele sommeil; tandisque
celui qui, ayantmenéune vie juste et sainte,n'a rienà se reprocher,
termineses jours dans une douce espérance; etc. » On trouvedans
Ciceróndes formulesplus simples et plus abstraites: « Conscientia
bene actsevitserecordatiojucundissimaest» (De Senectute,chap,h);
a quum advenitextremum,tumillud quod prseteriit tantum
effluxit,
remanetquod virtuteet rectefactisconsecutussis » (id., chap. xix).
Cettedernièrephrase surtoutnous montrel'idée de mérite entière-
mentdégagée, et commesubstituéeà l'idée plus comprehensivedu
moi vertueux,d'où elle a été extraitepar abstraction: quand le
terme de la vie arrive, il ne reste rien du passé, sinon le mérite
acquis au cours de ce passé par les actes moraux.Dans le cas d'une
vie d'injustice,il ne resterait,de même, que le démérite.On voit
que les ccnceptionsmorales tendentà simplifierl'idée du moi jus-
qu'à la vider de presque tout son contenu qualitatif;ainsi consi-
dérée, l'âme n'est plus qu'un certain degré ou du bien ou du mal;
sauf cette différence, elle est, ou dans le bien ou dans le mal, une
valeur, une quantité,un nombre. Rien de plus commun chez les
modernes que cette conception.L'âme religieuse, mais non pas
mystique,l'âme moralementreligieuse,exercée à se juger par la
pratique de l'examen de conscience,considère la vie comme une
préparationà la mort,et la mort,pourelle, c'est le momentoù elle
paraîtradevantun Dieu de justice, dont la sentenceinfailliblefera
de l'autrevie la récompenseou le châtimentde la vie terrestre;dès
lors, peu importece que futmatériellement celle-ci; peu importent
les nuancesqualitativesde notremoi; peu importemêmela matière
dontfurenttisséesnos bonnesactionsou nos mauvaises; ce qui seul
vaut,c'est, à l'heuredu départ,la forced'ascensionde l'âme vers le
ciel, et la seule chose à redouter,c'est la pesanteurqui la feraitdes-
cendre dans les régions mystérieusesdu châtiment.Mais il en est
de cette abstractioncomme de toutes les abstractions; l'esprit y
tend,il ne peut l'atteindre;qui donc pourra concevoirson mérite
nu, sans aucun souvenirdes actes qui l'ont fait? et quel coupable
pourrapensersa honteou son déméritesans aucun souvenirde ses
fautes?Le spiritualismereligieuxmême le plus ardentne peut se
maintenirdans l'abstractionmorale. Le P. Lacordaire écrivaiten
1854 à un de ses disciples : « J'aimecommevous les montagnes,la
meret les forêts;mais, à mesurequ'on vieillit,... on sent la beauté
de ce mot de Vauvenargues: « Tôt ou tard on ne jouit que des

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V. EGGER. - LE MOI DES MOURANTS 37

âmes.» Eût-iljoui du commerce des âmessaintess'il avaitpu con-


traindre à ne voirentreelles que des différences de degré?Bien
plus; on a peine à concevoir Dieu simplement juste,et indifférent à
la qualitéd'âmede ses saints.Un professeur de la Facultéde théo-
logie disaiten pleineSorbonne, pourexcuserla vie d'épreuvesdu
P. Gratry : « 11y a de grandesâmesauxquellesDieurefuseles con-
solationsde la terreparcequ'il estjaloux d'êtreseul leurrécom-
pense». Si Dieu jouitdes âmes au pointd'envierles meilleuresà
l'affection et mêmeà la justicedeshommes, nousvoilàloinducomp-
tableimpassible qui tientà jourle grandlivredu mériteet dudémé-
rite,dédaignant les actionshumaines etconsidérant la vie terrestre
commela matièred'un examendontla notefinaleimporteseule.
A parlerexactement, le mériteestl'élémentmoralde l'idéedu moi,
et il ne peutêtreséparédes autresélémentsdu moi que par une
convention logiqueou bienparun effort mentaldontle succèsne
sauraitêtreni completni durable.Dans les cas de dangersubit,
cetteconception moralesera moinsque jamaisdégagéedes souve-
nirsde la vie passée; maison ne sauraitprétendre qu'ellesoittou-
joursettotalement absente: ne nousdit-onpas que l'homme étendu
entreles deuxrailsd'un cheminde ferd'Angleterre comparait au
jugement dernier l'étatde sa conscience pendant que le train mena-
çantpassaitsurlui?
Je conclus.Le moi devientavec l'âge une idée de plus en plus
vive et de plus en plusriche;chez l'enfant, elle estvague,incon-
sistante,presquevide; chez le jeune hommevraiment jeune, elle
n'estqu'un possible,et l'attraction constantedes objetsprésents et
futurs la retient de passerà l'acte;chezle vieillard, elle estprécise,
richede contenu,toujoursprésente;pour qu'elle s'éclaireet se
condenseencoredavantage,il fautque la mortse rapprocheet
s'annonce;mais le moi des vieillardsest déjà commel'ébauche
diffuse du moi des mourants. Si les exceptionssignaléesn'étaient
pas si nombreuses, on pourrait direque le moise faitpendant toute
la vie et s'achèveen facede la mort.Celle-ci,prochaine ou immi-
nente,ne provoquece que j'appellele moi vifni chez l'enfant ni
chez l'adulterenduimbécilepar la maladie,ni chez l'adultesain
d'esprit, maispleind'illusions surson état,ou mystique au pointde
ne songerqu'au ciel dontil est sûr,ou activement héroïqueet en
pleineaction;au contraire, chez l'adultequi, passifet résigné,se
voitmourir, l'idéede la mortprochaine provoqueun moivifintel-
lectualisépar la réflexion et qui s'exprime en phrasesbienfaites;
l'idéede la mortimminente et soudaineprovoqueun moi vifqui
consisteen imagessignificatives etrapides.Quantà l'idéedu mérite

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38 REVUE PHILOSOPHIQUE
ou du démérite final,elle colorede joie ou de tristesse, d'espérance
ou de crainte,le moi des mourants, surtoutquandil est conçuà
loisiret prendla forme intellectuelle;ellene sauraitenêtredégagée
sans un artifice d'abstraction.
Telleest,du moinsprovisoirement, l'interprétation qui me parai*
la plus vraisemblable de ces faitsjusqu'à présentsi peu étudiés.
Maisne pensez-vous pas, moncherDirecteur, que la questionméri-
teraitles honneurs d'uneenquêteméthodique etcritique?Ceuxqui
ontvu la mortde près,soitdansleurlit,soità la guerre,soitdans
l'eau, soit en montagne,soitdans un accidentde cheminde fer,
sontnombreux. Il vaudraitla peine de recueillir et de comparer
leurstémoignages. Voici,parexemple,un cas extraordinaire auquel
vos amis d'Angleterre, si expertsaux enquêtespsychologiques,
devraients'intéresser;je l'extraisd'un récentarticlede journal
surla justiceanglaise.
« JamesLee fut,il ya dix ans. déclarécoupablepar le jurycri-
minelde Londresd'avoirétrangléune vieillefemme pourlui voler
ses économies.De terriblescoïncidences l'accablaient ; le verdict
n'étonnapersonne.Le juge ayantprononcéla peine de mort,
ce futà qui hausseraitles épaulesquandLee protestaune der-
nière foisde son innocence.Mais au jour marquépourl'exécu-
tionles chosesse refusèrent à consacrer le verdict des hommes ; la
trappeplacée sous la ne
potence joua pas, ne lança le
pas pendu
dansl'abîme; les gonds,rouillespar quelquesjournéesde brouil-
lard,semblaient soudés à leur cadre. Il fallutramenerle malheu-
reuxdanssa celluleet demanderde nouveauxordres.Le ministre
de l'intérieur, M. Matthews, s'empressade soumettre à la reineune
ordonnancede grâce. Lee, sauvé de la corde, pouvaitmourir
au bagne.Depuis un an il y peinait,protestant toujoursde son
innocence, quandle vrai coupablese dénonça.C'étaitune femme,
la dernière domestiquede la victime;à son lit de mortelle manda
un magistrat et lui racontasoncrime;ses déclarations furent minu-
tieusement vérifiées;l'innocence de Lee éclatait.On alla chercher
ce malheureux danssonbagnepourle ramener à Londres,où il vit
encore.Le gouvernement lui faitunepension 2500 francspour
de
remplacer la réhabilitation légale,que les loisanglaisesne connais-
sentpas. »
Si j'étaisun psychologue anglais,il mesemblequeje chercherais
James Lee pour le soumettre à une interview très sympathique,
maistrèsserrée,surce qui s'estpassédanssa consciencependant
que le bourreaus'efforçait en vain de fairejouer la trapperécal-
citrante. Victor Egger.

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