JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
79E ANNÉE – NO 24549
3,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Gabriel Attal décrète la fin du collège « uniforme »
▶ Le ministre de l’éduca-
tion a présenté une
réforme qui vise à rendre
le système éducatif « plus
exigeant », quitte à en
réduire le taux de réussite
Dans un atelier de fabrication
de fentanyl, à Culiacan. Image
extraite de notre série vidéo
« Narco Business ». « LE MONDE »/EDHEC.
Exposition
La folle et faste
période du Paris
moderne au
Petit Palais
PAGE 2 8
VU PAR DILEM (ALGÉRIE)
▶ Son plan, dévoilé mardi, ▶ A partir de la rentrée ▶ Ses annonces sont criti- ▶ Avec cet « électrochoc »,
prévoit la création de 2024, les élèves de 6e et quées par des syndicats M. Attal assume un projet
groupes de niveau au col- de 5e seront répartis en d’enseignants craignant politique qui s’adresse
lège et la refonte de l’exa- trois groupes selon leurs de voir se renforcer des avant tout aux « Français
men du brevet, qui condi- connaissances en français inégalités déjà soulignées des classes moyennes »
tionnera l’accès au lycée et en mathématiques par la dernière étude PISA PAGE S 8 - 9
Entretien Le patron de la DGSI
DANS LES LABORATOIRES analyse la menace terroriste
DES CARTELS MEXICAINS,
LE BUSINESS DU FENTANYL à la tête de la direction générale
de la sécurité intérieure depuis
ristes en Syrie et en Afghanistan.
« Il est très important de prendre
2018, Nicolas Lerner revient sur conscience du fait que l’idéologie
les enjeux du suivi des terroristes islamiste existera sans doute en-
▶ Le spécialiste de l’économie du crime présentant des troubles psychi- core très longtemps. Les Français
Bertrand Monnet a enquêté sur le trafic ques, comme l’auteur de l’atta- doivent savoir que cette menace
de cette drogue qui fait chaque année que au couteau qui a fait un mort, va persister et que ce combat
samedi 2 décembre, à Paris. Après acharné s’inscrira dans la durée »,
des dizaines de milliers de morts plus de deux années d’accalmie, avertit le chef du renseignement
il constate une hausse de la me- intérieur. Il relève par ailleurs les
▶ Première étape à Culiacan (Etat du nace portée par de très jeunes in- effets du conflit israélo-palesti-
Sinaloa), au cœur de la production dividus et alimentée par le regain nien en France.
de dynamisme des groupes terro- PAGE 1 8
PAGE S 2 6 - 2 7
Ukraine Moyen-Orient
Rivalité accrue L’Iran active
entre Zelensky et ses fronts
le général Zaloujny contre Israël
Irrité par son chef Les incidents se multi-
d’état-major, le président plient entre les milices
ukrainien ne cesse de l’« axe de la résis-
de s’impliquer dans tance », du Hezbollah
les affaires militaires. libanais aux rebelles
Les dissensions croissan- houthistes du Yémen,
tes entre les deux et l’Etat hébreu, même
hommes s’étalent sur
si l’escalade demeure
la place publique jusqu’à présent contrôlée
PAGE 2 PAGE S 4 - 5
Chine
L’Europe
Europe
Désaccord franco-
Internet
toujours liée allemand sur la Vinted tétanise
le marché
Cuvée Rosé, choisie par les meilleurs.
au travail forcé réforme du pacte
des Ouïgours de stabilité
PAGE 2 2 PAGE 2 3 du vêtement
Présent en France depuis
CARTOONING FOR PEACE dix ans, le site de vente
en ligne de produits
d’occasion, qui se décline La Tour d’Argent
sur application, bat des Paris
records de fréquentation
et suscite des achats fré-
nétiques chez les clients.
Sa concurrence est redou-
table, face à des enseignes
d’habillement en crise
PAGE S 2 0 - 2 1
1
ÉD ITO R IAL
MÉLENCHON :
LE CALCUL
MAISON FAMILIALE INDÉPENDANTE
DE L’OUTRANCE
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
P A G E 38
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
2|
INTERNATIONAL
GUERRE EN UKRAINE
kiev - correspondant
J
amais l’intrigue entourant
les tensions entre le prési-
dent ukrainien, Volodymyr
Zelensky, et son chef d’état-
major, Valeri Zaloujny,
n’avait atteint une telle intensité
depuis le début de l’invasion
russe. Et l’administration prési-
dentielle a beau nier toutes for-
mes de conflit entre les deux per-
sonnalités les plus populaires de
l’Ukraine en guerre, aucune pa-
role publique n’a, pour le mo-
ment, apaisé le débat qui inquiète
de plus en plus la population.
Les dissensions sont pourtant
abondamment commentées dans
les médias ukrainiens. Dans une
chronique publiée le 30 novembre
sur le site Ukraïnska Pravda, Alina
Mykhaïlova, la jeune veuve du lé-
gendaire sous-lieutenant Dmytro
Kotsioubaïlo, « Da Vinci » de son
nom de guerre, tué à Bakhmout
en mars, assure ainsi que la vic-
toire ne repose pas sur l’arsenal
militaire ukrainien mais sur
« l’unité du gouvernement, du peu-
ple et de l’armée ». Or, ajoute cette
politologue de profession, élue au
conseil municipal de Kiev, « si au
moins un élément de ce puzzle dis-
paraît, personne n’aura le pouvoir,
le peuple n’existera peut-être pas, et
l’armée russe sera positionnée sur
tout notre territoire ».
« PRÉSERVER L’UNITÉ »
Le directeur du centre de réflexion
Ilko Kucheriv Democratic Initiati-
ves Foundation, Petro Burkovskyi,
ne cache pas non plus son inquié-
tude, alors que le pays fait face à de
grandes difficultés pour mobiliser
de nouveaux soldats. « Pour cela, le
gouvernement doit préserver
l’unité et la cohésion entre les mili-
taires et les dirigeants civils », af-
firme l’analyste politique qui
alerte aussi sur les conséquences
que cela ferait peser sur l’image de
l’Ukraine à l’international : « Per-
sonne ne soutiendra un pays dont
les dirigeants militaires et politi-
ques ne sont pas au diapason. »
Ce n’est pas la première fois que
l’existence de tensions entre le
président et son chef d’état-ma-
Entre Zelensky et le général
Zaloujny, la rivalité s’accroît
Alors que l’Ukraine fait face à des difficultés, le président s’implique
de plus en plus dans les opérations pilotées par le chef d’état-major
jor est évoquée dans l’espace pu-
blic ukrainien. Selon Volodymyr
Fesenko, analyste politique et di-
recteur du centre de réflexion
Center for Political Studies
« Penta », le bureau présidentiel
entretient une forme de « jalou-
sie politique » à l’égard de Valeri
Zaloujny depuis un an et demi en
raison de sa popularité légère-
ment supérieure à celle du chef
de l’Etat. Au sein du cabinet du
président, « ils n’aiment pas la
compétition », assure le politolo-
gue. Et si « les proches de Zaloujny
disent qu’il n’a aucune ambition
politique, les gens qui l’apprécient
considèrent qu’il pourrait faire un
bon président ».
Alors qu’il s’était contenté de va-
lider les décisions militaires dans
les premiers mois de l’invasion,
Volodymyr Zelensky n’a cessé de
s’impliquer de plus en plus direc-
tement dans ce domaine. Dans
un article qui retrace la relation
des deux hommes publié par
Ukraïnska Pravda, lundi 4 décem-
bre, les auteurs de l’enquête assu-
rent que le président ukrainien
aurait ainsi « créé des voies paral-
lèles de communication avec les
commandants des différentes
branches de l’armée », comme le
commandant des forces terres-
tres, Oleksandr Syrsky, et celui de
l’armée de l’air, Mykola Olesh-
chuk, de manière à contourner le
chef d’état-major.
Le même jour, le conseiller spé-
cial du président, Mykhaïlo Podo-
liak, s’emparait de la question de
l’organisation du front ukrainien.
Dans un commentaire publié sur
le réseau social X, il affirme que
l’hiver et l’analyse des capacités
militaires de l’Ukraine, ainsi que
de celles de la Russie, rendent
« nécessaires des ajustements
dans les tactiques », notamment
« une défense antimissile considé-
rablement améliorée pour les in-
frastructures critiques ».
ESSAI MILITAIRE RETENTISSANT
Jusqu’ici, la rivalité entre le politi-
que et le militaire était restée
pour le moins discrète. Mais la si-
tuation s’est envenimée il y a un
mois avec la publication d’un es-
sai militaire de Valeri Zaloujny
accompagné d’un entretien sur
l’état du front dans l’hebdoma-
daire britannique The Economist,
le 1er novembre. Le constat
d’échec de la contre-offensive
lancée début juin dressé alors par
le général a eu un fort retentisse-
ment dans le pays.
Le général y affirmait que
l’Ukraine n’aurait pas les moyens,
actuellement, de remporter une
victoire et d’inverser la tendance
sur une ligne de front où les deux
armées ennemies mènent des
combats extrêmement violents.
« Tout comme lors de la première
guerre mondiale, nous avons at-
teint un niveau technologique qui
nous place dans une impasse », dé-
clarait-il. Pour éviter de se retrou-
ver dans la situation d’une guerre
d’attrition que l’Ukraine ne pour-
rait pas gagner, il évoquait la né-
« LES GENS QUI
APPRÉCIENT VALERI
ZALOUJNY CONSIDÈRENT
QU’IL POURRAIT FAIRE
UN BON PRÉSIDENT »
VOLODYMYR FESENKO
analyste politique
cessité d’un sursaut technologi-
que, d’une aide supplémentaire
des alliés et d’une réforme du sys-
tème de mobilisation.
La réaction de l’administration
présidentielle a été immédiate et
glaciale. Dès le 4 novembre, le
chef adjoint du cabinet du prési-
dent, Ihor Jovka, a critiqué l’essai
du général, affirmant qu’un mili-
taire ne devrait pas tenir ce genre
de propos, « parce que, alors, nous
facilitons le travail de l’agresseur ».
Le même jour, le président ukrai-
nien a publiquement nié les pro-
pos de Valeri Zaloujny, assurant,
en ce qui concerne le front, qu’il
« ne s’agit pas d’une impasse ».
Ces critiques exprimées contre
l’avis du chef d’état-major se sont
accompagnées de changements
au sein de l’appareil militaire. Le
3 novembre, le commandant des
forces d’opérations spéciales, Vik-
tor Khorenko, a été écarté de son
poste sans plus d’explications par
la présidence. Ce dernier a déclaré
à la presse qu’il ne connaissait pas
les raisons de son licenciement et
que Valeri Zaloujny avait été dans
l’incapacité de les lui donner.
Le 19 novembre, Volodymyr
Zelensky a également licencié la
commandante des forces médica-
les de l’armée ukrainienne,
Tetiana Ostashchenko. Si ce der-
nier départ était « évident » aux
yeux de l’analyste politique Petro
Burkovskyi, car la cheffe des for-
ces médicales était « publique-
ment critiquée pour son incapa-
cité à organiser le travail des forces
médicales » depuis des mois, le
départ du commandant des for-
ces des opérations spéciales reste
pour lui entouré de mystère.
Deux députés de la fraction par-
lementaire Serviteur du peuple,
le parti de Volodymyr Zelensky,
ont également publiquement cri-
tiqué la direction militaire du
pays et l’absence de planification
des activités des forces armées.
L’une des deux élus, Mariana
Bezuhla, membre de la commis-
sion défense du parlement, a
même demandé la démission du
général Zaloujny.
Dans son bureau du quartier
sous haute sécurité de la prési-
dence, Mykhaïlo Podoliak s’agace.
« Il n’y a pas de conflit et il ne peut
pas y en avoir par définition puis-
qu’il existe une verticale de subor-
dination claire : le président Ze-
lensky est le commandant en chef
suprême et Zaloujny est son subor-
donné, tranche-t-il. Par consé-
quent, ils ont une communication
directe et régulière tous les jours
sur différentes plates-formes. »
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Le chef d’état-
major ukrainien,
Valeri Zaloujny,
et le président
ukrainien,
Volodymyr
Zelensky,
le 24 août, à Kiev.
ALEXEY FURMAN/GETTY IMAGES
VIA AFP
Les déclarations de Mariana
Bezhula ? « Elle est députée du peu-
ple, elle a le droit d’exprimer sa po-
sition, affirme le conseiller. Elle
voit certains problèmes de l’armée
et décide d’en parler. Mais, natu-
rellement, il est étrange qu’elle
fasse de telles déclarations, car
pendant la guerre, il faut faire
preuve de retenue. »
La députée n’a pourtant pas
cessé de critiquer le commandant
en chef des forces armées, propo-
sant même, dans un sondage ré-
cemment publié sur Facebook, de
choisir la meilleure personnalité
pour le remplacer.
« TESTER LE TERRAIN »
« Peut-être que quelqu’un l’envoie,
ou peut-être qu’elle veut juste ser-
vir », botte en touche le journa-
liste et politologue Vitaly Port-
nikov. Mais, ajoute-t-il aussitôt,
ces élus du parti présidentiel, « ne
sont rien sans Zelensky. S’ils
voient que quelque chose menace
l’autorité de leur patron, ils peu-
vent vouloir agir parce qu’ils pen-
sent à leur propre avenir ». La dé-
putée du parti d’opposition
Holos (« Voix »), Solomiia Bobro-
vska, assure de son côté que Ma-
riana Bezuhla « fait partie d’un
agenda visant à tester le terrain et
voir la réaction des gens » alors
que « le bureau du président est
tout à fait capable de faire taire
des députés depuis maintenant
deux ans ».
Selon l’analyste politique Petro
Burkovskyi, depuis le constat de
l’échec de la contre-offensive,
« les bureaucrates cherchent quel-
qu’un à blâmer. Il y a donc deux
stratégies : soit vous partagez la
responsabilité, soit vous essayez
de rejeter cette responsabilité sur
d’autres. Je pense que ce débat est
toujours en cours dans l’adminis-
tration présidentielle ». Pour Solo-
miia Bobrovska, l’unité doit l’em-
porter sur tout le reste. « Nous
avons vraiment besoin de voir le
président et le général ensemble.
Ils peuvent faire ce qu’ils veulent
derrière les portes closes, mais de-
vant le peuple, ils doivent être unis
jusqu’à la victoire. » p
thomas d’istria
 international | 3
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

GUYAN A-VEN EZU EL A

Les tensions montent
entre les deux pays
Le président guyanien, Irfaan
Ali, a estimé, mardi 5 décem-

Les enquêteurs de Kiev Sur le mur du bureau de la colo-

nelle Podyriako, à Kiev, un graphi-
veulent prouver qu’un
que représentant les catégories de
crimes illustre en une simple page
l’ambition des enquêteurs. « Nous
construisons le plan des crimes
CET AUTOMNE,
bre, que les déclarations
du président vénézuélien,
Nicolas Maduro, étaient « une
menace directe » alors que
LES ENQUÊTEURS
celui-ci a ordonné l’octroi de
licences pétrolières dans l’Es-
ONT ENCORE DÉCOUVERT sequibo, région sous admi-
nistration guyanienne. Lors
UNE AFFAIRE DE VIOL

« génocide » est en cours

qui permettra de prouver le géno-
cide », dit cette femme énergique,
à la tête d’un service de vieux rou-
tiers des enquêtes criminelles.
Autant les juristes sont divisés
Un logiciel mis au point par un responsable sur la notion d’un « génocide » à
l’œuvre en Ukraine, autant les en-
ukrainien fournit une base de données détaillée quêteurs ne se posent guère la
question. Ils avancent, persuadés
DANS LA RÉGION
DE BOUTCHA
en orphelinats, tandis que
d’autres ont été séparés de force
de leurs familles dans des « camps
du référendum organisé di-
manche au Venezuela sur
l’Essequibo, 95 % des votants
se sont dits favorables à l’in-
tégration de la zone à leur
pays. M. Maduro a demandé
une loi pour créer la province
du Guayana Esequiba. – (AFP.)

dans laquelle figurent 230 000 soldats russes
lieu de détention d’environ 500 ci-
REPORTAGE vils. Et ils ont encore, cet automne,
kiev, boutcha (ukraine) -
envoyé spécial
découvert une nouvelle affaire de
viol dans cette région. La femme
pour les mêmes motifs. Il distin-
gue aussi les mobiles : un civil as-
sassiné au hasard d’une patrouille
nocturne est ainsi considéré diffé-
que la Russie a envahi le pays avec
un plan d’anéantissement de la
nation ukrainienne. « On trouve la
trace de crimes similaires commis
dans différentes régions. On docu-
mente l’agression. On identifie des
tendances », souligne la colonelle.
Sur le crime de génocide, l’en-
quête principale concerne la dé-
de filtration ». Le dossier a valu
au président russe, Vladimir Pou-
tine, et à la commissaire aux
droits de l’enfant de Moscou, Ma-
ria Lvova-Belova, d’être les pre-
miers acteurs de la guerre russo-
ukrainienne à être visés par un
mandat d’arrêt de la Cour pénale
internationale de La Haye. Du
PÉR OU
Ordonnance de
libération pour Fujimori
La Cour constitutionnelle du
Pérou a ordonné, mardi 5 dé-
cembre, la libération « immé-
diate » de l’ancien président
péruvien Alberto Fujimori,
85 ans, qui purge depuis 2009

D
éterminés à prouver
au monde l’ampleur
des crimes commis en
Ukraine par l’armée
russe, les enquêteurs ukrainiens
avancent patiemment, métho-
diquement. Submergés par
100 000 dossiers ouverts pour
40 000 scènes de crimes recen-
sées, du vol de bicyclette aux pires
exécutions, tortures et viols – la
loi ukrainienne ne permettant
pas d’écarter a priori un délit aussi
bénin soit-il –, les services de po-
lice de Kiev tentent de distinguer
des types de crimes qui se seraient
répétés soit sur ordre de Moscou,
soit au passage de certaines uni-
tés. Avec une obsession, explique
la colonelle Khrystyna Podyriako :
« Prouver le génocide. »
Deux colonels de la police pilo-
tent, en coopération avec le bu-
reau du procureur général et les
services secrets, ces enquêtes ten-
taculaires. Dépendant du minis-
tère de l’intérieur, placé sous les
ordres du chef des enquêtes de la
police nationale, le jeune général
Maksym Tsoutskiridze, les deux
officiers commandent chacun un
département distinct : au colonel
Oleksandr Shapovalov, le service
« Documenter les crimes de
guerre », et à la colonelle Khrys-
tyna Podyriako, le service « En-
quêter sur les crimes de guerre ».
Rencontré à Boutcha en novem-
bre, où la police a installé un poste
avancé vu l’ampleur des crimes
n’avait jamais témoigné aupara- remment d’un Ukrainien traqué portation en Russie d’enfants côté ukrainien, les enquêteurs une peine de vingt-cinq ans
vant. Grâce à des recoupements, et exécuté par les forces russes ukrainiens, et son éventuel aspect examinent, au cas par cas, la si- de prison pour crimes contre
le violeur a déjà été identifié. parce qu’il est un élu, un haut systématique. Certains enfants tuation des 19 546 enfants identi- l’humanité. La Cour rétablit
Au niveau national, « Road fonctionnaire ou un militant, ce ont été kidnappés sous le couvert fiés par le gouvernement comme ainsi la grâce accordée
Map » constitue une base de don- qui est arrivé fréquemment en d’opérations humanitaires et ayant été transférés en Russie. p en 2017, révoquée en 2019
nées incroyablement détaillée zone occupée. d’envoi en camps de vacances ou rémy ourdan par la Cour suprême. – (AFP.)
des crimes et des suspects poten-
tiels : 230 000 soldats russes y fi-
gurent, avec leur chaîne de com-
mandement, le mouvement de
leurs unités, les bases où ils ont
été stationnés et, bien sûr, les
éventuels crimes dont certains
sont suspectés. Les interrogatoi-
res d’environ 2 000 prisonniers
de guerre russes, dont certains
sont déjà rentrés chez eux dans
le cadre d’échanges entre les deux
pays, y sont aussi consignés.
Cuvée Rosé, choisie par les meilleurs.
« Le plan des crimes »
Outre les informations fournies
par les services de renseigne-
ment, des recoupements sont ef-
fectués avec, par exemple, les opé-
rateurs téléphoniques. Le colonel
montre ainsi la liste des 6 032 li-
gnes ukrainiennes de téléphone
mobile ayant été, à un moment,
utilisées par des soldats russes,
généralement par l’intermédiaire
de téléphones volés aux civils ou
de puces pillées dans des maga-
sins. Dans ces cas-là, les recher-
ches sont faciles, grâce à la coopé-
ration des opérateurs.
Pour les soldats de Moscou qui
ont utilisé des téléphones russes,
le colonel utilise un logiciel russe,
« L’œil de Dieu », qui permet de re-

commis dans la commune du-
rant la bataille de Kiev, en mars
2022, le colonel Shapovalov dé-
voile ce qu’il appelle sa « Road
Map », sa « feuille de route », un lo-
giciel extrêmement sophistiqué
recoupant des millions d’infor-
mations sur les crimes et délits,
sur les victimes et témoins et sur
les criminels et suspects.
Pour la région de Boutcha, il a
ainsi répertorié les 3 482 dossiers
criminels ouverts, les 536 civils
tués ou disparus et les 501 corps
retrouvés à ce jour. Les enquê-
teurs travaillent actuellement sur
trente-deux de ces corps, afin de
comprendre précisément ce qui
est arrivé aux victimes. Ils enquê-
tent aussi sur une crèche qui fut le
« ON TROUVE LA TRACE
DE CRIMES SIMILAIRES
COMMIS DANS
DIFFÉRENTES RÉGIONS »
KHRYSTYNA PODYRIAKO
colonelle
Le Gstaad Palace
monter la piste de chaque appel
passé. Les militaires ayant généra-
lement appelé leurs familles, ils
sont rapidement identifiés. S’ils
sont liés à une enquête crimi-
nelle, « Road Map » répertorie
chaque mouvement de leur unité,
chaque appel ou message des sol-
dats, ainsi que leurs adresses, les
contacts de leurs proches, leurs
photos postées sur les réseaux so-
ciaux. En cliquant sur le profil de
l’un d’entre eux, on s’aperçoit que
certains sont liés à deux, voire
trois régions d’Ukraine où leur
unité a été déployée, et parfois à
plusieurs enquêtes criminelles.
« “Road Map” est une création
dont je suis très fier. Je me sens
autant scientifique que policier »,
observe Oleksandr Shapovalov.
Les crimes de guerre y sont clas-
sés par catégories : assassinats,
détentions, tortures, viols, dépor-
tations, utilisation de boucliers
humains, bombardements d’in-
frastructures civiles… Chaque ci-
vil tué, blessé, torturé y figure.
Le logiciel permet de faire la dif-
férence entre les auteurs suspec-
tés de crimes et les donneurs d’or-
dre, qui ne seront pas poursuivis

Poutine attendu en Arabie saoudite

et aux Emirats arabes unis
Le président russe, Vladimir Poutine, devait se rendre, mercredi MAISON FAMILIALE INDÉPENDANTE
6 décembre, aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite, avant
de recevoir son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, à Moscou,
jeudi, poursuivant ainsi son retour sur la scène internationale en
dépit des tentatives occidentales de l’isoler. Lors de cette visite,
la première dans ces deux pays depuis l’invasion de l’Ukraine,
en février 2022, le chef du Kremlin devait s’entretenir, à Riyad,
avec le prince héritier, Mohammed Ben Salman, du rôle de la Rus-
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
sie dans l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, qui a ré-
cemment décidé de réduire la production pour soutenir les prix.
4 | international
C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N
Du Liban au
Yémen, l’Iran
active les fronts
contre Israël
Depuis la fin de la trêve à Gaza le 1er décembre,
les accrochages se multiplient entre les milices
de « l’axe de la résistance » et l’Etat hébreu
beyrouth, jérusalem -
correspondante et envoyé spécial
T
outes les parties de la région ont
les mains sur la gâchette », avait
prévenu, le 28 octobre, Hossein
Amir Abdollahian, le ministre
des affaires étrangères iranien,
menaçant de faire entrer en
guerre contre Israël, en soutien au Hamas, les
forces de l’« axe de la résistance », le réseau ré-
gional des groupes armés alliés à l’Iran. De-
puis que la trêve entre l’Etat hébreu et le Ha-
mas a expiré, le 1er décembre, l’ensemble des
fronts se sont réactivés : du Liban à la Syrie, en
Irak comme en mer Rouge. Si Téhéran prend
soin d’éviter une confrontation ouverte avec
son ennemi israélien, la guerre à bas bruit
qu’il lui livre est de plus en plus meurtrière.
L’Iran a bâti, depuis le début des années
2000, une stratégie de « défense avancée »
dans le but de dissuader Israël et les Etats-
Unis de toute attaque, sous-traitant la dé-
fense de ses intérêts à des alliés régionaux
non étatiques. Du Liban au Yémen, en pas-
sant par la Syrie et l’Irak, ils lui permettent de
harceler ses adversaires tout en maintenant
une posture de « déni plausible » : ne pas as-
sumer directement un acte militaire contre
ses ennemis. Cette stratégie présente un ris-
que : qu’un de ses alliés s’engage dans une es-
calade non contrôlée. Ce risque s’est exacerbé
depuis la guerre entre Israël et le Hamas.
Les rebelles houthistes au Yémen, soute-
nus par Téhéran, ont une nouvelle fois visé
des navires commerciaux en mer Rouge, les
3 et 4 décembre, affirmant avoir mené une
« opération » contre des « navires israéliens
dans le détroit de Bab Al-Mandab » – une voie
navigable stratégique reliant la mer Rouge
au golfe d’Aden –, en représailles à la guerre
menée par l’armée israélienne contre la
bande de Gaza. Un destroyer de la marine
américaine, venu leur porter assistance, a
abattu plusieurs drones. Ces attaques repré-
sentent une « menace directe envers le com-
merce international et la sécurité maritime,
a averti Washington. Les Etats-Unis vont
envisager toutes les réponses appropriées en
étroite coordination avec leurs alliés et parte-
naires internationaux ».
UNE LIGNE DE FRONT ÉLARGIE
Quelques heures seulement après la fin de la
trêve dans la bande de Gaza, la frontière en-
tre Israël et le Liban s’est elle aussi de nou-
veau embrasée. Hezbollah et Israël ont repris
leurs affrontements avec le même niveau
d’intensité prévalant depuis le 8 octobre, dé-
but des échanges de tirs auxquels ils se li-
vrent le long de la ligne de démarcation en-
tre les deux pays, après que le Hezbollah a
décidé d’intervenir en soutien au Hamas.
Les règles d’engagement restent inchan-
gées, signe que les deux adversaires ne cher-
chent pas à provoquer un conflit ouvert.
Cette routine belliqueuse a néanmoins fait
déjà plus de cent dix morts au Liban, dont
onze civils et trois journalistes. Au moins six
soldats israéliens et trois civils ont été tués en
Israël, selon les autorités. Avec plus de quatre-
vingts combattants tombés au combat, le
Hezbollah enregistre pourtant déjà des per-
tes élevées, y compris au sein de son unité
d’élite, la force Radwan. Mardi, l’armée liba-
naise, qui se tient à l’écart des combats entre
les deux belligérants, a à son tour enregistré
ses premières pertes. Un soldat a été tué et
trois autres blessés, par un obus israélien.
Le Liban demeure, pour le Hezbollah, un
« front de soutien » pour desserrer l’étau d’Is-
raël autour du Hamas. S’il a fait de l’élimina-
« TÉHÉRAN A ATTEINT
SES OBJECTIFS
LE 7 OCTOBRE :
L’INCURSION DU HAMAS
A BRISÉ LE MYTHE
DE L’INVULNÉRABILITÉ
DE L’ÉTAT HÉBREU »
ALI ALFONEH
expert de l’Arab Gulf States
Institute à Washington
tion de ce dernier une ligne rouge qui débou-
cherait sur une guerre ouverte, le Parti de
Dieu estime que la survie de son allié palesti-
nien n’est pas en jeu dans la bande de Gaza,
le Hamas se montrant résilient face à l’as-
saut israélien. Téhéran ne serait pas non plus
favorable à une entrée en guerre du Hezbol-
lah. « La République islamique utilise le Hez-
bollah libanais pour dissuader avant tout les
Israéliens de bombarder son infrastructure
nucléaire, explique Ali Alfoneh, expert de
l’Arab Gulf States Institute à Washington. Si
Téhéran avait voulu l’impliquer, il l’aurait fait
le 7 octobre, après l’attaque du Hamas, afin de
profiter de l’effet de surprise et d’entraîner Is-
raël dans une guerre sur plusieurs fronts. »
Pour Israël, la question de la restauration de
l’équilibre de la dissuasion à sa frontière nord
se pose à moyenne et longue échéance, alors
que près de 130 000 de ses citoyens ont été
évacués de la région frontalière. Le leadership
israélien est divisé entre les partisans d’une
opération préemptive contre la milice armée
pour réduire ses capacités et ceux qui prô-
nent un accord négocié pour obtenir la démi-
litarisation de la bande frontalière. « Des
questions se posent sur les plans israéliens à
terme, avec l’idée qu’après Gaza il faille repro-
grammer une intervention militaire contre le
Hezbollah visant notamment son stock de
missiles », s’inquiète une source française.
Considéré comme le groupe non étatique
le plus armé au monde, avec un stock de plus
de 150 000 roquettes et missiles, à moyenne
et longue portée, le Hezbollah est capable
de frapper des installations stratégiques au
cœur de l’Etat hébreu. Israël fait face, en
outre, à un élargissement de la ligne de front
qui l’oppose à la milice chiite libanaise, de
plus en plus active en Syrie. Samedi 2 décem-
bre, une base du Hezbollah a ainsi été la cible
de frappes israéliennes près du complexe re-
ligieux de Sayyida Zeinab, un bastion des mi-
lices pro-iraniennes dans la capitale, Damas.
Deux officiers iraniens membres des gar-
diens de la révolution, présentés comme des
« conseillers militaires » par Téhéran, ont été
tués dans le bombardement.
A la faveur de la guerre civile en Syrie de-
puis 2012, les gardiens de la révolution ira-
niens, l’armée idéologique du régime, et les
milices chiites, dont le Hezbollah libanais et
des groupes irakiens, ont étendu leur an-
crage dans le pays, établissant des bases pour
leurs combattants et les recrues syriennes
qu’elles forment par dizaines de milliers.
A intervalles réguliers, l’aviation israé-
lienne bombarde les aéroports de Damas et
d’Alep, afin d’empêcher des transferts d’ar-
mes de Téhéran vers la Syrie et le Liban. L’Etat
hébreu envoie ainsi également un message
au président syrien, Bachar Al-Assad. Mais
la marge de manœuvre de ce dernier est
étroite. « On assiste à la montée en puissance
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
L’« axe de la résistance » iranienne
République islamique d’Iran
Matrice de l’« axe de la résistance » contre Israël
et la politique américaine au Moyen-Orient
Population chiite
Téhéran fait de la défense des communautés chiites
à travers le Moyen-Orient l’un des leviers
pour mobiliser des groupes en sa faveur
Présence des principaux groupes armés,
affiliés à l’« axe de la résistance »
groupes chiites groupes sunnites
Couloir terrestre que l’Iran cherche à sécuriser,
à travers ses alliés, pour acheminer des armes Mer GÉORGIE
Etat d’Israël
Noire
Présence militaire des Etats-Unis
Frappes ciblant des forces américaines, ARMÉNIE
revendiquées par la Résistance islamique en Irak
2
TURQUIE
L I B AN
HASSAN
NASRALLAH
CHEF DU
HEZBOLLAH
LIBANAIS
LIBAN SYR I E IRAK
2
La milice chiite locale, créée en réaction
à l’invasion israélienne du Liban
3
Bagdad
en 1982, s’est ensuite transformée
en parti politique incontournable tout
Damas
I S R AË L
en conservant ses combattants et
son arsenal balistique au nom de la lutte
contre Israël, qui occupe le sud du pays 6
jusqu’en 2000. Cet allié indéfectible
GAZA
de Téhéran est l'organisation militaire
non étatique la plus puissante au monde.
Ancré à la frontière israélienne,
le Hezbollah est un maillon indispensable 3
de l'axe de la résistance.
GROUPES ARMÉS
SYRIE
Hezbollah
BACHAR
AL-ASSAD
6 PRÉSIDENT
DE LA RÉPUBLIQUE
TERRITOIRES
T E R R I TOIRES ARABE SYRIENNE
PALESTINIENS
PAL EST INIENS
Alliée historique de l’Iran, la Syrie
représente un espace stratégique
ISMAÏL permettant, de Téhéran,
HANIYEH l’acheminement d’armes
CHEF DU BUREAU vers le Hezbollah et le Hamas.
POLITIQUE Lorsqu'en mars 2011 le « printemps
DU HAMAS arabe » menace Bachar Al-Assad
BASÉ AU QATAR
(issu de la minorité alaouite,
une branche du chiisme), l’Iran
envoie des conseillers militaires
et des combattants du Hezbollah.
Seuls mouvements sunnites de l’« axe
La faible proportion de chiites au sein
de la résistance », ces deux groupes
de la population syrienne empêche
armés alliés reçoivent le soutien
un ancrage plus important.
de Téhéran depuis les années 1990,
pour contrer le processus de paix
GROUPES ARMÉS
qui aboutira aux accords d’Oslo
(1993-1995). L’Iran a suspendu pendant Hezbollah
cinq ans son financement au Hamas Division des fatimides 5
en 2012, pour le sanctionner d’avoir (Afghans)
rompu avec Bachar Al-Assad
Liwa zeynabiyoun
en prenant le parti des rebelles syriens. Sanaa
(Pakistanais)
GROUPES ARMÉS Forces de défense
Hamas et Jihad islamique nationale
Infographie Le Monde : Victoria Denys, Francesca Fattori, Delphine Papin et Floriane Picard
Sources : ISW ; Wilson Center ; M. Paglia, V. Tourret, « L’Iran et ses "proxys" au Moyen-Orient », Etudes de l’IFRI, 2020 ;
Centre de documentation de l’école militaire ; The Washington Institute for Near East Policy ; Les Clés du Moyen-Orient ;
Foreign Policy Research Institute ; AFP, Amwaj.media, Le Monde
des milices chiites soutenues par l’Iran et leur nes en Syrie et en Irak. Le 3 décembre, plu-
autonomisation grandissante vis-à-vis du sieurs roquettes ont visé une installation
pouvoir syrien, au point de passer outre les dans l’est de la Syrie, sans faire de morts, a
réticences de Bachar Al-Assad », poursuit la confirmé un responsable militaire améri-
source française. cain. Ces attaques, près de quatre-vingts de-
puis le 17 octobre, qui ont fait quelques dizai-
« GESTES DE DISSUASION » nes de blessés parmi les forces américaines,
Sur ce « front dormant », des groupes de ont été pour l’essentiel revendiquées par la
combattants tirent de façon épisodique, du Résistance islamique en Irak, une façade qui
sud-ouest de la Syrie, contre des positions vise à unifier sous une même bannière les
israéliennes situées dans le plateau du Golan milices chiites pro-iraniennes et appelle à
occupé, s’exposant à des ripostes. frapper les intérêts américains en réponse
Avec la fin de la trêve à Gaza, les milices au soutien de Washington à Israël.
chiites pro-irakiennes ont également repris Selon Bilal Wahab et Selin Uysal, experts
leur harcèlement contre des bases américai- de l’Irak au sein du Washington Institute for
 international | 5
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

Etats-Unis : mesures
ALI
KHAMENEI
1 IIRAN
R AN
Unité d’élite des gardiens de la révolution sous autorité directe
inédites contre
les colons violents
GUIDE du Guide suprême, la Force Al-Qods finance, arme et entraîne
les milices non iraniennes de l’l’« axe de la résistance ».
SUPRÊME Son chef, le général Ghassem Soleimani, a été tué en Irak
IRANIEN par une frappe américaine, le 3 janvier 2020.
Le général iranien Esmaïl Ghaani a pris sa place. L’administration Biden veut interdire
GROUPES ARMÉS l’entrée sur son territoire d’Israéliens ayant
Force Al-Qods commis des violences contre les Palestiniens

AZERBAÏDJAN washington - correspondant les territoires occupés, disposant

actuellement d’un visa améri-
Mer
Caspienne C ertaines ruptures histori-
ques ne sautent pas im-
médiatement aux yeux.
Parmi les conséquences de l’atta-
que conduite par le Hamas en Is-
cain, se verra notifier sa révoca-
tion. Depuis la fin septembre,
Israël a rejoint la liste des pays
dont les citoyens n’ont plus be-
soin de visa pour se rendre aux
raël le 7 octobre, il en est une qui Etats-Unis. Mais il faut toujours
concerne la diplomatie améri- s’inscrire en ligne comme voya-
1 caine. Accusée au Moyen-Orient geur au travers du site ESTA. C’est
de s’être rangée de façon entière dans ce cadre que les colons si-
Téhéran
et partiale aux côtés de l’Etat hé- gnalés seront recalés et rece-
breu dans son offensive dans la vront une interdiction d’entrée
bande de Gaza, l’administration sur le territoire.
4 Biden tente de rééquilibrer sa po- Pour l’heure, conformément à
IRAN sition ailleurs, en Cisjordanie, en la loi, aucune liste n’a été publiée
I R AK s’en prenant aux colons juifs vio- par le gouvernement américain.
Force Al-Qods lents. Pour l’heure, les détails opé- Seules les sanctions économi-
rationnels de cette décision ne ques contre des individus ou des
sont pas connus. Mais la démar- entités sont habituellement dé-
4 che elle-même est une borne taillées par les autorités et, à ce
dans la relation bilatérale. Elle de- stade, un tel dispositif n’est pas
Résistance vrait accélérer les discussions sur envisagé contre les colons. En
islamique ce sujet en Europe, entre les mem- outre, la question des colons ex-
en Irak bres de l’espace Schengen. trémistes disposant aussi de la
Mardi 5 décembre, le départe- nationalité américaine – ils sont
BAHREÏN ment d’Etat a annoncé dans un nombreux – n’est pas abordée.
Brigades Al-Moukhtar communiqué que les Etats-Unis Mais la mesure annoncée par An-
Brigades Al-Achtar En 2003, l'invasion américaine et adoptaient « une nouvelle politi- tony Blinken crée en soi un précé-
la chute de Saddam Hussein sonnent que de restriction en matière de dent historique. Elle tente de réé-
le retour au pouvoir de la majorité chiite. visa » visant des individus soup- quilibrer la position américaine
Manama Ce basculement joue en faveur de l’Iran,
Base de la 5e flotte çonnés d’avoir agi « contre la paix, dans le traitement des violences
qui renforce son influence religieuse la sécurité ou la stabilité en Cisjor- palestiniennes et des violences
et militaire dans le pays pour sécuriser danie, notamment en commettant commises par les colons, qui ne
QATAR Al-Udeid un continuum territorial de Téhéran des actes de violence ou en agissant sont plus intouchables.
Plus grande base américaine jusqu’à Beyrouth. La République pour réduire de façon indue l’accès
au Moyen-Orient et quartier général islamique n’est cependant pas parvenue des civils à des services essentiels Année déjà la plus noire
du commandement américain à fédérer sous son leadership
ou à des besoins essentiels ». Une L’adoption de cette liste noire à
Riyad pour la région la nébuleuse de milices chiites
définition très large et une boîte à Washington, susceptible de s’en-
qui luttent contre les forces armées
outils à l’usage souple, en fonction richir au fil des mois, n’est pas une
américaines, et qui ont renforcé
de l’impulsion politique donnée. surprise pour Benyamin Néta-
leur pouvoir à la faveur de la guerre
contre l’organisation Etat islamique
Le communiqué, signé par An- nyahou, averti de ces intentions
(2014-2017). tony Blinken lui-même, précise depuis des semaines, lors des visi-
ARABIE SAOUDITE
qu’Israël « doit prendre des mesu- tes en Israël des responsables
Hezbollah Al-Hijaz GROUPES ARMÉS res additionnelles pour protéger américains. Elle risque d’exposer
Résistance les civils palestiniens contre les at- encore davantage le premier mi-
taques extrémistes ». nistre israélien aux pressions de
islamique en Irak Mardi, le porte-parole du dé- l’électorat nationaliste religieux.
Unités de partement d’Etat, Matthew Mais, en réalité, l’idée remonte à
Miller, a estimé qu’il n’y avait près d’un an. En décembre 2022,
la Mobilisation
pas eu « un niveau suffisant d’ac- le journal conservateur israélien
populaire tions de la part du gouvernement Israel Hayom évoquait déjà la
israélien » pour juguler la vio- possibilité d’une liste noire de
lence des colons, en nette hausse colons violents. Il s’agirait aussi
depuis le 7 octobre, et obliger bien d’individus déjà formelle-
les auteurs à rendre des comptes. ment condamnés par la justice
Le diplomate a indiqué que cette israélienne que d’autres connus
mesure américaine devrait pour des faits de cette nature, à ré-
YÉMEN « concerner des dizaines d’indivi- pétition, comme le prouveraient
dus et potentiellement les mem- de nombreuses vidéos ou photos.
Rebelles bres de leurs familles ». L’article mentionnait, déjà, la
houthistes Tout colon israélien tenu pour « frustration » des officiels à
5 YÉ M E N
responsable de violences dans Washington devant le refus ou
l’incapacité des autorités à jugu-
En lutte contre le gouvernement central, ces combattants issus de
ABDEL MALIK la minorité zaydite (chiite) se sont emparés de la capitale, Sanaa, en 2014,
ler la violence des colons.
AL-HOUTHI dans la foulée des manifestations populaires de 2011. Depuis 2015, Le sud de la bande L’attaque du Hamas le 7 octobre
CHEF DE une coalition internationale menée par l’Arabie saoudite échoue a accéléré cette réflexion, en rai-
LA RÉBELLION de Gaza sous le feu son de la hausse spectaculaire des
à les chasser du pouvoir. Ils bénéficient du soutien de l’Iran, qui voit
HOUTHISTE là l’occasion de déstabiliser les monarchies pétrolières sunnites du Golfe, L’armée israélienne encerclait, violences en Cisjordanie, faisant
ses rivaux historiques. mercredi 6 décembre au matin, craindre une véritable implosion
la grande ville de Khan Younès, sécuritaire. Selon les Nations
GROUPES ARMÉS dans le sud de la bande de Gaza, unies, 246 Palestiniens, dont
où font rage les combats parmi 65 mineurs, ont été tués dans les
Rebelles houthistes
les plus intenses en deux mois territoires occupés, incluant Jéru-
200 km de guerre contre le Hamas. salem-Est. Parmi eux, huit l’ont
Depuis la reprise des hostilités été par des colons et 236 par
le 1er décembre, après une trêve l’armée israélienne. La responsa-
de sept jours, des centaines de bilité pour deux morts n’est pas
milliers de civils ayant fui le nord clairement établie.
Near East Policy, « l’administration Biden et garantir la sécurité des conseillers de la coali- tions diplomatiques entre Israël et l’Arabie de l’enclave sont désormais En réalité, la distinction entre
les milices soutenues par l’Iran ont délibéré- tion internationale, présents en Irak à l’invi- saoudite », explique M. Alfoneh. Mais, si « la contraints de se réfugier sur quel- civils et militaires, du côté israé-
ment limité l’ampleur et la létalité de leurs tation de Bagdad, le premier ministre, Mo- République islamique exerce différents degrés ques kilomètres carrés pour ten- lien, est souvent complexe. De
attaques », celles-ci étant interprétées davan- hammed Chia Al-Soudani, tente, lui, de don- de contrôle sur ses alliés, ces derniers s’enga- ter d’échapper aux bombes et nombreuses unités de l’armée en
tage « comme des messages et des gestes de ner des gages aux deux camps. Le chef du gent parfois dans des actions qu’ils croient aux combats qui s’étendent vers Cisjordanie chargées de protéger
dissuasion plutôt que d’escalade ». gouvernement irakien avait de nouveau in- être dans leur intérêt, plus que dans celui de le sud. « Aucun endroit n’est sûr les colonies ou les avant-postes
Les forces américaines ont ainsi confirmé sisté, samedi, à la veille de la frappe améri- Téhéran. L’enlèvement, en 2006, par le Hezbol- à Gaza. Ce mépris flagrant des sont composées d’appelés lo-
avoir mené une « frappe d’autodéfense », di- caine, lors d’un appel téléphonique avec le lah libanais de soldats israéliens, qui a provo- bases de l’humanité doit cesser », caux. L’année 2023 est déjà la
manche soir, près de Dibis, dans la province chef de la diplomatie américaine, Antony qué une guerre à laquelle l’Iran était opposé, a affirmé le coordinateur de l’aide plus noire en matière de victi-
irakienne de Kirkouk (nord), contre une « me- Blinken, sur le « refus de l’Irak de toute atta- en est un exemple », avertit le spécialiste. d’urgence de l’ONU, Martin mes palestiniennes depuis
nace imminente » – un site de lancement de que visant le territoire irakien ». Aujourd’hui, le risque d’une guerre ouverte Griffiths, dans un communiqué. 2005 et le début du recensement
drones. Cette frappe a fait cinq morts parmi « L’Iran a atteint ses objectifs le 7 octobre : s’accroît, au fil des accrochages. p Selon l’ONU, 1,9 million de per- par le Bureau des Nations unies
les combattants de la faction Al-Noujaba. l’incursion terroriste du Hamas a brisé le my- jean-philippe rémy, sonnes, soit environ de 85 % de la pour la coordination des affaires
Pris en étau entre ces factions armées qui the de l’invulnérabilité de l’Etat hébreu, et re- hélène sallon population, ont été déplacées par humanitaires. p
l’ont porté au pouvoir et son engagement à porté indéfiniment la normalisation des rela- et madjid zerrouky (à paris) la guerre dans la bande de Gaza. piotr smolar
6 | international
En Egypte,
la présidentielle
éclipsée par
la guerre à Gaza
A quelques jours de l’élection,
le président Al-Sissi met en avant
son rôle de médiateur international
le caire - correspondance
L
oin de rebattre les cartes
d’une présidentielle sans
surprise en Egypte,
l’onde de choc provo-
quée par la guerre entre Israël et
le Hamas dans la bande de Gaza
n’a pas manqué de s’immiscer
dans la campagne électorale,
jusqu’à l’éclipser complètement.
Alors que toutes les télévisions
du pays sont branchées sur les
images de dévastation dans l’en-
clave palestinienne, le scrutin,
prévu du 10 au 12 décembre, est
relégué au second plan et s’appa-
rente pour beaucoup d’Egyptiens
à un non-événement.
Le président Abdel Fattah Al-
Sissi est pourtant bel et bien en
campagne. Son visage est omni-
présent dans la capitale, placardé
sur d’immenses panneaux qui
encadrent les routes et les ponts.
Mais, depuis l’annonce de sa can-
didature, le 2 octobre, le raïs est
resté silencieux sur les questions
de politique intérieure, sans
même détailler les grandes lignes
de son programme.
Dans cette course taillée sur me-
sure, face à trois autres candidats
dépourvus de base populaire et
largement inconnus du public,
Abdel Fattah Al-Sissi ne s’est pré-
senté à aucun meeting, n’a parti-
cipé à aucun débat ni interview
télévisée. Pour seule allocution
publique, le président s’est mis en
scène, le 23 novembre, dans le
stade du Caire au cours d’une soi-
rée baptisée « Vive l’Egypte, ré-
ponse populaire en solidarité
avec la Palestine ». Si, officielle-
ment, cet événement retransmis
sur les chaînes de télévision d’Etat
n’était pas un meeting de campa-
gne, à quelques jours du scrutin,
il en avait tous les attributs.
Après sa rupture avec la France, le Niger se rapproche de la Russie
Dans le sillage du Mali et du Burkina Faso, la junte à Niamey favorise l’implantation russe au Sahel par des accords « de coopération »
A lors que les derniers sol-
dats français quittent le
Niger, les premiers offi-
ciels russes sont déjà accueillis
par la junte d’Abdourahamane
Tiani. Lundi 4 décembre, le géné-
ral arrivé au pouvoir par un coup
d’Etat il y a quatre mois a reçu
avec tous les honneurs le vice-mi-
nistre de la défense russe, le colo-
nel général Iounous-bek Evkou-
rov. La visite d’un membre du
gouvernement russe est inédite
depuis le putsch.
Comme l’ont fait avant eux les
putschistes à la tête du Mali et du
Burkina Faso, les nouveaux maî-
tres du Niger ont annoncé le « ren-
forcement de la coopération dans
le domaine de la défense » avec
Moscou. Si un « protocole » a été si-
gné, le contenu de ce dernier reste
« secret-défense », précise un con-
seiller du gouvernement. Iou-
nous-bek Evkourov a également
rencontré le ministre de la défense
nigérien, le général Salifou Mody.
Dans le même temps, le Niger a
rompu avec un de ses plus impor-
tants partenaires occidentaux.
Le spectacle est bien huilé. Au
soleil couchant, le président est
accueilli par une haie d’honneur
formée par des centaines de béné-
voles mobilisés pour acheminer
l’aide humanitaire du pays vers la
bande de Gaza. Au second plan,
des rangées de camions chargés
de tonnes de nourriture et de ma-
tériel d’urgence se tiennent à l’ar-
rêt avant de se mettre en branle
dans un concert de klaxons vers
la frontière. Dans les gradins, des
milliers de spectateurs chauffés à
blanc déroulent une gigantesque
banderole à son effigie, et agitent
simultanément des drapeaux pa-
lestiniens se mêlant aux couleurs
tricolores de l’Egypte.
Au-dessus de la mêlée
A la veille du début de la trêve en-
tre le Hamas et Israël, le président
égyptien prend la parole pour
souligner les « efforts intenses » dé-
ployés par son administration afin
d’empêcher l’escalade de la guerre.
Il réitère ses appels à un cessez-le-
feu, dénonce « la machine à tuer »
et « la punition collective » infligée
par Israël aux Gazaouis, ainsi que
les projets de déplacement forcé
de la population vers le Sinaï. As-
surant suivre « 24 heures sur 24 »
les développements de la crise, il
veut renvoyer l’image d’un prési-
dent au-dessus de la mêlée.
Soucieux de rehausser sa sta-
ture à l’international, Abdel Fat-
tah Al-Sissi revêt le costume d’un
chef d’Etat courtisé par les diri-
geants mondiaux qui se sont suc-
cédé au Caire pour solliciter ses
bons offices sur les épineux dos-
siers de l’exfiltration des ressor-
tissants étrangers, de la libération
d’otages ou encore de l’organisa-
tion de la réponse humanitaire.
Le régime a mobilisé toutes les
agences de l’Etat pour organiser
Dans une note adressée lundi à
la délégation de l’Union euro-
péenne à Niamey, il a dénoncé les
deux accords encadrant l’appui
européen aux forces de défense et
de sécurité nigériennes : l’Eucap
Sahel, la mission civile d’environ
130 hommes créée en 2012 pour
épauler les forces de sécurité aux
frontières et l’EUMPM, la mission
sur place depuis 2022 pour aider
à lutter contre le terrorisme.
Fin novembre, les autorités ni-
gériennes avaient mis un terme à
l’un des principaux piliers de la
coopération européenne en Afri-
que, en abrogeant une loi qui pé-
nalisait le trafic illicite de mi-
grants. « C’est l’UE qui a suspendu
sa coopération sécuritaire avec
nous, après le coup d’Etat, souli-
gne le conseiller gouvernemental
cité plus haut. Nos alliances avec
l’Occident ont primé depuis la co-
lonisation et ne nous ont pas porté
bonheur. Il faut s’en débarrasser
et se rapprocher d’autres pays. »
Un divorce de plus après celui
d’avec la France, alliée du prési-
dent renversé, Mohamed Ba-
Affiches de campagne du président égyptien Al-Sissi, candidat à sa réélection, au Caire, le 5 décembre. MOHAMED ABD EL GHANY/REUTERS
une campagne de dons, une col-
lecte de sang et le recrutement
de bénévoles pour acheminer
l’aide humanitaire vers l’enclave
palestinienne. Selon les autorités,
80 % de l’aide qui pénètre à Gaza
provient d’Egypte. De nombreux
hôpitaux ont été mobilisés pour
recevoir au compte-goutte des
blessés palestiniens. Des milliers
de tonnes de nourriture et de
matériel ont débarqué du monde
entier à El-Arich, chef-lieu du Si-
naï Nord, converti en plate-forme
humanitaire mondiale.
L’Egypte, partie prenante du blo-
cus de la bande de Gaza depuis
2007, critique ouvertement les
blocages israéliens qui entravent
la distribution de l’aide humani-
taire, mais garde un contrôle strict
sur les entrées et sorties à Rafah.
Alors que la cause palestinienne
reste un sujet inflammable dans
l’opinion publique égyptienne, le
régime doit louvoyer entre un dis-
cours de fermeté vis-à-vis d’Israël
et le maintien de son alliance stra-
tégique avec l’Etat hébreu, sans
passer pour un complice de la
souffrance des Palestiniens.
Surtout, si Abdel Fattah Al-Sissi
entend faire de la crise à Gaza son
cheval de bataille, c’est pour éviter
d’évoquer une autre crise : la dé-
gradation sans précédent de l’éco-
nomie égyptienne, qui entache
zoum, qui est toujours détenu par
les militaires au pouvoir. Dès le
mois d’août, la junte a exigé le
renvoi de l’ambassadeur de
France, Sylvain Itté, et demandé le
retrait des 1 500 soldats français.
Pas supplémentaire : mardi, le Ni-
ger a, avec le Mali, dénoncé les ac-
cords signés dans les années 1960
et 1970 avec Paris qui évitent que
les particuliers et les entreprises
français installés dans ces pays du
Sahel soient imposés deux fois.
Alliance des Etats du Sahel
Face aux sanctions et aux remon-
trances adressées aux Euro-
péens, les Américains et leurs
1 100 soldats au Niger se font dis-
crets, tentant d’y garder un pied.
La veille de l’arrivée de la déléga-
tion russe à Niamey, l’ambassa-
drice Kathleen FitzGibbon, pré-
sente depuis mi-août, a présenté
à la junte les copies de ses lettres
de créances, un pas de plus vers
l’officialisation de sa nomination
dans le pays.
Les Russes s’imposent toutefois
comme les nouveaux partenaires
son bilan et pour laquelle il était
très décrié avant le 7 octobre et le
déclenchement de la guerre aux
portes de l’Egypte. Outre son en-
dettement record, l’Egypte fait
partie des dix pays les plus touchés
par l’inflation selon la Banque
mondiale, atteignant près de 40 %
en septembre et 70 % pour les pro-
duits d’alimentation. Alors que le
dollar s’échange à près de 50 livres
sur le marché parallèle, les Egyp-
tiens s’attendent à une nouvelle
dévaluation dans les mois à venir.
« Canaliser la colère »
A la veille d’annoncer sa candida-
ture, le président avait appelé la
population à se serrer la ceinture
lors d’une conférence intitulée
« Histoire de la nation ». « Si le prix
du progrès et de la prospérité est
d’avoir faim et soif, ne mangeons
pas et ne buvons pas », avait-il dé-
claré, suscitant une vague de criti-
ques sur les réseaux sociaux et
des manifestations réprimées
dans la ville de Marsa Matrouh
(nord-ouest du pays).
Lors de son accession au pouvoir
en 2014, le maréchal Al-Sissi avait
promis la stabilité et la prospérité.
« Une décennie plus tard, le pays
n’a cessé de s’effondrer. L’Egypte
connaît une crise financière mas-
sive et sa population est plongée
dans la pauvreté. Si le régime invo-
Moscou propose
des armes
létales sans
contrepartie
en matière de
droits humains
privilégiés. Puissance qui n’a pas
colonisé l’Afrique et qui a formé
de nombreux soldats du conti-
nent après les indépendances, la
Russie propose en outre des ar-
mes létales sans exiger de contre-
parties en matière de respect des
droits humains.
Déploiement des mercenaires
du groupe de sécurité privé russe
Wagner au Mali ; renforcement
de la coopération sécuritaire au
Burkina Faso, promesse de cons-
truction de centrale nucléaire ci-
vile… Pour les juntes au Mali, au
Burkina Faso, et désormais au Ni-
ger, toutes arrivées au pouvoir en
promettant de battre les groupes
djihadistes qui n’ont cessé de
Al-Sissi veut
éviter d’évoquer
la dégradation
de l’économie
égyptienne
que des chocs externes, les consé-
quences d’une crise mondiale, il ne
peut dissimuler sa responsabilité
dans la hausse des prix. Ils peuvent
réprimer et censurer les voix criti-
ques, mais ils ne peuvent pas ca-
cher cette vérité-là », analyse Timo-
thy Kaldas, chercheur au Tahrir
Institute for Middle East Policy.
Alors que tous les regards sont
tournés vers la guerre à Gaza,
les atteintes à la liberté d’expres-
sion et les pressions exercées sur
l’opposition sont également relé-
guées au second plan. Le principal
candidat dissident, Ahmed Al-
Tantawi, a été évincé de la course
et déféré devant les tribunaux. Le
site d’information indépendant
Mada Masr, qui avait évoqué des
discussions en cours autour d’un
exode des Palestiniens vers le
Sinaï, a été suspendu pendant six
mois par les autorités.
Si le pouvoir égyptien a orches-
tré, le 20 octobre, d’immenses ma-
nifestations partout dans le pays
gangrener leur territoire en dépit
du soutien militaire occidental,
l’offre est séduisante.
En dépit de leurs différences, ces
trois pays ont choisi de renforcer
leur alliance. Après Bamako il y a
un an, Niamey et Ouagadougou
ont annoncé le 1er décembre leur
décision de quitter le G5 Sahel,
un cadre de coopération politi-
que et militaire avec le Tchad et la
Mauritanie créé en 2014 avec la
bienveillance de la France pour
lutter contre les groupes djihadis-
tes. Ils lui préfèrent désormais
l’Alliance des Etats du Sahel (AES),
mis sur pied en septembre face
à la menace d’une intervention
militaire des autres pays d’Afrique
de l’Ouest pour déloger les puts-
chistes nigériens.
Ce nouveau bloc concentre l’es-
sentiel des efforts diplomatiques
engagés par Moscou sur le conti-
nent ces derniers mois. Selon
Flightradar24, un site spécialisé
sur le suivi du trafic aérien, avant
d’atterrir à Niamey le 3 décembre,
l’avion militaire russe qui a trans-
porté la délégation officielle de
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
en soutien à la Palestine, la fenêtre
s’est vite refermée de peur qu’elles
ne se convertissent en vague de
colère contre le pouvoir. Au Caire,
en marge des cortèges, des centai-
nes de manifestants ont ainsi in-
vesti brièvement la place Tahrir,
haut lieu du soulèvement popu-
laire de 2011, qui vit la chute
du président Hosni Moubarak,
scandant des slogans antirégime.
Une centaine d’arrestations ont
été dénombrées.
« Au début des années 2000,
après la deuxième Intifada, les mo-
bilisations en soutien à la Palestine
ont ouvert un espace de contesta-
tion. Elles ont été un creuset struc-
turant pour les mouvements d’op-
position, ouvrant la voie au soulè-
vement de 2011. Le régime tente
de canaliser cette colère, conscient
que, si la situation lui échappe, il
sera confronté à une vague de
contestation bien plus difficile à
contrôler que les autres formes
conventionnelles de dissidence »,
rappelle Hossam El-Hamalawy,
journaliste égyptien en exil.
Le maréchal Al-Sissi, qui dirige
l’Egypte d’une main de fer depuis
2013, a su pour l’instant tirer son
épingle du jeu de la crise qui
gronde à sa frontière et s’apprête
à garder les rênes du pays
jusqu’en 2030. p
eliott brachet
M. Evkourov a fait escale à Ba-
mako et Ouagadougou.
Si la junte burkinabée dirigée
par le capitaine Ibrahim Traoré
n’a pas communiqué sur le sé-
jour de M. Evkourov, le Mali du
colonel Assimi Goïta en a détaillé
les contours le 2 décembre. A Ba-
mako, « d’importantes décisions
ont été prises », a noté la prési-
dence sur sa page Facebook, évo-
quant « l’envoi (…) dans les deux
prochaines semaines (…) d’experts
russes dans divers secteurs [éner-
gie, transport, télécommunica-
tions, mines] ». Avant de souli-
gner la « satisfaction » de Moscou
« quant à la création de l’AES,
qu’elle considère comme un cadre
idéal pour la coopération entre la
fédération de Russie et les Etats du
Sahel ». Ces derniers ont par
ailleurs fait part de leur ambition
pour l’AES : « Parvenir, à terme, à
une fédération. » p
morgane le cam
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0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
SDHI : l’Anses ne lève pas
la controverse sur ces
substances à risque
L’analyse par l’Agence nationale de sécurité
sanitaire est marquée par des discordes
L’ Agence nationale de sécu-
rité sanitaire de l’alimen-
tation, de l’environne-
ment et du travail (Anses) a rendu,
mardi 5 décembre, les conclu-
sions d’une expertise très atten-
due sur les pesticides SDHI (inhi-
biteurs de la succinate déshydro-
génase), des fongicides utilisés sur
les cultures céréalières, le colza, et
de nombreux fruits et légumes.
Ces substances sont au cœur
d’une vive controverse depuis le
printemps 2018, après qu’un col-
lectif de chercheurs a alerté, dans
une tribune au journal Libération,
sur des risques sanitaires poten-
tiels, en particulier certains can-
cers (reins, système digestif…) et
maladies neurodégénératives.
Fondée sur le travail d’un
groupe d’une quinzaine de scien-
tifiques extérieurs à l’agence,
cette nouvelle expertise a conduit
à réévaluer certains seuils de ris-
que (dose journalière admissible,
niveau tolérable d’exposition
des opérateurs, dose de toxicité
aiguë) associés à ces quatorze mo-
lécules. Sur une quarantaine de
seuils réanalysés, onze ont été ré-
duits, de 40 % à un facteur trois.
L’Anses a complété ce travail par
une analyse des risques des rési-
dus de ces produits présents dans
la chaîne alimentaire. « Les résul-
tats montrent que les seuils de sé-
curité pour la santé des consom-
mateurs ne sont pas dépassés, y
compris avec les [valeurs seuils]
revues à la baisse, pour des exposi-
tions cumulées à l’ensemble des
substances actives SDHI », assure
l’agence dans un communiqué.
Démissions en cours d’expertise
La communication des résultats
donne l’image d’un consensus
enfin trouvé entre le collectif des
chercheurs-lanceurs d’alerte et
l’autorité réglementaire. Mais la
lecture du rapport rendu par
le groupe d’experts et de l’avis de
l’Anses associé offre une version
plus rugueuse de l’histoire : les
trois années de travail des experts
ne lèveront pas la controverse et
forment le processus d’expertise
le plus chaotique que l’Anses a eu
à gérer ces dernières années.
L’agence avait souhaité faire tra-
vailler ensemble des toxicologues,
des pharmacologues et des spécia-
listes de la respiration cellulaire,
le mécanisme ciblé par les SDHI.
Deux chercheuses, membres du
collectif ayant lancé l’alerte, ont
été incluses. Mais, sur les quinze
scientifiques ainsi réunis, les trois
principaux spécialistes de la respi-
ration cellulaire ont démissionné
en cours d’expertise. Quatre ont
rédigé, ou corédigé, un total de
huit « avis divergents », manifes-
tant un désaccord sur des points
techniques de l’évaluation ; et dix
« contributions personnelles », en-
dossées par un ou plusieurs mem-
bres du groupe d’experts mais
non validées par les autres, figu-
rent en annexe du rapport.
Ces « contributions personnel-
les » forment l’un des nœuds du
problème : pour réévaluer les va-
leurs seuils propres aux SDHI,
l’Anses a demandé aux experts
de se fonder sur la réanalyse des
dossiers réglementaires fournis
par les industriels. L’examen de
ces tests à la lumière de la littéra-
ture scientifique indépendante,
réclamé par plusieurs experts du
groupe, n’a pas été intégré à l’éva-
Deux chercheurs
dénoncent la
« mésestimation »
de la toxicité
des SDHI sur
les organes
Les trois années
de travail
des experts
forment
le processus le
plus chaotique
que l’Anses
a eu à gérer
luation proprement dite. Il a été
relégué en annexe, dans ces
« contributions personnelles » au
statut incertain. L’une d’elles ne
figure d’ailleurs pas dans le rap-
port mais a été indépendamment
publiée en février par son auteur,
l’un des trois experts démission-
naires, dans la revue Internatio-
nal Journal of Molecular Sciences.
Cette non-prise en compte de
l’ensemble des données de la litté-
rature scientifique est au centre
d’un signalement, endossé par
deux membres du groupe de tra-
vail, la toxicologue Laurence Huc
(Institut national de recherche
pour l’agriculture, l’alimentation
et l’environnement) et le biolo-
giste Anthony Lemarié (université
de Toulouse). Les deux chercheurs
critiquent sévèrement l’ensemble
de la conduite de l’expertise. Ils
dénoncent « la mésestimation » de
la toxicité des SDHI sur les orga-
nes, le refus d’auditions d’experts
extérieurs, « la restriction de la sai-
sine à des aspects quasi exclusive-
ment réglementaires », etc.
« Nous sommes assez nombreux
à avoir été mal à l’aise dans cette
aventure », assure un autre mem-
bre du groupe de travail, sous le
couvert d’anonymat, disant crain-
dre que l’enrôlement de cher-
cheurs spécialistes dans le groupe
« ne soit pas motivé par une réelle
demande d’évaluation en profon-
deur, mais qu’il ne soit qu’une cau-
tion académique » à une simple
réévaluation réglementaire.
L’Anses a joué la transparence :
elle a publié in extenso le signale-
ment des deux experts en annexe
de son avis et y a répondu, arguant
notamment que le groupe avait
pu, dans son rapport, prendre les
distances qu’il souhaitait avec la
méthode appliquée. De fait, les ex-
perts notent « des lacunes impor-
tantes dans certains dossiers régle-
mentaires », et jugent nécessaires
des « expérimentations complé-
mentaires » sur la toxicité des
SDHI pour les reins ou le dévelop-
pement du cerveau. Ils estiment
que certaines études défectueuses
« ont été prises en considération
lors des évaluations réglementai-
res alors qu’elles auraient dû être
rejetées ». Ils signalent que les tests
sur lesquels ils se sont prononcés
« n’ont pas investigué le potentiel
perturbateur endocrinien » des
SDHI, pas plus qu’ils n’ont cherché
à évaluer leurs effets sur la biodi-
versité, etc. Plusieurs de ces points
font l’objet de recommandations,
reprises par l’Anses dans son avis.
Ce n’est pas tout. Le rapport pro-
duit in fine n’a même pas été plei-
nement validé par l’un des deux
comités d’experts spécialisés (CES)
de l’Anses, chargés de superviser
l’expertise. Dans leur signalement,
Laurence Huc et Anthony Lemarié
critiquent le fait que les experts
des CES auxquels leur groupe était
rattaché « n’ont pas d’expertise par-
ticulière sur les SDHI et n’ont pas
approfondi l’ensemble des dossiers
réglementaires ». « Le rôle des CES
sur le travail du groupe de travail
SDHI pose des questions de fond
en termes d’organisation de l’ex-
pertise », estiment-ils. Dans sa ré-
ponse, l’Anses rétorque, notam-
ment, que la réglementation a été
scrupuleusement suivie. p
stéphane foucart
planète | 7
Les voix dissidentes muselées
lors de la COP28 à Dubaï
La société civile locale est la grande absente de la conférence mondiale
dubaï (émirats arabes unis) - sont d’ordinaire ponctuées, à mi- ment. » Lundi, HRW a publié un
« La transition
envoyée spéciale parcours, par d’importants ras-
semblements dans les villes verte ne sera
rapport pointant des niveaux
« alarmants » de pollution de l’air
J
e m’engage à faire en sorte hôtes, les organisations de la so- liés à l’industrie fossile aux Emi-
que cette COP soit inclusive ciété civile ont cette fois renoncé pas efficace rats, en s’appuyant sur des docu-
et transparente. » Sultan à lancer un appel à la mobilisa- si elle se fait ments officiels et sur le travail de
Al-Jaber, le président de tion pour des raisons de sécurité. chercheurs vivant à l’extérieur du
la 28e conférence mondiale « Ces manifestations, qui ont lieu sans les militants pays. Recueillir le témoignage,
sur le climat (COP28), ne cesse de en dehors de l’enceinte de la COP, du climat » même anonyme, de locaux sou-
le répéter : ce rendez-vous, qui a sont très importantes pour mettre haitant s’exprimer sur le sujet
démarré le 30 novembre à Dubaï la pression sur les gouvernements, MICHEL FORST s’est révélé quasiment impossible.
(Emirats arabes unis), est ouvert leur faire passer le message qu’ils rapporteur spécial de l’ONU A la COP28, une envoyée spé-
au plus grand nombre. De fait, il y n’agissent pas dans une bulle », sur les défenseurs ciale des dugongs – une militante
a foule sur l’immense site de l’ex- insiste Katharina Hall. Grâce à la de l’environnement américaine costumée – a aussi vi-
position universelle de 2020, qui grande marche à Charm El-Cheikh sité la « zone bleue ». La seconde
s’étale sur plus de 4 km autour en 2022, alors que l’Egypte ré- population mondiale de ces gros
d’un gigantesque dôme en acier. prime très durement toute oppo- cessez-le-feu à Gaza », affirme mammifères marins vit au large
Dans les allées impeccables et sition, des militants locaux Agnès Callamard, la secrétaire gé- des Emirats. L’ONG Leave it in the
les bâtiments modernes se croi- avaient tout de même pu s’expri- nérale d’Amnesty International. Ground tente d’alerter sur l’im-
sent représentants des peuples mer dans le cadre de la COP27. Les ONG rapportent un climat pact à l’égard de la biodiversité des
autochtones en tenue tradition- A Dubaï, les militants doivent se d’autocensure : un rapport publié projets d’exploitation d’hydrocar-
nelle et d’organisations de jeu- contenter « d’actions » organisées le 30 novembre rappelle que bures dans la réserve marine de
nesse, délégués du monde entier, à l’intérieur de la « zone bleue », 300 000 caméras et drones sont Marawah, qui fait partie du réseau
membres de la société civile… Des gérée par les Nations unies et uni- déployés à Dubaï et que les com- national des aires protégées. Un
militants des droits humains ont quement accessible aux person- munications de tous les partici- nouveau champ gazier va y être
eu l’autorisation d’entrer dans le nes accréditées. Soutien aux Pa- pants à la COP sont susceptibles exploité par la compagnie natio-
pays pour la première fois depuis lestiniens de Gaza, appels à davan- d’être surveillées. Mardi 5 décem- nale émiratie, Abu Dhabi National
des années, un visa gratuit a été tage de justice climatique ou à bre, plusieurs organisations atten- Oil Company. Dirigée par Sultan
mis en place pour faciliter la ve- sortir des énergies fossiles… Ces daient toujours un feu vert pour Al-Jaber, elle assure agir en faveur
nue des habitants des nations du rassemblements, autorisés à l’organisation d’une action visant de la biodiversité marine. Elle
Sud et le secteur privé est abon- l’avance, sont très encadrés : ils ne à appeler à la libération d’Ahmed explique travailler « en étroit par-
damment représenté. Sur les quel- peuvent réunir que quelques di- Mansour et d’autres prisonniers. tenariat » avec l’Agence pour l’en-
que 100 000 personnes accrédi- zaines de personnes, doivent être Ce climat répressif n’épargne vironnement d’Abou Dhabi, diri-
tées (au moins deux fois plus qu’à statiques et pas trop bruyants. « Le pas la sphère environnementale. gée par l’un des frères du prési-
la COP27), près de 2 500 sont des système n’est pas transparent et « La ligne rouge, c’est le fait de criti- dent des Emirats, et avoir mené
lobbyistes de l’industrie fossile beaucoup de gens ont peur, ils ne quer le pouvoir, résume Devin « l’une des plus grandes études
(quatre fois plus qu’il y a un an). savent pas ce qu’ils peuvent dire. Kenney. Il peut y avoir des organi- d’impact sur l’environnement ma-
Pourtant, cette conférence n’af- Des personnes se sont vu retirer sations de défense de l’environne- rin ». Cette dernière n’a pas été
fiche pas complet : aucun défen- leur badge pendant vingt-qua- ment, mais elles ne pourront pas rendue publique. p
seur de l’environnement émirati tre heures après avoir appelé à un critiquer ce que fait le gouverne- perrine mouterde
ou vivant dans le pays ne viendra
s’y exprimer. Les organisations
de défense des droits humains
craignent que cette absence to-
tale de société civile locale passe
inaperçue, et que le pays profite
de cette COP pour promouvoir un
peu plus une image de tolérance
et d’ouverture, à mille lieues de la
politique ultrarépressive menée
à l’intérieur de ses frontières.
Manifestations interdites
« Comment peut-on parler d’une
COP inclusive dans un pays qui ne
permet pas aux ONG et aux mili-
tants locaux de s’exprimer libre-
ment ?, s’interroge Katharina Rall,
chercheuse au sein de la branche
française de Human Rights Watch
(HRW). Les Emirats ont une straté-
gie pour se faire passer pour un
Etat respectueux de la liberté
d’expression, et cela semble mar-
cher auprès d’un certain nombre
de gouvernements. » Aucun des
quelque 130 dirigeants ayant fait
le déplacement à Dubaï n’a évo-
qué publiquement le sujet.
« Ces conférences sur le climat de-
vraient être inclusives, ce qui n’est
manifestement pas le cas ici, es-
time aussi le rapporteur spécial de
l’ONU sur la protection des défen-
seurs de l’environnement, Michel
Forst, présent à Dubaï et qui re-
doute être surveillé. La transition
verte ne sera pas efficace si elle se
fait sans les militants du climat. »
Le musellement de toute voix
dissidente par le régime autocrati-
que d’Abou Dhabi a démarré il y a
une quinzaine d’années. En 2013,
94 professeurs, étudiants, ingé-
nieurs ou avocats sont jugés lors
d’un procès de masse entaché
d’irrégularités, notamment pour
avoir signé une pétition prodé-
mocratie. La majorité d’entre eux
sont condamnés et incarcérés.
En 2017, le militant émirati
Ahmed Mansour, connu comme
le « dernier défenseur des droits
humains » du pays, est à son tour
arrêté et jeté en prison, où il crou-
pit depuis en cellule d’isolement,
sans lit ni livres. « Le silence est
tombé sur les Emirats », résume
Devin Kenney, spécialiste du pays
au sein d’Amnesty International.
Corollaire de cette répression,
toute manifestation est interdite
et passible d’une peine d’empri-
sonnement. Alors que les confé-
rences mondiales sur le climat
8|
FRANCE
É D U C AT I O N
Attal décrète la fin du collège « uniforme »
Le plan du ministre de l’éducation prévoit la création de groupes de niveau et la refonte de l’examen du brevet
C’
est depuis un
collège popu-
laire du 19e ar-
rondissement
de Paris que
Gabriel Attal a
décidé de présenter ce qu’il appelle
son « choc des savoirs ». Un choix
de lieu symbolique pour le minis-
tre de l’éducation nationale dont le
plan, dévoilé mardi 5 décembre, a
tout d’un bouleversement d’am-
pleur pour ce niveau de la scola-
rité, le seul qui n’avait connu
aucune réforme depuis l’arrivée
d’Emmanuel Macron au pouvoir.
S’appuyant entre autres sur les
mauvais résultats des élèves fran-
çais au Programme international
pour le suivi des acquis des élèves
(PISA), publiés un peu plus tôt, le
successeur de Jean-Michel Blan-
quer et de Pap Ndiaye a détaillé les
changements qu’il entend mener
pour « élever le niveau » au nom
d’une « urgence nationale ».
Si les annonces prévoient une
refonte des programmes à l’école
primaire ou la création en fin de
1re d’une épreuve anticipée de ma-
thématiques et de culture scienti-
fique au baccalauréat, c’est bien
du collège que Gabriel Attal a fait
« le cœur de l’électrochoc » qu’il
ambitionne. « Il y aura un avant et
un après », a promis le ministre en
présentant deux mesures chan-
geant le visage du collège : la créa-
tion de groupes de niveau et la re-
fonte de l’examen du brevet.
Le projet est clair : « Nous devons
dès aujourd’hui sortir du collège
uniforme », a lancé le ministre sans
ambages. A partir de la rentrée
2024, les élèves de 6e et de 5e seront
répartis en trois groupes selon leur
niveau en français et en mathéma-
tiques, soit dans un tiers des ensei-
gnements dispensés au collège.
Les classes de 4e et de 3e seront con-
cernées à partir de la rentrée 2025.
Les évaluations nationales pour
la 6e et la 4e devraient donner des
indications aux enseignants pour
constituer les groupes, fait savoir
l’entourage du ministre.
Pour ceux de plus faible niveau,
l’effectif ne devra pas dépasser
« une quinzaine » d’élèves. Pour
rendre le dispositif « flexible », les
collégiens pourront passer d’un
groupe à un autre en fonction des
progrès effectués, selon l’appré-
ciation des équipes pédagogiques.
« PERDANT-PERDANT »
Le ministre va encore plus loin
dans la différenciation des par-
cours en prévoyant que les élèves
en très grande difficulté puissent
avoir une scolarité aménagée avec
davantage d’heures de français et
de mathématiques et moins de
cours dans les autres matières, le
temps d’une remise à niveau.
« Après des décennies d’un glisse-
ment vers un collège plus uniforme
qu’unique, j’assume de corriger ce
qui ne fonctionne plus », affirme
M. Attal. Evoquant les évaluations
nationales de 4e – un tiers des élè-
ves sont en difficulté en mathé-
matiques et en français –, il es-
time que « ce collège produit trop
d’échecs et pas assez de réussite ».
Le locataire de la Rue de Grenelle
a plusieurs fois pointé, depuis son
arrivée, les écueils de l’hétérogé-
néité, consubstantielle au collège
« LE TAUX DE RÉUSSITE
AU BREVET ET SANS DOUTE
AU BAC DIMINUERA DANS
LES ANNÉES À VENIR.
J’EN AI CONSCIENCE
ET JE L’ASSUME »
GABRIEL ATTAL
ministre de l’éducation
Gabriel Attal, ministre de l’éducation, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 5 décembre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
unique depuis sa création,
en 1977, qui, estime-t-il, « finit par
tirer tout le monde vers le bas ».
Laisser des élèves de niveau hété-
rogène dans une même classe
« condamne certains à stagner et
empêche d’autres de s’envoler », lâ-
che le ministre, parlant d’une
« sorte de perdant-perdant ».
Gabriel Attal déroule ainsi un
projet politique qui dit s’adresser
avant tout aux « Français des clas-
ses moyennes [qui] financent par
leur travail le fonctionnement de
nos services publics » et « qui ont
parfois le sentiment qu’ils ne peu-
vent plus avoir confiance dans
l’école » ; ceux qui « décident par-
fois d’immenses sacrifices finan-
ciers » pour scolariser leurs en-
fants dans le privé – une décision
prise le plus souvent, justement,
à l’entrée au collège.
Le débat n’est pas nouveau. Le
prédécesseur de Gabriel Attal, Pap
Ndiaye, qualifiait déjà le collège
d’« homme malade du système ».
Depuis cinquante ans, les observa-
teurs parlent de « maillon faible »,
d’autres, d’« échelon maltraité ».
Les finalités du collège unique
n’ont, il est vrai, jamais fait l’objet
d’un consensus. Est-il le prolonge-
ment de l’école primaire dont il
est la continuité dans la scolarité
obligatoire ? Doit-il être le prélude
au lycée général, sur lequel il cal-
que son fonctionnement ? Au fur
et à mesure des années, il est de
plus en plus devenu un « petit ly-
cée » préparant avant tout aux
voies générales et technologiques
et laissant sur le carreau les élèves
les plus faibles, massivement
orientés au lycée professionnel. Il
a ainsi participé à la dévalorisa-
tion de cette voie, sans qu’aucune
réforme n’arrive à corriger le tir.
« Le collège n’a jamais été pensé
pour tous les élèves », martèle
l’ancien directeur général de l’en-
seignement scolaire, Jean-Paul
Delahaye, pour qui les décisions
de mardi sont « une mauvaise
nouvelle pour les élèves des mi-
lieux populaires, les plus fragiles
scolairement dans notre système
inégalitaire ». Le choix des grou-
pes de niveau comme réponse à
l’hétérogénéité est en effet très
controversé. Aucun syndicat en-
seignant n’y était favorable, ex-
ception faite du Snalc, qui défend
un projet de « collège modulaire »
depuis dix ans. Son président,
Jean-Rémi Girard, s’est dit « satis-
fait » de cette annonce, tout en
notant que la décision du minis-
tre va plus loin que la proposition
du syndicat : « Nous proposions
des groupes de niveau à partir de
la 5e, pour apprendre à connaître
les élèves, explique-t-il. Le faire
dès l’entrée en 6e est un peu dur, il
faudrait au moins que la décision
soit prise en conseil de classe. »
UNE « PRÉPA LYCÉE »
Plusieurs universitaires, dont cer-
tains membres du conseil scienti-
fique de l’éducation nationale,
ont en outre mis en garde contre
ce dispositif. D’après leurs tra-
vaux de recherche, regrouper les
élèves selon leur niveau a ten-
dance à creuser les inégalités en-
tre eux sans élever le niveau géné-
ral, en raison des effets souvent
qualifiés de « catastrophiques »
pour les plus faibles. Pour ces der-
niers, qui sont aussi souvent les
plus défavorisés socialement, le
fonctionnement par niveau mine
l’estime de soi et la motivation.
Selon les chercheurs, les grou-
pes de besoins – et non de ni-
veau – peuvent être pertinents
s’ils sont temporaires, centrés sur
des compétences précises, et sur-
tout flexibles, de manière à éviter
la stigmatisation. Eric Charbon-
nier, analyste à la direction de
l’éducation de l’Organisation de
coopération et de développement
économiques (OCDE), prévenait à
la veille des résultats PISA que si la
France voulait « s’engager dans la
direction des groupes de niveau »,
elle devrait « veiller à ce qu’ils ne
stigmatisent pas les élèves » et à ce
que « les enseignants soient for-
més », au risque que « les écarts
augmentent et que le bien-être des
élèves diminue ». « J’assume ce
pragmatisme qui a fait ses preuves
en Suisse, en Suède ou au Dane-
mark. Un élève qui n’arrive pas à
suivre dans une classe aujourd’hui
se sent déjà stigmatisé », argue de
son côté Gabriel Attal.
Second changement profond
pour le collège : le ministre entre-
prend une réforme du diplôme
national du brevet. A partir de
2025, l’obtention de ce dernier de-
viendra obligatoire pour entrer au
lycée. Une décision inattendue
qui rompt totalement avec l’his-
toire de cet examen, passé avant la
fin de la scolarité obligatoire, fixée
à 16 ans. « Le brevet est l’évaluation
du socle commun de compétences
à la fin du collège, il n’a jamais été
un examen d’entrée au lycée », rap-
pelle l’historien Claude Lelièvre.
Les collégiens qui échoueront à
décrocher ce sésame – ils sont en-
viron 12 % aujourd’hui, surrepré-
sentés dans les établissements dé-
favorisés – se verront proposer
une « prépa lycée ». Ce dispositif est
pensé comme une année de re-
mise à niveau dont l’organisation
reste entièrement à définir.
L’orientation des élèves dans la
voie générale, technologique ou
professionnelle sera décidée à la
fin de cette année de transition.
Les modalités d’obtention du
brevet seront remaniées. La part
du contrôle continu sera réduite à
40 %, contre 50 % aujourd’hui, et
dépendra des notes attribuées du-
rant l’année et non plus de la vali-
dation de certaines compétences
par les conseils de classe. Les ré-
sultats obtenus lors de l’examen,
qui compteront pour 60 % de la
note finale, ne feront plus l’objet
de « correctifs académiques » qui,
assure le ministre, faisaient qu’un
8/20 attribué par un enseignant
« pouvait se transformer en 10 ou
en 12 », du fait de consignes pour
relever les moyennes. Pour le bre-
vet comme pour le bac, « la note
donnée par le correcteur s’appli-
quera », a-t-il insisté.
Le ministre « assume » ainsi son
ambition de rendre le système
éducatif français « plus exigeant »,
quitte à en réduire le taux de réus-
site – une revendication égale-
ment portée pour le baccalauréat,
« LE MINISTRE N’A PAS
ABORDÉ LE SUJET
DES INÉGALITÉS ALORS
MÊME QUE C’EST
L’UN DES PRINCIPAUX
ENSEIGNEMENTS DE PISA »
CLAude LeLièvre
historien de l’éducation
qui n’est pas sans trancher avec les
objectifs des dernières décennies
sur l’augmentation de la part des
générations obtenant des diplô-
mes. « Le taux de réussite au brevet
et sans doute au bac diminuera
dans les années à venir. J’en ai cons-
cience et je l’assume. C’est le prix à
payer pour élever le niveau de nos
élèves au collège », martèle-t-il.
« DÉGAGER UNE ÉLITE »
Si elles ont tout d’une démonstra-
tion de force, ces annonces lais-
sent néanmoins de nombreuses
questions en suspens, à commen-
cer par celle des moyens. L’instau-
ration des groupes de niveau,
pour qu’elle puisse se faire en ef-
fectifs réduits pour les élèves les
plus faibles, nécessitera des recru-
tements supplémentaires. Ga-
briel Attal a concédé qu’il faudrait
créer « plusieurs milliers de pos-
tes » d’ici à 2027. Pour la rentrée
2024, le temps presse : la réparti-
tion des moyens entre académies
doit être annoncée le 21 décembre.
Or le budget 2024 prévoit actuelle-
ment la suppression de 2 500 pos-
tes, dont 484 dans le second degré,
après plus de 6 000 depuis 2017.
Ces recrutements posent à nou-
veau avec acuité la question de
l’attractivité du métier d’ensei-
gnant. Plus de 1 100 postes en
moyenne ne sont pas pourvus
aux concours externes chaque
année depuis 2017, et les concours
en lettres modernes et en mathé-
matiques ne font pas le plein.
Comment attirer de nouveaux
candidats ? L’entourage de Gabriel
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Attal mise sur le chantier de l’at-
tractivité du métier d’enseignant,
qu’il a lancé en concertation avec
les organisations syndicales, et
sur lequel il devrait faire des an-
nonces début 2024.
Ces réformes ont suscité mardi
des critiques inquiètes de la part
des syndicats d’enseignants et de
plusieurs observateurs du sys-
tème scolaire. « Elles visent claire-
ment à détricoter le collège uni-
que », fustige Elisabeth Allain-
Moreno, secrétaire générale du
SE-UNSA. « Considérer que les
groupes de niveau ou des cours
supplémentaires seront la solu-
tion, alors qu’ils vont à rebours de
la recherche scientifique, qui a dé-
montré leur inefficacité, c’est du-
per les élèves et leurs familles », a
critiqué le syndicat dans un com-
muniqué.
Sophie Vénétitay, du SNES-FSU,
dénonce également des mesures
« inégalitaires » qui serviront
avant tout à « dégager une élite ».
« On accepte l’idée que, dès la 6e, les
élèves n’auront pas exactement ac-
cès aux mêmes parcours. On s’éloi-
gne de l’idée de faire réussir tous les
élèves ensemble », regrette la secré-
taire générale du premier syndicat
enseignant du secondaire, qui
avait plutôt plaidé pour une ré-
duction des effectifs de classe, les
plus élevés depuis quarante ans.
Au-delà des critiques sur la phi-
losophie de ces mesures, plu-
sieurs acteurs éducatifs s’inquiè-
tent qu’elles ne répondent pas à
l’un des problèmes majeurs du
système français. « Le ministre n’a
pas abordé le sujet des inégalités
alors que c’est l’un des principaux
enseignements de PISA », s’étonne
ainsi Claude Lelièvre. La France
se démarque en effet par un écart
particulièrement élevé entre les
résultats des élèves les plus favo-
risés, qui se rapprochent de ceux
des pays européens les plus per-
formants, et les élèves les plus dé-
favorisés, dont les scores sont
plus bas que dans les autres pays
de l’OCDE. p
sylvie lecherbonnier
et éléa pommiers

0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Les autres points-clés
du « choc des savoirs »
Nouveaux programmes en primaire, groupes
réduits au lycée professsionnel, la réforme
de Gabriel Attal se décline à tous les niveaux
L
es résultats de l’édition
2022 du Programme in-
ternational pour le suivi
des acquis des élèves
(PISA), étaient connus depuis
quelques minutes à peine lors-
que Gabriel Attal a levé le voile,
dans une lettre adressée aux en-
seignants mardi 5 décembre, sur
le « choc des savoirs » qu’il pro-
met depuis des mois. Le ministre
de l’éducation nationale, qui
avait mandaté une mission de
huit semaines pour préparer ses
mesures a ainsi présenté une ré-
forme d’ampleur du système
éducatif français centré sur un
objectif, érigé en « urgence natio-
nale » : le niveau des élèves.
« Nous avons décidé d’ouvrir une
nouvelle page pour notre école », a
lancé le ministre dans un discours
dessinant la philosophie de son
action. « Nous devons être plus exi-
geant », a-t-il martelé, « assu-
mant » de « dire la vérité » et d’en
« demander plus à nos élèves ».
Nouveaux programmes en pri-
maire, labellisation des manuels
scolaires, groupes réduits au lycée
professionnel… Au-delà du col-
lège, « l’électrochoc » promis par le
locataire de la rue de Grenelle se
décline aux autres niveaux.
Redonner le dernier mot aux
enseignants en matière de re-
doublement Gabriel Attal assure
vouloir « restaurer l’autorité de
l’expertise pédagogique » des en-
seignants. Le ministre de l’éduca-
tion s’engage à prendre un décret
« dès le premier trimestre 2024 »
qui « rendra à l’équipe pédagogi-
que – et non plus aux familles – le
dernier mot s’agissant du redou-
blement de l’élève ». Les ensei-
gnants pourront par ailleurs dé-
sormais « recommander voire
prescrire » à leurs élèves des sta-
ges de réussite durant les vacan-
ces scolaires, conditionnant leur
passage dans la classe supérieure.
Gabriel Attal assume ce retour
au redoublement, en particulier
du CP au CM2 : « mieux vaut réus-
sir sa scolarité élémentaire en
six ans plutôt que demeurer en
difficulté après cinq années ».
Aujourd’hui, 4,5 % des élèves re-
doublent à l’école primaire con-
tre un tiers des écoliers dans les
années 1980. Le coût et l’ineffica-
cité d’un redoublement réalisé
dans les mêmes conditions
avaient conduit Vincent Peillon à
inscrire son caractère « exception-
nel » dans la loi de 2013.
De nouveaux programmes en
primaire et une labellisation
des manuels Le ministre sou-
haite revoir l’ensemble du socle
commun, et aller vite. De nou-
veaux programmes s’applique-
ront à l’école primaire pour les
classes de la maternelle au CE2
dès septembre 2024, puis à la ren-
trée 2025 en CM1 et CM2. L’objec-
tif : « la simplification et la clarifi-
cation ». Alors que l’acquisition
des compétences dans les pro-
grammes fonctionne aujourd’hui
sur des cycles de trois ans, des
« objectifs annuels » voire « semi
annuels » figureront dans les nou-
velles moutures, ainsi que « le
choix clair de la pédagogie expli-
cite ». Des repères de culture géné-
rale seront également édictés.
Comme Gabriel Attal l’avait déjà
avancé avant même l’installation
de la mission « exigence des sa-
voirs », le ministère de l’éduca-
tion, par l’intermédiaire d’une
commission qui donnera sa place
aux enseignants de terrain, label-
lisera désormais des manuels sco-
laires « sur la base de la science ».
Alors que 60 % d’élèves de CP
france | 9
Désaccords autour du « haut
conseil des rémunérations »
Syndicats et patronat divergent sur les prérogatives de cette instance
U
n mois et demi après répondre aux attentes en matière entreprises en matière de salai- la CFE-CGC, Nicolas Blanc espère
avoir été annoncé par de pouvoir d’achat –, Mme Borne res », indique-t-on au Medef. « Il ne que le projet ne débouchera pas
l’exécutif, le « haut avait esquissé les contours de ce faut pas qu’elle vienne remplacer sur un « comité Théodule » dé-
conseil des rémuné- « haut conseil ». Sa mission, avait- ceux qui sont responsables des ré- pourvu de la moindre utilité.
rations » commence à voir le jour, elle dit, consistera entre autres à munérations, c’est-à-dire les parte- Luc Mathieu, secrétaire natio-
non sans provoquer des tiraille- « accompagner » les branches naires sociaux aux différents éche- nal de la CFDT, plaide, lui, pour
« CES MESURES BRIDENT ments. Le ministère du travail professionnelles pour qu’elles ré- lons », renchérit Pierre Burban, se- que le périmètre de cette struc-
COMPLÈTEMENT s’est entretenu, lundi 4 décembre,
avec les syndicats et le patronat au
visent régulièrement leurs con-
ventions collectives et mettent à
crétaire général de l’Union des en-
treprises de proximité. C’est une
ture soit élargi à des thèmes
comme les conditions de travail,
LES ENSEIGNANTS EN sujet de cette nouvelle instance, jour les classifications, afin de « ligne rouge », ajoute-t-il. les parcours professionnels… Son
qui fait partie des quelques mesu- prendre en compte la montée en homologue de Force ouvrière,
IMPOSANT DES MANUELS res dévoilées par la cheffe du gou- compétence des travailleurs. Il Risque du « millefeuille » Karen Gournay, met en garde sur
ET DES MÉTHODES » vernement, Elisabeth Borne, lors
de la conférence sociale, le 16 oc-
suivra aussi l’évolution des rému-
nérations, tout en prévenant le
La position patronale est jugée
trop restrictive par plusieurs res-
le risque du « millefeuille » : elle
rappelle qu’il existe déjà d’autres
GUISLAINE DAVID tobre. Les premières discussions « tassement des grilles » salariales ponsables syndicaux. « Si ce haut instances chargées de plancher
cosecrétaire générale et porte- montrent des divergences entre au voisinage du smic. conseil se limite à des diagnostics sur la question des rémunéra-
parole du Snuipp-FSU organisations de salariés et d’em- Autant d’orientations réaffir- sans émettre de propositions con- tions, telles que le groupe d’ex-
ployeurs, en particulier sur les at- mées lundi. Les représentants des crètes, il ne servira pas à grand- perts sur le smic, dont la dispari-
tributions de ce lieu de réflexion. employeurs ont insisté sur le fait chose », confie Cyril Chabanier, tion est d’ailleurs souhaitée par
n’ont pas de manuel, l’Etat aidera Les protagonistes ne partent que le cénacle en cours de cons- président de la CFTC. La vocation les syndicats (sauf la CFDT), car il
les collectivités territoriales à en pas d’une page planche. Lors de la truction devait se garder d’être de cet espace d’échange devrait répète, depuis des années, qu’il ne
financer pour la lecture et les ma- conférence sociale – un rendez- prescriptif. « Ça doit rester une ins- être de « rendre des avis et des re- faut pas donner de coup de pouce
thématiques en CP et CE1, à condi- vous proposé par Emmanuel tance technique, sans dimension commandations », abonde au salaire minimum. p
tion qu’ils soient labellisés. Macron pour faire un pas en di- politique, qui n’empiète pas sur les Thomas Vacheron, secrétaire bertrand bissuel
« Ce sont des mesures qui brident rection de la gauche et tenter de prérogatives des branches et des confédéral de la CGT. Au nom de et thibaud métais
complètement les enseignants en
imposant des manuels et des mé-
thodes », fustige Guislaine David,
du Snuipp-FSU. Le SE-UNSA dé-
nonce également une « attaque
faite à la liberté pédagogique des
enseignants avec des manuels la-
bellisés et imposés ».
Des groupes réduits au lycée
professionnel Les élèves seront
répartis dans des groupes à effec-
tifs réduits dans les matières gé-
nérales, en lycée professionnel.
Ces lycéens cumulent bien sou-
vent les fragilités sociales et sco-
laires. Plus de 40 % des élèves ne
maîtrisent pas les attendus en
français à l’entrée en 2de et pres-
que 70 % pour les mathémati-
ques. La ministre déléguée à l’en-
seignement professionnel, Ca-
role Grandjean, assure que ces
enseignements augmenteront
de 10 % en terminale, mais cela se
fera à moyens constants, par le
redéploiement d’heures consa-
crées à d’autres dispositifs,
comme la co-intervention, le fait
de faire intervenir deux profes-
seurs, l’un d’enseignement géné-
ral, l’autre d’enseignement pro-
fessionnel, dans le même cours.
Des syndicats de l’enseignement
professionnel craignent donc
une baisse des heures de cours fi-
nalement.
Un outil d’intelligence artifi-
cielle pour les élèves de 2de Tous
les nouveaux lycéens dispose-
ront à la maison d’un outil d’in-
telligence de remédiation ou
d’approfondissement en français
et en mathématiques. « Ce logi-
ciel souverain, construit avec des
chercheurs et des enseignants,
propriété du ministère de l’éduca-
tion nationale et de la jeunesse,
sera mis gratuitement à disposi-
tion de 200 000 élèves de 2de dès
les prochains mois, avant d’être
généralisé », assure le ministre.
« Un sursaut mathématique
Lainamac
pour l’école » Face à la chute des
résultats PISA en mathémati-
ques, M. Attal appelle à « un
grand sursaut mathématique
pour notre école ». Le ministre
Association de promotion
souhaite adopter progressive-
ment la méthode dite de Singa-
pour, plus concrète et mise en
œuvre dans 70 pays, à l’école pri-
maire afin d’« anticiper par exem- des filières lainières françaises
ple l’apprentissage des fractions
©Julie Limont
et des nombres décimaux dès la
classe de CE1 ».
Une épreuve anticipée d’ensei-
gnement scientifique au bac A
partir de l’année scolaire 2025-
2026, Gabriel Attal veut mettre en
place une nouvelle épreuve anti-
cipée du baccalauréat en fin de
classe de 1re générale et technolo-
gique consacrée aux mathémati-
ques et à la culture scientifique. p
sylvie lecherbonnier
et éléa pommiers
COMMUNIQUÉ JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023 ❶

www.grandanglesante.fr

© Christophe Peus 17-SFD / DR

Spécial Dermatologie
DE NOUVEAUX ESPOIRS
• TRIBUNE
Pr Gaëlle Quéreux
POUR LES PATIENTS
Chef du service de dermatologie Ces dernières années, les innovations thérapeutiques ont été nombreuses
au CHU de Nantes, Présidente en dermatologie, permettant de soulager des patients qui étaient en échec thérapeutique.
de la Société française
de dermatologie. Ces progrès concernent des pathologies cutanées fréquentes, parfois sévères.
RÉVOLUTION La recherche progresse rapidement et de Les biothérapies et les traitements ciblés
THÉRAPEUTIQUE nombreuses molécules au mécanisme
d’action innovant ont été récemment
sont aujourd’hui utilisés dans les formes
sévères de psoriasis et de dermatite ato-
DANS LE développées avec succès ou sont actuelle- pique par exemple, chez les adultes et
MÉLANOME ment testées dans diférentes indications
dermatologiques chez des malades en im-
même chez les enfants.
L’avènement de ces nouveaux traitements
Avec environ 18000 nouveaux cas passe thérapeutique. permet une rémission des symptômes et
par an en France,le mélanome reste On assiste à une véritable révolution thé- redonne de l’espoir à des malades épuisés,
le cancer cutané le plus agressif. rapeutique et les dermatologues espèrent qui parfois renoncent à se faire soigner
Son incidence ne cesse de croître et que tous les patients qui en ont besoin faute de résultats.Des millions de Français
il est responsable d’environ 2 000 pourront accéder à ces traitements. atteints de dermatoses inlammatoires
décès par an. Sa dangerosité résulte Les associations de patients très actives chroniques, handicapantes, souvent ai-
d’un risque de récidive ganglion- dans ce domaine sont une aide précieuse chantes, altérant leur qualité de vie et
naire et de métastase à distance. pour informer et diriger les malades. ayant un impact sur leur santé mentale

© Olga Ternavskaïa - stock.adobe.com DR

Heureusement, la majorité des Les avancées majeures dans la compré- (anxiété, dépression…), sont concernés.
mélanomes ne récidivent pas, s’ils hension des mécanismes physiopatho- En oncologie,l'immunothérapie et les thé-
sont pris en charge précocement, logiques impliqués dans les pathologies rapies ciblées ont également révolutionné
c’est-à-dire s’ils sont dépistés tôt. inlammatoires cutanées chroniques ont la prise en charge du mélanome métasta-
Il y a un peu plus d’une dizaine notamment permis la mise au point de tique et ont amélioré le pronostic vital des
d’années, il n’y avait que la chimio- traitements ciblant un ou plusieurs axes patients.
thérapie dans le traitement des de l’inlammation (anti-TNF, anti-IL4, IL12, Citons encore, le vitiligo, la pelade, le zona,
mélanomes métastatiques et la IL23, IL17, IL6…), menant à des progrès pathologies pour lesquelles des innova-
médiane de survie était très faible, considérables en termes d’eicacité. tions arrivent. • Christine Fallet
de l’ordre de six mois.
Puis, sont arrivées les immuno-
thérapies et les thérapies ciblées Eczéma chronique des mains • UN Recherche • METTRE
L’ACCENT
(anti-BRAF + anti-MEK) qui ont
radicalement changé la donne et HANDICAP AU QUOTIDIEN SUR LES MALADIES
ont permis d’augmenter fortement
– de plusieurs années – la survie des Un adulte sur dix est concerné par INFLAMMATOIRES DE LA PEAU
personnes atteintes de mélanomes l’eczéma chronique des mains (ECM),
métastatiques. dermatose inlammatoire douloureuse Acteur incontournable en dermatologie médicale,
Une deuxième étape a été franchie et handicapante, qui peut afecter LEO Pharma s’engage pleinement pour pouvoir
en 2018, lorsqu’on a pu démontrer la vie sociale et professionnelle proposer de nouveaux traitements aux patients qui
que,si l’on traitait par immunothé-
des patients. Explications du en ont le plus besoin. Pour atteindre cet objectif,
rapie ou thérapie ciblée un méla- le laboratoire vient de réinventer sa recherche.
nome au stade ganglionnaire, on Dr Marie-Noëlle Crépy, dermatologue
divisait par deux le risque de mé- et allergologue à l’Hôtel-Dieu Interview du Pr Jacob Thyssen, Directeur scientiique
LEO Pharma.
© DR

tastase à distance. et à l’hôpital Cochin (Paris).

Enin, plus récemment, en utili- Pouvez-vous rappeler universités, les sociétés biotechno-
sant encore plus tôt l’immunothé- Comment déinissez-vous l’ECM ? l’agro-alimentaire.La cause de l’ECM brièvement l’histoire de la logiques et biopharmaceutiques.
rapie pour un mélanome cutané On parle d’eczéma chronique des peut aussi être endogène, c’est le cas recherche LEO Pharma ? Nous avons déjà des partenaires,
localisé à fort risque de récidive mains devant un eczéma localisé de l’atopie. Le plus souvent, l’étiolo- LEO Pharma place la recherche et mais nous en aurons plus à l’avenir,
(stade II B, II C), c’est-à-dire selon aux mains et aux poignets persis- gie est multifactorielle rendant la le développement au cœur de son à la fois pour des molécules pro-
le critère histologique (épaisseur tant plus de trois mois ou ayant réci- prise en charge complexe. activité pour découvrir sans cesse metteuses découvertes en interne,
de Breslow), une tumeur comprise divé au moins deux fois dans l’année. de nouvelles molécules en derma- mais aussi pour d’autres décou-
entre 2 et 4 mm avec ulcération Les principaux symptômes sont des En quoi consiste le suivi tologie. Au début, le laboratoire se vertes ou développées en dehors de
ou une tumeur supérieure à 4 mm démangeaisons parfois très impor- médical des patients ? concentrait, avec ses équipes, sur les la recherche LEO Pharma.
d’épaisseur ulcérée ou non, on a tantes qui peuvent réveiller la nuit et Il est essentiel d’identiier les irri- médicaments topiques
© S. Hockstein/HarvardStudio-LEO Pharma / DR

montré que l’on diminuait le risque desdouleursquiimpactentlaviequo- tants et/ou les allergènes (interro- à la fois pour les mala- Quel est votre
d’évolution vers une atteinte gan- tidienne. D’un point de vue clinique, gatoire détaillé, bilan allergologique dies inlammatoires de objectif ?
glionnaire et métastatique à dis- l’ECM associe, à des degrés divers, adapté, etc.) pour pouvoir les sup- la peau,mais aussi pour Nous voulons aider les
tance. érythème, œdème, vésicules, des- primer aussi bien au domicile qu’au les dermatoses précan- patients soufrant de
Ainsi, grâce aux avancées considé- quamation, croûtes, issures, hyper- travail.Le but est de prévenir les réci- céreuses comme la pathologies dermatolo-
rables de la recherche clinique, on kératose, qui ont un retentissement dives. L’éducation thérapeutique doit kératose actinique. En giques pour lesquelles
a pu remonter les lignes de traite- sur la qualité de vie et sur la vie per- prendre toute sa place ain que le pa- 2016, nous avons pris les besoins médicaux
ment en partant du stade le plus sonnelle, sociale et professionnelle tient devienne acteur de sa maladie. un virage dans les trai- ne sont pas satisfaits
grave,métastatique,au stade locali- (arrêt de travail, reclassement pro- Il est essentiel de la traiter tôt et ei- tements biologiques et et sur lesquelles les
sé.Ces progrès réalisés en dermato- fessionnel,chômage). cacement pour éviter le passage à la lancé, les années qui grandes sociétés phar-
logie ont été transposés avec succès chronicité. Pour un eczéma léger, un ont suivi,nos premières Pr Jacob Thyssen maceutiques ne se
dans les autres cancers du poumon, Pourquoi l’incidence sur la vie pro- traitement local peut suire. Mais il biothérapies dans le psoriasis et la sont pas forcément penchées. Nous
du rein, etc. fessionnelle est-elle si importante ? existe des formes plus sévères qui né- dermatite atopique avec un parte- n’excluons aucune pathologie, mais
Les autres cancers cutanés, car- L’ECM peut être provoqué par l’ex- cessitent un traitement systémique. naire. nous mettrons l’accent sur les ma-
cinomes épidermoïdes et baso- position à des facteurs exogènes ladies inlammatoires de la peau.
cellulaires, bénéicient aussi au- irritants (eczéma de contact irritatif) Vers quoi s’oriente la recherche ? Aujourd’hui, comment faites-vous Nous pensons avoir la force de nous
jourd’hui des thérapies innovantes tels que les savons,les détergents,les Des recherches sont en cours, évoluer votre structure de R & D ? diférencier par notre position en
telles que l’immunothérapie et la frictions mécaniques, et/ou allergi- notamment des études transcripto- Nous avons fait le choix d'externa- dermatologie, notre appartenance
thérapie ciblée. sants (eczéma de contact allergique) miques, pour mieux comprendre les liser davantage la recherche de l’in- à la Fondation LEO et nos connais-
La dermatologie connaît actuelle- comme les substances parfumantes causes de l’ECM, les prévenir et les novation. Nous conservons notre sances des besoins des patients.
ment de grandes innovations dans et les agents anti-microbiens, les traiter. De nouveaux médicaments expertise interne en sciences fonda- Nous avons, par exemple, actuelle-
de nombreux domaines en dehors additifs des gants et les métaux. innovants par voie topique ou systé- mentales, en biologie de la peau, en ment en développement, un inhi-
du champ de la cancérologie (pso- Il existe ainsi de nombreuses pro- mique sont d’ailleurs actuellement chimie et en toxicologie pour pou- biteur pan-JAK topique qui a déjà
riasis, dermatite atopique, vitiligo, fessions à risque : coifeur, esthéti- en développement avec des résultats voir évaluer l’innovation externe. montré des résultats très encoura-
maladie de Verneuil…),un véritable cienne, soignant, professionnel du prometteurs, notamment dans les Nous voulons être un partenaire geants dans l’eczéma chronique des
espoir pour les patients. • nettoyage, de la construction et de formes plus sévères. • C. F. privilégié en dermatologie pour les mains modéré à sévère. • C. F.
 JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023 ❷
Communiqué spécial Dermatologie

Dermocosmétique et cancer • SOULAGER LES EFFETS SECONDAIRES CUTANÉS

Les efets indésirables cutanés touchent près de 80 % des personnes traitées pour un cancer
et ils ont un impact physique, psychologique et social important. Des soins dermocosmétiques
spécialisés et adaptés peuvent aider à les soulager. Eclairage du Pr Marie Beylot-Barry,
dermatologue, membre du Groupe d'experts Freskimo*.
© La Roche-Posay / DR

efets sont variables selon les médi-
caments, les doses administrées et la
sensibilité de chacun,mais on estime
que 8 personnes sur 10 en soufrent
avec, en moyenne, quatre manifes-
Les traitements anti-cancéreux, tations. Les principaux efets indé-
chimiothérapies, radiothérapies et sirables sont la perte des cheveux,
plus encore les thérapies ciblées la sécheresse cutanée, les déman-
peuvent entraîner des efets indési- geaisons, les sensations de brûlure,
rables cutanés, parfois invalidants l’hyper- ou l’hypopigmentation, les
et diiciles à supporter pour les per- éruptions cutanées, le syndrome
sonnes touchées par le cancer. Ces main-pied,les atteintes des ongles,les
allergies cutanées… De nombreuses
études scientiiques ont montré que
les efets indésirables cutanés, en
particulier lorsqu’ils sont visibles,
conduisent à une moins bonne ad-
hésion au traitement, voire à son
interruption, et entraînent un mal-
être psychique pouvant conduire à
une grande détresse psychosociale
(perte d’estime de soi,isolement…).
La gestion des efets indésirables
cutanés des traitements, tant sur le
plan physique que psychique, social, sibles, la poursuite du traitement
familial ou professionnel, est très anti-cancéreux souvent incontour-
importante dans l’accompagnement nable,relève la Pr Marie Beylot-Barry.
du traitement du cancer, et ce, dès le Le groupe de travail Freskimo*
début de la maladie, en complément dont je fais partie, s'est attaché, à
de la prise en charge médicale. la lumière des données de la lit-
« Aider à anticiper ces efets indési- térature disponibles et de l'expé-
rables cutanés, à les prévenir et à les rience de ses membres, à proposer
diminuer par un accompagnement des stratégies de soins dermo-
dermocosmétique personnalisé est cosmétiques adaptées à ces efets
un enjeu important pour permettre, indésirables cutanés.» • C. F.
dans les meilleures conditions pos- * French Skin Management in Oncology

Accompagnement • AMÉLIORER LA QUALITÉ DE VIE Prise en charge •

LE RÔLE
DES PERSONNES TOUCHÉES PAR LE CANCER ESSENTIEL DES
Qu’entend-on par soins de support ? Les soins de support sont Qu’englobent-ils ? PROFESSIONNELS DE SANTÉ
Les soins de support désignent l’en- essentiels dans la prise Parmi les soins de support,on trouve
semble des soins et soutiens néces- la prise en charge de la douleur, Deux questions au Dr Delphine Kerob, dermatologue,
saires aux patients, tout au long de
en charge des patients la prise en charge nutritionnelle, Directrice scientiique de La Roche-Posay International.
leur maladie, conjointement aux atteints de cancer pour l’accompagnement psychologique,
traitements spéciiques du cancer. leur permettre de vivre la pratique d’une activité physique Comment aider à la prise en charge
Ils sont proposés dès le début de avec la maladie dans les adaptée, l’amélioration de l’image des effets secondaires cutanés
la prise en charge (dispositif d’an- meilleures conditions de soi… Certains soins peuvent des traitements anti-cancer ?
nonce), pendant et après le traite- possibles. Le point avec être pris en charge dans le « panier En complément de la prise en charge médi-
ment. La manière de soigner un pa- de soins de support » à hauteur de cale, il est judicieux de conseiller aux per-
tient a changé et l’on parle mainte-
Le Pr Ivan Krakowski, 180 euros dans l’année qui suit le sonnes traitées pour un cancer des produits
nant de « cancérologie intégrative ». pionnier des soins traitement.Ce panier est insuisant dermocosmétiques adaptés à leurs besoins,
Cette approche se recentre sur les de support, oncologue et l’Afsos se bat pour son augmen- accompagnés d’une gestuelle optimale.Cela

© La Roche-Posay/ DR
besoins du patient en associant les médical, fondateur de tation. Par ailleurs, il y a beaucoup passe par une double prise de conscience des
traitements médicaux spéciiques l’Association francophone d’ofres de pratiques non médica- professionnels de santé et des soignants :
du cancer et les soins de support. pour les soins oncologiques menteuses et il est très important prise de conscience de l’impact des efets
que ces diférentes pratiques soient secondaires des traitements sur la qualité
Quel est leur intérêt ?
de support (Afsos). évaluées. C’est ainsi que l’Afsos avec de vie des patients et prise de conscience des efets bénéiques des soins
Nous sommes aujourd’hui face à les centres de lutte contre le can- dermocosmétiques et du toucher.
une ère nouvelle, liée aux progrès cer mènent des essais pour évaluer Par conséquent, il est urgent, d’une part, de former les professionnels de
thérapeutiques en oncologie.La sur- leur eicacité : l’hypno-analgésie, la santé et les soignants aux efets des traitements du cancer sur la peau et les
vie des patients, même à des stades méditation en pleine conscience,les phanères, aux soins de support pouvant les soulager et aux soins dermo-
avancés, augmente et il convient de cures thermales, par exemple, ont cosmétiques spéciiquement conçus à cet efet et, d’autre part, d’informer
gérer pendant de longues périodes montré leur intérêt dans certaines les personnes traitées pour un cancer et les aidants sur l’existence des soins
de plus en plus de symptômes indications. L’Afsos établit aussi des de support et sur le formidable pouvoir réparateur du toucher.
liés à la maladie ou au traitement. référentiels de bonne pratique, der-
L’objectif est de diminuer les efets nièrement sur le métier de socio- Quels sont les effets bénéiques du toucher dans les soins de support ?
secondaires des traitements et les esthéticienne en cancérologie. Les bienfaits du toucher améliorent de manière signiicative l’anxiété et la
efets de la maladie ain d’assurer Enin, les associations de patients douleur et, globalement, la qualité de soins.
© La Roche-Posay / DR

une meilleure qualité de vie pos- jouent un rôle très important et le Des bienfaits qui s’appliquent naturellement aux personnes soufrant de
sible aux patients et à leurs proches, site lavieautour.fr permet au patient lésions cutanées liées à leur traitement anticancéreux : soulagement de
sur le plan physique, psychologique de voir rapidement l’ofre de soins de la douleur, renforcement du système immunitaire, réduction de l'anxiété,
et social, en prenant en compte la support disponible à proximité de amélioration de l'humeur et renforcement de la relation patient-soignant
diversité de leurs besoins. son lieu de résidence. • C. F. et patient-aidant. • C. F.

Bienfaits de la cure thermale post-cancer Sensibilisation •

FAVORISER LA
à La Roche-Posay
Premier centre thermal post-cancer en France, le Centre thermal de TOLÉRANCE ET L’OBSERVANCE
La Roche-Posay a accueilli depuis sa création, il y a plus de quinze ans,
environ 20 000 patients présentant des séquelles cutanées de
DES TRAITEMENTS CONTRE
traitements oncologiques (quelle que soit la localisation du cancer). LE CANCER
La cure thermale post-cancer est reconnue comme un soin de support dans l’après-
cancer et elle est conseillée par les équipes soignantes des centres de cancérolo-
Retour sur le dispositif national du
gie. Une étude clinique randomisée (étude Senotherme), menée de 2014 à 2018 « Pouvoir réparateur du toucher », avec Santiago Flipo,
chez 120 patientes traitées pour un cancer du sein par chirurgie, radiothérapie Directeur général La Roche-Posay.
et/ou chimiothérapie, a démontré les bénéfices de la cure sur la douleur, la xérose
© La Roche Posay / DR

et les cicatrices, mais aussi sur la santé globale et la qualité de vie des femmes,
Pourquoi avoir lancé une Quelles actions avez-vous menées
montrant l’importance des soins de support dans les traitements post-cancer.
campagne de sensibilisation autour auprès du grand public et auprès
Une équipe pluridisciplinaire, composée de dermatologues, de kinésithérapeutes,
du pouvoir réparateur du toucher ? des professionnels de santé ?
d’une éducatrice spécialisée, d’une diététicienne, d’une experte en maquillage
En tant que laboratoire engagé de- L’objectif de cette campagne, et de
correcteur, d’une éducatrice médico-sportive, et d’une sophrologue, est à l’écoute
puis plus de vingt-cinq ans en onco- l'engagement de La Roche-Posay en
des besoins spécifiques des curistes pour leur apporter des réponses adaptées.
logie, il nous semblait essentiel que oncologie de manière générale, est sur le mois de juin.
« Les soins thermaux sont réalisés à base d’eau thermale de La Roche-Posay dont
La Roche-Posay sensibilise les pro- d’aider à améliorer la qualité de vie – d’autre part, 13 journées d’ateliers
les vertus cicatrisantes, adoucissantes et apaisantes ont été démontrées par de fessionnels de santé, les patients et des patients sous traitement anti- de soins de supports à destination
nombreuses études cliniques, souligne Julien Prince, Directeur général de la Cure leurs aidants ainsi que le grand pu- cancer ain de favoriser la tolérance de près de 500 patients et de leurs
thermale de La Roche-Posay. • C. F.
blic sur les efets indésirables sur la et l’observance de leurs traitements. aidants, avec des ateliers de socio-
peau des traitements contre le can- En mai et juin, nous avons donc esthétique, de nutrition, de yoga, de
cer, et les solutions d’accompagne- lancé diférentes actions dans toute psychologie…
© David Darrault 2022-La Roche Posay / DR

ment qui existent pour les prévenir
et les améliorer. Nous l’avons fait
avec nos partenaires : la Société sa-
vante des soins oncologiques de sup-
port, l'Association francophone des
soins de support (Afsos), l'Associa-
tion de patients RoseUp et la Société
francophone des sciences pharma-
ceutiques oicinales (SFSPO).
la France pour toucher le plus grand – et enin, une campagne de com-
nombre : munication grand public avec no-
– d’une part, 12 soirées de formation tamment la difusion d’un ilm sur
pour les professionnels de santé « Le Pouvoir réparateur du toucher »
(oncologues, dermatologues, méde- à la télévision et sur Internet pour
cins, pharmaciens, inirmières…) à sensibiliser sur le rôle des soins
la prise en charge des toxicités cuta- dermocosmétiques dans l'accompa-
nées. Plus de 1 200 professionnels gnement des traitements contre le
ont été formés par La Roche-Posay cancer. • C. F.
❸ JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Biothérapies •
INFLAMMATOIRES DERMATOLOGIQUES
© Celltrion Healthcare France / DR
Dr Salim Benkhalifa
Quel est le poids des maladies
inlammatoires en dermatologie ?
Dr Salim Benkhalifa Environ un
tiers des Français déclarent avoir
ou avoir eu au moins un problème
ou une maladie de peau au cours
des douze derniers mois, soit
16 millions de Français, selon une
enquête de la Société française de
Dermatologie. Parmi les maladies
inlammatoires chroniques, le pso-
riasis est la plus fréquente,avec 4 %
de la population en France touchée.
L’urticaire chronique touche 1 %
de la population et la maladie de
Verneuil (hidradénite suppurée),
plus rare, concerne 0,15 % à 1 % de
la population. Les points communs
entre toutes ces pathologies sont
leur fort impact sur la qualité de
Prévention • LE ZONA AUGMENTE
AVEC L’AVANCÉE EN ÂGE
Le zona peut entraîner des complications invalidantes, notamment
de fortes douleurs pouvant persister à long terme. Il apparaît plus
fréquemment chez les personnes âgées et immunodéprimées.
Il est possible de s’en protéger par la vaccination, comme l’explique
le Dr Emmanuel Faure, infectiologue à l’hôpital Claude Huriez, à Lille.
Qui est à risque de
contracter un zona ?
Le zona est dû à la réactivation du
virus varicelle-zona (herpès zoster).
Après la varicelle, infection très
fréquente dans l’enfance, le virus
reste latent dans l’organisme,
logé dans les ganglions nerveux.
Au il des ans, il est bloqué, comme
d’autres virus, par l’action du sys-
tème immunitaire. Mais avec l’âge,
les défenses immunitaires dimi-
nuent (immuno-sénescence), elles
contrôlent moins la réplication
virale et le zona risque d’apparaître.
Les principaux facteurs de risque
sont l’âge (augmentation des cas
à partir de 50 ans) et l’immuno-
suppression liée à une maladie (can-
cer, maladies inlammatoires chro-
niques, VIH, insuisance rénale
chronique, grefe d’organe…) ou un
traitement immunosuppresseur
(chimiothérapie anti-cancéreuse,
biothérapie,immunothérapie…).
Le zona est-il fréquent ?
L’incidence du zona augmente très
rapidement avec l’âge, à partir de
la cinquantaine. Avant 50 ans, son
incidence annuelle est de 1 à 2 cas sur
1 000 patients par an ; à 65 ans, elle
est de 8 cas sur 1 000 patients par an
(soit 4 fois plus) et à 75-80 ans son
incidence est multipliée par 6 à 8.
Quels sont les symptômes ?
Le virus varicelle-zona est en la-
tence dans les ganglions nerveux
et migrent par les ibres sensitives
DES BIOSIMILAIRES POUR LES MALADIES
La prise en charge des maladies inlammatoires chroniques
en dermatologie a fait d’énormes progrès, notamment grâce
aux biothérapies. En mettant au point des biosimilaires,
Celltrion Healthcare facilite l’accès à ces thérapies innovantes tout en
générant des économies pour les systèmes de santé. Entretien avec
le Dr Salim Benkhalifa, Directeur médical de Celltrion Healthcare France,
et Rositsa Desjardin, Directrice Marketing et Relations publiques.
vie et leurs symptômes associant
démangeaisons, rougeurs… Ce sont
des maladies très invalidantes, ai-
chantes, que les patients cherchent
à cacher par peur de la stigmatisa-
tion.
Quels sont les progrès dans
leur prise en charge ?
Dr S. B. Ces maladies se présentent,
selon leur gravité, sous des formes
légères ou des formes modérées à
sévères, plus diiciles à traiter et
pour lesquelles des progrès signi-
icatifs ont été accomplis depuis
les années 2000 avec l’arrivée des
biothérapies. Les premières biothé-
rapies ont permis d’obtenir chez
environ 10 % des patients atteints
de psoriasis une rémission complète
et chez 60 à 75 % une amélioration
signiicative. Puis, il y a une dizaine
d’années, est apparue une deu-
xième génération de biothérapies
© GSK / DR
« Le zona entraîne parfois
de graves complications.
Les douleurs post-
zostériennes peuvent
persister des mois, voire des
années après la guérison. »
Dr Emmanuel Faure
jusqu’à la peau. Le zona le plus fré-
quent sera donc localisé dans la
zone innervée par ses ibres appe-
lée dermatome, localisée sur un
seul côté. Le plus fréquent est situé
au niveau de la cage thoracique sur
le trajet du nerf intercostal ou au
niveau du visage, sur le trajet du
nerf trijumeau, ce qui peut entraî-
ner l’atteinte d’un œil. Les premiers
symptômes sont une sensation de
brûlure et de picotements, avant
l’apparition des lésions cutanées,
au niveau de la zone atteinte. Puis
apparaissent des petites vésicules
caractéristiques et une douleur très
Communiqué spécial
permettant un meilleur contrôle de
la maladie : plus d’un patient sur
deux voit ses plaques de psoriasis
disparaître complètement, entraî-
nant une nette amélioration de sa
qualité de vie. Dans l’urticaire chro-
nique, également, les données en
vie réelle montrent que près de 70 %
des patients traités par biothérapies
obtiennent une réponse complète.
Enin, dans la maladie de Verneuil,
les biothérapies donnent aussi de
bons résultats. De nombreux traite-
ments biologiques eicaces et bien
tolérés sont aujourd’hui disponibles.
Quel est l’intérêt des biosimilaires ?
Rositsa Desjardin Un biosimilaire
est une copie d’un médicament bio-
logique de référence dont le brevet
est tombé dans le domaine public.
Pour obtenir l’autorisation de mise
sur le marché un biosimilaire doit
répondre à des exigences réglemen-
invalidante. D’ordinaire, après la
formation des croûtes, la peau cica-
trise et redevient normale en deux
ou trois semaines. Mais le principal
problème est que la douleur peut
rester, elle est neuropathique, c’est-
à-dire liée à la lésion du nerf.
Y a-t-il des complications ?
Le zona entraîne parfois de graves
complications. Les douleurs post-
zostériennes peuvent persister des
mois, voire des années après la gué-
rison. Et chez les personnes âgées,
elles peuvent être très invalidantes,
entraîner une grabatisation ou faire
décompenser une maladie sous-
jacente.
Dans le cas d’un zona ophtalmique,
les complications peuvent être aussi
très graves : kératite, uvéite, baisse
de l’acuité visuelle ou cécité…
Enin, il existe des zonas générali-
sés qui apparaissent chez des per-
sonnes immunodéprimées et, plus
rarement, des zonas d’organes, aux
conséquences dramatiques comme
lorsque celui-ci atteint le cerveau.
Existe-t-il des moyens
de prévenir le zona ?
Un traitement antiviral peut être,
selon les cas, prescrit au tout début
de l’éruption. Il diminue les lésions
cutanées, mais il n’agit que peu ou
pas sur les douleurs. Le seul moyen
préventif est la vaccination, qui
permet de prévenir l’apparition des
lésions et, surtout, de prévenir les
douleurs post-zostériennes. • C. F.
Dermatologie
© Celltrion Healthcare France / DR
taires strictes et démontrer une
eicacité, une tolérance et une qua-
lité équivalentes au médicament de Rositsa Desjardin
référence. Aujourd’hui, un médica-
ment sur deux en développement la satisfaction globale des patients
est une biothérapie, et les biothéra- par rapport à leur traitement. Les
pies représenteront 50 % des molé- premiers résultats sont encoura-
cules les plus prescrites d’ici à 2025. geants et seront communiqués aux
Compte tenu de la prescription prochains congrès scientiiques.
croissante des traitements biolo-
giques, l’utilisation de biosimilaires Quels sont les objectifs de Celltrion
est une avancée nécessaire, car elle Healthcare en dermatologie ?
permet de baisser la pression bud- Dr S. B. Celltrion Healthcare est le
gétaire sur le système de santé. premier laboratoire à avoir déve-
loppé un anticorps monoclonal bio-
Quelles sont les spéciicités similaire. L’objectif de l’entreprise
de vos biosimilaires ? est de lancer un biosimilaire par an
R. D. Notre volonté est d’ofrir des durant les dix prochaines années et
biothérapies répondant au mieux de se développer en dermatologie
aux attentes des patients et des avec, prochainement, un troisième
médecins. C’est ainsi que le labora- biosimilaire indiqué dans le psoria-
toire réalise, en collaboration avec sis. Deux autres biosimilaires sont
des associations de patients, des en développement à l’horizon 2025.
études de vraie vie visant à évaluer • Propos recueillis par C. F.
Dermatite atopique •
REPRENDRE SA VIE
EN MAIN
Le Dr Claire Thénié,de la direction médicale
de Sanoi France,fait le point sur cette pathologie
de mieux en mieux prise en charge.
Caractérisée par une anomalie de 1991. Aujourd’hui, la vie des patients
la réponse immunitaire et une est radicalement transformée et
déicience de la barrière cutanée, nos eforts continuent. Nous allons
la dermatite atopique est une des bientôt avoir la capacité de traiter les
maladies dermatologiques les plus nourrissons dès 6 mois.En parallèle,
fréquentes. Plus de 300 000 patients nous nous intéressons à d’autres
en France soufrent d’une forme mo- maladies de peau sans solution
dérée à sévère, avec des manifesta- telles que le prurigo nodulaire.
tions complexes à vivre au quotidien. Au-delà du traitement, l’enjeu est
« Cette forme grave d’eczéma se tra- d’améliorer l’information et l’édu-
duit par des déman- cation des patients
geaisons intenses, sur la gestion de
des rougeurs et lé- leur maladie, mais
sions récurrentes qui également de ré-
peuvent se compli- duire les délais
quer en surinfections. d’accès aux consul-
Pour les patients,c’est tations en dermato-
un fardeau quotidien, logie. De nombreux
avec de forts retentis- centres d’expertise
sements sur la qua- en dermatite atopi-
lité de vie, » explique que se sont dévelop-
© Sanofi / DR
le Dr Claire Thénié. pés en France. Il est
A l’occasion de la important de favo-
Journée mondiale de riser une approche
la Dermatite atopique Dr Claire Thénié collective. « Nous
qui s’est tenue le 14 septembre, un accompagnons les associations,
sondage Ifop a clairement illustré qui jouent un rôle fondamental
le vécu diicile des patients : 67 % pour aider les malades à reprendre
font part d’une intense anxiété, 73 % leur vie en main, indique Claire
indiquent avoir subi des moqueries Thénié. Sanoi soutient notam-
à l’école et plus d’un tiers des per- ment la Journée mondiale, ainsi
sonnes atteintes d’eczéma ont déjà que des événements comme la
dû renoncer à pratiquer un sport. PEAUsitive Race, organisée par
De nouvelles recherches ont révolu- l’Association Française de l’Eczéma.
tionné, ces dernières années, la prise L’engagement de Sanoi s’exprime
en charge de la maladie. Pionnier, en efet par une culture centrée sur
Sanoi s’est engagé très tôt aux côtés le patient. L’immunologie est une
des professionnels et des patients de nos priorités dans la stratégie
pour mieux les faire connaître. En de l'entreprise ; notre pipeline dans
ce qui concerne les traitements sys- ce domaine ofre de belles perspec-
témiques de la dermatite atopique,il tives pour les années à venir.»
n’y avait pas eu d’innovation depuis • Stéphane Corenc

DES PROGRÈS SIGNIFICATIFS
Nouvelles approches thérapeutiques •
DANS LA PRISE EN CHARGE DES MALADIES INFLAMMATOIRES
CHRONIQUES DE LA PEAU
Claire Roussel, Directrice médicale d’AbbVie, revient sur l’engagement du groupe
dans la prise en charge des dermatoses inlammatoires chroniques et plus particulièrement
sur l’accélération actuelle des progrès thérapeutiques en dermatologie.
Où en est-on dans la prise en charge
des maladies inlammatoires
chroniques de la peau ?
Les dermatoses inlammatoires
chroniques comme le psoriasis, la
dermatite atopique (aussi connue
sous le nom d’eczéma atopique), les
pelades, le vitiligo ou la maladie de
Verneuil (ou hidradénite suppura-
tive) sont des pathologies associées
à un lourd fardeau pour les patients
et leurs proches.Ces afections sont
invalidantes et d’autant plus dii-
ciles à vivre qu’elles sont visibles,
ont des répercussions sur l’estime
de soi et les relations sociales. Ces
répercussions, chez les personnes
atteintes de psoriasis par exemple,
peuvent conduire à l’isolement et
mener à un état dépressif dans 30 à
40 % des cas(1). Autre exemple, chez
L’eczéma touche environ
2,5 millions de personnes
en France(2), ce qui en fait une
maladie relativement courante.
Les patients rencontrent-ils des
diicultés dans leur parcours ?
Oui, absolument, le problème étant
principalement le manque de der-
matologues. Cette spécialité a vu
le nombre de ses médecins fondre
en quelques années, au détriment
du parcours de soins des patients.
Ainsi, le patient qui est sorti du cir-
cuit, car son eczéma l’a laissé tran-
quille quelque temps et qui rechute
brutalement, tout comme celui qui
connaît une poussée ou encore qui
veut rediscuter de son traitement
Daté du jeudi 7 décembre 2023, Grand Angle est édité par CommÉdition • Directeur général Éric Lista • CommÉdition, agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Christine Fallet
LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT.
les adolescents,où le retentissement
sur le parcours scolaire peut être
grave, voire entraîner une déscolari-
sation(2).
Ce sont des pathologies cutanées
qui présentent des physiopatho-
logies et tableaux cliniques spéci-
iques. Elles se caractérisent toutes
globalement par une réponse ina-
daptée du système immunitaire
avec une « cascade » inlammatoire
disproportionnée excessive.
Des années de recherche approfon-
die des mécanismes biologiques
impliqués aboutissent aujourd’hui
à des changements importants de
l’arsenal thérapeutique.
Qu’est-ce qui est à l’origine de
cette évolution thérapeutique ?
Mieux comprendre et établir le rôle
ont le plus grand mal aujourd’hui à
trouver un dermatologue et à obte-
nir un rendez-vous rapidement. Le
médecin généraliste est certes un
relais entre deux consultations avec
le dermatologue, mais, là encore, les
rendez-vous sont longs à obtenir,
surtout en province. Hélas, on conti-
nue à minimiser l’impact de l’eczéma
sur le quotidien des patients et il faut
bien comprendre que le patient
soufrant d’eczéma a besoin d’un
suivi régulier et de qualité.
Votre association, l’Association
Française de l’Eczéma,existe depuis
douze ans. Quelle est son action ?
Nous existons tout d’abord pour
et Stéphane Corenc • Secrétariat de rédaction Iris Mondrian • Maquette & réalisation Aline Joly (andie.j) •
Communiqué spécial
de molécules clés des diférentes
voies de signalisation des méca-
nismes inlammatoires a été déter-
minant. Prenons deux exemples : le
psoriasis et la dermatite atopique.
Le psoriasis est une maladie in-
lammatoire chronique cutanée
fréquente, responsable de plaques
érythémateuses et squameuses.
L’inlammation à l’origine des lé-
sions résulte notamment de l’ex-
pression de cytokines pro-inlam-
matoires appelées interleukines
(IL), qui agissent comme des mes-
sagers qui vont surstimuler le sys-
tème immunitaire(3). La recherche
a eu pour objectif de sélectionner
certaines de ces cytokines comme
cible thérapeutique et de développer
des traitements ciblés capables de
bloquer le cycle inlammatoire qui
entretient la maladie psoriasique.
Concrètement, cela signiie qu’avec
ces traitements les plaques de pso-
riasis peuvent régresser et être
contrôlées. Il s’agit d’une avancée
notable dans la prise en charge de
cette maladie(1).
Concernant la dermatite atopique
qui présente des caractéristiques
biologiques diférentes, et est res-
ponsable en particulier d’un prurit
majeur, il a été mis en évidence l’in-
térêt d’explorer une voie de signa-
lisation intracellulaire impliquant
de petites protéines dites « Janus
Kinase » (JAK), voie de régulation
des pro-cytokines inlammatoires.
Une cible thérapeutique pour la-
quelle les traitements inhibiteurs
sont déjà développés dans d’autres
• AU PLUS PRÈS DU RESSENTI ET DES
BESOINS DES MALADES
L’eczéma atopique est la deuxième maladie
de peau la plus fréquente en France(1). Pourtant,
son impact sur le quotidien des malades
reste encore mal connu. Voilà pourquoi il est
important de continuer à communiquer sur
le fardeau et le vécu des patients atteints
de cette maladie chronique. Rencontre avec
Stéphanie Merhand, Fondatrice et Directrice
de l’Association Française de l’Eczéma.
informer les patients, soutenir la
recherche, participer à l’éducation
thérapeutique des malades,défendre
leurs droits, les mettre en relation
et, bien sûr, les sortir de l’isolement.
Cela, nous le faisons notamment
au travers d’une Journée nationale
de l’Eczéma, de notre site Internet
associationeczema.fr, de podcasts
et de magazines. Mais nous devons
également de plus en plus pallier le
manque d’information ressenti par
les patients entre deux consultations
chez le dermatologue.Nous recevons
énormément d’appels au secours de
patients qui ont besoin de conseils et
se sentent isolés. Comme je l’ai déjà
évoqué, la chute libre du nombre de
Dermatologie
pathologies inlammatoires. Ces
nouvelles options thérapeutiques
capables d’agir sur les symptômes
de la maladie modiient le vécu des
personnes atteintes de dermatite
atopique(4).
Ces avancées ouvrent-elles
la voie à de nouvelles options
thérapeutiques dans d’autres
© Abbvie France / DR
maladies de peau ?
Dans le cadre d’un programme de
développement clinique interna-
tional important mené par AbbVie,
l’évaluation de ces nouvelles thé-
rapies est attendue dans la prise
en charge de plusieurs maladies
comme les pelades (alopecia areata),
lupus ou vitiligo, alors que les op-
tions thérapeutiques sont limitées
actuellement dans ces pathologies.
Par ailleurs, d’autres mécanismes
tout à fait diférents sont également
en cours d’évaluation, par exemple
une nouvelle classe thérapeutique,
un inhibiteur IL1 α & β est en déve-
loppement dans la maladie de
Verneuil, autre pathologie cutanée
dont les lésions particulières sont
diiciles à supporter. Plus large-
ment, AbbVie est spécialisé depuis
plusieurs années dans l’étude des
maladies inlammatoires chroniques
dans de nombreux domaines : la
gastroentérologie, la rhumatologie
et la médecine interne. Plus de 150
essais cliniques activés aujourd’hui
concernent 19 indications, dont 3 en
pédiatrie. Il s’agit d’augmenter le
contrôle inlammatoire et de pro-
longer les rémissions : des enjeux
© AFE / DR
dermatologues dans notre pays est
un vrai problème, qui au-delà d’être
un sujet d’inquiétude, complique
singulièrement le parcours de soins.
Parlez-nous de la campagne « Eczéma
atopique : changez de tactique ! »
à laquelle vous avez participé.
Cette campagne, créée par le labora-
toire AbbVie, interpelle à plusieurs
titres. Tout d’abord, les visuels utili-
sés sont percutants et traduisent très
bien ce que les patients vivent réel-
lement avec leur maladie. Ensuite,
cette campagne a pour objectif d’in-
citer le patient sorti du parcours de
soins – soit parce que son eczéma
faisait une trêve, soit parce que son
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023 ❹
Claire Roussel
thérapeutiques bien identiiés dans
une cascade biologique complexe(5).
L’accélération des progrès théra-
peutiques en dermatologie va mo-
diier l’histoire de ces pathologies.
• S. C.
1) https://www.inserm.fr/dossier/psoriasis/
2) Misery, L. (2020). Fardeau de la dermatite
atopique chez l’enfant et l’adolescent.
Annales de Dermatologie et de
Vénéréologie, 147(11), 11S31–11S36. https://
doi.org/10.1016/s0151-9638(20)31086-3
3) Girolomoni, G., Strohal, R., Puig, L.,
Bachelez, H., Barker, J., Boehncke, W. H.,
& Prinz, J. C. (2017). « The role of IL-23
and the IL-23/TH17 immune axis in the
pathogenesis and treatment of psoriasis ».
Journal of the European Academy of
Dermatology and Venereology, 31(10),
1616–1626. https://doi.org/10.1111/jdv.14433
4) Lacour, J. P. (2019). Les traitements
systémiques de la dermatite atopique.
Annales de Dermatologie et de
Vénéréologie, 146(12), 12S76–12S84. https://
doi.org/10.1016/s0151-9638(20)30017-x
5) Immunologie.(s.d.).AbbVie | Pharmaceutical
Research & Development. https://www.
abbvie.fr/our-science/therapeutic
FR-IMMD-230327 – 12/2023
traitement ne lui convenait plus par
exemple – d’y revenir et d’apprendre
qu’il existe des alternatives pour
soulager ses symptômes. Enin,
nous avons pu participer au projet
dès son lancement et intervenir no-
tamment dans le choix des visuels,
pour qu’ils expriment le plus juste-
ment le ressenti des patients. • C. F.
1) Société française de Dermatologie.
Dossier de presse 2017 « Dans la
peau des Français ». Disponible
sur www.sfdermato.org.
2) Association française de l’Eczéma.
https://www.associationeczema.
fr/eczema-des-mains-ses-
diferentes-formes/
FR-IMMD-230314 – 12/2023
14 | france
Loi sur le climat:
Wauquiez relance
l’offensive
Le président d’Auvergne-Rhône-
Alpes s’active en coulisse
pour galvaniser les maires contre
le zéro artificialisation nette
lyon - correspondant
D
epuis plusieurs jours,
Laurent Wauquiez
(Les Républicains, LR),
président de la région
Auvergne-Rhône-Alpes, organise
une nouvelle offensive contre le
zéro artificialisation nette (ZAN).
Le 30 septembre, dénonçant « une
loi ruralicide », il avait annoncé
que, « en lien avec les départe-
ments », sa collectivité sortait du
dispositif. Avec cet objectif posé
par la loi Climat et résilience de
2021, le rythme de bétonnisation
des terres doit être divisé par deux
dans le pays d’ici à 2031, avant d’at-
teindre le zéro artificialisation
nette en 2050 : chaque hectare ar-
tificialisé devra alors être com-
pensé par son équivalent rendu à
la nature, un objectif qui inquiète
de nombreux élus locaux.
Le coup d’éclat avait eu peu
d’échos. « C’est vraiment de la dé-
magogie à tous les étages », avait
par exemple réagi le maire de Bor-
deaux, Pierre Hurmic (Europe Eco-
logie-Les Verts). L’exécutif avait
fustigé l’initiative, évoquant « des
sanctions ». Depuis, M. Wauquiez a
demandé à tous les maires de la
deuxième région de France de si-
gner une lettre qu’il compte adres-
ser à la première ministre, Elisa-
beth Borne. Selon son entourage,
« plusieurs centaines » d’entre eux
ont répondu positivement. Dans
ce courrier, il dénonce « une loi
technocratique qui ne répond pas
aux enjeux fondamentaux de l’en-
vironnement » et « ne tient pas
compte de la diversité et des spécifi-
CHANGEMENT
CLIMATIQUE :
COMMENT
RÉUSSIR À
S’ADAPTER ?
14 décembre 2023
9h à 12h - Paris
INSCRIPTION GRATUITE SUR
LEMONDE.FR/METEOFRANCE-CLIMAT
cités de[s] (…) régions ». Avant de
conclure sur une tonalité d’ouver-
ture : « Nous sommes prêts à parti-
ciper à une réflexion constructive
sur ce sujet. »
M. Wauquiez est le seul à vouloir
sortir sa région du zéro artificiali-
sation nette, et rompre avec la loi.
Certes, d’autres présidents de ré-
gion sont préoccupés par le sujet.
Le centriste Hervé Morin (Nor-
mandie) ou le socialiste Alain
Rousset (Nouvelle-Aquitaine) ont
écrit à la première ministre pour
alerter sur les difficultés qui émer-
gent. D’autres, comme Xavier Ber-
trand (LR, Hauts-de-France) ou
Christelle Morançais (LR, Pays-de-
la-Loire) se débattent avec le zéro
artificialisation nette en travaillant
avec le préfet de région et les mai-
res. « La loi est votée. Il faut faire de
ce défi une opportunité, affirme
Mme Morançais. Ceux qui parlent
beaucoup d’autorité et qui contes-
tent une loi votée, ça me dérange. »
« On était contraint par l’Etat »
Par ce combat, M. Wauquiez
construit sa candidature à la pré-
sidentielle en épousant de près les
préoccupations de son électorat
régional. « On a un problème de lo-
gements au Mont-Dore, explique
par exemple Sébastien Dubourg
(LR), le maire de cette commune
du Puy-de-Dôme. Si on nous en-
lève du foncier, ça va poser pro-
blème. » L’élu dénonce « des déci-
sions technocratiques prises dans
des bureaux parisiens » qui ne cor-
respondent pas à la réalité des
campagnes. Egalement conseiller
régional, M. Dubourg a relayé
Le président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, à Lyon, le 19 octobre. JEFF PACHOUD/AFP
l’initiative du président Wauquiez
dans les deux intercommunalités
dont il est le « référent ». Sur les
43 maires concernés, 30 ont ré-
pondu positivement, affirme-t-il.
Elu dans un autre département de
la région Auvergne-Rhône-Alpes,
François Descœur (sans éti-
quette), maire d’Anglards-de-Sa-
lers (Cantal), abonde : « Tout ce
qu’explique la motion de Laurent
Wauquiez, les maires le disent de-
puis deux ans. Mais ils n’ont pas la
puissance politique suffisante et
on ne les écoute pas », déplore-t-il.
Il a aussi signé le courrier.
La région Auvergne-Rhône-Al-
pes n’est pas un cas isolé. Le zéro
artificialisation nette ? « Encore
une lubie des technocrates », fus-
tige Georges Cristiani (sans éti-
quette), maire de Mimet (Bou-
ches-du-Rhône) et représentant
local de l’Association des maires
de France (AMF). « On ne mesure
pas ce que ça implique pour des
villages qui veulent se développer
dans le respect de la nature », re-
grette-t-il, en ajoutant que sur les
119 communes du département,
70 sont opposées au zéro artifi-
cialisation nette.
Mais, « lutter contre l’artificialisa-
tion des terres n’est pas une option,
c’est un impératif, pour lutter con-
tre le réchauffement climatique et
Européennes 2024 : Willy Schraen entre
en campagne avec sa liste « Alliance rurale »
Le patron des chasseurs défend « une ruralité heureuse » face aux « ayatollahs de l’écologie »
U n ancien troisième ligne
du Stade toulousain
(Louis Picamoles), une
jeune « reine d’Arles », ambassa-
drice des traditions provençales
et taurines (Camille Hoteman), le
président de la Fédération des pê-
cheurs d’Ille-et-Vilaine (Jérémy
Grandière), un vice-champion
olympique de tir à l’arc (Jean-
Charles Valladont)… A six mois
des élections européennes, les
premiers candidats de la liste Al-
liance rurale, dévoilés mardi 5 dé-
cembre à l’Ambassade d’Auver-
gne, un restaurant spécialiste de
l’aligot à Paris, prétendent incar-
ner « l’art de vivre à la française »,
selon leur chef de file, Willy
Schraen, à la tête de la puissante
Fédération nationale des chas-
seurs (1 million d’adhérents).
Aucun gros poisson, cependant,
dans les filets de celui qui rumine
cette liste depuis des mois. Le chef
multi-étoilé Pierre Gagnaire, qui
se disait fin novembre partant,
selon l’hebdomadaire Le Point,
pour figurer en position non éli-
ses conséquences », avait réagi le
ministre de la transition écologi-
que, Christophe Béchu, après la
sortie de M. Wauquiez, en septem-
bre. Le combat du président de ré-
gion a aussi provoqué une contre-
offensive politique : dans une tri-
bune, publiée dans Le Monde,
230 élus d’Auvergne-Rhône-Alpes,
d’Horizons à La France insoumise
en passant par Renaissance, dé-
fendent le zéro artificialisation
nette en considérant que « l’enjeu
écologique est trop important pour
faire l’objet d’instrumentalisation
et de velléités antirépublicaines ».
Du côté de l’Etat, prévenue du dé-
marchage d’ampleur conduit par
M. Wauquiez, la préfète de région,
Fabienne Buccio, a adressé une
longue lettre, le 13 novembre, à
tous les maires d’Auvergne-Rhô-
nes-Alpes. Elle y rappelle qu’il
s’agit de la région la plus consom-
matrice en espaces naturels agri-
coles et forestiers. Elle détaille les
« ajustements » de la loi de juillet
2023, qui a aménagé celle de 2021,
en regrettant que le courrier de
M. Wauquiez « semble ignorer ces
avancées et le dernier état de la loi ».
Au gouvernement, on s’amuse
que le président de région de-
mande aux élus LR de se dédire sur
la loi qu’ils ont votée cet été et
qu’ils avaient contribué à écrire.
gible sur la liste, n’y sera finale-
ment pas, « par manque de
temps », l’excuse Willy Schraen.
Pas davantage que l’ancien cou-
reur cycliste Bernard Hinault,
dont le nom a également circulé.
S’ils tentent de rééditer le coup
de la liste Chasse, pêche, nature et
traditions de Jean Saint-Josse (qui
avait obtenu 6,77 % des suffrages
en 1999), les instigateurs de l’opé-
ration, parmi lesquels le lobbyiste
Thierry Coste, veulent cette fois
représenter « toutes les facettes de
la ruralité », en dépit de l’identité
de la tête de liste Willy Schraen, fi-
gure du monde de la chasse.
Des « élites déconnectées »
« Notre combat n’est pas celui d’ir-
réductibles Gaulois réfractaires »,
assure M. Schraen, qui vante « la
pétanque et le barbecue, l’apéro et
les cochonnailles ». Celui qui as-
sume « un côté conservateur »
mais refuse « l’extrémisme », dé-
fend une « ruralité heureuse »,
qui demande simplement qu’« on
[lui] foute la paix ».
M. Wauquiez a
demandé à tous
les maires de la
région de signer
une lettre qu’il
compte adresser
à Elisabeth Borne
En octobre, les trois figures du
parti LR, Eric Ciotti, Bruno Re-
tailleau et Olivier Marleix ont pu-
blié une lettre ouverte à Elisabeth
Borne dans Le Journal du diman-
che, signée par 141 élus selon la ré-
gion, dont l’ébauche avait été rédi-
gée par M. Wauquiez. Même s’ils
ont voté la loi de 2023, les élus LR
considèrent qu’il faudra y revenir.
« On était contraint par l’Etat, justi-
fie M. Retailleau, président du
groupe LR au Sénat. C’était pas de
loi du tout, ou des aménagements
minimaux. On a résolu des choses,
mais le système est intrinsèque-
ment mauvais et il y a des blocages
sur le terrain. »
De fait, ce texte n’a pas vraiment
rassuré les maires ruraux, créant
même des tensions nouvelles.
Notamment autour de la « garan-
tie rurale » : en campagne pour les
Refusant pour autant d’être
classés parmi les « anti-euro-
péens », M. Schraen et ses colis-
tiers dénoncent des « élites dé-
connectées de la vraie vie » et les
« technocrates ». L’Europe, ce
« mastodonte administratif » qui
produit des « normes qui nous
étouffent » et « entrave les libertés
individuelles », doit « se recentrer
sur ses fondamentaux », préco-
nise M. Schraen, reprenant ainsi
la rhétorique des partis populis-
tes et eurosceptiques. Unis dans
le rejet des « ayatollahs de l’éco-
logie », selon la formule qu’ils
emploient pour désigner les acti-
vistes écolos, y compris le parti
Europe Ecologie-Les Verts, le
chasseur et ses colistiers, qui ont
« tous un peu de boue sur les
pieds », se disent « amoureux de la
nature » et « écologistes ».
M. Schraen, qui a apporté son
soutien à Emmanuel Macron
en 2017 comme en 2022, assure
conduire une liste « apolitique ».
S’il a rencontré à plusieurs repri-
ses le chef de l’Etat, dont il a ob-
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
sénatoriales, M. Béchu a concédé le
droit à 1 hectare minimal pour cha-
que commune de France, soit po-
tentiellement 35 000 hectares arti-
ficialisés. Quand le pays doit, d’ici à
2031, consommer au maximum
125 000 hectares, soit deux fois
moins que sur la décennie passée.
Localement, des pressions s’exer-
ceraient sur les maires ruraux
pour qu’ils « rendent l’hectare » à
leur intercommunalité, s’insurge
Sébastien Gouttebel (gauche),
vice-président de l’Association des
maires ruraux de France et maire
de Murol (Puy-de-Dôme). Il a signé
la motion, « mais, confie-t-il, pour
continuer à interroger le zéro artifi-
cialisation nette, pas pour soutenir
Laurent Wauquiez ».
La défense de la ruralité contre
un Etat jugé technocratique réunit
beaucoup d’élus à droite. David
Lisnard (LR), président de l’AMF,
rappelle que son organisation est
« hostile au dispositif technocra-
tique conçu par le gouvernement
pour lutter contre l’artificialisation
des sols ». Donc « toute position qui
rejoint celle de l’AMF est bienve-
nue », conclut le maire de Cannes
(Alpes-Maritimes). Il est, lui aussi,
intéressé par l’élection présiden-
tielle de 2027. p
benoît floc’h
et richard schittly
tenu la réduction de moitié du
prix du permis de chasse, la liste
qu’il conduit n’est pas un « strata-
gème politique imaginé au châ-
teau pour servir l’intérêt de l’Ely-
sée », promet-il.
Alors que le Rassemblement
national (RN) voit dans cette con-
currence une initiative « poussée
en sous-main » par le chef de l’Etat
pour piquer des voix au RN, bien
implanté en milieu rural,
M. Schraen martèle que ses colis-
tiers ne sont pas « les soldats
occultes de la politique ». Tout en
faisant mine de se réjouir que sa
« petite liste (…) agace le monde
politique », ce qui est, à ses yeux,
« quand même bon signe ».
En attendant, ces défenseurs
des valeurs de la ruralité, qui n’ont
« pas beaucoup d’argent », pré-
voient une campagne « très
sage », « sans grand meeting ».
« C’est vous qui ferez ma campa-
gne », lance M. Schraen aux nom-
breux journalistes présents. Déjà
rompu aux ficelles du métier. p
nathalie segaunes
    

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16 | france
Immigration : LR accroît la pression sur la majorité
Les Républicains doivent défendre, jeudi, une proposition de résolution pour dénoncer l’accord franco-algérien
A
lors que le projet de loi
« immigration » sera
débattu lundi 11 décem-
bre à l’Assemblée natio-
nale, le parti Les Républicains (LR)
a la main pour défier la majorité
lors de sa « niche » parlementaire,
jeudi 7 décembre. « On souhaite
montrer au gouvernement qu’il fait
semblant d’aller au bout des choses
avec sa loi “immigration” », pré-
vient Olivier Marleix, président du
groupe LR. Et avant de présenter
une proposition de loi consti-
tutionnelle pour élargir le champ
du référendum à l’immigration,
Les Républicains comptent ouvrir
leur niche parlementaire par
un projet de résolution sur la dé-
nonciation de l’accord franco-al-
gérien de 1968.
Peu importe le probable rejet, il
s’agit pour LR de marquer son ter-
ritoire et d’incarner la fermeté en
matière d’immigration. « Il faut
avoir le courage de dire que sans
réforme constitutionnelle et sans
remise en cause de l’accord de
1968, nous ne pourrons pas repren-
dre totalement notre destin en
main, avance Michèle Tabarot,
députée des Alpes-Maritimes et
rapporteure de la proposition de
résolution. Cet accord crée un ré-
gime dérogatoire extrêmement fa-
vorable aux Algériens pour facili-
ter leur immigration en France.
Rien ne le justifie aujourd’hui. »
De fait, dans son projet de loi
sur l’immigration, le gouverne-
ment souligne que les disposi-
tions ne concernent pas les « res-
sortissants algériens, qui sont ex-
clusivement régis par l’accord
franco-algérien ». Les Républi-
cains jugent « obsolète » ce texte
bilatéral signé sous la présidence
de Charles de Gaulle après la
guerre d’Algérie. En 1968, dans un
contexte de forte croissance éco-
nomique, la France avait besoin
de bras et cet accord facilitait les
recrutements de travailleurs
dans l’ancien territoire français,
en créant un statut spécifique en
matière de circulation, de séjour
et d’emploi en France.
Aujourd’hui, la droite y voit un
droit automatique à l’immigra-
tion. Dans la rédaction de sa pro-
position de résolution, elle indi-
que que, selon les chiffres de
l’Insee, les Algériens constituaient
en 2021 « la première nationalité
[étrangère] présente sur notre sol…
Logements sociaux : un nombre record de communes « hors la loi »
De nombreuses villes ne respectent pas leurs objectifs de production, alors que la demande n’a jamais été aussi forte
L e bilan est « désespérant »,
selon la Fondation Abbé
Pierre. Alors que le loge-
ment social n’a jamais été autant
demandé (2,4 millions de ména-
ges en attente), les communes ur-
baines qui en manquent le plus ne
respectent pas leurs objectifs de
production, fixés par la loi Solida-
rité et renouvellement urbain
(SRU). Sur les quelque 278 00 loge-
ments sociaux requis sur la pé-
riode 2020-2022, seulement
186 000, soit 67 %, ont été réalisés.
C’est 40 000 de moins que ceux
produits sur les trois années pré-
cédentes, quand 116 % des objec-
tifs avaient été atteints. Sur les
1 031 communes urbaines comp-
tant moins que les 20 % ou 25 % de
logements sociaux prévus par la
loi, elles sont 659, soit 64 %, à avoir
failli à leurs obligations, relate le
baromètre de la Fondation, rendu
public mercredi 6 décembre.
Parmi les 41 villes de plus de
100 000 habitants, douze s’étaient
vu fixer des objectifs de rattrapage.
Onze ont échoué à les atteindre :
Boulogne-Billancourt (Hauts-de-
Seine), Nice, Toulon, Aix-en-Pro-
vence (Bouches-du-Rhône), quatre
« Dans notre
groupe, certains
auraient pu
se laisser tenter »
MARIE LEBEC
vice-présidente du groupe
Renaissance à l’Assemblée
avec 887 100 ressortissants, soit
12,7 % des étrangers en France ».
Si le vote d’un tel texte n’a aucun
effet contraignant, la diplomatie
relevant du chef de l’Etat, les dépu-
tés Renaissance redoutent le mes-
sage envoyé à l’Algérie, surtout au
moment où il s’agit de réchauffer
les relations entre les deux pays,
très fraîches après la décision d’Al-
ger, en mars, de refuser désormais
de délivrer les laissez-passer con-
sulaires, documents indispensa-
bles pour permettre le retour des
Algériens expulsés de France.
« Le gros rouge qui tache, avec l’Al-
gérie, ça ne marche pas, avertir Ma-
rie Lebec, députée (Renaissance)
des Yvelines. Si on raye d’un trait de
plume cet accord, on risque d’em-
boliser la situation. » Les députés
macronistes voteront contre la
proposition de résolution, mais
veulent « rénover » cet accord, au
moyen d’un nouvel avenant.
Horizons votera pour
Mais pour Michèle Tabarot, l’atti-
tude de l’Algérie incite à une dé-
nonciation unilatérale de l’accord,
sans égard pour les relations di-
plomatiques entre les deux pays.
« Pour négocier, il faut être deux et
aujourd’hui le président [Abdel-
madjid] Tebboune n’a clairement
aucune volonté de dialogue avec la
France. Avec un simple avenant,
l’exécutif proposerait en réalité une
demi-mesure qui ne résoudrait
rien. Il y a déjà eu trois révisions de
l’accord et elles n’ont rien résolu »,
avance l’élue LR en référence aux
avenants de 1985, 1994 et 2001.
Pour argumenter une dénon-
ciation unilatérale par la France,
Mme Tabarot s’appuie sur la note
de Fondapol, un cercle de ré-
flexion libéral et progressiste, si-
gnée par Xavier Driencourt, an-
cien ambassadeur de France en
Algérie (et membre du comité
stratégique de Livre Noir, média
d’extrême droite) : « Son travail est
villes déjà pointées lors de la pé-
riode précédente, mais aussi Mar-
seille, Perpignan, Annecy, Bor-
deaux, Lyon, Saint-Paul (La Réu-
nion) et Paris, qui atteint 114 % de
son objectif quantitatif, mais pas
l’objectif qualitatif (ne pas dépasser
20 % ou 30 % de logements de la ca-
tégorie « PLS » [prêt locatif social],
inaccessible aux ménages à bas re-
venus). Comment expliquer ces ré-
sultats ? Les objectifs étaient plus
ambitieux que lors des périodes
précédentes : la loi SRU exigeant
d’atteindre le taux de 20 % ou 25 %
de logements sociaux parmi les ré-
sidences principales en 2025, les
communes devaient, lors de cette
avant-dernière période triennale,
combler la moitié du retard accu-
mulé, parfois colossal.
« Une mauvaise volonté »
« Il y a eu un fléchissement global
de la production HLM, lié à la crise
sanitaire, aux changements de
municipalité, puis à la hausse des
prix du foncier et des matériaux,
mais aussi à une politique gou-
vernementale très défavorable,
consistant à augmenter la TVA et à
prélever chaque année 1,3 milliard
Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, à Paris, le 5 décembre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
très précieux dans notre réflexion
et il appuie le souhait que nous
avons depuis longtemps de revenir
sur cet accord. »
Si la droite a décidé d’attaquer sa
journée d’initiative parlementaire
par cette proposition, c’est pour
démontrer son potentiel à provo-
quer des remous dans la majorité.
L’ex-premier ministre Edouard
Philippe ne déclarait-il pas, dans
L’Express, en juin : « Le maintien
aujourd’hui d’un tel dispositif avec
un pays avec lequel nous entrete-
nons des relations compliquées ne
me paraît plus justifié » ?
Aussi, contrairement à Renais-
sance, le groupe Horizons votera
pour la proposition de résolution.
« Notre position sera celle
d’Edouard Philippe, c’est-à-dire la
dénonciation du traité de 1968,
confirme Laurent Marcangeli,
chef du groupe au Palais-Bour-
bon. Nous avons pris position sur
cette question depuis plusieurs
d’euros sur les organismes HLM »,
explique le directeur des études
de la Fondation Abbé Pierre, Ma-
nuel Domergue. Mais ces facteurs
n’expliquent pas tout. En effet, les
communes SRU ont encore
moins construit que les autres :
elles qui concentraient 50 % de la
production de logements sociaux
entre 2017 et 2019 ont vu leur part
ramenée à 44 % sur la période
2020-2022. « Il y a clairement une
mauvaise volonté de plusieurs cen-
taines de maires », selon M. Do-
mergue. Ceux qui ont réalisé
moins de 20 % de leurs objectifs
sont ainsi 222 – deux fois plus que
lors de la période précédente.
Les préfets, qui doivent tenir
compte de la bonne ou mauvaise
volonté des communes, envisa-
gent cette fois d’en sanctionner
327, soit la moitié de celles qui ont
échoué à atteindre leurs objectifs.
Un taux proche de celui d’il y a
trois ans, indique la Fondation
Abbé Pierre, tout en regrettant
une « sévérité très inégale ». Elle es-
time que des préfets refusent de
prononcer la carence « avec des ar-
guments peu pertinents », comme
celui d’un changement de munici-
mois, je crois même que cette
proposition de résolution a été dé-
posée postérieurement à la prise
de position défendue par l’ancien
premier ministre. »
L’allusion n’est pas innocente de
la part du député de Corse-du-Sud.
Le groupe LR a fait enregistrer sa
proposition le 6 juin… Soit le len-
demain de l’entretien d’Edouard
Philippe à L’Express. Une façon de
rappeler que le maire du Havre
(Seine-Maritime) a coupé l’herbe
sous le pied de son ancien parti.
Fort retentissement à Alger
Comme espéré par LR, la dénon-
ciation de l’accord de 1968 a aussi
animé les réunions de Renais-
sance. « Dans notre groupe, cer-
tains auraient pu se laisser ten-
ter », admet sa vice-présidente,
Marie Lebec. Ainsi la députée de
Paris Astrid Panosyan-Bouvet,
responsable du texte pour le
groupe, qui juge que l’accord de
659
municipalités
ont failli à leur
obligation
palité, alors que c’est la commune,
et non la majorité municipale, qui
doit respecter ses engagements
en matière de logements sociaux.
Pourquoi une telle mansué-
tude ? « Les préfets agiront si le dis-
cours du gouvernement est clair
sur cette question, car ils sont sou-
cieux d’obtenir les résultats qu’on
leur demande », tacle Thierry
Repentin, maire (divers gauche)
de Chambéry et président de la
commission nationale SRU. Cel-
le-ci préconise de carencer 21 % des
communes non proposées par les
préfets. Pour l’ancien ministre à la
formation professionnelle durant
le mandat de l’ex-chef d’Etat Fran-
çois Hollande, la loi SRU a prévu
une boîte à outils qui restent peu
utilisés par les préfets, ces derniers
reprenant, par exemple, rarement
en main la délivrance des permis
de construire. « On peut s’interro-
1968 est « obsolète » et doit être
revu, a-t-elle décidé de se retirer.
Mathieu Lefèvre juge aussi que
« plus rien ne justifie aujourd’hui
cet accord, dans le contexte postco-
lonial que nous connaissons ».
Mais l’élu Renaissance du Val-de-
Marne votera contre, au motif
qu’« une telle dénonciation ne peut
se faire que sur la base d’une action
diplomatique, entre chefs d’Etat ».
Le débat de jeudi sera néanmoins
l’occasion pour ce transfuge de LR
de « revenir sur le fond de cet ac-
cord, même s’il y a sans doute un
peu de malice du côté de LR ».
Le ministre délégué chargé du
commerce extérieur, Olivier
Becht, ne plaidera pas, jeudi, pour
une dénonciation pure et simple
de l’accord, fait savoir le Quai d’Or-
say, au motif qu’on « ne peut pas
jeter le bébé avec l’eau du bain.
Mais on peut envisager que l’ac-
cord soit amendé à nouveau ».
Si le gouvernement français
ger sur l’absence de carences, no-
tamment dans quelques grandes
villes du sud de la France, pourtant
très loin d’avoir atteint leurs objec-
tifs », souligne l’élu, en citant « le
cas emblématique de Nice ».
La capitale des Alpes-Maritimes
a fait l’objet d’« une incompréhen-
sible tolérance de la part de l’Etat »
par le passé, renchérit la Fonda-
tion Abbé Pierre. Une enquête
préliminaire a été ouverte en fé-
vrier 2022 par le Parquet national
financier, du chef de concussion
et toutes infractions connexes re-
latives aux conséquences finan-
cières du non-respect par la com-
mune de Nice de la loi SRU. La ville,
qui n’a atteint qu’à 13 % son objec-
tif sur trois ans de production de
logements sociaux, est proposée à
la carence. Reste à attendre la liste
définitive des villes sanctionnées.
« Il existe des rapports de force en-
tre le maire d’une grande ville et un
préfet, et celui-ci n’est pas toujours
certain de l’emporter. Tout dépend
d’où viennent les coups de fil, ana-
lyse M. Repentin. Mais le cas de
Nice est tellement connu dans le
Landernau, que cette fois-ci, la ville
ne devrait pas y échapper. »
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
marche sur des œufs, c’est que les
Algériens ne souhaitent pas être
traités comme les autres ressor-
tissants du Maghreb. Le président
Abdelaziz Bouteflika, en 2012,
voyait dans l’accord de 1968 « le
prix à payer par la France pour la
colonisation de l’Algérie cent tren-
te-deux années durant ». Ce qui
faisait dire à M. Macron, en 2021,
que la nation algérienne « s’est
construite sur une rente mémo-
rielle ». Des propos qui ont ulcéré
Alger et durablement refroidi les
relations entre les deux pays.
Dans ce contexte, un vote de la
proposition de résolution, même
symbolique, aurait un fort
retentissement à Alger. « C’est
d’abord un événement de politi-
que intérieure, mais les Algériens
vont regarder cela de près, dit-on
au Quai d’Orsay. Le résultat du
vote sera un signal. » p
alexandre pedro
et nathalie segaunes
Il arrive aux préfets de hausser le
ton. Celui du Var a épinglé la ville
de Toulon « au regard d’un volon-
tarisme inexistant », dans un cour-
rier à son préfet de région, cité par
la Fondation Abbé Pierre. La ville a
délivré des permis de cons-
truire pour plus de 500 logements
collectifs depuis 2020, mais « sans
aucun logement social ». Il ajoute
que la commune a refusé « un tra-
vail partenarial avec l’Etat sur la
production de logements sociaux
(…) malgré plusieurs relances ».
Toutes les villes n’ont pas baissé
les bras. Montpellier a réalisé
624 % de son objectif de loge-
ments sociaux pour 2020-2022, et
presque atteint le quota de 25 %.
« Il existe une politique, ancienne
et continue, d’achat de foncier,
doublée de subventions ; et tous les
projets de construction de loge-
ments dépassant 800 m2 sont obli-
gés d’inclure du logement social,
résume le maire (Parti socialiste)
de la ville depuis 2020, Michaël
Delafosse. Le logement social, c’est
un choix politique. Le refuser, c’est
construire de l’exclusion. » p
claire ané
et véronique chocron
 1re banque des entreprises*
pour la 14e année consécutive.
Alors forcément, on essaie de vous surprendre autrement.

   

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18 | france
«La propagande de l’Etat islamique
revient séduire une nouvelle
génération d’adolescents»
Après l’attaque du 2 décembre, le patron de la direction générale de la
sécurité intérieure, Nicolas Lerner, évoque le suivi des détenus radicalisés
après leur sortie de prison et les mutations du phénomène djihadiste
ENTRETIEN
A
la tête de la direction
générale de la sécurité
intérieure (DGSI) de-
puis 2018, Nicolas Ler-
ner revient sur les enjeux du suivi
des terroristes présentant des
troubles psychiques, comme
l’auteur de l’attaque au couteau
qui a fait un mort, samedi 2 dé-
cembre, à Paris. Après plus de
deux années d’accalmie, il cons-
tate une hausse de la menace por-
tée par de très jeunes individus et
alimentée par le regain de dyna-
misme des groupes terroristes en
Syrie et en Afghanistan.
Comme l’auteur de l’attentat
d’Arras, dans le Pas-de-Calais,
celui de l’attaque au couteau,
à Paris, était suivi par la DGSI.
Est-ce un échec pour votre
service ?
Il n’y a pas une journée qui
passe sans que les quelque
5 000 agents de la DGSI ne soient
mobilisés : 73 attentats ont été dé-
joués depuis 2013, 43 depuis 2017.
Rien que depuis mars 2023, trois
ont pu être empêchés.
HORS-SÉRIE
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capable de battre les cartes de la géopolitique mondiale.
UN HORS-SÉRIE
Depuis l’assassinat de Samuel c’était l’assassinat d’Yvan Colonna
Paty, conformément aux instruc- en détention, en mars 2022. Mais
tions de fermeté du ministre de si on considère uniquement les
l’intérieur [Gérald Darmanin], attentats survenus hors déten-
545 étrangers inscrits au fichier tion, il fallait remonter à l’assassi-
de traitement des signalements nat de Stéphanie Monfermé, à
pour la prévention de la radicali- Rambouillet (Yvelines), en
sation à caractère terroriste ont avril 2021, il y a deux ans et demi.
par ailleurs été éloignés. Au re- De fait, nous constatons depuis
gard de cet investissement, cha- plus d’un an que cette menace est
que passage à l’acte constitue de nouveau orientée à la hausse
pour nous une amère frustration sous l’effet de trois facteurs.
et une immense tristesse. D’abord, une redynamisation de
la mouvance endogène, singuliè-
Ces deux attaques semblent- rement portée par de très jeunes
elles marquer un retour de individus. Deuxièmement, l’an-
la menace terroriste en France crage persistant dans l’idéologie
après une période d’accalmie ? djihadiste de profils expérimentés
L’attaque d’Arras intervenait, en et animés d’une volonté intacte de
effet, après une période d’un an et nous frapper. Et, troisièmement,
demi sans attentat. Le dernier le retour de la menace en lien avec
traité comme tel judiciairement, des théâtres extérieurs.
Les Français doivent-ils
apprendre à vivre avec
Ce combat cette menace ?
Aucun pays au monde, même
acharné parmi les plus autoritaires, ne peut
s’inscrira prétendre être aujourd’hui à l’abri
du risque terroriste. Il est très im-
nécessairement portant de prendre conscience du
dans la durée fait que l’idéologie islamiste exis-
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tera sans doute encore très long-
temps. Les Français doivent savoir
que cette menace va persister et
que ce combat acharné s’inscrira
nécessairement dans la durée.
L’attentat du 2 décembre sou-
lève la question du suivi des
détenus radicalisés à leur sor-
tie de prison. Comment s’orga-
nise leur prise en charge ?
La DGSI estime que parmi les
391 détenus aujourd’hui incarcé-
rés pour des faits de terrorisme,
un « noyau dur » d’une cinquan-
taine d’individus présentent, à ce
stade de leur peine qui est encore
longue, un profil particulière-
ment inquiétant. En outre, depuis
l’été 2018, 486 détenus islamistes
ont été libérés. Ce nombre peut
sembler élevé, mais fort heureu-
sement, tous les sortants ne pré-
sentent pas le même niveau de
dangerosité. Le taux de récidive
est d’ailleurs très faible. Contrai-
rement à ce que j’entends parfois,
un nombre significatif d’entre
eux a pris du recul par rapport à
leurs engagements précédents
grâce aux efforts de l’administra-
tion pénitentiaire et aux suivis ju-
diciaires mis en place à leur sortie.
Même s’il faut rester vigilant, plus
de la moitié de ces sortants pré-
sentent aujourd’hui un profil
considéré comme « désengagé ».
Parmi l’autre moitié, aux profils
plus ambivalents, certains restent
ancrés dans l’idéologie radicale.
Chaque sortant, quel que soit son
profil, fait donc l’objet d’un suivi
systématique par un service de
renseignement, et la quasi-tota-
lité se voit appliquer des mesures
judiciaires et/ou administratives
visant à favoriser la réinsertion et
à leur imposer un dispositif de
contrôle renforcé.
La DGSI déploie par ailleurs des
dispositifs de surveillance hu-
maine et technique importants
avec l’objectif de caractériser tout
comportement susceptible d’en-
traîner une entrave judiciaire. De-
puis septembre, cinq sortants ont
ainsi été réincarcérés pour des vio-
lations de leurs mesures adminis-
tratives. Deux autres, sortis de pri-
son très récemment, ont été inter-
pellés en octobre : ils ont été con-
damnés à cinq ans et six ans de
prison pour apologie du terro-
risme. L’enjeu, c’est d’arriver à dé-
tecter ceux qui sont susceptibles
de nouveau de passer à l’acte. Les
services, évidemment, surveillent.
Mais malgré leur investissement,
ils restent à la merci d’un passage à
l’acte soudain, soit au terme d’un
comportement dissimulateur,
soit du fait d’une décompensa-
tion, sans qu’il y ait forcément de
signes avant-coureurs.
Le ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin, a parlé,
concernant le suivi de l’auteur
de l’attentat de Paris, d’un
« ratage psychiatrique ».
Quelle difficulté pose
la prise en compte des indivi-
dus présentant des troubles
psychiques ?
Parmi les 5 200 objectifs inscrits
au fichier de traitement des signa-
Le conflit
[au Proche-
Orient] a des
conséquences
directes
sur la menace
lements pour la prévention de la
radicalisation à caractère terro-
riste et suivis par la DGSI, 20 % pré-
sentent un trouble psychique do-
cumenté. Et sur les douze attentats
que la France a connus depuis fin
2018, sept auteurs présentaient
des troubles soit psychiatriques,
dans un nombre restreint de cas,
soit psychologiques. On ne peut
pas faire comme si cette réalité
n’existait pas. Un attentat est le ré-
sultat de deux composantes : une
idéologie mortifère et un auteur
qui, pour des raisons complexes et
personnelles, se montre réceptif à
cette propagande. Prévenir une
dérive violente lorsqu’il existe un
trouble de la santé mentale, c’est
donc à la fois, bien sûr, le travail
des services de renseignement,
mais ça doit aussi être celui des
professionnels de santé qui peu-
vent contribuer à limiter les ris-
ques de passage à l’acte.
Ce type d’individus peut en effet
alterner des phases d’apaisement
et d’agitation qui rendent le suivi
policier particulièrement com-
plexe. Ils peuvent se montrer très
sensibles à une influence exté-
rieure, à un événement de leur vie
ou à un élément d’actualité. Nous
ne sommes ni psychiatres ni psy-
chologues, et il est parfois difficile
pour nous d’apprécier leurs com-
portements. C’est la raison pour
laquelle la DGSI a décidé, il y a
deux ans, de structurer un dialo-
gue respectueux avec les repré-
sentants de la profession et d’inté-
grer en son sein deux psychiatres
qui nous aident à procéder à des
examens de situation. Les préfets
ont aussi été invités à s’attacher les
services d’un médecin pour faire
en sorte que ceux qui en ont be-
soin puissent accéder à des soins.
Gérald Darmanin a proposé
que les préfets puissent ordon-
ner des « injonctions adminis-
tratives » de soins…
C’est un des enjeux identifiés :
comment faire en sorte qu’un in-
dividu qui semble devoir bénéfi-
cier a minima d’un diagnostic mé-
dical puisse voir un médecin ? Le
droit prévoit un dispositif d’hospi-
talisation sous contrainte, mais
qui demande soit l’intervention
d’un tiers proche, soit celle du pré-
fet ou du maire, et qui est alors
conditionné à un trouble objectif
à l’ordre public. La difficulté sur-
vient quand on pressent une fragi-
lité psychique qui ne se caractérise
pas par un état de crise, comme
pour l’auteur de l’attentat de sa-
medi. La proposition portée par le
ministre vise à mettre en place un
système qui permette d’obliger
ces personnes à se soumettre à un
examen médical, à charge ensuite
aux médecins de poser un dia-
gnostic. Sur le plan opérationnel,
ce serait une vraie plus-value pour
les services de renseignement.
L’auteur de l’attentat de
samedi a évoqué la situation
au Proche-Orient dans sa re-
vendication. Comment analy-
sez-vous l’impact de ce conflit ?
Indéniablement, ce conflit a des
conséquences directes sur la me-
nace. D’abord parce que les gran-
des organisations terroristes, Al-
Qaida et l’Etat islamique [EI], ont
appelé à travers plusieurs dizai-
nes de communiqués à une réac-
tion de solidarité à l’égard des
« frères palestiniens ». Dans le cas
de l’EI, qui a une aversion pour les
causes nationalistes comme celle
du Hamas, si la réaction a pris plus
de temps et revêt un caractère op-
portuniste, elle n’en produit pas
moins ses effets. Dans le même
temps fleurit une série de dis-
cours irresponsables qui tendent
à présenter la France comme la
« complice inconditionnelle » de
l’Etat d’Israël dans son « entre-
prise de génocide du peuple pales-
tinien ». Ces discours ont pour
conséquence, de manière évi-
demment plus insidieuse, de dé-
signer la France comme une cible
légitime pour toutes celles et tous
ceux qui ont une lecture essentia-
liste ou religieuse de ce conflit.
Incluez-vous parmi ces discours
des prises de parole politiques ?
J’inclus des prises de paroles de
toute nature.
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Les trois projets
d’attentat
déjoués par
la DGSI en 2023
impliquaient
des individus
qui avaient tous
moins de 20 ans
Quelles sont les grandes
tendances de l’évolution
de la menace terroriste
en lien avec des théâtres
extérieurs ?
Trois zones retiennent notre at-
tention. D’abord la zone sahé-
lienne et africaine. A court terme,
les organisations terroristes qui y
sont présentes sont engagées
dans un agenda local. Mais si ces
groupes devaient de nouveau
conquérir des emprises territoria-
les, cela pourrait accroître leur
attractivité et donner lieu à la
création de filières qui, pour
l’heure, n’existent pas.
Vient ensuite le théâtre syro-ira-
kien, où l’EI conserve une rési-
lience préoccupante et, enfin, le
théâtre afghan, où le nombre de
combattants de l’EI a presque
décuplé depuis deux années. Le
phénomène auquel on assiste de-
puis un an est moins un risque de
projection de la menace – au sens
où on l’entendait en 2015 avec des
opérationnels qui quitteraient la
zone pour venir nous frapper –
qu’une activation à distance de
sympathisants depuis une zone
de djihad.
Trois exemples récents illustrent
cette nouvelle forme de menace :
le premier a été entravé par la DGSI
en novembre 2022 à Strasbourg,
avec l’interpellation d’un ressor-
tissant tadjik et d’un Tchétchène
dont tout laisse à penser qu’ils ont
été activés par des opérationnels
de l’EI en Afghanistan pour frap-
per la France, ce qui serait une pre-
mière. Pendant l’été, des partenai-
res européens ont également in-
terpellé des individus présentant
le même profil. Enfin, la police
suédoise a arrêté des individus en
lien direct avec l’EI, en Syrie.
Vous l’évoquiez plus haut,
plusieurs projets d’attentats
récents ont frappé les esprits
par le jeune âge de leurs
auteurs. Comment expliquer
cette tendance ?
Les trois projets d’attentat
déjoués par la DGSI en 2023 impli-
quaient des individus qui avaient
tous moins de 20 ans. Le plus
jeune avait 13 ans. Deux autres
avaient 14 ans. Dans plusieurs de
ces affaires – parfois traitées avec
nos partenaires européens, parce
que ce phénomène n’est pas que
français, il est européen –, ces
jeunes velléitaires ne fréquen-
taient pas de mosquées ni des
lieux de socialisation : ils se struc-
turaient en ligne, sur les réseaux
sociaux, à travers un enferme-
ment idéologique et numérique
très préoccupant.
Notre analyse, c’est que l’attrait
pour l’idéologie djihadiste a signi-
ficativement diminué du fait de la
déroute de l’EI dans les années
2017-2018, notamment auprès des
générations qui s’étaient enga-
gées au début des années 2010.
Mais la propagande de l’EI revient
aujourd’hui séduire une nouvelle
génération d’adolescents qui,
pour des raisons diverses – une
quête identitaire, l’écho d’un dis-
cours de victimisation, une glorifi-
cation de pulsions violentes qu’ils
peuvent nourrir par ailleurs – se
montre de nouveau sensible à
cette idéologie mortifère.
Signe de cette tendance : pen-
dant quasiment trois ans, aucun
auteur d’attentats commis en
France ne s’était revendiqué de
l’EI. Or, lors des trois dernières at-
taques perpétrées en Europe, que
ce soit à Bruxelles, Arras ou Paris,
l’auteur s’est revendiqué de ce
groupe. L’idéologie djihadiste
n’est pas morte, et l’EI bénéficie
d’un attrait nouveau au sein de
ces jeunes générations. p
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ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

HABILLEMENT

Comment Vinted
tétanise le marché
du vêtement
Présent en France depuis dix ans, le site de vente
en ligne de produits d’occasion bat des records
d’audience. Une concurrence redoutable aux yeux
de ses rivaux, dans un secteur déjà fortement sinistré

F
lorence Castetbon est qui la valorise plus de 1 milliard
aux avant-postes pour « À CHAQUE FOIS d’euros. Depuis, le vent souffle
observer combien, à
bas bruit, Vinted tor-
QUE L’ON CONVERTIT dans ses voiles.
En 2020, pendant la pandémie
pille le marché de l’ha- UN CONSOMMATEUR, de Covid-19 et les périodes de con-
billement. Sa bouti- finement, les Européens scrollent
que de décoration, Kameme Con- C’EST UNE VICTOIRE sur leur smartphone et trient
cept, à Paris, est un point de livrai-
son des colis expédiés par
POUR LA PLANÈTE ! » leurs placards. L’appli Vinted
tombe à pic pour chasser leur en-
Mondial Relay, dont le site de THOMAS PLANTENGA nui : le nombre de télécharge-
vente en ligne est le premier client PDG de Vinted ments s’envole. En France, au prin-
en France. De la centaine de pa- temps 2020, Vinted gagne 1 mil-
quets remis à leurs destinataires, lion de membres. En 2021, alors
chaque jour, en moyenne, nius, en Lituanie, pour vendre en que sa communauté mondiale at-
« soixante-dix sont des Vinted », ligne des vêtements dont cette teint 45 millions de personnes,
observe-t-elle, en consultant son dernière souhaite se débarrasser, contre 30 millions en 2019, la pla-
ordinateur. Les clients du site de le site se développe timidement à te-forme obtient 250 millions
vente en ligne de seconde main ses débuts, en dépit de la levée de d’euros de fonds auprès notam-
sont « jeunes, vieux, hommes, fem- 52,2 millions d’euros entre 2013 et ment d’EQT Growth. L’entreprise
mes, ils ont tous les profils », ob- 2015 auprès de fonds d’investisse- vaut alors 3,5 milliards d’euros.
serve cette commerçante. ment. En 2016, il est donné pour missions facturées aux acheteurs duits de toutes marques, de toutes cabinet de conseil Advancy. Car
Car le site né en 2008 est devenu mort. En dernier recours, le fonds « ARRONDIR SES FINS DE MOIS » a bondi de 50 % par rapport à 2021 les couleurs, de toutes les tailles, ces derniers ont souvent fait leurs
un poids lourd de l’habillement. américain Insight Venture Par- Puis, la flambée des prix induite et atteint 370,1 millions d’euros, vendus moins cher », analyse Julia premiers achats en scrollant sur
Vinted se range au troisième rang tners, actionnaire depuis 2014, y par l’invasion de l’Ukraine par la pour un volume d’affaires de Faure, cofondatrice de la marque Vinted, contrairement à leurs
des distributeurs de mode en li- dépêche un consultant, Thomas Russie huile ses rouages. Depuis 3 milliards d’euros. de vêtements Loom. De la parka aînés qui, en bande, organisaient
gne en Europe, derrière l’alle- Plantenga, pour une mission de 2022, les Européens compriment « Une telle croissance est colos- The North Face en passant par les leur virée shopping dans les cen-
mand Zalando et le chinois Shein, conseil. Ce spécialiste américain leur budget consacré à l’habille- sale », calcule Laurence-Anne Pa- bodys Kiabi et les bottines Isabel tres commerciaux. « De toutes les
d’après Cross-Border Commerce de l’économie numérique débar- ment et se ruent sur le bon mar- rent, directrice associée du cabi- Marant, « on trouve tout », rap- façons, toutes les grandes ensei-
Europe, cabinet d’études sur le que de New York, change tout, ché. « Vinted coche toutes les cases net de conseil Advancy. Dix ans porte Géraldine Dufour. La liste gnes ont suffisamment de clients.
commerce transfrontalier. ferme plusieurs bureaux euro- des tendances actuelles du com- après son lancement dans l’Hexa- des achats de cette quinquagé- Vinted ne va pas les impacter », es-
péens pour ne conserver que son merce, à commencer par le petit gone, où la vente d’occasion d’ha- naire inscrite sur Vinted depuis time une étudiante parisienne en
PREMIÈRE LICORNE DE LITUANIE siège et une filiale à Berlin. Il en de- prix et l’achat depuis une appli », billement atteint 6 milliards un an comprend déjà huit pièces, école de commerce, jugeant
Sa course folle ne va pas s’arrêter vient PDG. note Gildas Minvielle, directeur d’euros, selon l’IFM, la France est dont « un maillot de bain Eres qu’« acheter de la seconde main
de sitôt. D’après le Financial Times, Dans la foulée, il rend gratuite de l’Observatoire économique de le premier marché de Vinted, avec neuf pour 135 euros, une jupe Saint est une bonne façon d’allier écono-
les actionnaires du site ont donné l’utilisation du site pour tous l’Institut français de la mode 27 millions de membres, dont Laurent Rive gauche pour 45 euros mies et écologie ».
mandat à la banque Morgan Stan- ceux qui y vendent leurs articles (IFM). En outre, Vinted promet plus de 1 million à Paris. Chaque et une ceinture Hermès ». Depuis, Précisément, Vinted déploie un
ley pour étudier la cession de et chargent les acheteurs de régler aussi à tout vendeur d’« arrondir jour, 5 millions de personnes con- en complément, elle n’a acheté arsenal d’arguments pour vanter
200 millions d’euros d’actions et les quelques euros de frais de li- ses fins de mois ». « Cette plate- sultent son appli ou son site en que quelques pièces chez Uniqlo les mérites écologiques de son
en émettre de nouvelles, avant vraison et de protection. Grâce à forme embarque la grande majo- France, d’après Mediamétrie. Et et COS. « Après Vinted, impossible modèle. Et M. Plantenga s’em-
une introduction en Bourse. Dans des campagnes de publicité mas- rité des pratiquants dans un sys- sa communauté atteint 80 mil- de faire les magasins : tout y pa- porte contre tous ceux qui en
un entretien accordé au Monde, sives et à son slogan – « Tu ne le tème néolibéral où le consomma- lions de membres dans le monde. raît trop cher », constate cette ha- doutent. « A chaque fois que Vin-
Thomas Plantenga, PDG de Vin- portes plus ? Vends-le ! » –, Vinted teur achète pour revendre. Ce sont Cette base de données a pour bitante de la Côte d’Azur qui ted convertit un consommateur à
ted, rappelle qu’« aucune de ces étend vite son offre et gagne des des conso-marchands », décode socle l’acquisition de ses concur- avoue avoir essayé un vêtement la seconde main, c’est une victoire
informations n’a été confirmée ». de nombreux clients. Elodie Juge, docteure en sciences rents néerlandais, United War- en magasin pour en vérifier la pour la planète ! », avance le PDG,
La société précise toutefois qu’un Son chiffre d’affaires atteint de gestion, enseignante à l’uni- drobe et Bloom, en 2020 et 2021, taille et l’avoir acheté sur Vinted. déçu du manque de publicité fait
tel projet boursier est « l’une des 24,8 millions d’euros en France, versité de Lille et autrice d’une puis celle de l’allemand Rebelle, De temps en temps, Charlotte, sa à « son premier rapport sur l’im-
nombreuses options possibles à en Espagne et en Belgique, thèse sur l’entrepreneuriat à lors d’une OPA, en 2022, pour un nièce âgée de 20 ans, se rend aussi pact climatique ». Publié en mars,
long terme pour toute entreprise en 2018, date à laquelle il lève l’œuvre sur les plates-formes de montant de 30,2 millions d’euros. en magasin et « photographie la il y est démontré combien
en développement ». Or, bien que 50 millions d’euros auprès de vêtements d’occasion. Chacun a apporté à Vinted de référence d’un vêtement, pour re- « l’achat de vêtements de seconde
déficitaire, Vinted demeure en Sprints Capital. Un an plus tard, La formule peut s’internationa- nouveaux comptes, par milliers. garder s’il est vendu sur Vinted, main sur Vinted plutôt que neufs a
phase intense d’expansion pour la start-up devient la première li- liser sans difficulté. Elle est désor- Et le catalogue de produits consti- moins cher ». permis d’économiser en moyenne
rendre « la seconde main aussi fa- corne de Lituanie, lors d’une le- mais opérationnelle dans une tué par agrégation de l’offre de 1,8 kilogramme de dioxyde de car-
cilement accessible que le neuf », vée de fonds de 128 millions vingtaine de pays, après son en- chacun de ses membres est dé- « SECOND-HAND WASHING » bone par article ». Lors du lance-
explique son PDG. d’euros auprès de Lightspeed trée en Finlande, au Danemark et sormais hors norme, de l’ordre de A l’évidence, auprès de beaucoup, ment de ses consignes en France,
Fondé par deux amis, Justas Ja- Venture Partners, Sprints Capital, en Roumanie en 2023. En 2022, le 500 millions de pièces. « Vinted le site remporte son pari de « faire sorte de casiers à codes où les
nauskas et Milda Mitkute, à Vil- Insight Venture Partners, Burda, chiffre d’affaires issu des com- est un énorme catalogue de pro- de la seconde main le premier acheteurs déposent leur colis et
choix ». Et ce mode d’achat serait où les clients les récupèrent, le site
au marché « aussi disruptif que Bla- a aussi argué des vertus de ce
L’occasion, « une porte d’entrée dans le monde du luxe » blacar et Airbnb le sont sur les
transports ou l’hôtellerie », selon la
mode de livraison qui « réduit
l’impact logistique des derniers ki-
dirigeante d’une enseigne d’ha- lomètres ». Sans omettre de rappe-
gucci a franchi le rubicon. Depuis le l’empreinte environnementale de Kering. une porte d’entrée dans le monde du luxe. Ce billement. Comment alors ne pas ler à ses clients qu’ils paieront
mois de mars, la marque de luxe détenue Le groupe, qui, en 2021, lors d’une levée de sont autant de clients que les marques pour- expliquer, en partie, la casse so- moins de frais dans ses 1 000 con-
par Kering propose à ses clients d’apporter fonds de 178 millions d’euros, est entré au ront, ensuite, convertir à l’achat de neuf », ciale dans le commerce par l’envo- signes que lors d’une livraison à
leur sac en magasin, de l’évaluer chez capital de Vestiaire Collective, veut se « for- estime Olivier Abtan, directeur associé du lée des ventes de Vinted ? Ou le re- domicile ou en point relais.
l’e-marchand français du luxe d’occasion ger une opinion sur ce marché, sans rester cabinet de conseil AlixPartners. Elles pour- dressement judiciaire de Du pareil Aucun d’entre eux ne peut igno-
Vestiaire Collective et, en fonction, leur ac- en chambre », souligne le dirigeant. raient aussi proposer à leurs clients de re- au même, spécialiste de la mode rer, non plus, la doxa écolo de Vin-
corde un bon d’achat à valoir dans son ré- vendre leurs articles « des saisons passées » enfantine, l’un des points forts de ted. A chaque achat, le site leur en-
seau. L’opération est ouverte dans 26 ma- « Mine d’or » des données personnelles pour financer d’autres achats « de la nou- Vinted ? Et ceux de Kookaï et Naf- voie ce message : « En optant pour
gasins en Belgique, en France, en Allema- Aucun fabricant ne peut ignorer combien velle saison », suggère-t-il. Les services de Naf, anciennes figures de la mode ? de la seconde main, tu te fais plai-
gne, en Italie, au Luxembourg, à Monaco le business est florissant. Les sacs Hermès marketing auraient alors accès à la « mine « Vinted fait surtout du tort aux sir et tu fais un geste pour la pla-
et en Espagne. Neuf gammes de sacs sont et Chanel battent des records de ventes lors d’or » de leurs données personnelles. ventes de première main des mar- nète. » Sans toutefois l’informer
éligibles, dont le Gucci Diana, modèle du de leur adjudication aux enchères ou en li- Mais certains groupes s’y refusent. « Le ris- ques du cœur de marché. Si leur de l’empreinte carbone d’un colis
nom de Lady Di vendu neuf à partir de gne. Vestiaire Collective a réalisé la vente que est trop gros au regard des bénéfices es- expérience est satisfaisante, les expédié, par exemple, depuis l’Es-
1 980 euros. Un test est aussi en cours chez de deux sacs Hermès Birkin Faubourg pour comptés », juge une analyste financière, en consommateurs se demandent pagne jusqu’à Paris. Mais, à en
Balenciaga, autre filiale de Kering, dans 112 000 euros en 2021 et 158 000 euros évoquant le « non-sens économique de cette “pourquoi dépenser plus à l’ave- croire Vinted, les achats trans-
cinq pays, dont les Etats-Unis. en 2022. Le marché des montres, égale- activité » susceptible de cannibaliser les nir ?” », observe Olivier Abtan, di- frontaliers sont ultraminoritai-
Kering a une « approche pragmatique » ment porté par la spéculation, est très mûr. ventes de produits neufs en magasin. LVMH recteur associé chez AlixPartners. res. Probablement parce que les
sur ce marché en croissance et veut répon- Et désormais, certains clients osent chiner écarte tout projet sur ce marché. D’autant Or le prix demeure le premier consommateurs ne veulent pas
dre « à la demande de ses clients désireux de en ligne. A tel point que Vinted annonce en que la Bourse pourrait en prendre om- choix lors d’un achat de vête- payer d’importants frais de port,
donner une seconde vie à leurs articles », faire sa priorité à l’avenir. « Le marché n’en brage : la valorisation d’un groupe y est pré- ment, rappelle l’IFM. avance M. Plantenga.
avance Grégory Boutté, directeur général est qu’à ses débuts », prévient Thomas Plan- cisément indexée sur l’évolution des ventes « Les jeunes qui s’y habillent con- « Tout cela est, en quelque sorte,
du digital, en rappelant que cette proposi- tenga, son PDG. « Pour ceux qui n’ont pas les de produits neufs, souligne l’analyste. p serveront-ils leurs habitudes ? », du “second-hand washing” comme
tion relève de la stratégie de réduction de moyens financiers, un article d’occasion est juliette garnier s’interroge aussi Mme Parent, du d’autres entreprises abusent du
 économie & entreprise | 21
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

La riposte des enseignes de mode

Face au rouleau compresseur Vinted, les magasins et sites d’habillement cherchent la parade

L es marques et enseignes
d’habillement ne font plus
l’autruche. « Impossible de
mettre la tête dans le sable », re-
connaît Amélie Poisson, direc-
trice générale adjointe de La Re-
doute. En 2021, la filiale du groupe
Galeries Lafayette lançait sa pro-
pre plate-forme de vente consa-
crée aux vêtements d’occasion, La
Reboucle. « A la Vinted », explique
la dirigeante. Un échec. Deux ans
plus tard, alors que l’inflation in-
cite les Français à acheter davan-
tage de produits d’occasion, elle
change son fusil d’épaule.
Sous le même nom, La Redoute
a lancé, en novembre, une place
de marché de produits vendus
par des professionnels. Environ
15 000 articles sont mis en ligne.
« Il en faudra 100 000 », estime
Mme Poisson, pour être crédible
face au million de références
d’articles neufs proposés sur La
Redoute. Mais monter cette offre
n’est pas simple. Pour preuve :
parmi ses partenaires figure Re-
EN 2021, LA REDOUTE
LANÇAIT SA PLATE-FORME
DE VENTE DE
VÊTEMENTS D’OCCASION,
LA REBOUCLE. UN ÉCHEC
div, start-up née en 2013, qui,
le 25 octobre, a été placée en re-
dressement judiciaire…
Difficile, en effet, de se faire une
place face au rouleau compres-
seur Vinted qui capte une bonne
part des vêtements à revendre.
Aude Viaud, fondatrice de Smala,
plate-forme spécialisée dans la
mode enfantine de seconde
main et également partenaire
de La Redoute, en convient. Né
en 2017, à Nantes, le site vend des
articles d’occasion « peu portés »
qu’il rachète aux familles, ainsi
que des produits neufs invendus
auprès des marques.
Son activité exige de récupérer
ces pièces expédiées dans un
carton par les familles, de les
contrôler dans un entrepôt de
4 000 mètres carrés à Carquefou
(Loire-Atlantique), de les repas-
ser, de les stocker et de les vendre
en « dégageant une marge suffi-
sante ». Smala, qui a levé 4 mil-
lions d’euros en 2021, est
aujourd’hui tout juste à l’équili-
bre, en dépit d’une croissance de
35 % cette année. En 2024, l’entre-
prise vise 9 millions d’euros de
volume d’affaires.
Kiabi à l’offensive
La bataille sur ce marché sera
d’autant plus rude que les gran-
des enseignes d’habillement s’y
lancent. D’après une étude de
l’Institut français de la mode dé-
voilée le 30 novembre, 48 % d’en-
tre elles en vendent déjà et 28 %
ont un projet similaire. Zara, nu-
méro un mondial de l’habille-
ment, étend ainsi sa plate-forme
Pre-owned : née en Espagne au
printemps, elle est, depuis l’été
2023, accessible aux Français.
Kiabi est aussi à l’offensive pour
développer son offre en ligne et
en magasin. Elle a inauguré deux
magasins pilotes, mi-novembre,
à Madrid et à Petite-Forêt (Nord).
L’enseigne de mode à petits prix
détenue par l’Association fami-
liale Mulliez y a installé des
rayons d’articles de seconde
main, marché qu’elle a abordé
voilà quatre ans. « En 2024, tous
les Kiabi en comprendront, contre
300 actuellement », précise Es-
telle Urbain, directrice des nou-
veaux business de Kiabi, qui ex-
ploitent 579 magasins en Europe.
Cette stratégie, déployée à l’in-
ternational, vise à réduire l’em-
preinte environnementale, as-
sure la dirigeante, tout en per-
mettant aux consommateurs de
s’habiller pour moins cher. Car,
« entre la fin du monde et la fin
du mois, les consommateurs choi-
sissent la fin du mois ». p
ju. ga.

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une part de marché minime au re-
D’APRÈS L’ANALYSTE gard du marché global de la mode !
La France,
fer de lance du rétrofit ?
LE RÉTROFIT EST UNE SOLUTION DE TRANSFORMATION DES VÉHICULES THERMIQUES EN VÉHICULES ÉLECTRIQUES.
AUTORISÉ DEPUIS 2020 EN FRANCE, IL PRÉSENTE L’AVANTAGE DE RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE CO2 DU SECTEUR DES
TRANSPORTS. UN PLAN D’ACTION GOUVERNEMENTAL ADOPTÉ CETTE ANNÉE VISE À L’ENCOURAGER AUPRÈS DES
PARTICULIERS ET DES ENTREPRISES.

KANTAR ET L’IFM, Et nul ne peut nier qu’acheter des

LES QUANTITÉS ÉCOULÉES
DE PIÈCES NEUVES
AUGMENTENT TOUJOURS,
ET « LA SECONDE MAIN
S’EN NOURRIT »
greenwashing », formule Elisabeth
Laville. Car, selon cette spécialiste
de l’empreinte environnementale
de l’habillement, l’achat de pro-
duits d’occasion « n’est pas la solu-
tion au problème » du secteur.
« Acheter en seconde main est une
bonne démarche, du moins si le ro-
binet du vêtement neuf était
fermé ! », confirme Julia Faure, à la
tête de Loom et membre du mou-
vement En mode climat, qui milite
pour le réemploi des vêtements
usagés et une réduction des volu-
mes de vêtements mis sur le mar-
ché. Or, rappelle-t-elle, après 7 % de
hausse des ventes en volumes en
dix ans en France, d’après l’ana-
lyste de données Kantar et l’IFM,
les quantités écoulées de pièces
neuves augmentent toujours, et
« la seconde main s’en nourrit ». De
fait, sur Vinted, l’offre de vête-
ments produits en Asie pour les te-
nants de la fast fashion, en plein
essor, ne cesse de progresser.
Vestiaire Collective, site français
de vente de fripes de luxe, use de
cet argument pour se démarquer
de son rival Vinted. Le site pro-
meut son propre modèle de lutte
contre la contrefaçon. Et lors
d’une campagne de publicité, il a
annoncé, le 16 novembre, « bannir
les géants de l’industrie » en éten-
dant notamment son veto, mis en
place en 2022, à Zara. Une pierre
dans le jardin de Vinted.
Car, bien que son activité repré-
sente peu au regard des dizaines
de milliards d’euros générés par
articles de seconde main a moins
d’impact sur le climat que d’acheter
du neuf », s’emporte M. Plantenga.
Mais, à l’évidence, Vinted incite
à acheter, et fréquemment. L’algo-
rithme alerte l’acheteur des piè-
ces similaires à ses achats précé-
dents et lui envoie une notifica-
tion, dès qu’un de ses favoris a été
vendu. Sa réception suscite le « re-
gret d’avoir raté la bonne affaire »,
observe Mme Faure. Et probable-
ment invite à se décider sur-le-
champ lors d’un prochain repé-
rage, avance Elodie Juge.
DES « COÛTS HUMAINS »
De plus, « le site brouille la percep-
tion du prix réel d’un vêtement,
nourrit l’idée qu’on peut acheter
un jean pour 3 euros, tout comme
chez Shein, et prétend rendre du
pouvoir d’achat au consomma-
teur, non pour dépenser moins
mais pour acheter encore plus »,
avance Mme Laville. Vinted est-il
alors une machine consumé-
riste ? « Les gens y achètent de ma-
nière frénétique », estime Corinne
Lassalle, vendeuse Vinted. « L’une
des clientes qui vient tous les jours
pour récupérer un nouveau pa-
quet me dit souvent ne plus se sou-
venir de ce qu’elle a acheté ! »,
confirme ainsi Mme Castetbon,
dans sa boutique de décoration.
Le comportement des vendeurs
est aussi pointé du doigt. Attirés
par l’appât du gain, nombre de
convertis à Vinted vendent leurs
vêtements inutilisés et se débar-
rassent du reliquat auprès d’asso-
ciations caritatives. Au grand
dam d’Emmaüs, dont, depuis l’en-
volée de Vinted et du Boncoin, les
revenus issus de la vente de dons
s’effritent. Car ces lots « sont de
moindre qualité », explique un
porte-parole. Le phénomène de la
vente d’habillement en seconde
main est tel que le « prix moyen a
baissé de 20 % en dix ans chez Em-
En avril dernier, le gouvernement a lancé un plan d’action
en faveur du rétrofit automobile, pour aider les particuliers
et les entreprises à « rétrofiter » leurs véhicules. Le rétrofit ?
C’est une pratique de mécanique qui consiste à transformer
un moteur thermique en moteur électrique sans changer de
voiture. Longtemps interdite en France, elle a été autorisée
en 2020 par un arrêté ministériel, qui fait de la France le seul
pays à disposer d’une réglementation autorisant officiellement
le rétrofit en série.
Démarche d’économie circulaire, le rétrofit s’applique aux
véhicules de plus de cinq ans, les plus récents étant déjà
conformes aux normes environnementales : « On remplace
le moteur thermique, le réservoir et le pot d’échappement par
un moteur électrique, des batteries et des composants électro-
niques. Le véhicule rétrofité reste homologué, il conserve la
même puissance, mais fait moins de bruit », explique Arnaud
Pigounides, président de REV Mobilities, entreprise de rétrofit
de véhicules utilitaires, camions et autobus, et qui a impulsé la
filière du rétrofit électrique en France.
Pourquoi « rétrofiter » des véhicules ? Cela en vaut la peine
sur le plan environnemental, c’est l’Agence de la transition
écologique (Ademe) qui l’écrit dans une étude sur le sujet en
2021 : « La conversion des automobiles citadines permettrait de
réduire de 66 % les émissions de CO2 pour un véhicule diesel, et
de 47 % par rapport à l’achat d’un véhicule électrique neuf. »
L’enjeu est donc de taille pour le secteur des transports, respon-
sable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
Un accélérateur pour l’économie circulaire
Les constructeurs ne manquent pas de s’intéresser au rétrofit.
Le groupe Stellantis, par exemple, a signé en décembre 2022 un
partenariat avec Qinomic, une startup française spécialisée dans
le rétrofit électrique, pour développer une solution de conversion
d’anciens véhicules utilitaires légers thermiques à la motorisation
électrique. En octobre 2023, cette solution a été lauréate d’un appel
à projets du plan France 2030 sur la recherche automobile. « Le
rétrofit électrique prolonge la durée de vie des véhicules thermiques
tout en leur donnant accès aux zones à faibles émissions (ZFE)
qui se multiplient dans les agglomérations. Ce partenariat avec
Qinomic s’inscrit dans la volonté du groupe de développer l’économie
circulaire dans un certain nombre de domaines, comme les pièces de
rechange et les batteries, pour atteindre son objectif de bilan carbone
net zéro d’ici 2038 », souligne Jean-Charles Lefebvre, Corporate
Médias Manager de Stellantis France.
Reste que le rétrofit est une opération complexe et coûteuse,
«presque aussi chère que l’achat d’un véhicule électrique neuf», notait
l’Ademe, à cause du prix élevé des batteries et de process encore
trop peu industrialisés. Pour encourager l’industrialisation de
cette nouvelle filière, le nouveau plan d’action préconise plusieurs
mesures, dont des prêts à taux zéro et des primes pouvant aller
jusqu’à 6 000 euros pour une voiture particulière et 10 000 euros
pour un véhicule utilitaire léger. « L’achat d’un utilitaire est un in-
vestissement important pour un professionnel : grâce au rétrofit, il
conserve son véhicule sans refaire son aménagement. Les éléments
thermiques déposés alimentent ensuite la base de vente de pièces re-
manufacturées, dans une démarche d’économie circulaire », complète
Jean-Charles Lefebvre.
© Margaux Maurel

Shein, Zara ou LVMH dans le maüs ». En mars, l’association a

monde, Vinted est désormais sous
le feu des critiques. Aux yeux de
ses rivaux, sa concurrence est re-
doutable, alors que le marché tra-
verse une crise commerciale sans
précédent et que l’industrie peine
à réduire son empreinte environ-
nementale. « Nous représentons
mené une campagne publicitaire
pour inciter les Français à donner
plutôt qu’à vendre. A en croire
Mme Castetbon, il est temps de
prendre la « mesure des coûts hu- Proposé par
main et logistique du développe-
ment de Vinted ». p
juliette garnier
22 | économie & entreprise
PERTES & PROFITS | ÉNERGIE
p a r p hil ip p e e s ca nde
Hydrogène, la très
chère partition française
Gaz le plus léger et principal com-
posant chimique de l’univers,
l’hydrogène ressemble à un mi-
rage. Il est présent partout mais si
difficile à saisir. Depuis que le toc-
sin du réchauffement climatique
a sonné, il est régulièrement
donné comme la solution pour
sortir notre planète de l’âge des
carburants fossiles. Sa combus-
tion n’émet pas de gaz à effet de
serre. Seul problème, la majeure
partie de l’hydrogène terrestre
est présente sous forme d’eau. Et
l’extraire de l’eau et le transporter
proprement est hors de prix.
Il en est question au sommet
de la COP28, à Dubaï, et tous les
pays, y compris les plus pétro-
liers comme ceux du Golfe, dé-
ploient de lourds investisse-
ments dans ce domaine. En Occi-
dent et au Japon, on y voit aussi
une promesse de souveraineté.
Reste à trouver l’équation écono-
mique qui lui donnera vie.
Pour l’instant on en est encore
au stade des dépenses. Le gou-
vernement français a lancé
en 2021 un plan doté de 9 mil-
liards d’euros d’ici à 2030 qui
vise à faire sortir de terre une
filière industrielle complète.
D’abord pour fournir l’industrie
lourde (chimie, sidérurgie, en-
grais), mais aussi les transports.
Ce mardi 5 décembre, ministres
et PDG en ont inauguré un
maillon essentiel avec la pre-
mière usine de la société Symbio.
Joliment baptisée « Sym-
phonHy », elle va produire des pi-
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les à hydrogène qui transforment
le gaz en électricité. Elle em-
ploiera 700 personnes et prévoit
de produire 15 000 systèmes
en 2024 et 50 000 en 2025. Reste
maintenant à trouver des ache-
teurs pour ces appareils destinés
à équiper des bus, des camion-
nettes ou des voitures. Elle pourra
compter pour cela sur ses presti-
gieux parrains, puisque Symbio
a pour actionnaires les groupes
Michelin, Stellantis et Forvia.
Du gris au vert
Fidèle à son franc-parler, le PDG
de Stellantis, Carlos Tavares, a
posé les termes de l’équation.
Sa camionnette Opel à hydrogène
coûte 100 000 euros. Pour parve-
nir à un prix plus compétitif,
l’Etat devra, selon lui, subvention-
ner 30 000 euros par véhicule
pendant cinq ans, sans cela, « la
filière s’écroulera », a-t-il ajouté.
Le gouvernement ne s’y est pas
engagé, embarrassé qu’il est de
devoir aussi subventionner, avec
l’aide de l’Europe, une fabrica-
tion propre de ce même hydro-
gène, mobilisant 4 milliards
pour subventionner la différence
d’achat entre un hydrogène vert
(produit avec des renouvelables)
et le gris, obtenu avec du gaz na-
turel et deux à trois fois moins
cher. Pour le patron de Forvia,
Patrick Koller, il faudra attendre
2030 avant d’arriver à une vraie
compétitivité dans les trans-
ports. L’Etat aura-t-il les moyens
de tenir jusque-là ? p
L’Europe toujours liée au travail
forcé des Ouïgours en Chine
Plusieurs marques vendraient des vêtements conçus par cette minorité
bruxelles - bureau européen
U
ne quantité substan-
tielle de vêtements
fabriqués par des
Ouïgours subissant le
travail forcé est introduite dans
l’Union européenne [UE] sans res-
triction. » C’est ce qui ressort d’un
rapport, publié mercredi 6 dé-
cembre par l’université de Shef-
field Hallam (Royaume-Uni)
commandé par le groupe socia-
liste du Parlement européen. Une
quarantaine de grandes marques
occidentales d’habillement « pré-
sentent un risque élevé d’approvi-
sionnement en vêtements fabri-
qués par des Ouïgours soumis au
travail forcé », explique au Monde
Yalkun Uluyol, le principal auteur
dudit rapport.
Parmi elles figurent les ensei-
gnes Zara, Oysho, Pull & Bear et
Massimo Dutti détenues par le
groupe espagnol Inditex, numéro
un mondial de l’habillement,
mais aussi des marques de luxe
telles que Burberry, Calvin Klein
Europe, Prada, Ralph Lauren,
Hugo Boss et Max Mara ainsi que
Guess, Helly Hansen, H&M, Levi’s,
Mango, Marks and Spencer, Next,
Primark et les marques de sport
Adidas, Decathlon, Nike ou Puma.
« Compte tenu de l’ampleur des
transferts de main-d’œuvre
[ouïgoure] imposés par l’Etat chi-
nois et des centres de détention
dans la région du Xinjiang, pour-
suit-il, nous pouvons affirmer que
presque tous les secteurs qui
s’approvisionnent directement
ou indirectement dans la région
ouïgoure courent un risque élevé
d’exposition au travail forcé. »
Les chercheurs de l’université de
Sheffield ont mené une démarche
plutôt inhabituelle, relève Raphaël
Glucksmann, l’eurodéputé (Place
publique) à l’initiative de ce rap-
port. « Habituellement, dit-il, nous
partons des marques internationa-
les pour évaluer leur exposition au
travail forcé en remontant leur
chaîne de fournisseurs. Là, la dé-
marche était inverse, la structure
productive chinoise a été dissé-
quée, avec ses multiples intermé-
diaires, afin d’identifier les mar-
ques clientes. »
Système à grande échelle
Les auteurs n’ont pas pu quanti-
fier le volume potentiel de ces im-
portations, car « les chaînes d’ap-
provisionnement sont complexes
et les données limitées, note
M. Uluyol. Au fil du temps, il y a de
moins en moins de transparence.
Les résultats de cette étude repo-
sent sur des données douanières
de pays tiers comme le Vietnam ou
le Sri Lanka, car ni l’Europe ni la
Chine ne les publient. En nous
concentrant sur les pratiques de
quatre fabricants installés en
Chine, et sur leurs liens directs ou
indirects avec le marché de l’UE,
nous avons pu identifier ces mar-
ques internationales ».
Ces quatre groupes étudiés sont
Zhejiang Sunrise/Smart Shirt,
Beijing Guanghua, Anhui Hua-
mao Group et Xinjiang Zhongtai.
Parmi eux, le groupe Sunrise – qui
travaille pour Tommy Hilfiger
Europe et Ralph Lauren – assure
fournir à ses clients « des dossiers
La CGT dénonce les risques liés
à l’amiante pour les pompiers
Alors que cette exposition a été classée comme « cancérogène », le
syndicat porte plainte, estimant qu’aucune prévention n’est à l’œuvre
I ls ont symboliquement choisi
la célébration de la Sainte-
Barbe, patronne des pompiers
morte en martyre, pour organiser
leur conférence de presse : lundi
4 décembre, le collectif des agents
CGT des services départementaux
d’incendie et de secours (SDIS) a
annoncé que la fédération CGT des
services publics avait, en leur nom,
porté plainte contre X pour « mise
en danger d’autrui » auprès du
pôle de santé publique du tribunal
judiciaire de Paris, trois jours plus
tôt. Pendant longtemps, racontent
les présents, ils ne voyaient rien
d’anormal à moucher noir pen-
dant quatre jours après un incen-
die. Respirer un peu de fumée fai-
sait partie « du métier ». Les traces
noirâtres sur la peau ou la veste
n’étaient que des salissures. Aucun
n’avait conscience qu’on peut se
contaminer par voie cutanée ou
par ingestion. Et que la cagoule
d’intervention ne protège pas de la
toxicité des fumées et des suies.
Pourtant, en 2003, déjà, le rap-
port Pourny listait 200 recom-
mandations pour améliorer leur
sécurité. En 2017, celui de la Caisse
nationale de retraite des agents
des collectivités locales (CNRACL)
sur « les risques relatifs aux fu-
mées d’incendie » en émettait à
son tour 43. Pour quelles consé-
quences ? Si les pompiers consta-
tent une amélioration de leurs
équipements face aux risques qui
Parmi
les enseignes
incriminées
figurent Zara,
Burberry
ou encore Prada
de production solides et transpa-
rents », qui ne montrent « aucune
contamination par la région
ouïgoure » des produits expédiés
en dehors de la Chine. Mango,
H&M, Marks and Spencer, Puma,
Skechers, Primark ou Inditex ont
affirmé qu’ils ne travaillaient pas
ou plus avec ces groupes ou leurs
filiales, tandis qu’Hugo Boss ga-
rantit qu’il mettra fin à l’un de ses
contrats avec un sous-traitant
listé, courant 2024.
Depuis 2017, la Chine a imposé
un système à grande échelle de
travail forcé aux Ouïgours, majori-
tairement musulmans. En 2021,
plus de 3 millions de personnes
devaient ainsi travailler contre
leur gré. Si de nombreux Etats,
dont la France, ont condamné ces
pratiques, elles perdurent. Initia-
lement enrôlés dans les usines du
Xinjiang, les Ouïgours sont désor-
mais transférés dans des usines à
travers toute la Chine.
L’efficacité des audits organisés
par les sociétés occidentales sou-
lève des interrogations. « En Chine,
il n’est pas possible de poser la ques-
tion la plus élémentaire aux fabri-
cants chinois, indique M. Uluyol,
car cela va à l’encontre de la régle-
mentation en matière d’espion-
nage. » Le textile n’est pas le seul
secteur concerné par le recours au
travail forcé, car la région dispose
d’une base industrielle forte dans
peuvent survenir lors d’une inter-
vention, ils dénoncent l’absence
de prise en compte des risques
pour leur santé à moyen ou à
long terme. « On sait désormais
qu’aller au feu nous expose aux
substances cancérogènes, muta-
gènes, reprotoxiques. Mais rien
n’est fait pour évaluer notre conta-
mination ! La simple visite médi-
cale périodique d’aptitude ne suffit
pas. Il faut un suivi régulier, des
scanners thoraco-abdomino-pel-
viens, comme pour les travailleurs
de l’amiante », insiste Angelo
Carlucci, du SDIS du Nord.
Cancer de la plèvre
« Lors de l’incendie de l’usine Lubri-
zol [en 2019 à Rouen], on patau-
geait dans une bouillasse d’eau et
d’hydrocarbures. On n’a obtenu
que des analyses de sang, pas des
urines, alors que c’est là qu’il fallait
chercher ! », déplore Thomas Bru,
du SDIS de Seine-Maritime.
« Pourquoi les pompiers français
n’ont pas, comme les Belges, de
véhicules logistiques pour leur per-
mettre dès la fin de l’intervention
d’envoyer leur tenue en déconta-
mination et de prendre une dou-
che ? », interroge Benjamin Calva-
rio, du SDIS du Nord.
A l’été 2022, The Lancet révélait
les conclusions d’une étude du
Centre international de la recher-
che sur le cancer : l’exposition
professionnelle des pompiers y
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
l’électronique, les panneaux solai-
res, la chimie ou l’automobile.
En 2021, l’ONG Sherpa, le collec-
tif Ethique sur l’étiquette avaient
porté plainte pour « recel de cri-
mes contre l’humanité » contre
les propriétaires d’Uniqlo, de
Zara, de Sandro et de Skechers,
qui avaient recours à une chaîne
de sous-traitance en Chine. Mais
la justice française a classé la
plainte. Une nouvelle plainte a été
déposée en 2023.
Pour contrer le phénomène, les
Etats légifèrent. En 2022, les Etats-
Unis ont interdit l’importation de
biens fabriqués entièrement ou
en partie grâce au travail forcé
dans le Xinjiang. En octobre 2023,
après un an d’application de la loi,
les douanes américaines avaient
réussi à bloquer l’entrée dans le
pays de marchandises d’une
valeur de 2 milliards de dollars
(1,84 milliard d’euros) et inscrit
vingt-sept sociétés sur liste noire.
Cette loi a entraîné une modifi-
cation des chaînes d’approvision-
nement pour réorienter les flux
chinois vers l’Europe… Celle-ci
prépare un règlement visant à
bannir du continent tous les
produits associés au travail forcé
du monde entier. Ce texte, qui
sera examiné par les Etats le 11 dé-
cembre, a déjà fait l’objet d’un
vote au Parlement européen.
Les eurodéputés proposent que,
dans certains cas, quand il existe
un faisceau de présomptions sé-
rieuses de recours au travail forcé
pour la fabrication d’un bien dans
une région définie, l’on inverse la
charge de la preuve de l’Etat aux
entreprises. Ce sera à elles de
prouver que leurs produits n’ont
pas été fabriqués en ayant recours
au travail forcé, et non aux Etats. p
philippe jacqué
est reconnue « cancérogène pour
l’homme », responsable, entre
autres, de cancers de la plèvre et de
la vessie, caractéristiques notam-
ment de l’exposition à l’amiante.
« Depuis, il ne s’est rien passé, dé-
plore Sébastien Delavoux, coordi-
nateur de la CGT des SDIS. Pour-
quoi rien n’est fait pour appliquer
les recommandations ? On a peur
de dissuader les pompiers volontai-
res payés 8,61 euros de l’heure ?
Pour nous, c’est politique ! On veut
que la justice désigne des respon-
sables. » « Le but de la plainte est
aussi d’être un électrochoc », espère
leur avocat Me Philippe De Castro.
Le 24 octobre, le ministre de l’in-
térieur, Gérald Darmanin, avait
été interpellé à l’Assemblée natio-
nale sur le manque de suivi médi-
cal des pompiers. « Effectivement,
nous sommes en retard, avait re-
connu le ministre en faisant part
de la mise en place d’une étude
épidémiologique dont la réalisa-
tion « prendra un certain temps ».
« Il me semble extrêmement im-
portant de porter ce problème de-
vant la justice, a soutenu, lors de la
conférence de presse, Annie
Thébaud-Mony, directrice de re-
cherche honoraire à l’Institut na-
tional de la santé et de la recher-
che médicale. En espérant qu’elle
ne mette pas des années à admet-
tre la mise en danger des pompiers
depuis très longtemps. » p
aline leclerc
 économie & entreprise | 23
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

Désaccord franco-allemand sur Les droits télévisés

du football anglais plafonnent
la réforme du pacte de stabilité
Le cadre budgétaire communautaire doit être discuté les 7 et 8 décembre L a bulle financière du football anglais se dégonfle légère-
ment. Lundi 4 décembre, la Premier League a annoncé
qu’elle accordait ses droits de retransmission au Royau-
me-Uni pour quatre saisons (de 2025-2026 à 2028-2029) pour
6,7 milliards de livres (7,8 milliards d’euros) aux chaînes Sky
Sports et TNT Sports. L’organisateur du championnat anglais
ment démonétisé. Il a, par ailleurs, sition verte. Une ligne rouge pour a beau affirmer qu’il s’agit du « plus important accord pour des
bruxelles - bureau européen
des effets procycliques – il ajoute
L’Allemagne Paris. « L’austérité ne fait pas un droits sportifs jamais conclu au Royaume-Uni », cela représente

C
es derniers jours, les
négociations entre Pa-
ris et Berlin pour tenter
de trouver un compro-
mis sur la réforme du pacte de sta-
bilité et de croissance, suspendu
depuis mars 2020 et la pandémie
de Covid-19, ont été intenses. Le
ministre des finances, Bruno
Le Maire, et son homologue alle-
mand, Christian Lindner, se sont
parlé à plusieurs reprises, leurs
équipes sont en contact perma-
nent. Mais, jusqu’ici, ces nom-
breux échanges n’ont pas permis
de débloquer la situation.
« Sans accord franco-allemand,
il n’y aura pas d’accord tout
court », explique Bercy, alors que
les ministres des finances euro-
péens, doivent se retrouver à
Bruxelles jeudi 7 et vendredi 8 dé-
cembre pour en discuter. Il y a ur-
gence, car le cadre budgétaire
communautaire, en vertu duquel
le déficit public ne peut dépasser
3 % du produit intérieur brut
quand la dette doit rester conte-
nue à moins de 60 % de la ri-
chesse nationale, doit de nou-
veau s’imposer au 1er janvier 2024.
Compte tenu de l’envolée des
dettes publiques partout sur le
Vieux Continent, dans la foulée de
la pandémie de Covid-19 et de la
guerre en Ukraine, il semble diffi-
cile de revenir aux règles existan-
tes. D’autant qu’elles ont montré
leurs limites. Comme la martèle
Paolo Gentiloni, le commissaire à
l’économie, « depuis vingt ans, non
seulement les Européens ont un
haut niveau de dette [83 % du pro-
duit intérieur brut en 2023], mais,
en plus, leur croissance est basse ».
D’une grande complexité, as-
sorti de sanctions très lourdes et
peu crédibles (à ce jour, aucune
amende n’a été imposée), porteur
d’objectifs irréalistes, le pacte de
stabilité est aujourd’hui large-
de l’austérité à une mauvaise con-
joncture – dont les Vingt-Sept ont
fait les frais lors de la crise finan-
cière des années 2010. A l’heure où
il leur faut investir massivement
pour financer les transitions cli-
matique et numérique ainsi que
renforcer leur industrie de dé-
fense, les Européens veulent de
nouvelles règles budgétaires.
Dans ce contexte, la Commis-
sion a fait, le 26 avril, une proposi-
tion qui modifie la philosophie
même du pacte de stabilité et de
croissance. Si celle-ci conserve les
règles totémiques des 3 % et 60 %,
inscrites dans les traités, elle doit
permettre de sortir d’une appro-
che normée (la même pour tous
les Etats membres) et d’entrer
dans une logique tenant compte
des spécificités nationales. A cha-
que Etat membre qui ne respecte-
rait pas l’un ou l’autre des critères
de Maastricht, Bruxelles compte
proposer une « trajectoire budgé-
taire de référence » sur quatre ans,
qui pourra être allongée de trois
ans si des réformes structurelles
ou des investissements stratégi-
ques de nature à alimenter la
croissance sont prévus.
L’individualisation critiquée
La Commission pourrait toujours
ouvrir une procédure pour déficit
ou dette excessifs, mais celles-ci
s’accompagneraient de sanctions
financières moins lourdes
qu’aujourd’hui. De fait, la majo-
rité des Vingt-Sept, au premier
rang desquels la France, devrait
être concernée par ce schéma,
qui, assure la Commission, per-
mettra aux Etats membres de
« s’approprier leur trajectoire bud-
gétaire » et n’enverra pas aux ci-
toyens le message que cette der-
nière vient de Bruxelles.
A Berlin, la proposition de la
Commission suscite depuis le dé-
veut qu’un pays
en procédure de
déficit excessif
ne bénéficie
d’aucune
flexibilité
but une large hostilité. On y criti-
que, notamment, l’individualisa-
tion des parcours qui nuirait à la
discipline budgétaire et serait le
fruit d’une négociation bilatérale
entre l’Etat membre et la Commis-
sion. L’Allemagne « ne peut pas ac-
cepter » un tel « affaiblissement du
pacte de stabilité », affirmait ainsi
M. Lindner, fin avril, en réclamant
des règles plus « contraignantes ».
Inenvisageable, a d’abord ré-
pondu Paris qui trouve, pour sa
part, le projet de l’exécutif com-
munautaire à son goût. Jusqu’à
cet automne, les discussions ont
patiné. Le déplacement d’Emma-
nuel Macron, le 9 octobre, à Ham-
bourg, où il a rencontré le chance-
lier allemand, Olaf Scholz, leur a
donné une nouvelle impulsion.
« Berlin a bougé, on a bougé, on est
allé au bout de ce qu’on pouvait
accepter, la balle est maintenant
dans le camp allemand », confie-
t-on dans l’entourage de Bruno
Le Maire. « Beaucoup de conces-
sions ont été faites à l’Allemagne »,
juge un haut fonctionnaire euro-
péen. La France a en effet accepté
de réintroduire des règles auto-
matiques en matière de réduction
de dette et de déficit.
Mais l’Allemagne souhaite aussi
qu’un pays en procédure de défi-
cit excessif – cela pourrait concer-
ner une douzaine d’Etats mem-
bres, dont la France – ne bénéficie
d’aucune flexibilité, même s’il
investit dans la défense ou la tran-
programme politique pour l’Eu-
rope », a déclaré, mardi, Bruno
Le Maire. Et d’ajouter : « On ne va
pas nous dire, pour les deux ou
trois prochaines années, vous
n’avez droit à aucun investisse-
ment pour la planète, aucun inves-
tissement pour la sécurité parce
que vous devez en priorité rétablir
vos finances. Ce sera non. »
Budget vert inconstitutionnel
« L’Allemagne veut les règles alle-
mandes pour l’Europe et ne tient
pas compte des engagements
qu’ont pris les chefs d’Etat et de
gouvernement par ailleurs, en ma-
tière de défense ou de décarbona-
tion de l’économie », commente
une source française. « Sur le fond,
les Allemands ne voient pas vrai-
ment la nécessité de réformer le
pacte de stabilité », analyse un
diplomate européen. L’arrêt de
Karlsruhe du 15 novembre, qui a
jugé inconstitutionnel un fonds
spécial hors budget destiné à ver-
dir l’économie, pousse sans doute
Christian Lindner à raidir sa posi-
tion. « On l’accuse d’avoir tordu les
règles en Allemagne, il ne veut pas
être accusé de laxisme en Europe »,
résume une source.
A l’approche des élections euro-
péennes, en juin 2024, il ne reste
que quelques semaines aux Vingt-
Sept pour trouver un compromis
sur le nouveau cadre budgétaire
s’ils veulent que celui-ci soit sou-
mis au Parlement européen avant
la fin de la législature. Dans ce cas,
celui-ci pourrait entrer en vigueur
en 2025 et, en attendant, les règles
existantes seraient aménagées, en
anticipant la future gouvernance
économique. Sinon, « on retom-
bera sur l’ancien pacte », a prévenu
Christine Lagarde, la présidente de
la Banque centrale européenne,
le 4 décembre. p
virginie malingre
un recul substantiel par rapport aux précédents contrats. Sym-
bole de ce marché qui ralentit, Amazon, qui avait jusqu’à pré-
sent les droits de vingt matchs par an, a choisi de se retirer.
La précédente mise aux enchères des droits du football
anglais pour les télévisions britanniques remontait à 2018. A
l’époque, le montant avait atteint 1,62 milliard de livres
(1,89 milliard d’euros) par saison sur trois ans. Pendant la pan-
démie de Covid-19, face à l’incertitude, le contrat avait été
renouvelé, inchangé et sans enchères, jusqu’en 2024-2025. Le
nouvel accord s’étire sur quatre ans, contre trois précédem-
ment, soit 1,67 milliard de livres (1,95 milliard d’euros) par sai-
son. La Premier League peut donc s’enorgueillir d’une hausse
de 4 % du prix. Mais, corrigé de l’inflation, il s’agit d’un fort
recul, d’au moins 20 %.
La Premier League a décidé d’aug-
L’AUTRE menter le nombre de matchs diffusés,
passant de 200 à 270 retransmissions
GRANDE LEÇON par an. A ce jeu, Sky Sports, qui do-
mine depuis 1992 la diffusion du
DE CES ENCHÈRES championnat anglais, reste le grand
EST LE RETRAIT acteur dominant, remportant
215 matchs par an. TNT Sports, qui est
DU GÉANT AMÉRICAIN une coentreprise entre le britannique
BT Sport et l’américain Discovery
AMAZON (propriétaire d’Eurosport), diffusera le
reste. « Par saison, c’est moins cher, et
la Premier League a dû offrir aux diffuseurs plus de matchs, ré-
sume sur la BBC Kieran Maguire, spécialiste de l’argent du foot-
ball à l’université de Liverpool. Sky va être ravi : au total, le coût
par match est sans doute en recul d’un quart ou d’un tiers. »
L’autre grande leçon de ces enchères est le retrait d’Amazon.
Le géant américain avait acquis en 2018 pour une bouchée de
pain (30 millions de livres par an) la retransmission d’un
match par semaine. Il souhaitait conserver une même pré-
sence discrète, mais la Premier League ne lui a pas donné le
choix : chacun des cinq « paquets » mis aux enchères compre-
nait une cinquantaine de matchs par an au minimum. Ama-
zon a préféré jeter l’éponge. « Sky Sports écarte les streamers,
qui représentaient une vraie inquiétude il y a trois ou quatre
ans », continue M. Maguire.
Cette fin de l’envolée des droits de la Premier League
confirme la tendance qui émerge dans le reste de l’Europe.
« En Espagne, la Liga a réussi à renouveler ses droits de retrans-
mission nationaux il y a deux ans quasiment sans augmenta-
tion (ce qui représente une baisse en valeur réelle), tandis que les
championnats italien et français ont organisé des mises aux en-
chères sans résultat, n’atteignant pas le prix minimal », souligne
une note d’octobre du cabinet Enders Analysis. p
éric albert (londres, correspondance)

RATP : la ponctualité
La France pousse pour une consolidation défaillante des métros
européenne des télécoms Les tensions de recrutement,
mais aussi l’absentéisme, seraient en cause
Les Vingt-Sept se disent prêts à étudier les mesures visant la création d’un marché unique

A l’heure de l’essor de nou-

velles technologies, l’Eu-
rope se préoccupe du
morcellement de son marché des
télécoms, émietté entre une cen-
taine d’opérateurs nationaux,
quand les Etats-Unis et la Chine
n’en comptent que trois grands
chacun. Trop petits, les acteurs
européens risquent de ne pas pou-
voir suivre le rythme des investis-
sements imposé par les innova-
tions des géants du numérique, au
détriment de la compétitivité de
l’Union européenne. L’hétérogé-
néité des réglementations péna-
lise aussi le déploiement de nou-
veaux services à l’échelle de l’Eu-
rope : par exemple, comment met-
tre en place un réseau pour la
voiture autonome si les règles
techniques changent lorsqu’on
passe une frontière ?
Réunis mardi 5 décembre à
Bruxelles, les ministres des télé-
coms des Etats membres se sont
dits prêts à prendre le sujet à bras-
le-corps. « Ils ont étudié les mesures
qu’il conviendrait de promouvoir
sur le marché des télécommunica-
tions pour favoriser un environne-
ment numérique durable et sûr et
garantir la souveraineté et l’indé-
pendance numériques de l’UE », in-
dique leur déclaration commune.
Ils saluent à ce propos « le pro-
gramme de travail de la Commis-
sion pour 2024 » qui « préparera le
terrain pour d’éventuelles actions
politiques et réglementaires sur les
réseaux et les infrastructures nu-
mériques ». Après une consulta-
tion publique menée à l’automne,
le commissaire au marché inté-
rieur, Thierry Breton, promet un li-
vre blanc sur le sujet pour le milieu
du premier trimestre 2024. « Cela
permettra d’avoir une vision plus
claire », a expliqué M. Breton à la
sortie du conseil des ministres des
télécoms, persuadé du « très fort
alignement des Etats membres à se
mettre d’accord » pour écrire un
Digital Networks Act.
Harmonisation des règles
La France pousse clairement pour
la création de géants européens.
« Je soutiens l’idée d’une harmoni-
sation des règles européennes pour
faciliter la concentration du mar-
ché des télécoms et permettre aux
opérateurs d’évoluer sur un marché
plus large », déclare Jean-Noël Bar-
rot, le ministre français délégué au
numérique et aux télécoms, qui
dit « encourager la Commission à
présenter toutes les mesures sus-
ceptibles d’unifier le marché des té-
lécoms de manière que des rappro-
chements qui auraient du sens
puissent avoir lieu ».
Par le passé, Orange et Deutsche
Telekom ont discuté à plusieurs
reprises, plus ou moins sérieuse-
ment, d’un rapprochement. Mais
le dossier n’a jamais avancé, blo-
qué par des questions de gouver-
nance et par des doutes sur les sy-
nergies qu’offrirait un tel mariage
transfrontalier. Les deux opéra-
teurs se sont contentés de créer,
en 2011, une société commune,
baptisée BuyIn, pour mutualiser
leurs achats d’équipements et
faire des économies. Pour beau-
coup d’analystes, les synergies se-
raient d’un tout autre niveau si les
rapprochements se faisaient à l’in-
térieur d’un marché national,
comme Orange et Bouygues Tele-
com ont essayé de le faire en 2016,
quelques mois après des premiè-
res approches de Free et de SFR, ou
comme Orange le fait actuelle-
ment en Espagne avec MasMovil.
Mais sur ce plan, ce sont des ques-
tions de droit de la concurrence
qui entravent ces projets.
Selon M. Barrot, un marché
européen des télécoms permet-
trait d’attirer plus facilement les
investisseurs susceptibles de fi-
nancer le déploiement des ré-
seaux. « Nous avons évalué qu’il
faudrait environ 200 milliards
d’euros d’investissements d’ici à
2030 pour que le continent bénéfi-
cie d’infrastructures de télécom-
munications au plus haut niveau
et avec le plus haut niveau de rési-
lience, rappelle le ministre. Il nous
faut maintenant comprendre
quelle est la part de ces investisse-
ments qui peut être portée par des
investisseurs privés et celle qui ne
le peut pas. » C’est le sens de la réu-
nion organisée le 4 décembre par
M. Breton à Bruxelles, avec les
plus grands investisseurs mon-
diaux intéressés par les télécoms.
Selon lui, l’harmonisation des rè-
gles ne vise pas à protéger les opé-
rateurs européens, dont certains
sont visés par des groupes étran-
gers. Le saoudien STC a par exem-
ple acquis 9,9 % du capital de l’es-
pagnol Telefonica début septem-
bre. « Tout le monde est bienvenu
pour investir en Europe », assure le
commissaire européen.
Quant à savoir qui financera la
part de ces 200 milliards, est-ce à
Google, Amazon, Facebook, Ap-
ple ou Netflix de le faire ? Les
groupes de télécoms en rêvent
depuis des années, expliquant
qu’ils doivent supporter une
grande part des investissements
nécessaires pour transporter le
trafic de données généré par les
géants du numérique. Mais la
consultation menée par la Com-
mission a montré une opposition
quasi générale à cette idée. « Il ne
faut écarter aucune solution »,
avance toutefois M. Barrot. p
olivier pinaud
D ans le monde des trans-
ports publics franciliens,
c’est un retournement. La
RATP, longtemps reconnue pour la
régularité de ses métros, ne par-
vient pas à à assurer un service sa-
tisfaisant. Depuis la pandémie de
Covid-19, la régie parisienne peine
à faire circuler les trains que lui
commande son donneur d’ordre,
Ile-de-France Mobilités (IDFM).
Après les bus, les problèmes se
sont étendus aux métros. En
cause, l’arrêt des recrutements de
conducteurs pendant les confine-
ments. Depuis, la RATP met les
bouchées doubles pour embau-
cher et son PDG, Jean Castex, se
démène pour améliorer l’« attrac-
tivité » des métiers maison et des
salaires. Mais rien n’y fait.
« Dégradation inquiétante »
Une semaine après avoir démenti
les inquiétudes de la maire de Pa-
ris, Anne Hidalgo, sur la prépara-
tion des transports pour les Jeux
olympiques de 2024, Valérie Pé-
cresse, présidente (Les Républi-
cains) de l’Ile-de-France et d’IDFM,
déplore, dans un communiqué,
« une dégradation inquiétante de la
ponctualité sur certaines lignes »
en octobre. Cinq d’entre elles sont
« en grande difficulté » : les 3, 6, 7,
8 et 13. « L’indisponibilité des con-
ducteurs (absentéisme, mala-
die…) » est la première cause de
trains supprimés, selon IDFM. La
deuxième, c’est la tension pour
trouver des spécialistes de la main-
tenance : cela explique les 20 % des
métros qui manquent sur la ligne
8. Les temps d’attente et les trains
bondés entraînent une recrudes-
cence de malaises voyageurs.
Est-ce la fin du statut dont béné-
ficiaient les agents de la RATP qui
les démobilise ? Ou l’éclatement
de la régie en une multitude de fi-
liales pour répondre aux appels
d’offres dans le cadre de l’ouver-
ture à la concurrence ? Les incivili-
tés ou incidents plus graves dans
les bus ? Ou le coût de la vie en ré-
gion parisienne, qui provoque une
accélération des démissions ?
IDFM, qui a augmenté le passe Na-
vigo et obtenu du gouvernement
des nouveaux financements, va
faire un geste. Alors que son con-
trat avec la RATP plafonne la
hausse des salaires à 1,5 % par an,
IDFM va lui verser 125 millions
d’euros en plus en 2023 et 160 mil-
lions en 2024 pour couvrir les
hausses de rémunération déjà ac-
cordées par Jean Castex.
Cela fera passer les comptes de la
RATP du rouge au vert et lui per-
mettra de rétablir une prime d’in-
téressement (plus de 1 000 euros)
qui risquait d’être supprimée. FO,
premier syndicat chez les conduc-
teurs, menaçait de faire grève pen-
dant les JO si aucune solution
n’était trouvée pour cette prime. p
sophie fay
24 | management 0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

Difficultés de recrutement : les entreprises L’ARGOT DE BUREAU

CHRONIQUE PAR JULES THOMAS
cherchent à « aller vers » les candidats Savoir-faire et
Des employeurs n’hésitent plus à « démarcher » dans la rue ou sur les places de village «talent nurturing»

D
éposez votre CV et ga- de recrutement sont nombreux. Changer les règles est égale-
« Nous montrons

gnez 100 000 euros et
plein d’autres lots ! »
En juin 2022, faute de
recevoir suffisamment de candi-
datures, le cabinet de recrute-
ment Lynks Partner lançait une
loterie alléchante. Pour tenter sa
chance, il suffisait de s’inscrire
sur le site dédié et d’y inviter
deux autres candidats titulaires
d’un bac + 2. Le tirage au sort de-
vait avoir lieu après l’enregistre-
ment de 1 million de CV.
Pour tenter de se démarquer,
de nombreuses entreprises in-
novent dans leur processus de
recrutement dans une démarche
d’« aller vers », c’est-à-dire qui
rompt avec l’idée que le candidat
doit postuler et considère que
l’entreprise doit aller à sa rencon-
tre pour le convaincre de la re-
joindre. Mais cette démarche
doit être particulièrement bien
ciblée, car l’opération est éga-
lement un coup de dés pour
l’entreprise : à peine six mois
après le recrutement-loto de
Lynks Partner, le tribunal de
commerce de Paris a prononcé
l’ouverture d’une liquidation ju-
diciaire du cabinet.
Les offres d’emploi ont du mal à
trouver leur public, tant les projets
LES CHIFFRES
2%
C’est la part des « interpella-
tions » dans la rue qui condui-
sent à un recrutement, selon
le cabinet spécialisé Ethypik.
90 %
C’est la part des personnes
recrutées dans la rue
encore en poste six mois
après leur embauche.
Publiée en avril, l’étude annuelle
de Pôle emploi sur les « Besoins
en main-d’œuvre » montre que
61 % des employeurs anticipaient
des difficultés pour recruter cette
année, un nombre en augmenta-
tion de 3,1 points par rapport à
2022. Premier motif invoqué, le
nombre insuffisant de candidats
(pour 85 % des entreprises), avant
l’inadéquation des profils (79 %)
des postulants. Pour les attirer
malgré un marché qui ne leur est
pas favorable, les entreprises
n’hésitent plus à aller directe-
ment chercher les candidats, dans
la rue ou sur les places de village.
Bus itinérant
Rompre avec l’aspect formel de
l’entretien lève des freins. « Dans
la rue, on trouve des candidats qui
ne se trouvent pas légitimes pour
postuler lors d’un processus classi-
que. La relation s’inverse, car nous
montrons que nous avons besoin
d’eux autant qu’ils ont besoin de
nous », indique Nicolas Morby,
fondateur, en 2020, d’Ethypik, so-
ciété de recrutement dont la spé-
cialité est de démarcher des can-
didats sur les places publiques.
Selon le dirigeant, 65 % des pro-
fils de sa base de données sont
des personnes éloignées du mar-
ché, qui ne sont inscrites ni à Pôle
emploi, ni au sein des missions
locales, ni sur les réseaux sociaux
liés à l’embauche.
De la même manière, l’Oise
s’est dotée, en 2016, d’un bus
itinérant, allant de communes
en villages pour approcher des
habitants qui n’ont pas toujours
la possibilité de se déplacer en
transports en commun. Là aussi,
les résultats sont probants :
« Une personne reçue en entretien
individuel par le conseiller en
insertion professionnelle sur
deux retrouve le chemin de l’em-
ploi, de la formation ou crée son
entreprise », rapporte le départe-
que nous avons
besoin d’eux
autant qu’ils ont
besoin de nous »
NICOLAS MORBY
fondateur d’Ethypik
ment, qui a inauguré un cin-
quième bus en 2022.
La société d’intérim Proman a
été séduite également par ces bus
qui complètent le réseau d’agen-
ces et son site Internet. « Le
symbole est fort : on vient vers
vous non pas avec une machine
pour scanner vos CV, mais avec de
vrais recruteurs qui doivent aussi
rassurer les candidats », se félicite
Roland Gomez, président fonda-
teur de Proman.
Que ce soit dans la rue ou dans
un bus, les démarcheurs expli-
quent et détaillent la fiche de
poste en simplifiant notamment
des intitulés trop souvent incom-
préhensibles. « C’est très utile, car,
lorsqu’on leur propose de devenir
conducteur-receveur, par exemple,
les passants ne savent pas à quoi
cela correspond, notamment ce
que cela implique comme ampli-
tude horaire ou comme salaire »,
explique Nicolas Morby, qui sou-
haite faire naître des vocations par
ce premier contact, avant un en-
tretien d’information plus avancé
et une présentation à l’entreprise.
Dans sa stratégie d’« aller vers »,
Proman a investi aussi les réseaux
sociaux, notamment TikTok et
Tinder, pour inciter les plus jeu-
nes à déposer leurs CV. « Nous de-
vons absolument aller où sont les
jeunes. Ils n’ont pas nécessaire-
ment vocation à travailler toute
l’année, mais ils pourraient être in-
téressés par un emploi saisonnier,
à condition qu’on fasse germer
l’idée chez eux », glisse le dirigeant.
ment l’occasion de changer de
point de vue sur une candida-
ture. A la Guadeloupe, pour trou-
ver la quarantaine d’employés
d’un fast-food qui sera inauguré
en décembre, l’agence Pôle
emploi de Jarry a mis en scène un
processus de recrutement avec
un jeu de rôle : en octobre,
salariés d’autres restaurants et
candidats devaient participer à
une chasse au trésor dans
l’établissement. « Très rapide-
ment, cette mise en situation
moins formelle qu’un entretien
permet de repérer les savoir-être,
la façon dont les candidats réagis-
sent dans des situations et leur
capacité à interagir en équipe »,
détaille la directrice de l’agence,
Stéphanie Daudruy.
Pour certains métiers, qui ne
nécessitent pas une formation
préalable, le recruteur évalue la
capacité à s’adapter à un poste da-
vantage que la réussite académi-
que. « Lorsqu’elles ont besoin de
recruter en grand nombre, il y a
une forte demande des entreprises
pour de nouvelles méthodes, plus
ludiques, afin d’attirer plus de
candidats en améliorant leur
image d’employeur », constate la
directrice. Pôle emploi réalise ré-
gulièrement de telles mises en
scène, notamment avec les opé-
rations « Du stade vers l’emploi »,
qui proposent de briser la glace
par des activités sportives.
Attention, cependant, à ce que
le processus ne soit pas en déca-
lage avec la culture d’entreprise.
« Si le recruteur repeint la façade
avec un recrutement cool mais
que les conditions de travail sont
mauvaises, ou que la rémunéra-
tion n’est pas à la hauteur, cela
n’aura aucune utilité », prévient
Chantal Richard, secrétaire confé-
dérale de la CFDT. D’un côté
comme de l’autre, l’objectif est de
s’inscrire sur le long terme. p
nicolas scheffer
L
e talent, ça n’existe pas. Je crois qu’avoir envie de réali-
ser un rêve, c’est le talent. Tout le restant, c’est de la
sueur, c’est de la transpiration, c’est de la discipline. »
En écoutant ce passage d’une interview télévisée de
Jacques Brel en 1971, on se dit qu’il aurait eu tout le potentiel
pour enchaîner les conférences sur la motivation au travail,
seul en scène, devant un parterre de chefs d’entreprise.
Le talent n’existe pas ? Mais alors, n’y a-t-il pas une petite
contradiction lorsque les entreprises utilisent ce terme à
longueur de journée pour désigner leurs salariés, dont elles
attendent un travail et un investissement de chaque ins-
tant ? Le dictionnaire, lui, nous dit bien que le talent est quel-
que chose d’inné, que c’est une aptitude remarquable…
Les cadres ne s’y trompent pas : 56 % d’entre eux considè-
rent le talent « comme une ressource rare et non évolutive »,
selon une étude publiée le 13 novembre par Jean Pralong,
professeur en gestion des ressources humaines à l’école de
management EM Normandie. Une grande
partie des travailleurs interrogés s’excluent
LES ENTREPRISES de cette catégorie, car ils n’ont pas le niveau
PEUVENT de diplôme suffisant, ou jugent leur carrière
trop hachée.
MISER SUR LE C’est le cabinet McKinsey qui a introduit le
terme « talent » dans le monde des ressour-
DÉVELOPPEMENT ces humaines (RH), dans les années 1990,
PROFESSIONNEL classant les salariés en trois catégories – les
meilleurs, ceux qui donnent satisfaction, et
les moins bons – et appelant à se focaliser
sur les premiers, car ce seraient les seuls qui apportent de la
valeur. L’étude du chercheur met en évidence que les RH se
sont heureusement éloignés de cette vision élitiste. Ils ont
trouvé la parade avec une nouvelle expression : le « talent
nurturing ». Cela signifie, en français, « la capacité à nourrir
les talents » ou à démontrer la volonté des employeurs à
prêter attention à tous, et pas seulement aux meilleurs.
S’il a le mérite d’inciter les entreprises à s’interroger sur
ce qu’elles proposent aux salariés, ce « talent nurturing » ne
ressemble pas vraiment à quelque chose de nouveau. Sous-
entend-il même un retour au paternalisme du XIXe siècle,
quand les patrons industriels voulaient « prendre soin » de
leurs ouvriers en leur offrant l’accès à l’éducation, au loge-
ment… et à la nourriture (les titres-restaurant n’existaient pas
encore) ? Pour compenser l’ambiguïté du mot et lutter contre
le préjugé que le talent serait quelque chose de péremptoire,
les entreprises peuvent miser sur le développement profes-
sionnel : en se focalisant sur ce qui plaît à chacun des salariés,
on peut mettre en lumière de nouveaux talents, et organiser
leur mobilité interne pour entretenir leur flamme.
En conclusion de son étude, Jean Pralong invite à « nourrir
le talent par la stratégie » et à parler de compétences plutôt
que de talents, histoire de montrer que l’on s’adresse davan-
tage aux savoir-faire des salariés… plutôt qu’aux jeunes di-
plômés de grandes écoles. Le talent, ça n’existe pas. p

AVIS D’EXPERT | DROIT SOCIAL DES DÉBUTS DE CARRIÈRE DIFFICILES

Retraites et branches : un dispositif méconnu

L T
e code du travail donne aux partenaires
sociaux du secteur privé la capacité d’or-
ganiser les conditions de travail et d’em-
ploi mais aussi « des garanties sociales », au
moyen de conventions collectives de travail de
branche. Il existe ainsi, particularité française,
un abondant droit conventionnel sur la prise
en charge complémentaire au régime général
des frais de santé, ou garantissant des revenus
complémentaires en cas d’incapacité tempo-
raire de travail, d’invalidité ou de décès.
A l’inverse de nombreux autres pays, plus ra-
res sont les accords de branche portant sur des
compléments de revenus aux régimes obliga-
toires de retraite, le régime général de la Sécu-
rité sociale et le régime paritaire Agirc-Arrco.
Méconnus, ces fonds de pension profession-
nels sont dénommés « branche 26 ».
Ces « régimes de branche », lorsqu’ils existent
possèdent toutefois des caractéristiques pro-
pres. De par l’effet impératif de la convention
collective, tout salarié et tout employeur de la
branche doit cotiser. Les sommes collectées
sont capitalisées dans un fonds collectif. En
même temps, ces cotisations sont transfor-
mées en points au moyen d’une « valeur d’ac-
quisition du point », appelée aussi « unité de
rente » ou « prix d’un point ». Au moment du dé-
part à la retraite, la somme des points acquis est
transformée en rente au moyen d’une « valeur
de service du point », un facteur de conversion
exprimé en euros.
Ces valeurs-clés, qui tiennent notamment
compte de la situation de l’emploi et des rému-
nérations propres à la branche, relèvent de la
compétence des partenaires sociaux, et non
plus seulement des directeurs techniques des
organismes assureurs ou de la négociation entre
entreprises et organismes assureurs. Les para-
mètres de calcul figurant dans la convention col-
lective de retraite s’imposent à tout employeur
de la branche. Les engagements ainsi définis des
employeurs envers les salariés au moyen de la rajet d’accès à l’emploi tion en alternance en passant par
convention collective doivent être transférés à (Trace), contrat d’inser- un travail sur l’offre de formation.
des organismes extérieurs de gestion. Pour ce tion dans la vie sociale Leur étude met au jour l’extrême
faire, les entreprises d’assurance, les institutions (Civis), emplois d’avenir, « sensibilité » de ces dispositifs :
de prévoyance ou les mutuelles peuvent créer écoles de la deuxième chance… de multiples variables peuvent
des fonds de retraite professionnel et supplé- Depuis plusieurs décennies, une ainsi jouer dans le succès ou
mentaire, dont les règles légales particulières de multitude de dispositifs sont dé- l’échec de la politique menée. Le
gestion et de contrôle des calculs prévisionnels ployés en France pour tenter de lieu de formation, notamment :
sont adaptées à l’épargne longue. résorber le chômage des jeunes. « Un même diplôme de l’enseigne-
Les avantages d’un tel système de branche sont Sans grand succès : il s’élève à ment secondaire professionnel,
évidents. Pour les employeurs, il y a mutualisa- 17,3 % chez les moins de 25 ans avec une même spécialité, peut QUELLES POLITIQUES DE L’EMPLOI
tion et uniformisation au niveau de la branche en 2022 contre 7,3 % pour l’ensem- aboutir, six mois après la fin des POUR LES JEUNES ?
du coût du dispositif, et donc du coût du travail : ble de la population. Un taux qui études, à un taux d’insertion dans de Pierre Cahuc et Jérémy Hervelin,
il permet en particulier la mise en place de retrai- atteint même environ 50 % pour l’emploi qui varie du simple au sep- Les Presses de Sciences Po,
tes supplémentaires pour les petites entreprises. ceux qui, à 20 ans, ne détiennent tuple selon l’établissement dans 180 pages, 9 euros
Il facilite la mobilité au sein de la branche : cel- au mieux qu’un brevet des collè- lequel il a été préparé », expliquent
le-ci n’aura aucun impact sur la constitution du ges. Dans le même temps, leur les auteurs. Autre exemple, ils
revenu « surcomplémentaire » à la retraite. Enfin, suivi montre ses failles : un jeune soulignent combien les aptitudes élèves [soient] inconnus, même
les montants consacrés à ce type de retraite sont NEET (ni en emploi, ni en études, des conseillers qui accompagnent pour l’écrasante majorité des éta-
largement exonérés de ni en formation) sans expérience les jeunes vers l’emploi peuvent blissements, dont les formations
cotisations sociales. professionnelle sur trois n’est ac- se révéler déterminantes. ont une vocation purement profes-
Pour le salarié, aussi POUR LE SALARIÉ, compagné par aucun organisme. sionnelle ». Ils appellent, sur ce
dénommé « partici- Quelles sont les lacunes des poli- point, au changement.
pant », les éléments de
LES ÉLÉMENTS tiques de l’emploi pour les jeunes
Une « orientation défaillante »
MM. Cahuc et Hervelin jugent Tout comme ils poussent au dé-
stabilité du dispositif DE STABILITÉ en France et quels leviers activer négativement les dispositifs pro- veloppement des liens entre le
sont importants. Il y a pour gagner en efficacité ? Quels posés aux jeunes sortis du sys- système d’enseignement profes-
précompte de sa cotisa- DU DISPOSITIF sont les modèles qui font leurs tème éducatif avec un faible ni- sionnel et les opérateurs accom-
tion par l’employeur à la preuves à l’étranger ? Pierre Cahuc, veau de formation (aides à la re- pagnant les jeunes vers l’emploi,
source. Elle n’est, en SONT IMPORTANTS professeur d’économie à Sciences cherche d’emploi, formation pro- à même de transmettre des infor-
principe, pas fonction de Po, et Jérémy Hervelin, ensei- fessionnelle…) : « En moyenne, les mations précieuses sur les besoins
son âge, contrairement aux systèmes indivi- gnant-chercheur en économie au effets sur l’emploi et sur les rému- d’emploi des entreprises et les for-
duels d’épargne-retraite. Une variation de la va- Thema, centre de recherche asso- nérations sont très faibles. » Qu’en mations. Ils voient à ce sujet dans
leur d’acquisition n’influe pas sur le nombre de cié à l’université CY-Cergy-Paris, se est-il des politiques ciblées sur le les modèles japonais et allemand
points déjà acquis, et la valeur de service est obli- sont penchés sur ces problémati- système éducatif ? Là encore, c’est des motifs d’espoir : de telles inte-
gatoirement la même pour tous les participants ques dans Quelles politiques de leur inefficacité qui est mise en ractions y ont été observées et ont
au régime. Elle ne baisse pas. Enfin, en cas de dé- l’emploi pour les jeunes ? (Les Pres- avant. « Le système français souf- montré qu’elles pouvaient favori-
part de la branche, les points restent acquis ; le ses de Sciences Po). fre d’une inadéquation de l’offre ser efficacement, pour les jeunes,
régime a toujours une dette envers le partici- L’essai dresse un état des lieux de formation », notent les auteurs, « leur accès à l’emploi et à des em-
pant, et une rente lui sera servie à sa retraite. p précis des initiatives françaises qui déplorent « une orientation plois de meilleure qualité, en adé-
comme étrangères visant à ac- défaillante » et un « pilotage à quation avec leurs compétences
Francis Kessler est maître de conférences compagner les jeunes vers l’em- l’aveugle ». En cause, le fait que et leurs aspirations ». p
à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. ploi, des contrats aidés à la forma- « les débouchés professionnels des françois desnoyers
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023 carnet | 25
La Rochelle. Jean Gatty, Christophe Leribault, Lise Lemeunier,
Marie-Anne et Philippe Sarda, président Juliette et Lionel Quernée,
Camille, Céline, Julien, Samuel, ses enfants et son gendre, des musées d’Orsay et de l’Orangerie, Anne Lemeunier et Dominique
Daniel Royer, Claire Bernardi, Chanson,
en vente Le Carnet
ses enfants
Jean-François et Maryse Royer, directrice ses illes et leurs conjoints,
et leurs conjoints,
actuellement Adrien, Lucie, Chloé, Elsa, Jeanne, ses frères et sa belle-sœur du musée de l’Orangerie, Rozenn, Zoé, Léandre,
et toutes leurs familles, Et l’ensemble des équipes ses petits-enfants,
Angelie, Philaé, de l’Établissement public du musée
Vous pouvez nous faire Sa famille de France et des États-
K En kiosque parvenir vos textes
ses petits-enfants,
Atlas, ont la profonde tristesse d’annoncer
d’Orsay et du musée de l’Orangerie - Unis,
Valéry Giscard d’Estaing,
le décès de
son arrière-petit-ils,
soit par e-mail : Claire, rendent hommage à
ont le chagrin de faire part du décès
Jacqueline GATTY, de leur bien-aimée,
100 GRILLES
carnet@mpublicite.fr son épouse,
née ROYER,
(en précisant impérativement Barbara LEMEUNIER,
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 8
votre numéro de téléphone ont la tristesse de faire part du décès Léonard GIANADDA,
survenu le 28 novembre 2023, née SMITH,
créateur
et votre éventuel numéro de à l’âge de quatre-vingt-sept ans. de la Fondation Pierre Gianadda,
ancienne
d’abonné ou de membre à Martigny, maîtresse de conférences
de la SDL) M. Michel DUFOUR, Ses obsèques auront lieu dans membre en études américaines
architecte en chef l’intimité, ses cendres seront dispersées de l’Académie des beaux-arts. à l’université de Provence,
soit sur le site : des bâtiments civils en mer.
survenu le 29 novembre 2023,
https://carnet.lemonde.fr et palais nationaux,
premier grand prix de Rome, Cet avis tient lieu de faire-part. Bienfaiteur, mécène et amoureux à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Dès mercredi 6 décembre L’équipe du Carnet reviendra auteur du premier plan des arts, Léonard Gianadda a
vers vous dans les meilleurs entretenu depuis de très longues Ils rappellent le souvenir de son
de sauvegarde et de mise en valeur 15, rue Soulot,
années des liens forts avec les époux,
délais pour vous confirmer de la ville de La Rochelle 75005 Paris.
musées d’Orsay et de l’Orangerie.
la parution. en 1978, Il a notamment permis en 2019 Yves LEMEUNIER.
HORS-SÉRIE
ancien combattant d’Algérie, 2, rue Pierre-Loti,
l’acquisition de l’œuvre de Paul
croix de la Valeur militaire 92340 Bourg-la-Reine.
Gauguin « Le chapeau rouge » (1886). Yves et Barbara ont été mariés
carnet@mpublicite.fr avec étoile de vermeil, Aux côtés de Daniel Marchesseau, pendant cinquante-huit ans.
https://carnet.lemonde.fr 5, avenue des Solitaires, il a été parmi les découvreurs de
78320 Le Mesnil-Saint-Denis. l’artiste Sam Szafran et a participé
40
survenu à l’âge de quatre-vingt-treize La cérémonie d’adieu aura lieu au
AU CARNET DU «MONDE» ans. par des prêts exceptionnels à la crématorium de Provence d’Aix-Les
CARTES 49, rue du Moulin-des-Prés, rétrospective organisée en 2022. Il Milles, le samedi 9 décembre, à 9 h 30.
POUR COMPRENDRE
75013 Paris. a également apporté son généreux
UN MONDE FRACTURÉ L’hommage civil sera célébré le
Naissance soutien aux actions menées par le
vendredi 8 décembre 2023, à 14 h 30, Paris. Ancy-le-Franc. Venosc.
Courdimanche. Montpellier. musée de l’Orangerie en faveur du
Naomi NICOLAS KAUFMAN au crématorium de Mireuil-La Rochelle. jeune public et des familles. Il y a
Hors-série et Samuel GHILES MEILHAC, Clermont-l’Hérault. Mme Anne-Marie Le Baillif-Thoyer,
ses parents, quelques semaines, Léonard Gianadda
Ni leurs ni plaques. son épouse,
Abraham, Fabien, conirmait l’étape à Martigny pendant
Sophie et Catherine Thoyer,
son frère, son époux, l’été 2024 de l’exposition itinérante
ses illes,
HORS-SÉRIE

ont la joie de faire part de la naissance Condoléances sur « Cézanne-Renoir » organisée par
Thomas et Stéphanie, Sa sœur,
de www.pfpubliques.net l’Établissement. Ses petits-enfants,
son ils et son épouse,
L’ATLAS
DES
6 000 ANS 150 CARTES
Zohar, Esmée, Élisabeth
KAUFMAN MEILHAC, Cet avis tient lieu de faire-part et
Lou,
sa petite-ille,
Nous nous souviendrons avec
Ses proches,
D’HISTOIRE & INFOGRAPHIES émotion de son engagement pour ont la profonde tristesse de faire part
de remerciements. Toute sa famille le rayonnement des artistes et des du décès, du
le 25 novembre 2023. Et ses amis, collections de nos musées.
Marseille.
docteur
Décès ont la profonde tristesse d’annoncer
M. Michaël Levinas, Xavier THOYER,
Suzanne, le décès de président, psychiatre, pianiste
Les familles Brillot, Bruneteau, son épouse, M. Laurent Petitgirard, et alpiniste passionné,
Podalydès, Aicher, Runge, M me
Anne GAZZAL,
Hors-série Ses enfants, secrétaire perpétuel
Béatrice, née BOISSIÈRE,
Ses petits-enfants Et tous les membres survenu le 2 décembre 2023.
son épouse,
Et arrière-petits-enfants, professeure d’allemand, de l’Académie des beaux-arts,
Jean Philippe, Anne Françoise et
Catherine, 19, avenue du Général Leclerc,
ses enfants, survenu le 1er décembre 2023, ont la tristesse de faire part du décès 75014 Paris.
HORS-SÉRIE
ont la grande peine de faire part du
leurs conjoints, Monica, Bruno et à Villejuif, de leur confrère,
décès de
Lutz, à l’âge de soixante-douze ans. Martine Ullern,
Mathilde, Jean, Léon, Nino et Anouk, son épouse,
UN LONG CHEMIN ses petits-enfants, Jean DUMINY, La cérémonie d’adieu aura lieu le Léonard GIANADDA,
VERS L'INFINI Alexandre et Morgane,
Gaston et Isaline, architecte, urbaniste, membre associé étranger
8 décembre, à 14 h 30, au cimetière Eléonore et François,
ses arrière-petits-enfants, aquarelliste, de l’Académie des beaux-arts,
de Courdimanche (Val-d’Oise). ses enfants,
Toute la famille, membre de l’Institut,
Les amis, président
survenu le 2 décembre 2023, ont la tristesse de faire part du décès
de la Fondation Pierre Gianadda,
ont le chagrin d’annoncer la disparition à l’âge de quatre-vingt-six ans. de
M. Léonard GIANADDA, commandeur
de né le 23 août 1935, de la Légion d’honneur,
Hors-série Un dernier hommage lui sera Stéphane ULLERN,
ingénieur, grand oicier
Jacques BRILLOT, rendu le 8 décembre, à 14 h 30, au dans l’ordre national du Mérite,
docteur-vétérinaire, survenu le 2 décembre 2023.
funérarium Saint-Pierre, Marseille 5e. nous a quittés dans sa quatre-vingt- commandeur
Toulouse 1947. dans l’ordre des Arts et des Lettres,
Musée d'Histoire de Nantes
Exposition : 14.10.23 - 05.05.24 neuvième année, le 3 décembre 2023. Une cérémonie aura lieu le
HORS-SÉRIE

Il s’est éteint, apaisé le vendredi Le 11 décembre, à 10 h 30, en la salle de la

Comment 1er décembre 2023, dans sa quatre- Le sourire de Léonard. « Ce qui Coupole du cimetière du Père-Lachaise,
les Mongols vingt-dix-huitième année. survenu le dimanche 3 décembre 2023,
professeur reste d’un homme, c’est son sourire. Paris 20e.
ont changé à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
le monde Jean FAIVRE, Léonard Gianadda est cet homme
Il lisait Le Monde depuis sa création. L’inhumation se déroulera ensuite
gastro-entérologue, qui sourit », Jean Clair, de l’Académie
GENGIS La cérémonie civile aura lieu ce jeudi fondateur du registre bourguignon française.
Une cérémonie œcuménique sera
célébrée en l’église Saint-Michel
à Berville-sur-Mer.

KHAN 7 décembre, à 9 h 30, au crématorium,

2, chemin de la Justice, à Nantes.
des cancers digestifs,
ancien président Vous font part de leur profonde
de Martigny-Bourg (Suisse), ce jeudi
7 décembre, à 10 heures. Commémoration
de la fédération francophone tristesse
En partenariat
avec

beatrice.bruneteau@neuf.fr de cancérologie digestive, François Gianadda et Lucia Cet avis tient lieu de faire-part. Commémoration de la déportation
Bourgeois, des Juifs de France par l’association
Hors-série
Rennes. Paris. est décédé le 2 décembre 2023. Olivier Gianadda et Jelena Académie des beaux-arts, « Les Fils et Filles des Déportés Juifs de
Janackovic, 23, quai de Conti, France » et le Mémorial de la Shoah,
Thierry Caillier, Ses obsèques seront célébrées 75270 Paris cedex 06. avec le soutien de la Fondation pour la
ses chers ils et leurs compagnes,
son ils, en l’église Notre-Dame, à Talant Fabrice Bourgeois et Barbara Mémoire de la Shoah.
UNE VIE, UNE ŒUVRE

(Côte-d’Or), le samedi 9 décembre, Stangherlin, Paris.

ÉDITION
2023
a la tristesse de faire part du décès de Cérémonie à la mémoire des
à 9 heures. son petit-ils et sa compagne,
Sylvie et François-Henri Lebot, déportés du convoi n° 64 partis, il y a
M me
Marie-Jeanne CAILLIER, Sophia,
née L’HÔTE, sa sœur et son beau-frère, 80 ans, du camp de Drancy pour le
Aix-en-Provence. son arrière-petite-ille,
Pierre-Yves et Maëlys, camp d’extermination d’Auschwitz-
Les fidèles collaborateurs et
Léo survenu le 17 octobre 2023, à Rennes, ses neveu et nièce, Birkenau.
Ferré Nicole Flavin, collaboratrices de son bureau et des
L’indigné à l’âge de cent deux ans.
Fondations, ont le regret de faire part du décès de
sa femme, Jeudi 7 décembre 2023, à 12 heures.
Avec Aragon, Bernard Lavilliers, Catherine Ribeiro, Marie-Christine Ferré…
Elle repose au cimetière de l’Est à culturelle, Pierre, Gianadda,
Annabelle, Capucine Flavin,
Rennes. sociale, Annette Léonard Gianadda, Françoise GICQUEL,
Hors-série ses illes, mécénat, Léonard Gianadda
Lecture des noms des 1000 déportés,
chevalier de la Légion d’honneur,
leurs compagnons, Denis, Aurel, dont 156 enfants, du convoi n° 64.
Montpellier. Les Angles. Villeneuve- Ainsi que les familles amies, ancien commissaire divisionnaire,
Morgane, Tristan, Jérémy, Ophélie, Seuls 79 déportés sont revenus.
lès-Avignon. Parentes et alliées.
ses petits-enfants, survenu le 1er décembre 2023, à Paris,
HORS-SÉRIE

Mme Michelle Califano, à l’âge de soixante-douze ans. Mémorial de la Shoah,

Elina, Un merci tout particulier aux
sa maman, 17, rue Geofroy-l’Asnier,
son arrière-petite-ille, médecins et au personnel soignant
M. et Mme Jean-Christophe Califano La cérémonie d’adieu aura lieu 75004 Paris.
Dominique et Claude Cohen, des hôpitaux de Lausanne, Sion et
et Kristi Holland, ce 7 décembre, à 15 heures, au
son frère et sa belle-sœur Martigny (Suisse).
sa sœur et son beau-frère, crématorium du cimetière du Père- Renseignements :
LES et leurs enfants, Julien et Dylan,
SECRETS Mme Marguerite Cros,
Julie, Jean-André et Bastien Rognone,
Léonard repose au funérarium
Lachaise, Paris 20e. Tél. : 01 53 01 17 99.
DE LA Email :
MYTHOLOGIE sa compagne, ses neveux et petit-neveu d’Octodure de Martigny-Bourg où Ni leurs ni couronnes. Des dons wendy.schando@memorialdelashoah.
LES DIEUX DE BABYLONE Marion, Ainsi que toute la famille, les visites sont libres ce mardi
sa ille peuvent être faits au profit des org
5 décembre 2023, de 8 h 30 à orphelins de la police et de la
Et Nicolas,
En partenariat avec

son gendre, ont la tristesse de faire part du décès 20 heures et le mercredi 6 décembre recherche médicale.
Hors-série Parents, alliés de de 8 h 30 à 16 heures.
Cet avis tient lieu de faire-part et Société éditrice du « Monde » SA
Et amis, Président du directoire, directeur de la publication
Il reposera ensuite à la Fondation de remerciements. Louis Dreyfus
ont la tristesse de faire part du décès Robert-Louis FLAVIN, Directeur du « Monde », directeur délégué de la

Nos services de dit Bob,

M. Benoît CALIFANO,
Lecteurs journaliste
et directeur de l’École supérieure
de journalisme de Montpellier,
K Abonnements
Sur abo.lemonde.fr survenu le dimanche 3 décembre 2023,
Par tél. au 03 28 25 71 71 à l’âge de cinquante-six ans.
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local)
Les obsèques civiles seront
K Le Carnet du Monde célébrées le lundi 11 décembre, au
carnet@mpublicite.fr complexe funéraire de Grammont,
à Montpellier.
La famille remercie toutes les
personnes qui par leur présence
ou leurs marques de sympathie
s’associeront à sa peine.
survenu le lundi 27 novembre 2023.
La cérémonie a eu lieu ce mercredi
6 décembre, à 10 h 30, au crématorium
des Milles, à Aix-en-Provence.
Le Monde perd un idèle lecteur
de plus de soixante-dix ans de lecture
soutenue et assidue.
Ses dons allaient principalement
aux Associations de recherche sur
le cancer et aux Restos du Cœur.
Pierre Gianadda où la famille sera
présente le mercredi 6 décembre de
19 heures à 20 h 30.
Une cérémonie œcuménique sera
célébrée en l’église Saint-Michel de
Martigny-Bourg, le jeudi 7 décembre,
à 10 heures.
En lieu et place de leurs, pensez
aux plus démunis par la Fondation
Sociale Annette Léonard Gianadda,
IBAN CH72 0076 5001 0075 7750 8.
Adresse de la famille :
Case postale 528
CH 1920 Martigny.
Catherine, Annabel et Robin,
Sa famille
Et tous ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Michel JAFFRENNOU,
artiste, metteur en scène
et réalisateur vidéo,
survenu le 1er décembre 2023.
La cérémonie aura lieu ce jeudi
7 décembre, à 13 heures, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e.
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard,
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis
Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services
abonnés Françoise Tovo
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
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(cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
Direction artistique Emmanuel Laparra
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe
Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
présidente, Gilles Paris, vice-président
26 | horizons
Le fentanyl,
drogue star
des cartels
mexicains
NARCO BUSINESS, LES FILIÈRES DU FENTANYL 1|3 Bertrand
Monnet, professeur à l’Edhec et spécialiste
de l’économie du crime, mène depuis
des années une étude de terrain sur le trafic
de cette drogue qui fait chaque année des
dizaines de milliers de morts. Première étape
à Culiacan, « capitale » du cartel de Sinaloa
U
ne piste, la nuit, au nord de
Culiacan. J’ai rendez-vous
avec un cadre du cartel de
Sinaloa. Après un quart
d’heure d’attente au point
GPS communiqué au préala-
ble sur WhatsApp, un long 4 × 4 GMC blanc
approche, tous phares allumés. Un homme
vêtu d’un gilet pare-balles, coiffé d’un casque
en Kevlar, se tient debout dans la benne, une
main sur la crosse d’une mitrailleuse de
7,62 millimètres posée sur le toit. Trois autres,
que l’on devine également armés, sont assis
derrière lui. Plusieurs silhouettes se dessinent
derrière les vitres fumées de l’habitacle.
Le 4 × 4 ralentit à la hauteur du pick-up
Toyota dans lequel je me trouve avec un
conducteur affilié au cartel. Surgissant de
l’obscurité, deux hommes cagoulés équipés
de fusils d’assaut AK-47 et M4 grimpent sur le
plateau arrière de notre véhicule. « On les
suit », ordonne l’un d’eux, au moment où le
GMC nous dépasse. Après vingt minutes de
piste, le convoi s’arrête dans une sorte de cu-
vette, entre un bois et le pré d’un ranch éclairé
par la lune. Seuls les grillons et de courts mes-
sages crachés par les radios Motorola de notre
« escorte » troublent le silence de la nuit.
Un homme en veste de treillis s’avance vers
notre pick-up. Lui aussi porte une cagoule,
sous laquelle il a glissé un portable collé à son
oreille, afin d’avoir les mains libres. « Surtout,
garde ton téléphone éteint, lâche-t-il à voix
basse. Et tu sors quand on te le dit. » Une
dizaine d’hommes inspectent les alentours.
Deux d’entre eux pointent leurs fusils vers la
cime des arbres en scrutant le ciel, afin de
repérer d’éventuels drones.
Le « cadre » que je viens rencontrer sort
enfin du GMC blanc. Appelons-le Juan. Sa
place au sein du cartel – une organisation
structurée de façon horizontale, composée
de plusieurs dizaines de clans – en fait un
interlocuteur fiable : il dirige les tueurs
(les sicarios, dans le jargon des « narcos ») de
l’un de ces clans, implanté à Culiacan, une
ville de 900 000 habitants, le fief de cette
organisation mafieuse considérée comme la
plus puissante du Mexique.
Vêtu d’une parka militaire, un fusil d’assaut
en main, il s’avance dans la lumière des pha-
res : « On peut se parler, mais il faut faire vite,
on ne peut pas rester longtemps ici. » Ses
craintes : une opération de l’armée ou le
repérage par les drones de la Drug Enfor-
cement Agency, l’agence antidrogue amé-
ricaine. Il faut dire que son clan est un gros
producteur de fentanyl, la drogue star du
cartel. Trente fois plus forte que l’héroïne,
elle est en grande partie responsable
des 130 000 morts par overdose d’opioïdes
survenues en 2022 aux Etats-Unis. Dans ce
pays, elle est même devenue la première
cause de décès évitable chez les 18-45 ans, de-
vant les morts par armes à feu, les suicides et
les accidents de la route.
Le fléau a pris une telle ampleur, ces derniè-
res années, que le président américain, Joe
Biden, a lancé, en juillet, un plan de 46 mil-
liards de dollars (42 milliards d’euros) destiné
à la fois à enrayer la consommation de fenta-
nyl et à pousser le Mexique à attaquer fronta-
lement son principal producteur : le cartel de
Sinaloa. Jusqu’alors, les autorités de Mexico
redoutaient pareille guerre contre les trafi-
quants. Le 17 octobre 2019, le président mexi-
cain, Andres Manuel Lopez Obrador, avait
même ordonné la libération d’Ovidio Guz-
man, le fils d’« El Chapo », chef historique du
cartel, incarcéré aux Etats-Unis depuis 2017.
« BIEN SÛR, C’EST TRÈS DANGEREUX »
L’arrestation de cet homme recherché depuis
des années avait donné lieu à de violents
combats (treize morts) au cœur de Culiacan.
Encerclées par des centaines de « narcos »
venus d’autres villes et de la Sierra Madre
voisine, territoire historique du cartel, les for-
ces de sécurité avaient dû libérer leur prison-
nier. L’Etat avait préféré capituler plutôt que
de risquer un énième bain de sang dans ce
pays où les violences liées aux trafics ont fait
plus de 300 000 morts depuis 2003.
Avec le temps, la position du Mexique a
fini par changer. Le 5 janvier, soit une se-
maine avant la première visite officielle de
Joe Biden dans le pays, l’armée arrête de
nouveau Ovidio Guzman à Culiacan. L’opé-
ration est particulièrement meurtrière
(dix morts chez les militaires, dix-neuf chez
les « narcos »), mais elle marque bien la
volonté des Mexicains d’éradiquer le cartel.
Des membres d’un clan du cartel de Sinaloa, près de Culiacan (Mexique).
Dans un atelier de fabrication de pilules M30, à Culiacan (Mexique).
Sept mois plus tard, Ovidio Guzman sera
extradé vers les Etats-Unis.
Revenons au bord de la piste, auprès de-
Juan. « Avec nous et autour, là, dans la zone, il
y a trente hommes, confie-t-il, sur ses gar-
des. Moi, je m’occupe de la sécurité du chef et
du clan dans son ensemble. Et aussi de la pro-
tection de la marchandise : les pastilles de fen-
tanyl. » Les sicarios qu’il commande sont des
tueurs expérimentés, chargés, pour environ
1 000 dollars par mois, d’éliminer toute per-
sonne susceptible de nuire au business.
Policiers, militaires, informateurs, journalis-
tes, concurrents, traîtres… Rien qu’à Culiacan,
le cartel tue en moyenne quatre personnes
par jour. Juan refuse de dire s’il a lui-même
tué, mais il poursuit : « Oui, bien sûr, c’est très
dangereux. J’ai déjà perdu cinq hommes. Les
gens pensent qu’on a la belle vie, mais c’est faux.
Nous venons de la Sierra. Là-bas, on ne peut
rien faire d’autre, c’est pour ça qu’on fait ça. »
TRENTE FOIS PLUS Le cartel n’est pas pour autant un gang de
FORT QUE psychopathes. C’est avant tout une multina-
tionale du crime pour laquelle cette ultra-
L’HÉROÏNE, violence n’est qu’un « outil » mis au service de
son seul objectif : le profit. Cocaïne, héroïne,
LE FENTANYL EST marijuana, méthamphétamines et, désor-
EN GRANDE PARTIE mais, fentanyl : chaque année, l’organisation
vend des centaines de tonnes de drogue dans
RESPONSABLE une quarantaine de pays, à commencer par
les Etats-Unis, son débouché principal.
DES 130 000 MORTS Le cartel, dont les gains se chiffrent en mil-
liards de dollars, compterait environ
PAR OVERDOSE 19 000 membres, au Mexique et à l’étranger.
D’OPIOÏDES Malgré tout, on l’a vu, il n’est pas structuré de
façon pyramidale, mais comme une sorte de
SURVENUES EN 2022 coopérative. « Il n’y a pas de clans supérieurs
ou inférieurs, tous sont au même niveau »,
AUX ÉTATS-UNIS confirme Juan. Les clans sont autonomes
dans la conduite de leur business, mais en
étant placés les uns et les autres sous la tu-
telle générale d’un état-major commandé
par un chef unique : Ismael Zambada Garcia,
alias El Mayo, le « boss » de la coopérative.
Sous son contrôle, la très haute hiérarchie du
cartel garde la main sur trois éléments essen-
tiels : la corruption à grande échelle des pou-
voirs publics, l’achat à l’étranger de tonnes de
produits entrant dans la fabrication de dro-
gues de synthèse et les machines utilisées
pour confectionner les pastilles de fentanyl.
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Rencontrer les membres de cet état-major
est impossible. Après neuf ans de travail sur le
cartel, j’ai tout de même pu, après de multi-
ples échecs, discuter avec un proche d’« El
Chapo », le chef historique. Retiré des affaires
du cartel après avoir purgé une peine de pri-
son, il a accepté d’écouter ma présentation du
projet : comprendre l’économie de cette en-
treprise criminelle en observant ses trafics
sur le terrain. Après des mois d’échanges, il a
fini par donner son accord pour me mettre en
relation avec plusieurs chefs de clans majeurs
qui, respectueux de l’autorité morale qu’il
conserve sur eux, ont accepté de m’ouvrir
leur territoire, malgré les risques que font
courir de telles rencontres avec un étranger.
LE GROUPE WHATSAPP DES GUETTEURS
« C’est dangereux de rester là, intervient sou-
dain Juan. Imagine ce qui arrive si l’armée
vient nous chercher ici… » D’un geste, il or-
donne à ses hommes de se préparer à partir,
puis m’indique la piste à emprunter, à l’op-
posé de celle sur laquelle son propre pick-up
s’engagera. Après deux carrefours, Pablo,
mon conducteur, me dit qu’il n’est pas sûr
d’être sur le bon itinéraire. Or, les sicarios ont
été clairs : interdiction d’allumer nos télé-
phones et nos GPS, tant que nous n’avons pas
parcouru au moins 5 kilomètres.
Après dix minutes de trajet entre des
champs et des barrières d’enclos, nous
débouchons dans un hameau de quatre
ranchs. « Puta madre ! Nous sommes sur le
territoire d’un autre clan ! », s’exclame Pablo
en manœuvrant pour faire demi-tour. A
peine notre 4 × 4 est-il en travers de la piste
que trois types armés déboulent du ranch le
plus proche. Distinguant un gringo (« étran-
ger ») par la vitre ouverte, ils s’approchent.
Le plus jeune me fixe en sortant la crosse
son arme. Pablo lui explique qui nous
venons de rencontrer, en s’excusant de
s’être égaré sur leur territoire. « Ah O.K., tran-
quillo amigos ! Il n’y a pas de problèmes alors.
Avec ce clan, on s’aime bien… » Lâchant leurs
armes, ils nous serrent la main et nous
orientent vers la route de Culiacan.
Chaque clan est structuré de façon simi-
laire. Au-delà des sicarios, le chef commande
trois entités, chargées de missions spécifi-

0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Le responsable d’un réseau de laboratoires, à Culiacan (Mexique).
Pesage des pilules M30, à Culiacan. Images extraites de notre série vidéo « Narco Business ». « LE MONDE »/EDHEC
ques. D’abord, la logistique, scindée entre le vant un rideau de fer. De l’intérieur, une
transport et le stockage des produits : une main inconnue le lève de 50 centimètres et
fonction peu exigeante, mais très risquée, me fait signe de me glisser dessous. Derrière,
confiée d’ordinaire aux nouveaux venus. une entrée sombre, puis une porte donnant
Ensuite, le blanchiment : transformer le cash accès à une pièce éclairée par un projecteur
dégagé par la vente de drogue en investisse- blanc. Deux hommes en combinaison de
ments insoupçonnables est le job quotidien protection, capuche sur la tête et masque sur
d’une poignée d’hommes spécialisés dans le visage, s’activent autour d’un établi. Ce
les transferts d’argent et le placement des sont des cocineros (« cuisiniers »), les chimis-
dollars dans des dizaines de business légaux, tes du clan. Dans le bruit continu d’un venti-
que ce soit au Mexique, aux Etats-Unis, en lateur, ils manipulent de longues poches de
Europe ou, bien sûr, dans des paradis fiscaux. plastique remplies de différents produits.
Troisième « département », sans doute le « Ça, c’est le fentanyl pur », m’explique le pre-
plus important : la production, avec une prio- mier en désignant un sac de poudre blanche.
rité donnée aux drogues de synthèse et,
avant tout, au fentanyl. SACHETS THERMOSOUDÉS
Après des mois de négociations menées Les « narcos » ne fabriquent pas eux-mêmes
avec l’appui du proche d’« El Chapo » men- ce médicament antidouleur, mais ils par-
tionné ci-avant, le chef d’un autre clan du car- viennent à s’en procurer de grandes quanti-
tel a accepté que j’accède à un laboratoire ca- tés – sous forme de poudre – auprès d’inter-
ché au cœur de Culiacan. Le soir même, je médiaires asiatiques qui l’ont eux-mêmes
pars vers le quartier où il se trouve. Au volant acheté à des laboratoires pharmaceutiques LA DROGUE N’EST
d’une Ford banale, le « narco » qui me chinois. Le rôle des cocineros est de travailler PAS PRODUITE DANS
conduit sur place envoie un message vocal cette base en y ajoutant divers produits, en
sur le groupe WhatsApp des punteros, les particulier des acides, parfois même d’autres D’IMPOSANTES
« guetteurs » que le cartel déploie en perma- drogues, au gré des commandes.
nence par dizaines dans la ville. Ils sont pos- « Là, tu as l’héroïne avec laquelle on fait un INSTALLATIONS,
tés aux carrefours, attablés aux terrasses ou mélange avec le fentanyl pour une commande
sillonnent les grands axes à moto afin de ren- du client A »,dit ainsi l’un des cuisiniers en
MAIS DANS TOUTES
seigner sans cesse les « narcos » en mou- montrant un autre sac de poudre frappé de SORTES DE LOCAUX
vement dans Culiacan sur les déplacements l’inscription « Chiva », le nom de l’héroïne que
de l’armée et de la police fédérale. « Je pars de le cartel produit sur son territoire depuis des INSOUPÇONNABLES :
la zone Humaya vers le quartier de la Gua- décennies. « Et voici le produit pour le client B,
dalupe, signale le chauffeur. C’est dégagé ? » et celui pour le client C. » En fonction des de- CAVES, GARAGES,
La réponse tombe vite : « Attention : check- mandes de la clientèle, plusieurs « cocktails » ATELIERS, CABINETS
point de l’armée sur la calle Leyva-Solano. sont envisageables, en dehors du fentanyl
Contourne par l’est sur l’avenue Nicolas-Bravo, pur.Les toxicomanes savent qu’il peut être DENTAIRES…
là c’est dégagé. » mixé avec des analgésiques vétérinaires pour
Convois armés, patrouilles à pied, barrages, produire la « tranq » (la « drogue du zombie »,
perquisitions domiciliaires de jour comme particulièrement addictive) ou avec de la co-
de nuit, drones : les forces de sécurité tra- caïne et de l’héroïne pour donner le speed ball.
quent les labos de production des pastilles de « RAS dans mon secteur, c’est calme. » Posée
fentanyl. Pour éviter de se faire détecter et sur une armoire du « labo », une radio porta-
limiter les pertes en cas de saisie, les « nar- tive émet en continu les messages des guet-
cos » ne produisent donc pas la drogue dans teurs postés dans les parages. Les descentes
d’imposantes installations, mais dans toutes de l’armée et de la police fédérale sont fré-
sortes de locaux a priori insoupçonnables : quentes dans cette région du Mexique, et
caves, arrière-boutiques, garages, entrepôts, elles tournent toujours à l’affrontement
ateliers, cabinets dentaires… armé. Pour les « narcos », le danger peut aussi
Après avoir tourné vingt minutes dans des venir de gangs rivaux, prêts à lancer des raids
rues mal éclairées, le chauffeur se gare de- pour piller des labos. Ces risques, à leurs
yeux, sont le prix à payer. « Par nuit, je gagne
1 000 dollars, annonce le cocinero. C’est un
bon salaire, mais ce job est dangereux. J’ai déjà
été attaqué par un autre clan. On a survécu
parce que nous avions été prévenus par notre
équipe de sécurité. On a laissé tout le produit
et on a dégagé en une seconde. Nos vies, voilà
le plus important », m’explique-t-il, alors qu’il
tient dans sa main un sac de pastilles qui, el-
les, tueront bientôt des dizaines de person-
nes, aux Etats-Unis ou ailleurs.
A l’autre bout de l’établi, le second cocinero,
une cuillère en main, dépose des pastilles
bleues sur le plateau d’une balance électroni-
que. Chaque pastille est frappée de l’inscrip-
tion « M30 » : le nom donné à cette drogue en
référence à son pouvoir psychotrope trente
fois supérieur à celui de l’héroïne. Quand
l’écran de la balance affiche 40 grammes, il
les glisse dans un sac en plastique, placé
ensuite au bord d’une machine à thermo-
souder. En quelques secondes, le sac est vidé
de son air, ses bords bien collés. « Au total,
nous avons là environ 40 000 pastilles, soit la
production des vingt-quatre dernières heu-
res », précise le « cuisinier » en montrant les
boîtes en plastique pleines de M30, et le tas
de petits sacs empilés au bout de l’établi.
La production du jour est terminée. Je com-
prends que les « narcos » m’ont autorisé à
voir les pastilles de M30 et les produits qui les
composent, mais pas à observer la façon
dont ils les ont fabriquées. Devant mon insis-
tance, l’homme responsable du réseau des
sept laboratoires auquel celui-ci appartient
accepte pourtant de témoigner, mais sans dé-
voiler sa place au sein du cartel lorsque je l’in-
terroge à ce sujet. « Pour ma sécurité et pour la
tienne, je ne répondrai pas à cette question,
prévient-il. Je peux juste te dire que j’occupe
une position importante, sinon je ne pourrais
pas produire de fentanyl. » C’est ainsi dans les
clans en pointe sur ce marché : les personnes
chargées de piloter la production sont des
« narcos » d’expérience, d’un rang élevé dans
la hiérarchie interne et assurés de la
confiance totale du chef de clan.
Tous savent combien cet opioïde si dange-
reux pour les consommateurs l’est aussi
pour ses producteurs, tant il attire la répres-
sion. Les labos doivent donc être gérés par
des affidés bénéficiant d’une implantation
ancienne sur le territoire où ils opèrent, seule
à même de leur procurer une garantie essen-
tielle : la capacité à corrompre les forces de
sécurité locales. « De l’argent. De l’argent pour
la sécurité, de l’argent pour la tranquillité : oui,
bien sûr, on coopère avec la police », confirme
notre interlocuteur.
S’il refuse de dire combien il paie les poli-
ciers, il précise que ce coût est dérisoire par
rapport aux profits dégagés par les la-
bos. Idem pour les « frais généraux » liés à la
sécurité, tels que les salaires des tueurs ou
des guetteurs. De fait, les sommes en jeu sont
considérables. Toujours d’après le respon-
sable des sept laboratoires du clan, le fenta-
nyl pur importé de Chine par l’état-major du
cartel coûte de 16 000 à 17 000 dollars le kilo.
Entre les produits chimiques et les salaires
des cocineros, la transformation en pastilles
coûte au maximum 300 dollars par kilo. Des
coûts infimes si l’on tient compte de la valeur
du produit fini, autrement dit le kilo de M30
prêt à être vendu aux Etats-Unis à des trafi-
quants qui l’achètent en gros : « 400 000 dol-
lars le kilo en ce moment », assure notre inter-
locuteur. En bout de course, dans les rues de
New York ou d’autres villes, chaque pastille
sera vendue 10 dollars. En sachant que des
centaines de milliers de toxicomanes en
achètent plusieurs chaque jour aux Etats-
Unis – certains se font jusqu’à dix injections
quotidiennes –, on mesure l’ampleur du bu-
siness orchestré du Mexique.
Interrogé sur la façon dont son clan blanchit
et investit les bénéfices de ce trafic, l’homme
se ferme et me fait comprendre qu’il est
temps de partir. Les deux heures passées dans
les vapeurs chimiques de ce laboratoire ont
permis de voir le produit fini et d’en savoir un
peu plus sur le « modèle économique » de ce
trafic. Mais pour vraiment comprendre les
rouages, il faudrait aller plus loin et observer,
cette fois de A à Z, toutes les étapes de la fabri-
cation de la M30. Profitant de l’attente impo-
sée par le passage d’un drone au-dessus de la
zone, je demande au « boss » s’il serait possi-
ble de revenir pour assister à l’intégralité du
processus. Agacé, il répond qu’il va demander
l’autorisation à son chef, mais qu’il faudra
sans doute patienter une dizaine de jours,
sans garantie de réponse positive.
horizons | 27
Le contexte n’est pas favorable. Quarante-
huit heures plus tard, un contact au sein du
cartel m’informe en effet qu’un journaliste
d’investigation mexicain travaillant depuis
longtemps sur le cartel, Luis Enrique Ramirez,
vient d’être assassiné par l’organisation dans
Culiacan, à moins de 1 kilomètre de mon
hôtel. « C’est dangereux pour toi de rester, pré-
vient cette source. Tu dois partir. » Il faut ren-
trer en France. Et patienter. Après trois mois
d’attente, la réponse du chef du clan finira par
tomber : la situation étant plus calme, il est
possible de visiter un autre labo à Culiacan.
Cette fois, pas de responsable de la produc-
tion, juste deux cocineros équipés comme des
employés de centrale nucléaire (combinai-
son, masque, gants en caoutchouc). L’un
d’eux vérifie que mon téléphone est éteint.
Leur lieu de travail : un atelier de confection !
Dans un coin de la pièce, on remarque des
mannequins en plastique et deux machines à
coudre. Les cuisiniers s’activent autour d’une
table. « Le fentanyl », m’indique le plus grand
en sortant d’un pot un sachet de poudre blan-
che. Sur l’une des faces du sachet est collée
une étiquette portant des caractères chinois,
un sceau entouré de rouge frappé de la men-
tion « certificat de production » et une suite de
lignes de chiffres et de lettres. « Une quantité
comme ça, c’est la mort assurée », dit-il en pré-
levant de la poudre avec une cuiller en métal.
JÉSUS ET LA PRESSE À COMPRIMÉS
Lentement, il verse 8 grammes de poudre sur
une balance, puis les répand sur un mélange
de 500 grammes d’acétone et d’autres pro-
duits qu’il a filtrés dans un tamis puis étalés
dans un bac en aluminium. « Mets bien ton
masque ! L’acide chlorhydrique, c’est pour la
couleur », dit-il en versant sa mixture sur la
poudre à l’aide d’une seringue. Après avoir
pulvérisé de l’acide propionique, il mélange
le tout avec une spatule. En quelques minu-
tes, il obtient ainsi une pâte bleue, étalée
comme une galette sur le plateau du bac.
Le cocinero sort ensuite une loupe afin de
scruter chaque centimètre du mélange, puis
éteint la lumière et poursuit l’inspection du
produit à l’aide d’une lampe à ultraviolets.
Son obsession : s’assurer que tous les grains
de poudre sont bien dissous.
« Maintenant, ça va sécher vingt-quatre
heures et devenir la poudre que tu vois là », pré-
cise-t-il en se dirigeant de l’autre côté de la
table, où 500 grammes de poudre bleue repo-
sent sur une feuille de papier d’aluminium. Il
plie la feuille et verse la poudre dans un cône
métallique fixé sur le dessus d’une étrange
machine : une presse à comprimés, comme
celles utilisées par les laboratoires pharma-
ceutiques industriels. Importée d’Inde, celle-ci
n’appartient pas au clan : chaque semaine, elle
tourne entre plusieurs producteurs de M30.
Le cocinero place un seau en contrebas de la
table et appuie sur le bouton de démarrage.
Dans un claquement sec, une pastille bleue
frappé du sigle M30 jaillit du plateau métalli-
que fixé à l’avant de la machine. Des milliers
d’autres suivront, remplissant le seau au
rythme d’une par seconde. Arrive alors l’ul-
time étape : la vérification du produit, le
« contrôle qualité » en quelque sorte. Le coci-
nero dépose une pastille prélevée dans le
seau sur un morceau de feuille d’aluminium
qu’il chauffe avec un briquet jusqu’à ce que la
pastille se transforme en un liquide brun.
« O.K., c’est de la bonne qualité ! », me dit-il,
satisfait. Il faut que la M30 se dissolve inté-
gralement pour être injectée dans les veines
des « clients »… Posés devant une statuette du
Christ, les sacs de M30 attendent désormais
d’être exportés vers New York et en particu-
lier Manhattan, un marché stratégique pour
le cartel de Sinaloa. p
bertrand monnet
Prochain article Overdose de fentanyl
dans les rues de New York
Bertrand Monnet est professeur à l’Edhec
(école de commerce), titulaire de la chaire
« Management des risques criminels ». A ce titre,
il s’intéresse au cartel de Sinaloa depuis 2014.
Il lui a fallu des années pour identifier
des intermédiaires capables de garantir à la fois
la fiabilité de ses interlocuteurs et sa sécurité.
Cette enquête sur le fentanyl, qui a donné lieu
à une série vidéo en trois volets diffusée sur
Lemonde.fr, a nécessité de nombreux séjours au
Mexique et un long travail de mise en confiance.
« Les “narcos” ont accepté de témoigner
par volonté d’afficher leur puissance sur
la scène internationale », estime le chercheur.
28 |
CULTURE
« Portrait d’Olga dans un fauteuil » (1918), de Pablo Picasso. RMN-GRAND PALAIS, MATHIEU RABEAU
ARTS
T
out le globe était là. C’était
coloré et musical. » C’est
ainsi que Kiki de Mont-
parnasse, modèle et
muse des artistes de la mal nom-
mée « Belle Epoque », née – enfant
illégitime – Alice Prin à Châtillon-
sur-Seine (Côte-d’Or) en 1901, éle-
vée à la dure et coutumière dès son
enfance du froid, de la faim et de la
vache enragée, raconte sa vie pari-
sienne dans ses Mémoires, préfa-
cés par Ernest Hemingway, pour
qui, aussi, Paris était une fête.
C’est ce qu’entend montrer la
dernière exposition d’une trilogie
commencée par Christophe Leri-
bault avant son départ pour la pré-
sidence du Musée d’Orsay : après
« Paris romantique (1815-1858) »
en 2019, et « Paris 1900, la ville
spectacle » en 2014, le Petit Palais
évoque « Le Paris de la modernité
(1905-1925) ». Annick Lemoine, qui
a pris la direction du lieu, para-
chève ainsi le programme de son
prédécesseur en y ajoutant sa
patte, avec une scénographie
moins présente, des œuvres plus
variées quant à leur nature.
Il fallait en effet oser faire
cohabiter des tableaux de Ma-
tisse, de Picasso ou de Modigliani,
des robes de Paul Poiret ou de
Jeanne Lanvin, des bijoux de la
maison Cartier, avec un aéro-
plane (Deperdussin type B, de
1911), une automobile Bébé Peu-
geot de 1913 et ce qui est sans
doute le premier vélo pliant (sys-
tème Gérard de 1895, modifié
en 1912) ! Quatre cents pièces en
tout qui, à travers la peinture, la
sculpture, le dessin mais aussi le
cinéma, la photographie, la
danse, le design ou l’architecture,
racontent une histoire complexe,
rafraîchissante souvent, glaçante
parfois, un peu folle toujours.
Pour ce qui concerne l’histoire
de l’art, l’exposition débute avec le
scandale dit « de la cage aux fau-
ves », lors du Salon d’automne de
1905. Le mot est dû à un critique,
Louis Vauxcelles, qui, voyant de
charmantes et anodines sculp-
tures d’Albert Marque (1872-1939)
entourées des tableaux aux cou-
La folle période du Paris
moderne au Petit Palais
Une exposition retrace la création foisonnante et joyeuse
d’artistes venus du monde entier au début du XXe siècle
leurs stridentes de Matisse, de
Derain, de Vlaminck, de Manguin
ou de Camoin a ce cri du cœur :
« C’est Donatello parmi les fau-
ves ! » Le musée a reconstitué
comme il le pouvait l’accro-
chage d’origine, ou du moins son
esprit, et on ne peut que saluer la
clairvoyance du confrère : c’est en
effet un nouveau monde qui
s’ouvrait et rugissait là.
L’âne Lolo
Toute une jeunesse arrivant du
monde entier va s’y engouffrer.
La France vient d’adopter la loi de
séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Pour les juifs d’Europe de l’Est ve-
nus, souvent à pied, de leur shtetl
et fuyant les pogroms, pour les
Noirs américains soumis à la sé-
grégation, ou plus tard leurs amis
blancs qu’indispose la Prohibi-
tion, pouvoir vivre, fauchés mais
libres pour les premiers, sans
crainte d’être émasculés et pen-
dus pour les seconds qui auraient
eu le malheur de regarder une
femme blanche, et boire jusqu’à
plus soif pour les autres – tous les
autres –, oui, Paris était une fête.
Même les lièvres y sont heureux,
comme celui peint sur l’enseigne
du célèbre cabaret montmartrois
Au lapin agile, qui, pour mériter
sa réputation, jongle avec une
bouteille en dansant dans sa cas-
serole en cuivre…
Les ânes eux-mêmes peuvent
espérer accéder à la célébrité. Ce
fut le cas de Joachim-Raphaël
Boronali, immortel auteur de Et le
soleil s’endormit sur l’Adriatique
(1910), qui partage les cimaises du
Salon des indépendants avec des
pointures comme Jean Metzin-
ger, Alexandre Archipenko ou
Maurice de Vlaminck. C’est, disait
le catalogue du salon, un peintre
italien originaire de Gênes, fonda-
teur du mouvement « l’excessi-
visme ». En réalité, de son petit
nom « Lolo », âne de son état, qua-
tre pattes et deux grandes oreilles,
appartenant à Frédé, le patron du
fameux Lapin agile. Roland Dor-
gelès, le critique André Warnod et
le peintre Pierre Girieud lui ont
attaché des pinceaux à la queue,
et la nature a fait le reste, c’est-à-
dire le premier tableau gestuel de
l’histoire de l’art…
On le voit, le Paris moderne,
c’est à Montmartre qu’il se crée.
Ne serait-ce que parce que Picasso
y a son atelier, au Bateau-Lavoir, et
qu’il y peint, entre autres, Les De-
moiselles d’Avignon en 1907 (ab-
sent, mais on le comprend, de
l’exposition), signant avec Braque
le début de la révolution cubiste.
Celle-ci aussi va inspirer les
beaux esprits, comme celui d’un
caricaturiste qui fut aussi un pré-
curseur du cinéma d’animation,
Emile Cohl (1857-1938). Sa qualité
de membre du cercle des Hydro-
pathes suffirait à inspirer la sym-
pathie, mais en outre ses films di-
latent la rate. Notamment celui
où il présente à un collectionneur
des tableaux qui sont sans doute
parmi les premiers monochro-
mes. Autre film, celui tourné par
un fameux comédien de l’époque,
Charles Petitdemange (1872-1933),
« Aéroplane type B » (1911),
de Béchereau Deperdussin.
MUSÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE DU BOURGET/
C. SEMENOFF TIAN-CHANSKY
Robe Lesbos vert absinthe (vers 1925),
de Jeanne Lanvin. PALAIS GALLIERA, MUSÉE DE LA MODE
DE LA VILLE DE PARIS - PATRIMOINE LANVIN
Quatre cents
pièces racontent
une histoire
complexe,
rafraîchissante
souvent,
glaçante parfois
dit « Rigadin », dans lequel un
peintre s’habille cubiste, et va jus-
qu’à affubler sa malheureuse
femme de ménage d’un déguise-
ment semblable, lequel s’avère
peu pratique pour passer le balai.
Détail croustillant, peu de temps
après, mais après tout de même,
Picasso réalise des costumes très
proches pour le ballet Parade.
Sauf que Rigadin, peintre cubiste,
date de 1912, et Parade, de 1917.
Entre les deux, la première
guerre mondiale a éclaté. Espa-
gnol, Picasso n’est pas mobilisa-
ble. Son ami Georges Braque, si. Il
part au front, y est gravement
blessé. Son retour à Paris après sa
convalescence sera l’occasion
d’un banquet mémorable orga-
nisé par l’artiste Marie Vassilieff,
qui dépensait son peu d’argent
dans une « cantine » à destination
des artistes démunis, ceux qui,
étrangers, connaissaient la même
situation de neutralité que Pi-
casso mais avaient plus de diffi-
cultés à faire bouillir la marmite.
D’autres pourtant s’engagent :
Moïse Kisling (1891-1953) y ga-
gnera la croix de guerre. Ambu-
lancier, Ossip Zadkine (1888-
1967) y sera gazé en 1916 puis ré-
formé. Un écrivain apatride,
Guillaume Apollinaire, et un
Suisse, Blaise Cendrars, en sont
aussi. Le premier, trépané, y lais-
sera un morceau de crâne avant
de trépasser de la terrible grippe
espagnole, le second perdra un
bras. Tous deux chantaient dans
leurs écrits le dynamisme de la
vie moderne : ils vont découvrir
dans les tranchées un autre
aspect de la modernité, fait de ca-
nons, de tanks, d’avions, de gaz de
combat… Mais ils ont au moins
eu la consolation, comme leurs
camarades, de se battre vêtus
d’une capote dessinée par Paul
Poiret. Un peu courte pour les
hivers du front – elle sera ulté-
rieurement allongée et pourvue
de poches pour protéger les
mains du froid –, mais très chic !
Les cubistes, eux, se révèlent des
as du camouflage. Et lorsque la
chance d’une permission leur
permet un court séjour à Paris,
ils vivent exactement ce que con-
naissent aujourd’hui les soldats
ukrainiens : le contraste entre la
situation sur le front et celle dans
la capitale est un choc réel.
« Pourvu que l’arrière tienne
bon ! » devient alors chez les poi-
lus une plaisanterie amère, mais
récurrente.
Pourtant, l’arrière, ce ne sont
pas que des spectacles comme
Parade ou des agapes d’artis-
tes planqués. Ce sont aussi des
milliers de femmes embauchées,
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
faute de main-d’œuvre mascu-
line, dans les usines, et notam-
ment celles d’armement. Nom-
breuses aussi celles qui, comme
Marie Vassilieff, s’engagent
comme infirmières.
La sociologie et aussi les mœurs
de l’après-guerre en seront cham-
boulées. La géographie artistique
parisienne également. Picasso a
délaissé Montmartre pour la très
huppée rue La Boétie (le centre du
Paris artistique selon les commis-
saires de l’exposition qui, en l’es-
pèce, exagèrent un peu), mais ses
confrères moins argentés ont
choisi – le mouvement a com-
mencé avant-guerre – Montpar-
nasse, qui devient réellement,
comme le désigne une des parties
de l’exposition, le « carrefour du
monde ».
Certes, la cocaïne a remplacé
l’absinthe. Le dadaïsme puis le
surréalisme font considérer le cu-
bisme comme vieux jeu, d’autant
qu’en matière d’art plastique on
assiste à ce que l’histoire a nommé
« le retour à l’ordre ». Il suffit de re-
garder dans l’exposition le por-
trait que Picasso peint en 1918 de
sa nouvelle épouse, Olga, pour
comprendre ce que cela signifie.
Libérer les femmes
En tout cas, Paris bouillonne ! Et
l’affirmera au monde entier avec,
en 1925, la première illumination
nocturne de la tour Eiffel et sur-
tout l’Exposition internationale
des arts décoratifs et industriels
modernes. S’en dégagent deux
tendances : l’une, caractérisant
encore aujourd’hui le style dit
« Art déco », qui peut être définie
par le pavillon du collectionneur,
de Jacques-Emile Ruhlmann ;
l’autre, par des architectes
comme Robert Mallet-Stevens, Le
Corbusier et, plus avant-gardiste
encore vu sa radicalité et l’écono-
mie de moyens mis en œuvre
pour sa réalisation, le pavillon de
l’URSS de Constantin Melnikov.
Enfin, avant-guerre déjà, Paul
Poiret avait libéré les femmes du
corset. Elles vont désormais aban-
donner aussi le chapeau, se coiffer
« à la garçonne » et oser fumer des
cigarettes en public. Affirmer
aussi, le cas échéant, comme
Tamara de Lempicka, leur sexua-
lité ou tout simplement, comme
Joséphine Baker, leur droit sur
leur corps, y compris celui de le
montrer. Leur droit au travail éga-
lement : la loi du libre salaire, qui
permet aux femmes mariées de
disposer elles-mêmes de leurs re-
venus, date de 1907 (il faudra
toutefois attendre 1938 pour
qu’elles ne soient plus considé-
rées comme « mineures » sous la
tutelle de leur mari, et 1965 pour
qu’elles puissent signer des chè-
ques sans leur autorisation…).
C’est là que l’on retrouve Kiki de
Montparnasse. Avec sa cadette
Joséphine Baker, l’une venue de
Bourgogne, l’autre du Missouri, et
bien d’autres moins connues,
elles symbolisent mieux que
quiconque, sauf peut-être les ar-
tistes étrangers précités, ce que
Paris fut pour cette génération.
Une fête et surtout, malgré les
épreuves et souvent la misère, un
sentiment de liberté. p
harry bellet
Le Paris de la modernité,
1905-1925, Petit Palais,
2, avenue Winston-Churchill,
Paris 8e. Jusqu’au 14 avril 2024.
 culture | 29
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

Yamê, un geek entre rap et chant «humaines

Baùbo » ou les passions
fulgurées
en ouverture des Trans Musicales Jeanne Candel secoue le public du Théâtre
de l’Aquarium avec un spectacle sur l’amour
Avec sa voix haut perchée, le musicien franco-camerounais mélange
des textes inspirés des jeux vidéo et de l’argot titi parisien THÉÂTRE beaucoup d’images qui surgis-
sent : l’homme qu’on enroule

MUSIQUE E ntre le tiède et le brûlant,

Jeanne Candel a tranché :
elle est du côté des passions
électriques. Qu’elles soient chris-
dans un tapis pour procéder à son
enterrement, les musiciens dissi-
mulés sous des feuilles de papier,
les postérieurs féminins qui net-

P
endant la 45e édition des
Trans Musicales de Ren-
nes, qui se tient du 6 au
10 décembre, le Théâtre
L’Aire libre propose une nouvelle
fois son espace de création musi-
cale à un artiste sur lequel le festi-
val fonde beaucoup d’espoirs.
Après la Belgo-Congolaise Lous
and the Yakuza en 2019 ou la
chanteuse de Saint-Nazaire (Loi-
re-Atlantique) Zaho de Sagazan
en 2022, c’est au tour du Franco-
Camerounais Yamê de jouer tous
les soirs. Le rappeur a fait ses clas-
ses dans les jams soul, rap et jazz
de Paris, tout en s’inspirant aussi
bien du bassiste Richard Bona que
du chanteur R’n’B canadien Da-
niel Caesar ou du Congolais Papa
Wemba. Son premier album, pu-
blié mi-octobre, Elowi (DBS
Records/Naïve), mêle voix haut
perchée et flow rap, écriture mé-
taphorique inspirée des jeux
vidéo et textes nourris d’argots
camerounais et titi parisien.
A une heure du dernier filage
pour son concert aux Trans Musi-
cales, le pianiste et chanteur ferme
la fenêtre de sa loge et plaisante :
« Les avions font trop de bruit. On
est vraiment au bout de la piste de
l’aéroport de Saint-Jacques-de-la-
Lande, à Rennes. Si un avion rate
son atterrissage, c’est pour le théâ-
tre ! » Enfant, il a raté, lui, son vol
plané dans la maison familiale de
Cergy-Pontoise, dans le Val-d’Oise,
où il est né. Dans l’escalier, il s’est
cassé deux dents de lait, celles de
devant, qui n’ont jamais repoussé.
Et le voilà affublé, à 30 ans, d’une
allure de flibustier édenté, qui fi-
nalement lui va bien : « J’ai renoncé
à me faire refaire la dentition
quand on m’a présenté la liste des
travaux », précise-t-il. En juin,
quand la plate-forme musicale
berlinoise Colors Show lui consa-
cre une vidéo pour son titre
Bécane – « une métaphore de la li-
berté », dit-il –, les internautes sont
emballés autant par son look que
par sa musique, à laquelle il s’est
consacré vers ses 20 ans.
Guerriers vikings et rumba
Il avait pourtant tout pour lui afin
de démarrer plus tôt. Son père,
Ngoup’Emanty, est un musicien
célèbre au Cameroun, qui démé-
nage toute sa famille à Douala
alors que son fils, Emmanuel, a
5 ans : « Là-bas, à l’école, raconte-
t-il, les enfants apprennent le
piano en cours de musique. J’ai
donc commencé à en jouer. A la
maison, il y avait un studio avec
plein d’instruments que j’ai es-
une première année en informati-
L’envie de jouer que, qui n’a pas fonctionné, une
de la musique en autre en droit, puis trois autres
d’histoire, et enfin un master dans
public lui vient la recherche d’information et de
grâce à un ami data. » Mais, à la fac, l’envie de
jouer de la musique en public re-
qui le traîne vient grâce à un ami qui le traîne
dans les jams dans les jams de la capitale : « J’ai
commencé par le Carré Saint-Mi-
de la capitale chel, se rappelle-t-il, puis je suis
allé au Baiser salé, au New Mor-
cre un morceau planant et puis-
ning, à la Petite Halle de La Vil-
lette… Il y en avait parfois presque
Exposition
sant, Call of Valhalla, le cimetière
des guerriers vikings. La musi-
deux par soir. Au début, je regar-
dais juste, et j’écoutais. Pendant un
que, il l’écoute sur les plates-for- an, je n’ai pas osé jouer. Puis au
mes : du rap, de la soul, mais aussi Carré Saint-Michel je suis allé au
le jazz de Richard Bona, la rumba piano, les mains tremblantes. »
tiques ou païennes, érotiques ou
mystiques, tristes ou joyeuses,
peu importe, pourvu que le nerf
du vivant ne déserte pas les salles.
La directrice du Théâtre de
l’Aquarium met en scène Baùbo –
de l’art de n’être pas mort, un spec-
tacle savamment désarticulé à la
manière d’un rêve délivrant ses
énigmes, ses fulgurances et ses in-
cohérences. Un songe d’une
beauté éruptive où s’exposent les
illuminations de l’artiste sur
l’amour, sa fin et son regain.
Jeanne Candel veut aimanter les
spectateurs. Ce n’est pas un ha-
sard si Baùbo s’achève avec la
disparition de trois actrices qui
s’arrachent d’une paroi où étaient
agrafés leurs vêtements pour
s’engouffrer dans un trou de sou-
ris : elles réclament nos regards
jusqu’à l’ultime minute de leur
présence en scène. Nous attestons
de leur existence autant qu’elles
légitiment la nôtre. Une fois le trio
hors champ, le noir se fait. Le
courant est coupé, le sang ne cir-
cule plus. L’amour, c’est aussi voir
cet autre qui nous fait face.
Un rébus plus visuel que textuel
Ce spectacle inclassable plaide
pour la nécessité des passions
quelles qu’elles soient. Démons-
tration par la naissance et la fin
d’un amour, racontés par l’actrice
Pauline Huruguen, assise sur une
chaise devant un rideau fermé.
Puis, sur la scène ouverte, la pan-
tomime de la perte, revisitée lors
d’une cérémonie cocasse. Vêtus de
crêpe noir, les interprètes en deuil
tentent d’inhumer le sentiment
défunt joué par un acteur (qui ne
se laisse pas faire). Enfin, le retour
de la vitalité, avec la convocation
d’un mythe grec parodié par les in-
terprètes : la déesse Déméter, qui
Yamê, à Pantin pleure sa fille perdue, renoue avec
(Seine-Saint-Denis), la joie lorsque sa nourrice, Baùbo,
le 18 septembre. OJOZ exhibe son sexe devant elle.
Les corps et les musiques escor-
tent des pulsions de vie et de mort
qui cheminent entre exaltation et
chagrin. Il y a peu de paroles, mais
jusqu’au 19.02.24
toient le mur où sont crayonnées
des esquisses de fesses, de doigts,
d’œil et d’oiseau. Ou encore la per-
formance irrésistible de Jeanne
Candel, qui, grimpée sur un lit,
effectue, en guise d’interlude, un
jubilatoire numéro de bateleur.
Comme souvent avec la met-
teuse en scène, l’écriture est un
rébus, plus visuel que textuel, par-
fois indéchiffrable et parfois lumi-
neux. La musique jouée en direct
(sous la direction de Pierre-An-
toine Badaroux) est du composi-
teur allemand Heinrich Schütz
(1585-1672). Les œuvres de l’écri-
vain autrichien Robert Musil
(1880-1942) ont inspiré son travail.
Mais, en réalité, on pense bien
plus à cette définition attribuée
au psychanalyste Jacques Lacan :
« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a
pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »
Dans cet interstice propice à
l’imaginaire s’ancre un spectacle
déluré qui gagne en poésie à me-
sure qu’il choisit d’être concret,
voire trivial. Les accessoires sem-
blent provenir d’un magasin de
bricolage (agrafeuses, ciseaux,
poubelle en osier, pelles, adhésif).
Pas de flou hamiltonien, pas de
pathos ni de trémolos. Au besoin
même, un solo de batterie sup-
plante les vocalises de la superbe
cantatrice Pauline Leroy.
La rudesse est un muscle, l’hu-
mour vache une bouffée d’oxy-
gène. Les passions n’étant pas
éthérées, inutile d’entraîner le
public dans le vague à l’âme de
pensées vaporeuses. Le but est de
le cueillir, à vif, avec des scènes
qu’il ne s’explique pas toujours
mais qui le revigorent. Comme
est à vif ce Baùbo, dont l’impact se
résume en un mot : fulguré. C’est
le nom (rappelle Pauline Huru-
guen) donné à ceux qui ont sur-
vécu à la foudre. p
joëlle gayot
« Baùbo – de l’art de n’être pas
mort », par Jeanne Candel.
Théâtre de l’Aquarium,
Paris 12e. Jusqu’au 9 décembre.

sayés, mais c’est le piano qui m’a
vraiment plu. J’avais même écrit
une petite suite d’accords. » A l’âge
de 10 ans, après le décès brutal de
sa mère, informaticienne, il rentre
de Papa Wemba. Il reprend au
piano les chansons du Canadien
Daniel Caesar, qui a une voix
aiguë comme lui, s’essaie à des
versions différentes sur des ac-
MIKE
Il finit par prendre ses aises, ren-
contre la plupart des musiciens
avec lesquels il joue. Le geek s’est
vu renaître sur scène, s’ouvrir à de
nouveaux styles musicaux. Un

KELLEY
à Paris avec son père et sa sœur. cords de Marcus Miller, mais n’a ami producteur, Flame, lui con-
L’enfant se réfugie d’abord dans encore aucune envie de faire de la seille de mettre sa voix aiguë en
les jeux vidéo, dans les univers de musique son métier. avant, et voilà Yamê en train de
la mythologie grecque ou nordi- Dans les études, il se cherche mettre au point son style, qu’il re-
que qu’affectionnent, par exem- pourtant. « J’ai pas mal bifurqué, fuse de qualifier de « zique ur-
ple, les éditeurs du jeu Assassin’s
Creed. Dans son album, il y consa-
reconnaît-il, après un bac pro en
systèmes électroniques. J’ai fait
baine », dans le morceau Business.
Finalement, après un premier – et
dernier – job dans une entreprise à la Bourse
Une programme riche en découvertes
de data, Yamê se consacre définiti-
vement à la musique : « Pendant le
confinement, remarque-t-il, j’étais
de Commerce
Festival de découvertes pour à peu près tous les genres de musi- en télétravail dans ma coloc, avec
ques actuelles, le festival Trans Musicales de Rennes a pro- mes copains musiciens. Une fois
grammé, du mercredi 6 au dimanche 10 décembre, plus de que j’avais fini mes tâches, je jouais,
80 groupes ou artistes solo dans divers lieux, dont la soirée chantais, composais. Quand, en
d’ouverture à l’Ubu, et la création hip-hop soul de Yamê à L’Aire juillet 2021, les entreprises nous ont
libre, avec la DJ marocaine Hanaa Ouassim. A l’Ubu se déroule- demandé de revenir au bureau, je
ront les premières françaises d’Anna Erhard et du duo Ikan Hyu, n’ai pas tenu une semaine. » Yamê
le 7 ; Julian Mayorga (cumbia pop psychédélique) et la première est retourné faire de la musique.
apparition en France d’Ana Lua Caiano, le 8. Au Liberté, on Grand bien lui en a pris. p
pourra écouter Championne et Dynamite Shakers, le 7 ; la Gal- stéphanie binet
loise Gwenifer Raymond, le 8 ; le duo suisse Citron Citron, le trio
rennais Huush, le 9. Et c’est dans les différents halls du Rennes « Elowi », DBS Records/Naïve
parc expo que le bouillonnement des Trans Musicales sera à son Du 6 au 10 décembre au Théâtre
plus haut, du 7 au 9, avec entre une quinzaine et plus d’une ving- L’Aire libre, à Saint-Jacques-de-la-
taine de propositions du début de soirée au petit jour. Lande (Ille-et-Vilaine).
30 | culture
Mathieu Sapin entre autobiographie et reportage
Après avoir raconté la vie de personnages publics, le bédéaste retrace celle de son beau-père portugais, Edgar
RENCONTRE
C’
est devenu sa mar-
que de fabrique.
Raconter la vie de
personnages pu-
blics, débusquer leurs petites ma-
nies, dévoiler leur sensibilité,
mettre en lumière leurs contra-
dictions. Mathieu Sapin adore ça.
Après François Hollande, dont il
a narré la conquête de l’Elysée
(Campagne présidentielle, 2012)
puis l’exercice du pouvoir à la
présidence de la République (Le
Château, une année dans les cou-
lisses de l’Elysée, 2015), l’auteur a
ainsi suivi l’acteur Gérard Depar-
dieu (Gérard. Cinq années dans les
pattes de Depardieu, 2017) et le
futur chef de l’Etat, Emmanuel
Macron (Comédie française. Voya-
ges dans l’antichambre du pou-
voir, 2020). Les quatre albums
sont publiés chez Dargaud.
A chaque fois, ce furent des
aventures exaltantes, dans des
lieux improbables, au plus près
des sphères de pouvoir… De quoi
se laisser griser, reconnaît
l’auteur, qui effectue aussi régu-
lièrement des reportages dessi-
nés pour Libération ou la revue
Zadig. Pourtant, la lassitude
commençait à poindre. Si les al-
bums se vendent bien, Mathieu
Sapin, 49 ans, sent qu’il pourrait
vite se répéter.
« Sorte de Don Quichotte »
« Je commençais à en avoir assez,
de la politique notamment, et je ne
voulais pas être réduit à ça », expli-
que-t-il dans son atelier, un antre
de poche situé près de la place de
la République, à Paris, qu’il par-
tage avec Christophe Blain, autre
auteur reconnu de bande dessi-
née. Une remarque le fait aussi
douter. « Je m’en souviens très
bien. C’était à la faculté de Mont-
pellier, lors d’une conférence
en 2018 sur les rapports entre ci-
néma et dessin. Une étudiante m’a
reproché de ne m’intéresser qu’aux
personnes puissantes et publiques.
Cela m’a piqué… »
Après avoir tourné un peu en
rond – « j’avais un temps envisagé
de raconter le quotidien du maire
d’une petite ville » –, Mathieu
Sapin est un jour interpellé par
son beau-père portugais, 79 ans
aujourd’hui, chez qui il passe tou-
tes ses vacances d’été avec son
épouse, Karina, et leurs enfants.
Xavier Darcos réélu à l’Institut de France
L’ancien ministre de 76 ans, qui dirige l’institution du quai Conti sans discontinuer
depuis 2018, a entamé, mardi, son troisième mandat de chancelier
J amais on ne vit campagne
si discrète – à l’image de son
résultat, annoncé en cati-
mini sur le site de l’Institut
de France, mardi 5 décembre
dans l’après-midi. Pour la troi-
sième fois sans discontinuer de-
puis 2018, Xavier Darcos, 76 ans,
a été réélu chancelier de l’Institut
de France, cette institution du
quai Conti, à Paris, qui adminis-
tre un patrimoine immobilier
et muséal considérable et doit
promouvoir la culture au côté
des cinq Académies.
Trois mandats de trois ans,
destinés à s’achever à 79 ans, pour
l’ancien sénateur RPR (1998-
2002), qui occupe déjà deux
autres fauteuils : un à l’Académie
des sciences morales et politiques
depuis 2006 et un autre à la Fran-
çaise depuis dix ans. Qu’importe,
en l’espèce, le passage du temps,
puisque cette dernière l’a rendu
aussi « Immortel » que la langue
française, selon le vœu exprimé
en 1635 par son fondateur, le car-
dinal de Richelieu. Le communi-
qué officiel ne mentionne pas le
Mathieu Sapin,
dans son atelier,
à Paris,
le 6 novembre.
CAMILLE GHARBI
POUR « LE MONDE »
« C’était après le confinement.
Alors qu’Edgar est quelqu’un d’as-
sez réservé et qu’il n’a jamais lu
mes albums, il me propose de faire
une BD sur lui ! J’ai pensé au départ
qu’il faisait ça pour m’aider à
trouver un sujet, qu’il avait pitié du
galérien que je suis à ses yeux.
Mais après avoir réfléchi, je me suis
dit pourquoi pas. Cela faisait long-
temps que je voulais faire quelque
chose avec le Portugal comme
décor. J’avais du temps disponible,
je me suis lancé. »
Il faut dire que beau-papa n’a
pas une vie commune. Issu d’une
famille pauvre, Edgar a grandi
sous la dictature de Salazar.
Enfant de chœur à 13 ans, il se
nombre de voix obtenues par
M. Darcos au sein de la commis-
sion administrative centrale −
soit seize membres représentant
les cinq Académies. C’est pour-
tant une élection de maréchal.
Hormis trois absents, les douze
autres ont voté pour lui comme
un seul homme. « Le seul bulletin
blanc est sans doute le sien », glisse
Arthur Dehaene, le directeur des
services administratifs. Voilà un
scrutin soigneusement préparé,
de longue date.
Affaires embarrassantes
Le directeur, probablement averti
d’un fâcheux précédent, précise
que l’élection a eu lieu à bulletins
secrets, selon l’article 24 du règle-
ment. « En 2020, nous étions
à peine assis qu’on nous demande
de voter à main levée, décrit un
académicien sous le couvert de
l’anonymat. Nous pensions tous
qu’il s’agissait d’approuver le pro-
cès-verbal de la séance précé-
dente ! Nous venions d’élire le
chancelier… » Prudence de loup,
modestie de violette, on ne sait
convertit au marxisme à l’adoles-
cence et intègre le Front d’action
populaire, un parti maoïste qui
prône la violence révolutionnaire.
A 18 ans, il essaie de fuir le
Portugal en se cachant sous un
train, pour rejoindre l’Union so-
viétique. A 21 ans, il réussit à pas-
ser en France, rejoint clandesti-
nement la Tchécoslovaquie mais
est alors arrêté. Obligé de tra-
vailler pour nourrir sa famille, il
sera tour à tour livreur, conduc-
teur de bulldozer, comptable,
vendeur de billets de train… Il
participe même à un film réalisé
par Maurice Failevic, l’une des fi-
gures du cinéma engagé des an-
nées 1960 et 1970.
quelle métaphore animalière ou
florale employer, mais la chose
est certaine : le chancelier fait dé-
sormais profil bas.
Quelle autre méthode pour faire
oublier le scandale sans précé-
dent survenu en décembre 2021 ?
Le Parquet national financier
avait fait perquisitionner ses bu-
reaux pour deux affaires embar-
rassantes. La première enquête
préliminaire pour soupçon d’en-
tente et de favoritisme concernait
l’étrange appel d’offres pour
la transformation du château
d’Enghien, situé sur le domaine
de Chantilly (Oise), en hôtel de
luxe. Un projet abandonné grâce
aux avertissements répétés d’un
magistrat à la Cour des comptes,
Didier Selles, pressenti pour diri-
ger le domaine. L’enquête est clas-
sée. M. Selles a perdu le job mais
gagné la cause, en dépit de la co-
lère du plus proche conseiller
du chancelier, David Teillet.
C’est par ce dernier qu’est arri-
vée la seconde enquête, cette fois
pour prise illégale d’intérêts dans
la société DaXa, comme David et
Mais surtout Edgar raconte des
histoires, beaucoup d’histoires. A
l’écouter, il a évité une guerre ci-
vile au Portugal, écrit vingt-cinq
livres pour promouvoir la révolu-
tion « à l’échelle mondiale » et se-
rait surveillé depuis des années
par les services secrets chinois. Il
descendrait aussi du duc de Wel-
lington, celui qui a battu Napo-
léon à Waterloo, dont il partage les
yeux clairs. Un affabulateur ? « Je
me suis posé plusieurs fois la ques-
tion, reconnaît Mathieu Sapin, qui
a affiché des photos en noir et
blanc de Lisbonne dans son atelier
pour y créer une atmosfera lusita-
nienne propice à la création. Mais,
à la différence de mes albums sur
Xavier, créée par les deux hom-
mes en 2015. Cette société aurait
servi à rémunérer l’académicien
entre 2015 et 2019, alors qu’il était
président de la Fondation Sanofi
Espoir, une fonction bénévole, ce
qu’il nie farouchement.
M. Teillet a reconnu devant
Le Monde en 2021 que DaXa avait
eu « un contrat pendant trois ans
pour une mission de conseil sur
les affaires publiques du groupe
Sanofi », sans en révéler le mon-
tant. Très critiqué pour son ma-
nagement brutal, il a depuis été
renvoyé de l’Institut de France.
Christian Estrosi, le maire
de Nice, qui l’avait embauché,
s’en est défait au bout de quel-
ques mois.
« La procédure suit son cours… »,
textote le chancelier avec fata-
lisme. Il faut en franchir, des obs-
tacles, pour atteindre les étoiles !
Traduction libre de la devise la-
tine gravée sur l’épée de l’ancien
professeur de khâgne. Pour l’ins-
tant, elle ressemble comme une
jumelle à celle de Damoclès. p
béatrice gurrey
des hommes politiques, où je dois
être très précis sur les faits, je n’ai
pas nécessairement cherché la vé-
rité, avec Edgar. J’ai pris le parti de
l’écouter sans le contredire. Pour
moi, c’est une sorte de Don Qui-
chotte, quelqu’un qui a une inter-
prétation magnifiée de la vérité ! »
Sur le modèle gonzo
L’épisode l’a en tout cas convaincu
que son mode de traitement gra-
phique, fait de simili-reportages
où il se met lui-même en scène,
casquette sur la tête et carnet
Moleskine à la main, pouvait
s’adapter à toutes sortes de sujets,
et pas seulement à ceux mettant
en scène des personnalités.
ARTS
La justice new-yorkaise
restitue au Népal
des œuvres d’art volées
Quatre œuvres d’art pillées et
vendues illégalement, d’une
valeur de 1 million de dollars
(environ 927 000 euros), ont
été restituées au Népal par la
justice new-yorkaise, lundi
4 décembre, dans le cadre
d’une enquête internationale
qui avait débuté en 2011 con-
tre un trafiquant indo-améri-
cain condamné en Inde et
visé par une enquête améri-
caine. Le procureur de l’Etat
de New York pour le district
de Manhattan, Alvin Bragg, a
annoncé, dans un communi-
qué, avoir rendu à Katman-
dou des masques en bronze
Bhairava de la divinité hin-
douiste Shiva datant du
XVIe siècle et une statue de la
déesse Durga. – (AFP.)
C I N ÉMA
Beyoncé, reine du box-
office nord-américain
Avec le film Renaissance, la
chanteuse Beyoncé a pris la
tête du box-office nord-amé-
ricain le week-end des 2 et
3 décembre, confirmant,
après Taylor Swift, le succès
des concerts diffusés dans les
salles de cinéma, selon les es-
timations rendues publiques,
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
« Une étudiante
m’a reproché de
ne m’intéresser
qu’aux
personnes
puissantes.
Cela m’a piqué »
MATHIEU SAPIN
bédéaste
« J’aime les histoires au croisement
de l’autobiographie et du repor-
tage, à la Hunter S. Thompson
[journaliste et écrivain américain,
1937-2005], où un novice se con-
fronte au réel et assume sa subjecti-
vité », explique l’auteur, dont la bi-
bliothèque regorge de biographies
sur Winston Churchill, René Gos-
cinny ou William Shakespeare.
L’éditeur Dargaud a d’ailleurs
proposé à Mathieu Sapin de diri-
ger une collection regroupant des
albums conçus sur ce modèle
gonzo. « Cela s’appellera “Embar-
qué”. Des auteurs passionnés y
donneront leur regard sur tel ou tel
sujet. » Le premier opus, consacré
au sauvetage d’une espèce de
poissons par des scientifiques de
l’Aquarium tropical du palais de la
Porte-Dorée (Paris), scénarisé et
dessiné par l’auteur Singeon,
vient de sortir (Comme un pois-
son hors de l’eau, Dargaud, 2023).
Quant à savoir s’il réalisera lui-
même certains albums de sa
collection, Mathieu Sapin dit ne
rien avoir encore décidé. « On me
propose beaucoup de choses dans
le genre BD du réel, mais tout ne
m’intéresse pas. Et je n’ai pas tou-
jours le temps », affirme celui qui a
l’habitude de mener une demi-
douzaine de projets simultané-
ment – il a déjà quelque 80 al-
bums (Sardine de l’espace, Super-
murgeman, Le Ministère secret,
etc.) et un film (Le Poulain, avec
Audrey Lamy, sorti en 2017) à son
actif. Une frénésie paradoxale
d’ailleurs : le bédéaste dit détester
quitter son atelier parisien. « C’est
l’endroit que je préfère au monde.
En sortir me demande toujours un
effort… » p
cédric pietralunga
Edgar, de Mathieu Sapin
(Dargaud, 160 pages, 24 euros).
dimanche 3 décembre, par le
cabinet Exhibitor Relations.
Renaissance. A Film by
Beyoncé, réalisé et produit
par l’artiste elle-même, et qui
suit la dernière tournée mon-
diale de « Queen Bey », de
Stockholm à Kansas City, a ré-
colté 19,5 millions d’euros de
recettes. – (AFP.)
MUS I QU ES
Un festival consacré
au rap annoncé en
septembre 2024 à Dijon
Les structures de production
Please Please, Play Two Live,
Live Affair et le groupe média
et culture du banquier d’affai-
res Matthieu Pigasse (action-
naire à titre individuel du
Monde) ont annoncé, mardi
5 décembre, la création d’un
festival entièrement consacré
au rap. Intitulé Golden Coast,
il devrait avoir lieu les 13 et
14 septembre 2024, sur l’an-
cienne base aérienne 102 de
Dijon, « reconvertie depuis
2016 en Aéroport Dijon-Bour-
gogne », précise le communi-
qué. Les noms des premiers
artistes de la programmation
seront révélés lundi 11 décem-
bre. L’ambition est de devenir
« le festival de référence rap en
France », selon Emmanuel
Hoog, directeur général du
groupe Combat Media.
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
Vengeance sanglante à la cour des shoguns
Dans une mise en scène baroque et rigoureuse, une série narre la quête obsessionnelle d’une jeune samouraï
NETFLIX
À LA DEMANDE
SÉRIE
P
our les plates-formes
de streaming, les océans
n’existent pas. Sur Net-
flix, on peut voir, en ce
moment, la version animée de
Scott Pilgrim, nouvel avatar d’un
comics américain d’inspiration
japonaise, qui met en scène un
adolescent prolongé, natif de To-
ronto. Scott Pilgrim a été réalisé
par l’un des plus fameux studios
d’anime de Tokyo, Science Saru.
Presque en même temps, on a
découvert le regard implacable
du Blue Eye Samurai (« le samou-
raï à l’œil bleu »), né de l’imagina-
tion d’un couple de scénaristes
américains, Michael Green
(auteur, entre autres, des scéna-
rios de Logan et de Blade Runner
2049) et Amber Noizumi. L’ani-
mation de la série a été confiée
à un studio français, Blue Spirit.
Ce qui tombe bien : l’hybrida-
tion est au centre de Blue Eye Sa-
murai, de sa sanglante intrigue,
mais aussi de sa mise en scène
baroque et rigoureuse à la fois.
Mizu, la protagoniste, est née des
amours illicites d’une Japonaise
et d’un Européen, au moment où
le Japon des shoguns fermait ses
portes aux étrangers, dans la pre-
mière moitié du XVIIe siècle. La
couleur de ses yeux, son teint en
Le nouvel engagement de Maud Fontenoy pour les océans
L’ancienne navigatrice met sa ténacité au service d’une série documentaire, dont le premier volet, sur les Bahamas, réhabilite les requins
CANAL+
JEUDI 7 - 23 HEURES
SÉRIE DOCUMENTAIRE
P remière femme à avoir tra-
versé l’Atlantique Nord à la
rame, en 2003, puis le Paci-
fique en 2005, la navigatrice Maud
Fontenoy a failli échouer dans sa
tentative épique de tour de l’hé-
misphère Sud à contre-courant en
mars 2007 – et non de « tour du
monde », appellation strictement
définie par le World Sailing Speed
Record Council et dont les critères
n’étaient pas respectés.
GRILLE N° 23 - 283
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V ra sans but. Support de coque.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 282
HORIZONTALEMENT I. Excroissance. II. Phaéton. Nuit. III. Horde. Oracle.
IV. Este. Obérait. V. Maestria. Léa. VI. Scies. Mess. VII. Rc. En. Mous.
VIII. Iran. Mecs. Fe. IX. Dardai. Radin. X. Ennuieraient.
VERTICALEMENT 1. Ephéméride. 2. Xhosa. Cran. 3. Cartes. ARN. 4. Redes-
cendu. 5. Oté. Tin. Aï. 6. Io. Ore. Mie. 7. Snobisme. 8. Réa. Ocra. 9. Anar.
Musai. 10. Nucales. Dé. 11. Ciliés. Fin. 12. Etêtassent.
Mizu, surnommée « Blue Eye Samurai ». COURTESY OF NETFLIX
font un objet de révulsion. Persé-
cutée dans le village où elle erre
après la mort de sa mère, elle
trouve refuge auprès d’un forge-
ron aveugle, qui lui apprendra
à façonner les outils de sa ven-
geance, que la jeune femme veut
exercer à l’encontre des quatre
hommes qui pourraient l’avoir
engendrée, quatre Européens res-
tés au Japon après l’entrée en vi-
gueur de la fermeture des frontiè-
res. Dans cette quête obsession-
« Maud a fini par arriver à force
de ténacité », indiquait alors Jean-
Luc Van Den Heede, sur le bateau
duquel la jeune femme de 29 ans
réussissait son exploit. Depuis,
elle met sa notoriété au service
des océans, créant sa fondation
en 2008, et allant jusqu’à accep-
ter, en juin 2015, le poste de délé-
guée à l’environnement des Répu-
blicains. Un détour politique qui
lui vaut de nombreuses inimitiés.
A force de ténacité… Maud Fon-
tenoy revient à l’écran avec la série
documentaire Bleu, qu’elle a ima-
ginée et dans laquelle elle se met
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
nelle, Mizu, qui se fait passer pour
un homme, laisse derrière elle un
nombre incalculable de cadavres,
dont le sang dessine des idéo-
grammes indéchiffrables.
Grâce inquiétante
Cette violence coule au confluent
des adaptations au goût occiden-
tal de l’esthétique japonaise (Ser-
gio Leone ou Quentin Tarantino)
et des films de sabre du cinéma
populaire, dont l’archétype fut la
en scène. Par goût des défis peut-
être, elle a choisi, dans le premier
volet sur les Bahamas, de prendre
la défense des mal-aimés des
mers : les requins, surpêchés pour
leurs ailerons. Au-delà du cadre té-
légénique qu’offrent ces 700 îles
et îlots au large de la Floride, ils
abritent en effet le premier sanc-
tuaire au monde de ces squales.
Humour et franc-parler
Tout baigneur a « 1 risque sur
3,7 millions d’être attaqué par un
requin », prévient le commentaire.
Etrangement, la statistique ne ras-
HORIZONTALEMENT
I. Les éléphants ne sont pas à leur
place chez lui. II. Essence sous les tro-
piques. Renvoyai la lumière. III. Lâ-
chaient tout. Forme d’avoir. IV. Les
baleines en rafolent. Trois sur six.
Sur la portée. V. A part les chiens, per-
sonne n’ a envie de les recevoir. Dieu
du tonnerre. VI. Supprimez. Empoté
et plutôt grossier. VII. Assure la parti-
cipation et la simultanéité. Grande
réunion. Petit pain rond. VIII. Enlevai
sans scrupules. Préposition. IX. Parti-
X. Aiguisent notre curiosité en atten-
dant la suite. Pousse à mieux faire.
VERTICALEMENT
1. Traîne et travaille dans le métro
quand il y a beaucoup de monde.
2. Renvoie au bloc. 3. Reprise inutile
et souvent oiseuse. Cours africain
souvent à sec. 4. Belles ocres et
brunes au paddock. 5. Chez Rousseau
et chez Zola. Semoule de manioc.
6. Mauvais fond. L’antimoine. Divin
berger. 7. Cours italien. Dada, passé
au surréalisme. 8. La petite chez
les Grecs. Evite blocages et dérapages.
9. Négation. Vue de l’esprit. 10. Le feu
dans les organes. Aujourd’hui, mais
hier. Sur la portée. 11. Grave chez les
artistes. 12. Oblige à ralentir progres-
sivement dans la fosse.
saga du bretteur aveugle Zatoichi.
L’animation permet aux person-
nages de combattre ou de souffrir
en dépit des lois de la gravité
ou de l’anatomie ; mais pas des
contraintes d’une chorégraphie
qui organise des plans d’une
grâce inquiétante.
L’animation tourne délibéré-
ment le dos à l’esthétique de
l’anime japonais, visant (et attei-
gnant) une vraisemblance et une
relative sobriété dans les expres-
sure pas. En revanche, les interve-
nants détendent par leur humour
et leur franc-parler. Ainsi, Stuart
Cove, doublure plongée de Sean
Connery en James Bond, qui em-
mène Maud Fontenoy évoluer
parmi les requins. Autre forte
personnalité, Cristina Zenato –
« trente ans qu’elle apprivoise les re-
quins et leur retire les hameçons
à mains nues ». Les deux femmes
plongent pour offrir la scène la
plus étonnante du film : un grand
requin s’allonge littéralement sur
le sable pour se faire caresser
avant de réclamer… un bisou.
SUDOKU
N°23-283
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3 5 2 7 seule fois par ligne,
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Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
télévision | 31
sions et les gestes quotidiens.
Quelle qu’ait été la part numéri-
que de cette création (et, de toute
évidence, elle est grande), elle
n’empiète jamais sur les émo-
tions, que celles-ci naissent des si-
tuations ou de la beauté des arriè-
re-plans, paysages ou intérieurs.
Après avoir fait surgir, sous les
pas de la tueuse travestie, une
galerie de personnages solides,
entre autres grâce aux voix (Ken-
neth Branagh prête la sienne
à Abijah Fowler, le négociant
écossais sans foi ni loi), Blue Eye
Samurai s’installe dans la durée.
Le scénario embrasse aussi bien
les querelles dynastiques au Ja-
pon que l’expansion européenne,
et offre les promesses d’une série
appelée à durer.
On pourra voir dans Blue Eye
Samurai un avatar contemporain
du japonisme, une image née
d’un regard occidental posé sur
une civilisation qui fascine par
son étrangeté et sa violence. Mais
on peut aussi trouver dans l’his-
toire de Mizu, meurtrière dont
la soif de vengeance est nourrie
par le rejet que lui opposent les
autres, une figure dont les homo-
logues hantent toute la planète. p
thomas sotinel
Blue Eye Samurai, série
d’animation créée par Amber
Noizumi et Michael Green
(EU, 2023, 8 × 50 min).
Parmi les autres scènes mar-
quantes, la balade sur la plage où
fut tourné en partie Les Dents de
la mer (1975). Mais aussi la plon-
gée en apnée avec un pêcheur tra-
ditionnel de conques, l’injection
d’amoxicilline à des coraux mala-
des, la visite de la nurserie de co-
raux expérimentale Coral Vita,
ou la déambulation dans la man-
grove, à proximité du Shark Lab,
la plus grande nurserie connue du
requin-citron. Si l’on peut regret-
ter le manque d’originalité de la
mise en scène, alors que les docu-
mentaires animaliers ne cessent
1 2 3 4 9 6
5 9 8 2 3 7
4 6 7 8 1 5
9 6 1 5 9 4 3 8
2 8 4 5 7 1
2 3 7 3 9 6 8 2
8 5 1 3 2 4
9 4 2 7 6 8
3 7 6 1 5 9
7 1 Moyen
Complétez toute la
8 grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
9 2 par colonne et par
carré de neuf cases.
En vente chez votre marchand de journaux
NOTRE
SÉLECTION
JEU D I 7 D ÉCEM BR E
LCP
Le Mur de l’Atlantique
20.30 Dans ce documentaire
passionnant (2010), les meilleurs
spécialistes de l’Occupation (dont
Robert Paxton) relatent avec minutie
la manière dont l’immense ouvrage
de défense a été bâti.
TCM Cinéma
Chantons sous la pluie
20.50 Des claquettes devenues
légendaires dans les flaques d’eau,
un passage du muet au parlant et les
jambes mythiques de Cyd Charisse,
dans cette comédie musicale de
Stanley Donen et Gene Kelly (1952).
What else ?
TFX
La Boum
21.05 Le film de Claude Pinoteau
(1980) qui révéla Sophie Marceau.
La musique de Vladimir Cosma,
les répliques de Claude Brasseur et
Brigitte Fossey en parents dépassés.
A voir et à revoir, même en cachette…
Ciné+ Classic
Directed by Blake Edwards
22.40 Dans ce documentaire (2021),
Gérard Goldman analyse finement
l’œuvre du génial créateur
de La Panthère rose, The Party,
Victor Victoria. Sa relation avec
Julie Andrews, sa complicité
avec Jack Lemmon et le musicien
Henry Mancini, tout y est.
de se renouveler, ce Bleu de Maud
Fontenoy a le mérite d’incarner la
complexité des enjeux, donnant
la parole aux entrepreneurs, aux
chercheurs, aux pêcheurs de ce
pays où 68 % des ressources pro-
viennent de l’écotourisme. A
dix-huit mois de la conférence
des Nations unies sur les océans,
qui se tiendra à Nice en 2025. p
catherine pacary
Bleu, un océan de solutions.
Les Bahamas, d’Agathe Lanté
(Fr., 2023, 58 min). Sur MyCanal
jusqu’au 14 janvier 2024.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
5 7 8
6 4 1 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
3 9 2 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
2 7 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
9 3 6 Par courrier électronique :
abojournalpapier@lemonde.fr.
4 1 5
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
7 6 9
1 5 3 Courrier des lecteurs
2 8 4 Par courrier électronique :
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Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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75013 PARIS
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Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
32 | dossier spécial 0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

ARGENT

L’épargne
va-t-elle
dans le bon sens ?
Si les placements peuvent contribuer
à changer la société, notamment
en finançant la transition écologique
et énergétique, ce pouvoir se heurte,
en pratique, à toute une série d’obstacles

L’
argent est insomniaque. Sauf
à se cacher sous le matelas ou
dans un coffre, l’épargne ne
dort jamais. Déposée dans une
banque ou chez un assureur,
elle sert à financer des entre-
prises, des collectivités, des particuliers…
Même si l’on ne dispose que d’un compte
courant. « L’épargne est donc un pouvoir, peu
importe la taille de votre portefeuille », assène
Antoine Labarre, directeur opérationnel de
Rift, une application qui propose de « scanner
l’impact sociétal et environnemental » des pla-
cements. Pouvoir dont peu ont conscience,
déplore Grégoire Cousté, délégué général du
Forum pour l’investissement responsable :
« Il est certes plus facile de choisir un paquet de
café qu’un placement, mais il faut comprendre
qu’on peut agir avec son épargne comme avec
sa consommation. »
Pour Mathieu [qui a souhaité rester ano-
nyme], le déclic remonte à 2004. Lors d’une
mission humanitaire, il prend conscience
des problématiques environnementales.
« J’ai alors tenté d’agir. J’ai changé de métier
pour devenir directeur RSE [responsabilité so-
ciétale des entreprises], je fais quasi toutes
mes courses dans des magasins bio, je limite la
viande et je me suis demandé ce que faisait
mon argent à la banque », raconte ce Parisien
de 47 ans. Depuis 2015, il a principalement in-
vesti dans les énergies renouvelables, sur la
plate-forme de financement participatif Len-
dosphere. « J’y consacre une part importante
de mon épargne, je contribue à vingt-trois pro-
jets, principalement solaires. »
Une démarche globale dont témoigne éga-
lement Cécile, 45 ans [qui a souhaité rester
anonyme]. Elle aussi se montre très scrupu-
leuse dans sa façon de consommer – achats
directs aux producteurs, choix du fournis-
seur d’énergie, économie circulaire, etc. « Et
dès 2012, j’ai quitté le Crédit agricole pour la
Macif, puis le Crédit coopératif », relate cette
Toulousaine. « Le plus important pour moi
était le compte courant, j’avais peu de
patrimoine. Mes priorités étaient de ne plus fi-
nancer les industries polluantes, l’armement et
les industries de pays non démocratiques », dit-
elle, déplorant toutefois l’« opacité » du sec-
teur financier et la difficulté de savoir com-
ment l’argent est utilisé. Elle se dit fière de
contribuer à lutter contre le mal-logement en
comptant parmi les 660 actionnaires de Soli-
fap, entreprise de l’économie sociale et soli-
daire créée par la Fondation Abbé Pierre.
« MÉCONNAISSANCE ET DÉFIANCE »
Mais Mathieu et Cécile ne sont pas des épar-
gnants classiques. « Si de plus en plus de Fran-
çais aspirent à aligner l’utilisation de leur ar-
gent avec leurs préoccupations de citoyens, ils
le font surtout en matière de consommation,
de voyage, encore peu pour la banque, alors
que c’est là que l’impact est le plus fort », note le
sociologue Arnaud Zegierman, qui décrypte
le rapport des Français à l’argent dans les Ob-
servatoires du sens de l’argent, que Viavoice,
institut de sondage qu’il dirige, réalise depuis
2019 pour le Crédit coopératif. « Mes petits ef-
forts du quotidien ont-ils un sens si ma banque Si, face aux pressions, notamment de la signifie juste que, au minimum, leurs ges-
investit dans l’énergie fossile ? » POUR PLUS société civile, les établissements financiers tionnaires déclarent prendre en compte des
L’enjeu est de taille, renchérit Mathieu
Garnero, directeur de projet à l’Agence de la
DE CLARTÉ, doivent désormais afficher des engagements
en matière de responsabilité sociétale, les ac-
critères sociaux et/ou environnementaux et
donc classent (eux-mêmes) leurs produits
transition énergétique : « D’un côté, on estime RECLAIM FINANCE cusations des ONG sèment régulièrement le dans les catégories article 8 ou 9 de la régle-
à environ deux points de PIB les besoins en fi- doute dans l’esprit de l’épargnant quant à leur mentation européenne SFDR de 2021.
nancement de la transition, de l’autre, les mé- SOUHAITE sincérité. Mi-novembre encore, soixante ban- Avant cette classification, le « durable auto-
nages disposent d’environ 6 000 milliards
d’épargne financière. » Le courant ne passe
UN ÉTIQUETAGE ques, sociétés d’investissement et assureurs
européens étaient accusés par Global Witness
déclaré » s’écrivait en trois lettres : ESG, les cri-
tères environnementaux, sociaux et de gou-
toutefois pas toujours bien entre les épar- DES PRODUITS d’avoir financé des groupes pétroliers mis en vernance. « L’ESG marque l’intégration des cri-
gnants et la finance durable, montre aussi le cause dans des violences au Soudan du Sud. tères extrafinanciers dans les investissements.
dernier baromètre Les Français et les place- FINANCIERS, La multiplication des produits financiers Mais, faute de cadre imposant des critères mi-
ments responsables, publié par l’Autorité des s’affichant responsables, durables, etc. n’a par nimum, cela reste du marketing », s’insurge
marchés financiers en juillet. « Un certain inté- COMME POUR ailleurs pas aidé les épargnants à croire au Lucie Pinson, figure de la lutte contre le finan-
rêt des sondés pour le sujet ressort de l’enquête, L’ÉLECTROMÉNAGER Père Noël. Selon l’Association française de la cement des énergies fossiles et directrice
mais aussi une méfiance, voire une défiance et gestion financière, pas moins de 2 240 mil- de l’ONG Reclaim Finance. « Le gestionnaire
une méconnaissance de la finance, plus encore liards d’euros d’encours de fonds d’investisse- d’actifs choisit ses propres critères de notation.
de la finance durable », analyse M. Garnero. ment se proclament responsables… Mais cela L’un peut juger une entreprise énergétique sur

DÉBATS DANS
L’AUDITORIUM
DU « MONDE »
L’argent peut-il avoir
un sens ? L’épargne
peut-elle être durable ?
Telles sont les questions
qui animeront les débats
mercredi 6 décembre,
à partir de 18 h 30, dans
P ensez-vous que les ban-
l’auditorium du Monde.
Sociologues, observateurs,
militants et acteurs
de la vie économique
échangeront et répon-
dront aux questions
du public à l’occasion
de cet événement
organisé en partenariat
avec le Crédit coopératif.
Le pouvoir de l’argent, une question qui divise
Les Français se montrent partagés quant au rôle sociétal de leurs euros, note l’Observatoire du sens de l’argent
ques peuvent contribuer à
une utilisation plus juste de
l’argent dans la société ? » Les avis
sont partagés. Selon le quatrième
Observatoire du sens de l’argent
Crédit coopératif & Viavoice, pu-
blié en mars (réalisé en ligne
auprès de 2 000 personnes âgées
de 16 ans et plus), 55 % répondent
oui. Ils sont bien moins nombreux
– 13 % – à aller jusqu’à dire que le
choix de sa banque a un vrai im-
pact sociétal, notamment envi-
ronnemental. Mais ils sont 7 sur 10
à souhaiter que les banques aient
cet impact positif sur la société.
Qui sont ces clients qui atten-
dent de leur banque qu’elle fasse
plus que garder leur argent en sé-
curité, leur fournir des moyens
de paiement et financer leurs
projets ? Qui croit au pouvoir
sociétal de ses euros et juge que
les banques peuvent ou doivent
contribuer à bâtir un monde
meilleur, voire estime que certai-
nes le font déjà ? La réponse n’est
pas simple, relève Arnaud
Zegierman, directeur associé de
l’institut Viavoice.
« Au fil des observatoires sur le
sens de l’argent [deux en 2021, un
troisième en 2022], on ne voyait
pas de lien évident entre les répon-
ses des sondés et leur âge ou leur ca-
tégorie professionnelle. On a com-
pris que ce rapport à l’argent dé-
pendait plus de leur vision du
monde. Il faut casser les idées re-
çues et ne pas croire par exemple
que la question climatique est ré-
servée aux jeunes », note ce socio-
logue. D’où l’idée, poursuit-il, de
dresser une typologie des Français
racontant leur rapport à l’argent
selon leur vision du monde.
Cinq « familles » ont émergé :
les réparateurs (35 %), les désabu-
sés (27 %), les régulateurs (21 %),
les individualistes et les profanes
(6 %). Régulateurs et individua-
listes ont des points communs.
Plus que les autres, ils se perçoi-
vent comme économiquement
favorisés, ont le sentiment de
comprendre le système écono-
mique et lient argent et mérite.
La comparaison s’arrête là : leurs
attentes à l’égard des banques
détonnent.
Désabusés et profanes
Jugeant impossible de changer ce
qui ne va pas dans la société, les
individualistes (portrait type : un
homme au moins bac + 5, gagnant
4 000 euros mensuels ou plus) ne
voient pas l’argent comme un
moyen pour réduire les difficul-
tés sociales et écologiques. A l’in-
verse, les régulateurs (présents
dans toutes les catégories
socioprofessionnelles, avec une
surreprésentation des 25-34 ans)
se distinguent par leur opti-
misme sur le pouvoir sociétal de
l’argent. C’est le public qui établit
le plus un lien entre choix de sa
banque et impact sociétal.
Autre catégorie aux attentes
éthiques fortes à l’égard des ban-
ques : les réparateurs – des répara-
trices à 59 %. Pour eux, l’argent
est à l’origine de nombreux maux
de la société, mais il peut aussi les
réparer. Contrairement aux régu-
lateurs, ils ne sont pas à l’aise avec
l’économie, se sentent financière-
ment défavorisés et affirment
moins que les autres savoir ce que
les banques font de l’argent.
Les désabusés (des hommes à
57 %, avec une surreprésentation
des retraités et des non franci-
liens) se disent aussi défavorisés.
Mais eux se caractérisent par une
« vision de l’argent sale » et ne
croient pas que le choix d’une
banque influera sur la société.
Enfin, les profanes rassemblent
les « ne se prononce pas », les « je
ne sais pas ». Ceux qui, faute de
vision construite de l’argent, ne
savent pas se positionner sur les
questions posées. Un public à
70 % féminin.
« La typologie montre que moins
les gens se sentent informés, plus
ils sont résignés. Ceux qui croient
le moins au pouvoir de l’argent
sont ceux qui déclarent compren-
dre le moins le système. Or la so-
ciété de défiance trouve racine
dans le fait que les gens rejettent ce
qu’ils ne comprennent pas », ana-
lyse M. Zegierman.
« Clairement, poursuit-il, les ca-
tégories populaires sont surrepré-
sentées chez les désabusés et les
profanes. » Corrélation révéla-
trice, à ses yeux, d’« une faille
éducative et d’une limite à notre
démocratie ». p
aurélie blondel

0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
ALE+ALE
le fait de ne plus investir dans le pétrole quand
l’autre jugera la même entreprise sur sa politi-
que de recyclage en interne. »
Elle constate quand même des progrès : « Il y
a dix ans, aucune banque ne s’était engagée à
cesser de financer les projets de tout un secteur
comme le charbon, nous n’étions même pas en
mesure de leur demander. Et il y a quinze ans,
on débattait encore de la responsabilité des
banques dans le réchauffement. » Mais il reste
à faire côté réglementation, juge-t-elle, suggé-
rant que tous les placements dotés d’un avan-
tage fiscal (Livret A, assurance-vie, etc.), donc
sponsorisés par les finances publiques, soient
totalement fléchés vers la finance durable.
« GUEULE DE BOIS »
« On ne reprend pas en deux temps, trois mou-
vements le contrôle sur ce qui vous a totale-
ment échappé pendant quarante ans, mais il
ne faut pas lâcher », estime de son côté Anne-
Catherine Husson-Traore, directrice générale
de Novethic. Cette spécialiste de la finance du-
rable regrette surtout la « confusion » suscitée
par le sujet : « La pédagogie – la capacité à ex-
pliquer simplement à l’épargnant en quoi son
argent aura de l’impact – n’a pas progressé. »
Pour plus de clarté, Reclaim Finance sou-
haite un étiquetage des produits financiers. Si
ce dernier n’est pas au programme, une ré-
forme en cours pourrait faciliter la lecture par
l’épargnant de la finance durable : celle du la-
bel Investissement socialement responsable
(ISR), créé en 2016 par Bercy.
« Qu’une part de l’ISR soit placée dans Total
a décrédibilisé le label, l’épargnant choisis-
sant l’ISR pensait communément ne pas in-
vestir dans les énergies fossiles », explique
M. Cousté. « Leur exclusion du label le rendra
plus lisible. » Mais gare à ne pas surestimer les
pouvoirs de l’argent. « En 2015, après la COP21,
on pensait que les flux d’argent se réoriente-
raient facilement pour le climat, on imaginait
un cercle vertueux. On est en pleine gueule de
bois : les entreprises, l’économie réelle n’étaient
pas prêtes pour une transition radicale. Pour fi-
nancer la transition, il faut des projets à finan-
cer », rappelle Mme Husson-Traore. p
aurélie blondel
Ce dossier a été réalisé dans le cadre
de la publication, par l’institut Viavoice
pour le Crédit coopératif, du Baromètre
du sens de l’argent
Finance responsable :
quatre étapes pour se lancer
Accorder ses placements avec ses convictions est une démarche ardue,
qui requiert une approche méthodique
V ous avez à cœur de réo-
rienter votre épargne
pour la mettre en adé-
quation avec vos valeurs ? La dé-
marche n’est pas simple : les cir-
cuits financiers manquent de
transparence, les placements dits
« responsables » foisonnent, mais
sont souvent illisibles, et il est dif-
ficile de croire les promesses de
l’industrie, après des années de
greenwashing.
« Ces questions sont importantes,
mieux vaut ne pas les traiter le di-
manche soir à la va-vite », estime
Lucie Pinson, directrice de l’ONG
Reclaim Finance, qui suggère « d’y
passer du temps ». Pour éviter l’im-
mobilisme auquel peut mener
cette complexité, on peut aborder
ce vaste sujet méthodiquement,
en quatre étapes.
S’interroger
sur ses objectifs
La première action consiste en
une introspection pour s’inter-
roger sur ses objectifs de rentabi-
lité, sur le niveau de risque que
l’on peut accepter, sur le temps
dont on dispose, etc. Mais aussi
sur ses valeurs, et ses buts en ma-
tière d’impact sociétal.
Qu’entendez-vous par « épargne
responsable » ? Quel est votre ni-
veau d’exigence ? Vous interdisez-
vous de financer des secteurs
comme le tabac, le charbon, le pé-
trole ? Désirez-vous que votre ar-
gent ait un impact dans des do-
maines qui vous préoccupent, tels
le climat, l’égalité femmes-hom-
mes, la biodiversité ? Préférez-
vous investir dans des entreprises
dont les pratiques correspondent
déjà à vos valeurs, ou dans celles
qui s’engagent à changer ? Des ob-
jectifs qu’il faudra hiérarchiser.
La mue de la finance ne s’effectue
que sous la contrainte
Si le secteur n’est pas capable de changer spontanément, la régulation permet de limiter
ses excès récurrents et de contribuer à son verdissement. Mais il reste beaucoup à faire
L es thuriféraires du bitcoin
et des cryptomonnaies le
promettaient : ils allaient
construire un écosystème diffé-
rent de la finance classique, plus
accessible, indépendant, et même
plus propre. Las, le 21 novembre,
Changpeng Zhao, ancien patron
de Binance, plate-forme d’échange
de cryptomonnaies représentant
plus de la moitié du marché mon-
dial, a été condamné à 3,9 mil-
liards d’euros d’amendes aux
Etats-Unis pour avoir violé les lois
antiblanchiment. Trois semaines
plus tôt, Sam Bankman-Fried, fon-
dateur de FTX, une plate-forme du
même genre, a été reconnu coupa-
ble de fraude et d’association de
malfaiteurs à New York.
C’est un fait : certains acteurs
des cryptomonnaies profitent des
failles réglementaires pour
s’adonner à des activités illicites.
Mais, désormais, juges et régula-
teurs sont à leurs trousses. C’est
l’histoire du chat et de la souris, et
elle n’est pas nouvelle. Depuis le
grand mouvement de dérégula-
tion de la finance entamé dans les
années 1980, les innovations
Plus les ambitions sont globales et
les objectifs multiples, plus il sera
complexe de trouver les produits
correspondants.
Décrypter les produits
A l’heure de confronter vos be-
soins et ambitions au marché, si
vous êtes novice en finance dura-
ble, vous pouvez consulter le
guide Epargnons l’avenir. La fi-
nance durable en 7 questions, de
l’Agence de la transition écologi-
que, pour une présentation des
concepts, labels (Investissement
socialement responsable, Finan-
sol, Greenfin…) et réglementa-
tions. Ensuite, le premier réflexe à
avoir est d’apprendre à lire les dis-
cours des établissements finan-
ciers, souligne Mme Pinson : « Tout
est affaire de warnings. Un exem-
ple : si une banque dit cesser de fi-
nancer les nouveaux champs
pétroliers, ne pensez pas que l’ar-
gent que vous déposez ne finan-
cera pas de nouveaux projets
d’énergies fossiles… »
Les financements des banques
sont essentiellement accordés à
l’entreprise au global, et non flé-
chés vers un projet spécifique,
comme l’a mis en lumière le rap-
port « Banking on Climate Chaos
2023 » de Reclaim Finance. Or, si
leurs engagements portent sou-
vent sur le fait de ne plus financer
directement de nouveaux pro-
jets, cela ne les empêche pas de
continuer de financer des entre-
prises qui porteront ces nou-
veaux projets… Le plus sûr est
donc de s’attaquer à la (lourde) do-
cumentation accompagnant les
produits, notamment les fonds
d’investissement. Vous y trouve-
rez les labels qu’ils affichent, mais
aussi leur classification au regard
dans le secteur s’accompagnent
régulièrement d’excès, avant que
les superviseurs ne s’attellent à
les limiter. L’illustration la plus
douloureuse fut sans doute la
crise des subprimes. Celle-ci a été
provoquée en 2007 par l’endette-
ment excessif des ménages amé-
ricains. De petits génies de la fi-
nance avaient alors « titrisé » leurs
crédits – transformés en titres –
afin de les revendre sur les mar-
chés. Cela de façon excessive et in-
contrôlée, ce qui dissémina le ris-
que puis la panique dans l’ensem-
ble du système financier.
Les années suivantes furent cel-
les du grand ménage. De nouvel-
les règles ont été édictées pour
LA TÂCHE EST
SISYPHÉENNE :
LES RÉGULATEURS
ONT TOUJOURS
UN CRAN DE RETARD
SUR LES INNOVATIONS
dossier spécial | 33
de la réglementation européenne
SFDR – c’est le niveau d’engage-
ment qu’ils déclarent. Les fonds
« article 6 » ne se sont pas fixé
d’objectifs de développement
durable, contrairement aux
fonds « article 9 ». Les fonds « arti-
cle 8 » déclarent prendre en
compte des critères sociaux et/ou
environnementaux.
« L’information figure dans les
documents SFDR disponibles sur
les pages des fonds, sur le site de la
société de gestion », précise Thiên-
Minh Polodna, du Forum pour
l’investissement responsable. A
dénicher dans ce même docu-
ment : les critères de durabilité du
fonds, qui « indiquent si le fonds ex-
clut des secteurs, s’il investit uni-
quement dans une ou plusieurs
thématiques, comment il sélec-
tionne les entreprises ».
Où trouver la liste des entrepri-
ses financées ? « Certains fonds la
publient sur leur site, d’autres ne
donnent que les dix premières, ce
n’est pas cadré », explique
M. Polodna, qui insiste sur un
point : « Vous trouverez dans ces
documents des notations des en-
treprises en matière de durabilité,
mais elles ne sont pas comparables
d’un gestionnaire à l’autre, car il n’y
a pas de notation harmonisée. »
Passer à l’action
Face aux promesses de l’industrie
financière, les épargnants sont
parfois méfiants et finalement
tentés de ne rien changer à leurs
habitudes. « Il faut éviter de tom-
ber dans le “tous pourris”. Il existe
des acteurs mieux-disants », as-
sure Mme Pinson, dont l’ONG
anime un site classant les princi-
pales enseignes bancaires en trois
groupes (rouge, orange, vert)
renforcer les banques et limiter les
prises de risques. La zone euro
s’est dotée d’un gendarme ban-
caire unique pour muscler leur
surveillance. Le système s’est
assaini, « preuve que la finance
peut changer et devenir plus ver-
tueuse, mais pas spontanément »,
résume Jézabel Couppey-Soubey-
ran, économiste à l’université
Paris-I Panthéon-Sorbonne.
Mouvement trop lent
La tâche est sisyphéenne : les
dérives de Binance et de FTX ont
rappelé que les régulateurs affi-
chent toujours un cran de retard
sur les innovations financières.
Aujourd’hui, cette tâche se dou-
ble d’un autre enjeu : le verdisse-
ment. Face au dérèglement clima-
tique, la finance doit à la fois ces-
ser d’apporter des fonds aux in-
dustries polluantes et en fournir à
celles qui permettront la transi-
tion énergétique. Elle a entamé sa
mue : les banques, fonds d’inves-
tissement et autres gestionnaires
d’actifs affichent désormais des
indicateurs climatiques et des la-
bels. La Banque centrale euro-
au regard de leurs pratiques clima-
tiques (Change-de-banque.org).
Les moyens d’agir existent sur le
plan individuel (compte courant,
livrets, assurance-vie, etc.), mais
aussi collectif, par l’épargne sala-
riale. Une piste à ne pas négliger :
son encours a atteint près de
180 milliards d’euros. Un fonds so-
lidaire doit figurer parmi les fonds
proposés en épargne salariale.
« On peut se mobiliser avec ses
collègues pour exiger la transpa-
rence des fonds proposés dans ces
plans d’épargne salariale, ou que
le fonds par défaut soit a minima
sans énergies fossiles. On peut
aussi demander à changer l’offre
de fonds, le gestionnaire d’actifs
ou le teneur de compte », détaille
Mme Pinson.
Piste pour les épargnants dési-
reux d’éviter les intermédiaires :
investir directement dans des en-
treprises en achetant des titres ou
en leur prêtant de l’argent. Mais le
risque peut être élevé. Le finance-
ment participatif est une option
plus accessible.
Faire du bruit !
En parler peut démultiplier l’effet
de votre démarche. Avec votre en-
tourage, pour le sensibiliser, mais
aussi avec vos interlocuteurs de
l’industrie financière : plus cel-
le-ci estimera que les épargnants
s’intéressent à l’utilisation de leur
argent, plus elle sera susceptible
de se montrer pédagogique et sé-
lective. « Qui change de banque
sans le dire n’aura pas un impact
aussi significatif que celui qui dou-
ble son départ d’une lettre à l’éta-
blissement pour lui expliquer ce
qu’il ne veut plus pour son ar-
gent », note Mme Pinson. p
a. bl.
péenne suit le mouvement : les
groupes pétroliers et énergéti-
ques sont surreprésentés dans
son important portefeuille d’obli-
gations d’entreprises. Mais de-
puis fin 2022, elle s’efforce d’y ré-
duire leur part. Ce mouvement
est néanmoins trop lent, et une
partie des efforts du secteur relè-
vent surtout de la communica-
tion. « Les régulateurs pourraient
aller plus loin, en interdisant pro-
gressivement le financement des
activités nuisant à la transition
énergétique, et en programmant
la décarbonation des bilans ban-
caires », suggère Mme Couppey-
Soubeyran.
La finance devra aussi apporter
des fonds aux technologies vertes
encore non rentables, dont le fi-
nancement ne peut pas reposer
seulement sur les Etats. « Ce sera
l’étape la plus importante et sans
doute la plus dure, car elle nécessi-
tera des changements bien plus
structurels encore, et que les ban-
ques centrales s’y mettent aussi. On
en est loin », confie un ancien gé-
rant de fonds, guère optimiste. p
marie charrel
34 | styles
Winnipeg, la reconquête de l’Ouest
Après l’âge d’or du début du XXe siècle, dont témoignent les
magnifiques gratte-ciel Art nouveau, la capitale du Manitoba renoue
avec ses racines autochtones et son identité cosmopolite, à travers
notamment le Musée canadien pour les droits de la personne
VOYAGE
winnipeg (canada)
L
a clameur des négociants
en blé s’est tue depuis
longtemps. Le tohu-bohu
des familles d’immi-
grants venues de toute l’Europe et
de l’est du Canada, attirées par la
promesse d’un emploi ou de nou-
velles terres à cultiver cédées par
le gouvernement canadien con-
tre quelques dollars, n’est plus
qu’un souvenir. Dans Union Sta-
tion, la gare de Winnipeg, qui
n’ouvre plus que quelques heures
par semaine, pour l’arrivée et le
départ des rares trains assurant
laligne Toronto-Vancouver, règne
un silence sépulcral. Pourtant,
sous la voûte bleu et doré de l’im-
mense hall désormais déserté,
on croit encore entendre réson-
ner le brouhaha des pionniers
qui ont fait de cette petite cité
du Manitoba le cœur battant de
la conquête de l’Ouest canadien
jusqu’au début du XXe siècle.
« Avant la première guerre mon-
diale, Winnipeg était si dynamique
qu’elle était surnommée la Chi-
cago du Nord », raconte Susan
Ainley, chargée de la communica-
tion pour l’organisme de tou-
risme de la ville. Réplique de
Grand Central Station à New York,
construite par le même cabinet
d’architectes, Warren and Wet-
more, et achevée en 1911, Union
Station abritait à l’époque le
terminus des trois compagnies
de chemins de fer qui assuraient
le développement industriel en
même temps que la colonisation
du pays d’est en ouest. Située à
mi-chemin entre l’Atlantique et
le Pacifique, au cœur de la région
des Prairies, le grenier à blé du
Canada, Winnipeg devient en
quelques décennies le premier
marché de céréales du pays et
l’une de ses principales places
manufacturières ; sa population
quintuple entre 1881 et 1911.
C’est en flânant autour de la
gare que se découvrent les traces
architecturales de cet âge d’or.
De style « château », inspiré de la
Renaissance française, l’impo-
sant Hôtel Fort Garry (le nom ini-
tial de la ville) appartient à cette
série d’établissements bâtis par
les compagnies ferroviaires pour
accueillir luxueusement leurs
voyageurs. Surmonté de tourelles
comme l’Hôtel Le Château Fron-
tenac surplombant le Saint-Lau-
rent dans la ville de Québec, il a
conservé ce charme suranné et
ostentatoire offert à l’époque aux
femmes vêtues de lourds man-
teaux de fourrure de castor, qui
accompagnaient leurs maris ve-
nus faire fortune dans ce « jeune »
pays qu’était alors le Canada.
A quelques centaines de mètres
au nord, disséminés dans Ex-
change District, autour de la
Bourse aux grains construite
en 1906, les premiers gratte-ciel
à structure en acier et à murs ri-
deaux, des édifices de dix étages
décorés dans le style Art nouveau
propre à l’école dite « de Chi-
cago », restent aujourd’hui en-
CA N A DA
Baie
Baie
Churchill d’Hudson
d’Hudson
C A N A DA
MANITOBA
ONTARIO
Winnipeg
É TAT S - U N I S
200 km
core parmi les plus beaux d’Amé-
rique du Nord. Il n’est pas rare
que l’activité grouillante du
vieux centre-ville soit mise sur
pause pendant quelques heures
pour laisser la place à des tourna-
ges de cinéma soucieux de re-
trouver l’atmosphère de la Belle
Epoque.
Las, la prometteuse capitale du
Manitoba ne connut pas la desti-
née fulgurante de sa (lointaine) ri-
vale américaine : une grève géné-
rale des ouvriers durement répri-
mée en 1919, le krach et la Grande
Dépression des années 1930, qui
entraîna notamment l’effondre-
ment des cours des céréales, mi-
rent un coup d’arrêt à l’expansion
de la cité. Des entrepôts de brique
rouge décatis, d’anciens sites
industriels abandonnés témoi-
gnent encore des décennies pas-
sées à se relever du marasme.
« Chaï latte » à la citrouille
Mais Winnipeg s’est réinventée
depuis quelques années en re-
nouant avec ses racines. La ville,
officiellement baptisée en 1873,
s’était établie à la confluence
de la rivière Assiniboine et de
la rivière Rouge. Là même où
se retrouvaient les populations
autochtones nomades depuis
près de six mille ans, là encore où
les Britanniques puis les Français
établirent leur comptoir de four-
rures au début du XVIIIe siècle,
et où naquit le peuple métis, ces
hommes et femmes nés de la
rencontre entre Européens et
Amérindiens. Là, enfin, où toutes
les voies de chemin de fer entre-
mêlées assurèrent un temps la
prospérité du commerce. C’est
aujourd’hui dans ce quartier
historique de la Fourche (« The
Forks »), réhabilité depuis les
années 1990, que se savoure le
meilleur de la vie canadienne.
L’hiver, les plus grands chefs cui-
siniers du Manitoba organisent
un festival culinaire sur la rivière
L’hiver,
les plus grands
chefs cuisiniers
du Manitoba
organisent un
festival culinaire
sur la rivière
Assiniboine gelée
Assiniboine gelée ; la jeunesse
winnipegoise se retrouve pour
patiner sur les quelque dix kilo-
mètres de patinoire naturelle.
Pendant l’été indien, elle déguste
des « chaï latte » parfumés à la ci-
trouille dans le parc aménagé sur
ses rives, sous des arbres cente-
naires parés des couleurs autom-
nales. Le marché de la Fourche,
installé dans d’anciennes écuries,
regorge de petits restaurants pro-
posant toutes les cuisines du
monde, à l’image de la popula-
tion cosmopolite de la ville.
Mais c’est un imposant bâti-
ment, tout de volutes de verre et
de métal, dressé au cœur de la
Fourche, qui signe la nouvelle
identité de Winnipeg : le Musée
canadien pour les droits de la per-
sonne. Imaginé – et largement fi-
nancé – par le magnat de la presse
natif du Manitoba Israel Asper, il
a ouvert au public en 2014. Le phi-
lanthrope souhaitait à l’origine
offrir à la ville un musée consacré
à la Shoah. « Mais il a finalement
été soucieux de rendre justice à
tous les peuples qui ont dû lutter
pour assurer leur survie ou con-
quérir leurs droits et leur liberté »,
explique Katherine Kosowan, res-
ponsable marketing du musée.
Sept sombres paliers, disposés
dans une construction en spirale,
selon les vœux de l’architecte
américain Antoine Predock, et
reliés par d’aériennes passerelles
en albâtre, invitent à parcourir
Au bord de la rivière
Rouge, à Winnipeg ;
au second plan,
le Musée canadien
pour les droits
de la personne
et le pont Provencher.
TERRANCE KLASSEN/ALAMY STOCK PHOTO
D E
l’histoire de tous les génocides et
conflits qui ont émaillé la triste
histoire de l’humanité. La visite
se termine au sommet dans la
« tour de l’espoir », ultime volute
entièrement vitrée d’où l’on
contemple l’immense horizonta-
lité de la plaine manitobaine,
qui s’étend à perte de vue autour
de Winnipeg.
La salle des « parcours cana-
diens », qui retrace les épreuves
ayant émaillé la construction du
Canada moderne, de la lutte pour
les droits des femmes à celle pour
la reconnaissance des droits lin-
guistiques et jusqu’aux discrimi-
nations endurées par les autoch-
tones, est sans doute l’une des
plus intéressantes. Notamment
parce qu’elle s’attarde sur la ques-
tion des premiers peuples cana-
diens, qui reste aujourd’hui au
cœur de l’identité de Winnipeg ;
près de 103 000 de ses habitants,
soit un sur huit, appartiennent
à ces communautés ojibway, cri,
déné ou métis.
Le charme de Winnipeg, sur-
nommée « Winterpeg » (pour
le froid hivernal), « Windypeg »
(pour son vent, terrible), « Mos-
quitopeg » (pour les moustiques,
redoutables également), ou
moins péjorativement « the Peg »
tout court par ses habitants, tient
d’ailleurs aux empreintes laissées
par tous ceux qui ont forgé cette
ville ; des peuples originels aux
générations de migrants qui y ont
rêvé d’un nouveau départ.
Dans le quartier Saint-Boniface,
sur l’une des rives de la rivière
Rouge, les descendants de ceux
qui arrivèrent il y a plus d’un siè-
cle du Jura, de Savoie ou de Breta-
gne pour échapper à la misère
continuent d’entretenir la
flamme de la langue française.
Un dernier parfum de « petite
France », avant de filer plus à
l’ouest, vers les Rocheuses et la
côte Pacifique du Canada. p
hélène jouan
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
C A R N E T
R O U T E
Notre journaliste a organisé
son voyage avec l’aide
de Tourism Winnipeg.
Y ALLER
Paris-Winnipeg, desservi
plusieurs fois par semaine
par Air France et Air Ca-
nada, à partir de 700 euros,
une ou deux escales.
S E LOGER
Hôtel Fort Garry,
trois-étoiles historique,
à partir de 170 euros la nuit,
brunch le week-end à partir
de 20 euros sous la magnifi-
que véranda en coupole.
222 Broadway.
Mere Hotel, quatre-étoiles
aux lignes modernistes,
à partir de 230 euros la nuit,
pour profiter de la vue
sur la rivière rouge.
333 Waterfront Drive.
D ÉJ EU N ER , D Î N ER
Petit Socco, dans la liste des
cinq meilleurs restaurants
du Canada ! Menu saison-
nier, quatre plats, 50 euros.
Réservation obligatoire,
dix places seulement.
256 Stafford Street.
Deer + Almond, cuisine
fusion, son chef Mandel
Hitzer, créateur du festival
culinaire de Winnipeg,
installe ses tables en janvier
sur la rivière Assiniboine
gelée, menu « expérience
culinaire » 57 euros.
85 Princess Street.
Promenade Brasserie,
au cœur du quartier Saint-
Boniface, une cuisine qui
rend hommage aux cultu-
res française et métisse,
avec burger au bison. Pas
plus de 15 euros par plat.
130 Provencher Boulevard.
King + Bannatyne, pour
« luncher » sur le pouce
dans le quartier de la
Bourse, sandwichs, salades,
soupes et « pop-corn co-
chon », autour de 12 euros.
100 King Street.
À VOI R , À FAI R E
Le Musée canadien pour
les droits de la personne.
85 Israel Asper Way.
Le Winnipeg Art Gallery-
Qaumajuq, au Musée
des beaux-arts, propose
la plus grande collection
d’art inuit au monde avec
quatorze mille sculptures.
300 Memorial Boulevard.
Le Leaf, immense jardin
botanique couvert situé au
cœur du parc Assiniboine.
Son restaurant Gather Craft
Kitchen & Bar propose
des produits frais d’origine
locale. 145 The Leaf Way.
Le Royal Canadian Mint, le
musée de l’usine de la mon-
naie canadienne, là où sont
fabriquées les pièces frap-
pées hier du portrait d’Eliza-
beth II, aujourd’hui de
Charles III, mais aussi celles
de plus de soixante pays.
520 Lagimodière Boulevard.
La gare Union reste une
voie de départ vers le Grand
Nord canadien. Deux trains
par semaine vers Churchill,
la capitale de l’ours polaire.
 | 35
IDÉES
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

Sandrine Rousseau
contre l’humanité que nous ne parve-
nons pas à appréhender à sa juste me-
sure. Aucun procès d’ampleur, par
exemple, des auteurs d’actes de tor-
ture en Algérie, des assassinats multi-
ples et bien d’autres exactions effec-

La France ne doit pas devenir la base tuées dans l’ensemble des pays colo-
nisés. Et tant que la responsabilité
de l’Etat français est minimisée, voire
niée, aucune réparation de la coloni-
sation ne peut débuter.

arrière du conflit israélo-palestinien

Composer un récit politique à la hauteur du moment consisterait à reconnaître
Là aussi, Emmanuel Macron a une
parole à poser, lui qui a si maladroite-
ment parlé d’« histoire d’amour qui a
sa part de tragique » en évoquant les
relations franco-algériennes, après
avoir demandé à l’historien Benjamin
Stora un rapport sur la mémoire de
la responsabilité de la France dans la Shoah, mais aussi à établir un inventaire historique cette période. De manière symétrique
à ce qui se produit sur l’antisémi-
sans concession de notre politique de colonisation, estime la députée écologiste de Paris tisme, nous ne pouvons dédiaboliser
les positions historiques de l’extrême
droite française sur ces événements
dont ils n’ont rien renié. Souvenons-

L
a possibilité d’une importation
du conflit israélo-palestinien en
France est une préoccupation
importante des pouvoirs pu-
blics et met en tension les services de
sécurité. L’attaque au couteau à Paris,
samedi 2 décembre, évoquant Gaza,
même au titre de prétexte, montre
combien cette inquiétude est justi-
fiée. Toutefois, pour faire société, et
sans doute nation, sur autre chose
que le rejet d’une partie de cette
même société, il nous faut aller bien
au-delà de la question sécuritaire.
En effet, aujourd’hui, juifs comme
musulmans ont peur des effets de
ce qui se produit au Proche-Orient
sur leurs vies et leur sécurité en
France. Si nous laissons cette peur
s’installer, nous courons à la catas-
trophe politique que serait la possi-
bilité offerte à des groupuscules d’ex-
trême droite de faire régner l’ordre.
Un autre récit doit s’imposer, pour
que chacun s’y retrouve, et dont les
bases ne se situent pas au Proche-
Orient mais bien chez nous.
En premier lieu, il est indispensable
de reconnaître la gravité de la Shoah,
ses implications actuelles et la res-
ponsabilité de la France dans ce géno-
cide. L’attaque du 7 octobre n’a pas été
une attaque comme les autres, elle
n’a pas été une énième action d’un
groupe terroriste de Palestine. Son
ampleur, la surprise dans laquelle elle
s’est déroulée et la cruauté des as-
saillants ont réveillé quelque chose de
très profond dans la communauté
juive qui est, ni plus ni moins, la peur
du retour de l’extermination.
D’ailleurs, nous nous sommes beau-
coup affrontés au sujet de la qualifica-
tion des actes du 7 octobre. Sans reve-
nir là-dessus, le mot qui finalement a
émergé, et s’est en partie imposé, est
celui de « pogrom ». Ce mot renvoie
à ce que l’histoire a produit de plus
violent et antisémite. Les pogroms
font partie de la mémoire du peuple
juif. C’est un mot des discriminations
anciennes et répétées subies par les
juifs d’Europe, dont on connaît
l’aboutissement génocidaire.
Des mots sans détour
Composer un récit politique à la hau-
teur du moment consisterait à poser
les termes permettant aux juifs de
France de percevoir que nous com-
prenons absolument la gravité de la
situation. Oui, la bête immonde de
l’antisémitisme peut à chaque ins-
tant se réveiller. Et si elle a été capa-
ble de produire le pire une fois, il
n’est jamais impossible qu’elle re-
commence. Dans ce cadre, il serait
important qu’Emmanuel Macron ait
aujourd’hui, à la suite de Jacques
Chirac, des mots sans ambiguïté sur
DE MANIÈRE
SYMÉTRIQUE
À CE QUI SE PRODUIT
SUR L’ANTISÉMITISME,
NOUS NE POUVONS
DÉDIABOLISER
LES POSITIONS
HISTORIQUES DE
L’EXTRÊME DROITE
le rôle de la France, mais aussi de
nombre de ses dirigeants, dans la
montée du nazisme et leur compro-
mission avec ce régime.
La gauche, elle aussi, doit avoir des
mots sans détour pour dire que nous
voyons ce qui est à l’œuvre avec luci-
dité et gravité. Oui, l’islamisme radi-
cal aujourd’hui ravive un antisé-
mitisme violent. Oui, l’attentat de
l’Hyper Cacher, en janvier 2015, celui
à l’école juive Ozar Hatorah, perpétré
par Mohammed Merah en 2012,
étaient antisémites. Oui, nous de-
vons le combattre de toutes les
manières possibles.
Nous devons aussi être sans
concession avec une extrême droite
pétrie jusqu’à l’os d’un antisémitisme
structurel et consubstantiel à son
existence. Non, il n’y a pas de
dédiabolisation possible de l’anti-
sémitisme politique au fondement
du Rassemblement national (RN),
de Reconquête ! ou de la myriade
de groupuscules violents dont une
partie des membres arbore, si fière-
ment, tatouages et autres marques
du néonazisme.
En second lieu, nous devons,
aujourd’hui, faire l’inventaire histori-
que et sans concession également de
notre politique de colonisation. Car
c’est, là aussi, le réveil d’un autre trau-
matisme, fruit d’une autre époque,
non soldée, qui est celle de l’envahis-
sement de pays, des crimes nom-
breux commis dans ce cadre et de no-
tre absence, coupable, de volonté poli-
tique de les regarder en face. Car, oui,
dans le soutien au peuple palestinien
se joue l’appel impérieux à ne plus co-
loniser, à ne pas reproduire cette his-
toire, faite de blessures encore à vif.
L’absence de condamnation du
Hamas trouve, chez certains, sa justi-
fication dans le fait que la colonisa-
tion, d’une manière générale, doit
être vue pour ce qu’elle est : un crime
nous de ce député RN qui, à l’ouver-
ture de la nouvelle Assemblée natio-
nale en juin 2022, évoquait sa nostal-
gie d’une Algérie française.
Et dans le débat politique actuel,
dans sa dimension internationale,
nous devons poser les termes d’une
colonisation présente impossible et
inacceptable dans les territoires
palestiniens. La voix de la France se
doit d’être claire et sans ambiguïté,
sur sa propre histoire comme sur la
situation israélo-palestinienne. Cela
participerait d’une décolonisation
indispensable de nos esprits comme
de nos politiques.
A ces conditions, et à ces conditions
seulement, nous parviendrons à ne
pas faire de la France la base arrière
du conflit proche-oriental. A ces
conditions, et à ces conditions seule-
ment, nous ne laisserons pas l’ex-
trême droite dérouler son plan poli-
tique. Et, à ces conditions seulement,
nous sortirons par le haut des
tensions lourdes qui traversent
aujourd’hui notre société. p
Sandrine Rousseau est députée
(EELV) de la 9e circonscription
de Paris

Pascal Nègre La taxe streaming, telle que votée par le Sénat,

permettrait une ambition pour la filière musicale
Abandonner le projet de taxation destiné à financer le Centre national de la musique au profit d’une contribution volontaire
reviendrait à « donner les clés » de la politique musicale française aux plates-formes et aux labels, considère le producteur

D
ans la dernière ligne
droite avant l’adoption du
budget 2024, une partie
décisive se joue : rien de
moins que l’avenir de la musique
dans notre pays. Veut-on qu’il y
ait encore, dans quelques années
à peine, des nouveautés en chan-
son française, en jazz ou en musi-
que classique, des programma-
tions de concerts variés partout
en France ? Veut-on une filière dé-
carbonée et faisant plus de place
aux femmes ? Telles sont les
questions qui doivent être tran-
chées dans les jours qui viennent.
Alors que, pendant des décen-
nies, la politique publique pour la
musique, « live » comme enregis-
trée, a été le parent pauvre de
l’action culturelle, un outil ambi-
tieux a été mis en place en 2020,
sous le premier quinquennat
d’Emmanuel Macron : le Centre
national de la musique (CNM). La
question de son financement est
au cœur des débats de la filière, car
les enjeux d’émergence, de diver-
sité des esthétiques musicales,
d’égalité femmes-hommes, de
transition écologique, notam-
ment, impliquent de nouveaux
moyens. Sans eux, dans quelques
années à peine, le mainstream,
qu’il soit nord-américain ou co-
réen, aura tout écrasé, dans les hit-
parades comme dans la program-
mation des salles et des festivals.
A côté de la taxe sur la billetterie
des spectacles de musiques ac-
tuelles qui existe depuis plus de
vingt ans, d’une subvention de
AVEC CE
MÉCANISME,
LES PLUS GROS
AIDERAIENT
LES PLUS FRAGILES
l’Etat et d’un apport des organis-
mes de gestion collective (Sacem
et autres), il faut impérativement
compléter ce tour de table pour
que les entreprises de la musique
enregistrée (labels, plates-formes
de streaming gratuit et payant)
y contribuent. Car, grâce au
streaming, la crise du disque des
années 2000 est bien terminée,
et c’est heureux.
Lors de la dernière Fête de la
musique, le président de la Répu-
blique a posé une alternative
simple : soit un accord de ces en-
treprises, avant le 30 septembre,
pour verser une contribution vo-
lontaire au CNM, soit une taxe
sur les plates-formes de strea-
ming, avec un taux très bas et
une assiette large, sur le gratuit
(TikTok, YouTube…) et le payant
(Spotify, Apple Music et autres).
Le Sénat, à l’unanimité des grou-
pes politiques, a pris ses respon-
sabilités en introduisant un tel
dispositif dans le projet de loi de
finances 2024.
Pourtant, il semble que l’idée
de la « contribution volontaire »
reste en lice. Elle n’est pas à la
hauteur. Passons sur le fait que le
délai fixé par Emmanuel Macron
est largement dépassé, preuve
que les entreprises du secteur se
font prier ; preuve aussi qu’au
sein de l’Etat certains hésitent.
Surtout, sur le fond, les débats
ayant eu lieu depuis l’été mon-
trent qu’il n’est pas acceptable de
faire financer une politique pu-
blique pour la musique par un tel
mécanisme, fragile et délétère.
Souveraineté culturelle
D’abord, une telle contribution
reposerait sur la volonté des par-
ties, et certaines entreprises en
cause l’ont bien dit : elles met-
tront au pot seulement si elles
sont profitables, seulement si la
redevance pour copie privée per-
dure ou seulement si elles peu-
vent le déduire de leurs impôts,
voire, comble du cynisme, obte-
nir une réduction fiscale pour
mécénat. Du reste, pour la plu-
part, c’est à New York, à Seattle, à
Stockholm ou en Asie que réside
le pouvoir de fixer le montant, de
signer et, demain, de se retirer.
Peut-on financer une politique
publique avec un tel degré de fra-
gilité ? Plus encore, accepter le fi-
nancement du CNM par une telle
contribution revient à en donner
les clés aux plates-formes et aux
majors de l’industrie du disque,
qui ne manqueront pas d’exiger
un retour sur investissement et
qui s’ingéreront dans la défini-
tion de la politique pour la musi-
que, dans l’intérêt de leurs ac-
tionnaires, qui n’ont que faire de
la diversité à la française.
A l’inverse, la taxe streaming,
telle que votée par le Sénat, per-
mettrait, dans la clarté de l’appli-
cation de la loi, une ambition
pour la filière musicale. Son pro-
duit ne financerait ni emplois
publics ni frais de structure,
mais irait intégralement à la fi-
lière elle-même. Avec ce méca-
nisme solidaire et redistributif,
les plus gros aideraient les plus
fragiles, les jeunes artistes de de-
main, dans tous les genres musi-
caux, et les aides au développe-
ment à l’international, l’export
de notre musique, serviraient
le soft power et la souveraineté
culturelle de notre pays.
Du reste, les débats actuels sont
observés dans le monde entier :
après avoir mis à contribution les
plates-formes de streaming vidéo
(Netflix et les autres) pour la créa-
tion, la France peut, avec une taxe
streaming, être à l’avant-garde,
cette fois-ci, pour la musique. p
Pascal Nègre, ancien
dirigeant d’Universal Music
France, est président
du Label 6 & 7 et de la Société
civile des producteurs de
phonogrammes en France
36 | idées 0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

La qualité de l’eau potable en France

doit être protégée et renforcée
Un collectif de 21 chercheurs du domaine de l’eau, immunitaire et un risque accru de déve-
lopper certains types de cancer. L’exposi-
dont Julie Mendret, maîtresse de conférences à tion à long terme aux PFAS est donc une
l’université de Montpellier, interpellent les pouvoirs préoccupation majeure de santé publi-
que. Le manque d’études épidémiologi-
publics sur la nocivité des PFAS, ces composants ques empêche de déterminer au-delà
chimiques présents dans l’eau du robinet de quels niveaux de concentration il y a
des conséquences sur la santé humaine.
Du fait de ce flou, il est difficile pour les
autorités d’établir des seuils réglemen-
pérativement mieux maîtriser leurs re-
jets dans l’environnement. La majorité
des usages actuels de ces composants
ne sont pas essentiels, et une adaptation
rapide de ces filières est nécessaire pour
L’USINE DE restreindre leur utilisation.
POTABILISATION Les outils réglementaires doivent évo-
luer rapidement pour protéger la qualité
DOIT GARANTIR de l’eau potable en France, notamment
en renforçant la surveillance des rejets
L’ÉLIMINATION

L
a présence de substances per- et
polyfluoroalkylées (PFAS) dans
l’eau du robinet en France, mise
en lumière par les médias, est de-
venue un sujet très sensible. Depuis lors,
nombreux sont ceux qui s’inquiètent
des conséquences sur la santé de la
consommation d’eau du robinet et s’in-
terrogent sur les moyens d’éradiquer
cette pollution.
Les PFAS sont un groupe de composés
chimiques utilisés dans de nombreux
produits de consommation, qui incluent
les revêtements antiadhésifs, les textiles
imperméables, les emballages alimen-
taires. Ces substances sont faiblement
biodégradables et ont une résistance
thermique et chimique élevée, d’où le
surnom qui leur a été donné de « pol-
luants éternels ».
Stations d’épuration inadaptées
Tout d’abord, il nous semble important
de rappeler que l’exposition aux PFAS
provient en premier lieu de l’alimenta-
tion, et de la consommation de produits
de la mer, de viande, de fruits et d’œufs :
la quantité ingérée de cette façon est
souvent supérieure à celle qui est
consommée à travers l’eau du robinet.
Mais voyons comme les PFAS se re-
trouvent dans l’eau du robinet. Les ef-
fluents industriels et les mousses anti-
incendie constituent les principales
sources de contamination. Les eaux
usées domestiques en contiennent éga-
lement, mais dans une moindre me-
sure. Or les stations d’épuration qui re-
çoivent les effluents industriels ou les
eaux usées domestiques n’ont pas été
conçues pour éliminer ces molécules.
Une fois traitées dans ces stations, ces
eaux sont rejetées dans le milieu natu-
rel, entraînant les PFAS avec elles. Les
eaux souterraines et de surface, poten-
tiellement contaminées, sont utilisées
pour alimenter les usines de production
d’eau potable. C’est donc l’usine de pota-
bilisation qui doit garantir l’élimination
de ces molécules afin d’atteindre les
normes en vigueur pour l’eau destinée
à la consommation humaine. Actuelle-
ment, les procédés classiquement utili-
sés dans ces usines ne permettent pas
l’élimination des PFAS, du fait de leur
forte résistance chimique.
Persistantes et faiblement décomposa-
bles naturellement, ces molécules s’ac-
cumulent dans l’environnement et peu-
vent atteindre des niveaux de concentra-
tion préoccupants dans les ressources en
eau. Les PFAS sont associées à plusieurs
effets néfastes sur la santé humaine, no-
tamment des problèmes de développe-
ment lors de la croissance, des troubles
hormonaux, des effets sur le système
taires, et certains pays préconisent le
principe de précaution « Alara » (As Low
as Reasonably Achievable, « aussi bas
que raisonnablement possible »).
Mesures coûteuses mais nécessaires
En Europe, la directive 2020/2184, qui
concerne la qualité des eaux de consom-
mation humaine, a été révisée.
Vingt PFAS ont été ciblées, et leur con-
centration maximale cumulée dans les
eaux destinées à la consommation a été
fixée à 0,10 microgramme par litre. La di-
rective a été transposée en droit français
en décembre 2022, et les PFAS devront
donc être intégrées dans les analyses
sanitaires de l’eau de consommation
d’ici à 2026, comme elles le sont, depuis
le 1er janvier 2023, pour les ressources
où leur présence a déjà été identifiée.
Comment éliminer ces molécules dans
le cadre de la production d’eau potable ?
Certaines technologies sont d’ores et
déjà opérationnelles, comme la filtration
sur charbon actif spécifique, qui semble
la plus efficace pour ce type de pollution,
ou encore l’utilisation de l’osmose in-
verse. Pour gérer cette nouvelle pollu-
tion, nos filières de production d’eau
potable devront être améliorées, ce qui
implique un coût financier important.
L’actualité préoccupante amène une
partie de la population à préférer l’eau en
DE CES MOLÉCULES
AFIN D’ATTEINDRE
LES NORMES EN
VIGUEUR POUR L’EAU
DU ROBINET
bouteille. Pourtant, le modèle de l’eau du
robinet nous semble le seul soutenable.
En effet, la consommation massive d’eau
en bouteille plastique a des impacts envi-
ronnementaux mais aussi sanitaires,
du fait de la présence possible de plasti-
fiants et de microplastiques dans ces
eaux. Ce type de consommation d’eau
peut être une solution temporaire accep-
table durant le délai de mise en place de
mesures curatives mais ne doit en aucun
cas devenir la norme, car elle génère
des émissions de CO2, par la fabrication
des bouteilles et leur transport.
Les mesures curatives pour l’élimina-
tion des PFAS étant très coûteuses, il est
primordial de renforcer la protection des
populations et de l’environnement face
aux risques liés à ces composés en adop-
tant des mesures préventives. Les indus-
tries de fabrication des PFAS doivent im-
aqueux des installations classées pour
la protection de l’environnement, afin de
minimiser l’exposition des citoyens.
Enfin, il est urgent de ne pas compli-
quer à l’extrême la production d’eau
potable en évitant la contamination des
milieux en amont et donc en dévelop-
pant des substituts écologiques aux
PFAS. Ces enjeux justifient à eux seuls
de mettre en place un effort de recher-
che considérable à l’échelle nationale et
européenne, pour trouver tant des subs-
tituts à ces molécules que des moyens
de les traiter efficacement. Il est urgent
également d’étudier leurs aspects toxico-
logiques, afin de déterminer au plus vite
des valeurs sanitaires seuils réalistes
et opérationnelles pour l’eau destinée à
la consommation humaine. p
Parmi les signataires : Roger Ben
Aïm, professeur retraité de l’université
de Toulouse ; Mathieu Gautier, maître
de conférences à l’Institut national
des sciences appliquées de Lyon ;
Julie Mendret, maîtresse de conféren-
ces à l’université de Montpellier.
Retrouvez la liste complète
des signataires sur Lemonde.fr

« Nouveaux OGM » : la dérégulation fait peser un risque

de monopole dans la production des semences
Un collectif de seize élus socialistes, dont le député européen Christophe Clergeau, demande un débat
citoyen sur les nouvelles techniques génomiques, refusant leur banalisation

C
haque diffusion d’une
nouvelle technologie de-
vrait faire l’objet d’un dé-
bat public ouvert et dépas-
sionné : il est essentiel qu’un pro-
cessus démocratique éclairé par
la science détermine si telle ou
telle innovation contribue ou
non à l’intérêt général. Cela doit
être le cas pour les plantes et les
aliments obtenus par les « nou-
velles techniques génomiques »
(NGT, pour New Genomic Techni-
ques), dont la cisgenèse [un pro-
cessus du génie génétique qui per-
met le transfert de gènes entre des
organismes qui pourraient être
croisés selon des méthodes d’hy-
bridation classiques], et commu-
nément appelés « nouveaux
OGM ». Notre culture socialiste
nous rend naturellement ouverts
à la perspective du progrès per-
mis par la recherche scientifique,
mais également attentifs aux
conditions dans lesquelles ce-
lui-ci est mis en œuvre, pour le
meilleur… et parfois pour le pire.
Les plantes NGT sont présen-
tées comme une solution « magi-
que » face aux enjeux environne-
mentaux, alimentaires et agrico-
les. Elles seraient le substitut
idéal aux pesticides, une garantie
de sécurité alimentaire, une ré-
ponse à la crise de l’eau… L’his-
toire nous enseigne que cette in-
flation de promesses était un
leurre s’agissant des plantes
OGM : les seules plantes issues de
la transgenèse arrivées massive-
ment sur le marché ont été des
plantes résistantes aux pestici-
des, justifiant l’utilisation sans li-
mites de ces derniers.
Cette expérience nous invite à
la prudence, mais non au refus de
principe. Ces technologies NGT
sont différentes des précédentes
et, bien encadrées, peuvent pro-
longer le mouvement historique
AU PARLEMENT
EUROPÉEN, CEUX
QUI COMBATTENT
LE PACTE VERT SONT
AUSSI CEUX QUI
SOUTIENNENT LA
DÉRÉGLEMENTATION
DU VÉGÉTAL
de sélection variétale et d’amélio-
ration des plantes.
Si nous ne voulons pas jouer
aux apprentis sorciers, notre at-
tention doit se concentrer sur les
finalités et les moyens de con-
trôle effectifs de leur mise en
œuvre. Nous mesurons le risque
d’une dérégulation, qui se tradui-
rait par le renforcement du quasi-
monopole de quelques multina-
tionales sur le secteur stratégique
des semences. La biodiversité
écologique est en partie liée à
celle du tissu économique des
entreprises semencières. Les pro-
positions de dérégulation de la
Commission européenne nous
exposent, en l’état, au risque ma-
jeur d’une banalisation dange-
reuse des plantes NGT.
Au minimum et sans exhausti-
vité, nous militons pour trois
exigences. En premier lieu,
l’autorisation de cultiver et de
mettre sur le marché des plantes
NGT doit être conditionnée par
leurs effets positifs en matière de
durabilité. Les risques pour la
santé et l’environnement doi-
vent faire l’objet d’une évalua-
tion systémique, au cas par cas.
Cette évaluation prendra égale-
ment en considération les im-
pacts sociaux et économiques.
Autrement dit, tout progrès doit
être mis au service du bien-être
des citoyens, de l’agroécologie et
de la souveraineté européenne.
Cette vigilance doit être conser-
vée au-delà de la mise sur le mar-
ché et permettre, le cas échéant,
le retrait de plantes qui se révéle-
raient en contradiction avec l’im-
pératif de sécurité alimentaire et
environnementale.
Contre la privatisation du vivant
En deuxième lieu, le régime de
droit de propriété doit exclusive-
ment être celui du certificat
d’obtention végétale, seul garant
d’une juste reconnaissance de
l’effort de sélection et d’une
accessibilité à l’ensemble des
agriculteurs. Nous refusons la
privatisation du vivant et toute
perspective de brevets sur les
traits génétiques édités. Nous
affirmons qu’une recherche pu-
blique puissante est la seule ga-
rante de la production d’une
diversité de solutions espérées,
au-delà de la recherche de profit
à court terme.
La transparence, enfin, doit ici
être considérée comme une con-
dition de la liberté de choix, qui
doit être totale tant pour les pro-
ducteurs que pour les consom-
mateurs. La traçabilité est la
condition première du libre
choix. Celui des consommateurs
doit être garanti par une infor-
mation adaptée. Les filières qui
refuseraient l’usage des plantes
NGT, à l’instar de l’agriculture
biologique, doivent pouvoir le
faire, et se protéger par des mesu-
res de coexistence et l’application
du principe pollueur-payeur.
La focalisation du débat euro-
péen sur les NGT ne doit pas dé-
tourner l’attention politique du
nécessaire changement de mo-
dèle de la politique agricole com-
mune. Au Parlement européen,
nous observons que les promo-
teurs de la dérégulation de la lé-
gislation sur le végétal sont aussi
ceux qui combattent le Pacte vert
européen, font barrage à la loi sur
la restauration de la nature ou
veulent retarder la réduction de
l’utilisation des pesticides. Ces
thuriféraires se recrutent massi-
vement à droite et à l’extrême
droite et chez les libéraux. Face à
ce rouleau compresseur, la seule
chance que nous ayons de faire
valoir la raison est que soit lancé
un débat citoyen sur l’enjeu de la
génétique végétale et que ce sujet
soit au cœur de la campagne des
européennes qui va s’ouvrir. p
Collectif d’élus socialistes :
Eric Andrieu, ex-député euro-
péen ; Christophe Clergeau,
député européen, rapporteur
sur le règlement NGT pour les
socialistes et démocrates ;
Karine Daniel, sénatrice
(Loire-Atlantique) ; Stéphane
Delautrette, député (Haute-
Vienne) ; Olivier Faure,
premier secrétaire du Parti
socialiste (PS) ; Guillaume
Garot, député (Mayenne) ;
Karine Gloanec-Maurin,
secrétaire nationale du PS à la
transition agricole et alimen-
taire ; Chantal Jourdan, dépu-
tée (Orne) ; Patrick Kanner,
sénateur (Nord) ; Frédéric
Leveillé, vice-président aux
ruralités de la Fondation natio-
nale des élus socialistes et ré-
publicains ; Nora Mebarek,
députée européenne ; Domini-
que Potier, député (Meurthe-
et-Moselle) ; Jean-Claude
Tissot, sénateur (Loire) ; Boris
Vallaud, député (Landes) ;
Sébastien Vincini, président
du conseil départemental
de la Haute-Garonne ; Michaël
Weber, sénateur (Moselle)
 idées | 37
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

BOUCLIER HUMAIN
mer le « droit humanitaire » consacrent la
nécessité de protéger les civils.
L’usage de boucliers humains est ainsi
interdit. Mais le droit admet aussi que des
pertes civiles peuvent parfois être nécessai-
res. « Vous ne pouvez pas diriger une attaque
contre un objet civil. Vous pouvez diriger une
attaque contre une cible militaire. Ainsi, un
objet civil utilisé par les forces ennemies de-
Même si l’utilisation de la présence de civils par les belligérants est ancienne, vient une cible militaire légitime, résume
Pnina Sharvit Baruch, directrice de recherche
l’expression n’est apparue qu’après la seconde guerre mondiale. à l’Institute for National Security Studies, un
Depuis, elle soulève toujours autant de questions éthiques et juridiques groupe de réflexion israélien. Mais même si
elle devient légitime, il y a encore des règles. »
Notamment celle de proportionnalité.
HISTOIRE D’UNE NOTION même si la pratique est plus ancienne. Au
XIe siècle, par exemple, il était conseillé aux L’arithmétique des juristes
dée par les rédacteurs des conventions et de
leurs protocoles additionnels. Ceux qui se
placent volontairement devant un objectif
militaire – tels les civils serbes postés sur les
ponts de Belgrade pour éviter que ces der-
niers ne soient bombardés pendant la cam-
pagne de l’OTAN en 1999, ou les civils palesti-
niens qui avaient encerclé le quartier général
d’Arafat à Ramallah, en 2003, pour prévenir
une attaque des forces israéliennes – doivent-
ils être considérés comme combattants ?
Michael Schmitt, professeur américain de
droit international et référence en matière de
droit de la guerre, considère que les boucliers
humains volontaires deviennent des partici-
pants au conflit, perdant leur statut de civil.
D’autres au contraire, comme Neve Gordon,

Q
ui est responsable, tant sur le
plan éthique que sur celui du
droit, de la mort de civils lorsque
ceux-ci sont utilisés comme
boucliers humains ? En utilisant
des personnes non combattantes à cette fin,
en opérant depuis des zones peuplées de
civils, sous des hôpitaux, des écoles ou des
mosquées, le Hamas en ferait, selon l’armée
israélienne, des « cibles militaires légitimes ».
Selon la Cour pénale internationale, « le fait
d’utiliser la présence d’un civil ou d’une autre
personne protégée pour éviter que certains
points, zones ou forces militaires ne soient la
cible d’opérations militaires » constitue un
crime de guerre. Cette protection dont bénéfi-
cient les civils va de pair avec l’interdiction qui
leur est faite de participer directement aux
hostilités – le droit de la guerre étant fondé
sur la distinction entre civils et combattants.
L’expression « bouclier humain » n’est ap-
parue qu’après la seconde guerre mondiale,
croisés d’utiliser « leurs captifs musulmans
nus et enchaînés » pour se protéger, et tout
au long du Moyen Age, des otages ont été
employés comme boucliers humains. Pen-
dant l’occupation d’une partie de la France
en 1871, l’armée allemande attachait des di-
gnitaires français dans les trains transpor-
tant des soldats et du matériel, afin de les
protéger des tirs ennemis. Pendant la guerre
de Sécession, aux Etats-Unis, seuls les hom-
mes blancs étaient utilisés comme boucliers
humains par les confédérés (les sudistes).
« De nos jours, ce sont les femmes et les
enfants qui sont le plus souvent utilisés »,
explique Neve Gordon, professeur de droit
international à la Queen Mary University de
Londres et auteur de Human Shields. A His-
tory of People in the Line of Fire (University
of California Press, 2020, non traduit). La Dé-
claration universelle des droits de l’homme
(1948), les conventions de Genève (1949) et
tout l’édifice de ce que l’on va bientôt nom-
Selon l’article 51 du protocole additionnel
aux conventions de Genève, les pertes civiles
potentielles sont à mettre en relation avec
« l’avantage militaire concret et direct at-
DES PACIFISTES, tendu ». Soit deux données difficilement
EN PARTICULIER mesurables, dont la mise en balance légitime
– ou non – la mort de civils. Les 126 morts du
GANDHI, camp de réfugiés de Jabaliya, où Israël affirme
avoir tué un commandant et des dizaines de
ONT DÉVELOPPÉ combattants du Hamas qui opéraient « de-
L’IDÉE DU puis un vaste complexe de tunnels situés sous
le camp », étaient-ils « excessifs » en regard de
BOUCLIER HUMAIN l’objectif militaire ? Telle est l’arithmétique à
laquelle s’affairent aujourd’hui les juristes
COMME OUTIL qui observent la situation à Gaza et qui s’op-
posent sur l’interprétation des lois.
DE RÉSISTANCE Des pacifistes, des humanitaires et des
ET ARME DE PAIX militants anticolonialistes, en particulier
Gandhi, ont développé l’idée du bouclier
humain comme outil de résistance et arme
de paix. La question des boucliers humains
volontaires n’a pas été explicitement abor-
estiment qu’il faut condamner toute attaque
contre des civils quel que soit le contexte,
afin d’éviter que l’utilisation de boucliers
humains ne serve d’« outil de légitimation de
la violence » aux grandes puissances.
La multiplication des conflits asymétriques
favorise l’usage de boucliers humains, qui
sont « typiquement l’arme des faibles », note
Etienne Dignat, auteur de La Rançon de la ter-
reur (PUF, 448 pages, 23 euros). Aussi la ques-
tion de l’adaptation du droit aux mutations
de la guerre se pose-t-elle : « Les conflits ré-
cents révèlent l’inadéquation du droit de la
guerre, qui a été créé d’abord pour des guerres
entre Etats, lorsque les hostilités se déroulaient
sur un champ de bataille. » De fait, les conflits
du XXIe siècle se déploient le plus souvent
dans des zones urbaines, où il est plus diffi-
cile de faire la distinction entre combattants
et non-combattants, boucliers humains et ci-
vils pris au piège dans des zones de combat. p
valentine faure

CHRONIQUE | PAR JEAN-BAPTISTE FRESSOZ L’INFORMATION, ARME DE GUERRE ÉTATIQUE

Les prévisions météo LIVRE mur de Berlin et à la fin de l’em-
pire soviétique, se poursuit avec
seulement parce qu’elle « oppose
les Etats autoritaires aux régimes

à la moulinette de l’IA L es nouvelles dramatiques

qui déferlent du Proche-
Orient depuis le 7 octobre
et les innombrables difficultés
auxquelles les journalistes sont
l’avènement du numérique et
s’achève, pour le lecteur citoyen,
sur un sentiment d’effroi. Car non
seulement, minuscule fétu de
paille ballotté au gré de batailles
démocratiques, démultiplie les
champs de bataille et fait de cha-
que citoyen un potentiel soldat »,
mais aussi parce qu’elle est sou-
vent asymétrique : quand les uns

E n 1768, l’astronome italien

Giuseppe Toaldo (1719-1797)
s’est posé une question toute
simple : à quoi servent les observa-
tions météorologiques ? Que faire des
registres qui s’entassaient à l’observa-
toire de Padoue – quatre décennies de
mesures régulières de la température,
trois fois par jour, qui n’avaient donné
aucun résultat tangible ? Toaldo vou-
lait faire œuvre utile et mettre à profit
les observations météorologiques
passées pour prédire le futur. Afin de
faire parler les registres, il se lança
dans un énorme travail d’analyse. Son
but : détecter, dans le chaos des mesu-
res des cycles, des structures fixes
revenant dans le temps.
La logique sous-jacente au projet
était tirée de la gravitation universelle
de Newton : les positions respectives
de la Terre, de la Lune et du Soleil pro-
voquaient des marées. Pourquoi ne
provoqueraient-elles pas aussi des
« marées atmosphériques » détermi-
nant les conditions météorologiques ?
L’enjeu était immense, car, si son hy-
pothèse se vérifiait, on pourrait utili-
ser les tables astronomiques pour
déduire le futur de l’atmosphère. La
météorologie deviendrait alors une
science parfaitement prédictive.
Deux siècles et demi plus tard, le
projet de Toaldo est peut-être en
passe de se réaliser. DeepMind, une
filiale de Google, vient de publier les
résultats d’une comparaison entre
GraphCast, son modèle de prédic-
tion météorologique fondé sur un
réseau de neurones, et HRES, le
meilleur modèle de prévision actuel
au monde, celui du Centre européen
pour les prévisions météorologi-
ques à moyen terme, installé à Bolo-
gne – c’est ce modèle qui nourrit,
entre autres, les prévisions de Mé-
téo-France. Le résultat semble sans
appel : sur 90 % des objectifs, Graph-
Cast bat HRES à plate couture.
POURQUOI FINANCER
LA SCIENCE
SI DES INTELLIGENCES
ARTIFICIELLES ENTRAÎNÉES
SUR LES EFFORTS
SCIENTIFIQUES PASSÉS
FONCTIONNENT SI BIEN ?
En fournissant à l’intelligence artifi-
cielle (IA) deux états météorologiques
récents (l’heure actuelle et six heures
plus tôt), elle prévoit l’évolution des
confrontés pour exercer leur tra-
vail nous le rappellent quotidien-
nement : les guerres se mènent
aussi, peut-être même plus que
dont il ignore souvent tout, il peut
difficilement se figurer de quoi il
est à la fois le sujet et l’objet, mais
cette guerre informationnelle
s’astreignent (plus ou moins) à
des règles éthiques ou légales,
d’autres privilégient de plus effi-
caces méthodes propagandistes
conditions atmosphériques jusqu’à LA GUERRE DE jamais, sur le terrain de l’informa- étant perpétuelle, et peut-être pour mieux semer le chaos.
dix jours. Le plus spectaculaire est la L’INFORMATION. tion. Si le constat paraît banal, même sans fin, toute échappa- La lecture de l’ouvrage ébranle
réduction des besoins en calcul. LES ÉTATS À David Colon démontre, dans La toire paraît hors d’atteinte. d’autant plus que de David Colon,
Le superordinateur utilisé par HRES LA CONQUÊTE Guerre de l’information. Les Etats plutôt que de persuader ou con-
est un monstre de puissance (un mil- DE NOS ESPRITS à la conquête de nos esprits (Tal- « Rendre la paix impossible » vaincre, s’efforce de démontrer,
lion de processeurs, trente pétaflops), de David Colon, landier, 480 pages, 23,90 euros), à A lui seul, le glossaire de fin de prouver et d’acculer à la clair-
et il doit tourner pendant une heure Tallandier, quel point la guerre information- d’ouvrage donne le vertige quant voyance : « A la différence de la
pour résoudre les équations du mo- 480 p., 23,90 €. nelle se passe aussi de conflits ar- à la variété des mécanismes : guerre conventionnelle, la guerre
dèle. A l’inverse, GraphCast obtien- més pour faire rage, d’un exem- « Guerre cognitive » (qui altère les de l’information n’a ni début ni fin,
drait ses résultats en une minute sur ple de propagande étatique après mécanismes de compréhension et brouille les distinctions tradi-
un ordinateur classique. Le secret : un l’autre : les manipulations améri- du monde), « cyberguerre », tionnelles entre l’état de guerre et
réseau neuronal entraîné sur trente- caines destinées à justifier la « guerre hybride », « guerre mémé- l’état de paix, entre ce qui est offi-
neuf ans de données (1979-2017) col- deuxième guerre du Golfe, le tique », « gaslighting » (une techni- ciel et ce qui est secret, entre opéra-
lectées par le Centre européen pour relativisme et le confusionnisme que de manipulation qui vise à tions étatiques et opérations non
les prévisions météorologiques. cultivés par l’Etat russe, etc. faire douter ses victimes de leur étatiques, en raison du recours
Ce spécialiste de la manipulation propre santé mentale)… massif et quasi systématique à des
Rupture spectaculaire de masse convoque d’innombra- Tout est bon à la manipulation, sous-traitants, des mercenaires »,
GraphCast, avec d’autres initiatives bles faits, dates, noms, sigles, réfé- si délétère qu’elle pourrait bien martèle-t-il. Et, à la fin, il y a assez
du même genre, pose une question rences et textes comme autant de « rendre la paix impossible et la peu de chances pour que ce soient
qui n’est pas que théorique. Le finan- pierres à aiguiser l’acuité d’une en- guerre chaque jour moins impro- les démocraties qui gagnent. p
cement des sciences a essentielle- quête qui démarre à la chute du bable », nous dit l’auteur. Non aude dassonville
ment reposé sur leur utilité poten-
tielle. Toaldo mentionne le soutien
qu’il aurait reçu des spéculateurs du
Frioul – prévoir les mauvaises saisons
permettait d’acheter du blé au bon Travail d’écriture | par selçuk
moment. De même, au milieu du
XIXe siècle, c’est en expliquant pou-
voir prédire les tempêtes et éviter les
naufrages qu’Urbain Le Verrier (1811-
1877), le directeur de l’Observatoire de
Paris, obtint les financements néces-
saires au développement d’une
météorologie enfin prédictive, basée
sur la rapidité du télégraphe et le suivi
« en direct » des dépressions (Le Sa-
vant et la Tempête, de Fabien Locher,
Presses universitaires de Rennes,
2008). Durant la guerre froide,
l’US Air Force a joué un rôle-clé dans
le développement de la météorologie
avec ses avions, ses ballons-sondes,
ses satellites, ses supercalculateurs.
Le problème est que GraphCast, à
l’inverse de Toaldo, de Le Verrier, des
météorologues de la guerre froide ou
du supercalculateur de Bologne, n’a
aucune théorie sous-jacente de l’at-
mosphère. Son succès ne repose pas
sur la compréhension des phénomè-
nes. La rupture avec deux siècles de
météorologie est spectaculaire. Pour-
quoi financer la science si des IA
entraînées sur les efforts scientifiques
passés fonctionnent si bien ? On parle
beaucoup des risques « existentiels »
de l’IA. Un de ses effets pourrait bien
être de priver la science d’une justifica-
tion essentielle de son financement :
comprendre pour mieux prédire. p
38 | 0123
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par gil l e s par is
Internationaliser
le conflit, un impératif
D PAS QUESTION
eux mois après les
massacres de masse
perpétrés par le Ha-
mas contre des civils
israéliens près de Gaza, les autori-
tés israéliennes ont décidé de
porter dorénavant le fer dans le
sud de l’étroite bande de terre. Là
où ont afflué les déplacés chassés
par les combats dans le Nord. El-
les ont bénéficié d’un feu orange
américain du secrétaire d’Etat,
Antony Blinken : oui à la pour-
suite de l’offensive, non à un coût
trop élevé en vies palestiniennes.
Ce feu orange garantit à court
terme l’extension de la stratégie
de concassage de Gaza justifiée au
nom de l’éradication du mouve-
ment islamiste. Il s’agit de l’un
des deux objectifs de l’armée is-
raélienne avec la remise en liberté
des Israéliens ou étrangers captu-
rés le 7 octobre et toujours rete-
nus comme otages. Et ce même si
ces libérations sont difficilement
compatibles avec des bombarde-
ments similaires à ceux ayant
déjà ravagé le nord de Gaza.
Le président des Etats-Unis, Joe
Biden, a pris son risque : laisser
faire l’Etat hébreu pour mieux pe-
ser sur le cours de la guerre et sur
son épilogue. L’heure de vérité ne
va pourtant guère tarder. Il n’est
pas question pour l’instant d’un
ambitieux horizon politique, la
solution des deux Etats, le pre-
mier ministre israélien la refuse
viscéralement. L’un des éventuels
successeurs de Benyamin Néta-
nyahou, l’ancien chef d’état-ma-
jor Benny Gantz, présenté
comme pragmatique, ne s’y ré-
sout pas non plus.
La première échéance, déjà cru-
ciale, concerne Gaza. Dans une
tribune publiée par le Washing-
ton Post le 18 novembre, le prési-
dent des Etats-Unis a présenté
sa vision pour « le jour d’après »
et elle promet un choc frontal
avec l’actuel gouvernement is-
raélien. Un seul élément peut
convenir à Benyamin Nétanya-
hou : « Gaza ne doit plus jamais
servir de plate-forme au terro-
risme », écrit Joe Biden.
Il en va autrement, en revan-
che, avec l’idée du président amé-
ricain d’exclure tout maintien
d’un « blocus » et toute « réduc-
tion de territoire » par Israël, sans
parler de son plaidoyer pour une
réunification de Gaza et de la Cis-
jordanie « au sein d’une structure
de gouvernance unique, sous
l’égide d’une Autorité palesti-
nienne revitalisée ». Ces proposi-
tions ne peuvent qu’être perçues
par Israël comme une forme d’in-
gérence dans sa gestion de la
question palestinienne.
Le premier ministre israélien
n’est pourtant pas dans la
meilleure des postures pour s’op-
poser à cette vision américaine.
En dépit des semaines écoulées
depuis le début des opérations
militaires, il reste en effet incapa-
ble de formuler sa propre vision.
Il y a pourtant urgence au vu de
la catastrophe humanitaire en
cours et de l’ampleur des destruc-
tions qui concernent déjà plus de
la moitié des habitations dans un
territoire parmi les plus densé-
ment peuplés de la planète. Une
forme d’internationalisation du
conflit en cours est donc impéra-
tive. A la fois dans l’intérêt des
LES ÉTATS-UNIS
N’ONT PAS JOUÉ
DE L’INFLUENCE
QU’AUTORISE L’AIDE
MILITAIRE MASSIVE
DONT BÉNÉFICIE
ISRAËL
0123
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
JEAN-LUC
MÉLENCHON :
LE CALCUL du dérapage incontrôlé. Il n’était pas pré- A 72 ans, Jean-Luc Melenchon est prêt à
DE L’OUTRANCE
sent sur le plateau de télévision mais réa-
gissait à un échange tendu entre la journa-
liste et l’un de ses fidèles lieutenants, Ma-
jouer le pire pour se maintenir à flot. Son
but est de fidéliser l’électorat des quartiers,
qui constitue sa base populaire, et si possi-
nuel Bompard, à propos de la situation au
Proche-Orient. « Ruth Elkrief. Manipula-
trice. Si on n’injurie pas les musulmans, cette
ble de l’élargir à la faveur du conflit. Il joue
pour cela sur le quadruple registre des ten-
sions entre les communautés, de l’antisémi-
fanatique s’indigne », a-t-il écrit. tisme, du rejet du système médiatique et de
Les mots ont un bien un sens. Dans une la haine des élites. « Nous allons faire l’union
période de vive tension où les coups par- populaire avec ceux qui veulent. Ceux qui ne
tent très vite, ceux-ci ont été choisis à des- veulent pas font ce qu’ils veulent. Les Fran-
POUR L’INSTANT sein pour transformer la journaliste en sor- çais trancheront », a-t-il déclaré jeudi.
cière à brûler. Le leader de LFI, qui se rêvait La vision sur laquelle s’appuie sa stratégie
D’UN AMBITIEUX naguère en héritier de François Mitterrand, est celle d’un pays qui se défait et dont il
HORIZON POLITIQUE, est prêt à rompre toutes les digues et il le convient d’activer le délitement de toutes
LA SOLUTION À DEUX
ÉTATS, QUE
L es mots ont un sens. Quand Jean-Luc
Mélenchon a accusé Ruth Elkrief, di-
manche 3 décembre, sur le réseau so-
cial X (anciennement Twitter) d’être une
« fanatique » et de mépriser les musulmans,
fait en toute connaissance de cause.
Son offensive s’inscrit dans une séquence
politique soigneusement balisée. Jeudi
30 novembre, lors d’une réunion publique
à Rochefort (Charente-Maritime), Jean-Luc
les façons possibles, pour parvenir à faire le
vide et à créer les conditions de l’affronte-
ment final entre lui-même et Marine Le Pen
en 2027. Le pari est d’autant plus périlleux
que c’est l’extrême droite qui a aujourd’hui
NÉTANYAHOU REFUSE le leader de La France insoumise (LFI) savait Mélenchon a acté la fin de la Nouvelle le vent en poupe. Ce faisant, le reste de la
VISCÉRALEMENT très bien à quoi il exposait la journaliste de Union populaire écologique et sociale (Nu- gauche est placé devant ses responsabilités.
LCI : un déchaînement de haine sur les ré- pes), cette aventure commune avec le reste Il ne lui suffit pas d’être enfin dessillé, après
seaux sociaux d’autant plus dangereux de la gauche qu’il avait lancée en 2022 et qui des mois de complaisance envers celui qui
Palestiniens mais aussi dans celui que le conflit israélo-palestinien exacerbe n’a pas tenu en raison de ses excès et du l’a sauvée du naufrage législatif en 2022. Il
des Israéliens, compte tenu des les tensions entre communautés et avive peu de considération dans lequel il tenait lui faut s’atteler sérieusement à la construc-
errements de leurs autorités ap- l’antisémitisme. Lundi 4 décembre, la jour- ses partenaires. Depuis, il creuse son sillon tion d’une union populaire alternative qui
parus de manière tragique le 7 oc- naliste a été placée sous protection poli- en narguant le Parti communiste, le Parti ne soit pas fondée sur la haine mais sur l’es-
tobre. Cette internationalisation cière à la demande du ministre de l’inté- socialiste, les écologistes et une partie de poir, qui ne rejette pas les principes républi-
s’annonce néanmoins ardue. rieur, Gérald Darmanin, indigné qu’on ses troupes, qui ont vécu comme la goutte cains mais les conforte. Au-delà de l’imagi-
Des accords d’Oslo conclus mette « une cible dans le dos de Mme Elkrief ». d’eau de trop son refus de qualifier le Ha- nation et de la persévérance, cette entre-
en 1993, qui devaient conduire à Coutumier des invectives et des provoca- mas d’organisation terroriste, au lende- prise parallèle requiert, par les temps qui
la paix en 1999, il ne reste que des tions, Jean-Luc Mélenchon n’a pas l’excuse main de l’attaque du 7 octobre contre Israël. courent, un sens aigu des responsabilités. p
poches d’autonomie palesti-
nienne en Cisjordanie au sein
desquelles l’armée israélienne
conserve une totale liberté d’ini-
tiative, ainsi qu’une internationa-
lisation à sens unique que les
autorités israéliennes ont érigée
en paradigme. En paraphant ces
accords qui prévoyaient la créa-
tion d’un proto-Etat parallèle-
ment aux négociations de paix,
l’Autorité palestinienne, Israël
s’est en effet déchargé sur
d’autres du fardeau financier de
l’occupation de Gaza et de la Cis-
jordanie, tout en conservant sa fé-
rule sur une population de plus
de cinq millions de Palestiniens.
Politique du silence
Déjà très limitée à ses débuts,
l’autorité réelle de cette structure
imaginée comme transitoire n’a
cessé de se réduire avec le dé-
raillement du processus de paix.
La permanence, au nom de la sé-
curité, d’une matrice de contrôle
israélienne extrêmement intru-
sive, portée à son paroxysme à
Gaza, a empêché une véritable
autonomie économique et rendu
indispensable un soutien massif
extérieur. Il a été assuré en pre-
mier lieu par l’Union européenne
sans que jamais cette dernière se
serve de ce levier pour peser de
manière constructive sur les déci-
sions israéliennes.
Après l’enterrement des derniè-
res négociations de paix, il y a
plus de dix ans, les Etats-Unis se
sont de même résignés à une po-
litique du silence. Ils n’ont pas
joué de l’influence qu’autorise
l’aide militaire massive dont bé-
néficie Israël, qui permet notam-
ment de soutenir le rythme in-
tense des bombardements en
cours à Gaza. Indispensable pour
reconstruire au plus vite l’étroite
bande de terre et pour porter se-
cours efficacement à sa popula-
tion, cette internationalisation
doit désormais fonctionner dans
les deux sens. Par chance, elle
peut bénéficier d’un rare consen-
sus parmi les grandes puissances.
Qu’elles soient occidentales ou
rangées dans le Sud global, toutes
soutiennent en effet, in fine, la so-
lution des deux Etats.
« Au moment de l’entrée en fonc-
tion de cette administration, l’une
de nos premières actions dans le
domaine des affaires étrangères a
été d’examiner attentivement
toute la situation au Moyen-
Orient. Il était évident que la pour-
suite du conflit non résolu serait
extrêmement dangereuse. Que les
parties au conflit ne seraient pas à
même de surmonter leur héritage
de suspicion pour parvenir à un
règlement politique. Et que les ef-
forts internationaux devaient ap-
porter pour aider le soutien néces-
saire. » Ainsi parlait un lointain
prédécesseur d’Antony Blinken,
le secrétaire d’Etat William
Rogers, en 1969. Son constat n’a
pas pris une ride. p