3,60 € mardi 20 février 2024 LE FIGARO - N° 24 725 - www.lefigaro.

fr - France métropolitaine uniquement Première édition

russie reportage
Ioulia, la veuve de navalny, En Lorraine, l’exploration
reprend le flambeau de d’un immense réservoir
l’opposition à poutine Page 8 d’hydrogène naturel Page 10

majoRité
Le camp Macron
se replonge dans
Classes moyennes : ces Français
oubliés des politiques publiques
le « Rubik’s Cube »
de son rapport
au RN PAGEs 4 et 5
européennes Alors que le système de redistribution est de plus en plus favorable aux ménages les plus pauvres,
• En Seine-et-Marne, ceux qui gagnent « trop pour être aidés » souffrent d’un sentiment de déclassement croissant.
Imart et Bellamy
inaugurent leur Lors de sa conférence de pres- tidien de « ceux qui gagnent des situations et des niveaux en plus tourné vers les ména- néficient des minima sociaux »,
tandem européen se du 16 janvier dernier, le déjà trop pour être aidés et pas de vie très distincts, souffrent ges modestes et pauvres. Ils souligne Jérôme Fourquet, le
• Bardella président de la République, assez pour bien vivre ». Ces particulièrement des biais du ont « parfois le sentiment directeur du département
Emmanuel Macron, annon- Français de la classe moyen- très généreux système de re- opinion et stratégies d’entre-
en campagne çait vouloir améliorer le quo- ne, un concept qui recouvre distribution français, de plus
d’avoir à peine mieux que ceux
qui ne travaillent pas et qui bé- prise de l’Ifop.
avec l’ex-patron
de Frontex è La hausse de l’immobilier et la dégradation des services publics fragilisent ces familles è Jérôme Fourquet : « La classe moyenne est
PAGE 5 dans un angle mort des politiques publiques » pages 2, 3 et l’éditorial

Université
Prières et port Déficit : le
du voile intégral :
ces incidents casse-tête du
qui se multiplient gouvernement
pour trouver
PAGE 9

économie
Comment 22 milliards
le redressement En plus des 10 milliards
judiciaire d’euros d’économies à réali-
ser très vite pour tenir comp-
peut sauver les te de la dégradation de la
entreprises PAGE 21 conjoncture, Bercy s’est en-
gagé à trouver 12 autres mil-
automobile liards pour construire le bud-
get de l’an prochain. Dans
Le retour inattendu
JOHN MOORE/Getty Images via AFP

l’immédiat, plusieurs pistes

de Lancia PAGE 27 ont été dévoilées, comme le
rabotage du dispositif MaPri-
CHAMPS meRénov’ ou l’instauration
LIBRES d’un reste à charge pour la

Submergé par les gangs,

formation. Mais le gouverne-
●En Géorgie, ment, qui ne souhaite tou-

l’Équateur s’enfonce dans la violence

cher ni à la Sécurité sociale ni
le fantôme aux collectivités et jure vou-
de Staline sert loir éviter toute hausse d’im-
la propagande Frappé par l’un des taux d’homicides les plus élevés du monde, le petit pays d’Amérique du Sud est la proie de bandes
pôts, promet cette fois de
tailler dans les dépenses de
de Poutine criminelles livrant un « conflit armé interne ». Face aux cartels forts, l’État faible a du mal à reprendre la main. PAGES 6 et 7 l’État. PAGES 18 et 19
●La tribune
d’Henri Guaino
●La chronique éditorial par Laurence de Charette
de Renaud Girard
●L’analyse de
Jean-Pierre Robin
Majorité ignorée

PAGES 13 à 15
FIGARO OUI
FIGARO NON
Réponses à la question
de lundi :
Après la chute d’Avdiivka,
l’Europe doit-elle
accentuer son soutien
à l’Ukraine ?
OUI
53 %
VOTANTS : 184 999
Votez aujourd’hui
sur lefigaro.fr
Sauvetage budgétaire :
3’:HIKKLA=]UX[U[:?a@m@m@a@a";
C
e sont ces « trop » qui les exaspè-
rent, ces prétendus « trop », dans
une réalité pourtant sans cesse ré-
trécie par les « moins ». Si les éco-
nomistes peinent à déterminer le
bon indicateur pour définir les « classes
moyennes », le réel, lui, s’en charge très
bien : appartiennent aux « classes moyen-
nes » ceux qui savent pertinemment qu’ils
ne bénéficieront d’aucun dispositif, d’aucu-
ne aide – ou si peu-, parce qu’ils se situent
systématiquement au-dessus, juste au-des-
sus, des seuils de solidarité, alors, précisé-
NON ment, qu’ils contribuent toujours plus au fi-
47 % nancement de la générosité publique –
« Trop riches pour être pauvres, et trop pau-
vres pour être riches », résumait bien Nicolas
Sarkozy… Or la grande foule des ni riches-ni
pauvres, jamais « blindés », trop vite « fau-
chés », cette foule qui subit de plein fouet les
ment n’en est pas une, que pèse le délite-
ment des services publics, l’effondrement
des hôpitaux et la déréliction de l’école… Or RM 30-01
cette « France de l’angle mort », selon l’ex-
pression d’Emmanuel Macron, celle qui paie
tout au prix fort, c’est la France du travail –
celle de la première, deuxième, voire troisième
ligne - sans laquelle
La France l’économie ne tour-
du travail nerait pas. Elle a bien
du mérite : il en faut
pour préférer encore le rituel auto-boulot-
dodo à la valse des subventions, quand s’efface
le différentiel entre la flemme et l’action,
quand s’étiole l’espoir d’un avenir meilleur.
La désespérance des classes moyennes, cette
majorité ignorée, victime d’une forme de cas-
sure morale, et gardienne malgré elle d’un
trésor ostracisé, est loin d’être anodine. Car ce
sont elles qui constituent, encore, le ciment

pensez-vous que crises en cascade, les lubies administratives léger d’une société victimaire déchirée par le
* La performance mécanique poussée à l’extrême

le gouvernement tiendra et l’inflation galopante, va sans cesse crois- communautarisme, et qui tiennent le fil, si
sa promesse de ne pas sant, en nourrissant, de pertes matérielles en fragile, qui relie la France d’en bas à celle d’en
M 00108 - 220 - F: 3,60 E

augmenter les impôts ? démissions culturelles, un sentiment tou-
jours plus grand d’abandon et d’injustice :
plus des deux tiers des Français se recon-
naissent désormais dans la « classe moyen-
Romain Hemelsdaël ; ne ». C’est sur cette « classe », qui précisé-
THOMAS KIENZLE/AFP
haut, le peuple à ses élites –, mais pour com-
bien de temps ? On ne saurait trop conseiller à
cet État Cigale, aujourd’hui bien contraint aux
économies, de ne pas leur faire jouer, à sa pla-
ce, le rôle de la Fourmi… ■
A

AND : 4,30 € - BEL : 3,70 € - CH : 4,60 CHF - CZ : 122 CZK - D : 4,20 € - ESP : 4,30 € - GR : 3,70 € - LUX : 3,70 € - MAR : 37 DH - MTQ/GLP : 4,30 € - REU : 4,70 € - TUN : 11,00 TND ISSN 0182.5852
 2 mardi 20 février 2024 le figaro
Trop aisés
pour être aidés,
ces Français
qui luttent
au quotidien
pour « bien vivre »
Angélique Negroni
« Cœur battant du pays » pour Gabriel Attal,
les classes moyennes souffrent de l’inflation
sans profiter de subventions. Certains se privent
de tout extra, d’autres ont du mal à s’en sortir.
C’
est une formule choc,
mais aussi un concept
attrape-tout. Lorsque,
au cours de sa confé-
rence de presse du
16 janvier dernier,
Emmanuel Macron a annoncé vouloir
améliorer le quotidien de « ceux qui
gagnent déjà trop pour être aidés et pas
assez pour bien vivre », une large frange
de la population française a pu se recon-
naître dans cette définition. Alors que
l’inflation s’est envolée depuis le début
de la guerre en Ukraine, avec une hausse
continue du prix des matières premières
et des produits de première nécessité, ils
sont de plus en plus nombreux à avoir du
mal à boucler les fins de mois malgré des
emplois stables. Ces Français de classe
moyenne - un concept économique qui
recouvre des situations très distinctes
(lire ci-dessous) - échappent aux diffé-
rentes prestations sociales auxquelles
ont droit les populations plus précaires.
Une « France de l’angle mort », selon
l’expression du chef de l’État, « qui porte
le pays » en se serrant la ceinture.
Les récentes augmentations du smic,
qui a été réévalué huit fois en trois ans
pour atteindre les 1 766 euros brut an-
nuels début 2024, ont accru le sentiment
de déclassement de ceux qui gagnent un
peu plus. « Tant mieux si on aide ceux qui
en ont besoin. Mais on aide que les très
pauvres et ce n’est pas juste pour tout le
monde. Ceux qui sont dans la tranche au-
dessus et qui travaillent ne sont jamais
« Une personne sur trois
renonce aujourd’hui
à acheter certains
produits alimentaires
car ils sont trop onéreux »
Guylaine Brohan présidente
de l’association Familles rurales
épaulés. Or les salaires stagnent, les prix
flambent et on doit travailler comme ja-
mais pour y arriver », témoigne Cécile,
33 ans, une employée de banque qui ga-
gne 1 900 euros net par mois. Avec son
compagnon Sébastien, 37 ans, et leurs
deux jeunes enfants, ils vivent dans un
pavillon au cœur d’un lotissement bor-
dant un joli village de l’Essonne. « Pour
augmenter son salaire, Sébastien, qui
s’occupe de l’entretien des routes, enchaî-
ne les heures supplémentaires et les jour-
nées d’astreinte », raconte la jeune fem-
me. Un effort qui se fait forcément au
détriment de sa vie de famille. Mais avec
ces journées à rallonge, le jeune couple
parvient, dans les meilleurs mois, à
gagner 5 000 euros à deux. Un montant
correct « mais pas de quoi faire de folies »,
assure Cécile. La famille a fait une croix
sur les restaurants et les sorties et reste
désormais en France pour les vacances.
Pour la garde des enfants, la solidarité
familiale joue à plein. Les parents,
grands-parents et arrière-grands-pa-
rents sont mis à contribution. Dans ce
quotidien où tout est fait maison - de la
pose du carrelage jusqu’à la coupe de
cheveux des enfants - le seul luxe reste
les deux voitures : une nécessité pour
vivre à la campagne.
Installé dans les Yvelines avec Manuel,
son époux, Clara, une femme de ménage
de 43 ans, ne peut pas compter sur un
quelconque soutien de la famille pour
s’occuper des deux enfants. « Ils sont
A
tous à l’étranger ! Comme on l’a fait pour
notre aînée, qui a 17 ans aujourd’hui, on
L’ÉVÉNEMENT
paie la garderie du matin au soir, mais
aussi la cantine, pour notre petite dernière
de 5 ans. Et tout cela au prix fort », se
désole Clara. Avec 4 200 euros de reve-
nus mensuels, ce couple ne bénéficie
d’aucune aide, ou presque. « On a eu
168 euros par mois pour chacune de nos
filles jusqu’à leur troisième année », souli-
gne la mère de famille.
Pour faire le tour des domiciles de ses
clients, Clara parcourt 500 km par se-
maine en voiture. En 2023, elle a bien cru
pouvoir bénéficier du chèque carburant
de 100 euros distribué par le gouverne-
ment aux 10 millions de travailleurs les
plus modestes qui utilisent leur voiture
pour travailler. « Eh bien non, je n’étais
pas éligible ! Tout comme le leasing de
voitures électrique à 100 euros par mois
proposé par le gouvernement. Je gagne
trop ! », s’agace-t-elle. Ces derniers
temps, elle a constaté une chute vertigi-
neuse de son pouvoir d’achat. « Il y a une
douzaine d’années, je faisais parfois un
petit restaurant avec mon aînée, que l’on
amenait aussi à Disneyland. Aujourd’hui,
la plus jeune ne connaît rien de tout ça. Elle
ne connaît que les grandes surfaces que
j’écume le samedi pour trouver les prix les
plus bas », rapporte Clara, qui a quasi-
ment supprimé la viande rouge de son
alimentation. « C’est trop cher. On se ra-
bat sur la volaille », dit-elle. « Une per-
sonne sur trois renonce aujourd’hui à
acheter certains produits alimentaires car
ils sont trop onéreux », rappelle Guylaine
Brohan, la présidente de l’association
Familles rurales.
Même sans enfants, certains jeunes
couples ont du mal à joindre les deux
bouts. « On est à l’âge de se lancer dans la
vie, et on doit faire attention à tout », rap-
porte ainsi Mathilde, une trentenaire ins-
tallée avec son conjoint dans un 44 mè-
tres carrés à Paris. « En gagnant à deux
4 500 euros, on n’est pas pauvres, mais on
vit presque comme si on l’était », dit-elle,
effarée. « Je travaille dans un établisse-
ment où je côtoie le luxe tous les jours, et
quand je rentre chez moi, je compte tout et
je ne dépense que ce qui est essentiel. » La
jeune femme a arrêté de s’acheter des
vêtements neufs et ne s’autorise plus de
sorties au cinéma ou au restaurant. « On
s’invite chez soi entre amis et on cuisine.
Pour l’alimentation, j’achète hors de Paris
où c’est moins cher », décrit-elle. Pour
payer une partie de son loyer de
1 284 euros, Mathilde a tenté, elle aussi,
d’obtenir une aide au logement. « J’ai fait
une simulation et, sans surprise, j’ai fait
chou blanc », dit-elle, avant de se lancer
dans un éloge de la vie à deux. « En cou-
ple, on partage les frais comme l’électrici-
té, l’eau et les abonnements ! »
Lorsqu’elle était célibataire, comme
beaucoup de jeunes de son âge, Mathilde
s’est installée en colocation. Mais quand
ses colocataires ont quitté l’appartement
pour aller vivre en province, elle n’a pas
eu d’autres choix que de rentrer chez ses
parents, en région parisienne. Retour à la
case départ. « J’avais pourtant déjà dé-
croché un CDI à plus de 2 000 euros par
mois », se désole celle qui se reconnaît
parfaitement dans cette « France de
l’angle mort », où de jeunes actifs ont
toutes les peines du monde à vivre sans
le soutien de leur famille. Une béquille
désormais indispensable pour beaucoup.
« Mais dans notre pays, il n’y a pas que des
gens en situation de grande précarité ! »,
s’insurge Mathilde. Pour la jeune femme,
le gouvernement devrait faire plus pour
aider les Français de classe moyenne, ce
« cœur battant de notre pays » mis en
avant par le premier ministre, Gabriel
Attal, lors de son discours du 9 janvier
dernier.
Selon la présidente de Familles ru-
rales, le cas des personnes isolées doit
faire l’objet d’une préoccupation toute
particulière. « Cette situation résulte dans
nombre de cas d’une séparation qui pré-
cipite le plus souvent la femme - dont le
salaire est plus faible et qui s’occupe des
enfants - dans la précarité ou une exis-
tence bien difficile. Des aides spécifiques
devraient leur être réservées », juge
Guylaine Brohan.
La hausse de l’immobilier et la dégradation des
Anne de Guigné
I
nsubmersibles classes moyennes.
Leur disparition, annoncée à in-
tervalles réguliers depuis Marx,
qui préférait parler de « petite
bourgeoisie », n’a cessé d’être dé-
mentie. À nouveau, depuis dix ans,
leur sort inquiète. Ce n’est pas cette
fois-ci une crise économique qui les
menacerait mais un profond vague à
l’âme. Les classes moyennes auraient
perdu toute confiance en la « promesse
républicaine et méritocratique ». Tous
les partis politiques accourent donc au
chevet de ces Français du milieu, sans
lesquels aucune élection ne se gagne.
Sur le perron de Matignon, le jour de
sa nomination, Gabriel Attal a ainsi
tenu à manifester sa sollicitude : « Trop
de Français doutent de notre pays,
doutent d’eux-mêmes, doutent de notre
avenir. Je pense en particulier aux clas-
ses moyennes, cœur battant de notre
pays, artisans de la grandeur et de la
force de notre nation française. »
Aucune définition officielle n’en-
cadre ce vaste concept. « Par conven-
tion, il s’agit des ménages dont le niveau
de vie est compris entre les deux tiers et
le double du niveau de vie médian »,
avance le ministère de l’Économie
dans la rubrique pédagogique de son
site internet. Autrement dit des per-
sonnes dont le niveau de vie évolue
entre 1 274 et 3 860 euros pour un céli-
bataire ou entre 2 675 et 8 100 euros
pour un couple avec deux enfants de
moins de 14 ans.
Cette vaste fourchette recouvre par
nature des profils extrêmement divers.
« L’hétérogénéité des classes moyennes
souffre difficilement une unité autre que
Il y a quelques années, Laurence, ca-
riste de 56 ans, a connu ce point de bas-
cule au moment du divorce. Soudain,
elle a dû apprendre à gérer seule son
quotidien et celui de ses deux filles. « Un
moment difficile », dit-elle. « J’ai remué
ciel et terre pour m’en sortir et j’ai cherché
des aides. J’en ai rempli, des dossiers ! Ré-
sultat : 30 euros par mois d’aide au loge-
ment pendant trois mois, et puis plus rien.
Pour l’administration, je gagnais visible-
ment trop. Pourtant, ma situation n’avait
rien d’enviable. » Laurence décide alors
de démissionner de son poste en CDI
partielle et abstraite », notait déjà
Raymond Aron en 1939. Selon l’intel-
lectuel, la classe moyenne ne pourrait
alors se définir que politiquement. Elle
« existerait dans la mesure où elle se dé-
couvrirait une volonté une ». L’Institut
Montaigne, qui a consacré il y a quel-
ques jours une vaste étude aux classes
moyennes, reprend cette ligne. Selon
ses experts, ce sont bien leurs aspi-
rations communes qui définissent la
classe moyenne. « Ce groupe, qui n’a de
classe que le nom, est la pierre angulaire
d’un nouveau contrat social qui repose
notamment sur un pilier : l’aspiration
à la promotion sociale », avancent
les auteurs de la note du cercle de
réflexion libéral.
« Smicardisation »
de la France
Pendant les Trente Glorieuses, cette
aspiration a fonctionné parfaitement.
Des cohortes d’enfants d’ouvriers et
d’agriculteurs ont intégré la fonction
publique ou sont devenues des em-
ployés dans le tertiaire. L’explosion
des prix de l’immobilier, les failles de
l’Éducation nationale et la stagnation
du pouvoir d’achat entravent depuis
quelques années ces mécanismes d’as-
cension. Selon l’Institut Montaigne,
« l’inflation est un facteur aggravant de
ces difficultés économiques mais ne fait
que révéler un déséquilibre plus struc-
turel entre les aspirations futures de ces
classes moyennes et leurs marges de
manœuvre réelles pour les réaliser ».
Les sujets de pouvoir d’achat pèse-
raient d’autant plus lourds pour les
ménages des classes moyennes infé-
rieures qu’ils consentent de lourds sa-
crifices pour inscrire leurs enfants
dans les écoles privées, leur offrir des
pour s’inscrire dans une société d’inté-
rim. « Parce que c’est bien mieux payé. Et
dans ma branche, on trouve toujours du
travail », poursuit-elle. En multipliant
les missions de nuit et le dimanche, elle
gagne « jusqu’à 2 500 euros nets par
mois ». En se renseignant sur les aides
auxquelles elle pouvait avoir droit, elle a
fini par découvrir le FASTT, une associa-
tion d’aide aux salariés intérimaires dont
la complémentaire santé a pris en charge
1 700 euros de ses frais médicaux.
« C’était Byzance ! », s’exclame-t-elle.
Mais la quinquagénaire continue de vivre
cours particuliers ou déménager dans
des quartiers bourgeois afin de s’éloi-
gner des classes populaires.
Ces ménages très attachés au rôle
« d’un État protecteur traditionnel aux
promesses républicaines et méritocra-
tiques » souffriraient particulièrement
de l’effritement des services publics
mais aussi des biais du très généreux
système de redistribution française. Ce
dernier se tourne en effet de plus en
plus vers le soutien exclusif des mé-
nages modestes et pauvres. Avant
transfert, les ménages aux revenus
médians affichent ainsi des ressources
4,4 fois supérieures aux plus pauvres.
Après prélèvements d’un côté et pres-
tations de l’autre, la différence est ré-
duite à 1,3. Ce mécanisme de redistri-
bution écrase aussi la différence entre
les plus aisés et les classes moyennes,
mais dans une proportion moindre.
Derrière cette question des prélève-
ments, se retrouve le thème très actuel
de la « smicardisation » de la France.
Depuis quarante ans, les exécutifs suc-
cessifs se sont concentrés sur la reva-
lorisation du travail peu qualifié et les
bas salaires. Deux leviers ont été utili-
sés sans modération à cette fin : les
coups de pouce au smic et les baisses
des cotisations patronales sur les bas
salaires. Les résultats sont connus : le
salaire de début d’un prof était de
2,3 fois le smic en 1982, il n’est plus que
de 1,2 aujourd’hui. Le même schéma se
répète dans presque toutes les pro-
fessions. À l’automne, Élisabeth Borne
avait confié à deux économistes,
Antoine Bozio et Étienne Wasmer, la
mission d’étudier l’articulation entre
salaires et incitations fiscales afin « que
le travail paie mieux ». Ils rendront
leurs préconisations au printemps. ■

très modestement. « Quand on est seule à
tout assumer, on ne fait pas de folie. » La
dernière en date remonte au 31 décem-
bre dernier: un menu à 50 euros dans un
restaurant chinois de Crépy-en-Valois,
dans l’Oise, où elle réside.
Avec son son salaire de cadre supé-
rieur à 4 700 euros net par mois, Isabelle
passerait pour une privilégiée aux yeux
de beaucoup. Si l’on s’en tient aux barè-
mes édictés par divers organismes, elle
est même riche. Selon l’Institut Montai-
gne, cette mère de famille de deux en-
fants appartient au cercle restreint des
services publics fragilisent ces familles
Les classes moyennes, oubliées de la redistribution ?
Impact de la redistribution élargie*, par type de ménage, en France en 2019
* Prestations et aides sociales
Revenus avant transferts
Revenus après transferts
100 000 €
Les ménages pauvres reçoivent un revenu avant transferts
de 6 980 € par an par unité de consommation en moyenne,
soit 4,4 fois moins que celui des ménages médians.
Après transferts, ils disposeront d’un revenu de 25 330 € par unité
de consommation en moyenne, soit 1,3 fois moins que celui
des ménages médians.
50 000 €
25 330 €
Après
1,3
Avant
4,4
6 980 €
0€
Ménages … … pauvres
Sources : Institut Montaigne, Insee
L’ÉVÉNEMENT
classes aisées. Et même très largement
puisque, selon ce think-tank, on y entre
à partir de 3 100 euros nets.
Pourtant, cette quinquagénaire estime
aujourd’hui ne pas être assez aidée,
comme 47 % des classes moyennes supé-
rieures, selon une récente étude réalisée
par la Fondation Jean Jaurès et Bona Fide.
« Avec mon salaire, je paie tout au prix
fort, la cantine des enfants, l’internat… »,
énumère Isabelle. Divorcée, elle assume
seule sa vie. « Avec le divorce, j’ai terrible-
ment perdu en niveau de vie. Mais quoi
qu’il en soit, on ne peut nier un appauvris-
Effets de la redistribution :
Ménages bénéficiaires
Ménages pénalisés
(par les prélèvements obligatoires,
cotisations et impôts)
33 770 €
29 550 €
30 680 €
1,1
1,8
17 080 €
Les ménages pauvres ont un revenu avant transferts
4,4 fois inférieur à celui des ménages médians
… modestes … médians
Selon une étude réalisée
pour la Fondation Jean Jaurès
et Bona Fide, 62 % des membres
du cœur de la classe moyenne
estiment ne pas être assez aidés.
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sement des classes moyennes. À part les
très riches, tout le monde trinque », dit-el-
le. Aurait-elle pu alléger le poids des dé-
penses ? Comme beaucoup, elle estime
que les services publics se sont dégradés
et a fait des choix de vie en conséquence,
notamment celui de maintenir ses en-
fants dans les écoles privées. Isabelle se
définit aujourd’hui comme « une pauvre
parmi les riches ». « Je rêve de vivre à Pa-
ris, je vis en banlieue. Je rêve de voyager, je
ne pars plus. » Et pour payer son essence,
elle fait maintenant la queue aux stations
qui affichent les prix les moins chers. ■
127 270 €
4,1
2,3
78 480 €
47 630 € 1,5
40 970 € 1,2
… plutôt aisés … aisés
Jérôme Fourquet : « La classe
moyenne est dans un angle
mort des politiques publiques »
J
érôme Fourquet est directeur
du département Opinion et
stratégies d’entreprise de l’Ifop
et auteur de La France d’après.
Tableau politique (Éditions du Seuil).
LE FIGARO. - Emmanuel Macron
évoque ces Français « qui gagnent
trop pour être aidés et pas assez
pour bien vivre ». De quelle frange
de la population parle-t-il ?
JÉRÔME FOURQUET. - Il s’agit même
d’une très large majorité, car 71 % des
Français estiment aujourd’hui qu’ils
ne sont pas assez aidés par l’État, selon
une étude faite à l’automne dernier
par la Fondation Jean Jaurès et Bona
Fide. Dans cette étude, deux tiers des
Français disent se situer dans la classe
moyenne. Cela montre que ce senti-
ment d’être insuffisamment aidé,
aujourd’hui largement répandu dans
la société, progresse inexorablement.
En 2013, 59 % se sentaient insuffisam-
ment aidés, contre seulement 47 % en
2010 alors que le pays traversait une
crise économique.
Comment expliquez-vous
la hausse spectaculaire
de ce sentiment d’injustice ?
Nous sommes rentrés dans un cycle
inflationniste, et la question des fins
de mois difficiles se pose avec de plus
en plus d’acuité chez beaucoup de
personnes. Ces dernières estiment
qu’elles mériteraient d’être aidées et
cela est d’autant plus vivement res-
senti que leur pouvoir d’achat est
aujourd’hui contraint, en raison de
niveaux de prélèvements obligatoires
élevés. En dépit de certaines baisses ou
suppressions d’impôts, comme la taxe
d’habitation, la France affiche tou-
jours un taux de prélèvements obliga-
toires parmi les plus élevés au monde.
On vient d’annoncer une hausse d’un
peu moins de 10 % sur l’électricité, ce
qui fait + 70 % sur cinq ans. C’est
énorme. Le gasoil est à 1,9 euro alors
qu’il était à 1,4 euro au début de la
crise des « gilets jaunes ». Les produits
alimentaires ont augmenté de 20 % en
deux ans. Toutes ces dépenses
contraintes grèvent le budget des mé-
nages. En contrepartie d’un fort ni-
veau de prélèvements obligatoires, la
France dispose d’un modèle de pro-
tection social qui figure parmi les plus
généreux au monde… Avec la crise du
Covid et le « quoi qu’il en coûte »
d’Emmanuel Macron, la liste des aides
s’est allongée avec l’arrivée des chè-
ques énergie, des chèques carburant…
Mais, alors que leur pouvoir d’achat
s’est dégradé, beaucoup se demandent
pourquoi ils ne sont jamais éligibles à
ces coups de pouce si nombreux. Le
« ce n’est jamais pour moi » s’est
largement répandu dans la société,
comme le « je ne suis pas assez riche
pour vivre correctement, mais trop
riche pour être aidé ». Une formule
dans laquelle la majorité des Français
se reconnaît aujourd’hui.
Cette impression d’être injustement
écarté des dispositifs d’aide dépasse
donc largement les catégories
les plus modestes…
Notre étude révèle en effet que 62 %
des membres du cœur de la classe
moyenne estiment ne pas être assez
aidés. Le taux grimpe à 71 % pour les
classes moyennes inférieures et il
atteint aussi les 47 % parmi les classes
moyennes supérieures. Le taux pour
ces dernières était seulement de 21 %
en 2010. Cette classe moyenne élargie
a aujourd’hui le sentiment de contri-
buer toujours plus au financement des
aides qui s’empilent sans jamais y
avoir droit, ou très peu, et de payer
pour des services publics qui se déli-
tent toujours davantage. Une dé-
gradation qui les oblige par exemple
à recourir au privé, comme pour
l’école. Cette classe moyenne qui
travaille, qui se dit méritante, estime
qu’elle doit aussi être aidée. Or, elle a
le sentiment de ne jamais être ré-
compensée et d’être dans un angle
mort des politiques publiques.
Faut-il, pour ces aides,
tenir compte de l’évolution
des structures familiales ?
À la fin des années 1990, on comptait
11 % de familles monoparentales.
Aujourd’hui, ce taux atteint 25 %. Dans
leurs cahiers de doléances, les « gilets
le figaro mardi 20 février 2024 3
jaunes » avaient fait figurer l’assurance
du paiement des pensions alimentaires
en deuxième revendication. Depuis, le
gouvernement a légiféré sur ce point.
C’est la CAF qui paie la pension alimen-
taire et qui se retourne si besoin contre
le non payeur pour réclamer la somme.
Un autre phénomène à prendre en
compte est le vieillissement de la popu-
lation. Des gens qui approchent la cin-
quantaine doivent de plus en plus
prendre en charge leurs vieux parents
dont les pensions de retraite ne suffi-
sent pas toujours à payer l’Ehpad.
Parmi les catégories de Français
modestes qui sont privés d’aides
parce qu’ils sont juste au-dessus des
seuils requis, certains sont-ils tentés
de lever le pied et ne plus travailler ?
Ceux qui travaillent et qui se situent
juste au smic ont parfois le sentiment
d’avoir à peine mieux que ceux qui ne
travaillent pas et qui bénéficient des
minima sociaux. Cette France qui se
lève tôt pour travailler, qui paie la can-
tine pour les enfants, son loyer, ses im-
pôts mais aussi la TVA, se compare au
voisin d’à côté qui, lui, a un logement
social, les chèques énergie, les bons ali-
O. CORET/Le Figaro Magazine
«
Ceux qui travaillent
et qui se situent juste
au smic ont parfois
le sentiment d’avoir
à peine mieux que ceux
qui ne travaillent pas
et qui bénéficient
des minima sociaux
Jérôme Fourquet directeur
»
du département Opinion
et stratégies d’entreprise de l’Ifop
mentaires et vit presque aussi bien
qu’elle. Au lendemain du Covid, on a
assisté à une vraie bascule avec une
frange de la population qui ne veut plus
de ces emplois mal rémunérés, péni-
bles, aux horaires décalés… Une partie a
manifestement basculé vers les revenus
de l’assistance, complétés par un peu de
travail au noir. Comme le marché du
travail est plus fluide, certains alternent
également périodes d’activité profes-
sionnelle et périodes de chômage. Si
bien que les CDI qui étaient recherchés
ne font plus autant recette aujourd’hui
dans les entreprises : certains employés
ne veulent par exemple pas quitter leur
statut d’intérimaire.
Ce sentiment de ne pas être assez aidé
a-t-il une influence sur la natalité ?
On peut se dire intuitivement que cela
joue dans certaines familles. Celles qui
ont des difficultés à joindre les deux
bouts réfléchissent peut-être à deux
fois avant de faire un enfant ou d’en
faire un de plus.
La préoccupation d’Emmanuel
Macron pour la classe moyenne
est-elle véritable ou y a-t-il
des arrière-pensées politiques
avec le spectre du RN ?
On peut faire crédit au gouvernement
de vouloir faire en sorte que le pays
aille mieux. Mais il se rend bien
compte aussi que ce sentiment d’être
délaissé, partagé de surcroît par 70 %
des Français, est également un formi-
dable carburant pour le RN. Marine Le
Pen s’impose de plus en plus dans les
tranches de revenus qui sont juste au-
dessus des minimas sociaux. Il s’agit de
cette France qui se lève tôt pour tra-
vailler, qui porte un discours très criti-
que en direction des riches et des puis-
sants « qui se gavent », et qui nourrit,
parallèlement, un fort ressentiment
vis-à-vis de ceux qui, juste en dessous
d’elle, profitent de l’assistanat, ceux
qu’elle appelle dédaigneusement les «
A
cassos » (« cas sociaux », NDLR). ■
PROPOS RECUEILLIS PAR A. N.
 4 mardi 20 février 2024 le figaro
Le camp Macron se replonge dans le « Rubik’s
Loris Boichot
En refusant de placer le RN dans l’« arc républicain », contrairement à son premier ministre, Emmanuel Macron relance un débat
P
eut-on compter sur les voix
d’un parti que l’on a désigné
comme son premier adver-
saire ? L’interrogation vire
au « Rubik’s Cube » dans le
camp Macron, de nouveau
plongé dans le casse-tête de son position-
nement vis-à-vis du Rassemblement na-
tional (RN).
À moins de quatre mois des élections
européennes du 9 juin, le président de la
République a essayé de couper court à
plusieurs jours de tâtonnements au som-
met de l’État. « Je n’ai jamais considéré
que le RN ou Reconquête ! s’inscrivaient
dans l’“arc républicain” », a-t-il déclaré
lundi, dans un entretien inédit au journal
L’Humanité. Il a ajouté, à l’approche de
l’entrée au Panthéon du résistant com-
muniste Missak Manouchian, mercredi :
« Les forces d’extrême droite seraient ins-
pirées de ne pas être présentes. »
Cette mise au point a sonné comme
une rectification de Gabriel Attal, qui a
affirmé vouloir travailler avec « tout le
monde ». « Certains disaient qu’il ne fallait
travailler qu’avec l’arc républicain. Moi, je
considère que l’arc républicain, c’est l’Hé-
micycle », a déclaré le premier ministre
dans Le Monde, le 6 février. À l’inverse, sa
prédécesseur, Élisabeth Borne, a exclu le
RN et La France insoumise (LFI) de ses
discussions.
Mais la ligne du pouvoir exécutif reste
floue. En écartant le RN de l’« arc républi-
cain », Emmanuel Macron se corrige lui-
même. Vendredi 9 février, en marge d’un
déplacement à Bordeaux, n’avait-il pas
jugé « tout à fait normal » d’« avoir des
La droite et son RIP,
face au risque de la censure
Claire Conruyt
et Emmanuel Galiero
É
tape par étape. Si le Conseil
constitutionnel a censuré une
majeure partie de la loi sur
l’immigration, la droite, elle,
ne compte pas laisser ce sujet lui glisser
entre les doigts. Ainsi, comme le révé-
lait Le Figaro, les ténors du parti, Éric
Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Re-
tailleau ont décidé de proposer un réfé-
rendum d’initiative partagée pour
poursuivre ce combat politique. En réa-
lité, LR prend les Sages au mot en enga-
geant un bras de fer avec l’exécutif tout
en essayant de pousser la Rue de Mont-
pensier à se prononcer sur le fond. « Il y
a trois haies à sauter », illustre ainsi le
député du Pas-de-Calais, Pierre-Henri
Dumont. D’abord, trouver une majorité
derrière le RIP et réunir 185 signatures
de parlementaires. Une tâche qui, s’ac-
corde-t-on à droite, ne devrait pas
« poser de problèmes ».
Reste ensuite à savoir comment le
Conseil constitutionnel traitera la ré-
daction juridique des LR, pilotée par
Emmanuelle Mignon, en charge du pro-
jet de la droite, et par Guillaume Larrivé.
Anticipant cet obstacle à haut risque, LR
a manœuvré en prenant soin d’écarter
les possibilités d’une nouvelle censure :
le texte comporte donc cinq articles
portant essentiellement sur les presta-
tions sociales des étrangers. « Il n’y a pas
de jurisprudence précise sur le sujet, ex-
plique Pierre-Henri Dumont. Y aura-t-
il une censure partielle, une censure com-
plète ? Pas de censure du tout ? »
En ouvrant l’exposé de leurs motifs
par l’évolution des flux migratoires ré-
guliers et irréguliers entre 2022 et 2023
(+ 8,6 % de demandeurs d’asile, + 17 %
d’entrées irrégulières dans l’UE), LR
7 H -9 H
EUROPE 1 MATIN
Dimitri Pavlenko
Retrouvez l’Edito politique à 7h53 avec Alexis Brézet
A
et Vincent Trémolet de Villers du Figaro
discussions » avec la formation lepéniste,
à l’Assemblée nationale ? Les majorités
« peuvent parfois être complétées ou gros-
sies par des voix qui viennent de députés du
Rassemblement national », a-t-il indiqué.
Il a lui-même tendu la main à Jordan Bar-
della, en l’invitant à ses deux sommets
rassemblant les chefs de parti politiques à
Saint-Denis, en août et en novembre.
Hors micro, plusieurs cadres du camp
présidentiel affirment ne pas comprendre
la stratégie décrétée. « Depuis dix-huit
mois, on n’a pas une lecture constante de la
façon dont on traite le groupe RN », s’in-
quiète l’un d’entre eux. Dans l’entourage
d’Emmanuel Macron, on distingue le
« champ républicain », dont feraient partie
les élus du RN parce qu’ils ont été élus par
les Français, et l’« arc républicain », dont
ils seraient exclus parce qu’ils méconnaî-
traient des « valeurs républicaines » com-
me le respect de « l’État de droit ».
« Les digues cèdent »
Ce flottement traverse le gouvernement
et l’Assemblée nationale. Mardi 13 fé-
vrier, en plein débat sur les dérives sec-
taires dans l’Hémicycle, la secrétaire
d’État Sabrina Agresti-Roubache s’est
fait morigéner par le chef de file des dé-
putés Renaissance, Sylvain Maillard,
pour ne pas s’être montrée hostile à des
amendements du RN.
Quelques heures plus tôt, un vif débat a
opposé la patronne des députés écologis-
tes, Cyrielle Chatelain, au premier minis-
tre. « Chaque semaine, les digues cèdent »,
a lancé la première, en accusant l’exécutif
de pactiser avec le parti à la flamme. « Sur
rappelle les articles censurés par le
Conseil constitutionnel, renvoyant
d’ailleurs aux récents propos de Laurent
Fabius, président de l’institution : « Ça
ne veut pas dire que la disposition, sur le
fond, nous la censurons, elle peut revenir
sur le fond et à ce moment-là, nous dirons
ce que nous en pensons. »
Le patron des LR, Éric Ciotti, assure :
« Notre proposition est solide, juridique-
ment étayée et rentre parfaitement dans
le cadre de l’article 11 de la Constitution
qui définit le recours au RIP. » Suppres-
sion de l’AME, restriction du droit aux
allocations familiales ou aux APL…
« Nos articles posent tous des questions
relatives à la question sociale. Je ne vois
donc aucune raison juridique objective
pour qu’on prive les Français de leur pa-
role. On ne peut plus confisquer la parole
au peuple sur des sujets aussi graves. »
« Garder sa légitimité »
Au parti, l’on s’interroge sur l’attitude
des Sages : « Auront-ils envie de démon-
trer qu’ils ne sont pas soumis au pou-
voir ? » La secrétaire générale du parti,
Annie Genevard, renchérit : « Cela vaut
la peine de tenter l’affaire : le Conseil
constitutionnel a été tellement mis en
cause ces derniers temps que ses déci-
sions doivent être pesées au trébuchet. Je
pense que ses membres en sont
conscients. » Un cadre médite : « On
sait que certains ont leurs préférences
politiques. Mais si le Conseil constitu-
tionnel veut garder sa légitimité, il a in-
térêt à mûrement réfléchir. »
Viendrait enfin la dernière étape,
celle de récolter, en neuf mois, 5 mil-
lions de signatures. « Les Français veu-
lent renverser la table : ils sont fatigués
par l’impuissance. Nous leur offrons la
possibilité de faire entendre leur voix. Je
sais qu’ils saisiront cette chance », veut
croire Éric Ciotti. ■
Politique
quelles voix comptez-vous, lorsque vous
présentez des motions de censure pour fai-
re tomber le gouvernement ? », lui a ré-
pondu le second.
Déjà, plusieurs macronistes n’avaient
pas apprécié l’élection de deux vice-prési-
dents RN à l’Assemblée, avec une majorité
de voix du camp présidentiel. Un symbole
de la « dédiabolisation » du parti cofondé
par Jean-Marie Le Pen, à leurs yeux. Une
querelle a ensuite éclaté au sommet de
l’État, quand Élisabeth Borne avait qualifié
Gabriel Attal
et Emmanuel Macron,
le 1er septembre 2023,
à Orange.
Chagnollaud : « LR veut pousser le Conseil
constitutionnel à se prononcer sur le fond »
D
ominique Chagnollaud est
professeur d’université et
préside le Cercle des
constitutionnalistes.
LE FIGARO. - Pourquoi l’intitulé
de cette proposition de loi
est-il important ?
DOMINIQUE CHAGNOLLAUD. - Il re-
prend de façon cohérente une partie
seulement de ces amendements afin de
« réformer l’accès aux prestations so-
ciales des étrangers » en écartant
d’autres sujets à haut risque constitu-
tionnel, comme la déchéance de natio-
nalité où celle du regroupement fami-
lial. La proposition LR veut instaurer
une condition de durée de résidence
pour les résidents étrangers réguliers
pour percevoir des aides et prestations
sociales non contributives (c’est-à-di-
re versées sans contrepartie de cotisa-
tions), limiter le panier de soins pour
les étrangers en transformant l’aide
médicale d’État en aide médicale
d’urgence, exclure les étrangers en
situation irrégulière des réductions
accordées dans les transports sous
conditions de ressources, intégrer les
divers centres d’hébergement provi-
soires ou d’urgence dans le décompte
des logements sociaux et enfin, rendre
impossible le maintien dans un héber-
gement les personnes déboutées du
droit d’asile, sauf décision motivée de
l’Office français de l’immigration et de
l’intégration.
En quoi cette initiative de la droite
est-elle originale ?
En réalité, LR veut contraindre le
Conseil à se prononcer cette fois sur le
fond. C’est un peu une prise de judo qui
vise aussi l’exécutif. Le Conseil consti-
le parti à la flamme d’« héritier de Pétain ».
Avant de se voir contredite par Emmanuel
Macron, qui a plaidé pour répliquer au RN
par « le fond » et « le concret » plutôt que
par « des arguments moraux ».
Comme l’immigration ou les taxes, ce
débat réactive le clivage gauche droite dans
la majorité présidentielle. D’un côté, il y a
les partisans d’un cordon sanitaire strict
contre le RN, nombreux chez les macro-
nistes issus des rangs socialistes. De l’autre,
une partie de la majorité a renoncé à atta-
tutionnel a censuré l’essentiel des dis-
positions du projet de loi sur l’immigra-
tion, issues d’amendements du Sénat
sur la forme, en tant que « cavaliers lé-
gislatifs ». C’est-à-dire sans lien, même
indirect, avec le texte initial du gouver-
nement qui n’entend pas présenter un
nouveau texte.
« Ces dispositions
sont-elles fondées sur un
impérieux motif d’intérêt
général et proportionnées
à l’objectif poursuivi ?
C’est tout l’enjeu »
Dominique Chagnollaud
Professeur d’université et juriste
À la lumière des précédentes
propositions de RIP, qui n’ont jamais
abouti, sur les retraites et les aéroports
de Paris, quelles sont les conditions
requises pour éviter une censure
du Conseil constitutionnel ?
La proposition de loi doit entrer dans
le champ du référendum de l’article 11
de la Constitution et constituer une
« réforme », ne pas concerner une dis-
position législative déjà promulguée.
Elle doit recevoir l’appui de 185 parle-
mentaires, puis, si elle est validée par
le Conseil, recueillir le soutien de 10 %
des électeurs inscrits dans une période
de neuf mois. Cette étape passée,
l’Assemblée et le Sénat ont la possibili-
té de s’emparer du texte : les deux
chambres disposent de six mois pour
l’inscrire à leur ordre du jour. Si, passé
six mois, le Parlement ne s’est toujours
pas penché sur la proposition de loi
- ce qui est assez invraisemblable -, le
président de la République doit la sou-
quer le RN par l’angle de la « morale ». « Il
n’y a plus à traiter le RN sur le terrain de la
peur », a déclaré Édouard Philippe jeudi au
Figaro, lors d’un déplacement en Mayen-
ne. « Je n’ai aucune envie de travailler avec le
RN », dit-il, tout en jugeant « difficile d’ex-
pliquer que 88 députés RN et 75 de LFI, élus
par des millions de Français, seraient par
nature hors du jeu démocratique ».
Cette controverse amuse l’état-major
du parti lepéniste, qui se voit revenir au
centre des discussions stratégiques. « La
mettre au référendum qui est, ainsi,
fort hypothétique.
Cette proposition de référendum
d’initiative partagée visant à réformer
l’accès aux prestations sociales
des étrangers entre-t-elle
dans le champ de l’article 11 ?
Il est peu contestable qu’il s’agit d’une
réforme sociale puisqu’elle change le
droit existant au sens de la jurispru-
dence du Conseil constitutionnel et, au
surplus, n’aggrave pas la dépense pu-
blique. Si l’AMU ou la question du lo-
gement, voire des transports, sem-
blent peu problématiques, il suffit
qu’une des cinq dispositions proposées
soit inconstitutionnelle pour faire
tomber l’ensemble. C’est comme au
mikado. Sans compter la question des
déboutés du droit d’asile, les étrangers
régulièrement établis sur le territoire
ne peuvent subir de discriminations en
raison de leur nationalité, notamment
en matière de prestations sociales. Ces
dispositions sont-elles fondées sur un
impérieux motif d’intérêt général et
proportionnées à l’objectif poursuivi ?
C’est tout l’enjeu.
La dimension politique que l’on prête
parfois au Conseil peut-elle affecter
la lecture de ce RIP ?
Le président du Conseil, Laurent Fa-
bius, a seulement voix prépondérante
en cas de partage, puisque l’instance
collégiale est composée de neuf mem-
bres. C’est la première fois que le
Conseil est confronté à une telle situa-
tion et sa réponse à la question de
constitutionnalité ne fera pas l’objet
d’une appréciation exclusivement juri-
dique tant elle est complexe. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR e. G.

Cube » de son rapport au RN
que son camp n’a toujours pas tranché à l’approche des européennes.
semaine A, le RN est dans l’arc républicain,
la semaine B non. Au fond, c’est un débat
qui nous fait plutôt sourire », explique Sé-
bastien Chenu, vice-président de l’As-
semblée, en fustigeant des considérations
« loin des préoccupations des Français ».
Les responsables du RN se montrent
prompts à revendiquer des « victoires
idéologiques » dès que les propos tenus au
sommet de l’État se rapprochent des
leurs. Que ce soit dans l’accent mis sur les
« devoirs » plutôt que sur les « droits », ou
En Seine-et-Marne, Imart et Bellamy
inaugurent leur tandem européen
B
aptême du feu pour la numéro
deux de la liste LR ! À peine
désignée, Céline Imart s’est
retrouvée dans le bain des
européennes, lundi en Seine-et-Mar-
ne. En compagnie de la tête de liste
François-Xavier Bellamy, l’agricultri-
ce a démarré sa campagne en terre
connue, puisque le tandem s’est re-
trouvé dans une ferme familiale, la Re-
cette, à Échouboulains. Visiblement à
l’aise, la candidate a effectué la visite
entourée d’Éric Ciotti, président des
Républicains, et de quelques élus (les
parlementaires Jean-Louis Thiériot,
Julien Dive, Pierre Cuypers et le maire
du village Mathias Vigier).
« J’espère qu’on sera sur le podium,
faut viser le podium ! », lance l’éleveur
Philippe Dufour, sous le regard amusé
de Céline Imart. Le propriétaire ne
parle pas des élections de juin, mais
du concours auquel participera son
taureau préféré au Salon de l’agricul-
ture. La bête, de plus d’une tonne, est
une blonde d’Aquitaine impression-
nante. À côté, la numéro deux des LR
semble toute petite, mais quand on lui
demande pourquoi elle a accepté l’of-
fre politique de la droite, elle répond,
sans hésiter : « Moi, je sais d’où je
viens, je sais qui je suis, je sais les com-
bats qui sont les miens. »
Elle se pose en porte-voix de la ru-
ralité dont elle affirme connaître les
« problématiques ». « Aujourd’hui,
poursuit-elle, avoir cet engagement en
politique, c’est simplement changer de
cheval, mais continuer à œuvrer pour la
même bataille. » On la sent réceptive
aux alertes de l’éleveur qui se bat pour
maintenir à flot un élevage de vaches
à viande. L’homme voit son travail
menacé par l’effondrement des politi-
le refus que « notre identité puisse se diluer
ou se dissoudre », priorités formulées par
Gabriel Attal dans son discours de politi-
que générale.
L’atout Gabriel Attal
Pour tenter de sortir de ce débat miné, les
soutiens d’Emmanuel Macron appellent
à l’aide le Parti socialiste (PS) et Les Répu-
blicains (LR). « À nous d’être encore
meilleurs pour obtenir des coalitions de
projets sans avoir besoin du RN, insiste le
ques européennes et de la souveraine-
té alimentaire de son pays. « On a
perdu 101 vaches cette année. C’est
dramatique. Il faut arrêter l’hémorra-
gie ! », lance-t-il.
Céline Imart a pris sa carte du parti
LR sans craindre les difficultés aux-
quelles le mouvement est confronté.
« Quand on a la passion, quand on a la
conviction et quand on a l’envie de por-
ter des combats, je pense que c’est cela
qui importe », explique-t-elle, avant de
saluer le « bilan » des Républicains à
Bruxelles. « Il faudrait être aveugle pour
ne pas voir que les votes qu’ils ont portés
sont des votes qui font honneur à l’agri-
culture et qui défendent nos choix agri-
coles, contrairement à d’autres partis. »
« Les Républicains
sont vraiment ceux qui
peuvent porter la voix de
l’agriculture, de la ruralité
et des indépendants »
Céline Imart
Agricultrice et numéro deux
de la liste LR aux européennes
Céline Imart, qui affirme n’avoir ja-
mais été sollicitée par le RN, fait la dif-
férence entre le travail de la déléga-
tion conduite par François-Xavier
Bellamy depuis cinq ans et les concur-
rents « qui n’ont pas été présents à
Bruxelles ». « Les Républicains sont
vraiment ceux qui peuvent porter la
voix de l’agriculture, de la ruralité et
des indépendants », ajoute Céline
Imart, qui reproche au parti présiden-
tiel Renaissance de « faire beaucoup de
communication ». D’ailleurs, à cinq
jours de l’ouverture du Salon de
Politique
Bardella en campagne
avec l’ex-patron de Frontex
Nicolas Daguin
Envoyé spécial à Menton
C’
porte-parole du parti présidentiel Re- est devenu un réflexe quasi
naissance, Loïc Signor. Pour cela, les par- pavlovien. Chaque fois qu’il
tis de gouvernement doivent être plus res- est question d’immigration,
ponsables. » Autre atout aux yeux de un élu (de droite de préfé-
plusieurs macronistes, le nouveau pre- rence) débarque à Menton. Revue des
mier ministre, volontiers présenté com- troupes, échange et point de situation
me une « arme » anti-Jordan Bardella. avec les douaniers, policiers et gendar-
« La reconquête des actifs partis au RN doit mes des postes-frontières Saint Ludovic
être notre obsession », appuie le député et Saint-Louis… Sans oublier le micro
(Renaissance) David Amiel. À ses yeux, tendu à la presse. Un rituel de plus en
« Gabriel Attal est bien équipé pour parler à plus visible à mesure que l’échéance des
cette France des travailleurs ». ■ élections européennes approche.
Vendredi dernier, c’est Éric Ciotti qui
a fait le déplacement pour manifester
son opposition à la décision du Conseil
d’État du 2 février. Celle-là même qui
empêche les policiers de refouler dans la
quasi-immédiateté les étrangers en si-
tuation irrégulière sans un accord de
réadmission des autorités italiennes.
Après le patron des Républicains, celui
du RN, Jordan Bardella, tête de liste
pour les élections de juin, a donc passé
sa journée de lundi sur la Côte d’Azur, à
Saint-Laurent-du-Var d’abord, auprès
des policiers de la CRS 6, puis à la fron-
tière. Une séquence sur le terrain moti-
vée par « le coup d’État juridique du
Conseil d’État », selon les mots de celui
qui caracole en tête dans les sondages.
Lancé sur les propos d’Emmanuel
Macron dans L’Humanité, le député
européen réagit : « Chaque fois que la
République nous convoque, nous répon-
dons à son appel », a-t-il plastronné en
réponse au président de la République,
qui estime que « les forces d’extrême
droite seraient inspirées de ne pas être
présentes » à la cérémonie de panthéo-
nisation du résistant communiste Mis-
sak Manouchian, mercredi. Et Jordan
Blondet Eliot/ABACA, EMMANUEL DUNAND/AFP
Bardella d’appuyer : « Le président n’a
pas à trier qui sont les bons et les mauvais
élus de la République ! »
Outre les députés locaux qui l’ac-
compagnent toujours lors de ses dé-
Marine Le Pen
et Jordan Bardella,
le 10 janvier 2023,
Gilles Boyer : « Clément
à Paris.
Beaune réunit toutes les
qualités » dans la majorité
E
urodéputé chargé du scrutin
du 9 juin pour le parti
d’Édouard Philippe, Horizons,
Gilles Boyer annonce défen-
dre la désignation de l’ex-ministre
Clément Beaune (Affaires européen-
nes puis Transports) comme chef de
l’agriculture, elle ne se fait aucune il- file du camp Macron.
lusion sur les déclarations de Gabriel
Attal attendues mercredi. « Entre ce LE FIGARO. Y a-t-il urgence
que l’on attend et ce qui sera annoncé, il à désigner votre chef de file ?
y aura un hiatus », anticipe-t-elle GILLES BOYER. - Il n’y a pas de vérité
déjà, avant de pointer un écart entre en matière de campagne électorale : on
les attentes agricoles et les solutions connaît des campagnes courtes réussies
qui se dessinent. Elle soutient que le et des campagnes longues ratées ! Ma
« reset » réclamé par les agriculteurs préoccupation, c’est davantage l’ab-
se heurtera inexorablement à des me- sence de réflexion collective à ce stade
sures incapables de changer de « pa- pour choisir qui conduira notre liste. Je
radigme ». Car l’urgence, selon elle, crains que l’on ne désigne, au dernier
est de sortir d’une logique de « dé- moment, quelqu’un qui pourrait être
croissance » pour retrouver une logi- considéré comme un candidat ou une
que de « production », ce qui implique candidate par défaut, faute d’avoir pris
un « arrêt immédiat et total de toutes le temps de trouver le meilleur profil.
les surtranspositions », y compris en- Ne soyons pas pris par le temps. Devenir
vironnementales. Mais sans illusion, tête de liste implique une médiatisation
elle conclut : « Je vous annonce d’ores soudaine, parfois brutale, et demande
et déjà que le compte n’y est pas. »
À ses côtés, Éric Ciotti acquiesce et
de la préparation. Ça ne s’improvise
pas ! Nous sommes tous l’arme au pied.
dénonce à son tour les « pompiers py- Nous avons un bon bilan à défendre et
romanes » de l’exécutif et le « naufrage nous sommes en train de concevoir un
du “en même temps” ». « M. Attal va projet fort pour porter l’ambition euro-
tenter d’éteindre l’incendie que ses amis, péenne du président de la République :
ses militants de Renaissance, ont allumé plaçons-nous en situation de commen-
au sein du Parlement européen », accuse cer la campagne avec une tête de liste
le chef de file LR, avant de regretter rapidement opérationnelle.
que le « seul enjeu » pour la macronie
consiste à savoir si le président de la Qui serait le meilleur candidat ?
République sera « bien accueilli au Sa- Toutes les personnalités qui ont été ci-
lon de l’agriculture ». Attentif, Fran- tées ici et là sont compétentes et de
çois-Xavier Bellamy défend le caractè- qualité. À titre personnel, je pense
re essentiel du combat qu’il souhaite que Clément Beaune réunit toutes les
désormais mener avec sa nouvelle coé- qualités pour mener la campagne : la
quipière, bien au-delà de la seule ques- compétence technique, la légitimité
tion agricole. Sous une nuée de micros politique et l’expérience médiatique.
tendus, il se tourne vers elle pour lui D’abord, la compétence technique, du
dire, au cœur de cette belle ferme em- fait de sa connaissance intime des sujets
blématique : « Céline, tu incarnes une européens : il a été « conseiller Europe »
agriculture française fière, conquéran- d’Emmanuel Macron, sans doute l’un
te, qui veut demain pouvoir relever la des inspirateurs du discours de la Sor-
tête. » On avait l’impression qu’il par- bonne qui nous a guidés pendant tout
lait aussi des Républicains. ■ e. G. notre mandat, puis ministre des Affai-
le figaro mardi 20 février 2024 5
placements, Jordan Bardella était ac-
compagné lundi de Fabrice Leggeri, fi-
gure encore méconnue du grand pu-
blic. Ce haut fonctionnaire, placé
numéro trois sur la liste du RN pour les
européennes, avait été nommé en 2015
à la tête de Frontex sur recommanda-
tion de Bernard Cazeneuve. Serait-il
de gauche ? La question lui est directe-
ment posée. La réponse, plutôt négati-
ve, n’est pas tout à fait claire. Discret,
l’homme préfère s’arrêter sur son désir
de « servir l’intérêt public ». La tête de
liste LR, François-Xavier Bellamy,
l’aurait-elle aussi sollicité ? « Non, je
n’ai pas hésité entre deux propositions.
Seulement je suis quelqu’un d’ouvert. Je
discute avec tout le monde », glisse-t-il
avec une infinie précaution.
« D’autres ralliements »
Fabrice Leggeri est sauvé de la pression
journalistique par son nouveau patron.
Ce dernier évoque l’« enjeu de civilisa-
tion » que représente la reprise en main
par la France de sa politique d’immigra-
tion et l’importance de réviser la
Constitution par référendum. Mais, sur-
tout, Bardella défend sa nouvelle re-
crue : « Il est clair que la candidature de
Fabrice Leggeri à mes côtés est un réel
atout pour la crédibilité et la mise en
œuvre futur de notre projet migratoire, à
la fois dans la campagne européenne mais
aussi demain lorsque nous serons aux
responsabilités. Car notre objectif, c’est
d’arriver à la tête de l’État. »
Leggeri pourrait-il s’installer Place
Beauvau dans un gouvernement Bar-
della ? Après tout, cet énarque de 55 ans
a passé une partie de sa carrière entre les
murs du ministère de l’Intérieur. Mais le
temps est pour l’instant aux européen-
nes. Un peu hâbleur, Jordan Bardella
annonce déjà « d’autres ralliements » de
poids sur sa liste. « Pas seulement pour
faire des coups politiques mais aussi par-
ce qu’on construit une crédibilité et les
conditions, demain, de l’exercice concret
du pouvoir », achève-t-il. ■
res européennes. Ensuite, il a acquis
une légitimité politique du fait de ses
fonctions ministérielles et de l’élection
législative qu’il a remportée sur son
nom à Paris. Enfin, il a la notoriété et
l’expérience médiatique indispensa-
bles pour une campagne dans laquelle
les débats télévisés et les réunions pu-
bliques joueront un rôle déterminant.
Cet ex-socialiste, hostile à un accord
avec LR sur la loi immigration,
ne risquerait-il pas de vous couper
d’électeurs venus de la droite ?
Depuis sept ans, avec Édouard Philippe,
nous nous efforçons de dépasser ce cli-
vage droite-gauche dans lequel on ten-
te de nous enfermer. Le fait que la droite
nous considère de gauche, et que la
gauche nous considère de droite, c’est
la meilleure preuve que nous y sommes
parvenus. Continuons ! Au sein de la
majorité, Clément Beaune n’est peut-
être pas le plus proche de mes idées sur
tous les sujets, mais je raisonne au-delà
de ça. Et sur l’Europe, nous sommes
très alignés. Sur l’immigration, ce qui
fera référence dans notre campagne,
c’est le pacte migratoire que nous avons
voté avec la droite et les socio-démo-
crates au Parlement européen.
Outre votre riposte au RN,
quelles doivent être vos priorités ?
Combattre les extrêmes est important,
mais on fait campagne pour quelque
chose, pas contre quelqu’un ! Présen-
tons un projet puissant, sous le signe de
l’autonomie stratégique de l’Europe.
Une notion que le président de la
République a installée dans l’opinion
européenne, et que beaucoup s’appro-
prient aujourd’hui : pour nos médica-
ments depuis le Covid, en matière agri-
cole, diplomatique et militaire depuis le
début de la guerre en Ukraine. Nous
devons défendre une Europe puissante
et utile. Puissante face aux compéti-
teurs mondiaux, utile aux Européens
A
dans leur vie quotidienne. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR l. B.
6 mardi 20 février 2024 le figaro
La descente aux enfers
de l’Équateur, gangrené
par le narcotrafic
Patrick Bèle
Avec 43 homicides pour 100 000 habitants l’an dernier, ce pays
d’Amérique latine est devenu l’un des cinq plus dangereux du monde.
P
our les Équatoriens, ce
début d’année s’est trans-
formé en cauchemar sé-
curitaire. Les autorités
semblent avoir perdu tout
contrôle sur le pays. Alors
que les bandes armées tenaient en ota-
ge, dans les prisons, la plupart de leurs
gardiens, les chefs des deux principa-
les bandes du pays se sont échappés le
dimanche 7 janvier de leur lieu de dé-
tention de Guayaquil, la capitale éco-
nomique, avant une intervention des
forces de l’ordre qui visait à les trans-
férer dans d’autres pénitenciers. José
Adolfo Macias, alias « Fito », chef du
gang des Choneros, et Fabricio Colon
Pico, leader des Lobos, ont, selon toute
probabilité, été prévenus par leurs
geôliers de leur prochain déplacement.
Des affrontements entre les gangs et la
police ont fait plusieurs dizaines de
morts dans les jours qui ont suivi, se-
mant le chaos dans une grande partie
du pays. Le mardi 9 janvier, une quin-
zaine d’hommes cagoulés ont investi
un studio de la télévision TC TV alors
qu’une émission était diffusée en di-
rect. Les journalistes et techniciens
présents sur le plateau ont vécu quinze
minutes de terreur, à l’occasion de
cette opération dont l’objectif reste
Présence des gangs
équatoriens en 2024
Esmeraldas
Groupes criminels
par provinces
S.D. de los
Los Lobos Tsachilas Quito
Manabi
Los Choneros
Los Tiguerones
Autres gangs
Guayas
Santa Elena
Guayaquil
OCÉAN
PACIFIQUE
100 km
Source : Insight Crime
Le port de Guayaquil transformé en plaque tournante de la cocaïne
Margot Davier
Envoyée spéciale à Guayaquil
L
e port de Contecon se présente
de plus en plus comme une for-
teresse mécanisée, dépourvue
de personnel afin de limiter les
risques de contamination des cargaisons
par la cocaïne. Impossible d’y mettre un
pied, même si ces précautions demeu-
rent sans effet réel. Fin janvier, l’une des
dernières opérations de la police a per-
mis de saisir près d’une demi-tonne de
cocaïne dans différents conteneurs de
crevettes, direction l’Europe. Dans un
autre sac de jute rempli de pois chiches, à
destination d’Israël cette fois-ci,
350 blocs de cocaïne ressemblaient à des
briques. Ces découvertes sont quasi heb-
domadaires dans l’estuaire de Guaya-
quil, qui regroupe 28 ports, véritable
poumon économique du pays. D’ici sor-
Les informés
de Jean-François Achilli
et Bérengère Bonte
du lundi au vendredi à 20h
1h de décryptage et chaque mardi avec
d’analyse de l’actualité
International
mystérieux. Les attaquants se sont en-
suite laissés arrêter par la police sans
opposer de résistance.
Le président Daniel Noboa a immé-
diatement déclaré que le pays était
touché par un « conflit armé interne »,
décrétant un état de siège de 23 heures
à 5 heures du matin. Il a qualifié de
« terroristes » 22 groupes délinquants
de son pays et l’armée a été déployée
dans les rues comme dans les prisons.
Quelque 1 500 présumés délinquants
ont été arrêtés depuis, dont 158 sont
accusés de terrorisme.
« On a vu début janvier des maisons
incendiées, des explosions de bombes,
des policiers attaqués, des scènes de
violences inouïes qui semblaient tirés de
films de fiction, se souvient Christian
Avecillas, poète et journaliste de
Guayaquil. C’est fini pour l’instant. Le
gouvernement en a profité pour annuler
les millions de dollars de dettes fiscales
de grands entrepreneurs. Ils ont aussi
augmenté le taux de TVA. Personne n’a
protesté car tout le monde avait très
peur à cause de l’état d’urgence. »
Alors que l’armée assurait avoir re-
pris le contrôle des prisons, le procu-
reur César Suarez, qui enquêtait sur
cette prise d’otages télévisée, a été as-
sassiné en plein jour au volant de sa
COLOMBIE
Carchi
Imbabura
Sucumbios
Pichincha
Napo
Orellana
Cotopaxi
Los
Rios
É Q UAT E U R
Tungurahua
Pastaza
Bolivar
Chimborazo
Morona
Canar Santiago
Azuay PÉROU
El Oro
Zamora
Loja Chinchipe
tent 80 % des exportations, et 364 tonnes
de cocaïne par an selon des estimations.
La plupart du temps, c’est sur les cargai-
sons de bananes, le fruit emblématique
du pays, que se concentrent les forces de
police. Une marchandise prisée des tra-
fiquants de drogue en raison du volume
des expéditions et des itinéraires d’ex-
portation vers l’Europe et les États-Unis.
Quelque 70 % de la cocaïne acheminée
en Europe proviennent d’Équateur, et
80 % de celle-ci sort de Guayaquil.
La banane, premier produit non-pé-
trolier d’exportation, a vu son image se
dégrader au fil des années et des prises.
« C’est un problème énorme, car les affai-
res sont de plus en plus nombreuses, et
cela représente des coûts juridiques, opé-
rationnels et de représentation encore plus
importants pour les compagnies. Nous dé-
pensons beaucoup plus d’argent pour as-
surer la sécurité de nos cargaisons »,
confirme, sous couvert d’anonymat, un
voiture dans une rue de Guayaquil le
17 janvier. César Suarez travaillait
également sur plusieurs affaires im-
pliquant des politiques et des entre-
preneurs. La plus emblématique por-
tait le nom de « Metastase », un cas de
corruption massive qui mettait en
évidence l’infiltration du crime orga-
nisé dans les institutions équatorien-
nes et notamment le système judiciai-
re et policier. Il enquêtait aussi sur de
probables surfacturations dans les
principaux hôpitaux publics du pays
pendant la crise du Covid. L’assassi-
nat du procureur n’a, depuis, pas été
revendiqué.
« L’augmentation soudaine
du nombre de prisonniers
sous l’impulsion de Correa,
couplée à la rigueur
budgétaire de Moreno, a
créé des lieux de privation
de liberté impossibles à
contrôler. Les prisons sont
passées sous le contrôle
des bandes armées »
Daniel Ponton professeur
à l’Institut des hautes études
nationales de l’Équateur
Le 28 janvier, c’est un hôpital qui a
été la cible de sept hommes armés de
fusils et de revolvers dans la ville de
Chone, près du port de Manta. Ils ont
séquestré le personnel du service des
soins intensifs pendant plus de trois
heures. Ils cherchaient Angel Leoni-
das, un adolescent de 16 ans connu
sous le nom de « Cara sucia » (« visage
sale »), soigné après avoir été touché
par six balles durant une tentative
d’assassinat. La police poursuit le jeu-
ne homme depuis trois ans pour
« consommation de drogues, micro-
trafics et meurtres ». Il appartient à la
bande Los Cornejos, une bande locale
alliée aux Lobos, rival des Choneros
auxquels étaient affiliés les membres
du commando qui a attaqué l’hôpital.
Ces derniers ont fini par se rendre à la
police.
Plusieurs hommes politiques ont
trouvé la mort pendant la campagne
employé d’une entreprise d’export de
bananes. La mainmise des narcotrafi-
quants est telle que deux des plus gran-
des compagnies maritimes opérant dans
le pays, MSC et Maersk, ont quitté fin dé-
cembre 2023 le port de Contecon, le plus
contaminé. L’association des exporta-
teurs de bananes de l’Équateur indique
avoir investi plus de 100 millions de dol-
lars dans l’amélioration de la sécurité,
avec un succès limité : rien qu’en 2022,
sur les 77 tonnes de cocaïne trouvées
dans les ports équatoriens, 61 % corres-
pondaient à des conteneurs de bananes.
Cette « contamination » des conte-
neurs de bananes témoigne de l’absence
de dispositifs de contrôle efficaces, de la
perméabilité des ports équatoriens, de-
venus de véritables plaques tournantes
du trafic de cocaïne, et de la toute-puis-
sance des gangs. La contamination se fait
en amont, avant l’embarcation des mar-
chandises, ou juste après avec le mode
opératoire de la torpille : prendre d’as-
saut les bateaux lorsqu’ils sortent du
port. « Des scanners dernière génération
ont été annoncés en décembre dernier,
souligne Hector Plaza, le directeur de
l’Autorité portuaire de Guayaquil. Cela
devrait réduire la contamination. » En oc-
tobre 2021, l’ex-président Guillermo
Lasso annonce par décret que toutes les
cargaisons sortant du pays seront soumi-
ses à un système de scanners pour
contrôler le trafic. Le coût du dispositif
est estimé à 15 millions d’euros pour le
présidentielle qui a porté à la tête du
pays en novembre 2023 Daniel Noboa,
un jeune entrepreneur aux idées néo-
libérales. Celui-ci a remplacé
Guillermo Lasso, qui a dû démission-
ner pour les liens présumés de son en-
tourage avec la mafia albanaise. L’as-
sassinat le plus emblématique est celui
de Fernando Villavicencio, un candi-
dat à la présidentielle mort criblé de
balles le 9 août 2023. Journaliste, il se
présentait comme le candidat anticor-
ruption. Sept personnes ont été arrê-
tées après cette action, dont six Co-
lombiens. Ils ont tous été retrouvés
morts dans leur cellule quelques se-
maines après leur arrestation. Le mai-
re de l’un des principaux ports du
pays, Manta, a lui aussi perdu la vie
sous les balles le 23 juillet.
Pendant la campagne électorale, le
président Noboa avait présenté un
plan de lutte contre la puissance des
seul port de Contecon. « Il n’y a que deux
ports qui disposent d’un système de scan-
ner : le port de Manta et le port de Bozorja,
proche de celui de Guayaquil. Ils ont deux
scanners de pointe et deux scanners mobi-
les, qui fonctionnent à 50-60 %. Les autres
ports comme celui de Guayaquil n’ont pas
de système de contrôle », renchérit Mario
Pazmino, chercheur et consultant en sé-
curité. « Pourquoi ne prennent-ils pas les
précautions nécessaires pour mettre en
place ces scanners ? Parce qu’ils font eux-
mêmes partie du crime organisé transna-
tional. » L’Opération Metastase, dévoilée
en décembre et qualifiée de « plus grande
opération jamais menée dans l’histoire du
pays contre la corruption et le narcotra-
fic » par la procureur générale de l’Équa-
teur, Diana Salazar, a montré les liens du
général Pablo Ramirez, responsable de la
police antidrogue et du service national
de prise en charge des détenus, avec le
trafic de cocaïne.
Achat de quotas de bananes
L’emprise des gangs s’explique aussi par
les failles du système Unibanano, chargé
de réguler l’exportation du fruit. « Les
cartels européens, albanais en tête, et
mexicains sont totalement impliqués. Com-
ment expliquer leur présence ici ? Je pense
qu’ils ont constaté les points faibles, et qu’ils
ont saisi une opportunité », poursuit la
même source anonyme de l’entreprise
d’export. La longue enquête conjointe de
la chaîne TC et du média américain Con-
bandes armées. Baptisé « Fenix », ce-
lui-ci prévoyait la construction de
nouvelles prisons et l’incarcération
des mafieux les plus dangereux sur des
navires ancrés au large des côtes
équatoriennes. Mais ces mesures sem-
blent aujourd’hui largement insuffi-
santes face à la situation dramatique
que vit ce territoire. « Il est incroyable
qu’un pays sans guerre, sans sanction,
ait sombré aussi vite, s’étonne l’ancien
président Rafael Correa (2007-2017),
qui vit en exil en Belgique après une
condamnation à 8 ans de prison pour
corruption. C’était le deuxième pays le
plus sûr d’Amérique latine en 2016,
avec 5 homicides pour 100 000 habi-
tants. En 2023, ce chiffre a atteint 43
pour 100 000, ce qui fait de l’Équateur
l’un des cinq pays les plus dangereux du
monde. »
Comment en est-on arrivé là ? En
2010, Rafael Correa avait décidé de
nectas, intitulée « Narcobanana », révèle
que ce système favorise l’exportation de
drogues du fait d’un manque total de sui-
vi. L’observatoire équatorien du crime or-
ganisé indique que seulement 15 % des af-
faires de trafic de drogue donnent lieu à
des condamnations. La police de la zone 8
de Guayaquil n’a pas donné suite à une
demande d’entretien du Figaro.
En 2012, l’Équateur a mis en place un
système de quotas d’exportation afin de
maîtriser le prix du fruit sur le marché
international et d’en maintenir la com-
pétitivité. 279 entreprises sont autorisées
à expédier en moyenne 8 millions de
caisses de bananes par semaine, à
l’étranger. Ces déclarations doivent en
théorie être vérifiées sur le terrain, ce qui
est loin d’être toujours le cas. Des entre-
prises fantômes se glissent dans le systè-
me, en achetant des quotas. « Nous avons
reçu des plaintes d’employés, qui disent
que les entreprises utilisent leurs propres
caisses pour introduire des drogues. Cer-
tains propriétaires de sociétés bananières
sont directement impliqués », estime Jor-
ge Acosta, coordinateur du syndicat des
travailleurs de la banane Astac, qui re-
groupe environ 1 500 personnes. Au-de-
là du seul port, c’est l’ensemble de la
chaîne d’exportation qui est contaminé
par la cocaïne. « Le trajet est constitué de
points sensibles, qu’il faut contrôler. Mais
il faut plus de personnel, de renseigne-
ments, d’investissements pour être effica-
ce », rappelle Hector Plaza. ■

renforcer la lutte contre le narcotra-
fic. Il avait alourdi les peines d’empri-
sonnement prévues à l’encontre des
trafiquants et construit de nouvelles
prisons. Le nombre de détenus a été
multiplié par quatre pendant son
mandat, pour atteindre près de
40 000 pour un pays de 17 millions
d’habitants.
Le coût financier de cette politique
très répressive a été considérable. Son
successeur, Lenin Moreno, avait une
obsession : diminuer les dépenses pu-
bliques. Pour cela, il a supprimé, en
2018, plusieurs administrations publi-
ques, dont les ministères de la Justice
et de l’Intérieur, stoppé le recrutement
et la formation de nouveaux gardiens
de prison et confié la gestion des lieux
de privation de liberté à un organisme
sans pouvoir : la SNAI. Le président
suivant, Guillermo Lasso, a conservé la
même ligne. « L’augmentation soudai-
Daniel Ponton : « En Amérique latine, depuis longtemps, on mesure
les taux d’homicides les plus élevés du monde »
D
aniel Ponton est professeur de
sécurité et de défense à l’ins-
titut des Hautes études natio-
nales de l’Équateur.
LE FIGARO. - Constate-t-on une
dégradation générale de la situation
sécuritaire en Amérique latine ?
DANIEL PONTON. - La situation sécu-
ritaire en Amérique latine a changé ces
dernières années. L’Équateur avait des
taux de criminalité très bas malgré son
voisinage avec le Pérou et la Colombie,
qui ont subi l’activité de guérillas puis-
santes, comme le Sentier lumineux ou
les Farc. L’Équateur était un îlot de paix
dans une zone marquée par la violence
liée au narcotrafic. Mais, en général, la
région est très criminogène depuis des
années. On y mesure les taux d’homici-
des les plus élevés du monde depuis
longtemps. C’est en Équateur que la si-
tuation a connu la plus terrible dégra-
dation. La crainte est que cette détério-
ration puisse s’étendre à d’autres pays
avec les connexions entre les différents
groupes du crime organisé. Par exem-
ple, au Chili, les indices de criminalité
ont beaucoup augmenté. Cela peut être
associé à la migration massive des Vé-
nézuéliens depuis plusieurs années,
comme au Pérou. La crise du Covid a
beaucoup dégradé l’autorité des États et
International
ne du nombre de prisonniers sous l’im-
pulsion de Correa, couplée à la rigueur
budgétaire de Moreno, a créé des lieux
de privation de liberté impossibles à
contrôler, analyse Daniel Ponton, pro-
fesseur à l’Institut des hautes études
nationales de l’Équateur. Les prisons
sont passées sous le contrôle des bandes
armées. Elles disposaient d’un grand
nombre de détenus pour développer
leurs réseaux, ce qui n’a fait que renfor-
cer leur influence. » Selon cet analyste
équatorien de la sécurité, ces politi-
ques ont affaibli l’État et fortifié le
pouvoir des bandes délinquantes.
« Des cartels forts face à un État fai-
ble », résume-t-il.
Si la toute-puissance des bandes dé-
linquantes est nouvelle, leur existence
n’est pas récente. Les Choneros se sont
créés à la fin des années 1990. Leurs
activités se sont largement dévelop-
pées au cours des années 2000. À
provoqué une crise socio-économique
comme en Argentine, où la criminalité
a aussi beaucoup augmenté.
Quelle est la situation au Pérou ?
Au Pérou, on a vu ces dernières années
une croissance du narcotrafic. La pro-
duction de cocaïne est en expansion. La
présence des migrants vénézuéliens a là
aussi provoqué une dégradation de la
situation. Le Pérou comme le Chili ont
du mal à gérer la question migratoire.
Quatre millions de Vénézuéliens ont
quitté le pays ces dix dernières années.
Des bandes criminelles vénézuéliennes
ont accompagné cette migration cher-
chant à s’implanter dans des pays plus
prospères. Des organisations criminel-
les, comme le Tren de Aragua, se sont
converties en une menace pour la sécu-
rité dans l’ensemble de la région. Ils
sont présents en Colombie, en Équa-
teur, au Pérou ou au Chili. La question
migratoire s’est ajoutée à la probléma-
tique posée par la pandémie de Covid
en Amérique latine.
Au Mexique, les cartels ont-ils acquis
plus de pouvoir ?
Les réseaux criminels mexicains ont
élargi ces dernières années leurs zones
d’influence. Le cartel de Sinaloa a des
liens dans tous les pays d’Amérique du
Après l’instauration, par le président
Daniel Noboa, de l’état d’urgence
dans le pays, des policiers
examinent, le 11 janvier,
à Portoviejo, le dos d’un homme,
à la recherche de tatouages
prouvant son appartenance
à un gang. Ariel Ochoa
l’époque, sous la présidence de Alvaro
Uribe en Colombie, le démantèlement
du groupe paramilitaire Autodéfenses
unies de Colombie (AUC) a redessiné
la carte du narcotrafic. Les bandes ar-
mées et les guérillas se sont disputé
des régions entières. Des groupes dis-
sidents se sont alors formés et ont
commencé à développer des activités
délictuelles avec des groupes équato-
riens. « Le Plan Colombia de coopéra-
tion entre les États-Unis et la Colombie,
qui visait à lutter contre le trafic de co-
Sud. Mais l’Équateur a une position pri-
vilégiée pour eux grâce aux facilités
qu’il offre pour le trafic de cocaïne. Le
rôle premier joué par l’Équateur désor-
mais a considérablement modifié les
routes de la drogue.
Des pays ont-ils réussi à endiguer
cette expansion de la criminalité ?
L’Amérique latine est de longue date
très touchée par la délinquance. Au
Brésil, la criminalité est un problème
central. Beaucoup de drogues produi-
tes par la Colombie, le Pérou et la Boli-
vie sont exportées à partir du Brésil.
L’Uruguay peut être vu comme l’un
des derniers îlots de tranquillité au mi-
lieu de ce paysage. Finalement, même
si c’est un pays de production de co-
caïne, la Bolivie paraît épargnée par la
criminalité organisée. Mais elle a une
histoire particulière dans la production
de feuilles de coca, qui est considéré
comme une plante traditionnelle fai-
sant partie de la culture des peuples
autochtones.
Le président salvadorien,
Nayib Bukele, représente-t-il
un modèle pour la région ?
Le phénomène Bukele est représenta-
tif d’une réaction à la crise de sécurité
que connaît la région depuis deux dé-
caïne, a eu pour conséquence de reloca-
liser les lieux de production sur les fron-
tières du pays et donc au nord du terri-
toire équatorien », explique Daniel
Ponton. Les États-Unis ont, dans le
même temps, mieux contrôlé la route
de la drogue dans les Caraïbes, forçant
les trafiquants à trouver de nouvelles
voies d’acheminement. Les routes de
la drogue ont changé. Les ports équa-
toriens ont commencé à jouer un rôle
croissant dans le trafic international
de cocaïne. La côte pacifique est deve-
nue une voie privilégiée pour l’expor-
tation de drogues.
Depuis la fin des années 1990, les
cartels mexicains ont réussi à margi-
naliser les narcotrafiquants colom-
biens pour les confiner à la seule pro-
duction. Ils ont trouvé en Équateur de
nouvelles opportunités : pas besoin de
« Les autorités
ne fournissent rien
aux détenus, qui doivent
tout acheter aux gangs.
Tout s’achète :
un matelas, un oreiller,
le savon, la nourriture,
même l’eau. Et il faut payer
pour être protégé. Vivre
en prison coûte très cher »
Lorena Yael Piedra chercheuse
à l’université catholique d’Équateur
visa, le dollar comme monnaie facilite
les opérations de blanchiment d’ar-
gent, des ports importants comme
Guayaquil ou Manta et une multitude
de pêcheurs qui permettent, sous
couvert de leur activité, de dissimuler
le transport de substances illicites.
Plus de 2000 d’entre eux sont actuel-
lement en prison au Mexique, au Hon-
duras ou au Salvador pour trafic de
stupéfiants. La pression des bandes
armées est telle qu’il leur est difficile
de refuser de transporter les pains de
poudre blanche.
La production de coca n’a cessé
d’augmenter depuis le début des an-
nées 2010 en Colombie. Les accords
de paix avec la guérilla des Farc ont
provoqué la création de nouveaux
groupes dissidents qui se partagent la
zone frontière du sud du pays et se fi-
nancent sur le trafic de drogue. Les
saisies records de drogues au large de
l’Équateur montrent que le trafic est
en expansion constante. Fin janvier,
une opération conjointe des polices
équatorienne et colombienne a per-
mis l’arraisonnement de deux semi-
submersibles chargés respectivement
de 795 kilos et trois tonnes de cocaïne.
Les cartels mexicains ne sont pas
les seuls à utiliser les gangs équato-
riens pour acheter en Colombie et
acheminer les drogues par la côte pa-
cifique. Les bandes albanaises sont
aussi présentes en Équateur, quoique
plus discrètes. « Les Albanais se
consacrent au transport de cocaïne
cennies. Sa politique de mano dura ex-
trema (« super main de fer ») a généré
un intérêt dans beaucoup de pays de la
région. Mais chaque pays a ses spécifi-
cités économiques, sociales, politiques
et géographiques. Le Salvador est un
pays très petit. La politique sécuritaire
de Bukele est difficilement transposa-
ble en Équateur. Le populisme pénal
qu’applique Bukele a obtenu des ré-
sultats appréciés par la population sal-
vadorienne. Même des gens de gauche
ont salué les résultats de Bukele, com-
me la présidente du Honduras voisin,
Xiomara Castro, qui a tenté de copier
sa politique sécuritaire. Mais le modèle
de Bukele repose exclusivement sur
une répression extrême qui n’est pro-
bablement pas soutenable à long ter-
me. On impute tous les problèmes aux
maras (bandes armées salvadorien-
nes). Mais la violence dans ce pays est
d’abord liée à une situation sociale in-
soutenable à laquelle la répression ne
répond pas. La pacification d’une so-
ciété demande des réponses de fond
qui ont plus à voir avec les conditions
de vie de la population. Mettre
70 000 personnes en prison place le
Salvador en tête de la population car-
cérale dans le monde. Mais, quand Bu-
kele perdra un peu de sa popularité
parce que les gens se rendront compte
le figaro mardi 20 février 2024 7
vers l’Europe, précise Samantha Gor-
dillo, experte au sein de l’Observatoi-
re de la sécurité de Quito. Ils ont créé
des liens avec les industries agroali-
mentaires exportatrices de crevettes,
de fleurs, de thon ou de bananes. » De-
puis les accords de libre-échange si-
gnés avec l’Union européenne et en-
trés en vigueur en 2017, le nombre de
conteneurs en provenance de l’Équa-
teur qui arrivent au Havre, à Dunker-
que, à Rotterdam ou Anvers sont en
constante augmentation. Les saisies
records dans ces ports ont suivi la
même courbe ascendante.
Les gangs équatoriens ne se conten-
tent pas d’acheter et de transporter la
cocaïne pour le compte des cartels
mexicain ou albanais. Ils sont aussi
impliqués dans le trafic d’êtres hu-
mains et dans l’orpaillage clandestin.
Ils rackettent les commerçants et les
enlèvements contre rançon ne sont
pas rares. Les prisons sont aussi une
source importante de revenus. « Les
autorités ne fournissent rien aux déte-
nus, qui doivent tout acheter aux gangs,
explique Lorena Yael Piedra, cher-
cheuse à l’Université catholique
d’Équateur. Tout s’achète : un matelas,
un oreiller, le savon, la nourriture,
même l’eau. Et il faut payer pour être
protégé. Vivre en prison coûte très
cher. » Les médecins n’y entrent plus.
La violence y est omniprésente. En
2021, 316 détenus sont morts en déten-
tion. « Leur identification est difficile
car les corps sont souvent démantelés et
parfois dans un état de décomposition
avancé », selon un rapport de la Com-
mission interaméricaine des droits de
l’homme datant de mars 2022.
L’augmentation des revenus liés aux
activités délictueuses en Équateur
exacerbe les rivalités entre les gangs.
Après l’assassinat de Jorge Luis Zam-
brano, le leader des Choneros, en dé-
cembre 2020, les affrontements entre
bandes délinquantes se sont multipliés
et les groupes se sont fractionnés. Les
principaux sont les Choneros, les Lo-
bos et les Tiguerones. Ils s’appuient
sur des clans plus petits et plus régio-
naux. Au total, plus de 20 000 person-
nes seraient affiliées à ces groupes.
« Ils ne fonctionnent pas de manière py-
ramidale, analyse Daniel Ponton. Ils se
comportent un peu comme des fédéra-
tions. Les dernières opérations de la po-
lice et de l’armée dans les villes pour-
raient provoquer un déplacement de
leurs activités vers les zones rurales du
pays et rendre leur contrôle encore plus
difficile. »
« En ce moment il y a les festivités du
carnaval, rappelle Christian Avecillas.
Pendant ces jours fériés, les Équatoriens
sont partis en vacances à la plage, à la
montagne pour profiter de la famille. Et
tout est tranquille. Mais c’est provisoire.
Les arrestations n’ont concerné que des
jeunes drogués, proies faciles de chefs
de gangs qui, eux, n’ont pas été appré-
hendés. La hiérarchie est intacte. Il sera
facile pour eux de remplacer les troupes
manquantes. » ■
de la situation économique difficile
que connaît le pays, la réaction de la
population pourrait être violente. Bu-
kele a confiné les responsables des
violences dans des camps, mais n’a
pas travaillé sur les origines de cette
violence.
Qu’en est-il de la Colombie ?
C’est un pays compliqué, mais, du-
rant les vingt dernières années, la sé-
curité s’y est beaucoup améliorée. Ils
ont réussi à pacifier la société. Les ac-
cords de paix avec les Farc ont permis
de diminuer considérablement le cli-
mat d’insécurité. Mais ils n’ont pas
encore réussi à fermer le chapitre de
la violence. Il reste des groupes dissi-
dents qui continuent la lutte. Et, fina-
lement, il reste une violence endémi-
que dans la société colombienne. Le
narcotrafic s’est développé, mais il
génère moins de violences qu’aupa-
ravant. En Colombie, la violence so-
ciale a pris le pas sur la violence des
guérillas parce que les questions so-
ciales n’ont pas disparu avec les ac-
cords de paix. La polarisation politi-
que avec la présidence de Gustavo
Petro pourrait entraîner des consé-
quences importantes et graves si une
vraie crise politique éclatait. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR P. B.
 8 mardi 20 février 2024 le figaro International

Ioulia Navalnaïa se dresse contre Poutine

Alain Barluet Correspondant à Moscou

La veuve d’Alexeï Navalny, dont le corps n’a pas été remis à sa famille, a annoncé reprendre le flambeau de son mari.

E
lle a toujours été une compa- écrit sur X Kira Iarmych. Pour le Kremlin commentait alors Alexandre Baounov, du tion biélorusse en 2020 lorsque son mari me », résumait, en 2017, le journaliste
gne de lutte, aux côtés de son se pose la question des funérailles de l’op- Centre Carnegie de Moscou. L’épisode lui est jeté en prison par Alexandre Louka- Alexeï Belyakov, en la comparant à une
mari Alexeï, tout en récusant posant, alors que l’élection présidentielle vaut aussi le titre d’« héroïne de l’année » chenko. Mais tout a basculé la semaine « Joconde russe au sourire triste ».
pour elle-même un rôle po- aura lieu dans moins d’un mois. Le prési- du journal d’opposition Novaya Gazeta. dernière avec la disparition tragique Le couple s’était rencontré il y a vingt-
litique. Mais la force du des- dent des États-Unis, Joe Biden, qui affirme « Navalny a eu de la chance. Pas de survivre d’Alexeï. « Ioulia, qu’elle le veuille ou non, cinq ans, lors de vacances en Turquie -
tin, avec la mort de l’oppo- juger Poutine « responsable » de la mort de au Novitchok, (…) mais d’avoir une femme devient une figure politique », souligne la ils avaient alors tous les deux 22 ans. Iou-
sant russe dans sa prison de l’Arctique, Navalny, a dit lundi « envisager » des comme Ioulia », écrivait le journal. « Iou- politologue Tatiana Stanovaïa. lia était étudiante à l’université d’écono-
pousse une nouvelle fois cette battante sur sanctions supplémentaires contre la Rus- lia, tu m’as sauvé », la remerciera Cela fait longtemps pourtant qu’elle mie Plekhanov de Moscou. À l’opposé de
le devant de la scène. Vendredi, quelques sie. Le ministère suédois des Affaires d’ailleurs Alexeï Navalny après être sorti suscite des attentes. Le 17 janvier 2021, Vladimir Poutine, qui fait régner le secret
heures à peine après l’annonce du décès étrangères a pour sa part convoqué l’am- du coma. « C’était terrifiant. Mais il ne fal- elle avait débarqué à l’aéroport mosco- sur sa vie privée, les Navalny exposaient
d’Alexeï, sa veuve s’adressait, les larmes bassadeur russe en Suède à la suite du dé- lait pas que je me relâche. (…) Je suis sa vite de Cheremetievo, venant de Berlin fièrement sur les réseaux sociaux leur fa-
aux yeux, à la Conférence sur la sécurité cès de l’opposant. « Nous savons par quel femme. Si je m’effondre, tout le monde s’ef- avec Alexeï. Celui-ci, sachant pertinem- mille « normale », unie, souriante, avec
de Munich, pour désigner Vladimir Pouti- moyen concret Poutine a tué Alexeï il y a fondre, comme des dominos. Donc j’ai fait ment ce qui l’attendait, avait néanmoins leurs deux enfants, Daria, 22 ans, et
ne « personnellement responsable » de cet- quelques jours. Nous vous apprendrons qui a de mon mieux pour garder mon calme et le décidé de rentrer au pays. Il avait été Zakhar, 15 ans. Photogénique, le couple
te mort qui « ne restera pas impunie ». exécuté ce crime et comment », promet sortir de là », confie-t-elle au journaliste immédiatement appréhendé. Ioulia connaissait le pouvoir de l’image : « Une
Lundi, Ioulia Navalnaïa a été longue- Ioulia Navalnaïa dans sa vidéo. Iouri Douts. avait tout juste eu le temps de l’embras- photo romantique aura plus de likes »,
ment applaudie par les ministres euro- Cette fois encore, comme aux sombres ser. Ils ne se reverraient plus qu’une s’amusait Alexeï. C’est d’ailleurs à cette
péens des Affaires étrangères qui la rece- moments de l’été 2020 lorsque son mari « Joconde russe seule fois, brièvement, en 2022. Ce soir image que les trolls pro-Kremlin ont dé-
vaient à Bruxelles. Quelques heures plus était entre la vie et la mort, on a vu cette au sourire triste » de janvier 2021, on l’a vu émerger des cidé de s’en prendre ces derniers jours en
tôt, elle publiait un message vidéo destiné blonde élancée se démener résolument Pour elle néanmoins, la politique ne sem- arrivées de l’aéroport, seule face aux ca- publiant des posts montrant Ioulia dé-
au public russe dans lequel elle accusait pour Liocha (le diminutif d’Alexeï). À blait pas une option. Même lorsque son méras et à la foule scandant son nom. tendue sur une plage, suggérant qu’elle
Vladimir Poutine du meurtre de son mari l’époque, elle s’était adressée directement mari est jeté en prison, en janvier 2021, Elle avait repris les mots d’Alexeï : « Je avait des amants ou la présentant comme
en se disant prête, pour la première fois, à à Vladimir Poutine, dans une lettre rendue puis très lourdement condamné, Ioulia n’ai pas peur et je vous appelle tous à ne une femme ambitieuse et insensible. La
reprendre le flambeau. « Je ne devrais pas publique, pour qu’il le laisse partir à Navalnaïa, née Abrosimova il y a quaran- pas avoir peur. » veuve courage leur a répondu en pu-
être ici. Il y aurait dû y avoir une autre per- l’étranger afin d’y être soigné. Cette te-sept ans à Moscou, assure qu’elle ne La lumière, a priori, n’était pas son bliant dimanche une photo d’elle avec
sonne à ma place. Mais cette personne a épreuve « l’a transformée, de figure d’ac- suivrait pas les traces de Svetlana Tikha- truc. Aux côtés de son mari certes, mais Alexeï légendée par ces simples mots :
été tuée par Vladimir Poutine », dit-elle, compagnement, en personnage principal », novskaïa, propulsée à la tête de l’opposi- pas devant. « Cette femme est une énig- « Je t’aime ». ■
assise face à la caméra, habillée dans une
tenue sombre. « Je veux vivre dans une
Russie libre, je veux construire une Russie
libre », poursuit-elle, ajoutant qu’elle al-
lait « continuer le travail d’Alexeï Naval-
ny ». « Nous devons nous unir pour frapper
d’un seul coup Poutine, ses amis, les
voyous en épaulettes, les courtisans et les
tueurs qui veulent paralyser notre pays »,
lance-t-elle encore.
La voix tendue par l’émotion, mais sans
défaillir à aucun moment, Ioulia Navalnaïa
affirme aussi que les autorités refusent de
rendre le corps de son mari pour dissimu-
ler la présence de poison, du Novitchok
selon elle. Comme un sinistre remake de
l’épisode d’août 2020 à l’hôpital d’Omsk,
en Sibérie, lorsque Navalny empoisonné et
placé dans le coma, avait été maintenu in-
communicado par les autorités russes du-
rant quarante-huit heures avant d’être
transféré à Berlin. Lundi, trois jours après
le décès officiel de Navalny, sa dépouille
n’avait toujours pas été remise à la famille.
Sa mère, Lioudmila Navalnaïa, s’est bien
rendue à la morgue de Salekhard, à une
cinquantaine de kilomètres du pénitencier

YVES HERMAN/REUTERS
où était détenu son fils, mais elle a trouvé
porte close, selon Kira Iarmych, la porte-
parole de l’opposant. Officiellement, des
« vérifications » seraient en cours. « Les
enquêteurs ont dit aux avocats et à la mère
d’Alexeï qu’ils ne rendront pas son corps sur
lequel sera réalisé pendant quatorze jours
une soi-disant “expertise chimique” », a La veuve de l’opposant russe Alexeï Navalny, Ioulia Navalnaïa, lors du conseil des ministres des Affaires étrangères européens, lundi, à Bruxelles.

Ursula von der Leyen veut rempiler à la tête de la Commission

Pierre Avril Correspondant à Berlin et Anne Rovan Correspondante à Bruxelles

L’ex-ministre allemande a annoncé lundi sa candidature pour un second mandat, à l’issue d’une réunion de la CDU qui se tenait à Berlin.

U
rsula von der Leyen est dé-
sormais officiellement candi-
date à sa succession à la pré-
sidence de la Commission
européenne. Elle l’a annoncé lundi
après avoir été adoubée par son parti
des chrétiens-démocrates allemands
(CDU). « J’ai pris une décision mûrement
considérée, j’aimerais concourir pour un
second mandat et je suis très reconnais-
sante auprès de la CDU de me nommer
candidate. L’Europe est mon foyer », a
déclaré la chef de l’exécutif commu-
nautaire, qui s’est donné pour principal
objectif de « renforcer l’UE contre les di-
visions de l’extérieur et de l’intérieur »,
deux menaces qu’elle relie clairement.
Les premières sont liées à la Russie,
contre laquelle elle présentera prochai-
nement une stratégie de renforcement
de l’industrie de défense européenne.
Elle plaide aussi pour la création d’un
poste de commissaire à la Défense dans
le cadre du nouveau collège qui sera ul-
térieurement formé. Les secondes divi-
sions sont portées, selon elle, par « les
populistes » européens, auxquels elle
entend faire barrage. « La mission de
cette campagne électorale vise égale-
ment à faire comprendre que nos oppo-
sants, c’est-à-dire Poutine et ses amis,
que ceux-ci viennent de l’AfD, de Marine
A
travers de la démocratie et veulent la dé-
truire. C’est pourquoi il est si important
que les citoyens préservent leur Europe »,
a-t-elle mis en garde.
Ursula von der Leyen s’exprimait à
Berlin, au siège de la CDU, sous le re-
gard à la fois bienveillant et scrutateur
du président du parti, Friedrich Merz.
« Nous sommes convaincus que vous
parviendrez à conduire l’UE dans des
circonstances totalement différentes, à
savoir une guerre en Europe et une ré-
cession dans certains États membres », a
précisé ce dernier, actuellement dans
l’opposition, mais prétendant sérieux à
la chancellerie après les élections légis-
latives de 2025.
Ce soutien n’est que la première éta-
pe d’un long et très balisé processus.
Viendra ensuite le congrès du PPE, les
6 et 7 mars, à Bucarest, au cours duquel
l’actuelle présidente de la Commission
sera formellement désignée chef de file
de file de la droite européenne. Une
formalité sachant que « VDL » n’a pas le
moindre concurrent face à elle. Prési-
dente sortante de la Commission, elle
est, répète-t-on à Bruxelles depuis des
mois, « la candidate naturelle » à sa pro-
pre succession. S’ensuivront les élec-
tions européennes de juin. L’usage veut
que le (ou la) futur(e) président(e) de la
européen. Mais les Vingt-Sept peuvent
aussi passer outre. En 2019, ils avaient
éliminé successivement les candidatu-
res de Manfred Weber et de Frans Tim-
mermans – chefs de file du PPE et des
sociaux-démocrates - pour porter leur
choix sur la non-candidate et ministre
von der Leyen. Le Parlement européen
avait alors eu le sentiment de se faire
voler l’élection. Cette assemblée a tou-
tefois son mot à dire puisque c’est aux
eurodéputés qu’il revient finalement de
valider le choix des Vingt-Sept par un
vote à la majorité.
« Faute de mieux »
Dans l’absolu, l’ex-protégée d’Angela
Merkel a de bonnes chances de décro-
cher un second mandat. Elle a tenu face
aux crises exceptionnelles et inédites
qu’ont été le Covid, puis la guerre en
Ukraine. Y compris lorsqu’elle faisait
de préjudiciables faux pas ou de gros-
sières erreurs de communication, cette
cavalière émérite a toujours su se re-
mettre en selle, sans se départir de son
sourire figé. Ce fut le cas, début 2021,
quand les leaders, se désespérant de ne
pas voir arriver les vaccins, avaient de-
mandé aux ambassadeurs de l’UE et au
commissaire Thierry Breton de repren-
dre la main sur le dossier. Ou encore
pas eu un seul mot pour les morts de
Gaza, oubliant, comme le souligne un
diplomate de l’UE, qu’elle incarne « non
pas l’Allemagne mais l’Europe ».
Les leaders ont aussi pu lui reprocher
d’être trop solitaire et verticale. Fin no-
vembre, un diplomate européen met-
tait les pieds dans le plat, au sujet du
coup d’envoi des négociations d’adhé-
sion à l’UE de l’Ukraine et des 50 mil-
liards d’euros de soutien promis à Kiev
par « VDL », comme si c’était acquis.
« À sa place, je passerais en mode sous-
marin en ce moment. À force de l’enten-
dre dire “j’ai décidé”, les gens se deman-
dent : “Pourquoi elle ?” La question, c’est
la répartition du pouvoir ! »
À défaut d’être totalement oubliées,
ces sorties de route sont mises au se-
cond plan. Compte tenu des multiples
crises que l’UE doit affronter, les lea-
ders préféreront probablement opter
pour la stabilité en la reconduisant. « Il
y a une résignation. Elle va rempiler faute
de mieux », commente un haut fonc-
tionnaire européen. L’intéressée a aussi
su se montrer plus souple ces derniers
temps sur le « pacte vert », cet ensem-
ble de textes qui hérissent tant de capi-
tales et de citoyens. Dans ce contexte,
« VDL » a le soutien de l’Allemand Olaf
Scholz et, à ce stade, celui d’Emmanuel
13 février à Paris pour « une discussion
approfondie ». À son arrivée, il a des-
cendu les marches du perron de l’Ély-
sée pour l’accueillir. Puis l’un et l’autre
ont pris la pose tout sourire devant les
photographes. L’actuelle présidente de
la Commission a aussi multiplié les
déplacements ces derniers mois avec
des dirigeants, notamment l’Italienne
Giorgia Meloni et l’Espagnol Pedro San-
chez. S’ajoutent à cela ces quelques
jours passés l’été dernier avec le Grec
Kyriakos Mitsotakis.
L’affaire pourrait être bien plus com-
pliquée au Parlement européen qu’avec
les Vingt-Sept. Dans cette assemblée où
les droites conservatrices et souverai-
nistes devraient gagner un nombre im-
portant de sièges en juin prochain, la
majorité que forment le PPE, les so-
ciaux-démocrates et Renew risquent
de se rétrécir dangereusement. « Elle
aura besoin, estime Johannes Lindner,
directeur du groupe de réflexion Centre
Jacques Delors, d’une coalition stable
avec le Parlement et elle se déplacera un
peu vers la droite. » En 2019, elle avait
été élue de justesse, avec seulement
9 voix d’avance, des membres de sa fa-
mille politique refusant d’apporter leur
vote à une candidate désignée par les
Vingt-Sept et non par les citoyens

Le Pen, de Geert Wilders (Pays-Bas) ou Commission soit désignée au sein de la plus récemment, en octobre 2023, lors- Macron, qui garde toutefois ses cartes européens. Ce procès ne pourra pas lui
d’autres forces extrêmes, se mettent en première force politique du Parlement qu’elle s’était rendue en Israël et n’avait dans la main. Le président l’a reçue le être fait cette fois-ci. ■

Prières et port
du voile intégral
à l’université :
ces incidents
qui se multiplient
Emma Ferrand et Jeanne Paturaud
Relayées sur les réseaux sociaux, ces pratiques
suscitent de vives réactions. Certains craignent
qu’elles soient le fruit de l’entrisme
des étudiants musulmans de France.
L
a polémique a ressurgi avec
la publication de plusieurs
photos prises à l’université
de Lille. En diffusant les
images d’étudiantes por-
tant le voile intégral en sal-
le informatique ou priant dans la cour
de l’établissement, l’UNI alerte à nou-
veau sur « l’absence totale de réactions
de l’enseignement supérieur face à des
faits purement illégaux ».
Depuis plusieurs mois, le syndicat
étudiant de droite signale une multi-
plication d’incidents. À commencer
par ceux qui se sont produits dans la
faculté lilloise. Cette dernière, qui ad-
met avoir reçu cinq étudiants après des
signalements pour des faits similaires
depuis la rentrée en septembre 2023, se
défend pourtant concernant les images
diffusées lundi 12 février. Contactée
par Le Figaro, elle assure ne pas avoir
été « saisie sur le sujet » et maintient
que « les agents de sécurité veillent à
rappeler et faire respecter les règles » en
cas de trouble.
Il n’y a pas qu’à Lille que les étudiants
sont surpris de voir la religion s’inviter
à l’université. Fin janvier, l’UNI pu-
bliait déjà la vidéo d’un jeune en train
d’effectuer une prière musulmane dans
une petite salle de la bibliothèque de
droit, d’économie et de sciences politi-
ques de l’université de Montpellier. La
scène, filmée en décembre, juste avant
les partiels, avait intrigué l’auteur de la
vidéo. « La BU était remplie. J’ai été
étonné, car je trouve que cela n’est pas
un endroit adéquat pour prier », expli-
que Jean*.
« L’objectif des Étudiants
musulmans de France (EMF)
est de transmettre l’éthique
islamique dans la vie
étudiante en l’y habituant
doucement »
Florence Bergeaud-Blackler,
anthropologue, chercheuse au CNRS
À l’université d’Aix-Marseille, un
étudiant a lui aussi été filmé en octobre
dernier en train de prier dans une bi-
bliothèque. Sur les images, on l’aperçoit
de dos, à genoux, dans un coin de la
pièce. À cinq mètres de lui, une dizaine
d’élèves étudient. « Nous avions alors
informé les services de sécurité, un orga-
nisme privé mandaté par l’université. Ils
sont immédiatement intervenus pour vé-
rifier qu’il s’agissait bien d’un de nos élè-
ves », indique Yann Soltermann, prési-
dent de l’UNI Aix-Marseille. Un
événement d’ordre anecdotique pour
l’université, qui tient à préciser : « Celui
qui a prié venait d’arriver à la fac. Il
cherchait à se cacher tant bien que mal,
ce n’était pas de la provocation. Ceux qui
l’ont filmé se sont fait un malin plaisir de
publier les images. »
Mais, selon Yann Soltermann, les
étudiants auraient assisté à une autre
scène de prière le long d’un bâtiment de
la faculté de sciences de Marseille. « À la
fac de lettres, on nous raconte régulière-
ment que des étudiantes voilées, parfois
intégralement, se réunissent pour se
mettre à l’écart et prier tranquillement »,
souligne-t-il. Le sujet avait aussi fait
polémique à Reims, en février 2022, où
la présidence avait annoncé ouvrir une
enquête après la diffusion d’une vidéo
montrant une étudiante en train d’ef-
fectuer sa prière dans une salle de clas-
se. Une accumulation que d’autres syn-
dicats veulent nuancer, comme l’Unef.
« Pour nous, ce n’est ni un phénomène ni
un sujet. Nous n’avons jamais été témoins
de ces scènes, et personne ne nous a ja-
mais rapporté de faits de cet ordre », af-
firme Arthur Sabatier, délégué général
du syndicat étudiant marqué à gauche.
Mêmes réserves du côté des universités,
dont plusieurs, parfois concernées par
ces faits, sont réticentes à l’idée de
pointer du doigt ces étudiants. Contac-
tées, celles de Reims, Bordeaux ou en-
core Montpellier n’ont pas souhaité ré-
pondre au Figaro. France Universités,
qui regroupe les présidents de toutes les
facultés de l’Hexagone, n’a également
pas donné suite à nos sollicitations.
La loi concernant le port du voile à
l’université est pourtant explicite :
contrairement aux élèves du secondai-
re, les étudiants peuvent afficher des
signes religieux ostentatoires (comme
le voile) et même prier dans des lieux
spécifiques, mis à disposition par l’uni-
versité. En revanche, le fait de prier
ailleurs que dans ces pièces est stricte-
ment interdit. Tout comme le port du
voile intégral, proscrit sur l’ensemble
du territoire français depuis la loi de
2010. Une règle d’ailleurs martelée par
le ministère de l’Enseignement supé-
rieur : « La loi est parfaitement claire, et
les présidents d’établissement engagés
pour sa stricte application. » Et d’insis-
ter : « Si des incidents isolés et inaccep-
tables peuvent exister, une réponse leur
est systématiquement apportée par les
établissements. Le ministère va conti-
nuer d’y veiller. »
La multiplication de ces incidents ne
doit rien au hasard, selon l’UNI. Pour le
syndicat, la lente mais constante mon-
tée en puissance des Étudiants musul-
mans de France (EMF) en est en grande
partie responsable. « Le nombre de voix
accordées à cette organisation a sensi-
blement augmenté lors des dernières
élections Crous. Ils ont obtenu leur pre-
mier élu à Strasbourg, et cela s’est joué
à peu de chose à Grenoble et à Lille »,
explique le syndicat. « Cette étiquette
d’association musulmane peut interpeller
dans des élections étudiantes, relève Mi-
chel Deneken, président de l’université
de Strasbourg. Pour le moment, il est dif-
ficile de déceler quelles revendications ils
comptent porter. Nous attendons de voir
et nous surveillons cela de près. »
Si cette progression inquiète, c’est
parce que l’EMF « n’est pas une organi-
sation anodine », martèle l’UNI. Fondée
en 1989 sous le nom d’Union islamique
des étudiants de France (UISEF), elle
affiche un premier objectif : accueillir
les étudiants étrangers de façon décente
en œuvrant pour l’échange et la solida-
rité. « En réalité, il s’agit du bras étu-
diant des Frères musulmans installés en
France », indique Florence Bergeaud-
Blackler, anthropologue, chercheuse au
CNRS et auteur de Frérisme et ses ré-
seaux, l’enquête (Odile Jacob, 2023).
Leur objectif est de transmettre l’éthique
islamique dans la vie étudiante en l’y ha-
bituant doucement. Cela passe par une
banalisation du voile, des distributions de
nourriture halal, l’organisation de cer-
cles d’enseignement religieux ou de ma-
raudes, la facilitation des rencontres en-
tre musulmans ou la demande de salles de
prière. » Une organisation « prosélyte
mais pas communautaire, poursuit Flo-
rence Bergeaud-Blackler, puisqu’elle
souhaite imposer les fondements de la so-
ciété islamique qu’elle veut voir adve-
nir ». C’est précisément ce que constate
l’UNI Grenoble depuis plusieurs mois.
« Vue de l’extérieur, cette organisation
peut sembler plutôt sympathique. Aucun
de ses membres n’a été agressif ou véhé-
ment avec nous. Mais ils prévoient de
Société
Le port du voile intégral est proscrit non seulement à l’université,
mais, depuis 2010, sur l’ensemble du territoire français. UNI
plus en plus d’événements comme des
lectures ou des distributions alimen-
taires. Et, quand on connaît leurs liens
avec le frérisme, cela nous alerte », indi-
que un membre du syndicat étudiant
dans l’établissement grenoblois. Une
ALAIN FINKIELKRAUT, UNE AVENTURE INTÉRIEURE
L’écrivain publie Pêcheur de perle (Gallimard), dans lequel il rend hommage aux citations et
aux auteurs qui depuis toujours l’accompagnent. Il évoquera les écrivains morts ou vivants qui
nourrissent sa pensée et éclairent sa vision.
le figaro mardi 20 février 2024 9
en bref
Darmanin demande
le retrait du titre de séjour
d’un imam tunisien
du Gard
Gérald Darmanin a demandé le
retrait du titre de séjour d’un imam
tunisien du Gard en vue de son
expulsion, en raison d’appels à la
haine. Le ministre de l’Intérieur
a indiqué avoir demandé au préfet
du Gard de signaler « les propos
de l’imam au procureur de la
République ». « Aucun appel à la
haine ne restera sans réponse »,
a-t-il affirmé. Dans une première
vidéo relayée sur les réseaux
sociaux, l’imam de Bagnols-sur-
Cèze, Mahjoub Mahjoubi, qualifie
notamment le « drapeau tricolore »
de « drapeau satanique » qui n’a
« aucune valeur auprès d’Allah ».
Otages français en Syrie :
cinq hommes, dont Mehdi
Nemmouche, jugés à Paris
en 2025
Cinq hommes, dont le tueur
du Musée juif de Bruxelles, Mehdi
Nemmouche, seront jugés à Paris
du 17 février au 21 mars 2025
pour la séquestration, aggravée par
des sévices, de sept Occidentaux,
dont quatre journalistes français,
en Syrie en 2013-2014. Les cinq
accusés, dont deux sont présumés
morts, seront jugés par la cour
d’assises spéciale de Paris.
Les policiers intervenus
lors de l’attentat d’Arras
décorés ce lundi
Le ministre de l’Intérieur
a distingué, ce lundi, à Arras,
les neuf policiers qui étaient
intervenus « au péril de leur vie »
pour maîtriser le terroriste
qui venait de tuer le professeur
de français Dominique Bernard
analyse dont se défend l’EMF. « Ces in- au lycée Gambetta, le 13 octobre
formations sont infondées, nous sommes dernier. Gérald Darmanin leur
une association indépendante, dénuée a remis la médaille pour acte
d’affiliation idéologique ou politique », de courage et de dévouement,
affirme l’organisation. ■ élevant six d’entre eux au rang de
* Le prénom a été modifié. chevalier de la Légion d’honneur.
JEUDI 7 MARS
20H00 - SALLE GAVEAU
45-47 rue La Boétie, 75008 Paris
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Dès le 9 MARS 2024
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DESSIN CLAIREFOND
A
 10 mardi 20 février 2024 le figaro Sciences

L
a sérendipité (ou l’art de
trouver totalement autre
chose que ce que l’on
cherche) a permis certai-
nes des plus grandes dé-
couvertes dans l’histoire
des sciences. Sur la commune de Fols-
chviller, en plein cœur de la Moselle,
le fruit de cette extraordinaire aptitude
qui combine hasard et savoir, nous
ouvre-t-il les portes de nouvelles
avancées fulgurantes pour l’humani-
té ? Il est encore trop tôt pour le dire,
mais l’enthousiasme des scientifiques
et ingénieurs qui s’activent autour
d’un forage coincé au niveau de l’em-
branchement de deux routes nationa-
les, sur la commune de Lachambre,
donne envie d’y croire.
Il y a dix ans, lorsque les premiers
travaux exploratoires ont été menés
ici, c’était du méthane que cher-
chaient les scientifiques. « À ce mo-
ment, on parlait d’une ressource suffi-
sante pour approvisionner la région sur
70 ans ! », se rappellent les experts sur
place. En 2018, la région Grand-Est, en
partenariat avec l’entreprise La Fran-
çaise de l’énergie, finance le projet Re-
galor (REssources Gazières de LORrai-
ne), piloté par Jacques Pironon et
Philippe de Donato, chercheurs au
CNRS et à l’université de Lorraine.
Coup de théâtre en 2022 : les résultats
d’un forage révèlent que dans la cou-
che profonde, à plus de 1 000 mètres
sous la surface, le gaz fossile est cou-
plé… avec de l’hydrogène. Et au fur et
à mesure des recherches, c’est un im- Le site de forage
mense réservoir naturel qui se dévoile. de Lachambre
Le 29 avril prochain, l’équipe de re- a révélé la présence
cherche déposera un dossier pour pas- d’hydrogène à plus
ser à la phase II et prolonger de 3 ans de 1 000 mètres
l’exploration du site. de profondeur.
Pour rappel, l’hydrogène est un des Romain Hemelsdaël
éléments les plus abondants dans
l’univers. On le trouve généralement
sous sa forme moléculaire et gazeuse, à

En Lorraine, les scientifiques

savoir le dihydrogène (H2), composé
de deux atomes d’hydrogène. Il s’agit
de la plus petite molécule connue, ce

explorent le potentiel d’un immense

qui le rend particulièrement volatil. Il
n’est donc que rarement présent à
l’état pur sur Terre (il s’échappe très
facilement). Jusqu’à il y a peu, on ne

réservoir d’hydrogène naturel

connaissait même aucun réservoir.
Puis, en 2012, un premier gisement est
découvert près du village Bouraké-
bougou, au Mali. « Si on trouve dans la
littérature scientifique des papiers vieux
de plus d’un siècle qui relatent des sour-
ces naturelles, personne n’avait alors
imaginé qu’on puisse l’exploiter pour
des raisons économiques », explique
Laurent Truche, qui ne participe pas
au projet lorrain et cosigne un article
dans la revue Science (9 février 2023)
sur la découverte d’un important ré-
servoir d’hydrogène dans une mine
souterraine en Albanie. « À l’époque,
les études portaient principalement sur
des questions fondamentales, car la so-
ciété dans son ensemble et les géologues
étaient complètement obnubilés par le
pétrole et les autres gaz. »
« Ici, nous avons
sous nos pieds
une ressource qui semble
presque inépuisable »
Jacques Pironon
chercheur au CNRS
et à l’université de Lorraine
Pourtant, sur le papier, l’hydrogène
est plein de promesses. La combustion
d’un kilogramme de ce gaz libère
presque quatre fois plus d’énergie que
celle d’un kilo d’essence… et ne pro-
duit que de l’eau ! Il peut donc être
utilisé comme un carburant propre
pour faire rouler des voitures, des ca-
mions, mais aussi pour produire de
l’électricité et éclairer nos villes. Faute
de ressources naturelles, les scientifi-
ques pensaient que le seul moyen de se
procurer ce gaz était de le produire,
soit à partir d’énergies fossiles, comme
le pétrole, ce qui ne fait que déplacer le
LUXEMBOURG
Thionville ALLEMAGNE
Folschviller
Metz
Lachambre
MOSELLE
MEURTHE-
BAS-
ET-MOSELLE
RHIN
A
Vincent Bordenave Envoyé spécial à Lachambre
Découvert par hasard en 2022, un « gisement » contenant des millions de tonnes de ce gaz
« écologique » fait l’objet de toutes les attentions à Folschviller.
problème, soit par électrolyse de l’eau.
Un courant électrique permet en effet
de décomposer les molécules d’eau,
H2O, en dihydrogène (H2) et en oxygè-
ne (O2). Si l’électricité provient de
l’éolien ou du solaire, l’hydrogène est
dit « vert ». Il doit ensuite être com-
primé pour être stocké, avant d’être
utilisé dans une pile à combustible. Le
rendement de toute cette chaîne est
malheureusement faible. On ne récu-
père pas plus du tiers de l’électricité
utilisée au départ.
En juillet 2020, l'Union européenne
s’est pourtant dotée d’une ambitieuse
« stratégie hydrogène » que la plupart
des observateurs jugeaient, pour cette
raison, irréaliste. Les grands gisements
d’hydrogène pourraient-ils changer la
donne ? « En l’espace de deux ou trois
ans, les perspectives ont totalement
changé, juge Philippe de Donato. Et on
veut croire qu’on y est pour quelque
chose ici en Lorraine. » Le site recèle en
effet des promesses d’une tout autre
dimension que celles offertes par le gi-
sement du Mali. « La mine de Bouraké-
bougou extrait 1 500 m3 par jour, c’est
suffisant pour alimenter totalement un
village, mais pas au-delà, analyse Jac-
ques Pironon. Ici, nous avons sous nos
pieds une ressource qui semble presque
inépuisable. » Selon les estimations
basses des scientifiques, on pourrait
compter 60 millions de tonnes cachées
dans une zone de 16 000 km2.
Sur le papier l’histoire paraît déjà
écrite. Mais l’affaire n’est pas si simple.
Il ne faut pas imaginer d’immenses po-
ches souterraines de gaz dans lesquelles
il suffirait d’aller pomper. Le sous-sol
lorrain est une succession de couches de
charbon et de grès dont les pores sont
remplis d’eau. « L’hydrogène est prison-
nier dans l’eau, un peu comme dans une
bouteille de Perrier fermée, et mélangé à
d’autres gaz, précise Jacques Pironon.
Plus on descend, plus la concentration en
H2 augmente. Nous avons développé une
sonde équipée d’une membrane imper-
Par ailleurs, si on compare aux
énergies fossiles, les rendements sont
a priori beaucoup moins intéressants
pour les exploitants. « Un gisement de
gaz classique à moins de 200 bars de
pression n’a guère d’intérêt économi-
que », raconte Jacques Pironon. « Ici
avec l’hydrogène, on est à peine à
20 bars, car la ressource est diluée dans
l’eau et mélangée à d’autres gaz. Nous
proposons quelque chose qui est en rup-
ture totale avec ce qui se fait. Il faut
donc construire un nouveau modèle éco-
nomique. » L’immense avantage, est
évidemment que l’empreinte carbone
est quasi nulle.
Pour arriver à convaincre les déci-
deurs de lancer l’exploitation du site, il
est indispensable de comprendre com-
ment et à quelle profondeur ce gaz se
forme. Afin d’évaluer l’ampleur des
réserves et le coût d’extraction, qui
permettra de se donner une idée de la
rentabilité sur le long terme. Pour le
moment, les chercheurs évoquent
trois hypothèses.
La plus probable est que l’hydrogè-
ne provienne de l’oxydation des car-
bonates de fer en sous-sol au contact
de l’eau. Lorsque ces deux des élé-
ments se rencontrent à des tempéra-
tures d’environ 200 °C, il se produit
une réaction physico-chimique, dite
d’oxydoréduction, où les minéraux
dissocient les molécules d’eau en O2
et H2. « C’est une réaction chimique
qu’on arrive à reproduire sans trop de
difficulté en laboratoire dans des
conditions de pression et température
comparables à ce qu’on imagine à
5 000 ou 6 000 mètres de profondeur,
raconte Jacques Pironon. Dans ce cas,
la source pourrait être inépuisable tant
que les carbonates de fer n’auront pas
été tous dissous. Dans l’optique d’une
exploitation, il est tout à fait envisa-
geable qu’à mesure que l’on retire de
l’hydrogène du sous-sol, l’oxydation de
la roche continue à en produire. »
Reste le problème de la profondeur.
étant autour de 10 000 m, la plupart
des forages gaziers ne vont pas aussi
loin. Mais là encore, les scientifiques
ont une réponse. Selon eux, l’hydro-
gène formé dans ces couches très loin-
taines remonte vers la surface pour
être piégé dans l’eau souterraine.
« Nous pensons qu’il est envisageable de
l’exploiter à 3 000 ou 4 000 m de pro-
fondeur, précise Jacques Pironon. C’est
une profondeur que savent parfaitement
exploiter les gaziers. »
« Il va certainement
y avoir à court terme
des exploitations de niche.
On travaille dur pour
que ce soit le cas le plus
rapidement possible.
Le chemin est encore long,
mais j’espère vraiment
que l’hydrogène naturel
aura une part tangible dans
le mix énergétique futur »
Laurent Truche chercheur au CNRS
et auteur d’un article sur l’hydrogène
dans la revue Science
La deuxième hypothèse est que ce
soit des transformations du charbon
qui donne naissance à cet hydrogène.
Cela se produirait alors aussi à plus
de 5 000 m de profondeur. Les tem-
pératures importantes sont alors ca-
pables de casser les molécules de
charbon. Dans ce cas, la quantité
d’hydrogène serait limitée au stock
actuel, car le processus chimique est
très lent. Mais les conditions d’ex-
ploitation resteraient similaires au
premier scénario.
Enfin, la dernière possibilité (la
moins probable compte tenu de la na-
ture et des propriétés des sols lorrains)
est d’y voir un processus chimique lié
à la transformation de l’olivine, un
minéral de couleur verte formée dans
mer de la serpentine, une réaction
chimique qui dégage de l’hydrogè-
ne. Ce mécanisme se produirait alors
plus profondément encore, autour de 7
à 8 km. À l’instar du premier scénario,
la ressource serait aisément renouve-
lable, et donc virtuellement illimitée, à
condition que le gaz migre rapidement
dans les couches supérieures où il est
exploitable.
Une fois exploitée, comment cette
nouvelle source d’énergie peut-elle
être utilisée ? Pour le moment le plus
simple est d’envisager un usage local
dans l’industrie et les transports. À
condition cependant que les
constructeurs automobiles continuent
d’investir dans la voiture à hydrogène
et ne concentrent pas tous leurs ef-
forts uniquement sur l’électrique. Or
il faut pour cela les convaincre que la
filière est solide. « En Albanie, le flux
naturel d’hydrogène que nous avons
découvert est de 200 tonnes par an,
rappelle Laurent Truche. C’est le plus
élevé mesuré à ce jour, mais c’est
l’équivalent du plein de 1 000 voitures
Toyota Mirai pendant une année. Pour
le moment aucune compagnie n’inves-
tira pour construire les infrastructures
pour si peu. Mais les découvertes de ré-
servoir se multiplient. Et il va certaine-
ment y avoir à court terme des exploi-
tations de niche. On travaille dur pour
que ce soit le cas le plus rapidement
possible. Le chemin est encore long,
mais j’espère vraiment que l’hydrogène
naturel aura une part tangible dans le
mix énergétique futur. »
De l’avis de l’ensemble des experts,
l’hydrogène naturel ne permettra pas
à lui tout seul de transformer notre
modèle énergétique. Mais couplé aux
autres énergies durables, il pourrait
jouer un rôle non négligeable. L’Euro-
pe envisage d’ailleurs un grand projet
de pipeline pour transporter l’hydro-
gène vert depuis ses lieux de produc-
tion vers les utilisateurs. Or celui-ci
passe justement très près du gisement

méable à l’eau et perméable aux gaz, Si des forages peuvent théoriquement la croûte océanique. À très haute pres- lorrain, ce qui permettrait de l’y relier
25 km pour ne remonter que du gaz. » descendre à ces niveaux, le record sion et en contact de l’eau, il peut for- à moindre coût. Un signe du destin ? ■

Siya Kolisi : « Il m’arrive de pleurer
quand ce n’est pas facile »
Propos recueillis par Arnaud Coudry
Le capitaine des Springboks champions
du monde se confie sur sa nouvelle vie
en France et ses ambitions avec le Racing 92.
U
n large sourire barre son
visage en permanence.
Siya Kolisi, 32 ans, est un
rugbyman à la joie de vivre
communicative. Dans la
foulée du doublé planétaire
réalisé par les Springboks à la dernière
Coupe du monde, le troisième ligne a dé-
barqué au Racing 92. Avec un objectif : ga-
gner enfin un premier titre en club, lui qui a
tout raflé en sélection nationale (vainqueur
de la Coupe du monde en 2019 et 2023).
Pour Le Figaro, le premier capitaine noir de
l’Afrique du Sud - enfant du township de
Zwide, près de Port Elizabeth, élevé par sa
grand-mère après la mort de sa mère alors
qu’il avait 15 ans - s’est longuement confié.
Avec une sincérité désarmante.
LE FIGARO. - Comment vous sentez-
vous dans votre nouvelle vie ?
SIYA KOLISI. - Je me sens vraiment
bien ! Je suis super heureux de voir com-
ment les choses se passent ici, au Racing.
Ce n’est jamais facile d’arriver dans un
nouvel endroit. Mais j’ai essayé dès le
début de ne pas être timide, renfermé sur
moi, j’ai donc décidé de rester moi-mê-
me car le plus important est ce que je fais
sur le terrain. C’est ma préoccupation
principale. Il m’a fallu trouver le bon
équilibre car je suis aussi quelqu’un de
très social, qui aime prendre du plaisir.
Sur mes réseaux, je montre beaucoup de
choses pour que les Sud-Africains puis-
sent voir comment ça se passe à Paris, je
plaisante aussi beaucoup. Car les choses
ne vont pas bien en Afrique du Sud, j’es-
saie donc de leur changer les idées et de
les faire rire un peu. J’essaie de leur ap-
porter de l’énergie positive, comme à
mes nouveaux coéquipiers. Au début,
j’étais un peu « down » car il fallait que je
m’adapte à cette nouvelle vie. Il y a
moins de soleil ! (Sourire.) Une fois,
j’étais un peu triste et, dans une bouti-
que, j’ai rencontré une compatriote qui
m’a expliqué que c’était dû au manque
de soleil. Mais tout s’est arrangé depuis,
je me sens bien ici. Le temps n’est plus un
problème pour moi.
Est-ce que cela a été un choix difficile,
de quitter l’Afrique du Sud ?
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours
voulu venir un jour jouer en France. C’est
bizarre parce que, dans le même temps, je
ne voulais pas quitter mon pays. On avait
commencé à échanger avec les dirigeants
du Racing il y a quelques années mais cela
n’avait pas pu se faire. L’opportunité s’est
représentée et j’ai sauté dessus. Les cho-
ses se sont faites rapidement, je n’aime
pas balader les gens en disant un coup
oui, un coup non. J’ai rencontré Jacky
(Lorenzetti) et j’ai ensuite échangé avec
Yannick (Nyanga, manager du club) ou
Dan Carter, qui m’a vivement recom-
mandé de tenter l’aventure.
A-t-il été compliqué de basculer
dans cette nouvelle vie
après la Coupe du monde ?
Le club m’a laissé un mois après le Mon-
dial, je ne suis arrivé au Racing qu’en no-
vembre. J’avais envie de venir le plus ra-
pidement possible. On a eu notre tournée
des villes en Afrique du Sud avec les
Springboks et puis je suis venu, j’avais
envie de m’entraîner. Les gros matchs
arrivaient en Champions Cup, je voulais
apprendre rapidement le nouveau systè-
me de jeu.
Quel regard portez-vous désormais
sur le rugby français ?
J’avais eu un avant-goût du rugby fran-
çais l’an dernier, en Champions Cup,
quand nous avions affronté Toulouse
avec les Sharks. Ça m’avait complète-
ment retourné ! En arrivant en bus, tous
les supporteurs nous attendaient, ils
avaient fait un couloir pour nous laisser
passer et ils nous applaudissaient à tout
rompre. Depuis le terrain aussi, on les
entendait hurler, c’était dingue. Avant
d’arriver en France, mes coéquipiers
Eben (Etzebeth) et Cheslin (Kolbe)
m’avaient prévenu : « Ça va te retour-
ner ! » Quand tu joues à domicile, que ce
soit à Toulouse, Toulon ou Bayonne, tou-
te la ville est derrière toi. La France est un
pays qui aime le rugby.
Sport le figaro mardi 20 février 2024 11
Le Top 14 est réputé pour être très
physique. Vous confirmez ?
Oh oui, carrément ! Si tu n’es pas prêt à
ce défi, tu peux vite sombrer. En
Champions Cup, c’est différent. Les
clubs anglais, par exemple, jouent
beaucoup plus, ils tiennent plus le bal-
lon. En France, on met l’accent sur la
mêlée, les mauls, les rucks. Même si, on
l’a bien vu, des équipes comme Tou-
louse, La Rochelle ou l’UBB proposent
aussi du jeu.
Auriez-vous imaginé jouer dans une
autre équipe en France que le Racing 92 ?
Non. Les choses se sont faites naturelle-
ment. Avant de venir, j’avais aussi parlé à
Gaël (Fickou) et Cameron (Woki). Trevor
(Nyakane) joue ici, j’ai aussi affronté par
le passé Juan (Imhoff). Il y avait des
joueurs que je connaissais.
Le Racing 92 n’a gagné qu’un Brennus,
en 2016, depuis l’arrivée de Jacky
Lorenzetti. Ressentez-vous une forte
attente de gagner un autre titre ?
Oui, l’attente est forte de la part de l’ex-
térieur, mais de la part des joueurs aussi.
Tout le monde travaille dur pour essayer
de gagner un autre titre. Pour moi, c’est
très important : je n’ai jamais gagné un
titre en club, rien. Je veux gagner mon
premier titre en club au Racing. Et pas
seulement un, mais plusieurs ! On est en
train de construire une équipe très solide.
Pour le moment, on n’est pas encore
aussi fort qu’on veut l’être.
Comment expliquez-vous les difficultés
actuelles du Racing après le retour
des internationaux ?
On est encore en train d’apprendre de
nouvelles choses, un nouveau système de
jeu. Moi, je dois aussi apprendre une
nouvelle langue, ce n’est pas facile. Avec
« coach Stuart », on travaille dur, je peux
vous le dire. Il place le curseur très haut.
Je pense qu’on va monter en puissance
au fil de la saison.
Samedi soir, il y a le derby contre
le Stade Français. Vous avez déjà
compris l’importance de ce match ?
Le premier match auquel j’ai assisté, en
tribunes, c’est le match aller entre les
deux clubs. Je me suis bien rendu compte
de ce que représente ce match. Chaque
fois que je me levais, j’étais conspué…
(Sourire.) J’ai vite compris ! Cela ne « Quand tu joues à domicile, que ce soit à Toulouse, à Toulon ou à Bayonne, toute la ville est derrière toi. La France est
m’était jamais arrivé. Au début, j’avais un pays qui aime le rugby », souligne Siya Kolisi, le troisième ligne sud-africain du Racing 92. D. MULLAN / Getty Images via AFP
envie de me cacher mais j’ai continué à
supporter mon équipe : « Allez, allez ! »
(en français). On a aussi quelques derbies
Vous êtes le rugbyman avec le plus
d’abonnés sur Instagram ( 1,2 million)…
Vous arrive-t-il d’être triste ?
Oui. J’ai la chance d’être bien entouré, je en bref
en Afrique du Sud, je connais ça et ce que J’ai juste envie de transmettre de la bon- les appelle quand ça ne va pas. Mes coéqui-
ça représente. ne humeur. Tout le monde sait d’où je piers aussi sont précieux. Henry (Chavan- L1 : Gattuso emporté à son
viens : enfant je n’avais pas de chaussu- cy) vient me voir quand il voit que ça ne va tour par la lessiveuse OM
Comment expliquer que les Sud- res, pas de quoi manger, mais j’étais heu- pas. « Ibou » (Ibrahim Dialla) plaisante
Africains s’adaptent si facilement reux grâce à ma grand-mère, qui m’a beaucoup et me soutient. Je ne suis pas Il a tenu moins de cinq mois :
au jeu en France, contrairement élevé. Elle disait : « Ne laisse pas les mo- seul, ma famille est là. Tout n’est pas tout le arrivé en septembre en
à certains autres joueurs étrangers ? ments difficiles tout gâcher dans ta vie. » temps fabuleux, parfois c’est dur. Alors, il remplacement de Marcelino,
Les Sud-Africains aiment le jeu physi- J’essaie donc d’être positif sur ce réseau. m’arrive d’être triste, de pleurer quand je l’entraîneur italien Gennaro
que et rugueux, c’est la raison princi- Si une seule personne a retrouvé le souri- rentre chez moi et que ce n’est pas facile. Gattuso va déjà quitter Marseille
pale. Après, je pense que nous sommes re grâce à moi, cela suffit à mon bonheur. Je suis une personne comme les autres. J’ai (9e de L1), un club qu’il n’a pas
très proches dans nos modes de vie : on Je ne fais pas ça pour être cool, pour être les mêmes émotions. Quand je suis triste, réussi à remettre en ordre de
aime le vin, la bonne viande, les bar- drôle, c’est juste pour transmettre un peu j’essaie de rendre quelqu’un heureux et ça marche et qui reste marqué par
becues. de joie et de sourire. me rend alors heureux à mon tour. ■ une instabilité presque maladive.
« Je ne pense pas encore à la Coupe du monde 2027 »
Que gardez-vous en mémoire de votre me vois juste comme un modèle pour compte que tout est possible. Peu im- mais il est surtout très concentré sur la
sacre à la dernière Coupe du monde ? ma femme, mes enfants et mes proches. porte si les choses sont dures. Si tu tra- vie du groupe en dehors du terrain. Il
Le retour à la maison, assurément. Je ne me considère pas comme un géant vailles dur et que tu crois en tout, les op- nous aime et il veut le meilleur pour
C’était quelque chose de très puissant de pour les autres. J’essaie juste de faire portunités vont se présenter, à toi de les nous. Il se donne sans compter pour
présenter ce trophée aux nôtres. Je bien des choses simples. Cela peut être saisir. Ceux qui sont en grande difficulté l’équipe, on le sent, et cela nous pousse.
n’avais jamais vu quelque chose comme une source d’inspiration. Mais j’ai bien peuvent se dire : il l’a fait, donc je peux le Il connaît nos histoires, nos parcours,
ça. Tout ce qu’on avait accompli, on conscience qu’il faut que je donne le faire. C’est ça qui est important pour nos moments difficiles. Il s’en sert pour
l’avait fait pour eux. Et ils nous l’ont meilleur de moi-même en permanence, moi. C’est pourquoi je n’ai pas le droit nous encourager.
bien rendu. C’était important de parta- car les gens me regardent. Il faut aussi d’abandonner, de baisser les bras, je dois
ger cela avec notre communauté. Le que je rende aux autres ce qu’ils me bien me comporter, faire bien les cho- Pensez-vous à la prochaine Coupe
sport en Afrique du Sud, c’est bien plus donnent, c’est également grâce à eux ses, parce qu’il y a des gens qui me re- du monde en 2027 ?
qu’un jeu. Déjà en 1995, Nelson Mandela que j’en suis là. gardent et qui croient en ce que j’ai fait. Je n’y pense pas encore. Là, je reste
avait utilisé le sport pour changer et ras- concentré sur le Racing, je veux gagner
sembler le pays. C’est encore le cas. Vous êtes devenu le premier capitaine Votre sélectionneur Rassie Erasmus des titres. La Coupe du monde, si ça ar-
noir des Springboks. Qu’est-ce que a une image controversée, surtout en rive, ça arrivera. Je ne peux pas prévoir
Vous êtes un modèle pour beaucoup cela a changé dans votre vie ? France. Mais qu’est-ce qu’il représente le futur. Je reste concentré sur le pré-
de jeunes en Afrique du Sud. Ressentez- Cela a surtout changé les choses pour les pour vous ? sent. Ici, j’ai la responsabilité de donner
A
vous une responsabilité particulière ? gens de couleur, qu’ils soient d’un milieu C’est quelqu’un de très intelligent. On le meilleur de moi-même. J’aime tra-
Je ne me vois pas comme un modèle. Je défavorisé ou pas. Ils se sont rendu parle beaucoup de son côté tacticien, vailler pour cela. ■
 12 mardi 20 février 2024 le figaro
LE CARNET
deuils
DU JOUR
Tours.
Les annonces sont reçues
Philippe et Martine Barbier,
avec justiication d’identité François et Marie-Dominique
Barbier,
ses enfants,
du lundi au vendredi
Chloé et Antoine Baudoux,
de 9h à 13h et de 14h à 18h Flore et Mathieu de Sazilly,
Alizée et Benjamin Edmond,
(excepté les jours fériés) Augustin Barbier,
Louis Barbier,
et tous les dimanches ses petits-enfants,
de 9h à 13h. Elise, Agathe, Raphaël
et Charles,
ses arrière-petits-enfants,
Elles doivent nous parvenir ainsi que les familles Aujay,
Barbier, Joubert et Roussel
avant 16 h 30
ont la tristesse
pour toutes nos éditions de vous faire part
du rappel à Dieu de
du lendemain,
avant 13 h les dimanches. Mme Michelle BARBIER
née Joubert,
chevalier
de la Légion d'honneur,
ancienne présidente
Courriel de chambre
au tribunal de commerce
carnetdujour@media.figaro.fr de Tours,
Téléphone
le 16 février 2024,
01 56 52 27 27 dans sa 96e année, munie
du sacrement des malades.
La cérémonie religieuse
sur notre site sera célébrée
le samedi 24 février,
carnetdujour.lefigaro.fr à 11 heures,
en la cathédrale Saint-Gatien
de Tours,
suivie de l'inhumation
Tarif de la ligne € TTC : dans le caveau de famille,
au cimetière La Salle,
Du lundi au jeudi à Tours-Nord.
26 € jusqu’à 25 lignes La famille remercie
24 € à partir de 26 lignes toutes les personnes
qui s'associeront à sa peine.
Vendredi ou samedi
Cet avis tient lieu de faire-part.
29 € jusqu’à 25 lignes
27 € à partir de 26 lignes
Réduction à nos abonnés :
nous consulter Chevreuse (Yvelines).
Benoit et Christine Barral,
Christophe Barral (†),
Les lignes comportant des Jérôme Barral,
Sophie et Patrick Rabéjac,
caractères gras sont facturées Pascaline et Nadim (†)
El Khoury Atieh,
sur la base de deux lignes ; Martin Barral,
Guillaume et Maïté Barral,
les effets de composition ses enfants,
sont payants ; ses vingt-et-un petits-enfants
chaque texte doit comporter et leurs conjoints,
ses vingt-trois
un minimum de 10 lignes. arrière-petits-enfants
Chantal Barral,
Colette Bousquet
Naissances, Commémoration,
ont la tristesse
Adoptions, Signatures,
de faire part du décès de
Baptêmes, Départsen
Fiançailles, retraite, Kitty BARRAL
Mariages, Vœux, née Bourquelot,
Deuils,
Anniversaires,
survenu le 16 février 2024,
Centenaires, Condoléances,
dans sa 96e année.
FêtedesMères, Remerciements,
FêtedesPères, Souvenirs, La cérémonie religieuse
Saint-Valentin, Messeset sera célébrée en l'église
anniversaires, Saint-Martin de Chevreuse,
Noces,
Communica- Officesreligieux, le vendredi 23 février,
tionsdiverses, Prised’habit, à 10 heures, suivie
de l'inhumation, à 14 heures,
Conférences, Jubilé, dans le caveau de famille
Thèses, Jubilésacerdotal, au cimetière
Portesouvertes, de Saint-Aubin-d'Écrosville
Ordination,
Distinctions, Vœux (Eure).
Nominations, monastiques.
sophie.rabejac@gmail.com
Reprise des annonces sur :
carnetdujour.lefigaro.fr
Le comte et la comtesse
www.dansnoscoeurs.fr Louis Baudon de Mony-Pajol,
ses parents,
M. et Mme
Tél Abonnements : Antonin Monnoyeur,
Mlle Aurore
01 70 37 31 70 Baudon de Mony-Pajol,
M. et Mme Hugo Meley,
ses sœurs et beaux-frères,
Léonard, Jacques, Edmond,
ses neveux,
ont la douleur de faire part
du rappel à Dieu du
comte Adrien
BAUDON de MONY-PAJOL
lors de sa mission humanitaire
en Ukraine, le 1er février 2024,
à l'âge de 42 ans, à Beryslav.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le vendredi 23 février, à 14 h 30,
en l'église d'Azat-le-Ris
(Haute-Vienne).
Delphine et Marie-Caroline,
ses filles, et leur mère,
Marie-Hélène Lacoste,
Éloi, Constance et Victoire,
ses petits-enfants,
Prévoir, organiser,
accompagner vous font part du décès de
Jean-François CHARPENTIER
Demandez-le
par courriel : La cérémonie aura lieu
ce mardi 20 février 2024,
A
carnetdujour@media.figaro.fr à 10 h 30, à Paris (18e),
en l'église
Saint-Pierre-de-Montmartre.
Le carnet du jour
Annie, son épouse,
Aurélie, sa fille,
Siloé et Marin,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part
du décès de
Antoine BOISSAYE
survenu le 13 février 2024,
dans sa 84e année.
La cérémonie civile a eu lieu
dans l'intimité.
L'inhumation
se tiendra au cimetière
du Père-Lachaise, à Paris,
dans le caveau familial.
aboissaye@yahoo.fr
Mme Jehan Charrié,
née Marie-Madeleine
de Verchère d'Availly,
son épouse,
Augustin Charrié,
Ségolène Charrié,
Matthieu Moineville,
Etienne Moineville,
ses enfants et beaux-enfants,
Corinne et Hubert
le Moniès de Sagazan,
Dominique Charrié,
Catherine Charrié,
ses sœurs et beau-frère,
les familles Charrié
et de Verchère d'Availly
ont la très grande tristesse
de vous faire part du décès de
M. Jehan CHARRIÉ
né à Gand le 8 novembre 1959
et décédé à Uccle,
le 15 février 2024.
La cérémonie religieuse
se dérouleraà l'abbaye
Notre-Dame de la Cambre,
Ixelles (Belgique),
le vendredi 23 février 2024,
à 11 heures.
Réunion à l'abbaye.
Montravers (Deux-Sèvres).
Maguelonne
et Franck Semoulin,
Ombeline et Matthieu Celier,
ses filles et gendres,
Paul, Axelle, Carl et Jeanne,
ses petits-enfants,
en union avec
Charles-Eric,
marquis de Cossart d'Espiès (†),
son époux,
et Anne-Catherine
de Cossart d'Espiès-Michel (†),
sa fille,
ont la douleur
de vous faire part
du rappel à Dieu de la
marquise
de COSSART D'ESPIÈS
née Stéphanie
de La Barre de Nanteuil,
qui s'est endormie dans
l'espérance de la Résurrection,
le 17 février 2024,
à l'âge de 70 ans.
La messe des funérailles
sera célébrée en I'église
de Montravers, à 14 heures,
le mercredi 21 février,
suivie de l'inhumation
au cimetière.
Stéphanie repose
à la chapelle de I'abbaye
de Beauchêne jusqu'au
mercredi 21 février,
à 12 heures.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Saint-Nolff (Morbihan).
Compiègne (Oise).
En union avec son époux,
Robert Haut (†),
Christine (†) et Daniel
Pouchon,
sa fille et son gendre,
Catherine Haut,
sa fille,
Charles et Arthur Pouchon,
ses petits-fils,
ses neveux, nièces
et leurs conjoints
ont la tristesse
de vous faire part du décès de
Mme Marcelle HAUT
née Barette,
survenu le 15 février 2024,
à Vannes (Morbihan),
à l'âge de 88 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le vendredi 23 février,
à 15 h 30, en l'église
Saint-Germain de Compiègne,
suivie de l'inhumation
au cimetière Nord
de Compiègne,
auprès de son mari et de sa fille.
Dinard. Nantes. Rennes. Paris.
M. Gérard Hochet,
son époux,
Marie Edith et Philippe
Yzambart,
Florence et François Michel
Hay,
Violaine Le Rudulier,
Xavier et Ariane Hochet,
ses enfants,
ses petits-enfants
et leurs conjoints,
ses 13 arrière-petits-enfants
et l'ensemble de la famille
ont la tristesse
de vous faire part
du rappel à Dieu de
Maryvonne HOCHET
née de Lorgeril,
dans sa 98e année.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le vendredi 23 février 2024,
à 10 h 30, en l'église
Saint-Enogat de Dinard.
La famille remercie
toutes les personnes
qui prendront part à sa peine.
Le colonel (h.) Gérard Lagane,
son époux,
ses enfants,
Mathias, Thomas,
François, Elisabeth,
et leurs conjoints,
ses petits-enfants
ont la douleur d'annoncer
le décès de
France LAGANE
née Vandamme,
le 14 février 2024, à Paris.
La cérémonie religieuse
aura lieu en l'église
Saint-Thomas-d'Aquin,
à Paris (7e),
ce mardi 20 février, à 15 heures.
Ni fleurs ni couronnes.
Bordeaux.
Le vicomte
Dominique de Laitre,
son époux,
Maylis et Michel Bronstun,
Bernard et Sandra de Laitre,
Frédéric et Cécile de Laitre,
Astrid et François Maréchal,
Nicolas et Stéphanie de Laitre,
ses enfants,
ses vingt-six petits-enfants
vous font part
du rappel à Dieu de la
vicomtesse
Dominique de LAITRE
née Béatrice Jouslin de Noray,
le vendredi 16 février 2024.
La messe d'obsèques
sera célébrée
ce mardi 20 février, à 14 heures,
en la basilique Saint-Seurin
de Bordeaux.
L'inhumation
aura lieu au cimetière
de Vasselay (Cher).
Paris (6e).
François Chevallier,
son compagnon,
Yvette Maréchal,
sa cousine,
sa famille
ont la tristesse
de faire part du décès de
Christian MARÉCHAL
dit Kristian LE MOULT
artiste peintre,
survenu le 7 février 2024,
à Cannes.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
en l'église Sainte-Philomène,
au Cannet (Alpes-Maritimes),
le mercredi 21 février, à 10 h 30.
Marie-Noël Ragueneau,
son épouse,
Laure Ragueneau
et Thomas Piot,
Edouard Ragueneau,
Cécilia et Mathieu
Morgensztern,
Mathilde et Thomas Stierle,
ses enfants,
ses petits-enfants
et arrière-petits-enfants
ont la grande tristesse
de vous faire part du décès de
Gilles RAGUENEAU
survenu le 18 février 2024,
à Paris, à l'âge de 83 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée le jeudi 22 février,
à 10 h 30, en l'église
Notre-Dame-de-l'Assomption-
de-Passy, Paris (16e).
L'inhumation aura lieu
au cimetière de Clérey (Aube),
dans l'intimité familiale.
Laurie McGraw,
Les éditions du Figaro
Alexandre
de Toulouse-Lautrec
En vente actuellement
ont la tristesse
de faire part de la disparition
de leur mère, la
comtesse Charles-Constantin
de TOULOUSE-LAUTREC
née Miranda Redfield,
le 16 février 2024,
à l'âge de 89 ans,
à Verneuil-sur-Vienne.
Elle sera incinérée
le vendredi 23 février, à 11 h 45,
au crématorium de Landouge
(Haute-Vienne).
La famille recevra ses amis
après la cérémonie.
Thierry de Roucy,
Isabelle de Roucy,
Laurence de Roucy-Vasselle
et Pierre-Louis Vasselle,
Guillaume et Anne de Roucy,
ses enfants,
Anne-Claire et Quentin Forzy,
Pauline et Louis-Marie
Salefran,
Marie-Astrid Vasselle,
Alix et Simon Ménard,
Hortense, Sixtine Vasselle,
Alban, Charlotte, Timothée,
Capucine de Roucy,
ses petits-enfants,
et ses 12 arrière-petits-enfants
ont la tristesse
de vous faire part
du retour à Dieu de
Mme Alain de ROUCY
née Colette
Duflos de Saint Amand,
le 16 février 2024,
à l'âge de 96 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le mercredi 21 février 2024,
à 14 h 30, en la cathédrale
Notre-Dame de Noyon (Oise).
familleacderoucy@gmail.com
Jean-Louis Roumégoux,
son époux,
Claire, Bertrand,
Quitterie et Maÿlis,
ses enfants,
Aurélien, Charlotte, Amélie,
Alexandre, Apolline,
Arthur et Jules,
ses petits-enfants,
ont la tristesse
de vous faire part
du rappel à Dieu de
Anne ROUMÉGOUX
née de Quelen,
le jeudi 15 février 2024,
à Bayonne.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le jeudi 22 février, à 14 h 30,
en l'église Saint-André
de Bayonne, suivie
de l'inhumation au cimetière
de Soorts-Hossegor (Landes).
Cet avis tient lieu de faire-part.
La comtesse
Eric de Saint Périer,
née Claude Pinget,
son épouse,
le comte
Geoffroy de Saint Périer,
son fils, et ses enfants,
le comte
Josselin de Saint Périer,
son fils, et ses enfants,
M. Pascal Ouvrard,
son beau-fils,
son épouse Maryelle,
et leurs enfants,
M. Geoffroy Ouvrard,
son beau-fils,
son épouse Laetitia,
et leurs enfants,
accompagnés
de toute la famille proche
ont l'immense chagrin
de vous faire part du décès du
comte Eric de SAINT PÉRIER
survenu subitement
le 9 février 2024,
dans sa 84e année.
La cérémonie religieuse
sera célébrée par le père
Jean-Pierre Omva Edou,
le jeudi 22 février, à 11 heures,
en l'église Saint-Cyr,
à Anet (Eure-et-Loir),
suivie de l'inhumation dans la
plus stricte intimité familiale.
18, rue de Normandie,
28260 Berchères-sur-Vesgre.
Marc, Yves, Joanna et Sylvie
vous font part du décès de
Yvette TAQUIN
née Vico,
survenu le 14 février 2024.
Une cérémonie religieuse
aura lieu en l'église
Saint-Saturnin d'Antony,
le vendredi 23 février, à 10 h 30.

Commanditée par le mouvement nationaliste Alliance des patriotes de Géorgie, une icone dédiée à Matrone de Moscou (ci-dessus) a été installée
dans la cathédrale de la Trinité, à Tbilissi. Une des saynètes (à gauche) représente Staline lors d’une rencontre avec la sainte en 1943.
En Géorgie, le fantôme de Staline
sert la propagande de Poutine
Par
Régis Genté
Tbilissi
e dernier Noël géorgien, orthodoxe,
L
n’a pas été un jour de communion
nationale. Ce 7 janvier, des citoyens
ont découvert avec stupéfaction
dans la cathédrale de la Trinité une
nouvelle icône dédiée à Sainte Ma-
trone de Moscou comprenant, dans
l’une des dix-sept saynètes disposées autour de sa
représentation en pied, un Staline en long man-
teau gris, recevant l’air docile la bénédiction de
cette sainte qui vécut de 1885 à 1952 et qui fait
l’objet d’un culte populaire, notamment chez les
femmes russes.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher une viru-
lente polémique sur la terre natale de Joseph Sta-
line, théâtre d’une guerre de tranchées civilisa-
tionnelle entre ceux qui aspirent à devenir
« européens » (plus de 80 % des 3,7 millions de
Géorgiens, selon les derniers sondages) et divers
segments de la société, dont le gouvernement, qui
restent disposés à composer avec l’ancienne puis-
sance coloniale. « C’en était trop, en particulier en
cette année où nous commémorons les cent ans du
soulèvement d’août 1924, où des milliers de nos
compatriotes qui voulaient rétablir l’indépendance
de la Géorgie ont été tués par le pouvoir bolchevique,
sur les ordres de Staline », réagit Guiorgui Kandé-
laki, membre de Sovlab, un collectif d’historiens
qui explore le passé totalitaire de l’ex-république
soviétique.
Pour cet ancien député, du Mouvement national
uni de Mikhaïl Saakachvili (président pro-occi-
dental de 2004 à 2013), « c’est le résultat, hélas effi-
cace, du travail des services de sécurité et de la pro-
pagande russes qui, à travers l’image de Staline,
tentent de nous couper du monde occidental ». Selon
de récentes enquêtes d’opinion, 43 % des Géor-
giens pensent que la culture et les valeurs natio-
nales étaient mieux protégées du temps de l’URSS,
soit 12 % de plus qu’en 2021.
« Kandélaki et les autres “libérastes” ont monté
cette polémique à des fins purement politiciennes »,
rétorque Irma Inaïchvili, secrétaire générale de
l’Alliance des patriotes de Géorgie, mouvement
nationaliste qui plaide pour la neutralité du pays.
Ce parti a publié en 2020 une lettre ouverte au pré-
sident russe Vladimir Poutine afin de lui demander
« assistance » pour construire des relations « sin-
cères et amicales entre la Géorgie et la Russie ».
Champs libres
E n q u ê t e
Joseph Staline était
géorgien. Il est
aujourd’hui au cœur
de l’instrumentalisation
de l’histoire opérée
par la machine
de désinformation
et de manipulation du
régime poutinien dans
cet ex-satellite soviétique.
Irma Inaïchvili est en fait la commanditaire de
cette icône. « Nous avons demandé à une nonne
géorgienne d’“écrire” cette icône, comme l’on dit
ici, à la fois pour demander à Sainte Matrone de
Moscou, réputée pour ses miracles de guérison, de
sauver une de nos amies proches condamnée par un
cancer, et parce que Sainte Matrone est très popu-
laire en Géorgie. Cette icône fait 2,70 m de haut, la
représentation de Staline 10 cm. Contrairement à ce
que dit Guiorgui Kandélaki, c’est une icône de Sainte
Matrone, pas une icône de Staline. Et c’est l’auteur
qui a choisi de peindre cette scène où Staline est allé
consulter Sainte Matrone, en 1943, pas moi », expli-
que la politicienne géorgienne, un œil sur les notes
préparées pour notre entretien.
Manifestation d’une guerre hybride
Dans le contexte tendu qui règne en Géorgie, sur
fond de guerre en Ukraine et de rapprochement
avec Moscou, conduit par le gouvernement sous la
houlette de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, l’image
de Staline cristallise les oppositions au sein de la
société géorgienne. « Il n’est pas vrai que Sainte
Matrone de Moscou soit populaire en Géorgie. C’est
une sorte d’importation, artificielle. Et bien sûr nous
soupçonnons que c’est là l’œuvre des services de sé-
curité russe, sachant que la réécriture de l’histoire,
notamment autour de la figure de Staline, est au
cœur de la façon dont Poutine projette son pouvoir.
Sainte Matrone fait le lien entre d’un côté le récit de
Poutine sur la Russie victorieuse du nazisme, pour
mieux faire oublier le pacte Molotov-Ribbentrop
d’août 1939, et de l’autre l’orthodoxie et un Staline
orthodoxe qui lui sert à justifier ses ambitions impé-
rialistes », estime Beka Mindiachvili, spécialiste de
l’Église orthodoxe géorgienne.
Quantité d’indices convainquent les libéraux
géorgiens, proeuropéens, qu’il s’agit d’une autre
manifestation de la guerre hybride que mène le ré-
gime poutinien, quinze ans après que les chars
russes ont envahi une partie du pays. Quand bien
même, explique Nikolaï Mitrokhine, expert de
l’orthodoxie et de l’Église russes, « Sainte Matrone
de Moscou n’est pas elle-même un instrument de la
propagande de Moscou. Cette sainte, aveugle de
naissance, fait l’objet d’un culte surtout auprès des
femmes en Russie et dans l’espace post-soviétique.
Mais le Patriarcat de Moscou n’a pas reconnu la
rencontre de la sainte et du dirigeant bolchévique, ce
qui fait que l’épisode n’a pas le brevet officiel de
l’Église russe ».
Mais le faisceau d’indices et le combat politique
au cœur des montagnes caucasiennes aiguisent
les craintes d’avoir à faire à une attaque à la
« bombe de propagande » stalinienne. L’Alliance
des patriotes de Géorgie de Irma Inaïchvili est ac-
cusée de toucher directement de l’argent du
Kremlin, depuis les révélations d’août 2020 du
« Centre Dossier », projet de l’ex-oligarque russe
Mikhaïl Khodorkovski. Des documents hackés
provenant de l’équipe d’un membre de l’admi-
nistration présidentielle russe, le général du SVR
(Services des renseignements extérieurs)
Vladimir Tchernov, montrent que ce parti a perçu
près de 1,5 million d’euros pour faire campagne
lors des législatives de 2020 et s’attacher les ser-
vices d’un cabinet de communication. « Ce sont
des documents fabriqués », se contente de nous
répondre Irma Inaïchvili, avant de souligner
qu’elle est « critique à l’égard de Staline, parce
qu’il n’était pas croyant, contrairement à moi, tout
en reconnaissant que c’était un bon stratège et un
grand homme politique ».
Quant à l’Église géorgienne, ses liens avec Mos-
cou inquiètent les proeuropéens du pays. En sep-
tembre 2021, un ancien officier des Services de sé-
curité d’État, gardant l’anonymat, rendait publics
des milliers de fichiers de son organisation relatifs
à l’Église nationale, une partie des dossiers traitant
des liens entre les hiérarques du patriarcat et le
FSB, héritier du KGB soviétique. Une Église dont le
vénéré Patriarche, Ilia II, 91 ans, « a pu déclarer
dans la presse russe qu’il n’y a qu’une fois tous les
mille ans des hommes politiques comme Staline », se
souvient Beka Mindiachvili.
La polémique a pris un tour un peu plus agité
après qu’une activiste, Nata Peradzé, a lancé le
le figaro mardi 20 février 2024 13
IRAKLI GEDENIDZE/REUTERS
9 janvier de la peinture bleue sur l’icône. Ce qui lui
a valu une condamnation à 5 jours de prison. Aus-
sitôt, le mouvement Alt-Info, qui se présente à la
fois comme ultranationaliste et prorusse, coutu-
mier d’actions violentes faisant l’objet d’une gran-
de clémence de la part du pouvoir, a organisé un
rassemblement pour le moins agité sous les fenê-
tres de Nata Peradzé. « Il ne faut pas trop politiser
ces déclarations du Patriarche ou cette icône, je
crois. Nous sommes dans un pays qui a vu naître un
personnage qui a joué un rôle immense dans l’his-
toire mondiale. De Staline, les Géorgiens disaient
dans les années 1950 et suivantes qu’il avait régné
sur un septième des terres émergées de la planète,
certes en parlant russe, mais avec un accent
géorgien. On peut le déplorer, et je le déplore moi-
même, mais il faut le comprendre aussi », relativise
Levan Abachidzé, politiste membre du comité
d’experts de l’Église géorgienne.
Acteurs politiques liés à Moscou
Un climat est ainsi créé par petites touches autour
de la figure de Staline en Géorgie, avec des acteurs
politiques et sociaux manifestement liés à Moscou.
« C’est comme cela que l’on a vu refleurir une dou-
zaine de statues de Staline dans notre pays depuis que
le parti Rêve Géorgien est arrivé au pouvoir en 2012.
Le la a été donné en 2015 par le premier ministre de
l’époque, Irakli Garibachvili, qui avait déclaré, lors
des célébrations du 70e anniversaire de la fin de la
Seconde Guerre mondiale, que ce jour était si impor-
tant et spécial en Géorgie parce que cette guerre avait
été remportée par un Géorgien », déplore Guiorgui
Kandélaki. Notons que les célébrations relatives à la
fin de la Seconde Guerre mondiale sont organisées
le 9 mai en Géorgie, comme en Russie, et non le
8 mai comme chez nous.
Dans ce contexte, le collectif Sovlab vient de pu-
blier un livre intitulé La Géorgie contre Staline,
présenté vendredi 16 février à l’Institut Goethe à
Tbilissi. Un projet expérimental, pour lequel des
historiens ont exploré des documents parfois iné-
dits, malgré un accès aux Archives nationales de
plus en plus restreint, et confié la rédaction du
texte à un écrivain. « Il s’agit, à travers ma modeste
plume, de rendre accessible à un large public ce ma-
tériau montrant le vrai Staline, hué en 1921 par des
ouvriers géorgiens alors qu’il s’adressait à eux en
russe, responsable de la mort de millions de gens…
C’est crucial parce que la propagande russe et les
forces qui lui font écho ici nous enlèvent notre avenir.
Comme Staline nous a enlevé notre vingtième siècle,
qui promettait d’être moderne et non pas un ré-
A
chauffé des vielles tyrannies », martèle l’auteur de
l’ouvrage, Lacha Boughadzé. ■
 14 mardi 20 février 2024 le figaro
Juif, étranger, mâle blanc : « La recherche de boucs
émissaires est le propre des sociétés malades »
Henri Guaino
Cent ans après la naissance de René
Girard, les travaux du philosophe sur
le bouc émissaire restent incontournables
pour comprendre les maux de notre
société, estime l’essayiste* et ancien
conseiller spécial de Nicolas Sarkozy
à l’Élysée. Nous vivons en effet, selon lui,
un moment dangereux, le grand retour
de tous les refoulés de l’histoire, ceux
des civilisations, des religions, des luttes
de classes, des luttes de peuples,
des luttes de races avec leurs cortèges
de boucs émissaires : juif, politicien,
agriculteur, mâle blanc. Si la recherche de
coupables tout désignés est une constante
de l’histoire, cette tendance est exacerbée
lorsqu’on renonce à l’idée d’une civilisation
commune et que les fractures prennent le
pas sur l’espérance, analyse-t-il. La haine
de soi, conclut l’essayiste, est la porte
ouverte à la haine des autres.
Fabien clairefond
A
Champs libres
D é b a t s
Q
ui est le bouc émissaire ? C’est l’in-
nocent qui paie pour les autres. « Ce
pelé, ce galeux » dans la fable des
Animaux malades de la peste, d’où
viendrait tout le mal. Les « corps
noirs qui se balancent dans la brise du
Sud. Un fruit étrange suspendu aux
peupliers. Les yeux révulsés et la bouche déformée »
dans la chanson de Billie Holiday. La femme tondue
à la Libération, « La malheureuse qui resta/ Sur le
pavé/ La victime raisonnable/ À la robe déchirée/ Au
regard d’enfant perdue » (Paul Éluard). Bouc dans la
Bible. Âne dans la fable. Œdipe chez Sophocle.
Chrétien dans l’Empire romain. Lépreux au Moyen
Âge. Sorcière aux XVIe et XVIIe siècles. Protestant à
la Saint-Barthélemy. Noble sous la terreur. Bour-
geois pendant la Commune. Arménien dans l’Em-
pire ottoman finissant. Petit paysan propriétaire
sous Staline. Juif, gitan, homosexuel pour les Nazis.
Communiste en Amérique au temps du maccar-
thysme. Intellectuel pendant la révolution culturel-
le de Mao. Copte en Égypte. Musulman en Inde.
N’importe qui peut l’être. Il n’est pas l’exclusivité
d’une idéologie, d’une religion, d’un parti. C’est la
nature humaine qui se rappelle à nous.
Il y a un siècle, l’ethnologue britannique James
Frazer écrivait : « L’idée qu’on peut transférer ses
sentiments de culpabilité ou ses souffrances vers un
autre être qui les portera à notre place est une notion
familière à l’esprit du sauvage », sous entendant
qu’elle était étrangère à l’esprit moderne. C’était
quelques années avant que ne se produisît la plus
grande persécution de boucs émissaires de l’histoi-
re. L’esprit moderne a effacé le rituel, mais pas la
vérité qui se cachait derrière, celle du mécanisme
par lequel un groupe miné par la violence miméti-
que de tous contre tous cherche à se réunifier dans
la persécution d’un seul ou d’une minorité désigné
comme responsable du malheur collectif. Depuis
toujours, il y a des meutes prêtes à bondir sur le
bouc émissaire. Autour de nous, elles pullulent. Le
« mâle blanc » est le bouc émissaire de l’indigé-
niste, le conservateur celui du progressiste, l’élite
celui du peuple et le peuple celui de l’élite, l’étran-
ger celui du Français, le Français celui de l’étran-
ger. L’agriculteur est le bouc émissaire de l’écolo-
gie, de l’Europe, de la bureaucratie, du libre-
échange, le politicien celui de tout le monde.
Chaque circonstance fabrique les siens : la pandé-
mie fit du vieux celui du jeune et du jeune celui du
vieux, de la famille venue se confiner dans sa rési-
dence secondaire celui de l’habitant du cru et du
soignant qui habitait dans l’immeuble celui du voi-
sin qui écrivait la nuit sur sa porte « Assassin ». Le
coupable, c’est l’autre, celui que, tout à coup, l’on
ne regarde plus comme son semblable. Peut-être
n’a-t-il rien fait, mais il nous faut ce coupable jeté
en pâture à la violence ou à la peur qui est en nous.
Le Christ nous a appris, dit René Girard, que le
bouc émissaire est innocent. Mais cette vérité n’est
bonne que pour les autres : leurs boucs émissaires
sont innocents, les nôtres forcément coupables.
L’esprit humain trouve toujours le moyen de s’ar-
ranger avec la vérité quand ça l’arrange : le Grec du
temps de Sophocle croit vraiment que c’est le dou-
ble sacrilège du parricide et de l’inceste d’Œdipe
qui a attiré la malédiction de la peste sur la cité ; le
Romain du temps de Néron, que les chrétiens ont
incendié Rome ; l’homme du Moyen Âge, que le
responsable de la Peste noire, c’est le Juif ou le lé-
preux, qui empoisonnent les puits. Calas est inno-
cent, mais, puisqu’il est protestant, il est coupable
d’avoir tué son fils, qui voulait se convertir au ca-
tholicisme. Les massacres de septembre 1792 sont
perpétrés par de braves citoyens qui sont convain-
cus que les nobles et les prêtres, dans leurs cachots,
vont assassiner les patriotes. Esterhazy est coupa-
ble, mais Dreyfus, juif, ne peut pas être innocent.
Ce qui fait le vrai coupable, c’est ce qu’il a fait,
non ce qu’il est. Mais la logique du bouc émissaire,
c’est celle du loup qui dit à l’agneau : « - Si ce n’est
toi, c’est donc ton frère./ - Je n’en ai point . - C’est
donc quelqu’un des tiens. » Quand beaucoup de gens
souffrent, un cri domine tous les autres : « Tous
pourris ! » À la moindre occasion, la meute se jette
sur le politicien-bouc émissaire, coupable ou pas.
Cela finit toujours mal pour tout le monde, pour la
démocratie et la liberté, et ceux qui ameutent cette
meute jouent avec le feu. Le sort fait au riche et au
patron n’est pas plus enviable. Qu’un fils de mil-
liardaire soit nommé par son père président d’une
filiale du groupe qu’il dirige et dont il est l’action-
naire principal et, aussitôt, la meute l’attaque. Lui
reproche-t-elle de ne pas être compétent ? Non.
Seulement d’être un fils de riche.
« Le « mâle blanc » est le bouc
émissaire de l’indigéniste,
le conservateur celui
du progressiste, l’élite celui du
peuple et le peuple celui de l’élite,
l’étranger celui du Français,
le Français celui de l’étranger »
On parle de l’assisté comme on parlait du lépreux
au Moyen Âge. On montre du doigt le chômeur qui
n’aurait qu’à traverser la rue pour trouver du tra-
vail. En tendant l’oreille, on entend la meute mur-
murer : « Ils l’ont bien cherché », alors que, la plu-
part d’entre eux, ne sont ni fainéants ni fraudeurs,
et vivent l’assistance ou le chômage comme un en-
fer dont ils ne demandent qu’à pouvoir s’évader. La
meute réclame qu’on les étrangle financièrement
pour qu’ils soient obligés de prendre n’importe quel
emploi, n’importe où. Abîmer leur vie n’a pas
d’importance puisqu’ils « l’ont bien cherché ». Cel-
le de leurs enfants non plus. Mais quelles sortes
d’adultes sortiront de ces enfances abîmées ? Celui
qui travaille et qui ne s’en sort pas est aussi un bouc
émissaire qui n’en peut plus de payer pour les
autres. Mais ni l’assisté, ni le chômeur, ni le tra-
vailleur de la classe moyenne ne sont pour rien dans
les politiques qui depuis des décennies font les sa-
laires trop bas, la rente foncière trop haute et partir
nos emplois à l’autre bout du monde.
L’immigré, autre bouc émissaire, est accusé de
prendre les emplois des Français. Mais qui a fait
venir l’immigré en situation régulière pour main-
tenir la pression sur les salaires ? L’immigration
récente incontrôlée a apporté son lot de désordres,
de délinquance, de violences, mais qui a ouvert en
grand les vannes de l’immigration dans une socié-
té en crise devenue incapable d’assimiler ? Qui est
responsable de l’abandon des « territoires perdus
de la République » à la loi des trafiquants et des is-
lamistes, du « pas de vague » à l’école, de la des-
truction méthodique de la transmission, du déni-
grement de toutes les formes d’autorité, de la
faiblesse de nos réponses pénales à la violence, de
notre pusillanimité dans la défense de nos princi-
pes ? On dit souvent qu’il faut avoir le courage de
nommer les choses. Mais, le bouc émissaire, c’est
une façon de ne nommer ni la cause, ni la faute, ni
le coupable.
Méfions-nous, le bouc émissaire rôde, même là
où on ne l’attend plus : durant la pandémie, bien
des gens qui ne se sentaient pas antisémites comp-
taient, sur les plateaux de télévision, les médecins
juifs. Il y a des figures de boucs émissaires qui, ayant
derrière elles des millénaires de persécutions, im-
prègnent profondément l’inconscient collectif, et la
tragédie du conflit israélo-palestinien jette les uns
contre les autres les juifs et les musulmans du mon-
de entier, victimes sacrificielles les unes des autres,
qui n’y sont pour rien. Chrétiens, juifs, musulmans,
ou damnés de la terre, selon les lieux… Nous
vivons, moment dangereux, le grand re-
tour de tous les refoulés de l’histoire,
ceux des civilisations, des religions,
des luttes de classes, des luttes de
peuples, des luttes de races avec
leurs cortèges de boucs émissaires.
Sarah Halimi, torturée, défenes-
trée, est juive. Son assassin est mu-
sulman. On le déclare pénalement
irresponsable. Pas de procès, pas de
personne à juger. Il ne reste de l’as-
sassin que la figure du musulman.
Eschyle nous l’a dit : la raison d’être
du procès est de briser le cercle de
la vengeance. Pas de procès, le bouc
émissaire devient le coupable de
substitution sur lequel on se venge :
« En ce temps-là, pour ne pas châtier
les coupables, on maltraitait des
filles. On allait même jusqu’à les ton-
dre » (Paul Éluard).
Quand on brouille la frontière entre le radicalisé
et le musulman modéré, on fait le jeu de l’islamiste
qui veut faire de tous les musulmans les boucs
émissaires des non-musulmans pour accentuer le
repliement communautaire. Quand on laisse faire
la centaine de délinquants qui pourrit la vie de tout
le quartier, de toute la ville, ce sont tous les habi-
tants du quartier qui deviennent les boucs émissai-
res de toute la ville. Quand 95 % des obligations de
quitter le territoire français ne sont pas exécutées,
la frontière se brouille entre l’étranger qui pose un
problème et l’étranger qui n’en pose pas. On regar-
de alors ces derniers avec suspicion et de la suspi-
cion au bouc émissaire, il n’y a qu’un pas.
On fait advenir le bouc émissaire quand on ne
désigne pas et que l’on ne punit pas ou pas assez le
criminel, le violeur, le voyou, le casseur, le pilleur,
l’adepte du rodéo urbain qui met en danger la vie
des autres, le récidiviste, le trafiquant de drogue qui
vend son poison et tire sur ses concurrents dans la
rue avec une kalachnikov, celui qui manipule la
meute sur les réseaux sociaux, la bande dont la vio-
lence n’a plus aucune limite ou le mineur qui fait les
basses besognes du caïd parce qu’avec l’excuse de
minorité il ne risque presque rien.
Qu’un casseur, un voyou, soit blessé ou décède
lors d’une interpellation ou d’un refus d’obtempé-
rer, sans attendre, le policier est présumé coupable,
sous les cris de la meute qui hurle : « Tout le monde
hait la police ! ». Sa carrière et sa vie sont brisées,
quelle que soit l’issue judiciaire. Mais le voyou qui
traîne le policier sur vingt mètres avec sa voiture
après un refus d’obtempérer, lui, n’est condamné
qu’à trente-cinq heures de travaux d’intérêt géné-
ral. Le policier-bouc émissaire finira un jour par re-
garder ailleurs quand il sera témoin d’un délit.
Sitôt désigné, le destin du bouc émissaire est
scellé : la persécution, la mort sociale ou la mort en
vraie quand, poussé à bout, le bouc émissaire-agri-
culteur, policier, gendarme, enseignant ou adoles-
cent, harcelé, se suicide ou quand un illuminé ex-
cité par la meute, passant à l’acte, tue le curé, le
couple de policiers qui rentre chez lui le soir, le
professeur qui enseigne la liberté de l’esprit, ou, à
Chicago, un enfant musulman dans la rue, à Tou-
louse, trois enfants juifs dans la cour de leur école,
des enfants qui « ne demandaient rien à Dieu que
son soleil ». Éternel recommencement du sacrifice
des victimes innocentes dans les sociétés malades
de la violence. Si la nôtre se condamne à ne plus
être qu’un creuset de rivalités exacerbées, si elle ne
reconstruit pas son unité autour d’une espérance
partagée, d’un imaginaire commun, si tous ceux
qui l’habitent n’apprennent pas à s’y reconnaître
dans une civilisation et une civilité, si elle ne re-
trouve pas la maîtrise de ses lois et de ses frontiè-
res, c’est-à-dire la maîtrise de son destin, si elle ne
se guérit pas de la haine de soi, porte grande
ouverte à la haine des autres, alors, de ses fractures
« On fait advenir le bouc émissaire
quand on ne désigne pas et que
l’on ne punit pas ou pas assez
le criminel, le violeur, le voyou,
le casseur, le pilleur, l’adepte
du rodéo urbain qui met en danger
la vie des autres, le récidiviste,
le trafiquant de drogue »
innombrables qui se creusent dangereusement,
naîtront toujours plus de boucs émissaires, et le
bouc émissaire à bout parfois, au lieu de se suicider,
se révolte. « L’homme révolté est un homme qui dit
“non”. Dans ce non, il y a : vous avez franchi une li-
mite » : hier le pêcheur, le « bonnet rouge », le « gi-
let jaune », aujourd’hui l’agriculteur. Et demain le-
quel ? Et jusqu’à quelle extrémité ? La violence
engendrant la violence, la meute qui se déchaîne
entraînant les moins violents dans la violence
comme lors des émeutes urbaines, chacun y sera à
la fois lyncheur et lynché, persécuté et persécuteur
dans la guerre de tous contre tous, jusqu’à ce que
s’impose celle du tous contre un. De quelle minori-
té innocente ce dernier aura-t-il le visage ? Nul ne
le sait encore. Mais la logique du bouc émissaire en
désignera un.
Comment l’éviter si le politicien se laisse aller à la
tentation d’instrumentaliser les meutes, ou, si, de-
venu lui-même bouc émissaire, il cède à celle de
détourner sur d’autres boucs émissaires la vindicte
populaire ? On attend des hommes d’État qui ne cé-
deront ni à l’une, ni à l’autre. Quand il s’agit de ca-
naliser les passions humaines, il ne faut pas trop rê-
ver. Mais un peu quand même. L’espérance est une
vertu, même si elle est héroïque, et c’est à chaque
conscience héroïque et lucide qu’incombe l’effort
inlassable de désigner les vrais coupables et de laver
de tout soupçon la victime innocente, comme Zola
dans « J’accuse… », innocentant Dreyfus, comme
Clemenceau faisant la leçon aux juges de Zola et à
travers eux à tout le genre humain : « Messieurs,
voyez ce Christ en croix. La voilà la chose jugée, on l’a
mise au-dessus du juge pour qu’il ne fût pas troublé
de cette vue. C’est à l’autre bout de la salle qu’il fau-
drait placer l’image afin qu’avant de rendre sa sen-
tence, le juge eût devant les yeux l’exemple d’erreur
judiciaire, que notre civilisation tient pour la honte de
l’humanité. » ■
* Dernier livre paru : « À la septième fois,
les murailles tombèrent » (Éditions du Rocher, 2023).
 Champs libres le figaro mardi 20 février 2024 15
O p i n i o n s

Mort de Navalny : pire qu’un crime, une faute

Les propagandistes du régime prétendent que Na- à améliorer sa position sur l’échiquier mondial. Son

C’
est pire qu’un crime, c’est une
faute ! », s’écria le conseiller
chronique d’État bonapartiste Antoine
Renaud Girard
« Boulay de la Meurthe, appre-
nant l’exécution du duc d’En-
ghien, le 21 mars 1804, ordon-
née par Napoléon, Premier consul. Deux cent vingt
ans plus tard, cette phrase s’applique parfaitement à
la mort infligée, le 16 février 2024, par le régime
autoritaire russe à Alexeï Navalny, qui était son prin-
cipal opposant depuis douze ans.
Le crime est évident : quel besoin le Kremlin avait-il
de transférer Navalny, déjà emprisonné, dans une co-
lonie pénitentiaire loin de Moscou, au nord du cercle
arctique, alors qu’on savait sa santé très diminuée de-
puis son empoisonnement au Novitchok, en 2020 ?
Mais au-delà du meurtre d’un homme sans défen-
se, infligé par un régime qui prétend paradoxale-
ment défendre les valeurs chrétiennes, on a affaire
ici à une faute politique. En politique intérieure com-
me en politique extérieure. En politique intérieure,
cela signale un retour de la Russie aux pratiques sta-
liniennes. Sous Brejnev, on enfermait les dissidents,
mais on ne les tuait pas. La dernière personne que
l’autoritarisme moscovite ait mise à mort pour rai-
sons politiques est Imre Nagy, l’éphémère premier
ministre de Hongrie pendant l’insurrection de Buda-
pest. C’était il y a plus de soixante-cinq ans…
La fable d’une démocratie russe, ou même d’une
« démocrature », a vécu. La Russie de Poutine piétine
sa propre Constitution. Très peu de signification aura
donc le scrutin présidentiel des 15-17 mars prochains,
où même le plus modéré des opposants, Boris Nade-
jdine, n’a pas été autorisé à se présenter. Cet ancien
député à la Douma (1999-2003) était vu par le
Kremlin comme politiquement dangereux car il fusti-
geait la guerre à l’Ukraine, décidée sans débat natio-
nal préalable par Vladimir Poutine, en février 2022.
valny n’était politiquement pas significatif en Russie.
C’est faux car son combat contre la corruption était
réellement populaire. Aujourd’hui, il est devenu une
icône. Car la vertu que les Russes respectent le plus
est le cran. Poutine a réussi à éliminer Navalny mais
il n’est jamais parvenu à l’intimider. Après avoir été
soigné de son empoisonnement en Allemagne, l’op-
posant eut le courage incroyable de revenir, en jan-
vier 2021, dans son pays natal, sachant les risques
qu’il courait. Navalny a réussi l’exploit de faire chan-
ger la peur de camp. Lui, le faible, l’empoisonné,
l’emprisonné, il n’a jamais plié. Il n’a jamais cédé à la
peur. En revanche, il a visiblement inspiré une peur
panique aux hiérarques des services de sécurité rus-
ses, pour qu’ils se comportent de manière aussi in-
humaine, avec lui et sa famille.
Au début du mois d’août 1940, un tribunal militaire
de Vichy avait condamné à mort le général de Gaulle
par contumace, espérant faire taire sa voix, qui en-
courageait les Français à poursuivre leur résistance
contre l’ennemi nazi, aux côtés de leurs alliés britan-
niques. Cela n’a pas marché. La flamme de la résistan-
ce de Navalny contre la corruption et pour la liberté
en Russie, elle non plus, ne s’éteindra pas. Son épou-
se, Ioulia a, d’ores et déjà, repris le flambeau. Dans un
message diffusé le 19 février 2024, elle reprend une
belle phrase que son défunt époux avait coutume
d’adresser à ses compatriotes : « Ce n’est pas honteux
de faire peu. C’est honteux de ne rien faire ou de vous
laisser intimider. » Elle invite les Russes à prendre leur
destin en main, afin d’édifier une « Russie pacifique,
heureuse, calme, belle ». Qu’on ne se trompe pas. Le
spectre de la haute figure d’Alexeï Navalny, sa dignité
et son humour hanteront pendant longtemps les cou-
loirs gris du Kremlin et de la Douma.
En politique extérieure, c’est également une faute
flagrante. Depuis quelques mois, Poutine avait réussi
armée avait tenu face aux offensives ukrainiennes de
2023 - elle a même réussi, le 17 février 2024, à s’em-
parer du bastion d’Avdiivka, à quinze kilomètres au
nord-ouest de Donetsk. De la lassitude et des divi-
sions avaient commencé à apparaître en Ukraine,
comme chez ses alliés. Dans l’opinion mondiale, les
images des ruines de Gaza effaçaient celles de Ma-
rioupol. Le maître du Kremlin avait eu droit à un ac-
cueil somptueux aux Émirats et en Arabie saoudite.
Son interview télévisée par le journaliste et polémis-
te Tucker Carlson, diffusée sur le réseau X, avait été
visionnée par plus de 200 millions de personnes. Ma-
nipulé par Trump, le Congrès des États-Unis tergi-
versait pour aider financièrement et militairement
l’Ukraine par le versement d’une subvention record
de 60 milliards de dollars.
Et puis patatras. C’est la goutte de brutalité de trop.
Maintenant que le destin tragique de Navalny a frappé
tous les esprits à travers le monde, il va être très diffici-
le à la Chambre des représentants des États-Unis
d’Amérique de ne pas examiner la résolution déjà vo-
tée par le Sénat prévoyant un package de 90 milliards
d’aide militaire à Israël, à Taïwan et à l’Ukraine. Cer-
tes, le speaker de la Chambre est maître de l’ordre du
jour de l’Assemblée qu’il préside, mais il ne pourra pas
éternellement refuser de tenir compte des désirs de
l’ensemble des représentants démocrates et d’une
partie non négligeable des représentants républicains,
qui sont favorables à continuer d’aider à l’Ukraine.
En fait, l’émouvante histoire humaine de la mort
de Navalny a galvanisé, en Occident, l’opposition au
régime de Poutine et donc la volonté de poursuivre le
soutien à la résistance militaire ukrainienne.
Contrairement à ce qu’on a pu penser au Kremlin, la
mort de Navalny ne sera pas pardonnée de sitôt en
interne, et gardera longtemps un impact important
en externe. ■

4 100 euros de primes pour ses salariés : il faut nommer

Carlos Tavares ministre des Classes moyennes
eureux comme les 242 000 salariés de et il ne dispose d’aucune marge de manœuvre. D’où la seur des écoles » ses émoluments d’entrée de car-

H
Stellantis, l’un des premiers
analyse constructeurs mondiaux d’automo-
Jean-Pierre Robin biles, qui fédère une quinzaine de
marques (Peugeot, Citroën, Fiat, etc.)
et dont le curieux nom, du latin stello,
signifie « étinceler ». Ils vont recevoir chacun
4 100 euros, au minimum, de primes d’intéressement
et de participation aux bénéfices de l’entreprise.
Carlos Tavares, le patron du groupe franco-
italo-américain, leur a annoncé la semaine dernière
en présentant les bénéfices records de l’année 2023
qui atteignent 18,6 milliards d’euros. Il sera distribué
1,9 milliard d’euros aux employés, pour la seconde
année consécutive. L’équivalent des 2 milliards
d’euros de baisses d’impôts ou de charges en faveur
des classes moyennes dont Emmanuel Macron et Ga-
briel Attal nous bassinent depuis près de deux ans.
Une promesse réitérée sans cesse mais toujours re-
portée ; pas avant 2025 aux dernières nouvelles. Lors
de sa conférence de presse du 16 janvier, le chef de
l’État a pourtant marqué de l’empathie à leur endroit,
parlant « d’angle mort de la France, ceux qui gagnent
trop pour être aidés, pas assez pour bien vivre ».
Faudrait-il nommer Carlos Tavares ministre des
Classes moyennes en France pour améliorer leur sort
comme s’y est engagé le gouvernement ?
Certes, on ne dirige pas un pays comme on gère
une entreprise. Il est paradoxalement plus facile de
s’adresser à la communauté de ses 242 000 salariés,
dizaine de milliards d’euros d’économies budgétaires
que vient de décréter Bruno Le Maire, ministre des Fi-
nances, sous prétexte que la géopolitique et la
conjoncture européenne sont défavorables. Il a donc
ramené la prévision de croissance du PIB français de
1,4 % à 1 % en 2024. À l’instar de Gribouille se jetant à
l’eau pour échapper à la pluie, Bercy ajoute délibéré-
ment de l’austérité à l’austérité ambiante !
Notre grand argentier est pris à la gorge. Le roi est
nu sous le regard des agences de notations. Au de-
meurant, cette dramatisation de coupes budgétaires
de 10 milliards d’euros, sur une masse de dépenses
de 1 500 milliards, fait rigoler les chefs d’entreprise
pour qui réduire ses coûts de moins de 1 % est la base
du métier. Pourquoi est-ce si difficile pour l’État ?
On touche là le point crucial. Se félicitant des
18,6 milliards de bénéfices de Stellantis, Carlos Tava-
res en a attribué le mérite « à l’excellent travail des
employés. Ils ont été remarquables, et je tiens à la re-
mercier et à les féliciter chaleureusement ». Quoi
qu’on en pense, ce discours patronal de circonstance
met en exergue le lien direct entre les performances
productives et les rémunérations.
Emmanuel Macron est dans une tout autre confi-
guration, voulant faire accroire qu’il est le maître des
horloges et du pouvoir d’achat. Depuis la crise des
« gilets jaunes » de 2018, l’Élysée ne cesse de multi-
plier les gestes en faveur des ménages : suppression
de la taxe d’habitation et des cotisations chômage
rière ne sont plus que de 1,2 fois le smic au lieu de
2,3 fois il y a quarante ans. Le malaise des classes
moyennes tient dans ces chiffres, de la perte de re-
venu et de considération de leurs métiers. Les
2 milliards relèvent de l’aumône publique sans être
à la hauteur du problème.
On attend de l’État une stratégie économique di-
gne de ce nom, menée dans la concertation avec les
corps intermédiaires qu’il s’agit de mobiliser. Que
fait à cet égard le haut-commissariat au Plan recréé
en 2020 et qui reste une coquille vide inutile ? La
maison France n’a pas de boussole. La mission de
Carlos Tavares serait de lui en donner une. ■
LES RENCONTRES
DU Figaro
ALAIN FINKIELKRAUT
le jeudi 7 mars 2024
à 20 h, Salle Gaveau.
Tarif : 25 €.
Placement libre
Réservations :
www.lefigaro.fr/
FABIEN CLAIREFOND

fussent-ils éparpillés dans une trentaine de pays, que
d’appréhender la nuée des classes moyennes d’une
nation. Alors que les deux tiers des Français ont le
sentiment d’en faire partie, selon les sondages, c’est
une gageure que d’en circonscrire le champ. « Une
sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle
part », disait Pascal de l’univers. Combien sont-ils à
prétendre se partager la manne de 2 milliards ? Une
vingtaine de millions au bas mot, ce qui ramène la
promesse à une somme quasi dérisoire par tête.
De même Carlos Tavares a-t-il une meilleure maî-
trise des comptes de son groupe qu’Emmanuel Ma-
cron des finances publiques du pays. Sous les trois an-
gles considérés - niveau des dépenses (56,9 % du PIB),
des prélèvements obligatoires (45,5 %) , et du déficit
(4,4 %) - la France détient le record de la zone euro.
L’exécutif est pris dans un « triangle des Bermudes »
des salariés, doublement de la prime d’activité, allé-
gement de 4 milliards de l’impôt sur le revenu des rencontres.
moins aisés (en « contrepartie » de l’abolition de
l’ISF), fin de la taxe sur l’audiovisuel public, etc. À
ces mesures pérennes se sont ajoutés les multiples
Informations :
chèques lors de la pandémie de Covid et la crise 01 70 37 18 18
énergétiques. Étrange miroir aux alouettes où on
distribue une richesse imaginaire.
Le dénominateur commun de telles décisions est
de découpler le revenu de l’exercice d’une activité.
Rediffusant la semaine dernière un reportage sur la
fermeture des mines de fer de Lorraine en 1997,
France Culture citait la nostalgie de leurs salariés se
souvenant que dans les années 1960 et 1970 un mi- Ce soir à 20h sur le site
neur gagnait deux à trois fois plus qu’un instituteur. du Figaro, présenté
Le premier est aujourd’hui à la retraite et n’a pas par Philippe Gélie
été remplacé. Quant au second, devenu « profes-

Dassault Médias SOCIÉTÉ DU FIGARO SAS Directeur des rédactions Anne Huet-Wuillème (Édition, Directeur artistique FIGAROMEDIAS Impression L’Imprimerie, 79, rue de Roissy FR

(actionnaire à plus de 95 %)
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Comment
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Bercy va
mettre l’État
à la diète
Aides à la formation rabotées,
MaPrimeRénov’ abaissée…
Dix milliards d’économies
supplémentaires doivent
être trouvés dès cette année.
Et il en faudra encore 12 de plus
l’an prochain. PageS 18-19
Protection des mineurs : Bruxelles enquête sur TikTok
Et de deux. Après le réseau so-
cial X, en décembre, la Commis-
sion européenne a ouvert une nou-
velle enquête approfondie dans le
cadre du règlement sur les services
numériques (Digital Services Act).
Celle-ci vise la plateforme TikTok,
détenue par la société chinoise
ByteDance, soupçonnée à la fois
d’enfreindre plusieurs points, dont
la protection des mineurs, la trans-
le PLUS du
FIGARO éco
Grèce
Athènes veut
enrayer le départ
des étudiants
U
diplômés PAGE 20
LA SÉANCE
DU LUNDI 19 FÉVRIER 2024
CAC 40
7768,55 0,00%
DOW JONES
38627,99 -0,37%
ONCE D’OR
2020,35 (2005,40)
PÉTROLE (Brent)
83,440 (83,500)
E

4762,83 -0,06%
FOOTSIE
7728,50 +0,22%
NASDAQ
17685,98 -0,90%
NIKKEI
38470,38 -0,04%
Icade
économie
le groupe entame sa mue
pour affronter la crise
de l’immobilier Page 22
parence de la publicité et l’accès
aux données pour les chercheurs,
et de générer des dépendances
comportementales par la façon
même dont son système est conçu.
« Nous ne devons ménager aucun ef-
fort pour protéger nos enfants », in-
siste Thierry Breton, commissaire
au Marché intérieur. L’enquête
doit vérifier en particulier le res-
pect de la procédure de vérifica-
l'histoire Abilio Diniz, légende du
Les comptes de la tour Eiffel épinglés capitalisme brésilien et
par ses salariés, qui se mettent en grève actionnaire de Carrefour
ne façon de dénoncer un modèle
économique « trop ambitieux et
intenable ». Ce lundi, la tour Eiffel
est restée portes closes en raison
de la grève de ses salariés. Menés
par la CGT et FO, ils dénoncent « la gestion
actuelle qui mène tout droit la Société
d’exploitation de la tour Eiffel (Sete)
dans les pires difficultés ». Dans leur viseur :
l’augmentation de la redevance versée
chaque année à la mairie de Paris,
actionnaire à 99 % de la Sete. Passée de
8 millions à 16 millions d’euros en 2022, elle
devrait bientôt atteindre 50 millions, selon
les syndicats. En
cause, « le contrat
d’exploitation
signé en 2017 qui
prévoyait de
faibles redevances
jusqu’aux Jeux
olympiques
pour financer
les travaux
nécessaires,
puis un solide
rattrapage »,
avance des
enquête
ces sociétés rescapées
du redressement
judiciaire Page 21
> FOCUS
Bruno Le Maire,
ministre de l’Économie Les revenus
et des Finances.
du canal de
Suez en chute
de près de 50 %
Les attaques des houthistes, au Yé-
men, pénalisent lourdement l’écono-
mie égyptienne. Le président Abdel
Fattah al-Sissi a annoncé, lundi, que
les revenus du canal de Suez - près de
10 milliards de dollars par an et l’une
des principales rentrées en devises
de l’Égypte - ont « baissé de 40 % à
50% » depuis début janvier.
Depuis novembre, les rebelles hou-
thistes attaquent des navires passant
au large du Yémen en mer Rouge. En
solidarité avec les Palestiniens de la
bande de Gaza, bombardée depuis
l’attaque terroriste du Hamas le 7 oc-
tobre sur le sol israélien, ils disent vi-
ser les navires liés à Israël ou à ses
soutiens.
Ces attaques incitent de nombreux
armateurs à contourner l’Afrique et
suspendre les passages par la mer
Rouge et le canal de Suez, par où
transitent habituellement 12 % à 15 %
du trafic mondial. Le volume com-
mercial empruntant le canal a dimi-
nué de 42 % ces deux derniers mois,
indique l’ONU, qui s’inquiète des ré-
percussions sur le commerce mon-
dial. Le nombre de porte-conteneurs
en transit a chuté de 67 % sur un an.
Face aux attaques, renouvelées enco-
re ces derniers jours, et après les
États-Unis en décembre, l’Union euro-
péenne a officiellement lancé, lundi,
sa propre mission de surveillance et
tion d’âge (TikTok est interdit aux pas de son issue, comme le précise de patrouille maritime en mer Rouge.
moins de 13 ans), des paramètres Bruxelles, elle peut conduire à de Celle-ci pourra faire feu pour défen-
de confidentialité ou de l’accès à lourdes sanctions - les amendes dre les navires marchands ou se dé-
des contenus inappropriés pour les peuvent atteindre 6 % du chiffre fendre elle-même, sans pour autant
jeunes citoyens européens. d’affaires mondial en cas d’infrac- viser des positions des rebelles hou-
La Commission va s’efforcer de tion grave et répétée -, voire à une thistes à terre. Plusieurs pays ont fait
recueillir des preuves, via des de- interdiction d’opérer en Europe. part de leur intention de participer à
mandes d’information, des entre- TikTok revendique 135,9 millions cette mission, notamment la Belgi-
tiens et des inspections. Si d’utilisateurs actifs par mois dans que, l’Italie, l’Allemagne ou la France.
l’ouverture de cette « procédure les vingt-sept pays de l’Union. L’Espagne a indiqué qu’elle n’y parti-
formelle d’infraction » ne préjuge ingrid vergara ciperait pas. A. Boh
« Abilio Diniz était un aventurier des six piliers de sa réussite,
aux mille vies, entrepreneur ex- avec l’alimentation équilibrée,
représentants FO. De quoi « plomber les ceptionnel, sportif de haut ni- le contrôle du stress, la
comptes de la société », déjà mis à mal par veau, homme de médias et de connaissance de soi, l’amour
les 120 millions de déficit hérités du Covid. culture. » Alexandre Bompard, et la foi, s’était fait connaître
Les 60 millions injectés à l’époque par la PDG de Carrefour, a ainsi ren- en France au printemps 2011.
mairie et les 106 millions de chiffre d’affaires du hommage à l’administra- Pour échapper à la prise de
enregistrés en 2022 n’auront pas suffi teur brésilien du distributeur, contrôle de GPA par Casino,
à rétablir les comptes de la dame de fer. décédé dimanche à 87 ans. Pe- dont il était l’allié, il avait
Pis, les syndicats s’inquiètent d’une « sous- ninsula, sa société familiale, alors monté une tentative de
évaluation des budgets travaux » couplée détient 8,8 % de Carrefour. La « coup d’état » capitalistique
à une « surévaluation des recettes ». Malgré dépouille d’Abilio Diniz, lé- avec les deux premiers ac-
les 128 millions investis depuis 2019, gende du capitalisme brési- tionnaires de Carrefour de
« de nombreux points de corrosion lien, a été exposée au stade l’époque. Baptisée Gama,
sont visibles, symptômes d’une dégradation Morumbis, celui du São Paulo l’opération prévoyait la fusion
inquiétante du monument », avancent-ils. Futebol Clube, son équipe pré- de Carrefour Brésil et de GPA.
Sollicité par férée. Abilio était le fils de Va- Grâce à la défense de Jean-
Le Figaro, Jean- lentim Diniz, un émigré portu- Charles Naouri, PDG et pre-
François Martins, gais ayant débarqué en 1929 à mier actionnaire de Casino,
président de la Sete
Rio de Janeiro, qui avait choisi l’opération Gama avait capo-
et ancien adjoint l’emblème de la ville, le Pain té. Il avait fallu l’intervention
au tourisme et de Sucre (Pão de Açucar), pour d’un ex-négociateur des Farc
au sport à la mairie baptiser sa boulangerie. Abilio pour sceller le divorce entre
de Paris, n’a pas était célèbre à la fois pour avoir Casino et Abilio Diniz.
souhaité réagir dirigé Grupo Pao de Açucar En septembre 2013, ce dernier
pour le moment (GPA), un des premiers distri- a revendu ses parts de GPA. De
« afin de conduire buteurs locaux, et pour avoir quoi entrer en force chez Car-
le dialogue social surmonté un rapt de sept jours refour. Peninsula a réaffirmé
sereinement ». ■ par un mouvement révolu- lundi son engagement à long
Charles Plantade tionnaire chilien fin 1989. Ce- terme envers Carrefour.
A
lui qui avait fait du sport l’un ivan letessier
 18 mardi 20 février 2024 le figaro L’ÉVÉNEMENT

Comment Bercy concocte

une diète à 22 milliards
pour l’État
Julie Ruiz Perez
Croissance
En dix jours, Bercy a dû trouver en urgence Variation du PIB en %
10 milliards d’économies. Avant l’été, Bruno Le Maire a révisé 2,0
la prévision de croissance
il en faudra encore au moins 12 de plus pour 2024 de 1,4 % à 1 %. 1,7 %
pour construire le budget de l’an prochain. 1,5

O
fficieusement, il n’a ja-
mais vraiment lâché le
dossier. « Nous étions en
contact permanent avec
Bruno Le Maire, même
pendant la période de re-
maniement », confie Thomas Cazenave,
ministre délégué aux Comptes publics,
fraîchement renommé au terme d’un
mois de remaniement. Alors que la pré-
vision de croissance de cette année a été
officiellement révisée de 1,4 % à 1 % par
Bruno Le Maire, ce dimanche, les deux
locataires de Bercy présentaient dans la
foulée, ce lundi, les détails du plan
d’économies supplémentaires de
10 milliards qui doit permettre de tenir
les objectifs de déficit public. Il s’agit,
selon Bruno Le Maire, de faire preuve
de « responsabilité », alors que le gou-
vernement exclut catégoriquement
toute hausse d’impôts pour compenser
de moindres recettes.
Ces derniers jours, le plan de sauve-
tage des comptes publics était ainsi au
cœur des discussions ministérielles. Il y
a une dizaine de jours, au séminaire au
cours duquel le gouvernement Attal,
désormais au complet, a fixé sa feuille
de route, « Bruno Le Maire, très appuyé
par le premier ministre, a passé un mes-
sage extrêmement clair sur la situation
de nos finances publiques et sur les efforts
que cette situation exige de notre part,
relate Thomas Cazenave. Et le message
a été compris ». Contrairement à ce qui
s’était passé lors de l’élaboration hou-
leuse du budget 2024 - dont le texte
voté fin 2023 n’affichait au final que
2 milliards d’économies, en dehors de
celles permises par la fin du bouclier
énergétique -, les membres du gouver-
nement ont montré plus de bonne vo-
lonté pour participer à l’effort d’équili-
brage des comptes. « Certains ne
manqueront pas de râler a posteriori,
mais dans l’ensemble tout est passé sans
grand drame », indique un initié.
Ainsi, pour son plan de sauvetage des
finances publiques, Bercy a eu les cou- 1% 1%
dées franches. « Nous avons mené une 1,0
guerre éclair », confirme un conseiller.
Ces dix derniers jours, les cabinets de
Bruno Le Maire, de Thomas Cazenave et
leurs administrations ont « travaillé 0,5
d’arrache-pied » pour répartir les
10 milliards d’économies nécessaires
pour tenir les engagements de déficit
pris auprès de Bruxelles. 0
Les équipes de Bercy ont d’ailleurs 2023 2024* 2025*
profité de la séquence pour rejouer - et * Prévisions
remporter - des arbitrages pourtant Source : Loi de programmation
perdus au moment du denier projet de des finances publiques, décembre 2023
loi de finances. Par exemple, à la faveur
de ce plan d’économie, « nous voulons
mettre en place le reste à charge sur le Déficit
compte personnel de formation, qui est Déficit public en % du PIB
prévu par la loi », indique Thomas Ca-
zenave. Cette mesure qui traînait dans 0
les tiroirs de Bercy depuis presque deux 1,7 %
ans va enfin être appliquée. « Le CPF
représente plus de 2 milliards d’euros -1
d’efforts, que nous avions décidés dès 1,4 %
2023, le principe d’une participation for-
faitaire par les salariés, les entreprises, à -2
l’exclusion des demandeurs d’emploi. 1%
Cette participation forfaitaire, elle va
être mise en œuvre dès cette année, ce -3
qui nous permettra de générer 200 mil-
lions d’euros d’économies », détaille le
ministre du Budget. Sur ce point sensi- -3,7 %
-4
ble, toutefois, la victoire n’est pas en-
core totale pour Bercy. « Les modalités
-4,9 % -4,4 %
d’application de cette mesure ne sont pas
encore complètement arbitrées », indi- -5
quait laconiquement ce lundi le minis- 2023 2024* 2025*
tère du Travail. Alors que le ministère * Prévisions
des Finances pousse pour un reste à Source : Loi de programmation
des finances publiques, décembre 2023
charge d’un montant de 10 %, les trou-
pes de Catherine Vautrin semblent
plaider pour que le coût du ticket mo-
dérateur soit plutôt le fruit d’une dis-
cussion avec les partenaires sociaux -
qui seront rapidement reçus. Un décret
précisera les modalités de ce coup de
rabot en avril.
Au chapitre des coupes réclamées
depuis des mois par Bercy, la révision

112 %
des coûts contrats pour les apprentis
sera plus sévère que prévu. Cette déci-
sion devrait dégager dans les 200 mil-
lions également. Le plan d’investisse-

du PIB ment dans les compétences sera aussi

C’est la dette de la France, soit
plus de 3 000 milliards d’euros
Il faut dire que la situation est alar-
mante. Dès la toute fin de l’année der-
nière, quelques jours à peine après
l’adoption du projet de loi de finances
(PLF) 2024, Bercy a dû se rendre à l’évi-
dence en constatant la baisse des ren-
trées fiscales : non seulement l’objectif
de 4,9 % en 2023 serait « difficile à te-
nir », mais le texte ne permettrait pas
non plus d’atteindre l’objectif de déficit
fixé à 4,4 % cette année. Quant à l’an-
née 2025, elle ne s’annonce guère
mieux. Les mauvaises performances
amputé de 150 millions d’euros.
Alors que la grande fierté du gouver-
nement à l’automne dernier était de
dédier 7 milliards de plus à la transition
écologique dans son PLF, ce poste ne
sera pas épargné. Le dispositif MaPri-
meRénov’ devait voir son enveloppe
gonflée de 1,6 milliard ; ce sera finale- Thomas Cazenave, ministre
ment seulement 600 millions. De délégué aux Comptes publics,
même, le fonds vert - une dotation de le 10 février, à l’hôtel Matignon,
l’État pour aider les collectivités terri- à Paris. Xose Bouzas/Hans Lucas
toriales à financer la transition écologi-
que - se voit abaissé de 400 millions. Le
budget des aides publiques au dévelop-
pement (environ 15 milliards) sera
quant à lui amputé de 800 millions. En
plus des 5 milliards que le gouverne-
ment compte récupérer sur ces politi-
La méthode budgétaire du gouvernement fait bon

poussent déjà Thomas Cazenave à ad-
mettre que les économies à faire l’an
prochain seront « probablement supé-
rieures » à l’objectif initialement an-
noncé de 12 milliards - définis à l’issue
d’une revue des dépenses. Bref, c’est
une véritable diète qui attend l’État
pendant deux ans, le gouvernement
ayant fait le choix de ne pas toucher au
budget de la Sécurité sociale et des col-
lectivités locales.
Alors que les prochains verdicts des
agences de notation tomberont juste
avant les élections européennes, le gou-
vernement a saisi l’urgence de la situa-
tion et s’est mis en ordre de marche
pour éviter une catastrophe - pour mé-
moire, la dette de la France s’élève
1
ques publiques précises, un effort de
5 milliards sera demandé aux ministè-
res sur leur budget de fonctionnement.
Par exemple, le ministre du Budget a
annoncé 700 millions à économiser sur
la masse salariale de l’État, en reportant
les recrutements de certains fonction-
naires. Bercy fixe également l’objectif
de 750 millions d’euros de moins que
prévu pour les achats (fournitures, vé-
hicules…) de l’État. Enfin, le premier
ministre a également fait passer une
circulaire demandant à chaque minis-
tère de réduire de 20 % les frais de dé-
placements de ces agents. Cette ligne
budgétaire coûte environ 1,4 milliard
par an. Justement, sur ces réductions,
« le ministère de l’Économie sera exem-
A
vant même que Bruno
Le Maire ait annoncé son
plan d’économies de
10 milliards pour le bud-
get 2024, le rapporteur
général LR du budget au
Sénat avait dégoupillé : « Le gouverne-
ment choisit une opération camouflage de
grande envergure. Les comptes publics de
la France sont au rouge (…). J’enrage », se
scandalisait Jean-François Husson ce sa-
medi dans un tweet. « Rien n’a changé
depuis l’automne, nous avons répété au
gouvernement pendant des semaines que
les prévisions étaient trop optimistes et les
économies insuffisantes, ils n’ont rien
voulu savoir », confiait-il au Figaro quel-
ver bien avant. « Depuis plusieurs mois,
cet ajustement était prévisible », note
Jean-René Cazeneuve, rapporteur Re-
naissance du budget à l’Assemblée, dans
un communiqué faisant suite aux an-
nonces de Bruno Le Maire. « Lorsque le
projet de loi de finances a été présenté par
le gouvernement à l’automne, le consen-
« La décision de faire
passer des modifications
d’une telle ampleur par
la voie réglementaire est
un déni démocratique »
Éric Coquerel
Sur le plan des coupes budgétaires
elles-mêmes, Véronique Louwagie, dé-
puté LR et vice-présidente de la com-
mission des finances à l’Assemblée, re-
grette qu’elles soient « prises dans
l’urgence quand elles devraient s’inscrire
dans une perspective de moyen et de long
terme et dans une concertation avec les
acteurs ». Au fond, « le gouvernement
aurait dû écouter la voix des Républi-
cains qui proposaient, pendant l’examen
du budget 2024, 25 milliards d’écono-
mies, chiffrées, documentées et réflé-
chies », ajoute-t-elle.
De l’autre côté de l’échiquier, le pré-
sident de la commission des finances de
l’Assemblée nationale, Éric Coquerel

aujourd’hui à 112 % du PIB, à plus de
3 000 milliards d’euros. « Une dégrada-
tion, c’est une chose, souffle une source
gouvernementale, mais c’est ce qui peut
A
plaire, indique le ministre du Budget, en ques jours auparavant. Effectivement, Député La France insoumise (LFI), dénonce le choix du gouverne-
participant à l’effort général à hauteur de alors que Bercy se targue d’avoir « agit ment de faire passer son plan d’écono-
près de 800 millions d’euros ». rapidement » pour corriger les prévisions sus économique situait plutôt la croissance mies uniquement par décrets. Le dépu-
Le décret annulant les 10 milliards de croissance trop optimistes du budget autour des 0,8 % », tranche Olivier Re- té insoumis estime que « la décision de

se produire juste après (la remontée des d’euros de crédit doit être pris cette 2024, certains - jusque dans la majorité - doulès, directeur des études de l’institut faire passer des modifications d’une telle
taux d’intérêt NDLR) qui fait frémir ». semaine. ■ pensent que cette révision aurait pu arri- Rexecode. ampleur par la voie réglementaire est un
 L’ÉVÉNEMENT le figaro mardi 20 février 2024 19

Le rabotage de MaPrimeRénov’, une nouvelle preuve

de défiance aux yeux des professionnels du logement
Emmanuel Egloff lier-Ganière, délégué général de la Fé-
dération des promoteurs immobiliers
(FPI). Mais il faut aussi regarder le mon-

C’
était la semaine dernière. Et tant des taxes et prélèvements, qui attei-
pourtant cela semble déjà une gnait 97 milliards d’euros en 2022. Ce qui
éternité pour les profession- signifie que le secteur contribue positive-
nels de la construction. ment au budget de l’État à hauteur de
Le 15 février, la Fédération française du 55 milliards d’euros. » La crise que tra-
bâtiment (FFB) et la Capeb, qui rassemble verse le logement va d’ailleurs avoir un
les artisans du bâtiment, étaient reçues impact important sur ces recettes. Les
par Christophe Béchu, ministre de la promoteurs immobiliers ont construit
Transition écologique, et Guillaume Kas- 95 000 logements neufs l’an dernier
barian, le nouveau ministre délégué en contre environ 160 000 une année nor-
charge du Logement. Au menu des male. Compte tenu des prix moyens et
discussions, des simplifications que le du taux de TVA, « c’est 3 milliards
gouvernement proposait d’apporter au d’euros de recettes en moins pour l’État »,
dispositif MaPrimeRénov’. Des simplifi- pointe Didier Bellier-Ganière. Et le

cations ardemment demandées par les
deux fédérations, qui estimaient que sa
mise en œuvre était d’une complexité
décourageante. Aux yeux des profes-
sionnels de la construction, la rencontre
avec les ministres allait donc dans le bon
sens. Trois jours plus tard, patatras.
Bruno Le Maire, le ministre de l’Écono-
mie et des Finances, révise les perspecti-
ves de croissance de la France et annonce
10 milliards d’euros d’économies. Dans
son viseur : MaPrimeRénov’, dont le
budget prévu pour 2024 va être raboté de
1 milliard d’euros ! « Pas de cohérence,
pas de vision », a commenté, dépité, Oli-
vier Salleron, le président de la FFB, ce
lundi sur X.
MaPrimeRénov’ était l’un des derniers
dispositifs fiscaux d’aide à la construc-
tion épargnés par les coupes budgé-
taires. Lancé en janvier 2020, il permet
une prise en charge par l’État d’une par-
tie des travaux de rénovation thermique
d’un logement. Le budget initial était de
Matarezo/ANDBZ/ABACA
mouvement est identique dans l’ancien,
où la chute des transactions va entraîner
une forte baisse des recettes fiscales is-
sues des droits de mutation.
Le premier ministre Gabriel Attal a
bien appelé à « un choc d’offre » dans le
domaine du logement dans son discours
MaPrimeRénov’, lancée en janvier 2020, permet une prise en charge de politique générale le 30 janvier. Ce qui
par l’État d’une partie des travaux de rénovation thermique d’un logement. signifie qu’il souhaite que les construc-
teurs multiplient les lancements de
les pouvoirs publics. Le rapport sur les point de vue financier qu’au niveau de la chantiers. Ils font pourtant exactement
comptes du logement, publié par le servi- production », souligne un observateur. l’inverse aujourd’hui. « Le gouvernement
ce des données et études statistiques Les professionnels ne sont pas sur la se trompe d’analyse, estime Didier Bel-
(SDES), montre que près de 42 milliards même longueur d’onde. Ils soulignent lier-Ganière. Le problème porte sur la de-
d’euros d’aides ont été fléchés vers ce que le secteur est, en réalité, contribu- mande. Les Français ne peuvent plus
secteur en 2022. C’est beaucoup. Surtout, teur au budget de l’État. « Le gouver- acheter aujourd’hui. » De quoi s’interro-
« le gouvernement estime qu’il y a sans nement se focalise sur la partie aides au ger sur le moment choisi pour réviser la
doute moyen d’être plus efficace dans l’uti- logement, qui atteint effectivement politique en matière d’aides publiques
lisation de l’argent public, aussi bien d’un 42 milliards d’euros, explique Didier Bel- dédiées au logement. ■

Résultats
800 millions d’euros. Mais, succès
aidant, il n’avait cessé d’augmenter.
D’autant que le gouvernement avait fait
de l’éradication des passoires thermi-
ques une de ses priorités. En 2023, Dans un environnement

annuels 2023 macroéconomique et financier

2,4 milliards d’euros étaient consacrés à
MaPrimeRénov’. Et cette somme devait
passer à 4 milliards d’euros en 2024. Elle
ne sera finalement que de 3 milliards. Ce
très volatile, marqué par des taux
durablement élevés impactant

solides
qui constitue tout de même une progres-
sion, mais bien moindre qu’anticipée
alors que le segment de la rénovation tout particulièrement le secteur
était le seul en hausse l’année dernière
dans le monde du bâtiment.
immobilier, la performance
opérationnelle d’Icade illustre
« Le gouvernement et nouvelle la résilience du Groupe et la solidité
feuille de route
se focalise sur la partie
aides au logement, qui de ses fondamentaux.
atteint effectivement
42 milliards d’euros.
Mais il faut aussi regarder
le montant des taxes
2024-2028 Nicolas Joly, Directeur général Icade

et prélèvements,
qui atteignait 97 milliards
d’euros en 2022 »
Didier Bellier-Ganière
Chiffres clés des résultats annuels 2023
4,62 ¤ 67,2 ¤ 4,84 ¤
délégué général de la Fédération
des promoteurs immobiliers

Ce n’est pas la première déception des

acteurs de la construction et du logement Cash-flow net courant Groupe par action ANR NTA par action Dividende 2023 par action (2),
depuis l’accession au pouvoir d’Emma- en croissance de + 11,8 % versus 2022
nuel Macron. À peine élu, ce dernier avait

3,07 ¤ 33,5 % 13,6 %

annoncé une réduction des aides au loge-
ment (APL), ce qui avait été très mal
vécu. Et si le président de la République
avait décidé de faire disparaître l’impôt
sur la fortune (ISF), c’était pour le rem- Cash-flow net courant des Activités stratégiques (1) LTV Rendement sur dividende
placer par un autre, assis exclusivement par action, au-dessus de la guidance
sur l’immobilier, l’impôt sur la fortune
immobilière (IFI). Pour Emmanuel Ma- (1) Les Activités stratégiques sont composées des activités de la Foncière Tertiaire et de la Promotion.
(2) En deux versements de 2,42 ¤ par action, sous réserve de l’approbation de l’Assemblée Générale des Actionnaires.
cron, la pierre était perçue comme un
moyen de s’enrichir en ne faisant pas

dir les oppositions grand-chose. Les acteurs de l’immobilier

déni démocratique » et réclame que le
gouvernement passe par un projet de loi
de finances rectificative. « Nous sommes
dans les clous des outils offerts par la loi
organique », lui répond Thomas Caze-
nave, ministre du Budget. En effet, cet-
te loi autorise le gouvernement à annu-
ler 1,5 % des crédits ouverts par un
projet de loi de finances (en l’occurren-
ce un peu moins de 12 milliards) sans en
repasser par le Parlement.
Sur le fond, alors que les voix, à gau-
che notamment, crient à la politique
de rigueur, le ministère des Finances
se défend également de pratiquer tou-
te cure d’austérité. « Je préfère parler
de cure de responsabilité », balaie Tho-
mas Cazenave, qui a, par ailleurs, déjà
commencé les travaux avec les parle-
mentaires d’opposition pour le budget
2025, qui doit être présenté en sep-
s’en sont très tôt inquiétés, mais cela n’a
pas eu de conséquences immédiates, car
Nouveau plan stratégique 2024-2028 : ReShapE
le secteur était soutenu par la faiblesse des Être un acteur intégré et responsable de la ville à 2050
taux d’intérêt qui permettait d’emprun-
ter à bon compte. Mais la remontée bru-
tale des taux a plongé le monde de l’im-
mobilier dans une crise de grande
ampleur. Les constructions de logements
neufs sont à l’arrêt. Le marché de la loca-
tion a plongé. La liste des demandeurs de
Adapter
logement social ne cesse de s’allonger. Accélérer Bâtir la ville 2050 Poursuivre
Et les acteurs du logement ont le senti- le portefeuille de bureaux
la diversification mixte, innovante, une politique financière
ment que le gouvernement ne fait pas aux nouvelles
grand-chose pour les soutenir. Au de nos actifs durable rigoureuse
contraire. En juin dernier, après un
attentes
Conseil national de la refondation consa-
cré au logement, il a décidé une réduction
de voilure du prêt à taux zéro et acté la
disparition de l’aide fiscale Pinel, destinée
à soutenir la création de logement neuf et
À la fois foncière tertiaire (patrimoine à 100 % au 31/12/2023 de 6,8 Md¤) et promoteur (CA économique 2023 de 1,3 Md¤),
l’offre de location. Depuis de nombreuses
Icade est un acteur immobilier intégré opérant sur l’ensemble du territoire français. Partenaire de long terme, Icade répond
années, les défauts de ce dispositif étaient
aux évolutions des usages et met au cœur de son modèle les enjeux climatiques et la préservation de la biodiversité pour
pointés, notamment dans plusieurs rap-
réinventer l’immobilier et contribuer à une ville plus durable. Cotée (SIIC) sur Euronext Paris, Icade a pour actionnaire de
ports de l’Inspection générale des finan-
A

référence le groupe Caisse des Dépôts. www.icade.fr

tembre. La prochaine réunion risque ces. D’une manière générale, le logement
d’être houleuse. ■ J. R. P. est l’un des secteurs les plus soutenus par
 20 mardi 20 février 2024 le figaro économie

La Grèce veut s’ouvrir aux universités

privées et étrangères
Alexia Kefalas Athènes

Un projet de loi polémique est en discussion au Parlement afin de combattre le départ des étudiants diplômés.

J
amais l’ambassade de France
en Grèce n’avait vu autant
d’établissements supérieurs
français participer au Salon
des études en France, à
Athènes. L’afflux était tel
qu’il a éveillé la curiosité du ministre
grec de l’Éducation, Kyriakos Pierra-
kakis, venu les rencontrer auprès de
l’ambassadrice de France, Laurence
Auer. « Pas moins de 40 établissements
et 16 universités sont concernés, avec
une augmentation de 20 % d’étudiants
grecs en France », précise-t-on dans
les services de coopération universitai-
re et scientifique de l’Institut français
de Grèce. Un institut qui a d’ailleurs
encouragé la signature d’un partena-
riat entre les universités d’Athènes et
trois sections de la Sorbonne (médeci-
ne, ingénierie et lettres). Sans négliger
le travail de fond effectué par les fonc-
tionnaires mobilisés pour l’événement,
on ne peut ignorer l’intérêt des établis-
sements français pour la Grèce, no-
tamment avec le nouveau projet de loi
fraîchement déposé à la Vouli, le Parle-
ment grec. Ce projet permettrait d’éta-
blir une équivalence entre les diplômes
de l’enseignement supérieur privé et
ceux des universités publiques.
« La loi n’a pas encore été adoptée
qu’elle suscite déjà les convoitises d’uni-
versités étrangères. Plusieurs établisse-
ments américains et britanniques ont
déjà exprimé leur volonté de lancer une Des étudiants grecs manifestent depuis plus d’un mois (ici jeudi, devant le Parlement grec, à Athènes) car ils estiment que cette loi va dévaluer
filiale en Grèce. Parmi ceux-ci, l’univer- leurs diplômes au profit des établissements à but lucratif. LOUIZA VRADI/REUTERS
sité Johns Hopkins, mais aussi les uni-
versités publiques de Nottingham et de portionnellement à sa population, détient seurs grecs qui enseignent à l’étranger Les manifestants estiment que cette ter le territoire. C’est donc un cercle vi-
Southampton et les universités privées de le plus fort nombre d’étudiants à l’étran- pourront revenir au pays », explique loi va dévaluer leurs diplômes au profit cieux qui favorise les plus aisés une fois
Rochester, St John’s, Duke, Webster et ger par rapport aux autres pays euro- Angelos Syrigos. des établissements à but lucratif. « Il de plus », renchérit Iossif Papadopou-
Yale », note l’hebdomadaire To Vima. péens ». En comparant les données de Cette fuite des cerveaux impacte par faut comprendre que le problème des facs los, étudiant en droit.
Kyriakos Pierrakakis compte bien l’OCDE (Organisation de coopération et ricochet toute l’économie du pays, qui, grecques ne sera pas réglé avec l’arrivée Le gouvernement assure que les
accélérer la procédure pour qu’ils de développement économiques) et à terme, redoute aussi l’absence de fi- d’établissements privés. Depuis la crise, universités privées disposeront de
puissent s’installer d’ici à 2025 et dy- d’Eurostat, la Grèce est effectivement nancement des retraites, faute de re- l’austérité, les universités sont en lam- critères de fonctionnement stricts qui
namiser la croissance. Pour le ministre devant l’Espagne (35 000 étudiants par- nouvellement sur le marché du travail. beaux, elles sont sous-financées, il n’y a garantiront un niveau équivalent à
de l’Éducation, cette réforme est un tis en 2017) et le Portugal (13 000 étu- pas assez de professeurs, de personnels celui des universités publiques. À
« pas historique ». Elle pourra peut-
être freiner un fléau qui sévit depuis la
diants).
« Une fois leurs études terminées, ils
« Le gouvernement assure administratifs, les amphithéâtres et les
salles de classe sont délabrés, et aucune
l’heure actuelle, certains départe-
ments des universités privées instal-
décade de crise économique et budgé- ne rentrent pas au pays », pointe An- que les universités privées subvention n’est prévue pour nous », lées en Grèce ne peuvent octroyer
taire qu’a connue la Grèce à partir de gelos Syrigos, professeur des relations disposeront de critères s’emporte ainsi Diana Vlastpoulos, étu- que des diplômes dits « profession-
2009 et qui hante le gouvernement : la internationales à l’université d’Athè- de fonctionnement stricts diante en économie à Athènes. nels » et pas universitaires. Les diplô-
fuite des cerveaux. nes. « C’est toute la problématique du Selon la Banque mondiale, en 2020, mes universitaires ne sont délivrés
qui garantiront un niveau la Grèce a consacré 7,1 % de son bud- que par les établissements publics.
Selon les données de l’Unesco (Orga- gouvernement. » En arrivant au pou-
nisation des Nations unies pour l’édu- voir, en 2019, le premier ministre, équivalent à celui des get public à l’éducation, soit le ni- Il n’empêche. Les appels à la mobi-
cation, la science et la culture), en 2021, Kyriakos Mitsotakis, a d’abord agi sur universités publiques » veau le plus bas depuis au moins lisation sont quotidiens et vont se
40 595 bacheliers grecs ont choisi de les revenus. Le salaire minimum a vingt-cinq ans. Et un autre problème renforcer à l’approche du vote de la
partir faire leurs études à l’étranger. Et ainsi été rehaussé à trois reprises. Cer- Mais nombre d’étudiants n’approu- se pose à long terme. loi, le 1er mars. Dans la classe politi-
cela, sans compter les chiffres non tes, il reste faible, à 780 euros brut, vent pas du tout cette loi. Ils battent le « Le gouvernement ne nous explique que, les débats se multiplient aussi.
communiqués des universités des Pays- mais c’est un pas en avant. Au même pavé dans les rues d’Athènes depuis pas comment le marché du travail va Les partis de gauche crient à la capi-
Bas, très populaires chez les étudiants moment, nombre de familles s’endet- plus d’un mois, et la mobilisation ne pouvoir absorber tous les étudiants di- talisation de l’enseignement et, si le
grecs. Le mouvement ne fait que s’ag- tent pour envoyer leurs enfants étu- faiblit pas. Beaucoup d’universités plômés en Grèce, avec toutes ces uni- parti conservateur garde une majorité
graver. En 2011, les étudiants étaient dier à l’étranger. « L’arrivée des éta- sont occupées en signe de protesta- versités. Le pays est trop petit, les op- confortable au Parlement, ses députés
déjà plus de 30 000 à quitter le pays, en blissements ici, comme il y en a dans le tion, et le gouvernement a été portunités encore bien trop restreintes devront redoubler d’efforts pour
2017 près de 43 000. Le rapport de monde entier, leur permettra de moins contraint de faire passer des examens et les perspectives limitées. Après nos convaincre l’opinion publique du
l’Unesco souligne que « la Grèce, pro- dépenser. Et, à terme, même les profes- en ligne dans certains établissements. études, nous serons contraints de quit- bien-fondé de leur choix. ■

Taïwan ne réussit pas à enrayer son déclin démographique

Alice Herait Taipei

Les politiques natalistes mises en place il y a plusieurs années n’ont pas vraiment inversé la tendance.

L
es Taïwanais les surnomment
les « enfants poilus ». Dans les
rues de la capitale, Taipei, les
poussettes ne manquent pas.
Mais à s’y approcher, on a plus de
chances d’y voir un petit chien, voire
un chat, qu’un bébé humain. Invo-
quant souvent des raisons économi-
ques, nombreux sont ceux qui préfè-
rent pallier leur désir d’enfants avec
un petit animal. En 2023, Taïwan a en-
registré 13 571 naissances et 20 536 dé-
cès pour 23,5 millions d’habitants. La
population est en fort déclin.
Toutefois, cette année 2024 marque
le commencement de l’année du Dra-
gon dans le calendrier lunaire. Les ma-
ternités et les entreprises spécialisées
dans les produits pour bébés s’atten-
dent à un mini-baby-boom. Le dragon
est le seul animal mythique des douze
animaux du calendrier chinois. C’est
pourquoi l’année revêt une importan-
ce particulière pour de nombreux
A
année-là sont considérés comme plus
prometteurs que les autres.
Hong An-jing a pu profiter cette an-
née des festivités de la fête la plus im-
portante de l’année, pour annoncer à
ses proches qu’elle attendait un heu-
reux événement : une petite fille, qui
naîtra pendant l’année du Dragon.
« Mon mari est content d’accueillir un
bébé dragon, car les dragons ont une
place particulière dans la société. Mais,
moi, je m’inquiète car les enfants nés
cette année-là évolueront dans un uni-
vers plus compétitif », confie la jeune
femme, qui attend son premier enfant
à 33 ans, un âge relativement jeune
pour devenir maman à Taïwan. Au-
delà de classes plus remplies, les en-
fants nés pendant l’année du Dragon
sont généralement sujets à plus de
pression et d’attentes de la part de
leurs parents et grands-parents.
De nombreux pays asiatiques font
face à un déclin de la natalité et à une
futures de l’évolution démographique.
Certains politiques entendent donc ti-
rer profit de cette tradition pour en-
courager les naissances. Lee Hsien
Loong, premier ministre de Singapour,
a par exemple annoncé dans ses vœux
pour la nouvelle année lunaire que
« maintenant est un bon moment pour
vous, jeunes couples, pour accueillir un
petit dragon dans votre famille ».
Peu d’enfants hors mariage
Dans l’économie dynamique de
Taïwan, le taux de naissance a dégrin-
golé au fil des ans, passant de près de
7 enfants par femme en 1951 à 1,09 en
2023, l’un des taux les plus bas du
monde. Taïwan est la 21e puissance
économique mondiale mais les fem-
mes invoquent souvent des raisons pé-
cuniaires pour ne pas avoir d’enfants.
« Si je n’avais pas un cadre de vie
confortable avec mon mari, je n’aurais
pas eu d’enfants », confie encore Hong
Avec des congés maternité, des
aides et des primes au deuxième en-
fant, le gouvernement taïwanais ne
manque pourtant pas d’inventivité
pour inciter économiquement les
couples à procréer. Mais ces mesures
n’inversent pas la tendance. Les
Taïwanais, de plus en plus éduqués et
focalisés sur leur carrière, font des
enfants de plus en plus tard, au point
que parfois, il est trop tard pour y
parvenir. L’île est également l’un des
États pionniers sur la recherche
contre l’infertilité. Des couples de
toute l’Asie s’y rendent afin de pro-
céder à des fécondations in vitro.
Pour la professeur Cheng Yan-xi,
la question est également sociale.
Dans la presse taïwanaise, cette
chercheuse en démographie à l’Aca-
demia Sinica attribue la baisse de la
natalité en premier lieu aux tradi-
tions chinoises : « La situation de
Taïwan est similaire à celle d’autres
de la famille persiste. Les plus vieilles
générations ont une grande influence
sur leurs enfants. » La chercheuse fait
référence aux traditions et croyances
liées à la parentalité et au couple.
Alors que de moins en moins de per-
sonnes se marient, ou le font de plus
en plus tard, concevoir un enfant
hors mariage est encore mal vu. À
Taïwan, seulement 2 % à 4 % des en-
fants naissent hors mariage.
La crise de la natalité affecte toute
l’Asie de l’Est : en Chine, la population
a diminué de 0,2 % en 2023, le plus
grand recul annoncé depuis la grande
famine de l’ère Mao à la fin des an-
nées 1950. Le Japon et la Corée du Sud
ne sont pas en reste avec des taux de
fécondité respectivement de 1,3 et
moins de 0,8 enfant par femme.
Alors qu’un mince regain d’espoir
est permis avec l’année du Dragon, la
tendance ne risque pas de s’inverser à
long terme. Car, à l’inverse, l’année du

Asiatiques, notamment les Chinois et population vieillissante et ils s’inquiè- An-jing. En cause, des salaires bas et pays d’Asie de l’Est : l’économie est Tigre génère traditionnellement une
les Vietnamiens. Les enfants nés cette tent des conséquences économiques des prix de l’immobilier élevés. développée et moderne, mais la culture chute de la natalité. ■

Louise Darbon
Les difficultés
des entreprises
ont bondi
de 35 % en 2023,
contraignant
15 000 patrons
à passer par
un redressement
judiciaire.
J
« ’
avais peur qu’on me liquide
mon entreprise. » Quand la
société de conseil en marke-
ting digital qu’il dirige s’est
retrouvée sous le coup d’une
procédure de redressement
judiciaire, il y a un an, Cédric Debacq
n’en menait pas large. « Mais j’ai su
montrer que j’étais droit dans mes bottes
et que je savais gérer mon activité »,
raconte-t-il aujourd’hui, la perspective
de la liquidation s’étant désormais éloi-
gnée. Comme lui, de plus en plus de
chefs d’entreprise se trouvent aujour-
d’hui confrontés à des difficultés du fait
d’une conjoncture maussade. Fin du
« quoi qu’il en coûte », hausse des taux
d’intérêt, remboursement des prêts
garantis par l’État, resserrement de
l’activité… Entre 2022 et 2023, les
entreprises en cessation de paiements
- en redressement ou en liquidation
judiciaire -, ont ainsi bondi de près
de 35 %, selon les données de la Banque
de France. « On compte environ
15 000 redressements judiciaires sur près
de 55 000 ouvertures de procédures
collectives recensées en 2023 », précise
François-Charles Desprat, nouvel-
lement élu à la tête du Conseil national
des administrateurs judiciaires et des
mandataires judiciaires (CNAJMJ).
Si ces chiffres témoignent des diffi-
cultés croissantes que rencontrent les
entreprises, le mandataire judiciaire
rappelle que l’état de cessation de paie-
ments n’est pas forcément une fatalité
pour l’entreprise : « Lorsque l’on ouvre
une procédure de redressement pour une
entreprise, on estime qu’elle a environ
une chance sur trois de sortir par un plan
de redressement. » Pour les deux autres
tiers, c’est à la liquidation de l’entrepri-
se qu’aboutit la procédure, ou à la ces-
« Notre rôle est d’assister
les chefs d’entreprise,
de les écouter d’abord,
puis de les aider à traverser
une passe difficile,
à la fois physiquement
et psychologiquement »
François-Charles Desprat
Président du Conseil national
des administrateurs judiciaires
et des mandataires judiciaires
sion : « Il peut arriver parfois que le re-
dressement ne soit pas possible. Dans ce
cas, une solution de cession de l’entrepri-
se peut être mise en place, avec un appel
d’offres, un examen rigoureux des pro-
positions de reprise avec le même objectif
défini par la loi, à savoir maintenir l’acti-
vité, sauvegarder les emplois et tenter de
désintéresser (rembourser sans les inté-
rêts, NDLR) au mieux les créanciers »,
explique Me Desprat.
Cette situation, Théophile Larous-
sinie a pu l’éviter. Le jeune entrepre-
neur a pris la tête de linkupcoaching,
une entreprise de formation, en 2021
« après une crise interne », explique-t-
il. « On propose des formations sur plu-
sieurs mois, avec des paiements de 30 %
à date. Donc nos flux de trésorerie sont
complexes et lorsqu’il y a un souci, on ne
le ressent pas immédiatement », précise
le dirigeant. « J’ai récupéré une entre-
prise endettée, et sur ces dettes s’est
ajouté le prêt garanti par l’État contracté
au moment du Covid », détaille le patron
de linkupcoaching, qui ne perçoit qu’en
2022 les effets d’une dette qui s’est ac-
cumulée. Une situation qui amène rapi-
dement l’organisme de formation à se
retrouver en cessation de paiements
face à ses créanciers et donc en procé-
dure de redressement.
Dès lors, une période d’observation
s’ouvre durant laquelle les dettes de
l’entreprise sont gelées. Le rôle de l’ad-
ministrateur judiciaire est alors d’assis-
ter le chef d’entreprise dans sa gestion,
de lui proposer un diagnostic économi-
que, financier, social et environnemen-
tal. « On est face à une entreprise malade
De plus en plus de chefs d’entreprise se trouvent aujourd’hui confrontés à des difficultés du fait d’une conjoncture maussade.
Comment le redressement judiciaire
peut sauver les entreprises
qui a accumulé des pertes, donc on passe
tout en revue, explique ainsi le président
du CNAJMJ. Pour ensuite proposer des
solutions et essayer de redresser la situa-
tion via la réduction de certaines char-
ges, la rupture de contrats non indispen-
sables à l’activité avec en tête un objectif :
maintenir l’activité et l’emploi, tout en
payant les créances. » Une période
d’observation de six mois, renouvelable
une fois, voire deux dans certains cas,
qui permet d’évaluer si - une fois ses
dettes gelées - l’entreprise est capable
d’assurer son retournement, d’inverser
la courbe des pertes et de retrouver de
la rentabilité. Elle peut aboutir, dans le
meilleur des cas, à un plan de redresse-
ment sur dix ans maximum, qui permet
à l’entreprise de payer son passif avec
quelques facilités. « Le plan impose des
sacrifices aux créanciers mais donne les
moyens à l’entreprise de s’en sortir », ré-
sume François-Charles Desprat.
« C’est très lourd administrative-
ment », reconnaît Théophile Laroussi-
nie qui, pour autant, avoue avoir « très
bien vécu la chose ». Malgré une pre-
mière opération pour assainir la gestion
de l’entreprise, « nous avons dû aller
plus loin et restructurer la boîte après
une revue des dépenses », explique-t-il.
« La société faisait beaucoup de chiffre
d’affaires, mais dépensait aussi beau-
coup d’argent dans des investissements
qui n’étaient pas forcément judicieux »,
reconnaît le dirigeant. Face à la néces-
sité de revoir son fonctionnement,
l’entreprise change d’expert-compta-
ble, modifie ses outils de gestion, mais
est également contrainte de réduire ses
Les défaillances d’entreprises
retrouvent leur niveau pré-covid
Nombre d'ouvertures de procédures collectives annuelles
70 000
60 755
60 000
55 676
50 000
40 000
30 000
20 000
10 000
0 servation depuis l’année dernière après
2015 2016 2017
Source : Observatoire des données économiques du Conseil national
des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ)
Entreprises
effectifs, de 22 à 13 salariés. Une déci-
sion difficile mais qui, selon le patron, a
permis un gain de productivité : « On
est plus productifs à 13 qu’à 22, avec des
salaires plus cohérents. »
Si aujourd’hui, l’entreprise de
Théophile Laroussinie est tirée d’affai-
res, avec un plan de redressement à
neuf ans, le patron reconnaît qu’il le
doit à « un très bon accompagnement,
notamment grâce aux conseils du man-
dataire et de l’administrateur, de l’avo-
cat et des experts » qui lui ont permis de
« choisir ses investissements » et lui ont
laissé la main sur les décisions à pren-
dre pour son entreprise, « sans jamais
(lui) faire ressentir l’idée de tutelle ». Car
le redressement judiciaire implique
tout de même pour le chef d’entreprise
d’accepter de laisser les clés de sa
société à de tierces personnes. Un pas
psychologique difficile à franchir pour
bien des patrons. « Même si notre rôle
est d’exercer un mandat de justice, nous
faisons notre métier avec humanité,
assure François-Charles Desprat, le
président du CNAJMJ. Notre rôle est
d’assister les chefs d’entreprise, de les
écouter d’abord, puis de les aider à tra-
verser une passe difficile, à la fois physi-
quement et psychologiquement. Si l’on
arrive à leur montrer que nous sommes là
pour les aider, nos interlocuteurs nous
font confiance et nous pourrons travailler
ensemble plus sereinement dans l’intérêt
de l’entreprise. »
De quoi faire dire à Théophile
Laroussinie que, paradoxalement, la
défaillance de son entreprise a été « la
meilleure école possible ». « C’est un mo-
55 096
52 039
28 024
2018 2019 2020 2021 2022 2023
le figaro mardi 20 février 2024
ment compliqué, mais c’est une super
école », renchérit un notaire de la ré-
gion parisienne dont l’étude vient tout
juste d’être placée en redressement ju-
diciaire. Durant de long mois, ce jeune
professionnel n’a pas pris conscience
des dettes qui s’accumulaient - notam-
ment du fait d’un loyer trop important
et d’une baisse de l’activité du notariat
en partie liée à la crise immobilière.
« J’aurais dû y aller beaucoup plus tôt,
mais le problème, c’est qu’on ne se rend
pas forcément compte de la situation
dans laquelle on est. On est aussi dans le
déni, avec une honte qui plane de passer
en redressement judiciaire », confie le
notaire francilien. Mais il ne regrette en
rien d’avoir pris cette décision. « J’ai vu
où étaient mes problèmes : mon loyer est
beaucoup trop cher, mon contrat de lo-
« Remettre du positif
dans cette situation, dont
l’issue peut être favorable
car quand on assume
la responsabilité
de ses erreurs - ou même
de celles des autres -,
ça sauve l’entreprise »
Cédric Debacq
patron d’une entreprise
de conseil en marketing digital
cation de copieurs aussi… autant de cho-
ses dont je n’avais pas conscience »,
avoue le notaire. « Ma priorité absolue
désormais est de déménager avant
d’avoir à licencier ou à passer certains de
mes salariés en temps partiel, ce qui n’est
pas évident, mais je n’ai pas trop le
choix », avance celui qui déplore le
manque de formation pour ceux qui se
lancent dans l’entrepreneuriat. « J’ai
fait des études de notariat mais jamais on
ne m’a appris ce qu’allait être la gestion
d’une entreprise », soupire le profes-
sionnel. Philosophe, il vit cette
procédure judiciaire comme un
apprentissage de la gestion d’entreprise
qui lui servira pour le restant de sa
carrière, lui qui n’envisage désormais
plus la liquidation.
« Le mot fait peur, c’est costaud ver-
balement. Mais finalement, c’est un plan
de gestion pour l’entreprise, et ça ne la
pénalise pas trop dans ma situation »,
acquiesce Cédric Debacq, patron du
Puy de la Com, entreprise de conseil en
marketing digital - en procédure d’ob-
des erreurs comptables. Pour lui com-
me pour le jeune notaire francilien, le
poids de la procédure a surtout été ad-
21
KomootP-stock.adobe.com
ministratif. « Je travaillais auparavant
avec des stagiaires et alternants dont j’ai
dû me séparer. J’ai donc eu à gérer seul
la procédure et je devais produire des pa-
ges et des pages de données », se sou-
vient celui qui a vu l’horizon de la liqui-
dation disparaître et attend de voir la
dernière étape de finalisation du plan
de redressement acceptée par le tribu-
nal de commerce. « J’ai su montrer mon
sérieux, j’ai expliqué à mes clients l’im-
pact positif de cette procédure. Le choix
de la transparence les a finalement ras-
surés », raconte-t-il. Un discours de
vérité indispensable, selon François-
Charles Desprat, pour qui il est néces-
saire « de rassurer ses clients et ses four-
nisseurs, de communiquer et d’expliquer
pourquoi on en est arrivé là ». Aujour-
d’hui, Cédric Debacq tient à témoigner
de son expérience pour « remettre du
positif dans cette situation, dont l’issue
peut être favorable car quand on assume
la responsabilité de ses erreurs - ou
même de celles des autres -, ça sauve
l’entreprise ». Une expérience positive
qui n’est néanmoins pas la réalité de
tous les patrons passés par un redres-
sement judiciaire.
Si aujourd’hui Yann Damour, patron
des Maîtres Barbiers, salon de coiffure
réunionnais, reconnaît être sorti grandi
de cette épreuve, il n’en reste pas moins
qu’elle a été très difficile. « J’ai été
confronté à un processus très déshuma-
nisé où je n’étais qu’un numéro de Siret.
Chacun y joue un rôle de manière théâ-
trale », déplore celui qui tempère son
agacement en supposant être « tombé
sur les mauvaises personnes, dans un
contexte où le tribunal était surchargé par
les dossiers ». Retombé sur ses pattes,
avec un plan de redressement à dix ans,
il regarde désormais son expérience dif-
féremment. « C’est une aventure qui mé-
rite d’être vécue, qui change un homme »,
estime ainsi ce patron qui a aujourd’hui
créé d’autres sociétés - qu’il reconnaît
gérer très différemment, grâce à son
redressement judiciaire.
Bien ou mal vécu, le redressement
judiciaire se présente ainsi comme une
possibilité de rebond pour les entrepri-
ses en difficulté. Une possibilité certes,
mais que les chefs d’entreprise peuvent
néanmoins éviter. « Le maître-mot,
c’est anticipation, anticipation, anti-
cipation », martèle ainsi François-
Charles Desprat, qui rappelle que les
tribunaux de commerce peuvent
accompagner les entreprises dès leurs
premières difficultés, dans le cadre de
procédures préventives, avant d’avoir
A
forcément recours au redressement
judiciaire. ■
 22 mardi 20 février 2024 le figaro Entreprises

Icade entame sa mue pour affronter

la crise du logement et celle du bureau
Jorge Carasso

Contraint de s’adapter à la pénurie de foncier, le groupe mise sur des opérations de transformation de la ville.

L
es temps sont durs pour les
acteurs de l’immobilier : la
hausse des taux dissuade
les acheteurs particuliers
et fait chuter les ventes de
logements neufs ; la mon-
tée en puissance du télétravail vide les
bureaux les moins bien placés et pèse
sur le prix des immeubles. Présent à la
fois sur le bureau et le logement, Icade
souffre. « Le maître mot est résilience,
confie au Figaro Nicolas Joly, nouveau
directeur général du groupe. Icade, qui
fête ses 70 ans cette année, a déjà vécu
un certain nombre de cycles et saura
traverser celui-là. »
Le chiffre d’affaires de l’activité pro-
motion immobilière d’Icade a progressé
de 3 % l’an passé, à 1,3 milliard d’euros,
mais le marché s’est durci. « La remon-
tée des taux a eu un gros impact pour les
ménages, insiste le dirigeant. Lorsque
les taux d’intérêt remontent à 4 %, vous

Xavier Bohl, Marc Breitmann, Marc Farcy

perdez 35 % des clients particuliers. » Le
groupe a trouvé d’autres débouchés
pour ses lots, en les vendant plus à des
institutionnels (Caisse des dépôts, Ac-
tion Logement…). Ce repositionnement
a affecté la marge de l’activité promo-
tion, passée de 6,2 % en 2022 à 3,8 %
l’an passé. « Quand on vend en bloc, on
vend moins cher », rappelle Nicolas Joly.
Côté foncière, les revenus locatifs
s’établissent à 364 millions d’euros
(+ 2,2 % sur un an). Malgré la crise du
bureau, le groupe a signé près de
240 000 nouveaux mètres carrés en
2023 (+ 20 % sur un an). « À un mo-
ment où les gens s’interrogent sur l’at-
tractivité du bureau, Icade a eu une an-
née extrêmement dynamique en termes
de signatures », poursuit Nicolas Joly.
Sous l’effet de la hausse des taux, la
valeur du patrimoine détenu par la
foncière a toutefois fondu de 17,5 %, à
6,5 milliards d’euros. 2023 a marqué
un tournant stratégique pour le grou-
pe, qui a vendu sa filiale Icade Santé à
Primonial pour 2,6 milliards d’euros,
payables en plusieurs tranches
(1,4 milliard d’euros en 2023). « Cette
opération permet à Icade de ressortir
avec un bilan très solide. La dette rap-
portée à la valeur de nos actifs est tom-
bée à 33,5 %», indique Nicolas Joly.
Ce désengagement de la santé n’est
qu’un premier pas dans la stratégie de
désendettement du groupe. « Nous
voulons réduire l’endettement de
1,7 milliard d’euros », poursuit Nicolas
Joly. Cela passera par la vente d’actifs
non stratégiques.
Réduction du foncier disponible,
hausse des taux et nouveaux rapports
au travail obligent les acteurs de l’im-
Vue d’artiste d’une transformation d’immeubles de bureaux en un programme résidentiel d’envergure au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine).
mobilier à s’adapter. « Il faut se réin-
venter, c’est l’enjeu », martèle Nicolas
Joly, qui a présenté ce lundi aux in-
vestisseurs son plan stratégique 2024-
2028, baptisé ReShape. La première
pierre vise à répondre aux nouveaux
enjeux de la ville au travers d’un pro-
gramme d’investissement de 1,8 mil-
liard d’euros. « La transformation de
la ville sur la ville est un mouvement de
fonds auquel il faut répondre, indique
le patron d’Icade. La bonne réponse,
c’est d’être un acteur intégré et durable
de la transformation de la ville dans le
temps long. Nous avons les compéten-
ces pour accompagner les cycles. Les
quartiers mixtes, de bureaux, commer-
ces et logement vont se développer,
avec une exigence de durabilité des bâ-
timents. Notre force est la solidité de
notre bilan. Pour faire ces transforma-
tions, vous avez besoin de fonds pro-
pres pour porter l’actif le temps des
longs chantiers, ce qui est plus coûteux
que de bâtir sur un foncier libre. » Ica-
de doit aussi s’adapter à la nouvelle
équation financière de demain, « des
taux qui baisseront mais ne reviendront
jamais à ceux du monde d’avant », ad-
met Nicolas Joly.
Cette volonté d’être un acteur plus
global n’implique pas de lever le pied
sur le bureau, dont Icade qui les
construit et qui les exploite - reste un
des leaders, mais elle suppose de faire
« Ce que veulent nos
clients, qui comptent parmi
les plus grands noms
du CAC 40 et du SBF 120,
c’est de la centralité »
Nicolas Joly
Directeur général du groupe Icade
du bureau en se concentrant sur ce
que souhaitent les utilisateurs. « Ce
que veulent nos clients, qui comptent
parmi les plus grands noms du CAC 40
et du SBF 120, c’est de la centralité,
rappelle Nicolas Joly. La centralité,
c’est être au pied du métro, du RER. Le
seuil de tolérance des utilisateurs a
baissé. Être à plus de dix minutes à pied
du RER, c’est disqualifiant. »
Le prix reste néanmoins un facteur
clé pour les entreprises en ces temps
de ralentissement économique et
d’inflation. « Tout le monde ne peut
pas se payer Paris, et de moins en
moins d’entreprises le pourront, pour-
suit Nicolas Joly. Pour nous, il s’agit
d’être capable de répondre à toutes les
exigences des entreprises à un niveau
de prix abordable. »
Les bureaux ne remplissant pas le
cahier des charges des locataires sont
voués à être transformés. « 85 % de
nos immeubles répondent aux besoins
des utilisateurs, et 15 % posent davan-
tage de problèmes, détaille Nicolas
Joly. Nous avons des scénarios de
conversion identifiés pour plus de la
moitié de ces actifs. » Ces transforma-
tions sont un volet du plan ReShape.
« Des équipes spécialisées dans la re-
conversion d’immeubles de bureau
évaluent tous les scénarios : apparte-
ments, résidences seniors, étudiants,
locaux, hôtellerie, data center, petite
industrie… poursuit le patron d’Icade.
On ne s’interdit rien tout en prenant en
compte les contraintes techniques, ré-
glementaires, financières ou politiques.
C’est du cas par cas et ce n’est pas seu-
lement une question financière. » Ces
transformations d’immeubles mal
configurés pour le logement – moins
de fenêtres, place prise par les ascen-
seurs et locaux techniques… – sont
néanmoins souvent coûteuses. Le
groupe va aussi miser sur deux mé-
tiers en pleine croissance, à commen-
cer par les résidences étudiantes, dont
il est déjà un des leaders. Le groupe,
qui confiait la gestion de ces résiden-
ces à des tiers, envisage de les exploi-
ter lui-même. Icade entend égale-
ment miser sur les data centers.
« Nous y allons avant tout car nous
sommes légitimes sur le sujet. Nous
avons cinq sites existants depuis dix ou
quinze ans, aux portes de Paris, rap-
pelle Nicolas Joly. Nous avons du fon-
cier et pouvons intégrer ces projets
dans les quartiers mixtes que nous dé-
veloppons. » ■

Faillites en cascade parmi les start-up de l’immobilier

L’envol des taux d’intérêt a mis un brutal coup d’arrêt au secteur, réduisant le volant d’affaires et l’accès au financement.

R
etour sur terre pour les start-
up du monde de l’immobilier.
Les pépites de la proptech
- contraction de property et
technology - n’échappent pas au re-
tournement du marché, conséquence
de la hausse des taux d’intérêt. Les
acheteurs ont disparu faute de crédits,
et les millions d’euros déversés sur le
secteur quand les taux d’intérêt étaient
au plancher se sont taris. L’argent avait
coulé à flots en 2022 : 465 millions
d’euros investis sur les seules prop-
techs, selon le bureau d’études Xerfi.
« En 2023 ces financements ont chuté de
30 % à 40 % », estime Stéphane Scarel-
la, directeur général du salon immobi-
lier et technologie Rent (groupe Le Fi-
garo). Les fonds d’investissement ou les
banques n’ont pas totalement levé le
stylo. Ils continuent à financer les en-
treprises du secteur, mais avec des
montants souvent plus limités et sur
des modèles déjà rentables.
Pour beaucoup, le retournement du
marché a sonné comme un clap de fin.
A
gré un modèle porteur - l’investisse-
ment locatif clé en main (aide à
l’achat, travaux, mise en location pour
le compte d’un client) -, la start-up,
endettée à hauteur de 10 millions
d’euros, a été placée en redressement
judiciaire en décembre 2023. Gorgée
du cash des levées de fonds - 64 mil-
lions d’euros levés en deux ans -, l’en-
treprise ne lésinait pas sur la dépense :
bureaux somptueux dans un hôtel
particulier du Marais, embauches
massives malgré le ralentissement du
marché. Son patron, Thierry Vignals le
reconnaît aisément : « Quand on lève
un tel niveau d’argent, cela n’incite pas
à être centimier, mais ça force à la dé-
pense. Cela génère, de l’irrationalité fi-
nancière. » Le Tribunal de Paris doit se
prononcer sur le nom du repreneur de
Masteos le 27 février. Trois candidats
sont sur les rangs : la société de gestion
Novaxia, un concurrent, Investisse-
ment-locatif.com, et un spécialiste de
la location meublée, Attentif Immo.
Dans l’investissement locatif clé en
ment judiciaire en 2023. Mais aucun
pan de l’immobilier n’est épargné par le
retournement du marché, qu’il s’agisse
d’achat-vente, de location, de syndic.
En novembre dernier, le néosyndic
Bellman, qui promettait depuis 2019 de
faire mieux que les syndics tradition-
nels, a dû mettre la clé sous la porte,
malgré 20 millions d’euros de levées de
fonds et après avoir tenté un dernier
tour de piste en se reconvertissant briè-
vement dans les logiciels de gestion
d’immeubles. Et que dire des Agences
de Papa, un réseau immobilier low cost
qui facturait 2 000 euros de frais
d’agence tout compris, aux dépenses
marketing XXL. Après des levées de
fonds et une entrée en Bourse ratée,
l’entreprise a fini par se reconvertir en
2022 dans les visites 3D de biens immo-
biliers après un dernier tour de table de
20 millions d’euros (55 millions au to-
tal) destiné à éponger leurs dettes.
Ces difficultés peuvent affecter tou-
tes les entreprises du secteur, qu’elles
soient issues du vieux monde ou du
en un an pour atteindre le nombre de
887 en 2023, selon le cabinet d’études
Alterys. Ce chiffre pourrait monter à
1 400 en 2024. « La crise est profonde,
mais elle est encore plus difficile à gé-
rer pour les entreprises qui ont levé des
millions et dont les investisseurs veu-
lent des résultats, et n’hésitent pas à
couper dans les dépenses ou à stopper
l’hémorragie en cherchant un repre-
neur », estime Manuel Ravier, d’In-
vestissement-locatif.com.
Nombreuses révolutions
Les start-up qui ont le mieux tenu le
choc face au tarissement des finance-
ments sont celles qui ont réalisé à
temps que le vent était en train de
tourner. « Quand le marché a com-
mencé à tousser, en 2022, la première
chose que l’on a faite c’est de fermer
les bureaux que l’on venait d’ouvrir à
Londres, à Berlin, à Madrid, raconte
Alexandre Fitussi, fondateur de
Beanstock. On n’a même pas réfléchi.
On a aussi licencié en France. Si l’on
Des leçons seront sans doute à tirer
de cette séquence. « Quand il y a une
telle euphorie, un tel appel d’air, des
erreurs sont commises », reconnaît
Sébastien de Lafond, cofondateur du
spécialiste des data immobilières
MeilleursAgents (revendu au groupe
AVIV en 2020). Il y a toujours une ou
deux sorties de route, trop d’argent
donné, trop vite, sur une ou deux en-
treprises un peu bancales. Mais le
boom de la proptech ne doit pas se ré-
duire à cela. La digitalisation de l’im-
mobilier est nécessaire. Elle colle à
l’usage qu’en ont les ménages. »
Le secteur a connu de nombreuses
révolutions ces vingt dernières années :
prise de pouvoir des sites d’annonces
immobilières, boom des mandataires
immobiliers, généralisation des outils
digitaux… « Le côté positif, c’est que
certaines entreprises ont pu lever des di-
zaines de millions d’euros. C’est aussi un
signe de maturité du marché, estime Sé-
bastien de Lafond. Certains sont prêts à
parier gros pour construire des acteurs

Dernière victime en date, la start-up main, outre Masteos, Immocitiz et nouveau. Le nombre de faillites n’avait pas fait cela, la boîte aurait été qui peuvent avoir un fort impact sur le
Masteos fait figure de cas d’école. Mal- My expat, ont été placées en redresse- d’agences immobilières a ainsi doublé au cimetière. » quotidien des gens. » ■ J. C.
 Entreprises le figaro mardi 20 février 2024 23

Forvia taille la région. Le plan de suppression de pos-

tes et d’économies doit permettre d’at-
teindre 7 % de marge opérationnelle en

massivement
Europe d’ici à 2028. Par comparaison,
Forvia connaît une forte croissance en
Asie : il y réalise un peu moins d’un tiers
de son chiffre d’affaires, mais 57 % de son

dans ses effectifs

résultat opérationnel, en particulier en
Chine. Sa marge y grimpe à 11 %.

Une dette de 7 milliards

en Europe
Patrick Koller a précisé lundi qu’il
veillait à ne pas devenir trop dépendant
de BYD, le géant chinois des véhicules
électriques, en travaillant avec d’autres
constructeurs du pays, comme Li Auto,
Valérie Collet mais aussi Chery et Leapmotor - celui
avec lequel Stellantis a signé un parte-
Le groupe né de la fusion de Faurecia et de nariat et qui pourrait assembler ses voi-
tures électriques dans l’usine historique
l’allemand Hella estime être en surcapacité de Fiat, à Mirafiori, d’ici à 2026. Le pa-
tron de Forvia a rappelé qu’en Chine
sur le Vieux Continent, où le marché est 20 constructeurs réalisent 90 % de la
production automobile. « Nous sommes
atone. La Chine est son gisement de profits. le fournisseur de 19 d’entre eux (dont
Tesla à Shanghaï, NDLR). Nous avons

I
des liens solides et nous soutenons leurs
l y a quelques semaines, le patron logiciels, de la décarbonation ainsi que projets internationaux, et nous serons ra-
de Forvia, l’entreprise née de la la concurrence asiatique. vis de fournir l’usine de BYD en Hongrie
fusion de l’équipementier auto- À l’aune du vaste plan d’économies et d’autres », souligne Patrick Koller.
mobile français Faurecia et de (500 millions d’euros par an d’ici à Lourdement endetté à la suite du
l’allemand Hella, donnait quel- 2028) annoncé lundi à l’occasion des rachat de Hella, largement financé par
ques indices sur la transforma- résultats financiers, le recours à l’IA ne l’emprunt, Forvia a réussi à sortir du
tion technologique et les économies à sera pas le seul levier pour accroître la rouge en 2023 avec un résultat net de
engager d’urgence ces prochaines an- compétitivité de Forvia en Europe. La 222 millions d’euros pour un chiffre
nées pour rester dans la course. Patrick direction du groupe a en effet lancé un Dans l’usine de Méru (Oise), l’équipementier Forvia produit des tableaux d’affaires de 27,2 milliards d’euros, en
Koller indiquait en décembre que son plan de suppression de 10 000 postes en de bord et des pièces d’intérieur de portes de véhicules. ISA HARSIN/SIPA hausse de 10 % par rapport à 2022. Sa
groupe allait réduire de moitié ses coûts Europe d’ici à 2028 sur un effectif de dette nette est passée de 7,9 milliards
de recherche & développement et de 75 500 salariés (répartis dans 133 usines) nent qu’un droit d’alerte économique d’intérimaires sans préciser si des d’euros fin 2022 à 7 milliards fin 2023.
production d’ici à 2028 grâce notam- en France, en Allemagne, en Pologne, devrait être déclenché le 28 février, lors licenciements auraient lieu. La marge opérationnelle de 4,3 % des
ment à l’intelligence artificielle (IA) gé- en République tchèque et en Espagne. de la prochaine réunion avec la Forvia compte s’adapter à un marché ventes en 2022 a atteint 5,3 % l’an pas-
nérative. Il avait créé la stupéfaction en L’équipementier, présent dans les direction, pour demander des expli- automobile atone sur le Vieux Continent, sé. Mais Forvia vise 7 % en 2025. Le plan
évoquant la création de cinq « dark sièges des véhicules, les planches de cations. « Les salariés vont devoir vivre comparé aux autres continents. « L’Eu- de réduction des coûts de l’équipe-
plants », des usines sans opérateurs, bord, les systèmes d’éclairage, l’élec- avec la peur de perdre leur emploi sans rope n’offre pas de dynamique de volume mentier a d’abord été salué en Bourse
ouvertes d’ici à 2025, et une centaine tronique, les systèmes d’échappement avoir été informés », regrette le délégué dans les années à venir et reste nettement avant une brusque glissade. Forvia a
d’« usines 4.0 » - le niveau d’automati- est confronté à une « surcapacité » éva- syndical central de la CFDT à Méru inférieur à son niveau de 2019 », constate perdu 12,63 %, à 14,04 euros, à la clôtu-
sation juste au-dessous des « dark luée à 20 % dans plusieurs activités en (Oise) où Forvia produit tableaux de Forvia. La région Europe, Moyen-Orient re à la Bourse de Paris. Si « la volonté de
plants » - au cours de la même période. Europe : la fabrication de sièges, les bord et pièces d’intérieur de portes de et Afrique (Emea) reste son premier mar- Forvia d’améliorer sa compétitivité en
L’un des moyens de faire face aux haus- intérieurs, l’éclairage. véhicules. Lundi, le directeur financier ché, avec 46 % de ses ventes, mais elle ne Europe est positive », elle « confirme
ses de coûts auxquelles l’automobile est En France, les organisations syn- du groupe a évoqué le gel des em- lui offre que 22 % du résultat opération- aussi que le contexte devrait rester diffi-
confrontée en Europe, qu’il s’agisse de dicales déclarent au Figaro avoir appris bauches, le non-remplacement des nel. En 2023, Forvia a réalisé une marge cile sur le long terme dans cette région »,
l’électrification, de l’électronique, des la nouvelle par les journaux et prévien- départs et la réduction du nombre opérationnelle de 2,5 % seulement dans résument les analystes d’Oddo BHF. ■

Le sort du français Cityscoot sur le point d’être scellé

Jean-Yves Guérin

Le tribunal de commerce de Paris se prononce mercredi sur l’offre de reprise présentée par l’espagnol Cooltra.

C
es jours-ci, on peut encore dépôts et la RATP, se sont lassés de ren- juillet 2023 par la mairie de Paris pour la Caisse des dépôts ont dit stop et n’ont ploiter ses 1 500 engins beaucoup plus
louer des scooters Cityscoot flouer l’opérateur, qui, depuis sa créa- exploiter chacun 2 500 à 3 000 engins pas voulu remettre au pot. Du coup, dé- pratiques à opérer. Simplement, il en
dans les rues de Paris et des tion, en 1994, a toujours été dans le rou- pendant cinq ans. « Si on ne gagnait pas but novembre 2023, Cityscoot s’est re- changera la marque. Ses scooters seront
communes avoisinantes (Issy- ge. Selon les derniers chiffres connus, l’appel d’offres de Paris, c’était la fin de trouvé en cessation de paiements. Et, le désormais siglés « Cityscoot by
les-Moulineaux, Boulogne, Malakoff…). en 2019, il avait perdu 12,6 millions Cityscoot », résumait alors David 21 novembre, la start-up a été placée en Cooltra » ou « Cityscoot, une marque de
Pourtant, la survie de ce spécialiste d’euros pour des ventes de 21,9 mil- Briend, président de la société. Car l’en- redressement. Une procédure judiciaire Cooltra ». « Nous ferons cette évolution
français des scooters en libre-service ne lions. « On aurait dû commencer à ga- treprise, qui avait été présente dans cinq qui gelait les dettes, le temps de trouver car Cityscoot, en France, est une marque
tient qu’à un fil. Mercredi 21 février, en gner de l’argent en 2020. Mais il y a eu la villes (Paris, Nice, Milan, Rome et Bar- des repreneurs. forte auprès des utilisateurs de scoo-
milieu d’après-midi, le tribunal de pandémie », soupire Bertrand Fleurose, celone), n’opérait plus que dans la capi- À l’audience du tribunal de commerce ters », précise Fabien Douay. L’opé-
commerce rendra son verdict : soit il le fondateur de l’entreprise, resté à sa tale. Mais une goutte d’eau a fait débor- sur ce dossier, qui s’est déroulée le 6 fé- rateur espagnol, qui bénéficiera du fi-
acceptera l’offre de reprise de la société tête jusqu’en 2022. der le vase. Pour être compétitif, vrier, deux acteurs se sont positionnés chier clients de Cityscoot, fait le pari
par l’espagnol Cooltra, soit le juge pro- Depuis, les dirigeants se sont succédé Cityscoot a demandé à ses actionnaires pour redonner vie à la start-up. qu’il récupérera la majorité des habitués
noncera purement et simplement la chez Cityscoot. Le dernier en date, à l’automne dernier de remplacer toute D’abord, son fondateur, Bertrand Fleu- de la marque française à Paris.
liquidation de cette entreprise tricolore David Briend, a bien cru qu’il pourrait sa flotte de scooters : ses véhicules, qui rose, qui croyait encore en l’avenir de

400 000
qui emploie encore 150 personnes. redresser la barre : sous son impulsion, n’avaient pas été renouvelés depuis Cityscoot. Son plan prévoyait de garder
Si Cityscoot se retrouve dans une si- l’entreprise tricolore a fait partie des 2014, étaient devenus difficiles à opérer, 90 % des 150 salariés et, dans un premier
tuation aussi désespérée, c’est que ses trois opérateurs de scooters partagés, avec des batteries trop vite déchargées temps, de concentrer l’activité à Paris.

euros
actionnaires historiques, la Caisse des avec Cooltra et Yego, retenus début et compliquées à changer. Là, la RATP et Mais lui aussi pariait sur un renouvelle-
ment de la flotte. « En se dotant de scoo-
ters neufs, la société va gagner de l’ar-
gent, estimait l’entrepreneur. Ces engins
la séance du lundi 19 février connectés valent trois fois moins cher qu’à
Montant proposé par l’opérateur
nos débuts. Et leurs coûts d’exploitation espagnol Cooltra pour le rachat
LE CAC JOUR %VAR. +HAUT JOUR +BAS JOUR %CAP.ECH 31/12 JOUR %VAR. +HAUT JOUR +BAS JOUR %CAP.ECH 31/12

ont été divisés par deux. » Il avait même de l’entreprise de scooters

AIR LIQUIDE ............................................. 171,68 +0,34 172,2 170,26 0,081 -2,52 LVMH ....................................................... 821,9 +0,75 823,6 804 0,028 +12,04 identifié la marque et le modèle de scoo- en libre-service Cityscoot
AIRBUS ....................................................... 144,3 -1,39 146,22 143,88 0,094 +3,23 MICHELIN .......................................................33 -0,84 33,2 32,84 0,12 +1,66 ters qu’il achèterait pour remplacer les
ALSTOM ....................................................... 11,35 -2,95 11,6 11,34 0,337 -6,81 ORANGE ....................................................... 10,846 +0,74 10,904 10,804 0,147 +5,26
ARCELORMITTAL SA ............................................. 24,855 -3,02 25,435 24,785 0,298 -3,19 PERNOD RICARD ............................................. 157,45 +0,19 158 154,75 0,146 -1,44
vieux coucous de Cityscoot. « Mon plan Pour y parvenir, il honorera les enga-
AXA ....................................................... 31,01 +0,1 31,125 30,785 0,059 +5,15 PUBLICIS GROUPE SA ...................................... 98,1 +0,74 98,32 96,98 0,14 +16,79 prévoit de revenir à l’équilibre au moins en gements de Cityscoot vis-à-vis de ses
BNP PARIBAS ACT.A ............................................. 54,77 +0,72 55,01 54,33 0,186 -12,49 RENAULT .......................................................38,085 -0,52 38,67 38,005 0,259 +3,2 2025, avec un Ebitda d’environ 1 million », clients : par exemple, il reprendra les
BOUYGUES .......................................................34,26 -0,12 34,54 34,02 0,176 +0,41 SAFRAN ....................................................... 189,12 +0,66 189,12 186,8 0,08 +18,6 précisait Bertrand Fleurose. crédits de minutes de trajet achetés chez
CAPGEMINI .......................................................221,5 +0,82 221,5 218 0,156 +17,35 SAINT GOBAIN .............................................68,55 -0,84 68,72 67,64 0,114 +2,84
Seul problème : il n’avait qu’une le français. S’il ne propose de conserver
CARREFOUR .......................................................15,33 +0,79 15,36 15,11 0,243 -7,46 SANOFI ....................................................... 86,22 -0,28 86,88 85,96 0,059 -3,94
CREDIT AGRICOLE ............................................. 12,364 +1,1 12,408 12,218 0,135 -3,8 SCHNEIDER ELECTRIC ...................................... 203 +0,54 203 199,8 0,085 +11,67 faible partie des 4 millions à 5 millions que 30 personnes sur 150, c’est qu’il
DANONE ....................................................... 61,52 +0,36 61,77 61,35 0,117 +4,84 SOCIETE GENERALE ............................................. 21,925 -0,36 22,155 21,83 0,211 -8,74 d’euros qu’il estimait nécessaires pour dispose déjà de suffisamment de per-
DASSAULT SYSTEMES ............................................. 43,54 +0,2 43,6 42,915 0,052 -1,57 STELLANTIS NV ............................................. 23,615 -0,63 23,91 23,605 0,072 +11,68 relancer la marque. À l’audience, il a sonnel support (marketing, finance,
EDENRED ....................................................... 55,14 -0,61 55,44 54,92 0,088 +1,85 STMICROELECTRONICS ...................................... 41,76 -1,89 42,165 41,72 0,063 -7,7 demandé un répit de quelques semaines communication, ressources humai-
ENGIE ....................................................... 14,32 -0,01 14,478 14,248 0,134 -10,04 TELEPERFORMANCE ............................................. 134,75 -0,41 135,55 134,1 0,206 +2,04
pour finaliser ce tour de table. Mais le nes…). En revanche, comme il escompte
ESSILORLUXOTTICA ............................................. 188,84 +0,76 189,16 185,56 0,057 +3,99 THALES ....................................................... 134 -4,73 139,6 133,45 0,288 +0,04
EUROFINS SCIENT. ............................................. 57,82 -0,03 57,82 56,96 0,132 -1,97 TOTALENERGIES ............................................. 59,69 -0,33 60,24 59,48 0,093 -3,1 juge n’a rien voulu entendre. Exit donc une augmentation des courses par
HERMES INTL .............................................2212,5 +0,61 2219 2175 0,028 +15,31 UNIBAIL-RODAMCO-WE ...................................... 70,64 +0,89 70,92 69,5 0,156 +5,56 Bertrand Fleurose. L’offre de Cooltra, scooter, il aura besoin de plus d’agents
KERING ....................................................... 428 -0,02 428 421,4 0,083 +7,27 VEOLIA ENVIRON. ............................................. 29 -0,82 29,57 28,95 0,169 +1,54 elle, est toujours sur la table. C’est sur le terrain pour changer la batterie
L'OREAL ....................................................... 441,3 -0,25 442,1 438,35 0,024 -2,07 VINCI ....................................................... 114,12 +0,78 114,32 113,06 0,083 +0,37 même la seule : l’opérateur espagnol de des véhicules et les repositionner à l’en-
LEGRAND ....................................................... 89,68 -2,54 91,62 89,3 0,149 -4,7 VIVENDI SE ............................................. 10,235 -0,68 10,3 10,155 0,107 +5,78
scooters partagés, présent également à droit où il y a plus de demande.
Paris, propose de racheter Cityscoot Cooltra semble bien parti pour gagner
LES DEVISES MONNAIE 1 EURO=
L’OR VEILLE 31/12 pour 400 000 euros et de conserver
30 des 150 employés. Avec une idée
la partie. On voit mal un juge préférer la
liquidation à un projet de reprise, même
AUSTRALIE ................................................................................
DOLLAR AUSTRALIEN 1,6479
1,6493 AUD
Cotation quotidienne assurée par Or en Cash
CANADA ................................................................................DOLLAR CANADIEN 1,4522
1,4648 CAD https://www.orencash.fr/investissement/ derrière la tête. « En reprenant si, socialement, il n’est pas très ambi-
GDE BRETAGNE ................................................................................
LIVRE STERLING 0,8545
0,8549 GBP Cityscoot, nous atteindrons plus rapide- tieux. D’autant plus que l’espagnol passe
Lingot 1KG ............................................. 60 203,1€ +0,14 %
HONG KONG ................................................................................
DOLLAR DE HONG KONG 8,4273
8,5046 HKD
JAPON ................................................................................ YEN 161,59
160,88 JPY
Lingot 100g .............................................
Lingot 50g .............................................
6 031,31€
3 022,66€
+0,14 %
+0,14 %
ment que prévu notre point d’équilibre pour un acteur très sérieux : créé en
SUISSE ................................................................................FRANC SUISSE 0,9492
0,9446 CHF 1 884,62€
Lingot ONCE (31,10g) ............................................. +0,14 % (2,2 locations par jour par engin) alors 2006, il opère aujourd’hui dans sept vil-
ETATS-UNIS ................................................................................
DOLLAR 1,0776
1,0872 USD Lingot 10g ............................................. 612,23€ +0,14 %
TUNISIE ................................................................................DINAR TUNISIEN 3,373
3,386 TND Lingot 2,5g ............................................. 160,23€ +0,13 %
que nous sommes à une location par les en Europe (Paris, Barcelone, Rome,
MAROC ................................................................................DIHRAM 11,103 MAD 2OFr NAPOLÉON ............................................. 375,78€ +0,14 % jour », estime Fabien Douay, directeur Lisbonne…) et a dégagé l’année dernière
20Fr SUISSE ............................................. 371,58€ +0,14 %
TURQUIE ................................................................................
NOUVELLE LIVRE TURQUE 33,264
32,9205 TRY
SOUVERAIN ............................................. 469,81€ +0,15 %
France de Cooltra. un Ebitda de 7 millions d’euros pour un
EGYPTE ................................................................................LIVRE EGYPTIENNE 33,25
33,66 EGP
KRUGGERAND ............................................. 2 002,38€ +0,14 % En fait, l’opérateur espagnol se chiffre d’affaires de 45 millions. On ver-
A

CHINE ................................................................................ YUAN 7,757

7,7953 CNY
50 PESOS ............................................. 2 392,88€ +0,14 %
INDE ................................................................................ ROUPIE 89,462
90,3655 INR 10 DOLLARS ............................................. 978,05€ +0,14 % débarrassera des 1 100 scooters en fin de ra mercredi si le tribunal de commerce
ALGERIE ................................................................................
DINAR ALGERIEN 144,75
146,1497 DZD 20 DOLLARS ............................................. 1 956,11€ +0,14 % vie de Cityscoot. Et il continuera à ex- de Paris partage cette analyse. ■
 24 mardi 20 février 2024 le figaro
Le milliardaire George Soros bouscule
le paysage radiophonique aux États-Unis
Claudia Cohen
Fervent opposant à Donald Trump, l’ancien financier américain d’origine hongroise va devenir
le premier actionnaire d’Audacy, qui compte 230 stations de radio dans tout le pays.
L
e milliardaire George Soros
et son fils Alexander s’ap-
prêtent-ils à mener une
guerre d’influence contre
Donald Trump ? C’est ce
qu’avancent aujourd’hui
les partisans de l’ancien locataire de la
Maison-Blanche et candidat aux
primaires républicaines, au regard du
dernier investissement mené par la
famille américaine d’origine hongroise.
À huit mois de l’élection présidentielle
très attendue aux États-Unis, le family
office du financier et philanthrope
deviendra bientôt le premier action-
naire d’Audacy, qui abrite 230 stations
de radio. Le deuxième groupe de radio-
diffusion et de podcasts du pays, qui
compte WCBS et WFAN Sports Radio à
New York, WBBM Newsradio à Chicago
ou KROQ à Los Angeles parmi ses
stations phares, revendique une
audience de 170 millions d’auditeurs
chaque mois. De quoi exercer une
influence politique majeure sur les
citoyens américains et rebattre les
cartes du paysage radiophonique,
dominé par le géant iHeartMedia…
« Donald Trump
finira soit en prison,
soit à la Maison-Blanche »
Alexander Soros
Président de l’Open Society
Foundations (OSF)
Dans le détail, Soros Fund Manage-
ment a racheté, pour 414 millions de
dollars, près de 40 % de la dette senior
(la dette remboursée en priorité)
d’Audacy, déclaré en faillite le 7 janvier
dernier face à la chute de ses revenus
publicitaires. Alors que le groupe
souhaite se relancer rapidement une
fois sa restructuration achevée, la
famille Soros, comme les autres
détenteurs de la dette (Goldman Sachs
Asset Management, PGIM, Capital
Commercial Finance…), verront leurs
créances converties en actions dans les
prochaines semaines.
Fidèle soutien du Parti démocrate et
du président Joe Biden, George Soros
n’a jamais caché son opposition face au
possible retour de Donald Trump. Dans
une interview accordée au Wall Street
Journal, son fils Alexander, qui reprend
progressivement depuis le mois de juin
les rênes de l’empire familial, s’est dit
L’ambitieux plan du patron de SoftBank dans les puces IA
Lucas Mediavilla
Masayoshi Son essaye de réunir 100 milliards de dollars pour créer un acteur susceptible de concurrencer Nvidia.
L
e chèque du projet compte un
zéro de moins que celui de Sam
Altman, le PDG d’OpenAI, mais
il reste bien garni. Masayoshi
Son, le patron du géant japonais de la
tech Softbank, cherche lui aussi un
moyen de participer à la gigantesque
course à la production des puces dédiées
à l’intelligence artificielle.
Selon Bloomberg, le sexagénaire
connu pour ses paris dans le secteur
technologique chercherait à rassem-
bler la somme de 100 milliards de dol-
lars dans les prochains mois auprès
d’investisseurs. L’idée serait ensuite de
trouver une société dans laquelle in-
vestir afin de concurrencer le quasi-
monopole de Nvidia en la matière. Le
groupe de San José a récemment atteint
la valorisation de 1 800 milliards de
dollars. Ses cartes graphiques, particu-
lièrement adaptées aux calculs de l’IA,
s’arrachent à travers le monde. L’ini-
tiative de Masayoshi Son, sous le nom
de code « Izanagi » (divinité japonaise
qui a créé le monde), consisterait en un
investissement de 30 milliards de
dollars par Softbank, les 70 milliards
A
restants devant être levés auprès
d’investisseurs du Moyen-Orient.
Médias & Publicité
George Soros, en mai 2022, lors du Forum économique mondial (FEM).
lui-même « plus politique » que son compte s’investir financièrement dans
père et entend s’impliquer davantage la campagne du Parti démocrate.
aux États-Unis. « Donald Trump finira À travers le monde, George Soros, en-
soit en prison, soit à la Maison- nemi numéro un du président hongrois
Blanche », déclarait lors du Forum de Viktor Orban et pourfendeur du capita-
Davos l’homme d’affaires de 38 ans, qui lisme ultralibéral, a souvent été la cible
Ce n’est bien sûr à ce stade qu’un pro- Masayoshi Son avait réussi à réunir
jet. Par le passé, Masayoshi Son a parfois 100 milliards de dollars, déjà aux côtés
changé brutalement d’avis en cours de d’investisseurs des pays du Golfe.
route. Il faut néanmoins reconnaître la Si ce chiffre de 100 milliards peut pa-
constance de l’homme d’affaires sur raître ridicule à côté de ceux évoqués
l’intelligence artificielle. Depuis plu- pour le projet d’Altman, il faut rappeler
sieurs décennies, il ne cesse de prédire que ce dernier vise certes à construire
l’avènement imminent de l’intelligence des dizaines d’usines pour des puces IA,
artificielle générale sur celle humaine. mais qu’il s’accompagne d’autres initia-
tives pour la création de centres de
Course à l’armement données ainsi que des moyens de pro-
Avec Arm Holdings, l’homme d’affaires duction énergétique qui alimenteront
a aussi su avoir le nez creux en déni- toutes ces infrastructures. Masayoshi
chant il y a quelques années de cela l’une Son fait d’ailleurs partie des partenaires
des plus belles pépites du secteur des financiers régulièrement cités comme
semi-conducteurs. L’entreprise britan- partants pour rejoindre Sam Altman
nique est aujourd’hui l’une des plus dans cette aventure.
grosses capitalisations de la tech euro- Encore en gestation, le projet de Ma-
péenne. Selon l’agence Bloomberg, sayoshi Son révèle en tout cas l’ampleur
l’approche de Masayoshi Son dans les de la course à l’armement à laquelle se
puces IA serait d’ailleurs de nature à livrent les figures mondiales de la tech
compléter les produits d’Arm, dont le vers les puces IA. Alors qu’elles pèsent
centre de gravité est plus éloigné de aujourd’hui un peu moins de 10 % des
l’intelligence artificielle. S’agissant du semi-conducteurs vendus dans le mon-
financement enfin, la cible des 100 mil- de, les puces IA pourraient représenter
liards ne paraît pas délirante comparée à 500 milliards de dollars dès la fin de la
celle évoquée par la presse américaine décennie. Soit la moitié du marché
quant au projet de Sam Altman - 5 000 à mondial.
7 000 milliards. Pour son Vision Fund, Plus que la simple opportunité com-
fonds d’investissement lancé en 2017, merciale, la concentration de cette in-
FABRICE COFFRINI / AFP
fantasmée d’un ensemble de croyances
complotistes et d’attaques aux relents
antisémites. En cause ? Son réseau d’or-
ganisations philanthropiques, l’Open So-
ciety Foundations (OSF), est aujourd’hui
le deuxième plus puissant au monde,
dustrie dans une poignée d’entreprises
inquiète. Aux mains de Nvidia pour la
partie conception - le constructeur cali-
fornien s’arroge 80 % de part de marché
des puces dédiées à l’IA -, elle dépend
également en très grande partie de
TSMC pour la production de ces mêmes
puces. Le géant taïwanais est le parte-
naire exclusif pour les produits Nvidia
mais compte également d’autres clients
parmi les concepteurs de ces compo-
sants. Ce qui en fait l’opérateur d’im-
portance vitale pour l’essor de l’IA.
Fonds privés et publics
Que ce soit à cause de risques géopoliti-
ques avec la Chine ou d’un engorgement
lié à une demande explosive, toutes les
figures de la tech semblent convaincues
de l’urgence d’une diversification de la
chaîne d’approvisionnement. Le projet
de Sam Altman, qui cherche ces der-
niers jours aussi le soutien de l’Adminis-
tration américaine, s’inscrit clairement
dans cette vision.
Une chose est claire également :
l’Europe va devoir rehausser ses ambi-
tions dans le domaine. Le Chips Act
adopté il y a un peu plus d’un an à
Bruxelles et visant à doubler la part de
derrière la Fondation de Bill et Melinda
Gates. En trois décennies, OSF a versé des
milliards de dollars en faveur de réformes
de l’économie et de la justice, du droit des
minorités et des réfugiés, de la liberté
d’expression ainsi que des médias indé-
pendants. « La Fondation estime que des
médias libres et indépendants sont la pierre
angulaire de la démocratie et de la liberté,
et nous sommes fiers que nos bénéficiaires
travaillent dur pour faire progresser ces
principes », est-il écrit sur le site de
l’OSF. L’influence de George Soros est
telle que ses adversaires l’accusent d’in-
gérence politique, à l’image du proprié-
taire de X, Elon Musk.
« La Fondation estime
que des médias libres et
indépendants sont la pierre
angulaire de la démocratie
et de la liberté,
et nous sommes fiers
que nos b ­ énéficiaires
travaillent dur pour faire
progresser ces principes »
Open Society Foundations
À la tête d’une fortune de 6,7 milliards
de dollars, selon Forbes, George Soros
continue à 93 ans d’étendre son empire
dans l’univers des médias. Avant Auda-
cy, il injectait plus de 80 millions de dol-
lars (à travers le véhicule financier La-
kestar Finance) dans le réseau Latino
Media Networks, qui regroupe dix-huit
radios hispanophones. Du côté des sites
d’informations en ligne, Soros Fund Ma-
nagment s’offrait à l’été 2023, aux côtés
de Fortress Investment Group et
d’autres fonds d’investissement, une
partie du capital du groupe Vice Media,
alors placé en liquidation judiciaire. Il a
également investi au fil des années dans
plusieurs titres d’Europe centrale et de
l’Est.
En Pologne, par exemple, où il sou-
tient le premier ministre récemment
réélu, Donald Tusk, George Soros in-
vestit depuis 2016 dans le secteur de la
presse quotidienne. Il détient des parts
du populaire quotidien Rzeczpospolita
(« La République »), et est entré en oc-
tobre dernier au capital du holding
Wirtualna Polska Holding (« Pologne
virtuelle »), qui gère le site internet le
plus visité du pays. ■
marché de l’Union européenne de 10 %
à 20 % dans le secteur des semi-
conducteurs va permettre de débloquer
plusieurs dizaines de milliards de fonds
privés et publics. Ce texte déverrouille
aussi l’accès aux aides d’État, néces-
saires pour relocaliser des usines en
Europe. L’Allemagne à Magdebourg
avec Intel, la France à Crolles avec
STMicroelectronics vont en bénéficier.
Enfin, des crédits ont été alloués dans la
recherche et développement vers les
puces les plus sophistiquées.
Il n’empêche. Vu les montants an-
noncés par Sam Altman, ou dans une
moindre mesure Masayoshi Son, il ap-
paraît évident qu’il manque déjà plu-
sieurs dizaines de milliards sur le seg-
ment précis des puces IA, où l’Europe
compte pourtant plusieurs jeunes pous-
ses. Dernier exemple en date, aux fron-
tières proches de l’Europe, la start-up
des puces IA Graphcore, un temps
considérée comme une rivale de Nvidia,
serait en train de chercher à se vendre à
des acquéreurs potentiels sur la base
d’une valorisation de 400 millions de
dollars, faute d’avoir le cash nécessaire
pour continuer à rivaliser avec le
champion californien. ■
 mardi 20 février 2024 LE FIGARO - N° 24 725 - Cahier N° 3 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr

patrimoine automobile
Visite exceptionnelle des réserves Lancia revient sur le devant
du parfumeur Guerlain, de la scène avec une citadine
qui renferment 350 flacons Page 28 électrique Page 27

Taylor Swift au Super Bowl,

le 11 février 2024, à Las Vegas.

Ces femmes
qui osent
Oliver Pilcher ; lancia ; HARRY HOW/Getty Images via AFP

le rouge... rouge
Comme Paloma Picasso dans les années 1970
ou Taylor Swift aujourd’hui, elles portent
haut la couleur et la voix. Page 26
L. B. Dauge/Studio photo de Jarnac/Les 3 coups de Jarnac 2023

Les mystères
de l’amour
au théâtre
Page 29

« Le Bar de l’Oriental ».

« Anatomie d’une chute » : la voie s’éclaircit pour les Oscars

Constance Jamet

Face au triomphe d’« Oppenheimer » aux Bafta, la palme d’or a été distinguée par le meilleur scénario. Là où sont ses chances le 10 mars.

P
alme d’or à Cannes,
Anatomie d’une chute est
devenu l’élément per-
turbateur de la saison
des prix à Hollywood. Le thriller
judiciaire de Justine Triet a récolté
deux Golden Globes et amassé
bien plus de nominations qu’at-
tendu : cinq aux Oscars et sept aux
Bafta, les César anglais. Un exploit
pour un long-métrage franco-
phone. Seul The Artist, avec Jean
Dujardin, avait fait jeu égal… Mais
il s’agissait d’un film muet. Com-
convertibles en statuettes ? Ana-
tomie d’une chute peut-il espérer
la même razzia que la palme d’or
coréenne de Bong Joon-ho ? Pa-
rasite avait récolté quatre Oscars,
dont ceux du meilleur film et réa-
lisateur.
Les Bafta, décernés ce diman-
che à Londres, ont fourni un galop
d’essai et apporté de la clarté sur
la route des Oscars. Autour de 7 %
des votants de l’académie améri-
caine du cinéma provient du
Royaume-Uni. Cela donne un in-
saison des prix. Anatomie d’une
chute était en lice dans sept caté-
gories (casting, actrice, montage,
film étranger, meilleur film, scé-
nario, mise en scène). Ce qui re-
coupe, à deux catégories près, ses
nominations aux Oscars. Le dra-
me judiciaire a ouvert le palmarès
en décrochant le Bafta du
meilleur scénario original. Justine
Triet a voulu rassurer les votants :
« La dernière fois que j’étais à Lon-
dres, une spectatrice m’a dit qu’elle
avait appelé son ex pour lui dire de
pourquoi elle l’avait quitté. Mais
tout va bien avec mon compagnon
et coscénariste Arthur Harari. »
Rouleau compresseur
La suite de la soirée a été moins
fastueuse. La palme d’or s’est vu
ravir la statuette du meilleur film
étranger par La Zone d’intérêt de
Jonathan Glazer. Ce duel ne pour-
ra être rejoué aux Oscars, le
10 mars prochain, puisque le CNC
n’a pas choisi le thriller pour re-
présenter le septième art tricolore
Surtout, Justine Triet n’a rien pu
faire contre le rouleau compres-
seur Oppenheimer, de Christopher
Nolan, vainqueur hégémonique
avec sept statuettes, dont celles
des meilleurs film, réalisateur,
montage, acteur et second rôle.
Cet unique, et déjà formidable,
Bafta suggère que la meilleure
chance de succès d’Anatomie
d’une chute aux Oscars se trouve
dans la catégorie scénario origi-
nal. La seule où Oppenheimer, qui
accumule les trophées toutes cé-
Sandra Hüller n’a pas non plus
créé la surprise contre Emma Sto-
ne, récompensée pour sa perfor-
mance de Frankenstein nympho-
mane dans Pauvres créatures. Ce
Bafta confirme que l’Oscar de la
meilleure actrice se jouera, sauf
anomalie statistique, entre la star
de La La Land et la révélation
amérindienne de Killers of the
Flower Moon, Lily Gladstone. Les
comédiennes se sont partagé les
récompenses précurseurs outre-
Atlantique, ne laissant rien à la
A

bien de ces nominations sont dice sur les tendances de cette voir mon film pour comprendre dans cette catégorie. rémonies confondues, est absent. muse allemande de Justine Triet. ■
 26 mardi 20 février 2024 le figaro
La bouche rouge fait de la résistance
Adèle Bari
Aussi rejeté qu’assumé dans l’histoire du féminisme, attirant les regards y compris insistants, le rouge à lèvres écarlate
se fait de plus en plus rare dans la rue. Qui sont celles qui osent encore ?
O
bservez autour de vous.
Dans la rue, votre open
space, bref où que vous
soyez, comptez combien
de passantes, de collè-
gues, portent encore du
rouge aux lèvres. Vous confirmerez alors
que, plutôt que d’afficher une bouche
écarlate, les femmes d’aujourd’hui op-
tent pour une teinte plus discrète. « Dé-
sormais, seuls leurs sourcils et leurs yeux
sont dessinés », remarque Leslie Dumeix,
maquilleuse à Paris, qui scrute au quo-
tidien les minois dans le métro. Quel-
ques-unes font pourtant de la résistance,
comme Kelly Santos Dassault (4), entre-
preneuse saluée par Forbes et photogra-
phe de 36 ans, dont la bouche est chaque
jour minutieusement peinte au pinceau.
Un trait caractéristique qui, à en juger par
son profil Instagram, ne la quitte même
pas lorsqu’elle pouponne ou se glisse dans
ses draps blancs. « C’est devenu ma si-
gnature. Un danseur s’échauffe avant
de monter sur scène, moi je me dessine
une bouche rouge avant d’aller au bureau,
comme un uniforme, un rituel et un shot de
confiance en soi. »
Parmi ces résistantes, comment ne pas
nommer la Parisienne Jeanne Damas (1),
directrice artistique de la marque de
mode Rouje et, depuis 2018, d’une ligne
de beauté Les Filles en Rouje ? « Je porte
chaque jour un rouge ou un marron rosé,
que j’applique au doigt pour varier l’inten-
sité des couleurs. J’aime cette ambivalence
du rouge à lèvres, qui à la fois attire l’at-
tention et nous camoufle telle une carapa-
ce. En revanche, je sors volontiers sans
mascara ni anticernes. » Une marque de
fabrique qui a peut-être contribué à lui
valoir le rôle de Paloma Picasso, fille du
peintre et figure du Paris des années 1970
avec ses lèvres fardées, dans la future sé-
rie biopic de Disney+ Kaiser Karl. Autre
adepte, Violette Serrat (3), fondatrice du
label branché de cosmétiques Violette_fr
« Le geste d’appliquer
du rouge à lèvres fait partie
de notre mémoire ancienne
et ne disparaîtra pas. Pour
autant, le vrai rouge met en
avant la bouche, une zone
du visage particulièrement
connotée à la sexualité »
Rachel Kahn
La Folle histoire du rouge à lèvres
et directrice de la création du maquillage
Guerlain, ne quitte jamais son rouge
signature Amour Fou. Cette Française
toujours entre Paris et New York est
marquée, depuis sa plus tendre enfance,
par le rouge des chaussures à sequins de
Dorothy dans Le Magicien d’Oz (1939) :
« J’ai grandi avec l’idée que le rouge à lè-
vres rouge donne aux femmes de l’énergie,
de la force, du pouvoir, de la passion et de
la sensualité. »
Un surplus de sensualité que certaines
assument moins aisément. « Les femmes
connaissent dès l’âge de 6 ans les méca-
nismes du rouge à lèvres : elles l’ouvrent,
l’appliquent et se pincent les lèvres pour
l’étaler. Ce geste fait partie de notre mé-
moire ancienne et ne disparaîtra pas. Pour
autant, le vrai rouge met en avant la bou-
Huit nuances de rouge...
31 Le Rouge, Petal Bouche Matte,
Rouge Fétiche, Amour Fou,
A
Chanel, Violette_Fr,
165 €. 30 €.
L’ÉVÉNEMENT
1 2
3 4
che, une zone du visage particulièrement comportement de certains hommes» et
connotée, liée à la sexualité, atteste même le jugement de certaines femmes.
Rachel Kahn, coauteur de La Folle histoi- Le XIXe siècle, durant lequel la bouche
re du rouge à lèvres (Herscher, 2023). Il rouge était prohibée, est pourtant loin !
constitue un objet de séduction majeur à la « L’Église consacrait alors des sermons
fois rejeté et assumé dans l’histoire du fé- apocalyptiques aux pécheresses qui
minisme. Certaines s’en séparent pour osaient transgresser les conventions, re-
s’émanciper des injonctions, tandis que prend Rachel Kahn. Le rouge à lèvres
d’autres l’embrassent comme un outil de était l’apanage des prostituées et des co-
pouvoir, soulignant la parole dans une so- médiennes. L’actrice Sarah Bernhardt fut
ciété où les femmes l’avaient peu. » Reste la première à garder son rouge de scène à
que cette bouche rouge « attire particu- la ville. Dès qu’elle en avait l’occasion, elle
lièrement le regard et questionne notre se repeignait les lèvres à l’aide d’un petit
manière de nous faire remarquer dans la miroir. Ce geste paraissait obscène à l’épo-
rue, insiste Pauline, journaliste de 31 ans que ! Paradoxalement, dès l’Antiquité,
et grande consommatrice de lipsticks. c’est une distinction de pouvoir qu’affec-
J’en porte pour m’affirmer, enjoliver mes tionnait Cléopâtre. Elle portait du rouge
lèvres, mes yeux bleus et ma peau claire, à lèvres pour ses vertus magiques. Selon le
mais beaucoup de mes amies s’abstien- mythe, il empêchait les maladies d’entrer
nent d’en mettre, car elles craignent le dans le corps par la bouche. » En vain. En
Le Phyto Rouge, La Palette Rouge
Hollywood, Signature, Pur Couture,
Sisley, Les Filles en Rouje, Yves Saint Laurent
49,50 €. 45 €. Beauté, 45 €.
plus simple de ne plus en porter. » Ce choix
s’inscrit aussi dans l’ère de la beauté
« sans artifices » glorifiée entre autres
par les gloss peu teintés de la marque au
succès phénoménal Rhode, lancée en
2022 par l’idole de la Gen Z mariée à
Justin Bieber, Hailey Bieber. « De plus en
plus de femmes utilisent du maquillage
proche de leur carnation pour un effet
bonne mine sans chercher à être vues da-
vantage, remarque Rebecca Benhamou,
auteur de Sur la bouche. Une histoire in-
solente du rouge à lèvres (Premier Paral-
lèle, 2021). Le rouge est une couleur élo-
quente. » Dorénavant, elles sont de plus
en plus nombreuses à chercher à hydra-
ter plus qu’à colorer.
« Aujourd’hui, les femmes recherchent le
confort, maintient Leslie Dumeix. Les
teintes nude, inspirées par les Kardashian,
sont plus facilement adoptées. D’ailleurs,
les ventes du crayon ton sur ton Charlotte
Tilbury Lip Cheat explosent ! Dix ans
auparavant, je me souviens au contraire de
bouches très colorées dans la rue. » Ce
phénomène n’est pas sans répercussions
sur le marché du rouge à lèvres, « qui n’a
toujours pas rattrapé son chiffre d’affaires
de 2019, note Mathilde Lion, experte
beauté au cabinet Circana. En 2023, 12 %
de femmes affirmaient ne plus se maquiller.
La couleur rouge, autrefois la plus portée
par les Françaises, est désormais devancée
par le rose. » Une teinte bonne mine sui-
vie par des discrets marrons et beiges en
vogue. Sans oublier le retour en grâce du
gloss, en hausse de 61 % en 2023 par rap-
port à l’année précédant la crise sanitai-
re, selon l’experte. Un chiffre illustré par
VINCENT FERRANE ; spotlight ; violette_fr ; Kelly santos dassault
la montée en flèche de la tendance du
#Cherrycolalips, aux 140,3 millions d’oc-
currences sur TikTok, popularisée par la
petite sœur de Kim K., Kylie Jenner, qui
consiste à ourler ses lèvres couleur cra-
moisi d’un trait de crayon et d’une cou-
che de brillant teinté façon soda saveur
cerise. Prisée des filles nostalgiques du
maquillage des poupées Bratz, au début
des années 2000.
« Le rouge n’est pas mort !, certifie
pourtant Mathilde Lion. Cette couleur
pèse un tiers des bénéfices des rouges à
lèvres en 2023. » Selon Rebecca Benha-
mou : « Il se porte encore beaucoup sur les
podiums et les abords des défilés (ici par le
mannequin Kim Schell) (2), les tapis rou-
ges et les plateaux télévisés. En revanche,
l’évolution de notre rapport au travail mo-
difie certains gestes du quotidien et im-
pacte la façon dont les femmes se mettent
en récit dans l’espace public. Cette couleur
1603, Elizabeth Ire d’Angleterre, persua- est désormais associée à des moments de
dée de ses bienfaits et qui en appliquait fête, à l’exceptionnel. » Comme le sou-
en couches épaisses sur les lèvres, suc- tient Rachel Kahn : « Je pense qu’il est
combe d’une maladie sans doute liée aux difficile de remplacer le rouge. Les beiges,
substances toxiques qu’il contient. « Le les rosés ou les orangés ont beau exister,
rouge renvoie à toutes les passions humai- les femmes reviennent toujours à lui. Il
nes, positives comme négatives : la violen- suffit qu’une actrice, une chanteuse ou une
ce, la haine, l’amour, la mort, précise influenceuse le porte pour qu’il réappa-
l’écrivain. C’est à la fois un baiser et une raisse de plus belle. » C’est chose faite de-
menace, une promesse et un mensonge. » puis que la star américaine Taylor Swift
Chanel ; Kevin Norris ; Rouje ; Sisley ; Yves Saint Laurent Beauté ; Pat McGrath Labs ; Prada ; Christian Dior Parfums
Question d’époque, le geste aujour- (voir page 25) a arboré le 11 février der-
d’hui tend à disparaître devant le miroir nier, dans les gradins du Super Bowl, un
de la salle de bains. « Je ne me maquille rouge aux couleurs des Chiefs et du
plus le matin depuis l’avènement du télé- maillot de son compagnon, le footballeur
travail. Je portais pourtant toujours du Travis Kelce. En prouvant, entre deux
rouge ou du rose pour aller au bureau, étreintes, que le bâton nommé Forbidden
explique Marie-Hélène, Parisienne de Love de la marque Pat McGrath Labs
53 ans. Aujourd’hui, j’avoue que je trouve était bien sans transfert, les ventes du
ça même inconfortable, j’ai toujours peur maquillage se sont envolées plus vite que
qu’il bave ou d’en avoir sur les dents. C’est celles de ses albums. ■
MatteTrance, Prada Rouge Dior, Rouge
Forbidden Love, Monochrome, Ardent Fini Satin,
Pat McGrath Labs, Rubino, Prada, Christian Dior
43 €. 48 €. Parfums, 49 €.
 Automobile le figaro mardi 20 février 2024 27

Sylvain Reisser et Nicolas Valeano

Peu épargné
par les crises
et les tourments,
Le retour inattendu
ce prestigieux label
italien va renaître de Lancia
autour d’une gamme
de véhicules
électriques.

A
vec la renaissance de
Lancia, Carlos Tavares
est en passe d’honorer
sa promesse de ne sacri-
fier aucune des quatorze
marques issues de la fu-
sion des groupes PSA et Chrysler-Fiat.
La résurrection de ce label prestigieux
ne manque pourtant pas d’interroger.
Qui attend Lancia ? Plus grand monde, à
part les Italiens. Il faut bien avouer que
cette marque plus que centenaire a été
sabotée à force d’être bringuebalée en-
tre élégance à l’italienne et sportivité.
Depuis que la firme fondée par Vin-
cenzo Lancia en 1906 a intégré le grou-
pe Fiat, elle n’a jamais réussi à cohabi-
ter avec Alfa Romeo. Le coup de massue
arrive sous le mandat de Sergio Mar-
chionne. En 2011, il était décidé de lier
le sort de Lancia à celui de Chrysler. À
part la citadine Ypsilon conçue à partir
de la Fiat Panda, les nouveaux modèles
de la marque italienne deviennent alors
des véhicules américains rebadgés :
sous les traits du cabriolet Flavia se ca-
che l’obsolète C200, la Thema n’est
qu’une berline 300C accommodée à la
sauce italienne, et le Voyager, le mo-
nospace des Yankees. Les consomma-
teurs ne sont pas dupes. La couleuvre
était certainement trop grosse et per-
sonne ne l’a avalée. Le scénario couru
d’avance se précisa en 2014 lorsque le
groupe Fiat Chrysler décida de couper
le contact de Lancia, sauf sur son mar-
ché domestique, où l’Ypsilon, la pre-
mière citadine 5 portes depuis l’Auto-
bianchi Primula des sixties, poursuivait
sa carrière. Le poids des années ne s’est
jamais fait sentir et, l’an dernier, la
vieillissante Ypsilon occupait encore la
troisième marche du podium des ven-
tes, toutes catégories confondues. Ses
immatriculations étaient même en
hausse de 9 %, avec un total de
44 743 exemplaires écoulés. La preuve,
selon les décideurs du groupe, que
l’image de marque de Lancia est encore
forte en Italie. De là à la faire renaître
sur l’ensemble des marchés européens,
et peut-être au-delà si affinités, il n’y a
qu’un pas que Stellantis s’est décidé à
franchir. Le challenge relève de la ga-
geure pour cette marque qui va devoir
se frayer une place au sein d’une galaxie
de quatorze marques, et notamment
face à Alfa Romeo et DS qui revendi-
quent aussi un standing élevé.
La résurrection de Lancia va donc
s’articuler à terme autour de trois mo-
dèles : la citadine Ypsilon, un crossover
Gamma et une berline compacte Delta.
Les deux derniers seront exclusivement
électriques. Quant à la nouvelle citadi-
ne, qui ne peut cacher sa filiation avec
la Peugeot 208, elle se déclinera en ver-
sions hybride et électrique. De l’actuel-
le Ypsilon, elle ne conserve que le nom.
La quatrième génération passe à la ca-
tégorie supérieure, gagnant 24 cm pour
atteindre une longueur de 4,08 m. Elle
tranche ainsi avec une lignée née dans
les années 1980 avec la petite Y10, sui-
vie de trois générations d’Ypsilon tout
aussi chics, avec des peintures spécia-
les, des revêtements en Alcantara et
certaines originalités, comme un ta-
bleau de bord central. Au total, cela re-
présente plus de 3 millions de ventes
sur une durée de trente-neuf ans, une
vraie success story à l’italienne.
Des lignes épurées
La découverte du premier des trois mo-
dèles montre que Lancia a choisi le
camp de l’élégance. Le modèle de lan-
cement édité à seulement 1 906 unités,
en référence à l’année de naissance de
la marque, est signé Cassina, le fameux
éditeur de meubles de luxe italien. Cette
édition limitée se distingue par son co-
loris bleu historique exclusif, des maté-
riaux spécifiques et un placage de cuir
numéroté sur sa console centrale en
forme de table à café, appelée Tavolino.
Mais, à 39 999 euros contre
17 650 euros pour la mouture actuelle,
cette Ypsilon fait un bond dans un tout
autre univers, visant ostensiblement
des concurrentes badgées Audi ou
Mini. Un tarif très haut de gamme pour
le segment, justifié par sa motorisation
100 % électrique et sa plateforme CMF
de petite berline polyvalente partagée
avec les Peugeot 208 et Opel Corsa.
Comme ses cousines, la Lancia sera
produite dans l’usine de Saragosse, en
Espagne. S’il est difficile de ne pas voir
un air de famille avec les autres citadi-
nes du groupe, l’italienne ne partage
que le pare-brise. Le Français Frédéric
Duvernier (ancien de Citroën), respon-
sable du design extérieur de Lancia, n’a
pas ménagé ses efforts avec Jean-Pier-
re Ploué, le patron du design de Stel-
lantis, pour esquisser la nouvelle iden-
tité stylistique de la marque. Ainsi
l’Ypsilon reprend-elle la structure de la
face avant et les formes géométriques
du concept Pu+Ra HPE (pure + radical).
La principale originalité provient du
« calice » Lancia en clin d’œil aux ca-
landres de la marque, reprenant la si-
gnature lumineuse en Y typique dans
une surface noire intégrant le logo en
toutes lettres en inox. Une expression
très sculptée, renvoyant la calandre et
les feux dans la partie frontale basse.
Les flancs très purs, lissés, se résument
à une ligne arquée, tandis que les por-
tes arrière cachent leurs poignées dans
les montants latéraux. Mais la partie la
plus spectaculaire est certainement sa
poupe, clairement inspirée de la my-
thique Stratos de rallye, avec ses feux
ronds intégrés dans un spoiler marqué.
Un traitement qui devrait se remarquer
dans le paysage automobile.
Une sellerie en velours
L’habitacle cultive sa personnalité, au
travers de matériaux uniques, teintés
d’un bleu historique Lancia avec la série
limitée Cassina. Cela va réjouir ceux qui
ont connu les grandes heures de la
marque. Le velours revient en fanfare,
ici à base de matériaux recyclés pour
habiller des sièges massants et chauf-
fants à motifs molletonnés traditionnels
dits « canelloni ». Avec le placage nom-
mé Marmore à base de marbre recyclé
pour habiller les contreportes, on sa-
luera les efforts déployés pour proposer
de nouveaux univers. Ces ingrédients
singuliers contrastent avec des élé-
ments en provenance de modèles Stel-
lantis bien moins premium, comme des
plastiques durs au grain basique ou des
pièces reprises intégralement (com-
mandes de transmission, commodos…)
qui témoignent du souci de favoriser les
économies d’échelle. Le double écran
d’instrumentation et info-divertisse-
ment de 10,25 pouces a beau arborer un
nouveau nom (S.A.L.A. pour Sound Air
Light Augmentation) et un habillage
La prochaine Lancia Ypsilon
sera produite dans l’usine
de Saragosse, en Espagne. LANCIA
particulier, il s’agit bien du système
maison Stellantis connu dans les der-
nières productions des marques du
groupe. Les places arrière étriquées ne
sont pas plus accueillantes que dans les
208 et Corsa, tandis que le coffre reste
très correct, avec ses 309 litres en ver-
sion électrique. Celle-ci reprend à son
compte le dernier moteur synchrone à
aimants permanents apparu tout ré-
cemment sous le capot de la Peugeot
208, dans sa version la plus puissante de
156 ch. Il délivre un couple de 260 Nm
pour offrir de solides reprises et, côté
autonomie, la Lancia a été homologuée
à 403 kilomètres WLTP avec sa batterie
de 48 kWh utiles (51 kWh bruts). Le
constructeur annonce à peine 24 minu-
tes pour repasser de 20 % à 80 % sur
une borne de recharge rapide.
Une version micro-hybride 3 cy-
lindres 48 volts de 136 ch complétera
la gamme Ypsilon après la rentrée,
mais son tarif reste à confirmer. L’an
prochain, une version sportive 100 %
électrique reprenant le prestigieux
label HF fera aussi son retour, avec
une puissance prometteuse de 240 ch.
Lancée d’abord en Italie puis en Bel-
gique et aux Pays-Bas au cours de
l’été, la nouvelle citadine de Lancia
arrivera à la fin de l’année 2024 en
France. Puis, au rythme d’une nou-
velle voiture tous les deux ans, la
gamme Lancia sera complète en 2028.
Le crossover Gamma sera très proche
du véhicule lancé à la fin de l’année
par DS. Quant à la Delta, les designers
sont encore au stade de l’étalonnage
des prototypes de style. Ces deux vé-
hicules hériteront de la nouvelle
identité de marque. Reste à savoir si
ces ingrédients seront suffisants pour
assurer un avenir à cette marque si
souvent chahutée. ■

Les modèles de légende de la marque de prestige turinoise

Lancia

■ Lancia Aurelia B24 ■ Lancia Stratos ■ Lancia Delta ■ Lancia Thema

Premier modèle d’après-guerre, la berline
Aurelia B10 de 1950 révolutionne le marché des
voitures performantes avec son V6 né en 1,8 litre
et poussé jusqu’à 2,4 litres. Ses déclinaisons
À l’origine un concept de salon destiné à afficher la
créativité du carrossier Bertone, la Stratos se mue
en berlinette sportive en 1971 avec un V6 Dino de
2,4 litres installé en position transversale arrière.
Élue voiture de l’année en 1980, cette berline
compacte à hayon de moins de 4 mètres remet en
selle le constructeur italien. À partir de la HF Tur-
bo de 1985, elle monte progressivement en puis-
Succédant à la Gamma, la Thema est la dernière
grande berline de la marque turinoise à connaître
le succès. Resté dix ans au catalogue (1984-1994),
ce modèle dessiné par Giugiaro connaît de nom-
A

coupé B20 et cabriolet B24 ont contribué au Ce coupé survole le championnat du monde des sance jusqu’à devenir la base d’une redoutable breuses déclinaisons, y compris une version 8.32
prestige de la marque. rallyes de 1974 à 1976. version de rallye avec ses 4 roues motrices. propulsée par un V8 Ferrari. ■ S. R.
 28 mardi 20 février 2024 le figaro Culture

Q
ui a eu le nez assez creux
pour acquérir le seul ta-
bleau vendu par Van
Gogh de son vivant ?
Pour le savoir, il faut aller
dans le Finistère, au Mu-
sée de Pont-Aven. Et fai-
re connaissance, à travers une exposition
qui lui est consacrée, avec Anna Boch
(1848-1936). En janvier 1890, au Salon
des XX fondé à Bruxelles six ans plus tôt
par une union d’artistes modernes em-
menée par son cousin, le critique d’art
Octave Maus, cette riche héritière de la
faïencerie familiale (future firme Villeroy
& Boch) et peintre reconnue de la fin de
siècle en Belgique s’arrête devant La Vi-
gne rouge à Montmajour. « J’ai offert
400 francs pour ce tableau. (…) Cela fera
bien dans un coin de salon. » Dont acte.
Aux mêmes cimaises étaient propo-
sées d’autres toiles du génie maudit,
dont deux de sa fameuse série des tour-
nesols (aujourd’hui à la National Gallery

Vincent Everarts/Collection particulière

de Londres et à la Neue Pinakothek de
Munich, un bouquet équivalent ayant
été adjugé 39,9 millions de dollars chez
Christie’s en 1987). Mais La Vigne était
une bonne pioche. Anna Boch s’en était-
elle rendu compte ? Et mesurait-elle la
radicalité de cette composition tandis
qu’elle se décidait à la revendre, en
1909, à un collectionneur russe ? Ces
questions restent ouvertes à Pont-Aven,
où l’œuvre est malheureusement absen- Cueillette
te puisqu’elle est conservée au Musée (1890),
Pouchkine de Moscou, dans un pays qui Anna Boch.
a durablement refermé ses frontières.

Anna Boch, une impressionniste

Audace mesurée
Quatre cents francs, c’était peu, de l’avis
même de Van Gogh, qui se forçait alors à

oubliée accoste à Pont-Aven

« travailler pour des prix raisonnables ».
Anna Boch avait de l’audace, certes, mais
mesurée. Surtout, son coup de cœur
s’expliquait par ce que son frère lui avait
dit du Hollandais. Cet Eugène Boch, lui
aussi peintre mais moins mondain, plus
investi, exposant peu mais méditant
plus, avait rencontré Van Gogh à Arles et
Paris. Une amitié était née. Au point
qu’ils ont un moment envisagé des ma-
riages croisés entre leurs familles. Cela ne
s’est pas fait. Vincent, qui a pu songer à
Anna, est demeuré célibataire. Eugène ne
s’est pas uni avec Willemien, la cadette.
De ces projets reste toutefois un mer-
veilleux portrait, présent, lui, à Pont-
Aven : celui d’Eugène par Van Gogh,
venu du Musée d’Orsay. Soit l’archétype
du poète. Sur un ciel étoilé d’un bleu in-
tense se découpe une « figure en lame de
rasoir, yeux verts, avec cela de la distinc-
tion », selon les mots du peintre. Anna
Boch, philanthrope, a légué cette relique
aux Amis du Musée du Louvre… En 1891,
quelques mois après le suicide de Van
Gogh, elle avait acheté - pour 350 francs
- un second tableau du peintre : Plaine
de la Crau avec pêchers en fleurs (resté au
Courtauld Institute de Londres). Sa ven-
te, avec celle de La Vigne, lui a permis
d’avoir Saint-Tropez. La calanque, de
Paul Signac, un chef-d’œuvre légué aux
Musées royaux des beaux-arts de Belgi-
Éric Biétry-Rivierre Envoyé spécial à Pont-Aven (Finistère)
Le musée breton ressuscite cette peintre belge, qui fut surtout une collectionneuse avisée
de Van Gogh, Gauguin, des nabis et des pointillistes.
que, lequel a accepté d’envoyer dans ce En revanche, Anna Boch a gardé ses Voilà pour la collectionneuse et son rose. Avec aussi, çà et là, paysans, pê-
Finistère sud entre Quimperlé et distances avec Maurice Denis, ce nabi goût. Mais la peintre, alors ? Ses œuvres cheurs, ramendeuses de filets, gar-
Concarneau. À Bruxelles est toutefois dont son frère était très amateur. De cet propres, nombreuses parmi les 150 piè- diennes d’oies ou de moutons. Les plus
resté le somptueux Seurat qu’Anna Boch artiste on ne voit que deux huiles sur ces rassemblées par la commissaire réussies de ses toiles sont les pointillis-
vénérait et qu’elle a aussi donné, Bords carton, résultats d’un projet avorté Virginie Devillez, sont celles d’une en- tes. Tels Cueillette ou Retour de pêche,
de Seine à l’île de la Grande Jatte. pour le décor de la villa moderne que la fant respectueuse de l’impressionnis- avec son soleil d’été poudroyant sur un
À l’instar de son frère, elle a donc dame faisait aménager à Ixelles. Anna me. Qui a aussi admiré les avancées de chemin où quatre silhouettes s’en vont
aussi possédé des échantillons de la Boch avait probablement jugé le pro- Seurat mais sans jamais atteindre à la chargées de leur hotte. Aux beaux
plupart de représentants des écoles gramme trop mythologique. Comme rigueur de cet artiste. Si elle connaît les jours, on pourrait presque les croiser à
modernes, sauf les symbolistes car elle l’indique la reconstitution de cet inté- lois de la recomposition optique des Pont-Aven, village mythique où Anna
prisait le réalisme. À commencer par rieur, chapitre central du parcours, elle formes par le jeu des couleurs posées Boch s’est rendue plusieurs fois en
des œuvres des principales figures rele- a préféré les volutes plus florales et séparément sur la toile, elle ne travaille automobile. Aux murs, les reproduc-
vant de la colonie d’artistes de Pont- schématiques de l’Art nouveau. Ici, qu’instinctivement et toujours devant tions agrandies de photos noir et blanc
Aven, Émile Bernard et Paul Gauguin. Victor Horta signe le dessin du lustre, le motif. Le plus souvent en plein air. indiquent qu’il s’agissait d’un Minerva
Du premier, on admire le portrait par des tapis, des vitraux des portes, ceux Cette unique femme membre du décapotable. Un beau joujou, acheté
Eugène (collection privée) mais pas le des tissus du canapé et des fauteuils. Groupe des XX, bonne dessinatrice, lui aussi avec le produit de la vente des
paravent commandé sur le thème des Quant aux huiles retenues, les siennes comme on le voit à travers ses carnets, Van Gogh. ■
quatre saisons en Bretagne. Il n’est là ainsi que celles de Lucie Cousturier, aligne sagement les paysages. Rivages « Anna Boch. Un voyage impressionniste »,
qu’en réplique grandeur nature. Du se- autre peintre femme - bouquets et d’estran ou de ressac, campagnes bre- au Musée de Pont-Aven (29), jusqu’au 26 mai.
cond, voici Conservation, Bretagne, autres natures mortes bien enlevés -, tonnes ou provençales, déjà convenues Catalogue Hannibal, 256 p., 49,95 €.
prêt idéal sous cette latitude. elles s’accordent au cadre. avec leur brume argentée ou leur soir Tél. : 02 98 06 14 43. www.museepontaven.fr

Chez Guerlain, le flacon est aussi une affaire de patrimoine

Claire Bommelaer

Pour fêter les 170 ans du Flacon aux Abeilles, le parfumeur a ouvert sa réserve des Sublimes. Un « coffre-fort » qui raconte l’histoire de la maison.

C’
est dans une vente aux en-
chères à Houston (Texas)
qu’Ann Caroline Prazan, di-
rectrice art, culture et patri-
moine chez Guerlain, a mis la main sur
un exemplaire du premier tube de rou-
ge à lèvres lancé par Aimé Guerlain, en
1870. Avec sa recharge, il créa la stu-
peur lors de sa sortie. L’objet, dénom-
mé Ne m’oubliez pas, ne sent plus rien,
hélas. Jusque-là entre les mains d’un
collectionneur de parfums, il a traversé
l’Atlantique, puis a rejoint la réserve
Guerlain, près de la Samaritaine, à Pa-
ris. Dans ce lieu gardé comme un cof-
fre-fort, l’histoire de la maison est
contenue en 350 flacons et documents
originaux. Maintenue à une températu-
A
re fraîche, pour ne pas détériorer les
trésors conservés dans des boîtes chics
et blanches, la réserve des Sublimes ne
s’ouvre que rarement. Parce que ce
sont les 110 ans de la boutique des
Champs-Élysées et les 170 ans du célè-
bre Flacon aux Abeilles, et parce que
Ann Caroline Prazan est toujours prête
à raconter sa maison, nous sommes en-
trés dans le saint des saints.
Sur les murs, un arbre généalogique
de la famille, où l’on voit le fondateur,
Pierre, puis Gabriel, Aimé, Jacques et
enfin Jean-Paul, qui céda la maison à
LVMH en 1994. À côté, des grands por-
traits de clients célèbres, l’impératrice
Eugénie, la reine Victoria d’Angleterre
ou la reine Isabelle d’Espagne. On ap-
prend que Grace Kelly et Élizabeth II
portaient toutes deux L’Heure Bleue,
qu’Alain Delon aime Eau de Verveine,
que Robert Redford et Sean Connery
séduisent aussi grâce à Habit Rouge.
Paré de gants blancs, Halima Zahler,
responsable art et culture du parfumeur,
ouvre les tiroirs et fait défiler les objets.
Dont, évidemment, le premier Flacon
aux Abeilles, qui permit à Guerlain de
devenir fournisseur officiel de la maison
impériale, en 1853. Dédié à l’impératrice
Eugénie, il possède encore son étiquette
verte siglée Eau de Cologne Impériale,
son bouchon, qui n’est pas encore rond,
ses 31 festons en écailles bordés d’or
(rappelant la colonne Vendôme), ses ar-
moireries et sa nuée d’abeilles.
Depuis le second Empire, on doit sa fa-
brication à la manufacture Pochet du
Courval, dans les Hauts-de-France, où
se trouve encore le moule original, nu-
méroté 2979. Et c’est à l’usine d’Orphin,
près de Rambouillet, que des « dames de
table » se chargent ensuite des pare-
ments du flacon, dont les dorures peintes
à la main, et le fil entourant le goulot.
Même si le verre n’est plus soufflé, mais
fabriqué en série, le flacon n’a que peu
que Halima Zahler. Il faut essayer de
s’inscrire dans la durée, tout en évo-
luant, ce qui n’est pas toujours simple
pour une maison qui repose largement
sur ses signatures. « Dans l’esprit des
clients, le parfum et son contenant sont in-
timement liés, au point que les change-
ments dans les flacons créent l’émoi chez
certains », constate Ann Caroline Prazan.
En hommage à « Turandot »
Pourtant, pour être de son temps, il faut
savoir se montrer créatif. Entreprise du
patrimoine vivant, Guerlain n’a cessé,
depuis 1828, de lancer des nouveautés
en parfum et en cosmétiques. Dans une
boîte rectangle sont conservés les pre-
miers échantillons de parfum proposés
aux clientes dans la boutique, datant des
années 1920 à 1950. Cette fois, même le
liquide est d’époque, comme en témoi-
gne sa couleur marron foncé. Les an-
nées 1930 ont vu apparaître des flacons
Art déco, dont un pour le parfum Liu
créé en hommage à l’opéra de Puccini
Turandot et à la Chine. Plus loin, se trou-
ve le premier flacon Jicky, datant de
1889, et qui contenait le premier parfum
unisexe en France. Il choqua les femmes,
petit félin. Halima Zahler extirpe d’une
autre boîte le célèbre flacon de Shalimar,
qui figura à l’Exposition universelle de
1925, consacrée aux arts décoratifs. En-
fin, au panthéon des belles pièces, un
flacon hommage à Saint-Exupéry, avec
qui Jacques Guerlain était ami, au point
de créer une fragrance dénommée Vol
de Nuit, deux ans après la parution du
roman. La plupart des flacons ont enco-
re des tiges, l’atomiseur n’étant apparu
que dans les années 1980.
Régulièrement, des pièces en verre
légendaires, comme le flacon cœur in-
versé baccarat créé en 1912, ou l’abeille,
sont confiées à l’imagination d’artistes
contemporains, pour une pièce unique.
La maison Matisse vient par exemple de
parer un Flacon aux Abeilles de couleurs
mates bleu, jaune, noire et rouge, inspi-
rées de l’œuvre de l’artiste. Un flacon de
L’Heure Bleue a bénéficié d’une collabo-
ration avec la succession Yves Klein, et
est désormais bleu profond. La réserve
des Sublimes s’offre peu aux regards.
Mais la boutique des Champs-Élysées ex-
pose elle aussi des pièces patrimoniales,
dont l’ancien meuble à pâtes de savon. Il
faudrait sans doute un musée pour décli-

bougé dans son allure – seules les abeilles à l’époque, car une des fragrances était ner les 25 000 archives et objets conser-
« se sont faites moins effrayantes », expli- issue des glandes anales de la civette, un vés par la maison depuis sa création. ■
 Culture le figaro mardi 20 février 2024 29

Au théâtre, le cœur a ses raisons

Anthony Palou et Nathalie Simon

À Paris, « Le Bar de l’Oriental », « Freud et la femme de chambre », et « Le Jeu de l’amour et du hasard »

enchantent les spectateurs. Suivez le guide.
■ « Le Bar de l’Oriental » :
un chassé-croisé sentimental
sur fond colonial

Legalween Beatrice Dauge/Studio photo de Jarnac/Les 3 coups de Jarnac 2023 ; MATHILDE KUHN/©Mcaelicia ; Fabienne Rappeneau
Une ancienne demeure familiale autre-
fois luxueuse à Lang Son, au Tonkin.
Début octobre 1950, quatre ans avant la
défaite française de Diên Biên Phu et la
signature des accords de Genève.
Derrière un rideau transparent, le jeune
Mai Thanh Nam joue à la flûte un air de
musique vietnamienne. Des nuages de
fumée envahissent le plateau du
Théâtre Montparnasse éclairé en demi-
teintes par Olivier Oudiou. Des
montagnes recouvertes de forêts
éparses se détachent en clairs-obscurs
comme un paysage chinois (décor
d’Emmanuel Charles). Des bruits de
faune résonnent. Les personnages
évoluent dans une atmosphère lourde
et inquiétante.
En nuisette de soie blanche, Dorothée
(Gaëlle Billaut-Danno) se querelle avec
Jean, son mari (Valentin de Carbon-
nières en alternance avec Charles
Lelaure), qui hésite entre devenir soldat
et artiste peintre. « Tu as peur ! », lui
reproche-t-elle sans ménagement.
Celui-ci est très jaloux des hommes qui
tombent sous le charme de son épouse.
À commencer par « Bobby », le beau
chef militaire aux tempes grises (Pierre
Deny) avec lequel Dorothée monte à
cheval et combat à l’occasion les
insurgés Viêt Minh. Marianne, la sœur
cadette de Dorothée (Katia Miran),
n’est pas non plus insensible à son
charisme, mais souhaite retourner à
Paris et rêve d’un mariage classique.
Jean-Marie Rouart raconte une
aventure romanesque sur fond de
guerre d’Indochine. Avec Lucie
Muratet, Géraud Bénech met en scène
un chassé-croisé sentimental dont les
fumées d’opium permettent aux prota-
gonistes d’oublier leurs désillusions. Ils
ne peuvent s’empêcher d’espérer qui doit affronter la vie, malgré les Entrent la fille d’Orgon, Silvia (Lucile
encore malgré un avenir incertain. deuils. Il se rapproche ainsi de Marie Jehel habillée d’un costume gris) et
Qu’est-ce qui les unit ou au contraire qui, malgré son jeune âge, a déjà eu sa Lisette (Justine Teulié), sa femme de
les sépare ? Leurs secrets sont révélés part de souffrance. chambre vêtue d’une salopette de
au grand jour. Elle le touche par son énergie et sa travail. Elle a une belle tête rigolote,
Pourquoi Dorothée n’est-elle pas bonne humeur. Mais si celle-ci peut Lisette. On la dirait sortie d’une BD.
venue au rendez-vous fixé par Bobby au s’appuyer sur sa foi, Freud, lui, ne croit Bouille ronde, yeux rapprochés
Bar de l’Oriental, à Saïgon, cinq ans aupa- pas en Dieu. La pièce parle d’existence espiègles qui roulent. Entrons dans la
ravant ? Parmi ses domestiques, y a-t-il bien remplie, de mort, de l’inconscient mécanique implacable de l’intrigue sim-
des espions ? Quel est celui que recherche et de ce que l’on est capable de ple comme bonjour : Orgon voudrait
activement l’inquiétant commissaire supporter. Les bruits de la rue entrent voir sa fille épouser Dorante (Adib
(l’excellent Pascal Parmentier) ? Le dans la pièce sans qu’on s’y attende Cheikhi), fils d’un vieil ami. La belle
personnage n’est pas sans rappeler Peter comme si la vie reprenait ses droits. fleur brune Silvia y montre peu
Ustinov dans Mort sur le Nil. Géraud Dans la peau de Sherlock Holmes, le d’enthousiasme alors pourquoi ne pren-
Bénech suit au plus près les comédiens spectateur participe à ce face-à-face drait-elle pas la place de Lisette afin
talentueux, sans effets superflus dans les jubilatoire. Il est chargé de repérer les d’examiner son prétendant tandis que
derniers soubresauts d’un monde révolu. indices qui l’amèneront à la solution. Lisette jouerait le rôle de sa maîtresse ?
Un spectacle intense. Heureusement, Leonardo de la Fuente Le père acquiesce d’autant plus que Do-
Au Théâtre Montparnasse (Paris 14e), n’oublie pas d’ajouter une bonne dose rante a eu la même idée. Se faire passer
jusqu’au 28 avril. Tél. : 01 43 22 77 74 d’humour. pour son valet Arlequin (Dennis Mader)
ou theatremontparnasse.com Dans un décor chaleureux de rebaptisé pour l’occasion « Bourgui-
Catherine Bluwal et de jolis éclairages gnon » qui se fera passer pour son maî-
de Laurent Béal, François Berléand et tre. Lorsque Arlequin débarque, les
■ « Freud et la femme Nassima Benchicou forment un duo spectateurs se frottent les yeux. Che-
de chambre » : convaincant – excepté quand il s’agit de veux gominés avec banane, veste rouge
quiproquo et mystère sexualité – et attachant. Chacun sortira et pantalon de cuir, il dépote. Immédia-
Une chambre d’hôtel à Rome en 1923. transformé de cette joute verbale. Le tement, il tombe sous le charme de Li-
Allongé sur le lit, Sigmund Freud plus fort n’est pas celui qu’on croit. sette qui a troqué son bleu de travail
(François Berléand, collier de barbe), Après Par le bout du nez, de Matthieu pour une robe de mariée. Lisette deve-
67 ans, a une quinte de toux. Il avale un Delaporte et Alexandre de La Patellière nue Silvia ne tarde pas à succomber au
comprimé, puis demande à la réception (2022), et La Note, d’Audrey Schebat drôle de charme d’Arlequin qu’elle
qu’on ne le réveille pas avant 11 heures, (bientôt en tournée), le comédien prend pour Dorante. De leur côté Silvia
midi. La nuit passe. Le jour survient. endosse pour la troisième fois le (qui a enfilé la salopette de Lisette) mi-
Une jeune femme, Marie (Nassima costume d’un psy. Il est davantage dans naude devant le charme du vrai Dorante
Benchicou) entre sans faire de bruit. l’intériorité que sa partenaire, dont le déguisé en valet (casquette, bretelles...).
Elle hésite et sourit en voyant le rôle est de faire sortir Freud de ses Tout ça file à toute allure, pétarade,
psychanalyste dormir. Puis sans gonds. Déterminée, Nassima Benchicou les dialogues sont d’une redoutable
prendre de gants ouvre grand les tient admirablement tête à François efficacité. « Marivaux, c’est l’irruption
rideaux. Freud sursaute. Agacé. Marie Berléand. de la conversation de salon sur la scène du
prétend qu’elle s’est trompée de Au Théâtre Montparnasse (Paris 14e), théâtre italien », disait Jean d’Ormesson.
chambre. La colère naissante laisse jusqu’au 7 avril. Tél. : 01 43 22 77 74. Il n’y a là aucun vieillissement dans ces
place à la curiosité. L’homme - le public mots qui coulent comme la rivière. Les
aussi d’ailleurs - est intrigué. Marie actrices et acteurs (tous membres du
semble connaître le client. Sa mère lui a ■ « Le Jeu de l’amour collectif L’Émeute) ont admirablement
parlé de « Monsieur Freud ». Elle croit et du hasard » : compris que cette pièce de conversation
que le psychanalyste est hypnotiseur une conversation charnelle était aussi un théâtre hautement char-
dans un cirque. Dans la salle Rouge du Théâtre du nel. Ils ne manquent pas d’affranchisse-
Alain Sachs s’est emparé de la pièce Lucernaire, des jeunes filles et des ment et d’énergie, osant parfois pousser
de Leonardo de la Fuente avec un jeunes garçons font la majorité du la chansonnette. Pendant une heure
enthousiasme juvénile. L’auteur public. Toutes et tous ont l’air si joyeux trente, les cœurs et les corps sont
argentin avance ses pions dans un texte que le spectacle semble déjà dans la De haut en bas et de gauche à droite : bouteille à la main. Le décor serait une mis à l’épreuve pour notre plus grand
précis. Au diapason, le metteur en salle avant qu’un ouvreur demande de Gaëlle Billaut-Danno et Pierre Deny sorte de guinguette. Un bar, un jukebox plaisir. Écrit en 1730, la balistique du Jeu
scène entretient savamment le vérifier si tous les portables, seul mot dans Le Bar de l’Oriental ; à jetons, un vieux frigo, une palette de de l’amour et du hasard touche, en
quiproquo et le mystère. Les deux d’ordre de la soirée, sont bien éteints. Nassima Benchicou bois en guise de canapé, des fauteuils s’appuyant sur l’inversion des statuts
personnalités en présence vont voir Mais sur la scène, deux acteurs sont et François Berléand dans pliants de camping, des coussins sociaux, à la perfection. Est écarté
Freud et la femme de chambre ;
leur rôle s’inverser. Freud encourage déjà à pied d’œuvre. Il s’agit de comme jetés à l’improviste sur le sol et, de cet amour tout ce qui est senti-
Adib Cheikhi et Lucile Jehel
Marie à se confier. Et passe à son tour M. Orgon (Matthieu Gambier) et son fils dans Le Jeu de l’amour et du hasard. suspendues, une boule à facettes et des mentalité niaise. Rien que pour cela,
sur le « divan ». À travers ce huis clos, Mario (Jérémie Guilain). Ce dernier, guirlandes lumineuses. Ce bric-à-brac ruez-vous au Lucernaire, vous ne serez
Leonardo de la Fuente fait tomber le torse nu sous un long manteau de a remplacé la porcelaine de Sèvres. pas déçus de cette version expressivo-
neurologue de son piédestal avec fourrure noire, cheveux ébouriffés, les Soudain, nous entendons un concerto contemporaine. ■
A

bienveillance. Freud est un homme yeux cernés de khôl et les doigts baroque : le jeu de l’amour et du hasard Au Lucernaire (Paris 6e), jusqu’au 24 mars.
comme les autres, vulnérable et perdu, bagousés, titube de long en large une peut commencer. Tél. : 01 45 44 57 34. www.lucernaire.fr
 30 mardi 20 février 2024 le figaro Télévision

Manouchian,
la gloire
et les larmes
Benjamin Puech

Archives de la Préfecture de Police de Paris

France 2 ressuscite dans un documentaire
émouvant la vie et les faits d’armes du résistant
arménien qui s’apprête à entrer au Panthéon.

M
issak Manouchian est
né survivant. Son
existence fut enca-
drée par les drames.
Ses deux parents sont
morts lors du génoci-
de arménien perpétré par les Turcs : son
père durant des combats, sa mère, de
faim et de fatigue. Lui a été fusillé le
21 février 1944 par les Allemands « en
regardant le soleil et la belle nature qu’(il)
a tant aimée ». Dans la lettre poignante
que ce fou de poésie avait laissée à desti-
nation de son épouse, Mélinée, qui lui
survécut et entrera avec lui au Pan-
théon, Manouchian exprimait une certi-
tude : « Je suis sûr que le peuple français
et tous les combattants de la Liberté sau-
ront honorer notre mémoire dignement. »
Chose sera faite mercredi après-midi.
Ses cendres seront transférées dans le
mausolée, au cours d’une cérémonie que
retransmettra France 2, quatre-vingts
ans précisément après l’exécution du
groupe des Francs-tireurs et partisans de
la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI)
au mont Valérien. Avant cela, mardi
soir, la chaîne programme un documen-
taire intitulé Manouchian et ceux de l’Af-
fiche rouge. Le récit d’une trajectoire
marquée par l’amour de la France (qui
lui refusa deux demandes de naturalisa-
tion), l’ébullition du milieu ouvrier, la foi
en l’URSS, la lutte antifasciste et antina-
zie. Le film n’oublie pas les camarades de
Manouchian, comme lui étrangers et
communistes, et juifs pour beaucoup
d’entre eux, dont la vaillance fut égale à
la sienne. Ils n’entreront pas avec lui au
Panthéon, mais une plaque commémo-
rative y célébrera leur mémoire.
Clandestinité éprouvante
Après avoir fui le génocide arménien,
Missak Manouchian est accueilli dans un
orphelinat au Liban. Son goût pour la
France naît là. Il va à sa rencontre dès
1923 pour grossir la main-d’œuvre
ouvrière des chantiers navals de Mar-
seille. Il découvre ensuite Paris et le
compagnonnage au pied des machines. Il
adhère au Parti communiste, où il croi-
La dernière lettre de Missak
Manouchian, adressée à sa femme,
et ses photos anthropométriques
prises par la police en 1941.
sera des Juifs ayant fui la Pologne antisé-
mite, des Espagnols partis loin de Fran-
co, des Italiens opposés à Mussolini… À la
voix off, Arthur Teboul, chanteur du
groupe Feu Chatterton ! attaché à la figu-
re de Manouchian, met toute sa sincéri-
té. Pour Missak, le baptême du feu a lieu
le 17 mars 1943, à Levallois : une grenade
jetée sur un détachement allemand.
Quand il prend la tête des FTP-MOI en
août de la même année, 65 combattants
composent le réseau. Jusqu’au mois de
novembre, ils mèneront une soixantaine
d’opérations. Pour le PC auquel ils
étaient rattachés, il s’agissait de fragili-
ser psychologiquement l’ennemi. Et de
s’imposer entre les différents mouve-
ments de la Résistance.
Un autre documentaire, Les Résis-
tants de l’Affiche rouge, diffusé sur Toute
l’Histoire mercredi à 22 h 30, fourmille
de détails et retrace bien leur vie de
combats. Le PC leur ordonne d’accélérer
leurs actions. Nerveux, vivant une clan-
destinité éprouvante, ils sont repérés
par les redoutables services de la police
française. Fallait-il les jeter comme l’a
fait le Parti dans des opérations forcé-
ment périlleuses ? On imagine la répon-
se pas aisée à donner. La police met la
main sur Manouchian et ses camarades.
Les nazis affichent leur visage sur des af-
fiches qu’ils voulaient rouges comme la
honte. Leur humiliation sera leur posté-
rité. Aragon, qui publie en 1955 Strophes
pour le souvenir, contribue à bâtir leur
mémoire. Son poème entre dans toutes
les maisons avec la mise en musique de
Léo Ferré. Manouchian, qui n’avait « ré-
clamé la gloire ni les larmes » selon le
poète jamais repenti de sa foi soviétique,
avait bâti entre ces lignes un premier
tombeau. ■
« Manouchian et ceux
de l’Affiche rouge »
À 21 h 10, sur France 2
Notre avis : ○○○¡

« Yannick », un irrésistible huis clos...

Éric Neuhoff

Avec sa troupe d’acteurs menée par le désopilant Raphaël Quenard, Quentin Dupieux met en scène son cauchemar, celui d’ennuyer le public.

C’
est notre rêve à tous. Allez,
avouez. Vous aussi, vous en
mourez d’envie. Vous lever
de votre fauteuil au milieu de
la pièce et dire aux malheureux acteurs
votre façon de penser. Seulement, per-
sonne n’ose, les critiques encore moins
que les autres (pourtant, ils devraient,
les pauvres). Yannick, lui, ne se gêne
pas. Au bout d’un quart d’heure, il n’en
peut plus. Le Cocu est une comédie de
boulevard tellement nulle - le trio habi-
tuel : le mari, la femme et l’amant - que
ce spectateur oublie toute notion de
savoir-vivre.
Le public des Bouffes Parisiens n’en
revient pas. Sur scène, la distribution en
reste baba. Il faut se mettre à la place de
ce brave garçon. Il vient de Melun. S’il
compte sur ses doigts, cela lui fait qua-
rante-cinq minutes de train, plus quinze
de marche. Ce gardien de parking vou-
lait simplement se divertir. Cela semble
aujourd’hui une mission impossible. On
se fiche de lui. Un peu de respect quand
même. Les spectateurs restent muets,
interdits. Que se passe-t-il ?
Sur les planches, la situation n’est
guère plus confortable. Du jamais-vu.
Ils travaillent, ces braves intermittents.
Le révolté les interpelle. Pour qui se
prennent-ils ? Il s’est présenté, et ils
n’ont même pas retenu son prénom.
C’est du propre. Soudain, l’intrus sort
un revolver. Ils vont peut-être enfin
l’écouter, comme ça, hein ? Panique sur
les planches. Émoi dans la salle. Il y a un
gamin qui s’endort. Sa mère nous ap-
prend que le médecin lui prescrit des
cachets pour ses angoisses. Yannick,
avec sa drôle de voix, ses yeux écar-
quillés, passe de la douceur à une vio-
lence inquiétante. Est-ce un fou ? L’épi-
thète « subjectif » le fait tiquer.
Cri de solitude en mineur
Le délicat demande à deux demoiselles
s’il peut dormir chez elles. Dans la fou-
lée, pourquoi ne l’inviteraient-elles pas à
dîner au restaurant ? Les sourires se fi-
gent. Les interprètes n’en mènent pas
large. Pio Marmaï s’agite. Yannick lui
conseille de ne pas commettre une bêti-
se. Il appelle Blanche Gardin « Brigitte
Bardot ». Ses propos sont à la fois sensés
et décousus. Il saute du coq à l’âne, avec
un talent pour les dialogues que ne pos-
sède assurément pas l’auteur qu’on
jouait il y a encore peu de temps.
Est-ce que l’arme est chargée ? Ce
mystère ajoute un certain suspense à
cette hilarante logorrhée, ce cri de soli-
tude en mineur. Autour de lui, les gens
ont l’air presque soulagés d’échapper à la
représentation initiale. Il se les met dans
la poche. Bien sûr, il y a quelques récal-
citrants. Maintenant, l’énervé réclame
un ordinateur. Que quelqu’un aille lui
chercher une imprimante : il va rédiger
en direct un texte que les trois histrions
liront. Ça ne va pas, non ? Ça n’est plus
de la distanciation brechtienne, c’est un
hold-up. Le voilà qui tape avec deux
doigts. Décor : une clinique. Personna-
ges : un docteur, un patient, une infir-
mière. La mise en abyme coule de sour-
ce. Avec Yannick, Quentin Dupieux, pas
toujours aussi inspiré, effectue un strike.
Quelle bonne soirée ! Au théâtre, on ne
sait pas. En tout cas, au cinéma, cela fai-
sait un moment qu’on n’avait pas autant
ri. La faute en revient pour l’essentiel à
l’étonnant Raphaël Quenard, sans doute
la plus grande révélation comique depuis
Bernard Menez ■
« Yannick »
À 21 h 10, sur Canal +
Notre avis : ○○○◐

MOTS CROISÉS Par Vincent Labbé BRIDGE Par Philippe Cronier www.lebridgeur.com
LIGNE 2 : TESSON, TRESSE, GRÉSER, CESSER, CERISE, ROTURE.
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1 2 3 4 5 6 7 8
PROBLÈME N° 6532 PROBLÈME N° 3365 : SOLUTION DU PROBLÈME N° 3364 : Mini chance
HORIZONTALEMENT 1 Le Roi pour finir
1. Un langage pour toustes celleux qui dégenrent. - 2. Contrat : Sud joue 6 Trèfles.
Verre luisant. Ni lui, ni elle. - 3. Muet de stupeur. Le point 2 Entame : Valet de ♠ pour le Roi d’Est pris de l’As.
LUTION DU NUMÉRO PRÉCÉDENT

noir de l’adolescence. - 4. Apparenté. Atmosphère 876

symbolique. - 5. Cochon malin. - 6. Fait dormir à moitié.
Grand piquet. - 7. Difficile à avaler. Peigne pour le métier.
- 8. Se répète en répétition. Hommes doublés. - 9. Bien
armé contre les faiblesses de la chair. Touché par la
grâce. - 10. Son émission provoque un flux dans les
artères. Province arabe qui domine la mer Rouge. - 11.
Position dans l’armée. De haut parage. - 12. Élèvent des
3 R7 Ce chelem, appelé avec peu de matériel, est tendu. Il semble que le partage
987 3-3 à ♦ soit votre unique planche de salut. Il existe pourtant une mince
4  D V 10 9 5 chance supplémentaire, consistant à trouver deux ♦ chez le détenteur de
N l’As de ♣ sec et du Roi de ♥. Une probabilité bien faible, certes, mais c’est
5 O E toujours mieux que rien…
S Dégagez donc As-Roi de ♦, coupez le 8 de ♠ et encaissez la Dame de ♦.
6 - Si la couleur est 3-3, jouez atout et tablez rapidement.
AR2
- Si un défenseur coupe de l’As sec, il devra rejouer sous son Roi de ♥
RONDE DES MOTS© :

professeurs.  10 6 5 4
ou ♠ en coupe et défausse, livrant ainsi
7
A R D D
VERTICALEMENT 8 A62 le contrat.
Remarque : si Est possède l’As de ♣
A5
1. Tient de la formule magique. - 2. Dangereux nostal-
OS
D8762
giques du Duce. - 3. Faire porter le chapeau. Le chiffre 9 second (et donc une carte majeure de  R 10 9 8 6
de la semaine. - 4. Enlevée par Pâris phonétiquement. Contrat : Sud joue 3 Sans-Atout moins), il ne doit surtout pas couper petit,  V 10 9 7 2 R6543
N
Annonce un type de format. Fut battu par la France. 10 après une ouverture de 1♠ sous peine d’être remis en main à l’atout.  V 10 O E
R8762
Tout le contraire d’un fébrifuge. - 5. Refuse de suivre en Est. Il lui suffit de défausser ou même de  V 9 5 3 S  10 4
54 A
tout régime. Roi comme Ubu. - 6. Texto. Fourberies de 11 couper de l’As (!) « dans le vide » pour
Entame : 5 de ♠ pour le 9 d’Est.
A8
Scapin. - 7. Cercle romantique allemand. Fait tourner la faire chuter. D943
bécane. - 8. Pertes de fraîcheur. 12 AR
DV732

SOLUTION DU PROBLÈME N° 6531

HORIZONTALEMENT 1. Cémenter. - 2. Axonaise. - 3. Théâtres.
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 Télévision/Météo le figaro mardi 20 février 2024 31
Tous les programmes
dans TV Magazine et sur l’appli TV Mag

ÉPHÉMÉRIDE Ste-Aimée
À LA DEMANDE Soleil : Lever 07h49 - Coucher 18h19 - Lune croissante

21.10 21.10 21.10 MATIN

Koh-Lanta Manouchian et ceux Les Pennac(s) he Good 5
Téléréalité de l’Aiche rouge Série. Policière Karma Hospital 30
6
7 4 5
8 7
5 5
10
8 5 6
4
8
8 7 6
7
Prés. : Denis Brogniart. 2h05. Documentaire Fra. 2023. Saison 1. Avec Julie-Anne Anéantie par sa rupture avec son
Les chasseurs d’immunité. Inédit. Fra. 2024. Réal. : Hugues Nancy. 1h37. Roth, Christian Rauth. 2 épisodes. petit ami, la jeune docteure Ruby 10 7
L’aventure est repartie sur les Inédit. Le cadavre d’une conciliatrice Walker quitte l’Angleterre sur un 8
L’histoire des résistants communistes 6
chapeaux de roue. Les nouveaux immigrés parisiens, emmenés par de justice, chargée de régler un conlit coup de tête pour partir travailler 6
naufragés ont rencontré une surprise l’Arménien Missak Manouchian, qui de voisinage, est retrouvé dans dans un hôpital au sud de l’Inde. 7 7
de taille : des colliers d’immunité sont ont lutté contre l’occupant nazi durant le vide sanitaire d’une maison en Elle qui rêvait d’exotisme, de pay- 9 9
cachés sur les camps. la Seconde Guerre mondiale. Tous au construction. sages paradisiaques et de cou- 9
tumes pittoresques, se retrouve 6 7
péril de leur vie.
23.15 Star’Académiciens, comédiens 22.53 Les mystères de la basilique. 9 10
plongée dans un quotidien dense,
et animateurs : que sont-ils devenus ? 22.50 La police de Vichy. Doc. Téléilm. Policier. Avec Isabel Otero.
marqué par le manque d’équi- 11 30
pement et le sous-efectif. Le
premier contact avec la directrice, 7
la docteure Lydia Fonseca, une APRÈS-MIDI
expatriée comme elle, est parti-
21.11 20.55 21.10 culièrement rugueux. Si les quatre
30
11
Yannick Ukraine : un combat Gemini Man saisons de cette série britannique
ne brillent pas spécialement par 11
Film. Comédie pour l’histoire Film. Science-iction 12 8 9
leur originalité, elles garantissent
12 12
de passer un bon moment, plein
10 11
d’humanité et de sensibilité, en 12
compagnie de personnages atta- 12 11 10
10
chants et bien décrits. 12
13 11 11
12

Fra. 2023. Réal. : Quentin Dupieux. Documentaire EU/Chn. 2019. Réal. : Ang Lee. 2h05. 11 12
1h07. Avec Raphaël Quenard. Alors All. 2024. Réal. : Dirk Schneider. 1h29. Avec Will Smith. Une nuit, Henry Bro- 10 12 12
13.00 Points de vue.
qu’il assiste à une pièce de théâtre, un Inédit. Confrontation et réappropria- gan, est attaqué par une escouade. 14
18.30 Le Buzz TV. 12
homme, déçu du spectacle, décide de tion des récits : le conlit en Ukraine Le tueur professionnel en sort vivant
Valérie Benaïm pour son livre 15 17
prendre les devants et de donner un est aussi une guerre des histoires qui et se rend compte que le programme
Il n’est pas celui que vous 18
autre tournant à la soirée. remonte jusqu’au Moyen-Âge. gouvernemental Gemini, mené par 15
croyez. Interviewée par Sarah 13
Clay Verris, cherche à l’éliminer. 17
22.17 Chien de la casse. Film. Comé- 22.30 «Collabos !» : L’Ukraine en Lecœuvre et Mathilde Seifert. 17
die dramatique. Avec Anthony Bajon. guerre face à ses traîtres. Doc. 23.15 Cauchemar en cuisine. Doc. 19.00 Bienvenue 17 20
en Île-de-France.
Présenté par Victoire Sikora. 17

21.00 T (en °c)

<-10 à 0 0 à 10 10 à 20 20 à 30 30 à >40
S. SORIANO/LE FIGARO

19.39 Touche pas à mon poste. Div. 19.50 Les apprentis aventuriers. 19.15 Quotidien. Divertissement.
21.20 Mon nom est personne 21.05 Babysitting 2 21.15 L’enquête corse
Film. Western. Ita/Fra/All. 1973. Réal. : Film. Comédie. Fra. 2015. De et Film. Comédie. Fra. 2004. 1h50. ALGER 11/17 AMSTERDAM 6/10 ATHÈNES 9/14
Tonino Valerii. 1h56. Avec Terence Hill, avec Philippe Lacheau. 1h45. Un Avec Christian Clavier. Un détective 9/17 6/12 7/9
BARCELONE BELGRADE BERLIN
Henry Fonda, Jean Martin. Un pistolero dessinateur et ses amis ont disparu parisien est chargé de retrouver
célèbre, qui veut quitter les États- dans la forêt amazonienne. Leurs un Corse, qui vient d’hériter. Ce qui BERNE 4/9 BRUXELLES 5/10 BUDAPEST 5/12
Unis, est harcelé par un admirateur qui proches retrouvent leur caméra et devait être une formalité se trans-
Catacombes, une COPENHAGUE 6/8 DUBLIN 10/12 LISBONNE 14/21
se fait appeler «Personne». découvrent leurs péripéties. forme en enquête éprouvante.
société sous les pavés LONDRES 6/13 MADRID 2/19 PRAGUE 6/9
Documentaire. RABAT 14/20 ROME 6/17 13/16
23.25 Le vent de la plaine. Film. Wes- 22.50 La bande à Fii : les nouveaux 23.05 Les visiteurs : La Révolution.
TUNIS
22.30 Le Club Le Figaro
tern. Avec Burt Lancaster. rois de la comédie. Documentaire. Film. Comédie. Avec Christian Clavier. International. « Le nouvel axe
du mal. Russie-Chine-Corée MERCREDI JEUDI VENDREDI
du Nord ». Philipe Gélie reçoit
Maurice Gourdault-Montagne, 8/10 4/8
ancien diplomate, Alice Ekman, 7/9
20.03 C à vous la suite. Talk-show. 20.00 Wheeler Dealers France. Doc. 19.55 L’autre rêve de Martin Luther analyste à l’EUISS, Isabelle 9/12 4/10 7/9 7/8 5/8 4/7
King. Documentaire. Lasserre et Tanguy Berthemet,
21.05 Prenez soin de vous 21.10 Le génie français journalistes au Figaro. 7/11 7/9
Magazine. Prés. : Michel Cymes. 1h30. Doc. Fra. 2022. 2h45. Les barrages 20.50 La guerre des As 5/9
Vos articulations en forme olym- de tous les records . À leurs époques Documentaire. Fra. 2017. Réal. :
pique. Inédit. Pendant trois mois, trois respectives, les barrages de la Rance, Fabrice Hourlier. 1h40. 2 épisodes.
Pour regarder 7/9 7/15 8/11 10/12 6/10 10/11
personnes, qui soufrent de douleurs de Tignes et de Roselend, trois Hiver 1914. La Grande Guerre s’enlise le Figaro TV ?
articulaires, suivent un programme ouvrages emblématiques, ont battu dans les tranchées. L’aviation devient Canal 34 de la TNT
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MOTS FLÉCHÉS DU FIGARO N°3759

PROCHE DE IL EST PATRON DONNER DE CIL OU HOMME ALCALOÏDE ANNEAU DE DIVERTI, CACHÉES INAPTE À
LA SOURIS DEVENU ANGLAIS L’ALLONGE MALADIE CHEVEU D’ÉTAT DE LA FÈVE POUSSÉ CORAIL ÉGAYÉ LA PRO-
SUR- PLAT BIEN QUI SE INFANTILE DE À AGIR JAUNE RÉGION DE RAMES CRÉATION
CHARGE PANSE DÉCIDÉ RÉPÈTE FIS LE VIDE DES NOIX CALABAR PRÉCIEUX FRANCE RAPIDES RÉCUSE

BISCUITS SURTOUT
AMÉRI- SOCIÉTÉ
CAINS SANS NOM
APPRÉ- ACTE DE
CIATION FRAUDE
EXCESSIVE FÊLER UNE
GLANER VITRE
FAIRE
BRILLER
REJOINDRAI
JAMAIS
D’ANTAN
VILLE MOUVE- MOUSSEUX TENAN-
DES USA MENT SUR DU CIÈRE LOCUTION
LE TERRAIN PIÉMONT CONJONC-
C’EST DU INCON- TIVE
CHINOIS ! ET CETERA ÉPANDU VENANTE
ROI SUR QUI NE FAIT DÉTESTE IL AIDE À Y
SCÈNE PAS DE HABITANT FORTE- VOIR PLUS
BÊTISES DE TALLINN MENT CLAIR
PARÉ
GESTE SUR ÉTUDE LE NÉANT NANTIE DE
PRÉNOM LE GREEN COURTE PANTALON BOTTES OU
RUSSE FAUTE AU BAGARRE ARGO- DE
TENNIS FAMILIÈRE TIQUE SOULIERS
ENCAUS- CONFIRME SOLUTION DU NUMÉRO PRÉCÉDENT
TIQUAI NE FUT PAS UN OUI DÉTIENS EN
ÉPARGNÉ MAINS F S G G S P A I Z F Y N N
ERBIUM PAR CAÏN MOT POUR PROPRES T A R A M A R E F R A I N M A I N A T E O S E
AU LABO DÉSIGNER
S A L A I R E S A R N I C A Z E N N E N E S
ESSAIM
ANCIENNE ON E T I E N N E A T T I F E R R I T E S
OU FOUR- EXÉCUTÉ
MILIÈRE AVEC SOIN MONNAIE L’ASSOCIE I S U C O U A I R I S E T E T
FRANÇAISE AU YANG A D O U C I E S P I O N N A P P E A
CULTIVÉ
I N T U I T I O N P E R I C L I T E R
CELA N’AR-
ÊTRE AUX ON Y
A

RONDIT G E N E R T E R E S A A E R E E P I
POUVOIRS TREMPE PAS LES U E E X E R G U E A P R E T E A S
MAGIQUES LA PLUME
ANGLES ! E X E C R E S E S C O R T E E T I R E
 32 mardi 20 février 2024 le figaro
Timothée Martin, influenceur des terroirs
Par
Paul Sugy
Passionné par
la gastronomie
et les savoir-faire
de la France rurale,
cet amateur de bonne
chère partage
sur les réseaux
sociaux sa quête
d’une alimentation
authentique
et enracinée.
I
l a le physique de l’emploi. Ti-
mothée Martin plaisante même
volontiers à ce sujet : profession ?
« Mannequin fitness », fanfaron-
ne-t-il sur sa bio Instagram.
1 m 98 pour 140 kg, on com-
prend pourquoi il ne se déplace qu’en
tracteur. « J’en joue un peu aussi, c’est
vrai… C’est soit tu pleurniches parce que
tes pantalons sont trop petits et que tu te
prends les portes, soit tu en fais ta for-
ce ! » Alors, face caméra, cet influen-
ceur de la France rurale enfile son ta-
blier pour faire griller une côte de bœuf
au feu de bois, entre deux vidéos sur la
cuisson du pain et la cueillette des
champignons.
La viande française est-elle meilleu-
re que celle importée d’ailleurs ? On ne
demande qu’à le croire, mais Timo-
thée Martin le prouve, fourchette en
main, en dégustant « une vraie côte de
bœuf », un béret basque vissé sur la
tête dans un salon en pierres apparen-
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MARS
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AVRIL
2024
A
P o r t r a i t
Dans ses vidéos, Timothée Martin vante les produits agricoles des régions françaises.
tes qui sent bon la chaumière de nos
pays. Un peu cliché ? Le vidéaste pas-
sionné de gastronomie française en a
conscience, mais sa chaîne Le Grand
Gaulois ne se contente pas de servir
sur une planche à découper en bois
massif des images d’Épinal découpées
à la hache ; Timothée Martin les décor-
tique et les surmonte à la lumière de la
seule science qui au fond l’intéresse :
celle du goût. Alors, avec des précau-
tions de fin gourmet, méticuleux
comme un œnologue dégusterait un
grand cru, il expose à ses abonnés les
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vertus gastronomiques de sa pièce du
boucher.
« J’ai été initié à une autre vision de
l’élevage , explique au Figaro ce Nantais
qui avait d’abord rêvé de devenir agri-
culteur. En France, on s’intéresse sur-
tout à deux races conventionnelles, la
charolaise et la limousine, qui font la
fierté de nos éleveurs parce que ce sont
des races pures réputées dans le monde
entier. » Son intuition à lui est icono-
claste : « Ces races ont été sélectionnées
pour leur hypertrophie de la masse mus-
culaire, ce sont des bêtes qui produisent
Conseil
Bien-être
Expertise
Puis, rattrapé par sa passion pour la
vidéo amateur, Timothée Martin prend
un peu de large et crée sa chaîne sur
Instagram et TikTok. C’est un détour
pantagruélique par tous les étals des
marchés. Les escargots, les huîtres, les
châtaignes… En moins de deux mois,
100 000 internautes s’abonnent. Une
reconnaissance immédiate, qui le
prend de court. « Je ne m’attendais pas
à toucher autant de monde si vite ! » C’est
la campagne dans tous ses atours, qu’il
dévoile sans pudeur, y compris dans ses
passions les plus atypiques - chasse à
l’arc, fauconnerie…
« Les gamins regardent maintenant
des vidéos à la pelle, je me suis dit qu’il
fallait être présent sur ces nouveaux mé-
dias pour donner le goût des belles et
bonnes choses. » Et des personnes qui
les produisent : dans une série de vidéos
publiées à l’occasion du mouvement de
Brigitte Delibes - @brigittedelibesphotographie
colère des agriculteurs, Timothée
prend fait et cause pour la paysannerie
française et tente avec pédagogie de
décrypter son mal-être.
« J’essaie aussi dans mes vidéos de fai-
re passer quelques messages. Sur Tik-
Tok, ceux qui me regardent n’ont même
pas 18 ans… Alors, quand je leur explique
que pour affiner correctement un froma-
ge il faut parfois trois ans, ça doit leur
faire drôle ! Et je ne parle même pas du
vieillissement d’un bon vin… Il faut redire
à quel point les bonnes choses prennent
parfois du temps. On ne peut pas avoir
tout, tout de suite… »
« Les gamins regardent
beaucoup de viande, comme aussi la
maintenant des vidéos
blonde d’Aquitaine ou la parthenaise. à la pelle, je me suis dit
Mais ce qui fait d’abord le goût de la qu’il fallait être présent
viande, c’est si elle est grasse, et tendre. sur ces nouveaux médias
Le meilleur moyen d’y parvenir est de
faire des croisements, mais cette idée est pour donner le goût des
encore un peu taboue… » belles et bonnes choses »
Après un BTS en viticulture et une Timothée Martin influenceur
formation au métier d’éleveur en
chambre d’agriculture, Timothée Il n’a pas besoin qu’on l’encourage
Martin aurait voulu créer son exploita- pour embrayer sans tarder sur la nos-
tion, mais ses vues audacieuses sur les talgie contemporaine d’un âge d’or ru-
espèces bovines refroidissent les ban- ral, aussi regretté que fantasmé. « Les
ques. Faute d’emprunt, il se fait em- gens veulent revenir vivre à la campa-
baucher comme salarié agricole dans gne, on se lasse d’une société entière-
une grande ferme bio. « C’était un éle- ment artificielle… » Alors forcément, on
vage éthique, en plein air, mais trop le chatouille un peu. Après tout, la re-
surdimensionné pour moi, ça ne corres- constitution virtuelle des terroirs et des
pondait pas à ce que je voulais faire, j’ai savoir-faire, par le truchement des fil-
fini par partir. » Du pré à l’assiette, il tres Instagram boostés par les algorith-
n’y a qu’un pas, vite franchi. mes des grandes plateformes, est-ce
Il rejoint en 2018 la chaîne de restau- vraiment plus authentique ? « C’est vrai
rants Gueuleton, qui a déjà le vent en que les réseaux sociaux véhiculent aussi
poupe. Les contacts se multiplient avec une espèce de vision idéalisée. Mais je ne
les éleveurs, les demandes de franchise mets rien en scène. Je montre mon mode
s’envolent, et les fameux Tournebro- de vie au quotidien, ce que j’aime man-
che, ce concept de traiteurs spécialisés ger, les producteurs auprès de qui je me
dans la viande à la broche pour les fournis… Ce que je filme, c’est à la portée
cocktails de mariage, se font connaître de tout le monde, pour peu que l’on soit
aux quatre coins de France. Le grand curieux ! » Et gourmand, donc.
Gaulois s’embarque dans l’aventure et Au menu pour ses prochaines vi-
crée son affaire dans le Nord-Ouest. déos : le miel, le foie gras, la taxider-
« Chez Gueuleton, il y avait une philoso- mie… Obélix n’a qu’à bien se tenir. « Ce
phie du produit et des terroirs, c’était une qui a fait le succès de mes vidéos, c’est
communauté d’amateurs de bonne vian- aussi que j’apprends aux gens à faire
de plus qu’une simple chaîne de trai- par eux-mêmes, leur pain par exemple.
teurs. » Timothée Martin passe cinq ans Bientôt je montrerai comment faire leur
aux fourneaux, reproduit avec les jeu- beurre… » À ce sujet, tiens : comment
nes serveurs qui le suivent dans son fait-on son beurre quand on est youtu-
projet une forme de petite troupe scou- beur ? « Je ne gagne clairement pas ma
te, inspiré par le souvenir de ses années vie sur les réseaux sociaux… Je ne ferai
de camp sous la tente. « Mes années de pas ça longtemps, je reprendrai vite un
scoutisme m’ont donné envie de m’inté- métier plus concret », assure-t-il. « Il
resser à l’alimentation : on apprend à n’y a qu’en montrant ses fesses qu’on
bien faire avec peu de moyens, et on ob- peut gagner de l’argent avec Insta-
serve la nature - aujourd’hui, c’est tout gram. » Merci de nous avoir épargné
ce que j’aime faire ! » ça, en effet, Timothée. ■
UN dernieR mot Par étienne de Montety
Arc (ar-k) n. m.
Fait véritablement flèche de tout bois.
Un débat agite la classe politique pour savoir qui appartient à l’arc républicain
et qui en est exclu. Emmanuel Macron vient de donner son avis.
Le mot vient du latin arcus, qui désigne une arme permettant de lancer des flèches.
On est spontanément enclin à penser qu’un arc, qu’il soit au ciel ou dans l’Hémicycle,
contient toutes les nuances de couleurs.
Macron ne partage pas cet avis.
Lui sait exactement qui sont les archers de la République.
Qui l’ignore, le président a d’innombrables ressources. Ici, on le voit plutôt
en détenteur de cordes et de cordons à son arc, lui permettant de pendre les uns
et récompenser les autres.
Serait-ce à lui, dont la Constitution a fait une clé de voûte des institutions, de définir
l’arc ? Plein cintre, brisé ? Travail d’architecte…
Plutôt qu’à tendre un pays, un arc peut servir à le souder.
Et quand l’opération est réussie, alors il peut même être dressé, pour le triomphe
de celui qui en fut le promoteur. ■