L’ÉTÉ

Les talons,
douloureux
étalon de
l’uniforme
professionnel

SUPPLÉMENT

DIMANCHE 25 - LUNDI 26 AOÛT 2019 · 75E ANNÉE · NO 23210 · 2,80 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Amazonie : tollé mondial contre Bolsonaro

▶ Emmanuel Macron a ac­
cusé, vendredi 23 août, le
▶ Jair Bolsonaro a dénoncé
en retour « la mentalité
▶ L’Elysée a annoncé son
intention de ne pas rati­
▶ La plupart des Etats
européens, et même la 1 ÉDITORIAL
président brésilien d’avoir colonialiste dépassée » fier le traité Union euro­ Maison Blanche, se disent UN BIEN COMMUN
« menti » sur ses engage­ du président français, qui péenne­Mercosur, signé préoccupés par la politi­
ments environnementaux « instrumentalise un pro­ en juin après vingt ans que du président brésilien UNIVERSEL
alors que l’Amazonie brûle blème interne du Brésil » de difficiles négociations PAG E 2 PAGE 26

Gauche HONGKONG MENACES SUR L’EXCEPTION CHINOISE Chine­Etats­Unis

La France ▶ Pékin s’efforce d’absorber l’île et d’affaiblir le principe « un pays, deux systèmes » La guerre
insoumise sans PAGE 3 E T GÉOPOLITIQUE PAGE S 12 À 14
commerciale
Mélenchon s’envenime
En convalescence après pékin a relancé les hostili­
tés, vendredi 23 août, en annon­
son mauvais score aux çant des taxes sur 75 milliards de
européennes (6,3 %), le dollars (67 milliards d’euros)
mouvement organise son d’importations américaines, no­
université d’été à Tou­ tamment les produits pétroliers,
louse, en l’absence de son agricoles et automobiles.
Donald Trump, furieux, a
leader. Les socialistes, de d’abord intimé aux Américains
leur côté, tentent de pren­ de quitter le marché chinois,
dre un virage écologiste avant d’annoncer une hausse des
qui ne fait pas l’unanimité taxes déjà appliquées ou à venir
sur les produits chinois.
PAGE 7
PAG E 9

Edition
L’Elysée fait Tunisie
vendre des livres Arrestation
du principal
Nicolas Sarkozy a vendu
230 000 exemplaires de opposant
ses « Passions » ; François
Hollande, 200 000 de ses Le magnat de la télévision
« Leçons du pouvoir » ; Nabil Karoui, l’un des favo­
Jacques Chirac, près de ris du scrutin présidentiel
500 000 de ses « Mémoi­ Chaîne humaine, le 23 août, de septembre, a été arrêté
res »… Les livres des prési­ pour la démocratie. Et en hommage vendredi 23 août pour une
à la femme qui a perdu un œil lors
dents sont des best­sellers d’une manifestation. VINCENT YU/AP PHOTO affaire d’évasion fiscale
PAGE 6 PAG E 4

Economie
L’ÉTÉ DES SÉRIES Les banquiers
SAÏD BEN SAÏD ET MICHEL MERKT PRÉSENTENT

centraux dans
HANS MODROW Au pays des hypers le brouillard « ISABELLE HUPPERT
EST IMPÉRIALE » LES INROCKUPTIBLES

DERNIER APPARATCHIK DE RDA « ON N’A PAS PAGE 9 « L’UN DE SES FILMS

LES PLUS ÉMOUVANTS » LE MONDE

Les souvenirs aigres-doux de l’ultime premier

DE FOUQUET’S, ON « BOULEVERSANTE » TÉLÉRAMA

ministre de l’Allemagne de l’Est, à la veille de A HYPER U » Mobilité

la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989.
Le dernier épisode de la série de Thomas Wieder A Paris, la guerre
des trottinettes
sur les trottoirs
Féministes ! PAGE 8
LEYMAH GBOWEE, ISABELLE HUPPERT
GUERRIÈRE
DE LA PAIX Planète
La goélette « Tara »
IRA SACHS
remonte la piste réalisé par
© 2018 SBS PRODUCTIONS / O SOM E A FÚRIA © PHOTO GUY FERRANDIS / SBS PRODUCTIONS

BRENDAN GLEESON
du microplastique MARISA TOMEI
JÉRÉMIE RENIER
Têtes de série PAGE 5 PASCAL GREGGORY
VINETTE ROBINSON
ARIYON BAKARE
L’ANTIHÉROS, CARLOTO COTTA
SENNIA NANUA

A Berlin,
SOMBRE PILIER Football
et GREG KINNEAR

écrit par MAURICIO ZACHARIAS & IRA SACHS

en août. DE L’INTRIGUE Poker menteur

DEREK HUDSON AU CINÉMA LE 28 AOÛT
POUR « LE MONDE » entre le PSG
PAG E S 18 À 24
et Neymar Jr
PAGE 11
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
LE SOMMET DU G7 À BIARRITZ
Incendie
à Porto Velho
(Brésil),
le 23 août.
CARL DE SOUZA/AFP
Macron et Bolsonaro, la bataille de l’Amazonie
Les multiples incendies que subit le Brésil ont déclenché une crise diplomatique entre Paris et Brasilia
rio de janeiro ­ correspondant
S
ur fond d’incendies
géants en Amazonie, la
France et le Brésil traver­
sent leur pire crise diplo­
matique depuis le retour de la dé­
mocratie à Brasilia à la fin des an­
nées 1980. Il s’agirait, selon bien
des observateurs, du conflit le
plus grave de toute l’histoire de
leurs relations bilatérales.
Comme souvent, au XXIe siècle,
tout a commencé par un Tweet.
Jeudi, le président français, Emma­
nuel Macron, s’émouvait sur le ré­
seau social de la tragédie des in­
cendies frappant la forêt amazo­
nienne, 72 843 départs de feu enre­
gistrés depuis le début de l’année,
soit une augmentation de 83 % par
rapport à l’année précédente. « No­
tre maison brûle. Littéralement »,
s’indignait le chef de l’Etat, évo­
quant une « crise internationale »,
bien décidé à mettre cette ques­
tion au cœur de l’agenda du G7, qui
s’est ouvert samedi 24 août à Biar­
ritz (Pyrénées­Atlantiques).
La passe d’armes pouvait alors
commencer. Le président brési­
lien d’extrême droite, Jair Bolso­
naro, organise la riposte, brutale
et coordonnée. Niant d’abord
l’existence des incendies, avant
d’accuser les ONG d’en être res­
ponsables, il s’attaque finale­
ment directement au président
français, évoquant dès jeudi, tou­
jours sur Twitter, la « mentalité
colonialiste dépassée au XXIe siè­
cle » d’Emmanuel Macron, ac­
cusé d’« instrumentaliser un pro­
blème interne du Brésil (…) pour
ses intérêts politiques person­
nels », voire, écrira­t­il vendredi,
de « fomenter la haine contre le
Brésil par simple vanité ».
La twittosphère d’extrême
droite brésilienne s’active. Immé­
diatement surgit un hashtag
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DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
#MacronLies (« Macron ment »), deux décennies de pénibles né­ ble. Aucun point d’entente, aucun diplomatiques s’activent pour
utilisé dans le monde entier pour gociations.
« On n’a jamais vu atome crochu n’a été trouvé », dé­ proposer des solutions au G7 afin
véhiculer des torrents d’insultes Dans la brèche ouverte par la ça. Aujourd’hui, crypte un connaisseur. de sauvegarder l’Amazonie. « En
contre le président français, dé­ France s’engouffrent immédiate­ Une photo des deux hommes, l’état, une guerre commerciale,
peint en Pinocchio ou en clown ment d’autres Etats européens,
le Brésil n’apporte assis côte à côte lors du sommet, avec boycott de produits, n’est pas
au nez rouge, victime d’« halluci­ inquiets face à la destruction du plus de solutions rictus et mâchoires crispées, est désirée par la France, estime un
nations » et de « délires psychoti­ « poumon vert » et excédés par les venue symboliser cette mésen­ observateur du dossier. Les entre­
ques », souhaitant envahir l’Ama­ esbroufes répétées de M. Bolso­
au monde. tente, ravivée fin juillet, lors du ca­ prises françaises disposent de 850
zonie, sur fond de Notre­Dame en naro. A Londres, Boris Johnson a Il est devenu mouflet subi par le ministre des filiales au Brésil, employant plus de
flammes, de manifestations de dit sa « profonde préoccupation » affaires étrangères Jean­Yves Le 500 000 personnes. Quasiment
« gilets jaunes » ou d’incendies de et réclamé des « initiatives concrè­
un problème » Drian. En visite à Brasilia, ce der­ toutes les sociétés du CAC 40 ont
forêts dans le sud de la France. Des tes ». Le ministre des finances de CELSO AMORIM nier avait alors vu son entretien des intérêts au Brésil. Elles ne veu­
messages partagés par le clan Bol­ la Finlande, pays qui assure ac­ ancien ministre brésilien avec M. Bolsonaro brutalement lent à aucun prix d’une escalade. »
sonaro, en premier lieu par les tuellement la présidence tour­ des affaires étrangères annulé, le président brésilien pré­ Mais Bolsonaro n’a­t­il pas aussi
trois fils du chef de l’Etat, Flavio, nante du Conseil de l’Union euro­ férant aller se faire couper les che­ un intérêt à faire monter la ten­
Carlos et Eduardo. Ce dernier, pro­ péenne, a proposé d’interdire les veux, publiant en direct des pho­ sion ? Alors que des manifesta­
bable futur ambassadeur du Bré­ importations de bœuf brésilien, aussi isolé, même sous la dictature tos chez son coiffeur. Une humi­ tions d’opposition à la politique
sil aux Etats­Unis, a relayé une vi­ tandis que l’Irlande menaçait éga­ militaire. On n’a jamais vu ça. liation que ni le Quai d’Orsay ni anti­environnementale du prési­
déo au titre peu diplomatique : lement de mettre son veto au Aujourd’hui, le Brésil n’apporte Emmanuel Macron n’ont digérée. dent ont eu lieu vendredi soir, et
« Macron est un idiot ». traité UE­Mercosur. plus de solutions au monde. Il est devaient se poursuivre tout le
Même la Maison Blanche, pour­ devenu un problème, s’émeut Mobilisation de l’armée week­end, « la crise diplomatique
Brèche tant alliée de Brasilia, s’est mon­ Celso Amorim, ministre des affai­ Dos au mur, à quelques semaines peut aussi permettre à Bolsonaro
Choquée par tant d’outrance, la trée préoccupée, Donald Trump res étrangères du Brésil de 2003 à de l’Assemblée générale de l’ONU, de ressouder sa base, estime Oli­
présidence française répliquait proposant vendredi soir une aide 2011 dans les gouvernements suc­ sous pression du lobby de l’agro­ ver Stuenkel, chercheur en rela­
vendredi. L’Elysée reproche à Jair d’urgence afin d’éteindre les in­ cessifs de Lula et Dilma Rousseff. business qui craint pour ses ex­ tions internationales à la Fonda­
Bolsonaro d’avoir « menti » sur cendies. Le tout alors que de Ge­ La France [qui partage 730 kilo­ portations, Jair Bolsonaro a fina­ tion Getulio Vargas (FGV). Il a be­
ses engagements en faveur de nève à Paris, en passant par Berlin mètres de frontières avec le Brésil lement cédé à la pression ven­ soin de cette situation de tension,
l’environnement, et annonce et Londres, des centaines de per­ en Guyane] a été le premier pays à dredi soir. Ce dernier a annoncé la de cette impression de guerre, avec
dans la foulée son opposition, sonnes manifestaient devant les soutenir le Brésil pour être mem­ mobilisation en urgence de l’ar­ le Brésil seul contre tous, pour
dans les conditions actuelles, au ambassades brésiliennes, en pro­ bre permanent au Conseil de sécu­ mée, par décret, afin de lutter con­ nourrir le nationalisme de ses par­
traité de libre­échange entre le testation contre la politique de rité. Avec ce pays, on a lancé des tre les feux en Amazonie. Toute­ tisans. Bolsonaro n’est pas là pour
Mercosur (comprenant le Brésil, M. Bolsonaro. programmes de lutte contre la fois, nombre d’experts doutent de construire mais pour détruire. Et il
l’Argentine, le Paraguay et l’Uru­ De mémoire de diplomate brési­ faim, des programmes de coopéra­ la capacité des militaires à maîtri­ n’a rien à perdre, car il n’a aucune
guay) et l’Union européenne lien, c’est du jamais­vu. « Je suis tion militaire ambitieux… C’est une ser les incendies et dénoncent ambition internationale ».
(UE), signé au mois de juin, après très choqué. Jamais le Brésil n’a été relation très spéciale qui est en une mesure « para os ingleses Un an seulement après l’incen­
train d’être détruite », s’indigne ce ver » (« pour satisfaire les An­ die du Musée national de Rio de
francophone et francophile, qui glais »), c’est­à­dire pour « sauver Janeiro, emporté lui aussi par un
Trump menace de taxer le vin français en a pourtant vu bien d’autres.
Le ressentiment personnel en­
les apparences » : un adage proba­
blement né au XIXe siècle, lorsque
incendie, un certain Brésil se con­
sume : celui des arts, de la nature,
Avant de s’envoler pour Biarritz, vendredi 23 août, Donald Trump tre Jair Bolsonaro et Emmanuel le pays, sous pression de l’Empire d’une certaine idée de l’Etat et du
a menacé d’imposer des droits de douane supplémentaires sur Macron n’est pourtant pas tout à britannique, adoptait des lois savoir­vivre. « La stratégie de Bol­
les vins français. Lors d’un échange avec des journalistes, le pré- fait nouveau. Tout oppose ce capi­ supposées combattre l’esclavage, sonaro, c’est celle du kamikaze, in­
sident américain a brandi la menace de représailles à l’imposi- taine de réserve, nostalgique de la sans jamais les appliquer. siste M. Stuenkel. Et après seule­
tion d’une taxe française sur les géants américains des technolo- dictature, aux saillies racistes et « Les incendies de forêt existent ment huit mois de mandat, ça ne
gies. « Je ne veux pas que la France impose des taxes sur nos homophobes, et le chantre de la dans le monde entier et cela ne fait que commencer. » 
sociétés. C’est très injuste (…), s’ils le font, nous imposerons des « start­up nation », mondialisé et peut pas servir de prétexte à d’éven­ bruno meyerfeld
tarifs douaniers sur leurs vins. » Votée, en juillet, par le Parlement, libéral, vingt ans plus jeune. Leur tuelles sanctions internationales », (avec marc semo, à biarritz)
la taxe dite GAFA crée une imposition des grandes entreprises du premier entretien bilatéral, au a rappelé le président brésilien
secteur à hauteur de 3 % du chiffre d’affaires réalisé en France, mois de juin, lors du G20 d’Osaka, dans la soirée de vendredi, dans Cet article est le premier de
notamment sur la publicité ciblée, la vente de données et la fut d’ailleurs glacial. « C’était une une brève allocution télévisée. Bruno Meyerfeld en tant que
mise en relation des internautes par les plates-formes. conversation vraiment pas agréa­ Mais de leur côté, les conseillers correspondant au Brésil.
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DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019 international | 3

En Chine, l’impossible
débat sur Hongkong
Entre censure et patriotisme exacerbé, les réactions
Les associations font monter la aux deux mois de manifestations sont à sens unique
pression avant l’ouverture du sommet
shanghaï ­ correspondance gés responsables de la Révolution
Heurts et actions de désobéissance ont marqué la veille de la réunion culturelle après la mort de Mao.
Un célèbre

biarritz (pyrénées­
atlantiques) ­ envoyés spéciaux
centaine de personnes seraient
jugées dangereuses par la préfec­
ture, qui assure toutefois qu’il
lage de 886 habitants. Comme un
pied de nez aux quelque
13 000 membres des forces de l’or­
C
es derniers jours, les Pour la propagande, ce sont qua­ combattant
médias chinois parlent tre personnalités démocrates, tou­
moins de Hongkong. tes au­dessus de la soixantaine,
chinois de MMA a
Discrétion absolue sur qui dirigeraient en sous­main les été interrogé par
la chaîne humaine, vendredi jeunes « émeutiers » : on retrouve
23 août au soir, inspirée de la sur leur liste Jimmy Lai (70 ans),
la police après

D es actions de désobéis­
sance civile et des heurts
entre forces de l’ordre et
militants ont marqué la journée
du vendredi 23 août, à la veille de
l’ouverture de la réunion du G7.
Dans la soirée, des affrontements
se sont déroulés à l’entrée du
camp où sont hébergés des mil­
liers de participants au contre­
sommet. Selon la préfecture, une
unité de gendarmes mobiles est
intervenue à l’issue d’une petite
manifestation non autorisée à Ur­
rugne (Pyrénées­Atlantiques), au
cours de laquelle dix­sept person­
nes ont été interpellées, puis pla­
cées en garde à vue pour « dissi­
mulation du visage à l’occasion
d’une manifestation ».
A l’issue de ce rassemblement,
des projectiles ont été lancés sur
les forces de l’ordre. « L’utilisation
d’un mortier a blessé légèrement
quatre gendarmes », a annoncé la
préfecture, confirmant au Monde
que les forces de l’ordre avaient
alors répliqué avec des grenades
lacrymogènes et des lanceurs de
balle de défense. Les policiers ont
également tenté de retirer une
barrière montée par certains ma­
nifestants à l’entrée du camp.
En milieu de soirée, la situation
était stabilisée, selon la préfec­
ture, et des forces de l’ordre dispo­
sées autour du campement. Une
A Biarritz, un phare pour dîner,
un palace pour dormir
n’est pas question d’évacuer le
site. L’épisode risque de compli­
quer les manifestations prévues
au cours du week­end.
« Désastres sanitaires »
Plus tôt dans la journée de ven­
dredi, quelque 80 militants d’asso­
ciations comme Attac ou la Confé­
dération paysanne ont bloqué
l’usine Monsanto­Bayer de Peyre­
horade (Landes). Durant une
heure, en début d’après­midi, ils
ont dénoncé les « désastres sanitai­
res et environnementaux » engen­
drés par les activités du groupe
pharmaceutique et agrochimique
allemand. « Tant que les Etats ne se­
ront pas à la hauteur des enjeux, les
citoyens multiplieront les actions
pour mettre des multinationales
comme Bayer­Monsanto hors
d’état de nuire », déclarent ces orga­
nisations dans un communiqué.
Les « décrocheurs » des associa­
tions ANV­COP21 (Action non vio­
lente­COP21) et Bizi ! (« vivre ! » en
basque, qui lutte pour la justice
sociale et environnementale) ne
sont pas en reste. Une poignée de
ces militants – qui entendent pro­
tester contre l’inaction française
sur le front climatique par le dé­
crochage des portraits du prési­
dent Emmanuel Macron – se sont
introduits dans la mairie d’Iris­
sarry (Pyrénées­Atlantiques), vil­
dre présents dans la région, ils ont
décroché et subtilisé la photo offi­
cielle du président Macron. Cel­
le­ci est allée rejoindre les 127 por­
traits déjà décrochés, depuis plu­
sieurs mois, des murs de mairies.
« Climat, justice sociale ! Où est
Macron ? », interrogent Elodie et
Eneko, les deux jeunes militants
qui ont agi à visage découvert,
sans violence, selon le modus ope­
randi décidé par les associations.
Ces portraits devraient ressurgir,
dimanche 25 août, au cours d’une
« marche des portraits », prévue
pour se dérouler à Bayonne. Une
perspective potentiellement dé­
sastreuse, en termes d’image,
pour le chef de l’Etat français, et
que la préfecture tente à tout prix
d’éviter. Même si, à l’Elysée, on as­
sure que le sujet des portraits dé­
crochés de M. Macron n’est pas
une obsession et qu’aucune ins­
truction n’a été donnée à propos
de cette manifestation.
L’exécutif dit au contraire vou­
loir porter une attention forte à
la société civile à l’occasion du
G7. Vendredi, plusieurs ONG
(parmi lesquelles le WWF, Care,
Amnesty International, Human
Rights Watch, RSF…) ont ainsi été
reçues à l’Elysée pour échanger
sur les enjeux du sommet. 
rémi barroux
et cédric pietralunga
« voie balte », qui dénonçait la do­
mination soviétique, sur 687 kilo­
mètres, de Vilnius à Tallinn,
trente ans plus tôt, jour pour jour.
Rien déjà sur la gigantesque foule
qui avait envahi le parc Victoria et
ses environs une semaine plus
tôt, que les organisateurs esti­
maient à 1,7 million de personnes.
Le sujet ne va pas dans le sens de
la propagande, les manifestants
sont restés pacifiques jusqu’au
bout : le week­end des 17 et 18 août
fut le premier en onze semaines
sans confrontations avec la police
ni gaz lacrymogènes pour disper­
ser les manifestants.
Alors que les médias d’Etat dres­
sent le tableau d’une minorité
d’extrémistes violents manipulés
par des puissances étrangères,
une bonne partie de la popula­
tion de Hongkong a prouvé une
nouvelle fois qu’elle soutenait le
mouvement. Embarrassant. En
Chine, le débat sur ce mouvement
est impossible. Ceux qui se ris­
quent à un point de vue contraire
à celui du pouvoir sont rapide­
ment accusés d’être hanjian, des
traîtres à la Chine.
Certains l’ont payé au prix fort.
Une jeune femme de 26 ans, qui
s’est contentée d’écrire sur le ré­
seau social Weibo, équivalent local
de Twitter, le message « Respect à
toutes les personnes qui font grève
et qui manifestent », a vu ses infor­
mations personnelles diffusées
en ligne, avec la mention « traî­
tre ». D’autres suggèrent la ma­
nière forte contre les manifes­
tants : « Les passer à tabac ne suffit
pas ! Il faut les battre à mort. En­
voyez quelques tanks pour nettoyer
tout ça ! » Le fait que ces commen­
qui détient le quotidien populaire
et pro­démocratie Apple Daily, ou
Anson Chan (79 ans), ex­secrétaire
en chef (numéro deux) du gouver­
nement de Hongkong, Martin Lee
(81 ans), fondateur du Parti démo­
crate, et Albert Ho (67 ans), ancien
chef de la même formation.
Le message est clair, c’est « avec
nous ou contre nous ». A la suite
de ces accusations, des membres
de la famille de Jimmy Lai au
Guangdong, la province chinoise
qui fait face à Hongkong, l’ont re­
nié et ont retiré son nom du tem­
ple des ancêtres de leur clan, rap­
porte le Ta Kung Pao, un journal
contrôlé par le Parti communiste
chinois à Hongkong.
« L’opinion des Chinois est très di­
visée : beaucoup s’opposent aux
manifestants, mais il y a aussi des
Chinois qui ont de la sympathie
pour le mouvement. Mais du fait de
la pression politique, et surtout du
contrôle d’Internet, il est très diffi­
cile pour ces derniers de se faire en­
tendre, et même pour ceux qui ont
la chance de passer la censure du
Web, c’est très dangereux », expli­
que Xiao Shu, ancien chroniqueur
du magazine progressiste Nan­
fang Zhoumo (« l’hebdomadaire
du Sud »), licencié en 2011 pour ses
textes jugés trop critiques.
Ceux qui tentent d’exprimer
une opinion divergente sont rapi­
dement rappelés à l’ordre. C’est le
cas de Xu Xiaodong, un combat­
tant de MMA (arts martiaux mix­
tes) célèbre pour avoir assommé
plusieurs maîtres de kung­fu
dans le but de démystifier les arts
martiaux traditionnels chinois.
Sur Weibo et YouTube, il dénon­
çait la campagne de dénigrement
s’être opposé,
sur Internet, à
la propagande
avoir chroniqué les manifesta­
tions des deux camps, pro­Pékin
et opposants à la loi d’extradition
qui est à l’origine de la contesta­
tion, le week­end des 17 et 18 août,
il a dû écourter son séjour. Il a ex­
pliqué mardi rentrer en Chine
sous la pression de la police chi­
noise et de l’association des avo­
cats de Chine, qui menaçaient de
lui retirer sa licence.
Sur le réseau social Wechat, do­
minant en Chine, Xiao Shu a pu­
blié un éditorial tentant lui aussi
de calmer les esprits. Il a été cen­
suré plusieurs fois. « Nous avons
dû éditer l’article en remplaçant des
mots­clés par des abréviations et
des termes en anglais pour réussir à
le publier », soupire le journaliste.
« Elire ou pas »
Pour autant, l’impression de pen­
sée unique en Chine n’est pas due
qu’à la censure, tempère­t­il : « Des
gens peuvent très bien être déçus et
critiquer le gouvernement chinois,
mais les événements de Hongkong
ont été présentés par les médias of­
ficiels comme un combat pour l’in­
dépendance de Hongkong. Cela
touche à la dignité et à l’unité natio­
nale, ce qui résonne facilement
avec les appels au patriotisme du
gouvernement central. »
Même pour ceux qui s’infor­
ment sur des sites étrangers, l’ar­
gumentaire officiel, mettant en
avant le risque de division du
pays, fonctionne. Silvia, 27 ans, qui

C’ est l’un des sites névralgiques du

sommet du G7. Une sorte de « no­go
zone », où seuls les chefs d’Etat accè­
dent, au sein du secteur déjà le plus sécurisé
de Biarritz. Au sein de l’Hôtel du Palais, somp­
part des échanges ont lieu au Bellevue, centre
des congrès à trois pas de l’Hôtel du Palais.
Pour le premier dîner d’importance, samedi
– qui devait réunir M. Macron, la chancelière
allemande Angela Merkel, le premier minis­
taires violents subsistent dans
l’univers ultracensuré de l’Inter­
net chinois n’est pas anodin.

Temple des ancêtres

tueux palace édifié sur l’océan par Napo­
léon III en l’honneur de l’impératrice Eugénie,
sont logés les dirigeants des pays membres du
G7, ainsi que huit autres chefs d’Etat conviés.
La rumeur assurait que le président des
Etats­Unis avait refusé d’y loger, et on lui a un
temps prêté le souhait de passer la nuit sur un
porte­avions américain, au large de Biarritz.
« Il n’a jamais été question qu’il fasse bande à
part », corrige Jean­Pierre Thébault, l’ambas­
sadeur français chargé de la préparation du
G7. Alors que le splendide hôtel avait entre­
pris, ces derniers mois, une rénovation d’am­
pleur, les services secrets américains ont ins­
pecté les structures, les parquets et les tentu­
res. Et Donald Trump séjournera dans l’une
des plus belles suites de l’aile sud, qui ouvre
sur la grande plage et l’Atlantique.
C’est aussi à l’Hôtel du Palais qu’Emmanuel
Macron devait convier dimanche, pour un
grand dîner, les membres du G7, les huit chefs
d’Etat et les huit dirigeants d’organisations in­
ternationales invités. C’est aussi là qu’ont lieu
certains entretiens bilatéraux, même si la plu­
du mouvement par les médias
chinois : « Ne vous faites pas avoir
par les puissances néfastes qui
cherchent à monter les Hongkon­
gais et les Chinois les uns contre les
préfère ne pas donner son nom
chinois, est une jeune avocate
shanghaïenne qui a étudié le droit
en Allemagne. En plus des médias
et des réseaux sociaux chinois,
tre japonais Shinzo Abe, celui du Royaume­ Personne n’est épargné. A plus autres. » Il a été interrogé par la elle s’informe en anglais et en alle­
Uni Boris Johnson, le Ca­ haut niveau, ce sont les médias police chinoise à son domicile mand et lit les médias officiels
nadien Justin Trudeau, d’Etat qui s’en chargent : ils ont peu après ses publications, a­t­il chinois avec un regard critique.
l’Italien Giuseppe Conte et
« IL N’A JAMAIS lancé une campagne de dénigre­ raconté sur YouTube le 20 août. Pour elle, la situation à Hongkong
Donald Trump –, le prési­ ÉTÉ QUESTION ment avec vidéos et articles raco­ Chen Qiushi, un avocat et défen­ n’est pas une question politique
dent français avait cepen­ leurs. Alors que le mouvement se seur des droits de l’homme en mais d’unité nationale et la presse
dant choisi un cadre plus QUE DONALD distingue par une absence de lea­ Chine, a quant à lui tenté de rap­ étrangère refuse de voir l’usage de
inattendu : le phare de ders, la propagande s’acharne à dé­ porter à ses 770 000 abonnés sur la violence par les manifestants.
Biarritz, édifié à la pointe
TRUMP FASSE noncer une « bande des quatre », Weibo la situation à Hongkong en « Qu’on puisse élire notre gouver­
Saint­Martin, un escarpe­ BANDE À PART » référence aux quatre qui furent ju­ s’y rendant lui­même. Mais, après nement ou pas, ce n’est pas très im­
ment rocheux dominant portant, ce qui compte, c’est de
la ville. L’endroit n’a rien JEAN-PIERRE THÉBAULT bien vivre au quotidien, juge­t­elle.
ambassadeur chargé de
d’un restaurant et il a fallu
y improviser de toutes l’organisation du G7 L’employé du consulat britannique libéré Les étudiants de Hongkong veu­
lent l’indépendance ! Cela risque
pièces une cuisine. L’employé chinois travaillant pour le consulat du Royaume-Uni à de diviser la Chine, comme au
Mais le phare, dont la lumière guide les navi­ Hongkong Simon Cheng, arrêté le 8 août, de retour de Shenzhen, XIXe siècle, quand la Chine a été
res, offre un cadre à la fois symbolique et ori­ ville frontalière, a été remis en liberté samedi 24 août. Les autori- partagée par les puissances colo­
ginal pour cette première rencontre, alors tés chinoises du district de Luohu, à Shenzhen, ont indiqué qu’il niales étrangères. On a l’impres­
qu’à quelques kilomètres les alternatifs du avait été détenu pour avoir enfreint les règles de sécurité publi- sion qu’aujourd’hui cela ne se fait
contre­sommet contestent le manque de vi­ que. La presse chinoise avait rapporté que M. Cheng avait été in- pas par la force, mais à travers les
sion des pays les plus riches face aux défis du terpellé après avoir « sollicité des prostituées ». Accusation que sa médias occidentaux qui soutien­
dérèglement climatique et de la pauvreté.  famille a considéré être « montée de toutes pièces ». Le porte-pa- nent le mouvement et donnent un
raphaëlle bacqué role de la diplomatie chinoise, Geng Shuang, avait souligné, mer- point de vue biaisé. » 
(biarritz, envoyée spéciale) credi, qu’il s’agissait d’une « affaire intérieure chinoise ». simon leplâtre

FRANCIS FUKUYAMA, EN ENTRETIEN EXCLUSIF

DANS LES MATINS DE FRANCE CULTURE
LUNDI 26 AOÛT, 7H-9H
En ouverture de la semaine spéciale
1989-2019 : 30 ans après la chute du mur, l’histoire continue L’esprit
d’ouver-
franceculture.fr / @Franceculture ture.

4 | international
En Tunisie, l’arrestation du favori
bouleverse la présidentielle
Le magnat de l’audiovisuel Nabil Karoui est accusé de blanchiment
tunis ­ correspondant
C’
est un tournant
dans la campagne
électorale en vue du
scrutin présidentiel
en Tunisie, dont le premier tour
est prévu le 15 septembre. Le flam­
boyant et controversé magnat de
la télévision Nabil Karoui, candi­
dat figurant parmi les favoris se­
lon les sondages, a été arrêté ven­
dredi 23 août dans le cadre d’une
affaire d’évasion fiscale et de
blanchiment d’argent.
L’arrestation a eu lieu à un péage
autoroutier à une soixantaine de
kilomètres de Tunis, alors que Na­
bil Karoui revenait d’une visite à
Béja (nord­ouest) où il avait super­
visé l’ouverture d’un bureau local
de son parti Qalb Tounès (« cœur
de la Tunisie »). Une trentaine de
policiers l’ont interpellé pour le
conduire à la prison de Morna­
guia proche de la capitale, en
vertu d’un mandat de dépôt émis
par la chambre d’accusation de la
cour d’appel de Tunis.
L’arrestation de Nabil Karoui
alourdit l’atmosphère politique
alors que le petit pays d’Afrique
du Nord, pionnier et seul rescapé
de la vague des « printemps ara­
bes » de 2011, est sur le point d’en­
trer en campagne pour un dou­
ble scrutin – présidentiel et par­
lementaire – censé consolider sa
transition démocratique.
« Une telle arrestation est dan­
gereuse pour le processus démo­
cratique en Tunisie, a aussitôt dé­
noncé Sadok Jabnoun, membre
du comité politique de Qalb Tou­
nès. Cela rappelle de mauvais
souvenirs aux Tunisiens. »
Un peu plus tard dans la soirée,
le parti a publié un communiqué
dénonçant l’« enlèvement » de M.
Karoui assimilé à une « pratique
fasciste » et appelant la population
L’armée israélienne accusée d’avoir frappé en Irak
Israël aurait visé des stocks d’armes iraniens, élargissant son rayon d’action dans la région
jérusalem ­ correspondant
U ne première confirma­
tion est venue de
Washington, après un
mois de spéculations : Israël aurait
bien ouvert un nouveau front
dans sa lutte contre la présence
militaire iranienne dans la région,
en frappant, le 19 juillet, un dépôt
d’armes sur le sol irakien. Des offi­
ciels américains anonymes s’en
sont ouverts à la presse améri­
caine les 22 et 23 août. L’un d’eux
soulignait au New York Times
qu’Israël avait ainsi testé une li­
mite et risquait d’entraîner son al­
lié dans une dangereuse escalade,
en précipitant une éviction des
forces américaines hors du pays.
Cette attaque contre une base si­
tuée dans la ville d’Amerli (Nord)
avait été suivie par trois explo­
sions inexpliquées, dont la der­
nière le 20 août. Toutes sont sur­
venues dans des dépôts situés au
nord de Bagdad et dans sa péri­
phérie, y compris dans un quar­
tier densément peuplé et con­
trôlé par des milices chiites ira­
kiennes alliées de l’Iran.
La frappe du 19 juillet aurait été
lancée depuis le territoire irakien,
contre un site d’où Téhéran cher­
cherait à transférer des armes vers
la Syrie voisine, selon une source
de renseignement régional citée
par le quotidien américain. Elle
aurait détruit des missiles d’une
portée de 125 kilomètres. Les auto­
rités irakiennes avaient alors rapi­
dement attribué l’attaque à un
drone non identifié. Deux offi­
à « s’unir pour arrêter cette bande
dirigeante qui a dépassé toutes les
limites en abandonnant les coutu­
mes, les lois démocratiques et les
principes des droits de l’homme ».
Nabil Karoui, 56 ans, a créé la
surprise ces derniers mois en
s’imposant comme un « outsi­
der » bousculant le jeu des partis
établis, dans un contexte de dé­
senchantement de l’opinion pu­
blique à l’égard de la politique. La
plupart des instituts de sondage
le classaient en tête des inten­
tions de vote. Issu du monde de la
publicité, M. Karoui avait lancé sa
chaîne de télévision Nessma
en 2007 sous le régime de Zine El­
Abidine Ben Ali, avant de connaî­
tre de notables succès d’audience
après la révolution de 2011.
Dons et cadeaux
Proche de l’ex­président de la Ré­
publique Béji Caïd Essebsi, décédé
le 25 juillet avant la fin de son
mandat, M. Karoui avait mis sa
chaîne au service des intérêts
électoraux du parti Nidaa Tounès,
fondé en 2012 par M. Essebsi sous
la bannière du « modernisme »
hostile au camp islamiste. Avant
l’été, celui qu’on a souvent pré­
senté comme un « Berlusconi tu­
nisien » avait décidé de convertir
sa notoriété, due notamment à
des activités caritatives soigneu­
sement mises en scène sur ses
écrans, en capital électoral en vue
du double scrutin de l’automne.
Celui qu’on a
présenté en
« Berlusconi
tunisien » a
bousculé le jeu
des partis établis
ciers iraniens avaient été tués, se­
lon l’agence Associated Press.
L’armée israélienne a déjà mené
ces dernières années des centai­
nes de frappes contre des intérêts
iraniens en Syrie voisine. Elle n’a
cessé d’y augmenter le périmètre
de ses lignes rouges, cherchant à
contrecarrer toute influence ira­
nienne sur le plateau du Golan, à
prévenir l’acheminement d’ar­
mes vers le Hezbollah libanais,
puis l’établissement de bases mili­
taires iraniennes en Syrie, et rap­
prochant ses frappes de la fron­
tière irako­syrienne.
« Les atteindre là-bas »
Mais cette attaque en Irak est un
élargissement inédit de son rayon
d’action, loin à l’intérieur de l’axe
d’influence régional de Téhéran,
qui s’étend jusqu’aux frontières is­
raéliennes. Ce serait aussi la pre­
mière attaque connue menée par
Israël en Irak depuis celle, en 1981,
du réacteur nucléaire d’Osirak.
Interrogé, le 22 juillet, en marge
d’un déplacement en Ukraine, le
premier ministre israélien, Benya­
min Nétanyahou, s’est refusé à
nier ou confirmer avoir ordonné
une telle frappe. Mais il a estimé
que Téhéran cherchait à étendre
des avant­postes militaires contre
Israël en Syrie, au Liban, en Irak et
au Yémen. « Un Etat qui dit “Nous
vous détruirons et nous construi­
rons des bases pour tirer des missi­
les et envoyer des cellules terroris­
tes contre vous”, en ce qui me con­
cerne, n’a pas d’immunité, a­t­il dé­
claré. Nous agirons – et nous
Il avait entamé une précampa­
gne en sillonnant les villages
pauvres de la Tunisie intérieure
auxquels il multipliait dons et
cadeaux au nom de la « lutte con­
tre la misère », thème dont il fait
son cri de ralliement. Inquiet par
sa percée dans les sondages, le
gouvernement de Youssef Cha­
hed avait inspiré l’adoption à la
mi­juin d’une nouvelle loi électo­
rale écartant de facto M. Karoui
de la course à la présidentielle.
L’initiative avait toutefois fait
long feu en raison du refus de
l’ex­chef d’Etat Béji Caïd Essebsi
de signer avant son décès la pro­
mulgation du texte.
Le dossier judiciaire qui lui vaut
aujourd’hui l’arrestation re­
monte à une plainte déposée
contre lui en 2016 par I­Watch, as­
sociation tunisienne affiliée à
Transparency International,
pour blanchiment d’argent et
évasion fiscale. Après un long si­
lence, l’affaire a opportunément
été réactivée ces dernières semai­
nes. Le 8 juillet, Nabil Karoui et
son frère Ghazi, auquel il est asso­
cié depuis le début de leur car­
rière dans la communication,
étaient inculpés par un juge
d’instruction qui avait également
décidé le gel de leurs avoirs et l’in­
terdiction de voyager. Les deux
frères avaient interjeté appel.
Vendredi matin, la chambre
d’accusation auprès de la cour
d’appel de Tunis a non seulement
refusé l’appel mais a en outre
émis un mandat de dépôt visant
les deux inculpés. « La motivation
politique de cette décision ne fait
pas l’ombre d’un doute », selon
Nezih Souei, l’un des avocats de
Nabil Karoui. Il n’aura en tout cas
fallu que quelques heures pour
appliquer le jugement au bord
d’une autoroute. 
frédéric bobin
« En ce qui me
concerne, un Etat
qui dit “nous
vous détruirons”
n’a aucune
immunité »
BENYAMIN NÉTANYAHOU
premier ministre israélien
agissons actuellement – contre
eux, où que cela soit nécessaire. »
Dans un discours en juillet, Yossi
Cohen, le chef du Mossad, avait
déjà estimé que l’Iran et le Hezbol­
lah « essaient de transférer certai­
nes de leurs bases dans le nord de la
Syrie. Dans le même temps, ils éta­
blissent des bases et des manufac­
tures d’armement sophistiqué en
Irak et au Liban. Ils font l’erreur de
croire que nous aurons des difficul­
tés à les atteindre là­bas ».
Mercredi, Abou Mahdi Al­Mo­
handes, le vice­chef de la Mobili­
sation populaire, organe qui ras­
semble les milices chiites ira­
kiennes, avait déjà attribué,
dans un communiqué, des « at­
taques répétées » contre des
quartiers généraux locaux des
milices à « des appareils améri­
cains et israéliens ». Attribuant
la responsabilité finale des frap­
pes aux Etats­Unis, il affirmait
que tout appareil étranger sur­
volant ces bases sans autorisa­
tion gouvernementale serait
traité comme « hostile ».
LE PROFIL
Nabil Karoui
Personnalité controversée en
Tunisie, Nabil Karoui, âgé de
56 ans, est un ancien commer-
cial pour Colgate et Palmolive. Il
avait lancé, en 2002, avec son
frère Ghazi, une agence interna-
tionale de publicité, Karoui &
Karoui, avant de créer son
groupe de médias. Ces trois der-
nières années, il s’était patiem-
ment construit une image
d’homme charitable, distribuant
électroménager et biens aux
quatre coins du pays sous l’œil
des caméras de sa chaîne de té-
lévision, Nessma. Ce média dif-
fuse chaque jour « Khalil Tou-
nès », une émission caritative en
mémoire de son fils Khalil, mort
dans un accident de voiture
en 2016. Il avait d’ailleurs fondé
en 2012 une association, du
nom de son fils, destinée à lut-
ter contre la pauvreté, principal
thème de sa campagne.
Ce vieil allié de Téhéran avait sus­
cité une profonde gêne dans l’Etat
irakien, qui maintient l’ambiguïté
sur l’origine des explosions. Jeudi,
le conseiller à la sécurité nationale,
Faleh Al­Fayadh, a rappelé que son
pays entendait éviter d’être pris en
otage entre son allié iranien et ses
rivaux, au risque d’être « poussé
dans la guerre. » Le premier minis­
tre Adel Abdel Mahdi avait fait sa­
voir dès le 15 août que tous les vols
internationaux dans l’espace aé­
rien du pays devraient désormais
recevoir approbation préalable.
Cette position d’équilibre s’avère
difficile à tenir, alors que Téhéran
est lui­même accusé par l’admi­
nistration américaine d’avoir
lancé, le 14 mai, des drones depuis
le territoire irakien contre un allié
des Etats­Unis – en l’occurrence
des installations pétrolières saou­
diennes. Bagdad craint que dégé­
nère sur son territoire la rivalité
entre ses deux parrains, à l’heure
où l’Iran entend démontrer aux
Etats­Unis le coût de leur retrait de
l’accord international sur le nu­
cléaire, en mai 2018, et des sanc­
tions qu’ils lui imposent.
Entrées en force au Parlement
irakien au printemps 2018, les mi­
lices chiites ont depuis multiplié
les provocations contre les Améri­
cains, qui maintiennent quelque
5 000 soldats dans le pays, dans le
cadre de la lutte contre l’EI. 
louis imbert
Cet article est le premier de
Louis Imbert en tant que
correspondant en Israël.
L’alliance russo­turque
fragilisée par l’offensive
syrienne à Idlib
Ankara entend conserver ses postes, malgré
la progression des troupes de Bachar Al­Assad
istanbul ­ correspondante
L’ armée turque paraît de
plus en plus vulnérable à
Idlib, en Syrie, où ses pos­
tes d’observation se retrouvent à la
merci des troupes de Bachar Al­As­
sad, lancées depuis trois mois
dans une tactique de terre brûlée
pour reprendre coûte que coûte la
province rebelle. Après la chute de
la ville de Khan Cheikhoun au sud,
l’armée syrienne a pris le contrôle,
vendredi 23 août, de plusieurs vil­
lages au sud d’Idlib et au nord de
Hama, dont la localité de Morek,
où l’armée turque dispose d’un
poste. Encerclé par les troupes pro­
régime, celui­ci est désormais
coupé des ses approvisionne­
ments venus de Turquie. La veille,
un autre poste turc, à Surman,
avait été la cible de tirs des troupes
syriennes.
Depuis 2017, la Turquie, qui sou­
tient les rebelles opposés à Bachar
Al­Assad, dispose de douze postes
d’observation à l’intérieur et
autour d’Idlib, le dernier fief de la
rébellion dans le nord­ouest de la
Syrie. Elle entend bien les conser­
ver malgré la progression fulgu­
rante sur le terrain de l’armée sy­
rienne, dont les unités d’élite ont
été entraînées ces derniers mois
par la Russie et équipées de maté­
riel de vision nocturne, ce qui ne
laisse aucun répit aux rebelles. Le
ministre turc des affaires étrangè­
res, Mevlut Cavusoglu, a confirmé
vendredi que la Turquie n’avait
aucune intention de se retirer.
Ces derniers jours, l’armée tur­
que a tenté d’aider militairement
les rebelles, en vain. Des renforts
en hommes et en matériel ont été
acheminés vers ses postes. C’est
dans ce contexte qu’un convoi turc
a été visé lundi par des bombarde­
ments de l’aviation syrienne alors
qu’il circulait aux abords de Maa­
rat Al­Nouman, suscitant un re­
gain de tensions entre Ankara, Da­
mas et Moscou. Des pourparlers
ont lieu actuellement entre des
responsables militaires russes et
turcs sur le sort futur de ces postes.
Alarmé par la déroute de la rébel­
lion, le président turc Recep Tayyip
Erdogan doit se rendre mardi
27 août à Moscou pour y rencon­
trer son homologue Vladimir Pou­
tine. Vendredi, les deux présidents
se sont entendus au téléphone
pour poursuivre leurs « efforts mu­
tuels » en vue d’une solution.
M. Erdogan craint plus que tout
un nouvel afflux de réfugiés en
provenance d’Idlib, province con­
tiguë à la Turquie où vivent près
de 3 millions de civils, pour la plu­
part des déplacés venus d’autres
régions de Syrie reconquises par
Damas. Pour Ankara, il s’agit
d’une « question de sécurité natio­
nale », a rappelé le numéro un
turc. La Turquie, qui accueille déjà
3,6 millions de réfugiés, a fermé
sa frontière en 2016. Celle­ci a été
renforcée par un mur en béton
construit sur toute sa longueur –
600 kilomètres. Les forces tur­
ques n’hésitent pas à ouvrir le feu
sur ceux qui tentent de passer.
TURQUIE
SYRIE
Afrin
Al-Bab
Antioche Alep
Atarib
Idlib
Jisr Al
Choghour
Saraqeb SYRIE
Surman
Maarat
Lattaquié Al-Nouman
Zone récemment
reprise par
Khan l’armée syrienne
Cheikhoun Morek
Hama
20 km
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
Déjà plus de 400 000 personnes
ont fui les combats à Idlib, cher­
chant le salut vers la frontière tur­
que. Des centaines de milliers de
déplacés vivent dans des condi­
tions précaires dans des camps de
toile ou les oliveraies le long de la
frontière. L’offensive de Damas
vers le nord est la recette parfaite
pour une catastrophe humani­
taire. Grisé par ses succès militai­
res – plus de terrain a été gagné
ces deux dernières semaines
qu’en trois mois –, Damas semble
décidé à reconquérir l’ensemble
de la poche rebelle, ce qui laissera
à sa merci la population d’Idlib,
résolument opposée à un retour
dans le giron du régime honni.
La population n’ayant nulle part
où fuir risque de forcer le passage
vers la Turquie. « Si le régime pour­
suit son avancée, nous risquons
d’assister au pire massacre de cette
guerre », a estimé vendredi la cher­
cheuse américaine Elisabeth
Surkov, interrogée pour l’émission
de radio Middle East Brief aux Etats
Unis. En contact par Skype avec des
groupes rebelles d’Idlib, elle assure
que ceux­ci ont essuyé des pertes
considérables ces derniers jours.
Accord moribond
Les derniers développements
mettent à l’épreuve la relation
turco­russe. En premier lieu, ils
marquent la fin de l’accord « de dé­
sescalade » négocié à Sotchi
en 2018 entre Moscou et Ankara. Il
s’agissait alors de différer la chute
d’Idlib en créant une « zone tam­
pon » entre les positions du ré­
gime et celles de la rébellion. De
cet accord aujourd’hui moribond,
il sera question le 16 septembre
lorsque les présidents russe, ira­
nien et turc se réuniront à Ankara.
Ces derniers mois, Moscou n’a
cessé de rappeler que la Turquie
n’avait pas tenu les engagements
pris lors des négociations de Sot­
chi, notamment la restitution des
autoroutes (la M5 reliant Idlib à
Hama et la M4 entre Alep et Da­
mas) au régime syrien, la sortie
des groupes djihadistes de la zone
tampon et l’évacuation de leurs
armes lourdes. A bout de pa­
tience, le Kremlin, qui a mis tout
son poids militaire au service du
régime de Bachar Al­Assad, sou­
haite qu’Ankara évacue ses postes
d’observation à Idlib.
L’intransigeance russe survient
au moment où la Turquie tente, en
coopération avec les Etats­Unis, de
mettre en place une « zone de sé­
curité » dans le nord­ouest de la Sy­
rie. La solidité du rapprochement
russo­turc, que l’on croyait ren­
forcé par l’acquisition récente par
Ankara des systèmes antimissiles
russes S­400, est en question. Mal­
gré le désir mutuel d’une alliance
forte, d’un nouvel attelage suscep­
tible de damer le pion aux Occi­
dentaux, aux Américains surtout,
MM. Erdogan et Poutine restent di­
visés sur l’essentiel, à savoir le sort
de Bachar Al­Assad, que Moscou
veut maintenir à la tête de la Syrie
et qu’Ankara veut voir partir. 
marie jégo
Postes d’observation
turcs
Forces en présence
au 24 août
Régime syrien
et ses alliés
Rebelles syriens,
dont islamistes
et djihadistes
Armée turque
et ses alliés
Forces démocratiques
syriennes
Source : Syria Liveuamap
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
La goélette « Tara »
remonte la piste
du microplastique
Après ses missions d’étude du plancton,
le voilier scientifique cherche à percer
les mystères de la « plastisphère »
REPORTAGE
port­saint­louis­du­rhône
(bouches­du­rhône)Nîmes
­
envoyée spéciale
R
incer abondamment,
visser l’embout du filet
manta qui collecte des
particules inférieures à
330 microns, le laisser dériver à la
surface de l’eau dix minutes ou
trente, selon que le prélèvement a
lieu dans un fleuve ou en mer.
Puis tapoter longuement pour
transférer le contenu dans un bi­
don. Le placer dans la glacière.
Sortir le filet manta 25 microns.
Avec celui­là, une minute suffit.
Rincer abondamment. Recom­
mencer avec constance.
L’exercice occupe plusieurs
heures par jour et se répète à dif­
férentes profondeurs, depuis que
Tara a quitté son port d’attache de
Lorient (Morbihan), le 27 mai. Des
scientifiques ont embarqué sur la
goélette pour une mission de plu­
sieurs mois, jusqu’à fin novem­
bre, sur les traces du microplasti­
que. La pollution marine prove­
nant massivement de la terre – re­
buts de pêche mis à part –, ils
pistent ses particules dans l’em­
bouchure de dix grands fleuves,
du nord au sud de l’Europe.
A bord, la « pissette » – un mo­
deste bidon de rinçage à l’eau soit
déminéralisée soit puisée sur
place afin d’éviter toute contami­
nation – passe de main en main.
« C’est la vie passionnante du
chercheur, dit en plaisantant
Jean­François Ghiglione, cher­
cheur (CNRS) au Laboratoire
d’océanographie microbienne de
Banyuls­sur­Mer (Pyrénées­
Orientales). Il prélève de l’eau
dans une fiole, change de fiole,
pose des étiquettes, les envoie au
laboratoire et là… paf ! Il a accès à
l’ADN, le cœur de la vie. »
Contamination insidieuse
Les opérations sont un peu plus
compliquées que cela. Un labora­
toire à l’intérieur du navire per­
met une première observation à
la loupe. Un autre est aménagé
sur le pont afin de préparer les fil­
trats qui permettront une analyse
métagénomique ultérieure de
l’ensemble des organismes pré­
sents dans l’échantillon.
Mais pourquoi donc s’intéres­
ser au « cœur de la vie » quand on
étudie la persistance des polysty­
rènes, polyéthylènes et autres po­
LE CONTEXTE
PÉRIPLE
Le voilier de la fondation Tara
Océan arrivera à Toulon, où il
sera amarré jusqu’au 30 août.
C’est l’une des dix-huit escales
programmées durant la Mission
microplastique 2019 à destina-
tion du public. Celui-ci aura la
possibilité de visiter la goélette
scientifique. Au programme :
une exposition itinérante sur les
relations entre la biodiversité
marine et les microplastiques,
une projection-débat autour
d’un film, Le Mystère plastique.
Ce périple de six mois doit con-
duire Tara des embouchures de
l’Elbe et du Rhin en Allemagne
jusqu’au Tibre en Italie, en pas-
sant par l’Espagne et le Portu-
gal. Sa prochaine étape est pré-
vue à Porto Cervo, en Sardaigne
(Italie), du 4 au 7 septembre.
Avignon
Arles
Port-Saint-Louis-
Rh
du-Rhône
ôn
e
Etang de Etang
Vaccarès de
Berre
CAMARGUE Fos-sur-Mer
Marseille
Mer Méditerranée
10 km
lyuréthanes dans l’environne­
ment aquatique ? « Ces milliards
de particules flottent dans l’océan
comme autant de minuscules ra­
deaux sur lesquels se fixent toutes
sortes de micro­organismes, de
bactéries, de microbes, de virus –
pathogènes ou non, répond l’éco­
toxicologue, spécialiste des pollu­
tions marines générées par les
humains. Pour ma part, j’observe
la vie qui se développe dans cette
“plastisphère”, cet écosystème spé­
cifique où se développent des espè­
ces rares, de cyanobactéries no­
tamment, différentes de celles qui
colonisent les planctons. »
Ce n’est pas la première fois que
l’équipe de la Fondation Tara
Océan s’attelle à la question du
plastique. Elle a déjà navigué au
milieu du vortex de déchets du
Pacifique à l’été 2018. Et puis,
qu’elle parte en expédition pour
étudier les planctons océaniques,
l’état de la Méditerranée ou des
coraux, elle finit toujours par le
trouver dans ses filets. Les photos
d’oiseaux et de tortues à l’esto­
mac farci de morceaux de sacs et
de bouchons de bouteille qui ont
fait le tour du monde attestent de
la gravité de cette pollution.
Mais c’est à un autre phéno­
mène insidieux, pour l’essentiel
invisible à l’œil nu, que se consa­
cre l’expédition actuelle : la con­
tamination aux microplastiques
(des fragments de moins de 5 mil­
limètres), et même aux nano­
plastiques, mesurant moins de
1 micron. Désormais, les scientifi­
ques en trouvent partout : sur les
hauteurs des Rocheuses, dans le
Colorado, dans le parc naturel ré­
gional des Pyrénées ariégeoises,
dans la banquise de l’Arctique, les
nappes souterraines… dans l’eau,
l’air, les sols. La conclusion s’im­
pose : nous en mangeons, bu­
vons, inhalons, sans être en me­
sure de les quantifier, ni connaî­
tre leurs effets sur la santé ou l’en­
vironnement.
Jeudi 22 août, réagissant à leur
présence dans les eaux de bois­
son, l’Organisation mondiale de
la santé a demandé davantage de
recherches sur les conséquences
sanitaires de cette pollution. L’or­
ganisme onusien a appelé les
Etats à réduire celle­ci, alors que la
production mondiale de plasti­
que dépasse les 300 millions de
tonnes par an et ne cesse d’aug­
menter. « Par endroits, on observe
autant de microplastiques que de
zooplancton, annonce Jean­Fran­
çois Ghiglione. Or ce sont de bons
hôtes, de vraies éponges à pol­
luants, issus des produits pétro­
liers notamment. »
Après une première escale dans
la Tamise – à première vue très
chargée en pollutions diverses en
aval de Londres –, puis dans les
embouchures de l’Elbe en Allema­
gne, du Rhin aux Pays­Bas, de la
Seine, la Loire, la Garonne, le na­
vire est resté amarré quelques
Jean­François
Ghiglione
et Anne­Leïla
Meistertzheim,
du CNRS,
prélèvent
et examinent
des déchets
plastiques
dans l’estuaire
du Rhône,
le 20 août.
SAMUEL BOLLENDORFF
POUR « LE MONDE »
jours à Port­Saint­Louis­du­Rhône
(Bouches­du­Rhône).
Mardi 20 août, une séquence
d’échantillonnage a lieu à 10 mil­
les marins au large de ce bout de
Camargue. La houle, le vent, le ciel
plombé de nuages et les hautes
cheminées industrielles de Fos­
sur­Mer hérissées à l’horizon : la
navigation n’évoque pas une croi­
sière de rêve en Méditerranée.
Le procédé est le même pour
chaque fleuve : un échantillon­
nage est effectué en mer, puis
trois autres à des distances préci­
ses, en remontant le cours d’eau
jusqu’en amont d’une ville im­
portante, Arles en l’occurrence.
Des moules laissées dans des
nasses pendant un mois de­
vraient révéler ce qu’elles peu­
vent ou pas filtrer. Pour complé­
ter, tous les déchets présents sur
les berges, dans des carrés de
50 cm déterminés selon un pro­
tocole imposé, sont ramassés,
classés et serviront à des compa­
raisons internationales.
Mercredi à 7 heures, sous le so­
leil, l’équipe a déjà franchi l’écluse
et avance sur le Rhône à bord de
deux bateaux à moteur semi­rigi­
des. Elle va être surprise. L’eau est
étonnamment claire et les pre­
mières observations effectuées
ne révéleront que deux frag­
ments de polymère, alors qu’il y
en avait bien plus dans l’échan­
tillon collecté en mer la veille.
Est­ce dû au mistral ? Aux cou­
rants ? De l’avis général, « il faut
interroger Xavier ».
« Par endroits,
on observe
autant de
microplastiques
que de
zooplancton »
JEAN-FRANÇOIS GHIGLIONE
Laboratoire d’océanographie
microbienne de Banyuls-sur-Mer
planète | 5
Xavier Durrieu de Madron est Autant d’additifs qui rendent en­ « Il y a une réelle prise de cons­
l’océanographe de l’équipe. Lors­ core plus complexe la tâche des cience et un tel engouement pour
qu’il ne donne pas un coup de scientifiques. travailler sur ce sujet que l’on de­
main aux manipulations des fi­ Mais Jean­François Ghiglione, vrait progresser, estime­t­il. A
lets manta ou ne change pas les qui a cofondé un collectif de condition, bien sûr, d’arrêter de
piles de l’instrument qui mesure 250 chercheurs, fait néanmoins crouler sous les déchets. » 
le débit d’eau pénétrant à l’inté­ preuve d’un certain optimisme. martine valo
rieur, entre autres tâches, ce cher­
cheur (CNRS) au Centre de forma­
tion et de recherche sur les envi­
ronnements méditerranéens
(Cefrem/université de Perpi­ Consoles extensibles Tables basses/hautes
gnan) est sur son ordinateur. Et
commente, infographies à l’ap­
pui, la complexité de la circula­
tion hydrodynamique et sédi­
mentaire dans l’océan mondial.
Les résultats des travaux menés
sur Tara devraient permettre de
progresser dans la connaissance
des flux des microplastiques, et
aider, à terme, à modéliser leur
dissémination.
« Prise de conscience »
Il est aussi un expert du Tucker,
un outil capable d’effectuer des
prélèvements dans la colonne
d’eau à une profondeur détermi­
née. Une grande partie des frag­
OFFRES
ments flottent à la surface. Mais
EXCEPTION
est­ce qu’il pourrait y avoir, dix
ou quinze mètres plus bas, des
particules alourdies par des orga­ NELLES
nismes marins, donc plus an­ Mobilier
ciennes ? Ou bien coulent­elles
directement au fond ? Les scien­
tifiques ne retrouvent pas en Dans le plus grand
gain de place :
mer les énormes quantités ob­
servées dans les fleuves. Où se
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trouve le microplastique man­
quant ? Dégradé par des bacté­
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ries ? Dans les appareils digestifs
des poissons ?
basses/hautes. tour de table !
Beaucoup de questions demeu­
rent sans réponse. On ne sait pas, ©
par exemple, dater les polymères
qui servent de matrice à la ma­
tière plastique. Une matière ef­
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 FRANCE
6|
Jacques Chirac, le 7 novembre 2009, à Brive­la­Gaillarde (Corrèze). JEAN-PIERRE MULLER/AFP
Quand l’Elysée fait vendre du papier
Des « Mémoires » de De Gaulle aux « Passions » de Sarkozy, les récits des présidents sont tous des succès de librairie
L
orsque Nicolas Sarkozy
s’est rendu en Corse, le
13 août, pour une séance
de dédicaces, « les gens ont
fait trois heures de queue sous le
cagnard, témoigne son éditrice,
Muriel Beyer. On ne voit pas cela
tous les jours. Et il a fait huit cents
signatures en trois heures… » Les
Editions de l’Observatoire avan­
cent le chiffre de 230 000 exem­
plaires facturés aux librairies de­
puis la sortie de Passions, fin juin.
« Un énorme succès de librairie », se
félicite Mme Beyer.
L’ancien président (2007­2012),
qui signera son livre dans une li­
brairie de Nice le 26 août, est un
habitué des succès éditoriaux. La
France pour la vie (Plon, 2016) avait
déjà réalisé une belle performance
(190 000 exemplaires). « Nicolas
Sarkozy, poursuit Mme Beyer, a
toujours suscité la curiosité. Et avec
lui, on est toujours dans l’excès,
qu’on l’aime ou qu’on le déteste. Il a
un côté rockstar de la politique. »
Quoique empêtré dans plu­
sieurs procédures judiciaires, Ni­
colas Sarkozy semble avoir « mis
à distance les aspects les plus polé­
miques de la fin de son mandat,
considère Bruno Cautrès, chargé
de recherche CNRS, et il retrouve
une partie de son crédit des an­
nées 2006­2008 ». Pour un électo­
rat déboussolé par la déconfiture
du parti Les Républicains (LR),
l’ancien chef de l’Etat symbolise
une époque dorée de la droite.
Cependant, le phénomène dé­
passe la personnalité de Nicolas
Sarkozy. François Hollande a lui
aussi connu un succès éditorial
avec Les Leçons du pouvoir (Stock,
2018). Selon son éditeur, « autour
de 200 000 exemplaires » se sont
écoulés. Son entourage affirme
qu’il a tenu des séances de dédica­
ces dans plus de 120 villes. Certai­
nes ont duré « plus de neuf heu­
res », comme à Plérin, à côté de
Saint­Brieuc, en mai 2018, « où près
de mille personnes sont venues à sa
rencontre. Le président est reparti à
2 heures du matin ». « C’était
énorme, se félicite Sylvie Delassus,
directrice éditoriale chez Stock. Je
n’avais jamais vu ça. » Les Mémoi­
res de Jacques Chirac, publiés en
deux tomes chez NiL Editions
en 2009 et 2011, ont atteint
500 000 exemplaires au total. Et
que dire du général de Gaulle, dont
les Mémoires d’espoir (Plon, 1970)
ont eux aussi constitué un vrai
phénomène de librairie.
« Culte du chef »
« Il s’agit d’un phénomène structu­
rel lié à la Ve République et au talent
littéraire de son fondateur, dé­
crypte Bruno Cautrès. L’ombre de
Charles de Gaulle porte toujours, et
l’idée s’est installée qu’écrire un livre
fait partie des attributs de la fonc­
tion présidentielle. » De fait, Geor­
ges Pompidou a écrit une Antholo­
gie de la poésie française (Ha­
chette, 1961) qui a fait date.
Valéry Giscard d’Estaing, mem­
bre de l’Académie française depuis
2003, a publié quatorze ouvrages,
essais et romans. François Mit­
terrand, qui en a une vingtaine à
son actif, a exercé une sorte de
« pouvoir littéraire », indique le
chercheur du Centre de recher­
ches de Sciences Po (Cevipof) en
Un livre n’a
jamais constitué
un marchepied
suffisamment
haut pour
permettre à son
auteur de revenir
rappelant que le président socia­
liste tenait les Essais de Montaigne
sur sa photo officielle. Quant à
Emmanuel Macron, il a placé sur la
sienne Les Nourritures terrestres
de Gide, Le Rouge et le Noir de
Stendhal et… Les Mémoires de
guerre du général de Gaulle.
C’est que nous sommes là au
cœur de la culture française.
D’abord parce que politique et lit­
térature entretiennent des liens
anciens. « Que beaucoup de nos
grands écrivains aient aussi été des
politiques n’est pas innocent », note
Muriel Beyer : Montaigne, Cha­
teaubriand, Hugo, Malraux, etc.
Pour un ancien président, analyse
Bruno Cautrès, « écrire un livre a
une forte portée symbolique. Cela
lui permet d’essayer de prendre
place dans un récit historique ».
Ensuite, « la France est une Répu­
blique qui ne cesse d’avoir, en creux,
une image de monarchie », rap­
pelle l’historien Jean­Yves Mollier.
Pour le professeur à l’université de
Versailles­Saint­Quentin­en­Yve­
lines, « le culte du chef, même s’il
n’est plus le roi thaumaturge de
Marc Bloch », demeure vivace… De
fait, que vient­on chercher quand
on fait la queue pendant trois heu­
res pour obtenir la dédicace d’un
ancien président ? « Une relique ?,
s’interroge M. Mollier. Il y a un lien
symbolique très profond. » C’est ce
que Bruno Cautrès appelle « s’ap­
proprier une partie de la dimension
sacrée du pouvoir ».
Sous l’Ancien Régime, les mo­
narques avaient leurs historiogra­
phes. Ils n’avaient pas besoin
d’écrire. Les choses changent avec
Napoléon Ier, qui laisse de vrais
Mémoires. L’empereur déchu
veut laisser de lui une image posi­
tive. De Gaulle publie ses Mémoi­
res de guerre à partir de 1954 et
prépare un éventuel retour. Le­
quel se produira en 1958 à la fa­
Nicolas Sarkozy, à Paris, le 28 juin. PHILIPPE LOPEZ/AFP
François Hollande, le 14 avril 2018, dans une librairie de Tulle. GEORGES GOBET/AFP
veur de la guerre d’Algérie. Ses Mé­
moires d’espoir seront publiés
en 1970, après l’interruption anti­
cipée de son second septennat.
« Tous ceux qui suivent et qui utili­
sent leur journal comme élément
de stratégie joueront la même par­
tition », explique M. Mollier.
Perspective napoléonienne
Mitterrand et Chirac, âgés et ma­
lades au moment de quitter l’Ely­
sée, se sont plutôt placés dans
une perspective napoléonienne.
Même si le second n’était guère
tenté par l’idée de rédiger des Mé­
moires, raconte celui qui l’aidera
finalement à le faire, Jean­Luc
Barré. « Jacques Chirac est un
homme qui n’a pas d’ego, précise
l’historien et éditeur. Indifférent à
lui­même, il ne cherchait pas à im­
poser une image ou à laisser une
trace dans l’histoire. » Mais il finit
cependant par se décider.
« Vous savez, je ne veux dire du
mal de personne », dit d’emblée
l’ancien président à sa « plume ».
Mais, début 2009, alors qu’il pré­
sente ses vœux aux élus de Paris,
celui qui est devenu chef de l’Etat,
Nicolas Sarkozy, revient sur la criti­
que qui lui est faite à cette époque,
celle d’être un « omniprésident ».
« Je préfère plutôt qu’on dise ça plu­
tôt que roi fainéant. On en a
connu », lance­t­il dans un sourire
lourd de sous­entendus. Lorsque
le mot est rapporté à Jacques Chi­
rac, celui­ci se montre incrédule.
« Ce doit être Giscard qui est visé »,
lâche­t­il. Mais lorsqu’il comprend
que c’est bien son action qui est ci­
blée par son fougueux successeur,
« il s’est raidi », raconte M. Barré.
Quelques mois plus tard, Giscard
d’Estaing lui attribue des liens fi­
nanciers avec le président gabo­
nais Omar Bongo. Dès lors, Jacques
Chirac se résout à tirer quelques
cartouches. Lui qui n’avait jamais
« La France est
une République
qui ne cesse
d’avoir, en creux,
une image
monarchique »
JEAN-YVES MOLLIER
historien
dénigré son prédécesseur, Fran­
çois Mitterrand, « avait du mal à
comprendre qu’on l’attaquait, se
souvient M. Barré. Il s’est donc livré.
Mais Chirac n’est pas un homme de
règlement de comptes. Ce n’est
donc pas l’objet de ses livres. Ce qu’il
a d’abord voulu, c’est être dans la
vérité » et « expliquer son action ».
Le cas de Nicolas Sarkozy et de
François Hollande est différent de
celui de Jacques Chirac. Ils s’inscri­
vent dans une logique aussi bien
napoléonienne que gaullienne.
« L’intérêt des Mémoires, confie
François Hollande au Monde, c’est
qu’ils permettent d’ouvrir les por­
tes, de faire pénétrer le citoyen dans
les lieux du pouvoir. Il y a en outre
une part d’explication, de justifica­
tion, qui tient à l’obligation de tout
chef d’Etat de rendre compte de ce
qu’il a pu faire. Et c’est d’autant plus
vrai pour moi qui n’ai pas été candi­
dat à un nouveau mandat. C’est
une démarche saine sur le plan dé­
mocratique. Les lecteurs veulent
comprendre comment se prennent
les décisions, et les sentiments qu’a
pu éprouver celui ou celle qui a agi
en leur nom, dans des circonstan­
ces parfois dramatiques. »
Encore jeunes au moment où ils
terminent leur seul et unique
mandat, ils peuvent rêver d’un re­
tour. « Tous deux ont été aimés,
puis détestés, rappelle M. Mollier.
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
Ils utilisent leurs Mémoires pour
gommer les impuretés de leur
image et ils caressent aussi l’idée
qu’un jour, peut­être, ils pourraient
être un recours. Même si Nicolas
Sarkozy fait semblant du contraire,
ce qui est sans doute la meilleure fa­
çon de faire. » Et même si François
Hollande se défend mollement d’y
penser. « Ce n’est pas ce que j’avais à
l’esprit quand je l’ai écrit et pré­
senté », assure l’ex­président socia­
liste, en ajoutant : « Après, c’est à la
vie politique de faire ses choix. Mais
il faut aussi être lucide, et c’est peut­
être ce qui a pu créer chez Nicolas
Sarkozy une sorte d’illusion. Une
affection ou une sympathie ne fait
pas nécessairement une élection. »
De fait, un livre n’a jamais consti­
tué un marchepied suffisamment
élevé pour hisser, de nouveau, son
auteur à l’Elysée. « Pour le militant,
cela peut être l’occasion de raviver
la flamme, admet Bruno Cautrès.
Au­delà, je ne pense pas. Un lecteur
ne fait pas forcément un électeur.
En 2016, les sarkozystes avaient
communiqué sur “l’effet blast” que
devait provoquer Tout pour la
France. Le livre eut un certain suc­
cès », mais Sarkozy a été battu à la
primaire de la droite.
Oui, « il faut être lucide », recon­
naît M. Hollande. L’histoire con­
duit à la mesure. « Le livre n’est plus
l’arme politique qu’il fut à l’époque
où Voltaire défendait Callas, rap­
pelle M. Mollier. Cela a changé
avec l’affaire Dreyfus. Pour lancer
son J’accuse, Zola choisit la presse,
pas le livre. Cela lui permet d’attein­
dre 300 000 exemplaires, contre
45 000 s’il avait opté pour une bro­
chure. » Finalement, ce sont en­
core les historiens qui tirent l’inté­
rêt le plus grand de cette littéra­
ture. Car à défaut de préparer
l’avenir, elle permet au moins
d’éclairer le passé. 
benoît floc’h
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
A La France insoumise, en attendant Mélenchon...
En convalescence, le mouvement organise son université d’été à Toulouse, en l’absence de son leader
toulouse ­ envoyé spécial
C’
est une tâche ardue
qui attend La France
insoumise (LFI) :
mettre en œuvre un
« mélenchonisme » sans Jean­Luc
Mélenchon. Trois mois après des
élections européennes où la liste
de LFI a recueilli le score calami­
teux de 6,3 %, la formation est en
convalescence. Affaiblie électora­
lement, LFI a aussi vécu une crise
interne qui a vu partir plusieurs
figures de cette mouvance. Il est
donc temps pour eux de relever la
tête. Avec ses 250 intervenants et
130 ateliers, LFI veut montrer sa
bonne santé à travers son univer­
sité d’été (les « Amfis ») qui se réu­
nit à Toulouse du 22 au 25 août et
où 3 000 militants sont attendus.
Bien qu’absent de la Ville rose,
l’ancien candidat à l’élection pré­
sidentielle était dans toutes les tê­
tes. « Quelqu’un nous manque, re­
tenu à l’étranger, c’est Jean­Luc Mé­
lenchon. Malgré son absence phy­
sique, il est dans son rôle : la mise à
jour de la doctrine. Il est à la tâche
pour le mouvement et il nous re­
présente plus que dignement [en
Amérique latine]. Pas besoin de
son omniprésence pour que les
choses fonctionnent », a expliqué
Adrien Quatennens, le nouvel
homme fort de LFI, lors d’une con­
férence de presse.
« Fédération populaire »
M. Mélenchon a, en effet, entamé
une longue tournée sud­améri­
caine en juillet. Il est d’abord allé
au Mexique, puis se rendra en Ar­
gentine recevoir un diplôme de
doctor honoris causa, avant d’al­
ler visiter en prison l’ex­président
brésilien Lula. Ce dernier purge
une peine pour « corruption pas­
sive et blanchiment d’argent ». Une
condamnation que conteste une
grande partie de la gauche inter­
Les socialistes divisés sur le futur du parti
Le PS, qui a perdu sa position centrale, esquisse un virage écologiste qui ne fait pas l’unanimité
la rochelle ­ envoyée spéciale
C e fut soudain comme une
étincelle embrasant la
plaine. La petite phrase lâ­
chée par Raphaël Glucksmann,
jeudi 22 août sur France Inter, es­
timant que « Les Verts, le PS, dans
leur forme actuelle, sont tous ap­
pelés à mourir », a provoqué l’ire
de certains cadres socialistes.
Aussitôt l’émission terminée,
Valérie Rabault, présidente du
groupe socialiste à l’Assemblée na­
tionale twittait : « Je ne suis pas
d’accord. » Rachid Temal, sénateur
du Val­d’Oise, lui a emboîté le pas
sur le réseau social d’un lapidaire
« pas d’accord ». Et à La Rochelle,
où s’ouvrait jeudi soir l’université
d’été du parti, les opposants au
premier secrétaire du Parti socia­
liste Olivier Faure ont immédiate­
ment donné de la voix.
Le député européen ne faisait
que reprendre ce qu’il dit depuis
des mois et que la direction socia­
liste répète de son côté avec ses
mots. « Nous avons la conviction
que nous devons nous dépasser. Il
ne faut pas craindre l’effacement »,
avait de son côté déclaré le député
des Landes Boris Vallaud, chargé
du projet socialiste, dans un en­
tretien au Monde du 21 août. Oli­
vier Faure assume : « La forme
partisane telle qu’elle a été organi­
sée pendant un siècle a vécu. Il ne
s’agit pas d’un saut dans le vide
mais d’une réflexion indispensa­
ble, et les militants le savent. »
Il n’empêche, l’occasion pour les
opposants au premier secrétaire
était trop belle pour la laisser pas­
ser. Cela faisait des mois qu’ils
La députée
européenne
Manon Aubry
et Adrien
Quatennens,
député LFI et
coordinateur
du mouvement,
à Toulouse
le 23 août.
PATRICK BATARD/ABACA
nationale, dont M. Mélenchon, es­
timant que l’ancien chef d’Etat su­
bit une condamnation politique.
En attendant le retour en France
du leader de LFI, ses camarades
restés à Paris doivent faire sans
lui. Pas un problème pour
M. Quatennens. Le député du
Nord et coordinateur du mouve­
ment assure que la répartition
des rôles se fera naturellement
avec M. Mélenchon : « Il jouera
son rôle de président de groupe
plus à distance des affaires cou­
rantes, dont je suis en charge, pour
montrer que La France insoumise
sait fonctionner sans lui. »
rongeaient leur frein et pestaient
contre le choix de leur parti de se
ranger derrière le fondateur de
Place publique, Raphaël Glucks­
mann. Le virage écologiste, tout
comme les affirmations que le PS
devait accepter de n’être plus le
parti pivot à gauche, les avaient
heurtés.
La prise de position de l’essayiste
à la veille de l’université de La Ro­
chelle a ouvert les vannes. « Le PS
est un parti de gouvernement, il ne
doit pas s’effacer. Il faut au con­
traire qu’il redevienne un parti do­
minant », a ainsi lancé le maire de
Dijon François Rebsamen, en clô­
ture du séminaire de la Fédération
nationale des élus socialistes et ré­
publicains qu’il dirige.
Opposition rampante
Stéphane Le Foll est lui aussi
monté au créneau : « Cette his­
toire de dépassement sans débat
politique dans le parti ne peut pas
continuer », s’est énervé le maire
du Mans. « Moi, je crois au PS,
mais il faut savoir ce que nous
sommes, pas nous dépasser », a
renchéri Rachid Temal. Mais der­
rière cet énervement point un
autre débat, moins aisé à assu­
mer pour certains : une opposi­
tion rampante au virage écolo­
giste amorcé par la direction du
PS au moment des élections
européennes.
Sous l’impulsion de Raphaël
Glucksmann, la direction du parti
a opéré un début d’aggiorna­
mento et remis en cause le mo­
dèle productiviste sur lequel la so­
cial­démocratie avait bâti son
idéal de progrès social. Les der­
Pour l’heure, pas question de
changer la stratégie populiste du
mouvement ni son fil rouge : la
défense de la souveraineté popu­
laire. « A l’heure où le gouverne­
ment se place en unique recours
face à l’extrême droite alors qu’il l’a
fait prospérer, nous devons faire vi­
vre une autre alternative : l’oligar­
chie ou le peuple. Sur cela, il n’y a
pas d’opposition dans nos rangs
parce que c’est un des fils conduc­
teurs de nos campagnes, comme
l’exigence de passer à une VIe Ré­
publique », déclarait mercredi
21 août Alexis Corbière dans un
entretien au Monde.
« On ne peut
pas avoir et
le productivisme
et l’écologie »
RAPHAËL GLUCKSMANN
député européen
niers rapports du GIEC et les mar­
ches pour le climat ont montré
l’urgence à agir pour lutter contre
le réchauffement planétaire et
préserver les ressources naturel­
les. Les dirigeants socialistes ont
adopté un nouveau slogan, celui
du « mariage de la justice environ­
nementale et de la justice sociale »,
et les militants ont suivi. Mais il
n’y a pas eu de débat interne pour
définir ce qu’est l’écologisme
dont le PS se targue.
Europe Ecologie­Les Verts mi­
lite en faveur d’une « société de
sobriété », comme l’a définie leur
secrétaire national, David Cor­
mand, jeudi dans nos colonnes.
Raphaël Glucksmann n’en est
pas loin : « Il y a des sacrifices qu’il
faudra faire du côté de ceux qui
consomment le plus, pas du côté
des classes populaires. On ne peut
pas avoir et le productivisme et
l’écologie. »
« Il faudra se poser des questions
sur le bilan carbone de nos week­
ends quand on prend l’avion et re­
mettre en cause des projets,
comme le Lyon­Turin ou Europa­
city », admet Olivier Faure, qui se
dit plus prudemment partisan
d’une « écologie humaniste » sans
plus la définir. Le diagnostic est
Un avis partagé par M. Quaten­
nens. « Le mot “populisme” est en
fait mal utilisé dans la bouche des
commentateurs politiques. Sou­
vent, ils l’emploient par erreur ou
par manipulation, en lieu et place
du mot “démagogie”. S’il s’agit de
coller aux aspirations populaires,
de considérer en républicains que le
peuple est seul souverain et que no­
tre tâche est de lui rendre les clés
d’un pouvoir dont il est écarté, alors
oui, nous sommes populistes », a­
t­il ainsi martelé dans un long en­
tretien accordé à Mediapart.
En déroulant ce fil rouge, donc,
il s’agit, pour les « insoumis » de
partagé par plusieurs maires et
des élus locaux, comme Carole
Delgas, présidente de la région
Occitanie : « On ne peut plus con­
sommer l’énergie et les ressources
naturelles comme on le fait. Il faut
qu’on soit tous verts et construire à
gauche un nouveau modèle de dé­
veloppement respectueux de l’en­
vironnement. »
« Les dix ans qui viennent »
Mais les opposants internes au
premier secrétaire ne veulent pas
d’un virage qui remettrait en
cause l’identité profonde des so­
cialistes qui, en bons keynésiens,
ne sont pas près de lâcher leur
idéal de croissance. Stéphane Le
Foll met ainsi en avant sa « social­
écologie » : « Je ne suis pas pour la
sobriété mais pour une croissance
sûre qui porte le progrès. Ce n’est
pas l’écologie comportementale
individuelle en ne prenant plus
l’avion ou en ne mangeant plus de
viande qui va régler la question du
réchauffement, mais des investis­
sements dans l’efficacité énergéti­
que », assène l’ancien ministre de
l’agriculture.
« Le problème des gens, ce n’est
pas de ne pas pouvoir aller à Bar­
celone mais de payer leur loyer.
Moi, je crois aux combats contre
l’inégalité », renchérit Rachid Te­
mal, qui réclame un congrès
après les municipales : « Il faut
trancher une stratégie pour les dix
ans qui viennent. » Pas sûr que les
militants soient prêts à de nou­
velles divisions juste avant les
élections départementales et ré­
gionales, cruciales pour le PS. 
sylvia zappi
mettre en œuvre la « fédération
populaire » qu’ils appellent de
leurs vœux. Il ne s’agit en aucun
cas d’une « union de la gauche »
ancienne manière. L’idée est de
fédérer les revendications politi­
ques, syndicales et associatives
sous un label commun, que cela
soit pour des élections ou dans les
mouvements sociaux et les ac­
tions quotidiennes. Et ainsi pro­
poser un contre­projet de société
qui soit global, embrassant tous
les domaines.
L’occasion pour cela sera la cam­
pagne pour le recueil des signatu­
res contre la privatisation d’Aéro­
IMMIG RATIO N
La France devrait
accueillir 150 rescapés
Après plus de dix jours d’at­
tente, un accord européen de
répartition a permis, ven­
dredi 23 août, le débarque­
ment à Malte des 356 person­
nes secourues à bord de
L’ÉPOPÉE CATHARE
UN HORS-SÉRIE DE 240 PAGES - 14,50 €
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
france | 7
ports de Paris (ADP). LFI jette tou­
tes ses forces dans la bataille : tout
l’été ses militants ont fait campa­
gne pour collecter le plus de para­
phes possible. Une action est
d’ailleurs prévue dans ce sens en
marge des « Amfis ».
Entente cordiale
Les municipales devront servir de
laboratoire pour la « fédération po­
pulaire ». LFI soutient des « listes ci­
toyennes », loin de « la soupe de lo­
gos » à gauche. « Il faut aborder
cette échéance comme l’occasion
de mettre en actes la fédération po­
pulaire, confirme M. Quatennens.
On veut dire aux Français : “Mêlez­
vous des affaires de votre com­
mune.” Partout où il y a cette dyna­
mique, on proposera aux autres de
s’y joindre. » Ainsi, plusieurs gestes
ont eu lieu en direction d’Europe
Ecologie­Les Verts (EELV) qui orga­
nise aussi ses Journées d’été à Tou­
louse, le même week­end. Jeudi,
une délégation de LFI dont
M. Quatennens, est venu à un pot
organisé par EELV où se trouvaient
des représentants de partis de gau­
che, comme Guillaume Balas pour
Génération.s ou Raphaël Glucks­
mann, pour Place publique. Le se­
crétaire national des Verts, David
Cormand, était, lui, invité vendredi
à débattre sur l’écologie avec Fran­
çois Ruffin. Ce dernier est allé en­
suite à un atelier organisé… chez
les Verts, sur le même sujet. L’en­
tente a rarement été aussi cordiale.
LFI ne tarit pas d’éloges sur M. Cor­
mand, qui va quitter ses fonctions
en novembre : « Ses propos sur l’in­
compatibilité de l’écologie et du ca­
pitalisme sont beaucoup plus lim­
pides, plus clairs, que ceux de Yan­
nick Jadot », dit M. Quatennens.
Comme si ce n’était plus l’heure de
la guerre froide avec le reste de la
gauche et que le temps de la dé­
tente était arrivé. 
abel mestre
l’Ocean Viking, au grand sou­
lagement des ONG, qui com­
mençaient à manquer de vi­
vres. « La France maintient sa
solidarité : 150 seront accueillis
dans les prochains jours sur
notre territoire », a précisé le
ministre de l’intérieur, Chris­
tophe Castaner. – (AFP.)
NOUVEAU
 0123
8 | france DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019

Trottinettes
électriques : en
attendant les règles
Le décret annoncé est prévu pour
« septembre ». Les incidents sont légion

A
ux alentours du Troca­ tion « chaotique » : « Les opérateurs
déro, à Paris, les touris­ de trottinettes utilisent Paris
tes profitent en ce comme un terrain de jeu. La fré­
mois d’août de la cir­ quentation touristique est un mar­
culation estivale plus fluide pour ché intéressant. » Plusieurs mil­
arpenter la capitale à trottinette. liers d’engins circulent aussi dans
Pistes cyclables, trottoirs ou d’autres villes comme Lyon ou
chaussées, tous les terrains sont Toulouse. « Rapide », « pratique »,
bons pour s’encanailler. On peut « écologique », les avantages van­
voir des couples enlacés, ou tés par les opérateurs sont nom­
même trois amis sur un même breux… tout comme les incidents.
engin, en équilibre souvent pré­ Au­delà de l’insécurité ressentie
caire, prêts à s’arrêter pour pren­ par les piétons, aucun chiffre offi­
dre un « selfie ». ciel – et récent – ne permet cepen­ A Paris, le 30 juillet. Il est désormais interdit de circuler ou de stationner sur les trottoirs de la capitale. JOEL SAGET/AFP
Depuis qu’elles sont apparues dant de donner une idée précise
sur les trottoirs, en masse à par­ des accidents et incidents, pour
tir de juin 2018, ces trottinettes nourrir le débat entre « pro » et risé ». Une personne aurait perdu devant eux, face au guidon. « Les deux affaires sont devenues les tées à 50 km/h, interdiction aux
ont fait couler beaucoup de sa­ « anti ». En 2017, alors que l’usage la vie en trottinette électrique, petits arrivent avec des incisives emblèmes de ceux qui exigent enfants de moins de 12 ans, limita­
live et d’encre. Les engins dispo­ des trottinettes était embryon­ cette année­là. Mais le nombre de cassées qu’on est obligé de rempla­ plus de régulation. tion de vitesse à 20 km/h… Cer­
nibles en libre­service (en « free naire, la Sécurité routière faisait blessés n’est pas encore connu. cer. A 12 ans ils se retrouvent avec Au­delà des incidents, c’est l’im­ tains utilisateurs contestent, déjà,
floating ») par Internet, accessi­ état de cinq morts et de 277 blessés Il faut donc faire, faute de mieux, des couronnes qu’ils devront chan­ pression d’incivilité qui s’enracine, ce dernier point : « On doit pouvoir
bles en quelques clics sur les ap­ en France pour tous les « engins de avec les cas publics et les décomp­ ger tout au long de leur vie », pour­ alors que le partage de l’espace pu­ rouler à la même vitesse que les
plications d’une dizaine d’opéra­ déplacement personnels motori­ tes artisanaux des professionnels. suit M. Migault. blic entre les différentes person­ autres véhicules, sinon ils ont ten­
teurs, fédèrent à peu près contre sés et non motorisés ». Une nou­ A l’hôpital Saint­Antoine, dans le Jean­René Albertin, président de nes (piétons, voitures, motos, dance à s’impatienter et c’est là que
eux tous ceux qui ne les utilisent velle catégorie comptabilise, de­ 12e arrondissement de Paris, le ser­ l’Association philanthropique scooters, vélo, trottinettes, etc.) est les comportements à risque se mul­
pas, se retrouvant accusés de puis le 1er janvier 2018, le nombre vice de chirurgie orthopédique du d’action contre l’anarchie urbaine plus que jamais un enjeu. Ainsi, à tiplient », assure Thierry Leriche,
nombreux maux : stationne­ de blessés et de morts en « engin professeur Alain Sautet « opère vecteur d’incivilité, qui fait cam­ Levallois­Perret (Hauts­de­Seine), propriétaire d’une trottinette élec­
ment anarchique, danger pour de déplacement personnel moto­ chaque semaine deux ou trois per­ pagne contre les trottinettes, évo­ Emmanuelle Schaedelle Giroire trique depuis un an.
les piétons… sonnes » victimes d’accidents. Sur­ que de son côté « 200 accidents par raconte une scène que d’autres ont Autre souci récurrent, le flou ju­
tout des utilisateurs. Mais seule­ semaine en région parisienne ». Sa vécue. « Un camion s’est arrêté ridique qui entoure les trottinettes
Impression d’incivilité ment 20 % des patients consultant femme, renversée par un engin en pour me laisser passer mais la trot­ complique les indemnisations, en
Un décret censé encadrer l’usage
A Saint-Antoine, pour ce type d’accidents finissent mai, se remet d’une double frac­ tinette s’est faufilée entre lui et un cas d’accident. « Impossible d’avoir
de ces moyens de transport, pro­ à Paris, le service dans son service. ture du bras droit. Cette pianiste véhicule garé contre le trottoir », se une réponse claire. Les assureurs ne
mis depuis plusieurs mois par le « Beaucoup arrivent avec des des petits rats de l’Opéra affirme souvient la jeune femme, qui savent pas comment procéder », as­
gouvernement, est désormais an­
de chirurgie blessures légères qui sont traitées ne pas savoir si elle retrouvera un avançait avec une poussette. Elle a sure Elodie Saux, l’une des victi­
noncé « en septembre ». En atten­ orthopédique directement aux urgences », pour­ jour toutes ses capacités. L’épouse réussi à éviter la collision. mes. Les entreprises de location
dant, le sujet reste sur la table des suit le médecin. « 40 % des blessu­ du vice­président de l’association, ont chacune leurs pratiques. Bolt
maires concernés, avant les muni­
« opère chaque res sont des traumatismes de la Arnaud Kielbasa, a elle aussi été Amende de 35 euros prend ainsi en charge les blessures
cipales de mars 2020. Emmanuel semaine deux face », ajoute Olivier Migault, percutée alors qu’elle portait leur Des faits divers beaucoup plus gra­ de ses usagers mais pas celles cau­
Grégoire, premier adjoint à Paris, membre de la fédération fran­ nourrisson. Le bébé a dû rester ves ont été répertoriés depuis le sées à des tiers, contrairement, par
où circulent 20 000 trottinettes,
ou trois victimes çaise d’orthodontie. Des parents plusieurs jours en observation début de l’année. Le 11 juin, à Paris, exemple, à l’application Uber.
selon la ville, évoque une situa­ d’accidents » font parfois monter leurs enfants pour un traumatisme crânien. Ces un homme de 25 ans est mort La reconnaissance des trottinet­
dans un choc avec une camion­ tes électriques dans le code de la
nette. En août, le conducteur d’une route devrait faciliter ces démar­
« Les policiers n’ont pas de bases solides pour verbaliser » trottinette a percuté une moto sur
une autoroute, où il n’avait pas le
ches. « Les véhicules seront soumis
à l’obligation d’assurance respon­
droit de rouler, dans les Yvelines. sabilité civile par son propriétaire.
dans les rues de sèvres (Hauts­de­ Présentée en conseil des ministres le ronnementales. Elle aura également la pos­ Certains engins privés sont très C’est­à­dire le particulier qui pos­
Seine), les trottoirs sont vides. Pas une seule 26 novembre 2018, la loi d’orientation des sibilité d’interdire tout bonnement, avec un puissants et permettent d’attein­ sède sa propre trottinette ou l’en­
trottinette électrique n’y est garée. Les huit mobilités (LOM) doit créer ce cadre juri­ fondement légal solide, la présence de ces dre les 90 km/h, encourageant treprise qui la met en location »,
villes de la communauté d’agglomération dique permettant aux mairies d’établir des opérateurs sur son territoire. Mais pendant toutes les imprudences. explique Aymeric Chassaing, con­
de Grand Paris Seine Ouest (GPSO) ont dé­ règles et de récupérer leur autorité sur l’es­ ce temps, la colère monte chez les victimes, Annoncé en mai par les ministè­ seiller de la ministre des trans­
cidé d’interdire l’accès de leur ville aux en­ pace public. Mais avec la crise des « gilets qui reprochent leur laxisme aux mairies. res de l’intérieur et des transports, ports, Elisabeth Borne.
treprises de « free floating ». Depuis la fin jaunes », la réforme, qui doit également ré­ « Les trottinettes électriques sont devenues le décret doit intégrer au code de la Autre point soulevé par les oppo­
du mois de juin, les opérateurs comme pondre aux exigences écologiques tout en une nouvelle arme anti­Hidalgo. Mais le pro­ route les trottinettes électriques, sants aux trottinettes : l’identifica­
Lime ou Uber ont donc déserté Boulogne­ réduisant la fracture territoriale, a pris blème est ailleurs. Ce phénomène ne fait que mais aussi des gyropodes, mono­ tion. « Ces véhicules en libre­service
Billancourt, Chaville, Issy­les­Moulinaux, énormément de retard. Le texte doit arri­ ressortir la faiblesse des pouvoirs octroyés roues et autres hoverboards, avec doivent être identifiés plus facile­
Marnes­la­Coquette, Meudon, Sèvres, Van­ ver en deuxième lecture à l’Assemblée na­ aux collectivités territoriales en France », es­ une nouvelle catégorie de véhicu­ ment pour pouvoir verbaliser les
ves et Ville­d’Avray. Sans aller jusque­là, plu­ tionale début septembre. time Emmanuel Grégoire. A l’heure ac­ les qui correspond à celle en vi­ utilisateurs. Pourquoi ne pas les im­
sieurs mesures ont également été prises La loi prévoit notamment l’instauration tuelle, deux plaintes ont déjà été déposées gueur dans les statistiques : les matriculer ? », interroge Arnaud
par la maire de Paris, Anne Hidalgo. Dès d’une autorisation préalable de la mairie contre la mairie par les fondateurs de l’asso­ « engins de déplacement person­ Kielbasa. Lors d’accidents, des con­
janvier 2019 a été décidée l’interdiction de avant tout déploiement des entreprises de ciation Apacauvi, Jean­René Albertin et Ar­ nels motorisés ». Tout utilisateur ducteurs de trottinettes prennent
circuler ou de stationner sur les trottoirs, la location de trottinettes dans sa commune naud Kielbasa, pour les accidents qu’ont ne respectant pas les règles de cir­ la fuite. « Les loueurs ne deman­
limitation de vitesse à 20 km/h et une rede­ ainsi que le versement d’une redevance connus leurs femmes respectives. Ils disent culation devra s’acquitter d’une dent même pas de carte d’identité,
vance de 50 à 65 euros par trottinette mise d’occupation du domaine public. Au mo­ également préparer une action groupée amende de 35 euros. Des mesures n’importe qui peut s’inscrire »,
en service. « Les policiers n’ont pas de bases ment de la signature de cet accord, la mairie avec une quarantaine de victimes pour spécifiques s’ajoutent : interdic­ pointe le vice­président de l’asso­
solides pour verbaliser les usagers », précise pourra établir plusieurs règles, comme l’éta­ « mise en danger de la vie d’autrui » et tion de monter à plusieurs, obliga­ ciation. Des critiques qui peuvent
cependant Emmanuel Grégoire, premier blissement d’une zone spécifique de sta­ « non­assistance à personne en danger ».  tion de rouler sur les pistes cycla­ aussi bien s’adresser aux vélos. 
adjoint à la mairie de Paris. tionnement ou le respect de normes envi­ c. gi. bles ou à défaut sur les routes limi­ clara gilles

Affaire Epstein : le parquet de Paris ouvre une enquête pour « viols »

L’association Innocence en danger affirme avoir reçu dix témoignages liés à l’affaire du financier américain retrouvé mort en prison

D eux semaines après le

suicide de Jeffrey Eps­
tein, le 10 août, dans la
cellule de sa prison de New York,
le parquet de Paris a ouvert ven­
dredi 23 août une enquête préli­
minaire des chefs de « viols » et
« agressions sexuelles », notam­
ment sur « mineurs de 15 ans », et
« association de malfaiteurs ». La
décision d’enquêter sur les rami­
fications françaises de l’affaire a
été prise à la suite de « vérifica­
tions et recoupements effectués
sur la base des éléments transmis
au parquet et [d’]échanges enga­
gés avec les autorités américai­
nes », indique Rémy Heitz, le pro­
cureur de la République de Paris,
dans un communiqué.
Les investigations, confiées à
l’Office central pour la répression
des violences aux personnes,
« auront pour objet de mettre au
jour d’éventuelles infractions com­
mises non seulement sur le terri­
toire national, mais aussi à l’étran­
ger, au préjudice de victimes fran­
çaises » ou par des « auteurs de na­
tionalité française », ajoute le
parquet de Paris. « L’enquête améri­
caine a mis en lumière des liens
avec la France, avaient affirmé, le
12 août, Marlène Schiappa et
Adrien Taquet, secrétaires d’Etat
chargés respectivement de l’éga­
lité entre les femmes et les hom­
mes et de la protection de l’en­
fance. Il nous semble ainsi fonda­
mental, pour les victimes, qu’une
enquête soit ouverte en France afin
que toute la lumière soit faite. »
« Massage-Paris »
Jeudi, l’association française
consacrée à la protection de l’en­
fance Innocence en danger disait
avoir reçu « dix témoignages »
liés à cette affaire. « Deux ou
trois » proviennent de témoins,
les autres de victimes, précise sa
présidente, Homayra Sellier, se­
lon qui ces dernières « ne sont
peut­être pas toutes françaises,
mais ce qui s’est passé a été com­
mis sur le sol français, et proba­
blement par des Français ».
Au cœur des quelque 2 000 pa­
ges de documents rendus publics,
le 9 août, par la justice américaine,
plusieurs éléments relient Jeffrey
Epstein à la France, où le multi­
millionnaire américain de 66 ans
possédait un appartement, ave­
nue Foch, à Paris. Un répertoire té­
léphonique lui appartenant, mis
en ligne en 2015 par un média
américain, contient de nombreux
numéros de téléphone français,
dont une trentaine sous l’entrée
« Massage – Paris ». C’est de l’aéro­
port du Bourget, où il a atterri au
moins onze fois depuis jan­
vier 2018, que M. Epstein avait dé­
collé, le 6 juillet, lorsqu’il fut ar­
rêté à l’aéroport de Teterboro,
dans le New Jersey.
Le nom de Jean­Luc Brunel, fon­
dateur des agences de mannequi­
nat MC2 et Karin Models, et ami
de Jeffrey Epstein, apparaît à de
multiples reprises dans les docu­
ments de la justice américaine.
Principale accusatrice, Virginia
Roberts Giuffre dit avoir été con­
trainte à des relations sexuelles
avec ce Français de 72 ans qu’elle
accuse aussi d’avoir fait venir aux
Etats­Unis de jeunes femmes, par­
fois mineures, à des fins sexuel­
les, ce que l’intéressé a toujours
démenti. Par ailleurs, Virginia Ro­
berts Giuffre affirmait en 2016,
face à la justice américaine, être
venue plusieurs fois en France
avec Jeffrey Epstein et sa compa­
gne Ghislaine Maxwell, notam­
ment à Saint­Tropez (Var) en 2001,
alors qu’elle était encore mineure,
pour l’anniversaire du manne­
quin Naomi Campbell. A cette oc­
casion, Ghislaine Maxwell lui
aurait « donné pour instruction
d’aller faire un massage érotique »
à un homme désigné comme le
« propriétaire d’une grande chaîne
d’hôtels ». 
henri seckel
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
Les banquiers centraux dans le brouillard
Tensions commerciales, économies au ralenti, la planète finance, réunie aux Etats­Unis, s’inquiète
ANALYSE
D
ifficile d’imaginer un
contexte plus délicat.
Pour ne pas dire ex­
plosif. Vendredi
23 août, tous les investisseurs de
la planète avaient les yeux tour­
nés vers Jackson Hole, dans le
Wyoming (Etats­Unis), où le prési­
dent de la Réserve fédérale (Fed,
banque centrale américaine), Je­
rome Powell, devait prendre la pa­
role. Un discours particulière­
ment attendu, alors que les incer­
titudes commerciales laissent
craindre une nouvelle récession
mondiale, et tandis que « Jay »
Powell essuie depuis plusieurs
jours les insultes permanentes du
président Donald Trump, con­
vaincu que la Fed devrait en faire
plus pour soutenir l’économie.
Pour compliquer encore un peu
le tableau, la Chine a annoncé,
quelques heures avant le discours
du banquier central, son inten­
tion d’instaurer de nouveaux
droits de douane sur 75 milliards
de dollars (67 milliards d’euros)
d’importations américaines, en
septembre puis en décembre. Fa­
çon de répondre à la hausse de
10 % des tarifs douaniers que
Washington menace également
d’imposer sur des produits chi­
nois encore épargnés.
Où ces représailles s’arrêteront­
elles ? A quel point la situation
peut­elle encore s’envenimer ?
M. Powell n’a pas abordé directe­
ment le sujet, mais il s’est montré
clair : les tensions commerciales
compliquent singulièrement la
tâche de la Fed. « Si la politique
monétaire est un outil puissant
pour soutenir la consommation
des ménages, l’investissement et la
confiance », celle­ci ne dispose pas
d’un « mode d’emploi tout prêt »
pour faire face aux incertitudes
commerciales, a­t­il expliqué.
« Vers une baisse des taux »
Il a néanmoins promis que son
institution « agira de manière ap­
propriée » pour soutenir l’activité.
Fin juillet, la Fed a déjà baissé ses
taux directeurs d’un quart de
point (ils évoluent aujourd’hui en­
tre 2 % et 2,25 %). « Le discours de
Jackson Hole semble ouvrir la voie
à une nouvelle baisse des taux en
septembre », estime Paul As­
hworth, analyste de la société de
conseil Capital Economics. Soit
pas assez vite encore pour Donald
Trump, qui a aussitôt reproché au
patron de la Fed de n’avoir « rien
fait ». « Ma seule question est : qui
est notre plus grand ennemi, Jay
Powell ou Xi Jinping [le président
chinois] ? », a­t­il posté sur Twitter.
Tenu du 22 au 24 août au cœur
des montagnes du Wyoming, le
La guerre commerciale s’envenime entre la Chine et les Etats­Unis
Donald Trump durcit les droits de douane sur les produits chinois, en riposte à la relance des hostilités par Pékin
washington ­ correspondant
L a Chine et les Etats­Unis ont
fait le choix de l’escalade,
vendredi 23 août, dans une
guerre commerciale qui a atteint
une intensité inédite. La Chine a
pris l’initiative de la relance des
hostilités, en annonçant l’imposi­
tion de taxes sur 75 milliards de
dollars (67 milliards d’euros) d’im­
portations en provenance des
Etats­Unis, notamment sur des
produits pétroliers et agricoles
ainsi que sur les voitures. Elle a
provoqué une riposte furibonde
du président des Etats­Unis, Do­
nald Trump, qui a tout d’abord in­
timé l’ordre aux Américains de
quitter le marché chinois, avant
d’annoncer une hausse de taxes
symposium de la Fed réunit
grands banquiers centraux et éco­
nomistes de haut vol tous les ans
depuis 1978. Si Mario Draghi (Ban­
que centrale européenne) et Haru­
hiko Kuroda (Banque du Japon)
n’étaient pas présents cette année,
Mark Carney (Banque d’Angle­
terre) devait intervenir. Le thème
de l’édition 2019, « Les défis de la
politique monétaire », était très
attendu par les marchés. Car les
défis, les banques centrales n’en
manquent pas : jamais, depuis la
crise de 2008, elles n’ont fait face à
une situation aussi compliquée.
A commencer par le ralentisse­
ment de l’économie, en partie lié
à la guerre commerciale et aux in­
certitudes qu’elle génère. Tout en
soulignant que l’activité améri­
caine résiste bien, notamment
grâce à son « solide marché du tra­
vail », M. Powell a pris acte de ce
fléchissement généralisé. Puis il a
égrené la liste des sujets d’inquié­
tude : le ralentissement chinois et
allemand, « la possibilité crois­
sante d’un Brexit dur, les tensions
déjà appliquées ou à venir sur les
importations chinoises.
La journée venait à peine de
commencer à Washington, lors­
que Pékin a annoncé qu’il allait re­
lever les droits de douane sur des
milliers de produits américains en
deux temps, le 1er septembre et le
15 décembre. Une décision justi­
fiée, selon Pékin, par l’annonce de
mesures similaires par Washing­
ton, le 1er août, en contravention,
selon les autorités chinoises, avec
un accord convenu en marge du
G20 au Japon, en juin, et dont l’en­
trée en vigueur a été repoussée à la
mi­décembre.
Le coup de théâtre est intervenu
juste avant un discours très at­
tendu du président de la Réserve
fédérale (Fed, banque centrale
à Hongkong, la dissolution du
gouvernement italien », ou encore
« la volatilité des marchés ».
Nombre d’économistes souli­
gnent qu’en outre l’inflation reste
désespérément basse et infé­
rieure à la cible de 2 % des insti­
tuts monétaires. Cela, même
dans les pays tels que l’Allemagne
et les Etats­Unis, où le plein­em­
ploi devrait faire repartir les prix à
la hausse, selon les règles écono­
miques en vigueur.
Effets limités
Seulement voilà : ces règles ne
fonctionnent plus très bien ou,
du moins, plus comme avant. Las,
les pays industrialisés semblent
aujourd’hui piégés dans une
croissance molle, assortie de taux
bas et d’inflation faible. Certains
économistes, comme l’ancien se­
crétaire d’Etat au Trésor améri­
cain Lawrence Summers, quali­
fient ce cocktail de « stagnation
séculaire », et estiment qu’il de­
vrait durer. D’autres affirment au
contraire qu’il n’est que passager :
américaine), Jerome Powell, et la
veille du sommet du G7 à Biarritz.
La majorité des économistes as­
sure que ces tensions commercia­
les ont un effet délétère sur une
croissance mondiale déjà chance­
lante. Les propos prudents du pa­
tron de la Fed ont suscité immé­
diatement l’ire de Trump, qui le
présente, depuis des mois,
comme le responsable d’éven­
tuels maux américains.
Donald Trump a aussi retourné
ensuite sa colère contre Pékin,
promettant une réplique à ses
taxes dans l’après­midi. « Nous
n’avons pas besoin de la Chine et,
franchement, nous nous porte­
rions bien mieux sans eux », a­t­il
affirmé sur Twitter avant de
s’adresser aux entreprises améri­
les taux, l’inflation et la crois­
sance finiront bien par remonter,
promettent­ils. Mais quand ?
En attendant, les banquiers cen­
traux sont dans le brouillard. Que
l’anémie soit durable ou pas, leurs
marges de manœuvre sont étroi­
tes. Ils ont déjà racheté beaucoup
de dettes publiques et privées (le
quantitative easing en anglais, ou
QE) pendant la crise. Leurs taux
directeurs sont déjà très bas (0 %
pour la BCE). Certes, ils peuvent
les baisser encore marginale­
ment, ou relancer un peu de QE –
la BCE pourrait d’ailleurs le faire
en septembre. Mais les effets se­
ront limités. Surtout si dans le
même temps la guerre commer­
ciale s’intensifie encore.
En somme, tout se passe somme
si l’économie mondiale était une
voiture avançant au ralenti. Les
banques centrales peuvent rajou­
ter de l’essence dans le réservoir en
baissant encore leurs taux. Mais, si
le problème vient des pneus ou
d’un défaut du moteur, cela ne
changera pas grand­chose… Mer­
caines sur un ton comminatoire.
« J’ordonne par la présente à nos
merveilleux groupes américains
de commencer immédiatement à
chercher des alternatives à la
Chine, y compris de rapatrier vos
sociétés et de fabriquer vos pro­
duits aux Etats­Unis. »
Recul des marchés
Les marchés financiers, qui
avaient ouvert dans le rouge après
les annonces de Pékin, ont accusé
encore plus sévèrement le coup
pendant que la Chambre de com­
merce des Etats­Unis, le principal
lobby pro­libre­échange, se dé­
marquait du coup de menton pré­
sidentiel. Les indices boursiers ont
fini en baisse, accusant un recul de
2,3 % pour le Dow Jones et de 3 %
Jerome Powell, président de la Réserve
fédérale américaine (à gauche), et
Mark Carney, gouverneur de la Banque
d’Angleterre, à Jackson Hole (Wyoming),
vendredi 23 août. JONATHAN CROSBY/REUTERS
Que l’anémie soit
durable ou pas,
les marges
de manœuvre
des banques
centrales
sont étroites
credi 21 août, Emmanuel Macron
lui­même a admis que la politique
monétaire était à « la frontière
technologique de son efficacité ».
C’est donc aux Etats, par la poli­
tique budgétaire, de prendre le re­
lais, a suggéré le président fran­
çais. Bien sûr, ceux­ci sont bien
plus endettés qu’il y a dix ans : la
dette publique des économies in­
dustrialisées a en moyenne bondi
de 71 % à 103 % du produit inté­
rieur brut depuis 2007. Certains
pays, comme l’Allemagne, dispo­
sent néanmoins d’excédents bud­
gétaires généreux, où ils pour­
pour le Nasdaq, confirmant la vo­
latilité des dernières semaines.
La journée n’était pourtant pas
terminée. Trump a, en effet, mis
ses menaces à exécution après la
clôture des marchés par une rafale
de messages remplis de lettres ma­
juscules, publiés sur son canal de
communication favori. La Maison
Blanche les a ensuite publiés à
l’identique sous la forme d’un
communiqué officiel.
Trump s’est lancé dans une su­
renchère en annonçant, qu’à par­
tir du 1er octobre, 250 milliards de
dollars de marchandises impor­
tées de Chine seront taxés à 30 %,
au lieu de 25 % actuellement. Et
une taxe de 15 %, au lieu des 10 %
prévus, sera appliquée aux
300 milliards de dollars d’impor­
|9
raient piocher. Mais, là encore, le
remède ne ferait pas de miracle.
Car ce que les économistes ap­
pellent le « niveau de la de­
mande » (et donc le dynamisme
de l’économie) n’est pas seule­
ment déterminé par les politi­
ques monétaires et budgétaires, a
rappelé Lawrence Summers, le
22 août, dans une série de Tweet
très remarqués. Elle dépend éga­
lement d’éléments structurels,
tels le niveau de la protection, l’ef­
ficacité de la redistribution entre
les ménages riches et les plus pau­
vres, la question des retraites…
Autant de sujets ne relevant pas
des banques centrales.
Dès lors, explique M. Summers,
la « stagnation séculaire » devrait
susciter une révolution de la pen­
sée économique et des politiques
aussi grande que celle déclen­
chée par la forte inflation des an­
nées 1970. Pas sûr, néanmoins,
que celle­ci puisse avoir lieu tant
que la guerre commerciale battra
son plein… 
marie charrel
tations chinoises restantes qui
concernent notamment des pro­
duits de grande consommation.
Le report prévu de cette hausse au
15 décembre a été maintenu. Il a
été justifié par Trump par le souci
de ne pas pénaliser les consomma­
teurs pendant les fêtes de fin d’an­
née, après avoir pourtant répété
que sa guerre commerciale est in­
dolore pour les Américains.
Les conséquences de cet engre­
nage vont être scrutées à la loupe.
Le Wall Street Journal a rappelé
dans un éditorial à charge contre le
président, publié vendredi soir,
que l’industrie automobile améri­
caine marque déjà le pas et que
l’agriculture va souffrir plus en­
core de ces tensions. 
gilles paris

10 | économie & entreprise
PORTRAIT
lagos (nigeria) ­ correspondance
E
nfant, Linda Ikeji
ignorait ce qu’elle
voulait faire plus tard
de sa vie, mais elle
était certaine d’une
chose : elle ne ferait
pas « comme les autres ». Ces
autres, ce sont ces dizaines de mil­
lions de jeunes Nigérians destinés
à une vie dans la pauvreté.
Dans un pays africain souvent
tourné vers l’Amérique, cette am­
bition, transmise à travers des ro­
mans d’aventure lus dans sa jeu­
nesse, caractérise tout ce rêve
américain à la sauce nigériane.
Celui d’une jeune adolescente is­
sue d’un quartier modeste de La­
gos prête à enfoncer n’importe
quelle porte, jusqu’à devenir la
plus riche blogueuse du Nigeria.
« Au travers de mes lectures, j’ai
compris qu’il existait une vie dans
laquelle il était possible de manger
quand on le veut, comme on le
veut ; voyager à travers le monde,
conduire de belles voitures, une vie
où on n’avait pas à partager les toi­
lettes avec dix personnes, où il y
avait constamment de l’électricité.
Je savais qu’il y avait une vie
meilleure pour moi que celle que
j’avais », confie­t­elle en recevant
Le Monde dans sa chic résidence
de Banana Island, considéré
comme l’un des plus riches quar­
tiers du Nigeria, où elle habite
avec ses parents et certains de ses
frères et sœurs.
L’occasion pour elle de révéler
un secret de famille pas si bien
gardé. A 17 ans, elle a menti sur
son âge afin de participer à un
concours de mode réservé aux
adultes. Un moment « décisif »
dans sa carrière, parce qu’il lui
ouvre les portes de l’industrie de
la mode, là où le « plus beau côtoie
le plus laid », dit­elle. A une épo­
que de sa vie où son visage est
plus connu que son nom, la jeune
femme connaît la gloire, mais
aussi la rançon de celle­ci. « Les
modèles étaient beaux et jeunes.
Les hommes autour d’eux es­
sayaient de les avoir à tout prix. J’ai
vu toutes sortes de choses. Mais
aussi ce que de jeunes filles étaient
prêtes à faire pour de l’argent. »
En 2006, après huit années pas­
sées comme modèle au Nigeria,
un vieil ami de Londres l’appelle
et lui parle d’un article qu’il a lu
sur elle, sur le Web. « Je lui ai ré­
pondu : c’est quoi ça, Internet ? »
Linda Ikeji lit l’article en question,
mais surtout les 33 commentai­
res au­dessous. « Les gens écri­
vaient sur moi sans me connaître.
C’est à ce moment­là que je me
suis rendu compte de la puissance
du Web. » La force des mots, la lec­
ture, une nouvelle fois, poussent
Linda Ikeji vers sa nouvelle vie.
Celle de blogueuse.
CRÉER LE « NETFLIX AFRICAIN »
Fini le mannequinat. Au cœur de
la vingtaine, elle fonde son blog
Lindaikeji.blogspot.com, qui de­
viendra plus tard Lindaikejisblog.
com. « Au départ, je parlais de moi
et ce n’était pas vraiment populaire.
Je ne recevais pas plus de trois ou
quatre commentaires par article. »
Mais sa vie bascule lorsqu’elle se
met à parler de celle des autres.
« Je suis allée aux quatre coins de
la ville et j’ai acheté toutes les re­
vues et journaux people. » Elle les
recopie sur son blog en citant les
sources. Le nombre de visites ex­
plose, passant de 300 visiteurs
uniques par jour à 3 000. Puis
30 000. « J’ai compris que ce que
les gens veulent sur la Toile, c’est le
people. Des anecdotes croustillan­
tes. Plus je publiais, plus les gens en
demandaient. Quelle vedette est
en rendez­vous galant avec quelle
autre ? Quelle personnalité publi­
que s’est mariée récemment ? »
Ce blog surgit au bon endroit et
au bon moment. En ces premières
années d’Internet dans le pays
aujourd’hui le plus peuplé d’Afri­
que, avec près de 200 millions
d’habitants, la population est de
A Abuja,
le 4 avril.
POTTERCLAY /BUSINESS
DAY MEDIA
PLEIN CADRE
Linda Ikeji, la blogueuse
nigériane devenue
multimillionnaire
L’ex­mannequin de 38 ans s’est construit un empire
médiatique en commençant par écrire un blog people.
Son histoire, son argent et son influence, dans un pays
conservateur et patriarcal, lui attirent de nombreuses critiques
plus en plus connectée et surtout
se passionne pour la vie privée
des vedettes de Nollywood, nom
donné au cinéma nigérian. La re­
cette paie et, au fil des années,
Linda Ikeji devient une icône au
Nigeria.
Son nom est le plus recherché
du pays sur Google au cours de la
dernière décennie. Aujourd’hui,
son blog – gratuit et financé grâce
à la publicité – attire plus de qua­
tre millions de visiteurs uniques
par jour en moyenne. Elle y em­
ploie une trentaine de personnes
qui alimentent constamment le
site – dont le graphisme ne sem­
ble pas avoir évolué depuis 2006.
Les sujets traités vont des faits di­
vers à la politique, mais aussi – et
surtout – aux « scandales ». Et la
1980
Naissance à Lagos,
au Nigeria
politique du buzz porte ses fruits :
aujourd’hui, la blogueuse star est
suivie par plus de 3,9 millions de
personnes sur Instagram.
Fréquemment interrompue
par des textos exigeant d’elle une
réponse immédiate, la bientôt
quadragénaire parvient tout de
même à évoquer son dernier pro­
duit : Linda Ikeji TV, une plate­
forme de streaming vidéo où l’on
peut visionner des télé­réalités
nigérianes, des émissions de cui­
sine et d’autres productions mai­
son de son entreprise. « Je veux
que [Linda Ikeji TV] soit le pro­
chain Netflix africain, annonce­t­
elle. Je raconte des histoires afri­
caines. Des histoires qui ont à voir
avec ma culture, mon histoire,
mon peuple. Je ne veux pas mettre
2006 2014 2018
Création du blog Google annonce Lancement de la
« Lindaikeji.blogs- que Linda Ikeji est plate-forme de vi-
pot.com » la personne la plus déo à la demande
« googlisée » Linda Ikeji TV
du Nigeria
en avant des contenus occiden­
taux, je cherche des gens qui veu­
lent visionner du contenu afri­
« Pour certains, cain. » Même si elle a des ambi­
c’est une femme tions panafricaines, son audi­
toire est pour l’instant composé à
libre avec une 90 % de Nigérians. Depuis le lan­
histoire cement de sa plate­forme, Linda
Ikeji affirme que 50 000 person­
inspirante. nes ont payé au moins 1 000 nai­
D’autres se ras (2,50 euros) pour l’utiliser.
« Le coût des données est encore
demandent si ce très élevé au Nigeria. Et le paie­
qu’elle fait est ment en ligne est compliqué », ex­
plique Linda Ikeji pour taire les
pertinent » critiques sur la modeste popula­
ONIMISI ADABA rité de son projet.
réalisateur et annonceur Malgré les milliers de « like »
radio nigérian quotidiens sur les réseaux so­
ciaux, la femme d’affaires pos­
sède aussi ses détracteurs. Aux
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
premiers rangs desquels des per­
sonnalités publiques, dont elle
expose la vie privée sur son blog.
Lorsque, en 2016, elle accuse Wiz­
kid, l’un des musiciens les plus
connus au Nigeria, de ne pas avoir
totalement payé les voitures et
appartements qu’il se vante de
posséder, ce dernier menace de la
faire tabasser.
Onimisi Adaba, réalisateur et
annonceur radio, voit en Linda
Ikeji une femme d’affaires popu­
laire, mais clivante. « Pour cer­
tains, c’est une femme libre avec
une histoire inspirante. A qui tout
réussit. D’autres ont des réserves,
parce qu’elle a créé un blog people,
et se demandent si ce qu’elle fait est
vraiment pertinent. » Dans un
pays conservateur et dominé par
des hommes, son succès finan­
cier et sa vie privée irritent. A
l’automne 2018, Linda Ikeji a
donné naissance à un garçon sans
être mariée.
« UN VRAI SITE D’INFORMATIONS »
« Elle a écrit, par le passé, être con­
tre le fait d’avoir un enfant en de­
hors du mariage. Et elle fait exacte­
ment le contraire. Pourquoi ne
fait­elle pas ce qu’elle prêche ? »,
s’indigne M. Adaba, se plaçant dé­
libérément sur le terrain des com­
mentaires people qui ont fait la
célébrité de la jeune femme. « Je
dois combattre ce genre d’histoi­
res chaque jour », rétorque Linda
Ikeji. « Pour moi, ces gens­là ont de
petits esprits et de petites pensées.
L’argent n’est pas réservé aux hom­
mes, le succès n’est pas réservé aux
hommes. Les femmes ont la capa­
cité de créer de la richesse si elles
croient en elles. »
Son histoire, son argent et son
influence n’attirent pas que des
critiques. Certains politiciens
cherchent à se rapprocher d’elle et
se disputent ses faveurs. Lors du
second tour de l’élection présiden­
tielle en 2015, les deux principaux
candidats, Muhammadu Buhari,
l’actuel président de la Républi­
que, et Goodluck Jonathan, son
prédécesseur, rivalisaient pour af­
ficher de la publicité sur son blog.
Au Nigeria, où le monde politi­
que est régulièrement entaché de
scandales de corruption et de né­
potisme, on lui demande de pu­
blier des chroniques positives sur
un candidat ou d’accepter de pas­
ser de la publicité en faveur d’un
parti plutôt qu’un autre, raconte
Henry Iwno, ami et collaborateur
du blog. « Les deux principales for­
mations l’approchent à chaque
élection. Elles veulent qu’elle se
lance en politique ou qu’elle sou­
tienne une personnalité, mais elle
doit rester prudente. Associer sa
marque et son nom à un parti pour­
rait avoir des effets néfastes sur son
empire médiatique », explique­t­il.
Linda Ikeji assure, pour sa part,
n’avoir aucune ambition politi­
que. Cependant, il est vrai que son
blog a mué d’un repaire à ragots
en site plus généraliste. « C’est un
véritable site d’informations. On y
parle de mode et de divertissement,
mais aussi de choses sérieuses »,
déclare Edward Chizea Nwosisi,
qui dirige la section juridique de la
galaxie médiatique de Linda Ikeji.
« Reste que les gens y vont beau­
coup pour lire Linda. C’est la partie
la plus populaire du blog. Les gens
attendent avec impatience ce
qu’elle a à dire. C’est elle qui suscite
le plus de commentaires et de réac­
tions », souligne­t­il. Linda Ikeji ra­
conte des histoires. Celle des
autres sur son blog, mais aussi la
sienne, à travers ses différents
projets et succès. « Je veux que les
jeunes filles entendent parler de
mon itinéraire et se disent : “Elle est
venue de rien et elle est devenue
quelque chose. Malgré tout ce que
ça implique pour une femme au Ni­
geria.” Cette idée­là me motive en­
core plus que l’idée de réaliser des
profits. » Elle n’aura finalement
pas fait comme les autres, mais
elle aimerait bien que les autres
fassent comme elle. 
jasmin lavoie
FIN
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
Poker menteur entre le PSG et Neymar Jr
Les négociations sur le vrai­faux départ de la star brésilienne du club parisien tournent au jeu de dupes
FOOTBALL
O
ffre juteuse assortie
de l’arrivée de plu­
sieurs joueurs che­
vronnés, prêt avec op­
tion d’achat obligatoire, somme
colossale… Les dirigeants du FC
Barcelone ont eu beau déployer
des trésors d’imagination pour
échafauder la formule qui leur
permettrait d’arracher l’atta­
quant brésilien Neymar Junior
des griffes du Paris­Saint­Ger­
main, rien n’y fait.
Aucune proposition n’a jusqu’à
présent trouvé grâce aux yeux de
Leonardo, l’inflexible directeur
sportif du club de la capitale, re­
venu aux commandes après six
ans d’absence. Trois offres sont
pourtant arrivées sur son bu­
reau, ces dernières semaines. La
dernière en date émanant du
Real Madrid, enclin à céder, en
plus de 100 millions d’euros,
trois éléments confirmés, mais
indésirables (le gardien Keylor
Navas, l’ailier gallois Gareth Bale
et l’attaquant colombien James
Rodriguez) en échange du seul
Neymar Junior. Offre d’emblée
retoquée par le PSG.
A en croire la presse sportive,
l’état­major du PSG aurait posé,
vendredi 23 août, un ultimatum
au Barça, désireux de revenir une
ultime fois à la charge avec une
formule plus alléchante. Dans le
même temps, la Juventus Turin
serait, elle aussi, sur le point de
faire la danse du ventre pour atti­
rer la star de 27 ans dans ses filets.
A quelques jours de la clôture du
Les footballeuses rechaussent les
crampons après un Mondial populaire
Le championnat de France féminin reprend samedi 24 août
U n cruel retour à l’anony­
mat guette­t­il le football
au féminin ? Un mois et
demi après le succès populaire et
médiatique de la Coupe du
monde, qui a battu des records
d’affluence et d’audience, le
championnat de France siffle son
coup d’envoi, samedi 24 août,
avec l’espoir de grandir d’un coup.
L’enjeu est de taille pour la Fédé­
ration française de football (FFF) :
il s’agit de transformer le coup de
foudre de l’été en un amour dura­
ble, et d’attirer de nouveau les
foules vers les gradins des stades.
Car la saison dernière, l’affluence
moyenne de la Division 1 s’élevait
à 904 spectateurs par match, mal­
gré l’aide de la locomotive de
l’Olympique lyonnais (3 200 spec­
tateurs). A la FFF, le discours est à
l’optimisme.
La vice­présidente, Birgitte Hen­
riques, estime qu’il y aura « un
avant et un après » Coupe du
monde 2019. « Il y a une étincelle
qui s’est allumée grâce au public
que l’on a conquis et à la réussite
de l’organisation, assène­t­elle.
On va passer de stades de 45 000
ou de 25 000 places à des stades de
5 000, 1 000 ou parfois 20 000. On
espère qu’ils seront remplis. »
A 34 ans, Julie Soyer va entamer
sa dix­septième saison de foot­
balleuse de Division 1. Pendant
ses vacances, elle a apprécié en
supportrice le parcours des
Bleues, interrompu en quarts de
finale par les championnes du
monde américaines (2­1) : « Voir la
capitaine, Amandine Henry, invi­
tée par la patrouille de France lors
du défilé du 14­Juillet, c’est quelque
chose que l’on n’aurait jamais vu
avant. Désormais, on reconnaît les
joueuses dans la rue. »
Avant d’affronter Dijon avec ses
coéquipières parisiennes lors de
marché estival des transferts,
lundi 2 septembre, les dirigeants
bianconeri seraient prêts à met­
tre la main au portefeuille en ver­
sant la somme minimale de
100 millions d’euros réclamée
par le PSG, tout en proposant le
prodige argentin Paulo Dybala,
que le PSG désire, comme mon­
naie d’échange.
« Les comportements de stars »
Cette énième parade nuptiale
suffira­t­elle à convaincre Leo­
nardo de « libérer » son compa­
triote, désireux de quitter Paris et
la Ligue 1 après seulement deux
saisons gâchées par les blessu­
res ? Rien n’est moins sûr tant
l’émir du Qatar, Tamim Ben Ha­
mad Al Thani, propriétaire du
club par l’intermédiaire du fonds
Qatar Sports Investments (QSI)
depuis 2011, et son président,
Nasser Al Khelaïfi – dit « NAK » –,
refusent de lâcher le joueur le
plus cher de l’histoire, acheté au
FC Barcelone contre 222 millions
d’euros à l’été 2017 et principale
vitrine marketing et commer­
ciale de l’équipe.
Depuis la sortie fracassante de
« NAK » en juin, dans France Foot­
ball, soudainement rebuté par
« les comportements de stars »
dans son vestiaire, le feuilleton du
vrai­faux départ de Neymar s’ap­
parente de plus en plus à une
guerre de communication, voire à
une partie de poker menteur,
avec son lot d’intox, de folles ru­
meurs, de déclarations enflam­
mées, de tentatives de déstabilisa­
tion et d’outrances.
la première journée, au stade Ro­
bert­Bobin de Bondoufle (Es­
sonne), la défenseuse du Paris
Football Club (PFC) croit aussi en
un afflux de spectateurs : « De­
puis la reprise, mi­juillet, on est
concentrées sur la préparation et
il est encore trop tôt pour sentir un
quelconque effet Mondial mais
j’ai envie d’être optimiste. Je pense
que ça va amener du monde, les
gens vont continuer à venir dans
les stades. »
Joueuse de Dijon, Elise Bussa­
glia, l’une des vingt­trois Bleues
qui ont eu l’honneur de disputer
le tournoi, est plus tempérée : « Il
y aura un petit peu plus de licen­
ciées dans les clubs. Mais je ne
m’attends pas forcément à grand­
chose quant à un effet Coupe du
monde. Je ne suis pas fataliste,
juste réaliste. »
Un coup d’accélérateur
Diffusée en intégralité par Canal+
pour la première fois la saison
dernière (un contrat sur trois ans
pour environ 3,6 millions
d’euros), la Division 1 espère deve­
nir plus attractive encore.
« Autour de moi, on ne cesse de me
demander quand le championnat
reprend. Les gens ont pris l’habi­
tude de regarder les footballeuses.
Ils sont aussi impatients de retrou­
ver des joueuses que l’on ne con­
naissait pas forcément avant »,
constate l’ex­joueuse Aline Riera,
l’une des consultantes de la
chaîne cryptée.
Mais l’héritage du tournoi ne se
limite pas à la conversion de nou­
veaux spectateurs. La Coupe du
monde 2019 doit permettre de
mettre un coup d’accélérateur au
développement économique de
la pratique féminine. Un premier
signe positif réside dans le parte­
nariat signé pour trois saisons
Aucune offre n’a
jusqu’à présent
trouvé grâce
aux yeux
de Leonardo,
l’inflexible
directeur sportif
du club de
la capitale
Un sommet a été atteint, le
11 août, lorsque les supporteurs
dits « Ultras » du PSG ont réclamé
le départ de la star, en brandissant
une banderole au contenu très
explicite (« Neymar, casse­toi »)
lors de la réception de Nîmes au
Parc des Princes, en clôture de la
première journée de Ligue 1.
Autorisé par la direction du PSG
à réinvestir le virage Auteuil en
octobre 2016, six ans après l’en­
trée en vigueur du plan de sécuri­
sation du stade, le Collectif Ultras
Paris (CUP) n’a pas pardonné au
Brésilien d’avoir confessé, en
juillet, que la légendaire remon­
tada (« remontée ») du FC Barce­
lone contre le PSG (victoire 6­1 au
Camp Nou après une défaite 4­0
au Parc), en mars 2017, consti­
tuait « le meilleur souvenir de sa
carrière ».
« Le problème, c’est que les gens
sont détestés lorsqu’ils sont vrais,
et aimés lorsqu’ils sont faux », a ré­
torqué de manière sibylline Ney­
mar sur Instagram, paraphrasant
avec l’un des sponsors du Mon­
dial, la société Arkema. Le groupe
de chimie français versera 1 mil­
lion d’euros chaque année pour
pouvoir accoler son nom à la Di­
vision 1. « A l’instar d’Arkema, on
espère que les partenaires vont
prendre confiance, se dire que
c’est le moment pour y aller, et in­
vestir sur les footballeuses. Nous
sommes optimistes », explique
Brigitte Henriques.
Malgré ces signes encoura­
geants, le championnat de
France féminin, qui n’a toujours
pas le statut professionnel, n’a
pas encore bâti son propre éco­
système économique, à l’excep­
tion du modèle que constitue
l’OL, élève surdoué sextuple
champion d’Europe. « Aucun par­
tenaire ne va donner d’un coup
100 millions que tous les clubs
pourront se partager. Les structu­
res du championnat ne vont pas
être révolutionnées en un claque­
ment de doigts. Cela va se mettre
en route progressivement en sur­
fant sur cette dynamique posi­
tive », lance Aline Riera.
Les joueuses de la Division 1 ne
sont pas encore près de gagner
autant d’argent que leurs homo­
logues de Ligue 1. Les priorités
sont ailleurs, comme l’assène
l’expérimentée Julie Soyer :
« J’aimerais que le Mondial per­
mette à encore plus de clubs de
prendre conscience que les foot­
balleuses existent. L’argent pour
les salaires c’est une chose, mais le
plus important est d’avoir déjà de
bonnes conditions pour jouer au
foot. » Néo­retraitée internatio­
nale (192 sélections), Elise Bussa­
glia n’oublie pas l’essentiel. Pour
que les stades se remplissent, « il
faut aussi que le spectacle proposé
soit d’un bon niveau ». 
anthony hernandez
le chanteur Bob Marley. La direc­
tion du PSG a­t­elle cautionné
l’initiative tapageuse des Ultras,
comme le suggèrent plusieurs
sources proches de l’équipe ? « Le
club ne savait pas ce qui allait se
passer le 11 août, mais il s’en dou­
tait et priait pour qu’il ne se passe
rien », répond le CUP.
A quoi jouent les dirigeants du
PSG, insondables voire dérou­
tants sur ce dossier ? Et ce, alors
que Leonardo, enclin à indiquer
que les discussions avançaient, a
fait un pas en arrière en rappe­
lant que Neymar avait « un très
bon fond » et restait « un joueur
du PSG ».
« Contrat en or »
« Si le club a fait monter la sauce et
a instrumentalisé les supporteurs,
cela peut être un jeu dangereux à
cause des fractures avec le public.
Mais le football a peu de mémoire
et l’immédiateté et le résultat pri­
ment : deux buts inscrits à l’exté­
rieur par Neymar lors de son re­
tour et ce sera fini », estime l’agent
de joueurs Bruno Satin, ex­direc­
teur mondial de la division foot
de la compagnie d’agents IMG et
grand connaisseur du marché in­
ternational.
Tandis que la star et son père,
qui gère ses intérêts, s’activent
en coulisses avec l’agent anglo­
israélien Pini Zahavi pour quitter
le PSG avant la fin du mercato,
tout semble actuellement indi­
quer que la direction du club ne
souhaite pas lâcher prise. « Le
PSG n’a pas l’intention de vendre
Neymar, qui est prisonnier de son
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sports | 11
contrat en or, affirme un agent
proche du PSG. Tout ça constitue
suels selon L’Equipe). Le Barça a
acheté Antoine Griezmann (con­
un coup de bluff. L’émir du Qatar tre 120 millions d’euros) et le
n’accepte pas la pression et le club Néerlandais Frenkie de Jong (pour
ne va pas plus se plier aux capri­ 75 millions). Sa masse salariale est
ces d’un champion. Le discours déjà colossale. »
est désormais : “Je te paie mais tu De surcroît, il n’est pas si simple
es en dessous du club.” C’est da­ d’imaginer Neymar retourner au
vantage une question d’image Barça, institution en froid avec le
pour l’Etat du Qatar que de politi­ PSG et avec laquelle le Brésilien a
que sportive. » mené une guerre sur le terrain ju­
En faisant mine d’ouvrir la diciaire lors de son départ. Un
porte à Neymar, le PSG a­t­il sou­ procès doit toujours se tenir le
haité en réalité procéder à un ser­ 27 septembre à Barcelone, le Bré­
rage de vis et recadrer sa diva ca­ silien réclamant une prime à son
pricieuse ? « Depuis le début, j’ai ex­club (2013­2017). Pour Bruno
toujours pensé qu’il s’agit d’une Satin, même « si Neymar pense
sérieuse reprise en main du PSG, que le soleil ne brille pas assez à Pa­
qui ferait semblant d’étudier les ris et si son père est un mauvais gé­
propositions, ajoute Bruno Satin. nie et une machine à cash », le
L’épisode Neymar est unique et joueur reste « le meilleur que le
montre la faiblesse de l’institution championnat de France a ac­
PSG. C’est du jamais­vu. Leonardo cueilli », et « l’arbre qui cache la fo­
est revenu et veut montrer ses rêt, les lacunes du PSG ».
muscles avec son discours sur le Dimanche 18 août, la défaite
comportement de Neymar. Il n’y a (2­1) à Rennes de l’équipe – privée
pas beaucoup de solutions car peu de Neymar – a témoigné du vide
de clubs ont les sous et peuvent que l’attaquant serait susceptible
payer le salaire du joueur de laisser en cas de départ cet été.
(3,06 millions d’euros brut men­ « Contrairement à Cristiano Ro­
naldo (34 ans) et Lionel Messi
(32 ans), Neymar est encore jeune
et on ne se rend pas compte de ce
« C’est davantage que le PSG et la Ligue 1 perdraient
une question en termes de garantie footballisti­
que, prestige, divertissement »,
d’image pour considère Bruno Satin. « Les dix
l’Etat du Qatar prochains jours, cela va être le
tourbillon au PSG », prophétise­
que de politique t­il. Deux ans après le feuilleton
sportive », de l’arrivée de Neymar à Paris, ce­
lui de son vrai­faux départ n’est
affirme un agent pas moins rocambolesque. 
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 GÉOPOLITIQUE
12 |
Hongkong
La fin d’une
exception
chinoise ?
Les Hongkongais, qui manifestent en nombre
depuis le mois de juin, redoutent de voir
disparaître le principe « un pays, deux systèmes »
régissant leur relation avec Pékin et prévoyant
une évolution vers la démocratie libérale
florence de changy
et frédéric lemaître
hongkong ­ correspondance
pékin ­ correspondant
I
l fait chaud, très chaud, ce mer­
credi 7 août 2019 à Hongkong. Trente­
quatre degrés. Pourtant, à l’heure de la
pause déjeuner, pas moins de
3 000 avocats et magistrats, impecca­
blement vêtus d’un costume cravate
ou d’un tailleur noir, manifestent dans le cen­
tre­ville. Une démarche exceptionnelle de­
puis la rétrocession de la colonie britannique
à la Chine, le 1er juillet 1997, mais la deuxième
depuis le début de la crise actuelle, en juin.
Mince, très digne, un homme âgé prend la
parole. Martin Lee a 81 ans. Avocat, ex­mem­
bre du Parlement, il est l’une des grandes fi­
gures démocratiques de la ville. « Nous som­
mes ici pour protéger l’Etat de droit », dit­il.
C’est l’un de ses jeunes confrères, l’avocat et
député Dennis Kwok, représentant des pro­
fessions légales au Parlement, 41 ans, qui a or­
ganisé le rassemblement. Il s’agit de dénon­
cer l’inculpation pour « émeutes » – passible
de dix ans de détention − de 44 Hongkongais
qui ont manifesté contre le projet de loi sur
les extraditions vers la Chine, tandis
qu’aucune charge n’a été retenue contre
ceux, suspectés d’appartenir à des gangs ma­
fieux, qui ont attaqué à coups de matraque
dans une station de métro, le 21 juillet, des
manifestants et des passants qui rentraient
tranquillement chez eux.
« L’Etat de droit signifie que nous sommes
tous égaux devant la loi », rappelle Martin Lee
sous les applaudissements. Les deux hom­
mes ont fait leurs études de droit en Grande­
Bretagne. L’aîné avant la rétrocession, son ca­
det après. Ils incarnent cette élite qui sou­
tient aujourd’hui le combat de la jeunesse de
Hongkong pour que leur ville ne devienne
pas tout à fait chinoise, et qu’elle continue de
bénéficier du principe qui la gouverne de­
puis 1997 : « un pays, deux systèmes », dont
l’Etat de droit constitue la pierre angulaire.
« Ce principe, c’est notre trésor. Tout le
monde en profite, y compris Pékin qui n’a pas
besoin d’une ville chinoise supplémentaire »,
dit Felix Chung, qui dirige le Parti libéral. Il se
définit comme centriste : il soutient le gou­
vernement de Hongkong, mais ne cache pas
son désarroi actuel. Les députés de l’opposi­
tion sont plus sévères. « Nous en sommes à
1 pays, 1,1 système », estime ainsi Claudia Mo,
dont le bureau, situé dans l’aile ouest du Par­
lement, offre une vue directe sur l’immeuble
qui abrite l’armée chinoise.
Hongkong est régie par un système unique
au monde depuis 1997. Région administra­
tive spéciale (RAS) de Chine, comme sa voi­
sine Macao, elle jouit officiellement d’un
« haut degré d’autonomie », sauf en matière
de diplomatie et de défense. Elle a son propre
système juridique protégé par l’Etat de droit,
principe qui, comme dans la plupart des dé­
mocraties, place la justice au­dessus des
autres institutions. La Région dispose de sa
monnaie, le dollar de Hongkong, pleinement
convertible, à la différence du yuan chinois.
Ses habitants ont un passeport donnant ac­
cès à tous les pays du monde – dont 166 sans
visa, c’est­à­dire cinq fois plus que ce que per­
met un passeport chinois.
C’est aussi une frontière physique qui sé­
pare la RAS de la Chine. Hongkong est mem­
bre de plein droit d’organismes internatio­
naux – Organisation mondiale du commerce
(OMC), Coopération économique pour l’Asie­
Pacifique (Apec), Banque asiatique de déve­
loppement… − et participe aux Jeux olympi­
ques sous la bannière « Hongkong Chine ».
On y roule à gauche et on a accès à Facebook
et Twitter. A la différence de la plupart des
Chinois, les Hongkongais parlent le canto­
nais et non le mandarin. Et ils écrivent encore
en caractères classiques, simplifiés en Chine
à partir des années 1950.
UN SYSTÈME AMBIGU
De fait, la décolonisation de 1997 s’est dérou­
lée comme prévu par l’ancienne puissance co­
loniale britannique et la nouvelle mère patrie
chinoise : dans le calme, malgré l’exode de
milliers de citoyens hongkongais. Depuis, la
ville n’a fait que croître et prospérer, prouvant
que, contrairement aux inquiétudes des an­
nées 1980, capitalisme et « socialisme aux ca­
ractéristiques chinoises » pouvaient cohabi­
ter. Peut­on en dire autant du régime chinois
de parti unique et de la démocratie libérale
hongkongaise ?
« [A Hongkong] Nous n’avons jamais été
autant en démocratie », plaide Regina Ip, pré­
sidente du New People’s Party, fervent sou­
tien de Pékin. « C’est sans doute vrai », recon­
naît John Carroll, historien à l’université de
Hongkong. Certes les manifestants sont ré­
primés par la police, mais, le plus souvent,
ceux qui s’acharnent contre les commissa­
riats ne reçoivent « que » des gaz lacrymogè­
nes. En février, l’ONG américaine World Jus­
tice Project, qui publie un classement annuel
des pays en fonction de leur respect du droit
(Rule of Law Index), classait Hongkong au
16e rang mondial, juste devant la France et
loin devant la Chine continentale (82e).
Le système politique de Hongkong est am­
bigu. Alors que le multipartisme est réel, seuls
certains membres du Parlement sont élus au
suffrage universel. Les autres sont désignés
par des corporations professionnelles très
majoritairement favorables à Pékin. Et depuis
2016, le pouvoir n’hésite plus à invalider sous
des prétextes juridiques l’élection de députés.
Critiquer le Parti communiste est anticonsti­
tutionnel en Chine ; par conséquent, les dépu­
tés prodémocratie de Hongkong sont sur la
corde raide. C’est ce que les juristes appellent
« l’utilisation du droit contre la démocratie ».
Enfin, le chef de l’exécutif est présélectionné
par Pékin, avant d’être « élu » par un collège de
1 200 voix, dont les deux tiers sont mécani­
quement pro­chinois.
En fait, la mini­Constitution de Hongkong,
« LE PRINCIPE la Basic Law, prévoyait une évolution vers
“UN PAYS, DEUX une démocratie libérale en fonction de mo­
dalités précises. Son « but ultime » est que le
SYSTÈMES”, C’EST chef de l’exécutif soit élu au suffrage univer­
sel, mais « sur nomination d’un comité large­
NOTRE TRÉSOR. ET ment représentatif et en respect des procédu­
res démocratiques ». Au lieu de progresser,
TOUT LE MONDE comme prévu, vers un système plus démo­
EN PROFITE. cratique, Hongkong paraît au contraire s’en
éloigner. Le tournant a été pris avant même
Y COMPRIS PÉKIN, 1997 et les espoirs de voir la Chine devenir un
Etat de droit à l’occidentale ont disparu sous
QUI N’A PAS BESOIN les chenilles des chars de la place Tianan­
D’UNE VILLE men, en juin 1989.
Les dirigeants chinois qui considéraient jus­
CHINOISE que­là les bienfaits que pouvait leur apporter
la colonie britannique se sont mis à redouter,
SUPPLÉMENTAIRE » après Tiananmen, la « contagion démocrati­
FELIX CHUNG que » que la rétrocession pourrait entraîner
dirigeant du Parti libéral sur le continent. Les divers mouvements de
révolte qui ont agité Hongkong – notamment
en 2003, 2012, 2014, 2016 et ceux
d’aujourd’hui – ont rappelé à Pékin l’attache­
ment des Hongkongais à leurs libertés et à la
démocratie qui leur avait été promise. Et la
convergence entre les « deux systèmes », es­
pérée par les initiateurs du principe « un pays,
deux systèmes », n’a pas eu lieu.
En 2003, quand le gouvernement a tenté de
mettre en œuvre l’article 23 de la Basic Law
(une loi de sécurité interdisant toute activité
de trahison, subversion, sécession, etc.), les
Hongkongais sont descendus en masse dans
la rue pour s’y opposer. Ce fut la première dé­
convenue majeure pour Pékin qui, depuis,
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
rappelle régulièrement aux chefs de l’exécu­
tif successifs hongkongais qu’ils doivent ap­
pliquer l’article 23… De leur côté, les partisans
de la démocratie réclament que soient res­
pectées des promesses de démocratie, égale­
ment contenues dans la Basic Law.
« Les manifestations massives de 2003 ont
incité Pékin à modifier sa stratégie de gouver­
nance qui, d’une non­ingérence modérée, a
opté pour une attitude plus active », note le
chercheur Han Zhu, de la faculté de droit de
l’université de Hongkong, dans la revue Pers­
pectives chinoises de janvier 2019. Le dernier
article de la Basic Law réserve d’ailleurs le
droit d’interprétation des autres articles à Pé­
kin, qui a donc le dernier mot. Qu’entend
faire la Chine de cette ville­rebelle ?
INFRASTRUCTURES COLOSSALES
Les dirigeants chinois soulignent régulière­
ment les limites du « haut degré d’autono­
mie » dont jouit Hongkong. Celui­ci « est
autorisé par le gouvernement central. Il n’est
pas inhérent », remarquait, en janvier 2018,
Jiang Jianguo, à l’époque directeur adjoint du
département de la communication du gou­
vernement chinois. Pour reprendre une mé­
taphore chère au président Xi Jinping, dans la
formule « un pays, deux systèmes », le pays
constitue le tronc et les racines de l’arbre. Et
les deux systèmes, les branches et les feuilles.
Pékin a­t­il pour autant intérêt à couper cette
branche ? Une question éminemment politi­
que, mais aussi économique.
Certes, la part de Hongkong dans l’écono­
mie nationale a diminué comme peau de
chagrin depuis la rétrocession, passant de
17 % à 3 % du PIB. Son port, longtemps le plus
grand du monde pour le transport de conte­
neurs, a chuté en cinquième position der­
rière trois ports chinois, dont celui de la ville
voisine de Shenzhen, et Singapour. Parallèle­
ment, l’intégration de l’ancienne colonie bri­
tannique au sud de la Chine s’est concrétisée
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au gré de nouvelles infrastructures colossa­
les : autoroutes, ponts, tunnels, métros,
trains rapides…
Tout est en œuvre pour inclure le plus vite
possible Hongkong dans le grand ensemble
chinois. Certains estiment que le projet de
« Grande Baie », une agglomération pour le
moment encore théorique de toutes les gran­
des villes du sud de la Chine, a pour objectif
de noyer la petite Hongkong, qui accuse déjà
beaucoup de retard, notamment dans le sec­
teur­clé des nouvelles technologies.
Dimanche 18 août, alors que les Hongkon­
gais étaient 1,7 million à manifester une fois
de plus leur colère, Pékin a d’ailleurs annoncé
que Shenzhen, cette ville­frontière au cœur
des premières réformes économiques chi­
noises lancées il y a quarante ans, allait à nou­
veau bénéficier de statuts juridique, fiscal,
voire politique, particuliers. Si les quelque
1 500 multinationales présentes à Hongkong
estiment que le principe « un pays, deux sys­
tèmes » est menacé, elles pourraient être ten­
tées d’élire domicile à Singapour.
« L’atout le plus important de Hongkong
pour le monde des affaires, y compris pour les
entreprises chinoises, c’est son système juridi­
que de Common Law qui s’exerce dans un con­
texte d’Etat de droit, où la crédibilité et la
transparence des tribunaux sont garanties.
Dans la Common Law, le droit contractuel est
prééminent et c’est essentiel pour les entrepri­
ses », note Claude Haberer, directeur associé
Asie­Pacifique de la banque privée Pictet.
C’est pourquoi beaucoup pensent que le Parti
communiste chinois, qui a toujours su faire
preuve de pragmatisme quand ses intérêts
étaient en jeu, hésitera à deux fois avant de
« siniser » complètement Hongkong.
La Chine serait en fait la première à en souf­
frir. Hongkong offre en effet à la « mère pa­
trie » l’une des plus grandes et reluisantes
places financières internationales de la pla­
nète. Avec environ 4 000 milliards de dollars
de capitalisation boursière, elle rivalise avec
New York pour les plus grandes introduc­
tions en Bourse et accueille près de 250 ban­
ques, dont toutes les plus grandes. Dans ce
secteur au moins, Hongkong a su garder son
avance et demeure loin devant ses cousines
chinoises, en dépit des ambitions nationales
affichées pour Shanghaï ou Shenzhen.
Hongkong est d’ailleurs le lieu de prédilec­
tion des introductions en Bourse des entre­
prises chinoises qui, pour 75 % d’entre elles,
l’ont choisie ces huit dernières années. Au
jour le jour, la majeure partie des transactions
à la Bourse de Hongkong s’effectuent entre
Une région administrative (très) spéciale
le principe « un pays, deux systè­
mes » date du début des années 1980.
Initialement, il n’est pas spécifique­
ment destiné à la colonie britannique.
Dans l’esprit de Deng Xiaoping, le diri­
geant chinois qui essaye à l’époque de
tourner la page du maoïsme, il doit
permettre de réunir toutes les terres
perdues de la Chine – y compris, à
terme, Taïwan, cette île où se sont ré­
fugiés les nationalistes du Kuomin­
tang, en 1949, après leur défaite face
aux communistes sur le continent. Le
« dossier Hongkong » est cependant le
plus urgent : le bail des Nouveaux Ter­
ritoires, concédés à Londres en 1898,
approche déjà de son expiration.
L’île de Hongkong et la péninsule de
Kowloon, qui lui fait face au nord,
avaient été cédées à perpétuité par
l’Empire mandchou à la Grande­Bre­
tagne, successivement, à l’issue de
chacune des deux guerres de l’Opium
(1839­1942 et 1856­1860) et des « trai­
géopolitique | 13
▶▶▶
Une œuvre, exposée à l’aéroport
de Hongkong, détournée par des
manifestants en réaction aux
violences policières, le 12 août.
ADRYEL TALAMANTES/ZUMA/REA
rappelle le dirigeant de l’une des plus grandes
banques de Hongkong, qui souhaite conser­
ver l’anonymat.
« Si le principe “Un pays, deux systèmes” était
aboli, tout le marché financier s’écroulerait… Ce
n’est pas un scénario crédible », ajoute­t­il, affir­
mant se faire l’écho d’un point de vue quasi gé­
néral dans le secteur. « Après avoir longtemps
joué le rôle d’entrée vers la Chine pour les inves­
tisseurs et entreprises occidentales, Hongkong
est en passe de devenir davantage un tremplin
vers le monde extérieur pour les entreprises et
les entrepreneurs chinois », observe Claude Ha­
berer. Le rôle de coffre­fort pour l’épargne des
riches Chinois joué par Hongkong pourrait
aussi être un argument discret de dissuasion à
une intervention brutale de Pékin, même si
tout indique que les plus grosses fortunes chi­
noises ont compris depuis quelque temps que
Hongkong n’assurait plus les mêmes garan­
ties que par le passé. L’absence de contrôle sur
les mouvements de capitaux rend très facile le
transfert des fonds vers Singapour, Genève ou
les paradis fiscaux.
REMETTRE LA VILLE AU PAS
Mais la partie est inégale : dans le pire des cas,
la Chine pourrait se passer de Hongkong,
alors que l’inverse n’est pas vrai. L’annonce
par Pékin, le 9 août, du départ du patron de la
compagnie aérienne Cathay Pacific, cotée à
Hongkong, est une première qui en dit long
sur la volonté actuelle de la Chine de remettre
la ville au pas, y compris ses milieux d’affai­
res. Car force est de constater que, même si
l’on entend de plus en plus parler le mandarin
dans les rues et les commerces de Hongkong,
les deux mondes s’éloignent au fur et à me­
sure que la Chine se replie idéologiquement
sur elle­même. « En 2008, chaque famille de
Hongkong a donné de l’argent pour aider les
victimes du tremblement de terre du Sichuan.
Lors des Jeux olympiques, nous étions fiers des
médailles chinoises, même si nous avions nos
propres équipes. Ces liens ont tendance à dis­
paraître. Nous voyons moins souvent les
membres de nos familles restées en Chine »,
confie une manifestante.
« Les Hongkongais se bercent de l’idée que,
grâce à eux, la Chine a décollé. Mais s’ils sont
allés en Chine dès la fin des années 1970, c’était
comme investisseurs, et la plupart y ont fait
fortune. C’est à eux d’être reconnaissants de ce
que la Chine leur a donné et non l’inverse, ex­
plique ce familier de la Chine, de Taïwan, de
Hongkong et de Singapour. Aujourd’hui, les
Chinois sont fous de rage de l’ingratitude des
Hongkongais. Ils pensent que Hongkong ne se­
rait rien sans la Chine, ce qui est une évidence. »
Il ajoute : « De leur point de vue, Hongkong a
toujours été plus riche, plus libre, plus ouverte
et développée que n’importe quelle autre ville
du pays… Et aujourd’hui, les Hongkongais en
veulent encore plus, alors qu’ils contribuent de
sociétés chinoises. Environ 65 % des investis­ moins en moins à la croissance du pays. »
« LES CHINOIS sements étrangers en Chine et 65 % des inves­ Un sondage réalisé par l’université de
tissements chinois à l’étranger passent par la Hongkong, à la mi­juin, juste après des mani­
SONT FOUS place de Hongkong. En outre, l’ancienne colo­ festations d’ampleur historique il est vrai, in­
DE RAGE DE nie a joué un rôle de fer de lance dans l’inter­ diquait que 53 % des habitants interrogés
nationalisation de la monnaie chinoise, le s’identifiaient comme Hongkongais, contre
L’INGRATITUDE CNH (yuan offshore), et reste la première 11 % comme Chinois – le taux le plus bas de­
place de conversion. « Quand une entreprise puis 1997. Quand on leur demande s’ils
DES chinoise a besoin de lever des fonds pour des sont fiers d’être citoyens chinois, 71 % des
acquisitions hors de Chine, qu’il s’agisse d’une Hongkongais répondent par la négative. Un
HONGKONGAIS » introduction en Bourse, d’obtenir du crédit pourcentage qui bondit à 90 % chez les
UN FAMILIER bancaire ou d’émettre des obligations sur les 18­29 ans. Manifestement, le « rêve chinois »
DE LA RÉGION marchés internationaux, Hongkong reste la promis par Xi Jinping à ses compatriotes ne
place de choix pour les entreprises chinoises », passe pas la frontière. 
tés inégaux ». A ces deux zones fut convaincre Pékin qu’un accord est droits et les libertés, y compris ceux de
ajoutée une troisième, adjacente, né­ préférable. Et le principe dit d’« un la personne, d’expression, de la presse,
gociée en 1898, à un moment où la co­ pays, deux systèmes » va permettre de réunion, d’association, de voyage,
lonie britannique était surpeuplée, aux deux parties de s’entendre. S’il de mouvement, de correspondance, de
permettant de décupler la surface de n’apparaît pas dans la déclaration grève, de choix d’occupation, de re­
celle­ci avec près de 1 000 kilomètres sino­britannique de 1984, il est quali­ cherche académique et de croyance re­
carrés supplémentaires. Ces Nou­ fié de « politique fondamentale du ligieuse seront assurés par la loi ».
veaux Territoires ont cependant vo­ gouvernement pour la réunification A l’époque, malgré les débats autour
cation, selon l’accord, à revenir dans du pays » et est maintes fois cité dans de la viabilité de la coexistence d’un
le giron chinois quatre­vingt­dix­ la Basic Law, la loi fondamentale de régime communiste et d’un système
neuf ans plus tard. Hongkong qui fait office de « mini­ capitaliste, un certain optimisme pré­
Constitution ». vaut. « De 1978 à 1989, les choses al­
« Haut degré d’autonomie » Selon ce principe, l’ancienne colo­ laient bien en Chine, se souvient John
Les Britanniques auraient volontiers nie britannique conservera son « sys­ Carroll, professeur d’histoire à l’uni­
prolongé le bail, mais, à l’issue d’une tème » durant cinquante ans – jus­ versité de Hongkong. Les réformes
visite mémorable de Margaret That­ qu’en 2047 donc – sous le statut de ré­ économiques avançaient vite. En 1979,
cher à Deng Xiaoping en 1982, ce der­ gion administrative spéciale (RAS). Deng Xiaoping s’était rendu aux Etats­
nier a bien fait comprendre qu’il n’en Placée « directement sous l’autorité du Unis ; il avait même porté un chapeau
était pas question : la Chine repren­ gouvernement central [de la Républi­ de cow­boy ! On pouvait penser que [la
dra possession de Hongkong tout en­ que populaire de Chine], elle bénéfi­ rétrocession de] Hongkong allait con­
tière, en 1997, avec ou sans accord. La ciera d’un haut degré d’autonomie ». Il tribuer à changer la Chine. » Le massa­
chute du dollar hongkongais à est également précisé que « le système cre de Tiananmen, en 1989, sonnera
l’automne 1983 que provoque la pers­ économique et social actuel restera in­ le glas de ces espérances. 
pective de l’échec des négociations va changé, ainsi que le style de vie. (…). Les f. de c. et f. le.
 0123
14 | géopolitique DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019

Hongkong, un territoire sous pressions

La troisième place financière du monde est tiraillée entre sa forte dépendance économique
à la « mère patrie » chinoise et ses velléités prodémocratie
 CULTURE
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019 | 15

Angoulême :
jours de trêve
du cinéma
français
Le Festival du film francophone mêle
films d’auteurs et grosses productions,
frères ennemis le reste de l’année

REPORTAGE dant ces quelques jours précieux

qui précèdent la reprise du tra­
angoulême ­ envoyée spéciale
vail et des batailles. Fondé

Q
ui a dit que ça allait
mal ? Vous êtes au
Festival du film
francophone d’An­
goulême, le FFFA, et
tout va bien. Jacqueline Bisset est
la lumineuse présidente du jury
de cette douzième édition, qui a
commencé le 20 août et s’achève
dimanche 25. Dans le centre his­
torique, la radio locale diffuse en
boucle les bonnes nouvelles du
cinéma français, algérien, québé­
cois, belge, etc. entre deux tubes
des années 1970 ou 1980.
Ce mercredi 21 août au matin, la
douce voix de Charlotte Gains­
bourg se mêlait à l’odeur du crois­
sant chaud dans la rue piétonne :
l’actrice racontait le tournage de
Mon chien Stupide, le film de son
compagnon, Yvan Attal, adapté
du roman éponyme de John
Fante. Cette comédie grand pu­
en 2008 avec le soutien de Ségo­
lène Royal, alors présidente de la
région Poitou­Charente, le FFFA a
toujours vu défiler des responsa­
bles socialistes « qui venaient res­
pirer à Angoulême, comme ils di­
saient, avant d’aller se disputer à
l’université d’été à La Rochelle »,
raconte Dominique Besnehard.
Lui­même a orchestré la campa­
gne présidentielle de Ségolène
Royal contre Nicolas Sarkozy,
en 2007. Avant que les relations
ne se détériorent avec la candi­
date du PS.
Dans le jardin d’un grand hôtel,
transformé en QG du festival, ci­
néastes et comédiennes posent
devant les photographes tandis
que les barmans préparent de sa­
vants cocktails, baptisés du nom
des films sélectionnés. On a le
choix entre Trois jours et une vie,
titre du thriller de Nicolas
Les acteurs Djanis Bouzyani et Karim Ait M’Hand, à l’affiche de « Tu mérites un amour », d’Hafsia Herzi. LES FILMS DE LA BONNE MÈRE
l’amour, brutes, sans tabou, du
pessimisme le plus terrible au
trash le plus délirant, interpré­
tées par d’excellents jeunes co­
médiens, parmi lesquels Djanis
Bouzyani et Anthony Bajon. Ce
dernier a remporté l’Ours d’ar­
gent du meilleur acteur à Berlin,
en 2018, pour son rôle principal
dans La Prière, de Cédric Kahn. Il
joue également dans Au nom de
la terre, d’Edouard Bergeon avec
Guillaume Canet, hommage au
monde paysan à l’esthétique bien
propre, mais qui semble avoir
touché les spectateurs (sortie le
25 septembre).
Autre film pour lequel les spec­
tateurs étaient prêts à refaire la
du festival, le multiplexe CGR pro­ goulême que dans une section pa­
jette chaque jour une « avant­pre­
« Il vaut rallèle à Venise », dit­il, citant le
mière » lors de méga­séances, ne mieux être film de Judith Davis, Tout ce qu’il
laissant de place à aucun autre me reste de la révolution, qui a
film, chose interdite le reste de
à Angoulême reçu le Valois du jury en 2018 et a
l’année pour préserver une diver­ que dans une fait « plus de 100 000 entrées ».
sité. Ainsi, Deux moi de Cédric Autant dire que les profession­
Klapisch (sortie le 11 septembre)
section parallèle nels guettent le palmarès de di­
remplissait déjà neuf salles mer­ à Venise » manche comme les surfers la va­
credi soir à 19 heures. gue. Après, ce sera sauve qui peut
DOMINIQUE BESNEHARD
Dominique Besnehard le ré­ la vie en salle. 
délégué général du festival
pète : « Il vaut mieux être à An­ clarisse fabre

DÉCOUVREZ
blic a été projetée en ouverture, Boukhrief projeté en avant­pre­ queue, après une première tenta­
mardi 20 août, avant sa sortie, le mière (avant sa sortie le 18 sep­ tive ratée, Camille, de Boris Loj­
30 octobre. Gainsbourg et Attal y tembre), et Tu mérites un amour, kine, est une fiction inspirée des

incarnent joyeusement un cou­
ple usé avec quatre enfants, dont
la vie bascule avec l’arrivée d’un
bon gros chien dans leur quoti­
clin d’œil au premier long­mé­
trage autoproduit de Hafsia Herzi,
l’un des dix films de la compéti­
tion (en salles le 11 septembre).
NOTRE NOUVEAU
derniers mois de la photojourna­
liste Camille Lepage, tuée en Ré­
publique centrafricaine en 2014, à
l’âge de 26 ans. Sélectionné à Lo­

HORS-SÉRIE
dien. « Les gens sont sortis heu­ carno, ce film d’une grande fi­
reux de la projection », s’est réjoui D’excellents jeunes comédiens nesse a obtenu le prix du public.
le producteur et ancien agent de Ce grand écart du cinéma fran­ Lola vers la mer, film franco­belge
stars Dominique Besnehard, dé­ çais, entre films du « milieu » et de Laurent Micheli (auteur d’Even
légué général du festival avec Ma­ premiers longs à petit budget, le Lovers Get the Blues en 2017), sur
rie­France Brière, elle­même pro­ Festival du film francophone le thème du changement de sexe,
ductrice, réalisatrice et ancienne d’Angoulême l’a transformé en séduit par l’agilité de son scénario
responsable de programmes télé­ pont ou passerelle, réunissant et son tandem explosif de comé­
visés (« Dimanche Martin », « Col­ un large public. Trop large visi­ diens : Benoît Magimel est un
laro Show », « Fort Boyard »). blement, au vu de la capacité des père de famille ne supportant pas
Au fil des ans, les deux piliers salles. Cette année, encore plus de voir son fils habillé en « tra­
du FFFA ont élaboré une habile qu’en 2018, les files d’attente s’al­ velo » ; Mya Bollaers, non comé­
programmation, mélange de ci­ longeaient sous trente degrés de dienne, une jeune fille transgenre
néma d’auteur (en compétition) température. La compétition toute en tension.
et de films grand public (présen­ méritait le détour pour que les « Et tu as vu Adam ? », demande,
tés lors d’avant­premières) avec festivaliers patientent plus d’une le regard rempli d’émotion, cette
leur cortège de personnalités. heure avant la séance, sans ga­ festivalière qui croise une con­
Après Grand Corps Malade, dont rantie d’avoir une place. naissance. En dépit d’une forme
le film La Vie scolaire sort en salle Tu mérites un amour, où la réali­ un peu conventionnelle (succes­
le 28 août, Catherine Deneuve est satrice tient le rôle principal, ce­ sion de beaux tableaux), ce film
attendue ce week­end – elle est à lui de Lila, bénéficiait déjà du français, marocain et belge de Ma­
l’affiche de Fête de famille, de Cé­ bouche­à­oreille cannois, le film ryam Touzani est le récit puissant,
dric Kahn. Un temps annoncés, ayant été sélectionné à la Se­ presque haletant, d’une jeune
Gérard Depardieu et Mathieu maine de la critique. Le visage marocaine (Douae Belkhaouda)
Amalric ne viendront finale­ mélancolique de Hafsia Herzi et qui attend un bébé sans être ma­
ment pas. sa beauté à la Frida Kahlo habi­ riée. Ce qui aboutit, dans ce pays, à
Capitale de la bande dessinée, tent l’écran. Autour de cette faire de la mère et de l’enfant à ve­
Angoulême déroule pour le sep­ image iconique, à la fois travaillée nir de potentiels parias.
tième art son tapis bleu, chaque et captée sur le vif, s’accroche un Ici, producteurs et distributeurs
été, à la fin du mois d’août. Pen­ flot ininterrompu de paroles sur testent les réactions du public,
ajustent les sorties en salle… Cette
« cabine d’essayage » du cinéma a
Un modèle de financement en question l’avantage d’être discrète : on n’est
pas à Cannes où une mauvaise
Rentrée incertaine mais chargée pour le cinéma français : en at- critique peut marquer durable­
tendant de connaître les orientations du nouveau président du ment un film. Ici, pas de vagues,
Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), rien que « le plaisir du cinéma ». Et
Dominique Boutonnat, nommé en juillet, la profession s’en quelques chansons entre deux
tient aux déclarations du ministre de la culture, Franck Riester, séances, sorties des enceintes qui
en mai à Cannes, qui annonçait le durcissement de la taxation bercent la ville.
des plates-formes de diffusion telle Netflix. Actuellement, un « Femmes, je vous aiiiiiime !, dé­
prélèvement de 2 % est effectué sur leur chiffre d’affaires. « Il clare Julien Clerc. Je n’en connais
faut aller beaucoup plus loin, et nous irons plus loin », a égale- pas de faciles. Je n’en connais que
ment promis le ministre. L’intégration de ces « nouveaux ac- de fragiles. » La formule pourrait
teurs à notre modèle » sera aussi au cœur du projet de loi audio- s’appliquer aux films d’auteur, à
visuel attendu cet automne, ajoutait-il, avec la transposition de leurs batailles pour trouver de
la directive « service des médias audiovisuels » (SMA), laquelle l’argent, et suffisamment de sal­ En vente chez votre marchand de journaux
prévoit que les plates-formes présentent 30 % d’œuvres euro- les pour toucher le public. Mais, à
péennes. Le texte sera assorti d’obligations d’investissement Angoulême, la profession n’a
dans la production cinématographique et audiovisuelle, qui guère d’espace pour étaler ses di­
« s’appliqueront à tous les diffuseurs ». vergences. C’est la trêve : le temps
 0123
16 | culture DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019

A Rock en Seine, The Cure, Rassembleur et effronté,

le théâtre de rue
de la torpeur à l’emballement ensorcelle Aurillac
Les Britanniques étaient, vendredi, la tête d’affiche du festival francilien La ville du Cantal s’est transformée en scène
en plein air pour la 34e édition de son festival

MUSIQUE
REPORTAGE bien­pensante érigée en principe

L
e Summer Festivals Tour aurillac ­ envoyée spéciale de façade ; chacun respecte sin­
2019, tournée des festi­ cèrement la parole de l’autre », re­
vals d’été européens de
The Cure, qui a débuté en
Irlande le 8 juin, a trouvé sa con­
clusion, vendredi 23 août, au festi­
val Rock en Seine. Lequel aura pu
S ortez votre carte bancaire !
Allez, sortez ce grigri qui re­
présente notre point com­
mun à tous avec le monde de la fi­
nance ! », exhortent les voix malé­
vendique Pierre Mathonier,
maire d’Aurillac (PS) depuis 2013.

Attraper au vol un mot doux

mettre le groupe britannique à
son programme pour la première
fois depuis son édition inaugu­
rale, en 2003, doublant cette ve­
nue par l’exclusivité de l’unique
concert en France cette année du
chanteur et guitariste Robert
Smith et ses camarades.
De quoi attirer, en cette pre­
mière journée du festival, un pu­
blic important. Fans anciens
(beaucoup) et plus récents con­
vertis sont aux premiers rangs
dès la fin d’après­midi, moment
où une bonne partie des festiva­
liers est arrivée sur le site, la partie
basse du domaine national de
Saint­Cloud (Hauts­de­Seine). Peu
d’accessoires de l’imagerie gothi­
que (vêtements noirs, regard
sombre et hanté, cheveux héris­
sés), souvent associée au groupe à
ses débuts, mais ici et là des tee­
shirts de différentes tournées du
groupe fondé en 1976 – premier
single en décembre 1978, premier
album en mai 1979 –, il y a dans
cette tournée comme un air d’an­
niversaire des 40 ans.
Lassitude de fin de périple, coup
de fatigue passager, dans ses dé­
buts, le concert de The Cure –
commencé à 21 heures pile, il se
terminera à 23 h 15, tout aussi pile
– met un peu de temps à s’affir­
mer. Il y a comme une torpeur
brumeuse dans le jeu d’ensemble,
certes interprété talentueuse­
ment, mais dans une application
qui tient à distance. Il faudra
Il faudra arriver à
« Burn », huitième
titre, pour que la
musique gagne
en ampleur,
en déploiement
Robert Smith, le chanteur de The Cure, sur la scène de Rock en Seine. STRINGER/AFP
arriver à Burn, huitième titre,
pour que la musique gagne en
ampleur, en déploiement.
Terrain globalement connu
De là, l’enchaînement de Fascina­
tion Street, Never Enough, Push, In
Between Days et Just Like Heaven,
va constituer un temps fort du
concert, avec plus tard A Forest et
ses belles envolées, Primary, 39 et
Disintegration. Des interpréta­
tions qui doivent beaucoup au
stylisme inventif du guitariste
Reeves Gabrels, au sein du groupe
depuis 2012, qui fut notamment
des aventureuses évolutions de
David Bowie dans les années 1990
(les albums Outside et Earthling et
leurs tournées respectives).
Pour cette soirée, tout événe­
mentielle qu’elle soit, The Cure
n’est pas allé chercher dans les
plus rares de ses chansons. Le tour
d’horizon est celui d’un terrain
globalement connu qui trans­
forme les sept chansons du rappel
en triomphe. Celles de l’approche
la plus pop du groupe, mélodies
vite identifiées, limpides, accro­
cheuses. Avec un emballement fi­
nal pour Close To Me, Why Can’t I
Be You ? et Boys Don’t Cry.
Plus tôt, c’est avec d’autres grou­
pes sous le signe du rock, qui do­
minait lors de cette première
journée, que ce vendredi aura
connu ses meilleurs moments :
Balthazar, formation belge ; deux
groupes originaires de Rouen, We
Hate You Please Die, nerveuse­
ment brouillon mais qui séduit
par son urgence, et MNNQNS,
plus assuré ; Eels, surtout.
Mené par le chanteur, auteur­
compositeur et multi­instrumen­
tiste Mark Oliver Everett, Eels est
déjà venu à Rock en Seine en 2010
et 2013. Le groupe américain avait
enthousiasmé. Et jamais deux
sans trois, c’est à nouveau le cas.
Pied au plancher dès les premiè­
res notes, le quartette plonge
dans les racines blues du rock,
dans ses liens avec la soul, dans le
rock’n’roll des origines, et a tou­
jours à son répertoire de bizarres
ballades. Et puis cet art de la
reprise, qui voit passer le groupe
d’Out in the Street – titre oublié de
The Who enregistré en 1965 – à
Raspberry Beret de Prince et ter­
miner son concert par un éblouis­
sant Love and Mercy de Brian
Wilson et The End des Beatles.
En revanche, la « création spé­
ciale pour le festival » annoncée sur
le programme de la chanteuse
Jeanne Added avec Accentus, l’en­
semble vocal fondé par Laurence
Equilbey, laisse sceptique. Jeanne
Added n’a pas poussé la collabora­
tion à son plus loin, en refaçon­
nant son répertoire pour le seul
chœur. Avec ses deux claviéristes
et son percussionniste, elle con­
serve le plus souvent le son électro.
Et le chœur, souvent noyé, fait plus
de la figuration qu’un apport créa­
tif. Tout cela se prenant quand
même un peu trop au sérieux. 
sylvain siclier
Rock en Seine, au domaine
national de Saint­Cloud (Hauts­
de­Seine). Jusqu’au dimanche
25 août. De 49 € à 99 €.
fiques de la troupe Loop­s une fois
la nuit tombée sur la place des
Carmes dans le centre d’Aurillac
(Cantal). Aussitôt dit, aussitôt fait.
Des centaines de spectateurs ano­
nymes, assis en cercle, brandis­
sent leur carte de paiement pour
se laisser aller à divers rituels de
sorcellerie destinés à « désenvoû­
ter la finance ». Ateliers potion,
énumération collective des gran­
des banques accompagnée de
gestes de malédiction, passage de
diverses factures à la broyeuse…
cette mise en scène insolite doit
servir à se « libérer de l’emprise de
la finance », explique l’une des
metteuses en scène. Le spectacle
fait partie des vingt créations
inédites de la programmation of­
ficielle du Festival international
de théâtre de rue d’Aurillac, dont
la 34e édition se tient jusqu’au sa­
medi 24 août.
Placardées de milliers d’affiches
programmatiques, les rues val­
lonnées de la ville du Cantal se
métamorphosent en un gigantes­
que espace scénographique pour
accueillir, en plus des vingt com­
pagnies du programme officiel,
plus de 650 compagnies de pas­
sage. L’espace urbain est investi
jusque dans ses moindres recoins
pour présenter aux milliers
de festivaliers (120 000 attendus
pour cette édition) un large éven­
tail de créations originales et sin­
gulières, entre spectacles mili­
tants, représentations plus philo­
sophiques ou pur divertissement.
Le temps de la manifestation,
Aurillac opère une véritable
« communion sociale » et la di­
versité du public fait la plus
grande fierté des organisateurs.
« Punks à chiens, jeunes en galère,
enseignants, ingénieurs… Tout le
monde se côtoie dans une
bienveillance indifférente. Ce n’est
pas un esprit de tolérance
Lorsqu’il est possible de se faire
une petite place à l’ombre sur la
grande esplanade Michel­Cres­
pin, Les Souffleurs invitent le pu­
blic, à l’occasion de leur nouvelle
création, Terra Lingua, à une ré­
flexion incarnée sur la significa­
tion du langage, du sens des mots
et de l’importance de préserver
les langues dans leur diversité. Le
décor mobilise une grue installée
au centre de la place ; une tour de
Babel s’érige en dessous à la sueur
du front des Souffleurs qui ten­
tent d’atteindre un micro sus­
pendu. A la fin de la pièce, des mil­
liers de proverbes poétiques
écrits dans toutes les langues sont
lancés en confettis ; les specta­
teurs se précipitent pour attraper
au vol un petit mot doux et le gar­
der en souvenir. Sur l’un d’entre
eux on peut lire, à côté de la ver­
sion originale en allemand : « Ma
petite langue en rêve se fait un
pays où elle construit des nids de
mots pour essaimer par­delà des
frontières qui ne sont pas les sien­
nes », de l’écrivaine autrichienne
Maja Haderlap.
Un peu plus loin, un règlement
de comptes : « Qu’est­ce qui vous
permet de dire ça ? Qu’est­ce que
vous avez dit ? Je ne vous laisserai
pas m’insulter comme ça », lan­
cent des voix d’un ton colérique.
Un quindem – vélo à 5 cyclistes –
enchaîne les tours de la place du
Square : c’est de là que vient le pu­
gilat. Mais sur ce rond­point, les
forces de l’ordre chargées de la sé­
curité n’ont pas l’air inquiet. Les
conflits et éclats de voix sont
ceux mis en scène par les mem­
bres du Cirque Ozigno qui, sur
leur drôle de vélo, racontent un
monde qui ne tourne pas rond. 
sixtine lyon
Festival international de théâtre
de rue d’Aurillac (Cantal),
jusqu’au 24 août.

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0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019 télévision | 17
A Guernesey, l’esprit VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
de Victor Hugo demeure
Visite guidée d’Hauteville House, la maison d’exil fraîchement
restaurée, où l’écrivain rédigea « Les Misérables » DIMANCHE 25 AOÛT
TF1
21.05 Edge of Tomorrow
Film de Doug Lima. Avec Tom Cruise,
ARTE maison : Hauteville House, où il qu’il poursuit ses combats répu­ Emily Blunt (EU, 2014, 130 min).
DIMANCHE 25 À 17 H 30 vivra de 1855 à 1870. blicains pour l’égalité, contre la France 2
DOCUMENTAIRE C’est à l’occasion de la réouver­ peine de mort et la misère. Là 21.00 L’Outsider
ture de cette demeure, le 7 avril, qu’il va mettre en pratique ses Film de Christophe Barratier. Avec

A
celles et ceux qui
aiment rêver à un
ailleurs, qui chérissent
la mer et la littérature,
les ports et les flots balayés par les
vents, on ne saurait que conseiller
ce documentaire consacré à Hau­
teville House, la maison où Victor
Hugo trouva asile sur l’île anglo­
normande de Guernesey.
Reprenons un peu l’histoire.
Après avoir soutenu Louis­Napo­
léon Bonaparte, Victor Hugo
prend ses distances avec celui
qu’il appellera, depuis son exil en
Belgique après le coup d’Etat de
1851, « Napoléon le Petit ». Dans le
pamphlet qui en porte le titre et
qu’il signe en 1852, le républicain
convaincu qu’est Victor Hugo
s’attaque à Napoléon III, qu’il
traite de « voleur », de « criminel »
et de « filou ». Expulsé, le grand
homme trouve d’abord asile à
Jersey, île « sévère et douce », avant
d’accoster à Guernesey. Là, avec
l’argent dû au succès des Contem­
plations, il achète, à 54 ans et pour
la première fois de sa vie, une
après dix­huit mois de travaux,
que ce documentaire a été tourné.
En compagnie de restaurateurs
d’art et de conservateurs, et sur­
tout grâce aux interventions éclai­
rantes de Gérard Audinet, direc­
teur des Maisons de Victor Hugo,
et de l’un de ses biographes, Jean­
Marc Hovasse, directeur de recher­
che au CNRS, le téléspectateur peut
mesurer à quel point Victor Hugo
était un décorateur et un archi­
tecte peu banal. Sur l’une des che­
minées, on lit son attachement à la
république et à la liberté. Celui
pour l’Europe se manifeste dans le
jardin, près de la fontaine aux ser­
pents, où il plante, un 14 juillet, un
chêne porteur d’espoir.
La mise en pratique des opinions
Mais c’est la découverte du troi­
sième étage qui reste la plus
émouvante. C’est là, avec le ciel et
l’océan pour horizon, qu’il écrit.
Là que, chaque matin et souvent
dès 5 heures, il va notamment
écrire Les Misérables (1862), Les
Travailleurs de la mer (1866). Là
opinions, puisqu’il organise, cha­ Arthur Dupont (Fr., 2016, 120 min).
que semaine, le repas des enfants France 3
pauvres. 21.00 Meurtres
L’après­midi, Victor Hugo ar­ en eaux troubles
pente régulièrement les chemins Série allemande. Avec Matthias
de Guernesey, et ces paysages ma­ Koeberlin (All., 2018).
rins lui inspirent une série de des­ Canal+
sins. Mais il peut aussi contempler 21.00 Football
ce monde depuis son toit, en ad­ Paris-S-G - Toulouse. Ligue 1,
mirer la beauté sauvage (« On se 3e journée en direct.
croirait en Bretagne », écrit­il), sa­ France 5
luer, de loin, la France où il ne re­ 20.50 Les 100 Lieux
viendra qu’en 1870, après dix­neuf qu’il faut voir
années d’exil. Il retournera à Guer­ Documentaire d’Anne-Sophie
nesey en 1872, y restera un an, le Margerel (Fr., 2019, 105 min).
temps de rédiger Quatre­vingt­ Arte
treize. C’est la dernière fois qu’il 20.55 Invictus
mettra les pieds dans cette mai­ Film de Clint Eastwood.
son, où il pensait pourtant mourir. Avec Morgan Freeman, Matt Damon
En 1927, Hauteville House est of­ (EU, 2009, 130 min).
ferte par les descendants de l’écri­ M6
vain à la Ville de Paris. Celle­ci, Victor Hugo, vers 1872, à Hauteville House. ANDRE/MAISONS DE VICTOR HUGO 21.05 Capital
avec l’aide de la fondation Magazine présenté
François Pinault, y a entrepris de par Julien Courbet.
grands travaux de restauration. chance de s’y rendre pourront re­ Victor Hugo à Guernesey.
Désormais, et c’est heureux, il ne garder ce documentaire qui Exil et création, de Mathilde
pleut plus dans la maison de donne, décidément, des envies Deschamps­Lotthé (Fr., 2019, LUNDI 26 AOÛT
Victor Hugo. Hauteville se visite. d’ailleurs. Et de grandeur.  52 min). Disponible sur Arte.tv TF1
Celles et ceux qui n’auront pas la émilie grangeray jusqu’au 23 octobre. 21.05 Joséphine, ange gardien
Série. Avec Mimie Mathy,
Souleymane Touré (Fr., 2018).
France 2
21.05 A l’intérieur

« Pose », une saison 2 relâchée et brouillonne Série. Avec Noémie Schmidt,

Jeu malhabile, récit qui part dans toutes les directions… la deuxième saison de la série de Ryan Murphy déçoit
CANAL+ SÉRIES d’actrices transgenres – notam­
À LA DEMANDE ment Mj Rodriguez, Indya Moore,
SÉRIE Dominique Jackson, Hailie Sahar
et Angelica Ross, dans les rôles
long, et le 9, qui délocalise l’action
et jette un soupirant musclé dans
les bras de Blanca. Mais que de­
vient­il ensuite ?
Béatrice Dalle (Fr., 2018).
France 3
21.05 Wasabi
Film de Gérard Krawczyk. Avec
Jean Reno (Fr./Jap., 2001, 90 min).
Canal+
Thierry Mugler de l’époque, avec C’est tellement nunuche qu’on 21.05 La Maison biscornue
une glamourisation et une styli­ pourrait bien s’arrêter là ; mais d’après Agatha Christie
sation un peu trop léchées pour Pose, en raison du succès, est con­ Téléfilm de Gilles Paquet-Brenner.
être crédibles – la police viendrait trainte de jouer les prolongations. Avec Max Irons, Stefanie Martini,

P ar le biais d’une fictionna­

lisation très documentée,
Pose, la série imaginée par
Steven Canals et cocréée avec
Ryan Murphy et Brad Falchuk, a
fait connaître à un large public la
scène de bal underground menée
par les communautés LGBTQ noi­
res et latinas de New York dans le
dernier tiers du XXe siècle.
Beaucoup de représentants de
ces communautés se sont félici­
tés qu’une série emploie autant
principaux. C’est une première ;
mais il faut cependant reconnaî­
tre qu’aucune d’entre elles n’évite
un jeu malhabile ou outré.
On avait aimé la première sai­
son, concentrée, bien écrite, riche
de propos ; la deuxième – qui
compte deux épisodes de plus –
multiplie et abandonne les fils
narratifs, délaye et casse la courbe
du récit par des épisodes « inter­
calaires » : notamment le 6, pres­
que entièrement musical et trop
Stylisation un peu trop léchée
Pourquoi évoquer, dès le premier
épisode, l’émergence d’Act Up et
de ses actions – auxquelles se ral­
lient certains personnages – pour
ne plus en entendre parler après ?
Et que devient le cadavre d’un es­
clave SM caché dans le placard
d’un des héros ?
On imaginait qu’en cette fin de
saison – après un final qui se
prend un peu trop pour un défilé
cueillir la responsable (plus que
coupable) sur les lieux des festivi­
tés : beau cliffhanger !
Au lieu de quoi, Blanca, « mère »
qui a mené vers le succès et l’in­
Ce qui permettra, on l’espère, à la
saison 3 de regagner le niveau
d’excellence auquel Ryan Murphy
nous a habitués. 
renaud machart
Glenn Close (RU, 2017, 110 min).
France 5
20.50 Nicolas Le Floch
Série. Avec Jérôme Robart (Fr., 2015).
Arte
dépendance ses « enfants » (ac­ 20.50 On ne meurt
cueillis dans le cadre d’une « mai­ Pose, saison 2, série créée que deux fois
son » qui est à la fois le lieu de rési­ par Ryan Murphy, Brad Falchuk Film de Jacques Deray. Avec Michel
dence d’une famille recréée et ce­ et Steven Canals. Serrault (Fr., 1985, 105 min).
lui d’une troupe créative), Avec Mj Rodriguez, Dominique M6
embarque dans la rue deux jeu­ Jackson, Indya Moore, Billy 21.05 L’Amour est dans le pré
nes ados livrés à eux­mêmes et Porter, Sandra Bernhard Emission de télé-réalité présentée
destinés à prendre la relève… (EU, 2019, 10 x 37­62 min). par Karine Le Marchand.

0123 est édité par la Société éditrice

HORIZONTALEMENT du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à
I. Même familièrement, il n’y a rien SUDOKU compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
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Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
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LES VIKINOR
sible. 5. Reiser. 6. Blé. Désuet. 7. Lisais. Loi. 8. Eg. If. Vêle. 9. Motrice. El. lant Espagnol. Points opposés. MAN
ILS ONT FONDÉ LA Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
CHEZ VOTRE Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
11. Difficulté au passage des couleurs. ÇATAL HÖYÜK PÔLE NOR D
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
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18 | L’ÉTÉ DES SÉRIES DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019

berlin ­ correspondant

Les souvenirs aigres­

L
a rencontre aurait pu avoir lieu
chez lui, dans son appartement
de la Karl­Marx­Allee, cette ave­
nue monumentale qui faisait la
fierté de Berlin­Est à l’époque du
doux de l’apparatchik
rideau de fer. Mais, à 91 ans, Hans
Modrow dispose toujours d’un bureau au
siège du parti de gauche Die Linke, dont il
préside le « conseil des anciens ». Une petite
Hans Modrow
pièce monacale où il vient encore deux fois
par semaine, recevant ses visiteurs derrière 1989, MON DERNIER ÉTÉ EN RDA 6 | 6
une table en Formica marron et face aux
œuvres complètes de Marx et Engels en
En cet été 1989, le premier secrétaire à Dresde du SED,
soixante volumes. Un décor qui vous trans­
porte tout droit au temps de la République
le parti au pouvoir depuis 1949, conduit une délégation
démocratique allemande (RDA), ce pays dont
il fut le dernier premier ministre commu­
du comité central reçue à Pékin. Son positionnement,
niste, de novembre 1989 à mars 1990.
Avant notre rendez­vous, une question
à la fois au cœur et à la marge de l’appareil d’Etat, sera
nous avait taraudé : à 91 ans, le vieil homme sa chance ; le 8 novembre, à la veille de la chute du Mur,
garde­t­il un souvenir précis des événe­
ments, ou le grand âge a­t­il fait son effet ? Il il est nommé premier ministre
nous a vite rassuré. La voix est fatiguée, mais
la mémoire intacte. Jamais il n’hésite sur une
date, jamais ne cherche un nom, jamais ne se
trompe de jour quand il s’agit de situer tel
événement un lundi, un mercredi ou un ven­
dredi. On lui fait la remarque. C’est notre sur­
prise qui l’étonne. « Comment voulez­vous
oublier de tels moments ? », réplique­t­il, pres­
que offusqué. Troublante hypermnésie : plu­
sieurs fois, pendant cette conversation, nous
aurons le sentiment que Hans Modrow revit
l’été 1989 plus qu’il ne se le remémore.
Comme si tout était encore à vif. Comme si le
temps n’avait pas digéré les choses. Comme
si, trente ans plus tard, lui­même demeurait
convaincu que l’histoire aurait pu s’écrire
autrement.
Pour lui, l’été 1989 débute dans la plus par­
faite normalité. Agé de 61 ans, il vit alors à
Dresde, où il dirige depuis 1973 la fédération
du Parti socialiste unifié (SED), le parti au
pouvoir depuis la fondation de la RDA,
en 1949. Une responsabilité importante,
Dresde étant, avec ses 520 000 habitants, la
troisième ville la plus peuplée du pays après
Berlin­Est et Leipzig. Mais ce poste, loin de la
capitale et à l’écart du gouvernement, ne fait
pas encore de lui une personnalité de tout
premier plan, comme ce sera le cas quelques
semaines plus tard. Une situation qui lui per­
met, contrairement à d’autres, plus exposés,
d’envisager de paisibles vacances.
Hans Modrow
DE « BELLES VACANCES » (au centre)
Les vacances, justement. Pendant des an­ aux côtés
nées, Hans Modrow et son épouse Annema­ de membres
rie les ont passées au bord de la Baltique, sur du « groupe
la petite île d’Usedom, à quelques kilomètres des 20 » dans une
de Jasenitz, ce bourg de Poméranie où il est « manifestation
né en 1928, tout près de la frontière polo­ du lundi »,
naise. Quatre semaines au grand air dans un à Dresde,
« ZK­Heim », comme on appelait alors ces hô­ à l’automne 1989.
tels réservés aux seuls membres du comité ULRICH HÄSSLER/PICTURE
central du SED. Celui où se rendaient les Mo­ ALLIANCE/ZB
drow portait le nom de Soja Kosmodemjans­
kaja, héroïne de la résistance soviétique pen­
due par les nazis en 1941. Racheté par un pro­
moteur après la réunification allemande, au
début des années 1990, c’est aujourd’hui un
hôtel de luxe.
A la fin des années 1980, les Modrow n’ont A son retour en RDA, aux premiers jours du ratchik. Formé à Moscou à l’école du Komso­ fruits exotiques introuvables ailleurs est de­
toutefois plus les mêmes habitudes de vacan­ mois d’août, Hans Modrow trouve « la situa­ mol, l’organisation de jeunesse du Parti com­ venu, en cette fin des années 1980, l’un des
ces. Maintenant que leurs deux filles ont tion du pays toujours assez calme ». Mais « un muniste d’URSS, ce mécanicien est devenu symboles les plus honnis d’une nomenkla­
grandi, le couple est plus libre de ses mouve­ calme étrange », reconnaît­il avec le recul. Le membre du comité central du SED en 1967, tura vivant dans l’entre­soi, coupée de tout
ments. Mais quand on appartient à la no­ 2 mai 1989, la Hongrie, sous l’impulsion du où il fut chargé du très sensible secteur « agi­ lien avec la société réelle.
menklatura, la politique n’est jamais loin. « Il nouveau premier ministre Miklos Németh, tation et propagande », avant de prendre la Trente ans plus tard, Hans Modrow se re­
s’agissait surtout de voyages d’échanges avec un communiste réformateur de 41 ans, a en­ direction du parti à Dresde, en 1973, à l’âge de fuse cependant à jouer les professeurs de
les partis frères. C’est comme ça qu’on est allés trepris de démanteler le grillage barbelé et le 45 ans. Depuis le début des années 1980, cet vertu. Brocarder le train de vie des autres ne
en France, en Italie ou en Crimée », se souvient système d’alarme électrique qui fermait sa homme réputé discret, intègre et taiseux cri­ l’intéresse pas, pas plus d’ailleurs que de
le vieil homme. frontière avec l’Autriche depuis 1966. Consé­ « LA SITUATION tique toutefois de plus en plus l’immobi­ commenter le sien. On aura d’ailleurs beau­
C’est un de ces voyages de groupe, alors si quence : au fil de l’été, de plus en plus de ci­ ÉTAIT TOTALEMENT lisme qui prévaut à Berlin­Est, et voit dans coup de peine à le faire parler de sa vie per­
typiques pour l’élite du régime, qu’ont prévu toyens est­allemands ont choisi cette filière l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev sonnelle, de ses hobbys. De la randonnée
les Modrow en cet été 1989. La destination est pour quitter leur pays et gagner la Républi­ IRRÉELLE. LA en URSS, en 1985, l’ouverture vers une peres­ dans les monts Métallifères, à la frontière
cette fois la « République populaire de Chine » que fédérale d’Allemagne (RFA). troïka à l’allemande. tchécoslovaque ; un peu de chasse au gibier ;
(il n’oublie jamais de citer les trois mots). On le comprendra rétrospectivement : sans DIRECTION DU PARTI Ce positionnement, à la fois au cœur et à la quelques soirées au stade pour soutenir le
Prévu de longue date, le déplacement a failli en être la seule cause, cette brèche ouverte marge de l’appareil d’Etat est­allemand, sera Dynamo Dresde, qui remporte en juin 1989
être annulé à cause de la répression san­ dans le rideau de fer séparant la Hongrie de
ÉTAIT OBSÉDÉE sa chance en cette fin d’été 1989. D’autant la DDR­Oberliga, le championnat de football
glante du mouvement étudiant de la place l’Autriche sera un facteur décisif qui contri­ PAR LA PRÉPARATION que Hans Modrow a la réputation d’un de première division de RDA, ce qui n’était
Tiananmen, un mois plus tôt, mais il a finale­ buera à précipiter la chute du mur de Berlin, la homme simple, dont la vie frugale, pour ne pas arrivé depuis 1978… Pour les loisirs, c’est à
ment été maintenu. Charge à Hans Modrow réunification allemande, l’effondrement du DES FESTIVITÉS DU pas dire austère, est éloignée de celle d’une peu près tout. A 91 ans, Hans Modrow de­
de conduire ce groupe comportant d’autres bloc communiste et la fin de la guerre froide. certaine élite du régime. Peu de temps après meure avant tout un homme politique.
membres du comité central du SED. En laissant faire le gouvernement hongrois, 40E ANNIVERSAIRE son arrivée à Dresde, il a quitté la villa à la­
Dès son arrivée à Pékin, la délégation est re­ c’est un signal très fort qu’envoie l’Union so­ DE LA RDA. quelle il avait droit en tant que premier secré­ « DES IDIOTS »
çue par le vice­premier ministre Wu Xueqian. viétique de Mikhaïl Gorbatchev à ceux qui taire local du SED pour s’installer au dixième A l’écouter, c’est à partir d’août 1989 que la si­
« Il ne s’agissait pas pour nous de justifier les veulent passer à l’Ouest ou transformer le sys­ ON NE PENSAIT étage d’un « Plattenbau », ces grands ensem­ tuation a commencé à devenir inquiétante.
événements malheureux de la place Tianan­ tème de l’intérieur. En 1956, à Budapest, et bles d’habitat collectif si typiques de la RDA. Depuis le début du mois, des centaines de ci­
men, mais il était important de montrer que en 1968, à Prague, l’URSS avait envoyé ses QU’AUX CÉRÉMONIES Rien à voir avec le confort d’une poignée d’ul­ toyens est­allemands ont en effet trouvé re­
nous gardions de bonnes relations avec la Ré­ chars pour mater les rebelles. En cet été 1989, ET AUX DÉFILÉS » tra­privilégiés du régime à Wandlitz, ce lotis­ fuge à l’ambassade de RFA en Tchécoslova­
publique populaire de Chine », assure ce n’est plus le cas. Désormais, un pays mem­ sement d’une vingtaine de villas aux envi­ quie, unique pays du bloc soviétique où ils
aujourd’hui celui qui garde surtout de ces bre du pacte de Varsovie peut ouvrir ses fron­ rons de Berlin, réservé depuis 1960 aux peuvent se rendre munis de leur seule carte
trois semaines en Chine le souvenir de « bel­ tières sans risquer de s’exposer à des repré­ membres du Politburo et à leurs familles. d’identité et sans avoir besoin de visa. Jour
les vacances » passées à arpenter quelques sailles. Formidable encouragement pour les Protégé par un mur d’enceinte et gardé par après jour, le flot grossit. Sur le moment, Mo­
grands sites touristiques du pays, de la candidats au départ ou les réformateurs. 200 soldats, le domaine de Wandlitz, avec ses drow admet ne pas avoir pris la mesure des
Grande Muraille aux statues en terre cuite Hans Modrow, lui, appartient à la seconde 160 hectares, son cinéma, sa piscine, son res­ événements. « Nous, les cadres du parti,
des soldats de Xi’an. catégorie. D’un côté, il a tout du parfait appa­ taurant et ses commerces approvisionnés en étions comme des idiots, et ne voyions pas à
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DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
quel point la société autour de nous chan­
geait », expliquera­t­il plus tard à deux histo­
riens venus l’interviewer dans le cadre d’une
biographie qu’ils lui ont consacrée.
De ces semaines d’août et septembre 1989,
Modrow garde des souvenirs amers. L’im­
pression d’un pouvoir flottant, en perdition,
avec à sa tête un Erich Honecker affaibli après
une opération de la vésicule biliaire compli­
quée, mi­août. Le sentiment, aussi, d’une
perte du sens des priorités : « La situation était
totalement irréelle. La direction du parti était
obsédée par la préparation des festivités du
40e anniversaire de la RDA. On ne pensait
qu’aux cérémonies et aux défilés, sans voir que
cette autocélébration était une façon de fermer
les yeux sur ce qui se passait dans la réalité. Des
centaines de nos concitoyens quittaient le pays
chaque jour pour aller en République fédérale
et on faisait comme si de rien n’était. »
Pour lui, le vrai tournant a lieu le 30 sep­
tembre 1989, quand le ministre des affaires
étrangères de RFA, Hans­Dietrich Genscher,
annonce depuis le balcon de l’ambassade de
son pays à Prague que les « réfugiés » de RDA
ont désormais le droit de rejoindre l’Allema­
gne de l’Ouest. Cette décision, négociée en
amont avec Berlin­Est et Moscou, arrange
tout le monde : en RFA, les images quotidien­
nes de la misère des occupants, contraints de
dormir dans des sacs de couchage dans les
couloirs ou les jardins de l’ambassade, deve­
naient dangereuses pour le gouvernement
du chancelier Helmut Kohl, que l’on com­
mençait à taxer d’impuissance ; en RDA,
l’éclat des festivités du 40e anniversaire du ré­
gime risquait d’être terni aux yeux du monde
entier par la persistance de l’abcès pragois…
A Dresde plus qu’ailleurs, les conséquences
du discours de Genscher se font ressentir
aussitôt. Proche de la frontière tchécoslova­
que, la capitale de la Saxe est sur la ligne de
chemin de fer reliant Prague à la petite ville
bavaroise de Hof, en RFA. Pour empêcher ses
ressortissants de filer en masse vers la Tché­
coslovaquie, la RDA décide, le 3 octobre, de
fermer sa frontière. Dès lors, les candidats au
départ vers l’Ouest n’ont plus qu’une solu­
tion : puisqu’ils ne peuvent prendre le train
depuis la gare de Prague, il ne leur reste plus
qu’à tenter d’embarquer dans les convois qui
relient la capitale tchécoslovaque à la Bavière
via la RDA.
En gare de Dresde, la situation devient ex­
plosive. Plusieurs milliers de personnes ten­
tent d’y pénétrer dans l’espoir de sauter dans
les trains. L’état d’urgence est décrété, l’ar­
mée mobilisée. Autour de la gare, des pavés
volent, des voitures de police brûlent. Il y a
plusieurs blessés. Trente ans plus tard, Mo­
drow continue de justifier cet épisode qui fut
l’un des rares moments de violence de cette
« révolution pacifique » de l’automne 1989 :
« Encore aujourd’hui, on me reproche d’avoir
déclenché ces violences. Pourtant la décision
de mobiliser les forces armées à la gare de
Dresde n’avait pas pour but de réprimer les
manifestants mais de protéger des vies. Si
nous n’étions pas intervenus, il y aurait sans
doute eu des morts. »
L’ÉTÉ DES SÉRIES | 19
Hans Modrow,
à Berlin,
en août. DEREK
HUDSON POUR « LE MONDE »
Cependant, à partir de la mi­octobre, les
dernières illusions s’effondrent. A Leipzig et
bientôt un peu partout, les « manifestations
du lundi » mobilisent chaque semaine des
foules de plus en plus nombreuses. A Dresde,
Hans Modrow décide de jouer la carte du dia­
logue avec le « groupe des 20 », une vingtaine
de représentants de l’opposition âgés de 17 à
50 ans, que le maire de la ville, Wolfgang Ber­
« VOUS POUVEZ ghofer, décide de reconnaître comme inter­
IMAGINER DANS locuteurs légitimes.
Ce qui se déroule alors à Dresde ne passe
QUELLE SITUATION bien sûr pas inaperçu à Moscou. Le 18 octo­
bre, Erich Honecker démissionne de son
BIZARRE J’ÉTAIS : poste de secrétaire général du SED en justi­
fiant sa décision par sa récente opération de
PREMIER MINISTRE la vésicule qui, comme il l’écrit ce jour­là, le
NOMMÉ prive de « toute la force et l’énergie nécessaires
pour conduire les destinées de notre parti et de
MAIS PAS INVESTI, notre peuple ». Affaibli par la maladie, le
vieux dirigeant de 77 ans est surtout lâché
SPECTATEUR par son parti, y compris par certains de ses
D’UN ÉVÉNEMENT plus proches fidèles, avec l’aval de Moscou.
A Berlin­Est, cette fois, l’heure du change­
ABSOLUMENT ment a sonné. Egon Krenz, qui passe de nu­
méro deux à numéro un, se résout à être
MAJEUR MAIS SANS l’homme des réformes, lui qui était jusque­là
AUCUNE PRISE un des défenseurs les plus acharnés de l’ordre
établi. Pour être crédible, il comprend qu’il
SUR LE COURS doit faire appel à des hommes qui n’ont pas
attendu son arrivée au pouvoir pour récla­
DES CHOSES » mer un changement. C’est le cas de Modrow.
Trente ans plus tard, le vieil homme, pour­
tant peu démonstratif, peine à dissimuler
son émotion lorsqu’il raconte les circonstan­
ces de son arrivée au pouvoir, au lendemain
de la démission du premier ministre Willi
Stoph, un fidèle de Honecker, à la tête du gou­
vernement depuis 1976. « C’était le mercredi
8 novembre. Egon Krenz m’a fait venir dans son
bureau. Il m’a demandé si j’étais prêt à accepter
cette responsabilité. J’ai dit oui. Ce que j’ai dé­
couvert plus tard, c’est que trois autres avaient
refusé avant moi. Le 8 novembre 1989, me voilà
donc premier ministre, ou plus exactement
premier ministre nommé car je n’étais pas en­
core au pouvoir, ma prise de fonctions étant
prévue seulement le vendredi 17 novembre,
jour de ma déclaration de politique générale
devant la Chambre du peuple. »
Dès les heures qui suivent sa nomination,
Hans Modrow prend ses quartiers dans l’une
des résidences réservées aux officiels du ré­
gime, près des bords de la Spree, au cœur de
Berlin­Est. Sa priorité est à la formation d’un
nouveau gouvernement. Mais l’urgence reste
la question des frontières. Dans l’après­midi
du 9 novembre, il interrompt ses consulta­
tions pour se rendre à une réunion du comité
central où doit être adoptée une loi prévoyant
l’ouverture échelonnée des frontières à partir
du lendemain. La suite est connue. Un peu
avant 19 heures, lors d’une conférence de
presse, Günter Schabowski, le porte­parole du
SED, annonce que vient d’être votée « une ré­
glementation qui permet à tout citoyen de RDA
de quitter le pays en passant par les postes­
frontières de la RDA ». A partir de quand, de­
mande un journaliste ? « Autant que je sache…
immédiatement », répond Schabowski.
« JE RESTE CE QUE J’AI TOUJOURS ÉTÉ »
Aujourd’hui, Modrow peine encore à garder
son calme en évoquant cet épisode. « Scha­
bowski était dévoré par l’orgueil. Il a préféré ré­
pondre n’importe quoi plutôt que de dire qu’il
ne savait pas. Car la vérité est qu’il était déjà
parti à la conférence de presse quand il a été dé­
cidé que l’annonce de l’ouverture progressive et
ordonnée des frontières devait être faite seule­
ment le lendemain à 4 heures du matin. »
Sur le moment, Modrow ignore cependant
ce qu’a déclaré le porte­parole du parti à la
presse. « La réunion du comité central s’est ter­
minée et j’ai rejoint ma résidence à pied
comme si de rien n’était. C’est là qu’un jeune
homme m’a interpellé, sans savoir d’ailleurs
qui j’étais mais juste parce que je passais par là,
en me disant : “Monsieur, qu’est­ce que c’est
que cette histoire de frontières ? Il paraît qu’el­
les viennent d’être ouvertes ?” » Surpris, Mo­
drow se précipite chez lui et allume la télévi­
sion. « C’est là que j’ai vu les images de cette
foule franchissant le Mur. Vous pouvez imagi­
ner dans quelle situation bizarre j’étais : pre­
mier ministre nommé mais pas investi, specta­
teur d’un événement absolument majeur mais
sans aucune prise sur le cours des choses. »
Quand on lui demande s’il a dormi cette
nuit­là, il marque un bref silence, avant de ré­
pondre : « Je n’ai pas le souvenir d’avoir beau­
coup dormi, non. Mais je sais qu’Egon Krenz,
lui, n’a pas eu de problème de ce côté­là, et qu’à
minuit et demi, il était déjà allé se coucher… »
Au total, Hans Modrow dirigera le gouver­
nement pendant un peu moins de cinq mois,
jusqu’au 12 avril 1990, date à laquelle lui suc­
cédera le chrétien­démocrate Lothar de Mai­
zière. Son passage au pouvoir restera marqué
par une volonté d’ouverture politique inédite
en RDA, avec la décision, en février 1990, de
constituer un gouvernement de « responsa­
bilité nationale » incluant huit ministres sans
portefeuille issus des groupes d’opposition de
la « table ronde », instance réunissant les re­
présentants de l’ensemble des forces politi­
ques est­allemandes et chargée de préparer
les premières élections libres de RDA, en
mars 1990, sept mois avant la réunification
allemande.
Membre du Bundestag de 1990 à 1994 puis
député européen de 1999 à 2004 pour le Parti
du socialisme démocratique (PDS), héritier
du SED et ancêtre de Die Linke, Hans Modrow
reste un homme en colère. Contre la façon
dont s’est faite la réunification, coupable à ses
yeux de n’avoir pas suffisamment respecté
les anciens Allemands de l’Est, traités comme
des « citoyens de seconde zone ». Contre ce
qu’est devenue la société allemande, « de plus
en plus inégalitaire et de moins en moins soli­
daire ». Contre la manière « extrêmement cari­
caturale » dont on raconte de nos jours l’his­
toire du communisme. On lui demande si
1989 l’a changé, en ébranlant ses convictions,
en remettant en cause ses certitudes. La ré­
ponse est non. « Je reste ce que j’ai toujours été :
un socialiste révolutionnaire », assure­t­il en
désignant les œuvres de Marx et Engels.
Avant d’ajouter, comme ultime preuve de fi­
délité à ses idéaux de jeunesse : « D’ailleurs, j’ai
les mêmes à la maison. » 
thomas wieder
FIN
 0123
20 | L’ÉTÉ DES SÉRIES DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019

Dans une allée de l’Hyper U de Mende. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

REPORTAGE
mende (lozère) ­ envoyée spéciale

E
lles étaient trois filles,
plantées à l’aube
devant l’entrée des
livraisons avec l’in­
tention de bloquer le
magasin. « A Mende,
on n’a pas de Fouquet’s, mais on a
Hyper U. C’est ce qu’on a de plus
gros », avait proposé l’une. Les
autres avaient suivi, comme une
évidence. Elles venaient de se ren­
contrer sur le rond­point des
Fontanilles, toutes les trois « gilets
jaunes », toutes les trois avec une
vie, un travail, des enfants. C’était
en décembre 2018.
Six mois plus tard, l’une d’elles
pousse un chariot le long des liqui­
des vaisselle, les flacons scintillent
comme les alcools sur l’étagère
d’un bar. Un employé la reconnaît.
Il voudrait la saluer, puis hésite. La
direction n’apprécierait peut­être
pas. Lui­même était allé sur un
rond­point, au début du mouve­
ment. Les gens lui avaient plu, ils
se montraient leur fiche de paie
dans un pays où tout reste caché.
L’employé cherche la fille des
yeux, mais elle a disparu dans un
embouteillage de chariots, de ga­
mins, de palettes.
C’est samedi, le matin, et déjà
foule. On doit être le 3 ou le 4, il y a
cette fringale des débuts de mois,
des salaires virés sur les comptes,
des « courses faites tête haute », dit
une assistante maternelle. Elle
lance à son fils : « Prends du sham­
pooing. » Puis : « Du qui sent bon ».
Et encore plus fort : « On se re­
trouve au saucisson Label rouge. »
A l’étage administratif, un jeune
gars remonte le couloir pour poser
sa candidature. De gros rires l’ac­
cueillent. « Tiens ! T’es là aussi,
toi ? » Ils sont déjà quatre ou cinq à
attendre, tous sortis de terminale,
d’un lycée ou l’autre de Mende.
Sans se concerter, ils se sont re­
trouvés ici. Une blonde, tatouages
recouvrant entièrement ses bras,
explique qu’elle avait eu peur de
réussir le bac. « Quand tu redou­
bles, au moins, tu sais ce que tu fe­
« On n’a pas de Fouquet’s, on a Hyper U »
ras à la rentrée. » Approbation gé­
nérale. « Les têtes de classe, ils dé­
AU PAYS DES HYPERS 6 | 6 Loin des commerces de luxe parisiens, le magasin, principal
crochent ce qu’ils veulent. Mais
nous, les 11­12 de moyenne, on a le
employeur de Mende, n’a pas été pour autant épargné par les « gilets jaunes ». Puis, le
bac. Et après ? Moi, je me retrouve
seule dans la foule. » Deux garçons
quotidien a repris, avec ses pots de départ, ses embauches, ses craintes pour l’avenir…
s’envoient des bourrades en riant,
comme à l’internat.
« Finalement, le bac, tu l’as eu ou les débutantes. Très rapidement, A la même question, le candidat rayon parfumerie, organise son quand même fait à Lodève, quand
pas ? », demande le jeune gars à la ils deviennent les préférés, le précédent avait répondu : « Mon pot de départ à la retraite. Elle un Leclerc s’est installé.
Blonde. Elle l’a eu. Tête de temps défile plus vite. Un méca­ rêve, ce serait d’être roi, un roi de avait commencé vendeuse au Autour de Monique, on se
condamnée. « C’était pour les pa­ nicien achète la télé LG en promo conte de fées, un roi qui fait rêver. » centre­ville, à la boutique repasse les bons moments du
rents .» La Blonde a l’habitude de à 99,99 euros, écran 80 cm. « Vous Le « Roi » voulait partir pour Nice, d’électroménager, puis dans une service. « Vous vous souvenez de
faire ses courses ici. Alors, elle s’est prenez la garantie ? », demande mais la vie coûte trop cher. Le bijouterie. Toutes deux avaient celle qui piquait le maquillage, la
dit : « Au moins, je ne serai pas per­ un vendeur. « A ce prix­là, je la poste proposé est un contrat à du­ fermé. « La faute aux grandes sur­ bourgeoise à qui son mari serrait la
due. » Elle espère « être prise aux jette quand elle marche plus. » rée indéterminée, la norme à l’Hy­ faces », disait­on. Elle n’avait pas vis sur le budget ? » « Et la femme
fromages ». On lui a dit qu’on A la première manifestation des per U de Mende après des années voulu y postuler, ça n’aurait pas qui trouait les strings ? On avait
n’exigeait rien à l’embauche, « gilets jaunes », le mécanicien se où les grandes surfaces ont abusé été convenable. Son chômage déguisé Julie en cliente pour la
même pas de l’expérience. A souvient avoir crié : « A mort Hyper d’emplois précaires. « Franche­ s’était éternisé, les traites de la démasquer. » On salue l’une, qui
Mende, Hyper U est le plus gros U ! » C’était sur le rond­point au­ ment, je me jette pas dessus », ré­ maison couraient. Au bout de vient être embauchée. « Tu as
employeur privé, 220 salariés. dessus du magasin, il gelait à pond le « Roi ». Le directeur insiste, huit ans, elle avait croisé Jean­­ demandé ta prime d’activité ? » La
Malgré leur acharnement à rester pierre fendre. M. Bringer, 80 ans, parle de sécurité. Petite moue dé­ Michel Brun dans la rue. Elle se nouvelle sursaute, piquée, comme
discrets, les Bringer sont une mai­ patriarche de la famille, était goûtée du Roi, comme un retour baguettes tradition. La catastro­ souvenait de lui, venu gamin lui si on l’accusait de mendier. « J’en ai
son qui pèse, patrons de deux monté avec sa gabardine, col re­ de boomerang à l’employeur. « Je phe… Ça voudrait dire qu’il a loupé acheter un harmonica. Elle l’avait pas besoin : on boucle notre bud­
magasins But dans le Cantal, un levé, pour aller discuter avec eux. ne tiens pas à m’engager. » des ventes. Un secteur bien géré supplié. get, on n’a même pas de retard sur
Gifi en Lozère, un U à Lodève et un En le voyant, le mécanicien s’était doit afficher de 4 % à 7 % de casse. nos prélèvements .»
autre à Castres, sans compter le senti « presque à égalité ». Ce COMME ON ENTRE EN RELIGION Un temps, le surplus de pain était LE TRAVAIL DU DIMANCHE ? Monique ne pensait pas finir sa
navire amiral de Mende, l’unique jour­là, le trafic avait été bloqué sur Jean­Michel Brun, 57 ans, ne quit­ vendu le lendemain, par gros sacs Les discours commencent, carrière à Hyper U. Les jours ont
hypermarché du département. toute la nationale 88. Seuls clients : tera jamais la boîte. Ce serait à 3 euros. Il a fallu arrêter, les gens Franck d’abord, le manageur du passé, puis les semaines, les
Dans le coin, tout le monde est les protestataires, venus à l’ouver­ cracher au visage de son père. Il se battaient. Des associations pas­ secteur, puis Nicolas Bringer, un années. En 42 ans de travail, elle n’a
passé chez eux, un jour ou une vie, ture acheter des gilets jaunes. revoit ce matin où ils étaient sent certains jours, le reste finit à la des deux fils de la famille jamais touché un centime d’aug­
un stage ou une demande de sub­ A la caisse, une hôtesse jette un descendus de la ferme, tous les benne. « Le gâchis fait partie de ce aujourd’hui aux affaires. Il vient mentation, une vie entière au
vention pour une association. œil à sa collègue. « Tu as vu la télé, deux. « Je te confie mon fils », avait système, explique une vendeuse. de recevoir des BTS en comptabi­ smic. « Tu as eu de la chance d’aller
Dans le magasin, les rayons hier ? En Bretagne, on a viré des dit le père à M. Bringer, le patriar­ Les hypers ont une mauvaise lité et leur a fait un test. Sur un au bout », la félicite une collègue.
bière et coca commencent à être filles qui ne voulaient pas che. Le lendemain, Jean­Michel image. Moi la première, je n’aime chariot de 100 euros hors taxe, « Du jour au lendemain, on se fait
éventrés, file d’attente aux travailler le dimanche. » Là­bas, il Brun rangeait les chariots, plus ça. Vous croyez que ce mon­ quelle est la marge nette d’une mal au dos, la médecine du travail
caisses. Elles aiment ça, les hôtes­ paraît qu’elles sont syndiquées. comme on entre en religion. Il de­là va encore vivre longtemps ? » grande surface ? Tous ont avancé vous met inapte. Terminé. On n’est
ses, ces jours où la maison flambe, Ici, non. Personne ne s’est pré­ avait été muté de Mende à Saint­ Elle baisse les yeux, le sang aux un chiffre entre 10 et 20 euros, y pas grand­chose. » Monique de­
6 000 clients dans la journée, senté aux élections du personnel. Flour, de Saint­Flour à Lodève, de joues, étonnée elle­même de ce compris la prof. Bringer sort les mande : « Et vous monsieur Brun,
l’équivalent de la moitié de Mende n’est pas bien grand. « On Lodève à Mende. Il serait allé en qu’elle vient de dire. Elle n’aurait bilans. Résultat : 1,50 euro envi­ vous partez quand ? » Il devient sé­
Mende. Les gros chariots effraient travaille, c’est déjà pas mal. » Chine, si on le lui avait demandé. jamais osé avant le mouvement ron. « Il y a une ignorance com­ rieux, soudain. « Il ne faut jamais le
A l’étage administratif, les entre­ Il n’y avait pas de limite. Quand il des « gilets jaunes ». Ou alors pas plète de notre modèle. » Il dit : « Les dire, sinon on est foutu. »
tiens d’embauche viennent juste avait été nommé directeur, il avait comme ça. Elle se souvient avoir politiques nous tapent dessus, En bas, la Blonde tatouée et les
de commencer. « Comment vous eu l’impression que toute sa vie croisé les trois femmes, à 5 heures parce que c’est facile et ça leur fait copains de lycée se sont installés
LES GROS CHARIOTS décririez votre personnalité ? », avait été dans ce sens. « Les du matin, en prenant son service. des voix. » autour d’un salon de jardin,
demande Jean­Michel Brun, le Bringer savaient que j’étais un Elle avait été surprise. « C’était des Au pot de Monique, une ques­ modèle d’exposition, cinq pièces
EFFRAIENT LES directeur à la Blonde tatouée. homme à eux. La confiance est comme nous. » Autour de Noël, le tion brûle les lèvres des employés en polypropylène, 34,90 euros.
DÉBUTANTES. TRÈS « Sérieuse. – C’est­à­dire ? – Je ne essentielle dans ce secteur. » chiffre d’affaires du magasin autour de lui. Alors, le travail du di­ Dans le magasin, ils ont acheté des
fais pas n’importe quoi en soirée. – Dans son bureau, la fenêtre s’était mis à tanguer. Des licencie­ manche ? Est­ce que la mesure sera chips et des boissons. Monique
VITE, ILS DEVIENNENT Et si vous aviez une baguette ma­ donne sur le magasin, les photos ments économiques avaient été prise ? Au centre­ville, le petit In­ passe, petit sac sous le bras, où elle
gique, vous seriez où ? – A la pis­ au mur en montrent les travaux, évoqués pendant une réunion à la termarché fait son plus gros chif­ a empilé les affaires de son casier.
LES PRÉFÉRÉS, cine. – Non, je veux dire profession­ l’écran d’ordinateur est relié aux préfecture et les ronds­points éva­ fre ce jour­là. La famille Bringer a Les gamins lèvent leur verre. 
LE TEMPS DÉFILE nellement, dans deux ans par caméras intérieures. Au rayon cués en janvier. souvent répété qu’elle aimerait florence aubenas
exemple. – Deux ans, c’est trop boulangerie, le manageur se de­ Dans la salle de réunion du ma­ l’éviter. « Le coût social est fort, plus
PLUS RAPIDEMENT loin. » Brun prend des notes. mande s’il ne va pas manquer de gasin, Monique, employée au de dégâts que de gains ». Ils l’ont FIN
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
« LE MONDE » ET MOI
LEÏLA SLIMANI
« J’AI GARDÉ PRÈS
DE 200 “MONDE
DES LIVRES” »
Pour les 75 ans du « Monde », la romancière, Prix
Goncourt 2016, raconte sa relation au journal.
J’ai rencontré « Le Monde » enfant, à
Rabat, parce que les adultes autour de moi
– mes parents, mon grand­père – le li­
saient. Pour moi, c’était un journal qu’on
lisait dans un pays dont ce n’était pas le
journal. Justement, ça s’appelait Le Monde,
et pour moi, Le Monde, c’était l’ailleurs.
Dans la bourgeoisie marocaine franco­
phone, on était incollable sur la politique
française. Quand le journal n’arrivait pas,
on savait que c’était parce qu’il y avait un
article sur le Maroc, probablement un ar­
ticle critique sur le roi. On ne pouvait pas
s’y abonner : il fallait l’acheter chaque
jour. Ma grand­mère allait l’acheter au
kiosque pour mon grand­père.
Adolescente, je voyais ce journal à la
maison, mais je ne le lisais pas vraiment. Il
me faisait un peu peur, il avait l’air com­
pliqué à déplier, à lire.
Le Monde a réapparu à Sciences Po, à Pa­
ris. Je trouvais ça un peu comique, ce spec­
tacle de jeunes boutonneux très sûrs
d’eux, qui se la pétaient avec leur grand
journal. Puis les professeurs nous ont dit
qu’il fallait lire Le Monde. Au début, c’était
un devoir imposé, et puis j’y ai pris goût.
C’est devenu une découverte extraordi­
naire pour moi, celle de la liberté de la
presse. Vers 21­22 ans, ça a tourné à la pas­
sion, j’ai eu envie de passer de l’autre côté
et d’être moi­même journaliste. Evidem­
ment, tous ceux qui voulaient être journa­
listes avaient envie de travailler au
Monde ! C’était quelque chose qui vous ti­
rait vers le haut. Je l’ai expérimenté lors­
que, à l’époque où je travaillais à Jeune
Afrique, on a participé à l’opération Wiki­
Leaks lancée par Le Monde, en travaillant
sur les télégrammes diplomatiques améri­
cains qui concernaient le Maghreb.
Des messages touchants
Plus tard, j’ai collaboré au « Monde des li­
vres », où j’étais chargée des premiers ro­
mans. On m’en envoyait une dizaine et je
devais en sélectionner un, c’était une res­
ponsabilité effrayante. Certains auteurs
m’envoyaient des petits messages de re­
merciement… leurs messages étaient tou­
chants, émouvants, même. Je me suis
rendu compte de ce que cela représentait
d’avoir une critique dans Le Monde pour
un premier roman.
Le Monde, depuis que je le lis, je le dé­
coupe, j’en ai des tiroirs entiers. J’aime re­
lire les articles découpés, ça me donne des
idées pour mes livres. Les classer ? C’est un
vrai fantasme, si seulement j’avais le
temps ! Je garde tous les « Monde des li­
vres », je dois en avoir à peu près 200.
J’aime surtout les interviews, les portraits,
le magazine… Plus de reportages de ter­
rain, sur la société, ce serait bien. Je me
souviens d’un reportage sur les Alcooli­
ques anonymes au Maroc, par exemple,
c’était quelque chose que j’ignorais.
L’information brute, je la prends sur le
site. Je suis abonnée à l’appli, et lorsque je
vois un reportage ou un article qui m’inté­
resse, je sais que je le découperai dans le
journal imprimé. Je tiens beaucoup au pa­
pier. Je n’ai pas de reproches particuliers à
faire au Monde. J’en ai une vision classi­
que, c’est Le Monde, il est comme ça. J’ai
confiance dans ses articles, dans ses analy­
ses, je peux être d’accord ou pas, mais j’ai
confiance. C’est un journal rassurant.
Mon fils de 8 ans est abonné à son
propre journal, il lit son Petit Quotidien
et il le découpe aussi. Il y en a plein sa
chambre. Maintenant, nous sommes
deux à découper. 
propos recueillis par sylvie kauff­
mann
FIN
Metanopoli, la ville fantôme
LES SIX MORTS D’ENRICO MATTEI 6 | 6 Le patron de la compagnie pétrolière italienne ENI,
mort en 1962 dans un mystérieux crash d’avion, nourrissait bien des rêves pour
cette cité de la banlieue de Milan. Comme lui, elle a connu un destin tourmenté
san donato milanese (italie) ­
envoyés spéciaux
S
ur le parvis de l’église Santa
Barbara, pas l’ombre d’un fi­
dèle. Seuls une cinquantaine
de touristes ont bravé la touf­
feur de juin pour se masser là, devant
cet avatar kitsch des dômes de la Re­
naissance. Ils écoutent religieusement
leur guide, Monica Torri, une Milanaise
qui aime faire découvrir les mille bizar­
reries de sa ville : « Selon le critique
Bruno Zevi, il s’agit de l’édifice le plus laid
du XXe siècle », dit­elle, un brin per­
verse. Avant de dessiner Santa Barbara,
en 1957, l’architecte Mario Bacciocchi
avait surtout conçu des stations­ser­
vice pour l’ENI, la compagnie italienne
des hydrocarbures. Les piliers de
l’église ressemblent à des pompes à car­
burant. Alentour, les allées sentent
autant l’essence que l’encens : bienve­
nue à Metanopoli, la cité voulue par
Enrico Mattei, le fondateur de l’ENI,
dans l’euphorie de l’après­guerre.
Ici, à San Donato Milanese, commune
rurale de la périphérie milanaise, on
bâtira « bien plus qu’un quartier », s’en­
flamme­t­il en 1956. Grisé par la fièvre
de l’or noir, l’entrepreneur ajoute, avec
une pointe de piété : « Pour nous, Meta­
nopoli est l’expression d’une espé­
rance. » Le 27 octobre 1962, son avion
personnel, parti de Sicile, s’écrase dans
la plaine lombarde, 20 kilomètres au
sud de Metanopoli. Un sabotage ma­
quillé en accident, conclura la justice
quarante ans plus tard, sans parvenir à
en identifier les auteurs. Mort aussi
vite qu’il a vécu, à 56 ans, Mattei n’aura
pas eu le temps de voir s’éroder son es­
pérance. La cité idéale est aujourd’hui
une ville fantôme, que hantent les rê­
ves entravés de son bâtisseur.
Cette disgrâce, l’écrivain et cinéaste
Pier Paolo Pasolini fut parmi les pre­
miers à la pressentir. Lisez le scénario
de La Nebbiosa (« la brumeuse »), qu’il
signe en 1959 : l’histoire de loubards er­
rant dans les brouillards de Metano­
poli. Regardez Théorème, son film de
1968 : une domestique se fait enterrer
vive dans un chantier du quartier. « Je
ne suis pas venue pour mourir, mais
pour pleurer », dit­elle, le visage couvert
de terre et de larmes.
Ville métaphysique que Metanopoli :
la frontière entre les morts et les vi­
vants y semble plus ténue qu’ailleurs.
Aussi, à cheminer parmi ses artères, le
doute nous saisit : et si l’esprit de Mattei
s’était joint à la visite, incognito ? Ça lui
ressemblerait, à ce grand timide, cu­
rieux de tout. Sans doute serait­il ému
d’entendre la guide louer l’omnipré­
sence de la nature, décidée à une épo­
que où l’écologie était absente des di­
cos : « Metanopoli est composée à 80 %
d’espaces verts, décrit Monica Torri, en
musardant dans le parc Enrico­Mattei.
Ce jardin fait 100 000 mètres carrés. A sa
création, on avait lâché des cerfs, des
daims, des ratons laveurs. Il dispose
d’une piscine, de terrains de foot… C’est
là que s’est entraînée l’équipe d’Italie
championne du monde en 1982. »
« Urbanisme visionnaire »
Nous voici devant deux pyramides,
toutes de verre et de verdure. « Avec ces
bureaux bâtis en 1991, l’ENI réitère le
dessein de Mattei : faire de Metanopoli
une nouvelle porte de Milan, précise la
guide. Stefano Boeri semble s’en être
inspiré pour ses fameuses “tours végé­
tales”. » En interview, l’architecte mila­
nais vante sans détour « l’urbanisme
visionnaire » d’Enrico Mattei. Et le
compare à Adriano Olivetti, l’homme
des machines à écrire, pour sa « politi­
que d’entreprise avant­gardiste » – Mat­
tei expérimentera le nucléaire, Olivetti
l’informatique. Les deux patrons se
sont rencontrés un jour de 1957. Mattei
construit à tout­va, qu’il s’agisse de vil­
lages de vacances ou de villes­dor­
toirs ; Olivetti lui ouvre son carnet
d’adresses, dans lequel le pétrolier pui­
sera bien des architectes, de Carlo
Scarpa à Marcello Nizzoli.
Avec leurs formes audacieuses, les
immeubles conçus par Nizzoli, juste­
ment, « sont ceux qui ont le mieux vieilli,
assure la guide. Ils ont été pensés pour
prendre la lumière, la pluie, le vent ». En
entendant tout cela, les draps du fan­
tôme se gonfleraient de fierté. « Vous
voyez cette tour hexagonale ?, demande
l’accompagnatrice. Mattei occupait le
dernier étage, avec sa femme et sa sœur.
Il y logeait ses invités ; là, il pouvait ob­
server, à la manière d’un châtelain, le va­
et­vient de ses sujets. » Comme jadis, le
revenant se faufilerait à la cime du bâti­
ment. Mais cette ville, si dynamique de
son vivant, il la trouverait moribonde :
sur 30 000 habitants, combien sont des
retraités de l’ENI ? En voilà une dizaine,
attroupés dans un bar. Un jeune couple
entre. Leur enfant monopolise les con­
versations, dans cette Italie si peu fé­
conde : « Votre bébé votera Démocratie
chrétienne ! », plaisante Mario, un an­
L’ÉTÉ DES SÉRIES | 21
CETTE VILLE,
SI DYNAMIQUE
DE SON VIVANT,
ENRICO MATTEI
LA TROUVERAIT
MORIBONDE :
SUR 30 000 HABITANTS,
COMBIEN SONT DES
RETRAITÉS DE L’ENI ?
cien cadre, originaire du Piémont. C’est
un anachronisme : englouti par les
scandales, le parti dominant du temps
de Mattei n’existe plus. Cela l’attriste­
rait, lui qui avait érigé tant de ponts en­
tre l’ENI et les chrétiens­démocrates,
comme avec tout le spectre politique
italien. Un peu honteux, il songerait à
l’un de ses mémorables aphorismes :
« J’utilise les partis comme j’utiliserais
un taxi, fanfaronnait­il. Je m’assois, je
paie la course, je sors. »
Des taxis, le fantôme de Mattei n’en
croiserait pas un seul dans ces rues rec­
tilignes. Il sentirait combien les Mila­
nais, convertis aux transports verts, se
défient désormais de la voiture. Il scru­
terait l’uniforme d’un ramasseur de
poubelles : fichtre, ce n’est plus l’ENI qui
assure la propreté, mais la municipa­
lité. Il inspecterait les habitations :
mamma mia !, l’entreprise les a toutes
cédées à des particuliers.
Tiens, des grues, des ouvriers. Cette
activité le rassérénerait un peu. « Il
s’agit du futur siège social, qui ac­
cueillera dès 2020, sur 60 000 mètres
carrés, les top managers de l’ENI », dé­
taille la guide. On croise un jeune
homme, casque de chantier sur le
crâne. C’est Francesco Colatei, un archi­
tecte de Salini Impregilo, mastodonte
du BTP. Il veille à l’exécution des plans
dessinés par l’Américain Thom Mayne,
prix Pritzker 2005 : « La façade sera
composée de strates d’acier microperfo­
rées, électrocolorées. Comme un rappel
des travaux d’extraction de l’ENI. Mais
aussi de la géométrie Metanopoli, ce
cousin horizontal de la Défense. »
Les visiteurs déambulent devant une
flopée de stations­service. Esso, Total,
les enseignes flamboient. Notre fan­
tôme s’effrayerait de voir l’ENI, privati­
sée en 1992, pactiser avec les Etats­Unis
XAVIER LISSILLOUR
ou la France, contre qui il a tant bataillé.
Mattei a cru pouvoir importer le mode
de vie des Américains, tout en défiant
leur géopolitique énergétique : cette
bravade lui aurait­elle coûté la vie ?
Le soleil brûle la pierre rose de l’hôpi­
tal. Alors premier ministre, Silvio Ber­
lusconi l’avait inauguré en 2009. De
Mattei, le Lombard a épousé l’allure, les
postures. Ces deux hommes à femmes
n’ont­ils pas assis leur pouvoir sur la
combine, l’immobilier, les médias ? Le
fantôme prendrait ombrage d’une telle
analogie : lui n’a jamais fait passer ses
intérêts avant ceux du pays. « Stop aux
tags ! Stop aux vandales ! D’abord les
murs italiens ! », persiflent des graffitis.
A leur vue, l’esprit de Mattei divague­
rait. Il rôderait jusqu’aux confins de
Metanopoli, vers l’autoroute. Là, le
20 mars, un Sénégalais a incendié un
bus transportant cinquante et un éco­
liers ; il voulait « venger les morts en Mé­
diterranée ». Nulle victime, mais un
vainqueur : comme à son habitude, le
très droitier ministre de l’intérieur,
Matteo Salvini, a attisé le fait divers à
son profit. Ne lui arrive­t­il pas de para­
der avec un casque siglé ENI ?
Le fantôme s’enfoncerait dans le va­
gue à l’âme. Il saurait parfaitement
combien l’ENI, tiers­mondiste sous sa
férule, a continué d’infléchir la politi­
que étrangère italienne, après sa mort.
Dans les années 1970, les contrats éner­
gétiques ont camouflé la vente d’armes
à la Libye, comme l’atteste l’ouvrage
Pétrole et corruption, de Marion
Morellato (ENS Editions). Aujourd’hui,
ils couvriraient le financement du
parti de Salvini, la Ligue, par des fonds
russes, comme le suggèrent des enquê­
tes de L’Espresso et de BuzzFeed contes­
tées par le ministre de l’intérieur.
Mattei croyait avoir accéléré l’éman­
cipation des peuples : aurait­il plutôt
fait prospérer la corruption, le racisme,
la pollution ? Un demi­siècle de vices,
stratifiés sur les murs de sa ville : c’en
serait trop pour le fantôme. Rongé par
la culpabilité, il se rendrait dans son
église, déserte. Il se signerait avec quel­
ques gouttes de méthane, hésiterait à
se confesser, se raviserait : « Les
morts toujours ont bon dos. » Puis, dans
un soupir, il allumerait un cierge à la
gloire de Santa Barbara, patronne des
pétroliers, martyre du feu. 
margherita nasi
et aureliano tonet
FIN

22 | L’ÉTÉ DES SÉRIES
RENCONTRE
caen ­ envoyée spéciale
Q
uand une mère vous
choisit un prénom qui
signifie « Mais
qu’est­ce qui ne va pas
chez moi ? » – sous­en­
tendu « Pourquoi est­ce que je
n’arrive pas à concevoir un
mâle ? » – simplement parce que
vous êtes sa quatrième fille à naî­
tre et qu’elle veut à tout prix offrir
un fils à son mari volage, il y a
deux possibilités : soit confirmer
l’idée que, en effet, votre arrivée
au monde était une funeste er­
reur ; soit relever le défi et prouver
que la naissance de cette énième
fille était une bénédiction. Ley­
mah Gbowee, née à Monrovia, ca­
pitale du Liberia, en 1972, a choisi
la seconde option. Ma, sa valeu­
reuse « grand­mère » (en réalité la
sœur aînée de sa mère), « fémi­
niste très en avance sur son
temps », allait vite lui montrer
que, dans ce vaste monde, la voix
de chaque femme a de la valeur, et
qu’il incombe à chacune de forger
son destin.
Un fameux caractère, cette Ma,
aujourd’hui âgée de 111 ans, trois
fois divorcée parce qu’elle a quitté
ses maris le jour même où ils
commençaient à lever la main sur
elle, sage­femme traditionnelle,
infiniment respectée dans son
village. « Quand mes sœurs et moi
allions la voir en pleurnichant
parce qu’on nous avait battues,
elle nous renvoyait prestement : al­
lez riposter ! Dans une famille sans
frère, les filles savent se débrouiller
elles­mêmes. »
Elle comptait sur ses petites­
filles pour faire preuve d’une in­
dépendance créative. « Elle nous
donnait 1 dollar et demandait au
bout d’un an : qu’en as­tu fait ?
J’étais du genre à l’avoir vite dé­
pensé, mais une sœur en avait ga­
gné d’autres en vendant des bon­
bons, et la leçon portait : chacune
dispose d’un libre arbitre et peut
changer son sort. »
Leymah Gbowee en a surtout
conclu que l’impulsion d’une
seule femme peut bouleverser
l’existence de beaucoup d’autres.
« Une seule féministe joue un rôle
inestimable. Alors, imaginez une
armée de féministes ! », dit­elle en
souriant.
De santé fragile, atteinte dans
l’enfance du choléra et du palu­
disme, Leymah a très tôt fré­
quenté médecins et hôpitaux.
Elle en a conçu le rêve de devenir
pédiatre et a quitté le lycée pleine
d’ambition et couverte de bon­
nes notes. C’est alors que la
guerre civile est arrivée,
250 000 morts et quatorze ans de
chaos (1989­2003). Un séisme qui
a changé la trajectoire de la jeune
femme, la plongeant d’abord
dans une détresse dont elle a cru
ne jamais pouvoir sortir, avant de
la propulser « guerrière de la
paix », charismatique et adulée.
C’est d’ailleurs dans le cadre d’un
forum consacré aux « Faiseurs de
paix » que nous l’avons rencon­
trée à Caen, autour des commé­
morations du 6 juin 1944. Car, en­
tre­temps, elle a reçu en 2011 le
prix Nobel de la paix.
Passons rapidement sur la pre­
mière partie de la guerre, même si
elle n’esquive pas les souvenirs de
sa descente aux enfers, déplacée
au Ghana comme des milliers de
Libériens fuyant leur pays, avec
« IL FAUT RENDRE
CONFIANCE ET FORCE
AUX VICTIMES, ET AIDER
LES BOURREAUX
À REDÉCOUVRIR LEUR
HUMANITÉ AFIN QU’ILS
SOIENT À NOUVEAU
UTILES À LEUR
COMMUNAUTÉ »
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
un compagnon sans scrupule qui
la violente et la maintient dans la
misère. « Chacun, dans une vie,
doit expérimenter un truc très dur,
affirme­t­elle d’un ton docte. Et il
n’existe pas de professeurs pour
nous y préparer. C’est l’université
de la vie. Les femmes y sont surdi­
plômées. »
Une image surnage, témoin de
sa déchéance : « Je venais d’accou­
cher de mon troisième enfant, très
prématuré, et ne pouvant payer la
facture de l’hôpital, je suis restée
une semaine à dormir dans un
couloir, mon bébé sans couche
contre moi, ma chemise de nuit
sale, les passants me jetant des piè­
ces et du pain comme si j’étais une
mendiante. »
Et quelques autres, terribles, où
son compagnon infidèle la frappe,
encore et encore, la traitant de fei­
gnante, de prostituée, de stupide.
Jusqu’à la fois en trop, où elle part
sans se retourner, ses trois en­
fants dans les bras, enceinte du
quatrième. On est en 1997, elle a
25 ans et rentre au Liberia, lami­
née et privée de la belle confiance
de son adolescence. Le pays est ex­
sangue, le bandit Charles Taylor va
être élu à la présidence. Une
courte trêve avant la reprise du
conflit. La jeune maman,
dépourvue d’objectif, songe à se
suicider. C’est pourtant le début
de sa renaissance.
Ce sera long, bien sûr. Elle n’a
qu’un certificat d’assistante so­
ciale, mais prend des cours du soir
et s’enrôle dans une organisation
soucieuse de guérir les traumatis­
mes de la guerre. Elle visite des di­
zaines de villages que les violen­
ces ont anéantis, rencontre les
chefs de communauté, écoute
d’interminables récits de femmes
et se voit confier la réhabilitation
d’enfants­soldats. C’est violent,
ingrat, mais elle sait déjà que
construire la paix ne se résume
pas à signer un traité. « Il faut ren­
dre confiance et force aux victi­ Leymah Gbowee,
mes, et aider les bourreaux à redé­ à Caen, le 4 juin.
couvrir leur humanité afin qu’ils FLORENCE BROCHOIRE
soient à nouveau utiles à leur POUR « LE MONDE »
communauté. »
« ÇA NE TE CONCERNE PAS ? »
Quelque chose la sidère : les fem­
mes ne sont jamais associées aux
réunions des villages pour évo­
Leymah Gbowee,
quer reconstruction et réconcilia­
tion. Les hommes discutent entre
eux. Elle est souvent prise pour la
« guerrière de la paix »
cuisinière.
Mais elle continue de faire par­
ler les femmes, convaincue que
FÉMINISTES ! 6 | 6 Convaincue que les femmes « pensent collectif »,
l’écoute collective est un exu­
toire. Et les récits s’enchaînent :
cette Libérienne au destin tourmenté se bat pour imposer
« Les soldats sont entrés dans le
camp de personnes déplacées. Ils
leur voix dans la résolution des conflits. Son rôle dans la fin de
m’ont dit : “Donne­nous l’argent la guerre civile de son pays lui a valu le Nobel de la paix en 2011
que tu as”. Je l’ai fait. Puis ils m’ont
dit : “Retire tes vêtements !” J’ai fait
ce qu’on m’ordonnait. Ils m’ont
tous violée. Tous sauf un. C’était le bués sur les marchés les interpel­ matin en limousine, se pavanent construire un bon système d’édu­ Au Mali ? Elles sont à peine 3 %
dernier et il a dit que son pénis lent : « Femmes, réveillez­vous ! dans les grands hôtels et se répar­ cation quand les hommes s’inter­ dans les multiples comités natio­
était trop bien pour moi. A la Vous avez une voix à faire enten­ tissent déjà emplois et avantages rogent sur la meilleure stratégie naux pour surveiller la mise en
place, il a utilisé son couteau. » Ja­ dre dans le processus de paix ! » Et pour temps de paix, tandis que pour devenir ministre des finan­ œuvre de l’accord de paix. En Ré­
mais les femmes n’avaient été in­ elle met tant d’efforts dans la réu­ Monrovia croule encore sous les ces. » Signer la paix n’est pas tout. publique centrafricaine, elles
vitées à se confier ainsi. Trop de nion des chrétiennes et des mu­ bombes. C’est obscène, rien Il reste à la construire. Et les fem­ sont carrément exclues. Quant à
gens dépendent d’elles, elles ab­ sulmanes qu’une première mani­ n’avance. mes, insiste­t­elle, sont les l’Afghanistan, oublions : pas une
sorbent sans se plaindre. « Mais festation unitaire prend par sur­ Alors un jour, excédées, Leymah meilleures bâtisseuses. femme dans les discussions avec
elles savent. Ce sont elles les exper­ prise la capitale en décem­ et 200 manifestantes en blanc les talibans. Leymah Gbowee s’en
tes ! » Pourquoi n’utilise­t­on pas bre 2002. Elle pose les fondations bloquent la salle des négocia­ « BATTEZ-VOUS, MES SŒURS ! » désole. « Se passer d’elles, c’est ob­
davantage ce savoir ? d’un mouvement irréversible. tions : « Personne ne sortira d’ici La résolution 1325 adoptée server le monde avec un œil mas­
La dictature de Charles Taylor Début 2003, une énième vague avant qu’un accord de paix ne soit en 2000 aux Nations unies fut ju­ qué : impossible de voir l’intégra­
devenant chaque jour plus tyran­ de violence déferle sur le Liberia. signé. » On ordonne l’arrestation gée historique parce qu’elle avait lité du paysage et des situations.
nique et la guerre provoquant à Des troupes rebelles s’emparent de la meneuse, pour obstruction à précisément pour but d’inclure Et n’aligner que des hommes
nouveau massacres et pillages, du sud­est du pays, des dizaines la justice. La justice ? Leymah les femmes dans les processus de autour d’une table de négociation
Leymah Gbowee s’angoisse, dé­ de milliers de gens prennent la Gbowee prend feu. Ces seigneurs paix et de prévention des con­ équivaut à ne faire fonctionner
sespérée de voir que les hommes route de l’exode, les troupes de de la guerre plus corrompus les flits. Son bilan est désespérant. que la moitié de votre cerveau.
ne songent qu’à créer de nouvel­ Taylor sèment la terreur. Leymah uns que les autres osent parler de Un rapport montre qu’entre Quel gâchis ! »
les factions et à s’armer. La solu­ Gbowee organise d’immenses justice ? Elle commence lente­ 1990 et 2017, celles­ci n’ont repré­ D’autant que les statistiques
tion viendra des femmes, pense­ sit­in et manifestations de fem­ ment à se dévêtir, invoquant en senté que 2 % des médiateurs, 8 % sont formelles, dit­elle. Les pro­
t­elle. Encore faut­il les convain­ mes en blanc pour exiger la paix. silence un pouvoir traditionnel et des négociateurs, 5 % des té­ cessus de paix qui impliquent les
cre qu’elles ont un rôle à jouer Le procédé est si incongru que la la malédiction supposée tomber moins et signataires des princi­ femmes ont 35 % de plus de
dans la paix. Elle s’y emploie, presse s’y intéresse, Taylor est mis sur ceux qui regardent une mère paux accords de paix. Seuls 11 % chance d’aboutir à une paix pé­
mais la plupart tombent des en demeure de réagir, les organi­ de famille se déshabiller. La peur des accords signés en 2017 con­ renne. Alors Leymah Gbowee
nues : « Nous ? Mais les hommes sations rebelles reçoivent la envahit la salle. On la supplie d’ar­ tiennent des dispositions relati­ continue de vouloir les mobiliser
vont rigoler ! Ils pensent que c’est même pression. La situation sem­ rêter. Le général médiateur vient ves à la parité entre les genres. en misant sur l’instruction des
leur affaire. » Leymah répond : ble bloquée ? Les femmes annon­ longuement l’écouter. Et les négo­ Sur les 1 500 accords paraphés petites filles dont s’occupe sa fon­
« Ça ne te concerne pas ? Tu n’as cent à la radio une grève du sexe. ciations sérieuses commencent entre 2000 et 2016, seuls 25 évo­ dation. « Battez­vous, mes sœurs !
pas été violée par les combat­ L’idée fait rire. Pas sûr qu’elle soit enfin. L’accord de paix sera signé quent le rôle des femmes dans les N’acceptez plus que des messieurs
tants ? Ton mari n’a pas été tué ? efficace. Au moins fait­elle parler quelques jours plus tard. phases de mise en œuvre. Au Yé­ en costume parlent à votre place
Ton fils n’a pas été enrôlé de force de ce mouvement pacifiste. « Les femmes ne sont pas men ? Aucune présence fémi­ d’avortement et de tout ce qui vous
dans l’armée ? » On n’a encore ja­ Quand des pourparlers sont enfin meilleures, dit­elle aujourd’hui. nine dans les efforts actuels vi­ concerne. Féministes de tous pays,
mais imaginé les impliquer ainsi. organisés au Ghana, les femmes Simplement, elles pensent collectif sant à reprendre le dialogue. Au la force est en nous ! » 
Leymah Gbowee et ses camarades se déplacent, brandissant leurs quand les hommes pensent perso. Soudan du Sud, une seule femme annick cojean
de lutte s’y emploient avec éner­ pancartes au nez de négociateurs Lors d’une négociation de paix, el­ figure parmi les membres du co­
gie. Des milliers de tracts distri­ méprisants qui arrivent chaque les réfléchissent à la façon de re­ mité national prétransitionnel. FIN
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
L’antihéros, héros malgré lui
TÊTES DE SÉRIE 6 | 6 Apparu dans les séries télévisées à partir des années 2000, ce
personnage tourmenté, humain et touchant, impulse sa trajectoire à l’intrigue
C
omplexe, divisé, ti­
raillé, tourmenté,
déchiré, inquiet,
ambigu, trauma­
tisé, sans pitié,
troublé et trou­
blant, moralement douteux et
profondément humain, bref,
faillible et défaillant… Un tout
nouveau type de personnage de
télévision apparaît aux Etats­
Unis, à l’orée des années 2000 :
l’antihéros.
Cet antihéros pourrait fredon­
ner, comme le chanteur Nick
Lowe dans la chanson The Beast in
Me : « La bête en moi/Otage des
frêles barreaux d’une cage/S’agite
le jour et la nuit/Aux étoiles hurle
sa rage/Que Dieu aide la bête en
moi… » Un titre qui clôt le pilote
des Soprano, la grande série qui
ouvre l’ère de fictions télévisées
portées par des auteurs qui po­
sent leur regard sur la face som­
bre de la masculinité.
Sans renvoyer aux oubliettes
l’archétype du héros positif et
sûr de lui, vont alors prendre
corps, de plus en plus souvent,
des personnages masculins à la
fois magnétiques et infréquenta­
bles, qui évoluent dans un
univers où le curseur moral se
voit sans cesse poussé vers l’ex­
trême. Les créateurs de ce type de
séries dirigent leur loupe vers
l’âme humaine. Ils orientent leur
caméra vers l’intériorité de leurs
personnages, parvenant à nous
attacher à leur humanité, en dé­
pit de leur parcours transgressif.
On ne parle pas donc ici des
personnages d’Urgences, de
The Americans ou de Game of
Thrones, par exemple, qui sont
engagés dans une guerre exté­
rieure à eux­mêmes (contre la
mort, la destruction d’un pays,
ou la perte du pouvoir) : l’antihé­
ros, lui, est aux prises avec une
identité fêlée, qui impulse sa tra­
jectoire à l’intrigue.
Qu’ils soient écartelés entre dé­
pression et puissance, amour et
destruction, justice et ven­
geance, parentalité et pouvoir,
ces personnages sont donc en
lutte avec leurs démons intéri­
eurs, en butte avec la répétition
ou l’échec… et broient souvent du
noir. Se confrontant continû­
ment au même mur, aux mêmes
failles et apories, ils ne s’en libè­
rent pas – si ce n’est, éventuelle­
ment, en toute fin de série.
Plus besoin, donc, pour les créa­
teurs, de se conformer aux codes
d’un genre spécifique (policier,
médical, western, etc.) : place à
une totale liberté créative, à
l’audace, à l’introspection au long
cours de personnages autour des­
quels l’auteur va tourner pour en
éclairer les différentes faces.
A grands traits, cette ère du soi
clivé s’est incarnée, dans un pre­
mier temps, dans les personnages
principaux des Soprano (1999­
2007), de Mad Men (2007­2015), et
de Breaking Bad (2008­2013).
David Chase, le créateur des So­
prano, a qualifié sa série de « fa­
mily show ». C’en est un, et remar­
quable, à double titre. Le conflit
intérieur de Tony Soprano ?
L’écartèlement psychique entre
deux impératifs contradictoires,
entre deux types d’allégeance à la
« CES DERNIERS
TEMPS, J’AI
L’IMPRESSION D’ÊTRE
ARRIVÉ AU BOUT.
LE MEILLEUR EST
DERRIÈRE MOI »
TONY SOPRANO
(JAMES GANDOLFINI)
dans la série
« Les Soprano »
famille : être un bon fils, un bon
père, un bon neveu d’un côté, être
un chef de clan mafieux perfor­
mant et respecté de l’autre.
L’idéal de la famille américaine
moyenne guerroyant contre les
exigences d’une famille de gangs­
ters du New Jersey de nos jours.
Le ton est donné dès le pilote :
« Ces derniers temps, j’ai l’impres­
sion d’être arrivé au bout. Le
meilleur est derrière moi », cons­
tate Tony Soprano. Ce qui signe
l’errance psychologique et spiri­
tuelle qu’il vivra tout au long de la
série. Il faut dire que sa mère et
son oncle ont imaginé tuer ce
nouvel Hamlet, en saison 1, en
tant que jeune héritier des affai­
res mafieuses de son père. On a
connu legs plus léger !
DEUX IDENTITÉS AUTONOMES
Autre série emblématique de
l’antihéros déchiré entre deux
identités, aveugles l’une à
l’autre : la délicieuse Mad Men.
Son créateur, Matthew Weiner
(qui a lancé la première saison
après avoir été scénariste pour
Les Soprano), a expliqué, dans des
Hommes tourmentés. L’Age d’or
des séries, de Brett Martin (Points
Poche, 2016), avoir imaginé son
personnage en partant de son
propre malaise : « J’avais 35 ans,
un emploi, trois enfants et… cette
vie incroyable. Et en fait, je me di­
sais : “Qu’est­ce qui ne va pas chez
moi ? Pourquoi je suis malheu­
reux ? Pourquoi il se passe tant de
choses dans ma tête, des choses
que je ne peux pas expliquer aux
gens tellement c’est moche ? Et
pourquoi ce n’est pas assez ?” »
Autrement dit, quel est cet obs­
cur intrus, en soi, qui ronge de
l’intérieur et qui tend à prendre le
gouvernail ? Comment être heu­
reux, et de quoi est fait le bon­
heur ? Ce sera la thématique de
Mad Men, l’enjeu pour Don Dra­
per, le personnage principal,
À VOIR OU À REVOIR
The Sopranos, créée par David
Chase (6 saisons : 1999-2007)
Mad Men, créée par Matthew
Weiner (7 saisons : 2007-2015)
Breaking Bad, créée par Vince
Gilligan (5 saisons : 2008-2013)
Daredevil, créée par Drew
Goddard (3 saisons : 2015-2018)
comme l’a montré le scénariste et
script doctor italien Nicola Lu­
suardi, lors d’un séminaire au fes­
tival Série Series en 2018.
Don Draper est un des publici­
taires (les ad men) les plus renom­
més de Madison Avenue, à New
York, (d’où les Mad Men), au début
des années 1960. Né Dick Whit­
man, fils d’une prostituée pen­
dant la Grande Dépression, il a
volé l’identité de Don Draper, un
soldat mort à ses côtés pendant la
guerre de Corée quelques années
plus tôt. Un acte de re­naissance
plus radical encore que celui du
magnifique Gatsby. Double nom,
double identité, double vie.
Mais le talentueux Don Draper
a beau avoir évincé le jeune Dick
de son curriculum vitae et caché
son passé à tous, il n’en reste pas
moins déchiré entre deux identi­
tés autonomes, l’une sociale
(Don, le publicitaire), l’autre dési­
rante (Dick, qui multiplie les con­
quêtes féminines). D’où un con­
flit intérieur incessant, Don et
Dick menant une vie indépen­
dante dans le même corps, sans
que le premier comprenne pour­
quoi le deuxième agit ainsi.
Chaque saison l’amènera à cher­
cher une façon différente de s’ac­
commoder de l’opposition de ces
deux sources d’énergie en lui.
Puis, un an après Mad Men, s’im­
L’ÉTÉ DES SÉRIES | 23
pose sur les écrans un dealer de
poudre blanche condamné à
mourir d’un cancer. Un pitch on
ne peut plus sexy… On veut bien
sûr parler de Breaking Bad, une
série superbement stylisée.
Son personnage principal, cette
fois­ci, est un M. Tout­le­Monde,
Walter White, doux et résigné, à
tendance dépressive. Un prof de
chimie qui, faute d’une bonne as­
surance santé, va chercher à assu­
rer la sécurité financière de sa fa­
mille avant sa mort.
Son cancer l’ayant revigoré, il
en viendra à « cuisiner » la mé­
tamphétamine la plus pure qui
soit ; et, surtout, à sonder le
monstre en lui (un dealer sans foi
ni loi), par­delà les concepts de
Bien et de Mal. Ce qui l’amènera à
se découvrir un inextinguible dé­
sir de toute­puissance, jus­
qu’alors inconnu de lui : une
identité de boss impitoyable
(sous le nom d’Heisenberg), dont
il jouira pour son seul et bon plai­
sir. Son créateur aura poussé jus­
qu’à l’extrême l’idéologie de l’ac­
complissement de soi, fruit de
l’American dream.
DILEMMES
Ces séries, dont les créateurs et
leurs équipes ont traversé le
11 septembre 2001 et ses multi­
ples ondes de choc, appréhendent
la figure du héros au prisme d’un
pays traumatisé, comme pris
dans une terreur diffuse, dans la
hantise d’être attaqué et dominé.
L’Amérique n’est désormais plus
« une et unie », puisqu’elle peut
donner naissance à un nouvel en­
nemi de l’intérieur, le terrorisme.
En réaction, cette Amérique
post­11­Septembre puis post­crise
financière de 2008 ne va pas
manquer d’engager une contre­
offensive. « Les héros sont de re­
tour. On pourrait presque tracer
un graphique. Quand les temps
vont mal, on se cherche des hé­
James Gandolfini, Steven
Van Zandt et Tony Sirico
dans « Les Soprano ».
PROD DB/HBO
ros », notait, dès 2009, l’auteur de
comics Jerry Robinson.
De fait, pour faire face au « mal
suprême », rien de plus judicieux
que de revenir à la mythologie
américaine… des super­héros. Nés
dans les bandes dessinées de la
première moitié du XXe siècle
comme échappatoire à la Grande
Dépression, puis rappelés à servir
le pays pendant la seconde guerre
mondiale (Superman prend vie
en 1938, Captain America en 1941),
les voilà qui réapparaissent, sous
un jour nouveau. Non plus tant en
irréprochables sauveurs qu’en
tant qu’êtres sombres, dont le
conflit lié à leur double identité
(humaine et super­héroïque)
s’avère renforcé.
Ces personnages, en proie à des
dilemmes mais vengeurs et puni­
tifs pour mieux « rendre justice »,
Netflix les a mis en scène en se
réappropriant les super­héros de
l’écurie Marvel et en en proposant
une version plus humaine, plus
complexe qu’à ses débuts. Il en va
ainsi de Daredevil (2015­2018),
dans lequel Matt lutte contre l’in­
justice, le jour en tant qu’avocat, la
nuit en tant que super­héros,
usant alors, au besoin, de la me­
nace et la torture.
Ont suivi Jessica Jones, Luke
Cage, Iron Fist, The Defenders, The
Punisher… Alors que, dans le
même temps, les grands réseaux
font un tabac avec des séries « feel
good » aux personnages aussi po­
sitifs qu’émouvants, telles This Is
Us ou The Good Doctor.
Dorénavant, le héros ou l’antihé­
ros peuvent se confondre et s’in­
carner jusque dans des personna­
ges infréquentables. Un être qui,
par les questions (souvent irréso­
lues) qu’il se pose et pose aux té­
léspectateurs, atteint une forme
d’universalité des émotions. 
martine delahaye
FIN

24 | L’ÉTÉ DES IDÉES
L’
idée selon laquelle les in­
tellectuels seraient ané­
miés au plan de leur émo­
tivité, de leur sensibilité,
en raison de la prévalence
qu’ils accordent au monde
des idées, est un cliché démenti par toute
l’histoire intellectuelle, faite de relations
d’amitié, de proximité affective, mais
aussi de vives jalousies, de compétition
auprès du lectorat, de solides rancœurs et
de haines recuites. Dès lors, les controver­
ses intellectuelles ne se départissent pas
de ce climat mêlant arguments ration­
nels et mépris mutuel. Comme l’écrivait
Pierre Nora en 1980 lors du lancement de
sa revue Le Débat : « Il y a du paranoïaque
virtuel chez le plus tranquille des intellec­
tuels. » Pourtant, il est des réconciliations
d’autant plus spectaculaires et précieuses
que les joutes ont été violentes. Elles révè­
lent un autre volet de l’identité intellec­
tuelle : la solitude, le besoin de reconnais­
sance et la force du lien sensible.
Raymond Aron et Jean­Paul Sartre : les
« petits camarades » se retrouvent au
soir de leur vie La complicité entre le ra­
tionnel Aron et le provocateur Sartre re­
monte à leurs années d’études. Ils parta­
gent la même turne à l’Ecole normale su­
périeure, suivent le même cursus, ont les
mêmes lectures, et leurs caractères tout
en contraste constituent le socle de leur
complémentarité amicale. Au jour de
l’agrégation de philosophie en 1928,
Aron, reçu premier, est en rage d’appren­
dre que son « petit camarade » est recalé.
Il laisse éclater sa colère, jette par terre
son chapeau et le piétine en criant : « Ah,
les cons, les cons, ils ont collé Sartre ! »
Malgré cette exceptionnelle complicité,
la rupture entre eux intervient pour des
raisons politiques peu après la guerre.
Lorsque Aron rejoint le camp gaulliste et
adhère au Rassemblement du peuple
français (RPF) en 1947, devenant éditoria­
liste au Figaro, c’en est trop pour Sartre,
qui tient, avec son équipe des Temps mo­
dernes, une tribune antigaulliste à la ra­
dio. Le psychanalyste Alphonse Bonnafé
y fait un parallèle entre les affiches du gé­
néral de Gaulle de la campagne électorale
qui ont conduit au raz de marée gaulliste
et le portrait d’Hitler.
Ce commentaire suscite un tollé du côté
gaulliste, et l’on annonce un débat contra­
dictoire sur les ondes entre les gaullistes
et Sartre, avec Aron comme médiateur,
qui se retrouve dans une situation impos­
sible, ne pouvant défendre son camarade.
Sartre est sidéré face à ce qu’il considère
comme un lâchage de la part de son ami.
A la fin de l’émission, Sartre et Aron par­
tent chacun de leur côté, laissant leur
amitié derrière eux avec un goût amer,
mais bien décidés à aller jusqu’au bout de
leurs convictions : l’un, Aron, dans son
engagement dans le RPF ; l’autre, Sartre,
en créant le Rassemblement démocrati­
que révolutionnaire (RDR).
La guerre froide exacerbe les effets de
leur différence de positionnement, en dé­
faisant leur lien, qui se transforme en
combat frontal entre deux frères devenus
ennemis. Incarnant chacun la posture de
l’intellectuel engagé, à des pôles opposés
de la vie politique française, ils mettent
leur talent au service de leur cause. Ils oc­
cupent chacun un magistère intellectuel,
l’un grâce à sa revue, Les Temps modernes,
l’autre par ses éditoriaux dans Le Figaro.
En mai 1968, la révolte étudiante porte
au paroxysme le choc entre ces deux té­
nors de la vie intellectuelle. Alors qu’Aron
y voit une révolution introuvable qu’il dé­
nonce comme une farce carnavalesque,
Sartre réagit vivement en qualifiant Aron
de mandarin qui ne s’est jamais remis en
question et ne fait que répéter à satiété sa
thèse soutenue en 1939. Il va jusqu’à lui
faire un procès en indignité professorale.
Et d’en appeler, dans un célèbre article du
Nouvel Observateur, à prendre la « Bastille
Aron » pour que le roi se retrouve nu : « Il
faut, maintenant que la France entière a
vu de Gaulle tout nu, que les étudiants
puissent regarder Raymond Aron tout nu.
On ne lui rendra ses vêtements que s’il ac­
cepte la contestation. »
Pourtant, dix années plus tard, le sou­
tien aux boat people fuyant le nouveau
régime vietnamien donne la possibilité
aux « petits camarades » de se réconcilier
autour de la cause humanitaire. En
juin 1979, alors que la marine malaisien­
ne reconduit 2 500 personnes dans les
eaux internationales au large de Kuala
Terengganu, une conférence de presse se
tient, le 20 juin, à l’hôtel Lutetia, où l’on
retrouve sur la même tribune Aron et
François Dosse
De querelles intellectuelles en
réconciliations spectaculaires
SE RÉCONCILIER 6 | 6 Comme l’illustrent les relations entre
Raymond Aron et Jean­Paul Sartre, le monde intellectuel
est un univers où la raison n’est jamais tenue à trop grande
distance des passions, relate l’historien des idées
Sartre, conduit par André Glucksmann.
Claude Mauriac raconte la scène dans Le
Temps immobile (tome VI, Grasset, 1981) :
« Glucksmann dit à Sartre quelques mots à
l’oreille, tandis que Raymond Aron lui tend
la main, qu’il prend, le visage inexpressif,
sans hostilité ni chaleur, tandis que celui
d’Aron est tendu, gêné, à la fois inquiet et
heureux. Je l’entends, j’entends Raymond
Aron qui dit trois ou quatre mots de bien­ LA RÉDACTION
venue, dont seul me parvient distincte­
ment et me frappe camarade, peut­être
DE L’ARTICLE
vieux camarade. » « MERLEAU-PONTY
La réconciliation des frères ennemis fait
événement et est mise en scène au plus VIVANT » PREND
haut niveau. Après avoir siégé à la tribune
du Lutetia, les « petits camarades » ac­ BEAUCOUP DE
compagnent une délégation conduite par TEMPS À SARTRE.
André Glucksmann, Bernard Kouchner et
Jean­Claude Sénéchal, reçue à l’Elysée le IL NE SERA PUBLIÉ
26 juin par le président de la République,
Valéry Giscard d’Estaing. QUE CINQ MOIS
Maurice Merleau­Ponty et Jean­Paul
APRÈS SA MORT
Sartre : le quasi­frère perdu, salué dans
un hymne posthume Autre compagnon
de Sartre depuis leurs études Rue d’Ulm
en 1926, Maurice Merleau­Ponty a repré­
senté un quasi­frère, au point que Sartre a
voulu après­guerre lui donner la direc­
tion des Temps modernes. A l’ENS, un inci­
dent les avait rapprochés. Les normaliens
avaient pour coutume de chanter des
chansons salaces qui n’étaient pas du
goût de Merleau­Ponty, qui fait alors par­
tie des étudiants « talas » – qui vont à la
messe. Un soir, il se met à siffler ce qu’il
estime être trop obscène, déclenchant
une bagarre générale. Il voit surgir pour
s’interposer un « garçon petit, vigoureux,
actif, et j’ai appris par la suite que c’était
Sartre » (Sens et non­sens, Nagel, 1948).
En 1952, alors que Merleau­Ponty, élu au
Collège de France, est au sommet de sa
carrière, une rupture décisive intervient
avec son ami Sartre, qui fait le choix de
devenir un compagnon de route du PCF.
En effet, Merleau­Ponty fait montre
d’une lucidité précoce envers le phéno­
mène totalitaire avec sa publication Hu­
manisme et terreur (Gallimard, 1947). En
pleine guerre de Corée, à l’été 1952, alors
que Sartre publie un article fleuve sur
« Les communistes et la paix », par lequel
il exprime son soutien indéfectible au
PCF, considérant alors que « tout anticom­
muniste est un chien », Merleau­Ponty
l’informe qu’il va passer dans la revue un
article qui n’est pas du tout sur ces posi­
tions. Au terme de deux heures de discus­
sion, Sartre refuse tout net, et Merleau­
Ponty est contraint à démissionner.
Ainsi se clôt le chapitre de la belle ami­
tié entre les deux philosophes et Mer­
leau­Ponty, empêché de s’exprimer dans
Les Temps modernes, emprunte la voie de
l’édition pour critiquer publiquement
« Sartre et l’ultra­bolchévisme » en 1955
dans Les Aventures de la dialectique (Galli­
mard). A ces critiques Sartre n’apporte
pas de réponse ; c’est Simone de Beauvoir
qui prend la plume avec une violente
contre­attaque dans Les Temps modernes,
« Merleau­Ponty et le pseudo­sartrisme ».
Cette rupture coûte aux deux amis, et
ce jour de 1961 où Sartre va devoir rendre
hommage dans sa revue à son ami pré­
maturément disparu à l’âge de 53 ans sera
particulièrement douloureux. La rédac­
tion de son article « Merleau­Ponty vi­
vant » lui prend beaucoup de temps et ne
sera publié que cinq mois après sa mort.
L’intensité du texte de 72 pages qu’il lui
consacre atteste la force du lien amical et
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019
la volonté d’une réconciliation pos­
thume : « Il a fallu qu’il meure pour que je
le perde… Nous essayâmes chacun de res­
ter fidèle à soi et à l’autre, nous y réussîmes
à peu près. » Sartre exprime sa dette à
l’égard de son ami, qu’il juge plus capable
que lui de s’orienter sur le plan politique.
De cette complicité philosophique il n’y a
rien à conclure pour Sartre, « sinon que
cette longue amitié ni faite ni défaite, abo­
lie quand elle allait renaître ou se briser,
reste en moi comme une blessure indéfini­
ment irritée ».
Paul Ricœur et Jacques Derrida : de la
confrontation à l’hommage mutuel
Alors que Derrida avait été l’assistant de
Ricœur à la Sorbonne, une vive contro­
verse éclate entre eux à propos de la
place de la métaphore dans le discours
philosophique. Lorsque Ricœur publie
en 1975 La Métaphore vive (Seuil), Der­
rida est déjà un philosophe prolixe ayant
acquis une réputation internationale. Il a
écrit un premier texte sur la métaphore
en 1971, « La Mythologie blanche », dans
lequel il radicalise la position heidegge­
rienne : il considère que le monde de la
métaphysique n’est que le transfert ana­
logique du monde sensible et entend
faire jouer à la métaphore le rôle de dé­
voilement du caractère mythologique
du discours philosophique. Sa démons­
tration s’inscrit dans un vaste projet de
déconstruction des limites du discours
philosophique.
C’est en 1971 qu’a lieu l’échange le plus
vif entre Ricœur et Derrida, à l’occasion
du XVe congrès de l’Association des socié­
tés de philosophie de langue française, à
l’université de Montréal. Responsable de
la conférence inaugurale, Ricœur fait une
communication sur « Discours et com­
munication », tandis que Derrida pro­
nonce de son côté sa fameuse conférence
sur « Signature, événement, contexte ».
Alors que Derrida rappelle l’intention qui
est la sienne de souligner les impasses de
la méthode analytique appliquée à la
question du discours, Ricœur reproche à
Derrida de procéder à une surcharge des
problèmes posés par l’écriture pour com­
bler l’absence d’une théorie du sens.
La disparition d’Emmanuel Levinas, le
jour de Noël 1995, donne lieu à un éloge
funèbre d’une densité exceptionnelle
prononcé à ses obsèques par Derrida.
Très sensible à ce bel hommage, Ricœur
envoie un mot à Derrida pour lui dire
l’émotion partagée par la disparition de
leur ami commun et lui signifier com­
bien il a été touché par la justesse de ses
mots. A cette lettre, Derrida répond qu’il
y a une catégorie inébranlable qui est
celle de la promesse – « et c’est la vôtre. (…)
On ne peut pas toucher à la promesse ».
A l’occasion de la publication du « Ca­
hier de L’Herne » consacré à Ricœur
en 2004, Derrida rend un vibrant hom­
mage à celui qui a été son maître lorsqu’il
était son assistant à la Sorbonne : « Je
crois que jamais la force ne m’aura autant
manqué pour aborder, sous la forme
d’une étude ou d’une discussion philoso­
phique, l’œuvre immense de Paul Ricœur. »
Leur relation s’achève sur ce salut frater­
nel à une pensée, à une foi pensée et
pensante qui n’aura jamais cédé sur une
fidélité à elle­même et aux autres. 
FIN
François Dosse est professeur
d’histoire contemporaine à l’université
Paris-XII et à Sciences Po. Auteur,
en 2018, d’une « Saga des intellectuels
français » (Gallimard) en deux volumes,
il s’est efforcé de renouveler l’histoire
des idées, dont il a contribué à définir
les objectifs et les méthodes (« Le Pari
biographique. Ecrire une vie »,
La Découverte, 2005) autour de trois
axes principaux – écoles intellectuelles,
paradigmes conceptuels et itinéraires
biographiques. La conviction centrale
qui anime cette histoire intellectuelle
est que l’itinéraire d’un penseur
ne se résume pas à l’histoire d’une vie,
mais constitue surtout une entrée
privilégiée dans une époque, comme
en témoignent ses ouvrages consacrés
à Michel de Certeau, Cornelius
Castoriadis, Gilles Deleuze et Félix
Guattari, ou Paul Ricœur, auquel
François Dosse a présenté son étudiant
Emmanuel Macron (« Le Philosophe
et le Président », Stock, 2017)
0123
DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019 carnet | 25
Roselyne et Grégoire Bouvier- Ses fils,
Fellmann, Ses belles-filles,
Véronique d’Halluin-Fellmann, Ses petits-enfants
Le Carnet Dominique (†) et Evelyne Fellmann- Et son arrière-petit-fils,
en vente Munsch, Ses sœurs
et leurs familles,
actuellement Vos grands événements
ses sœurs et frère, ses beau-frère
et belle-sœur,
Ses douze neveux et nièces, ont la tristesse de faire part du décès
Prix de la découverte poétique
K En kiosque Naissances, mariages, de
Grande Conférence de Rentrée Simone de Carfort 2019
anniversaires de naissance ont la grande tristesse de faire part du doyen, Claude Landman, Fondation
du décès de Mme Claudette SZEPETOWSKI, Frédéric et Simone de Carfort,
Avis de décès, remerciements née HERSCHMANN. sous l’égide
anniversaires de décès, Paris, le jeudi 12 septembre 2019,
0123 souvenirs
Anne FELLMANN,
Les obsèques ont eu lieu dans à 21 heures. de la Fondation de France.
hors-série
journaliste,
Géopolitique l’intimité familiale. Ce prix a pour objet la découverte
des
îles en Colloques, conférences, Centre Sèvres, d’un poète d’expression française,
séminaires, tables-rondes, survenu à Paris,
40 cartes
le 20 juillet 2019,
35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e. inconnu ou méconnu.
portes-ouvertes, journées Conférences Adresser
à l’âge de soixante-trois ans. Plus d’infos : www.ephep.com soit quatre jeux identiques
d’études, congrès, Les Mardis de la Philo de 30 à 50 poèmes inédits,
nominations, Une cérémonie religieuse aura lieu reprise le 17 septembre à 9 h 30, soit quatre exemplaires
assemblées générales le samedi 31 août, à 11 heures, en Prix d’un ouvrage de poésie édité
l’église Notre-Dame-au-Cierge d’Epinal 17 nouveaux sujets au cours des cinq dernières années,
Soutenances de mémoire, (Vosges). et 27 conférenciers d’exception : Prix de l’association jamais primé,
thèses, #StopCorruption accompagnés d’une notice
Hors-série Expositions, vernissages, • Lectures féminines des monothéismes, biographique
Raymonde Frazier, Delphine Horvilleur, Fondée en avril 2018, avant le 25 octobre 2019
signatures, lectures, née Novodorsqui, Marion Muller-Colard, l’association #StopCorruption en pli non recommandé à :
communications diverses son épouse, Kahina Bahloul décerne un Prix destiné
HORS-SÉRIE Carole Frazier, • La pensée chrétienne à distinguer tous les deux ans Fondation de France
sa fille bien-aimée, contemporaine, Rémi Brague des publications scientifiques Prix Simone de Carfort,
Vous pouvez nous envoyer Léo Chenuaud, et des travaux universitaires 40, avenue Hoche, 75008 Paris.
et Jean-Luc Marion
L’HISTOIRE vos annonces par mail : son petit-fils, • La Fontaine moraliste, apportant une réflexion approfondie
sur l’état de la corruption Le montant du prix
DE LA Toute sa famille, Bertrand Vergely
MÉDITERRANÉE
carnet@mpublicite.fr Ses nombreux amis, • La question animale, dans le monde ou développant est de 2 500 euros.
Aucun retour des manuscrits
Laurence Devillairs, des propositions en matière
en précisant vos coordonnées de bonne gouvernance et d’éthique.
ne sera fait.
(nom, adresse, téléphone ont la douleur de faire part du décès Elisabeth de Fontenay, Francis Wolff
et votre éventuel numéro d’abonné de • Les philosophes et le bouddhisme,
Roger-Pol Droit Les travaux éligibles - thèses, Communication diverse
ou membre de la SDL)
• Un monde d’individus ? ouvrages (ou chapitres d’ouvrages),
Réception de vos annonces : Charles FRAZIER, Michaël Fœssel mémoires de recherche
professeur agrégé, • L’enracinement, Olivier Dhilly de 2e année de Master, revues
Hors-série du lundi au vendredi • Culture et formes symboliques, et articles scientifiques - peuvent
jusqu’à 16 heures survenu le 18 août 2019, à Paris. Heinz Wismann être rédigés en français ou en
• L’énigme de la démocratie, anglais et doivent avoir été publiés
le samedi et les jours fériés Pierre-Henri Tavoillot ou réalisés au cours des deux années
jusqu’à 12 h 30 C’est le cœur lourd mais plein de
forces d’elle que nous vous • Hugo philosophe, Jean Delabroy précédant la remise des prix,
jusqu’à la date limite de dépôt
LA SCIENCE DU BIEN-ÊTRE

• Le sentiment d’exister,
# 12 - ÉTÉ 2019

Réveillez la informons de la mort de SOS AMITIE

Jacques Darriulat des candidatures
CAHIER NEUROSCIENCES

nature
L E C E R V E A U C R É AT I F

Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !

DE NOS RÊVERIES

Pour toute information

AV EC NOTRE PROGR A MME

• Dire philosophiquement la foi, (entre le 1er janvier 2017

GRE ATER GOOD SCIENCE
D E L’ U N I V E R S I T É

Martine HERMANT,
BERKELE Y EN CALIFORNIE

complémentaire Carnet : et le 15 octobre 2019).

LA BELLE RENCONTRE

qui est en vous

Monique Castillo
FRÉDÉRIC LOPEZ

Les bénévoles de SOS Amitié

MES HÉROS
DU BOUT DU MONDE

01 57 28 28 28 • Philosophie de l’amitié, écoutent

des suites d’une crise cardiaque Thierry Paquot Le règlement du Prix et le dossier de par téléphone et par internet
LE VERT, VITAMINE
D’UN MORAL AU BEAU FIXE
impromptue et sans douleur, et Jean-Michel Besnier candidature peuvent être consultés ceux qui souffrent de solitude,
survenue le matin du dimanche
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Michel Eltchaninoff
DES PLANTES ET DES ANIMAUX

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« Mon combat de femme pour la santé des enfants »
des artistes de Nogent. Elle avait • De quelques vertus, www.stop-corruption.fr Nous ne répondons
Décès soixante-quinze ans. Charles Pépin et Éric Fiat qu’à 1 appel sur 3
Trimestriel • La solitude, Christophe Perrin Retrouvez également davantage et recherchons des écoutants
Capucine, Julie et Emilie, • L’idéalisme d’informations sur les missions, bénévoles.
ses filles selon Jean-Michel Le Lannou, réalisations et membres fondateurs L’écoute peut sauver des vies
Jean-Marie CHARRON, et enrichir la vôtre.
Et Emma, Molly, Louise et avec Arthur Cohen, de l’association sur le site.

Collections
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Ferdinand, Alexandre Lissner, Frédéric Berland.
maître de conférences Les candidats devront transmettre assurée.
à Lyon II, ses petits-enfants.
Les conférences ont lieu leurs travaux, au format PDF,
fervent bricoleur et écrivain, à l’adresse électronique suivante : En IdF RDV sur
UNE COLLECTION 4, place Saint-Germain-des-Prés,
M. Michel Morin, Paris 6e. prix@stop-corruption.fr www.sosamitieidf.asso.fr
a tiré sa révérence le mardi 20 août le président Pour en savoir plus : En région RDV sur
2019, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Et les administrateurs 01 43 26 05 67 Date limite de dépôt des candidatures : www.sos-amitie.com
de l’association Olga Spitzer, www.lesmardisdelaphilo.com mardi 15 octobre 2019, à minuit.
Il repose à Albiez-le-Jeune au
milieu des montagnes. ont la grande tristesse de faire part
du décès de

3
LE VOLUME 1
Tu nous manqueras.
€ Mme Bernadette JARDIN,

partout
,99 L’écrivaine,
vice-présidente
SEULEMENT de l’association Olga Spitzer,
Cécile DELALANDRE
survenu le 15 août 2019.
est décédée le 21 août 2019,

tout le temps
Dès mercredi 21 août, Mme Geneviève Jouret,
à Lannion,
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LES PREMIERS PHARAONS Et toute sa famille,
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présente enfants et des textes de chanson,
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Elle a été sélectionnée deux fois pour depuis ses années Sciences Politiques,
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7 VIN

L’ivresse
des cendres
En Californie, le raisin gardera
les stigmates des incendies
Entretiens
d’embûches
ravageurs dont l’Etat a souffert
en octobre

8 U N A P É RO AV E C …

Ses petits-enfants
Jean Vanier
Le philosophe chrétien,
fondateur de L’Arche, revient
sur son engagement. Une vie
de sagesse, qui n’empêche
Algorithmes,

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pas les sentiments

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Pour recruter,
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soumettent
les candidats
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nouveau genre

LES GRANDS PERSONNAGES

169
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part du décès de
����o�o�����n�� b��g���� �� L�����o��g.

Israël: Trump

Salaires: comment se fabriquent

veut transférer

ses petits-enfants,
De “TwilighT” au
cinéma D’auTeur,
l’ambassade
la mue De
MAGAZINE américaine
les inégalités hommes-femmes SPÉCIAL LUXE
XAVIER
à Jérusalem
Le président américain

BEAUVOIS:
a prévenu plusieurs
dirigeants de la région
▶ Selon les derniers chif- ▶ L’universitaire Anne Bo- ▶ Selon l’Association pour ▶ Dans une tribune, des de sa décision, qui devait
fres, les cadres masculins
gagnaient, en2016, 12%
ring constate que ces iné-
galités «apparaissent dès
l’emploi des cadres, ce
différentiel se retrouve
énarques critiquent leur
école, qui n’applique pas
LE CINÉMA être officialisée mercredi

À VIF
PAG E S 2 - 3
de plus que leurs homo- la sortie de l’université» dans tous les secteurs, la parité prônée par l’Etat
logues féminines, même et ne font que s’aggraver même dans les profes-
International
DÉBATS – PAGES 14- 15
si l’écart tend à diminuer dans la suite de la carrière sions les plus féminisées CAHIER ÉO – PAGES 4 E T 7

La Russie exclue

Maxime DU CREST,
des Jeux d’hiver
LES OUBLIÉS 3 0 O C T O B R E 2 0 1 7 C A H I E R D U « M O N D E » N O 2 2 6 4 2 - N E P E U T Ê T R E V E N D U S É PA R É M E N T
pour dopage
DU MAROC

ont la tristesse de faire part du décès

V1
Le CIO a sanctionné le pays,
accusé de triche massive
et organisée. Le Kremlin
▶ Reportage à Sidi a aussitôt dénoncé un
Boulaalam, où complot occidental.
quinze femme
ffemmess Certains sportifs russes
sont mortes lors seront cependant admis
d’une distribution PAG E 6

alimentaire,
le 19 novembre

de
survenu le 21 août 2019,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. M. Bertrand SORLOT,
La cérémonie religieuse a eu lieu
le vendredi 23 août, à 14 h 30, en
survenu à Paris, le 22 août 2019. BULLETIN D’ABONNEMENT 173EMQAD6M
A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9
l’église Saint-Médard, Paris 5e. La cérémonie religieuse sera
célébrée le mardi 27 août, à 10 h 30,
OUI, je m’abonne à la FORMULE INTÉGRALE du Monde Nom :
pendant 6 mois pour 169€ au lieu de 481€ (prix de vente en kiosque). Prénom :
Dès jeudi 22 août, Il a été inhumé au cimetière en l’église Saint-Léon, Paris 15e.
L’accès à l’Edition abonnés du Monde.fr 7 jours/7
le volume n° 17 de Loupeigne (Aisne), ce samedi Adresse :
+ 6 quotidiens + tous les suppléments
24 août, à 14 h 30. ludovic.sorlot@orange.fr
ALEXANDRE LE GRAND + M le magazine du Monde. Code postal :
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Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget votre pièce d’identité.
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
 0123
26 | 0123 DIMANCHE 25 ­ LUNDI 26 AOÛT 2019

LA CHRONIQUE L’AMAZONIE,
DE PATRICK ARTUS BIEN COMMUN
ques, il ne fait pas de doute que la plupart accessoirement du statut de pays amazo­
UNIVERSEL d’entre eux sont volontaires, encouragés nien grâce au département de Guyane, li­

Quand l’Europe par la politique climatosceptique du prési­

dent Jair Bolsonaro.
La crise a pris un tour diplomatique. A la
mitrophe du Brésil ? Ou bien est­elle « à
nous, le Brésil », comme le revendique le
président Bolsonaro ? Les conséquences de

remplace la Chine veille de l’ouverture du sommet du G7 à

Biarritz, samedi 24 août, auquel le prési­
dent brésilien n’est pas convié, Emmanuel
la destruction progressive de la forêt ama­
zonienne pour le reste des habitants du
monde donnent clairement raison aux

D
Macron s’est emparé de l’affaire. « Notre pays européens : l’Amazonie est une source
e la fin des années 1990 à 2013, maison brûle, a­t­il tweeté. Littéralement. importante d’oxygène, d’eau et de biodiver­
le système monétaire internatio­ L’Amazonie, poumon de la planète qui pro­ sité dont dépend l’ensemble de la planète.
nal a pris la forme d’un système à duit 20 % de notre oxygène, est en feu. » Qua­ Sans même parler de son impact sur les po­
deux pôles, entre les Etats­Unis et Patrick Artus lifiant les incendies de « crise internatio­ pulations indigènes, la déforestation mas­
l’Asie, mais essentiellement entre les est chef économiste nale », le président français a indiqué son sive par brûlis s’inscrit dans le dérèglement
Etats­Unis et la Chine, stable et profitable
aux deux pays. Dans ce système, que les
économistes ont baptisé « Bretton
Woods II », les Etats­Unis émettent la
monnaie de réserve et développent un
de la banque
Natixis et membre
du Cercle
des économistes
A qui appartient l’Amazonie ? Aux
neuf pays d’Amérique latine sur les
territoires desquels s’étend cette
immense forêt vierge ? Au Brésil, qui en
abrite 60 % ? Ou à la planète, dont le sort
intention de mettre « cette urgence » au
menu du G7. M. Bolsonaro s’est indigné,
par retour de Tweet, de cette posture « colo­
nialiste » consistant à traiter des affaires
d’autres pays en dehors de leur présence.
global du système climatique. Elle entraîne
une hausse des émissions de gaz à effet de
serre ; détruits, les arbres ne peuvent plus
capter l’eau des sols pour produire de la
pluie. M. Bolsonaro doit donc accepter
déficit extérieur très important vis­à­vis environnemental est lié à sa santé ? L’Allemagne et le Canada, membres du G7, cette responsabilité internationale.
de la Chine. Cette dernière, elle, refinance les Etats­Unis en accu­ La multiplication alarmante des incen­ et le secrétaire général de l’ONU, Antonio L’autre question concerne l’accord UE­
mulant des titres en dollars (essentiellement des titres du Trésor dies dans la forêt amazonienne, ces derniè­ Guterres, qui y participe, ont appuyé l’ini­ Mercosur : son rejet, aussi gratifiant soit­il
des Etats­Unis) dans ses réserves de change. res semaines, a donné une nouvelle acuité tiative de la France. M. Macron a franchi un politiquement auprès de l’opinion publi­
Ce système est stable, puisque le déficit extérieur des Etats­ à cette interrogation. Si les feux y sont un pas de plus en annonçant, après le premier que française, est­il la réponse appropriée
Unis est financé sans difficulté par la Chine (ainsi que par les phénomène naturel en fin de saison des ministre irlandais, que son pays ne ratifie­ pour faire plier le président brésilien ? Peut­
pays de l’OPEP) et que l’accumulation des réserves de change en pluies, ils ont pris cette année une ampleur rait pas le traité commercial UE­Mercosur être cette menace a­t­elle contribué à sa dé­
dollars en Chine évite une appréciation trop forte du taux de telle que le 19 août, les nuages de particules conclu en juin après des années de négocia­ cision, vendredi soir, d’envoyer l’armée lut­
change de la monnaie chinoise (renminbi, RMB) et une déprécia­ dus à la combustion de la forêt ont obs­ tions : le président brésilien, a­t­il accusé, ter contre les incendies. Mais ce traité cons­
tion trop forte du dollar (« The Revived Bretton Woods System », curci jusqu’au ciel de Sao Paulo. Les obser­ lui a « menti » sur ses engagements en fa­ titue aussi un moyen de pression pour
M. Dooley, D. Folkerts­Landau, P. Garber, International Journal of vations de divers satellites ont confirmé veur de l’environnement. imposer les normes sanitaires et environ­
Finance and Economics, vol. 9, n° 4, 2004). Il est aussi favorable l’étendue du désastre. En juillet, le nombre L’affaire pose deux questions. L’Amazo­ nementales européennes aux pays produc­
aux deux pays, puisque les Etats­Unis peuvent consommer une de départs de feux a marqué une hausse de nie est­elle un bien commun universel, teurs latino­américains. On aurait tort de
quantité importante de produits chinois, dont le prix est bas, en 84 % par rapport à 2018. Pour les scientifi­ comme l’affirme la France – qui se prévaut s’en priver totalement. 
s’endettant sans difficulté auprès de la Chine, et parce que la
Chine peut produire davantage de biens qu’elle vend aux Etats­
Unis en apportant le financement correspondant et en accumu­
lant une dette, sans risque, auprès du Trésor américain. Mais
Bretton Woods II a disparu en 2014, pour deux raisons.
Tout d’abord, la Chine n’accumule plus de réserves de change,
la banque centrale chinoise n’achète donc plus de nouveaux UNE COLLECTION
©Edouard Caupeil/Pasco

actifs financiers en dollars. Elle a même perdu 900 milliards de

dollars (813 milliards d’euros) de réserves depuis 2014, et ne peut
plus financer les Etats­Unis. En effet, la Chine subit depuis 2014
de fortes sorties de capitaux du secteur privé, car les ménages et présentée par
les entreprises chinoises, devenant pessimistes quant à l’avenir
ALEXANDRE ADLER
Une collection pour revivre
du pays, préfèrent investir à l’étranger ; de même, le vieillisse­
ment démographique commence à réduire l’excédent commer­
cial du pays. La seconde explication est le changement de straté­
gie économique des deux pays. De la fin des années 1990 à 2013,
les Etats­Unis sont consuméristes et la Chine mercantiliste. l’histoire de l’humanité
C’est­à­dire que les Etats­Unis essaient de consommer davantage
en important les produits chinois bon marché, tandis que la
Chine base sa croissance sur le développement de ses exporta­
tions et de ses excédents extérieurs, développement facilité par
une monnaie sous­évaluée.

Donald Trump commet une erreur d’analyse

Mais, à partir de 2014, et surtout avec l’arrivée de Donald Trump
à la présidence, ces stratégies s’inversent : les Etats­Unis devien­
nent mercantilistes, et la Chine consumériste. Le président
Trump veut que les autres pays achètent davantage de biens et
services aux Etats­Unis, et veut donc réduire le déficit extérieur
américain ; le gouvernement chinois passe à une stratégie de
croissance fondée sur la demande
DANS LE RÔLE intérieure, et non plus sur les expor­
tations. Bretton Woods II n’est donc
DE PRÊTEUR plus adapté.
Les Etats­Unis ayant toujours un
FINANÇANT LE déficit commercial considérable
DÉFICIT EXTÉRIEUR (autour de 800 milliards de dollars
par an), la Chine a été remplacée,

3
DES ÉTATS­UNIS, dans le rôle de prêteur finançant le LE VOLUME 1

€
déficit extérieur des Etats­Unis, par
LA CHINE l’Europe, et en particulier par l’Alle­

,99
A ÉTÉ REMPLACÉE magne, dont l’excédent d’épargne est
considérable (l’excédent extérieur re­
PAR L’EUROPE, présente environ 8 % de son produit SEULEMENT
intérieur brut). De 2013 à aujourd’hui,
ET EN PARTICULIER la dette du Trésor américain détenue
en Europe est ainsi passée de 870 mil­
PAR L’ALLEMAGNE liards à 1 520 milliards de dollars,
alors que celle détenue en Chine est
passée de 1 300 milliards à 1 100 milliards de dollars.
Un « Bretton Woods III » américano­européen va­t­il rempla­
cer le « Bretton Woods II » sino­américain ? Ce système n’aurait
pas le caractère coopératif de Bretton Woods II, qui était à l’épo­
que favorable à la fois à la Chine et aux Etats­Unis. En effet,
aujourd’hui, les Etats­Unis et l’Europe ont tous deux des straté­
gies mercantilistes. Les deux veulent croître grâce à la progres­
sion de leurs exportations, s’emparer de parts de marché dans
le commerce mondial et la production de produits industriels.
On ne peut donc pas retrouver l’équilibre qui existait
jusqu’en 2013 entre les Etats­Unis et la Chine, puisque les
Etats­Unis n’acceptent plus d’avoir un déficit extérieur, même
refinancé par l’Europe.
Au contraire, on se dirige vers un affrontement : les Etats­Unis
vont reprocher à l’Europe son excédent extérieur, prétendre Le Monde et National Geographic vous invitent
que les Européens sous­évaluent leur devise, alors que jus­ à revivre 5000 ans de l’histoire de l’humanité
qu’en 2013 les Etats­Unis avaient accepté l’excédent extérieur de avec la collection “Histoire & Civilisations”.
la Chine et la sous­évaluation du RMB chinois, puisqu’ils
avaient alors une stratégie consumériste. Le système monétaire Des ouvrages d’une grande richesse documentaire,
international va donc perdre la stabilité qu’il avait sous le rédigés par des spécialistes et illustrés par de
régime de Bretton Woods II. nombreuses photos, infographies, cartes et chronologies.
En choisissant l’affrontement commercial, Donald Trump
commet une erreur d’analyse. Les Etats­Unis disposant de la Une œuvre de référence à lire, à admirer et à conserver.
monnaie de réserve internationale dominante, ils doivent profi­
ter de ce « privilège exorbitant » du dollar pour financer leur dou­
ble déficit (extérieur et public) sans difficulté, et donc soutenir En partenariat avec
leur demande intérieure en attirant l’épargne du reste du
monde. Donald Trump ne comprend pas que le pays qui émet la
monnaie de réserve mondiale doit adopter une stratégie consu­
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mériste, et certainement pas mercantiliste.  et sur www.collection-HistoireetCivilisations.fr
Tirage du Monde daté samedi 24 août : 196 202 exemplaires
 5 AMOUR

Tristes
tropiques
Cette semaine, dans
« S’aimer comme on se quitte »,
l’histoire de Vincent, 33 ans

6 VOYAGE

Le rail, ça
nous gagne
La Haye, Gérone, Mannheim…
Cinq destinations européennes
à gagner en train pour ne pas
plomber son bilan carbone

8 UN C HÂT EAU AVE C …

Bruno
Podalydès
Le réalisateur se fait tout un film
sur la plage de son enfance,
vingt ans après y avoir tourné
« Liberté­Oléron », son deuxième
long­métrage

Haute lutte

E NQU ÊT E

Relancée cet été pendant le Tour de France et ses traditionnelles bises de jolies jeunes femmes
au vainqueur d’étape, la polémique sur la sexualisation des salariées par l’uniforme ne désenfle pas

D I MANCH E 25 - LU ND I 26 AOÛT 20 1 9 C AHI E R D U « MO N DE » N O 23 2 10 - NE PE UT ÊT R E V E ND U SÉPA R ÉM ENT

2 0123
D IMA NCH E 2 5 - LU ND I 26 AO Û T 20 19
ENQUÊTE

« On attend de vous une

présentation impeccable »
Emblèmes d’une féminité et d’une
élégance stéréotypées, accessoires
inconfortables, voire douloureux,
les talons hauts sont encore
fréquemment imposés aux
femmes sur leur lieu de travail.
Une injonction qu’elles sont de plus
en plus nombreuses à dénoncer

Dans un quartier d’affaires de Tokyo, le 4 juin. KIM KYUNG HOON/REUTERS


Par Catherine Rollot
C’
est un rituel de fin
d’été : troquer tongs,
nu­pieds et autres
spartiates pour ce
que Mélanie (la plu­
part des femmes
interrogées ont requis l’anonymat), Pari­
sienne de 37 ans, appelle ses « chaussu­
res de boulot ». Dans un ballet bien
ordonné, sandales à talons, escarpins
perchés, boots surélevées regagnent les
premiers rangs des placards. « Je triche
un peu en m’autorisant du compensé
pendant les dernières semaines d’août,
où on est encore en mode relax au boulot,
avoue cette cadre commerciale d’une
grande banque d’affaires. Le vrai signal
de la rentrée, c’est quand je renfile mes
souliers fins. Dans mon métier, ma crédi­
bilité passe beaucoup par le look, les ta­
lons en font partie. »
A l’heure du casual friday, du
sportswear et des baskets de luxe, le car­
can des injonctions vestimentaires faites
aux femmes demeure. Et passe souvent
par les pieds. Ces dernières semaines, la
polémique autour des hôtesses du Tour
de France, femmes­objets sur escarpins,
et le mouvement des hôtesses d’accueil,
qui dénoncent notamment le port obli­
gatoire des talons hauts et le harcèle­
ment auquel elles sont confrontées, ont
mis en lumière une réalité. Encore
aujourd’hui, la liberté de choisir de mar­
cher au ras du bitume ou à une hauteur
vertigineuse n’est pas un droit acquis
pour toutes les salariées, qui sont de plus
en plus nombreuses à se révolter.
Le front de libération du pied a
été relancé au Japon, au printemps 2019.
Dans l’Archipel, beaucoup d’entreprises
obligent encore implicitement leurs
employées à chausser des talons. Lancé
par l’actrice Yumi Ishikawa, qui devait
elle­même se plier à cet usage lorsqu’elle
travaillait dans un hôtel, le hashtag de
contestation #kutoo – jeu de mots avec
kutsu (« chaussure ») et kutsuu (« dou­
leur ») et référence au mouvement
#metoo – a été relayé par des milliers de
Japonaises sur les réseaux sociaux.
Malgré une pétition d’ampleur appelant
à légiférer contre cette obligation vesti­
mentaire, le gouvernement japonais a
pour l’heure botté en touche.
Cette prise de conscience nip­
pone rappelle l’affaire Nicola Thorp, du
nom d’une actrice britannique qui avait
été renvoyée d’un poste d’hôtesse d’ac­
cueil, en 2016, après avoir refusé de por­
ter les chaussures à talons réglementai­
res. Signé par plus de 150 000 personnes,
son manifeste déclenchera un débat par­
lementaire sur les codes vestimentaires
discriminatoires dans les entreprises et
un rappel des obligations d’égalité de
traitement entre les deux sexes.
Et en France ? Avant la mobilisa­
tion des hôtesses, c’est en mai 2019, au
Festival de Cannes, que le sujet est
revenu sur le tapis. Claudia Eller, journa­
liste et corédactrice en chef du site du
magazine américain Variety, s’est vu
refuser l’accès aux marches cannoises
par l’un des vigiles car elle portait des
chaussures plates. Une scène filmée et
postée sur son compte Twitter qui a
enflammé les réseaux sociaux. Même
effervescence après le post Instagram de
l’actrice et réalisatrice française Romane
Bohringer montrant une photo d’un de
ses pieds boursouflé par des chaussures
de soirée, avec en légende : « Le problème
à Cannes, c’est les talons. »
« A un certain
niveau de
qualification,
les femmes
doivent
apparaître
désirables mais
pas disponibles »
Elsa Favier,
doctorante en sociologie à l’EHESS
Les histoires de pied font partie
depuis quelques années des « classi­
ques » de la Croisette. En 2018, la star
américaine Kristen Stewart s’était rebel­
lée contre cette « tradition » en retirant
sa paire de stilettos sous l’objectif des
photographes. Deux ans plus tôt, Julia
Roberts s’était elle aussi déchaussée sur
les marches. A chaque scandale, la direc­
tion du Festival assure qu’il n’y a pas
d’obligation de porter des talons hauts
sur le tapis rouge.
Loin d’être anecdotique, en
mode glamour et retentissant à Cannes
ou à bas bruit sur la moquette d’un
open space, le casse­tête des souliers
est une affaire sérieuse. Car sans être
exigé, le talon est un accessoire haute­
ment recommandé dans certaines
professions, notamment celles qui né­
cessitent de rester debout de longues
heures durant.
« Les chaussures hautes font par­
tie des attributs censés mettre en valeur et
vendre le capital esthétique des femmes,
notamment pour construire une relation
privilégiée avec un client, généralement
masculin », explique Isabel Boni­Le Goff,
sociologue, chercheuse à l’université de
Lausanne et spécialiste des questions de
travail et de genre. Hôtesses, vendeuses,
employées de restauration mais aussi
cadres n’échappent pas à cette loi du
talon. « Dans des secteurs comme le
conseil, par exemple, la sexualisation ne
doit pas être trop visible, poursuit la
sociologue. Il s’agit de respecter les codes
bourgeois tout en apportant des signaux
de féminité à travers la chevelure, les vête­
ments et les accessoires. Toute la difficulté
pour les femmes étant de trouver un
répertoire à égale distance de la figure de
la “bimbo” et de l’“androgyne”. »
La possibilité d’outrepasser ces
injonctions varie aussi avec la position
hiérarchique. En bas de l’échelle, elles
sont souvent plus fortes et sexistes, et la
capacité de s’y opposer, moindre. Dans
les métiers d’accueil, difficile de faire
passer le plat. « Le minimum, c’est l’escar­
pin dit hôtesse de l’air, avec un bon gros
talon carré d’au moins cinq centimètres,
confirme Emma, 25 ans, étudiante en
tourisme et hôtesse en événementiel à
temps partiel. A l’embauche, on nous
donne des liens sur des sites commerçants
spécialisés où acheter ces horreurs, car les
chaussures ne sont pas fournies dans
l’uniforme prêté par l’agence pendant la
prestation. J’ai investi dans une paire bon
LE POID S D E L ’U NI FOR M E
Les hôtesses se rebellent
E
n jupe et talons, elles sont au salon de l’auto
ou à celui de l’agriculture, elles embrassent
les vainqueurs du Tour de France sur les
joues, ou se tiennent derrière les bornes d’accueil à
l’entrée des entreprises. Figures familières et à la
fois invisibles, réduites à un sourire et à la couleur
d’un uniforme. Mais, depuis quelque temps, la
colère monte chez les hôtesses.
Sur les réseaux sociaux, le hashtag #pasta­
potiche, comme le compte Twitter du même nom,
est devenu le cri de ralliement de toutes celles qui
témoignent du sexisme et du harcèlement aux­
quels elles sont confrontées. Une pétition pour
« dépoticher le métier d’hôtesse en événementiel » a
déjà recueilli 25 000 signatures en une dizaine de
jours. A l’origine du texte, Alice, étudiante en socio­
logie de 22 ans et hôtesse d’accueil depuis six ans,
dont l’initiative a été inspirée par une autre mobili­
sation, partie cet été en plein Tour de France et
dénonçant la tradition des « hôtesses podium », ces
jeunes femmes qui partagent l’estrade avec le vain­
queur et lui donnent un baiser devant les caméras.
Mépris social, sexisme, remarques graveleu­
ses voire agressions sexuelles, toutes racontent la
même chose : l’impression d’être réduites à l’image
de « jeunes potiches écervelées » ou de « femmes
décoratives à disposition ». Une dévalorisation ren­
forcée par le poids d’un uniforme enfermant l’hô­
tesse dans une représentation d’un « idéal » féminin
fait de charme, de disponibilité et de docilité. « Il est
fréquent que je réalise des missions perchée sur des
talons hauts, en tenue de soirée, pendant des heures
sans bouger d’un poil et avec parfois pour seule tâche
celle de sourire. A ce moment­là, j’ai réellement l’im­
pression de passer aux yeux des autres pour une
plante verte, décrit Alice. J’ai aussi appris très vite
que, dans ce métier, le dicton “sois belle et tais­toi”
était de mise, le port obligatoire des talons poussant
ces injonctions sexistes à leur paroxysme. J’ai déjà dû
porter des talons – fournis par l’agence – deux tailles
au­dessous de la mienne pendant trois heures sans
broncher, une vraie torture. »
De leur recrutement à leur tenue de travail,
les hôtesses d’accueil doivent répondre aux critères
de la « bonne présentation », qui va au­delà d’un
physique jugé « agréable ». « Les agences prestataires
recherchent avant tout des jeunes femmes dégageant
une personnalité bourgeoise et policée, plutôt Carole
Bouquet que Béatrice Dalle, si on devait résumer »,
marché pas tout à fait réglementaire, en
général ça passe. Et à la première occa­
sion, quand on ne voit pas mes pieds, je
switche avec des ballerines. »
Chez les cadres, la pression est
moins directe, même si l’intégration
dans l’entreprise passe par l’adoption de
règles vestimentaires. Dans certains
secteurs traditionnels (banque, conseil,
cabinet d’avocats…), il est encore de bon
ton de s’élever. Et d’user d’un accessoire
qui siée avec l’incontournable jupe/robe
et veste, en particulier lors d’un rendez­
vous client. « A un certain niveau de qua­
lification, les femmes doivent apparaître
désirables mais pas disponibles, résume
Elsa Favier, doctorante en sociologie à
l’Ecole des hautes études en sciences
sociales, qui travaille notamment sur
les femmes énarques. Pour certaines,
l’adoption de certains attributs dits fémi­
nins va être ressentie non comme une
contrainte mais comme un atout pour
affirmer une position. D’autres le vivent
plus difficilement. »
Juliette, avocate en droit public à
Paris, a longtemps eu du mal avec sa
garde­robe professionnelle. « Dans un
précédent poste, j’avais été prévenue : “On
attend de vous une présentation impecca­
6
ble”, raconte la trentenaire, plutôt jean­
baskets dans le civil. Il fallait tous les
jours être tirée à quatre épingles, veste et
escarpins obligatoires. Je me suis souvent
sentie déguisée. Dans mon cabinet actuel, C’est le nombre moyen de paires
c’est un peu moins codifié… ou je me suis
habituée. Pour éviter tout impair, j’ai tou­ de chaussures achetées chaque
jours une tenue de réserve – robe, escar­
pins façon croco, veste noire ou blanche – année par les Françaises, contre
au bureau, au cas où. »
Dans son univers de travail plutôt 3,5 pour les hommes. Les
masculin, les talons ont longtemps posé
un problème à Marina, urbaniste de for­ chaussures de ville (escarpins,
mation en charge de projets immobiliers
dans un organisme semi­public. « A mon ballerines…) représentent encore
arrivée, j’ai compris qu’il y avait beaucoup
d’enjeux de représentation dans mon 72 % des ventes, en recul pourtant
poste et que je me devais d’être “chic et fé­
minine”. Je suis grande, je mesure 1,74 m, et de 5 % au profit des sneakers
plutôt élancée. Le fait de devoir porter une
robe et des escarpins pour coller à une cer­ et autres tennis.
taine représentation sociale suscitait des
regards ou des compliments qui me met­ Source : Fédération française de la chaussure
taient mal à l’aise. » Une nouvelle affecta­
tion a « libéré » la jeune femme, qui s’as­
sume aujourd’hui « souvent à plat, avec
des bijoux et de la couleur ». ▶▶▶
0123
DI MAN CHE 2 5 - LUN DI 26 AO ÛT 20 19 3
décrypte Gabrielle Schütz, sociologue, maîtresse
de conférences à l’université de Versailles Saint­
Quentin­en­Yvelines, qui s’est plongée dans cet uni­
vers très féminisé, comptant à peine 10 % d’effectif
masculin. De ses recherches et de son expérience
– elle­même a travaillé dans ce secteur quand elle
était étudiante –, l’universitaire a tiré un ouvrage
au titre explicite : Jeunes, jolies et sous­traitées : les
hôtesses d’accueil (La Dispute, 2018).
Ce profil de « la jeune fille blanche de bonne
famille » est particulièrement prisé dans le secteur
de l’événementiel. Recrutées pour quelques heures
ou quelques jours à l’occasion d’une manifestation
(salons et conventions d’entreprise, congrès, événe­
ments sportifs…), les hôtesses, souvent étudiantes,
sont soumises à des « chartes » qui détaillent la
manière dont elles doivent se vêtir et se maquiller :
hauteur des talons, épaisseur des collants, type de
coiffure, couleurs de maquillage… les consignes
peuvent être très précises.
« Brief mise en beauté », détaille une agence à
la veille d’un match au Parc des Princes : « Coiffure :
cheveux lâchés brushing ; Maquillage : vous devez
être absolument maquillées et cela doit se voir ! Anti­
cernes, mascara et trait de crayon/eye­liner, blush,
rouge à lèvres rouge carmin, pas de vernis. » Un car­
can qui révèle parfois de mauvaises surprises. Sarah,
25 ans, étudiante en BTS tourisme, se souvient
encore de « ce congrès porte Maillot où elle devait
récupérer chaque jour un petit foulard tour du cou
porté par d’autres filles sans avoir été lavé » ou « cette
jupe un peu trop courte, ce haut un peu trop moulant,
dans lesquels elle se sentait mal à l’aise », fournis
pour une prestation sur un stand BMW.
La sexualisation de leur apparence mais
aussi l’injonction à être toujours souriantes, polies
et disponibles en toutes circonstances, à l’image,
selon les mots de Gabrielle Schütz, « d’une bonne
maîtresse de maison », en font les cibles privilégiées
de la drague, voire du harcèlement. « Ma tenue était
plus ringarde qu’affriolante, mais elle suscitait
pourtant des regards masculins soutenus, confie
Delphine, esthéticienne de 35 ans, qui a longtemps
effectué des missions d’accueil de VIP à l’occasion
d’événements sportifs. On sentait que, dans l’esprit
de certains, on faisait partie du paquet­cadeau. »
En entreprise, la fonction « décorative » est
un peu moins mise en avant, les hôtesses étant char­
gées d’accueillir les visiteurs, de répondre aux
appels, voire d’effectuer des petites tâches de secréta­
riat. Pourtant, là aussi, nombreuses ne sont pas maî­
tresses de leur image. Chez Phone Régie, prestataire
spécialisé dans l’accueil en entreprises, « 60 % des
clients choisissent “la prestation uniforme”, qui
comprend la fourniture du personnel et de plusieurs
tenues d’hiver et d’été, détaille Marion Wilbois, direc­
trice du département vêtement d’image. Tous les
ans, nous proposons à nos clients de nouveaux modè­
les dans l’air du temps. Il y a peu de demandes sur les
robes, les choses ont évolué. C’est souvent pantalon ou
jupe sur un tee­shirt un peu élégant. Au cas par cas, on
fournit même du décontracté avec sneakers ».
Pour Delphine Minchella, enseignante à
l’Ecole de management de Normandie, titulaire de
la chaire de recherches sur les entreprises de presta­
tions de service, les mentalités évoluent lentement.
« Tout est fait pour que les hôtesses restent en uni­
forme. Une prime leur est d’ailleurs octroyée pour en
porter un au quotidien. Quand on sait que leur
salaire ne dépasse que très rarement le smic, on
comprend que peu refusent. » Selon la chercheuse,
« au­delà de la vision réductrice et ultraféminisée de
leurs rôles, l’obligation d’une tenue spécifique qu’elles
sont souvent seules à porter dans l’entreprise les ren­
voie aussi à leur statut à la fois précaire et bâtard ».
C. Ro.
L ES D EUX FO NT LA PAI RE
4 0123
DIMA NC HE 25 - L U N D I 26 AO Û T 20 19
▶▶▶ Le gain de confiance,
l’impression d’avoir « fait ses preuves »
dans l’entreprise, la progression dans la
hiérarchie, mais aussi des pieds usés,
fatigués permettent au fil du temps à
beaucoup de femmes d’oser assouplir le
carcan. « Pas vraiment dans le look
cadre », Chrystèle Angrand, chef de pro­
jet numérique dans le secteur de la
santé, assume sa « boule afro, [ses] bas­
kets et [son] style streetwear ». « J’ai joué
le jeu pour passer des entretiens d’em­
bauche, mais je n’étais pas vraiment à
l’aise en robe, talons et maquillage »,
raconte celle qui évolue dans un cadre
professionnel « très tradi ». « Une fois
embauchée, j’ai vite détourné les codes en
vigueur malgré quelques réflexions. Le
fait d’avoir eu une supérieure hiérarchi­
que qui m’a parlé de l’importance de ne
pas gommer ma personnalité a joué
comme une autorisation. » Depuis, elle
réserve ses talons préférés hors du cadre
du travail, « pour une belle soirée ou
simplement quand j’en ai envie ».
La station de métro Denfert­Ro­
chereau, à Paris, a sonné le glas de la
« période talons » pour Céline, 40 ans,
directrice d’un cabinet de conseil. « Prise
d’une douleur monstrueuse dans la rame
après avoir animé pendant toute une
journée un séminaire juchée sur des
vernies noires », elle a choisi le « confort »
plutôt que l’« esthétique ». « De 30 à
38 ans, j’ai porté exclusivement du haut.
Parce que ça me plaisait, que ça me
donnait de l’allure, de l’assurance, celle
que l’on peut tirer d’une certaine fémi­
nité », poursuit­elle. Aujourd’hui ses
« vernies noires et même une paire de
Louboutin toutes neuves » sont remisées
au fond de son placard.
Pieds cambrés, orteils ratatinés,
dos en compote, quelle que soit la qualité
des chaussures, la marche en talons
hauts implique une certaine dose d’in­
confort. Tous les spécialistes le disent,
au­delà d’une certaine hauteur (autour
de cinq centimètres), ils provoquent un
déplacement du centre de gravité du
corps en avant, potentiellement facteur
de lésions. Le risque d’entorses ou de
chutes augmente aussi.
Pourtant, l’ambivalence vis­à­
vis du talon demeure, car l’ennemi des
femmes, ou du moins de leur corps,
peut aussi se transformer en botte
secrète, en incarnation du pouvoir au
féminin, à l’image de la working girl sur
stilettos au milieu d’une assemblée de
costumes gris dans les années 1980.
« Se percher permet aux femmes
d’être à la même hauteur que les
hommes, de les regarder dans les yeux,
voire de les dépasser en taille », analyse la
sociologue Isabel Boni­Le Goff. Certai­
nes y puisent une dose de confiance
supplémentaire ou un moyen de mar­
quer leur territoire. Enarque de forma­
tion, Isabelle Rueff, directrice d’un gros
Une « hôtesse
podium » quitte
la scène après
avoir félicité
le vainqueur des
championnats
du monde
de cyclisme sur
route, en 2011,
à Copenhague.
DENIS BALIBOUSE/
REUTERS
D ES C OT HU R NES A UX S TIL ETT OS
B LEU O U GR IS ?
La longue marche Pour les hommes,
Dans l’Antiquité Alors que la majorité de la popula­ sur la selle. Il évite aussi les souillures de la rue et
l’important est
tion marche pieds nus, on trouve trace de modèles
à hautes semelles en Egypte, portés par des digni­
amincit le mollet des hommes, une zone à haut
potentiel érotique à l’époque.
de savoir s’habiller
taires masculins lors de cérémonies, mais égale­
ment par les bouchers pour éviter de patauger
La révolution de 1789 sonne la fin de la recherche
de raffinement et d’extravagance pour les hommes.
comme son n + 1
dans le sang. A l’époque de la Rome et de la Grèce Associés à l’aristocratie et à la richesse, les talons re­ Cravate ou pas cravate ? Pantalon
antiques apparaissent aussi des cothurnes suréle­ descendent au profit de chaussures plus plates por­ de ville ou jean ? Costume ou simple
vés en bois ou en liège. tées par les deux sexes. La botte ou la bottine plate veste ? La liberté vestimentaire n’est
Au début du XVIe siècle La mode des « chopines », ou à petits talons triomphe. Il faudra attendre la fin pas totale pour les hommes. Eux aussi
des chaussures à très hauts talons en bloc venues de du XIXe siècle pour que la hauteur redevienne à la doivent intégrer (et obéir à) certaines
Turquie, se propage dans toute l’Europe. Les hau­ mode, cette fois uniquement réservée aux femmes. règles pour entrer dans le moule et
teurs s’envolent parfois jusqu’à 70 cm, obligeant les En 1947 Christian Dior lance sa collection New Look. être identifiable par leur hiérarchie.
femmes à utiliser une canne ou un domestique La taille très marquée des tailleurs est accompagnée Tout est affaire de culture d’entreprise
pour pouvoir marcher. Parallèlement, les talons d’escarpins fins et hauts. Symbole de la chaussure et de fonctions. Il suffit de se poster
reviennent dans le vestiaire masculin des nobles et élégante, l’escarpin prend de la hauteur avec l’inven­ à l’heure de la sortie des bureaux
deviennent une manière de montrer sa supériorité. tion du talon aiguille au début des années 1950, qui dans le quartier de la Défense, à côté
A cheval, le talon permet de monter plus facilement termine « la silhouette d’un coup de crayon », selon le de Paris, ou en bas du siège social
dans l’étrier et de s’assurer un meilleur maintien chausseur Roger Vivier, l’un des nombreux créa­ d’une grande entreprise du tertiaire
teurs qui revendiquent son invention. pour constater que le mimétisme
Dans les années 1960-1970 Décrié par nombre de du costume n’a pas disparu. Car, dans
médecins pour les effets de son inconfort et sym­ certains secteurs, les règles formelles
bole d’une érotisation du corps des femmes par les n’ont bougé qu’à la marge.
office HLM, a toujours mis un point hommes, le talon est peu à peu remisé au placard au Banque, finance, assurances,
d’honneur, quand elle est « en repré­ profit du plat. société de services imposent encore
sentation », à ce que « quelque chose 1980-2000 L’avènement de la working girl des pour leurs cadres le look chic, avec
ressorte, pour qu’au moins on me distin­ années 1980, une femme de pouvoir à la féminité chemise blanche et pantalon foncé.
gue sur la photo », plaisante­t­elle. Les triomphante, permet aux stilettos avec leurs 10 cm Le costume-cravate n’est pas l’excep-
couleurs mais aussi les talons ont de haut minimum de redevenir à la mode. Deux tion. « Chez les consultants, le même
« longtemps été une manière de marquer décennies plus tard, le succès de la série américaine souci de l’apparence est partagé par
ma différence dans un univers très mas­ Sex and the City, qui met en scène les péripéties sen­ les deux sexes, explique Isabel
culin et de montrer que j’y avais ma timentales et professionnelles de Carrie Bradshaw, Boni-Le Goff, sociologue du travail et
place », poursuit cette quinquagénaire une trentenaire new­yorkaise accro aux escarpins des genres, qui conduit des recher-
passée par l’enseignement et les cabi­ de luxe très haut perchés, les propulse au firma­ ches sur les professions supérieures et
nets ministériels. ment de la classe. leur féminisation. Le répertoire vesti-
Dans l’entreprise, où l’habit fait C. Ro. mentaire dans ces secteurs puise
souvent le moine, cocher la case talons dans un fond de “bon goût” qui a peu
relève même parfois du choix stratégi­ évolué au fil du temps. Quand les
que. « Une petite concession », comme le marges de manœuvre vestimentaires
raconte Esther, 23 ans, qui s’est coulée sont plus souples, qui autorisent
dans le « dress code apprêté » du grand le port moins fréquent de la cravate,
magasin dans lequel elle travaille. Dans Ces exigences apparaissent ou même la possibilité de s’en passer
le livret d’accueil remis aux nouveaux Ce que dit la loi nécessairement, selon les cas, dans certaines circonstances, il est
entrants, « le port obligatoire de chaussu­ dans le contrat de travail, le rare qu’elles remettent en question
res à talons n’est pas écrit noir sur blanc, La liberté de se vêtir à sa guise règlement intérieur, une note une certaine homogénéité d’image. »
mais on comprend vite que les notions au travail n’est pas considérée de l’employeur ou les disposi- Dans des métiers plus créatifs
d’élégance et de féminité demandées au comme une liberté fondamen- tions collectives… Le refus de se ou des secteurs moins traditionnels,
personnel passent par là », avoue la jeune tale. L’employeur peut donc y plier au code vestimentaire le carcan vestimentaire est moindre,
femme. Deux paires de chaussures hau­ apporter des limites, à condi- décrété par l’entreprise – ou du moins en apparence. Car paraître
tes de dix centimètres environ (« mais à tion qu’elles soient « justifiées par la loi (dans certains sec- détendu sans être négligé relève
semelle à plate­forme, les talons aiguilles par la nature de la tâche à teurs comme le bâtiment, elle aussi d’un savoir-faire. L’émancipa-
sont trop douloureux ») font l’affaire. « Je accomplir et proportionnées impose le port d’un équipe- tion des trentenaires, adeptes
ne suis pas dupe, on est dans les clichés au but recherché » (article ment) – expose le salarié à des du « cool », tient aussi en partie
d’un chic féminin. Mais je suis prête à L1121-1 du code du travail). sanctions, du simple avertisse- de la posture. D’une autre façon,
endosser ce costume s’il me permet Ainsi, l’employeur peut impo- ment au licenciement en cas la panoplie jean-baskets constitue
d’asseoir une légitimité professionnelle ser le port de vêtements de de manquements répétés. un nouvel uniforme. Tout comme
qui va me faire gagner ensuite la liberté de protection à ses salariés pour Par ailleurs, l’employeur est en le casual friday, une intimation à la
m’affranchir de tous ces codes. » des raisons d’hygiène ou de droit d’exiger le port d’une décontraction réservée au vendredi,
Tout le paradoxe est là : pour sécurité, ou celui d’un uniforme tenue décente et correcte, que où le port du chino, un pantalon
gagner son immunité vestimentaire, dans le cadre d’une stratégie le salarié soit en contact ou de toile venu des Etats-Unis, règne.
mieux vaut gravir les échelons. Mais commerciale ou pour promou- non avec la clientèle. C’est Qu’on ne s’y trompe pas,
l’ascension vers les cimes nécessite voir une image de marque. Ils dans cet espace que se situent tous les salariés qui veulent faire
encore trop souvent de devoir grimper sont alors fournis gratuite- la plupart des litiges, ces no- corps avec un groupe embrassent
une partie de la montée en escarpins ment, et leur entretien est à la tions variant selon les entrepri- les codes tacites de l’entreprise.
plutôt qu’en chaussures de montagne. charge de l’employeur. ses et le poste du salarié. Suivre les microtendances venant
en général de la hiérarchie facilite
une meilleure intégration. Adopter
la marque des boutons de manchet-
tes ou la même montre que son
partner dans le conseil, acheter des
vêtements du label branché et adoré
de son boss dans une start-up
permettent d’afficher sa proximité,
voire son entrée dans le même club
de la réussite professionnelle.
Soumis lui aussi à des règles,
le salarié échappe toutefois, à la
différence de sa collègue féminine,
à de nombreux dilemmes vestimentai-
res. La palette des possibilités chro-
matiques et stylistiques est beaucoup
plus limitée pour un homme. Et, par
conséquent, les fautes de goût aussi.
Une fois intégrées celles qui sont
rédhibitoires, comme les chaussettes
blanches en tenue de ville, le costume-
cravate noir jugé ringard ou la cra-
vate à motif (Snoopy) inappropriée, la
zone est plutôt sûre. Le port d’un cos-
tume ou d’un polo suscite aussi moins
de représentations et de stéréotypes
de genre que le fait de porter une
robe ou des talons au travail.
La gent masculine l’a bien
compris. Pour s’habiller heureuse et
se fondre dans la masse, elle privilégie
la sobriété. Noir, bleu marine, gris
et blanc, au travail comme dans
leur quotidien, selon un sondage de
janvier 2019 du cabinet YouGov pour
le Bic Shave Club, service d’abonne-
ment à un nécessaire à rasage de la
marque française, le kaléidoscope du
vestiaire mâle se limite à ces quatre
couleurs. Dans ce cadre, choisir entre
une veste anthracite ou bleu profond
relève d’une mission moins périlleuse.
C. Ro.
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DI MANCHE 2 5 - LU NDI 26 AO ÛT 2019 5
S’AIMER COMME ON SE QUITTE LE BLOC-NOTES

Deux jours dans la vie des amoureux. Le premier parce que tout s’y joue, le dernier
parce que tout s’y perd. Lorraine de Foucher a recueilli ces moments-clés. A chacun DO U BL E FAUTE
de deviner ce qui s’est passé entre-temps. Cette semaine, Vincent, 33 ans, témoigne UN PICKPOCKET S’EST RETROUVÉ
À L’HÔPITAL après avoir tenté, à la mi-août,

« Il est odieux, je m’en vais ; de dérober le portefeuille d’un homme

occupé à manger des frites sur une place
d’Ixelles, à Bruxelles. Le passant, triple cham-
pion du monde de boxe thaïe, l’a repoussé

il revient, je le reprends » avec une paire de claques avant de sortir la

boîte à grosses gifles. Bilan, fracture du crâne
pour l’un, inculpation pour coups et blessures
pour l’autre, selon La Dernière Heure.

LES MAUVAISES
RÉPUTATIONS

Affaire Weinstein,
mouvement #metoo…
Les scandales impli­
quant des personnali­
tés entraînent parfois
des pertes importantes
pour leurs entreprises
ou leurs employeurs,
auxquels la start­up
américaine SpottedRisk
propose des « polices
SIMON LANDREIN d’assurance de la
honte ». Si le montant
de la prime est défini
Le premier jour
3
C’est le nombre d’heures
de sommeil perdues chaque
nuit par les femmes qui dor-
ment avec leur compagnon,
selon une étude britannique
réalisée pour le compte d’un
marchand de lits. Et, selon
cette même étude, citée par
le magazine Harper’s Bazaar,
la moitié des femmes
interrogées assurent avoir un
sommeil haché chaque nuit,
calamité dont se plaint seule-

ment un homme sur cinq.

Le dernier jour

par une « cote de ris­

Un matin d’août, je me lève et je décide que j’ai assez pleuré. Que « Je ne veux plus de relation avec toi. » Je suis chez ma mère, dans que » calculée pour cha­
ça suffit de pleurer tous les jours cette rupture mal digérée le Sud, dehors, à errer sur les graviers, à côté du grand portail en que célébrité, la valeur
d’avec mon ex, celui que j’ai trompé, à qui je l’ai dit, celui qui fer. La phrase tombe, je tombe aussi, par terre, je ne comprends du remboursement en
était devenu mon ami, plus vraiment mon amant. C’est fini, il
faut que je me reprenne en main, je vais de plus en plus au sport,
pas, je n’arrive même plus à articuler. Je bafouille que trois
jours avant on était en vacances aux Bahamas. Il me répond
cas de scandale dépend
de sondages d’opinion
E­SPORT ÉTUDES
extérioriser mes quatre­vingts heures de travail hebdomadaire qu’il veut qu’on se sépare, qu’on soit « amis ». Je lui raccroche au mesurant la réaction L’université londonienne de
à l’hôpital. Fitness, muscu : dans le milieu gay, on est obligé nez, je pleure tout le week­end, je ne m’arrête plus, je pleure du public. Roehampton a ouvert pour
d’avoir un beau corps, musclé, viril, attirant. C’est un univers avec ma mère, avec ma sœur, dans le TGV du retour. la rentrée un programme de
narcissique, pas mal porté sur le physique. Si je veux plaire, poursui­ Il m’envoie un texto : « Je t’aime profondément. » Je le rappelle, bourses pour athlètes du jeu
vre ma vie de célibataire, je n’ai pas trop le choix. Je ne cherche rien, je et lui dis des choses très violentes : « Ta mère là­haut doit avoir honte vidéo : les dix élèves sélec-
sors assez peu, de temps en temps je fais des rencontres sur des applis, de toi, tu te comportes comme un connard. » Sur le quai, je m’aperçois tionnés recevront 1 640 euros
mais je n’ai pas de besoin compulsif ni de quête particulière. que, dans mon trouble, j’ai oublié la moitié de mes affaires dans le par an. L’équipe universitaire
Ma salle de sport est petite, étriquée. Les murs sont peints en train. Je ne veux pas d’une amitié, d’une version dégradée de notre Roehampton e-Sport, créée
noir, il y a de grosses machines, très peu de femmes, beaucoup de relation. Trois jours avant, on était encore sous les tropiques, à mar­ pour l’occasion, se verra offrir
testostérone, et ceux que j’appelle « les connasses » : ces hommes cher main dans la main, à fonctionner comme un couple. Bien sûr, voyages et massothérapie
très centrés sur leur apparence, superficiels, sans grande empathie notre relation est chaotique depuis le début. Sa mère est décédée, on pour participer à des
ni recherche de lien. Moi, je veux me marier, avoir des enfants. J’ai s’est séparés huit fois, toujours selon le même schéma : il est odieux, compétitions et concourir
des rêves d’hétéro. je m’en vais, il revient en me disant qu’il m’aime, qu’il est désolé, que au rayonnement de l’école.
Je suis en train de travailler mes triceps, j’ai un poids à la main, son deuil est trop dur, et je le reprends.
que j’avance et que j’éloigne. Sur le banc d’en face, il y a un homme, Un jour, en vacances sur une autre île paradisiaque, j’ai voulu
qui discute avec un copain. Il me regarde, j’ai l’impression qu’il dit à lui emprunter son maillot de bain, il a brutalement refusé, à tel point
son ami que je lui plais. Il est grand et musclé lui aussi, mais il s’en va. qu’il a regardé les billets d’avion pour rentrer en France plus tôt que LE MOT DE LA S EM A IN E
Après ma séance de sport, je passe au sauna, il y est, et parle des voya­ prévu. « Si tu pars, tu ne me revois plus jamais », lui ai­je répondu. Il est
ges qu’il fait : je l’imagine steward, je pense à cette sous­catégorie de
« connasses d’hôtesses de l’air », comme on les appelle en riant, ces
hommes qui ne brillent pas par leur fidélité et multiplient les rela­
resté, on s’est réconciliés. Aux Caraïbes cette fois­ci, tout se passe
bien, mais il y a cette nuit où, à 4 heures du matin, il se réveille. Il
bouge, cela me réveille. Il me prend dans ses bras, c’est pas comme
Absurde
tions entre les avions. Dans le vestiaire, il passe à côté de moi tout d’habitude. C’est plein de tendresse, d’une tendresse presque triste, Adj. et n. masc.
habillé, il s’en va, va­t­il me demander mon numéro ? Il se contente j’ai compris après qu’il me disait adieu. Qu’il savait déjà qu’il allait
d’un « Bon bah bonne soirée » et quitte la pièce. partir mais qu’il ne voyait pas comment me le dire. Pourtant, dans
Heureusement, il y a les applis géolocalisées, il a un compte et l’avion du retour, j’y croyais, je lui ai dit que je l’aimais profondément, Ravit les oreilles des amateurs
moi aussi, et oui il m’y écrit, il n’est pas steward mais interprète, et me qu’on allait faire notre vie ensemble.
propose qu’on se revoie. Un dimanche soir, dans un restaurant de Je peux penser que le destin m’a mis sur son chemin pour le du « nonsense » à l’anglaise,
fruits de mer, fauteuils de velours rouge et lumière tamisée, il me parle porter dans son deuil, pour le ramener à la vie. Je me suis senti un peu
de sa mère, qui est très malade. Je suis médecin, alors ça m’affecte, et ça utilisé. Il me l’a avoué après, qu’il créait même des disputes parfois beaucoup moins celles
le touche qu’on en parle, il est proche d’elle, c’est très dur, il est boule­ pour que je m’en aille. Depuis, il ne me dit plus bonjour quand je le
versé et moi aussi. « C’est la première fois qu’un garçon que je vois s’inté­ croise à la salle de sport. de Donald Trump,
resse à ça », se justifie­t­il. Je repense aux « connasses », à cette impres­
sion que, quand on est homo, gamin, on expérimente toujours une qui a annulé sa prochaine
forme de rejet. Une honte qui fait qu’on se replie face à l’hétéronorma­
lité de la société. Résultat : il n’y a plus que nous qui comptons, une visite à Copenhague après
forme d’égoïsme se développe. On vit dans un supermarché du corps
et des sentiments. Alors qu’en le regardant je comprends qu’on est que Mette Frederiksen,
amoureux le jour où l’on aime même les défauts de l’autre.
Il me plaît tellement que je ne veux pas passer la nuit avec lui, la première ministre danoise,
pas coucher le premier soir, après les fruits de mer et la discussion
cancer. Mais j’accepte un dernier verre chez lui et il ne me laisse pas a qualifié d’« absurde »
trop le choix. Je refuse de rester pour la nuit et rentre chez moi. Sur le
trajet du retour, je crois à cette histoire qui va compter. sa proposition de racheter
le Groenland

L ES MO T S D U S E X E le cas de viols d’hommes par ou rallongée. Cette figure de collaboration entre deux
des femmes, ou dans des rapports l’homme potentiellement insatiable partenaires actifs.

Power homosexuels, ou quand monsieur

aime se soumettre… certains
protestent contre le réel (bon
trouve un écho dans la fascination
hétérosexuelle pour les gang
bangs, quand une hardeuse épuise
Avec le power bottom, nos sexes
sont non seulement sens dessus
dessous, mais sans dessus ni

Bottom courage), quand d’autres réécrivent

Par Maïa Mazaurette
Esprit de contradiction oblige, nos
sexualités désordonnées n’aiment
rien tant que les catégories bien
rangées : il y aurait des hommes et
des femmes, qui seraient donneurs
et réceptacles, actifs et passives.
Et quand cette très binaire carte
de Tendre se heurte au réel, dans
la carte. Par exemple en inventant
le concept de power bottom,
littéralement le « pouvoir
du dessous » (et non les dessous
du pouvoir).
Issu du monde gay, le power
bottom est un homme qui aime
recevoir la pénétration tout
en étant sexuellement énergique,
en contrôle, voire dominant. Il est
demandeur, n’a pas besoin de
préliminaires à rallonge, n’a pas
peur que la pénétration soit brutale
des dizaines, voire des centaines
d’hommes. Le power bottom
rappelle que l’érection est
dessous. La morale est parfaite :
pour que notre carte de Tendre
nous ressemble, il suffisait de la
transitoire, alors qu’une personne remettre à plat.
compétente peut incorporer
pendant des heures. Quand
les hommes se vantent de « tenir »
plus longtemps que tel ou tel rival,
ils oublient que n’importe quelle
femme hétérosexuelle « tient »
plus longtemps qu’eux. Ce qui n’a
d’ailleurs aucune pertinence,
dans la mesure où la plupart des
rapports sexuels relèvent d’une
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DIMANC HE 2 5 - L U N D I 26 AO Û T 20 19
A Lausanne, Suisse
En 3 h 40
Plus discrète que Genève, Lausanne affiche
un calme olympien… et olympique. Siège
du Comité international olympique depuis
1915, la ville dispose d’un très beau Musée
olympique, rénové en 2013, où l’on découvre
le bureau reconstitué de Pierre de Coubertin
et l’intégralité des mascottes imaginées pour
les Jeux. Le parc du musée, qui descend vers
le lac Léman, abrite des sculptures d’artistes
contemporains comme Alexander Calder,
Niki de Saint Phalle, Antoni Tapies ou Fer-
nando Botero. Du musée, direction la vieille
ville jusqu’à la cathédrale gothique Notre-
Dame, la plus grande du pays, avec une parti-
cularité : le guet qui, depuis le beffroi, crie les
heures de 22 heures à 2 heures du matin,
perpétuant une tradition qui date de 1405.
Changement d’époque avec le quartier du
Flon, une ancienne zone d’entrepôts devenue
tendance avec bars, galeries, boutiques bran-
chées… et le MAD (« Moulin à danses »), le
plus grand night-club de Suisse. De Lau-
sanne, faire une excursion jusqu’aux vignes
de Lavaux, avant de s’engager sur la très belle
balade des panoramas. La tour de Sauvabe-
lin, haute de 35 mètres, y offre une vue ex-
ceptionnelle sur le lac, les Alpes et le Jura.
Paris-Lausanne, à partir de 90 € A/R,
avec TGV-Lyria. Oui.sncf et Tgv-lyria.com.
Offices de tourisme : Lausanne-
tourisme.ch/fr et Myswitzerland.com/fr
En 14 heures (de nuit)
A Venise, Italie
C’est hors saison qu’il faut découvrir Venise, pour éviter
la place Saint-Marc bondée de touristes et, en arrière-plan,
les paquebots géants, et gênants. L’arrivée en train de nuit
est magique : on s’éveille au cœur même de la cité des
Doges, entre les canaux. Sur place, plutôt que la gondole,
on opte pour le vaporetto pour voguer sur le Grand Canal.
Il faut aussi voir la ville depuis le campanile de San Giorgio
Maggiore, un des plus beaux panoramas sur Venise
et la lagune, avec l’énorme avantage d’être moins fréquenté
que celui de la place Saint-Marc. Amateurs d’art ? Filez voir
la Gallerie dell’Accademia qui, en dépit des travaux,
expose encore des chefs-d’œuvre de la peinture italienne
du XVIe au XVIIIe siècle. Plutôt fans de contemporain ?
La Punta della Dogana et le Palazzo Grassi sont faits pour
vous… Vous voulez vivre comme un Vénitien ? Direction
La Fenice, pour une visite ou un opéra, avant de terminer
la soirée en sirotant un spritz en terrasse.
Paris-Venise, à partir de 58 € A/R en couchette,
avec Thello. Thello.com.
Offices de tourisme : Veneziaunica.it/fr et
Italia.it/fr/decouvrez-litalie/venetie/venise.html
VOYAGE
A Mannheim, Allemagne
En 3 h 58
On se met
Manhattan se serait inspiré du plan
en damier de l’allemande Mannheim…
En tout, 144 carrés, disposés en rangs
serrés, qui s’étendent du château
au vert
baroque – le plus grand d’Europe après
Versailles – au Neckar, et du château
d’eau (Mannheimer Wasserturm)
au pont Kurt-Schumacher. Mannheim,
c’est aussi son église jésuite, la plus
Pour réduire son empreinte grande église baroque du Rhin supé-
rieur, dans laquelle Mozart joua en 1777
carbone, rien ne vaut le train. et devenue le point de rencontre de la
Cinq escapades par le rail communauté hispanophone. On profite
d’une chaise longue sur la charmante
François Bostnavaron et très verte place voisine, Schillerplatz,
avant de visiter la Kunsthalle
Mannheim, le musée d’art moderne et
contemporain qui a rouvert ses portes
en 2018. Au sein d’un nouveau bâtiment
spectaculaire, il offre des espaces
artistiques mettant en valeur des collec-
tions parmi les plus prestigieuses
d’Allemagne : Edouard Manet, William
Kentridge, Rodin ou Francis Bacon avec
son Pope II. En 1925, le terme « nouvelle
objectivité », courant qui suivit l’expres-
sionnisme, a été inventé à Mannheim.
Paris-Mannheim, à partir de 150 €
A/R, avec TGV Inoui ou ICE. Oui.sncf.
Offices de tourisme : Visit-mannheim.
de/fr et Tourisme-bw.fr/regions-et-
villes/villes/mannheim
A Gérone, Espagne
En 5 h 38
Quitter la gare de Lyon, à Paris, au petit matin pour
déjeuner sur une terrasse espagnole à la mi-journée,
c’est désormais possible. On connaissait surtout Gérone
pour son aéroport low-cost, à mi-chemin entre Barcelone
et la Costa Brava. Depuis six ans qu’elle est desservie
par une ligne à grande vitesse, la ville historique ne cesse
de profiter de cette récente desserte, d’autant plus facile
A La Haye, Pays-Bas
En 3 h 24
que la nouvelle gare de Gérone n’est située qu’à quelques
centaines de mètres du centre-ville et des rives de l’Onyar, Aller en train à La Haye, via Rotterdam,
la rivière qui sépare la ville en deux. Ici, tout se fait à pied : puis découvrir la ville à vélo… un week-
le vieux centre, ses passages étroits, son quartier juif, end à l’empreinte carbone minime !
sa cathédrale et son escalier majestueux de 90 marches… La capitale administrative des Pays-Bas
Mention particulière pour la deuxième plate-forme, affiche un déficit d’image par rapport
où il est de bon ton de faire un selfie. Explication : une aux autres cités néerlandaises, mais
partie de la saison 6 de Games of Thrones a été tournée mérite d’être découverte pour son
devant la cathédrale de Gérone. La Florence catalane double visage : officiel et balnéaire. Elle
regorge également de très bons restaurants et est à la fois la résidence royale, le siège
de délicieux glaciers…
du Parlement, celui des ministères,
Paris-Gérone, à partir de 100 € A/R. Renfe-sncf.com. et c’est aussi ici que les autres pays ont
Offices de tourisme : Girona.cat/turisme/fra leur représentation diplomatique ; mais
et Catalunyaexperience.fr La Haye a aussi des airs de gros village
de bord de mer… Les plages y sont
belles et bien entretenues : de la très
chic Scheveningen, avec sa jetée,
son front de mer animé, son casino,
son prestigieux Hôtel Kurhaus,
à la familiale Kijkduin… Après la plage,
ne manquez pas la visite du célèbre
musée Mauritshuis, pour admirer
La Jeune Fille à la perle de Vermeer.
Et si vous ne prenez pas le temps de
visiter d’autres endroits aux Pays-Bas,
ne manquez pas Madurodam, un parc
d’attractions miniature qui permet
d’admirer le pays en tout petit.
Paris-La Haye, à partir de 70 € A/R,
avec Thalys, via Rotterdam.
Thalys.com.
Offices de tourisme : Denhaag.com
et Holland.com.
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DI M AN CHE 25 - LU N DI 26 AO Û T 201 9 7

VIN
L’autre rouge
L
a saison de la tomate bat son plein. Dans quelques semai­

de Marmande
nes, elle redeviendra à nouveau ce légume­fruit sans goût et
plein d’eau qui déshonore les étals, mais, pour le moment,
Sélection on se régale. Cette chronique pourrait être consacrée à la
tomate. Car s’il en est une qui peut procurer des orgasmes
CAV E DU gustatifs, des envies de poésie, des orgies de salade rouge,
MA RMAN DAI S , c’est la tomate de Marmande (Lot­et­Garonne). Elle est potelée, côte­
« TAP D ’E
PERBOS » , 20 17,
Célèbre pour ses tomates goûteuses, lée, sucrée, charnue et fabuleusement parfumée. Mais Marmande a
plus d’un fruit dans son sac. Outre la tomate, l’autre plaisir qu’elle put
ROU G E
Cuvée historique de la
cette région du Sud-Ouest abrite aussi offrir à mon palais est son vin. Ses vins, en réalité, car la beauté des
côtes­du­marmandais tient aussi à leur diversité.
cave coopérative, très
séduisante, elle assem-
des terroirs producteurs de nectars Les heureux lecteurs du Monde, et d’autres, ont pu en profiter
comme moi entre le 12 et le 14 juillet. A Couthures­sur­Garonne, c’est­
ble merlot, abouriou
et malbec avec un éle-
aux prix défiant toute concurrence à­dire à 5 kilomètres de Marmande, s’est tenu le Festival international
de journalisme parrainé par le Groupe Le Monde. Des intervenants
vage de douze mois en Ophélie Neiman prestigieux, des conférences passionnantes, mes larmes devant la
barrique. Des arômes déclaration d’amour d’une mathématicienne pour la plus parfaite des
épicés et boisés, équations du monde, l’identité d’Euler (ei∏ + 1 = 0, quelle beauté !), des
une bouche fondue thèmes sur le journalisme face à la justice, face au roman ou face à la
et un excellent rapport défiance. Et du vin.
qualité-prix. 7,9 5 € On pouvait en effet manger et boire sur place, en compagnie
des producteurs locaux, moments de paix où le cerveau s’accordait
DOMAI NE une pause tandis que le ventre prenait le relais. Pas sûr, du coup, que
DE BEYS S AC , tous les festivaliers aient pu saisir les nuances dans les différentes gam­
« E SS ENTI EL », mes de vins du Marmandais proposés, les exigences de concentration
2015, ROU G E se déroulant ailleurs. Il faudrait pouvoir en kidnapper quelques­uns
On l’a déjà dit à son pour les conduire dans les vignes et leur montrer mieux.
vigneron, Frédéric Le vignoble du Marmandais se situe dans le prolongement de
Broutet, mais ce vin celui du Bordelais et, surtout, il est traversé par la Garonne. Chacune
a tout ce qu’on aime. des rives offre un terroir différent. Sur la rive gauche, il rappelle les gra­
Des fruits noirs, du ves, avec un sol graveleux. Le cabernet franc et le cabernet sauvignon
café, des épices, de la s’y plaisent. La rive droite ressemble davantage à l’entre­deux­mers,
charpente et un goût avec des coteaux argilo­calcaires. Deux cépages aiment particulière­
de reviens-y. Merlot et ment ce sol, le merlot et l’abouriou.
abouriou font la bonne Ah, l’abouriou ! c’est un des petits bonheurs du coin. Il n’existe
paire. Bio. 14 € qu’ici, ou presque. On en croise vaguement dans le pays nantais, mais
il ne couvre guère plus de 500 hectares dans le monde. Vieux cépage,
ELI AN DA ROS , étonnamment précoce, la peau des baies est épaisse et le raisin peut
« C HA NTE donner un vin méchamment tannique s’il est pressé trop brutale­
COUCOU », 20 1 5, ment. Bien traité, il peut accoucher de vins très fruités, aux parfums
ROU G E de baies noires (cassis, mûre, myrtille), parfois enrobés de notes
Imparable. Elian boisées à la suite d’un élevage en barriques assez fréquent. La bête
Da Ros, talentueux demande à se patiner avant d’être bue, elle est musclée et ses épaules
vigneron au fort carac- peineraient à passer la porte du palais. Fine sur la rive droite, elle gagne
tère, fut le premier à en charpente sur les graves. Après avoir été menacés de disparition
montrer que les vins de dans les années 2000, les vignerons du Marmandais en ont fait leur
Marmande pouvaient croisade, et l’abouriou est désormais leur cépage fétiche.
être grands. Avec sa D’autres rouges coexistent, avec de nombreuses possibilités
femme, ils produisent d’assemblage, tant les cépages sont divers : merlot, cabernets, cot, fer
entre autres ce vin par- servadou, gamay, syrah complètent la bande. Ajoutez à cela des rosés
faitement patiné, né colorés et aromatiques, des blancs secs toniques (sauvignon et
d’un élevage long, doté sémillon comme à Bordeaux), vous aurez une idée du panorama
de beaux parfums de qu’offre cette petite appellation de 780 hectares. Laquelle est très désé­
fruits noirs et d’herbes quilibrée. La cave du Marmandais, où l’on trouve une large gamme à
aromatiques. Merlot, petits prix, produit 90 % des vins de l’appellation. Le reste se partage
syrah, malbec et caber- entre une dizaine de caves particulières.
net sauvignon. En bio- Fabien Tarascon, du Château Bois­Beaulieu, est président de
dynamie. 18, 50 € l’organisme de défense de l’appellation. Celui qui s’aide de son
cheval dans les vignes qu’il cultive en bio pratique aussi la
polyculture. La région reste très paysanne, et le prix du vin anor­
malement bas. Il faut survivre dans ce Marmandais, beau mais peu
renommé. A tort, incontestablement.

CHANG KI CHUNG
POUR « LE MONDE »

L ’ AP PL I DE L A S E MAINE

Appréhender son spleen avec StopBlues

Lily Savey

Honte, peur, déni… nombreux sont les facteurs qui empêchent les
victimes de mal-être psychologique de mettre des mots sur leurs
souffrances et de demander de l’aide. Ce tabou, qui constitue un
obstacle à la prévention de comportements à risque, des cher-
cheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
(Inserm) souhaitent le lever. Dans le cadre du programme de
recherche intentionnelle et évaluative mené pour la prévention du
suicide (« Printemps »), ils ont lancé l’application StopBlues, consa-
crée à la sensibilisation autour des problèmes de déprime passa-
gère et de dépression.
Les avantages
> Simple d’utilisation, l’appli se divise en rubriques permettant
d’aborder la souffrance psychologique sous différents angles,
étape par étape. Dans « Tout sur le blues », on apprend à reconnaî-
tre et à interpréter les signes, et la rubrique « Des solutions » pro-
pose des moyens d’action pour commencer à se sentir mieux. Que
l’on se renseigne pour soi ou pour aider un proche, StopBlues offre
un accès à des informations utiles et variées. Le format vidéo per-
met aux professionnels et aux témoins partageant leur expé-
rience de s’exprimer de manière simple et accessible.
> Les quiz psychologiques de la rubrique « Où en suis-je ? » peuvent
être actualisés au cours du temps, les résultats étant enregistrés et
présentés sous forme de graphique. Le « plan de soutien » permet
de faire une liste de ses propres symptômes et des solutions per-
sonnalisées. Une individualisation de l’expérience qui permet de
mieux se comprendre et de se sentir écouté. Pour inciter à libérer la
parole, l’application propose une carte géolocalisée qui recense
les interlocuteurs à proximité et met à disposition un « bouton d’ur-
gence » permettant d’appeler à l’aide en cas de nécessité.
Les inconvénients
> Si l’application cherche à aider les personnes victimes de mal-
être psychologique, elle vise aussi à faire avancer la recherche de
l’Inserm en matière de prévention des comportements suicidai-
res. Aussi, pour accéder aux rubriques personnalisées, il est néces-
saire de se créer un compte et d’accepter que ses données soient
collectées – anonymement – et utilisées dans le cadre d’une en-
quête visant à évaluer la pertinence des services proposés.
> « Il semble que vous présentez les signes d’une dépression
modérée », « Votre état de bien-être psychologique n’est pas par-
fait »… Les cases dans lesquelles nous classent les quiz ne sont
pas toujours très parlantes et ne valent pas un vrai diagnostic
médical, ce qui ne manque pas d’être rappelé. Si la rubrique
« Trucs et astuces » propose des activités pour gérer son stress, et
même des jeux accessibles directement depuis l’application, elle
ne doit pas occulter le message premier des chercheurs : pour
soigner son mal-être, il faut s’en remettre à un professionnel.
Appli gratuite, disponible sous iOS et Android. Stopblues.fr
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D IMANC HE 2 5 - LU N D I 26 AO Û T 20 1 9
PENDA NT CE TEM PS-L À…
À G ESVRES (MA YE NNE )
Doux, dingue
et gargantuesque
Frédéric Potet
A Granville (Manche), l’église Saint-Paul
cherche preneur. Il y a dix mois, la muni-
cipalité a décidé de céder le monu-
ment, par un bail emphytéotique, en le
plaçant dans une agence immobilière
parisienne. Plusieurs prétendants se
sont manifestés depuis, dont Christian
Poincheval, qui projette de transformer
l’endroit en centre d’art contemporain.
L’église a été désacralisée ; « heureuse-
ment », souffleront les grenouilles de
bénitier en consultant le CV du
candidat. Plus rabelaisien que lui, en
effet, tu meurs. Barde à la barbe fleu-
rie, inventeur loufoque, plasticien écolo
et pétomane émérite, l’homme est
plutôt à ranger dans la catégorie des
doux dingues.
Inséparable de son chapeau
melon et de sa salopette façon
Coluche, Christian Poincheval, 70 ans,
est bien connu dans le nord de la
Mayenne où son jardin, à Gesvres
(500 habitants), expose des sculptures
monumentales d’hommes-fourmis et
de Don Quichotte en matériaux de
récupération. Les visiteurs peuvent
également y découvrir des évocations
de la crise des migrants et de celle des
« gilets jaunes », réalisées en bouteilles
de plastique. Sa notoriété a toutefois
pris une autre dimension il y a quel-
ques années avec la mise au point
d’une pilule permettant de parfumer
les… gaz intestinaux. Plusieurs fragran-
ces ont été savamment élaborées : la
rose, la violette, le gingembre, le cho-
colat ou encore le muguet, effluve créé
cette année à l’occasion du 1er-Mai.
L’idée lui est venue à la suite
d’une ripaille entre amis. « Baryton-
nant du cul » comme Gargantua à la
fin d’un repas, le bon vivant s’est dit
que le plaisir serait démultiplié si l’on
pouvait embaumer ses propres flatu-
lences. Christian Poincheval s’est alors
rapproché d’un laboratoire de La Flè-
che (Sarthe), où un chimiste est par-
venu à développer une dragée aroma-
tisante à base de charbon, d’argile et
d’huiles essentielles. « Le pet ainsi
produit dégage une odeur plus végé-
tale, plus agréable, si j’osais », experti-
se-t-il. Vendu uniquement sur Internet
(19,90 euros la boîte), le granulé mira-
culeux a, depuis, trouvé acheteur aux
Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Russie
et en Corée du Sud.
« Il faut y voir un pied de nez au
monde bien-pensant d’aujourd’hui
qui oblige à bien se tenir à table, et
donc à se retenir », poursuit le poète
qui n’en est pas à son coup d’essai.
En 1999, il avait défrayé la chronique
en lançant sur le marché un papier toi-
lette imprimé, reproduisant des textes
illustrés. Le prototype lui avait valu une
médaille d’or au concours Lépine,
ainsi qu’une pluie d’indignations :
parmi les œuvres dupliquées figurait
la Déclaration universelle des droits
de l’homme, texte fondamental ne
méritant certainement pas de finir
dans une cuvette. « L’imprimer sur du
PQ était pourtant un moyen de le
diffuser chez M. Tout-le-Monde », se
défend-il encore aujourd’hui.
Dans une autre vie, Christian
Poincheval a été éducateur, directeur
de centre culturel et patron de radio
libre. Il a vécu en communauté et a
chanté dans le métro. Il lui est arrivé
également d’endosser le costume de
Père Noël aux Galeries Lafayette. Il se
trouve être, enfin, le père de l’artiste
Abraham Poincheval, connu interna-
tionalement pour ses performances
extrêmes qui l’ont conduit, entre
autres, à hiberner dans le ventre d’un
ours naturalisé pendant treize jours ou
à traverser la Bretagne à pied dans
une armure de 30 kg. Bon sang ne
saurait mentir.
UN CHÂTEAU DE SABLE AVEC…
BRUNO PODALYDÈS
« Enfant, je comprenais mieux
les choses que maintenant »
En pèlerinage sur l’île d’Oléron, où il a tourné son deuxième
film il y a vingt ans, le réalisateur replonge en enfance
Laurent Carpentier
PLAYLIST
> UN LIVRE
POUR LA PLAGE
« Petit animal sauvage »,
d’Anne-Françoise Brillot
(Mercure de France,
2016)
> UN FILM (OU SÉRIE)
POUR LA SIESTE
La série « Better Call
Saul » (le spin-off
de « Breaking Bad »,
sur Netflix)
> UN APÉRO
POUR LA FRAÎCHE
Un pineau des
Charentes (blanc)
Bruno Podalydès, sur la plage du Douhet, sur l’Ile d’Oléron, le 8 août. AUGUSTIN LE GALL POUR « LE MONDE »
L’
expérience du château de sable, c’est celle de la marée qui
monte et contre laquelle tu luttes en soutenant l’édifice
au maximum. Le mieux étant qu’il se retrouve entouré
d’eau. Mais, à la fin, toujours, il est emporté. C’est l’expé­
rience de la finitude, du provisoire, ce que Pascale Ferran
raconte très bien dans Petits arrangements avec les
morts. » Oléron. Le Douhet. Face au fort Boyard et, au­delà, à Ile­d’Aix
(Charente­Maritime) et au continent, Bruno Podalydès, 58 ans, essaie
d’estimer dans combien de temps la marée va nous rattraper.
Venir au Douhet, c’est faire un pèlerinage anniversaire sur le
lieu du tournage de Liberté­Oléron, son deuxième long­métrage. C’était
il y a tout juste vingt ans. Une tragi­comédie sur les vacances et leur
ennui sirupeux, où chacun pouvait reconnaître à l’envi, dans l’absurde
des situations, ses propres archétypes familiaux : figure paternelle aux
velléités dictatoriales, mère étouffant ses désirs, adolescents cherchant
l’adulte en eux et, pour tous, l’envie de prendre le large.
Bruno Podalydès avait 6 ans lorsque la famille débarqua pour la
première fois en vacances sur ces plages de sable fin. « J’y ai le souvenir
de moi comme un steak haché qu’on retournait sous le soleil. Les cours
de natation, aussi. Mon père me portant sur l’eau et, d’un seul coup, me
lâchant : un séisme. » Mais il raconte aussi la fois où fut projeté Fantô­
mas contre Scotland Yard (1967), avec Louis de Funès, ou celle où s’était
installé un cirque dont le Monsieur Loyal annonçait sans cesse l’arri­
vée d’un éléphant qui se révéla n’être que deux hommes sous une
toile. « Mon père était furax », se marre aujourd’hui l’ex­enfant.
Qu’est­ce qui fait que l’on devient cinéaste ? Est­ce d’avoir
grandi au milieu du grand théâtre versaillais, son parc­terrain de jeu et
ses rallyes d’opérette (sa grand­mère y tenait la librairie Ruat, son père
était pharmacien), tout en ayant fait le pas de côté fatidique parce que,
adolescent, on a été « redirigé » vers le lycée de Saint­Cyr­l’Ecole,
s’ouvrant, jeune homme, à la mixité sexuelle, sociale et politique ? A la
maison, alors que Bruno et son frère Denis montent, très tôt, des spec­
tacles, des diaporamas, le père, lui, avec sa caméra super­8, met en
scène le quotidien. « Le jour de Noël, par exemple, on devait entrer dans
la pièce et découvrir nos cadeaux avec stupéfaction et bonheur. Souvent
on refaisait la prise, parce qu’on n’avait pas assez bien joué la surprise ou
que la lumière n’était pas bonne. »
Etudes de biologie, abandon, bascule en cinéma à Paris­XIII
– avec Jean Rouch notamment –, et voilà Bruno Podalydès qui s’engage
pour rejoindre le service cinéma des armées… Un an plus tard, il
démissionne et rallie Air France où il va réaliser des films d’entreprise.
A son frère Denis, qui vient de finir le Conservatoire national supérieur
d’art dramatique, il propose des rôles : voyageur, pilote, personnel
navigant, mécanicien… Systématiquement, le personnage s’appelle
Albert Capon – « Il n’y a qu’Albert Capon mécanicien qui n’a pas vu le
jour : pendant le tournage, Air France a instauré le pilotage à deux, sans
mécanicien de bord, on m’a dit de tout arrêter », sourit le réalisateur,
tout en racontant comment il maquillait son frère, le vieillissait, lui
flanquait une moustache… Depuis il est de tous ses films. « Arnaud,
Albert, Aimé, Armand… dans le prochain il est Alexandre. Chaque fois le
prénom de son personnage commence par un A. Je ne sais pas si Denis le
sait. » D’aucuns y verraient un sens ? Mais ce n’est qu’un jeu.
« Enfants, avec Denis, on jouait toujours à parts égales. Je me
sentais autant acteur que lui. Mais il a eu une telle carrière que j’ai été inti­
midé. » Depuis il se rattrape, et, de film en film, de Dieu seul me voit
(Versailles­Chantiers), en 1998, à Bécassine (2018), en passant par Comme
un avion (2015) ou Adieu Berthe, l’enterrement de mémé (2012), les rôles
qu’il s’octroie gagnent en importance. De même qu’on le retrouve de
plus en plus souvent devant la caméra des autres. En juillet encore, il
tournait Cette musique ne joue pour personne, le prochain film de
Samuel Benchetrit, aux côtés de Vanessa Paradis et François Damiens.
De Jean Rouch, Bruno Podalydès a retenu « le clap fait à la
main ». Comprendre : « faire avec ce qu’on a autour de soi ». On se
retourne : la crêperie, la grande maison blanche, l’écluse, le port, la
plage, la boîte de nuit, Ile­d’Aix à l’horizon… Tout Liberté­Oléron est là,
autour de nous, à portée de regard, à quelques minutes de la maison de
ses parents… Le film, écrit en commun avec Denis, porte sur la famille
un regard à la fois tendre et acide. Après s’être protégé longtemps en
évitant de penser qu’il puisse s’agir un tant soit peu de lui, le père,
revoyant le film à la télévision quelques années plus tard, finira par
lâcher : « Ils ne nous ont pas loupés ! » Le cinéma comme thérapie ?
Liberté­Oléron est dédié à Eric, le troisième de cette fratrie de
quatre, qui s’est suicidé à 27 ans. Dans le film, tourné bien plus tard,
on voit un adolescent fragile se jetant par­dessus bord. Pas besoin
d’avoir décortiqué Lacan pour percevoir le gouffre. « Les gens veulent
toujours qu’il y ait des raisons à un suicide, une explication. La vérité,
c’est qu’il est parti sans nous laisser de mot, avec son mystère. La mort
est toujours un mystère. J’ai toujours veillé à ce qu’on n’interprète pas.
Dans le film, la fin est quand même heureuse, lorsqu’ils sautent tous du
bateau pour former une bouée humaine, tentant de recréer autour de
lui la protection familiale… »
Bruno Podalydès a sorti de sa poche une petite boîte noire qui
lui sert à ranger son tabac et à rouler ses cigarettes (« Mon père avait la
même »). De l’Old Holborn, un tabac anglais dont il coince le clope
dûment roulé au coin de sa bouche, mordillant et parlant dans le
même mouvement tel un héros de Simenon. « Je me méfie beaucoup
de ce pouvoir que je peux avoir : celui de dire les choses quand mon
entourage n’a pas de parole en retour, de possibilité de répondre, pour
raconter l’histoire différemment. Je veille beaucoup à les protéger »,
glisse­t­il, lui qui explique son attrait pour le backgammon, son jeu
favori, par le fait qu’il « mélange hasard et réflexion. Il est ce qu’il y a de
plus proche de la vie : comment retourner les coups du sort pour en faire
quelque chose de positif ».
Jouer, toujours et contre tout. Chez Podalydès, la tragédie et la
comédie s’imbriquent. « J’ai l’idée un peu naïve que je comprenais
mieux les choses, enfant, que maintenant. Alors j’essaie de me ramener
aux premières fois pour regarder le monde sans décodages socio­
logiques », dit­il. Et on s’amuse à le regarder, allongé sur la plage,
faisant naviguer sur les vagues de sable un bateau en plastique rouge
et jaune dans une tempête imaginaire qui l’emmènerait jusqu’en
Amérique. « Je suis capable de me faire tout un film, avoue­t­il en inter­
rompant ses borborygmes qui imitent le bruit du vent dans la voile et
des vagues sur la coque. C’était mon jeu favori sur la plage. C’est super­
sensuel le mouvement du sable. »