JEUDI 3 FÉVRIER 2022

78E ANNÉE – NO 23973

3,20 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Le logement, dossier en friche du quinquennat
▶ Le sujet du logement,
partiellement délaissé
▶ Alors que les dépenses
des ménages pour ce
▶ La première partie du
mandat du chef de l’Etat
▶ A partir de 2020,
un changement de cap 1 ÉDITORIAL
pendant le quinquennat poste sont en constante a été marquée par des cou­ a permis, in extremis, UN RENDEZ­VOUS 
d’Emmanuel Macron, augmentation, il constitue pes budgétaires. Les mises un rebond de la
est absent des débats un levier puissant en ma­ en chantier ont diminué, construction en 2021 MANQUÉ
de la présidentielle tière de pouvoir d’achat notamment dans le social PAG ES 10- 11 PAGE 30

Europe Le volontarisme contrarié 
COMMENT  d’Emmanuel Macron
LA LOGISTIQUE  à la faveur de la présidence du
Conseil de l’Union européenne,
assurée par la France jusqu’en
lienne viennent mettre à mal les
discours français sur la « puis­
sance » européenne et son auto­
REDESSINE  juin, le chef de l’Etat entendait
prouver que l’UE pouvait agir
nomie stratégique.
Face à Moscou et aux craintes

L’EMPLOI 
comme une force protectrice face d’invasion de l’Ukraine, nombre
au chaos du monde. Cette prési­ de capitales européennes s’en re­
dence devait en outre lui permet­ mettent à Washington. Et la rup­

ET LES  tre de conforter son influence sur

le continent et de mettre en avant
ses convictions pro­européennes
ture avec le Mali complique la tâ­
che de Paris pour entraîner ses
partenaires européens dans la lut­
CAMPAGNES dans la campagne présidentielle.
Or, les crises ukrainienne et ma­
te contre le djihadisme au Sahel.
P. 2- 3 E T CHR ONI QU E P. 30

▶ Creuset d’une nou­

velle classe ouvrière,
le secteur, qui pèse
Procès Ehpad
10 % du PIB, ne cesse Affaire Lelandais :  Orpea : Brigitte 
de croître avec
l’explosion du « Comment Bourguignon
commerce en ligne
▶ Partout, les
mon pote promet de 
entrepôts poussent a pu faire ça ? » « frapper fort »
comme des Jadis, ils formaient, avec Le nouveau PDG d’Orpea,
champignons Nordahl Lelandais, une pe­ Philippe Charrier, et le
PAGE 15 tite bande joyeuse. Quatre directeur général France,
amis de l’auteur présumé Jean­Christophe Romersi,
du meurtre de la petite ont été reçus mardi par
Maëlys se sont succédé à la la ministre déléguée à
Centre de distribution d’Amazon, barre mardi. Bouleversés, l’autonomie. Des contrô­
à Augny (Moselle), le 25 août 2021,
quelques jours avant son ouverture.
ils ont tous dit leur senti­ les en série vont viser les
PASCAL BASTIEN/DIVERGENCE ment d’avoir été trahis établissements du groupe
PAGE 14 PAG E 12

Politique
Valérie Pécresse
Agriculture
La cellule Déméter
Reportage
Au Havre,
Portrait SaNoSi Productions
présente

déterminée des gendarmes les souvenirs Joe Rogan, la  «UN CHEF-D’ŒUVRE»

L’ O B S

à jouer recadrée par les intimes du star sulfureuse 

la « carte femme » juges administratifs paquebot « France »
PAGE 8 PAG E 6 PAGE 20 des podcasts
L’animateur du podcast
le plus écouté de Spotify L’HÔPITAL DU PEUPLE
VU PAR LECTRR  (BELGIQUE)    CARTOONING FOR PEACE se retrouve sous le feu UN FILM DE Ye Ye
des critiques pour avoir
ouvert son micro
à des figures antivax
PAGE 18

Photographie
Les « Voyages
de mémoire »,
de Patrick 
Zachmann
Le photographe, qui a
grandi sans rien connaître
de son histoire familiale,
présente une rétrospec­
tive au Musée d’art et AU CINÉMA LE 2 FÉVRIER
d’histoire du judaïsme
PUBLIÉ DANS « DE STANDAARD », LE 1ER FÉVRIER PAGE 21
Algérie 220 DA, Allemagne 4,20 €, Andorre 3,80 €, Autriche 4,00 €, Belgique 3,50 €, Espagne 3,80 €, Grèce 3,70 €, Guadeloupe-Martinique 3,50 €,
Hongrie 1 560 HUF, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,50 €, Maroc 25 DH, Pays-Bas 4,20 €, Portugal cont. 3,70 €, La Réunion 3,50 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,70 CHF, Tunisie 5,20 DT, Afrique CFA autres 2 500 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
T E N S I O N S   D I P L O M AT I Q U E S
Les embarras diplomatiques de Macron
Les crises en Ukraine et au Mali mettent à mal la volonté présidentielle de renforcer l’autonomie de l’Europe
L
e scénario était pres­
que parfait, avant
d’être bousculé par
la réalité. Emmanuel
Macron espérait faire
de la présidence tour­
nante du Conseil de l’Union euro­
péenne (UE), assurée par la France
jusqu’en juin, une sorte de trem­
plin vers le scrutin présidentiel.
L’exercice devait lui permettre à
la fois de conforter son influence
sur le continent et de mettre en
avant ses convictions pro­euro­
péennes, dans la campagne offi­
cieuse engagée pour sa réélec­
tion. Avec un leitmotiv : démon­
trer aux Français que l’UE peut
agir comme un filet protecteur
dans un monde souvent hostile.
Défense, climat, relance écono­
mique, migration, numérique,
santé, son gouvernement entend
défendre la souveraineté du
Vieux Continent dans toutes ses
dimensions, avec l’adoption
d’une série de textes en cours de
discussion au sein des Vingt­Sept.
C’était sans compter avec l’ac­
tualité internationale, son lot
d’incertitudes et de mauvaises
surprises : la crise ukrainienne et
les tensions avec le Mali sont ve­
nues compliquer cet agenda et
mettre à mal les discours français
sur la « puissance » européenne et
son autonomie stratégique.
Ainsi, les menaces d’invasion de
la Russie en Ukraine douchent­el­
les le souci d’autonomie à l’égard
des Etats­Unis volontiers cultivé à
Paris, alors que, face à Moscou,
nombre de capitales européen­
nes s’en remettent plus que ja­
mais à Washington pour assurer
leur défense, dans le cadre de l’Or­
ganisation du traité de l’Atlanti­
que Nord (OTAN), elle­même en
pleine rédemption, six mois
après la débâcle suscitée par le re­
trait précipité d’Afghanistan des
troupes américaines. « La crise
donne une nouvelle raison d’être à
l’Alliance atlantique, constate Sé­
bastien Maillard, directeur de
l’Institut Jacques Delors, c’est
toute la difficulté de passer d’un
discours volontariste aux actions
décidées ensemble. »
EFFORTS DE MÉDIATION
Parmi les priorités françaises, les
travaux en cours à Bruxelles sur
la « boussole stratégique », cen­
sée muscler la défense euro­
péenne à l’horizon 2030, pour­
raient faire les frais des tensions
autour de l’Ukraine. Nombre de
pays d’Europe de l’Est, à com­
mencer par la Pologne, ont fait
savoir que la priorité était de ren­
forcer le lien transatlantique avec
l’administration américaine de
Joe Biden, plutôt que la dynami­
que européenne, encore em­
bryonnaire dans ce domaine. Ils
se méfient notamment de la
création d’une force de réaction
rapide (5 000 hommes) propo­
sée, avec le soutien de Paris, par
Josep Borrell, le haut représen­
tant de l’UE pour les affaires
étrangères. Leur argument : ne
pas dupliquer des capacités déjà
mises en place par l’OTAN.
Certes, le chef de l’Etat ne
s’avoue pas vaincu. Devant le Par­
lement européen, il a suggéré, le
19 janvier, de faire émerger une
« proposition européenne » afin
de porter les positions du conti­
nent dans les discussions enga­
gées par les Etats­Unis et la Rus­
sie, si possible en ouvrant un dia­
sommet, dont le principe n’est
NOMBRE DE PAYS EST­ pas encore acté entre les quatre
EUROPÉENS ONT FAIT  capitales.
Pour Paris, comme pour Berlin,
SAVOIR QUE LA PRIORITÉ  ce « format » reste un des rares le­
viers d’influence directe sur le
ÉTAIT DE RENFORCER LE  cours des événements, alors que
Vladimir Poutine a jusqu’ici exclu
LIEN TRANSATLANTIQUE les Européens des négociations
PLUTÔT QUE LA  engagées avec les Etats­Unis sur
l’Ukraine et la sécurité euro­
DYNAMIQUE EUROPÉENNE péenne. A moins d’une attaque
russe imminente – un scénario
auquel ne croit guère l’Elysée –,
logue direct entre l’UE et Moscou. Emmanuel Macron est prêt à se
Emmanuel Macron s’est depuis rendre à Kiev et à Moscou, si ces
entretenu deux fois au téléphone déplacements peuvent contri­
avec le président russe, Vladimir buer à une forme de détente.
Poutine, dans le souci d’amorcer
une désescalade. Il s’est aussi LUTTE CONTRE LE TERRORISME
rendu le 25 janvier à Berlin pour « Tous ces événements viennent
se concerter avec le chancelier contrecarrer le récit de la prési­
Olaf Scholz, alors que la nouvelle dence française, même s’ils appor­
coalition allemande donne des si­ tent, au fond, de l’eau au moulin
gnes de division sur l’attitude à d’Emmanuel Macron sur la néces­
adopter face à la Russie. sité de muscler l’action extérieure
Avec l’Allemagne, la France se de l’UE. Son volontarisme diplo­
mobilise tout particulièrement matique actuel est plutôt bien­
pour relancer les efforts de mé­ venu, mais l’ambition risque de
diation entre la Russie et sonner creux étant donné l’écart
l’Ukraine, au sein du « format entre les discours et la réalité de
Normandie », constitué en 2014, l’action européenne, estime l’eu­
après le déclenchement de la rodéputé (Les Républicains) Ar­
guerre dans le Donbass. La tâche naud Danjean. Cet activisme n’est
est délicate, car celui­ci est bloqué pas forcément bien vu, en raison
depuis des mois et n’a jamais per­ des doutes que suscite le dialogue
mis de faire respecter les accords avec Moscou dans nombre de ca­
de Minsk, signés en 2015 dans l’es­ pitales, dans le nord ou à l’est du
poir d’apaiser le conflit entre Kiev continent, dont le réflexe premier
et les séparatistes prorusses du est naturellement de serrer les
Donbass. Les contacts ont repris rangs autour de Washington. »
voilà une semaine entre les con­ Les circonstances peuvent­elles
seillers diplomatiques russes, permettre à Emmanuel Macron
ukrainiens, allemands et fran­ de jouer un rôle rappelant l’inter­
çais. Ils devraient se poursuivre vention de Nicolas Sarkozy pen­
d’ici à quelques jours à Berlin, dant l’été 2008, lors de la précé­
dans l’espoir d’une rencontre au dente présidence française de
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Le président Emmanuel
Macron, lors de ses vœux
à la presse, au palais
de l’Elysée, à Paris, le 11 janvier.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
l’UE, comme médiateur entre la La quasi­rupture avec le Mali
Géorgie et la Russie ? L’ancien vient encore compliquer la
président s’était rendu dans la ca­ donne pour l’Elysée. Après l’en­
pitale géorgienne pour obtenir la trée dans le jeu des mercenaires
cessation des hostilités après l’of­ russes de Wagner aux côtés des
fensive lancée par Moscou au pré­ militaires au pouvoir à Bamako,
texte de voler au secours des en­ la France et ses partenaires euro­
claves sécessionnistes d’Ossétie péens se donnent jusqu’à la mi­
du Sud et d’Abkhazie. Mais la février avant d’examiner les mo­
comparaison s’arrête là à ce jour. dalités de la poursuite de leur en­
A l’époque, M. Sarkozy avait béné­ gagement au Sahel. L’éventuel re­
ficié de la fin de règne de George trait des soldats français et
W. Bush pour lancer son initia­ européens constituerait un re­
tive. Il avait aussi court­circuité vers de taille.
les discussions avec ses homolo­ L’affaire complique le rôle de
gues européens, en ne les réunis­ Paris comme « puissance cadre »
sant qu’à son retour de Tbilissi. dans le Sahel, capable d’entraîner
Mais depuis la réforme des trai­ ses partenaires européens dans la
tés européens entrée en vigueur lutte contre le djihadisme sur un
en 2009, la présidence tournante terrain africain qui ne leur est pas
n’a plus aucune prérogative pour familier. « Notre volonté est in­
représenter l’UE. « Le chef de l’Etat tacte et ce n’est pas un événement
ne préside pas le Conseil européen, dû à l’irresponsabilité, je réitère
tout comme son ministre des af­ mes mots, dû à l’illégitimité d’un
faires étrangères s’efface derrière gouvernement de coup d’Etat qui
le haut représentant, rappelle va nous faire enrayer notre lutte
Pierre Sellal, ancien représentant contre le terrorisme », a assuré le
de la France à Bruxelles, on ministre des affaires étrangères,
l’oublie, mais la France a beau­ Jean­Yves Le Drian, au lendemain
coup milité pour mettre en place de l’expulsion de l’ambassadeur
une telle répartition des rôles. » de France à Bamako.
Cependant, « tout le monde va
désormais être refroidi pour opé­
rer dans la région », constate une
LA QUASI­RUPTURE  source diplomatique. Mardi, la
Norvège, qui devait engager cette
AVEC LE MALI VIENT  année un contingent au sein de
« Takuba », le groupement euro­
COMPLIQUER LA DONNE.  péen de forces spéciales emmené
L’ÉVENTUEL RETRAIT par la France, a annoncé qu’elle
s’abstenait pour l’heure au regard
 DES SOLDATS FRANÇAIS de la situation malienne. Le tout à
deux semaines d’un sommet UE­
ET EUROPÉENS  Afrique censé repenser, les 17 et
CONSTITUERAIT UN  18 février à Bruxelles, les relations
entre les deux continents. 
REVERS DE TAILLE philippe ricard
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Vladimir Poutine maintient le
flou sur ses intentions en Ukraine
En recevant le dirigeant hongrois, Viktor Orban, le chef du Kremlin a
laissé entendre que le dialogue se poursuivrait avec les Occidentaux
vienne, moscou ­ correspondants
C
onstat d’échec mais es­
poir entretenu de par­
venir à une « solution ».
C’est sur ce fil qu’évolue
Vladimir Poutine après le refus
des Occidentaux d’accéder aux
« propositions de sécurité » rus­
ses concernant l’ordre de sécurité
européen. « Nous analysons at­
tentivement les réponses écrites re­
çues des Etats­Unis et de l’OTAN,
mais il est déjà clair que les préoc­
cupations essentielles de la Russie
ont été ignorées », a souligné le
président russe, mardi 1er février,
après sa rencontre avec le premier
ministre hongrois, Viktor Orban.
M. Poutine avait certes dressé le
même constat quelques jours
plus tôt, lors d’un entretien télé­
phonique avec Emmanuel Ma­
cron, mais il ne s’était pas encore
exprimé publiquement. Or, dans
cette crise diplomatique qui dure,
et sur laquelle plane la menace
d’une escalade militaire, la parole
du Kremlin est scrutée.
Vladimir Poutine n’a pas été jus­
qu’à faire part de ses intentions
ou à fixer d’échéance pour une ré­
plique russe. Mais il a soigneuse­
ment évité de fermer la porte des
discussions, disant encore espé­
rer « une solution qui satisfasse
les intérêts et la sécurité de tout le
monde – Europe, Ukraine, Russie ».
Dire que le ton du président russe
est conciliant serait excessif.
M. Poutine a une nouvelle fois
attribué la responsabilité des
tensions aux Occidentaux, qui
auraient « trompé » la Russie et
chercheraient à « l’endiguer » en
« utilisant l’Ukraine comme un ins­
trument, pour nous entraîner dans
un conflit armé ».
Mais il y a une différence de
taille avec les messages portés
ces dernières semaines par les
Londres et Varsovie apportent leur aide à Kiev
Une alliance trilatérale pour renforcer la coopération sécuritaire doit être signée sous peu
londres, varsovie, kiev ­
correspondants et envoyée spéciale
L e Britannique Boris John­
son et le Polonais Mateusz
Morawiecki se sont rendus
à Kiev, mardi 1er février, pour affi­
cher leur soutien à l’Ukraine et
mettre une fois encore Moscou
en garde contre la tentation
d’une invasion du pays. « Notre
paquet de sanctions est prêt, le
Royaume­Uni les imposera dès
que la Russie aura mis un pied sur
le territoire ukrainien », a pré­
venu le premier ministre britan­
nique, lors d’une conférence
commune avec le président
ukrainien, Volodymyr Zelensky,
alors que la présence de
100 000 soldats russes aux fron­
tières fait craindre une offensive.
Sur la même ligne – alarmiste –
que le président américain,
Joe Biden, M. Johnson a encore
assuré qu’il « est clair, selon nos
renseignements, qu’il y a des pré­
parations pour une campagne
militaire imminente ». Il a par
ailleurs annoncé une aide de
88 millions de livres sterling
[près de 106 millions d’euros]
destinée à soutenir la « gouver­
nance » et « l’indépendance éner­
gétique » de l’Ukraine. Londres
avait déjà fait parvenir envi­
négociateurs russes. Ceux­ci
n’ont cessé d’alerter sur la néces­
sité de conclure au plus vite les
travaux, et de prévenir, surtout,
qu’un refus occidental sur les
points les plus contestés entraî­
nerait la fin des discussions.
Ces demandes russes avaient
été posées sur le papier en décem­
bre 2021, sous la forme de deux
projets d’accord soumis à l’OTAN
et aux Etats­Unis. Leurs points les
plus sensibles pour l’Ouest
étaient aussi ceux jugés les plus
essentiels par Moscou : interdic­
tion de tout élargissement de
l’OTAN, y compris à l’Ukraine ;
retrait des forces de l’Alliance des
pays qui en étaient devenus
membres après 1997 ; interdiction
de toute coopération militaire
avec les pays de l’ex­URSS non
membres de l’OTAN.
Rejet des demandes russes
M. Poutine a, pour la première
fois, mardi, lié la revendication
sur l’OTAN à la situation de la Cri­
mée, annexée en 2014 par Mos­
cou : « Imaginez­vous, l’Ukraine
membre de l’OTAN qui lancerait
une opération militaire pour re­
prendre la Crimée, un territoire sou­
verain russe, a­t­il dit. Et nous quoi ?
On ferait la guerre à l’OTAN ? »
Le 26 janvier, Washington et l’Al­
liance atlantique ont formelle­
ment rejeté ces demandes, tout
en ouvrant la voie à des discus­
sions sur des sujets connexes,
comme le déploiement de missi­
les ou les limites réciproques aux
exercices et déploiements mili­
taires. Depuis, l’incertitude de­
meure : Moscou ne relâche pas la
pression sur les frontières ukrai­
niennes, continuant d’y achemi­
ner du matériel pouvant servir à
une « invasion », selon les craintes
occidentales, mais continue de
prôner le dialogue.
ron 2 000 missiles antichars à
Kiev mi­janvier.
Les médias britanniques et ses
adversaires politiques ont pré­
senté cette visite de M. Johnson
comme une tentative d’échapper
au « partygate », le scandale des
fêtes tenues à Downing Street en
plein confinement. Depuis début
2022, M. Johnson, occupé à sauver
son poste, avait délégué la crise
ukrainienne à ses ministres de la
défense et des affaires étrangères.
Lundi, il avait même dû annuler
un appel avec Vladimir Poutine,
pour aller se justifier à la Chambre
des communes.
Vue de Pologne, l’offensive diplo­
matique de M. Morawiecki, qui, à
l’issue d’un entretien avec le pre­
mier ministre ukrainien, Denys
Chmyhal, a promis « un soutien en
matière énergétique, de défense, de
soutien à la stabilité de l’économie
ukrainienne, ainsi que de l’aide hu­
manitaire », intervient également
très tard. Sa visite à Kiev est la pre­
mière depuis sa nomination
comme chef de gouvernement,
fin 2017. Les relations se sont
considérablement refroidies entre
Varsovie et Kiev depuis l’arrivée au
pouvoir du parti national conser­
vateur Droit et justice (PiS) en 2015.
La relation privilégiée que la Polo­
gne avait dans le passé avec son
LE PRÉSIDENT RUSSE 
A UNE NOUVELLE FOIS  paraître en position de relais en­
ATTRIBUÉ LA  tagoniste. « Je suis venu en faiseur
RESPONSABILITÉ  res de discussions.
DES TENSIONS  Présentation d’un contre-modèle
AUX OCCIDENTAUX
Ainsi, les deux ministres des af­
faires étrangères, Sergueï Lavrov
et Antony Blinken, se sont de nou­
veau parlés, mardi, pour un
échange de vues et de menaces dé­
sormais routinier. L’Américain a
rappelé au Russe les « conséquen­
ces rapides et sévères » en cas de
« nouvelle invasion » de l’Ukraine,
tout en soulignant la volonté des
Etats­Unis de poursuivre un « dia­
logue substantiel ».
Les Occidentaux disent désor­
mais craindre que les exercices
prévus en Biélorussie à partir du
10 février servent à masquer un
déploiement massif et durable de
troupes russes, vassalisant un peu
plus ce pays et menaçant le nord
de l’Ukraine. Quant à Moscou, si
la « réponse militaro­technique »
promise par Vladimir Poutine se
fait attendre, les conditions d’une
escalade diplomatique sont pré­
parées : le Kremlin a ainsi ouvert
la voie durant le week­end à la
création d’une circonscription
électorale ad hoc pour les quelque
600 000 habitants du Donbass
ayant reçu un passeport russe.
Pendant ce temps, il s’agit aussi
pour la Russie de ne pas apparaî­
tre isolée. A ce titre, la réception
de Viktor Orban constituait une
aubaine – le Hongrois était le pre­
mier dirigeant d’un pays membre
de l’Union européenne et de
l’OTAN à se rendre à Moscou de­
puis le début de la crise. Connu
partenaire oriental et son statut de
« principal avocat » de la cause
ukrainienne au sein de l’UE, a été
sacrifiée sur l’autel d’une politique
de ressentiments historiques. Et la
diplomatie polonaise est ambiguë
depuis que le gouvernement cher­
che une alliance avec les partis
souverainistes et d’extrême droite
européens ayant des relations
étroites avec Moscou.
Nouveaux contrats
Mardi, le dirigeant polonais s’est
dit prêt à fournir « des dizaines de
milliers d’obus et de munitions
d’artillerie, des ensembles de missi­
les antiaériens GROM, ainsi que
des mortiers légers et des drones
de reconnaissance ». La Pologne
fournit déjà des drones à
l’Ukraine, mais ces contrats sont
antérieurs à la crise actuelle.
Si les Ukrainiens ont jusqu’à
présent maintenu un ton de « re­
connaissance courtoise » vis­à­vis
de la Pologne, cette attitude cache
mal un certain embarras. Le
31 janvier, dans un entretien au
quotidien conservateur Rzeczpos­
polita, le ministre de la défense
ukrainien, Oleksii Reznikov, a af­
firmé n’avoir reçu « aucune aide
militaire » de la Pologne depuis le
début de la crise. Mardi, l’heure
était cependant à la coopération :
pour ses positions très pro­Pou­
tine, M. Orban s’est efforcé d’ap­
tre une Russie et un Occident an­
de paix », a­t­il dit après cinq heu­
S’il s’est abstenu de prendre
position dans le dossier ukrai­
nien, constatant simplement que
les points de vue de Moscou et de
l’Alliance étaient « éloignés », le
dirigeant hongrois s’est aussi li­
vré à une critique des sanctions
en place depuis 2014 contre la
Russie. De quoi renforcer les
craintes de ceux qui pensent
qu’une telle visite pourrait aggra­
ver les failles qui se sont manifes­
tées dans le camp occidental ces
dernières semaines.
La visite du Hongrois a d’ailleurs
aussi permis à M. Poutine de pré­
senter le contre­modèle qu’il pro­
pose aux pays européens amis.
« La Hongrie achète aujourd’hui du
gaz russe cinq fois moins cher que
le prix du marché en Europe », a­t­il
souligné pour vanter son offre de
contrats à long terme, comme ce­
lui que Budapest a signé avec Gaz­
prom en septembre, qui prévoit la
fourniture de gaz jusqu’en 2036.
Mardi, Vladimir Poutine a aussi
reçu un appel du président du
conseil italien, Mario Draghi. La
veille, il s’était entretenu pour la
deuxième fois en quelques jours
avec Emmanuel Macron, qui
aurait évoqué une visite à Mos­
cou. Point d’orgue de cette acti­
vité diplomatique, M. Poutine
s’affichera surtout dans quelques
jours au côté du dirigeant chinois
Xi Jinping, en invité choyé de la
cérémonie d’ouverture des Jeux
olympiques de Pékin. 
jean­baptiste chastand
et benoît vitkine
M. Chmyhal a dit espérer, « dans
un avenir proche », la « réalisation
d’un nouveau format de coopéra­
tion régionale entre l’Ukraine, la
Pologne et le Royaume­Uni. (…) Il
serait souhaitable de signer un do­
cument de coopération en matière
de renforcement de la sécurité ».
Le ministre ukrainien des affai­
res étrangères, Dmytro Kuleba, a
proposé cette alliance à Varsovie
et à Londres dès octobre 2021,
avant même l’escalade avec la Rus­
sie. Il ne s’agit pas d’une alliance
militaire mais « juste d’un format
politique », précise au Monde une
source au sein du ministère des
affaires étrangères. « Nous ne pou­
vons pas attendre la sécurité et la
prospérité lorsque nous devien­
drons membres de l’UE et de
l’OTAN. Nous en avons besoin
maintenant », a expliqué M. Ku­
leba mardi sur Facebook. L’an­
nonce officielle de la création de
cette alliance trilatérale devait
avoir lieu mercredi lors de la visite
à Kiev de la ministre britannique
des affaires étrangères. Elle a fina­
lement été reportée « à une date
ultérieure », Liz Truss ayant annulé
son déplacement après avoir
contracté le Covid. 
cécile ducourtieux,
jakub iwaniuk
et faustine vincent
international | 3
Hongrie : en campagne
électorale, Viktor Orban
bloque les prix
A deux mois d’élections qui s’annoncent
serrées, le dirigeant nationaliste multiplie
les gestes en faveur du pouvoir d’achat
budapest ­ envoyé spécial
L’ affiche doit être obligatoi­
rement placardée depuis
mardi 1er février devant la
porte de tous les supermarchés et
jusque dans les plus petites épice­
ries du fin fond de la Hongrie :
« Chers clients ! Le gouvernement a
décidé d’instaurer un gel des prix
des denrées alimentaires de base »,
proclame­t­elle sur fond bleu, la
couleur habituelle de la pro­
pagande officielle en Hongrie.
« Les prix des produits concernés
doivent être fixés de manière à ne
pas dépasser ceux du 15 octo­
bre 2021 », détaille le texte avant de
lister six denrées de base : sucre
glace, farine de blé, huile de tour­
nesol, lait à 2,8 %, poitrine de porc,
blanc et carcasse de poulet.
Dans ce supermarché Spar de
Budapest, mardi matin, l’effet est
immédiat : « Notre blanc de poulet
coûte 300 forints (0,85 euro) de
moins qu’hier », vante la vendeuse
du rayon boucherie derrière une
montagne de blancs de poulet
roumains vendus à 4,20 euros le
kilo. « Avec la différence, on peut
s’offrir une carcasse pour la
soupe », ajoute­t­elle, en laissant
entendre que cela pourrait la
pousser à voter pour le premier
ministre nationaliste Viktor Or­
ban aux législatives du 3 avril.
D’autant qu’elle vient aussi de bé­
néficier de la forte hausse du smic
décidée en janvier.
A deux mois d’élections législati­
ves qui s’annoncent les plus ser­
rées pour lui depuis 2010, M. Or­
ban est prêt à multiplier les ca­
deaux pour contrer une opposi­
tion unie qui lui reproche de ne
pas avoir assez fait progresser le ni­
veau de vie des Hongrois pendant
ses douze années au pouvoir. Si
celles­ci ont été marquées par
une hausse générale des salaires,
elle reste moins forte que dans
d’autres pays d’Europe centrale. En
février, les retraités vont par exem­
ple toucher pour la première fois
un treizième mois de pension et
les jeunes de moins de 25 ans se­
ront exonérés d’impôt en 2022.
« Une situation exceptionnelle »
Mais cela ne suffisait pas face à une
inflation galopante qui a atteint
7,4 % en décembre 2021 sur un an,
un des taux les plus élevés d’Eu­
rope. Certains produits de base
comme l’huile, la farine ou la mar­
garine ont même grimpé de plus
20 %. « Une situation exception­
nelle » selon M. Orban, qui a dé­
fendu le gel des prix, une mesure
rarissime dans l’Union euro­
péenne en estimant « que le gou­
vernement ne pouvait pas rester as­
sis et attendre que les acteurs du
marché ajustent les prix ». Prévu
pour durer jusqu’au 1er mai, soit
quelques semaines après le scru­
tin, le blocage des prix alimentaire
s’ajoute à celui de l’essence à
480 forints par litre (1,35 euro), déjà
en vigueur depuis le 15 novembre.
Peter Marki­Zay, le candidat de
l’opposition unie, a estimé qu’il
était « pathétique que la Hongrie
en revienne au contrôle des prix
comme il y a trente ans », c’est­à­
L’opposition
reproche à
M. Orban de ne
pas avoir assez
fait progresser
le niveau de vie
des Hongrois
pendant ses
douze années
au pouvoir
En février, les
retraités vont
toucher pour
la première fois
un treizième
mois de pension
dire sous la période communiste.
Mais il a aussi du mal à formuler
une alternative audible, alors que
l’élection va d’abord se jouer dans
les modestes campagnes hongroi­
ses. Profondément libéral sur les
questions économiques, il doit en
effet composer avec les partis
d’opposition de gauche qui le sou­
tiennent. Son programme écono­
mique détaillé n’a toujours pas été
présenté, mais il devrait plutôt
militer pour une baisse de la TVA
sur les produits de première né­
cessité, alors que la Hongrie affi­
che actuellement le plus haut taux
d’Europe en la matière, à 27 %.
Impact limité
Le gel des prix décidé par M. Or­
ban a pour avantage de coûter
peu cher à l’Etat, car il est entière­
ment à la charge des distribu­
teurs, et le mérite de susciter une
approbation générale, malgré
leur impact limité, du fait qu’il ne
concerne que six produits. « Il de­
vrait permettre de faire économi­
ser 200 forints [56 centimes
d’euros] par mois en moyenne aux
consommateurs hongrois », a cal­
culé Omar Hannya, économiste à
l’institut GKI. Mais Benjamin Un­
gar, un client venu faire ses cour­
ses dans le Spar de Budapest, dé­
fend la mesure : « Les prix mon­
taient de jour en jour, il fallait vrai­
ment que le gouvernement fasse
quelque chose. » Même s’il ne
compte pas voter pour M. Orban
et qu’il reconnaît que « le blocage
des prix n’est pas une solution du­
rable », il salue une décision
« temporairement bienvenue ».
Certains commerçants se sont
bien plaints d’être forcés de ven­
dre à perte, mais la plupart font le
dos rond. « Bien sûr on perd désor­
mais de l’argent sur ces produits,
mais comme on en vend en très pe­
tite quantité, cela reste supporta­
ble », témoigne Zoltan, qui pos­
sède une épicerie ouverte 24 heu­
res sur 24 dans le centre de Buda­
pest et qui a dû baisser le prix de la
farine de 17 centimes d’euros et ce­
lui de l’huile de 20 centimes. Alors
que les Hongrois se ruent dans les
magasins, il s’inquiète pour ses
stocks, comme tous les distribu­
teurs. « Le décret nous impose
aussi de disposer de quantités suffi­
santes sous peine d’amende [allant
jusqu’à 8 400 euros et six mois de
fermeture administrative], mais
cela devient de plus en plus difficile
de s’approvisionner. » Chez Spar
comme chez Lidl et Tesco, des ra­
tionnements ont déjà été intro­
duits : 10 kilos de sucre et 10 litres
d’huile maximum par client.
« Si la mesure ne dure que quel­
ques mois, la plupart des distribu­
teurs pourront sûrement compen­
ser », estime M. Hannya, mais la
question est plus incertaine dans
le secteur énergétique. Selon ses
calculs, le contrôle des prix de
l’énergie, déjà en vigueur depuis
des années en Hongrie, coûte
1 milliard d’euros par an à MVM, la
plus grande entreprise électrique
hongroise. Mais dans le capita­
lisme hongrois, qui a largement
été « magyarisé » depuis le retour
au pouvoir de M. Orban en 2010,
les plaintes des entreprises natio­
nales comme étrangères se font
toutefois très rares, bien souvent
par crainte de représailles. 
j.­b. c.

4 | international
Chili : les tensions contre les migrants s’exacerbent
Le nouveau gouvernement de gauche, qui s’installera en mars, devra gérer une crise migratoire inédite
buenos aires ­ correspondante
Ç
a suffit. Plus d’immigrés
délinquants. Fermeture
des frontières. » Rassem­
blées derrière une lon­
gue banderole noire,
plusieurs milliers de personnes
ont manifesté dimanche 30 jan­
vier à Iquique, dans le nord du
Chili. Cette ville côtière est deve­
nue, depuis 2020, un point de
transit pour les migrants véné­
zuéliens traversant à pied, de fa­
çon irrégulière, la frontière qui
sépare le Chili de la Bolivie. Faute
de structures d’accueil, ils cam­
pent sur la plage ou dans la rue,
dans des conditions de grande
précarité, au terme d’un parcours
migratoire éreintant.
En marge du rassemblement,
des manifestants s’en sont pris à
un abri de migrants – absents lors
de l’incident – au rythme de cris
xénophobes, selon BBC Mundo.
Des images de la télévision chi­
lienne T13 ont montré des poli­
ciers faisant barrage afin de pro­
téger un migrant assis sur la
plage. Un Vénézuélien a été
frappé par des manifestants.
Lundi 31 janvier, la ville a été
marquée par des manifestations :
des camionneurs et des chauf­
feurs de taxi ont bloqué les accès
routiers pour protester contre la
délinquance et l’immigration.
Au mois de septembre 2021, des
manifestations émaillées de vio­
lences et d’insultes racistes
avaient déjà choqué l’opinion.
Policiers agressés
Ce nouveau rassemblement fait
suite à l’agression de policiers
d’Iquique par des migrants véné­
zuéliens, mardi 25 janvier. Symp­
tôme du climat électrique entou­
rant la crise migratoire, ce qui
aurait pu n’être qu’un fait divers
local a très rapidement été re­
layé, poussant le président élu,
Gabriel Boric (gauche), à s’expri­
mer dès le lendemain de l’agres­
sion : « C’est inacceptable », a­t­il
affirmé, assurant vouloir « éradi­
quer la délinquance et le narco
[trafic] des rues ». Le gouverne­
ment sortant de Sebastian
Piñera (droite) a annoncé l’expul­
sion des migrants accusés de
l’agression.
En Guinée­Bissau, le président échappe à une tentative de putsch
Umaro Sissoco Embalo a dû rester enfermé dans son palais ciblé par des tirs nourris, alors que les coups d’Etat se multiplient dans la région
abidjan ­ correspondance
L a situation est sous
contrôle. » Indemne, mais
les traits tirés, le président
de la Guinée­Bissau, Umaro Sis­
soco Embalo, s’est exprimé, mardi
1er février au soir, de son palais pré­
sidentiel, dans un message télé­
visé. L’ancien général de brigade,
élu fin 2019, à l’issue d’un scrutin
controversé, venait de passer plu­
sieurs heures coincé avec les mi­
nistres du pays, dans le palais du
gouvernement, cible de tirs nour­
ris pendant une bonne partie de
l’après­midi. Il a annoncé que l’at­
taque avait fait « plusieurs blessés
graves et des morts », sans donner
plus de précisions sur le bilan.
Une semaine après le putsch
perpétré au Burkina Faso, l’Union
africaine a qualifié l’événement
de « tentative de coup d’Etat ». A la
télévision, le président Embalo
n’a pas désigné les auteurs du
coup de force, mais l’a attribué
aux « décisions [qu’il a] prises, no­
tamment contre le narcotrafic et
la corruption », deux fléaux qui
déstabilisent la Guinée­Bissau de­
puis des décennies.
Ce petit pays de près de deux
millions d’habitants, frontalier
Cordon policier autour d’un migrant vénézuélien, lors d’un rassemblement antimigrants, à Iquique, le 30 janvier. STRINGER/REUTERS
En parallèle, le procureur de la
région de Tarapaca (dont Iquique
est la capitale) a dévoilé, vendredi
28 janvier, les chiffres de la délin­
quance de 2021, qui montrent une
augmentation de 183 % des homi­
cides, de 42 % du trafic de drogue
et de 501 % du trafic de migrants.
Lors de la présentation, la montée
de la délinquance a été associée à
l’immigration : « L’essor des délits
associés au crime organisé (…) est
aggravé par la perméabilité [des]
frontières, favorisant une aug­
mentation massive de la migra­
tion irrégulière. »
« Depuis un an environ, il y a une
poussée de la xénophobie, avec
une tendance à lier la délinquance
à l’immigration, notamment vé­
nézuélienne », remarque Patricia
Rojas, présidente de l’Association
vénézuélienne au Chili, qui pro­
meut les droits des migrants. « Les
manifestations contre la délin­
Dakar
SÉNÉGAL
GAMBIE
GUINÉE-
Bissau BISSAU
GUINÉE
Bijagos
Océan
Atlantique
100 km
du Sénégal et de la Guinée, est
connu pour son instabilité politi­
que permanente. L’ancienne co­
lonie portugaise, depuis son in­
dépendance en 1974, a déjà connu
quatre putschs, dont le dernier
date de 2012, une quinzaine de
tentatives de coup d’Etat, et une
valse des gouvernements.
Les troubles ont commencé en
début d’après­midi. Le président,
le premier ministre, Nuno Gomes
Nabiam, les membres du gouver­
nement et les chefs de l’armée
s’étaient réunis pour un conseil
des ministres extraordinaire au
quance sont légitimes et la ville
d’Iquique est totalement débor­
dée », complète­t­elle. Le Service
jésuite aux migrants (SJM) a
épluché les chiffres officiels : « Il
n’existe pas de preuves que l’aug­
mentation de migrants résidant
au Chili soit associée à une aug­
mentation des délits », stipule un
rapport de septembre 2020. En
juillet 2020, les étrangers pur­
geant une peine de prison repré­
sentaient 6 % de la population car­
cérale. Avec environ 1,5 million de
résidants venant d’un autre pays,
pour 19 millions d’habitants, ils
représentent près de 8 % de la po­
pulation chilienne. « 99,8 % des
migrants présents au Chili ne sont
pas en prison », calcule le rapport.
Ces débats surviennent alors
que l’immigration a explosé ces
dernières années au Chili. Entre
2017 et 2020, le nombre d’étran­
gers en situation régulière a quasi­
sein du palais gouvernemental,
qui abrite les ministères en péri­
phérie de Bissau, la capitale. Selon
une source proche du gouverne­
ment, les discussions devaient
notamment concerner les consé­
quences de la disparition récente
d’un homme important : le géné­
ral Biagué Na Ntan, chef d’état­
major des forces armées bissau­
guinéennes et vétéran de la
guerre d’indépendance.
« C’était la panique totale »
Alors que la réunion était sur le
point de débuter, des hommes
lourdement armés ont pénétré
dans l’enceinte du palais. « Ils
étaient bien une quarantaine, ra­
conte la même source alors en
lien direct avec un participant à la
réunion. Ils étaient habillés en civil
pour ne pas qu’on sache à quel
corps de l’armée ils appartenaient.
Ils ont attendu que tout le monde
soit là pour attaquer. »
Des échanges de tirs ont résonné
une bonne partie de l’après­midi.
Dans les rues de Bissau, c’était
« la panique totale, tout le monde
courait dans tous les sens », décrit
Mamadou Ndao, un responsable
d’ONG sénégalais, vivant la moitié
du temps dans la capitale. La circu­
ment doublé. Un durcissement
des lois migratoires, impliquant,
entre autres, l’obligation d’un
visa pour les Vénézuéliens, qui
en étaient jusque­là exemptés
pour entrer au Chili, a eu pour ef­
fet de grossir les rangs des immi­
grés illégaux fuyant une situa­
tion humanitaire désastreuse
dans leurs pays d’origine. Selon
la SJM, 86 % des demandes des
visas dits de responsabilité dé­
mocratique (visa d’un an, prolon­
geable une fois pour une année
supplémentaire), destinés aux
Vénézuéliens, ont été rejetées en­
tre avril 2018 (date de sa création)
et septembre 2021.
Sentiment d’abandon
Sans registre officiel, il est impos­
sible d’évaluer avec exactitude le
nombre de personnes traversant
la frontière chilienne. Mais, selon
l’Agence des Nations unies pour
lation s’est arrêtée, les élèves se
sont barricadés dans les écoles, les
marchés se sont vidés et les ban­
ques ont fermé leurs portes.
Des photos et vidéos relayées
sur les réseaux sociaux montrent
plusieurs gardes du corps au sol
dans l’enceinte du palais. Caché
dans son bureau, le directeur de
cabinet du premier ministre a ré­
pondu en chuchotant à l’appel de
RTP Africa, une chaîne de télévi­
sion publique portugaise. Il a ex­
pliqué que son garde avait été tué,
et qu’il était sans nouvelles du
président et du premier ministre.
Suspectant un nouveau coup
d’Etat dans une sous­région politi­
quement tendue, la Communauté
économique des Etats de l’Afrique
de l’Ouest a publié un communi­
qué indiquant aux « militaires »
qu’ils sont « responsables de l’inté­
grité physique » du chef de l’Etat et
les sommant de « retourner dans
leurs casernes ». Le secrétaire géné­
ral de l’ONU, Antonio Guterres, a
réclamé, quant à lui, « l’arrêt immé­
diat » des combats à Bissau et « le
plein respect des institutions démo­
cratiques du pays ».
Alors que les rumeurs de la
mort du président commen­
çaient à se propager sur les ré­
les réfugiés, entre 400 et 500 mi­
grants vénézuéliens arrivent au
Chili chaque jour depuis novem­
bre 2021.
Avec ces manifestations, « le
Chili envoie une image terrible de
lui­même. Mais il faut aussi regar­
der ce qu’il y a derrière : les person­
nes accueillantes se sentent to­
talement abandonnées. La res­
ponsabilité revient aux autorités
publiques », affirme Francisca
Vargas, directrice de la Clinique
juridique des migrants et réfu­
giés de l’université Diego Porta­
les, qui forme les étudiants à l’ac­
compagnement des migrants. « Il
manque des centres d’accueil et
une politique organisée », renché­
rit Macarena Rodriguez, prési­
dente du directoire du SJM, tan­
dis que les associations dénon­
cent le manque d’articulation en­
tre les municipalités et le pouvoir
central, à Santiago.
seaux sociaux, l’armée loyaliste,
aidée de la garde rapprochée du
président et de commandos de
gendarmerie a finalement lancé
une contre­offensive. Ceux que
certains appelaient déjà « les mu­
tins » ont été arrêtés. Libéré,
Umaro Sissoco Embalo s’est em­
pressé de tweeter : « Je vais bien al­
hamdou Lillah [“Dieu merci”]. »
Si M. Embalo parle d’« éléments
isolés », la tentative de putsch
n’est pas totalement une surprise
dans ce pays à l’histoire troublée
et qui passe pour être une plaque
tournante du trafic de cocaïne.
Après la récente spirale de coups
d’Etat en Afrique de l’Ouest (Mali
en août 2020 et mai 2021, Guinée
en septembre 2021, Burkina Faso
en janvier 2022), la Guinée­Bissau
était désignée par certains obser­
vateurs comme l’un des pro­
chains sur la liste.
Connu pour son franc­parler et
soucieux de s’afficher comme un
homme à poigne, M. Embalo
semblait fragilisé depuis quelque
temps. Arrivé à la tête du pays, à
l’issue d’une longue crise posté­
lectorale, le chef de l’Etat est
aujourd’hui accusé de vouloir
« s’arroger tous les pouvoirs dans
un régime pourtant semi­prési­
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
« Il faut des
espaces d’accueil
dignes, car, sans
cela, on crée des
ghettos qui sont
le terreau de la
délinquance »
PATRICIA ROJAS
présidente de l’Association
vénézuélienne au Chili
Les migrants transitant à Iqui­
que s’empressent, pour beau­
coup, de rejoindre la capitale, à
la recherche d’un travail, inévita­
blement informel, sans permis
de séjour. Ceux qui ne disposent
pas d’un pécule ou d’un réseau
de proches pouvant les héberger
dorment sous des tentes, dans
la rue. « On déplace le problème
d’une ville à une autre, déplore
Patricia Rojas. Il est important
de créer des espaces d’accueil di­
gnes, car sans cela, on crée des
ghettos qui sont le terreau de
la délinquance. »
Dans ce contexte, la crise migra­
toire s’est imposée, à droite,
comme un thème de campagne
lors des élections de novembre et
décembre 2021. Le rival déchu de
Gabriel Boric, José Antonio Kast
(extrême droite), avait proposé la
construction d’un fossé à la fron­
tière nord. Le président élu, Ga­
briel Boric, qui prendra ses fonc­
tions en mars, prône, lui, un regis­
tre des migrants et une politique
« fondée sur les droits humains »
ainsi qu’un « contrôle des frontiè­
res qui évite l’immigration irrégu­
lière ». Mais la question migra­
toire n’était pas au centre de son
programme, davantage tourné
vers l’obtention de nouveaux
droits sociaux. Ses propositions
« restent encore génériques, il faut
maintenant des idées concrètes »,
observe Francisca Vargas. « Ce
sont des situations graves et com­
plexes. Nous souhaitons gouver­
ner de façon différente face à ces si­
tuations », a récemment déclaré la
porte­parole du prochain gouver­
nement, Camila Vallejo, sans li­
vrer plus de détails. 
flora genoux
dentiel, rappelle Maurice Tou­
pane, chercheur à l’’Institut d’étu­
des de sécurité, basé au Sénégal.
Aujourd’hui, son style de gouver­
nance pose problème. » Critiqué
dans son propre camp, le chef de
l’Etat a décidé, fin janvier, de re­
manier son gouvernement. Les
relations étaient particulière­
ment tendues depuis plusieurs
mois avec le premier ministre.
Pour certains observateurs, le ca­
lendrier de cette tentative de
putsch n’est pas anodin. Il sur­
vient juste après la mort de Biagué
Na Ntan, élément central du dis­
positif de M. Embalo. « Il faisait le
lien entre le président et l’armée, ré­
vèle un proche du palais. Il était in­
fluent et avait déjà permis d’éviter
d’autres coups d’Etat. Sa dispari­
tion fragilise encore plus le prési­
dent. » Il était censé participer,
jeudi, à un sommet des dirigeants
ouest­africains, durant lequel doit
être évoquée la multiplication des
coups d’Etat dans la région. La si­
tuation en Guinée­Bissau pourrait
bien figurer à l’ordre du jour. 
youenn gourlay
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0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Retour sur la panne géante
qui a paralysé l’Asie centrale
Le 25 janvier, l’incident, d’une ampleur inédite, a privé d’électricité des
millions de personnes au Kazakhstan, en Ouzbékistan et au Kirghizistan
L
a réaction en chaîne a dé­
marré tôt ce matin­là par
un incident sur l’im­
mense réseau électrique
du Kazakhstan, pays vaste comme
cinq fois la France. Puis, vers
8 heures, ce 25 janvier, c’est au tour
de l’Ouzbékistan, pays limitrophe
de près de 32 millions d’habitants,
de signaler une coupure générale
de l’électricité dans tout le pays. À
11 heures, le service de presse du
ministère de l’énergie ouzbek si­
gnale l’arrêt complet de deux cen­
trales thermiques, l’une à Tach­
kent, la capitale, et l’autre à Syrda­
rya en raison d’un « incident sur le
Réseau interconnecté d’Asie cen­
trale [RIAC] », dont le centre de
coordination et de distribution est
situé à Tachkent. Dans la foulée, les
deux autres grandes centrales du
pays cessent de fonctionner, plon­
geant les grandes villes dans le
froid en plein cœur de l’hiver.
Le chauffage urbain, conçu à
l’époque soviétique et directe­
ment alimenté par les centrales
thermiques, s’éteint. Le système
de transport s’enraye, paralysant
trains et métro. Sur les routes, les
feux de signalisation ne clignotent
plus. Les aéroports doivent ren­
voyer les avions en approche vers
des aéroports alternatifs. Les pas­
sagers au sol ne peuvent plus pas­
ser les contrôles de sécurité.
Un troisième pays, le monta­
gneux Kirghizistan, est à son
tour affecté. Des photographies de
skieurs bloqués sur des télésièges
circulent sur les réseaux sociaux,
avant que les opérateurs mobiles
ne soient, eux aussi, privés d’élec­
tricité. L’approvisionnement en
eau et le chauffage cessent dans la
capitale, Bichkek, en raison de l’ar­
rêt des pompes.
Le Kazakhstan – gravement se­
coué par une vague de violences
qui a fait au moins 225 morts deux
semaines plus tôt – ne subit la cou­
NSO a tenté d’accéder au réseau américain
La société israélienne aurait proposé des « sacs d’argent » pour pénétrer les opérateurs mobiles
A u cœur de l’été 2017, Gary
Miller, un cadre de Mo­
bileum, une entreprise
américaine qui conçoit des logi­
ciels de sécurisation pour ré­
seaux mobiles, est invité à parti­
ciper à une réunion télépho­
nique. Une société israélienne,
NSO Group, a contacté Mobi­
leum ; ils se disent très intéressés
par les « connexions » qu’entre­
tient la firme avec les opérateurs
téléphoniques américains.
Mais la réunion ne se déroule pas
comme M. Miller l’avait imaginé.
Le produit phare de Mobileum est
une solution logicielle pour les ré­
seaux 3G et 4G, qui permet de sur­
veiller tout trafic anormal – et donc
détecter d’éventuelles attaques.
NSO Group n’a aucunement l’in­
tention d’acheter ce logiciel : ce que
cherche l’entreprise israélienne,
c’est un accès aux réseaux des opé­
rateurs mobiles américains.
Service de géolocalisation
Qu’obtiendrait Mobileum en
échange ? « On dépose des sacs
d’argent liquide à vos bureaux »,
répond le cofondateur de NSO
Group, Omri Lavie, d’après le té­
moignage de Gary Miller, qui a ob­
tenu l’aide de l’organisation de dé­
fense des lanceurs d’alerte Whis­
tleblower Aid et fourni des preu­
ves de son récit au député de
Californie Ted W. Lieu (démocrate).
NSO Group est au cœur du scan­
dale Pegasus, du nom du logiciel
pure que dans le sud de son terri­
toire. Mais cinq villes, dont la plus
peuplée, Almaty, la capitale écono­
mique du pays, sont privées d’élec­
tricité, de communications mobi­
les et d’Internet. De justesse, le
sommet historique, Chine ­ Asie
centrale, qui réunissait pour la pre­
mière fois, quelques heures plus
tard, ce 25 janvier, Xi Jinping et
les chefs d’Etat des cinq pays de
la région, échappe au dysfonction­
nement général. Réunis par visio­
conférence, les participants igno­
rent pudiquement la préoccupa­
tion du jour.
Accusations mutuelles
Alors que le courant est progressi­
vement rétabli dans les trois pays
en milieu de journée, l’Ouzbékis­
tan et le Kazakhstan ne tardent
pas, cependant, à s’accuser mu­
tuellement. Le ministère ouzbek
de l’énergie pointe du doigt dans
un communiqué « un accident sur
le réseau électrique du Kazakhs­
tan ». Côté kazakh, les versions di­
vergent. Le ministère de l’énergie
temporise avec la création d’une
« commission spéciale » pour éta­
blir les causes exactes de la « per­
turbation technologique » chez
l’opérateur public du réseau d’élec­
tricité kazakh, Kegoc. Vendredi
28 janvier, le ministre de l’écono­
mie nationale, Alibek Kuantyrov,
affirmait pour sa part au Monde
que l’origine vient « d’un incident
dans les centrales électriques du
nord de l’Ouzbékistan ».
Kegoc désigne un autre coupa­
ble : l’industrie du minage infor­
matique des cryptomonnaies, qui
a envahi le Kazakhstan en 2021 à la
suite de son expulsion de Chine.
Très gourmands en électricité, les
mineurs voulaient profiter des ta­
rifs d’électricité, comparativement
très bas au Kazakhstan, pour faire
de ce pays leur eldorado. En quel­
ques mois, ce dernier s’est classé à
espion très performant que l’en­
treprise a vendu à de très nom­
breux pays, lesquels l’ont utilisé
pour espionner des avocats, des
journalistes et des militants des
droits humains. Depuis les révé­
lations du « Projet Pegasus » à l’été
2021, notamment par Le Monde,
NSO Group et ses clients sont visés
par des dizaines de procédures
différentes dans le monde. Mais, à
l’époque, si la société cherche des
points d’accès au réseau télépho­
nique américain, c’est pour un
autre service qu’elle propose avec
sa filiale Circles.
Circles vend un service de géo­
localisation, qui permet de situer
très précisément l’endroit où se
trouve un téléphone portable à
partir de son seul numéro. Pour ce
faire, elle exploite une faille grâce à
laquelle des chercheurs en sécu­
rité informatique avaient démon­
tré, en 2014, qu’il était possible,
avec un accès au réseau, de connaî­
tre la géolocalisation du télé­
phone, mais aussi de capter des
SMS ou des appels vocaux.
Dans une réponse écrite au
Washington Post, partenaire avec
Le Monde et quatorze autres ré­
dactions du « Projet Pegasus »
coordonné par Forbidden Stories,
Mobileum a affirmé « [ne] pas
[avoir] et [n’avoir ] jamais eu de re­
lation commerciale avec NSO
Group » ; l’entreprise assure par
ailleurs que, contrairement à ce
que pensait la société israélienne,
La vétusté du
système hérité
de l’URSS
et l’industrie des
cryptomonnaies
sont mises
en cause
la seconde place mondiale du mi­
nage de cryptomonnaies avec 18 %
de la production globale. La multi­
plication des serveurs a fait bondir
de 8 % la consommation dans le
pays au cours de l’année 2021, se­
lon le ministère de l’énergie. Le
25 janvier au soir, Kegoc annonçait
sa décision de débrancher tous les
mineurs de cryptomonnaies.
Alan Dorjiyev, président de l’As­
sociation nationale de l’industrie
de la blockchain et des centres de
données au Kazakhstan, sorte de
syndicat des mineurs, nie toute
responsabilité dans la panne
géante. Selon lui, Kegoc a fait des
mineurs un bouc émissaire ; il les
avait en réalité débranchés dès le
17 janvier. La presse kazakhe signa­
lait en effet, dès le milieu du mois
de janvier, un exode massif du ma­
tériel informatique spécialisé vers
des cieux plus cléments. Pour
beaucoup, le sous­investissement
accumulé depuis trente ans et la
conception caduque du réseau
d’électricité régionale RIAC ont
joué un rôle dans la panne géante.
« Le RIAC est une relique, et son
avenir est incertain, confronté à
une consommation d’électricité
croissante, tandis qu’aucun effort
n’est entrepris par les Etats pour
améliorer la coordination », af­
firme Maximilian Hess, analyste
des risques politiques en Eurasie
au groupe de réflexion Foreign
Policy Research Institute de
elle n’a pas d’accès direct au ré­
seau des opérateurs, et n’aurait
donc pas pu lui fournir une porte
dérobée. Dans un message écrit,
un porte­parole d’Omri Lavie, qui
participait à la réunion et qui
aurait proposé les « sacs d’argent
liquide », selon le témoignage de
M. Miller, nie toute malversation.
« Aucun contrat n’a été signé avec
Mobileum » et M. Lavie « n’a aucun
souvenir d’avoir utilisé cette ex­
pression », explique­t­il ; si tel
avait été le cas, « c’était très claire­
ment une plaisanterie ».
Une licence Pegasus au FBI
Peu importe, pour John Tye, l’avo­
cat de Gary Miller : « Nous savons
désormais que NSO Group a tenté
d’acheter un accès à toutes les don­
nées téléphoniques de notre pays.
Cela devrait terrifier tous les Amé­
ricains, et le département de la
justice doit demander des comptes
à NSO Group. » Le député Ted
W. Lieu a justement écrit aux ser­
vices du ministère de la justice
pour leur demander d’ouvrir une
enquête sur cette « possible cons­
piration visant à violer les lois
américaines et étrangères ».
Jusqu’à très récemment, les
Etats­Unis pensaient bénéficier
d’une protection particulière
contre l’espionnage mené par les
clients de NSO Group. Le logiciel
espion Pegasus contient un ver­
rou spécifique qui empêche ses
clients étrangers de surveiller des
Philadelphie (Etats­Unis). Le RIAC
a été conçu dans les années 1970
pour interconnecter les cinq an­
ciennes républiques soviétiques
d’Asie centrale, tandis que les ré­
gions du nord du Kazakhstan fai­
saient partie du réseau électrique
russe. La logique reposait alors sur
un troc entre les territoires monta­
gneux (Tadjikistan et Kirghizistan)
fournissant de l’hydroélectricité
en excès aux pays plus industriali­
sés (Kazakhstan et Ouzbékistan).
Depuis, les bouleversements
géopolitiques ont rendu ce troc
dysfonctionnel, voire conflictuel,
en raison des querelles sur la ré­
partition des ressources en eau. Le
Turkménistan s’est retiré du RIAC
en 2003, le Tadjikistan l’a suivi
en 2009. « La Russie pourrait désor­
mais pousser son avantage à tra­
vers l’Union économique eura­
sienne, mais elle a du mal à simpli­
fier les formalités douanières avec
l’Asie centrale », poursuit M. Hess.
Hasard du calendrier, la panne
électrique a eu lieu quatre jours à
peine après que l’ex­ puissance tu­
télaire a signé avec le Kirghizistan
un mémorandum pour la cons­
truction de petites centrales nu­
cléaires. Toutes les anciennes ré­
publiques font l’objet d’un intense
lobbying russe de la part du mono­
pole d’Etat du nucléaire Rosatom.
Le Kazakhstan a relancé le projet
de construction de centrales nu­
cléaires dans la région d’Almaty et
à Kourtchatov, dans l’est du pays.
L’Ouzbékistan prévoit de son
côté, pour 2028, l’entrée en service
d’une centrale nucléaire conçue
par Rosatom pour un coût de
11 milliards de dollars. Faute de so­
lutions alternatives et confrontés
à des pannes catastrophiques, les
pays d’Asie centrale pourraient cé­
der aux pressions de la Russie qui
espère retrouver une place straté­
gique dans leurs économies. 
emmanuel grynszpan
téléphones américains ; l’entre­
prise israélienne a toujours af­
firmé, et aucun élément n’atteste
du contraire, que seuls d’éven­
tuels clients américains pour­
raient utiliser son logiciel pour
espionner des téléphones aux
Etats­Unis. NSO Group avait tenté
de vendre ses services à plusieurs
reprises à des forces de police
américaines dans les années
2010, sans jamais y parvenir.
Mais à la fin du mois de janvier,
le New York Times révélait, dans
une longue enquête, que le plus
important service de police judi­
ciaire du pays, le Federal Bureau
of Investigation (FBI), avait bel et
bien acquis une licence de Pega­
sus en 2019. Le service de rensei­
gnement intérieur affirme avoir
uniquement effectué des tests,
mais, selon les informations du
quotidien américain, l’accord
était suffisamment avancé pour
que NSO Group envoie des ingé­
nieurs paramétrer des serveurs
informatiques dédiés dans un bu­
reau du FBI dans le New Jersey.
Ces révélations ont déclenché
un nouveau scandale aux Etats­
Unis, alors que le département du
commerce américain avait, en
novembre 2021, classé NSO Group
dans sa « liste noire » d’entrepri­
ses avec lesquelles les sociétés
américaines n’ont pas le droit de
faire affaire. 
damien leloup
et martin untersinger
international | 5
Dans un Liban
en crise, l’attrait
croissant du bitcoin
Le naufrage financier du pays a décidé
de nombreux Libanais à investir dans
les cryptomonnaies
beyrouth ­ correspondante
L e bureau de Mario Awad n’a
pas pignon sur rue. Sur les
hauteurs de Byblos, une
pancarte portant le logo bitcoin
indique un immeuble résidentiel
moderne. C’est depuis la suite pa­
rentale de son appartement, avec
vue sur la mer, que le Libanais de
37 ans gère son business de crypto­
monnaies. Depuis le début de la
crise financière à l’automne 2019,
il a transformé ses magasins de
bijoux fantaisie en agences de bit­
coin, et en a ouvert d’autres à tra­
vers le pays. Face à son lit, des
écrans de télévision affichent en
direct les cours des monnaies vir­
tuelles. Enfoncé dans le canapé,
Mario Awad supervise les transac­
tions depuis son téléphone.
« Au début des années 2010, seuls
les fous achetaient du bitcoin au
Liban ; aujourd’hui, ils sont million­
naires ! Depuis un an et demi, tout
le monde est dans les crypto­
monnaies, même mon boucher ! »,
s’amuse Mario Awad, qui s’est
lancé avec des amis en 2017.
Les monnaies virtuelles n’attirent
plus seulement une petite
communauté d’avertis. Le nau­
frage financier du Liban, qui a vu la
monnaie locale perdre 90 % de sa
valeur face au dollar, et les ban­
ques imposer des restrictions sur
la circulation des capitaux, a dé­
cidé de nombreux Libanais à utili­
ser les cryptomonnaies pour ef­
fectuer des transactions et investir
ce qu’il leur reste d’économies.
Le « tradeur » estime que le pays
de 6 millions d’habitants compte
aujourd’hui 70 000 utilisateurs
de cryptomonnaies. « Parmi mes
clients, j’ai des personnalités politi­
ques, des membres des forces de sé­
curité, des gérants de grandes com­
pagnies », poursuit­il, interrompu
par une notification WhatsApp.
Il échange quelques messages
vocaux avec un client de Furn El­
Chebbak et avec la vendeuse qui
tient sa boutique dans ce quartier
de Beyrouth. « Il a déposé
1 000 dollars [environ 887 euros] à
la boutique. J’ai appliqué une com­
mission de 2 %­3 % et je lui ai trans­
féré 980 USDC [un « stablecoin »,
une monnaie numérique indexée
sur le dollar américain] sur son
wallet [portefeuille de monnaies
virtuelles] », explique Mario Awad.
Transactions de gré à gré
Le téléphone bipe sans arrêt. On
sonne à la porte. Le garde fait en­
trer deux Libanais dans la ving­
taine, qui étudient en France et
profitent de leurs vacances pour
investir 10 000 dollars en crypto­
monnaies, car « les transactions
sont plus simples ici, et ce n’est pas
taxé ». « Chaque jour, de 10 à 50 per­
sonnes viennent, la plupart pour
des transactions de 100 à 1 000 dol­
lars, certains de 20 000 à 50 000
dollars », estime Mario Awad. Plus
rarement, il a des opérations de
plusieurs centaines de milliers de
dollars, « voire plus », dit­il, évasif.
Au Liban, les transactions se font
de gré à gré. La Banque du Liban a
interdit l’achat de cryptomon­
IRAK
Raids turcs contre le PKK
L’aviation turque a indiqué
avoir mené des bombarde­
ments aériens, mardi 1er fé­
vrier, en Irak et en Syrie,
contre des positions des re­
belles liés au Parti des tra­
vailleurs du Kurdistan (PKK).
Les frappes auraient
concerné les régions de
Makhmour et de Sinjar
(Nord), provoquant des « per­
naies à travers des cartes de paie­
ment locales sur les plates­formes
de trading dès 2013, au motif de la
très forte volatilité du marché.
L’acheteur remet ses dollars au
vendeur de la main à la main, par
le biais de bureaux de transfert
d’argent ou en passant par des
« tradeurs » comme Mario Awad.
Les utilisateurs ne sont pas à l’abri
d’arnaques sur ce marché qui se
développe hors de toute régula­
tion. Des communautés en ligne
ont été créées par des « bitcoi­
ners » avertis pour les aiguiller.
« Les bitcoins, c’est de l’argent qui
appartient véritablement aux gens,
comme l’or. C’est notre système al­
ternatif aux banques, qui redonne
le pouvoir au peuple. C’est d’autant
plus précieux avec un gouverne­
ment comme le nôtre qui crée de
l’hyperinflation en faisant marcher
la planche à billets », considère
Marcel Younès. Cet ancien salarié
d’un laboratoire pharmaceutique
américain a vu venir la crise après
des décennies de mauvaise gou­
vernance et de corruption de l’élite
au pouvoir. Fin 2019, au début de
la « thaoura » – le mouvement de
contestation contre le pouvoir –,
l’employé, désormais au chômage,
crée la communauté bitcoin du
Liban, qui échange sur Telegram.
Quand les banques n’ont plus
donné que des livres libanaises et
que même Western Union refu­
sait les transferts en dollars fin
2020, le nombre de ses membres
a grimpé en flèche, jusqu’à attein­
dre 2 500 personnes. Et l’applica­
tion BlueWallet a enregistré une
hausse de 1 781 % des télécharge­
ments de portefeuille virtuel au
Liban en 2020. « Il y a plusieurs
millions de dollars de cryptomon­
naies échangés chaque mois au Li­
ban. C’est impossible d’en connaî­
tre le volume avec exactitude », es­
time Marcel Younès.
Les utilisateurs ont des profils
variés. Certains veulent spéculer,
d’autres placer leurs économies.
Nombre d’entre eux utilisent les
cryptomonnaies pour transférer
de l’argent de l’étranger à leurs fa­
milles au Liban – une manne po­
tentielle évaluée à 6,61 milliards
de dollars en 2021, selon les pro­
jections de la Banque mondiale.
« Des Libanais trouvent des em­
plois à distance, à l’étranger, payés
en monnaies virtuelles, surtout
dans le graphisme, les métiers du
son… », ajoute­t­il. Boutiques, épi­
ceries, concessionnaires auto­
mobiles et mêmes parkings : des
commerces commencent à accep­
ter les cryptomonnaies au Liban.
De plus en plus de jeunes Liba­
nais s’improvisent « tradeurs »,
d’autres s’essaient même au « mi­
ning ». Mario Awad est favorable à
une régulation des cryptomon­
naies ; elle « aiderait le marché à
croître ». Le Liban a une carte à
jouer dans ce secteur, abonde Mar­
cel Younès : « Le pays est à genoux.
S’il adoptait le bitcoin et régulait le
marché en imposant des taxes sur
les transactions et le mining, il
pourrait devenir un hub pour les
cryptomonnaies. » 
hélène sallon
tes humaines », selon les auto­
rités de la région autonome
du Kurdistan irakien.
Le ministère turc de la dé­
fense a confirmé, mercredi,
des raids « dans les régions de
Dérik, du Sinjar et du [mont]
Karacak, dans le nord de l’Irak
et de la Syrie, utilisées comme
bases arrière » du PKK et des
Unités de protection du peu­
ple (YPG), considérés comme
terroristes par Ankara. – (AFP.)
 PLANÈTE
0123
6| JEUDI 3 FÉVRIER 2022

La cellule Déméter jugée en partie illégale 
Surveiller des défenseurs de l’environnement n’est pas le rôle des gendarmes, selon les juges administratifs

I
l n’appartient pas à une cel­
lule de gendarmerie de sur­
veiller les défenseurs de l’en­
vironnement ou les mili­
tants de la cause animale pour
prévenir des « actions de nature
idéologique ». Dans une décision,
rendue mardi 1er février, le tribu­
nal administratif de Paris estime
que certaines activités de la cel­
lule appelée « Déméter » sont illé­
gales et ordonne au ministre de
l’intérieur de les faire cesser dans
un délai de deux mois. Revers
pour le gouvernement, le juge­
ment est salué par les associa­
tions L214, Pollinis et Générations
futures, qui avaient saisi la justice.
La cellule Déméter a été créée en
décembre 2019, au terme d’une
convention conclue entre le mi­
nistère de l’intérieur et deux
organisations syndicales, la Fédé­
ration nationale des syndicats
d’exploitants agricoles (FNSEA) et
Jeunes Agriculteurs (JA). Son ob­
jectif était non seulement d’in­
tensifier la lutte contre les actes
délictueux (vols, violences, dégra­
dations de matériel, etc.) visant le
monde agricole, mais aussi de
prévenir « des actions de nature
idéologique » pouvant n’être que
de « simples actions symboliques
de dénigrement ».

« Victoire pour la démocratie »

« Il ressort des pièces du dossier que
des gendarmes se sont vu confier,
au titre de la mise en œuvre de la
cellule Déméter, la tâche d’assister
à des réunions d’associations loca­
les œuvrant pour la préservation
de l’environnement ou d’interroger
des responsables associatifs sur la
teneur de leurs activités, rappelle le
tribunal dans son jugement. Il
n’est ni soutenu ni établi que la sur­
veillance de telles associations
aurait été effectuée en vue d’éviter
la commission d’infractions, dans
un but de préservation de l’ordre
public. » Le périmètre de la cellule
Déméter, ajoutent les juges, ne re­
lève donc pas des compétences de
la gendarmerie. « Il s’ensuit qu’en
incluant de telles actions dans le
périmètre des missions de la cellule
Déméter, le ministre de l’intérieur a
commis une erreur de droit »,
conclut le jugement.
« On est très soulagés de ce juge­
ment qui va permettre de libérer la
parole », réagit Brigitte Gothière,
cofondatrice de l’association de
défense des animaux L214. Depuis
la mise en place de la cellule Dé­
méter, fin 2019, Mme Gothière as­
sure avoir « constaté une hausse
du nombre d’auditions auxquelles
[ils] devai[ent] répondre, avec un
crescendo dans les moyens mis en
œuvre pour tenter d’interférer avec
[leur] mission d’enquête : deman­
des d’accès aux relevés téléphoni­
ques, données de bornage, etc. ».
La militante défend les actions
de son mouvement : « Quand on
dit que le modèle agricole enferme
huit animaux sur dix, il faut qu’on
puisse en faire la démonstration
par l’image », dit­elle tout en con­
damnant, au nom de l’associa­
tion, toute action de dégradation
ou pénalement répréhensible.
De son côté, Nicolas Laarman,
délégué général de l’association
Pollinis, salue, dans un communi­
qué commun avec Générations
futures, une « victoire pour la dé­
mocratie ». « La lettre de mission
de Déméter visait explicitement à
verrouiller le débat sur les prati­
Depuis plusieurs
mois, rappellent
les associations,
l’activité de la
cellule avait
donné lieu à « des
dérapages
inquiétants »
ques agricoles conventionnelles et
l’usage des pesticides, et menaçait
directement la liberté d’expres­
sion », ajoute M. Laarman. Fran­
çois Veillerette, porte­parole de
Générations futures, ajoute
qu’« une véritable démocratie ne
doit pas se doter de tels outils de
pression et de coercition contre les
associations de défense de l’envi­
ronnement et de la santé ».
Toutefois, les deux associations
de défense de l’environnement
n’ont pas pleinement obtenu gain
de cause. Elles demandaient l’an­
nulation pure et simple de la
convention conclue en décem­
bre 2019 entre le ministère de l’in­
térieur d’une part et la Fédération
nationale des syndicats d’exploi­
tants agricoles et Jeunes agricul­
teurs d’autre part. En particulier,
cette convention porte en elle­
même, selon eux, atteinte au prin­
cipe d’égalité entre organisations
agricoles, comporte une déléga­
tion illégale de pouvoirs de police
administrative et porte atteinte
au droit à la liberté d’expression.
La demande des deux associa­
tions de voir la convention annu­
lée, et donc la cellule Déméter dis­
soute, a été rejetée par le tribunal.
Depuis plusieurs mois, rappel­
lent les associations, l’activité de
la cellule en question avait donné
lieu à « des dérapages inquié­
tants » : convocation par les
gendarmes de responsables d’as­
sociations locales de lutte contre
les pesticides, présence non dési­
rée de la gendarmerie lors de
réunions associatives… En avril,
Le Monde avait recueilli le témoi­
gnage d’une journaliste de radio
allemande, en reportage en
Bretagne, dont les bandes avaient
été effacées par des gendarmes, à
la demande d’un agriculteur
mécontent.
Mission « recadrée »
Dans un communiqué commun
du 2 février, les ministres de l’in­
térieur, Gérald Darmanin, et de
l’agriculture, Julien Denorman­
die, ont dit prendre acte de ce ju­
gement et que « la mission de Dé­
méter sera précisée et cadrée dans
un nouveau texte ». Ils réaffir­
ment néanmoins « l’efficacité »
de cette cellule, qui a selon eux
obtenu « de très bons résultats :
les vols de véhicules dans les ex­
ploitations agricoles en 2021 ont
reculé de 8 % et les dégradations
de 7 % par rapport à 2020 (…).
Cette activité n’est pas remise en
question. » Contactée par Le
Monde, la FNSEA n’avait pas en­
core réagi, mercredi matin.
Quelques jours avant la décision
du tribunal administratif, s’était
tenu, au Mans, le 28 janvier, le
procès de neuf militants antispé­
cistes, jugés pour des tags et dé­
gradations commis dans des éle­
vages, en 2020 et 2021, et interpel­
lés à la suite d’investigations de la
cellule Déméter. Une quarantaine
d’agriculteurs et de syndicats se
sont portés partie civile dans ce
procès, dont le jugement est
attendu fin mars. 
stéphane foucart
et mathilde gérard

Les agriculteurs vont pouvoir stocker davantage d’eau

Jean Castex a donné des gages aux exploitants en conclusion du Varenne de l’eau, consacré aux réponses au changement climatique

L’ accès à l’eau doit évoluer

pour dégager de nouvelles
ressources pour les besoins
agricoles », a affirmé Jean Castex,
venu en personne conclure le
Varenne agricole de l’eau, mardi
1er février. Le premier ministre a
insisté sur l’urgence à soutenir fi­
nancièrement un secteur que per­
turbe le changement climatique
– il a annoncé une nouvelle aide
de 200 millions d’euros. Ces évo­
lutions devront se faire « dans le
respect des autres usages, comme
l’eau potable », a­t­il jugé bon de
préciser. Il s’agit de maintenir le
niveau de la production agricole,
alors même que « les conflits
d’usage se sont accrus en France »,
a reconnu M. Castex, qui dit viser
un consensus « le plus large possi­
ble, mais pas l’unanimité : ce serait
suspect sur un sujet aussi difficile ».
Lancée en mai 2021, cette
consultation avait pour objectif
de dégager des solutions concrè­
tes face aux aléas climatiques.
Voulue par le chef de l’Etat, elle est
en principe placée sous la tutelle
partagée du ministère de la transi­
tion écologique et de celui de
l’agriculture, qui l’a organisée. Elle
fera probablement date, car ce
Varenne marque une inflexion
dans la politique de l’eau en
France, jusqu’à présent du ressort
du ministère de la transition
écologique. Le premier ministre a
en effet annoncé la nomination,
pour trois ans, d’un délégué inter­
ministériel chargé de veiller à l’ap­
plication d’une série de mesures
destinées à sécuriser la disponibi­
lité, et donc le stockage, de l’eau
pour les exploitants.
Les textes réglementaires doi­
vent être modifiés prochaine­
ment, afin de « mieux utiliser les
ressources en hiver », de « capter
l’eau excédentaire pour la stocker
jusqu’à l’été suivant », détaille le
premier ministre. Une ligne bud­
gétaire doit être allouée à ce dos­
sier au sein du ministère de l’agri­
culture. Les collectivités locales et
les gestionnaires de barrages hy­
droélectriques sont appelés à la
rescousse. Aux yeux de certains,
les pluies, qui gonflent les rivières,
alimentent les sols, la végétation
et les animaux, et rechargent les
nappes souterraines, représen­
tent des « gisements perdus » qu’ils
entendent bien mettre en réserve.
Gestion territorialisée
La gestion de l’eau doit en même
temps être « la plus territorialisée
possible », a indiqué M. Castex.
Autrement dit, le partage de la
ressource doit donner lieu à des
concertations entre les différents
usagers… mais pas trop longues : si
elles ne débouchent pas assez vite
sur un projet de territoire pour la
gestion de l’eau (PTGE), le préfet
reprendra l’affaire en main.
Actuellement, des centaines de ces
PTGE sont signés ou en prépara­
tion. Ils devront être révisés de fa­
çon à accélérer le mouvement.
Le décret du 23 juin 2021 va lui
aussi être revu. Ce texte avait
pourtant fait l’objet d’un travail la­
borieux – au moins deux ans de
négociations – pour définir une ré­
partition efficace et équitable de
l’eau en période de pénurie. Va­t­il
être détricoté ou juste complété ?
« Ce décret est imprécis sur le fi­
nancement des études d’impact, il
doit être actualisé, estime Luc Ser­
vant, vice­président de l’Assem­
blée permanente des chambres
d’agriculture. Les freins réglemen­
taires sur le réemploi des eaux
usées doivent être levés. Quant aux
PTGE, il faut préciser qui mettre
autour de la table, et s’il n’y a tou­
jours pas d’accord au bout de deux
ans, par exemple, le préfet devra re­
prendre la main. » Le coprésident
du groupe de travail du Varenne
sur une « vision raisonnée des be­
soins et de l’accès aux ressources en
eau, mobilisables pour l’agriculture
sur le long terme » insiste sur la né­
cessité d’anticiper l’accélération
du changement climatique : « Ce
que nous pouvons prélever
aujourd’hui, ce ne sera plus pareil
dans dix ans », il est donc urgent de
prendre des garanties sur l’avenir.
Les revendications des porte­pa­
role du secteur ont été entendues
avant même que les capacités de
stockage actuelles ne soient
connues. Le gouvernement va
consacrer 13 millions d’euros à un
inventaire exhaustif de l’existant
grâce à des images satellites. Le Va­
renne a aussi été l’occasion de
concrétiser l’idée d’une « assu­
rance récolte » face aux aléas mé­
téorologiques. Le projet de loi,
présenté en procédure accélérée, a
déjà été adopté en première lec­
ture à l’Assemblée nationale, en
janvier. La Fédération nationale
des syndicats d’exploitants agrico­
les, majoritaire, approuve cette
réforme de l’indemnisation des
calamités agricoles, qui doit s’ap­
pliquer à partir du 1er janvier 2023.
La Confédération paysanne, elle, la
dénonce, car elle va exclure ceux
qui, « faute de trésorerie, n’ont pas
les moyens de souscrire à une assu­
rance­récolte » privée.
Enfin, les filières de production
se sont engagées à mener une ré­
flexion sur leur avenir et à se doter
chacune d’une feuille de route
d’ici à la fin de l’année. Toutes sor­
tes de solutions peuvent être envi­
sagées : sélection génétique, agro­
climatologie reposant sur la tech­
nologie numérique, modification
des dates d’irrigation, efforts de
sobriété, aussi. Au cours de la resti­
tution des travaux des ateliers, Bé­
rangère Abba, secrétaire d’Etat
chargée de la biodiversité, a mis en
avant, à plusieurs reprises, les so­
lutions fondées sur la nature,
comme la préservation des zones
humides. « Il n’y a pas une eau agri­
cole et d’autres eaux, il existe une
seule ressource. Il faut poursuivre la
réflexion sur la résilience de l’agri­
culture française », a­t­elle dit. 
martine valo
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022 planète | 7

Pesticides : les objectifs du Green Deal menacés

Une dizaine d’Etats­membres de l’UE veulent empêcher la transparence sur les quantités de produits utilisées

L
oin d’être toujours for­ usages réels de pesticides sur le clés du Pacte vert est la réduction tronique… De même, ajoute le rap­ européen. « Nous avons réalisé
tuite, l’ignorance est par­ Vieux Continent. de 50 % de l’usage et des risques de
« L’accès public port, les amendements du Conseil qu’au début de l’examen du texte
fois le fruit de choix stra­ Pour les auteurs du rapport, les ces produits d’ici à 2030. » à ces données est entretiennent un flou sur la possi­ soumis par la Commission, la
tégiques. C’est ce que sug­ modifications demandées par le En particulier, la proposition ini­ bilité d’accès public à ces données. grande majorité des Etats­mem­
gèrent deux organisations non Conseil entraveraient la mise en tiale de Bruxelles prévoyait une
très important Un point important, car la ré­ bres n’avaient pas grand­chose à
gouvernementales (ONG) dans un œuvre de la stratégie « Farm to mise à jour annuelle des usages pour caractériser forme devait incidemment per­ redire au projet, raconte M. Der­
rapport publié mercredi 2 février Fork » ou « F2F » (« De la ferme à la d’agrotoxiques, avec transmission mettre aux particuliers ou aux mine. Mais un groupe de dix pays
sur le projet de réforme de la sta­ fourchette »), le volet agricole du par chaque exploitation de ses
les pollutions au collectivités locales de se rensei­ s’est coordonné pour vider le texte
tistique agricole européenne. Green Deal ou Pacte vert euro­ données d’utilisation : sorte de niveau local » gner avec précision sur les épan­ de la substance. Les dix­sept
Sur la foi de documents internes péen. Ces amendements seront produits épandus, quantités, sur­ dages de pesticides à l’échelle de autres, s’ils n’ont pas activement
ALICE BERNARD
aux délibérations du Conseil débattus, dans les prochains jours, faces et types de culture traitée, microterritoires. combattu la proposition de
juriste à l’ONG ClientEarth
européen, Pesticide Action Net­ entre le Conseil, la Commission et etc. « Ces informations sont crucia­ Bruxelles, ont globalement fini par
work (PAN) et la branche autri­ le Parlement. « Les exigences du les si l’on veut pouvoir s’adapter et Texte vidé de sa substance accepter ces amendements » par
chienne des Amis de la Terre dé­ Conseil reviennent à maintenir une observer, année après année, les « L’accès public à ces données est un vote du 10 décembre 2021.
noncent la volonté d’une dizaine forte incertitude autour de la réa­ secteurs ou les régions agricoles qui dés par le Conseil vont dans le très important pour pouvoir ca­ Ce « groupe des dix », tel que le
d’Etats­membres de « torpiller » le lité des usages de pesticides dans rencontrent plus de difficultés que même sens, selon le rapport : rejet ractériser les pollutions au niveau qualifie le rapport, est composé
projet législatif SAIO (Statistics on les différents pays de l’Union euro­ d’autres à modifier les pratiques, du recueil obligatoire et harmo­ local, explique Alice Bernard, ju­ de la République tchèque, du Da­
Agricultural Inputs and Outputs) péenne, explique Martin Dermine ajoute M. Dermine. Or le Conseil ne nisé des données, susceptible de riste à l’ONG ClientEarth et nemark, de l’Espagne, de la Hon­
lancé voilà un an par la Commis­ (PAN), coauteur du rapport. Au souhaite pas que ces données permettre des comparaisons autrice d’une analyse juridique de grie, de l’Irlande, des Pays­Bas, de
sion européenne. point qu’il serait impossible de sui­ soient rendues disponibles chaque d’usage entre les Etats­membres, la position du Conseil, publiée la Pologne, de la Slovénie, de
Et de chercher ainsi à rester déli­ vre l’évolution des usages de pesti­ année, mais tous les cinq ans ! » rejet de l’exigence d’une transmis­ mercredi. Par exemple, pour sa­ l’Autriche et de l’Allemagne. Avec,
bérément dans l’ignorance des cides, alors que l’un des objectifs D’autres amendements deman­ sion des données au format élec­ voir quels sont les polluants à re­ pour cette dernière, cette singula­
chercher dans les sources d’eau, il rité : le changement de gouverne­
faut connaître les produits qui ont ment a conduit Berlin à voter con­
Un seuil de mortalité « acceptable » proposé pour les abeilles été utilisés immédiatement au­
tour. » Aujourd’hui, ajoute­t­elle,
tre le texte que ses interventions
précédentes avaient pourtant lar­
« Eurostat [l’office statistique de gement contribué à forger. La
c’est un document technique très at­ et à la Commission européenne. L’agence nie de bourdons saine mais « une colonie l’Union européenne] ne publie veille du vote, le nouveau minis­
tendu qu’a publié, vendredi 28 janvier, ajoute que les données sont lacunaires et déjà exposée aux produits agrochimiques d’information qu’au niveau natio­ tre allemand de l’agriculture,
l’Autorité européenne de sécurité des ali­ que les autorités politiques pourraient éga­ dans un environnement agricole ». « Accep­ nal et par groupe de pesticides ». Cem Özdemir, avait annoncé que
ments (EFSA), dans le cadre de la refonte lement attendre avant de se prononcer… ter que les colonies de bourdons perdent jus­ Pour comprendre la genèse de l’Allemagne voterait contre le pro­
des méthodes d’évaluation des risques des L’EFSA a néanmoins établi la variabilité na­ qu’à 10 % de leur population après exposition ces amendements et leur adop­ jet actuel, déclarant que la réalisa­
pesticides pour les abeilles et les pollinisa­ turelle des populations d’abeilles sauvages. à chaque pesticide est non scientifique, tion par le Conseil, les ONG ont tion de la stratégie « Farm to
teurs. L’agence basée à Parme, en Italie, y Cette variabilité, de l’ordre de 10 % selon ajoute le PAN. Il existe de nombreuses études obtenu l’accès aux contributions Fork » devait être systématique­
présente des éléments scientifiques pour l’EFSA, offre un niveau de référence pou­ montrant des effets synergiques des pestici­ des Etats­membres par le biais de ment vérifiable et mesurable.
fixer le seuil des dégâts « acceptables » vant justifier un seuil acceptable de réduc­ des, mais il n’en est tenu aucun compte dans la loi européenne sur l’accès aux Quant à la France, qui a pris en
d’un agrotoxique sur les populations tion de population de l’ordre de 10 %, cette approche. » données administratives. Ajouts, janvier la présidence de l’Union,
d’abeilles sauvages. Un seuil qui permettra consécutif à l’exposition au produit évalué. De son côté, l’eurodéputé Pascal Canfin suppressions et arguments ap­ après le vote du Conseil, elle va
d’autoriser ou non la mise sur le marché de Une approche qui ne convainc pas les (Renew), président de la commission envi­ portés par les Etats­membres for­ être, estime M. Dermine, « dans la
nouvelles substances. ONG. Pour Pesticide Action Network (PAN), ronnement du Parlement européen, as­ ment un écheveau de plus de 160 position inconfortable de devoir
L’EFSA précise qu’elle ne décide pas des la référence choisie provient de données sure que ce dernier n’acceptera pas de « mé­ pages que les ONG ont analysé, défendre au nom du Conseil un
objectifs de protection – décision qui relève obtenues en milieu agricole, où les insectes thodologie d’évaluation de la dangerosité pour comprendre l’évolution de texte à la construction duquel elle
du politique – mais qu’elle fournit un sim­ sont déjà soumis à de nombreux stress. La des pesticides au rabais ».  la position du Conseil, vers un n’a que peu participé ». 
ple appui scientifique aux Etats membres référence, plaide l’ONG, n’est pas une colo­ s. fo. texte très en deçà de l’exécutif stéphane foucart

Des loups et des gypaètes empoisonnés

dans le parc national de la Vanoise
Une enquête a été ouverte après des intoxications au printemps 2021
Q ui a empoisonné deux
loups, deux gypaètes bar­
bus et au moins une dou­
zaine d’autres animaux
dans le parc national de la Vanoise,
en Savoie, et pourquoi ? L’affaire,
pour le moins inhabituelle et res­
tée confidentielle, fait l’objet d’une
enquête judiciaire depuis presque
un an, sans résultat pour l’heure.
Les premiers faits remontent à
mars 2021. La Vanoise est encore
sous la neige, quand deux cada­
vres de loups sont récupérés par
des gardes du parc, à quelques kilo­
mètres d’intervalle. Un mois plus
tard, deux gypaètes barbus – un
adulte et un poussin – sont retrou­
vés morts dans leur nid, sur les
hauteurs de Val­Cenis. L’espèce est
strictement protégée, et le parc
suivait de près l’évolution de ce
jeune couple et de leur unique
oisillon, éclos un mois plus tôt. Les
analyses révèlent une mort par
empoisonnement.
Le 30 avril, une enquête judi­
ciaire est ouverte, en cosaisine en­
tre la gendarmerie, l’Office fran­
çais de la biodiversité (OFB) et le
parc de la Vanoise. Une douzaine
d’autres cadavres – fouine, renard,
corvidés… – sont découverts, tous
empoisonnés. Deux substances
sont détectées, suggérant la dissé­
mination de plusieurs appâts dans
la nature. Aldicarbe pour les loups,
carbofuran pour les gypaètes : des
insecticides de la même famille,
des carbamates, qui provoquent
une mort fulgurante même à très
petite dose. Ils sont interdits dans
l’Union européenne et en France
depuis 2008, mais n’importe qui
peut s’en procurer sur Internet.
Bien qu’elle ne soit pas corrobo­
rée par l’enquête, l’hypothèse se­
lon laquelle le poison visait des
loups est dans tous les esprits.
Juste avant les découvertes des ca­
davres, en février et en mars 2021,
une meute de neuf individus est
filmée cheminant dans la neige
en Haute­Maurienne, d’autres
aperçus dans les environs de Mo­
dane – le maire donnera des consi­
gnes de sécurité aux habitants.
Le prédateur est mal accepté par
une partie des éleveurs et des
chasseurs, et les tensions sont vi­
ves sur ce territoire bénéficiant de
la protection du parc national,
dont l’existence est loin de faire
l’unanimité. Néanmoins, les faits
auraient probablement pris une
moindre ampleur sans la présence
de gypaètes barbus parmi les victi­
mes. Cet oiseau emblématique,
plus grand vautour d’Europe, a été
éradiqué du continent avant de
bénéficier de programmes de
réintroduction depuis les années
1980. Aujourd’hui, dix­sept cou­
ples sont recensés dans les Alpes
françaises, dont la moitié dans la
Vanoise. Un fragile retour pour
cette espèce, toujours classée « en
danger » en France.
« Sujet sensible en Maurienne »
« Sur le braconnage, il y a une dé­
mission de la puissance publique
en France, avec des enquêtes qui
n’aboutissent pas et un vrai senti­
ment d’impunité », dénonce Pas­
cal Orabi, chef de mission à la Li­
gue de protection des oiseaux.
En 2014, des vautours fauves et
des vautours moines avaient déjà
été empoisonnés dans un autre
secteur de la Maurienne, et l’af­
faire classée sans suite.
L’enquête va­t­elle permettre
d’identifier les auteurs des empoi­
sonnements de la Vanoise ? Entre
la découverte des loups morts et
les premières investigations, plus
d’un mois a passé, la plupart des
indices ayant eu le temps de dis­
paraître. « Nous avons lancé l’en­
quête quand nous avons eu les ré­
sultats toxicologiques », répond
INCERTITUDES,
TRANSITIONS,
RÉVOLUTIONS
Arnaud Chartrain, chef de service
de l’OFB­Savoie, qui affirme que
cette affaire compte parmi les
« priorités » de ses équipes. « On a
fait des analyses sur tous les ani­
maux retrouvés morts, des contrô­
les de nuit sur les sites naturels, des
pièges photos, on a prospecté par
drones… On a mis les moyens », af­
firme la procureure de la Républi­
que d’Albertville, Anne Gaches.
Néanmoins, l’annulation à la
dernière minute, « à la suite de
complications administratives »,
selon un courriel de l’OFB, de la ve­
nue d’une équipe cynophile ita­
lienne spécialisée dans le bracon­
nage des loups a aussi semé le
doute. « Si les chiens avaient été
lancés dès le début, d’autres cada­
vres et d’autres traces auraient été
trouvés, pointe un connaisseur du
dossier. Mais, dès lors qu’on touche
au loup, il ne faut pas faire de va­
gues, c’est un sujet extrêmement
sensible en Maurienne. »
Début octobre, le conseil scienti­
fique du parc, instance indépen­
dante, a adressé une note à la pré­
fecture et à la procureure deman­
dant « à être tenu au courant de fa­
çon détaillée du déroulement de
l’enquête ». « L’absence de commu­
nication est totale, alors que la dis­
persion de ces poisons peut poser
de sérieux risques pour la santé hu­
maine, mais aussi pour les ani­
maux domestiques et toute la
chaîne alimentaire », explique un
membre du conseil qui préfère
garder l’anonymat.
« C’est un phénomène préoc­ Une publication indispensable pour
cupant et tout à fait scandaleux, comprendre le monde d’aujourd’hui
et les services de l’Etat sont mobili­ et se projeter dans l’année 2022.
sés pour prévenir ces actes, par
des contrôles évidemment mais
aussi par la sensibilisation des
autorités administratives et judi­ Vient de paraître chez votre marchand de journaux.
ciaires », a réagi le ministère de la
transition écologique. 
angela bolis
 FRANCE
0123
8| JEUDI 3 FÉVRIER 2022

Valérie Pécresse veut jouer la « carte femme »
La candidate LR est convaincue que le fait d’être une femme est un avantage et un argument de modernité

C
omme Ségolène Royal
avant elle, Valérie Pé­
cresse est intarissable
sur le machisme et les
préjugés sexistes de la petite so­
ciété politique, ce « Monde d’hom­
mes », titre d’un chapitre de son li­
vre Et c’est cela qui changea tout,
écrit avec la journaliste Marion
Van Renterghem (Robert Laffont,
2019). Il y a ce surnom, « la
Blonde », dont l’affublent ses
adversaires pendant sa pre­
mière campagne des régionales,
en 2010. Ou ces lapsus des con­
seillers d’opposition qui l’appel­
lent « Mme la vice­présidente » en
plein hémicycle, alors qu’elle vient
d’être élue présidente de la région
Ile­de­France, en 2015.
Plus récemment, la candidate du
parti Les Républicains (LR), qui
s’est lancée à l’été 2021 dans la
course à l’Elysée, ne compte plus le
nombre de fois où elle s’est vu de­
mander pourquoi l’éventualité de
devenir première ministre d’Em­
manuel Macron, par exemple, ou
de Xavier Bertrand – quand ce­
lui­ci apparaissait comme le favori
des présidentiables, à droite –, ne
lui suffisait pas. « Les femmes au
XXIe siècle ne sont pas condamnées
à être numéro deux, confiait­elle
en août 2021 au Monde, excédée. Je
n’ai pas voulu jouer la “carte
femme” mais là, j’ai craqué. »
Depuis qu’elle est officiellement
candidate, Valérie Pécresse – qui a
commencé sa campagne post­
congrès de LR début janvier avec
un déplacement consacré aux vio­
lences faites aux femmes – n’hé­
site plus à sortir cette « carte ». Valérie Pécresse, candidate du parti Les Républicains à la présidentielle, invitée sur LCI, à Boulogne­Billancourt, le 31 janvier. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
Quitte à flirter avec les stéréotypes
de genre, elle se présente comme
une « femme du faire », soucieuse mes parfois enfermés dans l’image sinon ça ne sert à rien ». Longue­ Admiratrice pas la vision d’un « féminisme qui Moins enthousiaste, d’autres
d’apporter des solutions « concrè­ d’une droite étiquetée comme rin­ ment interrogée sur le sujet, lundi déconstruisait les hommes ». « Je ne hauts responsables LR jugent
tes » pour améliorer le quotidien garde, avoir une femme candidate soir sur LCI, elle a expliqué qu’une de Simone Veil, suis pas là pour faire une guerre », que cette « carte femme » est une
des Français. ouvre des horizons nouveaux », femme à l’Elysée aurait « sur les Valérie Pécresse a­t­elle insisté. Quand le journa­ arme à double tranchant dans un
Admiratrice de Simone Veil, renchérit le député des Alpes­Ma­ épaules la responsabilité de faire liste David Pujadas lui a demandé parti conservateur où le ma­
elle se réclame de l’ancienne ritimes Eric Ciotti. en sorte que les femmes soient res­ se réclame ce que « donnait Valérie Pécresse chisme est loin d’avoir disparu et
chancelière allemande Angela A l’Elysée, un proche d’Emma­ pectées ». Puis, elle a écouté sa fille d’Angela Merkel en colère » – « vous éructez, vous qui était arrivé en tête, en 2019,
Merkel et de l’ex­chef du gouver­ nuel Macron – le candidat d’En Emilie délivrer un brevet de « fémi­ cassez la vaisselle ? » –, elle n’a pas des partis qui avaient dû payer
nement britannique Margaret marche ! avait conquis le pou­ nisme » à sa mère, qui « a toujours
et de Margaret cillé, reconnaissant avoir intério­ des amendes pour non respect
Thatcher. En préambule de voir en 2017 grâce à une garde été une féministe revendiquée ». Thatcher risé le fait qu’« une femme qui crie » de la parité aux élections législa­
l’émission « La France dans les rapprochée quasi exclusivement est aussitôt considérée comme tives. Pendant le congrès LR, un
yeux », le 18 janvier sur BFM­TV, masculine – ne croit pas qu’en Une arme à double tranchant « autoritaire », voire « hystérique ». ancien camarade de l’ENA de Va­
la candidate a marqué les esprits France, « où il n’y a pas de tradi­ Un féminisme de circonstances, déséquilibré, les neuf « conseillers « Le leadership au féminin ne peut lérie Pécresse s’est vu ainsi ques­
en lançant au journaliste Jean­ tion de femmes au pouvoir », dénonce la députée (LRM) Aurore auprès » de la candidate étant des pas être un leadership qui perd ses tionné : « Tu ne vas quand même
Jacques Bourdin, visé par une l’heure soit « venue ». Les sou­ Bergé, qui a travaillé aux côtés de hommes, ainsi que ses trois con­ nerfs », a­t­elle résumé, regrettant pas voter Pécresse ? Tu imagines
plainte pour agression sexuelle : tiens de Valérie Pécresse y voient Valérie Pécresse du temps de seillers spéciaux. D’autres rient qu’il n’y ait « pas eu de femme pré­ une femme présidente » ? Ré­
« La loi du silence, c’est fini. » un aveu de faiblesse, persuadés l’UMP avant de rejoindre la Macro­ encore en rappelant la campagne sidente de la République », et « une ponse consternée de l’intéressé :
Encore plus qu’elle, ses soutiens qu’une candidate sera plus diffi­ nie. L’élue des Yvelines se souvient des régionales de 2015, au cours de seule femme première ministre ». « Eh bien, oui, justement ! »
mettent en avant cet atout ; ils y cile à contrer pour le chef de « de quelqu’un portant une vision laquelle celle qui portait les cou­ « Pour notre famille politique, Les stratèges de la candidate ob­
voient le moyen de voler au prési­ l’Etat, ce que certains macronis­ progressiste » et de sa volonté de leurs de l’UMP en Ile­de­France c’est un moment historique », re­ servent toutefois que cette carte
dent de la République, élu à l’âge tes admettent, contrits. « déringardiser et de féminiser la avait affirmé qu’elle souhaitait lève l’eurodéputée (LR) Agnès n’est pas portée à son crédit élec­
de 39 ans, le totem de la « moder­ Longtemps, Valérie Pécresse droite », mais qui s’est ensuite une « région propre » et qu’il n’y Evren qui voit dans une éven­ toral, les femmes ne votant pas
nité ». « Tu dois incarner la moder­ s’est présentée comme « un « décrédibilisée » en flirtant avec avait « rien de tel qu’une femme tuelle élection de Valérie Pé­ davantage – voire moins – pour
nité et tu as déjà fait la moitié du homme politique comme un La Manif pour tous – avec laquelle pour faire le ménage ». cresse, « la possibilité de poursui­ Valérie Pécresse que pour Emma­
chemin en étant une femme », lui a autre ». Elle assure aujourd’hui elle a rompu depuis. Elle note, en Lundi soir, sur LCI, Valérie Pé­ vre le travail du général de nuel Macron. 
ainsi glissé l’eurodéputé (LR) Brice qu’élire une femme « doit changer outre, que l’organigramme de cresse a expliqué qu’elle n’était pas Gaulle », qui avait accordé le droit sarah belouezzane
Hortefeux. « Pour nous qui som­ quelque chose dans la vie du pays, campagne de Valérie Pécresse est une « idéologue », et ne partageait de vote aux femmes en 1944. et solenn de royer

Anne Hidalgo appelle la gauche parisienne à faire bloc derrière elle

Les déboires de la candidate du PS à la présidentielle nourrissent les attaques de la droite dans la capitale. La majorité, elle, reste assez soudée

L a scène a lieu mercredi

26 janvier. Comme avant
chaque Conseil de Paris ou
presque, Anne Hidalgo réunit par
Internet ses adjoints et les princi­
paux membres de sa majorité
pour déminer le terrain. Après
avoir évoqué le crack et les finan­
ces de la ville, elle lance un appel à
resserrer les rangs de la majorité :
« Le gouvernement comme Les Ré­
publicains n’attendent qu’une
chose, c’est d’avoir une occasion
pour que Paris soit mis sous tu­
telle, affirme­t­elle en substance.
Ne leur faisons pas ce cadeau ! »
Lorsque la Mairie est attaquée à
travers elle, c’est la majorité en­
tière qui devient une cible, ajoute­
t­elle. Elle demande donc à tous
de « faire bloc ». Depuis qu’elle
s’est lancée à l’assaut de l’Elysée, la
socialiste s’enfonce dans les son­
dages et accumule les déboires.
De fait, la droite parisienne fait
son miel des difficultés de la can­
didate à la présidentielle. « La gau­
che n’en veut pas, les Parisiens n’en
peuvent plus, Paris sombre sous
la dette. Triste bilan pour Anne
Hidalgo ! », canonnent sur Twitter
Rachida Dati et les élus du parti
Les Républicains (LR).
« Bons arbitrages budgétaires »
La surprise, c’est qu’à ce stade, les
malheurs nationaux d’Anne Hi­
dalgo ne provoquent pas de ten­
sions particulières au sein de la
majorité municipale. Chez les so­
cialistes parisiens, aucune voix ne
profite des circonstances pour
s’élever contre elle. Aucun départ
vers les macronistes ne semble
se profiler, contrairement à ce qui
s’était produit en 2017. Quant aux
alliés écologistes, communistes
ou membres de Génération.s, ils
ont rentré les griffes qu’ils sortent
parfois. « On bosse bien ensem­
ble », résume l’adjoint commu­
niste Jacques Baudrier. Autour
d’Anne Hidalgo, la majorité rou­
ge­rose­verte se révèle moins tu­
multueuse que juste après les
municipales, lorsqu’une partie
des écologistes avait demandé et
obtenu la démission de Christo­
phe Girard de son poste d’adjoint.
Ou quand les écologistes et la
droite se sont alliés pour entraver
des projets d’urbanisme.
« Ceux qui pensaient que les
mauvais sondages allaient entraî­
ner des difficultés au sein de la
majorité parisienne faisaient une
erreur d’analyse, commente Rémi
Féraud, le patron des élus socialis­
tes. Aujourd’hui, la gauche va mal
et ne peut pas gagner la présiden­
tielle. Pourquoi s’autodétruirait­
elle dans le cadre municipal ? C’est
l’inverse : plus la gauche s’affaiblit
au niveau national, plus elle fait
bloc dans les collectivités comme
Paris. » Léa Filoche (Génération.s)
abonde : « Pas la peine de fragiliser
davantage la gauche, à quelque ni­
veau que ce soit. »
Ce calme tient aussi aux efforts
d’Emmanuel Grégoire, le premier
adjoint dont le rôle a été amplifié
par la moindre présence d’Anne
Hidalgo à Paris, et à la façon dont
les socialistes traitent leurs parte­
naires. « Nous jouons un rôle char­
nière dans cette majorité, et nous
avons ainsi obtenu de bons ar­
bitrages budgétaires », se réjouit
Fatoumata Koné, la présidente du
groupe écologiste. Les élus EELV
viennent encore d’obtenir l’aban­
don d’un projet de six gratte­ciel
dans le 13e arrondissement : « Ce
projet ne semble pas réunir les
conditions pour que ce soit un
succès », explique Emmanuel Gré­
goire dans Le Parisien.
Paix armée
Pour les écologistes, pas de motif,
donc, de ruer dans les brancards.
Même logique côté communiste.
Les alliés maintiennent néan­
moins la pression. Au prochain
conseil, les élus EELV comptent
insister sur plusieurs sujets de
possibles frictions avec les so­
cialistes, afin notamment que
les terrasses chauffées soient in­
terdites à partir d’avril. « Il n’y a
pas de raison que la situation s’en­
venime tant que le programme
commun de mandature est res­
pecté », décrypte Frédéric Hoc­
quard, un adjoint Génération.s,
soutien de Yannick Jadot.
Une sorte de paix armée donc.
Avec en ligne de mire le résultat
du premier tour. Que se passera­
t­il si Anne Hidalgo obtient, dans
sa propre ville, moins de voix que
ses rivaux comme Yannick Jadot ?
« Son score lui permettra­t­il
d’avoir la force suffisante pour
mettre en place notre programme,
notamment le plan local d’urba­
nisme bioclimatique ? », s’inter­
roge l’écologiste Emile Meunier.
Premiers éléments de réponse le
10 avril au soir. 
denis cosnard
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Menacé de dissolution, le collectif
Nantes révoltée se défend
Le ministre de l’intérieur veut mettre fin à l’activité de l’association
d’extrême gauche, qui se présente comme « un média engagé »
nantes ­ correspondant
O
n ne dissout pas la ré­
volte. » Le slogan va­
lant avertissement ta­
pissait un mur de
graffitis à Nantes, samedi 29 jan­
vier, avant de proliférer sur les ré­
seaux sociaux. Une réponse à la
volonté affichée par Gérald Dar­
manin, le ministre de l’intérieur,
de lancer une procédure de
dissolution à l’encontre du collec­
tif Nantes révoltée, qu’il accuse
d’être à l’origine de heurts et
dégradations survenus lors d’une
manifestation antifasciste, le
21 janvier.
Sitôt les dégâts connus, la
députée de Loire­Atlantique
Valérie Oppelt (La République en
marche, LRM) a envoyé un SMS à
M. Darmanin afin qu’il mette fin
« aux agissements » d’un « grou­
puscule » qu’elle qualifie d’« ultra­
violent ». La présidente Les Répu­
blicains (LR) de la région des Pays­
de­la­Loire, Christelle Morançais,
s’est également fendue d’un cour­
rier pour réclamer la tête de Nan­
tes révoltée, « groupement de fait
d’ultragauche » à ses yeux, coupa­
ble d’avoir « relayé » les images
d’un défilé « qui s’est rapidement
transformé en manifestation vio­
lente contre l’Etat et la police ».
« Au cours de cette soirée, de nom­
breuses menaces de mort ont été
proférées contre les forces de l’or­
dre, des habitants ont été blessés et
plusieurs commerces ont été van­
dalisés », énonce Mme Morançais.
La maire de Nantes, la socialiste
Johanna Rolland, a, pour sa part,
dénoncé des « exactions » et une
« violence inacceptable », tout en
se gardant de trancher le débat
sur la dissolution ou non du
mouvement.
Emmanuel Macron repousse encore sa
candidature à la présidentielle à l’après­crise
Le chef de l’Etat attend que le Covid­19 et les tensions en Ukraine soient « derrière nous »
D ans un entretien accordé
au quotidien régional La
Voix du Nord, Emma­
nuel Macron a confirmé, mardi
1er février, que le temps de sa can­
didature à la présidentielle n’était
pas encore venu – bien qu’il ait
déjà recueilli 105 parrainages
d’élus, selon une liste officialisée
par le Conseil constitutionnel.
L’annonce de sa candidature
pourrait relancer une campagne
qui, pour l’instant, peine à mobi­
liser les Français.
« Je viens d’abord pour une revue
de chantier, a prévenu le
président de la République fran­
çaise. Et je viens aussi pour com­
mémorer la catastrophe de Liévin
en 1974, qui a vu périr quarante­
deux mineurs. Je veux leur rendre
hommage. (…) Ensuite, j’ai déjà dit
ce que je pensais des projets, de
l’enthousiasme et de l’amour que
j’ai pour notre pays. »
Des heures « décisives »
Le président, qui devait être en
déplacement dans les Hauts­de­
France mercredi, a poursuivi :
« J’ai d’abord l’obsession que la
phase aiguë de l’épidémie et le pic
de la crise géopolitique actuelle
soient derrière nous. Je ne peux
pas raisonnablement expliquer
aux Français que je vais m’adon­
ner à ce temps démocratique im­
portant, alors que je leur ai dit que
je serais président jusqu’au bout
Les accusations portées à l’en­
contre de Nantes révoltée
suscitent rires et consternation
parmi ses membres. Les intéres­
sés, qui n’ont pas souhaité don­
ner leur nom, ni rencontrer
Le Monde mais seulement ré­
pondre aux questions par
messages électroniques, expli­
quent être « un média local, indé­
pendant et engagé dont l’objectif
est de documenter les luttes ». Sa
constitution remonte à 2012. La
page Facebook du groupe, suivie
par 218 000 personnes, met en
exergue une citation de Fernand
Pelloutier, figure du syndica­
lisme et de l’anarchisme français
du XIXe siècle. Sur le site Internet,
« plus de 250 000 abonnés via
différentes plates­formes » sont
revendiqués.
« Pas des terroristes »
Une revue du même nom, un
« irrégulomadaire » au tirage
plutôt confidentiel, a vu le jour
en 2017. Aucun article n’est si­
gné : « L’important est le contenu,
nous ne ressentons pas le besoin
de nous mettre en avant », af­
firme le collectif dans un de ses
échanges avec Le Monde.
La fabrication de la revue, qui
s’assure les services d’un impri­
meur dans le grand Sud, n’est pas
réalisée dans un garage à compte
d’auteur. Tout juste peut­on
noter que l’équipe a pris quel­
ques libertés avec les mentions
légales prévues par la loi relative
au régime de la presse. « On met
au défi le ministre de trouver dans
le journal édité, sur le site ou la
page Facebook des provocations
ou des appels à la violence contre
des personnes ou des biens », ex­
plique encore par mail un repré­
sentant du collectif.
et que nous avons une crise à la
frontière ukrainienne qui menace
notre sécurité collective. »
Emmanuel Macron a rappelé la
gravité de la situation géopoliti­
que : « Ces derniers jours, j’ai eu
trois fois Vladimir Poutine au
téléphone, deux fois le président
ukrainien, Volodymyr Zelensky. Il
est possible que je me rende
vendredi en Allemagne pour la
deuxième fois en dix jours pour
un sommet avec le chancelier alle­
mand et le président polonais. Et
je prendrai d’autres initiatives. »
Et de conclure : « La situation n’a
jamais été aussi tendue qu’elle ne
l’est aujourd’hui. Les heures que
nous vivons sont décisives pour la
sécurité de toute la région. »
Pour Emmanuel Macron, l’exer­
cice est délicat. S’il se déclare can­
didat trop tôt, il se verra reprocher
S’il se déclare
trop tôt,
Macron se verra
reprocher de
confondre les
rôles, s’il attend
trop, il se verra
accuser d’avancer
masqué
Gérald Darmanin
accuse le groupe
d’être à l’origine
de heurts
lors d’une
manifestation
antifasciste,
le 21 janvier
Un militant qui côtoie le mou­
vement évoque un « noyau fort
composé d’une grosse vingtaine
de personnes ». Ces militants
anticapitalistes ont essaimé lors
des défilés contre la loi travail,
en 2016 et 2017, et ont la capacité
de mobiliser au moins 300 per­
sonnes, « jeunesse déboussolée,
révoltée par les inégalités et qui,
pour partie, veut en découdre
avec les forces de l’ordre », selon
Jean Brunacci, secrétaire du syn­
dicat Solidaires Loire­Atlantique.
« Ils n’ont pas besoin d’être légion
pour gérer un site ou une revue,
s’amuse un proche du collectif.
Quant à les cataloguer comme
des casseurs comme le font nom­
bre de politiques, c’est aller un peu
vite en besogne. »
Ancien de la Ligue communiste
révolutionnaire, M. Brunacci ap­
parente Nantes révoltée à « une
mouvance autonome de l’ultra­
gauche très hétérogène » et note
qu’il s’agit d’« une qualification
politique, pas une tare. Ce ne sont
pas des terroristes ».
Une pétition de soutien ras­
semble 37 000 signatures sur
Internet. Le collectif engrange les
appuis, de la Ligue des droits de
l’homme à Mediapart, en pas­
sant par le journal Fakir, dont le
de confondre les rôles, comme
l’en accusent déjà ses adversaires.
Mais s’il attend trop longtemps, il
courra le risque d’entrer tardive­
ment dans l’arène et de se voir ac­
cuser par les oppositions d’avan­
cer masqué. Les candidats ont jus­
qu’au vendredi 4 mars, 18 heures,
pour réunir les 500 parrainages
nécessaires à leur participation
au scrutin.
« Reconquête industrielle »
Par ailleurs, interrogé sur les in­
vestissements et les engagements
de l’Etat dans le bassin minier des
Hauts­de­France, où il devait se
rendre mercredi, Emmanuel Ma­
cron a rappelé : « Les prochaines
années doivent être celles de la re­
conquête industrielle, mais aussi
urbaine, culturelle et sanitaire. Il
faut que l’Etat se réengage finan­
cièrement sur la requalification ur­
baine, à hauteur de 100 millions
d’euros. Cela concerne les aména­
gements de voirie, l’éclairage pu­
blic, la mise à niveau des réseaux
enterrés, la création et la rénova­
tion d’équipements publics. Cet
engagement, comme à chaque
fois, se fera à parité avec le conseil
régional, qui doit mettre aussi
100 millions d’euros. Soit 200 mil­
lions au total. »
Emmanuel Macron a fait égale­
ment savoir que l’Etat engagerait
600 000 euros pour la rénova­
tion de la galerie du Temps, au
rédacteur en chef est François
Ruffin, député « insoumis » de la
Somme.
Même s’il reconnaît que « des
débordements ont parfois terni
des manifs », M. Brunacci se dit
résolument opposé à la dissolu­
tion du mouvement et fait valoir
qu’« il en va de la liberté d’expres­
sion, on est dans un Etat de
droit ». Nicolas Ouary, secrétaire
départemental de la CFDT, n’est
pas convaincu non plus que ce
soit « la bonne solution ». Et
d’affirmer : « La colère et la haine
ne sont pas le bon moteur du
combat social, mais la dissolution
du groupe ne fera pas disparaître
le mode d’action de Nantes
révoltée et des personnes qui gra­
vitent autour. »
Evoquant l’annonce de Gé­
rald Darmanin, Pierre Huriet,
l’un des avocats défendant les in­
térêts du collectif, fustige « une
manœuvre politicienne visant à
tourner un micro­événement en
drame national ». A ce stade,
aucune mise en demeure n’a été
signifiée. « Imaginer qu’un prési­
dent de la République puisse dis­
soudre un organe de presse, fût­il
amateur, sous prétexte que ce­
lui­ci ne plaît pas est terrifiant »,
expose Me Huriet.
Le texte régissant la dissolution
d’une association ou d’un grou­
pement de fait est « très enca­
dré », rappelle le préfet de la ré­
gion, Didier Martin. Ce dernier
ajoute : « Si une telle procédure n’a
pas été engagée par mes prédé­
cesseurs ou par moi­même, c’est
que ce n’est pas aussi simple qu’on
pourrait le penser. »
Le ministère de l’intérieur n’a
pas répondu aux sollicitations
du Monde. 
yan gauchard
Louvre­Lens, qu’il visitera lors de
son déplacement dans le Nord,
dix ans après la création du mu­
sée. « Nous continuons à croire
dans ce projet », fait valoir le pré­
sident de la République, avant
d’ajouter : « Dès que les collectivi­
tés mettront 1 euro, l’Etat mettra
1 euro. La limite de l’engagement
de la nation ne doit pas être finan­
cière. Je me bats pour que la vie
des gens change, pas pour qu’on
fasse des annonces politiques. »
Le chef de l’Etat a enfin annoncé
la création de plus de 4 000 em­
plois (dont 3 000 indirects) à
Dunkerque, avec l’implantation
d’une usine de fabrication de bat­
teries électriques de la start­up
française Verkor et vante le plan
d’investissement France 2030
déployé à l’automne 2021 par le
gouvernement.
« C’est un projet pour lequel il y
avait une concurrence euro­
péenne, et qui, pour sa première
phase, porte sur 1 200 emplois di­
rects et 3 000 emplois indirects, a­
t­il dit. Au­delà du choix de Dun­
kerque, c’est aussi la participation
d’un projet au plan France 2030.
On a stoppé l’hémorragie indus­
trielle il y a trois ans par des réfor­
mes que personne n’osait mener
depuis des décennies. On a
changé l’image de la France. Nous
avons des résultats, ce n’est pas le
fruit d’un miracle. » 
service politique
En Corse, Yannick Jadot
colle aux revendications
des nationalistes
Le candidat écologiste a défendu
l’« autonomie de plein droit » pour l’île
L a Corse est une terre de
visite quasi obligée en
campagne présidentielle.
Le candidat écologiste, Yannick
Jadot, s’y est plié de bon gré, lundi
31 janvier. D’autant plus qu’Eu­
rope Ecologie­Les Verts (EELV)
entretient avec le mouvement
nationaliste corse des convergen­
ces anciennes. En 1989, aux élec­
tions européennes, Max Simeoni,
l’oncle de l’actuel chef de l’exécu­
tif corse, avait été élu sur la liste
des Verts conduite par Antoine
Waechter. Puis c’est François Al­
fonsi, alors membre du Parti de la
nation corse (PNC), qui avait été
élu député européen en 2009 sur
la liste EELV menée par Daniel
Cohn­Bendit.
Ayant depuis rejoint les rangs de
Femu a Corsica, la formation
autonomiste à la tête de laquelle
Gilles Simeoni a remporté les
élections territoriales en Corse
en 2015 et a été réélu en 2017 et
en 2021, M. Alfonsi a obtenu,
en 2019, un nouveau ticket d’en­
trée au Parlement européen sur la
liste écologiste dirigée par M. Ja­
dot, qui avait recueilli 22 % des
suffrages en Corse.
De quoi, pour ce dernier,
espérer récolter sur ce terreau fa­
vorable quelques promesses de
parrainages d’élus – et, pourquoi
pas, celle du premier d’entre
eux ? –, mais aussi faire fructifier
son capital électoral. Pour ce faire,
le candidat n’a pas lésiné sur les
déclarations destinées à séduire
l’électorat nationaliste, en repre­
nant quasiment au mot près ses
principales revendications. Dans
un entretien publié dans Corse­
Matin le jour de son arrivée à
Bastia, il vantait la « relation histo­
rique » avec le président de l’exé­
cutif corse. Interrogé sur une pos­
sible promesse de parrainage de
sa part, il répondait : « Je lui pose­
rai la question. » Ou d’autres élus
nationalistes ? « C’est l’un des su­
jets que l’on abordera. »
Discussions enlisées
Mieux, à l’issue de sa rencontre
avec M. Simeoni, lundi à Bastia,
M. Jadot se prononçait sans am­
biguïté pour « un statut d’auto­
nomie de plein droit et de plein
exercice » pour la Corse ainsi que
pour le rapprochement des pri­
sonniers corses condamnés
pour l’assassinat, en 1998, du
préfet Erignac. Deux des mantras
du mouvement nationaliste, sur
lesquels il se heurte, jusqu’à pré­
sent, à une fin de non­recevoir de
la part de l’Etat. « Les écologistes
sont des régionalistes et, particu­
lièrement pour la Corse, il y a be­
soin de construire une relation
forte et apaisée entre l’Etat fran­
çais et l’île, soulignait­il devant la
presse. Il y a une occasion histori­
que de pouvoir le faire en mettant
fin à cette défiance vis­à­vis de la
Collectivité, de ses élus et de la
Corse en général. »
Si le propos n’est pas pour dé­
plaire à M. Simeoni, celui­ci s’est
COVID- 19
La France lève
des restrictions
Malgré une circulation du vi­
rus encore élevée (322 256 cas
en moyenne sur sept jours),
le gouvernement a
commencé à lever des res­
trictions sanitaires liées au
Covid­19, mercredi 2 février :
le port du masque n’est plus
obligatoire en extérieur, les
jauges dans les lieux recevant
du public assis (stades, éta­
blissements culturels) sont
abandonnées et le télétravail
n’est plus imposé, mais seu­
lement recommandé. – (AFP.)
france | 9
toutefois montré prudent et ne
s’est pas engagé en faveur du
candidat écologiste. « Je ne pense
pas qu’en ma qualité de président
du conseil exécutif de Corse j’aie à
apporter un soutien ou à engager
ma signature, a­t­il tenu à préci­
ser. Je représente la Collectivité de
Corse et je cherche à défendre les
intérêts de la Corse, à les faire
prendre en compte dans le débat
présidentiel. » Le dirigeant natio­
naliste ne tient pas à brûler tous
ses vaisseaux avant que se des­
sine l’issue de l’échéance prési­
dentielle et tient à préserver les
canaux de discussion avec le pro­
chain locataire de l’Elysée, quel
qu’il soit, l’hypothèse Jadot
n’étant pas, en l’état, la plus pro­
bable. M. Jadot a promis qu’il re­
viendrait avant le premier tour,
mais il n’en a pas moins laissé
poindre un certain dépit.
M. Simeoni, pour sa part, conti­
nue à avancer ses pions dans les
discussions pour l’heure enlisées
avec le gouvernement. L’hypo­
thèse d’un déplacement en Corse
du premier ministre, Jean Castex,
sans cesse repoussée, apparaît de
moins en moins envisageable. Ce­
pendant, lors d’un petit déjeuner
de presse, mardi matin, l’élu auto­
nomiste a incidemment fait état
de la position adoptée « à l’unani­
mité » par Régions de France.
Celle­ci, dans le Livre blanc qui de­
vrait être remis aux candidats à
l’élection présidentielle fin fé­
vrier­début mars, se prononce
pour « créer dans la Constitution
un nouvel article conférant à la
Corse un statut d’autonomie de
plein droit et de plein exercice dans
la République ». Une victoire « di­
plomatique » pour M. Simeoni.
La présidente de Régions de
France, Carole Delga, présidente
(Parti socialiste) de la région Oc­
citanie, a confirmé auprès de
l’AFP que cet engagement avait
été validé par l’ensemble des pré­
sidents de région, dont Valérie
Pécresse (Les Républicains, LR)
en Ile­de­France, candidate de la
droite à l’élection présidentielle.
Celle­ci devrait effectuer un
déplacement en Corse, jeudi 3 fé­
vrier. La candidate LR à l’élection
présidentielle soutiendra­t­elle
la même position que la prési­
dente de région ?
M. Simeoni n’a pas fini de rece­
voir les candidats à l’élection pré­
sidentielle. Après Mme Pécresse,
Jean­Luc Mélenchon (L’Avenir en
commun) devrait également se
rendre dans l’île et Eric Zemmour
(Reconquête !), qui y était déjà allé
en octobre pour présenter son
dernier livre, La France n’a pas dit
son dernier mot, devrait y retour­
ner prochainement, cette fois en
tant que candidat. En 2017, Ma­
rine Le Pen avait obtenu autour de
28 % des suffrages au premier
tour en Corse et autour de 48 % au
second tour, quand M. Simeoni
avait appelé à voter pour Emma­
nuel Macron. 
patrick roger
JUSTIC E
Quatre ans de prison
requis contre Ernest-
Antoine Seillière
Le Parquet national finan­
cier a requis, mardi 1er février,
quatre ans d’emprisonne­
ment dont deux ferme à
l’encontre de l’ex­patron des
patrons, Ernest­Antoine
Seillière, soupçonné d’avoir
voulu dissimuler la somme
de 79 millions d’euros au fisc
en 2007. Il occupait alors le
poste de président du
conseil de surveillance
de la société d’investisse­
ment Wendel. – (AFP.)

10 | france
LOGEMENT
Un quinquennat
qui a délaissé
le logement
L’arrivée au gouvernement de la ministre
Emmanuelle Wargon, en juillet 2020,
a marqué le retour du volontarisme de l’Etat
et permis, in extremis, un rebond
de la construction en 2021
L
e rapport annuel sur le mal­lo­
gement de la Fondation Abbé
Pierre, dont la 27e édition devait
être rendue publique mercredi
2 février, est l’un des rares ren­
dez­vous entre acteurs du loge­
ment et personnalités politiques. En jan­
vier 2017, le candidat Macron y avait déroulé
son programme ; en 2022, il est présent par
téléconférence pour faire le bilan de son
quinquennat et dialoguer avec Christophe
Robert, délégué général de la Fondation.
Sur ce sujet, le quinquennat avait mal
commencé. Le 17 mai 2017, dans la cour de
l’hôtel de Castries, rue de Varenne, à Paris,
alors siège du ministère du logement, tout
le monde attend la passation de pouvoir en­
tre Emmanuelle Cosse, ministre chargée du
logement et de l’habitat durable du gouver­
nement Hollande, et… son successeur en­
core inconnu. Deux heures plus tard, vers
20 heures, Richard Ferrand, qui vient d’être
nommé ministre de la cohésion des terri­
toires, fait son apparition et confirme que le
logement figure bien dans son portefeuille.
Le thème a, apparemment, été un peu
oublié dans la bataille.
Ce loupé au démarrage « est peut­être sym­
bolique d’un quinquennat qui, avec le recul,
me paraît marqué par l’absence de portage
politique du logement et de parole publique
sur la nécessité de construire », résume Em­
manuelle Cosse, aujourd’hui à la tête de
l’Union sociale pour l’habitat, qui fédère les
organismes HLM. Richard Ferrand ne res­
tera d’ailleurs que quelques semaines avant
de laisser la place à Jacques Mézard, avec Ju­
lien Denormandie comme secrétaire d’Etat
puis ministre délégué chargé du logement.
Emmanuelle Wargon, plus centriste, lui
succède le 6 juillet 2020, au sortir du grand
débat post­ « gilets jaunes » qu’elle a animé,
en tant que ministre déléguée auprès de
Barbara Pompili, ministre de la transition
écologique, dans le gouvernement Castex.
« Il n’y a, en fait, jamais eu de ministre de
plein exercice sur ce thème, siégeant chaque
semaine à la table du conseil des ministres.
Cette absence a un effet délétère sur les élus,
les habitants, les acteurs du secteur, estime
Mme Cosse, alors que l’enjeu du logement est
central pour le pouvoir d’achat des ménages,
l’emploi, la compétitivité de la France ou
l’aménagement du territoire. »
COUPES BUDGÉTAIRES SURPRENANTES
Dès son arrivée au pouvoir, Emmanuel
Macron supprime l’impôt sur la fortune
mais crée un impôt sur la fortune immobi­
lière. Un symbole, pas toujours bien vécu.
« Le chef de l’Etat considère que l’immobilier
est improductif, que les propriétaires sont des
rentiers, analyse Christophe Demerson, pré­
sident de l’Union nationale des propriétai­
res immobiliers. La politique menée est très
défavorable à la propriété. Ainsi, avec la sup­
pression de la taxe d’habitation [soit un coût
budgétaire de 18 milliards d’euros par an],
les élus, privés de cette recette, sont tentés
d’alourdir la taxe foncière, qui, désormais,
pèse sur les seuls bailleurs et propriétaires oc­
cupants. Je pense à ces veuves aux petites re­
traites, qui habitent encore le grand loge­
ment familial et ne peuvent pas payer. »
Fin juillet 2017, l’annonce de la coupe bru­
tale de 5 euros par mois aux 6,5 millions de
bénéficiaires des allocations logement
ouvre une série d’économies bien plus lour­
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
des : gel du barème des allocations­loge­
ment, suppression des allocations pour les
accédants à la propriété et, surtout, lourd
prélèvement annuel sur les loyers des HLM
dès 2018 et qui dure encore aujourd’hui.
Pourquoi ? Parce qu’Emmanuel Macron ne
voit le budget logement que comme un
coût budgétaire de 42 milliards d’euros,
en 2017, ramené, en 2020, à 37,6 milliards
d’euros, insupportable et inefficace à ses
yeux puisqu’il persiste 4 millions de per­
sonnes mal logées, comme il l’explique lors
du congrès annuel des maires de France,
oubliant de préciser que le secteur rapporte,
à l’époque, 75 milliards d’euros de recettes
fiscales, et 78,8 milliards d’euros, en 2020.
« Avec 15 milliards d’euros d’économies réa­
lisées sur l’ensemble du quinquennat, le loge­
ment aura été le premier contributeur à la ré­
duction des dépenses publiques, et elles tou­
chent en priorité le secteur HLM et les ména­
ges assez modestes pour percevoir ces
aides », déplore Christophe Robert, délégué
général de la Fondation Abbé Pierre. Des
coupes surprenantes, parce que jamais an­ Visite ministérielle du Chêne­Pointu, à Clichy­sous­Bois (Seine­Saint­Denis), en juillet 2021. ELIOT BLONDET/ABACA
noncées dans le programme du candidat
Macron, qui ont pris de court les bailleurs
sociaux et durablement entamé leur con­
fiance dans le gouvernement. quinquennat de François Hollande, la dyna­ biens à rénover dans ces secteurs en perte
« AVEC 15 MILLIARDS  mique s’était enclenchée en 2015 pour de vitesse », remarque Jean­Marc Torrollion,
LE « CHOC D’OFFRE » N’A PAS EU LIEU D’EUROS  culminer à 437 000 logements mis en chan­ président de la Fédération nationale de
Jean­Claude Driant, professeur à l’Ecole tier en 2017, dont un record de 113 000 HLM, l’immobilier.
d’urbanisme de Paris et spécialiste des poli­ D’ÉCONOMIES SUR  à la grande satisfaction des acteurs du sec­ La simplification des normes censée accé­
tiques du logement, distingue deux pério­ teur, promoteurs, agents immobiliers, lérer les chantiers et l’allégement du code
des dans ce quinquennat. Une première à la LE QUINQUENNAT,  bailleurs sociaux qui suppliaient le nouvel de la construction, dont Julien Denorman­
tonalité libérale, « avec un jeune ministre exécutif de « ne surtout rien changer ». die voulait « enlever une page sur cinq », n’a
néophyte, sous pression de Bercy, qui veut
LE LOGEMENT  En 2020, la production est descendue à pas non plus été menée à terme.
faire des économies, financiariser le loge­ A ÉTÉ LE PREMIER  352 700 logements, dont 87 000 sociaux, Sur le front de la lutte en faveur de la dimi­
ment en obligeant les HLM à vendre et pro­ avant le changement de cap du gouverne­ nution du nombre de sans­abri, le bilan est
met un “choc d’offre” par, notamment, l’allé­ CONTRIBUTEUR  ment Castex, la mise en place d’un « fonds amer. Emmanuel Macron considérait, dès le
gement des normes de construction et la friches » de 300 millions puis 600 millions 28 juillet 2017, lors d’un déplacement à Or­
création de projets urbains en partenariat À LA RÉDUCTION  d’euros pour aménager des terrains aban­ léans, que « la première bataille, c’est de loger
public­privé ». La seconde, personnifiée par DES DÉPENSES  donnés et d’un soutien financier aux mai­ tout le monde dignement » : « Je ne veux plus,
Emmanuelle Wargon, « marque un retour res bâtisseurs. Ainsi, l’année 2021 enregistre d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et
aux fondamentaux avec la consolidation de PUBLIQUES » un rebond salutaire des autorisations de des hommes dans les rues, dans les bois ou
la loi Solidarité et renouvellement urbains, construire (471 000) et des mises en chantier perdus », disait­il. Une bataille de longue ha­
CHRISTOPHE ROBERT
l’encadrement des loyers et la mise en débat (392 000). L’objectif de 60 000 logements leine qui se heurte au flot continu de per­
délégué général de la
public utile de la qualité du logement, de l’ha­ étudiants n’est, lui, atteint qu’à moitié. sonnes à loger : « Le 6 décembre 2021, par
Fondation Abbé Pierre
bitat de demain, la place de la maison indivi­ « Ce quinquennat a géré l’existant sans im­ exemple, environ 4 000 personnes ayant ap­
duelle, la densité souhaitable des villes, mais pulser de grands projets, regrette Pascal pelé la plate­forme d’appel d’urgence 115 sont
jusqu’ici sans grande traduction concrète », Boulanger, président de la Fédération des restées sans solution de logement, relève
analyse M. Driant. « Signe d’un changement promoteurs immobiliers. Peut­être a­t­on Christophe Robert, de la Fondation Abbé
de regard, certes un peu tardif, sur le loge­ voulu trop restreindre les aides aux zones Pierre. Il y a eu, en cinq ans, des efforts consi­
ment, le premier ministre est venu en per­ tendues, en abandonnant un peu le reste du dérables pour ouvrir des places d’héberge­
sonne conclure le congrès HLM de Bordeaux, territoire, avance­t­il. Pourtant, lorsqu’on dé­ ment et un budget passé de 2 milliards à
le 17 octobre », se félicite Mme Cosse. centralise et qu’on laisse les élus locaux dessi­ 4 milliards d’euros, mais dont 36 % sont con­
Le fameux « choc d’offre » n’a non seule­ ner les zones où il faut construire, ça marche sacrés aux nuitées dans les hôtels, à rebours
ment pas eu lieu, mais la construction de lo­ bien, comme le montre l’expérimentation du du projet politique du gouvernement Loge­
gements neufs a, dès 2018, enregistré une “Pinel breton”, dont les périmètres sont défi­ ment d’abord, qui privilégie la sortie vers un
baisse inquiétante, plus forte en Ile­de­ nis par les maires. » logement pérenne et avait été adopté, à no­
France et pour le logement social. Sous le Réviser les zonages d’éligibilité du dispo­ tre grande satisfaction, en 2017. »
sitif Pinel pour l’investissement locatif et
du prêt à taux zéro était l’une des promes­ PAS DE CODE DE LA COPROPRIÉTÉ
Une taxe Tobin sur l’immobilier ses de Julien Denormandie, restée sans « Le plan Logement d’abord est, selon l’Ely­
suite alors qu’elle est devenue encore plus sée, un changement structurel qui donne des
La Fondation Abbé Pierre souhaite porter l’effort public pour le nécessaire et urgente depuis la crise sani­ résultats : 300 000 personnes ont eu accès à
logement à 2 % du PIB, soit un supplément de 10 milliards d’euros taire et le bouleversement de la géographie un logement social ou adapté au cours du
par an, pour éradiquer le mal-logement, notamment résorber l’ha- de l’habitat qu’elle a provoqué. Le pro­ quinquennat, soit 40 000 de plus que sous le
bitat indigne au rythme de 60 000 logements par an, avec la création gramme Action cœur de ville, de revitalisa­ précédent quinquennat. » « Les acteurs lo­
d’une agence nationale chargée de réaliser d’office les travaux aux- tion de 222 bourgs délaissés, lancé début caux se sont mobilisés et coordonnés pour le
quels les propriétaires rechignent, mettre fin à la précarité énergéti- 2018, a trouvé une justification supplémen­ [plan] Logement d’abord, reconnaît Manuel
que, construire chaque année 150 000 logements très sociaux, taire avec le mouvement des « gilets jau­ Domergue, directeur des études de la Fon­
conventionner 40 000 logements privés pour les réhabiliter et leur nes ». « On est passé d’une hypermétropoli­ dation Abbé Pierre, et 6,2 % des HLM attri­
appliquer un loyer encadré, et revaloriser les aides au logement. Le sation, où toutes les aides sont concentrées bués l’ont bien été à des sortants d’héberge­
financement serait en partie assuré grâce à une taxe Tobin sur l’im- dans les zones tendues, à une démétropoli­ ment ou de la rue, contre 4 % auparavant,
mobilier, sorte de taxe additionnelle appliquée aux transactions sur sation en direction de ces petites villes, en dé­ mais ces efforts ne sont pas à l’échelle du pro­
les biens les plus chers, par exemple de plus de 20 000 euros le mè- pit de l’échec du dispositif dit “Denorman­ blème. » Sur les 40 000 places en intermé­
tre carré, et sur les très grosses successions d’un montant à définir. die” pour les investisseurs qui achètent des diation locative promises, 32 000 ont été
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
ouvertes, et 5 000 en pension de famille sur
10 000 programmées.
« Il faut mettre à l’actif de ce gouvernement
une réforme ambitieuse de la copropriété,
défend M. Torrollion. Actée dans une “or­
donnance copropriété” du 30 octobre 2019,
elle a notamment facilité le vote de travaux
grâce à des majorités moins élevées, créé un
régime simplifié pour les petites copropriétés
de moins de quinze lots et a surtout permis
de tenir des assemblées générales à distance,
avec votes par correspondance, très utiles
pendant la crise sanitaire. » En revanche, la
création annoncée d’un code de la copro­
priété n’a pas eu lieu.
Le gouvernement entendait aussi moder­
niser les rapports entre bailleurs et locatai­
res en introduisant dans la loi Elan un bail
mobilité plus précaire, de trois à six mois,
destiné surtout aux jeunes : « Je constate
qu’il n’a pas trouvé son public, ni les bailleurs
ni les locataires », déplore M. Torrollion.
Un chantier plus ambitieux et périlleux
auquel s’attaque Emmanuelle Wargon est la
rénovation énergétique des logements. La
loi Climat et résilience du 22 août 2021 fixe
des échéances très contraignantes, avec in­
terdiction de louer certaines passoires ther­
miques dès 2023 (étiquette G du diagnostic
de performance énergétique), puis 2027
(étiquette F). L’aide MaPrimeRénov’, distri­
buée par l’Agence nationale de l’habitat à
500 000 demandeurs, est un indéniable
succès, mais la loi Climat et résilience elle­
même inquiète le monde de l’immobilier :
« Ses objectifs sont structurants, mais très
déstabilisants, avec un calendrier qui nous
paraît irréaliste, car il programme l’obso­
lescence à court terme de 40 % du parc », pré­
voit M. Torrollion. « Les travaux de réno­
vation thermique financés par MaPrime­
Rénov’ne sont pas suffisants pour sortir de la
précarité énergétique 12 millions de person­
nes, juge M. Domergue. Les travaux se limi­
tent à de petits gestes, changement de fenê­
tre ou de chaudière, pas une rénovation glo­
bale. Et le reste à charge est, malgré les aides,
trop élevé pour les ménages modestes et très
modestes. » 
isabelle rey­lefebvre
LE CHIFFRE
2 600
C’est le nombre de personnes
sans-abri recensées dans
les rues de Paris, lors de la Nuit
de la solidarité, entre le 20 et
le 21 janvier. Soit 229 de moins
qu’en 2021 et 1 001 de moins
que l’année précédente. Dans
les neuf villes de banlieue
participant pour la première fois
à ce comptage, 487 sans-abri
ont été comptabilisés.
Les propositions des candidats à la
présidentielle sur un sujet peu audible
La transition énergétique et l’aménagement du territoire font irruption dans
le clivage habituel entre logement social, à gauche, et propriété privée, à droite
L e Monde a recensé les principales
propositions des candidats à l’élec­
tion présidentielle en ce qui con­
cerne le logement, sujet de préoccupa­
tion des Français encore peu audible
dans la campagne.
Pour Anne Hidalgo, le pouvoir aux
élus locaux La socialiste Anne Hidalgo
propose, elle, de relancer la construction
de logements sociaux au rythme de
150 000 par an, dont un tiers de très so­
ciaux (à très bas loyers), et généraliser l’en­
cadrement des loyers dans les zones ten­
dues. Nathalie Appéré, maire de Rennes,
présidente de sa métropole où est menée,
depuis longtemps, une politique du loge­
ment élaborée et interventionniste sou­
vent prise en modèle, et porte­parole de
Mme Hidalgo, précise : « L’objectif d’Anne Hi­
dalgo est que personne ne dépense plus du
tiers de ses ressources pour se loger », avec,
pour les ménages modestes, un « bouclier
logement » sous la forme d’une allocation
complémentaire en cas de dépassement.
La candidate souhaite « une nouvelle
étape de décentralisation et de différen­
ciation des territoires : l’Etat fixe un cap en
nombre de logements neufs et rénovés et
contractualise avec les collectivités loca­
les, ainsi qu’une intervention publique
massive pour garantir des prix du mètre
carré accessibles ». Elle rappelle que « la
lutte contre le réchauffement climatique
est prioritaire » et propose « un plan quin­
quennal de rénovation, par des opérations
globales et non pas par petits gestes, fi­
nancé par des subventions indexées sur les
revenus des habitants et une avance rem­
boursable baptisée “prime à la pierre cli­
mat”, s’adressant aux ménages et aux co­
propriétés. Des organismes de foncier soli­
daire pourraient financer entièrement les
travaux puis se faire rembourser, par
exemple lors de la vente ».
Yannick Jadot veut mettre l’accent sur
la rénovation Au nom du candidat Eu­
rope Ecologie­Les Verts (EELV), le député
du Val­d’Oise Aurélien Taché propose de
« faciliter l’accès au logement par la créa­
tion d’une assurance universelle sur les
loyers. La rendre obligatoire pour tous les
propriétaires en abaisserait considérable­
ment le coût, à 107 euros par an, déducti­
bles fiscalement », argumente­t­il. Le can­
didat EELV souhaite aussi « relancer forte­
ment la construction, avec 700 000 loge­
ments sociaux sur le quinquennat, pas
n’importe comment ni n’importe où, créer
des bâtiments zéro carbone et de très
grande hauteur dans quelques villes, là où
les besoins sont forts. Sur la rénovation, il
faut mettre le paquet, 10 milliards d’euros
en cinq ans pour prendre en charge les tra­
vaux chez les propriétaires modestes et
avancer aux moins modestes le montant
récupérable au moment de la vente ». Les
jeunes accédants seraient exonérés de
droits de mutation.
Marine Le Pen promeut le modèle
d’une France de propriétaires ruraux
Pour le Rassemblement national (RN),
Mme Le Pen est venue en personne, le
7 décembre 2021, au congrès de la Fédéra­
tion nationale de l’immobilier dérouler
son programme : « Il faut rendre possible
le rêve des Français de devenir propriétai­
res d’une maison, avec son jardin, son ga­
rage et, pour ceux qui le peuvent, sa pis­
cine (…). Devenir propriétaire, c’est un
choix de bon sens pour préparer sa re­
traite et transmettre un capital à ses en­
fants, a­t­elle déclaré. Or, depuis deux
quinquennats, depuis 2013, le taux de pro­
priétaires stagne à 57 %. » Mme Le Pen pro­
pose ses « innovations financières »
comme « des prêts immobiliers au­delà de
vingt­cinq ans » ou un « accès au capital »
sous forme « d’un apport fait par l’Etat, de
50 000 à 100 000 euros, à taux zéro, qui
deviendrait une subvention au troisième
enfant », ainsi qu’une « exonération des
droits de mutation pour les jeunes ména­
ges dans les zones touristiques ».
Sur le plan fiscal, elle souhaite « suppri­
mer l’impôt sur la fortune » et « permettre
de transmettre une maison familiale jus­
qu’à 300 000 euros sans droits de succes­
sion ». Enfin, elle appelle à « rééquilibrer les
territoires (…), réhabiliter les logements va­
cants qui peuvent être rachetés par l’Etat
puis vendus pour un prix symbolique, en
contrepartie de travaux ». Pour Mme Le Pen,
« l’abandon des petites villes et des bourgs
ruraux est un gâchis », il faut « repeupler
ces territoires avec des néoruraux, rouvrir
des écoles, remettre des services publics,
installer la fibre optique, mettre fin aux dé­
serts médicaux et engager ainsi un cercle
vertueux de revitalisation.»
Jean­Luc Mélenchon plaide pour une
sécurité sociale du logement Le candi­
dat « insoumis » souhaite d’abord cons­
truire massivement du logement social,
au rythme de 200 000 par an, soit un mil­
lion sur le quinquennat, avec une majo­
rité de logements très sociaux « qu’il est
urgent de destiner en priorité aux plus pau­
vres ». Deuxième axe : « Créer une sécurité
sociale du logement, c’est­à­dire une ga­
rantie universelle des loyers grâce à une
caisse de cotisation alimentée par un prélè­
vement de 2,5 % sur les loyers. » Il souhaite
généraliser l’encadrement des loyers,
mais à 20 % au­dessous du loyer médian,
et non 20 % au­dessus, comme c’est le cas
aujourd’hui. Enfin, pour combattre le
sans­abrisme, M. Mélenchon envisage un
plan Zéro SDF, doté de 3,7 milliards
d’euros, incluant la revalorisation des sa­
laires des travailleurs sociaux, l’ouverture
de 80 000 places en pensions de famille et
la mobilisation éventuelle des hôtels tou­
ristiques pour parer aux urgences.
Valérie Pécresse ne souhaite pas plus
de 30 % de HLM dans les communes
Pour la candidate du parti Les Républi­
cains (LR), Geoffroy Didier, ancien vice­
président de la région Ile­de­France
chargé du logement devenu député euro­
péen, assure qu’« il faut construire plus,
plus vite, mieux, en simplifiant ! Pour sortir
de l’enfer bureaucratique, Valérie Pécresse
mettra en place un “comité de la hache”
chargé de diviser par trois les codes qui,
aujourd’hui, contraignent la construction
(…), elle raccourcira les procédures grâce à
la dématérialisation de l’instruction et s’en­
gage à limiter à six mois le délai de juge­
ment des recours ». Mme Pécresse promet
« un nouvel acte de la décentralisation en
rapprochant la politique du logement au
plus près des territoires » et affirme que
« pour l’éradication des passoires thermi­
ques il n’y a pas d’argent magique : [elle] fu­
sionner[a] Livret A et Livret développement
durable en un seul Livret vert et mobili­
ser[a] 120 milliards d’euros de prêts, sur cinq
ans, pour les projets bas carbone ». La can­
didate LR veut « faciliter l’accession à la
propriété en élargissant le prêt à taux zéro
à tout le territoire (…), en défiscalisant les
donations à hauteur de 100 000 euros tous
les six ans, au lieu de quinze ans
aujourd’hui », et, pour les personnes les
plus fragiles, en créant « une garantie im­
mobilière solidaire pour annuler les surpri­
mes des assurances de crédit immobilier ».
Quant au logement social, elle étudie la
possibilité d’« encourager la mobilité en
mettant en place un bail de six ans au
terme duquel [sera] vérifi[ée] l’éligibilité du
résident. S’il dépasse les ressources, il ne
pourra y rester, car un logement social, c’est
une chance mais pas une rente à vie », ré­
servant « un accès prioritaire aux tra­
vailleurs de première ligne » et « limitant à
30 % au maximum le nombre de loge­
ments sociaux dans une même commune,
une mesure anti­ghetto. »
»Fabien Roussel promet un million de
logements sociaux en cinq ans Pour le
candidat communiste à la présidence de
la République, Ian Brossat, son porte­pa­
role, présenté comme son possible minis­
tre du logement, par ailleurs adjoint de la
maire de Paris chargé de ce secteur, nous
france | 11
répond par écrit : « La hausse des prix du
mètre carré dans les métropoles pénalise
les familles et, dans certains secteurs, le
nombre de logements insalubres repré­
sente jusqu’à 40 % du parc privé. Il faut
donc renforcer l’arsenal législatif contre les
marchands de sommeil et débloquer des
moyens pour reloger et soutenir les victi­
mes. Les communes ne peuvent pas tout, il
faut une intervention publique, avec la
construction de 200 000 logements so­
ciaux par an pour laquelle nous mobilise­
rons 5 milliards d’euros, et de 175 000 loge­
ments pour étudiants et jeunes tra­
vailleurs. Nous voulons renforcer la loi Soli­
darité et renouvellement urbains avec un
quota de 30 % de logements sociaux [con­
tre 25 % actuellement] et des mesures coer­
citives plus fortes. »
M. Roussel souhaite également « un plan
pour la rénovation thermique de 500 000
logements privés et sociaux par an, ce qui
coûterait 10 milliards d’euros ; un plan de
redressement des copropriétés dégradées ;
un renforcement de l’encadrement des
loyers, avec l’objectif que le poste loyer et
charges ne dépasse pas 20 % du budget des
familles ». Sur le plan fiscal, il envisage
« l’augmentation des taxes sur les loge­
ments vacants et les résidences secondaires
dans les zones en déficit de logements ».
Christiane Taubira entend créer une
cour d’équité territoriale La candidate
désignée par la Primaire populaire en ap­
pelle à « une régulation plus forte du mar­
ché du logement », selon Daniel Goldberg,
ex­député (PS) de Seine­Saint­Denis et l’un
de ses conseillers, en généralisant l’enca­
drement des loyers dans tous les secteurs
tendus, « l’encadrement devant être la rè­
gle, sauf si les élus démontrent qu’il n’y en a
pas besoin sur leur territoire ». Mme Taubira
veut, par souci d’égalité, étendre la garan­
tie des loyers impayés du dispositif Visale
d’Action Logement à tous les candidats lo­
cataires, donc supprimer le recours à la
caution individuelle, et revaloriser les
aides personnalisées au logement.
La construction de logements, notam­
ment très sociaux, serait développée, sans
fixer d’objectif chiffré : « Il est indispensa­
ble de clarifier les compétences entre Etat et
élus : c’est aux maires de fixer, après discus­
sion avec les citoyens, des objectifs de cons­
truction dans leur plan local de l’habitat,
qui devient un engagement », précise
M. Goldberg, le préfet accordant, selon les
résultats, bonus ou malus dans la dota­
tion de l’Etat. Reprenant une idée de Jean­
Louis Borloo émise en 2018, Mme Taubira
souhaite mettre en place une cour
d’équité territoriale permettant à toute
personne morale ou groupe de citoyens
de réclamer des moyens adaptés pour les
services publics dont il dépend.
Eric Zemmour veut en finir avec le lo­
gement social Le candidat de Recon­
quête ! estime qu’il y a « un problème ma­
jeur avec le logement social (…), machine à
répandre l’immigration », comme il l’a dé­
claré, sur BFM­TV, le 12 janvier. Selon ses
calculs, la France « compte 40 % des loge­
ments sociaux européens » (un chiffre ra­
mené à 25 % par son porte­parole, Antoine
Diers), ce qui en ferait la « championne
d’Europe du logement social ». Il veut « la
suppression de la loi pour un droit au loge­
ment opposable et de la loi SRU [Solidarité
et renouvellement urbains], qui oblige
toutes les villes [en réalité 2 111 communes
d’agglomérations de plus de 50 000 habi­
tants, dont seules 773 ont encore un retard
à rattraper] à avoir 25 % de logements so­
ciaux et essaime l’immigration ».
M. Zemmour souhaite aussi rendre pos­
sible l’expulsion des squatteurs en moins
de soixante­douze heures, par la force pu­
blique requise par le préfet et sans juge­
ment, revivifier les centres­bourgs et, sur
le plan fiscal, exclure du patrimoine assu­
jetti à l’impôt sur la fortune immobilière
la résidence principale, aujourd’hui in­
cluse à hauteur de 70 % de sa valeur. 
i. r.­l.
 0123
12 | france JEUDI 3 FÉVRIER 2022

Orpea : l’exécutif annonce des contrôles en série

Les dirigeants du groupe ont été reçus par la ministre chargée de l’autonomie, qui a promis de « frapper fort »

C’
est un rapport à cou­
verture bleue qui
contient, selon lui,
« les réponses très
précises » aux questions de Bri­
gitte Bourguignon. Philippe
Charrier, le nouveau PDG d’Or­
pea, affirme avoir remis le docu­
ment, mardi 1er février, à la minis­
tre déléguée à l’autonomie. Une
affirmation que cette dernière a
fermement réfutée mercredi sur
LCI : « Ils étaient arrivés avec des
dossiers et [pour] me remettre ces
dossiers. Je n’ai pas à accepter de
prendre quelque dossier que ce
soit ! Je ne suis pas chargée de cette
enquête », leur a­t­elle fait valoir.
Démenti de la ministre, aussi,
au sujet des propos du patron
d’Orpea affirmant que lui et le di­
recteur général France du groupe,
Jean­Christophe Romersi, avaient
été « écoutés avec empathie ». « On
a joué sur mon côté empathique
semble­t­il. C’est pas grave j’ai l’ha­
bitude. Je leur ai bien expliqué ma
colère, mon émotion », a au con­
traire indiqué Mme Bourguignon,
sur LCI. « Je peux vous dire que
l’ambiance était fraîche, insiste
son entourage auprès du Monde.
D’autant qu’on reçoit beaucoup de
courrier de familles qui témoi­
gnent auprès de nous » contre les
pratiques du groupe. Pas ques­
tion d’accréditer la moindre com­
plaisance envers Orpea.
Double enquête
Mme Bourguignon a conçu l’entre­
vue avec les deux dirigeants du
leader mondial des maisons de
retraite privées comme un coup
de semonce après le scandale pro­
voqué par le livre de Victor Casta­
net, Les Fossoyeurs, publié chez
Fayard le 26 janvier (400 pages,
22,90 euros). L’ouvrage décrit ce
qu’il appelle le « système » Orpea,
fondé sur le recours systématique
aux vacataires, le rationnement
des produits de soins, une mal­
traitance chronique des rési­
dents. L’enquête s’appuie sur des
témoignages d’anciens salariés et
« C’est un
système entier
qui est dénoncé,
que je veux
comprendre »
BRIGITTE BOURGUIGNON
ministre déléguée
à l’autonomie
révèle la pratique de rétrocom­
missions au siège d’Orpea par les
fournisseurs financés en partie
par de l’argent public.
La convocation des deux diri­
geants d’Orpea a fait l’objet d’une
lettre de la ministre listant sept
questions sur « les pratiques » du
groupe. Mercredi, elle a confié sur
LCI avoir eu face à elle « des hom­
mes » qui nient « tout, ne se remet­
tent pas en question et qui ont l’air
de dire qu’ils ont des explications
pour tout et des preuves pour tout.
Du cynisme peut­être ! »
Cette convocation était l’occa­
sion pour elle d’annoncer une
artillerie de contrôles. « C’est tout
le groupe que nous allons interro­
ger », avait précisé la ministre la
veille sur France Inter confirmant
le lancement d’une enquête de
l’inspection générale des affaires
sociales (IGAS) et annonçant
qu’elle serait conjointement me­
née avec l’inspection générale des
finances (IGF). « C’est la première
fois qu’on fait une enquête de ce
type parce qu’on veut frapper fort,
a­t­elle insisté mercredi sur LCI
parce qu’on ne veut plus que des
groupes considèrent le grand âge
comme une pompe à fric. » « De
plus, les ARS [agences régionales
de santé] iront voir tous les établis­
sements de ce groupe. » L’inspec­
tion du travail, la direction géné­
rale de la concurrence, de la con­
sommation et de la répression
des fraudes contrôleront aussi
certains de ces établissements
d’hébergement pour personnes
âgées dépendantes (Ehpad).
« Nous sommes très heureux
d’avoir ces inspections et ces
contrôles », a réagi, mardi, Phi­
lippe Charrier. La stratégie du
groupe n’est pas de rejeter en bloc
tous les « dysfonctionnements »
relevés. « Il y a toujours des événe­
ments regrettables très peu nom­
breux et notre volonté, c’est de cla­
rifier ces choses­là pour avoir des
réponses très précises », a protesté
le patron de l’entreprise face à
Yves Calvi sur BFM­TV, mardi.
Le gouvernement garde
d’autres cartouches contre Or­
pea. Ainsi il ne dévoile pas « l’en­
quête flash » de l’ARS Ile­de­
France à l’Ehpad Les Bords de
Seine, situé à Neuilly­sur­Seine
(Hauts­de­Seine). « L’enquête flash
montre qu’il y a des améliorations
mais il y a des points qui doivent
être éclaircis. Il faut encore quel­
ques jours pour qu’elle soit termi­
née », indique le cabinet de
Mme Bourguignon.
Pour ne pas être accusé d’inac­
tion, le gouvernement va présen­
ter « d’ici à la fin février » des mesu­
res visant à « renforcer les contrô­
les », à mieux prendre en compte
« la parole des résidents et de leurs
familles ». Il s’engage à lancer « un
classement » de ces maisons en
fonction de critères portant sur la
qualité de leur prise en charge.
« On veut mettre le paquet pour
que la double enquête IGAS­IGF
soit hyperaccélérée et puisse sortir
au début du printemps. »
Le volet financier de l’affaire
Orpea s’est étoffé, mercredi, avec
la révélation par Le Canard en­
chaîné de la vente en juillet 2021
de milliers d’actions du groupe
par son ancien directeur général,
Yves Le Masne – limogé diman­
che – quelques semaines après
qu’il aurait appris la préparation
du livre de M. Castanet.
Mercredi, le PDG d’Orpéa devait
être entendu par la commission
des affaires sociales de l’Assem­
blée nationale. Le rapport à cou­
verture bleue sous le coude. 
béatrice jérôme

En Belgique,
des enquêtes témoignent
présente la collection de prestige de manquements
LES GRANDS CLASSIQUES DE LA Douze des dix­huit maisons de repos et
de soins gérées par Orpea ont été inspectées

LITTÉRATURE EN BANDE DESSINÉE bruxelles ­ correspondant diennement. Dans un communi­

qué paru il y a quelques jours, la

20 000 lieues sous les mers, Les Trois Mousquetaires, Le Tour du monde en 80 jours,
C hristie Morreale, la minis­
tre wallonne de la santé,
a livré, mardi 1er février, de­
vant une commission du Parle­
ment régional, les résultats d’une
Les Misérables, Voyage au centre de la Terre, Germinal... enquête publique visant des éta­
blissements d’Orpea. L’Agence
pour une vie de qualité a effectué
ces derniers jours des visites « ino­
pinées » dans 12 des 18 maisons de
T
PRIX DE LANCEMEN repos et de soins gérées par le
Centrale nationale des employés
évoquait « la dérive de la commer­
cialisation » et « une logique finan­
cière implacable ». Les organisa­
tions belges insistent sur la néces­
sité d’un retour à une gestion
publique et, au niveau européen,
de la prise en charge des aînés dé­
pendants dans des services pu­
blics protégés des lois du marché.
A ce stade, le gouvernement de

2,99
groupe français. Deux ont reçu Wallonie n’a pas encore eu de

€
un avis « mitigé », et leur situation
sera analysée en profondeur. Un
troisième établissement serait
dans une situation « très préoccu­
pante », a indiqué la ministre so­
cialiste. Six autres lieux doivent
seulement faire l’objet d’une inspection.
Mme Morreale entend, par
ailleurs, faire revérifier des plain­
tes qui ont visé Orpea depuis 2018
et qui concernaient dix établisse­
ments. Deux de ces plaintes sur
treize ont été jugées « fondées »,
sept « partiellement fondées » et
une a été abandonnée. Les griefs
des plaignants, dont 16 sont en
cours d’examen, concernaient la
compétence du personnel, l’ali­
mentation, les droits des patients,
le suivi médical, la facturation, etc.
Trois autres dossiers ont été
ouverts après des plaintes dépo­
sées à la suite de la parution du li­
vre Les Fossoyeurs, de Victor Casta­
net (Fayard, 400 p., 22,90 €).
Nombreux témoignages
En Belgique, les révélations du
journaliste ont fait grand bruit. Le
numéro un mondial des Ehpad
emploie au total 4 200 personnes
et gère 6 200 places d’accueil,
dont 4 210 en Wallonie. Confron­
tée au contenu du livre, Mme Mor­
contact avec la direction belge
d’Orpea. Il entend la rencontrer,
en compagnie des syndicats,
après la conclusion de ses investi­
gations. Geert Uytterschaut, le di­
recteur exécutif, a publié il y a
quelques jours un communiqué
indiquant que sa société était
« fière du travail fourni » par ses
équipes, attentives aux valeurs
d’« humanité, humilité, profes­
sionnalisme et loyauté ». Il invo­
quait la pénurie de personnel ca­
pable d’assumer des fonctions es­
sentielles pour justifier le fait que
« les réponses ne correspondent
pas à toutes les attentes ».
Divers intervenants, résidents,
personnel ou cadres du groupe
ont livré de nombreux témoigna­
ges dans la presse au cours des der­
niers jours. Certains soulignant
qu’ils dénonçaient depuis plu­
sieurs années le manque chroni­
que de personnel, la limitation for­
cée du coût des repas à 3 euros par
jour et par pensionnaire ou des
situations sanitaires déplorables.
Le député Germain Mugeman­
gango (gauche radicale) rappor­
tait, mardi, le cas d’un établisse­
ment où une infirmière est seule,
la nuit, pour veiller sur 148 pa­
tients ou celui d’une vieille dame

L’ALBUM N°1 reale avait évoqué des « faits into­

lérables » rendant obligatoire une
tombée de son lit et qui a dû passer
une nuit entière allongée au sol.

20 000 LIEUES SOUS LES MERS

enquête sur la situation d’Orpea
dans la région, et plus générale­
ment sur l’ensemble d’un secteur
EN BONUS : un dossier littéraire, en fin de chaque album, qui regroupe au total 600 mai­
rédigé par des spécialistes sur la vie et l’œuvre de sons de retraite bénéficiant de
l’auteur avec une mise en perspective historique. 260 millions d’euros de subven­
www.lesclassiquesenbd.fr tions. Le secteur privé ne reçoit
pas d’aides directes, mais les pen­
sionnaires voient une partie de
leurs frais pris en charge par les
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR WWW.LESCLASSIQUESENBD.FR pouvoirs publics.
Pour les syndicats, les révéla­
tions récentes ne font que confir­
mer des témoignages reçus quoti­
Longuement interrogée par les
députés, Mme Morreale promet, en
tout cas, une « action structurelle »
visant, notamment, à améliorer la
qualité des repas, de l’hygiène et
des contrôles. Elle entend aussi,
affirme­t­elle, réviser la politique
des sanctions, qui ne permet à
l’heure actuelle que la suspension
ou le retrait des agréments par
la région. La procédure devrait
être accélérée et couplée à une
sanction financière rapide. 
jean­pierre stroobants
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022 france | 13

Sur l’immigration, Macron veut tirer profit GRAND PARIS

L’interdiction
des véhicules les plus
polluants reportée à 2023
de la présidence de l’Union européenne L’entrée en vigueur de la
troisième étape de la zone
à faibles émissions de la
Le président devait s’adresser, mercredi, aux ministres de l’intérieur de l’UE, réunis à Tourcoing Métropole du Grand Paris,
synonyme de restrictions
de circulation élargies
pour les véhicules polluants,
bruxelles ­ bureau européen taire alors même que, d’après dences se sont cassé les dents des­ est reportée de juillet 2022
Paris veut faire Frontex, près de 200 000 migrants sus », convient l’Elysée qui entend à début 2023, au plus tôt.
PRÉS IDENTIELLE
AU RN, nouvelle
défection en faveur
d’Eric Zemmour
L’eurodéputée du Rassemble­
ment national (RN) Maxette
Pirbakas, élue de Guadeloupe,
a annoncé son ralliement
à Eric Zemmour mardi
1er février dans Le Figaro.
Mme Pirbakas, 46 ans, rejoint
les eurodéputés Jérôme Ri­
vière et Gilbert Collard ou

I l n’est toujours pas officielle­

ment candidat, mais cela ne
l’empêche pas de s’emparer du
thème de campagne privilégié par
la droite, l’immigration, pour exis­
adopter deux
textes pour
mener à bien
sont arrivés de manière irrégu­
lière dans l’UE en 2021, contre
1,8 million de franchissements ir­
réguliers des frontières en 2015 et
plus de 510 000 en 2016.
promouvoir une « approche par
étapes », l’idée étant d’avancer gra­
duellement à la fois sur les devoirs
de « responsabilité » et de « solida­
rité » des Etats membres.
Cette mesure concerne
les véhicules les plus
polluants au Crit’Air 3
(les voitures essence imma­
triculées avant 2006 et
l’ancien identitaire Damien
Rieu, transfuges du parti de
Marine Le Pen eux aussi. « Ce
que je n’admets pas, c’est la
dissimulation, le moment et la
ter face à ses concurrents. Mer­
la réforme Il s’agirait, par exemple, d’ame­ diesel avant 2011, les deux­ volonté de saboter ma campa­
credi 2 février, dans le cadre d’un de Schengen Une gouvernance « en panne » ner les pays de première entrée à roues immatriculés avant gne beaucoup plus que de por­
déplacement dans le Pas­de­Calais Cet agenda illustre aussi le retour renforcer l’enregistrement des de­ 2007), à l’intérieur d’un ter la campagne de quelqu’un
et le Nord, Emmanuel Macron de­ en force – au grand dam de la Com­ mandeurs d’asile lors de leur arri­ périmètre formé par l’auto­ d’autre », a dénoncé Marine
vait se rendre en fin de journée à la France espère faire adopter mission – d’une Europe des Etats, vée sur le continent pour lutter route A86. – (AFP.) Le Pen, mardi, à Brest. – (AFP.)
Tourcoing afin de s’adresser aux avant la fin de sa présidence, le dans un contexte de gouvernance contre les demandes multiples en
ministres européens de l’inté­ 30 juin. Le premier est relatif aux de l’UE qui est « en panne », écrivait Europe. En contrepartie, Paris dé­
rieur, réunis à l’occasion d’un con­ « inspections Schengen » menées Matthieu Tardis, de l’Institut fran­ fend le mécanisme de solidarité à
seil informel (sans décision) dans dans les Etats membres en cas de çais des relations internationales, la carte qui permettrait à certains
le fief de Gérald Darmanin.
A l’Elysée, on insiste sur le carac­
manquements importants et que
Paris veut renforcer. Le second a
dans une note, « L’asile et l’immi­
gration, les enjeux de la prési­
Etats volontaires de s’engager
dans la relocalisation de réfugiés, DROIT DE RÉPONSE
tère « exceptionnel » de cette pré­ trait à la réforme du code frontiè­ dence française de l’Union euro­ pour soulager les Etats de pre­ A la suite de l’article intitulé « Sciences Po Grenoble : le poison
sence en prélude à une réunion res Schengen, en particulier péenne », le 25 janvier. « L’approche mière entrée, tout en contrai­ de la polémique » (Le Monde du 18 janvier), nous avons reçu,
ministérielle. Le chef de l’Etat sou­ « pour que le dispositif autorisant le française consacre la reprise en gnant ceux qui veulent s’en af­ au titre du droit de réponse, le courrier suivant de M. Laurent
haite « marquer l’importance des rétablissement des contrôles aux main de l’espace par les Etats », sou­ franchir à d’autres efforts (finan­ Wauquiez, président du conseil régional de la région Auvergne­
discussions en cours en vue de ré­ frontières intérieures soit pérennisé lignait aussi le groupe de travail ciers, matériels, etc.). Rhône­Alpes :
former l’espace Schengen ». Et, ce et renforcé » en cas de crise. Le pré­ migration de l’Institut Jacques­De­ La proposition de la France, qui a
faisant, ne pas laisser à la droite le sident de la République maintient lors, lors de la présentation, le multiplié les négociations à « Suite à l’article publié le 17 janvier 2022 sur le site Internet
monopole du discours sur ce sujet. aussi son souhait d’un « pilotage 25 janvier, d’un rapport intitulé Bruxelles au cours des dernières Lemonde.fr et dans l’édition papier en date du 18 janvier 2022,
C’est d’ailleurs sur les questions politique » (par les ministres) de « Migrations, asile, mobilité et in­ semaines, ne fait toutefois que re­ et intitulé “Sciences Po Grenoble se cherche un nouvel ave­
d’immigration que M. Macron l’espace sans passeport, avec no­ tégration en Europe : indissocia­ prendre des schémas déjà connus nir”, la région Auvergne­Rhône­Alpes et son président, Lau­
avait ouvert sa conférence de tamment la création d’un conseil, bles valeurs communes ». et qui font toujours l’objet de pro­ rent Wauquiez, souhaitent apporter les précisions suivantes.
presse sur le programme de la pré­ un outil intergouvernemental dé­ Le « pacte global migration et fonds désaccords entre les Vingt­ Contrairement à ce que laisse à penser l’article en question,
sidence française de l’UE, le 9 dé­ cisionnel qui serait mobilisable asile » déposé en 2020 par la Com­ Sept. Du propos français (protéger ce n’est pas Laurent Wauquiez mais la région Auvergne­Rhô­
cembre 2021 : « Une Europe souve­ « en cas de défaillance grave à la mission est un autre dossier que le les frontières sans oublier les va­ ne­Alpes en tant que collectivité territoriale qui dispose d’un
raine, c’est d’abord – c’est pour moi frontière extérieure de l’UE », selon chef de l’Etat voudrait voir pro­ leurs fondamentales de l’Europe), siège au conseil d’administration de Sciences Po Grenoble.
le premier aspect – une Europe ca­ l’entourage du chef de l’Etat. gresser. L’Elysée fait le constat de une dizaine d’Etats membres ne Or, la région a été régulièrement représentée au conseil d’ad­
pable de maîtriser ses frontières ». Ces chantiers s’accompagnent l’échec persistant des négocia­ retiennent que la première partie. ministration par des conseillers régionaux : M. Yannick Neu­
A ce titre, la réforme de Schen­ d’un soutien à la montée en puis­ tions en vue de cette réforme. Le « Les priorités annoncées sont soit der lors du mandat 2015­2021 puis par M. Jean­Pierre Girard
gen, cet espace de libre circulation sance des effectifs de Frontex, projet aborde à la fois l’asile, le fil­ des réformes déjà mises en œuvre, depuis le renouvellement de l’assemblée régionale en
dans lequel vivent 420 millions de l’agence de surveillance des fron­ trage des personnes aux frontiè­ soit en cours de déploiement, soit juin 2021. Il est donc doublement inexact d’écrire que Laurent
personnes à travers 26 pays, de­ tières extérieures, et du renforce­ res extérieures ou encore la ré­ en cours de négociation », souli­ Wauquiez n’aurait jamais participé au conseil d’administra­
vrait s’articuler autour de deux ment des fichiers de collecte de forme du règlement de Dublin. gnait Matthieu Tardis.  tion de Sciences Po Grenoble : d’une part il n’en était pas
textes législatifs, proposés en dé­ données. Ils témoignent de la pré­ « Prendre le paquet dans sa totalité julia pascual (à paris) personnellement membre et d’autre part la région y a été
cembre par la Commission et que valence d’une approche sécuri­ apparaît difficile, toutes les prési­ et jean­pierre stroobants régulièrement représentée. »

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14 | france
Procès Lelandais : la journée de la bande à « Nono »
Quatre amis de l’auteur présumé du meurtre de Maëlys, en 2017, se sont succédé à la barre mardi
grenoble ­ envoyé spécial
I
ls ont le même âge. La tren­
taine bien entamée mais pas
encore des quadras. C’est la
même bande. Celle qui fai­
sait des bringues, des sorties en
boîte et au resto dans les années
2010­2016 à Chambéry et alen­
tours. C’était la bande à « Nono ».
Il y a presque dix ans, Vanessa, Fa­
bien, Coralie, Nazim et leur co­
pain Nordahl Lelandais, qu’ils ap­
pelaient tous « Nono », ont usé
leurs 20 ans ensemble. Des soi­
rées à rire, à boire, à être heureux
de se retrouver et de s’aimer. A les
voir tous les quatre se succéder
dans cet ordre, à la barre de la
cour d’assises de l’Isère, mardi
1er février, au deuxième jour du
procès Lelandais, accusé du
meurtre de la petite Maëlys, ils
ont dû bien se marrer.
« Nono », c’était le type sympa. Le
plus « serviable » d’entre tous. Au
moindre pépin, c’est lui qu’on ap­
pelait, se souvient Fabien. « C’est
celui sur lequel on pouvait compter,
même à 2 heures du matin. » D’ail­
leurs, il a fait tous les déménage­
ments de la bande. « On se connaît
depuis 2009, calcule Coralie. C’était
mon protecteur. Jamais méchant.
Jamais agressif. » A cette époque, il
revenait de l’armée. Il leur racon­
tait qu’il avait vu des « choses du­
res » lors d’opérations spéciales en
Guyane. « Des morts, des trucs diffi­
ciles », explique Coralie, qui sem­
blait être sa confidente. En rajou­
tait­il un peu ? Sûrement. Même si
parfois, il en faisait trop ou s’il
oubliait trop souvent de payer son
coup, ils laissaient faire. C’était
« Nono ». Tellement sympa. Il
n’avait pas de boulot stable.
Avec le temps et la jeunesse qui
filent, ils se sont un peu éloignés
les uns des autres, mais sans se
perdre. Fabien et Coralie se sont
mis en ménage et ont eu deux en­
fants. « “Nono” était très atten­
tionné à leur égard, toujours très
gentil », insiste Coralie. Et puis, un
jour de la fin du mois d’août 2017,
ils ont entendu parler de leur pote
aux infos. Une fillette avait dis­
paru dans la nuit du 27 août, à
Pont­de­Beauvoisin (Isère), lors
d’un mariage. « Nono » avait été
placé en garde à vue. « Mais
comme il est ressorti libre, j’ai
pensé qu’il n’avait rien fait », af­
Les lanceurs d’alerte seront bientôt mieux protégés
L’accord intervenu mardi en commission mixte paritaire restaure la plupart des avancées votées en première lecture à l’Assemblée
C inq ans après la création
d’un statut de lanceur
d’alerte par la loi de lutte
contre la corruption, dite loi Sa­
pin 2, la France s’apprête à fran­
chir une importante étape dans
leur protection. Députés et séna­
teurs ont scellé, mardi 1er février, à
l’issue d’une commission mixte
paritaire (CMP) un compromis
sur la proposition de loi « visant à
améliorer la protection des lan­
ceurs d’alerte ».
« Le texte issu de la CMP est en­
core meilleur que la version
que nous avions votée à l’Assem­
blée nationale. Il constitue la
meilleure protection des lanceurs
d’alerte en Europe », réagit Syl­
vain Waserman, l’auteur de cette
proposition de loi élaborée en
concertation avec le gouverne­
ment et les associations de lutte
contre la corruption et soumise
au Conseil d’Etat, ce qui est facul­
tatif, avant le débat parlemen­
taire. Selon le député MoDem du
Bas­Rhin, le dispositif ainsi cons­
truit est « un pilier de notre sys­
tème démocratique ».
La version de la proposition de
loi issue de la CMP doit encore
faire l’objet d’un vote sans modi­
Au premier plan, la mère, la sœur et le frère de Nordahl Lelandais, à côté des parents de Maëlys. ZZIIGG
firme Fabien. Les gendarmes
avaient saisi sa voiture. Coralie se
rappelle qu’en sortant de sa garde
à vue, il était venu chez eux. « On
était devant les infos à la télé qui
montrait le visage de la petite
Maëlys, mais “Nono” ne regardait
pas. Il n’exprimait aucune émo­
tion », dit­elle. Et à ce moment­là,
elle n’a pas reconnu son « Nono ».
Elle n’a pas compris pourquoi,
lorsque vers 3 heures du matin
le DJ avait donné l’alerte de la dis­
parition, Nordahl ne s’était pas
précipité avec ses chiens pour
participer aux premières recher­
ches. Le « Nono »qu’elle croyait
connaître, son « Nono », aurait
foncé. Il aurait été à la tête du
groupe avec ses chiens et aurait
fouillé dans les moindres recoins.
Deux jours plus tard, Nordahl Le­
landais repartait en garde à vue et
fication par l’Assemblée natio­
nale, le 8 février, et le Sénat, le
16 février. Ce qui devrait être une
formalité avant sa promulgation.
Pourtant, la navette parlemen­
taire s’annonçait délicate sur un
texte censé trouver le juste équili­
bre entre la protection des lan­
ceurs d’alerte et la sauvegarde des
secrets protégés et des intérêts
des personnes mises en cause.
Une chose est sûre, la loi Sapin 2
avait innové, mais laissé, en prati­
que, nombre de ces personnes
pensant servir l’intérêt général à
la merci de représailles de leur
employeur tandis que le disposi­
tif d’alerte lui­même avait mon­
tré ses limites.
Une nouvelle définition
Profitant d’une directive euro­
péenne d’octobre 2019 sur « la
protection des personnes qui si­
gnalent des violations du droit de
l’Union » qui devait être transpo­
sée en droit français, le Parlement
en a donc profité pour aller au­
delà et en retenir les avancées, y
compris dans des domaines ne
concernant pas les atteintes aux
textes européens. Selon la nou­
velle définition retenue, « un lan­
C’est peu de dire
que ces quatre
amis se sentent
trahis. C’est peu
de dire qu’ils
n’ont rien vu venir
et qu’ils sont tous
bouleversés
en sortait menottes aux poignets.
Cette fois, il était mis en examen
pour « enlèvement et séquestra­
tion » et placé en détention provi­
soire. Fabien a d’abord cru à un ac­
cident. « Il avait sûrement trop bu »,
s’est­il imaginé : en reculant la voi­
ture pour sortir du parking, il a
peut­être écrasé la gosse. Il a cru ça
ceur d’alerte est une personne
physique qui signale ou divulgue,
sans contrepartie financière di­
recte et de bonne foi, des informa­
tions portant sur un crime, un dé­
lit, une menace ou un préjudice
pour l’intérêt général, une viola­
tion ou une tentative de dissimula­
tion d’une violation d’un engage­
ment international régulièrement
ratifié ou approuvé par la France,
d’un acte unilatéral d’une organi­
sation internationale pris sur le
fondement d’un tel engagement,
du droit de l’Union européenne, de
la loi ou du règlement ».
L’une des principales innova­
tions concerne les circuits de si­
gnalement. La loi du 6 décem­
bre 2016 avait prévu une alerte en
trois temps, d’abord en interne,
puis aux autorités, et en dernier
recourt au public. Mais instaurer
comme préalable le fait de préve­
nir son employeur, privé ou pu­
blic, a servi d’épouvantail. Le lan­
ceur d’alerte pourra, désormais,
saisir le canal externe, au travers
de la justice, du Défenseur des
droits, des ordres professionnels
ou d’autorités administratives,
sans avoir auparavant prévenu
son entreprise ou administration.
pour se rassurer, mais aussi parce
que « “Nono”, il est intelligent dans
la connerie ». Sous­entendu, il ne
dit pas toujours la vérité, mais
même quand on lui démontre
qu’il a tort, il n’en démord pas.
Quitte à inventer n’importe quoi.
Mais là, ça n’a pas marché.
Comme le dit Nazim dans sa dé­
position, Nordahl « a basculé du
jour au lendemain d’un côté de la
barrière où on ne peut plus le récu­
pérer ». C’est peu de dire qu’ils se
sentent tous trahis. C’est peu de
dire qu’ils n’ont rien vu venir et
qu’ils sont tous bouleversés.
« Comment mon pote a pu faire
ça ? », s’interroge encore chaque
jour Nazim. « Un bon copain. Bien­
veillant avec nos enfants, et tout
d’un coup, un type qu’on ne recon­
naît pas, qu’on n’a plus compris. »
La petite Maëlys, Nazim ne la con­
La divulgation publique d’une
alerte reste une voie de dernier
recours, au cas où le signalement
par le canal externe n’aurait été
suivi d’aucune mesure dans un
délai à préciser par décret. Le délai
de six mois est évoqué. Mais
griller les étapes interne et ex­
terne pour alerter sans attendre
l’opinion sera autorisé néan­
moins « en cas de danger grave et
imminent », ce qui était déjà le cas
aujourd’hui.
L’irresponsabilité pénale des
lanceurs d’alerte ne s’étendra pas
aux infractions pénales commi­
ses pour l’obtention illicite des in­
formations, mais une personne
qui aura obtenu légalement une
information dans un cadre pro­
fessionnel ne sera néanmoins pas
pénalement responsable d’un
La divulgation
publique
d’une alerte
reste une voie
de dernier
recours
naissait pas. Mais depuis ce 3 sep­
tembre 2017 (date de la mise en
examen de Nordahl Lelandais), il
n’y a pas un jour où il n’a pas
pensé à elle. « Je peux pas m’empê­
cher d’être triste, déclare­t­il, ac­
croché à la barre. Pour la mère, le
père, la sœur de Maëlys, mais aussi
pour ses parents à lui et enfin pour
nous, les potes qu’on était. »
« Il a berné tous le monde »
Nordahl Lelandais est un men­
teur. Tous le savent. Souvent
c’était sans gravité, mais parfois
ça prenait une tournure aux con­
séquences terribles. « Il nous a
bernés, il a berné tous le monde »,
déplore Fabien. Vanessa, qui a été
sa compagne pendant six ou sept
mois et qui a partagé un apparte­
ment avec lui pendant un mois
en juillet 2014, en a payé le prix.
éventuel vol de document ou re­
cel destiné à prouver ses dires.
Par ailleurs, le compromis éla­
boré par les parlementaires per­
met de répondre à l’appel una­
nime des associations de lutte
contre la corruption qui récla­
maient d’être également proté­
gées lorsqu’elles accompagnent
un lanceur d’alerte. Le Sénat avait
limité ce statut de « facilitateurs »
aux personnes physiques ayant
aidé un particulier à faire un si­
gnalement. La CMP rétablit la ver­
sion de l’Assemblée nationale et
étend ainsi la protection due aux
« facilitateurs » à « toute personne
morale de droit privé à but non lu­
cratif », autrement dit les associa­
tions ou les syndicats.
Des représailles listées
Autre point sensible : les mesures
destinées à lutter contre les procé­
dures bâillons, ces multiples pro­
cédures judiciaires abusives qui fi­
nissent par épuiser, voire ruiner et
réduire au silence des lanceurs
d’alerte qui pourtant gagnent
leurs procès sur le fond. La propo­
sition de loi de M. Waserman pré­
voyait que les frais de justice né­
cessaires à la défense d’une per­
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Plus de quatre
ans ont passé
depuis la mort
de Maëlys,
et toute la bande
parle désormais
de cet ancien ami
au passé
Sans rien lui en dire, il filmait
leurs ébats et les publiait ensuite
sur des sites pornographiques.
Aujourd’hui, elle ressent « beau­
coup de colère et un profond dé­
goût », vis­à­vis de son ex­compa­
gnon. Un ex, « charmeur au dé­
but » mais qui a rapidement mon­
tré ses côtés sombres, capable de
très grandes colères. « Dans ces
moments­là, tu étais quelqu’un
d’autre », lui lance­t­elle en se
tournant vers lui.
Plus de quatre ans ont passé de­
puis la mort de Maëlys et toute la
bande parle désormais de leur an­
cien ami au passé. Ils attendent la
vérité et, dans ce prétoire, ils ne
ménagent pas leur peine pour l’ob­
tenir. « Regarde les parents de
Maëlys, regarde », insiste Coralie
en s’adressant directement à lui.
« Tu n’as pas d’empathie. Pourquoi
tu ne parles pas ? » Dos courbé sur
son banc, Nordahl Lelandais
bouge la tête. Coralie poursuit :
« T’as tué des gens, pourquoi ? Sou­
vent, le soir, je te ramenais de boîte
de nuit dans ma voiture. On était
seuls, tous les deux. Pourquoi tu
m’as pas tuée ? » Nordahl ne ré­
pond rien et essuie des larmes.
« Qu’est­ce que tu as dit quand tu as
mis la petite dans ta voiture ? T’as
eu une pulsion sexuelle ? »
A cet instant, l’accusé éprouve
les plus grandes difficultés à
dissimuler son agacement. Ar­
guant du respect de l’ordre des
débats – « on est sur la personna­
lité par sur les faits », plaide­t­il –,
son avocat, Me Alain Jakubowicz,
intervient pour mettre un terme
à ce face­à­face qui plonge son
client dans le désarroi. « Nono »
pleure. Il se lève, visiblement en
proie à une vive contrariété. Il
bouge la tête pour indiquer qu’il
n’a rien à dire. 
yves bordenave
sonne à l’origine d’un signale­
ment pourront être financés par
une provision à la charge de l’atta­
quant et même lui être définitive­
ment acquise quelle que soit l’is­
sue de la procédure judiciaire. Le
Sénat avait biffé cette disposition
censée combler l’inégalité des ar­
mes entre un salarié ou ex­salarié
et une grande organisation, le fa­
meux pot de terre contre pot de
fer. La CMP l’a rétabli. Conformé­
ment à la directive européenne, le
texte liste précisément les repré­
sailles de toute nature qui pour­
raient affecter un lanceur d’alerte
ou ses proches afin de bien délimi­
ter l’étendue du bouclier sous le­
quel ils seront protégés.
A la Maison des lanceurs
d’alerte, regroupant trente­six or­
ganisations dont Transparency
International, Greenpeace et
France Nature Environnement,
on se réjouit de cet accord en
CMP. Blandine Sillard, chargée du
développement, tient à « saluer,
au­delà du fond, la méthode em­
ployée par Sylvain Waserman de­
puis 2019 et les parlementaires
auprès de qui [ils ont] vraiment
senti une écoute ». 
jean­baptiste jacquin

0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Logistique : nouveaux paysages, 
nouvelles précarités
Creuset d’une nouvelle classe ouvrière, le secteur, qui pèse 10 % du PIB, redessine les
campagnes, avec près de 87 millions de mètres carrés d’entrepôts sur tout le territoire
S
ur la route de Louviers,
en venant de l’autoroute
de Normandie, cela fait
bien longtemps que per­
sonne n’a croisé de cantonnier. A
dire vrai, depuis le temps, l’agent
de la voirie s’est sans doute recon­
verti. Plutôt que de casser des
cailloux, ce « fichu métier » qu’il
fait pour que « j’nourrissions nos
garçons », comme l’énonce la
chansonnette, il y a toutes les
chances que, désormais, il trie
des cartons ou pilote un engin
élévateur pour le compte d’une
entreprise de logistique.
Entre la commune de l’Eure,
autrefois fière cité drapière, et la
Seine, le paysage a en effet radica­
lement changé en quelques dé­
cennies. A la place des terres agri­
coles, trois « écoparcs », ces zones
d’activité aménagées, accueillent
sur 230 hectares quelques PME,
une demi­douzaine d’entrepôts
de logistique industrielle et une
plate­forme géante battant pa­
villon d’Intermarché. Ce bâti­
ment de 65 000 mètres carrés, qui
emploie environ 300 personnes,
compte 94 quais d’où une noria
de camions part approvisionner
l’Ile­de­France, la Normandie et la
Bretagne. Une autre base, à quel­
ques kilomètres, se charge des
produits frais.
A côté, Maisons du monde cons­
truit un entrepôt XXL. Située à la
lisière d’un petit bois miraculeu­
sement préservé, cette énorme
boîte, haute comme un immeu­
ble de huit étages, affiche une su­
perficie de 69 000 mètres carrés.
De quoi aligner une petite dizaine
de terrains de football. Les quel­
que 250 salariés annoncés récep­
tionneront les conteneurs char­
gés de canapés, meubles et babio­
les décoratives made in Asia qui
débarqueront au port du Havre.
Puis, ils redistribueront la mar­
chandise sur des palettes en fonc­
tion des besoins de chaque maga­
sin à bord de camions qui filent
sur l’autoroute A13, toute proche.
Ce n’est pas tout : il se murmure
qu’Amazon projette également de
s’implanter en Normandie, tan­
dis qu’Ikea va ériger à Limay (Yve­
lines) une base arrière de près de
72 000 mètres carrés afin d’assu­
rer les livraisons de meubles en
kit en Ile­de­France.
Quasi inexistants il y a vingt ans
dans le bassin Louviers­Val­de­
Reuil, les entrepôts occupent
aujourd’hui près de 530 000 mè­
tres carrés. Une illustration par­
faite de la place croissante prise
par la logistique aux abords des
villes, le long des axes autorou­
tiers, ou parfois même en rase
campagne. La France compte
aujourd’hui près de 87 millions de
mètres carrés d’entrepôts, contre
78 millions en 2015, selon l’Afilog,
l’association qui rassemble les
métiers de la logistique. Il s’en
construit environ 1,5 million de
mètres carrés par an.
« On a vu tout fermer »
Cela témoigne aussi du poids tou­
jours plus important du secteur
dans le paysage économique : il
représente 10 % du produit inté­
rieur brut et emploie 1,7 million
de personnes dans le privé, soit
quatre fois la filière automobile.
Cette folle croissance s’explique
par la hausse des échanges, l’éloi­
gnement des centres de produc­
tion et l’explosion du commerce
en ligne, passé d’un chiffre d’affai­
res de 700 millions d’euros
en 2000 à… 130 milliards en 2021,
d’après la Fédération du e­com­
merce et de la vente à distance.
« La demande d’entrepôts, tirée
notamment par l’essor de l’e­com­
merce, est très forte et ne faiblit
pas. On ne peut qu’avoir plus de
logistique en France », assure
Anne Marie­Idrac, présidente de
France Logistique, l’organisation
qui regroupe les acteurs privés
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
La folle
croissance de la
filière s’explique
entre autres
par l’explosion
du commerce
en ligne
de la chaîne et assure le lien avec
les pouvoirs publics.
Alignées dans les premiers
temps le long d’un axe Lille­Paris­
Lyon­Marseille, les zones logisti­
ques se sont ramifiées dans tout
le pays, avec une prédilection
pour l’Ile­de­France, le Centre, le
Nord et la vallée de la Seine. La lo­
gistique urbaine fait même de­
puis peu son apparition, avec des
bases installées en cœur de ville,
pour permettre des livraisons
dans des délais record.
Ville au passé textile et indus­
triel, Louviers n’a pas échappé à
cette vague de fond. La cité a vu
disparaître sa dernière filature,
Audresset, en 2002. D’autres in­
dustries ont baissé le rideau
les unes après les autres : l’usine
Wonder, les disques Polygram,
Philips, les manufactures de
chaussures… « Né et ayant grandi
à Louviers », Philippe Brun,
aujourd’hui élu municipal, ré­
sume : « On a vu tout fermer. On a
vécu la désindustrialisation. »
Entre 1982 et 2015, l’emploi
dans le secteur de la fabrication
a fondu de moitié à Rouen, Ver­
non, Evreux…
C’est la création d’un pôle phar­
maceutique autour de Sanofi
Pasteur, Johnson & Johnson, Fre­
senius Kabi et d’autres, à la fin des
années 1970, sur la ville nouvelle
de Val­de­Reuil, qui a attiré les
premiers logisticiens dans l’ag­
glomération. Il fallait bien ache­
miner les matières premières
vers les sites de production de
médicaments ou de dispositifs
médicaux, puis remporter les
produits finis vers les pharmacies
ou les hôpitaux.
La situation géographique de la
ville fait le reste. « Nous observons
de nouvelles installations à Lou­
viers du fait de sa position favora­
ble, avec un accès rapide à l’auto­
route, ce qui permet de distribuer
les magasins le plus rapidement
possible », explique Brice Mullier,
directeur de l’agence locale du
Pôle emploi. « Les industriels veu­
lent aussi rapprocher leurs centra­
les de stockage de leurs points de
vente et de leurs clients finaux
pour mieux rayonner. »
Cette tendance devrait perdu­
rer. Un nouvel échangeur auto­
routier doit voir le jour sur l’auto­
route A13 en 2024, facilitant en­
core l’accès aux poids lourds.
Par ailleurs, un port multimodal,
combinant barges, trains et ca­
mions, est en projet à Gaillon, à
15 kilomètres, en lieu et place de
l’usine Carel et Fouché, site histo­
rique d’où sont notamment sor­
ties les rames en acier inoxydable
du métro de New York.
Peu d’opposition
A Louviers comme ailleurs, ce
modèle de développement qui
dévore des terres agricoles, ren­
contre peu d’opposition. Si le
confiseur Ferrerro a dû renoncer,
en août 2021, à son projet de cen­
tre logistique sur 37 000 mètres
carrés à Criquebeuf­sur­Seine, à
une quinzaine de kilomètres, ce
n’est pas en raison d’une mobili­
sation des riverains ou des ci­
toyens, mais à la suite du combat
de France Nature Environnement
Normandie, qui craignait pour la
survie de deux espèces d’oiseaux.
« Tout est presque voté à l’unani­
mité, hormis une écologiste, qui
nous rappelle régulièrement à la
Le futur entrepôt géant
de Maisons du monde,
à Heudebouville (Eure),
le 2 décembre 2021.
CHRISTOPHE CAUDROY
POUR « LE MONDE »
bonne utilisation du foncier », as­
sure Bernard Leroy, l’infatigable
président de communauté d’ag­
glomération Seine­Eure. L’élue
écologiste en question, Laëtitia
Sanchez, le confirme : « Personne
ne s’inquiète ni ne s’insurge. Tout
le monde a, dans sa famille, quel­
qu’un qui travaille dans la logisti­
que ou va y travailler. C’est ce qui
fonde l’acceptation de cette acti­
vité. Faute d’autre chose… »
L’industrie lourde, qui disparaît
peu à peu, ne laisse pas que de
bons souvenirs. L’accident sur­
venu en septembre 2019 dans
l’usine Lubrizol, en périphérie de
Rouen, a rappelé les risques
qu’elle représentait. « J’ai vécu
longtemps dans la métropole
rouennaise. Je connais les usines
Seveso et la pollution chimique »,
se remémore Mme Sanchez. La lo­
gistique « pose surtout le pro­
blème du trafic routier et des terres
agricoles », souligne­t­elle. Au
fond, un moindre mal. Environ
122 hectares ont été reconvertis
pour accueillir des zones dévo­
lues à cette activité, mais les agri­
culteurs semblent y trouver leur
compte. « Ceux qui partent à la re­
traite sont bien contents de trou­
ver un acquéreur pour leurs ter­
res », remarque Philippe Brun.
Qu’en est­il des autres ? La com­
munauté d’agglomération sait, à
l’occasion, se montrer bonne
fille : pour laisser place à Maisons
du Monde, un agriculteur a
consenti à troquer sa parcelle de
50 hectares contre une autre plus
éloignée, mais de 80 hectares…
« On n’a pas de bobos chez nous !,
résume M. Brun. Quand les indus­
tries ont fermé, les services publics
ont fermé, les impôts ont fermé,
le bloc opératoire et la maternité
ont fermé. La question se pose
de manière binaire : la logistique
crée de l’activité. Soit on est pour
l’activité, soit on est contre. » Elle
représente environ un quart des
| 15
40 000 emplois que compte le
bassin de Louviers.
Car, malgré l’automatisation et
la numérisation, le métier reste
très gourmand en main­d’œuvre :
pour déplacer, charger, décharger
palettes de marchandise et colis,
il faut 70 à 200 personnes pour
un hectare bâti. « Ces bâtiments
sont des fourmilières », reconnaît
Diana Diziain, directrice déléguée
de l’Afilog. A tel point que le sec­
teur devrait créer 150 000 em­
plois supplémentaires dans les
années à venir. Des fourmilières,
mais aussi le creuset d’une nou­
velle classe ouvrière. Un tour en
ville en dit long sur la nature des
emplois concernés : Louviers,
15 000 habitants, compte au
moins une quinzaine d’agences
d’intérim, qui se livrent une
concurrence féroce pour recruter
caristes et préparateurs de com­
mandes, en multipliant les CDI in­
térimaires.
Main-d’œuvre peu qualifiée
Manpower, l’un des principaux
acteurs du secteur, ne s’y est pas
trompé. Ainsi, au 1er juin 2021, le
groupe a créé dans la ville un pôle
consacré à la logistique, le
deuxième du genre en France
après celui de Lesquin (Nord), une
commune de la banlieue de Lille.
« Autrefois, entre les usines Re­
nault de Cléon, Sandouville et les
sous­traitants, l’industrie automo­
bile était le premier pourvoyeur
d’emplois intérimaires de la ré­
gion. En six ou sept ans, l’automo­
bile a dégringolé et on a basculé
sur les métiers de la logistique, un
marché très porteur, et de surcroît
non délocalisable », relève Syl­
viane Havel, la directrice.
Deux sociologues, Carlotta Ben­
vegnù et David Gaborieau, se sont
penchés sur ce nouveau proléta­
riat, celui de l’entrepôt, caracté­
risé par une forte concentration
de postes peu qualifiés, des pers­
pectives d’évolution profession­
nelle limitées et de faibles rému­
nérations. « Au sein du monde
ouvrier, les logisticiens représen­
tent désormais 13 % des emplois,
contre seulement 8 % dans les an­
nées 1980, un basculement obser­
vable dans la plupart des pays oc­
cidentaux », notent­ils dans un ar­
ticle publié le 5 octobre 2021 par la
direction de l’animation, de la re­
cherche, des études et des statisti­
ques du ministère du travail. « Le
taux de précarité, qui représente
de 30 % à 40 % des emplois de la lo­
gistique au niveau national, est
l’un des plus importants, tous sec­
teurs confondus », ajoute Khalil
Ezzarhouni, délégué CGT chez
GXO­Logistics, dans le Centre,
l’une des autres régions françai­
ses où ces cathédrales de mar­
chandises se dressent.
Et encore, celle­ci va plutôt en di­
minuant, vu les tensions sur le
marché de l’emploi. « Avec la crois­
sance de l’activité logistique, les en­
treprises ont besoin d’avoir du per­
sonnel permanent, constate Brice
Mullier, directeur de l’agence Pôle
emploi de Louviers. Alors, elles pé­
rennisent de plus en plus de pos­
tes. » Entre 2019 et 2020, le volume
des offres durables (CDD de plus
de six mois et CDI) dans son
agence a augmenté de 13 %.
Cependant, les syndicats pei­
nent à mobiliser cette
main­d’œuvre peu qualifiée. « Les
gens râlent, mais ils ne sont pas
prêts à se battre. Certains deman­
dent même à travailler le diman­
che pour gagner plus. Avec le Co­
vid, on n’a jamais autant bossé,
mais la direction nous a donné des
primes : l’année dernière, on a eu
1 000 euros. Les équipes sont
contentes avec ça », rapporte An­
tonio Martins Pinto, délégué
syndical CGT de la plate­forme In­
termarché de Louviers, avant de
conclure : « Ici, à part la logistique,
il n’y a pas grand­chose. » 
béatrice madeline

16 | économie & entreprise
Les Européens veulent reprendre
le contrôle de leurs normes
Bruxelles a présenté ses propositions pour mieux maîtriser la production
de ses standards, notamment dans le domaine du numérique
bruxelles ­ bureau européen
L
e vocable est rébarbatif
– la Commission euro­
péenne a présenté mer­
credi 2 février sa stratégie
de « normalisation » –, pourtant il
renvoie à une bataille stratégique
qui se joue entre les grandes puis­
sances économiques pour impo­
ser leurs normes au niveau mon­
dial. Aucun secteur économique
n’y échappe et la question con­
cerne aussi bien les produits in­
dustriels que de grande consom­
mation, les matériaux de cons­
truction que les médicaments ou
les nouvelles technologies.
Les Européens ont laissé s’instal­
ler, au fil des ans, une situation où,
même sur leur territoire, les Etats­
Unis et la Chine jouent désormais
un rôle prépondérant dans la pro­
duction de standards. Non seule­
ment cela favorise leurs entrepri­
ses, mais derrière les normes, no­
tamment dès lors que l’on touche
au numérique, se dessinent des
modèles de société qui ne sont pas
toujours ceux des Vingt­Sept. « La
normalisation n’est pas qu’un pro­
cessus purement technique, cela
doit être une véritable priorité poli­
tique, voire géopolitique », juge
Thierry Breton, le commissaire
européen au marché intérieur.
Lorsque les Européens se dotent
d’une nouvelle législation – par
exemple sur l’isolation des bâti­
ments ou les jouets –, ils ne dé­
taillent pas les spécifications
techniques qui permettront sa
mise en œuvre. Selon les cas, la
Commission en confie la mission
à l’un des trois organismes privés
qu’elle a homologués et qu’elle
finance à raison de 20 millions
d’euros par an : le Comité euro­
péen de normalisation (CEN), le
Comité européen de normalisa­
tion en électronique et en électro­
technique (Cenelec) et l’Institut
européen des normes de télé­
communication (ETSI).
La coopérative laitière Sodiaal prévoit
deux nouvelles fermetures d’usines
La disparition programmée de ces sites devrait entraîner la suppression de 316 emplois
N ouvelle casse sociale chez
Sodiaal », « 316 salariés
sur le carreau dans le
groupe laitier Sodiaal »… Les syn­
dicats, en l’occurrence FGTA­FO et
CFDT Agri­Agro, ont immédiate­
ment réagi à la sortie d’un comité
de groupe de la coopérative lai­
tière Sodiaal, organisé mardi
1er février. A cette occasion, la di­
rection a annoncé deux nouvelles
fermetures d’usines, avec, pour
conséquence, 316 suppressions
d’emplois. La laiterie de Campbon
(Loire­Atlantique) et le site consa­
cré aux ingrédients infantiles de
Saint­Martin­Belle­Roche (Saône­
et­Loire) devraient bientôt être
rayés de la carte. La FGTA­FO dé­
nonce « un projet qui va boulever­
ser la vie professionnelle et person­
nelle de nombreux salariés, mal­
gré leur engagement sans faille au
service du groupe, particulière­
ment lors de ces dernières années
de pandémie ».
Pour justifier cette restructura­
tion, le géant laitier évoque la
baisse persistante de la consom­
mation de lait dans les foyers. Une
évolution structurelle qui touche
de plein fouet la filiale Candia. Au
début de la crise sanitaire, lors du
confinement du printemps 2020,
Or, alerte M. Breton, « certains
processus décisionnels relatifs aux
normes européennes ont été dé­
tournés par de grandes entreprises
non européennes ». Pour com­
prendre comment on a pu en arri­
ver là, il faut s’arrêter sur la façon
dont sont édictées les normes
européennes, qui permettent à
un produit de circuler librement
au sein du marché intérieur. Au
CEN, au Cenelec ou à l’ETSI, des
comités techniques, regroupant
des experts issus d’entreprises
présentes en Europe, des repré­
sentants des organisations natio­
nales comme l’Afnor en France ou
des membres de la société civile,
œuvrent à leur production.
Les normes ainsi élaborées sont
ensuite soumises au conseil
d’administration, qui, dans le cas
du CEN et du Cenelc, est composé
des représentants des Etats­
membres. « Mais, dans les comités
techniques, la manière dont sont
préparées les normes ne répond
pas toujours aux priorités euro­
péennes », note la Commission.
Agir plus vite
A l’ETSI, qui officie pour tout ce
qui relève des nouvelles techno­
logies et joue donc un rôle de
premier plan dans un monde où
le numérique rebat les cartes, le
modèle de gouvernance offre une
place de choix aux multinatio­
nales américaines et chinoises.
Car le conseil d’administration
est constitué de « membres » qui
payent pour en être et « ont
d’autant plus de droits de vote
qu’ils payent cher », résume un
haut fonctionnaire.
Les Apple, Huawei et autres
groupes non européens y détien­
nent plus de la moitié des droits
de vote : 27 % pour les entreprises
américaines, 10 % pour les chinoi­
ses qui sont de plus en plus nom­
breuses (dernière arrivée, Xiaomi,
en janvier), 8 % pour les japonai­
ses, coréennes et taïwanaises, 6 %
les Français avaient renoué avec
le « fait maison ». Quiches, gâ­
teaux, boissons lactées avaient
redonné de la vigueur à un mar­
ché en déclin continu. Las ! Avec la
fin du confinement, les rythmes
de vie ont repris comme avant et
la consommation de lait a pour­
suivi sa décrue.
La direction de Sodiaal a espéré
remettre à flot Candia en 2020,
mais l’espoir a été de courte du­
rée. Soucieuse de limiter les sour­
ces de perte, la coopérative a donc
décidé de fermer une de ses usi­
nes. Le choix s’est porté sur celle
de Campbon, qui produit des bri­
ques de lait UHT et du lait bio. Sa
capacité annuelle est d’environ
250 millions de litres de lait. Le
fait que le bassin de collecte laitier
ne soit pas à proximité immé­
diate du site a peut­être pesé dans
la décision. De même que la dyna­
mique d’emploi de ce départe­
ment, alors que 161 postes dispa­
raîtraient avec la fermeture de la
laiterie, programmée en 2023.
Candia avait déjà subi une res­
tructuration en 2013 et 2014, avec
la fermeture de l’usine du Lude
(Sarthe) et de deux autres entités
plus petites, à Saint­Yorre (Allier)
et Villefranche­sur­Saône (Rhône).
Au sein de l’ISO,
on compte
un peu plus de
700 Chinois
dans les comités
techniques,
contre 450
en 2005
pour les britanniques… « Les
vingt­quatre plus grosses entrepri­
ses au board de l’ETSI concentrent
la moitié des droits de vote »,
ajoute cette source.
Dès lors, l’ETSI n’a pas toujours à
cœur de servir la cause euro­
péenne, même s’il s’agit de l’une
de ses missions. Ainsi, lorsque
Bruxelles lui a demandé, dans la
foulée d’une législation commu­
nautaire sur la compatibilité des
téléphones portables avec Galileo
en 2019, de travailler sur le sujet,
le conseil d’administration a tout
simplement refusé : « Apple, Sam­
sung et ZTE ont considéré que le
champ du sujet était trop étroit »,
explique une autre source.
Dans ce contexte, la Commis­
sion propose qu’à l’ETSI, comme
au CEN et au Cenelec, seuls les
organismes nationaux de nor­
malisation des Vingt­Sept soient
appelés à se prononcer sur les
normes européennes. Elle attend
aussi des trois entités qu’elles fas­
sent des propositions pour agir
plus vite – en moyenne, une
norme met quatre ans à être pro­
duite – et se doter d’une gouver­
nance qui « reflète mieux les inté­
rêts et les valeurs européens »,
insiste M. Breton. Sans quoi elle
pourrait revoir totalement le
modèle actuel. Les organismes de
normalisation, dont les relations
avec la Commission se sont ten­
dues ces derniers mois, appré­
cient modérément l’offensive.
En moins de dix ans, donc, cette
marque aura vu son dispositif
industriel réduit de moitié. A l’is­
sue de cette nouvelle réorganisa­
tion, il restera en effet quatre
usines, chacune avec sa spécialité.
A Saint­Etienne sont produits les
laits infantiles et les laits frais, à
Lons (Pyrénées­Atlantiques), les
laits aromatisés, à Awoingt (Nord),
les bouteilles et briques de lait et la
crème UHT – sous le logo Candia et
à marques de distributeur – et à
Vienne (Isère) les bouteilles et les
briques de lait Candia.
Partenariat malheureux
La coopérative assure aussi
vouloir mettre fin aux foyers de
perte dans son activité d’ingré­
dients de lait infantile, et plus pré­
cisément dans les poudres de lac­
tosérum déminéralisées. Le
couperet est donc tombé sur le
site de Saint­Martin­Belle­Roche,
qui emploie 119 salariés. Des
activités de séchage du site de
Malestroit (Morbihan) et de l’une
des deux tours de Bénestroff (Mo­
selle), ainsi que des activités à des­
tination infantile de Montauban­
de­Bretagne (Ille­et­Vilaine) sont
également touchées. Au total,
36 personnes vont perdre leur
Autre objectif de la Commis­
sion : renforcer les positions euro­
péennes au sein des organismes
internationaux, comme l’ISO (Or­
ganisation internationale de nor­
malisation). La Chine y est très ac­
tive et place ses experts aux pos­
tes les plus stratégiques – par
exemple au sein des groupes de
travail consacrés au lithium, au
protocole Internet ou à la recon­
naissance faciale – dès qu’elle le
peut. A l’ISO, on compte actuelle­
ment un peu plus de 700 Chinois
dans les comités techniques – un
niveau équivalent à celui des Alle­
mands et du Royaume­Uni –,
contre 450 en 2005.
Face aux ambitions chinoises,
les Européens et les Etats­Unis
travaillent ensemble, depuis
quelques mois, à l’élaboration de
normes communes, notamment
dans le domaine des nouvelles
technologies. Cependant, rien ne
dit que cette démarche aboutira
et, en aucun cas, elle ne saurait
suffire. Si les Européens ne s’en­
gagent pas plus « dans l’élabora­
tion de normes internationales,
nous risquons de céder involontai­
rement un avantage technologi­
que à des pays tels que la Chine »,
prévient M. Breton.
Dans ce contexte, Bruxelles
appelle les Vingt­Sept à se coor­
donner et à mieux servir leurs
priorités, au premier rang des­
quelles les transitions numérique
et climatique : la production de
vaccins et de médicaments, le re­
cyclage des matières premières
essentielles, le déploiement de
l’hydrogène propre, le ciment à
faible teneur en carbone, la certi­
fication des puces, les normes
améliorant l’interopérabilité et le
partage des données. La Commis­
sion leur demande de s’emparer
de cette thématique des normes
au niveau politique, quand elle
est aujourd’hui cantonnée à sa di­
mension technique. 
virginie malingre
emploi. Sodiaal affirme que les
débouchés chinois n’ont pas été à
la hauteur des attentes, arguant
du ralentissement de la natalité.
La coopérative avait noué un par­
tenariat malheureux avec Synu­
tra, qui lui faisait miroiter l’accès à
un mirifique marché du lait in­
fantile dans l’empire du Milieu.
Sodiaal, qui revendique
17 600 éleveurs membres de la
coopérative, cherche à se reposi­
tionner sur des marchés où il
peut valoriser au mieux le lait col­
lecté. La coopérative, dont le chif­
fre d’affaires a atteint 4,8 mil­
liards d’euros en 2020, prévoit
d’investir 600 millions d’euros
entre 2022 et 2027 pour « accélérer
sa conquête des marchés valori­
sés » : « fromages, laits premium,
beurre, crème », mais aussi
yaourts, depuis la reprise en main
de Yoplait, ainsi que les ingré­
dients laitiers plus haut de
gamme. Le géant français a, en ef­
fet, repris le contrôle de Yoplait en
Europe, fin 2021, la marque à la
petite fleur ayant été un temps
partagée avec l’américain General
Mills. Il compte aussi sur sa mar­
que de fromage Entremont pour
séduire les consommateurs. 
laurence girard
PERTES & PROFITS | EXXON
par phi lippe esc ande
Vers la transition
à reculons
Comme les guerres, les épidémies
nous entraînent vers des territoi­
res inconnus. Par exemple des
cours du pétrole négatifs, en
avril 2020, quand la planète s’est
arrêtée de bouger. Puis, l’or noir
s’est remis à circuler dans les artè­
res de l’économie et l’activité est
repartie avec une vigueur jamais
expérimentée auparavant. Illus­
tration de ces invraisemblables
montagnes russes, les résultats
financiers de la première major
pétrolière mondiale, Exxon, sont
passés de 22 milliards de dollars
(19,5 milliards d’euros) de pertes
en 2020 à 23 milliards de bénéfi­
ces en 2021.
La société, comme ses concur­
rentes, bénéficie aujourd’hui de
cours du pétrole dépassant les
90 dollars le baril et s’appro­
chant des 100 dollars. Cela faisait
près de huit ans qu’on n’avait pas
connu un tel emballement. Avec
un paradoxe sans cesse inter­
rogé : on n’a jamais autant parlé
du déclin pétrolier sous la con­
trainte climatique et ses produc­
teurs n’ont jamais gagné autant
d’argent. Vont­ils profiter de cet
argent frais pour investir dans de
nouveaux métiers et préparer
ainsi la baisse de l’ancien ?
Ce n’est pas l’approche d’Exxon.
Sur les 23 milliards de profits de
cette année, le groupe va en
consacrer la moitié à racheter ses
actions pour en faire grimper le
cours et retenir ses actionnaires.
Ils n’ont pour l’instant pas à se
Google double ses profits
en dépit de la pandémie
Le groupe a porté ses bénéfices à 76 milliards
de dollars en 2021, grâce à la publicité en ligne
L a pandémie de Covid­19 n’a
pas gêné l’activité de Goo­
gle. Au contraire. En 2021,
son chiffre d’affaires a atteint
257 milliards de dollars (227,6 mil­
liards d’euros), en hausse de 41 %,
et son bénéfice 76 milliards de
dollars, soit un quasi­double­
ment. Sa marge est donc de 29 %.
Certes, ces chiffres bénéficient en
partie d’un effet de comparaison
avec l’année 2020, où la croissance
de l’entreprise avait un peu ralenti
en raison des fermetures de com­
merces liées à la pandémie. Mais
ces statistiques impressionnent,
car Google tire la majeure partie
de ses revenus de la publicité, une
activité généralement sensible au
contexte macroéconomique.
Au dernier trimestre, cela ne l’a
pas empêché de battre les estima­
tions des analystes. « Notre perfor­
mance a été favorisée par la soli­
dité des dépenses des annonceurs
et la forte activité en ligne des
consommateurs », a expliqué Phi­
lipp Schindler, le responsable des
activités commerciales. Google a
profité des confinements et du
télétravail. Le commerce de détail,
stimulé par l’essor de la vente en
ligne, a été le secteur qui a le plus
acheté de publicités, soit pour affi­
cher des marques, soit pour dé­
clencher des actions d’achats. La
finance, le divertissement et le
voyage ont aussi été actifs.
Diversifications déficitaires
Google explique son attrait par
l’amélioration de ses services
pour les annonceurs, avec la pos­
sibilité pour les commerces de
remplir leur profil sur les cartes
Google Maps, ou la recherche
précisant si un produit est « en
stock »… Les investissements en
intelligence artificielle permet­
tent des avancées scientifiques,
mais aussi des nouveautés dans
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
plaindre puisque, sur ce seul mois
de janvier 2022, le titre en Bourse
a bondi de 20 %. L’inverse du che­
min pris par les valeurs technolo­
giques, comme Netflix, passées
du pinacle au massacre depuis
que la banque centrale améri­
caine a laissé entrevoir une rapide
remontée des taux d’intérêt.
Division bas carbone
Exxon ne reste cependant pas les
bras ballants. Elle va investir près
de 20 milliards de dollars cette
année, et une partie sera consa­
crée à une toute nouvelle divi­
sion consacrée au bas carbone.
Mais celle­ci ne cherche pas tant
à préparer la sortie du pétrole
qu’à en atténuer les effets par le
développement des technologies
de capture du CO2, la mise au
point de carburants synthétiques
ou bio et l’hydrogène. La firme
réagit ainsi à la pression d’inves­
tisseurs activistes qui ont réussi
à imposer trois administrateurs
au conseil d’administration.
Pas question donc pour les rois
américains de l’or noir de s’aven­
turer dans les eaux agitées de
l’éolien offshore ou du solaire,
comme le font leurs homologues
européens TotalEnergies, Shell ou
BP. Le français prévoit que la pro­
duction d’électricité représentera
la moitié de son chiffre d’affaires
en 2050 contre 5 % aujourd’hui.
Exxon ne veut pas changer de
métier et entre dans la transition
énergétique à reculons. 
toutes les activités de Google,
plaide l’entreprise : les logiciels
permettent des transcriptions et
des traductions audio, des clients
entreprises peuvent prévoir leur
demande, la recherche va inté­
grer la voix et les images…
Le chiffre d’affaires de YouTube,
propriété de Google, a atteint
8,6 milliards de dollars de septem­
bre à décembre, en hausse de 26 %
par rapport à 2020. Celle­ci a été
soutenue par le lancement de pu­
blicités vidéo avec des liens cliqua­
bles et « l’essor rapide » du vision­
nage sur les écrans des téléviseurs
connectés. A 5,5 milliards de dol­
lars sur ce quatrième trimestre,
l’activité du cloud a crû de 47 %,
soit « davantage que le rythme du
secteur », note la direction.
Google y est challenger derrière
Amazon et Microsoft et reste défi­
citaire (890 millions de dollars de
pertes), mais est « optimiste ». Côté
matériel, les ventes des télépho­
nes Pixel 6, qui intègrent les der­
niers assistants vocaux et logiciels
maison, ont atteint « un record ».
La faiblesse des revenus des
« autres paris », comme l’entre­
prise de conduite autonome
Waymo ou la filiale de santé Verily,
montre que l’activité reste centrée
sur l’écosystème Web de Google.
Ces diversifications de la maison
mère, Alphabet, ont engrangé
180 millions de dollars pour
1,4 milliard de pertes sur le trimes­
tre, mais restent un investisse­
ment de « long terme ». N’y a­t­il
pas d’autre ombre au tableau pour
Google ? Interrogé sur les projets
de régulation antitrust, le PDG,
Sundar Pichai, a mis en garde :
« Nous sommes inquiets qu’ils
puissent nous empêcher de fournir
certains de nos services actuels » et
« désavantagent seulement les en­
treprises américaines ». 
alexandre piquard
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022 économie & entreprise | 17

Chez Chronopost, le conflit des sans­papiers s’enlise

En région parisienne, deux piquets de grève devant des centres de tri de colis se maintiennent depuis des semaines

D
eux ans et demi après
un conflit de neuf
mois ayant abouti à la
régularisation de
27 salariés sans papiers qui ont
travaillé pour Chronopost à
Alfortville (Val­de­Marne) et de 47
issus d’autres entreprises venus
rejoindre le piquet de grève, l’his­
toire se répète.
Devant l’agence Chronopost
d’Alfortville, une vingtaine de
sans­papiers y ayant travaillé, re­
joints par des dizaines d’autres,
tiennent, depuis le 7 décembre
2021, un piquet de grève, jour et
nuit. Un autre, d’environ 80 per­
sonnes, dont une soixantaine de
travailleurs de DPD (Dynamic
Parcel Distribution), se situe de­
vant le site de cette autre filiale du
groupe La Poste, à Coudray­Mont­
ceaux (Essonne), depuis le 8 no­
vembre 2021. Leur revendication :
obtenir leur régularisation.
La plupart du temps, ces tra­
vailleurs utilisaient des alias (ils
empruntent les papiers d’un
membre de la famille ou d’une
connaissance en règle, souvent
moyennant le versement d’une
somme d’argent) pour obtenir
des missions d’intérim, notam­
ment chez Derichebourg Intérim.
« La plupart des sans­papiers de
DPD ont travaillé plusieurs mois,
voire deux ans pour certains, avec
des contrats d’intérim se renouve­
lant d’une semaine à l’autre », ex­
plique Giorgio Stassi, secrétaire
de SUD­PTT Essonne.
« Je veux mes droits »
Malgré le froid et la pluie, en dé­
pit de l’absence de signes posi­
tifs sur leur éventuelle régulari­
sation, ils restent sur place entre
deux manifestations, dormant
dans des abris de fortune, sur le
trottoir. « Je n’ai plus envie de tra­
vailler sans papiers. Je ne veux
plus être traité comme un es­
clave. Je veux mes droits », expli­
que Aboubacar Dembélé, un Ma­
lien de 29 ans, qui a déchargé les
camions de colis chez Chrono­
post de mars 2020 à décem­
bre 2021. Ils sont soutenus dans
leur combat par les syndicats
Manifestation des travailleurs sans papiers de l’agence Chronopost d’Alfortville (Val­de­Marne), le 31 janvier. AGNÈS DHERBEYS/MYOP POUR « LE MONDE »
SUD­PTT et Solidaires, par le Col­
lectif des travailleurs sans pa­
piers de Vitry­sur­Seine (Val­de­
Marne) ainsi que par plusieurs
partis et organisations.
M. Dembélé raconte ce qu’était
son quotidien. « Le lundi, on me
faisait venir juste pour une heure,
de 5 h 45 à 6 h 45, se souvient­il. Sa­
chant que je mettais deux heures
trente pour y aller. » Puis, du
mardi au samedi, il travaillait « à
partir de 1 heure, ou 2 heures, ou
3 heures du matin, jusqu’à 7 h 30 ».
Salaire : « De 700 à 800 euros. » Il
devait décharger les colis des ca­
mions, les trier, les mettre sur des
chariots, puis les poser sur des ta­
pis roulants. Le tout, dans un
stress permanent. « Le chef était
tout le temps sur mon dos, répé­
Au bout de trois jours, la société
Malgré l’absence d’intérim l’a finalement rappelé :
de signes positifs « Ils m’ont dit qu’ils avaient du mal
à me remplacer. Un travailleur ré­
sur leur gularisé n’accepterait pas ces
régularisation, conditions. » « Les salariés sans
papiers sont effectivement les
ils restent sur seuls à devoir venir travailler très
place, dormant tard le soir ou très tôt le matin, les
seuls dont les horaires sont modi­
dans des abris fiés le jour même sous la menace
de fortune de ne pas les garder s’ils refu­
sent ces changements », relève
Eddy Talbot, membre du bureau
tant : “Allez, allez”, narre M. Dem­ fédéral de SUD­PTT.
bélé. Il y avait un bouton d’arrêt Aujourd’hui, la situation semble
d’urgence sur les tapis au cas où on figée, alors que plane la menace
était débordé. » Mais l’actionner d’une évacuation du piquet de
est risqué. « J’ai appuyé une fois. grève du Coudray­Montceaux. Le
Le lendemain, j’ai reçu un SMS de 4 janvier a eu lieu une réunion à
fin de mission. » l’initiative de l’inspection du tra­
vail de l’Essonne, avec des repré­
sentants de DPD, de Deriche­
bourg, de Solidaires, de SUD­PTT,
ainsi que du Collectif des tra­
vailleurs sans papiers de Vitry­
sur­Seine (Val­de­Marne). « Deri­
chebourg semblait vouloir ouvrir
des négociations, mais il ne s’est
rien passé pour le moment », re­
grette M. Stassi. Sollicitée, la di­
rection ne nous a pas répondu.
« Fortes variations d’activité »
Du côté des préfectures, aucune
avancée non plus. Quant à La
Poste, son discours ne varie pas.
Sollicité à plusieurs reprises, le
groupe public s’est contenté de
nous répondre par courriel.
Comme en 2019, l’entreprise, par
la voix de son service de presse,
Comme en 2019,
le groupe public
La Poste
répète que
ces personnes
« ne sont pas
[ses] salariés »
répète que ces sans­papiers « ne
sont pas [ses] salariés ».
« Nous suivons attentivement les
manifestations qui se déroulent de­
puis quelques semaines, mais elles
ne concernent pas des salariés de
Chronopost », explique la filiale de
La Poste dans un échange d’e­
mails, ajoutant qu’elle « condamne
fermement le recours au travail illé­
gal et fait tout ce qui est en [son]
pouvoir pour [s’]assurer que les en­
treprises sous­traitantes remplis­
sent leurs obligations ».
Chronopost précise que son
« modèle économique (…) impli­
que le recours à la sous­traitance
pour faire face aux fortes varia­
tions d’activité ». « Recourir à des
contrats à durée déterminée ne me
choquerait pas en soi », affirme
M. Talbot. Mais, selon lui, La Poste
cherche surtout à « réduire ses
coûts ». « Les postiers ont obtenu
que les vacations durent deux heu­
res au maximum, car c’est un tra­
vail usant, puis ils font d’autres tâ­
ches. Pour contourner ce droit, La
Poste utilise les sous­traitants et,
parmi eux, les plus précaires que
sont les sans­papiers. »
« Je suis très en colère, déclare
Luc Carvounas, maire PS d’Alfort­
ville (Val­de­Marne), ancien dé­
puté, qui soutient le piquet de
grève, y compris matériellement,
comme celui de 2019. En deux ans,
rien ne s’est passé ! La Poste se
pense intouchable, car le gouver­
nement ne bouge pas. L’Etat doit
dire à La Poste que cette situation
doit se terminer, qu’elle doit revoir
ses relations avec les sous­trai­
tants et que les salariés doivent
avoir leurs papiers. » 
francine aizicovici

Stellantis continue de se séparer

de ses salariés français à un rythme élevé HORS-SÉRIE

Le constructeur automobile envisage 2 600 départs volontaires d’ici à la fin 2023

LES

PEUPLES
L e flux de départs des sala­ dre fin au 31 mars et avait conduit partie des organisations syndica­ RCC sera peut­être difficile à obte­

CARTES
EN

riés des usines françaises de au départ de 1 380 personnes les. « Notre avis est a priori favora­ nir. La négociation intervient
Stellantis ne devrait pas se en 2021. « L’effectif partant mis sur ble, explique Franck Don, délégué alors qu’une réorganisation in­
tarir dans les années à venir. C’est la table est dans la continuité des syndical CFTC. Mais nous atten­ dustrielle est mise en place dans
ce qui ressort d’une réunion de quatre dernières années, depuis dons de connaître la contrepartie, les sites français en février. Sur le
négociation sur les ruptures con­ que la RCC a été mise en place dans c’est­à­dire les embauches que la modèle des usines latino­améri­
ventionnelles collectives (RCC) et l’entreprise, souligne Christine Vi­ direction met en face, et en parti­ caines de Fiat Chrysler, un niveau
les mesures d’âge (congés senior) rassamy, déléguée syndicale cen­ culier celles de jeunes. » hiérarchique va disparaître dans
au sein des sites tricolores du trale CFDT de Stellantis France. La l’encadrement des chaînes de
constructeur franco­italo­améri­ différence avec les autres négocia­ Bataille de chiffres montage, passant de trois à deux.
cain, qui s’est tenue mardi 1er fé­ tions, c’est que le plan qui nous a « Les recrutements devront com­ Voilà de quoi inquiéter des syndi­
vrier. Le directeur des ressources été présenté court sur deux ans. » penser au moins la moitié des dé­ cats français qui vivent déjà un
humaines pour la France, Bruno Dans le document de travail parts », ajoute Mme Virassamy. La sentiment de déclassement dans
Bertin, y a annoncé aux organi­ soumis aux syndicats, et que Le CFDT s’alarme de la réduction une entité moins centrée sur la
sations syndicales que l’entreprise Monde a pu consulter, la direction d’effectifs affectant depuis des France qu’avant la fusion.
envisageait le départ volontaire justifie le renouvellement du années les 17 sites industriels Surtout, ils sont nombreux à
de 1 300 personnes sur deux ans, dispositif « par les transforma­ français de l’ex­PSA, devenu Stel­ déplorer une aggravation des
soit 2 600 employés sortis des tions technologiques à accompa­ lantis depuis sa fusion avec Fiat conditions de travail. « En Moselle,
effectifs d’ici à la fin de 2023. gner : la transition énergétique, le Chrysler, il y a un an. C’est les salariés quittent les usines de
Il s’agit d’un renouvellement du développement du logiciel ». Un d’ailleurs l’occasion d’une bataille Metz et Trémery pour les horaires
précédent accord, qui doit pren­ argumentaire accepté par une de chiffres entre le syndicat et la plus vivables et les meilleurs salai­
direction. Cette dernière met en res d’Amazon, qui vient de s’instal­
avant 1 127 embauches en CDI ler à proximité », relève Mme Viras­
Une « gigafactory » de batteries en 2021 dans la division automo­
bile France. « Ce décompte englobe
samy. « Ce sont des sous­effectifs
jamais vus dans la production,
s’implante à Dunkerque la partie commerce et services, ré­ ajoute Jean­Pierre Mercier, délé­
La start-up grenobloise Verkor, soutenue par Renault, Schneider pond Christine Virassamy. Sur le gué central CGT. On supprime des LES PEUPLES EN CARTES
Electric et Arkema, a annoncé, mardi 1er février, avoir choisi périmètre des sites de production, emplois, alors qu’il faudrait em­
Dunkerque (Nord) pour implanter sa première « gigafactory » de on n’est qu’à 273 recrutements. » baucher, au moment où l’entre­ Un hors-série
cellules de batteries bas carbone, qui emploiera jusqu’à 1 200 sa- Au total, selon la CFDT, les effec­ prise s’apprête à annoncer des pro­ 124 pages - 14 €
lariés dès la première phase de production. Il s’agit de la troisième tifs permanents sont passés de fits record. » Au dire de la CGT, le
Chez votre marchand de journaux
usine de batteries à s’installer en France, avec celle du sino-japo- 74 000 en 2007 à 40 000 en 2020 bénéfice de Stellantis, qui sera
nais Envision AESC dans le pôle ElectriCity de Renault, près de (45 000 d’après la direction). présenté le 23 février, pourrait et sur lemonde.fr/boutique
Douai (Nord), et celle de Stellantis et de TotalEnergies, à Douvrin Mais même avec des embau­ avoisiner 12 milliards d’euros. 
(Pas-de-Calais), où la production doit commencer en 2023. ches, un accord syndical sur les éric béziat

18 | économie & entreprise
PORTRAIT
san francisco ­ correspondante
L
e type qui monte sur
le ring à peine le com­
bat fini, pour inter­
viewer le vainqueur ?
C’est lui. Si le vaincu
est encore en état, il
est tout prêt à lui tendre aussi le
micro. Joe Rogan, animateur ra­
dio, champion de la provocation,
est un grand amateur d’arts mar­
tiaux. Trapu, punchy, spécialiste
du rentre­dedans, il est aussi co­
médien de stand­up. « Une petite
boule de colère », selon le surnom
que lui ont donné ses collègues.
Son registre comique : l’anti­poli­
tiquement correct.
S’il est sur la sellette,
aujourd’hui, c’est pour son pod­
cast. « JRE » ou « Joe Rogan Expe­
rience » est un succès mondial.
Diffusé sur Spotify, c’est le plus
écouté des quelque 3,2 millions de
podcasts hébergés par le géant
suédois du streaming musical. Joe
Rogan, 54 ans, y reçoit toutes sor­
tes d’invités, musiciens, psycholo­
gues, scientifiques, chefs cuisi­
niers, anciens des forces spéciales,
boxeurs (et boxeuses), connus ou
inconnus, mais toujours icono­
clastes. Depuis des mois, le micro
est largement ouvert à quiconque
conteste les mesures sanitaires
anti­Covid et la vaccination.
Le 24 janvier, le chanteur Neil
Young a mis la plate­forme en de­
meure de faire cesser la désinfor­
mation. « Spotify peut avoir Ro­
gan ou Young. Pas les deux », a in­
timé l’ex­légende du folk­rock des
années 1970. La compagnie sué­
doise a refusé de censurer le tru­
blion aux 11 millions d’auditeurs
quotidiens. Deux jours plus tard,
Neil Young a préféré retirer ses
chansons du catalogue, en accu­
sant la plate­forme de « faire de
l’argent avec des mensonges ».
Après Facebook et Twitter, Spotify
s’est trouvée entraînée à son tour
dans un bras de fer sur la liberté
d’expression et le politiquement
correct à l’heure de la pandémie.
TROISIÈME ŒIL
Joe Rogan est né à Newark, dans ce
New Jersey mi­italien mi­irlandais
chanté par Bruce Springsteen. Son
père était policier – et violent à la
maison. Ses parents ont divorcé
alors qu’il avait 5 ans. A 14 ans,
l’adolescent a commencé le karaté
et, un an plus tard, le taekwondo,
dont il est devenu quadruple
champion dans le Massachusetts,
puis champion des Etats­Unis.
Après avoir laissé tomber l’univer­
sité, il s’est essayé à la comédie.
Ceinture noire de jiu­jitsu brési­
lien, il s’illustre depuis 1997
comme commentateur des
matchs du circuit UFC (Ultimate
Fighting Championship), l’organi­
sation qui a eu l’idée de lancer des
lutteurs de catégories différentes
sur le même ring, et que le
meilleur gagne. Rogan a accompa­
gné la montée en puissance de
l’UFC auprès des jeunes : contre
toute attente, les millennials se
sont pris de passion pour le tour­
noi, et pour son héros, Conor
McGregor, le plus mauvais cou­
cheur que le ring ait connu,
aujourd’hui reconverti en influen­
ceur pour une marque de whisky.
Joe Rogan a le crâne lisse ; il
aime les joints, les drogues psy­
chédéliques et les tatouages. Ses
deltoïdes sont fleuris comme des
tapisseries ; l’un arbore le troi­
sième œil des spiritualistes hin­
dous, inspiré de ses expériences
avec le DMT (diméthyltrypta­
mine, un hallucinogène puis­
sant). En 2020, Spotify lui a offert
un contrat d’exclusivité, estimé à
une centaine de millions de dol­
lars, non sans avoir purgé son ré­
PLEIN CADRE
Joe Rogan, la star
sulfureuse des podcasts
qui embarrasse Spotify
Pour avoir ouvert le micro du podcast le plus écouté du géant
du streaming à des antivax, l’animateur, vertement critiqué,
contraint Spotify à « faire plus » en matière de désinformation
pertoire de certaines émissions
complotistes. A gauche, beau­
coup se sont indignés que la pla­
te­forme suédoise fasse un tel
accueil à un animateur « homo­
phobe, transphobe, islamophobe,
raciste et misogyne », selon la des­
cription de l’association MoveOn.
Comme son nom l’indique, le
show de Joe Rogan est une « expé­
rience ». L’invité (la chanteuse Mi­
ley Cyrus, le rappeur Kanye West,
le réalisateur Oliver Stone ou en­
core Jack Dorsey, le cofondateur
de Twitter, Neil deGrasse Tyson,
l’astrophysicien…) est assis face à
l’animateur, casque sur la tête,
pour une durée indéterminée. Le
ton est à la conversation. Rogan a
tout le temps, il aime les conjectu­
res farfelues et les théories alter­
natives. En septembre 2018, il a
fait boire moult whiskys à Elon
Musk, avant de le mettre au défi
de fumer un joint. « C’est légal ? »,
s’est enquis le maître de Space X,
dans un nuage de fumée. Le len­
demain, Wall Street manifestait
sa désapprobation : l’action Tesla
baissait de 9 %.
Joe Rogan n’a rien d’un Bill
O’Reilly ou d’un Glenn Beck, les
animateurs portés aux nues par
le Tea Party dans les années
Obama. Il est libertarien, antireli­
gieux, dans la lignée des humo­
ristes dont l’agacement contre les
carcans intellectuels va croissant,
comme Bill Maher, qui peste con­
tre la fraction dite « woke » de la
gauche progressiste tous les ven­
dredi soirs sur HBO. En 2016,
pour la primaire démocrate, Ro­
gan a pris parti pour Bernie San­
ders – qu’il a même invité. Finale­
ment, plutôt que pour Biden ou
Trump, il a voté pour la candidate
libertarienne à la Maison Blan­
che, Jo Jorgensen. Au nom de la li­
berté d’expression, il n’en n’a pas
moins convié les principaux
moutons noirs de l’extrême
droite, comme Alex Jones, du site
InfoWars, alors que l’animateur
complotiste avait été chassé de
Spotify depuis deux ans.
Le succès de Joe Rogan fait la
perplexité des médias. Quatorze
millions d’abonnés sur Insta­
gram, des fidèles qui se tatouent
son visage sur le corps, répètent
sa maxime préférée (« S’il vous ar­
rive de commencer à prendre les
choses trop sérieusement, souve­
nez­vous que nous ne sommes que
des singes parlants voguant dans
l’Univers sur un vaisseau spatial
biologique »). Son podcast enre­
gistre 190 millions de télécharge­
ments par mois, soit plus que ce­
lui du New York Times, « The
Daily », et que celui de Michelle
Obama. Ses auditeurs sont plus
jeunes que l’ordinaire des ama­
Il a fait boire
Elon Musk, avant
de le mettre
au défi de fumer
un joint.
Le lendemain,
l’action Tesla
baissait de 9 %
teurs de podcasts : 24 ans en
moyenne, selon le site Media Mo­
nitors. Et 71 % sont des hommes,
la moitié sont diplômés d’études
supérieures. Joe Rogan parle ma­
nifestement au peuple des hom­
mes, les « mâles », sur la défensive
depuis l’affirmation #metoo. « Sa
marque, c’est la testostérone », a
résumé le Washington Post.
BÊTE DE SCÈNE
Joe Rogan a été quelques années
le présentateur de l’émission
« Fear Factor ». Il a le goût du ring
et de la viande rouge. Sur les plan­
ches, il se défoule. Une vraie bête
de scène, et l’expression prend
tout son sens quand on le voit in­
carner chat et chien dans un
sketch hilarant sur les végéta­
riens qui ambitionnent de faire
avaler de la salade bio à leur félin
d’appartement. Les « talibans »
végétariens sont une de ses cibles
préférées. « Ils ne sont végétariens
que parce que la scientologie ne les
a pas trouvés en premier », lance­
t­il dans son dernier show,
Strange Times, diffusé sur Netflix.
Depuis la pandémie, l’anima­
teur se fait une joie d’inviter les
bannis des autres antennes, les
complotistes, les anti­« woke » et,
bien sûr, les antivax. En avril 2021,
il a estimé que les jeunes n’avaient
pas besoin de se soucier de vaccin,
pour peu qu’ils soient « en bonne
santé, qu’ils fassent régulièrement
du sport et se nourrissent saine­
ment ». Devant le tollé, il a assuré
qu’il n’était pas opposé à la vacci­
nation, au contraire, et qu’il n’était
de toute façon pas une source
fiable d’informations médicales.
« Même pour moi. » Au début
de septembre 2021, quand il a lui­
même contracté le Covid­19, il a ré­
vélé qu’il avait pris de l’ivermec­
tine, un antiparasitaire utilisé à
des fins vétérinaires, dont l’agence
américaine des médicaments a
déconseillé l’usage aux humains.
Le 31 décembre 2021, pour l’épi­
sode 1 757 du show, il a reçu le doc­
teur Robert Malone, l’un des pion­
niers des travaux sur l’ARN messa­
ger, écarté de la communauté
médicale (et suspendu la veille
de Twitter) pour désinformation.
Pendant trois heures et six minu­
tes, le spécialiste a livré le fond de
sa pensée sur les vaccins (poten­
tiellement dangereux), les autori­
tés sanitaires (qui ont « hypnotisé »
l’opinion), etc. La prestation a en­
traîné la diffusion d’une lettre de
protestation signée par 270 mé­
decins, infirmières, éducateurs et
scientifiques demandant à Spo­
tify d’« établir immédiatement des
règles claires et publiques de modé­
ration de la désinformation ».
Le 12 janvier, Rogan a aussi as­
suré que, chez les jeunes, le risque
de contracter une myocardite
après avoir reçu le vaccin était
supérieur à celui d’en être atteint
après avoir attrapé le Covid­19.
Mais l’invité, le commentateur
australien Josh Szeps, l’a arrêté
net. Joe a appelé l’arbitre (Google)
et montré l’article dont il s’était
inspiré. Finalement, il a reconnu
l’avoir mal interprété, mais ré­
clamé quand même une enquête
approfondie, on ne sait jamais.
Après Neil Young, c’est Joni Mit­
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Joe Rogan
lors de
la pesée
officielle
de l’UFC 262
au George
R. Brown
Convention
Center,
à Houston
(Texas),
le 14 mai 2021.
TAIDGH BARRON/
ZUMA/ABACA
chell, autre héroïne de l’épopée
hippie, qui a retiré ses créations
de Spotify par solidarité avec le
chanteur américano­canadien
« et la communauté scientifique et
médicale mondiale ». Elle a été sui­
vie par Nils Lofgren, du groupe de
Bruce Springsteen E Street Band.
Les ex­Royals Harry and Meghan,
qui sont eux aussi sous contrat
avec Spotify, ont rappelé la plate­
forme à ses responsabilités face
à la désinformation, en sous­en­
tendant que la poursuite de leur
coopération en dépendait.
BATAILLE CULTURELLE
Les anti­Rogan ont lancé une cam­
pagne de désinscription, #Dele­
teSpotify. La plate­forme qui se
voulait cool, écrit l’un d’eux, se ré­
vèle « à l’égal de Facebook et Fox
News ». Entre le 26 et le 28 janvier,
l’action de Spotify a perdu 6 %.
A l’opposé, des centaines d’autres
– dont Elon Musk – ont remercié le
comédien pour sa défense de la li­
berté d’expression et Spotify pour
avoir tenu bon. Edward Snowden,
lui­même un ancien invité du
podcast, s’est étonné de l’impor­
tance donnée à un bateleur qui se
targue d’un troisième œil. Rogan,
responsable du « déclin de la con­
fiance dans les institutions » ? « Je­
tez­le dans le volcan et on aura
la paix mondiale avant lundi », a
ironisé le lanceur d’alerte.
A l’approche de la publication
des résultats trimestriels, le 2 fé­
vrier, l’état­major de la firme a es­
sayé de rependre la main. Le PDG
Daniel Ek a affirmé, dimanche
30 janvier, que Spotify avait com­
pris le message de Neil Young et
s’engageait à « faire plus » pour
combattre la désinformation. Il n’a
pas évoqué de sanctions à l’égard
de Rogan mais stipulé que les créa­
teurs devront éviter les contenus
qui minimisent la pandémie ou
avancent des informations « dan­
gereusement trompeuses ».
Joe a montré qu’il avait compris
le message lui aussi, mais à sa ma­
nière. Lundi, il s’est engagé à
s’amender. Non pas en cessant de
donner la parole aux antivax,
mais en faisant intervenir des
experts qui viendront les contre­
dire « juste après ». « Je ferai de
mon mieux pour essayer d’équili­
brer ces points de vue controver­
sés avec les perspectives d’autres
personnes », a­t­il promis. 
corine lesnes
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022 management | 19
Les nouveaux horizons de la négociation CARNET DE BUREAU 
CHRONIQUE PAR ANNE RODIER

salariale aux Etats­Unis Du bon usage du

Le Covid­19 a donné plus de pouvoir aux candidats à l’embauche, notamment aux femmes « réuniomètre »

E
new york ­ correspondance bauche leur ancienne rémunéra­ mance, voire une semaine de va­ n 2015, le studio d’innovation BrainsWatt créait le
tion. Depuis, quinze autres Etats
Des collectivités cances supplémentaire. » « réuniomètre ». A la fois gadget et instrument de

A
u début des années
2000, Mary Beck et
quelque 29 000 autres
employées de Boeing
poursuivent leur employeur pour
discrimination à l’embauche :
l’avionneur américain leur a de­
mandé quel était leur salaire sur
leur poste précédent. Comme
leurs fiches de paie étaient infé­
rieures à celles de leurs anciens
collègues masculins, le décalage
s’est perpétué chez Boeing. Pire, le
bonus d’embauche, lui aussi lié au
salaire précédent, est réduit. Et les
augmentations futures, les pour­
centages calculés en fonction du
salaire, ne permettent pas de rat­
traper l’écart avec leurs nouveaux
collègues.
L’affaire Beck vs Boeing a duré
plusieurs années. Mais au terme
de la procédure, les ex­salariées
ont gagné 72,5 millions de dollars
(64,4 millions d’euros). En 2019,
l’Etat de Washington, où sont ins­
tallées une bonne partie des usi­
nes de Boeing, a rectifié le tir. Les
employeurs n’ont plus le droit de
demander aux candidats à l’em­
LES CHIFFRES
10,6 MILLIONS
C’est le nombre d’offres d’em-
ploi disponibles aux Etats-Unis
en novembre 2021, selon le Bu-
reau of Labor Statistics, contre
6,8 millions en novembre 2020.
24 %
C’est le pourcentage d’hommes
possédant des stock-options,
contre 17 % des femmes,
selon une étude du Rutgers
Institute, réalisée pour le Wall
Street Journal.
(Massachusetts, New York, Cali­
fornie…) ont suivi la même dé­
marche. Mieux encore, quelques­
uns (Washington, Californie, etc),
et des collectivités locales, telle
Toledo (Ohio), et très bientôt la
ville de New York, imposent aux
employeurs de divulguer la four­
chette des salaires qu’ils sont
prêts à payer… Afin que chacun
sache à quoi s’attendre.
Ne pas se laisser brider
Ces différentes législations sont
« utiles pour les débutants, estime
le chasseur de têtes Josh May, fon­
dateur de Hire Strong. Cela évite
les salaires trop bas et les évolu­
tions de carrière trop lentes ».
« C’est une opportunité, ajoute Va­
nessa Bohns, professeure à l’uni­
versité Cornell et autrice du livre
You Have More Influence Than
You Think (W. W. Norton & Com­
pany, 2021). Vous ne devriez pas
être bridé par un ancien employeur
qui vous a sous­évalué. » « Ce serait
une grave erreur de croire que l’en­
treprise peut se contenter d’offrir
les salaires d’avant, renchérit Ste­
ven Rothberg, fondateur du cabi­
net College Recruiter. L’épidémie
de Covid­19 nous a fait compren­
dre que d’autres industries sont
preneuses. Les professionnels de
l’hôtellerie, par exemple, savent
que les portes des entrepôts et des
usines leur sont ouvertes… à de
meilleurs tarifs horaires. »
Les difficultés de recrutement
côté employeur, notamment
dues à la « grande démission » que
connaît le pays, changent la
donne. Milton Young, directeur
de l’approvisionnement dans l’in­
dustrie du gaz et du pétrole, le re­
connaît : « Nous n’avons pas assez
de personnels qualifiés et ils sont
plus difficiles. » Ainsi, « lorsqu’on
me demande de travailler une par­
tie de la semaine à la maison, j’ac­
cepte, sinon ils vont voir ailleurs ».
locales imposent
aux employeurs
de divulguer
la fourchette des
salaires qu’ils
sont prêts à payer
Décrocher un bon salaire, c’est
aussi tout un art. « Les femmes ont
peur de demander trop », assure
Mme Bohns. Certains hommes, au
contraire, savent s’y prendre. « J’ai
activé mon réseau de connaissan­
ces et j’ai signalé sur LinkedIn que
j’étais intéressé par de nouvelles
opportunités », explique Braxton
Bartlett, aujourd’hui conseiller fi­
nancier d’Avidian Wealth Solu­
tions. A la suite de cet appel, six
entreprises l’ont contacté, et il a
réussi à faire monter les enchères
en indiquant « qu’il discutait avec
d’autres compagnies ».
Faire son enquête
« Si le recruteur vous demande
combien vous voulez, ne répondez
pas tout de suite, conseille la
chasseuse de têtes Sara Noble. Les
femmes font souvent cette erreur.
Elles se tirent une balle dans le
pied en avançant un salaire en
dessous du marché. Mieux vaut
enquêter, demander peut­être à
d’autres recruteurs et interroger
des gens du métier. »
« Attendez d’avoir une première
offre, puis négociez, ajoute M. Ro­
theberg. C’est alors vous qui avez
le pouvoir, ils ont déjà décidé que
vous étiez le meilleur. » « Ne vous
contentez pas du salaire de base,
ajoute M. May. Pensez au bonus,
au plan de retraite, aux vacan­
ces… » « Quand la marge de négo­
ciation sur le salaire est étroite,
confie M. Young, je peux être plus
souple sur un bonus lié à la perfor­
Mieux vaut surtout ne pas limi­
ter ses ambitions : aux Etats­
Unis, il est possible de passer par
l’actionnariat salarié, sous la for­
me de stock­options. « Dites : je
sais que les femmes ont tendance
à ne pas les demander, mais je
les vaux bien, conseille ainsi
Mme Bohns. Et le recruteur entrou­
vre le dossier des actions. »
Réclamer des stock-options
Brooke Harley, fondatrice du cabi­
net ClassRebel.com, en sait quel­
que chose, puisque cette jeune ju­
riste, spécialiste du droit des affai­
res, avait l’habitude de monter
des programmes de stock­op­
tions pour ses clients. Quand,
plus tard, elle a posé sa candida­
ture pour un poste chez Lulule­
mon, expert en vêtements de
yoga, Mme Harley a eu « une con­
versation très sophistiquée avec le
directeur financier ». Ce dernier lui
a proposé 10 000 stock­options,
elle en a réclamé 40 000, et ils ont
trouvé un compromis à 20 000.
Six ans plus tard, Mme Harley déte­
nait un pactole d’un montant de
plus de 1,5 million de dollars.
La juriste se souvient aussi
d’une mission de deux heures
pour Livekindly.co, payée en ac­
tions. Dix­huit mois après, quand
l’entreprise s’est introduite en
Bourse, elle a gagné 50 000 dol­
lars. « Ces actions peuvent chan­
ger la vie, dit celle qui va bientôt
enseigner son savoir boursier
dans le cadre de ClassRebel.com.
Peu de gens en parlent. Les candi­
dats à l’embauche ont tendance à
se concentrer sur le salaire et le
bonus. Mais 10 000 dollars de re­
venus en plus ne vont pas changer
votre vie. » En revanche, un titre
qui monte en Bourse, c’est autre
chose, au point de devenir un élé­
ment­clé de la négociation sala­
riale aux Etats­Unis. 
caroline talbot
mesure au service du management, cette application
devait faire prendre conscience aux salariés du gâchis
de la réunionite. Les collaborateurs rassemblés en conf call,
briefing ou autre meeting visualisaient en temps réel le coût
de la réunion pour l’entreprise, en fonction du nombre de par­
ticipants, de leur salaire moyen – charges patronales compri­
ses – et du temps consacré. Les différentes estimations faites
par des entreprises privées évaluent le gâchis de la réunionite à
près de 1 million d’euros par an dans les PME.
Deux ans plus tard, en 2017, la réunion était l’objet d’une
nouvelle discipline, la « réuniologie », créée dans le cadre de
l’Ecole internationale de réuniologie, fondée par Louis
Vareille. Après trente ans passés dans l’agroalimentaire et
quelque 12 000 réunions à son actif, il a décidé de faire de « sa
passion » un objet d’études. Selon lui, un manageur passe en
moyenne dix heures par semaine en réunion. Pour un em­
ployé, c’est vingt­cinq heures par mois. Dans La Réunionite, ça
suffit ! (Eyrolles, 168 pages, 15 euros), l’autoproclamé « réunio­
logue » Louis Vareille confirme l’énorme gâchis pour les entre­
prises, non pas dans une vision doloriste du
management, mais pour y remédier.
UN MANAGEUR  Au­delà des règles de base à respecter pour
PASSE EN MOYENNE  être efficace et réduire la perte de temps, il
propose de manager les profils toxiques. On
DIX HEURES les connaît tous, les « terribles », comme il les
nomme. Fabrice le plaisantin, Nelly je­sais­
PAR SEMAINE tout, Jérémie le bavard et Sophie jamais d’ac­
cord. En présentiel comme en « visio », dans
EN RÉUNION toutes les entreprises, ils monopolisent le
temps de parole en oubliant bien souvent
l’ordre du jour. Dans son recueil, l’auteur donne des clés pour
« faire penser ceux qui parlent et faire parler ceux qui pensent ».
Un guide particulièrement judicieux à l’heure où le rôle de la
réunion, qui a toujours été un maillon essentiel de la dynami­
que du travail, a encore franchi un cap, avec l’essor des
visioconférences. Zoom le matin, Meet à 11 heures, les salariés
enchaînent jusqu’au soir ces temps partagés, auxquels s’invite
un élément jusque­là indésirable, vécu même comme un
« irritant » : l’échange informel.
Plus de machine à café ni de discussions de couloir en mana­
gement hybride. Les défauts de Nelly, Fabrice, Jérémie et Sophie
pourraient bien être reconsidérés pour réintroduire l’informel
au sein des équipes à distance. A moins que ce soit Stéphane le
taiseux qui donne désormais le « la » grâce à sa maîtrise du lan­
gage non verbal. Il pourrait en effet être plus efficace. Selon une
récente note de l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques publiée par le Sénat en décem­
bre 2021, les participants à une visioconférence tendent à exagé­
rer leur langage corporel, et ceux qui s’expriment parlent 15 %
plus fort. Le plus difficile sera de bien distribuer les rôles pour
respecter à la fois l’ordre du jour et la place du lien social. Une
caractéristique que ne mesure pas encore le « réuniomètre ». 

AVIS D’EXPERT  |  DROIT SOCIAL LE DANGER DU TRAVAIL EN MIETTES

Fidéliser avec la clause de non­concurrence

S T
ans aller jusqu’à la « grande démission »
américaine (ou great resignation), nom­
bre d’entreprises font aujourd’hui face à
une forte croissance des démissions. Et ce sont
souvent les meilleurs qui partent, pour rejoin­
dre la concurrence. Or, même si, pour nombre
de manageurs ayant pris sous leur aile un jeune
prometteur, « démission » rime parfois avec
« trahison », elle constitue « l’exercice du prin­
cipe fondamental de libre exercice d’une activité
professionnelle », si le préavis est respecté.
Alors, comment fidéliser ces jeunes talents ?
Deux fondamentaux. Premièrement, éviter
de les faire fuir : management toxique, rémuné­
ration inadéquate. Deuxièmement, éviter de
les inciter au départ, avec des ruptures conven­
tionnelles encadrées, ou avec un éventuel plan
de départs volontaires bien ciblé.
Et deux techniques pour retenir ces salariés :
les « fleurs » RH, soit télétravail flexible, qualité
de vie au travail, bonus versé au bon moment,
promesse d’évolution de carrière. Subsidiaire­
ment, les chaînes juridiques : actions gratuites
ne pouvant être exercées que dans trois ans (les
bons de souscription de parts de créateur d’en­
treprise, ou BSPCE), ou clause de dédit­forma­
tion obligeant le démissionnaire à rembourser
les lourdes dépenses effectuées par l’employeur.
Et bien sûr la clause de non­concurrence, qui
interdit au collaborateur d’aller travailler à la
concurrence pendant six mois ou un an, dans
un périmètre géographique fixé, en échange
d’une contrepartie financière. Avec, en cas de
violation, une clause pénale de plusieurs dizai­
nes de milliers d’euros à la charge du salarié.
Or, dans les deux cas, alors que le non­respect
de ces clauses est banal, le contentieux prud’ho­
mal est rare. Pourquoi ? D’abord, car le but réel
des RH n’est pas le but officiel des juristes, ces
clauses ont d’abord une fonction préventive.
Ensuite, car le démissionnaire refusant généra­
lement de payer quoi que ce soit, une procédure
prud’homale devra être lancée par l’entreprise out commence par une « opacité ». Grâce aux multiples
délaissée : être quitté est pénible, être trompé promesse. Celle d’un mé­ données accumulées (perfor­
encore davantage, alors de là à le faire savoir… tier qui offrirait indépen­ mance du livreur, implication…),
Deux arrêts de la Cour de cassation du 13 octo­ dance et flexibilité, qui l’algorithme détermine qui a ac­
bre 2021 apportent des précisions pratiques sur permettrait d’avoir la main sur cès aux créneaux de livraison les
la clause de non­concurrence. En premier lieu, il son emploi du temps autant que plus rentables, à qui vont être at­
ne faut pas confondre la contrepartie financière sur son niveau de rémunération, tribuées plus de commandes,
obligatoirement due au salarié pendant toute la loin du monde du salariat et des fi­ voire qui sera exclu du système.
durée de l’interdiction (de 30 % à 80 % du salaire gures du patron et du manageur. « L’organisation du travail des pla­
mensuel, selon la convention collective) avec la Loin de ces images véhiculées par tes­formes conduit (…) à une usure
clause pénale prévue en cas de violation. les plates­formes numériques, la mentale et physique prématurée UBÉRISATION, ET APRÈS ?
Si cette dernière est manifestement excessive, réalité des livreurs ou des femmes des livreurs », constatent les socio­ Collectif coordonné par
elle peut faire l’objet d’une réduction par le juge. de ménage apparaît tout autre. logues Stéphane Le Lay et Fabien Pascal Savoldelli, Editions
Mais pas la contrepartie financière, « stipulée en On le mesure à la lecture de Lemozy. Les auteurs de l’essai du Détour, 272 p., 19,90 €
conséquence de l’engage­ l’ouvrage collectif Ubérisation, et mettent en avant les grandes ca­
ment du salarié de ne pas après ? (Editions du Détour), qui rences que le statut de microen­
exercer, après la cessa­
DE NOMBREUSES  dévoile leur quotidien avec une lu­ trepreneur implique en matière maîtresse de conférences en droit
tion du contrat, d’activité ENTREPRISES  mière crue. Coordonné par le sé­ de protection sociale. privé à l’université d’Avignon.
concurrente à celle de nateur communiste Pascal Savol­ Des actions sont­elles possibles Certaines annonces politiques
son ancien employeur » FONT FACE delli, l’essai rassemble des spécia­ pour faire évoluer un tel système ? constituent aussi pour eux un
(Cass. soc., 13 octo­ listes du sujet (sociologues, élus…) Les auteurs veulent le croire. Et ils motif d’espoir. Le gouvernement
bre 2021). Même si cer­
À UNE FORTE  pour analyser la montée en puis­ voient dans des actions déjà enga­ espagnol et les partenaires so­
taines contreparties éle­ CROISSANCE sance d’Uber et autres Deliveroo. gées la preuve qu’une remise en ciaux sont ainsi parvenus à un ac­
vées, consenties avant le Un constat est rapidement fait cause est possible. Au niveau local cord en 2021 pour introduire dans
départ en retraite d’un DES DÉMISSIONS par la sociologue Dominique comme international, des alter­ le code du travail une « présomp­
cadre dirigeant, ressem­ Méda : « Le discours selon lequel natives aux plates­formes émer­ tion de salariat » pour les livreurs
blent fort à un discret parachute doré. l’autoentrepreneuriat [statut exigé gent ainsi, notamment sous de repas à domicile travaillant
Pour éviter de payer cette contrepartie une par les plates­formes pour tra­ forme de coopérative, telles que pour des plates­formes. Une ré­
fois le salarié parti, le contrat initial doit expres­ vailler avec elles] constituerait un les Coursiers bordelais. Des collec­ cente proposition de directive de
sément prévoir la possibilité pour l’entreprise havre de liberté est un mythe, une tifs et des syndicats voient en la Commission européenne va
de renoncer à la clause dans un délai très bref illusion. » Au fil des pages se dessi­ outre le jour pour défendre les tra­ également en ce sens.
« à compter de la date à laquelle l’employeur a nent en effet des conditions de tra­ vailleurs des plates­formes. S’ils se veulent offensifs, les
connaissance de la rupture ». Soucieuse d’éviter vail qui minent les travailleurs. Parmi les combats à mener, auteurs ne sont pas moins cons­
que le salarié reste dans l’incertitude quant aux « Toute ma vie était organisée l’évolution vers un statut plus cients qu’il y a urgence à livrer ba­
entreprises où il peut postuler, la Cour de cassa­ autour de [l’]application [qui me protecteur que la microentreprise taille. Le modèle salarial serait, se­
tion a rappelé le même jour que l’employeur permettait de travailler] », déplore apparaît comme un enjeu central. lon eux, en danger, face au statut
renonçant à la clause hors délai devra verser un livreur, soulignant la dépen­ Les auteurs observent avec inté­ de microentrepreneur. Mme Go­
l’intégralité de la contrepartie. Si le salarié a dance qu’elle provoquait. rêt l’actualité judiciaire récente. mes résume : « Si on accepte ce mo­
respecté son obligation.  Le système de surveillance et de « Désormais, dans toute l’Europe, dèle pour les plus précaires, il n’y a
notation permanente est les décisions de justice requalifiant aucune raison pour que cela ne fi­
Jean­Emmanuel Ray est professeur à l’école dénoncé, mais aussi le « manage­ les travailleurs en salariés se multi­ nisse pas par se généraliser. » 
de droit de Paris­I­Panthéon­Sorbonne. ment algorithmique » et son plient », assure Barbara Gomes, françois desnoyers
20 | horizons
« France » culture
le havre ­ envoyé spécial
H
angar n° 1, terminal de la
pointe de Floride. Au bout
de ce quai déserté du port
du Havre, il n’y a plus que
de vieux entrepôts aux
portes en bois, des pavés
disjoints, des rails sans train et plus guère de
marins. C’est là, dans ce hangar promis à la
démolition, que le passé maritime de la ville
a trouvé un refuge : une chaloupe de balei­
nier, un DUKW amphibie de l’armée améri­
caine, des chariots à bagages… Et un trésor :
les reliques les plus emblématiques du
paquebot France. Comme ces lettres lumi­
neuses qui composent son nom (2,5 mètres
chacune sous la toise, visibles à 7 kilomètres
par temps clair), autrefois installées sur le
pont supérieur. Elles contribuaient à la fierté
attachée au dernier transatlantique national.
« Quand on les allumait dans la nuit, on avait
toujours un pincement au cœur », se souvient
Jean­Louis Quémar, 87 ans, officier de pont
sur le paquebot de 1964 à 1968.
Il y a soixante ans, le 3 février 1962, le France
– ou juste France, puisque le nom officiel n’a
pas d’article – entamait sa première traversée
pour New York. A l’occasion de cet anniver­
saire, l’association du Musée maritime et
portuaire, qui veille sur le patrimoine du
fameux hangar, espère pouvoir ouvrir sa
collection au public. « D’ici au mois de mars »,
escompte Jean­Pierre Ollivier, vice­président.
Les visiteurs pourront notamment découvrir
la passerelle restaurée en 2021, un maillon de
la chaîne de l’ancre, un hublot, la sirène ou un
petit bout de la coque découpée lors du
démantèlement du navire, en 2008, en Inde.
Ce pourrait être une manière de conjurer le
sort. Car l’avenir des trésors du hangar n° 1
est incertain. « L’entrepôt sera détruit en 2025
pour construire un grand pôle de terminal
pour les croisières, explique Guillaume
Gaillard, directeur de la valorisation des pa­
trimoines à la ville du Havre. Cette activité ne
fait que croître. Et nous n’avons pas d’infras­
tructures dignes de ce nom. » Au sein de l’as­
sociation, on mesure à quel point l’horizon
est brumeux. « La pointe de Floride sera réa­
ménagée, confirme le président, Didier Raux.
Nous, on devra bouger. Mais la mairie devra
trouver une solution pour ce patrimoine. »
MÉMOIRE FRAGILE ET AMBIGUË
Le pari, c’est que l’ouverture au public ait du
succès et que les élus soient incités à exposer
les vestiges du transatlantique. Où ? Sur le
port, peut­être, ou dans un « lieu » – comme
on dit, puisque personne n’ose parler de
musée – qui reste à trouver. En tout cas, le sort
du hangar est à l’image de la mémoire laissée
ici par le célèbre paquebot : fragile et ambigu.
Le France est là, mais sans l’être. En dehors
des éléments conservés à la pointe de Floride,
le « nez » du paquebot est revenu d’Inde, lui
aussi, après avoir été acheté 172 000 euros par
l’Etat. Les quatre tonnes de l’extrémité de la
proue sont posées sur un socle, à l’air libre,
dans un recoin du port. Il y a également les
collections, impressionnantes, de l’établisse­
ment public French Lines. Abrité dans une
ancienne usine havraise, il veille sur le patri­
moine de la marine marchande française et
des compagnies transatlantiques. De nom­
breux vestiges du France s’y trouvent. Tapis­
series d’Aubusson, bagages, argenterie,
commodes de première classe avec plateau
Formica, sièges, chapelle portative, affiches…
Mais tout cela n’est pas accessible au public.
Une mémoire plus intime, plus discrète, se
cache ailleurs. « Dans toutes les maisons ha­
vraises, précise Marie­Anne du Boullay, direc­
trice de French Lines, il y a des menus, des éti­
quettes de bagages, des dépliants publicitai­
res, des photos ou des films. » Aujourd’hui,
raconte­t­elle, « les générations qui ont connu
le bateau meurent. Les héritiers vident les
armoires, les caves et les greniers. Leur réflexe,
c’est souvent d’essayer de vendre ces souvenirs
sur Internet, mais ils se rendent vite compte
que cela ne vaut pas ce qu’ils croyaient ».
De fait, ceux qui ont travaillé ou voyagé sur
le France disparaissent peu à peu. Leurs
témoignages sont si précieux qu’une asso­
ciation, Passerelle de mémoire, lancera une
« campagne de collecte de mémoire orale »,
probablement dès mars. L’idée est simple :
inviter les Havrais à raconter « leur » France.
Jusqu’en juin, elle sillonnera la ville à la
recherche des témoins afin de collecter et fil­
Il y a soixante ans, le célèbre paquebot, symbole des
« trente glorieuses », effectuait sa première traversée
transatlantique. Au Havre, les anciens s’en souviennent
avec nostalgie et cherchent à préserver ses reliques
René Montier, ancien chef de rang sur le « France », au Havre, le 27 janvier. FLORENCE BROCHOIRE POUR « LE MONDE »
Le paquebot « France » près du Havre, en 1962. COLLECTION FRENCH LINES & COMPAGNIES
mer leurs récits. Un documentaire sera réa­
lisé, puis diffusé en fin d’année. L’objectif est
de sensibiliser les plus jeunes au « lien éton­
nant » noué entre leur ville et ce navire.
« Je ne suis pas certaine que les moins de
50 ans se souviennent du bateau, confie
Marie­Anne du Boullay. D’autant que la ville
n’en a pas vraiment conservé la mémoire. Il
n’y a pas d’avenue du Paquebot­France, par
exemple. » La directrice de French Lines
salue, malgré tout, l’investissement de la
municipalité pour conserver au mieux les
collections, ou aider au classement des
archives. Chez les plus anciens, en revanche,
le souvenir est vif. Des pages Facebook
maintiennent le lien. Quelques témoins
directs, des hommes le plus souvent, rési­
dent encore dans les parages. Beaucoup ont
un petit musée personnel.
Dans le séjour de son pavillon, René
Montier, 82 ans, qui a travaillé sur le France
de 1962 à 1974, où il fut chef de rang au res­
taurant première classe, a sa vitrine. On y
trouve des médailles, une étiquette à bagage
ou un cendrier, posé à l’envers « parce que
l’inscription dorée s’efface ». René évoque ce
passé prestigieux avec gaîté, mais la nostal­
gie s’impose le plus souvent. « J’ai France
dans les tripes, dit le lieutenant Jean­Louis
Quémar. Ce bateau avait quelque chose de
spécial. On était fiers d’être à bord. Quand on
marchait à 30 nœuds dans la brume sur les
bancs de Terre­Neuve, les chalutiers russes
qui y pêchaient la morue s’écartaient pour
nous laisser passer et nous saluaient. »
France, c’est la France. Yvonne de Gaulle est
sa marraine. Et son époux, auquel un lit a été
réservé – de même qu’un tiroir grande taille
dans la morgue du bord –, veille sur sa mise à
« DANS TOUTES  l’eau, en 1960. « Le paquebot France est lancé. Il
LES MAISONS  a épousé la mer », s’exclame­t­il. Que le Géné­
ral critique l’intervention américaine au Viet­
HAVRAISES,  nam dans son célèbre discours de Phnom
Penh, en 1966, et 180 passagers américains an­
IL Y A DES MENUS,  nulent leur réservation, rappelle M. Quémar.
DES ÉTIQUETTES  Le bateau symbolise la fierté retrouvée de la
France des « trente glorieuses », débordante de
DE BAGAGES,  vitalité économique. Il multiplie les inno­
vations techniques et témoigne, souligne
DES DÉPLIANTS  Vincent Letac, 60 ans, jeune voyageur de la
PUBLICITAIRES,  dernière traversée, « d’une foi dans la moder­
nité et dans l’avenir sans limite ». Il avait alors
DES PHOTOS  11 ans et se souvient avoir visité la salle des
machines : « Il y avait huit chaudières hautes
OU DES FILMS  comme des cathédrales. Les arbres des quatre
hélices faisaient un mètre de diamètre. Cela
DU PAQUEBOT » donnait un sentiment de puissance colossale. »
MARIE-ANNE DU BOULLAY C’est ainsi : France n’a vogué que douze ans
directrice sous pavillon français, sur les cent dix années
de l’établissement public de liaison maritime transatlantique à partir
French Lines du Havre, mais il a marqué l’imaginaire.
Le paquebot est l’expression d’une pratique
raffinée du voyage. La table est réputée, géné­
reuse, et les Américains (80 % de la clientèle)
prisent l’art de vivre à la française. « En ce
temps­là, on voyageait de manière élégante,
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
poursuit M. Letac. Sur le France, encore plus. La
décoration des cabines était soignée, le service
irréprochable. On utilisait de l’argenterie à
table. Les gens s’habillaient pour les repas et ne
se baladaient pas en tee­shirt. » Des célébrités
empruntent la French Line : Alfred Hitchcock,
Michèle Morgan, James Stewart, Dwight
Eisenhower, Eugène Ionesco, Bourvil, Jean­
Paul Belmondo, Alberto Giacometti, Joseph
Kessel, Louis de Funès, Alain Delon, Johnny
Hallyday… La Joconde elle­même a voyagé à
bord dans une cabine spéciale, avec deux gar­
des du corps et une température adaptée.
Les anecdotes abondent. René Montier
raconte que la femme de Salvador Dali arri­
vait toujours la première au restaurant. Et
elle attendait, longtemps. Puis l’artiste se pré­
sentait en haut de l’escalier et les gens
applaudissaient. « On lui avait demandé
pourquoi il faisait ça, dit l’ancien chef de rang.
Il avait répondu : “Je suis Dali, je fais Dali.” Il
donnait de très gros pourboires, cela pouvait
aller jusqu’à 500 francs », soit l’équivalent, à
l’époque, de près de 600 euros.
Ce faste rejaillit sur Le Havre, encore meurtri
d’avoir été rasé pendant la seconde guerre
mondiale. La reconstruction conduite par le
« maître du béton armé », l’architecte Auguste
Perret, rebute les habitants. Le bateau, au
moins, apporte « un côté glamour, presti­
gieux » à la ville, rappelle Mme du Boullay.
Mais le souvenir est ambigu. Car l’histoire a
mal tourné. En 1974, l’Etat, actionnaire de la
Compagnie générale transatlantique, coupe
les vivres au France, considérant que la
concurrence de l’avion et le choc pétrolier de
1973 l’ont condamné. « Est­il raisonnable
d’imposer au contribuable le paiement d’une
somme aussi importante, qui représente la
construction de deux hôpitaux ? », s’interroge
le premier ministre, Jacques Chirac.
« LE DÉBUT DU DÉCLIN »
Le gouvernement décide de désarmer le pa­
quebot. En septembre 1974, l’équipage se bra­
que et le bloque en plein milieu du chenal du
port du Havre. « Dans le code maritime, c’était
une mutinerie, reconnaît André­Pierre Ter­
rier, 67 ans, arrivé sur le France en 1971, à l’âge
de 16 ans, comme mousse de deck et mem­
bre actif du mouvement social. D’ailleurs, il y
a eu un semblant de rébellion de l’officier. Oui,
j’étais mutin, et j’en suis fier. Quand on a averti
les passagers dans la salle à manger, ils nous
ont applaudis. J’en ai encore les poils dressés. »
La grève de trois mois qui s’ensuit ne per­
mettra pas de renverser la vapeur. Le France
ne voguera plus. C’est un drame national,
doublé d’une gifle pour Le Havre. Le paquebot
restera amarré cinq ans au « quai de l’oubli »,
un coin éloigné. Les anciens, eux, sont restés
mutins dans l’âme. « La fin de France, confie
Robert Viger, 73 ans, garçon sur le navire de
1966 à 1972, le regard soudain embué, je ne l’ai
pas bien vécue du tout. Je ne l’acceptais pas. Je
fais partie de ceux qui pensaient qu’on aurait
pu le garder comme hôtel flottant. » Le lieute­
nant Quémar n’a pas, lui non plus, digéré l’ar­
rêt sans appel : « Le navire était viable, contrai­
rement à ce qu’on raconte. Il aurait fallu faire
plus de premières classes, installer une disco­
thèque et un casino », proteste­t­il, avant de
lâcher : « Le désarmement de France, c’est le
début du déclin du pays. » Dans ces années, la
crise économique met un terme brutal aux
« trente glorieuses ». L’Occident change d’épo­
que. « C’est le début du libéralisme de Reagan
et de Thatcher, soupire le syndicaliste André­
Pierre Terrier. Le France devient un canard
boiteux, comme le Concorde. »
Le 18 août 1979, le navire doit se rendre en
Allemagne, où il sera transformé en bateau de
croisière norvégien. Les lettres F, R, A, N, C et E
sont masquées. Lorsque l’équipage demande
à ce que les amarres soient larguées, les Fran­
çais refusent, relate Didier Raux. Les cordes
sont coupées par les matelots. Aujourd’hui, les
bouts restés à quai sont, eux aussi, dans le
hangar n° 1 de la pointe de Floride.
Ce jour de l’été 1979, Jean­Claude Tanguy est
dans son bureau avec vue sur le port. Comme
la foule silencieuse, chavirée de tristesse, il
voit le paquebot s’éloigner sous un ciel maus­
sade. M. Tanguy, 78 ans, y avait travaillé
en 1963 comme nettoyeur­infirmier. « J’ai
regardé le bateau partir, raconte­t­il. J’ai mis
mon paquet de cigarettes dans le tiroir de mon
bureau et il y est resté. J’ai arrêté de fumer le
jour où le France a quitté Le Havre. C’est un
truc bizarre, je suis incapable d’expliquer
pourquoi j’ai fait ça. » 
benoît floc’h

0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Au parc
des Buttes­
Chaumont,
à Paris, en
1983. A droite,
Jacques
et Hélène
Grabstock.
PATRICK ZACHMANN/
MAGNUM PHOTOS
Patrick Zachmann, une vie 
d’images et de silences
Le photographe de l’agence Magnum, qui a grandi sans connaître
son histoire familiale, expose ses « Voyages de mémoire »
PHOTOGRAPHIE
D’
une vie de non­dits,
Patrick Zachmann a
fait des photogra­
phies. Comme s’il
avait voulu combler l’absence de
mots et de récit familial par
des images. « Le silence de mes pa­
rents m’a hanté, résume le photo­
graphe de l’agence Magnum.
Toute ma vie, j’ai essayé de recons­
tituer l’album de famille que je
n’ai jamais eu. »
Ce n’est donc pas étonnant si,
après quarante ans de carrière, la
vaste rétrospective qu’il présente
au Musée d’art et d’histoire du ju­
daïsme de Paris (auquel il a fait
une donation de deux cents tira­
ges), prend la forme d’une quête
personnelle, et ce malgré la va­
riété des sujets. Le spectateur le
suit dans ses allers­retours si­
nueux entre l’intime et les autres,
le proche et le lointain, les por­
traits familiaux et les reportages à
l’étranger. Car toutes ses séries,
parfois un peu à l’étroit dans l’es­
pace tortueux du musée, pointent
dans une même direction : une
évocation sensible de la mémoire,
la disparition, l’identité. « De toute
A Lyon, des visages pour raconter Vichy, l’oppression et la résistance
Le Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation propose une déambulation poétique à partir de portraits tirés de ses collections
EXPOSITION
lyon ­ correspondant
A u Centre d’histoire de la
Résistance et de la dépor­
tation (CHRD) de Lyon,
la première salle de l’exposition
« Visages » s’ouvre sur une trou­
blante installation, en apparence
plus artistique qu’historique.
Des masques à gaz, posés sur
des tiges, fixent le visiteur de leur
regard vitreux. En 1939, le gou­
vernement français, craignant le
recours à l’arme chimique en cas
d’invasion allemande, poussait
la population à se munir de ces
équipements.
A l’heure où les masques revien­
nent dans le quotidien d’un
monde en crise sanitaire, le clin
d’œil n’est pas anodin. Hier mas­
façon, même quand on regarde
ailleurs, on met toujours beaucoup
de soi dans les images », confirme
avec une voix douce le photogra­
phe de 66 ans, qui a écrit toutes les
légendes à la première personne,
et invite chacun dans sa quête
artistique et personnelle.
Tatouage infamant
Son enfance a été marquée par
l’ignorance et le silence. Chez les
Zachmann, on ne parle ni yiddish
ni hébreu, on ne pratique pas la re­
ligion juive et on mange des plats
français. Son père, juif polonais laïc
dont les parents sont morts à Aus­
chwitz, masque sous des blagues
un traumatisme qui n’est jamais
mentionné. Sa mère, juive algé­
rienne qui ne rêve que d’ascension
sociale, a mis un mouchoir sur
son propre passé. « Ils se sont réu­
nis sur la France, la République, en
oubliant au passage de transmet­
tre des racines : je ne savais rien de
ce que voulait dire être juif. Mais on
est toujours renvoyé à ça : on a une
tête différente, un nom différent… »
Le jeune photographe commen­
cera par s’intéresser à ceux qui
sont, pense­t­il, les plus loin de
lui : les hassidim, les juifs ortho­
ques à gaz, aujourd’hui chirurgi­
caux : à chaque époque troublée,
les visages sont touchés. « Nous
voyons l’irruption d’un vocabu­
laire guerrier contre le virus qui
nous attaque, les visages sont
de nouveau cachés, explique
Marion Vivier, commissaire
de l’exposition. A l’occasion des
trente ans d’existence du centre,
nous proposons une déambula­
tion poétique à la rencontre des vi­
sages de notre collection. »
Dessins, peintures, photos, affi­
ches, le CHRD de Lyon a puisé
dans ses collections pour racon­
ter l’histoire à travers les visages,
dans une scénographie toute en
subtilité. La salle centrale de l’ex­
position présente cinquante­qua­
tre portraits, plein cadre. Il s’agit
de prisonniers de guerre, dessi­
doxes, les juifs « visibles ». « Pour
moi, les juifs, c’étaient eux, pas
moi ! » En 1979, pour son premier
reportage professionnel, il par­
vient à se faire accepter par des
loubavitch, quand bien même il
ne leur cache pas son athéisme. Et
c’est là qu’il trouve son regard de
photographe : ses images sont à
la fois documentaires et person­
nelles, poétiques et traversées de
pointes d’humour. Un poulet
semble faire sa prière, le regard
inquiet d’un enfant évoque des
images du ghetto… « J’aime le côté
inconscient de la photographie »,
souligne Patrick Zachmann qui
ne cache pas le côté psychanalyti­
que de l’entreprise.
« Je me suis
intéressé
aux gens dont
les identités
font écho
à la mienne »
PATRICK ZACHMANN
photographe
nés à la gouache par Jean Billon,
en 1940, dans le stalag VIII C de Si­
lésie, en Pologne. Sortis du camp
en 1942, les portraits du peintre
lyonnais ont servi de propagande
au régime de Vichy pour rassurer
sur le sort des 7 500 Français dé­
portés en Pologne. Ils ont été don­
nés en 2002 au musée, par la fa­
mille de l’artiste. En 2022, ces visa­
ges expriment tout autre chose.
Suspendus par des fils invisibles,
au­dessus d’un miroir, au sol, ils
donnent l’impression d’âmes re­
venues des limbes du passé, ex­
primant au visiteur toute la dé­
tresse ou la colère des captifs. Ils
renseignent aussi sur leurs condi­
tions, leurs origines et leur sort
commun dans l’Europe en guerre.
Le CHRD a été ouvert en 1992,
sous l’impulsion du maire Michel
M. et Mme Friedmann, à Paris, en 1981.
PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS
Petit à petit, il élargit sa quête à
d’autres communautés : au parc
des Buttes­Chaumont, il se glisse
parmi de vieux juifs ashké­
nazes qui parlent encore yiddish,
toujours tirés à quatre épingles
– ils travaillent pour la plupart
dans la confection – , derniers re­
présentants d’un monde en voie
de disparition. Il est aussi témoin
de la première réunion mondiale
de rescapés de la Shoah, en 1981, en
Israël. Il en tire des portraits graves,
où l’émotion s’exprime dans les re­
gards et sur ces bras dénudés qui
brandissent le tatouage infamant.
Quarante ans après, certains sur­
vivants sont encore incapables de
parler de ce qu’ils ont vécu, mais
acceptent de poser pour lui : « La
photo est silencieuse, et c’est sa
force. » Et, finalement, Patrick Za­
chmann ira photographier des
« juifs invisibles », à l’identité plus
intérieure – et qui lui ressemblent.
Un vieux couple d’anciens voisins,
les Friedman, pose dans une image
aussi drôle que touchante, l’épouse
s’invite dans le cadre, à la grande
fureur de son mari dont le visage
dit toute la frustration.
Plus ou moins consciemment,
c’est toujours autour de son pro­
Noir, dans une aile d’un bâtiment
hautement symbolique. Le site de
l’avenue Berthelot, dans le 7e ar­
rondissement de Lyon, fut école
de santé militaire, au XIXe siècle,
puis siège de la Gestapo comman­
dée par Klaus Barbie, entre 1942 et
1944. L’exposition « Visages » se
déploie dans une galerie de salles
souterraines qui ont servi de cel­
lules aux tortionnaires nazis.
« Culture de la guerre »
Dans la lumière douce des salles
voûtées, la foule des visages se ré­
vèle progressivement, peuplant
la mémoire des lieux. Tziganes
du camp de Saliers (Bouches­du­
Rhône), en Camargue, familles
juives déportées, résistants arrê­
tés, les regards des absents croi­
sent ceux de témoins contempo­
CULTURE
pre passé qu’il tourne. « Il m’a
fallu en passer par les autres avant
d’affronter les miens. » Patrick
Zachmann finit par prendre son
histoire à bras­le­corps et interro­
ger son père sur son passé tragi­
que par le biais d’un film : La Mé­
moire de mon père, qui sortira en
1998, après la mort de celui­ci. Du
côté maternel, c’est encore plus
difficile : il attend 2011, quand elle
a 90 ans et que ses souvenirs
s’évaporent, pour oser enfin bou­
cler la boucle, et partir sur ses tra­
ces en faisant son voyage à l’en­
vers, de la France vers l’Algérie.
Le projet « Mare Mater » qu’il en
tire élargit le propos bien au­delà
de sa propre histoire, pour faire le
lien avec d’autres histoires d’exil,
d’autres portraits de mères aussi
étouffantes qu’inconsolables.
Fantômes de la dictature
Entre ses travaux personnels et
les reportages que le photogra­
phe a menés au cours de sa car­
rière professionnelle, la frontière
est finalement ténue : « Je me suis
intéressé aux gens dont les iden­
tités font écho à la mienne »,
confirme­t­il. Parce qu’il parta­
geait avec d’autres habitants de la
rains, photographiés par Frédéric
Bellay pour le CHRD.
Dans les documents exposés,
on reconnaît Daniel Cordier, sous
différentes facettes. Avec ou sans
lunettes, la chevelure ébouriffée,
ou soigneusement peigné en ar­
rière sur des faux papiers. La fa­
mille du secrétaire de Jean Mou­
lin a récemment fait don de docu­
ments inédits. Ce qui a permis au
CHRD de retrouver la photo origi­
nale du fameux portrait de Cor­
dier, bras croisés, regard décidé,
en uniforme de combattant de
l’ombre. Idem pour la photo par
Emile Rougé d’un jeune maqui­
sard au béret, tenant une mi­
traillette Sten de sa main bandée.
Sa famille a appelé le musée
de Lyon en 2020, le reconnaissant
à la « une » d’un magazine pour
| 21
planète une même histoire d’exil
et de violence, il s’est penché sur
les communautés immigrées, sur
les disparus, les survivants, sur
tous ceux à qui il a manqué,
comme à lui, un morceau d’his­
toire, une racine, une sépulture.
Au Chili, il est parti en quête des
fantômes de la dictature. Au
Rwanda, il a interrogé les survi­
vants du génocide, qui portent
gravés dans le corps et dans la tête
les stigmates de la tragédie. En
Afrique du Sud, il a capté la haine
des Afrikaners manifestant avec
des drapeaux ornés d’une croix
gammée. « J’espère bien que mes
photos sont universelles », conclut
le photographe. Qui s’est acharné
à remplir les silences de son en­
fance avec ses images, mais aussi
avec des mots. « Mon fils a été
abreuvé de paroles, dit­il avec ma­
lice. Je crois bien que je l’ai
saoulé ! » 
claire guillot
Voyages de mémoire,
de Patrick Zachmann, au Musée
d’art et d’histoire du judaïsme,
71, rue du Temple, Paris 3e.
Catalogue : 224 pages, coédition
Mahj­Atelier EXB.
la jeunesse. Lui donnant enfin
un nom : Henri Bouquière.
Des affiches publicitaires ou de
la vaisselle à l’effigie du maréchal
Pétain montrent aussi l’exploi­
tation des visages aux fins de pro­
pagande. « Ces objets permettent
de mieux comprendre la culture
de la guerre », selon Marion Vivier.
En contrepoint, le portrait, par
Jean Couty, d’Emmanuel d’Astier
de La Vigerie (1900­1969), auteur
de La Complainte du partisan,
donne un visage à l’esprit de résis­
tance qui habite toujours Lyon. 
richard schittly
« Visages ». Centre d’histoire de
la Résistance et de la déportation,
14, avenue Berthelot, Lyon 7e.
Jusqu’au 18 septembre.
De 6 € à 8 €. Chrd.lyon.fr

22 | culture
A Beaune, le lustre
toujours vivant
de la Toison d’or
La cité bourguignonne célèbre l’héritage
de ses illustres mécènes médiévaux dans
une exposition qui croise arts et histoire
ARTS
beaune (bourgogne)
P
ère, gardez­vous à droite !
Gardez­vous à gauche ! »
Tout juste âgé de 14 ans et
incapable alors de bran­
dir une épée, le jeune Philippe, fils
du roi Jean II, gagna ainsi à la ba­
taille – perdue – de Poitiers (1356)
son surnom de « Philippe le
Hardi ». Il en fut récompensé par le
don du duché de Bourgogne, qu’il
sut agrandir presque à l’échelle
d’un royaume. Moins par la guerre
que par l’amour : c’est son mariage
avec Marguerite de Male, héritière
des comtés de Flandres, d’Artois,
de Nevers et on en oublie, qui
fait de son duché un des plus
puissants de France.
L’exposition de Beaune, présen­
tée dans trois lieux, l’évoque à
peine, pas plus que son fils Jean
sans Peur, préférant se concen­
trer sur leurs successeurs, Phi­
lippe le Bon (1396­1467) et Charles
le Téméraire (1433­1477). Les An­
glais doivent au premier la cap­
ture de Jeanne d’Arc, et les cheva­
liers de haut lignage, la création de
l’ordre de la Toison d’or. C’est ce
dernier, avec son collier enchevê­
trant les « briquets » de Bourgogne
– des outils métalliques en forme
de B qui provoquaient des étin­
celles – et supportant une peau de
bélier d’or, qui sert de fil rouge à
l’intéressante exposition titrée, en
mode western, « Le Bon, le Témé­
raire et le Chancelier ». Le Chance­
lier ? Nicolas Rolin (1376­1462), mi­
nistre de Philippe le Bon durant
quarante ans. Devenu richissime,
et ayant sans doute beaucoup à se
faire pardonner, Rolin créa avec
son épouse, Guigone, les Hospices
de Beaune, un hôpital luxueux
pour l’époque et destiné aux « pô­
vres », où se tient une partie de
l’exposition. Une autre est instal­
lée au Musée des beaux­arts local
Le sort de la Maladrerie d’Aubervilliers suscite des inquiétudes
Un collectif d’habitants se mobilise face à un projet de rénovation de la cité­jardin conçue par Renée Gailhoustet dans les années 1970­1980
ARCHITECTURE
S amedi 29 janvier, une
cinquantaine de personnes
sont réunies autour du
bassin de la Maladrerie. Cette cité­
jardin construite par l’architecte
Renée Gailhoustet entre les
années 1970 et 1980 est la
dernière étape d’une marche
organisée par des habitants
d’Aubervilliers (Seine­Saint­De­
nis) dans « le plus beau quartier de
la ville », menacé aujourd’hui,
comme on pouvait le lire sur leur
tract « par le bétonnage et la priva­
tisation ». L’artificialisation d’une
partie des jardins ouvriers (pour
construire une piscine olympi­
que et un solarium) a déjà com­
mencé. Sur la parcelle voisine du
fort d’Aubervilliers, un terrain de
36 hectares, un écoquartier com­
prenant 2 000 logements, privés
pour la plupart, est en chantier.
Alors que sa population est
passée de 73 000 à 95 000 habi­
tants entre 2006 et 2020 et qu’elle
compte moins de trois mètres
carrés d’espaces verts par habi­
tant, que deux gares du Grand
Paris Express sont en construc­
tion, Aubervilliers ne cesse de se
et une troisième au Musée du vin.
C’est qu’il y a de la matière : ces
trois­là, comme leurs ancêtres,
furent des mécènes fastueux qui
firent travailler les plus grands ar­
tistes, ou plutôt « imagiers » de leur
temps. Des Flamands, principale­
ment… Voilà un des intérêts de
cette exposition et son principal
défaut. Le chef­d’œuvre de Rogier
van der Weyden (1399­1464), le
polyptyque du Jugement dernier, y
est bien présent, et pour cause, il
ne quitte pas les Hospices, mais on
cherchera en vain La Vierge et l’En­
fant au chancelier Rolin, de Jan Van
Eyck (1390­1441) – actuellement en
restauration, le tableau est resté au
Louvre – et, moins étonnant, le re­
table de L’Agneau mystique de
Gand, qui ne bouge plus de la ca­
thédrale Saint­Bavon.
Beaucoup de reproductions,
souvent d’excellente qualité, et de
films sont là pour pallier ces
manques. Beaucoup de manus­
crits aussi, de miniatures (celle
d’un folio conservé à la BNF repré­
sentant un chapitre de la Toison
d’or a été agrandie à l’échelle d’un
mur entier, et est malgré cela par­
faitement lisible, ce qui témoigne
de l’excellence et de la minutie
de l’artiste anonyme qui l’a exé­
cutée), de reliquaires, de tapisse­
ries, de sculptures enfin. Bon
nombre d’entre elles viennent de
Belgique, grâces en soient ren­
Le commissaire
Philippe George
a relevé
le redoutable défi
d’organiser
l’événement
en moins
de neuf mois
densifier. De l’autre côté de
l’avenue Jean­Jaurès, les cités
Emile­Dubois et de la Maladrerie
devraient bientôt faire l’objet,
elles (comme d’autres), d’un
projet de rénovation urbaine
dans le cadre de l’Agence
nationale de rénovation urbaine
(ANRU).
Sous le grand acacia robinier de
la Maladrerie où s’est réfugié un
héron cendré, une banderole a
été déroulée : « La rénovation
urbaine, oui, mais pas sans les
habitants. » Un slogan qui ré­
sume bien la situation, telle
qu’elle est vécue à la Maladrerie.
Cet ensemble de béton brut tout
en courbes expressives et en an­
gles saillants s’articule sur huit
hectares autour de placettes et
d’allées plantées, d’espaces verts
et de passages couverts. Il com­
prend plus de 900 logements,
atypiques et lumineux, des du­
plex, des triplex, des ateliers d’ar­
tiste… La végétation qui pousse
partout au sol, mais aussi en
hauteur, dans les terrasses en
terre pleine qui prolongent la
plupart des logements, fait du
lieu un îlot de fraîcheur et une
réserve de biodiversité.
Portraits
de Nicolas Rolin
(à gauche)
et de son épouse,
Guigone de Salins
(à droite),
polyptyque
du « Jugement
dernier »,
de Rogier van der
Weyden, milieu
du XVe siècle.
HOSPICES CIVILS
DE BEAUNE/
PHOTO FRANCIS VAUBAN
dues au commissaire de l’exposi­
tion, le médiéviste liégeois Phi­
lippe George. Il a relevé un redou­
table défi : concevoir et organiser
la chose en moins de neuf mois.
Pour qui n’a pas connu la gesta­
tion d’un tel événement dans un
musée, c’est un délai fort court.
Prince lubrique et pieux
On excusera donc le côté dispa­
rate et apparemment peu sédui­
sant du passionnant ouvrage
publié à cette occasion : du point
de vue de la maquette, il est à mi­
chemin entre le catalogue de
ventes aux enchères (Sotheby’s,
qui organise la vente annuelle des
vins des Hospices de Beaune, est
partenaire de l’exposition) et les
actes d’un colloque savant. C’est
ce dernier aspect qui le rend
précieux : plus d’une cinquan­
taine de contributions, certaines
fort érudites, là aussi la perfor­
mance est remarquable.
On comprendra mieux aussi la
curieuse sensation qui prend le
visiteur : les Flandres n’apparais­
sent pas tant comme possession
bourguignonne que la Bourgogne
comme faisant partie des
Flandres du Sud ! Ce qui, histori­
En 2018, les habitants s’étaient
déjà mobilisés contre un projet
qui prévoyait des destructions, de
la « résidentialisation » (cloison­
nement, digicodes, fermeture de
porches…), et le percement d’une
voie qui faisait craindre une
ouverture de la cité aux voitures.
Estimant que le projet n’était pas
soutenable financièrement, l’Etat
n’a pas suivi. Alors que Karine
Franclet (UDI) a succédé à la
mairie à Meriem Derkaoui (PCF),
une nouvelle version du projet
est à l’étude, que les habitants,
cette fois­ci, n’ont pas été invités à
consulter.
« Un travail de dentelle »
Inquiets du sort qu’on leur ré­
serve, ils se sont constitués en col­
lectif, et le compte rendu d’un
conseil d’administration de l’of­
fice public de l’habitat (OPH)
d’Aubervilliers du mardi 28 sep­
tembre 2021 ne les a pas rassurés.
On y retrouve les termes de « rési­
dentialisation », de « démolition »
(de deux pavillons au lieu de
sept), et de « percement d’une
voie ». Ils ont découvert en outre
qu’il était question de vendre
60 logements au privé, d’en céder
quement, est assez exact : si
Philippe le Bon et Charles le
Téméraire sont nés à Dijon, le
premier tenait sa cour à Bruxelles
et est mort à Bruges, le second
près de Nancy. C’est là qu’est l’ar­
gent : les tisserands flamands
commercent avec la laine d’Angle­
terre, la cardent, la traitent, la tein­
tent et la revendent des fortunes.
« Prince durement lubrique »,
avec trente maîtresses connues
(on dit que ce sont les boucles
rousses d’une d’entre elles qui
auraient inspiré l’idée d’une « toi­
son d’or ») et dix­sept bâtards avé­
rés, Philippe le Bon était aussi fort
pieux. Comme si la guerre de Cent
Ans ne lui suffisait pas, il a envi­
sagé plusieurs fois de partir en
croisade, spécialement après la
chute de Constantinople, en 1453.
Son fils Charles sera plus belli­
queux encore, tout à son rêve de
chevalerie et d’unification d’un
territoire somme toute disparate,
soucieux comme ses ancêtres de
retrouver les limites de l’ancien
royaume de Lotharingie, qui
s’étendait de la Bourgogne à la
mer du Nord. Son désir d’empire
se heurtera aux hallebardes
suisses, il y perdra la vie. Mais sa
363 à un autre bailleur social, de
condamner les porches jugés
« anxiogènes », de remettre en
question la forme triangulaire de
certaines chambres…
Les besoins de rénovation sont
réels : isolation thermique dé­
faillante, problèmes d’infiltra­
tion, électricité vétuste, façades
dégradées, cheminements éven­
trés… Mais, comme l’explique Ka­
therine Fiumani, résidente histo­
rique qui a travaillé avec Renée
Gailhoustet, la Maladrerie exige
« un travail de dentelle ». L’asso­
ciation Jardins à tous les étages
dont elle s’occupe se bat pour en
préserver l’écosystème, et notam­
ment pour convaincre l’adminis­
tration de ne pas daller les terras­
ses pour faciliter l’entretien. Avec
deux bailleurs au lieu d’un, ce
travail sera plus difficile et le ré­
sultat plus incertain.
« Le projet de l’ANRU a été pensé
avec l’idée qu’on ne veut plus de
grands îlots, explique l’architecte,
en réaction à la politique des
grands ensembles. Ça se tient, mais
ce n’est pas une raison pour casser
la cohérence d’un projet conçu
autrement, et qui marche bien. »
S’il ne protège pas formellement
Philippe le Bon,
Charles
le Téméraire
et Nicolas Rolin
firent travailler
les plus grands
artistes
de leur temps
fille Marie, en épousant Maximi­
lien de Habsbourg, sera la grand­
mère de Charles Quint. Un empe­
reur enfin dans la famille, mais
sans la Bourgogne, passée dans le
giron français.
D’où cette annexe assez dérou­
tante de l’exposition, au Musée
du vin : des armes, des armures
barbaresques (Philippe le Bon les
collectionne), une couleuvrine.
Vu le contexte, il est permis de
préférer les bouteilles… En fait,
des trois, celui qui a laissé le plus
bel héritage à la Bourgogne est
sans doute le chancelier Rolin : les
Hospices de Beaune sont un des
plus époustouflants bâtiments
civils subsistant du XVe siècle.
l’architecture, le label « Patri­
moine remarquable du XXe siè­
cle » obtenu par la Maladrerie
en 2008 devrait permettre, estime
l’architecte, que les normes s’ap­
pliquent de manière souple.
Nouvelle phase de concertation
Contacté par Le Monde, Jean­Bap­
tiste Paturet, le directeur de
l’OPH, se veut rassurant. La
cession à un deuxième bailleur,
de son point de vue, n’est qu’une
opération comptable, rendue né­
cessaire par le coût d’une restau­
ration thermique de qualité dans
une architecture complexe
(90 000 euros par logement).
« On reste dans du logement
social, les loyers resteront enca­
drés de la même manière et conti­
nueront de donner droit à bénéfi­
cier des APL. »
Il dit comprendre les inquiétu­
des mais assure qu’une nouvelle
phase de concertation va s’ouvrir,
juste après le comité d’engage­
ment des projets de l’ANRU, prévu
lundi 28 février. « On sait que le
diable se niche dans les détails et
on va travailler avec les associa­
tions pour trouver les éléments qui
permettent de faire converger les
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Mais, pour les édiles actuels,
héritiers lointains de Nicolas
Rolin, l’enjeu de l’exposition était
ailleurs : il s’agissait de faire
déambuler dans la vieille ville les
visiteurs, qu’ils espèrent nom­
breux, du Musée des beaux­arts
au Musée du vin, avec une halte
à mi­chemin, aux Hospices de
Beaune. C’est la raison de cette
manifestation : faire venir à
Beaune le public qui déserte la
cité hors saison, quitte à organi­
ser l’événement à la hussarde. Vu
le résultat, l’initiative est excel­
lente. Après plus de cinq cents
ans, le mécénat des ducs de
Bourgogne continue de produire
des fruits. 
harry bellet
Le Bon, le Téméraire,
le Chancelier. Quand flamboyait
la Toison d’or. Musée des beaux­
arts­Porte Marie de Bourgogne,
6, boulevard Perpeuil ;
Musée du vin­Hôtel des ducs
de Bourgogne, 24, rue de Paradis ;
Hospices de Beaune,
rue de l’Hôtel­Dieu, Beaune
(Bourgogne). Jusqu’au 31 mars.
Pour les trois musées : 18 €.
Catalogue, 252 p., 25 €.
points de vue. » Aucune volonté
de faire entrer la voiture dans
l’enceinte du lieu, assure­t­il,
mais, selon lui, la question de la
sécurisation des halls se pose.
Ces dernières semaines, le col­
lectif a reçu des réponses aux
nombreux courriers qu’il a en­
voyés. La ministre de la culture,
Roselyne Bachelot, a assuré,
mardi 28 décembre 2021, avoir
demandé à la direction régionale
des affaires culturelles (DRAC)
que le dossier « soit étudié avec le
plus grand soin ». La maire,
Karine Franclet – qui n’a pas
donné suite aux sollicitations du
Monde –, a expliqué, dans une
lettre envoyée lundi 20 décem­
bre 2021, que les éléments
évoqués lors de la réunion du CA
de l’OPH n’étaient « que des pistes
de travail », que la privatisation a
été demandée comme une
« quasi­contrepartie du finance­
ment de l’ANRU », que les habi­
tants qui seront contraints de dé­
ménager pourront être relogés
dans la commune, et que l’archi­
tecture de « cet ensemble patri­
monial remarquable » sera mise
en valeur. 
isabelle regnier
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022 culture | 23

La course aux plaisirs de Dom Juan

Au Vieux­Colombier, la pièce de Molière prend la forme d’un road­movie comique en manque de complexité

THÉÂTRE Le metteur en

L
ongtemps Dom Juan a été
considéré comme une
pièce écrite à la va­vite
par Molière après l’inter­
diction du Tartuffe, et bricolée
à partir d’un thème en vogue
au XVIIe siècle. Il a fallu attendre
le XIXe siècle pour que la pièce soit
reconsidérée, et des mises en
scène marquantes au XXe siècle
– celles de Louis Jouvet et de Jean
Vilar – pour qu’elle devienne l’en­
jeu d’un débat à ce jour jamais
clos et que l’on pourrait résumer
ainsi : est­ce la simple comédie
d’un athée raillant la religion,
ou l’interrogation métaphysique
d’un homme sur l’au­delà et la
conduite qu’il induit sur terre ?
Cette terre, justement, est très
présente dans la pièce. La terre
que l’on sent sous ses pieds,
quand on parcourt la campagne,
comme Dom Juan. Dans deux des
cinq actes, il est en route, ce qui
n’est pas fréquent pour un per­
sonnage de Molière. C’est dans un
hameau, au bord de la mer, qu’il
séduit deux jeunes paysannes,
Charlotte et Mathurine. C’est
dans une forêt que Sganarelle lui
pose la question de la foi, à la­
quelle il répond par le fameux :
« Je crois que deux et deux sont
quatre, et que quatre et quatre
sont huit. » Et c’est entre des ar­
bres qu’il découvre le tombeau
du Commandeur qu’il a tué et qui
signera sa mort.
En forçant un peu sur la moder­
nité, on pourrait dire qu’il y a un
côté road­movie dans Dom Juan,
qui était, du temps de Molière,
une pièce à grand spectacle, avec
beaucoup de décors. Au Théâtre
du Vieux­Colombier, à Paris,
où elle est à l’affiche jusqu’au
6 mars, de décors, il n’y en a point.
La pièce est jouée sur un simple
tréteau, de chaque côté duquel les
spectateurs sont assis. Il est suré­
levé, les comédiens y accèdent par
des marches, et souvent se chan­
gent à vue. Ils sont cinq. Seuls Lau­
rent Lafitte, en Dom Juan, et Sté­
phane Varupenne, en Sganarelle,
ne changent pas de rôle. Mais
Jennifer Decker, par exemple, in­
terprète Elvire, Charlotte, la statue
Stéphane Varupenne, Adrien Simion et Laurent Lafitte, lors d’une répétition, en janvier. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE
du Commandeur, un spectre.
Même chose pour Alexandre
Pavloff et Adrien Simion, qui
jouent les autres personnages.
Feuilleton moderne décalé
C’est évidemment un choix. Eric
Ruf, l’administrateur général
de la Comédie­Française, voulait
pour ce Dom Juan « une équation
légère ». Emmanuel Daumas, le
metteur en scène, avait envie d’ex­
périmenter, en revenant aux sour­
ces du théâtre populaire joué sur
les places ou les parvis. Sur le fond,
il est convaincu de l’athéisme de
Dom Juan, en prise malgré lui avec
la religion qu’il exècre. Emmanuel
Daumas trace donc une ligne
droite : pas de questions métaphy­
siques, mais la course vers le plai­
sir d’un homme dont les détrac­
teurs finiront par avoir la peau.
On ne s’étonnera donc pas que
la mise en scène lorgne du côté
de la comédie, parfois grotesque,
avec des images propres à susciter
le rire, nonnes qui clopent, épée
grosse comme un canon, men­
diant grimé en Christ, etc.
L’efficacité est incontestable :
ce Dom Juan se suit sans pro­
blème, comme un feuilleton mo­
derne décalé, jusque dans ses cos­
tumes. Elvire porte un marcel
et un jean effilé, Mathurine (jouée
par Alexandre Pavloff), un panta­
lon kaki et de hauts talons, Mon­
sieur Dimanche une collerette et
des santiags… Là encore, Dom
Juan et Sganarelle se distinguent :
le premier est sobrement vêtu
d’un pantalon et d’un col roulé
noir, le second d’un blouson sur
un tee­shirt jaune. Mais Molière
reste Molière : c’est sa langue qui
fait tout. Les comédiens l’ont en
bouche, ils l’aiment. On l’entend
clairement, comme toujours elle
ravive des souvenirs de tirades ap­
prises, et comme toujours elle ne
cesse de surprendre.
Cependant, on ne peut s’empê­
cher de se demander où elle nous
mène, dans ce spectacle qui la fait
courir d’une scène à l’autre
comme un fil trop tendu, et trop
attendu. Sans vouloir absolu­
ment que Dom Juan soit sinon
torturé, du moins tiraillé par l’au­
delà, il est difficile de voir en lui
un simple jouisseur, un Casanova
scène avait envie
d’expérimenter,
en revenant
aux sources
du théâtre
populaire joué
sur les places
ou les parvis
de circonstance, comme il appa­
raît au Théâtre du Vieux­Colom­
bier. Laurent Lafitte, qui ne man­
que pas de talent, bute d’ailleurs
sur cet écueil : la mise en scène
le prive de développer son jeu,
le même du début à la fin. C’est
à travers Sganarelle que Dom
Juan existe. Fort de son grand art,
Stéphane Varupenne arrive à
s’approprier son personnage.
L’air de rien, avec sa vaporette
et ses cheveux longs, il exprime
des arguments et des sentiments
complexes. Il renvoie ainsi
Dom Juan à ce qu’il est : un
homme, et non pas une image,
dans la forêt profonde de la vie. 
brigitte salino
Dom Juan, de Molière, mise
en scène d’Emmanuel Daumas.
Théâtre du Vieux­Colombier,
21, rue du Vieux­Colombier,
Paris 6e. A 19 heures le mardi,
20 h 30 du mercredi au samedi,
15 heures le dimanche.
De 12 € à 32 €. Durée : 2 h 15.
Jusqu’au 6 mars.

Une mort
Alexandra Pizzagali,
sur la corde raide de l’humour noir

dans
A La Scala Paris, la comédienne manie l’horreur, l’extravagance
et le contre­pied mais sans éviter l’écueil d’un registre trop répétitif

SPECTACLE gazelles habillées un peu court et prévenu les spectateurs : « C’est

la famille
on encense les vaches à salopette. pas facile… de vivre. »

J usqu’où faut­il aller pour se

démarquer dans un paysage
humoristique fort encombré ?
Jusqu’à la folie pourrait­on
répondre après avoir assisté au
spectacle d’Alexandra Pizzagali. Ce
nouveau visage de l’humour, ré­
compensé dans plusieurs festivals
et programmé à La Scala Paris
(dans la salle La Piccola Scala), livre
un monologue tragicomique trou­
blant et grinçant. Loin des codes
du stand­up, cette jeune comé­
dienne incarne des personnages
désaxés qui livrent à voix haute,
sans distance, les pires pensées qui
leur passent par la tête ou les pires
situations qu’ils ont subies.
Notre société ne va pas très bien,
eux non plus. Il y a cette passante
qui fait semblant de s’intéresser
au sort d’un SDF, cette mère de fa­
mille qui se moque avec cynisme
d’un enfant trop gros dans les
allées d’un parc d’attractions, cette
épouse trompée et glaciale qui ra­
conte par le menu à son mari la
scène de sexe entre lui et la voi­
sine, cette femme qui s’exaspère
de la bienveillance accordée aux
femmes enceintes (« On fustige les
On les félicite même, mais de quoi ?
D’avoir tringlé utile ? »), cette vic­
time de viol à la candeur désar­
mante… Rien n’est normal dans le
monde d’Alexandra Pizzagali.
Ecriture peaufinée
Derrière sa belle et sage allure,
cette artiste émergente manie
l’horreur, l’extravagance et le con­
tre­pied sans peur de déranger.
Son jeu est précis, son écriture
peaufinée, ses sujets transgressifs.
Elle a du caractère, déboule devant
le public comme si elle arrivait en
retard à une réunion d’alcooli­
ques anonymes qu’elle trans­
forme très vite en huis clos de fous
anonymes. Car c’est bien la folie –
cachée derrière les apparences – le
fil rouge de ce monologue.
Cette trentenaire, passée par le
cours Florent après avoir plaqué
son projet professionnel de con­
ceptrice­rédactrice, a écrit un
spectacle qui s’attaque à la face
sombre de la psyché. Elle paraît
droite dans ses bottes, mais
prend un malin plaisir à dérailler,
à sauter dans les flaques pour
éclabousser la bienséance. Elle a
Le propos est singulier, évite
la facilité. Alexandra Pizzagali
parvient à la fois à nous plonger à
la frontière du malaise et à déclen­
cher, par sa forme de dinguerie,
des rires malgré nous. Le dénoue­
ment – qu’il serait dommage de
dévoiler – est le clou du spectacle texte et mise en scène
tant il est désespérément drôle.
Mais, pour cette première Alexander Zeldin
création, demeurent quelques artiste associé
écueils. Est­ce parce que son uni­
vers borderline, inconsciemment,
la dépasserait qu’elle parle si vite ?
avec Marie Christine Barrault, Thierry Bosc, Nicole Dogué,
Dommage, on aimerait parfois Annie Mercier, Karidja Touré, Catherine Vinatier
qu’elle ralentisse pour ne rien
perdre du texte. Et on aurait
et Nita Alonso, Flores Cardo, Francine Champlon,
besoin de quelques respirations, Michèle Kerneis, Dominique de Lapparent,
de quelques ruptures de ton pour
éviter d’être toujours dans le
Françoise Rémont, Marius Yelolo...
même registre d’un humour noir,
certes provocant, mais qui, par son
côté répétitif, prend le risque d’être
création
plus déroutant que secouant. 
sandrine blanchard 2 – 20 février
C’est dans la tête – Chapitre I, Berthier 17e
de et avec Alexandra Pizzagali,
à La Scala Paris, 13, boulevard
de Strasbourg, Paris 10e.
Jusqu’au 30 mars.
24 | télévision
La cité et l’épidémie, version David Cronenberg
En 1977, « Rage », le quatrième long­métrage du réalisateur canadien, mêlait l’horreur intime et la dystopie
ARTE.TV
À LA DEMANDE
FILM
E
ntamée dans le souci de
rafraîchir mes connais­
sances sur les débuts de
David Cronenberg, la
vision de Rage a abouti à une
conclusion inattendue : si le
Contagion de Steven Soderbergh
faisait un parfait compagnon aux
premiers mois de la pandémie,
Rage, long­métrage d’horreur
fauché et visionnaire réalisé il y a
quarante­cinq ans, coïncide pres­
que parfaitement avec l’intermi­
nable retour à la normale­l’anor­
mal qui fait notre quotidien.
C’est plus précisément de la
seconde partie de ce film aussi
concis que délirant qu’il s’agit, la
première déroulant une variation
sur l’un des thèmes de prédilec­
tion de Cronenberg : la lutte entre
le corps et l’être qui l’habite. Le
corps, c’est celui de Rose (Marilyn
Chambers), la passagère d’une
moto que pilote son compagnon,
Hart (Frank Moore), sur une route
du Québec. Au sortir d’une
courbe, la trajectoire des jeunes
amants est brisée par le camping­
car d’une famille médiocre (c’est
un avertissement : Cronenberg
ne fera pas dans la nuance).
Rose est grièvement brûlée dans
l’accident. A proximité se dresse
la clinique du docteur Keloid, chi­
Cinq décennies de lutte sociale pour rendre la mine plus humaine
Retour sur les accidents et les avancées en matière de sécurité des mineurs, un an après la reconnaissance du « préjudice d’anxiété »
FRANCE 3 GRAN-EST
JEUDI 3 – 22 H 55
DOCUMENTAIRE
E n nous envoyant au char­
bon, on nous envoyait au
casse­pipe », constate Lu­
cien Rezzadore, ancien mineur et
militant CFDT du site mosellan de
Freyming­Merlebach (fermé de­
puis 1990). Accidents, silicose,
cancers… Il aura fallu du temps
pour voir apparaître des procédu­
res judiciaires. La plus médiatisée,
pour la reconnaissance d’un « pré­
judice d’anxiété », a ainsi été lan­
GRILLE N° 22 - 028
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 8
II
III
IV
V 4 8
VI
VII
VIII
IX
X ra. Assure la liaison. 5. Remonte
SOLUTION DE LA GRILLE N° 22 - 027
HORIZONTALEMENT I. Imperfection. II. Marcairie. Ro. III. Preuves. Nuit.
IV. Rc. Lin. Gorge. V. Ohre. Taur. Ar. VI. Vé. Ebène. Ana. VII. Ipé. Iseran.
VIII. Sites. Silice. IX. Teaser. Roman. X. Edicteraient.
VERTICALEMENT 1. Improviste (à l’). 2. Marchepied. 3. Pré. Etai. 4. Eculée.
Esc. 5. Ravi. Biset. 6. Fientes. Rê. 7. Ers. Anes. 8. Ci. Guérira. 9. Ténor.
Aloi. 10. Ur. Animé. 11. Origan. Can. 12. Noteraient.
rurgien esthétique qui accueille
Rose et pratique sur elle une
greffe de peau expérimentale.
Mutilation et mutation
Lorsque la patiente reprend
conscience, la greffe a si bien pris
qu’elle en a fait un organisme as­
soiffé de sang, qui satisfait son ap­
pétit en étreignant ses victimes
afin de percer leur peau d’un dard
qui surgit d’un orifice nouveau,
situé sous son aisselle.
cée en 2013. Elle a abouti, après
huit longues années de procé­
dure, le 29 janvier 2021, devant la
cour d’appel de Douai (Nord).
Cette victoire sert de point de
départ à La Grande Tueuse, diffu­
sée dans le cadre de « La France en
vrai ». Après Sous l’œil des Houillè­
res, en 2017, qui dénonçait les
pratiques des brigades de sur­
veillance de la Compagnie des
mines de 1949 à 1991, les auteurs
Marion Fontaine et Richard Ber­
thollet continuent donc d’exploi­
ter le triste filon des mines de
charbon françaises. Ils revien­
7 8 9 10 11 12
Absurde, dégoûtant et fasci­
nant, ce volet de Rage esquisse la
poétique de la mutilation et de la
mutation qui culminera quelques
années plus tard dans Crash, que
Cronenberg présentera à Cannes
en 1996. Pour l’instant, le cinéaste
s’abrite derrière l’esthétique des
films d’horreur pour drive­in,
encore accentuée par l’image de
l’interprète principale. Marilyn
Chambers était alors célèbre dans
le monde entier grâce au succès
nent cette fois sur les cinq décen­
nies de lutte sociale menée pour
accroître la sécurité des mineurs.
Les témoignages des ex­« gueules
noires » happent l’attention du
téléspectateur, d’abord ému,
bientôt révolté.
Course à la productivité
« L’histoire semblait pourtant
avoir bien commencé », énonce la
voix off, en référence à la création
du statut du mineur en 1946, la
même année que la fondation des
Charbonnages de France. C’était
oublier la course à la productivité
HORIZONTALEMENT
I. Croupière, mors et autres bricoles.
II. Il n’y a plus qu’à ramasser. Sup-
porte les poussées. III. Désinforma-
tions et boniments. Dit n’importe
quoi. IV. Mis de côté. Traînées dans
les fonds sableux. V. Canadien non fi-
guratif. A consommer très pur.
VI. Fin mars. Article. Cours en Irlande.
VII. En saillie, elles accrochent au pas-
sage. Le césium. VIII. Agréable à cô-
toyer. Plein la vue. Abritent les pay-
sans russes. IX. Ferai entrer dans
un ensemble. X. Contrôles et gestions
des affaires par la nation.
VERTICALEMENT
1. Effusion à la rupture des vaisseaux.
2. Qui rendra un peu plus stupide.
3. A beaucoup servi à la communica-
tion militante. Rond et creux, déli-
cieusement garni de viande. 4. Beaux
comme des vers. Vole, même à l’opé-
le cours pour frayer. Crié comme
un lion. 6. Porteurs de baies rouges
au Canada. 7. Peut sauver des flots
et des balles. En réalité. 8. Sombre
essence. Choisi dans la montée.
9. Clio ou Calliope. Sorti d’un tube.
10. Conjonction. Pêché en Méditerra-
née. Label rassurant. 11. Du neuf
dans les mots. Civilisation précolom-
bienne. 12. Gestes et moments tou-
jours bons à partager.
Rose (Marilyn
Chambers)
dans « Rage ».
DUNNING/LINK/REITMAN PRODU
de Derrière la porte verte, qui
en 1972 avait signalé la naissance
de l’industrie du cinéma porno­
graphique. Au­delà de cet effet
d’image, on découvre une actrice
simple et vivante, qui se soumet
avec une grâce naturelle aux
contorsions physiques et morales
auxquelles l’oblige le scénario.
Les victimes de Rose ne se con­
tentent pas de succomber à la sai­
gnée. Avant de passer de vie à tré­
pas, elles se transforment en créa­
– « Le chef, il venait, il nous tapait »,
se souvient Georges Carlier, ex­
mineur et militant CFDT – et les
crises industrielles qui, à partir
des années 1950, vont systémati­
quement faire passer au second
plan la santé des mineurs.
Cette histoire a ses grandes da­
tes : en mars 1963, un mois de
grève fait plier le gouvernement
du général de Gaulle ; le 4 fé­
vrier 1970, un coup de grisou
tue 16 personnes à Fouquières­
lès­Lens ; le 27 décembre 1974,
42 meurent à Liévin ; le 30 sep­
tembre 1976, 16 décèdent à
SUDOKU
N°22­028
3 7
6 6
2 1
7 8
5 7 4
9 3 6 2
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
tures privées de raison qui tentent
de déchiqueter leurs ci­devant
semblables de leurs dents. De la
clinique dans la forêt, le mal se
propage vers la grande ville. S’il
s’agit de Montréal plutôt que de
Toronto, c’est que Cronenberg
profitait à l’époque de l’argent pu­
blic québécois qu’on se résignait à
lui accorder (ses films avaient peu
de chances de concourir pour la
Palme ou l’Ours d’or), puisque
ses films rencontraient alors un
énorme succès public au Canada.
Rage met en scène les recherches
du corps médical (qui démontre
que le vaccin antirabique prévient
la contagion) et les tergiversations
des institutions politiques. Finale­
ment, l’armée prend les choses en
main et les citoyens contaminés
sont abattus. L’une des séquences
les plus frappantes montre une
longue file de Montréalais se pres­
sant devant un centre commercial
dont l’accès est réservé aux déten­
teurs d’un certificat de vaccina­
tion antirabique. Entre dérision et
angoisse, David Cronenberg pro­
jette la mutation d’un seul corps
sur toute une cité, qui ne reviendra
jamais à la vie d’avant. 
thomas sotinel
Rage, film canadien de David
Cronenberg (1977), avec Marilyn
Chambers, Frank Moore, Joe Silver
(1 h 30), Arte.tv, à la demande,
jusqu’au 18 juillet.
Merlebach ; en 1984, 600 acci­
dents sont notifiés, un record ; le
25 février 1985, le coup de grisou
à Forbach tue 22 personnes.
L’histoire a aussi ses héros,
comme le docteur Schaffner, dont
les recherches ont montré que la
silicose n’est pas due à un man­
que d’hygiène, mais à des dépôts
de silice dans les poumons. Fran­
çois Dosso n’aimerait pas qu’on le
classe dans les héros. Expert en
maladie professionnelle et repré­
sentant de la CFDT, il a pourtant
été un acteur essentiel de la « vic­
toire » d’il y a un an. Mais aussi un
9 1 6 4 8 7
4 7 8 5 2 3
3 2 5 6 9 1
4 2 3 9 8 1 4 6
1 5 4 2 7 6
2 8 6 7 9 3 5 2
5 8 3 7 4 9
7 9 1 3 6 2
4 2 1 5 8 7
5 Moyen
Complétez toute la
3 grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
6 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
1 8 seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
En vente chez votre marchand de journaux
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
NOTRE
SÉLECTION
JE UDI 3 FÉ VRIE R
LCP
Réparer les vivantes
20.30 Florie Martin signe un
documentaire sur les femmes
et les enfants victimes de violence,
à partir d’un reportage au sein de
l’association Women Safe installée
à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).
TMC
Blade Runner 2049
21.15 En 2049, à Los Angeles, l’agent K
est chargé de traquer et d’éliminer les
« réplicants rebelles », ces robots qui
refusent d’être les esclaves des
humains. Pour les nostalgiques, les
amateurs, les futuristes et les fans
d’Harrison Ford et de Ryan Gosling.
France Culture
Moby Dick
A la demande Lors de
l’enregistrement, en 2019, on avait été
soufflés par cet extraordinaire
concert-fiction dans la langue
d’Herman Melville, adapté par
Stéphane Michaka et lu-joué par
Robinson Stévenin et Hervé Briaux.
MyCanal
Mare of Easttown
A la demande Une des meilleures
séries de l’année dernière. Kate
Winslet y est impressionnante dans
ce rôle d’inspectrice de police d’une
petite ville désindustrialisée de
Pennsylvanie, carburant à la bière et
naviguant à vue dans sa vie « perso ».
précurseur, comme le prouvent
les archives le montrant tout
jeune, lors de sa première grève.
En janvier 2021, la reconnais­
sance du préjudice d’anxiété a
ouvert droit, pour les 726 anciens
des Houillères du bassin de Lor­
raine, à 10 000 euros d’indemnité.
Ils ont dû patienter encore sept
mois après le jugement pour que
cette somme leur soit versée. 
catherine pacary
La Grande Tueuse, de Marion
Fontaine et Richard Berthollet
(Fr., 2021, 52 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
5 3 2
9 6 1 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
4 7 8 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
5 7 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
3 8 9 Par courrier électronique :
abojournalpapier@lemonde.fr.
1 4
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
1 2 6
8 4 5 Courrier des lecteurs
9 3 Par courrier électronique :
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Tissage
de verre
de Lucile
Viaud
et Aurélia
Leblanc.
ANNE-SOPHIE
GUILLET
DESIGN
C’
est l’histoire d’un radiateur
qui parcourt l’Europe telle
la flamme olympique, ex­
posé par la Fondation
Bettencourt Schueller à Paris, en octo­
bre 2021, à la biennale De mains de maî­
tres, au Luxembourg, en novembre,
avant l’exposition d’artisanat d’art
« Homo Faber », prévue du 10 avril au
1er mai, à Venise, en Italie. Sa particula­
rité ? Il a été fabriqué à partir de résine
d’huile de soja imprimée en 3D et recou­
vert d’une cinquantaine de couches de
laque végétale, qui résiste à la chaleur.
Autrement dit, il marie des savoir­faire
vieux de 10 000 ans nés en Asie et les
technologies de ce nouveau millénaire.
Baptisé Entropie, l’objet est la cocréa­
tion de Nicolas Pinon, 40 ans, laqueur
formé auprès d’un grand maître au Ja­
pon, et de Dimitry Hlinka, 30 ans, desi­
gner sorti de l’Ecole Boulle, à Paris.
Ensemble, ils ont conçu un service à thé
et ce radiateur biodégradable qui renou­
velle les formes de l’objet usuel : la pu­
reté de ses lignes – censées évoquer une
onde de chaleur – lui permet de trôner
au milieu du salon sans rougir. Sauf que,
justement, il rougit littéralement : du
noir, il passe au carmin quand l’eau
chaude le traverse.
Un aspect ludico­magique savamment
mûri. « Nous avons eu l’idée d’exploiter la
thermochromie, l’aptitude de certains ma­
tériaux à changer de teinte en fonction de
la température, et acheté des pigments
que j’ai introduits sous la laque, explique
Nicolas Pinon. Cette technique emprun­
tée à l’industrie des peintures, nous l’avons
tirée vers les métiers d’art. »
Le tandem va présenter prochaine­
ment un nouveau radiateur tout aussi in­
novant : une plaque formée de tissu et de
laque, légèrement ondulée « comme un
drapeau au vent ». Cette sculpture chauf­
fante peut s’accrocher au mur, ou se
poser au sol, et sera plus efficiente en
chaleur que la précédente (jusqu’à 60 de­
grés). « Notre objectif est de créer des
pièces fonctionnelles, revendique Nicolas
Pinon, mais cela reste des objets d’excep­
tion, car on ne récolte que 100 à 200 ml
par an et par arbre de la sève irushi, qui
sert à la laque. Et ce procédé ancestral
– avec ponçage à la main entre chaque
couche – est gourmand en temps » (qua­
L’artisanat d’art fait
sa révolution techno
Radiateur en soja laqué, lavabo en bois et métal
projeté, tapisserie de fil de verre ou meuble
héliogravé… Des artisans chercheurs créent
des objets design aux qualités techniques novatrices
tre cent cinquante heures de travail et la chaleur visuelle du bois, son intérêt
pour le radiateur Entropie). graphique, avec le pouvoir thermique et
A défaut d’inonder le marché, cet appa­ isolant du métal », explique l’artisan
reil électroménager fait bouger les lignes d’art, qui a cofinancé, pendant trois ans
entre artisanat et design. Au XVIIIe siècle depuis 2015, une thèse sur la projection
déjà, le mouvement Arts and Crafts bri­ thermique de matières à l’école Mines
tannique avait pimenté les arts décoratifs ParisTech, afin de tester son idée.
à coups d’artisanat, invitant notamment Le résultat est désormais là : une vasque
à intégrer des matériaux naturels, voire hors norme – conçue avec le designer
pauvres, comme la paille, dans les objets Alexandre Echasseriau, diplômé de
du quotidien. En ce nouveau millénaire, Boulle et de l’Ensci. « C’est un objet d’art
ce sont les artisans d’art qui, grâce à la qui a un intérêt écologique, s’exclame
science et aux nouvelles technologies, Steven Leprizé. On utilise plus de bois et
donnent un coup d’aiguillon à l’industrie. moins de métal, puisqu’il est projeté en
gouttelettes sur la surface, et on fait l’im­
Hybridation des matières passe sur les colles, qui posent des problè­
Ainsi de cette vasque en bois capable de mes d’émanation de solvants et de recy­
recevoir de l’eau, comme un banal la­ clage. » La même technique lui a permis
vabo : un rêve de Steven Leprizé, ébéniste de concevoir des pièces d’art de la table,
diplômé de l’école Boulle, fondateur de comme ce couteau en bois (seule l’extré­
l’atelier Arca, à Bussy­Saint­Georges (Sei­ mité de la lame reçoit un dépôt métalli­
ne­et­Marne). « Je voulais allier la légèreté que), ou cette tasse en bois (jolie et on ne
se brûle pas…), rendue étanche à l’inté­
rieur.
Steven Leprizé, 35 ans, n’en est pas à sa
« Ces artisans première trouvaille technologique : il
chercheurs est aussi l’inventeur d’un bois élastique,
ou encore d’un bois « larmé » – une tech­
brandissent sous nique de marqueterie consistant en une
notre nez des sortes superposition astucieuse de bois et de
métal, qu’il a brevetée –, à l’origine no­
de formule 1 qui tamment du sac Kellywood d’Hermès, en
serviront à d’autres chêne des marais et aluminium.
« Je cherche des fonctions ou des aptitu­
développements » des nouvelles pour ouvrir un marché,
JEAN-MARC DIMANCHE précise ce fils et petit­fils de charpentiers
expert en métiers d’art bretons. Si une autre technique est moins
Radiateur
Entropie de
Nicolas Pinon
et Dimitry
Hlinka,
en résine
de soja
et laque
végétale.
NICOLAS PINON
chère, je me résous à abandonner l’idée.
En revanche, je milite pour que les artisans
voient leur nom apposé, quand c’est légi­
time, sur les objets les plus innovants »,
souligne ce Géo Trouvetou devenu ensei­
gnant à l’école Boulle. Il s’agit, selon lui,
de valoriser les longues années d’appren­
tissage d’un savoir­faire, puis celles
consacrées aux recherches dans l’atelier.
Des prototypes à la pointe
Pour financer ses recherches, la jeune
verrière Lucile Viaud vend sur son site
Internet les gobelets en verre soufflés à
la canne qu’elle a inventés en appliquant
une recette inspirée de l’Antiquité. Ces
objets valorisent les déchets de la mer et
des éléments de la nature : coquillages,
ormeaux, microalgues (pour son « verre
marin ») et cendre de bois, coquilles d’es­
cargot, sable de berge du Lot (pour son
« verre de Rouergue »). « Comme autre­
fois, on prend la couleur du verre telle
qu’elle vient, celle d’un terroir », explique
cette Bretonne, en résidence au labora­
toire verres et céramiques de l’Institut
des sciences chimiques de Rennes.
A 28 ans, elle vient de franchir un pas de
géant : elle a mis au point un fil de verre
qu’elle a ensuite tissé avec la créatrice tex­
tile Aurélia Leblanc. « C’est une avancée
pour nous deux, se félicite Lucile Viaud. Ce
tissage du verre à partir d’un fil nous per­
met d’obtenir un panneau souple, trans­
parent et réfléchissant l’environnement. Il
est léger, contrairement à une plaque de
verre, et peut se tendre sur un mur tel un
styles | 25
Panneau
Arboris (détail)
de Fanny
Boucher,
matrice en
cuivre et
estampe.
SOPHIE ZÉNON/
FONDATION BETTENCOURT
SCHUELLER
Couteau en
bois de Steven
Leprizé
et Alexandre
Eschasseriau,
dont seule
l’extrémité
est métallique.
ALEXANDRE
ESCHASSERIAU
décor, mais surtout se modeler pour sculp­
ter l’espace à l’infini. » De quoi séduire
moult décorateurs.
« J’ai passé les vingt premières années à
ressusciter et transmettre les gestes de
l’héliogravure, une technique née au
XIXe siècle et tombée en désuétude. Main­
tenant que j’ai formé une élève, je veux
faire plonger cette technique, jusqu’alors
cantonnée au domaine de l’estampe, dans
l’univers du design et de l’architecture d’in­
térieur », lance également Fanny Bou­
cher, maître d’art graveur de 46 ans.
Dans son atelier baptisé Héliog, l’artiste
expérimente désormais l’héliogravure
sur cuir, sur soie ou sur parchemin trans­
lucide pour des luminaires. « Du moment
où on arrive à faire un pas de côté, on
s’ouvre des possibilités infinies », lâche­t­
elle. En préparation, des meubles en col­
laboration avec la star en marqueterie
de paille, Lison de Caunes. Son panneau
Arboris, qui mêle matrice en cuivre et
estampe, est visible à partir du 5 février à
la galerie Excellsens, à Paris.
« Nous sommes au début d’une révo­
lution : ces artisans chercheurs brandis­
sent sous notre nez des sortes de for­
mule 1 ou des collections haute couture,
qui serviront à d’autres développements.
Quand et comment ? Il est trop tôt pour le
dire…, commente Jean­Marc Dimanche,
spécialiste des métiers d’art en Europe.
J’appelle cela un geste augmenté, comme
on parle d’une réalité augmentée. En
mixant Internet, les nouvelles technolo­
gies et des savoir­faire hérités du passé,
ce qui n’existait pas il y a vingt ans, ils
peuvent faire de l’atelier artisanal un vi­
vier de créativité », précise l’expert, com­
missaire de l’exposition « Craft.3.0 ».
Explorant le glissement actuel « des ges­
tes séculaires vers un nouvel artisanat
enrichi des techniques numériques », elle
se tiendra du 1er avril au 26 juin dans
la ville luxembourgeoise d’Esch­sur­Al­
zette, élue capitale européenne de la
culture en 2022. 
véronique lorelle
 IDÉES
26 |
Mélanie Rosselet La crise ukrainienne
a aussi une dimension nucléaire
Le bras de fer en Ukraine s’inscrit dans une rivalité
stratégique entre Washington, Moscou et Pékin,
relève la chercheuse en relations internationales,
soulignant la pertinence des analyses
sur le nouvel âge nucléaire de la philosophe
Thérèse Delpech, disparue il y a dix ans
I
l y a dix ans s’éteignait Thérèse Del­
pech [1948­2012], philosophe, haut
fonctionnaire et spécialiste des ques­
tions stratégiques. Son dernier
ouvrage, La Dissuasion nucléaire au
XXIe siècle : comment aborder une
nouvelle ère de piraterie stratégique
(Odile Jacob), publié en 2013 à titre pos­
thume, fut d’une rare clairvoyance. Elle y
prédisait notamment les effets déstabili­
sateurs de la montée en puissance nu­
cléaire de la Chine, la désinhibition des
puissances nucléaires régionales, la ten­
dance à intégrer l’arme nucléaire dans des
stratégies de dissuasion coercitives et non
plus strictement défensives. Pierre Van­
dier [actuel chef d’état­major de la marine,
commandant du porte­avions Charles­de­
Gaulle de 2013 à 2015] a décrit quelques
années plus tard ce « troisième âge nu­
cléaire » désormais advenu, caractérisé
par un couplage complexe de conflictuali­
tés régionales et de jeu nucléaire stratégi­
que entre grandes puissances.
La crise actuelle, aux frontières de
l’Ukraine, a une dimension nucléaire –
sous­jacente pour l’heure –, au minimum
parce qu’une invasion russe constituerait
une nouvelle violation directe du mémo­
randum de Budapest (1994), signé avec la
Russie, les Etats­Unis et le Royaume­Uni,
par lequel Kiev a renoncé à un statut nu­
cléaire en échange de l’engagement russe
de respecter sa souveraineté.
N’oublions pas également que la Russie a
conduit une politique de « signalement
nucléaire » (« nuclear signaling ») active
lors de l’annexion de la Crimée en 2014. La
Russie a fait allusion à son statut nu­
cléaire pour décourager toute opposition
à l’imposition d’un fait accompli territo­
rial et/ou politique. Plusieurs techni­
ques ont été utilisées par Moscou lors de
cette annexion pour crédibiliser ses ac­
tions conventionnelles par l’ombre portée
du nucléaire : tirs d’essai de missiles balis­
tiques sol­sol et mer­sol concomitants à
l’annexion, violation des espaces aériens
et maritimes européens par des forces à
capacité nucléaire, déploiement tempo­
raire d’avions bombardiers nucléaires en
Crimée, déploiement de missiles Iskander
à Kaliningrad (enclave stratégique russe
au sein de l’Union européenne), déclara­
tions officielles ou autorisées faisant réfé­
rence au statut nucléaire russe, etc.
Cette stratégie, autrement appelée de
« sanctuarisation agressive », selon le mot
du chercheur Corentin Brustlein, est éga­
lement utilisée dans les dynamiques nu­
cléaires asiatiques, en particulier par la
Corée du Nord. La Chine regarde
sans doute avec attention le déroulement
de la crise ukrainienne pour en tirer des
conclusions sur un scénario taïwanais.
LA CHINE REGARDE
SANS DOUTE
AVEC ATTENTION
LE DÉROULEMENT
DE CE CONFLIT
POUR EN TIRER
DES CONCLUSIONS
SUR UN SCÉNARIO
TAÏWANAIS
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Plusieurs caractéristiques seraient com­
munes aux deux théâtres : supériorité
conventionnelle locale de la puissance re­
mettant en cause le statu quo, asymétrie
des enjeux entre puissance attaquante et
puissance protectrice, ambiguïté sur le
degré de protection offert par cette der­
nière. La crise ukrainienne est donc para­
doxalement aussi un laboratoire de la re­
lation de dissuasion américano­chinoise.
Il s’agit d’une caractéristique fondamen­
tale de ce nouvel ordre nucléaire, celui
d’une situation inédite dans laquelle les
Etats­Unis font face à deux adversaires
nucléaires majeurs – « near peer competi­
tors », c’est­à­dire, selon l’expression amé­
ricaine, s’approchant de la parité stratégi­
que – et ils ne peuvent traiter l’un sans
que cela ait des conséquences sur l’autre.
Les deux relations de dissuasion intera­
gissent et se coconstruisent. Les interac­
tions s’effectuent dans les deux sens. Sans
surévaluer cette dimension de la crise, il
est possible que la Russie cherche à re­
trouver son statut spécial d’interlocuteur
paritaire des Etats­Unis sur les discus­
sions stratégiques.
SÉRIE D’ASYMÉTRIES
Thérèse Delpech redoutait aussi que les
deux crises de prolifération majeures
(Iran, Corée du Nord) n’entrent dans une
phase critique mettant le régime de non­
prolifération sous tension extrême. Par­
tout, le retour du fait nucléaire s’intègre
dans des politiques de puissance régio­
nale. Qui peut exclure à l’avenir un scéna­ SERGIO AQUINDO
rio – par exemple sur fond de crise
de prolifération d’armes chimiques – de
confrontation de puissances régionales et
de puissances majeures, ainsi que l’imbri­
cation dans un conflit conventionnel métrie dans la détermination des diri­ cation d’apporter seule la réponse à ces en­
d’une dimension nucléaire ? Quid aussi geants à faire usage de l’arme atomique qui jeux, qui se déploient, pour l’heure, sous le
Thérèse Delpech,
d’un scénario dans lequel les Etats­Unis, grandit avec la persistance du tabou nu­ seuil des intérêts vitaux des pays concer­
stratège et
occupés dans le Pacifique, seraient cléaire. Le risque est que les démocraties nés. Afin de ne pas être paralysés dans des
philosophe
moins préparés à une attaque opportu­ soient perçues comme étant plus « auto­ logiques de tout ou rien, nous devons être Certaines de ses formules,
niste de la Russie sur le terrain européen à dissuadées » que leurs adversaires. Or, la en mesure, par exemple en cas de cyberat­ telles que « l’ensauvage-
l’ombre du nucléaire, doublée même, le dissuasion, pour être effective, repose non taque majeure, de contraindre l’adversaire ment », titre de l’un de ses li-
cas échéant, d’actions déstabilisatrices seulement sur une crédibilité technique et à « signer son forfait », et à montrer ses in­ vres salué par le prix Femina
de l’Iran dans le Golfe ? opérationnelle mais aussi sur la perception tentions, tout en lui offrant des options de essai (Grasset, 2005), sont
Il s’agit là, pour les Européens, du vrai vi­ d’une détermination à agir des dirigeants désescalade. La question des options de souvent reprises dans le dé-
sage d’une multipolarité nucléaire dont démocratiques par leurs adversaires. La dialogue dissuasif dans toutes ses dimen­ bat public, citées aussi bien
l’épicentre se déplace en Asie et autour de la montée de la tendance abolitionniste dans sions est, en particulier, pertinente. par des politiques que par
relation américano­chinoise. Une déflagra­ les pays démocratiques, illustrée par le La dissuasion nucléaire ne peut pas tout, des chercheurs. Spécialiste
tion en Asie aura des répercussions sur le traité d’interdiction des armes nucléaires mais elle est toutefois un élément indis­ reconnue des relations inter-
Vieux Continent. Qui gardera la maison [entré en vigueur en janvier 2021], risque pensable sans lequel nous serions nationales et de la défense,
européenne si les Européens ne sont pas ainsi d’avoir un effet d’érosion asymétri­ aujourd’hui dans une position de plus normalienne, agrégée de
prêts et préparés à le faire ? Thérèse Delpech que de la dissuasion. La tentation améri­ grande vulnérabilité – au chantage et à philosophie, saluée comme
l’exprimait souvent ainsi : « Les Européens caine de réduire le rôle de l’arme nucléaire l’intimidation de nos adversaires – et de une « humaniste dominée
voudront­ils la paix ou juste avoir la paix ? » dans sa stratégie de défense est pour partie plus grande dépendance vis­à­vis de nos par un sens aigu du tragi-
Pour elle, une dissuasion française indé­ un reflet de cette tension démocratique sur alliés nucléaires en particulier. Thérèse que » par le géopolitologue
pendante était évidemment pleinement la dissuasion, avec le risque de voir les ef­ Delpech, dans son premier ouvrage, publié Dominique Moïsi dans les
compatible avec un solide ancrage euro­ fets stabilisateurs de celle­ci s’amoindrir. il y a vingt­cinq ans (L’Héritage nucléaire, colonnes du Monde lors de
péen et atlantique de la France, mais elle Complexe, 1997), évoquait déjà le fait nu­ sa mort, Thérèse Delpech
pressentait un accroissement des incertitu­ STIGMATISATION MORALE cléaire en Asie et identifiait les enjeux liés (1948-2012) fut notamment
des sur nos alliances, et une possible « soli­ Pour la plupart des régimes non démocrati­ à la montée en puissance de la Chine directrice de la prospective
tude stratégique » de Paris au XXIe siècle. Sur ques nucléaires, cette stigmatisation mo­ comme cruciaux à l’avenir. Sa conclusion au Commissariat à l’énergie
le front nucléaire, la difficulté pour les Amé­ rale n’existe pas : l’importance de l’arme reste d’actualité : il nous faut continuer de atomique (direction des ap-
ricains à calibrer une dissuasion « triangu­ nucléaire n’a, pour eux, jamais diminué de­ réinvestir notre « grammaire nucléaire », plications militaires). Hantée
laire » contre deux adversaires principaux, puis la fin de la guerre froide. Si nos adver­ non pour calquer au monde actuel les con­ par le risque du retour de la
dans un système de dissuasion élargie sup­ saires perçoivent effectivement une asymé­ cepts et enjeux de la guerre froide, mais barbarie, elle était engagée
posant d’apporter des garanties de sécurité
crédibles à leurs alliés, va être immense, et
trie dans la pratique de « l’autodissuasion »,
ils pourraient être conduits à tester davan­
pour les adapter et nous permettre de
mieux penser ce nouvel âge nucléaire. 
dans la lutte contre la proli-
fération des armes de des-
perdurer de nombreuses années. Com­ tage et plus fréquemment les limites, en truction massive et approuva
ment sera alors perçue la contribution de la augmentant progressivement les enjeux, l’intervention américaine en
dissuasion nucléaire française, par son exis­ au risque d’un mauvais calcul les condui­ Irak, en 2003. Considérée
tence même, à la sécurité européenne, dans sant à sous­estimer la capacité de réaction comme une figure de proue
ce contexte où il sera important de « com­ des démocraties. Thérèse Delpech avait le du « néoconservatisme à la
pliquer le calcul de l’adversaire » ? courage du parler vrai. Elle aurait sans Mélanie Rosselet est diplomate, française », cette grande lec-
Thérèse Delpech avait, enfin, bien vu une doute réaffirmé sans ambiguïté la nécessité directrice de l’analyse stratégique du trice du philosophe améri-
dernière des caractéristiques de ce nou­ de ne pas baisser la garde dans un contexte Commissariat à l’énergie atomique et cain Leo Strauss méditait
veau désordre nucléaire, qui est l’existence stratégique dégradé, marqué par un retour aux énergies alternatives, enseignante aussi bien sur les enjeux
d’une série d’asymétries entre les puissan­ du fait nucléaire, associé à des stratégies au Centre interdisciplinaire d’études sur géopolitiques ou la dissua-
ces démocratiques et autoritaires jouant d’intimidation intégrées conduites par des le nucléaire et la stratégie de l’Ecole nor- sion nucléaire que sur l’irra-
en la faveur de ces dernières. Il y a en parti­ puissances autoritaires révisionnistes. male supérieure de Paris. Les opinions tionnel, comme dans L’Appel
culier un risque de perception d’une asy­ La dissuasion nucléaire n’a pas pour vo­ exprimées n’engagent que leur auteur de l’ombre (Grasset, 2010).
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022 idées | 27

Benjamin Haddad Poutine veut mettre au jour l’impuissance

européenne et les hésitations américaines
Les tensions à la frontière de l’Ukraine sont un enjeu Washington. Le président américain, Joe
Biden, espérait encadrer la relation avec
aussi crucial pour Bruxelles que pour Washington, Moscou, dans le cadre des dialogues sur le
estime le chercheur en relations internationales, qui contrôle d’armements (traité New Start
ayant trait aux systèmes de défense anti­
prône un dialogue avec le président russe mais « en missiles, traité sur les forces nucléaires à
développant les instruments d’un rapport de force » portée intermédiaire), pour mieux s’en
débarrasser. Il fait face à une influente aile
gauche non interventionniste du Parti dé­
mesures « dévastatrices » en cas d’inva­
sion : sanctions massives et renforce­
ment de la présence militaire occiden­
tale en Europe de l’Est. Le message est
simple : une invasion serait trop coû­
teuse pour Moscou. Des différences ap­
paraissent sur l’évaluation de la menace
qu’Américains et Britanniques jugent ex­
plicitement imminente, tandis que cer­
partenaires, la France peut jouer un rôle
pivot si elle démontre à ses partenaires
menacés par le révisionnisme russe,
comme les pays d’Europe centrale et
orientale, qu’une UE renforcée dans sa
souveraineté peut les protéger face à la
Russie. Ces pays attachés à la relation
transatlantique se méfient, non sans par­
fois une certaine mauvaise foi, des inten­

L
a menace d’invasion russe de
l’Ukraine, caractérisée par la pré­
sence de 100 000 soldats à la fron­
tière, agite le spectre d’une guerre
territoriale et d’un changement de fron­
tière par la force sur le continent euro­
péen. La question ukrainienne ne peut
être l’affaire des Etats­Unis seuls. Elle
concerne en premier plan la sécurité de
l’Union européenne (UE) et exige le « réar­
mement stratégique » des Européens
prôné par Emmanuel Macron devant le
Parlement européen, le 19 janvier.
C’est l’Europe que Poutine vise à travers
l’Ukraine. Il ne peut ignorer que les por­
tes de l’Organisation du traité de l’Atlanti­
que Nord (OTAN) sont aujourd’hui fer­
mées à l’Ukraine. Au sommet de l’OTAN à
Bucarest en 2008, la France et l’Allema­
gne se sont opposées à l’ouverture d’un
Membership Action Plan [plan d’action
pour l’adhésion à l’OTAN], donc des négo­
ciations d’accession, avec l’Ukraine et la
Géorgie. Un communiqué final de com­
promis s’est contenté de promettre, sans
date ni processus, que les deux pays de­
viendraient membres. Quatorze ans plus
tard, la posture de l’OTAN à l’égard de
l’Ukraine n’a pas changé.
Ce n’est pas l’OTAN mais bien la négo­
ciation d’un traité de libre­échange avec
l’UE qui a entraîné le mouvement pro­
européen de Maïdan en 2014, le renver­
sement du président prorusse Viktor
Ianoukovitch et l’usage de la force par
Moscou. C’est l’annexion de la Crimée et
le soutien aux séparatistes [prorusses ar­
més par Moscou] du Donbas qui ont ré­
veillé les velléités otaniennes de l’opi­
nion publique ukrainienne, pas l’inverse.
Poutine voit aujourd’hui une Ukraine
qui lui échappe et vise à se rapprocher du
reste de l’Europe. L’affaire ukrainienne re­
présente ici un intérêt bien plus central
pour l’Europe que pour les Etats­Unis. Nos
intérêts comme nos valeurs exigent de re­
fuser qu’un pays en Europe, qui a voté
pour son indépendance de l’Union sovié­
tique en 1991 à 92 %, soit empêché par la
force de choisir librement son destin.
Profitant du virage des priorités straté­
giques américaines vers l’Asie, flairant
peut­être la faiblesse après le retrait
d’Afghanistan, le président Poutine veut
remettre en cause l’architecture de sécu­
rité européenne issue de la fin de la
guerre froide. Il violerait ainsi les engage­
ments russes dans le cadre du traité
d’Helsinki de 1975 sur le respect des fron­
tières, ainsi que le mémorandum de Bu­
dapest de 1994 garantissant la souverai­
neté de l’Ukraine en échange de l’aban­
don des armes nucléaires par Kiev.
Cette crise est embarrassante pour une
Maison Blanche qui voulait rendre la rela­
tion avec la Russie « stable et prévisible »
pour se concentrer sur la rivalité stratégi­
que avec la Chine, priorité absolue à
mocrate, mais aussi à la droite trumpiste,
qui ne voient aucun intérêt à s’engager
dans une confrontation sur la question
ukrainienne. Répondant à un impératif
de politique intérieure, il a explicitement
exclu le recours à la force, se privant d’une
ambiguïté qui aurait pu renforcer sa pos­
ture de négociation. En provoquant une
crise en Europe en 2022, Poutine veut
mettre au jour l’impuissance européenne
et les hésitations américaines.
Jusqu’ici, Européens et Américains affi­
chent leur unité pour défendre la souve­
raineté ukrainienne et promettent des
CETTE CRISE EST
EMBARRASSANTE
POUR WASHINGTON,
QUI VOULAIT RENDRE
LA RELATION AVEC
LA RUSSIE « STABLE
ET PRÉVISIBLE » POUR
SE CONCENTRER
SUR LA CHINE
tains Européens, mais aussi les autorités
ukrainiennes, veulent éviter un scénario
autoréalisateur. De nombreux analystes
américains ne voient dans les demandes
maximalistes de Poutine qu’un prétexte
pour justifier une invasion, dont cer­
tains estiment qu’elle pourrait viser à dé­
capiter le pouvoir à Kiev. Paris et Berlin
ne veulent pas abandonner la voie diplo­
matique. La France mène les négocia­
tions pour faire appliquer les accords de
Minsk II [du 12 février 2015] dans le cadre
du « format Normandie » [entre la Russie,
l’Ukraine, la France et l’Allemagne].
Renforcer la souveraineté de l’UE
Faut­il dialoguer avec la Russie ? Assuré­
ment, y compris en acceptant d’entendre
les intérêts et préoccupations de sécurité
russes. Mais un dialogue qui ne serait
qu’un alignement sur le récit russe,
comme le proposent les candidats popu­
listes à l’élection présidentielle française,
reviendrait à une soumission. Parler à
Poutine, bien sûr, mais en développant
les instruments d’un rapport de force : in­
vestir massivement dans nos capacités
de défense, peut­être en ayant recours à la
dette européenne, développer les outils
de souveraineté énergétique à travers le
nucléaire ou de nouveaux partenariats
dans le domaine du gaz, pour réduire la
dépendance à Moscou. Alors que l’Alle­
magne du chancelier Olaf Scholz est hési­
tante et provoque l’impatience de ses
tions de Paris. Mais ils ne peuvent ignorer
les nouvelles orientations américaines.
La relation profonde bâtie avec la Grèce
peut servir de modèle. En envoyant un
navire soutenir les frontières maritimes
grecques en Méditerranée orientale face
aux menaces du président turc Erdogan
en août 2020, Emmanuel Macron a im­
posé une fermeté européenne, en parti­
culier quand Américains et Allemands
tergiversaient. Aujourd’hui, le premier
ministre atlantiste, Kyriakos Mitsotakis,
se fait le héraut de l’autonomie stratégi­
que européenne. Le soutien par Paris
d’une nouvelle mission de l’OTAN, dans le
cadre de la mission « Enhanced Forward
Presence » [« présence avancée renfor­
cée »] en Roumanie, sur la mer Noire, est à
cet égard un signal fort envers un parte­
naire historique de la région. Il est peut­
être temps aussi d’assumer ouvertement
les différences stratégiques avec Berlin, en
posant par exemple la question du gazo­
duc Nord Stream 2 ou des dépenses mili­
taires. A travers l’Ukraine, c’est l’avenir de
la puissance européenne qui est en jeu. 
Benjamin Haddad est spécialiste
en relations internationales, directeur
Europe du think tank américain
Atlantic Council, à Washington

Bayram Balci En intervenant au Kazakhstan, la Russie veut faire

reconnaître sa suprématie en Asie centrale et au-delà
L’opération militaire engagée par Moscou pour rétablir l’ordre chez son voisin, en proie à une insurrection populaire,
renforce la position du Kremlin dans la région, au détriment de l’Occident, mais aussi de la Turquie, souligne le chercheur

A
u Kazakhstan, ce géant
d’Asie centrale grand
comme cinq fois la France
et riche en hydrocarbures,
la décision gouvernementale
d’augmenter le prix du gaz de pé­
trole liquéfié (GPL), au tout début
de l’année, a mis le feu aux pou­
dres et provoqué une insurrection
populaire. L’escalade de la vio­
lence et de la répression a préci­
pité le pays dans le chaos, condui­
sant à une intervention militaire
de la Russie, le 7 janvier, pour évi­
ter la guerre civile, et a abouti à un
remaniement à la tête de l’Etat, le
13 janvier. Cette nouvelle ingé­
rence russe dans son « étranger
proche », que Moscou considère
comme sa zone d’influence par
tradition, sera lourde de consé­
quences pour le Kazakhstan, pour
l’Asie centrale et pour les ambi­
tions hégémoniques de la Russie
sur son ex­empire et au­delà.
Ce n’est pas un hasard si la crise a
démarré dans la région occiden­
tale du pays. Alors que la ville d’Ak­
taou est construite sur un inesti­
mable trésor d’hydrocarbures,
dont la manne est accaparée par
l’élite au pouvoir outrageusement
opulente, la population, elle, s’en­
fonce chaque jour davantage dans
la pauvreté. En pareil cas, nulle
surprise que la frustration écono­
mique et l’injustice sociale produi­
sent de vives étincelles. Des reven­
dications politiques ont rapide­
ment entraîné tout le pays dans
une crise violente de protestation
et de défiance à l’égard du pou­
voir. Celui­ci, pris de panique à
l’idée de perdre ses privilèges, a
durement réprimé et envenimé
des affrontements déjà tendus
dans la périphérie d’Almaty [an­
cienne capitale et plus grande ville
du pays], entre forces de l’ordre et
bandes criminelles mafieuses,
probablement recrutées par des
élites au pouvoir.
Pris au dépourvu, le président,
Kassym­Jomart Tokaïev, a réagi
avec vigueur en annonçant le gel
des prix, mais surtout le limo­
geage de nombreux responsables
politiques. Il a mis un terme aux
fonctions de son mentor, l’ex­pré­
sident Noursoultan Nazarbaïev,
dont le retrait officiel des affaires
politiques [depuis 2019] cachait
mal la réalité persistante de son
emprise sur le pouvoir. Celui qui
s’était fait nommer de façon ex­
ceptionnelle « Elbasi » (« père de la
nation ») et présidait le Conseil de
sécurité, où se concentre l’essen­
tiel du pouvoir, restait en effet
l’homme fort du pouvoir. Mais ces
mesures furent insuffisantes pour
rétablir l’ordre, et le président To­
kaïev dut faire appel à la Russie,
qui déploya des troupes confor­
mément au cadre de coopération
de l’Organisation du traité de sé­
curité collective (OTSC), pour évi­
ter que le pays, livré à la guerre des
clans, s’enfonce dans l’abîme.
Différentes observations peu­
vent être faites à propos des évé­
nements de janvier. Rappelons
avant toute chose que, dans ce
type de régime, opaque et autori­
taire, les apparences sont souvent
trompeuses. L’image d’une éco­
nomie prospère et d’un jeune Etat
rayonnant sur la scène régionale
dissimule une grande fragilité
structurelle. Deuxièmement, la
politique étrangère kazakhe mul­
tivectorielle, si chère au président
Nazarbaïev, n’était que chimère.
En effet, malgré ses bonnes rela­
tions avec nombre de partenaires
internationaux (Chine, Occident
et Turquie), le Kazakhstan se ré­
vèle, dans la crise, totalement dé­
pendant et à la merci de la Russie,
dont il cherche pourtant depuis
trente ans à s’affranchir de la tu­
telle. Enfin, le troisième enseigne­
ment, c’est la réaffirmation de la
puissance et de l’ambition russes,
dont l’ombre s’étend sur toute
l’Asie centrale et au­delà.
En Ouzbékistan, au Turkménis­
tan et au Tadjikistan, la crise ka­
zakhe crée un précédent qui de­
vrait interpeller, sinon inquiéter,
les élites dirigeantes. Elle leur tend
un miroir et les renvoie à leurs
propres égarements politiques.
Sans réelles réformes sociales et
LA CRISE KAZAKHE
CONSTITUE UN
CAMOUFLET POUR
L’OCCIDENT, ALORS
QUE S’ENGAGE UNE
ÉPREUVE DE FORCE
EN UKRAINE SUR
L’ÉQUILIBRE DES
ZONES D’INFLUENCE
politiques, les attributs symboli­
ques de la nation ne suffisent ma­
nifestement pas à affirmer une in­
dépendance substantielle face à
l’ex­puissance coloniale, la Russie.
Sur la scène internationale, la le­
çon de cette crise est plus intéres­
sante encore, puisque la Russie ga­
gne notamment un point dans la
course à la suprématie régionale,
dans laquelle elle est engagée face
à la Chine, la Turquie ou encore
l’Occident. Ce dernier pourrait
être le grand perdant de ce tour de
piste. Les Etats­Unis et l’Europe
ont considérablement investi au
Kazakhstan. Or, le déséquilibre de
ces investissements – massifs et
court­termistes dans les seuls
échanges économiques et énergé­
tiques, et trop faibles dans la coo­
pération démocratique, culturelle
et sociale, peu lucrative à court
terme – a permis à la Russie de
conserver une influence décisive
sur les élites traditionnelles ka­
zakhes. La Chine, restée en retrait,
semble globalement satisfaite de
l’ordre restauré par Vladimir Pou­
tine. La stabilité prime quand il
s’agit de poursuivre les affaires
avec l’Asie centrale, maillon indis­
pensable de son projet des « nou­
velles routes de la soie ».
La Russie de Poutine sort donc
véritablement gagnante du jeu.
D’une part, elle prouve l’utilité de
l’OTSC, créée en 2002 à son initia­
tive, mais qui souffrait jusqu’ici
d’un déficit de crédibilité. Si cette
organisation de défense collective
a refusé d’intervenir au Kirghizis­
tan durant les événements tragi­
ques de 2010 [des affrontements
interethniques ayant fait plusieurs
centaines de morts, selon les Na­
tions unies], et au Karabakh,
en 2020 [dans la guerre face à
l’Azerbaïdjan] malgré la demande
de l’Arménie – au prétexte que le
règlement de ces conflits n’entrait
pas dans les compétences de
l’OTSC –, cette fois­ci, les intérêts
conjugués de la Russie et du pré­
sident kazakh ont suffi à déclen­
cher le mécanisme d’action et de
justification de celle­ci. Tokaïev es­
time que les manifestants pacifi­
ques et les casseurs constituent
une « force terroriste venue de l’ex­
térieur ». Au­delà de la rhétorique
politicienne, l’OTSC apparaît pour
ce qu’elle est vraiment : moins
une alliance de défense commune
qu’une force de police spéciale au
service de Poutine, de ses alliés et
de ses intérêts dans la région.
Vacuité de l’union turcique
Le message à peine sibyllin en­
voyé aux régimes d’Asie centrale
est clair : ils sont invités à recon­
naître la suprématie de la Russie
dans cette grande région musul­
mane turcophone, sur laquelle la
Turquie fantasme depuis 1991. An­
kara est un autre perdant de cette
crise kazakhe. La création par la
Turquie d’une union turcique, qui
avait fait des progrès considéra­
bles en matière d’intégration de­
puis une dizaine d’années, est
stoppée dans son élan. C’est sous
le pouvoir du président Recep
Tayyip Erdogan qu’avait été im­
pulsée l’institutionnalisation de
cette Organisation des Etats turci­
ques, en 2009. Et, en décem­
bre 2021, la Turquie et ses alliés
turcophones centrasiatiques fê­
taient sa naissance officielle. Or, à
peine établie, l’organisation est
restée spectatrice impotente de la
crise kazakhe, trahissant la vacuité
de sa prétendue unité politique et
l’inexistence de sa force militaire
commune. Pour la Turquie, l’échec
est grave, car les dégâts sur son in­
fluence régionale ne se limiteront
pas à l’Asie centrale. Le pouvoir
turc risque de voir son influence
diminuer dans d’autres régions
où il fait face depuis quelques an­
nées à la Russie : en Syrie, en Libye,
au Karabakh, voire en Ukraine, où
les enjeux pour Ankara sont
autrement plus importants.
Par ailleurs, le triomphe de Pou­
tine ne s’arrête pas là. La crise ka­
zakhe constitue aussi un camou­
flet pour l’Occident, alors que s’en­
gage un bras de fer en Ukraine sur
l’équilibre des zones d’influence
entre l’Organisation du traité de
l’Atlantique nord et la Russie.
Ainsi, de la région du Donbass à
l’Asie centrale en passant par le
Caucase, l’ordre russe réaffirme
son influence, sinon son ambition
hégémonique. Le fantasme de
Poutine passe par l’utilisation de
ces premiers pions régionaux
pour donner de nouveaux hori­
zons à la puissance russe en Eu­
rope, en Afrique et ailleurs. 
Bayram Balci est chercheur
au Centre de recherches inter-
nationales de Sciences Po Paris
et dirige l’Institut français d’étu-
des anatoliennes à Istanbul
 0123
28 | idées JEUDI 3 FÉVRIER 2022

FINLANDISATION
l’Union européenne (UE) pourtant souhai­
tées par une grande partie de la population.
« Objectivement, certains pays sont dans une
position dans laquelle l’histoire, la géogra­
phie et les équilibres stratégiques autour
d’eux imposent des limitations », affirmait
dans un entretien au Monde Fiodor Loukia­
nov, rédacteur en chef de la revue Russia in
Global Affairs, qui passe pour défendre des
Alignée sur la politique extérieure de l’URSS jusqu’à sa chute, points de vue proches du Kremlin, déplorant
la Finlande avait pourtant conservé sa souveraineté. Plusieurs voix que le mot « finlandisation » ait « à tort mau­
vaise réputation en Occident ».
se font entendre pour appliquer ce modèle à l’Ukraine
et en faire un Etat tampon entre Russie et Occident Vassalisation
Avant de devenir un concept, voire un mo­
dèle, à la fin des années 1960, la « finlandisa­
HISTOIRE D’UNE NOTION sans toujours oser le mot. L’hypothèse d’une
Ukraine neutre devenant un Etat tampon en­
tion » fut d’abord un exercice de pragma­
tisme politique. Alliée de l’Allemagne nazie
cluaient pour principe toute force politique
jugée antisoviétique. Les médias pesaient
leurs mots. « L’Union soviétique avait dressé la
Finlande à devenir un pays qui évitait avec
obéissance toute expression inappropriée en­
vers la Russie, et cette approche est désormais
ancrée dans notre subconscient », grince la ro­
mancière finlandaise Sofi Oksanen, autrice
notamment de Purge (Stock, 2010) dans un
article d’Eurozine en juin 2015.
Avec l’effondrement de l’URSS, la Finlande
fut à nouveau libre de son destin, adhérant à
l’UE en 1995 tout en restant neutre. L’essor
du revanchisme russe, notamment depuis
2014 avec l’annexion de la Crimée et la désta­
bilisation de l’est de l’Ukraine, a été un tour­
nant incitant la Finlande, mais aussi la
Suède, à réfléchir aux limites de leur neutra­

S
ynonyme de neutralité contrainte et
de souveraineté limitée, le mot « fin­
landisation » garde une connotation
pour le moins négative, évoquant
l’emprise institutionnalisée d’un puissant
voisin sur un petit pays. « Le concept de “fin­
landisation” décrivait le processus par lequel
l’URSS pourrait prendre le contrôle de la politi­
que extérieure d’un pays européen sans trans­
formation de son régime intérieur (à la diffé­
rence des démocraties populaires) comme ce
fut le cas pour la Finlande après 1945 », expli­
que l’historien Georges­Henri Soutou dans
son livre La Guerre froide (Pluriel, 2011).
Oublié après la chute du Mur, le concept re­
vient dans le débat, brandi comme repous­
soir ou, au contraire, comme possible solu­
tion à la crise ukrainienne. A droite ou à gau­
che de la gauche, de nombreuses voix – qui de
longue date appellent à entendre les raisons
de la Russie – reprennent ouvertement l’idée
tre l’Est et l’Ouest séduit des spécialistes des
relations internationales comme des diplo­
mates qui y voient un jalon dans la construc­
tion d’une nouvelle architecture de sécurité
pour le Vieux Continent. A condition, bien
sûr, que cela ne se fasse pas sous la menace.
« La finlandisation n’est pas un gros mot et
elle fut d’ailleurs un succès. En affirmant sa
neutralité après 1945 et en transformant en
choix politique une contrainte imposée par la
géographie, la Finlande a réussi à préserver
son indépendance et à se faire respecter par les
Russes », relève Nicole Gnesotto, autrice de
L’Europe : changer ou périr (Tallandier, 320 pa­
ges, 20,90 euros) et vice­présidente de l’Insti­
tut Jacques Delors soulignant la nécessité « de
ne pas s’enfermer dans l’alternative soit
l’Ukraine dans l’OTAN soit la guerre ».
Le réalisme géopolitique interdirait ainsi à
l’Ukraine – comme à la Finlande pendant la
guerre froide – les adhésions à l’OTAN et à
pendant la guerre, la Finlande, intégrée à la
Russie impériale jusqu’à la révolution de 1917,
pouvait craindre pour sa sécurité, d’autant
que l’Armée rouge avait déjà essayé de l’enva­
hir en 1940 – au prix d’une piteuse défaite.
Elle échappa au sort des autres pays d’Europe
AVANT DE DEVENIR  centrale et orientale grâce à l’habileté de ses
UN CONCEPT, VOIRE  dirigeants, à commencer par le président
Juho Paasikivi (1946­1956). « Celui­ci était per­
UN MODÈLE, LA  suadé que l’intérêt de l’URSS pour la Finlande
était de nature géopolitique et non pas idéolo­
« FINLANDISATION »  gique », relève Georges­Henri Soutou. Il
donna les gages nécessaires. Ses successeurs,
FUT D’ABORD  et notamment Urho Kekkonen (1956­1982),
UN EXERCICE  ont encore accru la vassalisation.
Prônant un « neutralisme actif », Helsinki
DE PRAGMATISME  alignait sa politique extérieure sur celle du
Kremlin tout en restant libre de conserver en
POLITIQUE interne un système politique démocratique
et une économie libérale. Mais en liberté sur­
veillée. Les coalitions gouvernementales ex­
lité et à se rapprocher toujours plus de l’Al­
liance atlantique ; sans pour autant y adhé­
rer, même si désormais le débat est ouvert.
« La liberté de manœuvre et de choix de la Fin­
lande inclut également la possibilité d’un ali­
gnement militaire et d’une demande à deve­
nir membre de l’OTAN si nous en décidons
ainsi », a tenu à préciser dans son discours de
Nouvel An le président finlandais de centre
droit, Sauli Niinistö.
Les menaces russes ont l’effet opposé à ce­
lui recherché, et il en est de même pour
l’Ukraine. « Un pays ne peut renoncer à sa sou­
veraineté, même s’il doit tenir compte de son
voisinage, explique Michel Duclos, ancien
ambassadeur et conseiller spécial à l’Institut
Montaigne. Poutine s’y prend d’une telle façon
que ses exigences à décider du destin de
l’Ukraine sont inacceptables aussi bien pour
les Ukrainiens que pour les Occidentaux. » 
marc semo

CHRONIQUE | PAR PIERRE­CYRILLE HAUTCŒUR LA VIE JUSQU’À LA PARALYSIE

De « l’échelle mobile » LIVRE sous le nom d’Ulysse, baron de Pe­
rinaldo, avait apportée. Flash­back
ses des médecins sur son espé­
rance de vie. Là où la colère, le déni

à l’indexation des salaires F aire de sa fin de vie une

épopée, recourir au mer­
veilleux pour continuer à
vivre malgré l’enfer de la maladie :
c’est ce qu’a fait Philippe Périn, an­
d’une vie avant la maladie ? Bien
au contraire : « Ce voyage existait
bel et bien, mais Philippe l’avait
construit de ses pérégrinations lu­
diques et solitaires sur deux écrans
pourraient être des réactions légi­
times à l’insupportable, lui choisit
d’accepter. « Je commence à com­
prendre qu’aucun docteur ne peut
me guérir. Et peu à peu, je guéris

L a crainte de voir s’enclencher

une boucle inflationniste prix­
salaires est brandie actuelle­
ment par le patronat et le gouverne­
ment pour éviter une hausse géné­
rale des salaires. Plusieurs syndicats,
inversement, alertent sur les risques
de perte de pouvoir d’achat en cas de
résurgence inflationniste et récla­
ment un ajustement automatique te­
nant compte de l’inflation, une « in­
dexation » des salaires sur les prix.
La question s’est posée il y a un siè­
cle, lorsque, en 1919­1920, le pouvoir
d’achat des salaires s’est trouvé signifi­
cativement réduit parce que les prix,
bloqués pendant la guerre, ont été li­
bérés, alors que les salaires restaient
souvent inchangés. Les entreprises,
comme l’Etat employeur, utilisent un
mélange d’augmentations individuel­
les et de primes « de vie chère » pour li­
miter le mécontentement ou le départ
des salariés. Un indice officiel du coût
de la vie est créé en 1920, pour servir
de référence aux négociations. Mais,
même après avoir renoncé au retour
au franc­or, les gouvernements rejet­
tent l’idée d’indexation et la fixation
des salaires reste décentralisée.
Préserver les profits
Le Front populaire impose en revan­
che une prise en compte du niveau
des prix et du pouvoir d’achat dans les
négociations collectives, devenues dé­
sormais obligatoires au niveau des
branches professionnelles. Dans la
pratique, les clauses d’indexation sont
cependant presque toujours très pru­
dentes et les recours à l’arbitrage in­
tentés par les syndicats pour obtenir
leur application conduisent, dans la
plupart des cas, à des rejets au nom de
« l’équilibre économique » du secteur
(en fait, la préservation des profits et
des investissements). L’inflation,
comme au début des années 1920,
profite principalement aux em­
ployeurs, privés et plus encore publics.
L’économie semi­dirigée qui suit la
seconde guerre mondiale est, en re­
vanche, propice à une politique na­
UN INDICE OFFICIEL  très différentes qu’a prises le travail,
DU COÛT DE LA VIE  pacité à faire vivre dignement les sala­
A ÉTÉ CRÉÉ EN 1920,  travailleurs de première ligne, pour
POUR SERVIR DE RÉFÉRENCE  lesquels le « marché du travail » n’est
AUX NÉGOCIATIONS
tionale des salaires. Le mouvement
ouvrier revendique alors « l’échelle
mobile automatique et générale » et
ainsi la possibilité pour « l’ouvrier »
de pouvoir faire vivre sa famille di­
cien journaliste au Monde, frappé
par la maladie de Charcot dans la
force de l’âge. Autrement appelée
sclérose latérale amyotrophique
(SLA), cette pathologie mortelle
d’ordinateurs. » Grâce à ses doigts
puis à ses seuls index restés vali­
des, il a engrangé sur son PC des
cartes, des photos, des textes, ap­
prenant l’italien en autodidacte, et
de l’idée de guérir », dit­il alors. Ce
faisant, il se libère de toute forme
de ressentiment et se met en
quête de toujours plus de légèreté.
Dans Nous n’étions pas prêts. Car­
gnement. Après plusieurs années de qui anesthésie peu à peu chaque s’est évadé ainsi pendant des heu­ net de bord par temps de coronavi­
débats, une loi adoptant l’échelle mo­ COMME UN LÉGER  muscle jusqu’à la paralysie totale res dans un ailleurs imaginaire. rus (JC Lattès, 2020), Gilles Pialoux,
bile des salaires est adoptée en 1952 TREMBLEMENT l’a touché en 2011. Elle l’a emporté « Philippe allait voyager de l’inté­ racontait la guerre contre la mala­
par le gouvernement conservateur de Gilles Pialoux, en quatre ans, « un temps infini­ rieur alors que son enveloppe exté­ die du point de vue des soignants.
d’Antoine Pinay. Elle complète un dis­ Mialet-Barrault, ment court » pour les proches et rieure partait en liquéfaction. Et Avec ce roman, son premier, il se
positif où un salaire minimum natio­ 176 p., 18 € les familles, « une éternité » pour nous fûmes quelques­uns à avoir place du côté des proches et
nal est défini par l’Etat (alors que, de­ les malades, raconte son ami la chance de partager ses voyages donne à voir de manière intime la
puis 1936, il l’était par branche et par Gilles Pialoux, chef de service des et sa jubilation inventive à rendre vie d’un patient. Le défi était de
région). Mais la mise en œuvre est maladies infectieuses et tropica­ jaloux bien des valides. » taille : sortir de la posture du doc­
très loin des discours : les conven­ les à l’hôpital Tenon, à Paris, qui teur et raconter de l’intérieur le
tions collectives adaptent locale­ lui rend hommage dans un court Toujours plus de légèreté combat quotidien d’un homme
ment « l’échelle mobile » vers le haut et magnifique roman. Le roman dit tout, sans pathos, face à l’innommable, la « SLA­
ou vers le bas, en fonction des rap­ Le récit s’ouvre sur le périple de de cette maladie destructrice. lope », comme la compagne de
ports de force et d’autres considéra­ Philippe en Sardaigne et sa ren­ L’apparition des premiers trem­ Philippe surnomme la maladie.
tions tout aussi essentielles, comme contre, sur un bateau au large de blements, avant un reportage en Son roman donne à voir « la mue
les heures supplémentaires, le coût Gênes, avec un vieux Sarde, amou­ Nouvelle­Zélande pour la Coupe hors norme » d’un homme dans la
de la vie local, la part de l’emploi fé­ reux comme lui des nuages. Réu­ du monde de rugby, puis, quel­ maladie, mais aussi l’importance
minin (qui est à l’époque légalement nis par la même passion contem­ ques semaines plus tard, l’an­ et la puissance de l’entourage, la
moins rémunéré). Seule l’indexation plative, ils partagent le rituel de nonce sidérante du diagnostic. force de l’amitié et du lien. 
du salaire minimum interprofes­ l’absinthe que Philippe, voyageant Philippe n’est pas dupe des ellip­ sabine ledoux
sionnel garanti (le SMIG, lui­même
sujet à nombre d’exceptions), adop­
tée cette même année, est réelle.
Mais en période de croissance, l’in­
dexation du salaire minimum n’em­ Confinement à Downing Street | par serguei
pêchera pas une baisse relative du
SMIG par rapport au salaire médian.
En 1982, enfin, le « tournant de la ri­
gueur » conduit à la suppression ex­
plicite de l’obligation de clauses d’in­
dexation dans les conventions col­
lectives. Le recul de l’influence des
conventions de branche, au profit de
la négociation d’entreprise, ne fait
que renforcer la tendance. Avec le gel
du point d’indice, la fonction publi­
que renonce elle aussi, à partir de
2010, à la quasi­indexation anté­
rieure et engage même une baisse du
pouvoir d’achat des fonctionnaires,
compensée ici ou là par une politique
de primes individuelles ou collecti­
ves à la main de la hiérarchie.
L’indexation des salaires fut d’abord
une revendication de justice, avant
d’être légitimée par la théorie macroé­
conomique keynésienne, puis accu­
sée de tous les maux comme celle­ci.
Aujourd’hui, où Keynes retrouve droit
de cité, des éléments d’indexation
pourraient assurer, dans les formes
sa juste rémunération, comme sa ca­
riés et leurs familles, notamment ces
souvent que le nom déguisé d’une re­
lation inégalitaire. 
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
Arlette Jouanna
Historienne
S
pécialiste du XVIe siècle
dont elle connaissait
comme personne les ar­
canes politiques, sociaux
et religieux, l’historienne Arlette
Jouanna est morte à Toulouse, le
29 janvier, à l’âge de 85 ans.
Si, par sa mère, la petite Arlette
Galinat, née le 24 mars 1936, a un
aïeul rentier, ses parents vivent
très modestement – fils de chemi­
not, son père travaille au service
voirie de Clermont­Ferrand et sa
mère s’occupe au foyer de leurs
deux filles. Désireuse de préserver
la scolarité d’Arlette et de Danielle,
qu’elle rêve de voir enseigner, elle
les inscrit dans une école privée (le
lycée Fénelon – mauvaise pioche,
puis le lycée Jeanne­d’Arc, dès la 6e,
où les fillettes sont bien plus heu­
reuses) avant de les envoyer à Pa­
ris, au lycée Camille­Sée, à l’heure
des classes préparatoires.
Admissible dès la première an­
née à l’Ecole normale supérieure
du boulevard Jourdan, Arlette est
reçue première l’année suivante
(1956) en tant qu’angliciste. Mais,
bientôt, la spécialisation lui pèse
et la voilà qui bifurque vers l’his­
toire. Reçue 5e à l’agrégation d’his­
toire et géographie (1960), Arlette
Galinat est nommée au lycée
Edouard­Herriot, à Lyon, mais n’y
exerce qu’un an (1961).
Méthodologie et éthique
Bientôt mariée à un brillant ingé­
nieur des Ponts et Chaussées,
Paul Jouanna, qu’elle a connu aux
fiançailles de sa sœur (en 1958,
Danielle a épousé son cadet, Jac­
ques, helléniste et futur membre
de l’Institut), Arlette – désormais
Jouanna – obtient un détache­
ment au CNRS, qui lui permet de
suivre en Sorbonne le séminaire
de l’historien moderniste Roland
Mousnier (1907­1993). Il devien­
dra son directeur de thèse ; mais
si c’est à Paris­IV qu’en 1975 elle
soutient sa thèse d’Etat, « L’idée
de race en France au XVIe siècle et
au début du XVIIe siècle », dont
une libre version abrégée, Ordre
social, mythes et hiérarchies dans
la France du XVIe siècle paraît chez
Hachette en 1977, c’est à Montpel­
lier que l’historienne choisit d’en­
seigner, son époux, originaire des
Pyrénées, souhaitant regagner le
monde occitan.
Dans la vénérable université,
Arlette Jouanna exerce un quart
de siècle : assistante (1968), maî­
tresse de conférences, puis pro­
fesseure (1978) jusqu’à l’éméritat
(1993). Là, son enseignement, ex­
ceptionnel, en fait un modèle mé­
thodologique autant qu’éthique.
La réflexion, la rigueur, la sûreté
bibliographique, comme la hau­
teur de vue sur des sujets aisé­
ment passionnels et passionnés
En 2007. CATHERINE HELIE/
GALLIMARD/OPALE
24 MARS 1936 Naissance
à Clermont-Ferrand
1968-1993 Enseigne
à l’université
Montpellier-III-Paul-Valéry
1989 « Le Devoir de révolte »
2013 « Le Pouvoir absolu »
2017 « Montaigne »
29 JANVIER 2022 Mort
à Toulouse
– les guerres de religion et l’avè­
nement de l’imaginaire de l’abso­
lutisme –, lui permettent d’attein­
dre la clarté sans rien sacrifier à la
complexité des enjeux.
Ces qualités se retrouvent au fil
de ses publications. De l’idée de
race apparue pour renforcer la
hiérarchie sociale (Ordre social) à
l’étude scrupuleuse des « malcon­
tents », nobles souvent de haut
rang prêts à recourir à la violence
pour faire entendre leur critique
de l’exercice monarchique (Le De­
voir de révolte, 1559­1661, Fayard,
1989), Arlette Jouanna reprend
la leçon prosopographique de
Mousnier, qu’elle double d’une
lecture étourdissante de finesse
des textes, théoriques ou de cir­
constance, qui accompagnent ces
mouvements contestataires. C’est
logiquement elle qui coordonne
l’exemplaire Histoire et diction­
naire des guerres de religion (avec
Jacqueline Boucher, Dominique
Biloghi et Guy Le Thiec, Laffont,
« Bouquins », 1998) que suit bien­
tôt La France de la Renaissance.
Histoire et dictionnaire, où Phi­
lippe Hamon remplace Jacqueline
Boucher (Laffont, « Bouquins »,
2001). Deux sommes synthéti­
ques qui privilégient l’intelli­
gence claire des sujets sans les ré­
duire. C’est la même facture qui
fait le prix de La Saint­Barthélémy.
Les Mystères d’un crime d’Etat
(Gallimard, 2007).
En marge de sa remarquable
biographie de Montaigne (Galli­
mard, 2017), qui, là encore, ne
masquait rien des affres politi­
ques de l’écrivain, Arlette Jouanna
use de sa retraite studieuse pour
mener à bien l’étude de la nais­
sance de l’imaginaire, qui définit
une voie française de l’exercice
monarchique qu’on résume par
l’absolutisme. Dans la collection
« L’Esprit de la cité » chez Galli­
mard, Le Pouvoir absolu (2013),
Le Prince absolu (2014) et, à paraî­
tre à l’automne 2022, Le Sang des
princes proposent une relecture
lumineuse de ce tournant politi­
que décisif. Un modèle tant par la
démarche que par la réalisation.
D’une clarté convaincante qui
met en pleine lumière une
femme qui ne la cherchait pas. 
philippe­jean catinchi
Mady Elias,
Le Carnet
son épouse,
David et Florence,
ses enfants,
Philippe,
son gendre,
Lazare et Sylvestre,
ses petits-enfants,
Vous pouvez nous faire ont la douleur de faire part de la
parvenir vos textes disparition de
soit par e-mail : Georges ELIAS,
amoureux des sons et des siens,
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement survenue le 25 janvier 2022, à son
domicile, à l’âge de soixante-seize ans.
votre numéro de téléphone
et votre éventuel numéro Les obsèques auront lieu le
vendredi 4 février, à 15 h 45, au
d’abonné ou de membre crématorium des Ulis, route de l’Orme,
de la SDL) à Moineaux.
soit sur le site : Paris.
https://carnet.lemonde.fr Sa famille
Ainsi que ses amis de l’association
L’équipe du Carnet APTM,
reviendra vers vous ont la tristesse de faire part du décès
dans les meilleurs délais de
pour vous confirmer M. Jean-Pierre George
la parution. FOUCAULT,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
carnet@mpublicite.fr président depuis près de quinze ans,
et actuel président
https://carnet.lemonde.fr
d’honneur de l’APTM,
humaniste républicain,
homme de lumière,
AU CARNET DU «MONDE»
le 24 janvier 2022, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Fiançailles
Félicitations pour vos fiançailles Une cérémonie religieuse sera
célébrée le 4 février, à 15 heures, en
l’Église protestante unie Pentemont-
Grâce et Jacob. Luxembourg, 58, rue Madame, Paris 6e.
Ketty et Eddy Vertueux. Il sera ensuite inhumé le lendemain
matin, dans l’intimité familiale au
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Naissance
Bienvenue à toi, Paris.
Laurent (†) et Léna,
Gabriel.
ses enfants,
Jacques,
Félicitations à tes parents
son gendre,
Aurore et Christophe. Jules, Lara, Pauline, Alice, Carla,
Luna,
Idalina et Ketty, José et Eddy, ses petits-enfants,
Ariel,
Familles Araujo - Vertueux.
son arrière-petit-fils,
Eugénie et Vesna,
Décès qui l’ont choyée,
Les familles Hirzel, Guillemet,
Valdenaire, Aurégan, Saigne, Camilo,
Jean-Pierre BESENVAL Schauwecker, Corréia, Artone, di Falco
Et tous ses amis,
s’est éteint le 24 janvier 2022, à
Panicale (Ombrie, Italie). font part avec grande tristesse du
décès de
L’amour et la tendresse de sa
femme et de ses amis, la beauté de la Gabrielle HIRZEL - di FALCO.
nature, l’ont accompagné jusqu’aux
Femme de tête et de passions,
derniers instants.
voyageuse des mots et des terres,
Il est enterré au cimetière de rêveuse d’entre les rivages, guerrière
Panicale au milieu des oliviers et sur accomplie et libre poétesse,
les terres du Perugino. découvreuse d’artistes, cuisinière
inventive, elle est morte en paix à la
Malgré notre tristesse, nous savons fin d’une vie gourmande et elle nous
« la vita è bella ».* a laissé cette paix en présent.
*« la vie est belle ».
Nous lui rendrons hommage au
cours d’une cérémonie, en l’église
Sainte-Marthe-des-Quatre-Chemins,
Gabriel CARETTE, à Pantin, le vendredi 4 février 2022,
commissaire général
à 14 h 30.
de division (2S),
La famille remercie le docteur
nous a quittés le 11 janvier 2022, Bernard Francoz, pour sa constante
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. et bienveillante présence auprès
d’elle.
Ses obsèques ont été célébrées dans
l’intimité familiale.
Jacqueline Laufer, Rémi Huppert,
Carette-Gustin, Elizabeth Huppert, Caroline Huppert,
Isabelle Huppert,
40, rue Leblanc,
ses petit-cousin et petites-cousines,
75015 Paris.
leurs conjoints
et leurs enfants, Damien, Justine,
Tours. Paris.
Baptiste, Constance, Lolita, Lorenzo,
Paola, Angelo,
Mme Catherine Chanet,
Alain Drouet, Lise Kühne,
sa sœur,
Les familles Fröchen et Tosel, Geneviève Minet,
ses très chers ami et amies
Ses anciens collègues des universités
de Tours et de Nanterre, Ainsi que Agnès Host,
Francine Montangerand
ont la tristesse de faire part du décès Et Mamadou Sow,
de
ont la très grande tristesse de faire
Mme Anne-Marie CHANET, part du décès de
ancienne élève de l’ENS Sèvres,
Joëlle HUPPERT,
professeure agrégée de grammaire,
helléniste,
survenu le 28 janvier 2022, à Paris,
maître de conférences,
à l’âge de soixante-quinze ans.
survenu le 27 janvier 2022, à Paris,
dans sa quatre-vingtième année. La cérémonie d’adieu et
l’inhumation auront lieu le jeudi
Olivier et Arnaud, 3 février, à 12 heures, au cimetière de
ses fils, Cerny (Essonne).
nous prient de faire part du décès de Toute sa famille
Martial DAZAT, annonce avec une infinie tristesse le
conseiller décès, survenu le 29 janvier 2022, de
à la Cour de cassation,
Arlette JOUANNA,
survenu à Paris, le 20 janvier 2022, historienne,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans. chevalier de la Légion d’honneur.
carnet | 29
Paris.
Clément LAURENT,
agrégé de philosophie,
enseignant
à l’université de Montpellier,
photographe-amateur passionné,
La famille de
Christophe SIDAWY,
avec une préférence
pour les détails du bois,
rêveur invétéré qui adorait
a la douleur d’annoncer son décès
survenu à Cosne-sur-Loire, le 30 janvier
regarder les oiseaux, 2022, à l’âge de soixante-cinq ans.
est mort au petit matin du 28 janvier Les obsèques auront lieu le jeudi
2022, à l’hôpital de Castres, au début 3 février, à 14 h 30, en l’église Saint-
de sa quatre-vingt-douzième année. Agnan, à Cosne-sur-Loire.
Paris.
Hommage
Mme Mylène Lenoir,
Marie, Raphaëlle, Guillaume,
Jean-Paul Vermès,
président du conseil d’administration
ses enfants
et leur famille, d’HEC Paris,
Olivier Sevillia,
ont la tristesse de faire part du décès président de la Fondation HEC,
brutal de Adrien Couret,
président
M. Jacques LENOIR, de l’Association des Diplômés HEC
journaliste Et toute la communauté HEC,
et conseiller en communication,
survenu le 10 janvier 2022.
rendent hommage à
Entouré de sa famille et de ses Pierre BELLON
proches, il a été inhumé dans son (H.54),
village Normand.
décédé le 31 janvier 2022.
Mylène Lenoir,
40, rue Poliveau, Diplômé de l’École en 1954,
75005 Paris. entrepreneur visionnaire et
mylene.venturini@hotmail.fr humaniste, Pierre Bellon a fondé en
1966 le groupe Sodexo, acteur majeur
Léda Caracosta, au niveau mondial dans le secteur des
sa fille services, qu’il présidera jusqu’en 2016.
et son époux, Jean-Marc Béguin, Passionné par l’entrepreneuriat et le
Paraskevas Caracostas, développement humain, philanthrope
son fils
généreux et engagé, il était un
et son épouse, Anna Gouvianaki,
Alexandre Caracostas, véritable modèle pour les élèves et
son neveu, tous les membres de la communauté
Nicolas Caracostas, Lucas Béguin des diplômés HEC et un soutien
et Hara Caracostas, essentiel de la Fondation HEC,
ses petits-enfants, notamment de son action en faveur de
Anna Caracostas et Hugo Béguin, l’Egalité des Chances.
ses arrière-petits-enfants,
Paraskevas Mangriotis, Arthouros Ils s’associent à la peine de sa
Mangriotis, Stefanos Mangriotis, famille à laquelle ils présentent leurs
Dimos Karakostas et Nikos Karakostas,
ses neveux
sincères condoléances.
Et toute sa famille,
Remerciements
ont la douleur de faire part du décès
de
Conchita Bilard,
Ses enfants
Hélène
et alliés
MANGRIOTIS-CARACOSTA, Ainsi que ses petites-filles,
psychanalyste,
membre de la Société
psychanalytique de Paris, remercient avec émotion tous ceux
qui, par leurs pensées, leur présence
survenu le 25 janvier 2022, à Bagneux, ou leurs mots, ont souhaité
à l’âge de quatre-vingt-treize ans. témoigner leur affection à
L’enterrement aura lieu le mardi
Jean,
8 février, à 15 heures, au cimetière
parisien de Bagneux, 45, avenue
et leur soutien à sa famille.
Marx-Dormoy, à Bagneux (Hauts-de-
Seine).
Anniversaire de décès
Julien et Valentine,
ses enfants,
Louison, Giulia et Rosa, Régine ROBIN-MAIRE
ses petits-enfants,
Pierre, Catherine et Aline, est décédée à Montréal il y a un an.
ses frère et sœurs,
Toute la famille, Sa famille,
Ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
se souviennent d’elle, de son œuvre.
Alain Wladimir PILLET,
Communication diverse
survenu le 26 janvier 2022, à Malakoff.
Les cérémonies d’adieu auront
lieu le 8 février, à 11 heures, à la
maison funéraire de Clamart et le
19 février, à 15 heures, au cimetière
d’Octon.
La Fédération nationale des Écoles
des parents et des éducateurs,
Son conseil d’administration,
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Son conseil scientifique,
Le comité de rédaction de sa revue
L’école des parents, Les bénévoles de SOS Amitié
Ses équipes salariée et bénévole écoutent
Ainsi que toutes les équipes des par téléphone et/ou par internet
EPE,
ceux qui souffrent de solitude,
de mal-être et peuvent avoir
ont la profonde tristesse de faire part
des pensées suicidaires.
du décès de
Mme la professeure
Nous recherchons des écoutants
Régine SCELLES,
bénévoles
présidente
de son conseil scientifique, sur toute la France.
L’écoute peut sauver des vies
survenu le 28 janvier 2022. et enrichir la vôtre !
Choix des heures d’écoute,
Ils garderont d’elle le souvenir
formation assurée.
d’une collègue et d’une amie
brillante, pétillante, et d’une
immense modestie, enthousiaste,
généreuse, chaleureuse, et toujours En IdF RDV sur
souriante. Elle va considérablement
www.sosamitieidf.asso.fr
manquer à la Fnepe et à son réseau.
En région RDV sur
Ils adressent à sa famille leurs plus www.sos-amitie.com
sincères condoléances.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Harold Thibault
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Rédaction en chef Laurent Borredon, Laetitia Clavreul, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas
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Infographie Delphine Papin
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Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président

30 | 0123
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylv i e kauf fmann
Le dilemme
français au Mali
P POSER LA QUESTION
artir ou rester ? Sans de­
mander ouvertement
son départ, mais en
poussant les mauvaises
manières jusqu’à l’humiliation, la
junte au pouvoir à Bamako force
la France à se poser la question de
sa présence militaire au Mali, où
elle est arrivée en janvier 2013, à la
demande des autorités de l’épo­
que, pour repousser une offen­
sive djihadiste.
Dans un contexte de plus en
plus difficile, aggravé par un pre­
mier coup d’Etat en 2020, puis par
un second en 2021, trois événe­
ments récents précipitent la rup­
ture : l’implantation, à l’invitation
de Bamako, des mercenaires rus­
ses du Groupe Wagner, aujour­
d’hui au nombre d’un millier
d’hommes selon deux sources
françaises ; l’expulsion du contin­
gent danois, à peine arrivé, mem­
bre de la force européenne
« Takuba » sous commandement
français ; et celle, lundi 31 janvier,
de l’ambassadeur de France. Pour
un pays dont l’engagement aux
côtés des forces armées malien­
nes a coûté la vie à cinquante­trois
de ses soldats, ça fait beaucoup.
Partir ou rester ? « La question
ne se pose pas dans ces termes »,
veut­on croire à l’Elysée. Partir ?
Se faire mettre dehors par des
colonels putschistes, abandonner
le terrain aux groupes djihadistes
et laisser la Russie s’installer,
comme elle l’a fait en République
centrafricaine ? Hors de question.
La France pense avoir de bonnes
raisons de rester engagée au Sa­
hel : la menace sécuritaire ; les
liens entre sa population et la
diaspora ; l’enjeu stratégique avec
l’activisme croissant de la Russie
et de la Turquie.
Ressentiments du passé
Mais poser la question, même
dans des termes plus nuancés,
c’est déjà reconnaître l’échec
d’une stratégie qui, si elle a pu pro­
duire des résultats les premières
années avec l’opération « Serval »,
n’est plus adaptée à la situation au
Sahel. La menace djihadiste
s’étend maintenant au nord des
pays côtiers du golfe de Guinée.
Les Etats y sont de plus en plus
fragiles, comme le montre le
putsch qui vient de se produire au
Burkina Faso. La désillusion des
populations à l’égard de la démo­
cratie est profonde. La France,
ainsi, reste associée à des diri­
geants défaillants qui ne man­
quent pas, lorsque cela sert leur in­
térêt, de faire dériver la colère po­
pulaire vers l’ancienne puissance
coloniale : les ressentiments du
passé n’ont pas été effacés par un
coup d’ardoise magique.
A Paris – ça peut se compren­
dre –, on préfère parler de « fin
d’un cycle » qu’il « faut gérer », plu­
tôt que d’« échec ». Comme en
Afghanistan, on plaide la fin d’un
modèle d’intervention exté­
rieure, trop lourd, trop visible.
Mais, contrairement à l’Afghanis­
tan, assure l’Elysée, le bilan n’est
pas totalement négatif : la Mauri­
tanie, première nation sahélienne
visée par le terrorisme djihadiste
à la fin de la décennie 2000, et le
Niger ont, jusqu’ici, mieux tenu
que le Mali et le Burkina Faso.
Désireux de faire de la transfor­
mation de la relation de l’Afrique
avec la France l’un des grands
axes de sa politique extérieure, le
CE QUI ÉTAIT PERÇU  Think Europa. Même son de
DANS L’UE COMME  cloche à Berlin et à Tallinn. La
UNE AUTRE AVENTURE  lui reste quinze jours pour fixer,
FRANÇAISE EST DEVENU  direction à suivre avant le som­
UN VÉRITABLE  met UE­Afrique, prévu à Bruxel­
ENJEU EUROPÉEN
LOGEMENT :
UN RENDEZ­VOUS  vrai concernant la situation des sans­abri,
MANQUÉ
DE PARTIR OU  Il ne faut pas s’attendre à ce que la crise du
DE RESTER DANS 
LE PAYS, C’EST DÉJÀ 
RECONNAÎTRE L’ÉCHEC 
D’UNE STRATÉGIE
président Emmanuel Macron
avait compris qu’il fallait aussi
changer de modèle d’interven­
tion au Mali. Il n’a pas su en
convaincre les principaux inté­
ressés. Il a d’abord cherché à
améliorer et à diversifier ce qui
avait été lancé, en soutenant le
G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Ni­
ger, Mauritanie, Tchad), en mobi­
lisant des fonds internationaux
pour le développement, en dé­
ployant d’infatigables efforts
pour associer les Européens au
dispositif français.
En juin 2021, finalement, il an­
nonce ce qui ressemble à un chan­
gement de modèle, avec la réduc­
tion du contingent « Barkhane »,
appelé à passer de 5 100 hommes
à 2 500 d’ici à 2023. Pas un retrait,
assure­t­il, un redéploiement. Et
un constat d’échec qui ne dit pas
son nom : « Nous ne pouvons pas
sécuriser des régions qui retom­
bent dans l’anomie parce que des
Etats décident de ne pas prendre
leurs responsabilités, explique­t­il
le 10 juin. C’est impossible, ou alors
c’est un travail sans fin. »
Mais les choses vont plus vite
que lui. La dégradation s’accélère :
huit mois plus tard, le G5 Sahel a
implosé et un énorme point d’in­
terrogation plane sur la « Task
Force Takuba », grande fierté du
président qui a réussi à y attirer
des forces spéciales venues du
nord et de l’est de l’Union euro­
péenne (UE), d’Estonie ou de Ré­
publique tchèque, aussi familières
du Sahel que nous le sommes du
Groenland, et qui y voyait la préfi­
guration de l’Europe de la défense.
Partir, donc, non. Rester dans
les mêmes conditions ? Non plus.
De nouveau, il est question de
bâtir un autre modèle, plus léger,
plus axé sur la gouvernance,
« plus imbriqué avec les partenai­
res », en s’appuyant sur le Niger et
les pays côtiers puisqu’il n’est
plus possible de travailler avec le
Mali. Peut­on mener une lutte an­
titerroriste hors du pays où sont
concentrés les chefs des groupes
armés ? Il faudra en convaincre
les partenaires européens, dont la
France a besoin si elle veut,
comme elle s’y est résolue, ne
plus apparaître en première ligne.
C’est là, peut­être, la seule bonne
nouvelle pour M. Macron. Ce qui
était perçu dans l’UE il y a quel­
ques années comme une autre
aventure française dans son arriè­
re­cour africaine est devenu un
véritable enjeu de souveraineté et
de solidarité européenne pour
ceux qui y participent. En asso­
ciant le soutien français aux opé­
rations de réassurance de l’OTAN
face à la Russie à la participation
de pays de l’est de l’UE à l’opéra­
tion « Barkhane », Paris a favorisé
la prise de conscience d’un intérêt
stratégique commun au Sahel.
L’irruption de la Russie dans le jeu
y contribue, évidemment.
« Je suis sûre que le Danemark
restera engagé et se coordonnera
étroitement avec la France », pré­
dit Lykke Friis, qui dirige à
Copenhague le cercle de réflexion
France ne fait plus cavalier seul ; il
avec ses partenaires européens, la
www.grasset.fr
les les 17 et 18 février. Le Mali n’y
sera pas convié. 
0123
JEUDI 3 FÉVRIER 2022
 
comme un échec. C’est particulièrement vent au dernier rang. C’est pourtant un élé­
ment­clé pour la qualité de vie et un facteur
un fléau que M. Macron ambitionnait d’éra­ d’inégalités déterminant. Ce désintérêt
diquer. Malgré des efforts significatifs de la
part de l’Etat pour ouvrir des places d’hé­
bergement, l’offre n’a pas suivi. Cette situa­
peut s’expliquer par le fait que 40 % des mé­
nages sont des propriétaires sans plus
aucune charge de crédit et qui ont donc in­
tion a conduit à mener une politique in­
verse à celle que le gouvernement souhai­
tait, c’est­à­dire à investir dans le
térêt à voir leur patrimoine se valoriser.
La résolution du problème n’est pas
qu’une question d’argent public. Elle dé­
temporaire et l’urgence, au détriment de pend aussi de la nécessaire évolution du ca­
solutions pérennes. dre réglementaire actuel, qui complexifie à
outrance les normes de construction. Com­
Un puissant levier me dans d’autres domaines, il faut trouver
un subtil équilibre entre les préoccupations
logement se résorbe d’elle­même avec la re­ environnementales et l’urgence sociale.
L a politique du logement sous le man­
dat d’Emmanuel Macron est déses­
pérément restée à l’état de friche. A
peine esquissé dans le programme du futur
président, le sujet avait fait l’objet d’une
prise économique. Au contraire, sans un
volontarisme politique assumé, la situa­
tion risque d’empirer. Faute d’une offre suf­
fisante, les prix à la location comme à
l’achat s’envolent. Les dépenses des ména­
Cette simplification pourrait commencer
par une centralisation de la prise de déci­
sion dans les mains d’un acteur unique,
suffisamment proche du terrain pour ap­
préhender les besoins, mais pas trop, afin
promesse d’un « choc d’offre » jamais te­ ges pour ce poste sont en constante aug­ qu’il se tienne à distance des intérêts lo­
nue. Tout au long du quinquennat, il a été mentation. Elles représentent aujourd’hui caux qui bloquent les évolutions. Car l’un
davantage une source de coupes budgétai­ 28 % de leur budget, contre 18 % en 2005. des écueils de la politique du logement ré­
res que d’investissement, au moment où Alors que les candidats à l’élection prési­ side dans les aspirations contradictoires
l’accès à un toit décent et abordable con­ dentielle tentent de répondre aux inquié­ entre ceux qui sont déjà installés et ceux
cerne des millions de ménages. tudes des Français sur leur pouvoir d’achat, qui ne le sont pas encore.
Certes, les vents contraires n’ont pas man­ le logement constitue un puissant levier. Convertir en logements des bureaux va­
qué. L’arrêt partiel de l’économie en 2020 Certes, le sujet est technique, appelant des cants ; accélérer la mobilisation des friches ;
en raison de la crise liée à la pandémie a solutions de longue haleine, complexes, assouplir l’accès au foncier grâce à une fis­
lourdement pénalisé la construction. Mais qui doivent être trouvées dans un écheveau calité incitative ; rendre plus attractives les
le rebond du nombre de permis de cons­ de responsabilités croisées entre Etat et col­ zones urbaines où la tension de la de­
truire observé en 2021 n’est pas parvenu à lectivités locales. Dès lors, difficile d’en faire mande est la moins forte ; densifier là où
dissiper une impression globale de rendez­ un thème de campagne porteur. D’autant c’est possible : autant de pistes pour relan­
vous manqué. Ce déficit de constructions que, dans les sondages sur les préoccupa­ cer le logement et nourrir un débat électo­
de logements sociaux ou privés restera tions des Français, le logement arrive sou­ ral qui reste inaudible sur le sujet. 
UN LIVRE
CINGLANT
ET NECESSAIRE.
Patrick Boucheron, France Inter
«Un livre riposte.»
Olivia Gesbert, France Culture
« Un petit livre de 130 pages qui
pourrait être prescrit et remboursé
par la Sécurité sociale.»
Simon Blin, Libération
«L’historien décortique
les déclarations du polémiste,
qui jure avoir bûché son sujet.»
François-Guillaume Lorrain, Le Point
«Un ouvrage aussi bref que ravageur.»
Nicols Brimo, Le Canard Enchaîné
«Laurent Joly démontre parfaitement
le dessein d’Éric Zemmour. Justifier
l’avènement d’un pouvoir attentatoire
aux libertés individuelles par
la relativisation de l’inacceptable.»
Gaël Brustier, L’Express
«En un texte aussi bref que puissant,
Laurent Joly met en pièces les
travestissements, les mensonges
et, en réalité, le révisionnisme
historique d’Eric Zemmour.»
Maurice Szafran, Challenges
«Tout simple, et d’une efficacité
redoutable: le livre qu’on attendait.»
Yann Barthès, Quotidien
DANS TOUTES LES LISTES
DE MEILLEURES VENTES
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