­Jeudi 6­ juillet 2023

­
79e année – No 24417
3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio

ÉDITION SPÉCIALE

Police et justice à l’épreuve des émeutes urbaines

▶ Chez les policiers,
fatigue, lassitude,
Macron évoque
peu de débats et des pistes
la crainte que les ten-
sions se perpétuent pour « l’après »
▶ Pour répondre à Devant des maires encore
sous le choc, le chef de
l’afflux des dossiers, l’Etat a annoncé une « loi
la justice s’est adaptée d’urgence » pour la recons-
dans l’urgence truction et envisagé de
▶ L’IGPN saisie après sanctionner les familles
une mort suspecte
à Marseille en marge Économie
des heurts Bruno Le Maire
▶ Un entretien avec ne veut pas d’un
l’avocat Yassine « nouveau plan
Bouzrou : « Il n’y a pas banlieues »
de problème policier
en France, il y a un Débats
problème judiciaire »
▶ Grégory Joron
Fabien Jobard :
(Unité SGP Police- « Le législateur a
FSMI-FO) : consacré l’ascen-
« Il faut revenir dant de la police
à une occupation sur la jeunesse
du terrain apaisée » A Nanterre, le 28 juin. Michael postcoloniale »
Zumstein/Agence VU’ POUR « LE MONDE »
Pages 2 à 5 Pag es 6- 7, 2 6-27

Ukraine Chine Un « mix » énergétique contradictoire JO 2024 Comment se prépare

Sur la ligne Pékin est le champion à la fois des énergies renouvelables et du charbon la lutte antidopage
de front, près La Chine vient d’annoncer avoir
▶ Malgré des incerti-
achevé d’installer deux équipe-
hydroélectrique et solaire. Instal-
▶ S’ils participaient
lée à Kela, dans la partie tibétaine
mondial de l’éolien offshore. La
Chine reste néanmoins « accro »
de Zaporijia, tudes, le contrôle
ments spectaculaires en matière
et le dépistage des
d’énergies renouvelables. Le
finalement aux Jeux,
du Sichuan, cette centrale doit
les athlètes russes
produire 2 milliards de kilowatt­-
au charbon. Au premier trimestre
2023, elle aurait approuvé autant

avec les artilleurs 28 juin, elle a mis en place, au

athlètes en
large des côtes du Fujian, une éo- vue des
Jeux olympiques de
lienne de 16 mégawatts, un re-
heures d’électricité par an, ce qui
et biélorusses de-
correspond à la consommation
vraient respecter les
de 700 000 foyers. Ces deux in-
de nouvelles centrales au char-
bon que durant toute l’année
2021. Autant dire que Pékin ne de-
cord mondial. Trois jours aupara- vestissements colossaux ne sont vrait pas parvenir à atteindre la Paris sont désormais règles internationales
Confrontés à une pénurie vant, Pékin avait annoncé la mise pas des cas isolés : depuis deux neutralité carbone avant 2060.
de matériels, les soldats en service d’une centrale à la fois ans, le pays est devenu le leader Page 16 opérationnels Page s 14- 15
ukrainiens ont appris
à bricoler leurs propres
équipements, constate
Tchétchénie Hongkong Culture
Du 28/06 au 25/07, sur les modèles d’exposition. Photo non contractuelle.

notre envoyée spéciale

Un avocat La répression « L’Opéra de quat’

-25%
page 8
et une journaliste des militants sous » ouvre la 75e SOLDES DANS LE PLUS
violemment pour la démocratie édition du Festival GRAND ESPACE CANAPÉS

-30
Chronique ET CANAPÉS-LITS À PARIS
France-Allemagne : agressés s’étend à l’étranger d’Aix-en-Provence Bretz, Duvivier, Fama, Himolla,
Pag e 9 Page 9 Pag e 2 1 et enquête pag e 19 Leolux, Neology, Ralph M,
les regrets d’une Stressless...
visite annulée
Page 30 Vu par Amorim (Brésil) Cartooning for Peace

1
é d ito r i al
Démocratie
en Afrique :
l’exception
sénégalaise
Pa ge 30

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 émeutes urbaines
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Chez les policiers, fatigue et lassitude

La mobilisation ne s’arrête pas avec la fin des heurts et beaucoup craignent des tensions durables

Lyon et Nantes - correspondants

P
our la sixième soirée
de suite, dans la nuit de
mardi 4 à mercredi
5 juillet, plus de 40 000
policiers et gendarmes ontqua-
drillé le territoire après les graves
émeutes de la semaine passée.
Une mobilisation inédite qui n’a
pas empêché de nouvelles dégra-
dations : 116 feux de poubelles,
78 incendies de véhicules, huit
­bâtiments touchés mais, pour la
première fois en huit nuits, plus
aucune attaque recensée contre
des locaux de la police, de la
­gendarmerie ou des bureaux
de police municipale. « On nous
­explique que ça se calme, observe
un fonctionnaire de police, mais
quand on passe de 1 000 degrés à
300 degrés, il fait toujours chaud. »
Pour le moment, l’urgence de la
situation détourne encore les
membres des forces de l’ordre de
« l’après », lorsque surviendra
­l’indispensable débat sur leurs
missions, sur les treize morts lors
de refus d’obtempérer comptabi-
lisés depuis début 2022 ou le
­devenir des centaines de quar-
tiers désormais sinistrés. En at-
tendant, une crainte parcourt
l’institution : l’éventualité d’un
nouveau cycle de tensions en cas
de révélations tardives de graves
blessures ou, pire, de mort,
­causées par les forces de l’ordre
au cours des affrontements. Le
­risque est identifié depuis long-
temps et des affaires émergent.

« Pas la moindre nuance »

Après des révélations du quoti- Sur les Champs-Elysées, à Paris, le 2 juillet. WILLIAM KEO/MAGNUM PHOTOS POUR « LE MONDE »
dien La Marseillaise, le parquet de
Marseille a confirmé l’ouverture
d’une information judiciaire pour tionale, que l’extrême polarisa- à venir ? Déjà, les renseignements dit-il. Avec la volonté évidente à une ­situation inédite, jusqu’à
« coups mortels avec usage ou tion des débats politiques depuis territoriaux ont fait remonter des de causer des dégâts humains. » Pour le moment, quinze fronts différents en une
menace d’une arme » à la suite de une semaine a contribué à aggra- alertes pour le 14-Juillet, journée Mobilité, coordination : la sou- l’urgence de la seule ­soirée, 3 000 émeutiers ré-
la mort d’un homme âgé de 27 ans ver la séquence dramatique traditionnelle de débordements. plesse des assaillants a aussi con- partis dans tous les quartiers
dans la nuit du samedi 1er au ouverte par la mort de Nahel M. Cet avertissement n’a rien pour tribué à épuiser les forces de l’or- situation détourne les chauds et jusqu’au centre-ville ?
­dimanche 2 juillet, probablement lors d’un ­contrôle routier, mardi calmer la « fatigue intense des dre. A Nantes, pour les 120 poli- Pour nombre d’entre eux, la rup-
à la suite d’un tir de Flash-Ball ou 27 juin, à Nanterre. « D’un côté, les ­derniers jours après une longue ciers et CRS mobilisés la nuit du membres des forces de ture physique et nerveuse n’est
de lanceur de balles de défense mises en cause collectives de ­séquence avec la crise des retraites, jeudi 29 au vendredi 30 juin, « c’est pas loin. Au tribunal judiciaire de
(LBD). Et, à Mont-Saint-Martin La France insoumise, de l’autre, le tout dans un contexte de man- simple, ça n’a pas arrêté », raconte
l’ordre de « l’après », Lyon, lundi, comparaissait un
(Meurthe-et-Moselle), un homme les déclarations d’amour intéres- que d’effectifs, analyse Patrice Romain, engagé sur le terrain. « Ça lorsque surviendra jeune émeutier interpellé en pos-
circulant en voiture a été griève- sées du Rassemblement national, ­Caviggia, délégué syndical Unité bougeait de quartier en quartier, ça session d’un mortier d’artifice
ment atteint, selon ses proches, analyse-t-il. Dans les deux cas, il SGP-Police-FO. Tout ça finit par pe- allait très vite. Les pompiers étaient l’indispensable débat près de la médiathèque de Vaulx-
par une munition antiémeute de n’y a aucune réserve, pas la moin- ser ». Engagé avec la CRS 45 à Cer- exténués. Eux non plus n’arrêtaient en-Velin (Rhône). La procédure
type beanbag, un sachet de coton dre nuance : les collègues n’en peu- gy-Pontoise, ce policier expéri- pas… » Ce soir-là, neuf véhicules sur leurs missions comporte la retranscription de
contenant de minuscules plombs, vent plus de cette récup. » menté a découvert, ébahi, les mo- de police ont été endommagés, l’enregistrement de la caméra
vendredi 30 juin, sans doute après Bien loin de ces considérations, des d’action nouveaux, pensés, ­certains entièrement détruits. ­piéton d’un membre de la compa-
un tir de l’antenne locale du RAID la réflexion à chaud menée par élaborés, des émeutiers. Des barri- sorte de séance de management gnie d’intervention de Lyon. « J’en
(unité de recherche, d’assistance, les autorités semble se concen- cades pour bloquer des voies d’ac- « J’en peux plus » au pied levé. Place Lyautey, Fa- peux plus, j’en peux plus », souffle
d’intervention et de dissuasion), trer sur des aspects purement cès stratégiques. Des attaques sur Ménager les troupes en prévision bienne Buccio a lancé à une ving- le policier à ses collègues, alors
l’une des unités d’élite de la police. techniques : faut-il systématiser les flancs. Des ballons de d’une reprise des incidents : à taine de policiers de la division que la caméra tourne encore après
La situation pourrait rapide- le ­recours aux unités d’interven- ­baudruche remplis de liquide in- Lyon, face au risque d’épuise- centre de Lyon : « Soyez fiers de l’arrestation. « Il a du mal à respi-
ment redevenir critique, alors tion en cas de graves violences ur- flammable et lancés dans les four- ment, la préfète de la région ce que vous représentez. Vous êtes rer et à reprendre sa respiration.
même, souligne David Le Bars, baines, repenser l’emploi des CRS, gons puis enflammés à distance Auvergne-Rhône-Alpes a orga- les remparts de la République. » Il semble très essoufflé. Au bord du
­secrétaire national du Syndicat leur mobilité ? Quel format don- par des tirs de mortiers. « Ils ne nisé une réunion en plein air, Mais ce discours suffit-il à moti- malaise, un autre policier vient à
des commissaires de la police na- ner au dispositif dans les jours craignaient pas du tout le contact, lundi 3 juillet en début de soirée, ver des fonctionnaires soumis son contact et l’aide à marcher »,
explique le rédacteur du procès-
verbal. Le porteur de la caméra se
« Reconstruire pas à pas, redonner une vraie place au policier dans la société » tourne vers ses collègues et lâche :
« Excusez-moi, j’en peux plus. »
« Il y a une certaine fatigue,
Secrétaire national du syndicat Je n’en suis pas certain : le 14-Juillet Dans certains quartiers, la seule repré- redevienne gardien de la paix et plus seu- ­admet David Book, directeur
Unité SGP Police-FSMI-FO, Grégory Joron ­ rrive et, avec le 31 décembre, c’est la nuit
a sentation du service public de la police, lement membre des forces de l’ordre. ­départemental de la sécurité pu-
plaide pour une « occupation du terrain la plus compliquée de l’année pour les ce sont en effet des collègues qui inter- Contrairement à une idée reçue, les poli- blique des Pyrénées-Atlantiques.
apaisée » et dénonce la culture du chiffre forces de l’ordre. L’intensité de la viennent et repartent comme ils sont ciers sont partisans de cette vision. Mais la solidarité entre fonction-
et de l’intervention au sein de la police, ­séquence va marquer durablement les ef- ­venus, sans aucun lien local ou presque naires s’exprime à plein. » Au plus
qui ­distend le lien avec la population. fectifs. Une fois qu’on aura passé la crise avec la population. Il faut revenir à une Le problème de la police, fort des tensions, alors que pierres
des quartiers, j’ai bien peur d’assister à occupation du terrain apaisée, ne plus ce ne sont pas les syndicats ? et cocktails Molotov fusaient dans
La justice a ouvert une enquête après celle de la police : les propos de certains être équipés comme des porte-avions et Les vrais problèmes, ce sont plutôt les les quartiers palois de l’Ousse-des-
une suspicion de tir de Flash-Ball ou politiques ont laissé des traces… progresser en colonne parce qu’on risque réflexes de l’institution, le manque de Bois ou de Saragosse, ses effectifs
de LBD mortel à Marseille, un autre de prendre une machine à laver jetée transparence, la question de la forma- sont « venus spontanément prêter
cas fait l’objet d’une enquête à Mont- A l’origine de ces émeutes, il y a d’un étage ou d’être pris à partie par des tion, celle de la posture opérationnelle, main-forte », au-delà des prévi-
Saint-Martin, en Meurthe-et-Moselle. la mort d’un homme au cours d’un cocktails Molotov. Quand on arrivera à des contrôles. Notre réalité, c’est qu’un sions du « plan de rappels » prévu
Etait-ce prévisible ? ­contrôle routier, treizième victime de reprendre le terrain de cette manière-là, policier de terrain est jugé sur quelques en cas de surcharge d’activité.
Près de 6 000 véhicules brûlés, plus de 2023. N’est-il pas urgent de repenser on aura déjà franchi un grand pas. items comme le nombre de personnes Depuis le soir du 27 juin, début
1 000 bâtiments dégradés, 250 commis- la loi, la formation des policiers ? contrôlées ou de timbres-amendes déli- des heurts, 722 fonctionnaires de
sariats, gendarmeries ou bureaux de po- Toutes les réflexions sont bonnes à me- Ce n’est pas pour demain… vrés. Quand le ministre annonce qu’il police et gendarmes ont été bles-
lice municipale attaqués, plus de 700 po- ner si ça peut éviter d’avoir des drames Il y a vingt ans, il y avait un bureau de faut mettre en place des opérations anti- sés à des degrés divers, et 35 sa-
liciers blessés : oui, c’était prévisible et humains et que des policiers finissent police ouvert pratiquement dans chaque rodéos, des notes de service expliquent peurs-pompiers. C’est près de
je pense que, dans n’importe quel pays, leur journée en prison alors qu’ils l’ont quartier et tenu par deux ou trois fonc- dès le lendemain qu’il faut faire tant de cinq fois plus qu’en trois semai-
cela aurait été bien plus dramatique. Mes commencée comme pères de famille tionnaires qui ne craignaient pas grand- PV et tant de contrôles. Cette culture du nes d’incidents en 2005, après
collègues ont fait preuve d’un courage et avant de revêtir leur uniforme. On doit chose. Quasiment toutes ces emprises chiffre est complètement incompatible la mort de Zyed et Bouna, deux
d’un sang froid extraordinaires face à des peut-être aussi réfléchir à notre vision ont été abandonnées. On peut faire le avec la qualité du service rendu et le sens adolescents électrocutés dans
situations d’une extrême violence. opérationnelle du contrôle de véhicule. chemin inverse, mais on a mis près de de la mission. Mettre des millions dans un transformateur après une
deux décennies à tout détricoter, il fau- la police nationale, c’est très utile. Mais course-poursuite avec la police. p
Le plus fort de la tension est passé, Ne faut-il pas repenser les fonctions dra autant de temps pour reconstruire ce qui compte, c’est ce qu’on fait tous Antoine Albertini (à Paris),
mais est-ce vraiment la fin des d’une police de plus en plus marquée pas à pas, redonner une vraie place au po- les jours et pourquoi on le fait. p Anne-Hélène Dorison
affrontements ? par la culture de l’intervention ? licier dans la société et dans la cité, qu’il Propos recueillis par A. Al. et Richard Schittly
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­Jeudi 6­ juillet 2023
«Il n’y a pas de
problème policier,
il y a un problème
judiciaire»
Avocat de la famille de Nahel M.,
Yassine Bouzrou estime que la
justice protège les fonctionnaires
mis en cause dans les affaires
de violences policières
Entretien
D
ans les quartiers, son
nom circule comme
l’avocat à contacter
lors de violences poli-
cières. Yassine Bouzrou avait joué
son propre rôle dans Athena, le
film de Romain Gavras, diffusé sur
Netflix en 2022, qui mettait en
scène une émeute urbaine. L’avo-
cat estime être intervenu dans
plus de 150 dossiers de violences
policières depuis le début de sa
carrière – commencée en 2008
avec l’affaire Abdoulaye Fofana, à
Montfermeil (Seine-Saint-Denis),
à l’origine du film Les Misérables,
de Ladj Ly. Yassine Bouzrou est,
aujourd’hui, l’un des avocats de la
famille de Nahel M. à Nanterre ; il
défend également la famille
d’Adama Traoré, mort au cours
d’une interpellation, en 2016, à
Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise),
ou celle de Zineb Redouane, morte
après avoir été touchée par une
grenade lacrymogène en marge
d’une manifestation de « gilets
jaunes » à Marseille, en 2018.
Vous défendez la famille
de Nahel M., tué par un policier
à Nanterre. Une semaine après
les faits, quel regard portez-
vous sur l’attitude de la justice ?
La chronologie est très impor-
tante. La famille apprend le décès
de Nahel un peu avant 9 heures, la
vidéo qui montre les circonstan-
ces du tir mortel circule très rapi-
dement. Deux heures plus tard,
ils entendent par les médias que
leur fils est présenté comme un
délinquant et que le policier
auteur du tir n’a pas été placé en
garde à vue. Ils entendent aussi le
procureur annoncer une enquête
pour tentative d’homicide sur le
policier. L’attitude du parquet a
été scandaleuse et irrespec-
tueuse, c’est cela qui a rendu la fa-
mille folle de colère. La priorité du
procureur n’est pas de placer en
garde à vue une personne qui
vient de commettre un homicide
volontaire – quelle que soit l’ap-
L’IGPN saisie après une mort suspecte à Marseille en marge des heurts
Le parquet juge « probable » qu’un décès dans la nuit du 1er au 2 juillet ait été provoqué par « un projectile de type Flash-Ball »
Marseille - correspondant
P ersonne ne veut faire un
lien entre les émeutes et la
mort d’un homme de
27 ans, dans la nuit du sa-
medi 1er au dimanche 2 juillet, à
Marseille. Mais c’est bien l’inspec-
tion générale de la police natio-
nale (IGPN) que le parquet de
Marseille a saisie après avoir
ouvert une information judi-
ciaire pour « coups mortels avec
usage ou menace d’une arme ».
L’information, révélée mardi
4 juillet par le quotidien La Mar-
seillaise et confirmée par France 3
Provence-Alpes-Côte d’Azur, est
préciation qu’on peut ensuite
porter sur son geste, cela doit être
le premier acte de procédure –
mais de commencer à criminali-
ser la victime. Cela s’appelle jeter
de l’huile sur le feu. C’est, du reste,
assez commun dans ces affaires
où des sources font systémati-
quement fuiter des éléments des
fichiers de police – rarement les
casiers – en sachant qu’ils sont
remplis d’erreurs et d’omissions.
Le policier a ensuite été mis
en examen pour homicide vo-
lontaire et placé sous mandat
de dépôt, ce qui est rare…
La garde à vue du policier n’in-
tervient qu’à 18 heures, parce que
nous avons annoncé un dépôt de
plainte pour homicide, que la
pression monte de toutes parts et
que les premiers incidents ont eu
lieu. Sans la vidéo, rien de tout
cela ne serait arrivé. La nou-
veauté, c’est que tout le monde
voit, et cela oblige la justice. Mais
je constate que le deuxième poli-
cier n’a pas été placé en garde à
vue, ni même été entendu avec le
statut de témoin assisté. Et que
l’enquête a été confiée au com-
missariat de Nanterre. S’il n’y a
pas de dépaysement, il n’y aura ja-
mais d’investigation objective
dans ce dossier. Le décès de Nahel
puis les émeutes ont eu lieu qua-
siment sous le bureau des juges,
les policiers enquêteurs sont des
policiers locaux.
Vous êtes extrêmement
critique sur l’attitude
de la justice dans les affaires
de violences policières.
Pour quelle raison ?
Pour moi, il n’y a pas de pro-
blème policier en France, il y a un
problème judiciaire. Tant que la
justice protégera d’une manière
aussi flagrante les policiers, ils
n’auront aucune raison de modi-
fier leur comportement. La res-
ponsabilité est d’abord judiciaire.
Si, demain, la justice décidait,
comme elle le fait en matière de
violences policières, de pronon-
sensible. Elle pourrait enflammer
à nouveau une ville qui, durant
trois nuits, à partir du jeudi
29 juin, a vécu des émeutes d’une
ampleur inédite, avec la dégrada-
tion ou le pillage de plusieurs cen-
taines de commerces.
Dans sa communication, le par-
quet de Marseille affiche une
grande prudence. Mais il juge
« probable » que le décès de cet
homme qui circulait de nuit sur
un scooter ait été provoqué « par
un choc violent au niveau du tho-
rax causé par le tir d’un projectile
de type Flash-Ball ». Ce trauma-
tisme ayant entraîné un arrêt car-
diaque. Le lieu où a été prise en
Yassine Bouzrou, dans son bureau, à Paris, le 3 juillet. LÉA CRESPI POUR « LE MONDE »
cer des non-lieux dans toutes les
affaires de stupéfiants par exem-
ple, on risquerait d’avoir une ex-
plosion du trafic de stupéfiants en
France. Dans les faits, comme il y a
une impunité judiciaire presque
complète, il est logique que les ac-
tes de violences policières se mul-
tiplient. Or, il y a eu une aggrava-
tion des violences policières illégi-
times ces dernières années, avec
l’impunité totale dans les dossiers
de « gilets jaunes » éborgnés au
LBD [lanceur de balles de défense],
avec l’augmentation du nombre
de morts du fait de la loi de 2017
sur les refus d’obtempérer. La jus-
tice n’a jamais été aussi radicale
dans l’exonération des policiers.
On entend beaucoup
de critiques sur le fonctionne-
ment de l’inspection générale
de la police nationale (IGPN).
Qu’en pensez-vous ?
Pour moi, l’IGPN, c’est un faux
problème. Conduire des enquêtes
pénales suppose de faire appel à
des officiers de police judiciaire,
eux seuls peuvent placer en garde
à vue et conduire des investiga-
tions importantes. Remplacer
l’IGPN signifiera qu’on changera
de nom, c’est tout. Le problème,
c’est que l’IGPN ne travaille pas
pour les avocats, mais pour les
procureurs, et travaille surtout
pour le ministère de l’intérieur.
Comme l’IGPN a la double cas-
quette, administrative et judi-
ciaire, ils disent, dans leurs con-
clusions, s’il y a eu ou non une
faute commise, donc ils portent
un jugement. Ensuite, il est très
facile pour un magistrat de se ran-
ger derrière l’avis de l’IGPN, en ex-
charge la victime n’a pas été ré-
vélé par les services de la procu-
reure, qui précisent toutefois que
« des événements de type émeutes
et pillages se déroulaient cette
nuit-là dans le secteur ». Le par-
quet assure qu’il n’est pas en me-
sure « de déterminer si la victime y
avait participé ou même si elle
avait pu circuler » dans une zone
où se déroulaient ces violences.
Blindés et hélicoptères
Samedi 1er juillet, comme de
nombreuses autres villes en
France, le centre-ville de Mar-
seille était en état de siège,
sillonné par des groupes de jeu-
pliquant qu’aucune faute n’a été
commise, et donc de classer sans
suite ou de rendre un non-lieu.
Je vous donne un exemple. Zi-
neb Redouane, une dame de
80 ans, est morte à Marseille
en 2018 à cause d’une grenade la-
crymogène tirée pendant une
manifestation des « gilets jau-
nes ». Lorsque l’IGPN a voulu sai-
sir l’arme qui a tiré, les CRS ont re-
fusé, en expliquant qu’ils en
avaient besoin. Il ne s’est rien
passé, alors même qu’à l’époque il
y avait déjà une enquête pénale !
Pendant trois ans, le tireur n’a pas
été identifié. Il l’a été tardivement.
Mais il n’a jamais été entendu en
garde à vue. Et jamais sanctionné
d’un point de vue administratif.
Aujourd’hui, les juges orientent
l’enquête vers l’hôpital pour sa-
voir si le SAMU est allé assez vite
ou si l’interne de garde n’a pas
commis une erreur médicale. J’ai
aussi beaucoup de dossiers où des
témoins se font tabasser parce
qu’ils filment une intervention
policière. On se souvient qu’il y a
eu une tentative, par le gouverne-
ment, d’interdire les vidéos des
forces de l’ordre – il a dû reculer.
Tout cela a du sens : empêcher les
enquêtes et les condamnations.
Vous dénoncez aussi la partia-
lité des expertises judiciaires,
tout en réclamant souvent
aux magistrats d’en réaliser.
Pourquoi ?
Dans l’affaire Adama Traoré,
l’instruction a été clôturée, on at-
tend les réquisitions du parquet,
mais on sait qu’il demandera un
non-lieu, dans la mesure où il n’y
a jamais eu de mise en examen.
Selon le parquet, « des
événements de type
émeutes se déroulaient
cette nuit-là dans le
secteur » où la victime
a été prise en charge
émeutes urbaines | 3
« comme il y a une
impunité judiciaire
presque complète,
il est logique
que les actes
de violences policières
se multiplient »
C’est un dossier sur lequel l’exper-
tise médicale initiale a eu un
poids considérable. Un médecin
légiste, qui n’est pas cardiologue,
a affirmé qu’Adama Traoré souf-
frait d’une malformation cardia-
que et que cela pouvait expliquer
son décès. Tout notre travail, de-
puis, pour faire intervenir
d’autres experts n’a pas été en-
tendu. Des médecins experts bel-
ges ont conclu, à deux reprises,
que la mort était liée à l’interpella-
tion. Rien à faire. Il n’y a eu
aucune mise en examen des gen-
darmes, alors qu’il existe des indi-
ces graves et concordants qui de-
vraient le justifier. Il y avait des
manifestations monstres en 2020
pour réclamer justice. Mais, trois
ans plus tard, on s’oriente vers un
non-lieu.
Vous considérez que les
policiers sont excessivement
protégés ?
Des premières communica-
tions des parquets jusqu’à l’utili-
sation de l’IGPN ou des experti-
ses, tout est fait pour criminaliser
nos clients et protéger les forces
nes gens, dont de nombreux mi-
neurs, harcelant les forces de l’or-
dre et s’organisant pour piller des
boutiques ou des débits de tabac.
Plusieurs attaques contre des ga-
leries marchandes ou des conces-
sions automobiles ont égale-
ment eu lieu dans d’autres quar-
tiers plus excentrés.
Ce soir-là, la préfecture de po-
lice avait considérablement ren-
forcé son dispositif, qui, la veille,
s’était montré inefficace pour
empêcher la mise à sac de plu-
sieurs dizaines de commerces.
Des unités de CRS avaient été dis-
posées sur les cours Belsunce et
Saint-Louis (1er arrondissement)
▶▶▶
de l’ordre. Nous avons un mal fou
à obtenir les dossiers des poli-
ciers. Cela serait pourtant impor-
tant. Ont-ils déjà fait usage de
leurs armes ? Ont-ils déjà été l’ob-
jet de plaintes ? D’enquêtes ? Dans
l’affaire Traoré, il a fallu cinq ans
pour obtenir, non pas les dos-
siers, mais une synthèse de
l’IGGN [inspection générale de la
gendarmerie nationale] sur leur
parcours. Dans l’affaire Zineb Re-
douane, nous n’avons rien. Dans
un dossier de tir de LBD dans la
tête d’une enfant à Chanteloup-
les-Vignes (Yvelines), nous avons
demandé que l’ADN soit prélevé
sur le projectile – que la famille
avait remis à la police. La justice a
refusé. Puis elle a conclu à un clas-
sement sans suite pour défaut
d’identification du tireur.
Nous sommes aussi confrontés
à des faux sur les procès-verbaux.
Dans un dossier à Saint-Ouen
(Seine-Saint-Denis), par exemple,
d’un homme tabassé par un poli-
cier, ce dernier avait rédigé un PV
– complètement faux – sans sa-
voir qu’il était filmé. Il avait été
renvoyé devant le tribunal correc-
tionnel et non devant la cour cri-
minelle. Il a fallu se battre pour
obtenir qu’il soit jugé pour faux
en écriture. Les peines, lorsqu’il y
a un procès, sont aussi, très sou-
vent, trop légères. Même lors-
qu’ils sont convaincus de la culpa-
bilité des policiers, les magistrats
ont tendance à requérir du sursis.
Le slogan « Pas de justice, pas de
paix » a du sens. Or, il n’y a aucune
justice en matière de violences
policières illégitimes. p
propos recueillis
par Luc Bronner
pour interdire l’accès aux princi-
pales rues commerçantes. Deux
véhicules blindés et deux héli-
coptères de la gendarmerie
étaient également mobilisés, de
même que des effectifs du RAID
et du GIGN. Des commerçants
avaient également recruté des
équipes de vigiles pour assurer la
protection de leurs lieux. Cer-
tains de ces agents de sécurité ar-
boraient, eux aussi, des armes de
défense de type gomme-cogne.
Malgré la révélation de ce décès
suspect et de l’ouverture d’une
enquête, la nuit de mardi à mer-
credi a été calme à Marseille. p
Gilles Rof

4 | émeutes urbaines
Une intervention
du RAID
et des questions
A Mont-Saint-Martin, un jeune
homme blessé lors des émeutes
est toujours dans le coma
Longwy, Mont-Saint-Martin,
(Meurthe-et-Moselle), Arlon
(Belgique) - envoyé spécial
R
ien qu’un mot, un
geste… Ils attendent son
réveil. Depuis le 30 juin,
Aimène ­Bahouh, 25 ans,
est plongé dans le coma après
qu’il a, selon ses ­proches, reçu à
la tête un bean bag, (« sac de hari-
cots »), un projectile sous forme
de sachet de coton contenant de
minuscules plombs, tiré par un
policier du RAID à Mont-Saint-
Martin (Meurthe-et-Moselle). Ca-
therine Galen, procureure de la
­République au tribunal judiciaire
de Val-de-Briey, a ouvert une en-
quête en flagrance pour « fait de
violence volontaire », ­confiée à
l’inspection générale de la police
nationale (IGPN).
Depuis ce tir, le jeune homme
est en soins intensifs au service
­neurologique de l’hôpital d’Arlon,
ville proche située en Belgique.
Dans son salon, sa mère, Yasmina,
49 ans, reçoit amis, voisins, élus
et jeunes du quartier du Val-Saint-
Martin, venus souhaiter la ­« gué-
rison » de son cadet. « Aimène est
l’enfant de la ­famille », martèle-t-
elle. Son fils béni qui a promis de
rester vivre avec elle jusqu’à ses
40 ans. « C’est un nounours, un
gros nounours qui aime trop les
bonbons », raconte Rochedi, le
grand frère. « 1,90 m, 120 kg, et
autant de gentillesse », ­dépeint
Maya, 23 ans, sa sœur.
« Putain, il a pris une balle »
Que s’est-il passé, ce soir-là ? Collè-
gues, proches et amis racontent
leur version de l’affaire. Jeudi
29 juin, Aimène quitte le travail à
22 heures : il est agent de sécurité
pour la société G4S, dans un
­centre pour réfugiés à Kirchberg,
au Luxembourg tout proche. Une
fois arrivé, il se pose chez son
­voisin. Yorick Bignossi, 23 ans, et
Pour les pompiers, « un cap a été franchi dans la violence »
Plus de 60 000 sapeurs-pompiers ont été mobilisés pour gérer les conséquences des émeutes, lors desquelles des bâtiments ont été incendiés
L’ expression « soldats du
feu » est quelque peu
tombée en désuétude, les
incendies ne représentant, à
l’heure actuelle, plus que 5 % des
interventions de pompiers. Elle a
retrouvé du sens ces derniers
jours, tant les conditions dans les-
quelles ils ont travaillé depuis le
début des violences urbaines qui
ont embrasé le pays ont été hosti-
les. Sur les quelque 250 000 sa-
peurs-pompiers mobilisables,
parmi lesquels 80 % de pompiers
volontaires, 61 000 ont été enga-
gés au cours de ces sept nuits de
colère, et 46 légèrement blessés.
Ceux que Le Monde a interrogés
ont tous été frappés par l’inten-
sité des violences et l’organisa-
tion des émeutiers. « J’ai connu
2005 et j’ai tout de suite compris
que la situation était pire, car il y a
très vite eu des incendies de bâti-
ments publics, sans tour de chauffe.
C’étaient des gamins, très coordon-
nés, avec des stocks inépuisables
de mortiers. Les services étaient
en rupture », explique Sébastien
Mimoun Cheglal, 20 ans, deux
amis, vont les rejoindre. Une
­soirée presque ordinaire.
Car depuis quelques heures
Mont-Saint-Martin est en ébulli-
tion et vit sa deuxième nuit de
tension après la mort de Nahel M.,
17 ans, tué à bout portant par un
policier à Nanterre. Pour cette
nuit, onze agents du RAID sont
« engagé[s] » dans cette commune
d’à peine 10 000 habitants pour
« assurer la sécurité des personnes
et des biens », peut-on lire dans un
tweet du préfet du département.
Vers « 0 h 50-1 heure », Aimène,
Yorick et Mimoun décident d’aller
se ravitailler à la boutique d’une
pompe à essence de Rodange, au
Luxembourg. A peine cinq kilo-
mètres à parcourir. Aimène prend
le volant d’une Clio qui appartient
à la mère de Yorick. Celui-ci
­s’assoit derrière le conducteur,
Mimoun du côté passager. A
peine parti, il faut revenir : l’un
d’eux a oublié ses cigarettes. Léger
détour. Juste avant de passer sur
la chicane et un ralentisseur de la
rue de Verdun, Aimène, vitre bais-
sée, rétrograde en seconde. « Je
tourne la tête à gauche, j’aperçois
des policiers dans le noir, je vois
une lampe torche qui nous éclaire
et j’entends “poc” », raconte
­Mimoun. Aimène ne répond plus.
« Moi, je ne comprends pas.
­J’entends la voiture en surrégime,
je dis “Aimène, qu’est-ce que tu
fais ? Avance !” », poursuit Yorick.
« Il y a du sang partout, je prends le
­volant pour éviter le terre-plein
­devant nous, je tourne à droite
sur la rue de Marseille. Aimène est
­inconscient. Putain, il a pris une
balle ! », lance Mimoun. Selon le
récit des deux passagers, la
­voiture aurait continué sa course
sur 500 mètres, le pied de la
­victime étant resté sur l’accéléra-
teur. « J’appelle les pompiers tout
en disant à Aimène de ne pas s’en-
dormir ; ils ne répondent pas, alors
­ elavoux, porte-parole de la CGT
D
des Services départementaux
d’incendie et de secours. « Les
mairies, les écoles, les magasins,
les commissariats… On ne voyait
pas ça avant », constate un chef de
garde en poste depuis vingt-
trois ans dans le Val-d’Oise, qui a
aussi connu les émeutes de 2005.
Le colonel Arnaud Wilm, direc-
teur de cabinet adjoint à la direc-
tion générale de la sécurité civile
et de la gestion des crises, était, lui
aussi, intervenu en tant que sa-
peur-pompier, il y a dix-huit ans :
« On a senti qu’un cap avait été
franchi dans la violence. C’est une
situation complexe, on est un peu
la Suisse dans ce genre de situa-
tion : il nous faut à la fois protéger
la population, les émeutiers lors-
qu’ils se mettent en danger, les for-
ces de l’ordre et nos propres équi-
pes. La situation était critique,
mais on ne s’est jamais senti dé-
passés. Le dispositif était adapté. »
Parmi les procédures mises en
place, le « poste avancé », une
sorte de « caserne virtuelle » et
Une photo d’Aimène Bahouh et un tag, à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), le 4 juillet. NICOLAS LEBLANC/ITEM POUR « LE MONDE »
je contacte quelqu’un », raconte
Yorick. A ce moment-là, aucun
­policier ne les aurait suivis pour
leur porter un éventuel secours.
A 1 h 10, le téléphone de Nordine,
28 ans, vibre. « Il me dit : “Aimène
a pris une balle. Viens”, se sou-
vient-il. On arrive avec deux amis
et je suis choqué : je lui retire sa
­casquette et un sachet entré dans
sa tête, je vois un trou. » Il filmera le
projectile dans la casquette ensan-
glantée. Direction les urgences de
l’hôpital de Mont-Saint-Martin ;
là-bas, on ne peut pas le traiter,
en raison des orages. Aimène est
donc transporté en ambulance à
l’hôpital d’Arlon, pour subir une
opération à 3 h 50. Depuis, le jeune
homme a été plongé dans le coma.
« Volonté de faire la lumière »
Au Monde, la procureure Cathe-
rine Galen confirme que les
agents du RAID ont bien employé
leurs armes intermédiaires,
­notamment celles qui projettent
des bean bags ; toutefois, le lien
entre le tir et la blessure n’est, à ce
stade, ni confirmé ni infirmé. « Il
n’est pas exclu, mais nous n’avons
pas encore pu établir la nature
des blessures », explique-t-elle. La
procureure tient à préciser que
« s’il y a un tir du RAID sur la
­victime, les blessures ne sont pas à
« Les mairies, les
écoles, les magasins,
les commissariats…
On ne voyait pas ça
avant », constate
un chef de garde
du ­Val-d’Oise
mobile composée d’engins d’in-
tervention prêts à se déplacer, ex-
plique un sapeur-pompier d’An-
gers. « On a mis ce dispositif en
place pendant les “gilets jaunes” »,
précise-t-il. Autre règle : « On n’in-
tervient pas tant que la police n’est
pas là pour nous protéger, ce qui
nous a parfois obligés à abandon-
ner certains feux quand il n’y avait
pas de risque pour la vie humaine.
Les policiers étaient débordés… »
Quelques chiffres permettent
de mesurer l’ampleur de ces sept
nuits d’émeutes. Le ministère de
mettre en lien avec ses agisse-
ments pour mettre fin à un refus
d’obtempérer ». Pour le reste, les
versions « ne se confortent pas »
entre la police et les témoins
­entendus, « car, à ce stade des
­investigations, nous ne pouvons
encore reconstituer la scène ».
Elle décrit une nuit de grand
chaos, où les fonctionnaires ont
dû faire face à différents attroupe-
ments, à des jets de projectiles et à
des « ballets » de voitures dans les-
quelles les occupants les auraient
menacés d’utiliser des armes. « Il
ne faudrait pas que la famille
pense que nous ne les croyons pas,
et que nous prenons cette affaire
à la légère. Il y a une volonté de
faire la lumière », souligne-t-elle.
Mme Galen ajoute que le RAID a
tiré à plusieurs reprises ce soir-là.
Dans le quartier, des habitants,
qui disent ne pas avoir participé
aux émeutes, ont assuré au
Monde qu’ils ont été « pris pour
­cible » par des membres de cette
unité d’élite lors de cette nuit « ter-
rifiante ». Certains ont été tou-
chés. On constate aussi des im-
pacts sur des voitures. Toujours
dans la même zone, à l’angle des
rues de Marseille et de Verdun.
« Des jeunes m’ont dit que ça tirait
à tout va, explique Serge de Carli,
le maire de Mont-Saint-Martin
l’intérieur a recensé plus de
1 100 bâtiments dégradés, plus de
12 000 feux de poubelles et
269 attaques contre des locaux
des forces de l’ordre. Plus de
5 800 voitures ont aussi été in-
cendiées, soit autant qu’en qua-
rante jours en temps normal (en
moyenn 140 véhicules sont in-
cendiés chaque jour en France se-
lon les statistiques de la direction
générale de la sécurité civile et de
la gestion des crises, un chiffre en
baisse constante depuis vingt
ans), soit un rythme nettement
plus élevé que lors des émeutes
de 2005, au cours desquelles
8 186 voitures avaient été brûlées
en trois semaines.
Derrière l’Ile-de-France, c’est
dans le Nord et dans l’Ouest que
les pompiers ont été les plus solli-
cités, et il a fallu dans certains dé-
partements faire appel à des ren-
forts venus d’ailleurs. La multipli-
cation des foyers de tension,
­notamment dans des petites loca-
lités d’ordinaire paisibles, a aussi
compliqué les interventions. « Il y
« Des jeunes m’ont dit
que ça tirait à tout-va.
J’ai posé des questions,
une enquête
est en cours »
Serge de Carli
maire (divers gauche)
de Mont-Saint-Martin
(divers gauche). J’ai posé des ques-
tions, une enquête est en cours. »
A 1 h 10, soit quelques minutes
après la blessure d’Aimène, un
­habitant a filmé une scène dans
laquelle on voit trois voitures rou-
lant à faible allure, dans des cir-
constances indéterminées, puis le
RAID tirer en leur direction. « C’est
comme si on était à la fête foraine,
assure au Monde Théo Palmieri,
21 ans, l’un des chauffeurs. Je dé-
posais un ami, il n’y a pas eu d’in-
sulte ou de geste de notre part. »
Le maire de la ville l’assure :
il n’était pas au courant de la
­présence du RAID. Certains habi-
tants pensent le contraire. Le soir
d’après, Serge de Carli et son
épouse ont dû aller dormir au
Luxembourg, à la demande des
forces de l’ordre, qui craignaient
a eu des feux de voitures dans les
Landes. Dans les Landes !, insiste
André Goretti, porte-parole de
la fédération autonome des sa-
peurs-pompiers professionnels.
Il ne s’y passe jamais rien ! »
« On était une proie ­facile »
Une des nouveautés de ces nuits
d’embrasement concerne l’ac-
cueil, souvent hostile, réservé aux
pompiers dans certains quar-
tiers. « Les tirs de mortiers sur nos
engins, on n’avait jamais connu
ça, à part en région parisienne, ex-
plique André Goretti. Dans plu-
sieurs endroits, des ­engins d’inter-
vention ont été ­contraints de se re-
plier. On a une approche des
­violences urbaines, qui est un phé-
nomène connu, mais les émeutes,
on ne connaissait pas. » Selon Sé-
bastien Delavoux, certains cen-
tres de ­secours, l’équivalent des
casernes pour les pompiers pro-
fessionnels, ont aussi été visés.
S’il reconnaît que des camions
ont été menacés, le pompier
d’Angers relativise cette hostilité.
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
que sa maison ne soit visée. C’est
la mairie qui a été ciblée et en par-
tie détruite. Depuis, la gendarme-
rie est postée devant son domicile.
Sollicitée à plusieurs reprises
pour donner sa version des faits,
la préfecture de Meurthe-et-Mo-
selle s’est retranchée derrière la
« judiciarisation » de l’affaire.
« Même s’il ne s’agit pas des mis-
sions traditionnelles du RAID, ce
dernier démontre une réelle plus-
value dans ce type de situation (…)
très dégradée », explique-t-on du
côté du ministère de l’intérieur,
estimant que celui-ci « fai[t]
preuve (…) d’une exceptionnelle
capacité d’adaptation permettant
de contrecarrer l’organisation ver-
satile des émeutiers ».
La famille de la victime a choisi
Yassine Bouzrou comme avocat,
le même qui suit l’affaire de
­Nahel. « Au regard des éléments
dont je dispose, il semble évident
que le tir provient d’un membre
du RAID », soutient Me Bouzrou,
qui annonce au Monde qu’une
plainte pour « tentative d’homi-
cide volontaire » va être déposée
rapidement ; il va également de-
mander l’ouverture d’une infor-
mation judiciaire confiée à des
­juges d’instruction. Yorick Bi-
gnossi a lui aussi porté plainte. p
Mustapha Kessous
« On s’est retrouvés bloqués dans
le quartier de la Roseraie par une
barricade en feu et encerclés par
une cinquantaine de jeunes
­cagoulés avec des barres de fer qui
nous ont mis en joue avec des
mortiers. Ils voulaient qu’on
parte, le message était : “C’est
­notre ­terrain de jeu”. Mais on
ne s’est pas senti en danger, ra-
conte-t-il. Ils nous auraient tiré
dessus s’il y avait une vraie hosti-
lité ­contre les pompiers. On était
une proie ­facile… »
Le pompier du Val-d’Oise, qui a
grandi dans ces quartiers, raconte
que dans la nuit de jeudi 29 à ven-
dredi 30 juin, des émeutiers ont
enlevé des barrages pour faciliter
l’accès à son camion. « Ils font
la différence entre les pompiers
et les policiers », assure-t-il, avant
de reconnaître que la nuit précé-
dente, certains de ses collègues
avaient été visés par des tirs de
mortiers. « La veille, c’était n’im-
porte quoi, ils ne faisaient plus la
différence entre rien… » p
Soren Seelow
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Comment la justice a dû s’adapter dans l’urgence
Selon la chancellerie, il y a déjà eu 380 incarcérations à la suite des affrontements de ces derniers jours
L’
équation à résoudre
est des plus complexes.
Comment rendre la
­justice normalement
dans une situation anormale ?
Après la mort de Nahel M., 17 ans,
lors d’un contrôle policier à Nan-
terre le 27 juin, des émeutes très
violentes ont éclaté pendant cinq
jours, sur l’ensemble du territoire.
Face à cette situation inédite, Eric
Dupond-Moretti, ministre de la
justice, a publié une circulaire
vendredi 30 juin demandant une
réponse pénale « ferme, rapide et
systématique ». Il semble avoir été
entendu : mardi 4 juillet au soir, la
chancellerie avançait le nombre
de « 380 incarcérations » à la suite
des émeutes. Au-delà de cette di-
mension, M. Dupond-Moretti at-
tendait aussi des juridictions une
organisation optimale pour faire
face à un surcroît d’activité jamais
vu depuis plusieurs années, no-
tamment une bonne articulation
de l’action avec les préfectures.
Sans attendre les consignes de
leur ministre, les magistrats ont
pris les choses en main pour
­absorber la surcharge de travail.
La cour d’appel de Versailles était
la première concernée. C’est dans
son ressort que la mort de
­Nahel M. est survenue. Les affron-
tements ont été quasi immédiats
et très violents. Le tribunal
­d’Asnières a notamment été
­incendié. Il a fallu relocaliser les
activités en urgence à Colombes.
Ce qui fut fait en très peu de
temps. « Les juridictions ont fait
face, elles se sont mobilisées dès
le premier jour. Nous avons mis
en place plusieurs niveaux d’opé-
rations : le transfert du tribunal de
proximité d’Asnières à Colombes,
la mise en place d’une cellule
d’aide psychologique, mais aussi le
renforcement de la sécurité des bâ-
timents dans les Hauts-de-Seine,
détaille Jean-François Beynel,
­premier président près la cour
d’appel de Versailles. On a aussi
mis en place une cellule de crise
­pilotant les opérations qui ser-
vaient également à la collecte et à
la remontée des informations. »
A quelques kilomètres de là,
au tribunal de Créteil, on a rapide-
ment pris la mesure de la situa-
tion. « Dès les premières heures,
on a vu que c’était un phénomène
grave, assure Stéphane Hardouin,
procureur de Créteil. Tout le
L’influence limitée des imams, dépassés par les événements
Certains ont tenté d’intervenir dans leur ville. D’autres ont préféré rester en retrait, arguant d’une question plus politique que religieuse
Q uand il a vu la tension
monter, Youcef Ach-
maoui n’a pas hésité.
L’imam de Garges-lès-
Gonesse (Val-d’Oise) est des-
cendu dès le jeudi 29 juin dans le
centre de sa ville, afin de voir ce
qui se passait et de discuter. Le
vendredi, il a entrepris une mar-
che dans les différents quartiers
de cette cité qu’il connaît si bien.
« Après avoir occupé le terrain,
jeudi, on a fait une marche
­vendredi, on est descendu avec un
certain nombre de parents, de
­professeurs, et ­d’acteurs associa-
tifs du quartier entre 19 heures et
21 heures », relate-t-il.
Conformément à l’appel de
­différentes fédérations d’imams
et de grandes mosquées, son but
était d’œuvrer à « l’apaisement ».
Il l’a fait dans son prêche, lors de
la grande prière du vendredi,
avant de rassembler des fidèles et
­d’arpenter les rues. « Nous avons
fait un appel le vendredi pour dire
que nous allions parler aux jeu-
nes, sans les stigmatiser, juste les
écouter. J’ai sollicité quelques per-
« En une heure, treize
magistrats, soit
un tiers du parquet,
répondaient présent »
Stéphane Hardouin
procureur de Créteil
monde s’est très vite porté volon-
taire, on a mis en place un système
de brigades. En une heure, treize
magistrats, soit un tiers du
­parquet, répondaient présent. »
Eric Mathais, procureur de Bobi-
gny, évoque, lui aussi, une « très
grande solidarité » du monde de
la justice avec une scène quasi-
ment identique : « Ce week-end,
on a fait un appel à candidatures
et on a presque doublé le nombre
de magistrats mobilisés. »
Marc ­Cimamonti, procureur
­général près la cour d’appel de
Versailles, explique : « Il y a eu une
priorisation du service pénal
­d’urgence et un renfort des pla-
teaux de permanence du parquet.
Le ressort est composé de trois
grands parquets et d’un plus petit.
Ils ont fait face avec leurs effectifs
en se mobilisant fortement. »
­Résultat : aucune de ces juridic-
tions n’a eu à faire appel à des
­renforts extérieurs, tout s’est
passé par des mouvements inter-
nes et ponctuels.
« Prioriser » les dossiers
Le président du tribunal judi-
ciaire de Bobigny, Peimane
­Ghaleh-Marzban, résume les
deux impératifs à remplir pour la
justice : « La capacité à adapter le
fonctionnement de la juridiction à
la surcharge d’activité tout en
­assurant le fonctionnement nor-
mal de l’institution. » Autre défi :
faire face à un nombre très impor-
tant de procédures qui ne doivent
pas être bâclées si l’on veut qu’el-
les aboutissent. C’est là que le
­parquet joue un rôle de filtre. « J’ai
donné des instructions très claires
allant dans le sens d’une ligne de
fermeté, mais il faut aussi toujours
rappeler qu’il faut contrôler la
­régularité des procédures et voir
si les charges sont suffisantes »,
­explique encore M. Hardouin. Un
souci partagé par ses homologues
de la cour d’appel de Versailles et
du tribunal de Bobigny.
sonnes importantes, des grands
frères qui ont réussi, des parents
qui ont une certaine influence sur
les jeunes », précise l’imam.
M. Achmaoui le sait très bien.
Tout seul, il n’y serait pas arrivé.
Les jeunes gens qu’il serait allé
voir ne l’auraient, pense-t-il,
écouté que d’une oreille. « Si ce
n’est que le message de la
­mosquée, ça peut être barbant. On
ne voulait pas être uniquement
dans l’interdit. On ne voulait pas
venir frontalement les accuser
d’être de mauvais musulmans, ou
même d’être auteurs des faits. Il ne
s’agit pas de ça », explique-t-il.
« Familles désorientées »
La capacité d’influence parfois
prêtée aux imams sur le compor-
tement des jeunes de quartiers
ne s’est pas, selon les témoigna-
ges des intéressés au Monde, vé-
rifiée dans cette crise. Dans un
texte ­intitulé « J’avoue » et dif-
fusé sur la page Facebook de la
mosquée Othman à Villeur-
banne (Rhône), dont il est
l’imam, Azzedine Gaci a donné
Le ministre de la justice (à droite), Eric Dupond-Moretti, à l’Assemblée nationale, le 4 juillet. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
Ainsi, fait rarissime, des audien-
ces en comparution immédiates
ont eu lieu au cours du premier
week-end de juillet dans ­certains
tribunaux comme à Nanterre ou
Bobigny. Dans d’autres, c’est le cas
de Créteil, trois juges de la liberté
et de la détention ont siégé – dont
le président du tribunal, Eric
Bienko Vel Bienek – pour décider
de la mise en détention ou du pla-
cement sous ­contrôle judiciaire
des personnes déferrées, dans
l’attente de leur jugement en
comparution immédiate à partir
du 3 juillet. Dans le Val-de-Marne,
ces audiences sont d’ailleurs dou-
blées. La réponse judiciaire par
la voie des comparutions immé-
diates ne satisfait pas l’ensemble
du monde judiciaire, à commen-
cer par les avocats des prévenus
qui, souvent, dénoncent une
forme de justice expéditive et
d’une particulière sévérité.
l’impression d’être ­dépassé par
les événements. « Je dois avouer
que je croise de plus en plus de jeu-
nes filles et de garçons qui ne
montrent aucune considération
pour leurs parents. Ils se compor-
tent souvent de façon ­égoïste,
ils ne pensent qu’à eux seuls »,
écrit-il. Avant de préciser : « Je
dois avouer aussi que ces ­jeunes
(…) sont issus pour la ­plupart de
familles éclatées, désorientées,
voire désemparées. Il m’arrive
souvent de me poser la question :
faut-il éduquer ces jeunes en er-
rance ou leurs parents ? »
Et de conclure sur une note
amère : « Je dois enfin avouer
qu’en l’état actuel des choses la
mosquée ne peut pas faire grand-
chose pour ces jeunes. La mos-
quée ne dispose ni des moyens
­humains ni surtout des moyens
­financiers pour ­encadrer ces jeu-
nes en souffrance. » Pour lui, les
orienter vers la religion pourrait
même être « contre-productif »,
car ils pourraient se retrouver
« dans les ­griffes de ­l’extrémisme
et de la déviation idéologique
Pour les traiter le plus rapide-
ment possible, les différents
­tribunaux ont dû « prioriser » les
dossiers. M. Beynel confirme :
« On a décalé le boulot du quoti-
dien. A titre d’exemple, à Nanterre,
on a mobilisé pour le week-end
neuf magistrats du siège, neuf
du parquet et neuf fonctionnaires.
On a réorienté les audiences pour
nous concentrer sur les comparu-
tions immédiates concernant les
violences urbaines. »
Test grandeur nature
Finalement, lundi, c’est surtout la
grève très suivie des greffiers – ils
demandent notamment une
meilleure rémunération et de
meilleures conditions de travail –
qui a le plus perturbé le déroule-
ment des comparutions immé-
diates. Là aussi, il a fallu s’adapter,
mobiliser du personnel disponi-
ble comme les directeurs de
qui se déploie au détriment de
la voie de la modération et du
juste milieu ».
Selon Eric Marlière, sociologue
et professeur des universités à
Lille, les imams n’ont pas vrai-
ment « le pouvoir qu’on leur attri-
bue » : « S’ils tenaient les quartiers
il n’y aurait pas d’émeute. » Lui
qui a fait du terrain ces derniers
jours interroge : « Est-ce que ce
sont vraiment ces mosquées qui
ont une ­influence sur le comporte-
ment des jeunes habitants des
quartiers qui ont participé aux
émeutes ? Ces jeunes-là sont-ils
par ailleurs tous musulmans ? »
Pour lui, comme pour d’autres,
le ­discours religieux en général,
ou musulman en particulier,
« leur passe probablement au-des-
sus de la tête ».
Au-delà de ce questionnement
sur le profil des émeutiers se
­dessine aussi, pour les imams, un
sujet politique. Le ministre du
culte musulman doit régulière-
ment, analyse Ahmed Sfaxi, cher-
cheur au Conservatoire national
des arts et métiers, « ménager la
émeutes urbaines | 5
Lundi, c’est surtout
la grève très suivie
des greffiers qui
a le plus perturbé
le déroulement
des comparutions
immédiates
greffe, pour assurer l’urgence.
Tous les magistrats contactés
tiennent cependant à insister sur
la mobilisation « remarquable »
des greffiers dans les jours précé-
dents qui furent des moments
d’intense activité judiciaire.
Ces jours de violences ont, en
tout cas, été une sorte de test
grandeur nature à un an des Jeux
olympiques qui auront lieu à
chèvre et le chou ». Les autorités
d’un côté, les fidèles de l’autre.
Face aux premiers, l’imam doit
montrer patte blanche, tenir un
discours considéré comme
­conforme aux valeurs républicai-
nes et donc éviter, autant que
faire se peut, de s’aventurer sur le
terrain politique afin de ne pas
être soupçonné de promouvoir
l’islam politique. De l’autre, il fait
face à ses ouailles, qui le choisis-
sent et peuvent le démettre.
Mal à l’aise
Une situation qui met nombre
d’entre eux mal à l’aise. Il en va
ainsi d’un imam d’une ville
­sujette aux émeutes et qui a
­souhaité demeurer anonyme. Il
refuse, en intervenant autrement
que par ses prêches, de donner
une dimension religieuse à un
problème qu’il juge relever plutôt
de la sociopolitique et de l’écono-
mie. Plutôt tranchant, il estime
même que la dimension reli-
gieuse « n’a rien à faire là-de-
dans ». Même son de cloche
­venant d’un ministre du culte
▶▶▶
­ aris à l’été 2024. Et les résultats,
P
à en croire les magistrats, sont
­plutôt rassurants : « On se dit que
cela va nous aider dans la façon de
nous organiser, espère Eric Ma-
thais. Par exemple, quelle configu-
ration adopter en cas de surcroît
d’activité non prévu, comment or-
ganiser des audiences le week-end,
comment renforcer les plateaux de
permanence… » Stéphane Har-
douin résume : « La clé de la réus-
site, c’est d’être capables de s’orga-
niser en quelques heures. »
Marc Cimamonti estime, quant
à lui, qu’« un bilan est nécessaire
pour nous permettre d’affiner les
dispositifs de crise spécialement
dans le cadre de la préparation
des JO 2024 ». Il conclut : « Il faut
­montrer que la justice peut conti-
nuer à avoir lieu normalement,
même dans des circonstances
­exceptionnelles. » p
Abel Mestre
d’une ville de banlieue qui, elle
aussi, a connu son lot de débor-
dements ces derniers jours.
L’imam rappelle qu’il s’occupe
des problèmes de ses fidèles
toute l’année, qu’il participe à la
tranquillité de la cité avec toute la
dimension éducative de son
­ministère, mais il estime qu’in-
tervenir pendant les émeutes lui
donnerait immédiatement un
rôle politique. Ce qu’il se refuse à
faire. « La dimension spirituelle de
l’être à un rôle à jouer mais la
question des ­banlieues est socio-
politique. Elle n’est pas reli-
gieuse », juge-t-il.
Youcef Achmaoui, lui, veut
croire que son intervention,
jointe à celle des personnalités
de poids des quartiers visités
pendant sa marche, a eu de
­l’influence dans l’apaisement.
« C’est la parole conjuguée et
mixée d’un peu tout le monde. Le
professeur, l’animateur, l’imam,
le papa, la maman. Une multi-
tude d’acteurs. C’est ça qui les fait
cogiter. » p
Sarah Belouezzane

6 | émeutes urbaines
Un maire d’une commune touchée par les émeutes, à l’Elysée, mardi 4 juillet. Cyril Bitton/Divergence pour Le Monde
A l’écoute des maires traumatisés,
Macron pense à « l’après »
Les édiles de plus de 200 communes ont été reçus mardi à l’Elysée.
Le président a évoqué la reconstruction et des sanctions pour les familles
L’
opposition appelle au
sursaut. Emmanuel­-
Macron, lui, temporise,
ménageant son effet. La
« priorité » est le retour au calme,
a-t-il indiqué, mardi 4 juillet, de-
vant les quelque deux cents mai-
res de communes théâtres de vio-
lences, saccages, pillages et parfois
d’attaques ad hominem. Après
une semaine d’émeutes, provo-
quées par la mort du jeune Na-
hel M. abattu par un policier lors
d’un contrôle routier, à Nanterre,
le chef de l’Etat croit en l’apaise-
ment. Sous l’effet d’une présence
policière massive, un retour à la
normale semble s’amorcer.
« Est-ce que le retour au calme est
durable ? Je serai prudent, mais le
pic que nous avons connu ces der-
niers jours est passé », a-t-il soufflé.
Soucieux de témoigner sa con-
sidération aux édiles, en pre-
mière ligne, Emmanuel Macron
voulait entendre ce que les élus
avaient sur le cœur. Sans tabou ni
pudeur. « Pour mettre tout le
monde à l’aise dans cette salle,
lance-t-il d’emblée, c’est parfois
des sensibilités de droite qui ont
supprimé des postes de policiers et
parfois des politiques de gauche
qui ont baissé les crédits des politi-
ques de la ville. »
Dans la salle des fêtes de l’Elysée,
Emmanuel Macron tend, très vite,
le micro à Patrick Jarry, maire (di-
vers gauche) de Nanterre, la ville
où tout a commencé. « La colère,
la crainte n’ont pas disparu », af-
firme celui-ci, évoquant le
bouillonnement des quartiers
mais surtout la pauvreté, les iné-
galités et les humiliations qui se
manifestent, entre autres, par les
« difficultés insensées pour avoir le
renouvellement des titres de séjour
de parents, qui sont avec nous de-
puis des décennies ». Appelant à ne
pas oublier le point de départ de
ces violences : la mort d’un jeune
homme « tué quasiment en direct
sous nos yeux », dit-il. « Je crois que
le chantier des conditions d’inter-
vention et de travail des policiers
est inévitable », suggère-t-il.
Dans la salle, Jean-François
Copé, maire de Meaux (Seine-et-
Marne), s’étrangle. L’ancien prési-
dent de l’UMP fustige le discours
en contrition d’une République
qui aurait à s’excuser alors qu’elle
a fait, selon lui, beaucoup pour les
quartiers. Et l’ancien ministre de
Jacques Chirac de défendre la li-
gne du parti Les Républicains (LR),
exigeant plus de fermeté et
d’autorité de l’Etat.
Comme beaucoup de maires
présents, Patrick Jarry fut l’un des
signataires de l’« appel de Gri-
gny », lancé en 2017 pour défendre
les quartiers populaires face aux
coupes budgétaires du gouverne-
ment. « Nous avons peu avancé,
voire reculé si on lit l’étude de
l’agence de l’urbanisme de la ré-
gion Ile-de-France », regrette-t-il.
L’alerte de 2017 avait donné lieu à
un plan rédigé l’année suivante
par Jean-Louis Borloo, ancien mi-
nistre de la ville. Mais, en mai 2018,
Emmanuel Macron avait disquali-
fié le « père » de la rénovation ur-
baine, en rejetant le rapport qu’il
lui avait pourtant commandé. Ba-
layant au passage le travail de « co-
construction » mené par plusieurs
centaines d’élus et d’associatifs
pendant six mois, à sa demande,
pour faire émerger les meilleures
idées du terrain et alimenter le
rapport Borloo.
« Cadre familial abîmé »
Cinq ans plus tard, Emmanuel
Macron reconnaît avoir été « ma-
ladroit ». Mais, assure-t-il, « il y a
aujourd’hui plus de grues ANRU
[l’Agence nationale pour la réno-
vation urbaine] sur le territoire
que quand je suis arrivé en res-
ponsabilité ».
« Monsieur Macron, vous devez
vous rappeler de moi ? », l’a inter-
pellé Patricia Tordjman, maire
communiste de Gentilly. L’élue du
Val-de-Marne, qui avait participé
au grand débat, lors de la crise des
« gilets jaunes » (2018-2019), avait
évoqué la souffrance des quar-
tiers. « Je l’avais prévenu : il faut réa-
gir sinon les choses vont mal tour-
ner », relate-t-elle, avant de soupi-
rer : « Cinq ans après, ça explose. »
A vocation cathartique, la réu-
nion des maires a reflété les
aigreurs, les inquiétudes, mais
aussi les fractures de la France. Cer-
À vocation cathartique,
cette réunion
des maires a reflété
les aigreurs,
les inquiétudes, mais
aussi les fractures
de la France
tains élus appellent à plus de fer-
meté quand d’autres réclament
plus de moyens et de compassion.
« Chacun a raconté son histoire. On
a vécu des choses de façon diffé-
rente », observe Benoît Payan, le
maire (divers gauche) de Marseille,
qui s’inquiète de voir les débats dé-
river sur les questions identitaires.
« Est-ce qu’on s’est questionné sur
l’appartenance des “gilets jaunes” à
la République ? », interroge-t-il.
« Emmanuel Macron avait besoin
de ce moment d’échange pour s’ap-
proprier le ressenti des maires »,
pense Gil Avérous, élu (LR) de Châ-
teauroux. Mais « il faut mainte-
nant passer à la phase d’action »,
plaide-t-il.
L’action sera d’abord une répa-
ration. Pour compenser les dom-
mages infligés à des symboles de
la République – écoles, médiathè-
ques ou gymnases –, Emmanuel
Macron promet des aides (prêts à
taux zéro… ) et un projet de « loi
d’urgence », afin de réduire les dé-
lais inhérents aux chantiers de re-
construction. Une loi comme
celle qui avait permis d’accélérer
le chantier de Notre-Dame de Pa-
ris, après l’incendie d’avril 2019.
S’il refuse encore de tirer les le-
çons de la crise, Emmanuel Ma-
cron esquisse quelques pistes de
réflexion pour l’après. Se donnant
l’été pour affiner son plan, il parle
de poursuivre la décentralisation,
de se pencher sur la question du
logement et de renforcer le conti-
nuum entre la police et la justice.
Le locataire de l’Elysée, qui avait
théorisé, fin mai, une « décivilisa-
tion » en cours dans le pays, en ap-
pelle surtout à « la responsabilité
des parents » face à des émeutiers
qui n’ont parfois que 12 ou 13 ans.
Parlant d’un « cadre familial
abîmé », il cible « les difficultés à
assurer l’autorité de base, parfois
même à l’école ». « Etre parent est
une responsabilité qui, dans cer-
tains milieux, n’est pas un acquis »,
juge-t-il, devant les maires. Quel-
ques heures plus tôt, dans la nuit
de lundi à mardi, Emmanuel Ma-
cron était allé plus loin. « Il fau-
drait qu’à la première infraction
on arrive à sanctionner financière-
ment et facilement les familles,
une sorte de tarif minimum dès la
première connerie », avait-il lancé,
lors d’une visite à des policiers du
17e arrondissement de Paris.
« Couper les réseaux sociaux »
Cette proposition, qui a immédia-
tement suscité l’indignation à
gauche, vient de la droite. Elle a
déjà donné lieu à une proposition
d’Eric Ciotti, le président de LR. Le
député des Alpes-Maritimes envi-
sage de remettre sur le métier sa
propre loi de 2010 visant à res-
treindre, voire à supprimer, les al-
locations familiales pour les pa-
rents de mineurs absentéistes
scolaires. Dans sa version de 2023,
la loi serait élargie aux parents
dont les enfants ont été interpel-
lés pour des faits de violence.
L’idée de bousculer les rythmes
scolaires et de réduire les vacan-
ces d’été, déjà abordée par le chef
de l’Etat lors de son déplacement à
Marseille, le 27 juin, pourrait aussi
ressurgir. « Quand on a des gran-
des vacances, l’inégalité revient »,
expliquait-il. Enfin, le pouvoir, dé-
sarçonné par l’agilité des jeunes
avec les réseaux sociaux, utilisés
pour se donner rendez-vous, gal-
vaniser les troupes et déjouer les
forces de l’ordre, cherche à repren-
dre le contrôle. « Nous avons be-
soin d’avoir une réflexion sur les
réseaux sociaux, sur les interdic-
tions qu’on doit mettre. Et quand
les choses s’emballent, il faut peut-
être se mettre en situation de les
réguler ou de les couper », avance
le président. « Ça n’est pas un dé-
bat à chaud mais à froid », a-t-il
pris soin de préciser. p
Benoît Floc'h
et Claire Gatinois
Borne accuse LFI
de ne pas se situer « dans
le champ républicain »
Les mélenchonistes ont été au centre
des critiques, mardi, à l’Assemblée nationale
U ne semaine après la mort
de Nahel M. à Nanterre,
tué par un policier à la
suite d’un refus d’obtempérer, le
sujet des émeutes urbaines a lar-
gement dominé, mardi 4 juillet,
les questions au gouvernement à
l’Assemblée nationale. Au cours
d’une séance électrique, où vingt-
six des vingt-huit prises de parole
des députés ont concerné les évé-
nements de ces six derniers jours,
chaque intervention a cristallisé
l’urgence à apporter des réponses
politiques devant ce nouvel em-
brasement des banlieues.
Quand la Nouvelle Union popu-
laire, écologique et sociale (Nu-
pes) a multiplié les prises de pa-
role pour dénoncer les « violences
policières », rappelant les diffé-
rents décès intervenus ces derniè-
res années lors d’interventions de
forces de l’ordre, le Rassemble-
ment national (RN) ou encore Les
Républicains (LR) ont insisté sur
l’enjeu de la répression face à « des
émeutiers mus par la haine de la
France », selon les mots du prési-
dent du groupe LR, Olivier Mar-
leix. Interpellée par la quasi-tota-
lité des présidents de groupe, la
première ministre, Elisabeth
Borne, a, de son côté, réitéré « l’ob-
jectif » à court terme de l’exécutif
de « garantir l’ordre républicain ».
« Nous sommes sur la bonne voie
mais nous restons extrêmement vi-
gilants et c’est progressivement,
avec la plus grande prudence, que
nous adapterons notre dispositif de
sécurité », a-t-elle assuré, alors que
les violences urbaines connais-
sent une relative accalmie depuis
samedi. La première ministre a
aussi cherché à temporiser sur les
mesures structurelles qui pour-
raient être engagées par le gou-
vernement pour répondre à cette
crise, s’en tenant aux « quatre pi-
liers » de la réponse de l’exécutif :
une « mobilisation des forces de
l’ordre avec 45 000 policiers et gen-
darmes sur le terrain », « la fermeté
de la réponse pénale », la « respon-
sabilisation des réseaux sociaux »
et un « rappel nécessaire de la res-
ponsabilité parentale », les mi-
neurs étant surreprésentés chez
les émeutiers interpellés. « Nous
devons être forts contre les poli-
ciers ne respectant pas la loi et très
durs contre les délinquants qui les
attaquent », a affirmé le ministre
de l’intérieur, Gérald Darmanin.
LFI chahutée et même huée
Les prises de position plus tran-
chées de l’exécutif ont été réser-
vées aux députés de La France in-
soumise (LFI), accusés depuis plu-
sieurs jours d’avoir alimenté les
tensions en refusant d’« appeler
au calme » au plus fort de la crise.
« Il n’y aura pas de retour au calme
s’il n’y a pas de justice », a réitéré,
mardi matin, la présidente du
groupe « insoumis », Mathilde Pa-
not, avant d’interpeller Mme Borne
quelques heures plus tard dans
l’Hémicycle. « Vous voulez faire pe-
ser sur nous la responsabilité de la
colère quand elle prend racine
dans un meurtre odieux », a dé-
claré l’élue du Val-de-Marne, esti-
mant que « le retour au calme ne se
décrète pas. Il se construit ».
« Vous cherchez des coupables
partout, dans toutes nos institu-
tions républicaines, sauf chez les
auteurs de violences », a rétorqué la
cheffe du gouvernement, jugeant
que les « insoumis » avaient fait le
choix d’« un autre chemin, celui de
l’outrance, de la brutalité verbale,
de l’esquive ». Des propos similai-
res à ceux qu’elle a prononcés, le
matin même. Devant les députés
de la coalition présidentielle – Re-
naissance, MoDem et Horizons –
réunis en intergroupe au Palais-
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
« Vous voulez faire
peser sur nous
la responsabilité
de la colère quand elle
prend racine dans
un meurtre odieux »
Mathilde panot
présidente du groupe « insoumis »
à l’Assemblée nationale
Bourbon, Mme Borne s’est dite
« très choquée par les propos de La
France insoumise qui refuse de con-
damner les violences », « preuve
supplémentaire », à ses yeux, que
ce parti « ne se positionne pas dans
le champ républicain ».
Sur le banc des accusés, les mé-
lenchonistes ont été chahutés et
même hués par une grande par-
tie de l’Hémicycle. Tandis que le
président (Renaissance) de la
commission des lois, Sacha Hou-
lié, a qualifié LFI de « groupuscule
qui s’est durablement discrédité »,
le député LR du Rhône, Alexan-
dre Vincendet, a jugé « intoléra-
bles » leurs « appels à la sédition ».
A son tour, le ministre de la tran-
sition écologique, Christophe Bé-
chu, a fustigé « les silences indé-
cents de l’extrême gauche de Mé-
lenchon », jugeant qu’ils ont
« contribué à mettre le feu aux
poudres ». Avant de lancer en di-
rection des députés LFI : « Vous de-
vriez avoir honte ! » « Ce sont les
questions au gouvernement ici ! »,
s’est indignée Mme Panot en retour.
« Cessez d’être pétrifiée »
Au sein même de la Nupes, le dis-
cours des « insoumis » passe mal.
Le chef de file du Parti commu-
niste, Fabien Roussel, s’est « déso-
lidarisé » de LFI mardi, regrettant
« que la gauche soit assimilée à
Jean-Luc Mélenchon (…). Il y a au
moins deux gauches, la sienne et
la nôtre ». Une « minable attitude
politicienne », a rétorqué le dé-
puté LFI du Nord, Ugo Bernalicis,
dans un tweet.
Ces passes d’armes n’ont pas
empêché les oppositions de mul-
tiplier les critiques à l’encontre de
l’exécutif. « Mme la première minis-
tre, cessez d’être pétrifiée », a no-
tamment lancé la présidente du
groupe écologiste, Cyrielle Chate-
lain, qui réclame comme de nom-
breux élus de gauche le « retour de
la police de proximité, la lutte con-
tre les discriminations et l’abroga-
tion » de la loi sur le refus d’ob-
tempérer adoptée en février 2017.
Le président du groupe socialiste,
Boris Vallaud, a appelé de son côté
à ne « pas esquiver la question dif-
ficile du rapport entre une partie
de notre population et la police qui
n’a cessé de se détériorer ».
Dernière intervenante de cette
séance tendue, la cheffe de file du
RN, Marine Le Pen, a accusé l’exé-
cutif d’avoir « implanté des zones
de non-droit qu’[il a] laissé se com-
munautariser, se criminaliser »,
faisant du pays un « enfer ».
« Qu’avez-vous fait de la France,
vous qui menez la même politi-
que que vos prédécesseurs depuis
quarante ans ? », a-t-elle inter-
rogé, appelant le gouvernement à
« stopper l’immigration anarchi-
que » et à « reprendre la main dans
tous les quartiers de France ». « Ne
pas jouer l’unité du pays, ce n’est
pas responsable », a répondu Eli-
sabeth Borne, appelant « à l’unité
nationale » au terme de cette
séance marquée par l’expression
de visions irréconciliables. p
Mariama Darame
et Jérémie Lamothe
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Dans l’Essonne, Le Maire plaide pour la « fermeté »
Mardi, le ministre de l’économie a annoncé des mesures pour soutenir les commerçants victimes des émeutes
Reportage
L
es milliards ne pleuvront
pas sur les banlieues.
Bruno Le Maire a écarté
toute réactivation du
« quoi qu’il en coûte », mardi
4 juillet, une semaine après le
­début des émeutes urbaines, à la
suite de la mort du jeune Nahel M.
« Vous ne rétablirez pas l’ordre de
la nation par le désordre des comp-
tes publics », a affirmé le ministre
de l’économie, lors d’un déplace-
ment dans l’Essonne, aux côtés
d’Olivia Grégoire, la ministre
­déléguée au commerce et aux
­petites et moyennes entreprises,
afin d’échanger avec des commer-
çants dont les boutiques ont été
prises pour cible. « Je ne crois
­absolument pas qu’un nouveau
plan banlieues soit la solution,
­a-t-il tranché devant une ving-
taine d’entre eux et des élus
­réunis à la mairie d’Arpajon,
­commune de 11 000 habitants.
Beaucoup a été fait pour ces quar-
tiers (…) en termes d’emplois,
­d’attractivité, de soutien social. »
L’exécutif, qui avait ouvert en
grand les vannes budgétaires
pour épauler les entreprises
­pendant la crise sanitaire en 2020,
puis pour soutenir les ménages
face à la flambée des prix de
l’énergie à partir de l’automne
2021, doit désormais faire face à
une dette publique supérieure à
3 000 milliards d’euros. La solu-
tion aux difficultés des banlieues
n’est donc pas un « nouveau plan
à plusieurs milliards », a insisté le
numéro deux du gouvernement,
mais « la fermeté », « les interpella-
tions » et « des sanctions exemplai-
res ». Une politique de « tolérance
zéro », a-t-il répété, alors que la
droite et l’extrême droite appel-
lent à des mesures plus radicales.
De l’ordre dans les rues comme
dans les comptes publics.
Une question « d’autorité »
A Saint-Germain-lès-Arpajon, au
propriétaire d’une fromagerie,
dans le centre-ville, dont la vitrine
a été brisée dans la nuit de jeudi
à vendredi, et qui réclamait avec
des sanglots dans la voix « beau-
coup plus de policiers », Bruno
Le Maire a rappelé que « personne
n’a investi autant que nous dans la
sécurité ». Loi de programmation
de la police, loi de programma-
tion militaire, loi de programma-
tion de la justice… « Quand on me
dit : “il n’y a pas assez d’argent
pour les services publics”, franche-
ment, c’est faux », s’est-il emporté.
Avant de rappeler que le budget
LR se lance dans une surenchère de propositions sécuritaires
La droite souhaite un durcissement, notamment concernant la responsabilité pénale des parents de mineurs coupables de violences
O n ne peut plus continuer
de se contenter de
­placebo. » En matière de
sécurité, Eric Ciotti préconise tou-
jours un traitement lourd. « Quel-
ques dizaines de milliers d’émeu-
tiers ont mis en péril la République.
Il faut les mettre hors d’état de
nuire », a déclaré le président du
parti Les Républicains (LR) lors
d’un point presse improvisé,
mardi 4 juillet, à l’Assemblée na-
tionale. Au moment où Emma-
nuel ­Macron envisage de « sanc-
tionner financièrement » les fa-
milles en mettant en place « une
sorte de tarif minimum dès la pre-
mière ­connerie » commise par leur
­enfant, le député des Alpes-Mari-
times appelle le président de la
­République et le gouvernement à
ressusciter la loi… Ciotti de 2010.
Controversée à l’époque et abro-
gée deux ans plus tard par la gau-
Les ministres Olivia Grégoire et Bruno Le Maire, à Saint-Germain-lès-Arpajon (Essonne), le 4 juillet. P. BARBIER/HORS FORMAT POUR « LE MONDE »
de l’Etat « a augmenté de 100 mil-
liards d’euros depuis 2019 ». A ses
yeux, ce n’est pas une question de
moyens, mais « d’autorité ». L’ex-
élu de droite a souligné la « res-
ponsabilité des parents ». « Ce n’est
pas l’Etat qui est responsable de
ces enfants. » Enfin, la clé de-
meure, à ses yeux, « le travail », fil
rouge du second quinquennat
Macron, dont l’objectif est d’at-
teindre le plein-emploi. « Le tra-
vail, c’est ce qui peut rassembler
la nation française », selon lui.
Après avoir entendu plusieurs
témoignages et déambulé dans
les rues d’Arpajon, le ministre de
L’État va étaler le
paiement des charges
sociales et fiscales
des commerçants,
comme il l’avait
fait pendant
la crise sanitaire
che, elle permettait de restreindre
– voire de supprimer – les alloca-
tions familiales pour les parents
de mineurs absentéistes scolaires.
Dans sa version 2023, elle serait
élargie aux parents dont les
­enfants ont été interpellés pour
des faits de violence. M. Ciotti a
déposé mardi sa nouvelle propo-
sition de loi sur le bureau de
­l’Assemblée nationale. « Si M. Ma-
cron décide de l’inscrire à l’ordre
du jour, on peut la voter avant le
14 juillet », espère-t-il. En 2019 et
2021, il avait tenté de la réintro-
duire, mais s’était heurté à un
­refus de la majorité macroniste.
Pas sûr que sa troisième tenta-
tive soit la bonne. Mais l’essentiel
est ailleurs pour le chef de file
d’une droite à l’attaque, ces
­derniers jours, sur le terrain de
la sécurité. Après l’offensive sur
l’immigration fin mai, il s’agit
l’économie a annoncé des mesu-
res ponctuelles pour aider les
commerçants vandalisés : allon-
gement de cinq à trente jours du
délai pour faire sa déclaration de
sinistre auprès des assureurs,
­incitation à réduire les franchises
d’assurance pour les indépen-
dants les plus touchés, et raccour-
cissement du délai d’indemnisa-
tion. De son côté, l’Etat va étaler
le paiement des charges sociales
et fiscales des commerçants,
comme il l’avait fait pendant la
crise sanitaire, et envisage d’annu-
ler complètement celles des com-
merçants les plus touchés. Les
modalités du recours au chômage
partiel doivent, en outre, être pré-
cisées prochainement. Olivia Gré-
goire a par ailleurs annoncé, mer-
credi sur France 2, l’ouverture ex-
ceptionnelle des commerces ce di-
manche et le prolongement des
soldes ­jusqu’au 1er août, soit une
semaine supplémentaire.
Depuis le début des émeutes,
quelque 436 débits de tabac ont
été attaqués, ainsi que 200 com-
merces alimentaires, 370 agences
bancaires et plusieurs dizaines de
toujours de montrer les muscles
et d’éviter de laisser le champ
­libre au Rassemblement national
(RN) et à Reconquête !. Après
avoir réclamé, dès le 29 juin, l’ins-
tauration de l’état d’urgence dans
­certains quartiers, la droite remet
au goût du jour la déchéance de
nationalité pour les binationaux
condamnés en marge des émeu-
tes. Et même si cette mesure-choc
ne concernerait qu’une très faible
partie des émeutiers, « la Républi-
que doit envoyer le message
qu’elle ne se couche plus », esti-
mait M. Ciotti sur le ­plateau de
LCI, lundi 3 juillet.
« C’est la loi. Appliquez-la ! »
Comme sur l’immigration, les di-
rigeants de LR veulent prendre des
initiatives et envisagent de procé-
der par le biais d’une proposition
de loi plus globale, sans doute dès
boutiques et fast-food, selon les
derniers chiffres du gouverne-
ment. Les dommages ont été esti-
més par le Medef à plus de 1 mil-
liard d’euros, un chiffre que le
gouvernement n’a pas confirmé.
Les assureurs ont, de leur côté,
­recensé 5 800 déclarations de si-
nistres liées aux émeutes. Bruno
Le Maire a précisé que les consé-
quences pour l’économie fran-
çaise seraient « négligeables »,
tandis qu’Olivia Grégoire, chargée
du tourisme, a dit ne pas observer
de « vague d’annulations » de la
part de voyageurs étrangers,
alors que les images des violences
ont fait le tour du monde.
« Un cauchemar »
« Absurde », « aucun sens »,
« écœurant », « révoltant et
triste »… Lors de leur ­rencontre
avec des commerçants victimes
de pillages et de dégradations,
M. Le Maire et Mme Grégoire se
montraient stupéfaits ­entre
deux appels à la fermeté. « Je ne
comprends pas ce qui se passe
dans la tête de ces gamins,
qu’est-ce qu’on a raté dans la rela-
la semaine du 10 juillet. En atten-
dant, leurs collaborateurs éplu-
chent le code pénal. Le président
du groupe à l’Assemblée nationale,
Olivier Marleix, a invoqué l’article
L227-17, qui aborde la « mise en pé-
ril des mineurs », « jamais utilisé »,
pour interpeller la première mi-
nistre, Elisabeth Borne, lors des
questions au gouvernement.
« Quand on laisse un gamin de
14 ou 15 ans dehors, à 2 heures du
matin, par une nuit d’émeute, on
doit voir sa responsabilité de pa-
rents engagée. C’est la loi. Appli-
quez-la ! » En l’occurrence, la loi
prévoit jusqu’à deux ans de prison
et 30 000 euros d’amende en cas
de carence parentale constatée.
Si la cheffe du gouvernement
n’a pas répondu directement au
député de l’Eure-et-Loir sur ce
point, cette disposition est bien
présente dans la circulaire
émeutes urbaines | 7
series, sauf la Vittel, je ne sais pas
pourquoi ». « Mais quel intérêt de
s’attaquer à un cinéma ? », l’inter-
roge Bruno Le Maire, atterré.
Pizza et d’un café Columbus,
­Abdel Kalla a, lui aussi, reconnu
tion qu’on a avec eux pour qu’ils
aient l’idée de tout saccager ? »,
s’est désolé Charles Vintrou, qui
venait de reprendre et rénover
le cinéma d’Arpajon pour en faire
un « lieu de vie au cœur de la
ville ». Il a été attaqué à la voiture-
bélier et vandalisé dans la nuit
de jeudi à vendredi, et lui-même
a été « poursuivi dans les salles »
par les assaillants. « On est là pour
créer du lien, faire de la cohésion.
On n’avait qu’une envie, c’est qu’ils
se sentent chez eux », soupire-t-il,
rappelant que les billets sont à
4 euros pour les moins de 26 ans,
« tous les jours, pour ­toutes les
séances ».
Comme d’autres commerçants,
il connaît ceux qui ont saccagé
et pillé le cinéma flambant neuf.
« Ce sont nos jeunes clients. On les
a reconnus à la vidéo, ils étaient
­totalement démasqués, sans
aucune crainte », abonde son
­collègue Yohan Delamare. Venus
avec des sacs « pour faire leurs
courses », ils sont repartis « avec
deux paquets de chips » pour
­certains. D’autres ont raflé « les
­télés, la caisse… et toutes les confi-
­ ubliée vendredi par le garde
p
des sceaux, Eric Dupont-Moretti,
­demandant une réponse pénale
« ferme et rapide » . « Maintenant,
on veut voir si c’est appliqué réelle-
nés dans ces émeutes ». Cette
­proposition figure, pour les étran-
ment », indique-t-on dans l’entou-
rage de M. Marleix. Par ailleurs,
la droite veut profiter du projet
de loi de programmation de la
­justice, examiné depuis lundi à
l’Assemblée nationale, pour met-
tre la pression sur le gouverne-
ment et négocier son vote,
­notamment en exigeant la cons-
truction de 3 000 places de prison
d’ici à 2027, en plus des 15 000
contenues dans le plan actuel.
Mais les Républicains n’en
­restent pas là et n’hésitent pas à
remettre en cause le droit du sol.
Pour leur président, il est hors de
question qu’il s’applique « auto-
matiquement » à 18 ans pour les
mineurs « qui auront été condam-
Comme d’autres
commerçants, Charles
Vintrou connaît ceux
qui ont saccagé
et pillé le cinéma
flambant neuf :
« Ce sont nos
jeunes clients »
Propriétaire d’un Domino’s
une partie de ceux qui ont mené
les attaques dans la nuit. « Mes
quinze salariés, ce ne sont que des
jeunes, explique-t-il. Ils connais-
sent une partie des agresseurs, ils
sont du même quartier. Il y a cinq
six meneurs, et les autres suivent. »
C’était « un cauchemar, on se
­serait cru dans un film », tremble
encore Emmanuelle Duporte,
propriétaire d’une concession
­Citroën, dont les grandes lettres
en acier ont fondu, lors d’une
­attaque, dans la nuit du 29 au
30 juin. Des dizaines d’as-
saillants, pour certains âgés de
14 ans, ont volé et brûlé une
­trentaine de voitures. Certaines
ont servi de voiture-bélier pour
­attaquer le commissariat et le
­cinéma, raconte-t-elle la gorge
nouée, alors que Bruno Le Maire
lui prend la main. Il a fallu huit
policiers pour repousser les
émeutiers. Les dégâts sont esti-
més entre 500 000 euros et 1 mil-
lion par son mari. « On n’y com-
prend rien, détruire comme ça, ça
sert à quoi ? », demande-t-elle.
« Est-ce que les responsables
ont été interpellés ? », lui demande
M. Le Maire. « Certains », ­dit-elle,
hésitante. « Leur place est devant
les tribunaux, devant la justice
et nulle part ailleurs, et les sanc-
tions doivent être exemplaires,
­promet-il. On a ­besoin de vous,
c’est vous qui ­animez la vie écono-
mique, vous devez pouvoir
­travailler en paix. » Il promet un
suivi. Sur le parking, un drapeau
publicitaire, sans doute pour
un véhicule électrique, a échappé
au pillage. Le slogan en grosses
lettres rouges se dévoile entre
deux rafales de vent : « La puis-
sance du calme ». p
Elsa Conesa
gers criminels et délinquants,
dans la proposition de loi immi-
gration de LR, déposée début juin.
Eric Zemmour l’a-t-il consultée ?
Mardi, le président de Recon-
quête ! avançait une piste assez
­similaire. « Je propose que toute
participation aux émeutes avec
délit contre les représentations de
l’Etat, les bâtiments publics, les
élus, les forces de l’ordre ou les
pompiers soit un motif de refus
de la nationalité française », écri-
vait-il sur Twitter. Ces derniers
jours, les points de convergence
ne manquent pas entre la droite
et l’extrême droite. LR et le RN
s’accordent, par exemple, pour ré-
clamer la suppression de l’excuse
de minorité et l’abaissement de la
majorité pénale à 16 ans. p
Alexandre Pedro
 International
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8| ­
­Jeudi 6­ juillet 2023

En Ukraine, des armes « fabriquées maison »

Sur le front, les artilleurs ukrainiens, confrontés à la pénurie, ont appris à bricoler leurs propres équipements

Reportage
Région de Zaporijia (Ukraine) -
envoyée spéciale

E
ntre les cerisiers et le
champ de blé, le paysage
forme un repli, une petite
cuvette envahie de brous-
sailles. De là, on voit l’horizon, sur-
ligné d’une rangée d’arbres que
frôle un hélicoptère volant bas.
C’est la ligne de front, l’axe sud-
est de la contre-offensive ukrai-
nienne, dans la région de Zaporijia.
La position de tir est idéale, le ciel
dégagé : une matinée parfaite, ce
samedi 1er juillet, pour envoyer des
roquettes de 122 mm sur un poste « Jack »,
de commandement russe à 13 kilo- ingénieur
mètres, estime « Gall » (son nom informaticien
de guerre), à la tête d’une batterie avant la guerre
d’artillerie venue de Dnipro. et officier
Depuis quelques jours, la pluie dans la brigade
battante empêchait de faire voler territoriale
les drones, chargés de guider les de Dnipro,
tirs. Or, l’état-major interdit tout brandit
bombardement sans une préci- une arme
sion parfaite – pas assez de maté- antidrone
riel pour le gaspiller en frappes ap- qu’il a
proximatives. Ici, sur ces postes le fabriquée,
long du front, l’armée se voit dans dans l’oblast
son plus simple dénuement : de Zaporijia
les Ukrainiens essuient dix fois (Ukraine),
plus de tirs que les Russes. « Cha- le 1er juillet.
que mètre est payé par le sang », Guillaume Herbaut/
lance, à Kiev, le général Valeri Za- Vu’pour « LE MONDE »
loujny, commandant en chef des
forces armées dans une interview
au Washington Post, le 30 juin.
Tant attendues, les premières
avancées de la contre-offensive
sont jugées trop lentes par certains
alliés occidentaux, et la déception
perce devant les 130 kilomètres
carrés libérés sur l’ensemble des
fronts avancés par la vice-ministre
de la défense, Hanna Maliar. Cette
attitude a rendu « furieux » le géné-
ral Zaloujny : « Ce n’est pas un spec-
tacle que le monde entier regarde et
sur lequel il faut parier. » cour d’une cahute paysanne où battants à pied, par surprise. Vers pour tester la précision du tir. tuitement. Ici, l’unité paie sans re-
Quand les armes des partenai- sont basés les gradés de l’unité. le sud, huit villages ont ainsi été Quand il est ajusté, cinq autres
Les canons chigner grâce à une cagnotte préle-
res finiront-elles par arriver, no- Gall en connaît chaque détail. reconquis début juin, pas à pas, partent en rafale, tandis que le ont été récupérés vée sur les soldes. Si près du front,
tamment des avions F16 et des Un des viseurs a été acheté sur une maison après l’autre, des ba- commandant scande : « Vira, Nika, les soldats savent qu’aucun champ
munitions ?, demande-t-il. « Il n’y OLX, le Leboncoin ukrainien, pour tailles harassantes et sanglantes. Vira, Nika ». Les hommes ont dix
sur un char ne sera labouré, il n’y a déjà plus
a pas d’autres moyens. (…) Sans 2 000 hryvnias (environ 50 euros). Dans l’unité de Gall, aucun des minutes pour se replier avant une Ouragan et de quoi nourrir les bêtes. L’autre
[approvisionnement], les plans Les canons ont été récupérés sur 40 soldats n’était professionnel possible riposte russe. jour, le commandant a vu une
ne sont pas réalisables ». Ou alors un char Ouragan et des Grad rus- avant la guerre, y compris Gall lui- L’unité est arrivée en janvier
des Grad russes. femme élégante, tout en blanc,
pas aussi vite que « les partici- ses, butin de guerre pendant la ba- même, 41 ans, directeur d’une dans la région, en perspective de la Des pièces de chargeant un engin agricole. Les
pants au spectacle le souhaite- taille de Kherson. Des pièces de usine chimique. Quand il a reçu contre-offensive. Des poules rous- hommes manquent, appelés de
raient, mais c’est leur problème », monnaie calent certains rouages. sa convocation militaire en ses caquettent autour de leur base,
monnaie calent plus en plus nombreux à la guerre.
continue le chef des forces ar- Les lance-roquettes ont été bapti- juin 2022, il a simplement pensé : la soupe chauffe sur la cuisinière. certains rouages
mées ukrainiennes. Parfois, il sées « mini-Grad », à cause de « Ça y est, c’est mon tour. » De sous son lit, « Jack », un autre Les Russes « n’arrêtent jamais »
presse au téléphone son homolo- leurs trois tubes de lancement Au-delà des broussailles, la ligne officier sous pseudo, extrait une Gall pense que, dans la vie civile,
gue américain, le général Mark A. contre douze pour les Grad indus- de feu s’est mise à tonner et à fu- arme anti-drone de sa conception. sociaux, où les artilleurs ukrai- Jack et lui faisaient « partie d’un
Milley, ­devenu un ami : « Si je ne triels « sortis de l’usine ». En théo- mer, l’horizon semble soudain de- Dix fois moins chère que celles sur niens partagent leurs inventions. bataillon d’élite ». Leurs amis di-
reçois pas 100 000 obus en une se- rie, ils sont capables d’envoyer des venu vivant. Un drone passe dans le marché, elle a déjà abattu qua- Engagé volontaire au début de recteurs d’usine ou businessmen
maine, 1 000 personnes mourront. projectiles jusqu’à 40 kilomètres le ciel. « Il est à qui ? A nous ou à tre aéronefs russes pendant les l’invasion, Jack, 49 ans, est ingé- envoient de l’argent pour soutenir
Mettez-vous à ma place. » de portée, mais l’unité n’en pos- eux ? », demande le commandant tests, la semaine passée. nieur dans l’informatique. « Dou- leur unité. Les collègues les recon-
Dans l’unité du commandant sède pas de si puissantes. Alors, il dans son talkie-walkie. Les soldats Puis, Jack reprend la mise au cement, tu m’inquiètes un peu naîtraient-ils ? C’est bien eux. Mais
Gall, sur le front de Zaporijia, l’ar- faut s’approcher encore plus près se mettent en place derrière les point d’un système antichar, qui quand tu manies la bombe, l’inter- ce n’est plus eux. La guerre est
mée ukrainienne livre les mor- du front pour atteindre la cible. deux pick-up Nissan, où sont ju- combine un drone civil et une rompt Gall. Si ça explose, il ne res- dans leurs yeux, sur leur visage.
tiers. Pour le reste, il faut se dé- chés les mini-Grad. Chacun porte bombe de 2,5 kg, un modèle conçu tera que nos chaussures. » Les Jack porte un foulard noué façon
brouiller. Pas un homme ne se Batailles harassantes un nom de femme : celui de gau- pour être largué par hélicoptère hommes retrouvent les gestes et cosaque et serre dans son paque-
songe à s’en plaindre. On s’est ha- Les Russes s’étaient préparés à des che s’appelle « Nika », comme l’ar- pendant la seconde guerre mon- les conversations de la vie d’avant, tage une cafetière italienne, deve-
bitué à compter chaque sou, ro- avancées ukrainiennes massives, tiste-peintre qui a permis d’ache- diale. Il restait des stocks considé- à l’usine et aux ateliers. Derrière la nue son bien le plus précieux. Pen-
quette par roquette, à concevoir et avec des troupes d’élite entraî- ter le véhicule en vendant plu- rables de ce dispositif rendu obso- niche du chien, la réserve de mu- dant ses dix jours de permission à
à confectionner soi-même certai- nées à l’étranger, soutenues par sieurs œuvres. Celui de droite a été lète par des évolutions techniques. nitions a été surnommée le la maison, en décembre 2022, les
nes armes. Ce n’est pas une affaire des véhicules lourds comme les offert par « Vira », travailleuse du « On va pouvoir les réutiliser. » Déjà, « zoo », des roquettes glanées un seuls en un an, la blancheur de la
de choix, mais de survie. Au milieu fameux chars Leopard allemands. sexe à Hambourg. La toile de l’une il calcule qu’avec ce montage de peu partout à la fortune des com- baignoire l’a brutalement ébloui.
des broussailles, les deux lance-ro- Jusqu’ici, Kiev a surtout mené des et la photo de l’autre décorent cha- quelques centaines d’euros, il sera bats ou des donateurs. Le résultat des frappes de Vira et
quettes prêts à tirer ont d’ailleurs actions légères, délogeant l’en- cun des habitacles, leur nom scin- possible de détruire un char en va- Deux femmes du village passent Nika vient d’arriver : poste de
été « fabriqués maison » – on n’ose nemi de ses positions par des tille sur le capot. « Vira, feu ! », crie lant plusieurs millions. Il a trouvé collecter le loyer. Certaines fa- commandement russe touché.
pas dire « bricolés » – dans la basse- frappes, puis envoyant des com- Gall Une roquette fuse à gauche le mode d’emploi sur les réseaux milles hébergent les troupes gra- Vers le front, les mortiers conti-
nuent de frapper lourdement.
« Les Russes, eux, ont autant d’ar-
Obsèques de l’écrivaine Victoria Amelina, touchée lors d’une frappe sur Kramatorsk mes qu’ils veulent, à ne pas savoir
qu’en faire », dit Gall. Ces derniers
jours, les orages rendaient impos-
Une femme a le corps secoué de san- Victoria Amelina avait mis de côté ses attaque a fait plus d’une soixantaine de Conrad s’était rendue au Salon du livre sible l’observation de leurs posi-
glots tandis qu’elle s’agenouille contre le travaux de fiction pour se concentrer blessés et treize morts, dont l’écrivaine. de l’Arsenal, à Kiev, afin de présenter le tions. Maintenant que les drones
cercueil recouvert du drapeau national. sur la documentation des crimes de L’annonce de son décès a provoqué une journal intime de l’écrivain pour la jeu- volent de nouveau, l’unité n’en a
La foule recueillie dans l’enceinte du mo- guerre russes dès le début de l’invasion. onde de choc au sein de la communauté nesse Volodymyr Vakoulenko, tué par pas cru ses yeux. En une semaine,
nastère Saint-Michel-au-Dôme-d’Or de En 2022, elle avait rejoint l’organisation artistique et littéraire ukrainienne. « Vic- les forces russes, lors de l’occupation de un village sous occupation a été
Kiev fait silence. Les funérailles de la ro- de défense des droits de l’homme Truth toria Amelina était l’une des écrivaines les son village, dans la région de Kharkiv. A entièrement fortifié, 300 mètres
mancière et essayiste ukrainienne Victo- Hounds, avec laquelle elle n’hésitait plus gentilles et charitables, elle a fait bien la libération de la province, Victora Ame- de tranchées creusées plus loin,
ria Amelina ont eu lieu, mardi 4 juillet, pas à se rendre dans des zones proches plus pour les autres que pour elle-même », lina et d’autres avaient retrouvé le ma- de nuit. Plusieurs postes de com-
en présence des proches de la poétesse des lignes de front. a écrit le romancier Andreï Kourkov sur nuscrit que l’auteur, âgé de 51 ans, était mandement ont été enfouis dans
et de son petit garçon, âgé de 10 ans. Twitter. « Victoria documentait les crimes parvenu à enterrer avant sa mort. L’écri- des sarcophages de béton. « Ils
La veille, l’organisation littéraire PEN Ouvrage documentaire de guerre russes. Elle a été tuée dans un vaine travaillait aussi sur un ouvrage do- sont très nombreux et ils n’arrêtent
Ukraine avait annoncé que la talen- Le 27 juin, Victoria Amelina dînait à la ta- autre crime de guerre. Nous sommes les cumentaire sur l’expérience des femmes jamais », continue Jack. Il attend
tueuse écrivaine était morte dans un hô- ble d’une délégation colombienne com- témoins de sa mort et de celle de milliers ukrainiennes lors de l’invasion : Looking que les bombardements se cal-
pital de Dnipro. Le 27 juin, cette femme posée de l’écrivain Hector Abad Facio- de personnes tuées en Ukraine », a com- at Women Looking at War : War and Jus- ment pour pouvoir appeler la fa-
de 37 ans avait été grièvement blessée lince et de l’ancien haut-commissaire à la menté l’historienne Olesya Khromey- tice Diary, qui devrait être bientôt publié mille. Pas la peine de les inquiéter.
dans le bombardement russe d’un res- paix du gouvernement de Bogota Sergio chuk sur le réseau social. à l’étranger, selon PEN Ukraine. p Il leur dira que tout va bien,
taurant de la ville de Kramatorsk, dans la Jaramillo, lorsqu’un missile russe s’est Quelques jours avant le drame, la lau- Thomas d’Istria comme toujours. p
région de Donetsk, dans l’est du pays. abattu sur le restaurant Ria Pizza. Cette réate, en 2021, du prix littéraire Joseph (Kiev, correspondant) Florence Aubenas
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­Jeudi 6­ juillet 2023
En Tchétchénie, un
avocat et une journaliste
violemment agressés
Alexandre Nemov et Elena Milachina étaient
attendus à la sortie de l’aéroport de Grozny.
La reporter a été passée à tabac
Moscou - correspondant
L V
es images parvenant de
l’hôpital de Grozny, en
Tchétchénie, trahissent la
violence et l’acharnement : non
contents d’avoir passé à tabac
Elena Milachina, à coups de pied,
de poing et de matraque, lui cas-
sant plusieurs doigts et provo-
quant de multiples traumatismes
crâniens, ses assaillants ont pris le
temps de raser la tête de la journa-
liste et de l’asperger d’antiseptique
vert. A côté d’elle, l’avocat Alexan-
dre Nemov, également roué de
coups, est assis dans un fauteuil
roulant, la jambe transpercée par
un couteau ou un poinçon.
Alexandre Nemov et Elena Mila-
china ont été attaqués, mardi
4 juillet, à Grozny. Le premier ve-
nait assister au verdict, attendu le
jour même, d’une de ses clientes,
une Tchétchène poursuivie pour
des motifs politiques. La seconde
l’accompagnait.
Au sein de la rédaction de Novaïa
Gazeta, Elena Milachina, 45 ans,
avait remplacé Anna Politkovskaïa
pour la couverture du Caucase,
après l’assassinat de cette der-
nière, en 2006, précisément pour
son travail sur la Tchétchénie.
Malgré l’interdiction de Novaïa
Gazeta (le journal, dont cinq jour-
nalistes ont été assassinés en
vingt-cinq ans, continue d’exister
mais sans autorisation de publier),
Elena Milachina n’avait pas quitté
la Russie comme nombre de ses
collègues des médias indépen-
dants, passés du statut d’indésira-
bles à celui d’ennemis de l’Etat.
Mardi, elle a perdu connaissance à
plusieurs reprises.
« Ils [les assaillants] sont venus,
ils ont fait sortir notre chauffeur de
taxi, nous ont fait baisser nos têtes,
m’ont attaché les mains, nous ont
mis à genoux et placé un pistolet
­contre la tête », a raconté Elena
­Milachina plus tard dans la jour-
née. Avant de partir, ils ont détruit
les documents et le matériel de la
journaliste, et ont fini par lancer :
« On vous avait prévenus. Partez
d’ici et n’écrivez rien. »
Années d’impunité
Cette attaque n’est pas la première
commise contre des journalistes
et des défenseurs des droits de
l’homme sur le territoire de la
Tchétchénie. Mais dans le passé les
autorités locales faisaient sem-
blant de croire à l’hypothèse d’une
agression crapuleuse, de droit
commun. Désormais, cette pré-
caution n’est plus jugée néces-
saire. Les deux victimes étaient at-
tendues sur la route reliant l’aéro-
port au centre de Grozny. Leurs
agresseurs portaient des armes vi-
sibles et avaient formé un barrage
avec trois véhicules.
Cette assurance est le résultat
d’années d’impunité, depuis les
simples agressions jusqu’aux
meurtres d’Anna Politkovskaïa et
de l’opposant Boris Nemtsov,
en 2015, en passant par les tortures
d’homosexuels et les exécutions
extrajudiciaires par dizaines. Ja-
mais le Kremlin n’a prétendu ra-
mener un semblant d’Etat de droit
dans ce territoire.
La journaliste et l’avocat ont
d’ailleurs refusé de parler à la po-
lice, selon leurs confrères. Ils ont
B i é lo r uss ie
Situation
« catastrophique »
pour les droits humains
La situation des droits
humains en Biélorussie
est ­« catastrophique » et
ne fait qu’empirer, a déclaré,
mardi 4 juillet, la rapporteuse
« Ils nous ont
mis à genoux et
placé un pistolet
contre la tête »
Elena Milachina
journaliste
à « Novaïa Gazeta »
ensuite obtenu d’être transférés
dans une région voisine puis, dans
la nuit de mardi à mercredi, trans-
férés en avion à Moscou.
Face à l’écho important reçu par
cette dernière agression, le porte-
parole du Kremlin, Dmitri Peskov,
a tout de même évoqué « une atta-
que très grave », et Ramzan Kady-
rov, le président tchétchène a pro-
mis de « démêler les responsabili-
tés ». Difficile toutefois d’imaginer
une enquête sérieuse : mardi, le
défenseur des droits pour la Répu-
blique de Tchétchénie a ainsi rapi-
dement évoqué « un sabotage et
une provocation contre le peuple
tchétchène », un vocable fréquem-
ment utilisé, par exemple lorsqu’il
s’était avéré que l’auteur présumé
de l’assassinat du professeur
­Samuel Paty, en octobre 2020 en
France, était d’origine tchétchène.
Sur la même ligne, le ministre de
l’information a dit voir dans ces
faits « la signature des services se-
crets occidentaux ».
Verdict rendu en sept minutes
Après l’agression, Alexandre Ne-
mov avait d’abord assuré qu’il se-
rait présent au verdict de sa
cliente, mais le tribunal a refusé de
décaler l’audience, même de quel-
ques heures. Zarema Moussaeva a
finalement été condamnée à cinq
années et demie de prison dans un
dossier lui aussi révélateur du cli-
mat qui règne en Tchétchénie et
en Russie en général.
Arrêtée en janvier 2022 dans la
ville de Nijni Novgorod, à 1 500 ki-
lomètres de Grozny, à l’origine
comme simple témoin dans une
affaire de fraude, cette femme de
53 ans, diabétique, avait été emme-
née à demi évanouie, pieds nus
dans la neige, et accusée d’agres-
sion contre un représentant des
forces de l’ordre, un crime passible
de dix ans d’emprisonnement. De-
puis son incarcération, sa santé n’a
cessé de se dégrader. Le verdict a
été rendu en sept minutes, en l’ab-
sence, donc, de son avocat.
Les véritables cibles des persé-
cutions contre Mme Moussaeva
sont ses fils, les frères Iangoul-
baïev, qui vivent en Europe et
sont considérés comme des en-
nemis par le régime tchétchène :
l’un était juriste pour le Comité
contre la torture, une ONG russe
récemment dissoute ; l’autre col-
labore à divers médias, parmi les-
quels 1ADAT, chaîne Telegram qui
fait office de dernier média indé-
pendant, et opérant clandestine-
ment depuis la Tchétchénie. Le
président tchétchène, Ramzan
Kadyrov, avait lui-même estimé
que la place de cette famille était
« en prison ou sous terre ». Des di-
zaines de proches d’opposants
ont été capturés ces dernières an-
nées afin de faire pression sur les
dissidents en exil. p
Benoît Vitkine
spéciale de l’ONU. Le régime
d’Alexandre Loukachenko
purge la société civile de ses
dernières voix dissidentes, a
alerté Anaïs Marin au Conseil
des droits de l’homme. Selon
son rapport, plus de 1 500 per-
sonnes sont détenues pour
des motifs politiques. – (AFP.)
Hongkong : la répression
des militants s’étend à l’étranger
John Lee, le chef de l’exécutif hongkongais, a souhaité que les dissidents
exilés, qualifiés de « fugitifs », « vivent dans la peur »
Pékin - correspondant
ingt-quatre heures
après le lancement
d’une prime de 1 mil-
lion de dollars hong­-
kongais (environ 117 000 euros) à
toute personne facilitant l’arres-
tation de huit militants réfugiés à
l’étranger, John Lee, le chef de
l’exécutif hong­kongais, n’a pas
mâché ses mots. Son objectif est
que ces militants, qu’il appelle
des « fugitifs », se rendent ou ­« vi-
vent dans la peur », a-t-il déclaré,
mardi 4 juillet.
Trois ans après l’instauration de
la loi sur la sécurité nationale, le
30 juin 2020, les autorités de
Hong­kong tentaient depuis quel-
ques mois de redorer leur image,
notamment auprès des milieux
d’affaires. Elles n’ont pourtant
pas craint de se mettre la commu-
nauté internationale à dos en lan-
çant des avis de recherche contre
huit militants en exil, bien que le
mouvement de 2019 soit totale-
ment décapité et ne présente plus
le moindre danger pour le pou-
voir en place, imposé par Pékin.
Sont concernés trois anciens
membres du Conseil législatif de
Hong­kong (Ted Hui, Dennis Kwok
et Nathan Law), un avocat (Kevin
Yam) et quatre militants (Anna
Kwok, Elmer Yuen, Mung Siu-tat
et Finn Lau). Ceux-ci sont réfugiés
en Australie, aux Etats-Unis ou au
Royaume-Uni. Tous sont accusés
de « collusion avec des puissances
étrangères pour mise en danger de
la sécurité nationale », à l’excep-
tion de Mung Siu-tat, un syndica-
liste, accusé pour sa part d’« inci-
Conflit diplomatique entre la Géorgie et
l’Ukraine à propos de l’opposant Saakachvili
Volodymyr Zelensky s’est indigné de la santé dégradée de l’ancien président géorgien
S ur les photos, il est presque
méconnaissable. L’ancien
président géorgien Mikheïl
Saakachvili, 55 ans, est apparu très
amaigri, lundi 3 juillet, lors d’une
audience au tribunal de Tbilissi, en
Géorgie. Le leader de l’opposition,
emprisonné depuis 2021, assistait
par visioconférence à son procès
pour « abus de pouvoir ». Allongé
sur son lit d’hôpital, drapeau
ukrainien au mur, il a soulevé son
tee-shirt, dévoilant un torse aux
côtes apparentes et son ventre
creusé. Des images aux antipodes
de la silhouette bien portante
qu’il affichait avant son retour
dans le pays, en octobre 2021,
après huit ans d’exil en Ukraine.
« Un homme absolument inno-
cent est maintenu en détention », a
plaidé M. Saakachvili qui dénonce
un procès « politique ».
L’état de santé dégradé de l’an-
cien président géorgien (2004-
2013) a choqué en Ukraine, où Vo-
lodymyr Zelensky l’avait nommé,
en 2020, à la tête du comité exécu-
tif du conseil national des réfor-
mes – M. Saakachvili a d’ailleurs
toujours la nationalité ukrai-
nienne. « Le pouvoir géorgien doit
arrêter de torturer ce citoyen ukrai-
nien », s’est indigné, mardi, le pré-
sident ukrainien. M. Zelensky a
appelé à « mettre fin à ces abus et à
accepter le retour de Saakachvili en
Ukraine », afin qu’il bénéficie de
soins. En signe de protestation, il a
chargé le ministère des affaires
étrangères de convoquer l’ambas-
sadeur de Géorgie et de lui deman-
der de « quitter l’Ukraine dans les
tation à la sécession ». L’homme
d’affaires Elmer Yuen est égale-
ment accusé de « subversion »,
­Nathan Law d’« incitation à la
­sécession » et Ted Hui à la fois
d’« incitation à la sécession et à la
subversion ». « Nous les poursui-
vrons jusqu’à la fin de nos jours,
même s’ils vont au bout du
monde », a déclaré John Lee.
Selon la police, cette décision re-
pose sur les articles 37 et 38 de la
loi sur la sécurité nationale, qui
prévoit de poursuivre les person-
nes mettant en cause la sécurité
nationale, même à l’étranger.
Des mandats condamnés
Qu’ont fait, concrètement, ces
huit personnes ? Selon les man-
dats d’arrêt, l’avocat Kevin Yam
(46 ans) a rencontré des respon-
sables politiques étrangers en
novembre et décembre 2022 et
leur a demandé de prendre des
sanctions contre des responsa-
bles de Hong­kong. Ted Hui
(41 ans) est accusé d’avoir lancé la
« charte de Hong­kong 2021 » et
de s’être fait l’avocat de l’indé-
pendance de Hong­kong et de
Taïwan sur les réseaux sociaux.
Elmer Yuen (74 ans) aurait lui
aussi appelé à des sanctions
­contre les dirigeants de Hong­-
kong et aurait soutenu un projet
de parlement qui faisait la pro-
motion du droit à l’autodétermi-
nation des Hong­kongais.
Dennis Kwok (45 ans) aurait
soutenu un appel international à
des sanctions contre les diri-
geants de Hong­kong, Nathan Law
(29 ans) est accusé d’avoir appelé
à des sanctions contre Hong­kong,
quarante-huit heures pour tenir
des consultations avec sa capi-
tale ». Tbilissi a dénoncé une
« forme extrême d’escalade dans
les relations diplomatiques ».
Le leader de la « révolution des
roses » (2003) avait été hospitalisé
après une grève de la faim de cin-
quante jours, achevée en novem-
bre 2021. Depuis, ses rares appari-
tions publiques au tribunal ont
révélé une détérioration flagrante
de son état de santé. En décem-
bre 2022, ses médecins ont dia-
gnostiqué un « empoisonne-
ment » en prison, après avoir dé-
tecté la « présence de métaux
lourds » dans son organisme.
Le traitement réservé à l’ancien
président géorgien est considéré,
en Ukraine comme en Europe et
aux Etats-Unis, comme un signe
supplémentaire de la dérive de la
Géorgie. Cette ancienne républi-
que soviétique, tournée vers l’Eu-
rope, a longtemps fait figure de
bonne élève dans la région en ma-
tière de réformes démocratiques,
avant de sombrer progressive-
« Le pouvoir
géorgien doit
arrêter
de torturer
ce citoyen
ukrainien »
Volodymr Zelensky
président de l’Ukraine
International | 9
Une prime
de 1 million
de dollars
hongkongais
sera versée
à toute personne
facilitant
l’arrestation
de huit militants
mais aussi d’avoir rencontré des
responsables politiques étran-
gers, d’avoir accordé des inter-
views à des médias, d’avoir ré-
digé des lettres ouvertes et signé
des pétitions entre juillet 2020 et
­novembre 2022.
Il est reproché à Anna Kwok
(26 ans) d’avoir rencontré des res-
ponsables politiques étrangers et
appelé à des sanctions contre les
dirigeants de Hong­kong. Mung
Siu-tat (51 ans) est mis en cause
pour avoir participé à une réu-
nion à l’étranger en juin 2022, au
cours de laquelle il aurait « calom-
nié » le gouvernement de Hong­-
kong. Finn Lau (29 ans) est, lui, ac-
cusé d’avoir appelé à des sanc-
tions contre les dirigeants de
Hong­kong sur différentes plates-
formes qu’il aurait fondées.
Les pays dans lesquels ces huit
militants se sont réfugiés ont
­condamné ces mandats d’arrêt.
James Cleverly, secrétaire d’Etat
britannique aux affaires étrangè-
res, a indiqué que Londres « ne to-
lère pas les tentatives de la Chine
ment dans l’autoritarisme depuis
l’arrivée au pouvoir, en 2012, de
Rêve géorgien. Un parti fondé par
l’oligarque milliardaire Bidzina
Ivanichvili, ennemi juré de
M. Saakachvili, et qui dirige le
pays dans l’ombre.
Grâce exclue
L’invasion russe de l’Ukraine
en 2022 a renforcé les tensions en-
tre Tbilissi et Kiev, le gouverne-
ment géorgien affichant des posi-
tions de plus en plus prorusses.
« Le monde a pu voir aujourd’hui,
une fois de plus, ­comment le
Kremlin – par les mains de l’actuel
gouvernement géorgien – tue le ci-
toyen ukrainien Mikheïl Saaka-
chvili », s’est ému M. Zelensky.
Lorsqu’il dirigeait la Géorgie,
M. Saakachvili, président réforma-
teur et pro-occidental, était la bête
noire de Vladimir Poutine, déter-
miné à garder le pays dans le giron
de la Russie et à l’empêcher de se
rapprocher de l’Union euro-
péenne et de l’OTAN. La Géorgie et
la Russie se sont affrontées dans
une courte guerre en août 2008 et
Tbilissi a perdu l’Abkhazie et l’Os-
sétie du Sud, soit 20 % du terri-
toire, occupés depuis par les trou-
pes russes. Trois mois plus tard, le
chef du Kremlin a appelé à « pen-
dre [Saakachvili] par les couilles ».
L’ancien chef de l’Etat géorgien
fait-il aujourd’hui l’objet d’une
vengeance du Kremlin, comme le
suggère Volodymyr Zelensky ? Son
sort inquiète en tout cas aussi en
Moldavie, autre ­ancienne républi-
que soviétique aux aspirations
pour intimider et faire taire des
personnes se trouvant en Grande-
Bretagne et à l’étranger ». Ce à quoi
l’ambassade de Chine à Londres a
immédiatement répondu en en-
joignant aux responsables politi-
ques britanniques de « cesser d’in-
terférer dans les affaires intérieu-
res de la Chine et de Hong­kong ».
Nathan Law, un des militants
hong­kongais les plus connus, a
déclaré : « Je suis juste un Hong­-
kongais qui parle pour les Hong­-
kongais. Nous ne devrions pas
nous limiter nous-mêmes, nous
autocensurer, être intimidés ou
­vivre dans la peur. »
A la suite des manifestations de
2019 en faveur de la démocratie à
Hong­kong, environ 10 000 per-
sonnes ont été arrêtées et 3 000
inculpées. Par ailleurs, depuis la
mise en œuvre de la loi sur la sé-
curité nationale, 207 personnes
ont été arrêtées, 132 inculpées et
87 condamnées. Hong­kong sem-
ble avoir perdu 85 000 habitants
en 2020 et 75 000 en 2021, un
­déficit que les chercheurs expli-
quent à la fois par des raisons po-
litiques, mais aussi par la politi-
que zéro Covid qui prévalait du-
rant cette période.
John Lee est, depuis 2020, sur la
liste des personnes sanctionnées
par l’administration américaine.
On ne sait pas si celle-ci envisage
malgré tout de l’inviter en no-
vembre au sommet de la Coopé-
ration économique pour l’Asie-
Pacifique, qui doit se tenir à San
Francisco – sommet auquel de-
vrait également être invité le pré-
sident chinois, Xi Jinping. p
Frédéric Lemaître
européennes. La présidente, Maia
Sandu, s’est dite « profondément
troublée par les images angoissan-
tes de Mikheïl Saakachvili au tribu-
nal ». Elle a exhorté Tbilissi à « four-
nir d’urgence l’accès à des soins mé-
dicaux vitaux à l’étranger ».
Avant elle, l’UE et les Etats-Unis
avaient déjà appelé les autorités
géorgiennes à lui administrer un
traitement médical approprié.
Mais, jusqu’ici, les autorités géor-
giennes sont restées sourdes à ces
demandes. En février, la résolu-
tion votée par le Parlement euro-
péen appelant à gracier et à libérer
l’ancien dirigeant était, elle aussi,
restée sans réponse. La présidente
géorgienne, Salomé Zourabichvili,
une ancienne diplomate française
arrivée au pouvoir en 2018, grâce à
Bidzina Ivanichvili, a toujours ex-
clu de gracier son prédécesseur,
dont elle fut un temps la ministre.
Mardi, le chef de Rêve géorgien,
Irakli Kobakhidze, a de nouveau
balayé les critiques, décrivant
Mikheïl Saakachvili, avec ironie,
comme une « publicité pour la ré-
section gastrique », une interven-
tion chirurgicale qui enlève tout
ou partie de l’estomac. « C’est
parce que les membres de sa fa-
mille lui apportent délibérément
des aliments peu caloriques », a-
t-il accusé. Dans la soirée, des di-
zaines de manifestants se sont
rassemblées devant l’hôpital, à
l’appel du Mouvement national
uni, fondé par M. Saakachvili,
pour exiger la libération du leader
du principal parti d’opposition. p
Faustine Vincent

10 | International
Téhéran
maintient
la pression
sur Stockholm
L’Iran veut récupérer un ancien
procureur incarcéré depuis 2019 en
Suède et condamné à perpétuité
H
amid Nouri n’est pas
un prisonnier, c’est un
otage. » Par la voix de
son chef adjoint du
pouvoir judiciaire, Kazem Ghari-
babadi, Téhéran a de nouveau fus-
tigé la Suède, dimanche 2 juillet,
accusée de détenir « sans preu-
ves et pour des motifs politiques »
un ressortissant iranien et de dé-
fendre les intérêts d’un « groupe
terroriste » : une allusion à l’Orga-
nisation des moudjahidin du peu-
ple iranien, un groupe de l’opposi-
tion en exil. M. Gharibabadi a en-
joint à Stockholm de ne « pas sacri-
fier ses intérêts nationaux au profit
d’un tel groupe ».
Le 14 juillet 2022, Hamid Nouri,
arrêté en Suède, a été condamné à
la prison à perpétuité pour « viola-
tions criminelles et flagrantes des
lois internationales ». Ancien pro-
cureur adjoint de la République is-
lamique d’Ian, il avait été reconnu
coupable d’avoir participé à une
vague d’exécutions de prisonniers
politiques en 1988, au cours de la-
quelle jusqu’à cinq mille oppo-
sants avaient été tués en deux
mois, dont de nombreux mem-
bres des Moudjahidin du peuple.
Depuis cette condamnation, Té-
héran, qui avait jugé le verdict
« fondamentalement inaccepta-
ble » et tenu le gouvernement sué-
dois pour « responsable des dom-
mages causés aux relations bilaté-
rales », ne cesse de hausser le ton
dans l’optique de récupérer
M. Nouri. Dans ses prisons, l’Iran
détient au moins deux ressortis-
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sants suédois. Selon la télévision
suédoise TV4, un haut fonction-
naire d’une organisation interna-
tionale y croupit depuis plus d’un
an. « Daniel », comme l’appellent
ses proches qui ne souhaitent pas
révéler son identité, a été arrêté en
avril 2022, alors qu’il se trouvait en
Iran pour rendre visite à un ami et
qu’il était sur le point de repartir.
Les autorités iraniennes l’accusent
depuis d’espionnage.
Aurait-il été pris en otage en gage
d’un accord d’échange de prison-
niers que Téhéran cherche à impo-
ser, sur le modèle de celui conclu
avec la Belgique, qui a permis la li-
bération d’un de ses agents, dé-
tenu pour terrorisme ?
Le 25 mai, le travailleur humani-
taire belge Olivier Vandecasteele,
42 ans, arrêté en Iran le 24 fé-
vrier 2022 et condamné à qua-
rante ans de détention pour es-
pionnage, a été échangé contre As-
sadolah Assadi, 51 ans, un diplo-
mate iranien en poste à Vienne,
qui fut l’organisateur d’un projet
d’attentat contre les Moudjahidin
du peuple, à Villepinte (Seine-
Saint-Denis), en juin 2018. Une loi
belge de 2022 autorisant le trans-
fèrement de prisonniers vers
l’Iran a permis l’opération.
« Je n’ai rien à dire à ce sujet pour
le moment, car c’est une affaire dif-
ficile et compliquée, et je ne pense
pas que cela faciliterait la situa-
tion », avait réagi le ministre des af-
faires étrangères suédois, Tobias
Billström, le 29 mai. Ce même jour,
les autorités iraniennes affir-
UNE VIE, UNE ŒUVRE
Orwell
dérange
toujours
Rassemblement à Stockholm après la condamnation à perpétuité du magistrat Hamid Noury, le 14 juillet 2022. CHRIS ANDERSON/AFP
maient que des « efforts [étaient]
en cours pour libérer Hamid
Nouri ». Askar Jalalian, directeur
adjoint des affaires internationa-
les et des droits de l’homme au mi-
nistère de la justice iranien, quali-
fiait même de « bonne nouvelle » la
perspective de sa libération.
« Politique d’otages »
« Il [s’agirait] non seulement d’une
grave erreur, mais aussi d’une me-
nace directe pour tous les citoyens
suédois, en particulier ceux qui ont
la double nationalité, met en garde
le député suédois d’origine ira-
nienne Alireza Akhondi. Il est es-
sentiel de souligner que la Républi-
que islamique d’Iran, depuis sa
création, en 1979, a mis en place des
stratégies visant à kidnapper des ci-
toyens d’autres pays, perpétuant
ainsi sa politique d’otages pour ser-
vir ses propres intérêts. »
En août 2022, l’ancien ambassa-
deur d’Iran en Suède Ahmad Ma-
soumifar n’avait pas fait mystère
des intentions iraniennes, en dé-
L’Iran devient membre à part entière de
l’Organisation de coopération de Shanghaï
La République islamique, sous sanctions américaines, confirme le virage à l’est de son régime
L’ Iran sort encore un peu
plus de son isolement.
Mardi 4 juillet, la républi-
que islamique est devenue mem-
bre à part entière de l’Organisa-
tion de coopération de Shanghaï
(OCS), une alliance régionale
nouée à l’origine par la Chine, la
Russie et quatre pays d’Asie cen-
trale pour stabiliser la région, qui
s’est progressivement élargie à
d’autres Etats.
Observatrice de l’instance de-
puis 2005, l’Iran y rejoint
aujourd’hui la Chine, l’Inde, le Ka-
zakhstan, le Kirghizistan, le Pakis-
tan, la Russie, le Tadjikistan et
l’Ouzbékistan. Cette organisation
intergouvernementale à voca-
tion sécuritaire et commerciale
tente de s’imposer pour contrer
l’influence occidentale, non seu-
lement en Asie centrale, mais au-
delà. « L’OCS se place comme un
bloc de puissance économique et
géopolitique, en contrepoids à
l’Occident, dans le but de mettre en
place un ordre mondial multipo-
laire sur la scène internationale »,
explique Hamidreza Azizi, cher-
cheur pour Stiftung Wissenschaft
und Politik, un centre de ré-
flexion à Berlin.
Le président russe, Vladimir
Poutine, a profité du sommet de
l’OCS, organisé, mardi, en visio-
clarant à la radio suédoise qu’il
était possible de discuter d’un
échange de prisonniers avec la
Suède. Cinq mois plus tôt, en
mars 2022, les négociations entre
Belges et Iraniens avaient débou-
ché sur la signature d’un traité de
transfèrement de détenus.
Outre M. Vandecasteele, les auto-
rités belges ont, elles, récemment
obtenu la libération de trois autres
Européens détenus en Iran : deux
Irano-Autrichiens et un Danois,
sortis de prison le 2 juin, puis rapa-
triés vers Bruxelles. Le Danois Tho-
mas Kjems, qui a côtoyé « Daniel »
en détention, dans la prison
d’Evin, dans le nord de Téhéran, a
peu de doutes sur les raisons qui
ont conduit le Suédois en prison.
« Les personnes n’ayant que la na-
tionalité suédoise, ou comme moi
n’ayant que la nationalité danoise,
sont considérées comme une sorte
de monnaie qui peut être utilisée
dans les échanges de prison-
niers. C’est pourquoi ils ne nous tou-
chent pas à l’intérieur de la prison.
« L’OCS se place
comme un bloc
de puissance
économique
et géopolitique,
en contrepoids
à l’Occident »
Hamidreza Azizi
chercheur
conférence par l’Inde, actuelle-
ment à la tête de l’organisation,
pour en remercier les membres
pour le « soutien [apporté] aux ac-
tions des autorités russes visant à
défendre l’ordre constitutionnel,
la vie et la sécurité des citoyens »
lors de la rébellion de la société
paramilitaire Wagner, les 23 et
24 juin. « La Russie résiste de ma-
nière sûre et continuera de résister
face aux pressions extérieures,
aux sanctions et aux provoca-
tions », a-t-il ajouté.
En devenant membre de cette
alliance, Téhéran confirme son vi-
rage vers l’est, alors que le pays
fait l’objet de sanctions américai-
nes en raison de son programme
nucléaire et qu’il est confronté à
un isolement accru de la part de
« Les personnes
n’ayant que
la nationalité
suédoise sont
considérées
comme une sorte
de monnaie »
Thomas Kjems
ancien prisonnier danois
Les Iraniens sont traités plus dure-
ment », témoignait-il, le 20 juin,
dans une enquête de TV4.
Outre « Daniel », Téhéran détient
Ahmad Reza Jalali, un professeur
de l’Université libre de Bruxelles,
médecin suédo-iranien, arrêté en
Iran en 2018 et condamné à mort
pour espionnage. Dans une série
de documents piratés par un
groupe de hackeurs baptisé
« Ghyam Sarnegouni » (« du soulè-
vement au renversement »), pro-
l’Occident, notamment après la
répression brutale des manifes-
tants depuis septembre 2022. Les
pourparlers pour sauver l’accord
sur le nucléaire iranien, caduc
­depuis le retrait unilatéral de
Washington en 2018, n’ont, pour
le moment, donné aucun ­résultat.
Par ailleurs, Téhéran ne cesse de
renforcer ses liens ­économiques
et diplomatiques avec la Chine et
la Russie. Pékin a également
œuvré au rapprochement entre
Téhéran et Riyad, en mars. Les
deux rivaux régionaux n’avaient
pas de relations depuis 2016.
Victoire pour l’aile dure
Dans ce contexte, l’adhésion de
Téhéran à l’Organisation de coo-
pération de Shanghaï est célébrée
par les conservateurs du régime,
aujourd’hui à la tête de toutes les
instances du pays. Mardi, le
­quotidien ultraconservateur
Kayhan a félicité le gouvernement
du président Ebrahim Raïssi, ap-
partenant lui aussi à l’aile dure,
pour cette victoire diplomatique.
« Sans accord nucléaire (…), nous
sommes devenus membres offi-
ciels de Shanghaï », a titré le quoti-
dien. Le même journal a critiqué
l’ancien gouvernement d’Hassan
Rohani pour avoir préféré négo-
cier avec les Occidentaux.
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
che des Moudjahidin du peuple,
Ahmad Reza Jalali apparaît
comme un pion dans la stratégie
des pressions iraniennes. Des cen-
taines de procès-verbaux de réu-
nions, des correspondances mi-
nistérielles figurent parmi ces in-
formations subtilisées par Ghyam
Sarnegouni. Le ministère des affai-
res étrangères iranien a reconnu,
le 7 mai, l’attaque des hackeurs.
Dans un document interne du
ministère, daté du 22 janvier, il est
ainsi suggéré « d’échanger Ahmad
Reza Jalali contre Hamid Nouri. A
cet égard, si un échange entre Jalali
et Nouri est accepté (…), il peut être
présenté sous un motif humani-
taire, sans même prétendre que
nous l’avons échangé contre Ha-
mid Nouri ». Datée du 11 novem-
bre 2022, une note du cabinet du
président iranien, Ebrahim Raïssi,
demande explicitement au mi-
nistère des affaires étrangères de
« travailler à un traité d’extradition
avec la Suède ». p
Madjid Zerrouky
Pour l’analyste énergétique
Umud Shokri, l’adhésion de l’Iran
à l’OCS est peu susceptible de favo-
riser le redressement de son éco-
nomie, en difficulté. « Si Téhéran
n’était pas sous le coup des sanc-
tions américaines, son adhésion
serait la plus grande victoire diplo-
matique de la présidence d’Ebra-
him Raïssi, explique le chercheur.
Or, compte tenu des problèmes en-
démiques des industries iraniennes
[leur usure et leur insuffisance], la
poursuite de l’embargo américain
et l’issue incertaine des négocia-
tions nucléaires, cette adhésion n’a
qu’une valeur symbolique et est
bonne uniquement à être brandie
et vantée à l’intérieur pays. »
Selon les autorités iraniennes,
l’industrie nationale du pétrole et
du gaz naturel aura besoin de
160 milliards de dollars (147 mil-
liards d’euros) dans les huit pro-
chaines années pour empêcher
que le pays ne devienne un Etat
importateur. « Que l’Iran soit
membre à part entière de l’OCS ou
pas n’aura pas d’effet sur cela tant
que les sanctions américaines sont
en place, car l’Iran est incapable de
profiter des technologies et des in-
vestissements chinois pour déve-
lopper ses infrastructures », sou-
tient Umud Shokri. p
Ghazal Golshiri
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Deux heures dans Jénine
avec l’armée israélienne
En deux jours d’opération, les militaires disent avoir
affaibli le principal bastion de la résistance armée en
Cisjordanie, au risque d’attiser la colère palestinienne
Jénine - envoyé spécial
R
endez-vous est donné,
mardi 4 juillet, avec des
commandants israé-
liens de la division de
« Judée samarie » (la Cisjordanie
occupée) au point de contrôle de
Salem, porte d’entrée d’Israël
vers la grande cité palestinienne
de Jénine. C’est là que leurs hom-
mes conduisent, depuis lundi, la
plus vaste opération de l’armée
en Cisjordanie depuis vingt ans.
Dans quelques heures, Israël si-
gnalera leur retrait. Bilan : douze
Palestiniens tués et quinze bles-
sés sévèrement. Mardi soir, un
soldat israélien a aussi été tué à
Jénine, durant le retrait.
Franchissant la barrière jaune
de Salem mardi, les comman-
dants sont fiers de leur nouvelle
acquisition, un petit transport de
troupes Tigris, blindé, vif et cli-
matisé, tout juste sorti des usines
du kibboutz Sasa, en Gallilée, qui
fit fortune dans les années 2000
en fournissant l’armée améri-
caine en blindages pour ses guer-
res en Irak et en Afghanistan.
Ils emmènent à Jénine des jour-
nalistes israéliens et, cela est
rare, trois étrangers – deux Bri-
tanniques et un Français – en
deux petits convois. L’armée is-
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raélienne n’invite jamais la
presse à accompagner ses soldats
en opération. Au printemps
2022, l’un de ses snipers a tué une
journaliste d’Al-Jazira à Jénine,
Shireen Abu Akleh. Il n’a pas été
poursuivi en justice.
L’armée entend aujourd’hui
­démontrer que le camp de réfu-
giés de Jénine n’est plus une for-
teresse, un sanctuaire pour des
insurgés venus de toute la Cisjor-
danie, et le cœur d’une insurrec-
tion qui s’épuise lentement, face
à la répression qu’elle mène de-
puis deux ans.
Un millier d’hommes dépêchés
La route qui relie Salem à Jénine
est bordée de villages. Toute la ré-
gion s’est enfermée chez elle dès
lundi. Quelques commerces ont
rouvert depuis, des voitures sla-
loment à travers les feux de
pneus et les amas de pierraille
dispersés sur la route. A l’entrée
de Silat Al-Harithiya, de très jeu-
nes garçons caillassent les Tigris.
Les soldats descendent sur l’as-
phalte et les dispersent en tirant
des grenades assourdissantes.
Plus loin, une bombe artisanale
explose sous le pare-chocs d’un
blindé léger israélien, abîmant
ses pneus avant. Nouvel arrêt. Le
véhicule poursuit sur ses jantes.
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International | 11
pêché une force importante, un
millier d’hommes sur quatre
axes, tous d’active, issus de la bri-
En acceptant
des journalistes,
de mètres. L’armée n’a pas im-
posé de couvre-feu, mais la ville
s’est cloîtrée d’elle-même, face à
gade nord et des commandos. l’assaut. Elle nie aussi avoir chassé
Les 200 à 300 insurgés du camp
l’armée entend les habitants du camp (plusieurs
ont disparu après quatre heures démontrer milliers l’ont quitté durant les
de combats, surprenant les mili- combats). Elle a fermé les accès
taires, qui prévoyaient une véri-
que le camp de depuis Israël vers Jénine lundi
table résistance.
« Les 15 ou 20 plus importants
Jénine n’est plus matin, mais elle a laissé passer en
sens inverse quelque 4 000 habi-
une forteresse
ont probablement quitté le camp.
Les autres ont laissé leurs armes
tants de la ville qui disposent d’un
permis de travail en Israël.
derrière eux », estime le contre-
amiral Daniel Hagari, principal L’opération a pour but de briser
Cette distinction entre civils et
combattants est en partie rhétori-
porte-parole de l’armée. Seuls de les défenses du camp et de per- que : depuis deux ans, les quelque
jeunes militants ont combattu et mettre à l’armée d’y entrer à sa 14 000 habitants du camp comp-
Le lieutenant-colonel Richard été tués, habitants d’un camp qui guise à l’avenir. L’armée renonce tent leurs morts et perdent tout
Hecht, qui assume avec résigna- subit depuis 2022 des raids de ainsi à prétendre qu’elle respec- espoir. Ce raid leur indique que
tion depuis un an la difficile tâ- l’armée chaque semaine. Les dro- tera à moyen terme la maigre l’armée est en mesure de retour-
che de porter en anglais, pour nes israéliens ont largué plus de souveraineté de l’Autorité pales- ner comme elle l’entend dans le
l’étranger, la parole de l’armée, dix bombes de 15 à 20 kilos. tinienne et de ses forces de sécu- camp et l’ensemble de la ville.
échoue à boutonner son casque Mardi, les soldats achevaient rité sur Jénine. L’Etat d’Israël Le porte-parole Hagari recon-
et désespère : « J’ai une trop de ratisser ce quartier d’un demi- ­renie ses vagues engagements naît qu’ « une armée ne peut pas
grosse putain de tête. » kilomètre carré. En son cœur, es- auprès de Washington, qui a en- vaincre le terrorisme » – une décla-
Pénétrant dans Jénine par la rue cortée par des membres des com- traîné depuis début 2022 des cen- ration rare en Israël, qui sous-en-
Haïfa, les blindés butent sur des mandos, l’armée nous montre taines de troupes de choc palesti- tend la nécessité d’une solution
dizaines de jeunes Palestiniens : une cache d’armes souterraine niennes, dans l’espoir qu’elles se politique au conflit, au moment
barrages, jets de pierres, d’ordu- dans une maison détruite, et les déploient ici. où le gouvernement assume une
res et d’huile, quelques tirs. Le restes du système de surveillance forme d’annexion pure et simple
raid israélien menace autant les vidéo de ce discret centre de com- Cycle sans fin d’opérations des territoires. L’officier assure
habitants du camp, où les com- mandement. Les soldats affir- L’armée israélienne s’inscrit dans qu’une diminution de la lutte ar-
bats se sont vite éteints, que ceux ment avoir saisi des centaines un cycle sans fin d’opérations à Jé- mée apporterait des emplois en
qui vivent sur les lignes de circu- d’explosifs improvisés, des fusils, nine, menées par des comman- Israël aux habitants de Jénine.
lation des blindés au cœur de la de l’argent. Ils disent avoir dants devenus pour certains L’armée espère que cette opéra-
grande ville, et dans les ruelles où ­détruit des « laboratoires », dans chefs d’état-major et ministres de tion incitera les insurgés des
ils slaloment. Un adulte palesti- une ville où la résistance a expé- la défense. Les gradés comparent camps de réfugiés de Naplouse et
nien apeuré se recroqueville der- rimenté, selon l’armée, des l’opération en cours à celle de Tulkarem à faire profil bas. Elle
rière une palissade de tôle, espé- ­drones d’attaque et des roquettes 2002, qui a fait 53 morts palesti- entend toutefois y poursuivre
rant s’y rendre invisible. rudimentaires. niens en une semaine, et 23 Israé- ses raids « réguliers », au fil
Douze blindés stationnent sous L’armée estime avoir durable- liens – un prix jugé alors déme- d’une répression massive qui
le quartier général improvisé des ment affaibli les capacités des suré. L’armée avait estimé à l’épo- dure depuis le printemps 2022 :
commandos, à deux ruelles de ­insurgés, qu’elle accuse d’avoir que à tort que la destruction du à Naplouse, elle arrête encore
l’hôpital public, la principale en- mené cinquante attaques contre camp briserait la résistance. Une sept à dix personnes chaque se-
trée du camp. Alors que le haut des Israéliens en 2023, dans les prédiction erronée. Elle se targue maine. La hiérarchie militaire
gradé qui nous accompagne (l’ar- colonies et en Israël. Elle espère aujourd’hui d’avoir mené une se satisfait que son raid n’ait pas
mée impose son anonymat) sort que des assaillants issus d’autres opération ciblée. suscité de manifestations de pro-
de son véhicule, des tirs retentis- villes cesseront de venir se ca- Ses bulldozers ont ravagé des testations importantes en Cisjor-
sent, le forçant à s’abriter briève- cher à Jénine après leurs atta- rues entières. C’était, affirment danie ou ailleurs. Un attentat a
ment derrière un blindé. Israël a ques. Ils ont arrêté 200 person- les militaires, pour désamorcer blessé huit personnes à Tel-Aviv,
lancé sa première frappe de nes, et 28 ont été emprisonnées. des bombes artisanales, action- et quelques roquettes ont été
drone sur le camp lundi vers Cette démonstration de force nées parfois depuis les immeu- ­tirées de Gaza. p
1 heure du matin. Puis elle a dé- est aussi un constat d’échec. bles par des fils longs de dizaines Louis Imbert
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­Jeudi 6­ juillet 2023

Le « moment écologique » de Macron reporté

Compte tenu des violences urbaines, le chef de l’Etat a repoussé ses annonces sur la planification écologique

C
e devait être un jour im-
portant pour les acteurs
de la cause climatique.
Emmanuel Macron al-
lait-il enfin s’attaquer au « combat
du siècle », pour reprendre ses
mots prononcés lors de l’entre-
deux-tours de l’élection présiden-
tielle de 2022 ? Allait-il endosser
l’ensemble de la transition écolo-
gique, avec ses contraintes, ses es-
poirs aussi ? Mercredi 5 juillet, le
président de la République devait
bien tenir une « réunion de tra-
vail » avec ses ministres sur la
question de la planification écolo-
gique. Mais il n’y aura pas de grand
discours ou de prise de parole dé-
taillée du chef de l’Etat, comme
cela était envisagé. « Il n’y aura pas
de communication du plan. Le faire
maintenant ne serait pas à la hau-
teur de l’importance de ce dossier
pour les Français et du travail
fourni depuis un an sur le sujet »,
argumente l’Elysée en ne préci-
sant pas encore à quelle échéance
ce discours est reporté.
Depuis quelques jours, l’entou-
rage du président réfléchissait à
l’opportunité de maintenir cette
séquence à cause des émeutes qui
accaparent les équipes de l’exécu-
tif et mobilisent l’attention des
Français. Tout avait pourtant été
calé. Vendredi 30 juin, plusieurs
réunions budgétaires étaient pro-
grammées. Ce week-end, les der-
niers arbitrages devaient être ren-
dus par Matignon et surtout par
l’Elysée. Lundi et mardi, le « narra-
tif » et les mots prononcés par le
chef de l’Etat devaient être écrits. Emmanuel Macron lors de la COP27, au Centre international des congrès, à Charm El-Cheikh, en Egypte, le 7 novembre 2022. LUDOVIC MARIN/AFP
Et puis les incendies et les pillages
ont contraint les macronistes à an-
nuler tous ces rendez-vous. très attendu. Entre la fin de la ré- nouveaux objectifs de tous les mais une méthode de pilo- au Monde Corinne Le Quéré, prési-
forme des retraites et la présenta-
« Le pans de la société. En allant très tage pour réussir les transforma- dente du Haut Conseil pour le cli-
Fenêtre de tir tion du prochain budget à gouvernement loin dans les détails. Le SGPE a tions nécessaires. Et s’ils refusent mat, lors de la remise du cin-
« Il ne faut pas y voir un blocage ou l’automne, les macronistes inté- ainsi commencé à publier des do- l’obstacle, on saura en temps réel quième rapport annuel de l’ins-
des désaccords entre nous, expli- ressés par ce sujet avaient identifié
devrait rehausser cuments très précis – sur l’éner- où et comment nous ratons notre tance indépendante.
que le député européen Pascal cette période comme la plus pro- le niveau des gie, les transports, l’agriculture, rendez-vous avec l’histoire… » Jusqu’où ira Emmanuel Macron ?
Canfin, missionné par le parti Re- pice pour lancer les chantiers cli- les bâtiments – dans lesquels l’Ely- Grâce à ce minutieux travail, le Il y a quelques semaines, plusieurs
naissance pour plancher sur le fi- matiques. Le 22 mai, la première
actions dès cette sée et Matignon peuvent piocher chef de l’Etat dispose de toutes les de ses proches assuraient qu’il
nancement de la transition. Mais ministre avait déblayé le terrain en année » des outils clés en main pour an- données pour décider. Et les ac- voulait présenter un plan global
défendre quelque chose d’aussi im- présentant devant le conseil natio- noncer les choses concrètes aux teurs du climat mettent la pres- précis, avec un discours mobilisa-
Corinne Le Quéré
portant dans ce contexte très par- nal de transition écologique les Français et aux entreprises. sion sur l’Elysée. « Si le conseil teur. Depuis dix jours, les acteurs
présidente du Haut Conseil
ticulier n’aurait pas été approprié. trajectoires de baisse des émis- Dans des documents mis en li- doit apporter des éclaircissements de ce dossier dans les ministères
pour le climat
Tout cela va être recalé. » sions de CO2 secteur par secteur. gne, le SGPE décrit ainsi des « pro- sur les nouvelles mesures prévues à dégonflaient cette ambition en ex-
Encore une fois, le réchauffe- Un préalable pour atteindre l’ob- positions d’évolution » pour ren- court terme pour que ces trajectoi- pliquant que ce conseil de la plani-
ment climatique, sujet de long jectif affiché pour 2030 : une dimi- dre plus efficace le malus au poids res deviennent réalité, il devra aussi fication était surtout destiné à affi-
terme aux conséquences de plus nution de 55 % par rapport au ni- loppement durable de l’Assem- sur les ventes de voitures. Ou répondre à une question qui est dé- cher un effort en matière de finan-
en plus urgentes, est rattrapé par veau de 1990, soit 270 millions de blée nationale. Je n’ai aucun doute. dresse par exemple une hiérarchi- sormais tout en haut de l’agenda cement, tout en dévoilant quel-
une autre actualité encore plus tonnes équivalent CO₂, contre Macron veut y aller et s’en emparer. sation des usages de la biomasse politique : comment le gouverne- ques nouvelles mesures. Une
brûlante. Déjà, jeudi 25 mai, le pré- 408 millions en 2022. Et tout le Il y a une fenêtre de tir pour la tran- locale pour savoir quels secteurs ment entend-il financer cette tran- façon de répondre au rapport de
sident de la République avait dû monde espérait maintenant un sition écologique et un espace poli- devraient être prioritaires. sition ? », a déclaré Benoît Leguet, Jean Pisani-Ferry et Selma Mah-
annuler un déplacement dans le « portage » politique pour com- tique entre une droite dans le déni directeur général d’I4CE, l’institut fouz, qui préconise des investisse-
Var, en partie consacré à l’écologie mencer à embarquer la société. climatique qui défend le diesel et Toutes les données pour décider de l’économie pour le climat, ven- ments privés et publics à hauteur
pour se rendre à un hommage na- « Il faut afficher le plan d’action, une gauche qui prône une ribam- « Le saut quantique dans la qua- dredi, quelques heures avant que de 66 milliards d’euros en 2030. Le
tional aux trois gardiens de la dire comment ça va transformer le belle d’interdictions. » lité du travail de l’administration, tous les rendez-vous de l’exécutif SGPE aurait aimé que la trajectoire
paix du commissariat de Roubaix quotidien des Français et de tous Ce jour du 5 juillet devait donc notamment grâce au SGPE, est ne soient annulés. « Il reste moins financière soit gravée dans le mar-
(Nord), tués dans une collision les secteurs avec des choix concrets, être le moment Macron. D’autant manifeste, explique Matthieu de sept ans, c’est très court. Le gou- bre jusqu’en 2027. M. Macron et
avec un chauffard alcoolisé et des alternatives et pas seulement plus que le Secrétariat général à la Auzanneau, directeur du think vernement devrait rehausser le ni- Bercy étaient plutôt convenus
sous l’emprise de stupéfiants. des contraintes, affirmait Jean- planification écologique (SGPE), tank The Shift Project. Cela ne veau des actions dès cette année, d’annoncer seulement le budget
Ce conseil de planification, pro- Marc Zulesi, président Renais- dirigé par Antoine Pellion, avait pourra se faire sans prendre des même avant l’adoption formelle climatique de l’année prochaine. p
grammé de longue date, était donc sance de la commission du déve- planché pendant des mois sur les mesures : nos élus ont donc désor- des nouveaux objectifs », confiait Matthieu Goar

Nouvelle phase pour la formation des fonctionnaires à la transition

A partir de septembre, 25 000 cadres de la fonction publique seront sensibilisés aux enjeux environnementaux, avec l’appui de chercheurs

L a formation des fonction-

naires à la transition écolo-
gique entre dans une nou-
velle phase. A partir de septembre
et jusqu’en 2024, quelque
25 000 cadres supérieurs de la
fonction publique d’Etat, à raison
de 3 000 personnes par mois, de-
vront être sensibilisés. Mardi
4 juillet, Stanislas Guerini, minis-
tre de la transformation et de la
fonction publique, a réuni une
quinzaine de scientifiques pour
tirer un premier bilan des jour-
nées déjà suivies par 200 hauts
fonctionnaires des directions
centrales. « On peut déjà tirer des
enseignements du premier niveau
hiérarchique sur lequel on s’est fait
la main, a-t-il décrit. Nous devons
faire moins de sensibilisation et
être plus rapidement opération-
nel, plus concret. Deuxième ensei-
gnement, il y a un vrai besoin de
connexion avec les réseaux locaux
de scientifiques. »
Après la formation de ces cadres
supérieurs viendront le tour, d’ici
à 2025, des 41 000 cadres des trois
fonctions publiques puis, avant la
fin du quinquennat, celui des
quelque 5,6 millions d’agents pu-
blics. Fin août, 200 ambassadeurs
venus à Paris pour leur conférence
annuelle devront prolonger leur
séjour pour la suivre également.
Il s’agit de vingt-huit heures ré-
parties en trois phases : conféren-
ces scientifiques, ateliers et visites
de terrain. La formation s’articule
autour des trois grandes crises
écologiques : climat, biodiversité
et ressources naturelles. La parti-
cularité du dispositif est de s’ap-
puyer sur un réseau scientifique et
universitaire. Apporter l’expertise
scientifique aux fonctionnaires,
les aider à changer parfois leur lo-
giciel fait partie des objectifs de la
formation. « Il s’agit bien de chan-
ger le centre de gravité de la fonc-
tion publique, d’aider les agents
qui, dans leur travail au quotidien,
doivent faire des arbitrages », expli-
que M. Guerini au Monde.
Au total, 1 500 chercheurs et doc-
torants ont déjà répondu à l’appel
de M. Guerini et de Sylvie Re-
tailleau, ministre de l’enseigne-
ment supérieur et de la recherche.
Le 30 mai, ils avaient écrit aux pré-
sidents d’université, d’organisme
de recherche, etc., afin que ces
« établissements prennent toute
leur place dans ce grand chantier de
formation », voyant là « une oppor-
tunité de placer la science au cœur
de l’administration publique ».
« Débat apaisé »
Cette reconnaissance est, évidem-
ment, appréciée. « Notre pluridis-
ciplinarité répond aux différents
aspects du problème, et notre ré-
seau territorial permet d’adapter
nos réponses », estime Luc Abba-
die, vice-président du conseil
scientifique de l’Office français de
la biodiversité et membre du
groupe d’appui à la formation.
Mais il arrive que les scientifi-
ques soient en désaccord entre
eux. « Comment gérer le débat
scientifique ? Il existe des contro-
verses. Comment éviter des débats
stériles, comme sur le Covid-19 ? »,
s’est ainsi interrogé Jacques Gi-
gnoux, chercheur spécialiste des
écosystèmes. « Notre rôle est de
nous appuyer sur l’état des
­connaissances, les travaux du
GIEC [Groupe d’experts intergou-
vernemental sur l’évolution du
climat], de l’IPBES [plate-forme in-
tergouvernementale scientifique
et politique sur la biodiversité et
les services écosystémiques] ou
encore du HCC [Haut Conseil pour
le climat], d’être présents aussi
comme producteurs de la connais-
sance », répond le climatologue
Robert Vautard.
L’apport scientifique permet
aussi de sortir des affrontements
manichéens, avance Emma Ha-
ziza, spécialiste de l’eau, qui est
­intervenue sur le cycle de l’eau et
le dossier des bassines, en février,
quelques semaines avant la mo-
bilisation contre les mégabassi-
nes du 25 mars à Sainte-Soline
(Deux-Sèvres). « La cinquantaine
de membres des directions centra-
les présents m’a ­entendu expliquer
comment ces bassines allaient
bouleverser le ­cycle de l’eau, leur
fonctionnement et leurs consé-
quences. Un débat apaisé a pu
avoir lieu », relate-t-elle. p
Rémi Barroux
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­Jeudi 6­ juillet 2023 Planète | 13

L’extension de
la zone basses
émissions de
Londres critiquée
La justice doit se prononcer sur la
mesure de lutte contre la pollution
de l’air défendue par Sadiq Khan

Londres - correspondante sions dans Londres, dès 2015.

Mais c’est son successeur qui a

U
ne grosse cinquan-
taine de manifes-
tants se sont rassem-
blés, mardi 4 juillet,
devant la Haute Cour de justice de
l’Angleterre et du Pays de Galles,
au cœur de Londres. Tous sont de
fervents opposants au projet du
maire de la capitale britannique,
Sadiq Khan, d’étendre la zone de
basses émissions (ULEZ, pour « ul-
tra low emission zone »), inaugu-
rée dans le centre de la métropole
en 2019, à l’ensemble du Grand
Londres, soit à ses trente-deux
­boroughs (arrondissements) à
partir du 29 août.
Un recours en justice a été lancé
début 2023 par cinq conseils mu-
nicipaux des boroughs concernés
par l’extension (tous à majorité
conservatrice) pour bloquer le
projet du travailliste Sadiq Khan.
Ils contestent le processus de dé-
cision (le maire a donné son feu
vert malgré une consultation pu-
blique aux ­conclusions plutôt ré-
servées). Ils dénoncent aussi un
système ­d’indemnisations pour
les automobilistes jugé trop peu
généreux. Les juges pourraient
rendre leur décision dès mercredi
5 juillet, mais plus probablement
dans le courant de l’été. Il s’agit
d’un test crucial pour Sadiq Khan,
qui espère être réélu pour un
­troisième mandat en 2024.
C’est l’ex-premier ministre Boris
Johnson, maire de Londres entre
2008 et 2016, qui a eu l’idée d’ins-
taurer une zone de basses émis-
mis le projet en œuvre. Les véhi-
cules – voitures, camionnettes ou
deux-roues – qui n’entrent pas
dans les critères de basses émis-
sions sont soumis à une taxe jour-
nalière de 12,50 livres sterling
(14,60 euros), quand ils circulent
dans la zone ULEZ.
Transports publics coûteux
Les véhicules exemptés doivent
correspondre au standard Euro
4 d’émissions d’oxyde d’azote
quand ils sont à essence (soit des
modèles postérieurs à 2006) ou à
la norme Euro 6 pour les diesel
(modèles postérieurs à 2016). Les
voitures hybrides sont soumises
aux mêmes standards d’émis-
sions. Il y a des exemptions pour
les taxis, les camions de livraison
ou les véhicules pour personnes
handicapées. A partir du 29 août,
si l’extension de l’ULEZ n’est pas
bloquée par la justice, 5 millions
de Londoniens supplémentaires
devront s’y conformer.
Selon TfL, l’entreprise de ges-
tion des transports londoniens,
un véhicule sur six ne serait pas
conforme dans le Grand Londres.
Dans un communiqué datant de
juillet 2022, Sadiq Khan vantait la
réussite de l’ULEZ et estimait que
les concentrations en dioxyde
d’azote dans le centre de Londres
avaient reculé de 44 %.
Devant la Haute Cour, mardi
matin, ces arguments étaient ru-
dement balayés. Alan Miller, un
des initiateurs du rassemblement
Mobilisation contre l’extension de la zone de basses émissions, à Londres, le 25 juin. HENRY NICHOLLS/AFP
« anti-ULEZ », fondateur d’un col-
lectif (Together) né pendant la
pandémie de Covid-19 en opposi-
tion aux confinements, estime
qu’« on ne pense pas à tous ceux
qui ne sont pas des Londoniens,
mais vont être affectés par l’exten-
sion de l’ULEZ, quand ils auront des
déplacements dans la capitale ». Le
militant pense que le maire « veut
récupérer plus de taxes alors que
les gens ordinaires souffrent déjà
du coût de la vie ».
Nick Arlett, 72 ans, un habitant
de Bromley (Grand Londres), arti-
san à la retraite, insiste sur la mo-
destie du fonds d’aide aux Londo-
niens pour mettre leur véhicule
en conformité (110 millions de li-
vres sterling) : « Vous ne bénéficiez
que de 2 000 livres d’aides si vous
voulez acquérir une voiture com-
patible avec l’ULEZ. Mais il faut
avancer le reste ! » Dans la manifes-
tation se mêlent des sympathi-
sants du Parti conservateur, mais
aussi de formations nées pendant
la pandémie, la Freedom Alliance
ou le parti Reclaim, très à droite de
l’échiquier politique britannique.
L’extension de l’ULEZ n’est pas
populaire : selon un sondage pu-
blié mi-mai par l’organisme More
in Common, 39 % des sondés sur
Londres approuvent l’ULEZ, mais
35 % désapprouvent. Selon une
autre étude, réalisée par le cabinet
Redfield & Wilton en juin, 59 %
des personnes interrogées sont
opposées au projet d’extension.
Tournure très politique
Il faut dire que remplacer sa voi-
ture, pour les habitants des con-
fins de Londres, n’est ni bon mar-
ché ni évidente. Les transports pu-
blics londoniens sont particuliè-
rement coûteux (il faut compter
plus de 10 livres l’aller-retour de
Uxbridge, au nord-ouest, à West-
minster). Et, en l’absence de pistes
cyclables hors du centre, faire du
vélo est une expérience périlleuse.
Lors d’une interview au Monde
et à plusieurs autres journaux
européens fin juin, Sadiq Khan a
défendu son projet : « Le but de
l’ULEZ est de limiter la pollution de
l’air, qui tue davantage que les can-
cers du poumon liés au tabac.
« Nous avions
le même type
de déni avec
le tabac »
Sadiq Khan
maire de Londres
L’ULEZ fonctionne, c’est pour cela
que nous voulons l’étendre. L’ar-
gent des taxes pour les véhicules
non conformes ira à l’améliora-
tion de nos transports publics. »
Le sujet lui tient à cœur : Sadiq
Khan est asthmatique et a pu-
blié en 2022 un ouvrage intitulé
Breathe (« respire ») sur ses efforts
d’édile pour répondre à l’urgence
climatique. « Nous avions le
même type de déni avec le tabac.
La bonne nouvelle, c’est qu’il y a
une majorité silencieuse pour
l’ULEZ. Ceux qui protestent sont
bruyants mais minoritaires », as-
sure Sadiq Khan.
L’ULEZ ne compte pas que des
opposants. Ferme soutien, Je-
mima Hartshorn, la fondatrice de
l’association Mums for Lungs
(« des mamans pour des pou-
mons »), citée par l’agence Reu-
ters, observe que ce sont souvent
les plus démunis qui souffrent le
plus de la pollution de l’air. La
­militante Rosamund Adoo-Kissi-
Debrah, dont le décès de la petite
fille asthmatique, en 2013, a été at-
tribué par la justice à la pollution
de l’air (la famille vivait le long de
la South Circular, la rocade sud),
­soutient, elle aussi, l’extension de
l’ULEZ, mais réclame plus
­d’argent public pour le fonds
d’aide aux automobilistes.
L’extension de la zone a pris une
tournure très politique, les
­conservateurs s’affichant contre,
pour limiter leur probable défaite
à Uxbridge, la circonscription de
Boris Johnson remise en jeu le
20 juillet après la démission de
l’ex-dirigeant du gouvernement.
« Ils veulent en faire un référendum
sur l’ULEZ parce qu’ils ont honte de
défendre leurs treize années au
pouvoir », assure Sadiq Khan. p
Cécile Ducourtieux

Une microalgue toxique présente sur la côte basque

La prolifération d’« Ostreopsis », déjà présente en Méditerranée, peut provoquer céphalées, fièvres ou maux intestinaux

P rolifération d’algues re-

pues d’engrais azotés et
perte d’oxygène ; micro-
plastiques invisibles et déchets qui
s’accumulent, transformant en
véritables décharges des canyons
de Méditerranée par 2 000 mètres
de fond ; contaminants chimiques
par centaines de milliers, sans
compter les nouveaux qui ne ces-
sent d’être créés… L’océan est
« sous pression », agressé de toutes
parts, ont souligné, jeudi 4 juillet,
les chercheurs de l’Institut fran-
çais de recherche pour l’exploita-
tion de la mer (Ifremer), dans une
conférence consacrée à « l’état du
milieu marin dans l’Hexagone ».
David Devreker, chercheur en
écologie marine au Laboratoire
environnement ressources de
Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Ca-
lais), rapporte « une légère amélio-
ration des teneurs en phosphate à
l’échelle de l’Atlantique Nord-Est :
elles ont fortement diminué dans
la décennie 1980-1990, mais sta-
gnent depuis ». Les problèmes
d’eutrophisation demeurent et
génèrent des développements de
microalgues, observables du ciel.
Le phénomène touche désor-
mais un quart de la bande côtière
(jusqu’à 1 mille nautique) de la
mer du Nord à la Manche – en
particulier les baies de la Somme
et de la Seine et la Bretagne nord.
Impossible par ailleurs de déter-
miner l’évolution des marées
d’algues vertes, qui varient beau-
coup d’une année sur l’autre,
mais qui sont toujours présen-
tes en Bretagne et en Normandie,
du côté de Barfleur et de la baie
de Seine.
Si les littoraux du Sud-Ouest
sont moins touchés par ces proli-
férations, le Pays basque est con-
fronté depuis quelque temps à
une microalgue particulière : Os-
treopsis, toxique lors d’épisodes
d’efflorescence (prolifération). Ve-
nue des pays tropicaux, elle s’est
d’abord installée sur le littoral de
Méditerranée. Mais elle semble
également avoir trouvé un habi-
tat à son goût sur la côte basque,
où elle s’est manifestée de façon
précoce dès le printemps cette an-
née. Dans le sud du golfe de Gas-
cogne, depuis 2020, 900 person-
nes – plus de 600 durant le mois
d’août 2021 – se sont plaintes de
symptômes variés très probable-
ment liés à ce dinoflagellé.
Elles ont ressenti un goût métal-
lique caractéristique dans la bou-
che, ainsi que toux, fourmille-
ments, irritations de la sphère ORL
et des yeux, céphalées, fièvre, diffi-
cultés respiratoires, nausées, diar-
rhées, rougeurs, démangeaisons,
saignements de nez… Ces effets
disparaissent généralement au
bout de deux ou trois jours et
aucun cas grave n’a été signalé.
Saisie par les autorités de santé,
l’Agence nationale de sécurité sa-
nitaire de l’alimentation, de l’en-
cumuler à la surface de l’océan,
formant des fleurs d’eau visibles à
l’œil nu. Il semble que le mode
principal de contamination des
humains et des animaux soit l’in-
de toxicovigilance. Au chapitre
des réponses, les experts suggè-
rent de se laver les mains, de se sa-
vonner sous la douche, de consul-
ter éventuellement un médecin,
survivre à l’hiver, suggère Philipp
Hess. Et les nutriments apportés
par les fleuves et par l’agriculture
peuvent aussi jouer. »
Dès le mois de mai, la microalgue
vironnement et du travail (Anses) halation, sans exclure l’ingestion de bien éviscérer les poissons pê- était déjà présente sur la côte bas-
a rendu en juin un avis sur les ou la voie cutanée, selon l’Anses. chés avant de les manger, voire de que, selon la communauté d’ag-
« risques pour la santé humaine C’est ainsi que de nombreux pro- fermer les plages. glomération du Pays basque, qui
liés aux proliférations d’Ostreop- meneurs sur le littoral italien ont procède à des analyses d’échan-
sis sur le littoral basque ». S’ap- pu être atteints lors de fortes pro- Alerte lancée par les surfeurs tillons deux fois par semaine, de-
puyant sur la littérature scientifi- liférations, en 2005. On ne sait pas encore tout de l’es- vant plusieurs sites. Aucune efflo-
que et sur l’audition de cher- Maîtres-nageurs, pêcheurs, sai- pèce récemment arrivée sur le lit- rescence n’avait été signalée jus-
cheurs et de médecins, les auteurs sonniers des restaurants de plage, toral français – où l’on en compte qu’au 29 juin, où la présence im-
du rapport confirment que l’efflo- surfeurs, riverains sont particuliè- deux en réalité : Ostreopsis sia- portante des deux espèces
rescence de cette microalgue pro- rement exposés. L’agence recom- mensis et Ostreopsis ovata – tan- d’Ostreopsis rendait la baignade
duit des toxines, dans l’eau, l’air mande d’adapter le temps de tra- dis qu’une douzaine ont été décri- peu recommandée aux personnes
ou les organismes marins. vail de ces professionnels, qui ont tes dans le monde. « Nous avons à risque à Guéthary.
Ce dinoflagellé, qui commence été particulièrement touchés sur un peu plus de recul sur la seconde, Pour l’heure, il n’existe pas de
à se développer sur des macro­- la côte basque, de mettre en place explique Philipp Hess, qui dirige seuil réglementaire de toxicité
algues dans les zones rocheuses, un suivi à définir avec la médecine l’unité de l’Ifremer physiologie et pour ce dinoflagellé. « Mais l’avis
se détache lorsqu’il se trouve en du travail et les employeurs, avec toxines des microalgues toxiques de l’Anses fournit un tableau avec
grand nombre. Il peut alors s’ac- l’appui des centres antipoison et et nuisibles, à Nantes. Nous la sui- les actions à mener en fonction du
vons sur les côtes méditerranéen- nombre de cellules d’Ostreopsis
nes, où elle génère des efflorescen- par litre d’eau, c’est un bon point »,
Qualité de l’eau : la France ces depuis une vingtaine d’an-
nées. » Elle y déclenche les mêmes
se félicite Marc Valmassoni, de la
fondation Surfrider Europe.
sous la moyenne européenne symptômes cliniques que dans le Les adeptes du surf ont été parmi
La grande majorité (85,7 %) des 21 600 sites de baignade réperto- sud du golfe de Gascogne. les premiers à lancer l’alerte sur la
riés en Europe à l’été 2022 étaient de bonne qualité pour deux On se doute que le changement présence des toxines d’Ostreopsis.
indicateurs bactériologiques, Escherichia coli et les entérocoques climatique a un rôle dans l’adapta- « Nous faisons partie d’un groupe
intestinaux, selon l’Agence européenne pour l’environnement, tion d’Ostreopsis aux eaux aqui- de travail qui planche sur la révi-
tandis que 95,9 % répondaient aux normes minimales requises. taines, pourtant moins chaudes, sion de la directive européenne sur
L’objectif européen fixé en 2015 d’un niveau de qualité suffisant moins salées et plus agitées que les eaux de baignade. Celle-ci date
pour la totalité des plages, lacs ou autres plans d’eau fréquentés celles du pourtour méditerra- de 2006 et est insuffisante, affirme
par les estivants n’est donc pas atteint. Cette évaluation, publiée néen. « Il ne faut peut-être pas Marc ­Valmassoni. Mais le sujet a
avec un an de décalage, ne prend en compte ni la pollution prendre en compte que les tempé- été ­repoussé après 2024. » p
chimique, ni les déchets, ni les microalgues. ratures d’été : la microalgue doit Martine Valo
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14 | ­
­Jeudi 6­ juillet 2023

JO : les défis
de la lutte
antidopage
Malgré des moyens
limités face à ceux
des tricheurs, programme antidopage. L’ITA a délégué la
les organisateurs mise en œuvre de ce programme (installa-
tions de contrôle, recrutement du personnel,
assurent être prêts transport des échantillons, etc.) au Cojop, qui
a lui-même recours à l’expertise et aux com-
pour le dépistage des pétences reconnues de l’AFLD. Un travail
d’équipe qui vise à faire face aux défis d’en-
athlètes à l’été 2024 vergure que représentent les JO.
Un défi logistique, tout d’abord : près de
6 000 tests doivent être effectués pendant la
quinzaine olympique (2 000 pendant les pa-
ralympiques) – soit la moitié du volume que
Enquête projette de réaliser l’AFLD sur l’année 2023 –,
par quelque 300 préleveurs français et étran-
gers, dont une centaine seront mis à disposi-

F
audra-t-il attendre 2034 pour
connaître le nom du vainqueur
du 100 mètres aux Jeux de Paris ?
Ou celui du champion olympi-
que de lutte ? Doit-on attendre
dix ans pour que le palmarès des
Jeux olympiques (JO) soit figé pour la posté-
rité ? A Londres, 73 cas de dopage ont été iden-
tifiés après la réanalyse, postcompétitions,
de plus de 2 700 échantillons collectés lors
des Jeux de 2012 – parfois près d’une décen-
nie après, délai maximal fixé par l’Agence
mondiale antidopage –, conduisant au retrait
de 31 médailles. Sur le podium des tricheurs :
la Russie, suivie de la Biélorussie et de
l’Ukraine, en haltérophilie (36 violations) et
en athlétisme (28), principalement.
Pour les JO de Paris 2024 (du 26 juillet au
11 août 2024), le Comité d’organisation (Co-
jop) et la communauté antidopage mondiale
veulent éviter toute mauvaise publicité,
même a posteriori, et peaufinent depuis plu-
sieurs années leur arsenal. « Pour nous, les
Jeux, c’est presque déjà fait. Nous avons traité
tous les sujets à traiter en amont », considère
Dominique Laurent, la présidente de l’Agence
française de lutte contre le dopage (AFLD).
En première ligne, l’autorité publique indé-
pendante sera appuyée par le Cojop et
l’Agence de contrôles internationale (ITA,
pour International Testing Agency), qui,
créée par le Comité international olympique
(CIO) en 2018 à la suite du scandale du dopage
d’Etat russe révélé peu avant les Jeux de Rio
en 2016, est le maître d’ouvrage du pro-
gramme antidopage des JO pour le compte
du CIO. Pour l’édition paralympique (du
28 août au 8 septembre), le Comité paralym-
pique international est, seul, responsable du
tion par l’AFLD. En avril, dans les locaux du
Cojop, l’ITA a formé quelques dizaines de
nouveaux préleveurs, essentiellement des
professionnels de santé. Ces contrôleurs se-
ront aidés par environ 600 « chaperons », des
volontaires sélectionnés par Paris 2024. Ils
seront chargés notamment d’accompagner
les athlètes dans leurs moindres déplace-
ments jusqu’aux points de contrôle que les
équipes du Cojop étaient en train d’identifier,
début juillet, sur chaque site de compétition.
Des tricheurs rarement pris
Les échantillons collectés (tests urinaires,
sanguins et désormais génétiques, permis
par la loi olympique adoptée par le Parlement
le 12 avril) seront envoyés pour analyse au la-
boratoire antidopage d’Orsay (Essonne), qui
verra ses effectifs doubler et atteindre quel- d’euros y sont consacrés, à la charge de l’orga- tée à Lausanne (Suisse) et présidée par l’an-
que 90 analystes, pour moitié étrangers. Près de nisateur. Lequel n’en a pas toujours fait sa cienne ministre des sports Valérie Fourney-
­Anciennement situé à Châtenay-Malabry 6 000 tests priorité, occupé à d’autres sujets, plus ron n’a que cinq ans d’existence, mais elle se
(Hauts-de-Seine), le laboratoire a été transféré « chauds ». « A l’origine, la fonction antido- sait attendue. Depuis le scandale russe, l’ITA
sur le campus de l’université Paris-Saclay à la doivent être page n’avait pas été évaluée à son juste coût, le est tenue de mettre les moyens dans la lutte
mi-mai. « Sans s’arrêter de fonctionner », pré- Cojop a mis pas mal de temps à recruter les antidopage. Il y va de sa crédibilité, un autre
cise l’AFLD. Mais l’inauguration officielle, ini- effectués compétences nécessaires », se désole, encore de ses défis. « La communauté antidopage a
tialement prévue fin juin, a été repoussée au aujourd’hui, Dominique Laurent. 20 ans [l’AMA a été créée, fin 1999, après le
début de l’année 2024, selon nos informa-
pendant Paris 2024 reconnaît quelques « difficultés », scandale Festina sur le Tour de France], c’est
tions. Simple histoire d’agenda, avance-t-on. la quinzaine mais assure être désormais « dans les temps » ; l’âge de la maturité, relève Benjamin Cohen,
De son côté, l’Agence mondiale antidopage le contrat de prestations qui le lie à l’AFLD a été le directeur général de l’ITA. On est plus orga-
(AMA) multiplie les échanges avec le labora- olympique signé en janvier, celui passé avec le laboratoire nisé, il existe une vraie coopération avec les
toire français, le seul habilité pour les Jeux est en cours de négociations. Et l’Etat est venu agences nationales antidopage, les fédéra-
olympiques et paralympiques, afin de « s’as- et 2 000 pendant à la rescousse du Cojop, fin 2022, en allouant tions internationales et l’AMA. Depuis [les
surer qu’il saura répondre aux contraintes exi- les paralympiques 8 millions d’euros supplémentaires pour la Jeux de] Tokyo et Pékin, l’ITA sait ce qu’il faut
gées de lui pendant la période des Jeux », pré- modernisation du laboratoire d’Orsay et le fi- faire, on connaît les problèmes, on a mis en
cise Olivier Rabin, directeur science et méde- nancement de kits de prélèvement. place les outils juridiques et un programme de
cine de l’AMA. Une sorte de seconde accrédi- Mais si le Cojop paie la note de l’antidopage contrôles pour être plus efficace à Paris. »
tation. La lutte antidopage pendant les Jeux pendant les Jeux, il revient à l’ITA de décider Jean-François Bourg n’a pas la même lec-
olympiques et paralympiques représente qui peut contrôler, qui doit être contrôlé et ture. S’il reconnaît des « progrès indéniables »
une lourde logistique. Environ 20 millions comment. L’agence internationale implan- dans la détection des produits dopants, l’éco-

Les détournements de la thérapie génique sous surveillance

Face à cette nouvelle forme de dopage, le laboratoire national de Saclay, dans l’Essonne, a été autorisé à procéder à des analyses génétiques

A leur manière, les acteurs

de l’antidopage mondial
pourraient faire de « qui
veut la paix prépare la guerre »
leur expression. C’est ainsi que,
depuis le début des années 2000,
l’Agence mondiale antidopage
(AMA) fourbit ses armes au sujet
du dopage génétique.
En France, le sujet a pris une ré-
sonance particulière en début
d’année. Non pas qu’un cas ait
été détecté – il n’y en a pas eu non
plus, à ce jour, au niveau mon-
dial. Mais, à travers le projet de
loi dite olympique, adopté par le
Parlement le 12 avril, le gouver-
nement a donné les moyens au
laboratoire antidopage français,
à Saclay, dans l’Essonne, de pro-
céder à des analyses génétiques
en cas de besoin.
« Une obligation », à un peu plus
d’un an du coup d’envoi des Jeux
olympiques et paralympiques de
Paris, a argumenté la ministre
des sports, Amélie Oudéa-Cas-
téra, fin mars devant les députés.
« C’est pour les Jeux, on doit se
mettre en conformité [avec le
code mondial antidopage] et de
manière pérenne. » Les décrets
d’application de la loi devraient,
selon nos informations, être pris
en septembre.
La méthode de l’ARN messager
Le dopage génétique consiste à
modifier son patrimoine généti-
que afin de stimuler la produc-
tion endogène d’une substance
interdite, comme l’hormone de
croissance ou l’érythropoïétine
(EPO). Une méthode détournée
de la thérapie génique, qui « con-
siste à introduire du matériel géné-
tique dans des cellules pour soi-
gner une maladie », selon l’Insti-
tut national de la santé et de la re-
cherche médicale.
« Imaginer la thérapie génique
déviée à des fins de dopage dans le
sport, la menace n’a fait qu’aug-
menter au cours des vingt derniè-
res années », explique Olivier Ra-
bin, directeur science et méde-
cine de l’AMA. Et de prendre pour
exemple la technologie de l’ARN
messager (acide ribonucléique
messager), avec laquelle ont été
fabriqués les vaccins contre le Co-
vid-19 lors de la pandémie.
« Grâce à l’ARN messager, je peux
vous injecter le codage pour l’EPO
ou l’hormone de croissance, pré-
cise Olivier Rabin, qui travaille à
l’AMA depuis 2002. Technique-
ment, je ne vous ai pas injecté
l’EPO, mais l’ARN messager qui va
permettre à votre machinerie cel-
lulaire de coder pour l’érythropoïé-
tine ; donc vous êtes dopés avec
des moyens génétiques. »
Si la technologie existe, les tri-
cheurs vont s’y intéresser. Aussi,
depuis les Jeux olympiques de
Tokyo, à l’été 2021, l’International
Testing Agency (ITA), qui super-
vise l’antidopage aux JO, a inté-
gré le dopage génétique dans ses
analyses. Mais sur les quelques
dizaines de tests effectués à
­Tokyo, puis, début 2022, aux Jeux
d’hiver à Pékin après des suspi-
cions de dopage génétique,
aucun ne s’est révélé positif pour
le moment.
Pour autant, voir des athlètes
« augmentés » par la thérapie
­génique prendre part aux Jeux
olympiques relève-t-il de la
­science-fiction ? « Il est impossible
de penser que le dopage génétique
est une pure fiction, tranche Jé-
rémy Roubin, le secrétaire général
de l’Agence française de lutte con-
tre le dopage. Surtout quand on
voit les pratiques dopantes de cer-
tains Etats, qui, il y a quarante ans,
se préoccupaient peu des risques. »
Interdit depuis 2003 par l’AMA,
le dopage génétique est inscrit
sur la liste des substances et mé-
thodes prohibées. En 2013, dans
un rapport, le sénateur socialiste
de la Creuse, Jean-Jacques Lozach,
évoquait « une menace déjà bien
réelle ». L’AMA a développé nom-
bre d’outils permettant de détec-
ter ces abus, et travaille avec les la-
boratoires pour s’y adapter.
Anticiper l’avenir
En matière de dopage, les criti-
ques n’ont de cesse de dire que
les tricheurs ont toujours un
temps d’avance sur les gendar-
mes – même s’il tend à se réduire,
tous en conviennent. « Cette
image qui veut que l’on soit tout le
temps en retard m’amuse mais
elle me sert aussi, souffle Olivier
Rabin. On a déjà surpris un cer-
tain nombre d’athlètes à prendre
des substances ou à utiliser des
méthodologies qu’ils pensaient
indétectables. »
Chargée d’anticiper l’avenir du
dopage, l’AMA suit les évolutions
de la science et de la pharmacolo-
gie, afin de développer au plus
vite les méthodes permettant de
s’adapter aux nouvelles prati-
ques ou substances dopantes – la
fondation révise chaque année sa
liste de produits interdits.
« On a des craintes sur l’adminis-
tration de substances interdites
microdosées, rapidement excré-
tées par l’organisme, sur les trans-
fusions de sang autologue [se
réinjecter son sang “traité”], éga-
lement très difficiles à détecter, ou
sur le dopage génétique, expose
Benjamin Cohen, directeur géné-
ral de l’ITA. Dans la lutte antido-
page, il faut savoir rester hum-
ble. » Et se préparer au pire. p
Nicolas Lepeltier
et Clément Martel
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
nomiste au Centre de droit et d’économie du
sport de Limoges se désole du manque de
moyens alloués à la lutte antidopage dans le
monde. « Quelques centaines de millions
d’euros par an. C’est dérisoire par rapport au
chiffre d’affaires du sport de haut niveau et des
grands événements sportifs. Le taux de cas
­positifs n’a pas changé depuis la création
de l’AMA [autour de 1 % à 2 % des contrôles]. Il
faudrait multiplier par 12 le nombre de tests et
consacrer 5 % des moyens du sport business
pour une lutte efficace et crédible. »
Il est, par ailleurs, notoire que les tricheurs
se font rarement prendre pendant les Jeux,
mais plutôt lors de leur préparation. A To-
kyo, à l’été 2021, seules six violations aux rè-
gles antidopage sur 6 000 prélèvements
avaient été constatées. Le stockage pendant
dix ans des échantillons collectés pendant
les JO – dans un centre en Suisse dont la loca-
lisation est tenue secrète – à des fins de réa-
nalyse, grâce à de nouvelles techniques de
détection, peut avoir un effet dissuasif.
Des sports à « très haut risque »
L’ITA et les agences nationales antidopage mi-
sent sur le travail en amont pour prévenir les
pratiques dopantes en compétition. Respon-
sable également du programme antidopage
de 27 des 33 sports olympiques d’été (football,
rugby, tennis, athlétisme, pentathlon mo-
derne et voile ont leur structure propre), l’ITA a
compétence pour contrôler au quotidien les
sportifs de ces disciplines. A un an des JO,
l’agence surveille quelque 150 000 athlètes
susceptibles de se qualifier ; elle n’en suivra
plus que 100 000 à six mois de l’événement
pour parvenir, au fil des épreuves qualificati-
ves, à quelque 10 500 à la veille des Jeux.
L’ITA procède aux contrôles selon une ana-
lyse des risques établie de manière scientifi-
que, fait-elle valoir. « Nous avons quatre caté-
gories de sports : à très haut risque de dopage,
comme l’haltérophilie et certaines disciplines
d’athlétisme, jusqu’à ceux à bas risque comme
le tir à l’arc, explique Benjamin Cohen. Nous
concentrons nos efforts sur les disciplines, ath-
lètes, pays que l’on estime être plus à risque. »
L’ITA émet des recommandations à toutes
les organisations nationales antidopage et
fédérations internationales pour mieux ci-
bler les contrôles. Dans les mois qui précè-
dent les Jeux, l’AFLD, outre son travail de pré-
vention auprès des fédérations françaises,
va ainsi tester en priorité les 600 ou 700 ath-
lètes susceptibles de composer les déléga-
| 15
Qui fait quoi ? Le cas épineux des
De nombreux acteurs
opèrent dans la communauté
­antidopage mondiale
Russes et Biélorusses
pour les Jeux olympiques. Malgré les problèmes liés à la non-conformité
L’Agence mondiale de leur agence antidopage, les athlètes
­antidopage (AMA)
Créée en 1999 et basée
des deux pays continuent d’être contrôlés
­à Montréal, elle a pour but
­d’élaborer et de veiller au
­respect des ­règles antidopage,
contenues dans le code mondial
antidopage, dans tous les sports
et tous les pays.
L a question de la participa-
tion des athlètes russes
et biélorusses aux compé-
titions internationales – et donc
aux Jeux de Paris 2024 – n’a pas
russe, mais aussi une grande
­partie des fédérations internatio-
nales », ­rappelait, en mars, Olivier
Niggli, le directeur général de
l’instance internationale, à
L’International fini d’agiter la communauté spor- l’Agence France-Presse.
Testing Agency (ITA) tive mondiale. Fin février 2022, Responsable du programme
Créée en 2018 par le Comité le Comité international olympi- ­antidopage de 27 des 33 fédéra-
­international olympique, que (CIO) avait banni les sportifs tions olympiques d’été (football,
l’agence basée à Lausanne de ces deux pays en raison de rugby, tennis, athlétisme, pen-
est chargée du respect du pro- ­l’invasion militaire russe de tathlon moderne et voile ont leur
gramme antidopage des Jeux l’Ukraine. Avant d’infléchir sa structure propre), l’International
olympiques et des principales ­position, onze mois plus tard, Testing Agency (ITA) confirme :
fédérations internationales. en janvier, et surtout en mars, « Notre travail sur les Russes et les
­recommandant aux fédérations Biélorusses ne s’est jamais arrêté.
L’Agence française de lutte internationales de permettre La seule chose qui a changé,
contre le dopage (AFLD) le retour en compétition de ces c’est qu’il n’y a plus de contrôles
Née en 2006 pour définir athlètes sous bannière neutre. en compétition vu qu’ils ont été
­et mettre en œuvre les actions Mais cela ne peut se faire que suspendus, assure Benjamin
de lutte contre le dopage, sous conditions : d’abord qu’ils ­Cohen, directeur général de l’ITA.
l’autorité ­publique est ne soutiennent pas activement Mais nos programmes de contrôle
­compétente pour contrôler les la guerre en Ukraine ; ensuite hors compétition et notre travail
athlètes français et les sportifs qu’ils satisfassent « à toutes les d’investigation et d’intelligence
étrangers sur le sol français. exigences en matière de lutte ne se sont pas arrêtés. Malgré
­contre le dopage qui leur sont le casse-tête logistique, les Russes
Le Comité d’organisation des ­applicables », comme le précise ont été testés de la même manière
Jeux de Paris 2024 (Cojop) la décision du CIO. que les autres. »
Il est chargé de mettre en Or, en la matière, les Russes
œuvre, le temps des Jeux, ne présentent pas les meilleures Respect de l’équité sportive
les moyens logistiques garanties. Accusée de dopage Si ces derniers, sous réserve
(installations sur les sites, étatique organisé, à la veille des de neutralité, devaient être auto-
recrutements de personnels, Jeux de Rio en 2016, la Russie risés à concourir aux Jeux olym-
etc.) du ­programme antidopage avait été exclue des compétitions piques et paralympiques de Paris
sous le contrôle de l’ITA. internationales par le Tribunal 2024, les conditions posées,
arbitral du sport jusqu’en décem- ­l’opposition d’un nombre impor-
Le laboratoire antidopage bre 2022 – ses athlètes « propres » tant de fédérations internationa-
d’Orsay ayant néanmoins pu concourir les et le calendrier des épreuves
Installé sur le campus universi- sous statut neutre aux Jeux ­qualificatives devraient toutefois
Lors d’une formation des taire de Paris-Saclay (Essonne), de Tokyo, à l’été 2021, puis de en limiter le nombre.
contrôleurs antidopage pour il est le seul laboratoire habilité ­Pékin, en février 2022. Malgré tout, cela pose une ques-
les Jeux, à Saint-Denis (Seine- à analyser les quelque La sanction est certes levée tion d’équité sportive : un athlète
Saint-Denis), le 22 avril. 6 000 échantillons collectés ­depuis six mois. Pour autant, français, par exemple, pourrait
FRANCK FIFE/AFP ­pendant les Jeux olympiques « l’Agence mondiale antidopage ­arguer qu’un concurrent russe n’a
(2 000 pour les paralympiques). [AMA] ne reconnaît pas l’agence pas été soumis aux mêmes con-
russe Rusada conforme au code traintes dans sa préparation aux
mondial antidopage », observe Jeux (fréquence des contrôles,
Nombre de médailles retirées pour cause de dopage ­Jérémy Roubin, secrétaire général obligation de localisation, etc.).
depuis l’édition de Mexico en 1968* de l’Agence française de lutte « La vérité du contrôle anti­-
Médaille d’or Médaille d’argent Médaille de bronze ­contre le dopage (AFLD). dopage, c’est dans la période pré-
Dès lors, quelle fiabilité, quelle olympique, appuie Jérémy Rou-
­valeur scientifique accorder aux bin. Il y est beaucoup plus discret
Russie**
tests pratiqués par Rusada, qui, en et repose sur les fédérations inter-
l’absence de laboratoire agréé, nationales et les organisations
Etats-Unis
­envoie ses échantillons pour ana- ­nationales antidopage. » Il est
Ukraine lyse en Turquie ou au Qatar ? Et si donc essentiel qu’elles puissent
Biélorussie l’agence russe n’est pas conforme, œuvrer sans entraves dans les
Kazakhstan
qui pour contrôler les athlètes rus- mois qui précèdent les Jeux.
ses ? Comment s’assurer qu’ils ont « Nous avons envoyé un courrier
Bulgarie satisfait aux exigences de la com- à toutes les fédérations inter­-
Turquie munauté antidopage mondiale ? nationales des sports d’été,
Ouzbékistan « C’est un sujet qui nous échappe, y compris celles qui ne travaillent
mais on a les moyens de contrôler pas avec nous, pour leur dire que
Espagne
* N’ont été retenus que les pays
les athlètes russes et biélorusses nous sommes disposés à mettre
Hongrie qui viendraient sur notre terri- en place un “pool” de contrôle
avec au moins trois médailles retirées
Roumanie toire », tente de rassurer Domini- ­dédié aux athlètes russes et biélo-
Chine ** Le chiffre russe comprend une médaille que Laurent, présidente de l’AFLD. russes et leur garantir qu’ils
de l’Union soviétique retirée à un athlète russe L’AMA soutient, elle, que les ­seront testés », expose Benjamin
Royaume-Uni sportifs des deux pays continuent Cohen, de l’ITA. La crédibilité de la
Arménie d’être testés. « Un programme communauté antidopage mon-
Infographie Le Monde
Moldavie ­antidopage a cours toute l’année, diale est en jeu. p
Source : The Wall Street Journal une partie dépend de l’agence N. Le.
tions olympique et paralympique tricolores. lyse du laboratoire ont été renforcés, cela les française, complète, optimiste : « La mon-
« C’est le retour Mais aussi les sportifs étrangers qui vien- constituera l’un des héritages », fait valoir Do- tée en puissance de l’AFLD pour Paris 2024
en force de draient s’entraîner ou participer à une com- minique Laurent, qui quittera la présidence ne va pas disparaître après les Jeux. »
pétition sur le sol français. La tenue de plu- de l’AFLD le 28 juillet, en raison de la limite L’agence ne veut plus rougir face à ses ho-
l’antidopage sieurs « tests events » olympiques au cours d’âge. Elle a fait de la séparation administra- mologues britannique ou américaine, cons-
de l’été 2023 puis la Coupe du monde de tive du laboratoire avec l’AFLD – une exigence ciente qu’il en va, pour les Jeux de Paris, de
français » rugby à l’automne seront autant d’occa- de l’AMA, effective en avril 2021 – le moteur « l’image de la France dans la communauté
Jean-Jacques Lozach sions de roder les pratiques, notamment en de son mandat. Sans ça, ni l’AFLD, pour les antidopage mondiale ». Elle cite l’exemple
sénateur (PS) de la Creuse matière de renseignement et de coordina- contrôles, ni le laboratoire, pour les analyses, d’organisations nationales antidopage re-
tion entre tous les services mobilisés (po- n’auraient été retenus pour les Jeux de Paris. connues, comme la norvégienne, qui vien-
lice, douane, parquet, etc.). Un affront inimaginable, alors que le labora- nent désormais prendre conseil. « C’est un
Mais plus la lutte antidopage se renforce, toire avait mis au point le premier test de dé- peu la revanche de l’antidopage français », sa-
plus les protocoles de dopage deviennent so- pistage de l’EPO au début des années 2000. voure Jérémy Roubin. L’objectif ? Installer du-
phistiqués. « La victoire sur le dopage, on rablement l’AFLD dans le top 5 mondial. Le
ne l’aura jamais. Il est consubstantiel au sport « La France à l’avant-garde » ministère des sports promet de lui accorder
de compétition, insiste Jean-François Bourg. « C’est le retour en force de l’antidopage fran- les moyens nécessaires pour maintenir « la
Il ne faut pas oublier que les institutions spor- çais », veut croire Jean-Jacques Lozach, qui re- France à l’avant-garde » : 11,2 millions d’euros
tives vivent des performances et des records. » connaît qu’« un certain flottement » s’est ins- de budget en 2023. Tous les objectifs sont
Le chercheur aimerait que la répression soit tallé pendant quelques années. Le sénateur remplis pour Jérémy Roubin : « Un an avant
davantage mise sur l’offre de dopage plutôt socialiste de la Creuse connaît bien la ques- les Jeux, l’important était d’avoir un labora-
que sur la demande. En clair : apporter une tion pour avoir rédigé un rapport sur l’effica- toire fonctionnel, un programme de contrôles
réponse pénale plus forte aux trafics – qui gé- cité de la lutte antidopage en 2013. « Les Jeux à un bon niveau et une réglementation con-
nèrent des milliards d’euros de profit et gan- seront un test pour la compétitivité du sys- forme aux standards internationaux. » Mais,
grènent le milieu amateur – plutôt que cibler tème français. » Pour l’AFLD, les Jeux doivent comme pour les médailles, on ne saura peut-
prioritairement les sportifs. servir de tremplin. « L’agence britannique est être qu’en 2034 si la lutte antidopage pour
Un autre défi se présente à la communauté devenue leader de l’antidopage après Londres, ­Paris 2024 aura tenu son rang. p
antidopage française à l’occasion de ces JO : compare Dominique Laurent. Jérémy Rou- Nicolas Lepeltier
réussir l’après-Jeux. « Les équipements d’ana- bin, secrétaire général de l’autorité de contrô- et Clément Martel
 Économie & Entreprise
0123
16 | ­
­Jeudi 6­ juillet 2023

La Chine entre renouvelables et charbon

A marche forcée, Pékin mise sur l’éolien et le solaire. Mais approuve un nombre record de centrales à charbon

Pékin - correspondant d’électricité par an, de quoi ali- dollars (environ 455 milliards élégamment devant une étagère chinoise. « Je suis convaincu que la
menter 700 000 foyers.
Sur le marché, d’euros) dans les énergies renou- chargée de gaillettes (gros mor- Chine veut aller dans la bonne di-

C
oup sur coup, la Chine a
annoncé avoir achevé
d’installer deux équipe-
ments spectaculaires en
matière d’énergie renouvelable.
Le 28 juin, elle a mis en place, au
large des côtes du Fujian (sud-est),
une éolienne de 16 mégawatts, un
record mondial. Avec ses pales de
123 mètres de long et un rotor qui
balaiera 50 000 mètres carrés,
ce monstre de technologie ex-
ploité par la China Three Gorges
Corporation devrait fournir, une
fois en service, plus de 66 mil-
lions de kilowattheures d’électri-
cité, ce qui correspondrait à la
consommation de 36 000 foyers
de trois personnes.
Encore plus spectaculaire, trois
jours auparavant, la Chine avait
annoncé la mise en service d’une
centrale à la fois hydroélectrique
– un barrage – et solaire. Installée
à Kela, dans la partie tibétaine
du Sichuan, à quelque 4 600 mè-
tres d’altitude, la partie hydroé-
lectrique de la centrale dispose
d’une puissance de 3 gigawatts.
Trois fois plus que les 2 millions
de panneaux solaires installés
aux alentours sur une superficie
de 16 kilomètres carrés (1 giga­-
watt). Grâce à cette combinaison,
cette centrale doit produire
2 milliards de kilowattheures
Selon ses concepteurs, cette cen-
trale, qui a coûté environ 4 mil-
liards d’euros, permet de remédier
à l’une des faiblesses des énergies
renouvelables : leur discontinuité.
La partie solaire produit davan-
tage d’énergie la journée et par
beau temps, et l’hydroélectrique,
quand il pleut et que les barrages
sont remplis. Selon Power China,
qui l’exploite, c’est la plus impor-
tante centrale hybride au monde,
le précédent record étant détenu
par une autre centrale chinoise,
d’une capacité de 850 000 kilowat-
theures, installée dans la province
du Qinghai (centre-ouest).
Championne des énergies vertes
Ces deux investissements ne sont
pas des cas isolés. La Chine est, de-
puis deux ans, le leader mondial
de l’éolien offshore, avec une capa-
cité installée et mise en service de
30,89 millions de kilowatts, soit
environ 10 % de son parc éolien.
Quant à la centrale hybride de
Kela, elle est le premier élément
d’un ensemble qui doit atteindre
50 gigawatts en 2030, puis, à
terme, « plus de 100 gigawatts, ce
qui permettra de produire environ
300 milliards de kilowattheures
par an, suffisamment pour plus de
100 millions de foyers », selon
l’agence Chine nouvelle.
la tonne de
carbone se vend
environ 7 euros
en Chine, contre
80 euros
en Europe
Que le pays mette les bouchées
doubles dans les énergies renou-
velables est évident. Selon les cal-
culs du centre de recherche Glo-
bal Energy Monitor (GEM), les
projets annoncés par la Chine ou
en cours d’exécution dans le so-
laire représentent une capacité
d’environ 379 gigawatts, et ceux
liés à l’éolien 371 gigawatts. C’est à
peu près le double des capacités
actuelles du pays.
Si la Chine mène ces projets à
terme, elle parviendra à avoir une
capacité de solaire et d’éolien de
1 200 gigawatts dès 2025, soit
« cinq ans avant ce qui était
prévu », souligne GEM. D’ores et
déjà, le solaire développé par la
Chine se monte à 228 gigawatts,
soit davantage que le reste du
monde, estime le centre de re-
cherche dans son rapport.
D’ailleurs, selon Bloomberg, la
Chine a investi 495 milliards de
velables en 2022, soit 55 % des in-
vestissements mondiaux réalisés
dans ces secteurs.
Bien que championne des éner-
gies vertes, la Chine reste « accro »
au charbon. En avril, Greenpeace
avait révélé qu’au premier trimes-
tre le pays avait déjà approuvé
autant de nouvelles centrales au
charbon (20,45 gigawatts de capa-
cité) que durant toute l’année
2021. A ce rythme, le record de
2022 (90,72 gigawatts approuvés)
pourrait être dépassé.
Confrontées à d’importantes
coupures de courant en 2021, puis
en 2022, de nombreuses provin-
ces misent de nouveau sur le char-
bon pour surmonter les aléas des
énergies renouvelables. Même le
Sichuan, riche en hydroélectricité,
s’inquiète de voir ses barrages se
vider et investit dans le charbon.
La canicule que connaît une par-
tie de la Chine depuis plusieurs se-
maines – juin a été le mois le plus
chaud jamais enregistré dans le
nord du pays – fait craindre de
nouvelles coupures dans les se-
maines à venir.
Le charbon redevient tendance.
Sur Douyin (le nom chinois du ré-
seau social TikTok), des centaines
de vendeurs se mettent en scène
pour attirer le client. Certains, sur
le mode d’influenceurs, trônent
ceaux de charbon), d’autres po-
sent à l’entrée d’une mine, casque
de protection sur la tête, d’autres
choisissent même les ventes en
live streaming. Le prix dépend de
la qualité, de la quantité et de la dis-
tance à parcourir pour la livraison.
« Contradiction »
Un regain qui fait craindre que la
Chine, malgré ses efforts dans les
énergies renouvelables, ne par-
vienne pas à atteindre ses objec-
tifs de réduction d’émissions de
CO2. Elle s’était engagée à attein-
dre le pic d’émissions avant 2030
et à parvenir à la neutralité car-
bone avant 2060.
En visite à Pékin, les 3 et 4 juillet,
Frans Timmermans, le vice-prési-
dent de la Commission euro-
péenne chargé de la transition
énergétique, s’est inquiété de ce
qu’il a appelé la « contradiction »
rection, mais il est également vrai
que l’on ouvre davantage de cen-
trales au charbon », a-t-il déclaré
lors d’un discours prononcé à
l’université Tsinghua.
Quelques heures avant l’arrivée
de M. Timmermans à Pékin, Hu
Huaqing, président du Centre na-
tional pour la stratégie du chan-
gement climatique et de la coopé-
ration internationale, avait dé-
claré qu’il était impossible pour la
Chine d’établir une taxe carbone à
la hauteur de celle de l’Union
européenne. Sur le marché, la
tonne de carbone se vend environ
7 euros en Chine, contre 80 euros
en Europe. M. Hu a qualifié de
« non scientifique, irrationnel et in-
juste » le mécanisme d’ajuste-
ment aux frontières que souhaite
instaurer l’Europe pour compen-
ser cette différence. p
Frédéric Lemaître

Prix du gaz : Engie s’attend à M édi a s

un « plateau haut » jusqu’en 2027
Selon l’énergéticien français, les tarifs du mégawattheure devraient
s’établir entre 50 et 60 euros dans les années qui viennent
Q uand bien même ils se-
ront moins astronomi-
ques qu’en 2022, les prix
du gaz en Europe reste-
ront « sur un plateau haut » pen-
dant encore plusieurs années. Du
moins, selon les projections
­d’Engie (ex-GDF), présentées
mardi 4 juillet. Le principal four-
nisseur gazier en France ne s’at-
tend à une baisse significative
qu’à partir de 2027.
Comme il est d’usage, les calculs
se fondent sur le marché néerlan-
dais, référence continentale. Ils
concernent le marché de gros, où
les détaillants s’approvisionnent
du jour au lendemain. En 2022, le
mégawattheure (MWh) avait
grimpé en moyenne à plus de
120 euros. D’abord sous l’effet
d’une forte reprise de l’activité
économique, après la récession
due au Covid-19. Ensuite, en rai-
son des incertitudes sur les livrai-
sons russes, depuis le début de la
guerre en Ukraine.
Une « pression baissière » est at-
tendue dans les mois à venir, y
compris pendant l’hiver, tradi-
tionnelle période de chauffage. Le
mégawattheure devrait descen-
dre à un peu moins de 50 euros
en 2023, d’après l’entreprise. Ce
qui reste néanmoins presque
trois fois supérieur à la moyenne
de la période 2015-2020. La baisse
d’une année sur l’autre s’explique
par l’évolution des stockages ga-
ziers en Europe, passés d’un ni-
veau historiquement bas, en fé-
vrier 2022, à une hauteur record,
treize mois plus tard. Pour ré-
duire sa dépendance aux livrai-
sons russes, l’Union européenne
se fixe pour objectif un taux de
remplissage de 90 % d’ici au
1er novembre.
Malgré « une fragilité » persis-
tante au niveau de l’approvision-
nement, le « contexte macroéco-
nomique dégradé » limitera aussi
les risques de hausse des prix pour
Le fournisseur
gazier table
sur un regain
de l’activité
économique,
donc de
la demande
les mois à venir, selon Julien Hoa-
rau, responsable de la plate-forme
d’analyse économique d’Engie.
Car « il supposera une moindre
­demande d’énergie, notamment
dans le secteur industriel ».
Des tensions haussières sont en-
visageables de l’été 2024 à 2026. Le
fournisseur s’attend à ce que
le mégawattheure remonte à plus
de 60 euros. Soit bien davantage
que les anticipations, aujourd’hui,
des contrats à terme pour les
­années futures.
« Plus de volatilité »
L’entreprise table sur un regain de
l’activité économique, donc de la
demande. En parallèle, estime-t-
elle, peu de nouvelles capacités
seront mobilisables pour expor-
ter du gaz naturel liquéfié (GNL).
Or cet acheminement par voie
maritime est l’une des solutions
privilégiées pour remplacer les
exportations russes par gazoduc.
Une solution contestée, cepen-
dant : les associations de défense
de l’environnement critiquent en
particulier le recours au gaz de
schiste, extrait par fracturation
hydraulique aux Etats-Unis.
Par rapport à la période 2015-
2020, « l’Europe dépend beaucoup
plus fortement du marché du GNL
pour son approvisionnement, ce
marché mondial expose à plus de
volatilité », poursuit Julien Hoa-
rau. Autant les gazoducs se bor-
nent à un marché régional,
autant l’essor du gaz liquéfié
mondialise le commerce. Les na-
vires peuvent aller au plus of-
frant, faisant monter les enchè-
res entre l’Europe et l’Asie.
L’Union européenne a beau
vouloir se passer du gaz russe, elle
continue aussi d’en importer. Au
décompte du mois de mai, la Rus-
sie demeure l’un des trois pre-
miers exportateurs de gaz liqué-
fié à destination de l’Union, avec
le Qatar et surtout les Etats-Unis,
selon l’Agence de coopération des
régulateurs de l’énergie. Les pro-
duits transitent par des ports en
Espagne, en France, aux Pays-Bas
ou encore en Italie.
Tout exercice de prospective est
à prendre, dans ce contexte, avec
d’autant plus de précaution. « Les
prix du gaz étant exceptionnelle-
ment volatils, il est difficile de pré-
voir ce qui se passera au cours des
cinq prochaines années », déclarait,
début juin, Angelina Valavina, di-
rectrice des ressources naturelles
et des matières premières chez
l’agence de notation financière
Fitch, pour l’Europe, le Moyen-
Orient et l’Afrique. « En cas de pro-
blème opérationnel majeur chez
l’un des principaux producteurs de
GNL, les prix du gaz monteront
­encore en flèche », ajoute-t-elle.
Une tendance se dégage cepen-
dant pour le professeur Thierry
Bros, spécialiste de l’économie ga-
zière à Sciences Po Paris, selon le-
quel « le temps du gaz “pas cher”
est révolu ». D’une part, « parce
que la réduction des livraisons
­russes en Europe tend l’équilibre
entre l’offre et la demande au ni-
veau mondial ». D’autre part,
« parce que les infrastructures
pour les remplacer sont plus chè-
res à financer », au regard du con-
texte inflationniste. Par consé-
quent, « les volumes produits coû-
teront plus cher pour rémunérer
ces projets », suppose-t-il. p
Adrien Pécout
Grève à France
Télévisions :
les syndicats déboutés
Plusieurs éditions régionales
de journaux de France 3 ont
été perturbées, mardi 4 juillet,
par la grève dénonçant la ré-
forme « Tempo » de France
Télévisions. Celle-ci prévoit Quelles solutions
la suppression des journaux
nationaux d’information plus durable e
de France 3, et leur remplace-
ment par vingt-quatre édi-
tions régionales qui incluront
des sujets sur l’actualité natio-
Suivez le live aujou
nale, voire internationale. Pa-
rallèlement à la grève, les syn-
via ce QR
dicats ont été déboutés par
le tribunal judiciaire de Paris,
mardi, alors qu’ils avaient saisi
la justice pour contester la
façon dont la direction du
groupe public a mené la pro-
cédure d’information-consul-
tation sur le projet. − (AFP.)
Fort un e s
1 170 milliards d’euros : Des conférence
un record pour les 500
Français les plus riches en présen
Les patrimoines profession-
nels des 500 plus grandes for-
tunes de France ont progressé
de 17 % en un an, pour attein-
dre 1 170 milliards d’euros en
2023, selon le magazine Chal-
lenges du mercredi 5 juillet.
Ce montant représente 45 %
du PIB français, contre 10 %
en 2009, relève le titre. Éric Floren
Bernard Arnault, patron de
LVMH (qui est aussi l’homme Lombard Parl
le plus riche du monde), Directeur général de Ancienne m
reste en tête du classement,
la Caisse des Dépôts des Arm
avec une fortune estimée à
203 milliards d’euros. − (AFP.)
A ér i en
La Grèce prévoit
d’introduire en Bourse
sa participation dans
l’aéroport d’Athènes Mercredi 5 juillet 2023 de 16h00 à
Le premier ministre grec,
Kyriakos Mitsotakis, a indiqué, & Jeudi 6 juillet 2023 de 9h00 à 12
mardi 4 juillet, sur Bloomberg
Television son intention
de faire coter les 30 % que
détient l’Etat grec dans l’aéro-
port international d’Athènes.
L’opération, qui devrait avoir
La Banque Postale ‒ SA à Directoire et Conseil d
lieu au début de 2024, serait 115, rue de Sèvres, 75275 Paris Cedex 06. RCS Par
la plus importante réalisée
en Grèce depuis 2000.
− (Bloomberg.)
 0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023 Économie & Entreprise | 17

Le char Leclerc en pleine mandes (seuls la France et les Emi-

rats arabes unis en ont acheté,
406 exemplaires pour la pre-
Des plaques,
dont la
de tir ne lui permettra pas de viser
le ciel. « Le projet de modernisation
du Leclerc a été figé en 2015 et se ba-

cure de rajeunissement
mière, 388 pour les seconds), l’Etat
a fait le choix de moderniser les
unités existantes, en attendant
l’hypothétique mise au point
d’un nouveau modèle, qui n’est
D’ici à 2029, 200 unités devront être modernisées. pas attendu avant le milieu des
années 2030, au mieux. Quelque
Pour certains spécialistes, le « retrofit » prévu est 321 millions d’euros ont pour le
moment été budgétés pour cou-
insuffisant, au vu des leçons de la guerre en Ukraine vrir le programme XLR, selon Cé-
dric Perrin, vice-président (Les Ré-
publicains) de la commission des
affaires étrangères, de la défense
Roanne (Loire) - envoyé spécial Chaque unité va nous demander rénovation du char Leclerc entre et des forces armées du Sénat.
six mois de travail. » dans sa phase active. Les deux Outre une révision complète de
sait sur le retex [retour d’expé-
composition est rience] du théâtre afghan », justifie
tenue secrète, François Groshany, responsable
du programme des blindés che-
seront ajoutées nillés chez KNDS.
sous l’engin De même, aucun dispositif dit
« hard kill », permettant d’inter-
pour le protéger
des mines
cepter les missiles antichars avant
qu’ils ne touchent l’habitacle, en
leur tirant des projectiles dessus,
ne sera ajouté au Leclerc, alors que
Cette modernisation n’est pas le Leopard 2 allemand, le Merkava
sans conséquence sur la machine. israélien ou l’Abrams M1 améri-
L’ajout de nouveaux équipements cain en sont déjà dotés. Idem pour
va faire passer le poids du Leclerc les détecteurs d’alerte laser, qui

S
ous l’immense hangar,
une demi-douzaine de
chars Leclerc gisent tels
des scarabées éventrés.
Alignés les uns à côté des autres,
les monstres de près de 60 ton-
nes ont été comme découpés,
leur tourelle extraite du châssis,
leurs chenilles déroulées à même
le sol. Trente opérateurs s’affai-
rent autour des carcasses. « Tous
les éléments vont être déposés
puis remontés, avec de nouveaux
équipements plus modernes,
­explique Thomas N., le responsa-
ble de l’atelier (les noms des
­employés ne sont pas donnés
pour des raisons de sécurité).
C’est ici, dans l’usine KNDS de premiers blindés modernisés, ap-
Roanne (Loire), que le fer de lance pelés XLR, ont été livrés en juin et
de l’armée de terre se prépare à af- seize autres devraient suivre d’ici
fronter les prochaines décennies. à la fin de l’année. Objectif fixé par
Lancé en 2015, le programme de la direction générale de l’arme-
ment à l’entreprise franco-alle-
mande, issue de la fusion, en 2015,
entre Nexter et Krauss-Maffei
L’ajout Wegmann : prodiguer une cure de
d’un système rajeunissement à l’ensemble des
chars de l’armée française, soit
de brouillage 200 unités, d’ici à 2029.
électronique, Considéré comme l’un des blin-
dés lourds les plus avancés au
nommé « Barage » monde lors de son entrée en ser-
fabriqué par vice, en 1993, le Leclerc n’est plus
tout jeune et se devait d’être mo-
Thales, est prévu dernisé pour rester compétitif sur
le champ de bataille : délaissé
après la fin de la guerre froide, le
char de combat est redevenu in-
dispensable avec la guerre en
Ukraine. « C’est le seul engin qui
associe puissance de feu, mobilité
et protection », rappelle Marc
Chassillan, ancien ingénieur de
l’armement et spécialiste des ma-
tériels terrestres. Plus question
pour une armée moderne de se
passer de tels engins, comme
l’ont fait les Pays-Bas au début des
années 2010.
La chaîne de fabrication du Le-
clerc ayant été fermée par Nexter
en 2007, faute de nouvelles com-
leurs composants, qui sera faite en
cannibalisant les pièces d’un stock
de chars déclassés et « mis sous co-
con » par l’armée française, les Le-
clerc vont recevoir de nouveaux
équipements. Chaque char inté-
grera le nouveau système d’infor-
mation de l’armée de terre, appelé
Scorpion. Sorte de réseau Internet
privé, celui-ci doit à terme mettre
en relation tous les blindés fran-
çais présents sur le champ de ba-
taille, afin de faciliter le combat
collaboratif. Il reliera également
les blindés aux fantassins et, de-
main, aux drones déployés sur le
théâtre des opérations.
Rénovation « petit bras »
Un gros effort a également été
porté sur le renforcement des
blindages. Des plaques, dont la
composition est tenue secrète, se-
ront ajoutées sous le char, pour le
protéger des mines. Des kits de
blindage, appelés AZUR (action en
zone urbaine), pourront être éga-
lement accrochés sur les flancs,
pour résister aux tirs de roquet-
tes. L’ajout d’un système de
brouillage électronique, nommé
Barage et fabriqué par Thales, est
également prévu, afin d’empê-
cher le déclenchement à distance
de charges explosives.
de 57 à 63 tonnes, ce qui obligera
son moteur de 1 500 chevaux à da-
vantage d’efforts. « On est proche
de la limite en matière de rapport
poids-puissance », reconnaît-on
chez KNDS. Pour faire de la place
aux nouveaux blindages, le coffre
extérieur, qui accueillait dix-huit
obus, sera également supprimé,
laissant le char avec vingt-deux
projectiles, situés dans la nuque
de la tourelle. Un choix pas néces-
sairement rédhibitoire – les chars
français évoluent dans un peloton
de quatre unités qui se couvrent
mutuellement – mais pas sans ris-
que non plus. « Si, par hasard, un
ou deux chars sont particulière-
ment au contact et manquent
d’obus, c’est bête », reconnaît un
officier français.
Plus gênant, le retrofit des Le-
clerc fait l’impasse sur certains en-
seignements tirés de la guerre en
Ukraine. Rien n’a été prévu, par
exemple, pour lutter contre les
drones, dont les Ukrainiens font
un usage intensif pour attaquer
les chars russes par le dessus, là où
ils sont le plus vulnérables. Une
mitrailleuse de calibre 7,62 milli-
mètres est bien conservée sur la
tourelle – elle sera même téléopé-
rée de l’habitacle, ce qui n’était pas
le cas auparavant – mais son angle
préviennent l’équipage lorsqu’il
est visé par le canon d’un char ad-
verse ou si un missile est lancé
contre lui. « Ces solutions existent
et certaines sont même proposées
par des industriels français. C’est
une rénovation petit bras », s’agace
M. Chassillan. « Un char n’a pas vo-
cation à être un sapin de Noël. No-
tre objectif est d’avoir un véhicule
efficace et discret », se défend Gé-
rard Griseri, responsable de la po-
litique produits de KNDS.
Seule certitude, le Leclerc XLR
restera en service jusqu’à l’arrivée
de son successeur. Officiellement,
il s’agira du MGCS (Main Ground
Combat System), un projet franco-
allemand associant KNDS et l’alle-
mand Rheinmetall, dont le lance-
ment est prévu en 2035. Mais les
tensions entre les industriels et
les retards pris dans la partie robo-
tisation du projet sont tels que
plus personne ne croit à cette
échéance. Lors d’une audition, le
12 avril à l’Assemblée nationale,
le général Pierre Schill, chef d’état-
major de l’armée de terre, a re-
connu que « [s]on objectif de court
terme est de prolonger les Leclerc
jusqu’en 2040 ou 2045 ». Le véné­-
rable char français aura alors…
un demi-siècle. p
Cédric Pietralunga

Pertes & profits | Corée du sud

Le numéro deux de la FNSEA en p a r P h i l i p p e E s c an d e

s pour un monde lice pour le Salon de l’agriculture

et solidaire ?
Les banques
C haque année, le Salon international de l’agriculture dé-
voile sa nouvelle égérie. Une vache de race, ­véritable profitent-elles de la crise ?
urd’hui et demain star du rendez-vous annuel agricole de la porte de
­Versailles, à Paris, vers laquelle converge immanquablement le
R code troupeau des visiteurs, simples curieux, professionnels ou po-
litiques désireux de caresser les électeurs ­ruraux dans le sens
Habituels boucs émissaires des
temps de crise, les banques sont
gent prêté et la rémunération de
l’épargne des clients. La Nouvelle-
du poil. Mais ce salon a une autre tête, moins médiatisée mais à nouveau dans le viseur, pas Zélande a lancé une étude de
au cœur du dispositif d’organisation. En l’occurrence, son prési- seulement des emprunteurs ou marché complète sur ces prati-
dent. Un rôle tenu aujourd’hui par Jean-Luc Poulain. Bien enra- des casseurs mais aussi de leurs ques, tandis que le président
ciné, cet agriculteur de l’Oise est à la tête de la plus grande ferme propres régulateurs. Un phéno- américain, Joe Biden, est récem-
de France depuis 2008. En 2020, alors âgé de 62 ans, il a, en effet, mène mondial. En Corée du Sud, ment monté au créneau pour
été reconduit pour un troisième mandat de six ans. les autorités ont décidé d’ouvrir condamner les marges excessi-
Il est, plus précisément, président du Centre national des ex- le secteur à plus de concurrence, ves des banques.
positions et concours agricoles (Ceneca), structure proprié- tandis qu’au Royaume-Uni elles
taire du Salon de l’agriculture, donc, mais aussi du Salon sont convoquées par la Financial Un métier à part
du cheval, et copropriétaire, avec le ministère de l’agriculture, Conduct Authority pour une Au Royaume-Uni, où la concur-
es inspirantes du Concours général agricole. Mais, selon nos informations, séance de remontrances officiel- rence est pourtant bien plus forte
M. Poulain ne devrait pas finir son les. Raison de cette inquiétude qu’en Corée, la Financial Conduct
nce de : mandat. Ce céréalier, ­également soudaine, le contraste entre des Authority a choisi de convoquer,
propriétaire de chevaux d’attelage, résultats excellents et des condi- jeudi 6 juillet, les quatre géants
Viticulteur, devrait descendre de monture tions de prêts et de placement du secteur, HSBC, Natwest, Lloyds
Jérôme Despey en 2024. Après avoir présidé et fêté qui se dégradent. et Barclays pour les gronder et
dignement la 60e édition du Salon A Séoul, la très sérieuse Com- leur demander un engagement
ne débarque pas international de l’agriculture. mission des services financiers, formel. Le Financial Times détaille
Sans attendre, son successeur est qui régule le secteur, estime que les reproches. La Banque d’Angle-
en terre inconnue. déjà en piste. Jérôme Despey est pres- les banques ont utilisé leurs pro- terre a relevé treize fois ses taux
Dans l’Hérault, il senti pour prendre la relève. Viticul- fits plantureux pour « distribuer pour les porter à 5 %. Face à cette
teur à Saint-Geniès-des-Mourgues des bonus et des dividendes situation, les banques ont relevé
nce Jean-Marc préside la chambre (Hérault), il ne débarque pas en terre aux employés et aux actionnaires les taux d’emprunt immobilier
inconnue. Loin s’en faut. Il est déjà plutôt que de les rendre aux ci- à une moyenne de 6,4 %. Dans le
ly Jancovici d’agriculture administrateur du Ceneca. Il préside toyens ». Cette conclusion sur- même temps le compte épargne
ministre Président de également la chambre d’agriculture vient après une alerte du prési- classique est rémunéré à 2,43 %.
de l’Hérault. Surtout, il est dans les instances dirigeantes de la dent Yoon Seok-youl, peu sus- Encore moins que le Livret A
mées The Shift Project
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles pect de sympathie communiste, français. C’est dans cet écart que
(FNSEA), où il n’a cessé de monter en grade. D’abord secrétaire qui a reproché aux cinq grandes se nichent les plantureux profits
général adjoint sous la présidence de Xavier Beulin puis secré- banques du pays de s’engraisser des banques britanniques.
taire général sous celle de Christiane Lambert, il est devenu pre- sur le dos des emprunteurs, de Mais la situation est mouvante
mier vice-président du syndicat agricole depuis l’arrivée d’Ar- plus en plus en difficulté avec la et la profession, pour se défen-
naud Rousseau à sa tête, en avril. remontée des taux. Aussi, pour dre, souligne néanmoins que le
Très politique, M. Despey a eu pour mission de nouer des la première fois depuis 1992, taux de rémunération moyen
à 19h30 liens jusqu’alors distendus entre la FNSEA et la filière viticole. de nouveaux concurrents vont des déposants est, avec la France,
Sa présidence du conseil spécialisé vin de l’institut public être autorisés à opérer sur le l’un des plus élevés en Europe.
2h30 ­FranceAgriMer lui a donné la légitimité nationale nécessaire marché national. Le développe- De plus, la chute du nombre de
à cette tâche. Si elle se confirme, l’arrivée du numéro deux ment de banques en ligne sera prêts est déjà en train de tarir
de la FNSEA à la tête du Salon de l’agriculture illustre une encouragé ainsi que les filiales cette manne. Il reste que la ban-
­nouvelle fois la stratégie de ce syndicat d’être omniprésent de groupes étrangers. que est un métier à part. Du fait
dans toutes les instances agricoles françaises et de peser dans Pénalisés par des années de de leur importance pour l’écono-
leurs décisions. Or, la présidence de cet événement est un taux d’intérêt très bas, les établis- mie et du risque qu’elles portent,
de Surveillance. Capital social : 6 585 350 218 €. poste stratégique, avec un rôle protocolaire, mais tout autant sements bancaires des grands les banques seront toujours pro-
ris n° 421 100 645. Orias n° 07 023 424. politique. Poser avec le président de la République devant la pays développés se refont une tégées par leurs Etats, même si
vache égérie fait partie des figures imposées, mais sans omet- santé en jouant sur l’un des une petite remontée de bretelle
tre de glisser les messages-clés de la FNSEA… p constituants principaux de leur de temps en temps ne peut leur
Laurence Girard marge, la différence entre l’ar- faire que du bien… p

18 | Économie & Entreprise
La mystérieuse faillite
des Editions
de La Différence
La maison, sur la corde raide depuis de nombreuses
années, est au cœur d’un violent conflit
entre son propriétaire et l’ancien président,
qui s’accusent mutuellement d’escroquerie
L
es Editions de La Diffé-
rence peuvent-elles renaî-
tre une fois encore de
leurs cendres ? Soufiane
Bensabra, leur dernier actionnaire
et dirigeant, assure y croire. « Je
m’active pour trouver un repreneur,
et suis en discussion avec un inves-
tisseur chinois intéressé », affirme-
t-il au Monde. Pas gagné, cepen-
dant, tant la situation de l’entre-
prise parisienne, qui a édité plus
de 2 000 titres de littérature, d’es-
sais, de poésie ou encore de livres
d’art depuis sa création en 1976,
paraît aujourd’hui désespérée.
Victime d’une conjoncture dif-
ficile pour toute l’édition, mais
aussi d’une gestion calamiteuse
et d’un violent conflit entre
­dirigeants, La Différence a été
placée en liquidation judiciaire,
le 26 mai, par le tribunal de com-
merce de Paris.
La société, qui employait une
vingtaine de personnes en 2014,
ne compte plus aucun salarié. Le
jugement n’a pas calmé les ten-
sions. Les deux parties s’accusent
L’ATLAS
6000 ANS
D’HISTOIRE
AFRIQUES
Une histoire enfin réhabilitée
Elle a porté les premiers pas de l’humanité, a vu naître la civilisation
pharaonique, de riches royaumes médiévaux… Pourtant, la longue
et brillante histoire de l’Afrique est souvent réduite aux temps tragiques
de l’esclavage et de la colonisation, ou à ses fléaux : la faim, la guerre,
le sous-développement... Balayant les préjugés, cette édition actualisée
de L’Atlas des Afriques en offre une lecture originale. Ce récit révèle
le dynamisme d’un continent d’avenir, sans ignorer les défis politiques,
économiques, sanitaires, climatiques, démographiques… auxquels
il est confronté.
avait connu une première liqui-
Les fournisseurs dation judiciaire, en 2017.
sont payés au Mais, à l’époque, l’actionnaire
majoritaire, Claude Mineraud, un
compte-gouttes. ancien assureur, avait réinjecté
Les salaires ne des fonds, montré que l’actif res-
tait supérieur au passif, et il avait
sont pas versés. obtenu, en 2019, l’annulation de
Le courrier la liquidation. Ce retournement
exceptionnel avait permis à la so-
n’est pas ciété de redémarrer. L’octogénaire
toujours ouvert Claude Mineraud avait néan-
moins estimé qu’il était temps
pour lui de passer la main.
mutuellement de vol, d’escroque- C’est alors qu’entre en scène
rie, d’abus de confiance. L’affaire Soufiane Bensabra. Ce courtier en
est entre les mains de la police, œuvres d’art et collectionneur né
qui a commencé à entendre les en 1980 à Paris est notamment
différents protagonistes. spécialiste de Sayed Haider Raza
(1922-2016), l’un des plus célèbres
Retournement exceptionnel peintres indiens contemporains,
Sinistre fin pour une maison qui a longtemps installé en France. Il
publié Michel Houellebecq et Niki préside l’une des deux fondations
de Saint Phalle, Fernando Pessoa, qui se disputent l’héritage du « Pi-
Michel Butor, Peter Handke et Ju- casso indien ». La Différence avait
vénal, ou encore Jean Lassalle, et publié une belle monographie
dont l’élégant logo avait été des- sur Raza, en 2008. « Je voulais
siné par André Masson. Une re- acheter un stock de ce livre, j’ai fini
chute, en réalité. La Différence par acheter la société », résume
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Soufiane Bensabra. Une bonne
partie des fonds nécessaires est
apportée par un Indien, Deepak
Gupta, dont la fille, Sanjana, ob-
tient près de 30 % du capital.
Soufiane Bensabra confie alors
la présidence de La Différence à
un vieil éditeur d’art et restaura-
teur de tableaux dont il est pro-
che, Jean-Pierre Archenoult, qui a
travaillé notamment avec César
et Max Ernst. Pleins d’ambition,
ils décident non seulement de dé-
velopper l’activité d’édition, mais
d’y ajouter un deuxième métier,
la vente au détail des livres de la
maison, en ouvrant en 2020 une
librairie en plein cœur de Paris,
rue de l’Ancienne-Comédie.
Gestion hasardeuse
Mais, très vite, rien ne va plus.
Créer une librairie en pleine pan-
démie de Covid-19 se révèle auda-
cieux. Surtout, la gestion de l’en-
treprise paraît hasardeuse. Jean-
Pierre Archenoult, qui aura bien-
tôt 80 ans, en convient : il ne
« pratique pas l’ordinateur ». Les
chiffres ne le passionnent guère.
L’ampleur du désastre apparaît
peu à peu. Plus les mois passent,
plus l’argent manque. Les fournis-
seurs sont payés au compte-gout-
tes. Les salaires ne sont pas versés,
ou seulement lorsque la pression
devient trop forte. Le courrier
n’est pas toujours ouvert.
Quant à la librairie, ses clients
sont incités à payer en espèces, té-
moignent plusieurs anciens de la
maison. « C’était un peu le chaos »,
raconte une ex-salariée, qui a dû
aller aux prud’hommes puis faire
appel à un huissier pour toucher
ce qui lui était dû. Presque aucun
nouveau texte n’est publié, à l’ex-
ception de celui de Soufiane Ben-
sabra sur Raza. Et les anciens livres
– quelque 300 000 exemplaires –
sont bloqués dans un entrepôt, les
factures du stockeur n’ayant pas
Cession du magazine « Gala » :
Vivendi choisit le groupe Figaro
Sommé de se séparer du titre de Prisma Media, le groupe Bolloré
entre en négociations exclusives avec celui de la famille Dassault
L es hebdomadaires du
groupe Figaro (Le Figaro
Madame, Le Figaro Maga-
zine et TV Magazine) sont heureux
d’annoncer l’arrivée probable
dans leur famille d’un petit der-
nier : Gala. Vivendi, dont le pre-
mier actionnaire est le groupe Bol-
loré, a annoncé, mardi 4 juillet,
que sa filiale Prisma Media (Géo,
Capital, Voici…) était entrée en né-
gociations exclusives avec le
groupe Figaro (qui comprend
aussi le quotidien éponyme et le
mensuel Le Particulier) pour la ces-
sion du titre phare de la presse
people française.
« Si celles-ci aboutissent », le
groupe appartenant à la famille
Dassault « devra être agréé en tant
que repreneur par la Commission
européenne », précise le commu-
niqué officialisant le projet d’opé-
ration. Les instances représentati-
ves du personnel devront, elles
aussi, rendre leur avis (consulta-
tif) au terme d’un processus d’in-
formation-consultation de trois
mois qui débutera la semaine
­prochaine. Enfin, le groupe Ber-
telsmann – ancien propriétaire de
Prisma Media et qui possède la li-
cence de Gala – doit lui aussi vali-
der le choix de l’acquéreur. Alors
seulement, « cette belle marque »,
selon le terme employé par le di-
recteur général du groupe Figaro,
Marc Feuillée, dans un mail aux
salariés, viendra « renforcer les
­activités médias du groupe et en
particulier l’offre éditoriale à desti-
nation des femmes ». Outre Ma-
dame Figaro, vendu avec le quoti-
dien, le groupe possède le site
Le Journal des femmes.
« Nous cherchions un acteur de
référence déjà bien installé dans la
presse et les médias, conformé-
ment aux critères imposés par
A la librairie,
les clients
sont incités à
payer en espèces,
témoignent
plusieurs anciens
de la maison
été entièrement acquittées. En
coulisses, assure Jean-Pierre Ar-
chenoult, il y a plus grave. Selon
lui, Soufiane Bensabra aurait uti-
lisé La Différence comme une
sorte de couverture pour des tra-
fics d’œuvres d’art. Depuis long-
temps, la maison imprime des li-
thographies, des estampes, dis-
pose d’originaux confiés par des
artistes. Elle joue parfois un rôle
de galerie, négocie des œuvres
d’art. Le nouvel actionnaire en
aurait profité pour détourner en
sa faveur une partie de l’argent
tiré des tableaux vendus par La
Différence, voire en voler. Selon
Jean-Pierre Archenoult, le préju-
dice pour l’entreprise atteindrait
au moins 1 million d’euros.
Des accusations totalement dé-
menties par Soufiane Bensabra :
« Je n’ai absolument rien à me re-
procher », affirme-t-il. Selon lui,
tout est la faute de Jean-Pierre Ar-
chenoult, qui aurait mal géré La
Différence, de façon opaque, puis
voulu détruire l’entreprise pour
se venger de son actionnaire.
Entre les deux hommes, la ten-
sion culmine à l’automne 2021.
Après des mois d’accrochages,
Jean-Pierre Archenoult se rend à
la police et porte plainte, au nom
de la société, contre celui qui
l’avait nommé. A la suite d’un
audit comptable indépendant,
explique-t-il, il a pris connais-
sance de « nombreuses irrégulari-
La Commission
exige que
l’actif cédé soit
en mesure
de « fonctionner
de manière
autonome »
Bruxelles », justifie Claire Léost, la
présidente de Prisma Media. La
cession de Gala (pour une somme
comprise entre 60 et 80 millions
d’euros, selon une source interne)
s’inscrit en effet dans le cadre des
remèdes réclamés par la Commis-
sion européenne pour avaliser
l’offre publique d’achat de Vivendi
sur Lagardère (Paris Match, Le
Journal du dimanche, Europe 1,
­Europe 2, RFM, Hachette).
Position ultra-dominante
Pour l’antitrust, la possession con-
jointe de Paris Match et de Gala
aurait été de nature à constituer
une position ultra-dominante sur
le segment de la presse people.
Une analyse que ne partageait pas
Vivendi mais à laquelle le groupe
s’était rendu en annonçant, le
11 avril, sa décision de se séparer
du titre aux 32 millions d’euros de
chiffre d’affaires. Afin de compen-
ser cette importante perte de chif-
fre d’affaires global (10 %), Prisma
Media intensifie depuis quelque
temps les achats (les magazines
Milk), les lancements de nouveaux
titres (Mortelle Adèle, la semaine
dernière), et développe « d’autres
projets print et digital ».
Désormais, la principale diffi-
culté à résoudre réside dans le
« détourage », la définition du
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
tés, toutes imputables à M. Bensa-
bra ». Il l’accuse d’abus de con-
fiance, de faux et usage de faux,
d’escroquerie, de menaces,
d’usurpation d’identité, d’appels
malveillants. « Il m’a proposé de
l’argent si je me tenais tranquille à
son égard, précise-t-il dans une
main courante à la police. Je ne me
sens pas en sécurité, je ne dors plus
à mon domicile. »
Soufiane Bensabra, de son côté,
convoque une assemblée géné-
rale pour révoquer Jean-Pierre Ar-
chenoult. Motifs : « gestion dé-
faillante de la société », « mauvaise
gestion du personnel ayant provo-
qué le départ de plusieurs collabo-
rateurs et plusieurs recours devant
le conseil des prud’hommes », « dé-
faut de communication des comp-
tes aux actionnaires ».
« Un vrai fantôme »
Le quadragénaire prend alors lui-
même la présidence de La Diffé-
rence. Sans pour autant redresser
la situation. Ariana Saenz Espi-
noza, la directrice littéraire de La
Différence, porte à son tour
plainte pour harcèlement moral
contre Soufiane Bensabra. L’acti-
vité reste minimale, les dettes
s’accumulent. Jusqu’au jour où
le stockeur ainsi qu’une salariée
saisissent la justice pour récupé-
rer l’argent qui leur est dû. Le
­tribunal de commerce lance
d’abord une enquête pour com-
prendre la situation.
« Mais après avoir décalé le ren-
dez-vous par mail, M. Bensabra ne
s’est jamais présenté et n’a plus ré-
pondu, c’était un vrai fantôme »,
soupire le mandataire judiciaire,
Xavier Brouard. D’où la liquidation
décidée par le tribunal, en l’ab-
sence de représentant de l’entre-
prise. Comme un point final, après
une histoire tumultueuse enta-
mée il y a près d’un demi-siècle. p
Denis Cosnard
­ érimètre qui partira chez le re-
p
preneur. Les 60 à 70 journalistes
de la rédaction sont censés être
tous transférés au groupe Figaro,
sauf s’ils décident d’actionner
leur clause de cession – une
­disposition qui leur permet de
choisir de partir tout en conser-
vant leurs indemnités de licencie-
ment. Le cas d’une dizaine de
­salariés qui travaillent de manière
transversale entre les différents
titres du groupe devra être ana-
lysé plus finement. « Un ­certain
nombre de personnes-clés ont
été identifiées qui devront faire
partie du deal », assure une source
interne. La Commission exige en
effet que l’actif cédé soit en
­mesure de « fonctionner de ma-
nière autonome ».
Gala est diffusé à 128 000 exem-
plaires, en baisse de 4,69 % sur un
an, selon l’Alliance pour les chif-
fres de la presse et des médias.
« L’audience Médiamétrie de son
site atteint 11,6 millions de visiteurs
uniques, se réjouit Marc Feuillée
dans sa communication interne. Il
a également une grande présence
sur les réseaux sociaux notamment
Instagram et TikTok ». Le nombre
d’abonnés à la plate-forme chi-
noise est passé de 7 millions à la fin
du Festival de Cannes à 8 millions
à la fin juin. La moitié du chiffre
d’affaires serait d’ailleurs réalisée
sur le numérique.
Quant à la cession d’Editis à
­International Media Invest, le
groupe de Daniel Kretinsky ­ (ac-
tionnaire indirect du Monde) –
vente également imposée par
Bruxelles pour autoriser la prise
de contrôle de Vivendi sur
­Lagardère –, Vivendi se dit « con-
fiant de pouvoir [la] finaliser d’ici
à octobre ». p
Aude Dassonville
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023 Économie & Entreprise | 19

U
ne programma-
tion fantôme.
Une bonne di-
zaine d’opéras
ont dû être
­abandonnés ou
reportés cette année, comme
autant de renoncements effec-
tués à contrecœur pour des rai-
sons budgétaires. Le syndicat Les
Forces musicales a publié, mardi
4 juillet, le jour de l’ouverture du
75e Festival d’Aix-en-Provence
(qui se tiendra jusqu’au 24 juillet
dans les Bouches-du-Rhône), un
petit recueil, comme un faire-part
de décès de ces œuvres écartées,
pour tenter de faire bouger les li-
gnes politiques dans un contexte
d’attrition financière.
L’Opéra de Rouen est resté por-
tes closes un mois au printemps,
celui de Lyon fermera exception-
nellement du 15 juillet au 15 août.
Du jamais-vu. Mais, surtout, la
quasi-totalité des maisons de
l’Hexagone ont dû se résoudre à
tailler à la serpe dans leur pro-
grammation.
Trois opéras seront maintenus
au lieu de quatre à Lille pour la
­saison 2023-2024. La Force du
­destin, de Giuseppe Verdi, n’a pas
résisté à Montpellier. Exit Car-
men, de Georges Bizet, à Nancy,
et On purge bébé !, de Philippe
Boesmans, à Lyon. The Convert, de
Wim Henderickx, a été sacrifié à
Rouen, un autre opéra signé
Marco Suarez a été reporté sine
die à Lille, où les captations télévi- « Quintett », du chorégraphe William Forsythe, par les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon, le 23 juin, à l’Opéra de Lyon. AGATHE POUPENEY/DIVERGENCE
suelles sont aussi arrêtées, trop
chères… Fait nouveau, certains
musiciens d’orchestre (salariés
des opéras) ne sont plus rempla-
cés à leur départ à la retraite, mais
suppléés par des intermittents,
PLEIN CADRE
moins coûteux.

Des « ovnis » économiques

Pour Valérie Chevalier, directrice
générale de l’Opéra de Montpel-
lier, qui n’a pu conserver que deux
opéras pour la saison 2023-2024,
« cette période de vaches maigres
oblige à sabrer dans la marge artis-
tique. Nous ne serons pas dans le
rouge cette année, mais à quel
prix ! », s’exclame-t-elle. Selon Ca-
roline Sonrier, à la tête de l’Opéra
de Lille et autrice d’un rapport
alarmiste sur la politique de l’art
lyrique en France remis au minis-
tère de la culture fin 2021, les tra-
vers du secteur s’amplifient.
L’effet de ciseau s’intensifie,
­entre l’augmentation régulière
des coûts fixes des salaires et la
baisse des financements publics
(− 9 % en euros constants, entre
2006 et 2019). Sans compter
qu’entre 2006 et 2015 le nombre
de levers de rideau (en incluant la
danse et les concerts) a déjà chuté
de 15 % et celui des représenta-
tions lyriques de 10 %.
En termes économiques, les
­opéras ressemblent à des ovnis,
puisqu’ils obéissent à la rude loi de
Baumol, du nom d’un professeur
de Princetown (New Jersey, Etats-
Unis) qui a essayé de comprendre
pourquoi ces établissements de-
mandaient inexorablement da-
vantage de subsides. Théoricien
de cette « fatalité des coûts crois-
sants », William J. Baumol affirme
qu’il est simplement impossible
d’imaginer des gains de producti-
vité : il faudra toujours autant de
musiciens dans un orchestre, de
chanteurs sur scène, de décors… La
variable du prix ne fonctionne pas
non plus : il est prouvé que trop
augmenter le tarif des billets fait
fuir le public. Paradoxalement, les
opéras perdent moins d’argent en
restant à l’affiche moins long-
temps, puisque la jauge ne suffit
pas à les rentabiliser.
La loi de Baumol oblige ainsi
l’Opéra de Paris à augmenter ses
ressources propres. Il bénéficie du
budget le plus important des
trente maisons que compte
l’Hexagone (240 millions d’euros,
en 2023), des plus grandes jauges
(2 700 places à Bastille et 1 750 à
Garnier) et du prix des places le
plus élevé (jusqu’à 220 euros).
« Nous, si on ne lève pas le rideau,
Les opéras en « période
de vaches maigres »
Alors que les subventions publiques n’augmentent guère,
l’inflation des salaires et des coûts oblige les scènes lyriques
à raboter sérieusement leur programmation
on perd de l’argent », affirme
Martin Ajdari, son directeur géné-
ral adjoint. « Notre taux de subven-
tion publique n’est que de 45 %, là
où celui de nos collègues en région
peut atteindre 80 % à 85 % », préci-
se-t-il, le reste provient du mécé-
nat, de la billetterie, de la location
des espaces ou des visites.
Selon le président du Centre
­national de la musique (CNM),
Jean-Philippe Thiellay, une pro-
duction lyrique coûte entre
300 000 euros et 1,5 million
d’euros (hors masse salariale des
équipes permanentes), en fonc-
tion de l’œuvre, de l’effectif, de la
renommée des solistes, du chef,
du projet artistique, des décors, de
l’utilisation de la vidéo…
Si bien que l’intervention de la
puissance publique est « consubs-
tantielle du fonctionnement des
opéras », selon M. Thiellay, égale-
ment auteur d’un plaidoyer pour
l’art lyrique, L’Opéra, s’il vous plaît
(Les Belles lettres, 2021). Or, l’Etat
comme les collectivités publiques
cherchent à raboter les budgets.
« Dans pas mal de villes en France,
les opéras risquent de fermer,
comme c’est arrivé en Italie, mais
« Nous ne serons
pas dans le rouge
cette année, mais
à quel prix ! »
Valérie Chevalier
directrice de l’Opéra
de Montpellier
aussi aux Etats-Unis », s’alarme-
t-il. L’équation financière se com-
plexifie. Matthieu Dussouillez,
qui dirige l’Opéra national de
­Lorraine, à Nancy, assure que le
très fort niveau d’inflation les
« étrangle de façon brutale, là où il
était encore possible auparavant
de réduire les activités à bas bruit,
de grappiller ».
Un « truc du XIXe Siècle »
Il a dû faire face à 500 000 euros
de coûts supplémentaires, liés à
l’augmentation du point d’indice
des fonctionnaires, et, avec la
flambée de l’énergie, de la
main-d’œuvre et des matériaux
de construction des décors…, ses
dépenses ont gonflé de 1,2 mil-
lion, sur un budget annuel de
15 millions. « Sans la moindre
compensation », déplore-t-il.
A Lyon aussi, la facture d’énergie
a bondi pour passer de
300 000 euros à 1,1 million d’euros
en un an, et la réforme des retraites
s’est soldée par dix-sept annula-
tions de spectacles, ce qui a encore
fragilisé l’équilibre budgétaire.
Chaque opéra fait face à des con-
traintes similaires. Et, à force de ré-
duire l’activité, « on va mettre en
route une spirale décliniste au ris-
que de perdre des milliers de specta-
teurs », redoute Loïc Lachenal, di-
recteur de l’Opéra de Rouen Nor-
mandie. Pourtant, le public est bel
et bien revenu après la pandémie
de Covid-19, avec une moyenne de
95 % de fréquentation pour le lyri-
que à Lyon, par exemple.
L’image même de l’opéra consti-
tue-t-elle un handicap inexorable ?
« Pour beaucoup d’hommes et de
femmes politiques, cet art est ré-
servé aux vieux, blancs, diplômés
de centre-ville, c’est un truc du
XIXe siècle, et il n’y a pas raison que
cela coûte autant d’argent », relève
Jean-Philippe Thiellay. La coupe
d’un demi-million dans la subven-
tion accordée à l’Opéra de Lyon par
la région Auvergne-Rhône-Alpes,
présidée par Laurent Wauquiez
(Les Républicains), témoigne des
rapports compliqués avec le per-
sonnel politique.
Effectué au nom d’un « rééquili-
brage territorial », ce choix a dé-
clenché la colère des acteurs de la
culture lyonnaise. Face à ce tollé et
après les engagements pris par
­Richard Brunel, qui dirige cette
institution, pour permettre un
plus grand accès à l’art lyrique en
dehors de Lyon, la région a limité
sa baisse à 300 000 euros. La
­mairie écologiste de Lyon a, elle
aussi, raboté ses subsides de
500 000 euros, avant de se décider
à financer la hausse des salaires et
à engager 1 million d’euros de gros
travaux (escaliers mécaniques et
ascenseurs).
« Maintenant, le maire, Grégory
Doucet, et son adjointe chargée des
finances, Audrey Hénocque, vien-
nent souvent à l’Opéra », se réjouit
M. Brunel. Aux attaques sur l’éli-
tisme supposé de l’art lyrique, il
­répond : « Je fais tout pour rendre
accessible cette maison. A Lyon,
près d’un quart du public a moins
de 29 ans, et nous touchons beau-
coup de gens très différents, puis-
que 83 % de notre public ne vient
qu’une fois dans l’année. »
Exit « Carmen »,
de Bizet, à Nancy,
et « On purge
bébé ! »,
de Philippe
Boesmans, à Lyon
Parmi les solutions envisagées
pour résoudre cette dépendance
aux financements publics, le mé-
cénat peut-il constituer une plan-
che de salut ? Hormis l’Opéra de
Paris (qui a engrangé, en 2022, près
de 20 millions d’euros par ce biais)
et le Festival d’Aix-en-Provence,
qui constituent deux exceptions,
« ce type de financement privé a
­atteint ses limites », estime le prési-
dent du CNM. Séduire les mécènes
en réduisant le nombre de specta-
cles semble forcément difficile… A
Nancy, toutefois, Matthieu Dus-
souillez se félicite du nouveau
­soutien du Crédit agricole de Lor-
raine et du cabinet d’avocats Fidal.
« On aimerait qu’ils soient là pour
financer la création, pas la hausse
d’indice des salaires », dit-il.
La piste de la réutilisation des
décors existants ou la multiplica-
tion des coproductions entre
­opéras permet aussi de réaliser de
substantielles économies en pro-
grammant des créations à plu-
sieurs, donc en divisant la facture.
« A l’Opéra de Paris, nous parta-
geons les coûts chaque fois que
nous le pouvons, comme pour La
Traviata, coproduite avec Vienne,
Ariodante, avec le Metropolitan
Opera, à New York, Peter Grimes,
avec Londres et Madrid, ou Roméo
et Juliette, également avec Ma-
drid », constate Martin Ajdari.
Une politique qu’il explique « par
des motifs économiques, mais
aussi écologiques ».
Chaque coproduction nécessite
un « projet intellectuel commun »,
rappelle Matthieu Dessoulliez.
« Depuis des années, on en fait vrai-
ment beaucoup, c’est difficile d’aller
plus loin », ajoute Loïc Lachenal. De
fait, les efforts d’optimisation
­entre les six Opéras ­nationaux en
région ou à l’échelle européenne
sont devenus monnaie courante.
Mais, aujourd’hui, même La Force
du destin, un ­projet mené à bien
­financièrement à trois entre
Montpellier, Parme et Bologne, a
été sacrifié. Pour réaliser des
­économies, il ne sera pas joué en
Occitanie, bien qu’il ait été cofi-
nancé. Un choix qui affecte aussi
tout le tissu des intermittents.
« Risque de disparition »
Pour Loïc Lachenal, également
­vice-président des Forces musica-
les, « c’est toute la chaîne du spec-
tacle vivant qui pâtit des problè-
mes financiers des opéras ». En
cascade, ils font plus rarement ap-
pel à des orchestres indépendants
et se replient sur leurs propres
forces. « Au risque de gommer de
leur programmation tout le réper-
toire de Monteverdi à Mozart », re-
doute Nicolas Bucher, président
de la Profedim, le syndicat des en-
sembles et festivals de musique.
La Fédération des ensembles
­vocaux et instrumentaux spéciali-
sés, qui accompagne 200 ensem-
bles musicaux, s’inquiète aussi.
« C’est bien un risque de disparition
qui [nous] guette, à très court
terme », a-t-elle expliqué à la mi-
nistre de la culture, fin juin.
Rima Abdul Malak est attendue
le 11 juillet à Aix-en-Provence. Jus-
qu’à présent, aucune des préconi-
sations du rapport Sonrier pour
« créer un cadre durable pour
l’opéra » n’a été mise en place. L’ur-
gence est là. Déjà, dans le premier
opéra de l’histoire, L’Orfeo, de
Claudio Monteverdi, une nymphe
évoquait « un cruel nuage, porteur
de sombre tempête ». p
Nicole Vulser
20 | Management ­
0123
­Jeudi 6­ juillet 2023

Etats-Unis : le métier de secrétaire Carnet de bureau

Chronique par Anne Rodier

de direction contraint de se réinventer Fait religieux au travail :

Les héritières des assistantes des années 1960 sont plus qualifiées et travaillent à distance
une affaire d’hommes?
L
New York - correspondance Celle qui connaissait mieux son dres, à des tarifs plus abordables, e Baromètre annuel sur le fait religieux en entreprise,
patron que sa propre femme n’est
Désormais, en jouant la carte virtuelle. Alice publié mercredi 5 juillet par l’Institut Montaigne, est

A
ngélique Walsh, âgée
de 30 ans, vient de
trouver un nouvel em-
ploi de secrétaire de di-
rection chez Malpac, une entre-
prise de services financiers. Son
ancien poste à la plate-forme
pour véhicules connectés Auto-
nomic, installée dans le Michigan,
venait d’être supprimé. « Un cer-
tain nombre de tâches ont dis-
paru, dit-elle. Les programmes
d’intelligence artificielle ChatGPT,
Calend­ly… nous remplacent. » Et la
concurrence sur les postes encore
disponibles est brutale. « Là où j’ai
postulé, nous étions 5 000 candi-
dates pour une seule offre », se
souvient-elle.
Avec ses neuf ans d’expérience,
elle a fini par l’emporter. Mais il a
fallu s’adapter aux nouvelles
­conditions du métier. Elle n’a pas
de relation exclusive avec un seul
dirigeant, mais travaille avec deux
patrons, et doit parfois aider l’en-
semble de l’équipe. L’image de la
fidèle secrétaire de direction des
années 1960, caricaturée dans la
série télé Mad Men, s’est brouillée.
Les Chiffres
508 000
C’est le nombre de secrétaires
et d’assistants administratifs
de direction aux Etats-Unis,
en 2021, selon le Bureau of La-
bor Statistics. Il devrait dimi-
nuer de 20,2 % d’ici à 2031.
62 060
C’est, en dollars, le salaire
moyen annuel de cette
catégorie de salariés américains
en 2021, selon le Bureau
of Labor Statistics.
plus. La personne qui occupe ce
poste répond aujourd’hui à plu-
sieurs directeurs. Et elle se fait de
plus en plus rare. Selon le Bureau
of Labor Statistics, l’Insee améri-
cain, leur nombre s’est réduit de
63 % de l’an 2000 à 2021, passant à
508 000 personnes. Et devrait en-
core baisser d’ici à 2031. L’agence
statistique prévoit un déclin de
20,2 % du nombre de secrétaires
et d’assistants administratifs de
direction, soit 102 600 dispari-
tions de poste de 2021 à 2031.
Réductions de coûts
Eliza Forsythe, professeure à
l’école Travail et emploi de l’uni-
versité de l’Illinois Urbana-Cham-
paign, a suivi l’évolution des pink
collars, celles qu’on appelle les
« cols roses », car la profession est
à 70 % féminine.
Désormais « Les tâches sont
automatisées, dit-elle. Les nou-
veaux cadres gèrent eux-mêmes
leurs déplacements et leur corres-
pondance. » Et les secrétaires de
direction toujours en place ont
des fonctions moins administra-
tives. « Elles ont fait des études su-
périeures, ajoute Mme Forsythe. Et
leurs missions sont plus comple-
xes, plus intellectuelles. »
Lorsqu’un directeur financier
cherche à réduire ses coûts,
« l’assistante est une cible popu-
laire », assure Ash Wendt, prési-
dent de l’agence de recrutement
Cowen Partners Executive
Search. « Dans l’ancienne confi-
guration, le prestige du dirigeant
était lié à la taille de son équipe
et à la dévotion de sa secrétaire
particulière. » Mais aujourd’hui,
l’assistante qu’on se partage en-
tre plusieurs cadres a été ren-
voyée dans l’open space, « sur un
petit espace », avec le reste du
commun des mortels. Jerry
­Maginnis, un ancien associé
chez KPMG, maintenant auteur
les secrétaires
de direction
toujours en place
ont des fonctions
moins
administratives
et consultant, a vu le métier évo-
luer : « Les jeunes cadres sont
autosuffisants, ils ont grandi
avec la technologie, remarque-
t-il. Pour le maintien de leur ca-
lendrier et les tâches minutieuses
du quotidien, ils n’ont plus besoin
d’une assistante. »
D’autres fonctions, certes plus
rares, mais aussi plus difficiles,
sont apparues. L’expert-compta-
ble prend l’exemple des invita-
tions aux matchs de base-ball.
« Autrefois, la secrétaire faisait la
liste des clients à inviter. Elle leur
envoyait les tickets et facilitait les
rencontres. Aujourd’hui, l’achat
des billets se gère en ligne. Mais la
bonne secrétaire doit mesurer l’ef-
ficacité du dispositif. Elle doit sa-
voir qui a été reçu, pourquoi ils ont
été sélectionnés et comment gérer
la suite. Son rôle dépasse la simple
livraison d’un billet. »
Grilles de salaires plus faibles
M. Wendt lui aussi souligne la
montée en compétences des sur-
vivantes. Les perles rares, qui peu-
vent gagner jusqu’à 300 000 dol-
lars (environ 275 000 euros) par
an, ont fréquenté l’université. « El-
les sont diplômées en comptabilité
et gestion de projet. Elles savent
analyser un rapport », explique-
t-il. Des qualités qui peuvent se sa-
vourer collectivement et pas for-
cément en présentiel. Les créa-
teurs de start-up qui se sont
lancés ces derniers temps tentent
de répondre aux besoins des ca-
Default, directrice générale de la
start-up Double, à New York, pro-
pose ainsi aux dirigeants des as-
sistantes de direction à mi-temps
en télétravail. Ces secrétaires vi-
vent dans des Etats aux grilles de
salaires plus faibles, comme le Co-
lorado, la Virginie, la Caroline du
Nord… et s’occupent à distance de
trois ou quatre clients des grandes
métropoles, telles que New York,
San Francisco ou encore Boston.
Paul Ostergaard, le fondateur
de Sigrid.ai, va encore plus loin.
Ce patron danois à la clientèle
anglophone recrute une bonne
partie de ses secrétaires aux Phi-
lippines et à Singapour. Il les
forme durant deux mois, leur
donne des outils d’intelligence
artificielle et leur confie des
missions basiques pour une
multitude de clients : réserva-
tion de billets d’avion, prépara-
tion des rendez-vous, relevé des
notes de frais… A cela s’ajoute
une secrétaire locale, qui gère
les demandes « uniquement hu-
maines » du client.
De quoi s’offrir un secrétariat
virtuel payé le quart du prix usuel.
« C’est l’avenir, s’enthousiasme pa-
radoxalement Ida Holtzel, assis-
tante d’un client au Danemark. Il
me suffit d’un ordinateur et de
Wi-Fi. Mon patron n’a pas besoin
de louer un bureau, il n’y a pas de
cafétéria et pas de transport. » En
plus, le service fonctionne vingt-
quatre heures sur vingt-quatre,
explique M. Ostergaard, la plate-
forme aux Philippines prenant la
relève lorsque Mme Holtzel décro-
che. Et pour assurer un lien fort
entre la secrétaire et son cadre,
Mme Default souligne « le soutien à
la vie personnelle ». « Nous pou-
vons organiser des vacances, payer
les contraventions et trouver des
activités pour leurs enfants. » Vir-
tuellement, bien sûr. p
Caroline Talbot
formel : « Le fait religieux est peu genré et la majorité
des situations (53 %) implique des femmes et des hom-
mes. » L’expression de la religiosité au travail est largement
partagée entre les hommes et les femmes, qu’il s’agisse de
porter des signes ostentatoires, d’organiser un temps de
prière, voire de faire du prosélytisme. Même si, lorsqu’un seul
genre est concerné, ce sont plus souvent des hommes (30 %)
que des femmes (17 %). Une différence apparaît toutefois net-
tement dans la façon d’exprimer sa religion en milieu profes-
sionnel. L’Observatoire du fait religieux en entreprise a établi
pour ce baromètre 2023 une typologie des modes d’expres-
sion, qui distingue les faits invisibles, qui ne modifient pas
l’organisation du travail, comme prier pendant une pause,
des faits « perturbateurs », qui transgressent les règles de droit
et peuvent faire l’objet d’une sanction, comme le refus de réa-
liser certaines tâches ou de serrer la main d’une collègue.
A la lecture de cette typologie, le baromètre révèle que les
femmes sont très majoritairement à l’origine de faits qui ne re-
mettent pas en cause, par eux-mêmes, le fonctionnement de
l’organisation, la réalisation du travail ou encore les relations
professionnelles. Elles vont demander, par exemple, à s’absen-
ter ou solliciter un aménagement des plan-
nings, elles vont porter un signe religieux
Les femmes sont distinctif (vêtements, objets, bijoux,
très rarement comme un hidjab, une croix, une étoile de
David). Mais elles sont très rarement dans
dans la la transgression.
« Les comportements transgressifs sont
transgression l’apanage des hommes », note Lionel Ho-
noré. Le directeur de l’Observatoire du fait
religieux en entreprise et auteur du baromètre précise que « les
faits les plus dysfonctionnels retrouvent des hommes peu quali-
fiés et très largement parmi les moins de 35 ans. Plus on monte en
compétences, plus on monte en âge, moins les faits sont problé-
matiques ». Il peut s’agir de comportements négatifs à l’égard
des femmes, de refus de réaliser une tâche, de travailler avec
quelqu’un qui n’est pas de la même religion. Ce sont, par exem-
ple, des comportements discriminants en raison du genre.
La liberté de culte n’autorise ni la discrimination ni les agis-
sements sexistes. Le respect en entreprise est encadré par le
code du travail à la fois pour les libertés individuelles (art.
L. 1121-1), les convictions religieuses (art. L. 1132-1), les exigences
professionnelles (art. L. 1133-1) et pour la dignité des salariés
(art. L. 1142-2-1). Le guide pratique du fait religieux dans les en-
treprises privées, consultable sur le site du ministère du travail,
recense toutes les dispositions législatives concernées. Mais
il existe « un élément dont les entreprises se saisissent peu,
­suggère Lionel Honoré, c’est leur politique RSE [responsabilité
sociétale des entreprises]. En présentant dès l’embauche leur
politique de diversité, elles indiqueraient aux salariés quel est
le cadre. La lutte contre la discrimination est un préalable à la
gestion du fait religieux ». p

Avis d’expert | Gouvernance Technologie et perte de sens

La manipulation des « lois de l’économie »

U U
n lieu commun de la pensée managé-
riale oppose les tenants du réalisme
économique aux utopistes et aux rê-
veurs. Tandis que ces derniers sont censés igno-
rer ou ne comprendre qu’à moitié les « lois de
l’économie », les réalistes les connaissent et sa-
vent que l’on ne peut pas y déroger sans péril.
Le malheur du temps vient peut-être du fait
que ce supposé savoir économique n’en est pas
toujours un. C’est ce que nous suggère Thierry
Pauchant, professeur à HEC Montréal, dans un
récent ouvrage malicieusement intitulé Adam
Smith, l’antidote ultime au capitalisme (Dunod,
208 pages, 19,90 euros).
Pour les tenants des « lois de l’économie »,
Adam Smith (1723-1790) est un père fondateur
qui a établi le moteur de l’économie capitaliste
dans l’homme calculateur, cherchant d’abord
son profit plutôt que le bien commun. Grâce à
une mystérieuse « main invisible », l’utilité col-
lective serait maximisée non seulement malgré,
mais même grâce à la poursuite aveugle et indi-
vidualiste des intérêts privés. Ainsi, même
quand l’égoïsme sévit, la prospérité est assurée.
Or, Thierry Pauchant, à la suite d’autres écono-
mistes, montre de manière convaincante
qu’Adam Smith n’a jamais écrit cela. Héritier
d’une tradition libérale humaniste, il a défendu
le contraire dans ses deux livres majeurs et com-
plémentaires, Théorie des sentiments moraux
(1759) et La Richesse des nations (1776).
Pour lui, l’économie doit poursuivre un objec-
tif moral visant à permettre aux humains d’ac-
quérir le maximum de capacités de développe-
ment personnel dans le respect de la vie collec-
tive fondée sur une commune sympathie.
La vulgate élémentaire à laquelle il a été peu à
peu réduit exprime l’exact contraire de ce qu’il a
défendu. Une telle réinterprétation a, bien sûr,
une fonction : elle permet de recouvrir du pres-
tige d’un « grand économiste » les comporte-
ments des égoïstes et des prédateurs, qu’il avait
en réalité dénoncés. Le retournement est rendu n robot nommé Paro a nonce qui accompagnent sou-
possible par la crédulité publique : qui lit encore fait son entrée, il y a vent le déploiement d’innova-
Adam Smith, sinon quelques spécialistes ? quelques années, dans tions. Dans une approche anthro-
L’exemple invite à réfléchir, car on pourrait gé- un Ehpad. Cette pelu- pocentrée, il « cherche moins à
néraliser le phénomène : les supposées « lois de che high-tech aux allures de bébé mesurer l’acceptabilité de la tech-
l’économie » invoquées pour justifier des prati- phoque devait favoriser les inte- nologie elle-même que d’évaluer
ques ne sont souvent que des formules sans fon- ractions avec les résidents tout en l’acceptation des pratiques qui
dement sérieux, mais qui permettent de leur apportant de l’apaisement. sont effectivement permises,
s’exempter de réflexion éthique en invoquant la Mais un problème est rapide- ­empêchées ou reconfigurées ».
haute autorité de quelque grand penseur. ment survenu : son arrivée a « dés-
Quant à la « destruction créatrice » qui assure- tabilisé la relation personnelle et Des répercussions positives Psychologie du travail
rait à tout coup les bienfaits de l’innovation et intime qu’avait réussi à créer l’aide- Comme dans l’Ehpad où est arrivé digitalisé
que l’économiste Joseph Schumpeter (1883- soignante avec la personne âgée le robot, le souffle de la technolo- de Marc-Eric Bobillier Chaumon.
1950) aurait démontrée, ce que ni lui ni fragilisée », explique Marc-Eric gie peut ainsi bouleverser en pro- Dunod, 208 pages, 26 euros
­personne n’a, en réalité, Bobillier Chaumon, professeur de fondeur le quotidien profession-
jamais fait. Ou bien de psychologie du travail au Conser- nel des salariés et leur état d’esprit,
la « loi de Moore », sur le
le malheur vatoire national des arts et mé- avec des impacts possibles sur
doublement des capaci- du temps vient tiers. La professionnelle « deve- leur santé. « Il n’y a pas seulement cussions positives » sur le travail
tés technologiques en nait invisible dans cette triade » ce que l’on fait avec la technologie des utilisateurs : leur permettre
un temps donné, qui du fait que le et se sentait exclue, inutile. « Je qui compte, il y a aussi ce que l’on de mieux réaliser leur travail, de
est au principe de l’opti- ne sers pas forcément à grand- devient par son usage », résume rompre la monotonie des tâches,
misme technophile,
supposé savoir chose, en fait », soulignait-elle l’auteur. Le sentiment d’invisibi- de renforcer leur créativité ou de
bien qu’il ne s’agisse économique alors, tout en exprimant son rejet lité ressenti par l’aide-soignante « s’ouvrir à de nouvelles compéten-
que d’une observation pour ce « concurrent ». en est l’une des expressions. ces ou responsabilités ».
empirique approxima- n’en est pas un La situation démontre combien Autre exemple : une sensation Mais il faut pour cela un préala-
tive établie sur une du- l’introduction de technologies de déclassement peut saisir l’em- ble, trop souvent ignoré : réaliser
rée courte. A y regarder de près, même la basi- pourtant considérées comme effi- ployé d’une plate-forme logisti- une transition technique où les
que « loi de l’offre et de la demande » apparaît caces peut s’avérer délicate. Quels que équipée d’un système de futurs utilisateurs sont associés
comme une simple tautologie destinée à sont les freins à l’acceptation des « voice picking », qui lui impose à la conception du projet et où
­consacrer le bien-fondé de tout échange sur un mutations numériques par les sa- le trajet le plus court et les pro- l’on se penche sur les conséquen-
marché. lariés ? Quels impacts ont-elles sur duits à sélectionner pour compo- ces à venir sur leur travail. C’est
On peut ainsi multiplier les savoirs certains ces derniers, mais aussi sur leur ser sa palette. « La compétence d’ailleurs ce que recommande
qui ne sont que des fictions ignorantes. Ma- activité ? Comment évolue alors la du professionnel se trouve totale- l’auteur dans l’Ehpad : « Réfléchir
niées comme des lois imparables, elles préten- perception qu’ils ont de leur tra- ment désavouée », note l’auteur. avec les soignants à la configura-
dent à tort justifier un « réalisme économi- vail, de leur place dans leur orga- De même, certains salariés pris tion de ces sessions [avec le robot]
que ». Or, le réalisme bien ordonné commence nisation ? M. Bobillier Chaumon dans une mutation technologi- pour déterminer la place et le rôle
par la critique des lieux communs et des idées s’est penché sur ces questions que pourront s’interroger sur leur médiateur qu’[il] devrait tenir à
trop évidentes. La pensée managériale, qui dans son dernier ouvrage, Psycho- utilité professionnelle. leur côté (…). C’est à ces conditions
porte sur la décision et l’action, ne peut pas logie du travail digitalisé. Le tableau est sombre, mais que le dispositif serait acceptable,
s’exempter d’une telle exigence. p Au fil des pages, l’auteur invite M. Bobillier Chaumon rappelle parce qu’il soutiendrait efficace-
à voir ce qui se passe au plus près que les déploiements numériques ment la relation de soin. » p
Pierre-Yves Gomez est professeur à l’EM Lyon du terrain, derrière les effets d’an- peuvent avoir, aussi, des « réper- François Desnoyers
 Culture
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023 | 21

« L’Opéra de quat’ sous » au bal des débutants

A Aix, Thomas Ostermeier présente sa première mise en scène lyrique avec la pièce de Kurt Weill et Bertolt Brecht

Musique
Aix-en-Provence (Bouches-
du-Rhône) - envoyée spéciale

C’
est le soir des pre-
mières fois au
­Festival d’Aix-en-
Provence, dont la
75e édition se voit gratifiée d’une
entrée au répertoire avec L’Opéra
de quat’ sous, de Kurt Weill et Ber-
tolt Brecht, récoltant le très at-
tendu passage à l’acte lyrique du
metteur en scène allemand Tho-
mas Ostermeier ainsi qu’une pre-
mière collaboration historique
avec les acteurs de la Comédie-
Française. Baptême du feu égale-
ment pour le chef d’orchestre
Maxime Pascal, qui dirige son
­ensemble, Le Balcon, au Théâtre
de l’Archevêché ce 4 juillet.
Le public mettra longtemps à
se placer, visiblement excité par
le parfum d’encanaillement qui
flotte dans l’air. Demain, on re-
viendra aux fondamentaux – Mo-
zart (Cosi fan tutte), Berg (Woz-
zeck), et même la création de
George Benjamin (Picture A Day
Like This), dont on espère le
même émerveillement que pour
Written on Skin, il y a onze ans.
Mais ce soir, place à la musique
qui grince et chaloupe, aux pas-
sions turpides, aux amours
qui blessent mais ne tuent pas.

D’excellents acteurs et chanteurs

Après avoir programmé Grandeur
et décadence de la ville de Maha-
gonny dès sa première saison,
en 2019, le directeur du festival,
Pierre Audi, continue d’élargir,
comme il dit, le spectre de l’art ly-
rique avec L’Opéra de quat’ sous,
« pièce avec musique » dont le sy-
nopsis se terre au cœur interlope
d’une ville, non plus le mirage
américain d’un totalitarisme du
crime, mais dans les bas-fonds
londoniens de Soho, où Ma-
cheath, dit « Mack La Lame », fait
régner sa loi. Loi sexuelle avant
tout. C’est un épouseur compulsif
– d’abord Lucy, la fille de son ami
et ancien camarade de régiment,
le policier véreux Tiger Brown.
Puis la jeune Polly, unique héri-
tière du roi des mendiants, Pea-
chum, qui gère la misère comme
une entreprise.
Au centre, la prostituée Jenny,
qu’il visite une fois par semaine,
tous les jeudis. Bien sûr, les terri-
toires des femmes et des malfrats
se jouxtent et s’affrontent.
Moyennant pécule, Jenny livrera
Mackie à la police. Evadé de
­prison grâce à Lucy, le truand
« L’Opéra de quat’ sous », mis en scène par Thomas Ostermeier. JEAN-LOUIS FERNANDEZ
se fera reprendre. Cette fois, il
doit être pendu.
Quatre micros plantés à l’avant-
scène, une combinatoire d’esca-
liers et de tréteaux en métal noir
esquissant différents topos (salle
de mariage, bordel, prison, gibet),
Thomas Ostermeier a dessiné sa
mise en scène dans un décor aus-
tère peuplé de petites vidéos trai-
tées comme des placards publici-
taires : de l’omniprésente lune
de Soho aux images d’archives
(films, affiches) évoquant le con-
texte politique autour de la créa-
tion de l’œuvre (1928), crise éco-
nomique, famine, guerre, plus
tard congés payés, arrivée du
communisme. Costumes ma-
riant les situations et les époques
(paillettes de cabaret, bourgeoi-
sie années 1930, habits de clo-
chards modernes), lumières
­rappelant parfois l’esthétique ci-
nématographique d’un Georg
Wilhelm Pabst (qui tourna,
en 1931, un Opéra de quat’ sous
­simultanément en version alle-
mande et française) servent une
direction d’acteur précise, vir-
tuose, ponctuée d’irrésistibles
numéros de cabaret. Mais la pa-
rodie vire parfois au gag, comme
dans l’interminable mariage de
Macheath et Polly avec ses chutes
de convives à répétition et autres
entartages à la crème.
Soucieux de convier le public et,
pour ce faire, de projeter en quel-
que sorte ses comédiens dans la
salle, Ostermeier a inséré çà et là
des adresses au spectateur, à l’ins-
tar de celle qui imprègne la fin
de l’opéra d’un esprit de fronde et
de liberté, interrompant la pen-
daison de Mackie d’un « On a
changé la fin de l’histoire/Pour
vous montrer qu’à l’opéra/Au
moins cette fois, la grâce l’emporte
sur le droit. » Mais certains tours
Soucieux de
convier le public,
Ostermeier
a inséré çà et là
des adresses
au spectateur
de chauffe finissent par tomber
à plat, comme lorsque la bande
à Mackie se met en frais afin de
faire hurler à la salle les initiales
de Polly.
Mélange de force et de fragilité,
le spectacle, qui bénéficie d’une
nouvelle traduction en français
confiée à l’excellent Alexandre
Pateau, laisse au final une étrange
sensation. Comme si Thomas Os-
termeier, tout en se concentrant
sur la première version de l’opéra,
celle d’un Brecht nihiliste d’avant
sa rencontre avec Karl Marx,
n’avait pu se résoudre à l’absence
de réponse et à l’aveu d’impuis-
sance à changer le monde. En té-
moignera aux saluts, chanté par
le chœur, acteurs et musiciens, un
couplet de dénonciation du fas-
cisme ajouté par Brecht en 1948.
Reste la performance des artis-
tes. Performance d’acteurs
d’abord – tous sont excellents.
Mais aussi de chanteurs. De l’iné-
narrable Celia Peachum de Véro-
nique Vella, attachante et forte en
gueule, à l’élégante et grave Jenny
d’Elsa Lepoivre, en passant par les
femelles rivales, la sensuelle et ar-
dente Lucy de Claïna Clavaron, la
Polly idéalement délurée de Ma-
rie Oppert. Côté mâle, on saluera
le Macheath émouvant de Birane
Ba, le Brown sentimental de Ben-
jamin Lavernhe, et surtout l’irré-
sistible Peachum de Christian
Hecq, entre grand comique et
psychopathe. Dans la fosse,
Maxime Pascal, à la tête de son
ensemble, Le Balcon, a tenu le pari
du « multi-instrumentalisme ».
On a adoré, parmi les cuivres et
les claviers, les accents de basse
électrique, de balalaïka et de gui-
tare hawaïenne. p
Marie-Aude Roux
L’Opéra de quat’ sous,
de Kurt Weill et Bertolt Brecht.
Avec Birane Ba, Claïna Clavaron,
Véronique Vella, Elsa Lepoivre,
Christian Hecq, Benjamin
Lavernhe, Marie Oppert,
Nicolas Lormeau, Sefa Yeboah,
Jordan Rezgui, Cédric Eeckhout,
Thomas Ostermeier
(adaptation et mise en scène).
Théâtre de l’Archevêché,
à Aix-en-Provence (Bouches-
du-Rhône). Jusqu’au 24 juillet.
De 9 € à 165 €.

Queens of the Stone Age en concert explosif aux Nuits de Fourvière

Toujours aussi aiguisé et puissant, le groupe du chanteur et guitariste Josh Homme s’est produit, mardi, au théâtre gallo-romain de Lyon

Rock A celle-ci, tête d’affiche dans les

festivals estivaux après cinq ans
Lyon - envoyé spécial
d’absence, Lyon a réservé son
per Machete masquent difficile-
ment l’aspect régressif du reste.
Même si l’humeur de Josh
le signe des cornes du diable se
propage et quelques téméraires
inaugurent les premiers slams. La
« My Name is Monsieur
Homme », déclinera le chef, après
avoir présenté ses tueurs, le guita-
des sociétés, Facebook et Twitter ».
Après cette allusion possible aux
soirées d’émeutes qu’a connues le

S a musique est née dans

l’aride vallée de Coachella,
en Californie, quand son
premier groupe, Kyuss, un des fon-
dateurs du stoner rock, organisa,
au début des années 1990, des
concerts sauvages dans les envi-
rons de Palm Desert. Avec des
groupes électrogènes peu écologi-
ques et des substances magiques.
Le mot « stoner » se rapporte, en
effet, moins au roc dans lequel
semblaient taillées ces rythmi-
ques lourdes qu’à son extension
familière désignant un individu
défoncé. Le chanteur, guitariste
et producteur californien Josh
Homme l’a d’ailleurs conservé
pour la formation à géométrie va-
riable qui devait succéder à Kyuss,
en 1996, et connaître un succès
massif : Queens of the Stone Age.
théâtre gallo-romain pour la
29e édition des Nuits de Four-
vière. Le cadre a peut-être rappellé
à Josh Homme les amphis exté-
rieurs du circuit des universités
américaines. Les « reines de l’âge
de pierre », dont il est leader, com-
positeur et unique membre pré-
sent depuis les débuts, viennent
de publier un huitième album
studio au titre prédestiné pour
être joué à Fourvière : In Times
New Roman… Il n’ajoute rien de
neuf à l’édifice, après Villains
(2017), tentative de renouvelle-
ment vers la dance music avec
une production de Mark Ronson,
collaborateur d’Amy Winehouse
ou de Lady Gaga. Les deux impec-
cables singles Emotion Sickness
(avec sa guitare slide digne de
Duane Allman) et le bouillant Pa-
Homme, qui a vécu un divorce tu-
multueux avec la chanteuse aus-
tralienne Brody Dalle en 2019 et
a dû soigner un cancer en 2022,
est plus à la noirceur qu’à la dé-
bauche des sens.
L’ombre de Prince
Mais, sur scène, le silex est tou-
jours aussi aiguisé et coupant. Le
géant roux, qui ressemble désor-
mais à un soldat de la guerre de
Sécession, avec ses mèches rebel-
les et sa barbiche grise, se pré-
sente devant une fosse en arc de
cercle, bondée et très majoritaire-
ment masculine. Les premiers
­accords de No One Knows déclen-
chent une guerre de riffs entre
trois guitares, sous des éclairages
rouges et jaunes de fournaise.
Le public lyonnais réagit aussitôt :
voix de Josh Homme semble, de
fait, possédée par le Malin, avec
une dualité se partageant entre
l’éraillement et le falsetto.
Ces enfants de Black Sabbath
ne se limitent heureusement pas
à la grammaire du metal, comme
en témoigne Smooth Sailing, un
funk torride où l’on devine l’om-
bre de Prince, que l’on retrouve
dans Make It Wit Chu. Le boogie-
rock de The Way We Used To Do
semble tout devoir aux Texans de
ZZ Top, mais en se projetant dans
une dimension futuriste. If I Had
a Tail marie naturellement une
basse disco et des guitares glam.
Ce syncrétisme a fait de Queens of
the Stone Age un groupe créatif,
sans concurrent sérieux dans un
rock moderne souvent confiné
dans le revivalisme.
riste Troy Van Leeuwen – qui ex-
hibera un engin à double-man-
che, curiosité qu’on n’avait plus
vue depuis Led Zeppelin –, le mul-
ti-instrumentiste Dean Ferlita, le
bassiste Michael Shuman et le
batteur Jon Theodore. Aucun
pacte d’exclusivité ne les lie à
Queens of the Stone Age, Homme
lui-même restant attaché à
d’autres formations, Eagles of
Death Metal ou Them Crooked
Vultures. Cet esprit d’ouverture
n’a jamais nui à la cohésion d’un
collectif aimant improviser. Y
compris avec les spectateurs,
­incités à ajouter des chœurs.
« On aime vous effrayer en vous
disant que vous êtes en péril », ob-
servera le chanteur en saluant
Lyon, pour ensuite envoyer au dia-
ble « les gouvernements, les gran-
pays, le recueillement : à Mark La-
negan, mort en février 2022, chan-
teur des Screaming Trees, qui fut
aussi celui de Queens of the Stone
Age dans les années 2000, est dé-
dié In The Fade. L’apothéose s’ar-
rête sur le grand œuvre Song for
the Deaf (2003), enregistré avec
Dave Grohl, pour revenir aux ori-
gines psychédéliques du projet :
l’hallucination désertique de God
Is In The Radio, la frénésie de Go
With The Flow, enfin le metal hur-
lant d’A Song For The Dead. De
quoi réveiller les morts de Lugdu-
num jusqu’à l’Antiquité. p
Bruno Lesprit
Concerts : le 5 juillet au Festival
Pause Guitare, Albi,
le 7 novembre à l’Accor Arena
de Paris.

22 | Culture
Lars von Trier : « Il n’y a rien d’irreprésentable »
A l’occasion d’une rétrospective au Festival de La Rochelle et en salle, le cinéaste danois revient sur sa carrière
Entretien
E
n quarante ans de car-
rière et quatorze longs-
métrages, le Danois Lars
von Trier a déclenché
bien des passions, fait grincer
bien des dents. Enfant terrible du
cinéma d’auteur européen, nou-
veau formaliste apparu sur la
scène internationale des années
1980, l’auteur de Breaking the
­Waves (1996), de Dancer in the
Dark (2000) et de Melancholia
(2011) s’est fait remarquer pour
son goût immodéré de la provo-
cation, ­jusqu’au dérapage – la fa-
meuse conférence de presse de
Melancholia à Cannes, en
mai 2011, où il a prétendu « com-
prendre » Hitler, ce qui lui valut
d’y être un temps persona non
grata –, comme pour ses aventu-
res artistiques téméraires (le
Dogme 95, dernier des manifes-
tes cinématographiques).
Sans doute a-t-on moins
aperçu, sous ces tours de sale
gosse, ­l’humour dévastateur, l’es-
thétisme raffiné, ainsi qu’une
propension à l’autosabotage con-
sidéré comme un des beaux-arts.
Ces derniers temps, l’homme n’a
plus fait que de rares apparitions
(dont une surprise à la fin de la
troisième saison de sa série L’Hô-
pital et ses fantômes, intitulée
The Kingdom Exodus), atteint de
la maladie de Parkinson. Le Festi-
val international du film de
La Rochelle, qui se tient jusqu’au
dimanche 9 juillet, lui consacre
une rétrospective intégrale, en
copies restaurées, reprise dans
les salles françaises à partir du
mercredi 12 juillet.
La Rochelle vous consacre
une rétrospective. Mais on a
l’impression que celle-ci avait
­commencé dans vos derniers
films. « The House That Jack
Built » (2018) intégrait des
­extraits de films antérieurs.
« The Kingdom Exodus » ré-
sonnait comme une récapitu-
lation. D’où vous est venu ce
besoin de revenir sur le passé ?
Je ne pense pas avoir eu l’inten-
tion de revenir en arrière dans mes
productions. Mais en vieillissant
j’ai découvert que je travaillais
mieux si je m’amusais avec le
­matériel. C’est-à-dire avec des su-
jets qui me plaisent. Je n’ai aucun
scrupule à faire des emprunts ou
des citations, car je les consi-
dère comme une sorte d’hom-
Le « off » d’Avignon, grand marché foisonnant du spectacle vivant
Près de 1 500 spectacles sont attendus, du 7 au 29 juillet, pour la 57e édition du Festival, tremplin pour les compagnies et producteurs privés
Théâtre
I l y a d’abord cette drôle d’affi-
che : une tong scotchée sur des
pavés ensoleillés. Détourne-
ment de « The Comedian » – la
controversée banane scotchée sur
un mur blanc de l’artiste italien
Maurizio Cattelan –, ce visuel de la
57e édition du Festival « off » d’Avi-
gnon n’a pas manqué de susciter
des réactions, tantôt amusées, tan-
tôt moqueuses. « Tant mieux ! C’est
la première année où l’on parle de
l’affiche du “off” », se réjouit
­Laurent Domingos, coprésident
d’Avignon Festival & Compagnies
(AF&C), l’association coordina-
trice de ce vaste rassemblement
théâtral, du 7 au 29 juillet. Réalisée
par Camille Bricout, étudiante à
l’Ecole supérieure d’art d’Avignon,
cette affiche a été retenue pour son
« impertinence ». Laurent Domin-
gos y voit à la fois « une interroga-
tion et une tolérance sur la diversité
des formes artistiques ». Soit.
Il y a ensuite les chiffres, tou-
jours aussi impressionnants. Le
Jack (Matt Dillon), dans « The House That Jack Built » (2018), de Lars von Trier. LES FILMS DU LOSANGE
« Il est toujours
important
de provoquer.
Le but de
la provocation
est une incitation
à penser »
mage, provenant généralement
des films que j’aime vraiment.
Depuis « Nymphomaniac »
(2013), vos films se présentent
comme de véritables traités
­esthétiques, avec de nombreu-
ses et très riches références
à l’histoire de l’art. Est-ce
que pour vous l’idée de beauté
a encore un sens ?
Oui, très certainement.
Vos films ont souvent
cherché à repousser certaines
limites. Qu’est-ce qui vous
semble être redevenu tabou
à notre ­époque ?
« off » 2023, c’est 1 491 spectacles
(dont 466 créations) proposés par
1 270 compagnies françaises (et
125 étrangères) dans 141 lieux par
quelque 10 000 artistes et techni-
ciens. Pendant trois semaines, du
matin au soir, ce festival cumule
33 000 levers de rideau. Si le nom-
bre de spectacles est en légère
baisse par rapport à l’édition 2022
(1 570), c’est essentiellement à
cause de la fermeture du Palace,
l’un des plus vastes théâtres du
« off », actuellement mis en vente.
Dans ses cinq salles, il program-
mait près de quarante one-man-
shows et comédies de boulevard.
« On veut tous jouer »
Cette cessation n’empêche pas la
catégorie « humour » de regrou-
per, au fil des éditions, de plus en
plus de propositions. Derrière les
pièces de théâtre (787 spectacles
contre 912 en 2022) qui consti-
tuent 50 % du programme, se
classe l’« humour » (342 contre 253)
puis le « jeune public » (174) et les
spectacles musicaux (171).
Pour moi, il n’y a rien d’irrepré-
sentable au cinéma. Au contraire,
il est toujours important de provo-
quer, non seulement moi-même,
mais le public dans une certaine
mesure. Le but de la provocation
est une incitation à penser. Si j’ai
fait des films où les gens quittent
la salle, je m’en excuse. La provoca-
tion était une chose majeure dans
ma jeunesse, où je faisais fi de la
morale dominante et destructrice,
qui semble aujourd’hui devenue
presque obligatoire.
Vous avez plusieurs fois dé-
claré n’aimer que les cinéastes
anciens. Quels seraient ceux
que vous garderiez aujourd’hui
dans votre panthéon ?
Je me suis appliqué un principe
en collectionnant les films avant
d’obtenir mon diplôme à l’école de
cinéma. L’idée était de ne puiser
l’inspiration et de ne se choisir des
modèles que dans le passé, afin de
ne pas tomber dans les attentes
piégeuses de la culture moderne
et populaire. Trop de réalisateurs
en mon temps couraient les sujets
les plus brûlants, en oubliant les
A la fois marché dérégulé du
spectacle vivant et rendez-vous
unique de par sa durée, le « off »
continue d’être un incroyable
­appel d’air pour les compagnies –
subventionnées ou pas – et les
producteurs privés. Tous espèrent
capter l’attention des quelque
300 000 spectateurs attendus et
être vus par les centaines de pro-
grammateurs et diffuseurs venus
de la France entière. Toute la diver-
sité du paysage théâtral, des écri-
tures contemporaines aux textes
classiques, du stand-up au specta-
cle de troupe, y est représentée.
« On veut tous jouer, montrer ce
que l’on crée. Faire le “off” peut per-
mettre de tourner, mais c’est un
gouffre financier, un système capi-
taliste dangereux qui vit sur les
cendres de nos désirs », pointait du
doigt le metteur en scène Johanny
Bert, lors du débat professionnel
« Avignon, y aller ou pas ? », orga-
nisé début juin à Paris.
Dans une lettre ouverte aux
­programmateurs de spectacles
­vivants, publiée vendredi 23 juin,
bonnes vieilles pépites et leurs se-
crets. Personne ne peut douter de
mon enthousiasme pour Andreï
Tarkovski, par exemple, mais j’ai
aussi été charmé par les nouvelles
vagues européennes d’alors. Y
compris les Français.
Vous avez fait jouer certains
des plus grands acteurs
­contemporains (Kirsten Dunst,
Willem Dafoe, Nicole Kidman,
etc.). Quelle leçon avez-vous
­tirée de ces relations ?
J’ai appris qu’il y a en fait une
sorte de vérité dans le « principe
de célébrité ». C’est-à-dire que la
plupart des stars concentrent
beaucoup de qualités, sans parler
du charisme. Et montrent sou-
vent même plus d’ouverture que
je ne l’aurais imaginé.
D’« Element of Crime » (1984) à
« The House That Jack Built »,
votre œuvre a souvent ex-
primé une certaine fascination
pour les bourreaux. Qu’est-ce
qui vous retient dans ces figu-
res du mal ou ces incarnations
de la négativité humaine ?
Pour une
compagnie,
une participation
au « off » coûte
entre 25 000
et 50 000 euros
Les Sentinelles, fédération de
compagnies théâtrales, alertent
sur la difficulté grandissante
d’être diffusé alors même qu’une
participation au « off » coûte entre
25 000 et 50 000 euros. « Les mul-
tiples reports et annulations liés au
Covid-19 ont fragilisé un très grand
nombre de compagnies, les chiffres
de fréquentation et de diffusion ne
sont pas revenus au niveau d’avant
la crise et les budgets ont baissé »,
constatent-elles.
A cela s’ajouterait une « autre
tendance ». « Devant la pléthore de
propositions artistiques, nous
constatons avec désarroi qu’un très
Cette fascination n’est pas
­ trangère au cinéma lui-même.
é sez-vous avec la maladie ?
Croyez-le ou non, je me suis
­toujours efforcé, dans mes films,
d’éviter les sens uniques. Même le
petit groupe de religieux fonda-
mentalistes dans Breaking the Wa-
ves est dépeint sans manichéisme.
Les films grand public logent sou-
vent le mal dans un seul person-
nage. Je suis contre cette distribu-
tion univoque des rôles, la nature
­humaine étant pour moi infini-
ment plus indémêlable.
Par ailleurs, Dante semble avoir
beaucoup plus favorisé la partie
infernale de sa Divine Comédie
que la partie paradisiaque. Il y a
quelque chose d’attirant dans le
mal, que je ne peux pas mieux dé-
crire qu’à travers mon expérience
avec les acteurs : ceux qui incar-
nent les pires affreux dans mes
films, comme Stellan Skarsgard
ou Matt Dillon, sont presque sans
exception, de joyeux larrons et
hilarants compagnons de pla-
teau. Peut-être parce qu’ils savent
mieux prendre de la distance
avec eux-mêmes que les héros
­traditionnels.
grand nombre de programmateurs
ne prennent plus le risque de la ren-
contre et de la surprise. Leurs choix
se font de plus en plus souvent en
amont du festival, ­contraints par
des agendas plus courts et plus
­denses et guidés par des salles
“identifiées” ou par des catalogues
qui fournissent du prémâché », re-
grettent Les Sentinelles.
Au fil des années, la liste des ­« tê-
tes d’affiche » qui se produisent
dans le « off » apparaît de plus en
plus longue. Pour cette édition, on
croisera, entre autres, Denis Poda-
lydès, Marie-Christine ­Barrault,
Jacques Weber, Ariane Ascaride,
Stanislas Nordey ou encore Waly
Dia et même un spectacle mis en
scène par JoeyStarr. Cette vedetta-
risation ou « parisianisation » du
Festival – notamment portée par
La Scala Provence, pendant avi-
gnonnais de La Scala Paris ouvert
en 2022 – peut permettre d’attirer
un plus large public, mais aussi
­accentuer la concentration de la
fréquentation sur des lieux ou
­artistes « repérés ».
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Les frères Lumière avaient
­prophétisé le cinéma comme
une invention sans avenir.
Après la crise sanitaire, pensez-
vous que ce soit encore le cas ?
Je l’espère, et le fait que la tech-
nologie ait rendu économique-
ment viable pour n’importe qui
de travailler ou de jouer avec le
médium devrait déchaîner une
créativité presque explosive. Sans
me revendiquer comme expert, je
ne suis pas convaincu que ce soit
le cas. Toutes les technologies mo-
dernes repoussent les limites du
possible, jusqu’à les abolir. Or ma
conviction est que les limites sont
une partie extrêmement impor-
tante d’une œuvre d’art. Ainsi,
plus nous devenons technologi-
quement libres, plus nous devons
penser en termes de limites et de
règles. Dès qu’un peintre choisit
sa toile, commence la longue dé-
marcation de son métier. J’ai moi-
même du mal à voir, par exemple,
la réalité virtuelle aussi construc-
tive que le cinéma, car elle exclut
toute forme de cadrage. Or le
­cadre est à la base du regard : c’est
dans la limite qu’il pose que réside
la source la plus vive de l’expres-
sion artistique.
On vous a dernièrement
­diagnostiqué la maladie
de Parkinson. Comment allez-
vous ? Comment vous organi-
Bien que j’aie toujours craint
toute maladie, l’impact d’une ma-
ladie chronique et neurodégéné-
rative a été plus dévastateur que je
ne l’aurais imaginé, et m’a laissé
complètement dépourvu d’inspi-
ration. C’est quelque chose de
complètement nouveau et étran-
ger pour moi. J’espère retrouver
mon grand désir de créer.
Quel film vous resterait-il
­encore à faire aujourd’hui ?
Je manque actuellement beau-
coup d’enthousiasme. Dans quelle
mesure cela reviendra, je ne peux
pas le dire, mais il me semble évi-
dent qu’il est essentiel à toute en-
treprise créative. Je vais devoir at-
tendre l’enthousiasme avant de
pouvoir répondre. p
Propos recueillis par
Mathieu Macheret
Festival international du film
de La Rochelle. Jusqu’au 9 juillet.
Lars von Trier, l’intégrale.
Quatorze films en version
restaurée, en salle dès le 12 juillet.
Si environ 1,7 million de billets
ont été vendus dans le « off »
en 2022, la jauge totale est de plus
de 3 millions. Et cache donc des
taux de remplissage variables
d’un spectacle à l’autre et d’un
lieu à l’autre. Chaque édition a
son lot de bides et de succès, de
déceptions et de révélations.
Quant aux spectateurs, leur profil
change peu : l’âge moyen est de
50 ans, 68 % sont des femmes et
38 % viennent de la région Pro-
vence-Alpes-Côte d’Azur.
Symbole visuel de ce festival dé-
sordonné, l’affichage devrait être
moins « sauvage » que par le
passé. Au nom de la « transition
écoresponsable », compagnies et
producteurs sont appelés à poser,
au maximum, 150 affiches par
spectacle. Bon courage aux
agents municipaux qui seront
censés réaliser le comptage à
­travers les rues avignonnaises. p
Sandrine Blanchard
57e Festival « off » d’Avignon,
du 7 au 29 juillet.
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Les statues à l’assaut
du Voyage à Nantes
La 12e édition du festival, qui se déroule
durant deux mois, met en avant l’art statuaire
Arts
C’
est le général de
Gaulle ? » : la ques-
tion fuse d’un groupe
d’adolescentes pas-
sant place du Bouffay, à Nantes.
Malgré les longues jambes, le cos-
tume et la pose de grand homme,
il ne s’agit pas de De Gaulle, mais
de l’artiste Philippe Ramette, du
moins de son double en bronze.
Ou plutôt, le double de son dou-
ble… Oui, on en perd un peu son la-
tin avec la statuaire nantaise cet
été, et c’est bien le principe de la
nouvelle édition du Voyage à Nan-
tes, festival artistique qui infiltre la
ville ce 1er juillet pour deux mois.
Résumons : tandis qu’au milieu
de la place trône – un pied sur son
socle de pierre, un pied dans le
vide – L’Eloge du pas de côté, qui
incarne l’esprit de la manifesta-
tion depuis 2018, vient d’apparaî-
tre une nouvelle version de
l’œuvre, plus déconcertante en-
core : cet Eloge du déplacement,
où le Philippe Ramette de bronze,
descendu de son socle, pousse ce-
lui-ci hors de la place. L’artiste, qui
cultive une poétique de l’absurde,
a comme donné vie à la statue.
L’effet de surprise se prolongera
tout l’été, puisque la sculpture sera
déplacée de nuit plusieurs fois,
jusqu’à une mystérieuse destina-
tion « confortable », indique seule-
ment Jean Blaise. L’instigateur et
orchestrateur du Voyage à Nantes
fait par ailleurs l’objet d’une mise
en examen, depuis le 13 juin, no-
tamment pour « recel de favori-
tisme » dans le cadre d’une en-
quête sur les marchés concernant
le projet de l’attraction le Carrou-
sel des mondes marins.
Pour renouveler l’exercice, la
méthode de Jean Blaise, 72 ans, et
Remous autour de la mise
en examen de Jean Blaise
Le patron du Voyage à Nantes est visé dans une enquête sur des
irrégularités dans les marchés concernant une des attractions phares
Nantes - correspondant
L a nuit du Voyage à Nantes
a bien eu lieu samedi
1er juillet. L’événement, qui
fait la part belle aux œuvres d’art
et aux expositions dans la ville, a
échappé aux violences urbaines
qui ont embrasé plusieurs quar-
tiers de la métropole de Loire-At-
lantique. Mais la fête était déjà gâ-
chée depuis plusieurs semaines
pour son créateur.
Figure du monde culturel nan-
tais, Jean Blaise, 72 ans, a vu son
étoile pâlir le 13 juin. Au terme
d’une nuit en garde à vue, il a été
mis en examen pour « recel de fa-
voritisme, atteinte à la liberté d’ac-
cès aux marchés publics et com-
plicité de prise illégale d’intérêts »,
ainsi que l’a révélé Ouest-France,
dans le cadre de l’enquête sur le
montage de l’opération du Car-
rousel des mondes marins, attrac-
tion de l’île de Nantes inaugurée
en 2012, après un investissement
de plus de 11 millions d’euros.
M. Blaise, ex-lieutenant de Jean-
Marc Ayrault du temps où ce der-
nier était député et maire de Nan-
tes, est inquiété en tant que direc-
teur de la société publique Le
Voyage à Nantes, missionnée pour
mener à bien le projet par le biais
d’une délégation de service public.
La tempête a surgi après un rap-
port de la chambre régionale des
comptes des Pays de la Loire. Les
de son équipe reste inchangée au
fil des ans : « Nous faisons des
séances de repérages pour trouver
de nouveaux points de vue, inters-
tices ou écrins insolites ou inédits,
et y déceler leurs puissances d’évo-
cation. » En émergent des idées
d’artistes dont le travail entrerait
en résonance avec les contextes
et esthétiques de lieux « qui ra-
content quelque chose de la ville »
et appellent à mieux la regarder
et la (re) découvrir.
« Cette année, on s’est concentrés
sur l’idée de la présence en ville. Les
statues, c’est très incarné, et on a
imaginé une sorte de scénario qui
signe un retour vers une approche
assez romanesque de la ville, en
jouant sur les contrastes et l’étran-
geté », confie le directeur. Cela
passe notamment par une série de
statues historiques de la ville, qui
seraient descendues de leur pié-
destal pour faire une pause.
Quatre copies à l’identique flâ-
nent dans la ville : le général Melli-
net est perdu dans ses pensées, ac-
coudé à une rambarde devant un
point de vue sur le fouillis archi-
tectural de la ville, tandis que le gé-
néral Cambronne se prélasse à la
terrasse du restaurant La Cigale.
On voit ses cicatrices de la bataille
de Waterloo sur son front, un dé-
tail habituellement invisible pour
les passants. Ces répliques détour-
« Cette année,
on s’est
concentrés sur
l’idée de la
présence en ville »
Jean Blaise
directeur du Voyage à Nantes
magistrats qui ont ausculté les
comptes du Voyage à Nantes ont
considéré que la société publique
n’avait « pas toujours respecté les
obligations légales, réglementai-
res ou contractuelles qui s’impo-
saient ». Ils ont notamment
pointé un contrat signé entre le
Voyage à Nantes et l’un de ses par-
tenaires – la Société d’aménage-
ment de la Métropole Ouest At-
lantique (Samoa) de l’île de Nan-
tes – mandaté pour l’assister dans
la conduite de l’opération.
« Une sous-traitance occulte »
Selon la chambre régionale des
comptes, cette intervention « s’est
réalisée sans base contractuelle
puisque le marché correspondant
a été signé plus de deux ans après
cette date ». Au terme de leur audit,
les magistrats ont mis en exergue
« une sous-traitance occulte », la
Samoa ayant « fait appel à un sous-
traitant pour l’exécution de ces
prestations sans l’avoir déclaré ».
Le parquet de Nantes a ouvert
une enquête en décembre 2017.
A ce stade, cinq autres personnes
sont mises en examen dans ce
dossier. Dont deux anciens cadres
de la Samoa, Jean-Luc Charles et
Soizick Angomard, soupçonnés
de favoritisme et de recel de favo-
ritisme. Benoist Pavageau, ancien
directeur général des services de
la ville de Nantes et de Nantes Mé-
tropole, figure également dans
Culture | 23
« Eloge du
déplacement »,
de Philippe
Ramette, exposé
dans le cadre du
Voyage à Nantes.
MARTIN ARGYROGLO/LVAN
nées, qui comprennent aussi deux nées à la même échelle dans un fantaisie océanique, emplie d’une Petite pépite, assez surréaliste,
figures féminines allégoriques blanc éclatant. Menées par vingtaine de créatures hybrides de l’édition, l’extraordinaire col-
(Nantes et la Loire), ont été imagi- Athéna, et installées les unes der- et colorées. Saisissant « contre- lection de quelque 300 masques
nées par le dessinateur de BD Oli- rière les autres – de Zeus à Apol- monument » évoquant le dou- en cartonnage conçus au tournant
vier Texier, qui a travaillé avec des lon, en passant par la statue de la loureux passé esclavagiste de la du XXe siècle par la Maison Pei-
sculpteurs locaux pour les créer Liberté et le Christ –, elles se fon- ville, une sculpture d’un autre ar- gnon, famille de costumiers nan-
en résine imitation bronze. dent en une silhouette pleine de tiste flamand, Johan ­Creten, se dé- tais qui a participé aux grandes
bras, quand on se positionne face couvre dans une arrière-cour res- heures du carnaval de la ville. Pré-
« Contre-monument » à elles : celle de la déesse orientale semblant à une capsule tempo- sentés par grandes familles − ani-
Elles aussi posées à hauteur Guanyin, qui soulage les peines. relle du XVIIIe siècle, où on ac- maux, fruits et légumes, caricatu-
d’homme, d’autres allégories, dé- Dans le ravissant jardin de la cède par un long et sombre res, monstres… −, ils sont montrés
boulonnées à la chute de l’Empire, Psallette, caché près de la cathé- couloir de pierre. pour la première fois dans un lieu
en même temps que la statue drale, s’élève la première sculp- Autre lieu, autre ambiance : Jo- habituellement inaccessible au
d’Adolphe Billault, ministre nan- ture de la peintre Sanam Khatibi : han Creten a aussi investi la théâ- public : la maison de retraite du
tais de Napoléon, qu’elles accom- une géante nue, hiératique déesse trale petite serre de l’île aux Pal- clergé nantais, la Maison de l’im-
pagnaient, ont été sorties des ré- imaginaire, en pierre volcanique, miers, dans le Jardin des plantes, maculée. Reliques de parades pas-
serves de la ville. L’Eloquence, la un serpent dans une main, trois avec une mouche morte géante. sées qui font ressurgir un imagi-
Justice, la Jurisprudence et l’His- cœurs dans l’autre. Etonnant memento mori dont la naire collectif nantais oublié. p
toire semblent ainsi converser de- Dans un esprit onirique, la céra- position sur le dos, les jambes re- Emmanuelle Jardonnet
vant l’implacable palais de justice miste flamande Maen Florin a in- pliées sur son abdomen protubé-
noir de Jean Nouvel. La statue du vesti la vaste fontaine de la place rant, évoque… une femme en Voyage à Nantes, dans divers lieux
ministre, elle, a fini fondue en mu- Royale pour la transformer en train d’accoucher. de la ville, jusqu’au 3 septembre.
nitions sous le ­régime de Vichy.
Hormis ces clins d’œil à l’his-
toire locale, dûment déchiffrés
par des cartels et des livrets,
d’autres statues se font plus
disruptives, comme celles de l’en-
semble de l’artiste chinois Xu
Zhen. Il s’agit d’une procession de
dix-neuf copies de statues occi-
UN HORS-SÉRIE 0123
dentales emblématiques, de tou-
tes les époques et toutes rame-
HORS-SÉRIE
l’œil du cyclone, visé pour des faits
de « favoritisme et de complicité
INCLUS
de favoritisme ». Tous récusent les
accusations et assurent que les
procédures ont été respectées.
L’opposition nantaise a déploré
le manque de contrôle exercé sur
des dessins
rares et inédits
les sociétés satellitaires interve-
nant dans le champ culturel. Le
conseiller municipal Guillaume
Richard (Horizons) dénonce « une
affaire de plus » après la condam-
BLUEBERRY
nation, le 4 mai, de l’ex-directrice
de La Folle journée, Joëlle Kerivin,
à trois ans de prison dont dix
mois ferme pour « abus de biens
sociaux, abus de confiance et dé-
tournements de fonds publics ».
« Quand tout est toujours pareil
et qu’aucun contrôle n’existe, on UNE LÉGENDE DE LA BANDE DESSINÉE
prend des mauvaises habitudes », NUMÉRO SPÉCIAL 60 ANS En partenariat avec
attaque M. Richard.
La maire de Nantes, Johanna
Rolland (Parti socialiste), dénonce
des « amalgames ». « Pour ce qui
est du Carrousel, c’est la nature de
la procédure utilisée il y a treize ans
Blueberry, personnage mythique
qui est interrogée, souligne l’élue,
qui a renouvelé publiquement sa
du western en BD
confiance à M. Blaise. La justice
donnera sa lecture de la situa- Le Monde présente le hors-série Blueberry, anti-héros charismatique
tion. » Placé sous contrôle judi- création de deux auteurs légendaires de la BD, Jean-Michel Charlier
ciaire, M. Blaise, instigateur du fes-
et Jean Giraud. Un passeport pour la grande épopée de l’Ouest.
tival Les Allumées, ancêtre de la
Nuit blanche, qu’il a portée à Paris
en 2012, n’a pas répondu à nos sol- CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
licitations en vertu du « secret de 116 PAGES - 10,99 €
l’instruction ». p
Yan Gauchard
24 | Télévision
Cent quarante ans d’Alliances françaises
Un documentaire s’intéresse à l’attachement d’anciens étudiants et de personnalités à la fondation
TV5 Monde
Jeudi 6 - 21 h 00
Documentaire
C
réée en juillet 1883 dans
la foulée de l’école libre
et laïque de Jules Ferry
(1881), par Paul Cambon,
alors ministre résident de France
en Tunisie, la Fondation des Al-
liances françaises (AF) ne peut
nier son origine colonialiste. A
l’époque, l’objectif est d’apprendre
le français aux enfants des colo-
nies pour faire contrepoids à l’in-
fluence anglo-saxonne. Cent qua-
rante ans plus tard, 500 000 élè-
ves fréquentent une des 830 Al-
liances françaises implantées
dans 135 pays. Et la fondation, qui
se définit comme « la plus grande
ONG culturelle au monde », tient
à montrer qu’elle a évolué.
Le documentaire réalisé à l’occa-
sion de cet anniversaire s’y em-
ploie, en effectuant un tour du
monde des AF et de leurs actions
les plus emblématiques : à Bue-
nos Aires, en Argentine, pays qui
abrite le plus vaste réseau avec
53 comités ; à Lima, au Pérou, où
Ana, future étudiante à Paris-Sa-
clay, étudie en prépa à l’AF ; à Rio
de Janeiro, au Brésil, où l’AF est
plus ancienne que le Christ Ré-
dempteur au sommet du Corco-
vado ; à Paris, où l’emblématique
bâtiment du 101, boulevard Ras-
pail (6e) est devenu le premier
Wham !, itinéraire d’un groupe emblématique des années 1980
Chris Smith s’appuie sur des archives rares pour retracer le parcours de la formation de George Michael et Andrew Ridgeley
Netflix
À la demande
Documentaire
E ntre un true crime et un do-
cumentaire sportif, il fallait
bien un peu de culture po-
pulaire pour compléter l’offre Net-
flix, qui n’est pour l’instant pas
pléthorique en la matière. Et il y a
pour ce faire difficilement plus
rassembleur qu’un groupe à mi-
nettes des années 1980. Celui-ci a
la particularité de faire encore
danser dans les mariages et, sur-
tout, d’avoir été l’incubateur d’une
GRILLE N° 23 - 155
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V IX. Prêtresse chez Héra. Venue de
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 154
HORIZONTALEMENT I. Prédominante. II. Hèle. Olifant. III. Ypérite. Pi.
IV. Lavons. Put. V. Arabe. Bateau. VI. Caserait. Lie. VII. TB. Et. Lacent.
VIII. Elisabeth. Ea. IX. Reg. Grue. Reg. X. Essieux. Mise.
VERTICALEMENT 1. Phylactère. 2. Réparables. 3. Elevas. IGS. 4. Dérobées.
5. Inertage. 6. Mots. Bru. 7. Ile. Bileux. 8. Ni. Patate. 9. Affût. CH. 10. Na.
Télé. Ri. 11. TNP. Aînées. 12. Etiquetage.
La compagnie de marionnettistes Grandes Personnes, à Pondichéry, en Inde, en 2022. FLAIR PRODUCTION
campus à l’américaine de France,
avec restaurant et théâtre.
Le film donne une visibilité
particulière aux Grandes Person-
nes, une compagnie de marion-
nettistes d’Aubervilliers (Seine-
Saint-Denis), qui a conçu des
géants articulés, et exporté son
spectacle à Pondichéry, en Inde
(l’Alliance française y a été fondée
en 1889). Les caméras les y ont
des plus belles voix des années
1980-1990. Pour redorer le blason
de Wham ! et rappeler qu’il n’était
pas un boys band, la plate-forme
emploie un de ses documentaris-
tes « maison », Chris Smith (Tiger
King, La Disparition de Madeleine
McCann). Pas vraiment de quoi
rassurer, mais le résultat est un
peu au-dessus des attentes, sans
non plus tutoyer les sommets.
D’abord parce qu’il repose sur
des archives peu vues, scandées
par les scrapbooks (albums mê-
lant photos et coupures de
presse) compilés par la mère
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
suivis, des préparatifs jusqu’au
spectacle de la compagnie de
Yoann Cottet, en présence du se-
crétaire général de l’Alliance fran-
çaise, Marc Cerdan.
« Décoloniser l’universel »
Parmi les célébrités passées par
l’Alliance (Paul VI, Hector Bian-
ciotti, Mario Vargas Llosa, Claudia
Schiffer), certains prennent la pa-
d’Andrew Ridgeley, seconde moi-
tié de Wham ! avec George Mi-
chael, et par la voix off des deux
membres du groupe.
Les deux garçons se rencontrent
à l’aube de l’adolescence, dans une
banlieue du nord de Londres, et
l’un prend aussitôt l’autre sous
son aile. Plus déluré, plus popu-
laire, c’est d’abord Andrew le gui-
tariste le pilier du duo. Répétitions
dans le garage, embryons de chan-
sons bidouillées sur studio porta-
tif… Le film parcourt à grandes
­enjambées la prime jeunesse de
ceux qui ne s’appelaient pas en-
HORIZONTALEMENT
I. Mesures et échelles des points
de chauffe et de refroidissement.
II. Brasseras et retourneras. Division
des temps géologiques. III. Assure
l’égalité. Risque de se faire prendre.
IV. Quand elles sont bonnes, elles
deviennent dangereuses. Fatiguer.
V. Le feu dans les feuilles. Vieux
ruminant. Rayonnait sur le Nil.
VI. Mettent au propre. Fut capitale
pour les Arméniens. VII. Supprimés.
Pas faciles à ébranler. VIII. Restes
à terre. Bout de métal. Article.
la Nouvelle-Ecosse. X. Rapproche et
s’occupe parfois de ce qui ne le re-
garde pas.
VERTICALEMENT
1. Science des frottements méca-
niques et articulaires. 2. Perte de
temps ou réflexion. 3. Un rien peut
les déstabiliser. 4. Cours préparatoire.
Amérindiens du Colorado. L’argon.
5. Prendre les bonnes mesures sur
le terrain. Aller simple et gagnant.
6. Fait un tour en forêt. Fondé sur
le Coran. 7. Bonne disposition pour
beaucoup pardonner. 8. Point mati-
nal. Vient en aide à ceux qui n’ont
rien. Partit à la fin. 9. Piégée.
A consommer rapidement. 10. Cries
en forêt. Poinçon effilé. 11. Tracassée
par Zeus. Cours d’Irlande. Tenue lé-
gère. 12. Pousser à la consommation.
role, tels Julia Kristeva, écrivaine et
psychanalyste, ou le photographe
franco-brésilien Sebastiao Sal-
gado… Les rappels historiques re-
cèlent quelques pépites, comme
le rôle joué par l’Alliance française
pendant l’Occupation, ou l’enga-
gement du révolutionnaire argen-
tin Che Guevara : quand les cas-
tristes ont pris le pouvoir en 1959,
c’est lui qui a obtenu que les Al-
core Wham ! mais The Executive,
dont on retiendra principalement
une improbable version ska de
La Lettre à Elise, de Beethoven.
Dommage que le film ne s’at-
tarde pas plus sur la formation
musicale et les influences d’An-
drew et Michael, comme si la pop
sucrée de Wham ! n’était qu’un
produit de son époque. Car les
deux hommes composent et écri-
vent toutes leurs chansons, et
c’est avec un rap mêlé de disco
(Wham Rap !) que le duo, accom-
pagné de ses deux choristes, casse
la baraque en 1983, année de leur
sudoku
n°23-155
5 2
3 4
9 7
5 7
2 8 4
4 9 3 5 1
8 3 6 9 7 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
liances françaises de l’île ne soient
pas détruites, arguant que, sans
­elles, il n’aurait jamais lu Danton
et Robespierre !
Cet accès à une littérature et une
presse libres dans des pays non
démocratiques est souvent mis
en avant. Le film répond aussi, in-
directement, aux accusations de
néocolonialisme par la diffusion
de la langue, en affirmant que les
AF ont inventé la diplomatie
­culturelle. Pour le président
d’honneur du comité d’Antanana-
rivo, à Madagascar, Julien Rakoto-
naivo, « dire que la pratique fran-
çaise entrave la culture ou l’épa-
nouissement de la langue et de la
culture malgaches est un faux pro-
blème ». Marc Cerdan, secrétaire
général de l’organisation, cite Sou-
leymane Bachir Diagne, philoso-
phe sénégalais, qui disait dans
Le Monde : « Il faut décoloniser
l’universel. »
Tous rappellent l’importance de
diffuser dans le monde les valeurs
de « l’humanisme républicain à la
française [inscrit] dans l’ADN de
l’Alliance française ». Mais entre
un vocabulaire désuet et l’actua-
lité explosive des nuits d’émeutes,
ce beau message est-il audible ? p
Catherine Pacary
Alliance(s) française(s), de Jean-
Pierre Bertrand, Antoine Rivière et
Ronan Barbot (Fr., 2023, 70 min).
En replay sur TV5MondePlus.
passage dans la très populaire
émission « Top of the Pops » sur
la BBC. Malgré le look « Club
Med » et les coiffures bouffantes,
le point d’exclamation et les cho-
régraphies répétées dans la cui-
sine, le film ne perd jamais de vue
les grandes ambitions artistiques
nourries par les deux amis.
Elles conduiront George Mi-
chael, plus doué, à prendre le pas
sur l’écriture et la composition, et
Andrew Ridgeley à s’effacer avec
une certaine élégance. La réussite
du documentaire tient sans doute
à sa façon de saisir, pudiquement,
2 8 4 7 6 9
6 1 3 4 8 5
9 5 7 3 2 1
2 8 4 6 2 9 3 7
7 9 2 5 1 6
9 4 5 3 1 8 4 7
3 2 9 1 7 8
7 5 6 3 2 1
1 6 8 9 5 4
6 Moyen
1 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
colonne et par
carré de neuf cases.
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­
0123
­Jeudi 6­ juillet 2023
Notre
sélection
Je udi 6 juil l et
Arte
Emma
20.55 Minisérie de Sandy Welch
(2009) adaptée du roman Emma, de
Jane Austen (1815). La belle Emma
Woodhouse joue les entremetteuses
à Highbury. Elle veut détourner
Harriet Smith, une orpheline de
basse extraction, du fermier Robert
Martin, en faveur d’un meilleur parti.
OCS Pulp
Diego Maradona
21.00 Documentaire d’Asif Kapadia
à partir d’archives personnelles de la
légende du foot mondial, disparue
en 2020. Le parcours d’El Pibe de
Oro, de sa fameuse « main de Dieu »
au Mondial 1986, au titre de Naples
en championnat italien en 1987.
NRJ 12
Les Masters du rire
21.10 Plus de quatre-vingt-dix
minutes de rires, de délires, de
sketchs, de punchlines souvent cash
sur le couple, le célibat, les ados,
les réseaux sociaux… En 2022 sur
la scène de l’Apollo Théâtre à Paris.
RMC Story
Gitans, Manouches, Tziganes :
leur vraie vie
22.30 Série documentaire réalisée
par Stéphane Morel, Roman
Castillon, Hafca El Massaoui et Valérie
Rouvière, sur le quotidien d’une
communauté de « gens du voyage ».
comment l’homosexualité que
George Michael a longtemps te-
nue secrète a cimenté l’amitié en-
tre les deux hommes durant leur
collaboration. En 1986, le groupe
se dissout et George Michael en-
tame une fulgurante carrière solo.
C’est avec beaucoup de délica-
tesse que le film laisse entendre
que le chanteur, disparu en 2016,
ne s’est jamais tout à fait remis
de cette séparation. p
Audrey Fournier
Wham !, de Chris Smith
(2023, 90 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
5 1 3
2 9 7 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
6 4 8 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
5 1 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
8 3 4
abojournalpapier@lemonde.fr.
9 2 6
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
4 6 5
8 9 Courrier des lecteurs
3 7 2 Par courrier électronique :
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Emploi : www.talents.fr/
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Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023 Carnet | 25
Les membres du conseil Mme Joëlle Hervé-Teichert,

Léon Gautier Le Carnet

d’administration de la Ligue contre
la violence routière,

ont l’immense douleur de faire part

du décès, suite à une longue maladie,
son épouse,
Mme Judith Beuve-Teichert,
sa fille,
Camille et Côme,
ses petits-enfants,
Appel en héritiers
Ouverture du testament

BIENZ Gertrud Alice, née le

Dernier survivant des Vous pouvez nous faire parvenir

de

Mme Chantal PERRICHON,

ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
25 juillet 1922, de Rüderswil BE,
célibataire, domiciliée à 3012 Berne,
Blinden- und Behindertenzentrum
Bern, Neufeldstrasse 97, est décédée
vos textes soit par e-mail :
commandos Kieffer carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
sa présidente d’honneur
et ancienne présidente
pendant vingt ans de 2002 à 2022.
M. Gérard TEICHERT,
artiste peintre,
le 2 février 2023, à Berne.

Les deux dispositions testa-

votre numéro de téléphone et
votre éventuel numéro d’abonné
ou de membre de la SDL)
soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
L’équipe du Carnet reviendra vers
vous dans les meilleurs délais
pour vous confirmer la parution.
carnet@mpublicite.fr
https://carnet.lemonde.fr
AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Paris, le 26 juin 2023.
Les yeux grands ouverts, à l’aube
de ta vie déjà pleine de promesse, tu
nous souris ! tu dévoreras le monde,
il t’appartient,
Bienvenue à toi
Gaïa.
Inès Mergny, Joseph et Thomas
Charmasson.
Décès
A Ouistreham (Calvados),
Patrick Chapuis,
le 30 avril 2014. CHARLY TRIBALLEAU/AFP son époux,
Charlotte,
sa fille,
Son engagement bénévole pour la
sécurité routière et la vie sur la route
était total. Elle incarnait, de manière
exceptionnelle, les trois valeurs de
« la Ligue » : indépendance, rigueur
et proximité.
contact@violenceroutiere.fr
(Le Monde du 28 juin.)
Sophie Garcelon,
Philippe Pouletty,
Jean-François Pouletty,
ses enfants
et leurs conjoints,
Ses neuf petits-enfants
et leurs conjoints,
Ses dix-neuf arrière-petits-enfants,
Son frère et sa belle-sœur,
Ses neveux et nièces
et leurs enfants,
Les familles Pouletty, Brunet,
Drutel, Garcelon, Rameau,
ont la grande tristesse de faire part
du décès du
docteur Jacques POULETTY,
né Jacques POLETTI,
officier de la Légion d’honneur,
survenu le 29 juin 2023, à l’aube de
ses quatre-vingt-quatorze ans.
Il a rejoint son épouse,
Michèle POULETTY,
décédée le 25 décembre 2018.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 6 juillet, à 10 heures, en
survenu le 28 juin 2023.
La cérémonie d’adieu a eu lieu
ce 5 juillet 2023, au crématorium
de Cannes.
In memoriam.
Filippo Monteleone,
le président
Et les collaborateurs
de CAREIT,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Giuseppe ZOLZETTICH,
directeur général
et cofondateur de l’entreprise,
survenu de manière accidentelle, le
24 juin 2023, à l’âge de cinquante-
huit ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 6 juillet, à 15 heures, en l’église
Saint-François-Xavier, Paris 7e.
C’est dans sa mémoire et forts de
l’énergie qu’il a su leur insuffler que
ses collaborateurs et amis continueront
à avancer.
Anniversaire de décès
Il y a cinq ans disparaissait
Claude LANZMANN.
Nous qui avons eu la chance de
mentaires du 23 avril 1999 et du
31 octobre 2012 modifiant l’ordre
successoral prévu par la loi, les legs
ainsi que l’institution d’un exécuteur
testamentaire ont été ouvertes le
27 mars 2023, respectivement le
2 mai 2023, à l’héritier institué, aux
héritières légales connues et
héritiers légaux connus ainsi qu’aux
légataires.
Pour les éventuelles autres
héritières légales et éventuels autres
héritiers légaux, la présente
publication vaut ouverture au sens
de l’article 558 du Code civil suisse.
Les dispositions testamentaires
peuvent être consultées auprès de la
notaire mandatée, Sibyl Matter,
Bundesgasse 18, CH-3011 Berne
(Suisse). Les héritières légales et
héritiers légaux peuvent consulter
les dispositions testamentaires dans
le délai de dépôt, en demander des
copies et, le cas échéant, faire
opposition.
En l’absence d’opposition dans le
délai d’un mois à compter de la
troisième publication, l’héritier
institué se voit délivrer, sur
demande, un certificat d’héritier
conformément à l’article 559 du
Code civil suisse, sous réserve des
actions en droit successoral.
Berne, le 23 juin 2023.
La mandataire :
Sibyl Matter, notaire,
Bundesgasse 18,
3011 Berne (Suisse).
Communication diverse

I
l était le dernier survivant
des 177 commandos Kieffer à
avoir débarqué sur les plages
de Normandie pour libérer
la France, le 6 juin 1944. Léon Gau-
tier est mort lundi 3 juillet à Caen,
à l’âge de 100 ans. Né le 27 octo-
bre 1922 à Rennes, Léon Gautier
est apprenti carrossier lorsque la
guerre éclate. Il s’engage dans la
marine à 17 ans, en février 1940.
« A l’époque, on était jeunes. On
avait grandi dans des familles
qui avaient connu 1914-1918. Tout
le monde avait perdu quelqu’un.
On avait appris la haine des
­boches. On était tous patriotes »,
dira-t-il à la fin de sa vie
En juin 1940, il met le cap sur
l’Angleterre, et rallie le général de
Gaulle, au côté duquel il participe
au défilé du 14-Juillet organisé à
Londres. A bord du Gallois, il réa-
lise des missions dans l’océan At-
lantique avant d’être affecté sur le
sous-marin Surcouf pour œuvrer
en Afrique et au Moyen-Orient.
En 1943, il se porte volontaire
pour intégrer le 1er bataillon de fu-
siliers marins commandos, qui
sera connu a posteriori sous le
nom de « commandos Kieffer ».
Créé au printemps 1942 par la
France libre, ce bataillon, com-
mandé par le capitaine de cor-
vette Philippe Kieffer, subit un en-
traînement des plus intensifs à
Achnacarry, en Ecosse.
Fin mai 1944, Léon Gautier est
averti des préparatifs du Débar-
quement. Le 6 juin, il participe au
« jour le plus long » : quelque
156 000 hommes prennent pied
sur les rivages de Normandie.
Tournant de la seconde guerre
mondiale, l’opération « Over-
lord » ouvre en Europe le second
front tant espéré par Staline.
Léon Gautier traverse la Manche
avec le No. 4 Commando, unité de
l’armée de terre britannique. Il
débarque avec les 176 autres
membres des commandos Kief-
fer à Sword Beach, près de Colle-
ville-sur-Orne (Calvados), trente
minutes avant le reste de la bri-
gade. Ils sont les seuls représen-
tants de la France sur les plages.
Une reconnaissance tardive
Léon Gautier participe à la totalité
de la bataille de Normandie, pen-
dant laquelle le No. 4 Commando
enregistre plus de 50 % de pertes.
Le souvenir des compagnons
tombés le hantera. « Peut-être que
j’ai causé des veuves et des orphe-
lins, je n’en sais rien. On ne regrette
pas ce qu’on a fait, car il fallait le
faire. Mais on regrette que ça se
soit passé », disait-il. Blessé à la
cheville, il ne participe pas aux
combats aux Pays-Bas.
27 octobre 1922 Nais-
sance à Rennes
13 juillet 1940 Rejoint
la France libre
1943 Volontaire dans
les « commandos Kieffer »
6 juin 1944 Participe au dé-
barquement de Normandie
18 juin 2021 Grand officier
de la Légion d’honneur
3 juillet 2023 Mort à Caen
Après la guerre, il est démobilisé
et épouse Dorothy Banks, une Bri-
tannique avec laquelle il s’était
fiancé en 1943. Ensemble, ils
auront deux enfants. Se sentant
délaissé par le gouvernement
français, il quitte l’armée et re-
prend son travail de carrossier en
Angleterre, puis au Cameroun et
au Nigeria. La reconnaissance de
la France vient tardivement. Il est
à la retraite lorsqu’il reçoit la Lé-
gion d’honneur, en 2004. Les
Français découvrent alors les
hauts faits des commandos Kief-
fer, qui deviennent un mythe
compensatoire : ils sont la preuve
que les Français n’ont pas simple-
ment été les spectateurs du Dé-
barquement, même s’ils n’ont
fourni qu’une force d’appoint.
Pour Léon Gautier, les raisons de
cet oubli étaient politiques : selon
lui, le général de Gaulle n’avait pas
souhaité valoriser la mémoire des
commandos, parce qu’il ne digé-
rait pas d’avoir été écarté des der-
nières étapes de la préparation de
l’opération « Overlord ». « Je savais
avant lui où on allait débarquer.
Sur ce coup, les Britanniques ont
un peu manqué de diplomatie »,
racontait-il non sans malice.
Résidant à Ouistreham (Calva-
dos), proche de l’endroit où il avait
débarqué, il continuait de se ren-
dre au Musée No. 4 Commando,
pour raconter son expérience de
soldat. Depuis la mort d’Hubert
Faure, le 17 avril 2021, il portait seul
la mémoire vivante de ce groupe.
Le 1er janvier 2021, il fut élevé à la
dignité de grand officier de la Lé-
gion d’honneur. Emmanuel Ma-
cron lui a remis sa décoration au
Mont-Valérien, le 18 juin 2021.
Léon Gautier assurait ne pas vi-
vre dans l’obsession de ce débar-
quement. « J’y pense une fois par
an, quand tout le monde arrive
ici… » Pourtant, chaque jour, on
l’arrêtait dans les rues de Ouistre-
ham pour une photo, un autogra-
phe. Bien malgré lui, à la manière
du dernier poilu, Lazare Ponticelli,
il était devenu un monument, le
dernier Français à avoir participé
au Débarquement. p
Antoine Flandrin
font part du décès de
Andrée CHAPUIS,
survenu le 30 juin 2023,
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
chapuispatrick9@gmail.com
Strasbourg. Le 30 juin 2023.
Vincente et Laurent Dalvy,
Carla et Delphin Dalvy,
Stéphanie KLEIN,
leur inoubliable amie,
disparue après de longs mois
d’indicibles souffrances.
« Un monde sans Stéphanie
est inimaginable ».
Pierre, Hélène, Elisabeth,
ses enfants,
ont le regret de faire part du décès de
André LAURENT,
professeur émérite
des Universités de Lyon,
survenu le 29 juin 2023.
Saint-Geyrac (Dordogne). Paris.
Catherine,
son épouse,
Marilia et Thaïs,
ses filles,
Sylvain et Jean-Sébastien,
ses gendres,
Tiago, Mahina, Solan et Edan,
ses petits-enfants,
ont la profonde tristesse d’annoncer
le décès de
Alain de LORGERIL,
survenu le 2 juillet 2023,
à l’âge de quatre-vingts ans.
La cérémonie aura lieu le lundi
10 juillet, à 13 h 30, au crématorium du
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Emilie Peghon,
sa compagne,
Jean-Pierre et Marie-France Morel,
ses parents,
Fabrice et Corinne,
Laurent,
Alexandre et Isée,
ses frères et belles-sœurs,
Nils, Arto, Balthazar et Agathe,
ses neveux et nièce,
Barthélémy,
son parrain
Et les familles Peghon et
Rocquemont,
ont la douleur de faire part du décès
soudain, survenu à l’âge de quarante-
trois ans, de
Emile MOREL,
directeur créatif,
Ubisoft Montpellier.
La cérémonie aura lieu le vendredi
7 juillet 2023, à 14 h 30, en l’église
Saint-Jean-Baptiste de Sceaux et sera
suivie de l’inhumation, au cimetière
de Sceaux.
emilie.peghon@yahoo.com
romain.sup85@orange.fr
l’église Saint-Louis-en-l’Ile, Paris 4e,
dans l’intimité familiale.
L’inhumation aura lieu le même
jour, à 15 h 30, au cimetière de
Montgivray (Indre).
La famille Ribot
a la douleur de faire part du décès de
Mme Geneviève RIBOT,
née PHILBERT,
survenu le 2 juillet 2023,
à l’âge de cent un ans.
La cérémonie religieuse sera
célébrée en l’église de Saint-Witz
(Val-d’Oise), le vendredi 7 juillet, à
11 heures.
Pompes funèbres Florence,
10, rue Joseph-Dijon,
75018 Paris.
Tél. : 01 42 57 94 04.
Paris. Marseille.
Philippe Delarue, David Rivoire,
Thomas Rivoire,
ses fils,
annoncent que
Maryse RIVOIRE-DELARUE,
a choisi de mourir, paisiblement,
chez elle, le dimanche 25 juin 2023,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Elle sera incinérée et reposera
auprès de notre cher père et beau-
père,
Christian RIVOIRE,
au cimetière de Lambesc (Bouches-
du-Rhône).
Une cérémonie aura lieu au mois
de septembre.
Paris.
Chine Lanzmann,
sa fille,
Edmond et Vidal Edel,
ses petits-fils,
Laurent Edel,
son gendre,
Doris Lanzmann,
sa petite-fille de cœur
Ainsi que toute la famille
Et ses proches,
ont la douleur de faire part du décès
de
Anne SEGALEN,
parolière et journaliste,
survenu le 29 juin 2023,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Une cérémonie sera célébrée le jeudi
6 juillet, à 13 heures, en la salle de la
Coupole, au cimetière du Père-Lachaise,
71, rue des Rondeaux, Paris 20e.
L’inhumation aura lieu en Bretagne,
au Huelgoat.
Cet avis tient lieu de faire-part.
« Oh ! fumer l’opium
dans un crâne d’enfant,
Les pieds nonchalamment
appuyés sur un tigre ! »
Maurice Rollet, Le fou.
travailler avec lui à la revue
Les Temps Modernes, nous nous
souvenons. Sa voix manque, et nous
manque.
Jean Bourgault, Liliane Kandel,
Jean Khalfa, Patrice Maniglier,
Jean-Pierre Martin, Eric Marty,
Anne Mélice, Juliette Simont.
Concerts
Du 2 au 22 juillet 2023,
vibrez au son
de la musique de chambre
au cœur du Marais,
à la cathédrale Sainte-Croix
des Arméniens,
ainsi qu’aux Archives nationales
et en Île-de-France.
Venez vivre
de grands moments
d’évasion musicale
avec les jeunes musiciens
les plus talentueux
de leur génération
parfois accompagnés de leurs aînés :
Romain Leleu, le Quatuor Ellipsos
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Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
présidente, Gilles Paris, vice-président
 Idées
26 |
Fabien Jobard
« Le législateur a
consacré l’ascendant
de la police sur la
jeunesse postcoloniale »
Eminent spécialiste
des questions
policières, le politiste
revient sur les
spécificités françaises
dans les rapports entre
les forces de l’ordre
et la jeunesse des
quartiers populaires
issue de l’immigration
entretien
D
irecteur de recherche au CNRS,
Fabien Jobard est politiste, cher-
cheur au Centre de recherche
sociologique sur le droit et les
institutions pénales. Il est
l’auteur, avec le sociologue Oli-
vier Fillieule, de Politiques du désordre. La
police des manifestations en France (Seuil,
2020), avec Daniel Schönpflug, de Politis-
che Gewalt im urbanen Raum (« violence
politique en milieu urbain », Gruyter,
2019, non traduit), avec Jérémie Gauthier,
de Police : questions sensibles (Presses uni-
versitaires de France, 2018) et, avec Jacques
de Maillard, de Sociologie de la police. Poli-
tiques, organisations, réformes (Presses
universitaires de France, 2015). Directeur
du Groupe européen de recherches sur les
normativités, Fabien Jobard publie en
­septembre une bande dessinée réalisée
avec Florent Calvez : de la création des bob-
bys anglais aux dystopies policières con-
temporaines, Global Police. La question
policière à travers le monde et l’histoire
(Delcourt/Encrage) interroge la nature et
le devenir de nos polices.
Les événements de Nanterre,
qu’il s’agisse de la mort de Nahel M.
ou des émeutes qui ont suivi, mon-
trent à quel point les relations entre
la police et les jeunes des quartiers
populaires sont dégradées.
S’agit-il d’une spécificité française ?
Les événements auxquels nous avons
assisté ces derniers jours ne sont pas pro-
pres à la France : on en observe de compa-
rables aux Etats-Unis, en Belgique, aux
Pays-Bas – parfois au Royaume-Uni ou en
Suède. Or, Suède mise à part, ces pays ont
en commun une histoire contemporaine
marquée soit par la prégnance de l’escla-
vage des populations noires, soit par la
présence d’une population issue des
­territoires coloniaux. Le contraste avec
l’Allemagne est frappant : dans ce pays
qui a été privé de ses colonies africaines
par le traité de Versailles, en 1919, les
­tensions avec les populations minoritai-
res existent mais elles sont bien moins
fréquentes et bien moins intenses.
De quelle manière cette histoire
coloniale française pèse-t-elle ?
La guerre d’Algérie et la colonisation
sont à mille lieues des préoccupations
des policières et policiers de notre pays :
ce ne sont pas eux, individuellement, qui
portent cette histoire et la font perdurer.
Savoir si les policiers sont racistes ou non
n’aide d’ailleurs pas vraiment à compren-
dre ce qui se joue. Ce qui fait que la police
est un lieu de perpétuation du rapport
­colonial sur notre sol est la collision de
deux phénomènes historiques.
Le premier est le fait que les popula-
tions issues des territoires nord-africains
ont été installées à la va-vite dans des
grands ensembles de nos banlieues. Ces
villes étaient sous-administrées – pas ou
presque pas de police, quelques brigades
de gendarmerie, des commissariats
­isolés. A cette époque, la police faisait
avec ce qu’elle avait et, de surcroît, recru-
tait peu. La doctrine et les chefs disponi-
bles étaient donc ceux des années 1950-
1960, ceux de la guerre en métropole,
lorsque la gestion des populations nord-
africaines reposait sur la mise à distance,
le contrôle, l’imposition d’une obligation
de déférence permanente – bref, la subor-
dination sous férule policière. Dans un tel
schéma, le contrôle d’identité avec fouille
est central : c’est l’instrument majeur
d’imposition de l’autorité policière
comme préalable non négociable.
Une telle gestion des populations subal-
ternes aurait pu s’éteindre peu à peu, si-
lencieusement emportée par la crois-
sance et le renouvellement des généra-
tions, tant du côté de la police que du côté
de la jeunesse. Mais au milieu des années
1970, la France s’est engagée sur une voie
économique singulière, celle de la désin-
dustrialisation – et c’est le second phéno-
mène historique décisif. De 1975 à nos
jours, plus de 2 millions d’emplois indus-
triels se sont évaporés : la France est
­devenue un pays de services et cette mu-
tation a pénalisé en tout premier lieu les
jeunes hommes sortis du système sco-
laire sans qualification – les jeunes fem-
mes s’en sortent mieux. Or, dans quels
rangs se recrutent principalement ces jeu-
nes hommes ? Dans ceux des familles les
moins favorisées, les moins dotées – les
familles immigrées.
C’est un contraste marquant avec la tra-
jectoire historique allemande : l’Allema-
gne a protégé son industrie. Lorsque les
jeunes sortent du système scolaire sans
qualification – le système allemand est
bien plus soucieux de la formation aux
métiers manuels –, une place les attend à
l’usine, sur la chaîne, à l’atelier. Outre-
Rhin, l’industrie parvient donc à absorber
ces « jeunes à problèmes », comme on dit
là-bas, comme autrefois Renault et Ci-
troën absorbaient nos blousons noirs.
En France, dès le milieu des années
1970, une population oisive essentielle-
ment formée des jeunes issus de l’immi-
gration coloniale s’est constituée au pied
des tours. Cette jeunesse est disponible
aux tensions avec la police : de Toumi
Djaidja, fils de harki victime, en 1983, un
soir de ramadan, aux Minguettes, d’un tir
policier dans le ventre alors qu’il tentait
de venir en aide à un de ses amis aux pri-
ses avec un chien policier, à Nahel, à Nan-
terre, en 2023, les relations sont explosi-
ves. La dynamique socio-économique
française a fourni à la police une clientèle,
essentiellement issue des populations co-
loniales, qui est enfermée, avec elle, dans
un face-à-face mortifère et sans issue.
Les pratiques de la police sont
encadrées par le droit. Quelle a été
l’évolution des textes depuis
les années 1970 ?
Sur ce plan, il est frappant de constater
que le droit, notre droit républicain, n’a
La dynamique pas corrigé les pratiques mais les a, au
contraire, garanties. Je reprends les con-
socio-économique trôles d’identité. Ces pratiques se déve-
française a fourni loppaient de manière assez sauvage : le
droit positif ne les prévoyait pas. En fé-
à la police vrier 1981, le gouvernement de Raymond
Barre a fait adopter une loi décriée par la
une clientèle, gauche qui a « créé » les contrôles
essentiellement ­d’identité (art. 78-2 du code de procédure
pénale). En réalité, cette loi consacre ces
issue des contrôles : elle « couvre », en quelque
sorte, des pratiques dont nos recherches
populations ont démontré qu’elles visent essentiel­-
coloniales, qui lement la jeunesse postcoloniale. Ce
geste, que la gauche n’a pas abrogé, est
est enfermée, avec ­significatif d’une dynamique qui s’est
­enclenchée dans d’autres domaines de
elle, dans un face- l’action policière : les pratiques et les per-
ceptions policières ont été relayées par
à-face mortifère les politiques publiques.
et sans issue
Quelles étaient ces politiques
publiques ?
A partir des années 1990, une décennie
marquée par des émeutes urbaines loca-
lisées engendrées par des faits policiers
mortels (ou la rumeur de tels faits), deux
choix ont été très explicitement arrêtés.
Le premier, c’est le renforcement de l’ar-
senal pénal contre les mineurs auteurs
de faits de délinquance de voie publique :
les circulaires de politique pénale, puis la
loi elle-même, encouragent la fermeté à
l’égard de ces jeunes délinquants qui se
recrutent essentiellement parmi les
­jeunes de cité, ce qui vient rétrospective-
ment légitimer l’action policière à leur
égard. La politique pénale est telle
qu’aujourd’hui le législateur offre aux
policiers la possibilité de sanctionner
eux-mêmes des délits par une amende
dite « délictuelle ». Or, ces délits étant
ceux habituellement commis par les
­jeunes de cité, ce pouvoir de sanction
exorbitant confié par le législateur à la
police consacre son ascendant sur cette
fraction de la jeunesse.
La seconde trajectoire de politique pu-
blique est l’abandon de ce que l’on appe-
lait, il n’y a pas si longtemps encore, les
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Yann Legendre
politiques d’accompagnement social de
la délinquance. Pour des raisons à la fois
idéologiques et budgétaires, les gouver-
nements successifs ont concentré la dé-
pense publique sur les forces de l’ordre
(15 milliards d’euros et 8 500 agents sup-
plémentaires sont prévus dans la loi
d’orientation et de programmation du
ministère de l’intérieur du 24 jan-
vier 2023) et ont privé les communes et
les départements de fonds permettant
une action sociale portée par les éduca-
teurs spécialisés, les éducateurs de rue,
les travailleurs sociaux. Même les em-
plois précaires – les emplois-jeunes puis
les emplois aidés – ont été supprimés, les
premiers sous le gouvernement de Jean-
Pierre Raffarin, les seconds sous celui
d’Edouard Philippe. J’insiste sur la di-
mension budgétaire de ces choix : en
­Allemagne, les communes et l’Etat dispo-
sent encore de moyens financiers pour
l’action sociale.
La France pourrait-elle s’inspirer
des politiques mises en place
en Allemagne ?
L’Allemagne a perdu ses colonies il y a
un siècle, elle n’a pas fait le choix de se
­défaire de son industrie, elle n’a pas re-
noncé au social au profit du sécuritaire.
Et le caractère décentralisé et régional de
la police, qui était une des conditions de
la sortie du nazisme en 1945-1949, a fait
que « la » police existe à peine en tant
qu’institution et, surtout, en tant que
groupe d’intérêts. Les syndicats policiers
n’y sont pas engagés dans un défi perma-
nent lancé aux politiques et aux magis-
trats, facteur considérable d’apaisement
des passions policières et de discipline
dans les rangs. Plus qu’un modèle dont
on importerait telle ou telle recette, l’Alle-
magne offre plutôt un horizon dans
­lequel s’inscrit la question policière.
Cette question ne pourra pas être dé-
nouée seule : libérer la police française de
sa colonialité ne passe pas par je ne sais
quelle réforme isolée – type « revenir-à-
la-police-de-proximité » – mais par l’in-
vestissement massif dans la formation,
l’emploi et l’accompagnement social
d’une jeunesse que les gouvernements
successifs ont bien lâchement confiée
aux soins presque exclusifs de la police. p
propos recueillis par Anne Chemin
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023 Idées | 27

Bruno Cautrès Les plus susceptibles de demander de l’aide

au maire sont ceux qui ont le moins confiance en lui
La proximité des élus locaux avec la population crise sociale et d’identité sans fin, les élus
locaux incarnent la proximité et le ser-
leur a longtemps permis d’échapper aux critiques vice public rendu. Ce n’est pas seulement
faites au reste de la classe politique. Ils se retrouvent que l’on peut plus probablement croiser
son maire que son député ou son pre-
aujourd’hui en première ligne face à la colère des mier ministre, c’est aussi que l’action du
catégories sociales les plus fragiles, analyse le politiste maire est probablement plus susceptible
d’être vérifiable « sur pièces ».
Le portrait est sans doute trop idylli-
plus de moyens… et plus de pouvoirs
aussi. Le déversement des colères fran-
çaises se serait étendu du niveau central
au niveau local, en une sorte de décen-
tralisation des colères, revers de la mé-
daille de la proximité.
On doit tout d’abord remarquer que, à
l’image des fractures sociales et politi-
ques françaises, la confiance dans les
à rechercher du côté des multiples ten-
sions de notre pays et des transforma-
tions des rapports à l’autorité verticale. Il
s’agit de longs et complexes processus,
dont les effets ne sont pas univoques,
créant de nouvelles tensions mais aussi
de nouvelles aspirations et potentialités.
Notre pays est davantage que ses voisins
européens soumis à des tensions extrê-

Q
ue nous arrive-t-il en France ?
Pourquoi tant de crises en si peu
d’années ? Le monde entier nous
observe, interloqué, et se pose les
mêmes questions. Tant d’images de vio-
lence, de destructions, de colère, de rage
et de haine. Le politique, qui semble cou-
rir après les crises, est accablé de tous les
reproches comme le montrent toutes les
enquêtes réalisées sur la confiance poli-
tique. Seuls les élus locaux, principale-
ment les maires, semblent surnager
dans cet océan de défiance politique. Et
pourtant ils n’échappent pas aux multi-
ples incivilités, agressions et maintenant
tentatives de crime.
Les données du baromètre de la con-
fiance politique du Centre de recherches
politiques de Sciences Po, enquête aca-
démique annuelle réalisée par l’institu-
tion depuis 2009, permettent d’analyser
ces rapports complexes et paradoxaux
entre les élus et le pays. La dernière va-
gue de cette enquête (février 2023) a en-
registré une nette baisse de confiance
pour tous les élus, y compris les maires
(57 % de confiance quand même), dans
un contexte de fin de la parenthèse liée
au Covid-19. Ce sont néanmoins tou-
jours les maires et les conseils munici-
paux qui sont les plus investis de la con-
fiance des Françaises et des Français. En
près de quinze ans, la confiance dans les
conseils municipaux a fluctué entre 63 %
(2009) et 53 % (2023) atteignant son pic
en 2015 (68 %) dans une France traumati-
sée par les crimes terroristes et attei-
gnant des valeurs assez élevées pendant
le Covid (65 % de confiance début 2021 et
début 2022). Les mêmes tendances et
évolutions se retrouvent à propos des
maires : entre 2009 et 2023, la confiance
dans nos maires se situe entre 65 % et
57 %, atteignant son sommet au cours de
l’année 2015 (67 %) et s’exprimant forte-
ment pendant l’épidémie (65 %).
D’importantes variations
Dans le même temps, la confiance dans
l’Assemblée nationale se situait à des ni-
veaux bien plus bas, entre 38 et 28 %, celle
dans le gouvernement entre 32 et 26 %,
celle dans l’institution présidentielle en-
tre 33 et 30 %, même si des niveaux plus
élevés ont été observés à certains mo-
ments, durant le Covid notamment. On
peut rapprocher la perception positive
dont bénéficient les maires et leurs con-
seils municipaux de celle accordée aux
institutions publiques, notamment dès
lors qu’elles incarnent la proximité et le
soin (le système de santé, la Sécurité so-
ciale, les institutions régaliennes à l’ex-
ception de la justice perçue nettement
moins favorablement que la police).
Dans une France prise dans l’étau d’une
que, les événements dramatiques que
nous venons de vivre obligent à poser
une difficile question : se pourrait-il que
nous ayons eu des attentes trop élevées
à l’égard des maires, déclenchant l’insa-
tisfaction, voire la violence, dans des
contextes trop tendus ? Comme un mé-
decin tellement proche des patients
qu’il finit par être contaminé, le maire
est-il en train de devenir l’objet de tou-
tes les colères ? Il faut dire que la dé-
fiance envers les autres élus est déjà si
forte qu’il ne sert plus guère d’exprimer
une colère à leur encontre. Ajoutons que
les maires n’ont de cesse de demander
Se pourrait-il que
nous ayons eu
des attentes trop
élevées vis-à-vis des
maires, entraînant
de la violence
dans des contextes
trop tendus ?
maires connaît aujourd’hui d’importan-
tes variations : de l’ordre de 15 à 30 points
d’écart de confiance entre les maires sé-
parent deux France que tout oppose. So-
ciologiquement, la France qui fait le plus
confiance aux maires est celle des se-
niors, des retraités, des cadres ou de ceux
qui s’en sortent bien, alors que le niveau
de confiance chute fortement chez les
plus fragiles, les précaires, les chômeurs,
les hommes ou femmes au foyer, les ca-
tégories les moins dotés en capital éco-
nomique et culturel.
Tensions et aspirations nouvelles
Incroyable paradoxe français, ce sont les
plus susceptibles de demander l’aide du
maire qui ont le moins confiance en lui
parce qu’ils se sentent fragiles et loin de
la politique. La taille de la commune
joue également un rôle (confiance net-
tement plus importante dans les petites
et moyennes communes) bien qu’il
faille être prudent sur cet effet, produit
en fait par les différenciations sociologi-
ques des territoires.
Les inégalités sociales ne permettent
que partiellement de rendre compte de
la descente aux enfers que nous venons
de vivre. Le manque de confiance, la dis-
tance sociale et politique ne conduisent
pas nécessairement à la violence. Un
processus bien plus complexe engendre
le passage à l’acte. L’explication est plutôt
mes car il clame la liberté, l’égalité et la
fraternité dans un monde de brutalités
et d’inégalités. Celles-ci sont liées aux
immenses transformations de ce monde
paradoxal, à la fois plein d’ouvertures et
de potentialités nouvelles et cloisonné
comme jamais.
Dans une France tendue jusqu’au point
de rupture, qui prône l’égalité et l’unicité,
les territoires, perçus comme les lieux
des solutions mais aussi comme les
lieux de l’expression des problèmes, se-
raient en passe d’être rattrapés par les pa-
radoxes français.
Pour que ces paradoxes ne finissent
pas en « défiance décentralisée » ne de-
vrions-nous pas conduire une évalua-
tion, indépendante du gouvernement,
de ce qui cloche dans le pays en matière
de fractures territoriales ? En tout cas, il
ne serait pas étonnant que la question
des liens entre le périmètre de l’Etat et les
autorités locales occupe une place de
choix dans les prochaines échéances po-
litiques du pays. p
Bruno Cautrès est chercheur
au Centre national de la recherche
scientifique et au Centre de recherches
politiques de Sciences Po

Didier Demazière et Rémi Lefebvre

L’indemnisation des élus est opaque et doit être réformée
Afin de répondre à la méfiance de l’opinion publique et au sentiment d’abandon qui montent chez les maires,
le sociologue et le politiste questionnent les conditions d’exercice des mandats

L
es démissions de maires, la
violence et la défiance dont
font l’objet les élus, de
­manière de plus en plus di-
recte et publique, posent la
­question de la place et du rôle
­dévolus aux responsables politi-
ques. Lors des émeutes ces der-
niers jours, les agressions et les
violences contre des maires dans
plusieurs communes (L’Haÿ-les-
Roses, Charly, Sannois, Cholet…)
se sont multipliées et ont suscité
une vive émotion et réprobation.
Les élus sont le maillon essentiel
d’une démocratie représentative
désormais largement contestée
dans sa légitimité et ses formes
concrètes d’exercice. Selon une
enquête du Centre de recherches
politiques de Sciences Po parue
en février, plus de deux Français
sur trois jugent qu’ils sont cor-
rompus et préoccupés principale-
ment par leur intérêt personnel.
Pour une partie d’entre eux, il
devient plus difficile d’exercer
leur mandat. Les élus de proxi-
mité sont souvent démunis face
à des attentes de citoyens usagers
qu’ils sont incapables de satis-
faire. Un sentiment d’impuis-
sance progresse (des maires à
l’égard de l’intercommunalité et
de l’Etat, des parlementaires vis-
à-vis de l’exécutif). Ils sont aussi
« à portée d’engueulade », signe
d’un recul du prestige social clas-
siquement associé à la fonction
de représentation.
Ces phénomènes nourrissent
un déclassement d’autant plus
fort que les élus sont de plus en
plus issus des catégories supérieu-
res, ce qui renforce la critique de
leur manque de représentativité
sociale. La progression des retraits
volontaires de la politique, établie
par la politiste Louise Dalibert
dans sa thèse de science politique
soutenue en 2022, est un signe de
cette dégradation. Le spectre
d’une crise des « vocations » pour
la politique semble poindre
même si celle-ci n’est pas vérifiée
empiriquement. Un débat doit
donc s’ouvrir sur la question des
conditions dans lesquelles les élus
exercent leurs mandats.
Ignorance, défiance
On insistera ici sur un aspect peu
mis en avant de ces conditions :
leur dimension matérielle. Dans
les démocraties, l’indemnisation
des mandats est un principe large-
ment admis. Cela signifie que les
élus peuvent vivre non seulement
« pour » la politique, mais aussi
« de » la politique, selon l’expres-
sion classique du socio­logue
Max Weber [1864-1920]. Car en
France, sur plus de 500 000 man-
dats, seulement 5,5 % procurent
une indemnité mensuelle
­supérieure à 1 000 euros et plus
des deux tiers sont purement bé-
névoles. Ces derniers sont tous
des élus municipaux.
Dans un Livre blanc publié par
l’Observatoire de l’éthique publi-
que, nous avons produit un état
des lieux de leur indemnisation
et des principes qui la gouver-
nent. Nous parvenons à la con-
clusion que le système actuel est
opaque et inégalitaire et qu’il faut
le réformer. Il est marqué par un
manque de transparence. Sur le
montant des indemnités asso-
ciées à chaque mandat et sur
leurs versements à l’échelle inter-
communale, l’information est
disponible mais peu accessible.
Sur les indemnités de fonction
et les avantages des élus locaux
ainsi que sur les revenus annexes
des parlementaires, on remarque
une opacité qui peut alimenter
une ignorance et devenir une
source de défiance. On ne dispose
pas de données sur les positions
des indemnités dans l’échelle des
revenus de la population. Un flou
règne sur les circuits de décision
fixant leur niveau.
On observe surtout une grande
variabilité des montants et de
fortes inégalités entre élus, en
Nous proposons
de mieux
­corréler
les niveaux
d’indemnisation
et les tâches
accomplies
fonction des mandats détenus et
des cumuls éventuels. Dans ce
­contexte, les maires apparaissent
globalement sous-indemnisés.
En effet, pour ces derniers, le ni-
veau de l’indemnité perçue est
fonction de la taille démographi-
que de la commune. Mais si la
charge est plus limitée dans les
petites communes, c’est aussi là
que les soutiens administratifs,
d’expertise et d’ingénierie sont
rares ou font défaut.
Débat démocratique et informé
En outre, l’exercice de cette fonc-
tion est souvent peu compatible
avec une activité professionnelle.
Mais les indemnités permettent-
elles de quitter son emploi quand
on sait que, dans la tranche de
1 000 à moins de 10 000 habi-
tants, elles avoisinent les
2 000 euros brut ? Cela explique
en partie le phénomène inquié-
tant du vieillissement du person-
nel politique local ; la retraite fi-
nançant ainsi l’activité politique.
Certains mandats semblent
plus avantageux que d’autres :
qu’est-ce qui justifie le différen-
tiel entre les indemnités parle-
mentaires et celles des grands
exécutifs locaux ? Qu’est-ce qui
justifie que les simples con-
seillers régionaux ou départe-
mentaux soient en général plus
gratifiés que les maires de petite
commune ou que les adjoints au
maire des villes de près de
100 000 habitants ? Nous consta-
tons une décorrélation entre le
niveau des indemnités et le tra-
vail requis par les mandats. Les
sommes perçues sont indépen-
dantes des activités réalisées, des
expertises détenues, des temps
consacrés (qui varient beaucoup
d’un mandat à l’autre).
Aussi est-il temps d’engager un
débat public et de mettre les cho-
ses à plat. Certes, le sujet est jugé
trop sensible politiquement et la
tentation est grande de le refou-
ler. Il faut pourtant sortir d’une
situation de plus en plus intena-
ble. D’un côté, l’opinion publique
est très sensible aux supposés
avantages d’une condition d’élu
considérée comme homogène et
uniforme. De l’autre, les élus
­peuvent s’investir jusqu’à sacri-
fier leur vie familiale et person-
nelle, et juger que leur indemnité
n’est pas à la hauteur de leur en-
gagement, ainsi que du niveau
social qui était le leur avant de
faire de la politique ou du niveau
qu’ils auraient pu atteindre sans
s’engager. C’est au débat démo-
cratique, un débat informé, qu’il
revient de définir ce que peut être
une juste indemnisation.
Nous proposons de mieux
­corréler les niveaux d’indemnisa-
tion et les tâches accomplies, ce
qui constitue un horizon réfor-
miste raisonnable. Cette entre-
prise n’est pourtant pas simple et
se heurte à de nombreuses diffi-
cultés (renforcées par la grande
hétérogénéité des collectivités).
De fait, les fonctions, missions et
tâches varient, mais le volume de
travail qu’elles induisent est un
angle mort. Il en va de même
pour le temps effectivement
­consacré à l’exercice des man-
dats. Comme l’on pourrait aussi
examiner les effets des pratiques
de cumul sur les temps alloués
aux différents mandats.
Une autre piste est à envisager,
en forme de donnant-donnant
entre élus et citoyens : augmenter
le niveau des indemnités, mais
l’assortir d’une limitation du cu-
mul des mandats dans le temps
pour conjurer le risque d’une
­professionnalisation politique…
ce qui amène la question de l’ac-
compagnement des mobilités en
fin de fonction.
La mobilisation autour de la ré-
forme des retraites a fait apparaî-
tre la nécessité d’une démocratie
plus participative. Mais il faut
aussi réformer la démocratie re-
présentative et porter le débat
sur la place des élus et les condi-
tions d’exercice de la représenta-
tion politique. p
Didier Demazière est socio-
logue, ­directeur de recherche
au CNRS ; Rémi Lefebvre est
professeur de science
politique. Ils ont coécrit le livre
blanc « Débattre d’une juste
indemnisation des élus », pour
l’Observatoire de l’éthique
publique, paru en juin
 0123
28 | Idées ­
­Jeudi 6­ juillet 2023

Doux commerce
croît les tensions », ajoute-t-il. Avant la déci-
sion de Vladimir Poutine d’envahir son voi-
sin ukrainien, le 24 février 2022, la part des
exportations ukrainiennes dans le total des
importations russes était tombée à 1,4 %.
Car l’Ukraine s’était largement ouverte au
­commerce multilatéral.
Montesquieu aurait-il été par trop candide ?
« Ce procès est injuste, s’insurge le politiste Ali
Ce concept préconisant de laisser le plus possible les acteurs économiques Laïdi, car le raisonnement de Montesquieu est
commercer librement entre eux est mis à mal par les « rivalités entre beaucoup plus fin. » Le chapitre VI du même
ouvrage sert de contrepoint : « Le mal arrive,
grandes puissances » et un « ralentissement de la mondialisation ». lorsque l’excès des richesses détruit cet esprit
Mais les interdépendances entre nations sont toujours « indispensables » de commerce. » Et c’est aux citoyens d’y
veiller, ajoute le philosophe des Lumières.
Histoire d’une notion merce, d’éliminer « l’opposition séculaire » en-
tre la France et l’Allemagne, en y associant
« Guerre économique »
Jusqu’à une date récente, l’Union euro-
européen au marché intérieur, Thierry Bre-
ton, déclarait : « L’Europe a compris qu’elle ne
pouvait plus se permettre d’être naïve. »
La guerre en Ukraine a contraint le bloc
­occidental à mener une politique de sanc-
tions à l’encontre de la Russie. Face à la Chine,
la ­Commission européenne a présenté, le
20 juin, une stratégie de sécurité économique
qui devrait se traduire par un contrôle accru
des investissements étrangers dans l’Union.
Une première prise de conscience des désor-
dres de la mondialisation. Mais, pour l’écono-
miste Sébastien Jean, auteur de l’article « Dé-
bordement : la mondialisation en désordre »
(Le Grand Continent, mai 2023), « il ne s’agit
pas d’une démondialisation. Aujourd’hui, les
interdépendances restent au cœur de la crois-
sance économique mondiale, et sont indispen-

L’
idée selon laquelle le commerce
posséderait des vertus pacificatri-
ces remonte à Montesquieu. Au
chapitre XX de son traité De l’esprit
des lois (1748), il écrit que « l’effet naturel du
commerce est de porter à la paix », car « deux
nations qui négocient ensemble se rendent
­réciproquement dépendantes ». D’où la théo-
rie du « doux commerce » qui lui est attri-
buée. Un concept économique, mais aussi
­politique et philosophique libéral, qui préco-
nise de laisser le plus possible les acteurs éco-
nomiques commercer librement entre eux,
sans contrôle de l’Etat.
Il y a soixante-treize ans, après la déclara-
tion Schuman du 9 mai 1950, était créée la
Communauté européenne du charbon et de
l’acier – ancêtre de l’Union européenne, pour
rendre la guerre « non seulement impensable,
mais matériellement impossible » en Europe
de l’Ouest. Il s’agissait, par l’usage du com-
aussi l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le
Luxembourg. Mais que peuvent véritable-
ment peser les récentes divergences sur l’en-
trée de l’Ukraine dans l’OTAN ou sur la dé-
fense européenne apparues entre Paris et
Berlin, qui sont chacun le principal partenaire
commercial de l’autre ? En 2018, le niveau de
« dépendance bilatérale aux imports » de la
paire franco-allemande était de 27 %.
La mondialisation des échanges n’a pour-
tant pas entraîné de diminution du nombre
de conflits militaires sur la même période.
Coauteur avec Philippe Martin et Thierry
Mayer de l’ouvrage La mondialisation est-elle
un facteur de paix ? (Editions Rue d’Ulm,
2006), l’économiste Mathias Thoenig insiste
sur la question centrale de la géographie du
commerce pour chaque pays. « L’ouverture
commerciale bilatérale a tendance à diminuer
la probabilité d’un conflit entre deux pays,
mais dès que celle-ci est multilatérale, cela ac-
péenne s’est refusée à concevoir l’affronte-
ment économique, contrairement aux Etats-
Unis, très à l’aise pour engager des bras de fer
avec leurs rivaux… comme avec leurs alliés.
Après l’effondrement de l’URSS en 1991, « l’ad-
Les États-Unis ministration Clinton est passée de la guerre
et la Chine froide à la guerre économique, avec les mêmes
moyens », rappelle Ali Laïdi. L’historien Lau-
ne peuvent rent Warlouzet pointe le double jeu des Etats-
Unis « quand ils en paralysent les instruments,
pas couper en refusant par exemple de nommer des juges
à l’Organisation mondiale du commerce ».
les ponts car « La parenthèse économique libérale s’est
les technologies ­refermée en 2016, avec le vote sur le Brexit et
l’élection de Donald Trump », constate Ali
modernes ne Laïdi. On assiste désormais à un regain d’in-
térêt pour les questions de souveraineté éco-
se développent nomique et de politiques industrielles. La
pas en solitaire crise due au Covid-19, à partir de mars 2020,
a aussi remis l’Etat au centre des prises de dé-
cision. En novembre 2020, le commissaire
sables à chaque puissance nationale. Un pays
qui se découple risque de se saborder lui-
même ». Malgré les tensions entre les Etats-
Unis et la Chine, les deux leaders ne peuvent
pas couper les ponts, car les technologies mo-
dernes ne se développent pas en solitaire.
Pour caractériser la période actuelle, Sébas-
tien Jean évoque plutôt « une interdépen-
dance étroite dans un contexte de rivalités
­entre grandes puissances ». Quant à son collè-
gue ­Mathias Thoenig, il constate « un ralen-
tissement de la mondialisation à partir du dé-
but des années 2010, mais pas de démondiali-
sation ». Face à cette situation, « l’Europe doit
continuer à préserver le doux commerce, en
relançant l’OMC ou en utilisant le modèle
des COP [conférences multilatérales abor-
dant des sujets planétaires]», affirme
M. Warlouzet. Le commerce prospère désor-
mais dans un mode plus belliqueux. p
Alain Beuve-Méry

Chronique | par Philippe Askenazy

Un meurtre par des jeunes désœuvrés
Casino n’est pas la Livre tie de sa ferme, sans que per-
sonne ait songé à s’enquérir de
nom d’un humanisme naïf, de
Stoop tente de comprendre com-

seule entreprise « zombie » P our la « bande d’Evregnies »

(Belgique), quarteron de
jeunes gens en mal de vi-
vre et obnubilés par le paraître,
Daniel Maroy, 84 ans, était le
l’absence du vieil homme dans
un village « où l’on se taisait dans
toutes les langues ». Sur la trame
de ce fait divers, Chris de Stoop
coud un ouvrage sensible, à la fois
ment des gamins ordinaires, qui
trouvent leur village « ennuyeux,
les parents aussi, sans parler de
l’école », peuvent en arriver à as-
sassiner un vieillard.

L es déboires du Groupe Casino

sont une illustration spectacu-
laire de l’impact d’une remon-
tée durable des taux d’intérêt sur les
entreprises. Outre la fragilité de sa
structure financière et sa stratégie in-
ternationale hasardeuse, le groupe
souffre, hors des zones où il est un ac-
teur dominant (essentiellement à Pa-
ris), d’un positionnement prix et
d’un manque de modernisation des
magasins qui ne lui permettent pas
de conquérir de nouveaux clients.
Avec une dette classée en catégorie
spéculative par les agences de nota-
tion, Casino devait payer une impor-
tante prime à ses créanciers.
Cette dette demeurait cependant
soutenable tant que les taux de base
demeuraient faibles. Au-delà du cas
de Casino, l’argent « gratuit » per-
mettait aux entreprises peu produc-
tives de maintenir leur activité ; pire,
leurs créanciers étaient tentés par un
« gambling for resurrection », c’est-à-
dire un prolongement du finance-
ment des entreprises « zombies » en
pariant sur un éventuel
­redressement du débiteur pour récu-
pérer leur mise.
Plus généralement, l’abondance de
liquidité et les faibles taux nuisaient
à la sélectivité des investissements.
En effet, arbitrer entre deux investis-
sements est un processus coûteux
qui demande un effort managé-
rial pour déterminer quel est le plus
pertinent économiquement. Mais
lorsque les deux projets pouvaient
aisément être financés, les entrepri-
ses s’épargnaient ces efforts. Cohabi-
taient ainsi des projets porteurs et
d’autres plus hasardeux, plombant à
terme la performance productive
globale de l’entreprise. De même, les
investisseurs pouvaient jouer sur
toutes les cases de la roulette du ca-
sino des start-up…
Les taux durablement faibles modi-
fiaient également les conditions
­concurrentielles et donc l’incitation à
innover. En effet, une entreprise en
position de monopole pouvait finan-
Les performances
du groupe devraient
s’améliorer et celles
du grand commerce
alimentaire avec lui
cer à faible coût le rachat de tout
­concurrent émergent pour maintenir
sa position, au lieu de la défendre en
innovant. Les économistes ont pu
aussi montrer que des mécanismes
« vieux crasseux ». Pour Chris
De Stoop, journaliste belge auteur
de retentissantes enquêtes sur la
traite des êtres humains ou le sort
des sans-domicile-fixe, il était
quête des origines, réflexion sur
l’ennui dans les campagnes dé-
sertifiées et « biographie vide »
d’un oncle dont ne subsiste qu’un
cliché pris trente-quatre ans
Il découvrira au cours de son en-
quête que ce « processus de déshu-
manisation » n’est pas le seul fait
de paumés dépassés par la portée
d’un geste mais d’un village en-
plus complexes pouvaient s’enclen- « l’oncle Daniel », un fermier soli- avant sa mort, « seul célibataire tier, refermé sur soi, où l’on ne
cher : le faible coût de l’argent per- Le Livre de Daniel taire dont le seul luxe consistait sur cette photo de mariage ». pardonnait pas à Daniel de s’arrê-
mettait dans un premier temps aux de Chris De Stoop, à se rendre une fois par semaine Etranger aux procès, l’auteur ter parfois, au volant de son anti-
leaders d’innover sans compter, ce Globe, 288 p., 22 € au supermarché de Saint-Léger découvre la nudité de la justice, que tracteur, sous les ­fenêtres
qui finissait par décourager les en Belgique, près de la frontière les tribunaux délabrés, les plai- d’Yvette, la boulangère, grand
­concurrents, par atrophier l’innova- avec la France, pour y acheter une doiries d’avocats célèbres. De- amour contrarié qui ne voulait
tion et diminuer les gains de produc- unique tranche de « blanc-bleu », venu lui-même paysan après sa pas du « vieux crasseux ».
tivité, dont le ralentissement frappe une viande réputée de la région. retraite, il s’interroge sur ce Aussi documenté qu’une thèse
la plupart des pays avancés depuis Le Livre de Daniel raconte ce monde campagnard « à part, en sur les conséquences du désœu­-
plus de deux décennies (« Low Inte- 29 mars 2014 où Daniel est as- marge de la modernité, où le vrement, la perte des repères
rest Rates, Market Power and Produc- sommé, puis assassiné à coups temps paraissait s’être arrêté ». Il ou l’exode rural, plus poignant
tivity Growth », Ernest Liu, Atif Mian, de fourche et délesté des quel- dresse le portrait d’une jeunesse qu’un énième ouvrage d’en-
Amir Sufi, Econometrica, 2022). ques milliers d’euros, « presque écrasée d’ennui qui n’hésite pas à quête, ce Livre de Daniel qui em-
tout l’argent amassé au long choisir la voie la plus tragique prunte son titre à un passage de
Les salariés, premières victimes d’une vie de paysan ». Son sup- pour étancher sa soif de consom- l’Ancien Testament est aussi un
La remontée des taux signe la fin par- plice, filmé par un téléphone por- mation : après le drame, presque mausolée érigé à la mémoire
tielle de ces effets pervers. La dette de table, est aussitôt exhibé par les tout le butin est englouti en tee- d’un homme qui, dans la vie
Casino est devenue insoutenable, assassins à leurs copains. Quant shirts de marque, en autoradio, comme dans la mort, fut d’abord
aboutissant à un plan de recapitalisa- à son corps, il sera brûlé une se- en leçons d’auto-école. S’il ne une victime de l’indifférence. p
tion dont les offres ont été déposées maine plus tard, comme une par- feint pas d’excuser leurs actes au Antoine Albertini
mardi 4 juillet. Le nouvel actionna-
riat entreprendra vraisemblable-
ment une vaste restructuration : ces-
sion de magasins, fermeture des plus
fragiles et changement stratégique Désobéissance | par Selçuk
dans ceux conservés.
Dans les trois cas, les salariés ris-
quent d’être les premières victimes,
mais les performances productives
apparentes du groupe devraient
s’améliorer, et dans son sillage celles
de l’ensemble du grand commerce
alimentaire en France.
Un tel nettoyage des « zombies »
pourrait s’enclencher dans de nom-
breux secteurs. De même, la sélecti-
vité des investissements devrait
s’améliorer, du moins tant que les
taux demeureront suffisamment
modérés pour financer les projets les
plus prometteurs. Cette dynamique,
opposée à celle des précédentes dé-
cennies, donne l’espoir d’une reprise
des gains de productivité.
Reste cependant que les positions
monopolistiques si néfastes à l’inno-
vation et à la productivité – dont la
spirale inflation-marge des entrepri-
ses démontre la force – risquent
d’être peu ébranlées par la remontée
des taux. Si le gouvernement veut fa-
voriser un redémarrage de la pro-
ductivité, il ne pourra plus se conten-
ter d’une baisse indifférenciée et
massive de la fiscalité sur les entre-
prises, ou de prier démagogique-
ment les monopoles de modérer
leur prix : il faudra qu’il s’attelle bel
et bien à leur démantèlement. p
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Groupe Le Monde : des résultats
bénéficiaires en 2022 malgré des
charges industrielles alourdies
P ABONNÉS
our le Groupe Le Monde,
2022 aura été une année
charnière. A peine sortis
de la crise due au Co-
vid-19, nous avons été confrontés
à l’inflation des coûts énergéti-
ques et des coûts industriels.
­Notre Groupe, tout en restant bé-
néficiaire, a enregistré en 2022
pour la première fois depuis qua-
tre années une baisse de sa profi-
tabilité, avec un résultat d’exploi-
tation passant de + 18,2 millions à
+ 10 millions d’euros, le résultat
net restant lui aussi bénéficiaire à
+ 3,3 millions d’euros.
En dépit de la progression de la
diffusion payée de la plupart de
nos titres, de la croissance des
audiences numériques portées
par une actualité exceptionnelle à
l’étranger et en France, et malgré
la bonne tenue de nos revenus
publicitaires, la hausse de nos
coûts d’exploitation aura été trop
importante pour maintenir le
même niveau de rentabilité.
Ainsi, le prix de la tonne de pa-
pier est passé au cours de l’année
2022 de 390 euros à 900 euros,
soit une hausse de 131 %, due à une
conjonction de facteurs défavora-
bles. Le premier est structurel : à
mesure que les usines délaissent
la fabrication de papier journal
pour produire des emballages car-
tonnés dont la vente par corres-
pondance est grande consomma-
trice, l’offre se raréfie et les prix
flambent. S’y est ajoutée la hausse
du coût de l’énergie, qui touche
des usines très énergivores. Au to-
tal, ce double mouvement pèse
annuellement environ 7 millions
d’euros sur nos charges.
L’année 2022 aura d’abord été
marquée par le déclenchement
d’un conflit armé aux portes de
l’Europe, nécessitant une pré-
sence renforcée et continue de
journalistes sur le front ukrainien.
Cet investissement rédactionnel
nourrit une couverture perma-
nente sur les supports numéri-
ques du Monde qui a été plébisci-
tée par nos lecteurs, avec un total
de 452 millions de visites, des lives
quotidiens, chacun d’entre eux
­atteignant une moyenne inédite
de 768 000 visites par jour.
Dans ce contexte inflationniste,
nous avons poursuivi nos inves-
tissements à la conquête de nou-
veaux territoires, de nouvelles
temporalités et de nouvelles
audiences. Au premier semestre
2022, nous avons procédé à deux
lancements majeurs. Le premier
est un magazine papier, trimes-
triel, « Le Goût de M », distribué
avec Le Monde, coordonné par
Marie-Pierre Lannelongue, fon-
datrice de « M Le magazine du
Monde », qui donne plus d’espace
à la couverture du style, de la gas-
tronomie, du design et du voyage.
Début 2022, nous avons lancé le
site Le Monde in English, offrant
une version anglophone de nos
contenus. Il représente aujour­-
d’hui 9,5 % de l’audience que Le
Monde réalise à l’étranger, avec des
pics aux Etats-Unis (45 %), au
Royaume-Uni (31 %) et au Canada
(14 %). Dès la rentrée, il sera dispo-
nible sur l’ensemble de nos appli-
cations ainsi que sur Apple News.
Deux éléments restent inchan-
gés dans notre modèle écono-
mique : la part primordiale des re-
venus provenant directement de
notre lectorat et le mouvement de
numérisation de nos activités.
Cette année encore, l’essentiel de
notre chiffre d’affaires provient
de nos lecteurs, même si la publi-
cité s’est maintenue. En 2022, la
diffusion a représenté 70 % du
chiffre d’affaires, avec un niveau
de ventes similaire à celui de 2017-
2018, l’abonnement constituant
la part la plus importante de nos
Evolution du nombre d’abonnés purs numériques
500 000
400 000
300 000
200 000
100 000
0 tionnalité, Courrier Stories, en
2016 2018
revenus (53 % pour le Groupe,
48 % pour Le Monde). Le mouve-
ment de numérisation s’est pour-
suivi : pour Le Monde, le journal
papier a représenté 58 % de notre
chiffre d’affaires et le digital 42 %.
L’année publicitaire s’est clôtu-
rée pour M Publicité, régie publi-
citaire du Groupe Le Monde et de
L’Obs, avec un chiffre d’affaires
sur la partie média de 59,7 mil-
lions d’euros, en retrait de 5 % sur
2021, après un premier semestre
très dynamique (+ 7 %) puis une
décroissance observée dès le dé-
but du mois de juin.
En termes de rentabilité, l’histo-
rique des résultats du Groupe fait
apparaître huit années consécuti-
ves de rentabilité positive dont six
consécutives de rentabilité nette
positive, avec progressivement
une restauration de nos fonds
propres. Cette trajectoire est indis-
pensable pour conforter notre in-
dépendance. Nous y veillons. Afin
de faire face à la ­conjoncture dé-
gradée et aux besoins d’investisse-
ments sur le long terme, nous
avons conclu au cours du premier
semestre 2023 une renégociation
de nos financements bancaires.
Cette consolidation, notamment
autour d’un prêt garanti par l’Etat
(PGE) et d’un PGE Résilience, était
un objectif important pour notre
Groupe en ce début d’année.
Il est en effet essentiel que nous
puissions poursuivre nos investis-
sements numériques en toute in-
dépendance. C’est une priorité que
nous partageons avec nos action-
naires, dont le soutien ne nous a
jamais manqué depuis la recapita-
lisation de 2010. Ces efforts ont no-
tamment porté leurs fruits avec le
succès du Monde auprès des nou-
velles générations. Fin 2022, nous
avons ainsi enregistré près de
11 millions d’abonnés cumulés sur
les plates-formes telles que Face-
book, YouTube, TikTok, Instagram
ou Snapchat, sur lesquelles nous
postons les formats vidéo réalisés
par la rédaction du Monde. Grâce à
ces nouveaux formats, nous enta-
mons une relation avec de jeunes
lecteurs souvent à la recherche
d’informations fiables, mais aussi
rétifs aux formats traditionnels.
A ces développements s’ajoute
notre activité podcast qui, pour Le
Monde, s’est organisée autour du
« Goût de M », de « Chaleur hu-
maine », et de « L’Heure du
Monde », émission quotidienne
lancée avec Spotify qui a pris
en 2022 la première place des pod-
casts sur cette plate-forme.
En 2022, sur un chiffre d’affaires
total de 309,5 millions d’euros, en
légère progression sur un an, la
part des subventions publiques
reste faible, à hauteur de 1,8 mil-
lion d’euros pour Le Monde et un
total de 3,7 millions d’euros pour le
Le Monde
472 000
L’Equipe
Le Figaro
Mediapart
Ouest-France
Le Parisien
Les Echos
Libération
Courrier
international
2020 2022
Sources : Le Monde ; Mind Media
Groupe. Ce montant n’inclut pas
l’aide décidée par les pouvoirs pu-
blics au titre de 2022 afin de com-
penser partiellement l’augmenta-
tion des coûts du papier et dont la
ventilation par éditeur devrait in-
tervenir avant la fin de 2023.
Enfin, l’année 2022 a vu aussi le
renouvellement de la composi-
tion de notre conseil de sur-
veillance de la Société éditrice du
Monde, auquel prennent part,
pour un tiers, des représentants
du Pôle d’indépendance, au nom
des sociétés de personnel, de la
Société des lecteurs et des action-
naires historiques et fondateurs.
Aline Sylla-Walbaum a été coop-
tée au sein du conseil et a été élue
à sa présidence. Personnalité re-
connue pour son indépendance,
elle succède à Jean-Louis Beffa, qui
quitte notre conseil. Il l’avait re-
joint en 1994 et en avait pris la pré-
sidence en 2017, après la mort de
Pierre Bergé. Au cours de ces
trente années, Jean-Louis Beffa
aura été une pièce maîtresse de
nos institutions. Son expérience
de chef d’entreprise, son attache-
ment à nos valeurs et à notre indé-
pendance nous ont été précieux.
Le début de l’année 2023 aura
aussi été marqué pour chacune
des sociétés éditrices de notre
Groupe par un renforcement des
droits des rédactions décidé de
concert entre Xavier Niel, le Pôle
d’indépendance et le directoire du
Groupe, et approuvé à l’unanimité
dans chacune des assemblées gé-
nérales. Depuis très longtemps,
chacune des rédactions détient un
droit de veto préalable à la no­-
mination du directeur de la rédac-
tion ou, pour Le Monde, du direc-
teur du journal. Ce droit statutaire
est désormais complété d’un
deuxième droit de veto, lui aussi
statutaire, en cas de révocation du
directeur de la rédaction, ou pour
Le Monde du directeur du journal,
en cours de mandat. Ce droit, qui
fonctionne selon les mêmes mo-
dalités que le droit de veto préala-
ble à la nomination, constitue une
première dans le secteur de la
presse, et une garantie supplé-
mentaire essentielle de l’indépen-
dance de nos rédactions, qui reste
le socle de la relation de confiance
avec nos lecteurs et abonnés.
Ce début d’année aura vu un
deuxième changement majeur
dans notre Groupe, avec la nomi-
nation de Valérie Hurier comme
directrice de la rédaction de Télé-
rama, en remplacement de Fa-
bienne Pascaud, qui continuera à
contribuer au journal. Proposée
par le directoire et adoubée par la
rédaction de Télérama, Valérie
porte l’ambition de poursuivre le
développement de notre hebdo-
madaire, en renforçant ses capaci-
0123 | 29
COMPTE DE RÉSULTAT CONSOLIDÉ
en millions d’euros
31 décembre
Chiffre d’affaires
Ebitda
2021
307
+ 25,1
2022
309,5
+ 15,5
Résultat opérationnel + 15,7 + 5,3
tés d’enquête et en accélérant son (hors effet CBI* et écarts d’acquisition)
déploiement sur les supports nu-
mériques. Télérama est un actif Retraitement CBI* Austerlitz + 6,1 + 6,1
majeur pour notre Groupe et Résultat opérationnel + 21,8 + 11,5
nous sommes confiants dans ses (avant amortissement des écarts d’acquisition)
capacités à poursuivre son déve-
loppement sans jamais déroger à Amortissement des écarts d’acquisition – 3,6 – 1,4
la rigueur et la diversité qui consti- Résultat d’exploitation + 18,2 + 10
tuent son identité. Avec Fleur La-
vedan à la présidence du direc- Résultat financier – 6,4 – 5,8
toire et Valérie Hurier à la direc-
Résultat exceptionnel – 0,2 – 1,9
tion de la rédaction, c’est donc une
équipe de direction entièrement Résultat net avant impôt sur les sociétés (IS) + 11,6 + 2,3
renouvelée qui a désormais la res- et impôts différés
ponsabilité d’inventer, avec les
IS et impôts différés – 2,1 +1
équipes de Télérama, les prochai-
nes étapes de son développement. Résultat net des sociétés intégrées + 9,5 + 3,3
Pour notre Groupe, 2023 sera
une nouvelle fois marquée par Résultat net – minoritaires + 1,2 + 1,2
une stratégie d’investissements
Résultat net – part du groupe + 8,2 +2
ambitieuse dans le numérique. La
nouvelle application de Courrier
international, et sa nouvelle fonc-
sont les premières traductions. ACTIF
Dans les jours qui viennent, Télé- en milliers d’euros
rama lancera une nouvelle ver-
MONTANTS
sion de son application après avoir
mis en ligne, il y a quelques jours, au 31 décembre
son nouveau site regroupant l’en- 2021 2022
semble de l’actualité culturelle, ACTIF IMMOBILISÉ
des enquêtes et des critiques.
Au sein de chacune des entités Immobilisations incorporelles 153 330 156 198
du Groupe, nous avons veillé à ce dont écarts d’acquisition 4 458 3 021
que les enjeux climatiques soient
encore plus présents. Cela corres- Immobilisations corporelles 213 337 206 608
pond autant à notre mission d’in- Immobilisations financières 4 334 4 468
formation qu’à une demande
forte de notre lectorat. Au Monde, TOTAL ACTIF IMMOBILISÉ 371 001 367 274
cette volonté est illustrée, ces der-
nières semaines, par la publica-
tion de notre série d’enquêtes sur ACTIF CIRCULANT
l’adaptation au changement cli- Stocks et en-cours 1 323 3 415
matique, qui a mobilisé une cen-
taine de membres de la rédaction. Créances clients et comptes rattachés 64 491 61 907
Nous venons de rendre publique Autres créances et comptes 29 657 33 643
une Charte sur le climat et l’envi- de régularisation
ronnement, qui précise l’engage-
ment du Monde sur la transition Disponibilités et valeurs mobilières 27 911 24 263
écologique en détaillant nos prin- de placement
cipes et nos objectifs dans un texte
élaboré conjointement avec la So- TOTAL ACTIF CIRCULANT 123 383 123 229
ciété des rédacteurs du Monde.
En 2024, aux éléments économi-
ques relatifs à notre activité, nous TOTAL ACTIF 494 384 490 503
ajouterons le bilan carbone de no-
tre Groupe, en cours de réalisation
par la société EcoAct. Le précédent
bilan carbone, réalisé à partir de PASSIF
nos chiffres 2019, évaluait à 41 000 en milliers d’euros
tonnes équivalent carbone notre
empreinte, dont 68 % découlaient MONTANTS
de notre activité papier. A l’issue au 31 décembre
de notre nouveau bilan, nous défi- CAPITAUX PROPRES 2021 2022
nirons une trajectoire que nous
partagerons avec vous. Capital social 124 610 124 610
Nous avons aussi poursuivi nos
Réserves et résultat consolidés – 86 859 – 84 227
efforts pour ouvrir des espaces de
dialogue et de débats d’idées avec dont résultat consolidé 8 243 2 032
le public. Il y a un mois, nous or-
TOTAL DES CAPITAUX PROPRES 37 751 40 383
ganisions MOT pour Mots, festi-
(part du groupe)
val littéraire qui a rassemblé
autrices et auteurs et un public en INTÉRÊTS HORS GROUPE
nette augmentation (+ 30 %) sur
l’année dernière. Le Groupe orga- Réserves et résultat consolidés 12 081 13 335
nisera du 14 au 16 juillet, à
Couthures-sur-Garonne, le Festi- dont résultat consolidé 1 231 1 247
val international de journalisme,
TOTAL INTÉRÊTS MINORITAIRES 12 081 13 335
porté par les rédactions de cha-
cun de nos titres.
AUTRES FONDS PROPRES - -
Pour Le Monde, la somme des ef-
forts et des développements, dont
nous venons de vous donner un TOTAL DES CAPITAUX PROPRES, 49 832 53 718
aperçu, n’a pas été vaine. En ce dé- INTÉRÊTS MINORITAIRES
but 2023, elle s’est traduite par un ET AUTRES FONDS PROPRES
nouveau record historique de dif-
fusion payée, atteignant, en avril, PROVISIONS POUR RISQUES 24 499 25 404
le chiffre inédit de 493 704 exem- ET CHARGES
plaires (source ACPM), grâce la
croissance continue de notre por- DETTES
tefeuille d’abonnés numériques.
Ce chiffre conforte notre place de Emprunts et dettes financières diverses 231 837 221 719
premier quotidien national d’in-
formations générales. Il doit tout Fournisseurs et comptes rattachés 70 684 71 933
à votre confiance et à votre fidé-
Autres dettes et comptes de régularisation 117 531 117 729
lité, pour lesquelles nous souhai-
tons une nouvelle fois vous re-
TOTAL DES DETTES 420 052 411 381
mercier : ce lien nous oblige quo-
tidiennement et nous porte col-
lectivement. p
Louis Dreyfus (président TOTAL PASSIF 494 384 490 503
du directoire du « Monde »,
et Jérôme Fenoglio
* Crédit-bail immobilier Source : Le Monde
(directeur du « Monde »)

30 | 0123
Géopolitique |
par Sy lv ie Kauf fmann
Les regrets
d’une visite annulée
A Structurellement
près avoir contraint
Paris à céder à Berlin le
privilège de la pre-
mière visite du roi
Charles III sur le continent fin
mars, le climat social a donc privé
le président de la République, Em-
manuel Macron, d’une visite
d’Etat en Allemagne, prévue du
2 au 4 juillet. Affaires de protocole
dérisoires au regard de ce qui se
joue sur le terrain ? Sans doute.
Mais autant la visite du roi Char-
les III était symbolique, autant le
voyage de trois jours du chef de
l’Etat en Allemagne paraissait
­politiquement opportun : les
échanges qu’il devait y avoir arri-
vaient au bon moment, pour
deux raisons. La première est
d’ordre géopolitique. La relation
franco-allemande est profondé-
ment ébranlée par l’onde de choc
de la guerre russe en Ukraine. Pi-
lier de l’Union européenne (UE)
depuis sa création, le tandem doit
aujourd’hui surmonter la remise
en cause de ses certitudes et envi-
sager l’avenir dans un environne-
ment européen où son rôle domi-
nant n’ira plus de soi.
Une semaine avant cette visite,
mardi 27 juin, les inconditionnels
du Paris-Berlin sont revenus dans
la zone de confort du monde
d’avant. Angela Merkel avait in-
terrompu sa retraite et l’écriture
de ses Mémoires pour venir rece-
voir, à Paris, un doctorat honoris
causa de Sciences Po, école par
­laquelle sont passés, a-t-elle re-
marqué, les quatre présidents
français qu’elle a côtoyés pendant
ses seize ans au pouvoir. L’an-
cienne chancelière allemande a
rappelé qu’avec chacun d’entre
eux elle avait affronté une crise
différente : celle du référendum
européen de 2005 avec Jacques
Chirac, celle des dettes souverai-
nes avec Nicolas Sarkozy, celle de
l’annexion de la Crimée avec
François Hollande, et celle engen-
drée par la pandémie de Covid-19
avec Emmanuel Macron.
Chaque fois, a-t-elle dit, en par-
tant de positions différentes,
­Paris et Berlin ont réussi à trouver
ensemble une solution « pour le
bien de l’Europe ». Nicolas Sarkozy
et François Hollande sont
d’ailleurs venus dîner avec elle
après la cérémonie à Sciences Po ;
Emmanuel Macron était en dé-
placement à Marseille. Autant
dire que le monde d’avant n’était
pas un long fleuve tranquille non
plus. Mais lorsqu’on s’attelait à
une crise « en franco-allemand »,
on avait des chances de parvenir à
un compromis qui conviendrait à
peu près à tout le monde.
Depuis le 24 février 2022, c’est
plus compliqué. Cette fois, Paris et
Berlin partaient de la même
­position. Le problème, c’est que ce
n’était pas la bonne. Mme Merkel a
évité de le dire dans son discours à
Sciences Po, mais c’est son héri-
tage. Comme l’Allemagne, la
France avait parié sur le dialogue
avec la Russie – jusqu’au dernier
moment, ces jours de février où,
l’un après l’autre, le président Ma-
cron et le chancelier Scholz ont
fait le voyage à Moscou pour ten-
ter, en vain, de convaincre Poutine
de renoncer à attaquer l’Ukraine.
Sous le choc, ils ont dû évoluer.
Cela a pris un peu de temps,
même si, à peine trois jours après
Paris et Berlin
doivent envisager
l’avenir dans un
environnement
européen où
leur rôle dominant
n’ira plus de soi
0123
­
­Jeudi 6­ juillet 2023
Chronique Démocratie
en Afrique : damné pour « corruption de la jeunesse » à de l’histoire du Sénégal, le président sor-
deux ans de prison ferme, avait causé la tant va organiser une élection à laquelle il
l’exception
sénégalaise
mort de vingt-trois personnes, selon Am-
nesty international. L’obstination de M. Sall
était d’autant moins compréhensible qu’il
ne participe pas. En retirant l’argument
central de son premier opposant, il lui
coupe l’herbe sous le pied. Mais, sans dau-
avait lui-même été élu en 2012 contre Ab-
doulaye Wade, dont il avait dénoncé les tri-
patouillages constitutionnels destinés à se
phin désigné, il donne également le signal
d’une bataille dans son propre camp pour
sa succession.
maintenir au pouvoir. Le président peut aussi jouer de ses pré-
Lundi soir, Macky Sall a sauvé son hon- rogatives pour permettre ou non à
neur et surtout la réputation du « modèle M. Sonko, mais encore à deux autres oppo-
démocratique sénégalais », une exempla- sants (l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall
étroite, la relation rité toute relative dans une Afrique de et Karim Wade, fils de l’ex-président Wade),
l’Ouest où se sont multipliés les régimes eux aussi condamnés en justice, de con-
entre la France et militaires. Alors que le Sénégal n’a jamais courir à une présidentielle aux enjeux cru-
l’Allemagne a besoin
d’être réinventée I l est des actes qui font entrer un res-
ponsable politique dans l’histoire de
son pays. Celui qu’a accompli Macky
Sall, président de la République du Sénégal,
lundi 3 juillet, en annonçant qu’il ne bri-
connu de coup d’Etat, deux de ses plus pro-
ches voisin (le Mali et la Guinée) sont aux
mains de juntes. Depuis son indépendance,
en 1960, le pays de la Teranga (l’« hospita-
lité », en wolof) n’a connu que quatre prési-
ciaux. Le prochain président de ce pays
pauvre − 38 % des habitants y vivent avec
moins de 1,90 dollar par jour − devra gérer
la nouvelle manne du pétrole et du gaz sé-
négalais off shore.
l’invasion de l’Ukraine, le chance- guerait pas un troisième mandat à l’élec- dents, et les deux alternances politiques Le geste salutaire de Macky Sall constitue
lier allemand a décrété une tion présidentielle de février 2024, en fait qu’il a vécues, en 2000 et 2012, ont eu lieu un double avertissement. Aux militaires
« Zeitenwende », un « tournant his- partie. L’ambiguïté qu’il entretenait sur pacifiquement. qui étendent leur emprise sur l’Afrique de
torique » pour l’Allemagne, con- cette question, arguant que la révision De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, l’Ouest et aux puissances étrangères qui, de
trainte de se couper de la Russie et constitutionnelle de 2016 aurait « remis les en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye la Russie à la Chine, tentent de convaincre
de son gaz et de changer radica­- compteurs à zéro », nourrissait la colère de Wade, la « vitrine » démocratique n’a jamais les Africains que la démocratie n’est pas
lement de politique de défense. la rue, menaçant de faire sombrer le Séné- été idéale. Mais la liberté d’expression qui faite pour eux. Il ancre le Sénégal dans le
Seize mois plus tard, Berlin est le gal dans le chaos. Sa levée constitue un sou- prévaut dans le pays et le dynamisme de sa club des pays où l’Etat de droit garantit la
principal fournisseur européen lagement et une source de fierté pour ce vie politique ont souvent contraint les diri- stabilité et commande le respect de la com-
d’équipement militaire à pays souvent perçu comme un baromètre geants à écouter la population et à respecter munauté internationale. Mais l’hommage
l’Ukraine en guerre. de la démocratie en Afrique. la règle, sous peine d’être sanctionnés. général rendu à un dirigeant qui n’a fait que
La France aussi a son moment Début juin, la répression des émeutes, ali- Sage, la décision de M. Sall de passer la respecter la Constitution de son pays donne
Zeitenwende. Dans son discours à mentées aussi par la mise à l’écart de son main en 2024 est aussi une habile la mesure de l’état général inquiétant de la
Bratislava, le 31 mai, M. Macron a principal opposant, Ousmane Sonko, con- manœuvre politique. Pour la première fois démocratie en Afrique de l’Ouest. p
opéré son pivot vers l’est de l’UE.
Il a reconnu que la France aurait
dû écouter les jeunes démocra-
ties d’Europe centrale et orientale
au lieu de leur dire de se taire. Le
chef de l’Etat a reconnu le « man-
que de cohérence » de Paris et de
Berlin lorsque, en 2008, Mme Mer-
kel et M. Sarkozy ont bloqué l’ac-
cès de l’Ukraine et de la Géorgie à
l’OTAN. Il a admis que la méthode
d’élargissement lancée par la
France en 2018 ne fonctionnait
pas. Aujourd’hui, la question n’est
plus de décider si l’UE doit s’élar-
gir à l’Est, ni même quand, mais
comment. Et sur l’OTAN, ce prési-
dent qui voulait tant éviter d’« hu-
milier » la Russie s’est fait le chan-
tre d’une claire perspective d’ad-
hésion de l’Ukraine.
Politique d’immigration
Mais pour Berlin comme pour Pa-
ris, beaucoup reste à concrétiser.
La guerre en Ukraine a imposé de
telles transformations à l’Allema-
gne et à la France qu’elle gomme
leur spécificité. L’Allemagne avait
la supériorité économique, la
France la supériorité stratégique.
Cette dichotomie s’estompe. L’Al-
lemagne, sous la houlette de son
très populaire ministre de la dé-
fense, Boris Pistorius, acquiert de
nouvelles ­fonctions et surtout de
nouveaux moyens dans ce do-
maine. La France, hormis sa dette
de 3 000 milliards d’euros, affiche
actuellement des performances
économiques plus dynamiques
que son voisin d’outre-Rhin, me-
nacé par la récession et fragilisé
par la remise en cause de son mo-
dèle économique.
Structurellement étroite, la rela-
tion Berlin-Paris a besoin de
s’ouvrir et de se réinventer.
­Emmanuel Macron voulait préci-
sément, dans un discours qu’il
aurait dû prononcer mardi à
Dresde, invoquer l’histoire pour
redéfinir le rôle de cette relation
dans l’Europe à venir, qui sera
élargie, et élargie à l’est. Le choix
de Dresde, à proximité de la Polo-
gne et de la République tchèque,
était en soi un message.
La deuxième raison pour la-
quelle il est dommage que cette
visite n’ait pas eu lieu est d’ordre
sociétal. M. Scholz a eu le tact de
dire que lui aussi, à la place de
M. Macron, aurait annulé sa visite.
Sauf que… les chances de le voir
dans la même situation sont as-
sez minces. Malgré la montée de
l’extrême droite en Allemagne, il
y a de nombreuses raisons à cette
assurance, dont l’énumération
justifierait une autre chronique.
Mais s’il était allé en Allemagne,
M. Macron aurait pu discuter avec
ses interlocuteurs de leur impor-
tante politique d’immigration,
lancée avec méthode et détermi-
nation. L’Allemagne a besoin de
bras et de cerveaux et va les cher-
cher. La France en a besoin aussi
et ce besoin ira grandissant, mais
elle recule devant l’obstacle. p