MARDI 7 JUILLET 2020

76E ANNÉE– NO 23480

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

La feuille de route politique de Jean Castex

▶ Outre les dossiers écono­ ▶ « Celui qui accepte de ▶ Edouard Philippe s’était ▶ Après la déroute des mu­ ▶ Le nouveau gouverne­
miques et sociaux, le nou­ devenir premier ministre maintenu à distance du nicipales et à deux ans de ment devait être annoncé
veau premier ministre en­ est, par vocation, le chef parti macroniste. Son la présidentielle, Jean Cas­ lundi. Emmanuel Macron
tend assumer une mission de la majorité : c’est remplaçant aura pour rôle tex devra réduire les frac­ s’exprimera devant
très politique : ressouder son devoir de l’animer », de resserrer les rangs tures internes de LRM les Français le 14 juillet
le camp présidentiel a assuré Jean Castex du groupe parlementaire et rassurer son aile gauche PAGE 10

À MARSEILLE, UNE NOUVELLE GAUCHE AU POUVOIR Finance

L’ère de l’argent
▶ Tête de liste du
Printemps marseillais, gratuit
Michèle Rubirola a été le monde est entré dans une spi­
élue maire de la ville, rale de taux d’intérêt bas, souvent
proches de zéro, et n’est pas près
samedi 4 juillet, d’en sortir, estiment les spécialis­
à l’issue de longues tes. Toutes les grandes banques
tractations centrales ont volé au secours des
économies frappées par la crise.
▶ Cette militante Avec l’explosion de la dette des
Etats, il leur est difficile de faire
écologiste a rassem­ machine arrière sans compro­
blé autour d’elle mettre la reprise. Mais cette si­
tuation a aussi pour conséquence
une liste d’union de creuser les inégalités sociales,
des forces de gauche, notamment en favorisant les pro­
issues d’horizons priétaires immobiliers.
PAG E 15
très différents
▶ Récit d’une
campagne inédite, Epidémie
qui s’est affranchie
des consignes des
Nouvel abandon
appareils nationaux d’un traitement
et même locaux
PAGES 8-9
contre le Covid­19
Après l’hydroxychloro­
quine, les essais de la
1 ÉDITORIAL combinaison lopinavir/
ritonavir se révèlent non
L’EXEMPLE concluants. La pharmaco­
pée se réduit encore
MARSEILLAIS contre cette maladie
PAGE 29 Jean­Claude Gaudin et Michèle Rubirola, le 4 juillet, à Marseille. CLÉMENT MAHOUDEAU/AFP PAGE 6

Economie
La tentation du
Hongkong
Face à la pression
Politique
Passé les
Masques
retour au tourisme chinoise, l’UE municipales, Comment la
de masse, après peine à trouver des législatives Chine a choyé
la crise sanitaire une riposte partielles en vue
PAGES 18-19 PAG E 3 PAGE 11
ses amis français
Selon une note du
renseignement, l’ambas­
LE REGARD DE PLANTU sade de Chine a favorisé
la distribution des
protections contre le Co­
vid­19 à des associations
et collectivités très ciblées
PAGE 14

Horizons
Le dark Net,
repaire
de pédophiles
Les prédateurs sexuels
sévissent sur cette partie
secrète de l’Internet.
Ils sont pistés par un
service spécialisé
PAGE 22
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
Le Royaume­Uni déconfine sans enthousiasme
Pubs et restaurants ont rouvert dans une ambiance morose, alors que la pandémie n’est pas encore stoppée
londres ­ correspondante
S
amedi 4 juillet, c’était
« Super Saturday » au
Royaume­Uni, le jour du
grand déconfinement,
avec la réouverture d’à peu près
tout, à commencer par les pubs,
les restaurants ou les coiffeurs.
Mais ce week­end n’a rien eu d’un
retour à la normale et celui­ci s’est
déroulé dans une ambiance plu­
tôt maussade. La météo n’a pas
aidé, avec un crachin continu tout
samedi, et un vent de tempête di­
manche. Surtout, le manque de
perspectives économiques du
côté des commerçants, et les in­
quiétudes, côté clients, liées à une
pandémie toujours pas maîtrisée,
ont freiné les enthousiasmes.
Les experts anticipaient la vente
sur deux jours de quinze millions
de pintes. Peu de débordements
étaient en tout cas à déplorer, se
sont félicitées les autorités. Des
accidents sporadiques à Nottin­
gham, Southampton, Newcastle
ou Leeds, mais pas de scènes de
beuverie collective généralisée,
sans aucun respect de la distan­
ciation sociale.
« Ça va être difficile de survivre »
Incontournables lieux de sociali­
sation des Britanniques, les pubs
se sont adaptés, au prix de lourds
investissements et d’une perte de
clientèle considérable. Nombre
d’établissements imposent les pri­
ses de commande à l’extérieur, la
réservation d’un créneau horaire,
et beaucoup ne proposent la
consommation qu’en terrasse ou
dans leurs beer garden, quand ils
ont la chance d’en avoir un. Cer­
tains réclament même un nom et
un numéro de téléphone afin de
renseigner les autorités sanitaires
en cas de contamination due au
Covid­19 d’une personne ayant
fréquenté leur établissement.
Toutes ces contraintes ont freiné
l’enthousiasme des clients : sa­
medi, à 17 heures, au Boxpark de
Wembley – un hall de street food
du nord­ouest de Londres, très
fréquenté avant le début de la pan­
démie, « on a deux fois moins de
gens qu’en temps normal », con­
firme le vendeur de T4 tea for U, un
spécialiste de bubbletea taïwanais,
qui a installé son stand à peine
deux mois avant le confinement.
Même ambiance au centre de
Londres. Situé à proximité de
West End, le quartier des théâtres,
toujours très fréquenté, mais en­
core calme en l’absence de touris­
Deux cantons de nouveau fermés en Catalogne et en Galice
Près de 300 000 personnes sont reconfinées pour cinq à quinze jours, après la découverte de nouveaux foyers de contamination
madrid ­ correspondante
L a « nouvelle normalité »
n’aura pas duré longtemps
à Lérida, en Catalogne.
Deux semaines après la levée de
l’état d’alerte, le gouvernement
catalan a ordonné, samedi
4 juillet, le « reconfinement péri­
métrique » de 38 communes de la
zone agricole du Segria, où vivent
près de 210 000 personnes, afin de
contrôler une nouvelle vague de
propagation de Covid­19. Diman­
che 5 juillet, c’est le gouvernement
galicien qui a bouclé à son tour le
canton d’A Marina dans la pro­
vince de Lugo, où vivent près de
70 000 personnes, à une semaine
des élections régionales.
Depuis la fin de la « désesca­
lade », le 21 juin, c’est la première
fois que l’Espagne, où l’épidémie
semble plus ou moins contrôlée,
doit ordonner la fermeture de ter­
ritoires aussi vastes, affectant tant
de personnes. Alors que 21 morts
Dans un
quartier de
Manchester, au
Royaume­Uni,
le 5 juillet.
REUTERS/MOLLY
DARLINGTON
tes, le bar à tapas The Port House
restait lui aussi bien vide samedi.
« Des clients ont eu peur au dernier
moment », précise à la BBC Laura
Sanz, responsable du restaurant. Il
y a pourtant des gels pour les
mains partout, et le volume de la
musique a été baissé pour que les
gens puissent s’entendre et se par­
ler en respectant la distance. « Si
rien ne change, cela va être difficile
de survivre », ajoute Mme Sanz. A en
croire la Night Time Industries As­
sociation (NTIA), 31 % des bars,
pubs et restaurants sont restés fer­
més ce week­end. Certains n’ont
pas eu le temps de se préparer, les
autres craignent de perdre encore
plus d’argent en ouvrant qu’en
restant fermés encore un peu.
La morosité ambiante s’expli­
que aisément : la pandémie (qui a
déjà tué officiellement plus de
44 000 personnes) est encore loin
d’être sous contrôle. Début juillet,
le gouvernement Johnson a dû
prononcer un nouveau confine­
ment strict à Leicester, une ville
et 2 028 nouveaux cas ont été re­
censés en une semaine en Espa­
gne, portant à 28 385 le nombre de
morts confirmés de Covid­19, les
autorités régionales ne veulent
pas prendre de risques.
Jusqu’à présent, les foyers d’épi­
démie détectés ponctuellement
avaient donné lieu à des « reconfi­
nements chirurgicaux ». Comme
celui d’un immeuble de la ville de
Santander, en Cantabrie, le
27 juin, dont les quelque 80 occu­
pants sont interdits de sortir,
même pour faire leurs courses
– une tâche confiée à leurs pro­
ches –, après que quatorze cas
confirmés y ont été détectés.
Comme celui aussi d’un centre
d’accueil de migrants de la Croix­
Rouge à Malaga, en Andalousie,
après qu’une centaine de pen­
sionnaires ont été testés positifs.
Ou encore d’un édifice d’Albacete,
dans la région de Valence.
En Galice, le bouclage de la ré­
gion d’A Marina n’est prévu que
de 330 000 habitants du centre de
l’Angleterre, le nombre de nou­
velles contaminations y étant
reparti à la hausse courant juin
sans que le foyer de l’infection ait
été clairement établi.
Résurgence de cas
Ce reconfinement local a révélé à
quel point le système de « test and
trace », censé identifier et contenir
au plus vite tout nouveau foyer in­
fectieux, restait défectueux. Boris
Johnson a été mis au courant
d’une résurgence des cas de
Covid­19 à Leicester le 8 juin, mais
les premières réunions avec les
autorités locales de santé n’ont eu
lieu que le 17 juin, et le maire de la
ville n’a commencé d’exploiter les
données locales sur l’infection
que le 25 du même mois…
Le déconfinement tournait éga­
lement au ralenti à Bristol, dans
l’ouest de l’Angleterre, une capi­
tale régionale pourtant réputée
pour son dynamisme. Si la ter­
rasse du Brewdog, un spécialiste
pour cinq jours. Le souhait des
autorités locales est qu’il soit levé
vendredi et que les habitants puis­
sent voter dimanche 12 juillet aux
élections régionales, à l’exception
de ceux qui ont été testés positifs.
« La priorité numéro un est la santé
publique », a toutefois insisté le
président de Galice, le conserva­
teur Alberto Nuñez Feijoo.
Des amendes de 100 à 600 euros
Dans le canton du Segria, en Cata­
logne, la propagation de l’épidé­
mie inquiète encore davantage les
autorités sanitaires. Près de
400 personnes y ont été testées
positives au nouveau coronavirus
en trois jours, et 49 personnes
sont hospitalisées, dont six en
soins intensifs. Au total, neuf
foyers ont été localisés, dont qua­
tre dans des entreprises agricoles,
un dans une usine agroalimen­
taire et un autre dans une pension
où logent des sans­abri. Pis, plu­
sieurs cas détectés dans d’autres
des bières artisanales, était pleine
de grappes d’amis tous très jeu­
nes, nombre d’autres institutions
locales restaient porte close, ainsi
du cinéma Watershed, autre haut
lieu des Bristoliens branchés.
Quelques miles plus au nord de
Bristol, Sam Espensen, la pa­
tronne du Bristol Spirit, un bar à
cocktails, s’affaire au comptoir.
« Je ne peux pas accepter plus de
huit clients à la fois dans le bar. Le
virus m’inquiète beaucoup, je vou­
lais vraiment que cet endroit soit
sûr », explique cette journaliste re­
convertie en fabricante de gins ar­
tisanaux, qui ne dispose d’aucune
terrasse. « Nous sommes dans une
zone résidentielle, précise­t­elle. Ce
ne serait pas très bon pour le com­
merce en temps normal, mais c’est
presque devenu un avantage : nos
clients sont rassurés par la faible
affluence. » Comme d’autres, la
jeune femme témoigne de sa
« confusion » : « Je ne sais pas quoi
penser de l’avenir, j’ai investi des
milliers de livres dans l’aménage­
provinces de Catalogne étaient
passés par le Segria.
Samedi, le gouvernement régio­
nal a donc finalement décidé de
fermer la zone à midi. Cette « déci­
sion difficile » vise à « préserver la
vie des gens », a commenté le pré­
sident de la généralité, l’indépen­
dantiste Quim Torra, tout en don­
nant jusqu’à 16 heures aux rési­
dents se trouvant à l’extérieur du
périmètre concerné pour rentrer
chez eux, et aux non­résidents
pour repartir vers leur domicile.
A l’intérieur de la zone confinée,
pour l’heure, les habitants peu­
vent se déplacer librement, à con­
dition de porter un masque et de
respecter les consignes des autori­
tés locales. En revanche, les réu­
nions de plus de dix personnes
sont de nouveau interdites, tout
comme les visites dans les rési­
dences pour personnes âgées.
Surtout, il n’est possible de sortir
du périmètre que pour travailler
ou des raisons de force majeure.
« Cette nouvelle
étape n’est pas
sans risques
et ce virus est
encore avec nous
pour longtemps »
CHRIS WHITTY
principal conseiller médical
de Downing Street
ment du bar, mais je ne gagnerai
pas assez pour être à l’équilibre. »
Si les coiffeurs faisaient davan­
tage le plein samedi, c’était aussi
avec des limitations (coupes sur
rendez­vous) et au prix de consi­
dérables investissements : comme
de nombreuses autres adresses
dans son genre, l’étroit Andy’s Bar­
ber Shop, à deux pas du stade de
Wembley, prend la température de
ses clients à l’entrée, leur fournit
des tabliers jetables et a installé
En cas d’infraction, les amendes
vont de 100 à 600 euros.
Le confinement est ici prévu
pour quinze jours et 200 agents
des Mossos d’esquadra, la police
régionale, sont chargés de veiller à
ce qu’il soit respecté. Cependant,
la conseillère régionale de la
santé, Alba Vergés, a admis qu’il
pourrait se prolonger au­delà et
n’a pas écarté la possibilité que les
habitants soient reconfinés plus
sévèrement, à domicile, si les
foyers d’épidémie ne sont pas
contrôlés.
« La crise à Lérida n’est pas seule­
ment sanitaire, elle a aussi une
forte composante sociale », a souli­
gné Mme Vergés, en référence au
fait que des centaines de saison­
niers vivent dans une situation
précaire dans la région, dormant
dehors, sur des cartons, sans accès
aux conditions d’hygiène mini­
males, ni la possibilité de respec­
ter la distanciation sociale et
autres « gestes barrières ».
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
des cloisons en Plexiglas entre
chaque fauteuil. Comme ailleurs
en Europe, le gouvernement bri­
tannique évolue sur un chemin de
crête, partagé entre la prudence
nécessaire pour éviter une
deuxième vague épidémique et
l’urgence à faire redémarrer l’éco­
nomie. Le secteur de l’hôtellerie et
du tourisme représente 10 % de
l’emploi britannique ; il est me­
nacé d’une crise historique, tout
comme le commerce de détail :
12 000 suppressions d’emplois ont
été annoncées rien que sur la se­
maine du 29 juin au 4 juillet.
« Il n’y a pas de timing parfait,
pour le déconfinement. Cette nou­
velle étape n’est pas sans risques et
ce virus est encore avec nous pour
longtemps », a averti Chris Whitty,
le principal conseiller médical de
Downing Street, vendredi 3 juillet.
« Profitez de l’été, mais prudem­
ment », a ajouté Boris Jonhson, se
gardant bien, pour une fois, de
plaisanter. 
cécile ducourtieux
Dès mars, beaucoup avaient
quitté les communes côtières, où
ils gagnent habituellement leur
vie en vendant des produits de
contrefaçon aux touristes, en es­
pérant travailler dans les champs.
Faute de papiers, les uns ne sont
pas parvenus à se faire embaucher
et errent dans les rues de Lérida et
alentour. D’autres, payés au noir, à
l’heure, en fonction des besoins
ponctuels des agriculteurs, se plai­
gnent des difficultés pour trouver
un logement, malgré les gymna­
ses et autres infrastructures habi­
litées pour l’occasion.
Le maire de Lérida, Miquel Pueyo
i Paris, a demandé au gouverne­
ment espagnol de permettre leur
régularisation, afin qu’ils puissent
être embauchés et logés dans les
propriétés agricoles. En attendant,
dans la presse espagnole, ces mi­
grants reconnaissent qu’ils ne
craignent pas tant le coronavirus
que la faim et la misère. 
sandrine morel
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
Face à Pékin, l’Europe à la recherche d’une riposte
Après le coup de force de la Chine à Hongkong, l’UE se dit « préoccupée », mais n’offre aucune réponse
bruxelles ­ bureau européen
P
oser des questions, de­
mander des comptes et
« calibrer un message qui,
peut­être, fera bouger les
lignes » : c’est, selon un haut res­
ponsable de la diplomatie euro­
péenne, tout ce que les Vingt­Sept
pourront faire alors que la Chine
impose à Hongkong sa loi sur la
sécurité nationale. Un dispositif
qui fait sentir ses premiers effets
pour le mouvement prodémocra­
tie, décrit par Pékin comme « une
petite minorité ». « Les Européens
sont en fait, comme d’autres ac­
teurs, réduits à un rôle d’observa­
tion », confirme Pierre Vimont, ex­
ambassadeur de France aux Etats­
Unis et chercheur associé au cen­
tre de réflexion bruxellois
Carnegie Europe.
Fin mai, déjà, le haut représen­
tant de l’UE pour les affaires étran­
gères et la politique de sécurité, Jo­
sep Borrell, exprimait la « vive pré­
occupation » des Vingt­Sept face à
des mesures « qui ne sont confor­
mes ni aux engagements interna­
tionaux de la Chine, ni à la loi fon­
damentale de Hongkong ». Bruxel­
les évoquait des relations néces­
sairement basées sur « la
confiance et le respect mutuels » et
promettait de soulever la question
dans le cadre de son « dialogue per­
manent » avec la Chine.
Lundi 22 juin, à l’issue d’un som­
met avec le président Xi Jinping,
les présidents du Conseil euro­
péen et de la Commission répé­
taient leurs « graves préoccupa­
tions » pour le territoire mais Char­
les Michel et Ursula von der Leyen
ne détaillaient aucun élément
d’une éventuelle riposte. Il est pro­
bable que les ministres des affaires
étrangères, réunis à Bruxelles le
13 juillet, se contenteront aussi
d’un rappel des principes avec,
peut­être, une mention que la loi
sécuritaire risque, par ses consé­
quences, de faire perdre à Hon­
gkong son statut de septième
place financière internationale.
Soucieuse d’affirmer sa posi­
tion sur la scène internationale et
de ne pas se laisser enfermer dans
le conflit entre Pékin et Washing­
ton, l’Union européenne (UE) ne
trouve pas pour autant sa voie.
« Sans la relation transatlantique,
vous ne serez qu’un appendice de
l’Eurasie », lança un jour l’ancien
secrétaire d’Etat américain Henry
Kissinger à ses interlocuteurs
européens. Lors d’un discours
qu’elle tenait à Berlin, en janvier,
Angela Merkel s’est référée à cette
Autriche: deux Russes arrêtés après le meurtre d’un Tchétchène
L’assassinat de Mamikhan Oumarov survient après d’autres agressions commises en Europe contre des opposants au régime Kadyrov
vienne, moscou ­ correspondants
S on corps a été retrouvé, au
soir du samedi 4 juillet, sur
le parking anonyme d’une
zone commerciale de la périphé­
rie de Vienne, en Autriche. Ma­
mikhan Oumarov, ressortissant
tchétchène qui avait obtenu
l’asile en 2007 dans le pays d’Eu­
rope centrale, a été brutalement
assassiné selon un mode opéra­
toire qui rappelle les nombreux
assassinats d’opposants en exil
survenus ces dernières années
sur le territoire européen.
Les autorités autrichiennes
sont restées pour l’instant très
discrètes sur cette affaire sensi­
ble, mais selon la presse locale,
M. Oumarov, qui se faisait appeler
Martin B. depuis qu’il avait ob­
tenu l’asile, a été exécuté d’une
balle dans la tête. Le tireur pré­
sumé a été rattrapé par la police à
Linz, à plus de 200 km des lieux
Selon le chercheur
Noah Barkin,
Mme Merkel a
« soigneusement
évité » toute
confrontation
avec Pékin
ces derniers mois
sentence pour appeler ses parte­
naires à « réfléchir très profondé­
ment » à la manière dont ils
comptent se positionner sur la
scène mondiale.
La chancelière compte­t­elle
profiter du fait que son pays a
pris, le 1er juillet, la présidence de
l’Union pour accélérer cette ré­
flexion et appuyer le principe
d’une Europe entrant vraiment
dans l’ère de la géopolitique et ca­
pable, par exemple, de se profiler
clairement face au pouvoir chi­
nois ? Pour cela, il faudrait d’abord
que les partenaires de l’Allemagne
sachent quelle est exactement la
position de Berlin. Car si une
source française affirme que, « sur
la Chine, nous sommes unis, à
vingt­sept », la chancelière a, à di­
verses reprises, exprimé plus
d’une nuance.
Faiblesse de la critique
Noah Barkin, chercheur invité et
membre du programme Asie de
la Fondation Carnegie, affirme
qu’elle a, en fait, « soigneusement
évité » toute confrontation avec
Pékin au cours des derniers mois.
En se rendant en Chine – pour la
12e fois – en septembre 2019, à la
tête d’une délégation d’indus­
triels, alors que la contestation
battait son plein à Hongkong et
que de nouvelles révélations sur
la répression au Xinjiang émer­
geaient. En repoussant les criti­
ques qui montent, y compris dans
son propre parti, sur le risque sé­
curitaire posé par la possible
mainmise du géant Huawei sur le
réseau de télécommunications
mobile 5G. En se démarquant, en
janvier, de Paris et Londres, qui fé­
licitaient la présidente de Taïwan,
Tsai Ing­wen, pour sa réélection.
Une source bruxelloise évoque
aussi la « faiblesse » de la critique
allemande quant à la gestion de la
crise liée au Covid­19 par les auto­
rités chinoises. En fait, « Merkel
n’a pas de problème avec le fait de
riposter à la Chine, à condition que
ce ne soit pas l’Allemagne qui ri­
du crime. Un autre suspect a été
arrêté dimanche 5 juillet. Les
deux sont russes.
Dès dimanche matin, le site rus­
sophone Kavkaz.reali, émanation
de Radio Svoboda, donnait des
détails sur le parcours trouble de
la victime, rapidement complétés
par d’autres sources spécialisées
sur le Caucase. Cet homme de
43 ans était un ancien du minis­
tère tchétchène de l’intérieur,
qu’il avait rejoint en 1998 à l’épo­
que où la République était indé­
pendante de la Russie. Son atti­
tude après le déclenchement de la
seconde guerre de Tchétchénie,
en 1999, est inconnue, mais il
s’exile en Autriche en 2005, di­
sant craindre les représailles con­
tre les anciens indépendantistes.
La suite est encore plus con­
fuse. Mamikhan Oumarov a lui­
même raconté, dans une vidéo
diffusée au début de 2020, avoir
aidé les services du dirigeant
Le président du conseil, Charles Michel, avant sa visioconférence avec le président chinois Xi Jinping, le 22 juin. YVES HERMAN/AP
poste », a récemment confié un
diplomate à M. Barkin.
Cette position médiane consti­
tue, selon un expert bruxellois,
un réel handicap en vue de la défi­
nition d’une position commune
des Vingt­Sept, celle que la chan­
celière espère offrir lors du som­
met que les chefs d’Etat euro­
péens devraient tenir avec les di­
rigeants chinois, à la fin de l’an­
née. Cette réunion à Leipzig,
prévue initialement en septem­
bre, a été reportée, officiellement
en raison de la pandémie.
Le gouvernement allemand
compte toujours sur cette occa­
sion pour réaffirmer le choix
européen du multilatéralisme et
renforcer la coopération avec Pé­
kin dans le domaine climatique,
de la santé ou du développement
de l’Afrique. Une évidence s’im­
pose toutefois : Mme Merkel envi­
sage d’abord la relation sous l’an­
gle économique et a le souci que
son pays ne paie pas le prix d’une
affirmation, par les Vingt­Sept,
d’une position trop ferme sur le
respect des droits humains. En
mars 2019, Bruxelles réorientait
tchétchène prorusse Ramzan Ka­
dyrov à effectuer un certain
nombre d’opérations secrètes en
Europe, dont des assassinats. Se­
lon ses propres dires, et selon la
presse du pays, il aurait en même
temps collaboré avec les services
autrichiens, au moins après le
meurtre d’un réfugié tchétchène
en 2009, déjà à Vienne.
Vidéo-confession
Dans cette même vidéo de février,
M. Oumarov explique avoir fait
défection lorsque son contact à
Grozny, le député Adam Delim­
khanov, lui aurait demandé,
en 2014, d’assassiner un couple de
Tchétchènes combattant dans le
Donbass ukrainien contre les for­
ces russes, ainsi qu’un député
ukrainien d’extrême droite.
M. Oumarov aurait alors choisi
de prévenir ses cibles du danger.
Cela n’a pas empêché l’une d’elles,
Amina Okouïeva, d’être assassi­
sa position jugée « naïve » à
l’égard de la Chine en affirmant
qu’elle était un partenaire de né­
gociation, un compétiteur écono­
mique mais aussi un rival systé­
mique. Un propos largement in­
fluencé par la publication, deux
mois plus tôt, d’un document de
la puissante fédération allemande
des industriels (BDI), inquiète de
la mainmise d’un groupe chinois
sur l’entreprise de robotique Kuka
et celle – bloquée in extremis –
d’Aixtron, un fabricant de compo­
sants électroniques.
Depuis, si Mme von der Leyen et
Emmanuel Macron reprennent le
terme de « rival », Mme Merkel se
montre plus prudente, craignant
que cela réduise trop le champ de
l’indispensable coopération avec
Pékin. Jeudi 2 juillet, dans sa con­
férence de presse inaugurant la
présidence allemande, la chance­
lière prenait soin de souligner
que le dialogue avec la Chine de­
vait se maintenir « dans toutes ses
dimensions ».
Fidèle à son approche prudente
et pragmatique, Berlin espère en
fait que le maintien d’une rela­
née, en octobre 2017. Quelques se­
maines plus tôt, la même avait
survécu, avec son mari, à une
autre tentative de meurtre ro­
cambolesque, à Kiev, perpétrée
par un tueur se faisant passer
pour un journaliste du Monde.
Après la publication de cette vi­
déo­confession, en février,
M. Oumarov était devenu, ouver­
tement, un critique féroce du ré­
gime Kadyrov et un utilisateur
frénétique de la plate­forme You­
Tube. Ces deux derniers mois,
sous le pseudonyme Anzor, il y
avait publié 29 vidéos attaquant
très durement Ramzan Kadyrov
et sa famille. Il y diffusait aussi
des enregistrements présentés
comme issus de conversations te­
nues ces dernières années avec
des dirigeants tchétchènes, évo­
quant des assassinats à l’étranger.
La dernière de ces vidéos re­
monte au 2 juillet. Mamikhan
Oumarov y apparaît tenant à la
international | 3
Hormis
les indications
géographiques
de produits, on voit
mal sur quoi
Pékin et Bruxelles
pourront s’entendre
tion équilibrée, centrée d’abord
sur les questions économiques et
commerciales, permettra ensuite
d’aborder d’autres questions. Le
problème étant que, en dehors
d’un possible entérinement d’un
accord sur les indications géogra­
phiques de produits, on voit mal
quels sont les terrains sur lesquels
Pékin et Bruxelles pourront s’en­
tendre à bref délai.
Les négociations sur un accord
d’investissement et les règles ap­
plicables aux entreprises publi­
ques ne progressent pas. Elles ont
été retardées, tant par la pandé­
mie que par les campagnes de dé­
sinformation sur la gestion de la
main le marteau avec lequel un
autre blogueur en exil avait neu­
tralisé, fin février, un assaillant
venu le tuer dans son refuge sué­
dois. Un ancien député ukrainien
nationaliste qui le fréquentait a
assuré qu’il s’inquiétait pour sa
sécurité et avait demandé, mi­
juin, un gilet pare­balles.
L’assassinat de M. Oumarov est,
de fait, le dernier d’une série
d’agressions commises ces der­
niers mois, sur le sol européen,
contre des réfugiés tchétchènes.
En France, à Lille, le blogueur
Imran Aliev a ainsi été retrouvé
mort dans une chambre d’hôtel,
poignardé 135 fois. Avant cela, en
août 2019, un ancien combattant
de la deuxième guerre de Tchét­
chénie, Zelimkhan Khangochvili,
avait été tué par balles à Berlin,
suscitant une crise diplomatique
entre Berlin et Moscou. Le 20 juin,
la chancelière Angela Merkel
a évoqué de possibles sanctions
crise qu’ont menées des sources
chinoises. Les polémiques sur le
développement de la 5G, comme
les tentatives de division du camp
européen auxquelles se livre Pé­
kin, au travers notamment des
initiatives de la « nouvelle route
de la soie » – elles impliquent des
pays du Sud, de l’Est et des Balk­
ans – sont d’autres « facteurs pol­
luants », comme le qualifie un di­
plomate.
Autant dire que, sur Hongkong
ou les camps d’internement du
Xinjiang, l’UE s’en tiendra sans
doute aux formules habituelles.
D’éventuelles sanctions – et les­
quelles d’ailleurs ? – n’y change­
raient rien. A l’époque du massa­
cre de la place Tiananmen,
en 1989, elles n’avaient abouti
qu’à diviser le camp européen. La
France allait batailler plus tard
pour leur suppression en jugeant
notamment « dépassé » l’em­
bargo sur les livraisons d’armes.
« En réalité, personne n’a encore
trouvé la manière d’amener le ré­
gime chinois à faire marche ar­
rière », confirme Pierre Vimont. 
jean­pierre stroobants
contre la Russie.
Dans ce dossier, l’enquête me­
née par la justice allemande
s’oriente vers une responsabilité
directe des autorités russes, à
Moscou. Des travaux publiés par
les médias Bellingcat, The Insider
et Der Spiegel montrent même un
lien opérationnel direct entre le
FSB, les services russes, et le tueur
de Berlin, affaiblissant la thèse de
commandos tchétchènes agis­
sant de façon indépendante.
A Vienne, il reste de nombreux
points à éclaircir non seulement
quant aux suspects interpellés,
mais aussi concernant la vic­
time. Le sujet est d’autant plus
sensible que les autorités autri­
chiennes évitent en général
toute critique trop ouverte en­
vers la Russie. Aucun responsa­
ble gouvernemental autrichien
n’a jusqu’ici réagi. 
jean­baptiste chastand
et benoît vitkine

4 | international
Au Venezuela, les désillusions
autour de Juan Guaido
La décision d’un juge britannique de donner accès à l’or vénézuélien
à l’opposant contraste avec le discrédit dont il est victime dans son pays
bogota (colombie) ­
correspondante
T D
rente et une tonnes d’or
vont­elles incliner la ba­
lance politique en faveur
du leader de l’opposition
vénézuélienne, Juan Guaido ? Rien
n’est moins sûr. Jeudi 2 juillet, au
motif que M. Guaido est « sans
équivoque le président par intérim
reconnu par le gouvernement de sa
majesté », la justice britannique
l’autorisait à disposer des réserves
en or du Venezuela détenues par la
Banque d’Angleterre. Cette nou­
velle victoire de M. Guaido sur la
scène politique internationale
contraste avec le discrédit crois­
sant dont il est victime dans son
pays. « La désillusion est à la hau­
teur des espoirs qu’il avait susci­
tés », résume la professeure en
science politique Colette Capriles.
En se félicitant de la décision ju­
diciaire anglaise, le leader de l’op­
position a promis que les lingots
vénézuéliens resteraient à Lon­
dres « pour être protégés ». Sur les
réseaux sociaux, les détracteurs de
tout bord de M. Guaido l’accusent
de vouloir mettre main basse sur
l’or.Janvier 2019. Une foule en­
thousiaste acclame le tout nou­
veau président de l’Assemblée na­
tionale qui, au coin d’une rue à Ca­
racas, s’autoproclame président
par intérim et promet de faire
tomber « l’usurpateur Nicolas Ma­
duro ». Washington, Londres, Paris
et plus d’une cinquantaine
d’autres capitales reconnaissent
M. Guaido comme tel, au motif
que la réélection de M. Maduro
en 2018 avait été entachée d’irré­
gularités. L’appui des Américains
peut faire croire au succès de la
transition. Les Mémoires récem­
ment publiés de John Bolton, an­
cien conseiller de sécurité du pré­
sident Donald Trump, laissent en­
tendre que Washington était bien
mal informé. Ni l’armée ni le peu­
ple vénézuélien ne se soulèvent. Le
Venezuela vit depuis avec deux
Réélection de la gouverneure de Tokyo
Yuriko Koike est susceptible de succéder au premier ministre, Shinzo Abe, en 2021
tokyo ­ correspondance
U ne gestion jugée habile
de la pandémie de Co­
vid­19 a permis à Yuriko
Koike de faire oublier le maigre bi­
lan de son premier mandat et
d’être réélue, dimanche 5 juillet,
au poste de gouverneur de Tokyo.
Avec 60,7 % des voix, Mme Koike,
qui promet de réformer la capitale
japonaise en donnant une large
place au numérique, bénéficiait
du soutien du Parti libéral­démo­
crate (PLD) et du parti Komei, les
formations de la coalition au pou­
voir, et a largement devancé une
opposition divisée entre 21 candi­
dats. Le premier d’entre eux, Kenji
Utsunomiya, soutenu par le Parti
démocrate constitutionnel et le
Parti communiste, n’a pas dé­
passé 14,1 % des suffrages.
« Je suis très heureuse et ressens
en même temps une lourde respon­
sabilité, a déclaré Mme Koike, alors
que la métropole de 13 millions
d’habitants fait face à une résur­
gence des cas de Covid­19, repassés
au­dessus de la centaine par jour
depuis le 2 juillet. C’est un moment
important. Il faut se préparer à une
deuxième vague. » La gouverneure
n’envisage toutefois pas de remet­
tre en place les restrictions aux
activités économiques et plaide
pour une approche « ciblée ».
Onze mandats
d’arrêt ont été
émis pour
« trahison à la
patrie » contre
les collaborateurs
de Juan Guaido
présidents : « Un pour la galerie in­
ternationale, l’autre pour gouver­
ner le pays », résume une diplo­
mate. Les pays européens ont re­
connu M. Guaido, sans pour
autant rompre leurs relations di­
plomatiques avec le gouverne­
ment de M. Maduro.La valeur des
31 tonnes d’or en dépôt à Londres
est évaluée à plus de 1 milliard de
dollars. C’est dire si la décision du
juge anglais est un coup dur pour
M. Maduro et son pays au bord du
gouffre humanitaire.
La banque centrale vénézué­
lienne a fait savoir qu’elle ferait ap­
pel de la décision judiciaire « qui
prive le peuple vénézuélien de l’or
dont il a si urgemment besoin pour
faire face à la pandémie ». Le par­
quet a émis samedi onze mandats
d’arrêt pour « trahison à la patrie »
contre les collaborateurs de Juan
Guaido qui ont contribué à « dé­
pouiller leur pays » du précieux
métal. Tous vivent à l’étranger.
Une fois encore, Juan Guaido a été
épargné par la justice. Le pouvoir
chaviste table sur l’usure et les er­
reurs de l’opposant.
Affaibli par vingt ans de gestion
économique erratique et de cor­
ruption effrénée, le Venezuela est
depuis 2018 sous le coup de sanc­
tions américaines drastiques. A
en croire le discours officiel, dis­
tillé à longueur d’antenne, ces
sanctions pétrolières sont la
cause exclusive de tous les mal­
heurs du pays. « Sans partager né­
cessairement cette analyse, la
grande majorité des Vénézuéliens
La menace persistante du virus a
occupé l’essentiel d’une campa­
gne marquée par l’absence de dé­
bats entre les candidats et les limi­
tes aux traditionnelles interven­
tions dans les lieux publics.
Mme Koike, 67 ans, n’a eu de cesse
de vanter sa gestion de la pandé­
mie. Grâce à des interventions sur
Internet et à des messages effica­
ces, elle est apparue plus impli­
quée que le premier ministre,
Shinzo Abe. Elle a poussé le gou­
vernement central à déclarer l’état
d’urgence pour Tokyo. La capitale
fut ainsi la première administra­
tion locale à demander aux entre­
prises de fermer, en échange
d’aides financières.
« Populiste » et « opportuniste »
L’autre enjeu du scrutin concer­
nait les onéreux Jeux olympiques
de 2020 à Tokyo, reportés à
juillet 2021. Selon un sondage de la
chaîne publique NHK, 53 % des
Tokyoïtes pensent qu’ils de­
vraient être à nouveau reportés,
voire annulés, contre 27 % qui
plaident pour leur maintien aux
dates prévues. Mme Koike, comme
le gouvernement et le comité
d’organisation, souhaite s’en tenir
au nouveau calendrier, tout en ap­
pelant à des JO « simplifiés ».
Ces questions, ajoutées au sou­
tien indéfectible du puissant PLD,
désapprouvent des sanctions qui
pénalisent la population sans
ébranler le pouvoir, souligne
l’analyste Ricardo Sucre. Il est très
probable que cette majorité dé­
sapprouve pour les mêmes raisons
la décision judiciaire de Londres. »
Succession de scandales
M. Guaido a, lui, toujours défendu
l’efficacité des sanctions. « En cher­
chant à priver le gouvernement de
Nicolas Maduro de ses ressources
économiques, l’équipe de M.
Guaido a donné l’impression de
beaucoup s’intéresser à l’argent »,
considère M. Sucre. Et de rappeler
que « la transparence n’a pas été le
fort de l’équipe Guaido ».
Les scandales se sont succédé,
des comptes jamais publiés du
grand concert Venezuela Aid Live,
organisé en février 2019 dans la
ville colombienne de Cucuta, aux
soupçons de détournement de
fonds de la coopération interna­
tionale destinés notamment aux
militaires déserteurs réfugiés
dans le pays voisin. La prime de
100 dollars récemment promise à
tous les médecins du pays par Juan
Guaido se fait, elle aussi, attendre.
« Maduro ou Guaido ? C’est du pa­
reil au même ». L’affirmation re­
vient souvent dans les propos des
Vénézuéliens. Elle reflète le discré­
dit de la classe politique et de la po­
litique. Persécuté par le pouvoir,
M. Guaido n’a certes aucun levier
d’action publique. Mais, dix­huit
mois après s’en être affublé, il paye
le prix de son titre de « président
par intérim » et ne recueille plus,
selon un récent sondage, que
25,5 % d’opinions favorables, con­
tre 63 % en janvier 2019.
« Si vous l’aimez tant en Europe,
gardez­le. Ici, il ne sert à rien », ironi­
sait un opposant critique, lors de la
tournée internationale de
M. Guaido, reçu en chef d’Etat à
Paris, Londres et Davos en janvier
dernier. Dès avant la pandémie, les
appels à manifester de M. Guaido
n’étaient plus suivis. En renforçant
ont permis d’occulter le bilan de
son premier mandat. Les engage­
ments pris lors de la campagne de
2016 – réduire à zéro le nombre
d’enfants sur les listes d’attente
pour les crèches ou lutter contre
l’excès de travail et les transports
surchargés aux heures de pointe –
n’ont pas été honorés.
Les quatre années écoulées res­
tent marquées par l’imbroglio du
transfert du célèbre marché aux
poissons de Tsukiji vers le quartier
de Toyosu. Après l’avoir bloqué,
Mme Koike l’a accepté, sur fond de
soupçons de manipulation des
données sur la présence de
produits dangereux dans les sols
de Toyosu.
Même les polémiques nées des
révélations de L’Impératrice Yu­
riko Koike, ouvrage à charge paru
en mai, de la journaliste Taeko
Ishii, n’ont pas affecté sa popula­
rité. Le best­seller disputait son
parcours universitaire, notam­
ment l’obtention d’un diplôme à
l’université du Caire (Egypte), et
s’en prenait à ses méthodes de
gouvernement. « C’est une popu­
liste et une opportuniste, mais cela
n’a pas joué. Pour les électeurs de
Tokyo, l’important est qu’elle se dé­
brouille plutôt bien avec le
Covid­19 », observe Mieko Naka­
bayashi, professeure à l’université
Waseda, à Tokyo.
l’emprise de l’exécutif sur la so­
ciété, le confinement, qui a été ré­
tabli dans tout le pays lundi
6 juillet alors que le pays enregis­
tre 59 morts et plus de 6 500 cas, a
encore compliqué la tâche d’une
opposition privée, depuis des an­
nées, d’accès aux médias publics.
« Depuis qu’elle a remporté la ma­
jorité à l’Assemblée nationale
en 2015, l’opposition a privilégié
une issue insurrectionnelle pour en
finir avec le chavisme, au détri­
ment du travail politique de fond,
juge Ricardo Sucre. Or, l’immense
majorité des Venezueliens ne veut
pas d’une solution de force. » Les
dirigeants d’opposition se sont ce
faisant déconnectés de leur base
et ils ont accumulé les fiascos mi­
litaires, de la tentative de forcer la
frontière sous couvert d’aide hu­
manitaire en février 2019, à la ré­
cente opération « Gedeon ».
Selon le Wall Street Journal, c’est
l’opposant Leopoldo Lopez, le
mentor de Juan Guaido réfugié à
l’ambassade d’Espagne, qui aurait
organisé cette rocambolesque ten­
tative ratée de débarquement de
mercenaires le 3 mai. M. Guaido
s’en est publiquement démarqué.
Au vu des manœuvres du pouvoir
chaviste, M. Guaido a d’ores et déjà
annoncé que l’opposition ne parti­
ciperait pas aux législatives du
6 décembre – qualifiées de « farce
électorale ». Il n’a toutefois pas pro­
posé de stratégie alternative.
Le 29 juin, Nicolas Maduro déci­
dait d’expulser l’ambassadrice
européenne en poste à Caracas,
pour protester contre les récentes
sanctions prises par Bruxelles con­
tre hauts fonctionnaires et élus vé­
nézuélien.
Il est revenu trois jours plus tard
sur sa décision, en vantant les mé­
rites du « dialogue direct avec les
Européens ». Beaucoup vou­
draient voir M. Maduro, crédité de
13,1 % d’opinions favorables, aussi
conciliant avec l’opposition de son
pays. 
marie delcas
D’où la question de l’avenir de la
native du département de Hyogo,
qui fut présentatrice de la chaîne
TV Tokyo avant de se lancer en po­
litique en 1992. Lors des élections
législatives de 2017, celle qui avait
été, en 2007, la première femme
ministre de la défense du Japon, et
qui ambitionne toujours de deve­
nir la première femme à diriger un
gouvernement nippon, avait créé
un parti pour défier le PLD de
M. Abe. L’opération avait échoué
et elle s’était retrouvée isolée.
Son nouveau succès coïncide
avec la baisse, à cause de l’épidé­
mie liée au coronavirus, de la
popularité de M. Abe, dont le man­
dat se termine en septembre 2021.
La succession agite déjà le PLD.
Même si elle s’en défend,
Mme Koike pourrait être candi­
date, notamment parce qu’elle est
proche de M. Abe sur le plan idéo­
logique. Membre, comme le pre­
mier ministre, de l’organisation
ultranationaliste Nippon Kaigi,
elle promeut les visites au contro­
versé sanctuaire Yasukuni, où re­
posent les âmes des criminels de
guerre japonais. Pendant son pre­
mier mandat, elle a refusé de par­
ticiper à l’hommage traditionnel­
lement rendu aux Coréens de To­
kyo, victimes d’un massacre après
le tremblement de terre de 1923. 
philippe mesmer
Pékin et Washington
se toisent en mer
de Chine méridionale
Les Etats­Unis ont déployé
deux porte­avions dans la région,
après des manœuvres chinoises
pékin ­ correspondant
e nouvelles manœuvres
militaires de Pékin en
mer de Chine du Sud pro­
voquent de vives tensions avec
ses voisins ainsi qu’une manifes­
tation de force des Etats­Unis, in­
habituelle par son ampleur. La
Chine a mené, du 1er au 5 juillet,
des manœuvres autour des îles
Paracel, provoquant la colère du
Vietnam et des Philippines.
Depuis 1974, Pékin occupe ces
îles, également revendiquées par
le Vietnam. De leur côté, les Phi­
lippines ont – avec succès – atta­
qué en 2013 devant les tribunaux
internationaux la prétention de
la Chine à revendiquer des
« droits historiques » sur la quasi­
totalité de la mer de Chine méri­
dionale. Pour Hanoï, les exercices
de juillet « violent sérieusement la
souveraineté du Vietnam ». Le
Parti communiste au pouvoir à
Hanoï n’exclut pas de porter à son
tour le contentieux territorial qui
l’oppose à son puissant voisin de­
vant les tribunaux. De son côté, le
secrétaire à la défense des Philip­
pines juge que c’est une « grave
provocation ».
Pour Mathieu Duchâtel, respon­
sable du programme Asie à l’Insti­
tut Montaigne, l’exercice qui
vient de se dérouler « inclut un
scénario de débarquement amphi­
bie auquel participent les gardes­
côtes. C’est une première depuis la
réforme qui place ceux­ci, en
temps de guerre, sous le comman­
dement direct de la commission
militaire centrale. La Chine ren­
force ainsi sa capacité à prendre
des territoires insulaires à ses ri­
vaux ». Pour le chercheur, « le
choix des Paracel pourrait consti­
tuer un avertissement ciblant le
Vietnam à l’heure où ce pays sem­
ble de plus en plus intéressé par
une action en droit international
contre la Chine sur la mer de Chine
du Sud ».
Mais Pékin n’a pas partie ga­
gnée. « La Chine est encore loin de
son objectif d’étendre son adminis­
tration effective de la mer de Chine
du Sud pour en exclure toute pré­
sence des navires des pays non ri­
verains », note M. Duchâtel. Les
Etats­Unis ont en effet vigoureu­
sement dénoncé les exercices mi­
litaires chinois. « Les actions de la
République populaire de Chine
contredisent son engagement de
ne pas militariser la mer de Chine
du Sud, et la vision des Etats­Unis
d’une région indo­pacifique libre
et ouverte », a déclaré le départe­
ment d’Etat le 3 juillet, dans un
communiqué qui dénonce égale­
ment des actions destinées à « af­
firmer des revendications illégiti­
mes et désavantager » les voisins
de la Chine en Asie du Sud­Est.
Surtout, les Etats­Unis ont dé­
ployé dans la zone deux porte­
avions, le Ronald Reagan et le Ni­
mitz. Un déploiement de forces
sans précédent depuis 2014. En­
trée en mer de Chine du Sud sa­
medi, en provenance de la mer
des Philippines, la marine améri­
caine a procédé à des centaines de
décollages d’avions de chasse, de
« Le choix
des Paracel
pourrait
constituer
un avertissement
ciblant
le Vietnam »
MATHIEU DUCHÂTEL
responsable du programme
Asie à l’Institut Montaigne
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
CHINE
TAÏWAN
Atoll
Ile de Scarborough
d’Hainan
PHILIPPINES
Iles Paracel
Mer de Chine
méridionale
VIETNAM
Iles Spratleys
MALAISIE
250 km
Limite des eaux revendiquées
par la Chine
surveillance et d’hélicoptères.
Durant vingt­huit heures, un
bombardier B­52 américain a
même participé à ces
manœuvres. Selon le contre­ami­
ral George M. Wikoff, qui com­
mande le Ronald Reagan, ces
exercices « offrent un signal dé­
pourvu d’ambiguïté à nos parte­
naires et alliés que nous sommes
engagés en faveur de la sécurité et
de la stabilité de la région ». En
avril, les marines américaine et
australienne avaient mené des
manœuvres conjointes en mer
de Chine du Sud ; et, en juin, la
marine américaine y avait pro­
cédé à un entraînement conjoint
avec le Japon.
Des « tigres de papier »
Le porte­parole du ministère des
affaires étrangères chinois, Zhao
Lijian, a déclaré, le 3 juillet, que « la
cause fondamentale de l’instabi­
lité en mer de Chine du Sud [était]
l’activité militaire à grande échelle
et le fait qu’un certain pays qui
n’est pas de la région et se trouve à
des dizaines de milliers de kilomè­
tres montre ses muscles ». Lundi
6 juillet, le quotidien Global Ti­
mes dénonçait les deux groupes
aéronavals comme « des tigres de
papier sur le pas­de­porte de la
Chine ». « La région est totalement
à portée de main de l’Armée popu­
laire de libération [APL], dont les
armes conçues à cet effet peuvent
détruire des porte­avions. Les
manœuvres américaines ne sont
qu’un simple show pour cacher
que [les Etats­Unis] ont perdu la
face dans le contrôle de l’épidémie
et qu’ils ont perdu la carte de
Hongkong depuis l’entrée en vi­
gueur de la législation chinoise sur
la sécurité nationale », poursuit le
quotidien nationaliste.
La tension entre les Etats­Unis
et la Chine – avec de nombreux
risques d’incidents militaires –
est également très forte autour de
Taïwan, avec une aviation et une
marine chinoises de plus en plus
présentes dans la zone. Les der­
nières manœuvres de Pékin « ont
lieu dans un contexte de très
grande activité de l’APL et des gar­
des­côtes aux frontières contestées
de la Chine, avec les incidents
meurtriers dans l’Himalaya, un
passage de navires chinois ce
week­end dans les eaux territoria­
les des îles Senkaku [occupées par
le Japon et revendiquées par la
Chine] de trente­neuf heures, un
record en matière de durée, et les
intrusions dans l’espace aérien de
Taïwan. Pour la Chine, le recours à
la force militaire et le choix de pos­
tures agressives visent à affaiblir la
détermination de ses rivaux »,
note Mathieu Duchâtel. La Chine,
ces dernières années, a considéra­
blement renforcé sa marine : avec
plus de 600 bâtiments de combat,
elle est désormais la deuxième
flotte du monde, derrière les
Etats­Unis. 
frédéric lemaître
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
« Donald Trump est du bon côté de l’histoire »
A deux heures de Washington, en Virginie, les nostalgiques du Sud esclavagiste défendent leur « héritage »
REPORTAGE
harrisonburg (virginie) ­
envoyée spéciale
P
énétrer dans la boutique
de Rex Miller n’invite
pas seulement à un saut
dans le passé. Arpenter
les rayonnages en compagnie du
propriétaire du Crossroads
Country Store pousse surtout à
une plongée dans un monde pa­
rallèle. A deux heures de route de
Washington, dans la vallée pré­
servée de Shenandoah (Virginie),
le sexagénaire règne sur un uni­
vers consacré à la glorification de
l’armée confédérée des Etats du
Sud, défaite lors de la guerre civile
américaine (1861­1865), qui mit
fin à l’esclavage.
Dans ce magasin de décoration­
librairie niché dans un marché
couvert spécialisé dans l’artisa­
nat local, les différentes versions
du drapeau confédéré flottent au
plafond. Le plus répandu, une
toile rouge traversée de deux dia­
gonales bleues parsemées d’étoi­
les, orne tout ce que le marketing
a pu imaginer : canifs, briquets,
décapsuleurs, baromètres, tasses,
verres, jeux de cartes, boucles de
ceinturon, autocollants, vête­
ments pour bébés et tee­shirts
agrémentés de slogans provoca­
teurs : « Si ce drapeau t’offusque,
étudie l’histoire américaine. »
Nostalgique et révisioniste
Dixieland (l’autre nom des Etats
sudistes) est aussi à l’honneur, dé­
cliné avec force cœurs rouges.
Moins colorées, des casquettes de
laine grise, symboles de l’uni­
forme militaire sudiste, tentent le
chaland. Le tout est présenté au
beau milieu de produits estam­
pillés « Trump 2020 » et de son
slogan de campagne « Keep Ame­
rica great ». Bienvenue au cœur
d’une Amérique trumpiste, nos­
talgique et quelque peu révision­
niste, exaspérée par la résurgence
des débats sur la présence de sym­
boles sudistes dans l’espace pu­
blic, statues ou drapeaux, surve­
nue dans la foulée des manifesta­
tions antiracistes de ces dernières
semaines. Une Amérique aussi où
le Covid­19 est « une invention po­
litique » et où le port du masque
est regardé avec dédain.
Ses lunettes en demi­lune plan­
tées sur le nez, M. Miller – non
masqué donc –, est formel : « Dé­
La Turquie consolide sa présence en Syrie à travers sa monnaie
Dans les régions du Nord­Ouest conquises par l’armée turque et ses supplétifs syriens, l’utilisation de la livre s’est généralisée depuis juin
istanbul, beyrouth ­
correspondants
E xit la livre syrienne. Dans
les régions du nord­ouest
de la Syrie, conquises par
l’armée turque et ses supplétifs sy­
riens entre août 2016 et octo­
bre 2019, l’utilisation de la livre
turque (TL) s’est généralisée de­
puis le mois de juin. Ce change­
ment a été présenté comme une
réaction à l’effondrement de la li­
vre syrienne. Il s’agit plutôt de
l’aboutissement d’un lent proces­
sus. Pour de nombreux Syriens,
opposants ou prorégime, cette
évolution est explicite : la Turquie
entend consolider sa présence
dans les territoires qu’elle con­
trôle. Et certains s’inquiètent
d’une « partition » monétaire pro­
gressive de leur pays.
Depuis la ville de Tall Abyad jus­
qu’à l’enclave d’Afrin à majorité
kurde, en passant par Al­Bab et les
villes frontalières de Djarabulus et
Azaz, les soldats turcs, les merce­
naires syriens et les fonctionnai­
res locaux sont payés en livre tur­
que. La monnaie turque circule
Drapeaux confédérés entourant une pancarte pro­Donald Trump, à Sandston (Virginie), le 4 juillet. KEVIN LAMARQUE/REUTERS
« La guerre
de Sécession
a eu lieu pour
permettre au Nord
de prendre les
richesses du Sud »
REX MILLER
propriétaire du Crossroads
Country Store
boulonner les statues est une er­
reur car elles représentent l’his­
toire. Le fait que le Nord ait menti
sur la guerre de Sécession ne
change pas les événements : la
guerre n’a pas eu lieu pour sauver
l’Union ou mettre fin à l’esclavage,
mais pour permettre au Nord de
s’emparer des richesses du Sud. Les
sudistes se battaient pour leurs
droits. » Ceux qui disent autre
chose et lient ces symboles au ra­
également à Idlib, région sous
contrôle de l’opposition, dominée
par le groupe djihadiste Hayat Ta­
hrir Al­Cham (HTC), et où l’armée
turque est présente : c’est dans
cette devise qu’était déjà rému­
néré, par exemple, le personnel
des hôpitaux. Désormais, même
des produits de base, comme le
pain, se paient en livre turque.
En juin, des petites coupures ont
été envoyées chez les changeurs et
les bureaux de poste (Posta Tele­
graf Telefon, PTT). Cela n’aurait pas
été possible sans l’aval d’Ankara.
Les PTT, ouverts dans le Nord­
Ouest syrien – mais pas dans la ré­
gion d’Idlib – font office de ban­
ques. C’est par leur entremise que,
notamment, les associations sy­
riennes installées en Turquie,
transfèrent l’argent destiné aux
employés ou aux projets à Idlib,
zone placée sous perfusion de
l’aide humanitaire.
La généralisation de l’emploi de
la livre turque a été perçue comme
une mesure de stabilisation face
au crash de la devise syrienne,
bien que la valeur de la LT soit fluc­
tuante. « Cela permet une unité
cisme et à l’esclavage sont des
« marxistes qui endoctrinent les
enfants, de l’école à l’université ».
Et, prévient­il, « aucune réconci­
liation » entre les tenants de ces
deux récits n’est possible.
Le magasin de M. Miller, fondé
en 1996 pour contrer « la dispari­
tion de cette réalité historique »,
n’offre pas seulement un refuge
aux adeptes d’un folklore pas­
séiste ; il défend une vision du
monde. Des dizaines de livres pro­
posent une (re)lecture de l’his­
toire. Les ouvrages dénonçant le
« traître » Lincoln (le seizième pré­
sident américain, qui a proclamé
l’émancipation des esclaves) occu­
pent plusieurs étagères, au côté
d’hagiographies sur les généraux
sudistes. Selon le patron, les
clients viennent y débuter « un
chemin vers la vérité ».
Allen (il n’a pas souhaité donner
son nom de famille), 63 ans, cas­
quette noire ornée d’un drapeau
confédéré, tient à la main une bio­
dans les échanges dans le Nord­
Ouest. Mais pour faire face à l’infla­
tion des prix, il faudrait un contrôle
des commerces, qui n’existe pas »,
note un natif de la région d’Idlib,
actif dans l’aide humanitaire, exilé
en Turquie pour ses critiques du
groupe HTC. L’inflation est aussi
difficile à contenir car des pro­
duits, comme les denrées agrico­
les, continuent de venir des zones
de la Syrie sous contrôle gouver­
nemental, où les prix flambent.
Accent mis sur la reconstruction
Pour asseoir son influence sur le
Nord­Ouest, la Turquie a mis l’ac­
cent sur la reconstruction. Des
routes, écoles, ou réseaux de dis­
tribution d’eau et d’électricité ont
été en partie restaurés. Les postes­
frontières voient passer toutes
sortes de marchandises, des biens
de consommation aux matériaux
de construction. « On est en pré­
sence d’une logique d’intégration
économique qui vise à faire de ces
territoires, administrés par la Tur­
quie et ses alliés syriens, un marché
destiné à l’exportation de produits
turcs. Le but est de bâtir un cadre fa­
graphie du général Robert E. Lee,
celui dont les statues plantées
dans diverses villes du pays susci­
tent les passions, notamment à Ri­
chmond, la capitale de Virginie.
« Trump a raison d’interdire le dé­
boulonnage des statues ; on ne peut
pas réécrire le passé », explique cet
employé de l’université locale. Le
président américain a signé le
26 juin un décret « protégeant les
monuments américains », un acte
symbolique destiné à satisfaire
son électorat plus qu’une nouvelle
politique ; ces décisions relèvent
rarement de l’échelon fédéral.
« Anarchistes semant le chaos »
Les élus du Mississippi viennent
de voter le retrait d’un symbole
confédéré sur le drapeau de cet
Etat du Sud au long passé ségréga­
tionniste. Le championnat auto­
mobile Nascar, populaire dans le
Sud, vient d’interdire à ses fans
d’agiter le drapeau confédéré sur
ses circuits. Une vingtaine de sta­
vorable aux échanges commer­
ciaux. La circulation de la livre tur­
que est ainsi facilitée », explique
Yohanan Benhaim, chercheur, co­
fondateur de Noria Research et as­
socié à l’Istanbul Policy Center.
Les régions turques de Gazian­
tep et du Hatay, voisines de la Sy­
rie, participent activement au dé­
veloppement des échanges com­
merciaux. Des chambres de com­
merce locales ont été créées,
étroitement liées aux chambres
de commerce turques. Des zones
industrielles ont vu le jour à Azaz
et à Al­Bab. On assiste à la mise en
place d’une sphère d’influence in­
tégrée à la Turquie. Le fait que les
gouverneurs des régions de Ga­
ziantep et du Hatay soient chargés
de superviser les zones syriennes
sous contrôle turc en est l’illustra­
tion flagrante. L’éducation n’a pas
été laissée de côté. En octo­
bre 2019, l’université de Gaziantep
a créé trois facultés, l’une à Afrin
(sciences de l’éducation), et deux
autres à Azaz (sciences islamiques)
et à Al­Bab (économie et gestion).
Cette logique a ses limites. Les in­
vestissements ne sont pas garan­
international | 5
tues ont été déboulonnées depuis
le début des manifestations anti­
racistes fin mai, selon le Southern
Poverty Law Center, qui en dé­
nombre encore 1 700 dans le pays.
Allen, comme d’autres clients,
est convaincu que les divisions ac­
tuelles et les « guerres culturelles »
sur la religion, l’histoire, le ra­
cisme, les armes, qui secouent le
pays ont toutes les chances de dé­
boucher sur une « nouvelle guerre
civile si M. Trump n’est pas réélu » :
« Les démocrates nous prendront
toutes nos libertés. »
A ses côtés, Linda, une cliente
triste et désemparée par les tenta­
tives de débaptiser les lieux pu­
blics nommés en hommage à des
soldats confédérés (bases militai­
res, rues, cimetières…) s’inquiète
aussi des tensions. La vallée a cer­
tes été préservée des manifesta­
tions mais son mari a, depuis une
quinzaine de jours, « remis une
arme dans la voiture. On ne sait
plus à qui on a affaire ».
La généralisation
de l’emploi de la
livre turque a été
perçue comme
une mesure de
stabilisation face
au crash de la
devise syrienne
tis par les principaux acteurs en
Syrie, tels que la Russie. Les alliés
d’Ankara au sein du processus
d’Astana, soit Moscou et Téhéran,
ne manquent jamais de rappeler
que la présence turque est tolérée
pour le moment mais, qu’à terme,
ces régions devront retourner
dans le giron de Damas. Les signa­
taires des accords d’Astana ayant
reconnu le principe de l’intégrité
territoriale de la Syrie, aucune re­
vendication politique ne peut être
reconnue comme légitime.
La Turquie s’est adaptée à cette
éventualité. Le système de gouver­
nance qu’elle a mis en place « se ca­
Pour Allen,
employé d’une
université, une
guerre civile
pourrait survenir
si « M. Trump
n’était pas réélu »
Un peu revêche au premier
abord, M. Miller se détend pour lâ­
cher ce qui, au fond, le gêne tant :
« La classe moyenne chrétienne
blanche, qui a fait la grandeur de
l’Amérique, est attaquée de toutes
parts. » A ses yeux, les déboulon­
neurs de statues, « les Noirs, les
anarchistes, les socialistes, les mu­
sulmans, les juifs », sont « ceux qui
veulent nous priver de nos droits » :
« Dans ce débat, Trump est du bon
côté de l’histoire. »
Reprenant le langage du prési­
dent américain, qui qualifie les
manifestants antiracistes
« d’anarchistes, semant le chaos »,
Steve Reedy abonde. Ce client dé­
bonnaire est passé acheter un
drapeau confédéré et une gourde
assortie : « C’est ma façon de pro­
tester contre les déboulonnages. »
Cet employé d’une scierie voue
une passion au général Lee. « J’ai
un tableau de lui chez moi et je lui
rends hommage régulièrement. »
Ici, tous sont descendants de sol­
dats confédérés et respectent « le
combat des hommes qui ont lutté
pour préserver leur style de vie et se
libérer de la tyrannie du Nord ».
« L’esclavage aurait fini par dispa­
raître, de toute façon », assure­t­il.
M. Miller croit bon d’ajouter que
la pratique coûtait cher aux pro­
priétaires d’esclaves. « De bons
chrétiens, ils les nourrissaient, les
habillaient, les logeaient, les soi­
gnaient. » Linda, dont la belle­fa­
mille possédait des esclaves, in­
siste : « Pour nous, les souvenirs de
la guerre sont notre héritage, pas
un symbole de haine. » La mère de
famille repart avec un livre sur
Stonewall Jackson, un général su­
diste dont la statue a été descen­
due de son piédestal à Richmond,
le 1er juillet. M. Miller l’a constaté :
chaque fois qu’une polémique re­
naît sur les symboles de la guerre
de Sécession, les affaires repren­
nent. Une consolation. 
stéphanie le bars
ractérise par des investissements
dans les infrastructures de base :
électricité, routes, postes frontières.
Sauf exception, les investissements
dans l’industrie sont limités. Le but
recherché est de bâtir un cadre sus­
ceptible de permettre à ces régions
de devenir un marché ainsi qu’un
espace destiné à accueillir des réfu­
giés venus d’autres régions de Syrie
ou renvoyés depuis la Turquie »,
souligne Yohanan Benhaim.
Ce mode de gestion crée de l’ins­
tabilité comme à Afrin, la région
agricole à majorité kurde du
nord­ouest de la Syrie, où de
nombreux propriétaires kurdes
ont été dépouillés de leurs terres.
Depuis que la zone a été conquise
par l’armée turque en 2018, la
production est exportée vers
l’Europe via la Turquie. Ce qui
constitue un revenu non négli­
geable pour les Turcs et leurs affi­
dés, les milices syriennes, mais
contribue à renforcer l’insécurité.
La manne financière tirée de ces
exportations est souvent à l’ori­
gine d’affrontements entre les
différents groupes armés. 
marie jégo et laure stephan
6 | planète
Covid­19 : nouvel abandon de pistes thérapeutiques
L’OMS cesse d’évaluer deux combinaisons médicamenteuses, ne conservant que le remdésivir dans son essai
L a pharmacopée potentielle
destinée aux patients hos­
pitalisés pour Covid­19
s’amenuise à nouveau. L’Organi­
sation mondiale de la santé (OMS)
a annoncé, samedi 4 juillet, l’arrêt
de l’inclusion de patients traités
par la combinaison des antivi­
raux lopinavir/ritonavir (Kaletra),
avec ou sans interféron bêta, dans
son essai clinique Solidarity. En
France, l’essai Discovery, lancé par
l’Institut national de la santé et de
la recherche médicale (Inserm) et
conçu en complément de celui de
l’OMS, fait de même – une déci­
sion prise « collégialement » par
les deux institutions. Après l’an­
nonce, le 17 juin, de l’arrêt du
« bras » testant l’hydroxychloro­
quine, ne reste en lice que le
remdésivir de l’américain Gilead
dans ces deux essais.
Cette annonce fait suite aux re­
commandations d’arrêt des comi­
tés d’experts indépendants (Data
Safety Monitoring Board, DSMB)
qui examinaient régulièrement
les données issues des deux es­
sais. « Ces recommandations sont
basées d’une part sur l’absence
d’efficacité sur la mortalité à
28 jours pour le bras lopinavir/rito­
navir versus traitement standard
et pour le bras lopinavir/ritonavir
Guyane : un projet de
centrale au fuel divise
Les défenseurs de l’environnement
dénoncent la future installation,
qui pourrait être construite par EDF
cayenne ­ correspondant
P
our le moment, ce sont
des mangroves et une fo­
rêt marécageuse situées
au bord de la route natio­
nale 1 à Matoury, en périphérie de
Cayenne. Dans ce secteur, à proxi­
mité du port de pêche du Larivot,
une nouvelle centrale au fuel est
censée commencer à produire de
l’électricité d’ici à trois ans. Elle est
destinée à remplacer la centrale
thermique de Dégrad des Cannes :
construite au début des années
1980, cette usine de moteurs die­
sel au fuel lourd doit fermer fin
2023, à l’expiration de la déroga­
tion lui permettant des rejets pol­
luants hors normes, notamment
en oxyde d’azote (NOx).
En pleine crise sanitaire, et sans
qu’aucune réunion ait pu se tenir,
le projet a été soumis à enquête
publique du 15 mai au 15 juin,
le ministère de la transition écolo­
gique ayant jugé que la sécurité de
l’approvisionnement électrique
était en jeu. Seules quelque
350 contributions ont été en­
voyées par mail – la majorité
étant hostile à la centrale.
Contrairement au projet de mé­
gamine de la « Montagne d’or », la
question de cette installation au
fuel ne mobilise pas largement les
Guyanais. Mais la tenue de cette
enquête a ravivé les inquiétudes
des associations de défense de l’en­
vironnement, qui redoutent que
la Guyane s’éloigne de l’objectif
d’atteindre l’autonomie énergéti­
que en 2030. « Cette centrale est en
contradiction avec la loi de 2015 sur
la transition énergétique, qui exige
un effacement des énergies fossi­
les », déplore Laurent Kelle, res­
ponsable du WWF Guyane, qui a
participé aux discussions sur la
programmation pluriannuelle de
l’énergie (PPE).
Ce texte, élaboré par l’Etat et la
collectivité territoriale et adopté
en 2017, prévoit bien la construc­
tion d’une centrale d’une puis­
sance thermique de 120 MW – con­
avec interféron bêta, indique l’In­
serm. D’autre part, dans l’essai Dis­
covery, qui collecte les événements
indésirables graves, le comité indé­
pendant a souligné la fréquence si­
gnificativement plus élevée d’effets
indésirables graves concernant la
fonction rénale dans les deux grou­
pes de patients recevant la combi­
naison lopinavir/ritonavir, notam­
ment chez les patients hospitalisés
en réanimation. »
Cette décision sonne le glas du
repositionnement de ces antivi­
raux utilisés contre le VIH – l’essai
britannique Recovery a aussi con­
clu à leur absence d’efficacité face
au SARS­CoV­2. « Ces insuffisances
rénales graves nous ont surpris car
on ne les observait pas chez les pa­
tients VIH prenant ces molécules
en ambulatoire, indique l’infectio­
logue Yazdan Yazdanpanah (hôpi­
tal Bichat, à Paris), qui préside le
consortium de recherche REAC­
Ting, chapeautant l’essai Disco­
very. Cette toxicité s’explique pro­
bablement par l’évolution de la
maladie elle­même. »
Outre le remdésivir, toujours en
lice, quelles autres pistes théra­
peutiques vont pouvoir être ex­
plorées dans ces essais dit adapta­
tifs, présentés comme le meilleur
outil pour déterminer l’efficacité
tre 108 MW pour la centrale ac­
tuelle. EDF PEI (Production électri­
que insulaire), filiale d’EDF pour
l’outre­mer et la Corse, prévoit
d’investir 500 millions d’euros.
« En retenant un [tel] projet, on va
mettre en péril les futurs projets en
énergies renouvelables déjà large­
ment avancés », écrit le Groupe­
ment des entreprises en énergies
renouvelables de Guyane (Ge­
nerg), dans une contribution à
l’enquête publique.
Une trentaine de personnalités,
dont l’eurodéputé Yannick Jadot
ou la présidente du WWF­France
Isabelle Autissier, ont relayé ces in­
quiétudes dans une tribune pu­
bliée le 2 juillet. Le président du
syndicat des professionnels de
l’énergie solaire renouvelable
Enerplan, à l’origine de ce texte,
fait état d’un « sentiment d’incom­
préhension totale ». « D’un côté on
nous dit qu’il faut mettre le paquet
sur les énergies renouvelables, et de
l’autre, on construit une centrale au
fuel, dénonce Daniel Bour. Où est
la cohérence ? »
« Aucune raison d’attendre »
Plusieurs études de 2018 et 2019,
financées par l’Agence française de
développement (AFD) et l’Ademe,
que Le Monde a pu consulter, con­
firment que des solutions alterna­
tives à la construction de cette cen­
trale au fuel sont réalisables. Selon
des experts indépendants, un scé­
nario combinant solaire, hydroé­
lectricité et biomasse, associés à
des batteries et à des groupes élec­
trogènes en containers, permet­
trait de garantir la sécurité de l’ap­
provisionnement tout en accélé­
rant la transition énergétique de la
Guyane. « Il faudrait lever les con­
traintes réglementaires qui brident
le développement du solaire, adap­
ter la gestion de la retenue hydroé­
lectrique du barrage de Petit­Saut
en fonction des productions inter­
mittentes, moderniser les systèmes
qui gèrent l’équilibre entre consom­
mation et production, mais aussi
structurer une filière biomasse, ex­
« Les données
américaines
sur le remdésivir
ne sont pas
suffisantes »
YAZDAN YAZDANPANAH
infectiologue à l’hôpital
Bichat, à Paris
thérapeutique des molécules can­
didates ? A ce jour, seul un corti­
coïde, la dexaméthasone, a été
distingué comme offrant un net
avantage en termes de mortalité
dans l’essai Recovery, en Grande­
Bretagne. Mais, pour beaucoup
d’observateurs, cette réduction
d’un tiers de la mortalité observée
dans les cas les plus graves n’était
pas une surprise, et la molécule
avait déjà été intégrée en routine
dans les services de réanimation.
L’intérêt de Recovery, quand ses
résultats seront publiés, sera
peut­être de préciser les stades de
la maladie où il est le plus efficace
– les corticoïdes peuvent en effet
favoriser une charge virale ou
bactérienne.
Le remdésivir n’a pour l’heure
pas fait la preuve de son efficacité
La zone où pourrait être bâtie la future centrale, à Matoury, près de Cayenne (Guyane), en octobre 2018. PATRICK FORGET/SAGAPHOTO
plique Christian de Gromard, réfé­
rent Energie à l’AFD. Mais il n’y a
aucune raison d’attendre : c’est une
solution beaucoup moins émet­
trice de CO2 et moins coûteuse, qui
génère davantage d’emplois locaux
durables. »
Du côté d’EDF, on assure que la
construction de cette centrale est
indispensable pour assurer la sé­
curité de l’approvisionnement sur
un territoire en forte croissance
démographique, où les coupures
d’électricité de plusieurs heures
sont fréquentes. La nouvelle ins­
tallation devrait en outre pouvoir
être convertie pour fonctionner,
dans un deuxième temps, à partir
de biomasse liquide. « Nous ve­
nons d’effectuer une phase de test
très concluante de fonctionnement
à partir de biocombustibles dans la
centrale de Pointe Jarry, en Guade­
loupe, qui est une installation équi­
valente à celle de Larivot », insiste
un porte­parole. Avoir recours à de
la biomasse liquide nécessiterait
toutefois des importations, la
Guyane ne disposant pas de res­
sources en huiles végétales.
Les associations s’inquiètent
aussi de l’impact du projet sur la
en termes de mortalité. Selon un
essai américain, il permettrait ce­
pendant de réduire de plusieurs
jours la durée d’hospitalisation.
C’est sur cet argument que Gilead
s’est fondé pour établir le tarif de
sa molécule, qui avait initialement
été développée face à Ebola. Le la­
boratoire a annoncé, lundi 29 juin,
qu’il proposera un traitement de
cinq jours à un prix de 2 340 dol­
lars (2 070 euros) dans les pays dé­
veloppés. Et quatre fois moins
dans les 127 pays pauvres ou émer­
gents, sous forme de générique.
L’Agence européenne du médica­
ment a recommandé son autori­
sation d’usage à titre compassion­
nel (mise à disposition de traite­
ments non encore autorisés pour
des malades gravement atteints).
2 427 études cliniques en cours
« Les données américaines sur le
remdésivir ne sont pas suffisantes,
estime cependant l’infectiologue
Yazdan Yazdanpanah, qui déplore
l’arrêt prématuré de l’essai mené
par les instituts américains de la
santé (NIH). Il faut que Solidarity et
Discovery se poursuivent pour éva­
luer l’effet sur la mortalité de cette
molécule. »
D’autres pistes thérapeutiques
sont en cours d’évaluation :
Plusieurs études
confirment que
des solutions
alternatives à la
construction de
la centrale au fuel
sont réalisables
biodiversité et des risques de pol­
lution liés à la construction d’un
oléoduc de 14,5 km entre le port
pétrolier de Dégrad des Cannes et
la future centrale. Le Conseil natio­
nal de protection de la nature a
émis un avis défavorable au projet,
et l’Autorité environnementale a
formulé de sérieuses réserves. « Le
site a été retenu sans évaluation en­
vironnementale ni enquête publi­
que, notait­elle, fin 2019. Les im­
pacts sur les milieux naturels et les
zones humides sont très forts, et les
mesures de compensation propo­
sées ne remplissent pas les condi­
tions requises. »
Il y a « des enjeux de préservation
d’espèces protégées, tels le toucan
plasma sanguin de convalescents,
azithromycine (dans l’essai Reco­
very). Mais aussi hydroxychloro­
quine. Si ce traitement, promu en
France par Didier Raoult, n’a pas
fait la preuve de son efficacité sur
des patients hospitalisés dans So­
lidarity, Discovery et Recovery,
d’autres essais cliniques prospec­
tifs ont été lancés pour explorer
son intérêt préventif – la diminu­
tion de l’attaque virale dans la pé­
riode précoce de l’infection.
C’est l’objectif, par exemple, de
l’essai COPCOV, qui va comparer la
chloroquine et l’hydroxychloro­
quine à un placebo auprès de
40 000 professionnels de la santé
d’Europe, d’Afrique, d’Asie et
d’Amérique du Sud. « L’hydroxy­
chloroquine pourrait encore préve­
nir les infections, et cela doit être
déterminé dans le cadre d’un essai
contrôlé randomisé [où les traite­
ments sont administrés de façon
aléatoire à des groupes de patients
aux caractéristiques compara­
bles] », estime Nicholas White, de
l’université d’Oxford, promoteur
de cet essai, dont les résultats ne
sont cependant pas attendus
avant plusieurs mois.
L’OMS considère également que
l’arrêt des bras hydroxychloro­
quine et Kaletra dans Solidarity
toco, la biche des palétuviers ou un
palmier peu commun », alerte
aussi Rémi Girault, le président de
Guyane nature environnement.
EDF assure de son côté que la zone
de mangroves de 40 hectares – sur
un terrain de 110 hectares, dont 24
dévolus au projet industriel – a été
sanctuarisée et que des mesures
de compensation seront bien mi­
ses en œuvre.
Sécurité et emploi
Les partisans du projet, eux, met­
tent en avant la question de la sé­
curité de l’approvisionnement,
mais aussi celle de l’emploi des
agents de l’actuelle centrale. Le
syndicat majoritaire à EDF
Guyane, la puissante Union des
travailleurs guyanais, a manifesté
en septembre dernier pour récla­
mer la mise en œuvre de la PPE.
« On est à l’aube d’un clash énergé­
tique. Si on ne sécurise pas l’île de
Cayenne avec la nouvelle centrale,
on aura de gros problèmes », préve­
nait alors son secrétaire général,
Davy Rimane. Hélène Sirder, pre­
mière vice­présidente de la collec­
tivité territoriale et déléguée à
l’énergie, affirme aussi soutenir le
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
« n’affecte pas l’évaluation éven­
tuelle dans d’autres études de l’hy­
droxychloroquine ou du lopinavir/
ritonavir chez des patients non
hospitalisés ou comme prophy­
laxie pré­ ou post­exposition pour
Covid­19 ».
Au­delà de ces molécules, les co­
mités d’organisation de Solidarity
et de Discovery « vont lancer une
réflexion » pour envisager com­
ment diversifier les pistes théra­
peutiques, indique Yazdan Ya­
zdanpanah, notant que « les anti­
corps monoclonaux sont en train
d’arriver » et que l’association en­
tre le remdésivir et l’interféron
bêta pourrait aussi être explorée.
Au 5 juillet, le site Clinical Trials
recensait 2 427 études cliniques
dans le monde consacrées au Co­
vid­19. Mais l’élimination progres­
sive des molécules pressenties
agissant contre le Covid­19 dans
les grands essais prospectifs, plus
fiables que la multitude d’études
rétrospectives soumises à des
biais plus nombreux, souvent
ininterprétables, n’est pas bon si­
gne. Les stratégies non thérapeu­
tiques – masques, distanciation
sociale… – risquent de rester, dans
les prochains mois, la meilleure
parade face au SARS­CoV­2. 
hervé morin
projet pour « répondre aux besoins
de la population ». « Le territoire
n’est pas encore prêt à passer au
tout­énergies renouvelables, nous
faisons la transition énergétique à
notre rythme », ajoute­t­elle.
De son côté, le ministère de la
transition écologique affirme
avoir demandé à EDF fin février
de préciser les modalités de fonc­
tionnement de la centrale, et que
des échanges sont toujours en
cours pour « trouver la solution
optimale ». « Il est fondamental
de se donner encore quelques
mois pour s’assurer que le choix
de cette centrale au fuel, qui est
très structurant pour l’avenir, est
bien le meilleur, et vérifier qu’il
n’existe pas une solution alterna­
tive qui s’inscrive dans une logi­
que plus décarbonée », précise
une source proche de la ministre
des outre­mer Annick Girardin.
Un signe que l’autorisation d’ex­
ploiter, permettant de lancer les
travaux, pourrait se faire atten­
dre ? Les conclusions de l’en­
quête publique devraient, elles,
être rendues mi­juillet. 
laurent marot
et perrine mouterde (à paris)
 FRANCE
0123
8| MARDI 7 JUILLET 2020

É L E C T I O N S M U N I C I PA L E S

Marseille, laboratoire de l’union des gauches

Le Printemps marseillais est scruté de près par les partis, qui y voient l’espoir d’une martingale gagnante

RÉCIT
marseille ­ envoyée spéciale
et correspondant

V
ous m’embrassez,
monsieur le
maire ? » C’est
Michèle Rubirola
qui fait la de­
mande, samedi
4 juillet. Jean­Claude Gaudin a
quitté son bureau, où il suit depuis
le matin l’élection par le nouveau
conseil municipal de celui ou de
celle qui va lui succéder. Excep­
tionnellement, ce gros mangeur a
même renoncé à s’attabler dans
un de ses restaurants favoris du
Vieux­Port pour avaler un plateau­
repas. Quand, à 14 heures, après
six heures de folle tension, il de­
vine que la candidate du Prin­
temps marseillais vole vers la vic­
toire, il emprunte le couloir sou­
terrain qui mène à l’hémicycle.
D’un pas lent, il sort de la coulisse
et vient passer l’écharpe tricolore à
« madame la maire », comme Mi­
chèle Rubirola souhaite qu’on la
nomme. Un court moment d’élé­
gance dans cette foire vociférante.
Le plus étonnant de cette his­
toire, c’est que ce face­à­face est
une première ou presque. Il y a
quelques jours encore, Jean­
Claude Gaudin ne connaissait pas
Michèle Rubirola. « J’ai dû la croiser
deux ou trois fois », confiait le vieux
maire le jour du second tour. Ja­
mais il ne l’aurait reconnue dans la
rue. Cette femme à laquelle il passe
le témoin, il ne lui avait pas adressé
la parole avant de la recevoir cour­
toisement dans son bureau, deux
jours plus tôt. Et, comme beau­ Michèle Rubirola, maire nouvellement élue, à Marseille, samedi 4 juillet. FRANCE KEYSER/MYOP POUR « LE MONDE »
coup, il ne l’avait pas vue venir.
C’est la part fascinante de cette
aventure. Qui aurait imaginé son premier discours de maire. fief du 4e secteur, une zone qui sénatrice Samia Ghali, la maire du « coaché » la candidate inquiète,
Michèle Rubirola, médecin de Un exemple ? Sophie Camard, la L’EUPHORIE court entre les quartiers ultrachics 8e secteur qui, en se désistant et en lui faisant valoir que sa campagne
63 ans et parfaite inconnue hors suppléante de M. Mélenchon lors DE LA VICTOIRE du sud de la ville et le cœur popu­ ralliant le Printemps, a scellé la était un sans­faute. « Marseille a
des rangs militants marseillais, de l’élection législative de laire et « alternatif » de la Plaine. victoire de Mme Rubirola. « Nous de la chance, écrit samedi Cécile
faire basculer Marseille à gauche mai 2017 : autant dire une intime. DE DIMANCHE La spécialiste de l’événementiel avons discuté tard… », glisse­t­elle. Duflot, et merci à celles et ceux qui
après vingt­cinq ans de règne sans C’est pourtant en rupture avec la n’est pas la seule à se mobiliser. Les autres piliers s’affichent sur ont œuvré pour cela. »
partage de la droite ? Qui aurait ligne de La France insoumise (LFI) A GOMMÉ LE SOUVENIR Pierre­Marie Ganozzi, désormais les photos de la victoire : Benoît « Celles et ceux… » ? Avant de
misé sur le Printemps marseillais et de son chef qu’elle rejoint avec troisième adjoint de Mme Rubirola, Payan – élu premier adjoint – et prendre le nom de Printemps mar­
lors de sa création officielle, à la une poignée d’autres « insoumis »
DES ÉCUEILS DU DÉBUT est l’un des fondateurs du collectif Olivia Fortin – quatrième ad­ seillais, le rassemblement imaginé
mi­octobre 2019 ? Peu de monde. le Printemps marseillais. Beau contre les partenariats public­ jointe – n’ont pas quitté la candi­ à Marseille s’appelait « Le Mouve­
Le 13 juillet 2019, dans le quotidien pari : il vient de la porter avec 58 % privé. Cette coalition de syndicalis­ date ou presque. L’un et l’autre en­ ment sans précédent ». « La gau­
La Provence, l’éditorialiste Franz­ des voix à la mairie du 1er secteur des Bouches­du­Rhône, enlisée tes, juristes, enseignants, architec­ tourent la nouvelle maire sur tous che citoyenne, sociale, écologique,
Olivier Giesbert écrivait que Mar­ de la ville, le quartier du Vieux­ dans les affaires et tristement fa­ tes a fait casser par le tribunal ad­ les clichés. Et, à l’issue de cette folle solidaire, fraternelle », a résumé la
tine Vassal, candidate de la droite, Port (et donc la rue d’Aubagne) et meuse. Il place tous ses espoirs ministratif un de ces coûteux pro­ journée, lorsque Michèle Rubirola semaine dernière Christiane
avait « tout pour elle, la compé­ les coins plus cossus de Malmous­ dans le jeune conseiller municipal jets (1 milliard d’euros) voté par la accorde un petit quart d’heure à la Taubira. « Le bloc social écologi­
tence, l’aura, l’expérience. Il ne lui que et du vallon des Auffes. et départemental Benoît Payan, municipalité Gaudin pour rénover presse, ils s’installent à ses côtés. que », a choisi Olivier Faure.
manque que le succès (à venir, Plus incroyable encore, c’est une un brillant orateur plein d’ambi­ une petite partie des écoles de la Vos priorités, madame la maire ? Qu’importent les mots : vu de
en 2020) ». Quant à Jean­Luc Mé­ candidate au ban de sa formation tions. Cet élu moderne ne veut pas ville. Lui aussi a eu sa part dans le L’audit des finances de la ville, la Paris, le Printemps marseillais res­
lenchon, député des Bouches­du­ politique qui se présente aux élec­ renier ses racines socialistes mais Printemps marseillais, comme rentrée scolaire 2020, les vacances semble depuis dimanche à une
Rhône et néomarseillais, il obser­ tions le 15 mars. Michèle Rubirola juge aussi que, pour prendre Mar­ Marie Batoux, autre adjointe de la d’été pour les plus démunis. Avant formule gagnante, une martingale
vait sans sympathie et en fronçant est une « écolo » de toujours et seille en 2020, il faut « transcender nouvelle maire, une des chevilles chaque réponse, la maire se magique. La deuxième ville de
le nez cette drôle de coalition de une militante « historique » des les partis ». Ses homologues com­ ouvrières d’un autre collectif, celui tourne vers eux, les interrogeant France est devenue en quelques
gauche : il n’a d’ailleurs soutenu le Verts, puis d’Europe Ecologie­ munistes font le même pari. C’est du « 5 novembre », né après la ca­ du regard, quand elle ne laisse pas jours le laboratoire de la gauche.
Printemps marseillais qu’en mars, Les Verts (EELV). Mais, en octo­ aussi le constat d’une certaine tastrophe mortelle de la rue ces deux piliers du Printemps ré­ « C’est beau, un mouvement ci­
au lendemain du premier tour de bre 2019, le parti écologiste décide Olivia Fortin, 42 ans, qui a quitté d’Aubagne. En 2018, ce drame du pondre à sa place. toyen qui bouleverse l’échiquier po­
l’élection municipale. de pousser à Marseille une liste Paris pour Marseille et, avec son « logement indigne » a définitive­ Dans la soirée affluent les mes­ litique et finit par mettre à bas un
L’euphorie de la victoire de di­ autonome, seul dans son coin. agence d’événementiel, offre des ment cristallisé l’opposition à sages de félicitations. « Bon vent système corrompu », a félicité sa­
manche a gommé le souvenir des prestations aux entreprises ou au Jean­Claude Gaudin. capitaine ! », écrit la directrice gé­ medi soir le député européen Ra­
écueils du début. Les piliers du « REPLI DE CHAPELLE » monde du cinéma. nérale d’Oxfam Cécile Duflot. phaël Glucksmann, fondateur de
Printemps marseillais n’ont pas Conseillère départementale, A Paris, Olivia Fortin avait tra­ « ON VEUT LES CLÉS ! » L’ex­secrétaire nationale d’EELV a Place publique. La victoire de Mi­
été prophètes en leur parti. Ses Mme Rubirola est convaincue que vaillé pour Tom Cruise mais aussi Ces pionniers sont tous présents, posté sur les réseaux sociaux une chèle Rubirola ? « Une aventure
élus « viennent de loin », a rappelé seule une large union peut bous­ pour le PS. Un jour, elle vient trou­ samedi 4 juillet, au pied de l’hôtel photo du bateau de Michèle Rubi­ commencée dans des cafés il y a un
samedi Michèle Rubirola dans culer la toute­puissante droite de ver Olivier Faure et lui explique de ville, pour l’investiture de la rola, qu’elle connaît depuis vingt an et demi, sur laquelle peu de gens
Gaudin et faire rêver les Mar­ qu’elle rêve de se lancer en politi­ maire. Dans la foule qui patiente ans. La semaine avant le second misaient au départ. » Le premier
seillais de gauche. Elle déplore « le que, hors partis, comme « ci­ parfois depuis l’aube, les mili­ tour, les deux femmes avaient secrétaire du PS est tout aussi
repli de chapelle » et « la guerre des toyenne ». La jeune femme crée tants de ces collectifs et autres pris le large dans la rade de Mar­ emballé : « Emmanuel Macron a re­
JAMAIS JEAN­CLAUDE ego autoproclamés » et fait alors le même Mad Mars, un collectif qui associations plus anciennes scan­ seille, et l’ancienne ministre avait cruté sa société civile sur CV et en a
choix du Printemps marseillais, accueille ceux qui ne supportent dent des slogans huilés par leurs fait des députés paumés, estime
GAUDIN N’AURAIT dont elle a accompagné la genèse. plus la gestion municipale de mois de manifs (« Nous sommes Olivier Faure. Pour nous, la société
Conséquence : son parti la sus­ M. Gaudin et la fracture sociale qui tous des enfants de Marseille ! »). civile, ce sont des personnes qui se
RECONNU MICHÈLE pend. Et ne consent à réintégrer la défigure Marseille. En quelques Sous le soleil brûlant, fidèles au LES AUTRES PILIERS forgent sur des combats, comme à
candidate que fin mai, lorsque le mois, Mad Mars et ses réunions de poste malgré un conseil munici­ S’AFFICHENT SUR LES Marseille. Depuis une semaine, je
RUBIROLA DANS LA RUE. Printemps marseillais fusionne militants façon Tupperware de­ pal qui s’éternise, ils hissent haut reçois des messages de personnes
IL NE LUI AVAIT PAS ses listes avec celles d’EELV (8,10 % viennent une vraie « machine de les banderoles et agitent leurs PHOTOS DE LA VICTOIRE : que je croyais disparues, chez qui le
sur l’ensemble de la ville). guerre », siffle, époustouflé, un an­ porte­clés en criant : « On a gagné, vote à gauche était devenu à leurs
ADRESSÉ LA PAROLE Pour le Parti socialiste, l’histoire cien cadre du PS marseillais, Jean­ on veut les clés ! » BENOÎT PAYAN ET yeux un vote inutile. Pour la
est un peu différente. Dès son arri­ Pierre Cochet, entré au Printemps En passant devant eux, Sophie première fois depuis 2017, un espoir
AVANT DE LA RECEVOIR vée à la tête du PS, le premier marseillais. Martine Vassal (Les Camard leur adresse un signe de la
OLIVIA FORTIN N’ONT PAS renaît à gauche », veut croire le nu­
DANS SON BUREAU, secrétaire, Olivier Faure, avait Républicains, LR) vient d’ailleurs main. Elle a le visage fatigué. Signe QUITTÉ LA CANDIDATE méro un du PS. 
choisi de prendre ses distances de l’expérimenter à ses dépens le de confiance, elle a été associée ariane chemin
DEUX JOURS PLUS TÔT avec les caciques de la fédération 28 juin : Olivia Fortin lui a raflé son aux dernières négociations avec la OU PRESQUE et gilles rof
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MARDI 7 JUILLET 2020 france | 9

Michèle Rubirola, une écologiste à la mairie

La candidate du Printemps marseillais a fait basculer une ville tenue depuis vingt­cinq ans par la droite

REPORTAGE « L’ACCORD ENTRE GHALI

dans leur dos… Nous vous laissons
entre vous », tonne le leader du
marseille ­ correspondant
ET LE PRINTEMPS A ÉTÉ Rassemblement national, dépos­
Rubirola peu habituée à ce genre
de joutes. « Il faut garder ses nerfs »,
souffle, le temps d’une cigarette,
plus que ce que nous avions pro­
posé jeudi dernier », explique l’un
des émissaires du Printemps
l’ensemble de la ville au premier
tour, la sénatrice tire finalement
son épingle du jeu. Pour la pre­

T u te rends compte, demain,

on va se réveiller dans une
ville de gauche. » Tard dans
la nuit, samedi 4 juillet, les sup­
porteurs du Printemps mar­
seillais (PM) planent encore très
haut. Sur les terrasses du quartier
alternatif de La Plaine, sur les rives
du Vieux­Port, du côté des bars du
Panier, l’élection de l’écologiste
Michèle Rubirola, première
femme à devenir maire de Mar­
seille, fait flotter un air de fête.
« Ma fille a 20 ans, elle n’a encore
connu que [Jean­Claude] Gau­
din… », s’aperçoit Marie, quinqua­
génaire qui porte, au revers de sa
veste, le soleil vert, symbole de
l’union à gauche qui vient de rem­
porter Marseille.
Quelques heures plus tôt, dans le
huis clos tendu d’un conseil muni­
cipal interminable, Michèle Rubi­
rola a franchi la barre fatidique des
51 voix. Le ralliement âprement
négocié de la sénatrice Samia
Ghali (ex­Parti socialiste, PS) offre
au PM la majorité absolue, et à sa
chef de file l’écharpe de maire. Guy
Teissier, le candidat Les Républi­
cains (LR) après le désistement de
Martine Vassal, a récupéré les
deux bulletins du dissident Bruno
Gilles, de retour au bercail. Mais il
plafonne à 41 voix. Mme Rubirola
traverse l’hémicycle, remonte
jusqu’à la place qu’occupe Samia
Ghali. Elle enlace sa cadette, l’em­
brasse. Marseille bascule à gauche
et élit, pour la première fois, une
femme à sa tête.
Fin du « clanisme »
A l’extérieur du conseil municipal,
plusieurs milliers de citoyens,
dont certains sont arrivés dès le
début de la matinée, sont regrou­
pés. A ce moment de la journée, les
téléphones portables, utilisés
pour suivre le vote, sont presque
tous à court de batterie. Alors,
ceux qui peuvent encore écouter
en direct le premier discours de la
nouvelle maire le répètent aux
autres. A haute voix, phrase après
phrase, dans un silence ému.
Michèle Rubirola s’adresse aux
« gens de peu qui vivent avec moins
de 950 euros par mois », « à tous
ceux qui souffrent de la misère et de
la pauvreté, fléaux de notre ville »,
et s’engage à ne pas les abandon­
ner. Elle promet de mettre fin « au
clanisme, au népotisme et au clien­
télisme ». Elle parle aussi « aux en­
fants d’immigrés de plusieurs
générations, qui peuvent parfois se
sentir à la marge », leur dit que
Marseille a besoin d’eux. Enfin,
elle s’adresse au personnel muni­
cipal et lui propose « un nouvel
élan dans les politiques publiques ».
« Des mots comme cela, je n’en
avais jamais entendu dans ce con­
seil », sourit, radieuse, Sophie Ca­
mard, qui a conquis le 1er secteur
pour le Printemps marseillais.
Les municipales ont été incertai­
nes jusqu’au bout. Et la délivrance
est proportionnelle à la tension
générée tout au long de la se­
maine. Depuis dimanche 28 juin,
les électeurs du Printemps mar­
seillais passent par tous les états.
Ils exultent devant la large victoire
au second tour de leur candidate
(38,28 % des scrutins et plus de
13 000 voix d’avance sur Mar­
tine Vassal) puis déchantent
quand ils comprennent que les
méandres de la loi Paris, Lyon,
Marseille la privent de la majorité
absolue en sièges. Ils guettent jour
après jour les avancées des pour­
parlers avec la sénatrice Ghali
(ex­PS), qui, avec ses neuf élus dans
le 8e secteur, tient entre ses mains
SCELLÉ PENDANT QUE,
NOUS, ON ÉTAIT EN TRAIN
sédé, dimanche 28 juin, de sa
mairie du 7e secteur par LR.
Avec ses deux premiers événe­
ments de la journée, la future vic­
toire de la gauche se dessine. Elle
Benoît Payan, le jeune élu PS qui
est l’un des concepteurs du Prin­
temps marseillais. Dans les cou­
loirs, on évoque la possibilité
d’une démission globale des élus
marseillais, peu après la victoire.
« Nous savions que le Printemps
ne céderait pas le poste de premier
adjoint qui était réservé à Benoît
Payan, reconnaît de son côté
mière fois de sa longue carrière
politique, elle va vivre un mandat
municipal dans la majorité, en
bonne place dans la nouvelle
coalition. Deuxième adjointe de
DE MANGER UNE PIZZA » se finalise entre le premier et le se­ PM en cas de victoire de Guy Franck Dumontel, mari et con­ Michèle Rubirola, elle décroche
LIONEL ROYER-PERREAUT cond tour. La droite, qui n’a plus Teissier. « Si on se fait voler, on blo­ seiller politique de Samia Ghali. quatre délégations pour ses colis­
maire LR du 5e secteur grand­chose à négocier, reste dans que tout », explique­t­on. Yves C’était un levier de négociations. » tiers et, affirme­t­elle, « la garantie
cet hémicycle qu’elle avait l’habi­ Moraine, ex­président du groupe « Vous avez vraiment cru qu’on qu’on s’occupera désormais des
tude de dominer. Le Printemps LR, prophétise : « Ghali va négocier. allait voter pour la droite et populations des quartiers nord »,
l’élection du maire de Marseille. marseillais et l’équipe de Samia Si elle va toute seule au troisième Teissier ? », fait mine de s’offenser dont elle se veut la porte­voix. Des
Certains cèdent à la panique Ghali trouvent une salle pour re­ tour, elle n’aura rien. » Sébastien Jibrayel, colistier de quartiers nord où, à la différence
quand la droite, qui a changé de prendre leur dialogue. Dehors, les La suite lui donne raison. Alors Samia Ghali et fils de l’ex­député du centre­ville, la greffe Prin­
leader, distille des rumeurs d’ac­ militants jouent leur rôle de dou­ que Michèle Rubirola arpente les PS Henri Jibrayel. temps marseillais n’a pas vérita­
cord avec le camp Ghali. zième homme et offrent un bain couloirs, la situation se débloque. Partie en solo dans ces munici­ blement pris. 
Alors, samedi 4 juillet, image iné­ de foule régénérant à une Michèle « Nous n’avons rien accordé de pales, créditée de 6 % des voix sur gilles rof
dite, les militants sont arrivés tôt
sur le Vieux­Port, devant l’hôtel de
ville. Par les réseaux sociaux, ils
savent que les négociations avec
Mme Ghali sont bloquées. La séna­
trice des quartiers nord demande
un poste de première adjointe
« pour que les quartiers populaires
soient reconnus à leur juste
place dans les actes ». Le PM, qui af­
firme vouloir travailler avec elle,
n’offre que quatre délégations et la
présidence de l’établissement pu­
blic Euroméditerranée, chargé de
réaménager une partie de la ville.
« Ne nous laissons pas voler notre
vote », harangue Alain Barlatier,
directeur de campagne de l’« in­
soumise » Sophie Camard.
Quand Michèle Rubirola et ses
sept têtes de liste déboulent, bras
dessus, bras dessous, formant un
front uni, leurs centaines de mili­
tants scandent « Démocratie à
Marseille ! », « Michèle à la mairie ! »
Le cortège du Printemps pro­
gresse triomphalement jusqu’à
l’entrée du conseil municipal,
bunker enterré à l’abri des regards.
Martine Vassal, la chef de file LR
qui a perdu son secteur, s’est faufi­
lée avec ses collaborateurs. Samia
Ghali et Guy Teissier, eux, entrent
par des accès souterrains. La délé­
gation Rassemblement national
(RN) et Sabine Bernasconi, l’ex­
maire LR du 1er secteur où s’est dé­
roulée la catastrophe de la rue
d’Aubagne, affrontent, eux, crâne­
ment les huées.
La campagne a été riche en coups
de théâtre ; l’élection du maire sera
rocambolesque. Première sur­
prise, le député Guy Teissier cède
sa place de président pour éviter
toute interférence avec son statut
de candidat : « Même si la loi ne
l’impose pas », précise­t­il. Mar­
guerite Pasquini, 69 ans, entre
alors en scène. En confiant le pilo­
tage de la séance à cette colistière
de Samia Ghali, LR rend la séna­
trice maître des horloges. Un atout
que cette dernière ne manquera
pas d’utiliser en demandant une
«pause déjeuner » de plus d’une
heure pour lui permettre de finali­
ser ses négociations avec le Prin­
temps marseillais.
« Il faut garder ses nerfs »
« Je n’aurais pas présidé de la
même manière, mais je ne pouvais
pas savoir », reconnaît Guy Teis­
sier à l’heure de son échec. « L’ac­
cord entre Ghali et le Printemps a
été scellé pendant que nous, on
était en train de manger une
pizza », persifle Lionel Royer­Per­
reaut, maire LR du 5e secteur.
Entre­temps, le sénateur RN
Stéphane Ravier a quitté l’hémicy­
cle avec ses neuf élus et fait ainsi
disparaître l’hypothèse d’une
alliance avec Les Républicains.
« Nous ne participerons pas au
vote. Nous laissons les ma­
gouilleurs, les marchands de tapis,
ceux qui confisquent la voix des
Marseillais et ont passé des jours et
des nuits à se promettre des postes
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10 | france MARDI 7 JUILLET 2020

Castex, un
« anti­Philippe »
pour la majorité
Le nouveau premier ministre devait
recevoir les parlementaires dès
l’annonce du gouvernement, lundi

P
iloter la fin du déconfi­ gouvernemental, le nouveau pre­ Le premier
nement, amortir la crise mier ministre devait recevoir à ministre,
économique qui frappe Matignon, lundi 6 juillet au soir, Jean Castex,
le pays, relancer les né­ l’ensemble des parlementaires de lors d’une
gociations avec les syndicats sur la majorité. Un symbole fort, des­ rencontre avec
la réforme des retraites… Les tiné à illustrer sa volonté de jouer des policiers,
chantiers délicats ne manquent collectif, en se coordonnant avec à La Courneuve
pas sur le bureau du nouveau les membres du parti présidentiel, (Seine­Saint­
premier ministre, Jean Castex. Un du MoDem, d’Agir… « Ça montre Denis),
agenda d’autant plus chargé que que le nouveau premier ministre le 5 juillet.
celui qui se pose comme un veut jouer pleinement son rôle THOMAS COEX/AFP
homme de « dialogue » et un d’animateur de la majorité », se ré­
partisan du rassemblement, aura jouit un poids lourd du groupe
une tâche moins visible à mener, LRM de l’Assemblée. Dans l’entourage du président, partenaires du MoDem ou d’Agir rassurer l’aile gauche de la majo­
mais cruciale : l’animation de la Une attitude logique aux yeux on réfute pourtant avoir fait de ce
Pour donner de l’autre », observe un haut gradé rité, qui se méfie de ce nouveau
majorité présidentielle. de M. Castex. « Celui qui accepte de rôle de chef de la majorité une con­ des gages aux macroniste. « Les petits déjeuners transfuge du parti Les Républi­
Contrairement à son prédéces­ devenir premier ministre est, par dition sine qua non pour obtenir de la majorité, c’étaient des réu­ cains (LR). « Ne pas adhérer à LRM
seur, qui rechignait à s’en occu­ vocation, le chef de la majorité : Matignon. « Cela fait naturelle­
macronistes, nions techniques, jamais Edouard a été le péché originel d’Edouard
per, le locataire de Matignon as­ c’est son devoir de l’animer et de ment partie de la feuille de route du Jean Castex Philippe n’y a fait de politique », Philippe et sa plus grosse erreur,
sume totalement sa casquette de l’associer, dans l’écoute et la péda­ premier ministre, et le président n’a critique un cadre du groupe. juge un pilier du groupe de l’As­
patron de la majorité. « Le plus gogie », juge­t­il. Un « devoir » qui pas particulièrement insisté là­des­
a rendu sa carte Edouard Philippe, qui vient de semblée nationale. Son refus de
important, c’est ma relation avec découle directement des princi­ sus », assure un conseiller élyséen. de LR dès reprendre les rênes de la ville devenir “marcheur” laissait pros­
la majorité parlementaire », a dé­ pes de la Ve République. « Dans Néanmoins, M. Castex « devra du Havre (Seine­Maritime), sem­ pérer l’idée qu’En marche n’était
claré M. Castex dans un entretien nos institutions, le chef de l’Etat composer avec la diversité de la
sa nomination ble d’ailleurs toujours rétif à l’ani­ qu’un accident, et qu’il pourrait re­
au Journal du dimanche (JDD), fixe le cap, le premier ministre as­ majorité », ajoute cette source, mation partisane. Alors que l’Ely­ joindre son camp d’origine du jour
publié le 5 juillet. Il joint les paro­ sure sa mise en œuvre, en accord alors que M. Macron entend pour­ sée a révélé, vendredi 3 juillet, que au lendemain. » Pour donner des
les aux actes : immédiatement avec la majorité parlementaire », suivre son travail de fracturation à ensemble, composé de dix­sept M. Macron avait chargé l’ex­pre­ gages aux macronistes, Jean Cas­
après sa nomination, ses pre­ souligne le nouveau chef du gou­ droite mais aussi à gauche. députés de centre droit. Réguliè­ mier ministre de travailler à tex, qui fut le collaborateur de
miers appels ont été pour le délé­ vernement, qui prononcera sa Selon nos informations, Jean­ rement, les députés macronistes « consolider » la majorité dans Nicolas Sarkozy et de Xavier
gué général de La République en déclaration de politique générale Louis Borloo a été sondé pour une se plaignaient d’ailleurs de l’inac­ l’optique de la présidentielle, Bertrand, a rendu sa carte de LR
marche (LRM), Stanislas Guerini, « quelques jours » après une « ex­ entrée au gouvernement, ainsi tivité de M. Philippe. « On est très l’intéressé ne semble pas partant dès sa nomination à Matignon.
le chef de file des députés macro­ pression » d’Emmanuel Macron, que le socialiste Claude Bartolone. seuls alors que, sous la Ve Républi­ pour mener à bien cette mission. Reste à voir si le nouveau chef
nistes, Gilles Le Gendre, celui du prévue le 14 juillet. Dimanche Valérie Rabault, la présidente du que, le responsable de la majorité, Il a interdit à ses proches d’en par­ de la majorité, qui n’a jamais été
groupe MoDem, Patrick Mignola, soir, M. Castex a rendu une visite groupe PS de l’Assemblée, a af­ c’est Matignon ! », s’agaçait encore ler et leur a seulement indiqué parlementaire ou ministre, par­
ainsi que pour le président (LRM) surprise à des policiers de La firmé, dimanche sur Radio J, avoir un pilier du groupe LRM peu qu’il réservait sa réponse. « Il va viendra à la dompter facilement.
de l’Assemblée nationale, Ri­ Courneuve, en Seine­Saint­Denis, refusé d’entrer au gouvernement avant le départ de l’ex­juppéiste. d’abord s’occuper de sa ville puis « Castex est un homme de tempé­
chard Ferrand. pour soutenir les forces de l’ordre après avoir été contactée, et Ségo­ Pendant trois ans, l’ancien chef prendre des vacances bien méri­ rament. Si vous le mettez au milieu
Mieux, quelques heures à peine et souligner l’importance pour lui lène Royal affirme aussi avoir du gouvernement avait pris pour tées en famille », précise un de ses de l’Hémicycle sous les balles de
après l’annonce du remaniement de « la sécurité publique ». reçu un message. habitude de réunir le petit déjeu­ ex­conseillers à Matignon, rappe­ l’opposition, il saura tenir »,
Seule certitude, les propos de ner de la majorité à Matignon, lant qu’il s’agit d’une « demande veut­on croire à l’Elysée. La tâche
Jean Castex tranchent avec la con­ chaque mardi matin, et d’assister du président » et non d’une offre n’aura pourtant rien d’une siné­
Emmanuel Macron s’exprimera le 14 juillet ception que se faisait Edouard parfois aux réunions des députés de services de M. Philippe. cure, affirment plusieurs députés
Philippe de la fonction de chef de LRM, quand il avait un message à LRM. « La déroute aux municipa­
Le chef de l’Etat tente de reprendre la main après la déroute des la majorité, qui incombe constitu­ faire passer. Pas suffisant, selon Nouveau transfuge de LR les a montré que les responsables
municipales, avec l’annonce attendue du nouveau gouverne- tionnellement au premier minis­ certains fidèles du chef de l’Etat, Des préventions que n’a évidem­ de la majorité n’avaient pas néces­
ment, lundi, puis une prise de parole le 14 juillet. M. Macron s’ex- tre. « Il n’y a aucune volonté de Ma­ alors que le parti présidentiel a ment pas Jean Castex. A l’inverse sairement la science infuse. Les
primera le jour de la fête nationale, « probablement dans le cadre tignon de s’immiscer dans la vie de subi un revers aux municipales et de son prédécesseur, le nouveau parlementaires n’obéiront plus le
d’un entretien à la télévision », a indiqué son entourage, renouant la majorité. (…) La composition des que le groupe macroniste de l’As­ premier ministre n’a pas exprimé doigt sur la couture du pantalon,
avec une tradition présidentielle qu’il avait lui-même supprimée. groupes parlementaires, je m’en semblée a été quitté par une quin­ d’hostilité à adhérer à LRM. « Je comme au début du quinquen­
Le président compte préciser les grandes lignes de sa politique, cogne ! », avait encore affirmé l’an­ zaine de ses membres ces derniè­ suis peu attaché aux affaires des nat », met en garde l’un d’eux. Gé­
à deux ans de la présidentielle de 2022. De son côté, Jean Castex cien directeur général des servi­ res semaines, ce qui lui a fait per­ partis, mais il me semble naturel rer un mécontentement dans ses
fera sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée ces de l’UMP le 26 mai, lors d’une dre la majorité absolue. « Piloter la de m’inscrire sans ambiguïté dans propres rangs, il ne manque que
nationale, quelques jours après la prise de parole présidentielle. réunion du groupe à l’Assemblée, majorité nécessite de passer du le mouvement majoritaire qui sou­ cela à l’agenda déjà chargé du
« Cela donne un peu de temps en plus au premier ministre pour afin de démentir son implication temps, afin d’assurer une relation tient l’action du président », a­t­il nouveau premier ministre. 
boucler le Ségur de la santé et reprendre la réforme des retraites, dans la naissance d’un nouveau fluide entre [elle] et l’exécutif d’un déclaré dans Le JDD. Un signe de alexandre lemarié
dont il doit boucler rapidement la copie », justifie-t-on à l’Elysée. groupe au Palais­Bourbon, Agir côté, entre le groupe LRM et nos bonne volonté et un moyen de et cédric pietralunga

Mis en échec aux municipales, LFI table déjà sur 2022 MUNIC IPALE S
Aubry réélue maire
de Lille, ses opposants
déposent un recours
La stratégie de soutien aux listes d’initiative citoyenne est un pari raté pour le mouvement de Jean­Luc Mélenchon Vendredi 3 juillet au soir,
Martine Aubry a été élue
maire avec les 43 voix de sa
liste sur les 61 élus du conseil

A vons­nous labouré la mer

et semé le vent ? » La sim­
ple interrogation posée
par Jean­Luc Mélenchon, lors de
son allocution de clôture de
l’assemblée représentative de
La France insoumise (LFI), diman­
che 5 juillet, dit tout du malaise
que traversent en ce moment les
« insoumis ». En reprenant une ci­
tation de Simon Bolivar, figure du
mouvement de libération de
l’Amérique latine, le leader de LFI
a répondu par la négative en leur
donnant rendez­vous à la fin
août. C’est à ce moment­là, lors de
leur université d’été, qu’il annon­
cera officiellement sa candida­
ture. Une décision qui ne fait plus
guère de doute mais que le député
des Bouches­du­Rhône a fixée
comme horizon pour mieux faire
oublier l’échec de son mouve­
ment aux municipales.
Avec des listes pour la plupart
éliminées au premier tour et une
place minorée dans les quelques
listes d’union où ils étaient pré­
sents, les « insoumis » ont en effet
raté leur pari municipal. Leur
stratégie de soutien aux listes
d’initiative citoyenne, sans que
leur logo n’apparaisse, les a ren­
dus invisibles. Et depuis, simple
force d’appoint dans certaines
configurations de second tour, ils
assistent à la percée des écologis­
tes et à la bonne résistance du
Parti socialiste. « Nous avons fait
un pari qui n’a pas fonctionné », a
reconnu d’emblée l’ancien candi­
dat à l’élection présidentielle de
2017. « Notre politique reposait sur
une remobilisation populaire, cela
n’a pas rencontré le succès qu’on
espérait », a encore euphémisé
M. Mélenchon.
Ses lieutenants le répètent de­
puis quelques jours : l’échec de la
stratégie de faire émerger des lis­
tes citoyennes serait le mur de
l’abstention, en particulier dans
les quartiers populaires. « Quand
il y a des taux de participation si
faibles des ouvriers et des jeunes,
cela ne pouvait pas marcher. Nous
avons été en partie invisibilisés et il
va falloir apparaître comme LFI
lors des prochaines échéances »,
reconnaît Eric Coquerel, député
de Seine­Saint­Denis.
Son alter ego Alexis Corbière,
lui, minimise l’impact de cette
contre­performance : « On n’a rien
perdu là­dedans car les municipa­
les sont une élection à part. Avec
notre implantation dans les mou­
vements sociaux et notre présence
parlementaire, on reste une com­
posante majeure du paysage poli­
tique. » La répétition du mantra,
encore martelé devant les mili­
tants en visioconférence diman­
che, n’a qu’un objectif : enjamber
ce mauvais moment à passer.
D’autant qu’il fait suite à un score
aux élections européennes qui
avait été lui aussi un échec (6,3 %).
Pour les dirigeants du mouve­
ment, il faut désormais mettre le
cap sur 2022. Ils ont pour cela un
programme, L’avenir en com­
mun, et un candidat sur la ligne
de départ, Jean­Luc Mélenchon.
La période qui vient, avec la
volonté du pouvoir de mettre en
œuvre la réforme des retraites, va
connaître de nouvelles mobilisa­
tions sociales, croient­ils. « Ce
sera le terrain de l’élection prési­
dentielle et Mélenchon a un coup
à jouer. Ceux qui se pensent les
grands vainqueurs de cette sé­
quence n’ont pas la réponse. Alors
on va tracer notre route », assène
M. Corbière. Sous­entendu, sans
se préoccuper des tentatives de
rapprochement entre socialistes
et écologistes.
« J’ai une décision à prendre… »
Jean­Luc Mélenchon a d’ailleurs
rappelé son hostilité à tout scéna­
rio d’union. « La clé du succès, c’est
la clarté, l’intransigeance sur les
idées. Il ne peut être question d’un
plus petit dénominateur commun
pour ne pas traiter des problè­
mes », a­t­il lancé devant les
quelque 1 000 militants connec­
tés. Lui préfère cogner sur Emma­
nuel Macron « le libéral », qui a été
« incapable de gérer le confine­
ment puis le déconfinement » et
qui maintenant « a déclenché la
guerre sociale ».
Pour éveiller la curiosité sur ses
intentions, le chef de file de LFI a
fait mine d’hésiter encore. « J’ai
une décision à prendre… », a­
t­il glissé. Avant de donner ren­
dez­vous à Valence le 21 août pour
une annonce « qui méritera le
déplacement ».
D’ici là, il escompte que ses nou­
veaux ennuis judiciaires – le par­
quet de Paris a ouvert une en­
quête préliminaire pour « abus de
bien social » – seront oubliés.
« Mélenchon espère reprendre la
main car il n’avait rien à dire di­
manche. Il était sûr depuis la prési­
dentielle d’avoir le Graal de l’hégé­
monie, il l’a perdu », pronostique
le premier secrétaire du PS, Oli­
vier Faure, qui tente de parvenir à
une candidature commune du
« bloc social­écolo ». La bataille des
deux gauches se poursuit. 
sylvia zappi
municipal. Un peu plus tôt
dans la journée, Violette
Spillebout, candidate La
République en marche, arri­
vée en troisième position lors
du second tour des élections
municipales, a déposé au
tribunal administratif de Lille
une « protestation électorale »
visant à l’annulation des élec­
tions. A 17 h 50, c’était au tour
du candidat Europe Ecologie­
Les Verts, Stéphane Baly, de
déposer lui aussi un recours.
Dans les deux cas, une vo­
lonté de dénoncer des irrégu­
larités constatées pendant
la campagne et pendant
les opérations de vote.
Martine Aubry l’a emporté
avec 15 389 voix, contre
15 162 pour Stéphane Baly. De
quoi alimenter les soupçons
déjà présents au cours de la
campagne. C’est désormais
à un juge du tribunal admi­
nistratif de Lille d’en décider
dans les prochains mois.
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
Les parlementaires face au non­cumul des mandats
Quelque 166 députés ont été élus sur des listes municipales. Sept législatives partielles sont à prévoir à la rentrée
ENQUÊTE
L
a loi du 14 février 2014 a
mis fin au cumul de man­
dat de parlementaire avec
les fonctions de maire,
maire délégué ou adjoint. En cas
de situation de cumul, le parle­
mentaire doit démissionner, dans
les trente jours, du mandat qu’il
détenait préalablement. Le dé­
puté ou le sénateur élu maire qui
démissionne dans le délai des
trente jours est remplacé par son
suppléant, sans que cela donne
lieu à une législative, ce qui ne sera
pas le cas s’il ne respecte pas ce dé­
lai et est démissionné d’office.
Une subtilité non négligeable.
A la veille des municipales des
15 mars et 28 juin, l’Assemblée na­
tionale comptait 229 députés dé­
tenant également un mandat de
conseiller municipal, selon le dé­
compte effectué par le directeur de
l’Observatoire de la vie politique et
parlementaire, Denys Pouillard. Si
271 députés, soit 47 % de l’Hémicy­
cle, figuraient sur une liste
aux élections municipales, seuls
166 – 105 au premier tour et 61 au
second – ont retrouvé un mandat
municipal. Sur ce total, 28 députés
ont été élus ou réélus à la tête
d’une liste. Tous n’ont pas fait le
même choix, compte tenu de l’in­
compatibilité de cumuler un man­
dat parlementaire et une fonction
exécutive locale.
Il y a d’abord ceux qui, élus tête
de liste, ont cédé l’écharpe de
maire à un ou une de leurs colis­
tiers. Selon notre décompte, en
collaboration avec l’Observatoire
de la vie politique et parlemen­
taire, sept députés ont fait ce
choix. C’est le cas de Julien Dive
(LR), élu à Itancourt (Aisne) ; de Mi­
chèle Tabarot (LR), élue au Cannet
(Alpes­Maritimes) ; de Sébastien
Leclerc (LR) à Lisieux (Calvados) ;
d’Olivier Marleix (LR) à Anet (Eure­
et­Loir) ; de Philippe Vigier (Liber­
tés et Territoires), à Cloyes­les­
Trois­Rivières (Eure­et­Loir) ; de
Stéphane Demilly (UDI) à Albert
(Somme) ; d’Emmanuel Maquet
(LR) à Mers­les­Bains (Somme).
Porte de sortie
Deuxième cas de figure « sim­
ple », les députés élus maires qui
abandonnent leur mandat de dé­
puté au profit de leur suppléant.
Ainsi en va­t­il de Laurent Garcia
(MoDem), élu à Laxou (Meurthe­
et­Moselle), avec 33 voix d’avance
sur son ancienne première ad­
jointe, Laurence Wieser, à qui il
avait laissé son fauteuil de maire
en 2017 lorsqu’il avait été élu dé­
puté. Echaudé, il devrait donc cé­
Les collectivités territoriales étaient en bonne santé avant la crise
Dans son rapport annuel sur les finances locales, la Cour des comptes constate que 39 milliards d’euros d’épargne brute ont été dégagés en 2019
D erniers budgets de croi­
sière avant la crise ! Le
8e rapport de la Cour des
comptes sur les finances locales
publié lundi 6 juillet, qui porte
sur la situation financière des col­
lectivités territoriales en 2019,
témoigne de la santé de ces collec­
tivités avant que le Covid­19 ne
s’abatte sur elles et leurs finances.
Le fait est que, depuis 2017, elles
avaient reconstitué leur épargne
et ainsi pu aborder l’année 2020
et la crise sanitaire en bien
meilleure situation que l’Etat.
En 2019, les collectivités territo­
riales ont dégagé une épargne
brute de 39 milliards d’euros, en
augmentation de 8,8 % par rap­
port à 2018, sur un total de
225 milliards d’euros de ressour­
ces de fonctionnement. Cet ac­
croissement de l’épargne a per­
mis de financer une importante
augmentation des dépenses
Francis
Vercamer,
nouveau
maire de
Hem (Nord),
lors de
l’installation
du conseil
municipal,
le 23 mai.
PHILIPPE PAUCHET/
MAXPPP
der son siège à l’Assemblée natio­
nale à sa suppléante, Pascale Cé­
sar, elle­même conseillère muni­
cipale à Heillecourt.
Francis Vercamer (UDI), député
de la 7e circonscription du Nord de­
puis 2002 et maire de Hem pen­
dant près de vingt ans, de 1998 à
2017, a choisi, après sa réélection
dès le premier tour à Hem, le
15 mars, de retrouver le mandat de
maire qu’il avait abandonné
en 2017 pour cause de cumul. Sa
suppléante, Valérie Six, va lui suc­
céder à l’Assemblée nationale.
Joaquim Pueyo (PS), élu à Alen­
çon (Orne), a abandonné son siège
de député au profit de Chantal
Jourdan, ancienne maire de
Champsecret. Daniel Fasquelle
(LR), député de la 4e circonscrip­
tion du Pas­de­Calais, a senti le
vent du boulet lors du second tour
des élections municipales au Tou­
quet ­ Paris­Plage, cité balnéaire
huppée où le couple Macron a ses
habitudes et où il se représentait
pour éviter que la commune ne
tombe entre les mains de la majo­
rité présidentielle. L’ancien maire,
de 2008 à 2017, a été réélu avec 51 %
des suffrages. Le trésorier de LR a,
cette fois, décidé de privilégier son
fauteuil de maire et de laisser son
siège de député à son suppléant,
Thierry Robert.
d’investissement, de l’ordre de
7,1 milliards d’euros en 2019 par
rapport à 2018 (+ 12,3 %), sans
accroître de façon significative
l’encours de dette des collectivi­
tés, dans leur ensemble, dont
l’évolution est restée limitée à
0,2 %. Depuis 2013, cet encours a
cependant progressé de 9,6 %.
L’amélioration de l’épargne
brute des collectivités territoria­
les en 2019 résulte de plusieurs
facteurs : le dynamisme de leurs
recettes fiscales, une légère pro­
gression des transferts de l’Etat et
une relative maîtrise de leurs
dépenses de fonctionnement.
Ainsi, en 2019, le produit de la fis­
calité locale perçue par les collec­
tivités s’est accru de 4,5 milliards
d’euros pour atteindre 150,1 mil­
liards. Cette hausse est due en
grande partie à la revalorisation
forfaitaire des bases imposables
votée en loi de finances.
Vingt-huit
députés ont été
élus ou réélus à
la tête d’une liste
ayant remporté
une municipale
Les deux députés du Rassem­
blement national (RN), élus mai­
res, ont également fait le choix
du mandat local : Louis Aliot, élu
à Perpignan, laisse son siège de
député à sa suppléante, Cathe­
rine Pujol ; Ludovic Pajot, élu à
Bruay­la­Buissière (Pas­de­Ca­
lais), est suppléé à l’Assemblée
par Myriam Houplin.
Laurent Furst (LR), élu maire de
Molsheim (Bas­Rhin), est sup­
pléé par Philippe Meyer. Patrice
Verchère (LR), élu maire de Cours
(Rhône), laisse son siège à Natha­
lie Serre. Il en va de même pour
Valérie Lacroute (LR), à Nemours
(Seine­et­Marne), au profit de
Sylvie Bouchet­Bellecourt ; pour
Jean­Louis Masson (LR), élu à La
Garde (Var), suppléé à l’Assem­
blée nationale par Edith Audi­
bert ; pour Franck Marlin (LR),
élu maire d’Etampes (Essonne),
qui laisse son fauteuil de député
Les autres composantes de la
fiscalité locale ont également
progressé. C’est notamment le
cas de la fiscalité économique, qui
a progressé de 1,3 milliard d’euros
ou de la fiscalité transférée, en
hausse de 1,5 milliard. Au total,
depuis 2017, dernière année de
baisse des dotations de l’Etat, les
recettes des collectivités ont aug­
menté de 9,8 milliards d’euros
sur 2018 et 2019, soit l’équivalent
de la baisse de la dotation globale
de fonctionnement intervenue
entre 2014 et 2017.
« Complexification croissante »
Ce contexte globalement favora­
ble cache cependant des situa­
tions contrastées entre les diffé­
rentes strates de collectivités et au
sein de chacune d’entre elles. En ce
qui concerne le bloc communal, la
Cour observe une légère progres­
sion des dépenses des commu­
à Bernard Bouley ; ou pour Ericka
Bareigts (PS), l’ancienne ministre
des outre­mer, élue à Saint­Denis
(La Réunion), qui laisse son
siège de députée à son sup­
pléant, Philippe Naillet.
Viennent ensuite les situations
plus compliquées. Gilles Lurton
(LR) a été élu maire de Saint­Malo.
Problème : son suppléant, Jean­
Luc Bourgeaux, réélu maire de
Cherrueix, est lui aussi sous le
coup d’une incompatibilité. Il n’a
pas encore fait savoir, à ce jour, s’il
prendrait ou non la succession de
M. Lurton à l’Assemblée nationale.
Le président de LR, Christian Jacob,
et la présidente de la fédération LR
d’Ille­et­Vilaine, Isabelle Le Callen­
nec, l’ont fortement encouragé à
accepter de prendre la succession
de Gilles Lurton à l’Assemblée na­
tionale, bien que lui­même ne soit
pas encarté à LR. S’il préférait con­
server son mandat de maire, une
élection législative partielle de­
vrait être convoquée dans la 7e cir­
conscription d’Ille­et­Vilaine.
Jean­Charles Taugourdeau (LR) a
été élu à Beaufort­en­Anjou (Mai­
ne­et­Loire). Vendredi 3 juillet, il a
retrouvé son fauteuil de maire
mais sa suppléante, Elisabeth Mar­
quet, elle­même réélue maire de
Jarzé­Villages, n’a pas l’intention
de quitter son mandat municipal.
nes : + 0,7 %, soit + 450 millions
d’euros. Celles des intercommu­
nalités, en revanche, ont crû de
3,2 %, soit 1,2 milliard d’euros, dont
614 millions au titre de leurs bud­
gets principaux (+ 2,4 %) et
798 millions au titre de leurs bud­
gets annexes (+ 7,3 %). Les départe­
ments, quant à eux, ont connu
en 2019 une situation favorable
grâce aux droits de mutation à ti­
tre onéreux, les « frais de notaire ».
Mais cette croissance est surtout
marquée en Ile­de­France et dans
les départements côtiers : 60 % de
ces droits sont captés par les dé­
partements de plus d’un million
d’habitants et les outils de péré­
quation ne permettent pas de ré­
sorber les inégalités de répartition
des ressources.
Quant aux régions, l’année 2019
a été très favorable pour les res­
sources tirées de la cotisation sur
la valeur ajoutée des entreprises,
« Je ne quitterai pas mes responsa­
bilités ici, je n’abandonnerai pas
mes administrés. C’est clair, je n’irai
pas à l’Assemblée nationale », dé­
clare­t­elle à Ouest­France. Par
conséquent : législative partielle à
prévoir dans la 3e circonscription
de Maine­et­Loire.
Incompatibilité
Eric Straumann (LR) a été élu au
second tour maire de Colmar
(Haut­Rhin) mais sa suppléante,
Brigitte Klinkert, est également
présidente du conseil départe­
mental du Haut­Rhin et il est peu
probable qu’elle abandonne ce
mandat. Législative partielle à an­
ticiper, donc, dans la 1re circons­
cription du Haut­Rhin. De même
que pour Christophe Bouillon
(PS), élu au premier tour maire de
Barentin (Seine­Maritime). Le pré­
sident de l’Association des petites
villes de France entend conserver
son mandat municipal mais son
suppléant, Bastien Coriton, maire
de Rives­en­Seine, a démissionné
de ses nouvelles fonctions pour se
consacrer à ses mandats locaux,
ce qui entraînera une législative
partielle dans la 5e circonscription
de Seine­Maritime.
Autre cas particulier, celui de
Luc Carvounas (PS), élu maire d’Al­
fortville (Val­de­Marne). Pro­
mais ces surplus de recettes va­
rient, d’une région à l’autre, de
+ 2,2 % à + 13,5 %. Seules six
régions bénéficient d’une hausse
supérieure à 5 %.
Le rapport de la Cour des comp­
tes consacre un chapitre aux en­
seignements à tirer du dispositif
de contractualisation sur la maî­
trise des dépenses de fonctionne­
ment des 321 collectivités les plus
importantes. Ces contrats dits
« de Cahors » ont été suspendus
en raison de la crise. La Cour note
d’abord la « complexification
croissante » des dépenses prises
en compte dans le retraitement
des dépenses de fonctionnement.
Elle observe aussi « une détério­
ration de la lisibilité budgétaire »
des collectivités, le dispositif de
contractualisation les ayant
incitées à « optimiser » leurs bud­
gets annexes, exclus du champ de
la contractualisation. Ainsi, les
france | 11
blème : sa suppléante, Sarah
Taillebois, a été admise en janvier
à l’ENA et ne peut siéger comme
parlementaire tout en poursui­
vant ses études de fonctionnaire
puisqu’il y a incompatibilité. Elle a
donc dû à son tour poser sa dé­
mission, ce qui entraînera une lé­
gislative partielle dans la 9e cir­
conscription du Val­de­Marne.
Huguette Bello (GDR) a, quant à
elle, été élue maire de Saint­Paul
(La Réunion) mais son suppléant,
Olivier Hoarau, a lui­même été
élu maire du Port et entend le res­
ter, ce qui devrait entraîner une lé­
gislative partielle dans la 2e cir­
conscription de La Réunion.
Certains sont suspendus à la no­
mination du nouveau gouverne­
ment. Tel Fabien Lainé (MoDem),
suppléant de Geneviève Darrieus­
secq, secrétaire d’Etat auprès de la
ministre des armées dans le gou­
vernement d’Edouard Philippe,
qui a été élu tête de liste au pre­
mier tour à Sanguinet (Landes).
Lors du premier conseil munici­
pal, c’est Christophe Labruyère qui
a été élu maire. Qu’en sera­t­il si
Geneniève Darrieussecq n’est pas
reconduite dans le gouvernement
de Jean Castex et retrouve alors,
automatiquement, son siège de
députée ? Même situation pour
Stéphane Baudu (MoDem), sup­
pléant du ministre chargé des rela­
tions avec le Parlement, Marc
Fesneau. Elu tête de liste au pre­
mier tour à La Chaussée­Saint­Vic­
tor (Loir­et­Cher), il laisse le siège
de maire à Marie­Claude Dupou
mais il est aussi en attente de la
composition du gouvernement
de Jean Castex, pour savoir si
M. Fesneau en fait partie ou non.
Reste enfin la situation très par­
ticulière d’Olivier Gaillard (ex­
LRM passé chez les non­inscrits),
élu au premier tour maire de
Sauve (Gard). Ayant choisi de con­
server son mandat local, il aurait
dû démissionner de son mandat
de député pour laisser la place à sa
suppléante, Catherine Daufès­
Roux, qui s’en réjouissait et an­
nonçait que son arrivée à l’Assem­
blée nationale permettrait au
groupe LRM de retrouver la majo­
rité absolue qu’il a perdue le
19 mai après la création du groupe
Ecologie Démocratie Solidarité. Ce
qui n’a pas plu à M. Gaillard, qui a
préféré ne pas démissionner et at­
tendre d’être démissionné d’of­
fice, ce qui entraînera, du coup,
une législative partielle dans la
5e circonscription du Gard.
Ce sont donc au total sept élec­
tions législatives partielles qui
pourraient avoir lieu à la rentrée. 
patrick roger
dépenses réelles de fonctionne­
ment des budgets principaux ont
augmenté de 0,8 % en 2019, après
une baisse de 0,2 % en 2018 tandis
que les dépenses réelles de fonc­
tionnement des budgets annexes
ont crû de 7,8 % après une hausse
de 3,9 % en 2018.
Le dispositif de contractualisa­
tion a aussi encouragé des straté­
gies d’externalisation ou de con­
tournement, comme les fonds de
dotation territoriale créés par la
loi du 4 août 2008. Depuis 2017, le
Journal officiel des associations et
fondations d’entreprise a publié la
création de seize fonds de dota­
tion territoriaux dont le siège so­
cial se situe dans les locaux de col­
lectivités. « La lisibilité des comp­
tes publics est fragmentée par ce
type d’outil, insiste la Cour. Le
dispositif de contractualisation a
conforté cette tendance. » 
p. rr

12 | france
Universités : des taux de réussite exceptionnels
Les très bons résultats aux partiels de première année de licence font craindre un taux d’échec plus important en L2
U
ne participation aux
épreuves qui frise les
100 %, des taux de
réussite qui bondis­
sent d’une dizaine de points :
dans bon nombre d’universités,
la session des partiels en temps
de Covid­19 s’avère excellente.
Un contraste avec les craintes
exprimées pendant le confine­
ment, lorsque des enseignants
s’inquiétaient du devenir de
leurs étudiants.
« Le confinement n’a pas en­
traîné de décrochage massif », se
félicite Thierry Pénard, doyen de
la faculté de sciences économi­
ques à l’université Rennes­I. En
licence économie­gestion, 61,1 %
des première année ont validé
leur semestre contre 49,5 % en
2019. En deuxième et troisième
années, les taux de réussite grim­
pent respectivement à 67,3 % et à
88,3 %, en hausse de plus de dix
points. « C’est comme si le confi­
nement avait incité certains à re­
prendre les cours à distance et à
passer leurs épreuves. Paradoxa­
lement, on a réussi à récupérer
quelques étudiants qui ne ve­
naient plus en cours », souligne le
doyen. Par ailleurs, seuls six étu­
diants sur 500 en première an­
née ont déclaré des problèmes
d’équipement et/ou de con­
nexion durant les examens à dis­
tance et ont pu bénéficier à ce
titre d’épreuves de substitution.
« Ça n’a pas été l’école des fans »
Encouragée par le ministère de
l’enseignement supérieur, la bien­
veillance a été pour certains « une
occasion de donner des sujets pas
trop difficiles », reconnaît Thierry
Pénard, notamment sous la forme
de QCM. Même si les universitai­
res ont veillé à paramétrer les tests
en changeant l’ordre des ques­
tions et celui des propositions de
réponses, ils savent que des étu­
diants se sont concertés pour
échanger les bonnes réponses.
« Naïvement, certains ont écrit à
leur enseignant au moment de
l’épreuve pour savoir pourquoi ils
étaient soumis à un QCM différent
de celui d’autres étudiants », rap­
porte ainsi Samuel Maveyraud, di­
recteur du collège de droit, science
politique, économie et gestion à
l’université de Bordeaux.
D’apparence aisés, les QCM ont
parfois déstabilisé des étudiants,
relève Pascal Lecroart, directeur
du collège sciences et technolo­
gies à l’université de Bordeaux.
Le recrutement sur dossier de Sciences Po critiqué
Certains lycéens ou étudiants recalés s’interrogent sur l’algorithme de sélection mis en place par les établissements
D eux baccalauréats (le
français et le bachibac
espagnol) mention très
bien n’auront pas suffi à Kenza
pour intégrer l’un des sept
Sciences Po de région (Aix­en­
Provence, Lille, Lyon, Rennes,
Toulouse, Saint­Germain­en­
Laye et Strasbourg). Refusée
d’office, la jeune fille incrimine
la procédure de sélection excep­
tionnelle mise en place par ces
établissements contraints d’an­
nuler leur concours commun à
cause du Covid­19.
En urgence, le réseau des Scien­
ces Po de région a dû se rabattre
sur l’examen des dossiers Par­
coursup, seuls à même de dépar­
tager les 10 000 candidatures
pour 1 100 places offertes. Un al­
gorithme a été mis au point, basé
uniquement sur certaines notes
de première et de terminale, le
tout « redressé » en fonction des
résultats de la classe. Aucune
lettre de motivation n’a été prise
en compte, celle­ci n’étant pas un
prérequis lorsque les candidats se
sont inscrits par le biais de Par­
« Paradoxalement,
on a réussi
à récupérer
quelques
étudiants qui
ne venaient plus
en cours »
THIERRY PÉNARD
doyen de la faculté de sciences
économiques à Rennes-I
« 20 % des étudiants nous ont dit
avoir eu plus de difficultés que si
les examens avaient eu lieu à la
fac, notamment à cause de la ges­
tion du temps, détaille­t­il. Il est
vrai que nous avons augmenté vo­
lontairement le nombre de ques­
tions dans un temps restreint afin
d’éviter les échanges et la fraude. »
Une source de stress, que les en­
seignants avaient anticipée dans
la notation mais sans en prévenir
leurs élèves.
coursup en janvier à ce qui devait
être un concours.
« Les modalités d’examen des
dossiers m’ont vraiment déçue,
dénonce Kenza. Elles ne tiennent
aucunement compte de l’investis­
sement et de la motivation du
candidat. Dans mon cas, pour le
bac ES, la moyenne en mathéma­
tiques compte, alors qu’il n’y a pas
de maths à Sciences Po ! » Quant
au système de pondération par
rapport au niveau de la classe, « il
m’a totalement desservie car le
premier de ma classe, c’est un
monstre, [grâce aux options] il a
eu 21/20 au bac ! », s’énerve la can­
didate déchue.
Le critère du lycée d’origine
La solution algorithmique mise
au point par le concours commun
interroge jusqu’aux candidats re­
çus eux­mêmes, comme Marco,
qui intégrera Sciences Po Tou­
louse après un an de prépa litté­
raire à Béziers (Hérault). « En sui­
vant l’algorithme, un de mes amis
cumulait plus de points que moi.
Pourtant, il s’est retrouvé 400 pla­
Nicolas Offenstadt, maître de
conférences en histoire à Paris­I, a
choisi de son côté un « devoir mai­
son ». Chaque étudiant avait un
délai de deux semaines pour trai­
ter un des quarante sujets propo­
sés. « Je n’ai pas fait passer un mau­
vais devoir pour un bon devoir
mais j’ai pris en considération les
contraintes du moindre suivi de
mes étudiants pendant le confine­
ment, témoigne­t­il. J’ai mis plu­
sieurs 18/20 pour de très belles syn­
thèses, une note que je mets très
rarement. Mais j’ai mis aussi des
6/20, et cela sans état d’âme. »
« Ça n’a pas été l’école des fans ni
la triche généralisée, affirme Pierre
Beust, vice­président délégué aux
transformations pédagogiques de
l’université de Caen. Ceux qui n’en
méritaient pas n’ont pas eu de bon­
nes notes. Peut­être y a­t­il eu seule­
ment quelques étudiants juste en
dessous de la barre qui sont passés
un peu au­dessus. C’était là qu’il
fallait être le plus facilitant. »
« La bienveillance, nous n’avons
pas eu l’impression qu’elle était
ces derrière sur la liste d’appel ! Je
ne vois pas comment c’est possible.
Le jury a sûrement regardé aussi
mes notes de prépa », conclut­il.
« Nous avons conçu cet algo­
rithme en quinze jours et été
d’une transparence totale. Notre
but était de nous appuyer sur des
éléments permettant d’objectiver
les résultats des candidats », af­
firme le directeur de Sciences Po
Lille, Pierre Mathiot, qui a reçu
une centaine de récriminations
de la part de parents étonnés que
leur enfant ne soit pas sélec­
tionné. « C’est l’effet contrôle con­
tinu qui a joué. Avoir 15 de
moyenne au lycée ne suffit pas
pour être classé, on a plutôt des
élèves avec 19 de moyenne. »
Tout aussi courroucés, des ly­
cées privés ont accusé le concours
commun de Sciences Po de stig­
matiser leurs élèves en ne redres­
sant pas les notes en fonction des
pratiques de l’établissement d’ori­
gine du candidat. Réputée plus sé­
vère dans le privé, la notation est
censée être lissée par les commis­
sions d’examen des vœux de cha­
pratiquée partout, tranche Méla­
nie Luce, présidente de l’UNEF. Ce
qui ressort, ce sont des ensei­
gnants paniqués à l’idée de voir un
diplôme qui perdrait de sa valeur
face à des étudiants tricheurs. Et
pour contrer cette hypothèse, ils
ont durci les conditions de certai­
nes épreuves. »
Hausse démographique
D’après l’organisation étudiante,
les partiels en ligne ont été très
compliqués, ponctués de bugs em­
pêchant de composer. « Parfois, il
était impossible de se connecter au
moment voulu ou bien tout ce qui
avait été écrit s’effaçait », ajoute
Mélanie Luce. Dans certains cas, il
a fallu refaire un examen entier
lorsqu’une majorité d’étudiants
n’avait pas pu se connecter.
Professeur à l’IUT de Lille, Vin­
cent Brugidou a laissé un laps de
temps de deux heures et quart
pour réaliser un devoir de mathé­
matiques que ses étudiants de­
vaient lui renvoyer scanné.
« Quand j’ai regardé les épreuves,
« L’examen des
dossiers ne tient
pas compte
de la motivation
du candidat »
KENZA
bachelière
que formation, ce qui ne manque
pas de faire débat depuis la créa­
tion de Parcoursup en 2018. « Pon­
dérer, oui, mais avec quelle mé­
thode ? Le coin de table ?, se défend
Pierre Mathiot. Si l’on avait con­
sulté les dossiers des candidats,
aurait­on dit de celui venant du ly­
cée Jean­Moulin qu’avec 14 de
moyenne, il était moins bon que
celui du lycée de l’Assomption qui
avait 12 de moyenne générale ? »
« Nous ne nions pas le fait que le
passage exceptionnel à la logique
algorithmique a eu des effets »,
concède Rostane Mehdi, direc­
teur de Sciences Po Aix et prési­
dent du jury du concours com­
je n’en suis pas revenu : la plupart
avait triché. J’ai un peu de métier et
en repérant que les fautes d’un étu­
diant pourtant très brillant se re­
trouvaient à l’identique dans huit
autres copies, j’ai vite compris », re­
late l’enseignant qui s’est aussitôt
tourné vers ses collègues pour
échanger sur la conduite à tenir.
« Un seul m’a répondu tant, je
crois, la question est gênante. Cha­
cun se fait son petit arrangement
avec soi­même mais personne n’en
est fier », poursuit Vincent Brugi­
dou qui a fini par appliquer sans
conviction la règle définie en in­
terne par le DUT mesures physi­
ques : en cas de copies présentant
de flagrantes similarités, la note
est divisée par le nombre de co­
pies présentant ces similarités.
La seule solution acceptable face
à ce « cas de conscience » – qu’il a
détaillée dans une tribune publiée
dans Le Figaro – serait d’organiser
une nouvelle session de partiels
en présentiel pour tous les étu­
diants au mois de septembre.
Pour l’heure, la proposition ne re­
mun qui promet d’examiner
ceux­ci « en toute transparence »
de la même façon qu’a été rendu
public en avril l’algorithme de sé­
lection de ces « promotions Co­
vid­19 ». « Nous sommes allés au­
delà de ce que le Conseil constitu­
tionnel demande de publier aux
formations d’enseignement supé­
rieur », fait­il valoir.
A l’opposé du concours com­
mun, Sciences Po Bordeaux
– dont l’admission se fait déjà sur
dossier et qui n’a annulé que des
épreuves orales –, a misé en
grande partie sur la motivation
des candidats exprimée dans les
dossiers Parcoursup. Outre une
bonne copie attestée par un pro­
fesseur, était requise une fiche où
ils devaient exposer expériences
d’encadrement et d’engagement
citoyen. « Par rapport au concours
commun qui a dû abattre la voi­
lure à grande vitesse en mettant au
point un algorithme sur les seules
notes, nous avons été plus agiles »,
glisse Jean Petaux, responsable de
la communication de l’école. 
s. l. n.
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
« Je ne dis pas
qu’il n’y a pas eu
de triche, mais
de là à dire que
le diplôme est
dévalué, non »
CHRISTOPHE MONDOU
vice-président
à l’innovation pédagogique
à l’université de Lille
tient pas l’attention de Christophe
Mondou, vice­président de l’uni­
versité de Lille chargé de la péda­
gogie numérique : « Je ne dis pas
qu’il n’y a pas eu de triche, mais de
là à dire que le diplôme et dévalué,
non. La triche peut exister aussi en
présentiel, ne l’oublions pas ! »
L’ombre au tableau de cette
réussite hors­norme aux partiels
pourrait apparaître assez nette­
ment à la rentrée de septembre.
« On risque d’avoir un taux d’échec
plus important en deuxième an­
née de licence », prévient Lionel
Nicod, vice­président formation
de l’université d’Aix­Marseille.
L’établissement, comme beau­
coup d’autres, travaille à la mise
en place de modules de révision
des notions qui auraient dû être
acquises entre mars et juin. Il s’ac­
tive aussi à monter des forma­
tions pour accompagner les en­
seignants dans le domaine de
l’évaluation à distance, qui devrait
perdurer tant que le Covid­19 res­
tera une menace et peut­être
même après. « Il faut encourager
le recours à une évaluation forma­
tive, à travers des études de cas qui
favorisent l’esprit critique et la réu­
tilisation des connaissances »,
plaide l’enseignant, qui refuse
une évaluation « tout QCM ».
A l’université de Caen, Claude
Lafabrègue, enseignant en scien­
ces et techniques des activités
physiques et sportives (Staps), ne
cache pas son inquiétude : la pre­
mière conséquence de ces très
bons résultats prendra la forme
d’une hausse démographique
sans précédent de 33 % en
deuxième année de licence. « On
se dirige vers 120 étudiants en plus.
Nous allons être totalement débor­
dés faute de moyens supplémen­
taires », alerte­t­il : depuis 2012,
son département a perdu 13 % de
ses effectifs enseignants. 
soazig le nevé
FAIT DIVERS
Une jeune gendarme
tuée lors
d’un contrôle routier
Mélanie Lemée, une jeune
gendarme âgée de 25 ans,
ex­championne de France mi­
litaire de judo, est morte dans
la soirée du samedi 4 juillet à
Port­Sainte­Marie (Lot­et­
Garonne), après avoir été vio­
lemment percutée par un vé­
hicule que les forces de l’ordre
cherchaient à arrêter. Inter­
pellé et placé en garde à vue,
le conducteur de 27 ans est
déjà connu des services de po­
lice et de gendarmerie, pour
des délits liés aux stupéfiants
et des délits routiers. – (AFP.)
AGRESS IONS S EXUE LLES
Manifestation en Corse
Entre 400 personnes, selon
les autorités, et 600, selon les
organisatrices, ont manifesté
dimanche 5 juillet, à Ajaccio,
pour dénoncer les agressions
sexuelles visant les femmes
et réclamer une meilleure
prise en compte de leurs
plaintes devant la justice. Un
premier rassemblement avait
eu lieu le 21 juin à Bastia.
Parmi leurs revendications fi­
gure notamment une forma­
tion de la police au traite­
ment des plaintes. – (AFP.)
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
Vacances apprenantes : les communes s’activent
L’annonce tardive de ce plan pour occuper les enfants pendant l’été laisse planer des incertitudes
O
ccuper pendant l’été
les enfants qui ne par­
tent pas en vacances,
les municipalités le
font chaque année. Mais caler les
séjours, prévoir les animations, re­
cruter les encadrants des centres
de loisirs, établir les équipes des
centres sociaux, cela se prépare
plusieurs mois à l’avance. Aussi,
lorsque Jean­Michel Blanquer a
présenté, le 6 juin, le plan « vacan­
ces apprenantes pour un million
d’enfants », certains élus munici­
paux ont levé les yeux au ciel. « Ces
consignes sont venues beaucoup
trop tard », résume Damien Ber­
thilier, adjoint à l’éducation de la
municipalité sortante de Villeur­
banne, dans la métropole de Lyon,
et président du réseau français des
villes éducatrices.
Ce jour­là, le ministre de l’édu­
cation nationale a annoncé que
l’Etat était prêt à engager
200 millions d’euros pour per­
mettre aux enfants l’accès cet été
à une formule de loisirs encadrés
qui leur permette de renouer avec
des contenus pédagogiques. Pour
certains, en effet, le confinement
a débouché sur un décrochage
scolaire, et pour d’autres sur une
solution de continuité dans les
apprentissages.
400 000 élèves
Pendant les deux premières se­
maines de juillet et les deux der­
nières d’août, des écoles, des collè­
ges et des lycées demeureront
ouverts pour dispenser le matin
un renforcement scolaire et les
après­midi des activités culturel­
les et sportives. Déjà existant dans
les quartiers prioritaires de la
ville, ce dispositif « école ouverte »
pourrait concerner cette année
400 000 élèves, selon le minis­
tère. Pour leur part, les centres de
loisirs pourraient être soutenus
par une aide de l’Etat de 30 mil­
lions d’euros et ils auront accès
aux parcours pédagogiques du
Centre national d’enseignement à
distance (CNED). Ils devraient
pouvoir accueillir 300 000 en­
fants et bénéficieront davantage
des locaux et équipements spor­
tifs scolaires. Enfin, l’Etat prendra
en charge 80 % du coût des colo­
nies de vacances pour 250 000 en­
fants de familles en difficulté,
pourvu qu’elles comportent un
volet pédagogique renforcé.
Les « bonnes surprises » du déconfinement scolaire
Certains élèves du premier degré ont progressé dans les apprentissages, voire gagné en confiance et en autonomie pendant le confinement
C e jour­là, il m’a scotchée. »
Une directrice d’école élé­
mentaire, qui souhaite
rester anonyme, se souvient de
ce moment où l’un de ses élèves,
« qui n’aime pas trop l’école et a du
mal à organiser ses idées », a lu un
petit texte qu’il venait d’inventer
devant la classe. C’était après le
retour du confinement, dans une
école rurale de Seine­Maritime.
« Il a écrit une petite histoire à sus­
pense, ce qu’il n’aurait jamais fait
auparavant, rapporte l’ensei­
gnante. Même ses camarades
étaient surpris. »
Que s’est­il passé pour cet
élève, durant les longues semai­
nes passées loin de l’école ? L’en­
seignante a prescrit des « jog­
gings d’écriture » quotidiens, ces
petites séances « pour s’entraîner
à écrire, comme du sport ». L’élève
a « sans doute » eu plus de temps
pour s’y consacrer, dans une at­
mosphère plus calme… et quel­
que chose s’est débloqué.
« Comme il réussit mieux, il re­
prend confiance en lui, détaille
l’enseignante. Il passe moins
pour celui qui est largué tout le
temps. » Voilà la « bonne sur­
Qu’il faille cette année faire un
effort pour élargir les offres est un
constat partagé. « Il faut d’abord
permettre aux gamins de souf­
fler », témoigne Damien Berthi­
lier, à Villeurbanne. Il fallait « ne
pas laisser les familles sans solu­
tion », ajoute Benjamin Vételé, ad­
joint au maire de Blois. « Vu les cir­
constances, tout le monde a voulu
faire un effort », assure également
Didier Georges, principal du col­
lège parisien de la Grange­aux­
Belles (10e arrondissement) et re­
présentant national au SNPDEN­
UNSA. Son établissement, classé
REP (réseau d’éducation priori­
taire), participe au dispositif
« école ouverte » pour la première
fois depuis cinq ans.
Renouer le lien avec l’école est
jugé essentiel pour certains en­
fants. Dans les quartiers prioritai­
res de Brest (Finistère), « il faut al­
ler chercher les 30 % d’élèves qui ne
sont pas revenus en classe pour
préparer la rentrée. C’est là­dessus
que nous mettons nos efforts », ex­
plique ainsi Emilie Kuchel, ad­
jointe chargée des politiques édu­
catives. A Paris, Didier Georges a
travaillé avec les écoles qui « ali­
mentent » son collège afin de « ci­
bler les élèves pour qui le confine­
ment a été difficile ». Le principal
espère « fidéliser » les mêmes fa­
milles entre les premiers jours de
juillet, « très ludiques », et la der­
nière semaine d’août, aux objec­
tifs « plus scolaires » à l’approche
de la rentrée. Les « écoles ouver­
tes » ont été pensées ainsi dans de
nombreux établissements, assure
Patrick Roumagnac, le secrétaire
général du SIEN­UNSA, syndicat
des inspecteurs d’académie. « En
juillet, il faut vraiment que les en­
fants soufflent, assure­t­il. Mais à
la fin août, il faudra faire travailler
la méthodologie, l’autonomie,
dans la perspective de la rentrée. »
L’annonce tardive du plan laisse
planer des incertitudes. La pre­
mière concerne le nombre d’en­
seignants qui seront volontaires.
L’éducation nationale n’a pas
communiqué, pour l’instant, de
chiffres nationaux. Ils semblent
fluctuer d’une académie ou d’une
commune à l’autre. L’académie
d’Amiens affiche 700 personnels
de l’éducation nationale volontai­
res, celle de Grenoble, 1 200. Mais il
semble y en avoir « très peu » à
Gennevilliers (Hauts­de­Seine),
« On s’attendait
tellement à
une catastrophe
que ça nous
a surpris »
JOHANNA CORNOU
directrice d’école au Havre
prise » du retour en classe, dans
les écoles primaires : pour cer­
tains élèves, le confinement a
été bénéfique.
« Difficile de quantifier le phéno­
mène précisément, tempère Jo­
hanna Cornou, directrice d’école
au Havre et représentante au SE­
UNSA, car on ne peut pas savoir
comment ces élèves auraient pro­
gressé s’ils avaient continué à ve­
nir en classe. Mais on s’attendait
tellement à une catastrophe que
ça nous a surpris. » Parmi ses CP,
elle a constaté que « certains
comptent plus loin que les années
précédentes au même stade » et
que les « scores de fluence [la rapi­
dité de lecture] » sont meilleurs.
Retour en
classe après le
confinement,
à l’école
primaire
Cour­de­
Lorraine,
à Mulhouse
(Haut­Rhin),
le 18 mai.
SEBASTIEN BOZON/AFP
selon Délia Toumi, adjointe char­
gée des politiques éducatives de la
ville, comme à Villeurbanne, où
ils seraient aussi moins nom­
breux que l’an passé pour les sta­
ges de remise à niveau. « Nous
avons 350 à 400 enfants dans les
projets d’école ouverte, signale
Emilie Kuchel, à Brest, mais l’édu­
cation nationale ne sait pas si nous
aurons les professeurs. »
Professeurs « épuisés »
A Paris, Didier Georges n’a trouvé
que deux enseignants pour assu­
rer le dispositif école ouverte en
juillet. Sur les sept encadrants du
collège – auxquels s’ajoutent les
animateurs associatifs –, la plu­
part seront des membres de la vie
scolaire (CPE, assistants d’éduca­
tion). Les professeurs, « majoritai­
rement épuisés », ont besoin
d’une « vraie pause » et ont peu ré­
pondu à l’appel.
« En août, en revanche, j’ai beau­
coup d’enseignants qui m’ont fait
des propositions riches », se féli­
cite le proviseur, qui pourra pro­
poser aux élèves « des ateliers de
Ces quelques effets positifs ne
surprennent pas Pascale Haag,
maîtresse de conférences à
l’EHESS et membre du labora­
toire Bonheurs de l’université de
Cergy­Pontoise, qui a mené au
cœur du confinement une en­
quête en ligne sur l’école à dis­
tance, remplie par 731 élèves du
CP à la terminale. Selon cette en­
quête basée sur les réponses des
élèves, le confinement a eu des
effets positifs sur les apprentissa­
ges, l’autonomie et le stress. « Les
enfants, surtout les plus jeunes,
ont apprécié de travailler à leur
rythme, avec leurs parents », tout
en plébiscitant la pratique de la
« classe virtuelle », qui leur per­
mettait de garder un lien avec
leur enseignant.
En jouant sur la qualité de vie,
le confinement a également per­
mis à certains de trouver un en­
vironnement de travail plus
apaisé. « Les élèves les plus jeunes
ont beaucoup évoqué la joie
de pouvoir déjeuner chez eux plu­
tôt qu’à la cantine, rapporte Pas­
cale Haag, mais aussi le fait de
profiter de leurs parents et de
leurs frères et sœurs. »
« Il faut aller
chercher les 30 %
d’élèves qui ne
sont pas revenus
en classe »
ÉMILIE KUCHEL
adjointe chargée des
politiques éducatives à Brest
sciences et un club de lecture ».
Dans le premier degré, le syndi­
cat des inspecteurs d’académie a
diffusé la consigne de « ne pas
mettre la pression » aux direc­
teurs d’école et aux enseignants
pour participer. « Le ministère a
mis les moyens financiers pour
que les vacances apprenantes
existent, c’est une très bonne
chose, tranche Patrick Rouma­
gnac. En revanche, il ne faut pas
confondre incitation et pression :
la participation à ce genre de pro­
jet doit rester entièrement volon­
taire, sinon on stresse tout le
monde, sans grand résultat. »
« Evidemment, cette enquête re­
pose sur le déclaratif des élèves et
ne doit pas faire oublier le creuse­
ment des inégalités », précise l’uni­
versitaire. Une nuance que les en­
seignants ne manquent pas de
rappeler.
« Tout reprendre de zéro »
Pour que le confinement soit bé­
néfique, « il fallait que les planètes
s’alignent », juge Emilie Marcillo,
enseignante en CE1 dans une
école marseillaise. Elle songe à
une petite élève, partie avec de
grosses difficultés en lecture et re­
venue transformée du confine­
ment. « Elle avait une maman très
disponible… et des difficultés im­
portantes, sans être insurmonta­
bles. » Les élèves en très grande
difficulté, ou vivant dans des envi­
ronnements précaires, ont « très
mal vécu » d’être loin de l’école.
« Pour une “bonne surprise”, j’en ai
plusieurs autres avec qui il faut
tout reprendre de zéro », calcule
Emilie Marcillo.
Les hypothèses vont bon train
pour expliquer ces petits miracles.
« Pour les élèves qui ont du mal à se
concentrer en classe, être seul avec
Pour les municipalités, une se­
conde incertitude s’ajoute : leurs
projets auront­ils l’agrément « va­
cances apprenantes » et donc les
financements qui vont avec ?
« Aujourd’hui, nous avons une
quinzaine de projets dans chacun
de nos sept quartiers prioritaires,
mais le national n’arrive pas à
nous dire s’ils entrent dans le dis­
positif », témoigne Emilie Kuchel.
Dans ces conditions, la municipa­
lité de Gennevilliers a même dé­
cidé de ne pas tenter de faire label­
liser « vacances apprenantes » ses
propositions, à l’exception d’une
colonie de 15 à 20 enfants fin août.
Les municipalités rappellent
qu’elles n’ont pas attendu les pro­
clamations de la Rue de Grenelle
pour faire des loisirs éducatifs.
« Tant mieux si l’Etat redécouvre
les vertus pédagogiques du temps
extrascolaire et de l’éducation po­
pulaire, ironise Benjamin Vételé,
à Blois. Mais ce travail est fait de­
puis longtemps. Nos collectivités
ne l’ont pas attendu pour mettre
en place des offres innovantes. »
D’où le sentiment répandu que,
ses parents change tout, avance la
directrice d’école rurale citée plus
haut. Car chez certains enfants, le
social perturbe beaucoup les ap­
prentissages : en classe, ils sont oc­
cupés à amuser la galerie. » Pour
Johanna Cornou, c’est d’abord l’en­
vironnement sûr de la maison qui
a fait la différence. « Les profils
d’élèves qui ont peu confiance en
eux, qui ont besoin qu’on leur réex­
plique les consignes plusieurs fois…
Ce sont eux qui ont bénéficié du
confinement », assure­t­elle.
Emilie Marcillo rapporte que ses
meilleurs élèves, « pénalisés » en
classe par l’indisponibilité de la
maîtresse, ont également trouvé
l’appui de leur environnement fa­
milial. « A la maison, quand les pa­
rents voient qu’ils réussissent telle
ou telle tâche, ils vont un peu au­
delà. J’en ai trois ou quatre qui vont
attaquer le CE2 avec un très bon ni­
veau », assure­t­elle.
Pour autant, selon les ensei­
gnants interrogés, ce constat ne
saurait remettre en cause la ma­
nière d’articuler travail en classe et
à la maison. « Officiellement, les de­
voirs sont interdits ! », rappelle Jo­
hanna Cornou. « Une fois que
france | 13
dans ce dossier, « l’Etat court
après les collectivités locales pour
se faire de la com sur leur dos »,
que les collectivités sont relé­
guées au rang de « prestataires »,
que l’Etat « se sert » d’elles.
« Il y a une grosse inquiétude con­
cernant le glissement des compé­
tences et des responsabilités, af­
firme aussi Délia Toumi. On ren­
voie aux collectivités la responsabi­
lité du rattrapage scolaire. Nous
sommes attachés à la valeur de
l’éducation populaire et nous ne
voulons pas glisser sur le terrain
des enseignements. » Le dispositif
fait aussi grincer des dents les as­
sociations de parents. « Les vacan­
ces, c’est à la mer, pas à l’école ! »,
plaide la FCPE. « Ce dispositif a
pour but de rassurer l’opinion en
montrant qu’on s’occupe des en­
fants fragiles, qui auront des diffi­
cultés scolaires à la rentrée »,
s’agace Rodrigo Arenas, coprési­
dent de l’association. « Les enfants,
dans tout ça, on les oublie. Ils ont
besoin de se reposer. » 
cécile chambraud
et violaine morin
l’école a repris, demander plus de
travail à la maison n’a pas beau­
coup de sens, ajoute Emilie Mar­
cillo. C’est la qualité de l’interaction
qui a fait la différence pendant le
confinement, pas le fait de revoir les
choses une deuxième fois. »
Enfin, si le confinement a eu
quelques effets bénéfiques, le
« collectif » reste au cœur des ap­
prentissages. « Pour la majorité des
enfants, les autres sont source de
motivation, indique Emilie Mar­
cillo, et ils n’arrivaient plus du tout
à s’y mettre en l’absence des co­
pains. » Pour Pascale Haag, ces
quelques exemples de réussite de­
vraient au contraire faire réfléchir
sur l’organisation du temps sco­
laire : même si les répondants de
son enquête se sont majoritaire­
ment plaints que l’école et les co­
pains leur manquaient, « on voit
bien, avec le confinement, que les
enfants n’ont pas tous les mêmes
besoins, juge­t­elle. On pourrait
imaginer une forme de scolarité où
les élèves les plus fragiles, les plus
intimidés puissent de temps en
temps reprendre une bouffée d’oxy­
gène chez eux ». 
v. m.

14 | france
Le traitement
de faveur « des amis
français de la Chine »
face au coronavirus
Selon le renseignement français,
la stratégie aurait cherché à trouver
des appuis pour relayer la parole de Pékin
C’
est l’autre visage de
la générosité de
Pékin dans la lutte
contre le Covid­19.
Selon le renseignement français,
l’ambassadeur de Chine, à Paris,
et les consuls chinois ont reçu
l’ordre, au cœur de la pandémie,
de favoriser « leurs amis fran­
çais » lors des dons de masques
et de matériels.
La Direction générale de la sé­
curité intérieure (DGSI), le Ser­
vice central du renseignement
territorial (SCRT) et la Direction
générale de la sécurité extérieure
(DGSE) ont tous fourni à l’Elysée
des éléments en ce sens. Une ma­
nière, à en croire leurs notes, de
trouver des appuis pour relayer
la parole de Pékin sur sa politi­
que sanitaire face au virus, de
renforcer le contrôle sur sa
communauté en France et de ré­
compenser ses plus fidèles sou­
tiens français.
Parmi les heureux élus se trou­
vent, d’après un haut responsable
du renseignement hexagonal,
des villes du Grand­Est, de Bour­
gogne­Franche­Comté, l’outre­
mer et Paris.
L’implication de l’ambassade de
Chine est apparue, le 5 avril, lors­
que deux responsables associatifs
chinois sont placés en garde à vue
après avoir été interpellés, dans le
16e arrondissement à Paris, avec
plus de 10 000 masques réservés,
à cette date, aux personnels soi­
gnants. Une source de la Préfec­
ture de police assure qu’ils étaient
en lien avec l’ambassade et vou­
laient, ont­ils dit, servir leur
communauté. Ils devront s’expli­
quer devant la justice.
Deux jours plus tard, trois étu­
diantes d’origine chinoise sont
également arrêtées dans les
Hauts­de­Seine alors qu’elles dis­
tribuent, cette fois­ci, des « kits
Covid » contenant des masques
Un rapport très sévère des pompiers dénonce la gestion du Covid­19
Impréparation, oubli des Ehpad… Les agences régionales de santé concentrent une bonne partie des critiques
L a commission d’enquête
parlementaire sur la ges­
tion de la crise liée au
Covid­19, dont les travaux ont dé­
buté à la mi­juin, attendra plu­
sieurs mois avant d’en tirer les le­
çons et de rendre ses conclu­
sions. La Fédération nationale
des sapeurs­pompiers de France
(FNSPF), elle, a déjà posé son dia­
gnostic : sévère. Dans une syn­
thèse de dix­huit pages destinée
au ministère de l’intérieur mais
qui a été révélée dimanche
5 juillet dans Le Parisien, et que Le
Monde a pu consulter, la FNSPF,
qui représente les 237 000 sa­
peurs­pompiers civils de France,
critique l’action du gouverne­
ment et des autorités sanitaires.
Elle pointe le rôle prépondérant
d’un ministère de la santé dépassé
par les événements, et la mise à
l’écart, dans un premier temps, du
ministère de l’intérieur et des pré­
fets : « Le choix politique de quali­
fier cette crise comme une crise pu­
rement sanitaire et de confier son
chirurgicaux et FFP2, ainsi que
des gants, dont la vente est alors
interdite au grand public. Selon
la police, elles agissaient égale­
ment à l’instigation de l’ambas­
sade, dont les services sont inter­
venus pour obtenir la fin des gar­
des à vue.
Selon le ministère de l’inté­
rieur, l’attaché de police de l’am­
bassade de Chine a pris contact
avec le service de coopération in­
ternationale du ministère et saisi
le conseiller diplomatique du mi­
nistre. L’ambassade indique que,
dans le premier cas, il s’agissait
« de distributions gratuites de
masques tout à fait légales par
une association chinoise ». Et elle
ne dément pas, dans l’autre af­
faire, que les jeunes femmes in­
tervenaient à sa demande au pro­
fit « d’étudiants chinois ». Les
« kits Covid » ont été restitués, dit
l’ambassade.
« Distributions sélectives »
La mairie du 13e arrondissement
de Paris, où vit une importante
communauté chinoise, a expli­
qué au Monde avoir reçu
250 000 masques, dès le début
du confinement, sans les avoir
sollicités. Ils ont été donnés par
des associations chinoises loca­
les, explique le cabinet du maire
qui jure n’avoir eu aucun contact
avec l’ambassade et qu’on ne lui a
jamais demandé, en retour, de
communiquer positivement sur
la Chine.
Plusieurs sources au sein de
cette communauté attestent le
rôle actif joué par l’ambassade
dans ce quartier parisien. Elle
aurait facilité les livraisons et
même mis en place un suivi des
membres de la communauté chi­
noise du 13e touchés par le virus.
Sollicité, Buon Tan, ex­maire
adjoint du 13e arrondissement de
Paris, devenu député (La Républi­
pilotage au ministre de la santé in­
terpelle. Par son caractère intersec­
toriel et son impact général sur les
populations et la société, elle était
une crise de protection civile. »
La mise en place « tardive », le
17 mars, d’une « organisation
bicéphale entre les ministères de la
santé et de l’intérieur, avec deux
états­majors et deux chaînes de
commandement à la culture et à
l’organisation territoriale différen­
tes », a nui au travail des services
sur le terrain.
« Pour être efficace, la gestion
d’une crise d’ampleur doit mobili­
ser un directeur unique, un com­
mandant des opérations unique, et
un ou plusieurs conseillers techni­
ques », lit­on encore. Or, ces « prin­
cipes fondamentaux », estime la
FNSPF, ont été « bafoués » pendant
la crise due au Covid­19 : « On a
vécu non seulement une multipli­
cité et une succession des directeurs
et commandants de crise, mais, de
surcroît, on a confié au conseiller
technique – le ministère et l’admi­
Déchargement d’une
livraison de masques
à l’aéroport de Vatry
(Marne), pont aérien
entre la Chine et
la France, le 13 mai.
LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
que en marche, LRM) de Paris et
président du groupe d’amitié
France­Chine à l’Assemblée na­
tionale, n’a pas souhaité réagir
aux accusations du renseigne­
ment français sur ces « distribu­
tions sélectives ». Il s’est démené
auprès des acteurs publics et pri­
vés, français et chinois, pour faire
venir dans l’Hexagone des mas­
ques et du matériel de Chine
alors que le pays souffrait de pé­
nurie. Jouant les intermédiaires
auprès des autorités chinoises
pour accélérer leur achemine­
ment, notamment vers son an­
cien arrondissement, il a pour­
tant été aux premières loges des
pratiques de l’ambassade.
Dijon figure parmi les villes ci­
tées comme bénéficiaires de ces
cadeaux intéressés. Mi­avril, alors
que la cité, dirigée par l’ex­minis­
tre (PS) François Rebsamen, at­
tend encore sa part du million de
masques commandés par la ré­
gion Bourgogne­Franche­Comté,
l’association des Chinois de Dijon
lui en offre 20 000.
Interrogé par Le Monde, son
président, Hu Zhong Sheng, re­
late la genèse du don : « J’ai eu une
collaboratrice de l’ambassadeur
de Chine, à Paris, au téléphone.
Elle nous a d’abord fait parvenir
des masques pour notre commu­
nauté, puis elle nous a encoura­
gés à aider la mairie en lui offrant
des masques. Mais là, c’est nous
qui avons réuni les fonds, nous
connaissions les fournisseurs en
Chine et le transport nous est re­
venu peu cher. »
nistration de la santé – le rôle de
commandant de crise, alors que
rien dans son organisation et sa
culture ne le prédisposait à assurer
efficacement ce rôle. »
Les agences régionales de santé
(ARS) concentrent une bonne par­
tie des critiques. Il leur est repro­
ché d’avoir « démontré leur impré­
paration à la gestion d’une crise de
cette ampleur » et d’avoir « trop
longtemps oublié les Ehpad [éta­
blissements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes],
laissant seules les collectivités terri­
toriales face aux décès en nombre
de nos aînés ». Les ARS ont géré la
crise comme « des administrations
de gestion comptable et financière
du système de santé », « accaparées
par la gestion du nombre de places
en réanimation hospitalière et par
les remontées statistiques ».
La FNSPF reproche ensuite au
ministère de la santé d’avoir trop
souvent voulu « faire face seul »
alors que les casernes étaient prê­
tes à intervenir – « Le mot d’ordre
Joint, M. Rebsamen a fait répon­
dre son directeur de la
communication : « L’association
des Chinois de Dijon nous a con­
tactés, et il n’y a eu aucune condi­
tionnalité à ces dons, pas une seule
communication sur la Chine. » Le
même ne cache pas que Dijon est
engagée dans une stratégie tou­
ristique très chinoise, dont l’am­
bition est de faire de la ville « la
deuxième destination française
des Chinois après l’Ile­de­France ».
Depuis 2018 et le lancement du
programme « Dijon China Desk »,
M. Rebsamen multiplie les
contacts avec la Chine pour atti­
rer une clientèle haut de gamme.
« Nous avons beaucoup d’atouts,
le vin, la gastronomie et le patri­
moine », explique son directeur
de la communication.
intérêt stratégique
Selon le renseignement français,
d’autres villes, comme Nancy,
Strasbourg ou Besançon, ont
également reçu des dizaines de
milliers de masques grâce à la
mobilisation des associations
chinoises encouragées par les
services de l’ambassade. En ré­
coltant 8 500 euros, l’association
des Chinois de Lorraine a fait ve­
nir 31 200 masques et trois respi­
rateurs, le 27 mars, au CHU de
Nancy. « On n’a presque rien payé
pour le transport », témoigne un
membre de l’association qui
requiert l’anonymat. Commen­
taire de la télévision publique
régionale : « La générosité chi­
noise réussit là où les voies admi­
des administrations de la santé
semblait être : tout sauf les sapeurs­
pompiers ! » –, mais estime que la
coopération entre pompiers et ac­
teurs de santé a été globalement
satisfaisante au niveau local :
« L’agilité territoriale a permis de
compenser les pesanteurs de l’Etat
central. » Une partie du document
consiste en un exercice d’autosa­
tisfaction qui s’achève sur ce cons­
tat : « Les sapeurs­pompiers ont fait
preuve d’une réactivité et d’une
adaptabilité à toutes épreuves. »
« Opérations de communication »
Les transferts en TGV médicalisés
de centaines de patients du
Grand­Est ou d’Ile­de­France vers
des hôpitaux de régions moins
touchées par le Covid­19 sont
qualifiés de « pures opérations de
communication » relevant d’une
« véritable esbroufe » : « Etait­il effi­
cace de faire faire des centaines de
kilomètres aux victimes alors que,
souvent, il y avait de la place dans la
clinique d’en face ? »
La mairie du 13e
arrondissement
de Paris a reçu
250 000
masques, dès
le début du
confinement,
sans les avoir
sollicités
nistratives françaises ont le plus
grand mal. »
L’ambassade aurait également
invité « ses amis français » à utili­
ser les jumelages, en particulier
en outre­mer, qui, selon le rensei­
gnement français, a fait l’objet
d’une grande attention de la part
de Pékin. Le consul de Chine en
Polynésie française, Shen Zhi­
liang, n’a pas ménagé ses efforts
pour convaincre le district de
Changning, jumelé avec Papeete,
de faire un don de 50 000 mas­
ques, puis les autorités de Shan­
ghaï pour l’envoi d’autres maté­
riels. Edouard Fritch, président
de la Polynésie française, a, à cha­
que fois, chaleureusement salué
la Chine et s’est engagé à renfor­
cer les liens en promettant, no­
tamment, des liaisons aériennes
directes. Son cabinet a décliné
tout commentaire.
Le consul général de Chine à
Saint­Denis de La Réunion, Zhi­
hong Chen, a également été à la
« J’ai l’impression de ne pas avoir
vécu la même histoire, réagit Auré­
lien Rousseau, directeur de l’ARS
d’Ile­de­France. C’est la négation de
ce qu’ont été ces quelques jours
pendant lesquels on ne savait pas si
on tiendrait parce que toutes nos
capacités publiques et privées de
réanimation étaient saturées. »
« C’est injurieux ! Ils s’imaginent
qu’on fait de la com avec les mala­
des ? », s’agace également François
Braun, président du syndicat SA­
MU­Urgences de France (SUdF),
qui se « réserve le droit de porter
plainte pour diffamation ».
Le document de la FNSPF re­
lance enfin le débat déjà ancien
sur la régulation téléphonique
des urgences, estimant que le 15,
le numéro du SAMU, a été « sub­
mergé » en Ile­de­France : « On a
ainsi relevé un délai de réponse de
quarante­cinq minutes à Paris. Et,
pendant ce temps, des requérants
non­Covid en situation d’urgence
vitale (arrêts cardiaques) n’ont ja­
mais eu de réponse du 15 à leurs
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
manœuvre pour la fourniture
gratuite, le 24 mai, de
350 000 masques chirurgicaux,
de 12 000 masques FFP2 et d’une
machine pour en fabriquer. Les
liens entre la région et la ville de
Tianjin ont justifié ce cadeau,
mais l’intérêt stratégique de La
Réunion pour la Chine du fait de
son positionnement dans l’océan
Indien ne serait pas étranger à
cette générosité, si l’on en croit la
DGSE. Le président de la région,
Didier Robert, n’a pas souhaité
répondre au Monde, mais un
membre de son cabinet rappelle
que, en février, c’est La Réunion
qui avait envoyé du matériel mé­
dical à la Chine.
Le 7 avril, alors que Pékin était
accusé par un élu américain de
vouloir troquer la livraison de
masques à la France contre
l’adoption, par Paris, du réseau
5G proposé par l’entreprise chi­
noise Huawei, le porte­parole du
ministère chinois des affaires
étrangères, Zhao Lijian, dénon­
çait « la désinformation visant à
saboter les relations sino­françai­
ses ». Il ajoutait, « pour des raisons
d’amitié et dans un esprit humani­
taire, la Chine a livré des fournitu­
res médicales à la France et a faci­
lité ses achats en Chine sans impo­
ser aucune condition ». L’Elysée
avait également démenti. En re­
vanche, selon les services fran­
çais, Huawei aurait bien proposé
des masques aux entreprises
françaises pouvant lui être utiles
dans son expansion. 
jacques follorou
appels et sont morts dans l’indif­
férence générale. »
« Totalement aberrant », répond
François Braun, qui réfute les
conclusions du « pamphlet très
étonnant » de la FNSPF, « un ramas­
sis de fausses vérités » : « Il y a eu des
moments de saturation, mais on
s’est organisés pour faire un “décro­
ché” extrêmement rapide et une
orientation des appels. Si des pa­
tients ont pu attendre quarante­
cinq minutes, c’est après le “décro­
ché”, et parce qu’il s’agissait de cas
non graves orientés vers la filière
“renseignement”. » Quant à la prise
en charge des arrêts cardiaques,
« elle a été exactement le même que
l’année précédente », assure­t­il.
Le ministère de la santé, inter­
rogé par l’Agence France­Presse, a
regretté la publication « en pleine
crise » d’un « rapport clairement
pas étayé » qui « ne reflète pas les
actions » des professionnels mobi­
lisés ni la réalité de la collaboration
entre ARS et préfectures. 
henri seckel
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
Le monde dans l’ère de l’argent gratuit
Face à l’explosion des dettes, les banques centrales ont baissé leur taux et ne peuvent plus les remonter
ANALYSE
G explosent depuis trois décennies
ouvernements, entre­
prises, ménages : en­
dettez­vous, c’est le
moment ! Les taux
d’intérêt n’ont jamais été aussi
bas et ils ne sont pas prêts de re­
monter. Le monde est entré dans
la pandémie alors que les taux
étaient historiquement bas de­
puis la crise de 2008. Pour per­
mettre aux Etats de se financer
pendant cette crise, les banques
centrales sont allées encore plus
loin, s’enfonçant un peu plus
dans cette nouvelle ère moné­
taire où l’argent est quasi gratuit.
« Les taux vont rester très bas très
longtemps, on est tous d’accord »,
explique Mikaël Pacot, d’Axa In­
vestment Managers. « On ne va
pas sortir de la politique moné­
taire expansionniste de sitôt »,
confirme Christopher Dembik, de
Saxo Bank.
Pour l’économie mondiale, les
conséquences sont majeures.
L’action des banques centrales,
qui permet de garder les taux à
zéro, est le principal phénomène
qui va influencer tous les autres.
C’est vrai pour les ménages qui
achètent un logement et qui vont
pouvoir emprunter toujours
moins cher. C’est vrai aussi pour
les ménages les plus riches, déten­
teurs d’actifs, qui vont s’enrichir,
accentuant les inégalités entre les
classes sociales mais aussi entre
les générations. Inversement,
l’épargne bancaire ne rapporte
plus rien et le Livret A est,
aujourd’hui, presque sans intérêt.
Mais c’est surtout vrai pour les
Etats, qui vont pouvoir emprun­
ter comme jamais.
Trois décennies de baisse des
taux Avec la pandémie, toutes les
grandes banques centrales sont
venues au secours de l’économie,
en lançant des plans d’achat de
dette d’une ampleur inédite. L’en­
veloppe dépasse, par exemple,
1 500 milliards d’euros pour la Ban­
que centrale européenne (BCE), ce
qui permet aux Etats de la zone
euro de se financer facilement.
Officiellement, les banques cen­
trales l’assurent : leur action est
temporaire. Bientôt viendra la
« normalisation » et le retour à des
taux d’intérêt plus élevés. « Elles
avaient dit la même chose
en 2008­2009, réplique Brian
Coulton, chef économiste à Fitch
Ratings. La leçon de ces dix derniè­
res années est que les banques cen­
trales ne sont pas allées loin dans
la normalisation. » Le cabinet
d’analyse Oxford Economics es­
time que les taux vont rester bas
au moins « pendant les cinq pro­
chaines années ».
La tendance à la baisse des taux
d’intérêt remonte à la fin des an­
nées 1980. La Réserve fédérale
américaine (Fed, banque centrale)
a été l’une des premières à le faire.
En 1987, le « lundi noir » fait plon­
ger la Bourse. Alan Greenspan est
alors depuis deux mois à la tête de
banque centrale américaine, pro­
mettant de ne pas agir en cas
d’éclatement des bulles financiè­
res, persuadé de la force autorégu­
latrice des marchés. Il fait pour­
tant exactement l’inverse et an­
nonce immédiatement « être prêt
à servir de source de liquidité ».
Depuis, à chaque crise, les ban­
ques centrales font de même et
La Fed
américaine
a été l’une des
premières
institutions à
baisser ses taux,
en 1987, à la suite
du « lundi noir »
A travers le monde, les dettes des Etats, des entreprises et des ménages
Dette mondiale rapportée au PIB pour les vingt-cinq plus importantes économies
250
200
150
100
Dette des Etats
50
Dette des entreprises
0 Dette des ménages
1952 1957 1962 1967 1972
Mais les banques centrales
ont mis leurs taux à zéro
Taux de la BCE depuis vingt ans, en %
5 Taux d’intérêt moyen de la dette des Etats, en %
4 Espagne
3 5,5
2 5
1 4
0 4
2000 2005 2010 2015
Taux de la Fed depuis vingt ans, en %
8
6 Espagne
4 1
2
0 0,25
2000 2005 2010 2015
* prévisions
soutiennent l’économie, interve­
nant chaque fois plus fort.
En 2008, lors de la grande crise fi­
nancière, la BCE et la Fed ont mis
pour la première fois leurs taux
d’intérêt à zéro. Mais cela n’a pas
suffi, et elles ont commencé à
acheter des dettes (c’est le « quanti­
tative easing »). En 2017, la Fed
américaine a bien tenté de norma­
liser ses taux. Elle a réussi à les aug­
menter, mais cela a provoqué de
très sérieux remous sur les mar­
chés financiers. Et, à la première
alerte, les taux sont revenus à zéro.
L’institution monétaire de
Francfort, elle, n’a jamais réussi à
s’approcher de la moindre norma­
lisation. Son taux de dépôt est
même devenu négatif en 2014,
d’abord à – 0,1 %, puis s’enfonçant
progressivement jusqu’à – 0,5 %
actuellement.
A travers le monde, les acteurs
économiques ont logiquement
profité de ces coups de pouce à ré­
pétition pour s’endetter toujours
plus. La dette cumulée des Etats,
des ménages et des entreprises de
vingt­cinq premières économies
mondiales est ainsi passée de
150 % du PIB dans les années 1980
à presque 250 % aujourd’hui, se­
lon Invesco. Une catastrophe à ve­
nir ? « Tant qu’il y a de la croissance
économique et que le coût du fi­
nancement reste bas, ce n’est pas
un problème », note Paul Jackson,
d’Invesco. En clair, tout va bien
tant que les taux d’intérêt sont au
plancher. « On est dans un cercle vi­
cieux, avertit Tony Stringer, direc­
teur des notes des pays souverain
à Fitch. Plus les Etats utiliseront ces
taux bas pour emprunter, moins
les banques centrales pourront
durcir leur politique monétaire. »
Une occasion exceptionnelle
pour les Etats Depuis le début de
la pandémie, les Etats semblent
1977 1982 1987 1992 1997 2002 2007 2012
Si bien que le taux d'intérêt moyen
imposé aux dettes de la zone euro
baisse constamment
5
– 0,5
2020 3 3,5
Portugal
2 Italie
Pays-B as
France
Allemagne
0
2020 2006 2009
avoir découvert l’arbre à argent
magique, dépensant sans comp­
ter. En France, les dépenses attei­
gnent un niveau historique : chô­
mage partiel (30 milliards
d’euros), report des charges des
entreprises (32 milliards), plans
d’aide à l’automobile, l’aéronauti­
que, le tourisme… Cette généro­
sité n’est possible que grâce à l’in­
tervention des banques centrales.
Aujourd’hui, le taux des obliga­
tions françaises à dix ans tourne
autour de zéro, celui de l’Allema­
gne est à – 0,4 % et celui du Royau­
me­Uni de 0,2 %.
Cela mène à un paradoxe. De
2008 à fin 2020, la dette de l’Etat
français sera passée de 70 % du
PIB à 115 %. Mais jamais le rem­
boursement des intérêts n’aura
été aussi faible, passant sur la
même période de 2,8 % à 1,4 % du
PIB. Alors que la dette a doublé,
son poids dans le budget du gou­
vernement a été réduit de moitié.
« Heureusement que les taux d’in­
térêt (…) sont à leur plus bas depuis
plusieurs siècles », souligne Paul
Jackson, d’Invesco.
Les gouvernements font donc
face à une occasion unique. Ils
peuvent utiliser la crise pour se
lancer dans d’importantes dé­
penses d’investissement. C’est le
moment de débuter des grands
travaux, construire des hôpitaux,
développer des écoles. « Au­
jourd’hui, la BCE dit de facto : “je
m’engage à vous donner des con­
ditions de financement très favo­
rables pendant longtemps, profi­
tez­en pour faire vos réformes et
relancer l’économie” », explique
M. Pacot, d’Axa IM.
Les inégalités vont se creu­
ser Les propriétaires immobiliers
peuvent se frotter les mains, le
prix de leurs logements devrait
en effet continuer à s’apprécier.
2019
2,8
2,4
2,1
1,4
1,2
1 0,8
2012 2015 2018 2021*
C’est déjà le cas depuis la crise de
2008. De Paris à Londres, en pas­
sant par New York et Berlin, l’im­
mobilier flambe.
Chaque ville a ses spécificités,
mais un facteur commun les lie :
les taux d’intérêt sont bas. En
zone euro, un prêt immobilier est
passé d’un taux moyen de 3 %
en 2013 à 1,5 % actuellement. Les
ménages peuvent donc emprun­
ter des sommes de plus en plus
importantes, ce qui fait gonfler
les prix. Bien sûr, certains mar­
chés immobiliers peuvent s’ef­
fondrer si la bulle grossit trop,
mais la tendance générale reste à
la hausse.
Le même phénomène se pro­
duit sur le marché actions. Puis­
que les emprunts obligataires ne
rapportent plus rien, les investis­
seurs cherchent des rendements
plus importants, quitte à prendre
plus de risques. Beaucoup d’entre
eux se rabattent vers les Bourses.
L’extraordinaire rebond des in­
dices boursiers en est la preuve.
Ceux­ci sont en hausse de 30 % à
40 % depuis leur point bas d’il y a
trois mois, alors même que l’éco­
nomie traverse l’une des pires ré­
cessions de son histoire moderne.
L’action des banques centrales ex­
plique cette amélioration.
Morale de l’histoire : les riches
vont continuer à s’enrichir. « Les
propriétaires d’actifs se sont enri­
chis : le marché actions aux Etats­
Unis, ou les marchés immobiliers
à travers le monde ont beaucoup
augmenté, explique M. Coulton,
de l’agence Fitch. Dans le même
temps, les ménages les plus pau­
vres ont subi un plafonnement
des salaires. Il est difficile d’imagi­
ner que les inégalités ne continue­
ront pas d’augmenter. »
Ces inégalités concernent no­
tamment les écarts entre les gé­
nérations. Il est actuellement très
| 15
C'est notamment vrai pour la plupart des Etats
de la zone euro
Evolution de la dette, en % du PIB
Portugal Pays-Bas Italie
Espagne France Allemagne
160
153,6
140
120 124,4
100 113,7
80
111,9
60
71,8
57,6
40
20
0
2006 2009 2012 2015 2018 2021*
Et le service de la dette n'a jamais été si bas
Service de la dette, en % du PIB (somme que les Etats doivent payer
chaque année pour honorer les intérêts de leur dette)
Portugal Pays-Bas Italie France
Allemagne
4,5
3,6
3 3,4
2,5
2,3
2
1,5
1,3
1
0,5
0,7
0
2006 2007 2009 2011 2013 2015 2017 2019 2021*
Infographie : Le Monde Sources : Invesco, Axa IM, global-rates.com
redistribution, aide au retour à
Les l’emploi, logement… », note pour
gouvernements sa part M. Pacot.
font face à une Les marchés financiers sont
occasion unique : « nationalisés » Les analystes des
marchés financiers ont désor­
ils peuvent mais une obsession : que vont
utiliser la crise faire les banques centrales ? Cha­
que mot de Christine Lagarde et
pour se lancer de Jerome Powell, qui dirigent res­
dans pectivement la BCE et la Fed, est
scruté de très près. M. Dembik, de
d’importantes Saxo Bank, appelle cela la « natio­
dépenses nalisation du marché obliga­
taire ». « Les prix des marchés sont
d’investissement de plus en plus des prix adminis­
trés par les banques centrales »,
complète Patrick Artus, chef éco­
difficile pour un jeune d’acheter nomiste de Natixis.
un premier logement. Inverse­ Cela présente deux dangers.
ment, ceux qui ont eu la chance D’abord, les investisseurs ne s’in­
d’acheter il y a vingt ou trente ans téressent plus vraiment aux ac­
sont désormais assis sur un actif tifs qu’ils achètent, tant que les
dont le prix s’envole. banques centrales sont là pour
Inversement, les petits épar­ les soutenir. « Cela pose un risque
gnants vont y perdre. Le taux du de mauvaise allocation de l’épar­
Livret A en France n’est plus que de gne », note Patrick Artus. En clair,
0,5 %. En Allemagne, la polémique des bulles peuvent se former
gronde sur le sujet. Avant de quit­ dans certains secteurs, si les in­
ter son poste en novembre 2019, vestisseurs achètent des actifs
Mario Draghi, l’ancien président trop risqués.
de la BCE, avait même été carica­ Ensuite, alors que les banques
turé en « comte Draghila », qui su­ centrales sont censées soutenir
çait l’épargne des ménages. l’économie réelle et non aider les
L’enrichissement des riches par marchés, « il existe un risque (…) de
le biais des taux d’intérêt faibles capture par le secteur financier, té­
ne signifie pas que l’action des moignait récemment aux Echos
banques centrales a été une er­ Benoît Cœuré, ancien membre
reur. Sans leur intervention, les du directoire de la BCE. En
Etats n’auraient pas pu financer d’autres termes, le risque que la
les gigantesques et nécessaires banque centrale n’ose pas faire ce
aides à l’économie depuis le con­ qu’elle doit de peur de fragiliser les
finement, ce qui aurait provoqué banques et les marchés. » Du petit
une dépression majeure, bien épargnant au gigantesque fonds
plus grave. « Les inégalités ne sont de pension en passant par le pro­
pas un problème à régler par les priétaire immobilier, une seule
banques centrales (même si elles certitude : l’attitude des banques
en sont conscientes), mais par les centrales ces prochaines années
gouvernements. C’est une ques­ les touchera tous. 
tion de politique sociale : fiscalité, éric albert

16 | économie & entreprise
L’immobilier se rétablit vite
après le confinement lié au Covid fragilise les entreprises
A Paris, au premier semestre, le prix du mètre carré a grimpé de 7,4 %,
battant de nouveau son record. Mais le marché francilien se transforme
L
es tout premiers mois de
2020 promettaient une
année exceptionnelle
pour l’immobilier, amor­
cée avec une croissance de plus de
7 % sur la lancée de 2019 qui avait
déjà enregistré un record de ven­
tes à plus de 1,07 million, et, pour
les logements anciens, des prix à
l’unisson, en hausse annuelle de
5 % (6,4 % pour les appartements,
4 % pour les maisons) au premier
trimestre 2020, selon l’indice
Insee Notaires.
Epidémie et confinement sont
passés par là et le nombre de tran­
sactions s’est effondré : fin avril,
leur nombre, sur douze mois,
s’établissait à 973 000, soit 8,6 %
de moins que fin décembre 2019,
selon la Fnaim. Mais la pause a été
de courte durée puisque dès le
11 mai, les agents immobiliers et
les sites d’annonces constataient
une frénésie de sollicitations. Se­
Loger, leader du secteur, après une
chute de 40 % de son audience, la
voit rebondir, en juin, de 60 % et
revient au même nombre d’an­
nonces publiées qu’avant crise,
« avec toutefois plus de demandes
de maisons et une attention parti­
culière sur les espaces extérieurs,
observe Bertrand Gstalder, son di­
recteur. Selon notre dernier baro­
mètre de mai dernier, la confiance
des acquéreurs est là : 75 % d’entre
eux sont optimistes sur l’aboutisse­
ment de leur projet dans les six
mois. C’est un élément nécessaire,
sinon suffisant, pour une reprise
durable », commente M. Gstalder.
Le réseau d’agences Century 21,
dans son étude publiée lundi
6 juillet, constate également cet
élan retrouvé : « En raison des huit
semaines d’arrêt total du marché,
le semestre s’achève certes sur un
nombre de transactions en retrait
de 27 % par rapport à la même pé­
riode de 2019, mais la demande est
redevenue forte et soutient les prix,
dont nous évaluons la hausse,
dans la même période, à 3,1 % pour
les appartements et 2,3 % pour les
maisons, avec à peine moins de
marge de négociation, à 5,1 %, ana­
lyse Laurent Vimont, son prési­
En attendant le plan de relance,
le secteur du logement neuf souffre
Le nombre de permis de construire délivrés pour des logements neufs a plongé de 45 %
L e marché de l’immobilier
ancien se rétablit vite, pas
celui du neuf. Selon les der­
niers chiffres publiés, jeudi
2 juillet, par le ministère du loge­
ment, le nombre de permis de
construire délivrés pour des loge­
ments neufs et celui des mises en
chantier ont, entre mars et
mai 2020, plongé de plus de 45 %,
comparés aux trois mois précé­
dents. « Je m’attendais à pire, con­
fie Alexandra François­Cuxac,
présidente de la Fédération des
promoteurs immobiliers (FPI).
Nous allons perdre entre 80 000 et
100 000 logements neufs et des­
cendre, cette année, au­dessous
des 300 000 », redoute­t­elle.
Les nuages s’amoncellent sur ce
secteur : les élections municipales,
d’abord, ont porté à la tête de nom­
breuses villes des écologistes sus­
ceptibles de remettre en cause des
opérations d’urbanisation ; l’adop­
tion, fin 2019, du principe de « zéro
artificialisation nette » des sols,
oblige à ne plus construire sur des
terrains non bâtis et leur préférer
la reconversion de friches ; enfin,
les commandes des bailleurs so­
Quand le dividende
Les taux
ont un peu
augmenté, de
0,10 point, mais
restent attractifs,
à, en moyenne,
1,40 % sur 20 ans
dent. Est­ce un effet de rattrapage
ou une reprise durable ? Il est trop
tôt pour le dire. »
A Paris, le prix du mètre carré,
nullement impressionné par la
crise, a encore grimpé de 7,4 %, à,
en moyenne, 10 670 euros, bat­
tant à nouveau son record. Mais le
marché francilien se transforme,
moins animé par les investis­
seurs, que les déboires de la loca­
tion touristique font fuir (29 %
cette année contre 31 % en 2019),
que par des ménages à la recher­
che d’une confortable résidence
principale (63,5 % au lieu de 57 %).
Conséquence, la surface mo­
yenne achetée augmente de
10 mètres carrés, à 53 mètres car­
rés, et la transaction type s’élève à
547 000 euros !
L’appel pressant de la campagne
Dans toute l’Ile­de­France, c’est la
hausse des prix qui s’impose :
+ 8,8 % pour les appartements et
+ 2,8 % pour les maisons. Elle est
même à deux chiffres en Breta­
gne (+ 11 %), Centre­Val de Loire
(+ 11,4 %), Pays de la Loire (+ 12,9 %,
tiré par Nantes) et Occitanie
(+ 10,5 %) mais se calme en Nou­
velle Aquitaine (– 4 %), Auvergne­
Rhône­Alpes (– 1,3 %) et Norman­
die (– 3,1 %).
Le télétravail généralisé pendant
le confinement a fait réfléchir les
cadres et les urbains sur leur lieu
d’habitation idéal : « Dès la se­
maine suivant le déconfinement
du 11 mai, j’ai vendu trois maisons à
des Franciliens qui viennent y ins­
taller leur résidence principale, ra­
conte Nicolas Maitrejean, agent
immobilier à Chartres. Un jeune
ciaux s’amenuisent, car ils ont été
fragilisés dans leurs programmes
d’investissement par les ponc­
tions financières de l’Etat. « Réno­
ver le parc existant ne suffira pas à
combler les importants besoins en
logement, plaide Mme François­
Cuxac. Nous espérons que les nou­
veaux élus ne seront pas dogmati­
ques et sauront y répondre ».
« Il y aura des faillites »
En aval de la filière de construc­
tion, les entreprises de bâtiment
sont inquiètes : « Certes, 95 % des
chantiers stoppés par la crise sani­
taire ont repris, mais c’est un chif­
fre en trompe­l’œil car leur produc­
tivité n’est pas la même, ils sont ra­
lentis. Quant aux appels d’offres
des collectivités locales, leur nom­
bre a chuté de moitié, comme celui
des demandes de devis par des
particuliers », témoigne Olivier
Salleron, président de la Fédéra­
tion française du bâtiment (FFB)
où il a, le 12 juin, succédé à Jacques
Chanut. La FFB anticipe une chute
du chiffre d’affaires de la profes­
sion de 18 %, en 2020, et, « si rien
n’est fait, une perte de 120 000 em­
couple de cadres, lui dans une
start­up et habitué au télétravail, a
acheté une maison aux portes de
Chartres, pour 300 000 euros. Un
père et son fils, venus de Malakoff,
ont choisi une maison en campa­
gne avec trois hectares de terrain,
pour 400 000 euros. »
Sabine Ficheux, à la tête d’une
agence à Fontainebleau, a vu arri­
ver la même clientèle : « Ils pen­
saient depuis longtemps s’offrir
une maison avec un jardin et la
crise les a fait passer à l’acte. » A
Marly­le­Roi, où l’on trouve beau­
coup de grands appartements
avec terrasses dans des ensem­
bles des années 1960­1970 im­
plantés dans des parcs ver­
doyants, l’agence Guy Hocquet
prédit : « Vendre des appartements
sans balcon va devenir difficile. »
L’appel pressant de la campagne,
M. Vimont n’y croit cependant
guère : « Il y a certes des envies, des
rêves, des intentions… Mais,
comme pour les bonnes résolu­
tions de rentrée, le quotidien re­
prend vite le dessus ! »
Les banques confirment à leur
tour la reprise du marché : fin
juin, la production de crédits im­
mobiliers atteint 1,5 milliard d’eu­
ros, comme l’an passé à même
date. Les taux ont un peu aug­
menté, de 0,10 point, mais restent
attractifs, à, en moyenne, 1,40 %
sur vingt ans, contre 1,25 % en dé­
cembre dernier, renouant avec
leur niveau de juillet 2019. Un
nouvel examen de la situation, à
la rentrée, dira si la reprise est so­
lide ou tient du rattrapage.
Une inquiétude persiste sur la
volonté des banques d’accorder
des prêts aux primo­accédants
car leurs critères d’exigibilité se
sont, eux, resserrés depuis les re­
commandations de prudence du
Haut Comité à la stabilité finan­
cière – qui dépend de la Banque de
France et du ministère de l’écono­
mie –, en novembre 2019. Le cour­
tier en prêts VousFinancer cons­
tate ainsi une hausse de la propor­
tion de dossiers refusés, à 9,8 %,
contre 5,4 % l’an dernier à la
même époque, qui touche bien
« Certes, 95 % des
chantiers
stoppés par
la crise sanitaire
ont repris, mais
c’est un chiffre
en trompe-l’œil »
OLIVIER SALLERON
président de la FFB
plois, voire 200 000 en 2021, alerte
M. Salleron. Il y aura des faillites et
des fermetures d’entreprises et
nous comptons beaucoup sur un
plan de relance qui ne doit pas at­
tendre la rentrée ».
Tout le secteur place donc ses es­
poirs dans ce plan de relance envi­
sagé par le gouvernement et cha­
cun, FFB, promoteurs, Fnaim,
Union sociale pour l’habitat qui
fédère les bailleurs sociaux, y va
de ses propositions. Richard Lio­
ger, député (LRM, Moselle) a, le
1er juillet, remis le rapport d’infor­
mation du groupe de travail de
LES CHIFFRES
10 670
C’est, en euros, le prix du mètre
carré à Paris. Il a crû de 7,4 %,
à, en moyenne, 10 670 euros,
battant à nouveau son record.
La surface moyenne achetée
augmente de 10 mètres carrés,
à 53 mètres carrés, et la transac-
tion type s’élève à 547 000 euros,
selon l’étude du réseau immobi-
lier Century 21.
– 27 %
C’est la baisse du nombre de
transactions enregistré au pre-
mier semestre du fait du confi-
nement lié à la pandémie.
Malgré la baisse des ventes, le
niveau des prix reste très élevé.
12,9 %
C’est l’augmentation des prix
dans la région Pays de la Loire,
tiré notamment par les transac-
tions immobilières à Nantes.
Le taux de croissance est de
11 % en Bretagne, de 11,4 %
dans le Centre ou encore de
10,5 % en Occitanie. Les prix
baissent en Nouvelle-Aquitaine
(– 4 %), Auvergne-Rhône-Alpes
(– 1,3 %) et Normandie (– 3,1 %).
les primo­accédants mais aussi
30 % d’investisseurs.
Crise sanitaire et resserrement
du crédit conjugués font craindre
une baisse de 21 % du nombre des
ventes, en 2020, faisant plonger
environ 3 000 agences, soit 18 %
du secteur, et menaçant 20 000
emplois, selon la Fnaim : « En
comparaison, la crise de 2008­
2009 avait fait fermer 2 500 agen­
ces et perdre 17 500 emplois », rap­
pelle Jean­Marc Torrollion, son
président. 
isabelle rey­lefebvre
l’Assemblée nationale sur le loge­
ment « concernant la reprise et le
plan de relance dans le bâtiment
et les travaux publics ».
Beaucoup de points satisfont les
professionnels : accélérer les pro­
cédures d’instruction des permis
de construire ; encourager la réno­
vation des logements en baissant
le taux de TVA sur les travaux
d’amélioration à 5,5 % au lieu de
10 % actuellement ; rendre éligible
à tous les ménages, plutôt qu’aux
50 % les plus modestes, la prime
Rénov d’amélioration thermique
des logements ; retourner à la TVA
à 5,5 % pour la création de tous les
types de logements sociaux ;
abonder le Fonds d’aide à la pierre ;
revenir sur la baisse de l’aide per­
sonnalisée au logement qui, de­
puis 2017, paralyse les investisse­
ments des bailleurs sociaux… « La
création de logements étudiants et
celle d’un parc très social pour dé­
sengorger les centres d’héberge­
ment sont deux angles morts de la
politique de l’habitat, à intégrer
d’urgence au plan de relance », pro­
pose aussi M. Lioger. 
i. r.­l.
PERTES & PROFITS | FINANCES
par philip pe esc and e
Le dividende a mauvaise réputa­
tion par les temps qui courent.
Face la plus visible de la rémuné­
ration d’un actionnaire, il con­
centre tous les reproches que l’on
peut adresser à la finance, à la
Bourse et au capitalisme en gé­
néral : celui d’une forme d’enri­
chissement sans effort, au même
titre que l’intérêt d’un emprunt.
En période de catastrophe écono­
mique, comme en ce moment, il
est le symbole de l’aléa moral.
Comme si Air France, aidé massi­
vement par l’Etat et préparant le
départ de plus 7 500 de ses sala­
riés, choisissait de continuer à
verser un dividende confortable
à ses actionnaires.
Il est pourtant un rouage
essentiel de la grande machine
à recycler le carburant financier
de nos économies. Il rémunère
l’épargne des fonds de retraite
ou des assurances­vie, et permet
aux actionnaires de réallouer
leurs économies vers d’autres
sociétés qui ont besoin d’argent,
parce qu’elles sont en croissance
ou en difficulté. La Bourse a été
créée pour financer des aventu­
res entrepreneuriales et fournir
des moyens à une société en
toute transparence et de dispo­
ser, grâce à ses actions cotées,
d’une monnaie échangeable
pour faire des acquisitions.
Ce cercle vertueux demande un
équilibre subtil qui peut être faci­
lement rompu. Cette part suppo­
sée des bénéfices peut entrer en
conflit avec les autres usages que
Michelin devra bien
augmenter les salaires
La justice contraint le manufacturier à
appliquer l’accord signé avant la pandémie
clermont­ferrand ­
correspondant
U n salarié peut­il renon­
cer à une augmentation
de salaire prévue par un
accord collectif pour aider son en­
treprise à passer un cap difficile ?
C’est ce qu’espérait Michelin en
proposant à ses cadres et à ses col­
laborateurs de reporter à 2021 les
hausses de rémunération pré­
vues pour 2020. « Il s’agit d’un
trouble manifestement illicite,
qu’il convient de faire cesser », a ré­
pondu dans une ordonnance du
mardi 30 juin le tribunal judi­
ciaire de Clermont­Ferrand, saisi
en référé par la CFE­CGC. Le nu­
méro deux mondial du pneuma­
tique devra donc appliquer l’ac­
cord de politique salariale signé le
7 février avec la CFDT et la CFE­
CGC, la CGT et SUD ayant pour
leur part refusé de parapher les
conclusions de la négociation an­
nuelle obligatoire.
Contourner l’obstacle
Le 7 février, c’était encore pour Mi­
chelin une période d’optimisme
économique mais le coronavirus
a bouleversé toutes les prévisions
et le manufacturier clermontois a
été contraint de mettre ses usines
à l’arrêt. Face à la violence de la
crise, la direction a proposé à la
CFDT et à la CFE­CGC la signature
d’un avenant pour que les aug­
mentations individuelles pré­
vues en mai ne soient pas versées.
Une proposition acceptée par la
première mais refusée par la se­
conde sans qui la majorité n’était
pas atteinte.
Michelin a alors décidé de con­
tourner l’obstacle en misant sur le
volontariat de ses cadres et colla­
borateurs pour « contribuer à pré­
server la trésorerie du groupe dans
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
peut faire l’entreprise de l’argent
gagné : augmenter ses salariés (ou
en embaucher d’autres) et accroî­
tre ses investissements. La bonne
gestion consiste à tenir ces trois
fils sans qu’aucun ne se casse.
Déclarations ronflantes
A chaque crise boursière, et sur­
tout depuis celle de 2008, on
tente de modérer l’appétit des in­
vestisseurs pour le rendement à
court terme. Rien n’y fait, en dé­
pit des déclarations ronflantes
sur la responsabilité sociale et le
souci du long terme. Selon une
étude révélée par le Financial
Times, peu suspect d’anticapita­
lisme primaire, 37 % des sociétés
qui composent l’indice américain
S&P 500 ont versé, en 2019, des
dividendes (ou procédé à des ra­
chats d’actions, ce qui est équiva­
lent) pour un montant supérieur
à l’ensemble de leurs bénéfices
nets de l’année. C’est un peu
moins en Europe, autour de 29 %.
Ce qui signifie qu’elles ont dû
emprunter pour le faire ou pui­
ser dans leur trésorerie. A l’épo­
que, l’argent était tellement peu
cher et le ciel économique si
bleu… En ce début d’été 2020,
c’est une autre histoire. L’argent
n’est plus si bon marché dès lors
que la dette des entreprises est
dégradée. Ce qui contraint les
Etats qui le peuvent à voler à leur
secours, et ralentit donc la re­
prise économique. A trop privilé­
gier l’actionnaire, on compromet
son intérêt et celui de tous. 
ce contexte de crise ». Le 20 avril, la
direction a diffusé une note indi­
quant qu’elle avait pris la décision
de « permettre aux salariés qui le
veulent de reporter la date de l’acti­
vation de leur augmentation indi­
viduelle de mai 2020 à mai 2021 »,
en exprimant leur choix par cour­
riel au plus tard le 7 mai.
La proposition était assortie de
l’engagement que le choix des sa­
lariés n’aurait « aucune consé­
quence sur le déroulement de
[leur] carrière professionnelle ».
Un engagement qui n’a pas suffi
à la CFE­CGC, par ailleurs piquée
au vif par l’accusation implicite
d’irresponsabilité. D’où sa déci­
sion de porter l’affaire devant le
tribunal.
L’employeur n’a « pas la possibi­
lité d’écarter de manière unilaté­
rale l’application à la rémunéra­
tion des salariés d’une convention
collective à laquelle il est soumis »,
a jugé Catherine Grosjean, la pré­
sidente du tribunal. « De même, le
salarié ne peut pas renoncer de
manière individuelle, même avec
l’accord de l’employeur, aux avan­
tages salariaux qu’il tire d’une con­
vention collective. »
La magistrate a donc ordonné à
Michelin « d’adresser à tous les sa­
lariés, rendus précédemment des­
tinataires de la note de service du
20 avril 2020, une nouvelle note de
service annulant la précédente et
indiquant aux salariés qui
auraient opté pour le report de leur
augmentation que leur choix ne
sera pas pris en compte ». « Cela
confirme la primauté des accords
collectifs », s’est réjoui Me Jean­
Louis Borie, le conseil de la CFE­
CGC. Il est maintenant assez pro­
bable que les négociations sala­
riales de 2021 se soldent par un gel
des salaires. 
manuel armand
0123
MARDI 7 JUILLET 2020 économie & entreprise | 17

Trois candidats
pour prendre
la présidence
de l’Eurogroupe Mario
Centeno,
l’actuel
président de
Le 9 juillet, les ministres des finances l’Eurogroupe,
après qu’il a
de la zone euro devront choisir entre annoncé
sa démission
Nadia Calviño, Paschal Donohoe du ministère
des finances
et Pierre Gramegna portugais,
à Lisbonne,
le 9 juin.
PATRICIA DE MELO
MOREIRA/AFP
bruxelles ­ bureau européen tement les arcanes de Bruxelles,
après une belle carrière à la Com­

C’
est un club infor­
mel, très masculin,
qui rassemble les
dix­neuf ministres
des finances de la zone euro.
Devenu incontournable depuis
que la crise grecque a failli met­
tre à terre l’union monétaire il y
a dix ans, l’Eurogroupe – c’est son
nom – doit se choisir un prési­
dent parmi les siens jeudi
9 juillet, pour remplacer l’actuel
titulaire du titre, Mario Centeno,
qui vient de quitter le gouverne­
ment portugais.
L’affaire n’est pas anodine,
alors que la pandémie due au co­
ronavirus a mis à l’arrêt l’écono­
mie mondiale et que le Vieux
Continent traverse une réces­
sion sans précédent. Elle l’est
d’autant moins que le Brexit ren­
force encore le poids de la zone
euro au sein de l’Union – elle re­
présente 86 % de son PIB – et que
le plan de relance européen, tel
qu’il a été imaginé par la Com­
mission, dessine l’ébauche d’une
Europe plus fédérale.
Trois candidats sont en lice
– « tous plutôt au centre, tous d’un
bon niveau, ce qui n’a pas toujours
été le cas pour la présidence de
l’Eurogroupe », confie un diplo­
mate – et, à quelques jours du
scrutin, les jeux sont loin d’être
faits. L’Espagnole Nadia Calviño a
longtemps fait figure de favorite.
Il faut dire qu’elle connaît parfai­
mission européenne, de laquelle
elle a notamment été directrice
générale du budget. Et sa nomi­
nation aurait le mérite de mainte­
nir les équilibres actuels, puis­
qu’une ministre d’un gouverne­
ment socialiste d’un pays du Sud
remplacerait un ministre d’un
gouvernement socialiste d’un
autre pays du Sud.
Mais l’instabilité du gouverne­
ment de Pedro Sanchez fait crain­
dre à certains que Nadia Calviño
ne soit obligée de quitter l’Euro­
groupe bien avant les deux ans et
demi durant lesquels elle pourrait
être amenée à en assurer la prési­
dence. « Il faudrait que le président
de l’Eurogroupe ne soit pas l’un des
19 ministres en exercice », juge un
ancien ministre des finances. Cet
ancien dirigeant n’ignore pas
qu’un tel scénario reviendrait à
institutionnaliser l’enceinte et à
entériner la nécessité d’une plus
grande intégration de la zone
euro, ce qui aujourd’hui ne fait pas
consensus parmi les Européens.
Nadia Calviño souffre d’un
autre handicap : son caractère
bien trempé ne plaît pas à tous et
ses attaques répétées contre les
quatre « frugaux », tenants d’une
stricte orthodoxie budgétaire
(Pays­Bas, Autriche, Suède, Dane­
mark), lui valent de sérieuses ini­
mitiés au nord de l’Europe. « En
réalité, Calviño n’est pas du genre à
vouloir laisser dériver les finances
publiques, elle est fondamentale­
ment une ancienne de la Commis­
sion, elle est au centre », nuance
un diplomate. Mais, dans les né­
gociations autour du plan de re­
lance européen, qui s’annoncent
difficiles, une figure plus consen­
suelle pourrait apparaître préfé­
rable. « Son étoile commence à ter­
nir », comme le dit un observa­
teur bien informé.
Tous les scénarios sont ouverts
Affilié au Fine Gael, son concur­
rent conservateur, l’Irlandais Pas­
chal Donohoe, plaît au nord de
l’Europe. Mais parce que son pays,
l’Irlande, a dû, comme la Grèce,
l’Espagne ou le Portugal, se réfor­
mer en profondeur pour bénéfi­
cier des plans de sauvetage de
l’Europe et du FMI, en pleine crise
de la zone euro, il n’est pas, pour
les pays du Sud, un épouvantail
absolu. Quant au Luxembour­
geois libéral Pierre Gramegna, qui
siège à l’Eurogroupe depuis six
ans, il est très apprécié de ses col­
lègues, qui vantent son expertise
et son sens du compromis.
Pour l’heure, chacun compte ses
voix. Mais l’exercice n’est pas sim­
ple. Parmi les chefs d’Etat et de
gouvernement, seule Angela
Merkel, désireuse de satisfaire ses
alliés du SPD, dont son ministre
des finances, Olaf Scholz, a pris
position : « L’Eurogroupe n’a ja­
mais été dirigé par une femme », a­
t­elle expliqué au Monde, le
29 juin, pour justifier son soutien
à Mme Calviño. Dans la foulée, le
PPE, qui rassemble les partis con­
servateurs européens, dont la
CDU, s’est prononcé, le même jour,
en faveur de Paschal Donohoe.
Pour le reste, si certaines
capitales ont fait savoir leur préfé­
rence, d’autres entretiennent le
mystère. Compte tenu des inté­
rêts divers et variés qui peuvent
jouer ici ou là, tout le monde n’a
pas forcément intérêt à dévoiler
ses cartes. Et comme le vote se fait
à bulletin secret, tous les scéna­
rios restent ouverts.
Prenez la Grèce, dont le gouver­
nement est à droite quand ses fi­
nances publiques en font sou­
vent, dans les négociations à
Bruxelles, un allié des pays du
Sud : entre l’Irlandais et l’Espa­
gnole, le choix n’est pas évident.
Même chose à Malte, qui n’est pas
exactement sur la même ligne
que ses partenaires sociaux­dé­
Plusieurs sources
affirment que
la ministre
de l’Espagnol
Pedro Sanchez
a les faveurs
de la France
mocrates en matière de fiscalité.
Quant à la France, elle « réfléchit
encore », assure­t­on à Bercy. En
réalité, plusieurs sources affir­
ment que la ministre de Pedro
Sanchez a ses faveurs, même si le
parti macroniste est dans le camp
des libéraux et donc en théorie du
candidat luxembourgeois. Il faut
dire que Paris mène une autre
bataille, pour laquelle le soutien
de Madrid lui serait fort utile :
installer la directrice du Trésor,
Odile Renaud­Basso, à la prési­
dence de la Banque européenne
pour la reconstruction et le déve­
loppement (BERD).
« Macron et Merkel en ont parlé,
[au château de] Meseberg [le
29 juin] et le président laisse Bruno
Le Maire gérer le dossier », expli­
que un proche du ministre des fi­
nances. Lequel apprécie peu sa
consœur espagnole. Tout ça sur
fond de remaniement ministé­
riel, qui a beaucoup occupé dans
les rangs de l’exécutif ces derniers
jours. « On ne saura jamais ce qu’il
votera », conclut un fin connais­
seur de l’Eurogroupe.
A ce jour, Nadia Calviño est
assurée d’avoir les bulletins de
Madrid, Rome, Lisbonne et Ber­
lin. Pierre Gramegna, en dehors
de Luxembourg, compte sur les
voix de Bruxelles et de La Haye,
qui l’ont poussé à se présenter
face à Nadia Calviño quand l’Ir­
lande n’avait pas encore de
gouvernement, ni de candidat.
Quant à Vienne, Ljubljana, Riga,
ou Tallinn, ils choisiront sans
doute, comme Dublin, Paschal
Donohoe.
Pour gagner, il faut dix voix sur
dix­neuf, et autant de tours que
nécessaire. En sachant que
personne n’est jamais éliminé
– c’est au candidat de se retirer s’il
juge qu’il n’a aucune chance de
l’emporter… La bataille s’annonce
serrée. 
virginie malingre

L’ASTP (ASSOCIATION POUR LE SOUTIEN DU

Ecologie, emploi, croissance : la difficile THEATRE PRIVE) RECRUTE

SON/SA DELEGUE(E)
équation de la reprise aux rencontres d’Aix GENERAL(E)
L’ASSOCIATION : L’ASTP regroupe aujourd’hui 80 adhérents, 60 théâtres et 20 produc-
teurs/tourneurs.
Durant trois jours, 300 personnalités ont appelé à une réponse commune face à la crise Depuis 1964, elle développe avec le soutien du ministère de la Culture et de la Ville
de Paris des dispositifs originaux de soutien à la création et à la production de spec-
tacles dramatiques, en lieux fixes et en tournée.
Elle perçoit pour cela une taxe fiscale assise sur la billetterie des spectacles (3,5%), dont
les recettes alimentent les dispositifs d’aides proposés aux adhérents ainsi que des

C omment sortir de la crise
économique inédite dé­
clenchée par la pandémie
et les mesures prises pour l’endi­
guer ? Comment soutenir l’acti­
vité tout en assurant la transition
écologique et la cohésion so­
ciale ? Comment les entreprises
peuvent­elles contribuer à ces
objectifs ? Du vendredi 3 au di­
manche 5 juillet, 300 personnali­
tés issues du monde politique,
économique et social se sont réu­
nies – en partie virtuellement –
pour débattre des « dérèglements
du monde » et des solutions pour
en sortir, sous l’égide du Cercle
des économistes.
Adieu soleil et cigale, bonjour
Seine et grisaille : Covid­19 oblige,
les échanges n’ont exception­
nellement pas eu lieu à Aix­en­
Provence (Provence­Alpes­Cô­
te­d’Azur), comme tous les ans,
mais à la Maison de la radio, à Pa­
ris, et diffusés en ligne. « Nous
sommes confrontés à une crise
sans précédent, dont les effets et la
violence sont loin de se dissiper »,
explique Jean­Hervé Lorenzi, pré­
sident du Cercle des économistes
et organisateur de ces Rencontres
d’Aix en Seine.
En dépit de leur diversité, les ta­
bles rondes ont convergé sur une
série de constats. D’abord, cette
crise va « changer profondément »
nos économies, en « accélérant les
transformations déjà latentes », a
estimé Christine Lagarde, prési­
dente de la Banque centrale euro­
péenne (BCE) samedi 4 juillet, en
visioconférence. A commencer
par l’écologie, la numérisation et
l’essor du télétravail.
« Pas beaucoup de leadership »
Les tensions géopolitiques et les
nationalismes risquent égale­
ment de prospérer dans le sillage
de la récession. D’autant que
« celle­ci a exacerbé les inégalités
déjà présentes, notamment en
matière de logement et d’éduca­
tion », a insisté Claire Hédon, pré­
sidente d’ATD Quart Monde, pro­
posée par l’Elysée pour remplacer
Jacques Toubon au poste de Dé­
fenseur des droits. Lutter contre
celles­ci devra aller de pair avec
des investissements renforcés
dans la transition écologique. A
ce sujet, l’eurodéputé Vert Yan­
nick Jadot a regretté que les me­
sures françaises de soutien à
l’automobile et l’aéronautique
« ne comportent pas plus de
conditionnalités ».
Nombre d’intervenants, tels
que la présidente de la Commis­
sion européenne, Ursula von der
Leyen, ou le ministre allemand
de l’économie, Peter Altmaier,
ont insisté sur la nécessité d’une
réponse commune des Etats, tan­
dis qu’un consensus s’est dégagé
autour du désir d’une Europe
puissante. « Il y a une prise de
conscience sur la nécessité de tra­
vailler ensemble, mais jusqu’où
ira­t­elle ?, s’est interrogé le diplo­
mate égyptien Mohamed El­Ba­
radei, Prix Nobel de la paix 2005
et ancien directeur général de
l’Agence internationale de l’éner­
gie atomique (AIEA). Je ne vois
pas beaucoup de leadership ni de
vision dans le monde. Les diri­
geants se battent comme des en­
fants dans un bac à sable. »
De son côté, le philosophe des
sciences Etienne Klein a souligné
que la crise a tendance à « renfor­
cer les convictions antérieures »,
tout en regrettant de pas assister
plus franchement à une « émer­
gence doctrinale ».
Quelles pistes pour en sortir,
malgré tout ? A l’issue de ces trois
jours, le Cercle des économistes a
publié une série de propositions
inspirées des échanges. Parmi
celles­ci : donner la priorité à la
jeunesse, en demandant au pa­
tronat de « s’engager avant fin
juillet afin que les entreprises s’en­
gagent à recruter au minimum un
jeune en fin d’études ». Un disposi­
tif qui serait en partie pris en
charge pour un an par l’Etat, pro­
pose le Cercle, qui suggère égale­
ment d’instaurer un « Buy Euro­
pean Act », « pour réserver aux en­
treprises européennes l’accès aux
marchés publics dans certains sec­
teurs, dont la santé et l’écologie ».
Ou encore, de « mettre en place
un contrat de formation profes­
sionnelle de reconversion des em­
ployés licenciés des secteurs forte­
ment touchés par la crise », d’ins­
taurer une taxe carbone aux fron­
tières de l’Europe, de renforcer les
subventions à l’innovation verte
et de fusionner les prestations de
lutte contre la pauvreté. Autant
de pistes susceptibles, espèrent
les économistes, d’alimenter le
débat cet été, avant que le nou­
veau gouvernement ne dévoile
son plan de relance à la rentrée. 
marie charrel
comptes de soutien ouverts aux producteurs et diffuseurs non adhérents.
Basée à Paris 8e, l’ASTP dispose d’un budget annuel de 16 M€ et d’une équipe de 17
collaborateurs.
LES MISSIONS ET ATTRIBUTIONS DU/DE LA DELEGU(E) GENERAL(E) : Le/la délé-
gué(e) général(e) est chargé(e) de mettre en œuvre la politique définie par le Conseil
d’administration, sous l’autorité du Président et en concertation avec les tutelles.
Il/elle : • Assure le pilotage des programmes d’aides, sous le contrôle de comités de
gestion • Veille au bon fonctionnement et coordonne les services de l’association dans
tous les registres de ses activités (Aides, taxe fiscale, promotion et communication,
finances, comptabilité) • Prépare et exécute les budgets en lien avec l’expert-comp-
table et les représentants des tutelles • Est l’interlocuteur régulier des adhérents, des
redevables de la taxe et de leurs divers représentants • Est impliqué dans les réflexions
et travaux visant à développer, diversifier, faire évoluer les programmes et actions de
l’association ; à ce titre, il/elle devra notamment s’attacher au développement de
projets visant à favoriser l’intégration des théâtres privés en régions au sein de l’ASTP
• Il/elle devra également assumer, en tant que de besoin, la gestion de dispositifs
d’aides exceptionnelles opérés par l’ASTP, dans le contexte de la crise du Covid.19.
PROFIL REQUIS : Le/la candidat(e) doit être doté(e) d’une solide culture générale,
justifier de compétences éprouvées dans les domaines juridiques et financiers, et
disposer d’une bonne connaissance de l’économie culturelle et du spectacle vivant.
Il/elle devra justifier d’une expérience significative dans des postes de direction ou
d’encadrement, attestant de ses aptitudes au management d’équipe et à la conduite
de projets.
STATUT ET REMUNERATION : Engagement sous contrat à durée indéterminée ; ré-
munération selon profil et expérience.
Le poste peut être pourvu par un/une fonctionnaire en détachement ou disponibilité.
CANDIDATURES : Les candidatures, lettre de motivation (2 pages maximum) et CV
sont à adresser exclusivement par voie électronique au Président de l’ASTP à
l’adresse : cmonnier@astp.asso.fr
Les candidat(es) retenu(e)s à l’issue d’une première sélection devront par la suite
remettre un mémoire sur l’ASTP et leur vision du poste ; la sélection finale sera faite
à l’issue d’auditions devant un jury composé de professionnels et représentants des
tutelles.
Date limite de réception des candidatures : Vendredi 31 juillet 2020 à minuit.
Prise de poste : Entre le 1er novembre et le 31 décembre 2020.
www.astp.asso.fr
 0123
18 | économie & entreprise MARDI 7 JUILLET 2020

La plage
nord de Gandia,
près de Valence,
le 1er juillet 2020.
JOSE JORDAN/AFP

DOSSIER

P
our les vulnérables varans de
Komodo, la pandémie de Co­
vid­19 a résolu l’équation sur la­
quelle les hommes butaient :
comment conserver la manne
touristique tout en protégeant
les lézards géants qui la génèrent ? En faisant
une pause, avaient suggéré les autorités loca­
les en 2019, et en fermant le parc national
toute l’année 2020. Hors de question, avaient
répondu les petites entreprises touristiques
locales, soutenues par le gouvernement de
Djakarta. Avec le Covid­19, les dragons de Ko­
modo ont finalement eu droit à leurs trois
mois de tranquillité absolue ; et l’écosystème
garantissant leur survie a prospéré.
Cette fable indonésienne rappelle que la
manifestation la plus voyante de la pandémie
fut, en de nombreux endroits, la disparition
du tourisme. C’est, pour ce secteur économi­
que qui représente 10 % du produit intérieur
brut et des emplois dans le monde, une dou­
ble source d’inquiétude : d’abord parce que de

Tourisme, la pause est finie

nombreuses affaires, dans cette économie
largement composée de micro­entreprises,
ne survivront pas à cette perte sèche ; ensuite,
parce que les effets néfastes de la sainte tri­
nité du tourisme de masse – croisières, vols
low cost et resorts balnéaires – ont été
d’autant plus visibles qu’ils n’étaient plus là.
Ces dernières années, ce tourisme indus­
triel, notamment dans les villes, avait fait
émerger les notions de « tourismophobie »
et « surtourisme ». « Le nombre croissant de
touristes urbains accroît l’exploitation des res­
sources naturelles, a des conséquences socio­
culturelles, exerce une pression sur les infra­
structures, les modes de transport et d’autres
installations », s’inquiétait en 2019 le secré­
taire général de l’Organisation mondiale du
tourisme (OMT), Zurab Pololikashvili.
Aucune industrie ne menait, avant la crise,
une croissance aussi échevelée que le tou­
risme mondial. La plupart des acteurs s’ac­
cordent à dire que le retour au niveau d’an­
tan prendra plusieurs années en raison de
l’ampleur inégalée de la crise, de la faiblesse
des compagnies aériennes et du temps né­
cessaire pour trouver un vaccin. Mais les
plus optimistes soulignent que les précéden­
tes crises, souvent liées à des attentats, ont
montré la capacité du tourisme à rebondir
très rapidement : après les attentats du
11 septembre 2001, la pandémie due au SRAS
en 2003 et la crise économique mondiale
en 2009, l’industrie n’a mis que de onze à
dix­neuf mois pour revenir au même palier.
« Quand un vaccin sera trouvé, tout revien­
dra à la normale, et même davantage, car les
gens réalisent que le voyage leur manque, as­
sure Dimitrios Buhalis, directeur du Centre
international de recherche sur le tourisme
de l’université de Bournemouth (Royaume­
Uni). Il va y avoir un besoin de décompresser
et, pour les citadins, de prendre l’air. Les habi­
tants des pays riches qui voyagent ont déjà
tous les produits qu’ils veulent : ce qu’ils re­
cherchent, désormais, ce sont des expériences
dont le prérequis commun est le voyage. »
Du côté des professionnels et des Etats et
collectivités qui en vivent, la demande est
pressante en faveur d’un retour au monde
d’avant. La disparition des touristes vaut tou­
tes les études d’impact : certains territoires, y
compris une métropole comme Paris, réali­
sent qu’ils ne peuvent se passer durablement
de cette source de devises. Au diable donc la
critique sociale du tourisme de masse, vieille
comme sa naissance, à la fin des années 1950 !
« On a l’impression que c’est un gros mot ;
mais le droit au voyage, c’est une conquête so­
ciale !, s’insurge Jean­Pierre Mas, président
des Entreprises du voyage, le syndicat des
voyagistes et tour­opérateurs. Refaire du
voyage quelque chose d’élitiste, ce serait reve­
nir au XIXe siècle. La fin de la massification, je
n’y crois pas. Mais j’espère que l‘on va aller vers
des voyages dans lesquels on s’investit un peu
plus, à la fois plus longs et moins fréquents. »
Si chaque crise – sociale, sanitaire ou écono­
mique – est l’occasion d’une pause et d’une
réflexion sur l’industrie touristique, elle ne
débouche jamais sur une transformation ra­
dicale, expliquent les historiens Johan Vin­
Après la pandémie, le secteur, qui représente près de 10 % du PIB mondial,
mise plus que jamais sur le tourisme de masse, notamment
dans les pays émergents, pour retrouver la croissance
cent et Yves­Marie Evanno, directeurs de
l’ouvrage Tourisme et Grande Guerre.
Voyage(s) sur un front historique méconnu
(1914­2019) (Editions Codex, 2019) : « Il y a des
mutations discrètes mais surtout des désillu­
sions. Les besoins des Etats font qu’ils relan­
cent toujours l’économie sur des bases que l’on
connaît déjà, pour aller le plus vite possible. »
« ÊTRE ACTEUR DU CHANGEMENT »
Trois acteurs seraient en capacité d’orienter
la façon dont on voyage : les consomma­
teurs, les industriels et les décideurs politi­
ques. Le comportement des premiers est
mystérieux. Les classes moyennes chinoise
et indienne, premières contributrices à la
massification du tourisme, auront­elles le
souci de voyager différemment ? Et faut­il les
priver d’une frénésie dont ont usé et abusé
les riches Occidentaux depuis trente ans ? En
Europe, certains anticipent un retour à da­
vantage de tourisme domestique et à des
voyages moins fréquents mais plus longs.
Mais en la matière, le décalage est patent en­
« Il faudrait réserver le voyage à des expériences rares »
sociologue et essayiste, Rodol­
phe Christin est l’auteur du Manuel
de l’antitourisme (éditions Yago,
2008) et de La vraie vie est ici. Voyager
encore ? (Ecosociété, 136 p., 2020).
En quoi le tourisme s’est­il,
selon vous, dévoyé ?
Un processus nous a fait passer du
tourisme social, qui avait une dimen­
sion d’élévation de soi par la décou­
verte d’autres horizons, au tourisme
comme acte de consommation de
masse. Cette logique a transformé des
lieux touristiques en galeries com­
merciales. De l’hédonisme du déplace­
ment, nous avons été convertis à une
logique de consommation tous azi­
muts. La transformation du tourisme
en prestation de service tue l’exo­
tisme, provoque un aménagement du
territoire extrêmement serré, si bien
que l’on aboutit à une fuite des
autochtones durant la haute saison.
tre les aspirations vertueuses exprimées
dans les enquêtes d’opinion et le choix réel­
lement effectué. Jan Van der Borg, écono­
miste du tourisme à l’université de Louvain
(Belgique), revendique de faire partie des op­
timistes – après avoir joué, dit­il, les Cassan­
dre dans les années 1990 en prévenant de la
montée du « surtourisme » en Europe.
« Des signes montrent que les consomma­
teurs vont ouvrir la voie à un tourisme plus
sain, affirme­t­il. Au lieu de partir six fois par
an, ils économiseront pour s’offrir un voyage
de qualité une fois par an dans un endroit spé­
cifique ; le reste de l’année ils passeront les va­
cances dans leur pays. Je serais très déçu si l’in­
dustrie n’utilisait pas ce momentum pour refu­
ser certaines pratiques. » Du côté des
industriels, pressés de pouvoir travailler, le
discours pour un tourisme moins frénétique
est peu audible. « Mes entreprises ont une cul­
ture conservatrice, souffle Jean­Pierre Mas. Or,
ou l’on change, ou l’on passe à côté de la de­
mande. » Lors d’un récent séminaire en ligne,
le sociologue Jean Viard mettait en garde des
Cette pause forcée du tourisme
peut­elle être un point de bascule
pour l’industrie ?
Je n’en ai pas l’espoir. Tout est fait
pour que cela reparte comme avant,
même s’il y a une récupération de la
critique touristique par les opéra­
teurs : ils tentent de déculpabiliser
les gens en disant qu’ils vont arrêter
de détruire l’environnement.
Le marketing fait qu’il est très diffi­
cile d’échapper aux mailles du tou­
risme. Le voyage, dans les années
1970, était une contre­culture.
Aujourd’hui, le départ en vacances
est la norme du comportement le
plus standard possible. Le cliché
de l’exotisme apparaît partout,
jusque sur votre écran d’ordinateur
lorsque vous l’allumez.
Si quelque chose changeait dans les
prochaines années, cela signifierait
que la paupérisation a été telle
que les gens n’ont plus les moyens
professionnels convoqués pour une réflexion
sur l’avenir du voyage : « Le monde du tou­
risme va­t­il avoir un discours sur la façon de
polluer moins en voyageant plus ? Je n’entends
pas ce discours. Or, il faut que ce monde de­
LA CRISE A ÉTÉ vienne un acteur de la régulation écologique
« TROP COURTE » du tourisme plutôt qu’il la subisse. »
Jean­François Rial, patron du groupe Voya­
POUR CHANGER LES geurs du monde, est bien seul à réclamer de
nouvelles habitudes et un plus grand respect
COMPORTEMENTS, de l’industrie vis­à­vis des écosystèmes qui la
font vivre. La crise a été « trop courte », regret­
REGRETTE te­t­il, pour changer les comportements.
JEAN­FRANÇOIS Seule issue, selon lui ? L’accession au pouvoir
des écologistes, qui imposeraient une fisca­
RIAL, PATRON lité plus lourde aux compagnies aériennes
comme aux hôtels qui dénaturent les sols.
DES VOYAGEURS Les Etats et les destinations touristiques sem­
DU MONDE blent les plus susceptibles de bouleverser une
industrie dont les dégâts pour la planète et le
cadre de vie sont connus. « A court terme et
dans un endroit géographiquement limité, cer­
tains Etats ou territoires ont un intérêt au tou­
risme de masse. Mais c’est un discours comp­
de partir. Ce n’est pas une raison très initiatique. Le voyage commence sur
réjouissante. le pas de sa porte. L’itinéraire devrait
en être partie prenante ; or, avec le
Y a­t­il une forme de tourisme tourisme, le trajet est le plus aseptisé
qui trouve grâce à vos yeux ? possible, pour alléger la charge men­
Non. L’effet de masse est dans l’addi­ tale et physique liée au déplacement.
tion de toutes les formes de tourisme.
Ainsi, celui dit « responsable » est Les acteurs du tourisme n’ont­ils
aussi une manière d’approfondir la pas pris conscience des problèmes
conquête du tourisme sur les espaces induits par cette activité ?
de nos existences. Inéluctablement, J’interviens régulièrement devant
celui qui va trouver le bon endroit, où les professionnels et je ne rencontre
il n’y a personne, sera vite rattrapé pas d’hostilité quant au diagnostic.
par la foule. Le tourisme acceptable, Mais quand je parle de décroissance
c’est un tourisme invisible, qui ne du tourisme, on m’oppose que c’est
marche pas commercialement : une impossible, car il génère de l’emploi. Il
personne va dans un endroit qui n’in­ y a un consensus avec le monde poli­
téresse pas grand monde. tique, puisque toutes les régions veu­
Il faudrait voyager moins. Partir lent organiser les territoires pour atti­
moins souvent, plus longtemps. Ré­ rer les touristes. L’habitant, dès lors,
server les temps de voyage à des expé­ devient un figurant de l’industrie
riences rares. C’est parce qu’un voyage touristique sans le savoir. 
ne revient pas souvent qu’il va vous propos recueillis par
chambouler et revêtir une dimension clément guillou
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
CONSOMMATEURS,
INDUSTRIELS
ET DÉCIDEURS
POLITIQUES
POURRAIENT
ORIENTER
LA FAÇON
DONT ON VOYAGE
table, pas économique, juge Danièle Kuss, ex­
perte auprès de l’OMT. Prenez l’Aquitaine,
dont la côte est concernée par ce phénomène :
son défi est de répartir les visiteurs dans le
temps et dans l’espace, en investissant par
exemple dans le tourisme rural. »
Certains pays revendiquent désormais un
modèle touristique plus soutenable, qu’il
s’agisse de l’Espagne ou d’Etats d’Amérique
centrale : Costa Rica, Mexique, Guatemala…
Dans plusieurs régions du monde, la crise du
Covid­19 est l’occasion pour les gouverne­
ments de se rendre compte de l’importance
du secteur dans leur économie et de la néces­
sité de le soutenir ou de l’organiser. Elle souli­
gne également la dépendance de régions en­
tières à cette économie, et la nécessité de se
diversifier. Un premier pas indispensable
vers une réforme du tourisme de masse, sans
laquelle l’industrie entière ira à sa perte, selon
Jan Van der Borg : « Comme pour le coronavi­
rus, il faut aplatir la courbe du tourisme. Si on
parvient à freiner cette croissance, on peut ren­
dre en même temps un grand service à l’indus­
trie, aux locaux et aux touristes. »
Les destinations les plus sujettes au « sur­
tourisme » ont profité de la pause pour
avancer des réflexions déjà entamées. A Du­
brovnik, en Croatie, l’on jure de diversifier
enfin l’économie locale et de redoubler d’ef­
forts pour limiter la fréquentation de la ville
médiévale ; à Venise, les eaux à nouveau
bleues de la lagune renforcent la tentation
de restreindre l’arrivée des bateaux de croi­
sière. A Amsterdam, le temps des enterre­
ments de vie de garçon semble compté. Pour
Geerte Udo, responsable de la promotion de
la capitale néerlandaise, « nous devons nous
assurer de retrouver l’équilibre entre la vie, le
travail et le tourisme, à commencer par une
offre locale pour locaux, afin qu’ils puissent à
nouveau jouir » du « quartier rouge », haut
lieu de la prostitution, et des coffee shops.
ÉTALER LES VISITES
La gestion des flux était déjà, avant la crise, la
priorité des lieux les plus touristiques au
monde – quelques villes européennes et des
sites culturels majeurs comme le Machu Pic­
chu, Angkor Vat ou le Taj Mahal. Selon Sandra
Carvao, directrice des études de l’OMT, « la re­
cherche de l’équilibre entre les habitants et les
touristes va connaître une accélération. Mais
ces destinations très touristiques ont encore
un potentiel si elles parviennent à segmenter
leurs offres et à diriger les visiteurs vers
d’autres endroits que les quelques rues encom­
brées ». Le sentiment de « surtourisme » vient
le plus souvent d’une piètre gestion des flux,
plaide le secteur. Il suffirait donc de davan­
tage étaler les visites, avec des incitations fi­
nancières par exemple, pour rendre les visi­
teurs plus supportables. Car il est vain d’espé­
rer que les populations du monde entier se
détournent, une fois la crise passée, de ces
lieux au hit­parade des destinations.
« Si les gens veulent tous aller aux mêmes
endroits, c’est qu’ils le méritent et que des ima­
ges produites par la littérature, la publicité ou
la culture populaire les rendent incontourna­
bles, dit Stéphane Durand, cofondateur du
cabinet de conseil Horwarth. L’ensemble des
pays émergents produisent chaque année des
dizaines de millions de primo­visiteurs : des
gens qui n’ont jamais voyagé et jouissent
d’une faible culture touristique. Ils vont à l’es­
sentiel, dans les lieux connus, surtout quand,
comme les Américains ou les Chinois, ils n’ont
pas suffisamment de congés pour aller hors
des sentiers battus. »
Les spécialistes du secteur anticipent déjà, à
l’issue de la crise, une généralisation de la ré­
servation obligatoire pour les lieux les plus
visités au monde, voire pour certains quar­
tiers ou des plages. Cette nécessité d’annon­
cer sa venue, déjà en vigueur dans certains
des grands musées ou un lieu comme la Cité
interdite de Pékin, s’accélérera d’autant plus
que l’utilisation des applications sur mobile
est devenue plus naturelle durant la crise.
L’acceptation de ces dispositifs par les visi­
teurs pourrait en être facilitée. Mais cette mu­
tation numérique s’apparente à un cautère
sur une jambe de bois : une façon peu coû­
teuse de dissimuler les excès du tourisme de
masse si néfastes aux varans de Komodo. 
clément guillou
économie & entreprise | 19
Le tourisme international fortement touché par le Covid-19
Une forte croissance portée par la Chine
Arrivées de touristes internationaux
dans le monde* par an, en millions Taux de croissance Dépenses liées aux voyages Evolution
*Nombre de fois qu’un touriste a passé mondial + 667,1 % à l'étranger des ressortissants des dépenses
entre 2008
du pays en 2018,
au moins une nuit dans un pays autre 1 461 entre 2009 et 2019
en milliards de dollars et 2018, en %
que le sien.
+ 60,3 %
Arrivées de touristes
911 internationaux
689
+ 46,5 % 277,3
PIB 144,5
+ 56,1 95,2 68,9
+ 3,9 + 16,7 47,7
+ 12,7 % — 11,6
2000 2009 2019 Population Chine Etats-Unis Allemagne Royaume-Uni France
Un coup de frein difficile à encaisser
Un afflux de touristes qui sursollicite certains territoires : l’exemple européen pour certaines économies
Nombre de nuitées touristiques par habitant des régions européennes, en 2018 Nombre d'arrivées de voyageurs internationaux,
en millions
De 0 à 5 De 5 à 10 De 10 à 25 De 25 à 50 De 50 à 90,2
98,3 – 58 %
Canaries (Espagne) 83,3
Nombre de99
nuitées touristiques
876 413 1 par Les cinq régions
habitant les plus
des régions NUTS fréquentées
2 européennes
en nombre de nuitées, en 2018
Ile-de-France (France) C'est la baisse
2 48,7
86 005 103 du nombre d'arrivées
de touristes
Jadranska Hrvatska 3 internationaux,
(Croatie) 3,6 qui pourrait être
84 846 421 constatée en 2020
par rapport à 2019.
Janvier 2020 Avril 2020
Catalogne 4
(Espagne)
81 801 654
Nombre de touristes internationaux
Iles Baléares 5 accueillis par pays en 2018, en millions
Asie-pacifique
(Espagne)
70 216 084 Estimation de la contribution
2 du tourisme et du voyage au PIB
1 en 2018, en %
3 France 89,4 (9,5 %)
4 Espagne 82,8 (14,6 %)
Etats-Unis 79,7 (7,8 %)
5
Chine 62,9 (11 %)
Italie 61,6 (13,2 %)
Turquie 45,8 (12,2 %)
Mexique 41,3 (17,2 %)
Allemagne 38,9 (8,6 %)
Thaïlande 38,2 (21,6 %)
Royaume-Uni 36,3 (11 %)
SOURCES : ORGANISATION MONDIALE DU TOURISME, EUROSTAT, BANQUE MONDIALE, WTTC
Infographie : Marianne Boyer, Eugénie Dumas, Maxime Mainguet
Incarnation de la pandémie, les croisières font de la résistance
l’industrie des croisières est­ destination privilégiée, après les L’industrie est aussi accusée, dans mobile que l’humain ait créée. Et le
elle insubmersible ? La pandémie Caraïbes) que les chantiers navals, une enquête du Wall Street Journal consommateur a toujours envie de
due au nouveau coronavirus fait aux carnets de commandes bien en date du 1er mai, d’avoir laissé se le faire une fois, juste pour voir. »
figure de test suprême. Avant le remplis. Incarner le « surtou­ poursuivre des croisières au mois Les trois géants du secteur, dont
Covid­19, la croisière pâtissait déjà risme », les sociétés Carnival Cruise de mars, en pleine pandémie, sans les cours de Bourse ont repris quel­
d’une image de marque dégradée. Lines, Norwegian Cruise Line ou informer les passagers du fait qu’ils ques couleurs depuis l’effondre­
Premiers responsables : les dom­ Royal Caribbean International s’en étaient possiblement infectés. Elle ment de la mi­mars, voient dans la
mages environnementaux causés accommodaient assez bien, aurait ainsi contribué à propager reprise des réservations pour 2021
par les bateaux et les réticences de compte tenu d’un cours de Bourse l’épidémie dans plusieurs pays. la confirmation de leurs intui­
certaines destinations touristi­ en ascension permanente ; incar­ Une enquête sur l’attitude de Car­ tions : de même que l’on est vite
ques, subissant un flot de voya­ ner le coronavirus, c’est tout à fait nival Cruise Lines, numéro un du remonté dans l’avion après les at­
geurs parfois indélicats, dépen­ autre chose. secteur, est en cours aux Etats­ tentats du 11­Septembre, les accros
sant en tout cas beaucoup moins Durant plusieurs semaines, en Unis, une autre en Australie. à la croisière voudront vite
que les touristes individuels. février, avant que la pandémie retrouver les pontons.
Dans l’imaginaire collectif, les n’arrive en Europe, les 3 700 pas­ Reprise des réservations « La confiance des clients et des
bateaux de croisière, sans cesse sagers confinés du Diamond­Prin­ Désastreux pour ces entreprises ? croisiéristes n’a pas été affectée, as­
plus grands, illustraient le phéno­ cess, au large du Japon, ont illustré Pas selon Alain Adrien Grenier, so­ sure Erminio Eschena, président
mène de « surtourisme ». Pour­ l’épidémie naissante dans les mé­ ciologue à l’université du Québec à de CLIA France, le représentant du
tant, rien ne semblait devoir en­ dias du monde entier. Montréal et spécialiste du tou­ secteur. La croisière a des protoco­
rayer leur croissance : le nombre D’autres récits de géants des mers risme de croisière : « Quand les les sanitaires robustes et bénéficie
de croisiéristes a presque doublé bloqués au large, avec leurs vannes vont rouvrir, ça va reprendre d’une faculté d’adaptation unique :
entre 2009 et 2019 (de 17,8 mil­ croisiéristes laissés dans l’incerti­ comme avant. Je l’observe déjà sur la mobilité de son produit lui per­
lions à 30 millions) et la popularité tude et confinés dans leurs cabines, les réseaux sociaux. La clientèle est met de s’adapter aux événements. »
de ce mode de voyage auprès des ont suivi. La presse américaine a plus jeune qu’avant [la moyenne Dans une certaine mesure : les
Chinois promettait une nouvelle notamment chroniqué le déses­ d’âge des croisiéristes est descen­ croisières en Méditerranée ne re­
décennie prospère. poir des personnels d’équipage due sous les 50 ans durant les an­ prendront pas avant le mois
L’Europe, particulièrement, de­ encore bloqués en mer et sans nées 2010], et on souffre tous d’am­ d’août. Quant au continent améri­
vait en tirer d’importants revenus ; toucher leur salaire, au nombre nésie collective. L’attrait réside dans cain, il faudra attendre le 14 sep­
tant les ports touristiques (le Vieux de 42 000 à la mi­juin, selon le la vie de navire et le fait de monter tembre, au mieux. 
Continent est la deuxième Miami Herald. sur la plus grande infrastructure cl. gu.
20 | campus
La crise influence les choix d’orientation des jeunes
Nombre de lycéens et d’étudiants veulent échapper à un secteur sinistré ou redéfinir leurs priorités dans la vie
I
l rêvait de voler très haut
dans les airs, la crise l’a fait re­
descendre sur terre. Excellent
élève au lycée Saint­John­
Perse à Pau (Pyrénées­Atlanti­
ques), Fabien Delcan, 17 ans, a
travaillé dur pour suivre la voie
de son père, pilote privé et
contrôleur aérien. L’année der­
nière, en classe de première, il a
passé son brevet d’initiation aéro­
nautique : mention très bien, mo­
tivation au sommet.
En début de confinement, Fa­
bien Delcan a même commencé à
s’entraîner à des tests psychotech­
niques pour intégrer la fillière
« cadets » d’Air France, qui forme
des pilotes en deux ans. Mais
patatras, le voilà poussé à l’atter­
rissage forcé. « Cela faisait des an­
nées que j’imaginais mon avenir
dans l’aéronautique. Mais puisque
le secteur se casse la gueule, je re­
vois mes ambitions à la baisse. »
Alors qu’il avait été accepté sur
Parcoursup dans une prestigieuse
classe préparatoire scientifique à
Orsay, en région parisienne, il a
décidé de choisir une option
« plus proche et plus facile ». A
savoir une prépa à Bordeaux,
quitte à se fermer les portes des
écoles les plus sélectives : « Je ne
vois plus l’intérêt de faire 700 kilo­
mètres, je n’ai plus les mêmes moti­
vations », dit­il. Mais la prise de
conscience du bachelier est aussi
écologique : « Aujourd’hui, l’avion,
ce n’est pas indispensable, ça n’a
même pas vraiment de sens. Alors
qu’est­ce que je fais pour la pla­
nète ? Qu’est­ce que je fais pour
moi ? C’est difficile, mais je veux
essayer de trouver un domaine
plus vert, plus durable ».
S’il est encore trop tôt pour en
mesurer tous les effets, la crise sa­
nitaire a déjà – et aura – un impact
sur l’orientation des jeunes. Etu­
dier plus près de chez soi, prolon­
ger ses études, renoncer à un dé­
part à l’étranger ou à une filière
sinistrée, bifurquer vers un mé­
tier « qui a du sens »…. Cette pé­
riode inédite, associée pour beau­
coup à des moments de remise
en question, a fait bouger les li­
gnes et brouillé les repères, dans
un contexte extraordinairement
précaire et incertain.
Se rapprocher de son domicile
« Comment éclairer sa décision, sur
quels critères se baser, quand on ne
sait même pas de quoi la rentrée
sera faite ? », interroge le consul­
tant Manuel Canévet, fondateur
d’une agence de conseil en com­
munication qui accompagne des
établissements d’enseignement
supérieur. Selon un sondage réa­
lisé par l’IFOP pour Canévet et As­
sociés, du 6 au 14 mai, auprès d’un
échantillon de lycéens et d’étu­
diants, un bachelier sur quatre af­
firme que la crise a une influence
sur son choix de filière. Parmi
eux, 73 % déclarent vouloir privi­
légier des formations plus pro­
ches de leur domicile et 65 % pré­
fèrent opter pour des formations
moins onéreuses. Alors que les ly­
céens avaient formulé leurs vœux
de formations post­bac avant le
confinement, certains ont ainsi
fait évoluer la hiérarchisation de
leurs demandes. « Si les jeunes res­
tent sur les mêmes typologies de
choix, ce sont les conditions du
choix qui changent, souligne Ma­
nuel Canévet. Les critères évo­
luent, pas les trajectoires. »
Les façons d’appréhender l’ave­
nir n’en sont pas moins affectées.
Avec les cours à distance, 60 % des
lycéens et étudiants interrogés
ont le sentiment que ces condi­
tions particulières d’études vont
avoir une incidence négative sur
la suite de leur parcours. « Les jeu­
nes Français sont en général très
préoccupés par leur insertion dans
la vie active, par la crainte du chô­
mage et les barrières à l’embauche,
rappelle la sociologue Agnès Van
Zanten, spécialiste des questions
d’éducation et directrice de re­
cherche à l’Observatoire sociolo­
gique du changement (CNRS,
Sciences Po). Ce contexte anxio­
gène est forcément accentué par la
crise économique actuelle. »
Pour pallier les inquiétudes, cer­
tains développent des stratégies.
Quand le secteur convoité con­
naît une forte tension, comme
l’hôtellerie­restauration, des étu­
diants choisissent de retarder leur
entrée dans le monde profession­
nel. C’est le cas de Félix Peronnet,
25 ans, qui devait être embauché à
l’issue de son master en gestion
de l’activité touristique et hôte­
lière, à la Sorbonne, à Paris. Après
son stage, adieu le CDI promis : il
croise maintenant les doigts pour
qu’on l’accepte dans un autre
master 2, toujours à la Sorbonne,
et espère être prolongé en alter­
nance dans la même entreprise.
« Beaucoup « Les chances sont minces, je ne
ont pris le temps suis pas prioritaire par rapport à
ceux qui sont déjà passés par la
du confinement première année de ce master. Le fu­
pour réfléchir tur est incertain », souffle­t­il.
et avancer sur Trouver une solution de secours
leur projet. Ils se Guillaume Couton, lui, a opté
pour la stratégie de repli « au cas
sentent en risque où ». Après son BTS en commerce
et se disent qu’il international, il avait choisi une li­
cence en alternance à l’IUT d’Evry­
faut se bouger et Val d’Essonne, et trouvé l’entre­
trouver sa voie » prise qui l’accueillerait pour son
contrat d’apprentissage. Après la
CHRISTELLE MESLÉ-GÉNIN
mise en place du confinement, en­
présidente
tre deux journées d’intérim dans
de l’association JobIRL
un supermarché, le jeune homme
de 20 ans a tout annulé et cherché
une licence en formation initiale,
quitte à passer de la logistique à un
parcours export et e­commerce.
« Imaginons que le virus reparte :
j’avais trop peur que l’entreprise me
plante, argue­t­il. J’ai préféré me
trouver une issue de secours et
avoir quelque chose de stable. »
Pour pouvoir se retourner,
Guillaume Couton est passé par
l’association JobIRL qui, depuis
2013, met en relation des profes­
sionnels et des jeunes scolarisés
afin d’éclairer leur orientation.
Pendant le confinement, les visi­
tes sur la plate­forme ont aug­
menté de 70 % par rapport à l’an­
DIX MINUTES DE CULTURE GÉNÉRALE
PAR JOUR CHEZ VOUS
Essai gratuit sur LeMonde.fr/memorable
ANNA WANDA GOGUSEY
née précédente. « Beaucoup de ly­
céens et d’étudiants ont pris ce
temps pour réfléchir et avancer sur
leur projet, constate Christelle
Meslé­Génin, présidente fonda­
trice de l’association. Cela prouve
aussi qu’ils se sentent en risque,
qu’ils se disent qu’il faut se bouger
et trouver sa voie. On a d’abord
voulu soutenir ceux qui n’ont ni ré­
seau ni d’aide de leurs parents. »
Lycées et universités étant fer­
més depuis mi­mars, les jeunes
ont effectivement été plus isolés
pour décider de leur parcours :
moins de conseils directs de la
part des enseignants, moins d’ac­
cès à des salons ou journées portes
ouvertes. « On sait que l’orienta­
tion est influencée dès la naissance
par des facteurs très lourds comme
le milieu d’origine et l’action de l’en­
tourage. C’est la fausse méritocra­
tie du système français, avance la
sociologue Agnès Van Zanten.
Face à la crise, on peut craindre que
ces effets familiaux soient renfor­
cés, avec pour conséquence un ac­
croissement des inégalités. »
Au risque, pour certains, de dé­
crocher pour mieux se réorienter.
Brigitte (le prénom a été modifié),
21 ans, a vécu la période comme
un grand chambardement. Etu­
diante en deuxième année de lan­
gues étrangères appliquées (LEA)
à l’université Paris­VIII, elle était
confinée à Cergy (Val­d’Oise) avec
ses parents, son frère, sa sœur, et
disposait d’une mauvaise con­
nexion Internet. Elle raconte
avoir perdu deux proches au dé­
but de l’épidémie de Covid­19 :
« Ça m’a bouleversée. J’ai essayé de
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
suivre les cours à distance mais il y
a eu de plus en plus de travail et j’ai
fini par arrêter complètement. »
A force d’entendre des témoi­
gnages de jeunes se plaignant de
ne trouver ni stage ni emploi, elle
abandonne son projet d’entrer
dans une école de commerce à
l’issue de sa licence. « J’ai bien ré­
fléchi. Je veux être infirmière,
comme mes deux parents. Ils
m’ont toujours poussée dans cette
voie. Là, ils m’ont vraiment con­
vaincue. J’ai envie d’être utile à
mon tour. » Il était déjà trop tard
pour candidater sur Parcoursup à
un institut de formation en soins
infirmiers avant la rentrée, mais
Brigitte vise un service civique à
l’Assistance publique­Hôpitaux
de Paris (AP­HP) en attendant son
tour l’année suivante.
Exercer une activité « utile »
Quels que soient leur parcours et
leur profil, les jeunes ont disposé
d’un temps de réflexion prolon­
gée. Avec, parfois, le désir d’y intro­
duire un supplément d’âme. Élève
de khâgne dans un lycée parisien,
Adrien (le prénom a été modifié) a
lui aussi décroché : « La prépa, c’est
un tunnel, ce n’est pas une année
pour penser à son orientation.
Quand on m’a enlevé le carcan que
représente l’ambiance de classe, je
me suis demandé quel était l’inté­
rêt de tous ces cours très théoriques
qui, au fond, n’ont vocation à aider
personne. » Faute de rester concen­
tré pour préparer le concours de
l’Ecole normale supérieure, il a af­
finé son plan B : il s’initie à l’arabe
et s’est inscrit à l’Institut national
des langues et civilisations orien­
tales (Inalco) pour espérer, un jour,
devenir journaliste au Moyen­
Orient. A 19 ans, comme Brigitte et
de nombreux représentants de sa
génération, il affirme : « Je veux
être utile pour les gens, utile pour
mon pays, vraiment utile. »
Roukia, jeune communicante, a
suivi le même type de chemine­
ment. Pendant le confinement,
elle a réalisé que son métier ne la
satisfaisait pas totalement, no­
tamment parce qu’il avait peu
d’impact social. Bénévole à la
Croix­Rouge, elle a pris le temps
de multiplier les actions de ter­
rain, de la livraison de courses à
domicile aux maraudes alimen­
taires dans Paris. Aujourd’hui, elle
bifurque vers la formation d’adul­
tes, s’estimant « plus utile auprès
des gens que derrière un ordi ».
Dans le genre indispensable, le
confinement a suscité quelques
vocations nouvelles. A l’Institut
de formation et de perfectionne­
ment aux métiers (IFPM) de Nan­
terre, par exemple, la directrice,
Séverine Le Mière, constate une
forte augmentation du nombre
de pré­inscriptions pour le CAP
coiffure. Contrairement à tant
d’autres – peut­être parce que l’en­
semble de la population s’est in­
quiété pour sa chevelure durant le
confinement –, le secteur recrute
quantité d’apprentis. Et il n’est pas
près de disparaître. 
léa iribarnegaray
0123
MARDI 7 JUILLET 2020 carnet | 21
Lucienne Cabannes, Marie Le Quément-Bordet, Brigitte Meyer, Reims.
son épouse, son épouse, son épouse,
Jean et Claudie Cabannes, Matthieu Le Quément et Anouk Alain Rigaud,
Lepage, Antonin, Anne, Camille et Georges Meyer,
son fils et sa belle-fille, son époux,
en vente Ses petits-enfants Anne et Duncan Seekings-Le ses enfants Léon (†) et Odette Voisin,
Le Carnet Et ses arrière-petits-enfants, Quément, Joséphine et Ferdinand, et leurs conjoints, Wladimir ses parents,
actuellement Guillaume Le Quément et Marion Finkelsztajn, Caroline Fayolle, Vincent et Stéphane Rigaud,
ont la très grande douleur de faire Charles, ses fils,
ses enfants et petits-enfants, Julien et Raphaël,
K En kiosque Merci de nous adresser part du décès de
Ses frère, sœur, beaux-frères, ses petits-enfants, Colombe Rigaud,
sa petite-fille,
belles-sœurs, neveux et nièces, Pascale et Mathieu Meyer,
vos demandes Jean CABANNES, Jean et Odile Voisin,
grand’croix de la Légion d’honneur, sa sœur et son frère son frère et sa belle-sœur,
ont la profonde tristesse d’annoncer
ancien membre le décès de et leurs conjoints, Jacques Obadia, Jean et Gisèle (†) Rigaud,
UNE VIE, UNE ŒUVRE
par mail en précisant du Conseil constitutionnel, Véronique Meyer, ses beaux-parents,
premier avocat général honoraire Joël LE QUÉMENT Nathalie, Noémie et Quentin Meyer, Michel Rigaud,
impérativement à la Cour de cassation, né à La Roche Derrien ses neveu et nièces,
son beau-frère,
Émile (Côtes-d’Armor), Marine,
Zola
L’indigné
votre numéro de survenu le 1er juillet 2020, le 14 juillet 1944, sa belle-fille
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. décédé à Bruxelles, ont l’immense tristesse de faire part Et toute sa famille,
le 26 juin 2020. du décès de
téléphone personnel, Ses obsèques ont lieu ce lundi ont l’immense tristesse de faire part
6 juillet, à 15 heures, en l’église La cérémonie religieuse et du décès du
Thomas MEYER,
Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès-France, Taubira...

votre nom et prénom, de Lagarde-Hachan (Gers). l’inhumation ont eu lieu le 2 juillet,

Hors-série à Bruxelles, dans l’intimité. docteur
adresse postale survenu à Paris, le 1er juillet 2020 Claude VOISIN-RIGAUD,
La famille de La famille tient à remercier les cyto-anatomopathologiste,
médecins et le personnel soignant de à l’âge de soixante et onze ans.
retraitée de l’Institut Jean-Godinot
0123 et votre éventuelle M. Jean-Pierre FALAISE, l’hôpital Sainte-Elisabeth, à Bruxelles
pour leur grande humanité.
de Reims,
HORS-SÉRIE
psychologue, psychanalyste, L’inhumation a lieu ce mardi
référence d’abonnement. 7 juillet, à 15 heures, au cimetière survenu le 26 juin 2020, à Reims,
1940 DE GAULLE
a la douleur d’annoncer son décès,
survenu à Grenoble, le 30 juin 2020,
Le présent avis tient lieu de faire-
part. du Montparnasse, Paris 14e. à l’âge de soixante-neuf ans.
LA RÉSISTANCE
PÉTAIN L’équipe du Carnet à l’âge de soixante-dix-neuf ans.
Clos du Manoir, 30, brigittemeyer14@gmail.com
Selon sa volonté, ses obsèques ont
LA COLLABORATION
1150 Bruxelles. eu lieu le 2 juillet, dans la plus stricte
Sa générosité, son écoute, son ardeur intimité familiale.
reviendra vers vous à aider, à réparer, à faire, demeurent La famille
en nos cœurs. Toulouse. Loctudy. Et les amis, de Elle repose dans le caveau familial
dans les meilleurs délais. Neuilly-sur-Seine. du cimetière de l’Est, de Reims.
Les obsèques ont lieu au
funérarium de La Tronche (Isère), Manou Le Stang, Mireille Ni fleurs ni couronnes ni plaques.
Hors-série son épouse,
ce 7 juillet, à 13 h 45. MILLET SZATAN DEMEAUX, Merci de les remplacer par un don au
carnet@mpublicite.fr François Le Stang,
profit de l’association PSP France,
son fils et son épouse, Raphaëlle,
Mme Marie-Rose Fauconnier, Anne Le Stang, ont l’immense tristesse de faire part www.pspfrance.org
née Mulotte, sa fille et son amie, Hélène,
HORS-SÉRIE JEUX

de son décès, survenu le 2 juillet 2020.

FIA
AU CARNET DU «MONDE»
l’ARGOT
MARC ELLE RATA
LULU D’ARD IS •

son épouse, Amélie et Arthur Goube Le Stang, Cet avis tient lieu de faire-part
POU R TOU S Anne Bullier, Pauline Fauconnier, Valentine Le Stang et Stéphane et de remerciements.
JEU X ET QUIZ Z
Schumacher, Margaret Le Stang, La cérémonie aura lieu le mercredi
Décès Hugues Fauconnier et Laurent
8 juillet, à 10 heures, au crématorium 36, rue Boulard,
Quizz,
mots croisés, Fauconnier, ses petits-enfants
Et toute sa famille, 51100 Reims.
mots cachés,
mots fléchés,
jeux de l’oie,
coloriages et
points reliés, Michel Ayel, ses enfants de Champigny-sur-Marne.
et leurs conjoints,
rebus,
anagrammes,

son mari,
ont la tristesse de faire part du décès
version, etc.

Solange et Marc Vandecandelaere, Nathalie, Ingrid, Alexandre, Elle sera suivie d’un moment de Remerciements
Grégoire, Juliette, Louise, Jeanne, de
Maxime et Karine Ayel, partage convivial, dans sa maison, en
Céline et Axel Tillequin, Morgane, Hélène, Marie, M. Jean-Claude LE STANG,
ses petits-enfants son hommage et celui de son mari,
ses enfants, officier
Margot, Paul, Juliette, Charlotte, et leurs conjoints, de l’ordre national du Mérite,
Hors-série jeux Louison, Marilou, Ilian, Esteban, Jean Pierre DEMEAUX,
Aymeric et Olive,
Romane, Lalie, Nahel, Alyssa, Gabriel, survenu le 2 juillet 2020,
ses petits-enfants,
Adil et Léon, dans sa quatre-vingt-huitième année. décédé le 19 mai 2020.
ses arrière-petits-enfants
Collections ont la tristesse de faire part du décès
de
Et toute la famille, La cérémonie religieuse aura
lieu le mercredi 8 juillet, en l’église Ni fleurs ni couronnes, mais des
ont la grande tristesse de faire part de l’Immaculée Conception, de plantes qui feront vivre sa mémoire.
Pierrine AYEL, du décès, entouré de ses proches, Toulouse. La Fédération des Aveugles
née RUILLER, survenu le 1er juillet 2020, de de France
Cet avis tient lieu de faire-part. sandra.deze@gmail.com
rend hommage
survenu le 26 juin 2020. Bernard FAUCONNIER, à ses généreux bienfaiteurs.
24, rue Théodore Lenôtre, Marjolaine,
La cérémonie a eu lieu en présence dans sa quatre-vingt-quatorzième 31500 Toulouse.
34, rue Madeleine Michelis, son épouse, En désignant notre association
de sa famille et de ses proches. année. 92200 Neuilly-sur-Seine. Cléo et Mathis, comme bénéficiaire
9, rue Jean-François Bladé, ses enfants, de leur patrimoine,
La famille remercie tout Sa mémoire a été évoquée 31100 Toulouse.
au temple protestant de Viroflay, Sa famille ils contribuent à améliorer
particulièrement l’infirmière qui l’a
la vie quotidienne
LE VOLUME 1
le lundi 6 juillet, à 11 heures et Et ses nombreux amis,

3 99
LE LIVRET
accompagnée ainsi que le personnel
€
de la clinique de l’Europe. l’inhumation aura lieu le vendredi Françoise Lecocq-Parissier, des personnes aveugles
, 10 juillet, au cimetière de Guillonville son épouse, et malvoyantes.
ont l’immense douleur de faire part
SEULEMENT
courrier@ayel.com (Eure-et-Loir), à 16 heures. Leur mémoire restera à jamais
Florence Lecocq et Jean-Marc Besse, du décès de
Olivier (†) Lecocq et Fanny Milbled, ancrée dans nos souvenirs.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Dès mercredi 8 juillet, Sylvie et François, François Lecocq et Marguerite Michel RAGER, Nous ne les oublierons jamais.
le volume n° 1 ses enfants, Mandel,
Mme Fauconnier, ses enfants,
NOTRE-DAME DE PARIS Philippe et Maud, 11, avenue Marguerite, Fédération des Aveugles
survenu soudainement, le 1er juillet de France,
ses gendre et belle-fille, 78220 Viroflay. Emmanuel et Emilie, Lorraine, 2020, à l’âge de soixante-cinq ans. 6, rue Gager Gabillot,
Julien, Thalie, Marin et Isée, Léa, Élisa,
ses petits-enfants Hippolyte, Rosita, 75015 Paris.
Paris. elisabethgracy@aol.com
Et toute sa famille, ses petits-enfants Tél. : 01 44 42 91 91.
Didier Franck,
ont la grande tristesse de faire part son époux, Et toute la famille, Catherine,
du décès de Emmanuel, sa femme, Société éditrice du « Monde » SA
son fils, Le personnel des hôpitaux
Président du directoire, directeur de la publication
présente
gériatriques de CHR de Lille (Roger Jean-Marc, Dominique et Sophie,
Robert AYME, Louis Dreyfus
10

ont la tristesse de faire part du décès Salengro et les Bateliers), ses enfants, Directeur du « Monde », directeur délégué de la
agrégé de l’Université, publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
fidèle lecteur du Monde, de Jeanne, Camille, Martin, Antoine,
LA GRANDE GUERRE
Des taxis de la Marne font part du décès de Directeur de la rédaction Luc Bronner
à la bataille de Verdun
1914/1916 Nicolas, Juliette, Pauline, Louis, Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
survenu le 1 juillet 2020.
er Anne-Catherine FRANCK, M. Pierre LECOCQ, Manon et Ève, Françoise Tovo
ancienne secrétaire nationale ancien élève professeur de l’ENS
Direction adjointe de la rédaction
du Parti socialiste, ses petits-enfants, Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle
Les obsèques ont eu lieu ce lundi Saint-Cloud de 1957 à 1960, Chevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
ancienne conseillère régionale Léo, Ernestine, Violette, Emmy, Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,
6 juillet, à 8 h 30, au funérarium agrégé de philosophie,
de l’Ile-de-France, professeur de psychologie Isadora, Aleph et Nina, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
de l’hôpital Européen, à Marseille ancienne membre Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
expérimentale ses arrière-petits enfants, Rédaction en chef numérique
et seront suivies de la crémation. du Conseil économique, à l’université de Lille 3, Hélène Bekmezian
Actuellement en vente, social et environnemental, Rédaction en chef quotidien
le volume n° 10 « Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici, chevalier survenu à Lille, le vendredi 26 juin ont la tristesse de faire part du décès Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,
Franck Nouchi (Débats et Idées)
LA GRANDE GUERRE pas besoin de regarder en arrière, de l’ordre national du Mérite, 2020, dans sa quatre-vingt-sixième de Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
les jonquilles sont devant toi » année. Gilles van Kote
Eugène Guillevic. survenu à Paris, le 1er juillet 2020, Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
à l’âge de soixante-quatorze ans. Paul SEBAN, Chef d’édition Sabine Ledoux
Ses funérailles civiles ont eu lieu
dans l’intimité familiale, le vendredi cinéaste, Directrice du design Mélina Zerbib
Sylvie Ayme-Valéry,
FEMMES
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Les obsèques ont lieu ce mardi 3 juillet, au crématorium de Photographie Nicolas Jimenez
166, boulevard Baille, 7 juillet, à 13 heures, au crématorium Wattrelos, rue de Leers, à Lille, où un
D’EXCEPTION 13005 Marseille. du cimetière du Père-Lachaise, dernier hommage lui a été rendu.
survenu le 1er juillet 2020, à Paris. Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe
François Ayme, Paris 20e. Emilie Conte
Il sera inhumé, entouré de sa Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
136, rue de Charonne, 8, place Lisfranc, Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
75011 Paris. adfranck@noos.fr 59700 Marcq-en-Barœul. famille, dans le Gard. Sébastien Carganico, vice-président

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3 PARENTOLOGIE
Le syndrome
Ronaldinho
Dans les yeux de votre enfant,
vous voilà doté de superpouvoirs.
Une hypertrophie du moi
qui peut vous pousser à vous
prendre pour le MBappé

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Digicode N° Nominative Collective Escalier N° le week-end

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C’est quoi
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Ils squattent allègrement vos
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le nombre de demandeurs de chômeurs se confirme la bonne santé du marché plan gouvernemental de jugent atteignable
d’emploi sans aucune acti­ doucement. Il s’agit du travail. Jeudi, le réseau formation contribue aussi l’objectif d’un taux de

BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES

vité a diminué de 0,4%, du quatrième trimestre des Urssaf a fait état à cette baisse, encore fra­ chômage ramené à 7%
selon les chiffres publiés de baisse. Sur un an, la d’une «augmentation gile dans une conjoncture à la fin du quinquennat
vendredi 25octobre décrue est nette, à – 2,4% soutenue» des CDI internationale incertaine

si vous voulez
PAGE 10

▶ Jean­Claude Juncker,

de votre commande, de la relation client et des réclamations, et dans les cas où vous l’avez accepté, communication marketing par voie électronique du Monde et/ou de ses partenaires.
Géopolitique Le rêvemission
briséeuropéenne,
président de la Com­ 1
CHILI AUX SOURCES d’autonomie des Kurdes
et Boris Johnson, ÉDITORIAL
DE LA COLÈRE
Un dérapage verbal, une photo malvenue, un Tweet inconvenant et vous voilà cloué au pilori premier ministre
britannique,
sur les réseaux sociaux. Après l’humiliation publique, difficile de reprendre le cours de sa vie▶ L’offensive turque ont an­ AMER COMPROMIS
▶ Le mouvement de contestation qui TURQUIE
noncé, syrien
dans le Nord­Est à Bruxelles, POUR L’EUROPE
marque un coup
jeudi d’arrêt
17octobre, avoir
ADRIA FRUITOS

dénonce les inégalités sociales a connu une

Conformément à la loi « Informatique et Libertés » du 06/01/1978 modifiée et au RGPD du 27/04/2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, d’opposition,
au projetconclu
politique
unduaccord sur
mobilisation historique à Santiago vendredi peuple apatride
PAGE
DIMANCHE 15 - LUNDI 16 SEPTEMBRE 2019 CAHIER DU « MONDE » N O 23228 - NE PEUT ÊTRE 4 SÉPARÉMENT
VENDU
la sortie du Royaume­
PAGES 16 À 19
la décision en juin 2016 des
SYRIE Uni de l’UE Britanniques de quitter l’UE
représente une régression

Sortie par carre le 13/09/2019 17:12:19 Date de Publication 16/9/2019

V2 IRAK 1 ▶ Approuvé par les
ÉDITORIAL
Vingt­Sept, le texte
s
e
pour le continent et traduit
un échec collectif. Mais, ac­
ÉTERNELS doitLAISSÉS­
encore être va­a­
quise à 51,9 %, elle doit être
respectée. L’accord sur les mo­
POUR­COMPTE
lidé, samedi, par un dalités de ce départ, conclu
jeudi 17 octobre à Bruxelles,

à la portabilité des données et à la limitation des traitements, que vous pouvez exercer à l’adresse suivante, en joignant une photocopie de votre pièce d’identité : Le Monde – DPO –
PAGE 30
Parlement britanni­
tanni­ prévoit une rupture nette, un
que qui reste Brexit plus dur que celui, flou,
quii avait
avait été vendu aux élec­
a
extrêmement divisé isé
Lubrizol Cor
Corse
teurs. Mais, face à la menace
▶ La pierre d’achop­ d’un «no deal», il représente
la moins mauvaise façon de
pement demeure le
Des défaillances Claude Chossat, statut spécial accordé
traduire dans les faits ce di­
vorce douloureux dont les ci­

dans le dispositif un repenti à l’Irlande du Nord,

qui déplaît aux unio­
toyens des Vingt­Sept, mais
plus encore ceux du Royau­

67/69, avenue Pierre Mendès France - 75707 Paris Cedex 13. Pour plus d’informations, consultez notre Politique de confidentialité sur le site www.lemonde.fr ou le site de la CNIL
anti­incendie aux assises
me­Uni, vont faire les frais.
nistes de cette région Il ne s’agit certainement pas
du «très bon accord à la fois
▶ Retour sur une pour l’UE et le Royaume­Uni»
Douches déclenchées trop L’hommesemaine dedunégocia­
à tout faire vanté par Boris Johnson. Mais,
pour le premier ministre ar­
tôt, absence d’émulseurs… tions,Mariani,
parrain Francis entre ultima­ rivé au pouvoir il y a moins de
les mesures de protection membre tums
fondateur du
et concessions trois mois, il représente, au
de l’usine rouennaise gang de La Brise de mer, moins dans l’immédiat, un in­
contre le feu
de dernière minute
est jugé, à partir de lundi, déniable succès politique.
A Santiago, le 25 octobre. PAGES 2 À 4
comportaient des failles pour assassinat Boris Johnson, Michel Barnier et Jean­Claude Juncker, à Bruxelles, le 17 octobre. FRANCISCO SECO/AP LIRE L A SUITE PAGE 28

www.cnil.fr
PEDRO UGARTE/AFP
PAGE 5 PAGE 11

Energie Barbara Cassin, une académicienne Santé

Rencontre avec Niels Arestrup Municipales
VOTRE VOCATION, C’EST D’ACCOMPAGNER LES AUTRES.
Irak EDF confirme
La contestation la nécessité de pour repenser la langue française Menaces sur LA NÔTRE, C’EST DE VOUS PROPOSER
«La solitude m’a beaucoup servi» A Paris,
ATACAMA PRODUCTIONS
LES MEILLEURES SOLUTIONS.
PRÉSENTE

réprimée après NOSTALGIE DE LA LUMIÈRE et LE BOUTON DE NACRE centrales

nouvelles les urgences
dans le sang Cédric Villani, nucléaires
« Le dernier chapitre d’une trilogie unique » pédiatriques
PAGE 2
candidat décalé Positif PAGE 16

Municipales Treize hôpitaux d’Ile­de­

Idées Personnalité atypique, France traversent une
parfois déconcertant, le La probable crise sans précédent en
A quoi servent mathématicien cherche ŒIL D’OR DU investiture à Paris raison du manque d’inter­
les banques à s’imposer dans la MEILLEUR DOCUMENTAIRE
de Rachida Dati nes en médecine générale
centrales? conquête de la capitale PAGE 8
PAGE 10
en tant que dissident de
PAGES 26-27
La République en marche
PAGE 8
Snapchat Syrie ÊTRE MUTUALISTE, C’EST S’ENGAGER
Médias La messagerie
La Turquie
CHAQUE JOUR POUR PROPOSER DES SOLUTIONS
ADAPTÉES À CHAQUE AGENT DU SECTEUR PUBLIC.
CNews, la télé
du clash
Culture est devenue
l’appli préférée accepte de
permanent Richard Brunel, AU CINÉMA LE 30 OCTOBREdes dealeurs Barbara Cassin, chez elle, à Paris, le 16 octobre. LÉA CRESPI POUR «LE MONDE» suspendre Banque Française Mutualiste - Société anonyme coopérative de banque au capital de

du théâtre à
118 763 309,50 EUR. RCS Paris 326 127 784. Intermédiaire en assurances,
PAGE 14 PAGE 9 immatriculation ORIAS n° 08 041 372 (www.orias.fr). Siège social : 56-60 rue de
son offensive la Glacière - 75013 Paris.

l’Opéra de Lyon une intellectuelle progres­ globish, cette « non­langue de Société Générale - S.A. au capital de 1 066 714 367,50 EUR. RCS Paris 552 120 222.
Siège social : 29, boulevard Haussmann - 75009 Paris. Intermédiaire en assurances,
«Panama Papers» siste à l’Académie française : la pure communication», et la tenta­
Sous pression américaine,
immatriculation ORIAS n° 07 022 493 (www.orias.fr). Crédit photo : Yann le Pape.
Football Le 22 février, lors de la cérémonie des Césars, à Paris. BERTRAND GUAY/AFP philosophe Barbara Cassin est tion d’un idiome replié sur lui­
Les enquêtes ont entrée sous la Coupole, jeudi même, identitaire et porteur de Ankara a consenti, le 17oc­
Saïd Chabane, niels arestrup, actuellement à boucher sur une forme de timi­ La nomination 17octobre. Dans son discours de ferments nationalistes. tobre, à une trêve de cinq
l’affiche dans Rouge, une pièce de dité. Son goût de la scène vient de du metteur en scène déjà rapporté Du lundi au vendredi de 9h à 20h

roi des rillettes et
John Logan consacrée au peintre
patron d’Angers Mark Rothko, évoque une en­
fance faite de solitude, lorsque sa
réception, elle a évoqué la langue Portrait de cette amoureuse de et le samedi de 9h à 14h
sa rencontre avec sa professeure jours pour permettre aux
pour succéder à 372 millions d’euros française, son évolution, ses usa­ la Grèce antique qui a côtoyé
forces kurdes de se retirer
de théâtre, Tania Balachova, alors
qu’il n’avait pas encore l’inten­
Serge Dorny agite
PAGE 12
ges et mésusages. Elle s’est insur­ René Char et Martin Heidegger.
RETROUVEZ-NOUS SUR BFM.FR ET CHEZ NOTRE PARTENAIRE

gée à la fois contre l’offensive du PAGES 24-25 PAGE 6

PAGE 15 mère lui interdisait de sortir seul. tion de devenir comédien. le microcosme lyrique
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 4,70 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Un isolement qui a fini par dé­ PAGE 25 PAGE 20 Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4,70 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA

Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA

V1
Sortie par morel le 18/10/2019 10:29:02 Date de Publication 19/10/2019
V1
Sortie par ledoux le 26/10/2019 10:03:37 Date de Publication 28/10/2019
22 | horizons
Le dark Net,
repaire de
pédophiles
Au sein de la police judiciaire française,
un service spécialisé composé d’une
douzaine de personnes pourchasse
les pédophiles sur la face sombre
d’Internet. « Le Monde » a pu suivre le
processus qui conduit à une arrestation
E
lle tire sur sa cigarette électro­
nique en regardant son écran
d’ordinateur. Derrière elle, sur le
mur, une multitude de photos
et d’affiches, notamment celle
du film Lucy (2014), de Luc
Besson. Un clin d’œil à des policiers
thaïlandais qui l’avaient surnommée ainsi
alors qu’elle venait les former à la lutte
contre l’exploitation sexuelle des enfants
sur Internet. Une pensée, une bouffée. L’en­
quêtrice, Sophie, les cheveux blonds et
courts, l’allure sportive, se concentre. « Ça va
être une longue journée ! » Il est à peine
9 heures, ce matin de mars, et elle va bientôt
interpeller un suspect sur son lieu de travail.
« On aimerait un vrai effet de surprise, surtout
pour préserver les preuves. Il ne faudrait pas
qu’il détruise ses supports informatiques. »
Sophie, brigadière­chef, suit cette enquête
depuis plus d’un mois, mais ce n’est pas elle
qui l’a lancée. L’homme en question, âgé
d’une trentaine d’années, a d’abord été
repéré par des policiers allemands lors d’une
« cyberpatrouille », en février. Comprenant
qu’il était français, ils ont transmis l’informa­
tion au service de Sophie, le groupe central
des mineurs au sein de l’Office central pour la
répression des violences aux personnes
(OCRVP), installé au siège de la police judi­
ciaire, à Nanterre, dans les Hauts­de­Seine.
Les milliers de messages et de posts échan­
gés par le suspect sur Internet avec d’autres
pédophiles sont sans équivoque. « Il dit
aimer les trucs avec les fillettes du moment
que c’est violent et brutal, poursuit la
policière. Il est aussi obsédé par les garçons de
4 à 7 ans, surtout ceux à la peau foncée. »
« UN MONDE PARALLÈLE »
Les enquêteurs le soupçonnent de partager du
contenu pédopornographique en ligne et d’en
produire lui­même, autrement dit de se fil­
mer en train de violer des enfants puis de
diffuser les images. Son territoire : le dark Net,
cette partie immergée et cachée d’Internet. Le
navigateur Tor en est la principale porte d’en­
trée. A sa création, dans les années 1990, il
avait pour but de protéger les connexions des
militants des droits de l’homme et des journa­
listes, mais il s’est vite transformé en marché
international du crime, sur lequel on peut
trouver armes, drogues et vidéos pédoporno­
graphiques. En se connectant via le dark Net,
l’adresse IP est intraçable. « C’est un monde
parallèle où les liens changent très vite, les
pseudos aussi, détaille Sophie. Les gens y sont
méfiants. Il faut une activité quotidienne de
cyberinfiltration pour ne pas être largué. »
Chaque jour, Sophie et certains de ses collè­
gues se font passer pour des pédophiles afin
d’infiltrer des forums spécialisés où les pé­
dophiles ont pour habitude de discuter et
d’échanger des images. Ils se créent des iden­
tités fictives, des métiers imaginaires, des
fantasmes avec des enfants inventés de tou­
tes pièces. Pour consolider leurs légendes, ils
piochent dans la banque de données d’Inter­
pol des images pédopornographiques et
tentent ainsi de gagner la confiance de leurs
interlocuteurs.
Voilà huit ans que Sophie, une ancienne des
« stups », travaille au sein du groupe central
des mineurs. Créée en 1996, cette section de
l’OCRVP, unique en France, a dû s’adapter à
l’évolution des pratiques en ligne. « En France,
il y a un petit peu moins de 100 000 connexions
à l’année sur les réseaux d’échanges peer to peer
de l’Internet classique. Et une connexion ne
veut pas dire un fichier. Il peut y avoir 1 000,
10 000 fichiers téléchargés, précise la capitaine
de police Véronique Bechu, la chef du groupe
central des mineurs. Ce chiffre est énorme. Ça
voudrait dire que nous pourrions ouvrir
100 000 procédures rien que pour transmis­
sion de fichiers, mais, vu nos effectifs, ce serait
vider l’océan avec une petite cuillère. » Le
groupe est composé de seulement dix poli­
ciers et trois gendarmes, opérationnels sur
tout le territoire. Rien de comparable avec le
Royaume­Uni ou les Pays­Bas, où les agents
spécialisés se comptent par centaines.
D’après Véronique Bechu, il faudrait faire
de la lutte contre l’exploitation sexuelle des
mineurs une « priorité nationale », ce qui
n’est pas le cas actuellement. Alors, sa
section se concentre sur les principaux
prédateurs, habitués à transmettre des
fichiers mais aussi à en produire eux­mê­
mes. Comme le Français pisté par Sophie.
Il est 10 heures. L’homme en question ne va
pas tarder à arriver sur son lieu de travail, un
hôtel parisien. Quatre policiers l’attendent, en
planque dans deux voitures. Le voilà. Un tren­
tenaire bien habillé. « La première fois que je
l’ai vu en photo, j’ai été surprise, glisse Sophie.
Il est plutôt beau garçon, il a été mannequin. Il
n’a pas besoin de payer pour avoir des relations
sexuelles avec des hommes et des femmes. Il est
posé, bien coiffé, il a les yeux clairs, les cheveux
courts. Un côté gendre idéal. »
Ni l’enquêtrice ni ses collègues ne se font
d’illusions : pareil travail aide à prendre
conscience qu’un pédophile peut être
M. Tout­le­Monde, employé, chômeur,
cadre, étudiant, vieux, jeune, anonyme,
célébrité. « Nous n’avons pas à les qualifier de
monstres, surtout pas, juge Serge, 47 ans,
dont près de la moitié dans la police, la voix
qui porte et une gueule à la Olivier Marchal.
Pour moi, c’est un problème de développe­
ment. A un moment, il y a une étape qui ne
s’est pas faite, leur attirance sexuelle s’est por­
tée sur les enfants. » Lui mesure chaque jour
la raison pour laquelle il a intégré ce service,
en 2012. « La délinquance financière ne
m’intéresse pas, les “stups” m’ennuient. Courir
derrière des braqueurs, pff… Je me dis que les
banques sont assurées. Le problème, avec les
homicides, c’est que la personne est morte, on
n’y pourra plus jamais rien. Ici, je sais que je
vais peut­être aider quelqu’un. »
Les policiers s’engouffrent dans l’hôtel. A
peine le perron franchi, ils aperçoivent le sus­
pect, au niveau de la réception, discutant
avec son patron.
« Bonjour monsieur, c’est la police. Vous avez
votre téléphone portable sur vous ?
– Il est chez moi.
– Il est 10 h 20, je vous place en garde à vue
pour vingt­quatre heures pour des faits de
viols et d’agressions sexuelles sur des mineurs
de moins de 15 ans et la détention d’images à
caractère pédopornographique. Tiens, on
arrive dans votre bureau et on tombe sur votre
téléphone. Pourquoi vous m’avez dit que votre
téléphone était chez vous ?
– Parce que je ne savais pas qui vous étiez.
– On s’est présentés, monsieur.
– Oui mais c’était un peu violent donc je
n’avais pas envie de le dire.
– Très bien, on vous demande où sont vos
affaires et vous mentez. Première question,
premier mensonge. »
LES SECRETS DU DISQUE DUR
Il est bientôt 15 heures. Les policiers viennent
de perquisitionner, en présence du suspect,
son lieu de travail et son domicile. Les voici
CRÉÉ EN 1996, de retour à Nanterre. Ils pénètrent dans le bâ­
LE GROUPE CENTRAL timent les bras chargés de supports
informatiques. Le suspect est menotté, les
DES MINEURS, mains dans le dos.
Sixième étage, couloir de droite. Sophie
UNE SECTION DE rejoint ses collègues pour grignoter un sand­
L’OFFICE CENTRAL wich dans leur bureau. Assis sur des tabou­
rets, ils commentent l’interpellation du jour
POUR et le profil de l’employé d’hôtel. La jeune
femme le trouve « super arrogant ».
LA RÉPRESSION Son avocate arrive. Elle se frotte les mains
avec du gel hydroalcoolique pendant que
DES VIOLENCES Sophie lui explique de quoi son client est
AUX PERSONNES, accusé. A 16 heures, le premier interrogatoire
commence. La salle d’audition jouxte le
S’EST ADAPTÉ bureau du groupe central des mineurs. Alors
que Sophie interroge le suspect, son collègue
À L’ÉVOLUTION Sébastien, analyste informatique, tente de
DES PRATIQUES percer les secrets de ses appareils, un
téléphone portable, un disque dur externe et
EN LIGNE un ordinateur « propre ». « C’est comme si
vous alliez sur une scène de crime totalement
nettoyée à l’eau de Javel. Les gens ne nettoient
pas leur maison de fond en comble de cette
manière quotidiennement. Lui si. »
Il est 20 heures lorsque Sophie sort de la salle
d’audition. D’après elle, le suspect ment et
invoque son droit au silence. « C’est la tempête
sous mon crâne, parce que je sens qu’il a envie
de parler. Je cherche la faille, ce qui le ferait bas­
culer », dit­elle en prenant une énième canette
de Coca dans le réfrigérateur du service.
22 heures. Le silence initial du jeune
homme se transforme finalement en flot de
paroles. Il reconnaît des voyages au Guate­
mala pour aller y violer des garçonnets et
assume même les transferts d’argent pour
payer des complices chargés de trouver ses
victimes. Il avoue également des agressions
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
sexuelles en France, à son domicile, et donne
son mot de passe. Le disque dur externe,
crypté jusque­là, délivre enfin ses secrets.
Photos et vidéos de ses crimes sexuels s’affi­
chent par centaines, insoutenables. Il se met
en scène avec ses victimes et filme le tout.
Plusieurs policiers se sont rassemblés
autour de l’ordinateur de Sébastien. Debout
derrière lui, les mains croisées, ils découvrent
ces images en silence. « On a beau regarder, on
ne s’y fait pas », confie l’un d’eux. « Oui, c’est
horrible, confirme l’expérimenté Serge, mais
demandez à un pompier ce qu’il ressent quand
il doit intervenir sur un accident de voiture. » De
fait, tous se concentrent rapidement sur les
détails de chaque image, susceptibles d’aider à
l’identification des victimes. Un vêtement, un
détail physique, rien n’est anodin.
Mais les images ont de quoi malmener les
plus endurcis. Véronique Bechu doit donc
veiller à l’équilibre psychologique de
ses troupes. Des séances individuelles chez le
psychologue sont organisées chaque année.
Des séances collectives aussi. « Ma porte est
toujours ouverte, assure­t­elle. Chez nous, il
n’y a pas de fausse pudeur. Des collègues ont
dû faire des breaks. Ils pleuraient, ça arrive. »
Le lendemain, les auditions reprennent.
Sophie reste à la manœuvre. Dans le bureau
voisin, Serge écoute d’une oreille l’interroga­
toire qui, d’après son expérience, peut être
cathartique pour le mis en cause. C’est sou­
vent la première fois qu’il parle, qu’il se « li­
bère », en quelque sorte. « S’il y a une possibilité
de réhabilitation, elle commence là, estime le
policier. Et c’est important qu’on arrive à le libé­
rer au maximum. » Sébastien, de son côté, con­
tinue d’ausculter les supports informatiques.
Et là, surprise : l’employé d’hôtel a un complice
en France. « On s’aperçoit, en regardant les vi­
déos, qu’il n’est pas tout seul à agresser et violer
les mineurs. » Sébastien en informe Sophie.
Elle interroge le suspect à ce sujet. Il nie.
Le service travaille toujours ainsi, dans
une forme d’urgence : plus vite les victimes
sont identifiées, plus vite elles sont proté­
gées. Dans l’affaire traitée par Sophie, il y en
aurait quatre, deux au Guatemala, deux en
France. Rien que des petits garçons. D’autres
pourraient apparaître car les investigations
sont loin d’être terminées.
Mais, en effectif réduit et avec un pro­
gramme surchargé, les enquêteurs savent que
les interpellations d’éventuels complices
pourront prendre plusieurs mois. Le suspect,
lui, sera placé en détention provisoire. Il
encourt jusqu’à vingt ans de réclusion. « Un de
moins, c’est un de moins, mais il faudrait qu’il y
ait plus de prévention », s’exclame Serge. Pour
Sophie, le savoir derrière les barreaux ne suffit
pas : « La justice devrait pousser ces gens­là à
avoir un suivi psychologique, pour qu’on soit
sûr, lorsqu’ils sortent, qu’ils ne seront plus dan­
gereux. » Les victimes, elles, ne verront jamais
leur image disparaître de la Toile. 
marine courtade et clémence fulleda

0123
MARDI 7 JUILLET 2020
A Rennes,
Martin Parr
fait rire jaune
Une rétrospective du photographe
britannique présentée au FRAC
Bretagne donne un aperçu sombre
de la marche du monde
PHOTOGRAPHE
rennes ­ envoyée spéciale
O
n ne s’attendait pas à
voir au FRAC (Fonds
régional d’art con­
temporain) Bretagne,
à Rennes, une exposition du pho­
tographe Martin Parr. Le bâti­
ment récent à la façade austère,
signé par l’architecte Odile Decq,
se veut dévolu à la diffusion d’un
art contemporain plutôt pointu,
or le photographe est célèbre
dans le monde entier pour le re­
gard acide qu’il porte sur ses con­
temporains. Mais le dynamique
directeur, Etienne Bernard, dont
c’est la deuxième exposition sur
place, a voulu miser sur un artiste
populaire pour remettre sur la
carte son FRAC un peu excentré.
Le thème du Brexit, qui traverse
l’œuvre, a convaincu ce directeur
pour qui « tout art est politique ».
Et puis, en ces temps de crise sani­
taire et de marasme économique,
et même si l’exposition a été pro­
grammée avant le Covid­19, il
veut croire en l’aspect thérapeuti­
que d’une « expo fun ».
Les amateurs de fantaisie et de
légèreté, pourtant, risquent d’en
être pour leurs frais. La rétrospec­
tive, version remise à jour d’une
exposition concoctée par le
photographe lui­même et par
l’agence Magnum qui tournera
ensuite dans le monde entier, a
misé sur la sobriété. A part quel­
ques murs pastel, on évite les
clins d’œil amusés qui renforcent
souvent le propos de Martin Parr,
plein d’humour vache.
Pas de mugs ornés de têtes de
dictateurs qu’il aime collection­
ner, pas de faux gazon, de dra­
peaux ou de déco à l’anglaise
comme on a pu en croiser lors de
la grande exposition « Only Hu­
man » consacrée au photographe
par le Victoria and Albert Mu­
seum de Londres, en 2019. La
rétrospective, intitulée « Parra­
thon », revisite de façon plutôt
sage et sans grande nouveauté
toute la carrière du photographe
& CIVILISATIONS
& CIVILISATIONS
LES
BARBARES
ARRIVENT
L’EMPIRE ROMAIN
DANS LA TOURMENTE
DICKENS
IL A RÉVÉLÉ
LES BAS-FONDS
DE LONDRES
Chaque mois, un voyage à travers le temps
et les grandes civilisations à l’origine de notre monde
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
depuis les années 1970, à travers
14 séries organisées de façon
thématique.
Les deux premières salles sont
les plus intéressantes, qui résu­
ment l’évolution vertigineuse du
photographe : on passe sans
transition du noir et blanc classi­
que à de grands formats couleur,
de la photo documentaire plutôt
distancée aux gros plans sur les
détails crus et stridents du con­
sumérisme triomphant. Dom­
mage que l’exposition n’appuie
pas sa démonstration à l’aide de
tirages d’époque.
Immense kaléidoscope
Les débuts de Martin Parr sont
encore marqués par l’influence
de l’école documentaire anglaise,
dont il restera l’ardent défenseur
et le collectionneur (Tom Wood,
Chris Killip, Tony Ray­Jones…).
Comme dans sa série « Bad
Weather » (1982), qui moque les
rapports compliqués des Britan­
niques avec la météo : ses paysa­
ges anglais, saisis entre les gout­
tes, laissent voir les vestiges du
passé industriel britannique et
du monde ouvrier. Mais déjà, les
coups de flash sur les trombes
d’eau et les détails cocasses té­
moignent du coup d’œil mo­
queur qui va devenir sa marque
de fabrique.
Dans la salle suivante, avec
« Common Sense », le style Parr
outré, strident, s’affiche pleine­
ment : le photographe a aligné
sur le mur, dans de simples pho­
tocopies couleur, un immense
kaléidoscope de détails aux
teintes criardes, soulignées par le
flash : glace qui coule, peau brû­
lée par les coups de soleil, promo­
tions dans les magasins, jouets
en plastique fluo… Cette série
toujours en cours brocarde les
habitudes de la classe moyenne
occidentale mondialisée, et la so­
ciété de consommation dans
toutes ses outrances et sa super­
ficialité : touristes, clients dans
les supermarchés, adeptes de
la fast fashion…
N° 63
JUILLET-
AOÛT 2020
CHAQUE MOIS UN PRÉSIDENT
HÉBREUX
LE MYSTÈRE
DE L’ARCHE
WILSON
UN IDÉALISTE
CONFRONTÉ À
DISPARUE LA GRANDE GUERRE
CULTURE
| 23
« Think of England ­ West Bay, England » (1996). MARTIN PARR/MAGNUM PHOTOS
Martin Parr dit avoir toujours blancs qui perpétuent, canne et « Everybody Dance Now », qui blent désormais appartenir à un
voulu se focaliser sur l’ordinaire haut­de­forme à la main, des tradi­ montre différentes cultures et passé révolu. Et la boule à facet­
et sur le sort des gens proches de tions d’un autre siècle. Et l’île bri­ communautés à travers le tes, accrochée au plafond, jette
lui. Il a photographié, avant les tannique, avec le Brexit, se coupe monde, immergées sans peur du une lumière crue sur un plaisir
autres et mieux que personne, ce encore davantage du monde. ridicule dans un plaisir univer­ désormais défendu. 
que notre monde a de plus trivial Devant cette peinture grinçante sel : la danse. On y voit, dans des claire guillot
et de plus éphémère. Dans des temps actuels, il faudrait plus boîtes de nuit, des salles de bal,
« Small World », il égratigne les que les autoportraits malicieux une parade de la Gay Pride, une Parrathon, une rétrospective de
touristes qui vont en vacances en de Martin Parr, qui aime à se faire classe de ballet, des individus Martin Parr. FRAC Bretagne,
avion dans des pays du Sud, se photographier en astronaute ou heureux réunis par une activité 19, avenue André­Mussat,
photographient en groupe de­ poser à côté d’un faux Vladimir commune. Mais à l’heure du Co­ Rennes. Jusqu’au 24 janvier 2021.
vant les pyramides après avoir Poutine, pour alléger l’atmos­ vid­19, des masques et de la dis­ Du mardi au dimanche,
semé leurs papiers gras. Plus ré­ phère. La dernière salle se veut tanciation physique, ces manifes­ de 12 heures à 19 heures.
cemment, il a consacré une série pourtant joyeuse avec la série tations d’unité collective sem­ Entrée : 2 et 3 euros.
aux adorateurs de selfies – motif
attendu mais pas le plus réussi.
Dans le monde entier, et jus­
qu’au Mexique où la Vierge vend
du Coca­Cola, Martin Parr mon­
tre combien une sorte de pop
culture basée sur la consomma­
tion détruit la planète, clone les
mêmes boutiques dans les villes
et les stations balnéaires, et ré­
 UN POLAR CORÉEN DÉLICIEUSEMENT ROUBLARD. 
duit l’histoire et les traditions TÉLÉRAMA
locales à des stands interchan­
geables d’un vaste parc d’attrac­  BOURRÉ D’HUMOUR NOIR, UN POLAR CORÉEN RÉJOUISSANT. 
tions. Mais il a aussi épinglé la
vulgarité des plus riches, passant PREMIÈRE
à la moulinette les jet­setteurs de
l’art, qui vont d’une foire inter­  UNE RONDE DU CRIME SAUVAGE ET JUBILATOIRE. 
nationale à l’autre, coupe de FRANÇOIS GUERIF
LUCKY
champagne à la main.
Avec justesse et sévérité
En parallèle à son étude sur l’uni­
versalisation du mauvais goût,
strike
Martin Parr est souvent revenu,
avec justesse et sévérité, sur ses
racines et sur les spécificités de
son pays d’origine, pour lequel il
dit souvent avoir « un sentiment
d’amour et de haine ». « The Last
Resort », sa série mythique des
années 1980 (ici en grand for­
mat), peignait avec un mélange
de sourire et de mélancolie les
BIEN MAL ACQUIS NE PROFITE JAMAIS...
classes populaires faisant la fête
dans une station balnéaire en MAINTENANT C’EST CHACUN POUR SOI !
perte de vitesse.
Ses photos les plus récentes
consacrées aux Britanniques se
concentrent plutôt sur les parti­
sans du Brexit et sur les bastions
du pouvoir traditionnel (the Esta­
blishment). D’une certaine façon,
elles sont comme une réponse à
ses images sur la mondialisation :
alors que les cultures lointaines
deviennent accessibles, en un
coup d’avion ou à portée de clic,
parallèlement se renforcent la
peur de l’autre, le repli sur soi, le
conservatisme, le culte d’une
identité fantasmée.
Malgré les changements, les
vieilles universités qui forment
l’élite anglaise sont toujours do­
minées par de vieux hommes
un film de KIM YONG-HOON
Avec « Common MERCREDI AU CINÉMA
CRÉDITS NON CONTRACTUELS
Sense », le style
Parr outré,
strident, s’affiche Copyright © 2019 MegaboxJoongAng PLUS M & B.A. ENTERTAINMENT CORPORATION, ALL RIGHTS RESERVED.
pleinement

24 | culture
« Bain musical » pour bois et violoncelle dans l’Oise
Le violoncelliste Christian­Pierre La Marca a accompagné l’une des balades du bucolique Festival des forêts
MUSIQUE
compiègne (oise) ­ envoyée spéciale
C
hristian­Pierre La Marca
pourrait être l’un de ces
voyageurs romantiques
(Wanderer) qui hantent
les tableaux de Caspar David
Friedrich. A 37 ans, le jeune
homme fait partie de l’élite du
violoncelle français. Il a arrimé
son instrument à proximité d’un
impressionnant dévers peuplé de
hautes futaies pour jouer Cantus I,
une pièce de Thierry Escaich, aussi
foisonnante que les essences d’ar­
bres alentour. Nous sommes en
plein « bain de forêt musical »,
l’une de ces balades dans les bois
jalonnées de concerts en plein air,
que programme, depuis 2019, le
Festival des forêts. Deux heures
plus tôt, une vingtaine de prome­
neurs se sont massés en bas du
perron de la villa du Châtelet, la
gentilhommière en forme de
piano à queue que le compositeur
de Lakmé, Léo Delibes, fit cons­
truire en 1886 dans un vaste do­
maine somptueusement arboré
de Choisy­au­Bac, à quelques en­
cablures de Compiègne (Oise).
Après trois jours de canicule, les
dix heures matinales de ce samedi
27 juin ont gardé la fraîcheur des
orages de la nuit. Christian­Pierre
La Marca donne le signal du dé­
part avec le prélude de la Première
Suite, de Bach. « Quatre minutes en
forêt suffisent pour faire baisser le
rythme cardiaque, réduire les
crispations musculaires. » Le « mé­
diateur bien­être », Jean­Luc
Chavanis, rappelle les origines de
cette technique d’immersion en
forêt, shinrin yoku (littéralement :
« bain de forêt »), en vogue au Ja­
pon depuis les années 1980, dont
la science a démontré les nom­
breux bienfaits pour la santé.
D’enivrants effluves des tilleuls
ponctuent la progression dans les
« Opération peur » exploite le filon de la vengeance post­mortem
Jamais sortie en France, cette œuvre méconnue de Mario Bava, l’un des maîtres italiens de l’épouvante, est désormais disponible en Blu­ray
DVD
D e récentes éditions en
DVD et Blu­ray permet­
tent désormais de ren­
dre facilement accessible une des
œuvres les plus belles et les plus
méconnues peut­être du cinéma
italien. Le génie de Mario Bava
(1914­1980) s’est affirmé au cœur
d’une production dite « de genre »
– péplums, thrillers, épouvante,
westerns et fantastique – essen­
tiellement à petit budget.
Il débuta dans le cinéma comme
chef opérateur et spécialiste en ef­
fets spéciaux. Sa première réalisa­
tion « officielle » – il avait collaboré
à la mise en scène de nombreuses
productions sans en avoir été cré­
dité – fut Le Masque du démon,
L’ÉTÉ COMME JAMAIS
DOROTHÉE BARBA
9H / 11H
LE 7 JUILLET : RETROUVEZ ERIK ORSENNA
POUR LA COLLECTION VICTOR HUGO
ABONNEZ-VOUS AU PODCAST
Christian­
Pierre
La Marca,
le 27 juin,
au Festival
des forêts,
à Compiègne
(Oise).
LUDO LELEU
hautes futaies gorgées de bénéfi­
ques ions négatifs. L’espace
s’émaille de lumière, de chants
d’oiseaux, du fredon des vents
dans la canopée. Quelques notes
de violoncelle attirent le pas.
Nous voici dans la clairière de la
chapelle des Trois Chênes.
Christian­Pierre La Marca trône
au pied d’un magnifique arbre
bicéphale. Un tabouret en bois,
un pupitre, une planche pour la
pique de l’instrument : le musi­
cien entame, après quelques mots
de présentation, le deuxième
mouvement du Dialogo, de
en 1960, adaptation d’une nou­
velle de Gogol. Son succès enclen­
cha, en Italie, une vague de films
d’horreur gothique, des récits de
fantômes, de sorcières, de vampi­
res, fortement ancrés dans un
XIXe siècle renvoyant à toute une
tradition littéraire fantastique
anglo­saxonne mais aussi russe.
Réalisé en 1966, Operazione
Paura (Opération peur) marque la
fin d’un mouvement qui va s’effi­
locher encore un peu avant d’être
remplacé par une épouvante plus
contemporaine. Le titre même se­
rait dû à l’exigence d’un produc­
teur qui, constatant le déclin irré­
versible du genre, voulait brouiller
les esprits en rattachant le film à la
mode cinématographique de l’es­
pionnage, alors en plein essor.
György Ligeti, un chant de nostal­
gie piqué de pizzicatos mi­in­
quiets, mi­interrogatifs.
Une invitation à la danse
La musique monte dans l’im­
mense coupole de feuilles, gagne
les branches d’acacias, de châtai­
gniers… finit par s’évanouir. De­
bout, chacun doit maintenant
s’ancrer au sol pour mieux lever
vers le ciel deux bras entre joie et
prière. La promenade reprendra
après de légères et fourmillantes
Folies d’Espagne, de Marin Marais,
une invitation à la danse. Ici, quel­
Opération peur comme Opération
tonnerre, ça marchait comme ça,
la production transalpine de série !
Théâtre d’expérimentations
Le film, qui ne connut pas, en son
temps, de distribution en France,
constitue une des expressions les
plus pures de l’art de Bava. Sans
doute n’avait­on pas eu, depuis les
chefs­d’œuvre de ce que l’on a ap­
pelé le cinéma expressionniste al­
lemand, à ce point le sentiment
d’une volonté de montrer com­
ment un monde intérieur, un uni­
vers psychique pouvait hanter la
réalité et s’infiltrer dans l’espace
visible pour le subvertir. L’enre­
gistrement du réel s’y abîme régu­
lièrement dans une sorte d’abs­
traction plastique. Flous et effets
DE L’ÉMISSION
ques framboises sauvages hâtive­
ment cueillies ; là, un cèpe soli­
taire poussé dans les hautes her­
bes. L’idyllique côtoie le tragique :
la forêt est en danger. Les séche­
resses successives de nos étés
brûlants. Et puis, cette année, ces
volées de hannetons prenant leur
essor après trois années où les lar­
ves sont restées sous terre, à dévo­
rer la racine des arbres.
Les arbres. Il nous faut mainte­
nant choisir l’un d’entre eux, un
alter ego de sève et de ramure, l’ap­
procher, l’enlacer et s’adosser à lui
pour se charger de son énergie.
de focale viennent corrompre ité­
rativement l’image elle­même.
Un médecin appelé dans un vil­
lage découvre que le fantôme
d’une petite fille morte vient terri­
fier les habitants jusqu’à en pous­
ser certains au suicide. Ce récit
d’une malédiction et d’une ven­
geance post mortem devient le
théâtre d’expérimentations diver­
ses où s’exprime le goût du ci­
néaste pour divers fétiches, figu­
res et objets paraissant tout droit
sortis d’un conte d’Hoffmann. Le
motif de la poupée vivante et celui
du double nourrissent une œuvre
qui semble parfois abandonner
les structures narratives tradition­
nelles pour inventer sa propre
rythmique et sa propre logique. La
nature cesse d’être une référence
Mais l’empathie gagne : il ne peut
s’agir désormais que d’un échange
d’encouragements réciproques.
Christian­Pierre La Marca a planté
son beau Jean­Baptiste Vuillaume
de 1856 au milieu du chemin. De
son bois sort une plainte médita­
tive, hors du temps, Les Voix
humaines, de Marin Marais, des
voix disparues, peut­être celles de
ces sylphes et nymphes dont
Ronsard épousait la souffrance
dans son élégiaque Contre les
bûcherons de la forêt de Gastine.
Président­fondateur du Festival
des forêts, Bruno Ory­Lavollée se
primitive sur quoi se constituerait
analogiquement l’art de l’artiste.
Car la référence initiale est déjà
une image, ou, plus exactement,
n’a toujours été qu’une image au
cœur de laquelle s’abîme le per­
sonnage principal perdu au centre
même de son hallucination.
C’est notamment le sens de cette
séquence où après avoir poursuivi
un homme dans une enfilade de
pièces identiques, le héros décou­
vre qu’il courait après son propre
double, puis s’évanouit contre
une tapisserie le faisant basculer
dans le décor dont elle était la re­
présentation. Qu’est­ce qui est
faux ? Qu’est­ce qui est vrai ? Le
film trouble la perception d’un
spectateur confronté à la mise à
nu, sournoisement radicale,
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
réjouit du franc succès de ces
« bains de forêt », maintenus tout
au long de la saison. Il se félicite
que, grâce à eux, la 28e édition du
festival ait évité l’annulation. Pour
autant, ils n’ont pas vocation à de­
venir l’arbre qui cache la forêt. Une
série de concerts de musique de
chambre, programmés dans des
lieux du patrimoine régional, a
droit de cité au festival, de même
que la création contemporaine,
qui jouit d’une place de choix.
Une création a vu le jour il y a
une semaine : une pièce pour flûte
solo, Vers les cimes, que le compo­
siteur en résidence, Thierry Es­
caich, a confiée à son dédicataire,
Philippe Bernold. C’est par
ailleurs une pièce du jeune com­
positeur Giovanni Sollima, La­
mentatio, qui marquera la halte
du retour dans la clairière au
chêne siamois, point nodal d’un
parcours qui ressemble sur la
carte IGN à une raquette de tennis.
Avant le retour à la villa du
Châtelet et la convocation d’un
Chant des oiseaux par Pablo
Casals, tiré d’un chant tradition­
nel catalan (Cant dels ocells), signe
d’espoir que le grand violoncel­
liste espagnol réfugié par­delà les
Pyrénées envoya à ses compatrio­
tes restés sous la botte franquiste.
Un message qui n’aura pas coupé
l’appétit des marcheurs méloma­
nes pique­niquant au pied d’un
tulipier de Virginie plus que cen­
tenaire. « Pour un déconfinement,
c’est un déconfinement ! », cons­
tate avec humour Christian­
Pierre La Marca. Le musicien
vient en effet de donner son pre­
mier concert depuis la pandémie,
avant de prendre la route pour
d’autres festivals rescapés. 
marie­aude roux
Festival des forêts, à Compiègne
(Oise). Jusqu’au mardi 14 juillet.
Tél. : 03­44­40­28­99.
d’images qui semblent vivre
d’une vie autonome et poétique.
On doit à ESC l’édition de divers
chefs­d’œuvre de Bava (Le Corps et
le Fouet, de 1963, Une hache pour la
lune de miel, de 1970, La Baie san­
glante, de 1971). Le Blu­ray d’Opéra­
tion peur est de toute beauté et
propose une analyse du film d’une
demi­heure par le critique Alexan­
dre Jousse, ainsi qu’une interview
de l’actrice principale, Erika Blanc.
ESC prévoit l’édition prochaine
d’un autre grand film de Bava, Lisa
et le diable (1974). Patience donc. 
jean­françois rauger
Film italien de Mario Bava (1966).
Avec Giacomo Rossi Stuart,
Erika Blanc (1 h 25). DVD/Blu­ray
+ 1 livret, ESC éditions, 29,99 €.
Photo : Radio France, Christophe Abramowitz
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
16 balles dans le corps d’un adolescent, Chicago prend feu
Un documentaire raconte le meurtre d’un jeune Noir américain, et la condamnation inhabituelle de l’agent qui l’a tué
PLANÈTE+ CRIME
INVESTIGATION
MARDI 7 – 21 H 00
DOCUMENTAIRE
R
emarquable dans sa
construction, pour la ri­
chesse de ses archives et
son illustration sonore,
ce documentaire de 2019 signé
Rick Rowley se regarde comme un
film haletant. Il ne s’agit pourtant
pas d’une fiction mais d’un drame
survenu le 20 octobre 2014 à
Chicago. Laquan McDonald, ado­
lescent noir de 17 ans, marchant
seul, un couteau à la main, y fut
tué de seize balles par le policier
Jason Van Dyck.
Une affaire d’Etat
Dans un pays qui enchaîne avec
une morbide régularité les brutali­
tés policières contre les citoyens
noirs et dans une ville, la troi­
sième des Etats­Unis, habituée à
battre des records de violence, la
mort de McDonald pourrait n’être
qu’un drame parmi tant d’autres.
Sauf que cette fois l’affaire ne va
pas être classée sans suite. Et va
même entraîner la chute de plu­
sieurs personnalités, sans oublier,
événement rarissime, la condam­
nation du policier flingueur.
De cette soirée du 20 octo­
bre 2014 au procès de Van Dyck en
septembre 2018, le documentaire
revient sur tous les combats, re­
Dans l’Algérie des années 1990, l’étudiante styliste et les islamistes
Le premier film de Mounia Meddour choisit le chemin de la pure fiction pour revisiter une décennie noire
CANAL+
MARDI 7 - 21 H 10
FILM
P apicha colle à l’histoire al­
gérienne comme un spa­
radrap posé à vif sur une
blessure, en un geste maladroit,
mais nécessaire. Cette proximité
entre le souvenir encore vivace de
la décennie noire qu’a traversée le
pays il y a à peine un quart de siè­
cle et un présent tumultueux
joue d’ailleurs des tours au film.
Mounia Meddour, l’autrice de
Papicha, se lance dans ce premier
GRILLE N° 20 - 157
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 2
II
III
IV
V grille avec des chiffres
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 156
HORIZONTALEMENT I. Défrichement. II. Etoile. Remua. III. Baisers. Suer.
IV. Airs. Bot. ENA. V. « Une ». Serre. Tu. VI. Cs. Cartons. VII. Grue. Nouba.
VIII. Aérer. Penses. IX. Guet. Hanches. X. Excédentaire.
VERTICALEMENT 1. Débauchage. 2. Etains. Eux. 3. Foiré. Grec. 4. Riss.
Crêté. 5. Ile. Saur. 6. Cerbère. Hé. 7. Sort. Pan. 8. Er. Trônent. 9. Mes.
Enonça. 10. Emue. Sushi. 11. Nuent. Béer. 12. Taraudasse.
L’affaire va entraîner la condamnation du policier Jason Van Dyck. PLANÈTE/ROCO FILMS
bondissements et coups de théâ­
tre que la mort brutale de McDo­
nald a provoqués. Il s’en est pour­
tant fallu de peu pour que tout se
déroule comme d’habitude, sur­
tout à Chicago : une hiérarchie po­
licière soudée qui « couvre » ses
hommes jusqu’au bout et parle
« d’homicide justifié » pour des rai­
sons sécuritaires, des témoins qui
ont tout vu mais se retrouvent me­
nacés par cette même police, des
long­métrage avec une énergie qui
confine parfois à la frénésie. Le
scénario lance une poignée de jeu­
nes femmes, étudiantes à Alger, ré­
sidentes de la cité universitaire,
dans une course folle, aux pre­
miers jours de la guerre civile qui a
ravagé le pays dans les années
1990. Plutôt que de coller à la réa­
lité de l’engrenage, Mounia Med­
dour choisit le chemin de la pure
fiction, concentrant un processus
historique long de plusieurs an­
nées sur quelques semaines.
Au centre du film, il y a Nedjma
(Lyna Khoudri), étudiante en
7 8 9 10 11 12
avocats à qui la police refuse de li­
vrer ses images vidéo accablantes.
Mais la ténacité d’un journaliste
indépendant qui, dès le lendemain
du drame, va s’emparer de l’affaire,
accumuler les preuves et les té­
moignages, avant de publier un ar­
ticle dévastateur pour les forces de
police, va faire de ce drame une af­
faire d’Etat. Dans ce documentaire,
on croise des flics, des magistrats,
des responsables politiques, des
français, mais surtout aspirante
styliste. Avec son amie Wassila,
elle écume les boîtes de nuit pour
y vendre les modèles qu’elle re­
prend des magazines de mode.
Etoffe traditionnelle
Alors que les murs de sa cité uni­
versitaire se couvrent d’affiches
sommant les étudiantes de ne sor­
tir que voilées, la jeune femme
rencontre de plus en plus de diffi­
cultés à conduire ses affaires. Pour
conjurer le mauvais sort que lui
fait cet ordre nouveau, Nedjma dé­
cide d’organiser un défilé de mode
HORIZONTALEMENT
I. Lourd et noir, mais aussi léger et
pétillant. Piège à loup. II. Plis secrets.
Coléoptère amateur d’insectes. III. En
dessous de moyenne. Peintures reli-
gieuses retournées. IV. Monnaie ro-
maine. Marqua dans le temps. Tombe
jour après jour. V. Importants mail-
lons dans les chaînes. Fort dans son
domaine. VI. Les dernières centrales.
Bonne distance à pied. VII. Alimente
la table et l’étable. Bouscule à l’inté-
rieur. Renfort d’accord. VIII. Expres-
sionniste belge. Fume dans l’antarc-
tique. IX. Saisit les images pour
l’ordinateur. Jardins extraordinaires.
X. Organiser en réseaux. Son école
a accueilli Parménide et Zénon.
VERTICALEMENT
1. Qui ne devrait pas sortir de l’ordi-
naire. 2. Ouvertures vers le large. Pré-
parer pour passer à la poêle. 3. Sans
fantaisie. Sombre et abattu. 4. Prêt à
craquer. Lames tranchantes. 5. Même
quand on est dessus, il reste conve-
nable. Fait court. 6. Mesure de
charme. Personnel. 7. Lettres d’ac-
cord. Bien meilleur quand il est natu-
rel. 8. Ferme au Sud. Apporte un peu
d’ombre. 9. Découpages de l’Histoire.
Pas bien emballé. 10. Boîte funéraire.
Comme l’ami de Guy. 11. Suivre sans
discuter. Tas de sable. 12. Altérasse
les tissus.
médecins légistes et des militants
dans un cadre qui magnifie à lui
seul toute fiction et tout docu­
mentaire, à savoir Chicago.
Au début, l’affaire semble donc
classique : un policier s’estimant
menacé par une jeune racaille ar­
mée d’un couteau l’abat. Légitime
défense ? Les images vidéo de la
police, récupérées après des mois
de combat juridique, montrent
autre chose : un homme, seul,
dans les murs de la cité, et de dessi­
ner ses modèles sur le thème du
haïk, la pièce d’étoffe qui fait le vê­
tement traditionnel des femmes
algériennes. Le dialogue ne se
prive pas de rappeler les différen­
ces entre cette tenue enracinée
dans l’histoire du pays, y compris
dans sa lutte pour l’indépendance,
et les voiles venus de la péninsule
Arabique que veulent imposer les
tenants du nouvel ordre.
On retrouve les mêmes contra­
dictions sur le front des amours :
les soupirants de Nedjma et
Wassila, charmants jeunes gens
SUDOKU
N°20­157
8 1
6 2
4 9
3 4
6 5 8 seule fois par ligne,
5 2 7 8 3 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
UNE VIE,
menceau,
Jaurès, Ar
agon, Me
Vu par Cle
télévision | 25
suivi de près par de nombreux
policiers, certains en voiture. Sur
la gauche de l’image, un policier
met en joue et tire. Une fois à
terre, pas encore mort, Laquan
McDonald va recevoir quinze
autres balles.
L’enquête journalistique révé­
lera que l’agent Van Dyck avait été
épinglé plus d’une vingtaine de
fois pour mauvaise conduite,
mais jamais sanctionné en treize
ans de carrière. Ce soir­là, près du
Burger King de ce quartier du sud
de Chicago, il va tirer à seize repri­
ses et en quinze secondes sur sa
victime. Le médecin légiste évo­
quera deux balles dans le dos,
deux dans la jambe droite, une
dans le cou, une dans la tête, les
autres dans les bras.
Manifestations monstres, re­
bondissements judiciaires, dé­
missions inattendues, campagne
municipale perturbée, les mois
suivants seront passionnants. Le
procès du policier va déboucher
sur un verdict inhabituel : les ju­
rés, majoritairement blancs, juge­
ront Van Dyck coupable. Mais,
trois mois après, ses coéquipiers
seront, eux, blanchis. Et Van Dyck,
qui risquait la perpétuité, ne sera
finalement condamné qu’à six
ans et demi de prison. 
alain constant
16 balles, de Rick Rowley
(EU, 2019, 95 min).
issus de la meilleure société algé­
roise, se laissent eux aussi glisser
dans le carcan du nouveau con­
formisme, si commode pour les
hommes. C’est dans la restitution
de cette sensation de voir les
murs de la pièce où l’on est en­
fermé se rapprocher que Mounia
Meddour touche à son objectif,
servie par l’engagement de ses
jeunes interprètes. 
thomas sotinel
Papicha, de Mounia Meddour.
Avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella
(Fr.­Alg.­Bel., 2019, 105 min).
8 5 9 7 1 2
4 6 1 5 9 3
3 2 7 8 4 6
5 9 6 5 9 8 1 6 7 3
1 4 3 2 8 5
7 6 7 2 9 3 4 1
7 1 5 3 2 9
2 3 6 4 7 8
9 8 4 6 5 1
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MARDI 7 JUILLET
TF1
21.05 Le Monde perdu.
Jurassic Park
Film de Steven Spielberg. Avec Jeff
Goldblum, Julianne Moore, Pete
Postlethwaite (EU, 1997, 140 min).
23.25 Les Experts
Série. Avec Ted Danson, Elisabeth
Harnois (EU, 2012).
France 2
21.05 Le Duel des brocantes
sur la route
Magazine présenté par Sophie Davant.
23.20 Chasseur de trésors
Magazine.
France 3
21.05 Meurtres en Haute-Savoie
Téléfilm de René Manzor. Avec
Gwendoline Hamon, Thibault de
Montalembert (Fr., 2017, 100 min).
22.45 Meurtres à Etretat
Téléfilm de Laurence Katrian. Avec
Adriana Karembeu (Fr., 2015, 90 min).
Canal+
21.10 Papicha
Film de Mounia Meddour. Avec
Marwan Zeghbib, Lyna Khoudri
(Fr.-Alg.-Bel., 2019, 105 min).
22.50 Le Regard de Charles
Documentaire de Marc di Domenico
(Fr., 2019, 83 min).
France 5
20.50 Chine, stratégie
d’une conquête
Documentaire d’Anne Loussouarn
(Fr., 2020, 85 min).
22.20 C dans l’air
Magazine présenté par Caroline Roux.
Arte
20.50 Les Routes de l’esclavage
Documentaire de Juan Gelas, Fanny
Glissant et Daniel Cattier (Fr., 2018,
1 et 2/4, 2 × 52 min).
22.35 Les Routes de l’esclavage
Documentaire de Juan Gelas, Fanny
Glissant et Daniel Cattier
(Fr., 2018, 3 et 4/4, 2 × 52 min).
M6
21.05 La France a un incroyable
talent : la bataille du jury
Divertissement présenté par David
Ginola.
22.40 La France a un incroyable
talent : les 25 moments
inoubliables
Divertissement présenté par David
Ginola.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
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26 | styles
François Perret, au Ritz, à Paris, le 16 juin. FRÉDÉRIC STUCIN POUR « LE MONDE »
GASTRONOMIE
E
n tenue des grands soirs,
Céline Dion arpente le
Ritz. A l’été 2017, le maga­
zine Vogue américain or­
ganise dans le palace parisien une
séance photo dont elle est l’hé­
roïne. Quand la prise de vue se dé­
localise dans les cuisines, le pho­
tographe demande au chef pâtis­
sier, François Perret, d’apporter
un gâteau. Dans le feu de l’action,
la star canadienne attrape à
pleine main la madeleine qu’il lui
présente… et celle­ci s’écrase aus­
sitôt entre ses doigts nerveux.
Surprise ! C’est un trompe­l’œil : le
gâteau n’est pas fait de biscuit,
mais de crème. Céline Dion vient
de faire connaissance avec la pâ­
tisserie de François Perret.
Celle­ci n’est pas seulement sur­
prenante, elle est aussi unique. Et
c’est un vrai atout en ces temps où
Instagram se passionne pour les
gâteaux, où des gourmands sont
prêts à traverser le monde et à
s’infliger une heure de queue
pour découvrir une création su­
crée, où le pâtissier de 40 ans est
devenu un élément­clé de l’hôtel­
lerie, capable d’attirer une clien­
tèle que l’établissement n’aurait
jamais captée sans lui.
D’ailleurs, alors que le Ritz est
encore fermé, en attente d’une
date de réouverture, son unique
activité consiste en un petit
comptoir de pâtisserie, installé
depuis le 2 juin dans l’entrée don­
nant sur la place Vendôme. On y
retrouve les classiques de Fran­
François Perret,
la crème de la crème
Dans la série « The Chef in a Truck », diffusée
sur Netflix, François Perret s’essaie aux joies
du food truck. Dans la « vraie vie », il est le chef
pâtissier du Ritz et maître dans l’art du trompe­
l’œil. Son best­seller : un cake marbré qui,
sous les coups de cuillère, se révèle être
un entremets de mousses cacao et vanille…
çois Perret (cake marbré, mille­
feuille aux fruits rouges, tarte
aux fraises…), mais aussi des créa­
tions plus étonnantes, à l’instar
de ce chou chocolat­guimauve
planté sur un bâton comme une
sucette. Ou encore un « taco » où
la tortilla est remplacée par de dé­
licates alvéoles croustillantes de
miel, garnies d’une mousse au
fromage blanc et de pistaches ca­
ramélisées. Ces innovations lui
ont été inspirées par un voyage
en Californie, filmé pour la sé­
rie The Chef in a Truck, diffusée,
depuis le 10 juin, sur Netflix. En
six épisodes bien ficelés, elle
montre François Perret et deux
membres de sa brigade s’essayer
aux joies du food truck.
« Partir à l’aventure et tester ma
capacité à séduire une clientèle
qui n’a pas les mêmes habitudes
alimentaires qu’en France, c’était
une opportunité que je ne pouvais
pas laisser passer », analyse­t­il
quand on le rencontre dans le sa­
lon Proust du Ritz, encore fermé
(un escabeau, des produits ména­
gers et des plumeaux ont été
abandonnés au milieu des meu­
bles marbre et or derrière lui).
François Perret n’a pas encore re­
gardé le résultat sur écran par
manque de temps et d’envie de
voir son visage. Mais, de son
point de vue, l’expérience a été
probante, car ses créations d’orfè­
vre ont séduit le public améri­
cain. « C’est une vraie motivation
pour moi de savoir que la pâtisse­
rie n’a pas de limites, que je peux
donner du plaisir à des gens à
l’autre bout du monde. »
La célébrité transforme souvent
les pâtissiers en oiseaux migra­
teurs, voyageant pour dispenser
leur savoir et prospecter, au cas
où l’envie leur viendrait de quit­
ter leur palace. Même si le docu­
mentaire où François Perret ap­
paraît aussi doué que sympathi­
que devrait lui conférer une cer­
taine popularité, il tient à rester
fidèle à sa nature, celle d’un sé­
dentaire discret.
Hormis la parenthèse califor­
nienne, il passe sa vie au Ritz,
tous les jours en salle à recueillir
les avis des clients. Et surtout en
cuisine, où il s’évertue à trouver
de nouvelles idées pour les car­
tes – toutes différentes – des
deux restaurants, du salon de
thé, de la restauration en cham­
bre, des événements privés… En
ce mois de juin, il est en retard
sur la bûche de Noël 2020, qu’il
aurait dû élaborer en mars, mais
le confinement a interrompu ses
projets. « Et je n’ai toujours pas
trouvé de solution », déplore
François Perret. C’est­à­dire qu’il
n’a pas encore mis au point une
recette de bûche inédite, qui
comblerait ses exigences esthéti­
ques et gustatives.
François Perret envisage la créa­
tion comme un problème mathé­
matique, où toutes les données
(matières premières) sont dispo­
nibles dans un énoncé (garde­
manger), et il lui incombe de les
traiter (transformer) pour obtenir
une solution logique (un gâteau
merveilleux aussi brillant que les
lustres du Ritz). Une de ses créa­
tions­phares, la fausse madeleine
dans laquelle Céline Dion a
plongé sa manucure, lui a de­
mandé six mois de recherche et
une centaine d’essais non con­
cluants avant d’obtenir cette mer­
veille d’équilibre, garnie d’un bis­
cuit de Savoie aux amandes torré­
fiées, d’une chantilly aérienne et
d’un cœur fondant de miel de
châtaignier doucement amer.
Cigarettes russes et pailles d’or
« C’est un gâteau qui porte tous les
codes de ma pâtisserie », affirme­
t­il. D’abord « le juste sucre », uti­
lisé comme exhausteur de goût et
non comme ingrédient de base.
Ensuite, une taille généreuse. « La
gourmandise passe par le volume.
J’aime qu’on se dise : “Oulala, je ne
vais jamais pouvoir finir !”, et que,
finalement, on dévore le gâteau
tout entier, car c’est léger. » Dans
cette optique, François Perret tra­
vaille beaucoup les blancs d’œuf
montés en neige et les mousses. Il
pousse aussi le sens du détail jus­
qu’à dessiner et faire fabriquer ses
moules pour définir la taille et la
forme exacte de ses créations.
François Perret est devenu maî­
tre dans l’art du trompe­l’œil – en
témoigne son autre best­seller, la
part de cake marbré qui se révèle
un fantastique entremets de
mousses cacao et vanille. Mais,
contrairement à Cédric Grolet,
son homologue au palace concur­
rent, le Meurice, qui propose des
faux fruits à la beauté froide,
François Perret trompe son
monde pour l’amuser – la main
pleine de crème, Céline Dion avait
d’ailleurs rigolé et goûté aux rui­
nes de madeleine. Il aime aussi
détourner les classiques de l’en­
fance et de la grande distribution
en proposant un « Petit Ecolier »
où la tablette de chocolat cache
un riz au lait, ou encore une « Bar­
quette » de compète (sablé chee­
secake, insert caramel coulant,
mousse vanille). « François est
humble, gentil, il ne revendique
rien, mais il a vraiment son style à
lui, juge James Berthier, qui l’a
embauché comme commis au
Meurice en 2000. On voit qu’il a
vraiment envie de faire plaisir. »
Lorsqu’il a imaginé le tea
time pour le salon Proust du Ritz,
plutôt que de servir des scones et
des cakes, il a reproduit une bis­
cuiterie d’antan avec des sablés,
lunettes aux framboises, cigaret­
tes russes, pailles d’or, boudoirs,
florentins, meringues, tuiles aux
amandes, tartes au sucre… et
aussi une « vraie » madeleine
trempée dans du lait, en hom­
mage à Marcel, dont le portrait au
mur surveille les opérations.
« Quand le client s’installe, on lui
présente dix­sept sortes différentes
de biscuits pour qu’il se perde dans
cette offre, qu’il ne sache plus quoi
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
« La gourmandise
passe par
le volume. J’aime
qu’on se dise :
“Oulala, je ne vais
jamais pouvoir
finir !”, et que
finalement, on
dévore le gâteau
tout entier,
car c’est léger »
FRANÇOIS PERRET
chef pâtissier du Ritz
prendre », s’enthousiasme Fran­
çois Perret, qui compare cette ex­
périence à celle d’un mouflet
rendu fou par l’abondance de pâ­
tisseries dans une vitrine.
« La source de ses réalisations est
l’enfance et ses gourmandises, les
fêtes partagées, les goûters, es­
time le chef Michel Troisgros, qui
a travaillé avec lui à l’Hôtel Lan­
caster. Brioche moelleuse, pain et
chocolat, cueillette des fraises, cro­
quant d’une pomme, bonbons aci­
dulés, caramel et recaramel, tarte
au sucre et à la crème de Bresse… Il
nous invite à partager ses souve­
nirs. (…) Comme il est très habile de
ses mains, il donne à tout cela une
forme et une finesse inédites. »
« A la maison, quand j’étais petit,
l’émerveillement pour le dessert
des gens, à table, qui retrouvent
l’appétit, alors qu’ils n’avaient plus
faim, ça m’a marqué. Ça m’a
donné envie de faire ce métier »,
confirme François Perret. Il com­
mence son apprentissage à
16 ans, à Bourg­en­Bresse, sa ville
natale. Puis arrive à Paris en 2000,
en tant que commis au Meurice.
Toute sa carrière se poursuivra
dans les grands hôtels de la capi­
tale, au George V, puis au Lancas­
ter. En 2010, il pilote la création
sucrée du Shangri­La. Cinq ans
plus tard, le Ritz, encore fermé
pour travaux, fait appel à lui pour
élaborer une nouvelle offre de pâ­
tisserie. L’inauguration est pré­
vue en 2016, François Perret dis­
pose d’un an et d’une brigade im­
portante (trente pâtissiers et bou­
langers). « Une sacrée pression »,
admet l’intéressé.
La reconnaissance ne tarde pas :
en 2017, il est lauréat du titre de
« chef pâtissier de l’année » oc­
troyé par le magazine Le Chef.
En 2018, le guide Lebey lui dé­
cerne le prix du « meilleur dessert
au chocolat ». En 2019, Les Gran­
des Tables du monde le nom­
ment « meilleur chef pâtissier de
restaurant ». Dans le documen­
taire Netflix, Pierre Hermé décrit
son marbré en trompe­l’œil
comme « un chef­d’œuvre ». « En­
tendre ça, c’est une vraie bouffée
d’oxygène », confie le pâtissier. Si
sa passion ne l’a jamais quitté, elle
n’a pas été exempte de sacrifices.
« Ne pas avoir de week­end, se le­
ver à 3 heures du matin tous les
jours, ça se fait dans la souffrance
quand on est adolescent. »
Aujourd’hui, il manque de
temps pour sa femme et leurs
deux petits. Mais il ne se plaint
pas, car la création de nouveaux
gâteaux l’obsède : « J’y pense sans
arrêt, en vacances, quand je me
couche, admet­il. Le pire qui pour­
rait m’arriver, ce serait de ne plus
voir ce métier avec des yeux d’en­
fant. » Et que la pâtisserie ne soit
plus sa madeleine de Proust. 
elvire von bardeleben
 IDÉES
0123
MARDI 7 JUILLET 2020 | 27

Non à une vision hétéronormée de la PMA !

L
e projet de loi bioéthique ouvre l’ac­
cès à l’assistance médicale à la pro­
création (AMP) aux couples de fem­
mes. Ce progrès nécessite une évolu­
tion du droit de la filiation pour la femme
qui n’a pas accouché. Deux dispositifs diffé­
rents ont été adoptés en première lecture
par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Ils
sont tous deux problématiques à de nom­
breux égards. Une alternative simple existe
pourtant : étendre aux couples lesbiens les
modalités d’établissement de la filiation
réservées aux couples hétérosexuels qui
ont recours à l’AMP avec don.
Pour établir la filiation d’un couple lesbien,
le Sénat a choisi d’aménager a minima le
droit actuel : la femme qui accouche établira
sa filiation par mention de son nom dans
l’acte de naissance, tandis que celle qui n’a
pas accouché devra adopter son enfant. Le
consentement au don signé devant notaire
avant l’AMP vaudra engagement de sa part à
saisir le tribunal d’une requête en adoption
après la naissance de l’enfant.
Le Conseil d’Etat avait écarté cette option :
en rupture avec la filiation des couples
hétérosexuels bénéficiant d’un don de ga­
mètes, l’adoption est réservée aux couples
mariés, et la procédure reste longue, aléa­
toire et pesante pour les familles. Prenant
acte d’une partie de ces problèmes, le Sénat
a prévu de faciliter l’adoption : le couple
n’aura plus besoin d’être marié et les juges
devront statuer sous un mois. Le consente­
ment à l’adoption de la mère qui accouche,
nécessaire, pourra être donné au moment
du consentement au don.
Assouplir la procédure d’adoption intrafa­
miliale est certes souhaitable pour répon­
dre, notamment, aux enjeux des enfants nés
grâce à une AMP au sein d’un couple de fem­
mes et qui n’ont qu’un seul lien de filiation
établi. Mais l’adoption n’est pas appropriée
pour les couples qui réaliseront ensemble
un projet parental par AMP et ne permettra
pas d’établir la filiation de tous les enfants.
Comme pour un père dans la même situa­
tion, la filiation de la seconde mère doit pou­
voir être établie dès la naissance, sans procé­
dure de contrôle judiciaire, en soi humi­
liante. Le recours à l’adoption prévu par le
Un collectif appelant à l’égalité pour toutes sur
la procéation médicalement assistée s’insurge
contre les discriminations qui frappent
les couples lesbiens ayant recours à la PMA
Sénat ne vise qu’à insécuriser l’établisse­
ment du second lien de filiation maternel,
laisser une trace sur l’acte de naissance de
l’enfant et maintenir une hiérarchie entre
les projets parentaux.
Mélange des genres
L’option du gouvernement et votée en pre­
mière lecture par l’Assemblée consiste à
créer un nouveau mode d’établissement de
la filiation pour les enfants nés par don au
sein d’un couple lesbien. Elle leur impose de
déclarer conjointement leur maternité au
moment où elles consentent au don, via une
reconnaissance conjointe anticipée inscrite
sur l’acte de naissance de l’enfant.
Cette solution est inspirée du rapport
Théry­Leroyer de 2014, qui recommandait
de signifier le recours au don sur l’acte de
naissance des enfants qui en sont issus, que
le couple parental soit hétéro ou homo­
sexuel. L’extension de ce dispositif aux
femmes ayant recours seules à l’AMP a par
RIEN NE JUSTIFIE
DE TRAITER
DIFFÉREMMENT D’UN
HOMME UNE FEMME
ENGAGÉE AVEC SA
COMPAGNE DANS
UN PROJET PARENTAL
NÉCESSITANT UN DON
la suite été demandée, l’objectif étant de
contraindre les parents à « révéler » à leur
enfant les modalités de sa conception.
Un tel mélange des genres entre filiation
et conception serait inédit : l’état civil sert à
garder trace de la filiation, notion juridique,
et non celle de liens biologiques. Il n’a a for­
tiori pas vocation à garantir aux (seules)
personnes nées d’une AMP faite en France
l’accès à l’identité de leurs géniteurs (« accès
aux origines »). De plus, signifier le mode de
conception sur l’acte de naissance porterait
atteinte au secret médical et au respect de la
vie privée des parents (en révélant l’inferti­
lité d’un couple hétérosexuel, ou la situa­
tion d’une femme seule au moment où elle
s’est engagée dans ce projet), et au respect
de celle de l’enfant (en signalant à des tiers
qu’il est issu d’un don).
En raison de certaines de ces difficultés, ce
dispositif a été jugé inacceptable… sauf pour
les couples lesbiens et leurs enfants. Le pro­
jet voté par l’Assemblée n’a conservé cette
filiation spécifique, conçue pour témoigner
du recours au don, que pour ces familles. Or
aucun couple de femmes ne compte,
évidemment, cacher à l’enfant le recours
aux gamètes d’un tiers !
Accès au droit commun
Par ailleurs, cette option est présentée,
d’une part comme valorisant l’engagement
des parents vis­à­vis d’un enfant dont ils ne
sont pas nécessairement les géniteurs, et,
d’autre part, comme garantissant une filia­
tion « à égalité » au sein des couples de fem­
mes, au sens où les deux mères établiraient
leur filiation en même temps et de la même
façon. Pourtant, les principales associa­
tions de personnes concernées n’ont jamais
réclamé un tel mécanisme. Pourquoi ?
Parce que le droit de la filiation reconnaît
déjà l’engagement et l’égalité parentale !
Elles veulent donc, tout simplement, accé­
der au droit commun aujourd’hui réservé
aux couples hétérosexuels.
Une solution simple et égalitaire : étendre
le droit actuel aux couples de femmes
Depuis 1994, un dispositif très simple
existe pour les couples hétérosexuels ayant
recours à un don, qui établissent leur filia­
tion comme tous les autres couples. Celle­ci
est en plus doublement sécurisée : le père ne
peut pas refuser d’établir sa filiation et elle
est incontestable. Il suffit donc d’étendre ce
dispositif aux couples lesbiens : la femme
qui accouche établira sa filiation par men­
tion de son nom dans l’acte de naissance, et
sa compagne par la présomption de parenté,
dans les couples mariés, ou en reconnais­
sant son enfant pour les autres.
Rien ne justifie d’établir différemment la
filiation d’une femme qui accouche parce
qu’elle a eu recours à un don ou qu’elle n’est
pas en couple avec un homme. Rien ne jus­
tifie de traiter différemment d’un homme
une femme engagée avec sa compagne
dans un projet parental nécessitant un don.
Rien, sauf une vision sexiste et hétéro­
normée du droit.
Nous ne nous y résignons pas. 
Marie-Xavière Catto, coprésidente
du Groupe d’information et d’action sur
les questions procréatives et sexuelles
(GIAPS) ; Véronique Cerasoli, porte-
parole de SOS homophobie ; Catherine
Clavin, coprésidente de l’Association des
parents et futurs parents gays et lesbiens
(APGL) ; Véronique Godet, coprésidente
de SOS homophobie ; Isabelle Laurans,
cofondatrice de Mam’ en solo ; Doan
Luu, coprésident de l’APGL ; Marie
Mesnil, coprésidente du Giaps ;
Catherine Michaud, présidente de
Gaylib ; Virginie Rio, cofondatrice et
présidente de l’association Collectif
BAMP ; Véronique Séhier, coprésidente
du Planning familial

René Frydman
Il faut dépasser 16,5 % se sont développés jusqu’à la nais­
sance. Ainsi, on estime qu’environ 60 %
combinaisons anormales de ceux­ci in­
compatibles avec le développement vital. Il

les diktats
des embryons obtenus in vitro ne sont pas
aptes à se développer, et ce pourcentage
atteint 80 % chez les patientes âgées de
40 ans et plus.
en résultera une meilleure pratique médi­
LA MÉTHODE cale du fait de cette observation car, en cas
SCIENTIFIQUE de potentiel vital inexistant, certaines pro­
cédures (congélation embryonnaire) ou
EST ET DOIT ÊTRE

idéologiques
Des recherches visant à déterminer le
potentiel de développement des em­
bryons doivent être autorisées afin d’évi­
ter cette situation. N’est­ce pas faire vio­
lence aux femmes que de faire comme si
gestes (transfert intra­utérin embryon­
naire) seront inutiles. L’épuisement physi­
NOTRE SEULE que et psychique des femmes et les faux es­
SOURCE DE poirs dévastateurs seront ainsi amoindris.
Le Covid­19 a été l’occasion de voir com­

et religieux
cela n’existait pas ?
L’analyse de l’aspect morphologique des
embryons est aujourd’hui la base du choix
du transfert ou non, mais cette approche
est loin d’être fiable. C’est pourquoi il faut
Pour remédier au faible taux de réussite de la PMA, se tourner vers d’autres marqueurs. Par
exemple, on pourrait étudier certains
les recherches sur le potentiel de développement constituants du milieu de culture dans le­
des embryons doivent être autorisées, souligne quel l’embryon se développe, ou étudier
les caractéristiques des petites cellules qui
le pionnier de la médecine procréative l’entourent.
Perspectives intéressantes
CONVICTION
l’examen chromosomique embryonnaire
ou non), cet examen n’apporte aucun bé­
néfice pour une population standard de
moins de 35 ans. Par contre, chez les fem­
mes âgées de plus de 35 ans, cette techni­
que devient très pertinente. Ces données
démontrent la nécessité d’autres recher­
ches sur des situations telles que les échecs
répétés d’implantation, ou les fausses cou­
ches à répétition. Comme toute donnée
bien l’attitude scientifique pouvait être
momentanément en recul dans le pays des
Lumières et de la raison. Croire et faire
croire sans preuves scientifiques qu’un
traitement est acceptable ou pas n’est pas
digne de notre modernité ni du respect
que l’on doit aux patients. La médecine
d’intuition a été rejetée au profit de l’expé­
rimentation scientifique depuis Claude
Bernard. Les arguties de procédure parle­
mentaire (on ne peut revenir sur le texte
de loi après la première lecture, ou techni­
que de l’entonnoir) ne trompent personne.

Q
uarante ans après ses débuts, quel
est le problème principal de la pro­
création médicalement assistée
(PMA) ? C’est le faible taux de réus­
site et les répétitions souvent inutiles qui
en découlent puisque, in fine, 40 % des
couples n’auront pas l’enfant désiré. Vou­
loir étendre les indications de la PMA est
un problème de société, vouloir améliorer
les taux de succès est une problématique
médicale.
Selon l’Agence de biomédecine en 2016,
297 744 embryons ont été conçus après
PMA in vitro. Seulement la moitié (49,2 %)
ont été jugés aptes, en fonction de leur as­
pect morphologique, à être transférés ou
congelés en vue d’un transfert ultérieur.
Et, parmi les embryons transférés, seuls
Ce sont des perspectives intéressantes,
mais on peut dès aujourd’hui réaliser le
prélèvement d’une cellule embryonnaire,
ou diagnostic préimplantatoire (pratiqué
depuis 1991), à cette fin. Cette technique
permet l’analyse des chromosomes et per­
mettrait également des recherches sur le
métabolisme intracellulaire ou sur l’équi­
pement mitochondrial de l’embryon. Ces
techniques de prélèvement cellulaire em­
bryonnaire ne sont pas délétères, mais, à la
différence de la plupart des pays euro­
péens, demeurent interdites en France
pour ce type de recherche sur le potentiel
de développement.
Des données internationales récentes,
parues dans la revue Fertility and Sterility
en 2019, montrent que pour 661 patientes
randomisées (c’est­à­dire bénéficiant de
scientifique, celles­ci doivent être vérifiées.
Savoir-faire des équipes françaises
Aussi faudrait­il que les équipes françaises
qui ont le savoir­faire puissent participer à
ces études internationales. Mais pour cela,
il faudrait que la loi qui devait être discutée
ces prochains jours à l’Assemblée natio­
nale les y autorise, puis que les résultats
soient évalués, et qu’enfin les conclusions
d’un passage ou non en pratique clinique
soient alors argumentées.
Dans cette recherche encadrée, le dia­
gnostic de sexe de l’embryon ou d’autres
caractéristiques non médicales ne doit pas
être autorisé car seule nous intéresse de re­
connaître les embryons qui n’ont aucun
potentiel de développement, par l’analyse
du nombre des chromosomes et/ou des
S’il est pertinent, aucun couple ne sera
obligé d’accepter cet examen, et à l’inverse,
les résultats seront transparents et accessi­
bles car, in fine, c’est bien le couple qui doit
décider du transfert ou non de tel ou tel
embryon. Il faut dépasser les diktats idéo­
logiques et religieux d’un groupe qui veut
imposer ses croyances à tous sans faire ap­
pel à la méthode scientifique, qui est et
doit être notre seule source de conviction :
la médecine par les preuves. 
René Frydman est professeur émérite
à l’hôpital Foch, à Suresnes
(Hauts-de-Seine)

28 | idées
Camille Chapin-Derennes
et Clément Roussial
Les enfants conçus grâce
à un don de gamètes doivent
tous avoir les mêmes droits
Si les enfants issus d’une filiation homosexuelle sauront
qu’ils sont nés d’un don et pourront avoir accès à leurs origines,
rien de tel n’est prévu, dans le projet de loi bioéthique,
pour les enfants nés de parents hétérosexuels, regrettent
les dirigeants de l’association PMAnonyme
L
e projet de loi bioéthique,
qui devait entrer en deu­
xième lecture à l’Assem­
blée nationale, ouvre la
procréation médicalement assis­
tée (PMA) à toutes les femmes et
c’est un immense progrès. Il pré­
voit aussi d’instituer pour les en­
fants conçus grâce à un don de
gamètes un droit d’accès à leurs
antécédents médicaux et à leurs
origines. C’est une grande vic­
toire du droit de l’enfant.
Mais pour que ce droit soit réel,
encore faut­il que la loi permette
aux personnes concernées de sa­
voir qu’elles sont issues d’un
don ! Encore faut­il qu’on sorte
du modèle de secret organisé
en 1994, avec une filiation pseu­
do­biologique choisie à l’époque
pour faire passer les parents
pour les géniteurs et cacher le
don à l’enfant, au risque de l’en­
fermer toute sa vie dans le men­
songe sur sa propre histoire.
Ce risque, fort heureusement,
ne menace pas les enfants des
couples de femmes. Tous bénéfi­
cieront d’une filiation leur signi­
fiant qu’ils sont nés d’un don ;
tous pourront accéder à leur
dossier médical et à leurs origi­
nes. En revanche, rien de tel n’est
prévu dans le projet de loi pour
les enfants de parents hétéro­
sexuels, qui subissent ici une
vraie discrimination. Et on peut
redouter que leurs droits ne con­
naissent un nouveau recul en
deuxième lecture.
« Vraisemblance biologique »
Pourtant, tout avait bien com­
mencé. Il y a un an, le gouverne­
ment soumettait au Conseil
d’Etat un préprojet dans lequel
deux options étaient proposées.
La première instituait, pour tous
les enfants conçus par don, une
modalité nouvelle d’établisse­
ment de la filiation, fondée sur
l’engagement parental. Cela
aurait mis fin au règne du secret
organisé par le droit, et assuré
l’égalité parfaite entre tous les
parents et entre tous les enfants.
Hélas, dans son avis, le Conseil
d’Etat l’a repoussée, et a choisi la
seconde option : conserver le
statu quo pour les parents de
sexe différent, réservant alors
aux couples de femmes la filia­
tion fondée sur l’engagement
parental. L’argument donné
laisse rêveur : les parents hétéro­
sexuels bénéficiant de la « vrai­
semblance biologique », leur li­
berté de cacher le don à l’enfant
serait « supérieure » au droit de
l’enfant de connaître son his­
toire et d’accéder à ses origines !
Le projet de loi présenté et voté
en première lecture à Assemblée
nationale a suivi l’avis du Con­
seil d’Etat, sans doute dans l’idée
de ménager les opposants à la
réforme. Pour les couples de
femmes, il prévoit une filiation
fondée sur une « reconnaissance
conjointe anticipée » (RCA), valo­
risant le projet et l’engagement
solidaire des deux mères. Mais
rien de tel pour les parents de
sexe différent.
Un grand appel a alors été pu­
blié (Le Monde des 5 et 6 jan­
vier 2020) pour soutenir le sens
général de la réforme tout en
alertant sur les droits de l’enfant.
Pour la première fois dans l’his­
toire de notre pays, 200 person­
nes conçues par don se manifes­
taient. Elles ont demandé l’ex­
tension de la RCA à tous les
couples, afin de garantir l’égalité
des droits de tous les enfants.
Soutenues par 100 personnalités
et par leurs parents et proches,
elles espéraient faire évoluer les
choses vers l’égalité entre tous
les enfants.
Hélas, c’est le contraire qui est
arrivé. Le Sénat a été le théâtre
d’une offensive sans précédent
des courants hostiles à la PMA
pour toutes, et plus générale­
ment aux familles issues de don
(on sait que La Manif pour tous
demande l’interdiction générale
du don de sperme, au motif que
le seul « vrai » parent serait le gé­
niteur). Ils ont attaqué sans dé­
semparer la RCA votée à l’Assem­
blée, en prétendant que cette fi­
liation fondée sur le projet
parental serait un « déni de l’ac­
couchement » et « la voie ouverte
à la GPA », la gestation pour
autrui. Ils se sont battus pour
qu’aucune évolution de la filia­
tion ne soit prévue et ont réussi
à le faire voter : les hétérosexuels
resteraient dans le modèle pseu­
do­biologique, et les lesbiennes
qui n’ont pas accouché devraient
adopter leur propre enfant.
Une situation absurde
Et voilà maintenant qu’au mo­
ment où la loi devait arriver en
deuxième lecture, certains font
ressurgir le vieux serpent de
mer d’une filiation dite « de droit
commun », que le gouvernement
avait pourtant écartée. Contrai­
rement à ce que fait croire cette
expression, il s’agirait d’une fi­
liation spécifique aux lesbien­
nes, la seule exigeant de fournir
à l’officier d’état civil la preuve
du consentement au don.
Quant aux droits de l’enfant,
cette solution promue par les
courants conservateurs qui con­
tinuent à adhérer au modèle de
1994 et par quelques farouches
adversaires de l’accès aux origi­
nes serait un recul dramatique.
A la différence de la solution vo­
tée par l’Assemblée en première
lecture, elle signerait la fin de
tout espoir pour les enfants de
couples hétérosexuels de bénéfi­
LA SOLUTION
PROMUE PAR
LES COURANTS
CONSERVATEURS
QUI CONTINUENT
À ADHÉRER AU
MODÈLE DE 1994
SERAIT UN RECUL
DRAMATIQUE
POUR LES DROITS
DE L’ENFANT
cier à l’avenir d’une filiation
correspondant à la réalité de leur
histoire.
Cette situation est parfaite­
ment absurde. En effet depuis
un an, loin des débats politi­
ciens, la société civile a beau­
coup évolué, et dans le bon sens.
Nous, les personnes conçues par
don de la première génération,
nous avons beaucoup témoigné
sur notre vécu. Nous sommes
désormais largement enten­
dues quand nous disons que
l’ancien modèle du secret a pro­
voqué de nombreuses souffran­
ces et injustices.
On nous comprend enfin
quand nous disons que naître
d’un don n’est pas une honte,
que c’est le secret qui fabrique le
stigmate, qu’il est temps de légi­
timer la démarche de nos pa­
rents et de donner à tous les en­
fants la garantie de pouvoir ac­
céder à leurs données médicales
et à leurs origines. En somme, ce
qui était déjà envisagé dans le
préprojet du gouvernement il y
a un an est maintenant compris
largement dans la société.
C’est pourquoi nous disons
non à un recul des droits des en­
fants en deuxième lecture ! La
« reconnaissance conjointe anti­
cipée » ne doit pas être réservée
aux seuls enfants des couples de
femmes mais être étendue aux
enfants des couples hétéro­
sexuels, sans discrimination. 
Camille Chapin-Derennes
est présidente de
l’association PMAnonyme
Clément Roussial est vice-
président de l’association
PMAnonyme
Magali Lafourcade
Il est temps d’instaurer
un droit à la police
Alors que le pouvoir politique privilégie une approche
sécuritaire, la magistrate propose au contraire
de mettre sur pied une police « au service de l’exercice
paisible des libertés »
E
n ce début d’été flotte un avis de
tempête. Avant même que le Con­
seil d’Etat ait rétabli le droit fonda­
mental de manifester, la rue était
redevenue le lieu d’expression des valeurs
universelles. A mesure que la crise sani­
taire se mue en crise économique se pro­
file le retour des luttes sociales et écologi­
ques. En regard, le mouvement de contes­
tation qui gronde dans les rangs de la
police semble venir de loin. En surplomb
de l’impasse, nos institutions n’en mè­
nent pas large. Il est temps d’ouvrir le dé­
bat sur la place de la police dans notre
pacte républicain. Il me semble qu’il de­
vrait s’articuler autour de la construction
d’un droit : le droit à la police. Il s’agit de
consacrer une police au service de l’exer­
cice paisible des libertés, replacer le ci­
toyen au centre, et les policiers et gendar­
mes à son service, penser la police comme
un service public banalisé.
Que nos gouvernants aient un goût pro­
noncé pour la répression n’est pas nou­
veau. Cherchant à satisfaire une opinion
publique sensible aux discours sécuritai­
res, ils ont, au fil des états d’exception, fait
de la police leur camp retranché. Dans un
mouvement continu d’extension de ses
pouvoirs, ils l’ont militarisée et ont élargi
les conditions d’engagement de la force
meurtrière. Des lois antiterroristes aux
lois de sécurité publique, ils ont cédé aux
revendications portées par les personnels
de police de l’anonymat et de l’aggrava­
tion de la répression des outrages.
Partant, ils ont donné l’impression de se
positionner derrière la police, en soutien
indéfectible. Loin de soulager la rudesse
des conditions de travail des forces de l’or­
dre, mobilisées contre le terrorisme, con­
tre les « gilets jaunes », contre les syndica­
listes, contre les impatients du déconfine­
ment, ce positionnement inversé a nourri
la défiance et contribué à éloigner la popu­
lation de sa police. Il a aussi aggravé le ma­
laise en son sein.
Changement culturel
Ce droit à la police renouerait avec la phi­
losophie politique de l’article 12 de la Dé­
claration des droits de l’homme et du ci­
toyen : « La garantie des droits de l’homme
et du citoyen nécessite une force publique :
cette force est donc instituée pour l’avan­
tage de tous, et non pour l’utilité particu­
lière de ceux auxquels elle est confiée. » Ce
réalignement demande de consacrer, d’or­
ganiser et de contrôler ce droit à la police
autour de trois urgences structurelles.
La première est de redonner une légiti­
mité aux forces de l’ordre, à leurs yeux
comme à ceux des citoyens. Le serment
des policiers et gendarmes devrait être
rapproché de celui des réservistes et placer
le respect des droits et libertés fondamen­
taux au cœur de leur mission. Un droit à la
police nécessite un accès à la police, ce qui
suppose la diffusion d’une culture du ser­
UNE POLICE
AU SERVICE
DES CITOYENS
DOIT PORTER
UNE ATTENTION
PARTICULIÈRE
AUX MINORITÉS
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
Magali Lafourcade est magistrate,
spécialiste des droits de l’homme
vice et de l’accueil, en s’inspirant de l’expé­
rience menée à Camden, aux Etats­Unis.
Ce changement culturel impose de refon­
der la formation des policiers et gendar­
mes en incluant l’enseignement des droits
de l’homme et en valorisant le sens du ser­
vice public. Les droits de l’homme ne sont
pas décoratifs. Ils irriguent profondément
notre pacte républicain, ils sont ses raci­
nes et ses veines.
Une police au service des citoyens doit
porter une attention particulière aux mi­
norités. Elles ont besoin de la police pour
être protégées des actes racistes et discri­
minatoires. Rappelons que c’est à la façon
dont elle traite les minorités que se juge
une société. C’est pourquoi il importe
d’enseigner les biais cognitifs, afin que la
police soit en mesure de prendre en
charge de façon appropriée et efficace tou­
tes les minorités.
Un droit à la police nécessite une police
exerçant son travail dans des conditions
satisfaisantes. Plutôt que de nier les souf­
frances des forces de l’ordre, il serait bon
de réviser tant leur rémunération que
leurs conditions de travail. En la matière,
le nombre de suicides dans la police ne
saurait laisser personne indifférent.
Code de conduite et contrôle
Deuxième urgence, un droit à la police
suppose de repenser les modalités du
maintien de l’ordre autour des techniques
de désescalade des tensions, et de réviser,
dans les termes les plus stricts, les cas de
recours à la force. L’indifférence à la per­
ception par l’opinion publique de la vio­
lence policière étant la pire des politiques,
il serait bon de reconnaître l’existence de
violences illégitimes, comme le soulignait
la Commission nationale consultative des
droits de l’homme, dans sa déclaration du
28 janvier.
Un code de conduite, fondé sur les prin­
cipes de bientraitance des usagers, devrait
accompagner les pratiques professionnel­
les intrusives, comme les contrôles d’iden­
tité ou les fouilles. Chaque incident devrait
être l’occasion d’une analyse réflexive, uti­
lisée dans le cadre de formations pratiques
tout au long de la carrière.
Troisième urgence, un droit à la police
ne saurait être effectif sans contrôle. Ce­
lui­ci devrait s’opérer à trois niveaux. Par
les usagers eux­mêmes, au travers de co­
mités d’usagers sur le modèle de ceux mis
en place dans le domaine de la santé. Par
l’encadrement policier ensuite, avec la
mise en place et l’exploitation d’enquêtes
de satisfaction et d’indicateurs de perfor­
mance qui intégreraient la dimension
qualitative du service rendu à la popula­
tion. Par les corps d’inspection enfin, dont
l’indépendance et l’impartialité seront la
clé de la confiance. Celle­ci passe aussi par
la transparence, avec la recension offi­
cielle des blessures produites par la police,
et la promotion d’un champ de recherche
indépendant.
Chacun aura compris que nous ne pou­
vons exercer paisiblement nos libertés
sans la protection de la police. Les mouve­
ments sociaux qui s’annoncent sont
autant d’occasions de nourrir le débat
pour faire des forces de l’ordre les protec­
teurs de nos libertés. Et qu’enfin, aux
abords des foules immenses, le policier
devienne un allié. 
0123
MARDI 7 JUILLET 2020
ÉCONOMIE | CHRONIQUE
par st éphane l au e r
L’écologie face au
piège de la décroissance
P
armi les combats que le
nouveau maire Europe
Ecologie­Les Verts (EELV)
de Bordeaux, Pierre Hur­
mic, a menés au cours de sa car­
rière politique, la lutte contre les
lignes de train à grande vitesse fut
sans doute l’un des plus acharnés.
Pourtant, ce mode de « transport
de niche et de riches qui ne profite
qu’aux métropoles », selon lui, a
sans doute joué un rôle dans sa
victoire lors des élections munici­
pales du 28 juin. Le TGV a contri­
bué à réveiller « la belle endor­
mie » qu’était Bordeaux en accélé­
rant un changement sociologique
de la population, sans lequel ce
bastion de droite réputé imprena­
ble pendant soixante­treize ans
n’aurait sans doute jamais bas­
culé dans le camp écologiste.
Quelle ironie ! La modernité et la
technologie seraient donc parfois
susceptibles, malgré elles, de faire
avancer la cause environnemen­
tale. Pour être honnête, ces der­
niers jours, on avait fini par croire
que les deux étaient définitive­
ment incompatibles.
Il y a eu d’abord cette polémique
sur les dangers potentiels de la cin­
quième génération de téléphonie
mobile (5G). Que voulez­vous,
Pierre Hurmic « n’aime pas les tech­
niques imposées ». Il n’est pas le
seul : à Strasbourg, Lyon ou encore
Besançon, les maires écologistes
élus ont fait de la lutte contre la 5G
leur cheval de bataille. Il est plus fa­
cile de nourrir des thèses ésotéri­
ques sur la propagation des ondes
ou d’affirmer comme le maire
EELV de Grenoble, Eric Piolle, que
la 5G sert surtout à regarder du
porno, que d’expliquer ce que cette
technologie peut apporter, parfois
de façon contre­intuitive, au déve­
loppement durable : l’essor des vil­
les intelligentes appelées à devenir
moins gourmandes en énergie,
permettre la circulation des véhi­
cules autonomes afin de réinven­
ter les déplacements dans les cen­
tres urbains, encourager la télémé­
decine ou l’enseignement à dis­
tance, dont la récente pandémie a
montré toute l’utilité.
Bonneteau énergétique
Peu importe si les maires n’ont
pratiquement aucun levier pour
réglementer l’implantation des
antennes relais de 5G sur leur ter­
ritoire, comme l’a rappelé le Con­
seil d’Etat dans une décision d’oc­
tobre 2011. Faire semblant d’avoir
la main sur le sujet en menaçant
de décréter des moratoires est
sans doute beaucoup plus facile et
plus payant sur le plan électoral
que d’imaginer comment mettre
l’innovation au service de l’envi­
ronnement.
La politique à courte vue a aussi
fini par l’emporter dans le feuille­
ton sur la centrale nucléaire de
Fessenheim (Haut­Rhin). Une al­
liance électorale de circonstance
entre le Parti socialiste de François
Hollande et EELV remontant à
2012 a conduit à une fermeture dé­
finitive du site, contestable tant
sur le plan économique qu’envi­
ronnemental.
Les climatologues du Groupe
d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat, ainsi que
l’Agence internationale de l’éner­
gie, affirment pourtant qu’il sera
impossible de limiter le réchauffe­
ment climatique de 1,5 0C, comme
le préconise l’accord de Paris sur le
climat, sans augmenter considéra­
LES DIRIGEANTS
POLITIQUES ONT
AUSSI LEUR PART
DE RESPONSABILITÉ
DANS CE GÂCHIS
Tirage du Monde daté dimanche 5­lundi 6 juillet : 163 578 exemplaires
0123 | 29
LA GAUCHE
AU DÉFI DE socialiste Gaston Defferre. Soit, au total, pas s’être rangée derrière une candidature
plus d’un demi­siècle de clientélisme mar­ autonome. De même, l’« insoumise » So­
L’EXEMPLE
MARSEILLAIS
qué par le déclin de Marseille, seulement
interrompu par la parenthèse Vigouroux.
Michèle Rubirola doit sa nette victoire,
phie Camard a bravé la consigne de M. Mé­
lenchon pour se présenter – et être élue –
sous la bannière du Printemps marseillais.
avec 13 000 voix d’avance, à un alignement
favorable de planètes : l’exaspération de la
population face à la gestion calamiteuse de
Tenant compte de l’effet repoussoir des éti­
quettes partisanes, encore renforcé par le
climat politique déliquescent de Marseille,
M. Gaudin, une guerre au sein de la droite des élus socialistes, « insoumis », Verts et
L’INNOVATION déclenchée par un vieux maire qui refuse communistes se sont associés à des mili­
ET LA TECHNOLOGIE tout successeur, l’indignation suscitée par
l’effondrement des immeubles vétustes de
tants non encartés et ont su dépasser les
querelles d’ego et les stratégies dictées d’en
NE SONT PAS la rue d’Aubagne, qui a causé la mort de 8 haut afin de répondre à l’état d’urgence de
personnes en 2018. Pourtant, l’élection la ville, attirant même de nombreux déçus
LES ENNEMIES d’une médecin de 63 ans, militante écolo­ du président Macron.
giste de longue date – depuis le Larzac –, Ce succès, relativisé par un très fort taux
DE LA CAUSE
ENVIRONNEMENTALE
blement la production nucléaire.
Q ui aurait parié, voici juste un an,
sur l’avenir politique de ce « ras­
semblement inédit » lancé, à Mar­
seille, par 51 personnalités rêvant
d’« une ville égalitaire, solidaire et ac­
mais jusqu’à ces derniers mois inconnue
du grand public, ne doit rien au hasard.
Cette réanimation d’une gauche mar­
seillaise à bout de souffle a été mûrement
pensée et s’est appuyée sur des collectifs de
d’abstention – 68 % au premier tour et 65 %
au second –, fait­il de Marseille un labora­
toire pour la gauche et ses ambitions natio­
nales avant 2022 ? Pas certain, si l’on consi­
dère les nombreux paramètres spécifique­
Le nucléaire présente des défauts cueillante (…), qui abolit tout clientélisme » ? citoyens, comme celui né après la catastro­ ment marseillais de cette élection
incontestables, notamment en Et, pourtant, Michèle Rubirola, la chef de phe de la rue d’Aubagne, ou celui qui a fait municipale, le caractère quasi incontourna­
matière de recyclage des déchets. file de cet improbable collectif, construit en casser par la justice le plan de rénovation ble des partis à l’échelle nationale, et sur­
Mais le remplacer par du solaire et marge des partis politiques par des mili­ des écoles, désastreux pour les finances pu­ tout l’inévitable personnalisation de la
de l’éolien, qui, à production iden­ tants investis dans des combats locaux, a bliques, lancé par Jean­Claude Gaudin dans course présidentielle dans la Ve République.
tique, consomment plus de mé­ été élue maire de Marseille, samedi 4 juillet. le cadre d’un partenariat public­privé. Le scénario réussi d’une reconstruction à
taux, de ciment, tout en occupant Historique, sa victoire hisse une femme Cette « gauche plurielle » marseillaise de travers les fréquentes mobilisations de la
plus d’espace au détriment de la pour la première fois à la tête de la cité pho­ 2020 s’est donc construite, non pas à partir société civile d’une gauche pulvérisée par
biodiversité, pose aussi question. céenne. Emblématique, elle donne à la gau­ des partis, comme celle qui avait porté Lio­ Emmanuel Macron devrait pourtant faire
Sans parler de la dégradation de che la deuxième ville de France. Symboli­ nel Jospin au pouvoir en 1997, mais à côté réfléchir les écologistes et une partie de la
notre balance extérieure. Le temps que, elle rompt avec vingt­cinq années de de, pour ne pas dire malgré, certains d’en­ gauche, au moment où la constitution
que la bascule vers ces énergies re­ gestion par la droite de Jean­Claude Gaudin, tre eux. Michèle Rubirola a été suspendue d’écuries présidentielles absorbe de nou­
nouvelables se réalise, nous serons après plus de trois décennies de règne du d’Europe Ecologie­Les Verts (EELV) pour ne veau toutes les énergies. 
contraints d’importer plus d’élec­
tricité, dont la légèreté de l’em­
preinte carbone n’a rien de garanti.
Dans cette affaire, la France se
paie donc le luxe de s’astreindre à
décarboner une production
d’électricité qui n’émet quasi­
ment pas de CO2. Comme si le
pays avait les moyens et le temps
d’investir des centaines de mil­
liards d’euros dans ce bonneteau
énergétique qui n’améliorera pas
d’un iota notre bilan carbone. Les
Shadoks n’auraient pas fait pire.
Au nom d’un combat antinu­
cléaire, qui peine à s’adapter aux
nouvelles contingences de la lutte
contre le réchauffement, on prend
le risque de fragiliser la position
énergétique de la France, dont les
émissions de CO2 par habitant
sont plutôt basses, comparées à
celles des autres pays industriali­
sés. Chaque source d’énergie non
fossile a ses avantages et ses incon­
VOUS PARTEZ EN VACANCES ?
vénients. Ne pas étudier sérieuse­
ment l’équilibre entre les deux,
sans dogme ni a priori, revient à se FAITES SUIVRE VOTRE JOURNAL ! *
condamner à faire des choix ha­
sardeux en jouant sur la mécon­
naissance de l’opinion sur ces su­
jets. Dès lors que 69 % des Français
sont convaincus que le nucléaire
Rendez-vous sur votre compte, à la rubrique
contribue au dérèglement climati­
que, il semble difficile d’instaurer
« Votre abonnement -Vacances et déplacements »
un débat apaisé et constructif. au moins 9 jours avant votre départ
Au­delà de la méconnaissance
de l’opinion, les dirigeants politi­
ques ont aussi leur part de respon­
sabilité dans ce gâchis. Incapables pour une durée minimale de 7 jours
*
de se projeter sur le long terme,
certains préfèrent surfer sur des et maximale de 3 mois, en France
effets d’annonce sans lendemain métropolitaine
pour flatter des électorats volatils.
Emmanuel Macron semble vou­
loir de nouveau inscrire la politi­
que en ce domaine dans le temps
long en se fixant pour objectif de
« réindustrialiser le pays en réin­
ventant un modèle industriel éco­
logique », affirme­t­il dans l’entre­
tien qu’il a accordé à la presse quo­
tidienne régionale le 3 juillet. C’est
un premier pas dans le bon sens, à
condition d’être au clair sur nos
priorités. « On ne peut pas parler de
réindustrialisation et de relocalisa­ • C’EST VOTRE PREMIÈRE VISITE :
tion si on ne s’attend pas à ce que la créez votre compte au moyen de
France consomme plus d’énergie
pour produire tout cela », a rappelé votre numéro de client + votre code
Dominique Reynié, directeur gé­ postal + votre adresse courriel sur
néral de la Fondation pour l’inno­ lemonde.fr/sfuser/account
vation politique, lors des Rencon­
tres économiques d’Aix­en­Seine,
le 3 juillet, soulignant le rôle ma­ • VOUS POSSÉDEZ DÉJÀ UN COMPTE
jeur que devra jouer le nucléaire. SUR LE SITE LEMONDE.FR :
L’innovation et la technologie
ne sont pas les ennemies de l’éco­ identifiez-vous
identifiez-vous directement avec votre
logie. Sans elles, surmonter les adresse courriel sur secure.lemonde.fr/
défis de la préservation de la pla­ sfuser/connexion, rubrique « Votre abon-
nète revient à proposer un projet
de décroissance qui mènera à une nement --Vacances
Vacances et déplacements »
impasse. Les deux mois de confi­
nement ont constitué un test
utile pour mesurer ce que cela si­
gnifie, notamment pour les plus
démunis. Ce peut être un choix,
mais il faut qu’il soit clairement
assumé par ses promoteurs. 